Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

elvis presley

  • CHRONIQUES DE POURPRE 667 : KR'TNT ! 667 : REDD KROSS / GURRIERS / LINDA GAIL LEWIS /JAH WOBBLE /JOHN EDWARDS / ROME / ELVIS PRESLEY / SALUT LES COPAINS !

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 667

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 11 / 2024 

     

    REDD KROSS / GURRIERS / LINDA GAIL LEWIS  

    JAH WOBBLE / JOHN EDWARDS / ROME

    ELVIS PRESLEY / SALUT LES COPAINS ! 

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 667

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - A Kross the universe

     (Part One)

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Plutôt inespéré : Redd Kross à Paris ! T’en reviens pas. Pourquoi inespéré ? Parce que pas très connu et aussi parce que ce genre de groupe pas très connu n’intéresse pas grand monde. Le concert n’est d’ailleurs pas complet. Et pourtant, Redd Kross taille sa route depuis quarante ans, dans la plus parfaite exubérance, avec des albums bourrés de hits dont la plupart sont devenus cultes, tout au moins chez les happy few.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    Les voilà enfin sur scène. Sur les quatre, t’as deux Melvins, Steven McDonald, basse, et Dale Crover, beurre, plus Jason Shapiro et Jeff McDonald aux grattes. C’est un set explosif, et c’est rien de le dire.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    Ils te mettent vite sous tension avec ces bombes atomiques que sont «Stunt Queen» et «Emmanuelle Insane», ils naviguent entre exubérance et flamboyance, ils collectionnent les mamelles du destin : le son, la classe, les compos, la niaque, l’ultra-présence, ça joue et ça pulse, Steven McDonald saute un peu en ciseau avec sa basse, et derrière t’as cette faramineuse powerhouse de Dale Crover qui, après avoir allumé quasiment tous les albums des Melvins, veille aujourd’hui au dynamitage des Kross Kuts. Bim bam boom !

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    Te voilà pris dans la frénésie, elle court elle court ta banlieue, même si ce n’est plus tout à fait ta banlieue, te voilà embarqué et même charrié, au point où tu sens que tu ne maîtrises plus rien, oui, charrié comme un pauvre con de fétu par un torrent de Skydog, de Skyblog et de Skydown in the ground, t’es là et t’es déjà plus là, tu nages et ça ne sert à rien de nager dans le tumulte, c’est comme de parler dans le vide, alors laisse les bombes éclater une par une, «Annie’s Gone» tiré de Third Eye, ou encore «Huge Wonder» tiré de Phaseshifter, et pire encore, «Linda Blair 1984», tiré de Teen Babes Fom Monsanto. En fait, ils piochent dans tous ces albums tellement prisés des happy few, et ça ne rate pas : vers la fin, ils tapent le morceau titre de Neurotica, un fantastique album dont les happy few se firent à une époque les gorges chaudes. Alors forcément, sur scène, c’est Noël. Ils jouent tout ce qu’ils peuvent dans leurs tenues de scène blanches tachées de peinture. Ils font tourner leur manège jusqu’au vertige.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    On sent bien le power des Californiens, ils en font toujours un peu plus que les autres, mais avec Redd Kross, c’est brillant. Extrêmement brillant. Et t’as l’heure qui passe comme un songe, il ne t’en restera rien de plus qu’un bon souvenir, tu croyais tenir un moment d’éternité, et lorsqu’un peu plus tard, tu remontes à pinces la rue de Tolbiac, tu sais qu’il t’a échappé. Pfffff ! Comme tout le reste. T’as vraiment l’impression très nette de t’enfoncer dans la nuit de la mort, même si t’as encore chaud aux oreilles et la mine réjouie. 

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Par précaution, t’avais écouté leur dernier album sans titre avant de venir les voir jouer. Tu voulais juste vérifier qu’ils étaient toujours aussi géniaux.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    Double album rouge sans titre en hommage au White Album «that Jeff  and Steven bought back in 1970 avec les sous gagnés sur les consignes de bouteilles de Coca, l’album propose 18 masterfully crafted punk, power pop and psychedelia-tinged bangers.» Voilà ce que Dan Epstein déclare dans Now You’re One Of Us, the Redd Kross book qui vient de paraître et dont on reparle la semaine prochaine. En effet, tu cries au loup dès «Stunt Queen». Envolée stupéfiante, non seulement t’as la grosse assise, mais t’as en plus la liberté totale de wah. Deux autres coups de Jarnac en B : «Terrible Band» et «Stuff» - Inbereable man/ In a terrible Band - C’est du power à toute épreuve. Power d’envers et contre tout. Niaque chevillée au corps. Belle ampleur catégorielle. Ils ont la même longueur d’onde que les Lemon Twigs. Killer solo flash & «Too munch is never/ Enough/ Stuff». Ils claquent l’heavy pop de tes rêves les plus humides. Ils n’ont de leçons à recevoir de personne. En C, ils claquent un «Way Too Happy» qui sonne comme un hit des Byrds, avec le power Redd Kross. On assiste aussi à une belle montée en neige troublée par un bassmatic en folie dans «Too Good To Be True». Avec «The Witches’ Stand», ils rendent hommage à Brian Jones et Jean Harlow. Et tout semble exploser en D avec «The Shaman’s Disappearing Robe» qui semble sonner comme un épouvantable hit. Le refrain et le bassmatic flamboyant t’embarquent le Shaman pour le firmament. S’ensuit un «Emmanuelle Insane» atrocement insidieux, remué ciel et terre par le beat de Kross et balayé par des vents mauvais. Et ils finissent cet édifiant double album en mode power pop de classe intercontinentale avec «Born Innocent». 

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Le premier album des frères McDonald s’appelle d’ailleurs Born Innocent et date de 1982, ce qui ne nous rajeunit pas. Au premier abord, cet album nous laissa perplexe. Il sonnait comme un album de jeunesse, avec sa collection de petites pop-songs punkoïdes. Avec «Everyday There’s Someone New», on avait du petit rock ingrat de petite ramasse illuminé par des éclairs de flash. Les frères McDo jouaient à trois avec Tracy Leaf, la petite brune qu’on voit au dos déconner avec un balai. On les situait assez mal, mais il n’empêche que leur son parlait à l’intellect. Même mal harnaché, ce son s’installait. Cet album ressemblait presque à l’étalage d’un marchand de bonbons : envie de goûter à tout. Le hit de l’album s’appelait «Look On At The Bottom», en B. Les frères McDo multipliaient les idées de son, à la manière de Robert Pollard, et n’en finissaient plus d’épater l’épatable. Franchement bon et joué à la bonne franquette, l’une des meilleures franquettes d’Amérique. Encore une bonne raison de s’extasier : «Cellulite City», joué au berk-punk, mais avec esprit. Il terminaient «Pretty Girl», avec un hommage à Dylan, non indiqué sur la pochette et qui renouait avec la fantastique énergie du Dylan de 65.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Avec Teen Babes From Mosanto, les frères McDo vont monter en puissance. Depuis les années 80, la réputation de cet album de reprises n’a cessé de grandir. Car quelles reprises ! Stooges, Bowie, Boyce & Hart et Shangri-Las, c’est un choix de kids américains. D’ailleurs, ils démarrent avec une reprise du «Deuce» de Kiss. Extraordinaire petite débauche d’énergie. Les deux frères savent donner le change. Comme tous les kids américains de leur âge, ils trempent dans la Stonesy et allument le vieux «Citadel». Là, ils tapent dans le sacré. La Stonesy leur va si bien. Ils respectent mêmes les longs breaks silencieux de la version originale. Par contre, leur reprises d’«Heaven Only Knows» (Shangri-las) et d’«Ann» (Stooges) retombent comme des bites molles. C’est en B que se planquent les deux coups de génie, à commencer par l’imparable «Saviour Machine» qu’ils tirent de The Man Who Sold The World. Avec le son de Ronson, ils sont à leur aise. Et le glam leur va comme un gant. C’est joué à la Ronno sévère du Width Of A Circle, psychoutté à outrance et bien enlevé, glammé dans la magnifique altération du décadentisme britannique. Et tout explose avec le brillantissime «Blow You A Kiss In The Wind» de Tommy Boyce et Bobby Hart, les deux mecs qui composaient principalement pour les Monkees. Fantastique shoot de power-pop, pur jus du Redd Kross à venir, ils rallument tous les lampions du bal. C’est là que se niche le génie des frères McDo. Steven : «Plus tard, des gens comme Buzz et Dale from the Melvins, et Mark Arm from Mudhoney nous ont dit que cet album really kind of helped to set in motion what would become the grunge explosion, because we included things like The Stooges and early KISS on the same page.»

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Paru en 1987, Neurotica passe pour l’album le plus ambitieux des frères McDo. Dans leur book, ils révèlent qu’ils voulaient Sonny Bono comme producteur, mais il faisait de la politique. Puis ils ont opté pour Flo & Eddie, mais ça n’a pas marché non plus. Alors ils ont pensé que Tommy Ramone serait parfait. Mais Jeff et Steven sont déçus du résultat. Ils voulaient se situer «between The Partridge Family and Live At Leeds», mais ils se sont retrouvés avec un son années 80 qui ne leur correspondait pas. Jeff : «By the time you heard it on vinyl, it was several generations down from what you heard in the studio.» Et puis au moment où Redd Kross commence à tourner, leur label se casse la gueule. Pourtant l’album n’est pas si mauvais. On sent le souffle dès le morceau titre. Le souffle, c’est-à-dire une certaine énergie, une certaine allure, un sacré tempérament post-moderniste, une certaine façon de chanter à l’insidieuse, un certain style, une certaine façon de monter les chœurs en épingle et de doubler l’ensemble d’un tricotage de solo continu. On est hooké. Fucking big energy ! L’hit de l’A s’appelle «It’s The Little Things». Voilà la lumière, la pop tendue vers l’avenir, l’expression considérable, la power-pop d’exception. C’est du rêve pop à l’état le plus pur, on se croirait en Angleterre, la prod évoque à la fois Brian Wilson et Phil Spector, on a du mal à y croire tellement c’est bien foutu, big heavy bundle, ces mecs ont le diable au corps. Avec sa power pop inflammatoire, Redd Kross sonne comme le groupe pop américain idéal. Le hit de la B s’appelle «What They Say», petit garage vengeur stupéfiant de niaque, joué à l’envenimée, incapable de se calmer et côté solo, ça coule de partout. C’est un album d’une rare densité, «Play My Song» sonne comme une merveilleuse plâtrée de psyché californien mais très anglais dans la façon de plonger en piqué dans la piquette. La verdeur de leur pop outrepasse celle des Beatles. «Janus, Jeanie, And George Harrison» sonne comme le «Time’s Up» des Buzzcocks, mais avec le son de Blue Cheer. Ils passent même Blue Cheer à la moulinette et proposent en fin de cut un final éblouissant. Par la multiplicité des styles et la qualité des prestations, un parallèle s’impose entre Neurotica et le White Album. On sent cela clairement à l’écoute du fantastique «Peach Kelli Pop». C’est de la power-pop, mais on pourrait aussi parler de pâtés de son, mais des pâtés raffinés. Ils explosent dans l’azur immaculé à coups de yeah yeah yeah. Neurotica n’est rien d’autre qu’une collection de chansons autonomes et captivantes. Le «Beautiful Bye Bye» qui referme la marche renforce encore l’analogie avec le White Album, qui souvenez-vous s’achevait avec «Good Night Sleep Tight».

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Avec Third Eye, ils débarquent sur Atlantic. À l’époque, Jeff est obsédé par le bugglegum de Kasenetz & Katz. Jeff : «Je disais aux gens que je voulais faire  the bubblegum rock opera.» Third Eye est donc un hard bubblegum concept album. Il rencontre même Gus Dudgeon, mais il ne se sent pas au niveau de ce producteur légendaire. On pourrait presque parler d’album raté. Jeff : «‘The Faith Healer’ is a tribute to the Ohio Express and The 1910 Fruitgum Company - almost on an Oasis level - with a little nod to Brian Wilson thrown in.» Cette fois, la pop des frères McDo ne fonctionne pas aussi bien. Steven dit qu’ils ont le mauvais producteur - We were a garage rock band, like Crazy Horse, and we just needed to have a record that sounded as good as the first Crazy Horse album - Avec «I Don’t Know How To Be Your Friend», ils jouent la carte de l’extrême finesse et du coup ça frise le hit intermédiaire très tendancieux. Il faut attendre un «Shonen Knife» battu à la diable pour trouver un peu de viande - Take me down to the Abba road - et l’album s’éveille enfin avec «Bubblegum Factory». Ils renouent avec leur cœur de métier : la pop séculaire. Ils mettent leur pop en coupe réglée et sonnent comme les Beach Boys. Ils flirtent avec le glam pour «Zira» et quand on écoute «Where I Am Today», on croirait entendre House Of Love. C’est un son très indie-rock britannique monté sur un drumbeat inepte. Back to the très belle pop américaine avec «Love Is Not Love» en B, une pop colorée et sucrée, bien montée en épingle, très inspirée par les Beatles dans la façon de dire like me/ you’re not quite sa-a-aane. Ce pur jus de Beatlemania flirte avec la magie. «Elephant Flares» bénéficie aussi de toutes les qualités du son McDo : l’inflammatoire, le beat exacerbé, le chant qui n’attend rien de son prochain et le final exceptionnel. La grande force des frères McDo c’est de savoir finir en apoplexie suburbaine de wah. Sur la pochette, on voit Sophia Coppola nue et masquée. Et comme l’album ne se vend pas, Atlantic les jette.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Phashisfter pourrait bien être le meilleur album des frères McDo. Ils ont John Agnello comme producteur, le mec qui vient de produite le Were You Been de Dinosaur Jr et le Sweet Oblivion des Screaming Trees. Ils attaquent ça avec «Jimmy’s Fantasy», un slab d’heavy psych californien, un extraordinaire dévoiement collatéral. Jeff McDo joue à la Rundgren, aérien et wild, mélodique et suburbain, dans le maximum overdrive de l’ondoyance. Il bat puissamment des ailes et semble dominer le monde, il fait allégeance à la persistance et développe un extravagant power surge. «Jimmy’s Fantasy» saute comme une bombe. Pas de retour possible. C’est arrosé d’un napalm de wah et de tiguili. On reste dans l’exercice de la puissance avec «Lady In The Front Row», ils sont à la puissance dix, dans l’exponentiel sonique, en carrousel de solo d’avant-garde. Exagéré. Intraitable. Irréversible. Vous avez là le meilleur son d’Amérique. Pire encore : c’est digne des Beatles. «Huge Wonder» sonne comme un hit planétaire, pas de doute, c’est une power-pop très chatoyante, avec des guitares latentes qui rayonnent - It’s no wonder - On s’effare de l’incroyable qualité de la densité et ce démon de Jeff part en vrille suspensive. Il crée un véritable spectre psychédélique, un vrai dégouliné d’heavy Kross. On retrouve la tension qui fit la grandeur des Ten Years After et des autres géants de l’early London Scene. Avant de passer en B, on peut aussi se goinfrer de «Monolith», une pop parfaite digne de Brian Wilson, noyée de son, infestée de solos comprimés, et de ce monstrueux «Crazy World» tapé au heavy blues de blues rock, enrobé de miel, gluant de son et digne des dieux du fer travaillé. Le coup de génie se niche en B : c’est bien sûr «Pay For Love». Ils sonnent littéralement comme les Beatles. Il faut savoir le faire. Il faut savoir chanter au ton chaud et mélodique et injecter une bonne dose de so far-out dans l’excellence. On assiste à un extraordinaire balancement de pop intense et ouvragée à gogo, véritable travail d’orfèvre, joué au vibré de biseau mélodique, finement teinté de pianotis dignes de «Lady Madonna». C’est soloté à la rage de vivre. S’ensuit une autre giclée de power-pop intitulée «Saragon» et ça se termine avec une vraie débandade de heavy psych, «After School Special», un cut attaqué du ciboulot, grouillant de relances dignes des «Little Red Lights» de Todd Rundgren, drivé au beat ferroviaire des enfers, laminé à chaud. Too much monkey business. Les frères McDo nous ramènent au cœur du Wizard/True-starisme. «Only A Girl» sonne comme un hit psyché californien allumé au rumble de basse. Chez eux, tout est claqué à l’avenant de la meilleure claquemure. Tout est éminemment rock’n’roll sur cet album. Tout y est joué serré et vaillamment exécuté. Steven : «Musically, we were riffing on both The Stooges and Mudhoney.» Et plus loin, il ajoute : «It’s our equivalent of The Beatles doing ‘Helter Skelter’ as a reaction to The Who’s ‘I Can See For Miles’.» Et puis t’as ça, toujours ce démon de Steven : «I remember I sang it through a Twin Reverb with Shure SM57, because that was what Iggy supposedly did on the early Stooges records to get just the right amount of hair on the vocals.»

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             On trouve de beaux restes sur Show World paru en 1996, à commencer par «Teen Competition», gros brouet de power-pop visité par un fort vent de wah et un killer solo vient s’étrangler en plein centre du cut. Ah comme ils sont bons ! Deux énormités se planquent en B : «Follow The Leader» et «Vanity Mirror». Jeff amène leader à la violente titube de riff. C’est quasi-keefien dans l’esprit, mais la Beatlemania reprend vite le dessus, avec un son d’une exemplaire wilderness. Jeff joue ça aux petits accords intermédiaires de gimmickage bien gras. S’ensuit Vanity avec son beat Krossé et la progression conduit tout naturellement le cut au firmament d’I can’t hide. Avec «Stoned», ils continuent de caresser leur muse beatlemaniaque, et «You Lied Again» sonne comme un shoot d’heavy pop Krossée du meilleur effet. Ils travaillent l’axe Walrus/cocote de pop, et chantent à la meilleure audace de pop de haut vol - High in the wind/ Fresh as a wild ride - Retour à la Beatlemania avec «Mess Around». Les frères McDo sont probablement ce qui se rapproche le plus des Beatles sur cette terre. Leur pop brille d’un éclat si pur sous le soleil exactement. On retourne dans l’enfer du paradis avec «Get Out Of Myself». Ils jouent ça au va-tout sous une brise d’harmonies dignes de Lennon & McCartney. Et «Kiss The Goat» monte tout droit du paradis. Voilà encore un album d’une sublimité sans commune mesure.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Avec Researching The Blues, ils s’enfoncent encore un peu plus dans la Beatlemania. «Winter Blues» et «Hazel Eyes» pourraient très bien se trouver sur Revolver. On repère tout de suite l’attaque beatlemaniaque d’envergure de «Winter Blues» - Solar regular daze/ Won’t go away - Franchement, on se croirait sur Revolver. L’impression persiste avec «Hazel Eyes» en fin de B, qui s’inscrit dans la veine magique des Beatles de l’âge d’or. Belle clameur de Kross, avec les départs en fanfare du bassmatic de Steven. Les frères McDo ont une facilité à renouer avec Revolver et Rubber Soul, ces albums du temps béni des voix d’écho perlé et des guitares enchanteresses. N’oublions pas le coup de génie qui se trouve en A : «Meet Frankenstein». Une vraie surprise party ! Ils attaquent ça à la baby you can drive my car, au fondu de voix dans l’âcre accord de pop anglaise - Remodel the star/ The one you know you are/ Not what you used to be - C’est spectaculairement bon - It’s not the end/ Hey Frankenstein/ Don’t Lose your head - Encore un hit destructeur avec «Stay Away From Downtown», ils ont raison de prévenir. Ils enfilent les yeah yeah à la hussarde, leurs shalala sont des modèles absolus. Autre merveille : «The Nu Temptations». Plus rien à voir avec le commun des mortels, ils jouent jusqu’à la fin des haricots. Tout est encore une fois monté en épingle, claqué derrière les oreilles, farci de départs en vrille et couronné de finaux éblouissants. Voilà pourquoi il faut suivre les frères McDo à la trace.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Paru en 2017, Hot Issue Vol. 1 propose des turn of the century recordings, new digs & old finds. Dans le tas, on trouve des choses intéressantes, comme par exemple cette reprise courageuse du «Puss N Boots» des Dolls, même si c’est chanté au petit McDo. Il n’a pas la hargne de Johansen, mais seulement de l’énergie plein les pattes. Les frères McDo sonnent comme les Enfants Terribles de Cocteau. Le coup de génie de l’album s’appelle «Switchblade Sister». Voilà encore un fantastique hit de pop qui explose comme un bourgeon de congestion abdominale. Pur régal aussi que cette reprise du «Motorboat» de Kim Fowley. C’est aussi glammy qu’un hit d’époque. Ils renouent avec leur fascination pour les Beatles dans «Insatiable Kind». Avec «Take It Home», Jeff sonne exactement comme John Lennon. On peut dire la même chose de «That Girl» : encore un cut qu’on dirait tiré de Rubber Soul. Par contre, «It’s A Scream» va plus sur le baroque de Sergent Pepper, avec sa structure tarabiscotée et ses arrangements trop richement ouvragés. Ils terminent cet album ultra-attachant avec un «Born To Love You» pianoté à la Lennon. Jeff a du talent, mais pas n’importe quel talent : un talent fou. Il travaille son cut à la Lennon, c’est-à-dire qu’il monte doucement le niveau mélodique vers des cimes inexplorées.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Tiens voilà le Volume 2 : Oh Canada. Hot Issue Vol. 2. Show World Tour Live. Et quel volume ! Redd Kross sur scène à Vancouver, ça vaut tout l’Or du Rhin. Ils envoient un huge shoot de power pop dès «Lady In The Front Row». Ils développent une puissance échevelée, ramonée par la basse de Steven McDonald. Son frère Jeff chante sa power pop à pleine voix. Ils sont tendus et beaux, radieux comme des radis sur des radeaux. À ce petit jeu, ils sont imbattables. On pense à Teenage Fanclub, bien sûr, mais les Krossards ont quelque chose d’américain en plus. Pas de doute, Roudoudou. Toute l’A navigue à ce niveau d’excellence. Ils enchaînent avec un «Switchblade Sister» incomparable, puis avec un «Stoned» élégant et déterminé. On assiste une fois de plus à un fantastique déploiement de force. Les frères McDonald donnent du jus à la force du poignet et alignent blast de pop sur blast de pop. On sent poindre la Beatlemania dans «Jimmy’s Fantasy». Ces fantastiques brothers bousculent bien les lignes, ils enfoncent bien leurs clous, rien ne saurait résister à l’ampleur de leur clameur. Puis avec «Mess Around», ils sonnent comme les Fannies. Si on observe les visages des frères McDonald, on ne tarde pas à réaliser qu’ils ressemblent étrangement à Ray et Dave Davies. Ils terminent l’A avec «Annie’s Gone», une nouvelle explosion de power pop au no no no. Jeff descend en beauté sur les baisses de régime en cocotte. C’est pour mieux rejaillir dans son puits de lumière. Par contre, la B convainc moins le con vaincu. Il s’agit d’une suite intitulée Silver Odessey tourne au délire prog. Mais qui s’en plaindra ? L’amateur de big seventies sound y trouvera son compte. C’est très proggy, mais avec une certaine vélocité et la quintessence d’une vraie férocité.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Un nouvel album paraît en 2019 : Beyond The Door. Alors attention aux yeux ! Le jeu favori des frères McDonald, c’est d’exploser le rock et la pop comme on explose un crapaud en lui fourrant un gros pétard dans la gueule. Avec «Fighting», ils se livrent à une cavalcade insensée - I play guitar and I’m aiming straight at you - He means it, l’animal, et le gros bassmatic anaconda vient engloutir «Fighting» vivant. Voilà un cut comme en voit plus, gorgé de killer attacks et d’infects remugles de bassmatic. Et tout l’album va reposer sur ce principe d’explosivité permanente. Tiens, comme par exemple le morceau titre, qu’ils roulent dans leur farine ou encore «There’s No One Like You» qu’ils tapent en mode heavy balladif, avec le bassmatic de Steven au-devant du mix. Tous les cuts sont architecturés sur la virtuosité de Steven McDonald. Son bassmatic incroyablement volatile hante «Ice Cream (Strange & Pleasing)» et «Fantastico Roberto» vaut pour un numéro de blast off qui redore le blason de la power-pop. D’autres merveilles guettent le voyageur imprudent en B, comme par exemple «The Party Underground» - Come on down ! To the Party underground !  - Alors oui, everybody, c’est quasiment un stomp de glam avec all the young dudes et new K-pop Voltaire. Puis ils s’en vont exulter avec «What’s A Boy To Do». La power pop monte jusqu’au plafond comme une chantilly devenue folle, celle de Fantasia, et le bassmatic continue de virevolter tout autour. Oui leur truc, c’est exactement Fantasia. À un moment donné, ça leur échappe et le son devient incontrôlablement jubilatoire. Ils restent dans la haute pression avec «Jone Hoople», encore un cut chargé comme une mule et harcelé par le plus exubérant des bassmatics. Alors, ça vitupère et il n’y a rien que tu puisses faire pour empêcher ça. 

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Bizarrement, Vive Le Rock est le seul canard qui pense à saluer Redd Kross. Quatre pages, oh c’est pas grand chose pour un groupe qui a quarante d’existence et une dizaine d’albums devenus cultes pour les happy few. Bruce Turnbill parle d’albums qui capturaient «the zeitgeist of Generation X in a way that grunge never seemed to.» Ah cette manie qu’ont les gens de vouloir rattacher Redd Kross au grunge, alors que ça n’a rien à voir. Puis Turnbill passe les albums en revue, qualifiant Born Innocent de «pure hardcore», et compare leur dernier album au Double Nickel On The Dime des Minutemen. Les frères McDonald évoquent leurs amours de jeunesse, les Beatles, les Ramones et puis Black Flag - avant qu’ils ne deviennent populaires - Ils évoquent aussi bien sûr les Germs et les Bags. Avec le recul, ils voient Born Innocent comme du «good trashy fun». Quand ils se voient qualifier de groupe power-pop, ils opinent du chef, à condition que ce soit une définition «of jangly guitars and so forth, I guess we do fit into.»

    Signé : Cazengler, Red Krasse

    Redd Kross. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 17 octobre 2024

    Redd Kross. Born Innocent. Smoke Seven Records 1982

    Redd Kross. Teen Babes From Mosanto. Gasatanka Records 1984

    Redd Kross. Neurotica. Big Time 1987

    Redd Kross. Third Eye. Atlantic 1990

    Redd Kross. Phashisfter. Mercury 1993

    Redd Kross. Show World. Mercury 1996

    Redd Kross. Researching The Blues. Merge Records 2012

    Redd Kross. Hot Issue Vol. 1. Bang Records 2017

    Redd Kross. Oh Canada. Hot Issue Vol. 2. Show World Tour Live. Redd Kross Fashion Records 2016

    Redd Kross. Beyond The Door. Merge Records 2019

    Redd Kross. Redd Kross.  In The Red Recordings 2024

    Bruce Turnbill : California dreaming. Vive Le Rock # 114 – 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - L’attaque des Gurriers

             Ce pauvre hère d’avenir du rock erre dans le désert depuis si longtemps qu’il ne sait plus pourquoi il erre. Quand on en arrive à ce point-là, on ne se pose plus de questions. On erre. L’avenir du rock ne se plaint pas. Errer, ça occupe bien les journées. T’erres du matin au soir, t’erres sans fin, t’erres du Nord au Sud, bref t’erres à gogo. Mine de rien, ça peut te surbooker d’errer. Et puis t’as la petite cerise sur le gâtö : les rencontres. Là tu frises le burn-out. C’est d’autant plus vrai pour l’avenir du rock, car il est déjà couvert de cloques. 50° à l’ombre, ça ne pardonne pas, surtout quand il n’y a pas d’ombre. Il voit arriver un mec chancelant dans l’air flottant. Le mec avance péniblement en traînant la patte. «L’a pas l’air en bonne santé», se dit l’avenir du rock. En effet le mec a l’air très abîmé. Il a reçu une sagaie qui est restée plantée et qui lui traverse les deux joues. L’avenir du rock s’apitoie :

             — Oh ben dites donc, ça doit vous vachement mal... Voulez-vous que je vous aide à l’enlever ?

             — ‘On ‘on !

             — Quoi ? Oui oui ou non non ? Faudrait savoir !

             Il fait non de la tête. L’avenir du rock le trouve malpoli et le prend en grippe.

             — Et puis d’abord vous pourriez vous présenter ! Comment vous appelez-vous ?

             — ‘chard rrrrrcis urrrton...

             — Quoi ? Vous pourriez pas articuler un peu ? Vous me faites perdre mon temps. J’ai pas que ça à faire !

             — ‘Nnnnniiii !

             — Quoi Niiiiiiii ?

             — ‘fhoourches duuuu Nnnnnni !

             — Ah les sources du Nil ? Ah c’est vous Richard Burton ?

             Burton opine du chef et essaye de sourire, mais c’est pas facile. Il montre la sagaie et tente de dire :

             — ‘Guuua-guaarriers aaaaa... anaakiiiii !

             — Pffff... Vous me faîtes marrer avec vos guerriers Danakils. Petit joueur ! Connaissez pas les Gurriers ?

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             On t’annonce un concert «post-punk/shoegaze». Tu rigoles à l’avance. Tu rigoles pour deux raisons, toujours les mêmes : un, à cause de l’étiquetage à la française, un art en soi, et deux, le post-punk qui n’a de sens que dans les pattes de Mark E. Smith, mais le reste du soi-disant post-punk, c’est compliqué. Compliqué au sens de la constipation. Bon bref. Voilà les Gurriers irlandais.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Post-punk ? Tu rigoles ? Dévastateur ! Voilà des kids irlandais qui refoutent le souk dans la médina, exactement comme l’ont fait les Undertones 50 ans auparavant. T’as toute cette énergie des kids lancés à la conquête du monde, et là, t’en prends plein la gueule ! Bim bam boom, en deux cuts, c’est dans la poche, parce que t’a un petit mec nommé Dan Hoff qui ne paye pas de mine mais qui s’accroche à son micro comme le roi des punks irlandais, et il a même des échos de Johnny Rotten dans le chant, c’est le même power, t’en reviens pas de voir un mec aussi puissant et aussi juste, il est en plein dans le mille, et il saute partout. Superstar !

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    En fait ils sont deux à sonner les cloches de la Normandie, Dan Hoff et son poto bassman en chemise rouge, un kid qui s’appelle Charlie McCarthy et qui passe son temps à lever l’enfer sur la terre à coups de bassmatic percutant, et quand ils explosent tous les deux, t’as tout ce que tu peux espérer de mieux sur une scène de rock. C’est wham bam thank you Dublin, ils complotent tous les deux de vastes mouvements tournants et perdent juste ce qu’il faut de contrôle pour amener sur cette terre la folie salvatrice sans laquelle le rock ne serait pas le rock.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    Ils le font à leur manière, de manière très ingénue, de manière extraordinairement pure et spontanée, ils sont là pour te rocker le boat et ils te le rockent au point que dans un moment de panique tu cherches dans tes souvenirs si t’as déjà vécu ça, cette gestuelle de l’explosivité concertée. Il faut remonter loin, oui, avec les Damned à Londres, début 1977, et puis bien sûr Idles au temps de leurs premiers concerts. T’as des gens qui savent exploser et les Gurriers sont des cracks du genre.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    Et t’as ce mec Hoff qui chante comme un dieu. Il a tous les plans qu’il faut, il te gave de rock comme une oie. Ils sont tellement bons qu’ils échappent aux genres et aux étiquettes franchouillardes. Là t’as le real deal, cinq kids irlandais on fire, avec des vraies compos, une vraie attitude et du jeu de scène, c’est-à-dire tout !

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    T’en finis plus de te dire que le rock n’a jamais été aussi vivant, aussi bien joué, aussi bien compris, aussi digne de toute ton admiration. T’en reviens tellement pas que ça te réconcilie brutalement avec la vie.  T’es presque content d’avoir survécu assez de temps pour pouvoir assister à ce festin de rock irlandais. 

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             L’album ? Oui ! Mille fois oui ! Ça grouille de puces, à un point qu’on n’imagine pas, mais à condition d’aimer les grandes voix, les grosses compos, et le real deal. Pas compliqué : «Nausea» t’explose en pleine gueule, ils te rentrent littéralement dedans, ils ont ce type de punch et ce mec Dan Hoff allume tout, he’s on fire, dirait un Anglais, t’as toute cette énergie in the face, comme avec Protomartyr. Tu vois ensuite «Des Goblin» monter comme la marée du diable. Avec cet album, t’as l’Irlande rock, la vraie. Ils font du Fall irlandais avec «Dipping Out», l’Hoff y va à la harangue, sauf qu’ils attaquent comme des sauvages, avec l’Hoff plein comme un œuf. Punch phénoménal. L’Hoff est une force de la nature. Un trésor caché. Un puissant seigneur. Et ça repart en mode tatapoum avec «Close Call», ils ont le beurre qu’il faut et ça explose en plein vol. Mais c’est plus concis sur scène. Tout est poussé au maximum des possibilités, ils vont au-delà d’eux-mêmes. Dan Hoff superstar ! Dynamite encore avec «No More Photos», mais c’est tellement balayé par des vents mauvais que ça bascule dans l’insanité. L’Hoff plane dans son cut comme un vampire. Il emmène son «Top Of The Bill» par-delà les montagnes. C’est soutenu aux arpèges irlandais et ça se répand sur toute la planète. l’Hoff chante à pleine gueule. Il règne sur la terre comme au ciel. On ne peut parler que de prestance. Il pose bien son discours sur la thématique Gurrière, il enfonce ses clous partout. Peu de gens sont capables de pousser le bouchon aussi loin que lui. Il est tellement puissant qu’on le soupçonne d’avoir du sang apache dans ses veines de Gurrier. «Sign Of The Times» vire hypno d’entrée de jeu. Bassmatic de combat. On revoit le petit mec en chemise rouge. Ça vaut pour du post-punk explosif. Encore une attaque qui marquera l’histoire du rock : celle d’«Approcheable» - I’m approcheable - C’est très Fall, avec de la cocote sourde. Et cette belle aventure Gurrière se termine avec le morceau titre qui part en vol plané. Quel album lourd de sens ! Les Gurriers ont le goût des volumes et des Big Atmospherix. T’en prend plein la barbe jusqu’à la fin.

    Signé : Cazengler, Gourré

    Gurriers. Le 106. Rouen (76). 31 octobre 2024

    Gurriers. Come And See. No Filter 2004

     

     

    Talking ‘Bout my Generation

    - Part Twelve

     

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Et boom, t’as Linda Gail Lewis en couverture de Rockabilly Generation. La moindre des politesses est de ressortir de l’étagère les cinq albums Smah sur lesquels Linda Gail duette avec son frangin Jerr. En fait, c’est pas elle que t’écoutes, c’est Jerr.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Country Songs For City Folks grouille de merveilles, à commencer par un «Seasons Of My Heart» absolument heartbreaking, avec le tic-tac de charley au-devant du mix. Jerr duette ventre à terre avec Linda Gail dans «North To Alaska» et passe «Wolverton Mountain» en mode up-tempo. Jerr fait son job, il rocke sa country et apprend à swinguer à la pompe de Nashville. «King Of The Road» est l’un de ces vieux classiques du swing américain repris en France par Hugues Aufray. Jerr fait un véritable carnage dans ce «Funny How Times Slips Away» fantastiquement doublé à la guitare, ce qui est idéal pour un crack comme lui. On se régale aussi de «Crazy Arms», géré au swagger de Jerr et qu’il chante du haut de sa grandeur. C’est aussi sur cet album qu’on trouve ses hits les plus passe-partout, «Green Green Grass Of Home», «Ring Of Fire» et «Detroit City» qui manquent tous les trois cruellement de son. On imagine ces cuts dans les pattes d’un mec comme Andy Paley ! Ah ce serait autre chose !

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Avec Another Place Another Time, Jerr passe à la country pure. Mais il chante superbement bien son «Walking The Floor Over You». Pas étonnant de la part d’un cat comme Jerr. Il faut dire qu’avec cet album, il met le paquet sur la country plaintive. Il duette avec Linda Gail sur «We Live In Two Different Worlds» et c’est pas terrible, car la pauvre Linda Gail en rajoute un peu trop. On ne peut pas dire qu’elle frise le ridicule, car ça ne plairait pas à son frère. Heureusement, Jerr fait un festival sur «What’s Made Milwaukee Famous». Il monte sa chantilly avec une virtuosité toujours plus effarante.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Même quand on n’est pas fan de country, on se fait avoir avec les deux volumes de The Country Music Hall Of Fame Hits parus en 1969. Ne serait-ce que pour les deux reprises d’Hank Williams, «I’m So Lonesome I Could Cry» et «Jambalaya», figurant sur le Volume 1. Lonesome est sans doute le mélopif country le plus célèbre, et Jerr lui donne une fabuleuse présence émotive. Avec «Jambalaya», soudain tout s’éclaire. Jerr chante son cajun accompagné au violon. Il démarre son Volume 1 avec un gros coup de bonanza de country bona fide intitulé «I Wonder Where You Are Tonight». Ah ce Jerr, il est terrible, il nous en fait voir de toutes les couleurs ! S’ensuit un épouvantable mélopif chargé de tout le pathos nashvillais : «Four Walls». Bon, c’est vrai, Jerr chante pas mal de bluettes country à la con, mais il les chante vraiment bien. En B, il croone sa country de «Born To Lose» au clair de la lune en l’enjolive en gonflant ses syllabes comme des crapauds. Forcément, comme 69 est une année érotique, Jerr n’enregistre que du mélopif country bien gluant. Avec «Oh Lonesome Me», il se tape une belle tranche de mid-tempo sweep-along. Puis Linda Gail le rejoint pour «Jackson» et là ils font un carton, carton qu’on retrouve d’ailleurs sur l’album de duos avec Linda Gail, Together, paru la même année. Linda Gail gueule comme il faut, avec un brin d’hystérie. 

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             On les retrouve tous les deux sur le Volume 2 avec «Sweet Thang» : nouveau carton que Smash va aussi recycler sur Together. Jerr et Linda Gail sortent de la country et ça devient intéressant, même si elle devient un peu trop hystérique. Jerr attaque son Volume 2 avec «I Can’t Stop Loving You» et il hausse un peu le ton, il shake son vieux romp à la magistrale de la martingale. Mais en même temps, on s’inquiète car on voit bien à l’écoute d’un cut comme «Fraulein» que Jerry Kennedy a réussi à limer les crocs du Killer. Il se peut que Jerr ait subi les impératifs de la pression commerciale : c’est la country qui se vend le mieux aux États-Unis en 1969. Bon et puis Jerr s’est toujours réclamé de la tradition de l’old time religion, alors banco pour la country. C’est avec «Burning Memories» que Jerr regrimpe au sommet de son art. Il faut le voir honorer cette vieille bluette déchirante.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             En fait, tu récupères Together uniquement pour la pochette. Comme t’es dingue de Jerr, à l’époque, tu te régales de le voir avec sa frangine sur le pont rococo. Ce sont eux les plus belles superstars de tous les temps, avec Elvis et Vince Taylor. Ils démarrent en trombe avec «Milwaukee Here I Come». Ils foncent au même trot. Diable, comme ils sont drôles. Avec «Don’t Take It Out On Me», ils se veulent plus poppy. On sent qu’ils s’entendent bien tous les deux. D’ailleurs ça se voit sur la pochette. Sur certains cuts, ils sont imparables. On retrouve à la suite «Jackson» et «Sweet Thang»» et ils bouclent leur balda avec «Secret Places». Aïe aïe aïe ! Dès qu’elle attaque c’est foutu. Elle roucoule comme une vieille dinde alors que Jerr chante au calme serein. Par contre, elle devient intéressante au contre-chant. C’est elle qui attaque la B avec «Don’t Let Me Cross Over». Elle gueule comme un putois. Heureusement que Jerr arrive. Ouf !  Ils partent tous les deux au petit trot sur «Gotta Travel On», mais elle redevient vite insupportable dès qu’elle se met à gueuler. Ils terminent avec une belle version de «Roll Over Beethoven». C’est encore elle qui attaque, mais Jerr veille à rétablir sa suprématie.

