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elvis presley

  • CHRONIQUES DE POURPRE 704 : KR'TNT ! 704 :LAISSEZ FAIRS / BOBBY LEE TRAMMEL/ SWALLOW THE RAT / HAROLD BRONSON / OUTSIDERS / ASHEN / AC SAPPHIRE / KRATON / ELVIS PRESLEY / GENE VINCENT+ SLIM JIM PHANTOM

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 704

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 10 / 2025

     

      

    LAISSEZ FAIRS / BOBBY LEE

    SWALLOW THE RAT / HAROLD BRONSON

    OUTSIDERS / ASHEN 

    AC SAPPHIRE  / KRATON / ELVIS PRESLEY  

        GENE VINCENT +  SLIM JIM PHANTOM

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 704

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Il faut toujours Laissez Fairs

     (Part Three)

             Comme tout le monde, l’avenir du rock se fait régulièrement piéger dans des conversations. Boule et Bill prennent un malin plaisir à causer de tout ce qui n’a aucun intérêt : la fucking politique, le fucking football et pire encore, les fucking bagnoles.

             Boule est le plus irascible :

             — T’as vu, les Zémirats, y vont encore augmenter l’prix du diesel à la pomp’ !

             Bill en bave de rage :

             — Sont bons qu’à enculer leurs chameaux ! T’en penses quoi de tout c’merdier, avenir du stock ?

             — Faut toujours Laissez Fairs.

             Après une longue minute de silence, Boule relance la machine :

             — T’as vu, les Zémirats y zont tous des Essuvés et des smartfonnes dernier cri, c’est-y-pas une honte ! Ça a pas l’air de t’choquer, avenir du trock !

             — Faut toujours Laissez Fairs.

             Bill s’en étrangle :

             — Tu trouves ça normal que les Zémirats y roulent dans des gros Essuvés alors que toi t’as qu’un vieux diesel tout pourri ?

             — Faut toujours Laissez Fairs.

             Boule et Bill examinent attentivement la bobine de l’avenir du rock. Ils le considéraient jusqu’alors comme un mec équilibré. Un mec comme eux, un Français de souche, avec des valeurs morales. Cette fois, ils ne cherchent plus à dissimuler leur déception. Boule reprend d’un ton menaçant :

             — Alors t’es d’leur côté ?

             — Vous ne comprenez rien. Faut toujours Laissez Fairs.

     

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             Avant de rentrer dans le vif du sujet, un petit correctif de rubricage s’impose : ce Part Three fait suite aux Parts One & Two qui s’intitulaient ‘Le loup des Steppes’, en mémoire des Steppes, le premier groupe de John Fallon. Mais depuis, la Seine a coulé sous le Pont Mirabeau, les Steppes appartiennent au passé (1984-1997), alors qu’avec les Laissez Fairs, John Fallon montre la direction de l’avenir. Le rock c’est par où ? C’est par là !

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             Cryptic Numbers sera donc le septième album des Laissez Fairs. Les six premiers albums sont épluchés dans les Part One & Two du Loup des Steppes. Si tu demandes à John Fallon ce qu’il écoute, il te répondrait certainement ce qu’a répondu un jour Allan Crockford à la même question : «Syd Barrett and the ‘Hooo.» T’as au moins deux Whoish cuts sur Cryptic, «Steal The Whole World» et «(Live In A) Garbage Can». T’y retrouves l’énergie des Who. Même power explosif. C’est dynamité dans la couenne du lard. Cut vainqueur et glorieux. Tellement anglais ! Même chose avec ce «(Live In A) Garbage Can» qui prend feu. L’incendie des Fairs ! British glorious blow up ! Pire que les Who ! Fallon explose le freakbeat ! Quel démon ! T’as aussi deux cuts directement inspirés de Syd Barrett : «Jennifer Down» et «Living In The Summer». Le Jennifer sonne comme une belle descente aux enfers à la Syd. C’est terriblement barré. Fallon tape au cœur du Syd System, avec un petit Wall of Sound. On retrouve bien sûr l’enfer du paradis dans «Living In The Summer». c’est exactement l’esprit du Piper, avec le wild embrasement et l’éclat de la modernité. Pas de meilleur hommage au génie visionnaire de Syd Barrett. Et puis t’as la Mad Psychedelia du «Chapter Three» d’ouverture de bal. Ça sonne même comme une Mad Psyché à l’agonie, t’as là un son unique au monde, qui va bien au-delà de tes expectitudes. Fallon monte à l’assaut de la surenchère. Il rejette aussi sec tout son dévolu dans la balance pour «Cryptic Friend». Il balaye tout sur son passage, il hisse son Fallon Sound au sommet du rock anglais. Il rivalise de power carnassier avec les Prisoners. On le voit plus loin bourrer le mou de «That Final Road» avec un killer solo de gras double mal embouché. Il lance ensuite une grosse attaque frontale digne de The Attack avec «Idiot Proof». Même sens du punch vinaigré. Et dans les bonus, tu tombes sur un «Primrose Hill» stupéfiant, un shoot d’heavy psychhhh de Fallonmania claironné aux arpèges marmoréens. Les Fairs s’hissent au sommet du genre.

    Signé : Cazengler, John Falot

    The Laissez Fairs. Cryptic Numbers. RUM BAR Records 2025

     

     

    Rockabilly boogie

    - Trammell trame quelque chose

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             Sacré Bobby Lee Trammell  ! Il a 14 ans quand Carl Perkins le fait monter sur scène au Netleton High School Auditorium, Arkansas, pour chanter un cut. Ça se passe bien «and Carl told me I should go and see Sam.» Sam le reçoit, mais il est trop busy. Il lui dit de répéter et de revenir dans deux ou trois semaines. No way ! Bobby Lee est trop impatient. Il décide de partir en Californie tenter sa chance - I didn’t have time to wait for Sun which was very stupid of me - C’est the Country legend Lefty Frizzel qui lui donne sa chance : une residency au Jubilee Ballroom de Baldwin Park, California. Un Country promoter nommé Fabor Robinson lui propose un million de $, et Bobby Lee lui rétorque fièrement que ça ne l’intéresse pas. Il fait 225 $ à l’usine Ford de 75 $ au Ballroom, et ajoute encore plus fièrement qu’il n’aurait jamais gagné tout ce blé en Arkansas ! Ça fait bien marrer Fabor Robinson qui lui file sa carte et qui lui dit qu’il pourra venir le trouver une fois qu’il aura réfléchi. Alors Bobby Lee se renseigne sur Fabor et le lendemain, il va chez lui à Malibu pour auditionner. Un mois plus tard, son premier single sort, «Shirley Lee», enregistré chez Fabor Robinson, avec James Burton et James Kirkland du Bob Luman Band.

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             On peut l’entendre sur une belle compile Bear, You Mostest Girl. «Shirley Lee» ! Wild energy. At the utmost ! Bobby Lee va chercher la pointe du Raz du wild rockab. Il est indomptatable ! Aw shirley Lee you’re the girl for me ! - Dans la foulée, t’as «I Sure Do Love You Baby», gratté au heavy drive de James Burton. Et puis bien sûr, Burton passe un solo acide !

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             Et crack, Bobby Lee part en tournée à travers tout le pays. Il joue au Louisiana Hayride - This was when I really started to tear up on all the shows - Il dit aussi qu’il était «much wilder than Jerry Lee or Little Richard.» Tout le monde veut voir Bobby Lee. Son single s’arrache. Il se retrouve sur ABC. Ricky Nelson adore «Shirley Lee» et en fait une cover. Bobby Lee est invité à chanter au Ricky’s TV show, mais Ozzy, le père de Ricky, le trouve trop rock’n’roll et lui demande de calmer le jeu. Même histoire que celle des Burnette Brothers. Bobby Lee envoie Ozzy sur les roses et commet une grosse erreur. Eh oui, un peu plus tard, il est avec Dorsey Burnette le jour où Dorsey récupère son royalty cheque et c’est le choc : 10 000 $. Bobby Lee comprend qu’il a encore perdu une occasion de fermer sa gueule. À cette époque, 10 000 $, c’est une véritable fortune.  Il comprend qu’il aurait dû composer des cuts pour Ricky Nelson, comme l’ont fait Dorsey et Johnny Burnette.

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             Il enregistre son deuxième single au Western Recorders d’Hollywood, «You Mostest Girl», mais on lui colle un big band et une chorale, et ça ne lui plaît pas, mais alors pas du tout ! - All I did was cut a, $5,000 flop - Alors Fabor Robinson retente le coup dans son home studio et cette fois ça marche. Mais bizarrement, le single ne décolle pas. Alors que c’est une bombe ! Un fabuleux drive d’heavy rockab. L’hit de Bobby Lee. Pur genius ! Aussi génial que Gene Vincent à Nashville ! Bobby Lee y reviendra plus tard pour une deuxième mouture, et cette fois, il va sonner comme Elvis. En B-side de Mostest Girl, on trouve «Uh Oh» un fabuleux rockab insidieux. Quelle merveille sexuelle !

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             Il repart en tournée et choque les gens à travers le pays. On le trouve «downright vulgar, ten times worse than Elvis Presley.» Interdiction de rejouer au Louisiana Hayride. Pas de Grand Ole Opry non plus. Fini la rigolade. Mac Curtis qui s’y connaît en cats de haut rang le qualifie de «real fire and brimstone cat», ce qui vaut pour le plus brillant des compliments. Quand il part en tournée avec Jerry Lee, Bobby Lee entre en concurrence avec le plus sauvage d’entre tous.

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             Et puis pendant les sixties, il devient «the first American Beatle». Ses fans l’accusent de trahison, mais il s’en fout : il survit - I kept working and these Beatles helped me 100% - Il loue des salles pour jouer, car personne ne veut le programmer. Il enregistre «New Dance In France» avec Travis Wammack on lead guitar et Roland Janes à la prod. En 1977, il se retrouve sur Sun, mais pas celui de Sam, celui de Shelby Singleton à Nashville.

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             Ça vaut vraiment la peine de continuer à écouter cette belle compile Bear, You Mostest Girl. Il faut le voir sauter sur Susie Jane dans «My Susie J My Susie Jane», bien relayé au déboulé, mais moins rockab. Puis on le voit glisser petit à petit dans la country et même le convivial atrocement con («Love Don’t Let Me Down»). Il suit son petit bonhomme de chemin, et nous on suit les yeux fermés son petit bonhomme de chemin. Retour à l’excellence avec «Twenty Four Hours» et «Am I Satysfying You», c’mon honey ! Bobby Lee reste le best wild cat de choc in town. Retour fracassant au rockab avec «Come On And Love Me». Il claque son baby comme un punk. Laisse tomber Sid Vicious, écoute plutôt Bobby Lee. 

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             On s’amuse bien avec l’Arkansas Twist de Bobby Lee. L’album est enregistré chez Chips Moman. Les cuts du balda sont assez classiques, mais intentionnels - Carolyn you’re all mine - C’est très cousu de fil blanc. Bobby Lee fait du rock’nroll, pas du rockab. La viande se planque en B. «It’s All Yout Fault» te réveille en fanfare : bel heavy groove d’attaque magique, pur Memphis Beat ! On découvre un grand chanteur avec «Uh Oh» et un jeu  de caisse claire superbe. La B ne sonne pas du tout comme l’A. Plus loin, un orgue à la Augie Meyers challenge «New Dance In France». Extraordinaire ramalama ! Encore de l’heavy groove d’orgue derrière Bobby Lee dans «You Make Me Feel So Fine». Quelle viande extravagante ! Bobby est un prince du Memphis Beat. Il a le meilleur son du monde. Il tape pour finir une cover de «Whole Lotta Shakin’». Bien sûr, il n’a pas la voix de Jerry Lee, mais il a du son et une stand-up énorme. Tu assistes ici à une fabuleuse montée en neige du Memphis Beat, un truc que reprendra à son compte Jim Dickinson. Mais là,  c’est  Chips  qui drive la bête et il transforme Bobby Lee en superstar !

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             Sur Toolie Frollie, Bobby Lee Trammell tape une belle cover de «Chantilly Lace». Grosse pulsion rockab et superbe presta du big Bobby Lee ! Il attaque son morceau titre d’ouverture de balda au pah pah ouh mah mah. Il a un petit côté Hasil Adkins. Bobby Lee reste un rocker assez puissant comme le montre «Betty Jean», tapé au pilon des forges. Il flirte avec le stomp. Son «Skimmy Lou» est plus rock’n’roll, mais avec une belle vitalité. Il ne mégote pas sur l’énergie. Avec «You Make Me Feel So Fine», on retrouve le rumble d’orgue d’Arkansas Twist. Il tape à la suite un fantastique boogie avec «Come On And Love Me». Il chante ça d’une voix de voyou qui guette le pékin moyen au coin de la rue. En B, il tape à l’efflanquée un slow rockab de classe supérieure, «Twenty Four Hours». On retrouve aussi le «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On» de Jerry Lee et sa fantastique pulsion.   

    Signé : Cazengler, Trammell toi de tes oignons

    Bobby Lee Trammell. Arkansas Twist. Atlanta Records 1963

    Bobby Lee Trammell. Toolie Frollie. Dee Jay Jamboree 1984

    Bobby Lee Trammell. You Mostest Girl. Bear Family Records 1995

     

     

    L’avenir du rock

      Rat crawl

             Comme chaque année à la fin de l’été, l’avenir du rock convie ses amis à venir faire bombance sous son toit. Les voici attablés, prêts à festoyer. L’avenir du rock se lève et, s’aidant d’un petit clic-clic-clic de plat de couteau sur le cristal du verre, demande un moment de calme pour prononcer l’allocution de bienvenue :

             — Mes chers potes... Merci d’avoir ramené vos tronches de cakes.

             Les convives sourient mais n’en pensent pas moins. D’ordinaire, le langage de l’avenir du rock est un peu moins vernaculaire. Ceux qui le connaissent bien savent qu’il prépare un coup. Il poursuit, avec un bel accent des faubourgs : 

             — C’est un honneur que d’partager une gamelle avec des lascars d’vot’ acabit !

             Harold Ding ajuste son monocle et lance :

             — Tout l’honneur est pour nous, vieille branche !

             — Trêve de balivernes, les mecs ! Il est grand temps d’annoncer l’thème de la gamelle... Cette année, c’est le rat !

             Les convives s’attendent au pire. L’avenir du rock est tellement friand de trash qu’il est capable de lâcher des rats dans la pièce. Pour briser le silence qui suit l’annonce, Jean-Jean Valjean lance d’une voix de dindon inverti :

             — Dead cats dead rats ! Break on Trou to the river side !

             Jason Zon reprend la balle au bond :

             — Et si tu nous versais un coup de Rat Scabibine ?

             Émerveillé par la rock-inventivité de ses amis, l’avenir du rock éclate de rire. Sans transition, il annonce le plat de résistance, servi par deux putes : elles déposent devant chaque convive une assiette contenant un gros rat bouilli, complet, avec la queue.

             — Fini de rigoler, les gars, Swallow The Rat !   

     

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             Au temps d’avant, Third World War chantait «Doin’ the rat crawl». Le rat est toujours là, mais sous une autre forme : Swallow The Rat, un trio basé en Nouvelle-Zélande. Si tu creuses un peu, tu découvres que le guitariste est un expat texan. Et quand tu le vois jouer, tu sens nettement poindre en lui le vétéran de toutes les

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    guerres. Il s’appelle Brian Purington et il a joué dans des tas de groupes d’Austin, on ne va pas aller se fourvoyer là-dedans, car on y passerait la journée, et c’est un underground beaucoup trop ténébreux qui, comme beaucoup de choses, dépasse nos capacités limitées d’appréhension.

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             Swallow The Rat est un trio dont la loco s’appelle Hayden Fritchley, grand maître de l’hypno beat après Jaki Liebezeit. Fritchley est en plus l’une de ces perles rares qu’on appelle les batteurs chanteurs. Il tient bien la boutique du Rat. Et pour compléter le casting, t’as de l’autre côté de la scène un bassmatiqueur affûté qui fourbit un son rond et parfaitement appareillé au rat crawl. Tu rentres assez rapidement dans leur univers, car ils cultivent l’un des plus beaux Big Atmosphérix qu’on ait vus depuis le temps des Bury, et même le temps des Pixies. Dès qu’il écrase

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    sa grosse pédale Fuzz War, Purington déclenche l’apocalypse. Ce sont des apocalypses dont on raffole, car elles te jettent dans des tourbillons, elles te mettent la compréhension sens dessus sens dessous, elles t’évacuent en vrac dans l’havoc avide, elles te vident de ton vain, elles t’évident les ovaires, elles t’avalent les ovules, elles te volent ton havre, tu subis rubis sur l’ongle et tu dis amen quand ça s’amène,

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    t’es là pour ça, pour te faire éviscérer la cervelle, pour subir la tempête au Cap Horn, pour recevoir des gros paquets de mer en pleine gueule, et le Purington n’y va pas de main morte, il gratte des accords inconnus et se penche sur son manche pour faire jaillir des jus aigres et du poison sonique. S’il avait vécu au Moyen-Age, l’Inquisition l’aurait envoyé au bûcher. Les Swallowers ont le power, ils bâtissent de grandes zones hypno pour mieux sauter dans l’abîme. Sous sa casquette, Purington ourdit de sacrés complots contre l’équilibre sociétal. Il génère à la fois de la beauté et du chaos, c’est un sorcier des temps modernes.

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             Tu ramasses leur dernier album, South Locust, même si tu sais que tu ne vas pas retrouver l’intensité atomique du set. Mais au moins t’auras les carcasses. Et quelles carcasses ! Tu y découvres un truc qui t’a échappé pendant le concert : la

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    proximité avec l’early Sonic Youth. C’est flagrant dans deux cas : «Gravois Park» et surtout le «Cave» qu’ils ont joué dans la cave. C’est noyé d’excelsior, complètement soniqué du bilboquet. T’as du solide vrac d’havoc, ils font le lit du bedlam, ils traînent vraiment sous les jupes de Sonic Youth, mais en beaucoup plus pernicieux. L’autre smash joué dans la cave s’appelle «ZZK», un cut monté sur un mötorik à la Can, mais féroce, avec un bassmatic d’attaque frontale sur lequel Purington verse du vinaigre. Tu raffoles de cette morphologie. Tu retrouves aussi l’agressif «Idea Of South», ils écrasent tout sur leur passage, c’est noyé de big sound, ils te font le coup du flush suprême. Tu les prenais déjà au sérieux, et là c’est encore pire. On sent bien le wild as fuck dès le «Terra Nullius» d’ouverture de bal. Ils sont gavés de son comme des oies, Purington bâtit un gigantesque Wall of Sound. Tu retrouves ce bâtisseur dans «Chain Mail», ça dégouline d’heavyness maléfique, il te barde tout ça d’outrance, t’as l’impression que ça te colle à la peau. «Mind» est encore plus dangereux pour ta santé mentale, car c’est bien heavy, bien sans peur et sans reproche, solidement implanté dans la paume du beat. Fabuleuse essence d’excelsior parégorique ! Les cuts sont parfois très insidieux, comme ce «Small Plates», mais tellement volontaires, tellement rentre-dedans. Le déluge de feu est leur raison d’être.

    Signé : Cazengler, rat d’égout

    Swallow The Rat. Le Trois Pièces. Rouen (76). 15 septembre 2025

    Swallow The Rat. South Locust. Shifting Sounds 2023       

    Concert Braincrushing

     

    Wizards & True Stars

     - Harold on, I’m coming

     (Part Three)

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             Tiens revoilà le p’tit Harold Bronson, légendaire co-fondateur de Rhino. Rhino ? Mais  oui, bien sûr ! Rhino est à l’Amérique ce qu’Ace est à l’Angleterre, un gage de qualité. Aussi s’empresse-t-on de lire tout ce que gribouille le p’tit Harold. On l’aime bien, par ici. 

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             My British Invasion est son troisième book, et comme les deux précédents, c’est un book de fan extrêmement bien documenté. Bon d’accord, le p’tit Harold, c’est pas un styliste de la trempe de Stendhal ou de Louis Aragon, mais on ne lui en demande pas tant. Aussi longtemps qu’il nous racontera des histoires intéressantes, on lui ouvrira les bras.

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             Il procède par chapitres thématiques (Troggs, Spencer Davis Group, Manfred Mann, etc.). Il aborde aussi des thèmes que peu de gens songent à aborder : Emperor Rosko, les radios pirates, Granny Takes A Trip, Mike Chapman de Chinnichap, et quand il débarque à Londres, c’est pour interviewer Mickie Most. Notons aussi que ses chapitres sur le Spencer Davis Group et les Troggs sont pointus. 

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             Dans sa préface, il se plait à rappeler que l’Apple Records des Beatles servit de modèle au concept de Rhino Records - Conçu en août 1968 with high ideals, Apple incarnait la qualité que les fans pouvaient attendre des Beatles - Il cite d’ailleurs l’ouvrage de Richard DiLellos, The Longest Coacktail Party, qui narre le détail du «large number of naïve, absurd, hubristic and delusional projects.» Le p’tit Harold s’empresse d’ajouter que son collègue Foos et lui «did a lot of crazy things, but we always tried to keep our heads on straight.» En plus des disks, Rhino a aussi sorti des films et des books, ce qui n’est pas courant chez les record companies. Et comme Ace, Rhino s’est spécialisé dans les reds - Our goal was to provide an excellent package - des liners bien écrits et des photos rares - and a superior-sounding album.

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             Comme on le sait depuis Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007, le p’tit Harold tenait un journal, et pour son panorama de la Brisish Invasion, il démarre en 1971, quelques années après la bataille. Il voit Sabbath sur scène (qui sont d’actualité, puisque l’Ozz vient de casser sa pipe en bois). Il les voit en septembre 1971 au Long Beach Arena. La foule est jeune dit-il et il se sent vieux, alors qu’il n’a que 21 ans - Black Sabbath’s music was simple but solid - Voilà tout est dit. Il est enchanté par le «good-natured demeanor» de l’Ozz, en contraste avec le sérieux des trois autres cavemen. Il aura l’occasion d’interviewer l’Ozz un an plus tard et le trouvera charmant - a willing and engaging conversationnist - qui avoue humblement que les Beatles sont ses chouchous. L’Ozz rêvait même de voir sa sœur épouser Paul McCartney. Puis c’est avec l’«heavy guitar sound» de «Really Got Me» que l’Ozz dit avoir découvert sa vocation.

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    Le p’tit Harold rencontre aussi Emitt Rhodes qui, comme McCartney, vient d’enregistrer un album solo sans titre tout seul. Il avoue ensuite sa déception à l’écoute d’Exile On Main Street - Few tracks were of a high standard - Les «songs» comme il dit sonnent comme des «uninspired jams and the sound was muddy.» Il trouve aussi que Keef chante mal son «Happy». Il voit aussi Ramatam sur scène au Whisky. Il trouve Mitch Mitchell pas très bon, April Lawton charmante, mais ça ne suffit pas à cacher la misère des «mediocre songs and arrangements». Et puis t’as Mike Pinera, l’ex-Iron Butterfly. Toute une époque ! Il règle aussi son compte au School’s Out d’Alice Cooper et ses «many negligible tunes». Mine de rien, on est d’accord avec le p’tit Harold sur pas mal de choses.

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             Après un vaste chapitre consacré aux Herman’s Hermits, il passe enfin aux choses sérieuses avec Manfred Mann. Il commence par demander à son lecteur : quel est le the most proficient British Band ?, c’est-à-dire compétent - Les Beatles ? Les Rolling Stones ? Les Yardbirds ? Les Who ? My answer; Manfred Mann - Il commence par les décrire, Manfred Mann et son collier de barbe, et les autres qui semblent se réveiller d’une nuit passée à dormir sur le plancher, mais, ajoute-il, «comme ils ne sont ni des bad boys comme les Stones, ni aussi charismatiques que les Beatles, ni des flashy showmen comme les Who, alors ils ne retiennent pas l’attention.» Le p’tit Harold rappelle que les deux Jones s’entendaient bien, à l’origine des temps, le Paul et le Brian. Ils enregistrent une cassette pour Alexis Korner, espérant décrocher un job au Ealing Jazz Club. Mais ça ne marche pas. Alors Brian demande à Paul s’il veut bien monter un groupe avec lui et Keef. Paul décline l’offre, car il vient de s’engager avec Manfred Mann. Il va vite devenir une «consumate pop idol». Manfred Mann vient du jazz et il comprend que s’il veut survivre, il doit enregistrer des commercial singles - It was jazz men trying to make a living - Puis Paul Jones quitte Manfred Mann. It was devastating. Il sera remplacé par Mike d’Abo.

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             Le p’tit Harold passe tout naturellement aux Yardbirds - I rank the Yardbirds third to The Beatles and The Rolling Stones on artistic innovation - Quand Clapton quitte le groupe, tout le monde est soulagé. Jeff Beck qui le remplace ne supporte pas de voir l’asthmatique Keith Relf sortir son atomiseur sur scène. «I’m joining an asthmatic blues band», s’exclame-t-il. Beck a tout de même des bons souvenirs des Yardbirds, surtout du soir où Giorgio Gomelsky l’a emmené voir jouer Howlin’ Wolf dans un club : «There were Negroes standing and sitting everywhere eating chicken and rice. And up the stage was Howlin’ Wolf dressed in a black dinner jacket and sitting on a stool playing some battered old guitar.» Les Yardbirds considèrent Giorgio comme le 6e membre du groupe. Ils le surnomment Fidel Castro. Mais il y a un problème de blé. Ils ne pensent pas que Giorgio les arnaque, mais c’est un mauvais gérant - He was bad with finances - Alors ils le virent, et bien sûr, ça lui brise le cœur. Simon Napier-Bell devient alors le manager des Yardbirds en avril 1966. Il les trouve charmants, «gentle souls with good manners». Mais ce n’est pas la même ambiance qu’avec Giorgio, le contact ne se fait pas. C’est là que les Yardbirds enregistrent Roger The Engineer. Puis ils sortent «Over Under Sideways Down» : Jeff Beck sort le riff sur sa fuzz-tone guitar. Pour le p’tit Harold, «Jeff is brillant. In my opinion, the best playing of his carrer was with the Yardbirds.» Et quand Samwell-Smith quitte les Yardbirds, «they lost the creative heart of the band.» C’est là qu’arrive Jimmy Page. Jim McCarthy raconte : «On jouait en Écosse, Beck et Page portaient des vestes militaires avec des German Iron Crosses et on leur a craché dessus. Jimmy seemed interested in instruments of perversion. Every now and then he’d talk about the Marquis de Sade.» Les Yardbirds passent à la vitesse supérieure. Mais Jeff Beck décroche, rate des concerts, et quand il joue, il commence à démolir son ampli. Il ne supporte plus d’entendre l’atomiseur de Keith Relf pendant qu’il passe un solo. À force d’absences et de sulking (c’est-à-dire qu’il boude) Jeff Beck est viré - He was more from a car mechanic background - et Chris Dreja d’ajouter : «He’s a slightly out of control egomaniac.» Les Yardbirds ne sont plus que quatre. Jim McCarthy : «The four of us was the best combination we’d had.» Simon Napier-Bell finit par se laver les mains du groupe, les qualifiant de «miserable bloody lot» et trouve que Paul Samwell-Smith et Jimmy Page sont les plus «troublesome». Il les refourgue à Mickie Most. C’est là que Peter Grant devient leur manager. On connaît la suite de l’histoire.  

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    Rosko sur RTL

             Parmi les objets de curiosité, le p’tit Harold épingle Larry Page qui fut manager des Kinks avant de se faire virer, puis manager des Troggs. Le p’tit Harold le rencontre, le trouve ni flamboyant ni excentrique, but he was a character. Dans le chapitre qu’il consacra à Rosko, il nous apprend que Rosko est américain, qu’il a grandi à Beverly Hills et qu’il fit embaucher Sly Stone dans une radio de San Francisco. Comme il avait appris le français au collège, Rosko s’installa à Paris et fit le DJ pour Eddie Barclay. Il étendit son règne impérial sur Radio Caroline et Rhino rêvait de consacrer un docu aux Radios Pirates. Le p’tit Harold évoque bien sûr Ronan O’Rahilly qui transforma un ferry néerlandais en Radio Pirate qu’il baptisa Caroline, en l’honneur de la fille de JFK récemment dégommé. Il avait paraît-il un buste de JFK dans son burlingue et lorsqu’il voyageait, il le faisait incognito, signant les registres du nom de Bobby Kennedy.

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             Le p’tit Harold rencontre aussi Andrew Lauder à Londres, qui vient tout juste de lancer un «local power trio», the Groundhogs. Il rencontre aussi Roy Wood qui n’est pas un «great concersationalist». Ses réponses sont courtes et conventionnelles. Roy Wood cite John Barry parmi ses références. Il dit aussi admirer Led Zep et les Carpenters. Le p’tit Harold rencontre aussi Hawkwind et trouve Lemmy «amiable despite  his intimidating 1950’ rocker look». Le p’tit Harold trouve le son d’Hawkwind «similar to Black Sabbath’s, mostly based around riffs», avec des hippie folk roots. Il ajoute qu’on qualifie leur son de space rock. Au moment où le p’tit Harold les voit, Robert Calvert vient de les quitter. Bien sûr, Lauder refile au p’tit Harold l’album que vient d’enregistrer Calvert, Captain Lookheed & The Starfighters - I preferred it to Hawkwind which I felt had been diminished by Calvert’s departure.

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              Le p’tit Harold rencontre Spencer Davis en 1971, longtemps après la bataille. Premier rappel : le Spencer Davis Group vient de Birmingham, deuxième ville d’Angleterre après Londres, d’où viennent aussi les Moody Blues, les Move, la moitié de Led Zep et bien sûr Sabbath. Quand il monte le Spencer Davis Group, Spencer Davis est déjà un vieux de la vieille : en 1962, il se produisait dans les coffeehouses berlinoises : il chantait Woody Guthrie, Joan Baez et Ramblin’ Jack Elliott. Puis à Birmingham, il voit le Muff Woody Jazz Band et note que le très jeune Stevie Winwood «played piano like Oscar Peterson, and he was incredible. He played the melodica in addition to singing». Il n’avait pas encore 15 ans et sonnait comme Ray Charles, «and it just knocked me sideways.» C’est là que Spencer Davis lui propose de monter un groupe. Stevie accepte à condition que son frère Muff soit de la partie. Ils récupèrent Peter York qui est un jazz drummer, et le Spencer Davis Group démarre en avril 1963. Tout le monde se met d’accord sur le nom de Spencer Davis Group. C’est toujours mieux que The Rhythm And Blues Quartet. Ils commencent à écumer la scène locale, et dans le public se trouvent des gens comme Robert Plant et Noddy Holder. Chris Blackwell leur décroche un contrat chez Fontana en août 1964. Ça ne traîne pas. Ils commencent par des covers : «Dimples» (John Lee Hooker), «Every Little Bit Hurts» (Brenda Holloway). Mais leurs premiers singles floppent, Puis ils tapent dans le «Keep On Running» du Jamaïcain Jackie Edwards, ils virent le côté ska pour le remplacer par un riff de fuzz inspiré de celui de Keef dans «Satisfaction». Gros succès. Puis attiré par l’hippie folky folkah, Stevie Windwood annonce son départ. Sa décision fait des ravages dans le groupe, alors que leur single «I’m A Man» est encore dans les charts. Et bien sûr, lors de son interview avec le p’tit Harold, Spencer Davis indique qu’il n’a jamais été payé au temps du Spencer Davis Group - On paper I had a lot of money, in the bank I had nothing. Where was it after all those smashes? - Dans la poche de Blackwell, de toute évidence. Classique.

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             On passe aussitôt aux Kinks et à «Really Gor Me», loud and raw comme chacun sait. Le p’tit Harold précise que Ray Davies avait son propre style, comme Dylan avait le sien. Par contre, Nicky Hopkins n’a pas une très haute opinion des Kinks : «Après le Village Green LP, j’ai arrêté de bosser avec eux. Ils ne m’ont pas payé pour les sessions, et j’ai fait aussi pas mal de télés avec eux. Je suis vraiment dégoûté. Sur l’album, Ray est crédité pour le chant, la guitare et le piano. Jeez ! I did seventy-five percent of the keyboard work and I didn’t get the proper credit. Je ne travaillerai plus jamais pour lui. They’re greedy bastards. Ray Davies is so tight his arse speaks when he walks.» Et crack !    

