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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 49

  • CHRONIQUES DE POURPRE 542 : KR'TNT 542 : DAPTONE RECORDS / TURBONEGRO / NEAL FRANCIS / PARIS SISTERS / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 542

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    17 / 02 / 2022

     

    DAPTONE RECORDS / TURBONEGRO

    NEAL FRANCIS / PARIS SISTERs

    THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

     

    Daptone en fait des tonnes - Part One

     

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                La légende de Daptone Records reposait sur un trio de choc : Sharon Jones, Charles Bradley et Naomi Shelton. Les trois ont cassé leur pipe en bois. Frappé de plein fouet par la poisse mortifère, Daptone réussit néanmoins à créer l’événement avec la parution l’an passé d’un triple album live : Daptone Super Soul Revue, Live At The Apollo. Ce concert extraordinaire fut enregistré en décembre 2014. Le gros avantage c’est qu’on peut ré-écouter chanter ces artistes disparus et constater en même temps qu’ils sont bien meilleurs sur scène qu’en studio. Ce triple album les fait entrer dans la postérité. The Daptone Super Soul Revue est au complet sur scène, avec une intro du band leader Binky Griptite, suivi d’un court set des choristes de Sharon Jones, Saun & Starr, bien meilleures sur scène que sur leur album, lui aussi paru sur Daptone. Elles sont on the spot et à l’Apollo, elles passent comme des lettres à la poste. C’est Naomi Shelton & The Gospel Queens qui nous mettent les sens en alerte avec «Thank You Lord», massif shoot de gospel groove, le meilleur d’Amérique avec celui des Como Mamas. Stupéfiant, ça y va au heah yeah et ça continue au blast furnace de gospel batch avec «Stranger», talkin’ bout the Lawd, ça screame dans les brancards et ça explose encore avec «Higher Ground». Tu vas droit au tapis avec ces folles. Naomi y va au gospel yeah yeah, ça blaste early in the morning. On entend en fin de B les Como Mamas chanter «Out Of The Wilderness» au capella d’arrache de Como et c’est aussi très spectaculaire. Le deuxième disk est consacré à Charles Bradley, screamer extraordinaire, il enfonce son clou avec «Heartaches & Pain». Il a une attaque de la Soul unique, il feule et chante à la chaleur du peuple noir. Il fait de la heavy Soul éplorée avec «Lovin’ You Baby», il sonne comme un écorché vif, il harangue et screame sa Soul au sang. Il finit son «Slip Away» au gotta d’Otis et fout le feu à «How Long». Il rugit comme un lion dans les flammes de l’enfer, Charles Bradley est l’un des grands screamers noirs définitifs. «Let Love Stand A Chance» est sans doute son plus beau shout de heavy Soul. Il chante à la chaleur du Bradley fire. Il revient secouer l’Apollo après un intermède du Burdos Band. «Ain’t It A Sin» est une belle dégelée de raw r’n’b. Le troisième disk est réservé à Sharon Jones, the Voodoo Queen. Son arrivée est explosive, elle est aussi balèze qu’Aretha. Avec «Get Up & Get Out», elle tape un r’n’b endiablé quasi-voodoo à la Isley Brothers, bien monté en neige. Thank you Daptone pour ce festin de Soul. C’est sur la F qu’elle passe véritablement à la transe voodoo avec «I’m Not Gonna Try», ça joue aux percus de Daptone Square. Elle tape dans l’infernal «There Was A Time» de James Brown, arrhhh, mais elle annonce la couleur : «My way, not James Brown’s !». Et elle rentre dans le lard du funk survolté. Dans le book qu’on évoque à la suite, il est écrit que le show de Sharon Jones est «le pinacle d’une carrière qui rivalise d’énergie et de showmanship avec James Brown’s historic revues upon the same stage.» Et ça se termine avec toute la Daptone Family pour un clin d’œil à Sly avec «Family Affair/Outro». Ça devient mythique, Sharon, Charles et tous les autres explosent le Sly Thang. Un book au format LP propose des photos noir et blanc de la soirée, toutes plus spectaculaires les unes que les autres. Il se pourrait bien que cet objet soit un passage obligé, à condition bien sûr d’aimer la Soul à la folie.

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             Shindig! salue l’événement historique que représente la parution de cet album avec une petite double. Quand Paul Richie demande à Gabe quel est le highlight de sa vie, Gabe répond que ce fut d’être sur scène avec Sharon - That was the highest I could ever get - Il ajoute qu’il n’a jamais vu personne du même niveau que Sharon - She had a unique talent and that goes way beyond singing - Gabe rappelle aussi que l’éthique de Daptone consiste à sortir les albums qu’il aurait envie d’acheter. Il évoque aussi «a very low tolerance for bullshit.» Il profite de l’interview pour dire ce qu’il pense des mutations du music biz, le fameux cheaper and faster, cette musique en ligne qui l’horripile et qui finit par dénaturer la musique. Gabe dit aller à l’opposé. Deux albums par an, ça suffit. À conditions qu’ils soient bien foutus.

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             En même temps que sortait ce triple album, Jessica Lipsky faisait paraître l’an passé un ouvrage remarquable dans lequel on trouvera tout ce qu’il faut savoir sur Daptone, et même davantage : It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution. Elle nous raconte dans le détail cette histoire qui s’étale sur vingt ans, mais elle propose en plus un panorama assez complet de la scène Soul contemporaine : il ne manque rien ni personne, ni Colemine, ni Kelly Finnigan, ni Curtis Harding, ni Durand Jones, ils sont tous là et chacun des paragraphes de ce book génial sonne juste. On voit bien qu’elle a écouté les disks dont elle parle. Ce qui rend l’ouvrage doublement référentiel. Mine de rien, Jessica Lipsky a pondu une petite bible.

             Rien qu’avec l’histoire de Gabe Roth, on est comblé. Ce kid new-yorkais fan de Soul est co-fondateur de Desco avec Phillip Lehman. Gabe compose et joue de la basse dans les Dap-Kings. Quand il est sur scène, il devient Bosco Mann. Grâce à Daptone et aux Dap-Kings, Gabe Roth est devenu une figure légendaire, au moins aussi légendaire que Willie Mitchell, Sam Phillips et Chips Moman. Ou encore Berry Gordy, mais en beaucoup plus sympathique.

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             C’est un copain de sa grande sœur qui fait découvrir le funk au jeune Gabe, notamment une compilation nommée James Brown’s Funky People sur laquelle on peut entendre «the sexy voice of female preacher Lyn Collins, the punching horns of Fred Wesley and Maceo & The Macks».

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             Au commencement était non pas le verbe, mais Desco, fondé comme on l’a dit par Gabe et son pote Lehman. Lehman est un fils de riche qui arrive de Paris. Il s’installe à New York parce qu’il collectionne les raw funk singles. Gabe et lui ont une passion commune pour ce son, d’où Desco. Ils sont dingues de James Brown et des obscure funk 45s with a heavy dose of East African heat, and the great Fela Kuti. À quoi Gabe ajoute les Meters - Fela, James Brown, The Meters, ils paraissent évidents maintenant, mais à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de groupes funk qui sonnaient comme ça - Jessica Lipsky qu’on va appeler Jessica parce qu’elle est devenue une copine rappelle que le terme funk est resté un terme très vague. Il a servi à décrire «Papa’s Got A Brand New Bag» en 1965, puis le «Spreadin’ Honey» du Watts 103rd Street Rhythm Band et enfin l’acid-damaged weirdness of Parliament Funkadelic’s 1971 album Maggot Brain. C’est vrai qu’on a tout le funk de la terre dans ces trois bonnes pioches.

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             Gabe et Lehman ont des personnalités très différentes - Lehman with a no-holds-barred (sans tabous) punk rock attitude et une énergie créative qui ignorait les limites. Roth avait une attitude plus pratique with a highly musical sensibility - ce que confirme Steinweiss : «Phillip était un genre de visionary creative guy qui avait des tas d’idées. Et Gabe était lui aussi très créatif et visionnaire, mais il avait l’avantage de savoir mettre en pratique.»     

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             C’est en l’an 2000 que Lehman et Gabe se séparent. On ne sait pas grand- chose des raisons de ce schisme. Gabe dit que leur «partnership ended because of inevitable ‘business differences - money and shit’» - Gabe se retrouve seul et fauché. Alors que Lehman qui est plein aux as s’en va fonder Soul Fire Records, Gabe s’installe à Bushwick, Brooklyn, pour lancer Daptone, focused on expertly polished mid-to-late-60s soul and funk. Selon Jessica, Daptone vient peut-être du «Dap Walk» d’Ernie & the Top-Notes, un groupe funk de la Nouvelle Orleans. Dap-Dippin’ With The Dap-Kings est le premier album paru sur Daptone. C’est aussi le premier album de Sharon Jones. Comme Chips, Willie Mitchell, Berry Gordy, Stax et Motown, Gabe monte un house-band pour Daptone, les Dap-Kings.

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             Si Gabe prend le pseudonyme de Bosco Mann, c’est tout bêtement parce qu’il est endetté. Il craint que ses débiteurs ne louchent sur son label. Les Dap-Kings se composent de Gabe (bass), Steinweiss (beurre), Axelrod (keys, pas le David, un autre Axelrod, un Victor, qui se fait appeler Earl Maxton), Fernando Velez (percus), Leon Michels (sax), Binky Griptite (guitar). Gabe appelle ça la Daptone Family car il a grandi dans un milieu ouvert et il nourrit une passion réelle pour le concept de famille étendue. Le résultat ne se fait pas attendre : «There’s a sound to this crew, this bunch of guys.» Et il ajoute un peu plus loin : «I think that’s the biggest thing, to have a crew of musicians... That know how to make a record, know how to make a sound.» Ça ne te rappelle rien ? Chips, bien sûr, qui disait la même chose de son house-band. C’est le B-A-BA du recording biz : le house-band, la bonne ambiance. Il y a eu ça aussi chez Stax avant que ça ne dégénère. It’s a Family Affair, comme disent Gabe et Sly Superstar. Quand ils commencent à palper un peu de blé, Gabe et sa famille de Dap-Kings s’installent au 115 Troutman Street, à Williamsburg, un autre quartier de New York. Et tout le monde participe à la rénovation du local pour en faire un studio. Gabe dit que ce furent les jours les plus durs de sa vie. Charles Bradley donnait un coup de main, il réparait les radiateurs et l’escalier qui conduisait au deuxième étage. Ils font l’isolation acoustique avec des pneus ramassés dans le quartier. Ça devient the Daptone’s House Of Soul, un endroit qui va devenir légendaire, on parle même de «magic sound» et Gabe applique son motto «Shitty is Pretty», en ayant recours aux méthodes d’enregistrement traditionnelles, celles qu’on taxe d’analogiques. Gabe prend aussi des leçons de basse auprès d’un pianiste aveugle, Cliff Driver - It helped me figure out just how to play that shit - Et il ajoute qu’il a eu beaucoup de chance d’avoir pu jouer avec all these guys. It’s crazy to me. Méchant veinard !

             Sous la plume de Jessica, Gabe Roth apparaît comme un homme extrêmement attachant et donc très fréquentable. On s’en doutait un peu à l’écoute des album parus sur Daptone, mais ce livre fournit un éclairage fondamental. On apprend par exemple qu’il faillit devenir aveugle à cause d’un accident de voiture. Homer Steinweiss conduisait dans New York et bam, il roule dans un nid de poule et l’airbag explose dans la gueule de Gabe, lui déchirant les yeux. Il va retrouver la vue mais sera contraint de porter des lunettes noires toute sa vie. Plus grave : sa femme ne supporte plus de vivre avec un mec endetté jusqu’aux oreilles et qui ne gagne pas un rond avec sa fucking musique. Peu après l’accident, pouf, elle se fait la cerise. Le pauvre Gabe doit donc dormir dans le canapé du studio. Pas toujours facile, la vie. D’autant plus que la première année, il n’y a pas de chauffage dans The House Of Soul. Il s’accroche à son rêve de Soul et continue. Il s’associe avec Neal Sugarman, membre des Sugarman 3 et ils devront attendre plusieurs années avant de pouvoir sortir un salaire de Daptone. Pour vivre, ils jouent sur scène, d’un côté Sugarman avec The Sugarman 3 et de l’autre Gabe avec Sharon Jones & The Dap-Kings. Ils jouent dans des clubs et dans des mariages.

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             Avec Daptone, Gabe laisse tomber le raw funk pour aller sur la Soul de style Gladys Knight, Archie Bell et Wilson Pickett. Il compose énormément et impressionne Sharon Jones : «I think Gabe is an alien and he’s in disguise, man, he’s been around a looooog time.» Elle a raison de le prendre pour un extra-terrestre. Et elle ajoute que tout ce qu’il compose pour elle lui va comme un gant. Quand un peu plus tard elle voit que les albums commencent à se vendre, Sharon chope Gabe. Elle veut des royalties sur les chansons qu’elle n’a pas écrites. Elle considère que ces chansons résultent d’un effort créatif commun. Et contre l’avis de ses avocats, Gabe accède à la requête de Sharon en décidant que the ethical move était de reverser à Sharon un pourcentage des droits d’auteur, ce qui sur douze ans représente une somme rondelette. En fait la décision de Gabe a sauvé leur working relationship, nous dit Jessica avec - on l’imagine - un sourire bienveillant. Eh oui, elle a raison, c’est toute la différence avec ce rat de Leonard le renard qui barbotait les royalties dues à ses artistes. C’est tout de même incroyable qu’on puisse se conduire ainsi. Les économies de Daptone en prennent encore un coup avec le cambriolage de The House Of Soul. Les mecs ont barboté tout le matos, y compris les instruments pour la plupart de valeur qui n’étaient pas assurés. Mais Gabe encaisse bien le coup, même si ça ruine complètement le label. Il déclare officiellement qu’il leur reste le principal, c’est-à-dire la santé, l’ambition, les tape machines et l’humour - You can slow us down but you can’t stop us.

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             Gabe est un mec extrêmement balèze, car quand il sort le premier album de Naomi Shelton & The Gospel Queens, il en éprouve une réelle fierté, nous dit Jessica : « Le succès des Gospel Queens en particulier a conforté Gabe dans l’idée que de sortir un album de gospel was more punk rock than actually releasing a punk record.» C’est assez criant de vérité. Tous ceux qui ont eu le privilège de voir les Como Mamas le savent : tu donnerais tous tes singles punk pour un set des Como Mamas. Elles sont the real deal.

             Dans un passage plus intimiste, Gabe explique qu’il ne tire aucune fierté d’avoir pu accompagner Cliff Driver, Lee Fields ou Sharon Jones : «Je peux dire que ça ne m’est pas monté à la tête et je le pense encore aujourd’hui. Ça m’a juste appris que je ne dois pas m’approprier l’histoire d’un autre quand ce n’est pas la mienne. Si je joue bien, tout le monde est content. Depuis le début, je veille à ne pas péter plus haut que mon cul et à ne pas me comporter comme un imposteur. Je ne vole pas les licks, je ne suis ni un imposteur culturel, ni un imposteur social.» Dans la même veine, il revient aussi sur la question de l’engagement politique : «Ce n’est pas ce que chantent Sharon, Charles ou Lee qui est important, mais l’idée qu’ils soient là et qu’ils injectent du power et de l’honnêteté dans la musique. Il y a quelque chose de très politique dans cette idée. Nous ne sommes pas des leaders du combat des civil rights, mais comme dirait l’autre, il faut un soundtrack à la révolution. Pas besoin d’être Gil Scott Heron, ça peut être Earth Wind & Fire, ça peut être anybody, man. It can be Fugazi or Rage Against The Machine, or it could be Bob Dylan. L’idée, c’est que les gens écoutent the soundtrack.» 

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             Gabe bosse aussi avec Booker T Jones sur The Road From Memphis paru en 2011, puis il finit par récupérer l’excellent James Hunter sur Daptone.

             Autre point clé du personnage : il n’aime pas les Grammys et tout le bataclan des récompenses officielles, il appelle ça the other shit - pop studio sessions, Grammys, radio. Parce que tout ça n’est pas basé sur le fait de faire de la bonne musique et se connecter avec les gens. Regarde qui sont les gens qui décrochent des Grammys - That’s where you want to be? There’s an award for THAT? Et maintenant regarde les disks que tu aimes bien : do any of them have Grammys? No - Au moins les choses sont claires. Gabe défend une idée de la qualité qui passe par l’indépendance. Il explique sa conception de la qualité en faisant la différence entre ces grands artistes que sont Charles et Sharon, et qui vont durer, et «some neo soul so-and-so who’s on the radio at the moment, but those people fade in and out. Maybe it’s Adele or Macy Gray or The Alabama Shakes. Or Amy Whinehouse.» Et il conclut ainsi, s’exprimant comme un oracle : «Sharon stuck around a lot longer than all that stuff.» Il pourrait même ajouter que les six albums enregistrés de son vivant font toute la différence, sans parler du triple Live At The Apollo. Puis il s’en prend à l’idée du succès : «Les gens deviennent complètement tarés à vouloir le succès. Il faut avoir une notion très claire de ce qu’est le succès pour que ça ne te détruise pas. Si tu décides que le succès, c’est l’argent, then go get some fucking money, you know? Si tu décides que le succès, c’est de faire un bon disk, then make a really good record and shut the fuck up and don’t complain to me about who’s buying it.» Il ajoute qu’il n’existe aucune corrélation entre le succès financier et la qualité. «That’s the whole illusion of the American Dream, les gens n’obtiennent que ce qu’ils méritent. And that’s what that whole Sharon record was about.» Les propos de Gabe sont déterminants.

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             Oh et puis il y a les artistes. Les premier fut Lee Fields, auquel on a déjà consacré pas mal de place ici (juin 2016, mai 2017, février 2020, c’est dire si on l’aime bien ici, au moins autant que les Jallies). Lee Fields débarque chez Gabe au temps de Desco. Il est ce qu’on appelle alors a Soul legend, il est monté sur scène avec Kool & The Gang, O.V. Wright, Betty Wright et Darrell Banks. Jessica précise en plus qu’on le surnommait ‘Little JB’ à cause de sa ressemblance avec James Brown. Puis il est tombé dans l’oubli, chassé par la diskö et la DJ culture. C’est Phillip Lehman qui trouve son adresse et qui lui propose du cash pour enregistrer un single de funk - He came in and just crushed it - Gabe trouve que même s’il est the best singer alive, mais il n’a pas le pouvoir scénique de Sharon. C’est vrai qu’en concert, Lee Fields base tout sur le participatif et ce n’est pas bon de vouloir faire chanter les salles en chœur. Il n’enregistre qu’un seul album sur Desco, Let’s Get A Groove. Et puis au moment de la séparation, Lehman emmène Fields dans ses bagages et sort Problems sur son label Soul Fire, un album enregistré chez le père de Lehman, avec un seul  musicien (Leon Michels) et sur lequel on trouve l’excellent «Honey Dove». Gabe ne prend pas trop mal le fait que Lee ait suivi Lehman : «Lee est de la vieille école. Tu veux qu’il vienne chanter, alors tu lui donnes du cash et il chante. Il aurait fait un album avec moi si j’avais eu de l’argent pour le payer, mais je n’en avais pas. J’étais encore jeune marié et ma femme était écœurée car on n’avait pas de quoi payer le loyer.» On comprend bien que Gabe n’a pas une très haute opinion de Lee.

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             Puis Sharon Jones, sans doute l’une des Soul Sisters les plus importantes de l’histoire des Soul Sisters. En tous les cas, les ceusses qui l’ont vue sur scène savent qu’elle fut l’une des dernières vraies superstars. On a dit ici (en novembre 2014) tout le bien qu’on pensait d’elle, de son show de Voodoo Queen et de ses six fantastiques albums.

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             Sharon arrive un beau jour chez Desco pour faire des chœurs derrière Lee Fields sur «Let A Man Do What He Wanna Do». Gabe attend trois choristes mais Sharon se pointe toute seule. Elle fait l’affaire. Elle démarre comme ça, en s’imposant. Binky Griptite la présentera sur scène comme une «super Soul Sister with that magnetic je ne sais quoi». Gabe démarre donc Daptone avec Sharon qu’il paye cash, puis il embauche Griptite, Steinweiss, Axelrod et Michels pour enregistrer Dap-Dippin’ With The Dap-Kings. Ils commencent ensuite à enchaîner les tournées. Leur spécialité est de se mettre sur un one-chord James Brown-style vamp et Sharon entre dans la danse. Axelrod : «Then the band would get really loud and then bring it right back down. That was my favourite shit.» Steinweiss ajoute : «I think Gabe saw from the very beginning that Shaton had the power.» Jessica n’y va pas de main morte quand elle affirme que Sharon physicalized the music avec ses pieds, ses genoux, ses bras et sa tête. Pendant toute cette première époque, Sharon voyage dans le van avec les Dap-Kings. Et chaque soir, elle donne comme elle dit 120 percent d’elle-même. Enregistré à Troutman, Naturally, qui est le deuxième album de Sharon, est aussi le quatrième album paru sur Daptone. On sent une nette évolution. Jessica indique que Sharon s’inspire des divas du passé, Aretha, Ann Peebles et Lyn Collins. Sharon est contente de Daptone et de Gabe, elle ne se sent décidément pas faite pour le music business officiel, car elle se dit «too Black, too fat and too old to make it». Oui, car avant Daptone, elle avait essayé de faire carrière, mais elle n’intéressait pas les labels : trop petite, la peau trop noire, un peu ronde, aucune chance. Soixante balais en plus. Le seul à voir la star en elle, c’est Gabe. Pas mal, non ? Elle a fait tous les métiers, y compris celui de matonne. Elle trimballe dans sa poche un calibre 22, on ne sait jamais. Elle aime la pêche - Fish in my dish - et fumer de l’herbe ou le cigare au bord du fleuve. Elle veut toujours être the loudest person in the room, elle veut qu’on la remarque. Elle veut faire le show en permanence. Sur scène, Sharon porte une petite robe à franges et des talons hauts qu’elle vire pour danser le Voodoo. Brenneck : «Ce furent les meilleures années de ma vie, playing fucking limbo with Sharon Jones.» Il raconte des souvenirs de tournées en France, «getting drunk» avec Sharon «and we just smoked a ton of weed togther. She was a party animal, a lunatic.» Quand on lui reproche d’être rétro, Sharon s’insurge : «There’s nothin’ retro about me, baby, I AM Soul.»

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             C’est avec 100 Days 100 Nights que le succès commercial arrive. Sur scène à l’Apollo, le show dure deux heures, avec un hommage à James Brown, «This Is A Man’s World», suivi d’un medley James Brown en duo avec Lee Fields. Et puis pouf, en 2013, un toubib lui dit qu’elle a chopé un cancer. Elle vient d’enregistrer son cinquième album, Give The People What They Want et elle pense que c’est son testament. Pour les Dap-Kings c’est dur, car les tournées avec Sharon sont leur seule source de revenus. Elle va cependant passer à travers une première fois et reprendre les tournées. Mais comme on sait, l’histoire finit mal. Gabe va faire paraître deux albums posthumes. Après tout, c’est bien pour les fans de Sharon. On reviendra sur elle prochainement, car tout n’est pas dit.

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             Puis Charles Bradley, qu’on peut considérer avec Lee Fields comme le fils spirituel de James Brown - Perhaps even more than Sharon Jones, Charles Bradley WAS Soul music - the love, sorrow, exuberance and fear written in the wrinkles of his face et son histoire furent un pur triomphe du spirit que le public a adoré - Une vie incroyable que celle de Charles, qui fuit la violence de sa mère, qui dort dans la rue, et qui pendant dix ans travaille comme cuistot dans un asile de fous, avant de partir en stop à travers les États-Unis. Il atterrit en Californie et vit de petits boulots. Et puis un jour, il tape à la porte du studio de Gabe - I heard you’re looking for a singer - C’est l’époque où il porte une perruque, il se produit sous le nom de Black Velvet with Jimmy Hill & the Allstartz Band et personne ne comprend ce qu’il dit quand il parle. Lorsque Charles commence à connaître le succès, Sharon est un peu jalouse car elle a bossé dur pour ouvrir les portes, comme elle dit, et voilà que Charles se pointe, pour lui c’est du tout cuit. Alors elle se comporte avec lui comme la grande sœur, the mean big sister. Gabe dit qu’elle «would fuck with him a little bit and it would get to him because he was sensitive». Eh oui, Charles est hypersensible, on n’entend que ça sur ses disques, cette hypersensibilité. Quand les choses ne vont pas bien, il s’isole, il réfléchit et prie, comme Howard Grimes. Jessica fait remonter l’aspect extrêmement spirituel de la personnalité de Charles : les gens viennent le voir et Charles dit : «I’m looking at their faces and see their spirits. I love this world and I love everybody in this world, but I will say not everybody may love and treat me the way I love them.» Charles parle de Soul. Prends-en de la graine, petit homme blanc dégénéré qui osa prétendre à une époque que les nègres n’avaient pas d’âme. Alors fuck le monde des blancs. Et bien sûr, il faut ressortir vite fait de l’étagère les trois albums de Charles Bradley.  

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             The Budos Band fait partie des autres poulains de Gabe, un groupe que Jessica qualifie de Staten Island metalheads qui adore Cymande et Sabbath, du coup elle fout bien l’eau à la bouche, d’autant qu’elle en rajoute : «Perhaps the most direct expression of Daptone’s punk attitude and their show as a hardcore flip of SJDK’s studied showmanship.»

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    Et puis les Como Mamas, dont on a longuement parlé ici sur KRTNT en mars 2018, fières d’être sur Daptone - Daptone wasn’t gonna leave Jesus out, s’exclame Mama Della Daniels qu’on a vu chauffer à blanc une salle normande voici quelques années avec ses deux consœurs. Et puis Sugarman 3 et Sugar’s Boogaloo, premier album paru sur Desco. Et puis Naomi Davis, plus connue sous le nom de Naomi Shelton, qui fait des ménages pour vivre, mais le soir elle monte sur scène avec The Gospel Queens, accompagnée par Fred Thomas des J.B.’s et Cliff Driver, le pianiste aveugle et prof de Gabe. Naomi chante avec une voix à la Wilson Pickett. On reparlera d’elle la semaine prochaine.

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    Et puis bien sûr Amy Whinehouse, que les Dap-Kings accompagnent sur l’excellent Back In Black. Jessica parle d’elle en termes d’expressive contralto vocals and intensely personal tales of love lost, addiction and rebellion. Elle se trimbale en plus un punky Ronette look et les Dap-Kings se retrouvent bien malgré eux au centre du maelström médiatique. Mais la Whinehouse session de 2006 fut le premier véritable ‘money gig’ pour Daptone. Cette session permit aussi d’établir la réputation de Daptone as one of the most important recording house in a generation. Brenneck ajoute qu’Amy a vendu dix millions d’albums alors que Daptone vendait à peine quelques dizaines de milliers d’albums de Sharon. Des gens remarquent qu’Amy sonne bien, mais elle n’est pas très sûre d’elle, comme si elle avait le talent pour devenir une star mais pas la force. Les Dap-Kings accompagnent ensuite Amy en tournée en 2007.

             Quand après la disparition de Sharon et de Charles, Gabe se réinstalle à Riverside, en Californie, c’est pour élever ses trois gosses et explorer the new sounds on the West Coast. Il tient aussi à préciser qu’il n’existe pas de compétition avec Durand Jones, Colemine ou Big Crown, «We do it together.» Et quand Jessica lui demande s’il pense avoir élargi le public de la Soul avec Daptone, Gabe est sceptique : «Plus de gens qu’avant ? Ce n’est pas ce que je vois.» Il rappelle qu’il a pris des risques, qu’il a fait un peu de promo, mais ça n’a pas changé grand-chose - In the end it’s an underground thing.

             Terry Cole pense lui aussi qu’il faut rester en contact avec les gens, lire des livres, ne pas trop vivre avec son smartphone, il pense que de faire des disques à l’ancienne permet de garder les pieds sur terre et rester en contact avec la réalité. 

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             L’after de Daptone est un sujet à part entière. Après la disparition de Sharon Jones, les Dap-Kings ont accompagné Jon Batiste, un chanteur pianiste de la Nouvelle Orleans, a talented songwriter and arranger with mainstream appeal, un black qui aurait partagé l’affiche avec Stevie Wonder, Prince et Willie Neslon. Sur scène, Gabe insiste pour reprendre avec Batiste un vieux hit d’Ernie K-Doe, «Beating Like A Tom Tom». Parmi ceux qui portent le flambeau de la Soul pendant l’after, Jessica cite Durand Jones & the Indications qu’il faut effectivement prendre au sérieux, sur la foi de trois albums, avec cependant une petite complexité : le batteur blanc Aaron Frazer chante pas mal du cuts, alors que Durand Jones est déjà en poste. Puis Kelly Finnigan et son falsetto-heavy «I Don’t Wanna Wait», et ses terrific albums avec les Monophonics sur Colemine. Jessica revient longuement sur les Monophonics qu’a rejoint Kelly Finnigan lors de son arrivée en Californie et ensemble, ils ont replongé dans Isaac, Curtis Mayfield, l’early Funkadelic, les Tempts et Norman Whitfield et bien sûr l’hometown hero Sly Stone. Jessica parle de Finnigan’s searing Stax-style vocals over heavy organ, fuzzed-out guitar and sharp horns. Elle cite aussi Grace Love & The True Loves - Betty Wright meets Mahalia Jackson vocals and serious Hammond B3 action - Un groupe inspiré par Sharon Jones & The Dap-Kings, dit le guitariste Jimmy James. Et puis Lee Fields moins funky qu’avant et qui se met à enregistrer comme Sharon des slow-tempo love songs sur Big Crown Records.

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              Elle ramène aussi Leon Bridges dans ses filets. Elle note tout de suite que le public de Leon est essentiellement blanc, comme l’est globalement le public du Soul revival. Leon est le premier à le remarquer. Il ne compte que quelques blackettes dans la salle. Par contre, Gabe se méfie de Leon : «Leon Bridges is a little bit bullshit to me, je ne miserais pas sur lui dans le combat pour les civil rights.» Il trouve les chansons et la voix de James Hunter bien plus profondes que celles de Leon. Gabe avoue aussi avoir du mal avec les mecs trop pretty - Also he’s real pretty. I have a hard time with people who are real pretty, even if they’re talented - Terry Cole dit bien aimer Leon mais il est choqué de voir des gens entrer dans son magasin pour acheter les disks de Leon qui dit-il n’ont aucun intérêt. Alors ils leur écrit une liste d’autres albums de Soul revival et chaque fois il met Sharon Jones et Lee Fields en tête de liste.

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             En 2020, Daptone lance Penrose avec des groupes californiens : The Altons, Thee Sinseers, Thee Sacred Souls, Los Yesterdays, et Jason Joshua qui considère Gabe comme un mentor. Puis Gabe lance de nouveaux artistes, Orquesta Akokan, Cheme, Menahan Street Band, LaRose Jackson, Napoleon Demps, Vicky Tafoya et puis il sort un deuxième album posthume de Sharon, une compile de reprises, Just Dropped In.

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             Le label célèbre son vingtième anniversaire en 2021 avec la parution du triple album dont on chante les louanges un peu plus haut. Et partout dans le monde, des groupes poursuivent le combat de l’authenticité de la Soul initié par Daptone. Jessica cite les Dojo Cuts d’Australie, The Dip de Seattle, le chanteur Desi Valentine. Des groupes comme Khruangbin, Kamauu, The Ephemerals, Skinshape et les Seratones (vus sur scène à Rouen en 2016) défient dit-elle les catégories mais puisent dans la Soul et le funk pour créer de nouveaux sons. Elle a bien bossé, la petite Jessica, elle a tout ratissé. Il ne manque pas grand monde dans son état des lieux. Elle ramène encore dans les dernière pages les noms des Resonaires qui sont sur Colemine avec la Dapette Saundra Williams au chant et celui de Rickey Calloway accompagné par les Dap-Kings.   

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             Mine de rien, Colemine prend bien la suite. Terry Cole est un fan de Gabe. En 2007 il établit sur quartier Général à Cincinnati, Ohio qui selon lui a toujours été et restera l’épicentre du funk. C’est Colemine qui sort le hard funk de The Grease Traps d’Oakland, the cinematic Soul of Sure Fire Soul Ensemble de San Diego, et le boogie d’Orgone. 

             En vingt ans, Daptone est devenu une référence incontournable. David Ma : «Faire de la Soul music est une chose, mais la faire sonner brassy, drum-heavy et projeter la chaleur qu’on n’obtient qu’avec l’analog equipment, c’est là où Daptone fait la différence.»

             Daptone a fabriqué de la magie - Cette magie demandait du talent et de la détermination, mais au fond, elle est extrêmement simple. C’est la pure joie d’entendre les cuivres jouer ensemble, cette facilité à dodeliner de la tête sur une groovy bassline, la façon dont on donne du relief à une chanson avec des percus et l’extraordinaire énergie d’authentiques performers comme Sharon Jones et Charles Bradley - Et voilà le travail.

