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elvis presley

  • CHRONIQUES DE POURPRE 588 : KR'TNT 588 : DAVID CROSBY / WHITE STRIPES / ELVIS PRESLEY / THE CULT / OTIS LEAVIL / THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT / CHAOTIC BOUNDS SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 588

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 02 / 2023

    DAVID CROSBY / WHITE STRIPES

    THE CULT / ELVIS PRESLEY / OTIS LEAVIL

    THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT 

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 588

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    Crosbibi Fricotin - Part Two

     

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             S’il est un personnage attachant dans l’histoire du rock, c’est bien David Crosby. Ça doit faire quarante ans qu’on est là à se dire : «Ahhh, comme il est doué, ce Croz !». Il a navigué dans l’histoire du rock à sa façon, sans heurts, entouré de belles femmes et équipé des meilleures drogues. On le retrouve sur des disques qui figurent parmi les grands classiques du rock américain : les premiers albums des Byrds, CS&N, mais aussi ses albums solo. Qui fera le tour du propriétaire s’apercevra qu’il n’y a quasiment pas de déchets dans cette impressionnante série d’albums. Croz est l’hédoniste des temps modernes, au sens où Oscar Wilde l’était en cette fin de XIXe siècle pourtant riche en personnalités extrêmement raffinées.

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             Non seulement les quatre premiers disques des Byrds te rendaient dingue, à l’époque, mais ça prit des proportions encore plus spectaculaires avec le premier album de CS&N et surtout le premier album solo de Croz, If I Could Only Remember My Name, qui reste avec Electric Ladyland l’un des plus grands disques de rock psychédélique de tous les temps. Croz est un grand héros américain, au même titre que Captain Beefheart, J.B. Lenoir, Muddy Waters, Wolf et Jeffrey Lee Pierce. On en prend la mesure en lisant le premier volume de ses mémoires, Long Time Gone. On se délecte de ses récits de rocker et de navigateur, au gouvernail du Mayan, de son apologie des armes et des drogues, mais aussi du récit qu’il fait de ses incarcérations.

             Croz fournit le fil rouge de Long Time Gone, et des témoignages d’amis et de collaborateurs viennent étoffer le récit. Cet ouvrage est certainement l’un des plus passionnants et des plus honnêtes du genre. Au long des 500 pages que compte ce pavé, Croz dit tout de sa passion dévorante pour la dope et donne tous les détails de ses incarcérations successives. 

             Il est arrêté une première fois sur Sunset Boulevard alors qu’il fume une bonne pipe d’herbe au volant. Rangez-vous ! Le bourre ouvre le coffre et trouve un kilo d’herbe et un calibre chargé. Allez hop, au poste ! Croz dit qu’il n’est pas au courant du kilo et du calibre. Ça ne m’appartient pas ! On le relâche. Pendant quelques temps, Croz va jouer avec le feu, en circulant complètement défoncé dans ses voitures de sport et sur ses grosses motos. Il tourne à la freebase. Pour ceux que ça pourrait intéresser, il donne tout le détail de la façon dont on prépare une pipe et du rush que ça provoque. Un soir, sur l’autoroute de San Diego, il perd le contrôle de sa voiture. Les condés le ramassent, comme la première fois, avec tout le matos du parfait camé et un calibre chargé. Il passe la nuit au trou. Le lendemain matin, il est libéré sous caution. On commence à parler de l’affreux camé Crosby dans la presse. Il est arrêté une troisième fois en septembre 1982. La volaille de Culver City le chope à sa sortie de scène. Croz doit encore payer pour sortir des pattes des flics qui veulent sa peau. C’était courant à l’époque : les condés s’acharnaient sur les rock stars qui se rendaient vulnérables en se camant ouvertement. Pour financer sa freebase, Croz revend ses bagnoles (une Ferrari, deux Mercedes, une 6,9 litres et une 6,3 qu’il revend à un dealer pour une livre de coke et quatre mille dollars). Croz passe son temps à disparaître pour aller fumer sa pipe, même en avion, où c’est interdit - By that time, if I didn’t have my drugs, I couldn’t function - Stills excédé lui a jeté un soir un seau d’eau dans la gueule. Croz a réagi en lançant : «If Ray Charles can do it, I can do it. If Coltrane could do it, I can do it !». Croz et sa poule Jan prennent un avion à Kansas City. Ils se font poirer avec deux sacs suspects qui contiennent le matos habituel et les armes de Croz. Jan prend tout sur elle. Chef d’inculpation : piraterie aérienne. Ça commence à chauffer pour de bon. Elle s’en sort en acceptant de suivre un programme de probation. Un soir, alors qu’il roule en Harley, un flic arrête Croz et demande à voir ce que contient le fameux sac à dos qu’il trimballe partout avec lui. Il doit verser 5 000 dollars pour sortir du ballon. Et page après page, il raconte la descente aux enfers classique, les amis qui s’éloignent, les revenus qui se tarissent, la crasse qui s’installe dans la baraque et la transformation physique. Croz à l’époque est complètement bouffi. Jan est encore plus accro que lui. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. On oblige Croz à se désintoxiquer, mais il fait le mur et prend la fuite. Puis les flics du Texas viennent le chercher à Greenwich Village. Croz écrit tellement bien ses mémoires que son récit fonctionne comme un film d’action. Ils tapent à la porte et disent bonjour. Croz se retrouve au ballon à Dallas et une fois de plus, il réussit à sortir sous caution. Retour à LA. Au bout de 14 ans de régime junk, Croz ressemble à un clochard. Comme sa liberté ne tient plus qu’à un fil, il prend une bagnole et file vers le Nord à la recherche du Mayan, dont il n’a plus de nouvelles depuis longtemps. Il espère lever l’ancre et prendre le large, vers le soleil. Mais il comprend que la rigolade est terminée. Il arrive pieds nus au bureau du FBI de Palm Beach pour se rendre. Et là commence l’extraordinaire récit de son incarcération. Il ne fera qu’une année de placard, mais il dit ne rien regretter de cette expérience. Et forcément, il est désintoxiqué d’office. C’est un Croz bouffi aux cheveux courts et sans moustache qui sortira du Texas Department of Corrections d’Huntsville en août 1986.

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             Il brosse aussi des portraits spectaculaires des gens qu’il admire : John Coltrane (Croz raconte comment il s’est retrouvé avec deux amis - les trois seuls blancs - dans un club noir de Chicago, Coltrane est sur scène avec McCoy Tyner et Elvin Jones, ils prennent des solos à tour de rôle, Coltrane sort de scène, et Croz ne peut pas supporter l’intensité du solo d’Elvin Jones, alors il se réfugie aux gogues, il essaie de reprendre conscience, «when the door went wham and in walks John Coltrane, still playing at top intensity and volume, totally into it», oui, Trane entre et continue à jouer en solo, à fond - he blew me out so bad I slid down the wall - Croz s’écroule. Il pense que Trane ne l’a même pas vu - but he totally turned my mind to Jell-O at that point (Trane lui a réduit la cervelle en bouillie) - Portait de George Harrison - There are people that tell me I turned him on to Indian music (des gens disent que je l’ai branché sur la musique indienne). I know I was turning everybody I met on to Ravi Shankar because I thought Ravi Shankar and John Coltrane were the two greatest melodic creators on the planet and I think I was probably right (Croz poussait tous ceux qu’il rencontrait à écouter Ravi Shankar, car il pensait que lui et Trane étaient les deux plus grands mélodistes du monde) - Encore un sacré portrait, celui de Mama Cass. Elle et Croz étaient très proches et prenaient de l’héro ensemble - We used to get loaded with each other a lot. We loved London because there was pharmaceutical heroin availiable in drugstores (ils adoraient Londres où on pouvait se procurer de l’héro dans les drugstores) - Tiens et puis Joni Mitchell, découverte par Croz. «Guinnevere», qui se trouve sur le premier album de CS&N, est une balade létale dédiée à Joni Mitchell, dont il s’était amouraché et dont il avait produit le premier album avant de la céder à Graham Nash qui voulait absolument la baiser, comme il voulait baiser toutes les poules de ses amis. Joli portrait d’Ahmet Ertegun, le boss d’Atlantic - Sweet man that he is and gentleman that he is, Ahmet loves music - Ce gentleman aime vraiment la musique, ce qui pour Croz est assez rare dans l’industrie musicale. Il ajoute que John Hammond Sr est aussi une exception, puisqu’il a enregistré Billie Holiday ET Bob Dylan. Et puis, comme on l’imagine, il brosse aussi des portraits sensibles de Roger McGuinn, du Nash et de Jerry Garcia.

             Croz n’a pas fait les choses à moitié. Toute sa vie, il n’a fait que tendre vers l’excellence. On dispose de toutes les preuves.

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             Les Byrds font partie d’une autre histoire, aussi va-t-on sauter en 1969, année de parution du miraculeux premier album de CS&N, trois larrons surdoués qui avaient décidé de chanter ensemble pour pousser le bouchons des harmonies à trois voix. Dans son book, Croz n’en finit plus de saluer l’immense talent de Stephen Stills. N’oublie pas que Jimi Hendrix voulait Stills comme bassiste dans son groupe. Quand on écoute ou qu’on réécoute «Suite Judy Blue Eyes», on se régale. C’est du très grand art. Non seulement Stephen Stills fait un festival au chant et à la gratte, mais il en fait un aussi au bassmatic. CS&N nous gratifient d’une fin de morceau absolument démente. Pour Nash et Croz, ce fut de toute évidence un privilège que de chanter sur un cut de Stills. Ahmet Ertegun qui les signa sur Atlantic comprit qu’ils étaient la crème de la crème du rock américain. «Marrakesh Express» est un hit du Nash - All on board on the Marrakesh express ! - Ce fut la musique des jours heureux, t’en souvient-il ? Puis c’est au tour de Croz d’entonner «Guinnevere». Pure magie. La beauté des personnages et la beauté du ciel, le destin leur souriait à pleines dents. En B, tu tombes sur le hit intemporel du trio, «Wooden Ship», co-signé Croz-Stills, l’archétype du rock psychédélique, monté sur une monstrueuse bassline et noyé de guitare liquide. Cut magique, encore une fois - Wooden ships on the water, very free and ea-sy - à bord d’un voilier, libre et riche, cette image allait préfigurer le style de vie de Croz. Ce cut semblait tellement en avance sur son époque. Et puis tu as «Long Time Gone», un groove infernal qui pose vraiment les bases du rock psychédélique, la mélopée court sur un tapis d’harmonies ensorcelantes. «Long Time Gone» va hanter une génération entière. Croz et ses amis ne craignaient plus rien. Ils avaient les chansons. Comme les Beatles. Ils accédaient directement au superstardom.

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             Pour leur second album, Déjà Vu, ils ont incorporé Neil Young, déjà célébré par le public américain pour ses albums solos et vieux compagnon de route de Stills dans Buffalo Springfield. Neil Young arrive dans CSN&Y comme un cheveu dans la soupe. Sa «Country Girl» n’a rien à faire sur cet album, c’est du Neil Young, un style complètement différent. De son côté, le Nash continue de faire sa petite pop anglaise. Ce gros malin a réussi à refourguer «Teach Your Children» à ses copains qui ne disent rien, car ils sont gentils. Mais ça n’arrive évidemment pas à la cheville de «Wooden Ships» ni de «Long Time Gone». Heureusement, Croz veille au grain et ramène «Almost Cut My hair», encore un groove chargé de sens psyché. Il sait tirer sur certaines syllabes, juste ce qu’il faut de fabulosité. Croz est un formidable déchireur de ciels, un explorateur de paradis artificiels. Il donne du temps au temps du groove. L’autre pièce de choix qu’il ramène pour cet album, c’est le morceau titre. Il y recycle son admiration du «Love Supreme» de John Coltrane. Musicalement, Croz est nettement plus évolué que ses collègues. Il navigue à le recherche de passages vers d’autres océans. «Woodstock» est une compo de Joni Mitchell, qui reste un modèle d’harmonies vocales rockées au roll suprême. On l’entend dans le générique de Woodstock, un film qu’on peut revoir chaque année sans jamais s’ennuyer.

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             Croz embarque tous ses copains du Bay area dans l’aventure de l’album rouge, If I Could Only Remember My Name. «Cowboy Movie», qui est monté sur le même genre de groove magique que «Long Time Gone», raconte l’histoire d’un gang de pilleurs de trains et d’une fausse Indienne. Les autres morceaux de l’album fleurent bon le mescal («Tamalpass High (At About 3)»), le mélopique enchanteur («Laughin’»), le très haut niveau - huit miles - («What Are The Names») et la pure mélodie, avec des voix qui pépillent dans la tiédeur des alizés («Song With No Words»). Croz cultive essentiellement une vision du monde très pure.

             Comme il s’entend bien avec son collègue Nash de Manchester, ils font des albums ensemble, sur le même principe que dans CS&N : chacun ramène sa gamelle.

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             C’est là où il faut feuilleter les mémoires de Nash, parues récemment sous le titre Wild Tales - A Rock & Roll Life, car avant d’être un livre consacré à lui-même, c’est d’abord un livre consacré à Croz. À travers le Nash, on comprend que Croz est un être sur-dimensionné qui dévore tout ce qui l’entoure, et une demi-portion comme Nash ne fait évidemment pas le poids. Nash explique que Croz a façonné sa vie et sa carrière, dès leur première rencontre, chez Cass Elliot. Nash n’en finit plus de brosser et de rebrosser le portrait de Croz : «Il était irrévérencieux, amusant, brillant. C’était un hédoniste à l’état le plus pur. Il avait toujours la meilleure herbe, les plus belles femmes, et elles étaient toujours déshabillées. Quand il passait un coup de fil, une fille lui taillait une pipe.» Nash est fasciné par les exploits de Croz le camé. Il raconte comment Croz vend sa Mercedes à un dealer, puis quand Croz apprend que le dealer vient de faire une orverdose, il va récupérer les clés de sa bagnole sur le corps encore tiède du dealer pour aller revendre la Mercedes à un quelqu’un d’autre - Then he had the balls to resell the car to someone else. Like I said : freaky - Nash raconte qu’à la pire époque, Croz et Jan étaient couverts d’escarres, d’ampoules et de brûlures, car ils utilisaient un petit chalumeau pour chauffer leur pipe, même dans les avions où c’était formellement interdit. Nash se souvient d’avoir vu Croz dans une émission CNN en 1983. Il s’agissait d’un reportage et la caméra filmait la salle du tribunal où Croz était jugé pour usage de drogue. Croz s’était endormi et on l’entendait ronfler bruyamment, au grand dam du Président qui était scandalisé et qui parlait de félonie. Nash apprit ensuite que Croz était même allé fumer sa pipe dans les toilettes du tribunal. Alors bien sûr, en comparaison, les aventures de Nash ne font pas le poids. Ce pauvre Nash finit comme la grande majorité des gens pauvres qui deviennent riches : il devient très sensible aux honneurs, surtout quand il est décoré par la Reine d’Angleterre. Avant de refermer cette parenthèse, signalons tout de même qu’on trouve dans les mémoires de Nash de très belles pages sur la Cavern de Liverpool et les Beatles de 1963, sur Cass Elliot, sur Stephen Stills, Joni Mitchell, mais aussi des pages extrêmement embarrassantes où Nash essaye de justifier au mieux la façon dont il s’est comporté avec ses amis d’enfance, les Hollies. Il faut bien parler de trahison, comme dans le cas de Steve Marriott avec les Small Faces. Nash a beau dire que les Hollies n’étaient pas capables d’évoluer musicalement, on ne trahit pas des amis pour une raison aussi futile. Il est si mal à l’aise avec cet épisode qu’il se réjouit pendant des pages entières d’avoir pu se réconcilier avec Allan Clarke et les autres. Mais on sent une certaine forme de puanteur, un peu comme chez Dave Grohl qui lui aussi s’était spécialisé dans l’opportunisme pathologique, n’hésitant jamais à trahir un ami pour avancer. Et voilà, c’est toute la différence entre un mec comme Croz dont l’humanité reste indiscutable et un personnage comme Nash qui porte sur la figure l’ombre shakespearienne de sa félonie. C’est dans son livre. Lit qui peut.

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             Premier album du duo Crosby & Nash en 1972. On fait très vite la différence entre les compos de Nash et celles de Croz. Nash ramène sa petite pop anglaise déracinée et souvent cousue de fil blanc. Croz ramène des compos extrêmement ambitieuses pour l’époque, comme «Whole Cloth», qui sonne comme un groove visionnaire - On what do you base yourself my friend ? Can you see around the bend ? - Digne de «Wooden Ships», avec un solo de Danny Kootch. On sent chez Croz l’ampleur océanique. Sur «Games», Croz laisse planer sa voix. En l’écoutant chanter, on a l’impression de voir un galion dériver dans le golfe du Mexique. On ne sait pas où il veut aller, mais il reste toujours à proximité d’un soleil radieux posé en équilibre sur l’horizon en flammes. Chez Croz, on retrouve invariablement cette vibration d’orange solaire. Encore une belle pièce de groove avec «The Wall Song». Il reste dans la suspension, dans le flic-floc antédiluvien. Jerry Garcia et Phil Lesh du Grateful Dead l’accompagnent, donnant au groove un parfum psychédélique extrêmement capiteux.

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             Le deuxième album du duo, Wind On The Water, sort en 1975. Il s’ouvre sur une compo merveilleuse de Croz, «Carry Me», qui se solde par une spectaculaire explosion d’harmonies vocales. Nos deux asticots s’en donnent à cœur joie. Comme d’habitude, les compos de Nash sont sympa, mais elles restent très anglaises et ne peuvent en aucun cas rivaliser avec ce qui sort de la grosse tête de Croz. Comme par exemple «Bittersweet», une pièce proprement océanique - Oh I need the heat - fabuleux besoin de chaleur monté à l’octave de l’harmonique, un groove jazzé à la Croz et traversé de fulgurances. «Low Down Payment» est encore signé Croz, jazzé dans l’attaque et accidenté de brisures de rythme somptueuses - It’ a low down payment on this pillar/ Pillar of salt - Puissant et ambitieux - If the damn thing just had a heart/ If I had a heart - some kinda heart - Il va rester dans le même esprit pour «Homeward Through The Haze», une drug-song jazzée elle aussi et d’une rare élégance - Cause the blind are leading the blind/ And I am amazed at how they stumble/ Homeward Through The Haze - Il finit avec une chanson sur les baleines dont il parle assez longuement dans son livre.

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             Leur troisième album s’appelle Whistling Down The Wire. Sur la pochette, ils ont l’air drôles. Croz est un peu joufflu, jovial, avec sa moustache en dents d’ours et ses petits yeux de navigateur. En Nash remontent tous les travers de l’Anglais pingre, avec le nez pointu surplombant un balai à chiottes jaunâtre et des petits yeux qui caractérisent si bien l’étriquement moral britannique dans toute son horreur. Tu as du pur Croz avec «Broken Bird», tu retrouves l’éther du premier album de CS&N, avec des nappes d’unisson emportées par le vent du soir, cette musique qui se voulait l’incarnation d’une certaine paix. Encore une mélodie en suspension avec «Time After Time». Croz emmène tout ça au loin. Avec «Dancer», ambitieux comme pas deux, on sent que Croz écoute Sun Ra, Trane et Ravi Shankar. On retrouve des coups de magie unissonique dans «Taken At All», et nos deux larrons s’entendent bien. Ils sont capables de créer un véritable univers chantant et sensible. Croz fait dans l’atonal pour «Foolish Man». Il navigue entre deux eaux, comme poussé et fiévreux. Il a le même genre de vision océanique que Dennis Wilson. Il manie le sous-rythme jazzy à la Charlie Mingus. On retrouve aussi certains accents élégiaques de «Cowboy Movie». Pur génie crépusculaire. Encore une belle dérive avec «Out Of The Darkness», ces mecs adorent se laisser emporter par les courants et se sécher au soleil. 

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             Ils sortent un album live en plein boom punk, en 1977, et seuls les dedicated followers of the Croz-fashion vont aller écouter ça. Ils attaquent «Page 43» à contre-chant et suspendent ce groove aux lèvres argentées d’Ariane. Ici tout n’est que manière forte, excellence des ambiances, compulsion pré-établie de laid-back libératoire, tiédeur jalouse dans les branches d’un temps béni des dieux. Ces mecs savent jouer le groove à la perfection. Peu d’équivalents sur le marché, à part Paul Simon, et, dans un genre plus sombre, Mark Lanegan. On voit le groove de «Foolish Man» fuir vers l’horizon et la version de «Déjà Vu» se détache du rivage.

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             Toujours en 1977, le trio légendaire se reforme pour sortir un album et Croz emmène ses deux collègues à bord du Mayan, comme on peut le voir sur la pochette. Excellent album, mais en 1977, on écoutait autre chose. Avec «Shadow Captain», ils repartent au grand large. On les sent au soleil. Les compos de Stills sont plus classiques, comme «See The Changes», mais on ne sent plus la niaque du premier album. Dans ce contexte, la pop de Manchester que ramène Nash passe de moins en moins bien. L’écart se creuse terriblement. «Fair Game» est un petit mambo du père Stills, bien raffiné, attaqué au chant d’unisson du saucisson. C’est le cut accrocheur par excellence - just relax enjoy the ride - et Stills place un solo acoustique assez dément. On retrouve la voix de rêve de Croz dans «Anything At All». C’est une fabuleuse glissade dans l’intimité de la suspension. Il faut suivre les compos de Stills à la trace, car elles sont souvent intéressantes, comme par exemple ce «Dark Star» qu’il joue lead à l’acoustique. Avec «Just A Song Before I Go», on est rassuré de voir que ce n’est pas Croz qui a trouvé un titre aussi con, mais Nash. Belle pièce que ce «Run From Tears», du pur Stills, avec des chorus perchés dignes du premier album du trio. Stills joue des trucs sévères sur sa guitare - Girl I’m Drowning - Admirable et racé. Croz nous fait le coup de la latence paranormale avec «In My Dreams», il mène la danse des songes. Croz est bel et bien l’âme du rock californien. Stills referme la marche avec un brillant «I Give You Give Blind», ce qui au total, nous fait un album remarquable.

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             On croyait ces mecs finis, on les prenait pour des vieux schnocks de Woodstock. Il était même de bon ton de leur cracher dessus, à une certaine époque. Mais le train de nos insultes s’arrêtait à la gare de leur indifférence. Ils ont continué d’enregistrer des albums, dans la plus totale indifférence, tout au moins en Europe. Dans son book, Croz répète inlassablement qu’il parvenait toujours à générer du cash en concert, aux États-Unis. Beaucoup de cash. Ces mecs étaient devenus des super-stars de plein droit.

             Avec ou sans Neil Young, ils vont encore réussir à enregistrer quatre albums étalés sur vingt ans, sans compter la multitude d’albums solos enregistrés à droite et à gauche par les uns et les autres. Des quatre, le plus discret sera bien sûr Croz.

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             Nouvelle équipée de CS&N en 1982 avec Daylight Again. Ce n’est pas l’album du siècle, mais quand on suit Croz à la trace, on écoute Daylight Again attentivement. Nash consacre une chanson à Croz qui va mal : «Into The Darkness» - Your face is ghostly pale - Croz répond avec une magnifique drug-song, «Delta». Ils attaquent tous les trois - Of fast running rivers of choice and chance - c’est de la pure magie suspensive. Ils sont vraiment très fort. Croz propose un horizon. C’est Stills qui pond et qui joue le morceau titre. Il ne le lâche pas. Il peut tout jouer. Il renoue avec la magie de Woodstock. Oui, car n’en déplaise aux ignares, il y a bien eu de la magie à Woodstock.

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             Neil Young rejoint ses collègues pour l’album American Dream qui sort en 1988. Croz est sorti du ballon. Il est clean. On lui propose d’essayer des trucs, mais il dit non. Pas question de replonger. On retrouve sur cet album les compos classieuses de Stills, comme «Get It Made», très joli groove monté sur un beat soutenu. Croz ne ramène pas grand chose, juste deux morceaux, mais quels morceaux ! «Night Time For Generals» est une sorte de disco colérique que s’en viennent sauver les harmonies vocales. Et «Compass», encore une histoire de navigation. Croz raconte sa sortie des enfers - But like a compass seeking North/ There lives in me a still, sure, spirit part - Mais c’est Stills qui fait quasiment tout l’album, avec sa grosse guitare et ses riffs fatals. Il semble même qu’il se soit endurci en vieillissant.

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             Et comme ça va beaucoup mieux, Croz se remet à enregistrer des albums solo. On le croyait grillé. C’est mal connaître l’animal. Il revient avec un album en forme de clin d’œil malicieux, Oh Yes I Can. Son «Drive My Car» n’a rien à voir avec celui des Beatles. C’est plutôt un gros beat des années 80. Il aménage des petites zones de paix crozbique mais le beat vire salement FM. Cut après cut, il s’enfonce dans un rock FM atroce, jusqu’à «Tracks In The Dust», où on retrouve le vrai groove d’antan, celui qui fit sa légende - I think we’re passing through here kind of fast/ Did you think those tracks in the dust would last ? - Réflexion philosophique sur le côté très éphémère des choses de la vie. Croz met ça en musique pour le bonheur de nos cervelles, et ce cut à lui seul sauve tout l’album. La B est un peu plus solide. Il revient à la magie des ambiances faussement immobiles avec «Lady Of The Harbour». On retrouve sa belle bravoure d’attaque groovy. Il évoque dans «Distances» les distances qui séparent les êtres - Till this distance came in our lives - Fabuleux. On a l’impression qu’il s’agit toujours du même groove à la dérive, mais non, c’est à chaque fois une pièce intrinsèque, très solennelle et unique. Il met en musique le sentiment du beau unique. Voilà comment on pourrait qualifier l’art de Croz. Les ceusses qui apprécient les belles chansons et les mélodies jazzo-groovy devraient écouter Croz et son «Flying Man». Non seulement, il est l’âme du rock californien, mais il se pourrait bien qu’il soit aussi l’âme de CS&N. Malgré le piège de la prod années 80, Croz s’en tire avec tous les honneurs. Rares sont les disques produits dans ces années-là qu’on peut encore écouter aujourd’hui.   

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             CS&N sortent Live It Up en 1990. Pendant trois ou quatre titres, un gros malaise s’installe. Ils sonnent comme les Bee Gees période disco. Il faut attendre «Yours And Mine», co-signé par Croz et Nash pour retrouver la terre ferme. Croz raconte une histoire qui se déroule à Belfast et renoue avec le son original du trio. Le morceau qui sauve cet album s’appelle «Arrows», du pur Croz. Il tortille sa sauce à sa façon, avec un peu de gras dans le vrillé de la voix en suspension. Il reprend le large. Le morceau est destiné à tous ceux qui ne savent pas encore que Croz est un voyageur mythique, comme le fut Ulysse. Il traverse les mers inconnues à bord du Mayan. Il sauve encore un album par sa seule prestance de groover impénitent.   

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             Nouvel album solo en 1993 : Thousand Roads. Belle bête. Jimmy Webb lui a composé «Too Young To Die» et on sent aussitôt l’ambition d’un projet merveilleusement décontracté - Sweet old racing car of mine/ Roarin’ down that broken line - C’est un fabuleux hommage à James Dean et à Steve McQueen - When I die I don’t want to go to heaven/ I just wanna drive my beautiful machine up North on some Semona County road/ With Jimmy Dean and Steve McQueen/ All the boys be singin’ singin’ - C’est de la légende à l’état pur et ça lui va comme un gant. Croz tape aussi une compo avec Joni, «Yvette In English», et c’est encore une fois de la magie pure. On a là la pure élégance de la sensibilité supérieure - Little bit of instant bliss - voix diaphanes, guitare jazz, pureté de l’instant. Voilà encore un groove du paradis signé nounours. Sur «Thousand Roads», c’est Andy Fairweather Low qui joue de la guitare. Pur Californian Hell ! - Threre’s a thousand roads up this mountain/ You can get lost in a minute if you try - Encore un coup de génie. Croz peut rocker quand bon lui semble. Voilà ce qu’il faut retenir de cette histoire. «Natalie» est une chanson d’amour de plus, mais quand ça tombe dans les pattes de Croz, alors ça devient énorme. Rien qu’avec la voix et la vision, il creuse l’écart qui le sépare des autres. Il ne s’intéresse qu’à la portée de sa vision et donc à l’immensité.

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             It’s All Coming Back To Me Now fut enregistré au Whisky A GoGo en 1993. Croz ne proposait rien de moins que de jouer sur scène ses meilleurs cuts. C’est un disque un peu toxique. Croz y enfile ses cuts latents comme des perles. Il vient tout juste d’échapper à la mort. On vient de lui greffer un foie tout neuf, alors il peut poursuivre l’aventure de beauté commencée avec les Byrds et poursuivie avec ses amis Stills & Nash. On attend sa version de «Cowboy Movie» au virage. Le hit du siècle ? Va-t-en savoir. Il en joue la copie conforme - ahhhh yeah - on retrouve ces chutes de couplets extraordinaires. Croz torche son affaire avec une réelle grandeur d’âme. Avec des hits comme «Cowboy Movie», il est à l’abri. Il ne craint plus rien. Croz règne sur l’empire du groove en compagnie de Marvin Gaye et de Bobby Womack. On retrouve ce son classique de groove californien dans «Almost Cut My Hair». Il va chercher du gras dans le fond de son gosier. Il pose les conditions du groove majeur et c’est embarqué aux guitares. Et puis il tape dans ses plus grands hits, comme par exemple «Deja Vu». Graham Nash vient donner un coup de main - And now we’ll all get weird - Retour aux temps bénis du CS&N, avec une grosse dérive à travers le delta du néant et un solo de basse d’Hutch - oh yeah ! C’est une longue dérive primitive et on entend chanter les anges. Avec «Long Time Gone», Croz hisse l’étendard de la légende du rock américain. C’est du pur génie crozbique. Il passe immédiatement au délire des harmonies vocales et retrouve le secret des effarantes dynamiques intérieures. La beauté, c’est tout ce qu’on aime dans le rock, le choc des grooves et l’éclat des notes de guitares électriques, l’invraisemblable légèreté kunderienne des mélodies et l’oisophilie de l’autre, telle que la rêvait Edgar Allan Poe. «Wooden Ships» est encore un hit absolu. On voit se dessiner les coques des vaisseaux et scintiller les armures dans le crépuscule rosi-crozien. L’ami Croz et ses amis embarquent tout le monde dans une interminable version de dix minutes. On n’en demandait pas tant.

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             Nos quatre vieux cocos retournent en studio en 1999 pour enregistrer Looking Forward. Un album qu’on écoute juste pour savoir où ils en sont, comme on l’a fait avec le dernier Rod The Mod ou encore le dernier Dr John. On retrouve le fameux chacun pour sa pomme qui a tellement affaibli les albums précédents. Stills va sur le funky joyeux, Neil Young va sur la gratte au coin du feu et chante comme une chèvre sénile, à l’ancienne mode, Nash retapisse sa petite pop de Manchester qui commence à sentir le moisi. Et Croz ? Oh, il ramène un heavy blues rocky bardé d’accords mortels qu’il semble avoir sorti de la vase d’un marécage psychédélique : «Stand And Be Counted». Renversant ! Comme le pépère Jack Bruce en Angleterre, le pépère Croz peut réveiller les morts. Stills continue d’envoyer ses giclées de vieux, et Neil Young endort les chaumières avec ses morceaux usés et rafistolés par des pièces aux genoux. Croz est gentil de les accueillir dans le studio. Ça dégage tout de suite avec «Dream For Him». On sent le Mayan sous les alizés. On sent le mec qui a navigué. On sent la voix et la crinière au vent. On sent les années de freebase. C’est une vraie compo, pas un gadget de vieux. C’est même un groove exemplaire. Voilà le truc : chez Croz, c’est l’exemplaire. Il a toujours cette voix et ce goût des vraies mélodies, ce goût d’un style qu’il a initié avec «Cowboy Movie». On retrouve même par instants des accents du thème de «Woodstock», c’est dire si l’excellence règne à bord de «Dream For Him». 

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             Croz, nouvel album solo de Croz, paraît en 2014. La première écoute ressemble à un moment historique. Ce n’est pas tous les jours qu’on écoute un nouvel album de Croz. Comme tous les gens distingués, il sait se faire rare. «What’s Broken» est un joli groove panoramique ralenti. On retrouve ses vieilles tendances au trip. Pépère sait encore chanter. Avec «Time I Have», il fait allusion au mal dont on l’accuse - I’m looking to find some peace within me to embrace/ To encourage that smile to find my face/ Sometimes I’m winning - Il en profite pour adresser un clin d’œil à Martin Luther King - I have a dream/ A great man said/ Another man came and shot him in the head - Dans son book, Croz revient longuement sur les violences faites à John Lennon et à Sharon Tate et explique que depuis, il est toujours armé. Retour à la beauté pure avec «Hold On To Nothing», sensible et suspendu - Sunny days can fool you/ They can look wet with the rain - coup de trompette de Wynton Marsalis. Ce sera certainement le morceau qui va le plus coller au palais. Il revient au groove jazzy avec «Slice Of Time», intemporel et suspendu, doté d’un gros solo de cordes tirées. Avec son grand groove électrico-exceptionnel, «Set The Baggage Down» s’impose comme une pièce digne de CS&N. Fabuleux retour de manivelle. Sur la C se niche une autre merveille, «Dangerous Night», un somptueux balladif - I want to believe I can pass happy to my child/ But the truth gets lost and the system runs wild - Il faut profiter encore et encore du trésor de cette voix de légende. 

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    Crosby, Stills & Nash. Crosby, Stills & Nash. Atlantic Records 1969

    Crosby, Stills, Nash & Young. Déjà Vu. Atlantic Records 1970

    David Crosby. If I Could Only Remeber My Name. Atlantic Records 1971

    Crosby & Nash. Crosby & Nash. Polydor 1972

    Crosby & Nash. Wind On The Water. Polydor 1975

    Crosby & Nash. Wistling Down The Wire. ABC Records 1976

    Crosby, Stills & Nash. CSN. Atlantic Records 1977

    Crosby & Nash. Live. Polydor 1977

    Crosby, Stills & Nash. Daylight Again. Atlantic Records 1982

    Crosby, Stills, Nash & Young. American Dream. Atlantic Records 1988

    David Crosby. Oh Yes I Can. A&M records 1989

    Crosby, Stills & Nash. Live It Up. Atlantic Records 1990

    David Crosby. Thousand Roads. Atlantic Records 1993

    David Crosby. It’s All Coming Back To Me Now. Atlantic Records 1994

    Crosby, Stills, Nash & Young. Looking Forward. Reprise 1999

    David Crosby. Croz. WEA 2014

    David Crosby & Carl Gottlieb. Long Time Gone - The Autobiography. 2007

    Graham Nash. Wild Tales - A Rock & Roll Life. Crown Publishing 2013

     

     

    Riot on Sunset Stripes

     

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             Comme tout le monde, on est allé en 2002 voir les White Stripes sur scène à l’Élysée. Comme tout le monde, on a écouté leurs deux premiers albums parce qu’ils sortaient sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. Comme tout le monde, on a ouvert les bras pour accueillir le phénomène des duos d’art-punk-fucked-up-blues, Bantam Rooster, Immortal Lee County Killers, Black Diamond Heavies, Left Lane Cruiser, Winnebago Deal et dans une moindre mesure, les Black Keys ou autres Kills à la petite mormoille. Les White Stripes en firent d’ailleurs partie et surent comme d’ailleurs les Black Keys tirer leur épingle du jeu et accéder au fucking mainstream qui allait les détruire.