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             Au début de l’histoire des Troggs, on retrouve Larry Page. Après avoir été viré et poursuivi en justice par les Kinks, Larry Page ne rêvait plus que de vengeance. Pour ça, il devait trouver un autre groupe et en faire des hitmakers. On lui recommande les Troglodytes. On lui dit que leur cover de «Really Got Me» est meilleure que la version des Kinks. Page tient sa vengeance. Il signe le groupe et les rebaptise Troggs, comme il avait rebaptisé les Ravens en Kinks. Puis il rebaptise Reginald Maurice en Reg Presley et Ronnie Mullis en Ronnie Bond. Il demande ensuite à la boutique Take 6 de leur tailler des costards. Ce sont les fameux costards rayés qu’on voit sur la pochette du premier album des Troggs. D’une certaine façon, Larry Page a dû reformater ces quatre lascars originaires d’Andover, un bled paumé de l’Hampshire dont on qualifie les habitants de «country bumpkins» ou encore d’«hicks from the sticks». Larry Page leur fait enregistrer leur premier single sur du rab de temps de studio et Reg raconte qu’ils ont dû installer leur matos en un quart d’heure pour enregistrer ensuite «Wild Thing» et «With A Girl Like You» en vingt minutes. Reg dit aussi qu’il fait un solo d’ocarina, parque qu’il y en avait un sur la démo que Page leur a refilé. Les 45 minutes de leftover studio time ont été assez rentables puisque «Wild Thing» et «With A Girl Like You» ont été deux number ones, l’un en Angleterre et l’autre aux États-Unis. Ils enregistrent ensuite leur premier album en trois heures. Les cuts ne sont même pas terminés quand ils entrent en studio. Ronnie Bond raconte que Reg écrivait les paroles pendant que les trois autres enregistraient les backings. Le p’tit Harold indique que, comme les Beatles, les Troggs chantent des chansons d’amour, mais il ne s’agit pas du même amour : les Troggs privilégient un «lust-driven, sexually insatisfied caveman intent on ripping off the dress of the nearest appetizing girl and having a go at it.» Si les Troggs plaisent tellement à une certaine catégorie de la population, c’est sans doute à cause ou grâce à leur «we’re-tough-we-don’t-care punk attitude». On qualifie leur son de «simple» et le p’tit Harold les compare volontiers à Sabbath et aux Ramones. Quand on propose au gros billet aux Toggs pour une tournée américaine et un passage à l’Ed Sullivan Show, Larry Page refuse, car, radin comme il est, il craint de perdre de l’argent sur la tournée. Quand le Troggs apprennent la triste nouvelle, ils sont écœurés car bien sûr la décision a été prise sans eux, alors qu’ils rêvaient d’aller jouer aux États-Unis. Résultat : Page est viré. Ça fait tout de même la deuxième fois qu’il est viré par un groupe qu’il a lancé. Ce qui ne l’empêchera pas de sortir Trogglodynamite sans le consentement du groupe. Le p’tit Harold trouve que cet album est nettement inférieur au premier, ce qui est parfaitement juste. Mais après avoir viré Larry Page, les Troggs n’auront plus jamais un autre hit. Et bien sûr, l’Ozz adorait les Troggs et leur «very sexual» aspect.

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             Le p’tit Harold consacre l’un de ses plus gros chapitres au Dave Clark Five et plus précisément à Dave Clark qui débuta en achetant un drum set pour deux livres à l’Armée du Salut et qui apprit les rudiments. Un Dave qui avait quitté l’école à 15 ans, mais qui avait un sens aigu des affaires. Très tôt, il monte une publishing company pour le Dave Clark Five - Dave was a controlling person - C’est un mec spécialisé dans les arts martiaux, dont le karaté. Dave est aussi le producteur du Dave Clark Five, ce qui est nouveau à l’époque. Il trouve une combine pour avoir de l’écho sur «Glad All Over», son premier big hit. Dave est aussi le manager du groupe. D’instinct, il sait prendre les bonnes décisions et sait choisir ses collègues. Mike Smith est le musical genius du groupe, pianiste formé au conservatoire et co-auteur d’hits avec Dave. En 1964, Dave fait signer un contrat de 5 ans aux membres du groupe. Il les salarie : 50 £ par semaine, quatre semaines de congés payés et pas de royalties sur les ventes de disks. Ils devaient en outre rester disponibles 24 h/24, ils devaient prendre soin de leurs instruments, et suivre les consignes de Dave en matière de look : fringues et coupes de cheveux. Le line-up n’a pas bougé pendant les 9 ans qu’a duré le groupe. Petite cerise sur le gâtö : Dave, que le p’tit Harold surnomme Handsome Dave, est l’épitome du charme, quand il s’adresse à une gonzesse, il lui dit «luv» et se plaint qu’il est impossible de trouver une bonne tasse de thé aux États-Unis. Le Dave Clark Five plait tellement à Ed Sullivan qu’ils seront invités 12 fois dans son show, «more than any other rock band». Pour les tournées américaines, les DC5 rachètent un jet privé aux Rockefeller. Ils font peindre DC5 en grosses lettres sur le côté. Ils font 6 tournées américaines et du coup, le DC5 a plus d’hits aux États-Unis qu’en Angleterre. On qualifie leur son de «Tottenham Sound», ce qui les distingue du Mersey de Liverpool et de Londres. En 1965, ils sont plus populaires que les Herman’s Hermits et les Stones. Dave arrête le groupe en 1967. Bien sûr, Rhino veut leur rendre hommage avec une box, vu que les albums n’ont jamais été réédités. Dave qui avait récupéré les masters refusait de les céder. Il pensait qu’en bloquant les rééditions, la cote du DC5 allait monter. Et Comme il avait investi dans l’immobilier, Handsome Dave n’avait pas besoin de blé. Mais la cote du DC5 n’a jamais monté. Loin des yeux loin du cœur, comme on dit. Le p’tit Harold a beaucoup insisté pour convaincre Handsome Dave de faire une box en hommage au DC5, mais Handsome Dave a toujours dit non. 

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             On retrouve aussi l’interview de Mickie Most publiée dans Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007, où Mickie explique qu’il n’a pas voulu produire les Stones car il les trouvait trop indisciplinés, arrivant en studio à minuit, alors qu’il voulait être rentré chez lui de bonne heure pour dîner en famille. L’interview de Mike Chapman est intéressante. Chinninchap ont d’une certaine façon inventé en glam. Mais le hits glam anglais (Mud, Showaddywaddy, Cockney Rebel, Slade et Wizzard) ne sont pas des hits aux États-Unis. Chapman bosse comme barman dans un club qui appartient au père de Nicky Chinn, et c’est là qu’ils se rencontrent. Ils  décident d’écrire des chansons ensemble et en 1971, ils démarrent avec «Funny Funny» pour les Sweet. Mickie Most prend Chinninchap sous son aile et leur demande de pondre des hits pour les glamsters qu’il enregistre sur son label RAK. Alors ils pondent. Cot cot ! Suzi Quatro, Mud, et puis Sweet. Quand ils se mettent au boulot, ils commencent par le titre, puis ils travaillent la mélodie et finissent avec les paroles. Ils composent «Little Wally» pour Sweet - Little Willie Willy won’t go home - Le côté comique de l’histoire, c’est que Willie est le slang de pénis. Chapman pense qu’il faut aller bosser aux États-Unis et il produit des albums pour Rick Derringer, Smokie, Suzi Quatro et Blondie.

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             On garde le meilleur pour la fin : Marc Bolan, John Lydon et les Zombies. C’est là où le p’tit Harold casse bien la baraque. Il est assez fasciné par Marc Bolan, il qualifie son style vocal de «subtle, sensual, direct and snarlingly animalistic.» Il le trouve très anglais, assez proche de Ray Davies, «and a dedicated follower of the fashion, modeling a magnetic gold-threated coat, black satin pants and girls orange Mary Jane shoes.» Quand le p’tit Harold lui demande pourquoi il ne joue pas de solos, Marc lui répond sèchement : «I do. On stage.» Il rappelle que «Get It On» sur scène dure 20 mn - I blow my head off and I play to the audience - Il s’enflamme et lance : «Look out, man, I’m really Marc Hendrix!» Il se calme un peu et rappelle qu’il n’a jamais été un «folkie» - I started with an electric rock band which was called John’s Children. I started with a 1962 Les Paul and a 400-watt stack.» Marc remet les pendules à l’heure : «There were three records: ‘My White Bicyle’ by Tomorrow, ‘Granny Takes A Trip’ by the Purple Gang and ‘Desdemona’ by John’s Chidren. Dynamite records. Dynamite! Those records are what you would call turntable hits. They got mass airplay - mass - but they didn’t sell a fucking record because they were three years too soon. Each one would be a number one, no doubt about it.» Il ajoute que l’underground a mis du temps à s’établir en Angleterre. Marc rappelle qu’il est monté sur scène en première partie de Van Morrison à l’âge de 17 ans. Le p’tit Harold lui demande pourquoi il a quitté les John’s Children et Marc dit qu’ils voulaient faire de lui un Monkee - When I left John’s Children, they took my guitar away. They took my Les Paul and sold it. They took my stack and sold it - Puis Marc va commencer à démystifier le star system - Don’t believe there’s security in being a star - Il indique au passage qu’il n’y a de sécurité nulle part, puisqu’on va tous mourir. Il espère pouvoir conduire le Royal Philharmonic Orchestra «because that’s what I hear in my head. If not, I’ll retreat into my country Welsh island and disappear. I’ll send bootlegs out.»

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             Le p’tit Harold est fan du Lydon’s book, No Irish No Blacks No Dogs. Il rêve de tourner un film adapté du book. Il rencontre Lydon à Santa Monica. Lydon a grossi. Le p’tit Harold le qualifie de «good conversationalist». Il faut trouver un scénariste pour adapter le book. C’est Jeremy Drysdale. Il passe 8 heures avec John Lydon et ils descendent 36  bières. Mais le projet va se casser la gueule. John Lydon demande si son personnage peut être joué par une femme, ou un gosse black, ou un vioque. Sur le moment c’est perçu comme une mauvaise idée, sauf que Todd Hayes va l’utiliser dans son portrait de Dylan, I’m Not There - I guess John was ahead of his time.

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              Autre groupe fétiche : les Zombies - Low budget horror movies were the rage with teens in the early sixties, so it was no surprise that original bassist Paul Arnold sugested ‘The Zombies’ - En 1964, ils ont déjà un problème de look - They looked like erudite schoolboys. Two even wore glasses - Le p’tit Harold se marre bien quand il ajoute que s’ils avaient été managés par Larry Page, celui-si les aurait déguisés en chimistes avec des blouses de laboratoire et des éprouvettes fumantes.   Comme «She’s Not There» se retrouve dans le Top Five américain, les Zombies sont expédiés vite fait au Murray the K’s Christmas Show at the Brooklyn Fox Theater. Ils se retrouvent à la même affiche que «Chuck Jackson, Ben E. King & The Drifters, The Shirelles, Dick & Dee Dee, The Shangri-Las, Patti LaBelle & The Bluebells, The Vibrations, Dionne Warwick, The Nashville Teens and The Hullabaloos.» Difficile à croire nous dit le p’tit Harold, mais les Zombies ont une grosse influence sur des gens comme les Byrds, Vanilla Fudge et Left Banke qui jouent des Zombies covers sur scène. Peu de temps après, nos cinq Zombies sont de retour aux États-Unis pour participer au Dick Clark Caravan of Stars, en compagnie de «Del Shannon, Tommy Roe, The Shangri-Las et dix autres artistes.» Ils arrivent aux Philippines pour jouer devant 10 000 personnes à l’Arenata Coliseum et on leur donne 300 $ à se partager en cinq. Ils sentent qu’il y a une petite arnaque. Puis on leur confisque leurs passeports et on leur donne des gardes du corps, pour soit-disant assurer leur sécurité. Les Zombies craignent pour leur vie. Rentrés au bercail sains et saufs, ils enregistrent Odessey & Oracle pour 4 000 $ (alors que les Beatles en avaient claqué 75 000 sur Sgt Pepper) et le p’tit Harold trouve que les chansons des Zombies sont bien meilleures que celles de Sgt Pepper. C’est le graphiste Terry Quirk qui s’est vautré en dessinant le titre : Odessey plutôt qu’Odyssey, mais personne ne l’a vu. Comme Rod Argent et Chris White empochent des royalties de compositeurs, les autres sont jaloux. Ils se plaignent de devoir prendre le métro alors et Rod et Chris roulent en bagnoles de sport. Et c’est là que le groupe splitte. Les trois autres sont obligés de prendre des jobs pour manger et payer leur loyer, car le groupe en tant que tel ne rapporte pas assez. Colin Blunstone bosse comme agent d’assurance, Hugh Grandy vend des bagnoles, et Paul Atkinson bosse dans une banque. Deux ans plus tard, ils sont tous de retour dans le music biz, Colin avec sa carrière solo, Hugh chez CBS, et Paul comme A&R chez CBS. L’un des premiers groupes que signe Paul n’est autre qu’Abba. De passage à Londres, Al Kooper achète quelques albums d’occasion sur King’s Road et flashe sur Odessey & Miracle qui «stuck like a rose in a garden of weeds». Comme il est A&R chez CBS, il parvient à convaincre son boss Clive Davis de rééditer l’album. Mais Odessey & Oracle ne se vend pas aux États-Unis. Tout le monde trouve l’album génial, mais il n’est pas assez commercial. Le groupe va se reformer en 2001 et en 2015, ils ont joué Odessey sur scène. Et voilà, c’est tout ce que le p’tit Harold peut en dire à l’époque. C’est déjà pas si mal.

    Signé : Cazengler, Bronson of a bitch

    Harold Bronson. My British Invasion. Vireo Book 2017

     

     

    Inside the goldmine

     - L’outsiding des Outsiders

             Tox portait bien son nom. Rien à voir avec les drogues. Ce qui était toxique en lui, c’était tout simplement sa connerie. Le pauvre ! Toutes les formules de Jacques Audiard le concernaient directement, à commencer par la plus célèbre, «Les cons, ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît.» Ou encore celle-ci, «Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner.» Dommage qu’Audiard n’ait pas connu Tox, car il se serait régalé. Il aurait pu dire de Tox un truc du genre : «Dommage qu’on ne taxe pas la connerie. Tox rapporterait une fortune à l’État.» Ou encore celle-ci : «Si la vie était bien faite, Tox serait élu roi des cons.» C’est vrai qu’on reconnaît Tox à sa connerie, car il osait tout. C’est vrai qu’il semblait tourner en orbite. C’est vrai qu’à chaque rencontre, il réveillait l’Audiard qui sommeille en nous. Ça devenait presque automatique. «Si les cons n’existaient pas, alors il faudrait inventer Tox.» Tox n’en finissait plus d’inspirer ton imaginaire. Au point où on en était, on finissait même par parodier Audiard : «Après la mort, l’esprit quitte le corps, sauf chez Tox.» Ou encore : «Si Tox pouvait se mesurer, il servirait de mètre-étalon.» Ou encore : «Quand on est con comme Tox, on porte un écriteau, on prévient.» Le pauvre Tox, il ne semblait se douter de rien. Il rentrait dans les conversations en prenant la posture d’un mec intelligent et tatoué, il gueulait un peu pour imposer un point de vue, sa petite voix criarde sonnait tellement creux qu’il nous faisait de la peine. Pire que ça : il nous faisait pitié. Mais bizarrement, quand les gens commencent à nous inspirer de la pitié, on les voit autrement. L’angle change. Le doute s’installe. On se sent devenir con. Le con n’est pas toujours celui qu’on croit. Et comme le disait si justement Audiard, «Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche.» C’est tellement vrai. Il faut parfois toute une vie pour le comprendre.

     

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             Pendant que Tox défraie la chronique, Tax règne sur l’underground néerlandais des mid-sixties. Tox et Tax sont tous les deux victimes de quiproquos, alors après avoir élucidé le mystère de Tox, penchons-nous sur celui de Tax.

             On  a longtemps considéré Wally Tax, le chanteur des Outsiders, comme l’équivalent de Phil May. Alors on a traqué les albums. Ça n’a pas toujours été très facile.

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             On avait à l’époque ramené de Londres une belle compile des Outsiders, Touch. Un Touch qui démarrait avec l’excellent «Story 16» et sa belle tension protozoaire. Cut aussi très Seeds, par son côté insistant. Plus loin, «Lying All The time» sonnait comme un cut des Byrds et il fallait attendre «That’s Your Problem» pour renouer avec les Pretties et les fameuses virées de wild bassmatic signée John Stax. En B, le morceau titre renouait avec la belle tension sixties agrémentée de coups d’harp et tout allait finir un mode dylanesque avec «Ballad Of John B» et «Thinking About Today». Du coup, on éprouvait une légère déception.

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             Puis t’as Pseudonym qui s’est mis à rééditer tout l’Outsidering, à commencer par C.Q. devenu C.Q. Mythology, un fat double album. Très bel emballage mais rien dans la culotte. Tu croises les cuts en version chantée et en version instro, mais tu ressors bredouille des quatre faces. Même déception qu’avec les reds Pseudonym de Q65.

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             Chaque fois que tu croises un bel Outsiders dans le bac de Born Bad, tu le sors et c’est un Pseudonym. Tu te fais encore avoir avec Afraid Of The Dark, un live enregistré en 1967 qui démarre sur «Bird In A Cage» et les coups d’harp de Wally Tax. Ils ont un son assez confus, animé par le bassmatic dynamique d’Appie Rammers. La viande est en B, avec «Story 16». Les coups d’harp de Wally Tax valent bien ceux d’Arthur Lee. Wally fait les Pretties et reprend toute la transe de Van the Man dans le pont de «Gloria» - So tight/ Awite - Il te chauffe ça au c’mon, c’est puissant et c’est même un fleuron du protozozo, ça monte bien en température. Dommage que tout ne soit pas de ce niveau chez les Outsiders. Ils se tirent une balle dans le pied avec la poppy popette d’«I Wish I Could». Ils sauvent les meubles en bout de la B avec un «Won’t You Listen» ramoné à la fuzz, c’est un gros ventre à terre, ils ne rigolent plus, Wally fait ton protozozo, et derrière, Appie Rammers fait de la haute voltige.

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             C’est avec Monkey On Your Back: Their 45s qu’ils s’en sortent le mieux. Ce fat double album rassemble tout le protozozo des Outsiders, à commencer par l’imparable «You Mistreat Me», même harsh, même désaille de la voyoucratie vocale que celle des Pretties. Pretties encore avec «Felt Like I Wanted To Cry» et «That’s Your Problem» : ils sont en plein dans les dynamiques des early Pretties. Pretties encore en D avec «Touch». On re-croise aussi le «Lying All The Time» qui sonne comme un hit des Byrds, et le «Ballad Of John B» plus dylanesque. Et puis en D, t’as ce «Talk To Me» qu’on dirait sorti d’un EP des Them : on y retrouve la tension de «Gloria» et de «Story 16». Le reste n’est pas bon.

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             Alors t’as aussi le photo sound book d’Hans Van Vuuren, The Outsiders - Beat Legends, paru en 2010. D’ailleurs, c’était le seul book au merch du Beatwave à Hastings. À l’époque de sa parution, Crypt le proposait dans son catalogue, alors on l’a rapatrié, car on s’attendait à monts et merveilles. Ni grand format, ni petit format, il se situe entre les deux. Autre avantage : c’est un photo book, c’est écrit dessus, comme le Port-Salut. T’as tout juste une introduction de deux pages en néerlandais et en anglais, donc t’as pas grand chose à te mettre sous la dent. Tu ne perds donc pas ton temps à lire les louanges d’un groupe que tu sais limité à une poignée de singles,  «That’s Your Problem», «Story 16» et «You Mistreat Me».

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    (1965)

             Quand il débute en 1961, le groupe s’appelle Jimmy Ravon & The Outsiders. Wally Tax y gratte ses poux. C’est en 1964 qu’ils deviennent les Outsiders avec Wally au chant et aux poux.  Le batteur Leendert Buzz Busch porte un collier de barbe et des lunettes à grosses montures noires, comme Manfred Mann. Ah l’esthétique des early sixties ! Tout un poème ! Par contre, Wally a déjà une bonne coupe de douilles, comme on disait alors. Et en 1965, il a les cheveux sur les épaules, comme son idole Phil May. Les Outsiders n’ont tenu que grâce au look et au timbre de Wally Tax. Alors évidemment, on tourne les pages et ça grouille de photos. Ils passaient leur temps à se faire photographier. Wally était un petit mec extrêmement photogénique. Il y a notamment un photo session dans un parc à Amsterdam. Ils commencent à enregistrer en 1965. On suit tout le déroulement de carrière page à page, en se demandant quel intérêt peut avoir ce genre de photo book. Sortie de leur premier single, «You Mistret Me» sur Op Art. Au catalogue d’Op Art, on voit aussi les Bintangs, et Peter  & the Blizzards. Tiens et les Zipps ! On les avait oubliés, ceux-là !

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             En 1966, les Outsiders ont le look parfait. On n’a d’yeux que pour le wild Wally, qui n’en finit plus d’afficher sa mélancolie néerlandaise. En 1966 sort «Lying All The Time». Ça a l’air de bien marcher pour eux, on les retrouve même en première partie d’un concert des Rolling Stones au Brabanthallen, Den Bosch. En 1966, ils viennent jouer à la Locomotive. En 1966, sort un autre single protozozo, «That’s Your Problem».

             De l’image, toujours de l’image, encore de l’image.

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             En 1966, ils jouent en première partie de Little Richard à l’Olympia. En 1967, les cheveux continuent de pousser. Ils apparaissent dans pas mal de petits canards pop anglais. On les voit aussi dans la caisse suspendue en l’air, dans le Port d’Amsterdam, où ya des marins qui dansent en se frottant la panse sur la panse des femmes, ils tournent, ils dansent comme des soleils crachés dans le son déchiré d’un accordéon rance.

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             Et soudain, on ne voit plus que Wally Tax, le voilà tout seul en couverture de Kink, avec un bouzouki. Et tout rentre dans l’ordre, les Outsiders reviennent au grand complet. Oh pas longtemps. Wally est trop photogénique. T’as des doubles entières consacrées au trop beau Wally, et crack, il enregistre On My Own en 1967.

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             Comme tous les autres à l’époque, les Outsiders se mettent à porter des grands chapeaux et deviennent des hippies. Fini les Pretties, ils sortent les flûtes et «Bird In A Cage». C’est foutu. Ils se déguisent avec des cols pelle à tarte comme les Young Rascals. Chute de l’empire Taxien. Pour chanter son single «Come Closer» à la télé, Wally se fait couper les cheveux. Enfin un petit peu. Il a l’air de porter une perruque.

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    1968 Amsterdam

             Sur les photos de 1968, ils ont encore de faux airs de Pretties. On voit même une photo de promo où ils ont l’air méchants. Sauf que Wally tient une flûte. Puis tout va s’écrouler avec le LP CQ. Et les barbes d’Appie et de Leendert se mettent à pousser. Pas si grave au fond, c’est même arrivé aux Kinks et aux Who.        

    Signé : Cazengler, taxé

    Outsiders. Touch. Emidisc 1976

    Outsiders. Afraid Of The Dark. Pseudonym 2010

    Outsiders. C.Q. Mythology. Pseudonym 2011

    Outsiders. Monkey On Your Back: Their 45s. Pseudonym 2012

    Hans Van Vuuren. The Outsiders - Beat Legends. Centertainnment 2010

     

    *

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            Nous le souhaitions depuis longtemps. Le premier album d’Ashen est arrivé. Nous suivons Ashen depuis plusieurs années, depuis leur début et même avant. Voici donc la chimère tant attendue.

    CHIMERA

    ASHEN

    (Out Of Line Music / 12 – 09 – 2025)

    Les chimères ne sont plus ce qu’elles étaient, elles ont bien changé.  Heureusement qu’il existe des artistes comme Mathieu Boudot, trafiquant d’images 3 D, pour nous donner accès à l’imaginaire de notre modernité. Ni pire, ni meilleure que les époques qui nous ont précédés ou de celles qui viendront après nous. C’est que les chimères ne procèdent pas de nous, elles sortent de notre cervelle dans laquelle elles nidifiaient, venues d’on ne sait où, comme l’indomptable Athéna surgit casquée, bottée, étincelante du chef fendu de Zeus. Mathieu Boudot sait les saisir en plein vol afin de les recouvrir d’une armure protectrice.

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    La couve de Chimera ressemble à ces groupes de statues qui parfois hantent les monuments aux morts de nos cités. Ce n’est sûrement pas la Victoire ailée qui marche en avant conduisant des essaims de soldats vers une mort inscrite sur les monumentales pierres granitiques des cimetières. Pourtant dans la gangue de son scaphandre intersidéral elle est si loin de ses petits hommes pétris d’argile rouge qui s’agrippent à sa haute stature dans le vain espoir qu’elle les emporte avec elle. L’Humanité s’accroche à son rêve comme l’âne à sa carotte… Au loin tout au bout d’une route s’ouvre une porte étroite… Il n’est pas interdit de rêver, c’est le rêve qui est interdit.

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    Clem Richard : vocal / Antoine Zimer : guitares / Niels Tozer : guitares / Tristan Broggia : batterie / 

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    You were always here : elle était là depuis toujours, des pas de palombes qui s’approchent, des coques d’œufs qui se brisent de l’intérieur, des notes qui tombent comme des gouttes d’eau dans la vasque qui les accueille, un souffle instrumental de gravité, comme un rideau inquiétant à la fenêtre qui s’agite en signe d’on ne sait quoi… Meet again : deux jours avant la sortie du disque est apparue une vidéo, intitulée Meet Again qui débute par la courte introduction précédente. Ashen nous a habitués à  de somptueuses vidéos inséparables de la sortie, étalée sur plus d’une année, de cinq titres en annonce de l’album sur lequel ils figurent. Le court film de Bastien Sablé proposé est moins esthétisant que les précédents et d’une  compréhension  davantage évidente. L’on y aperçoit le groupe en train de jouer mais l’on suit avant tout la marche d’un chevalier, d’ailleurs est-il deux ou sont-ils un, l’accoutrement est juste symbolique, une longue épée et une armure de pacotille, qui cherche-t-il, vers quel ennemi marche-t-il, pourquoi dégaine-t-il son arme trop grande pour lui, pourquoi tant de moulinets désordonnés contre l’invisiblee, quelle est cette épée plantée en terre, serait-ce une résurgence arthurienne d’Excalibur, ou  appartenait-elle à un ami dont elle désignerait la tombe. Peut-être même la tombe de notre chevalier… Nous n’en saurons pas davantage. La musique déboule, une espèce de flot symphonicco-post-metallicore, travaillé au corps par les assomptions batteriales, elle n’est qu’un faux-semblant absolument nécessaire et fondationnel, le déroulement éclosif de la tragédie, ramassée, exprimée, mimée par le chant de Clem Richard, elle est l’écrin chatoyant et hérissé, il est l‘écran noir et translucide de l’ubiquité de la parole qui révèle et recèle sans discontinuer.  Piétinement incessant d’une solitude romantisée qui se bat contre les fantômes du réel et du rêve. Cette brisure segaléenne entre le tigre du réel et le dragon de l’imaginaire, cet espace entre les deux mufles collés l’un à l’autre, cette lutte sans merci de l’autre contre l’un porte un nom, certains l’appellent porte de la folie, d’autres la nomment chimère. Chimera : déchirement, concassage sonore, vocal râpé,

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    crise de folie subite, l’instrumentation comme un feu qui monte et retombe  braise calcinante pour des retours de flammes d’une hauteur spectaculaire, le morceau sonne comme un appel au secours, à soi, à l’autre et au monde, la chimère est au-dedans, la pieuvre se bat contre elle-même et contre le roi absolu de moi-même que je suis et que je ne suis pas, empereur fou de soi-même qui rêve de meurtre et de sang, de crimes et de règlements de comptes, je suis le bourreau de moi-même et  l’Imperator de tous ceux qui ne sont pas moi, qui sont contre moi, si contre qu’ils sont en moi-même, qu’ils sont moi-même, que je suis eux, leur époux ou leur épouse, ils veulent me clouer de leurs glaives au dossier de mon trône sur la plus haute montagne de l’univers, je ne suis plus qui je suis, j’ignore mon nom, car je ne sais plus si je suis le monstre chimérique de moi-même, ou bien le sujet de mes sujets assujettis à leur haine de moi. Je suis l’œuvre au rouge de mes angoisses, j’ignore si elles viennent de moi ou si elles viennent de tout ce qui ne serait pas moi.  Crystal

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    tears : comme le précédent ce morceau a fait l’objet d’une vidéo. La précédente se déroulait au sommet d’une montagne, levez-vous orages désirés aurait pu être son titre, elle est l’appel à l’incandescence, elle défie la foudre et les Dieux, elle est la manifestation destructrice de la fureur mégalomaniaque humaine, elle en appelle à la destruction du monde et à l’auto-destruction de soi-même. Crystal Tears est tout le contraire. La scène se passe dans les antres terrestres, c’est la vidéo des profondeurs infernales, là où l’on expie  ses propres crimes en tâtonnant sans fin dans le labyrinthe de ses terreurs intimes. Moins d’exaltation, davantage de violence, musique compactée en bloc ténébreux d’anthracite, un vocal qui laboure ses propres entrailles, fracas intérieurs, sirènes d’alarmes, une boule de regrets qui dévale la pente de la folie sans frein, jusqu’à l’illumination intérieure, régression vers l’œuvre au blanc, le signe que quelque chose est en train de se révéler, une espèce de clarté étincelante qui pourrait vous servir de miroir si sa lumière n’était pas si aveuglante qu’elle vous empêche d’y voir, de reconnaître ce que vous savez déjà, une larme de cristal solidifié que l’on ne peut fendre ou fondre, qui ne coule pas qui restera toujours inaltérable figée en elle-même, fichée en vous comme une dent cariée. Une douleur inaltérable qui n’est pas sans rappeler la porte ouverte de la couve de l’opus. OblivionCe qu’il y a de terrible avec l’oubli c’est que l’on n’est jamais aussi près de ce que dont on voudrait se rappeler, une musique beaucoup moins torturée que les deux morceaux précédents, un chant ample signe d’espoir, l’on n’a jamais été aussi proche de l’extérieur de soi, des innombrables merveilles que nous offre la nature, un paradis certes encore à notre image, peuplé d’oiseaux de proie qui attendent que nous soyons dehors pour se précipiter sur nous et se disputer les morceaux pantelants de notre chair et de nos pensées, mais toutefois la promesse de nous extraire de notre bourbier, un magnifique et long solo de guitare nous berce dans cette illusion qui dure assez pour espérer que le plus dur soit derrière nous, mais la voix reprend, plus ample, insistante, ce n’est pas encore le retour de l’angoisse mais l’appel au secours à la Mère engendreuse et primordiale, pour qu’elle nous révèle les deux moitiés de l’œuf cosmique dont nous sommes issus, et nous persuade que les anges dinosauriens ne sont pas tous morts, que l’oubli n’est qu’un suaire que nous pourrions facilement déchirer. Chimera’s theme : instrumental, si l’on n’était pas qu’à la moitié du film, l’on pourrait aux premières secondes qui courent  croire à une happy end, que le prisonnier Zéro qui était si près de la porte de sortie s’évaderait si facilement de ses ennuis que ce n’est même pas la peine de nous le dire, mais quelques tapotements insistants nous alertent, la musique s’enraye avec ce bruit caractéristique d’une bande magnétique qui se bloque. Nous ne sommes pas naïfs, Wagner nous a appris que tout intermède lyrique n’est propice qu’à de proximales menaces.  Cover me red : Retour à la case départ. Encore plus violent. Encore plus déchiré. Davantage

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    une inclusion qu’une couche de peinture. Non plus le rouge alchimique mais le rouge du sang des blessures intimes et de l’hémoglobine suscitée par les agressions externes, selon cette musique qui s’entrechoque sur elle-même qui s’entasse, qui se recouvre, qui n’est plus qu’un hachis d’auto-grondements, qu’un grouillement de froissements comme si l’on appelait toutes les vipères du monde à venir nous recouvrir.  Altering : serait-ce le plus beau titre de l’opus, une intro style chevauchée des Walkyries, double partition, celle musicale et celle schizophrénique exposée par le vocal, suspendu sur l’abîme qui sépare ce que l’on est de ce que l’on pourrait être, deux rivages si éloignés que l’on ne sait plus sur lequel des deux bords de la faille l’on se tient, suspension de quelques notes, fragilité d’être dans l’entre-deux de soi-même, la voix s’élève pour plonger au fond de la chair qui l’émet, au sein du sang qui l’irrigue, symbiose instable en état de modification permanente, l’alternative insidieuse a pris les commandes, les deux mâchoires se refermeront sur moi et me dévoreront. Du sang sur les mains du meurtrier en puissance, la musique spongieuse glougloute comme un torrent qui se presse. Desire : à l’origine une vidéo de Bastien

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     Sablé, celle du désir rampant en soi, hors de soi, dans l’impossibilité de la solitude, à moins que ce ne soit le désir de l’autre, chimère extérieure de chair et de consomption, serpent musical furtif qui se lève brutalement pour mordre ou se fondre en moi, tous deux partagé par le même gouffre, vocal supplication, rejoins-moi, entre dans mon monde ou moi dans le tien, ce que je ne suis pas capable de faire, mais peut-être es-tu partagé par la même incapacité à t’exhaler de toi-même, rejoignons-nous, n’habitons plus qu’un même éspace-temps, mais n’es-tu pas qu’un phantasme solipsiste issu de mon esprit démembré, intensité musique et voix ne sont plus qu’un cri de haine ou de désir, es-tu ma chimère, es-tu inscrite dans le réel, es-tu mon désir, mais mon désir le plus vif n’est-il ma propre chimère, ne me désiré-je pas moi-même. Ne suis-je pas l’abysse dans lequel je plonge. Sacrifice (with Ten56) : être seul et si dépendant de sa souffrance, suite logique, après l’échec de l’autre, ne reste plus que la tentation du suicide, totalement cacophonique, grognements, grondements, mais peut-être sont-ce mes tourments qui désirent faire de moi une victime expiatoire de moi-même, même lorsque je suis enfermé dans le vase clos de moi-même je subis encore le déchirement métaphysique de ne pas être tout à fait moi-même et tout à fait autre. Habité par mes propres démons chimériques, expulsé de moi-même par ces mêmes démons. Clone of a clone : l’acceptation de soi et la non-acceptation de ne pas être soi, la première postulation comme un chant sous la voûte étoilée, sonorités éthérées alternent avec la pulsation râpée de se battre contre soi-même dans le seul but d’être le soi que l’on n’est pas. La situation est exposée, chacune des deux entités la répète à tour de rôle, à plusieurs reprises, pas de discussions, pas de tentatives de rapprochement. Chacun n’est que le clone de l’autre, ils s’auto-engendrent l’un et l’autre, si l’un des deux prenait le dessus, le vainqueur ne survivrait pas puisqu’il n’est que par cette béance qui les lie et les délie sans fin. Living in reverse : this is the end, cette fois c’est bien le générique de fin, non le héros ne meurt pas, c’est le metalcore qui cède le pas à l’ampleur lyrique, chaque instrument nous fait son petit numéro pour nous dire aurevoir, quant au chanteur il chante de toute son âme, il sait qu’il n’a rien réussi, il nous promet de s’améliorer, le pathos habituel de l’ivrogne qui jure qu’il arrêtera l’alcool, mais il n’y croit pas lui-même, lorsque la cassette s’arrête, un déclic et hop elle recommence, comme avant, comme après. Le héros retourne à sa solitude, ô combien peuplée de lui-même, il ne lui reste que son chien qui mourra avant lui, mais avec ou sans le canidé, tout recommencera, le serpent ne se mord pas la queue mais lorsqu’il est parvenu au bout de sa queue il remonte vers sa tête. Sempiternel aller-retour. L’on ne va jamais plus loin que soi-même. Plus loin que sa propre brisure.