             La dernière fois qu’on a pu voir Jerr sur scène, ce fut au Zénith du Parc de la Villette, pris en sandwich entre Linda Gail et un Chucky Chuckah coiffé d’une casquette de yatchman.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Dans Rockabilly Generation, Linda Gail rappelle qu’elle a grandi dans un milieu très pauvre et que tout a changé quand Jerr est devenu riche : nouvelle baraque, nouvelle bagnole, allez hop mille dollars par ci, mille dollars par-là, et t’as Jerr qui roulait en Cadilllac décapotée, le cigare un bec. Elle revient sur l’histoire des mariages ados qui est, dans le Sud, d’une banalité sans nom, mais qui ne passe pas en Europe. Linda Gail s’est mariée à 14 ans. Vite divorcée. Gamine divorcée, plus d’avenir ? Grrrrrr, Jerr lui apprend à jouer du piano.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Dans Vive Le Rock, Garth Cartwright claque trois pages sur Linda Gail. Pareil, la petite interview, le «j’ai grandi dans my big brother’s shadow», un big brother qui était une légende, comme on sait. Cartwright est ravi d’interviewer Linda Gail qu’il trouve «warm, funny, thoughtful et débordante d’histoires extraordinaires.» Cartwright est fan d’elle car il connaît le fameux album de duos avec Jerr, Together, et il a surtout flashé sur son dernier album, l’excellent Rockabilly Queen - Linda Gail is the real deal, s’exclame-t-il, l’écume aux lèvres.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Dans le micro de Cartwright, Linda Gail se dit folle de son Rockabilly Queen - An awsome producer, great players, and the best record company in the world - Cleopatra, pour ne pas la nommer. 77 balais pour Linda Gail, mais in the spotlight après une vie dans l’ombre de Jerr. Elle tourne partout, USA & Europe, choo choo-promo. Alors c’est qui l’awsome producer ? Danny B. Harvey en personne, le rockabilly guitar icon qui jouait avec Slim Jim Phantom dans The Head Cat, avec Lemmy. Rockabilly Queen est un album assez somptueux, il démarre en trombe sur une puissante cover du «Funnel Of Love» de Wanda Jackson. L’Harvey colle bien au papier du thème et Linda Gail sort son meilleur sucre candy. Puis ça vitupère avec le «Baby Please Don’t Go» des Them. T’as l’ex-Tiger Army et Head Cat Djordje Stijepovic au bassmatic hypno, c’est du power pur, avec le sucre de Linda Gail en plus, un vrai sucre niaqué. Une vraie bombe atomique ! Elle n’est pas la frangine de Jerr pour des prunes. T’as en plus les imperceptibles syncopes de slap et les 3/4 en ciseaux de Slim Jim. Ils repartent plus loin au débotté avec «Train Kept A Rollin’». Ces gens-là savent gratter un beat de train sous le boisseau de Johnny Burnette. Et l’Harvey part en maraude dans le lagon du paradis. «Flipsville» est plus rockab, avec une Linda Gail qui explose son petit sucre. Puis le niveau va hélas baisser doucement. Ils tapent une petite cover de l’«Eeny-Meeny-Miney-Moe» de Bob & Lucille, et avec «Seven Long Years», Linda Gail tape une heavy country de laisse tomber baby. Et ça devient trop classique. On perd la bombe atomique.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Cartwight demande d’ailleurs à Linda Gail si elle a rencontré Lemmy - Sadly not, répond-elle, but I did speak to him on the phone - et elle ajoute que sa fille a chanté avec lui. Ça fait du bien de voir Lemmy débouler chez les vieux crabes. Et pour éclaircir toute cette histoire, Linda Gail révèle que sa fille a épousé Danny B. Harvey - Which keep things a family affair - Non seulement Danny «is the most fabulous guitarist and produucer and he’s also a brillant son-in-law.» Voilà pourquoi elle se retrouve avec les mecs de The Head Cat en studio.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             C’est la même équipe, Linda Gail/Danny B. Harvey/Slim Jim Phantom qui est allée l’an passé à Memphis enregistrer chez Sun A Tribute To Jerry Lee Lewis - We recorded both albums in two days - we don’t mess about!. Pas évident tout de même de taper dans l’intapable, même quand on est la frangine du rois des intapables. Elle commence avec «Whole Lotta Shakin’ Going On». C’est bien mais ça manque cruellement de Jerr. Surtout celui-là ! On dira la même chose de «Rockin’ My Life Away», on s’attend à voir arriver Jerr au deuxième couplet, mais il est six pieds sous terre, donc c’est compliqué. Pire encore avec «High School Confidential». Jerr attaque ça au guttural, alors Linda Gail fait ce qu’elle peut pour retrouver l’esprit du guttural en feu, mais bon, le compte n’y est pas. Mais pour pianoter, elle pianote, sur «I’m On Fire», elle y va au rentre-dedans. Par contre, elle se montre déchirante sur «You Win Again», et même criante de véracité country. Fantastique petite frangine ! Elle compense au mieux. Son «Great Balls Of Fire» manque de Jerr, même si elle allume. Et sur «Crazy Arms», elle y va au vieux yodell de la Louisiane. Par contre, elle est complètement dingue de s’attaquer au «Lewis Boogie». Elle s’en tire pas trop mal - I do my boogie Woogie/ Eve/ Ry/ Day ! - Elle est fantastique d’allure et d’aisance. Puis elle duette sur quelques cuts avec le cousin Mickey Gilley, ils font un beau «Stand By Me» bien country, et c’est elle qui attaque l’excellent «Playboy». Ils sortent tous les deux un son extrêmement américain. Finalement on sort ravi de cet album, car c’est un bel hommage à Jerr.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Linda Gail rappelle ses souvenirs de jeunesse quand Jerr est devenu célèbre : «Quand un nouveau disque de Jerry Lee sortait, momma le mettait sur le tourne-disques et le passait over and over again.» Puis arrive la catastrophe de 1958, quand un fucking journaliste anglais demande à Jerr quel âge a sa femme Myra. Il dit qu’elle a 15 ans, alors qu’en réalité elle en a 13 - and a first cousin - Fin de la tournée anglaise et fin des haricots aux États-Unis. Mais, dit Linda Gail, Jerr ne se plaignait pas. C’est là qu’elle rappelle qu’elle aussi s’est mariée à 14 ans, et sa sister Frankie à 12 ans - So we didn’t see anything wrong with it - Mais ce qui est important, dit-elle, c’est que Jerr et Myra s’aimaient. Myra et Jerr ont adoré se marier pendant toute leur vie : chacun d’eux va se marier 7 fois. De son côté, Linda Gail ajoute qu’elle a fini par trouver le bon : Eddie Braddock, son mari depuis trente ans - So I finally got it right - Linda Gail rappelle aussi qu’elle a débuté sa carrière d’artiste en faisant des backing vocals pour Jerr. 

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Elle parle encore à Cartwright de l’album qu’elle a enregistré avec Van Morrison, You Win Again, où ils duettent sur Hank Williams et John Lee Hooker, mais leur relation va mal tourner et Van the Man va prendre Linda Gail en grippe. En retour, elle qualifie Van de «strange, difficult man, I don’t why he had to be so mean.» Pas facile, la vie. Par contre l’album est étonnamment bon. Van the Man fait quasiment tout le boulot. En fait, il ne laisse pas beaucoup de place à Linda Gail. Démarrage sur des chapeaux de roues avec l’excellent «Let’s Talk About Us» d’Otis Blackwell. Linda Gail colle bien au train, enfin tant qu’elle peut. C’est elle qui pianote, dans la plus pure tradition de Jerr. Mais c’est Van the Man qui pilote le bolide. Ils font une cover géniale du «Jambalaya» d’Hank Williams, avec un Van the Man en son of a gun. Ça swingue down the bayou. Ils remettent le feu aux poudres avec le fast boogie d’«Old Black Joe». Van the Man te chauffe ça à blanc et Linda Gail s’accroche comme elle peut à ce train d’enfer. Encore un joli shoot de rock avec «No Way Pedro». Van the Man domine tout le stuff. Il bouche encore la vue dans le «Why Don’t You Love Me» d’Hank Williams, puis il dévore tout cru le «Cadillac» de Bo Diddley - I don’t want no Cadillac - et il y va au oh-oh-Cadillac ! Ça se termine en apothéose avec une cover demented du «Boogie Chillen» d’Hooky. Van the Man l’explose. À ce stade des opérations, on ne cherche même plus à savoir où est passée Linda Gail.

    Signé : Cazengler, Rockaboulet Dégradation

    Jerry Lee Lewis. Country Songs For City Folks. Smash Records 1965

    Jerry Lee Lewis. Another Place Another Time. Smash Records 1968

    Jerry Lee Lewis. Sings The Country Music Hall Of Fame Hits Vol. 1. Smash Records 1969

    Jerry Lee Lewis. Sings The Country Music Hall Of Fame Hits Vol. 2. Smash Records 1969

    Jerry Lee Lewis & Linda Gail Lewis. Together. Smash Records 1969

    Van Morrison & Linda Gail Lewis. You Win Again. Virgin 2000

    Linda Gail Lewis. A Tribute To Jerry Lee Lewis. Cleopatra 2023

    Linda Gail Lewis. Rockabilly Queen. Cleopatra 2024

    Rockabilly Generation # 31 - Octobre Novembre Décembre 2024

    Garth Cartwright : Working girl. Vive Le Rock # 116 – 2024

     

     

    Wobble is able

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             En 2009, Jah Wobble publiait Memoirs Of A Geezer. On avait hésité à mettre le grappin dessus. Pourquoi ? Parce que la messe était dite dans le book de Phil Strongman, Metal Box - Stories From John Lydon’s Public Image Limited. On ne voyait pas bien l’intérêt de relire la même histoire, d’autant que le rôle de Jah Wobble se limitait aux deux premiers albums, First Issue et Metal Box. Et puis, il y a tout ce que raconte Nick Kent à propos de son agression par le duo Sid Vicious/Jah Wobble au 100 Club, en 1976, c’est pas terrible. Entre Apathy For The Devil et Memoirs Of A Geezer, ton cœur ne balance pas.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Et voilà que Memoirs Of A Geezer reparaît, sous un titre rallongé (Dark Luminosity - Memoirs Of A Geezer) et une nouvelle couve. La curiosité restant le gros défaut que l’on sait, on a donc rapatrié le Geezer vite fait, d’autant qu’on venait tout juste de craquer pour une box chaudement recommandée, Redux - Anthology 1978-2015.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Wobble c’est encore plus compliqué que ça. Autant on avait savouré son dub sur Metal Box, autant on avait détesté sa world dans les années 90. Et pourtant, comme tous les gros cons que nous étions, on achetait les albums. La basse ! La basse ! La curiosité, toujours. L’idée qu’on pouvait retrouver le dub de Metal Box. Oh, il n’a jamais complètement disparu, mais il s’est noyé dans la masse. Wobble a enregistré des centaines d’albums. N’importe quoi !

             Il en parle de ses albums dans ses Memoirs. Au moment de partir en solo, il se demande s’il est capable de remonter un groupe après PIL, il va même jusqu’à croire que son temps dans le music game était fini, and that was that. Et crack, on lui propose de faire un album avec les mecs de Can ! Jaki Leibezeit et Holger Czukay ! Wobble flashe sur Holger, qu’il compare à un alchimiste et qu’il voit très influencé par Dali. Quant à Jaki... - What can I say about that bloke? He was the ultimate drummer. Playing with him was a revelation - Et il ajoute : «Jaki’s DNA pulse was an exact match to mine - hand in glove, so to speak.» Wobble n’en finit plus de rendre hommage à Jaki Leibezeit : «Most drummers are a bit weird. But Jaki took the biscuit.» Et il dit pourquoi.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             C’est l’occasion ou jamais d’écouter le Full Circle d’Holger Czukay, Jaki Leibezeit et Jah Wobble, paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. C’est bien sûr du pur jus de Can. Pas de surprise, mais bel album. Très Babaluma. Côté Jah, rien de nouveau depuis Metal Box. Jah joue toujours le même groove. Il ne sait rien faire d’autre. «C’est déjà pas mal», diront certains. «On voit qu’il est vraiment limité», diront d’autres. En attendant, il s’amuse bien dans l’hypno infini de Can. Il se fond dans le Babaluma. Jah semble coloniser Babaluma, comme le montre le morceau titre, mais en fait, il est complètement babalumé. C’est bien que Can prédomine, faut pas déconner. Jah n’a pas inventé la poudre. Tout est très étiré en longueur, sur cet album fantastiquement contrebalancé et extrêmement agréable à écouter.  Jah ne sert à rien, en fait, il continue de faire son Metal Box, mais il est dévoré tout cru par l’excellence de l’excelsior Cannais, il ne fait que gratter les trois notes qu’il connaît, pendant qu’Holger et Jaki bâtissent un monde. Can reste un des phénomènes les plus prégnants du cosmos rock. Sur «Twilight World», le Jah va chercher des notes en bas du manche. Les dynamiques sont intenses. Finalement, tu sors ravi et épuisé de cet album, comme si tu sortais de la chambre de la reine des putes.   

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Quand Wobble monte son label, il le baptise Lago, en l’honneur de Clint Eatswood qu’il admire pour son self-sufficiency and artistry - Lago est le nom de la ville dans High Plains Drifter, which was one of my favourite films - Puis il passe à l’ère Invaders Of The Heart. Il parle d’une spirale de booze, de speed et de coke, et là il ramène une belle référence cinématographique, Ray Liotta dans Goodfellas - Ray Liotta’s coke-addled character Henry is trying to keep it all together - Dans le circuit des tournées, il croise Jeffrey Lee Pierce, un Pierce qui lui dit de faire gaffe et Jah lui rit au nez, et boom, il attaque le breakfast au Jack Daniels. Il ajoute plus loin que «the gross emotional immaturity is one of the most noticeable aspects of alcoholics.» Il cite un peu plus loin Al Jourgensen, expert en excès de tous genres : «Al Jourgensen a écrit dans un book que j’étais le seul mec who had ever drunk him under the table. I really don’t remember it that way. Just a blackout, and me going mental.» Car oui, le gros problème de jah, c’est la violence. Il adore particulièrement se piquer la ruche à Glasgow - I always liked the way they drank in Glasgow: a beer with a chaser, ad infinitum. That was my way of drinking.

             Il se rappelle aussi avoir vendu aux Mary Chain la Fender Precision qu’il utilisait au temps de PIL - They were delighted to have the bass that had been used on Metal Box - Ils l’ont sortie de l’étui avec des gestes de dévotion, «so this is really it? The bass that was used on Metal Box?» My attitude was: ‘Yeah yeah, whaterver. Hurry up and give me the money, I need a fucking drink.» Page suivante, il annonce qu’il est sobre depuis 37 ans - Clean and sober.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Sa passion pour Miles Davis est peut-être ce qui le rend le plus sympathique à nos yeux. Il rend hommage à Tutu et à Marcus Miller et son funky slap bass, un style qui, ajoute-t-il, trouve son origine chez Larry Graham. C’est bien qu’un bassman cite les grands bassmen. Plus loin, dans l’autobio, il cite Dark Magus comme son «favourite Miles Davis album.» Il pense que Metal Box n’est pas très éloigné de l’Electric Period Miles in spirit.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Il se réfère au Colonel Kurtz pour évoquer Without Judgement et y insère des extraits de fameux monologue - He also talks about the need to act without judgement - Bon alors attention, c’est le genre d’album dont on peut facilement se passer. On ne l’écoute que parce que Kurtz, mais le compte n’y pas. Jah ramène son dub en La dès «Bungalow Park». C’est une obsession. Justin Adams est un bon guitariste. Les Invaders sont en quête de modernité, mais leur quête passe par des effets, et ça ne marche pas. Leur «A13» se fond dans l’Autoroute de Normandie et le reste des cuts se fond dans l’anonymat. Ils font n’importe quoi. Ils ont perdu le Metal Box. Sans John Lydon, ça ne peut pas marcher. Il n’y a aucune émotion dans cet album, tout est plaqué sur des trames nulles et non avenues. Jah aurait pu capitaliser comme une bête sur Metal Box, mais il préfère jouer une mauvaise world prétentieuse. «Spirit» se verrait bien dans les steppes d’Asie Centrale, mais ça manque de yourte. «Voodoo» se verrait bien sur les hauts plateaux du Maghreb, mais il est dans le bas plateau du magret de canard boiteux. On retrouve quasiment le même groove sur tous les cuts. Leurs petits exercices de style finissent par t’épuiser la cervelle. Ils terminent cet album interminable avec «Will The Circle Be Unbroken», un vieux standard de gospel qui date des Staple Sigers. C’est lamentable. Le mec se prend pour John Lydon, et sa prétention te coupe la chique.  

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Jah s’attarde aussi longuement sur Take Me To God - I wanted Take Me God to have a large emotional and spiritual range - On y retrouve un peu de dub, notamment dans «Amor Dub», pur jus de rastafari, Jah le joue au heavy dumb dub. Il fait aussi de l’heavy dub de Jah dans «Amor», et de l’exotica africaine dans «Angels». Si tu veux entendre un vrai bassman, c’est là. Avec Jah, ça joue, mais c’est de l’exotica. Il va complètement à l’envers de l’éthique punk : il surjoue. Encore un fort parti-pris d’exotica dans «Whisky Priests». C’est puissant et tapé aux percus. Globalement, Jah cherche sa voie. Il vire parfois passe-partout, et ça peut devenir très m’as-tu-vu. Il orientalise son drive de basse dans «Raga» et donc, c’est un album qui n’ira pas sur l’île déserte. Ça lui est même interdit.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Tant qu’on y est, on peut aussi écouter Rising Above Bedlam. Juste pour l’écouter bassmatiquer dans le morceau titre. Il y joue le dub comme un dieu. C’est la raison pour laquelle on a continué pendant un temps de rapatrier et d’écouter ses albums. Il fait encore le show avec «Visions Of You». Il groove dans la couenne du lard. T’as Natacha Atlas dans «Bomba», et ça vire trop world. Mais ça reste puissant côté bassmatic. Jah joue distinctement. Il ramène encore du dub derrière Natacha dans «Erzulie». Mais dès que le dub disparaît, le son retombe comme un soufflé. Tout se barre. Jah adore se mettre en scène. Il ne fait que jouer des basslines. Il est partout dans son son.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Il cite aussi Lonnie Liston-Smith, qui fit partie du groupe de Pharoah Sanders - In fact, the B-line to Liston-Smith’s Expansions is probably my favourite B-line of all time. It drives me insane. The Soul and jazz funk scenes turned me onto quite a few jazz artists, people such as Roy Ayers, Johnny Handy and Johnny Guitar Watson - Alors on sort l’Expansions de l’étagère. Album de groove parfait. Une merveille volante. Normal, c’est du Flying Dutchman. Le morceau titre est monté sur un bassmatic alerte, de quoi rendre le Jah fou de jalousie ! Ça s’étend bien dans le temps. Belle énergie. Puis Lonnie Liston s’en va groover le jazz dans le désert avec «Desert Nights». C’est très beau, très pur, en suspension. Belle masse en attente. C’est le jazz power, seul le piano est en liberté, ça tient tout en haleine. Encore un joli groove de classe majeure avec «Summer Days». Ça groove dans la tiédeur de la nuit, ça jazze dans l’absolu, et ça donne le tournis tellement c’est beau, tellement ça coule de source. Quelle magie et quelle lumière ! «Voodoo Woman» est plus monolithique, ce sont les flûtes qui jerkent le booty. Tout est tellement riche, t’en perdrais ton Latin. Avec «Peace», il prêche dans le désert - All we need in this world/ Is to have the time of peace - C’est du round midnite à la Lonnie Liston et t’as à la suite un «Shadows» joliment groové sous le boisseau. Rien de plus glissé sous le boisseau que ce truc-là. Big boisseau, en vérité. Qualifions ça d’anticipation évanescente, si vous le voulez bien. Il creuse encore bien son écart avec «My Love». Il polit bien son chinois, c’est un artiste, un doux rêveur, il cultive un onirisme à la Kurt Weil, il est éperdu de bonheur au piano, il a trop d’oxygène, et t’as le bassmatic qui devient organique, Lonnie Liston revient et enchante à la Sing Low, c’est de la magie pure, your love is so/ divine, t’as le groove du paradis, il tortille son be/ cau-au/ se/ you are/ my love.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Retour au Jah solo. «The Heaven & Earth album is a personal favourite of mine.» C’est vrai que la pochette est belle. Le ciel est d’un bleu, baby ! Et puis t’as Pharoah Sanders dans les parages. Et «Hit Me» ! Le dub y déboîte dans le doux du drain. C’est un dub qui donne du doom, qui se dandine dans les draps, et même si ça n’est au fond que de l’ambiancier haut de gamme, il en restera le souvenir du dub et de Pharoah. Avec «A Love Song», Wobble tente d’instaurer le règne du dub dans sa daube, mais ça ne marche pas. C’est un son qui vieillit mal et Natacha Atlas sauve les meubles en chantant son heavy exotica. Sur «Gone To Croatan», Jah croise le dub avec la flûte de Pharoah, alors ça voyage dans l’inner de l’outer, et ça donne un mélange astucieux et harmonieux. Mais rien ne bouge. Le cut s’installe dans le dub. Sur la fin, Pharoah attrape son sax.  

             Puis l’autobio va comme beaucoup d’autobios dégénérer avec des histoires de famille heureuse et de reconnaissance planétaire. Les 100 dernières pages sont imbuvables : comment un punk vieillit bien. On perd ce qui fait le sel de la terre de Jah : l’évocation des héros de sa jeunesse. Et ces évocations ne tiennent que par le style.

             Car le Geezer a du style, sinon il ne serait pas un geezer. Le meilleur exemple est sa façon de raconter sa venue au monde : «The midwife held me upside down and smacked my bum, causing me to issue forth a loud and furious wail. She laughed and said, ‘This one got a temper.’». Le Geezer raconte qu’il est né at the East End Maternity Home, on Commercial road, Stepney, London, E1, le 11 août 1958, qu’il fut baptisé John Joseph Wardle et quand la sage-femme l’a sorti du ventre de sa mère, elle l’a tenu par les pieds, lui a claqué les fesses et Jah a poussé un cri énorme, ce qui lui a valu la réflexion du temper. C’est la page 1 du book, et rien qu’avec la narration de cet épisode, tu sais que tu vas te régaler, car l’East-ender écrit bien. Plus loin, il raconte l’école - I found school stupefyingly boring. I was suddenly developping a problem with any form of authority - Il devient alors ce qu’il appelle an absolute nuisance. Viré ! Tant mieux ! Quand on lui dit qu’il n’a plus le droit d’entrer à l’école, et que s’il y remettait les pieds, on appellerait la police - I wasn’t bothered to the slightest - La formule est belle. Il a des tournures d’argot punk, sûrement de son invention. 

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Pas mal de choses sur l’Angleterre. Si on veut tout savoir d’une enfance dans l’East End, c’est là. Jah s’est considéré anglais jusqu’au Brexit. Il indique aussi que la fin des sixties était «the skinhead era, and ska was the popular urban music of its time. In the East End, it was called ‘blue beat’.» Le premier single que lui a acheté sa mère fut «Welcome To My World» de Jim Reeves, un mec très populaire en Jamaïque. Puis il dit avoir adoré «Strawberry Fields». Pour lui, c’est le cut définitif des Beatles. Mais ses parents ne l’ont pas autorisé à acheter le single, considérant qu’il s’agissait de druggy music. Puis sa sœur achète the Tighten Up volumes sur Trojan - When I heard that music, I went absolutely nuts for ir - Puis il indique qu’il entendit le «Marcus Garvey» (and the dub version) de Burning Spear dans l’émission de Tommy Vance, «it was one of the seminal moments in my life.» Puis il flashe sur l’Innervisions de Stevie Wonder - I was totally obsessed with that album - Il hait Tommy mais adore Quadrophenia - My other big love was Rod Stewart’s Every Picture Tells A Story - Il lit aussi like crazy, et boom, il cite «Hemingway, Steinbeck, Camus, Greene, D. H. Lawrence, Zola, Ballard and Orwell.» Il traîne ado dans les clubs et flashe sur «The Hustle» par Van McCoy, mais surtout sur «E Man Boogie» et «Potential» du Jimmy Castor Bunch, mais aussi sur le «Fight The Power» des Isley Brothers. L’un de ses albums favoris fut Natty Cultural Dread de Big Youth, et il raffolait de «King Tubby Meets The Rockers Uptown» par Angustus Pablo. Voilà ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale à l’anglaise.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Oh mais le jeune Jah raffole aussi de la violence. Sa mère tenta un jour de lui balancer la friteuse dans la gueule - Je l’ai esquivée de peu. I moved as quickly as those dudes in the Chinese martial art films - Petit, il se bagarre pas mal, notamment avec un gamin de son âge, nommé Little John - I recall getting into big trouble for hitting him with a brick on one occasion. I really wacked him - Une brique dans la gueule ! Jah ne rigole pas. Il dit aussi qu’il a pris lui-même quelques coups dans la gueule - Then again, I’m sure that he wacked me a few times - Il raconte encore qu’il a démonté la gueule d’un ingé-son qui lui manquait de respect - It was all very ugly and unpleasant. He ended up covered in blood a few minutes later - Par contre, pas un mot sur l’épisode Nick Kent.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Ce qui nous ramène droit au punk. Il a un chapitre titré ‘Punk’ et annonce qu’il ne va pas s’étendre trop longuement sur le sujet - I won’t bang on too much about the (so-called) punk scene - parce que depuis 40 ans tout le monde en parle, même dans les universités. It has got a bit absurd now, in my view - Il pense que ça ne vaut pas le coup qu’on en parle comme on parle de la Révolution russe ou du mouvement Impressionniste - In truth, I was absolutely bored with the whole punk thing by the summer of 1977 - Et pouf, il vole dans les plumes des Clash - However, I didn’t really like what they did, it wasn’t my taste. I found them a bit lightweight - Et il ajoute, sur le même ton, que ses potes et lui donnaient du fil à retordre aux Clash - We couldn’t take them seriously, all those silly songs like ‘Bank Robber’. I thought that they were a manufactured band  compared to the Pistols - Puis il conclut en affirmant qu’ils se prenaient au sérieux, ce qui vaut pour une condamnation.  Wild Billy Childish dit aussi que les Clash n’ont rien fait de très propre après leur premier album.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Jah rencontre John Lydon au Kingsway College. C’est une rencontre qu’il qualifie de «Stanley/Livingstone moment», telle qu’on en vit peu dans une vie - John of course was another reprobate, he was someone who thought ‘everything was bollocks’, to even a greater extent than I did - Jah a 16 ans, et Lydon a trois de plus, et les cheveux longs (hennaed as I seem to remember) - A mutual love of Hawkwind helped cement the friendship - Et ils vont voir jouer Hawkwind sur scène aussitôt après leur rencontre. C’est le conte de fée qui se remet en route : la formation d’une amitié qui va déboucher sur la formation d’un groupe. Puis Lydon et son copain d’école John Gray emmènent Jah voir Dr Feelgood. Jah flashe sur Lee Brillaux et Wilko - However, the best gig that I went to at that time - in fact the best gig that I have ever seen, by a country mile - was Bob Marley and the Wailers at the Lyceum en 1975 - L’autre copain de Kingsway, c’est bien sûr John Beverley, plus connu sous le nom de Sid Vicious - Yet another bloody John! - C’est Lydon qui le surnomme Sid. «There were now four Johns», c’est-à-dire Lydon, Sid, Jah et John Gray. Jah fréquente beaucoup Sid à l’époque, mais il avoue n’être pas très à l’aise avec lui. Il préfère l’éviter quand c’est possible. En 2009, Jah va même faire un docu sur Sid, In Search Of Sid. Et bien sûr, c’est Sid qui baptise John Wobble Jah Wooble. 

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Puis Jah en arrive au recrutement de Lydon par McLaren dans la boutique Sex - When McLaren chose John Lydon he hit pay dirt, because he got more than a charismatic frontman. John était gorgé de haine, il venait d’un quartier qui n’était pas une banlieue, et il incarnait un truc qui était au cœur de la disaffected British working-class youth in a way other lead singers in UK punk bands could only dream about - et bam, il balance ça qui est tellement vrai : «The Pistols were a great band, the best of punk groups by a country mile.» Jah trouvait les autres groupes fades, en comparaison des Pistols. Et il rend hommage à Steve Jones «who really was a powerful guitarist.» Puis quand John Lydon voit que McLaren signe des contrats mirobolants et que lui, le Rotten, n’a pas un rond et qu’il dort dans des squats, c’est là que les ennuis commencent.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Wobble fréquente un peu les Heartbreakers, mais n’apprécie pas trop leur compagnie. Il les traite d’ailleurs de smackheads - The American side of punk was generally full of mutton-dressed-as-lambs degenerates - et il en arrive fatalement à évoquer les drogues. Alors oui, crystal meth on a couple of occasions - My God, that was very potent stuff - Il achète the sulph le vendredi soir at the Brecknock public house on the Camden Road. Et puis bien sûr la booze. Quand il n’a pas de blé, il carbure au cidre.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             C’est en 1977 qu’il décide d’apprendre à jouer de la basse. Il écoute Stockhausen et Ligeti qu’il emprunte à la bibliothèque. Il commence par jouer sur une Music Man copy. Il s’intéresse aussi au groove et à Robbie Shakespeare, «who played the heavy bass I was inspired by. Heavy bass had an effect on me that was essentially visceral.» Il reparle plus loin de ce «bass thing» - It still gets me. When I take my seat in front of my bass stack, and play that first deep note of the gig, I still get a shiver down my back - Confession d’un bassman. Il vit ça pour de vrai. Et ça s’entend sur Metal Box.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             On y arrive. PiL ! C’est Keith Levene qui entend jouer Jah au Warwick Road squat et qui conseille à John Lydon de le prendre dans PiL - Keith thought that I would be ideal to play bass in the band - Et c’est à Jah qu’échoit le rôle de mener la charge - Led the charge and come up with the bass lines first - Tout va reposer là-dessus. C’est la spécificité de PiL. Jah ne craint ni la mort ni le diable, il groove - In some respects my playing was limited, you could even call it naive - but because of my limitations I adopted a very direct approach, and the result of that was very effective - Eh oui, Jah, on n’entend que toi dans PiL, le dub de Jah ! Mais la magie de PiL ne va pas durer longtemps, car il y a un junkie dans le groupe, Keith Levene, et Jah sait que ça ne marche pas avec un junkie. Il aime bien Keith pourtant, mais the musical empathy n’a duré que depuis leur rencontre au Warwick Road squat jusqu’aux «two-thirds of the way throught the Metal Box sessions.»

             Côté blé, c’est pas brillant avec Virgin : on leur verse une avance, mais ils doivent payer le studio, et Jah compare le procédé à l’exploitation des mineurs, qui devaient dépenser le blé gagné au fond du puits dans la boutique de la coal company. C’est l’esclavage moderne. Rien n’a changé depuis le temps des plantations.

             Jah évoque l’avance de Virgin - I think it was around £75,000 - et reste salarié (still £60 per week), mais à l’époque il s’en fout, car il sait qu’il faut financer le studio et les drogues. Il ne touche rien sur le merch, ni sur les recettes des concerts. Pas un penny ! Il soupçonne bien sûr Keith Levene et ses potes de financer sur le compte de PiL l’hero qu’ils se shootent chaque jour dans les bras, «and I must say that dit annoy me.» Il évoque aussi the publishing advance qu’il estime à £30,000, ce qui permet à Lydon d’acquérir l’appartement en dessous de celui qu’il possédait déjà à Fulham - This was in the days when a flat in Fulham could be purchased for £30,000 - Pour conclure sur l’aspect financier des choses de PiL, Jah pense que personne à part John n’a pu tirer quelque profit que ce soit of the Public Image. Mais quand PiL a un Top Twenty single et un Top Twenty album, Jah trouve que c’est insultant de se retrouver avec un salaire de £60 a week.

             Puis arrivent les avances pour Metal Box, et là ça dégénère : Jah est obligé de leur courir après pour récupérer son maigre salaire. Il fait partie de ceux qui n’aiment pas trop qu’on les prenne pour des cons. Et ça l’étonne de la part de John Lydon, qui lui aussi est passé à la casserole au temps des Pistols. Jah dit que Lydon a un grand discours égalitaire, mais en réalité, c’est tout pour sa pomme.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

    ( Dennis Morri s)

             Et malgré tout ça, Jah entre en studio pour Metal Box. Il compare le lyricist John Lydon à Beckett. En dépit du chaos qui règne dans le groupe, Metal Box est selon Jah an artisitc success. L’enregistrement dure neuf mois. Une réelle antipathie affleure dans sa relation avec John, et il se dit surpris qu’on lui demande son avis sur la pochette. John Lydon insiste : ça doit s’appeler Metal Box. Alors Dennis Morris trouve le fournisseur de boîtes en fer. Quand Dennis Morris est viré du cercle PiL, Jah s’en va aussi. Il rappelle qu’ils sont tous les deux des East-enders, et qu’il sont partis la tête haute - We were geezers. I have a lot of respect for the bloke. We still occasionally talk nowadays.

             Jah fait quand même la tournée américaine. Il pense que PiL aurait pu devenir énorme en Amérique, parce que les Yanks, comme il les appelle, ont un vocabulaire musical beaucoup plus large (especially in regard to modal jazz), et bien sûr, John qui se prend encore pour un Pistol, «throught his stupid stubborn obstinacy, missed a great opportunity with PiL.»  De retour à Londres, Jah va chez John à Gunter Grove et réclame son salaire. Il est obligé d’aller taper à la porte ! C’est là qu’il décide de quitter le groupe.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Jah croise aussi la fameuse Jeanette Lee qui bosse avec Don Letts dans la boutique Acme, sur King’s Road. Jah n’aime pas Jeanette qu’il trouve un peu trop opportuniste : elle drague Strummer, puis Keith Levene, quand il s’agit pour elle d’entrer dans un clan. Jah la méprise et c’est réciproque - She hated the arrogant way that I would walk into Acme and take the piss left, right and centre out of her and Don - Bien sûr elle arrive à ses fins : John Lydon et Keith Levene convoquent Jah pour l’informer que Jeanette intègre PiL. Elle assiste au meeting. Jah dit que ça n’a pas de sens - In fact I thought that it was fucking mental. I was absolutely horrified. She couldn’t play anything, couldn’t sing - Et fait, Jah est le premier mec que Jeanette ne peut pas manipuler. Alors Jah se fait la cerise - By the time it came for me to leave the band, her face was on the front of PiL record covers! Welcome to Spinal Tap.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Il croise aussi la poule de John Lydon, Nora, la fille d’un baron de la presse allemande - She was apparently a very rich woman - Quand Lydon lui présente Nora, Jah est scié - I was gobsmacked, firstly because he had a girlfriend and secondly because, apart from being older than us, she was elegant, graceful and sociable (a very good laugh as well).

             Bien sûr, John Lydon va reformer PiL pour une tournée et demander à Jah de jouer. Jah se méfie, mais Rambo, le sbire de John, lui propose £1,000 en répète et £1,500 a week when gigging. 

             Pour conclure le chapitre PiL, Jah assiste aux funérailles de Keith Levene qu’il admirait tant pour sa modernité de jeu. Puis il salue John Lydon - Like an artful politician, he has won over most of the people all of the time - et il te balance ça qui est l’hommage suprême d’un geezer : «For all their faults, and there were/are many, I wish them well. Fuck me, what a weird, neurotic triumvirate of odd bods we were.» Voilà, c’est tout ce qu’il faut retenir de PiL : a weird, neurotic triumvirate of odd bods.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             C’est l’instant rêvé pour sauter sur la box Redux - Anthology 1978-2015. Six dicx en tout et un gros book, t’as de quoi t’occuper. Le dicx A s’appelle Greatest Hits et bien sûr tu y retrouves le fameux «Public Image». Là, oui, t’as une voix et Keith Levene. Hallo ! Hallo ! Le Jah se noie dans le jus de génie, il bombarde dans la plus belle des Public Images. T’as un autre cut de Public Image, cette fois tiré de Metal Box, «Careering». Ça reprend du sens parce que Lydon. Sans Lydon, ça ne vaut pas un clou. On sent bien l’énergie des London boys. La basse structure le cut. Et puis t’as les hits de Jah, enfin il faut le dire vite. Tu retrouves «Visions Of You» qui tape plus dans la world, mais Jah se met bien en valeur. On ne voit que lui et ses tortillettes. Ça vieillit mal. Son bassmatic sonne comme un bassmatic de m’as-tu-vu, avec toutes les tortillettes à la carbonara prévisibles. Il teste la basse fuzz sur «Tight Rope», et avec «Becoming More Like God», on voit qu’il a appris à jouer. Il est devenu artisan accompli, il voyage en mode tortillard. On retrouve les arpèges du diable Levene sur «Poptones», tiré aussi de Metal Box. C’est incroyable comme ça fait la différence. Levene brouille les pistes. Jah ressort son dub dans «One Day». Toujours le même. Que peut-il faire d’autre ? Ça finit par ressembler à une grosse arnaque.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Le dicx B s’appelle The Eighties. Pas bon signe. Ça démarre pourtant avec le «How Much Are They» enregistré avec Jaki et Holger de Can, mais le Jah revient au devant du mix avec son dub. Il fait toujours la même chose. S’ensuit l’«Hold On To Your Dream» enregistré avec Holger et The Edge. Ils font de la petite world. Sœur Anne, vois-tu venir l’intérêt du haut de ta fenêtre ? Et puis voilà le cut qui te réconcilie avec Jah : «Blueberry Hill» et son bassmatic dévastateur. Là ça devient sérieux. On retrouve le punk. Et son «Invaders Of The Heart» sonne comme du Public Image, avec en plus les trompettes de Jéricho. Il enchaîne ensuite une série de cuts parfaitement inutiles. Tout est très long et très linéaire. Il ne sait pas jouer les variations. On perd le Public Image. Il se met à virer diskö fink avec «No Second Chances» et «Love Mystery». Il fait aussi le bal des Galapagos. Ça ne vaut pas un clou. Rien que de la daube jusqu’à «Sea-Side Special» et son gros festival de trompettes, mais ça reste basé sur le dub de Jah, toujours le même dub en La. C’est tout de même incroyable que ce mec Jah ait fait toute sa carrière sur le même dub en La.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Tout est bien classé chez Jah. Le dicx C s’appelle World Roots. Alors il va soit vers l’Espagne mauresque, soit vers le Moyen-Orient, soit vers l’Extrême-Orient. Il tombe dans tous les panneaux foireux de la world, comme le montre «Om Namah Shiva» : il y mélange les clochettes tibétaines et sa grosse basse de punk. Il n’en finit plus de refourguer son dub en La. Ça devient ridicule et il ne s’en rend même pas compte. Il fait chanter des Algériens dans «I Am An Algerian» et il fait du Japan Dub dans «Cherry Blossom Of My Youth». Son «Appalachian Mountain Dub» est presque beau, et il revient au dub pour de vrai avec «Reggae Parts The Sea», et pour une fois, c’est assez pur, on se croirait à Notting Hill Gate, c’est excellent. Là, t’as le vrai truc du rentre-dedans, et t’es là pour ça. Jah groove enfin. Son «Bomba» est superbe, très orientalisant, mélange de belle exotica et de dub de bon aloi. Il joue son «Angels» au big bass boom de gras double et revient au real deal de dub avec «K Dub 05» et un chant chinetoque ! Le festival se poursuit avec «Happy Tibetan Girl», big power d’exotica, Jah envoie le Tibet faire un tour dans le cosmos et ça continue avec l’heavy dub de «New Mexico Dub» et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà Natacha Atlas dans «Erzulie», c’est fameux, car monté sur le big bassmatic de Jah. Tout ça n’est pas rien. 