    Signé : Cazengler, Dapcon

    Daptone Super Soul Revue. Live At The Apollo. Daptone Records 2021

    Jessica Lipsky. It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution. Jawbone Press 2021

    Paul Ritchie : Soul celebrations. Shindig! # 119 - September 2021

     

    Le gros turbo de Turbonegro

     

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             Plus encore que les Hellacopters, les Soundtrack Of Our Lives ou les Flaming Sideburns, Turbonegro a su donner au ‘rock scandinave’ (comme on dit) une réelle profondeur, une épaisseur unique. En dix ans, Turbonegro a su bâtir une mythologie réelle, ces mythologies qui font la vraie histoire du rock, celles qui allient le son et le look pour fabriquer de la légende. Ces mythologies ne sont pas aussi nombreuses qu’on pourrait le croire, mais on les connaît bien : Stooges, Gun Club, Cramps, Brian Jones, Jimi Hendrix, Elvis, Gene Vincent, Charlie Feathers, et puis en remontant dans le temps, Lemmy, Dave Wyndorf, Anton Newcombe, Jason Pierce, sans oublier les Soul Brothers et les Soul Sisters qui sont, eux, bien au-delà des mythologies. Par la puissance de son image et la qualité de ses albums, Turbonegro s’est hissé dans cette caste, et c’est d’autant plus remarquable qu’ils tiraient toute leur inspiration des bars gay, des bas-fonds et de la violence qui s’y rattache. L’un de leurs mots clés est l’anus. On en croise pas mal dans les refrains. Ils ont réussi là où Alice Cooper a échoué. Si tu veux jouer les ambigus, baby, fais-le pour de vrai. Et ramène le son qui va avec, celui d’une culture de l’infra-trash. Car on est avec Turbonegro dans le trash puissance mille. Chez les descendants des Vikings.

             Hank Von Helvete est parti au Valhalla rejoindre ses ancêtres. Il fut à partir du troisième album Never Is Forever la figure de proue de Turbonegro, reprenant à son compte le maquillage d’Alice Cooper mais en allant le mixer avec des looks extrêmement menaçants. Il a eu sa période Prince des Ténèbres puis il a émigré vers la barbarie pure et dure en trimballant une arbalète. Il pouvait se permettre de déconner, car il avait derrière lui l’un des meilleurs groupes de rock du monde.

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             De 1994 à 2005, les Turbo ont effectué un parcours sans faute avec cinq albums explosifs, ce qui est extrêmement rare dans l’histoire du rock. Les groupes s’épuisent assez vite. Pas Turbonegro. La fête commence avec Never Is Forever et «Suburban Prince’s Death Song» joué à l’excès excédentaire, ça turbine dans le Turbo, c’est même trop demented pour être honnête. Ils vont vite en besogne, ah les brutes. Et puis voilà qu’avec «I Will Never Die», ils inventent le power définitif. C’est d’une rare violence et pourtant c’est de la power-pop norvégienne. Aucun groupe dans le monde ne peut rivaliser avec le Turbo du Negro. C’est même encore pire avec «No Beast So Fierce». Personne ne peut rivaliser avec un truc pareil, ils montent leur speed-gaga en mayonnaise, ils pulvérisent tous les records de violence riffique, ils revoient Motörhead au vestiaire - Just ready for my time - C’est violent et génial, ils purgent le rock. Avec «Destination Hell», il se passe encore autre chose : le son te tombe sur le râble et les cocotes des bas-fonds te scient les tibias. C’est effroyable. On se croirait dans l’une des caves de l’Inquisition. De pire en pire, voici «Timebomb», ils cocotent dans les flammes de l’enfer, alors ce sont des diables. Sur cet album, tout est explosé dans l’ass du Negro, ils cultivent l’excès d’excellence comme d’autres cultivent les fleurs de la passion. Les Turbo sont la preuve vivante du Punk’s Not Dead. Tout ici est balayé par des vents de violence sonique, avec la voix de Von Helvete posée dessus comme la cerise sur le gâtö, ou pour rester en cohérence avec leur univers, comme un crucifix posé sur une mer de flammes. 

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             Le deuxième joyau de la couronne, c’est le fameux Ass Cobra. Sans doute leur album le plus flamboyant. C’est là-dessus qu’on trouve l’«I Got Erection». Ici, tu as tout : le power, les Vikings, l’érection, c’est claqué dans l’ass. Oh-oh-oh, c’est un hymne ! Oh-oh-oh ! L’autre coup de génie s’appelle «Deathtime», tu descends droit en enfer, tu subis ta punition, tu rôtis avec le rock en enfer. Tu veux aller faire un tour dans les bas-fonds ? Avec voilà «Sailor Man» - Sailor man come take my hand - Son incendiaire, le décor ne trompe pas. Encore plus explosif : «A Dazzling Display Of Talent». C’est même hors contexte et hors concours. Pur jus de pur jus. Rien de plus extrême. Retour en enfer avec «The Midnight Nambla», gaga-punk jusqu’au bout des ongles, ça prend feu de l’intérieur. Ils repartent comme des fous avec «Black Rabbit». Ils ravagent les campagnes comme leurs ancêtres, rien de sert de s’opposer à cette barbarie ! «Denim Demon» est encore plus exacerbé. C’est le Graal du blast, ces mecs dégagent tout, les artères et les bronches, Tubo forever ! Ass Cobra est l’album du power inexorable, l’un des meilleurs albums du genre. Ils renouent avec le power du MC5 dans «Raggare Is A Bunch Of Motherfuckers». Ils y jouent les accords de «Tonight». Turbo ruine les runes de Motorcity, ça burn dans les burnes, ils sont encore plus motherfucked que les Motherfuckers du MC5. Avec «Turbonegro Hate The Kids», ils sonnent exactement comme les Dead Boys. Et s’il est un cut qui illustre bien la barbarie des Vikings, c’est «Bad Mongo» : on les entend débarquer la nuit sur le rivage avec les haches et les boucliers. Aw my Gawd...

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             À l’époque, on avait clairement l’impression de monter encore d’un cran dans la violence sonique avec Apocalypse Dudes. Le batteur qui jouait avec nous à l’époque voulait absolument reprendre «The Age Of Pomparius», une belle introduction à l’ère de la dégelée fondamentale mais d’une part, c’est impossible de reprendre Turbonegro et d’autre part, les vrais coups de génie se trouvent un peu loin, à commencer par «Get It On», joué au riffing des Fjords, le riffing ultra, le ras-de-marée des brutes. Insurpassable. Right ! On ! Autre dégelée fondamentale : «Rendezvous With Anus», aussitôt embarqué, awite ! Pas de pire dégelée, c’est à se faire enfiler pour l’éternité. Encore un coup de génie avec «Are You Ready (For Some Darkness)», tout un programme. C’est l’hymne des Turbo, ils allument leur invitation au boute-feu, c’est aussitôt en flammes. Le feu, c’est leur truc. So c’mon ! Ils poussent le mauvais génie des Dead Boys encore plus loin, avec le pounding de fond de cale. Il n’existe rien de plus parfaitement rebondi du beat que «Selfdestructo Bust». Les guitares dégringolent sur la gueule du gaga-punk, c’est pulsé dans les règles du lard fumant. Avec «Rock Against Ass», l’Hank mise sur le rock et ramène un peu de mélodie dans son chant. Ces mecs sont tellement doués qu’ils font de la power-pop sans même s’en rendre compte. Encore un monster smash de gaga turbo avec «Zillion Dollar Sadist». Impossible d’y échapper, c’est claqué du beignet. Ils sont trop puisants. «Prince Of The Rodeo» sonne encore comme une attaque en règle. Ils explosent le daddy oh du rodéo, sans doute a-t-on là le meilleur Punk’s Not Dead de tous les temps. Ils attaquent leur «Back To Dugaree High» comme le «New Rose» des Damned. Même énergie ! Ils ne s’épargnent aucune grandeur de destruction massive. Ils s’en vont clouer «Monkey On Your Back» sur la porte de l’église, on your back ! On your back !, c’est riffé au power blast et battu dans le vent. Le temps d’un album, ils sont comme leurs ancêtres les rois du monde.

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             Darkness Forever est l’album live de rêve. Sans doute, l’un des plus beaux albums live de l’histoire du rock et en même temps un Best Of faramineux. Ils explosent tous leurs hits un par un. Avec «The Age of Pomparius», tu as tout, the biggest band on earth, wow wow wow, Euroboy te riffe ça à la Les Paul noire et te scie les tibias à la volée, l’autre fou bat le beurre du diable, nothing to lose, ces mecs naviguent exactement au même niveau que les Stooges et le MC5, wow wow wow, et ça continue de monter en température, ça joue à la Norje de non retour («Back To Dungaree High»), à la destruction massive de riff pompé («Get It On»), à la force du poignet («Just Flesh»), au pire Punk’s Not Dead jamais imaginé («Don’t Say Motherfucker Motherfucker»). Ils sont à leur apogée dévastatrice avec «The Midnight Nambla», ils chantent au bord du gouffre («Sailor Man»), ils cavalent dans le lard fumant - Vive la résistance ! Vive la (sic) Rendezvous Avec Anus - ils élèvent le chaos de destruction au rang d’art majeur avec «Are You Ready (For Some Darkness)», aucun groupe au monde ne peut égaler cette débauche de power, même pas Motörhead, ils n’en finissent plus d’aligner les bombes («Selfdestructo Bust», «Rock Against Ass»), le batteur vole le show sur «Prince Of The Rodeo», les Turbo perdent la tête mais les chœurs sont en place et «Denim Demon» est certainement le plus explosif de tous. Ils terminent avec «I Got Erection» et l’Hank présente les Turbo - Chris Summers, the prince of drummers, puis The magic fingers, the boy wonder, the little Prince, what’s his name ? The Euroboy !, puis les autres, Happy Tom, Rune Rebellion et Pal Pot Pomparius.

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             Quatrième joyau de la couronne Turbo : Scandinavian Leather et sa bague serpent qui se mord la queue. «I Want Everything» est l’un de leurs plus grands exploits, so c’mon ! Fabuleuse balance des powers, ils développent le même power que celui de Mountain à l’âge d’or, so c’mon ! Encore un coup de génie avec «Ride With Us», le dernier cut de l’album. L’Hank y va, il veut être sûr, une petite virée en enfer ? Okay, tapé à la basse métal, fouetté à la cocote malsaine, Ride with us ! Monstrueux ! Ils ramènent toute la barbarie dont ils sont capables dans «Wipe It ‘Till It Bleeds». Il n’existe rien de plus gratté que cette chose. C’est un modèle du genre. Ils se payent le luxe d’une grosse intro pour «Turbonegro Must Be Destoyed» - No no no/ Yeah yeah yeah - et les virées de bassmatic donnent le tournis. S’ensuit un «Sell Your Body To The Night» monté lui aussi sur une grosse intro - Every/ Body/ Sell your body/ To the night - avec la cocote afférente. Ce power Viking n’appartient qu’à eux. Tout ici est blasté au beurre/basse. On ne se lasse pas du power Turbo et de ces solos incendiaires. Ils explosent encore le hard-gaga Viking avec «Train Of Flesh». Ils foncent dans la nuit - Nevah stop/ Nevah nevah stop - Le message est clair. Ils sonnent comme Oasis avec «Fuck The World». On reste dans le domaine des clameurs extraordinaires avec «Drenched In Blood», ils s’amusent avec la power-pop comme le chat avec la souris, wo wo wo/ wo wo. On voit ensuite l’intro du «Saboteur» prendre feu, awite, oh oh !, avec des chœurs de marins au milieu des couplets et au loin des notes qui rougeoient dans le ciel de Detroit, oh oh oh, ça percute bien la balistique, diable comme la violence peut parfois être belle.

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             Dernier joyau de cette couronne infernale : Party Animals et son casque mystérieux. Le hit de l’album s’appelle «If You See Kaye», embarqué au wild gaga-punk. C’est logique, les Turbo sont incapables de calmer le jeu, même dans les méandres du delta. Ils explosent l’If you see Kaye, c’est brillant, plein de revienzy, tout est explosé en pleine gueule d’everybody, l’Hank est un démon. Ils font aussi du glam avec «Hot Stuff Hot Shit». Trinquons au power supremo du Negro. Ils font aussi du dead punk explosif avec «All My Friends Are Dead». Une vraie fontaine de jouvence, avec les guitares incisives d’Euroboy. C’est d’ailleurs lui qui arrose «Blow Me (Like The Wind)» de napalm. Il vrille en permanence pendant que Pâl Pot rythme et qu’Happy Tom bassmatique. Ils se servent de Satan pour claquer un heavy stomp («City Of Satan») et ils sonnent comme les Damned avec «Death From Above», belle resucée de «Neat Neat Neat». Pour annoncer l’arrivée d’une coulée de lave, l’Hank compte jusqu’à quatre : One, two, three, four ! («Wasted Again»). Rien d’aussi dévastateur. Puis ils clouent «High On The Crime» à la porte de l’église avec. Power du Turbo. L’Hank relance au c’mon et Euroboy vrille comme un démon. L’Hank compte en norvégien pour lancer «Babylon Forever», nouvel exercice de haute voltige enflammée. Ils finissent cet album éreintant avec un «Final Warning» de dix minutes, vite embarqué dans l’enfer du paradis Norje de Turbo, the biggest Turbo in the fjords. Pas de pire équipe sur cette terre.

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             Paru en 2007, Retox est le dernier album du Turbo sur lequel chante l’Hank. L’album n’est pas aussi intense que les cinq précédents. On sent remonter leur passion pour les Dead Boys dans «Welcome To The Garbage Dump» et dans «Hot & Filthy». le solo d’Euroboy y éclaire la scène - Yeah yeah hot and filthy/ We were so pretty - On retrouve le power Viking avec «Everybody Loves A Chubby Dude». Les power chords sont un modèle du genre. Ils font aussi un «Hell Toupee» quasi glam chanté avec la braguette ouverte et ils renouent enfin avec le gaga-Turbo dans «No I’m Alpha Male», un pulsatif Viking de voiles gonflées. 

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             Le remplaçant d’Hank s’appelle Anthony Sylvester. On peut écouter le Sexual Harrassment paru en 2012. Non seulement ça n’engage à rien, mais en plus ça ne mange pas de pain. L’album coûtait un bon billet, mais bon, on voit écrit Turbonegro sur la pochette et on ne fait pas gaffe. En plus, sur la pochette intérieure, Sylvester ressemble comme deux gouttes d’eau à l’Hank, mais il ne se maquille qu’un seul œil. Le reste du Turbo est toujours là, fidèle au poste, et on peut bien dire que l’album est génial. Euroboy continue de faire des miracles dans «Hello Darkness», heavy as hell - Hello darkness/ Where have you been - Turbo reste la grosse Bertha des fjords, la vraie turbine à chocolat, comme l’indique «Shake Your Shit Machine». Ils nous stoogent «TNA (The Nihilistic Army)» aux accords de «1969», ça tourne au délire d’excelsior, ils remontent les bretelles du chemin de Damas, c’est plein de vie, c’est exacerbé d’allure. Encore de la violence écarlate avec «Mister Sister», c’est complètement écrasé du champignon, c’est véritablement l’apogée de l’apanage, une vraie dégelée de turbine. Ces démons de Turbo n’en finissent plus de tout écraser sur leur passage. Ils font partie des plus puissants seigneurs de cette terre. Ils remettent la pression en B avec «Dude Without A Face», la cocote règne dans les ténèbres de la turbine, c’est violemment bon, explosif et amené à la fleur du mal. Avec «Tight Jeans Loose Leash», la turbine écrase son fjord dans la gorge d’Odin, ils raclent et ils ramonent, ils arrachent tout, le loose leeash, le call your friends tonite, c’est encore du big blast. Sylvester attrape «Rise Below» à la mélodie chant, à la manière d’Oasis. Même attaque sur canapé d’arpèges, c’est vite embarqué pour la Cythère des glaces. Puis ils font leurs adieux avec «You Give Me Worms», et ils gueulent ‘worms’ comme on crie ‘war’. Ça fout la trouille.

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             Le dernier album en date du Turbo s’appelle Rock’N’Roll Machine. On croyait les Turbo finis ? Oh la la pas du tout ! Euroboy attaque «Part II Well Hello» aux riffs d’Hello et là tu as tout le Turbo, avec le power intact. On assiste à l’une de ces explosions de son dont ils se font une spécialité depuis le début. Il reste aussi Happy Tom et Rune Rebellion de la formation originale, c’est déjà pas mal. Et le nouveau chanteur Anthony Silvester fait le job. Grand retour du Turbo dans «Fist City», claqué à la malveillance Viking, fist city c’mon ! Euroboy fournit le claqué de beignet, ça monte bien en température, il cultive la tension comme au temps de l’âge d’or. Puis on les voit se vautrer en beauté avec «Skinhead Rock’nRoll». Il faut attendre «Hot For Nietzsche» pour retrouver le grand Euroboy à l’œuvre, pas de problème le son est là, Euroboy mène le bal aux riffs incendiaires, il fout le feu comme au temps jadis. Ils terminent en Vikings avec «Special Education». Le nouveau n’a vraiment pas la voix de Turbo, mais derrière ça reste du Turbo, le son tombe comme les chutes du Niagara. Turbo aura été l’un des groupes les plus puissants de l’histoire du rock, il ne faut pas l’oublier. Ils avaient le génie du son.

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             Hank Von Helvete enregistre Egomania, son premier album solo, en 2018 : chapeau claque blanc, yeux maquillés et doigt d’honneur. Finis Euroboy et les arbalètes. L’Hank repart sur les chemins du Vallalah avec Cat Casino on lead et une autre équipe. Il fait une sorte de sous-Turbo, c’est évidemment bardé de son, ça bat le beurre comme chez Motörhead. Avec «Blood», ils tapent un heavy blues à la ZZ Top, l’Hank tente d’en rajouter, mais ce n’est pas bon. Il fait de l’Alice Cooper. Il tente ensuite de renouer avec les réflexes Turbo («Dirty Money»), mais la magie Turbo brille par son absence. Non, Hank, ce n’est plus du gros Turbo. Voilà «Never Again», assez heavy, comme s’il n’y avait plus rien à ajouter. L’Hank est en panne de compos. Il se prête bien au jeu du Punk’s Not Dead avec «Bombwalk Chic», mais la messe est dite ailleurs depuis belle lurette. C’est avec «Wild Boy Blues» que l’album reprend du sens. Fantastique allure - Wild boy blues/ Staring at the sun - C’est le hit sauveur d’album. S’ensuit une autre belle dégelée, «Too High», ça joue au va-tout avec une Cat Casino qui part en vrille d’exception. L’Hank peut alors renouer avec le génie Turbo. 

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             L’Hank devient Hank Von Hell en 2020 et enregistre un album prémonitoire : Dead. Dead à tous les sens du terme. Une catastrophe épouvantable. Il démarre d’ailleurs sur une ambiance funéraire - I’m already dead - C’est l’album des deux morts, la mort du corps et celle de l’esprit. Le son est là, mais incroyablement putassier. Il nous fait le coup de l’injure suprême avec un album de new wave. Il chante comme un gros dead. Un vrai désastre - See my blackened eyes - Tu parles Charles ! Adios Turbo ! Il sombre dans la diskö new wave, on se croirait chez les Talking Heads. À ce niveau de médiocrité, c’est forcément voulu. L’Hank ne voulait pas finir en beauté.  C’est dur de voir une immense star se vautrer dans le stupre. On perd l’anus, on perd la violence, il nous fait une petite pop de branleur. Bravo les gars !

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             Ce n’est pas l’Hank, mais Harry Neger qui chante sur les deux premiers albums de Turbonegro, Hot Cars And Spent Contraceptives et Helta Skelta. Ça n’empêche pas de les écouter, au contraire. Ça permet en plus de constater que le son du Turbo est déjà là. Ils attaquent avec les confessions d’une pute, «Librium Love» - Would you like to hear - Le Turbo explose en plein Sex & Drugs & Rock’n’roll, pur jus de gros Negro, sex & power. Ils alignent ensuite une collection de classiques gaga-punks pour le moins exceptionnels, «Punk Pals», «Kiss The Knife» (le pire des trois, on n’avait encore jamais vu ça, les Anglais à côté sont des enfants de chœur) et «Clenched Teeth» (embarqué à la cocote sévère, ils sont over the overwhelming). Gros pied de nez aux Sex Pistols avec «Hot Cars», annoncé comme a Sex Pistols song. Ils scient à la base l’infernal «New Wave Song» et ils passent de l’extrême violence à la dégelée extrême avec «Zonked On Hashish». Ils inventent aussi un nouveau genre : le destructive trash avec «I’m In Love With The Destructive Girls». Ce sont les seigneurs du yeah yeah. Puis on entre au paradis de la heavyness avec «Prima Moffe». On y entend les voix des dieux Vikings mêlés au vent du fjord. Donc, avant même que l’Hank n’arrive, les Turbo battent déjà tous les records de barbarie.

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             Paru l’année suivante, Helta Skelta fait double emploi avec Hot Cars, puisqu’on y retrouve «Librium Love» - let me wank it, oh what a gorgeous cock - «Punk Pals», «New Wave Song», «Hot Cars», «Clenched Teeth» et quelques autres sucreries. Seules nouveautés : «Manimal» (embarqué au pire Punk’s Not Dead d’Oslo) et «Dark Secret Girl» (absolute wanderer, punk à tête chercheuse).

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             Il existe un tribute à Turbonegro qui vaut vraiment le détour. Il date de 2001 et s’appelle Alpha Motherfuckers - A Tribute To Turbonegro. À l’époque on se demandait comment un groupe pouvait oser reprendre Turbonegro. C’est de l’intapable pur. Pareil pour les Pistols. Eh bien figure-toi que des mecs ont réussi l’impossible, au premier rang desquels on retrouve Nashville Pussy et Therapy. Nashville tape dans l’«Age Of Pomparius» et là, tu as tout, c’est-à-dire les trois extrêmes : l’Empire romain, les Vikings et le Nashville, wah wah oh, Blaine y va, c’est un démon et il leur inflige le pire outrage, car il explose la rondelle du Turbo. Therapy tape dans «Denim Demon», la meilleure cover de cette compile explosive : c’est là où le Punk’s Not Dead flirte avec le génie apoplectique. Ces mecs foncent comme Ayrton Senna au volant de sa formule 1, vroarrrrr, ils ne craignent pas la mort. L’autre belle surprise est l’«Hate The Kids» par Amulet. Pour un peu, ces fous surpasseraient le Turbo. Encore une révélation avec Samesugas et «(I Fucked) Betty Page». Merci Turbo Page pour cette belle clameur d’excelsior : fantastique énergie de rock incendiaire et le mec ajoute : «I fucked her yesterday.» Il y a 25 prétendants au trône et bien sûr, tous ne sont pas aussi bons que les pré-cités. Les Supersuckers tapent un bon «Get It On». C’est avec Bela B & Denim Girl qu’on voit à quel point les compos du Turbo sont solides, car la reprise d’«Are You Ready (For Some Darkness)» sonne comme un hit. C’est HIM qui se tape «Rendezvous With Anus» et il ramène énormément de son. Les diables cornus de Satyricon tapent l’«I Got Erection» et ils ne s’en sortent que grâce à une surenchère de rrrroarrrhhh. On note aussi la violence des trash-punkers d’Hot Water Music qui s’en prennent au «Prince Of The Rodeo», en fait tous les groupes plongent avec délectation dans la mythologie du Turbo. Zeke se tape «Midnight Nambla». Zeke, c’est Attila. Pas de pitié. C’est là où l’insanité confine au génie. Les Dwarves n’ont de leçon à recevoir de personne, comme le montre leur cover d’«Hobbit Motherfuckers», les Real McKenzies tapent un «Sailor Man» aux guitares et l’heure des crocodiles sonne enfin avec «Prince Of The Rodeo». Toby Damnit y va de bon cœur. C’est exceptionnel de mauvaises intentions. Idéal pour du gros Negro, ça s’englue dans le chocolat en fusion.

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             Réalisé lors de la tournée mondiale de 1998, The Movie donne un idée assez juste du Turbo Power, d’autant que ça démarre sur «Age Of Pomparius» et c’est un peu comme si la messe était dite. Le Power est là, in the face, avec un Euroboy en collier de chien comme Iggy et ça wow wow wow ! On les voit jouer en Allemagne, aux États-Unis et en Espagne. Line-up classique, l’Hank, Euroboy, Happy-Tom, Chris Summers et Rune Rebellion. Sur scène, Euroboy porte parfois un stetson blanc. Il est toujours en action, très physique, il joue beaucoup du buste, jambes écartées. Dans un bar en Allemagne, ils écoutent les Byrds. On les voit aussi faire le breakfast au champagne et aux fraises. Sur scène, l’Hank défraye la chronique en s’enfonçant un cake fire dans le cul. Les Turbo cultivaient l’excès et ils pouvaient inspirer une certaine frayeur. On voit aussi des clips qu’il faut bien qualifier de parfaits, comme celui de «Get It On», avec un Europboy en stetson blanc, rouge à lèvres et Les Paul blanche. Il n’existe pas grand-chose de plus parfait au plan graphique. Le Movie s’achève avec «Prince Of The Rodeo», Euroboy est monté sur les épaules d’un collègue et après le break, il relance jusqu’au vertige. Euroboy est l’un des plus grands guitaristes de rock de son temps. Comme Ron Asheton, il sait jouer jusqu’au vertige.

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             Encore plus fascinant : The ResErection, un DVD paru en 2005. C’est la suite du film précédent. À l’issue de la tournée mondiale de 1998, l’Hank est rincé - I was a full time heroin junkie - Il est obligé d’arrêter le groupe pour des problèmes de santé. Sa vie ne tient plus qu’à un fil. Alors il rentre chez lui aux îles Lofoten, au Nord de la Norvège, vers le cercle polaire, «still on morphine to ease pains», dit-il. Environnement de rêve en été, précise l’Hank, car après l’été vient la nuit polaire qui dure six mois. Il survit grâce à ses grand-parents et à God. Tout fan de Turbonegro doit impérativement voir ce film, car on y découvre un homme différent, plutôt beau. L’Hank de Lofoten n’a plus rien à voir avec la brute de Turbonegro. Il reste quatre ans à Lofoten, il bosse au musée de la pêche. Mais pour Euroboy et les autres, c’est une catastrophe. Le groupe était leur priorité. Happy Tom va voir l’Hank à Lofoten. Ils commencent à envisager de redémarrer. On assiste à une première répète du groupe. Ils attaquent avec «Age Of Pomparius», évidemment, wow wowo wow, diable comme l’Hank est beau, il ressemble à Jimbo avec sa barbe et sa façon de s’arrimer au micro. Il est vite torse nu. Sa voix revient. Ils sont content, le groupe sonne bien. Ils font une fantastique mouture d’«Erection». Ils disent faire du deathpunk. Euroboy précise aussi qu’au début, ils ont hésité entre deux noms : Turbonegro et Nazipenis. Alors ils ont choisi Turbonegro. Et pouf, ils partent jouer dans trois festivals en Europe, dont le Bizarre Festival en Allemagne. 40 000 personnes ! Wow wow wow ! L’Hank est ravi de se retrouver dans le tour bus : «To get on the tour bus with Turbo four years later is perhaps the best feeling in the world.» Les fans arrivent du monde entier, Turbojugend USA ! Et sur scène, le groupe reste imparable, avec un Euroboy qui joue tous les riffs de Johnny Thunders et de Jimmy Page, mais avec une niaque qui n’appartient qu’à lui. Wow wow wow !

    Signé : Cazengler, Turbozéro

    Hank Von Helvete. Disparu le 19 novembre 2021

    Turbonegro. Hot Cars And Spent Contraceptives. Big Ball Records 1992

    Turbonegro. Helta Skelta. Repulsion 1993

    Turbonegro. Never Is Forever. DogJob Records 1994

    Turbonegro. Ass Cobra. Boomba Rec 1996

    Turbonegro. Apocalypse Dudes. Boomba rec 1998

    Turbonegro. Darkness Forever. Bitzcore 1999

    Turbonegro. Scandinavian Leather. Burning Heart Records 2003

    Turbonegro. Party Animals. Burning Heart Records 2005

    Turbonegro. Retox. Scandinavian Leather Recordings 2007

    Turbonegro. Sexual Harrassment. Scandinavian Leather Recordings 2012

    Turbonegro. Rock’N’Roll Machine. Scandinavian Leather Recordings 2018

    Hank Von Helvete. Egomania. Sony Music 2018

    Hank Von Helvete. Dead. Sony Music 2020

    Alpha Motherfuckers. A Tribute To Turbonegro. Biztcore 2001

    Turbonegro. The Movie. DVD Biztcore 1999

    Trond Sættem. Turbonegro - The ResErection. DVD Biztcore 2005

     

    L’avenir du rock - Neat Neat Neat Neal

     

             L’avenir du rock n’a jamais réussi à retrouver la route d’Amman, en Jordanie. Il se souvient vaguement avoir laissé sa valise à l’hôtel et avoir rencontré Lawrence d’Arabie dans le désert. Ça doit bien faire des mois qu’il erre de désert en désert, se nourrissant de scorpions, de bouses de dromadaires et de roses des sables. Il passe des dunes aux étendues de caillasses et des étendues de caillasses aux mers de sel. Il n’imaginait pas qu’un désert pût revêtir des allures aussi diversifiées. Et puis voilà qu’un jour, il croise inopinément deux blancs. L’avenir du rock qui a un peu perdu la boule soulève le chapeau qu’il n’a pas et déclare solennellement :

             — Dr Livingstone I presume ?

             — Non ! Speke !, répond d’un son sec le barbu coiffé d’un casque colonial.

             L’avenir se tourne vers l’autre et lui lance :

             — Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

             — Non ! Burton !, répond d’un ton bourru le moustachu coiffé d’un casque Viking.

             Pourtant rompu aux arts de la dialectique, l’avenir du rock se sent passablement dépourvu d’arguments. Il tente quand même de recréer un peu de lien social :

             — Alors ça carbure, ton ?

             Ça ne fait pas rire l’intéressé qui lance :

             — Bon, c’est pas tout ça, mais faut qu’on y-aille. Faites gaffe aux Danakils !

             — Aux dana qui ?

             — Aux Danakils ! Ces guerriers sont les plus féroces de la Corne de l’Afrique !

             — Merci de votre attention. Vous n’en auriez pas une autre ?

             — Si ! Vous ne devriez pas vous balader comme ça dans le désert sans chapeau. Tenez, prenez ceci !

             Et Burton lui donne son casque Viking qui est brûlant.

             — Vous voyez, vous avez ici une petite ficelle, vous tirez dessus et ça agite les deux ailes pour ventiler l’air. Bon sur ce, adieu monsieur l’avenir et bon vent !

             — Merci. Bon vent de même. Vous allez dans quelle direction ?

             — Vers le Nord !, fait Speke d’un ton sec.

             — Qu’expektez-vous, Speke ?

             — Découvrir la source du Nil ! Et vous, pourquoi allez-vous vers le Sud ?

             — Pour découvrir la source du Neal.

     

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             Le Neal dont parle l’avenir du rock n’est pas un fleuve mais un Américain. Non seulement Neal Francis est américain, mais il est en train de devenir énorme. Shindig! lui donne un petit coup de pouce en saluant la parution de son deuxième album, In Plain Sight et en lui accordant la rubrique ‘It’s a happening thing’ dans l’un des derniers numéros : cette double fait un peu baver les grosses limaces que nous sommes, car l’invité y commente ses disques préférés. Neal Francis avoue des faibles pour Life Love And Faith d’Allen Toussaint («Toussaint’s production, songwriting and arranging during this period of his career were the largest influences on my first record, Changes»), pour le Live de Donny Hathaway («The 13-minute version of ‘Voices Inside (Everything Is Everything)’ that features Willie Weeks laying down probably the best bass solo of all time»), pour There’s A Riot Goin’ On de Sly & The Family Stone («Along with Innervisions, this may be the album I’ve listened to most in my life. It is at times sublime. Sometimes it’s frantic, psychedelic, drug-induced nightmare»), pour Let’s Take It To The Stage de Funkadelic («I used to listen to this album every morning on my way to high school»). Neal Francis salue aussi Bob James (plus jazz), Dorothy Ashby (plus Harpist) et Boards Of Canada (plus Scot).

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             Que déduit-on de tout ça ? Qu’In Plain Sight est forcément un big album, vu l’état des sources. Quand on écoute de bons albums, on fait généralement de la bonne musique et Neal Francis nous chope immédiatement avec «Alameda Apartments», un cut bien ramassé, bien storytellé, hérissé de bons réflexes, saturé d’orchestrations - Inside the Alameda Apartment/ Outside from the pouring rain - On le sent très aguerri, il gère sa pop-rock au mieux des possibilités, pas étonnant qu’il plaise tant aux Shindiggers. Comme il a du son, il est extrêmement crédible, et «Can’t Stop The Rain» enfonce bien le clou, ça joue au deep heavy. Il faut bien regarder la réalité en face : ce mec défonce les barrières. C’est du sérieux. Il recycle les élongations des anciens, ça baigne dans une sorte de gospel dévoyé à la Mad Dogs et là tu y vas, sans pinailler. On reste dans les énormités avec «Sentimental Goodbye». Il rentre dans le flanc du rocky groove d’I’m so sorry I missed you/ I couldn’t hear you with the radio on, il négocie un fabuleux m’as-tu-vu de plotach, il est superbe d’à-propos et d’Im so sorry, tout ça drivé au meilleur swagger de big burning sound noyé d’orgue. Neal Francis est un maître d’œuvre extraordinaire. Il bâtit des cathédrales. Dans «Asleep», il coiffe son génie avec des chœurs de filles géniales, il chante son brain is broken dans une ambiance surnaturelle, il plonge dans le feels like I wanna take a drink/ But instead I stop & think, il flotte dans la démesure de son son, il développe sa vision au long cours - Sleep in the arms of another/ Dreaming that we were still lovers - Ce mec est rompu à toutes les disciplines et il passe au big shuffle avec «Say Your Prayers». Il glisse dans un groove de down under, be above it all/ But I’m locked in bed. Comme l’ami Michaux, il s’engouffre dans la connaissance par les gouffres. 