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             Chimera est un chef-d’œuvre. Existe-t-il à l’heure actuelle un groupe français qui soit capable d’atteindre à une telle excellence. L’opus se tient en lui-même. Il ne court pas après de chimériques propensions à ne pas être soi. La voix, les paroles, l’instrumentation, collent parfaitement au concept qui les ont guidées et gardées de toute embardée. L’œuvre est une, enserrée dans la tour d’ivoire de sa beauté. Ashen peut être fier, quoi qu’ils fassent par la suite, musicalement parlant ou dans leur vie privée, ils ont déjà accompli quelque chose, ils ont créé une citadelle, un point de ralliement, d’orientation, que personne ne pourra jamais leur enlever.

    Damie Chad.

     

     

    *

            Toujours de petites perles sur Western AF, ce coup-ci deux d’un coup. L’une après l’autre, très différentes, je vous réserve la première pour la semaine prochaine. En priorité nous écoutons la deuxième Une véritable pierre précieuse, un saphir, aux yeux azuréens, des lèvres coquelicots, une peau de  lait, qui pourrait résister à une telle merveille. Pas moi.

    WEED MONEY

    AC SAPPHIRE

    (Bandcamp / 2024)

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             Elle ne chante pas encore. Elle n’est même pas sur la vidéo. A la place un van stationné au bord d’une route. Quand elle arrive elle explique qu’elle a pris soin de s’habiller en essayant de se mettre en accord avec le motif peint sur  la carrosserie  de son van préféré. Il appartient à une personnalité connue de Laramie (Wyoming) Shawn Hess, est-ce lui qui   l’accompagne à la guitare électrique soulignant de notes nostalgiques le chant de Sapphire. Quand elle ferme les yeux elle ressemble à une gamine, mais non elle est née en 1985, sa voix nous l’indique elle est marquée de toute la sage désillusion qu’apporte l’existence. Non pas que la vie soit particulièrement dure car tout dépend de soi, de ce que l’on a voulu traverser. Aucune plainte, un simple constat, sans haine ni ressentiment, juste le sentiment d’être ailleurs, de refuser d’être dupe de l’autre et de soi-même. Un vocal aérien, mais ce bluegrass est teinté de la tristesse indéfectible de ce qui pourrait se nommer le blues le plus gras. Son accoutrement prêterait à rire, un peu hippie, un peu pantalon rayé de clown, ses grosses bretelles, ses tatouages un peu trop kitch, presque un rythme envolé de valse, un tournoiement d’hirondelles dans le ciel qui parle de lui, qui parle d’elle, pas spécialement de lui et d’elle, il n’est plus là, elle est déjà partie, ce n’était qu’une escale, pas pire qu’une autre peut-être même mieux, mais les chemins qui se croisent sont destinés à se séparer. Pas un drame, pas une tragédie, tout dépend de la nature, pas les arbres ou les plantes qui nous entourent, la nôtre, celle qui fait que l’on est ainsi que l’on est, seul parmi les autres, seul parmi soi-même ? Deux mots qui qualifient la sienne, le miel des jouissances terrestres, la lune des songes et des rêves. Entre eux, entre tous, le lien ombilical de l’argent, une fumée d’herbe qui ne monte ni vers le ciel ni ne descend vers l’enfer. Juste une vie qui se consomme qui se consume doucement. Un bon moment qui passe et s’évanouit. Une voix qui berce et qui réveille. Qui vous tient éveillé pour mieux vous faire rêver. Et continuer à vivre.

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             Il existe aussi une Official Video du même morceau. Un peu décevante. Un peu trop réaliste. Un peu ménagère, un peu bobonne. Du moins à ses débuts, car si l’on reste dans le même décor, sweet home familial, tout se dérègle, plus rien ne coïncide, l’on se retrouve entre soi et soi, entre Sapphire et elle-même, entre la fumée du rêve et des œufs au plat que l’on qualifiera de brouillés. Il est indéniable que la magie opère, que le monde semble se décentrer de lui-même, sur lui-même.

             L’on reviendra plusieurs fois explorer le monde un peu labyrinthique d’AC Sapphire qui s’avère plein de surprises

    Damie Chad.

     

    *

    Vu le nom j’ai cru que c’étaient des grecs, vous connaissez  ma prédilection pour la péninsule hellénique, en plus des grecs qui font l’effort de s’exprimer en français, ben non, viennent du Luxembourg et comme tant d’autres ils parlent en anglais. J’ai hésité, mais ça avait tout de même l’air assez sombre, j’aime les trucs tordus, et puis dans les nouveautés il n’y avait rien de bien nouveau. Alors fonçons sur le Kraton. Grattons un peu.

    SPIRITUALITE SOMBRE

    KRATON

    (Bandcamp / Septembre 2025)

             Kraton vient du grec – en français l’on écrit ‘’craton’’, une phonétique un peu fragile pour ce mot qui chez le peuple d’Aristote signifie ‘’force’’. Les gratons définissent les aires géologiques continentales constituées des pierres les plus dures, il fut un temps on les désignait sous l’appellation (impropre) de boucliers hercyniens, les premiers gratons sont apparus voici deux milliard et demi d’années. Certes nous sommes encore loin de l’originelle formation de notre planète, mais demandez-vous pourquoi un groupe a pu choisir un tel nom. L’on imagine facilement une dimension primordiale, quelque chose de noir, de solide, de dangereux… Le titre de ce single n’incitant pas à l’optimisme l’on se dit que l’humanité, du moins ses êtres les plus sensibles, les plus éveillés, doivent être capables de ressentir les sombres émanations de cette puissance élémentale. Serait-ce un privilège ? Serait une malédiction intérieure ?

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             La couve tend à nous incliner vers la deuxième interrogation. L’Homme n’apparaît pas royalement installé à sa place, la centrale que souvent habituellement il s’adjuge, l’est mis à l’écart, sur l’espace libre rien de bien enthousiasmant, un fond grisâtre gercé de taches noires, pas davantage de couleur pour ce représentant de notre espèce qui est censée demeurer tout en haut de la pyramide animale. L’est sûr qu’il n’est pas heureux, l’est refermé sur lui-même, en proie à de sombres pensées qui l’obsèdent, dont son intelligence ne peut se rendre maître.

             Patrick Kettenmeyer : bass / Jacques Zahlen :  guitar / Mike Bertemes : vocals, / Ken Poiré : guitar / Véronique Conrardy : drums.

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             La photo du groupe est à l’unisson de la pochette. Donne envie de citer le titre Sombre comme la tombe où repose mon ami de Malcolm Lowry, ne sont peut-être pas nos amis mais sont sombres comme des cadavres, enfin des morts-vivants, leur esprit ne repose pas non plus, sont comme habités d’une idée monstrueuse, peut-être métaphysique, peut-être ultra-métaphysique. 

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    Spiritualité sombre : peut-être vaut-il mieux se passer de la vidéo sur YT, ce n’est pas qu’elle soit mauvaise ou trop minimaliste. Elle possède une force inhérente à sa mise en place. Les quatre boys formant un carré parfait, the girl sur sa batterie au fond, parfois l’angle de vue du montage change et s’attarde sur elle, surtout dans l’intro dans laquelle elle frappe incessamment les trois coups théâtraux du destin, pas du tôt beathoveniens, plutôt l’annonce d’une catastrophe qui a déjà eu lieu, entrée majestueuse mais une espèce de mélodie souterraine coulant lentement comme l’un des fleuves des enfers vient se greffer sur ces coups de semonce comme le serpent noir du désespoir qui ne vous quitte jamais, même si une mini-seconde il se pare de couleurs luminescentes,  Mike a crié le silence de sa solitude, il exècre cette impossibilité - est-elle native - à ne pas savoir voir la lumière, et tout se tait, un interlude de quelques notes lentes, des secondes qui se suivent et se ressemblent même si elles se teintaient d’une inexorabilité mélodique qui finit par s’effriter sous les pas lourds du vocal qui maintenant explose comme un rejet volcanique qui dégringole la pente fatidique de l’anéantissement du désir et de l’incompréhension humaine.  Si vous éteignez les images, le noir de l’ampleur sonore envahit votre pièce mentale, la vue relève de l’anecdotique, elle ne révèle rien de votre propre sort. La musique n’arrive pas qu’aux autres.

             En 2011, le groupe a sorti un mini-album Ker dont nous reparlerons.

    Damie Chad.

     

     

     *

             Dans la vie il faut choisir, par exemple entre Elvis : 350 photos inédites ou Unseen Elvis, candids of the King. Trois cent cinquante - l’on veut vraiment nous convaincre que l’on va nous en mettre plein la vue, quel déplorable esprit comptable et bourgeois qui sous-entend que l’on en aura pour notre argent. En plus des photos inédites, rien de mieux appâter le client ! Le titre original est beaucoup plus fort : Unseen Elvis, une promesse de mystère, presque un fantôme que personne n’a jamais vu, certes une approche d’Elvis, autant dire que l’on ne l’atteindra jamais, que nous ne serrerons jamais dans nos bras l’idole royale…

    Quant à traduire ‘’candids’’  par ‘’photos inédites’’ c’est ne pas jouer avec les fausses similitudes germinatives de l’anglais et du français, ce terme ne contient-il pas l’aveu d’une naïve fragilité destinée à finir brisée… Arrêtons de rêver à une langue des oiseaux poétique, contentons-nous de :

    ELVIS

    350 PHOTOS INEDITES

    JIM CURTIN

    (France Loisirs / 1992)

             Jim Curtin se présente comme un fan d’Elvis. Depuis toujours, depuis ses sept ans, depuis le jour où son père lui a offert son premier 45 tours d’Elvis : Return to Sender. Par la suite il a systématiquement acheté tous les disques, 45 et 33 Tours qui sortaient… L’a grandi, l’a fait une découverte : les pressages étrangers n’offraient pas les mêmes couves, ni même les mêmes titres, bref il s’est retrouvé avec cinq mille albums du King, vous y ajoutez tout le marketing imaginativement délirant: stylos, mugs, agendas, et les photos. Celles qu’il achetait, celles des magazines, celles qu’il s’est procurées auprès des fans… S’est débrouillé pour voir Elvis, sur scène bien sûr, mais aussi en privé, lui a offert une guitare acoustique modèle unique, puis une superbe ceinture… Oui il avoue que cette passion dévorante lui a coûté cher… Rien n’indique que c’est après avoir entendu Eddy Mitchell dans L’Epopée du Rock proclamer : ‘’ Le rock est notre vice / C’est la faute à Elvis’’ qu’il n’a pas hésité à monter sur scène pour interpréter les morceaux d’Elvis, avec les costumes adéquats…

    Traitez-le de collectionneur, de clone, ou de fou, de maniaque, pour ma part j’ai connu un clone de Claude François qui était bien plus heureux dans son rêve que bien de ses contemporains… D’ailleurs le fait de rédiger chaque semaine depuis des années des chroniques rock ne serait-il pas le signe d’un excessif dérangement obsessif…

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    Jim Curtin ne s’est pas arrêté à ce premier bouquin, l’a successivement, à ma connaissance, donné : Elvis And The Stars (1993), Elvis : Unknown Story Behind The Legend (1998), Elvis, The Early Years (1999), Christmas With Elvis (1999)… un passionné.

    Les photos occupent la majeure partie du livre, z ‘auraient pu inscrire la légende juste sous les clichés, nous ne les regarderons qu’en fin de chronique. La vie d’Elvis est découpée en cinq grandes périodes : Les années cinquante / L’Armée / Hollywood / Las Vegas, le retour, / La descente aux enfers. Chacune d’elles est précédée de quelques pages évoquant cette partie du parcours de l’idole. Je m’attendais à une hagiographie de fan transi. Il n’en est rien. Jim Curtin n’est pas dupe de son idole. Passion froide. Il ne tarit pas d’éloges sur les débuts d’Elvis, ce garçon a été un révélateur, de quelque chose de plus grand que lui : de la mutation de la société américaine, il est une espèce de marqueur social, toutes les contradictions historiales de l’après-guerre ont été relevées par l’apparition de ce garçon tranquille qui n’en demandait pas tant, il s’est retrouvé dans un tourbillon qui l’a emporté et dépossédé de lui-même. C’est grâce aux tempêtes de l’Atlantique que l’ancienne Rome a rencontré les premiers américains. Qu’ils ont pris pour des indiens, provenant de l’Inde… Z’en ont simplement conclu que la terre était ronde, ce qu’ils savaient déjà puisque la mythologie leur enseignait que l’Okeanos entourait la terre…  Remarquons qu’Elvis n’a pas empêché la terre de tourner, mais qu’un grand charivari s’est installé dans sa tête.

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    Le départ à l’Armée a été la première cassure dans la vie d’Elvis, approfondie par la mort de sa mère. Avant l’Allemagne tout était merveilleux pour Elvis, il volait de succès en succès, il n’avait même pas le temps de se demander quand cet ouragan triomphal s’arrêterait. On y a pensé pour lui. Le Colonel Parker et l’Establishment, les forces réactionnaires voyaient d’un mauvais œil ce garçon sans cause qui incarnait le désir de rébellion de toute une génération. Elvis a joué le rôle de l’idiot utile, le bon boy manipulé prêt à mourir pour sa patrie… C’est outre-Rhin qu’Elvis connaît les affres de la solitude, la mort de sa mère et  la peur de sa carrière arrêtée net par ce passage sous les drapeaux… En apparence tout se passe bien, beaucoup de bidasses aimeraient avoir fait le service militaire qu’a effectué Elvis, certes les manœuvres, les entraînements d’un côté, mas de l’autre sa maison personnelle, les amis et les filles autour de lui… Cadeau inespéré, Pricilla, le substitut de la maman morte, la pure et chaste jeune fille aimante à qui il peut se confier. Curtin nous présente une Pricilla beaucoup moins nunuche et beaucoup plus pragmatique que bien des biographes… L’Allemagne c’est aussi le moment durant lequel s’installe une espèce de faille tridimensionnelle dans l’esprit d’Elvis, l’amour romantique avec Priscilla, le besoin de continuer sa vie de garçons auquel les filles ne sauraient résister, jusque-là tout est normal pourrait-on dire, mais circonstance aggravante Elvis s’aperçoit de son incapacité à joindre  les deux bouts du sexe et de l’amour. Il aurait pu faire comme tout le monde naviguer au coup par coup entre la chair et le sentiment, mais l’inquiétude le ronge, le fait de ne pas pouvoir concilier ces deux postulations érotiques le plongent dans un sentiment d’angoisse, comment pourra-t-il  retrouver sa place de chanteur numéro 1 s’il n’est pas capable de surmonter cette contradiction intime, il n’est pas comme les autres, il se sent différent, un sentiment d’immense solitude l’accable... Pour mieux comprendre le désarroi d’Elvis il suffit de se rappeler qu’avant d’être l’inventeur du rock il ambitionnait de devenir chanteur de gospel. Nous voici face à un prétendant à l’amour du seigneur qui a opté pour la musique du diable. Toutefois nostalgique de sa native innocence.

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    Elvis s’effrayait du pire. Le pire fut qu’il obtint le meilleur. Les fans ne l’ont pas oublié, ses nouveaux morceaux se classent en tête du hit-parade, il vend des millions de disques, il engrange des millions de dollars. Le cinéma dont il a tant rêvé lui ouvre ses portes, Priscilla à ses côtés joue le rôle de la chaste fiancée, ou de la sainte vierge, substitut symbolique de la mère, bonjour doctor Freud, à Hollywood il enchaîne, actrices, starlettes, et amourettes de passage. Pour Curtin le responsable de la désagrégation de Presley porte un nom : Parker. Elvis engrange tant de succès qu’il vit sur une illusion. A tel point qu’il se pense assez fort pour consommer le mariage avec Priscilla, coup double puisque neuf mois plus tard, jour pour jour après la consommation, la sainte vierge enceinte se métamorphose en mère d’un ravissant bébé…  Il déteste les navets qu’il tourne, alors il compense par des achats compulsifs : voitures, chevaux, camions, ranchs… Le roi du rock a déserté son royaume, l’est devenu le paladin pâli d’une daube nauséeuse. Il n’est plus numéro 1, son compte en banque s’épuise…

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    Elvis se réveille, nouveaux enregistrements de qualité, le sursaut du retour sur scène éblouissant… Le King est de nouveau le King. Hélas renaissance inespérée, la machine à cash tourne à plein régime, la vache sera traite jusqu’à la dernière goutte de lait… Elvis ne vit plus sur un nuage doré, son ciel est orageux, Priscilla s’en va avec son amant, il dort mal, il grossit, il se bourre de cachets pour ne plus ressentir son insatisfaction chronique, sa solitude est immense, son découragement aussi, il prend conscience que sa vie lui a échappé, la mort prend sa place.

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    Reste les photos, la couleur ne devient prépondérante qu’à partir de la moitié des années soixante, je n’en retiens qu’une en blanc et noir, la pleine page 52, c’est fou comme il ressemble à Eddie Cochran !  Il y en a de très belles, de magnifiques portraits d’une beauté sauvage, mais ce ne sont pas les plus nombreuses.  Ni les plus parlantes.  Celles pléthoriques qui retiennent l’attention sont des photographies d’amateurs, des clichés parfois un peu flous, souvent maladroits, Elvis entouré de ses fans. De grandes quantités de filles, à plusieurs autour de lui, l’englobant de près, des enfants, des grandinettes prépubères, des jeunes filles, des femmes dont certaines qui ne sont pas là par hasard, le flot ininterrompu semble n’avoir jamais baissé. Preuve évidente de la proximité d’Elvis avec ses fans. Un fait étonnant : les grands absents sont les amateurs de rock’n’roll. Un signe révélateur. Je vous laisse l’interpréter.

    Damie Chad

                           

    *

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             Il est inutile de présenter Slim Jim Phamtom batteur des Strat Cats, le groupe au début des années quatre-vingt a ravivé les brandons du rockabilly qui couvaient sous la cendre. Un bel incendie qui quarante ans après refuse encore de s’éteindre… Slim Jim n’a jamais rencontré Gene Vincent mais son témoignage est important, tout comme Brian Setzer et Lee Rocker, ils en sont les héritiers. Le portrait qu’il en trace est des plus émouvants, des plus intuitifs et des plus respectueux.

    The Gene Vincent Files #9 : Slim Jim Phantom

    on the impact Gene & the Blue Caps had on the Stray Cats

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    Salut, Slim Jim Phantom des Stary Cats et dis-moi tout ce que tu veux savoir sur Gene Vincent (petit rire malicieux dans la série Return To Sender). Il y avait un jukebox au Max’s Kansas City, un  fameux club de rock’n’roll de New York, je suppose depuis les années cinquante là, Dylan y a débuté, tout un tas de gens ont joué durant la période Andy Warhol, c’était encore une grande sçène pour le punk rock durant les seventies, en 79, il y avait un jukebox et Be Bop A Lula et nous étions-là, nous faisions partie de la scène de New York, et nous avons entendu le titre, et je pense qu’il y avait aussi That’All Rifght Mama, Blue Moon of the Kentucky, Be Bop A Lula couplés à tout un tas de hits ultra-célèbres, que pour ma part je n’avais jamais entendus, c’était tout pareil pour Brian, et nous ne connaissions pas du tout cette musique, c’était époustouflant, qui étaient-ils et ce Gene Vincent, je ne connaissais pas réellement qui il était, en Amérique tout ce truc n’était pas aussi bien connu alors que plus tard nous avons découvert que c’était bien connu en Europe. Alors tu te précipites chez les boutiques de disques, Gene Vincent ils ne le possédaient pas dans leur assortiment, alors tu te rends dans un petit magasin de musique populaire qu’une ancienne greaser tenait chez elle... Gene Vincent c’était si essentiel si séminal,  que nous étions balayés comme par une tornade, je n’avais jamais entendu quelque chose comme cela, ce fut une énorme influence pour Brian,

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     je pense que Cliff Gallup était probablement le plus grand guitariste de tous les temps, et il eut une influence tellement énorme, vraiment énorme, qu’immédiatement du jour au lendemain, vous avons voulu ressembler à ça, nous avons voulu sonner pareillement, nous avons voulu tout connaître sur ce sujet. Ce fut de même pour Eddie Cochran, Elvis, Buddy Holly, Chuck Berry, Carl Perkins, et tous les autres. Mais Gene Vincent spécialement eut une énorme, énorme influence, immédiatement nous l’avons accaparé, c’était très rock et c’était très sauvage, et surtout il était un si grand chanteur, c’est comme cette veste ( Slim agrippe le col de sa veste), c’est pour cela que je la porte aujourd’hui, comme la veste de cowboy sur la couverture de son premier album, une boutique au centre-ville  en possédait une,  nous n’avions pas les moyens de l’acheter, la veste de Gene Vincent, nous avons fini par en avoir une, et nous la portions à tour de rôle, c’était  qui a porterait la veste de Gene Vincent, certains jours vous aviez les cheveux lissés, rabattus en arrière, et la touffe toute graisseuse sur le front  ‘’ Oh aujourd’hui tu te prends pour Gene Vincent, c’est super !’’   désormais il faisait partie de notre langage, une partie de toutes les choses que nous faisions étaient très, très influencées par Gene Vincent.

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    J’avais étudié et je savais jouer, mais nous étions à fond dans le jazz, nous étions de ces gamins studieux, on essayait d’apprendre la bon chemin et nous étions aussi autant à fond dans le punk rock que dans le blues, quant à moi en tant que drummer, le style de Dickie Harrel a tout englobé, il était encore swing tout en appuyant fortement sur les contretemps, techniquement il savait comment jouer, mais ça coulait de source et en même temps c’était très rudimentaire, c’était bon, je ne savais pas vraiment que ce style existait, soit tu tapais jazz, soit tu tapais rock, ça m’a totalement façonné cette manière de jouer sur les deux premiers disques, cette façon a résonné en moi  , c’était ce que je voulais faire dans telle partie du morceau, ça faisait sens pour moi, et vous savez les hurlements sur les breaks de guitare, nous étions-là-dedans, nous aimions cela si fort que nous le faisions sur tous les morceaux quand nous passions dans les bars de New York… quand nous sommes entrés en rockabilly, nous avons repris toutes ses chansons, toutes celles de ses deux premiers et géniaux albums, et toutes les Sun Sessions que nous connaissions, et tout ce que nous connaissions de cette music, et nous hurlions chaque fois que c’était possible et nous adorions cela. Nous avons rencontré les Blue Caps plus tard lorsque nous sommes revenus d’Europe, ce devait être en 82 ou 83 peut-être, et tout un tas de ces guys originaux, quelle chance ce fut, ce fut un frisson et un grand honneur, ils sont en quelque sorte heureux de nous de nous rencontrer, et nous avons joué, c’était probablement à Norfolk ou dans les environs, ce devait être à Norfolk en Virginie, Portsmouth , quelque endroit par-là, tous ces gars sont venus, Tommy Facenda, Bubba Facenda, Bebop Harrell, je pense à Johnny Meeks était-il là aussi, une fois ou l’autre j’ai rencontré la plupart des gars, mais je me souviens de la première fois qu’ils sont venus voir le show, ils étaient émus et ils nous remercièrent de garder cette musique vivante, parce que nous avions repris plusieurs morceaux de Gene sur le premier disque des Stray Cats et cela leur avait boosté leur carrière, ils avaient reçu de nombreux coups de téléphone ce qui leur avait permis de travailler davantage car il y avait un nouvel intérêt pour toute cette scène, que j’y sois parvenu ou non, en tant que musicien je voudrais continuer à jouer et aimer cette musique si j’avais pu obtenir un job régulier, je voudrais encore faire ça, si j’arbore encore cette veste c’est que j’aimerais encore avoir cette coiffure, quoi qu’il arrive ces gars étaient la meilleure preuve de cela, d’être ainsi capable de les aider de n’importe quelle manière c’était fantastique, et c’étaient vraiment de bons et fidèles cats, ils étaient encore branchés et volontaires, c’étaient des soldats du feu volontaires, tous les soldats du feu  volontaires de la caserne des pompiers se sont jetés sur le gâteau, c’est grandiose, moi aussi je suis un combattant du feu, ainsi je suis en quelque sorte

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    5Stray Cats sur scène interprétant Gene and Eddie

    relié à cela…  La chanson Gene and d’Eddie est trop belle, nous ne voulions pas reprendre une fois de plus leurs chansons, ces chansons dont nous manquions, nous jouions chaque Gene Vincent, chaque Eddie Cochran, mais nous avions envie de composer notre propre morceau et rendre en même temps hommage à ces deux gars. Gene and Eddie vous le savez sont ces deux gars, je me souviens c’était sur la route quelque part, Brian et moi étions en train de gratter notre  guitare lorsque nous avons eu l’idée que ce que nous faisions c’était comme jeter des citations issues de toutes les grandes chansons de Gene and Eddie, nous les découpions et nous les couchions sur le plancher de l’hôtel et essayons de voir lesquelles marchaient avec lesquelles, et ensuite nous est venue l’extraordinaire idée d’apposer la signature du riff de la guitare à chaque parole, c’était un procédé vraiment marrant, car c’était notre propre chanson que nous écrivions mais en même temps nous rendons notre hommage à ces gars, puis nous avons fait une vidéo et nous avons pu consulter l’ensemble des archives, ce fut un moyen de de visionner tous les vieux clips vidéos, je me souviens combien Dick Clark a été utile il nous a envoyé tout un lot de bandes d’American Bandstand, tout le monde aimait cette musique et  pour ainsi dire a fait ses débuts grâce à cela… comme tout un tas de rockers, je pense spécialement à ce second album, c’est probablement le plus grand album de rock’n’roll jamais enregistré, certainement tout en haut, certainement un de ceux que j’emporterais sur une île déserte je suppose avec le Sun Session… le second album de Gene Vincent

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    c’est quelque chose, Be Bop A Lula est indubitablement le titre le plus célèbre, le plus connu, mais n’importe quoi du second album, du premier aussi, mais comme il y a ce truc comme Race with The Devil, c’est tellement, tellement, tellement dur, si raide, si glissant, c’est, c’est, ça n’a jamais été dépassé, non ça ne l’a jamais été… je sais qu’en Europe, au Japon, en Australie, dans le monde entier,  Gene est le type est considéré comme le plus pur de l’americana, le produit américain par excellence, il est une sorte de légende, ayant une grande influence, et encore grandement aimé, beaucoup moins en Amérique, je ne sais pas pourquoi, nous ne l’avons jamais statufié… il existe une certaine scène ici maintenant, je pense que c’est l’effet des Stray Cats,  il existe davantage de sortes de rockabilly que quand nous avons été les premiers à commencer, disons les choses de cette manière, tout un tas de ces rock’n’rollers  des premiers temps ont été redécouverts, Gene naturellement puisqu’il était un des principaux, mais je ne sais pourquoi je vois ces kids japonais

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    avec des tatouages de Gene Vincent, et j’ignore pourquoi pas les kids américains, je ne sais pas vraiment pourquoi, ayant dit cela, il existe une scène ici, les choses ont changé davantage qu’avant, mais ce n’est pas la même chose qu’en Europe où il est une figure légendaire révérée, il a dû travailler dur, vraiment dur, Gene est actuellement plus chanceux que tout un tas de ces gars parce que Gene était toujours capable de jouer en France, en Allemagne, en Angleterre, il était une légende il avait la possibilité de s’y rendre et de jouer, tout un tas de ces chanteurs de rockabilly avaient cessé de jouer, je pense que d’une certaine manière Gene était favorisé, mais c’était parce qu’il avait exercé un tel impact, il était un symbole pour ces rockers, ces français, ces Teddy Boys, il était un symbole, je n’ignore rien de la méchanceté,  il a toujours bien chanté, même s’il n’a jamais forcé sa voix, je sais qu’il était accompagné par différents orchestres, et qu’il se démenait pour payer son loyer, comme tout un chacun,, mais il n’a jamais perdu sa voix, il chantait toujours bien mais l’industrie avait changé et des gars comme lui étaient laissés à l’arrière, il lui est arrivé ce qui arrive à pratiquement tous, à très peu d’exceptions près, chacun a ses hauts et ses bas dans le business de la musique, mais il a réussi à bosser malgré tout, je pense qu’il a connu une vie rude, je pense qu’il a beaucoup souffert avec sa jambe et je pense qu’il a vu des tas de gens qu’il avait influencés peut-être lui passer devant, mais il a toujours eu des contrats d’enregistrement, il a toujours joué et il a eu une certaine quantité de gens qui croyaient en lui, si je ne l’ai pas connu je ne suis pas sûr

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    qu’il était  le plus facile des cats à vivre, je ne sais pas, j’ai seulement entendu des rumeurs selon lesquelles il était difficile à vivre, d’après ce que j’ai lu que et que je n’ai pas aimé, je dis que je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai entendu qu’il vivait durement, qu’il était plein de tristesse, j’ai l’impression que sa vie ne s’est pas déroulée comme il aurait voulu, je pense que ce genre de problème vous sape le moral et vous gâte tout ce que vous faites, je pense qu’il ressentait une forme de tristesse, qui vous tombe dessus quand vous passez votre temps à accumuler des gigs pour parvenir à payer vos factures, et croyez-moi aussi bon que vous soyez, et quel que soit l’impact que vous ayez sur les gens, ou sur les musiciens qui vous ont quittés pour occuper une meilleure place sous les spotlights sous lesquels vous pensez que vous auriez dû être, je pense qu’il a eu ce qui peut facilement vous tomber dessus dans ce business, si tu deviens amer, il est difficile de remonter la pente, je pense au sommet qu’il avait atteint, vraisemblablement sans prendre soin de lui-même, je ne suis pas surpris, cela revêt l’espèce de mythe qu’il était devenu d’une teinte tragique, ainsi que tout le déroulement de sa vie. J’en prends acte, je le comprends, car je n’ai pas encore rencontré un seul rock’n’roller, un seul véritable gars, des  Beatles aux Rolling Stones, jusqu’aux Kinks, jusqu’aux Clash, jusqu’aux Sex Pistols, jusqu’à Lemmy, pas un seul de ces grands et authentiques rock’n’rollers parmi tous ceux que j’ai rencontrés dans ma vie, qui n’ait pas mentionné Gene Vincent comme l’une de leurs deux plus fortes influences.

    Transcription Damie Chad.