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Avec le dicx D, tu passes à Jazz. Quel prétentieux ! Mais il lâche un peu la grappe de son dub pour accompagner les trompettes de Jéricho («Car Ad Music 3»). Appelons ça du fast jazz. Mais c’est plus fort que lui, il ramène son fat dub dans «Country Cousin». Aucune trace de jazz dans cette affaire de Country. Un sax vole le show dans «Hit Me», mais Jah la ramène avec son bassmatic proéminent. Il y joue des figures géométriques et ça n’a aucun intérêt. Il ne joue pas le jazz car il ne sait pas le jouer. Il reste en mode hypno alors que les trompettes de «Virus B» s’envolent. Il joue quasiment toujours le même thème. Il est coincé dans son rôle. Mais les autres s’amusent bien. La plupart des petits grooves urbains ne servent strictement à rien. Tu ne sais vraiment pas ce que tu vas faire de tout ce faux jazz. Jah est trop limité pour le jazz. Tu ne sais pas pourquoi t’écoutes un cut comme «Limehouse Cut». Et puis tu finis par craquer sur l’excellent «West End». La vie est ainsi faite.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Il s’amuse bien le Jah. Il a enregistré tellement d’albums qu’il peut se permettre de titrer  son dicx E Ambiant & Spoken Word. Ça veut dire en clair qu’il faut s’attendre à tout et à n’importe quoi. La meilleure illustration est le «Bagpipe Music» : summum de la tarte à la crème. Le Jah rentre toujours dans ses cuts à la même vitesse. Il ne cherche pas trop à évoluer. Il ramène son dub en La dans «Ocean Of Hills», mais c’est devant «Requiem II» qu’on tombe en arrêt, car ce requiem sonne tellement diabolique qu’il fout littéralement la trouille. On entend des chœurs d’anges de la désolation. On se remonte le moral un peu loin avec «Car Ad Music 2», car la basse chevrote et t’entends surtout BJ Cole sur sa gratte.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Alors, et le dicx F ? T’en rigoles à l’avance, car il s’intitule Cover Versions. Le Jah tape principalement des thèmes de BO, comme par exemple «Theme From Midnight Cowboy». C’est l’instro de trop. Il ramène son vieux dub en La dans «Theme From The Sweeney». Il est marrant, le Jah, il ne peut pas s’en empêcher. Et on ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ce Theme dure si longtemps. Il ramène encore son dub en La dans «Comin’ Home Baby», toujours le même depuis Metal Box. C’est beau, mais ça finit par ressembler à une grosse arnaque. Itou pour «Theme From The Persuaders», par contre, pas de dub en La sur cette cover éhontée de «Take Five». Et comme il ne peut décidément pas s’en empêcher, il colle un vieux shoot de dub en La dans le museau de Peckinpah pour le fameux «Theme From The Good The Bad And The Ugly». Il nous en aura fait voir de toutes les couleurs. Sacré Jah !

    Signé : Cazengler, Jah Poobble

    Holger Czukay Jaki Leibezeit Jah Wobble. Full Circle. Virgin 1981

    Jah Wobble. Without Judgement. KK Records 1990

    Jah Wobble’s Invaders Of The Heart. Rising Above Bedlam. EastWest 1991

    Jah Wobble’s Invaders Of The Heart. Take Me To God. Island Records 1994

    Jah Wobble. Heaven & Earth. Island Records 1995

    Lonnie Liston Smith & Cosmic Echoes. Expansions. Flying Dutchman 1975

    Jah Wobble. Redux. Anthology 1978-2015. Cherry Red 2015

    Jah Wobble. Dark Luminosity - Memoirs Of A Geezer. Faber & Faber 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Edwards aux mains d’argent

             Jean-Edouard se savait porteur d’une tare, mais il ne fit jamais rien pour se soigner. La tare en question est l’une des pires : la pingrerie, ou la mesquinerie, appelez-la comme vous le souhaitez. Doté d’un patronyme et de manières on va dire assez aristocratiques, il disposait pourtant des atouts qui auraient pu lui permettre d’échapper à cette malédiction. Mais la honte ne l’effrayait pas. Comme tous les pingres réunis en société, il attendait, à la fin d’un apéro, ou d’un repas, qu’un philanthrope se dévouât pour régler la note. On le voyait littéralement attendre, en observant les autres. L’heureux dénouement devait le faire jouir secrètement. Il devait savourer chaque seconde du spectacle de cet imbécile qui sortait sa carte bleue et qui tapait son code avec un grand sourire. Autre cas de figure : quand il traînait au merch après un concert, il asticotait le mec, il parlementait, il quémandait un sticker, ou un badge, il se plaignait de n’avoir plus que 5 euros pour finir le mois, alors, généreusement, le mec du merch lui filait un badge et parfois un disk. Jean-Edouard ne se contentait pas d’avoir tiré avantage du pauvre mec. Il fallait en plus qu’il l’humilie. Comment ? Au lieu de le remercier directement, comme l’aurait fait toute autre personne, il levait les yeux au plafond et remerciait Dieu de sa miséricorde. Il avait fini par se tailler une telle réputation qu’il fallut se résoudre à lui donner une bonne leçon. On pensait sincèrement œuvrer pour son bien. Nous formions alors une petite équipe et allions régulièrement écumer les conventions de disques. Après les emplettes venaient les agapes. Nous nous installâmes donc à la terrasse d’une bonne auberge et commandâmes plusieurs tournées d’apéritifs, puis des entrées, des plats, des fromages et des desserts. Chaque fois, Jean-Edouard renâclait, mais on lui disait mais si, mais si, alors il commandait, vin aidant. À la fin du festin, nous demandâmes à la patronne de faire une note séparée pour ce môsieur qui bien sûr n’avait pas les moyens de payer sa part. Nous le laissâmes parlementer avec la patronne qui n’était pas d’humeur à entendre ses jérémiades avinées, et nous allâmes crever les quatre pneus de sa bagnole, ce qui allait le contraindre à puiser dans sa cassette de pingre. Cette séance thérapeutique ne servit pas à grand-chose.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Pendant que Jean-Edouard compte ses sous, John Edwards chante sa Soul. Ainsi va la vie. D’un côté ça roule, de l’autre ça coince. Que voulez-vous y faire ?

             On croise John Edwards dans les Masterpieces Of Modern Soul, ces délicieuses compiles imaginées par Kent. Sur les pochettes de ses deux albums solo, l’excellent John Edwards est toujours élégant et très bien entouré. On sent le séducteur. Il allait ensuite rejoindre les Spinners et tourner avec jusqu’à l’an 2000.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Son premier album sans titre paru en 1973 est une petite merveille qu’il attaque en trombe avec «Stop This Merry Go-Round» un heavy r’n’b de gros pototin d’excelsior. John Edwards rugit comme une panthère noire, c’est-à-dire comme Wilson Pickett. Là tu réalises que tu tiens dans tes pattes un très bel album de Soul. Ce que vient confirmer «Spread The News», monté sur un beat plus reggae, plus relax, mais à dominante r’n’b. Et donc le popotin reprend vite le dessus. Il apparaît clairement que John Edwards est un Soul Brother d’exception. Tiens, tu veux un coup de génie ? En voilà un : «Claim Jumpin». Il tape cette fois dans le haut de gamme avec ce heavy r’n’b qui flirte avec un funky booty digne des Tempts. John Edwards passe en force comme David Ruffin. Deux merveilles se planquent en B, à commencer par «Messing Up A Good Thing», un big balladif de Soul ultra-violonné et digne des géants du genre. Il va chercher un joli chat perché et atteint une sorte d’horizon. C’est extrêmement impressionnant. Et puis voilà le pot aux roses : «Exercice My Love». Comme on est sur la face lente, il va droit sur Sam Cooke, avec de faux accents d’I was born by the river, il s’élève aussi comme Marvin dans What’s Going On.

    redd kross,gurriers,linda gail lewis,jah wobble,john edwards,rome,elvis presley,salut les copains

             Son deuxième album sort en 1976 sur Cotillon, ce qui n’est pas rien. Produit par David Porter, Life Love And Living ne laissera personne indifférent. L’A porte de doux nom de ‘The Beat Side’. Comme tout ce que supervise David Porter, il s’agit ici d’une Soul subtile, fine et douce. On trouve même dans «I (Who Are Nothing)» un léger parfum des îles et des chœurs de rêve. Un piano free anime joliment l’heavy Soul de «Forced To Fight (This Losing Battle)» et on reste sous l’égide des merveilles sensibles avec «The Key To My Life». John Edwards est un bon, il sait se maintenir dans la classe supérieure. Il baptise sa B ‘The Sweet Side’, ce qui veut dire ce que ça veut dire. On le voit sur la plage en chemise à jabot et quand on retourne la pochette, il apparaît en gros plan, très jeune, très black des îles, dans la canne à sucre.

    Signé : Cazengler, John Éboueur

    John Edwards. John Edwards. Aware 1973   

    John Edwards. Life Love And Living. Cotillon 1976

     

    *

            Une fois n’est pas coutume. Vous serez privés de Doom ! N’en poussez pas pour autant un soupir de soulagement. Ce qui vous attend est sûrement pire, du néo-folk. Le néo-folk n’a rien à voir avec un renouveau de chanteuses comme Joan Baez. Imaginez une explosion atomique. Laissez reposer une quarantaine d’années. Et hop d’un coup sans prévenir du béton irradié une petite fleur bleue sort sa tête. Et bien le néo-folk c’est exactement cela, la petite fleur que personne n’attendait qui survient comme un miracle. Ne la cueillez pas pour l’offrir à votre petite amie. Le néo-folk évidemment c’est la mignonette fleurette mais ne prenez pas que la moitié du package. N’oubliez pas la deuxième partie : l’explosion atomique. Le néo-folk, après un détour par le metal, descend en droite ligne de la musique industrielle. Etonnant, oui toutefois le rock’n’roll n’est-il pas le bâtard de rhythm and blues ! De la guitare sèche du blues primitif le heavy metal ne s’est-il pas engendré tout seul par parthénogenèse…

             Bref faites-moi confiance, j’aime les trucs qui tarabustent !

    CORIOLAN

    ROME

    (Trisol / 2016)

    Rome, est-il vraiment un groupe. Demandez-le à Jérôme (déjà il possède un prénom qui contient Rome) Reuter. Depuis 2006 l’a commis une vingtaine d’albums, il compose les musiques et les paroles, en anglais, en allemand, en français et en italien. Le gars s’ingénie à créer des climax musicaux à base d’enregistrement sonores de toutes sortes, il s’inspire autant de l’esthétique classique que du noise. L’a deux énormes défauts pour la plupart de nos contemporains qui n’aiment pas trop se prendre la tête, perso je pense que ce sont deux qualités rares et précieuses, il puise son inspiration dans la littérature (beaucoup de mes auteurs préférés) et domaine que les artistes n’aiment guère aborder il interroge le spectre politique historial de l’Europe. Sans avoir peur de se frotter aux extrêmes. Il est juste un miroir de la modernité, qui réfléchit. Bref un sulfureux. D’ailleurs beaucoup le qualifient de dark folk.

    Coriolan est une pièce de Shakespeare, il s’en inspire, mais aussi un personnage historique des premières années de Rome. Un héros ambigu. A plusieurs reprises il battra les armées Volsques et s’emparera de la ville de  Corioles, c’est à ce titre qu’il recevra le cognomen honorifique de Coriolanus, Il sauvera même grâce à son courage Rome du plus grand des désastres : la défaite.  Sur le plan politique il est du côté de l’aristocratie et combat le peuple qui, par la grève de la guerre, finira par obtenir la nomination de tribuns protecteurs, magistrats dotés de pouvoirs très étendus pour le défendre. Politiquement vaincu Coriolan passe du côté des Volsques. Seules les supplications de sa femme et de sa mère le convaincront de ne pas se rendre maître de Rome. Il finirait sa vie en exil.

    z25599mèredecorilan.jpg

    (Nicolas Poussin)

    La couverture est un petit chef-d’œuvre. L’on s’attendait à ce que Coriolan soit habillé en romain. Dans son manteau il ressemble à un tribun politique des débuts du vingtième siècle. Voudrait-on nous signifier qu’à toutes les époques vous trouverez toujours des Coriolan… Admirez l’art de Mathias Bäuerie, cette branche d’arbre dénudée qui pend en l’air ne fait-elle pas ressembler notre Coriolan moderne à Mussolini sur sa tribune faisant le salut fasciste… 

    Z25595CORIOLAN.jpg

    Investiture : le son comme une rumeur qui vient de loin, surprise éclate une marche triomphale à la Beethoven, en filigrane un discours, assez indistinct afin que l’on ne puisse en saisir les mots, montent des fredonnements, bizarrement ils ont tendance par leur répétition à détruire quelque peu la solennité de cette entrée en matière, ayant tendance à apparaître comme le bla-bla-bla moutonnier des politiciens.  Make you a sword of me : comme des blés qui germent, les ferments sonores d’une rumination, le contraire d’un discours enflammé, un soliloque solitaire, les pensées du héros, pas vraiment une partition, une collation de bruits qui sourdent et éclatent en un tempo relativement lent qui se transforme en une marche de tambours militaires, la volonté de puissance du chef infuse l’esprit du peuple qui se rallie à lui. Un peuple n’a qu’une âme, celle de son chef. Qui mène la lutte.  Broken : la brisure. Coriolan rumine. La musique avance toute seule, Reuter chante, autant au début il fait le point de la situation clairement énonçant les préceptes quasi-métaphysiques entre les statuts ontologiques différents du peuple versatile et peu fiable et l’âme indomptable du Chef, bientôt il se prend à son propre jeu, se laissant emporter par ses certitudes et sa colère, accompagnement et chant se mêlent formant une pâte indivisible telle la lave d’un volcan qui déborde de son cratère et s’en va détruire les cités imprudemment perchées sur ses flancs, quelles qu’elles soient, ce qui compte ce ne sont pas les hommes appelés à mourir un jour ou l’autre mais les fulminations vengeresses du héros supérieur. Fragments : clarté du Chef, les tambours donnent la cadence, la décision est prise, l’Homme libre n’a pas de chaînes sentimentales qui le retiennent, il n’est redevable de rien à personne, sa conduite et son inconduite mènent le monde, cela peut paraître fou mais c’est la vérité immuable, se battre pour sa propre vie est la seule loi, n’est-ce pas la le commandement suprême de la nature et de la perpétuation de la vie, au-delà de toute morale, seuls triomphent les âmes fortes destinées à la victoire. Sur elles-mêmes. This light shall undress all : guitare claire, illuminescente, ses échos portent jusqu’au bout du monde, un peu d’emphase dans le mantra répété sans arrêt qui se transforme en prophétie acquérant ainsi la force d’une vérité intangible : l’Histoire est faite par les Hommes les plus violents. Coriolan : guitare intimiste Reuter chante comme s’il mettait en scène un lieder de Schumann, Coriolan cries alone, il dénude les aîtres de son destin, il est seul dans sa grandeur, dans son orgueil, dans son mépris pour la race humaine, le chant s’élève et s’étend sur le monde, son âme déborde prête à noyer le monde sous sa volonté. Der krieg : symboliquement les paroles sont en allemand, guitare funèbre, la guerre a triomphé, encore un lieder à la Schumann, le Héros n’a pas vraiment gagné, la guerre des peuples se joue des destinées particulières, l’on croyait décider de la marche du monde, chœurs féminins pour rajouter à la mélancolie, l’on n’a été que le jouet de forces qui nous dépassent. Funeratio : le cycle se referme comme il a commencé, la musique comme le ressac de vagues qui se fracassent sur le rivage, accompagné par le chœur indistinct de ce qui ressemble autant à un requiem mozartien qu’un hymne national chanté en des circonstances dramatiques avec bruit de canonnades dans le lointain.

             Les sources divergent sur la mort de Coriolan. Est-il resté en exil chez les Volsques ou ayant signé la paix entre Rome et le peuple Volsque après l’intervention familiale, a-t-il été exécuté par Aufidius le chef des Volsques qui s’est estimé trahi. Cette incertitude ne change rien au destin de Coriolan si l’on s’interroge sur la nature de tels personnages que l’on retrouve tout au long de l’Histoire. Suivant d’assez près la réflexion de Shakespeare sur la nature du pouvoir politique, Reuter nous transporte dans l’esprit de ces meneurs d’hommes prêts à tout pour que triomphe l’orgueil de leur égo. L’opus est sans fioriture. Reuter décrit le phénomène dans sa nudité. Il ne porte aucun jugement. Il avertit. A chacun de regarder autour de soi et à s’interroger sur l’état du monde actuel. Notamment de l’Europe, dans laquelle nous vivons et où commencent à sourdre des bruits de bottes inquiétants. Ne se font-ils pas entendre, comme par hasard, chaque fois que le mécontentement populaire atteint des limites insupportables au bien-être de certains…

    Damie Chad.

     

    *

            J’allais en rester là avec Rome et Coriolan, un dernier coup d’œil sur la discographie et je tournai la page, hélas un mot, un seul m’a interpellé : Hyperion ! Le cœur de la littérature occidentale deux poèmes inachevés de John Keats, un roman d’Hölderlin. Jugez du peu. L’on ne s’approche pas du Soleil Zénithal de la Grèce Antique et du romantisme européen sans se brûler. Il me fallait aller toucher cela de près.

    THE HYPERION MACHINE

    ROME

    (Trisol / 2016)

    Z25596hiperionmachine.jpg

             L’artwork est comme le précédent de  Mathias Bäuerie, esthétiquement très différent  du Coriolan très mise en scène, très proche des affiches dévolues aux opéras du répertoire classique. Ici nous sommes aux antipodes d’un tel parti pris, nous sommes dans notre modernité, voué au triomphe des machines, le fond blanc nous induit à penser que nous sommes dans un laboratoire face à un chercheur en plein travail, suivant avec attention une expérience décisive, une manipulation dont on attend le résultat, surtout les conséquences que l’on pourra en tirer… Coriolan est l’homme de la société du spectacle, The Hyperion Machine fait davantage référence au travailleur, au sens Jüngien du terme, attelé à sa tâche. A croire que le créateur romantique a cédé la place au technicien, qui se penche sur un phénomène pour tenter d’en comprendre le fonctionnement.  Un peu comme un chroniqueur de rock qui ne fait pas de musique mais qui essaie d’apporter un éclairage particulier à un phénomène musical qui a déjà eu lieu.

    The Hyperion machine : coup de gong : mon nom est Hyperion  presque chuchoté, des voix se mêlent sur la bande-son qui ne dure que vingt-quatre secondes. Celine in Jerusalem : Céline n’a jamais été à Jérusalem, littérairement Céline et Hölderlin n’ont pas grand-chose à voir, sinon qu’ils ont vécu des époques troublées la Révolution Française, l’invasion de l’Allemagne par la France pour l’auteur d’Hyperion, la première et la deuxième guerre mondiale pour l’auteur du Voyage au bout de la nuit, quand le monde devient fou il est difficile de raison garder, Hölderlin resta la moitié de sa vie enfermé… des pas qui viennent de loin, une mélodie tranquille qui  déroule ses anneaux, la voix assurée de Rome nous ferait oublier que la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. A tous les niveaux : dans l’intimité des hommes, pensons aux amours impossibles entre Diotima et Friedrich ou à la grande tendresse qui unit Céline à sa femme Lucette : dans les bouleversements historiaux, l’on connaît les pamphlets de Céline contre les juifs, l’on n’ignore point la thèse qui court selon laquelle le nazisme a puisé sa source dans le romantisme allemand… les paroles évoquent tout ce maelström de comportements humains et d’évènements historiaux. Transference : transferts et héritages, à la base un chant d’amour, un peu passionné avec des moments plus âpres lorsque l’on se referre aux comportements des hommes, insensiblement le rythme se précipite, c’est que l’être humain est capable du meilleur comme du pire, de préserver ce qui doit être préservé et de vivre ses passions sans trop porter d’attention aux conséquences, on a beau faire, dans tous les cas l’on n’est jamais sûr du résultat, ou l’on en fait trop ou l’on n’en fait pas assez... Souvent les journalistes étrangers évoquent Jacques Brel et Léo Ferré lorsqu’ils tentent de définir Rome, selon moi s’il doit y avoir interférence ce serait plutôt avec Leonard Cohen. The Alabanda breviary : une guitare folkly et la voix de Rome qui court dessus, la chanson de celui qui a tout vécu et qui en tire une amère  leçon, l’on flirte avec le country, même si la thématique est beaucoup plus intellectuelle, le héros, autre dénomination du citoyen de base, a tout essayé : les armes et l’écriture, l’a voulu connaître le monde et ça ne sentait pas bon (merci à Brel). L’est un peu revenu de tout. (Très Johnny Cash). Y a gagné une certaine sagesse, celle de l’impuissant qui n’a pu influer sur la marche du monde, et qui se contente de ne pas agir. L’a tout de même des excuses. Il n’a pas trouvé les mots, le temps lui a fait défaut. L’est maintenant comme les ruines grecques d’Alabanda. Ou tu vis, ou tu ne vis plus. Tu fais semblant. Stillwell : une chanson d’amour, pas facile quand l’une s’appelle Sarah et l’autre se réclame de la race des maîtres, en duo avec la belle voix grave de Joakim Thäström, chanteur punk-rock industriel suédois, sur la fin du morceau chœurs et voix féminines ajoutent à la lassitude ambiante, l’approche espérée du bonheur n’est pas le bonheur, de belles résonnances électro, la chanson se traîne, être au plus près n’est-ce pas la plus cruelle et délicieuse manière de mesurer l’immensité du rêve androgynique qui nous séparera toujours.

    z25597photorome.jpg

    Cities of asylum : une rythmique qui cliquette presque joyeusement, un chant embrumé de nostalgie et d’échec, malgré tout aller jusqu’au bout, oser même si l’on doit y laisser la vie. Ce n’est pas un comportement suicidaire, il suffit de résister et de s’opposer à ce qui vous brisera. Parfois il n’existe pas d’autres solutions. Si tu n’y vas pas l’on viendra te chercher. Skirmishes for Diotima : une chanson sur la destinée des êtres, un peu mélodramatique, d’une grande tristesse, parfois la guerre vous sépare, parfois la guerre vous réunit, nous sommes les jouets des circonstances, seule la tombe sera accueillante pour les amants, cela a-t-il vraiment une importance.  Pourquoi se souviendrait-on de Diotima… Toutes les croisées des chemins ne sont-elles pas dénouées. Jusqu’au bout du nihilisme. Adamas : piano fougueusement romantique, peut-être un parfait exemple de dark-Folk, en tout cas cette fois-ci Rome éraille quelque peu son vocal, ressemble presque à s’y méprendre au timbre si particulier de Leonard Cohen, l’heure est grave, une adresse à l’individu qui obéit à un dictateur quelconque, qui se couche spirituellement devant le maître, ployé sous la peur honteuse et pitoyable, l’Ennemi du genre humain, dont nos efforts n’ont pu arrêter le cheminement victorieux, un peu de clarté, dans le seconde partie, une voix moins profonde, un piano délié, cette métamorphose serait-elle motivée par la venue espérée d’un Dieu qui ne vient pas, conséquence l’accompagnement électro se charge, sirènes, canonnades, bombardements, pleurs d’une guitare, élévation de chœurs féminins et mortuaires. Qui est cet Adamas, ne serait-il pas tout simplement l’Adam éternel ambivalent porteur de toutes les grandeurs, vecteur de tous les crimes. The secret Germany : (For Paul Celan) : hommage à Paul Celan, la poésie de Paul Celan reste marquée par la tragédie de la Shoah, dont ses parents ont été victimes, toutefois sa poésie n’est guère platement protestataire, par une langue dense et difficile, rilkéenne pour la stigmatiser grossièrement en un seul mot, au-delà des circonstances historiales, Paul Celan a tenté d’exprimer le mystère de l’Horreur qu’il faut bien accepter de qualifier d’Humaine malgré certains de ses aspects inhumains… Le texte de Rome est inspiré d’un des plus célèbres, peut-être parce qu’il est l’un de ses plus simples, poèmes de Celan : Todesfuge. Le lecteur français aura intérêt à mettre en parallèle le concept de Secret Germany avec le concept de France Aurélienne de Luc-Olivier d’Algange, car tout individu possède un pays secret. Même si beaucoup l’ignorent. Un texte qui retrempe chacun en ses propres manquements à la nécessité d’agir, hier, avant-hier et aujourd’hui. Inutile aussi de renier l’avenir en raison du passé… Une marche quasi martiale adoucie par la solidité d’une voix qui arpente les décombres d’une époque révolue, en route vers ce pays secret, vers lequel nous faisons que nous diriger sans jamais y arriver. Sans doute car nous n’avançons pas assez vite. Die Mörder Müsham : Erich Müsham est un militant anarchiste qui participa en tant que l’un des principaux activistes à l’aventure insurrectionniste spartakiste en Bavière en 1918-1919… Opposant au parti nazi il fut arrêté et exécuté en 1934… le morceau débute par ce qui doit être un chant nazi, estompé au bout de trois minutes par des râles d’étranglement ou de vomissements, serait-ce l’évocation symbolique  les bruits de l’agonie d’Erich Müsham, la voix de Rome récite un extrait d’Hyperion d’Hölderlin, une lettre d’Hyperion à  son ami Bellarmin, Hyperion conte la désolation spirituelle des deux amis qui n’ont trouvé aucune place dans le monde et évoque la tâche qui leur reste à faire… Un accompagnement sonore qui prend à la gorge. La confrontation de ces deux textes qui clôturent l’Hyperion Machine est à méditer. Le chant de la première partie est-il l’exemple de ce qui risque de se passer  si le travail auquel nos deux amis doivent s’atteler n’est pas accompli. L’on peut aussi interpréter L’Hyperion Machine tout autrement, comme un mécanisme fatal qui pousserait certains individus à changer le monde selon leur volonté… Fan fan fan : ( Bonus track) : une reprise d’un morceau de son ami Joakim Thäström, l’original est sur You Tube : le thème est des plus simples, un amour perdu, la solitude et les regrets de celui qui reste, le rêve de ce qui aurait pu être, de ce qui aurait dû être. Un accompagnement moins dépouillé et un timbre de voix  davantage optimiste. A interpréter symboliquement. L’Europe est divisée, partagée entre deux possibilités, il nous reste à aller vers les autres.

             Cet opus m’a paru moins fort que le précédent. Si la thématique est la même, Coriolan l’aborde selon une vision minimale, celle d’un individu. Il est aisé de l’admirer ou de le condamner.  Nous sommes trois siècles après la naissance de Rome, les enjeux politiques nous échappent même si nous les comprenons intellectuellement. Toutefois à l’aune de notre temps, ne l’oublions pas.  L’Hyperion Machine évoque notre histoire contemporaine, aujourd’hui encore les médias nous parlent d’antisémitisme, le spectre du troisième Reich hante encore l’Europe. Dans cet ouvrage, les individus ne comptent pas, ou alors en tant que personnages exemplaires et symboliques de centaines de millions d’autres. La problématique est moins facile à décrire et à saisir. Cette difficulté se ressent dans les textes, qui ne disent pas tout, voilés d’une aura de mystère, qui demandent à être interprétés. Qui exigent une plus grande réflexion. De même la musicalité de l’album, même si chaque morceau en lui-même est parfaitement réussi l’ensemble est un peu monotone. Coriolan se découpe comme une statue géante de pierre noire sur le décor noirci de l’histoire. La Machine Hyperion donne l’impression d’une fresque pas encore totalement achevée.

    z25598statuecoriolan.jpg

    ( Wilheim Wandschneider _ 1904)

             Rome n’en est pas moins dans le milieu musical un artiste de grande envergure. Son but n’est pas de distraire, mais de nous faire réfléchir. Les contemporains préfèrent fermer les yeux. Nietzsche le qualifierait d’inactuel. Un visionnaire en quelque sorte.

    Damie Chad.

     

    *

             J’espère que ça ne va pas continuer jusqu’à la nuit des temps, quoique s’il s’agit de passer en série tous les pionniers du rock, a priori ça ne me dérange pas. Surtout que cette fois, ce n’est pas n’importe qui :

    ELVIS PRESLEY

             La scène est à l’identique, même lieu, même action, je beurote mes biscottes tout tranquilotte sans tremblote dans ma culotte, que ne ferait-on pas pour une rime, oui la radio marche : France Inter, France Rockabilly n’existant pas, faute de grive l’on avale des merles, n’aurais-je pas fait une faute d’orthographe  à ce mot ne serait-il pas plus seyant avec un d ? Une grosse différence : la cafetière électrique ne se prend plus pour une Pacific 231, aucun nuage de vapeur, tout au plus si en tendant l’oreille j’oie, je sais ce n’est pas la joie, j’eusse préféré j’ouïsse davantage jouissif, un très léger tchou-tchou, elle doit être arrêtée, un troupeau d’un million de bisons se sont massés sur les rails, et pour une fois Buffalo Bill pas très futé a oublié sa carabine.

             Attention là celui qui parle dans le poste, c’est le boss, le grand chef du 7 / 10, pas du tout un indien rebelle sur le sentier de la guerre, normalement c’est le moment où Nicolas Demorand présente un roman policier. Mais là non, ce sera une émission sur une chaîne télé, laquelle je ne sais pas, je n’ai pas de télé, je tremble : encore un laïus sur les bienfaits de la démocratie dans un pays qui compte neuf millions de pauvres, avec un enfant sur trois qui ne fait pas trois repas par jour, ben non, il prononce un nom magique : Elvis Presley ! N’a que deux minutes mais il se débrouille bien, d’abord il avoue qu’il est un fan d’Elvis depuis tout petit, en trente secondes il résume sa carrière jusqu’à son grand retour en 1968, je savoure mon café mais je bois du petit lait, une phrase sur le déroulé-boulé de la soirée historique, passe un extrait du King en train de chanter, pas long mais aussi crémeux que du lait de baleine, termine en renouvelant son amour immodéré pour Elvis.

    Z25605ELVIS.jpg

             Un truc qui vous fout la patate, c’est dommage que Buffalo Bill ait oublié son flingot, j’aurais ouvert la fenêtre et décanillé une douzaine de passants pour exprimer ma joie. Tous les fan-clubs d’Elvis m’auraient envoyé des lettres de félicitation et je serais devenu célèbre dans le monde entier. Même que l’on aurait parlé de moi sur France Inter.

             Parfois la vie ne se passe pas comme un rêve. Alors je me suis plongé dans une réflexion philosophique. Prenons deux individus au hasard : Nicolas Demorand et mon humble personne. Ne parlez pas de privilèges, je n’ai que ces deux-là dans ma chronique, Buffalo Bill est hors-jeu puisqu’il est mort en 1917 avant la naissance d’Elvis.

             Demorand est né en 1971, il est arrivé après la bataille puisque le NBC Show date de 1968, là-dessus j’avoue être mesquin, mais là n’est pas le problème : deux fans d’Elvis, deux destins différents. Pourquoi l’un joue-t-il  chaque matin à la voix de son maître gouvernemental et l’autre pas ? Doit-on en conclure que le rock‘n’roll n’influence en rien les consciences politiques de ses admirateurs. Mais alors quelle attraction précise  exerce-t-il sur ceux qui se réclament de lui...

    Damie Chad.

    *

    Il est des livres qui ne vous apportent pas ce que vous espériez y trouver. En voici un. J’étais content dans la boite à livres ma main attirée par une couverture grise, ô c’est d’Armand Godoy, je fais la grimace en lisant le titre De vêpres à matines, vous connaissez mon peu d’empressement pour la chose chrétienne, oui mais Godoy fut un ami d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, un des plus grands poëtes de langue française du vingtième siècle, j’aurais dû m’arrêter à cette première découverte, mais non, mon œil repère le nom ultra-connu d’un personnage qui est resté cher à nombre de jeunes amateurs de rock, donc je prends :

    CECI N’EST PAS UNE AUTOBIOGRAPHIE

    Roman

    DANIEL FILIPACCHI

    (Bernard Fixot / 2012)

    z25601bookfilipacchi.jpg

             Ah, le bouquin, grand format plus de quatre cents pages ! Une fois ouvert on respire : grosse police, large interligne, une page et demi blanche sépare chacun, des soixante-douze chapitres du suivant.  Que ne ferait-on pas pour le rock’n’roll ! Un véritable puzzle aux pièces mélangées. Daniel Fillipacchi le rédigea, faute de mieux, immobilisé dans son lit durant quatre mois à la suite d’une chute malencontreuse. Des souvenirs entassés pêle-mêle, venus au fil de la plume, classés tant bien que mal dans un ordre qui se voudrait chronologique.

             L’on ne parle guère en Europe de la Grande Catastrophe, voici quelques années, pas un mot lors de son centenaire, dans les media mainstream pour rappeler son souvenir… En 1922, les forces turques s’emparent de la ville de Smyrne, c’est ici le lien le plus étonnant de ce livre avec le rock’n’roll, le grand-père Filipacchi s’enfuit au plus vite pour échapper aux exactions généralement commises envers les civils lors des guerres…

             L’était armateur le grand-père, je ne pense pas qu’il n’ait pas mis à l’abri dans une ou plusieurs banques étrangères quelques ‘’bribes’’ de fortune, l’auteur se présente comme un petit-fils obligé de se débrouiller par lui-même. Le père de Philippe lancera une collection de grands écrivains qui rachetée par Gallimard deviendra le fleuron de l’édition française La Pléiade… Chez Gallimard le paternel entreprendra la mise en place du Livre de Poche. Une reprise de l’idée d’Honoré de Balzac dont il ne retira aucune satisfaction mais dont il lui resta pour le restant de ses jours une énorme dette…   

             Daniel a des parents sympas et compréhensifs, ils seront obligés de le retirer de l’Ecole Alsacienne, là où nos ministres envoient leur progéniture, les études ne l’intéressent pas, son truc à lui c’est le… jazz. Comme il né en 1928 ce pouvait être le rock. Un oncle lui envoie par caisse entières de disques des Etats-Unis, quant à son argent de poche - il suffit qu’il demande – il le passe en… disques de jazz. Un passionné. Papa a des relations, il sera photographe à Match. Ce qui lui permet entre autres d’entrer en relations avec beaucoup de grands patrons français. La mort de Charlie Parker aura un effet positif. La nouvelle station de radio Europe 1, ne possède aucun disque de Parker, le patron lui téléphone, il se radine avec une partie de ses albums. L’émission est un succès. Lui est proposé de réaliser avec Frank Ténot lui aussi passionné de jazz une émission jazz… tous deux adoptent un ton de conversation qui tranche avec les introductions académiques qui étaient alors de règle dans toutes les radios. Le public les attendait sans le savoir.

             Ce n’est que le début de l’aventure, Europe 1, demande à nos deux jazzeux de prendre la relève d’une émission Salut les Copains présentée par une étudiante américaine Suzy beaucoup plus captivée par son chat que par les disques de rock’n’roll qu’elle passe.

    z25604salutlescopains.jpg

             Je pensai que j’allais en apprendre beaucoup sur les coulisses de cette émission phare. Ben non. Il n’en parle plus ; Pas un mot. Rectificatif : oui il cause de Salut Les Copains, pas l’émission, la revue. Pas le contenu : le million d’exemplaires vendus. Se révèle ce qu’il est : un homme d’affaires, plus intéressé par la réussite de ses entreprises que par leur contenu. Il monte en rachetant Hachette un véritable empire de presse. Nous ne citerons que Lui… L’est un businessman qui brasse des millions, à cheval sur l’Europe et les Etats-Unis.

             Pour sa vie privée trois passions : la bibliophilie, la peinture, le jazz. Il collectionne les surréalistes et tous (beaucoup) les peintres. Donnent leurs noms et les bonnes affaires qu’il conclue. Ne comptez pas sur lui pour nous faire pénétrer dans l’univers des artistes. Il organise des concerts et publie des disques de jazz. Connaît tout le monde : de Norman Granz à Miles Davis. Quelques rares anecdotes par-ci par-là, fissa-ficelées et l’on passe à autre chose.

    z25602normangraz.jpg

             Le personnage est un peu déplaisant. Des idées politiques peu révolutionnaires. Un milieu de droite, très réactionnaire. Avec le couplet obligatoire sur les riches beaucoup plus malheureux que les ouvriers car leur fortune les oblige à investir sans arrêt. Sont contre l’ISF et les impôts. Ceci dit, il a su capter l’air du temps dans ses entreprises culturelles de masse.

             Et le rock Damie. On y arrive. Johnny : tout d’abord, le rappel du disque T’aimer follement de Johnny cassé en direct sur les antennes d’Europe 1 par Maurice Biraud. Du connu, archi-connu. Ensuite Johnny invité par Charles Delaunay, le fils des peintres Sonia et Robert, à participer à un festival de jazz à la salle Wagram, chassé de la scène par le public qui attendait Sydney Bechet

    z25600ahmet ertegün.jpg

    ( Ahmer & Nesuhi Ertegün )

             C’est un peu maigre Damie. Attendez les gars, attention deux grosses pointures, notre Cazengler national les évoque souvent, les frères Ertegün, Ahmet et Nesuhi, les directeurs d’Atlantic, que Filipacchi rencontre le 26 juin 1957, lors d’une réception de Wilburn de Paris chef d’orchestre rentrant de tournée en Afrique. La rencontre entre le petit-fils d’un pourchassé de Smyrne et des deux turcs se passe  merveille. Nesushi parle français, il a été élevé en Suisse, et commence par réciter un poème d’Arthur Rimbaud. Nesuhi et Daniel deviendront amis. Lui aussi est un amateur de peinture. Pour les remembrances discophilesques nous n’y participerons pas. Atlantic sera racheté, au même titre qu’Elektra, Asylum et Warner par Steve Ross. Filipacchi deviendra président de Warner… Nesushi et Ahmet firent disperser leurs cendres en Turquie. Filipacchi ne se rendra pas à la cérémonie.