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             Paru en 2019, son premier album Changes annonçait bien la couleur. On y trouve deux phénomènes d’osmose avec le cosmos, à commencer par «Put It In His Hands» qui est en fait un hommage direct à Sly Stone. Même power, comme si c’était possible ! Un power accueilli à bras ouverts par un chant d’exception, Neal Francis coince sa glotte dans le funk, c’est un converti, le power de Sly est explosé du ventricule par le solo de Sergio Rios et l’autre fou de Mike Starr se prend pour Larry Graham, il relance au heavy bassmatic et là t’es baisé, car c’est ici que ça se passe, chez ce démon de Neal Francis, le white Soul boy définitif explosé dans le ciel de sa passion. L’autre clin d’œil s’adresse à Allen Toussaint : «Can’t Live Witout You». On se croirait à la Nouvelle Orleans, c’est plus étalé dans le son, mais quelle classe ! Avec «This Time», il entre dans son album au groove vainqueur, mais avec un swagger de petit homme blanc qui s’y connaît. Il passe comme une lettre à la poste. C’est bardé de nappes de cuivres, comme si on était à Memphis. Rien qu’avec «This Time», il est admis dans la classe supérieure. C’est vrai qu’il y a du monde derrière lui. Ces killers de Chicago que sont Mike Starr et Sergio Rios voleraient presque le show. Avec sa voix de blanc, Neal Francis parvient à bricoler de la black, comme le montre encore «How Have I Lived». Il chante du haut de sa science, mais avec une volonté clairement affichée de r’n’b, les cuivres en témoignent, notamment ce vieux shout de sax demented. Encore une fabuleuse mélasse de good time music avec «These Are The Days», il est profondément inspiré, il drive son groove au plaisir pur et rejoint les accents funk au chant. Sur certains cuts, Mike Starr sonne comme James Jamerson («Changes Pts 1 &2»). «Lauren» montre encore une fois que Neal Francis a du funk plein la voix, il sonne un peu comme Johnny Guitar Watson. Dans l’osmose, il est encore plus balèze que Dan Penn ou Nino Ferrer («Je Voudrais Être Un Noir»).

    Signé : Cazengler, Neal Ranci

    Neal Francis. Changes. Colemine Records 2019

    Neal Francis. In Plain Sight. ATO Records 2021

    Neal Francis : Out of sight. Shindig! # 121 - November 2021

     

    Inside the goldmine

     - J’ai deux amours, mon pays et Paris

     

             Les boches bombardaient dur, les emmanchés ! On se planquait comme on pouvait. On craignait par dessous tout l’arrivée des marmites, ces monstrueux obus à ailettes qui ravageaient des tranchées entières et qui semaient la terreur dans la troupe. Pour fanfaronner, le gros, qu’on appelait le pouët, lisait un recueil du Mercure de France. Il faisait semblant d’afficher un calme olympien alors qu’on entendait siffler ces maudites marmites. Les boches préparaient l’assaut. On savait qu’on allait finir soit en charpie, soit crevé à la baïonnette. On avait entendu dire qu’aucun régiment ne pouvait résister à l’assaut de la 325e section, celle des Bavarois, les plus féroces. Le Colonel Dax avait demandé le renfort d’une section de tirailleurs sénégalais, les seuls troupiers qui ne craignaient pas la mort et qui se montraient au combat plus sanguinaires encore que les Bavarois. Un homme hurla : «Marmite !». Elle tomba en plein dans la tranchée et balaya tout des deux côtés, floooouffff, ziip, zaaac, bing, bang et badaboum, des terribles giclées d’éclats brûlants allèrent tailler des chairs et ouvrir des casques sur des centaines de mètres, fauchant la troupe comme les blés. Ça hurlait de partout, les pans de calcaire s’écroulaient sur les corps. Encore vivant, les Colonel Dax titubait et hurlait, «Baïonnette au canon !», «Brancardiers évacuez les saucisses !», «Vive la République, vive la Franche-Comté !», « À bas le prix du beurre !», «Les boches arriiiiivent !», «La garde meurt mais ne se rend pas !», «Ah ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne !», il semait la stupeur parmi les survivants, l’un de nous devait se résoudre à l’abattre, il donnait des coups de sifflet et tirait des coups de revolver en l’air, «No future for you and me !», «Tout est à nous rien n’est à eux !», «Élections piège à cons !», puis il se mit à chanter : «J’ai deux amours/ Mon pays et Paris»...

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             S’il n’avait pas été abattu, le Colonel Dax aurait continué. Mais on ne saura jamais s’il pensait à Paris, ville lumière, ou à Priscilla Paris, la belle lead des Paris Sisters qui, comme leur nom ne l’indique pas, nous viennent de San Francisco. Leur mère qui est chanteuse d’opéra élève Albeth, Priscilla et Sherrell Paris pour devenir chanteuses, comme les Andrew Sisters. Priscilla est la plus jeune des trois - We did have a showbiz mom - Dans les early sixties, Lester Sill signe les Paris Sisters et il demande à Totor de les produire. Forcément, Jack Nitzsche est dans le coup. Avec ces trois blondes, on est au cœur du phénomène girl-groups que Totor va ensuite développer avec les Crystals et les Ronettes. Bien sûr Totor tombe amoureux de Priscilla, mais elle en aime un autre. L’album prévu des Paris Sisters ne voit pas le jour car Totor et Lester Sill se sont fâchés. Alors elles se retrouvent sur Columbia, MGM et Mercury et bossent avec trois sacrés cocos, Terry Melcher, Nick Venet et Mike Curb. 

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             L’idéal pour bien prendre leur mesure est de se plonger dans une antho des Paris Sisters et comme toujours, c’est Ace qui fait le nécessaire avec Always Heavenly. Grâce au Wall, elles sont capables de coups de génie, comme par exemple «Always Waitin’», produit par Mike Curb, chanté d’une voix de grosse pute, une vraie bénédiction. Le stomp est celui d’une armée de l’Antiquité en marche. On retrouve ces méchantes allumeuses dans «Why Do I Take From You», toujours produit par Mike Curb. Elles sucrent bien les fraises, on est pleine spectorisation des choses, au cœur de la prod d’extrême onction, une véritable explosion au sommet du lard fumé, elles grimpent là-haut sur la montagne. Totor ne produit que cinq cuts des Sisters, le plus connu étant «I Love How You Love Me», fabuleux deep chick pop, c’est d’un kitsch qui en bouche un coin. Mais Totor ne fait pas de miracles avec les autres cuts, «Be My Boy», «What Am I To Do» et «He Knows I Love Him Too Much». Par contre, «Once Upon A While Ago» groove bien, Totor renoue avec la pop magique. Jack produit quelques petites merveilles, comme par exemple «When I’m Alone With You», pure pop de Brill, mais composée par P.F. Sloan. Jack reste dans l’énergie du Brill avec «My Good Friend». Elles sont dans l’éclat de l’éclair avec tout le sucre du Brill, aw yes we’re still good friends, ah les garces comme elles chantent bien leur petit bout de gras. Jack orchestre «I’m Me» jusqu’à l’infini, c’est très tendu dans l’excellence des violons, on voit Jack là-bas au fond du ciel, avec son sourire énigmatique. Elles sont encore magnifiées dans «See That Boy», toujours en plein Brill, Jack orchestre à la racine du son. Il produit aussi une reprise de Burt, «Long After Tonight Is All Over» et puis «You», fabuleux cut car ramassé sous le boisseau, elles chantent comme des garces et collent au train du beat. C’est Jack et Jackie DeShannon qui composent «Baby That’s Me» et c’est Terry Melcher qui produit. Époque Columbia. On est content que Jack soit impliqué dans cette merveille inexorable, c’est du spectorish pur et dur. «Dream Lover» est un hit signé Bobby Darin et comme beaucoup de ceux qui précèdent, il est invincible. Les Sisters sont balèzes, elles chantent du haut de leur talent. Les amateurs de sex-pop se régaleront de «Lonely Girl», chanté dans la chaleur de la nuit des cuisses, c’est chaud et humide, on y glisserait bien la langue. Les Sisters sont atroces de Brillitude et c’est noyé de violons. Elles font de la pop d’époque, mais l’amènent avec esprit. One of the earliest 60s girl-groups, Albeth, Priscilla et Sherrell Paris auraient dû exploser. Diable, comme le destin peut être cruel. Album Columbia jamais sorti, projet Totorish avorté. Notez bien qu’en 1966, Jack produit Sing Everything Under The Sun, leur seul album paru sur Reprise en 1967.

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             Sing Everything Under The Sun n’est pas l’album du siècle, on est bien d’accord. Mais en même te temps, c’est l’un des albums fondateurs d’un courant musical qu’on va nommer the girl-groups Sound. Priscilla y fait de superbes numéros de shoo bee doo wap. Quasiment tous les cuts de l’album figurent sur Always Heavenly, sauf trois : «It’s My Party», «Born To Be With You» et «Too Good To Be True». Tout le mode connaît le fameux «C’est ma fête/ Je fais ce qu’il me plait» de Richard Anthony, l’adaptation française d’«It’s My Party», l’un des grands hits de Lesley Gore. Elles tapent ça à la langueur kitsch, c’est d’une mollesse divine, le son des fantômes dans l’écho du temps béni, cry for Ronnie. Yves Adrien ajouterait : «Tous les garçons s’appellent Ronnie». Elles chantent toutes les trois «Born To Be With You» et font de la heavy pop, elle tapent là un hit de Brill interlope, un peu capiteux, chanté à la force de persuasion, ce qui fait son charme. «Too Good To Be True» reste de la big pop de Brill, he’s so good to me, elles sucrent le sugar du so good et les chœurs lui susurrent à l’oreille so good to be true. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Quelle présence ! On applaudit bien fort Priscilla. On retrouve l’excellent «See That Boy» de Mann & Weil monté aux chœurs de cathédrale et le «Long After Tonight Is All Over» de Burt qui reste du big Burt, du sans surprise, du bien vendu, du payé sur la bête. Cette fantastique lady qu’est Priscilla tire toujours son épingle du jeu.   

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             On donnerait son père et sa mère en échange du Golden Hits Of The Paris Sisters paru en 1967. «I Love How You Love Me» ? Just perfect. Une merveille de pop sensuelle, un truc rare, chanté avec de l’intention à l’âge d’or de la pop. Absolute candy sex. S’ensuit un «I Don’t Even Care» tout aussi inspiré, comme doté de variations de vitesse, mais wow, on est dans une énergie ancestrale, alors wow, mille fois wow ! Allez-y les filles, on est avec vous, même quand elles ne font plus que de la petite pop palpitante. Elles se fondent dans l’air du temps d’avant avec «Can’t Help Falling In Love» et reviennent au candy sex en B avec «Be My Boy», une compo de Totor. Belle proximité. Joli, doux et tiède. Et ça continue avec «I Don’t Give A Darn», compo de Prisci qui te monte droit au cerveau, je vais et je viens entre tes reins/ Et je me retiens. Prisci récidive avec «Together», une fantastique purée de sunshine pop. Elles grimpent assez facilement dans l’azur marmoréen. Elles tapent aussi une irréprochable cover de «Yesterday», alors bravo les Sisters !

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             Priscilla Paris entama en 1967 une carrière solo et enregistra trois albums. Ace qui fait toujours très bien les choses en compile deux sur Love, Priscilla - Her 1960s Solo Recordings. Le premier s’appelle Priscilla Sings Herself. Priscilla y propose une belle pop proche du Wall, mais elle est très engagée dans sa politique interprétative et donc elle ramène du pathos. Elle compose quasiment tout. Son «I’m Home» est assez beau. Elle sait tartiner une Beautiful Song de rêve. Tout est parfait : la féminité, la proximité, l’américanité, no matter when I go. Mais sa tendance au pathos revient vite. Elle donne tout ce qu’elle a avec «He Owns The World», mais elle sonne comme Judy Henske, limite CGT. Elle revient à une pop superbe avec «My Window». Elle y crée son univers - I can feel the sunshine in my window - Elle bosse dans son coin et croyez-le bien, she does it right. Cette petite gonzesse teinte en blonde est affreusement douée. Elle se fond dans la pop de Brill, elle sait gérer son Brill, c’est excellent, puissant et délicat à la fois («I Can’t Complain»). Elle ne te lâche pas. C’est une battante. Bravo Prisci ! Et voilà qu’elle nous tape un coup de Jimmy Webb avec «By The Time I Get To Phoenix», elle rentre dans l’or du temps d’avant, mais elle y rentre à la voix d’or, elle sème son laid-back dans le poudroiement du crépuscule, c’est violonné par le haut et vautré dans du heavy groove. On a là la version hippie de ce hit cathartique. Avec «Some Little Lovin’ Lie», elle montre aussi qu’elle sait chanter à la voix de l’oreiller, mais elle en abuse, du coup ça sonne comme un encart sexuel. Elle plonge littéralement les mains dans la culotte du cut. Elle boucle cet album avec un «I Can’t Understand» qu’elle chante en parfaite allumeuse, au sucré de sexe. Une tendance qui se confirme avec le deuxième album, Priscilla Loves Billy, qui est l’un des albums les plus sexuels de l’histoire du rock. Dès «Just Friends», elle annonce la couleur. Elle crée de l’enchantement dans des voiles de violons et chante à la vaporeuse. Puis elle plonge avec «He’s Funny That Way» dans le groove de jazz, se montre intime dans l’intrinsèque, elle crée du sexe de proximité. Pas de pire allumeuse sur cette terre. Elle chante au sucre de sexe pur. Elle se rapproche de ta bite à chaque instant. Elle se transforme en fée pour «Stars Fall On Alabama». Son Alabeïma est d’une beauté irréelle, elle module toutes ses syllabes et son last night d’accent tranchant te rentre sous la peau. Elle s’efforce de sonner comme Billie Holiday, elle travaille la persistance de la présence, elle fonctionne au charme fou, elle te prend dans ses bras et te baise. Elle attaque «Moonglow» au groove de jazz. Moonglow est le groove de jazz par excellence, elle va et elle vient, c’est humide et chaud. Encore du groove de heavy round midnite avec «In My Solitude», cette fois joué au piano. Elle chante du ventre. Elle est supérieure en tout. Elle finit en beauté avec «Girls Were Made To Take Care Of Boys», elle est la fiancée de tes rêves, profite vite de sa présence car après c’est fini.

             Hélas, les deux albums floppent. Prisci est profondément déçue. Son compagnon et guitariste de jazz Don Peake fut le premier surpris de ce non-succès : «She should have been a star.» Évidemment. Dans le petit booklet d’Ace, Alec Palao nous apprend tout ce qu’il faut savoir de Prisci, ses deux fils, Edan et Seth, puis sa tentative de redémarrage à Londres avec Chap and Chinn qui composaient pour Suzi Quatro et Sweet, pour enfin boucler la boucle et s’installer à Paris. Fin brutale de l’histoire en 2004 : elle se casse la gueule chez elle, rue de la Bastille.

    Signé : Cazengler, Parigot tête de veau

    Paris Sisters. Golden Hits Of The Paris Sisters. Sidewalk 1967

    Paris Sisters. Sing Everything Under The Sun. Reprise Records 1967

    Paris Sisters. Always Heavenly. Ace Records 2016

    Priscilla Paris. Love, Priscilla - Her 1960s Solo Recordings. Ace Records 2012

     

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    Le rock c’est comme l’armoire aux confitures : l’on y revient toujours, surtout pour tremper nos oreilles dans les pots qui émettent de délicieuses sonorités. La semaine dernière nous écoutions The Republic  de Thumos, nous avons eu envie de nous pencher sur l’EP précédent Nothing further beyond, mais nous referrant à Bandcamp, nous nous sommes aperçus que le groupe venait de ressortir l’opus sous forme de deux CD’s intitulés, Allegories and Metaphors regroupant tous leurs enregistrements précédant  The Republic. Thumos nous vient du Kentucky. Le groupe n’a pas plus de visage – à peine une photo plus que floue sur Instagram - que leur musique ne bénéficie de paroles.

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    DEMO COLLECTION

    (Juillet 2021 )

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    Il nous plaît à pense que cet homme barbu soit Virgile et point Homère. D’abord parce que Virgile avait l’habitude de faire lecture de morceaux incomplets de l’Enéide à des proches ou à des admirateurs, c’est en se laissant bercer par le rythme des vers qu’il en rajoutait d’autres à la fin des passages qui n’étaient pas terminés. Ensuite parce que l’on retrouve dans l’œuvre de Virgile de fortes allusions aux doctrines orphiques, et toute une numérologie qui n’est pas sans rappeler Pythagore dont les doctrines ont fortement inspiré Platon. Les morceaux que nous écoutons sont systématiquement précédés de l’image qui illustrait les pochettes des cassettes ou des disques originaux sur lesquels ils ont paru. Soyons juste, moindre des choses lorsque l’on parle de Platon, ne proférons point de mensonge, ne nous laissons pas dompter par nos vains désirs, la mosaïque représente bien Platon entouré de ses disciples.

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    La pochette du disque reste assez mystérieuse. A première vue un motif floral, mais l’œil ne peut détacher son regard des trois formes qui grossièrement évoquent des silhouettes humaines. Le jeu des couleurs possède sa signification, ombre noire sur la gauche, rouge sur la droite, moitié noire-moitié rouge collées l’une à l’autre, ne serait-ce pas une représentation symbolique du mythe de l’androgyne de Platon, selon lequel à l’origine existaient des êtres nommés androgynes à la fois féminins et masculins. Hélas pour les punir de leur orgueil Zeus les aurait coupés en deux, dissociant leur partie mâle de leur partie femelle. Aujourd’hui, ces parties séparées essaieraient de se retrouver, ce désir d’unicité correspondrait à cette attirance inexplicable entre deux êtres que l’on nomme, dans notre vocabulaire, l’amour.

    The spire : ( demo single / Juin 2018 ) :  (la flèche) : compressions sonores, les tambours roulent comme la flèche du temps court en avant mais le clinquanement des cymbales nous apprend que c’est une  course perdue d’avance, l’ambiance s’assombrit pour déboucher sur une sérénité victorieuse croissante, une mélodie s’installe, que se passe-t-il, la flèche du temps est repartie dans l’autre sens, elle courait dans la dissolution et la déperdition kaotiques, elle remonte maintenant vers l’éternité. Tout comme une moitié de l’androgyne qui aurait retrouvé son autre moitié et serait revenue à son origine.

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    La pochette de Mono No Aware ( sous-titré Pathos of things ) est facile à comprendre. Deux hoplites grecs au combat. Nous sommes à un moment précis de la joute, l’instant le plus cruel, la mise à mort, le vainqueur enfonce sa lance au bas du cœur de son ennemi. Mono no aware signifie en japonais le mal du pays.

    Hiraeth : ( demo Mono No aware Mai 2019 ) : la musique vient de loin, elle fond sur l’auditeur telle une menace, relayée par une martiale batterie, l’inéluctable est en route rien ne l’arrêtera, les coups du destin beethovonien se font entendre, l’oiseau de la mort glisse à toute vitesse vers nous, il descend en piqué, ses battements d’ailes mortuaires nous effraient, l’instant fatidique se rapproche, et se distend, impossible de ne pas penser à la terrible scène de l’Illiade dans lequel Achille écoute sa prochaine victime   l’implorer, il est jeune, il est riche, ses parents paieront une confortable rançon, mais Achille lui répond qu’il ne peut rien, que c’est ainsi que les Dieux et les Destins en ont décidé, qu’il ne tire aucun plaisir aucune gloire de l’acte qu’il est en train de commettre, mais que personne ne saurait s'y opposer, les coups du Destin s’accélèrent, la musique s’enfuit et gargouille tel un flot de sang qui coule. Morrina : (idem) : tout comme le précédent ce titre peut se traduire par mélancolie, tristesse. Un deuxième mouvement dans la continuité de l’autre, mais en mineur, un ton plus bas, moins rapide, des coups de basse qui tombent comme le glas évoquent tout ce que l’on perd, l’on repense à Achilles déclarant à Ulysse qui a convoqué son ombre, qu’il vaut mieux être un vulgaire gardien de porcs vivant qu’un héros mort dans les Enfers. Nous sommes ici dans une vision de la mort totalement anti-platonicienne, peut-être est-ce pour cela que la guitare claironne, que la ligne mélodique devient plus attrayante, est-ce pour signifier que la véritable mélancolie est celle de l’âme exilée en un corps qui se souvient de son séjour au royaume des Idées, mais non, cette corde de guitare finale lentement égrenée comme des roses jetées sur un cercueil, nous rappellent combien notre vie sur terre est douce

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    La douceur de la teinte charnelle de la pochette de Mono No Aware II contraste avec la noirceur stylistique de Mono No Aware I, les mêmes ombres noires, ici elles ne combattent pas, une scène heureuse, un couple, des enfants : un garçon, une fille. Peut-être peut-on l’interpréter autrement, sans en changer le sens, la femme ne serait-elle pas Aphrodite qui dans un ancien culte était une terrible divinité de la mer, et l’homme ne serait-il pas Asclépios, Dieu de la médecine, à qui dans le Phédon Socrate consacre ses dernières paroles avant de mourir. Le sous-titre de l’opus Lacrimae Rerum est une citation du Chant I de l’Enéide de Virgile, Enée confronté  à une peinture représentant Priam roi de Troie ne peut s’empêcher de s’écrier que les larmes des choses humaines touchent le cœur des mortels.

    Symbiosis : ( demo  Lacrimae rerum – Mono No aware II : mélancolie / Février 2020 ) : musique vive, presque joyeuse, nous voici plongés dans l’épopée humaine, tous ses malheurs mais aussi toutes ses splendeurs, ses merveilles quotidiennes, cette geste continuelle de sentiments qui fondent notre existence terrestre. Ici nous sommes malgré tous nos déboires heureux. Un instant de rémission avant l’horreur finale. Transtemporal : (idem) : la notion de transporalité est difficile à définir, serait-ce la mémorisation des instants passés, soit le retour dans nos vies antérieures, ici le rythme de la musique, rapide, enthousiaste, nous invite à penser plus loin, il s’agit certes de traverser le temps, pas du début à la fin, mais totalement, de sortir hors du temps, de passer dans ce qui n’est plus le temps mais l’éternité. Désormais la musique danse une farandole endiablée, rayonnement de l’âme qui atteint le monde supérieur idéel dont notre vie n’est qu’un pâle reflet.

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    Pas de problème pour la pochette d’Unwriten  doctrins, une statue de Platon. Si toute une large partie de l’espace est peuplée d’un bleu nébuleux, peut-être est-ce pour signifier que l’essentiel de la pensée du philosophe n’est pas accessible par tout le monde.

    Comme beaucoup de philosophes antiques Platon dispensait deux sortes de cours. Les exotériques dispensés aux étudiants et les ésotériques destinés à de rares élus. Si les premiers circulaient sous forme d’écrits, l’écriture des seconds était prohibée. L’enseignement, l’acquisition et la transmission était exclusivement orale. Il ne reste rien des cours ainsi professés par Platon.  Cette tradition des enseignements non-écrits de Platon remonte à Aristote qui fut son élève. Des tentatives de reconstitution ont été élaborées. Léon Robin en reste l’initiateur. Rappelons que la traduction des œuvres de Platon  par Léon Robin, est celle de La Pléiade.  Nombre de ces dialogues ont aussi paru en collection de poche. 

    Anamenesis : (demo  Unwritten doctrins / Décembre 2020 ) :   ils exagèrent un peu nos thumosiens, l’anamenesis est largement accessible dans les écrits de Platon, les doctrines non-écrites portaient avant tout sur une analyse des déclinaisons de l’Un. Abats de catapultes battériales, la musique suit une courbe ascendante, uniquement marquée par une lente accélération. Se souvenir de ce que ou de qui l’on a été en des vies antérieures n’est pas primordial, c’est-là rester dans la sphère corporelle, la grande séparation ne réside pas entre soi et un autre, mais dans le fait que l’âme immortelle peut se souvenir des idées intelligibles, que seule la partie noétique de notre esprit est capable de réaliser. Ce morceau est un tantinet décevant, trop simpliste dans son déroulement, pas assez imaginatif. Serait-ce pour décourager les individus pas assez motivés de se lancer dans l’aventure. Emission : (idem) : Le Kr’tntreader pourra se reporter à notre étude de L’anthologie des écrits de Jim Morrison. Pas si farfelu que cela le chanteur des Doors quand il déclare que la télévision nous regarde. La lumière qui permet de voir un objet émane-t-elle de l’œil ou de l’objet lui-même. Les philosophes grecs se sont longtemps disputés sur cette question. Est-ce le monde qui nous fait signe ou nous qui faisons signe au monde. Platon adopte une position intermédiaire. Les rayons émanés de l’objet et de notre œil se rejoignent. C’est notre part divine qui rencontre le reflet du divin que sont les objets. Belle intro, la batterie a l’air de couper les cheveux en quatre et même de les hacher menu, quant aux guitares elles montent et descendent des échelles sans fin, galopades effrénées aux quatre coins du cerveau, des assertions brutales et définitives sont assénées mais l’entortillement balancé des guitares, reprend de plus belle. Sur la fin, l’on tourne à la démence. Duels où tout le monde finit par s’entretuer. Morceau bien supérieur au précédent qui semble un peu sans âme. Un comble pour Platon ! Aporia : : (idem) :  sans doute trouvez-vous que les raisonnements de Platon vous laissent dans l’expectative, que sans être d’accord avec lui, ses objections ne vous semblent pas stupides. Qu’il évoque des problématiques dans lesquelles l’on s’englue facilement. L’est vrai que Platon n’apporte pas toujours des solutions toutes faites. Semble ne pas avoir des idées bien arrêtées ! Dites-vous que ces énigmes ont le mérite de vous forcer à réfléchir. L’on dit que l’univers compressé contiendrait dans un dés à coudre, c’est cette sensation que fournit le background de ce morceau un bourdonnement touffu de basse, une guitare qui se déplace lourdement qui se cogne à tous les murs du labyrinthe dans lequel elle a du mal à se diriger. Une espèce de pachyderme arrêté par une vitre incassable, il avance mais cela ne change rien à sa situation, erre de cul-de sac en cul-de-sac, se retrouve bloqué, silence, trois coups de symboles et la bestiole fonce droit devant, elle brise les   cloisons de briques dure du dédale, peine perdue, elle n’en est pas plus avancée pou cela. La musique s’arrête brusquement stoppée dans une impasse. 

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    Avec cette couve nous changeons carrément d’époque. Bye-bye l’Antiquité, bonjour le Moyen-âge, célèbre gravure d’Albretch Dürer, Le chevalier, la mort et le diable. Ces deux titres sont tirés d’une compilation intitulée Démiurge : Le satanisme et la magie produite par Ritual Abuse Hysteria ( on y retrouve outre Thumos les groupes : Maw, Glyph, Reproach, The Bleak  ). Le satanisme et la magie est aussi le titre d’un titre de Jules Bois, vivement intéressé en ses débuts par l’ésotérisme, il côtoya l’Ordre Hermétique de l' Aube Dorée et finira par se féliciter de l’expansion du catholicisme. Le lecteur se demandera ce que nos platoniciens viennent faire dans le continent   médiéval. La réponse est donnée par l’emploi du mot Démiurge emprunté à la gnose, courant de pensée qui dans l’Antiquité tardive mélangea le christianisme à la philosophie de Plotin. Plotin, l’héritier de Platon. Platon qui lui-même utilisait le mot démiurge.

    The betrayer is come : étrangement ces titres me font penser à des figures du tarot, mais ne nous égarons pas. Pour faire le lien avec Platon disons que ce menteur est l’équivalent de la réalité qui n’est que mensonge. Ambiance sombre. Le danger est partout. Encore plus menaçant qu’on le suppose, la batterie comme un serpent qui s’enroule autour de vous, les guitares vous enlacent et tout ce magma brûlant tourne à toute vitesse. Perfidies agissantes. Silence. Pas le temps de réfléchir. L’enveloppement recommence, plus lent, mais plus puissant, se précipite, vous étreint, vous empêche de respirer, s’incruste dans votre peau, comprime vos thorax, plus le temps de respirer, vous êtes pris au piège. Un dernier effort, vous êtes mort. Know the face of the Destroyer : moins sombre, l’Adversaire n’a pas besoin de se cacher, musique qui se dresse comme une tête de reptile décidé à vous barrer le chemin. Reptations de guitares, pas de batterie qui marche u pas de l'oie sur vous sans attendre, la bête est en face de vous, la basse imite son grondement, elle crache du feu par ses naseaux, le rythme s’accélère, la tension monte. Elle attaque, vous croisez le fer avec elle, des notes de tristesse vous submergent, il va falloir quitter ce monde. Des pas se précipitent, qui vient vous apporter le grand destructeur, la mort, ou la vie. Cassette puissante. En plus maintenant vous savez que le grand destructeur possède deux faces, tout aussi fascinantes l’une que l’autre

    2

    THE END OF WORDS

    ( Juin 2021 )

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    Encore une pochette évidente. Gros plan sur le visage de Platon.  Question philosophie Thumos pourrait tout de même se préoccuper davantage de l’esthétique. Montrer une portion du buste suffit. Le titre, la fin des mots, est à comprendre en tant que mots ultimes. Les quatre titres correspondent à quatre des concepts cardinaux de la pensée platonicienne. Par lesquels Platon a tenté de répondre à la question, qu’est-ce que l’âme. Quelle est sa nature.

    Epithusmetikon : une vrille qui fore, qui va de l’avant, que rien n’arrêtera, l’épithusmetikon, c’est ce courage qui nous fait avancer, avoir du cœur à l’ouvrage que nous entreprenons, c’est un peu la force vitale qui nous porte, l’on pourrait s’attendre à une musique plus rapide, non elle est lente, un peu comme si vous vous arcboutez  contre un rocher et que vous le poussiez dans un corps à corps inébranlable, vous bandez vos muscles et la roche recule, doucement, vous redoublez d’effort, la vie n’abdique jamais dans votre poitrine, vous progressez doucement mais sûrement. Thumoeides : l’on reconnaît dans ce mot la racine Thumos,  ce n’est pas la colère  en tant que caprice, ou passion submergeante, mais cette force intérieure qui vous pousse à agir, la composition de ce morceau est caquée sur le précédent, la même poussée, mais beaucoup plus violente, qui bouscule les obstacles, écroulement de batterie et riffs tenaces, toute cette énergie que vous déployez est une des qualités de votre âme, qui se transformera en volonté ( de puissance ajoutera Nietzsche plus tard ), on peut la considérer comme un effluve du divin qui vous permet de vous surpasser. Guitares triomphales, qui chantent et célèbrent la nature physique de l’homme en tant qu’émanation de quelque chose de plus subtil, qui participe d’un autre plan. Logistikon : l’homme n’est pas qu’une brute animalement instinctive, la partie la plus élevée de son âme lui permet de réfléchir - musique combinatoire qui n’est pas sans évoquer une partie d’échecs, sur le damier du monde, l’esprit fomente de savantes stratégies - elle joue, elle insinue, elle pousse ses pions, elle ne se fie pas au hasard, c’est son existence qui est en jeu, guitares brillantes et nerveuses, batterie opératoire et basse impulsive, la partie n’est pas jouée d’avance, encore faut-il en comprendre l’enjeu. Pas d’incertitude, une maîtrise évidente, qui contourne les difficultés. Metempsychosis : jaillissement musical, l’enjeu était de taille, comprendre que l’âme doit se séparer du corps, coups de maillets de la batterie pour l’aider à s’en détacher. La mort n’est qu’un passage. L’âme est emportée en un immense tourbillon de guitare, elle entre dans le jeu des réincarnations, autant de fois que nécessaire pour choisir la meilleure possible, afin  d'accumuler lors des séjours dans le monde des apparences la sagesse qui vous permettra de rester dans la contemplation des Idées premières. Pas à pas, mais une montée souveraine, à vous de faire tourner la noria infatigable des destins et de vous en affranchir définitivement. La musique s’apaise, elle ressemble à l’harmonie qui préside à la danse silencieuse des sphères.

    Note :  si nous avons privilégié le mot  Colère pour traduire  le nom du groupe, au détriment d'émotions, coeur, courage, volonté, c'est que Thumos est un groupe de doom qui n'est pas une musique particulièrement planante...

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    NOTHING FURTHER BEYOND

    THUMOS

    ( Septembre 2021 )

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    Enfin nous abordons l’opus qui précéda de quelques mois la sortie de La République (voir Kr’tnt 541), il est en fait une préparation à ce dernier ouvrage. 