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             En plus de la couverture, Mojo leur accorde une vaste rétrospective. C’est donc l’occasion de remettre le nez dans l’histoire de ce duo qui avait fini par décevoir ses fans de la première heure. Ils n’étaient pas les premiers et ils ne seront pas les derniers. Dommage, car leur histoire commençait bien, puisque ça se passait à Detroit. Jack épouse Meg en 1996, mais Jack fait croire à tout le monde qu’ils sont frère et sœur. Si Jack dit ça, alors c’est vrai. Pourquoi ça ne serait pas vrai, puisque c’est vrai ? Jack qui s’appelle Gillis décide de s’appeler White, comme Meg. Pourquoi pas ? Après tout, il fait comme il veut. Puis il pond un concept : on s’habille en blanc (innocence), avec du rouge (colère) et on joue du punk-blues à deux. Meg n’a pas le droit de répéter. Elle doit rester imparfaite. Quand Long Gone John chope les deux premiers singles de Jack & Meg, il leur avance 3 000 $ pour enregistrer un premier album chez Jim Diamond, au Ghetto Recorders de Detroit.

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    Et là, crack boom hu-hu ! Ils démarrent avec un «Jimmy The Explorer» chanté d’une voix de fiotte, on ne sait pas si c’est Jack ou Meg, mais ça sent la mini-jupe de cuisses humides. C’est le Stripes de bonne augure, complètement éclaté. Jack ressort sa voix de fiotte pour rendre hommage à Robert Johnson avec «Stop Breaking Down». Il traîne sa voix dans la purée. On se croirait à Memphis. Puis il travaille l’idée du son avec «The Big Three Killed My Baby», jusqu’au moment où on s’aperçoit que sa voix perchée n’est pas bonne. Il tente d’inventer un style («Suzy Lee»), c’est assez courageux et la pauvre Meg bat comme elle peut. Ça sent les bouts de ficelle («Cannon») et ils passent au stomp de Detroit avec «Astro» que Meg tatapoume à la vie à la mort. On les voit encore explorer le minimalisme gaga avec «When I Hear My Name», ils cultivent courageusement leur binarisme, on sent bien le côté expérimental de cet album. Jack ressort sa petite voix de fiotte pour «Screwdriver», il passe des riffs bien cinglants et s’offre un final extraordinaire. Ils sont plutôt bons dans le genre expéditif, comme le montre leur cover de «St James Infimary», mais c’est de l’expéditif à la Savorgnan de Brazza, il faut que ça braze.

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             En 2000, Jack et Meg divorcent. Meg a quitté les White Stripes et Jack joue dans plein de groupes, the Go, the Hentchmen et avec l’excellent Dan John Miller dans 2-Star Tabernacle.  Mais le couple se reforme pour enregistrer un deuxième album, l’étrange De Stijl. On réalise avec stupeur que Jack n’a pas de voix. Il joue sur les effets. «Hello Operator» n’a rien dans la culotte. Il n’a aucune présence vocale sur «I’m Bound To Pack It Up». Dès qu’il force, il est mauvais. Retour au blues avec le «Death Letter» de Son House. Il joue ça au bottleneck, mais c’est mille fois mieux par Son House. L’album est catastrophique. Il est pourtant passé comme une lettre à la poste. «A Boy’s Best Friend» nous ramène à l’Élysée, on voyait bien à ce moment-là que c’était du vent. Et soudain, au moment où on ne s’y attend plus, ils piquent une crise avec «Let’s Build A Home». C’est un rumble des enfers et on regrette que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils font une sorte de stomp enroulé à coups de cu’mon, oui, c’est la première fois qu’un mec fait cu’mon. Puis il fait les Pretties avec «Jumble Jumble», c’est du juvénile pur, bien délinquant. Jack White se réveille en fin d’album, il faut le savoir. Dernier shoot de Stripe avec «Why Can’t You Be Nice To Me», du gaga qu’il prend à la voix de fiotte, il est en plein dedans, hey !

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             Alors ils se mettent à tourner et quand Meg voit le blé qu’elle ramasse, elle décide de rester dans le groupe. Et pouf ils deviennent the world’s hottest band ! Ils passent du cult underground au rock stardom et de là au pop-cultural phenomenon. Ils débarquent à Londres et deviennent célèbres en dix jours. Les médias les encensent : the future of rock’n’roll. Perchés au sommet de leur vague de célébrité, ils sortent leur troisième album, White Blood Cells, sur Sympathy. On y trouve un classique gaga, «Fell In Love With A Girl», mais le reste de l’album peine un peu à jouir. Jack se prend pour Free avec «Dead Leaves & Dirty Ground», mais il n’a pas la voix de Paul Rogers. Il se force à mal chanter. Comme d’habitude, il joue sur les effets. Il fait une Americana du pauvre avec «Hotel Yorba». Comme il devient une star, il ne se sent plus pisser. C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«I’m Finding It Harder To Be A Gentleman». Il fait du grandiloquent de carton-pâte. C’est tout de même incroyable que les White Stripes soient passés à la place des Gories. Mais ce sont les choix des gens du big biz qui visiblement ont misé sur l’image plus que sur le son, comme dans le cas des Bay City Rollers. En gros c’est la même histoire. On crée une mania et on vend des millions de disques, c’est le B-A-BA du biz, un chef-d’œuvre d’enculerie. Jack & Meg n’y sont pour rien. Dans «Expecting», Jack joue la carte du heavy blues-rock à coups de clever et de forever. La heavy pop de «The Same Boy You’ve Always Known» n’a aucune crédibilité. Et pourtant, c’est avec ça qu’il s’en sort le mieux. Sur ce coup-là, il est très anglais. Mais tout dépend de la façon dont on l’écoute. Il est évident qu’il crée son monde et en soi, c’est infiniment respectable. Mais on s’interroge sur la portée du phénomène : autant de retentissement alors que cette pop est d’une affligeante banalité. Sa voix ne passe pas sur «I Can’t Wait» et ça ne pardonne pas. Il peut ramener du son, ça ne sert à rien. Il cherche pourtant des noises à la noise jusqu’à la fin. Globalement, White Blood Cells est un album plein de sous-pentes et de renvois à des choses connues. Il faut l’écouter plusieurs fois. C’est très spécial. Pourquoi Jack White et pas Mick Collins ? White Blood Cells se vend à un million d’exemplaires. 

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             Alors que leur côte n’en finit plus de flamber, ils enregistrent leur meilleur album Elephant. C’est vrai que «Seven Nation Army» sonne comme un hit, monté sur un stomp de basse, et toujours cette petite voix de fausset qui stigmatise si bien le manque de voix. Il pousse bien le bouchon avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Il impressionne et joue la carte des rafales. C’est Meg qui chante «In The Cold Cold Night» et ils continuent de créer leur monde. Et puis voilà qu’avec «Ball & Biscuit», Jack the lad invente un genre nouveau : le gaga scorch innervé. Il joue au scorch de descente aux enfers. Sur ce coup-là, il est très fort. C’est un très bel album, riche en émotions. Jack revient à son cher stomp avec «The Hardest Button To Button», il gère ça bien et propose une qualité de stomp imparable. Nouvelle surprise avec «Hypnotize». Il s’y montre expert en riffing gaga, il y ramène tous les poncifs avec sa voix en embuscade. C’est battu à la folie et ça sonne comme une expédition sur le Nil. Encore un coup de Jarnac avec «Girl You Have No Faith In Medecine» : il y ramène un vieux riff de heavy boogie rock, il fait les Yardbirds les deux doigts dans le nez.

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             Puis arrivent les ennuis : un punch-up avec le mec des Von Bondies, et voilà Jim Diamond qui réclame ses royalties sur les deux premiers albums. Jack ne peut plus aller traîner en ville. Il est tricard. Personne ne l’approche. Il est temps de quitter Detroit. Jack ne va pas bien. L’album Get Behind Me Satan s’en ressent considérablement. On le voit trafiquer ses combines dans «Blue Orchid». Il chante derrière sa disto comme s’il avait peur de sa voix. Le résultat n’est pas jojo. Des mecs diront oui le son, oui le riff, mais laisse tomber. Zéro présence. «The Nurse» sonne encore comme une arnaque. Au fil des cuts, il perd tout ce qui lui reste de crédibilité. Quelle tragédie. Il est à la mode mais il n’a pas de voix. Le pas-de-voix ne fait pas de cadeau. Si tu veux faire du rock en Amérique, appelle-toi Iggy, Lanegan, Jeffrey Lee ou Greg Dulli, sinon laisse tomber. Les cuts sont mauvais et mal chantés. Et ça empire encore avec «The Denial Twist». On ne sait comment elle fait, mais dans Mojo, Victoria Segal trouve des choses intéressantes à dire sur ce désastre.

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             Jack se carapate vite fait et s’installe à Nashville, se marie et voit naître ses deux kids en 2006 et 2007. Mais les White Stripes sont toujours sous la pression du tiroir-caisse, ils doivent sortir un nouvel album qui va s’appeler Icky Thump. Jack continue à bricoler son pas-de-voix et opte cette fois pour des choses plus expérimentales. Il va même se prendre pour un groupe anglais dans «You Don’t Know What Love Is». Il réussit l’exploit de combiner l’intense à l’inutile dans «300MPH Torrential Outpour Blues». Il joue une fois de plus sur les effets. Il ramène du gaga à gogo dans «None Broke» et des cornemuses dans «Prickly Thorn But Sweetly Worn». On trouvera un peu de stomp un peu plus loin («Little Cream Soda») et il rallume la vieille flamme des White Stripes avec «Rag & Bone» et là ils sont franchement bons, cu’mon ! Mais les réalités reviennent au galop, dès «I’m Slowly Turning Into You». Sa voix ne passe pas quand il veut la forcer, pourtant ça s’écoute. Très bizarre. Il parvient à créer des ambiances avec son pas-de-voix, notamment dans «A Martyr For My Love For You», il chante dans son jus de glaire, il cherche les voies du seigneur sans savoir qu’elles sont impénétrables, mais après tout, il a raison, il s’en sort avec des effets de basse zone, il fait son small biz, alors forcément, on l’écoute car ça intrigue. En fait, il se prend souvent pour McCartney. Voilà son drame.

             Puis le groupe va cesser de jouer en public. Jack cite l’exemple de Beatles. Sauf qu’il n’a pas les chansons des Beatles. Et puis il a mis en route d’autres projets, The Dead Weather et les Raconteurs. C’est en 2011 qu’il annonce la fin des White Stripes.

    Signé : Cazengler, Moite Strip

    White Stripes. The White Stripes. Sympathy For The Record Industry 1999

    White Stripes. De Stijl. Sympathy For The Record Industry 2000

    White Stripes. White Blood Cells. Sympathy For The Record Industry 2001

    White Stripes. Elephant. V2 2003

    White Stripes. Get Behind Me Satan. V2 2005

    White Stripes. Icky Thump. Warner Bros. Records 2007

    Blood & Fire. Mojo # 326 - January 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu (Part Three)

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            Le gros hic d’Elvis, le biopic de Baz Luhrmann consacré à Elvis, c’est que l’acteur censé faire l’Elvis ne ressemble pas du tout à Elvis. Et ça pose un sacré problème qui est celui de la crédibilité, surtout dans un cas pareil. Tout ce qui touche à Elvis relève du sacré, même si les parades de lookalikes à rouflaquettes l’ont un peu caricaturé après sa disparition. L’acteur du biopic s’appelle Austin Butler, et pour correspondre à toutes les époques, Luhrmann le fait maquiller. Mêmes les rouflaquettes de l’époque Vegas sont ridicules. Luhrmann aurait embauché un acteur chinois pour le rôle, le résultat eut été le même. Absence totale de crédibilité. Et ce ne sont pas les costards roses ni les Coupés de Ville qui vont sauver les meubles. Si on veut voir l’Elvis 56, autant voir les vraies images. Elvis est beau, Butler ne l’est pas. Quelque chose cloche dans les traits de son visage. Les yeux trop rapprochés, peut-être. Plus on le voit en gros plan et plus le malaise s’accroît. Ce biopic est encore plus catastrophique que le Great Balls Of Fire de Jim McBride, avec Dennis Quaid dans le rôle de Jerry Lee. À l’époque de sa sortie (1989), Jerry Lee déclarait publiquement qu’il haïssait ce film. Il avait raison de gronder, le killer, car il était tout sauf un clown. Le problème avec Elvis, c’est qu’Elvis n’est plus là pour trancher. Mais aurait-il tranché ? Le biopic n’en finit plus de montrer que le Colonel tranchait pour lui. Ce qui nous conduit naturellement à la conclusion qui s’impose : le personnage principal d’Elvis n’est pas Elvis mais le Colonel. Vieux, gros, cynique, détestable, supra-intelligent, Tom Hanks campe le rôle de sa vie. Il est l’incarnation du showbiz, c’est-à-dire du diable : il est aussi laid que le Louis Cyphre d’Angel Heart est beau, il est tellement réaliste qu’on pense aussi au Woland du Maître Et Marguerite. Tom Hanks est fabuleux de malignité, il n’ouvre la bouche que pour ricaner des paroles de sagesse évangélique - Without me there wouldn’t be no Elvis Presley - Quand on l’accuse d’avoir tué Elvis, de la même façon qu’on accusait Ponce Pilate d’avoir tué Jésus, Tom Hanks répond, comme d’ailleurs a dû le faire Ponce Pilate : «No, no, no I didn’t kill him. I made him.» Ce biopic est un véritable tour de passe-passe : Luhrmann se sert d’Elvis pour dire la grandeur de Tom Hanks. On en oublie presque le Colonel. Dans ce gigantesque foutoir hollywoodien, Tom Hanks est aussi génialement perverti par le personnage qu’il incarne que l’est Philip Seymour Hoffman, dans le rôle de Truman Capote dans In Cold Blood. Hanks est aussi génialement intense que le fut Albert Dieudonné dans le rôle du Napoléon d’Abel Gance. Les mauvaises langues prétendent que Dieudonné n’est jamais redescendu de son cheval.

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             Ces biopics - même ratés - sont de fantastiques terrains de manœuvre pour l’esprit, lorsqu’il est cavaleur. On peut partir dans toutes les directions à la fois. Bien, pas bien, vrai, pas vrai, en fait on regarde et on juge, on regarde et on frémit, on regarde et on recoupe. On voit les petites arnaques une par une, les petits traficotages de la réalité, on devine la cuisine derrière toutes ces scènes qui sonnent plus faux les unes que les autres. Bien sûr, pour avoir une toute petite idée de la vérité, il faut avoir lu les trois tomes de la saga Guralnick, deux consacrés à Elvis (Last Train To Memphis: The Rise Of Elvis Presley et Careless Love: The Unmaking Of Elvis Presley) et le troisième à Sam Phillips (Sam Phillips: The Man Who Invented Rock ‘n’ Roll), un Uncle Sam qui d’ailleurs est complètement évincé du biopic. Les plans Sun sont réduits à portion congrue. Alors que Guralnick s’attarde longuement sur la nature singulièrement charismatique du personnage d’Elvis, le biopic la fait disparaître au profit d’un lissage bizarre : dans les scènes sentimentales, les gros plans sur le faux Elvis ne sont pas sans rappeler certains aspects de Johnny Depp. Bien sûr, un biopic ne peut pas tout dire, mais les entorses à la réalité sont souvent intolérables. Un exemple avec la scène qui se déroule en Allemagne, où Elvis fait son service militaire et où il rencontre Priscilla. Guralnick le confirme : ils passent leurs soirées ensemble, sous la simili-surveillance des parents de Priscilla. Bon, Elvis lui roule une grosse pelle et tout laisse croire qu’ils vont pouvoir tirer un coup vite fait. Mais non. Priscilla en crève d’envie mais, selon Guralnick, Elvis lui dit non. Il lui promet de la baiser le jour de leur mariage. Dans un an. Peut-être que dans un film où tout sonne faux, ce genre de répartie sonnerait faux, mais dans les pattes de Guralnick, ça sonne vrai, car l’Elvis qu’il campe dans ses tomes est extraordinairement bien construit. Guralnik s’attache principalement à la beauté intérieure du personnage. C’est ce qui rend ses trois tomes fascinants. Luhrmann passe complètement à côté de cet aspect fondamental du mythe : la bonté naturelle de l’homme Presley et son immense générosité. Il y avait quelque chose d’infiniment christique dans le Presley que nous restitue Guralnick.

             Grâce à ce biopic, le personnage Presley est dévoré une deuxième fois par les démons d’Hollywood. On appelle ça un destin tragique. Alors que tout en lui tendait vers une sorte de pureté artistique, Elvis s’est retrouvé noyé dans la vulgarité américaine. Le showbiz - et donc Tom Hanks - le métamorphosent en «cleancut all-American boy». Tom Hanks résume bien les trois étapes de la dégringolade de cet immense artiste : «1, Elvis the rebel. 2, Elvis the movie star. 3, Elvis the family entertainer.» Bien sûr, aux yeux de l’Américain moyen, cette carrière passe pour une réussite, car Elvis devient immensément riche, conformément au rêve américain. Mais aux yeux des idéalistes que sont les fans, c’est exactement le contraire. D’ailleurs dans le film, on voit des fans agglutinés devant le portail de Graceland qui brandissent des panneaux réclamant the old Elvis. Ils ne veulent pas de l’Elvis RCA, ils veulent l’Elvis Sun.

             Luhrmann ne l’a sans doute pas fait exprès, mais la vraie vedette de son film n’est peut-être pas Tom Hanks. Tom Hanks s’enracine dans la country d’Hank Snow, une sorte de guimauve parfaitement à l’image du beauf qu’est le blanc moyen et raciste de l’époque. Non, la vraie vedette du biopic est la musique noire. Ce sont les plans les plus réussis : ça commence avec Arthur Big Boy Crudup, on voit ce black punk gratter son black snake crawling et chanter «That’s Alright Mama» au chat perché délinquant. Puis attiré par la clameur du gospel, le jeune Elvis va sous la tente goûter au fruit défendu, la pomme du jardin d’Eden : la transe du gospel batch et là, mon gars, tu piges tout. Tout vient exactement de là, du raw gospel fever, de l’explosion du peuple noir qui sous la tente recycle le fabuleux héritage rythmique des tribus d’Afrique, et ce sont les racines du rock’n’roll. Elvis et Jerry Lee viennent de cet endroit précis. Pas d’Hank Snow, mais du gospel africain. Elvis semble récupérer tout le black power, Luhrmann fait de cette scène une espèce de séance d’initiation, un rituel de magie noire. C’est ce Black Power que ramène Elvis au Louisiana Hayride lorsqu’il tape une version démente de «Baby Let’s Play House» - I wanna play house with you - Luhrmann cadre le jeu de jambes, mais c’est un jeu de jambes emprunté aux blacks. Et pouf, ça enchaîne sur Big Mama Thornton au Handy Club, à l’étage, sur Beale Street, avec «Hound Dog». On voit aussi le jeune B.B. King essayer de remettre Elvis dans le droit chemin, le chemin artistique. Mais ce sont les ligues morales qui vont recadrer Elvis the Rebel, clean up your act, terminé Elvis the Pelvis, on l’oblige à chanter «Hound Dog» à la téloche face à un basset, injure suprême, et pendant qu’on dresse Elvis pour en faire un bon toutou bien docile, Luhrmann ramène Little Richard avec un «Tutti Frutti» explosif et, pire encore, Sister Rosetta Tharpe, et là c’est inespéré, car on voit la vraie pionnière du rock avec son «Strange Things Happening Every Day», wow, et elle te claque un solo d’acou incroyablement sauvage. Ce sont ces grands artistes noirs qui sauvent les meubles du biopic. Un peu plus tard, on va entendre Mahalia Jackson à la radio, et même la voir chanter. Aw my Gawd, on l’avait presque oubliée, celle-là ! Luhrmann se plante plus loin en montrant un Fats Domino qui ne ressemble pas du tout à Fatsy, mais bon, c’est pas grave. Il n’est plus à un détail près.

             Quand Elvis revient de son service militaire en Allemagne, Tom Hanks l’envoie directement à Hollywood. Bon, comme chacun sait, les films d’Elvis ne marchent pas, c’est d’autant plus tragique qu’il rêvait de prendre la suite de James Dean. Mais Tom Hanks veille au grain, au cleancut all-American Boy marié et père de famille. Les sous rentrent, mais l’étoile de la star s’éteint. Jusqu’au jour où Elvis rencontre Steve Binder et Bones Howe. Binder est connu pour avoir réalisé le T.A.M.I. Show, avec notamment les Stones, James Brown, les Beach Boys, Chuck Berry, Jan & Dean, les Supremes et des tas d’autres. Binder n’est pas chaud pour faire un TV Show avec Elvis. Trop has-been. D’ailleurs Elvis demande à Binder ce qu’il pense de sa carrière, et Binder lui répond le fameux «It’s in the toilet, Elvis». Elvis apprécie sa franchise et accepte d’écouter ses conseils. Binder réussit à le convaincre de revenir aux sources, à Elvis the Rebel, alors que Tom Hanks veut un Christmas Show avec Elvis en Père Noël au coin de la cheminée. Alors, Elvis et Binder montent le coup en douce. Contre toute attente, Elvis the Pelvis se pointe en cuir noir devant les caméras et tape un «Heartbreak Hotel» somptueusement sensuel. Tom Hanks est furax. Binder réussit même à faire revenir l’excellent Scotty Moore que Tom Hanks avait réussi à virer. C’est donc le fameux ‘68 Comeback qu’on a tous adoré. Puis Binder & Howe font miroiter à Elvis les avantages d’une tournée mondiale, le grand retour du King, mais Tom Hanks dit non, invoquant les dangers du monde extérieur - Security ! Security ! - Rusé comme un renard, Tom Hanks monte un coup fumant : il se fait hospitaliser à Vegas. Inquiet pour sa santé, Elvis vient le voir. Il tombe dans le panneau. Tom Hanks lui montre alors son avenir par la fenêtre de la chambre d’hosto : le fameux International Hotel. Encore baisé, l’Elvis. Mais il accepte, il veut les Sweet Inspirations de Cissy Houston, et les meilleurs musiciens, dont James Burton. Tom Hanks garde donc le contrôle sur le business - Taking care of business - Nous sommes désormais chez les blancs. Elvis s’habille en blanc. À part des Sweet Inspirations, on ne voit plus aucune bobine de black dans le secteur. Elvis roule des pelles à toutes les blanches du public. La scène est très belle, presque évangélique. Mais encore une fois, les vraies images de Vegas sont nettement meilleures. Car même à Vegas, Elvis reste très beau. Et puis il a des chansons, «Suspicious Minds» (merchi Chips), «Polk Salad Annie» (merci Tony Joe). Tom Hanks joue la carte Vegas à fond, il éponge ses dettes de jeu abyssales et met sa poule aux œufs d’or sous le contrôle pharmaceutique du fameux Dr Nick. Il en profite pour éradiquer définitivement toute idée de tournée mondiale - International tour out of the question - Tu veux voir le monde, Elvis ? Alors le monde entier voit Elvis, via satellite.

             Elvis croit pouvoir virer le Colonel. You’re fired ! On ne vire pas le diable. Le Colonel dresse la liste de tout ce que lui doit Elvis, il a tout noté : au total, ça fait huit millions de dollars. Plane même la menace d’une saisie sur Graceland. Comme Elvis est ruiné, il se voit contraint d’honorer son contrat faustien avec le diable Hanks. Mais comme on est dans une mauvaise comédie dramatique hollywoodienne, cet aspect est mou du genou. Murnau en fait complètement autre chose, il suffit de voir son Faust.

             La fin du biopic est pitoyable. C’est presque une métaphore de la dégringolade artistique d’Elvis. Luhrmann réussit même à nous faire un Elvis bouffi, assis au piano, sur scène à Vegas. Ce n’était pas utile. On attend Luhrmann au virage pour le cassage de pipe en bois. Va-t-il oser ? Miraculeusement, il réussit à éviter la fameuse scène finale des gogues. Ouf ! Luhrmann s’en sort avec un dernier tour de passe-passe en forme de parabole : «Elvis has left the building.»

    Signé : Cazengler, Elvicelard

    Baz Luhrmann. Elvis. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock –

    Le feu au Cult (Part One)

     

             Il fait nuit. L’avenir du rock roule en ville et s’arrête au feu rouge. Personne ? Il avance. Il n’a pas vu les condés planqués sur le côté. L’un d’eux s’approche.

             — Coupez le moteur ! Papiers du véhicule !

             L’avenir du rock sort les papelards.

             — Vous avez brûlé un feu. Avez-vous consommé de l’alcool ?

             — Ah ben non !

             Le condé va chercher un ballon dans la voiture de patrouille :

             — Vous allez souffler là-dedans.

             — Pfffffffffffffffff !

             — Plus fort !

             — PFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF !

             L’avenir du rock se retrouve au poste. Il a trois grammes dans le sang. Il a dû laisser sa bagnole au carrefour. Le gradé de service dresse un procès-verbal, avant de l’envoyer en cellule de dégrisement.

             — Nom, prénom, date de naissance !

             — Avenir du rock !

             — Pas de prénom ?

             — Non, et pas de date de naissance, puisque je suis un concept.

             — Vous vous foutez pas d’ma gueule, ça pourrait vous coûter cher, insulte à représentant de l’ordre dans l’exercice de sa fonction, ça va chercher six mois, alors tenez-vous à carreau. Nom et prénom des parents !

             — Disons que mon père spirituel s’appelle Sam Phillips, l’Homme qui inventa le rock’n’roll, et ma mère, disons Bernadette Soubirou, la Femme qui inventa les hallucinations.

             — Quelle est votre adresse actuelle ?

             — Dead End Street, juste derrière Itchycoo Park.

             — Quelle est votre appartenance politique ?

             — J’ai une carte d’adhérant au MAV, c’est tout.

             — Jamais entendu parler du MAV ! C’est quoi, un parti de gauche ? Un syndicat ?

             — Oh c’est un petit groupuscule culturel pas très connu. MAV veut dire Mort Aux Vaches. Meuuhhhh, vous voyez ce que je veux dire ?

             — Quelle est votre appartenance religieuse ?

             — The Cult !

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             Si le condé était un peu moins con, l’avenir du rock lui aurait offert le dernier album du Cult qu’il avait dans sa poche, mais il a préféré s’abstenir, car au fond, il sait que les cons ne méritent pas de jouir des bienfaits d’un culte aussi prestigieux.

             Belle pochette que celle du nouveau Cult, Under The Midnight Sun : tu vois un serpent préhistorique onduler symboliquement sous la demi-lune d’un astre d’or. Pochette merveilleusement graphique. Seul le serpent est verni, pour qu’il brille sous tous les angles. Rien qu’à contempler cette pochette parfaite, on sait que le Cult ne va pas mégoter sur les surprises.

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             Le premier choc se produit avec le «Mirror» d’ouverture de balda : trop de son ! La voix de l’Astbu se noie dans le son. Bad bad bad prod, tout chevrote. Il faut comprendre que ça fait partie du jeu. L’Astbu n’a qu’une seule idée en tête : pousser le bouchon dans le bush. Et ça continue de saturer la saturnale dans «A Cut Inside». Ils y vont au va-t-en savoir du qu’en dira-t-on, sans doute est-ce là un subterfuge pour cacher une certaine misère compositale, il faut bien dire que les compos ne sont pas au rendez-vous. L’Astbu est l’un des grands ultimates du rock, il lui faut des compos. Sans compo, il se désagrège, comme un vampire surpris par le lever du jour. Mais rassure-toi, l’Astbu veille toujours à chanter à la surface des apocalypses.

             Les dévots du Cult devront attendre «Give Me Mercy» pour frémir des deux naseaux. Grosse attaque. Bienvenue dans le Cult. L’Astbu t’emmène jusqu’à l’autel, c’mon, il est le prêtre du Cult et il va t’égorger pour célébrer les dieux du rock. La puissance du Cult n’a jamais disparu, elle sourdait sous la surface, comme une langue de feu, et soudain, le son te saute à la gorge, Billy Duffy envoie des accords de cristal dans le ciel rouge, aw my Gawd quelle pâmoison, il joue son va-tout à la vie à la mort, il pleut du feu, le Cult n’a jamais autant brillé, il pleut des tonnes d’accords et ça monte en neige jusqu’à la fin des haricots. L’Astbu est l’un des derniers prêtres capables d’apaiser le courroux des dieux. Et ça continue avec «Outer Heaven», l’Atsbu remonte au somment de son Ararat, il y domine le son, il y domine le monde, le temps de provoquer une nouvelle apocalypse et c’est terrific, tu sens qu’il te tombe sur le râble, c’est un rock très physique, presque un combat au corps à corps, tu luttes en toi pour le plaisir de lutter, tu reçois les coups et tu tends la joue pour en recevoir d’autres.

             Billy Duffy vole le show dans «Vendetta X», il joue aux accords de contre-plaqué pendant que l’Atsbu trafique sa menace et bascule dans un abîme de tristesse. Alors Billy décide de remonter à la surface du son et, aussi étrange que ça puisse paraître, le ciel s’ouvre. Billy consolide l’ouverture avec des accords de contrefort. On n’avait encore jamais vu un bricolage pareil. Avec «Knife Through The Butterfly Head», l’Astbu plonge dans le mythe du Cult. Il chante comme un dieu, c’est-à-dire comme Jimbo, il se hisse au sommet du summer et tu montes avec lui, tu le vois forcer tous les passages, l’Astbu est le singer absolu, il chante à pleine gorge, c’est d’une puissance de crève-cœur, tout ici est joué à l’extrême heavyness, la pire de toutes. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec le morceau titre, en forme de panorama de Midnight Sun. C’est tout simplement du Technicolor, mais pas n’importe quel Technicolor, celui du Cult est un Technicolor d’effarance de la pertinence. L’Astbu ne vise que l’extrême Technicolor.

    Signé : Cazengler, tête dans le Cul

    Cult. Under The Midnight Sun. Blackhill Records 2022 

     

     

    Inside the goldmine

    - Evil Leavill

     

             Qui pourrait en vouloir à Piotr d’être ce qu’il est ? Personne, bien évidemment. Des gens qu’on connaît depuis cinquante ans continuent parfois de nous surprendre. Comme s’il voulait brouiller les pistes, le Piotr qu’on croyait gentil et affable sait parfaitement se montrer odieux, surtout quand il fond sur ces proies faciles que sont les serveuses et les serveurs de restaurant. L’un de ses sports favoris consiste à plonger une salle entière dans le malaise, en humiliant à voix haute les gens qui le servent à table. À cause de sa passion pour Bibi Fricotin ou Jo Zette & Jocko, on a longtemps considéré Piotr comme un petit garçon enfermé dans le corps d’un adulte. Nouvelle erreur d’appréciation ! Dans des réunions de travail très techniques, on l’a vu se conduire comme le plus avancé des adultes présents autour de la table, pouvant croiser le fer avec des spécialistes sur les plans juridiques et financiers, et prenant encore une fois un malin plaisir à crucifier en public le malheureux qui ose discuter son point de vue. Dans l’arène, Piotr devenait le gladiateur invincible, une sorte de Russell Crowe devenu chauve, et comme il avait accumulé plus de connaissances que n’en possédaient tous les gens réunis autour de la table, alors il frappait chaque fois à coup sûr, et pour contraster avec la barbarie de ses coups, il usait d’un ton lénifiant, comme celui qu’utilise Marlon Brando dans The Godfather. Les professionnels qui connaissaient Piotr le craignaient. Les femmes le craignaient encore plus. Piotr les collectionnait comme des papillons, il les choisissait comme on les choisit aujourd’hui, sur les ventes de bétail en ligne. Lorsqu’il est à table, il participe distraitement à la conversation tout en faisant ses courses sur son smartphone, likant à la chaîne et chattant avec toutes ces chattes en vente, se vantant avec son étrange sourire presbytérien «de les baiser vite fait sur le capot de sa bagnole». C’est probablement parce qu’il brouille adroitement les pistes et qu’il maîtrise l’art de plonger ses amis dans la consternation qu’on ne s’ennuie jamais en sa compagnie. 

     

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             Piotr n’est pas le seul à savoir plonger les gens dans la consternation. Otis Leavill peut lui aussi se vanter de cet apanage. Si tu veux qu’Otis Leavvill te plonge dans la consternation, c’est facile : il existe une compile qu’il partage avec deux co-locataires, Billy Butler et Major Lance : The Class Of Mayfield High. C’est ce qu’on appelle dans les milieux autorisés une compile magique, car en plus des douze cuts magiques d’Otis Leavill, tu peux entendre ces deux seigneurs de la Soul que sont Billy Butler et Major Lance. Tu sors de là gavé comme une oie. N’ayons pas peur des grands mots : Otis Leavill est un magicien, il fait danser la Soul sur la pointe de sa glotte. C’est lui l’Evil Leavill qui donne les cartes de la Soul. «I Love You» est un coup de génie retentissant. Il chante d’une voix d’ange de miséricorde et ramène une spiritualité charnelle dans sa Soul. On le voit aussi filer à vive allure sur le fast drive de «Why Why Why». Il est si bon qu’il dépasse toutes les attentes, on se croirait chez les Beach Boys, tellement c’est beau, puissant et chanté aux harmonies. Il fait encore battre le petit cœur de la Soul avec «Glad I Met You», il chante tout à la rose éclose, il est le Soul Brother de tous tes rêves inavouables. Il chante «Love Uprising» à l’uprise et provoque un vrai carnage paradisiaque avec «I’m So Jealous». Il transforme tout ce qu’il touche en or du Rhin. Sa Soul brille de mille feux. C’est Otis Leavill qu’il te faut. Cette façon qu’il a d’ânonner sa jalousie est unique au mode. Il chapeaute son «There’s Nothing Better» d’une belle Soul de good time, il chante tout d’une voix aussi grasse qu’une huître fécondée.

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             Dans son booklet, Bill Dahl indique que le fantôme de Curtis Mayfield plane sérieusement sur cette compile magique, d’où le titre, Mayfield High. L’autre clé magique de cette compile magique, c’est bien sûr Carl Davis, le producteur de génie et boss local des labels Brunswick et Dakar. Billy Butler et Major Lance font aussi partie de l’écurie Carl Davis. Grâce à lui, Brunswick/Dakar va devenir l’un des Soul outlets les plus importants de l’époque, rivalisant avec Motown et Stax. Dahl n’oublie pas de rappeler que dans les early sixties, les stars de Brunswick sont Jackie Wilson et Buddy Holly. Et l’impeccable Tyrone Davis, que Carl Davis rendra célèbre.