             Voil0, c’est peu mais c’est tout.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 588 : KR'TNT 588 : DAVID CROSBY / WHITE STRIPES / ELVIS PRESLEY / THE CULT / OTIS LEAVIL / THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT / CHAOTIC BOUNDS SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 588

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 02 / 2023

    DAVID CROSBY / WHITE STRIPES

    THE CULT / ELVIS PRESLEY / OTIS LEAVIL

    THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT 

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 588

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Crosbibi Fricotin - Part Two

     

    , david crosby, white stripes, the cult, elvis presley, the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             S’il est un personnage attachant dans l’histoire du rock, c’est bien David Crosby. Ça doit faire quarante ans qu’on est là à se dire : «Ahhh, comme il est doué, ce Croz !». Il a navigué dans l’histoire du rock à sa façon, sans heurts, entouré de belles femmes et équipé des meilleures drogues. On le retrouve sur des disques qui figurent parmi les grands classiques du rock américain : les premiers albums des Byrds, CS&N, mais aussi ses albums solo. Qui fera le tour du propriétaire s’apercevra qu’il n’y a quasiment pas de déchets dans cette impressionnante série d’albums. Croz est l’hédoniste des temps modernes, au sens où Oscar Wilde l’était en cette fin de XIXe siècle pourtant riche en personnalités extrêmement raffinées.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Non seulement les quatre premiers disques des Byrds te rendaient dingue, à l’époque, mais ça prit des proportions encore plus spectaculaires avec le premier album de CS&N et surtout le premier album solo de Croz, If I Could Only Remember My Name, qui reste avec Electric Ladyland l’un des plus grands disques de rock psychédélique de tous les temps. Croz est un grand héros américain, au même titre que Captain Beefheart, J.B. Lenoir, Muddy Waters, Wolf et Jeffrey Lee Pierce. On en prend la mesure en lisant le premier volume de ses mémoires, Long Time Gone. On se délecte de ses récits de rocker et de navigateur, au gouvernail du Mayan, de son apologie des armes et des drogues, mais aussi du récit qu’il fait de ses incarcérations.

             Croz fournit le fil rouge de Long Time Gone, et des témoignages d’amis et de collaborateurs viennent étoffer le récit. Cet ouvrage est certainement l’un des plus passionnants et des plus honnêtes du genre. Au long des 500 pages que compte ce pavé, Croz dit tout de sa passion dévorante pour la dope et donne tous les détails de ses incarcérations successives. 

             Il est arrêté une première fois sur Sunset Boulevard alors qu’il fume une bonne pipe d’herbe au volant. Rangez-vous ! Le bourre ouvre le coffre et trouve un kilo d’herbe et un calibre chargé. Allez hop, au poste ! Croz dit qu’il n’est pas au courant du kilo et du calibre. Ça ne m’appartient pas ! On le relâche. Pendant quelques temps, Croz va jouer avec le feu, en circulant complètement défoncé dans ses voitures de sport et sur ses grosses motos. Il tourne à la freebase. Pour ceux que ça pourrait intéresser, il donne tout le détail de la façon dont on prépare une pipe et du rush que ça provoque. Un soir, sur l’autoroute de San Diego, il perd le contrôle de sa voiture. Les condés le ramassent, comme la première fois, avec tout le matos du parfait camé et un calibre chargé. Il passe la nuit au trou. Le lendemain matin, il est libéré sous caution. On commence à parler de l’affreux camé Crosby dans la presse. Il est arrêté une troisième fois en septembre 1982. La volaille de Culver City le chope à sa sortie de scène. Croz doit encore payer pour sortir des pattes des flics qui veulent sa peau. C’était courant à l’époque : les condés s’acharnaient sur les rock stars qui se rendaient vulnérables en se camant ouvertement. Pour financer sa freebase, Croz revend ses bagnoles (une Ferrari, deux Mercedes, une 6,9 litres et une 6,3 qu’il revend à un dealer pour une livre de coke et quatre mille dollars). Croz passe son temps à disparaître pour aller fumer sa pipe, même en avion, où c’est interdit - By that time, if I didn’t have my drugs, I couldn’t function - Stills excédé lui a jeté un soir un seau d’eau dans la gueule. Croz a réagi en lançant : «If Ray Charles can do it, I can do it. If Coltrane could do it, I can do it !». Croz et sa poule Jan prennent un avion à Kansas City. Ils se font poirer avec deux sacs suspects qui contiennent le matos habituel et les armes de Croz. Jan prend tout sur elle. Chef d’inculpation : piraterie aérienne. Ça commence à chauffer pour de bon. Elle s’en sort en acceptant de suivre un programme de probation. Un soir, alors qu’il roule en Harley, un flic arrête Croz et demande à voir ce que contient le fameux sac à dos qu’il trimballe partout avec lui. Il doit verser 5 000 dollars pour sortir du ballon. Et page après page, il raconte la descente aux enfers classique, les amis qui s’éloignent, les revenus qui se tarissent, la crasse qui s’installe dans la baraque et la transformation physique. Croz à l’époque est complètement bouffi. Jan est encore plus accro que lui. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. On oblige Croz à se désintoxiquer, mais il fait le mur et prend la fuite. Puis les flics du Texas viennent le chercher à Greenwich Village. Croz écrit tellement bien ses mémoires que son récit fonctionne comme un film d’action. Ils tapent à la porte et disent bonjour. Croz se retrouve au ballon à Dallas et une fois de plus, il réussit à sortir sous caution. Retour à LA. Au bout de 14 ans de régime junk, Croz ressemble à un clochard. Comme sa liberté ne tient plus qu’à un fil, il prend une bagnole et file vers le Nord à la recherche du Mayan, dont il n’a plus de nouvelles depuis longtemps. Il espère lever l’ancre et prendre le large, vers le soleil. Mais il comprend que la rigolade est terminée. Il arrive pieds nus au bureau du FBI de Palm Beach pour se rendre. Et là commence l’extraordinaire récit de son incarcération. Il ne fera qu’une année de placard, mais il dit ne rien regretter de cette expérience. Et forcément, il est désintoxiqué d’office. C’est un Croz bouffi aux cheveux courts et sans moustache qui sortira du Texas Department of Corrections d’Huntsville en août 1986.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Il brosse aussi des portraits spectaculaires des gens qu’il admire : John Coltrane (Croz raconte comment il s’est retrouvé avec deux amis - les trois seuls blancs - dans un club noir de Chicago, Coltrane est sur scène avec McCoy Tyner et Elvin Jones, ils prennent des solos à tour de rôle, Coltrane sort de scène, et Croz ne peut pas supporter l’intensité du solo d’Elvin Jones, alors il se réfugie aux gogues, il essaie de reprendre conscience, «when the door went wham and in walks John Coltrane, still playing at top intensity and volume, totally into it», oui, Trane entre et continue à jouer en solo, à fond - he blew me out so bad I slid down the wall - Croz s’écroule. Il pense que Trane ne l’a même pas vu - but he totally turned my mind to Jell-O at that point (Trane lui a réduit la cervelle en bouillie) - Portait de George Harrison - There are people that tell me I turned him on to Indian music (des gens disent que je l’ai branché sur la musique indienne). I know I was turning everybody I met on to Ravi Shankar because I thought Ravi Shankar and John Coltrane were the two greatest melodic creators on the planet and I think I was probably right (Croz poussait tous ceux qu’il rencontrait à écouter Ravi Shankar, car il pensait que lui et Trane étaient les deux plus grands mélodistes du monde) - Encore un sacré portrait, celui de Mama Cass. Elle et Croz étaient très proches et prenaient de l’héro ensemble - We used to get loaded with each other a lot. We loved London because there was pharmaceutical heroin availiable in drugstores (ils adoraient Londres où on pouvait se procurer de l’héro dans les drugstores) - Tiens et puis Joni Mitchell, découverte par Croz. «Guinnevere», qui se trouve sur le premier album de CS&N, est une balade létale dédiée à Joni Mitchell, dont il s’était amouraché et dont il avait produit le premier album avant de la céder à Graham Nash qui voulait absolument la baiser, comme il voulait baiser toutes les poules de ses amis. Joli portrait d’Ahmet Ertegun, le boss d’Atlantic - Sweet man that he is and gentleman that he is, Ahmet loves music - Ce gentleman aime vraiment la musique, ce qui pour Croz est assez rare dans l’industrie musicale. Il ajoute que John Hammond Sr est aussi une exception, puisqu’il a enregistré Billie Holiday ET Bob Dylan. Et puis, comme on l’imagine, il brosse aussi des portraits sensibles de Roger McGuinn, du Nash et de Jerry Garcia.

             Croz n’a pas fait les choses à moitié. Toute sa vie, il n’a fait que tendre vers l’excellence. On dispose de toutes les preuves.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Les Byrds font partie d’une autre histoire, aussi va-t-on sauter en 1969, année de parution du miraculeux premier album de CS&N, trois larrons surdoués qui avaient décidé de chanter ensemble pour pousser le bouchons des harmonies à trois voix. Dans son book, Croz n’en finit plus de saluer l’immense talent de Stephen Stills. N’oublie pas que Jimi Hendrix voulait Stills comme bassiste dans son groupe. Quand on écoute ou qu’on réécoute «Suite Judy Blue Eyes», on se régale. C’est du très grand art. Non seulement Stephen Stills fait un festival au chant et à la gratte, mais il en fait un aussi au bassmatic. CS&N nous gratifient d’une fin de morceau absolument démente. Pour Nash et Croz, ce fut de toute évidence un privilège que de chanter sur un cut de Stills. Ahmet Ertegun qui les signa sur Atlantic comprit qu’ils étaient la crème de la crème du rock américain. «Marrakesh Express» est un hit du Nash - All on board on the Marrakesh express ! - Ce fut la musique des jours heureux, t’en souvient-il ? Puis c’est au tour de Croz d’entonner «Guinnevere». Pure magie. La beauté des personnages et la beauté du ciel, le destin leur souriait à pleines dents. En B, tu tombes sur le hit intemporel du trio, «Wooden Ship», co-signé Croz-Stills, l’archétype du rock psychédélique, monté sur une monstrueuse bassline et noyé de guitare liquide. Cut magique, encore une fois - Wooden ships on the water, very free and ea-sy - à bord d’un voilier, libre et riche, cette image allait préfigurer le style de vie de Croz. Ce cut semblait tellement en avance sur son époque. Et puis tu as «Long Time Gone», un groove infernal qui pose vraiment les bases du rock psychédélique, la mélopée court sur un tapis d’harmonies ensorcelantes. «Long Time Gone» va hanter une génération entière. Croz et ses amis ne craignaient plus rien. Ils avaient les chansons. Comme les Beatles. Ils accédaient directement au superstardom.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Pour leur second album, Déjà Vu, ils ont incorporé Neil Young, déjà célébré par le public américain pour ses albums solos et vieux compagnon de route de Stills dans Buffalo Springfield. Neil Young arrive dans CSN&Y comme un cheveu dans la soupe. Sa «Country Girl» n’a rien à faire sur cet album, c’est du Neil Young, un style complètement différent. De son côté, le Nash continue de faire sa petite pop anglaise. Ce gros malin a réussi à refourguer «Teach Your Children» à ses copains qui ne disent rien, car ils sont gentils. Mais ça n’arrive évidemment pas à la cheville de «Wooden Ships» ni de «Long Time Gone». Heureusement, Croz veille au grain et ramène «Almost Cut My hair», encore un groove chargé de sens psyché. Il sait tirer sur certaines syllabes, juste ce qu’il faut de fabulosité. Croz est un formidable déchireur de ciels, un explorateur de paradis artificiels. Il donne du temps au temps du groove. L’autre pièce de choix qu’il ramène pour cet album, c’est le morceau titre. Il y recycle son admiration du «Love Supreme» de John Coltrane. Musicalement, Croz est nettement plus évolué que ses collègues. Il navigue à le recherche de passages vers d’autres océans. «Woodstock» est une compo de Joni Mitchell, qui reste un modèle d’harmonies vocales rockées au roll suprême. On l’entend dans le générique de Woodstock, un film qu’on peut revoir chaque année sans jamais s’ennuyer.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Croz embarque tous ses copains du Bay area dans l’aventure de l’album rouge, If I Could Only Remember My Name. «Cowboy Movie», qui est monté sur le même genre de groove magique que «Long Time Gone», raconte l’histoire d’un gang de pilleurs de trains et d’une fausse Indienne. Les autres morceaux de l’album fleurent bon le mescal («Tamalpass High (At About 3)»), le mélopique enchanteur («Laughin’»), le très haut niveau - huit miles - («What Are The Names») et la pure mélodie, avec des voix qui pépillent dans la tiédeur des alizés («Song With No Words»). Croz cultive essentiellement une vision du monde très pure.

             Comme il s’entend bien avec son collègue Nash de Manchester, ils font des albums ensemble, sur le même principe que dans CS&N : chacun ramène sa gamelle.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             C’est là où il faut feuilleter les mémoires de Nash, parues récemment sous le titre Wild Tales - A Rock & Roll Life, car avant d’être un livre consacré à lui-même, c’est d’abord un livre consacré à Croz. À travers le Nash, on comprend que Croz est un être sur-dimensionné qui dévore tout ce qui l’entoure, et une demi-portion comme Nash ne fait évidemment pas le poids. Nash explique que Croz a façonné sa vie et sa carrière, dès leur première rencontre, chez Cass Elliot. Nash n’en finit plus de brosser et de rebrosser le portrait de Croz : «Il était irrévérencieux, amusant, brillant. C’était un hédoniste à l’état le plus pur. Il avait toujours la meilleure herbe, les plus belles femmes, et elles étaient toujours déshabillées. Quand il passait un coup de fil, une fille lui taillait une pipe.» Nash est fasciné par les exploits de Croz le camé. Il raconte comment Croz vend sa Mercedes à un dealer, puis quand Croz apprend que le dealer vient de faire une orverdose, il va récupérer les clés de sa bagnole sur le corps encore tiède du dealer pour aller revendre la Mercedes à un quelqu’un d’autre - Then he had the balls to resell the car to someone else. Like I said : freaky - Nash raconte qu’à la pire époque, Croz et Jan étaient couverts d’escarres, d’ampoules et de brûlures, car ils utilisaient un petit chalumeau pour chauffer leur pipe, même dans les avions où c’était formellement interdit. Nash se souvient d’avoir vu Croz dans une émission CNN en 1983. Il s’agissait d’un reportage et la caméra filmait la salle du tribunal où Croz était jugé pour usage de drogue. Croz s’était endormi et on l’entendait ronfler bruyamment, au grand dam du Président qui était scandalisé et qui parlait de félonie. Nash apprit ensuite que Croz était même allé fumer sa pipe dans les toilettes du tribunal. Alors bien sûr, en comparaison, les aventures de Nash ne font pas le poids. Ce pauvre Nash finit comme la grande majorité des gens pauvres qui deviennent riches : il devient très sensible aux honneurs, surtout quand il est décoré par la Reine d’Angleterre. Avant de refermer cette parenthèse, signalons tout de même qu’on trouve dans les mémoires de Nash de très belles pages sur la Cavern de Liverpool et les Beatles de 1963, sur Cass Elliot, sur Stephen Stills, Joni Mitchell, mais aussi des pages extrêmement embarrassantes où Nash essaye de justifier au mieux la façon dont il s’est comporté avec ses amis d’enfance, les Hollies. Il faut bien parler de trahison, comme dans le cas de Steve Marriott avec les Small Faces. Nash a beau dire que les Hollies n’étaient pas capables d’évoluer musicalement, on ne trahit pas des amis pour une raison aussi futile. Il est si mal à l’aise avec cet épisode qu’il se réjouit pendant des pages entières d’avoir pu se réconcilier avec Allan Clarke et les autres. Mais on sent une certaine forme de puanteur, un peu comme chez Dave Grohl qui lui aussi s’était spécialisé dans l’opportunisme pathologique, n’hésitant jamais à trahir un ami pour avancer. Et voilà, c’est toute la différence entre un mec comme Croz dont l’humanité reste indiscutable et un personnage comme Nash qui porte sur la figure l’ombre shakespearienne de sa félonie. C’est dans son livre. Lit qui peut.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Premier album du duo Crosby & Nash en 1972. On fait très vite la différence entre les compos de Nash et celles de Croz. Nash ramène sa petite pop anglaise déracinée et souvent cousue de fil blanc. Croz ramène des compos extrêmement ambitieuses pour l’époque, comme «Whole Cloth», qui sonne comme un groove visionnaire - On what do you base yourself my friend ? Can you see around the bend ? - Digne de «Wooden Ships», avec un solo de Danny Kootch. On sent chez Croz l’ampleur océanique. Sur «Games», Croz laisse planer sa voix. En l’écoutant chanter, on a l’impression de voir un galion dériver dans le golfe du Mexique. On ne sait pas où il veut aller, mais il reste toujours à proximité d’un soleil radieux posé en équilibre sur l’horizon en flammes. Chez Croz, on retrouve invariablement cette vibration d’orange solaire. Encore une belle pièce de groove avec «The Wall Song». Il reste dans la suspension, dans le flic-floc antédiluvien. Jerry Garcia et Phil Lesh du Grateful Dead l’accompagnent, donnant au groove un parfum psychédélique extrêmement capiteux.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Le deuxième album du duo, Wind On The Water, sort en 1975. Il s’ouvre sur une compo merveilleuse de Croz, «Carry Me», qui se solde par une spectaculaire explosion d’harmonies vocales. Nos deux asticots s’en donnent à cœur joie. Comme d’habitude, les compos de Nash sont sympa, mais elles restent très anglaises et ne peuvent en aucun cas rivaliser avec ce qui sort de la grosse tête de Croz. Comme par exemple «Bittersweet», une pièce proprement océanique - Oh I need the heat - fabuleux besoin de chaleur monté à l’octave de l’harmonique, un groove jazzé à la Croz et traversé de fulgurances. «Low Down Payment» est encore signé Croz, jazzé dans l’attaque et accidenté de brisures de rythme somptueuses - It’ a low down payment on this pillar/ Pillar of salt - Puissant et ambitieux - If the damn thing just had a heart/ If I had a heart - some kinda heart - Il va rester dans le même esprit pour «Homeward Through The Haze», une drug-song jazzée elle aussi et d’une rare élégance - Cause the blind are leading the blind/ And I am amazed at how they stumble/ Homeward Through The Haze - Il finit avec une chanson sur les baleines dont il parle assez longuement dans son livre.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Leur troisième album s’appelle Whistling Down The Wire. Sur la pochette, ils ont l’air drôles. Croz est un peu joufflu, jovial, avec sa moustache en dents d’ours et ses petits yeux de navigateur. En Nash remontent tous les travers de l’Anglais pingre, avec le nez pointu surplombant un balai à chiottes jaunâtre et des petits yeux qui caractérisent si bien l’étriquement moral britannique dans toute son horreur. Tu as du pur Croz avec «Broken Bird», tu retrouves l’éther du premier album de CS&N, avec des nappes d’unisson emportées par le vent du soir, cette musique qui se voulait l’incarnation d’une certaine paix. Encore une mélodie en suspension avec «Time After Time». Croz emmène tout ça au loin. Avec «Dancer», ambitieux comme pas deux, on sent que Croz écoute Sun Ra, Trane et Ravi Shankar. On retrouve des coups de magie unissonique dans «Taken At All», et nos deux larrons s’entendent bien. Ils sont capables de créer un véritable univers chantant et sensible. Croz fait dans l’atonal pour «Foolish Man». Il navigue entre deux eaux, comme poussé et fiévreux. Il a le même genre de vision océanique que Dennis Wilson. Il manie le sous-rythme jazzy à la Charlie Mingus. On retrouve aussi certains accents élégiaques de «Cowboy Movie». Pur génie crépusculaire. Encore une belle dérive avec «Out Of The Darkness», ces mecs adorent se laisser emporter par les courants et se sécher au soleil. 

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Ils sortent un album live en plein boom punk, en 1977, et seuls les dedicated followers of the Croz-fashion vont aller écouter ça. Ils attaquent «Page 43» à contre-chant et suspendent ce groove aux lèvres argentées d’Ariane. Ici tout n’est que manière forte, excellence des ambiances, compulsion pré-établie de laid-back libératoire, tiédeur jalouse dans les branches d’un temps béni des dieux. Ces mecs savent jouer le groove à la perfection. Peu d’équivalents sur le marché, à part Paul Simon, et, dans un genre plus sombre, Mark Lanegan. On voit le groove de «Foolish Man» fuir vers l’horizon et la version de «Déjà Vu» se détache du rivage.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Toujours en 1977, le trio légendaire se reforme pour sortir un album et Croz emmène ses deux collègues à bord du Mayan, comme on peut le voir sur la pochette. Excellent album, mais en 1977, on écoutait autre chose. Avec «Shadow Captain», ils repartent au grand large. On les sent au soleil. Les compos de Stills sont plus classiques, comme «See The Changes», mais on ne sent plus la niaque du premier album. Dans ce contexte, la pop de Manchester que ramène Nash passe de moins en moins bien. L’écart se creuse terriblement. «Fair Game» est un petit mambo du père Stills, bien raffiné, attaqué au chant d’unisson du saucisson. C’est le cut accrocheur par excellence - just relax enjoy the ride - et Stills place un solo acoustique assez dément. On retrouve la voix de rêve de Croz dans «Anything At All». C’est une fabuleuse glissade dans l’intimité de la suspension. Il faut suivre les compos de Stills à la trace, car elles sont souvent intéressantes, comme par exemple ce «Dark Star» qu’il joue lead à l’acoustique. Avec «Just A Song Before I Go», on est rassuré de voir que ce n’est pas Croz qui a trouvé un titre aussi con, mais Nash. Belle pièce que ce «Run From Tears», du pur Stills, avec des chorus perchés dignes du premier album du trio. Stills joue des trucs sévères sur sa guitare - Girl I’m Drowning - Admirable et racé. Croz nous fait le coup de la latence paranormale avec «In My Dreams», il mène la danse des songes. Croz est bel et bien l’âme du rock californien. Stills referme la marche avec un brillant «I Give You Give Blind», ce qui au total, nous fait un album remarquable.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             On croyait ces mecs finis, on les prenait pour des vieux schnocks de Woodstock. Il était même de bon ton de leur cracher dessus, à une certaine époque. Mais le train de nos insultes s’arrêtait à la gare de leur indifférence. Ils ont continué d’enregistrer des albums, dans la plus totale indifférence, tout au moins en Europe. Dans son book, Croz répète inlassablement qu’il parvenait toujours à générer du cash en concert, aux États-Unis. Beaucoup de cash. Ces mecs étaient devenus des super-stars de plein droit.

             Avec ou sans Neil Young, ils vont encore réussir à enregistrer quatre albums étalés sur vingt ans, sans compter la multitude d’albums solos enregistrés à droite et à gauche par les uns et les autres. Des quatre, le plus discret sera bien sûr Croz.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Nouvelle équipée de CS&N en 1982 avec Daylight Again. Ce n’est pas l’album du siècle, mais quand on suit Croz à la trace, on écoute Daylight Again attentivement. Nash consacre une chanson à Croz qui va mal : «Into The Darkness» - Your face is ghostly pale - Croz répond avec une magnifique drug-song, «Delta». Ils attaquent tous les trois - Of fast running rivers of choice and chance - c’est de la pure magie suspensive. Ils sont vraiment très fort. Croz propose un horizon. C’est Stills qui pond et qui joue le morceau titre. Il ne le lâche pas. Il peut tout jouer. Il renoue avec la magie de Woodstock. Oui, car n’en déplaise aux ignares, il y a bien eu de la magie à Woodstock.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Neil Young rejoint ses collègues pour l’album American Dream qui sort en 1988. Croz est sorti du ballon. Il est clean. On lui propose d’essayer des trucs, mais il dit non. Pas question de replonger. On retrouve sur cet album les compos classieuses de Stills, comme «Get It Made», très joli groove monté sur un beat soutenu. Croz ne ramène pas grand chose, juste deux morceaux, mais quels morceaux ! «Night Time For Generals» est une sorte de disco colérique que s’en viennent sauver les harmonies vocales. Et «Compass», encore une histoire de navigation. Croz raconte sa sortie des enfers - But like a compass seeking North/ There lives in me a still, sure, spirit part - Mais c’est Stills qui fait quasiment tout l’album, avec sa grosse guitare et ses riffs fatals. Il semble même qu’il se soit endurci en vieillissant.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Et comme ça va beaucoup mieux, Croz se remet à enregistrer des albums solo. On le croyait grillé. C’est mal connaître l’animal. Il revient avec un album en forme de clin d’œil malicieux, Oh Yes I Can. Son «Drive My Car» n’a rien à voir avec celui des Beatles. C’est plutôt un gros beat des années 80. Il aménage des petites zones de paix crozbique mais le beat vire salement FM. Cut après cut, il s’enfonce dans un rock FM atroce, jusqu’à «Tracks In The Dust», où on retrouve le vrai groove d’antan, celui qui fit sa légende - I think we’re passing through here kind of fast/ Did you think those tracks in the dust would last ? - Réflexion philosophique sur le côté très éphémère des choses de la vie. Croz met ça en musique pour le bonheur de nos cervelles, et ce cut à lui seul sauve tout l’album. La B est un peu plus solide. Il revient à la magie des ambiances faussement immobiles avec «Lady Of The Harbour». On retrouve sa belle bravoure d’attaque groovy. Il évoque dans «Distances» les distances qui séparent les êtres - Till this distance came in our lives - Fabuleux. On a l’impression qu’il s’agit toujours du même groove à la dérive, mais non, c’est à chaque fois une pièce intrinsèque, très solennelle et unique. Il met en musique le sentiment du beau unique. Voilà comment on pourrait qualifier l’art de Croz. Les ceusses qui apprécient les belles chansons et les mélodies jazzo-groovy devraient écouter Croz et son «Flying Man». Non seulement, il est l’âme du rock californien, mais il se pourrait bien qu’il soit aussi l’âme de CS&N. Malgré le piège de la prod années 80, Croz s’en tire avec tous les honneurs. Rares sont les disques produits dans ces années-là qu’on peut encore écouter aujourd’hui.   

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             CS&N sortent Live It Up en 1990. Pendant trois ou quatre titres, un gros malaise s’installe. Ils sonnent comme les Bee Gees période disco. Il faut attendre «Yours And Mine», co-signé par Croz et Nash pour retrouver la terre ferme. Croz raconte une histoire qui se déroule à Belfast et renoue avec le son original du trio. Le morceau qui sauve cet album s’appelle «Arrows», du pur Croz. Il tortille sa sauce à sa façon, avec un peu de gras dans le vrillé de la voix en suspension. Il reprend le large. Le morceau est destiné à tous ceux qui ne savent pas encore que Croz est un voyageur mythique, comme le fut Ulysse. Il traverse les mers inconnues à bord du Mayan. Il sauve encore un album par sa seule prestance de groover impénitent.   

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Nouvel album solo en 1993 : Thousand Roads. Belle bête. Jimmy Webb lui a composé «Too Young To Die» et on sent aussitôt l’ambition d’un projet merveilleusement décontracté - Sweet old racing car of mine/ Roarin’ down that broken line - C’est un fabuleux hommage à James Dean et à Steve McQueen - When I die I don’t want to go to heaven/ I just wanna drive my beautiful machine up North on some Semona County road/ With Jimmy Dean and Steve McQueen/ All the boys be singin’ singin’ - C’est de la légende à l’état pur et ça lui va comme un gant. Croz tape aussi une compo avec Joni, «Yvette In English», et c’est encore une fois de la magie pure. On a là la pure élégance de la sensibilité supérieure - Little bit of instant bliss - voix diaphanes, guitare jazz, pureté de l’instant. Voilà encore un groove du paradis signé nounours. Sur «Thousand Roads», c’est Andy Fairweather Low qui joue de la guitare. Pur Californian Hell ! - Threre’s a thousand roads up this mountain/ You can get lost in a minute if you try - Encore un coup de génie. Croz peut rocker quand bon lui semble. Voilà ce qu’il faut retenir de cette histoire. «Natalie» est une chanson d’amour de plus, mais quand ça tombe dans les pattes de Croz, alors ça devient énorme. Rien qu’avec la voix et la vision, il creuse l’écart qui le sépare des autres. Il ne s’intéresse qu’à la portée de sa vision et donc à l’immensité.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             It’s All Coming Back To Me Now fut enregistré au Whisky A GoGo en 1993. Croz ne proposait rien de moins que de jouer sur scène ses meilleurs cuts. C’est un disque un peu toxique. Croz y enfile ses cuts latents comme des perles. Il vient tout juste d’échapper à la mort. On vient de lui greffer un foie tout neuf, alors il peut poursuivre l’aventure de beauté commencée avec les Byrds et poursuivie avec ses amis Stills & Nash. On attend sa version de «Cowboy Movie» au virage. Le hit du siècle ? Va-t-en savoir. Il en joue la copie conforme - ahhhh yeah - on retrouve ces chutes de couplets extraordinaires. Croz torche son affaire avec une réelle grandeur d’âme. Avec des hits comme «Cowboy Movie», il est à l’abri. Il ne craint plus rien. Croz règne sur l’empire du groove en compagnie de Marvin Gaye et de Bobby Womack. On retrouve ce son classique de groove californien dans «Almost Cut My Hair». Il va chercher du gras dans le fond de son gosier. Il pose les conditions du groove majeur et c’est embarqué aux guitares. Et puis il tape dans ses plus grands hits, comme par exemple «Deja Vu». Graham Nash vient donner un coup de main - And now we’ll all get weird - Retour aux temps bénis du CS&N, avec une grosse dérive à travers le delta du néant et un solo de basse d’Hutch - oh yeah ! C’est une longue dérive primitive et on entend chanter les anges. Avec «Long Time Gone», Croz hisse l’étendard de la légende du rock américain. C’est du pur génie crozbique. Il passe immédiatement au délire des harmonies vocales et retrouve le secret des effarantes dynamiques intérieures. La beauté, c’est tout ce qu’on aime dans le rock, le choc des grooves et l’éclat des notes de guitares électriques, l’invraisemblable légèreté kunderienne des mélodies et l’oisophilie de l’autre, telle que la rêvait Edgar Allan Poe. «Wooden Ships» est encore un hit absolu. On voit se dessiner les coques des vaisseaux et scintiller les armures dans le crépuscule rosi-crozien. L’ami Croz et ses amis embarquent tout le monde dans une interminable version de dix minutes. On n’en demandait pas tant.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Nos quatre vieux cocos retournent en studio en 1999 pour enregistrer Looking Forward. Un album qu’on écoute juste pour savoir où ils en sont, comme on l’a fait avec le dernier Rod The Mod ou encore le dernier Dr John. On retrouve le fameux chacun pour sa pomme qui a tellement affaibli les albums précédents. Stills va sur le funky joyeux, Neil Young va sur la gratte au coin du feu et chante comme une chèvre sénile, à l’ancienne mode, Nash retapisse sa petite pop de Manchester qui commence à sentir le moisi. Et Croz ? Oh, il ramène un heavy blues rocky bardé d’accords mortels qu’il semble avoir sorti de la vase d’un marécage psychédélique : «Stand And Be Counted». Renversant ! Comme le pépère Jack Bruce en Angleterre, le pépère Croz peut réveiller les morts. Stills continue d’envoyer ses giclées de vieux, et Neil Young endort les chaumières avec ses morceaux usés et rafistolés par des pièces aux genoux. Croz est gentil de les accueillir dans le studio. Ça dégage tout de suite avec «Dream For Him». On sent le Mayan sous les alizés. On sent le mec qui a navigué. On sent la voix et la crinière au vent. On sent les années de freebase. C’est une vraie compo, pas un gadget de vieux. C’est même un groove exemplaire. Voilà le truc : chez Croz, c’est l’exemplaire. Il a toujours cette voix et ce goût des vraies mélodies, ce goût d’un style qu’il a initié avec «Cowboy Movie». On retrouve même par instants des accents du thème de «Woodstock», c’est dire si l’excellence règne à bord de «Dream For Him». 

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Croz, nouvel album solo de Croz, paraît en 2014. La première écoute ressemble à un moment historique. Ce n’est pas tous les jours qu’on écoute un nouvel album de Croz. Comme tous les gens distingués, il sait se faire rare. «What’s Broken» est un joli groove panoramique ralenti. On retrouve ses vieilles tendances au trip. Pépère sait encore chanter. Avec «Time I Have», il fait allusion au mal dont on l’accuse - I’m looking to find some peace within me to embrace/ To encourage that smile to find my face/ Sometimes I’m winning - Il en profite pour adresser un clin d’œil à Martin Luther King - I have a dream/ A great man said/ Another man came and shot him in the head - Dans son book, Croz revient longuement sur les violences faites à John Lennon et à Sharon Tate et explique que depuis, il est toujours armé. Retour à la beauté pure avec «Hold On To Nothing», sensible et suspendu - Sunny days can fool you/ They can look wet with the rain - coup de trompette de Wynton Marsalis. Ce sera certainement le morceau qui va le plus coller au palais. Il revient au groove jazzy avec «Slice Of Time», intemporel et suspendu, doté d’un gros solo de cordes tirées. Avec son grand groove électrico-exceptionnel, «Set The Baggage Down» s’impose comme une pièce digne de CS&N. Fabuleux retour de manivelle. Sur la C se niche une autre merveille, «Dangerous Night», un somptueux balladif - I want to believe I can pass happy to my child/ But the truth gets lost and the system runs wild - Il faut profiter encore et encore du trésor de cette voix de légende. 

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    Crosby, Stills & Nash. Crosby, Stills & Nash. Atlantic Records 1969

    Crosby, Stills, Nash & Young. Déjà Vu. Atlantic Records 1970

    David Crosby. If I Could Only Remeber My Name. Atlantic Records 1971

    Crosby & Nash. Crosby & Nash. Polydor 1972

    Crosby & Nash. Wind On The Water. Polydor 1975

    Crosby & Nash. Wistling Down The Wire. ABC Records 1976

    Crosby, Stills & Nash. CSN. Atlantic Records 1977

    Crosby & Nash. Live. Polydor 1977

    Crosby, Stills & Nash. Daylight Again. Atlantic Records 1982

    Crosby, Stills, Nash & Young. American Dream. Atlantic Records 1988

    David Crosby. Oh Yes I Can. A&M records 1989

    Crosby, Stills & Nash. Live It Up. Atlantic Records 1990

    David Crosby. Thousand Roads. Atlantic Records 1993

    David Crosby. It’s All Coming Back To Me Now. Atlantic Records 1994

    Crosby, Stills, Nash & Young. Looking Forward. Reprise 1999

    David Crosby. Croz. WEA 2014

    David Crosby & Carl Gottlieb. Long Time Gone - The Autobiography. 2007

    Graham Nash. Wild Tales - A Rock & Roll Life. Crown Publishing 2013

     

     

    Riot on Sunset Stripes

     

    , david crosby, white stripes, the cult, elvis presley, the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Comme tout le monde, on est allé en 2002 voir les White Stripes sur scène à l’Élysée. Comme tout le monde, on a écouté leurs deux premiers albums parce qu’ils sortaient sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. Comme tout le monde, on a ouvert les bras pour accueillir le phénomène des duos d’art-punk-fucked-up-blues, Bantam Rooster, Immortal Lee County Killers, Black Diamond Heavies, Left Lane Cruiser, Winnebago Deal et dans une moindre mesure, les Black Keys ou autres Kills à la petite mormoille. Les White Stripes en firent d’ailleurs partie et surent comme d’ailleurs les Black Keys tirer leur épingle du jeu et accéder au fucking mainstream qui allait les détruire.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             En plus de la couverture, Mojo leur accorde une vaste rétrospective. C’est donc l’occasion de remettre le nez dans l’histoire de ce duo qui avait fini par décevoir ses fans de la première heure. Ils n’étaient pas les premiers et ils ne seront pas les derniers. Dommage, car leur histoire commençait bien, puisque ça se passait à Detroit. Jack épouse Meg en 1996, mais Jack fait croire à tout le monde qu’ils sont frère et sœur. Si Jack dit ça, alors c’est vrai. Pourquoi ça ne serait pas vrai, puisque c’est vrai ? Jack qui s’appelle Gillis décide de s’appeler White, comme Meg. Pourquoi pas ? Après tout, il fait comme il veut. Puis il pond un concept : on s’habille en blanc (innocence), avec du rouge (colère) et on joue du punk-blues à deux. Meg n’a pas le droit de répéter. Elle doit rester imparfaite. Quand Long Gone John chope les deux premiers singles de Jack & Meg, il leur avance 3 000 $ pour enregistrer un premier album chez Jim Diamond, au Ghetto Recorders de Detroit.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

    Et là, crack boom hu-hu ! Ils démarrent avec un «Jimmy The Explorer» chanté d’une voix de fiotte, on ne sait pas si c’est Jack ou Meg, mais ça sent la mini-jupe de cuisses humides. C’est le Stripes de bonne augure, complètement éclaté. Jack ressort sa voix de fiotte pour rendre hommage à Robert Johnson avec «Stop Breaking Down». Il traîne sa voix dans la purée. On se croirait à Memphis. Puis il travaille l’idée du son avec «The Big Three Killed My Baby», jusqu’au moment où on s’aperçoit que sa voix perchée n’est pas bonne. Il tente d’inventer un style («Suzy Lee»), c’est assez courageux et la pauvre Meg bat comme elle peut. Ça sent les bouts de ficelle («Cannon») et ils passent au stomp de Detroit avec «Astro» que Meg tatapoume à la vie à la mort. On les voit encore explorer le minimalisme gaga avec «When I Hear My Name», ils cultivent courageusement leur binarisme, on sent bien le côté expérimental de cet album. Jack ressort sa petite voix de fiotte pour «Screwdriver», il passe des riffs bien cinglants et s’offre un final extraordinaire. Ils sont plutôt bons dans le genre expéditif, comme le montre leur cover de «St James Infimary», mais c’est de l’expéditif à la Savorgnan de Brazza, il faut que ça braze.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             En 2000, Jack et Meg divorcent. Meg a quitté les White Stripes et Jack joue dans plein de groupes, the Go, the Hentchmen et avec l’excellent Dan John Miller dans 2-Star Tabernacle.  Mais le couple se reforme pour enregistrer un deuxième album, l’étrange De Stijl. On réalise avec stupeur que Jack n’a pas de voix. Il joue sur les effets. «Hello Operator» n’a rien dans la culotte. Il n’a aucune présence vocale sur «I’m Bound To Pack It Up». Dès qu’il force, il est mauvais. Retour au blues avec le «Death Letter» de Son House. Il joue ça au bottleneck, mais c’est mille fois mieux par Son House. L’album est catastrophique. Il est pourtant passé comme une lettre à la poste. «A Boy’s Best Friend» nous ramène à l’Élysée, on voyait bien à ce moment-là que c’était du vent. Et soudain, au moment où on ne s’y attend plus, ils piquent une crise avec «Let’s Build A Home». C’est un rumble des enfers et on regrette que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils font une sorte de stomp enroulé à coups de cu’mon, oui, c’est la première fois qu’un mec fait cu’mon. Puis il fait les Pretties avec «Jumble Jumble», c’est du juvénile pur, bien délinquant. Jack White se réveille en fin d’album, il faut le savoir. Dernier shoot de Stripe avec «Why Can’t You Be Nice To Me», du gaga qu’il prend à la voix de fiotte, il est en plein dedans, hey !