    The ecumene : le morceau de soixante-dix secondes sonne comme une ouverture d’opéra (hélas trop courte ) ou mieux encore mieux comme un générique de film d’aventure. Une aventure intellectuelle certes, mais surtout humaine. Le terme français écoumène ne nous parle guère, nous préférons utiliser la transcription plus fidèle au vocable grec, oikouméné qui désigne autant la terre habitée que sa population. Reste à le mettre en relation avec la pochette du disque. Cet individu solitaire dans son fragile esquif serait-il Ulysse voguant vers Ithaque, ou est-il un personnage emblématique représentant l’Homme qui se dirige vers la terre pour rejoindre ses semblables, et sur quelle mer navigue-t-il, serait-ce le fleuve Okeanos encerclant le monde habité, et les dauphins qui l’accompagnent sont-ils le symbole de l’Atlantide le mystérieux continent englouti situé au-delà des colonnes d’Hercule, cette Atlantide que Platon nous décrit comme un royaume idéal. The pillars : une première réponse nous est donnée par l’illustration du compact Disc, pas besoin d’être grand savant pour reconnaître les colonnes d’Hercules, et non pas celles d’un temple quelconque, l’inscription latine nec ultra qui signifie qu’il n’y a rien de mieux, qu’il est inutile de chercher plus loin, est à mettre en relation avec le titre de l’album : Nothing Further Beyond ( rien au-delà ) à ne pas prendre pour une revendication athée – il n’y a rien au-delà de la matière – il faut entendre que l’homme ne doit pas se perdre en des explorations lointaines, ou des rêves fumeux, qu’il doit se contenter de faire son bonheur dans le lieu de l’endroit où il est né, dans sa patrie, dans sa cité. Musique resserrée, au contraire du prologue qui ouvrait sur de vastes espaces, l’orchestration réduit la surface de nos investigations. Desséries de ricochets nous préviennent que la tâche qui nous attend n’est pas facile, elle est vaste, les guitares deviennent lyriques, l’horizon s’ouvre, si l’on ne peut s’étendre à l’infini, pour croître et bâtir l’on ne peut que monter, vers le haut pour employer une expression pléonasmatique. The noble lie : Le lecteur aura compris qu’il s’agit d’édifier, un pays, une ville correctement gouvernée, en d’autres mots une Cité qui corresponde aux préconisations du dialogue La République. Gouverner les hommes n’est pas facile, les persuader qu’ils doivent obéir et rester à la place qui leur sera impartie encore plus. L’on a donc le droit de leur mentir, non pour profiter d’eux ou les asservir, mais pour leur bien. C’est ce que Platon nomme le noble mensonge. Un exemple concret : pour les mariages les couples sont tirés au sort, égalité parfaite, mais il est nécessaire de truquer le tirage de telle manière que chacun s’allie à une personne de son niveau social. Tromperie, mais le plus important c’est que l’élite garde le pouvoir… La musique n’est pas hypocrite, elle dresse des murailles d’airain, n’oublions pas les trois remparts qui encerclaient Atlantis, n’empêche qu’ensuite les rebondissements rythmiques de la pâte sonore ont l’air de se moquer du monde, le mot bouffonnerie nous vient à l’esprit, voudrait-on nous instiller l’idée que le peuple est dévolu au rôle du bouffon de service. Si certains ne sont pas contents la batterie vous rabat le caquet, en vous tapant sur la tête, sur la fin vous avez droit à une espèce de farandole hilarante, une réunion de beaufs que l’on distrair en leur faisant danser la chenille. Que le peuple s’amuse et soit heureux. The dilemme : cette manière d’agir peut causer des remords de conscience. Evidemment c’est pour le bien du peuple et le bien provient des Dieux. Tout de même si l’on se déclare pieux – c’est-à-dire que l’on agit dans le respect des Dieux (Louis XIV roi de droit divin avait simplifié la formule ) – est-on pieux parce que l’on est aimé des Dieux ou les Dieux nous aiment-ils parce que nous sommes pieux. Gros dilemme. En d’autres termes sommes-nous favorisés par les Dieux, ou les Dieux nous aiment-ils parce que nous sommes naturellement pieux. Sous-entendu : le pouvoir que nous détenons le devons-nous à nos mérites ou aux Dieux. Autrement dit quelle est la légitimité du pouvoir politique. Platon ne prend pas parti. Qui saurait parler à la place des Dieux… S’en sort en déclarant qu’être aimé des Dieux et être pieux sont deux choses de natures différentes, l’on n’additionne pas des vaches avec des chevaux vous a-t-on appris à l’école. Thumos ne s’attarde pas sur ces subtilités, à peine expose-t-il le problème en moins de deux minutes, use de grandiloquence, sans doute est-ce la seule manière de faire ressortir l’importance du sujet qui pourrait apparaître comme d’ineptes arguties aux esprits primesautiers. The chariot : pas idiot Platon, quand la face nord d’une montagne est trop glissante on l’attaque par la face sud. Non on ne l’escalade pas avec un char (fût-il de guerre). Non le chariot n’est pas autre chose que votre âme qui après votre mort s’envole vers le monde des idées. A vous, lors de votre existence, de bien maîtriser vos chevaux, le blanc qui représente votre intelligence ne se laisse pas distraire, il est déjà sur la route qui vous mènera vers le lieu convoité, hélas le noir chargé de tous vos désirs terrestres n’a qu’une envie, celle de   brouter l’herbe juteuse des verts pâturages. S’il prend le dessus, votre âme retournera en exil sur notre planète, comme au jeu des petits chevaux, vous restez bloqué dans l’écurie et vous refaites un tour pour rien. Comment rendre la course de l’âme, Thumos a choisi celle de l’étoile filante qui ne dévie pas de sa trajectoire et file droit, les cymbales jouent le rôle des soubresauts du moreau qui renâcle, mais le blanc le force à galoper dans la bonne direction, le noiraud freine, l’on ne sait plus sur quel galop danser, lequel des deux prendra le mors aux dents, espérons aucun, les cymbales claquent comme des coups de fouets sur des croupes rebondies, c’est le cocher qui doit guider et pas les chevaux, ralentissement, est-ce une reprise en main, arrêt brutal. Vous avez perdu. Tilt ! The great beast : qu’est-ce que cette grosse bête. Quel monstre cache-telle, est-ce un tigre rugissant, un rhino-féroce, un dragon cracheur de feu, voulez-vous comme Alexandre le Grand vous ruer sur votre épée pour affronter seul à seul un lion sauvage, pas la peine. La grosse bête est en vous. Elle grouille dans votre sang, dans vos entrailles, elle est la somme de tous vos désirs, de toutes vos turpitudes. Vous avez intérêt à vous en rendre maître, à dominer vos instincts bestiaux, sans quoi vous êtes perdu. Très logiquement le morceau commence comme le précédent a terminé. Peu à peu vous apercevez que le rythme piétine, la batterie a beau produire des roulements, elle tire sur le démarreur mais le moteur ahane, vous êtes dans la mouise complète, la musique vous entoure, elle vous cerne, elle vous suit comme une ombre, elle prend même comme une teinte funèbre, devient un peu pesante, juste pour que vous compreniez que vous pédalez malgré tous vos efforts dans votre propre caca, tant pis pour vous, trop tard !  Vous avez compris votre seule chance de réussite, lire les explications et la méthode à suivre dans la République de Platon. Pour ceux qui n’aiment pas lire, vous avez de la chance, le disque suivant de Thumos en est justement une transcription musicale.

    Tous ces titres sont repris sur la compilation Allegories & Metaphors dont nous vous laissons admirer la double pochette intérieure.

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    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    Episode 20

    Charlie Watts semble hésiter, sa main droite farfouille l’espace, sa gauche semble chercher quelque chose à l’intérieur de sa veste. Ses yeux se voilent d’incertitude. La voix du Grand Ibis Rouge tonne :

    • Charlie, vous aviez promis, vous vous êtes engagés, vous êtes devenus grâce à ma protection le plus grand groupe du monde, mais n’oublie pas Charlie, la mort c’est comme la vie, donnant-donnant, obéis Charlie, sinon ma colère sera terrible !

    Mon esprit alerte saisit la balle au bond :

    • Charlie ne l’écoute pas, votre talent seul est responsable de votre succès planétaire, cet ibis de malheur raconte des mensonges, regarde, il ne peut rien contre nous, nous avons réussi le contre-rituel de protection, ce n’est qu’un épouvantail incapable de faire peur à une volée de moineaux !

    Avez-vous déjà entendu un ibis rouge ricaner ? C’est une expérience difficile à supporter, des milliers de grenouilles coassent à l’intérieur de votre oreille gauche, la droite n’est guère mieux lotie, je ne sais pas trop à quoi ça ressemble, j’opterais pour un hennissement de dinosaure englué dans une toile d’araignée géante, je peux me tromper, sachez que l’effet est en même temps horrible et lugubre. Heureusement après deux rafales de rires strénogoïque, le GIR se remet à parler :

    • Arrêtez de me faire rire avec votre contre-rituel de protection, sachez qu’il n’existe aucune parade à l’action de Charlie, lorsque je lui insuffle l’énergie ibisique il se transforme en une espèce de guerrier zombïique que rien ni personne ne peut arrêter, n’est-ce pas vrai Charlie, dis-le leur avec tes mots à toi, ils te comprendront mieux.
    • C’est vrai, balbutie Charlie – il se rassoit – je vais tout vous raconter…

    Les filles poussent des soupirs de soulagement. Le Chef en profite pour allumer un Coronado.

    • C’est une vieille histoire – Charlie parle-vite, l’on sent qu’il a envie de lâcher le morceau, un peu comme vous à la confesse quand vous révéliez au curé vos turpitudes morales – c’est en 1967, l’année où nous avons sorti Flowers – les filles se mettent à chanter en chœurs Let’s spend the night together, ce titre a l’air de les mettre en joie, Charlie n’est pas d’accord – mais non c’était un titre pour les garçons, nous avions dédié aux jeunes filles quelque chose de plus romantique comme Lady Jane!
    • Continuez Charlie, damoiselles taisez-vous, les vrais rockers préfèrent Have you seen your mother, baby, standing in the shadows ? Ah ! si vous aviez continué avec ce genre de monstruosité, regrette le Chef en exhalant douze ronds de fumées emboîtés les uns dans les autres !
    • Sûrement… Charlie ferme les yeux, le souvenir lui est manifestement pénible… Ce ne sont pas les chansons qui sont à ‘origine de l’affaire !
    • La pochette, j’en suis sûr, s’exclame Joël, je la visualise très bien avec les cinq fleurs dont vos figures forment les corolles ! Je ne vois pas en quoi…
    • Nous non plus, it was funny, quelques mois après nous avons été contactés par un homme d’affaires
    • Un de mes émissaires, le Grand Ibis Rouge s’immisce dans la conversation, un chantage, un petit chantage de rien du tout !
    • Des millions de dollars s’insurge Charlie, l’avait tout un tas de journalistes qui préparaient des articles affirmant que l’espèce de tulipe sur laquelle repose la tête de Keith était une fleur de chanvre, que l’on faisait la promotion de la drogue, le gouvernement et la Reine étaient prêts à soutenir l’entourloupe, l’on était dans de sales draps, pire que l’affaire de Jerry Lou et son mariage avec sa cousine !
    • Et vous avez payé ?
    • Vous savez, moi et l’argent - le Grand Ibis Rouge, vous a une voix mielleuse à engluer les ours polaires – que ferai-je de quelques millions de dollars, je suis le maître du monde, tout m’appartient, rien n’est à vous.
    • Non on n’a pas payé, on a passé un deal. Un bon deal d’ailleurs. L’émissaire nous a dit que son patron adorait les Stones, qu’il voulait simplement que l’on chante une chanson qu’il avait composée… Au début on a rigolé, l’on croyait avoir affaire à un hasbeen… mais quand on a vu la chanson et les accords, l’on s’est aperçu que c’était un superbe morceau, bien supérieur à tout ce que l’on avait créé auparavant… c’était sympa, d’autant plus qu’il nous laissait les royalties… alors on a signé, un bon contrat, le meilleur !
    • J’ai toujours pensé que j’étais un bienfaiteur de l’humanité, coasse le Grand Ibis Rouge, un véritable philanthrope !
    • De plus en plus passionnant - le Chef relâche de gros nuages de fumée, l’on dirait de grosses bulles qui se seraient échappées d’une bande dessinée géante pour aller visiter le monde – je suppose que cette chanson était Sympaty for the Devil!

    Sur ce pris d’une étrange frénésie nous nous mettons tous à hululer, hou-hou ! hou-hou ! hou-hou ! et Charlie revigoré par notre entrain mime le rythme sur une batterie imaginaire. L’en est tout ragaillardi, le sang afflue à ses pommettes, j’improvise des paroles, please let me allow myself, I’m the great and red ibis, i’m the king of the universe, le Coronado du Chel relâche maintenant d’énormes nuages noirs de fumée, les mêmes qu’envoyèrent à Little Big Horn les guetteurs Cheyennes avant de scalper les tuniques bleues…

    Etrangement le Grand Ibis Rouge n’a pas l’air d’apprécier notre interprétation de son chef-d’œuvre, tous les goûts sont dans la nature, toutefois avec Charlie dans l’équipe, nos cœurs féminins et les effets spéciaux du Chef, ce n’était pas mal du tout. Vous remarquerez ma modestie qui a préféré ne faire aucune allusion à ma performance vocale, car l’on ne saurait en toute équité être juge et partie. Bref l’ibis rouge pique une crise de colère noire :

            _ Charlie, prends ton bec et tue-les tous !

       _ Ô mon maître vénéré, ô grand Ibis rouge sang, je suis prêt à exécuter tes ordres, mais les chiens ont subtilisé l’arme sacrée et l’ont cachée je ne sais où !

        _ Tu tueras ces pâles bêtes en premier, je veux que ce soient l’agréable odeur de leur charogne qui vienne en premier chatouiller agréablement mes narines !

          _ Oui, mon maître adoré, les chiens en premier et tous les autres après, que la pestilence de leurs cadavres ensanglanté soit l’encens qui monte pour honorer ta royauté, mais je n’ai pas d’arme !

    Il y eut un sifflement, un long objet métallique pointu et cylindrique se ficha dans le sol à quelques mètres de nous

          _ Prends, serviteur fidèle et accomplis ta tâche !

                                                                                                                                A suivre…   

  • CHRONIQUES DE POURPRE 541 : KR'TNT 541 : ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER / CHEAP TRICK / WILLIE COBBS / THUMOS / TWO RUNNER / ILLICITE / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 541

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 02 / 2022

    ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER

    CHEAP TRICK / WILLIE COBBS

    THUMOS / TWO RUNNER   / ILLICITE /

     ROCKAMBOLESQUES

    Gordon moi ta main et prends la mienne

     - Part Three - Book me Bob

     

             Memphis Rent Party date de 2018. Robert Gordon opte cette fois-ci pour un recueil d’articles, le but étant de proposer une collection de portraits hauts en couleurs, comme le fit Apollinaire en son temps avec Contemporains Pittoresques. On y retrouve les incontournables, Sam Phillips, Charlie Feathers, Jim Dickinson, Alex Chilton, Tav Falco, Jerry Lee, Bobby Blue Bland et d’autres personnalités plus underground comme Junior Kimbrough, James Carr et Otha Turner.

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    Le personnage clé de ce recueil étant bien entendu Memphis - Memphis - my Memphis - likes the unquantifiable. Nashville, New York, and Los Angeles, they promise stardom - Il ajoute que si Elvis n’avait pas démarré à Memphis mais dans l’une de ces trois autres villes, il serait devenu une pâle imitation de Perry Como. Bien vu, Bob. Dickinson rappelle que Memphis ne sera jamais Nashville - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Dickinson a toujours su se montrer fier de cette marginalité péquenaudière. Et pour introduire le chapitre consacré au juke-joint de Junior Kimbrough, Robert Gordon ressort le vieux théorème de Danny Graflund : «Memphis is the town where nothing ever happens but the impossible always does.» L’auteur ajoute qu’à Memphis les loyers sont moins chers, les jours plus longs et on y tolère beaucoup moins le narcissisme qu’ailleurs. Fin philosophe et accessoirement inventeur du rock’n’roll, Sam Phillips indique que the perfect imperfection est une manière de définir the Memphis approach to art. Et dans son intro, Robert Gordon travaille sa vision au corps : «Il y a une profonde vérité dans notre blues, dans notre rock’n’roll, dans notre Soul et c’est pourquoi ces trois explosions ont transcendé leur époque. Chacune d’elles reste un modèle, vibrant et référentiel. Chacune d’elle fut inspirée par une défiance envers les normes sociales, par la misère et l’orgueil, par une soif de nouveauté et de différence. Memphis ne s’intéresse pas à l’instant présent, mais à l’horizon. La générosité de Furry Lewis et d’Odessa Redmond m’a beaucoup appris. J’ai découvert, grâce à tous ces musiciens, blancs et noirs, s’efforçant de lutter contre la haine, la paresse et l’ignorance, que le très grand art peut exister dans l’ombre.» Robert Gordon définit clairement ce qu’on ressent confusément.

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             Tiens, puisqu’on parlait de Sam. Selon Robert Gordon, Sam n’est pas tout rose - The devil is in the details and Sam welcomed the demons - C’est en fait une invitation à entrer dans l’épais Sam Phillips de Peter Guralnick. On croit tout savoir et on ne sait rien. Comme dit Keef, ça vaut la peine d’étudier. Tiens, puisqu’on parle de Keef, Robert Gordon n’hésite pas à comparer Mud Boys & the Neutrons aux Stones, en insistant tout de même sur une petite différence : si les Stones avaient appris directement auprès des bluesmen originaux plutôt que des disques, ils auraient pu sonner comme Mud Boy qui eux avaient appris auprès des bluesmen originaux. Gordon enfonce le clou en ajoutant que Mud Boy privilégiait la personnalité plutôt que le spectacle, et donnait à sa musique de l’espace pour respirer. Et comme si cela ne suffisait pas, Dickinson grommelle : «I have something Mick Jagger can’t afford.» Pas la peine de faire un dessin. D’ailleurs, c’est Dickinson qui se tape la part du lion dans ce recueil de portraits plus vivants que nature. Prophétique, comme toujours, il déclare : «The art form of the twentieth century is undeniably music. And the most important thing that has happened to music happened in Memphis. It’s like being in Paris at the start of the twentieth century. Culture has changed as much in the last twenty years as it did then, and the reason has been music.» En matière de vision, Dickinson fait autorité. Pourquoi ? Parce qu’il sait. Pour avoir étudié, d’une part, et pour savoir réfléchir, d’autre part. Robert Gordon ressort pour l’occasion une interview de Dickinson datant de 1986 et jamais publiée. Quand on lui demande de décrire Mud Boy, Dickinson répond que Mud Boy est un esprit qu’on tente d’invoquer, de la même manière que les Pygmées de la rain forest invoquent le shaman. Il revient aussi sur Alex Chilton pour rappeler qu’à l’époque des Box Tops, il était salement exploité - Alex never received the royalties for anything until Flies On Sherbert, you can imagine how much he made on that - Alors Alex se livra au sabotage systématique - On Big Star 3rd, I watched Alex sabotage every song that had real commercial potential - Dickinson revient à un moment sur sa vision du métier de producteur : «Straight people are afraid of artists, and I am an artist, and a lot of producers aren’t. And that scares record company people, the idea of, This guy thinks it’s art not business.» Et il se demande bien pourquoi tout devrait être un hit - What a sick idea - All I do is make things sound better - En en matière de southern production, il n’y a plus grand monde qui fasse aujourd’hui ce que je fais - Plus loin, Dickinson rend un sacré hommage à Paul Westerberg - Westerberg is way better than anybody gives him credit for. It may be the best stuff I’ve ever done. The Replacements even have a song called ‘Alex Chilton’ - Pour revenir aux Stones, Dickinson pense qu’Exile On Main Street est un album ruiné par la cocaïne et qu’un simple album aurait largement suffi - Keeping the slop, that’s what I’d keep - Il fait aussi la lumière sur sa shoote avec Dan Penn. Ils avaient enregistré 8 ou 9 cuts et il y eut un problème de fric, alors Dickinson s’est barré. Pour se venger, il a produit le Big Star 3rd que voulait produire Dan - I think revenge is the noblest human motive - Questionné sur Jerry McGill, Dickinson indique qu’il a enregistré d’excellentes choses avec lui. On les trouve d’ailleurs sur le disque audio qui accompagne le DVD Very Extremeley Dangerous, un docu qu’a tourné Robert Gordon sur McGill. Le titre de l’album de Mud Boy Known Felons In Drag vient de McGill qui était le road manager de Waylon Jennings. McGill était recherché par les flics, et pour leur échapper, il se déguisait en femme. Mud Boy jouait en première partie de Waylon Jennings et Sid Selvidge reconnut McGill - Yeah that’s got to be McGill or that’s the ugliest woman I ever saw - Alors McGill lui aurait dit : Known felons in drag. S’il est un autre personnage sur lequel Dickinson ne tarit pas d’éloges, c’est bien sûr Tav Falco, qu’il appelle Gus, diminutif de Gustavo. La première fois qu’il le vit chanter, ce fut avec une version de «Bourgeois Blues» en forme de happening. Tav tailla sa guitare à la tronçonneuse, tomba dans les pommes et aussitôt après, Alex vint lui proposer de monter un groupe avec lui - And that was the birth of Panther Burns - Et puis quand Tav faisait son numéro du three-legged man, il épatait toute la galerie. Jerry Phillips disait : «The three-legged man is just the best thing I’ve seen since the bullet.» The bullet ? Ça ne vous rappelle rien ? Dickinson en fait une description fascinante dans son recueil de souvenirs, I’m Just Dead, I’m Not Gone. Le chapitre que Robert Gordon consacre à Dickinson fourmille littéralement d’aphorismes. Par exemple, Dickinson sort ça sur les Klitz : «They didn’t know what the notes were, they knew when the notes were.» Et Robert Gordon conclut en revenant sur le chaos de Sherbert : «The chaos of Like Flies On Sherbert was intentionally developped. Memphis wasn’t about getting it right or wrong, it was about getting it.»

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             On plonge à la suite dans un tourbillon de négritude céleste, à commencer par Lead Belly. Les Lomax le rendirent populaire, mais en même temps, ils en firent leur valet et leur chauffeur. On appelle ça la complexité relationnelle. Plus loin, on apprend que la famille de Robert Johnson n’a jamais reçu d’argent ni pour The Complete Recordings, ni pour les reprises des chansons, ni pour l’utilisation de cette photo où on le voit jouer de la guitare avec une cigarette au bec et que tout le monde utilise jusqu’à la nausée. Joli portrait de Junior Kimbrough, big man, with an air of quiet violence, simmering sexuality and raucous good times. On servait de la fruit beer dans son juke-joint et Robert Gordon voyait des gens tomber dans les pommes - Might have been the fruit beer - On voit aussi le professeur de philosophie africaine Otha Turner donner un cours de fifre à Robert Gordon - You got to know how to know it - ça s’applique au fifre, mais aussi à tout le reste. Puis voilà Bobby Bland, qui n’avait pas de chaussures étant petit et qui adulte s’habillait chez un tailleur. Bobby appelle son grognement un ‘squall’. Peter Guralnick disait de Bobby qu’il avait des ‘sad, liquid eyes’. Autre black de base en termes de Memphis Rent Party, James Carr qui, rappelle Robert Gordon, était adulé au Japon, en Europe, partout dans le monde, sauf à Memphis - He was just another minority dude on welfare - Quinton Claunch rappelle qu’une nuit on tapa à sa porte : il y avait trois blackos, James Carr, O.V. Wright et Roosevelt Jamison. Ils avaient une cassette et un petit lecteur cassettes. Ils s’installèrent à même le sol dans le salon pour écouter la cassette et Claunch fut tellement emballé qu’il fit paraître deux singles sur Goldwax. On tombe bien évidemment sur l’excellent portait photographique que fit Tav Falco de James Carr, près du pont qui franchit le fleuve, à Memphis. On peut lire une interview accordée par James Carr, que l’auteur accepte enfin de publier. Le pauvre James Carr y semble très perturbé, convaincu qu’un autre homme est entré dans son corps. Gordon lui demande : «What was the cause of the switch ?» et James lui répond : «Lost in a dream.» Ces gens sont tellement forts qu’ils transforment tout en poésie. Ailleurs, ça relèverait de la psychiatrie.

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             Restent les géants blancs, Charlie Feathers, Tav Falco, Alex et Jerry Lee. Rien qu’avec ces quatre mousquetaires du Memphis Sound, on a largement de quoi faire. Voilà ce que dit Charlie  : «Rockabilly is the beginning and the end of music.» Et il a raison. Quand Robert Gordon le rencontre, Charlie a le souffle court. On vient de lui enlever un poumon. D’ailleurs il chique, parce qu’il n’a plus le droit de fumer. On voit même une photo de Charlie en train de cracher son jus de chique. Ben Vaughn dit de lui : «He’s so far into the music that he is, in my opinion, a genius. Like we think of jazz greats : Sun Ra or Mingus or Monk.» Et Ben ajoute : «He’s never given up on rockabilly, and he continually redefines it in his mind.» Robert Gordon rappelle le lien de maître à élève qui existait entre Charlie et Junior Kimbrough. Memphis, yeah. Un vrai conte de fées. Que des gens fascinants. Inutile de chercher, tu ne trouveras pas ça ailleurs. Il existe aussi un lien de parenté artistique entre Tav Falco et R.L. Burnside, les two-chord blues drones et l’early rockabilly, cocktail dans lequel Tav rajoute le tango et la samba. Pour Tav, ce qui compte, c’est l’aesthetic, plus que la virtuosité. Très tôt, il a les idées claires. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il s’entend si bien avec Dickinson. Si Tav admire tant Artaud et son Théâtre de la Cruauté, c’est parce qu’il apporte un strong sense of drama on his stage, comme d’ailleurs les grands bluesmen. Tav s’est donc employé à transposer cette théorie sur un groupe. En plus, il partageait la scène avec les gens qu’il admirait : Charlie Feathers, Cordell Jackson, Jessie Mae Hemphill, Otha Turner - Tav alerted a new generation to their existence - Comme le firent le Cramps avec Hasil Adkins et The Phantom. Tav étudiait le blues : «J’ai vu Sleepy John Estes de Brownsville et Hammie Nixon l’accompagnait en soufflant dans une cruche. Bukka White chantait «Parchman Farm Blues» et jouait sur son dobro avec un cran d’arrêt. J’ai vu Nathan Beauregard à 91 ans jouer «Highway 61 Blues» et passer un solo de guitare électrique comme je n’en ai jamais revu depuis. Mississippi Fred McDowell est le plus grand bluesman gothique qui soit. Et j’ai vu the Jim Dickinson Band accompagner Ronnie Hawkins.» Tav raconte aussi comment il est devenu l’assistant de Bill Eggleston - So for me there’s been no separation between literature and theater and visual art and blues and rock and roll and jazz. And this is my formative experience - Robert Gordon et lui évoquent évidemment le fameux Stranded In Canton filmé par Bill Eggleston avec très peu de lumière et une pellicule ultra-sensible. Il évoque aussi le Big Dixie Brick Company, lorsque Randall Lyon et lui animaient les shows de Mud Boy & The Neutrons - A rock and roll Dionysian context. Randall was doing his Guru Biloxi characterization, dressed in a very flowing Blanche DuBois-in-her-terminal-stages-of-dementia type presentation - L’épisode Tav est particulièrement hot, car c’est un écrivain qui s’adresse à un écrivain, un souffle qui croise un autre souffle. Et Tav prend un malin plaisir à rappeler que dans Panther Burns, personne ne savait jouer, ni Eric Hill, ni Ross Jonhson, et encore moins Tav. Sauf Alex, bien sûr. Ils feront d’ailleurs la première partie des Clash lors d’une tournée américaine - My little four piece doing this strange blues - Évidemment, les gens n’y comprenaient rien. Et Tav évoque avec amusement ce concert de Knoxville qui faillit dégénérer en émeute. Tav raconte qu’il s’arrêta en plein milieu de «Tina The Go Go Queen», provoquant un sacré malaise, avant de redémarrer avec «Bourgeois Blues». Et sur sa lancée, Tav se refend d’un bel hommage aux Cramps : «Critics write off the Cramps as a novelty band, and that’s absurd.»

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             Tiens justement, puisqu’on parlait d’Alex, le voici. Robert Gordon raconte qu’en 1977, quelques mois avant les Sex Pistols, Alex montait sur scène et punk-rockait, accompagné de Sid Selvidge au piano, Dickinson à la basse et le garde du corps Danny Graflund au chant - Several months before the Sex Pistols came to Memphis, Alex Chilton pulled back the horizon and let us hear the imminent thunder - Robert Gordon insiste : Alex, les Cramps, Tav et Dickinson se sont tous influencés les uns les autres, ils ont tous su repousser les limites et ont des racines dans le son du passé - And those past sounds were local - You think Elvis wasn’t a punk ? - Bravo Robert ! Bien vu ! Oui, car la filiation est d’une effarante justesse. Robert fréquente Alex mais ne se sent pas l’aise avec lui. Il en parle à Dickinson qui lui répond que c’est la même chose pour tout le monde - Everyone does.

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             Parmi les albums que Robert Gordon cite en référence dans Memphis Rent Party, on trouve celui de John Gary Williams sur Stax. Il s’y niche un très beau «Honey», assez proche de l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. John Gary Williams a cette facilité de pouvoir sonner juste dans la beauté blanche. Il travaille sa chanson à l’élongation maximaliste et atteint l’horizon sans effort. Il leste son ampleur de belles lampées de feeling black et atteint à une sorte d’émancipation. Oui, John Gary Williams vise le mellow, il va parfois sur Marvin («I See Hope»), parfois sur Sam Cooke («I’m So Glad Fools Can Fall In Love») et vise clairement le slow groove de charme intense avec «Ask The Lonely». C’est avec «How Could I Let You Get Away» qu’il atteint à l’excellence staxy. Il flirte avec la Soul blanche, comme Freddie North, mais il finit toujours par redresser la situation en shootant ce qu’il faut de feeling black. Il met en œuvre une délicatesse qui en dit long sur sa configuration. Son feeling reste toujours d’une grande justesse. Il laisse les flûtes bercer nonchalamment «Open Your Heart And Let Love Come In» et il termine en sonnant comme Marvin dans «The Whole Damn World Is Going Crazy». John Gary Williams ne tombe pas du ciel : il chantait dans les Mad Lads qui pour une raison X n’ont pas connu le succès des autres têtes de gondole Stax. 

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             Comme il le fit précédemment avec It Came From Memphis, Robert Gordon joint à son livre Memphis Rent Party ce qu’il appelle un companion disk. L’album vaut le détour, ne serait-ce que parce qu’il en a constitué le track-list. On y retrouve l’extraordinaire «Desperado Waiting For A Train» de Jerry McGill, mais le cut qui emporte la bouche est le duo Luther Dickinson & Shade Thomas qui suit. Ils tapent une version de «Chevrolet» absolument superbe - They channel  Memphis Minnie through fife & drums greats Ed & Lonnie Young, nous dit Robert Gordon. Luther et Shade sont bien sûr les descendants des lignées royales Dickinson et Otha Turner. L’autre gros coup de Jarnac est le «Frame For The Blues» de Calvin Newborn. Complètement irréel de beauté. Calvin : «I used to think I could fly !» On trouve aussi un «All Night Long» de Junior Kimbrough enregistré par Robert Gordon chez Junior, justement - A cabin surrounded by acres of cotton fields - Il chante avec une niaque invraisemblable. Parmi les autres luminaries présents sur cette compile se trouvent aussi Furry Lewis, Alex Chilton et les Panther Burns avec «Drop Your Mask», one of the earliest art damage recordings. Robert Gordon nous dit aussi que Jerry Lee s’ennuyait à Nashville où il enregistrait pour Smash/Mercury, alors il revenait à Memphis enregistrer des trucs comme «Harbour Lights». On entend aussi Charlie Feathers roucouler à la lune dans «Defrost Your Heart». Robert Gordon l’admire tellement en tant que chanteur qu’il le compare à Sinatra et à George Jones. C’est Dickinson qui referme la marche avec «I’d Love To Be A Hippie», un big heavy blues - If you ever see a hippie, baby/ Walking down the road...

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Robert Gordon. Memphis Rent Party. Bloomsbury Publishing 2018

    Memphis Rent Party. Fat Possum Records 2018

    John Gary Williams. John Gary Williams. S*

     

    Pas de vague à Liam

     

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             Dans As It Was, le docu qu’ils consacrent à Liam Gallagher, Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening n’y vont pas de main morte : Liam serait selon eux le dernier grand chanteur de rock en Angleterre. Et ils ont raison, mille fois raison, et vive l’arrogance des frères Gallag ! Bourdieu dirait : Insulter la terre entière, oui, mais à condition d’enregistrer de grands albums.

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    L’histoire d’Oasis n’est rien d’autre que ça, une histoire de grands albums et on n’a pas fini d’en faire le tour, car chaque fois qu’on remet le nez dedans, on s’effare dans la nuit. Les frères Gallag sont en plein dans l’équation magique de Totor : the voice + the song + the sound. Oasis est ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre après les Small Faces, les Pistols et les Mary Chain, c’est la quatrième vague, la vague géante qui a tout balayé et aujourd’hui Liam enfile sa parka pour aller rocker son fookin’ shit sur scène, car bien sûr, il n’est pas question pour lui de se débiner. Lightening prend le parti de nous montrer un Liam qui boit de l’eau et qui fait du sport, qui voyage avec ses fils et sa poule. Il essaye d’en faire un agneau. Liam Gallag un agneau ? Tu déconnes Charlie ! Sur le pont de San Francisco, Liam prend sa meilleure mine de lad pour annoncer au monde entier qu’il prend deux grammes avant de monter sur scène et ajoute en se marrant qu’avant il lui en fallait huit. C’est la seule trace de coke en une heure trente, mais fuck, comme elle est belle ! Lightening ne filme pas assez Liam sur scène, dommage, car comme on va le voir tout à l’heure, les cuts de ses deux albums solo sont fookin’ good. Et puis il y a ces coiffures de petites mèches, ces gueules de rockers anglais dont on ne se lasse pas, ces lunettes à verres teintés. À une époque, Liam se coiffait comme Ian McLagan. Comme les frères Gallag insistaient beaucoup sur le look, ils firent entrer dans le groupe Andy Bell et Gem Archer qui eux aussi arboraient des coupes McLagan. Mais de tous, le plus réussi, c’est Liam. Et puis il y a cette voix. Il fut le seul à pouvoir rivaliser de fookin’ sneer avec John Lydon. La morale de cette histoire est que Liam incarne encore aujourd’hui l’énergie du rock anglais. Il balaye d’un geste toutes les litanies et tous les pronostics à la mormoille : non le rock n’est pas mort.