             Avant d’arriver chez Brunswick/Dakar, Carl Davis bossait pour OKeh et c’est là qu’il commença à lancer la carrière de Major Lance. C’est Curtis Mayfield qui composait pour Lance. Curtis Mayfield était le Smokey Robinson de la scène locale. Selon Dahl, Major Lance incarna mieux que quiconque the innocent charm of Chicago Soul. Dahl rappelle aussi que Major Lance et Otis Leavill ont grandi ensemble à Chicago. Ils sont devenus tous les deux d’excellents danseurs. Ils pouvaient aussi boxer. D’ailleurs, Major Lance se fera disqualifier pour avoir mordu son adversaire. C’est lui qui amène son ami d’enfance Otis Leavill chez Carl Davis. Dans un élan nostalgique, Otis Leavill se souvient de l’âge d’or Brunswick/Dakar sur Michigan Avenue : «We had a family. We had a hell of a family. Carl was the father. He was the head of the family and he kept us all in line.» Major Lance n’a que 6 cuts sur la compile, dont le célèbre «Follow The Leader», fantastique shaking de dance-floor et d’écho du temps d’avant. Major forever ! L’autre hit intemporel est le fameux «Do The Tighten Up». Major Lance est LE jerkeur de choc. Il crée aussi une fantastique tension avec «Sweeter As The Day Goes By». Il parvient à faire des étincelles dans un groove de charme ! Major Lance est bourré de Soul genius. Il dispose à la fois de l’omniscience et du Black Power. Puis il fonce dans la nuit de la Northern Soul, yeah, avec «Shadows Of Memory», il est tendu à l’extrême, il est là sur scène avec sa banane de black, épaulé par des chœurs de Motown. Major Lance est un héros.

             Le troisième larron de la compile n’est pas un enfant de chœur. Billy Butler est lui aussi un crack et dès «Help Yourself», tu danses le jerk avec Billy the crack. C’est énorme ! Ce Billy-là a le diable au corps. Il fait encore du raw r’n’b de sweet darling avec «Sweet Darling» et comme les Four Tops, il va chercher la Bernadette avec «Come Over To My Side». Il déploie les mêmes réserves d’excellence que Levi Stubbs. Billy semble flotter au dessus de la ville, il chante «Careless Heart» avec une maturité de vampire, il est tellement au dessus de la mêlée qu’on finit par s’en émouvoir. Et voilà qu’il tape dans les Tempts avec «I’ll Bet You», il dispose de tous les pouvoirs, il sort une Soul sauvage et bien claquée. Il est absolument parfait. Encore un hit de power pur avec «Burning Torch Of Love», il règne sans partage sur le groove de heavy r’n’b, quelle blague ! T’en rigoles tellement c’est bon. Tu ne bats pas Billy Butler à la course.  

    Signé Cazengler, Otis Débill

    Billy Butler / Major Lance / Otis Leavill. The Class Of Mayfield High. Westside 1999

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 10 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

    Le titre de leur album m’a plu. Westernization, voilà qui dénote une certaine réflexion sur le rock ‘n’roll, mais vous n’en saurez pas plus, moi non plus, il ne sortira qu’au mois d’avril. Alors en attendant écoutons leur premier opus car…

    IT’S TIME TO MAKE A MESS WITH…

    THE CONFUSIONAIRES

    ( 2018 )

    Encore un groupe du Canada, nous en profitons pour saluer Marie Desjardins, d’Edmonton capitale de la province d’Alberta, à elle seule plus grande que la France.

    Sont trois : Fat Dave Johnson : guitare et vocal / Jayson  Aschenmonster :  upright bass & vocal / Adam Staric : drums.

    La pochette laisserait à penser qu’ils sont un groupe de rockabilly garage.

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    You know, I’m right : paroles glaçantes, vocal imperturbable, tout va bien, bonne rythmique rock’n’roll, mais pour l’esprit l’on est plus près du country que du rockabilly, vous avez la upright qui monte au septième enfer, une barate qui cogne et une guitare guirlande qui se glisse partout comme un serpent affamé, non ce n’est pas une histoire entre un gars et une fille. Teach me how to write a sad song : une petite merveille, je parle de la musique, s’y donne à fond très sixties, c’est tellement beau qu’ils rallongent l’intro avant d’allonger le vocal. Ce n’est pas qu’il n’est pas bon, c’est qu’il très bon, mais question paroles, ce n’est pas vraiment une philosophie enthousiasmante de la vie, pour une petite histoire d’amour qui a mal tourné, ils vous filent le moral à zéro pour toute la soirée. Pourtant cette voix vindicative est si prenante. Make a little mess : ils ont vraiment le secret des intros qui vous clouent sur place, pour le reste question idée ça commence comme Samedi soir de Johnny Hallyday, mais la guitare est là pour vous prévenir que la soirée annoncée finira mal, et ils y vont franco à toute vitesse, souriez ce n’est pas un drame non plus, et puis qu’importe le grabuge puisque c’est beau. Everybody’s talking ( but nobody’s talking to me ) : un peu de blues, très foncé, n’a jamais fait de mal à personne, ce coup-ci il est très froncé rock’n’roll, z’ont le punch, n'écoutez pas trop les lyrics, vous fileront le cafard, ces gars-là ils ont le perfecto ( je ne sais pas s’ils en portent) très métaphysique, en douze lignes de lyrics ils vous définissent le statut du rebelle révolté à la vitesse d’un TGV, avec en prime une critique sociale d’une grande cruauté. El fango : pour une fois ils sont gentils, pas de paroles pour vous saper le moral, par contre vous serez atteints par les affres de la jalousie, comment font-ils pour jouer si bien, une batterie qui cavale comme si elle était toute seule, une big mama qui lui emboîte le pas parce qu’à deux c’est toujours mieux, et là-dessus vous avez la guitare qui dépose des splendeurs, vous n’entendez plus qu’elle, c’est injuste car les deux autres marnent un max, mais c’est ainsi, superbus comme disent les autocaristes. 1000 songs : c’est idiot, si vous vous écoutez vous n’irez jamais plus loin que l’intro, ce serait une erreur, d’abord la voix comme si elle venait de la salle-de-bain du studio, ce qui permet de prendre son pied sur Les giclées électriques de la six-cordes ou de ne pas croire que c’est elle qui imite le piano jazz, une chanson d’amour, oui mais d’amour pour la guitare. 1958 Chevrolet Del-Ray : avec un tel titre nous allons pouvoir réaliser notre fantasme rockabilly N° 1 sur la banquette arrière, ben non ce sera pour la prochaine fois, z’ont l’art de dégonfler les clichés, vous croyez rouler à 120 miles à l’heure, le rythme est trop flegmatique, un truc encore pire que Sur la route de Memphis du grand Schmoll, une guitare qui égrène les notes comme des épines de cactus, vous rêvez de foudre rockabilly et vous entendez le monde cruel de la country. Save your apologies for when you get caught : un shoot d’instrumental pour vous refiler le moral, de la tonitruance qui confine à de la maltraitance auditive pour ceux qui n’aiment pas vivre à fond la caisse. De champagne ! Walking is much too slow : c’est terrible un groupe de rock qui sonne fort et bien avec des lyrics à la hauteur du son, en plus vous prennent toujours à dépourvu, à contrepoil, vous mènent par le bout du nez là où ils veulent, du grand art, et ne sont pas beaucoup sur le marché à se permettre de tels régals. 6120 : tous les amateurs de Cochran connaissent ce chiffre, pour les paroles pensez à Elle est terrible d’Hallyday + la fin de Génération perdue, sinon ne pensez à rien, écoutez, c’est du rock’n’roll qui parle de rock’n’roll ! Immanquable. Ford Fairlane : (n’avais pas tort quand je parlais de Rockab garage) : en voiture, une balade avec la fille que l’on aime, la poésie du camionneur, une fin à l’emporte-pièce, une guitare qui vous grimpe au septième ciel et des mots qui disent plus qu’ils ne le voudraient. Pour le son une espèce de convoi à la Peckinpah. Mais funéraire. Where I am when I close my arms : encore une de ces intros qui vous mettent du baume au cœur et que vous laissez venir à vous pour le plaisir de vous sentir bien sur cette terre, ensuite vous fermez les yeux et vous suivez les ondées de cette guitare, y a tout de même cette petite musique en sous-main, une pointe de rêvasserie nostalgique, qui vous apporte la gousse d’ail de cynisme nécessaire pour survivre à vous-même. 1000 shots of whiskey : un tintamarre batérial de tribu de cannibales en chasse, ils se dirigent vers vous, pas de panique ils ont seulement soif, vous les rejoignez, z’avez intérêt à courir vite car le solo de guitare ne vous attend pas, soirée biture, pas besoin de piqûre de rappel, conseil identique aux précédents, n’écoutez pas trop les paroles vous risquez d’en ressortir l’oreille pâteuse. Pour le mal de crâne il est fourni gratis avec l’extro. Trop c’est trop !

             Je ressors de ce disque ébloui. Enfin du nouveau dans le monde du rockabilly !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Pour une fois ce n’est pas la couve de l’opus qui m’a attiré, ni le nom du groupe. Mais les tags qui l’accompagnaient. Des mots qui pour citer les Beatles ne vont pas très bien ensemble, trois exactement : celui du milieu ‘’ doom’’ ne me pose aucun problème, pas de péril en la doomeure, ce sont les deux autres, celui qui arrive en queue de peloton, ‘’acoustic’’, oui ça existe à portion homéopathique, enfin passons, mais le premier en file de tête du peloton ne cadre pas trop de bicyclette avec doom, jugez-en par vous-mêmes : ‘’jazz’’. Que peut-il sortir d’un tel accouplement digne de Lautréamont, peut-être un monstre hideux, peut-être un mélange sans saveur, peut-être une pure merveille… Là, n’est pas la question. Qui voudra prendre la peine d’écouter entendra. 

    Quant à moi j’aime à découvrir. Je suis curieux de nature. Les marges m’attirent. J’essaie un tant soit peu de suivre les nouveautés, pas pour me tenir au courant, mais la meilleure part d’un combat, soit-il rock ou tout autre, réside en le fait d’être toujours aux avant-postes, sur la brèche de ce qui craque, de ce qui crocke, là où s’ouvrent des perspectives soient-elles déroutantes, exaspérantes, attrayantes, inquiétantes, mortifiantes…

    THE 4AM NEWYORK EXPERIMENT

    (Chargement libre sur Bandcamp / Juin 2023)

    Aucun renseignement sur ce projet et ses promoteurs même si le premier EP est présent sur de nombreuses plateformes de streaming. Au début j’ai benoitement cru qu’ils étaient de la Big Apple, viennent de Zagreb, capitale de la Croatie.

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    Du moins c’est ce qui est marqué. Quand on cherche on trouve. Pas obligatoirement ce que l’on cherche, mais certaines fausses pistes sont révélatrices. De quoi ? Pour le cas qui nous intéresse d’une certaine noirceur, d’une certaine doomeur si nous utilisons un vocabulaire plus précis.  Commençons par le seul indice à notre disposition. La couve pour ainsi dire digitale du disque non objectivé. Pas très claire. Qu’y voit-on ? Un visage de trois-quarts, vraisemblablement ( ? ) d’une personne noire, pas en entier : le nez, un œil, le front, pas de bouche, quelques cheveux sur notre droite, à la place de ceux-ci, une photographie, trois voies d’autoroute (ou de route), deux lampadaires, cinq voitures, phares allumés, c’est la nuit. L’artwork est crédité. Masha Raymers. Instagram, FB, Pexels une photographe ukrainienne, de Lviv, beaucoup de portraits féminins qui suggèrent le désir plutôt qu’ils ne le dévoilent, de belles œuvres d’un érotisme chaste et ardent, qui mériteraient une chronique, mais cette fois nous en élirons une seule photo, une route, un lampadaire éclairant un passage clouté, une voiture phares allumés, une fille dans l’ombre qui marche sur le bas-côté. Nous vous laissons seuls juges.

    Poursuivons notre route ombreuse, sur YT, une merveilleuse occasion de vérifier l’adage selon lequel le retour du même n’est pas le même. Certaines vidéos sur YT sont postées par plusieurs personnes différentes. C’est le cas de celles qui nous intéresse. Pour les vidéos musicales, neuf fois sur dix, l’on retrouve la couve du disque. Tiens sur celle-ci, lui a été substituée une photo de nuit. Une rue étroite, aux voitures l’on date des années cinquante, des silhouettes qui marchent, seules sont visibles les trois grosses lettres du mot Bar. Ambiance film de truands. Qui l’a envoyé ? Jazz Noir Music. Etrange.

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    Qui se ressemble s’attire. Se repousse aussi parfois. Qui est ce Jazz Noir Music ? Suffit de cliquer. Vous pouvez même vous abonner à sa chaîne. Le site n’est pas vieux. Quelques semaines, vous avez une vingtaine de vidéos à regarder. Non Jazz Noir Music n’est ni un groupe, ni un one man band. Un amateur de jazz. Pas vraiment d’Ellington, de Mingus, de Miles – il les aime peut-être – sa prédilection se porte sur un certain style de jazz, le jazz noir, non pas la couleur de peau des musiciens, mais un jazz d’ambiance noire, il propose donc plusieurs artistes apparentés à cette classification. Votre œil exercé de détective privé ne manquera pas de s’attarder sur certains titres, par exemple, Quarantine Doom Jazz vol 4 (Signora Ward Records). Le jazz noir est donc un style de jazz, aussi appelé Ambient Jazz, ou Dark Jazz, ou Doom Jazz, un jazz aux limites du post-metal, de l’électro, de l’ambient, du punk hardcore… Maintenant vous ne remarquez pas la mention : Rubriques intéressantes, pour l’unique raison qu’elle est écrite en russe. Si vous cherchez encore, vous retrouverez sur la plate-forme Boosty notre Jazz Noir Music sous-titré Meditation and Darkness qui débute par le texte suivant :

    ‘’ Tristesse, horreur, solitude, nostalgie, tranquillité et paix, c’est toute la somme d’images qui sont en cohérences avec l’esprit du Dark Jazz.

    Et si vous vous retrouvez dans un splendide isolement un vendredi soir, et que de la fenêtre vous pouvez voir les rues sombres de la ville à l’agitation éternelle, n’oubliez pas d’allumer les compilations présentées ici sur n'oubliez pas d'allumer les compositions présentées ici sur boosty et sur ma chaîne. Un verre de whisky complétera cet agréable passe-temps.’’

    Les enregistrements proposés sont agrémentés de documents iconographiques divers qui tous (photographies, bandes dessinées, cinéma) relèvent de l’esthétique des films noirs des années cinquante. Un dernier petit détail : si vous désirez soutenir financièrement vous pouvez verser la somme que vous voudrez, vous repèrerez facilement l’endroit : les modalités sont en caractères cyrilliques.

    Comme par hasard sous la vidéo que nous allons écouter est recopiée cette phrase   : ‘’ Quelle différence cela fait-il de savoir comment s’appelle l’endroit que vous quittez pour toujours.’’ empruntée au roman La mariée était en noir de William Irish. Un détail qui déjà classe cet auteur de polars : il reçut le Prix Edgar Allan Poe du Meilleur Scénario. L’ombre noire du corbeau ne plane pas au-dessus de n’importe qui.

    Darker than dark : orage dans le lointain, coups de cymbales répétitifs, si monotones, si monochromes que vous n’entendez qu’eux, heureusement que le grondement sonore et continu en arrière-plan prend le dessus car cette clinquance cymbalique est trop frustrante pour être qualifiée d’image sonore de l’inéluctable, une espèce de sifflement un peu semblable aux productions de l’onde Martenot s’avère beaucoup plus important. Ambiance toutefois plus grise que noire, petit jour blême même, le morceau manque d’une cohérence syntaxique puisqu’à un moment il ne se passe plus rien, le son a beau s’amplifier le sentiment d’oppression s’amenuise, se dilue, certes il flotte autour de vous en nappes de brouillard mais ne vous effraie plus depuis longtemps. Et puis il s’arrête brusquement, sans rime ni raison, serait-on tenté de dire. Slowly : plus solennel, plus prenant, ici l’épaisseur du son prédomine, hélas toujours cette cymbale même pas énervante, tout juste enquiquinante, elle vous empêche d’apprécier les sonorités mélodiques, peut-être l’expérimentation consiste-t-elle en cela, à vous mettre les bâtons dans les roues afin que vous ne focalisiez point votre attention sur  la beauté de la musique peut-être pour vous rappeler que c’est ainsi dans la vraie vie, qu’il y a toujours un petit détail qui gâche tout, que l’extase recherchée est un ange aux ailes brisées qui claudique salement, vous n’éprouvez plus de pitié pour lui, d’ailleurs il a compris, il s’éloigne doucement et vous l’avez déjà oublié alors qu’on l’entend encore. Entre nous soit dit, pas très jazz, pas très doom et pas très acoustique. Grosse déception !

    *

    Je n’aime pas être déçu, aussi ai-je choisi sur la chaîne de Jazz Noir Music,  une vidéo dont le graphisme m’a attiré, rien de novateur, mais un beau coup de crayon qui vous pose un univers en une simple image. Elle porte la mention de Madness Returns, de fait il s’agit d’un morceau intitulé Der Gegensatz ( = l’opposé ) sur le premier album de :

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS

    One man band, en l’occurrence Andrey Kein, d’Ykaterinburg, une des plus grandes villes de Russie située sur le versant asiatique de l’Oural. L’est impliqué dans de multiples projets : Sol Mortuus, Carved Image of Emptiness, Church Howlin Dog,  Zinc Room, Prognostic Zero

    Le nom de Chaotic Bound Systems est en lui-même une ouverture au rêve. Notons la justesse de l’appellation marquée par la présence du S terminal. Il ne s’agit pas d’un unique ‘’système’’ qui serait chaotique. En ce cas-là le participe passé ‘’Bound’’ n’aurait aucun sens. A quoi d’ailleurs serait lié un système chaotique ? Ce S marque bien qu’Andrey Kein nous parle d’interdépendance universelle. Un système est dit chaotique lorsque l’on ne connaît pas sa position initiale. Celle-ci explique qu’à certains moments le système nous semble dériver étrangement, en fait si nous connaissions parfaitement les données premières de son implantation dans le monde son évolution nous paraîtrait des plus logiques car répondant à un développement commandé, ordonné ( osons le mot) déterminé par sa vectorité initiale. Autrement dit nous qualifions un système de chaotique parce que nous ignorons les modalités de son écoulement temporel. Si nous ne savions pas qu’une graine est programmée pour germer, que sa nature est ainsi, nous apposerions l’étiquette chaotique sur ce phénomène de germination puisque nous ne comprendrions pas pourquoi tout à coup la graine cesse d’être graine pour devenir plante. Nous aurions l’impression qu’elle serait devenue mystérieusement folle ou délirante.

    Pourquoi ne parvenons-nous pas à connaître les conditions exactes de sa naturité initiale, parce qu’aucun système n’est jamais seul – l’on ne peut imaginer un système doté de la pureté formelle de l’Idée platonicienne -  sa propre naissance est déterminée par d’autres systèmes concomitants pour la simple raison que le monde est un ensemble de systèmes entrecroisés avec d’autres systèmes, par écho successifs avec tous les autres systèmes. Valéry n'a-t-il pas dit qu’une goutte de vin suffit à teinter toute la mer ?

    En résumé, le comportement anarchique d’un système est conditionné par l’ensemble de tous les systèmes. La néguentropie ( activation de l’énergie ) se métamorphose en entropie ( désactivation énergétique ), en d’autres termes le désordre chaotique énergétique se stabilise en stabilité ordonnatrice entropique, pour redevenir désordre énergétique sous l’action d’un autre système. 

    En quoi cela concerne-t-il la musique, évidemment vous pouvez répéter du début à la fin du morceau le même riff, le même rythme. Dans ces cas-là vous êtes dans un système clos autosuffisant et ordonné. Dans ces cas-là la plupart du temps les musiciens rajoutent quelques variations épidermiques… Le musicien est alors un système qui influe sur un autre système. Dans le jazz la part de l’improvisation est prépondérante. Pour des raisons commerciales les maisons de disques ont longtemps imposé à leurs artistes de reprendre des airs connus ( voire des chansonnettes ) afin que le titre attirât le client, c’est en jouant, en élastiquant, la structure du morceau, en la passant sur la table de Procuste des différents modes musicaux afin de l’étirer, de la compresser, de la désarticuler, que l’artiste imprimait sa propre marque, bouleversant le système de la chanson  afin de l’ordonner selon la systématisation de sa propre sensibilité.

    Pendant longtemps, la musique a évolué selon des règles constitutionnelles mathématiques, avec l’apparition du free, les jazzmen ont introduit des éléments ‘’ extérieurs’’ aux possibilités mathématiques, l’on n’a pas manqué de les critiquer en leur reprochant de faire n’importe quoi. Ce qui parfois pouvait être vrai, mais c’était oublier que faire n’importe quoi c’est aussi tout simplement faire quelque chose, en modifiant un système donné… L’apparition du bruitisme au début du vingtième siècle, puis du noise, puis des techniques életro et électro-acoustiques a encore changé la donne d’appropriation culturelle de cette ‘’ nouvelle’’ musique par le public. Elle n’est pas aussi sans poser d’interrogation aux musiciens et créateurs.

    Si actuellement surgissent à foison des one man bands, c’est certes parce que les avancées techniques le permettent, c’est certes aussi pour des raisons strictement économiques – exactement à un autre niveau la même problématique des Blue Caps de Gene Vincent abandonnant la contrebasse pour la guitare basse électrique ô combien plus facile à caser dans une seule voiture lors des tournées -  mais surtout parce que l’artiste se retrouve seul face à sa propre musique, débarrassé des interventions ( qu’elles soient heureuses ou malheureuses ) de leurs pairs. L’artiste se sent ainsi davantage maître de sa création, il élimine l’action que l’on pourrait assimiler à l’apport hasardeux ( positif ou négatifs) d’autres systèmes  déstabilisateurs. Imaginez un torero voulant se mesurer seul face au taureau et à la mort refusant l’aide des picadors, des banderillos et de ses aides…

    A notre connaissance Chaotic Bound Systems a réalisé deux albums, No Light ( 2018 ) et Dissonanz ( 2020 ) et un Ep : Dust Demons ( 2022 ). Tous trois : Evil Dead Productions. Distribution : Diabolic Spectrum Records.

    Andrey Kein : sax ténor, saxphon (flûte de bambou), piano, guitare, percussions, bruits de violoncelle.

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    De Gegensatz : ( L’opposé ) : un saxophone qui résonne comme la sirène d’un cargo perdu au milieu de l’océan, cette musique est forte car elle est ponctuée de silence, les notes et les bruits surviennent en un isolement glacial, cette trompe qui mugit et se tait pour laisser la place à d’autres sons, Chaotic Bound Systems ne cherche pas à créer un vortex de sons qui déboulent sur vous pour vous entraîner sans rémission, l’on sent la composition, un esprit qui tente de circonscrire par le son et des sifflements un espace musical qui soit avant tout mental, un tout indissoluble qui contiendrait tous les possibles organiques de son déploiement. L’on est beaucoup plus près du jazz que du noise, les instrus ont l’air de s’affoler, d’essayer de se surpasser pour prouver la nécessité de leur présence, d’expirer, de crever la bouche ouverte afin de magnifier le passage de ce qu’ils ont été dans leur propre présence évaporée afin que leur disparition vibratoire n’ait pas été une anecdote sans signifiance mais la marque même de leur nécessité dans son absence révélatrice, un peu le côté obscur de la force qui ne déclare jamais forclos. Lorsque le morceau s’arrête, rien n’est terminé, vous reste l’impression d’être rassasié, d’avoir entrevu quelque chose de plus grand que vous et surtout totalement étranger à la nature de votre propre êtralité. Quelque chose qui soit à l’opposé de votre intégrité rejetée dans les zones interlopes du néant.

             Jazz Noir Music en offre une autre lecture. Celle d’une bande-dessinée dont il a détaché quelques cases qu’il expose assez longuement, le temps que chacun se crée son propre scénario, un morceau d’histoire glauque, un assassin qui poursuit sa vengeance… En noir et blanc.  Noir, très noir.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Château d’If  ) :

    92

    Le Chef ouvrit la porte d’un grand coup de pied. Pendant que je me précipitai dans le bureau il s’arrêta pour allumer un Coronado. Je faillis buter sur le corps d’Alice évanouie sur la moquette, je la relevai et la tenant serrée contre moi je lui prodiguais un rapide lèvres à lèvres qui rapidement lui permit de reprendre ses esprits :

             _ Oh Damie ! c’est affreux !

             _ Mais non, Alice vous êtes toujours aussi belle, je vous le promets !

             _ Agent Chad, modérez l’exaltation de votre âme lamartinienne, recouvrez le sens de la réalité, cette ravissante enfant a raison, ce n’est pas beau à voir, mais alors pas du tout !

    Je portais mon regard sur le bureau où étaient assis Sureau et Lamart. Assis n’est pas le bon mot, ils étaient carrément affalés sur leur table de travail. Ce n’était pas le plus terrible. En moi-même je louai la sagesse du Chef qui avait allumé un Espuantoso avant de rentrer. Comparée à l’horrible puanteur qui se dégageai des corps des deux journalistes, la fumée dégagée faisait office d’une agréable et printanière fragrance de chèvrefeuille. Non seulement Lamart et Sureau étaient morts mais ce n’était pas le plus grave, ils présentaient un état de décomposition avancée, par les trous de leurs vêtements l’on apercevait un infect grouillements de vers, les fameux helminthes, si chers à Baudelaire, accomplissaient leur travail. Seuls les cabotos ne semblaient pas trouver l’odeur désagréable, ils humaient avec délectation les deux cadavres.

              _ Avec l’agitation qui règne dans le hall personne n’a visiblement entendu le cri d’Alice, Agent vous refermerez avec soin la porte, que l’odeur ne se répande pas avant que nous ne nous soyons éclipsés.

    Choquée Alice ne voulut reprendre sa place à l’accueil :

              _ J’aurais trop peur de dormir seule ce soir, je reste avec vous Damie !

              _ Oui Alice, vous avez raison, je vous emmène avec moi à Provins, n’ayez crainte avec les féroces gardiens que sont Molossito et Molossa, rien de désagréable ne pourra vous arriver.

    93

    Nous arrivâmes un peu tard - il était près de midi - au local. Molossa et Molossito ayant squatté toute une partie du couvre-lit, il ne resta que peu de place pour Alice et moi, trop serrés à la manière des sardines à l’huile en boîte nous avions assez mal dormi. Le Chef était d’excellente humeur. Il me tendit aussitôt un exemplaire du Parisien Libéré :

             _ Lisez-moi ce torchon, Agent Chad, cela ne vaut pas la prose veloutée de vos Mémoires d’un GSH, mais cette première page fort instructive vaut le détour. Pendant ce temps je me permettrai d’allumer un Coronado, la journée risque d’être fort belle !

    LE PARISIEN LIBERE

    UNE TRAGIQUE ET DOUBLE DISPARITION

    Nous avons le regret d’annoncer une terrible nouvelle à nos lecteurs : Martin Sureau et Olivier Lamart, nos deux meilleurs journalistes sont décédés hier soir en des circonstances cruelles. Il était l’heure d’envoyer le journal à l’imprimerie et nos deux amis, contrairement à leurs habitudes n’avaient pas encore livré leur article. Il se faisait tard, nous envoyâmes une secrétaire à leur bureau afin de récupérer au plus vite leur travail. Hélas, ils étaient bien assis à leur table de travail, mais ils étaient morts tous les deux. Le Samu est arrivé en des temps record, le diagnostic est tombé très vite, tous deux avaient été terrassés par un arrêt cardiaque au travail. Le cas n’est pas si rare nous a déclaré un statisticien. Des gens soumis à un même stress peuvent succomber au même instant s’ils sont de la même famille, or Le Parisien Libéré est une grande famille et nos deux confrères travaillaient ensemble depuis tant d’années qu’ils étaient comme des frères.

    Nous leur rendrons un grand hommage dès lundi prochain dans notre journal. Les lecteurs se rappelleront que nos deux infatigables reporters étaient présents dans la forêt de Laigues lorsqu’un fulgurant variant du Covid a anéanti plus de deux cents de nos policiers.   Les analyses effectuées par prudence sur leurs prélèvements sanguins apportent la preuve indubitable de leur non-contamination, mais les autorités ont été formelles ils seront portés en terre au plus vite, dès demain après-midi, aujourd’hui pour ceux qui viennent d’acheter ce numéro, nous donnons rendez-vous aux lecteurs qui voudraient leur rendre un dernier hommage, au cimetière de Savigny ( Seine & Marne).

    Communiqué de la Rédaction.

    94

    Dans la voiture le Chef distribue les rôles :

    • Carlos, il nous avait rejoint au local dès que l’article du Parisien Libéré en devanture d’un kiosque à journaux lui avait sauté aux yeux, il y aura du monde, avec Alice vous rejoindrez la masse des anonymes en queue de peloton, personnellement je me mêlerai à la foule des officiels, dans l’œil de l’ouragan, agent Chad, avec vos deux cabotos vous seriez trop vite repérés, vous suivrez la piste indienne.
    • Mais que faut-il faire et de qui doit-on se méfier au juste, je ne comprends pas grand-chose, minaude Alice.

    Elle est toute belle mais méconnaissable, grosses lunettes noires qui lui mangent la moitié du visage, une robe bon marché et une veste en laine, genre de défroque tricotée par les grand-mères attentionnées déforment sa silhouette. N’empêche que Carlos est aux petits soins avec elle. Galamment le Chef lui répond :

              _ Charmante enfant, en toute logique dans un cimetière l’on ne craint que la mort, c’est pourtant elle que nous devons chercher !

              _ N’ayez crainte Alice, je vous défendrai, lui souffle Carlos au creux de l’oreille, j’ai toujours trois ou quatre Rafalos sur moi, un geste élémentaire de prudence terriblement efficace.

    Alice ne sait pas trop ce que c’est qu’un Rafalos mais la voix de Carlos la rassure. Après les avoir déposés devant l’entrée, j’arrête la voiture assez loin de la grille. J’entrouvre la porte pour laisser passer les molosses, ils ont compris, ils se faufilent entre et sous les véhicules en stationnement, personne ne les aperçoit, il doit bien avoir plusieurs centaines d’individus qui se dirigent vers le lieu de l’inhumation... Je ne me soucie plus d’eux, je sais que si j’ai besoin d’eux, ils seront à mes côtés. Chiens fidèles mais féroces.

    95

    La cérémonie a commencé depuis un petit moment. Le cimetière est plein comme un de ces œufs de pâques remplis de friture en chocolat que m’offrait ma maman quand j’étais petit. De mon poste d’observation je vois tout. Je ne pouvais pas trouver mieux que la fenêtre de la chambre d’Alice, la lycéenne (essayez de comprendre ou de relire les épisodes précédents), forcer la porte de derrière a été un jeu d’enfant. La tombe de Lamart et de Sureau, une simple fosse, est ouverte, les deux cercueils sont recouverts de gerbes de fleurs, les discours se succèdent, je reconnais le Chef au panache de fumée qui s’élève de son Coronado, depuis trois-quarts d’heure les discours se succèdent, je remarque que la famille est absente, à part un vieux grand-père atteint de démence sénile qui s’agite comme s’il était aussi un adepte de la maladie de Parkinson, quatre gardes du corps s’emploient tant bien que mal à le faire tenir tranquille,  derrière les officiels sont tassés les lecteurs du quotidien, je repère Alice alanguie dans les bras de Carlos. La cérémonie est un peu ennuyante, elle dure et s’éternise…

    J’entrouvre la fenêtre pour saisir quelques mots des allocutions qui sont prononcées à l’aide d’un micro, une brise légère les emporte en une direction opposée et les rend inaudibles. Je tressaille, un aboiement bref et étouffé m’avertit que quelqu’un approche. De quel côté ? Quinze secondes plus tard une espèce de léger couinement le suit. Je reconnais le timbre aigu de Molossito, donc le premier plus grave provient de Molossa. Braves chiens, jamais ils ne se seraient manifestés deux fois s’il n’y avait qu’une seule personne. Pas d’erreur c’est un double danger qui me menace. Deux ennemis se dirigent vers moi. Je me colle au mur, de telle manière que je serai derrière la porte de la chambre si quelqu’un la pousse… Deux minutes de silence absolu. Un léger grattement derrière la maison. Qu’est-ce au juste ? Maintenant j’en suis sûr quelqu’un monte les escaliers en prenant soin de ne pas faire craquer les marches…

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 564 : KR'TNT 564 : LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS / BABY GRANDE / QUINTRON / MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL / ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP ) / PATRICK CANNET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 564

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 09 / 2022

    LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS

    BABY GRANDE / QUINTRON

    MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL

    ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP )

    PATRICK CANNET

    Sur ce site : livraisons 318 – 564

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    La Parnes des choses

     

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                Avec Joe Meek, Brian Epstein, Lionel Bart et Robert Stigwood, Larry Parnes est l’un des parrains de la Velvet Mafia, un concept érigé par Darryl W. Bullock pour les besoins d’un livre : The Velvet Mafia - The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. On savait que tous ces gens étaient gay, et si Bullock les rassemble dans un bon book, c’est parce qu’effectivement ils se connaissaient, se fréquentaient et, à l’occasion, brassaient des affaires ensemble. Comme leurs collègues de la mafia new-yorkaise, ils ont bâti des empires financiers et régné sans partage sur le plus gros biz des early sixties, le Swinging London. Les cinq hommes cités plus haut sont les têtes de gondole. Bullock évoque aussi Kit Lambert, Tony Stratton Smith et Simon Napier-Bell, autres membres actifs de la Velvet Mafia, qu’il ne faudrait pas prendre pour des seconds couteaux. Le Bullock book grouille d’infos pas piquées des hannetons, certaines pages flirtent avec l’immondice et d’autres basculent dans la tragédie, puisqu’au final, la Velvet Mafia lègue une belle série de cadavres à la postérité. Tu en auras pour ton argent, si tu surmontes tes a-priori et que tu mets le nez dans ce book d’essence malodorante, mais d’une rare honnêteté intellectuelle.

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             Peut-être est-ce la première fois qu’un auteur aborde de front l’aspect gay du London music biz. Bullock rappelle qu’en Angleterre, jusqu’en 1967, les homosexuels vont au trou s’ils se font choper en train de racoler dans les pissotières. Mais ça n’empêche pas cette communauté d’être hyper-active et même de proliférer. Comme le montre si bien Bullock, tous ces hommes de pouvoir sont affamés de sexe. Ils vont même jusqu’à inventer de toutes pièces des rock stars pour satisfaire leurs besoins. Bullock met nettement en avant Larry Parnes, le pionnier, le premier grand manager d’Angleterre, puisqu’il est le premier à monter une «écurie» de jeunes talents, dont les plus connus sont bien sûr Billy Fury, Tommy Steele et Marty Wilde. Indépendamment des exigences libidinales, Parnes comprend surtout qu’on peut se faire pas mal de blé en packageant des beaux mecs, car il a vu de quelle façon les stars américaines - et en particulier Elvis - ont su faire main basse sur les cœurs des teenagers anglais et accessoirement leur vider les poches. D’où l’idée de reproduire le phénomène en Angleterre. Parnes commence par se faire la main sur Tom Hicks qu’il rebaptise aussi sec Tommy Steele. Il supervise à la fois sa carrière publique et sa vie privée, pas de girlfriend, mon petit bonhomme, mais heureusement Tommy résiste et épouse sa poule Anne Donati en 1960.