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Alors ils se mettent à tourner et quand Meg voit le blé qu’elle ramasse, elle décide de rester dans le groupe. Et pouf ils deviennent the world’s hottest band ! Ils passent du cult underground au rock stardom et de là au pop-cultural phenomenon. Ils débarquent à Londres et deviennent célèbres en dix jours. Les médias les encensent : the future of rock’n’roll. Perchés au sommet de leur vague de célébrité, ils sortent leur troisième album, White Blood Cells, sur Sympathy. On y trouve un classique gaga, «Fell In Love With A Girl», mais le reste de l’album peine un peu à jouir. Jack se prend pour Free avec «Dead Leaves & Dirty Ground», mais il n’a pas la voix de Paul Rogers. Il se force à mal chanter. Comme d’habitude, il joue sur les effets. Il fait une Americana du pauvre avec «Hotel Yorba». Comme il devient une star, il ne se sent plus pisser. C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«I’m Finding It Harder To Be A Gentleman». Il fait du grandiloquent de carton-pâte. C’est tout de même incroyable que les White Stripes soient passés à la place des Gories. Mais ce sont les choix des gens du big biz qui visiblement ont misé sur l’image plus que sur le son, comme dans le cas des Bay City Rollers. En gros c’est la même histoire. On crée une mania et on vend des millions de disques, c’est le B-A-BA du biz, un chef-d’œuvre d’enculerie. Jack & Meg n’y sont pour rien. Dans «Expecting», Jack joue la carte du heavy blues-rock à coups de clever et de forever. La heavy pop de «The Same Boy You’ve Always Known» n’a aucune crédibilité. Et pourtant, c’est avec ça qu’il s’en sort le mieux. Sur ce coup-là, il est très anglais. Mais tout dépend de la façon dont on l’écoute. Il est évident qu’il crée son monde et en soi, c’est infiniment respectable. Mais on s’interroge sur la portée du phénomène : autant de retentissement alors que cette pop est d’une affligeante banalité. Sa voix ne passe pas sur «I Can’t Wait» et ça ne pardonne pas. Il peut ramener du son, ça ne sert à rien. Il cherche pourtant des noises à la noise jusqu’à la fin. Globalement, White Blood Cells est un album plein de sous-pentes et de renvois à des choses connues. Il faut l’écouter plusieurs fois. C’est très spécial. Pourquoi Jack White et pas Mick Collins ? White Blood Cells se vend à un million d’exemplaires. 

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Alors que leur côte n’en finit plus de flamber, ils enregistrent leur meilleur album Elephant. C’est vrai que «Seven Nation Army» sonne comme un hit, monté sur un stomp de basse, et toujours cette petite voix de fausset qui stigmatise si bien le manque de voix. Il pousse bien le bouchon avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Il impressionne et joue la carte des rafales. C’est Meg qui chante «In The Cold Cold Night» et ils continuent de créer leur monde. Et puis voilà qu’avec «Ball & Biscuit», Jack the lad invente un genre nouveau : le gaga scorch innervé. Il joue au scorch de descente aux enfers. Sur ce coup-là, il est très fort. C’est un très bel album, riche en émotions. Jack revient à son cher stomp avec «The Hardest Button To Button», il gère ça bien et propose une qualité de stomp imparable. Nouvelle surprise avec «Hypnotize». Il s’y montre expert en riffing gaga, il y ramène tous les poncifs avec sa voix en embuscade. C’est battu à la folie et ça sonne comme une expédition sur le Nil. Encore un coup de Jarnac avec «Girl You Have No Faith In Medecine» : il y ramène un vieux riff de heavy boogie rock, il fait les Yardbirds les deux doigts dans le nez.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Puis arrivent les ennuis : un punch-up avec le mec des Von Bondies, et voilà Jim Diamond qui réclame ses royalties sur les deux premiers albums. Jack ne peut plus aller traîner en ville. Il est tricard. Personne ne l’approche. Il est temps de quitter Detroit. Jack ne va pas bien. L’album Get Behind Me Satan s’en ressent considérablement. On le voit trafiquer ses combines dans «Blue Orchid». Il chante derrière sa disto comme s’il avait peur de sa voix. Le résultat n’est pas jojo. Des mecs diront oui le son, oui le riff, mais laisse tomber. Zéro présence. «The Nurse» sonne encore comme une arnaque. Au fil des cuts, il perd tout ce qui lui reste de crédibilité. Quelle tragédie. Il est à la mode mais il n’a pas de voix. Le pas-de-voix ne fait pas de cadeau. Si tu veux faire du rock en Amérique, appelle-toi Iggy, Lanegan, Jeffrey Lee ou Greg Dulli, sinon laisse tomber. Les cuts sont mauvais et mal chantés. Et ça empire encore avec «The Denial Twist». On ne sait comment elle fait, mais dans Mojo, Victoria Segal trouve des choses intéressantes à dire sur ce désastre.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Jack se carapate vite fait et s’installe à Nashville, se marie et voit naître ses deux kids en 2006 et 2007. Mais les White Stripes sont toujours sous la pression du tiroir-caisse, ils doivent sortir un nouvel album qui va s’appeler Icky Thump. Jack continue à bricoler son pas-de-voix et opte cette fois pour des choses plus expérimentales. Il va même se prendre pour un groupe anglais dans «You Don’t Know What Love Is». Il réussit l’exploit de combiner l’intense à l’inutile dans «300MPH Torrential Outpour Blues». Il joue une fois de plus sur les effets. Il ramène du gaga à gogo dans «None Broke» et des cornemuses dans «Prickly Thorn But Sweetly Worn». On trouvera un peu de stomp un peu plus loin («Little Cream Soda») et il rallume la vieille flamme des White Stripes avec «Rag & Bone» et là ils sont franchement bons, cu’mon ! Mais les réalités reviennent au galop, dès «I’m Slowly Turning Into You». Sa voix ne passe pas quand il veut la forcer, pourtant ça s’écoute. Très bizarre. Il parvient à créer des ambiances avec son pas-de-voix, notamment dans «A Martyr For My Love For You», il chante dans son jus de glaire, il cherche les voies du seigneur sans savoir qu’elles sont impénétrables, mais après tout, il a raison, il s’en sort avec des effets de basse zone, il fait son small biz, alors forcément, on l’écoute car ça intrigue. En fait, il se prend souvent pour McCartney. Voilà son drame.

             Puis le groupe va cesser de jouer en public. Jack cite l’exemple de Beatles. Sauf qu’il n’a pas les chansons des Beatles. Et puis il a mis en route d’autres projets, The Dead Weather et les Raconteurs. C’est en 2011 qu’il annonce la fin des White Stripes.

    Signé : Cazengler, Moite Strip

    White Stripes. The White Stripes. Sympathy For The Record Industry 1999

    White Stripes. De Stijl. Sympathy For The Record Industry 2000

    White Stripes. White Blood Cells. Sympathy For The Record Industry 2001

    White Stripes. Elephant. V2 2003

    White Stripes. Get Behind Me Satan. V2 2005

    White Stripes. Icky Thump. Warner Bros. Records 2007

    Blood & Fire. Mojo # 326 - January 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu (Part Three)

    , david crosby, white stripes, the cult, elvis presley, the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

            Le gros hic d’Elvis, le biopic de Baz Luhrmann consacré à Elvis, c’est que l’acteur censé faire l’Elvis ne ressemble pas du tout à Elvis. Et ça pose un sacré problème qui est celui de la crédibilité, surtout dans un cas pareil. Tout ce qui touche à Elvis relève du sacré, même si les parades de lookalikes à rouflaquettes l’ont un peu caricaturé après sa disparition. L’acteur du biopic s’appelle Austin Butler, et pour correspondre à toutes les époques, Luhrmann le fait maquiller. Mêmes les rouflaquettes de l’époque Vegas sont ridicules. Luhrmann aurait embauché un acteur chinois pour le rôle, le résultat eut été le même. Absence totale de crédibilité. Et ce ne sont pas les costards roses ni les Coupés de Ville qui vont sauver les meubles. Si on veut voir l’Elvis 56, autant voir les vraies images. Elvis est beau, Butler ne l’est pas. Quelque chose cloche dans les traits de son visage. Les yeux trop rapprochés, peut-être. Plus on le voit en gros plan et plus le malaise s’accroît. Ce biopic est encore plus catastrophique que le Great Balls Of Fire de Jim McBride, avec Dennis Quaid dans le rôle de Jerry Lee. À l’époque de sa sortie (1989), Jerry Lee déclarait publiquement qu’il haïssait ce film. Il avait raison de gronder, le killer, car il était tout sauf un clown. Le problème avec Elvis, c’est qu’Elvis n’est plus là pour trancher. Mais aurait-il tranché ? Le biopic n’en finit plus de montrer que le Colonel tranchait pour lui. Ce qui nous conduit naturellement à la conclusion qui s’impose : le personnage principal d’Elvis n’est pas Elvis mais le Colonel. Vieux, gros, cynique, détestable, supra-intelligent, Tom Hanks campe le rôle de sa vie. Il est l’incarnation du showbiz, c’est-à-dire du diable : il est aussi laid que le Louis Cyphre d’Angel Heart est beau, il est tellement réaliste qu’on pense aussi au Woland du Maître Et Marguerite. Tom Hanks est fabuleux de malignité, il n’ouvre la bouche que pour ricaner des paroles de sagesse évangélique - Without me there wouldn’t be no Elvis Presley - Quand on l’accuse d’avoir tué Elvis, de la même façon qu’on accusait Ponce Pilate d’avoir tué Jésus, Tom Hanks répond, comme d’ailleurs a dû le faire Ponce Pilate : «No, no, no I didn’t kill him. I made him.» Ce biopic est un véritable tour de passe-passe : Luhrmann se sert d’Elvis pour dire la grandeur de Tom Hanks. On en oublie presque le Colonel. Dans ce gigantesque foutoir hollywoodien, Tom Hanks est aussi génialement perverti par le personnage qu’il incarne que l’est Philip Seymour Hoffman, dans le rôle de Truman Capote dans In Cold Blood. Hanks est aussi génialement intense que le fut Albert Dieudonné dans le rôle du Napoléon d’Abel Gance. Les mauvaises langues prétendent que Dieudonné n’est jamais redescendu de son cheval.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Ces biopics - même ratés - sont de fantastiques terrains de manœuvre pour l’esprit, lorsqu’il est cavaleur. On peut partir dans toutes les directions à la fois. Bien, pas bien, vrai, pas vrai, en fait on regarde et on juge, on regarde et on frémit, on regarde et on recoupe. On voit les petites arnaques une par une, les petits traficotages de la réalité, on devine la cuisine derrière toutes ces scènes qui sonnent plus faux les unes que les autres. Bien sûr, pour avoir une toute petite idée de la vérité, il faut avoir lu les trois tomes de la saga Guralnick, deux consacrés à Elvis (Last Train To Memphis: The Rise Of Elvis Presley et Careless Love: The Unmaking Of Elvis Presley) et le troisième à Sam Phillips (Sam Phillips: The Man Who Invented Rock ‘n’ Roll), un Uncle Sam qui d’ailleurs est complètement évincé du biopic. Les plans Sun sont réduits à portion congrue. Alors que Guralnick s’attarde longuement sur la nature singulièrement charismatique du personnage d’Elvis, le biopic la fait disparaître au profit d’un lissage bizarre : dans les scènes sentimentales, les gros plans sur le faux Elvis ne sont pas sans rappeler certains aspects de Johnny Depp. Bien sûr, un biopic ne peut pas tout dire, mais les entorses à la réalité sont souvent intolérables. Un exemple avec la scène qui se déroule en Allemagne, où Elvis fait son service militaire et où il rencontre Priscilla. Guralnick le confirme : ils passent leurs soirées ensemble, sous la simili-surveillance des parents de Priscilla. Bon, Elvis lui roule une grosse pelle et tout laisse croire qu’ils vont pouvoir tirer un coup vite fait. Mais non. Priscilla en crève d’envie mais, selon Guralnick, Elvis lui dit non. Il lui promet de la baiser le jour de leur mariage. Dans un an. Peut-être que dans un film où tout sonne faux, ce genre de répartie sonnerait faux, mais dans les pattes de Guralnick, ça sonne vrai, car l’Elvis qu’il campe dans ses tomes est extraordinairement bien construit. Guralnik s’attache principalement à la beauté intérieure du personnage. C’est ce qui rend ses trois tomes fascinants. Luhrmann passe complètement à côté de cet aspect fondamental du mythe : la bonté naturelle de l’homme Presley et son immense générosité. Il y avait quelque chose d’infiniment christique dans le Presley que nous restitue Guralnick.

             Grâce à ce biopic, le personnage Presley est dévoré une deuxième fois par les démons d’Hollywood. On appelle ça un destin tragique. Alors que tout en lui tendait vers une sorte de pureté artistique, Elvis s’est retrouvé noyé dans la vulgarité américaine. Le showbiz - et donc Tom Hanks - le métamorphosent en «cleancut all-American boy». Tom Hanks résume bien les trois étapes de la dégringolade de cet immense artiste : «1, Elvis the rebel. 2, Elvis the movie star. 3, Elvis the family entertainer.» Bien sûr, aux yeux de l’Américain moyen, cette carrière passe pour une réussite, car Elvis devient immensément riche, conformément au rêve américain. Mais aux yeux des idéalistes que sont les fans, c’est exactement le contraire. D’ailleurs dans le film, on voit des fans agglutinés devant le portail de Graceland qui brandissent des panneaux réclamant the old Elvis. Ils ne veulent pas de l’Elvis RCA, ils veulent l’Elvis Sun.

             Luhrmann ne l’a sans doute pas fait exprès, mais la vraie vedette de son film n’est peut-être pas Tom Hanks. Tom Hanks s’enracine dans la country d’Hank Snow, une sorte de guimauve parfaitement à l’image du beauf qu’est le blanc moyen et raciste de l’époque. Non, la vraie vedette du biopic est la musique noire. Ce sont les plans les plus réussis : ça commence avec Arthur Big Boy Crudup, on voit ce black punk gratter son black snake crawling et chanter «That’s Alright Mama» au chat perché délinquant. Puis attiré par la clameur du gospel, le jeune Elvis va sous la tente goûter au fruit défendu, la pomme du jardin d’Eden : la transe du gospel batch et là, mon gars, tu piges tout. Tout vient exactement de là, du raw gospel fever, de l’explosion du peuple noir qui sous la tente recycle le fabuleux héritage rythmique des tribus d’Afrique, et ce sont les racines du rock’n’roll. Elvis et Jerry Lee viennent de cet endroit précis. Pas d’Hank Snow, mais du gospel africain. Elvis semble récupérer tout le black power, Luhrmann fait de cette scène une espèce de séance d’initiation, un rituel de magie noire. C’est ce Black Power que ramène Elvis au Louisiana Hayride lorsqu’il tape une version démente de «Baby Let’s Play House» - I wanna play house with you - Luhrmann cadre le jeu de jambes, mais c’est un jeu de jambes emprunté aux blacks. Et pouf, ça enchaîne sur Big Mama Thornton au Handy Club, à l’étage, sur Beale Street, avec «Hound Dog». On voit aussi le jeune B.B. King essayer de remettre Elvis dans le droit chemin, le chemin artistique. Mais ce sont les ligues morales qui vont recadrer Elvis the Rebel, clean up your act, terminé Elvis the Pelvis, on l’oblige à chanter «Hound Dog» à la téloche face à un basset, injure suprême, et pendant qu’on dresse Elvis pour en faire un bon toutou bien docile, Luhrmann ramène Little Richard avec un «Tutti Frutti» explosif et, pire encore, Sister Rosetta Tharpe, et là c’est inespéré, car on voit la vraie pionnière du rock avec son «Strange Things Happening Every Day», wow, et elle te claque un solo d’acou incroyablement sauvage. Ce sont ces grands artistes noirs qui sauvent les meubles du biopic. Un peu plus tard, on va entendre Mahalia Jackson à la radio, et même la voir chanter. Aw my Gawd, on l’avait presque oubliée, celle-là ! Luhrmann se plante plus loin en montrant un Fats Domino qui ne ressemble pas du tout à Fatsy, mais bon, c’est pas grave. Il n’est plus à un détail près.

             Quand Elvis revient de son service militaire en Allemagne, Tom Hanks l’envoie directement à Hollywood. Bon, comme chacun sait, les films d’Elvis ne marchent pas, c’est d’autant plus tragique qu’il rêvait de prendre la suite de James Dean. Mais Tom Hanks veille au grain, au cleancut all-American Boy marié et père de famille. Les sous rentrent, mais l’étoile de la star s’éteint. Jusqu’au jour où Elvis rencontre Steve Binder et Bones Howe. Binder est connu pour avoir réalisé le T.A.M.I. Show, avec notamment les Stones, James Brown, les Beach Boys, Chuck Berry, Jan & Dean, les Supremes et des tas d’autres. Binder n’est pas chaud pour faire un TV Show avec Elvis. Trop has-been. D’ailleurs Elvis demande à Binder ce qu’il pense de sa carrière, et Binder lui répond le fameux «It’s in the toilet, Elvis». Elvis apprécie sa franchise et accepte d’écouter ses conseils. Binder réussit à le convaincre de revenir aux sources, à Elvis the Rebel, alors que Tom Hanks veut un Christmas Show avec Elvis en Père Noël au coin de la cheminée. Alors, Elvis et Binder montent le coup en douce. Contre toute attente, Elvis the Pelvis se pointe en cuir noir devant les caméras et tape un «Heartbreak Hotel» somptueusement sensuel. Tom Hanks est furax. Binder réussit même à faire revenir l’excellent Scotty Moore que Tom Hanks avait réussi à virer. C’est donc le fameux ‘68 Comeback qu’on a tous adoré. Puis Binder & Howe font miroiter à Elvis les avantages d’une tournée mondiale, le grand retour du King, mais Tom Hanks dit non, invoquant les dangers du monde extérieur - Security ! Security ! - Rusé comme un renard, Tom Hanks monte un coup fumant : il se fait hospitaliser à Vegas. Inquiet pour sa santé, Elvis vient le voir. Il tombe dans le panneau. Tom Hanks lui montre alors son avenir par la fenêtre de la chambre d’hosto : le fameux International Hotel. Encore baisé, l’Elvis. Mais il accepte, il veut les Sweet Inspirations de Cissy Houston, et les meilleurs musiciens, dont James Burton. Tom Hanks garde donc le contrôle sur le business - Taking care of business - Nous sommes désormais chez les blancs. Elvis s’habille en blanc. À part des Sweet Inspirations, on ne voit plus aucune bobine de black dans le secteur. Elvis roule des pelles à toutes les blanches du public. La scène est très belle, presque évangélique. Mais encore une fois, les vraies images de Vegas sont nettement meilleures. Car même à Vegas, Elvis reste très beau. Et puis il a des chansons, «Suspicious Minds» (merchi Chips), «Polk Salad Annie» (merci Tony Joe). Tom Hanks joue la carte Vegas à fond, il éponge ses dettes de jeu abyssales et met sa poule aux œufs d’or sous le contrôle pharmaceutique du fameux Dr Nick. Il en profite pour éradiquer définitivement toute idée de tournée mondiale - International tour out of the question - Tu veux voir le monde, Elvis ? Alors le monde entier voit Elvis, via satellite.

             Elvis croit pouvoir virer le Colonel. You’re fired ! On ne vire pas le diable. Le Colonel dresse la liste de tout ce que lui doit Elvis, il a tout noté : au total, ça fait huit millions de dollars. Plane même la menace d’une saisie sur Graceland. Comme Elvis est ruiné, il se voit contraint d’honorer son contrat faustien avec le diable Hanks. Mais comme on est dans une mauvaise comédie dramatique hollywoodienne, cet aspect est mou du genou. Murnau en fait complètement autre chose, il suffit de voir son Faust.

             La fin du biopic est pitoyable. C’est presque une métaphore de la dégringolade artistique d’Elvis. Luhrmann réussit même à nous faire un Elvis bouffi, assis au piano, sur scène à Vegas. Ce n’était pas utile. On attend Luhrmann au virage pour le cassage de pipe en bois. Va-t-il oser ? Miraculeusement, il réussit à éviter la fameuse scène finale des gogues. Ouf ! Luhrmann s’en sort avec un dernier tour de passe-passe en forme de parabole : «Elvis has left the building.»

    Signé : Cazengler, Elvicelard

    Baz Luhrmann. Elvis. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock –

    Le feu au Cult (Part One)

     

             Il fait nuit. L’avenir du rock roule en ville et s’arrête au feu rouge. Personne ? Il avance. Il n’a pas vu les condés planqués sur le côté. L’un d’eux s’approche.

             — Coupez le moteur ! Papiers du véhicule !

             L’avenir du rock sort les papelards.

             — Vous avez brûlé un feu. Avez-vous consommé de l’alcool ?

             — Ah ben non !

             Le condé va chercher un ballon dans la voiture de patrouille :

             — Vous allez souffler là-dedans.

             — Pfffffffffffffffff !

             — Plus fort !

             — PFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF !

             L’avenir du rock se retrouve au poste. Il a trois grammes dans le sang. Il a dû laisser sa bagnole au carrefour. Le gradé de service dresse un procès-verbal, avant de l’envoyer en cellule de dégrisement.

             — Nom, prénom, date de naissance !

             — Avenir du rock !

             — Pas de prénom ?

             — Non, et pas de date de naissance, puisque je suis un concept.

             — Vous vous foutez pas d’ma gueule, ça pourrait vous coûter cher, insulte à représentant de l’ordre dans l’exercice de sa fonction, ça va chercher six mois, alors tenez-vous à carreau. Nom et prénom des parents !

             — Disons que mon père spirituel s’appelle Sam Phillips, l’Homme qui inventa le rock’n’roll, et ma mère, disons Bernadette Soubirou, la Femme qui inventa les hallucinations.

             — Quelle est votre adresse actuelle ?

             — Dead End Street, juste derrière Itchycoo Park.

             — Quelle est votre appartenance politique ?

             — J’ai une carte d’adhérant au MAV, c’est tout.

             — Jamais entendu parler du MAV ! C’est quoi, un parti de gauche ? Un syndicat ?

             — Oh c’est un petit groupuscule culturel pas très connu. MAV veut dire Mort Aux Vaches. Meuuhhhh, vous voyez ce que je veux dire ?

             — Quelle est votre appartenance religieuse ?

             — The Cult !

    , david crosby, white stripes, the cult, elvis presley, the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Si le condé était un peu moins con, l’avenir du rock lui aurait offert le dernier album du Cult qu’il avait dans sa poche, mais il a préféré s’abstenir, car au fond, il sait que les cons ne méritent pas de jouir des bienfaits d’un culte aussi prestigieux.

             Belle pochette que celle du nouveau Cult, Under The Midnight Sun : tu vois un serpent préhistorique onduler symboliquement sous la demi-lune d’un astre d’or. Pochette merveilleusement graphique. Seul le serpent est verni, pour qu’il brille sous tous les angles. Rien qu’à contempler cette pochette parfaite, on sait que le Cult ne va pas mégoter sur les surprises.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Le premier choc se produit avec le «Mirror» d’ouverture de balda : trop de son ! La voix de l’Astbu se noie dans le son. Bad bad bad prod, tout chevrote. Il faut comprendre que ça fait partie du jeu. L’Astbu n’a qu’une seule idée en tête : pousser le bouchon dans le bush. Et ça continue de saturer la saturnale dans «A Cut Inside». Ils y vont au va-t-en savoir du qu’en dira-t-on, sans doute est-ce là un subterfuge pour cacher une certaine misère compositale, il faut bien dire que les compos ne sont pas au rendez-vous. L’Astbu est l’un des grands ultimates du rock, il lui faut des compos. Sans compo, il se désagrège, comme un vampire surpris par le lever du jour. Mais rassure-toi, l’Astbu veille toujours à chanter à la surface des apocalypses.

             Les dévots du Cult devront attendre «Give Me Mercy» pour frémir des deux naseaux. Grosse attaque. Bienvenue dans le Cult. L’Astbu t’emmène jusqu’à l’autel, c’mon, il est le prêtre du Cult et il va t’égorger pour célébrer les dieux du rock. La puissance du Cult n’a jamais disparu, elle sourdait sous la surface, comme une langue de feu, et soudain, le son te saute à la gorge, Billy Duffy envoie des accords de cristal dans le ciel rouge, aw my Gawd quelle pâmoison, il joue son va-tout à la vie à la mort, il pleut du feu, le Cult n’a jamais autant brillé, il pleut des tonnes d’accords et ça monte en neige jusqu’à la fin des haricots. L’Astbu est l’un des derniers prêtres capables d’apaiser le courroux des dieux. Et ça continue avec «Outer Heaven», l’Atsbu remonte au somment de son Ararat, il y domine le son, il y domine le monde, le temps de provoquer une nouvelle apocalypse et c’est terrific, tu sens qu’il te tombe sur le râble, c’est un rock très physique, presque un combat au corps à corps, tu luttes en toi pour le plaisir de lutter, tu reçois les coups et tu tends la joue pour en recevoir d’autres.

             Billy Duffy vole le show dans «Vendetta X», il joue aux accords de contre-plaqué pendant que l’Atsbu trafique sa menace et bascule dans un abîme de tristesse. Alors Billy décide de remonter à la surface du son et, aussi étrange que ça puisse paraître, le ciel s’ouvre. Billy consolide l’ouverture avec des accords de contrefort. On n’avait encore jamais vu un bricolage pareil. Avec «Knife Through The Butterfly Head», l’Astbu plonge dans le mythe du Cult. Il chante comme un dieu, c’est-à-dire comme Jimbo, il se hisse au sommet du summer et tu montes avec lui, tu le vois forcer tous les passages, l’Astbu est le singer absolu, il chante à pleine gorge, c’est d’une puissance de crève-cœur, tout ici est joué à l’extrême heavyness, la pire de toutes. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec le morceau titre, en forme de panorama de Midnight Sun. C’est tout simplement du Technicolor, mais pas n’importe quel Technicolor, celui du Cult est un Technicolor d’effarance de la pertinence. L’Astbu ne vise que l’extrême Technicolor.

    Signé : Cazengler, tête dans le Cul

    Cult. Under The Midnight Sun. Blackhill Records 2022 

     

     

    Inside the goldmine

    - Evil Leavill

     

             Qui pourrait en vouloir à Piotr d’être ce qu’il est ? Personne, bien évidemment. Des gens qu’on connaît depuis cinquante ans continuent parfois de nous surprendre. Comme s’il voulait brouiller les pistes, le Piotr qu’on croyait gentil et affable sait parfaitement se montrer odieux, surtout quand il fond sur ces proies faciles que sont les serveuses et les serveurs de restaurant. L’un de ses sports favoris consiste à plonger une salle entière dans le malaise, en humiliant à voix haute les gens qui le servent à table. À cause de sa passion pour Bibi Fricotin ou Jo Zette & Jocko, on a longtemps considéré Piotr comme un petit garçon enfermé dans le corps d’un adulte. Nouvelle erreur d’appréciation ! Dans des réunions de travail très techniques, on l’a vu se conduire comme le plus avancé des adultes présents autour de la table, pouvant croiser le fer avec des spécialistes sur les plans juridiques et financiers, et prenant encore une fois un malin plaisir à crucifier en public le malheureux qui ose discuter son point de vue. Dans l’arène, Piotr devenait le gladiateur invincible, une sorte de Russell Crowe devenu chauve, et comme il avait accumulé plus de connaissances que n’en possédaient tous les gens réunis autour de la table, alors il frappait chaque fois à coup sûr, et pour contraster avec la barbarie de ses coups, il usait d’un ton lénifiant, comme celui qu’utilise Marlon Brando dans The Godfather. Les professionnels qui connaissaient Piotr le craignaient. Les femmes le craignaient encore plus. Piotr les collectionnait comme des papillons, il les choisissait comme on les choisit aujourd’hui, sur les ventes de bétail en ligne. Lorsqu’il est à table, il participe distraitement à la conversation tout en faisant ses courses sur son smartphone, likant à la chaîne et chattant avec toutes ces chattes en vente, se vantant avec son étrange sourire presbytérien «de les baiser vite fait sur le capot de sa bagnole». C’est probablement parce qu’il brouille adroitement les pistes et qu’il maîtrise l’art de plonger ses amis dans la consternation qu’on ne s’ennuie jamais en sa compagnie. 

     

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Piotr n’est pas le seul à savoir plonger les gens dans la consternation. Otis Leavill peut lui aussi se vanter de cet apanage. Si tu veux qu’Otis Leavvill te plonge dans la consternation, c’est facile : il existe une compile qu’il partage avec deux co-locataires, Billy Butler et Major Lance : The Class Of Mayfield High. C’est ce qu’on appelle dans les milieux autorisés une compile magique, car en plus des douze cuts magiques d’Otis Leavill, tu peux entendre ces deux seigneurs de la Soul que sont Billy Butler et Major Lance. Tu sors de là gavé comme une oie. N’ayons pas peur des grands mots : Otis Leavill est un magicien, il fait danser la Soul sur la pointe de sa glotte. C’est lui l’Evil Leavill qui donne les cartes de la Soul. «I Love You» est un coup de génie retentissant. Il chante d’une voix d’ange de miséricorde et ramène une spiritualité charnelle dans sa Soul. On le voit aussi filer à vive allure sur le fast drive de «Why Why Why». Il est si bon qu’il dépasse toutes les attentes, on se croirait chez les Beach Boys, tellement c’est beau, puissant et chanté aux harmonies. Il fait encore battre le petit cœur de la Soul avec «Glad I Met You», il chante tout à la rose éclose, il est le Soul Brother de tous tes rêves inavouables. Il chante «Love Uprising» à l’uprise et provoque un vrai carnage paradisiaque avec «I’m So Jealous». Il transforme tout ce qu’il touche en or du Rhin. Sa Soul brille de mille feux. C’est Otis Leavill qu’il te faut. Cette façon qu’il a d’ânonner sa jalousie est unique au mode. Il chapeaute son «There’s Nothing Better» d’une belle Soul de good time, il chante tout d’une voix aussi grasse qu’une huître fécondée.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Dans son booklet, Bill Dahl indique que le fantôme de Curtis Mayfield plane sérieusement sur cette compile magique, d’où le titre, Mayfield High. L’autre clé magique de cette compile magique, c’est bien sûr Carl Davis, le producteur de génie et boss local des labels Brunswick et Dakar. Billy Butler et Major Lance font aussi partie de l’écurie Carl Davis. Grâce à lui, Brunswick/Dakar va devenir l’un des Soul outlets les plus importants de l’époque, rivalisant avec Motown et Stax. Dahl n’oublie pas de rappeler que dans les early sixties, les stars de Brunswick sont Jackie Wilson et Buddy Holly. Et l’impeccable Tyrone Davis, que Carl Davis rendra célèbre.

             Avant d’arriver chez Brunswick/Dakar, Carl Davis bossait pour OKeh et c’est là qu’il commença à lancer la carrière de Major Lance. C’est Curtis Mayfield qui composait pour Lance. Curtis Mayfield était le Smokey Robinson de la scène locale. Selon Dahl, Major Lance incarna mieux que quiconque the innocent charm of Chicago Soul. Dahl rappelle aussi que Major Lance et Otis Leavill ont grandi ensemble à Chicago. Ils sont devenus tous les deux d’excellents danseurs. Ils pouvaient aussi boxer. D’ailleurs, Major Lance se fera disqualifier pour avoir mordu son adversaire. C’est lui qui amène son ami d’enfance Otis Leavill chez Carl Davis. Dans un élan nostalgique, Otis Leavill se souvient de l’âge d’or Brunswick/Dakar sur Michigan Avenue : «We had a family. We had a hell of a family. Carl was the father. He was the head of the family and he kept us all in line.» Major Lance n’a que 6 cuts sur la compile, dont le célèbre «Follow The Leader», fantastique shaking de dance-floor et d’écho du temps d’avant. Major forever ! L’autre hit intemporel est le fameux «Do The Tighten Up». Major Lance est LE jerkeur de choc. Il crée aussi une fantastique tension avec «Sweeter As The Day Goes By». Il parvient à faire des étincelles dans un groove de charme ! Major Lance est bourré de Soul genius. Il dispose à la fois de l’omniscience et du Black Power. Puis il fonce dans la nuit de la Northern Soul, yeah, avec «Shadows Of Memory», il est tendu à l’extrême, il est là sur scène avec sa banane de black, épaulé par des chœurs de Motown. Major Lance est un héros.

             Le troisième larron de la compile n’est pas un enfant de chœur. Billy Butler est lui aussi un crack et dès «Help Yourself», tu danses le jerk avec Billy the crack. C’est énorme ! Ce Billy-là a le diable au corps. Il fait encore du raw r’n’b de sweet darling avec «Sweet Darling» et comme les Four Tops, il va chercher la Bernadette avec «Come Over To My Side». Il déploie les mêmes réserves d’excellence que Levi Stubbs. Billy semble flotter au dessus de la ville, il chante «Careless Heart» avec une maturité de vampire, il est tellement au dessus de la mêlée qu’on finit par s’en émouvoir. Et voilà qu’il tape dans les Tempts avec «I’ll Bet You», il dispose de tous les pouvoirs, il sort une Soul sauvage et bien claquée. Il est absolument parfait. Encore un hit de power pur avec «Burning Torch Of Love», il règne sans partage sur le groove de heavy r’n’b, quelle blague ! T’en rigoles tellement c’est bon. Tu ne bats pas Billy Butler à la course.  

    Signé Cazengler, Otis Débill

    Billy Butler / Major Lance / Otis Leavill. The Class Of Mayfield High. Westside 1999

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 10 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

    Le titre de leur album m’a plu. Westernization, voilà qui dénote une certaine réflexion sur le rock ‘n’roll, mais vous n’en saurez pas plus, moi non plus, il ne sortira qu’au mois d’avril. Alors en attendant écoutons leur premier opus car…

    IT’S TIME TO MAKE A MESS WITH…

    THE CONFUSIONAIRES

    ( 2018 )

    Encore un groupe du Canada, nous en profitons pour saluer Marie Desjardins, d’Edmonton capitale de la province d’Alberta, à elle seule plus grande que la France.

    Sont trois : Fat Dave Johnson : guitare et vocal / Jayson  Aschenmonster :  upright bass & vocal / Adam Staric : drums.

    La pochette laisserait à penser qu’ils sont un groupe de rockabilly garage.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    You know, I’m right : paroles glaçantes, vocal imperturbable, tout va bien, bonne rythmique rock’n’roll, mais pour l’esprit l’on est plus près du country que du rockabilly, vous avez la upright qui monte au septième enfer, une barate qui cogne et une guitare guirlande qui se glisse partout comme un serpent affamé, non ce n’est pas une histoire entre un gars et une fille. Teach me how to write a sad song : une petite merveille, je parle de la musique, s’y donne à fond très sixties, c’est tellement beau qu’ils rallongent l’intro avant d’allonger le vocal. Ce n’est pas qu’il n’est pas bon, c’est qu’il très bon, mais question paroles, ce n’est pas vraiment une philosophie enthousiasmante de la vie, pour une petite histoire d’amour qui a mal tourné, ils vous filent le moral à zéro pour toute la soirée. Pourtant cette voix vindicative est si prenante. Make a little mess : ils ont vraiment le secret des intros qui vous clouent sur place, pour le reste question idée ça commence comme Samedi soir de Johnny Hallyday, mais la guitare est là pour vous prévenir que la soirée annoncée finira mal, et ils y vont franco à toute vitesse, souriez ce n’est pas un drame non plus, et puis qu’importe le grabuge puisque c’est beau. Everybody’s talking ( but nobody’s talking to me ) : un peu de blues, très foncé, n’a jamais fait de mal à personne, ce coup-ci il est très froncé rock’n’roll, z’ont le punch, n'écoutez pas trop les lyrics, vous fileront le cafard, ces gars-là ils ont le perfecto ( je ne sais pas s’ils en portent) très métaphysique, en douze lignes de lyrics ils vous définissent le statut du rebelle révolté à la vitesse d’un TGV, avec en prime une critique sociale d’une grande cruauté. El fango : pour une fois ils sont gentils, pas de paroles pour vous saper le moral, par contre vous serez atteints par les affres de la jalousie, comment font-ils pour jouer si bien, une batterie qui cavale comme si elle était toute seule, une big mama qui lui emboîte le pas parce qu’à deux c’est toujours mieux, et là-dessus vous avez la guitare qui dépose des splendeurs, vous n’entendez plus qu’elle, c’est injuste car les deux autres marnent un max, mais c’est ainsi, superbus comme disent les autocaristes. 1000 songs : c’est idiot, si vous vous écoutez vous n’irez jamais plus loin que l’intro, ce serait une erreur, d’abord la voix comme si elle venait de la salle-de-bain du studio, ce qui permet de prendre son pied sur Les giclées électriques de la six-cordes ou de ne pas croire que c’est elle qui imite le piano jazz, une chanson d’amour, oui mais d’amour pour la guitare. 1958 Chevrolet Del-Ray : avec un tel titre nous allons pouvoir réaliser notre fantasme rockabilly N° 1 sur la banquette arrière, ben non ce sera pour la prochaine fois, z’ont l’art de dégonfler les clichés, vous croyez rouler à 120 miles à l’heure, le rythme est trop flegmatique, un truc encore pire que Sur la route de Memphis du grand Schmoll, une guitare qui égrène les notes comme des épines de cactus, vous rêvez de foudre rockabilly et vous entendez le monde cruel de la country. Save your apologies for when you get caught : un shoot d’instrumental pour vous refiler le moral, de la tonitruance qui confine à de la maltraitance auditive pour ceux qui n’aiment pas vivre à fond la caisse. De champagne ! Walking is much too slow : c’est terrible un groupe de rock qui sonne fort et bien avec des lyrics à la hauteur du son, en plus vous prennent toujours à dépourvu, à contrepoil, vous mènent par le bout du nez là où ils veulent, du grand art, et ne sont pas beaucoup sur le marché à se permettre de tels régals. 6120 : tous les amateurs de Cochran connaissent ce chiffre, pour les paroles pensez à Elle est terrible d’Hallyday + la fin de Génération perdue, sinon ne pensez à rien, écoutez, c’est du rock’n’roll qui parle de rock’n’roll ! Immanquable. Ford Fairlane : (n’avais pas tort quand je parlais de Rockab garage) : en voiture, une balade avec la fille que l’on aime, la poésie du camionneur, une fin à l’emporte-pièce, une guitare qui vous grimpe au septième ciel et des mots qui disent plus qu’ils ne le voudraient. Pour le son une espèce de convoi à la Peckinpah. Mais funéraire. Where I am when I close my arms : encore une de ces intros qui vous mettent du baume au cœur et que vous laissez venir à vous pour le plaisir de vous sentir bien sur cette terre, ensuite vous fermez les yeux et vous suivez les ondées de cette guitare, y a tout de même cette petite musique en sous-main, une pointe de rêvasserie nostalgique, qui vous apporte la gousse d’ail de cynisme nécessaire pour survivre à vous-même. 1000 shots of whiskey : un tintamarre batérial de tribu de cannibales en chasse, ils se dirigent vers vous, pas de panique ils ont seulement soif, vous les rejoignez, z’avez intérêt à courir vite car le solo de guitare ne vous attend pas, soirée biture, pas besoin de piqûre de rappel, conseil identique aux précédents, n’écoutez pas trop les paroles vous risquez d’en ressortir l’oreille pâteuse. Pour le mal de crâne il est fourni gratis avec l’extro. Trop c’est trop !