    Notes :

    Max’s Kansas City : restaurant, night-club qui de sa création en 1965 à sa fermeture  en 1981 fut fréquenté par toute la faune culturelle et underground de New York (et d’ailleurs). Les amateurs de rock possèdent souvent dans leur discothèque le disque du Velvet Underground :

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    Gene and Eddie : le morceau sur trouve sur l’album Blast Off sorti en 1989. Sur la photo ci-dessous les Stray Cats interprétant sur scène le morceau hommagial à Gene et Eddie : 

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    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 690 : KR'TNT ! 690 : BIG SEARCH / VIAGRA BOYS / DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY / WILBERT HARRISON / MATRAQUE / PSYCHIC WARS / JUDAS CONSPIRACY THEORY / BANK MYNA

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 690

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 05 / 2025

     

    BIG SEARCH / VIAGRA BOYS

    DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY

    WILBERT HARRISON

    MATRAQUE / PSYCHIC WARS  

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    BANK MYNA

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 690

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - In Big Search of space

             Que se passe-t-il quand un épouvantail rencontre un autre épouvantail ? Rien, bien sûr. Que pourrait-il se passer ? C’est presque un sujet pour le bac philo. C’est pourtant ce qui vient d’arriver à l’avenir du rock qui erre dans le désert depuis tellement longtemps qu’il ne compte plus les jours, ni les années d’ailleurs. Au point où il en est, ça ne sert plus à grand-chose. Il arrive au sommet d’une dune, et il aperçoit en bas un épouvantail à peu près dans le même état que lui. Desséché par le soleil, les vents de sable et la sous-alimentation. L’avenir du rock en est réduit à sucer ses dents qui tombent, mais il n’en reste plus beaucoup. Il les suce comme des bonbons, ça fait illusion. Comme il approche de l’autre épouvantail, il lui vient l’idée saugrenue d’aller lui mettre son poing dans la gueule et de récupérer ses dents pour se faire une petite réserve de bonbons. L’idée le galvanise. Un bon coup de poing dans la gueule et 32 bonbons d’un coup, de quoi tenir un sacré bout de temps. Alors il accélère le pas. Il se met à fantasmer sur les bonbons de la même façon qu’Henry Miller fantasmait sur les poulets rôtis au temps de Jours Tranquilles À Clichy. Alors que l’avenir du rock prend son élan, l’épouvantail ne bronche pas. Il reste complètement immobile. Il porte des lunettes noires. Un vent léger fouille ses mèches filasses de cheveux blonds. L’avenir du rock arrive droit sur lui et tente de lui coller son poing dans la gueule, mais l’épouvantail l’esquive adroitement et s’écrie :

             — What the fuck ?

             En représailles, l’épouvantail lui colle son poing en pleine gueule. Bing !

             L’avenir du rock perd ses dernières dents. Il s’agenouille péniblement pour les ramasser et les mettre dans sa poche.

             Embarrassé d’avoir été aussi con, il dit à l’épouvantail :

             — Bonbons à bibi !

             L’autre ne pige rien. Alors l’avenir du rock lui demande ce qu’il fout là, planté au milieu du désert.

             — Big Search.

             — Mitou, répond l’avenir du rock qui reprend sa marche, hébété.

     

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             L’épouvantail a un groupe qui s’appelle Big Search, et lui il s’appelle Matt Popieluch. Il ouvre en solo pour  Dean Wareham. Quand tu le vois arriver sur scène et hésiter, tu te dis que ça va être long. Il se plante en peu dans l’attaque de ses premiers cuts. Il s’excuse. Il faut peut-être mettre ça sur le compte du trac. Il est assez haut, plutôt maigre, pas coiffé, pas looké. L’anti-frime par excellence. Il gratte

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    une Strato et swingue d’un pied. Et puis il va tout doucement prendre le contrôle de ta cervelle, car ce Matt-là a tout simplement du génie. Il gratte de la pointe des doigts et sort un son de soft rock psychédélique absolument fabuleux, il tiguilite un space-out so far out qui te monte droit au cerveau, il fait tout simplement du Gene Clark avec un sens aigu du groove à la Croz. Te voilà complètement bluffé. Il joue les yeux fermés, avec le nez en l’air. Il s’absente totalement de la scène et voyage dans son monde. Tu vois les accords, tu les connais, et pourtant son jeu reste un mystère. Il sort un son de picking mais sans les onglets. Il propose de l’acid folk californien de très haut niveau qui n’est pas sans rappeler celui de F.J. McMahon. L’acid folk californien est le plus pur de tous, et ce mec Matt en propose la crème de la crème.

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             Le jeu va consister à retrouver cette magie sur ses albums. T’y vas sans grand espoir, car ce genre de performance n’a de sens et d’impact que sur scène. T’en ramasses deux au pif au merch, Role Reversal et Life Dollars. Tu compléteras un peu plus tard avec Slow Fascination.

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             Curieusement, Role Reversal a disparu de Discogs. Alors t’es bien content de l’avoir ramassé. Car tu y croises de sacrés cuts. Ce mec Matt propose une pop tendue à se rompre, tu n’y peux rien. Il vise la Cosmic Americana, avec des beaux arpèges et un sens aigu de la perdition. Et soudain, ça décolle avec «Distant Shore». Il fait du Midlake. Puissance atmosphérique extrême. Tu entres bien dans son jeu. Il devient étourdissant avec «Where Do You Room», il semble ivre de liberté et de vin mauvais, il fait de la pure Beatlemania, il joue avec le feu et sort un son d’une qualité étourdissante. Tu le prends au sérieux, t’es obligé. Il chante «Runaway» au doux du doux, sur des arpèges noyés d’écho, il se noie dans la beauté de sa pop. Ce mec Matt est très avancé dans l’extension du domaine de la lutte. Il termine cet album attachant avec «I’m Gonna Leave You», une grosse pop traînarde éclaboussée de lumière crépusculaire, une vraie bénédiction. Il cultive l’écrasée congénitale.

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             T’as au moins deux cuts qui renvoient sur Brian Wilson dans Life Dollars : «Distant Shore» de l’album précédent, et «I Feel Good». Là, oui, tu dis oui. La pop de Distant Shore fond comme beurre au soleil, avec des harmonies vocales démentes. Ce mec Matt a le sens des pointes extravagantes, t’en reviens pas de tomber sur un tel cut. Son Feel Good relève aussi de la pure beauté wilsonienne, il gratte ses arpèges dans l’embrasement d’un crépuscule californien. Il va aussi dans Croz. Il tire encore sa pop dans la lumière avec «Can’t Understand The News». Il propose de l’océanique californien. Tout est travaillé au big sound sur cet album révélatoire. Il revient à la pop de base avec «Don’t Change My Eyes». Il sait créer l’événement. Tu ne t’ennuies pas, même si tu ne cries pas au loup. Il y a du souffle dans cette pop de bon aloi. «Anna Don’t Go» est encore digne des Beatles et de Brian Wilson. Il bosse bien ses couches de son.

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             C’est sur Slow Fascination que tu vas retrouver le fabuleux slow groove psychédélique que gratouillait du bout des doigts le mec Matt l’autre soir au Petit Bain : fantastique pureté d’here we are never free at last. Il cultive la pureté extra-sensorielle avec une indicible grâce tactile. Il sort un son rare d’arpèges effleurés du bout des doigts. L’autre hit faramineux se planque en B et s’appelle «What To Say». C’est encore un balladif doucement désenchanté qu’il coule dans un mood de strange to meet someone I never knew. L’océanique est son truc. Avec «Till The Day Is Done», il se fond dans l’ouate de Smile. Il recrée à sa façon le smooth de Brian Wilson. Il va chercher du son sur tous ses cuts. Encore une belle dérive californienne en B avec «Windowpane» et il atteint encore le sommet du genre avec «Busy Getting Lost» - Time will come again when we meet as friends/ If I’m not scattered in the wind - Comme il l’a fait sur «What To Say», il chante encore «Good People Round» en lévitation. Le mec Matt adore chanter suspendu dans l’air. C’est un magicien.  

    Signé : Cazengler, Bonne Sœurch

    Matt Popieluch. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Big Search. Role Reversal. 2014

    Big Search. Life Dollars. 30th Century Records 2016

    Big Search. Slow Fascination 30th Century Records 2019

     

     

    Le beat dressé des Viagra Boys

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             C’est pas plein quand t’arrives mais c’est plein quand ils arrivent sur scène. En peu de temps, les Viagra Boys ont su créer un buzz turgescent. Il faut bien dire qu’aujourd’hui, la valeur artistique d’un groupe n’est plus le critère de remplissage d’un Zénith. Les réputations se font autrement. Si tu campes sur tes vieilles positions, tu n’iras plus voir beaucoup de concerts. Même tes exigences de qualité sont complètement périmées, à l’image de ta bobine de vieux schnoque.  Par contre, si t’es curieux de savoir ce que certains nouveaux groupes ont dans la culotte, tu peux tenter le coup ici et là. C’est toujours moins pire que de regarder des conneries à la télé. Enfin, pour les ceusses qui regardent encore la fucking télé.  

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             C’est forcément un grand moment que de voir les Viagra Boys arriver sur scène. T’en as deux qui déboulent torse nu et couverts de tatouages : le chanteur Sebastian Murphy et le bassman Henrik Höckert. Murphy ventripote un peu. On ne regarde même pas les trois ou quatre autres. Les deux tattoo boys vont focaliser l’attention. Alors attention, ces Suédois jouent un rock de destruction massive, bien

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    lourdingue, bien défenestrateur. Tout est monté sur d’implacables drives de basse. C’est leur fonds de commerce. Sur scène, ils sonnent comme sur les albums, mais en mille fois pire, en mille fois plus atomique. Ils saturent l’espace de son, et pourtant t’as pas mal aux oreilles. Te voilà plongé dans une sorte d’heavy messe païenne, et dès le troisième cut, les remous de la foule t’écrasent sur la barrière. T’as intérêt à avoir des bras d’acier pour te dégager et retrouver ta respiration. Tu ne t’attendais pas à ça : les Viagra Boys plongent le Zénith dans le chaos, certainement le pire qui soit, le chaos des compressions, orchestré par un beat sourd comme un pot. Tu entres dans la dimension du pire. Tous les crowd-surfers de Paris sont là. Les gros balèzes de la sécu sont vite débordés. La pression de la foule est telle que la barrière menace de céder. Ça frise l’hors-de-contrôle. Les gros durs de la sécu qui ont tous des bras énormes s’arc-boutent sur la barrière qui penche de leur côté. Te voilà pris en sandwich. Tu essayes de résister à la pression. Elle s’accentue de plus en plus. T’as des tonnes dans le dos. Tu ne cherches même plus à identifier les Viagra cuts. De

     

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     toute façon, ils tapent des cuts que tu ne connais pas, car leur nouvel album - ompf, un coup dans le dos - vient de sortir, alors - ampf, les pieds d’un crowd-surfer dans la nuque, fuck, ça fait mal - T’as vraiment envie de te barrer. Impossible. T’es baisé. Fait comme un rat. Encore pire qu’au concert des Mary Chain quand t’avais ces amputés du cerceau qui sautaient sur place juste à côté. T’as toujours des mecs qui ne sont pas là pour écouter, mais pour sauter sur place. Tu reconnais au passage - oumpffff ! - cette merveille de power beat qu’est «Ain’t Nice». La tempête de coups s’aggrave. Des gobelets volent. Tu vois des gonzesses tatouées qui adorent ce chaos. Toi t’adores pas trop. Pour sûr, la fête est réussie, mais pour clichetonner, tintin. Impossible. La foule pousse et t’écrase la gueule dans la barrière, ouuuummpf ! Les coups, ça fait mal, comme dirait Johnny. T’essayes encore de suivre le show. Fuck ! Faut abandonner l’idée. T’as des milliers de personnes qui dansent et qui pogotent au Cap Horn. Hâte-toi de confier ta cage thoracique et tes vertèbres aux bons soins du destin.

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             Tu profites du passage à vide d’avant rappel pour tenter la sortie. Tu te frayes péniblement un chemin pour regagner le pied des gradins. Ouf ! Tu vas pouvoir observer le chaos de dos. Il n’est pas jojo, le chaos de dos. Quand les Viagra Boys reviennent sur scène, tu vois des milliers d’écrans au-dessus des milliers de têtes. Tout le monde filme la scène. C’est irréel de non-sens. Les gens filment n’importe quoi, car à cette distance, t’as rien, à part des silhouettes et de la fumée. Mais bon, ça filme. Ça alimente le grand fleuve numérique planétaire. Le chaos de l’inutilité définitive. Une sorte de fin de tout. Ces milliards d’informations s’engouffrent dans un Vortex dont personne ne connaît ni la taille ni le sens. Observer le spectacle du spectacle, c’est fascinant. Le chaos de l’inutilité définitive engloutit celui des Viagra Boys. Pire encore : le Vortex et ses milliers de petites bouches voraces en forme de smartphones engloutit le sens des choses. Les cervelles sont déjà au service des petites bouches voraces du Vortex, il n’y a donc plus rien à faire. Plus rien à dire. Il est déjà trop tard. Tu ne vas plus au concert de rock. Tu vas au concert du numérique.

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             Tu te retrouves un peu plus tard sur l’Avenue Jean Jaurès et pour retrouver tes marques, tu te poses la question : faut-il écouter le nouvel album des Viagra Boys ? T’es pas très chaud. Entre bif, baf et bof, tu choisis le bif.

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             Grand bien te prend de l’écouter car c’est un bon album. Tu sauves cinq cuts alors t’es bien content de pas t’être fait emmancher une fois de plus. Deux énormités, pour commencer, «The Bog Body» et «Pyramid Of Health», deux cuts bien décidés à en découdre, deux cuts bien rockés du fa fa fa. Deux cuts puissants mais sans surprise. Disons que ça reste dans la typologie du groupe. Sur «Waterboy», on sent bien l’Américain, okay !, Sebastien machin lance bien le truc, son Waterboys ne sera jamais un hit, mais ils tapent bien dans l’œil du cyclope. Okay ! Awite ! Et tu vois le bassman remonter à la surface avec «You n33 Me». Big bass attack. Fabuleux ramshackle. «Dirty Boyz» est un brin hypno, c’est même puissant, tu ne peux pas dire le contraire. Et tu leur donnes l’absolution pour «Best In Show Pt IV», car ils te tapent ça aux clap-hands, t’as là un fabuleux story-telling dévalé à fond de train, il raconte sa vie extrême avec le final sax, c’est digne d’Iggy dans throw them to the lions !, ça bascule dans la stoogerie à coups d’I need all the help I can get man et ils renchérissent à coups d’I need access to heaven. L’album emporte la partie avec le bassmatic du diable et ce beat de tatoués. On a déjà entendu ça ailleurs, mais t’y retrouves ton compte.

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             Dans Mojo, Andrew Perry leur consacre une page, histoire de les qualifier de «scurrilous, disruptive and frequently misunderstood band on the rise», c’est-à-dire un groupe grossier, perturbateur et incompris dont la cote monte. Perry ajoute que le groupe a des racines dans la scène hardcore suédoise, ce qui nous fait une belle jambe. C’est donc le bassman Henrik Höckert qui a «forcé» le speed-freak Sebastien Murphy, fraîchement arrivé de Californie en Suède, à chanter dans les Viagra Boys. La commère du village ajoute que Murphy bosse dans le salon de tatouage où bosse la poule d’Höckert, d’où le contact. Et Murphy qui n’est pas avare de conneries, indique que pour écrire ses textes, il se goinfre du caca d’Internet. On vit dans cette époque. Le plus difficile est de s’habituer à l’idée qu’on doit vivre dans cette époque. Parfois on croit qu’on va y parvenir, et d’autres fois on comprend que ce n’est pas possible. Cette époque n’a décidément rien de sexy.    

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             Tu veux en avoir le cœur net, alors t’écoutes d’autres albums. Quand t’écoutes Cave World, t’es pas très content. C’est plein de machines. «Baby Criminal» sonne comme une dégelée, mais une dégelée de machines. Ces mecs ratissent tout. Purée de machines. T’as tout de même un bassmatic. T’as pas le temps de souffler et tu te fais choper par l’hard drive de «Troglodyte». C’est du relentless d’hard drive. Ils foncent dans leur tas qui n’est pas le tien. Mais alors pas du tout. Tu fais des efforts pour rester sous le casque et c’est pas bon signe. Tu ne vois pas bien l’intérêt de leur tas. Ils repartent à ta conquête avec «Punk Rock Loser» et tu baves car t’entends un killer solo trash, pas flash. Ils tentent le coup de l’apocalypse avec «Creedy Crawlers», mais ils ne sont pas les Killing Joke. Ils n’ont pas les moyens de ça. T’arrives au 6 et t’es loin d’être convaincu. Tes informateurs t’ont prévenu : «C’est un groupe de scène, pas un groupe de disk.» Trop de machines sur cet album. Retour à la tentative d’apocalypse avec «Ain’t No Thief». Stomp de machines. C’est de la techno. Avec du power, mais techno quand même. Bif baf bof. «Big Boy» est sans doute leur meilleur cut - I need a big/ Big girl/ To keep me real - Bien heavy. Ils cherchent encore des noises à la noise avec «Return To Monks». Là ça devient anthemic. Ils cherchent la confrontation. Ils flirtent avec le grand art de destruction massive des Bury. Ils lâchent les chiens. Là, t’as du paganisme technocratique, une vraie chienlit de techno power en caisse de résonance. 

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             Il vaut mieux écouter Welfare Jazz. T’es tout de suite cueilli au menton par «Ain’t Nice». Ils te percutent de plein fouet, c’est un cut de destruction massive, ils misent tout sur le stomp et font le banco. La basse vole le show sur «Toad» et ça devient vite demented. Le bassman Henrik Höckert lance encore le train fou d’«Into The Sun», un nouveau stomp humanoïde. Les Boys sont des bons. Tout est monté sur un heavy drive de basse. Les canards boiteux n’ont qu’à bien se tenir. Encore un drive de basse sur «Creatures». Et puis t’as ce «6 Shooter» gratté à la gratte d’intro et rattrapé par le bassman fou, et ça sonne comme un instro urbain du plus bel effet. Ils tapent tout en heavy stuff mais ils éprouvent parfois des difficultés à convaincre («I Feel Alive»). Ça repart en mode trash punk avec «Girls & Boys» et ça percute les cacatois avec un sax in tow. La gonzesse qui vient duetter sur «In Spite Of Ourselves» s’appelle Amy Taylor. Elle est bien trash, la bourrique.

    Signé : Cazengler, viagras du bide

    Viagra Boys. Le Zénith. Paris XIXe. 25 avril 2025

    Viagra Boys. Welfare Jazz. Year001 2021

    Viagra Boys. Cave World. Year001 2022

    Viagra Boys. Viagr Aboys. Shrimptech Enterprises 2025

    Andrew Perry : Mojo Rising. Mojo #379 - June 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Wareham câline

     (Part Four)

             — Alors, avenir du toc, on se pique toujours de dadaïsme ?

    Dûment interloqué, l’avenir du rock se retourna :

             — Ah quelle surprise ! Tristan Tzaralebol ! Toujours aussi guilleret ?

             — Guilleret du cul, cher ami ! Du cul, du cul, ha ha ha ha !

             Les trilles du rire cristallin de Tristan Tzaralebol ricochèrent jusqu’au ciel d’un bleu parfaitement Klein. Il ré-ajusta son monocle et reprit : 

             — Dites-voir, avenir du rocambole, je fermente un poutche, oui, ne me regardez pas ainsi, un poutche, vous dis-je !, contre qui ?, mais contre le tyran André Béton-Armé. Nous envisageons fermement de couler l’André Béton-Armé dans un bloc de béton armé et d’aller l’immerger au fond du Détroit des Dardanelles, de sorte qu’aucun steamer, à voile ou à vapeur, aussi puissant fût-il, ne puisse l’hisser à la surface. Vous n’applaudissez donc pas ? ,avenir du ric et du rac ?, seriez-vous devenu complètement impavide ?

             Baisé comme un bleu, l’avenir du rock se mit à applaudir flasquement.

             — Rejoindrez-vous les rangs des conjurés, avenir du rocamadour ? 

             L’avenir du rock poussa un soupir long comme un jour sans rhum.

             — Pfffffffffff. Si vous insistez lourdement...

             Tzaralebol exhuma alors un carnet Moleskine des profondeurs de son manteau en vison ainsi qu’un crayon dont il humecta la mine de la pointe d’une langue frétillante :

             — Ainsi donc, avenir du roquefort, le sort en est jeté ! J’inscris de ce pas votre blaze à la suite d’une longue liste de conjurés... Oh oh oh, je vois à l’étincelle de votre regard que vous brûlez de connaître leurs noms... J’en mettrais ma saucisse à frire !

             — Oh j’en connais les noms, figurez-vous ! Mais je ne savais pas les exclus revanchards ! Et je ne vois pas Desnos ni Artaud le Momo manier la truelle ! Votre blague n’est pas drôle, Tzaralebol. Vous déclinez !

             — Cher avenir du rococo, vous m’avez percé à jour et vous m’en voyez réjoui, oui oui. Dînons pour fêter ce grand jour ! Car qui dort Dean Wareham, n’est-il pas vrai ?

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             Il devrait être très fier, Dean Wareham, de se retrouver coincé dans ce genre d’épisode dadaïste. Tout le monde ne bénéficie pas des faveurs de Dada, croyez-le bien !

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             Le real Dean refait surface car il vient de faire paraître un nouvel album solo : That’s The Price Of Loving Me. Qualifions cet album de très magnifique, si vous le voulez bien. C’est vraiment le moins qu’on puisse faire. Le real Dean nous accueille dans son giron avec deux Beautiful Songs de rang princier, «You Were The Ones I Had To Betray» et «Dear Pretty Baby» qui est en fait une cover de Mayo Thompson, qui, t’en souvient-il, fut l’âme câline de Red Crayola. Tu retrouves dans ces deux merveilles la classe inhérente du real Dean. Il cultive l’héritage du Lou. Le cut Mayo sonne un peu comme l’«It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan, tu savoures cette fabuleuse musicalité et bien sûr, tu nages en plein rêve. Le real Dean installe bien l’ambiance de «We’re Not Finshed Yet», comme il l’a fait toute sa vie. Il est encore très Lou sur ce coup-là. On sent la fascination dans le timbre de sa voix. «Bourgeois Manqué» sonne comme un heavy groove de petite vertu, il te gratte ça à la clairette et tu te régales du bassmatic aérien de Britta. Puis une sorte de miracle se produit : le real Dean met les mains sur les hanches de «Yesterday’s Hero» et fait danser cette belle pop gondolée. Il monte sa pop très haut dans l’expectative, avec une économie de moyens complètement invraisemblable. C’est une autre façon de résumer son art. Puis il dépasse encore les bornes avec le morceau titre. Le real Dean est beaucoup trop balèze : il groove le smooth. Eh oui, t’as pas beaucoup de gens capables de groover le smooth. Puis il retourne bien en dessous du boisseau pour chantouiller «The Cloud Is Coming». T’as là une pop bien underground, bien confidentielle et bien inspirée par le génie de Lou Reed.  

    Signé : Cazengler, Whare-âne

    Dean Wareham. That’s The Price Of Loving Me. Carpark Records 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Elvis & la vertu

    (Part Seven)

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             Comme Peter Guralnick, Robert Gordon s’est longuement penché sur Elvis. Avec Elvis : The King On The Road, il relate les débuts d’Elvis à sa manière, c’est-à-dire engageante.

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             Accompagné par les Starlite Wranglers (Scotty Moore et Bill Black), Elvis joue au Bon Air Club, on highway 70, à la sortie de la ville - Its clientele was tough, and on saturday night they were as friendly with Jack Daniels and Jim Beam as they were with Jesus on Sunday. Step outside and say that, mah frien’ - On les voit tous les trois en western shirts et grinning big et soudain, fini le look cowpokes. Le génie d’Elvis consiste à redevenir lui-même - And Elvis came out in the cool clothes that he had seen on the avenue of black Memphis culture, Beale Street - Arthur Crudup and Beale Street, voilà les racines du cool cat Elvis - Greasy hair and funny-fitting clothes - Sam Phillips contacte très vite The Grand Ole Opry, le show le plus populaire de tout le Deep South. En bon visionnaire, Uncle Sam y voyait le ‘national debut’ de son poulain. Ils prennent donc la bagnole d’Uncle Sam pour filer à Nashville et Bill attache sa stand-up sur le toit. Ils n’eurent le droit de jouer qu’une seule chanson dans l’‘Hank Snow segment’. Puis c’est le Louisiana Hayride, qui touche 28 états. Bob Luman voit Elvis débarquer sur scène en veston vert, pantalon rouge, chemise rose, and this sneer on his face. Le King claque un accord et casse deux cordes. Il n’a encore rien fait et les filles se mettent à hurler - And he started to move his hips real slow - C’est la naissance du rock’n’roll animal. Ce livre grand format est bardé d’images d’Elvis en double page, du noir et blanc trop beau pour être vrai, une sorte de double concentré de tomate du rock’n’roll, on entend la musique rien qu’en examinant méticuleusement les images, ce visage tellement parfait, ces cheveux grassement peignés, ces pompes et ces cravates blanches, tout ce rock’n’roll originel. L’une des images le montre en chemise et cravate blanches, les bras en croix, une petite ceinture dans des passants larges avec la boucle sur la droite, un détail qui n’a sans doute pas échappé à Mick Farren qui portait lui aussi sa boucle de ceinturon sur le côté. Les filles se jettent sur Elvis et lui arrachent les boutons de ses chemises comme s’il s’agissait de diamants. L’une d’elles passe même une annonce pour mettre un bouton de chemise en vente. Elle reçoit cent coups de fil et demande 600 dollars pour ce bouton qu’elle finit par conserver. Et quand il boucle son set avec «Hound Dog», Elvis déclenche systématiquement une émeute, au péril de sa vie. C’est fait pour.  Une fille raconte : «J’ai saisi sa main, il a souri et il m’a dit ‘Cut me loose’, alors je l’ai fait.» Elvis fait basculer des foules de 15 000 personnes dans l’hystérie. Une gamine de 16 ans parvient à grimper sur scène et se jette sur Elvis pendant qu’il chante «I Got A Woman». Elvis tombe en rigolant. Quand après on demande à la gamine pourquoi elle a fait ça , elle répond : «Je le veux, j’ai besoin de lui et je l’aime !». En 1956, Elvis fait rentrer vingt millions de dollars dans les caisses du Colonel. Sur les vingt, il en récupère trois. En 1957, il commence à porter son gold lame outfit, taillé par Nudie in Hollywood - Elvis was the proof of youth power - Grâce à lui, les jeunes devenaient les rois du monde, tout au moins d’un nouveau monde. En tournée, Scotty Moore et Bill Black touchent 200 dollars par semaine et ils reçoivent un bonus de 1 000 dollars à Noël. Ils trouvent que ça pue un peu l’arnaque, aussi envoient-ils tous les deux une lettre de démission. Elvis appelle Scotty pour lui demander de rester. Scotty demande alors une augmentation de 50 dollars plus 10 000 dollars cash pour payer ses dettes.

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             Et quand il revient de l’armée, Elvis est encore plus beau. Le bouquet bien sûr est le ‘68 Comeback. On comprend en voyant les images d’Elvis en 68 que Monsieur Jeffrey Evans ait choisi d’appeler son groupe ‘68 Comeback - Presley is one in a lifetime - Il redevient immédiatement le King - In rebellious black, a blood-red scarf and a guitar hanging around his neck - Les Anglais le veulent pour un show à Londres. Ils téléphonent au Colonel et lui proposent 28 000 dollars pour la semaine. Et que répond cette crapule ? «That’s fine for me. And now how much can you get for Elvis ?» C’est un fait : Elvis, c’est d’abord du business. Quand il accepte de jouer quatre semaines à Las Vegas, on prépare le merchandising : 150 000 photos couleur grand format dédicacées, 500 000 calendriers et 200 000 catalogues qui recensent les disques et les films d’Elvis. Les Sweet Inspirations l’accompagnent sur scène. Dans le public se trouvent Burt Bacharach et sa femme Angie Dickinson, Uncle Sam et ses fils Knox et Jerry qu’Elvis considère un peu comme des neveux. Vers la fin, Elvis déconnait bien sur scène : il s’en prenait à Glen Campbell, Tom Jones et à Engelbert Humperdinck. Il disait au public : «J’ai vendu plus de 200 millions de disques, j’ai 56 disques d’or. Je suis vraiment fier de tout ça. C’est plus que ce qu’ont fait les Beatles, les Stones et Tom Jones réunis, so pffft !» Belle façon de remettre les pendules à l’heure. Au-dessus d’Elvis, il n’y a plus rien.

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             The Presley Estate passe une deuxième commande à Robert Gordon : The Elvis Treasures, un grand format à l’italienne bourré de petits inserts et de répliques de reliques. Ce serait un gros gadget s’ils ne s’agissait pas d’Elvis. C’est quasiment du Graceland at home. Robert Gordon re-raconte certains épisodes qu’il raconte dans Elvis : The King On The Road, mais au lieu de soutenir son récit avec uniquement des photos en noir et blanc, il le fait cette fois avec des artefacts. On ouvre une petite enveloppe et on trouve un ticket pour le Slim Whitman Show en 1955, on ouvre une autre enveloppe et on trouve le fac-similé du contrat RCA adressé à Elvis et au Colonel, plus un reçu signé Elvis Presley pour la somme de 45 000 dollars, sur en-tête d’Hotel Peabody, à l’attention bien sûr du Colonel. Page après page, on voit se construire cette fascinante histoire qu’on connaît pourtant par cœur, mais qui ici prend un relief particulier. D’autres courriers RCA adressés à Elvis en 1956 suivent : signés Stephen H Sholes, ils recommandent des chansons à Elvis. On trouve plus loin une petite repro de l’affiche du film Jailhouse Rock et dans une enveloppe rouge se niche une belle carte postale : Elvis en uniforme souhaite des Holidays greetings to you all. Plus loin, c’est le fac-similé d’une longue lettre du Colonel adressée à Elvis, alors stationné à Badnauheim, Germany. Il ne l’appelle pas Elvis, mais Vernon. Plus loin, une très belle lettre d’Elvis à Anita Wood, à Memphis - My dearest darling little.

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             C’est en lisant sa prose qu’on réalise à quel point Robert Gordon adore Elvis. Il raconte par exemple qu’Elvis fit 31 prises d’«Hound Dog» au studio RCA de New York et qu’il sélectionna le dernière, the ferocious last one. Puis il revint à Memphis jouer au Baseball Park, performing as wildly as he liked et tenant à rappeler que s’il était devenu une star, c’était grâce aux gens de Memphis. En 1956, Elvis a déjà sept disques d’or et il débarque à Hollywood pour tourner son premier film. Et quand il part à l’armée, il voit ça comme un répit, confiant à un journaliste que l’armée ne peut pas être pire que le cirque qu’il vient de vivre pendant les deux dernières années.

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             En 1967, il enregistre How Great Thou Art, l’album de gospel swing dont il est le plus fier. Nouvel hommage à l’homme avec le ‘68 comeback : Robert Gordon indique qu’Elvis avait le trac, car il n’avait plus joué en public depuis des années, mais le show comme on le sait se déroula bien, et reste, nous dit Gordon, a high mark of Elvis’ warmth, humility and guenine talent as an entertainer. Oui, au fil des pages, Robert Gordon n’en finit plus de rappeler qu’Elvis est resté tout au long de sa vie un mec bien.

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             Redémarrage de carrière avec From Elvis In Memphis et «Suspiciuos Mind» enregistré à l’American Recordings de Memphis, chez Chips Moman, et retour sur scène à Vegas avec James Burton et les Sweet Inspirations. Back to the roots - In Vegas, he was a smash - C’est assez spectaculaire, nous dit Robert Gordon. Elvis savait que le public de Vegas pouvait être dur, mais il le mit sur le cul - He utterly wiped them out, the memories, the audience, everybody and everything - Elvis avait tout inventé et ça restait intact. Les boss de l’International Hotel devenaient dingues, tout ce succès, ils voulaient Elvis encore et encore - A million bucks a year !

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Robert Gordon. The Elvis Treasures. Villard Books 2002

    Robert Gordon. Elvis : The King On The Road. Bounty Books 2005

     

     

    Inside the goldmine

    - Wilbert au grand pied

             Certains l’appelaient Bébert. Mais il préférait Robert. Il vendait des livres d’occasion à Bastille, du temps où il y avait encore un marché en fin de semaine et des concentrations de motos. Puis il alla faire les petits marchés de banlieue, vers le Kremlin-Bicêtre et Châtillon. Il réussit à maintenir sa camionnette en état de rouler assez longtemps. Il ouvrait une large fenêtre sur le côté et le rabat faisait office de comptoir. Il avait plus de gens venant le voir pour vendre que pour acheter. Et quelques habitués, qui parvenaient à se serrer la ceinture pour s’acheter le livre de poche d’occasion que leur conseillait Bébert. Il vendait ça une misère. Il parvenait néanmoins à vendre assez de bouquins pour payer l’essence et le loyer de son misérable cagibi, rue de Charenton. Comme il sautait souvent des repas, il maigrissait à vue d’œil, et à cet âge-là, la sous-alimentation ne pardonne pas. Il portait une casquette à carreaux très fatiguée et des lunettes de vue dont un verre était fêlé. Il avait bien sûr perdu toutes ses dents. Mais il continuait de lire, car il vivait dans la hantise de n’avoir rien à conseiller à ses habitués. C’est la seule chose qui le maintenait en vie. C’est pour eux qu’il descendait chaque week-end ses cartons, c’est pour eux qu’il chargeait sa camionnette. Il en bavait, car il n’était plus en état de porter des cartons de livres, même des petits cartons. Bébert était un sac d’os. Puis il lui fallait lancer le moteur et c’était un miracle quand il y parvenait, surtout en hiver. Il passait parfois une heure au volant, à essayer encore et encore. Il attendait entre chaque tentative, car il craignait de noyer le moteur. Mais lorsqu’il arrivait à son emplacement et qu’il payait le placier, il reprenait vie. Et puis un jour, l’emplacement resta vide. La semaine suivante aussi. Au bout de quelques semaines, on commença à s’inquiéter de ne plus voir Bébert et sa camionnette. L’un de ses habitués connaissait son adresse. Il s’y rendit. Il vit la camionnette garée devant le taudis. Personne au volant. La porte arrière n’était pas fermée à clé. L’habitué l’ouvrit et découvrit la momie de Bébert assise sur ses cartons, dans la posture d’un pharaon sur son trône, serrant contre sa poitrine un tue-mouche en guise de sceptre.  