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             L’idéal serait de ne pas prendre Tommy Steele à la légère. Bear sort une compile assez explosive, Doomsday Rock et quand on tombe sur «Rock Around The Town» on comprend tout. Steely chante à la niaque de l’East End. Les punks devraient prendre des notes. Ce mec était déjà extraordinairement wild. Les Stray Cats n’ont jamais été aussi bons que lui. On a un solo de sax et l’orchestre swingue aussi bien que les Comets de Bill Haley. Autre coup de tonnerre : «Rock With The Caveman». Il revient au bebop des cavernes, Steely boom bam. Chez les Anglais, on explose le beat rockab au sax. Il faut aussi le voir chanter «Grandad’s Rock» d’une voix de canard - Oh c’mon rock grandad - Quand les Anglais se mettent à swinguer, ils battent tous les records. Fabuleuse diction, il faut le voir swinguer son fridge in the kitchen dans «I Puts The Lightie On». Steely est une aubaine pour tes oreilles. Tiens voilà une version live d’«On The Move», orchestrée par un big band - Choo choo baby ! I’m coming home to you ! - Il fait du Bill Haley. Quelle classe ! Cut après cut, il nous fait tourner la tête - Mon manège à moi c’est toi - Puis il shake «(The Girl With The) Long Black Hair» à la mode early sixties. C’est effarant de high quality, Steely sonne très Buddy Holly, avec le même genre de pulsation sourde. Méchante attaque que celle de «Rebel Rock» ! Steely est un punk atroce. Encore plus explosif, voici «Two Eyes», monté sur un big drive de basse et traversé par un solo de jazz manouche, Steely pourlèche son swing. Il se pourrait bien que dans certains cas, le swing anglais soit le meilleur de tous. Il chante «Happy Go Lucky Blues» avec un petit côté putassier et des figurants chantent dans les buissons. Il attaque ensuite son «Singing The Blues» en sifflant. Quel sens du kitsch ! Personne ne peut battre Steely au petit jeu de «Razzle Dazzle». Violence de l’attaque ! Pas de pire violence en Angleterre. Pas d’équivalent non plus. Steely vise l’extrême razzle du dazzle et il revient aussitôt après le solo de sax avec un baby can’t you see, aw quelle bête de Gévaudan ! Il développe un power sidéral. Cette compile montre que Steely avait du style et de l’énergie à revendre. Il éclipse n’importe quel ténor du barreau. Il faut le voir tortiller sa «Teenage Party», il twiste ses syllabes au sommet de l’art, et l’air de rien, il parvient à sortir un cut incroyablement sexy, là où beaucoup d’autres se seraient vautrés. Tout ce qu’il fait est bon et même passionnant. Il bouffe son «Tallahassie Lassie» tout cru et dans «Build Up» on entend le slap rebondir. C’est d’une qualité inespérée.  

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             Parnes se taille vite un réputation de control freak, il ne supporte pas qu’on lui désobéisse, alors il gueule comme un cocher anglais. Il ne s’inspire que d’un seul modèle, le Colonel Parker, mais il pousse le bouchon encore plus loin : à la différence du Colonel qui se concentre sur un seul artiste, Parnes a plusieurs fers au feu. C’est le concept de l’écurie, the stable of stars : Roy Taylor devient Vince Eager, Ronald Wycherley devient Billy Fury, Clive Powell devient Georgie Fame, Christopher Morris devient Lance Fortune, Ray Howard devient Duffy Power, John Askew devient Johnny Gentle et Richard Kneller devient Dickie Pride. L’un des seuls qui parvient à échapper au baptême, c’est Joe Brown : il refuse l’Elmer Twitch que lui propose Parnes. No way. Parnes contrôle donc tous les aspects de la vie de ses poulains, il leur dit what to wear and what to sing. Le tarif de Parnes, c’est 40 %. Il est moins cher que le Colonel qui rackette 50 % des revenus d’Elvis. Marty Wilde dit qu’il n’a jamais reçu de royalties. Quand le père de Marty chope Parnes pour lui demander où sont passées les royalties, Parnes dit qu’elles financent la publicité. Ah ouais, c’est ça... En fait les sommes détournées sont énormes, un comptable les estime à £50,000 - He was a greedy bastard - Les gens que Parnes paye grassement sont les attachés de presse et les publicity guys, pas les stars de sa stable of stars. Son appartement sert de quartier général. Il héberge même certains de ses poulains, comme Billy Fury. La bouffe est bonne et l’atmosphère plaisante, nous dit Bullock. Mais Parnes n’héberge pas à l’œil. Tout a un coût. Les poulains ne reçoivent qu’un maigre salaire hebdomadaire. Parnes se paye sur la bête. Toujours la même histoire. Il faut des baisés. 

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             Un jour, Parnes pose la main sur la cuisse de Vince Eager et lui dit : «Je vais faire de toi une star.» Eager n’aime pas trop ses façons, mais bon, il a envie de devenir une star, et comme il n’habite pas Londres, il accepte la proposition que lui fait Parnes de l’héberger. Bien sûr, il n’y a qu’un seul lit. Parnes lui indique qu’il dort de ce côté et va dans la salle de bains se laver la queue et les dents. Eager se méfie et se glisse dans le lit entre le drap du dessus et la couverture. Quand Parnes vient se coucher, Eager est protégé par un drap, mais par sécurité, il empoigne la lampe de chevet, prêt à défoncer la gueule de Parnes si jamais il tente quelque chose. Le lendemain, Eager met les choses au clair - I don’t swing that way - et il ajoute que son frère est flic, ce qui calme Parnes aussi sec. Tony Sheridan et Georgie Fame se plaignent aussi des avances de Parnes - Il a essayé de me séduire, comme il a probablement essayé de séduire tous les autres chanteurs. L’homosexualité était alors illégale et j’étais terrifié, aussi n’ai-je rien dit à personne. Je lui ai tordu le poignet et me suis tiré de chez lui vite fait - and got the hell out of there -  C’est bien sûr l’arrivée des Beatles en 1962 qui va ruiner le biz de Parnes. Les rock’n’roll singers n’intéressent plus le public. Pourtant Brian Epstein lui propose de co-manager les Beatles, mais Parnes refuse, parce qu’Epstein ne lui propose pas assez. Comme Dick Rowe chez Decca, il fait la plus grave erreur de sa vie en disant non aux Beatles. Parnes va se retirer progressivement d’un biz dont il est pourtant le pionnier en Angleterre, et en 1964, il va monter the British Impressario’s Guild, une sorte de club de managers dont une grand majorité sont nous dit Bullock gay or Jeswish, or both. Club de dix personnes dans lequel on retrouve Parnes, Epstein, le grand avocat David Jacobs et Robert Stigwood.

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             Si Brian Epstein est plus connu que Larry Parnes, c’est bien sûr grâce aux Beatles. Bullock nous brosse un portait plutôt sensible d’Epstein, lui aussi embringué dans l’imbroglio libidinal du tabou homo. John Lennon proposait de rebaptiser l’autobio d’Epstein A Cellarful Of Noise en Cellarful of Boys, or Queer Jew. Piégé par un flic, le jeune Epstein se fait choper à Londres pour racolage dans les pissotières, et ayant échappé de justesse au scandale et à une condamnation, il rentre à Liverpool, demande pardon à ses parents et se consacre pendant trois ans au biz familial, un gros commerce de meubles qui vend accessoirement les disques. Et c’est à travers ce biz qu’il va croiser le chemin des Beatles. Epstein se rapproche assez vite de Parnes qui est alors le plus gros manager d’Angleterre, pour lui demander conseil. Et soudain, tout explose à Liverpool, Epstein devient à son tour le plus gros manager d’Angleterre. C’est la fin du règne de Larry Parnes. Epstein lance en 1963 Gerry & The Pacemakers, Billy J. Kramer & the Dakotas, les Fourmost, les Beatles et Cilla Black - Scouse takover - Pour gérer ce ras-de-marée, Epstein doit monter une structure qu’il baptise NEMS (North End Music Stores) et signe des groupes à tours de bras. Il commence aussi à popper des pills à tour de bras et finit par s’engueuler avec tout le monde, surtout avec Derek Taylor, son attaché de presse, l’accusant d’avoir tenu des propos antisémites, ce que réfute Taylor - Absolute rubbish ! - Taylor indique que ses meilleurs amis sont juifs et homos et pouf, il donne sa démission. Derek Taylor est furieux après Epstein - A twat to work for - On tombe à un moment sur un passage troublant qui met en scène Epstein et John Lennon dans l’hôtel où ils séjournent, lors d’un voyage à Barcelone. C’est Lennon qui parle : «Eppy n’arrêtait plus d’insister. Un soir, j’ai baissé mon froc et je lui ai dit : ‘vas-y, for Christ’s sake, encule-moi, just stick it up me fucking arse, then’ et Eppy lui dit qu’il ne fait pas ce genre de chose, alors Lennon lui demande ce qu’il fait et Eppy lui dit qu’il se contente de tripoter, alors Lennon le laisse faire, ‘the poor bastard, he can’t help the way he is’, ce qui peut vouloir dire qu’il ne parvient même pas à s’assumer.» Un expert des Beatles explique un peu plus loin que Lennon n’était pas homo, mais qu’il était prêt à tout tester, par curiosité.

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             On croise pas mal Lionel Bart aussi dans les pages du Bullock book, un Bart célèbre pour ses comédies musicales, notamment le fameux Oliver où le Davy Jones des Monkees fit ses débuts, à Londres. Le troisième parrain de la Velvet Mafia est sans doute le plus intéressant de tous, puisqu’il s’agit de Joe Meek. Direction Holloway Road où Meek installe son studio au-dessus d’un magasin qui vend des articles en cuir. S’installe à la même adresse un certain Pierre de Rouffignac, qui est l’associé de Vic Billings, futur manager de Dusty chérie. Le premier cat que Meek enregistre à Holloway Road n’est autre que Michael Bourne vite rebaptisé Mike Berry. Meek flashe sur sa version de «Peggy Sue Get Married». Pourquoi ? Parce qu’il est obsédé par Buddy Holly. Meek organise même des séances de spiritisme pour invoquer l’esprit de Buddy. Epstein vient aussi trouver Meek pour lui proposer d’enregistrer les Beatles, mais comme Parnes, Meek commet la plus grosse erreur de sa vie en déclinant l’offre. C’est comme chacun sait George Martin qui va récupérer les Beatles. Meek est alors un producteur important à Londres, on dit même qu’il aurait influencé Phil Spector, notamment avec «Telstar». Meek était sacrément en avance sur son temps, car il a enregistré «Telstar» sur un deux pistes, avec la salle de bain comme chambre d’écho. En 1961, Meek reçoit les Moontrekkers. Il aime bien le groupe, mais pas le chanteur, Rod Stewart, qui doit dégager. Avec les Moontrekkers, il enregistre «Night Of The Vampire», il préfigure Roky ! Décidément, le pauvre Meek collectionne les erreurs : après avoir dit non pour les Beatles, il vire Rod The Mod. Puis il enregistre Tommy Scott & the Senators, mais ça tourne mal, car Meek met la main au panier de Tommy qui l’envoie promener. Tommy est scié, il retrouve ses copains dans la rue et leur dit : «He just touched my bollocks! That bastard grabbed my balls!». Furieux d’avoir été éconduit, Meek déchire le contrat des Senators, mais Tommy va changer de nom et devenir une megastar sous le nom de Tom Jones (Hello Gildas). Sacré Meek, il n’en finit plus de collectionner les embrouilles. Meek et Parnes bossent un moment ensemble : les Tornados qui sont sous contrat avec Meek accompagnent Billy Fury, l’une des stars de la Parnes stable. Mais le «mariage» va tourner en eau de boudin - a mariage made in hell - Parnes et Meek ne s’entendent pas du tout. «Telstar» est number one dans le monde entier. Quand Parnes refuse de laisser partir les Tornados en tournée américaine, c’est la fin des haricots. Il impose que Billy Fury fasse partie du voyage et c’est hors de question pour Meek. Trop tard pour les Tornados, les Beatles arrivent avec «Love Me Do». Meek est aussi réputé pour ses crises de colère. Si par exemple tu lui demandes l’argent des royalties - Come on Joe, where’s my money - il s’empare du premier objet à portée de main et te le balance en plein gueule, que ce soit une chaise ou encore une paire de ciseaux qui va se ficher dans la porte juste à côté de toi. Alors t’as intérêt à te barrer vite fait ! Et puis il y a l’épisode Heinz, chanteur des Saints - pas ceux de Chris Bailey - Heinz le péroxydé d’origine allemande dont Meek est amoureux et dont il veut faire une star. Meek l’installe chez lui à Holloway Road et lui promet monts et merveilles. Il parvient à lancer Heinz avec un hommage à Eddie Cochran, «Just Like Eddie» sur lequel joue Ritchie Blackmore.

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             Alors on ressort le Remembering d’Heinz de l’étagère : quel album ! Deux choses frappent : Heinz parvient à sonner comme Eddie, aucun problème. Et puis il y a le génie du son. «Just Like Eddie» est comme visité par l’esprit d’un son, le Meeky Meek avec les guitares de la planète Mars, donc ça devient doublement mythique : Eddie + Meek. La reprise de «Three Steps To Heaven» est une vraie merveille de prod miraculeuse. Heinz boucle son balda avec une vraie cover de «Twenty Flight Rock», il chante dans l’écho d’Holloway, ça barde dans la cambuse de Meeky Mouse. En B, «Country Boy» est plus poppy poppy petit bikini, mais Blackmore passe un sacré solo de guitare. Encore une cover de rêve avec «Cut Across Shorty», c’est plein de son et de spirit et le «Summertime Blues» qui suit est presque une copie conforme. Meek vaut bien Gold Star, il recrée toute la Cochran craze in North London. L’album s’achève avec un «Tribute To Eddie» composé par Joe Meek, objet troublant, insidieux, fantomatique et quasi-mythique. 

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             Dans la même série Remembering chez Decca, tu as aussi un Dave Berry, mais il est beaucoup moins intéressant que l’Heinz. Dave Berry est trop pop. Un seul cut retient l’attention, c’est «Little Things», un hit parfait, monté sur un hard drive. On salue la prestance du petit Dave. Il ouvre son bal de B avec une cover de «Memphis Tennessee», mais c’est une version plus lente, très anglaise et visitée par des guitares fantômes. Son «Not Fade Away» est assez pur, Texas in London. Mais autant écouter l’original. 

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             En 1966, Epstein emmène Meek voir Dylan à l’Albert Hall. Ils essayent encore de bosser ensemble avec les Cryin’ Shames, mais Meek n’est plus en état mental de négocier un deal. Il commence à lâcher prise. Il fait un peu de parano, surtout depuis le jour où les Kray twins ont  voulu prendre le contrôle des Tornados. Meek leur a dit d’aller se faire foutre, mais ça mon gars, ce n’est pas le genre de chose qu’on peut dire aux frères Kray. Alors que fait Ronnie Kray ? Il fait savoir qu’il va s’occuper de Joe - He told him that he would take care of Joe - Eh oui, on croise les Kray twins dans les pages du Bullock book, quelques macchabées aussi, dont l’opérateur de Meek retrouvé en morceaux dans une valise, et puis après la fin tragique de Meek, Scotland Yard trouve pas mal de flacons de pills chez lui, des amphètes, purple hearts & Dexadrine. On croise aussi Judy Garland dans les heures sombres du book, elle est en fin de carrière, installée à Londres, elle aussi assez fatiguée de la vie pour s’overdoser à coup de quinal barbitone, c’est-à-dire de Séconal, même chose pour Epstein retrouvé dans son lit, overdosé aux barbituriques, et David Jacobs, qui se pend avec le cordon de satin de sa robe de chambre. Le Bullock book s’assombrit à mesure qu’on avance, d’autant que l’auteur soupçonne des choses qui rendent cette lecture aussi passionnante qu’un mauvais polar. Oh et puis l’histoire encore plus tragique de Billy Fury qui tombe dans les pommes en 1961 après un concert à Cambridge, et cinq mois plus tard, il retombe dans les pommes, alors Parnes lui fait un massage cardiaque pour le ramener à la vie. Les médecins conseillent à Billy de se reposer mais le manager Parnes fout la pression, et Billy n’en finit plus de tomber dans les pommes. Pauvre Billy Fury. Il se vautre aussi avec certains de ses albums, comme le montre We Want Billy. Il chante son «Sweet Little Sixteen» du nez et on entend une fausse foule gueuler derrière. Ce n’est pas bon. Le seul cut qu’on sauve est la version d’«I’m Movin’ On». Dommage car le guitariste des Tornados est excellent. Il y a sur l’album une face rapide et une face lente et c’est bien là le problème.

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             Tiens, voilà Andrew Loog Oldham et son chauffeur, l’East End gangster Reg King qui bosse un peu à l’occasion pour Epstein et Lionel Bart. C’est Dusty chérie qui va taper à la porte de Vic Billings qui manageait l’une des stars de Joe Meek, Michael Cox, puis Kiki Dee. Le tableau serait incomplet sans les Gunnell Brothers, propriétaires du Flamingo et du Bag O’Nails, et managers de Georgie Fame, puis de Geno Washington, Long John Baldry, Fleetwood Mac et Rod Stewart. Ils finissent par revendre leur agence à Robert Stigwood. C’est au bag O’Nails que Jimi Hendrix fait son premier concert londonien, et qui trouve-t-on dans l’assistance ? Lambert and Stamp, qui sont forcément fascinés par le Voodoo Chile.

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             Kit Lambert prend un mauvais départ dans la vie. Il est le fils du compositeur Constant Lambert qui eut une love affair avec une danseuse nommée Margot Fontayn. Avant d’épouser Lambert Senior, la danseuse vivait avec le peintre Christopher ‘Kit’ Wood qui ne trouva rien de mieux à faire que de se jeter sous un train à la gare de Salisbury, et quand elle mit son fils au monde, elle l’appela Kit en souvenir de son Kit. Devenu adulte, Kit participe à l’expédition de Richard Mason en Amazonie. Quand on retrouve Mason criblé de flèches dans la forêt, Kit est soupçonné puis relâché. De retour à Londres, il rencontre Chris Stamp et ils décident de faire du cinéma ensemble. Ils commencent par bosser pour Judy Garland (I Could Go On Singing), puis ils flashent sur les Who qu’ils voient sur scène. Les Who s’appellent encore les High Numbers. Lambert et Stamp décident de les manager. Ils commencent par se débarrasser des précédents managers, Peter Maeden et Helmut Gorden. Maeden reçoit 150 £ en cash et Gorden retourne fabriquer des poignées de portes dans sa fabrique. Puis ils se débarrassent de Shel Talmy, le producteur des early Who. Talmy est furieux : «Lambert was out ouf his fucking mind... I think he was certificably insane.» Il voit Lambert comme un égocentrique atteint de paranoïa. Devenus managers du groupe, Lambert et Stamp ramassent 30 % des revenus. Quand après une grosse shoote, Moony ressort du studio avec un œil au beurre noir, il décide, conjointement avec John Entwistle, de quitter les Who. Alors ils vont annoncer la bonne nouvelle à Kit. Il n’est pas là ? On leur dit qu’il est chez Stigwood. Alors ils y vont. Comme personne ne répond à la porte, Moony casse un carreau et entre. Il finit par les trouver tous les deux dans la chambre, au pieu, Stigwood et Kit, holding the sheets. En 1981, Kit casse sa pipe en bois, suite à des blessures au crâne. Officiellement une chute dans la salle de bains, mais en réalité, on lui aurait démonté la gueule dans les toilettes d’un bar gay.

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             De tous, Stigwood est le moins piqué des hannetons, en tous les cas, il va réussir à passer à travers, là où ses anciens collègues ont échoué. Il commence comme Parnes, en supervisant tous les aspects de la vie de ses poulains, le premier étant John Leyton, depuis longtemps oublié. Comme Parnes, il tente de transformer des beaux mecs en rock stars. Pendant un temps, le petit ami de Stigwood est le fameux Sir Joseph Lockwood qu’on voit photographié avec les Kray twins. Beau scandale. Bullock se régale. Mike Berry raconte que Stigwood a passé une soirée entière à essayer de le sauter, et gentiment Berry a fini par lui dire : «You’re lucky I’m not a violent man.» On croyait avoir atteint les tréfonds du dark avec le Bay City Rollers book, mais Bullock semble aller encore plus loin dans les ténèbres. On surnomme Stigwood a lovely old queen. Il tente de lancer Simon Scott, mais ça ne marche pas. Comme il dépense sans compter, il doit du blé à droite et à gauche, notamment à Andrew Loog Oldham. Un soir, Oldham et Keith Richards coincent Stigwood dans les escaliers du Scott Of Saint James et Keef lui balance 16 coups de genou dans l’aine, «one for each grand he owned us. Mais il ne s’est jamais excusé. J’ai pas dû le frapper assez fort.» Par contre, Stigwood s’entend bien avec Epstein. Ils passent même des vacances ensemble à Paris. C’est en bossant avec Epstein que Stigwood finit par devenir respectable. Stigwood veut racheter les parts d’Epstein dans NEMS, mais Epstein se dit trop lié à ses artistes. Il ne veut pas que les gens dont il se sent responsable tombent dans les pattes de n’importe qui - Je m’occupe d’êtres humains, pas de bouts de bois - Et les Beatles ne veulent pas de Stigwood dans NEMS. Ils menacent de chanter faux, si Stigwood ramène sa fraise. Mais bon, Epstein finit par vendre 51% des parts de NEMS à Stigwood. Quand Stigwood s’installe dans les bureaux de NEMS, le personnel est choqué. En fait, Epstein en a marre du music biz et il envisage de se retirer. Et puis Stigwood et son associé Shaw quittent NEMS quand ils comprennent que les Beatles ne veulent pas d’eux. Alors ils montent RSO (Robert Stigwood Organisation), avec le soutien financier de Polydor, en Allemagne, et démarrent avec Cream et les Bee Gees. Stigwood finit par se débarrasser de David Shaw, son associé et génie financier. On connaît la suite de l’histoire des Bee Gees, le succès mondial avec la daube diskö du samedi soir et quand les frères Gibbs demandent où est passé le blé, ils n’ont pas de réponse, alors ils traînent Stigwood en justice et réclament 136 millions de dollars de dommages et intérêts. Ils finiront par négocier secrètement un arrangement. L’histoire du rock n’est pas faite que de rock.

    Signé : Cazengler, Velvet mafiotte

    Darryl W. Bullock. The Velvet Mafia. The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. Omnibus Press 2021

    Heinz. Remembering, Decca 1977

    Dave Berry. Remembering, Decca 1976

    Tommy Steele. Doosday Rock Vol. 1. Bear Family 2019

    Billy Fury. We Want Billy. Decca Records 1963

     

    Dollse Vita - Part One

     

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                Tu veux un scoop ? Martin Scorsese prépare un docu sur les Dolls. Le scoop se trouve à la fin d’une longue interview que David Johansen - The Last Doll - accorde à Jon Savage dans Mojo. Inespéré ! Non seulement Johansen refait surface, mais qu’on puisse encore s’intéresser aujourd’hui à l’histoire des Dolls, ça tient du miracle.

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             Une longue intro nous redit tout ce qu’on sait déjà. Les excès, the next big thing et tout le baratin habituel. On a même droit à l’énumération des cassages de pipes en bois : Johnny Thunders (1991), Jerry Nolan (1992), Killer Kane (2004) et Syl Sylvain (2021). Mais on est là pour boire les paroles de Johansen.

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             Savage commence par annoncer qu’on fête le cinquantième anniversaire de la residency des Dolls à l’Oscar Wilde Room du Mercer Arts Center. Johansen raconte que c’est Eric Emerson qui l’a branché sur ce plan au Mercer et comme le set des Dolls avait plu au manager du Mercer, ils ont décroché la fameuse residency - So that was that - Johansen décrit la salle comme petite mais pouvant contenir 200 personnes. Évidemment Savage le branche sur le gay element. Johansen se marre. Mais non, le gay element n’existe pas à cette époque - Si un mec était outrageusement gay, on ne disait pas qu’il était gay, on disait qu’il était fantastique - Gay wasn’t a part of the lexicon - Puis il aborde rapidement le chapitre des concerts de rock de l’époque, tous ces concerts fabuleux qu’on pouvait voir dans les early seventies au Fillmore East, Miles Davis et les Who, par exemple. Johansen fait partie des kids qui veulent absolument faire du rock et tous les mecs qu’il rencontre sont aussi des passionnés : «Syl was T.Rex kind of guy, Arthur liked Sky Saxon and The Seeds, John liked the MC5, I was crazy about Janis Joplin. I can’t remember what Billy’s thing was.» Il va aux shows de Murray The K et flashe sur Mitch Ryder qui à l’époque casse la baraque torse nu, en trois minutes. Et quand Savage qui se croit drôle lui demande s’il préférait les Stones ou les Beatles, Johansen répond à sa façon : «To a degree I liked all of thoses bands. The Kinks, The Zombies, whatever came out, all the bands from England. But also, tempered with American R&B.» Il jouait «Mustang Sally» avec ses copains, il adorait aussi The Four Seasons and crazy singers like Lou Christie.

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             Johansen raconte aussi que John voulait répéter tous les jours. Il était un peu le moteur des Dolls. Puis l’influence de Syl a grossi. Mais le plus important dans tout ça était que les cinq Dolls étaient obsédés de rock’n’roll. Et comme ils voient beaucoup de groupes jouer des solos de 20 minutes au Fillmore, les Dolls rêvent d’un show explosif - It wasn’t even that we choregraphed or planned it, nothing like that, it happened spontaneously - Et puis quand Savage lui demande s’il se souvient quand les Dolls ont décollé, Johansen dit non. Les Dolls n’ont jamais décollé, sauf dans leur quartier à Manhattan. Tous les requins du music biz venaient pourtant les voir jouer : Clive Davis, Ahmet Ertegun. Mais celui qui les veut vraiment, c’est Paul Nelson, un A&R de Mercury. Nelson finit par convaincre son boss de signer les Dolls. Comme Marty Thau s’occupe des Dolls, c’est lui qui négocie le contrat.

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    ( Billy Murcia )

             Savage branche ensuite Johansen sur la mort de Billy - It was devastating. A shocking situation. It was a horrible misadventure, really. You don’t really get over things like that - Johansen évoque aussi la photo de pochette du premier album et la tournée américaine en première partie de Mott The Hoople. Savage veut absolument savoir si on les traitait de tapettes dans la rue. Johansen répond encore de biais : «De temps en temps, un mec nous insultait depuis la vitre baissée de sa bagnole. Mais je pense que les gens y réfléchissaient à deux fois avant de nous menacer car on dégageait quelque chose qui leur faisait croire qu’on pouvait être dangereux, if you fucked with us. On n’avait pas peur de se battre.» 

             Il raconte aussi que DownBeat magazine qui était un canard de jazz fit une chronique du premier album des Dolls, alors qu’ils ne chroniquaient jamais de disques de rock - Ils nous ont collé quatre étoiles et ont dit des choses superbes sur nous, comment notre musique illustrait la ville et la rue - J’étais fier de cette chronique. Et il continue sur le scoop : «Marty Scorsese est un fan des Dolls depuis le temps du Mercer. Il m’a dit que pendant le tournage de Mean Streets, il passait notre album sur le plateau, à plein volume, pour stimuler les acteurs.» C’est là qu’il évoque le docu avec Scorsese. Histoire de nous faire encore baver un peu, Johansen dit avoir enregistré une vingtaine de chansons. Son répertoire couvre toutes les époques, depuis le début jusqu’au dernier album des Dolls paru en 2011, Dancing Backwards In High Heels

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             Eh oui onze ans sont passés depuis Dancing Backwards. Ils ont enregistré cet album à Newcastle, comme nous le montre le DVD qui accompagne l’album. On profite en même temps d’un concert des Dolls filmé dans un club de Newcastle, le Cluny. Le film nous montre l’ultime mouture des Dolls autour de Johansen et Syl : l’ex-Blondie Frank Infante gratte sa gratte, Jason Hill bassmatique et Brian Delaney bat le beurre. Sur scène, c’est vraiment excellent. Il se trouve que Jason Hill est aussi le producteur de l’album. Alors le docu ? C’est un peu comme si on y était. On voit même la poule de Johansen, une très belle brune bien conservée. Quand ils jouent «Looking For A Kiss» sur scène, c’est exactement le même son qu’à l’origine. Magie pure ! Dans le docu, Syl prend souvent la parole. Il a encore une certaine classe, avec sa casquette de Gavroche. Il explique qu’il trouve des structures et des mélodies sur sa gratte and David puts a line on it. Sur scène, tout le côté wild guitars, c’est Syl sur sa Gretsch. On le voit aussi gratter les accords de «Streetcake» dans une cabine du studio. Fantastique ! Encore de la magie pure ! Il danse en grattant sa Les Paul. Syl pense que the musicians & writers have a duty. Et bien sûr, ça se termine sur scène : «It’s called Personality Crisis» - Ahhh yeah yeah yeah. Johansen le fait pour de vrai.

             On retrouve «Streetcake» sur l’album, et franchement, c’est du baume au cœur. Tellement du baume au cœur qu’on l’écoute en boucle pour se griser des chœurs de Syl et du raunch de Johansen. «Streetcake», c’est le son des fantômes du rock suprême, avec un Johansen qui refuse de mourir et le fantôme de Syl qui fait ahhhhh dans l’écho et qui gratte les plus beaux accords new-yorkais de tous les temps, et là, rien qu’avec ce petit balladif Dollsy, tu te retrouves au sommet de tous les mythes, perché sur l’Empire State Building avec King-Kong, et tu as le vertige, c’est trop bon, mais le vertige est dans ton cœur, et pendant que Syl pousse des ahhhh de rêve, Johansen revient toujours au raw. Ces mecs nous ont initié à la vie et ils sont toujours là, avec un power et une grâce dont on ne trouvera hélas plus d’équivalent - Let me be your streetcake/ Till your breadman come/ Give you more sugar/ Than the breadman done - C’est le plus beau rêve des Amériques, Johansen et Syl ont réussi à le recréer - I’m so sweet like the New York Dolls - Terrifique ! Ils s’enfoncent dans l’art comme Gauguin dans le rouge. Fais gaffe, ce cut peut te broyer le cœur, car Johansen et Syl te ramènent loin en arrière. Tu les vois photographiés tous les deux au dos du booklet et tu vois Syl qui est mort maintenant, avec sa casquette de Gavroche et sa dégaine de Doll et tu chiales parce que tu te sens seul dans ce monde d’une terrifiante médiocrité. Comme Johnny Thunders, Killer Kane et Jerry Nolan, Syl était une sorte de dernier rempart, maintenant il ne reste plus que Johansen, Iggy et Wayne Kramer, que Dieu protège ces survivants - To my head ! - Les coups d’harmo de «Pills» sonnent encore le tocsin dans ta cervelle. Oh et puis tu as ce «Fool For You Baby» en ouverture de bal, immense pied de nez des Dolls à la postérité, ça sort tout droit du Brill, c’est l’absolu séculaire du don’t you break my heart, plombé de sonic genius, saturé de dont dont dee lee dont dont. Les Dolls se dégagent de toutes les influences pour ne sonner que comme les Dolls. Johansen et Syl pondent encore un chef-d’œuvre Dollsy, «Talk To Me Baby», énorme, plein d’élan du Brill, nouvelle manifestation du Syl power, cut définitif, Johansen le chante à l’arrache des Dolls, tu as des coups de piano et des redémarrages demented. Avec «Round And Round She Goes», ils renouent avec leur racines et passent au stomp. Parce que ce sont les Dolls, ça devient énorme. Johansen écrase le champignon du record machine. Encore du pur jus Dollsy avec «I Sold My Heart To The Junkman». Ils sont capables de faire du Brill de junkman ! C’est un coup d’éclat transcendantal. Ils tapent «Baby Tell Me What I’m On» au Diddley Beat - Babeh/ Babeh I’m so gone - Drug-out reggae so far out. Puis ils tapent une version de «Funky But Chic» et avec Syl derrière, la magie est intacte. Ils perpétuent leur art jusqu’au bout et là tu as tous les chœurs de Dolls dont tu rêves. On retrouve «Funky But Chic» dans les bonus enregistrés au Cluny, Syl le lance à la Thunders, ça joue aux deux guitares avec les chœurs de Syl derrière, alors tu tombes de ta chaise, même chose avec la version live de «Cause I Sez So», c’est hot as hell, au-delà de toute espérance, ils rentrent dans le chou du lard avec des guitares terribles et Syl sort tout le Grand Jeu des Dolls, un son unique au monde, il faut en profiter, ces deux mecs sont encore là le temps d’un disque, et puis tout sera fini. Et ça repart de plus belle avec «Hey Bo Diddley» - Hey Bo Diddley/ Where you been - Fantastique hommage ! Dans la bouche de Johansen, Bo c’est beau ! Syl reste en overdrive de Thunders et puis tu as encore «Pills». Il n’y a que les Dolls pour exploser aussi monstrueusement - A rock and roll nurse go into my head - C’est l’hymne de New York City.

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             En 2005, Johansen et Syl avaient annoncé une reformation des Dolls avec Steve Conte, Sami Yaffa et Brian Delaney. C’est cette nouvelle configuration qui enregistre One Day It Will Please Us To Remember Even This. L’album est un beau clin d’œil aux Dolls. Trois cuts pourraient très bien figurer sur le premier album : «Running Around», «Punishing World» et «Fishnets & Cigarettes». D’abord parce que ce sont des compos de Syl et le grand Johansen reprend le contrôle de l’aéroport. Il retrouve ses marques avec les chœurs et le boogie down. C’est là où il excelle depuis cinquante ans. Syl signe aussi «Fishnets & Cigarettes», et Johansen ramène le power absolu. Par contre, c’est Conte qui signe «Punishing World». Il tape en plein cœur du big Dollsy sound, l’énergie est intacte, il ne manque plus que Johnny Thunders. On assiste à la restitution de l’énorme power des origines du monde. Syl signe «Dance Like A Monkey» et pompe «Lust For Life». Même beat. C’est là que New York se fond dans Detroit. Johansen fait des merveilles avec la belle pop de «Plenty Of Music». Syl signe aussi l’excellent «Dancing On The Lip Of A Volcano». Et voilà la cerise sur le gâtö : Iggy vient duetter avec Johansen sur «Gimme Luv & Turn On The Light». On appelle ça une énormité impavide. Et cet album de rêve s’achève sur une autre compo de Syl, «Take A Good Look At My Good Looks» : Johansen et Syl s’entendent à merveille pour créer des petits moments de magie balladive.