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             C’est en 1994 qu’Oasis rallume le feu sacré du grand rock anglais avec Definitively Maybe. On le sent dès «Rock’n’Roll Star». Tu prends le son en pleine poire, c’est percuté au power direct. Tout éclate avec le son mordoré des guitares dans l’embrasement d’un soir d’apocalypse et la voix de Liam éclot comme la rose de Ronsard dans le pire bucketfull of punk-blues de tous les temps. On a là le plus gros blastoff d’Angleterre depuis «Gimme Shelter». Oui, ils s’inscrivent dans cette lignée et dans cette tradition du claqué d’Union Jack sur les océans du monde. Ces mecs surjouent leur génie sonique. Mais tout ceci n’est rien en comparaison de ce qui arrive plus loin : «Columbia». Le ciel s’y écroule sous les coups de boutoir combinés du heavy beat et des power chords. C’est l’une des intros les plus monstrueuses de l’histoire du rock. Impossible d’échapper à cette emprise. Liam chante à l’envers dans l’enfer du coulé de lave sonique. Ils vont encore plus loin que les Stones, ils manœuvrent leur rock dans une mer de feu. Voilà encore une preuve de l’existence du diable. Au fond, les frères Gallag ne font qu’appliquer la formule magique : une vraie chanson + une vraie voix + un vrai son, formule qu’ont aussi utilisé les Pistols, les Stones,  les Stooges et bien sûr Phil Spector, l’inventeur de la formule. Et puis t’es encore baisé avec les arpèges de «Supersonic». Le chant plante le décor dans le cœur du vampire. Liam fait du punk de ‘Chester dans un chaos de guitares disto. Et dire qu’il y a des gens qui contestent la suprématie d’Oasis ! Nouveau coup de semonce avec «Shakermaker» et un Liam propulsé en première ligne par une vague géante de heavy chords. Il chante à la pure heavyness. On a là une inlassable fournaise de son sub-coïtal. Ces mecs touillent à n’en plus finir et passent maîtres dans l’art des retours de manivelles. Noel veille sur tout ce bordel en composant des hits. Ils claquent le beignet de «Bring It Down» à l’extrême, Liam tartine sa mélasse sur une prod en acier de Damas. Ils font même du glam avec «Cigarettes & Alcohol», alors t’as qu’à voir. C’est joué à l’eau lourde et Liam chante comme un dieu viking. Même les petits cuts d’entre-deux sont de belles choses. Les frères Gallag ne produisent pas de filler comme le firent les Stones d’Exile qui étaient alors en panne. Et les balladifs d’Oasis sont infiniment plus sexy que ceux d’Aerosmith. Avec «Slide Away», les frères Gallag créent de la magie, à cheval sur la Beatlemania et ‘Chester. Quelle classe ! Les sauts de Liam sont ceux d’un saumon.  

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             La conquête du monde se poursuit l’année suivante avec (What’s The Story) Morning Glory ? C’est là qu’on trouve «Some Might Say» et son intro de rêve. C’est blasté dans l’os au boogie down avec un Liam pris dans l’épaisseur du son. Ses descentes de chant sont uniques dans l’histoire des descentes. Il y a quelque chose de pathologiquement seigneurial chez les frères Gallag. Personne ne pourra jamais leur enlever ça. Tout aussi explosé de son, voilà «Morning Glory». Liam parvient à se hisser par dessus cette barbarie sublime. Ce mec chante son wake up dans une foison de déglutis, dans une véritable dégoulinade d’essaims, c’est un miracle sonique. Un solo nage dans la fournaise, quelle provocation ! Puis on entend les guitares voler dans l’air, c’est la première fois qu’on assiste à un tel phénomène productiviste. Ils jouent «Roll With It» au heavy beat de ‘Chester. C’est plus pop, mais révélateur d’une vraie nature. Ils ont du son à n’en plus finir. Mais ils commencent à boucher les trous avec du filler, comme les Stones d’Exile. L’album est bon, mais pas du niveau du précédent. Ils terminent avec «The Champagne Supernova». C’est le côté marrant d’Oasis, un brin putassier, comme s’ils essayaient de convaincre au plan commercial, mais ça retombe comme un soufflé. Bon, c’est vrai qu’ils ramènent des gros moyens, Liam peut faire son wa-wa-wa, il y a du monde derrière, mais leur truc se barre en sucette à force de surcharge.  

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             Be Here Now est l’album du grand retour. On peut même parler de trilogie définitive. Graphiquement, les trois pochettes s’inscrivent dans l’inconscient collectif. Be Here Now grouille littéralement de coups de génie. «Do You Know What I Mean» donne le ton, bardé de son, mais un son plus éclaté dans le spectre. C’est une prod déflagratoire truffée de rafales de wah. Et puis voilà qu’arrive «My Big Mouth», encore plus overwhelmed. Ces mecs battent tous les records de violence consanguine du sonic trash. C’est bombardé dans la gueule du pacte germano-soviétique, ça rampe dans le son avec un Liam complètement demented. On sent le froid de l’acier des empereurs du rock anglais, le clan du power northerner, pas de pire purée de son sur cette terre ! Il faut aussi les voir partir en maraude avec «I Hope I Think I Know». Ils tombent tout de suite sur le râble du son. Personne ne peut échapper à ça. Toujours âpres au gain, les frères Gallag tapent dans le tas du rock et ça explose en bouquets d’étincelles surnaturelles. Ils travaillent à l’Anglaise, au shake de shook et c’est mélodiquement parfait. Ça continue avec le morceau titre, bien stompé des Batignolles, ils jouent leur carte favorite, celle du big heavy Oasis avec des options plein les manches - Kickin’ up a storm from the day I was born - C’est carrément Jumping Jack Flash. On reste dans les exactions avec «It’s Getting Better (Man)». C’est là qu’Oasis devient irréversible, dans ces rafales d’ultra-son demented. Quelle bombe ! Les accords coulent dans le moule de la mélodie chant, aw my Gawd, il n’existe rien de plus powerful. Ils sont dans l’absolu du rock anglais. Ils jouent ça ad vitam eternam. C’est du double concentré de tomate anglaise, avec les guitares du paradis et le chant qui va avec. On n’en finirait plus avec les frères Gallag.

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             Standing On The Shoulders Of Giants casse l’esthétique des trois premières pochettes. Autre surprise : les frères Gallag ramènent du hip-hop dans «Fucking In The Bushes», mais les guitares reprennent vite le dessus. Ils tentent l’aventure d’un nouveau son et ça redore leur vieux blason. On vit là un moment assez tétanique car les guitares fouillent entre les cuisses du cut qui se révèle vite chatouilleux, avec des échos d’ah ah ah. C’est très spécial, bien bardé de rock anglais. Il faut ensuite attendre «Put Your Money Where Your Mouth Is» pour refrémir. Ils jouent ça in the face, the Northern lads way. Ils ont beau avoir New York sur la pochette, ils sonnent très anglais, ils jouent à l’alerte rouge, à l’urgence de la cloche de bois avec des guitares qui rôdent dans le stomp. Liam l’allume jusqu’au bout. L’autre hit de l’album se planque vers la fin : «I Can See A Liar». C’est un roller coaster roulé dans la farine. Big Oasis power sludge ! Ils envoient Liam au front, alors Liam y va, il s’en bat l’œil. Il claque ses alexandrins et offre sa poitrine à la mitraille, il est invincible, il fonce sous le feu de l’ennemi. Il se relève plusieurs fois et continue de gueuler. Quel merveilleux héroïsme ! Liam est un mec très fort. Il n’en finira plus de chanter comme un dieu. Il faut s’habituer à cette idée. Avec «Gas Panic», on assiste encore à une extraordinaire tournure des événements, car ça dégouline de fièvre, the Madchester fever.

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             Paru en 2002, Heathen Chemistry est l’album du retour éternel des frères Gallag. Ils proposent tout de suite un mur du son avec «The Hindu Times». The wall of sound avec Liam en surface, c’est quelque chose. Superbe. Renversant. Excitant au possible. Nappé et dévastateur. C’est le power du brit rock de lads. Les belles langues de guitares s’en viennent lécher le barouf d’honneur. Ils éclatent «Better Man» au riff de voyou, ça joue du couteau sous les regards. Quel fantastique shoot de voyoucratie ! Flashy et sayant à la fois - I wanna be a better man - C’est le big brawl d’Oasis joué aux guitares de Lennon dans «Cold Turkey», c’est terrific, les guitares te chatouillent les guibolles. Avec «Force Of Nature», ils passent au stomp de Madchester sans coup férir. C’est encore une fois complètement saturé de big heavy guitars, une dégelée catégorique, ça avance à pas lourds, les mecs bombardent à l’ultimate du punch d’uppercut. Liam chante tout ça au croc luisant, il ramone sa cheminée avec une effarante ténacité. Ultimate power ! Ils pompent  les accords de «No Fun» pour «Hung In A Bad Place». Pas de problème, Liam pourrait presque attaquer à la façon de l’Iguane, mais il choisit la voix d’Oasis. C’est joué à l’extrême power concupiscent. Il chante ça comme une entourloupe, c’est exceptionnel de véracité dirigiste, ces mecs dévorent le riff des Stooges tout cru. Et ce démon de Noel vomit du napalm dans la chaudière. Ces mecs sont décidément le plus grand groupe d’Angleterre, il faut les voir répandre leur son comme un fléau. L’album est spectaculairement bon. «A Quick Peep» est l’un des instros les plus dévastateurs qu’on puisse entendre ici bas. Ils passent ensuite au heavy groove psyché avec «(Probably) All In The Mind». Liam s’y prélasse comme un roi fainéant. C’est l’absolu d’Oasis, chanté et joué dans les meilleures conditions d’addiction. Les heavy balladifs d’Oasis passent là où d’autres ne passent pas, grâce à une certaine qualité du Northern raunch. Avec «Born On A Different Cloud», on se croirait chez les Doors du temps du Whiskey bar de Kurt Weil. 

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             Comme par hasard, voilà encore un big album d’Oasis : Don’t Believe The Truth. Ça grouille de coups de Jarnac, à commercer par un «Turn Up The Sun» gonflé de son comme une bite au printemps. Ces mecs sont tellement puissants, ils sont dans doute les derniers seigneurs des temps modernes. C’est frappé au meilleur beat inimaginable et chanté dans le lard de la matière. Ils tapent au maximum de toutes les possibilités. Liam te laboure ton champ, pas de problème. Les clameurs perdurent dans le fond du son. Le génie des frères Gallag consiste à savoir éclater la coque d’une noix de rock anglais. Ça continue avec «Mucky Fingers», comme frappé en pleine gueule, ils jouent le rock pour de vrai, leur power dégomme toute forme de logique. Ils ramènent même du piano dans le stomp. Pur génie. Ils transforment ta cervelle en purée de purple heart et Liam plonge dans l’un des plus gros blast-off de l’histoire du rock. It’s alright ! Pulvérisant et pulvérisé à coups d’harmo. Ils gorgent leur rock de gusto. On se prosterne jusqu’à terre devant un tel power. Trop de power. Ils claquent «Lyla» à coups d’acou et Liam lui saute dessus, alors forcément, ça devient monstrueux. Ils font de la Stonesy. Ils échappent à tout contrôle, leur power les déplace ailleurs. Ils sont dans une sorte d’absolutisme. Un cut comme «Lyla» te plombe le crâne, ils te stompent tout ça à coups redoublés et Liam ramène les foudres de son power extrême. Quelques cuts de pop viennent heureusement calmer le jeu et ça repart de plus belle avec «The Meaning Of Soul». Encore une attaque superbe. Wow, la violence du shuffle ! C’est même concassé à coups d’harmo. «Avec «Part Of The Queue», on constate une fois de plus leur écœurante facilité à naviguer à la surface du son. Ils tapent dans la fourmilière d’une épaisse spiritualité dévergondée. C’est un cut de heavy pop aérienne fabuleusement tendue et ultra-jouée dans les grandes largeurs. Les clameurs du solo qui arrive sur le tard battent bien des records de démence. Comme le montre «Keep The Dream Alive», leurs descentes en balladifs valent bien les meilleures descentes en enfer. Ah il faut voir ce son ! Ils jouent dans les hautes sphères de leur règne. Gem Archer signe l’«A Bell Will Ring» qui suit. Psyché de haut vol avec un Oasis on the run. Quelle équipe ! Ils noient le cut dans une élongation de riffing d’arpèges acides, un vrai melting down d’Angleterre. Dressez l’oreille car voici «Let There Be Love» que Noel gratte aux accords atones. Et ce démon de Liam finit par chanter à la voix d’ange. C’est exceptionnel.

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             Comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin et la fin d’Oasis s’appelle Dig Out Your Soul. Il faut en profiter, car après, il n’y a plus rien. Alors «Bag it Up» ! Deep in the flesh, Liam chante comme un dieu, une fois de plus. Ça blaste comme au bon vieux temps. Liam explose le rock anglais quand ça lui chante. Il dispose de la force de frappe idéale, il se dresse comme un dieu du havoc au bord d’une piscine de coke, accompagné par les guitares du diable. Personne en Angleterre ne peut challenger ce démon de Liam et son groupe de brothas, il chante le rock anglais à l’intrinsèque, avec une vermine de niaque dans la pogne. Il n’existe aucun concurrent face à Liam Gallag. Avec «The Turning», on reste dans le heavy rumble de Madchester. Jusqu’au bout ils vont claquer du c’mon déterminant. Encore une fois ça regorge de power. Too much power. Liam se cogne la gueule dans le mur du son, alors que les guitares explosent autour de lui. Ils stompent «Waiting For The Rapture» à la sauce Oasis. Encore une fois, tout est solide sur cet album. La fin du Rapture est un modèle du genre. Belle énormité encore avec «The Shock Of The Lightning». Ils jouent à la folie Méricourt. Pur jus d’Oasis chargé comme une bombarde à ras la gueule, come in, come out tonite. Ils s’enferment dans leur délire d’énormité. Ils font un «(Get Off Your) High Horse Lady» digne du «Ram» de McCartney et reviennent à leur chère heavyness avec «To Be Where There’s Life». Ils transforment leur plomb en or et c’est comme d’habitude produit au mieux des possibilités. Le rock d’Oasis reste très physique, c’est la raison pour laquelle on blah-blahte à l’infini sur cette espèce d’indispensabilité des choses qu’incarnent leurs albums. Dernier grand coup de Jarnac oasien : «Ain’t Got Nothing». Ils taillent ça dans la falaise de marbre, au 3/4 du 4/4. Et quasi-fin de non-recevoir avec «The Nature Of Reality», drivé par une volonté glam à la wham-bam, dans un extraordinaire fouillis de guitares, de clap-hands et de descente aux enfers. Adios amigos !

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             Si on veut entendre leur reprise d’«I’m The Walrus», elle se trouve sur The Masterplan, une compile de B-sides parue en 1998. C’est une version live et on les voit se fondre dans le groove ultime. Le together leur va comme un gant. Noel joue son gut out, la tête renversée en arrière, un sourire crispé au coin des lèvres, c’mon, Gallag et ses potes explosent le vieux hit des Beatles. On sent essentiellement les fans. L’autre bonne surprise de cette compile n’est autre que «Stay Young», une power pop cavaleuse et bien à l’aise dans sa culotte. Ils savent aussi faire des hits de pop ! Quelle régalade. Ils proposent aussi un «Acquiesce» totalement saturé de guitares et on retrouve leur frappe de frappadingue dans «Fade Away». Ils pulsent du son tant qu’ils peuvent mais ils savent bien que ça ne va pas pouvoir durer éternellement. On peut faire du millefeuille sonique all over the rainbow, mais ça finit par tourner en rond. Gallag joue jusqu’à plus soif, il ramène toutes ses guitares. Ils restent dans la démesure pour «The Swamp Song» et bourrent leur dinde avec «(It’s Good) To Be Alive». C’est du cousu-main d’Oasis.

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             En 2011, Liam récupère l’artillerie d’Oasis, c’est-à-dire Gem Archer et Andy Bell, pour redémarrer avec Beady Eye et un excellent album, Different Gear Still Speeding. Et pouf, on prend «Four Letter Word» en pleine poire, le son est là, immédiat, comme au temps béni d’Oasis. Énorme shoot d’English shit, vraie voix + big sound, imparable ! Explosivité à tous les étages. Nothing lasts forever, nous dit Liam. Avec «The Roller», il sonne exactement comme John Lennon dans «Instant Karma». Quelle belle osmose ! En B, ils éclatent encore les coques de noix avec «Wind Up Dream» et Liam revient foutre le souk dans la médina avec «Bring The Light» - Baby hold on/ baby c’mon - Il n’y a plus que lui en Angleterre qui sache chanter aussi bien. Retour à l’énormité en C avec «Standing On The Edge Of The Noise». Tout le big swagger d’Oasis est là, ce big heavy beat qui fit la grandeur de ce groupe. Remember ! Liam le drive magnifiquement. C’est même assez stupéfiant d’ampleur. La fête se poursuit en D avec «Three Ring Circus», encore du pur jus d’Oasis. Liam sait rocker sa shit, comme on dit en Angleterre. Il est toujours dessus et derrière, ça tient magnifiquement la rampe.

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             Le deuxième et ultime album de Beady Eye s’appelle BE. Nouveau shoot de Gallag superpower, et ce dès «Flick Of The Finger». Plombé d’avance, comme au temps d’Oasis, heavy et même salué aux cuivres. Le prodman a l’intelligence de remonter le beat de Mad au devant, avec un Liam qui entre au chant comme un général dans une ville conquise. L’excitation atteint son apogée, alors oui, ça devient énorme. Toute la magie d’Oasis est intacte, avec le riff dévastateur dans le dos de Liam. C’est le retour du rock de poing d’acier. Le jus de véracité définitive coule à flots. Liam y va de bon cœur, il affronte l’adversité tout seul. C’est un héros. Si on cherche des traces de la clameur du grand rock anglais, c’est là. En plus il donne des conseils, comme dans «Soul Love» : Life is short, so don’t be shy. Avec «Face The Crowd», il passe au pulsatif de big heavy craze de Madchester qu’il chante au inside of my head. Ça sent bon l’album énorme. On est encore au début et on a déjà deux coups de génie, alors t’as qu’à voir ! En voilà un troisième : «Second Bite Of The Apple». Noyé de son ! Il fait son Donovan avec «Soon Come Tomorrow». Ici, tout est très spectaculaire. Liam allume ses cuts à retardement et il faut rester méfiant car il ramène des solos d’outre-tombe. Il reste en fait dans un univers de surenchère miraculeuse. Cet enfoiré tape «Iz Rite» au heavy riff d’Iz Rite. Il taille sa pop dans l’énormité du son. Il faut le saluer pour cet exploit. Il rallume la flamme du génie inconnu sous l’arc de triomphe, il gueule son when you call my name dans un chaos de pop magique. On se retrouve une fois de plus avec un big album sur les bras. Il tape son «Shine A Light» à la vieille gratte de junk. Ça cogne ! Avec Liam, c’est toujours in the face et saturé de son. Il nous fait le Diddley beat de Madchester. Il explose son shine a light et repart en mode sec et net. Pur genius ! Il se calme un peu avec «Start Anew», mais ça ne l’empêche pas de se glisser dans le génie du son, dans l’inventivité du me & you. Back to the drug space avec «Dreaming Of Some Space». Il le restitue fidèlement, ça doit twanguer, talalala overdrive et tu éclates de rire. Fantastique drug song, tu as envie de dégueuler et en même temps, tu te sens bien.

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             Après l’épisode Beady Eye, Liam entreprend en 2017 une carrière solo avec As You Were. Inutile de tourner autour du pot : c’est encore un album énorme. Ça grouille de hits, dont un hit glam digne du temps béni : «You Better Run», monté sur le beat des orques, puissant, rebondi tellement c’est puissant et embarqué au ah ah ah. Terrific ! C’est un hit  ah ah ah qu’il explose sous nos yeux. C’est du glam de Chester claqué aux deux accords. Liam fédère les meilleures énergies du rock anglais. Le «Wall Of Glass» qui ouvre le bal stompe bien le crâne. Violent comme ce n’est pas permis. Liam fait du Oasis avec toutes les ficelles de caleçon et les retours de riffs dans les reins. Ce chanteur génial a la chance d’avoir derrière lui un prodman de son niveau. Liam rallume encore les vieux brasiers d’Oasis avec «Bold», un cut tendancieux mais qui fonctionne, c’est le moins qu’on puisse dire. Belle flambée, en tous les cas. Puis il s’en va rimer la démonologie avec «Greedy Soul» - She’s got a 666/ I got a crucifix - Il plonge ses rimes dans le heavy sludge et allume encore une fois comme au temps d’Oasis, alors on l’écoute avec vénération. On sent la respiration de cette énormité. Ça cogne au tisonnier un coup sur deux. Back to Chester avec «For What It’s Worth». C’est bien lesté de Walrus, nouvelle crise de comatose de la chlorose, il y va de bon cœur, ça ne fait pas de doute. Il éclate sa pop au mieux de toutes les possibilités. Il revisite les soutes d’Oasis. Il chante plus loin son «I Get By» dans les rafales de vent d’Ouest, fabuleux swagger de see your face et de save my life, il chante comme un dieu aux abois. Encore un cut en forme de belle poigne avec «It’s All I Need». Il faut le voir marteler son all I need & more et il ne peut décidément pas s’empêcher de revenir au heavy beat on the brat, comme le montre «Doesn’t Have To Be That Way». C’est plus fort que lui. C’est claqué au pire Manc beat de l’histoire de cavernes. Joli pulsatif de non-retour noyé d’échos de big bang.

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             Et pouf, il revient deux ans plus tard avec Why Me? Why Not. Pas de surprise, l’album est comme les précédents, d’une solidité à toute épreuve. Les nostalgiques du glam se régaleront de «The River» - Well come on/ You weak of knees - Il fait du glam punk et chute avec I’ve been waiting so long for you/ Down by the river. Il n’en finira donc plus d’allumer la gueule du rock anglais. Il fait du boogie de Madchester avec «Shockwave». Après une intro géniale, il nous plonge dans son monde - You sold me right up the river/ yeah you had to hold me back - et il lance avec une morgue fondamentale : «Now I’m back in the city/ The lights are up on me.» Pur genius. C’est du power rock demented avec un rebondissement du son. Et le festin se poursuit avec «Now That I’ve Found You» qu’il chante à la clameur d’Elseneur. Quelle dégelée ! Il remonte le courant du son comme un cake écaillé. Avec «Halo», il passe au son d’anticipation à la Roxy. Il torche un hit précieux au swagger d’excellence. Il chante à l’intérieur du pire beat d’Angleterre. Tout vibre, même les colonnes du temple. Et un solo d’outerspace ajoute à la confusion. En fait, Liam passe son temps à rallumer le flambeau d’Oasis. C’est tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il noie son «Invisible Sun» dans le meilleur des sons - I am a laser/ And I see with X-ray eyes - On croyait Noel le seul capable de composer des hits. Eh bien non, Liam prouve le contraire avec le power-balladif «Misundestood» et tout le reste de cet album. Il n’en finit plus de chanter son ass off. 

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             Après les disks, il reste bien sûr les films. Miam miam. On peut imaginer un sandwich de rêve dont les deux tranches seraient Supersonic (early Oasis) et Lord Don’t Slow Me Down (late Oasis). Surtout Supersonic, car ça démarre à Knebworth sur le riff de «Columbia», l’un des plus beaux riffs de rock de tous les temps - There we were/ Now here we are/ All this confusion/ Nothing is the same to me - Le power Gallag, la Ferrari du rock anglais - The way I feel is so new to me - L’early Oasis est la suite parfaite du grand rock anglais qui va des Stones aux Small Faces en passant par les Who et les Move, ils sont là tous les cinq au début, Bonehead & Gigsy & Tony, goin’ to form a band, fookin’ yeah ! Le film raconte les débuts du groupe, d’un côté Liam avec les fookin’ proto-Oasis et de l’autre Noel qui est roadie pour les Inspiral Carpets. Noel rejoint le groupe de son frangin et dit qu’un soir I went down with a song and everything changed : «Live Forever». Puis McGee les voit sur scène à Glasgow and that was it. Creation. Ils deviennent super-massive avec «Supersonic», et puis arrive Definitively Maybe, remixé par le sauveur Owen Morris, outrageous mixing - Tonite I’m a rock’n’roll star - et là boom, ça explose ! Japan Japan ! Cigarettes & Alcohol, Whisky A Go-Go, coke, Rock’n’Roll Star, crystal meth, fucking shambles, Some Might Say at Top Of The Pops, magic British TV, Tony viré et là ça commence à déconner. Ils enregistrent, Morning Glory à Rockfield, champagne supernova in the sky, et ils bouclent la boucle avec Knebworth, fookin’ biblical dit Liam, alors champagne supernova !   

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             Lord Don’t Slow Me Down nous montre la dernière mouture d’Oasis en tournée mondiale, avec Gem Archer et Andy Bell. Bon, pas trop de plans sur scène, beaucoup de backstage. Ils font la tournée des stades et les femmes montrent leurs seins dans le moshpit. «Rock’n’Roll Star» sur scène à Hollywood : power. Liam répond aux questions, fook Bloc Party, fook Pete Doherty, the English magazines are full of shit. Retour au Japon, c’est tendu dans le groupe, Liam accuse Noel de lécher le cul du NME et il rend hommage au public : the crowd is the best. One take ! The stage is the best place in the universe. Arrivé en Australie, Noel avoue qu’il ne se voit pas continuer le groupe éternellement. J’ai 38 ans, et quand Liam sera chauve, on arrêtera. Dans la box, on trouve un deuxième DVD, Live In Manchester, c’est filmé en 2005 avec la dernière mouture et Zack Starkey au beurre. Ils ont perdu le power des origines. C’est autre chose. Liam ne chante pas toutes les chansons. Et Zack n’est pas Tony. En plus Gem Archer change de guitare à chaque cut, côté pénible des groupes qui ont trop de fric. On sent que le biz a pris la main sur Oasis. C’est incroyable que Noel puisse se priver d’un chanteur aussi bon que Liam. Le pire c’est qu’il se prête au jeu pourri du balladif participatif, c’est l’autre côté pénible d’Oasis. On croirait entendre Aerosmith. La Ferrari a disparu, même si «Live Forever» sonne anthemic. Ils font danser Mancheter avec «Rock’n’Roll Star» et font leur happy ending avec une version bien sentie de «My Generation, baby». Power absolu.          

    Signé : Cazengler, Oabite

    Oasis. Definitively Maybe. Creation Records 1994

    Oasis. (What’s The Story) Morning Glory? Creation Records 1995

    Oasis. Be Here Now. Creation Records 1997

    Oasis. Standing On The Shoulders Of Giants. Big Brother 2000

    Oasis. Heathen Chemistry. Big Brother 2002

    Oasis. Don’t Believe The Truth. Big Brother 2005

    Oasis. Dig Out Your Soul. Big Brother 2008

    Oasis. The Masterplan. Epic Records 1998

    Beady Eye. Different Gear Still Speeding. Beady Eye Records 2011

    Beady Eye. BE. Columbia 2013

    Liam Gallagher. As You Were. Warner Bros. Records 2017

    Liam Gallagher. Why Me? Why Not. Warner Bros. Records 2019

    Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening. Liam Gallagher: As It Was. 2019

    Mat Whitecross. Supersonic. DVD 2016

    Baillie Walsh. Lord Don’t Slow Me Down. DVD 2007

     

    L’avenir du rock

     - Les chic types de Cheap Trick (Part One)

     

             Ses copains aiment bien le faire bisquer.

             — Envisages-tu de prendre un jour ta retraite, avenir du rock ?

             L’avenir du rock les connaît, il se prête à leur petit jeu :

             — Demande un peu au pape s’il croit en Dieu, tu vas voir ce qu’il va te répondre.

             — Ouais, on les connaît tes réparties à cent balles, avenir du rock, «tu auras la réponse que tu mérites»...

             — Tu sais à qui tu me fais penser ?

             — Non vas-y, dis-moi...

             — Tu me fais penser à ces grosses connes qui te demandent si tu es vacciné...

             — C’est drôle, j’allais justement te poser la question, avenir du rock, et puis on se demandait avec les copains si t’étais pas un peu pédé...

             — Ce que j’aime bien chez vous, c’est votre sens inné du degré zéro. Finalement j’en viens à me demander dans quel camp vous êtes, dans celui des beaufs ou celui des trash, parce votre beaufitude confine à la trashitude et c’est impossible de ne pas vous admirer pour ça. C’est vrai que si on y réfléchit bien, le beauf parfait est complètement trash, c’est ce qui fait sa grandeur immémoriale !

             — Oh c’est bon, avenir du rock, c’est pas parce qu’on te traite de pédé que tu dois nous traiter de beaufs !

             — Simple échange d’amabilités. On joue aux jeux qu’on peut, pas vrai les gars ? Mais je vais vous faire un aveu. Quand je vous vois, vous me filez la Trick !

             — Tu vois, on s’était pas trompés !

             — Mais vous ne comprenez rien ! Cheap Trick !

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             Le nouvel album de Cheap Trick qui s’appelle In Another World n’a pas fini de nous réconcilier avec le genre humain, y compris les beaufs. On est comblé rien qu’avec «Final Days», un doom de heavy blues qu’ils explosent à la clameur glam. Le son te coule dans la manche, mais à un point que tu n’imagines même pas. C’est Marc Bolan au paradis. Oui, c’est exactement ça, ils font Marc Bolan au paradis, bienvenue au cœur du mythe. Les mecs de Cheap Trick dressent un autel à la mémoire de Marc Bolan et ça explose dans le refrain saturée de magie - What if we could live forever/ Wouldn’t it all just be insane/ What if we could live together/ Never to be in those final days - Ça t’explose la tête, Lennon/Bolan, le feu sacré du rock anglais, plongée garantie. Ces mecs renversent le cours de l’histoire. On a là la meilleure clameur glam de tous les temps. Ça monte très haut dans l’échelle des valeurs. Plus loin, les accords de «Passing Through» indiquent clairement la venue d’un temps de félicité. C’est au niveau des grands frotis de l’univers, explosé de giclées des meilleures auspices, on est au-delà du génie, ils atteignent des résonances sans frontières, ça sonne comme du jamais atteint, ces vagues de son te caressent l’intellect, c’est d’une pureté évangélique, ça splashe dans l’éternité d’un prodigieux ersatz. On tombe encore dans leurs bras avec «Another World (Reprise)». Ils y ramènent tout le power dont ils sont capables, c’est chargé de toutes les guitares de Rick Nielsen, ce fou dangereux est l’un des génies du siècle, il percute tout de plein fouet, c’est gorgé de riffing et Robin Zander monte tout ça en neige à coups de screams ! «Gimme Some Truth» pose sa tête sur le billot et shlompfff, finit en beauté. Terrific ! Rick Nielsen joue ses dégringolades de guitare à la surface de la terre comme s’il réinventait le rock, il se dit qu’avec ses accords inconnus il va devenir le roi du monde et ça ne traîne pas, Cheap Trick c’est exactement ça, un plein dans l’effet direct. Ils naviguent au niveau des Beatles du White Album, avec une pulsion intacte et humide, just gimme some truth, le power absolu et l’apothéose garantie.

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             Cet album est une mine inépuisable d’énormités. Avec «Quit Waking Me Up», ils sonnent encore comme les Beatles, ils y vont vaille que vaille avec un Nielsen qui télescope tout ce qu’il peut. La vieille magie des Beatles explose dans le giron des lovers. On est prévenu dès «The Summer Looks Good On You» qui ouvre le bal, avec cette heavy pop rock, on voit que ces quatre mecs n’ont rien perdu de leur grandeur anthémique. Ils rockent the world comme au temps du Budokan, ils élèvent la power pop au rang d’art totalitaire. Rick Nielsen titille bien ses tortillettes de killer flasher. Il invente un genre nouveau : le powerful power. On le voit encore fou de rage étriper «Boys & Girls & Rock’n’roll», cet enfoireman tape dans tout ce qui bouge, il est partout.  Du même coup, ils t’actualisent, ils te rendent visible dans un monde d’aveugles. Ils amènent «The Party» au stomp. Tu les vois arriver, alors tu te planques. Ils sont énormes, ils pourraient te marcher dessus, ils déploient des légions sur l’Asie mineure, ils envahissent tout, ils chantent des chœurs brûlants, ils foutent le feu. À notre époque, c’est inespéré d’entendre ce mélange explosif de Dolls, de Cheap et de Zoulous. Tu as la réponse à toutes tes questions : Cheap Trick.

             Et puis voilà un «Light Up The Fire» démoli en pleine gueule. Ils sont capables de claquer un petit enfer sur la terre. Toujours la même histoire : la ville en feu, personne n’en réchappe et Nielsen part en maraude d’excelsior, il pleut du feu de partout, comme au temps béni des bombes au phosphore.

    Signé : Cazengler, Cheap tripe

    Cheap Trick. In Another World. BMG 2021

     

    - Willie Cobbs tout

    Inside the goldmine

     

             Ils chevauchaient vers l’Ouest. Ils avançaient lentement car ils suivaient une piste.

             — Z’ont dû passer par là. Z’ont essayé d’effacer leurs traces en montant sur le rocher. Z’ont dû voir ça dans un film. Ah quelle bande de bâtards ! On va les choper avant la nuit.

             Effectivement, les traces réapparaissaient un peu plus loin dans le sous-bois. Les deux rottweilers muselés Sodome et Gomorrhe grondaient comme des diables. Ils sentaient la chair fraîche et tiraient sur leurs laisses.