     

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             Pendant que Bébert créait sa légende en se tuant à la tâche, Wilbert créait la sienne à la force du poignet. Dans un cas comme dans l’autre, les parcours furent assez rudes.

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             Kansas City, le premier album de Wilbert Harrison, date de 1965. Pas l’album du siècle, mais sa version de «Kansas City» rafle la mise, d’autant que Wild Jimmy Spruill rôde dans le lagon. L’autre coup de Jarnac est en B, c’est une cover de «CC Rider» grattée à la mandoline et jetée par-dessus la jambe. Normalement, si tu associes un féroce boogie man comme Wilbert avec Wild Jimmy Spruill, tu dois obtenir un bel album, ce qui est quasiment le cas. Wilbert au grand pied fait un bon choix de covers, comme le montre encore «Since I Fell For You», un classique de Buddy Johnson aussi repris par Laura Lee, Charlie Rich et Lenny Welsh. Wilbert tape un dance craze avec «The Horse» et y va au hey babe let’s do the horse right now.     

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             Sur Let’s Work Together, un Sue de 1969, Wilbert au grand pied tape l’heavy grrove du one-man band classique. Il a un son parfait sur le morceau titre. Ce sera sa marque de fabrique. Il passe à l’exotica avec «Tropical Shakedown», mais il est quasi-Velvet sur ce coup-là, on croit entendre les accords de «Sweet Jane». Il tape ensuite dans le «Blue Monday» de Fatsy. Wilbert a un style très pur, une bonne clarté dans sa démarche. Tout est solide sur cet album, et en même temps, il n’y a pas de quoi en faire un plat. Il tape plus loin dans le «What Am I Living For» de Chuck Willis. Bon, ça va bien cinq minutes. Il se frotte plus loin à «Stand By Me», et le conseil qu’on pourrait lui donner serait de laisser le Stand à Ben.

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             En 1971 paraît un album sans titre de Wilbert au grand pied. Ce Buddah sent bon la Nouvelle Orleans et grouille de bonnes puces, notamment deux covers de Fatsy, «Ain’t That A Shame» et «Blueberry Hill». Wilbert y met tout son cœur, mais il ne parvient pas à égaler Fatsy. En B, on se régale encore de «My Dream», un boogie blues classique. Allen Toussaint arrange les horns et Sehorn produit. On a donc un son très brut à la Sehorn. «Girls On Parade» est monté sur un Diddely beat et auréolé de voodoo, «Going To The River» plonge dans l’heavyness et la cover de «My Babe» est bien rockée au bassmatic.  

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             Sur Shoot You Full Of Love, Wilbert est tout seul. Il fait le one-man band. Il passe un fantastique solo déluré dans le morceau titre d’ouverture de balda. Encore une belle mouture délurée de «CC Rider», il la passe à la petite reverb d’alrite. Il passe des coups d’harp comme Dylan dans «Little Liza Jane» et ramène tout son rezonar dans «That’s All Right Baby», il dispose d’une reverb magnifique, il est en pleine modernité, en plein technicolor. En B, il gratte un peu de calypso («Down On The Corner») et tape une belle exotica des îles avec «Near To You». Il fouille dans les racines de sa psyché. Il termine avec un vieux clin d’œil à Guitar Slim («Things I Used To Do»), c’est bien appuyé, bien positionné dans l’écho du temps, il a même un orgue en contrepoint.

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             On retrouve Allen Toussaint sur l’excellent Soul Food Man. L’esprit règne sur l’heavy beat scintillant d’«I Really Love You». Le son n’est pas chargé, c’est même un peu spécial, comme désossé et enrichi avec tact. Pur jus d’Allen Toussaint. Avec «Mary Ann», Wilbert tape une belle calypso des îles, un mambo de hanches douces et parfumées. Il tape plus loin une belle cover du «Just Because» de Lloyd Price, puis il fait son affaire d’une compo à lui, «On Top Of Old Smokey». Quasi cajun ! En B, il passe au stomp de la Nouvelle Orleans avec «Coming Down With Love» et le titille au chat perché. C’est stupéfiant de qualité. Il fait encore un mélange heureux d’exotica, d’Africana et de Jimbalaya avec «Get It While You Can (Soul Food Man)», c’est magnifique de down on the bayou, tu as même un accordéon et des guitares Soukous. Il finit cet album de tous les saints avec «I’ll Never Trust Another Woman», un heavy blues bien soutenu au shuffle d’orgue. Allen Toussaint des saints ? Sans doute.

    Signé : Cazengler, Wilbert en berne

    Wilbert Harrison. Kansas City. Sphere Sound Records 1965   

    Wilbert Harrison. Let’s Work Together. Sue Records Inc. 1969  

    Wilbert Harrison. Wilbert Harrison. Buddah Records 1971  

    Wilbert Harrison. Shoot You Full Of Love. Juggernaut Records 1971

    Wilbert Harrison. Soul Food Man. Chelsea Records 1976

    *

             Se tromper n’est pas étonnant pour un éléphant Or je ne suis pas un éléphant. Pourtant je me suis trompé deux fois. Mais plus grave : j’ai commis, bis repetita non placent, exactement la même erreur que la semaine dernière. Tiens un groupe français, patriotique sursaut je chronique, ben non, y sont pas français. Un bon point : leur maison de disque est basée à  Vilnius en Lithuanie pays d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz si vous n’avez pas la chance de connaître ce zèbre de très haute lignée reportez-vous à notre livraison 689 de la semaine dernière, eux ils ne sont pas lithuaniens mais de Biélorussie. Historiquement les frontières de ces pays de l’Est de Europe ont subi de nombreuses variations. Quoi qu’il en soit, tout comme pour Aortes j’ai été victime d’un semblable coup de sang en entendant leur premier album :

    NATURE MORTE

    NATURE MORTE

    MATRAQUE

    ( K7, CD / Ashen Tree Records)

             L’artwork est de Marta Shcherbich. Elle réalise de très beaux portraits de jeunes gens, des vues que je dirais folkloriques de son pays, un pinceau tendre qui sait transcrire la beauté des choses et des êtres. Elle possède une veine plus sombre, certains visages sans corps sont porteurs d’étrangeté inquiétante et révélateurs de lourds mystères. Pour la couve elle a choisi une vanité, un crâne déposé sur le savoir poussiéreux de vieux libres, une guirlande de liserons, un papillon une timbale renversée d’où s’échappent des bracelets de corail rouge, sont-ce des gouttes de sang séché ou des perles de pierre philosophale s’effritant sous l’action des siècles.  Derrière, la roue éternelle du charriot temps immobile qui n’en finit pas de rouler sur elle-même.

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    Peu de renseignements sur ce groupe, essayez de deviner qui fait quoi : Vlad B. / Anton M / Evgeniy S. / Alexander G.

    Kola : (= roue) : une machine lourde et lente, impassible, vous ne pourrez pas l’arrêter, imaginez une locomotive traînant cent wagons derrière elle, parfois il vous semble qu’elle s’éloigne, c’est alors que vous réalisez que vous êtres dans un disque de noise-rock et vous entendez la bête immonde qui grogne, un ours géant et bientôt une voix communique avec vous, elle vous rappelle ces temps heureux où vous n’existiez pas où vous étiez bien au chaud comme dans un nid douillet, mais l’on vous a sorti de là pour vous jeter dans la vie, un lourd fardeau sur vos épaule, l’ours polaire gronde sur vos épaules, son haleine glacée vous souffle que ce n’est pas terminé que le poison de la vie vous sera à plusieurs reprises insufflé, et que ce venin finira par vous tuer, car la vie apporte la mort, tout compte fait cette angoisse vous permet d’atteindre lentement ( mais sûrement) le néant. Le rythme s’alentit car plus c’est long plus c’est insupportable. C’est presque le bonheur, des bribes de musique douce, des voix qui vous accuuillent, le bonheur du néant, vous avez rejoint l’œuf originel. Pustazelle : (= herbe) : vous êtes comme de l’herbe qui pousse dans les marais, qui naît, qui grandit, qui crève, qui pourrit, le processus prend son temps, le rythme ne s’accélère guère mais il devient davantage oppressant, les grognements sur vos talons, vous êtes dans un cycle vous n’y échapperez pas, bientôt tu renaîtras mais tu te désintègreras après cette efflorescence, la batterie te tape dessus à coups de cuillère à pot sur ta tête, sans doute existe-t-il une raison à ce processus continu, mais tu ne sauras jamais lequel au juste, tu n’as qu’attendre, attendre pour mourir, attendre pour naître, attendre pour attendre, vocal de folie ordinaire du lot de tout ce qui vit et retourne au néant. Une certaine amplitude sonore nous aide à comprendre que nous sommes les jouets d’un phénomène que nous ne pouvons intellectuellement cerner. Le train prend de la vitesse. Est-ce l’image du destin de l’humanité qui passe à la moulinette. Malimon : ( le mot existe en langues russe et biélorusse, mais aucun traducteur n’a voulu le traduire, un seul indice, peut-être faux, mali signifie petit.). Comme par hasard le morceau est très court, bruits divers, train, turbine, scie, avion qui vole, intermède noise, une espèce de rêve sonore est-ce la musique qui se prend pour du noise, ou le noise qui s’imagine être de la musique, sur la fin des grésillements électriques ou peut-être du papier déchiré. Perhaps, j’aime ce mot dont la terminaison vous happe, le bruit qu’entend un papillon lorsque ses ailes se brisent. Volya : (= volonté) : vous n’avez pas compris grand-chose alors on vous donne les explications, vocal hurlé et vomi, une véritable révélation, vous êtes comme une bille, une petite perle, arrêt brutal, l’on déverse un tiroir de millions de perles, l’une d’entre elles, souvenez-vous en, c’est vous, à vous de rouler dans le sens que vous voulez, prenez vos responsabilités, vous ne serez que ce que vous voulez être, il y a peut-être quelque chose qui vous enfile, pensez à l’image de la première Parque Atropos, ensuite c’est à vous à désobéir, à vous de rompre le fil et de vivre votre vie de perle libre, chacun se forge un chemin, un destin différent de tous les autres, la batterie cavale, barrez-vous, courez, personne ne vous rattrapera c’est vous qui inscrirez votre destin, qui lui ferez écrire ce que vous voulez, je ne dirais pas que la musique devient joyeuse mais qu’elle décrit votre propre inexorabilité, attention le rythme s’alentit, l’ours polaire de la mort vous rattrape-t-il ou alors peut-être que vous n’avez plus peur, que votre volition l’a transformé en chien fidèle qui galope à vos côtés, oui vous avez repris vos jambes à votre cou et vous courez vers vous-même… Crissements de freins Pry`py`nak : (= arrêt) : qui se poursuivent sur ce morceau. Comme ces trains qui marchent à deux kilomètres à l’heure et qui s’en vont – le temps vous paraît interminable, vous êtes pressé de descendre – s’arrêter tout doucement le long du quai. Encore un instant, le temps que les moteurs décroissent et stoppent enfin. Attention les portes sont ouvertes, mais tout redémarre à la vitesse d’une fusée, est-ce votre imagination qui cavale ou est-ce que c’est reparti pour un tour. Le saurez-vous seulement un jour. Et si le moment du départ et celui de l’arrivée n’en  formaient qu’un ?

             Certains vous diront que c’est beaucoup de bruit pour rien. C’est vrai que c’est noisy et que la vie ce n’est pas grand-chose, mais enfin en moins de trente-neuf minutes, Matraque et sa Nature Morte vous file un tour  gratuit sur l’interminable  grand-huit du  cycle de l’Eternel Retour. Vous ne trouverez pas mieux en moins de temps.

             Superbe.

    Damie Chad.

     

    *

            Certaines choses sont plus difficiles à comprendre que d’autres. Surtout que là il s’agit d’une conspiration. Vous imaginez le labyrinthe obscur qui se profile. Les comparses, le motif, le pourquoi et le comment. Mais-là c’est encore plus difficile, ce n’est pas à proprement parler une conspiration mais une théorie sur ladite conspiration. Preuve que jamais personne n’en a percé encore le sens puisque l’on propose une théorie. Pas de problème, quand l’on est  un fan de Dupin le détective en chambre d’Edgar  Allan Poe qui vous résout une énigme sans quitter son fauteuil, l’envie vous titille de vous pencher sur cette mystérieuse théorie au sujet d’une conspiration. Hélas, au troisième terme de ce mystère que vous supputiez insoluble vous haussez les épaules. Bullshit ! quoi la théorie de la conspiration de… Judas !

    Qu’en ai-je à faire, moi Damie le païen, que les chrétiens aillent se faire pendre où ils veulent, je vais illico sortir mes chiens, au moins j’aurais l’impression d’avoir agi pour le progrès de l’Humanité. J’allais envoyer   bouler lorsqu’un détail a retenu mon attention. Quoi, ce sont des Grecs, avec tous les Dieux qu’ils ont sur l’Olympe, faut qu’ils s’intéressent au dénommé Jean-Claude, cela demande réflexion. Qu’est-ce qu’ils nous disent au juste, ces bénis oui-oui, ces traîtres en puissance, ces renégats. Vous n’allez pas me croire : ils ne pipent pas un seul mot : vous servent un album instrumental. A vous de vous dépatouiller, en plus le titre de l’album n’est pas en grec mais en latin ! Font tout pour me décourager, ils vont voir de quel bois je me chauffe : du pin !

    AD SOLEM

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    (Bandcamp / Avril 2025)

    George Rouvalis & Thodoris Stefou : guitars / Thomas Kinopoulos-Wood : bass /  Andreas Karantoumanis : drums / George Rouvalis & Thodoris Stefou : Synths / George Rouvalis : Background Vocals on « Selenocentric ».

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    Premier indice : la couve, une véritable boule de cristal. Elle est d’Andreas Karatoumanis : je ne sais si toute sa manie est de se carapater, mais je n’ai trouvé aucun lien qui me conduisit  à Andreas. L’image peut paraître mystérieuse mais le titre Selenocentric nous aide à comprendre le blanc symbolique dans laquelle est présentée le phénomène astral de syzygie. Ici lunaire. Le cercle jaune représente le soleil, la masse ombreuse représente la terre.  La lune et la terre non parfaitement alignées avec la terre  sont selon leurs positions respectives en conjonction ou en opposition, déterminant ainsi les phases de pleine lune et de croissant de lune.

    Ritus Jani : Janus n’est pas le dieu romain le plus célèbre, il est pourtant l’un des plus importants. Les portes de son temple restaient ouvertes en temps de guerre. On ne les fermait que lorsque la paix survenait. Souvenez-vous de la Pax Romana, période de prospérité. Janus possède deux visages, l’un tourné vers l’avenir et l’autre vers le passé. Il est le dieu du temps conçu comme passage. Son culte est celui du commencement, il est célébré entre autres le premier jour des calendes qui est celui de la pleine lune. En effet la musique s’écoule paisiblement, telle l’eau clapotante du Tibre qui coulait pas loin du temple de Janus, parfois il semble que le nuage des guitares s’assombrit et que la ponctuation de la batterie se précipite, mais peu à peu les choses reprennent leur place et la sérénité revient, qu’est-ce que l’agitation humaine pour ce Dieu qui connaît toute l’histoire toute la provenance et tout le destin de l’humanité, ce ne sont pas quelques peccadilles politiques ou anicroches guerrières – les hommes appellent cela des bouleversements ou des calamités – qui seraient capables d’altérer la souveraineté de celui dont la grandeur égalait celle de Jupiter. Selenocentric : Notes grêles de synthé sympa, oui c’est Séléné la vestale, celle qui est amoureuse d’Endymion à qui Zeus a octroyé l’éternelle jeunesse et l’éternel sommeil, le rythme se précipite, la lune change de quartier voici Artémis à l’œil aussi aigu que ses flèches, impassible inatteignable, attention voici la dernière métamorphose, Hécate grinçante, la préférée des rockers, celle qui apporte le malheur, le danger et la mort, lune changeante, peu fiable au mystérieux sonore ironique, elle cligne de l’œil comme le dernier des hommes de Nietzsche, le morceau se finit en final éblouissant, aveuglant. Akatos : nous avons vu la lune sautillant, jouant à volte-faces, revoici exactement la même chose, la même rotation, mais pourquoi le son s’échoïfie-t-il et pourquoi cette sonorité mystérieuse, et pourquoi le morceau est-il si bref ? Quelle image davantage contrastée de l’éternité de son cycle immuable, inébranlable, akatoïque, qu’un court instant, qu’un fragment arraché à la totalité de la ronde des astres aurait-il été possible de donner pour figurer l’incommensurabilité infinie de la course des Dieux dont la régularité maintient l’ordre du cosmos hors de la béance du kaos… Syzygia : nous avons eu une courte vision de la divinité fondationnelle de l’ordre du monde, voici la même chose, entrevue non plus selon les Dieux, mais selon les faibles et friables créatures humaines, les astres influent sur les hommes, ils ne dirigent pas, ils inclinent, goûtez la lourdeur de ce mot sur votre nuque, leurs positions exceptionnelles sont les marques du destin, logiquement le morceau est assailli de sonorités menaçantes, bientôt davantage annonciatrices de sombres évènements, lorsque le son s’amplifie, qu’il tombe sur vous comme se lèvent les rideaux du théâtre du monde dont vous êtes parfois le héros heureux, souvent la victime. In transitu :encore un morceau très bref, comme des notes de piano qui résonnent dans l’immensité, le transit c’est le départ, l’arrachage, l’éloignement, la sublimation, l’on quitte la terre, l’on quitte la lune, ces déités inférieures ne nous retiennent plus, Platon vous expliquerait que votre âme part en voyage vers le royaume des Idées, Pleiades : sonorités cristallines, c’est le morceau le plus long, vous visitez la voûte céleste, tous les héros de la mythologie sont là, les Pléiades ne sont qu’une étape, une adieu symbolique, elles viennent à la fin des moissons, s’en vont et puis disparaissent, elles ne reviennent que lorsque vous devez labourez vos champs, vous abandonnez ce cycle sans cesse recommencé,  c’est alors que la musique se lève, une voile que le vent gonfle, un bref silence, puis pour signifier l’immensité du vide silencieux, les notes s’étirent preuve qu’elles ne peuvent occuper l’immensité de cette viduité et la remplir, vous êtes un point dans une vastitude que votre esprit ne saurait conceptualiser, la raison vous échappe, vous êtes dans un autre pays sans nom, sans frontière, sans fin, les guitares ahanent, seule la batterie s’entête pour raviver les énergies défaillantes et vous voici dans l’Aether : comme par hasard c’est le moment le plus rock’n’roll du disque, l’Ether est cet air plus pur, plus fin, un feu subtil qui embrase vos poumons, vous êtes dans la sphère des Dieux, la guitare klaxonne un peu comme les voitures dans les rues alors que votre pays vient de remporter la coupe du monde, évidemment c’est un état très supérieur, la lumière s’effrite autour de vous, vous êtes parvenu au plus près de l’orbe du soleil, beaucoup de bruit, presque cacophonique, vous n’êtes pas dans une contemplation mais dans une exultation sans chaîne. L’arrêt est brutal. Vous en avez déjà trop vu.

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             Voici la liste des mots que George Rouvalis est censé vous délivrer dans dès le deuxième morceau : Lumière, Etoile, Monde, Vie, Ether, Foi, Ciel, Arcane, apprenez-les comme un mantra, ou essayez de les transformer en casse-tête chinois en les emboîtant les uns dans les autres, ou alors relisez Le Jeu des Perles de Verre d’Hermann Hesse, faîtes-en tout ce que vous voulez, prenez des initiatives non de Zeus ! moi je m’en fous j’ai résolu le mystère de cette théorie de la conspiration de Judas. Nos grecs ont choisi leur nom par esprit de dérision. Qu’est-ce que cette théorie obligatoirement boiteuse de la conjuration de Judas comparée à l’instrument du dire mythologique de la Grèce Antique. Rien, un truc qui ne vaut même pas un pet de lapin.

             Un clin d’œil à Aristophane.

    Damie Chad.

     

    *

             Tout se passe se passe dans la tête ai-je l’habitude d’assurer. Dès que j’ai vu le nom du groupe, m’y suis jeté dessus tels ces pythons facétieux qui se laissent choir de la  plus haute des frondaisons sur l’innocent touriste qui hasarde un premier pas dans la forêt équatoriale. Cette technique à l’aveugle est dangereuse. Peut-être abusé par mes prédilections vais-je jouer le rôle de l’abruti de service qui va finir réduit en marmelade sanglante dans les anneaux du reptile. Tel est pris qui se croyait prédateur. Tant pis, fions-nous à l’instinct du rocker. Reconnaissons que le titre de l’album n’incite pas à l’optimisme.

    TAKERS

    PSYCHIC WARS

    (Bandcamp / Janvier 2025)

             Le groupe formé en 2021  a enregistré une dizaine de singles est basé à Collingswood. Modeste bourgade du New Jersey, état qui abrite toute une partie de la population de New York

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    La couve est de Jonathan Hodges. Je n’ai rien trouvé sur lui, par contre je peux vous certifier qu’il existe de par ce monde une pléthore de Jonathan Hodges. Parmi eux une inquiétante proportion, bien au-dessus de la moyenne, de frappés de la cafetière. Indices troublants qui ne préfigurent en rien de l’auteur de l’illustration. Cette main crispée sur une paroi infranchissable n’est pas sans rappeler la main qui a illustré la couverture de l’édition en Livre de Poche du roman Le Mur de Jean-Paul Sartre. Si vous êtes moi, si Sartre vous déplaît, je vous propose Le Mystère des Gants Verts d’Enid Blyton dans lequel la bande des mains vertes sortie tout droit de l’imagination d’un gamin loufoque ne tarde pas à se matérialiser…

    Une notule nous indique que les titres de cet EP sont inspirés du roman : Black Tongue Thief (Le voleur à la langue noire) de Christopher Buehlnam. Ce dernier, né en 1969, enfant adopté et surdoué s’est très vite passionné pour le Moyen-Âge. Il a créé une espèce de numéro de foire qu’il présente dans les festivals médiévistes. Il propose à un groupe de spectateurs de faire rôtir vivant un de leurs ennemis… Il a aussi écrit plusieurs romans dont l’un consacré au tragédien Christopher Marlowe. Sa pièce de théâtre Faust a marqué les esprits. S’il n’avait pas été tué lors d’une rixe quels autres chef-d’œuvre nous auraient-ils légués… son drame est digne de Shakespeare à tel point que certains ont imaginé que ces deux auteurs ne formaient qu’une seule et même personne.

    Ellei Johndro : vocals / Jon Hodges : guitar, vocals / Matt Hanemann : guitars / Derek Zglenski : bass / Travis Dewitt : drums, percussion

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    Takers : si vous n’avez pas lu le roman pas d’inquiétude, Psychic Wars vous propose une vidéo. Si elle est censée faire peur, c’est raté. Une ambiance carvanalesque qui vous donne envie de rire, tous les poncifs de l’horreur en carton-pâte accumulés en cascades. Un conseil, écoutez la version sans image, vous éviterez le lourd fabliau médiéval farcesque. D’ailleurs la musique n’est pas vraiment noire, la batterie joue un peu à la grosse caisse des fêtes foraines ce qui ne l’empêche d’abattre sa ration de besogne, les voix dédoublées ne sont pas tristes, seules les guitares se comportent comme un train fantôme qui fonce dans l’inconnu d’une nuit noire. Au beau final un beau remue-ménage entraînant. Disons que ça ressemble aux squelettes en sucre du jour des morts mexicains. Wandering thief : vaut mieux écouter en admirant la main essayant de griffer le béton du piège dans lequel vous êtes tombé, orchestralement c’est bien foutu avec ces cors que vous aimez entendre sonner le soir au fond des bois, les guitares crissent un peu, mais comme l’on vous raconte l’histoire du petit agneau innocent qui finit par se faire dévorer par le méchant loup, et que vous connaissez la récitation du Loup et de l’agneau de Jean de La Fontaine, vous entrevoyez très bien le massacre final, mais le drame ne vous fait plus peur, vous l’appréciez en esthète. Deadlegs : là c’est nettement plus sombre, les vocaux sonnent un peu Beatles mais comme les guitares hérissent leurs poils du dos à la manière cruelle d’un chat noir qui va croquer une souris blanche, la batterie  s’abat avec la lourdeur d’un couperet de guillotine,  vous comprenez que le chaudron de sorcière ne va pas tarder à bouillir et à déborder dévoilant d’infâmes condiments dignes des tribus cannibales, les paroles tournent au délire macabre, la veuve noire au haut de sa tour blanche, dévoile la tapisserie de la dame à la licorne égorgée et pour terminer le serpent au fond de la soupière suivant sa mauvaise habitude onaniste se mord la queue.  

             Très agréable à écouter un peu guignolesque, un peu guignolet sucré à la gaine acidulée, héroïc fantasy de bon aloi. Ces américains ont l’esprit anglais. Par contre les guerres psychiques ne sont plus ce qu’elles étaient. Je croyais découvrir les noirceurs de l’âme humaine et je me suis retrouvé en pleine fête foraine ! Pour ne pas dire en pleine joie de vivre.

    Damie Chad.

     

     

    *

             L’on n’est jamais trahi que par soi-même. J’en suis une preuve accablante. Suis en train de morigéner, suis en train de faire le tour des nouveautés, cherchant quelques tubulures qui sortent de l’ordinaire. Je ne trouve que du grandiose, le genre de carbure que dans ma tête dure de rocker je classe parmi les MCA. Rien à voir avec MCA (records) qui racheta Decca et plus tard Chess, laissons-cela, dans mes MCA  à moi, comprenez mon acronyme : Musique Classique Avortée, je range toutes ces formations issues du rock qui comme la grenouille de La Fontaine essaient de se faire plus grosses que la vache philharmonique. Bref ce soir, pas moyen de mettre la main sur le riff transcendantal  qui tue. Que des trucs emphatiques qui pètent plus haut que leur cul. Le mieux serait d’aller au dodo, je m’apprête à regagner ma couche royale quand  mon œil accroche un titre, tiens un ‘’océan de pensées’’, pas mal, ben non j’ai mal lu : ‘’pas’’ un océan de pensées, tiens ils n’ont pas tort, puisque d’après moi depuis Aristote notre triste Humanité a arrêté de penser. C’est qui ces zigotos ? avec un nom pareil, sûrement des anglais. Vérifions, zut des français. Jetons un coup d’œil, l’on ne peut laisser des compatriotes en rade toute la nuit. Bref c’est moi qui ai passé une nuit blanche. Et tout ça pour un trabuc que je classe parmi les MCA !

    EIMURIA

    BANK MYNA

    (Araki Records/ Avril 2025)

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    Un regard sur la couve : pas mal du tout. Ces visages à l’aspect de masques mortuaires, ces deux mains qui se saisissent de l’un d’entre eux comme pour l’extraire de sa couche de toiles goudronnées superposées et déchirées, à moins que le corps qui n’apparaît pas ait été enfermé dans le tronc cercueil d’un arbre évidé dont on viendrait de percer la couche des écorces protectrices… Quel étrange rituel ! Quel mystère profanateur dans ces manipulations modernistes d’exhumations de cadavres antiques retirés de la gangue des temps anciens qui avaient veillé à leur préservation. Quant aux trois autres masques sur le côté, seraient les chefs subalternes de domestiques sacrifiés pour accompagner leur maître au pays des lémures. Sont-ce des spectres que l’on serait en train d’éveiller dans le but qu’ils viennent hanter le monde des vivants, dans l’espoir de semer le trouble dans l’esprit des vivants dans le seul but de nous rappeler que les portes de corne et d’ivoire, chères à Gérard de Nerval, se peuvent emprunter dans les deux sens.

    L’étrangeté de cette couve nous pousse à visiter l’Instagram de sa créatrice. Ramona Zordini. D’Italie, autrement dit la coque politiquement organisationnelle  qui recouvre l’espace géographique originelle de l’antique romanité lémurienne. Ramona Zordini révolutionne la technique du cyanotype. Procédé inventé par John Frederick William Herschel (1792 – 1871). Un astronome qui braqua son intelligence sur les étoiles et n’oublia pas de regarder en arrière en offrant une traduction de l’Illiade d’Homère. Le cyanotype est un procédé photographique monochromique. Une espèce de cannibalisme. Posez sur une feuille de papier enduite de potassium une feuille d’arbre, après avoir soumis l’ensemble à un rayonnage ultraviolet, vous obtenez en blanc la forme de la feuille d’arbre reproduite sur  le fond désormais bleu ombreux de votre feuille de papier. Ramona Zordini joue sur les couleurs en adaptant à sa guise les temps d’exposition et différents produits chimiques. Nous invitons le lecteur à établir quelques analogies opératoires avec les procédés alchimiques. Une méditation adjacente sur le Traité des Couleurs de Goethe n’est pas interdite.

     ‘’Colorier’’ une feuille de papier ne suffit pas à Ramona Zordini. Elle cherche à atteindre la bi- et la tridimensionnalité cyanotypique. Par un jeu de superpositions de feuilles pré- ou post-découpées  elle recouvre la platitude initiale du cyanotype de diverses épaisseurs, à leur tour travaillées, dont les échancrures centrales donnent cette impression sarcophagique de relief protecteur et de de profondeur  béante si caractéristique de ses créations. Une œuvre artefactique qui contribue autant au voilement qu’au dévoilement. Merci Heidegger.

    Une heureuse surprise que cette découverte de Ramona Zorbini. Mais une forêt ne possède pas qu’un seul arbre. Deux lignes du court texte par lequel Bank Myna présente son album ‘’ spécialement inspiré par les vies et les productions artistiques de la poétesse Alejandra Pizarnik et de la sculptrice Camille Claudel’’  m’ont fait sursauter.

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    Résident à quinze kilomètres de Nogent-sur-Seine, charmante bourgade dans laquelle se déroule la première scène de L’éducation Sentimentale de Flaubert, de surcroît elle abrita la jeunesse de Paul Claudel et de sa sœur qu’il fit interner durant quarante ans avec interdiction de sculpter…, et aujourd’hui s’enorgueillit du Musée Camille Claudel, je ne peux ignorer ni la vie ni l’œuvre de  la sculptrice. Je me souviens notamment d’une manifestation nocturne pour imposer aux pouvoirs publics réticents en compagnie de plusieurs centaines d’habitants à l’édification de ce conservatoire…

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    Alejandra Pizarnik, le nom ne me disait rien de rien. Wikipedia me renseigne, poétesse argentine (1936-1972) trop jeune – ou pas assez - choisissez l’option qui vous convient, ne jouent que ceux qui ont dépassé trente-six ans et qui donc n’ont pas suivi son exemple en se suicidant. Tiens, elle a vécu à Paris entre 1960 et 1964 – ça sent le surréalisme – doit bien rester quelques traces. Elle y a rencontré André Pieyre de Mandiargues – voici des années que je me promets de chroniquer son roman La Motocyclette – il est vrai que ce poëte reste occulté par la noirceur de son propre soleil, Yves Bonnefoy, Antonin Artaud, Alejandra avait bon goût. Une vie écartelée entre mal-être, désirs d’une vie de décadence et exigence de solitude. Pratiquement toute son œuvre a été traduite en France. Notamment par Claude Esteban directeur de la revue Argile. C’est ainsi que je m’aperçois que je l’ai  obligatoirement lue puisque dans les seventies je me procurais cette belle revue de poésie, qui malheureusement ne prenait pas de risques, or la poésie sans risque… Je n’en ai aucun souvenir, pourtant les nombreux textes disponibles sur le net sont engageants.

    Constantin du Closel / Fabien Delmas / Maud Harribey / Daniel Machо́n.

             Phonétiquement le titre de l’album nous évoque les lémures, ne pas les voir en tant qu’apparitions, en tant que revenants, une espèce de reviviscence égrégorique de quelque ancienne présence, mais en tant que phénomène de désintégration de quelque chose qui palpite encore mais qui est en voie de désintégration. Selon le dictionnaire Eimuria désignerait un tison qui s’éteint doucement, une mort en quelque sorte illuminescente. 