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             Paru en 2009, ‘Cause I Sez So est le deuxième album de reformation des Dolls autour de Johansen et Syl. Et pour que l’illusion soit complète, Todd Rundgren produit, comme au temps du premier album. Alors pas de problème, on sait qu’on aura du son. On retombe sur le classic Dolls sound dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est un son réellement unique au monde. Ils rejouent leur vieux va-tout. On retrouve le Dollsy sound dans le cut du bout de la B, «Exorcism Of Despair», véritable mur du son avec un Johansen au dessus de la mêlée et des grosses guitares du Conte. Le Conte est bon. Le hit de l’album est «My World», une grosse compo signée Syl, grattée à coups d’acou, avec un coup de wah du Conte en plein milieu. On entend bien Sami Yaffa voyager sur le manche de sa basse dans «Muddy Bones». Johansen est en pleine forme. Il fait plaisir à voir. Il aime bien les balladifs du Conte, comme ce «Temptation To Exist», mais aussi ceux de son vieux compadre Syl. Ils signent encore une grosse compo : «Drowning». On les voit tous les deux se diriger de plus en plus vers les grosses compos. «Drowning» raconte l’histoire d’un homme qui se noie - I’m not waving hello/ I ain’t throwing around with the mama/ Don’t let me go - C’est bourré d’humour. Et puis tu as aussi ce big dancing rock signé Syl et Conte, «Nobody Got No Big News», Johansen y ramène l’énergie du rap, c’est vraiment du big business, let’s get radiant ! On note aussi au passage la version reggae de «Trash».

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             On a commencé avec Scorsese et on finit avec lui. Faut-il voir et revoir la série Vinyl en dix épisodes ? Oui, car c’est un bel éclairage sur le music biz new-yorkais des années 70, juste avant l’arrivée du punk-rock. Dans l’épisode 10, le personnage principal Richie Finestra donne ses rendez-vous dans un bar du Bowery. Après son rendez-vous, Finestra vient papoter avec le patron du bar. Celui-ci songe à changer le nom de son bar et à y organiser des concerts. Il a crayonné sur un bout de papier son idée de nouveau nom : CBGB. Il s’agit bien sûr d’Hilly Kristal. Et comme le premier épisode de la série démarre en 1973 au Mercer avec les Dolls, la boucle est bouclée. N’oublie pas que le punk est né à New York, pas à Londres.

             Supervisée par Scorsese, la série tient sacrément bien la route. On y retrouve le mélange qui a fait le charme des premiers films de Scorsese, ce puissant cocktail de rock, de coke et de violence mafieuse. On n’avait encore jamais vu autant de rails de coke, excepté dans The Wolf Of Wall Street ! Si tout démarre au Mercer, ce n’est pas un hasard, Balthazar : les Dolls sont au cœur de toute la modernité du rock. Scorsese le savait à l’époque. Il parvient à reconstituer l’ambiance de ce que fut un set des Dolls à l’âge d’or. On voit même Syl faire du stage dive avec sa Flying V. 

             Richie Finestra a des faux airs de Travolta : italo-New-yorkais, on est en plein dans le Scorsese System. Finestra/Travolta dirige le label American Century qui bat de l’aile, car trop ancré dans le passé. Scorsese parvient à filmer l’écroulement du Mercer, avec Finestra/Travolta à l’intérieur. Au milieu des décombres, Finestra/Travolta a une vision : il voit les Dolls comme l’avenir du rock, alors comme Seymour Stein, il part à la chasse du next big thing : le groupe s’appelle the Nasty Bits, un groupe punk avant l’heure, très certainement inspiré du personnage de Richard Hell.

             Scorsese veille à ne pas oublier l’autre mamelle de la modernité : le Velvet. Alors on se régale, car c’est servi sur un plateau d’argent - I am tired/ I am weary/ I could sleep for a thousand years - Pure magie reconstitutive - Different colours made of tears - «Venus in Furs» nous berce encore de bien belles langueurs monotones, cinquante ans plus tard. Scorsese et ses scénaristes (dont l’excellent Rich Cohen) réussissent un habile mélange de méli-mélo avec des faits réels. On voit Alice Cooper apparaître dans l’épisode 3, mais c’est complètement raté. Une façon comme une autre de dire que le personnage d’Alice Cooper n’a jamais été crédible. Les Dolls l’étaient mille fois plus. Par contre l’Hannibal qui pointe sa museau dans l’épisode 4 vaut le détour : hommage au funk des seventies, à Sly Stone et à Bootsy Collins. La plupart des scènes sont filmées dans les locaux du label de Finestra/Travolta : on y voit le ballet des associés et des assistantes, tous et toutes plus incompétent(e)s les uns que les autres. Scorsese nous ressert une petite louche de Lou Reed dans l’épisode 5 avec une version de «White Light White Heat» sur scène. Dans le 6, on voit Bowie débarquer à New York avec «Suffragette City», et on entend le «No Fun» des Stooges chez un marchand de guitares. Et puis un mec chante «Life On Mars» au piano dans une fête juive. N’oublions pas que New York est la plus grande ville juive du monde. Finestra/Travolta fait un saut en Californie pour l’épisode 7, il vend l’avion de son label à un mec qui organise une fête à Malibu et là défilent tous les luminaries de la scène locale : Mama Cass, Gram Parsons, Captain Stills Manyhands et puis il y a une scène magique avec Elvis à Las Vegas. Finestra/Travolta rencontre Elvis backstage et ils tentent de monter un plan ensemble, alors Elvis veut les Sweet Inspirations et Finestra/Travolta propose Pop Staples pour produire le nouvel album, alors Elvis exulte : «You got it !». Jusqu’au moment où le Colonel Parker arrive et vire Finestra/Travolta. Elvis va coucher au panier. La scène est d’une incroyable justesse. Bravo Scorsese !

             Il n’empêche que le label continue de s’enfoncer, alors Finestra/Travolta doit emprunter de l’argent. Comme la banque lui refuse le prêt, il s’adresse à Colasso, un type de la mafia qui lui prête 100 000 $ en cash. Taux à 5%. L’épisode 8 nous permet d’entrer dans deux mythologies : celle des trois accords et celle de la mafia. Lester Grimes qui est le manager black des Dirty Bits explique à ses protégés que tout repose sur trois accords : ré la si. Et il joue un medley de toute l’histoire du rock et du blues sur sa gratte. Quant à la mafia, c’est l’occasion pour Scorsese de renouer avec sa vieille virtuosité : il montre comment Colasso étrangle un mauvais payeur avec le fil électrique d’une lampe. Colasso est bien sûr une interprétation libre du personnage de Morris Levy. Dans le 8, on voit aussi apparaître John Lennon et May Pang au Max’s, alors que Bob Marley joue sur scène. Pour la fin de la série, Scorsese fait jouer les Dirty Bits en première partie des Dolls qu’on ne voit hélas que dans la salle, mais pour lui, c’est l’occasion rêvée de boucler la boucle. Bien sûr, la saison 1 appelle une suite.

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    New York Dolls. One Day It Will Please Us To Remember Even This. Roadrunner Records 2006

    New York Dolls. ‘Cause I Sez So. ATCO records 2009

    New York Dolls. Dancing Backward In High Heels. 429 Records 2011

    Martin Scorsese. Vinyl. Saison 1. DVD 2016

    Jon Savage : Fantasy Island. Mojo # 345 - August 2022

     

     

    Inside the goldmine - Baby Grande Ballroom

     

                Il sortit de l’hôtel Saint-Francis et alla se jeter dans le flot des passants que charriait la 42e rue. Il se grisait de l’éclat du ciel bleu et de l’énergie qui électrisait cette ville. Il rentra dans un peep-show, paya six dollars et s’installa dans une cabine. Il avala deux cachets de benzedrine et attendit - oh pas longtemps - l’arrivée de la fille derrière la vitre. Blonde du haut mais brune du bas, elle ne portait rien d’autre qu’une moue de morgue. Elle commença à se masturber, un doigt dans chaque orifice. Alors il en fit autant et prit soin d’éjaculer sur la vitre, comme c’était l’usage. Il sortit relaxé de l’immeuble et héla un taxi qui le conduisit downtown, où il allait tenter, en parfait disciple de Dorian Gray, de «perdre son âme». La nuit tomba. Il s’installa sous un réverbère, au coin d’une rue déserte, et attendit qu’une lame le menaçât, ou mieux encore, qu’un gang de Portoricains, Young Lords de préférence, ne vint le rouer de coups et le violer. Sa quête de modernité et son horreur congénitale de l’ennui le conduisaient comme d’autres avant lui - et pas des moindres - à rechercher le frisson des situations extrêmes. Il n’eut pas à attendre très longtemps. Six jeunes blacks aux yeux rouges sortirent de l’ombre, approchant en silence comme des chats méfiants. Ils brandissaient des barres à mine. Pas un bruit, silence total. Il reçut un premier coup de barre dans le genou et en tombant, un deuxième coup porté au visage lui cassa à peu près toutes les dents. Puis les coups redoublèrent de violence. Il subissait le supplice de la roue. Les blacks frappaient à tour de rôle. Au moment où il rendit l’âme, son double se détacha et l’éleva à la verticale. En proie à des vieilles superstitions, les blacks reculèrent et s’enfuirent. Zéphyr s’éleva à la verticale, ainsi qu’il l’avait annoncé dans ses romans.

     

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             D’un Zéphyr l’autre, comme dirait Céline. Le «Zephyr» de Baby Grande n’a de new-yorkais que la coïncidence. Ces Australiens contemporains des early Saints auraient très bien pu enregistrer ce «Zephyr» - apparemment jamais sorti - dans le downtown new-yorkais.

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             En 2019, RPM fit paraître un petit coffret glammy retentissant, All The Young Droogs. On en a déjà dit le plus grand bien sur KRTNT. Il faut bien reconnaître que l’album grouille de puces, Third World War, Milk ‘N’ Cookies, Hector, Brett Smiley, Helter Skelter, en tout soixante glam nuggets qui mettent les sens en alerte rouge, avec un seul petit défaut : l’absence de Jook et des Gorillas (même si Helter Skelter est là). Il se trouve que le meilleur cut de ce coffret si haut en couleurs est le fameux «Zephyr» épinglé plus haut. Les Australiens s’y prêtent à une fantastique charge des Walkyries. Ces mecs ont du raw power plein la culotte. Leur vice, c’est l’explosivité pressante comme une envie - Well I call you a zephyr - Tout est là, dans cette énergie des guitares, dans ce son rempli à ras-bord, dans cette niaque de mauvais aloi, personne ne les aime et ils ne s’aiment pas non plus. Ils semblent même bien meilleurs que les Saints, ce qui n’est pas facile à dire pour un vieil inconditionnel des Saints.

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             C’est à peu près tout ce qu’on avait à se mettre sous la dent. Et puis voilà qu’on annonce la parution d’un album d’inédits de Baby Grande. Stupéfaction ! HoZac est un label américain spécialisé dans le punk’n’roll (Davila 666, Chrome Cranks, Kim Salmon, Mark Sultan, etc.), la réédition d’albums métempsychotiques et l’édition de livres nitrogéniques (Sal Maida, Bob Bert, etc.). C’est donc en 2018, soit un an avant les Droogs, qu’HoZac fit paraître un album d’inédits de Baby Grande - HoZac Archival is proud to present these incredible recordings to complete your explosive lifestyle - On trouve un peu de littérature, sur la pochette intérieure, notamment une interview de Steve Kilbey (chant) et Dave Scotland (guitar). HoZac tente de les ramener vers les Saints qui enregistraient leur premier album dans le même studio, mais les deux groupes ne se connaissaient pas. Comme les Saints, Baby Grande enregistre des démos pour EMI, mais EMI les jette. HoZac n’y va pas de main morte : sur la pochette, ils ont collé un sticker jaune où on peut lire «Australian GLAM/Proto-PUNK missing link», de quoi faire bander tous les curés de Camaret. Notre cher «Zephyr» y ouvre le bal de la B, toujours aussi subjuguant que suburbain. On constate une fois de plus la violence du riffing, c’est assez glammy, oh boy, mais descendu dans la rue. Tellement dans la rue que ça devient digne des Dolls, ils déploient des ailes d’aréopage, Dave Scotland claque un solo qui prend feu dans l’azur prométhéen, well I call you a zephyr/ You should glow, ils sont sur le même terrain que Slade, la voix en moins. Dommage que les autres cuts ne soient pas du même niveau. Ça pourrait à la limite expliquer qu’EMI les ait jetés, mais bon, «Zephyr» suffit à notre bonheur. Avec «Pure White & Deadly», ils font ce que tous les groupes - et Mott oh ma Mott - faisaient dans les early seventies : du boogie-rock. Il sont dans le bain, bien dans le bain dis donc, Dave Scotland joue à la cocote sournoise. Ils ont opté pour les bons réflexes. Comme HoZac n’avait pas assez de cuts pour remplir un album, ils ont collé en fin de B une autre mouture de «Pure White & Deadly», un peu plus grasse du bide, ce qui lève toute forme d’ambiguïté. Ils vont vite en besogne et le bassman se faufile partout. Dave Scotland claque une fois de plus un killer solo flash impitoyablement fluidifié et là, on le prend très au sérieux. C’est Mick Ralph, mais à Canberra. Avec «Going There & Back», ils adressent un gros clin d’œil aux Young Dudes. Comme ils sont d’un naturel aimable, ils y vont de bon cœur, au crush crush de room et de TV screen. Mais leur «Madame Lash» ne fonctionne pas, même si Lash rime si richement avec trash. Et les autres cuts refusent obstinément de décoller. Dave Scotland tente de sauver «She Thinks She’s A Diamond» avec un solo fleuve de la plus belle autorité, mais Baby peine à jouir. Contentons-nous donc de nous envoler avec Zephyr.

    Signé : Cazengler, Baby Glande

    Baby Grande. Baby Grande. HoZac Records 2018

    All The Young Droogs. RPM 2019

     

    L’avenir du rock - God save the Quintron

     

                Il n’oserait l’avouer à personne. L’avenir du rock a toujours rêvé d’être une grenouille. Oh pas la grenouille stupide dont se moque si gentiment La Fontaine, cette grenouille qui enfle pour égaler le bœuf en grosseur et qui enfle tant et si bien qu’elle éclate. Ni la grenouille dont on sert les cuisses revenues à la poêle dans les restaurants à la mormoille, et encore moins celle qu’on dissèque à vif dans les bacs des cours de sciences naturelles pour examiner ses organes. L’avenir du rock songe plutôt à la grenouille en peluche que trimballait Clarence Frogman Henry sur scène, un Clarence dont la prestance persistera et signera à travers les siècles, soyez-en certains, le Clarence de la froggy motion sempiternelle, un Clarence chouchouté par les oreilles alertes et vives, car connaît-on meilleure prestance que celle-ci ? Ah comme il aurait adoré sautiller dans les roseaux, l’avenir du rock, attraper des libellules au vol, échapper d’un bond au vieil alligator, et le soir aller jusqu’à la cabane de Bobby Charles pour l’écouter entonner ses Champs Élysées sur sa vieille guitare gondolée - Les femmes sont jolies/ Sur le (sic) Champs Élysee (sic)/ Ils (sic) vous donnent des envies - Ah quel poète délicieux, enfoui au fond d’un Bayou qu’on dirait peint par le Douanier Rousseau. En suivant la berge du fleuve, l’avenir du rock serait ensuite allé par petits bonds jusqu’à la maison du vieux Tony Joe pour le voir éplucher sa polk salad à la lumière d’une lampe à pétrole, sous sa véranda, car comme il le croasse si bien dans l’histoire d’Annie qui est encore plus mauvaise que les alligators, c’est tout ce qu’il y a à manger Down in Louisiana, where the alligators grow so mean. Mais par-dessus tout, l’avenir du rock aurait adoré voir Monsieur Quintron approcher des roseaux à quatre pattes avec son petit magnétophone accroché autour du cou, Monsieur Quintron et son crâne métaphysique couronné de chaume, sa petite rangée de canines pointues et ce regard si flaubertien de matelot en détresse, promenant sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l’horizon.

     

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             Ça fera bientôt trente ans que Monsieur Quintron intrigue les masses populaires. Trente ans qu’il méduse les foules à petits coups de séquenceur. Trente ans qu’il envoie ses mains de cire valser sur le clavier d’un orgue Hammond. Trente ans qu’il nous fait danser le jerk des squelettes de la Nouvelle Orleans. Trente ans qu’on rit avec la mort qui est son double.

             En 2012, Monsieur Quintron est venu en Normandie nous secouer les cloches. On ne croise pas tous les jours une légende vivante, dans cette région. On y croise plus facilement des vaches, et des gens qui vont mal. À l’époque, Monsieur Quintron s’installait torse nu derrière son clavier. Il portait un pantalon de cuir noir. Grand, brun, gueule de star. Fabuleux Soul-shaker, l’un des meilleurs du cru. Pendant que son corps ruisselait de sueur, il nappait d’orgue son Soul-shuffle et shakait sauvagement sa charley. Il swinguait comme un entrepreneur de démolition. Des choses bizarres roulaient sous la peau humide de ce chaud lapin de sucre sauvage. Il pulsait le rumble et l’envoyait rouler dans les orties. À deux mètres de lui, plantée derrière un micro, Miss Pussycat secouait ses maracas et chantait comme une casserole. Elle œuvrait pour la postérité du trash qui est, avouons-le, notre religion secrète.

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             Et pouf, dix ans plus tard, ils redébarquent en Normandie, pour un concert gratuit en plein air. Quintron ne se met plus torse nu derrière sa machine infernale, mais il conduit toujours aussi bien son bal des vampires de la Nouvelle Orleans.

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    C’est un fabuleux hellraiser, il tape le beat sur sa charley et racle à la baguette la pedal steel installée sur sa machine. Il ramène des sonorités incroyables dans son boogie-blast, des accords fantômes de Deep Southern country. Cette fois, Quintron et Miss Pussycat sont accompagnés par un batteur tout maigre et un ostrogoth ventru qui joue sur un mini-moog et qui souffle dans un tuyau en caoutchouc. Avec son gros bide tatoué, il vole la vedette sur scène.

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    Quintron offre toujours le même cocktail hallucinant de ramshakle et de swamp-boogie, il mène ça ventre à terre et chante toujours comme une superstar. Il s’est laissé pousser les cheveux, mais il reste l’un des rock’n’roll animals les plus sexy d’Amérique. Bizarrement, les gens chipotent en France. Comme d’habitude.

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             Un soir, sous les étoiles, en mer des Caraïbes, le célèbre capitaine Flint nous confiait ceci : «Il y a deux sortes de créatures sur cette terre : les beaufs et les trash !». Au-dessus de nos têtes pourrissaient les cadavres d’officiers espagnols accrochés par les pieds aux gréements. Ces charognes illustraient parfaitement son discours. 

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             Are You Ready For An Organ Solo ? Sous cette invitation déguisée se tapit un rude album rempli de gros jerks dératés, palmés d’orgue, plus chancelants que chantés, et bardés de chœurs tragicomix. «Place Unknown» est un merveilleux dada banana split. Prince du shuffle des cimetières abandonnés, Monsieur Quintron l’orne de jarretières d’os. Ce jerk est entêtant comme ce n’est pas permis, franchement, et les chœurs de Miss Pussycat éreinteront les plus coriaces d’entre-vous. Quintron adore les pièces de boogie-down-production-shout-balam qui nous font danser jusqu’à l’aube dans les allées du Quartier français, tout près du palais vermoulu où se planque le dandy cucumber. Le cœur quintronien balance souvent entre le straight r’n’b bien secoué du cocotier et la petite pop dada fraîche comme une laitue et habilement cadencée par les infra-sons, comme par exemple «Cave Formation», où l’on entend Miss Pussycat chanter comme si elle était encore en maternelle. Pour le reste, Monsieur Quintron drumbeatera sévèrement, car telle est sa secrète ambition.

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             Si tu t’accommodes aisément de la fantaisie, alors écoute cet album qui s’appelle Swamp Tech. Le samedi, Quintron va faire ses courses sur Canal Street. Il adore piquer dans les magasins. «Shoplifter» raconte ses exploits. Il nous nappe ça d’orgue et nous fait danser au salon. Sa boîte à rythme fait des miracles, on peut bien l’admettre. C’est à Miss Pussycat que revient l’insigne honneur de chanter «Fly Like A Rat». C’est dingue ce qu’elle peut mal chanter. Mais le morceau a fière allure. Ces deux-là font ce qu’ils veulent. Ils naviguent en solitaire. Ils n’ont qu’une seule loi : la liberté à tout crin. Ils jouent dans LEUR club et enregistrent sur LEUR label, Bulb Records. La typo de Bulb est dessinée comme celle du label SUN de Sam Phillips : quatre lettres sont disposées sur un demi cercle divisé en quartiers par les rayons du soleil levant. À la fin de «Fly Like A Rat», Quintron vient screamer un bon coup. Avec «Witch In The Club», il nous prouve une fois de plus qu’il sait vraiment pulser le beat louisianais - Louis Louie Louie - c’est un crack de l’abattage, un furoncle intraitable. Il met les bouchées doubles. Sa reprise de Kiss est encore plus énorme : il transforme «God Of Thunder» en gros jerk des Caraïbes. Comme nous tous, Quintron déteste cordialement le cupide Gene Simmons.

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             Bien des fans de Quintron se sont fait rouler la gueule. L’immonde Quintron s’autorise à faire paraître de temps en temps des albums expérimentaux. Sur Drum Buddy Demonstration Vol. 1, il nous refile quelques échantillons de sons produits par son séquenceur. 

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    Avec les fameuses Frog Tapes, il nous emmène dans le bayou écouter chanter les grenouilles, d’où le titre de cet album qui s’arrache à prix d’or. Ne perdons jamais de vue que Monsieur Quintron est l’un des derniers originaux de l’aventure rock, et ses admirateurs doivent parfois avaler des grosses couleuvres et apprendre à faire preuve de bienveillance.

             Mais au bout du compte, on est bien récompensé.

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             En 2008, une pochette étrange trônait dans les vitrines des magasins. On y voyait le vampire Quintron assis auprès d’une entraîneuse noire. Elle portait sur les épaules un monstrueux python du bayou, comme d’autres portent une cape de zibeline. Renseignements pris auprès du détaillant, il apparaissait que le python portait le doux nom de Boobaalah, qu’on estimait son âge à deux cents ans et qu’il avait pour particularité de miauler pour séduire ses victimes, qui étaient généralement des cochons ou des petits nègres égarés aux abords du marais. L’album s’appelle Too Thirsty 4 Love. Il nous tient une fois de plus la dragée haute. «Waterfall» et le morceau titre posent leurs mains sur nos hanches et nous font danser la java des marais. Impossible de résister au drumbeat de Drum Buddy. Miss Pussycat rejoint Quintron sur «Dirt Bag Fever». Il contribue à la postérité - run wanado dah doo - C’est une sorte de petit hit cosmique et bien intentionné. On se retrouve une fois de plus sous le charme du trash. De l’autre côté du disque traîne un mambo judicieux qui s’appelle «Freedom». C’est une valse à trois temps de la Nouvelle Orleans, une étonnante pièce de machinerie truculente et bien née. Et si on veut retrouver ce qui fait la puissance seigneuriale de Quintron, c’est-à-dire le rock solide nappé d’orgue, alors il ne reste plus qu’à écouter «Model Ex Citizen». Évidemment, Miss Pussycat vient vinaigrer l’affaire. Et tout le reste n’est que littérature, comme dirait le pauvre Lélian.

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             En 2011 paraît Le Sucre Du Sauvage. Voilà encore un album rempli de petite pop que Miss Pussycat massacre avec ostentation. Elle est le fléau des temps modernes. Pourtant, ils réussissent parfois des exploits, comme par exemple ce morceau qui s’appelle «Face Down The Gutter» qu’ils chantouillent à deux voix et qu’ils bardent de clap-hands, très sixties dans l’esprit et admirable à bien des égards. Quintron peut aussi faire du boogie à la Canned Heat. Il suffit de le lui demander gentiment. Certains morceaux pourraient très bien sonner comme des tubes planétaires, «Banana Beat» par exemple, mais c’est impensable, parce qu’ils refusent tous les deux de se prendre au sérieux. Du coup, on se retrouve avec de la pop exacerbée qui pique un peu, comme un beaujolais, surtout lorsque Miss Pussycat chante seule, comme c’est ici le cas. «Sucre Du Sauvage» est plus cavaleur et donc plus entreprenant. On retrouve ce brouet unique au monde d’orgue dansant et de Drum Buddy dada électronique qui envoie aux gémonies les conclusions hâtives. On suit à la trace ce petit groove cocasse qui finit en coin-coin. 

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             Les affaires sérieuses de Monsieur Quintron se trouvent sur deux albums malheureusement difficiles à dénicher. La pochette en or d’Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man fera rêver les Égyptologues dans deux mille ans, d’autant qu’elle est frappée du sceau royal Bulb Records. C’est là que Quintron matérialise vraiment son art cybernétique de marécage. «Mysterious Rangers» s’ouvre sur un petit hurlement de Miss Pussycat, ce qui est bon signe. On est aussitôt embarqué par un bon beat qui génère une réelle tension garage. Si on apprécie la cohérence du groove déluré, alors on sera comblé. «White Man Style» tient du génie. Avec ce monstrueux cyber-groove évanescent et fondateur, Quintron bat tous les records. Il nappe ça d’orgue et érige un beat furieux et industriel à la fois. Il ulule comme un rockab. Thor des temps modernes, il bat au marteau le groove dindon. «Hurricane» est digne du mythique «Tiger» de Brian Auger. C’est le pur shuffle des caves enfumées. Quintron fait rouler son scream sous les voûtes humides. Miss Pussycat hurle comme une bête. Elle fait les chœurs. À chaque morceau, ils réaffirment un peu mieux leur totale indépendance. «Push Pull or Drag» est du trash pur et dur. Avec «Peter Pan», Quintron va vous en boucher un coin. C’est ce qu’on pourrait appeler un hit atomique. Quintron chante comme Lux et noie son bousin sous des nappes d’orgue. C’est exactement la même énergie que celle des Cramps. Même démesure. On croit même entendre «New Kind Of Kick». Quintron grille tous les plafonniers. Il scande comme Lux. C’est un shouter des enfers.

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             Avec Les Mains d’Orlac, Peter Lorre avait réussi à traumariser toute une génération. On retrouve ces mains maudites sur la pochette de These Hands Of Mine. C’est Miss Pussycat qui secoue les cacahuètes dans cet enfer Dada qu’est «Meet Me At The Club House». Elle secoue aussi des sacs de café du Brésil. Ils pavent cet instro electro-jerkoïde de bonnes intentions. On trouve aussi sur ce disque terrible un heavy groove nommé «It’s Moving Me». On les voit errer tous les deux au long des chemins bourbeux de l’infortune. Ils créent une atmosphère lourde de conséquences. «Wild Indians» est une parade de western superbe d’inventivité, montée sur un drumbeat béatificateur. Quintron sait provoquer la débâcle inventorielle. Après une longue intro, «Grandfather Time» déboule avec un shuffle d’orgue et un drumbeat turgescent. Infernal. Ça saute à la gorge. C’est bardé de chœurs sauvages. Au XVe siècle, on appelait ça l’énergie du Diable. Encore un beat de forcené avec «Caveman 5000». Quintron enfonce ses clous avec une rage de forcené.

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             La réputation de Quintron repose aussi pour une grande part sur l’album qu’il enregistra en 1997 avec les Oblivians, Oblivians Play Nine Songs With Mr Quintron. C’est l’un des grands classiques du garage-punk de cette époque. Alors que des horreurs comme «Feel All Right» et «I May Be Gone» explosent, Quintron veille au grain. Il fédère les atomes à coups de nappes d’orgue. Alors que les riffs de guitare dévastent tout, Quintron entre dans le lard du cut avec une belle assurance. Il nappe le chaos de nappes majestueuses. Il se mêle au télescopage des genres avec une vraie candeur estudiantine. On le sent comme un poisson dans l’eau, notamment dans «What’s The Matter Now», qu’il nappe dès l’intro. Il saute sur son tabouret et envoie des giclées de sauce piquante. C’est lui le patron. Il rugit comme une tempête. Il ouvre un océan pour «Mary Lou», l’un des hits garage du siècle. Il faut le voir distiller ses marées de shuffle ! Diabolique !

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             Retour en fanfare avec Goblin Alert. Quintron & Miss Pussycat n’ont jamais été aussi bons ! Ils partent en mode stomp avec «Tenagers Don’t Know Shit», ça joue à l’extrême drumbeat d’hypno à Toto, c’est fantastiquement embarqué pour Cythère, avec des breaks de mini-moog et de piano - My name is Jesus Christ & I’m not magic - Ils duettent ensuite ventre à terre pour le morceau titre. Avec le temps, Miss Pussycat prend de l’assurance. Ils jettent toute leur niaque dans leur vieille balance. Coup de Trafalgar avec «Buc-ee’s Got A Problem» : ce country rock joué au lap steel est bourré d’énergie. Tout sur cet album est visité par la grâce de la Louisiane. Et ça repart de plus belle en B avec «Stroller Pollution». Ils adorent cavaler ventre à terre dans le bayou. Sam Yober et Drum Buddy y vont de bon cœur. Quintron n’a jamais eu autant d’énergie. Ce bel épisode swampy s’achève avec «Weaver Wear», emmené au gros tatapoum de Drum Buddy et animé par une Miss Pussycat rayonnante. Elle est superbe, plus rien à voir avec la casserole d’antan, elle est délirante, elle grimpe au sommet du lard, elle enfile les perles, elle mène bien le bal des Laze, elle devient la front-woman number one. Quintron & Miss Pussycat continuent de suivre leur petit bonhomme de chemin avec goût et fantaisie. Wow, il faut voir Quintron noyer son Weaver sous des nappes d’orgue démentes ! Tout est beau au paradis du swamp.

    Signé : Cazengler, pilleur de Quintrons

    Quintron & Miss Pussycat. Le 106. Rouen (76). 10 octobre 2012

    Quintron & Miss Pussycat. Les Terrasses du Jeudi. Rouen (76). 21 juillet 2022

    Quintron. The Amazing Spellcaster. Live At The Pussycat Caverns. Bulb Records 1995

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    Oblivians Play 9 Songs With Mr Quintron. Crypt Records 1997

    Quintron. These Hands Of Mine. Skin Graft Records 1998

    Quintron. Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man. Bulb Records 2000

    Quintron. Drum Buddy Demonstration Vol. 1. Skin Graft Records/Rhinestone Records 2001

    Quintron. Are You Ready For An Organ Solo ? Rhinestone Records 2003

    Quintron. The Frog Tape. Skin Graft Records 2005

    Quintron. Swamp Tech. Tigerbeat6 Records/Rhinestone Records 2005

    Quintron. Too Thirsty 4 Love. Rhinestone Records/Goner Records 2008

    Quintron. Sucre Du Sauvage. Goner Records 2011

    Quintron. Goblin Alert. Goner Records 2020

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     *

             Avant d’aborder une machine, serait-elle rouge, il convient de présenter les mécaniciens qui l’ont créée et qui la font marcher. Sont trois.

             Le premier se nomme Francis R Cambuzat. L’a un pedigree long comme un agenda téléphonique, l’a fondé des tas de groupes, suscité aux quatre coins de la planète des expériences soniques de toutes sortes, l’a commencé à dix-sept ans à jouer avec Dizzy Gillespie au Blue Note in the Big Apple - déjà l’on comprend que la musique qui tourne en rond sur elle-même n’est pas son dada - l’est arrivé à se faire un nom de journaliste free lance  aux USA avec une interview d’Iggy Pop, l’a donné plusieurs milliers de concerts sur tous les continents. Notamment avec Putan Club.

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             Ne sont que deux dans ce putain de club, lui et Gianna Greco. D’origine italienne, encore une qui ne sait pas rester en place, s’est mêlée à la révolution tunisienne, lorsque le mouvement a foiré, elle a décidé de se battre avec ses propres armes ( voix + basse ) et de porter les idées d’insoumission et de subversion partout où les pouvoirs maltraitent les hommes. Pour savoir où exactement, il suffit de recopier la liste alphabétique de tous les pays.

             Musicalement il est difficile de définir le style de Putan Cub, en fait c’est très facile : sont punk, rock’n’roll, metal, classique, jazz, techno, rajoutez les ingrédients qui vous semblent manquer.

             Nous vous reparlerons de Putan Club une autre fois, c’est que nos deux ostrogoths se sont affiliés à un troisième, très connu du public français, Denis Lavant, comédien – ce mot ne le définit pas, il n’interprète pas ses personnages, il essaie d’en restituer l’authenticité - l’a tourné des films, notamment avec Léo Carax, joué et mis en scène de nombreuses pièces du théâtre classique et contemporain et monté plusieurs spectacles hommagiaux. Nous retiendrons principalement sa magistrale évocation de Joë Bousquet, le poëte carcassonnais grièvement blessé en 1918, cloué sur son lit de souffrance durant plus de trente ans Ce qui nous emmène à la troisième corde de son arc : la lecture de textes, Céline pour n’en citer qu’une, et de poésie.

             Bref l’association de Putan Club et de Denis Lavant a donné naissance à Machine Rouge. A notre connaissance Machine Rouge n’a pas perduré. Ne sont écoutables que quatre morceaux, sur SunCloud, sur lesquels nous ne nous attarderons pas – il s’agit de quatre démos de lecture de poèmes d’Henri-Simon Fure, de Marina Tsvetaïa, de Federico Garcia Lorca, de Velimir Khlebnikor, les deux premières sont les plus réussies. Reste une vidéo sur You Tube, qui nous intéresse particulièrement. Sur laquelle nous dresserons l’oreille.

             Rien d’autre que le célèbre poème péremptoirement nommé Le Coup de dés de Stéphane Mallarmé. Ce n’est pas une œuvre facile, pour la mieux présenter ils ont fait appel à Carlo Mazzotta, vous trouverez sur son canal YT une floppée de vidéos de lectures poétiques diverses de ce dernier.

    *

             Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, son titre véritable non abrégé, écrit en 1898, est une œuvre fondatrice de notre modernité. Elle interroge autant l’écriture poétique que musicale. Elle se situe exactement au croisement de la théorie réflexive et de la pratique artistique. Tout en offrant plusieurs pistes de lecture, elle reste mystérieuse.

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             Lecture circonstancielle : au moment où Mallarmé l’écrit la poésie française traverse une crise majeure. Les jeunes poëtes délaissent pour le vers libre l’alexandrin qui fut le mètre royal du dix-neuvième siècle de Victor Hugo à Leconte de Lisle. Le Coup de dés peut être compris comme la désintégration atomique de l’alexandrin, les mots, de grosseurs diverses, sont éparpillés un peu partout ( au hasard ? ) sur l’ensemble de la page blanche. Le chiffre douze ( les douze syllabes accentuées de l’alexandrins ) préside de façon non visible à la structuration typographique ( abolition du hasard ? ) du poème.