             — Ohhh, du calme, mes mignons, l’heure du casse-croûte approche.

             Il leva la main :

             — On va faire une halte, histoire de leur faire croire qu’on a perdu leur trace. 

             Ils descendirent de cheval et attachèrent les laisses des deux Rott à un arbre. Ils firent un feu pour réchauffer un pot de café qu’ils arrosèrent largement de whisky.

             — Sodome et Gomorrhe n’ont rien becqueté depuis deux jours, y vont se régaler...

             — Autant te le dire franchement, Willie Cobbs, j’aime pas trop assister à ce spectacle. Bon d’accord, les blancs sont une sale race, mais de là à les faire becqueter par tes chiens...

             — Z’avaient qu’à rester tranquilles et pas s’échapper de la plantation, goddamnit ! Y sont là pour ramasser les bananes, donc y doivent rester à la plantation et servir le bwana ! Pas compliqué à comprendre, non ? Pas besoin de sortir de Saint-Cyr ! Et pis y connaissent le tarif si y s’font la cerise ! La corde ou les chiens ! C’est tout ce que mérite cette sous-race dégénérée, ces fucking whiteys ! En plus, on leur paye le voyage gratos en bateau pour venir bosser ici, faut pas charrier !

             Il sortit de sa poche son petit harmonica et souffla un air de blues africain. Les notes résonnaient dans l’écho du temps, donnant à cette légère distorsion de la réalité un caractère énigmatique.

     

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             Dans une vie antérieure, Willie Cobbs fut probablement pisteurs d’esclaves, mais dans un monde inversé où les maîtres noirs réduisaient les blancs en esclavage. Pas de raison que ce soient toujours les mêmes qui trinquent. L’imaginaire a ceci de pratique qu’il permet de rétablir certains équilibres. D’ailleurs Tarentino s’est aussi amusé avec cette idée dans Django Freeman. Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, comme dirait l’autre.

             Le pauvre Willie Cobbs a cassé sa pipe en bois en octobre dernier et dans la plus parfaite indifférence, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage.

     

             Il n’existe pas beaucoup de littérature sur Willie Cobbs. L’essentiel est de savoir qu’il vient d’Arkansas, qu’il est monté très vite à Chicago et qu’il est redescendu dans les années 60 à Memphis pour enregistrer son fameux, «You Don’t Love Me» sur le label de Billy Lee Riley, Mojo. Découragé par le showbiz, il est ensuite devenu club owner dans le Mississippi et en 1978, il s’installa à Greenville pour lancer Mr C’s Bar-B-Que, un resto réputé pour sa cuisine. L’autre info de taille, c’est qu’il est pote avec Willie Mitchell.

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    Sur son dernier album Jukin’, paru en l’an 2000, on retrouve toute la sainte congrégation d’Hi, les frères Hodges et Howard Grimes (dont on vient de saluer l’autobio). L’album est enregistré au Royal Recording Studio et Willie Cobbs salue le Memphis Beat à coups d’harmo. Avec «Black Night», les deux Willie (Cobbs & Mitchell) nous proposent le Heartbreaking blues d’Hi, une vraie fontaine de jouvence, on patauge dans l’excellence. L’album est un mix classique de boogie blues et de heavy blues d’une finesse fatale. Les frères Hodges savent aussi jouer le blues. On entend naviguer le bassmatic de Leroy Hodges sur «Poison Ivy», c’est cousu, mais quelle ambiance ! Ces mecs jouent à la revoyure. Ils tapent une version heavy de «Reconsider Baby» et croyez-le bien, on ne s’ennuie pas un seul instant. Willie Cobbs en profite, il chante tout ce qu’il peut, son «Five Long Years» est une merveille de présence intrinsèque. Il tape aussi l’excellent «Please Send Me Someone To Love» de Percy Mayfield. Quelle fantastique allure !

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             Il existe une compile de base parue en 1986 sur Mina Records, Mr. C’s Blues In The Groove. Les Japonais ont procédé comme Bear, de façon chronologique, ce qui permet de survoler l’œuvre du vieux Willie. Et ça démarre avec «Inflation Blues» - Inflation is killing me - Alors le vieux Willie s’adresse à Mister President pour se plaindre. On trouve deux versions de ce merveilleux boogie qu’est «Hey Little Girl», un boogie tentateur qui finit par te hanter. Le heavy blues de Willie n’échappe pas à la règle («Mistrated Blues») et dans les cuts enregistrés à Chicago («You Know I Love You», «Hey Little Girl»), on entend un fantastique guitariste de jazz. L’autre gros shoot est le «Worst Feeling I Ever Had», enregistré à Little Rock en Arkansas. En B se nichent deux merveilles enregistrées chez Malaco, à Jackson, Mississippi, le «Hey Little Girl» déjà évoqué et «CC Rider», monté sur un excellent groove de lard. Et on retombe en bout de B sur ce qui pourrait bien être le hit de Willie Cobbs, «Eatin’ Dry Onion» qu’il tape au beat de Memphis Tennessee. Magnifico ! Willie pourrait bien être one of the greats.

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             Down To Earth qui date de 1994 est un très bel album, enregistré à Clarksdale avec les anciens musiciens d’O.V. Wright, Rawls & Luckett. Willie Cobbs l’attaque avec le vieux «Eatin’ Dry Onions» et ça part dans l’éclair de la première mesure, ces mecs savent ce qu’ils font. Ils sont dans le fast boogie, c’est tight, bien serré à la corde, joué au cul du camion, ils ont pigé la combine, vite fait bien fait, c’est du boogie maison, avec du vrai son, comme chez Lazy Lester. On croise plus loin un autre boogie tout aussi expéditif, «She’s Not The Same (Feeling Good)», un vrai hit de heavy romp, Willie is hot. Il nous sort là un authentique boogie blast. C’est un bonheur que d’entendre jouer ces mecs-là, ils tapent «Goin’ To Mississippi» au crack-boom-uh-uh, Willie Cobbs domine bien la situation, Willie Cobbs tout, il passe des coups d’harmo, ça joue au pur jus d’in-house et tu grimpes dans les étages du boogie blues. Il est encore meilleur en Heartbreaking Blues, comme le montre «Butler Boy Blues», il vit ça dans sa chair. Même chose avec «Amnesia», people don’t know my name, il joue le jeu du heavy blues. Quand tu es dans les pattes de ce genre d’artiste, tu te sens en sécurité. Le guitariste qui joue avec Willie Cobbs s’appelle Johnny Rawling. Ce fabuleux blues guy qu’est Willie Cobbs chante «If You Don’t Know What Love Is» à la glotte languide, il ne chante que la pulpe du blues, d’ailleurs, au dos du boîtier, on le voit assis au bord du fleuve avec son harmo. Il va ensuite aller se fondre dans les breaks de r’n’b de cuts plus audacieux («Good Lovin’»). Willie Cobbs forever ! Il reste impliqué dans sa modernité. Il nous rappelle par bien des aspects un géant nommé Taj Mahal. Il est toujours intéressant, toujours juste, comme le montre encore «Now Slow Down Baby». Il revient en mode heavy blues pour «Carnation Milk». Willie Cobbs fait vibrer sa vieille glotte, c’est un savant du blues, une force de la nature, il vise l’orgasme en permanence, il dépasse toutes les expectitudes. Dead good ! Il termine avec «Wanna Make Love To You», un r’n’b efflanqué, et comme tous les grands artistes, il l’enfourche pour filer au galop.

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             Et puis voilà que paraît en 2019 un nouvel album de Willie Cobbs, Butler Boy Blues. Incroyable mais vrai ! Le pire c’est qu’il s’agit d’un bon album, bourré à craquer de ce boogie dont Willie Cobbs a le secret. Deux exemples : «Mississippi» et «She’s Not The One». Le premier est incroyable de véracité, le vieux Willie Cobbs est dessus, ah ah ah, il ricane comme un démon. Quant au deuxième, il est pulsé au beat originel, Willie Cobbs est un killer boogie man. Même énergie que celle de Lazy Lester. Mais c’est avec les Heartbreaking Blues qu’il rafle la mise. «Butler Boy Blues» sonne comme une bonne adresse, il y va au harp, c’est un fantastique shouter d’harp, il est fabuleux, au moins autant que Little Walter. Encore mieux, voici «If You Don’t Know What Love Is», pur genius, il chante à s’en exploser la rate, pure démence de la prestance, c’est le heavy blues de rêve. Encore du heavy blues avec «Carnation Milk», affolant de persistance, Willie Cobbs devient carnassier sur ce coup-là, quelle énormité ! Il chante aussi son «My Baby Walked Away» à s’en arracher les ovaires. Trop de son. Quel numéro ! Il est furieux, il saute sur tout ce qui bouge, my baby walked away. Il revient au r’n’b avec «Good Lovin’», ça joue sec et net derrière lui. Il conduit bien le groove, comme le montre le vieux «I Wanna Make Love To You». Il est clair, il a envie de la baiser, il revient par vagues insistantes, il charge la barque tant qu’il peut, il devient héroïque. On retrouve bien sûr l’inévitable «Eatin’ Dry Onions», le vieux «Amnesia» et le vieux «Jukin’». Willie Cobbs un vieux renard du bayou, il connaît toutes les ficelles et qui oserait lui reprocher de ressortir tous ses vieux coucous ? Certainement pas nous.

    Signé : Cazengler, Willie Cock

    Willie Cobbs. Disparu le 25 octobre 2021

    Willie Cobbs. Mr. C’s Blues In The Groove. Mina Records 1986

    Willie Cobbs. Down To Earth. Rooster Blues Records 1994

    Willie Cobbs. Jukin’. Bullseye Blues & Jazz 2000

    Willie Cobbs. Butler Boy Blues. Wilco 2019

    *

    Les Dieux sont avec moi, à peine ai-je appuyé sur You tube que se dévoile devant mes yeux le célèbre tableau L’Ecole d’Athènes de Raphaël, tiens une vidéo sur la peinture, pas du tout, le dernier disque de Thumos intitulé The Republic, what is it, un groupe de doom qui reprend La République de Platon, il est impérieux d’aller voir et d’écouter. Même si personnellement mes préférences vont à Aristote.

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    Pour une couverture, c’est une couverture. La plus intelligente que vous pourriez trouver. L’image est bien connue, souvent réduite à la présentation de ses deux personnages les plus importants, Platon et Aristote philosophant en marchant. Méthode péripapéticienne prônée par Aristote. A leurs pieds sont représentés vingt penseurs parmi les plus célèbres de la Grèce Antique. Message privé : nous recommandons à notre Cat Zengler de se méfier du redoutable Zénon d’Elée qui accoudé au piédestal de la colonne (à gauche, en bleu, en train d’écrire )  s’apprête à lui à lui planter la flèche de sa pensée dans le dos.

    THE REPUBLIC

     THUMOS

     ( Snow Wolf Records - 22 / 01 / 2022)

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    Dans le doom l’on ne doute de rien. Thumos, ce nom signifie Colère – nous reparlerons de ce groupe original une autre fois - s’attaque à un gros morceau, de choix, La République de Platon. L’est difficile de dialoguer avec Platon, l’on se sent vite écrasé par tant de subtilité. Thumos ne s’est pas défilé, l’a simplement mis la barre plus haut. Puisque l’on ne parle pas avec Platon, sous peine de débiter des niaiseries, il n’y aura ni paroles, ni lyrics. Ce que Thumos nous propose c’est une lecture de Platon. Attention pas question de faire défiler le texte de Platon (si possible en grec !) sur la vidéo, ou de le joindre en livret dans l’opus, le groupe nous convie simplement à une lecture auditive de Platon. Peut-être vous sentez-vous de facto écarté de la compréhension de ce disque, pas de panique, Platon a pensé à vous, selon sa théorie de la réminiscence, toute connaissance est en vous, hélas engloutie au fond des eaux de l’esprit comme l’Atlantide dans les abysses, il suffit de se mettre en chemin, votre âme a déjà contemplé les Idées irradiantes, l’ascension sera longue et difficile, pas du tout impossible. Vous êtes déjà passés par là.

    Nous allons donc nous livrer à ce difficile exercice de retrouver l’enseignement de Platon, au-travers des dix morceaux présentés par Thumos. Pas de hasard, si Thumos a choisi de présenter dix morceaux c’est parce que La République est composé de dix livres.

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    The unjust : musique lourde et menaçante, Socrate et ses amis discutent d’un sujet important qui relie tous les hommes entre eux tant au niveau individuel que collectif, autrement dit de politique. La question est simple, qu’est-ce qu’une chose juste, qu’est-ce qu’une chose injuste. La musique se fait plus lourde, le juste n’est-il pas ce qui vous fait du bien même au détriment de l’autre. Embrouillamini torsadé sonore la batterie en punching ball vous revient dans la gueule. C’est que nous sommes en train de décréter que la justice peut être en même temps juste pour les uns, injuste pour les autres. Plus tard Marx parlera d’intérêt de classe mais Platon pose le problème avant tout selon une problématique individuelle. N’empêche que l’injustice que vous exercez peut vous faire du bien. La musique tire-bouchonne sur elle-même. Le problème se révèle plus épineux que prévu. The ring : non il ne s’agit pas de l’anneau du temps serpentique qui se mord la queue mais de l’anneau de Gygès qui vous rend invisible et vous permet de commettre les pires méfaits, puisque selon l’adage, pas vu, pas pris. Avouez que s’il entrait en votre possession, vous ne vous gêneriez pas… d’ailleurs si vous respectez les lois et ne commettez pas de choses injustes c’est uniquement par peur de la prison et autres châtiments… la musique va de l’avant, la batterie bat le rappel des mauvaises actions, et les guitares tendent leurs cordes vers toutes les convoitises, l’on marche main dans la main avec son voisin et l’autre dans le sac qui contient sa fortune. Ce n’est pas fini, la musique danse sur le pont d’Avignon, évitons la chute, élevons le débat, si dans une cité les citoyens se laissent séduire par tout ce dont ils peuvent jouir, mal ou bien acquis, il est nécessaire d’avoir une armée et une police pour les contenir, et cette force armée pour qu’elle ne se laisse pas gagner par l’attrait des richesses, il faut l’écarter de la ville et l’envoyer faire la guerre, bref l’on entre dans une suite de malheurs sans fin, d’où la nécessité de bien éduquer la jeunesse. La musique glisse sur une pente fatale, la batterie se transforme en mitraillette et la beauté du mal vous ensevelit, une cloche de vache bat le rappel, évitez la licence, fortifiez vos âmes. Si possible. The virtues : le citoyen doit être vertueux. La musique bat le fer, l’argent, l’or et le bronze pour qu’il reste chaud. La musique devient pratiquement symphonique. Il s’agit de forger des hommes nouveaux, de les éduquer, qu’ils ne connaissent pas la peur de la mort, qu’ils puissent se battre pour leur patrie sans trembler, pas de laisser-aller, l’on pressent une éducation à la spartiate qui fortifie le cœur, l’âme, le sang et la volonté. Le son ne serait-il pas un peu grandiloquent, y croit-on vraiment ? The psyche : entrée martiale, pesante, la raison doit dominer le désir, les masses laborieuses doivent se contenter du nécessaire et réfréner leur avidité, les soldats doivent cultiver le courage, les élites qui commandent faire preuve des deux précédentes qualités mais aussi de sagesse, Thumos délivre une musique pesamment rythmée, nulle fioriture, une idée du droit chemin dont personne ne doit s’écarter sous le moindre prétexte. De même se méfier de toute nouveauté, si l’on a atteint la perfection tout changement apportera un moins. Entre nous soit dit, un peu rébarbative et profondément conservatrice la Cité idéale de Platon. The forms : le mot forms est à traduire ici par agencements, et n’a rien à voir - d’après nous qui faisons la différence entre idées et notions - avec les Idées ( qui en grec signifient formes en tant que modèles originels dans la philosophie platonicienne ) comme un gong qui se prolonge sans fin, puis scandé, et enfin déroulé, décrire les rapports entre les hommes et les femmes, celles-ci communautaires, les enfants élevés en commun ne connaissent pas plus leurs parents que leurs géniteurs ne les connaissent, la musique éveille l’intérêt, ne cédez pas aux pensées grivoises, toute la société fonctionne ainsi car à tous les niveaux les désirs de possession ne doivent altérer la raisonnabilité nécessaire à la bonne marche de la Cité, ainsi le roi ou les chefs suprêmes qui détiennent tous les pouvoirs doivent être aussi philosophes pour ne pas céder aux sirènes des tentations et faire preuve à tous moments de tempérance et de sagesse. Ici la musique atteint à une sorte de sérénité. Compacte, solide, infaillible. Mais quels sont ces coups de gong plus clairs, plus scintillants. Fêlures ou tranquillité thibétaine.

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    The ship : aucune des deux. La musique prend de l’altitude et devient grandiose, la batterie bourre le mou, et l’on est parti pour la vitesse supérieure. Nous rentrons dans la deuxième partie du livre. Le philosophe peut ne pas être reconnu à sa juste valeur, comme le Capitaine d’un navire que les matelots éloignent du gouvernail car ils ne comprennent pas sa manière de tracer la route. Le bateau finit sur les écueils… c’est le philosophe qui doit diriger l’état et la cité, il sait ce qu’il veut beaucoup mieux que tous les autres membres. Il a accès à une connaissance que les autres ne possèdent pas. Il connaît l’idée du Bien, qui permet d’entendre le bien de toutes choses.  Il n’est guidé ni par l’ignorance ni par l’opinion que la multitude des gens se font des choses. Le background comme une fanfare finale précipitée. Arrêt brutal, résonnances soniques. Ce qui resplendit ne s’éteint jamais, mais résonne toujours. The cave : guitares entremêlées irradiantes, riffs de cobalt, nous avons atteint le point culminant, la batterie nous prévient que nous avons encore quelque chose à nous enfoncer dans la caboche, c’est la célèbre allégorie de la caverne, nous ne voyons que les ombres des véritables choses qui sont les Idées, à notre niveau d’hommes modernes ne soyez pas l’imbécile qui ne comprend pas que les images d’un film ne sont pas les choses qui ont été filmées. Musique révélatrice, les philosophes doivent être capables de prendre conscience de cette réalité, Platon décrit leur formation qui mêle théories et moments d’implications dans les affaires de la cité, le rythme se ralentit, l’éducation n’est pas un long fleuve tranquille mais un torrent impétueux à remonter pour au soir de sa vie atteindre aux postes les plus importants de la cité. The regimes : l’on passe aux choses concrètes, les différents régimes politiques, Platon en décrit cinq, qui peuvent exister, étant entendu qu’ils naissent les uns des autres, selon une évolution logique, batterialerie quasi-angoissante, un moteur se met en marche celui de la dégradation sociale, sur un rythme lent et lourd tandis que surviennent les guitares comme un contre-chant lyrique au désordre inéluctable qui se met en place, que rien n’arrêtera, le jeu des désirs et des affects entraînant les citoyens à agir selon leurs prétentions du moment, stridences accumulées, le chant s’est tu, un grincement le suit dans le silence et la musique repart, les cymbales chuintent on dirait qu’elles ont envie de parler, de nous mettre en garde, de murmurer à notre oreille, mais non l’inexorable suit sa route interminable, musique de déréliction, la société humaine arrive au plus bas, chute précipitée sur la fin. The just : douces notes de guitares, presque espagnole, fragiles comme un fil tendu, Platon récapitule la fin du livre précédent, il cerne son propos, dans le dernier état de décomposition de la société tyrannique, ce n’est pas le tyran le plus problématique mais l’homme tyrannique en lui-même comme Marcuse a pu parler de l’homme unidimensionnel ou comme notre société évoque l’homme-consommateur, l’homme ne contrôle plus ses pulsions, il est davantage dominé par son appétit de jouissance que par le tyran, face à cet homme tyrannisé de l’intérieur par lui-même il oppose le philosophe, Thumos le nomme le juste, celui qui a su se dominer lui-même, qui étant son propre maître est à même de percevoir clairement la situation et à mener les citoyens selon de justes préceptes. La musique s’étale désormais sereinement, elle brille, elle illumine. Le soleil atteint son zénith. The spindle : pluie torrentielle, encore une fois l’on a l’impression que les guitares chantent, la batterie vient percuter cette harmonie.  Le titre est une allusion au faisceau tenue par la déesse Nécessité mères des Moires ( les Parques de la mythologie latine ) tel que le raconte le mythe d’Er. Moins connu que celui de la Caverne mais qui a eu une descendance tout aussi importante. Le mythe de la Caverne fonde en quelque sorte la philosophie qui se méfie de l’apparence des choses, celui d’Er institue la croyance religieuse de la bonne conduite récompensée après la mort, tout comme de la mauvaise qui entraînera punitions et châtiments. La Caverne est destinée à ceux qui réfléchissent, Er au peuple ignorant que l’on éduque (et que l’on tient en laisse) en lui montrant de grossières images… Ce n’est pas un hasard si le christianisme s’est reconnu en Platon. Mais ce genre de réflexion nous entraînerait trop loin. La musique est de toute beauté, empreinte de gravité. L’âme du mort doit choisir sa prochaine incarnation, s’il a cédé toute sa vie à ses désirs, il choisira d’être un homme ou un animal qui lui permettra de vivre au plus près de ce qu’il croit être la véritable nature du bien, peut-être à sa prochaine réincarnation choisira-t-il mieux… son âme sera ainsi comme celle du philosophe accompli qui désormais contemple le soleil éternel des Idées… la musique s’illimite et se perd en même temps.

    Je n’ai évoqué que quelques aspects de l’ouvrage de Platon. L’ouvrage entremêle plusieurs thèmes dont celui de la poésie que je n’ai pas du tout traité. Malgré cela, le lecteur risque de trouver un tel disque un peu trop rébarbatif. Il n’en n’est rien. Un disque de rock instrumental peut vite se révéler ennuyeux, surtout si l’on ne pratique pas soi-même un des instruments mis en évidence. Ici il n’en est rien. La musique est splendide. Il n'est pas du tout nécessaire d’avoir lu l’œuvre complète, voire une unique demi-page de Platon, ou même d’ignorer jusqu’à son nom, il suffit d’écouter. C’est étrange à la fin de chaque morceau l’on a envie de connaître la suite, une véritable bande-dessinée musicale. Thumos nous tient en haleine. L’on se laisse guider. Et l’on comprend que l’œuvre forme un tout organique. Il ne reste plus qu’à laisser notre esprit partir en voyage.

    Damie Chad

    *

    J’ai déjà consacré deux chroniques à Paige Anderson in Kr’tnt ! 512 du 27 / 05 / 2021   Paige Anderson & The Fearless Kin et Two Runner in Kr’tnt 514 du 10 / 06 / 2021. Mon déplorable et vieil ordinateur m’a empêché d’écouter les rares vidéos qu’elle a enregistrées, je ne maîtrise pas entièrement le nouveau, qu’à cela ne tienne, une artiste comme Paige Anderson n’attend pas. Voici donc la chronique de deux nouvelles vidéos.  Quand j’emploie le mot artiste j’en use en le sens où l’on peut dire que le poëte John Keats était un artiste, comprenez qu’il vivait simplement mais que son existence touchait à la beauté du monde, en tous ses instants, sans qu’il ait eu besoin de faire un effort pour accéder à l’essentiel de sa présence dans le monde…

    LIVE STREAM

    EMILIE ROSEPAIGE ANDERSON

    (23 / 01 / 2021) 

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    Tout comme en France les mois précédents n’ont pas été favorables aux artistes. Two Runner, comme bien d’autres, a vu ses concerts annulés, pour qui arriverait impromptu sur cette vidéo, le cadre paraîtrait étrange. Nous sommes dans une chambre ou un coin salon, toutefois un lit recouvert d’une couverture indienne et d’un empilement de coussins que l’on pressent douillets et voluptueux. Un petit intérieur comme chez nous, d’ailleurs Emilie Rose dans sa robe bleue qui n’est pas sans rappeler les personnages féminins des westerns ne se préoccupe pas de nous.  Ne nous accorde aucune attention, l’est toute accaparée par son téléphone portable, pour un peu l’on s’excuserait d’être-là, évitons de ronchonner comme de vieux conservateurs sur cette jeunesse portée aux futilités et dédaigneuses des convenances, une inscription sur une affiche manifestement manuscrite placardée sur le mur nous permet de comprendre la situation. Venmo est un mode de paiement utilisé par Instagram (pas seulement, l’entreprise a une vocation internationale) qui permet via les portables de faire ou de recevoir des dons financiers… Les messages amicaux et d’encouragement adressés à nos deux musiciennes s’inscrivent d’ailleurs sur la droite de l’écran.

    Nécessités économiques de survie obligent… Pour ceux que ce rappel insidieux dérange, qu’ils se perdent en la contemplation de la tapisserie de laine tissée au-dessus du lit, elle représente un loup stylisé qui aboie à la lune, nous voici dans un roman de Jack London ou de James Oliver Curwood. L’affleurement mythique de la Grande Amérique, celle des grands espaces, des indiens et des pionniers, the big country is here, un temps perdu devenu matière de nos rêves et de nos songes que la musique country sous toutes ses déclinaisons, traditionnelles, modernes, indépendantes, alternatives s’acharne sans cesse à ressusciter comme pour maintenir un chemin d’accès à un monde passé qui ne veut pas mourir.

    Les lecteurs s’offusquent, vous nous annoncez deux musiciennes, nous n’en voyons qu’une. Paige Anderson est là, mais hors-champ, elle répond à Emilie Rose, les filles papotent et commentent les posts, enfin Paige arrive, ravissante dans une tunique bleu pâle et ses longs cheveux blonds, l’on ne peut s’empêcher de penser aux paroles de Jim Morrison American boys, American girls, the most beautifull people in the world, elle s’empare de sa guitare, quelques instants pour saluer des proches, et pour s’accorder, Emilie Rose a pris son fidèle fiddle,  le concert, non la soirée entre amis commence, Paige à la guitare, et au chant, cette manière qui n’appartient qu’à elle de hausser la voix, à chaque fois vous avez l’impression qu’elle vous arrache le cœur, de son violon Emilie cautérise la douleur d’une douce mélancolie, qui prend de l’ampleur, se mêle et s’entremêle aux cris suaves de Paige, comment peut-elle en même temps insuffler tant de tristesse et de sauvagerie dans son chant, le refrain comme un couteau qu’elle enfonce dans votre âme, ses doigts mélancolisent  les cordes, une dernière traînée de violon comme une longue pincée de désespoir. Tout de suite le sourire aux lèvres, un œil sur le téléphone, on leur demande de mettre l’affiche Venmo en évidence au premier plan contre la santiag noire de laquelle émerge un bouquet de fleurs. Petit interlude parlé, nous sommes au Nevada, il neige.  

    Qu’elles sont belles toutes les deux, avec en fond sur le mur le loup solitaire Une nouvelle chanson. Une ballade, toujours cette voix arrachée de l’intérieur qui pleut sur vous en éclats de verre tranchants, ce mouvement de tête vers le haut, comme pour exhaler une fureur contenue, et Emilie Rose, elle ferme les yeux, son violon ruisselle de larmes, tout semble s’apaiser comme une déception, comme une acceptation, la musique continue, lorsqu’elle s’arrête l’on s’aperçoit que l’on n’est pas en train de s’éloigner sur une route jonchée de feuilles mortes.

    Rires, accordage, commentaire sur les posts ‘’ so beautifuul’’ ‘’sounds just fine’’, It’s nothing, accordage, capodastre, une chanson triste, l’autre doit partir, ce n’est rien, c’est ainsi et cette voix qui se plie à la nécessité des choses, même si dans les passages plus lents elle est chargée d’une délicieuse amertume, porteuse des choses qui ont été et qui ne sont plus, Emilie Rose grise la réalité, le violon n’est plus qu’une plainte, de celles que l’on retient mais que l’on ne saurait cacher, quelques saccades de cordes plus loin elle joint sa voix à cette de Paige, et la noirceur tranquille du monde tombe sur vos épaules et les recouvre de glace. L’on croit que c’est terminé, mais non, vie et cauchemar continuent toujours, la voix de Paige devient plus rauque et le violon d’Emilie sonne comme si elle jouait dans un quatuor, en battements d’ailes de cygne qui s’apprête à mourir.  

    Parlent un peu, mais l’on comprend beaucoup. Paige se retourne et s’empare de son banjo. Elle présente le prochain morceau un projet qui se concrétisera au mois d’avril suivant. La vidéo de Burn it to the ground, version orchestrée est sur You Tube. Très belle, mais celle-ci, toute dépouillée est encore plus forte. Crépitements du banjo et cris de crin-crin, plus la voix de Paige qui crache son ressentiment, pour l’exalter et s’en débarrasser, cette juste colère contre l’incompréhension des honnêtes gens, je ne savais pas que l’on pouvait jouer avec tant de force sur un banjo, l’archet d’Emilie se transforme en étrave de brise-glace qui pulvérise le monde. Ce morceau est un chef-d’œuvre absolu. C’est fini. Un ange passe dans une tornade. Emilie sourit doucement. Le visage de Paige se teinte de mélancolie, elle détourne pour poser son instrument et reprendre sa guitare.

    Emilie Rose engage le fer, le violon résonne comme un torrent qui dévale une pente abrupte, Paige les deux mains croisées sur sa guitare, sa voix s’élève altière, maintenant la guitare accompagne, tout se passe entre  le faucon de cette voix qui  qui monte haut dans le ciel pour se laisser tomber comme une pierre sur sa proie, le violon d’Emilie, il joue le rôle de la nature entière dans laquelle se déroule la scène, parfois tout semble immobile, apaisé, l’archet pousse les aigus et ce qui se voulait ordre et beauté se transforme à la seconde suivante en kaos mortel, leurs voix se rejoignent, étendards de victoires éployés, le ton s’adoucit, telle une houle de vent qui berce les épis de blés en une immense vague infinie. Fulgurant. Elles se regardent d’un petit rire discret. Elles peuvent être fières d’elles.

    Regards sur le téléphone. Remerciements. Une nouvelle ballade. Paige à la guitare, et cette voix, vous l’attendez, vous vous doutez que dans une seconde elle va éclater, et pourtant elle vous surprend, vous soulève et vous emporte, vous maintient au-dessus de l’abîme du monde comme par miracle, la tristesse vous poigne, le violon ne fait que l’accentuer par sa traîtrise de douceur, vous planez bien haut, sans être plus heureux pour cela, avec toutefois cette promesse de retour. Un classique de Jimmy Webb, Highwayman,  enregistré en 1977, sous la houlette de Chips Moman ( qui accompagna Gene Vincent sur scène et que l’on rencontre souvent, grâce au Cat Zengler in KR’TNT ! ) reprise par notamment par The Highwaymen ( Johnny Cash, Waylon Jennings, Willie Nelson, Kris Kristofferson ).

    Rituel habituel, rire, téléphone… Cette fois-ci, Paige ne chante pas, Emilie lui a très rapidement rappelé les accords, elle accompagne.  C’est parti pour une pure chevauchée cowboy & fiddle, coloration bluegrass, un régal, le bras blanc de Rose Emilie vole au vent de l’archer tel un albatros qui se joue de la tempête, des images de films tournent à toute vitesse dans la bobine de votre cervelle, élans vertigineux et apaisements virtuoses se succèdent à toute vitesse, Emilie joue avec son instrument mais son corps et sa tête conduisent la danse du cheval fou.  La prestation pétille de joie comme un feu de camp dans la nuit de la prairie. Toutes deux heureuses comme des gamines.

    L’on approche de la fin, on les sent détendues, Emilie raconte une histoire folle… comme quoi le monde est petit, Paige évoque des instants antérieurs, l’on se dirige lentement vers le dernier morceau Where did you go ? Notes lourdes et graves, la voix de Paige traîne et nasille, Emilie la soutient sur les refrains, sinon la guitare seule, et la voix esseulée, chargée de tristesse, ce n’est pas une chanson d’amour perdu, mais une plainte interrogative, sur l’autre côté, sur les sentes obscures de la mort. Une profonde méditation, un regard à la rencontre des ombres qui sont ailleurs. La chanson se termine comme l’on souffle sur la flamme d’une bougie. Paige nous regarde et esquisse un sourire. D’où sort-elle cette sérénité.

    Quelques phrases pour remercier – elles qui ont tant donné avec cette effarante simplicité - Paige se lève et disparaît, Emilie reste assise et fait semblant de pincer les cordes de son violon. This the end, beautifull friends. Bye-bye beautifulL girls. 

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    HAPPY OCTOBER, HAPPY FALL

    TWO RUNNER

    (EMILIE ROSE - PAIGE ANDERSON)

    ( 21 / 10 / 2021 )

    Changement de décor. Comme le temps passe vite, nous voici en octobre. Emilie et Paige sont assises dans un parc. Cette vidéo est un peu un clin d’œil aux anciens clips de Paige Anderson and the Fearless Kin enregistrées en pleine nature devant des arbustes aux branches tourmentées, voici plus de dix ans.

    Robes châtaigne et arbres qui commencent à se parer de couleurs automnales. Une vision idyllique, un peu à la Thoreau. Notes aigrelettes du banjo agreste de Paige en introduction, et toujours cette voix qui surgit et se pose, un oiseau sur les rameaux du désir et de la beauté, Emilie fredonne, à peine remue-t-elle les lèvres et pourtant elle enveloppe d’ouate le morceau qui en acquiert des allures intemporelles. Le violon crisse en une étrange tarentelle ralentie. Le banjo n’arrête pas de grignoter le temps, la voix de Paige nous éloigne d’on ne sait quoi, d’on ne sait où, une longue scie de violon et tout s’arrête scandaleusement. Presque trois minutes de rêve et plouf plus rien. Je l’ai écouté et réécouté plusieurs fois, et je n’ai pas compris. Tout ce que je sais, c’est que c’est plus que magnifique, au sens plein du terme ensorcelant.