    No ocean thougths : une porte que l’on referme dont les échos se répercutent sous une voûte d’ombre et s’évanouissent pour laisser place à la récitante, à la prêtresse qui chantonne en étirant les prophéties accomplies, car depuis le début des temps tout est déjà accompli depuis longtemps et les actes se répètent à l’infini puisqu’ils ont déjà été commis une fois, il n’est nul besoin d’y penser et d’y repenser mille fois, les pensées sont faites de mots et les mots ne sont que l’oubli des choses qui ont eu lieu, la musique se traîne en une majestueuse robe noire de mariée qui arrive en retard pour les noces déjà passées dont elle n’est plus que l’absence dépassée. Imaginez des fracas de violoncelles et des choses percussives qui tombent dans leur immobilité. Un majestueux prélude qui sonne tel un crépuscule. The shadowed body : quand il n’y a plus de pensée ou bien si peu qu’elle ne porte plus de signification, il reste encore à se livrer à l’occultation de son propre corps,  l’on pense à la manière radicale de cet enfant spartiate qui refusant son statut de prisonnier s’est fracassé la tête contre un mur pour périr en homme libre, mais ce n’est pas ici la solution envisagées, à la voie sèche de passation de pouvoir l’on a préféré la voie humide, plus longue et de grande patience, peut-être est-ce pour cela que malgré l’ambiance funèbre de base et les onze minutes du morceau, l’on ne s’ennuie pas, le trauma musical est empli de rebondissements, l’on négocie des courbes en progression constante, surtout pensons que la mort du corps est encore une geste érotique qui tourne à l’exaltation, à l’imprécation, à l’éjaculation orale dans le vide du non-être. Mortelle catharsis. The other faceless me : je serais tenté de proclamer que ce morceau serait intrinsèquement dédié à l’art cyanotypique de Ramona Sordini, ne serait-ce que par ce pinceau de lumière bleue sur l’écran noir de la vidéo qui bientôt irradie de sa pâleur bleuâtre le visage et le corps de la prêtresse qui danse. La caméra à bout pourtant sur des mains qui se croisent, combien sont-elles, une de deux, trois jusqu’à ce que le voile sombre s’entrouvre sur le corps de ballet, des sacrificatrices qui dansent et s’entrecroisent dans leur solitude, au loin une porte étroite permet de voir qu’au dehors que le monde est bleu mais pas du tout comme une orange, maintenant tout un peuple de présence danse, mais que cela signifie-t-il, une danse mortelle, certes mais surtout cette autre face de moi-même sans visage, ma sœur d’ombre que je porte en moi beaucoup plus qu’elle ne me soutient, et portant si séparée de tous les autres, de toutes les autres, une façon de nuptialité égotique de soi-même avec l’une des moitiés – oui mais laquelle – de soi-même, est-ce pour cela que maintenant elle est seule dans sa propre centralité, indifférente à cette surface adjacente du monde dans lequel elle se ait incapable d’évoluer, malgré ces gestes d’amour, ces étreintes, go indigo go !, l’absence de moi ne serait-il qu’une rupture de moi selon la moitié de moi manquante, un tournoiement spectral d’une pensée sans corps à moins que ce ne soit un  corps sans pensée… le lecteur qui aura eu la curiosité de lire quelques poèmes d’ Alejandra Pizarnik ne sera pas perdu dans cette évocation de ses thèmes poétiques prédilectifs. L’ensemble dure près de neuf minutes. Bank Myna se livre à une espèce d’art total qui allie : chant-musique, image-danse, et profération-poésie. Une espèce de mise en œuvre tridimensionnelle pour reprendre les volitions tridimensionnelles de Ramona Sordini. La mise en voix de Maud Harribi est exceptionnelle. La musique colle à elle comme la peau du serpent s’entrelace autour de votre chair. Burn at the edges :  nous parlons de la

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    peau du serpent, la voici dès la première seconde  de la vidéo. Orange aveuglant. Les peintres vous diront qu’il est la complémentaire du bleu. Tout comme l’éros et l’attrait de l’autre sont le complémentaire de la solitude de soi-même. L’on ira même jusqu’à employer le mot supplémentaire car si le supplément est souvent considéré comme un bon ajout, il peut être aussi dénigré comme un trop, qui peut altérer la plénitude du juste milieu, même si celui-ci est aussi l’autre côté de l’injuste moitié. N’importe, pour le moment le morceau est si jouissif, si joyeux, si éclatant, que l’on s’en réjouit, même si l’on n’ignore point  qu’en son centre se niche un abysse irréductible, une pointe de noir, une blessure aussi écarlate que le sang menstruel, ce soleil rougeoyant de la vie qui s’écoule dans la fosse noire creusée par Ulysse pour susciter la part morte des siens qui remontent des Enfers pour le mettre en garde de l’inéluctable qui l’attend. L’implorante : les cris intérieurs que Camille Claudel n’a peut-être pas poussés, peut-être parce qu’ils étaient la seule matière noire à sa secrète disposition qu’elle était capable de sculpter, cette plainte pathétique Bank Myna essaie de nous en offrir une équivalence musicale, d’ailleurs la musique, une variation du prélude, se taille un peu la part du lion, car ce qui ne peut se dire doit être tu, alors Maud reprend sa langue à deux mains et tire la lente et cruelle psalmodie que l’on imagine incessante et éternelle, mais que l’artiste attachée à sa survie, liée à son rouet muet file la parole infinie de sa plainte qu’elle garde au-dedans d’elle, comme son ultime richesse que personne ne pourra lui subtiliser.  Maud reprend l’antienne souterraine pour nous faire miroiter les souveraines sculptures qui n’ont pas fui de ses mains. Chuchotement invisible qu’elle reprend comme l’hymne à voix basse du désespoir de vivre privé de la moitié la plus importante de soi-même.

             Non, Bank Myna n’a pas trouvé le riff qui tue, mais leur Eimuria est tout aussi meurtrier.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 689 : KR'TNT ! 689 : ELVIS PRESLEY / DICTATORS / OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM / JADE BRODIE / AORTES / REPTILIAN ARMS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 689

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 05 / 2025

     

     

    EIVIS PRESLEY / DICTATORS

    OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM

    JADE BRODIE / AORTES /  REPTILIAN ARMS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 689

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu

     (Part Six)

     

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             Guralnick profite du départ d’Elvis à l’armée pour clore Last Train To Memphis -The Rise Of Elvis Presley et démarre Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley avec le retour triomphal du King démobilisé à Memphis. Et c’est là que le Colonel embraye sur le very very big business. Guralnick réussit l’exploit de montrer comment deux personnalités aussi opposées ont pu fonctionner ensemble : il confronte en permanence l’obsession du profit que cultive le Colonel, et l’extrême pureté comportementale d’Elvis. L’ombre et la lumière. Balzac n’aurait pas mieux fait. Guralnick nous propose ni plus ni moins qu’une Comédie Humaine des temps modernes. Dans la culture rock, peu d’écrivains sont capables d’un tel prodige. On peut citer les noms de Robert Gordon, Nick Kent, Nick Cohn, David Ritz et Richie Unterberger. Mais Guralnick travaille la psychologie de ses personnages plus en profondeur. Il cite d’ailleurs Kundera dans son beau texte d’introduction à Careless Love : «Suspendre le jugement moral, ce n’est pas l’immoralité du roman, c’est sa morale.» Oui, Guralnick pense que l’histoire d’Elvis est celle de la célébrité, et qu’elle est aussi une tragédie. Elle induit par conséquent une dimension morale qui ne peut être que celle de l’auteur. Pour Guralnick, le jugement moral est incompatible avec la démarche biographique. Il n’est pas là pour juger le Colonel que tout le monde voit comme une ordure, mais pour observer son rôle auprès d’Elvis. Il dit aussi qu’on connaît mal Elvis, pour les mêmes raisons : cette hâte qu’on met tous à porter un jugement. Elvis avouait lui-même qu’il éprouvait de grandes difficultés à rester à la hauteur d’Elvis. C’est la relation entre le Colonel et Elvis qui fascine tant Guralnick. Il dit ne pas connaître d’histoire plus triste que celle-ci.

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    ( Peter Guralnik)

             Les 700 pages de Careless Love sont un monument élevé à la pureté d’Elvis. Un Elvis qui pendant son séjour en Allemagne se goinfre d’amphétamines. Il adore ça car il se sent bien en permanence. Rien à voir avec les drogues. Elvis va se shooter aux amphètes toutes sa vie, mais il n’est pas un drogué, vous saisissez la nuance ? À Graceland il est fier de montrer sa chambre aux visiteurs. Sur sa table de chevet trônent deux livres, La Puissance De La Pensée Positive du bon Dr Peale et Comment Vivre 365 Jours Par An de John Schindler. Elvis est un être naturellement positif. Vernon et Gladys Presley l’ont élevé ainsi.

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             Elvis poursuit sa carrière à Hollywood. On lui fait jouer n’importe quoi. Millie Perkins qui le rencontre sur le tournage de Wild In The Country n’en revient pas : «The essence of Elvis was as fine a person as I’ve ever met. He treated me as well as anyone has ever treated me in this business.» Personne dans le monde du cinéma ne s’était aussi bien comporté avec elle. Elvis s’efforce pourtant de bien faire son job d’acteur, mais on lui confie des rôles ineptes - Silly posturings of trembling sensitivity - Ce sont les regards féminins qui percent le mieux le mystère d’Elvis. Ainsi, Annie Helm explique qu’Elvis a une patience infinie, qu’il reste toujours très poli, mais il veut que les choses se fassent d’une certaine manière. Annie Helm dit aussi qu’elle se goinfre de Dexedrine avec les boys. Party every night ! Il faut savoir aussi qu’Elvis ne porte pas de sous-vêtements. Une coquetterie qu’on retrouve chez les gens du MC5 et des Stooges. Chez les femmes, Elvis préfère les sous-vêtement blancs. All-white.

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    ( Elvis + Larry Geller)

             Voilà qu’Elvis rencontre Larry Geller, un homme féru de littérature ésotérique. C’est le commencement d’une relation intense. Elvis s’y abreuve. Larry réussit à assouvir cette soif incroyable de spiritualité. Elvis lui avoue à quel point il se sent vide. Il a besoin de donner un sens à sa vie. Il sent qu’une main le guide, il se dit qu’il doit y avoir une raison à tout cet incroyable succès. Pourquoi toute cette adulation ? Il veut savoir pourquoi il a été choisi pour être Elvis Presley. Touché par la candeur et l’honnêteté d’Elvis, Larry prend ces interrogations très au sérieux. Il alimente Elvis en lectures et malheureusement, ça crée des jalousies dans l’entourage. On ne peut pas vraiment parler d’un entourage intellectuel, if you see what I mean. Priscilla et les Memphis Boys détestent Larry Geller, et le Colonel encore plus. Il craint une dérive. C’est effectivement ce qui arrive. Elvis n’a pas dormi depuis deux jours et soudain, il a une hallucination. Il dit à Larry qu’il veut devenir moine ! Mais après une bonne nuit de sommeil, il revient à la réalité, d’autant que Larry lui rappelle qu’il doit faire face à ses responsabilités : il a reçu un don qu’il doit partager avec le monde entier. Donc pas question de disparaître. L’argument tape en plein dans le mille. Elvis est un mystique. Il ne considère pas le Colonel comme son mentor, mais comme un talisman. Il lui doit ce qu’il appelle sa good luck. Il en est profondément convaincu. Sur la recommandation de Larry, Elvis se rend en Californie auprès de Sri Daya Mata, l’héritière spirituelle d’un Yogi venu des Indes, Paramahansa Yogananda. Daya Mata qu’on appelle Ma a rencontré les hommes célèbres de son temps, Tagore et Gandhi, entre autres. Elle est aussitôt frappée par l’innocence d’Elvis. Elle voit en lui un esprit infantile en proie à l’adulation du monde entier. Non seulement il aime cette adulation, mais il parle d’un lien profond avec son public. Pas question pour lui de le décevoir. Elvis dit aussi devoir énormément au Colonel, mais se dit déçu de voir que le Colonel ignore sa soif de spiritualité. Allons allons, Elvis, ouvre un peu les yeux ! Business et spiritualité ne font pas bon ménage, c’est pourtant bien connu !

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    ( Sri Daya Mata)

             Un jour, Elvis vient voir Daya Mata pour lui dire : «Oh Daya Mata, I want you to know I love you !» C’est comme s’il parlait à sa mère qu’il adorait plus que tout. D’ailleurs, il y vient : «Ah si seulement vous aviez pu rencontrer ma mère !» et Daya Mata lui répond : «Oh Elvis, j’aurais beaucoup aimé la rencontrer...» Et là, on est tous foutus, car on touche au vrai Elvis, l’être le plus pur du monde. Mais le Colonel veille au grain et ne veut pas entendre parler de tout ce bazar. Il s’arrange pour couper les ponts. Elvis n’a plus personne à qui parler et le Colonel lui demande d’aller faire le pitre à la télé. Elvis enrage. Mais pas question de parler de ses sentiments, ni avec le Colonel et encore moins avec Vernon, son père. Elvis se retrouve incroyablement seul.

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             Quand au moment de préparer le ‘68 Comeback, le costumier Bill Belew fait des suggestions à Elvis, il est frappé par la gentillesse d’Elvis. Il note une absence totale d’ego, ce qui est rare chez une big star, dit-il. Steve Binder qui organise le ‘68 Comeback dit aussi la même chose. Quand il demande à Elvis s’il accepterait de chanter le «MacAthur Park» de Jimmy Webb rendu célèbre par Richard Harris, Elvis dit of couse - He liked MacArthur Park - Mais ça ne se fait pas pour une question de droits, hélas. Le choix des chansons reste la chasse gardée du Colonel, business oblige. D’ailleurs le Colonel réussit à virer Bones Howe du projet, le trouvant trop influent. Si Elvis écoute Bones, c’est mauvais pour les affaires du Colonel. Billy Strange qui travaille aussi avec Elvis n’en revient pas de le voir toujours poli, toujours respectueux des autres et tellement différents des gens du showbiz - Il avait la classe, je veux dire qu’à côté de tout le bazar du studio, je sentais que j’avais affaire à une vraie personne. C’était amusant de travailler avec lui, car il était tout le temps excité, il savait rester créatif - Elvis prenait aussi soin de rendre hommage aux géants qu’il vénérait, Jackie Wilson et Clyde McPhatter, entre autres. Et lorsqu’il décide de revenir à la scène, c’est bien sûr parce qu’il sent que c’est sa raison d’être sur terre. S’il est Elvis Presley, c’est parce qu’il a un public. C’est aussi la raison pour laquelle le mariage avec Priscilla ne tient pas : face à l’adoration des foules, la vie normale à laquelle aspire Priscilla ne peut pas rivaliser. Elvis n’est pas fait pour ça. Il a de son destin une idée très précise. Le chef d’orchestre Joe Guercio qui travaille pour Elvis à Vegas n’en revient pas de le voir sur scène - It was unreal ! - Il parle de charisme, d’un charisme qu’il n’a jamais vu chez aucune des autres grandes stars pour lesquelles il a dirigé - He was like a free spirit in the audience - Guercio va loin : «Vous croyez que c’est la discipline qui fait les stars sur scène ? Horseshit ! C’est le charisme qui fait la star !» et il ajoute qu’Elvis pouvait traverser la scène sans dire un mot et obtenir une ovation.

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             L’un des passages les plus stupéfiants de ce deuxième tome est celui de l’apparition. Ils sont sur la route, dans le désert du Nouveau Mexique et à la sortie de Flagstaff, Elvis fait : «Whoa !» Il voit un nuage à l’horizon et ce nuage prend l’apparence de Staline. Elvis demande à Larry s’il l’a vu. Oui. Indéniable. Pourquoi Staline ? Le visage d’Elvis est comme illuminé. Il semble si ouvert, si heureux, nous dit Larry. Pour Elvis, c’est Dieu. Il fait arrêter la bagnole et court dans le sable du désert avec les larmes aux yeux. Pour Elvis, c’était le visage de Dieu qui lui souriait.

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             Ce qu’Elvis craint plus que tout, c’est de perdre l’adoration de ses fans. Quand on évoque la possibilité devant lui, Elvis est choqué : «Mais comment pourrait-on me faire ça ?» Et il ajoute : «Je suis totalement innocent !» Il veut dire qu’il n’a jamais fait de mal à personne, alors pourquoi lui en ferait-on ? Oh et puis il y a le fabuleux épisode du ranch qu’Elvis finance à fonds perdus, ce qui inquiète Vernon et Priscilla, qui craignent la faillite et qui en parlent au Colonel. Ils convoquent Elvis. Les yeux ronds de stupeur, Elvis leur répond que c’est son blé, qu’il l’a gagné et qu’il peut le dépenser comme il veut. Même en offrant des Mercedes aux médecins compatissants. Lorsqu’il est reçu à la Maison Blanche par Richard Nixon, Elvis est fier, mais il insiste pour présenter à Nixon ses deux potes restés dans le couloir : «Mr. President, would you have a little time just to say hello to my two friends, Sonny West and Jerry Schilling ? It would mean a lot to them and to me.» Nixon sort dans le couloir serrer la pogne des deux Memphis boys. Eh oui, Elvis partage tout, même ses petits moments d’histoire.

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             Guralnick se concentre tellement sur les acteurs principaux de la saga qu’il néglige les personnages secondaires. Il bâcle la rencontre d’Elvis avec les Beatles. John et Paul se disent déçus et un attaché de presse laisse entendre qu’on traitait Elvis de boring old fart. En fait, ils n’ont rien à se dire. Elvis va plus vers des gens comme Jackie Wilson. Elvis le voit transpirer des litres d’eau sur scène et lui demande comment il fait. Jackie lui révèle son secret et lui montre des tablettes de sel qu’il avale avant de monter sur scène. Résultat garanti. Elvis s’entend bien aussi avec Billy Strange, un session man amateur comme lui de grosses motos. Autre personnage haut en couleurs : Jerry Reed, the Alabama wild man. Quand Elvis le voit arriver pour la première fois en studio, il s’exclame : «Lord have mercy !,What is that ?» C’est Jerry Reed qui amène «Guitar Man», et il est le seul à pouvoir le faire sonner, aussi Elvis le veut-il en studio avec lui. Mais ce que Jerry Reed ramène, c’est surtout le drive qu’aimait tant Elvis à ses débuts. Et quand les sbires du Colonel  coincent Jerry Reed dans un coin du studio pour lui faire signer une cession de droits sur «Guitar Man», Jerry Reed refuse, ce qui amuse énormément Scotty Moore qui assiste à la scène. Voilà enfin un mec qui résiste aux lois iniques du Colonel. En fait, personne n’avait encore osé tenir tête aux sbires du Colonel. Jerry Reed est l’un des héros de second plan de cette saga. L’autre héros de second plan est Jarvis Felton, qui se dit le plus gros fan d’Elvis. Felton est un producteur de Nashville très original. Il a pour animaux domestiques un tigre, puis un anaconda qu’il emmène nager dans sa piscine. Avant Elvis, il a fréquenté Lloyd Price et Fats Domino qui dans sa période nashvillaise l’appelait ‘Fel-tone, my man’. Dans le milieu musical, Felton se taille très vite la réputation d’un producteur excentrique, affable et imaginatif. Pour le compte de Chet Atkins, Felton travaille aussi avec Mickey Newbury, Willie Nelson et Cortelia Clark, un bluesman noir aveugle. Elvis adore Jarvis et parage son enthousiasme. Ils ont une relation basée sur le respect mutuel et Elvis le considère comme son producteur. Jarvis Felton est un rayon de soleil dans cette saga si sombre.

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             Côté cinéma, Elvis n’a pas de chance. À Hollywood, on lui fait tourner des ‘quick movies’. Kissin’ Cousins est tourné en 17 jours : profit maximum. Le Colonel veille au grain. Pas la peine de passer des mois sur un tournage, ça coûte cher. Heureusement qu’il a les films, car les ventes de disques commencent à chuter. Paru en 1962, «Return To Sender» est le dernier single qui atteint le million d’exemplaires vendus. Mais malgré tous ses films et tous les cachets mirobolants, Elvis ne sera jamais pris au sérieux en tant qu’acteur. Pire encore : Elvis finit par avoir honte de ses films et de ses disques. Même si l’argent coule à flots. Quand il revient sur le désastre de sa carrière hollywoodienne, il est extrêmement clair : «On ne me demandait pas mon avis sur les scripts. Je ne pouvais même pas dire que c’était mauvais. Mais je ne crois pas qu’on ait alors essayé de me faire du mal. C’est juste que l’image qu’avait de moi Hollywood était erronée, je le savais et je ne pouvais pas en parler, je ne pouvais strictement rien faire. Ça m’a rendu malade. Je devais arrêter ça. Ce que j’ai fait.» Elvis n’accuse personne, il ne cite pas de noms. C’est extraordinaire. C’est peut-être Marion Keisker qui le résume le mieux : «On trouvait en lui tout ce qu’on pouvait chercher. Il était incapable du moindre mensonge ou de la moindre malice. Il avait toute la complexité des gens très simples.» 

    elvis presley,dictators,ovations,datsuns,dean wareham,jade brodie,aortes,reptilian arms(Elvis and Barbara)

             Au lit, Elvis finit par éprouver certaines difficultés, nous dit Barbara Leigh. Il prend trop d’amphètes et ça finit par agir sur son système, dit-elle pudiquement - It was very hard for him to be a natural man - Mais bon, elle s’en accommode. Au lit avec Elvis, c’est tout de même un sacré privilège.

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    ( Lhomme qui résista au Colonel )

             Côté big money, les choses vont bien. Très vite le Colonel négocie des contrats de 200 000 $ par film avec Paramount puis un contrat de 500 000 $ par film avec la MGM, plus 50 % des recettes. Le Colonel prend 25 %, Elvis garde le reste. Chez RCA, ils récupèrent 320 000 $ d’avances sur royalties (240 000 pour Elvis et 80 000 pour le Colonel, plus une somme de 600 000 $ sur quatre ans à 50/50 entre Elvis et le Colonel). Puis le Colonel atteint le million de dollars par film à la MGM. En 1964, Elvis est l’acteur le mieux payé d’Hollywood. En 1968, Elvis s’assure sur trois ans un revenu de sept millions de dollars, rien qu’avec les films. Puis le Colonel négocie avec RCA le versement de 300 000 $ par an à Elvis, ce qui se traduit par une somme garantie de 2,1 millions de dollars sur sept ans, toujours à 75/25 avec le Colonel. C’est d’autant plus spectaculaire qu’Elvis vend de moins de moins de disques. RCA s’interroge même sur la nécessité de prolonger le contrat d’Elvis. Quand Elvis reprend les tournées à travers le pays, les profits s’élèvent à 800 000 $ répartis au nouveau taux d’un tiers deux tiers entre le Colonel et son client. Un taux qu’il va amener très vite à 50/50, se considérant comme un partenaire et non plus comme le prestataire d’Elvis. Quand le Colonel négocie avec l’Hilton de Las Vegas, il demande 175 000 $ de cachet par semaine, plus 50 000 $ de salaire pour ses efforts de promotion. Pour passer à la télé sur NBC, le Colonel demande un million de dollars, et pour les tournées prévues sur les quinze mois suivants, le Colonel envisage 4 millions de recettes. Tous ces chiffres donnent le vertige, mais il faut bien admettre qu’en matière de négociation, le Colonel est un expert.

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             Mine de rien, Guralnick en fait le personnage clé de cette saga. À saga hors normes, personnages hors normes. Très vite les règles sont claires : 25 % de tout ce que gagne Elvis disparaît dans les poches de ce vieux crabe, et Elvis ne discute pas. Si l’old man est content, alors tant mieux. Pour veiller sur celui qu’il appelle my boy, le Colonel pousse parfois le paternalisme un peu loin. Lorsqu’il décide d’écarter Larry Geller dont il juge l’influence néfaste pour le business, il invite Larry à déjeuner chez lui. Pendant ce temps, de mystérieux visiteurs pillent et vandalisent sa maison. Bien sûr, Larry n’a aucune preuve, mais il préfère prendre le large. Il en parle toutefois à Elvis qui s’exclame «Damn ! Damn !» et qui ajoute : «Lawrence, it’s a dangerous fuckin’ world !» En fait, le Colonel travaille surtout sur le côté de plus en plus imprévisible de son seul client. Il mise tout sur Elvis et il n’est pas question que ça vire en eau de boudin à cause des mauvaises influences ou des drogues. Et c’est parce que ce business devient très risqué qu’il réfléchit à une répartition plus égalitaire des profits, ce qu’il va appeler the partnership agreement et qu’Elvis va signer sans ciller. Dans son approche psychologique, Guralnick va loin, car il fait du Colonel une sorte de philosophe dont le thème de prédilection serait la raison du profit. Le Colonel menace en permanence d’écrire un livre dont le titre serait Combien Ça Coûte Si C’est Gratuit ?, ce qui veut dire que les choses n’ont de valeur jusqu’à partir du moment où on leur en attribue. Par conséquent, il estime que ses services valent bien 50 % de ce que gagne Elvis. C’est un raisonnement qui se tient. Professionnellement, le Colonel s’efforce de rester carré. Tout ce qu’il demande à son client, c’est show up and do the job. Une obligation sur laquelle il n’est pas en reste. Quand le Colonel vire des gens de l’entourage d’Elvis, il explique qu’il n’a rien de personnel contre eux. C’est juste du business. Elvis paye tous les gens qui l’entourent et le Colonel veille au grain. Quand il vire Larry Geller, il vire aussi les bouquins et la spiritualité. Et personne ne discute ses ordres. Le Colonel joue aussi un rôle de directeur artistique auprès de RCA. Il s’arrange pour que le son d’Elvis reste bien commercial. Quand le single «Big Boss Man» paraît, Elvis s’étonne : le son n’est pas celui qu’il a sur l’acétate RCA. Il dit à qui veut bien l’entendre que le Colonel s’en prend à sa musique, et là, ça ne va pas. Quand Elvis veut aller se produire en Europe, le Colonel s’y oppose. Il lui propose en échange des vacances aux Bahamas. Elvis accepte. En affaires, le Colonel est intraitable. Take it or leave it. Il n’y a pas de demi-mesure. Ça passe ou ça casse. Le responsable financier de RCA, Mel Ilberman, en bave tellement avec le Colonel qu’il envisage à un moment de rompre le contrat, rien que pour arracher ce vieux crabe qui s’accroche dans ses cheveux. Et puis vers la fin, le Colonel finit par envisager de vendre son contrat avec Elvis. Ça devient trop risqué à cause des drogues. Elvie grossit, il est en perte de vitesse. Sa santé bat de l’aile. Mais la vraie raison est plus prosaïque. On dit qu’il avait perdu des sommes colossales à la roulette du Hilton de Vegas : un million de dollars en un mois. À chacun son enfer. 

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    ( Elvis, Nixon, Red & Sonny West )

             Oh, n’oublions pas la Memphis Mafia, c’est-à-dire les amis d’Elvis, ceux qui l’accompagnent en permanence et qui vivent et travaillent pour lui à Graceland et à Vegas. Il préfère les down-home southern boys, Red West, Sonny West, Lamar Fike, Marty Lacker, Alan Fortas, Jerry Schilling, Charlie Hodge, George Klein. C’est parce qu’ils portent des lunettes noires et des costumes en mohair qu’on les appelle la Memphis Mafia. À Las Vegas, ils jouent à la roulette et vont voir Della Reese, Jackie Wilson ou Fats Domino se produire sur scène. Ils vivent tous sous amphètes. Joe dit qu’on ne dort que deux heures par nuit, dans l’entourage d’Elvis. Dans les hôtels où séjourne la bande, c’est l’endless party. Elvis casse des planches pour ses exercices de karaté et dans les couloirs, les Memphis boys se battent à coups de pistolets à eau. Ils s’amusent comme des gosses. Maintenant qu’Elvis est riche, tout devient accessible : les poules, les jeux, les bijoux et les amphètes. Ils s’amusent tellement à Vegas que Memphis leur paraît triste en comparaison. Ils louent des salles de cinéma et des manèges pour se distraire. Lots of pills and lots of parties. Darvon, Tuinal, Dexamyl, Placidyl, tout y passe. On s’amuse bien à la cour du roi. C’est exactement la vie d’une cour que nous raconte Guralnick, quasiment jour après jour. 

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    ( Elvis & Chips )

             La rencontre qui aurait pu être déterminante dans la carrière d’Elvis est celle de Chips Moman au studio American de Memphis. C’est Marty Lacker qui organise le coup, dans l’intérêt d’Elvis, bien sûr. Elvis a sacrément besoin de redémarrer sa carrière. Pour Chips, tout ce qui compte c’est l’enregistrement - making the record itself - Enregistrer chez lui à Memphis a porté chance à des gens comme Dionne Warwick, Dusty Springfield, Wilson Pickett et les Box Tops. Excusez du peu. Les proches d’Elvis espèrent que ça lui portera chance à lui aussi. Et Elvis se sent bien avec les Memphis Boys de Chips. Ils enregistrent la nuit, pendant deux semaines. C’est là qu’Elvis enregistre le «Suspicious Mind» de Mark James, l’un des songwriters appointés par Chips. Et quand les mecs du business coincent Chips dans un coin pour l’inciter à vendre ses droits de publication, ils tombent sur un os : Freddy Bienstock propose 25 000 $ à Chips qui lui dit : «Tiens tu vois, tu les prends et tu vas te les carrer dans le cul, t’as compris ?» C’est la fin de la relation avec l’équipe du Colonel et tous les gens de RCA qui grouillent dans le studio. Elvis ne reviendra hélas jamais enregistrer avec Chips qui avait pourtant réussi à le remettre en selle. Un autre producteur va aussi aider Elvis à se réhabiliter artistiquement : il s’agit bien sûr de Bob Finkel, le producteur de télévision qui réussit à monter le coup fumant du ‘68 Comeback, au nez et à la barbe du Colonel qui voulait des chansons de Noël. Finkel met Steve Binder sur le coup. Binder veut le King et il va l’avoir. Il demande à Elvis de changer. Pas question de voir l’Elvis d’Hollywood. Il veut du rock’n’roll. Pour Elvis, c’est une chance unique de revenir aux sources, de montrer qui il est en réalité. Il pige tout de suite. Et le miracle s’accomplit. Dans le film, on voit des choristes black à un moment : ce sont les Blossoms de Darlene Love, imposées par Elvis. Fantastique réussite, comme chacun sait - It’s 1955 and 1956 all over again ! - Elvis réinvente Elvis, et c’est exactement ce que le monde attendait.

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             Il faut aussi savoir qu’Elvis voulut enregistrer chez Stax, mais ce fut un désastre. Le matériel était dépassé et le choix de chansons mauvais. Elvis se pointe au studio avec cinq heures de retard et ça tourne en eau de boudin. Et quand on lui dit qu’on lui a piqué ses micros, Elvis sort du studio et ne revient pas.  Par contre, quand il met en place ses shows à Las Vegas, il impose les Sweet Inspirations dont il admire le travail qu’elles font derrière Aretha. Il veut aussi James Burton. Il veut que son orchestre rocke le boat et c’est ce qui se produit. 

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             Et puis avec l’arrivée des années soixante-dix, Elvis prend du poids. Il boit le Demerol au goulot. Quand le Dr. Sidney Boyer lui vient en aide, Elvis le remercie en lui offrant une Lincoln Continental blanche. Ah les cadeaux ! Guralnick nous en fait des pages entières ! Quand il offre des bijoux à ses musiciens, Elvis achète carrément la bijouterie. Il donne à chacune des Sweet Inspirations une bague de 5 000 $ pour les remercier. Il offre un avion au Colonel qui n’en veut pas : «Je n’ai pas besoin d’un avion et je peux m’en payer un !» Les gens finissent par suspecter la générosité d’Elvis. On est à deux doigts de l’accuser de vouloir acheter des sympathies. Mais Elvis est comme ça. Il a besoin de donner. Un autre jour, il dépense 70 000 $ de bagnoles-cadeaux dans la soirée : deux Mark IV, une Cadillac Seville pour un certain Ron Pietrefaso, et une Eldorado pour Linda. Il finit par dépenser tout ce qu’il gagne en bagnoles, en avions, en cadeaux, en armes, en bijoux, en fringues, des centaines de milliers de dollars. Vernon qui gère les comptes s’en rend malade. 

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             Linda qui devient sa compagne après le départ de Priscilla constate qu’il est drug-impaired, mais il réussit à transcender l’amour physique pour aller au cœur du sentiment. Et Linda avoue qu’elle l’aime comme une mère. C’est exactement ce qu’Elvis attend des femmes. Avec Sheila, c’est la même histoire : Elvis préfère les bisous et les papouilles à la baise. La nuit, il a besoin d’eau, de pills, de Jell-O, de lecture. Pour elle, Elvis est l’innocence même. Sheila va loin dans la confidence avouant qu’il préfère le pumping (la pipe) à la baise classique. Aucune perversité là-dedans - Adolescent innocence was what it was all about.