              Une thématique typiquement mallarméenne : le poème peut être lu comme une réflexion sur l’incidence de l’acte poétique sur la réalité du monde. La réponse de Mallarmé reste très ambigüe. Est-elle nulle – en ce cas-là si une action humaine  peut signifier (donner à ce verbe le sens d’ordonner) le réel, ce n’est qu’un effet du hasard, l’artiste n’y est pour rien, il ne maîtrise rien. Il est alors permis de décréter que ses prétentions ne sont que vanité.

              Au contraire si l’action du poëte se révèle signifiante, que se passe-t-il au juste dans ce cas ? Quelle serait alors la portée de ce geste qui échappe au hasard. Pour parler comme Hegel : qui échappe à l’infini (de la négativité des possibles) pour s’inscrire dans l’absolu de sa propre unicité, de sa propre positivité.

             Musicalement parlant, la note qui se pose sur le silence, tel l’oiseau sur la mer, n’est-elle qu’une criaillerie adjacente sans véritable teneur intrinsèque, ou modifie-t-elle la nature de l’océan…

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             Outre ces problèmes philosophiques, Le coup de dés en soulève un autre, très pragmatique, peut-être encore plus difficile. Comment le lire ?   Certes n’importe quel imbécile peut en articuler les vocables à haute voix, mais comment donner au lecteur l’idée de l’éparpillement spatial de son écriture. Souvent les lectures de poèmes sont musicales. Quelle musique lui attribuer ? Aucune ligne mélodique est incapable de suivre le morcellement du texte, peut-être vaut-il mieux penser à une musique qui ressemblerait aux trébuchements perlés des Gnossiennes d’Eric Satie… Paul Valéry à qui Mallarmé montra le poème s’opposa plus tard de toute son influence littéraire à une représentation musicale regroupant orchestre et plusieurs chanteurs lyriques… Pour bien comprendre la position de Valéry, il est nécessaire de rappeler que ce poème s’apparente si l’on s’en rapporte à diverses tentatives similaires et antérieures de Mallarmé à un rituel qui ne saurait être partagé sans initiation aux premiers venus, sans cette préparation son hermétique incompréhensibilité resterait lettre morte. Se risquer à une interprétation publique de ce poème est une véritable gageure.

    MACHINE ROUGE

    UN COUP DE DES JAMAIS N’ABOLIRA LE HASARD

    ( Festival Croisements / Post Mountain / Pékin /

    17 & 18 Avril 2015)

            Une toute petite salle, peu d’espace, une table ronde, serait-ce une allusion à celle des Mardis qui réunissait chez Mallarmé l’élite poétique symboliste, un lumignon posé dessus, qui exalte de sa lueur la blancheur de quelques feuilles épars de papier, l’on ne voit rien ou presque. L’image arbore une teinte oscillant entre bistre et grenat, le public est resserré, tassé sur l’étroite largeur de la scène, certains écoutent, d’autres sont sur leurs portables… on entraperçoit Francis R Cambuzat figé en une pose qui rappelle la fameuse et volatilesque marche chuck berryienne,  Gianna Greco, debout, dos au mur, basse en main, la musique est là, une machine électronique qui produit un bruit tournant, assez doux, entre pales d’hélicoptère et gloutonnements de lavabo avec en arrière-plan une espèce de stridulation tremblotante de cigales.

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             Dès l’énoncé du premier mot, est-ce vraiment un hasard s’il n’est autre que ‘’un’’, deux constatations s’imposent, la première c’est que nous assistons à un récital de Denis Lavant. C’est-lui la vedette – ce qui ne respecte pas l’impersonnalisation du poème voulue par Mallarmé, les musiciens sont des accompagnateurs, pratiquement relégués au rang d’accessoires.

             La deuxième, c’est l’apparition de chaque mot, puis de chaque ensemble de vocables expectorés par Lavant en surimpression mouvante, en gros caractères, repris aussi selon une ligne horizontale très discrètes à mi-hauteur de l’image. C’est-là le travail de Carlo Mazzotta, rattache le dire au texte, l’idée n’est pas de permettre au public qui regarde la vidéo de mieux comprendre le texte, mais de rappeler que le vertige du poème n’est pas dans son élocution mais dans son écriture, tout en faisant d’une simple vidéo une espèce d’opéra d’art total  qui allie musique, théâtralité, peinture, élocution, et texte, un semblant de mini opéra wagnérien du pauvre, afin de rappeler que toutes ces disciplines artistiques qui ne sont pas poésie ne sont pas là pour mettre en valeur la poésie, mais que la poésie reste le noyau germinatif qui leur donne la possibilité d’apparaître. Et aussi de disparaître.

             Denis Lavant seul face au texte. Il choisit l’intensité de la déclamation. Il hurle, pratiquement chaque mot, il s’essaie à un vacarme qui soit à la hauteur du drame cosmique qui se déroule dans le poème. L’est soutenu par des coups violents de batterie qui ponctuent chacune de ses expectorations. La caméra est maintenant plein-champ, toute la largeur de la scène accueille un public silencieux, sagement assis qui écoute. Des amplifications de guitares viennent à sa rescousse, tout est fait comme dans un film pour signaler aux spectateurs que si la musique monte c’est qu’il est en train de se passer quelque chose d’important là.

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             Denis Lavant fait de grands gestes de désignation, le texte qui s’inscrit en petites lettres blanches tente de reproduire la typographie échevelée du poème. Denis joue. Il fait l’acteur. N’est plus qu’un théâtreux debout sur la table qui cherche à épater la galerie… Ne s’appuie jamais sur la musique que tissent ses deux acolytes, l’a tort, car ils amènent l’impression de grandeur qui manque à ce qu’il faut bien se résoudre à définir comme des pitreries dépourvues de toute profondeur métaphysique. Les stridences guitariques ont pris le commandement, Lavant déambule sans but précis, il vitupère sans le venin de la guitare, la musique mange les mots, elle bouffe la poésie – tout l’envers des volitions mallarméennes – concentrés, agenouillés Francis et Gianna, tournent les boutons de leur tableau de bord, des sifflements – ceux qu’Igitur entendait dans son conte – maintenant Lavant susurre, plume qui choit dans le tourbillon d’écume, l’est moqueur, l’a l’air d’un ivrogne victorieux qui a assez bu pour ne pas se prendre au sérieux, l’on se dirige vers la fin du poème, il donne l’impression de n’en pas saisir la portée cosmologique alors que Gianna et Francis lancent une rythmique obsédante, Lavant tourne sur lui-même, comme la roulette du casino,  alors que s’affiche le mot hasard, ensuite il déglutit un long monologue celui de l’échec, l’accompagnement musical perd de sa splendeur, Lavant a l’air joyeux, la limitation humaine lui paraît de bonne guerre, et lorsque la constellation finale point à l’horizon, son timbre reste sceptique, l’on s’attendrait à ce que la musique ne se contente pas de ses passages à vide destinés à exalter l’impatience des fans avant le déchaînement final, il n’en sera rien, l’on se dirige vers un minuscule kaos répétitif, scandé par Denis Lavant, le ressassement satisfait du nihilisme incapable de briser la barrière de ses renoncements.

             Une belle performance d’acteur, certes. Soutenus par deux bons musiciens. Elle ravira bien des auditeurs qui ne connaissent pas le poème.  Toutefois la lecture de Denis Lavant ne nous satisfait pas. Etrangement nous dirons que cette lecture est trop poétique dans le mauvais sens de ce terme. Trop culturellement attendue. Elle est un spectacle. Pas un acte. Machine pas assez rouge.

    Damie Chad.

              

    JONI MITCHELL

    LE SPLEEN ET LA COLERE

    Clara & Julia Kuperberg

     ( ARTEYT )

     

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    Pas vraiment un documentaire – même si les images archives raviront les amateurs du mouvement hippie, notamment les fans de Crosby, Stills, Nash & Young. Pas vraiment un film non plus, même si ces 52 minutes sont ainsi présentées. Un portrait. D’une artiste. D’une grande artiste. J’ai toujours aimé cette fille, même si je n’ai suivi sa carrière que de loin. Mais sa façon de poser sa voix. De monter et de descendre. Prenez ce second verbe comme dans un roman policier où le héros abat quelqu’un. Car c’est ainsi qu’elle chante. Débute par une harmonie angélique, pour la casser aussitôt. Idem à la guitare. L’expression d’accords ouverts devraient être réservée à elle seule. Elle ouvre la porte du paradis, jusque-là c’est parfait, mais elle n’entre pas, elle fait demi-tour, et elle s’en va en laissant la porte ouverte. A croire que ce qu’elle a entrevu ne vaut pas tripette, tout le monde peut entrer sans se donner la peine de frapper, pour elle, ça ne vaut pas le coup, elle a déjà vu mieux ailleurs. En elle-même. La beauté intérieure de ses émotions, de son accointance, toute de retenue, au monde lui suffit.

    Pas étonnant qu’elle ait mis du jazz dans son folk. Elle est comme la feuille de l’arbre qui arbore de nouvelles teintes selon la saison. Elle ne change pas, le temps avive et pâlit les tatouages – c’est ainsi qu’elle décrit ses chansons – elles viennent de loin, d’une source poétique enfouie au plus profond d’elle. Elle a cet avantage sur Dylan de ne pas être prisonnière d’une culture de référence biblique, elle puise en elle seule. Les miroirs agissent ainsi capturant les reflets de de ce et de ceux qui passent dans leur champ de vision. De son chant de vision à elle.

    Elle pose des mots, et des couleurs. Car elle peint aussi. Il existe d’étranges similitudes entre certains de ses tableaux et ceux de Dylan. Peut-être sont-ils tous deux un peu trop obsédés par le déploiement historial de la peinture européenne pour peindre la réalité américaine. D’où la nécessité du recours à la poésie. Je la compare souvent, dans sa manière de poser les mots à Emily Dickinson, mais une Dickinson qui a su sortir de sa chambre mentale pour parcourir le vaste monde.

    L’a su garder sa liberté. N’est pas restée prisonnière de son personnage. Elle a refusé d’évoluer dans le sens passe-partout de cette expression. Elle a suivi les hauts et les bas de ses propres cassures, de ses brisures intérieures, elle descend dans ses propres gouffres et escalade ses propres escarpements. C’est elle qui sculpte les aléas de sa vie.

    Et puis il y a cette beauté physique, cette blancheur intangible, la même qu’entrevoit Arthur Gordon Pym à la fin de ses aventures. C’est que les corbeaux sont toujours noirs qu’ils soient de Van Gogh ou d’Edgar Allan Poe.

    Damie Chad.

     

     

    ELVIS

    BAZ LUHMANN

     ( Sortie française : 22 Juin 2022 )

     

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    Un film sur Elvis, enfin ! Pas trop tôt. C’étaient les premières réactions. Les suivantes puisaient dans le tonneau de l’inquiétude : que vont-ils nous sortir, avec eux il est bon de s’attendre au pire. Dans les milieux rockabilly, la rumeur n’en finissait pas de ronger les cerveaux. A peine le film était-il visible sur les écrans que les comptes-rendus n’ont cessé de fleurir. Surprise, dans l’ensemble ils étaient favorables. Le réalisateur et les acteurs s’étaient bien débrouillés. Acceptable, honnête, l’inquisition rockabillyenne n’a pas déchaîné ses foudres. Ailleurs dans la presse officielle, nombre de journalistes ne firent même pas attention à Elvis. Un comparse dans le film, le second rôle, le premier était dévolu au Colonel Parker. Manifestement ils n’en avaient jamais entendu parler.

    Je vais faire pire qu’eux, non seulement je ne m’attarderai pas sur le Colonel mais tout juste si j’évoquerai Elvis. Ce n’est pas que nous ne l’aimons pas mais nous avons dû déjà consacrer une quinzaine de chronics au king du rock’n’roll, la dernière pas plus tard que la semaine dernière, Marie Desjardins se proposant de s’infiltrer dans la psyché d’Elvis afin d’analyser les rouages grippés du métabolisme relationnel qui présida à tous ses actes, ses rejets, ses acceptations, ses contradictions… chaque individu est pour le reste de l’humanité un univers infini et inconnu qui n’en possède pas moins de strictes limitations dont il est quasi-impossible de cerner avec exactitude les contours.

    Me contenterai de parler du support, du film. M’a plu, car Baz Luhmann a su se saisir, ou du moins s’approcher d’un certain aspect de l’essence du rock ‘n’roll. Bien sûr c’est une musique populaire américaine. Oui il vient du blues, mais son origine réside d’après moi tant au niveau historial qu’ontologique ( je ne suis pas le seul à le penser ) dans la fête foraine et l’art du cirque. Balance sans arrêt du risque au truquage. L’on oscille sempiternellement dans un univers impitoyable, entre le trapèze et la chute, entre le tremplin et le plouf. Moitié spectacle de catch et moitié authenticité, le mélodrame où tous les coups qui font mal sont portés et toutes les ficelles de l’esbrouffe sont permises. Le mélodrame, tantôt mélo-pathos-pâteux et le drame humain d’être un homme. Une métaphysique entertaine-mentale qui se déroule dans le monde physique mais qui escamote l’après (méta) que l’on cache soigneusement dans les coulisses du désespoir ou de la superficialité. Toute la différence existentielle entre se mettre en scène et être mis en scène. La marionnette de Kleist ou le joueur d’échec de Maelzel d’Edgar Poe.

    La règle est simple. Vous passez à la caisse et vous devez en avoir pour votre argent. Vous donnez du flouze, l’on vous rend du flou. Le pire c’est que vous êtes content. Tour de passe-passe. Sur un rythme effréné Baz Luhmann vous dévoile le décor et l’envers du décor. L’est le magicien qui vous démonte la boîte vide, l’assemble devant vous, la ferme, la transperce de quelques fleurets puis l’ouvre et vous découvre Elvis le corps traversé par des épées qui ne le tuent pas. Le Christ descend de sa croix tout sourire, pendant que vous applaudissez vous ne vous apercevez pas qu’il s’écroule dans son cercueil. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Le film se termine sur cette apothéose meurtrière. La catharsis aristotélicienne est respectée.

    En France dans le même ordre d’idée, nous avons eu 1972 le Johnny Hallyday Circus. Johnny s’en est tiré vivant mais le cirque a fait flop. Cherchez l’erreur.

    Damie Chad.

     

     

    BIJOU  ( SVP )

    PAVILLON DES SPORTS / PROVINS

    ( 01 / 07 / 2022 )

     

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             Cornegidouille, la queue pour entrer dans un concert rock à Provins. Plus de sept cent cinquante entrées. L’on doit être dans un film de science-fiction. Nuançons. Ce doit être tous des fans de Jacques Rogy ( collection Spirale ) et de René son inénarrable chauffeur qui à longueur de pages répète qu’avant les grandes occasions il faut toujours se sustenter. Toutes les tables sont prises, dans les marabouts l’on s’active autour de la cuisson des saucisses, et à trois euros la mini-bouteille d’eau de source les commerçants ne font pas grise mine. Fait chaud et c’est la première sortie post-covid sans masque obligatoire à laquelle se risquent les provinois…

             Bref ça baffre, ça bouffe, ça discute, ça rigole à plein gosier. Manifestement ne sont pas là pour le coffre à Bijou… La preuve mathématique est vite faite. Lorsque le groupe s’installe, nous ne sommes que quatre devant la scène. A la fin du set par un peu prompt renfort nous finîmes à quinze. Scène de la vie de province aurait écrit Balzac…

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             Frank Ballier bat le beurre – pour reprendre une expression du Cat Zengler – c’est honnête mais peu généreux. Le grand escogriffe sur notre gauche, avec sa Gretsch c’est Pat Llaberia, se débrouille plus que bien, au tir à la corde et à la voix, assume un tiers des morceaux, enfin le seul membre originel du groupe Phillipe Dauga branche sa basse sur son Peavey. Ce dernier détail est de la plus haute importance.

             Grimacent et rient, du genre on a connu d’autres galères et l’on s’en est toujours sortis. Vont dérouler de vieux morceaux historiques, quelques nouveaux, quelques reprises, en français et en anglais. Peu de monde, parfait, ils vont jouer fort, très fort. C’est-là où le Peavey entre en scène. Dauga a le son. Va en abreuver la population, vous ne m’écoutez pas, vous m’entendrez, style Jeanne d’Arc sur le bûcher, vous ne m’avez pas crue vous m’aurez cuite, avec ses cheveux blancs, ses réflexions désabusées, et sa manière de valdinguer ses cordes, il sauve la situation. En fait l’on sent qu’il est heureux de jouer. Le concert est un véritable régal. Quand le rock frappe à la porte, pas besoin de l’ouvrir, il la défonce tout seul sans pitié. Rock, très rock. Lorsqu’ils arrêtent, les attablés surpris par le silence assourdissant, applaudissent tous ensemble. Voudraient-ils se faire pardonner…

             Sont suivis par La Légende ( du rock ). Sont une bonne dizaine sur scène. Les requins du coin. Enfilent les standards. Au millimètre près. Derrière eux sur grand écran une vidéo des groupes dont ils copient à l’identique le morceau, c’est-là que je m’aperçois que les Doobie Brothers possèdent des rangées de Peaveys encore plus nombreuses que ma collection de zéros en préparation latine, autrement la Légende assure. Mais comme dirait Mallarmé ce n’est pas l’Azur… je m’ennuie – pourtant cette fois ils sont bien cent cinquante autour de moi à applaudir métronomiquement à la fin de chaque titre – donc je m’ennuie, un peu, beaucoup, énormément, alors à la fin du sixième morceau je m’éclipse et rentre chez moi.

    Damie Chad.

     

    *

    La bande du Drugstore, celle de Zermati, vous connaissez ? Oui, mais l’autre, celle du second Drugstore ? Non ! N’ayez pas honte, moi non plus avant que je ne lise ce livre.

    1976

    LA BANDE DES ‘’TERREURS’’

    DU ROND-POINT DES CHAMPS-ELYSEES

    PATRICK CANNET

     

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    Y a Champs-Elysées et Champs Elysées. Je ne parle pas des champs d’asphodèles souterrains de la Grèce antique, mais de notre prestigieuse avenue présidentielle, pas celle de la haute-bourgeoisie, celle des petites mains. De la valetaille qui travaille dans les entrailles et les sous-sols. Patrick Cannet n’est pas né avec une spoonfull dorée dans la bouche, deux sœurs – une grande et une petite ( elle compte pour du beurre ), un frère, le père est parti, la maman courageuse et débrouillarde est restée, elle accumule les petits boulots pour permettre à sa couvée de survivre.

    Ne pleurez pas, Patrick Cannet n’échangera pas son enfance contre la vôtre, l’est heureux, l’a un immense terrain de jeux, les places, les parcs et les rues du triangle Monceau-Elysées- Tuilerie, et puis les copains, Samuel, Raphaël, Armando, Justin, Miagy, Chen… une belle bande de potes inséparables, ne portent pas le Perfecto, nous sommes en 1976, sont des mômes, des gamins, n'ont qu’un idéal : Saint-Etienne. Non pour sa Manufacture, pour son équipe de foot, passent leur temps à d’interminables parties, le foot toujours recommencé…

    Le problème de l’enfance, c’est qu’elle a une fin, une faim d’absolu aussi, mais ceci est une autre histoire, le tout est de s’en sortir sans trop de mal. Petits services, petits billets, des expériences qui vous aident à vous frotter au monde des adultes, à prendre la mesure des choses et des gens… Reste aussi l’autre problème, celui d’entrer dans l’adolescence. L’autoroute, non le sentier, de dégagement c’est la musique. Les disques de la grande sœur, des rencontres qui vous font découvrir des sons étranges venus d’ailleurs et de partout, Peter Frampton, Chicago, Beatles, la grande sœur qui fréquente des bandes de rocker du côté de la Bastille…

    C’est tout. Un coup de ciseaux pour terminer la première bobine du film, notre héros se fait renverser par une voiture… la vie suivra son cour, Patrick Cannet ne deviendra ni chanteur ni musicien de rock, sa vie emprunte un autre chemin, dont il ne dit rien. N’est pas un parleur. L’est du genre pudique. Ne dévoile rien. Suggère à mots couverts. Ne décrit pas, il évoque, rien de nouveau ou de révolutionnaire, le récit pas très long, d’une enfance, personnelle et similaire, unique et partagée, qui ressemble à tant d’autres…

    Un excellent contre-point, une autre jeunesse, anonyme, ignorée, qui a existé aussi, même si les projecteurs ne se sont jamais braqués sur elle. L’envers de l’histoire contemporaine. L’autre côté de la clinquance des miroirs.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 563 : KR'TNT 563 : PIXIES / WILLIE LOCO ALEXANDER / GA - 20 / UPPER CRUST / THE TWANGY & TOM TRIO / ELVIS PRESLEY / BEST /ARCHIE FIRE LAME DEER / DIDIER LAUTERBORN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 563

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 08 / 2022

    BOSTON : PIXIES / WILLIE LOCO ALEXANDER

    GA – 20 / UPPER CRUST

    THE TWANGY & TOM TRIO / ELVIS PRESLEY

    ARCHIE FIRE LAME DEER / DIDIER LAUTERBORN

     Sur ce site : livraisons 318 – 563

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Spécial Boston

     Part Two

     

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    Pour faire suite au Spécial Boston Part One, voilà le Part Two. Peut-on imaginer meilleure introduction au Boston rock que ce Live At The Rat paru en 1976 ? Non, bien sûr que non. C’est le désormais vieux Willie Loco Alexander et son Boom Boom Band qui ouvre le balda avec «At The Rat». Cut historique qui fit alors la réputation de ce double album. C’est monté sur un riff de basse et ça y va au let’s go to the Rat ! L’autre gros coup, c’est le «Who Needs You» des Real Kids. Joliment stompé, ils sont là au sommet de leur apogée avec un petit claqué d’accords insidieux et Ferguson nous tape ça dur. L’autre grosse attraction de l’A, c’est bien sûr DMZ avec tout le gratin dauphinois de Boston : Mono Man, Jay Jay Rassler et Peter Greenberg. Mais leur «Boy From Nowhere» n’est pas très bon. On croise le chemin d’autres groupes, Third Rail, Thundertrain, Susan, mais ce n’est pas non plus très bon. Ils ont l’air complètement dépassés pour l’époque. Susan se prend pour Led Zep, alors qu’à New York, les Ramones et Television sont déjà entrés en lice. C’est un groupe nommé Sass qui sauve la B avec un punchy «Rockin’ The USA». Ils n’inventent ni la poudre, ni le fil à couper le beurre, mais ils jouent avec une énergie spectaculaire. En C, Willie Loco fait le show avec son vieux «Kerouac» et la surprise vient des Infliktors et des superbes guitares qu’on entend dans «Da Da Dali». Ce sont de véritables incisives d’incentive intrusives, elles entrent dans la couenne du son. Les DMZ ouvrent le bal de D avec «Ball Me Out». Ils s’imaginent que c’est bon alors que ça ne l’est pas. Et le «Better Be Good» des Real Kids semble un peu forcé. On assiste aussi au retour des Infliktors qui se prennent pour Led Zep avec «Norkis Of The North» et de Thundertrain avec «I’ve Got To Rock». Ce sont eux les plus énervés, le chanteur est excédé, ça riffe dans tous les coins et ça coule entre les doigts.

    Passons maintenant aux choses sérieuses.

     

     

    Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

    - Part Three

     

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             C’est donc en 2008 que parut Fool The World - The Oral History Of A Band Called Pixies, un petit book très sympathique signé Josh Frank & Caryn Ganz. Une chose est sûre : on ne perd pas son temps à le lire. On se félicite même d’être moins con à la fin de la journée, car on apprend de choses. On pourrait prétendre que les albums des Pixies - comme ceux de Bob Dylan - se suffisent à eux-mêmes, et qu’on peut très bien se passer des commentaires des commentateurs. Mais ce sont les Pixies et les gens de leur entourage qui parlent. Tout ce que peut dire Frank Black est intéressant. Même chose pour Dylan. Dès que ces deux mecs-là ouvrent le bec, c’est pour dire des choses intelligentes. Ça nous repose la cervelle. Tant qu’on y est, on peut regretter que Frank Black n’ait pas encore écrit son autobio, comme a commencé de le faire son idole Dylan. Si on en juge par la qualité de ses chansons, le gros devrait être un écrivain prodigieux.

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             L’oral history ? On en connaît deux et pas des moindres : le fameux Please Kill Me de Legs McNeil et les Confessions Of A Garage Cat de Gildas Cospérec. McNeil a saucissonné les punks new-yorkais dans son gros sandwich, et Gildas mène le bal dans le sien, en donnant la parole à une tripotée de gens intéressants. Le principe de l’oral history est extrêmement bien adapté à l’histoire d’un groupe ou d’une scène. Curieusement, les Pixies ne s’étendent pas trop sur la scène de Boston, tu as quelques noms qui se baladent ici et là : Kristin Hersh et Throwing Muses, Buffalo Tom et J. Mascis. Rien sur Robert. Pas d’apologie de la Mecque du rock (Hello Jacques), juste quelques souvenirs d’une tournée européenne avec Throwing Muses. D’ailleurs, à ce moment-là, les Pixies jouent en première partie des Muses, mais rapidement la situation évolue, les Muses ne peuvent pas jouer après les Pixies. Tanya Donelly : «We switched billing in Holland. I was relieved because who wants to play after the Pixies ?». Elle ajoute que la salle se vidait après le set des Pixies et les Muses flippaient à l’idée de monter sur scène devant une salle à moitié vide.

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             En fait, l’histoire des Pixies est assez simple : elle se résume en sept étapes : Pilgrim, Rosa, Doolittle, Bossanova, Trompe le Monde, la shoote avec Kim et le split. Pour faire bonne mesure, on peut en ajouter une huitième : la reformation. Aux yeux de beaucoup de gens, notamment les Anglais, les Pixies furent the best band on the planet (Ian Gittins, Melody Maker), et pire encore, the masters of the calculated incongruity (Mat Snow, Q Magazine). Quand au tout début le gros passe une annonce dans le Boston Phoenix pour former un groupe, il cadre : «Hüsker Dü et Peter Paul & Mary.» Kim Deal voit ça et répond à l’annonce. Le pote du gros, Joey Santiago, trouve le nom du groupe : Pixies in Panoply. Stupid name, dit Kristin Hersh. Le gros gratte déjà une Tele et Joey une Les Paul. Ça démarre comme ça, avec quelques idées de chansons - They had songs, which is very rare, dit encore Kristin Hersh qui les voit démarrer sur scène - Les gens les trouvent poppy, pas d’influences apparentes. Quand le producteur Gil Norton les voit sur scène pour la première fois, il est scié : «I was litteraly blown away the first time I saw them». Blown away, on l’était chaque fois qu’on les voyait sur scène. Un set des Pixies est systématiquement cathartique, une combinaison unique au monde de violence et de modernité, et les albums ne sont rien comparativement à ce qui se passe sur scène : le gros est l’une des plus magnifiques incarnations de l’essence du rock. Artistiquement, il rivalise de grandeur tutélaire avec Elvis, Jerry Lee et Iggy, mais en amenant en plus son génie Dada. Si Dylan, c’est Rimbaud avec une guitare électrique, alors le gros est Picabia avec une Telecaster. Comme Picabia, il est la figure de proue de son temps, la tête de gondole des éphémérides, le Jesus-Christ Rastaquouère de la divine comédie, l’enfonceur définitif de toutes les portes ouvertes. Dans un petit paragraphe d’introduction de chapitre, les auteurs tentent de qualifier l’art sonique des Pixies : «The screamed vocals, abstract lyrics, the quiet/loud punch, the surf guitar lines, the delicately plunking basslines, the crushing snare drums.» Et soudain, ils s’enflamment : «It’s easy to call Pixies quintessential artist of our time.» Burn baby burn. C’est vrai que les Pixies ont bien dépassé les bornes. Un autre témoin affirme que Nirvana n’aurait jamais existé sans les Pixies et Perry Farrell leur rend le plus beau des hommages : «The Pixies were very underground, sophisticated to the funkiest, punk rock way, if you know what I mean.» On les traite aussi de volcano, de natural phenomenon, leur tour manager Chas Banks les compare aux Who : «On ne peut pas tenir éternellement avec ce niveau d’intensité. That’s what the Who were like.» Le journaliste Johnny Angel ajoute que leurs chansons sont des good songs - They’re timeless. Little Richard’s songs are timeless 50 years after the fact. Mozart is timeless.

             Ces good songs sortent du cerveau de Frank Black. Dans le book, il porte son vrai nom, Charles Thompson. Il évoque ses balbutiements : «Je me souviens comment j’ai appris à hurler. Celui qui m’a appris était un voisin. Il était thaïlandais et tenait une boutique de fleurs et de T-shirts. Je faisais des livraisons pour lui. Je lui jouais l‘Oh Darling’ des Beatles et il disait : ‘No no scream it like you hate the bitch.’» Même ses histoires de teenager bostonien sonnent comme des chansons. Ado, le gros aimait les Cars - I used so sing Cars songs - Il ajoute plus loin : «You can hear that on early Pixies stuff, especially ‘Is She Weird’. That’s totally Cars.» Il adorait aussi les deux premiers albums solo d’Iggy - Those records were like gospel religion to me. I wasn’t a drinker, I didn’t take drugs, there was a lot of clarity there - Il cite aussi le Zen Arcade d’Hüsker Dü, le Spotlight Kid de Captain Beefheart et l’I’m Sick Of You d’Iggy, kind of demos that had been widely bootlegged - Those were the main records that I listened to right before I started a band - C’est ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale. Tanya Donelly se souvient d’une soirée à Berlin, lors de la fameuse tournée Pixies/Muses. En sortant de scène, le gros a proposé de rouler toute la nuit dans le van en écoutant Lust For Life - Let’s just drive around all night - And so we played «The Passenger» over and over, 30 times or something, and drove around Berlin all night.

             Quand elle commence à le fréquenter, Kim Deal trouve le gros gentil et amusant - He was always really fun and nice. Funny guy - Gary Smith, le boss du studio Apache, est surpris de voir le fresh-faced kid screamer at the top of his lungs. Il dit qu’à l’époque personne ne hurlait comme ça - Kristin Hersh screamed. Who screamed ? Hüsker Dü ? No they didn’t. They made a racket but they didn’t actually go «Balahahaha». People just didn’t do that - Smith dit aussi que le gros semblait sortir d’une scène de l’Exorciste. Il n’est pas loin du compte, puisque le gros se réclame de David Lynch - If anything is a big influence on me, it’s David Lynch. he’s really into presenting something but not explainig it - Et d’une certaine façon, il met le principe en application : «J’écrivais les chansons dans le studio. Tout ce qu’on faisait marchait bien, aussi personne ne posait de questions. J’écrivais sur des sets de table cinq minutes avant de chanter. Sometimes it’s good, sometimes not. That’s just the nature of that songwrting». Le gros bosse à l’emporte-pièce, au ça-passe-ou-ça-casse. Au zyva-Mouloud. On appelle aussi ça de l’automatisme psychique de la pensée. Du rock surréaliste. Si Buñuel avait eu une guitare électrique, il aurait joué «Debaser». D’ailleurs, si le gros rend hommage au White Album, c’est pas un hasard, Balthazar : «Ce n’est pas la peine de vouloir faire que des chansons géniales. La musique doit rester éclectique. Les albums sont éclectiques. C’est pourquoi ‘Wild Honey Pie’ est sur le White Album. Ce n’est pas ‘Hey Jude’, ce n’est pas ‘Revolution’, c’est just some weird thing they did one day with a tape recorder. So there’s a lot of room for that kind of expression».» Avec les Beatles, le gros est l’un des seuls à pouvoir se permettre ce luxe inouï, ramener some weird things dans ses albums. Pour bien ancrer son concept de fraîcheur artistique, le gros déteste faire des vidéos. Pas question de mimer les paroles d’une chanson.   

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             Alors justement, les albums, parlons-en. Ils commencent par enregistrer Come On Pilgrim (qui s’appelle alors The Purple Tape) en trois jours à Fort Apache South. Le gros dit avoir emprunté a thousand bucks à son père. Paul Kolderic dit que les gens dormaient dans le studio.  Le photographe Simon Larbalestier indique que l’homme poilu sur la pochette fait partie d’une série de portraits qui lui furent inspirés par la lecture de La Tentation de Saint-Antoine (Gustave Flaubert). Dans Spin, Jon Dolan qualifie l’album de ruined teen dementia - Francis’ vocal on «Caribou» are the best punk rock physical comedy since Johnny Rotten.

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             Six mois plus tard, ils enregistrent Surfer Rosa avec Steve Albini. C’est le boss de 4AD Ivo  Watts-Russell qui l’a choisi - Albini ne voulait pas être crédité comme producteur. Il se voit comme un ingé-son, et en tant qu’ingé-son, c’est un génie - Mais en même temps, Albini n’est pas un mec facile. C’est un petit teigneux, nous dit Kolderic, un mec tout petit, maigre comme un clou, il porte des boots, des tatouages, se rase la tête et n’est jamais content. Il aime bien le gros, mais sa musique ne lui parle pas - I liked my favorite bands’ music, like the Jesus Lizard, Television, Public Image, the Sex Pistols, the Ramones, Suicide, Kraftwerk, unique and brillant bands that I loved - Il trouve que Kim Deal is the best singer ever et que «Charlie is a talented and unique guy. But the things that I like about that band, it’s not really the music.» En fait, Albini haïssait les Pixies, il les prenait pour de branleurs (pussies) et il a fini par produire leur meilleur album. Larbalestier indique que la photo de le femme nue sur la pochette n’est pas là par hasard. Le père du gros tenait a topless Spanish bar. Quand Watts-Russell entend l’album fraîchement enregistré, il est frappé par le raw - I didn’t know the Pixies could sound like the Fall. That was my immediate reaction, in other words, incredibly raw - Dans un fanzine, Albini dit à l’époque tout le mal qu’il pense des Pixies, mais dans le book, il avoue le regretter. C’est avec les Pixies qu’il a appris à bosser - I behaved like an ass - Le gros avoue lui qu’Albini a fait un gros boulot sur Surfer Rosa - It’s obvious we weren’t there to make some kind of a slicko, lame-ass record

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             Gil Norton commence à produire les Pixies avec Doolittle. Curieusement, il indique que le gros ne voulait pas inclure «Debaser» sur l’album - I’m not sure about this song - Mais Norton l’adore et il insiste pour l’inclure. Frank Black : «‘Gouge Away’ is about Samson and Delilah. ‘Dead’ is about David and Bathesheba. There were some Biblical things I had gotten into. You can’t go wrong with the Old Testament.» Norton parle de l’album comme d’un rock’n’roll classic, a great rock’n’roll clasic album - It was so good - Partout des dithyrambes, fucking guitars screaming, slicing up eyeballs ha ha ha ha et St Thomas se souvient des gens qui chantaient en chœur «Devil is six and God is seven», au cœur de «Monkey’s Gone To Heaven». Dans le NME, Edwin Pouncey parle d’evil genius et dans Q, Peter Kane parle d’un «15-track affirmation of mushrooming Pixie power».