             Je ressors de ce disque ébloui. Enfin du nouveau dans le monde du rockabilly !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Pour une fois ce n’est pas la couve de l’opus qui m’a attiré, ni le nom du groupe. Mais les tags qui l’accompagnaient. Des mots qui pour citer les Beatles ne vont pas très bien ensemble, trois exactement : celui du milieu ‘’ doom’’ ne me pose aucun problème, pas de péril en la doomeure, ce sont les deux autres, celui qui arrive en queue de peloton, ‘’acoustic’’, oui ça existe à portion homéopathique, enfin passons, mais le premier en file de tête du peloton ne cadre pas trop de bicyclette avec doom, jugez-en par vous-mêmes : ‘’jazz’’. Que peut-il sortir d’un tel accouplement digne de Lautréamont, peut-être un monstre hideux, peut-être un mélange sans saveur, peut-être une pure merveille… Là, n’est pas la question. Qui voudra prendre la peine d’écouter entendra. 

    Quant à moi j’aime à découvrir. Je suis curieux de nature. Les marges m’attirent. J’essaie un tant soit peu de suivre les nouveautés, pas pour me tenir au courant, mais la meilleure part d’un combat, soit-il rock ou tout autre, réside en le fait d’être toujours aux avant-postes, sur la brèche de ce qui craque, de ce qui crocke, là où s’ouvrent des perspectives soient-elles déroutantes, exaspérantes, attrayantes, inquiétantes, mortifiantes…

    THE 4AM NEWYORK EXPERIMENT

    (Chargement libre sur Bandcamp / Juin 2023)

    Aucun renseignement sur ce projet et ses promoteurs même si le premier EP est présent sur de nombreuses plateformes de streaming. Au début j’ai benoitement cru qu’ils étaient de la Big Apple, viennent de Zagreb, capitale de la Croatie.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    Du moins c’est ce qui est marqué. Quand on cherche on trouve. Pas obligatoirement ce que l’on cherche, mais certaines fausses pistes sont révélatrices. De quoi ? Pour le cas qui nous intéresse d’une certaine noirceur, d’une certaine doomeur si nous utilisons un vocabulaire plus précis.  Commençons par le seul indice à notre disposition. La couve pour ainsi dire digitale du disque non objectivé. Pas très claire. Qu’y voit-on ? Un visage de trois-quarts, vraisemblablement ( ? ) d’une personne noire, pas en entier : le nez, un œil, le front, pas de bouche, quelques cheveux sur notre droite, à la place de ceux-ci, une photographie, trois voies d’autoroute (ou de route), deux lampadaires, cinq voitures, phares allumés, c’est la nuit. L’artwork est crédité. Masha Raymers. Instagram, FB, Pexels une photographe ukrainienne, de Lviv, beaucoup de portraits féminins qui suggèrent le désir plutôt qu’ils ne le dévoilent, de belles œuvres d’un érotisme chaste et ardent, qui mériteraient une chronique, mais cette fois nous en élirons une seule photo, une route, un lampadaire éclairant un passage clouté, une voiture phares allumés, une fille dans l’ombre qui marche sur le bas-côté. Nous vous laissons seuls juges.

    Poursuivons notre route ombreuse, sur YT, une merveilleuse occasion de vérifier l’adage selon lequel le retour du même n’est pas le même. Certaines vidéos sur YT sont postées par plusieurs personnes différentes. C’est le cas de celles qui nous intéresse. Pour les vidéos musicales, neuf fois sur dix, l’on retrouve la couve du disque. Tiens sur celle-ci, lui a été substituée une photo de nuit. Une rue étroite, aux voitures l’on date des années cinquante, des silhouettes qui marchent, seules sont visibles les trois grosses lettres du mot Bar. Ambiance film de truands. Qui l’a envoyé ? Jazz Noir Music. Etrange.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    Qui se ressemble s’attire. Se repousse aussi parfois. Qui est ce Jazz Noir Music ? Suffit de cliquer. Vous pouvez même vous abonner à sa chaîne. Le site n’est pas vieux. Quelques semaines, vous avez une vingtaine de vidéos à regarder. Non Jazz Noir Music n’est ni un groupe, ni un one man band. Un amateur de jazz. Pas vraiment d’Ellington, de Mingus, de Miles – il les aime peut-être – sa prédilection se porte sur un certain style de jazz, le jazz noir, non pas la couleur de peau des musiciens, mais un jazz d’ambiance noire, il propose donc plusieurs artistes apparentés à cette classification. Votre œil exercé de détective privé ne manquera pas de s’attarder sur certains titres, par exemple, Quarantine Doom Jazz vol 4 (Signora Ward Records). Le jazz noir est donc un style de jazz, aussi appelé Ambient Jazz, ou Dark Jazz, ou Doom Jazz, un jazz aux limites du post-metal, de l’électro, de l’ambient, du punk hardcore… Maintenant vous ne remarquez pas la mention : Rubriques intéressantes, pour l’unique raison qu’elle est écrite en russe. Si vous cherchez encore, vous retrouverez sur la plate-forme Boosty notre Jazz Noir Music sous-titré Meditation and Darkness qui débute par le texte suivant :

    ‘’ Tristesse, horreur, solitude, nostalgie, tranquillité et paix, c’est toute la somme d’images qui sont en cohérences avec l’esprit du Dark Jazz.

    Et si vous vous retrouvez dans un splendide isolement un vendredi soir, et que de la fenêtre vous pouvez voir les rues sombres de la ville à l’agitation éternelle, n’oubliez pas d’allumer les compilations présentées ici sur n'oubliez pas d'allumer les compositions présentées ici sur boosty et sur ma chaîne. Un verre de whisky complétera cet agréable passe-temps.’’

    Les enregistrements proposés sont agrémentés de documents iconographiques divers qui tous (photographies, bandes dessinées, cinéma) relèvent de l’esthétique des films noirs des années cinquante. Un dernier petit détail : si vous désirez soutenir financièrement vous pouvez verser la somme que vous voudrez, vous repèrerez facilement l’endroit : les modalités sont en caractères cyrilliques.

    Comme par hasard sous la vidéo que nous allons écouter est recopiée cette phrase   : ‘’ Quelle différence cela fait-il de savoir comment s’appelle l’endroit que vous quittez pour toujours.’’ empruntée au roman La mariée était en noir de William Irish. Un détail qui déjà classe cet auteur de polars : il reçut le Prix Edgar Allan Poe du Meilleur Scénario. L’ombre noire du corbeau ne plane pas au-dessus de n’importe qui.

    Darker than dark : orage dans le lointain, coups de cymbales répétitifs, si monotones, si monochromes que vous n’entendez qu’eux, heureusement que le grondement sonore et continu en arrière-plan prend le dessus car cette clinquance cymbalique est trop frustrante pour être qualifiée d’image sonore de l’inéluctable, une espèce de sifflement un peu semblable aux productions de l’onde Martenot s’avère beaucoup plus important. Ambiance toutefois plus grise que noire, petit jour blême même, le morceau manque d’une cohérence syntaxique puisqu’à un moment il ne se passe plus rien, le son a beau s’amplifier le sentiment d’oppression s’amenuise, se dilue, certes il flotte autour de vous en nappes de brouillard mais ne vous effraie plus depuis longtemps. Et puis il s’arrête brusquement, sans rime ni raison, serait-on tenté de dire. Slowly : plus solennel, plus prenant, ici l’épaisseur du son prédomine, hélas toujours cette cymbale même pas énervante, tout juste enquiquinante, elle vous empêche d’apprécier les sonorités mélodiques, peut-être l’expérimentation consiste-t-elle en cela, à vous mettre les bâtons dans les roues afin que vous ne focalisiez point votre attention sur  la beauté de la musique peut-être pour vous rappeler que c’est ainsi dans la vraie vie, qu’il y a toujours un petit détail qui gâche tout, que l’extase recherchée est un ange aux ailes brisées qui claudique salement, vous n’éprouvez plus de pitié pour lui, d’ailleurs il a compris, il s’éloigne doucement et vous l’avez déjà oublié alors qu’on l’entend encore. Entre nous soit dit, pas très jazz, pas très doom et pas très acoustique. Grosse déception !

    *

    Je n’aime pas être déçu, aussi ai-je choisi sur la chaîne de Jazz Noir Music,  une vidéo dont le graphisme m’a attiré, rien de novateur, mais un beau coup de crayon qui vous pose un univers en une simple image. Elle porte la mention de Madness Returns, de fait il s’agit d’un morceau intitulé Der Gegensatz ( = l’opposé ) sur le premier album de :

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS

    One man band, en l’occurrence Andrey Kein, d’Ykaterinburg, une des plus grandes villes de Russie située sur le versant asiatique de l’Oural. L’est impliqué dans de multiples projets : Sol Mortuus, Carved Image of Emptiness, Church Howlin Dog,  Zinc Room, Prognostic Zero

    Le nom de Chaotic Bound Systems est en lui-même une ouverture au rêve. Notons la justesse de l’appellation marquée par la présence du S terminal. Il ne s’agit pas d’un unique ‘’système’’ qui serait chaotique. En ce cas-là le participe passé ‘’Bound’’ n’aurait aucun sens. A quoi d’ailleurs serait lié un système chaotique ? Ce S marque bien qu’Andrey Kein nous parle d’interdépendance universelle. Un système est dit chaotique lorsque l’on ne connaît pas sa position initiale. Celle-ci explique qu’à certains moments le système nous semble dériver étrangement, en fait si nous connaissions parfaitement les données premières de son implantation dans le monde son évolution nous paraîtrait des plus logiques car répondant à un développement commandé, ordonné ( osons le mot) déterminé par sa vectorité initiale. Autrement dit nous qualifions un système de chaotique parce que nous ignorons les modalités de son écoulement temporel. Si nous ne savions pas qu’une graine est programmée pour germer, que sa nature est ainsi, nous apposerions l’étiquette chaotique sur ce phénomène de germination puisque nous ne comprendrions pas pourquoi tout à coup la graine cesse d’être graine pour devenir plante. Nous aurions l’impression qu’elle serait devenue mystérieusement folle ou délirante.

    Pourquoi ne parvenons-nous pas à connaître les conditions exactes de sa naturité initiale, parce qu’aucun système n’est jamais seul – l’on ne peut imaginer un système doté de la pureté formelle de l’Idée platonicienne -  sa propre naissance est déterminée par d’autres systèmes concomitants pour la simple raison que le monde est un ensemble de systèmes entrecroisés avec d’autres systèmes, par écho successifs avec tous les autres systèmes. Valéry n'a-t-il pas dit qu’une goutte de vin suffit à teinter toute la mer ?

    En résumé, le comportement anarchique d’un système est conditionné par l’ensemble de tous les systèmes. La néguentropie ( activation de l’énergie ) se métamorphose en entropie ( désactivation énergétique ), en d’autres termes le désordre chaotique énergétique se stabilise en stabilité ordonnatrice entropique, pour redevenir désordre énergétique sous l’action d’un autre système. 

    En quoi cela concerne-t-il la musique, évidemment vous pouvez répéter du début à la fin du morceau le même riff, le même rythme. Dans ces cas-là vous êtes dans un système clos autosuffisant et ordonné. Dans ces cas-là la plupart du temps les musiciens rajoutent quelques variations épidermiques… Le musicien est alors un système qui influe sur un autre système. Dans le jazz la part de l’improvisation est prépondérante. Pour des raisons commerciales les maisons de disques ont longtemps imposé à leurs artistes de reprendre des airs connus ( voire des chansonnettes ) afin que le titre attirât le client, c’est en jouant, en élastiquant, la structure du morceau, en la passant sur la table de Procuste des différents modes musicaux afin de l’étirer, de la compresser, de la désarticuler, que l’artiste imprimait sa propre marque, bouleversant le système de la chanson  afin de l’ordonner selon la systématisation de sa propre sensibilité.

    Pendant longtemps, la musique a évolué selon des règles constitutionnelles mathématiques, avec l’apparition du free, les jazzmen ont introduit des éléments ‘’ extérieurs’’ aux possibilités mathématiques, l’on n’a pas manqué de les critiquer en leur reprochant de faire n’importe quoi. Ce qui parfois pouvait être vrai, mais c’était oublier que faire n’importe quoi c’est aussi tout simplement faire quelque chose, en modifiant un système donné… L’apparition du bruitisme au début du vingtième siècle, puis du noise, puis des techniques életro et électro-acoustiques a encore changé la donne d’appropriation culturelle de cette ‘’ nouvelle’’ musique par le public. Elle n’est pas aussi sans poser d’interrogation aux musiciens et créateurs.

    Si actuellement surgissent à foison des one man bands, c’est certes parce que les avancées techniques le permettent, c’est certes aussi pour des raisons strictement économiques – exactement à un autre niveau la même problématique des Blue Caps de Gene Vincent abandonnant la contrebasse pour la guitare basse électrique ô combien plus facile à caser dans une seule voiture lors des tournées -  mais surtout parce que l’artiste se retrouve seul face à sa propre musique, débarrassé des interventions ( qu’elles soient heureuses ou malheureuses ) de leurs pairs. L’artiste se sent ainsi davantage maître de sa création, il élimine l’action que l’on pourrait assimiler à l’apport hasardeux ( positif ou négatifs) d’autres systèmes  déstabilisateurs. Imaginez un torero voulant se mesurer seul face au taureau et à la mort refusant l’aide des picadors, des banderillos et de ses aides…

    A notre connaissance Chaotic Bound Systems a réalisé deux albums, No Light ( 2018 ) et Dissonanz ( 2020 ) et un Ep : Dust Demons ( 2022 ). Tous trois : Evil Dead Productions. Distribution : Diabolic Spectrum Records.

    Andrey Kein : sax ténor, saxphon (flûte de bambou), piano, guitare, percussions, bruits de violoncelle.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    De Gegensatz : ( L’opposé ) : un saxophone qui résonne comme la sirène d’un cargo perdu au milieu de l’océan, cette musique est forte car elle est ponctuée de silence, les notes et les bruits surviennent en un isolement glacial, cette trompe qui mugit et se tait pour laisser la place à d’autres sons, Chaotic Bound Systems ne cherche pas à créer un vortex de sons qui déboulent sur vous pour vous entraîner sans rémission, l’on sent la composition, un esprit qui tente de circonscrire par le son et des sifflements un espace musical qui soit avant tout mental, un tout indissoluble qui contiendrait tous les possibles organiques de son déploiement. L’on est beaucoup plus près du jazz que du noise, les instrus ont l’air de s’affoler, d’essayer de se surpasser pour prouver la nécessité de leur présence, d’expirer, de crever la bouche ouverte afin de magnifier le passage de ce qu’ils ont été dans leur propre présence évaporée afin que leur disparition vibratoire n’ait pas été une anecdote sans signifiance mais la marque même de leur nécessité dans son absence révélatrice, un peu le côté obscur de la force qui ne déclare jamais forclos. Lorsque le morceau s’arrête, rien n’est terminé, vous reste l’impression d’être rassasié, d’avoir entrevu quelque chose de plus grand que vous et surtout totalement étranger à la nature de votre propre êtralité. Quelque chose qui soit à l’opposé de votre intégrité rejetée dans les zones interlopes du néant.

             Jazz Noir Music en offre une autre lecture. Celle d’une bande-dessinée dont il a détaché quelques cases qu’il expose assez longuement, le temps que chacun se crée son propre scénario, un morceau d’histoire glauque, un assassin qui poursuit sa vengeance… En noir et blanc.  Noir, très noir.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Château d’If  ) :

    92

    Le Chef ouvrit la porte d’un grand coup de pied. Pendant que je me précipitai dans le bureau il s’arrêta pour allumer un Coronado. Je faillis buter sur le corps d’Alice évanouie sur la moquette, je la relevai et la tenant serrée contre moi je lui prodiguais un rapide lèvres à lèvres qui rapidement lui permit de reprendre ses esprits :

             _ Oh Damie ! c’est affreux !

             _ Mais non, Alice vous êtes toujours aussi belle, je vous le promets !

             _ Agent Chad, modérez l’exaltation de votre âme lamartinienne, recouvrez le sens de la réalité, cette ravissante enfant a raison, ce n’est pas beau à voir, mais alors pas du tout !

    Je portais mon regard sur le bureau où étaient assis Sureau et Lamart. Assis n’est pas le bon mot, ils étaient carrément affalés sur leur table de travail. Ce n’était pas le plus terrible. En moi-même je louai la sagesse du Chef qui avait allumé un Espuantoso avant de rentrer. Comparée à l’horrible puanteur qui se dégageai des corps des deux journalistes, la fumée dégagée faisait office d’une agréable et printanière fragrance de chèvrefeuille. Non seulement Lamart et Sureau étaient morts mais ce n’était pas le plus grave, ils présentaient un état de décomposition avancée, par les trous de leurs vêtements l’on apercevait un infect grouillements de vers, les fameux helminthes, si chers à Baudelaire, accomplissaient leur travail. Seuls les cabotos ne semblaient pas trouver l’odeur désagréable, ils humaient avec délectation les deux cadavres.

              _ Avec l’agitation qui règne dans le hall personne n’a visiblement entendu le cri d’Alice, Agent vous refermerez avec soin la porte, que l’odeur ne se répande pas avant que nous ne nous soyons éclipsés.

    Choquée Alice ne voulut reprendre sa place à l’accueil :

              _ J’aurais trop peur de dormir seule ce soir, je reste avec vous Damie !

              _ Oui Alice, vous avez raison, je vous emmène avec moi à Provins, n’ayez crainte avec les féroces gardiens que sont Molossito et Molossa, rien de désagréable ne pourra vous arriver.

    93

    Nous arrivâmes un peu tard - il était près de midi - au local. Molossa et Molossito ayant squatté toute une partie du couvre-lit, il ne resta que peu de place pour Alice et moi, trop serrés à la manière des sardines à l’huile en boîte nous avions assez mal dormi. Le Chef était d’excellente humeur. Il me tendit aussitôt un exemplaire du Parisien Libéré :

             _ Lisez-moi ce torchon, Agent Chad, cela ne vaut pas la prose veloutée de vos Mémoires d’un GSH, mais cette première page fort instructive vaut le détour. Pendant ce temps je me permettrai d’allumer un Coronado, la journée risque d’être fort belle !

    LE PARISIEN LIBERE

    UNE TRAGIQUE ET DOUBLE DISPARITION

    Nous avons le regret d’annoncer une terrible nouvelle à nos lecteurs : Martin Sureau et Olivier Lamart, nos deux meilleurs journalistes sont décédés hier soir en des circonstances cruelles. Il était l’heure d’envoyer le journal à l’imprimerie et nos deux amis, contrairement à leurs habitudes n’avaient pas encore livré leur article. Il se faisait tard, nous envoyâmes une secrétaire à leur bureau afin de récupérer au plus vite leur travail. Hélas, ils étaient bien assis à leur table de travail, mais ils étaient morts tous les deux. Le Samu est arrivé en des temps record, le diagnostic est tombé très vite, tous deux avaient été terrassés par un arrêt cardiaque au travail. Le cas n’est pas si rare nous a déclaré un statisticien. Des gens soumis à un même stress peuvent succomber au même instant s’ils sont de la même famille, or Le Parisien Libéré est une grande famille et nos deux confrères travaillaient ensemble depuis tant d’années qu’ils étaient comme des frères.

    Nous leur rendrons un grand hommage dès lundi prochain dans notre journal. Les lecteurs se rappelleront que nos deux infatigables reporters étaient présents dans la forêt de Laigues lorsqu’un fulgurant variant du Covid a anéanti plus de deux cents de nos policiers.   Les analyses effectuées par prudence sur leurs prélèvements sanguins apportent la preuve indubitable de leur non-contamination, mais les autorités ont été formelles ils seront portés en terre au plus vite, dès demain après-midi, aujourd’hui pour ceux qui viennent d’acheter ce numéro, nous donnons rendez-vous aux lecteurs qui voudraient leur rendre un dernier hommage, au cimetière de Savigny ( Seine & Marne).

    Communiqué de la Rédaction.

    94

    Dans la voiture le Chef distribue les rôles :

    • Carlos, il nous avait rejoint au local dès que l’article du Parisien Libéré en devanture d’un kiosque à journaux lui avait sauté aux yeux, il y aura du monde, avec Alice vous rejoindrez la masse des anonymes en queue de peloton, personnellement je me mêlerai à la foule des officiels, dans l’œil de l’ouragan, agent Chad, avec vos deux cabotos vous seriez trop vite repérés, vous suivrez la piste indienne.
    • Mais que faut-il faire et de qui doit-on se méfier au juste, je ne comprends pas grand-chose, minaude Alice.

    Elle est toute belle mais méconnaissable, grosses lunettes noires qui lui mangent la moitié du visage, une robe bon marché et une veste en laine, genre de défroque tricotée par les grand-mères attentionnées déforment sa silhouette. N’empêche que Carlos est aux petits soins avec elle. Galamment le Chef lui répond :

              _ Charmante enfant, en toute logique dans un cimetière l’on ne craint que la mort, c’est pourtant elle que nous devons chercher !

              _ N’ayez crainte Alice, je vous défendrai, lui souffle Carlos au creux de l’oreille, j’ai toujours trois ou quatre Rafalos sur moi, un geste élémentaire de prudence terriblement efficace.

    Alice ne sait pas trop ce que c’est qu’un Rafalos mais la voix de Carlos la rassure. Après les avoir déposés devant l’entrée, j’arrête la voiture assez loin de la grille. J’entrouvre la porte pour laisser passer les molosses, ils ont compris, ils se faufilent entre et sous les véhicules en stationnement, personne ne les aperçoit, il doit bien avoir plusieurs centaines d’individus qui se dirigent vers le lieu de l’inhumation... Je ne me soucie plus d’eux, je sais que si j’ai besoin d’eux, ils seront à mes côtés. Chiens fidèles mais féroces.

    95

    La cérémonie a commencé depuis un petit moment. Le cimetière est plein comme un de ces œufs de pâques remplis de friture en chocolat que m’offrait ma maman quand j’étais petit. De mon poste d’observation je vois tout. Je ne pouvais pas trouver mieux que la fenêtre de la chambre d’Alice, la lycéenne (essayez de comprendre ou de relire les épisodes précédents), forcer la porte de derrière a été un jeu d’enfant. La tombe de Lamart et de Sureau, une simple fosse, est ouverte, les deux cercueils sont recouverts de gerbes de fleurs, les discours se succèdent, je reconnais le Chef au panache de fumée qui s’élève de son Coronado, depuis trois-quarts d’heure les discours se succèdent, je remarque que la famille est absente, à part un vieux grand-père atteint de démence sénile qui s’agite comme s’il était aussi un adepte de la maladie de Parkinson, quatre gardes du corps s’emploient tant bien que mal à le faire tenir tranquille,  derrière les officiels sont tassés les lecteurs du quotidien, je repère Alice alanguie dans les bras de Carlos. La cérémonie est un peu ennuyante, elle dure et s’éternise…

    J’entrouvre la fenêtre pour saisir quelques mots des allocutions qui sont prononcées à l’aide d’un micro, une brise légère les emporte en une direction opposée et les rend inaudibles. Je tressaille, un aboiement bref et étouffé m’avertit que quelqu’un approche. De quel côté ? Quinze secondes plus tard une espèce de léger couinement le suit. Je reconnais le timbre aigu de Molossito, donc le premier plus grave provient de Molossa. Braves chiens, jamais ils ne se seraient manifestés deux fois s’il n’y avait qu’une seule personne. Pas d’erreur c’est un double danger qui me menace. Deux ennemis se dirigent vers moi. Je me colle au mur, de telle manière que je serai derrière la porte de la chambre si quelqu’un la pousse… Deux minutes de silence absolu. Un léger grattement derrière la maison. Qu’est-ce au juste ? Maintenant j’en suis sûr quelqu’un monte les escaliers en prenant soin de ne pas faire craquer les marches…

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 564 : KR'TNT 564 : LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS / BABY GRANDE / QUINTRON / MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL / ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP ) / PATRICK CANNET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

    LIVRAISON 564

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 09 / 2022

    LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS

    BABY GRANDE / QUINTRON

    MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL

    ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP )

    PATRICK CANNET

    Sur ce site : livraisons 318 – 564

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    La Parnes des choses

     

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

                Avec Joe Meek, Brian Epstein, Lionel Bart et Robert Stigwood, Larry Parnes est l’un des parrains de la Velvet Mafia, un concept érigé par Darryl W. Bullock pour les besoins d’un livre : The Velvet Mafia - The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. On savait que tous ces gens étaient gay, et si Bullock les rassemble dans un bon book, c’est parce qu’effectivement ils se connaissaient, se fréquentaient et, à l’occasion, brassaient des affaires ensemble. Comme leurs collègues de la mafia new-yorkaise, ils ont bâti des empires financiers et régné sans partage sur le plus gros biz des early sixties, le Swinging London. Les cinq hommes cités plus haut sont les têtes de gondole. Bullock évoque aussi Kit Lambert, Tony Stratton Smith et Simon Napier-Bell, autres membres actifs de la Velvet Mafia, qu’il ne faudrait pas prendre pour des seconds couteaux. Le Bullock book grouille d’infos pas piquées des hannetons, certaines pages flirtent avec l’immondice et d’autres basculent dans la tragédie, puisqu’au final, la Velvet Mafia lègue une belle série de cadavres à la postérité. Tu en auras pour ton argent, si tu surmontes tes a-priori et que tu mets le nez dans ce book d’essence malodorante, mais d’une rare honnêteté intellectuelle.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Peut-être est-ce la première fois qu’un auteur aborde de front l’aspect gay du London music biz. Bullock rappelle qu’en Angleterre, jusqu’en 1967, les homosexuels vont au trou s’ils se font choper en train de racoler dans les pissotières. Mais ça n’empêche pas cette communauté d’être hyper-active et même de proliférer. Comme le montre si bien Bullock, tous ces hommes de pouvoir sont affamés de sexe. Ils vont même jusqu’à inventer de toutes pièces des rock stars pour satisfaire leurs besoins. Bullock met nettement en avant Larry Parnes, le pionnier, le premier grand manager d’Angleterre, puisqu’il est le premier à monter une «écurie» de jeunes talents, dont les plus connus sont bien sûr Billy Fury, Tommy Steele et Marty Wilde. Indépendamment des exigences libidinales, Parnes comprend surtout qu’on peut se faire pas mal de blé en packageant des beaux mecs, car il a vu de quelle façon les stars américaines - et en particulier Elvis - ont su faire main basse sur les cœurs des teenagers anglais et accessoirement leur vider les poches. D’où l’idée de reproduire le phénomène en Angleterre. Parnes commence par se faire la main sur Tom Hicks qu’il rebaptise aussi sec Tommy Steele. Il supervise à la fois sa carrière publique et sa vie privée, pas de girlfriend, mon petit bonhomme, mais heureusement Tommy résiste et épouse sa poule Anne Donati en 1960.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             L’idéal serait de ne pas prendre Tommy Steele à la légère. Bear sort une compile assez explosive, Doomsday Rock et quand on tombe sur «Rock Around The Town» on comprend tout. Steely chante à la niaque de l’East End. Les punks devraient prendre des notes. Ce mec était déjà extraordinairement wild. Les Stray Cats n’ont jamais été aussi bons que lui. On a un solo de sax et l’orchestre swingue aussi bien que les Comets de Bill Haley. Autre coup de tonnerre : «Rock With The Caveman». Il revient au bebop des cavernes, Steely boom bam. Chez les Anglais, on explose le beat rockab au sax. Il faut aussi le voir chanter «Grandad’s Rock» d’une voix de canard - Oh c’mon rock grandad - Quand les Anglais se mettent à swinguer, ils battent tous les records. Fabuleuse diction, il faut le voir swinguer son fridge in the kitchen dans «I Puts The Lightie On». Steely est une aubaine pour tes oreilles. Tiens voilà une version live d’«On The Move», orchestrée par un big band - Choo choo baby ! I’m coming home to you ! - Il fait du Bill Haley. Quelle classe ! Cut après cut, il nous fait tourner la tête - Mon manège à moi c’est toi - Puis il shake «(The Girl With The) Long Black Hair» à la mode early sixties. C’est effarant de high quality, Steely sonne très Buddy Holly, avec le même genre de pulsation sourde. Méchante attaque que celle de «Rebel Rock» ! Steely est un punk atroce. Encore plus explosif, voici «Two Eyes», monté sur un big drive de basse et traversé par un solo de jazz manouche, Steely pourlèche son swing. Il se pourrait bien que dans certains cas, le swing anglais soit le meilleur de tous. Il chante «Happy Go Lucky Blues» avec un petit côté putassier et des figurants chantent dans les buissons. Il attaque ensuite son «Singing The Blues» en sifflant. Quel sens du kitsch ! Personne ne peut battre Steely au petit jeu de «Razzle Dazzle». Violence de l’attaque ! Pas de pire violence en Angleterre. Pas d’équivalent non plus. Steely vise l’extrême razzle du dazzle et il revient aussitôt après le solo de sax avec un baby can’t you see, aw quelle bête de Gévaudan ! Il développe un power sidéral. Cette compile montre que Steely avait du style et de l’énergie à revendre. Il éclipse n’importe quel ténor du barreau. Il faut le voir tortiller sa «Teenage Party», il twiste ses syllabes au sommet de l’art, et l’air de rien, il parvient à sortir un cut incroyablement sexy, là où beaucoup d’autres se seraient vautrés. Tout ce qu’il fait est bon et même passionnant. Il bouffe son «Tallahassie Lassie» tout cru et dans «Build Up» on entend le slap rebondir. C’est d’une qualité inespérée.  

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Parnes se taille vite un réputation de control freak, il ne supporte pas qu’on lui désobéisse, alors il gueule comme un cocher anglais. Il ne s’inspire que d’un seul modèle, le Colonel Parker, mais il pousse le bouchon encore plus loin : à la différence du Colonel qui se concentre sur un seul artiste, Parnes a plusieurs fers au feu. C’est le concept de l’écurie, the stable of stars : Roy Taylor devient Vince Eager, Ronald Wycherley devient Billy Fury, Clive Powell devient Georgie Fame, Christopher Morris devient Lance Fortune, Ray Howard devient Duffy Power, John Askew devient Johnny Gentle et Richard Kneller devient Dickie Pride. L’un des seuls qui parvient à échapper au baptême, c’est Joe Brown : il refuse l’Elmer Twitch que lui propose Parnes. No way. Parnes contrôle donc tous les aspects de la vie de ses poulains, il leur dit what to wear and what to sing. Le tarif de Parnes, c’est 40 %. Il est moins cher que le Colonel qui rackette 50 % des revenus d’Elvis. Marty Wilde dit qu’il n’a jamais reçu de royalties. Quand le père de Marty chope Parnes pour lui demander où sont passées les royalties, Parnes dit qu’elles financent la publicité. Ah ouais, c’est ça... En fait les sommes détournées sont énormes, un comptable les estime à £50,000 - He was a greedy bastard - Les gens que Parnes paye grassement sont les attachés de presse et les publicity guys, pas les stars de sa stable of stars. Son appartement sert de quartier général. Il héberge même certains de ses poulains, comme Billy Fury. La bouffe est bonne et l’atmosphère plaisante, nous dit Bullock. Mais Parnes n’héberge pas à l’œil. Tout a un coût. Les poulains ne reçoivent qu’un maigre salaire hebdomadaire. Parnes se paye sur la bête. Toujours la même histoire. Il faut des baisés. 

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Un jour, Parnes pose la main sur la cuisse de Vince Eager et lui dit : «Je vais faire de toi une star.» Eager n’aime pas trop ses façons, mais bon, il a envie de devenir une star, et comme il n’habite pas Londres, il accepte la proposition que lui fait Parnes de l’héberger. Bien sûr, il n’y a qu’un seul lit. Parnes lui indique qu’il dort de ce côté et va dans la salle de bains se laver la queue et les dents. Eager se méfie et se glisse dans le lit entre le drap du dessus et la couverture. Quand Parnes vient se coucher, Eager est protégé par un drap, mais par sécurité, il empoigne la lampe de chevet, prêt à défoncer la gueule de Parnes si jamais il tente quelque chose. Le lendemain, Eager met les choses au clair - I don’t swing that way - et il ajoute que son frère est flic, ce qui calme Parnes aussi sec. Tony Sheridan et Georgie Fame se plaignent aussi des avances de Parnes - Il a essayé de me séduire, comme il a probablement essayé de séduire tous les autres chanteurs. L’homosexualité était alors illégale et j’étais terrifié, aussi n’ai-je rien dit à personne. Je lui ai tordu le poignet et me suis tiré de chez lui vite fait - and got the hell out of there -  C’est bien sûr l’arrivée des Beatles en 1962 qui va ruiner le biz de Parnes. Les rock’n’roll singers n’intéressent plus le public. Pourtant Brian Epstein lui propose de co-manager les Beatles, mais Parnes refuse, parce qu’Epstein ne lui propose pas assez. Comme Dick Rowe chez Decca, il fait la plus grave erreur de sa vie en disant non aux Beatles. Parnes va se retirer progressivement d’un biz dont il est pourtant le pionnier en Angleterre, et en 1964, il va monter the British Impressario’s Guild, une sorte de club de managers dont une grand majorité sont nous dit Bullock gay or Jeswish, or both. Club de dix personnes dans lequel on retrouve Parnes, Epstein, le grand avocat David Jacobs et Robert Stigwood.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Si Brian Epstein est plus connu que Larry Parnes, c’est bien sûr grâce aux Beatles. Bullock nous brosse un portait plutôt sensible d’Epstein, lui aussi embringué dans l’imbroglio libidinal du tabou homo. John Lennon proposait de rebaptiser l’autobio d’Epstein A Cellarful Of Noise en Cellarful of Boys, or Queer Jew. Piégé par un flic, le jeune Epstein se fait choper à Londres pour racolage dans les pissotières, et ayant échappé de justesse au scandale et à une condamnation, il rentre à Liverpool, demande pardon à ses parents et se consacre pendant trois ans au biz familial, un gros commerce de meubles qui vend accessoirement les disques. Et c’est à travers ce biz qu’il va croiser le chemin des Beatles. Epstein se rapproche assez vite de Parnes qui est alors le plus gros manager d’Angleterre, pour lui demander conseil. Et soudain, tout explose à Liverpool, Epstein devient à son tour le plus gros manager d’Angleterre. C’est la fin du règne de Larry Parnes. Epstein lance en 1963 Gerry & The Pacemakers, Billy J. Kramer & the Dakotas, les Fourmost, les Beatles et Cilla Black - Scouse takover - Pour gérer ce ras-de-marée, Epstein doit monter une structure qu’il baptise NEMS (North End Music Stores) et signe des groupes à tours de bras. Il commence aussi à popper des pills à tour de bras et finit par s’engueuler avec tout le monde, surtout avec Derek Taylor, son attaché de presse, l’accusant d’avoir tenu des propos antisémites, ce que réfute Taylor - Absolute rubbish ! - Taylor indique que ses meilleurs amis sont juifs et homos et pouf, il donne sa démission. Derek Taylor est furieux après Epstein - A twat to work for - On tombe à un moment sur un passage troublant qui met en scène Epstein et John Lennon dans l’hôtel où ils séjournent, lors d’un voyage à Barcelone. C’est Lennon qui parle : «Eppy n’arrêtait plus d’insister. Un soir, j’ai baissé mon froc et je lui ai dit : ‘vas-y, for Christ’s sake, encule-moi, just stick it up me fucking arse, then’ et Eppy lui dit qu’il ne fait pas ce genre de chose, alors Lennon lui demande ce qu’il fait et Eppy lui dit qu’il se contente de tripoter, alors Lennon le laisse faire, ‘the poor bastard, he can’t help the way he is’, ce qui peut vouloir dire qu’il ne parvient même pas à s’assumer.» Un expert des Beatles explique un peu plus loin que Lennon n’était pas homo, mais qu’il était prêt à tout tester, par curiosité.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             On croise pas mal Lionel Bart aussi dans les pages du Bullock book, un Bart célèbre pour ses comédies musicales, notamment le fameux Oliver où le Davy Jones des Monkees fit ses débuts, à Londres. Le troisième parrain de la Velvet Mafia est sans doute le plus intéressant de tous, puisqu’il s’agit de Joe Meek. Direction Holloway Road où Meek installe son studio au-dessus d’un magasin qui vend des articles en cuir. S’installe à la même adresse un certain Pierre de Rouffignac, qui est l’associé de Vic Billings, futur manager de Dusty chérie. Le premier cat que Meek enregistre à Holloway Road n’est autre que Michael Bourne vite rebaptisé Mike Berry. Meek flashe sur sa version de «Peggy Sue Get Married». Pourquoi ? Parce qu’il est obsédé par Buddy Holly. Meek organise même des séances de spiritisme pour invoquer l’esprit de Buddy. Epstein vient aussi trouver Meek pour lui proposer d’enregistrer les Beatles, mais comme Parnes, Meek commet la plus grosse erreur de sa vie en déclinant l’offre. C’est comme chacun sait George Martin qui va récupérer les Beatles. Meek est alors un producteur important à Londres, on dit même qu’il aurait influencé Phil Spector, notamment avec «Telstar». Meek était sacrément en avance sur son temps, car il a enregistré «Telstar» sur un deux pistes, avec la salle de bain comme chambre d’écho. En 1961, Meek reçoit les Moontrekkers. Il aime bien le groupe, mais pas le chanteur, Rod Stewart, qui doit dégager. Avec les Moontrekkers, il enregistre «Night Of The Vampire», il préfigure Roky ! Décidément, le pauvre Meek collectionne les erreurs : après avoir dit non pour les Beatles, il vire Rod The Mod. Puis il enregistre Tommy Scott & the Senators, mais ça tourne mal, car Meek met la main au panier de Tommy qui l’envoie promener. Tommy est scié, il retrouve ses copains dans la rue et leur dit : «He just touched my bollocks! That bastard grabbed my balls!». Furieux d’avoir été éconduit, Meek déchire le contrat des Senators, mais Tommy va changer de nom et devenir une megastar sous le nom de Tom Jones (Hello Gildas). Sacré Meek, il n’en finit plus de collectionner les embrouilles. Meek et Parnes bossent un moment ensemble : les Tornados qui sont sous contrat avec Meek accompagnent Billy Fury, l’une des stars de la Parnes stable. Mais le «mariage» va tourner en eau de boudin - a mariage made in hell - Parnes et Meek ne s’entendent pas du tout. «Telstar» est number one dans le monde entier. Quand Parnes refuse de laisser partir les Tornados en tournée américaine, c’est la fin des haricots. Il impose que Billy Fury fasse partie du voyage et c’est hors de question pour Meek. Trop tard pour les Tornados, les Beatles arrivent avec «Love Me Do». Meek est aussi réputé pour ses crises de colère. Si par exemple tu lui demandes l’argent des royalties - Come on Joe, where’s my money - il s’empare du premier objet à portée de main et te le balance en plein gueule, que ce soit une chaise ou encore une paire de ciseaux qui va se ficher dans la porte juste à côté de toi. Alors t’as intérêt à te barrer vite fait ! Et puis il y a l’épisode Heinz, chanteur des Saints - pas ceux de Chris Bailey - Heinz le péroxydé d’origine allemande dont Meek est amoureux et dont il veut faire une star. Meek l’installe chez lui à Holloway Road et lui promet monts et merveilles. Il parvient à lancer Heinz avec un hommage à Eddie Cochran, «Just Like Eddie» sur lequel joue Ritchie Blackmore.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Alors on ressort le Remembering d’Heinz de l’étagère : quel album ! Deux choses frappent : Heinz parvient à sonner comme Eddie, aucun problème. Et puis il y a le génie du son. «Just Like Eddie» est comme visité par l’esprit d’un son, le Meeky Meek avec les guitares de la planète Mars, donc ça devient doublement mythique : Eddie + Meek. La reprise de «Three Steps To Heaven» est une vraie merveille de prod miraculeuse. Heinz boucle son balda avec une vraie cover de «Twenty Flight Rock», il chante dans l’écho d’Holloway, ça barde dans la cambuse de Meeky Mouse. En B, «Country Boy» est plus poppy poppy petit bikini, mais Blackmore passe un sacré solo de guitare. Encore une cover de rêve avec «Cut Across Shorty», c’est plein de son et de spirit et le «Summertime Blues» qui suit est presque une copie conforme. Meek vaut bien Gold Star, il recrée toute la Cochran craze in North London. L’album s’achève avec un «Tribute To Eddie» composé par Joe Meek, objet troublant, insidieux, fantomatique et quasi-mythique. 