    Damie Chad.

    ( Vidéos visibles sur FB : Emilie Rose ou Paige Anderson )

     ILLICITE ( 1 )

    AUTOPORTRAIT COMPLAISANT

     

    Les gens sont parfois curieux, ils me demandent qui je suis. Cela les intrigue. Il vaut mieux qu’ils ne sachent pas. Certains aimeraient savoir si je suis un rebelle. Je ne le suis pas, il faut prendre les armes pour cela, je ne dis pas quand j’étais jeune. Existe-t-il seulement des combats collectifs qui le méritent. Sûr, tout dépend des situations... Au fond les hommes m’indiffèrent. Je ne fais confiance qu’aux individus. Ce qui ne signifie pas que l’on a tort de se révolter. Encore faut-il ne pas être dupe de soi-même. Ni des autres. L’on me taxe souvent de radical, je le suis dans mes a priori. Comme tout le monde. A la différence de beaucoup, je ne feins pas de l’ignorer, je le revendique. J’assure du mieux que je puis ma niche de survie écologique. Je passe ma vie, à moins que ce ne soit ma vie qui se passe de moi, à traficoter dans les sentes obscures de la poésie et du rock ‘n’roll. Dans le monde des humains, je suis un illicite. Je préfère vivre avec les concepts opératoires que sont les Dieux.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    Episode 19

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    MENACES

    Nous étions nus, couchés à même le sol, grelottants, le grand ibis rouge n’avait pas l’air content, sa voix tonnait dans le ciel d’aube pâle.

              _ …Vermines, préparez-vous à mourir, vous qui avez mis le feu à mes quatre buissons sacrés d’hibiscus, crime impardonnable !

              _ …Bon, je crois que je vais de ce pas allumer un Coronado, déclara le Chef en se levant puis s’adressant à nous, levez-vous bande d’arsouilles, et toi le grand emplumé, rabaisse ton caquet, ce n’est pas ainsi que l’on s’adresse au SSR !

    Le GIR (Grand Ibis Rouge ) s’étrangla de fureur, il émit une suite de borborygmes incompréhensibles qui traduisaient une grande ire sans grandeur, nous en profitâmes pour enfiler nos vêtements, les chiens ne bougèrent pas de leur étoile.

              _ Agent Chad, auriez-vous l’obligeance de nous ramener un lot de croissants croustillants afin de nous remettre de nos émotions, en attendant que Monsieur le déplumé retrouve l’usage de la parole humaine.

    Quand je revins le GIB n’en avait pas fini d’expectorer d’infâmes gargouillements

              … grtbk klzx, pdtz, ngtm, dxqr, fwvc…

              … Quel bruit horrible se plaignait Françoise, on dirait un WC bouché !

              … Pas du tout, répliqua le Chef, quel manque de culture chère Françoise, c’est simplement la transcription gutturale et glossolalique des hiéroglyphes de la malédiction de Thot inscrite sur le mur nord de la troisième antichambre de la tombe de Touthânkamon, mais que vous apprend-on en maternelle, quelle ignorance, je n’en crois pas mes oreilles, de toutes les manières, nous en avons encore pour trois quarts - d’heure, l’imprécation aux ennemis de Thot est une des plus longues, certains égyptologues l’attribuent à Seth, une erreur déplorable !

    Les filles avaient préparé le café, je déposai mon paquet de gâteries que j’avais ramené de la boulangerie sur la table basse que Joël avait installée entourée de poufs sur l’ordre du Chef au centre du cercle. Nous déjeunâmes avec appétit, engloutissant, croissants, chocolatines, babas au rhum, millefeuilles, j‘avais même eu la délicatesse de choisir une tarte aux framboises pour Framboise, les cabotos ragaillardis par les effluves alléchants se rallièrent à nous et Molossito avait déjà enfourné trois Paris-Brest lorsque le GIR stoppa son ésotérique sabir et s’adressa à nous sur un ton comminatoire en la douce langue ronsardienne :

              … Misérables créatures, dans quelques minutes vous serez la proie des helminthes, mon messager de la mort n’est plus très loin, je l’ai retiré des limbes de son cercueil, il vient assoiffé de sang, telle une goule malfaisante, tremblez humbles mortels, agenouillez-vous et implorez ma clémence, que je refuserai de vous accorder, votre humiliation aura le goût délicieux d’un fruit succulent !

              … Agent Chad, auriez-vous du feu, pour mon Coronado !

        … Voici Chef, et toi le perroquet si tu pouvais te taire, ce serait parfait, espèce de paltoquet toqué en plaqué de contreplaqué, ferme ton claque-merde !  

    Je sais ce n’est pas poli, mais cette espèce de volatile rougeâtre me tapait sur les nerfs, ensuite je me dois d’être fidèle à la vérité historique de cette scène cruciale pour l’avenir de l’humanité.

              … Votre insouciance vous perdra, impies mortels je serai impitoyable, tant pis pour vous le messager de la mort est tout près de vous, je vous laisse méditer votre inconséquence le temps qu’il arrive. Silence, vous entendrez ainsi le bruit de ses pas !

    LE MESSAGER DE LA MORT

    Dans les minutes qui suivirent nous n’entendîmes que le bruit d’une allumette sur son grattoir, le Chef se préparait à fumer un Coronado. Il n’eut pas le temps d’aspirer afin que le bout du cigare s’embrasât, l’on marchait dans le corridor, il était indéniable que les enjambées du Destin se rapprochaient. Les filles pâlirent, les cabots grognèrent. L’on ouvrait la porte extérieure de la cabane, il y eut trente secondes de silence plus longues que l’éternité de la mort… Derrière la porte qui s’ouvrait sur le jardin l’on prenait plaisir à nous faire attendre, le Chef en profita pour tirer sur son Coronado, dégageant une intense vapeur, hélas point aussi psychédélique comme le dernier disque de Tony Marlow, les gonds rouillés émirent un grincement sinistre, enfin il apparut. C’était, in person, Charlie Watts !

              … Ce bon vieux Charlie ! marmonna le Chef

    Charlie, ne parut pas l’avoir entendu. Il s’arrêta, nous regarda et tira lentement son long bec métallique qu’il ajusta sur son visage. Le GIR gira au rouge cramoisi, les filles essayèrent de retenir quelques manifestations de terreur, leurs dents claquaient comme les castagnettes qui accompagnent les danseurs de flamenco, là-bas, en Espagne… les chiens glapirent de terreur, tandis que Charlie s’approchait à pas lents, soudainement ils se mirent à hurler à la mort.

    Charlie se rapprocha, il avait choisi sa première victime, il s’approcha du Chef et pencha son bec meurtrier vers son visage, le Chef en profita pour relâcher un nuage de fumée aussi inattendue qu’une bouffée délirante.

    Ce fut à ce moment-là que résonnèrent les aboiements joyeux de Molossa et de Molossito qui gambadèrent remuant la queue de contentement tout en se dirigeant vers la porte du jardin. Ingratitude canine qui préfère abandonner leur maître que mourir avec eux, je crus que c’était la dernière pensée de mon existence, mais à l’intérieur de la cahute des ouah ! ouah ! vigoureux se firent entendre, et subitement apparut Rouky. En deux secondes la brave bête visualisa la situation, courut vers Charlie et se jeta dans ses bras. De sa gueule il dépouilla son maître de son bec mortel qu’il jeta à terre, Molossa et Molossito s’en saisirent et disparurent en emportant dans leurs gueules la terrible arme blanche.

     Rouky léchait fébrilement le visage de Charlie Watts, il sembla peu à peu réendosser une apparence plus humaine, son visage recouvrait doucement une   légère teinte rose, il passa ses mains sur ses yeux et son regard acquit une profondeur qu’il n’avait pas auparavant. Je supposais que la salive de Rouky opérait de même que le sang d’un bélier noir que les anciens grecs immolaient au bord d’une fosse dans le but que les âmes des morts soient attirées par le chaud liquide et vinssent retrouver leurs souvenirs de vivants.

    (La conversation qui suit se déroula en anglais qu’en tant qu’agents du SSR nous maîtrisons parfaitement, toutefois la voici reproduite en français pour les lecteurs qui ne s’endorment le soir ni se réveillent le matin, en débitant par cœur une longue tirade de Shakespeare puissent n’en perdre une miette.)

              … Asseyez-vous, Charlie, je vous en prie, prenez place parmi nous, invita le Chef en désignant un pouf vide que je m’empressai de glisser sous les augustes fesses du batteur des Rolling Stones.

              … Euh ! merci (Charlie cherchait ses mots) euh, où suis-je exactement, et euh qui êtes-vous euh, je croyais que j’étais mort…

               … Je vous rassure cher Charlie, vous êtes bien mort, nous sommes les agents du Service Secret du Rock ‘n’ Roll, nous sommes dans le jardin de notre abri anti-atomique clandestin.

             … SSR… SSR… oui je me souviens, c’est vous qui une fois avez récupéré Keith dans la jungle…

              … L’on ne peut rien vous cacher, c’est bien nous, la mémoire vous revient !

              … Oui… elle est comme obstruée par des scènes de meurtres auxquels je ne comprends rien, j’ai une étrange sensation, un grand oiseau rouge, beaucoup de cadavres et beaucoup de sang…je…

    Les trois chiens insouciants qui jouaient à chat arrêtèrent subitement leur course effrénée   brusquement ils pointèrent leur museau vers le ciel et se lancèrent dans un furieux concerts de jappements de mauvais augure. Le GIR, nous l’avions oublié cet oiseau, sa silhouette sembla grandir démesurément, elle était aussi haute que la tour Eiffel, tout Paris devait l’apercevoir, une voix tonnante retentit :

             … Charlie lève-toi, n’oublie pas ta mission, n’oublie pas que tu es un guerrier du Grand Ibis Rouge ! Lève-toi Charlie, c’est un ordre !

    Et Charlie se leva…

    A suivre

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 540 : KR'TNT 540 : HOWARD GRIMES / MICHAEL CHAPMAN / CURTIS HARDING / EVERYOTHERS / GREY AURA / EDDY MITCHELL / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 540

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 02 / 2022

     

    HOWARD GRIMES / MICHAEL CHAPMAN

    CURTIS HARDING / EVERYOTHERS

    GREY AURA / EDDY MITCHELL

    ROCKAMBOLESQUES

     

     Howard the reward

     

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             En français, reward veut dire récompense. On aurait pu titrer ‘Upward Howard’ ou encore ‘An award for Howard’, les possibilités sont infinies dès lors qu’on entre dans les parages d’un homme aussi lumineux. Pour l’amateur comme pour le fureteur, la petite autobiographie d’Howard Gimes est une authentique aubaine. My Life In Rhythm semble tomber du ciel. Peu de petits livres sont capables de labourer aussi profondément nos vieilles cervelles éculées par tant d’abus. C’est pourquoi Howard is a reward.

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             Howard Grimes est un nom qui parle aux ceusses qui ont lu les dos des pochettes d’albums d’Al Green, d’O.V. Wright, d’Ann Peebles, de Syl Johnson, de Denise LaSalle ou encore d’Otis Clay. Howard Grimes - qu’on va appeler Howard parce qu’il est devenu un copain - fut le batteur de l’house-band d’Hi Records, le troisième studio/label mythique de Memphis, avec Sun et Stax. Howard n’a besoin que de 150 pages pour nous faire entrer au Royal Studio, au 1320 South Lauderdale Street, chez Willie Mitchell - boulevard qu’on a depuis lors rebaptisé Willie Mitchell Boulevard - De la même façon que le fit Chips Moman pour Stax, les fondateurs du studio/label Hi, Joe Cuoghi, Quinton Claunch et John Novarese optèrent pour une salle de cinéma désaffectée du quartier black de Memphis. Hi et Stax même combat ! Ce sont des blancs qui font du business. Fondé en 1956, Hi - House of Instrumentals, mais aussi Hi pour les deux dernières lettres du nom de Joe Cuoghi, comme le précise Howard - commence par commercialiser de la musique de blancs, avec comme figure de proue le Bill Black Combo. Quand en 1965, Bill Black, le brillant stand-up man d’Elvis, casse sa pipe en bois, Willie Mitchell qui est l’ingé-son du studio reprend la main en tant que producteur et Hi devient un label de Soul, mais pas n’importe quelle Soul, la Memphis Soul.

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             Howard entre pour la première fois au Royal en août 1960, le jour de l’enregistrement du «Gee Whiz» de Carla Thomas. L’enregistrement devait avoir lieu chez Stax, mais comme la bécane était en panne, ils sont tous allés au Royal, chez Willie Mitchell. Howard rappelle que «Gee Whiz» est un hit historique, car produit par la crème de la crème des producteurs locaux : Willie Mitchell et Chips Moman. Howard précise que Chips dirigeait la session et que Willie l’observait - Willie was so cool and laid back - Howard donne pas mal de détails sur le fonctionnement un peu obscur d’Hi. Les musiciens de l’house-band recevaient un chèque chaque semaine (Howard ramassait 106 $, alors dit-il que son copain Al Jackson en ramassait 500 chez Stax) et il devait aller récupérer son chèque chez Popular Tunes, que tout le monde appelle Pop Tunes. Avec le label Hi, ce magasin de disques qui appartenait au trio d’Italo-américains Cuoghi/Beretta/Novarese. C’est Frank Beretta qui signait le chèque. Il avait nous dit Howard toujours un gros cigare au bec. Howard le charriait en l’appelant Mr Magoo.                    

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             Howard nous fait donc entrer dans l’arrière-boutique de Pop Tunes qui est un entrepôt de jukeboxes. On se croirait dans un film de Scorsese - Ils étaient assis dans l’entrepôt et jouaient aux cartes, ils sifflaient leur whisky, et quand ils me voyaient arriver, they’d say, ‘Hey Howard! Get you a drink.’ - À l’étage de Pop Tunes, il y a trois secrétaires et une table couverte de cash - I’ve never seen so much cash in my life - Les trois secrétaires comptent les billets et font des tas. Howard ne comprend pas d’où vient tout ce blé. Il voit aussi que ses collègues de l’house-band Leroy et Charles Hodges récupèrent du blé par la bande, ils s’achètent des bagnoles et des maisons. Howard n’y comprend rien - They had my goddamn head swimming. In the dark’s where they kept me - Howard n’en croque pas. En plus, il doit reverser une partie de ce qu’il gagne à Willie - Willie had me paying a kickback. That shows how stupid I was - Pauvre Howard, tout le monde profite de lui, comment peut-on l’aider ? 

             Quand Joe Cuoghi casse sa pipe en 1970, c’est Nick Pesce, l’avocat du trio, qui reprend le contrôle du business. Tout au long de la phase de démarrage d’Hi - the making of Al Green - Howard se dit content, il accompagne toutes ces stars, Ann Peebles que Bowlegs Miller a ramenée de Saint-Louis, O.V. Wright, etc., mais il est soucieux car il gagne tout juste de quoi manger.

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             Howard évoque aussi l’épisode Atlantic. Willie reçoit un jour un coup de fil d’Atlantic qui propose s’envoyer chez lui Roberta Flack, Aretha et Donnie Hathaway. Jerry Wexler et Tom Dowd étaient déjà venus faire un tour chez Willie pour jeter un œil, mais Willie ne voulait  pas de ces mecs-là - He didn’t want to be bothered with all them crooks - Willie savait qu’Atlantic avait mis le grappin sur Stax et les avait quasiment mis sur la paille. Une sale histoire que raconte Robert Gordon dans son Stax book. Comme Willie lui claque la porte au nez, Jerry Wexler va envoyer une partie de ses artistes chez Chips qui après avoir été viré de Stax a monté American. Howard est resté en bons termes avec Chips. Il va faire un tour chez American et revoit Tom Dowd qui l’avait complimenté pour son talent de batteur. Howard voit surtout le succès d’American et le blé qui coule à flots, alors que lui ne roule pas sur l’or. La politique d’austérité de Willie a ruiné tous ses espoirs. Il aurait bien aimé gagner un peu plus de blé - It didn’t happen. We all felt let down - Pourtant Hi connaît son âge d’or avec une belle série de hits : «Trapped By A Thing Called Love» de Denise LaSalle, «A Nickle And A Dime» d’O.V. Wright, et bien sûr «Tired Of Being Alone» et «Let’s Stay Together» d’Al Green. Puis Otis Clay et Syl Johnson débarquent de Chicago. Voyant que ça marche bien chez Hi, Tyrone Davis débarque à son tour. Mais Howard discute avec lui et lui recommande de faire demi-tour, car dit-il, tous les œufs d’Hi sont dans le même panier : Al Green. Aucune promo pour les autres. Willie concentre en effet tous ses efforts sur Al Green.  

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             Howard nous brosse un paquet de portraits croquignolesques. Son copain d’école s’appelle Isaac Hayes. Comme Isaac est trop doué et qu’il joue de tous les instruments, une enseignante nommée Mrs Barbara Blake Jones le prend sous son aile et lui apprend les arrangements. C’est comme ça nous dit Howard qu’Isaac est devenu ce qu’il est. Encore débutant, Howard a la chance d’accompagner des stars comme Marvin Gaye et Jackie Wilson, but maybe the biggest star I ever played with was one of the first. Il parle bien sûr d’Isaac, the true Spirit of Memphis.

             Howard parle d’ailleurs de Memphis aussi bien qu’en parle Dickinson : «The Memphis sound is all about that backbeat.» Howard apprend à jouer dans les clubs de Memphis, «those clubs we played every night. Il y avait des organistes au Flamingo Room et au Sunbeam’s Club Handy. Un mec nommé Blind Oscar jouait de l’orgue at the Handy - he was bad (c’est-à-dire bon). Avec Booker T. Jones at Stax et Charles Hodges at Hi, that organ became part of the soul of the Memphis sound. Take those clubs out of the picture of Memphis music and there isn’t any picture.» 

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             Comme les package tours des early sixties passaient par l’Ellis Auditorium de Memphis, Howard y accompagnait toutes les stars : Jackie Wilson et Marvin Gaye comme on l’a dit plus haut, mais aussi Bo Diddley, Jo Jo Benson, Dee Clark, et encore Fats Domino et Mickey & Sylvia qui furent ses idoles de jeunesse - Marvin Gaye came to play the revue before he was a star and I baked him on ‘Hitch Hike’ - Quel veinard ce Howard ! Quand il va jouer au Plantation Inn de West Memphis, c’est-à-dire de l’autre côté du pont, c’est pour accompagner Floyd Newman qui le félicite : «That beat is your identity. No other drummer can play that.» Alors Howard devient un géant. En 1963, il rentre en studio avec Floyd Newman pour enregistrer «Frog Stomp», un mighty single Stax : «We went to the studio because of that beat. Isaac is on top with the organ, I’m driving the rhythm with the foot, playing 4-4 on the bass drum and 6-8 on the high-hat.» Howard the reward fait même swinguer ses phrases. Il faut faire gaffe avec ce genre de mec, car on finit par réécouter tous les grands albums d’Hi rien que pour l’entendre jouer. C’est le syndrome Charlie Watts : à cause du fantastique bouquin de Mike Edison (Sympathy For The Drummer), on a réécouté tous les albums des Stones pour entendre ce que fait Charlie. Et là on comprend pourquoi Edison met en sous-titre : Why Charlie Watts matters.

             On va rester un moment au Plantation Inn avec Howard car il a un sacré coco à nous présenter : «At the Plantation, on jouait du blues et du rock’n’roll derrière un mec qui s’appelait Sissy Charles. Strange cat. Il ressemblait à un gorille. On voyait son impertinence à sa façon de marcher et à la façon dont il vous regardait. Floyd et lui s’appréciaient mais moi, il me regardait de travers. Il était l’un des meilleurs chanteurs de blues du coin. That Sissy Charle was a trip. Je n’avais pas trop de rapports avec lui. I was scared of that motherfucker. Il était fort comme un bœuf. Il avait l’air d’un caveman. Les blancs l’adoraient. Il jouait  dans les white clubs.» En fait Howard nous refait le coup de Dickinson qui dans l’excellentissime I’m Just Dead I’m Not Gone nous décrivait le show de The Bullet, un homme tronc noir qu’on amenait sur scène et dont le numéro consistait à hurler, car c’est tout ce qu’il pouvait faire. Howard nous décrit d’autres artistes extraordinaires, comme Peaches qui s’habillait en femme, ou encore Ms. Shake Right qui s’enfonçait une ampoule dans le vagin et bien sûr l’ampoule s’allumait. Howard qui l’accompagnait se demandait où était le truc - I thought she must have something hot in there - Comme Ms. Shake Right était une amie de sa mère, il la respectait - Ms. Shake Right was a lovely woman - Et pendant qu’il bat le beurre, il peut observer le public, notamment celui des white clubs : «Les blancs dansaient off beat, they were all in different time and doing different moves. La première fois que j’ai vu des blancs danser, j’ai éclaté de rire. Ils restaient on the beat aussi longtemps qu’ils l’entendaient, mais ils étaient vite paumés. Dans les clubs des blancs, je n’ai jamais vu de bagarres, de manifestations de haine ou de négativité. Ça a transformé ma vision des blancs. Je n’aime pas entendre les black people dire du mal des blancs.» Howard développe en expliquant que les blacks ont la sale manie de se battre dans les clubs, ce qu’il ne supporte pas.

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             Howard voit donc le démarrage de Satellite/Stax. Ils sont tous blancs sauf Floyd Newman et Booker T. Jones. L’house-band des débuts est entièrement blanc, puisque ce sont les Mar-Keys - Ils ont eu un hit, «Last Night» et sont partis en tournée. Mais ils n’ont pas emmené Floyd Newman avec eux. Pourtant c’est lui qui chante ‘Ooooooh last night’ - Sur scène, les Mar-Keys ne sont pas aussi bons que sur disque. Il paraît nous dit Howard qu’à Detroit, le public gueule. Il ajoute : «Quand ils se sont aperçus que le batteur blanc des Mar-Keys ne savait pas tenir le tempo, Chips Moman a demandé que je participe aux sessions. Une fois que Chips m’a fait entrer dans le circuit, j’ai commencé à bosser pour de vrai. J’ai accompagné les Mar-Keys sur tout ce qui a suivi ‘Last Night’, mais on ne m’a jamais accepté comme membre du groupe. No matter what, I am a Mar-Key.» Howard rappelle aussi qu’à cette époque, il fallait faire gaffe de ne pas sortir du studio avec un blanc, même si on jouait ensemble à l’intérieur - We had to be careful outside because we didn’t want any trouble for the studio - Howard et donc le premier batteur black de Stax. Il sera remplacé par Al Jackson, qui à cette époque est le batteur d’Hi. Howard insiste beaucoup pour dire qu’il n’existe aucune rivalité entre Al Jackson et lui. Ils ont démarré ensemble et quand Al est arrivé chez Stax, Howard est allé chez Hi - Al avait un jeu plus vif et plus léger que le mien. He played a twenty-two inch ride cymbal, a great cymbal. On l’entend sur much of the Stax stuff - Willie Mitchell disait de ces deux batteurs : «Je ne pourrais pas avoir de meilleurs batteurs qu’Al Jackson et Howard Grimes. The best of two worlds.» À quoi Howard ajoute : «Willie disait aussi que j’étais plus créatif et que j’avais plus d’idées de rythme.» En fait, c’est Willie Mitchell qui fait la différence. Howard cite un exemple très parlant : «Willie Mitchell expliqua comment il voyait les choses. Il s’était fâché avec Al pendant l’enregistrement de ‘Love And Happiness’. Il disait à Al qu’il ne voulait pas the motherfucker pretty, il voulait the motherfucker funky. Alors c’est moi qui ait joué là-dessus. I would drive the beat, it’s a funky thing. Al Jackson played pretty.» Seul Willie Mitchell pouvait voir ces nuances. Tous les grands albums d’Al Green sont des albums de nuances. Howard raconte aussi qu’Al Jackson trimballait une petite sacoche d’appareil photo - Je lui ai demandé pourquoi il trimballait un appareil photo alors qu’il ne prenait jamais de photos. He said : ‘It ain’t no camera’. Il ouvrit la sacoche et en sortit un Luger. Je sus alors qu’il devait avoir de sacrés ennuis (I knew he must be in some serious shit) - Howard reprend un peu plus loin : «La dernière fois que j’ai vu Al Jackson, il m’a dit qu’il allait voir sa femme. He said she had the best pussy in the world. Comme elle lui avait déjà tiré dessus, je lui ai dit de ne pas y aller. (...) Le lendemain, Leroy m’appela pour me dire : ‘Al Jackson is dead.’ Al était allé dans cette maison. Il y avait quelqu’un d’autre.»

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             Comme Howard accompagne tout le monde, il se retrouve un jour embarqué dans une tournée de Paul Revere & The Raiders. Ils sont comme chacun sait venus enregistrer un album à Memphis (Goin’ To Memphis) et Mark Lindsay a repéré Howard. C’est l’époque où les Raiders sont énormes aux États-Unis, Howard nous rappelle qu’ils jouent dans des stades devant 50 000 personnes. Il voit les kids hurler comme dans les Beatles shows. Pour Howard, ce sera la première et dernière expérience de tournée, car ça ne se passe pas très bien. Paul Revere & The Raiders tournent dans le Sud avec un batteur noir, et forcément ça pose un gros problème quand ils arrivent à Montgomery, Alabama, fief du gouverneur Wallace, le gouverneur le plus raciste de tous les temps. Quand le boss du Montgomery Coliseum voit arriver un batteur nègre, il déclare aux responsables de la tournée : «The nigger ain’t playin’ in here. We never have James Brown in here. Ain’t no nigger played in here. Ain’t no nigger ever gonna play here. This is my building.» Pas question de laisser jouer le nigger dans son Coliseum. Le road manager et les Raiders font bloc avec Howard : si Howard ne joue pas, les Raiders ne jouent pas. Howard est fier des Raiders mais inquiet pour la suite. Alors comme les fils du gouverneur sont des fans de Paul Revere & The Raiders, ils implorent la clémence de leur père. Le gouverneur fait donc pression pour que le concert ait lieu. Il dit au boss du Coliseum de fermer sa gueule et il envoie même une escorte de la Garde Nationale pour protéger le tour bus, car bien sûr, Howard et les Raiders sont en danger. Du coup Howard devient une sorte de héros. Le mec du light-show l’éclaire sur scène de façon à ce que tout le monde le voie bien. Il est en plus installé sur une plate-forme qui domine les musiciens. Le concert est nous dit Howard exceptionnel. Le groupe reçoit un ovation. Et ce n’est pas fini : après le concert, les fils du gouverneur viennent même demander à Howard de dédicacer leurs albums des Raiders. Elle est pas belle la vie ?

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             C’est dans ce petit book qu’on trouvera sans doute le meilleur portait de Willie Mitchell, l’une des légendes de Memphis avec Uncle Sam, Stan Kesler, Jim Dickinson, Isaac Hayes et Chips Moman. Un Willie Mitchell humain trop humain : on sort des hommages à l’eau de rose, car Howard ne nous épargne rien du dark side of Willie Mitchell.

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             Quand Howard vient passer son audition, il doit jouer avec les frères Hodges que Willie a formés pour devenir l’house-band de ses rêves : Teenie (guitar), Charles (organ) et Leroy (bassmatic). Howard s’entend tout de suite très bien avec eux. Il décrit fabuleusement bien cette première audition, c’est pourquoi il faut lire ce petit book. À un moment, Willie dit stop et demande à Howard de ralentir : «Slooooow down, Goddammit! We gon’ aaaallll get ther at the saaaaaaaame time.» Howard comprend immédiatement - Willie avait son propre sens du groove, alors j’ai bien écouté le ton de sa voix. Peace was there. Il disait : ‘Here’s where I want it at. I want the motherfucker right there, so play it there’ - Willie forme Howard comme il a formé Teenie, Charles, Leroy et Al Green. Alors Howard sent le son entrer en lui - I thought : ‘This is where I’m supposed to be.’ Willie se tenait debout avec sa trompette, il écoutait. Il tapait du pied on the one. Je voulais qu’il soit content de moi, je désirais tellement faire partie de ce house-band. The Lord told me : ‘Watch his foot. If his foot moves, he’s listening. If It ain’t moving, you have to make it move. That’s how I learned to stay on the one -  Howard ajoute que Willie avait une vision du son pour Al Green, Ann Peebles, Otis Clay, Syl Johnson, O.V. Wright, mais la constante était bien sûr le groove de l’Hi Rhythm Section - Il existe d’autres great studio bands out there, mais je ne pense pas qu’un seul d’entre eux pouvait rivaliser avec nous, hit for hit, style for style, playing live and recording - Howard précise que les frères Hodges sont issus de la campagne, Germantown, outisde Memphis. Leur père Leroy Hodges Sr. avait un groupe, the Blue Dots, dans lequel jouait un guitariste nommé Earl the Pearl qui a tout appris à Teenie.

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             C’est le boss de Duke, Peacock et Back Beat Records Don Robey qui amène O.V. Wright enregistrer chez Hi. Pour la petite histoire, il faut savoir que Don Robey est un boss qui bosse à l’ancienne, gun sur la table et tartes dans la gueule. Il faut aussi savoir qu’O.V. Wright est l’un des plus grands Soul Brothers de tous les temps. Howard pense qu’O.V. est «the finest vocalist I ever worked with. I loved him from the top.» Mais O.V. a ses démons nous dit Howard, il parle bien sûr des drogues. Howard explique ailleurs qu’il n’approche ni les drogues ni les orgies assez courantes à l’époque. Il préfère rester à l’écart de tout ça. Lors d’une session, nous dit Howard, O.V. a sifflé une bouteille entière de sirop et il transpirait tellement qu’il dut enlever sa chemise pour chanter, «but his voice rang out clear as a bell». Un beau jour, Willie reçoit un coup de fil annonçant la mort de Don Robey. O.V. qui est dans le studio déclare : «Dirty dog took my money with him.» Et tout le monde explose de rire. Mais O.V. a pas mal d’ennuis avec les flics, il ne paye pas la pension alimentaire qu’il doit à son ex et quand les flics le collent au trou, Willie le fait sortir. Willie lui paye aussi la rehab et quand O.V. sort clean de rehab, il part en tournée. Mais ses drug buddies le chopent et O.V. replonge - That’s the way he died.

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             Howard raconte aussi comment au cours d’une tournée avec Willie, ils rencontrent un jeune black nommé Al Green. Ça se passe dans un club de Waco, Texas et Al Green demande à chanter avec eux. Howard ne rentre pas trop dans les détails mais la scène est fabuleusement bien documentée dans l’autobio d’Al Green, Take Me To The River. Les rapports entre Howard et Al Green seront assez mouvementés. Sans aucune raison valable, Al va demander à Willie de virer Howard. Willie se contentera de trouver un autre batteur pour accompagner Al, mais Howard se sera pas viré tout de suite. Plus tard, hanté par les remords, Al Green volera au secours d’Howard tombé dans la misère. 

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             Howard précise aussi qu’Abe Tilmon et les Detroit Emeralds sont venus enregistrer des hits chez Hi, «Wear This Ring», «You Want It You Got It», «Baby Let Me Take You» et «Feel The Need In Me» - The best music ever to come out of Memphis. People don’t even know - Howard ajoute qu’Abe Tilmon écrivit ces hits pour sa femme, mais elle lui brisa le cœur - He came back to Memphis half out of his brain from whiskey. He died not long after - Destin tragique comme ceux d’Al Jackson et d’O.V. Wright. Howard évoque aussi Ann Peebles, d’un caractère joyeux, qui riait beaucoup. Don Bryant qui composait pour Hi la faisait beaucoup rire. Mais nous dit Howard, elle avait deux défauts : son timing et sa diction. Elle ne savait pas entrer au bon moment dans une chanson, alors Howard lui apprit à compter. Un deux trois quatre, et tu entres - She stayed relaxed, she stayed with the drums and didn’t jump times - Willie s’intéressait à Ann parce qu’elle avait une voix superbe - We worked her up. So much church in her - Pour la diction, Willie confie le job à Don Bryant : «Teach her to sing clearly». Évidemment Don tombe amoureux d’Ann et ils se marient. Aux dernières nouvelles, ils sont toujours ensemble. On a vu Don Bryant sur scène en 2018 et ce fut une sacrée révélation. Howard ajoute que Don mériterait un book of his own - Don’s a little like I am - Et Howard continue sur sa lancée : «Après être resté tranquille pendant des années, il est revenu avec deux albums enregistrés à Memphis avec Scott Bomar. Je joue sur les deux. Il chante encore comme un jeune homme et il revient vers Willie Mitchell plus que n’importe qui, même les frères Hodges ne vont pas aussi loin.» On a rendu hommage à Don Bryant sur KRTNT en 2018 ( livraison  387 du 06  / 12 / 2018 ) Les deux albums sont parus sur Fat Possum : Don’t Give Up On Love et You Make Me Feel.

             Don Bryant et Earl Randle étaient les deux Hi Records staff songwriters. Howard en évoque un autre, Dan Greer, qui se pointait de temps en temps - Dan Greer a peint l’enseigne de Satellite Records. Je l’ai vu grimpé sur l’échelle le jour où avec Rufus on est venus enregistrer «Cause I Love You». Dan filait des compos à Willie. Il a aussi composé pour Wilson Pickett, Arthur Conley et James Carr - Il existe d’ailleurs une très belle compile Kent Soul, Beale Street Soul Man: The Sound Of Memphis Sessions, et une autre encore plus capiteuse, qui date du temps où Dan duettait avec George Jackson sous le nom de George & Greer, chez Goldwax : George Jackson And Dan Greer – At Goldwax. Tout ceci fait l’objet de futurs chapitres. 