             C’est au moment de Doolittle que le groupe s’essouffle. En interne, les rapports deviennent glaciaux. On ne se parle plus. Chacun voyage de son côté. Le gros constate : «Tu joues un show où les gens deviennent fous, c’est sold out, trois rappels, everything’s going great... Retour aux loges and it’s cold as ice.» Fini le temps des copains. On se fait la gueule.

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             Pour enregistrer Bossanova, les Pixies partent s’installer à Los Angeles, sans Kim Deal. Elle pense qu’elle est virée, mais elle n’en sait rien. Elle les rejoint quand même sur la Côte Ouest. Le gros écrit l’album dans le studio, à l’arrache surréaliste. C’est l’époque où Kim Deal s’entend bien avec Tanya Donelly et elles montent Breeder. Lors d’un concert dans un club de Stuttgart, Kim Deal arrive en retard, ce qui met le gros en pétard, lui qui n’est jamais en retard et qui n’a jamais raté un seul concert. En pleine apocalypse sonique, le gros jette sa guitare. Bing, elle heurte Kim ! Il quitte la scène furibard et Kim lui court après lui demandant : «Comment oses-tu kicker your guitar at me ?». Au moment du book, le gros regrette d’avoir piqué sa crise. Il n’empêche qu’en interne, les relations en avaient pris un sacré coup.

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             Dernier album de l’âge d’or, Trompe Le Monde. Ils ne sont jamais ensemble en studio. Chacun vient de son côté. Le gros a fini par virer Kim Deal, mais elle vient quand même faire ses lignes de basse et ses backing vocals. Le gros intègre Eric Drew Feldman qui a bossé avec Captain Beefheart et Pere Ubu. D’ailleurs David Thomas pense que l’arrivée de Feldman a envenimé les choses au sein des Pixies. Jon Dolan de Spin salue la cover d’«Head On» - so much more streamlined and hooky than the Jesus and Mary Chain original - Il salue aussi «Letter To Memphis» - it is Black mixing heavy noise with a pomo take on Chuck Berry’s «Memphis Tennessee» - James Brown dans le NME dit que l’album is dark and dirty, et some of it’s downright unbearable, but it will grow on you - On a rarement égalé des splendeurs soniques de Trompe Le Monde. C’est l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps, avec le Dust des Sceaming Trees, le Parachute des Pretties, le Never Mind The Bollocks des Pistols, les trois albums de Jimi Hendrix, la trilogie du Velvet et celle des Stooges. Trompe Le Monde sonne comme un accomplissement. À l’époque, on l’écoutait jusqu’à plus soif.

             Puis vient le temps du split. Joey Santiago : «Breaking up ? Well Charles just did it. Just broke it off without anyone knowing, actually. De toute façon, on ne s’amusait plus. Ça devenait bizarre dans les loges. On ne se parlait plus. Et pourtant le groupe marchait bien, on progressait. I don’t know, it was just weird.» Le gros confirme qu’il ne voulait pas de confrontation avec les autres membres du groupe. Il ne voulait pas d’une réunion pour en parler. «I wasn’t happy, and I left.» Kim Deal : «Charles m’a traitée de conne une fois. Je venais juste de le traiter d’asshole. Je trouvais que conne était un peu exagéré.» Les tensions venaient du fait que les Pixies étaient le groupe du gros et Kim Deal aspirait à plus de présence. Elle était extrêmement populaire en Europe. Pour un groupe comme les Pixies, le split fut un bonne chose, comme le dit si bien J. Mascis : «I guess you can stay together forever like the Ramones and then all die of cancer.» Alors autant splitter plutôt que de finir comme les Ramones.

             Le gros est clair sur le compte des Pixies : «C’est un groupe, mais ce n’est pas exactement  comme une démocratie. Au moins en termes de créativité, vous savez, ils ont un frontman qui s’appelle Black Francis qui écrit basically tous les cuts et qui a démarré le groupe. Ils ont répondu à mon annonce dans le journal, vous voyez ce que je veux dire ? Et je ne veux pas non plus dire qu’ils ne font pas intégralement partie du groupe. Hey je ne vais pas sortir dans la rue, embaucher trois personnes et les appeler les Pixies.» Il en arrive fatalement à l’idée de la reformation : «Je suis moins intransigeant qu’avant. Les choses sur lesquelles j’étais strict me semblent devenues infantiles et ridicules. I’m kind of more like, what the fuck ? Chaque année, ces mecs nous proposent des tonnes de blé pour jouer quelques shows. Let’s go do it. I’m fine with it now.»

             Il était temps, car les autres Pixies ramaient. Le batteur Dave Lovering vivait de tours de magie et il dormait dans des hôtels pour putes. Joey Santiago vivait dans un minuscule appartement et attendait son deuxième baby. Quant au gros, il ramait aussi avec les Catholics. La seule qui s’en sortit bien, c’était Kim Deal qui a ramassé plus de blé avec «Cannonball» qu’elle n’en a ramassé pendant tout son temps dans les Pixies. Joey et Dave ont dû insister auprès d’elle pour qu’elle accepte de participer à la reformation - Please do it for us, it would really change our lives - Alors elle l’a fait pour eux, nous dit Steven Cantor.   

    Signé : Cazengler, Picsou

    Josh Frank & Caryn Ganz. Fool The World. The Oral History Of A Band Called Pixies. Virgin Books 2008

     

    Loco Motion - Part Two

     

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             Jacques fut l’un des principaux contributeurs de Dig It!. Il traduisait pour nous les souvenirs de JJ Rassler, figure historique de la Boston scene et membre fondateur de DMZ, l’un des groupes phares de cette scène. Grâce à son activité de chercheur, Jacques passait plusieurs mois de l’année à Boston, ce qui lui a permis de nouer des liens avec les ténors du barreau local, à commencer par Willie Loco Alexander, devenu au fil du temps un ami de longue date. Lui ayant fait part de difficultés à dénicher certains albums récents de Willie, Jacques a fini par me transmettre un beau jour un ensemble de fichiers téléchargés sur le Bandcamp de son vieil ami. Bon, nous sommes bien d’accord : ce n’est pas l’idéal que d’écouter des fichiers MP3 sur la carte son d’un ordi, mais vu les circonstances exceptionnelles, nous décidâmes, sous la haute voûte de l’observatoire de la veille technologique avancée, de faire une exception, et d’écouter aussi religieusement que possible ces trois albums qui n’existent hélas qu’en téléchargement, mais qui permettent de suivre l’évolution/révolution d’un très grand artiste contemporain.

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             EP cinq titres paru en 2012, I’ll Be Goode est assez porté sur l’ambiancier dérangeant. Notre vieux Loco adore gratter les plaies du rock dans le pus du Velvet. Les accords d’«All Things Go» semblent sortir du «Black Angel Death Song», il reste aux frontières du sacré et du profane, c’est-à-dire du Velvet et de l’expérimental bostonien, si tant est que. Il va même jusqu’à souffler du free dans son sax. Autant le dire franchement : c’est excellent, surtout pour un mec qui prétend ne pas savoir jouer, son solo coule comme du miel dans la vallée des plaisirs. Notre vieux Loco a su développer un sens aigu du catchy weird. Avec «Song For Mike», il jette l’ancre dans l’ambiancier caractérisé, I walk the streets/ I don’t know shit, il renoue avec sa jeunesse de heavy punkster, les heavy tempos urbains ne lui font pas peur. Il fait encore des merveilles dans le morceau titre, heavy groove de Loco motion, avec des coups de sax qui fondent comme beurre en broche dans un groove de piano jazz, il cultive une sorte de délectation. Le vieux Loco navigue dans des eaux magiques, pas loin de Babaluma et de Steely Dan, avec le riff d’orgue de «96 Tears» dans «No More Tony» - No more Tony and his cigar/ No more Tony under his car - Mine de rien en passant, ce petit EP sans prétention ressemble à un passage obligé pour tout fan du vieux Loco.

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             Fantastique album que cet Aqua Vega rebalancé dans le commerce en 2022. Classic Loco, avec toutes les fantaisies vocales dont il se fait une spécialité depuis cinquante ans. Il fait son cirque avec «All Alone», flirte avec le groove de satin jaune, il adore chanter la solitude au deepy deep d’un confort cabaretier. Puis il s’en va chercher des noises à la petite bête avec le morceau titre, c’est plus fort que lui, le vent du large expérimental l’appelle alors il hisse sa voile. Il énumère les genres, comme on effeuille la rose éclose, hip hop, mod jazz, rockabilly, il s’émeut en douceur et en profondeur. On savait que le vieux Loco était un grand artiste, mais Aqua Vega l’entraîne vers la voie lactée. Nouvel exercice de free libre avec «Bud’s Twilight Lounge», il chante même en français, histoire d’exacerber l’exotisme de la catharsis. Si on aime bien se régaler, alors il faut l’écouter faire le con au chant sur «DNR Blues», il casse sa voix pour geindre et miauler, ça donne des effets de blues à la Beefheart, mais sans le grain beefheartien, juste le côté délirant de type «White Jam», ou le grand art de tortiller sa voix pour gagner l’autre rive. Et comme si cela ne suffisait pas, il ramène des doo-watchoolike doo-watchoolike du doo wop des Flamingos dans «Dear God Embracing Humankind». Dans «Joy To The World», il monte un gospel choir pour évoquer la mémoire de Dave Coller, un mec qui enregistrait tous les concerts et qui faisait des fanzines - Without him, people like me don’t exist - Et il cite tous les noms magiques que l’on sait - Joy to the world for rock/ And/ Roll - Comme son nom l’indique, «When I Remember» revisite le passé, le vieux Loco nous swingue les souvenirs de sa jeunesse enfuie. A long time ago, sounds like 1968, il évoque Bagatelle. Et toujours cet art du groove catchy, monté sur un groove caoutchouteux d’une efficacité sidérante. Il se rappelle de toute sa famille, de ses chiens et de ses chats. Il finit cet album étonnant en mode rap. Eh oui, il en a les moyens.

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             The World Famous Non Stop Seagull Opera Meets The Fishtones At The Strand date de 2010. On y retrouve dès «Just Around The Corner» les exercices ambianciers de l’underground d’Alexandrie Alexandra. Il adore hurler à la lune sur fond de guitares du désert. Et si on aime bien les exercices ambianciers, alors on se retrouve en quelque sorte au paradis avec des gens de bonne compagnie. Sa passion pour le jazz expérimental le rattrape avec «2 Swans» et ses réflexes boogie remontent à la surface avec «Man On A Mission». Rien de nouveau sous le Soleil de Satan-Loco. Notre cher vieux Loco s’accommode de son prosélytisme, il lui donne même des touches de modernité, feignant par moments la folie Méricourt, ça gorge son charme d’un certain jus toxique. Son groove bat comme un gros cœur d’animal. Il sait aussi lancer un Cubist Blues avec son «Seagull II» - I wish I was a seagull - C’est d’un charme fatal, real deal de Loco-motion, visité par la grâce. Ce vieux Loco reste à la fois polymorphe et polyvalent, il touche à tout avec le tact d’un franc-tireur, il est l’enfant caché du Capitaine Conan et de Jean des Esseintes, l’hermaphrodite définitif du rock américain, son «4 Legged Chiken» intrigue, avec ses décalcomanies felliniennes en filigrane et ses odeurs de basse-cour du Massachusetts. Comme le montre «The Sky», Dada l’intéresse au plus haut point. «Ectoplasm» sombre dans la délinquance sonique et tourne mal, ses parents ne peuvent rien pour lui, il finira damné pour l’éternité, ce qui finalement est moins pire que de finir rien du tout. Le principal avantage qu’offre la fréquentation du vieux Loco, c’est qu’on ne s’ennuie pas un seul instant. Il réussit chaque fois à capter l’attention, en veillant à ne jamais radoter, ce qui est un exploit pour un vieux Loco de 80 piges. Après les étapes classiques du Boom Boom Band, les délires expérimentaux du vieux Loco sont la meilleure des bonnes nouvelles. Il faut l’entendre souffler son free dans «Moustard», il fait l’Albert Ayler picabien, sur fond d’alchimie bulbique du cerveau, ça percole dans la synove. T’en connais beaucoup des vieux pépères qui s’amusent à réinventer le rock américain ?   

    Signé : Cazengler, Willie Locus Solus

    Willie Loco Alexander And The Fishtones. I’ll Be Goode. Fisheye Records 2012

    Willie Alexander And The Fishtones. Aqua Vega. Somor Music 2022

    Willie Loco Alexander. The World Famous Non Stop Seagull Opera Meets The Fishtones At The Strand. Fisheye Records 2010

     

    L’avenir du rock - Gaga des GA-20

     

             L’avenir du rock va rarement traîner dans les bars. Il ne supporte plus les familiarités de tous ces pseudo-rockers qui prétendent le connaître assez pour se faire payer un verre. Dès qu’il est installé au bar, ils arrivent comme des mouches. Toujours le même scénario, le côté friendly de l’internationale situa-sioniste de l’underground du pauvre, la petite vanne initiatique censée sceller des ententes tacites, l’intolérable informulabilité des choses de la vie, l’implicite du corporatisme à deux sous, l’on-fait-partie-du-même-monde alors que tout indique le contraire, nous grands sachems et eux pauvres cons, hein ?, l’insalubrité totémique des rapprochements non voulus qu’imposent les rites sociaux, surtout ceux qui ont cours dans les bars, l’horrible sensation du piège qui se referme après un premier échange de regards qui conduit irrémédiablement à un échange de propos non désiré, cette sensation d’un sale moment à traverser envenimé par l’accès direct à l’alcool, ce chancre de temporalité que vient crever sans anesthésie le fameux «tu payes ta mousse ?», le sentiment suraigu que tout empire dans les pseudo-bars rock, que rien ne va s’arranger, et le pire, c’est encore d’avoir à parler de musique, car évidemment, si l’avenir du rock boit un verre dans un bar rock, c’est pour répondre aux questions qu’on lui pose sur des groupes dont il n’a aucune envie de parler, des groupes qui à ses yeux n’auraient jamais dû exister et que ces imbéciles prennent assez au sérieux pour demander un avis à l’avenir du rock qui sent monter en lui le mal de mer, même si rien ne tangue, simplement la profonde bêtise des gens finit par lui donner la nausée. Joli concept philosophique pour un concept ! L’avenir du rock s’en sort toujours très bien avec l’idée de la nausée, car il se dit que s’il ne la vivait pas de temps en temps, il ne saurait pas ce que c’est. Le sentiment d’apprendre des choses a bon dos, c’est pour ça qu’on l’aime bien. On lui donne même un nom : Opportunité. Opportunité chérie... L’avenir du rock aimerait bien dégueuler au pied du bar, mais ça ne se fait pas. Il lui reste encore des restes de civisme. Ça durera le temps que ça durera. Surtout qu’on vient encore une fois de lui taper sur l’épaule, ce qu’il déteste par-dessus tout.

             — Alors mon gars, ça gaze ?

             — Non, ça GA-20 ! 

     

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             Ah il a raison l’avenir du rock, de rétorquer GA-20 ! Cette répartie l’honore, mais en même temps, elle nécessite une explication. On ne dit pas GA-20 comme ça. Si l’avenir du rock sort GA-20 c’est qu’il a une bonne raison : deux albums parus sur Karma Chief Records, un sous-label de Colemine qui accueille les groupes de rock. Pour découvrir l’existence de GA-20, il faut se taper les compiles Colemine qui sont des petits chefs-d’œuvre d’incitation à la dépense. Elles sont un peu les Nuggets des temps modernes. GA-20 est un duo de Boston monté par Matthew Stubbs, qui fait partie du Charlie Musselwhite band, et Pat Faherty, le barbu qui ressemble à l’Idiot de Dostoïevski. C’est donc un groupe à deux guitares, plus un batteur, dans la tradition établie jadis par Hound Dog Taylor et reprise par les Gories, les Cheater Slicks et les Oblivians. Étrange coïncidence, leur deuxième album paru l’an passé est un hommage à Hound Dog Taylor, l’un des géants du siècle précédent.

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    L’album s’appelle GA-20 Does Hound Dog Taylor. Aucune ambiguïté possible, d’autant qu’ils illustrent la pochette avec la main à six doigts d’Hound Dog.  Stubbs et Faherty font bien l’Hound Dog Taylor, avec tout le gras double dans le mood. Ouf, pas d’Auerbach dans les parages ! Stubbs et Faherty jouent à la folie Méricourt. Ils tapent «Let’s Get Funky» à la véracité véracitaire - Did you hear me - Back to the straight boogie d’Hound Dog, leur approche relève du génie pur, il tapent le real deal du boogie, on salue la pureté de leurs intentions. Avec «Sitting At Home Alone», ils passent au heavy blues round de corner. Retour en force au boogie avec «It’s Alright». C’est le boogie du ventre, le plus beau des hommages, ils sont en plein dedans, au sec et net, au pur et dur. Pour des blancs, c’est étonnant. On pense bien sûr aux premiers albums de Charlie Musselwhite qui tapait lui aussi dans le sec et net. Ils reviennent au heavy blues avec «It Hurts Me Too», bien fondu dans le moule. L’amateur se régale et ils repartent en mode pète-sec avec «See Me In The Evening» qu’ils ramonent à qui mieux-mieux, il maîtrisent parfaitement l’art du heavy boogie, oh yeah that’s all. Avec «Sadie» ils tapent dans l’Hound Dog primitif, ils se rapprochent bien de l’esprit du vieux géant, ils flirtent avec son mojo, ils jouent vraiment dans les règles du lard fumant d’antan, bel hommage au vieux Hound Dog qui avait réussi à fuir les psychopathes du Deep South pour aller se réfugier à Chicago. 

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             Paru en 2019, leur premier album s’appelle Lonely Soul et il vaut largement le rapatriement. Rien que pour le «Naggin’ On My Mind» d’ouverture de bal. Pas de son plus pète-sec. Charlie Musselwhite is on harp et Luther Dickinson on slide, on a donc la crème de la crème du gratin dauphinois de Memphis. Ce Naggin’ sonne comme le rendez-vous des géants. Stubbs et Faherty désossent ensuite le heavy blues de «You Know I’m Right» et passent en mode hypno avec «One Night Man». Ils optent pour le beat du North Mississippi Hill Country Blues sur un accord fantôme. Le beat presse le pas alors que la nuit tombe et que s’allongent les ombres, ambiance tendue et fabuleuse texture, t’es ravi d’avoir cet album dans les pattes, car Stubbs et Faherty touchent à l’excellence du blues primitif. Ils tapent ensuite «Got Love If You Want It», un vieux classique éculé par tant d’abus. Ils sont là dans le deepy deep du petit bikini, merci Bo Diddley ! Ça tombe bien qu’on salue Bo, car ils reprennent un peu plus loin le magnifique «Crackin’ Up» de Calypso Bo. C’est assez miraculeux. On reste dans le miraculeux avec leur cover d’«I Feel So Good» de J.B. Lenoir, encore un personnage légendaire, le quatrième après Bo, Hound Dog et Charlie Musselwhite. Ils filent doit sur le génie jubilatoire de J.B., ils ont bien pigé le swing déhanché du grand J.B., et ça devient mythique tellement c’est bien foutu et bien dans l’esprit de la version originale. Avec «My Soul», ils jerkent un classic blues de Soul, yeah it’s my Soul, ils explorent tous les confins du genre avec une certaine forme de réussite.

    Signé : Cazengler, GA-teux  

    GA-20. Lonely Soul. Karma Chief Records 2019

    GA-20. GA-20 Does Hound Dog Taylor. Karma Chief Records 2021

     

     Inside the goldmine - Les apôtres du Crust

             S’il n’avait pas vécu à notre époque, Ricci se serait parfaitement accommodé du XVIIIe siècle. La pâleur de son teint renvoyait aux visages des aristocrates filmés par Stanley Kubrick dans Barry Lydon, où, comme chacun sait, la lumière des chandelles aggravait considérablement la blafardise de visages naturellement pâles, une blafardise qu’accentuaient encore jusqu’au délire les poudres et les fards. Mais Ricci ne se souciait guère d’esthétique. Par quelque phénomène naturel, son visage s’était vidé de son sang, et s’il lui arrivait de se faire peur en croisant son reflet dans un miroir, il dopait son psychisme en observant une hygiène de vie inflexible : pas de tabac, pas d’alcool, pas de dope. Et du sport. Chaque dimanche. Plus un peu de musique pour répondre aux exigences d’un karma garagiste. Ceux qui le voyaient sourire ne se comptaient pas sur les doigts d’une main, mais sur le crochet d’un pirate. Ricci toisait la vie et les gens d’un regard perçant. Il ne parlait pas beaucoup. S’il prenait la parole, c’était surtout pour lancer une idée. On appréciait sa compagnie pour ça, pour cette fabuleuse modération et pour la confiance qu’il nous témoignait en partageant ce qu’il avait de plus précieux. On prenait sa discrétion non pas comme l’expression d’une gêne, mais au contraire comme l’expression d’une forme de bien-être. Nous pouvions passer des soirées en sa compagnie sans vraiment parler, et se sentir bien. C’est un peu comme s’il nous avait appris les vertus du silence, et de cela, nous lui en serons éternellement reconnaissants. Il était présent dans sa façon d’être absent. Il semblait réfléchir en permanence. Une lueur d’intelligence dansait dans son regard. Il faisait partie de cette rare catégorie de gens avec lesquels on ne pouvait se fâcher. Il fallait seulement apprendre à le connaître. Nous remodelâmes tout notre business sur ses idées. La question n’était plus de savoir si ses idées étaient bonnes ou pas. Ses idées nous bottaient parce qu’elles étaient les siennes. Ça arrive rarement dans la vie qu’on suive quelqu’un d’instinct. Ricci avait-il des pouvoirs ? Bien des années après, on se pose encore la question. Toujours est-il qu’un jour il décida de mourir et fut emporté par une maladie foudroyante. Aussi foudroyante que l’était son intelligence. Le plus difficile est sans doute de continuer à vivre dans un monde privé de Ricci.

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             Ricci aurait très bien pu battre le beurre dans Upper Crust, un quarteron de perruqués sadiens basés à Boston. On les croyait anglais, mais non, ils sont l’un des fleurons de l’undergound américain. Si on osait, le seul reproche qu’on pourrait leur adresser serait de vouloir parfois sonner comme AC/DC. Mais pour le reste, on peut parler de buried treasure, c’est-à-dire de trésor caché du rock contemporain des Amériques. Il n’existe quasiment pas de littérature sur Upper Crust, et dans ces cas-là, on se rabat naturellement sur les disques, qui sont plutôt locaces, à l’inverse de Ricci.

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             Ils commencent à sonner le tocsin en 1995 avec Let Them Eat Rock, et dès le morceau titre, ça valdingue dans les clochers. Leur extraordinaire blend de rock US est surchargé de guitares pulvérulentes. Ils tiennent bien les rênes de ce rock puissant et agressif et sortent un son plein comme un œuf de tortue. Ils enchaînent avec un «Little Lord Fauntleroy» bien powerful, chanté au gras d’hey hey hey, freakouté à outrance. On y évoque les bandaisons du little Lord. Les apôtres du Crust sont des gens versés dans l’art des brutalités soniques. Fabuleux «Rock’n’Roll Butler» - This is the story of my rnr chauffeur - On assiste à un emballement - She says I’m much nicer than the marquis de Sade - Retour de l’effarant riffing des enfers dans «Who’s Who of Love». Ils riffent à l’aune des supplices du château de Lacoste. Rien ne vaut un vieux riff admirablement balancé, rien ne vaut ce départ en solo de décrépitude excessive. Ces mecs basculent dans l’indécence de la grandeur jadis prônée par Sade, ce vieux maître à penser. Les apôtres du Crust comptent parmi les géants de la débauche riffique. Ça parle encore de bite dans «I’ve Got My Ascot», sur un beat assez explosif, et dans «Old Manners», on voit killer solo nettoyer un village : tout est rasé par les dragons du Roy. Encore de l’épais avec «Friend Of A Friend Of The Working Class». Voilà un cut qui coule comme de la glu dans le col de la courtisane évaporée. Ces mecs déploient des trésors de vitalité priapique. Ce sont de véritables insatiables. On reste dans la puissance pure avec «RSVP» - Love but I can’t tonite - Il faut voir comme il fait claquer son fouet de  tonite. C’est brillant, sans dieu ni maître. Ils jouent à la régalade, bien au-dessus de la mêlée. Ils terminent avec le dévastateur «Opera Glass». Ils maîtrisent l’art d’éblouir les alcôves à coups de solos d’exception. 

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             Dans un petit article que leur consacre Vive Le Rock , on les salue ainsi : The Upper Crust merge a classic rock sound with weirdo lyrics and top it off with some crazy George Washington era fashion.

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             Leur deuxième album s’appelle The Decline & Fall Of The Upper Crust. Il paraît deux ans plus tard. Dès «Cream Of The Crust», on est fixé : pure démence ! Ces mentons bleus sonnent comme des géants du power-rock. Avec «Beauty Spot», ils s’efforcent en vain de sonner comme les Ramones. Mais leurs relances de distorse apoplectique les emmènent ailleurs. Leur claqué d’accords intermédiaires vaut tout l’or de d’Eldorado. Ils sont stupéfiants à tous les niveaux : son et chœurs. Ils développent une invraisemblable vitalité intrinsèque. Nouvelle énormité avec «Boudoir». Wow, quel abreuvoir de vibes sadiennes ! Ils saturent leur Boudoir d’arpèges atmosphériques. On est convaincu d’avance. C’est du jus d’alcôve, du war avec du ouch de reins. Oui, il font rimer war avec boudoir. Ils se montrent à la fois sur-puissants et expressionnistes. «Boudoir» est gorgé de son à outrance et transpercé par un solo en forme de botte de Nevers. Et ça continue avec «Rattle Rouser», tapé au heavy cocotage et chanté au loud débauché. Ça sonnerait presque comme un hymne. Toute la jute de Sweet est là, mais avec les clameurs d’Elseneur en plus. Dans «Versailles», ils font rimer Versailles avec get high. Et ils ajoutent : «Come on to Versailles/ Come on canaille !» C’est quasi glam. S’ensuit un terrific «Vulgar Tongue», empreint d’une solide nonchalance - She’s the only one - et il y pleut du solo d’exception. Tout est absolument noyé de son sur ce superbe album de rock - She speaks the vulgar tongue - On a encore du très grand glam américain avec «Neer-Do-Well» et puis on retombe sur un hit, «Gold-Plated Radio», et quel hit ! Ils jouent ça en relentless - Ouh ouh/ Litttle transistor/ Turn me on - C’est l’un des meilleurs sonic trash on earth - Ouh ouh/ Litttle transistor/ Turn me on - C’est digne des meilleures envolées de Cheap Trick, mais avec de la démesure sadienne en plus. C’est à la fois affolant et apostolique. 

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             Paru en l’an 2000, Entitled pourrait bien être l’un des plus grands albums live de tous les temps. On retrouve les «Let Them Eat Rock» et «Little Lord Fauntleroy» du premier album, mais avec une fantastique décharge d’adrénaline en prime. Lord Bendover chante si merveilleusement bien, tranchant et narcisse à la fois. Il repose sa voix sur un matelas de guitares virulentes. La version de Fauntleroy épate, car c’est joué au riff ardu et ardent, ravagé par les gimmicks étrilleurs.Il faut aussi entendre Lord Bendover rouler ses r dans «Rable Rouser». On reste dans le mélange toxique de puissance et de décadence sadienne. Ces démons du Crust bouffent la motte du rock et en sucent les lèvres goulûment. Tout est embarqué au final révolutionnaire. Ils tapent «High Falutin’» à la dementia de heavy rock. Ils jouent leur va-tout avec une sorte d’indécence cathartique, leur gros boogie semble sortir d’un caveau glacé. Dans le son, tout se télescope. «Persona Non Grata» semble traversé par les pires fléaux de l’humanité sonique. Ils enchaînent les vertiges soniques comme des perles et ça continue avec «Boudoir» - Welcome to my bou/ Doir/ Oh oh/ I need you so - Avec ces mecs-là, il faut se méfier, car un cut d’apparence normale peut vite basculer dans l’horreur subliminale. Le solo colle à la peau - Boudoir ! - Ça sonnerait presque comme le «War» d’Edwin Starr, mais avec d’exceptionnelles relances pathologiques. Enchaînement parfait avec «Paradise Lost». Si on aime les albums live, il faut écouter ce chef-d’œuvre de pur jus. Ils partent en jive de solo destroy oh boy. On note la présence de chœurs de Dolls dans la fournaise - The next one is also simple and also pleasant. It’s called Old Money -  Voilà comment Lord Bendover amène «Old Money» Et ça explose. Ces démons ne lésinent pas. Ils vont vite en besogne, ils n’épargnent aucun canard boiteux. On ne peut que les comparer à Motörhead pour leur magnifique brutalité. Lord Bendover jette ses dés avec «Tell Mother I’m Home». Il drive son gang et ça reste bien dans l’explosivité des choses du Crust. Du son, rien que du son. Une leçon de son. On reste dans la fournaise avec «We’ve Finished With The Finishing School». Tout est là : le solo dévastateur, l’incendie du Reischtag, et l’explosion d’Hiroshima. Ils terminent ce premier disk avec un «Cream Of The Crust» joué à la pire cisaille de l’univers. Et oui, le pire c’est qu’il y a deuxième disk dans la boîte. Aussi hot que le premier, sinon plus. Tiens, voilà un coup de génie «Who’s Who Of Love», monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’». Les Crust en font leur truc, bien relentless, ils dépravent le rock jusqu’à l’oignon, ils riffent jusqu’à plus-soif, ils valent tout l’or du Rhin et le solo incendie la forteresse de la Bastille. Encore plus énorme, ce balladif perverti qu’est «Matron» - When she was young - On sait comment ça va se terminer. Princes & kings ont des mains baladeuses. Heavy as hell. Ils savent créer la sensation forte. Ça s’embrase littéralement sous nos yeux globuleux. Fabuleux shoot de Malmaison, on adore les Crust car ils font bander le rock - It’s called Bleed me ! - Et ça repart de plus belle en heavy rffing. The Crust are on the rocks. Ils deviennent faramineux, les solo coulent comme de l’or fondu dans la gorge du Consul de Rome capturé par les Parthes. Il faut aussi rappeler que ce disk deux démarre en trombe avec «Once More Into The Breeches», véritable blast de heavy rock mauvais comme une teigne, ce rock lourd, sourd et perverti qui ne fait pas dans la dentelle. Le solo coule comme une rivière de lave entre les seins d’une courtisane. Ils enchaînent ça avec «She Speaks The Vulgar Tongue», pas de répit, c’est complètement transfiguré à coups de vitriol, solos déments, énergie considérable. On tombe plus loin sur le spectaculaire «20 Faces» chauffé à blanc, et même à l’ultra-blanc. Il n’existe pas sur cette terre de gang plus dépravé que les Mighty Crust. Ils jouent avec la même énergie que le MC5. Les solos valent bien ceux de Wayne Kramer.  Quel bon blast ! Lord Bendover annonce bien ses cuts : j’ai trouvé l’amour ! «Eureka I Found Love». On imagine que c’est dans l’anus d’une courtisane dévouée. Lord Bendover sait ménager ses effets. On rôtit en enfer grâce à «Luncheon». Tiens, encore une dégelée avec «Little Rickshaw Boy» emmené ventre à terre et ils montrent comment exploser un balladif avec «Everybody’s Equal». Quelle science de la subversion ! Ils envoient de gros paquets de mer, c’est d’une rare puissance. Tout ce qu’on aime dans le rock. 

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             Leur nouvel album Delusions Of Grandeur vient de paraître. On les voit tous les quatre au dos de la pochette perruqués de frais et l’air peu avenant. Le coup de Trafalgar s’appelle «Frippery & Froppery». Il s’agit là d’un gros clin d’œil au divin Marquis. Ils y explosent leur voûte, ça chante à l’extrême raout sadien, un peu à la manière de Chris Farlowe. Ces gens-là disposent de pouvoirs surnaturels. S’ensuit un big heavy romp intitulé «Set For Life/ I Beg To Differ». Ça stompe dans la gueule du rock - I’m set for life - C’est explosif et saturé de violence. On croit entendre un hit monté sur des vieux retakes de juke, mais les Crust explosent tous les jukes du monde au money to burn - I beg to differ - Lord Bendover est un démon. Sur cet album, tout est joué à outrance, avec des guitares partout. N’oublions pas qu’ils posent dans la rue avec des Flying V et des Dan Electro. Attention, cet album est d’une rare violence. Ils font couiner Little Castrato de plaisir en le grattant sévèrement. Et puis voilà «Out Of The Mouths Of Babes» - She look so good/ She looks so fine - Les voilà devenus les maîtres du heavy rock de Boston, ils allument tout aux renvois de hits - She plays a game/ She plays a part - Ça plombe et ça burne à tout va, ils rivalisent d’ampleur avec le MC5, ça ciboulote la ciboulette, les mots se consument dans l’exaction protubérante. Nous voici rendus en Place de Grève avec un «Heads Will Roll» d’une violence digne de Motörhead. Ils pétaradent comme mille diables et ça cavale à la Fast Eddie. Quelle bande de destructeurs ! Rien ne saurait leur résister. L’album dépasse l’entendement, les perruqués de Boston défoncent la mémoire des annales et sur le tard, l’un de ces mauvais nobliaux arrose tout d’un solo de lave infectueuse. Ils tapent «Flagrante Delicto» à la cloche de bois et riffent leur petite affaire avec une rare violence. C’est un uppercut sonique fait de dentelles, de violence, de beat, de bois et d’ébats. Il a été surpris en flagrant delicto, avec un killer solo flash à la clé. Nouvelle dégelée éruptive avec «The Pleasure’s All Mine» - Place my card on the servant’s tray - Voilà un dude entreprenant - Now we’re gonna be face to face - On entend ronfler les accords de dingue comme un incendie - You’re too kind/ The Pleasure’s all mine - On trouve des vieux relents d’early Kinks dans le riffing.

             Le mot de la fin revient à Lord Bendover : we are travelling in individual private steam-powered airplanes, eating foie gras and being waited on hand and foot by handmaidens and footmen (nous voyageons à bord d’avions à vapeur privés, où l’on déguste du fois gras que nous présentent des servantes et des valets de pied).

    Signé : Cazengler, l’in-Crust

    Upper Crust. Let Them Eat Rock. Upstart Records 1995

    Upper Crust. The Decline & Fall Of The Upper Crust. Emperor Norton Records 1997

    Upper Crust. Entitled. Reptilian Records 2000

    Upper Crust. Delusions Of Grandeur. UCL 2017

    Upper Crust. Vive le Rock # 48 – 2017

     

    *

            L’on avait aimé. Rappelez-vous, c’était le 21 février 2020, à Troyes, au 3 B dans l’antre rockabyllien de Béatrice Berlot. Pour ceux qui sont atteints d’Alzheimer, voir notre livraison 453 du 27 / 02 / 2020, le Twangy & Tom Trio avait donné un concert éblouissant, trois sets incandescents, nous avaient en prime même refilé une info en douce, la possibilité de nous refaire le coup des trois mousquetaires, rajouter un quatrième homme à leur trio torride. Vous êtes désormais prêt à comprendre le titre de leur album.