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Dans la même série Remembering chez Decca, tu as aussi un Dave Berry, mais il est beaucoup moins intéressant que l’Heinz. Dave Berry est trop pop. Un seul cut retient l’attention, c’est «Little Things», un hit parfait, monté sur un hard drive. On salue la prestance du petit Dave. Il ouvre son bal de B avec une cover de «Memphis Tennessee», mais c’est une version plus lente, très anglaise et visitée par des guitares fantômes. Son «Not Fade Away» est assez pur, Texas in London. Mais autant écouter l’original. 

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             En 1966, Epstein emmène Meek voir Dylan à l’Albert Hall. Ils essayent encore de bosser ensemble avec les Cryin’ Shames, mais Meek n’est plus en état mental de négocier un deal. Il commence à lâcher prise. Il fait un peu de parano, surtout depuis le jour où les Kray twins ont  voulu prendre le contrôle des Tornados. Meek leur a dit d’aller se faire foutre, mais ça mon gars, ce n’est pas le genre de chose qu’on peut dire aux frères Kray. Alors que fait Ronnie Kray ? Il fait savoir qu’il va s’occuper de Joe - He told him that he would take care of Joe - Eh oui, on croise les Kray twins dans les pages du Bullock book, quelques macchabées aussi, dont l’opérateur de Meek retrouvé en morceaux dans une valise, et puis après la fin tragique de Meek, Scotland Yard trouve pas mal de flacons de pills chez lui, des amphètes, purple hearts & Dexadrine. On croise aussi Judy Garland dans les heures sombres du book, elle est en fin de carrière, installée à Londres, elle aussi assez fatiguée de la vie pour s’overdoser à coup de quinal barbitone, c’est-à-dire de Séconal, même chose pour Epstein retrouvé dans son lit, overdosé aux barbituriques, et David Jacobs, qui se pend avec le cordon de satin de sa robe de chambre. Le Bullock book s’assombrit à mesure qu’on avance, d’autant que l’auteur soupçonne des choses qui rendent cette lecture aussi passionnante qu’un mauvais polar. Oh et puis l’histoire encore plus tragique de Billy Fury qui tombe dans les pommes en 1961 après un concert à Cambridge, et cinq mois plus tard, il retombe dans les pommes, alors Parnes lui fait un massage cardiaque pour le ramener à la vie. Les médecins conseillent à Billy de se reposer mais le manager Parnes fout la pression, et Billy n’en finit plus de tomber dans les pommes. Pauvre Billy Fury. Il se vautre aussi avec certains de ses albums, comme le montre We Want Billy. Il chante son «Sweet Little Sixteen» du nez et on entend une fausse foule gueuler derrière. Ce n’est pas bon. Le seul cut qu’on sauve est la version d’«I’m Movin’ On». Dommage car le guitariste des Tornados est excellent. Il y a sur l’album une face rapide et une face lente et c’est bien là le problème.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Tiens, voilà Andrew Loog Oldham et son chauffeur, l’East End gangster Reg King qui bosse un peu à l’occasion pour Epstein et Lionel Bart. C’est Dusty chérie qui va taper à la porte de Vic Billings qui manageait l’une des stars de Joe Meek, Michael Cox, puis Kiki Dee. Le tableau serait incomplet sans les Gunnell Brothers, propriétaires du Flamingo et du Bag O’Nails, et managers de Georgie Fame, puis de Geno Washington, Long John Baldry, Fleetwood Mac et Rod Stewart. Ils finissent par revendre leur agence à Robert Stigwood. C’est au bag O’Nails que Jimi Hendrix fait son premier concert londonien, et qui trouve-t-on dans l’assistance ? Lambert and Stamp, qui sont forcément fascinés par le Voodoo Chile.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Kit Lambert prend un mauvais départ dans la vie. Il est le fils du compositeur Constant Lambert qui eut une love affair avec une danseuse nommée Margot Fontayn. Avant d’épouser Lambert Senior, la danseuse vivait avec le peintre Christopher ‘Kit’ Wood qui ne trouva rien de mieux à faire que de se jeter sous un train à la gare de Salisbury, et quand elle mit son fils au monde, elle l’appela Kit en souvenir de son Kit. Devenu adulte, Kit participe à l’expédition de Richard Mason en Amazonie. Quand on retrouve Mason criblé de flèches dans la forêt, Kit est soupçonné puis relâché. De retour à Londres, il rencontre Chris Stamp et ils décident de faire du cinéma ensemble. Ils commencent par bosser pour Judy Garland (I Could Go On Singing), puis ils flashent sur les Who qu’ils voient sur scène. Les Who s’appellent encore les High Numbers. Lambert et Stamp décident de les manager. Ils commencent par se débarrasser des précédents managers, Peter Maeden et Helmut Gorden. Maeden reçoit 150 £ en cash et Gorden retourne fabriquer des poignées de portes dans sa fabrique. Puis ils se débarrassent de Shel Talmy, le producteur des early Who. Talmy est furieux : «Lambert was out ouf his fucking mind... I think he was certificably insane.» Il voit Lambert comme un égocentrique atteint de paranoïa. Devenus managers du groupe, Lambert et Stamp ramassent 30 % des revenus. Quand après une grosse shoote, Moony ressort du studio avec un œil au beurre noir, il décide, conjointement avec John Entwistle, de quitter les Who. Alors ils vont annoncer la bonne nouvelle à Kit. Il n’est pas là ? On leur dit qu’il est chez Stigwood. Alors ils y vont. Comme personne ne répond à la porte, Moony casse un carreau et entre. Il finit par les trouver tous les deux dans la chambre, au pieu, Stigwood et Kit, holding the sheets. En 1981, Kit casse sa pipe en bois, suite à des blessures au crâne. Officiellement une chute dans la salle de bains, mais en réalité, on lui aurait démonté la gueule dans les toilettes d’un bar gay.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             De tous, Stigwood est le moins piqué des hannetons, en tous les cas, il va réussir à passer à travers, là où ses anciens collègues ont échoué. Il commence comme Parnes, en supervisant tous les aspects de la vie de ses poulains, le premier étant John Leyton, depuis longtemps oublié. Comme Parnes, il tente de transformer des beaux mecs en rock stars. Pendant un temps, le petit ami de Stigwood est le fameux Sir Joseph Lockwood qu’on voit photographié avec les Kray twins. Beau scandale. Bullock se régale. Mike Berry raconte que Stigwood a passé une soirée entière à essayer de le sauter, et gentiment Berry a fini par lui dire : «You’re lucky I’m not a violent man.» On croyait avoir atteint les tréfonds du dark avec le Bay City Rollers book, mais Bullock semble aller encore plus loin dans les ténèbres. On surnomme Stigwood a lovely old queen. Il tente de lancer Simon Scott, mais ça ne marche pas. Comme il dépense sans compter, il doit du blé à droite et à gauche, notamment à Andrew Loog Oldham. Un soir, Oldham et Keith Richards coincent Stigwood dans les escaliers du Scott Of Saint James et Keef lui balance 16 coups de genou dans l’aine, «one for each grand he owned us. Mais il ne s’est jamais excusé. J’ai pas dû le frapper assez fort.» Par contre, Stigwood s’entend bien avec Epstein. Ils passent même des vacances ensemble à Paris. C’est en bossant avec Epstein que Stigwood finit par devenir respectable. Stigwood veut racheter les parts d’Epstein dans NEMS, mais Epstein se dit trop lié à ses artistes. Il ne veut pas que les gens dont il se sent responsable tombent dans les pattes de n’importe qui - Je m’occupe d’êtres humains, pas de bouts de bois - Et les Beatles ne veulent pas de Stigwood dans NEMS. Ils menacent de chanter faux, si Stigwood ramène sa fraise. Mais bon, Epstein finit par vendre 51% des parts de NEMS à Stigwood. Quand Stigwood s’installe dans les bureaux de NEMS, le personnel est choqué. En fait, Epstein en a marre du music biz et il envisage de se retirer. Et puis Stigwood et son associé Shaw quittent NEMS quand ils comprennent que les Beatles ne veulent pas d’eux. Alors ils montent RSO (Robert Stigwood Organisation), avec le soutien financier de Polydor, en Allemagne, et démarrent avec Cream et les Bee Gees. Stigwood finit par se débarrasser de David Shaw, son associé et génie financier. On connaît la suite de l’histoire des Bee Gees, le succès mondial avec la daube diskö du samedi soir et quand les frères Gibbs demandent où est passé le blé, ils n’ont pas de réponse, alors ils traînent Stigwood en justice et réclament 136 millions de dollars de dommages et intérêts. Ils finiront par négocier secrètement un arrangement. L’histoire du rock n’est pas faite que de rock.

    Signé : Cazengler, Velvet mafiotte

    Darryl W. Bullock. The Velvet Mafia. The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. Omnibus Press 2021

    Heinz. Remembering, Decca 1977

    Dave Berry. Remembering, Decca 1976

    Tommy Steele. Doosday Rock Vol. 1. Bear Family 2019

    Billy Fury. We Want Billy. Decca Records 1963

     

    Dollse Vita - Part One

     

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

                Tu veux un scoop ? Martin Scorsese prépare un docu sur les Dolls. Le scoop se trouve à la fin d’une longue interview que David Johansen - The Last Doll - accorde à Jon Savage dans Mojo. Inespéré ! Non seulement Johansen refait surface, mais qu’on puisse encore s’intéresser aujourd’hui à l’histoire des Dolls, ça tient du miracle.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Une longue intro nous redit tout ce qu’on sait déjà. Les excès, the next big thing et tout le baratin habituel. On a même droit à l’énumération des cassages de pipes en bois : Johnny Thunders (1991), Jerry Nolan (1992), Killer Kane (2004) et Syl Sylvain (2021). Mais on est là pour boire les paroles de Johansen.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Savage commence par annoncer qu’on fête le cinquantième anniversaire de la residency des Dolls à l’Oscar Wilde Room du Mercer Arts Center. Johansen raconte que c’est Eric Emerson qui l’a branché sur ce plan au Mercer et comme le set des Dolls avait plu au manager du Mercer, ils ont décroché la fameuse residency - So that was that - Johansen décrit la salle comme petite mais pouvant contenir 200 personnes. Évidemment Savage le branche sur le gay element. Johansen se marre. Mais non, le gay element n’existe pas à cette époque - Si un mec était outrageusement gay, on ne disait pas qu’il était gay, on disait qu’il était fantastique - Gay wasn’t a part of the lexicon - Puis il aborde rapidement le chapitre des concerts de rock de l’époque, tous ces concerts fabuleux qu’on pouvait voir dans les early seventies au Fillmore East, Miles Davis et les Who, par exemple. Johansen fait partie des kids qui veulent absolument faire du rock et tous les mecs qu’il rencontre sont aussi des passionnés : «Syl was T.Rex kind of guy, Arthur liked Sky Saxon and The Seeds, John liked the MC5, I was crazy about Janis Joplin. I can’t remember what Billy’s thing was.» Il va aux shows de Murray The K et flashe sur Mitch Ryder qui à l’époque casse la baraque torse nu, en trois minutes. Et quand Savage qui se croit drôle lui demande s’il préférait les Stones ou les Beatles, Johansen répond à sa façon : «To a degree I liked all of thoses bands. The Kinks, The Zombies, whatever came out, all the bands from England. But also, tempered with American R&B.» Il jouait «Mustang Sally» avec ses copains, il adorait aussi The Four Seasons and crazy singers like Lou Christie.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Johansen raconte aussi que John voulait répéter tous les jours. Il était un peu le moteur des Dolls. Puis l’influence de Syl a grossi. Mais le plus important dans tout ça était que les cinq Dolls étaient obsédés de rock’n’roll. Et comme ils voient beaucoup de groupes jouer des solos de 20 minutes au Fillmore, les Dolls rêvent d’un show explosif - It wasn’t even that we choregraphed or planned it, nothing like that, it happened spontaneously - Et puis quand Savage lui demande s’il se souvient quand les Dolls ont décollé, Johansen dit non. Les Dolls n’ont jamais décollé, sauf dans leur quartier à Manhattan. Tous les requins du music biz venaient pourtant les voir jouer : Clive Davis, Ahmet Ertegun. Mais celui qui les veut vraiment, c’est Paul Nelson, un A&R de Mercury. Nelson finit par convaincre son boss de signer les Dolls. Comme Marty Thau s’occupe des Dolls, c’est lui qui négocie le contrat.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

    ( Billy Murcia )

             Savage branche ensuite Johansen sur la mort de Billy - It was devastating. A shocking situation. It was a horrible misadventure, really. You don’t really get over things like that - Johansen évoque aussi la photo de pochette du premier album et la tournée américaine en première partie de Mott The Hoople. Savage veut absolument savoir si on les traitait de tapettes dans la rue. Johansen répond encore de biais : «De temps en temps, un mec nous insultait depuis la vitre baissée de sa bagnole. Mais je pense que les gens y réfléchissaient à deux fois avant de nous menacer car on dégageait quelque chose qui leur faisait croire qu’on pouvait être dangereux, if you fucked with us. On n’avait pas peur de se battre.» 

             Il raconte aussi que DownBeat magazine qui était un canard de jazz fit une chronique du premier album des Dolls, alors qu’ils ne chroniquaient jamais de disques de rock - Ils nous ont collé quatre étoiles et ont dit des choses superbes sur nous, comment notre musique illustrait la ville et la rue - J’étais fier de cette chronique. Et il continue sur le scoop : «Marty Scorsese est un fan des Dolls depuis le temps du Mercer. Il m’a dit que pendant le tournage de Mean Streets, il passait notre album sur le plateau, à plein volume, pour stimuler les acteurs.» C’est là qu’il évoque le docu avec Scorsese. Histoire de nous faire encore baver un peu, Johansen dit avoir enregistré une vingtaine de chansons. Son répertoire couvre toutes les époques, depuis le début jusqu’au dernier album des Dolls paru en 2011, Dancing Backwards In High Heels

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Eh oui onze ans sont passés depuis Dancing Backwards. Ils ont enregistré cet album à Newcastle, comme nous le montre le DVD qui accompagne l’album. On profite en même temps d’un concert des Dolls filmé dans un club de Newcastle, le Cluny. Le film nous montre l’ultime mouture des Dolls autour de Johansen et Syl : l’ex-Blondie Frank Infante gratte sa gratte, Jason Hill bassmatique et Brian Delaney bat le beurre. Sur scène, c’est vraiment excellent. Il se trouve que Jason Hill est aussi le producteur de l’album. Alors le docu ? C’est un peu comme si on y était. On voit même la poule de Johansen, une très belle brune bien conservée. Quand ils jouent «Looking For A Kiss» sur scène, c’est exactement le même son qu’à l’origine. Magie pure ! Dans le docu, Syl prend souvent la parole. Il a encore une certaine classe, avec sa casquette de Gavroche. Il explique qu’il trouve des structures et des mélodies sur sa gratte and David puts a line on it. Sur scène, tout le côté wild guitars, c’est Syl sur sa Gretsch. On le voit aussi gratter les accords de «Streetcake» dans une cabine du studio. Fantastique ! Encore de la magie pure ! Il danse en grattant sa Les Paul. Syl pense que the musicians & writers have a duty. Et bien sûr, ça se termine sur scène : «It’s called Personality Crisis» - Ahhh yeah yeah yeah. Johansen le fait pour de vrai.

             On retrouve «Streetcake» sur l’album, et franchement, c’est du baume au cœur. Tellement du baume au cœur qu’on l’écoute en boucle pour se griser des chœurs de Syl et du raunch de Johansen. «Streetcake», c’est le son des fantômes du rock suprême, avec un Johansen qui refuse de mourir et le fantôme de Syl qui fait ahhhhh dans l’écho et qui gratte les plus beaux accords new-yorkais de tous les temps, et là, rien qu’avec ce petit balladif Dollsy, tu te retrouves au sommet de tous les mythes, perché sur l’Empire State Building avec King-Kong, et tu as le vertige, c’est trop bon, mais le vertige est dans ton cœur, et pendant que Syl pousse des ahhhh de rêve, Johansen revient toujours au raw. Ces mecs nous ont initié à la vie et ils sont toujours là, avec un power et une grâce dont on ne trouvera hélas plus d’équivalent - Let me be your streetcake/ Till your breadman come/ Give you more sugar/ Than the breadman done - C’est le plus beau rêve des Amériques, Johansen et Syl ont réussi à le recréer - I’m so sweet like the New York Dolls - Terrifique ! Ils s’enfoncent dans l’art comme Gauguin dans le rouge. Fais gaffe, ce cut peut te broyer le cœur, car Johansen et Syl te ramènent loin en arrière. Tu les vois photographiés tous les deux au dos du booklet et tu vois Syl qui est mort maintenant, avec sa casquette de Gavroche et sa dégaine de Doll et tu chiales parce que tu te sens seul dans ce monde d’une terrifiante médiocrité. Comme Johnny Thunders, Killer Kane et Jerry Nolan, Syl était une sorte de dernier rempart, maintenant il ne reste plus que Johansen, Iggy et Wayne Kramer, que Dieu protège ces survivants - To my head ! - Les coups d’harmo de «Pills» sonnent encore le tocsin dans ta cervelle. Oh et puis tu as ce «Fool For You Baby» en ouverture de bal, immense pied de nez des Dolls à la postérité, ça sort tout droit du Brill, c’est l’absolu séculaire du don’t you break my heart, plombé de sonic genius, saturé de dont dont dee lee dont dont. Les Dolls se dégagent de toutes les influences pour ne sonner que comme les Dolls. Johansen et Syl pondent encore un chef-d’œuvre Dollsy, «Talk To Me Baby», énorme, plein d’élan du Brill, nouvelle manifestation du Syl power, cut définitif, Johansen le chante à l’arrache des Dolls, tu as des coups de piano et des redémarrages demented. Avec «Round And Round She Goes», ils renouent avec leur racines et passent au stomp. Parce que ce sont les Dolls, ça devient énorme. Johansen écrase le champignon du record machine. Encore du pur jus Dollsy avec «I Sold My Heart To The Junkman». Ils sont capables de faire du Brill de junkman ! C’est un coup d’éclat transcendantal. Ils tapent «Baby Tell Me What I’m On» au Diddley Beat - Babeh/ Babeh I’m so gone - Drug-out reggae so far out. Puis ils tapent une version de «Funky But Chic» et avec Syl derrière, la magie est intacte. Ils perpétuent leur art jusqu’au bout et là tu as tous les chœurs de Dolls dont tu rêves. On retrouve «Funky But Chic» dans les bonus enregistrés au Cluny, Syl le lance à la Thunders, ça joue aux deux guitares avec les chœurs de Syl derrière, alors tu tombes de ta chaise, même chose avec la version live de «Cause I Sez So», c’est hot as hell, au-delà de toute espérance, ils rentrent dans le chou du lard avec des guitares terribles et Syl sort tout le Grand Jeu des Dolls, un son unique au monde, il faut en profiter, ces deux mecs sont encore là le temps d’un disque, et puis tout sera fini. Et ça repart de plus belle avec «Hey Bo Diddley» - Hey Bo Diddley/ Where you been - Fantastique hommage ! Dans la bouche de Johansen, Bo c’est beau ! Syl reste en overdrive de Thunders et puis tu as encore «Pills». Il n’y a que les Dolls pour exploser aussi monstrueusement - A rock and roll nurse go into my head - C’est l’hymne de New York City.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             En 2005, Johansen et Syl avaient annoncé une reformation des Dolls avec Steve Conte, Sami Yaffa et Brian Delaney. C’est cette nouvelle configuration qui enregistre One Day It Will Please Us To Remember Even This. L’album est un beau clin d’œil aux Dolls. Trois cuts pourraient très bien figurer sur le premier album : «Running Around», «Punishing World» et «Fishnets & Cigarettes». D’abord parce que ce sont des compos de Syl et le grand Johansen reprend le contrôle de l’aéroport. Il retrouve ses marques avec les chœurs et le boogie down. C’est là où il excelle depuis cinquante ans. Syl signe aussi «Fishnets & Cigarettes», et Johansen ramène le power absolu. Par contre, c’est Conte qui signe «Punishing World». Il tape en plein cœur du big Dollsy sound, l’énergie est intacte, il ne manque plus que Johnny Thunders. On assiste à la restitution de l’énorme power des origines du monde. Syl signe «Dance Like A Monkey» et pompe «Lust For Life». Même beat. C’est là que New York se fond dans Detroit. Johansen fait des merveilles avec la belle pop de «Plenty Of Music». Syl signe aussi l’excellent «Dancing On The Lip Of A Volcano». Et voilà la cerise sur le gâtö : Iggy vient duetter avec Johansen sur «Gimme Luv & Turn On The Light». On appelle ça une énormité impavide. Et cet album de rêve s’achève sur une autre compo de Syl, «Take A Good Look At My Good Looks» : Johansen et Syl s’entendent à merveille pour créer des petits moments de magie balladive.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Paru en 2009, ‘Cause I Sez So est le deuxième album de reformation des Dolls autour de Johansen et Syl. Et pour que l’illusion soit complète, Todd Rundgren produit, comme au temps du premier album. Alors pas de problème, on sait qu’on aura du son. On retombe sur le classic Dolls sound dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est un son réellement unique au monde. Ils rejouent leur vieux va-tout. On retrouve le Dollsy sound dans le cut du bout de la B, «Exorcism Of Despair», véritable mur du son avec un Johansen au dessus de la mêlée et des grosses guitares du Conte. Le Conte est bon. Le hit de l’album est «My World», une grosse compo signée Syl, grattée à coups d’acou, avec un coup de wah du Conte en plein milieu. On entend bien Sami Yaffa voyager sur le manche de sa basse dans «Muddy Bones». Johansen est en pleine forme. Il fait plaisir à voir. Il aime bien les balladifs du Conte, comme ce «Temptation To Exist», mais aussi ceux de son vieux compadre Syl. Ils signent encore une grosse compo : «Drowning». On les voit tous les deux se diriger de plus en plus vers les grosses compos. «Drowning» raconte l’histoire d’un homme qui se noie - I’m not waving hello/ I ain’t throwing around with the mama/ Don’t let me go - C’est bourré d’humour. Et puis tu as aussi ce big dancing rock signé Syl et Conte, «Nobody Got No Big News», Johansen y ramène l’énergie du rap, c’est vraiment du big business, let’s get radiant ! On note aussi au passage la version reggae de «Trash».

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             On a commencé avec Scorsese et on finit avec lui. Faut-il voir et revoir la série Vinyl en dix épisodes ? Oui, car c’est un bel éclairage sur le music biz new-yorkais des années 70, juste avant l’arrivée du punk-rock. Dans l’épisode 10, le personnage principal Richie Finestra donne ses rendez-vous dans un bar du Bowery. Après son rendez-vous, Finestra vient papoter avec le patron du bar. Celui-ci songe à changer le nom de son bar et à y organiser des concerts. Il a crayonné sur un bout de papier son idée de nouveau nom : CBGB. Il s’agit bien sûr d’Hilly Kristal. Et comme le premier épisode de la série démarre en 1973 au Mercer avec les Dolls, la boucle est bouclée. N’oublie pas que le punk est né à New York, pas à Londres.

             Supervisée par Scorsese, la série tient sacrément bien la route. On y retrouve le mélange qui a fait le charme des premiers films de Scorsese, ce puissant cocktail de rock, de coke et de violence mafieuse. On n’avait encore jamais vu autant de rails de coke, excepté dans The Wolf Of Wall Street ! Si tout démarre au Mercer, ce n’est pas un hasard, Balthazar : les Dolls sont au cœur de toute la modernité du rock. Scorsese le savait à l’époque. Il parvient à reconstituer l’ambiance de ce que fut un set des Dolls à l’âge d’or. On voit même Syl faire du stage dive avec sa Flying V. 

             Richie Finestra a des faux airs de Travolta : italo-New-yorkais, on est en plein dans le Scorsese System. Finestra/Travolta dirige le label American Century qui bat de l’aile, car trop ancré dans le passé. Scorsese parvient à filmer l’écroulement du Mercer, avec Finestra/Travolta à l’intérieur. Au milieu des décombres, Finestra/Travolta a une vision : il voit les Dolls comme l’avenir du rock, alors comme Seymour Stein, il part à la chasse du next big thing : le groupe s’appelle the Nasty Bits, un groupe punk avant l’heure, très certainement inspiré du personnage de Richard Hell.

             Scorsese veille à ne pas oublier l’autre mamelle de la modernité : le Velvet. Alors on se régale, car c’est servi sur un plateau d’argent - I am tired/ I am weary/ I could sleep for a thousand years - Pure magie reconstitutive - Different colours made of tears - «Venus in Furs» nous berce encore de bien belles langueurs monotones, cinquante ans plus tard. Scorsese et ses scénaristes (dont l’excellent Rich Cohen) réussissent un habile mélange de méli-mélo avec des faits réels. On voit Alice Cooper apparaître dans l’épisode 3, mais c’est complètement raté. Une façon comme une autre de dire que le personnage d’Alice Cooper n’a jamais été crédible. Les Dolls l’étaient mille fois plus. Par contre l’Hannibal qui pointe sa museau dans l’épisode 4 vaut le détour : hommage au funk des seventies, à Sly Stone et à Bootsy Collins. La plupart des scènes sont filmées dans les locaux du label de Finestra/Travolta : on y voit le ballet des associés et des assistantes, tous et toutes plus incompétent(e)s les uns que les autres. Scorsese nous ressert une petite louche de Lou Reed dans l’épisode 5 avec une version de «White Light White Heat» sur scène. Dans le 6, on voit Bowie débarquer à New York avec «Suffragette City», et on entend le «No Fun» des Stooges chez un marchand de guitares. Et puis un mec chante «Life On Mars» au piano dans une fête juive. N’oublions pas que New York est la plus grande ville juive du monde. Finestra/Travolta fait un saut en Californie pour l’épisode 7, il vend l’avion de son label à un mec qui organise une fête à Malibu et là défilent tous les luminaries de la scène locale : Mama Cass, Gram Parsons, Captain Stills Manyhands et puis il y a une scène magique avec Elvis à Las Vegas. Finestra/Travolta rencontre Elvis backstage et ils tentent de monter un plan ensemble, alors Elvis veut les Sweet Inspirations et Finestra/Travolta propose Pop Staples pour produire le nouvel album, alors Elvis exulte : «You got it !». Jusqu’au moment où le Colonel Parker arrive et vire Finestra/Travolta. Elvis va coucher au panier. La scène est d’une incroyable justesse. Bravo Scorsese !

             Il n’empêche que le label continue de s’enfoncer, alors Finestra/Travolta doit emprunter de l’argent. Comme la banque lui refuse le prêt, il s’adresse à Colasso, un type de la mafia qui lui prête 100 000 $ en cash. Taux à 5%. L’épisode 8 nous permet d’entrer dans deux mythologies : celle des trois accords et celle de la mafia. Lester Grimes qui est le manager black des Dirty Bits explique à ses protégés que tout repose sur trois accords : ré la si. Et il joue un medley de toute l’histoire du rock et du blues sur sa gratte. Quant à la mafia, c’est l’occasion pour Scorsese de renouer avec sa vieille virtuosité : il montre comment Colasso étrangle un mauvais payeur avec le fil électrique d’une lampe. Colasso est bien sûr une interprétation libre du personnage de Morris Levy. Dans le 8, on voit aussi apparaître John Lennon et May Pang au Max’s, alors que Bob Marley joue sur scène. Pour la fin de la série, Scorsese fait jouer les Dirty Bits en première partie des Dolls qu’on ne voit hélas que dans la salle, mais pour lui, c’est l’occasion rêvée de boucler la boucle. Bien sûr, la saison 1 appelle une suite.

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    New York Dolls. One Day It Will Please Us To Remember Even This. Roadrunner Records 2006

    New York Dolls. ‘Cause I Sez So. ATCO records 2009

    New York Dolls. Dancing Backward In High Heels. 429 Records 2011

    Martin Scorsese. Vinyl. Saison 1. DVD 2016

    Jon Savage : Fantasy Island. Mojo # 345 - August 2022

     

     

    Inside the goldmine - Baby Grande Ballroom

     

                Il sortit de l’hôtel Saint-Francis et alla se jeter dans le flot des passants que charriait la 42e rue. Il se grisait de l’éclat du ciel bleu et de l’énergie qui électrisait cette ville. Il rentra dans un peep-show, paya six dollars et s’installa dans une cabine. Il avala deux cachets de benzedrine et attendit - oh pas longtemps - l’arrivée de la fille derrière la vitre. Blonde du haut mais brune du bas, elle ne portait rien d’autre qu’une moue de morgue. Elle commença à se masturber, un doigt dans chaque orifice. Alors il en fit autant et prit soin d’éjaculer sur la vitre, comme c’était l’usage. Il sortit relaxé de l’immeuble et héla un taxi qui le conduisit downtown, où il allait tenter, en parfait disciple de Dorian Gray, de «perdre son âme». La nuit tomba. Il s’installa sous un réverbère, au coin d’une rue déserte, et attendit qu’une lame le menaçât, ou mieux encore, qu’un gang de Portoricains, Young Lords de préférence, ne vint le rouer de coups et le violer. Sa quête de modernité et son horreur congénitale de l’ennui le conduisaient comme d’autres avant lui - et pas des moindres - à rechercher le frisson des situations extrêmes. Il n’eut pas à attendre très longtemps. Six jeunes blacks aux yeux rouges sortirent de l’ombre, approchant en silence comme des chats méfiants. Ils brandissaient des barres à mine. Pas un bruit, silence total. Il reçut un premier coup de barre dans le genou et en tombant, un deuxième coup porté au visage lui cassa à peu près toutes les dents. Puis les coups redoublèrent de violence. Il subissait le supplice de la roue. Les blacks frappaient à tour de rôle. Au moment où il rendit l’âme, son double se détacha et l’éleva à la verticale. En proie à des vieilles superstitions, les blacks reculèrent et s’enfuirent. Zéphyr s’éleva à la verticale, ainsi qu’il l’avait annoncé dans ses romans.

     

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             D’un Zéphyr l’autre, comme dirait Céline. Le «Zephyr» de Baby Grande n’a de new-yorkais que la coïncidence. Ces Australiens contemporains des early Saints auraient très bien pu enregistrer ce «Zephyr» - apparemment jamais sorti - dans le downtown new-yorkais.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             En 2019, RPM fit paraître un petit coffret glammy retentissant, All The Young Droogs. On en a déjà dit le plus grand bien sur KRTNT. Il faut bien reconnaître que l’album grouille de puces, Third World War, Milk ‘N’ Cookies, Hector, Brett Smiley, Helter Skelter, en tout soixante glam nuggets qui mettent les sens en alerte rouge, avec un seul petit défaut : l’absence de Jook et des Gorillas (même si Helter Skelter est là). Il se trouve que le meilleur cut de ce coffret si haut en couleurs est le fameux «Zephyr» épinglé plus haut. Les Australiens s’y prêtent à une fantastique charge des Walkyries. Ces mecs ont du raw power plein la culotte. Leur vice, c’est l’explosivité pressante comme une envie - Well I call you a zephyr - Tout est là, dans cette énergie des guitares, dans ce son rempli à ras-bord, dans cette niaque de mauvais aloi, personne ne les aime et ils ne s’aiment pas non plus. Ils semblent même bien meilleurs que les Saints, ce qui n’est pas facile à dire pour un vieil inconditionnel des Saints.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             C’est à peu près tout ce qu’on avait à se mettre sous la dent. Et puis voilà qu’on annonce la parution d’un album d’inédits de Baby Grande. Stupéfaction ! HoZac est un label américain spécialisé dans le punk’n’roll (Davila 666, Chrome Cranks, Kim Salmon, Mark Sultan, etc.), la réédition d’albums métempsychotiques et l’édition de livres nitrogéniques (Sal Maida, Bob Bert, etc.). C’est donc en 2018, soit un an avant les Droogs, qu’HoZac fit paraître un album d’inédits de Baby Grande - HoZac Archival is proud to present these incredible recordings to complete your explosive lifestyle - On trouve un peu de littérature, sur la pochette intérieure, notamment une interview de Steve Kilbey (chant) et Dave Scotland (guitar). HoZac tente de les ramener vers les Saints qui enregistraient leur premier album dans le même studio, mais les deux groupes ne se connaissaient pas. Comme les Saints, Baby Grande enregistre des démos pour EMI, mais EMI les jette. HoZac n’y va pas de main morte : sur la pochette, ils ont collé un sticker jaune où on peut lire «Australian GLAM/Proto-PUNK missing link», de quoi faire bander tous les curés de Camaret. Notre cher «Zephyr» y ouvre le bal de la B, toujours aussi subjuguant que suburbain. On constate une fois de plus la violence du riffing, c’est assez glammy, oh boy, mais descendu dans la rue. Tellement dans la rue que ça devient digne des Dolls, ils déploient des ailes d’aréopage, Dave Scotland claque un solo qui prend feu dans l’azur prométhéen, well I call you a zephyr/ You should glow, ils sont sur le même terrain que Slade, la voix en moins. Dommage que les autres cuts ne soient pas du même niveau. Ça pourrait à la limite expliquer qu’EMI les ait jetés, mais bon, «Zephyr» suffit à notre bonheur. Avec «Pure White & Deadly», ils font ce que tous les groupes - et Mott oh ma Mott - faisaient dans les early seventies : du boogie-rock. Il sont dans le bain, bien dans le bain dis donc, Dave Scotland joue à la cocote sournoise. Ils ont opté pour les bons réflexes. Comme HoZac n’avait pas assez de cuts pour remplir un album, ils ont collé en fin de B une autre mouture de «Pure White & Deadly», un peu plus grasse du bide, ce qui lève toute forme d’ambiguïté. Ils vont vite en besogne et le bassman se faufile partout. Dave Scotland claque une fois de plus un killer solo flash impitoyablement fluidifié et là, on le prend très au sérieux. C’est Mick Ralph, mais à Canberra. Avec «Going There & Back», ils adressent un gros clin d’œil aux Young Dudes. Comme ils sont d’un naturel aimable, ils y vont de bon cœur, au crush crush de room et de TV screen. Mais leur «Madame Lash» ne fonctionne pas, même si Lash rime si richement avec trash. Et les autres cuts refusent obstinément de décoller. Dave Scotland tente de sauver «She Thinks She’s A Diamond» avec un solo fleuve de la plus belle autorité, mais Baby peine à jouir. Contentons-nous donc de nous envoler avec Zephyr.

    Signé : Cazengler, Baby Glande

    Baby Grande. Baby Grande. HoZac Records 2018

    All The Young Droogs. RPM 2019

     

    L’avenir du rock - God save the Quintron

     

                Il n’oserait l’avouer à personne. L’avenir du rock a toujours rêvé d’être une grenouille. Oh pas la grenouille stupide dont se moque si gentiment La Fontaine, cette grenouille qui enfle pour égaler le bœuf en grosseur et qui enfle tant et si bien qu’elle éclate. Ni la grenouille dont on sert les cuisses revenues à la poêle dans les restaurants à la mormoille, et encore moins celle qu’on dissèque à vif dans les bacs des cours de sciences naturelles pour examiner ses organes. L’avenir du rock songe plutôt à la grenouille en peluche que trimballait Clarence Frogman Henry sur scène, un Clarence dont la prestance persistera et signera à travers les siècles, soyez-en certains, le Clarence de la froggy motion sempiternelle, un Clarence chouchouté par les oreilles alertes et vives, car connaît-on meilleure prestance que celle-ci ? Ah comme il aurait adoré sautiller dans les roseaux, l’avenir du rock, attraper des libellules au vol, échapper d’un bond au vieil alligator, et le soir aller jusqu’à la cabane de Bobby Charles pour l’écouter entonner ses Champs Élysées sur sa vieille guitare gondolée - Les femmes sont jolies/ Sur le (sic) Champs Élysee (sic)/ Ils (sic) vous donnent des envies - Ah quel poète délicieux, enfoui au fond d’un Bayou qu’on dirait peint par le Douanier Rousseau. En suivant la berge du fleuve, l’avenir du rock serait ensuite allé par petits bonds jusqu’à la maison du vieux Tony Joe pour le voir éplucher sa polk salad à la lumière d’une lampe à pétrole, sous sa véranda, car comme il le croasse si bien dans l’histoire d’Annie qui est encore plus mauvaise que les alligators, c’est tout ce qu’il y a à manger Down in Louisiana, where the alligators grow so mean. Mais par-dessus tout, l’avenir du rock aurait adoré voir Monsieur Quintron approcher des roseaux à quatre pattes avec son petit magnétophone accroché autour du cou, Monsieur Quintron et son crâne métaphysique couronné de chaume, sa petite rangée de canines pointues et ce regard si flaubertien de matelot en détresse, promenant sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l’horizon.

     

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Ça fera bientôt trente ans que Monsieur Quintron intrigue les masses populaires. Trente ans qu’il méduse les foules à petits coups de séquenceur. Trente ans qu’il envoie ses mains de cire valser sur le clavier d’un orgue Hammond. Trente ans qu’il nous fait danser le jerk des squelettes de la Nouvelle Orleans. Trente ans qu’on rit avec la mort qui est son double.