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    ( Dr Nichopoulos & Elvis )

             Et puis on arrive dans la période Fat Elvis. Il enfle, perd sa voix. Sur scène, ça tourne à la tragédie. Il déconne complètement : «Adios you motherfuckers, bye bye. papa too/ To hell with the whole Hilton Hotel, and screw the showroom too !» Quand Priscilla qui ne l’avait pas vu depuis longtemps le revoit enflé, elle est choquée. Le corps d’Elvis finit par mal réagir à l’absorption massive d’uppers et de downers. Un jour, le bon Dr Nichopoulos demande à Elvis ce qu’il a mis dans sa seringue, Elvis lui répond qu’il ne sait pas. En fait, il se shoote du Demerol tous les jours.

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    ( Jerry Schilling & Elvis )

             Quand Elvis fait du karaté avec Ed Parker, c’est compliqué, car le pauvre Elvis est stoned, ce qui rend la situation cocasse. En fait, il aura passé toute sa vie allumé aux amphètes. Les choses vont commencer à mal tourner. Un jour, dans une chambre d’hôtel à Vegas, Elvis mange une soupe au poulet. Linda va dans la salle de bain et quand elle revient dans la chambre, elle le trouve évanoui, la gueule dans la soupe, en train de suffoquer. Elle appelle le médecin qui le réanime avec un shoot de Ritalin. Elvis revient à lui et dit tout simplement : «J’ai fait un rêve.» Sur scène, il a des problèmes de locomotion et de mémoire. Il oublie les paroles. En le voyant dans cet état, John O’Grady s’inquiète, il pense qu’Elvis va mourir. Même Jerry Schilling, vieux compagnon de route, cède au désespoir : «Tout ce qu’il peut faire maintenant, c’est mourir.» Sa fin de carrière prend l’apparence d’une suite de concerts uniques, un cirque qui n’en finit plus. Elvis souffre de troubles respiratoires et de pertes d’orientation. Mais un bon docteur surgit toujours à point nommé pour lui administrer la piqûre miraculeuse.   

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             C’est la nouvelle fiancée Ginger qui découvre Elvis dans les gogues, écroulé par terre, la gueule dans le vomi et son pantalon de pyjama sur les chevilles. Pas très glorieux. Guralnick aurait pu nous épargne les détails. Ginger sent que c’est louche et elle alerte aussitôt la maisonnée. Joe essaye de le ranimer. Le visage d’Elvis est rouge, avec la langue pendante et les yeux injectés de sang, comme dans une mauvaise bande dessinée.

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Peter Guralnick. Careless Love. The Unmaking Of Elvis Presley. Little, Brown 1999

     

     

    L’avenir du rock

     - Sous le joug des Dictators

     (Part Two)

             Chaque année, l’avenir du rock réunit ses vieux amis gauchistes pour une célébration de ce qu’ils appellent tous l’âge d’or de la lutte. Lionel, Arlette et Cécile ont tous pris un sacré coup de vieux, mais sous les touffes de cheveux blancs crépite encore un vieux reste d’enthousiasme révolutionnaire. Comme tout le monde a trop bu, la conversation déraille. Lionel lève son verre à l’avenir du passé :

             — Vive l’auto-émancipation de la clause vivrière et vive la démocratie directive !

             — Ouaiiiiis !

             Clameur générale, ovation. Ils rigolent tous comme des bossus. Arlette se lève d’un bond et déclare :

             — Cravailleuses, Cravailleurs !

             Tout le monde applaudit.

             — Ouaiiiiis !

             — Mais j’ai pas fini !

             — Ouaiiiiis !

             Cécile se lève, elle tangue, elle réussit miraculeusement à se stabiliser et lance d’une voix de vieille fouine pervertie :

             — L’État c’est pas la partie ! C’est la traction, la fonction mathématique, mirifique, politique, fatidique de la friterie !

             — Ouaiiiiis !

             Elle reprend, en tapant du poing sur la table :

             — Alors ouiiiiiii, je serai toujours et à jamais la patriote de toutes les pâtes à la sauce tomate !

             — Ouaiiiiis !

             L’avenir du rock se lève et la main sur le cœur déclare :

             — Je n’ai jamais osé vous l’avouer mes amis, mais aujourd’hui je peux enfin me libérer de ce poids : j’ai toujours eu un faible pour les Dictators...

             — Ouaiiiiis !

     

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             En 2024, ça ne viendrait à l’idée de personne d’écouter le nouvel album des Dictators. Sauf si tu écoutais «The Next Big Thing» en 1975. C’est le genre de cut qui te marquait à vie. Alors c’est bien naturel que tu te poses la question : quel sens ça a d’écouter tous ces vieux groupes aujourd’hui ? Par exemple les Damned, ou encore les Hollywood Stars ? Une partie de la réponse tient dans le fait que ces vieux groupes font encore de bons albums, souvent plus intéressants que ceux des contemporains qui font l’actu. D’autant que les kros des nouveautés sont souvent biaisées parce que trop favorables. Si tu te fies à ce que racontent les kronikeurs dans la presse anglaise, tu te fais souvent avoir comme un bleu. Tout est une question de racines, et celles des Dictators sont de bonnes racines. Alors tu tentes le coup.

             Il n’en reste plus que deux : Ross The Boss et Andy Shernoff. Scott Kempner a cassé sa pipe en bois l’an passé et nous lui avons rendu un petit hommage vite fait en passant. Au beurre, les Dictators ont récupéré l’Albert Bouchard de Blue Öyster Cult, et un certain Keith Roth fait office de nouveau chanteur. 

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             Dans Vive Le Rock, une petite interview permet de faire le point sur la Dictature. Une belle photo orne la double : Keith Roth a fière allure, massif, déterminé, regard bleu sous une casquette sixties, et grosse boucle de ceinturon. Les Dictators se sont reformés en 2019, mais lorsque Scott Top Ten Kempner a cassé sa pipe en bois, il a fallu le remplacer : l’heureux élu est donc Keith Roth, le chanteur de Frankenstein 3000, un mec du Bronx, dont le grand frère était un pote de Scott Kempner. C’est Andy Shernoff qui répond aux questions du canardeur. Ça commence mal car Vive Le Rock lui demande si c’est bien sérieux de redémarrer un groupe avec seulement deux survivants, Ross The Boss et lui. L’Andy rétorque qu’à part U2, il ne reste pas beaucoup de groupes d’origine complets. Et puis l’Andy rappelle que faire le Dictator, c’est son métier, il a commencé très jeune et il adore ça - Each day you make music is a good day - La question qu’il ne fallait pas poser arrive : Et Manitoba ? L’Andy répond sèchement que pas de nouvelles depuis 2009, «so bringing him back never crossed our minds.» L’Albert Bouchard, c’est pas pareil. Il s’agit d’un vieux poto. L’Andy rappelle aussi que les Blue Öyster Cult sont des kindred spirits. Les Dictators font d’ailleurs une cover  de «Transamaniacon MC» sur le nouvel album. Il y a aussi un hommage à Joey Ramone qui a toujours été un good buddy. L’Andy rappelle qu’il fréquentait Joey avant qu’il ne soit dans les Ramones et qu’il était assis près de lui quand il a rendu son dernier soupir à l’hosto. Ça se passe entre New-yorkais. Il rappelle aussi que les Beatles, les Stones, les Kinks et les Beach Boys sont ses influences et que leur album Go Girl Crazy est sorti un an avant celui des Ramones. Donc, oui, proto, poto !

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             Bon, c’est vrai, le nouvel album sans titre des Dictators n’est pas l’album du siècle. Mais on retrouve néanmoins le New York City Sound de base, et ce dès «Let’s Get Back Together» que chante Andy Shernoff. C’est du Dictators pur et dur, il y va au c’mon c’mon. Keith Roth prend le chant sur «My Imaginary Friend» et ce n’est pas la même voix. Il passe en force. On voit aussi que les Dictators n’ont jamais lâché la rampe. Ils opèrent un grand retour aux mamelles du destin avec «All About You». Ross the Boss is on fire ! C’est hot as hell, l’empire des heavy chords s’étend de nouveau à l’infini. On retrouve des gros paquets de riffs congestionnés dans «Wicked Cool Disguise». Avec Ross The Boss, ça devient lumineux. C’est un virtuose des bas-fonds. L’intro de «God Damn New York» annonce bien la couleur. Ce démon de Ross gratte sa cocote new-yorkaise. Une vraie brute ! Mais pour le reste, on est loin du Next Big Thing. Tout est bardé d’un max de barda, les cuts sont faibles et pourtant le son reste dense, comme s’il cachait la misère. Ils font du pur blast à l’ancienne avec «Thank You & Have A Nice Day» et voilà qu’ils rendent hommage à Joey Ramone avec «Sweet Joey». Ross gratte une cocote incroyablement sèche. Il ne mégote pas sur la marchandise. Que peux-tu dire de plus ?

    Signé : Cazengler, Dictatorve

    Dictators. The Dictators. DEKO 2024

    Profiled :  The Dictators. Vive Le Rock # 117 - 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Ovation pour les Ovations

             Jo-l’occasion aurait pu traîner avec des mecs bien, un groupe de projet pédagogique ou un club de badminton, par exemple, mais il préférait fréquenter notre gang de Pieds Nickelés.  On l’avait surnommé Jo-l’occasion parce qu’il était toujours partant. On pouvait lui proposer n’importe quoi, il ne discutait pas. Il ne cherchait pas à savoir le pourquoi du comment. C’est assez rare de voir des mecs aussi bien disposés, des mecs d’une si bonne nature. Par la force des choses, il illustrait à merveille ce vieil adage disant que l’occasion fait le larron. Alors on a fini par en faire un jeu. À l’apéro, on lui proposait un plan pour la soirée, comme le faisait Alex avec ses Droogs :

             — On va baiser la femme de Desbordes, pendant qu’il est au boulot, elle est super-chaude et elle est d’accord. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le lendemain soir, on lui proposait un plan un peu plus aventureux :

             — On va vider le semi-remorque d’un transporteur de champ’ sur l’aire de Plessis, pendant que le chauffeur bouffe au restoroute. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le jeu consistait de faire monter le niveau de craignosité, pour tester son élasticité. 

             Le soir suivant, on lui proposa d’aller tous les six au resto du Grec, de choisir les meilleurs plats et les meilleurs vins, puis, à la fin du repas, d’aller le trouver au comptoir pour lui annoncer qu’il allait s’asseoir sur l’addition. Pas de problème.

             Pour monter encore d’un cran, on lui présenta le coup de siècle.

             — Tiens, voilà un calibre. Demain matin, on va aller se garer devant la banque qui se trouve face à la sortie du métro, tu vois où c’est ? Toi tu entres, tu braques et nous on t’attend dans la bagnole. Dac ?

             On a entendu des coups de feu. Alors on a mis les bouts. Jo l’occasion s’est sûrement fait dessouder. Pousser le bouchon, c’est un métier, et il n’était pas fait pour ça. Quelle déception !

     

             Les Ovations sont aussi un gang, mais un gang plus paisible que celui qui tenta d’incorporer Jo-l’occasion.

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             Pour les ceusses qui ne les connaîtraient pas, les Ovations de Louis Williams sont une grosse équipe de Memphis. On devrait dire une très grosse équipe. Les Ovations méritent une ovation car ils sont les rois du groove sentimental. Ils ont démarré leur carrière sur le fameux label Goldwax de Quinton Claunch et sont passés ensuite sur Sounds Of Memphis, un studio/label distribué par MGM. Le trio se compose de Louis Williams et de deux ténors, Nathan Lewis (first tenor) et Billy Boy Young (second tenor). Martin Goggin qui signe les liners de Kent Soul tient beaucoup à ce détail. Les autres grands acteurs de la légende des Ovations sont Dan Greer, et Gene Lucchesi. Boss de Sounds Of Memphis, Lucchesi est devenu riche en 1965 avec «Wolly Bully». N’oublions jamais que Sam The Sham & The Pharaohs sont au cœur de la légende du Memphis Beat. C’est avec le blé de «Wolly Bully» que Lucchesi monte son studio en 1968. Lucchesi embauche Dan Greer pour remplacer Stan Kessler parti courir l’aventure ailleurs. Dan Greer est à la fois singer, songwriter et producer. Il commence par produire Lou Roberts, puis les Minits et Spencer Wiggins. Dans les parages de Lucchesi et de Stan Kessler, on retrouve aussi Willie Cobbs et son fameux «You Don’t Love Me». C’est Kessler qui monte les Memphis Boys de Chips Moman, puis les Dixie Flyers de Jim Dickinson. Dan Greer est à la recherche d’un gros nom, il vaut percer, alors il flashe sur les Ovations, a major vocal group in Memphis, un trio qui a tourné avec Otis et James Brown et qui s’est produit à l’Apollo de Harlem. Les Ovations ne sont pas des oies blanches. Et comme petite cerise sur le gâtö, Dan Greer va leur composer des hits sur-mesure. Il va aussi faire appel à son vieux partner George Jackson, avec lequel il duettait au temps de George & Greer, qu’on retrouve bien sûr une autre compile Ace. Comme backing band, Dan Greer louche sur The Hi Rhythm, mais ils sont trop occupés avec Willie Mitchell, alors Dan embauche un groupe de club local, The Trademarks. Et roule ma poule. Il faut considérer les albums des Ovations comme d’immenses classiques du Soul System.   

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             Hooked On A Feeling est un Sounds Of Memphis de 1972. T’en reviens pas ! Classic Soul, mais chantée à outrance. Louis Williams va chercher la dragée haute en permanence, avec de gros accents de Sam Cooke, il bourre le mou de son «Can’t Be Satisfied» à coups de when you touch me ! On imagine le travail. Tous les cuts montent bien, mais sans exploser. Pas de coït. Ces trois mecs sont brillants. Ils parfument «Were You There/Touch The Hem Of His Garment» au gospel pur. Louis Williams s’adresse à Gawd. Ils tapent dans des styles très différents, et derrière ça gratte des poux en creux. Memphis style !

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             Having A Party sort l’année suivante. Album nettement plus groovy, plus cooky, d’ailleurs ils commencent par saluer Sam Cooke avec «Having A Party» - Dedicatd to the grrrreat Sam Cooke - Les gens applaudissent. Dan Greer signe «Born On A Back Street», une belle pop de Soul, cool & collected, bien touffue. «My Nest Is Still Warm (My Bird Is Gone)» va plus sur le downhome de Beale Street, ils tapent là un authentique heavy boogie blues. Encore du Sam Cooke avec «You Send Me», le groove des jours heureux. Et même fantastiquement heureux ! La big Soul de Dan Greer reprend la main avec «I Can’t Believe It’s Over». En plein dans le Memphis Beat ! Et bien sûr, ils bouclent avec «A Change Is Gonna Come», la cover de rêve - I was born by the river - Tu l’as. C’est du pur Sam Cooke.         

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               Sur le Sweet Thing de 1981 se niche une belle perle noire : «You Gave Me The Best Performance». Cette Soul te flatte bien l’intellect. Louis Williams sort le grand jeu, il a tout le soft de la Soul. Louis II de Memphis porte bien son nom, un vrai Bavarois en black. L’autre coup de Jarnac de Sweet Thing est le «Till I Find Some Way» d’ouverture de bal. C’est en quelque sorte le groove de génie définitif. Ces mecs dansent dans l’air du temps, produits par Dan Greer, tu n’y peux rien, ils sont plus forts que toi, ils te rendent même heureux, sugar baby/ Ya drive me crazy. Leur Soul est même littéralement seigneuriale. Louis Williams amène son «Plumber» comme De Niro dans Brazil : «I’m/ I’m the plumber !». Nouveau shoot de fast heavy groove directif. Ils t’en mettent plein la vue. Ils tapent l’«I Can’t Believe It’s Over» à l’orgue d’église. Grosso modo, c’est une resucée de «When A Man Loves A Woman», mais heavy as hell. Et leur morceau titre dégouline tout simplement de bonheur : c’est la Soul des jours trop heureux. Ils terminent avec un shoot de Soul parfaite, «Pa Pa». Si tu cherches du real deal, alors écoute les Ovations.

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             Ces démons de Kent ont même réussi à rassembler les Goldwax Recordings. Alors attention, on attend des miracles de Goldwax, et parfois on attend longtemps. C’est une Soul gluante, un peu théâtrale. Les Blackos y versent des larmes de sang. Il faut attendre «Qualifications» pour les voir tous les trois faire du gros popotin de fast r’n’b d’all she had to do is give a little call. D’une certaine façon, les Ovations sont les rois inconnus du groove. Louis Williams te colle «Ride My Trouble And Blues Away» au plafond, et fait son Sam Cooke sur «Happiness». En règle générale, ils se la coulent douce. Tout est très black chez Goldwax. Ils tapent l’excellent «What Did I Do Wrong» à coups d’harp, choix étrange et bienvenu. Toujours ultra chargé, voici «I Need A Lot Of Loving». Louis Williams chauffe son «Peace Of Mind» à coups d’everything - I got something you ain’t got/ Peace of mind - On ovationne les Ovations. 

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             Merci Kent Soul pour ce One In A Million - The XL & Sounds Of Memphis plein comme un œuf. Louis Williams et ses deux amis sont le son et le power. La seule chose qui les intéresse dans la vie, c’est le groove de rêve («Touching Me»). Ils savent aussi tortiller du cul comme le montre «Don’t Break Your Promise», c’est plein de son et de listen to me. Ils tapent «You’ll Never Know» à l’extrême onction du doo-wop, pur jus de black genius. C’est d’un niveau hallucinant de véracité, Louis Williams te chante ça à la titube incoercible. Si tu veux du mythique, en voilà avec «Soul Train», l’hymne black par excellence. On reste dans la Memphis Soul avec «Having A Party», sacré clin d’œil à Sam Cooke. En fait, ces mecs n’arrêtent pas un seul instant, ils enfilent les hits comme des perles, ils tapent «I Can’t Believe It’s Over» au heavy groove de bassmatic et «Don’t Say You Love Me (If You Don’t Mean It)» au swing de jive. Ils sont à l’aise partout, ils éclatent les cuts les uns après les autres. Encore un cut énorme avec «I’m In Love», c’est de la Soul géniale, même chose avec «Pure Natural Love», signé Jackie De Shannon, tendu à se rompre, ils te réinventent la Soul, comme s’ils élevaient un nouveau sommet du lard. Ils sont même au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Ils disposent de qualités harmoniques inégalées. Encore une Sainte-Barbe qui saute avec «Sweet Thing», véritable slab de wild Soul funk, signé George Jackson, et complètement allumé. Ils tapent plus loin leur «Hangin’ On» au beat de hangin’ on et ils terminent cette partie de rodéo avec «You’re My Little Girl», un heavy groove de Soul demented parfumée de calypso.

    Signé : Cazengler, Ovascié

    Ovations. Hooked On A Feeling. Sounds Of Memphis 1972

    Ovations. Having A Party. Sounds Of Memphis 1973     

    Ovations. Sweet Thing. Sounds Of Memphis 1981

    Ovations. Goldwax Recordings. Kent Soul 2005

    Ovations. One In A Million. The XL & Sounds Of Memphis. Kent Soul 2008

     

     

    Les Datsuns ne sont pas des voitures

    - Part Two

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             Les Datsuns ? Pas de problème. Pas de surprise. Pas d’entourloupe. Pas d’avenir. Pas de papa. Pas de maman. Juste un peu de passé (ils tournent et enregistrent depuis vingt ans), juste un peu de garage néo-zélandais, juste un joli brin de showmanship comme on dit dans la perfide Albion, mais rien de transcendant ni de tentaculaire. Tu prends ton billet et surtout, tu fermes ta gueule. Tu te mets là, tu regardes, t’écoutes un peu les paroles, mais pas trop, t’applaudis mollement, et tu conclus bêtement que l’un dans l’autre, t’as passé une bonne soirée. T’essaies de ne pas trop te souvenir de leur dernier show normand en 2014, car t’en gardes le souvenir d’un concert problématique, t’avais tout simplement assisté aux affres d’un groupe en panne d’inspiration, le genre de tuile qui ne pardonne pas et qui ruine une réputation. Ce sont des choses qui arrivent à beaucoup de groupes, au bout de 15 ou 20 ans.

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             Comme beaucoup de groupes, les Datsuns sont devenus une marque, et donc un fonds de commerce, alors ils continuent. Ils exploitent leur petite veine. Peut-être en vivent-ils. On ne sait pas. Mais la faune garage européenne les connaît. Toux ceux que tu croises ont un petit truc à raconter sur les Datsuns. Sept albums en 25 ans, c’est assez respectable, surtout que les deux premiers ont bien tapé dans le mille, à l’époque. Il fut un temps où Rudolf De Borst était à la une du NME, ce qui était une sorte de belle consécration.

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             Il est toujours là, le Borst, frétillant comme un gardon zélandais, sautillant comme un zébu sous speed, il cumule admirablement bien les fonctions, il chante et mouline un bassmatic polyvalent, il danse et il voyage, il fait voler ses cheveux et s’égosille comme un oisillon affamé, il revient et il repart, il n’a pas de voix, mais il compense par une extraordinaire débauche d’énergie et fatalement, il finit par s’imposer. Il joue bien le jeu de la rockstar. Il semble qu’il soit né pour ça. Il semble même que ce soit son destin, yo ! Il rafle fantastiquement la mise avec son excès de zèle zélandais. Il remporte ce qu’on appelle une victoire de haute lutte. Il jette chaque seconde de présence scénique dans la bataille et parvient à cacher la misère. De ce point de vue, il est admirable.

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             En plus, il est bien entouré. Ça gratte les poux qu’il faut et ça bat le beurre qu’il faut. Ces mecs connaissent toutes les ficelles, surtout celui de gauche qui s’appelle Christian Livingstone : c’est un clone de Jimmy Page. Ne manque que l’archet. Il gratte ses poux sur une Les Paul et n’est pas avare de poses héroïques. Il sait se pencher en arrière et faire de belles grimaces bien ridicules. Ça fait partie du jeu. Les gens adorent photographier ce genre de plan pourri pour aller poster l’image sur leur page machin. Les salles de concerts sont devenues de véritables centres de production numérique, t’en as même qui échangent des messages en direct. Ça devient un cirque, mais c’est pas grave, il ne faut pas s’en formaliser. Vazy Jimmy Page, fais ton cirque. On te paye pour ça. Avant on allait voir les singes savants et les éléphants au cirque. Maintenant on va voir les Datsuns au club. Si le cirque fait partie du jeu ? On ne se pose même plus la question. 

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             Pour muscler leur show, ils tapent dans leur premier album («Sittin’ Pretty», «Lady» et «Harmonic Generator»), et dans le deuxième avec «Girls Best Friend». Ils ouvrent et referment avec deux cuts tirés de Death Rattle Boogie, «Gods Are Bored» et «Gold Halo». Ils proposent une sorte de Best Of. C’est de bonne guerre.

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             Leur dernier album Eye To Eye est donc faiblement représenté. Tout au plus trois cuts dont l’excellentissime «Bite My Tongue», attaqué à la pure violence riffique, c’est même du big time qui ne veut pas lâcher la rampe et Jimmy Page passe bien sûr un killer solo flash d’antho à Toto. Et il récidive en fin de cut. Ils tapent aussi «Other People’s Eyes» sur scène, mais ils se perdent dans leur enfer, comme le font souvent les vieux pros. On entend aussi Jimmy Page partir en quenouille de vrille sur «Brain To Brain». C’est un vrai perceur de blindages. Dommage qu’ils n’aient pas joué «Dehumanise», car c’est noyé de disto zinzin zélandaise. Jimmy Page descend au barbu de la wah. «Dehumanise» est le cut idéal : vite en place et ça tourne au blast. Quand t’écoutes ça, tu te dis que t’as un big album dans les pattes. Ce que vient confirmer ce «Warped Signals» gorgé de power. Avec «Sweet Talk», ils passent au stomp des zazous zélandais. Ils sont à l’aise dans tous leurs domaines. Ils virent poppy popette avec «Moongazer», mais avec une belle voracité. Ils tiennent bien leurs promesses et flirtent même avec les Beatles, alors t’en reviens pas.

    Signé : Cazengler, daté

    Datsuns. Le 106. Rouen (76). 28 mars 2025

    Datsuns. Eye To Eye. Hellsquad Records 2021

     

     

    Wareham câline

     - Part Three

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             Le real Dean repart de plus belle avec sa copine Britta. Ils montent le duo Dean & Britta et se jettent dans l’aventure avec L’Avventura. C’est l’album des grands

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    mimétismes, à commencer par «I Deserve It» qui sonne comme du Gainsbarre. C’est pompé sur «Melody Nelson». Puis t’as «Moonshot» qui est du pur Lou Reed, même si c’est un cut de Buffy Sainte-Marie, le real Dean te le prend en mode intrinsèque, sa voix craque d’éclats intenses, c’est d’une ampleur considérable. Avec «Hear The Wind Blow», il refait «Pale Blue Eyes, et pourtant, c’est un cut d’Opal, c’est-à-dire Kendra Smith et David Roback. Son sometimes it seems n’est pas loin de linger on your pale blue eyes. Le real Dean jette tout son génie vocal dans la balance et croasse deux ou trois syllabes au passage, histoire de faire son Lou. Encore une cover, celle du «Random Rules» des Silver Jews. La classe mélancolique de David Berman lui va comme un gant. Il enchaîne avec une autre cover, l’«Indian Summer» des Doors, qu’il prend à la douce gentillette. Bel hommage à Jimbo. Le real Dean et Britta duettent comme des dieux sur «Ginger Snaps». Ils tapent dans leur meilleure veine. Le real Dean est le premier à le dire : «One of the best things I have ever done. Certains albums sont meilleurs que d’autres, et je voyais celui-là comme l’album que j’avais voulu faire toute ma vie, influencé par Glen Campbell et Bobbie Gentry, Lee Hazlewood et Nancy Sinatra, Madonna, Nina Simone et Mary Tyler Moore.»

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             Tu vas trouver trois très belles choses sur Black Numbers, à commencer par «Words You Used To Say», un gros clin d’œil à Lou Reed. Le real Dean chante au deepy deep. C’est un fieffé follower. Britta le rejoint un peu plus loin et elle sort sa meilleure voix éthérée. Tu tombes ensuite sur «Wait For Me», en plein dans la lignée de la pureté. Britta attaque ça au sucre candy. T’en reviens pas de tant de beauté. Le real Dean est avec Doug Mercer des Feelies l’un des derniers héritiers du Velvet. Mais il faut bien dire que Britta sait bien prendre les choses en mains («You Turned My Head Around»). Elle attaque encore «White Horses» au doux du candy. Elle a un candy très particulier, elle sonne comme une ingénue libertine. Quant au real Dean, il montre encore avec «Me & My Babies» qu’il est d’une insondable profondeur artistique. Il adore le sucre candy de «Say Goodnight», pas de doute. Il recrée encore une fois le son de Pale Blues Eyes dans «Crystal Blue RIP». Il n’a rien perdu de ses pouvoirs de mage.             

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             C’est l’Andy Warhol Museum et le Pittsburg Cultural Trust qui ont demandé au real Dean et à Britta d’enregistrer 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests, pour accompagner 13 Screen Tests d’Andy Warhol. Le real Dean dit aussi que Warhol a tourné 470 screen tests. Dans les liners, il rentre bien dans le détail des personnages qu’il a choisis. Les liners sont beaucoup plus intéressants que les enregistrements. Le real Dean a lu énormément de books sur la Factory. On ne craque véritablement que sur trois des Songs For Andy Warhol’s Screen Tests : «I’ll Keep It With Mine» dédié à Nico, Britta s’y colle, elle s’y colle merveilleusement bien, elle dégage la puissante mélancolie urbaine de Nico. Sur «Not A Young Man Anymore» dédié à Lou Reed, le real Dean fait son Lou. L’illusion est parfaite. Et puis «Eyes In My Smoke», dédié à Ingrid Superstar, et qui tape en plein dans le smoke du Lou, la qualité du smooth est inégalable et t’as le solo liquide en prime. D’autre cuts accrochent un peu, comme par exemple «International Velvet Redux» dédié à Susan Bottomly, car le real Dean part en épais solo de désaille vinaigrée. Avec «Herringbone Tweed» dédié à Dennis Hopper, il part en mode heavy groove à la «Sister Ray», mais sans la folie sonique. «Knives From Bavaria» dédié à Jane Holzer sonne comme le «Bonnie & Clyde» de Gainsbarre.

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             Quarantine Tapes est un album de covers. On en retiendra trois : «Massasuchetts» des Bee Gees (le real Dean tape dans le sacré, il a le sucré de Robin, alors ça fonctionne et ça grimpe dans les harmonies vocales), «Most Of The Time» (Dylan, le real Dean réussit l’exploit de sonner comme le vieux Bob) et «Ride Into The Sun» (Velvet dans l’âme, gratté aux gros accords las). Le reste n’accroche pas. Ils démarrent l’album avec le «Neon Lights» de Kraftwerk qui rime si richement avec berk. Ils se vautrent sur une cover pourrie du «So Bored With The USA» des Clash. Avec le «Carnival Slow» des Seekers, on se croirait à l’Eurovision. Ils font du mou du genou sur le «23 Minutes In Brussels» qui date du temps de Luna, et on perd patience. Par contre, le real Dean donne de l’air à l’«Air» de Mike Heron et il y va à grands coups d’acou. 

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             La cerise sur le gâtö du duo, c’est leur collaboration avec Sonic Boom. D’abord un EP, Sonic Souvenirs, en 2003. Sonic te nappe ça bien. Il arrose tout de crème anglaise. Le real Dean refait son Lou sur «Hear The Wind Blow (Down Moonlight Mile)». Un vrai bijou de Velvet latent, gorgé d’écho. Plein son. On retrouve sa belle profondeur de timbre dans «Moonshot (Myths Of Heaven)». Ça craque sous la dent, ça cloque de densité. Dean & Britta duettent comme des cakes sur «Ginger Snaps (And Sugar Winks)», et font siffler les S de when the kitchen sinkS/ When the sugar winkS. Très pur. Merveilleuse association.

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             Puis l’an passé, Dean & Britta & Sonic Boom ont enregistré leur Christmas Album, A Peace Of Us. Franchement, ce serait une grosse connerie que de faire l’impasse sur cet album, car Sonic Boom y fait des merveilles. Le «Snow Is Falling In Manhattan» est très «Pale Blue Eyes». Nos trois amis restent dans la ligne du parti. Le real Dean adore sa vieille traînasse. Tout est très éthéré, très intéressant, très haut de gamme sur cet album. Britta chante «Do You Know How Christmas Trees Are Grown» d’une voix pure de crystal clear. Le real Dean prend ensuite son «Old Toy Trains» au doux du doux. Le «Silver Snowflakes» qu’on croise plus loin n’est autre que le «Greensleeves» de Jeff Beck, et le «Still Natch» est bien sûr le «Silent Night» bien connu des amateurs de réveillons. A Peace Of Us est en fait un Christmas album. Coup de tonnerre en B avec un hommage à Totor : «You’re All I Want For Christmas». T’as même les castagnettes et ça sonne comme un hit des Ronettes. Britta fait encore un carton avec «If We Make It Through December», elle est à l’aise avec la country de saloon, elle est même assez paradisiaque, très Nancy Sinatra, et t’as la prod de Sonic Boom. L’album se termine par un hommage à John Lennon, «Happy Xmas (War Is Over)». T’es tout de suite dans le cercle magique. Pas de meilleure aubaine. 

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             Oh mais c’est pas fini ! Le real Dean enregistre aussi des albums solo. Le dernier en date s’appelle I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Tu vas te régaler de la belle pop enchanteresse de «Cashing In». Le real Dean sait emballer son fan. Il a vraiment un charme fou. Avec «Robin & Richard», il sonne comme le Lou, une fois de plus - My pleasures are plenty - C’est du pur Lou. Il termine en mode clairette phosphorescente, c’est un éclair de génie. Génie encore avec «Under Skys», tu le vois littéralement partir en solo sous les skys. Le real Dean est un fabuleux guitariste, il te fait tourner la tête, tu pourrais lui dire, sur un air de Piaf, «mon manège à moi c’est toi.» Nouveau coup de génie avec «Why Are We In Vietnam». Il se pose des questions existentielles. Il reste très new-yorkais dans son approche philologique et bien sûr, tu le vois se lancer dans l’un de ces finals élégiaques dont il a le secret. Il rivalise d’intelligence guitaristique avec Tom Verlaine, c’est une évidence.

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             Emanciped Hearts sonne comme une sorte de point bas dans l’œuvre qu’il faut bien qualifier de tentaculaire du real Dean. Il attaque avec «Love Is Colder Than Death», un big balladif entreprenant. Il a raison, le real Dean, l’amour est plus froid que la mort. Il prend son plus beau timbre de Lou pour attaquer son morceau titre. Il chante vraiment comme son idole. On assiste ici à une belle évolution du domaine de la lutte. Et puis après, ça se gâte. Il monte un coup très weirdy avec «The Longest Bridges In The World» et se plaint bien dans le demi-jour avec «The Ticking Is The Bomb».