             Une superbe pochette, cartonnée, l’artwork est de Sam ‘’Milouf’’ Roux, très belle mise en scène outside looking in du photographe Olivier Prévost, vous ouvrez la première portière pour entrer dans la caisse, vous sautent à la gueule les clichés de scène des deux premiers passagers, Phil Twanguy penché sur sa guitare comme s’il couchait une fille dans l’herbe bleue du Kentucky. Long John bouffe d’angoisse bleue ses doigts et son harmo, vous ouvrez la deuxième, Gégène vous attend, tient le manche de sa contrebasse comme un gourdin, un peu à la manière, pour ceux qui ont vu le film, de Justice sauvage ( 1973 ), un western moderne à regarder avant tout pour ses paysages typiquement américains, sur le deuxième volet Little officie sur sa batterie, l’affiche le regard énigmatique du reptile qui s’apprête à frapper. L’on remercie Claudine Clodelle pour ses quatre photographies saisissantes.

    FINALLY FOUR !

    THE TWANGY & TOM TRIO

     ( Twang 03 / Juin 2022 )

     

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    Phil Twangy : guitars & vocals / Long Tom : harmonica & backing vocals / Gégène : Upright & electric bass / Little : drums

    Special guest : Yvec ‘’Captain’’ Louët : backing vocals, maracas, tambourin.

    Huit titres, et non douze, ce choix délibéré est hautement symbolique, le groupe serait capable de remplir un coffret de cent titres, rockabilly oblige, l’on opte pour le 25 cm et non pour le 33 tours. De même l’on mêlera  reprises ( racines ) et compositions ( perpétuation ).

    18 miles from Memphis :  choix pertinent, la désignation du lieu originel et la renaissance opérée par les Stray Cats. D’entrée la guitare klaxonne, et la voix rauque de Phil secoue le cocotier, l’harmo de Long Time déchire la métrique rythmique de violents éclairs – le Trio a laissé tomber ce son de pedal steel guitar qui   larmoie quelque peu sur  le Rant N’ Rave des Chats Errants ce qui donne à leur morceau des allures d’orchestration des titres d’Eddy Mitchell enregistrés à Memphis ( j’va me faire des ennemis ) - sur le solo de Tom, Gégène vous festonne en sourdine des entrechats de contrebasse, patte de velours sur verres brisés crissant. Le petit Little vous mène le beat infatigable jusqu’au bout de la nuit. Full moon : pleine lune, ce coup-ci prennent la course en tête, ne suivent plus personne, sont eux et ça ronronne méchant, suivent leur route et ne lèvent pas le pied de l’accélérateur, une voix qui fonce et bouscule les obstacles, tout le reste au même niveau, jettent de l’essence dans la fournaise, zébrures de Tom, cloche-pieds de Gégène, giclées de guitare, et pousse-au-crime de Little. L’on n’est jamais davantage soi que quand l’on est soi-même. Phénoménalement juste. I can’t sleep at night : deuxième compo, très différente de la première, course poursuite entre guitare et harmo, autant dire entre le rockab et le blues, se tiennent tous les deux au pantalon et aucun des deux n’entend lâcher prise, autant se fracasser dans le fossé que de laisser le champ-libre à l’autre, derrière la galopade tambourine pour leur envoyer des billes sous les souliers, perdent souffle mais ne se rendent pas, nous ne saurons jamais si l’âme du blues et du rockab ont vraiment trouvé le repos à la fin du morceau. Pour être honnête nous pensons que non. C’est mieux ainsi, pour nos futures nuits blanches.  Jungle rock : un vieux titre de Hank Mizell, le genre de scie musicale qui vous coupe en deux à la première écoute, le morceau de gloire pour Little et les maracas, disons-le Mizell n’arrive pas à la cheville de Bo Diddley, pas de panique Long Tom et son harmonica vous insuffle les litres de sang noir qui manquent à l’original, sous les pavés la plage disait-on, ici ce serait plutôt sous le délassement la vraie vie rimbaldienne qui palpite. I ain’t had no lovin’ : retour aux compos et aux racines, ce que l’on appelle en littérature le retour au classicisme, quoique l’harmonica de Long Tom joue le rôle du grain de sable qui tombe sur un nid de frelons et déclenche l’inquiétude des promeneurs innocents. Ce titre fonctionne comme une piqûre de rappel, le Twangy & Tom Trio use d’un rockab subtil dont le pendule oscille entre fidélité et modernité. The Jinx : la belle arnaque. Nous en tomberait une comme celle-ci chaque matin au petit déjeuner que nous serions heureux. Juste un instrumental. Pour le plaisir de jouer. De montrer ce qu’ils savent faire. Sans se prendre la tête. Tout doux. Carquois narquois. Un western sans coups de feu. De la finesse, de petites flammes qui vous rôtissent un dinosaure de trente mètres de long (n’est-ce pas Tom ) en deux heures. La porte qui grince, et le tueur que vous redoutiez s’approche de vous… pour une petite sieste revigorante. Discrètement délicieux. These boots are made for walkin’ : l’on en profite pour faire la bise à Nancy et à la moustache de Lee, Phil vous la chante à la sardonique, sa guitare sonne à la Buddy Holly et Long Tom grimace sur son harmo, quant aux deux autres ils poussent l’air de rien le feu sous la marmite de la colère rentrée. Sainte Vierge je crains que cette interprétation insidieuse n’obtienne l’approbation des ligues féministes ! Right behind you baby : l’on a débuté par le revival, l’on termine par l’original, rien de mieux qu’une pette tornade rockab de derrière les fagots enflammés pour délester notre triste humanité de ses miasmes malfaisants. Personne n’a jamais mieux fait que Billy Lee Riley mais à ce niveau-là ça n’a pas d’importance, le quatuor fonce droit derrière et s’en donne à cœur joie, Phil se défonce la voix, Tom entortille ses entrailles sur son instrus, Little s’entraîne à imiter le bruit de l’armoire de sa grand-mère qui s’écroule sur le plancher et Gégène ne se gêne pas pour faire bourdonner sa basse comme la reine des abeilles. L’en coule un miel empoisonné qui vous terrasse un grizzli en moins de deux secondes. Un régal.

             Au total, une pépite rockab a rajouter au trésor amassé depuis soixante-dix ans. Authentique et actuel.

    Damie Chad.

     

     

    ELVIS, HEARTBREAK DESTINY

     

    Il y a quarante-cinq ans, le monde apprenait la disparition de celui qu’on nommait le King. Pour souligner cet anniversaire de la mort d’Elvis Presley, que dire encore de celui qui bouleversa la musique, la société, son époque ? Le défunt lucratif, c’est clair, ne cesse d’être exploité.

     

    Cependant – et enfin – une chose est certaine : Elvis, le film de Baz Luhrmann, sorti en salle en phase avec cette date, est éminemment positif et juste. Elvis est enfin réhabilité selon son essence même. C’était un artiste. Un immense artiste tenu en laisse.

    Elvis chantait Heartbreak Hotel.

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    Il aurait pu chanter Heartbreak Destiny.

    Ce souffle angélique, ce visage qui l’était tout autant, ce talent si pur – un énigmatique enchantement…

    Car que sait-on des êtres que tous connaissent et que personne, pourtant, ne parvient à véritablement cerner ? Que des perceptions, des chatoiements du joyau qui brille sans jamais s’éteindre.

    Des angles pour raconter Elvis, il y en a de nombreux. Les femmes, l’argent, les parasites, le colonel Parker, Priscilla, les accointances avec la mafia, les drogues, le talent, le gigantesque succès, sa fille…

    Peut-on vraiment le découvrir, même avec ces loupes?

    Repartir à zéro, sous le seul éclairage de la famille, est sans doute la voie la plus sûre pour appréhender un parcours, quel qu’il soit.

    Comme on sait, trente-cinq minutes avant son arrivée en ce monde, en cette vie, Elvis perdit son frère jumeau, Jesse Garon, mort à la naissance. On imagine aisément les premières heures du petit Presley ; il est celui qui reste, l’autre, celui qui a survécu. Gladys pleure amèrement l’enfant mort tandis qu’elle berce le vivant. Bien sûr, ce n’est pas la faute d’Elvis si son frère n’a pas vécu, mais devant l’accablant chagrin de sa mère, comment pourra-t-il, en grandissant, ne pas s’interroger à cet égard ? L’enfance, la jeunesse, la vie entière d’Elvis seront imprégnées de ce deuil. Jesse envahit tout, le cœur de sa mère, celui de son jumeau, la maison de Tupelo, une bicoque qui, un jour, sera visitée par des millions de gens fouinant dans tous les coins à la recherche de l’introuvable. Elvis vit avec un spectre à qui on voue un culte, qu’on arrache en vain au ciel, le plus souvent possible à genoux devant sa petite pierre tombale. Gladys enseigne à Elvis à aimer son frère, à prier pour lui, à l’invoquer et surtout à ne pas l’oublier.

    Étant donné que Vernon, son père, est souvent absent (au point de passer un long moment en taule), voilà qu’Elvis assume une nouvelle responsabilité : soutenir Gladys dans cette autre peine. La mère et le fils s’aiment éperdument, vivent en fusion, Gladys comptant sur son seul fils alors qu’elle racle les fonds de tiroir pour assurer leur subsistance. Elle ne sera pas déçue : promis à un avenir grandiose, Elvis compensera au centuple la souffrance causée par l’absence du jumeau et les défaillances du père.

    Certes. Mais tout cela lui coûtera cher, et Gladys sera la première à le déplorer.

    Au moment où il enregistre son premier disque (l’intention est de faire une surprise à sa mère), la chance souffle. Les choses s’enclenchent. Dans son coin de pays, le sud de ses frères noirs, transes et gospels, Elvis devient rapidement connu, et encensé. Tout en lui est original, avant-gardiste, audacieux, autant que spontané ; ses gestes frénétiques, ses hanches insolentes, sa bouche enjôleuse. Il institue une nouvelle façon d’être alors qu’il ensorcelle la jeunesse de tout un pays et bien au-delà avec sa voix douce et chaude comme des larmes, puissante et fluide, virilement suave – une voix d’esclave blanc. Elvis est le héraut de la liberté. Le messie du rock. Cependant, alors qu’il vit hanté par Jesse, et bientôt par sa mère qui meurt au début de son ascension, il n’a pas droit, lui, à la liberté qu’il défend si totalement. Son destin est christique.

    Elvis est une machine à rentabilité, à succès. Le colonel Parker, son agent, lui fera grimper les échelons de la gloire sans jamais – ou presque – respecter les désirs de l’artiste qui l’enrichit. Or Elvis en est un, authentique, profondément lui-même, peu à peu massacré par ces exigences. Les fans savent les films que l’idole ne souhaitait pas tourner (pour la plupart), les chansons qu’il ne voulait pas chanter même si elles dépassaient les frontières et rapportaient des fortunes (It’s now or never…), l’interdiction de tournées en Europe. Très rapidement, Elvis est claquemuré dans des hôtels de Las Vegas, affublé de costumes clinquants, cuirassier du show-biz. Désormais, alors que dehors on vit, il chante devant des parterres remplis de « mémères endiamantées », comme le précise parfaitement le journaliste Daniel Lesueur. La bête de scène s’est transformée en bête de cirque.

    Pendant ce temps, la nouvelle génération (bien près de lui) poursuit, elle, et pour l’ancrer, la véritable révolution. Ces artistes surgis du Royaume-Uni, des States et bientôt d’Australie – autant dire nés de sa colossale impulsion – envahissent des stades, envoûtent les foules, centuplant les décibels, imposant un son nouveau, lançant le hard, le glam, le métal, le trash et tous ses dérivés, établissant un nouveau règne anarchique d’une force nucléaire. La Terre a bougé.

    Elvis, qui a tant compté dans ce séisme décisif, en est réduit à se donner de tout son être dans des amphithéâtres aseptisés et moquettés du Nevada – aliéné du public à ciel ouvert. Le rock qu’il a si bien servi lui a échappé. Le pauvre King, l’inspirateur de ceux qui sont venus à sa suite et qui maintenant le dépassent dans leur démesure, ne sort plus de cet antre dans lequel le colonel Parker l’a crucifié. Sait-il au moins que la plupart de ces rock stars se réclament de lui ? En effet, la liste pourrait se dérouler sur des kilomètres ; il est touchant d’entendre Keith Richards lui rendre hommage,  Johnny Hallyday en parler avec un respect qui donne la chair de poule, et de songer à Robert Plant qui l’admirait tant qu’un des plus grands moments de son existence fut de se retrouver avec lui, un soir, dans sa loge, dans une ville américaine. À cette occasion, le secrétaire précisa aux membres du band britannique de ne surtout pas parler au King de ses chansons, expliquant qu’Elvis, cette immense idole au demeurant simple et avenante, détestait traiter de ce sujet…

    Mais Plant ne résista pas. Avant de prendre congé d’Elvis, il se jeta presque sur lui pour lui dire merci, je t’aime, tes chansons sont extraordinaires, je les connaissais toutes par cœur, tu m’as ébloui ; devenant, l’espace d’un instant, un groupie surexcité.

    La rencontre se prolongea. Elvis était heureux de discuter de ce qui avait bercé la jeunesse de ces stars aux cheveux longs, à moitié nues, ornées de chaînes et de tatouages, libres ! Quelle ironie.

    Peu de temps après, il mourut.

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    Elvis délivré de son poids dans tous les sens du terme. Depuis le jour où la planète vibra à l’annonce de sa disparition, quarante-cinq années sont passées. Et pourtant, ne serait-ce qu’à Graceland, où les foules défilent, toujours nombreuses, voire plus que jamais, son esprit résiste. Que n’a-t-il donc pas dit, condamné au mutisme comme son frère mort ?

    J’aurais tant voulu vivre…

    J’aurais tant voulu être.

     

    Marie Desjardins

    Publié le 19 Août 2022 dans Presse PROFESSION SPECTACLE ( Revue Web ).

     

     

    BEST N° 2

    MUSIQUE – STYLE – POPCULTURE

    (Mai 2022 - 162 pp15 E )

     

    Se mookerait-on des vieux rockers, Best, la mythique rivale de Rock & Folk, la cadette délurée qui avait misé sur l’éclosion punk alors que la vénérable aînée s’amusait à repeindre les dinosaures moussus, squatte à nouveau de manière fort impromptue les kiosques. Après vingt ans d’absence ? Pas croyable ! D’ailleurs quand j’ai eu le numéro 1 entre les mains je l’ai vite remis sur son rayonnage, pire que la baleine blanche, l’épaisseur du cachalot mais pas grand-chose dans le ventre, si un poster comme dans l’ancien temps, mais que de vide, des articles de trente lignes perdues dans l’écume des blancheurs stériles, des photos couleurs certes, par côté texte portion congrue. A première vue rien de bien folichon, ah, si une belle photo et un article pas très long sur Alicia F !  Déjà on leur pardonne d’exister et on se promet de passer au scalpel le numéro 2.  

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    Le voici ! La couverture ne vous procurera pas un orgasme pictural, dans l’édito le rédac-chef  Patrick Eudeline – tiens il a aussi une chronique dans le R & F d’août, la rivalité Best R & F serait-elle une ficelle du même calibre que Beatles versus Stones – annonce une mauvaise nouvelle, conséquence de l’augmentation du prix du papier s’est imposée la suppression du poster… Par contre tout de suite après c’est la grosse amélioration, l’œuf de l’autruche est rempli à ras-bord, pas tout à fait comme La recherche du temps perdu mais si l’ensemble ne fait pas Proust, l’est loin de faire prout !

    Prenons le temps de regarder la partie immergée de l’iceberg. Les dessous cachés : pas tant que cela. Cette nouvelle mouture n’est pas un geste gratuit. David S. Kane promoteur de l’aventure n’est pas là pour perdre son argent, encore moins sa dernière chemise. Se lance dans une drôle d’entreprise, doit susciter son lectorat, le public de niche-rock, caution essentielle, a pris de l’âge, squatte déjà les maisons de retraite et bientôt ne tardera pas à encombrer les cimetières, lui faut donc enrôler de nouvelles phalanges de lecteurs, attirer à lui une jeunesse qui ne lit plus sur support papier et qui n’écoute plus comme tout être humain normalement constitué  du matin au soir et du soir au matin exclusivement du rock’n’roll, signe évident de la proximale déchéance de l’humanité bien plus inquiétant que le dérèglement climatique dont on nous rebat et rabat sempiternellement les oreilles.

    Z’en gros faut s’adapter au public et aux contingences économiques de survie en zone capitalistique. Ne faut pas être grand stratège pour remarquer que si l’une des premières pub pleine page est de Cifonelli, la page 146, section mode, nous présente la maison Cifonelli, spécialisée en costumes classieux, même David Bowie en portait, c’est dire si c’est rock ! En tout cas ce n’est pas un hasard si les gens comme moi ne fréquentent pas ce genre d’endroit… Autre renvoi d’ascenseur, Radio Perfecto une webmusic qui lance PerfectoMusic.Fr ( un spotify rock ) qui a droit à un article et qui dans sa double page de pub offre avec le code Promo Best cinquante pour cent sur l’abonnement Premium de douze mois. Faire feu de tout bois pour survivre est de bonne guerre, toutefois que le client roi courtisé se souvienne aussi qu’il est un être libre.

    Plus le chalut est large plus vous ramassez de poissons. Le spectre choisi par le nouveau Best n’échappe à cette loi mathématique du rendement tout azimut, De Serge Reggiani à Orelsan, y’en a pour tous les goûts et toutes les couleurs se marient entre elles, ne pas fâcher les amateurs de la bonne vieille chanson française de qualité, leur prouver que l’on pense à eux, ne pas rejeter les adeptes du rap, l’est sûr qu’il se variétise tellement depuis ces cinq dernières années qu’il ne saurait échauder les oreilles de vastes portions de notre saine jeunesse.

    Un dernier truc pour amener les mouches à se poser sur la tartine de miel, présenter le mec que tout le monde connaît sans avoir lu ou même retenu le nom. Ainsi vingt pages sont dévolues au portfolio de Sébastien Micke, photographe attiré de Paris-Match, notre snipper a shooté tout le monde, de Cœur de Pirate à Iggy Pop.

    Ne pas sous-estimer le bestiau pour autant. Oui, il y a du rock, l’on peut même s’amuser comme les archéologues à remettre en ordre les couches stratigraphiques. Années cinquante : cocorico l’on ne part pas à Memphis visiter les studios ensoleillés, l’on reste chez nous, en douce France avec ce très méchant macaque de Mac Kac – méfiez-vous de la variole du singe – le batteur qui n’avait pas perdu ses baguettes dans un tonneau de goudron, un bel article de Jean-William Thoury qui remet la pendule du rock français à l’heure, juste un peu avant le trio Henri Salvador – Boris Vian – Michel Legrand. N’oublions jamais les ignominies que le second a écrites sur Elvis Presley.

    Années soixante, années fastes, un topo de Jean-Albert Baudenon sur les managers véreux ( ce qualificatif n’est-il pas inutilement redondant ) et les frères Kray, de véritables kraypules, comme l’on en fait encore aujourd’hui, qui eurent maille à partie avec le sorcier des manettes Joe Meeks, espérons que les anges aient pris soin de son âme… l’article le plus palpitant du numéro, de la plume d’aigle de Pierre Hecher.

    Années soixante-dix : Julien Deléglise nous narre les premières années du hard rock français, Océan, Trust, Warning, Variations, ne râlez pas, l’en cite d’autres, mais l’on sent que c’est juste le bas de la première vertèbre de l’épine dorsale de ce qui un jour ou l’autre deviendra un bouquin… Par contre plus loin, l’on vous raconte que loin du punk il y avait Patrick Juvet et la disco…  

    Années quatre-vingt, je triche, à eux seuls ils cochent toutes les décennies du rock, les Stones, pas tout à fait eux, les acolytes plus ou moins anonymes qui sont sur scène et qui assument une bonne part du boulot. Qui trop étreint mal embrasse, dans le six-cent soixantième de R & F, l’interview de Chuck Lewel nous en apprend plus que les diverses fiches récapitulatives de Best.

    Tapent aussi dans l’actualité, ne sont pas fous, les belles histoires c’est pour endormir les grands enfants, les benjamins réclament des légendes qu’ils peuvent vivre à leur tour. Peut-être la partie la plus risquée. Je vous laisse découvrir par vous-mêmes. L’on peut tout de même tirer quelques éléments de structuration du magazine, sont ouverts et la part de la France n’est pas la portion congrue. Un choix qui se révèlera payant. J’aime à prophétiser. Dans le désert. Surtout si personne ne m’écoute.

    Deuxième révélation mais tout le monde s’en doute : n’oublient ni le cinéma ( un très beau Qui a peur de Lucy Gordon de Caroline Calloch, elle a su vivre et mourir vite ) ni la BD, ni les mangas, ni les livres ( et encore moins les écrivains ), même pas les tatoueurs, n’hésitent pas non plus à présenter ce prince du rockabilly français qu’est Victor Huganet.

    De fait ils cherchent à capter l’esprit de l’époque, morcelé, biseauté, fragmenté, et la tâche n’est pas facile. Faut leur reconnaître qu’ils ont du courage. Parviendront-ils à faire jaillir une cohérence de tout ce patchwork, est-ce seulement souhaitable, si notre réalité est kaléidoscopique pourquoi tenter d’y mettre ordre et unilatéralité ? En quoi l’incohérence des choses du monde serait-elle d’une nature inférieure à son contraire ? Nous ne savons si nous marchons sur des cendres ou sur des semences s’exclamait voici deux siècles Alfred de Musset. Aujourd’hui j’ai l’impression que nous n’en savons pas plus que l’auteur de Lorenzaccio. Apparemment le Best historique était pour reprendre une expression de Jean Giono un lanceur de graines. Souhaitons à cette nouvelle mouture le même futur. Comme le dit le proverbe austro-hongrois, ceux qui mourront ne le sauront pas.

    J’ai laissé de côté bien des aspects et bien des pages qui méritent tout autant attention et lecture. N’espérez point que l’on va tout vous dire. Read it yourself !

    Damie Chad.

     

    LE CERCLE SACRE

    MEMOIRES D’UN HOMME-MEDECINE SIOUX

    ARCHIE FIRE LAME DEER

    ( Terre Indienne  / Albin Michel 1995 )

     

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             Les indiens foulaient la terre sacrée d’Amérique bien avant la naissance du rock ‘n’roll ce qui n’a pas empêché Archie Fire Lame Deer de travailler avec Elvis Presley. Sont tous deux nés en 1935, enfants ils ont tous deux connu la misère, mais malgré les gouttes de sang indien légué par son arrière-arrière-arrière-grand-mère cherokee leur communauté de destin s’arrête là.           

    Archie Fire Lame Deer a disparu en 2004. Sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille, elle se résume en quelques mots : né indien, il est devenu indien. Orphelin il est recueilli par son grand-père. Ours Rapide ne possède rien, une pauvre cabane de rondins. Mais c’est un résistant. Il vit de peu et ne manque de rien. A chaque instant il transmet à l’enfant, coutume, savoir, esprit, sagesse, histoire, esprit de révolte, la mémoire de cette vie indienne originelle, celle d’avant les blancs.

    Archie n’en échappera pas pour autant à la réalité indienne, celle des vaincus, condamnés à subir la honte, à supporter les outrages, le racisme des blancs, l’inaction forcée, les salaires misérables… A la mort de son grand-père, son oncle ne s’oppose pas à son instruction, il partagera le sort de ses enfants enfermés dans les pensionnats des missionnaires qui vous inculquent l’amour de Jésus à coups de fouets… Il s’échappera…  

    A dix-sept ans il trichera ( tout comme Gene Vincent ) pour s’engager en Corée, ce n’est pas qu’il ait envie de faire la guerre, c’est que l’avenir ne lui offre rien d’autre, si ce n’est traîner dans la réserve, boire, se mêler à des bagarres, une espèce de sauvageon pour reprendre une expression ministérielle…

    Des horreurs de la guerre de Corée il refuse de parler… à sa sortie il entame une longue période de soulographie, qui durera vingt ans, l’adopte une vie de conduite très simple, accepte n’importe quel boulot pourvu qu’il paye bien, finira par devenir cascadeur à Hollywood. Très vite il devient le spécialiste des cascades à cheval, c’est ainsi qu’il doublera Elvis Presley. D’Elvis il ne dit rien, sinon qu’il n’était pas le dernier à boire…

    Archie n’est pas tendre avec les réalisateurs et leurs conseillers (ethnologues et universitaires blancs) quant à leur représentation des indiens. Si en Europe Un homme nommé cheval a été reçu comme un western réhabilitant au plus près les modes de vie indienne, les critiques d’Archie frappées d’un simple bon sens historial ne sont point laudatives… Il parviendra toutefois à faire corriger certaines (comprenez pas toutes) grossières erreurs pour le second volet La revanche d’un homme nommé Cheval

    Quittera ce boulot lucratif, ne trouvera pas mieux, sera chasseurs de serpents, l’on sent poindre une lassitude, boit de plus en plus, se bagarre de plus en plus, tape sur les policiers qui viennent l’arrêter, passe ( plus de  deux cent fois ) devant le juge, finit au poste pour quelques jours, à peine libéré repart en courant vers le bar le plus proche dans lequel il ne manque pas de s’embrouiller avec le premier assoiffé qui passe à sa portée… jusqu’au jour où lassé de vingt années de beuveries il décide à la minute même d’arrêter…

    Sera chargé de prendre en main les jeunes indiens qui n’arrêtent pas de boire, d’entrer et de sortir de prison, l’est un expert, parvient à infléchir la sévérité des juges, devient visiteur  de prison, c’est là qu’il rencontre Leonard Peltier qui vient de s’évader mais qui s’est fait reprendre – cette tentative d’évasion ressemble d’ailleurs à une manipulation policière – la rencontre avec le leader charismatique de la cause indienne emprisonné à vie pour l’exemple et un crime qu’il n’a pas commis l’aidera à comprendre la signification d’une rencontre décisive antérieure de vingt années, alors qu’il se trouve pour la première fois de sa vie en face de son père.

    Il a vingt ans, et la femme s’avance vers lui, elle vient d’être violemment ovationnée par le public, elle est connue sur le circuit des rodéos, c’est elle qui fait des pitreries pour attirer l’attention du taureau sauvage qui vient de désarçonner son cavalier et qui s’apprête à s’acharner sur son corps, cette femme qui vient de descendre de son cheval, célèbre pour son courage, son audace et sa sveltesse, dans sa longue robe et ses tresses blondes, c’est son père !

    Sur le moment il tirera de cette première rencontre amertume et colère, c’est donc cela la fierté indienne, en être réduit à se déguiser en femme, pour faire le clown afin d’amuser un public majoritairement composé de blancs ! Mais maintenant il commence à comprendre, son père est un Contraire, un de ces hommes qui font le contraire de tout ce que la logique exige. Ne pas prendre celui qui s’essuie d’abord et qui ensuite se lave pour un farfelu, un fou, un caractériel, un idiot, rien n’est plus sérieux que cette attitude, elle est là pour rappeler que la majesté de l’Esprit qui commande aux choses et aux êtres vivants, n’est pas absolue mais relative, que le Tout est aussi constitué de son contraire, et qu’ainsi est affirmé la liberté de penser et d’agir des individus.

    C’est ce même père homme-médecine qui lui transmettra sur son lit de mort les pouvoirs spirituels afférents à sa charge. Dans la deuxième partie du livre Archie expose les mystères de sa religion, il explique longuement le sens des cérémonies sioux, des plus simples ou plus complexes, de la loge de sudation à la danse du soleil. Il décrit minutieusement les circonstances qui président à la tenue des rituels. Rapporte des anecdotes qui ont trait à la manifestation de l’Esprit.

    L’on ne dévoile pas des savoirs sacrés sans danger. Archie en est conscient. Il met en garde contre les faiseurs et les arnaqueurs. Les stages de sagesse indienne à 3000 dollars la semaine… L’on comprend qu’Archie qui a passé sa vie à revivifier les traditions indiennes sent très bien que son enseignement est voué à être phagocyté par le système d’appropriation mercantile importé par les blancs. Que l’identité indienne est menacée, qu’elle a peu de chance de survivre dans le monde qui vient…

    Dans une troisième partie Archie raconte sa vie quotidienne, il est marié, il donne des conférences un peu partout, aux Etats-Unis et en Europe. Il entre en relation avec les traditions païennes, trouve des points de convergences ou de troublantes similitudes entre d’antiques cérémonies européennes et indiennes, cherche à rencontrer les représentants de diverses religions du Pape ( très décevant ) au Dalaï Lama, des grottes préhistoriques au Renouveau druidique breton… donne l’impression de vouloir créer un front spirituel commun grâce auquel les traditions indiennes seraient préservées… Ressemble un peu à ces Chefs Indiens du dix-neuvième siècle qui avant d’être vaincus avaient compris qu’ils avaient déjà perdu la guerre. Triste, très triste.

    Damie Chad.

     

    LE VIBRATO MUNDI

    DIDIER LAUTERBORN

    ( St Honoré Editions  / Février 2022 )

     

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    Apparemment il existe deux Didier Lauterborn. Le premier est tout ce qu’il y a de plus dans la norme du moment. Ecrit des livres sur les plantes, ce n’est pas de sa faute, son grand-père tenait l’herboristerie de Manosque, un bon plan quand on est écrivain d’être originaire de la ville de Jean Giono, l’est dans l’air du temps, retour à la nature, les bonnes recettes de l’ancien temps, en plein dans la vulgate écologique, bref tout ce qu’il faut pour que l’on ne parle pas de lui dans un blogue rock ‘n’ roll. Oui mais il y a l’autre celui qui écrit des romans. Qui ne parlent pas de rock ‘n’ roll, ainsi dans celui-ci, son troisième, hormis quatre lignes sur un disque des Who, vous ne trouverez rien d’autre. Normal puisque ce n’est pas un livre sur le rock’n’roll.

    Donc il y a l’autre, le Didier Lauterborn qui n’est pas dans l’air (pollué) du temps, puisque ce n’est pas l’actuel, nous le désignerons par le vocable contraire et si nietzschéen d’inactuel, ce qui tombe bien puisque avant d’entrer plus avant dans ce roman nous nous devons de faire un petit détour par Nietzsche. Par l’aspect le plus controversé du philosophe, celui qui a commencé à inquiéter ses amis les plus proches, l’on est souvent trahi par les siens, ils n’ont pas manqué de faire remarquer que le premier signe tangent de la maladive folie de Nietzsche est apparu lorsque le solitaire d’Engadine a dévoilé son concept d’éternel retour. Comment donc ce génie supérieur qui était en train de mettre à bas vingt-cinq siècles de tradition philosophique s’en revenait aux vieilles lunes des fumeuses doctrines stoïciennes, quelle chute, la montagne himalayenne accouchait d’une souris liliputienne…

    Si le concept d’éternel retour a fait un flop, Nietzsche le présentait comme la pensée la plus lourde, celle qui vous retombait à coup sûr sur les pieds dès que vous tentiez de l’aborder. La preuve en est qu’aujourd’hui l’on ne s’attarde guère sur ce concept d’éternel retour, on lui substitue le concept d’éternel retour du même, ce qui  logiquement est absurde, car  le retour du même est impossible car si le même revient, il n’est plus le même mais justement le retour du même ce qui est très différent du même. Donc ce qui revient ce n’est pas le même, mais le retour. Mais le retour de quoi ? Elémentaire mes chers lecteurs watsoniens : le temps.

    C’est ici qu’il est nécessaire de faire preuve de finesse. Sans laquelle vous ne comprendriez rien au livre de Didier Lauterborn. Il est facile de se représenter le temps comme un cercle serpentaire qui se mord la queue, lorsque le cercle est terminé il recommence illico à l’instant même où il s’achève, certes il peut commencer éternellement, mais s’il recommence ainsi il ne peut s’arrêter éternellement, puisqu’il recommence… Ne regardez pas le pourtour du cercle mais la surface qu’il encercle, c’est ainsi que Parménide représentait l’Être éternel, à tout instant le cercle s’achève et recommence, en d’autres termes si vous suivez le pourtour vous restez dans la présence de l’instant qui passe, mais si vous considérez l’espace éternel décrit par la courbe qui l’entoure, vous comprenez que vous pouvez aussi bien marcher dans votre présence, que dans votre futur, que dans votre passé.

    Ce genre de raisonnement donne le vertige. Les esprits qui s’accrochent aux petites herbes de la paroi de l’abîme vous demanderont de révéler la preuve de vos dires. Le roman de Didier Lauterborn s’emploie à vous l’apporter. Il ne s’agit pas de dire mais de démontrer. L’a sa théorie. Ceci est du ressort de la mathématique et de la physique.  Nul besoin d’être fort en math. Vous pouvez suivre. Sans trop de mal. Mais sans trop de bien non plus. Disons qu’aux déductions intuitivement logiques du Tractacus Logicus de Wittgenstein, Didier Lauterborn use plutôt des démonstrations axiomatiques de l’Ethique de Spinoza. Le roman démarre sur du solide, difficile de trouver plus terre à terre et plus local, dans une propriété viticole, aux mains d’une grande famille, l’on se croirait dans une série télévisée, tout ce qu’il y a du plus classique, et d’autant plus rassurant que ça se passe à notre époque, le lecteur n’est en rien dépaysé… Pour la petite histoire Didier Lauterborn s’était lancé dans l’écriture d’un roman policier lorsque le confinement l’a emmené à revoir son projet. Brutalement enfermé chez lui il prit le temps de réfléchir, l’a eu l’opportunité comme tout le monde de se poser des questions, et pourquoi ceci et comment cela… Notamment du genre et pourquoi l’on est confiné et comment cela se fait-il… Heidegger l’affirme : si vous voulez savoir ce qu’est la philosophie, il suffit de se poser la question pour commencer à philosopher. Tout est question de synchronicité.

    N’empêche que les ouvrages d’Heidegger sont un peu astringents, alors Didier Lauberton vous a simplifié la tâche, vous raconte une histoire bizarre et étrange, qui se lit facilement, qui vous happe, et qui vous emporte, vous pouvez ne pas y croire, et le traiter de tous les noms d’alligators qui vous passeront par la tête, vous pouvez y croire et le considérer comme le nouveau prophète ou analyste politique des temps modernes, vous pouvez surtout vous mettre à réfléchir à votre tour et à vous demander ce qu’il veut dire en racontant son histoire. Le roman offre plusieurs niveaux de lecture. Notre présentation en a choisi une, il en est d’autres, beaucoup plus contemporaines et actuelles, chacun y trouvera ce qu’il y apportera. Essayez d’être subtil afin d’être utile à vous-mêmes.

    Un livre très rock’n’roll en somme.

    Damie Chad.