             En 2012, Monsieur Quintron est venu en Normandie nous secouer les cloches. On ne croise pas tous les jours une légende vivante, dans cette région. On y croise plus facilement des vaches, et des gens qui vont mal. À l’époque, Monsieur Quintron s’installait torse nu derrière son clavier. Il portait un pantalon de cuir noir. Grand, brun, gueule de star. Fabuleux Soul-shaker, l’un des meilleurs du cru. Pendant que son corps ruisselait de sueur, il nappait d’orgue son Soul-shuffle et shakait sauvagement sa charley. Il swinguait comme un entrepreneur de démolition. Des choses bizarres roulaient sous la peau humide de ce chaud lapin de sucre sauvage. Il pulsait le rumble et l’envoyait rouler dans les orties. À deux mètres de lui, plantée derrière un micro, Miss Pussycat secouait ses maracas et chantait comme une casserole. Elle œuvrait pour la postérité du trash qui est, avouons-le, notre religion secrète.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Et pouf, dix ans plus tard, ils redébarquent en Normandie, pour un concert gratuit en plein air. Quintron ne se met plus torse nu derrière sa machine infernale, mais il conduit toujours aussi bien son bal des vampires de la Nouvelle Orleans.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

    C’est un fabuleux hellraiser, il tape le beat sur sa charley et racle à la baguette la pedal steel installée sur sa machine. Il ramène des sonorités incroyables dans son boogie-blast, des accords fantômes de Deep Southern country. Cette fois, Quintron et Miss Pussycat sont accompagnés par un batteur tout maigre et un ostrogoth ventru qui joue sur un mini-moog et qui souffle dans un tuyau en caoutchouc. Avec son gros bide tatoué, il vole la vedette sur scène.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

    Quintron offre toujours le même cocktail hallucinant de ramshakle et de swamp-boogie, il mène ça ventre à terre et chante toujours comme une superstar. Il s’est laissé pousser les cheveux, mais il reste l’un des rock’n’roll animals les plus sexy d’Amérique. Bizarrement, les gens chipotent en France. Comme d’habitude.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Un soir, sous les étoiles, en mer des Caraïbes, le célèbre capitaine Flint nous confiait ceci : «Il y a deux sortes de créatures sur cette terre : les beaufs et les trash !». Au-dessus de nos têtes pourrissaient les cadavres d’officiers espagnols accrochés par les pieds aux gréements. Ces charognes illustraient parfaitement son discours. 

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Are You Ready For An Organ Solo ? Sous cette invitation déguisée se tapit un rude album rempli de gros jerks dératés, palmés d’orgue, plus chancelants que chantés, et bardés de chœurs tragicomix. «Place Unknown» est un merveilleux dada banana split. Prince du shuffle des cimetières abandonnés, Monsieur Quintron l’orne de jarretières d’os. Ce jerk est entêtant comme ce n’est pas permis, franchement, et les chœurs de Miss Pussycat éreinteront les plus coriaces d’entre-vous. Quintron adore les pièces de boogie-down-production-shout-balam qui nous font danser jusqu’à l’aube dans les allées du Quartier français, tout près du palais vermoulu où se planque le dandy cucumber. Le cœur quintronien balance souvent entre le straight r’n’b bien secoué du cocotier et la petite pop dada fraîche comme une laitue et habilement cadencée par les infra-sons, comme par exemple «Cave Formation», où l’on entend Miss Pussycat chanter comme si elle était encore en maternelle. Pour le reste, Monsieur Quintron drumbeatera sévèrement, car telle est sa secrète ambition.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Si tu t’accommodes aisément de la fantaisie, alors écoute cet album qui s’appelle Swamp Tech. Le samedi, Quintron va faire ses courses sur Canal Street. Il adore piquer dans les magasins. «Shoplifter» raconte ses exploits. Il nous nappe ça d’orgue et nous fait danser au salon. Sa boîte à rythme fait des miracles, on peut bien l’admettre. C’est à Miss Pussycat que revient l’insigne honneur de chanter «Fly Like A Rat». C’est dingue ce qu’elle peut mal chanter. Mais le morceau a fière allure. Ces deux-là font ce qu’ils veulent. Ils naviguent en solitaire. Ils n’ont qu’une seule loi : la liberté à tout crin. Ils jouent dans LEUR club et enregistrent sur LEUR label, Bulb Records. La typo de Bulb est dessinée comme celle du label SUN de Sam Phillips : quatre lettres sont disposées sur un demi cercle divisé en quartiers par les rayons du soleil levant. À la fin de «Fly Like A Rat», Quintron vient screamer un bon coup. Avec «Witch In The Club», il nous prouve une fois de plus qu’il sait vraiment pulser le beat louisianais - Louis Louie Louie - c’est un crack de l’abattage, un furoncle intraitable. Il met les bouchées doubles. Sa reprise de Kiss est encore plus énorme : il transforme «God Of Thunder» en gros jerk des Caraïbes. Comme nous tous, Quintron déteste cordialement le cupide Gene Simmons.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Bien des fans de Quintron se sont fait rouler la gueule. L’immonde Quintron s’autorise à faire paraître de temps en temps des albums expérimentaux. Sur Drum Buddy Demonstration Vol. 1, il nous refile quelques échantillons de sons produits par son séquenceur. 

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

    Avec les fameuses Frog Tapes, il nous emmène dans le bayou écouter chanter les grenouilles, d’où le titre de cet album qui s’arrache à prix d’or. Ne perdons jamais de vue que Monsieur Quintron est l’un des derniers originaux de l’aventure rock, et ses admirateurs doivent parfois avaler des grosses couleuvres et apprendre à faire preuve de bienveillance.

             Mais au bout du compte, on est bien récompensé.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             En 2008, une pochette étrange trônait dans les vitrines des magasins. On y voyait le vampire Quintron assis auprès d’une entraîneuse noire. Elle portait sur les épaules un monstrueux python du bayou, comme d’autres portent une cape de zibeline. Renseignements pris auprès du détaillant, il apparaissait que le python portait le doux nom de Boobaalah, qu’on estimait son âge à deux cents ans et qu’il avait pour particularité de miauler pour séduire ses victimes, qui étaient généralement des cochons ou des petits nègres égarés aux abords du marais. L’album s’appelle Too Thirsty 4 Love. Il nous tient une fois de plus la dragée haute. «Waterfall» et le morceau titre posent leurs mains sur nos hanches et nous font danser la java des marais. Impossible de résister au drumbeat de Drum Buddy. Miss Pussycat rejoint Quintron sur «Dirt Bag Fever». Il contribue à la postérité - run wanado dah doo - C’est une sorte de petit hit cosmique et bien intentionné. On se retrouve une fois de plus sous le charme du trash. De l’autre côté du disque traîne un mambo judicieux qui s’appelle «Freedom». C’est une valse à trois temps de la Nouvelle Orleans, une étonnante pièce de machinerie truculente et bien née. Et si on veut retrouver ce qui fait la puissance seigneuriale de Quintron, c’est-à-dire le rock solide nappé d’orgue, alors il ne reste plus qu’à écouter «Model Ex Citizen». Évidemment, Miss Pussycat vient vinaigrer l’affaire. Et tout le reste n’est que littérature, comme dirait le pauvre Lélian.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             En 2011 paraît Le Sucre Du Sauvage. Voilà encore un album rempli de petite pop que Miss Pussycat massacre avec ostentation. Elle est le fléau des temps modernes. Pourtant, ils réussissent parfois des exploits, comme par exemple ce morceau qui s’appelle «Face Down The Gutter» qu’ils chantouillent à deux voix et qu’ils bardent de clap-hands, très sixties dans l’esprit et admirable à bien des égards. Quintron peut aussi faire du boogie à la Canned Heat. Il suffit de le lui demander gentiment. Certains morceaux pourraient très bien sonner comme des tubes planétaires, «Banana Beat» par exemple, mais c’est impensable, parce qu’ils refusent tous les deux de se prendre au sérieux. Du coup, on se retrouve avec de la pop exacerbée qui pique un peu, comme un beaujolais, surtout lorsque Miss Pussycat chante seule, comme c’est ici le cas. «Sucre Du Sauvage» est plus cavaleur et donc plus entreprenant. On retrouve ce brouet unique au monde d’orgue dansant et de Drum Buddy dada électronique qui envoie aux gémonies les conclusions hâtives. On suit à la trace ce petit groove cocasse qui finit en coin-coin. 

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Les affaires sérieuses de Monsieur Quintron se trouvent sur deux albums malheureusement difficiles à dénicher. La pochette en or d’Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man fera rêver les Égyptologues dans deux mille ans, d’autant qu’elle est frappée du sceau royal Bulb Records. C’est là que Quintron matérialise vraiment son art cybernétique de marécage. «Mysterious Rangers» s’ouvre sur un petit hurlement de Miss Pussycat, ce qui est bon signe. On est aussitôt embarqué par un bon beat qui génère une réelle tension garage. Si on apprécie la cohérence du groove déluré, alors on sera comblé. «White Man Style» tient du génie. Avec ce monstrueux cyber-groove évanescent et fondateur, Quintron bat tous les records. Il nappe ça d’orgue et érige un beat furieux et industriel à la fois. Il ulule comme un rockab. Thor des temps modernes, il bat au marteau le groove dindon. «Hurricane» est digne du mythique «Tiger» de Brian Auger. C’est le pur shuffle des caves enfumées. Quintron fait rouler son scream sous les voûtes humides. Miss Pussycat hurle comme une bête. Elle fait les chœurs. À chaque morceau, ils réaffirment un peu mieux leur totale indépendance. «Push Pull or Drag» est du trash pur et dur. Avec «Peter Pan», Quintron va vous en boucher un coin. C’est ce qu’on pourrait appeler un hit atomique. Quintron chante comme Lux et noie son bousin sous des nappes d’orgue. C’est exactement la même énergie que celle des Cramps. Même démesure. On croit même entendre «New Kind Of Kick». Quintron grille tous les plafonniers. Il scande comme Lux. C’est un shouter des enfers.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Avec Les Mains d’Orlac, Peter Lorre avait réussi à traumariser toute une génération. On retrouve ces mains maudites sur la pochette de These Hands Of Mine. C’est Miss Pussycat qui secoue les cacahuètes dans cet enfer Dada qu’est «Meet Me At The Club House». Elle secoue aussi des sacs de café du Brésil. Ils pavent cet instro electro-jerkoïde de bonnes intentions. On trouve aussi sur ce disque terrible un heavy groove nommé «It’s Moving Me». On les voit errer tous les deux au long des chemins bourbeux de l’infortune. Ils créent une atmosphère lourde de conséquences. «Wild Indians» est une parade de western superbe d’inventivité, montée sur un drumbeat béatificateur. Quintron sait provoquer la débâcle inventorielle. Après une longue intro, «Grandfather Time» déboule avec un shuffle d’orgue et un drumbeat turgescent. Infernal. Ça saute à la gorge. C’est bardé de chœurs sauvages. Au XVe siècle, on appelait ça l’énergie du Diable. Encore un beat de forcené avec «Caveman 5000». Quintron enfonce ses clous avec une rage de forcené.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             La réputation de Quintron repose aussi pour une grande part sur l’album qu’il enregistra en 1997 avec les Oblivians, Oblivians Play Nine Songs With Mr Quintron. C’est l’un des grands classiques du garage-punk de cette époque. Alors que des horreurs comme «Feel All Right» et «I May Be Gone» explosent, Quintron veille au grain. Il fédère les atomes à coups de nappes d’orgue. Alors que les riffs de guitare dévastent tout, Quintron entre dans le lard du cut avec une belle assurance. Il nappe le chaos de nappes majestueuses. Il se mêle au télescopage des genres avec une vraie candeur estudiantine. On le sent comme un poisson dans l’eau, notamment dans «What’s The Matter Now», qu’il nappe dès l’intro. Il saute sur son tabouret et envoie des giclées de sauce piquante. C’est lui le patron. Il rugit comme une tempête. Il ouvre un océan pour «Mary Lou», l’un des hits garage du siècle. Il faut le voir distiller ses marées de shuffle ! Diabolique !

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Retour en fanfare avec Goblin Alert. Quintron & Miss Pussycat n’ont jamais été aussi bons ! Ils partent en mode stomp avec «Tenagers Don’t Know Shit», ça joue à l’extrême drumbeat d’hypno à Toto, c’est fantastiquement embarqué pour Cythère, avec des breaks de mini-moog et de piano - My name is Jesus Christ & I’m not magic - Ils duettent ensuite ventre à terre pour le morceau titre. Avec le temps, Miss Pussycat prend de l’assurance. Ils jettent toute leur niaque dans leur vieille balance. Coup de Trafalgar avec «Buc-ee’s Got A Problem» : ce country rock joué au lap steel est bourré d’énergie. Tout sur cet album est visité par la grâce de la Louisiane. Et ça repart de plus belle en B avec «Stroller Pollution». Ils adorent cavaler ventre à terre dans le bayou. Sam Yober et Drum Buddy y vont de bon cœur. Quintron n’a jamais eu autant d’énergie. Ce bel épisode swampy s’achève avec «Weaver Wear», emmené au gros tatapoum de Drum Buddy et animé par une Miss Pussycat rayonnante. Elle est superbe, plus rien à voir avec la casserole d’antan, elle est délirante, elle grimpe au sommet du lard, elle enfile les perles, elle mène bien le bal des Laze, elle devient la front-woman number one. Quintron & Miss Pussycat continuent de suivre leur petit bonhomme de chemin avec goût et fantaisie. Wow, il faut voir Quintron noyer son Weaver sous des nappes d’orgue démentes ! Tout est beau au paradis du swamp.

    Signé : Cazengler, pilleur de Quintrons

    Quintron & Miss Pussycat. Le 106. Rouen (76). 10 octobre 2012

    Quintron & Miss Pussycat. Les Terrasses du Jeudi. Rouen (76). 21 juillet 2022

    Quintron. The Amazing Spellcaster. Live At The Pussycat Caverns. Bulb Records 1995

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

    Oblivians Play 9 Songs With Mr Quintron. Crypt Records 1997

    Quintron. These Hands Of Mine. Skin Graft Records 1998

    Quintron. Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man. Bulb Records 2000

    Quintron. Drum Buddy Demonstration Vol. 1. Skin Graft Records/Rhinestone Records 2001

    Quintron. Are You Ready For An Organ Solo ? Rhinestone Records 2003

    Quintron. The Frog Tape. Skin Graft Records 2005

    Quintron. Swamp Tech. Tigerbeat6 Records/Rhinestone Records 2005

    Quintron. Too Thirsty 4 Love. Rhinestone Records/Goner Records 2008

    Quintron. Sucre Du Sauvage. Goner Records 2011

    Quintron. Goblin Alert. Goner Records 2020

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

     *

             Avant d’aborder une machine, serait-elle rouge, il convient de présenter les mécaniciens qui l’ont créée et qui la font marcher. Sont trois.

             Le premier se nomme Francis R Cambuzat. L’a un pedigree long comme un agenda téléphonique, l’a fondé des tas de groupes, suscité aux quatre coins de la planète des expériences soniques de toutes sortes, l’a commencé à dix-sept ans à jouer avec Dizzy Gillespie au Blue Note in the Big Apple - déjà l’on comprend que la musique qui tourne en rond sur elle-même n’est pas son dada - l’est arrivé à se faire un nom de journaliste free lance  aux USA avec une interview d’Iggy Pop, l’a donné plusieurs milliers de concerts sur tous les continents. Notamment avec Putan Club.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Ne sont que deux dans ce putain de club, lui et Gianna Greco. D’origine italienne, encore une qui ne sait pas rester en place, s’est mêlée à la révolution tunisienne, lorsque le mouvement a foiré, elle a décidé de se battre avec ses propres armes ( voix + basse ) et de porter les idées d’insoumission et de subversion partout où les pouvoirs maltraitent les hommes. Pour savoir où exactement, il suffit de recopier la liste alphabétique de tous les pays.

             Musicalement il est difficile de définir le style de Putan Cub, en fait c’est très facile : sont punk, rock’n’roll, metal, classique, jazz, techno, rajoutez les ingrédients qui vous semblent manquer.

             Nous vous reparlerons de Putan Club une autre fois, c’est que nos deux ostrogoths se sont affiliés à un troisième, très connu du public français, Denis Lavant, comédien – ce mot ne le définit pas, il n’interprète pas ses personnages, il essaie d’en restituer l’authenticité - l’a tourné des films, notamment avec Léo Carax, joué et mis en scène de nombreuses pièces du théâtre classique et contemporain et monté plusieurs spectacles hommagiaux. Nous retiendrons principalement sa magistrale évocation de Joë Bousquet, le poëte carcassonnais grièvement blessé en 1918, cloué sur son lit de souffrance durant plus de trente ans Ce qui nous emmène à la troisième corde de son arc : la lecture de textes, Céline pour n’en citer qu’une, et de poésie.

             Bref l’association de Putan Club et de Denis Lavant a donné naissance à Machine Rouge. A notre connaissance Machine Rouge n’a pas perduré. Ne sont écoutables que quatre morceaux, sur SunCloud, sur lesquels nous ne nous attarderons pas – il s’agit de quatre démos de lecture de poèmes d’Henri-Simon Fure, de Marina Tsvetaïa, de Federico Garcia Lorca, de Velimir Khlebnikor, les deux premières sont les plus réussies. Reste une vidéo sur You Tube, qui nous intéresse particulièrement. Sur laquelle nous dresserons l’oreille.

             Rien d’autre que le célèbre poème péremptoirement nommé Le Coup de dés de Stéphane Mallarmé. Ce n’est pas une œuvre facile, pour la mieux présenter ils ont fait appel à Carlo Mazzotta, vous trouverez sur son canal YT une floppée de vidéos de lectures poétiques diverses de ce dernier.

    *

             Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, son titre véritable non abrégé, écrit en 1898, est une œuvre fondatrice de notre modernité. Elle interroge autant l’écriture poétique que musicale. Elle se situe exactement au croisement de la théorie réflexive et de la pratique artistique. Tout en offrant plusieurs pistes de lecture, elle reste mystérieuse.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Lecture circonstancielle : au moment où Mallarmé l’écrit la poésie française traverse une crise majeure. Les jeunes poëtes délaissent pour le vers libre l’alexandrin qui fut le mètre royal du dix-neuvième siècle de Victor Hugo à Leconte de Lisle. Le Coup de dés peut être compris comme la désintégration atomique de l’alexandrin, les mots, de grosseurs diverses, sont éparpillés un peu partout ( au hasard ? ) sur l’ensemble de la page blanche. Le chiffre douze ( les douze syllabes accentuées de l’alexandrins ) préside de façon non visible à la structuration typographique ( abolition du hasard ? ) du poème.

              Une thématique typiquement mallarméenne : le poème peut être lu comme une réflexion sur l’incidence de l’acte poétique sur la réalité du monde. La réponse de Mallarmé reste très ambigüe. Est-elle nulle – en ce cas-là si une action humaine  peut signifier (donner à ce verbe le sens d’ordonner) le réel, ce n’est qu’un effet du hasard, l’artiste n’y est pour rien, il ne maîtrise rien. Il est alors permis de décréter que ses prétentions ne sont que vanité.

              Au contraire si l’action du poëte se révèle signifiante, que se passe-t-il au juste dans ce cas ? Quelle serait alors la portée de ce geste qui échappe au hasard. Pour parler comme Hegel : qui échappe à l’infini (de la négativité des possibles) pour s’inscrire dans l’absolu de sa propre unicité, de sa propre positivité.

             Musicalement parlant, la note qui se pose sur le silence, tel l’oiseau sur la mer, n’est-elle qu’une criaillerie adjacente sans véritable teneur intrinsèque, ou modifie-t-elle la nature de l’océan…

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Outre ces problèmes philosophiques, Le coup de dés en soulève un autre, très pragmatique, peut-être encore plus difficile. Comment le lire ?   Certes n’importe quel imbécile peut en articuler les vocables à haute voix, mais comment donner au lecteur l’idée de l’éparpillement spatial de son écriture. Souvent les lectures de poèmes sont musicales. Quelle musique lui attribuer ? Aucune ligne mélodique est incapable de suivre le morcellement du texte, peut-être vaut-il mieux penser à une musique qui ressemblerait aux trébuchements perlés des Gnossiennes d’Eric Satie… Paul Valéry à qui Mallarmé montra le poème s’opposa plus tard de toute son influence littéraire à une représentation musicale regroupant orchestre et plusieurs chanteurs lyriques… Pour bien comprendre la position de Valéry, il est nécessaire de rappeler que ce poème s’apparente si l’on s’en rapporte à diverses tentatives similaires et antérieures de Mallarmé à un rituel qui ne saurait être partagé sans initiation aux premiers venus, sans cette préparation son hermétique incompréhensibilité resterait lettre morte. Se risquer à une interprétation publique de ce poème est une véritable gageure.

    MACHINE ROUGE

    UN COUP DE DES JAMAIS N’ABOLIRA LE HASARD

    ( Festival Croisements / Post Mountain / Pékin /

    17 & 18 Avril 2015)

            Une toute petite salle, peu d’espace, une table ronde, serait-ce une allusion à celle des Mardis qui réunissait chez Mallarmé l’élite poétique symboliste, un lumignon posé dessus, qui exalte de sa lueur la blancheur de quelques feuilles épars de papier, l’on ne voit rien ou presque. L’image arbore une teinte oscillant entre bistre et grenat, le public est resserré, tassé sur l’étroite largeur de la scène, certains écoutent, d’autres sont sur leurs portables… on entraperçoit Francis R Cambuzat figé en une pose qui rappelle la fameuse et volatilesque marche chuck berryienne,  Gianna Greco, debout, dos au mur, basse en main, la musique est là, une machine électronique qui produit un bruit tournant, assez doux, entre pales d’hélicoptère et gloutonnements de lavabo avec en arrière-plan une espèce de stridulation tremblotante de cigales.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Dès l’énoncé du premier mot, est-ce vraiment un hasard s’il n’est autre que ‘’un’’, deux constatations s’imposent, la première c’est que nous assistons à un récital de Denis Lavant. C’est-lui la vedette – ce qui ne respecte pas l’impersonnalisation du poème voulue par Mallarmé, les musiciens sont des accompagnateurs, pratiquement relégués au rang d’accessoires.

             La deuxième, c’est l’apparition de chaque mot, puis de chaque ensemble de vocables expectorés par Lavant en surimpression mouvante, en gros caractères, repris aussi selon une ligne horizontale très discrètes à mi-hauteur de l’image. C’est-là le travail de Carlo Mazzotta, rattache le dire au texte, l’idée n’est pas de permettre au public qui regarde la vidéo de mieux comprendre le texte, mais de rappeler que le vertige du poème n’est pas dans son élocution mais dans son écriture, tout en faisant d’une simple vidéo une espèce d’opéra d’art total  qui allie musique, théâtralité, peinture, élocution, et texte, un semblant de mini opéra wagnérien du pauvre, afin de rappeler que toutes ces disciplines artistiques qui ne sont pas poésie ne sont pas là pour mettre en valeur la poésie, mais que la poésie reste le noyau germinatif qui leur donne la possibilité d’apparaître. Et aussi de disparaître.

             Denis Lavant seul face au texte. Il choisit l’intensité de la déclamation. Il hurle, pratiquement chaque mot, il s’essaie à un vacarme qui soit à la hauteur du drame cosmique qui se déroule dans le poème. L’est soutenu par des coups violents de batterie qui ponctuent chacune de ses expectorations. La caméra est maintenant plein-champ, toute la largeur de la scène accueille un public silencieux, sagement assis qui écoute. Des amplifications de guitares viennent à sa rescousse, tout est fait comme dans un film pour signaler aux spectateurs que si la musique monte c’est qu’il est en train de se passer quelque chose d’important là.

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Denis Lavant fait de grands gestes de désignation, le texte qui s’inscrit en petites lettres blanches tente de reproduire la typographie échevelée du poème. Denis joue. Il fait l’acteur. N’est plus qu’un théâtreux debout sur la table qui cherche à épater la galerie… Ne s’appuie jamais sur la musique que tissent ses deux acolytes, l’a tort, car ils amènent l’impression de grandeur qui manque à ce qu’il faut bien se résoudre à définir comme des pitreries dépourvues de toute profondeur métaphysique. Les stridences guitariques ont pris le commandement, Lavant déambule sans but précis, il vitupère sans le venin de la guitare, la musique mange les mots, elle bouffe la poésie – tout l’envers des volitions mallarméennes – concentrés, agenouillés Francis et Gianna, tournent les boutons de leur tableau de bord, des sifflements – ceux qu’Igitur entendait dans son conte – maintenant Lavant susurre, plume qui choit dans le tourbillon d’écume, l’est moqueur, l’a l’air d’un ivrogne victorieux qui a assez bu pour ne pas se prendre au sérieux, l’on se dirige vers la fin du poème, il donne l’impression de n’en pas saisir la portée cosmologique alors que Gianna et Francis lancent une rythmique obsédante, Lavant tourne sur lui-même, comme la roulette du casino,  alors que s’affiche le mot hasard, ensuite il déglutit un long monologue celui de l’échec, l’accompagnement musical perd de sa splendeur, Lavant a l’air joyeux, la limitation humaine lui paraît de bonne guerre, et lorsque la constellation finale point à l’horizon, son timbre reste sceptique, l’on s’attendrait à ce que la musique ne se contente pas de ses passages à vide destinés à exalter l’impatience des fans avant le déchaînement final, il n’en sera rien, l’on se dirige vers un minuscule kaos répétitif, scandé par Denis Lavant, le ressassement satisfait du nihilisme incapable de briser la barrière de ses renoncements.

             Une belle performance d’acteur, certes. Soutenus par deux bons musiciens. Elle ravira bien des auditeurs qui ne connaissent pas le poème.  Toutefois la lecture de Denis Lavant ne nous satisfait pas. Etrangement nous dirons que cette lecture est trop poétique dans le mauvais sens de ce terme. Trop culturellement attendue. Elle est un spectacle. Pas un acte. Machine pas assez rouge.

    Damie Chad.

              

    JONI MITCHELL

    LE SPLEEN ET LA COLERE

    Clara & Julia Kuperberg

     ( ARTEYT )

     

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

    Pas vraiment un documentaire – même si les images archives raviront les amateurs du mouvement hippie, notamment les fans de Crosby, Stills, Nash & Young. Pas vraiment un film non plus, même si ces 52 minutes sont ainsi présentées. Un portrait. D’une artiste. D’une grande artiste. J’ai toujours aimé cette fille, même si je n’ai suivi sa carrière que de loin. Mais sa façon de poser sa voix. De monter et de descendre. Prenez ce second verbe comme dans un roman policier où le héros abat quelqu’un. Car c’est ainsi qu’elle chante. Débute par une harmonie angélique, pour la casser aussitôt. Idem à la guitare. L’expression d’accords ouverts devraient être réservée à elle seule. Elle ouvre la porte du paradis, jusque-là c’est parfait, mais elle n’entre pas, elle fait demi-tour, et elle s’en va en laissant la porte ouverte. A croire que ce qu’elle a entrevu ne vaut pas tripette, tout le monde peut entrer sans se donner la peine de frapper, pour elle, ça ne vaut pas le coup, elle a déjà vu mieux ailleurs. En elle-même. La beauté intérieure de ses émotions, de son accointance, toute de retenue, au monde lui suffit.

    Pas étonnant qu’elle ait mis du jazz dans son folk. Elle est comme la feuille de l’arbre qui arbore de nouvelles teintes selon la saison. Elle ne change pas, le temps avive et pâlit les tatouages – c’est ainsi qu’elle décrit ses chansons – elles viennent de loin, d’une source poétique enfouie au plus profond d’elle. Elle a cet avantage sur Dylan de ne pas être prisonnière d’une culture de référence biblique, elle puise en elle seule. Les miroirs agissent ainsi capturant les reflets de de ce et de ceux qui passent dans leur champ de vision. De son chant de vision à elle.

    Elle pose des mots, et des couleurs. Car elle peint aussi. Il existe d’étranges similitudes entre certains de ses tableaux et ceux de Dylan. Peut-être sont-ils tous deux un peu trop obsédés par le déploiement historial de la peinture européenne pour peindre la réalité américaine. D’où la nécessité du recours à la poésie. Je la compare souvent, dans sa manière de poser les mots à Emily Dickinson, mais une Dickinson qui a su sortir de sa chambre mentale pour parcourir le vaste monde.

    L’a su garder sa liberté. N’est pas restée prisonnière de son personnage. Elle a refusé d’évoluer dans le sens passe-partout de cette expression. Elle a suivi les hauts et les bas de ses propres cassures, de ses brisures intérieures, elle descend dans ses propres gouffres et escalade ses propres escarpements. C’est elle qui sculpte les aléas de sa vie.

    Et puis il y a cette beauté physique, cette blancheur intangible, la même qu’entrevoit Arthur Gordon Pym à la fin de ses aventures. C’est que les corbeaux sont toujours noirs qu’ils soient de Van Gogh ou d’Edgar Allan Poe.

    Damie Chad.

     

     

    ELVIS

    BAZ LUHMANN

     ( Sortie française : 22 Juin 2022 )

     

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

    Un film sur Elvis, enfin ! Pas trop tôt. C’étaient les premières réactions. Les suivantes puisaient dans le tonneau de l’inquiétude : que vont-ils nous sortir, avec eux il est bon de s’attendre au pire. Dans les milieux rockabilly, la rumeur n’en finissait pas de ronger les cerveaux. A peine le film était-il visible sur les écrans que les comptes-rendus n’ont cessé de fleurir. Surprise, dans l’ensemble ils étaient favorables. Le réalisateur et les acteurs s’étaient bien débrouillés. Acceptable, honnête, l’inquisition rockabillyenne n’a pas déchaîné ses foudres. Ailleurs dans la presse officielle, nombre de journalistes ne firent même pas attention à Elvis. Un comparse dans le film, le second rôle, le premier était dévolu au Colonel Parker. Manifestement ils n’en avaient jamais entendu parler.

    Je vais faire pire qu’eux, non seulement je ne m’attarderai pas sur le Colonel mais tout juste si j’évoquerai Elvis. Ce n’est pas que nous ne l’aimons pas mais nous avons dû déjà consacrer une quinzaine de chronics au king du rock’n’roll, la dernière pas plus tard que la semaine dernière, Marie Desjardins se proposant de s’infiltrer dans la psyché d’Elvis afin d’analyser les rouages grippés du métabolisme relationnel qui présida à tous ses actes, ses rejets, ses acceptations, ses contradictions… chaque individu est pour le reste de l’humanité un univers infini et inconnu qui n’en possède pas moins de strictes limitations dont il est quasi-impossible de cerner avec exactitude les contours.

    Me contenterai de parler du support, du film. M’a plu, car Baz Luhmann a su se saisir, ou du moins s’approcher d’un certain aspect de l’essence du rock ‘n’roll. Bien sûr c’est une musique populaire américaine. Oui il vient du blues, mais son origine réside d’après moi tant au niveau historial qu’ontologique ( je ne suis pas le seul à le penser ) dans la fête foraine et l’art du cirque. Balance sans arrêt du risque au truquage. L’on oscille sempiternellement dans un univers impitoyable, entre le trapèze et la chute, entre le tremplin et le plouf. Moitié spectacle de catch et moitié authenticité, le mélodrame où tous les coups qui font mal sont portés et toutes les ficelles de l’esbrouffe sont permises. Le mélodrame, tantôt mélo-pathos-pâteux et le drame humain d’être un homme. Une métaphysique entertaine-mentale qui se déroule dans le monde physique mais qui escamote l’après (méta) que l’on cache soigneusement dans les coulisses du désespoir ou de la superficialité. Toute la différence existentielle entre se mettre en scène et être mis en scène. La marionnette de Kleist ou le joueur d’échec de Maelzel d’Edgar Poe.

    La règle est simple. Vous passez à la caisse et vous devez en avoir pour votre argent. Vous donnez du flouze, l’on vous rend du flou. Le pire c’est que vous êtes content. Tour de passe-passe. Sur un rythme effréné Baz Luhmann vous dévoile le décor et l’envers du décor. L’est le magicien qui vous démonte la boîte vide, l’assemble devant vous, la ferme, la transperce de quelques fleurets puis l’ouvre et vous découvre Elvis le corps traversé par des épées qui ne le tuent pas. Le Christ descend de sa croix tout sourire, pendant que vous applaudissez vous ne vous apercevez pas qu’il s’écroule dans son cercueil. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Le film se termine sur cette apothéose meurtrière. La catharsis aristotélicienne est respectée.

    En France dans le même ordre d’idée, nous avons eu 1972 le Johnny Hallyday Circus. Johnny s’en est tiré vivant mais le cirque a fait flop. Cherchez l’erreur.

    Damie Chad.

     

     

    BIJOU  ( SVP )

    PAVILLON DES SPORTS / PROVINS

    ( 01 / 07 / 2022 )

     

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Cornegidouille, la queue pour entrer dans un concert rock à Provins. Plus de sept cent cinquante entrées. L’on doit être dans un film de science-fiction. Nuançons. Ce doit être tous des fans de Jacques Rogy ( collection Spirale ) et de René son inénarrable chauffeur qui à longueur de pages répète qu’avant les grandes occasions il faut toujours se sustenter. Toutes les tables sont prises, dans les marabouts l’on s’active autour de la cuisson des saucisses, et à trois euros la mini-bouteille d’eau de source les commerçants ne font pas grise mine. Fait chaud et c’est la première sortie post-covid sans masque obligatoire à laquelle se risquent les provinois…

             Bref ça baffre, ça bouffe, ça discute, ça rigole à plein gosier. Manifestement ne sont pas là pour le coffre à Bijou… La preuve mathématique est vite faite. Lorsque le groupe s’installe, nous ne sommes que quatre devant la scène. A la fin du set par un peu prompt renfort nous finîmes à quinze. Scène de la vie de province aurait écrit Balzac…

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

             Frank Ballier bat le beurre – pour reprendre une expression du Cat Zengler – c’est honnête mais peu généreux. Le grand escogriffe sur notre gauche, avec sa Gretsch c’est Pat Llaberia, se débrouille plus que bien, au tir à la corde et à la voix, assume un tiers des morceaux, enfin le seul membre originel du groupe Phillipe Dauga branche sa basse sur son Peavey. Ce dernier détail est de la plus haute importance.

             Grimacent et rient, du genre on a connu d’autres galères et l’on s’en est toujours sortis. Vont dérouler de vieux morceaux historiques, quelques nouveaux, quelques reprises, en français et en anglais. Peu de monde, parfait, ils vont jouer fort, très fort. C’est-là où le Peavey entre en scène. Dauga a le son. Va en abreuver la population, vous ne m’écoutez pas, vous m’entendrez, style Jeanne d’Arc sur le bûcher, vous ne m’avez pas crue vous m’aurez cuite, avec ses cheveux blancs, ses réflexions désabusées, et sa manière de valdinguer ses cordes, il sauve la situation. En fait l’on sent qu’il est heureux de jouer. Le concert est un véritable régal. Quand le rock frappe à la porte, pas besoin de l’ouvrir, il la défonce tout seul sans pitié. Rock, très rock. Lorsqu’ils arrêtent, les attablés surpris par le silence assourdissant, applaudissent tous ensemble. Voudraient-ils se faire pardonner…

             Sont suivis par La Légende ( du rock ). Sont une bonne dizaine sur scène. Les requins du coin. Enfilent les standards. Au millimètre près. Derrière eux sur grand écran une vidéo des groupes dont ils copient à l’identique le morceau, c’est-là que je m’aperçois que les Doobie Brothers possèdent des rangées de Peaveys encore plus nombreuses que ma collection de zéros en préparation latine, autrement la Légende assure. Mais comme dirait Mallarmé ce n’est pas l’Azur… je m’ennuie – pourtant cette fois ils sont bien cent cinquante autour de moi à applaudir métronomiquement à la fin de chaque titre – donc je m’ennuie, un peu, beaucoup, énormément, alors à la fin du sixième morceau je m’éclipse et rentre chez moi.

    Damie Chad.

     

    *

    La bande du Drugstore, celle de Zermati, vous connaissez ? Oui, mais l’autre, celle du second Drugstore ? Non ! N’ayez pas honte, moi non plus avant que je ne lise ce livre.

    1976

    LA BANDE DES ‘’TERREURS’’

    DU ROND-POINT DES CHAMPS-ELYSEES

    PATRICK CANNET

     

    larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

    Y a Champs-Elysées et Champs Elysées. Je ne parle pas des champs d’asphodèles souterrains de la Grèce antique, mais de notre prestigieuse avenue présidentielle, pas celle de la haute-bourgeoisie, celle des petites mains. De la valetaille qui travaille dans les entrailles et les sous-sols. Patrick Cannet n’est pas né avec une spoonfull dorée dans la bouche, deux sœurs – une grande et une petite ( elle compte pour du beurre ), un frère, le père est parti, la maman courageuse et débrouillarde est restée, elle accumule les petits boulots pour permettre à sa couvée de survivre.

    Ne pleurez pas, Patrick Cannet n’échangera pas son enfance contre la vôtre, l’est heureux, l’a un immense terrain de jeux, les places, les parcs et les rues du triangle Monceau-Elysées- Tuilerie, et puis les copains, Samuel, Raphaël, Armando, Justin, Miagy, Chen… une belle bande de potes inséparables, ne portent pas le Perfecto, nous sommes en 1976, sont des mômes, des gamins, n'ont qu’un idéal : Saint-Etienne. Non pour sa Manufacture, pour son équipe de foot, passent leur temps à d’interminables parties, le foot toujours recommencé…

    Le problème de l’enfance, c’est qu’elle a une fin, une faim d’absolu aussi, mais ceci est une autre histoire, le tout est de s’en sortir sans trop de mal. Petits services, petits billets, des expériences qui vous aident à vous frotter au monde des adultes, à prendre la mesure des choses et des gens… Reste aussi l’autre problème, celui d’entrer dans l’adolescence. L’autoroute, non le sentier, de dégagement c’est la musique. Les disques de la grande sœur, des rencontres qui vous font découvrir des sons étranges venus d’ailleurs et de partout, Peter Frampton, Chicago, Beatles, la grande sœur qui fréquente des bandes de rocker du côté de la Bastille…

    C’est tout. Un coup de ciseaux pour terminer la première bobine du film, notre héros se fait renverser par une voiture… la vie suivra son cour, Patrick Cannet ne deviendra ni chanteur ni musicien de rock, sa vie emprunte un autre chemin, dont il ne dit rien. N’est pas un parleur. L’est du genre pudique. Ne dévoile rien. Suggère à mots couverts. Ne décrit pas, il évoque, rien de nouveau ou de révolutionnaire, le récit pas très long, d’une enfance, personnelle et similaire, unique et partagée, qui ressemble à tant d’autres…

    Un excellent contre-point, une autre jeunesse, anonyme, ignorée, qui a existé aussi, même si les projecteurs ne se sont jamais braqués sur elle. L’envers de l’histoire contemporaine. L’autre côté de la clinquance des miroirs.

    Damie Chad.