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             Paru en 2014, Dean Wareham vaut le détour pour trois raisons majeures : «Beat The Devil» et «Happy & Free» (deux Beautiful Songs), et un authentique coup de génie nommé «Babes In The Wood» où il sonne comme le grand continuateur du Velvet. Ils travaille sa magie sibylline à coups de take care, il t’emporte comme le ferait un vent très voilent. Avec «Beat The Devil», il va droit sur l’excellence carabinée, il met en avant une façon de chanter très intrinsèque et tu tombes invariablement sous le charme. Il tape l’«Happy & Free» à l’aune de la Beautiful Song, avec des éclats pop en forme de réminiscence d’effervescence, il te soigne bien la cervelle, tu peux y aller les yeux fermés, le real Dean est un crack du doux, le plus bel héritier du Lou, il prolonge cet art unique au monde, cette vision de la pop nourrie à la fois de grandeur mélodique et de décadence.  Le real Dean est un fabuleux distillateur de jus pop, il chante avec cet accent d’entre-deux qui ne trompe guère. C’est un fin renard du désert, un admirable stratège velvétien.

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             Le real Dean monte encore un side project en 1997 : avec Cagney And Lacee et un seul album, Six Feet Of Chain. Lacee s’appelle en fait Claudia Silver. Avec «Lovin’ You», t’as l’impression de planer dans un rêve. Elle crée de la magie sur des nappes de violons étales. C’est très easy listening. Elle peut aussi chanter à la belle aventure de country girl («The Last Goodbye» et «By The Way»). Country, mais beau. Et puis tu t’extasies sur «Greyhound Going Somewhere», pur jus de Cosmic Americana, eh oui, le real Deal est capable de ça. Elle veut partir en Greyhound, n’importe où - I’m leavin’ ! - Elle finit ce bel album en mode pop chaude avec «I’m Not Sayin». Elle réchauffe la pop dans son giron. Le real Dean permet ce genre de petit miracle d’intimité tiède et réconfortante. 

             Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean & Britta. L’Avventura. Jetset Records 2003      

    Dean & Britta. Black Numbers. Zoé Records 2007    

    Dean & Britta. 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests. Double Feature Records 2010     

    Dean & Britta. Quarantine Tapes. Double Feature Records 2020

    Dean Wareham. Emanciped Hearts. Double Feature Records 2013 

    Dean Wareham. Dean Wareham. Double Feature Records 2014  

    Dean Wareham. I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Double Feature Records 2021

    Dean & Britta. Sonic Souvenirs. Jetset Reords 2003

    Dean & Britta & Sonic Boom. A Peace Of Us. Carpark Records 2024

    Cagney And Lacee. Six Feet Of Chain. No. 6 Records 1997

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    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

    *

             C’est une parution sur Western AF qui date un peu. Quatre ans déjà. Elle se démarque de toutes les autres. Soyons franc, difficile de faire mieux question western. Paysage désertique magnifique, une fille qui cause, lorsqu’elle apparaît sur l’écran vous comprenez que vous êtes dans un ranch, pour les prairie d’herbe bleue vous êtes gros jean comme devant, au fond des montagnes pelées jusqu’à l’os, le sol est fait de poussière, OK, nous ne sommes pas dans le Kentucky mais dans le Nevada, une question vous turlupine mais où donc font-ils paître leurs chevaux, j’ai oublié de préciser, elle a un cheval, isabelle comme celui de ma fille, et un chien sans canapé alors que les miens… l’on aperçoit quelques poules, j’ai envie d’être un renard, elle s’est assise devant l’entrée d’un bâtiment fait de bois et de tôle, vous réalisez que ses avant-bras sont posés sur une guitare tenue à plat sur son giron. Au plan suivant elle s’en est saisie, deux coups de gratouillis et elle commence à chanter.

    RAMBLIN’ MAN

    JADE BRODIE

    (Western AF / 2022)

                    La version la plus dépouillée de Ramblin Man que je n’ai jamais entendue, je la qualifierais de rudimentaire si je n’avais peur que vous compreniez mal ce mot, guitare minimale, vocal sans emphase, les couplets répétés, les yeux fermés, le visage plissé, toute la tristesse du monde vous tombe dessus, c’est quoi ce truc, même pas du country, même pas du folk, même pas du blues, l’on est aux racines, c’est ainsi que devaient chanter les songsters vers 1840 que l’on n’a jamais entendus.

             J’ai voulu en savoir plus. Première chose sur laquelle je tombe en ouvrant le site Western AF, un article Meredith Lawrence Premier détail pioché, née en Californie, elle a vécu à Santa Rosa, ville située au nord de San Francisco, ses parents s’intéressent à la musique, elle a dix-huit ans lorsque son ami et son disquaire lui offrent une guitare et un coffret de blues et de country féminins… Presque un conte de fées qui emprunte une voie typiquement américaine : le train. Elle sera réparatrice de locomotives. Existerait-il un moyen amerloque de se déplacer encore davantage mythique ? Oui, le cheval. Période de chômage, elle en profite pour dégoter un job dans un ranch. Certainement vous avez aussi les highways, n’ayez crainte elle coche toutes les cases : l’est en train de conduire lorsqu’elle refuse de bifurquer vers un nouveau stage de conductrice de locomotive, elle préfère les chevaux et passer sa vie à chanter et à composer…

    GETTING OUT OF HERE

    JADE BRODIE

    (Dusty Vaquero / 2024)

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             Dusty Vaquero est un site qui fonctionne  à la manière de Western AF, enregistrant live des artistes qui n’ont pas atteint une renommée internationale. Nous retrouvons Jade Brodie en direct. On ne la reconnaît plus. Elle porte un joli chemisier blanc à fleurs, un chapeau de cowboy, mais un jean, des guêtres et des boots plantées dans la terre, elle est assise sur un billot devant un bâtiment de bois, supposons une écurie… Des cheveux blonds mi-longs encadrent son visage. Elle  résume en quelques mots sa vie à travailler, son désir de trouver mieux. 

    Goodbye the ramblin’ songster man, this  is Brodie country, cowboy par excellence, yodle à la perfection et vous conte l’histoire de ces  hommes qui sont partout ailleurs mieux que chez eux. Plus un dernier couplet pour vous avertir qu’ils ont trouvé l’endroit qui les retient. Très différent au niveau du style de chant du précédent mais tout aussi charmeur.

    Sur bancamp seulement trois morceaux :

    SPLIT MY TOOTH

    (Mars 2020)

    Jade Brodie : chant, guitare acoustique, et paroles / John Courage : guitare solo / Kirk Fortin : violon / Francesco Echo : basse / Dan Ford : batterie.

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             Belle photo. On la croirait chez elle. Mais non dans le compartiment d’un train. Toute belle, le soleil la dore d’un de ses rayons. Ses cheveux de miel et l’angoisse sur son visage. Elle tend la main vers sa guitare comme si elle n’osait pas la saisir.

             Elle peut remercier ses musicos, lui font un accompagnement de rêve, mais son vocal magnifie cette balade d’une tristesse absolue. Une voix qui ne flanche pas, elle se pose sur la musique comme un poison qui coule dans vos veines et qui remonte dans votre cœur pour l’empêcher de battre. Trop de distance entre deux êtres. Dans une note de présentation elle avoue qu’elle a  bâti   cette chanson sur un vers d’un morceau Townes Van Zandt qu’elle avait chanté à son mari, le jour de leur mariage. Ne vous étonnez pas qu’ils aient divorcé quelques mois plus tard. Comment croire que l’être aimé restera si vous lui accordez la liberté de partir… L’existe une Official Vidéo. Quelques scènes nauséeuses de solitude et d’impuissance dans un bar, dans sa robe rouge, princesse déchue de son propre rêve elle caresse un alezan, ce n’est pas un film, juste des éclats d’âme brisée  comme un miroir intérieur qui n’a pas supporté d’avoir tant été regardé.

    MAKING HISTORY

    (Février 2021)

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    Photo de la même série que la précédente. Elle est encore plus belle gainée dans sa robe rouge. Princesse alanguie, le soleil amoureux caresse son visage. Encore inquiet, mais sa guitare est à ses côtés.

    Vous avez une Official Video. Rien d’exceptionnel. Un mélange de vie vécue et de vie rêvée. Pas tellement différentes. Même si l’une va d’avant et si l’autre n’a pas la force de retourner en arrière. Certes les musicos vous imposent le roulis monotone du train qui roule vers l’absurde shuffle d’une existence partagée en deux. Bosser au loin pour gagner sa vie équivaut à la perdre. Les paroles ressemblent à une de nos comptines enfantines, sans joie, sans exaltation, sans chocolat en récompense finale. Une voix aussi froide qu’une langue de serpent. Qui n’en finit pas de vous mordre. Quand l’un est là, l’autre est ailleurs. Existences effilochées. La grande Amérique broie l’existence de beaucoup.

    (Jae Nobody est au violon).

    OPEN ROAD

    (Février 2022)

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    Plus de soleil. Photo en blanc et noir. Ils n’ont pas dû le faire exprès mais son visage marqué d’ombre et d’angoisse évoque pour un français certains clichés expressionnistes d’Edith Piaf.

    Encore une vidéo. Crépusculaire. Le soleil se couche sur les paysages américains. Vous ressentez une inextinguible tristesse, celle de l’incomplétude de l’âme humaine qui peut contenir en elle toute la vastitude de la beauté du monde mais qui n’arrive point à intégrer le minuscule point de départ, la maison qui vous attend et dont vous vous rapprochez au fur et à mesure dont vous éloignez d’elle. Insatisfaction de vouloir être ce que l’on n’est pas et de ne pas vraiment être ce que l’on est. L’origine n’a pas de fin. Elle est une plaie qui suppure, un fruit partagé en deux dont il manquera toujours la moitié.

    Une voix qui touche à l’essence de la country. 

    Qui touche à la poésie.

    Merveilleuse Jade Brodie.

    Damie Chad.

     

    *

                Un groupe français. Pas mal le nom. Un truc gorgé de sang qui ne demande qu’à être versé. En supplément phonétique le mot vous emplit la bouche, avant même d’écouter mes oreilles saignent. J’avais raison comme toujours, l’écoute s’avère pénible. Pour une des rares fois de ma longue existence mon humilité me force à reconnaître que j’avais tort. Je vous rassure, je ne révise pas mon jugement auditif, mais non ils ne sont pas français. Viennent de Lithuanie. En plus ils l’écrivent avec un h, alors que depuis quelques années la France l’a supprimé lors d’une nouvelle transcription phonétique.

             J’adore ce pays. Coincé entre la Pologne, la Lettonie, et la Biélorussie. Je n’y suis jamais allé. Mais cette lointaine contrée nous a donné un de nos plus grands poëtes, lui qui savait le russe, l’anglais, le lithuanien, le yiddish, l’hébreu, l’allemand, a écrit toute son œuvre, vous la situerez entre Nerval et Rilke, en français, vous avez de la chance, pour d’obscures motivations politiques (guerre en Ukraine), comprenez urgences non poétiques, a paru dernièrement chez Gallimard, un Quarto qui regroupe en 1300 pages une bonne partie de ses œuvres. Normalement vous devriez cesser de lire cette kronic, et ne la reprendre une fois que vous auriez passé la moitié de votre vie à lire Oscar Vladislas de Lubicz Milosz ( 1877 – 1939), ce qui me laisse le temps  de la terminer en toute tranquillité.

    CARRION

    AORTES

    (CD / Banndcamp / Avril 2025)

             L e premier Ep d’Aortes est sorti en août 2012. Sous le nom d’Autism.

    L’on sent qu’ils aiment les mots qui battent comme un cerveau qui n’est plus irrigué… Chacun de leur titre possède ce privilège de vous faire flipper avant que vous ne les ayez écoutés. Au moins vous ne pouvez pas vous plaindre de ne pas avoir été prévenus. Ainsi leur dernier album dès son titre vous annonce que ça sent la charogne. Ont-ils une prédilection pour Baudelaire, je ne sais pas. Vous jugerez sur place de cette composition, pardon de leur décomposition musicale.

             Le groupe a renouvelé ses membres. La dernière formation que j’ai pu trouver est la suivante : Andrius Sinkunas : chant, clavier, synthétiseur / Tomas Danisevskis : guitare / Linas : basse / Dormantas Lekavicius : batterie.

             Si vous vous attendez à une histoire bizarre, détrompez-vous, en règle générale les morts ne bougent pas trop, ils ne se lèvent pas toutes les cinq minutes pour faire un petit tour sur la terre.

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             La couverture n’est guère accueillante. Elle n’est pas créditée, comme ils sont des adeptes du Dot It Yourself, elle doit être d’eux. Entre parenthèses, chaque fois que je lis Diy je pense à (to) Die. Noire et jaune, me revient en mémoire le titre du roman Le Soleil des Morts de Camille Mauclair, il met en scène Stéphane Mallarmé, c’est aussi celui du livre d’Ivan Chmeliov, voire au poème (issu du recueil Banquets et Prières) de Marceline Desbordes-Valmore dont Rimbaud appréciait fort la poésie, tout cela pour vous rappeler que la mort ne fascine pas que les amateurs de dark metal. En tout cas ce jaune n’est point illuminatif, tout au plus une lumière froide. Pour le noir passe encore le portrait je subodore de Tolstoï ou de Dostoïevsky, avec ses yeux fous de voyant fixés sur la bouche d’ombre, l’on retrouve au bas de la couve le regard de celui qui a vu ce que l’on ne doit pas voir, les trois mains centrales, une de plus, une de moins, qui se tendent et se cherchent sans se trouver, et tout en haut la grille des côtes déjà dépourvues de chair…

    Dying world : une espèce de tsunami implacable de guitare fonce sur nous, sans se hâter, vitesse lente, le monde s’effondre, c’est nous qui mourrons, tout notre décor existentiel dans lequel nous avons joué la comédie de la vie se démantibule dans notre regard intérieur, la batterie écrase tout ce qui voudrait résister, mais rien ne manifeste cette envie, comprenez ces cris d’horreur, ces appels au secours à soi-même, l’unique personne à qui nous pouvons les adresser, mais nous savons bien que nous n’avons aucun moyen, aucune chance d’arrêter ce raz-de-marée qui s’abat par pans entiers, une ambiance de film-catastrophe pas du tout cathartique, nous courrons de tous les côtés pour nous arracher à ce mal inexpugnable qui est en nous, en notre conscience, nous sommes allongé sur notre couche, au fond de notre cercueil, notre vie est en train de s’écrouler, de s’ébouler sur nous, tout ce que nous avons aimé nous tombe dessus, et nous ensevelit en nous-même. Carrion : feat Plié : ça y est nous sommes mort. Notre corps vit encore. A sa manière. Il entre en putréfaction. Tout bouge et reste sur place. On a l’impression qu’ils ont additionné pistes sur pistes, pour donner une impression de gluance sonore, le vocal en arrière-plan, la charognisation n’est pas un écoulement mais une brûlure, une carbonisation, une espèce d’auto-combustion qui brûle et s’auto-crame, notes lourdes de synthé pour marquer la désynthétisation des tissus, la voix parle, est-ce celle du mort, ou celle d’un spectateur qui médite, il semble que des mouches bourdonnent, vocal non pas des derniers secrets mais des ultimes révélations d’auto-consumation, est évoqué le fantôme d’Hérodote, le voyageur qui s’en est allé explorer toutes les routes et tous les pays qui entouraient la Grèce antique, notre corps brûlé n’est-il pas un ailleurs étranger par excellence, un autre état de notre matière, à moins que ce soit une sorte de folie charnelle, un dépassement de soi. To the worms: intensification musicale, qui pleure -là parmi les diamants extrêmes, est-ce la jeune Parque ou le poëte, l’amant ou l’amante séparée par un miroir à deux faces, ce qui est sûr c’est que celui des deux qui est  dehors est comme celui qui est dedans, une corde de basse rebondit comme une balle de pingpong comme le pendule endiamanté qui descend pour tailler le verre séparatif, l’un appelle, l’autre lui demande de traverser la paroi terreuse de sable vitrifiée, elle appelle, et lui se jette à terre, il essaie de pénétrer dans la terre, de devenir ver de terre pour se mêler aux vers en train de bouffer cette chair en putréfaction active. Black mold : instrumental, crépuscule des dieux, Siegfried ne passera pas la croûte de terre pour se coucher dans le cercle de feu de la Walkyrie, pas du tout une chevauchée, une marche funèbre, Roméo ne rejoindra pas Juliette, la mort comme la vie, la vie comme la mort, l’une sans l’autre, l’autre sans l’une, ne sont qu’une sale moisissure qui corrompt toute existence, qui annihile toute impossibilité de retrouvailles. Nous avons essayé. Nous avons échoué. Peut-être parce que la mort de l’un n’est que la mort de l’autre. Mais ceci est une autre histoire.

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      When we cease : changement de paradigme, un seul être vous manque et tout est dépeuplé disait Lamartine, Aortes ne l’entend pas ainsi, c’est le monde qui s’écroule, la catastrophe écologique,  tout ce que vous voulez, mais le survivant devient le reflet de celui qui a choisi la partenza, un éclair comme une bombe atomique qui viendrait vitrifier la terre, encore le miroir à deux faces, le monde qui s’éboule dans la tête de celui qui est sous terre et le monde qui est détruit autour de celui qui est resté à la surface du globe, le morceau est une terrible incandescence, une montée lente et incoercible, un vocal hurlé à la manière d’un appel au secours inutile, de toutes les façons quand tout sera terminé, rien ne se passera, nous ne serons plus rien, encore moins que maintenant où l’un survit encore dans la tête de l’autre. (Il existe une vidéo, mortifère, de vieilles croix de bois dans un cimetière, si nombreuses si serrées qu’elles paraissent avoir été mises au rebut, ornées de colliers, de rosaires, de scapulaires, de dessins, de crucifix… un terrible sentiment d’abandon et d’impuissance).  Lifeless :

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    plus personne, une cloche résonne, une seule solution, puisqu’il est évident autant conjurer un esprit, celui de celui ou de celle dont le cercueil va basculer dans la tombe, existe-t-il de l’autre côté une lumière, ressens-tu le soleil des morts, une espèce d’existence, différente, mais la mort ne serait-elle pas la continuation de la vie sous une autre forme, il empoigne le cadavre à pleine mains, il le secoue, il l’interroge, il crie, il frappe il supplie, musique écrasante totalement folle, sans vie, sans mort, rien, néant, les circuits de son cerveau se transforment en catacombes qui regorgent de squelettes sans âme, un seul être vous manque et le monde entier des hommes n’est plus, disparu, néantisé. (Il existe une vidéo, une maison de bois abandonnée, délabrée, désertée, la caméra s’attarde sur une espèce de totem informe qui cependant mérite l’adjectif christique, puis un paysage enneigé, un pont, une route, un fleuve, pas une âme vivante, retour au totem, des squelettes d’arbre, un nouveau totem carrément christique, des amas de planches, une maison écroulée, au loin une maison, une lumière le soleil qui se lève, tombes caressées par le soleil, une statue du Sauveur, l’impression que le monde se réchauffe.)   I’ve loved you all : this is the end, beautiful

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    friend, mais il n’y a pas de car bleu, il n’est même pas noir, il est transparent, un miroir à deux faces, il t’emmène, penché sur ton cercueil je me laisse aller, penché dans mon cercueil je te laisse partir, je ne peux pas te retenir, qui parle encore une dernière fois, celui qui reste ou celui qui descend, qui oubliera l’autre, ne reste plus que le désespoir, un dernier adieu, car l’on ne se reverra jamais. (Il existe une vidéo, paysages noyés de brumes, sentiment de solitude et de désolation, l’on parcourt les champs, la terre, les bois pour se retrouver devant de très vieilles tombes déformées, crevées, des images de mers déchaînées, de fleurs, d’insectes, la nature elle continue de vivre, elle n’a pas l’air de se soucier de l’humaine créature couchée en ses cimetières… un moment un œil vous scrute, serait-ce la mort qui vous attend… ou quelqu’un d’autre.).

             Si j’ai mis les trois vidéos en fin de recension des trois titres, c’est parce que je les ai visionnées avant d’avoir fini la totalité de mon écoute. Elles sont simples et belles. Une atmosphère toutefois déprimante. Peut-être incitent-elles à une autre compréhension, à qui s’adresse la personne sous la tombe, à un être humain ou la divinité… Serions-nous face à un groupe chrétien. Quel qu’il soit, cet album est magnifique, le texte est d’une grande subtilité et la musique d’une force irréfragable.

             L’ensemble est d’une force étonnante et vise à l’essentiel.

    Damie Chad.

     

    *

             Bien sûr avec vos bras reptiliens vous pouvez tenir, prenons un exemple au hasard, une jeune fille, l’enserrer dans vos muscles visqueux, avec la force d’un python réticulé, moi ce qui m’a plu c’est le titre de l’EP en latin, un groupe qui utilise la langue de Virgile et d’Ovide ne peut pas être entièrement mauvais, ensuite je me suis demandé, question oiseuse s’il existait des reptiles avec des bras, j’ai vérifié dans L’Histoire Naturelle de Buffon, apparemment il n’en a jamais entendu parler. D’où l’intérêt à regarder ce nid de serpents de près.

    EXTENSA FABULA

    REPTILIAN ARMS

    ( Bandcamp / Avril 2025)

    Chris Cassisi : basse / Josh Joesten : drums / Marcus Rzyborowski : guitares /Alex Santana : vocal.

    Sont de San José, ville d’un million d’habitants située à moins de soixante-dix kilomètres de San Francisco, considérée comme les centre de la Silicon Valley. N’ont pas l’air d’être des hippies attardés ni des chantres de la technologie moderne. Paraissent plutôt intéressés par les sciences maudites. La couve de l’EP vous convaincra.

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    Une toute jeune fille, sage et innocente, debout devant des buildings de cinquante étages. Essayez de ne pas regarder les têtes de morts qui remplacent le gazon. Ne quittez pas des yeux la lueur assassine des prunelles du lézard géant et cornu aplati sur les gratte-ciels, avant de vous porter au secours de l’enfant vérifiez les griffes démesurées de cet être sorti des entrailles de la terre. Cette image sombrement hémoglobinesque n’illustre pas une fable de notre bon vieux Jean de La Fontaine, permettons-nous une traduction peu correcte et un tantinet éloignée du titre de l’album. : extension du domaine de la lutte reptilienne.

    Zenosyne : comment interpréter ce titre, signifie-t-il que la mémoire des choses s’accélère induisant ainsi une accélération du temps, ne faites pas la fine bouche, il est inutile de déclarer que le concept zénosynien est légèrement flou, alors qu’il est évident qu’il n’a pas besoin d’aile pour progresser rapidement car il est intrinsèquement fou, non je suis pas atteint de folie car si l’aile de la folie s’envole, les haruspices se pencheront sur mon foie pour en tirer d’hâtives conclusions sur l’avenir. Si vous n’avez rien compris à ce qui précède, peut-être conviendrait-il de ne pas écouter cet EP, mais puisque vous vous obstinez dans votre curiosité malsaine, tant pis pour vous. Je vous vois venir avec votre gueule enfarinée, oui c’est rapide, ultra-speed, un trio infernal qui fonce, à San José la nuit tous les feux rouges sont verts, quant au vocal de Santana c’est vrai que ce n’est pas la guitare à notes rallongées de Carlos, l’a une voix bulldozer, quant au Josh il filoche sur sa drummerie pour prouver aux deux autres qu’il roule plus vite, alors Marcus et Chris accélèrent et le dépassent, bientôt sont tous les trois sur la même ligne, et Santana, déguisé en Ben Hur  les cingle, de ses hurlements il les propulsent au travers du mur du son. Vous avez adoré ce doom de cinglé, vos oreilles ont couru derrière comme des dératés mais vous avez raté l’embrouille du film en rembobinage, vous ressentez l’urgente nécessité que je vous refile quelques bribes de scénar. Voyez-vous certains aiment que la vengeance se dévore chaude-bouillante. L’un l’a laissé pour mort et l’autre pas mort s’empare de l’un et vous le dissèque en petits morceaux pour qu’il souffre un max. Une boucherie expiatoire. Maintenant vous comprenez pourquoi Carlos se dépêche  pour qu’il souffre au plus vite, prend même un malin plaisir à imiter les hurlements de sa victime. Shroom doom : ouf le rythme s’alentit, le Carlos en profite pour nous prouver qu’il peut à lui tout seul  chanter aussi fort qu’un chœur de quatre-vingt moines qui n’ont pas violé une bonne sœur depuis trois jours, il gueule, et puis il dégueule, la guitare de Marcus en profite pour dégringoler les cent quarante-quatre marches du clocher de l’église en feu, l’est sûr que quand le delirium tremens s’arrête vous êtes incapable de retrouver votre esprit qui vous a quitté et qui bat de l’aile sous la voûte de la sacristie, je vous en ai donné une version chrétienne parce que vous aurez davantage de mal avec la mythologie mexicaine, tout se passe aux derniers moments, lorsque vous êtes en train de succomber, que le méchant enserre votre cou de ses dix doigts et vous prive d’oxygène, vous comprenez que la partie d’échec de votre vie est définitivement perdue, que la Reine ne vous sauvera pas, que vous vous essoufflez sur la diagonale du fou, que l’œil cruel de Caïn est dans votre tombe et vous fixe, que le Serpent à Plumes, est-ce lui le Reptile, est-ce vous, est-ce l’autre, en tout cas, qui qu’il soit, il agonise sur le damier.  Non, ce n’est pas clair, mais nos champions ont pris des champignons. Prayed upon : le dégueulis sonore redémarre, avec en plus la batterie qui se permet d’imiter le vacarme des tortillards à crémaillères sur les sommets andins, aux décibels il y a du monde : toute l’Humanité. Les deux premiers morceaux ne seraient-ils qu’une métaphore. L’on vous aurait présenté quelqu’un en train de se faire assassiner pour que vous compreniez que l’assassin de soi-même n’est que soi-même. Que le monstre reptilien qui se jette sur vous ce n’est que vous, juste au moment où vous en prenez conscience le morceau s’écroule sur lui-même. Grand charivari, immense capharnaüm phonique et mental, la mort ce n’est pas le Monstre, c’est le désir qui vous pousse, vous et tous les autres, qui ne sont ni pires ni meilleurs que vous, vous êtes un monstre d’égoïsme, après vous le déluge, pourvu que vous puissiez bâffrer et jouir à volonté, vous mourez parce que vous mentez, vous volez, vous tuez. Les autres, cela n’a que peu d’importance- c’est vous que vous tuez parce que vous refusez de vivre. Après tout c’est votre choix. Vous ne voudriez quand même pas que l’on vous plaigne. En plus vous êtes déjà mort depuis longtemps en vous-même avant d’être mort. London dungeon : c’est la fête, entendons-nous bien, c’est difficile avec tout le bruit qu’ils font, sans compter les flonflons de cette voix qui joue à Monsieur Loyal. Quel grabuge, à quel jeu jouent-ils tous ensemble. C’est un peu comme à Donjon et Dragon, ils ont choisi London, pourquoi les américains opteraient-ils pour l’enfer anglais, je n’en sais fichtrement rien, peut-être parce que là-bas ou ailleurs c’est sans doute la même chose. Vous avez toute vie tout fait pour vous retrouver sur le quai du grand départ et  monter dans le train de l’enfer, alors une fois que vous y êtes, ce n’est pas la peine de réclamer sous prétexte que vous n’êtes pas dans le bon compartiment. Amusez-vous bien !

             Erreur d’interprétation de la couve : la petite fille n’est ni sage ni innocente. La bête immonde qui la guette n’est pas tapie sur les gratte-ciels de San José (ou d’ailleurs), elle n’est qu’une projection de son âme déjà sale, envieuse et vicieuse. Le monstre n’aura pas besoin de bondir dans sa caboche, elle y est déjà, c’est elle qui projette son insatisfaction congénitale, sa désastreuse avidité, sur le monde entier pour qu’il lui ramène tout ce qu’elle veut.

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             La musique de Reptilians Arms est sacrément venimeuse. Ses écailles sont fascinantes. A elle seule, elle  devrait être stigmatisée par un Parental Advisory. Elle est si chaotique qu’elle est capable, une unique écoute suffira, de pervertir nos têtes blondes, de fragiliser leur équilibre mental. C’est pour cette raison que les kr’tntreaders l’adoreront... Oui mais eux, il y a tellement longtemps qu’ils sont perdus, qu’un peu plus ou un peu moins n’influera en rien  leur triste destinée… Pourtant l’apposition de ce logo infâmant serait une erreur, tout compte-fait les paroles sont morales, les méchants vont en enfer, n’est-ce pas ce qu’ils méritent !

             Comme ce deuxième EP de nos reptiles nous a paru aussi délicieux qu’un gâteau aux trois chocolats empoisonnés, nu tour sur leur premier artefact s’impose.

    THE SET DEMO

    REPTILIAN ARMS

    (Bandcamp / Novembre 2023)

    La pochette n’est pas un must. Elle est réduite au plus simple. Juste le nom du groupe calligraphié dans ce type d’écriture illisible qu’affectionnent le groupes doomesques et métallifères. Vraisemblablement à l’époque des commencements de l’ère du Metal c’était une manière de se distinguer de l’esthétique punk, toutefois méfions-nous de la monotonie.

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    Slow kill : un truc tranquillou si l’on en croit le titre, je remarque que mon chien quitte la pièce, reconnaissons que c’est flippant cette voix de croque-mort sans appétit, et ce catafalque de guitares qui vous enveloppe sans vous avertir, lorsque le drummer commence à vous enfoncer les clous à travers les planches du cercueil pour que vous ne caltiez pas en douce, c’est moins rigolo, la petite fille va mourir, qu’elle ne panique pas, qu’elle prenne le temps de respirer, pourquoi se plaindrait-elle de quitter ce monde cruel. This is the end beautiful little girl. L’on se demande pourquoi à la fin, elle ne dit pas merci. Un morceau un peu funèbre qui pose une question essentielle : mais que voient les morts ? Proclamation of fire : le premier titre tentait de vous prendre par les sentiments, sur celui-ci on essaie de vous séduire intellectuellement. Une véritable discussion philosophique, ponctuée par la batterie, les guitares imitent le bruit d’un moteur de hors-bord lancé à toute vitesse sur le lac de la pensée. Le prof au vocal commence par vous asséner quelques reproches, vous avez essayé d’échapper à votre vie minable en éliminant toux ceux qui se trouvaient sur votre chemin. Vous joignez vos mains ensanglantées pour demander pardon à Dieu. De temps en temps d’un gosier inexorable il lâche quelques préceptes nietzschéens définitif  sur la nature profonde de l’animalus humanus : Dieu n’a aucune pitié, nous non plus ! Invaders advancement : quittons l’individu, intéressons-nous au collectif. La société réalise en grand ce que vous commettez à l’échelle minuscule tout seul dans votre coin, les cymbales tirent des coups de fusil, la batterie est un char d’assaut qui écrase tout ce qui se dresse devant elle, le combat, le vocal lance des ordres et des invectives, vous encourage, à la fin il doit être à la tête d’un commando-suicide. Un carnage. Un vrai gloubi-boulga. Vive la mort. Lie awoke : pour ceux qui n’ont pas compris. Vous avez une session de rattrapage : le vocal vous offre de sa voix le plus lugubre une histoire de l’humanité. Vous énonce toutes les catastrophes qui nous sont tombés sur le museau depuis l’aube des temps. Enfin dernière invitée : la peste. C’est pour ne pas nommer le Covid. Pas de panique, un médicament se profile à l’horizon. Ne dites pas que le vocal ressemble à un égout qui dégorge, peut-être ne l’avez-vous pas reconnue, mais c’est la voix de Dieu, qui se délecte de la mort de l’Homme, les guitares ne la ramènent pas, elles se la jouent profil bas et pissent du plomb fondu comme les gargouilles de Notre-Dame pendant l’incendie. J’ai comme l’impression que Dieu veut notre mort. Il grogne à la manière d’un verrat colérique dans sa soue. Lapidatus : on l’avait compris l’on se dirige à grande vitesse vers l’Apocalypse. D’ailleurs les guitares imitent le bruit d’un avion qui va s’écraser dans les minutes qui suivent. Il prend son temps, il tourne en rond pour que vous ayez le temps de comprendre ce qui va se passer. C’est la fin des temps. Oui il y aura quelque chose d’autre après, l’on a l’impression que la guitare imite Hendrix jouant l’hymne Américain à Woodstock, mais là ce ne sont pas de misérables bombinettes sur le confetti vietnamien, c’est une nouvelle ère qui commence, ne soyons pas déçu elle aussi a droit à sa propre fin des temps. Humains rayés de la planète, Dieu est un menteur.

             The Set Demo est peut-être musicalement moins fulgurant que l’Extensa Fabula mais la fable qu’elle raconte est beaucoup plus radicale. Un point bonus aux deux artefacts. Balle au centre, on attend l’EP numéro trois. Avec impatience.

    Damie Chad.