             Par contre, Howard voit les choses se gâter chez Stax avec l’arrivée de Johnny Baylor, engagé comme garde du corps avec Dino Woodard par Isaac. Ces deux blackos viennent de New York. Depuis que Martin Luther King a reçu une balle dans le cou, la tension est montée à Memphis. Baylor fait entrer les guns chez Stax et il prend petit à petit le pouvoir. Satx le charge d’aller percevoir les impayés. Pas de problème. Au moment où Isaac connaît son heure de gloire, il fait travailler Chin, un copain d’école. Howard : «Me and Isaac went to school with Chin. Chin vivait à l’hôtel avec des prostituées, il fumait le cigare et dépensait le blé qu’il devait utiliser pour assurer la promo d’Isaac, par exemple arroser les DJs pour qu’ils passent les disques à la radio. Johnny Baylor a fait rosser Chin.» Ce sont bien sûr les méthodes de la mafia.

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             Un jour, Willie annonce à l’house-band qu’il est grand temps pour eux de faire un album. C’est On The Loose, le fameux Hi Rhythm Section record. Willie suggère d’enregistrer cinq instros et cinq cuts chantés par différents chanteurs. Mais Teenie veut chanter et Willie lui répond : «You can’t sing motherfucker.» Teenie rétorque : «Mick Jagger can’t sing.» Et Willie lui balance du tac au tac : «You ain’t Mick Jagger.» Howard nous restitue ce fabuleux dialogue. Howard et Leroy veulent faire chanter Ann Peebles et Al Green, mais Teenie, Charles et Hubbie veulent garder le singing. Ils l’obtiennent. Ce sont donc les frères Hodges qu’on entend sur cet album qui finalement tient bien la route. On retrouve le groove d’Hi dès le morceau titre d’ouverture de balda. Ils groovent comme des dieux. Le chant n’est pas très bon sur «Superstar», mais ils compensent par une extraordinaire musicalité. Howard a raison, ils ont un problème avec les voix, ce ne sont pas des belles voix et pourtant on se régale de «Purple Raindrops». C’est Howard qui mène la danse, au Memphis beat sec et net. Nouvelle merveille avec «Save All My Lovin’», ces mecs ont du génie, ils développent leur groove, ça chante à la ramasse mais le beat bat comme un cœur de bœuf. On s’habitue très bien au pas de voix. La chaleur du groove sur «You Got Me Comin’» est un modèle du genre. Ils terminent cet album étonnant avec «Skinny Dippin’» et Teenie Hodges joue psyché en fond de toile, c’est un vrai coup de génie ! Quasi hendrixien dans l’esprit.

             Mais l’album ne sort pas. Willie nous dit Howard ne voulait pas perdre le groupe. Il craignait que l’album ait du succès. Howard : «Trente ans après qu’on ait enregistré l’album, Don Bryant m’appela pour me dire de venir le rejoindre chez un disquaire de Beale Street. Il avait l’album. Je ne savais pas qu’il était sorti. Un label anglais nommé Demon Records l’avait publié et le disquaire en avait trouvé quelques exemplaires lors d’un voyage à Londres. Sur la pochette, on aurait dit que Teenie a un sandwich glissé dans son pantalon. Mais il a dit que ce n’était pas un sandwich.» Et pour conclure ce chapitre un peu tristounet, Howard jette un dernier éclairage sur la politique de Willie : «Willie n’a pas voulu qu’Al me vire. Il n’a pas voulu que Lou Rawls me fasse jouer.» Il craignait trop de perdre sa poule aux œufs d’or.

             Un jour que Syl Johnson est en studio chez Hi, il dit à Howard : «God put the pussy on earth and put me down here to get it», ce qui fait bien marrer Howard - Syl always had crazy thoughts in his head.

             Puis un jour Willie arrive en session avec une drôle de nouvelle : Hi est vendu. Les propriétaires ont vendu le label à un autre label qui s’appelle Cream. Willie rassure les musiciens en leur annonçant qu’ils vont toucher un dédommagement. Howard se frotte les mains. Comme Hi a beaucoup de disques d’or, il pense pouvoir palper dans les 100 000 $. Il sait que les ventes de disques représentent des millions de dollars. Nick Pesce l’appelle dans son bureau pour lui remettre un chèque. Howard n’en revient pas : il touche un chèque de 10 000 $ et il doit reverser un bakchich de 400 $ à Pesce. Alors il gueule et Pesce se met en rogne, se lève d’un bond et hurle : «Take your money and get the fuck out of here !». Viré.

             En réalité, ce qui fait la force de ce récit, aussitôt après les hommages rendus aux artistes, c’est la vie spirituelle d’Howard Grimes. Il dit souvent dans son récit que Dieu lui parle. Howard Grimes est tellement sincère qu’il serait capable de nous faire croire en Dieu. Lorsqu’il relate ses souvenirs d’adolescent, il fait un jour une demande à Dieu : «I want to be in the family of God’s great drummers.» - He didn’ answer but things were to be happening - C’est son ami Darryl Carter qui lui dit un jour : «Quand je vois tous les disques que tu as enregistré, tous ces hits, tous les grands artistes avec lesquels tu as joué, I believe you are in the family of God’s great drummers.» Dans sa vie, Howard a toujours écouté ce que lui disait God. Il évoque aussi sa mère qui était fière qu’il soit devenu batteur - That’s my son, playing them drums.

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             Quand il est viré d’Hi après la revente, Howard sombre dans la misère. Plus de revenus. On lui coupe même le courant - Il ne me restait plus que ma maison. No wife, no job, no income. I had no future. The death of Hi Records began my crisis - Alors il demande à God : «Why me ? What did I do wrong ?». God lui redit de l’écouter - You obey me well. I’ll send you back up - Plongé dans le silence et dans le noir, Howard dit entendre tous les bruits de la ville, les sirènes, les gunshots.  God commence par lui envoyer son ex-femme qui vient demander pardon, et Howard lui dit qu’il lui pardonne et elle repart. Puis God lui envoie Al Green. Howard n’en revient pas. Al entre avec une mallette à la main, la pose sur la table, l’ouvre et sort 500 $. Alors Howard lui demande pourquoi il fait ça. Al lui répond simplement qu’il suit des instructions. Plus tard, Howard se rendra dans la chapelle d’Al, the Full Gospel Tabernacle Church, à Memphis. 

             Dans les dernières pages de cette bouleversante autobio, Howard ne cache rien de ses inquiétudes : «Le monde d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui dans lequel j’ai grandi. The joy, the fun, the safety are all gone. Memphis, Tennessee turned rotten. Pendant mon enfance, les rues étaient sûres. Aujourd’hui tout le monde a un gun. My friend Willie Wine tells me, ‘Lucifer got ‘em.’» Et plus loin il ajoute : «It’s been darkness around Memphis. People love darkness.» Pas Howard, il n’aime pas la darkness.

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             Vers la fin du book, Howard rend un fier hommage à Scott Bomar, le mec qui a monté les Bo-Keys à Memphis. Le survivant des Bar-Kays Ben Cauley a joué dans les Bo-Keys, ainsi que Skip Pitts, le guitariste d’Isaac. Sur scène, les Bo-Keys nous dit Howard ont accompagné Don Bryant et William Bell - Je ne suis pas en colère après Hi, ni après Stax, but Scott Bomar at Electraphonic est la seule personne qui m’ait payé rubis sur l’ongle. Ça m’a choqué qu’il me paye pour la session de Cyndi Lauper. Il a juste dit que je le méritais. Bosser avec Scott, c’est un peu comme bosser avec Willie Mitchell. Electraphonic is the only place left that feels like the glory days.

             Puis il revient à l’essentiel, qui est le mythe de Memphis : «J’ai vu la music faire renaître cette ville (années 50/60). Avant, il n’y avait rien à Memphis. Et rien ne s’est vraiment produit depuis que tout est mort. Le hip hop ne marche pas. Les jeunes récupèrent notre travail et font de l’argent avec, mais personne ne joue comme on jouait. Il n’existe aucune valeur éducative dans ce qu’ils font. Leur seul message est un message de violence et de colère. Pas un message d’amour. Les gens viennent encore de partout dans le monde à Memphis en pèlerinage.» Howard est tellement amer. Il pense que c’est l’argent qui a tué le Memphis Sound, «Greed, corruption and violence killed us. It killed Al Jackson Jr. It killed Stax. It killed Hi Records. Si on était restés solidaires dans la paix, on serait encore au sommet.»

             Et puis il y a cette dernière phrase d’Howard qui sonne comme une prophétie : «The city’s music has to be reborn. The Memphis sound will return. When it does, my time will come again. That’s my dream.»

             Comme Howard, les frères Hodges sont toujours en vie. On peut les entendre accompagner quelques luminaries comme Syl Johnson, Robert Cray ou encore Alex Chilton.

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             Syl Johnson enregistre Back In The Game avec Hi Rhythm en 1994 et remet sa couronne de groover en jeu. On est saisi dès les premières mesures du morceau titre par l’énormité du son. C’est monté au beat insubmersible, groové dans le deepy deep, dans l’Hi des Hodges brothers. Même percuté par une torpille, ce groove ne peut pas couler. Tous les cuts de l’album rivalisent d’énormité, comme l’infectueux «I Can’t Stop», une véritable horreur jouée aux accords de r’n’b, ou encore ce violent coup de boogie qu’est «Keep On Loving Me», silly thang, absolute vodka de force majeure, fabuleux shook de shake, ils y vont doucement mais sûrement, no problemo, et le solo télescope une embrouille de funk. Et voilà l’un des hits majeurs du grand Syl Johnson, une cover du «Take Me To The River» d’Al Green - I don’t know why/ I love her like I do - Et il part en vrille sur le wanna know. Cette version glisse comme la boue vers la mer. Ceux qui ont bivouaqué au bord d’un fleuve sauvage savent de quoi on parle - Won’t you tell me - Syl chante avec un timbre unique au monde - Take me to the river/ Wash me down - La fantastique Syleena Thompson vient prêter main forte à Syl sur «Dripped In The Water». Ah ces brutes n’en finissent plus de dripper in the water, et l’orgue nous noie tout ça. Back to the heavy blues avec «Driving Wheel» et puis Syl renaît de ses cendres avec «Clean Up Man», un hit de funk extraordinaire, avant de replonger dans l’enfer vert du groove avec «I Will Rise Again». Wow quelle partie de groove ! - You got me feeling.

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             L’autre gros coup d’Hi Rhythm, c’est l’album enregistré avec Robert Cray en 2017. Hélas Howard the reward n’y joue pas, Steve Jordan prend sa place et à aucun moment on regrette l’absence d’Howard car voilà l’un de ces albums énormes dont on ne se lasse pas. Tiens on va commencer par les deux cuts mythiques qui s’y nichent, «Aspen Colorado» et «Don’t Steal My Love». Pourquoi mythiques ? Parce que Tony Joe White y joue. Normal, ce sont ses compos. Tony Joe gratte sa gratte et souffle dans l’harp de triomphe et comme Robert Cray chante comme un dieu, alors ça vire real cool time. Tony Joe supervise son Aspen, il descend un solo dément et là, tu as tout le son de l’Amérique, le vrai. Même chose avec «Don’t Steal My Love». Tony Joe l’emmène au fast tempo du swamp, il joue ça au gratté de poux, il lance des éclairs, il gratte en lousdé et ça tourne au génie purulent avec les coups de wah. Alors on imagine le travail, avec les frères Hodges en plus ! Et si on en pince pour le Memphis beat, alors il faut se jeter sur «The Same Love That Made Me Laugh» d’ouverture de bal. Steve Jordan bat le beurre et produit, alors Robert Cray devient énorme, comme le sont Keef & the X-Pensive Winos dans les pattes de ce mec-là. Et des tas d’autres gens, Candi Staton, Boz Scaggs, Solomon Burke, etc. Du coup l’album de Robert Cray prend des proportions gigantesques. Comme Teenie Hodges brille par son absence, c’est Robert Cray qui joue le simili solo d’Hi. Et boom ça explose avec «You Must Be Yourself», big Memphis beat, Robert se prend au jeu, c’est stupéfiant de power, il part en vrille au fond du Royal et les cuivres l’attaquent en contrebas. Ce son n’existe qu’à Memphis. Il enchaîne avec un «I Don’t Care» signé Sir Mack Rice et là t’es encore baisé. Back to Memphis, all over the rainbow, Robert nous plonge dans l’I don’t care if the sun refuse to shine/ I don’t care if it’s raining cats and dogs, c’est du pur jus de Mack Rice. On sort du cut en s’ébrouant comme ce poney apache qui vient de traverser le Rio Grande. Plus loin, Robert amène «Just How Long» au heavy groove. Ça tombe bien, car c’est la spécialité des frères Hodges et Dieu sait que c’est bon, c’est même du pur génie, le meilleur rampant de tous les temps - I’ll never know just how long - Il claque des accords farouchement déments. Puis il s’en va éclater «I’m With You» au Sénégal - Hey baby I want to know/ Oh yes I am - Il swingue sa Soul en mode doo-wop. Encore un shoot de Mack Rice avec «Honey Bad» et là, Leroy Hodges bassmatique au devant du mix. Tu es à Memphis, boyo, chez Willie, au paradis du groove ! Alors Robert est aux anges avec tous ces mecs-là. Il s’amuse comme un fou avec sa guitare et multiplie les petites descentes au barbu. 

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             Vient de paraître cet album live d’Alex Chilton & Hi Rhythm Section, Boogie Shoes: Live On Beale Street, bourré de covers triées sur le volet, comme on s’en doute, à commencer par «Precious Precious» d’Isaac. Excellence de la prestance, c’est subtilement horné et quel backing : Howard, Teenie, Charles & Leroy. Ils sont tous là ! Ils tapent ensuite le «634-5789» d’Eddie Floyd, encore un beau groove de boogie blues. Leroy croise dans le lagon du groove comme un requin bassmatiqueur. Pour Howard et Leroy, c’est ensuite du gâtö que de taper dans «Kansas City». Ils groovent ça sec et net et sans bavure. Et Alex le chante au pur jus. Par contre, ils font n’importe quoi avec des reprises de «Lucille, de «Maybelline» et de «Big Boss Man». Ils remontent le niveau de l’ensemble avec un hommage aux Supremes, «When Did Our Love Go», puis un hommage à Fatsy avec «Hello Josephine». Idéal pour un gang de surdoués comme l’Hi Rhythm. Alex annonce some real music for you et balance un «Trying To Live My Life Without You» qui sonne un peu mythique - Here we go/ Turn around - Il marie le r’n’b avec le Memphis beat.

    Signé : Cazengler, Howard Gris

    Howard Grimes. Timekeeper. My Life In Rhythm. DeVault Graves Books 2021

    Hi Rhythm. On The Loose. Hi Records 1976

    Syl Johnson With Hi Rhythm. Back In The Game. Delmark Records 1994

    Robert Cray & Hi Rhythm. Vee-Jay Records 2017

    Alex Chilton & Hi Rhythm Section. Boogie Shoes: Live On Beale Street. Omnivore Recordings 2021

     

    Chapman of constant sorrow

             Alors folky folkah, le vieux Chapman ? Pas tant que ça. À force de lire des beaux hommages dans la presse anglaise, on a fini par aller y mettre le nez, comme on dit. Et comme la presse anglaise c’est pas des bœufs (comme on dit encore), on finit par découvrir grâce à elle un artiste extrêmement attachant. Alors attention, c’est un gratteux, comme John Fahey, Bert Jansch, John Renbourn et tous ces mecs-là, il propose un univers très austère, mais bon, des fois, ça fait du bien d’aller traîner chez les austères. C’est un peu comme d’aller séjourner chez les moines, ça remet les pendules à l’heure. On écoute de la musique. C’est comme de passer sa soirée à lire un livre, on se sent un tout petit moins con à la fin de la journée.

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             Comme l’Old Chap vient de casser sa pipe en bois, le conseil d’administration de KRTNT s’est réuni pour prendre la décision de lui rendre hommage. Les quatre membres du conseil (Damie, le Cat, Rahan et Rouchka) ont voté à l’unanimité, ce qui n’était pas évident, car l’Old Chap n’est pas très connu en France. En plus, il n’est pas très sexy, commercialement parlant. C’est comme si on rendait hommage au vieux cordonnier du coin de la rue ou au marchand de quatre saisons qui passait encore avec sa charrette avant que l’arthrose ne l’en empêche. Old Chap est lui aussi un artisan à l’ancienne et mine de rien, on préfère mille fois ce genre de vieux crabe à toutes ces tronches de cakes qui déambulent dans les médias et qui affichent complet dans les smacks. Smack toi-même !

             Étant donné qu’Old Chap a enregistré une cinquantaine d’albums, on est confronté au dilemme de Fantasia. Alors on fait profil bas et on va se contenter d’écouter ce que les journalistes de la presse anglaise - qui ne sont toujours pas des bœufs - recommandent. Bienvenue dans l’Old Chapland.

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             En 2016, Tom Pinnock interviewait Old Chap pour Uncut. En guise d’hommage funèbre, Uncut publie pour la première fois l’intégralité de cette interview, six pages très denses avec comme il se doit le petit encadré ‘Essential records’. Six en tout et le premier, Fully Qualified Survivor, paru sur Harvest en 1970, reçoit la note suprême : 10/10. Le court texte rappelle que cet album fut a favourite of Pohn Peel’s. On est tout de suite frappé par la qualité du son. Eh oui, Gus Dudgeon produit. Il est en Angleterre le roi de la profondeur de champ. Ace vient d’ailleurs de lui consacrer une compile dans sa collection ‘Producer Series’. L’Old Chap fait à cette époque une pop assez conquérante. Avec «Stranger In The Room», il taille sa route dans l’univers et c’est fabuleusement bien produit, guitare adroite et climats du paradis, on admire les envols de guitare. Belle tension famélique, unique en Angleterre. Voilà ce qu’il faut bien appeler une merveille inexorable. Au fil des cuts, on le voit organiser sa fantastique prescience, avec «Postcards Of Scarborough», il nous emmène au cœur du London groove, Gus fait monter la neige de prod et ce démon d’Old Chap retombe sur des tapis de son magique. Cet album est une mine d’or. «Soulful Lady» démarre dans le moelleux d’un son inespéré. C’est du rock anglais, mais devenu beau et élastique, comme par enchantement. Là tu touches au but, comme avec Fred Neil. On se grise littéralement de cette qualité du son. De la même façon que Totor a fait les Ronettes, Gus fait l’Old Chap. Seul Gus sait interjecter dans l’élastique du groove. Il met du gras et du deep dans le son de «Rabbit Hills». Il a bien capté le bottom d’Old Chap. Ce spongieux défie toute concurrence. On comprend que cet album soit devenu culte. Old Chap gratte sa gratte sur l’île déserte. Avec «March Rain», la prod prend le pas sur le gratté d’Old Chap, car c’est Gus qui fait le son de la gratte. L’Old Chap revient à la charge avec «Kodak Ghosts», il gratte allègrement, c’est assez fin, bien tiré par les cheveux. On entend tout clairement, les petits arpèges et la petite purée au fond du son. Dans «Andru’s Easy Rider», Gus rattrape les arpèges du delta au vol et cet album mirifique s’achève avec un «Trinkets & Rings» qui démarre sur les percus de «Sympathy For The Devil» : l’Old Chap envoie des coups de slide résonner dans l’écho du temps de Gus. 

             Si l’Old Chap connaît Mick Ronson c’est tout simplement parce qu’à une époque il a enseigné à Hull, d’où est originaire Ronson. C’est aussi à Hull qu’il a rencontré Andru et le bassiste Rick Kemp. Dans cette extraordinaire interview qu’il accorde à Pinnock, Old Chap avoue qu’il aurait bien aimé jouer comme Kenny Burrell or Grant Green - But I was never good enough. So I played with anybody that would offer me £2 or £3 a night - Alors il joue dans des orchestres de rock ou de jazz. Quand Pinnock l’épingle sur la question des tunings, Old Chap fait son Old Chap. Pinnock lui demande s’il a pompé des tunings à Thurston Moore et il obtient la réponse qu’il mérite : «No, he leaves me miles behind. His are just too weird to consider. L’autre guy qui m’en bouche un coin, c’est Nick Drake. I don’t know how he’s come across some of his tunings without going to Brazil.» Old Chap a bien sûr rencontré Nick Drake mais aussi John Martyn, il a fait des tas de concerts, double headed university gigs - John was nuts but there you go - Et bien sûr, la question suivante concerne Mick Ronson, qu’Old Chap découvre alors qu’il jouait dans les Rats - They were awful, but Mick had ‘star’ written across him. Une fois qu’il est passé de la Strat à la Les Paul, wow that was something - Il évoque aussi Bert Jansch et John Renbourn, notorious fot not turning up, c’est-a-dire qu’on ne pouvait pas compter sur eux en concert. Ils jouaient ailleurs. L’Old Chap dit aussi que des gens comme Roy Harper et Al Stewart ne pouvaient pas marcher en Europe, car ils avaient trop de texte et les gens ne comprennent pas l’Anglais - With me, you get a lot of guitar and a few short lines and it works fine over there

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             Paru sur Harvest en 1971, Wrecked Again grouille de chansons, mais aucune ne prétend à trôner dans les charts. Old Chap fait de la heavy chapmannerie et veille à ce que tout soit bien articulé. Son morceau titre est quasiment pop, pas loin de ce que fait Croz à la même époque. Son country folk n’a pas la force de celui de Fred Neil, mais il dégage une certaine puissance. Chapman sonne très américain. En B, il repart en groove à la Croz avec «Fennario», il est même en plein dedans. Il reste dans l’Americana avec «Time Enough To Spare» et fait preuve d’une merveilleuse présence avec «Night Drive». Ses cuts sont comme visités par la grâce. Sa mélancolie évoque bien sûr celle de Nick Drake. Il passe à la heavy pop anglaise avec «Mozart Lives Upstairs». Ça devient bougrement intéressant, on pense à des tas de gens, Spooky Tooth ou l’early Led Zep, par exemple. Son «Shuffle Boat River Farewell» s’écoule comme un long fleuve au fil du temps - Don’t you know that it’s coming on so strong. Old Chap : «I never made a dime on Wrecked Again, for instance.»

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             On reste dans les années 70 avec 3 albums que Mooncrest vient de rassembler sous la forme d’un petit coffret digi : The Decca Years 1974 to 1977. Ces albums réservent pas mal de surprises. Sur Deal Gone Down enregistré en 1974 se niche une Beautiful Song, «Another Season Song». L’Old Chap nous sert un gratté d’acou franc du collier et bricole l’une de ces petites merveilles suspensives dont il a le secret, l’Old Chap éclot dans l’éclat des gros accords. Il attaque «Party Pieces» au gratté de coin du feu, il fait son Dylan avec des paroles de fancy clothes, mais il n’ose pas aller plus loin, comme s’il faisait un Dylan qui n’ose pas dire son nom. Puis on le voit naviguer au long cours sur «Stanger Passing By», il gratouille ses poux et crée de la petite tension. Avec le morceau titre, il se lance dans l’Americana, qui va devenir l’un de ses péchés mignons. Il est très pur, et ça tourne au génie car des chœurs de gospel le rejoignent. Quel fantastique artiste ! Il vise exactement le même genre de plan que Don Nix à la même époque : le mélange des genres. Il drive ensuite son «Banjo Song» au heavy boogie. C’est un merveilleux artiste. Il passe au heavy boogie boogah avec «Goodbye Sunny Sky». Il a du son, et même tout le son du monde. Il est marrant, car il se prend pour un rocker anglais alors qu’il trimballe un look de folkie, avec sa casquette et son manteau afghan. Mais ce mec dégage de bonnes vibrations, comme le montre encore «Journeyman» - Long way/ Long way/ Back to you - Ce Journeyman est une merveille de slow groove soutenue au picking. Old Chap est un mec fiable, infiniment fiable, son Journeyman est un chef-d’œuvre de fiabilité. On adore les mecs fiables. Son long way back to you te met du baume au cœur. Il ajoute encore des couplets et ça reste aussi puissant qu’une grande Dylan song, c’est travaillé au son et au chant. Décidément, l’Old Chap mérite tous les honneurs. 

             On tombe ensuite sur le pot-aux-roses : un Savage Amusement enregistré en 1976 chez Ardent à Memphis. Eh oui ! Et produit par devinez qui ? Don Nix ! Comme par hasard. L’album est solide mais pas aussi brillant que le précédent. L’Old Chap attaque avec un «Shuffleboat River Farewell» qui sonne comme du Mungo Jerry. Globalement, il joue de la heavy country américaine, son «Secret Of The Locks» est bien foutu, on se croirait dans le Nevada à cause de la poussière, mais c’est dommage, car on est à Memphis et l’Old Chap devrait en profiter. Il fait de la fake Americana comme son copain le Heron d’Incredible. Il n’empêche que les cuts sont bardés de son, la nonchalance règne sans partage sur l’album, mais pas de hit en perspective. L’Old Chap révèle pas mal de points communs avec Robert Forster. Et puis l’album se réveille en sursaut avec «It Didn’t Work Out». L’Old Chap pique sa crise de Stonesy et ça devient balèze, c’est le meilleur mélange des genres, the Memphis sound et l’Old Chap, avec des chœurs demented, ooouh ooouh ça devient sexy, roule ma poule avec le Memphis beat. On assiste même à un faux départ et à un faux retour. Cette belle escapade s’achève avec un «Devastation Hotel» tout de suite bardé d’orgue et de chœurs de filles. L’Old Chap n’a jamais été aussi choyé. Don Nix s’y connaît en matière de chœurs. Il transforme l’Old Chap en seigneur du Deep South. La transformation est spectaculaire.

             Puis en 1977, il enregistre The Man Who Hated Mornings. Keef Hartley bat le beurre sur l’album. Dans «I’m Sobber Now», l’Old Chap annonce qu’il a arrêté de boire. Mais ce n’est pas le fait qu’il arrête de boire qui rend le cut intéressant, c’est la présence de Mick Ronson on guitar ! Dommage que Ronno ne joue pas sur tout l’album. L’Old Chap part en virée jazz sur le morceau titre et il retourne dans la poussière du Nevada gratter «Steel Bonnets». «Dogs Get More Sense» sonne comme un petit boogie rock anglais inutile. Ça sent le vieux rock anglais qui ne se lave pas souvent, à cause de la rigueur du climat. L’Old Chap revient plus loin à son cher country rock avec «While Dancing The Pride Of Erie». Il domine tous les géants du genre avec une facilité écœurante.

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             Pinnock publie un premier article sur l’Old Chap en 2017, dans Uncut. Il est reçu dans la ferme - a weather-beaten farmhouse - où vivent l’Old Chap et se femme Andru depuis 1972, dans cette région sauvage du Northumberland, juste en dessous de la frontière écossaise. À part la machine à café, tout est ancien dans cette bicoque. L’Old Chap n’a jamais eu d’ordi. Il n’a que des disques, des books et des guitares dont une Martin qui aurait appartenu à Jimi Hendrix. Il est très content d’être resté éloigné du music biz - Don’t overthink things, that’s my motto. I’ve never wanted to be part of the club, the same way I’ve never wanted to move to London - L’Old Chap est un mec de Leeds, pas question de s’installer à Londres - I’m a Yorkshire man, I don’t waste money - Sur scène, il annonce : «Pour ceux qui ne sont pas contents, la porte c’est pas là.» S’il voit que très peu de gens quittent la salle, il se dit qu’il n’a pas été assez clair.

             Ben Thompson voit l’Old Chap comme un self-styled old white blues guy from Yorkshire, qui évoque les heavy-hitters John Renbourn et Bert Jansch, the muscular authority de Jimmy Page et the maverick edge de Roy Harper, sans altérer le moins du monde son own indisputably Chapman-esque character. Mais c’est à Davy Graham qu’Old Chap doit tout : «Davy was the first.» Thompson rappelle aussi qu’Old Chap jouait en première partie d’Emerson Lake & Palmer dans les années 70, qu’il a découvert Mick Ronson à Hull et qu’il a conquis le trône de John Fahey en devenant à son tour the Godfather of experimental rock-guitar (avec Pachyderm). L’Old Chap raconte aussi à Thompson son baptême du feu en 1958 à Leeds : Muddy Waters sur scène avec quatre Fender showman amps et sa Telecaster - It wasn’t just loud, it was the loudest thing ever heard in Leeds - Et bien sûr le public de jazz s’est enfui - These people fled in horror but they should‘ve stayed because it was perfect.

             Dans les années 80, l’Old Chap disparaît de la circulation parce qu’il boit comme un trou - That’s what Andru calls ‘Michael Chapman: The Missing Years’. I was drinking too much, fucking up gigs and being a bit of an arsehole - more than a bit of an arsehole - D’où une petite heart attack en 1990. Il est obligé de retourner jouer dans la bars, ce qui lui convient parfaitement. Il avoue à Pinnock avoir fait sa part de drinking et de doping - But I never went anywhere near hard drugs. Davy Graham went to Morocco and came back well fucked up - Il ajoute que c’était une tragédie - I did gigs with him where he was just stood in the dressing room for an hour laughing at the clock.

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             On attaque ensuite une série d’albums plus tardifs, comme ce The Twisted Road paru en 1999. Comme il enregistre énormément d’albums, il se dilue un peu dans la masse. Forcément on tombe sur des cuts comme «Another Crossroads» qui sont cousus de fil blanc. Il ne s’y passera rien, sauf que ce mec gratte divinement sa gratte, alors ça va plaire aux gratteux. Mais il chante comme un simili Clapton et on bâille à s’en arracher les ovaires. Il traîne sa voix de vieil épouvantail tout au long de l’album. Dommage, car le gratté scintille. Il donne envie d’aller réécouter Ralph McTell. L’Old Chap se fond dans son son comme la noix de beurre dans le poêle. Il n’envisage même pas de décrocher un hit, comme si ça ne l’intéressait pas. Il chante sa pop du pauvre, il crée son petit monde de fortune et ça donne des cuts bien coordonnés et assez puissants comme «All Day All Night». On sent des éclairs de grandeur dans «Memphis In Winter». C’est très intériorisé, au point que les arpèges descendent dans les soutes du son. Alors on admire la tension. Son mélange de chant et d’arpèges crée le buzz, mais il lui faut du temps, environ 7 minutes. Comme il est le seul maître à bord, il décide de tout, surtout des climats. Son «That Time Of Night» frise le Velvet par la pureté de l’intention. Et puis il finit par affecter son chant avec «Full Bottle Empty heart», on perd alors le goût de la pulpe. Il profite de «Cowboy On A Beach» pour danser sur le sable et finit en mode aéroplane d’Americana avec «I Got Plans», mais toujours avec ce chant imparfait qui remet en cause sa crédibilité. Du coup, on ne retient pas grand chose de cet album, dommage car la pochette est belle. On sent trop les limites du système Chappy, ça sent l’usure, ça tourne en rond, pas de magie, pas de mélodie. Il faudra attendre un peu.   

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             C’est la curiosité qui pousse à écouter ses deux albums d’Americana. Rien de plus intriguant qu’un Anglais qui prétend faire de l’Americana. On a déjà vu ce que ça donnait avec Incredible String Band. La vraie question qu’on se pose est celle-ci : à quoi ça sert ? C’est justement pour apporter une réponse à cette question qu’on écoute tous ces mecs-là. L’Old Chap monte bien son coup : ses onze instros sont conçus comme des cartes postales sonores et du coup, c’est passionnant, car ça fonctionne. «A Strangers Map Of Texas» exprime la douceur du temps dans le désert. Dans «Swamp», on entend les crapauds de Mr Quintron. C’est en plein dans le mille. «The Coming Of The Roads» se situe à la croisée des chemins du blues et l’Old Chap en fait un cut assez évangélique. Il nous fait visiter des tas de régions, il devient le roi de la carte postale, il charge bien la barque d’«Indian Annie’s Kitchen» et forcément on entend la sonnette du rattlesnake dans «Rattlesnake». Il nous fout même la trouille avec son bruitage de la mort certaine. Il adore interpréter la mort sur sa gratte. Il colle bien au titre d’«Anything But The Blues», une pure merveille. On sort de cet album éberlué.

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             Il récidive quelques années plus tard avec un Americana 2. Il commence par espagnoliser avec «La Madrugada», il s’y veut limpide et purpurin. Il part en longue dérive de blues pour «Blues For Mother Road» et amène «Apache Creek» à coups de banjo. On l’entend chevaucher dans l’eau, il pousse bien le bouchon des vignettes sonores. Il envoie une belle coulée de guitares dans «Looking For Charlie In Nogales» et sa guitare fait loi dans «White House». Il ressort ses plus gros arpèges et il remonte dans le courant du paradis. Quelle merveille. Il reste dans le grand art avec «Ghosts In The Sycamores». L’Old Chapman impose sa loi. Fully qualified survivor ! 

             Si les Américains l’adulent, c’est sans doute à cause de sa passion pour l’Americana. Steve Gunn dit qu’Old Chap is trying to go for this Big Bill Broonzy style. En fait, il est plus reconnu aux États-Unis qu’en Angleterre : des gens comme Kurt Vile, Bill Callahan et Steve Gunn l’adulent.

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             Il existe aussi trois volumes de Growing Pains. On peut écouter les deux premiers, ça ne mange pas de pain. Ces albums sont des compiles d’enregistrements live et en studio. Il démarre avec une belle cover du «Key To The Highway» de Big Bill Broonzy qu’il gratte à l’ongle sévère, pas de plus bel hommage, il y va, il s’y connaît en ongles secs, et le chant, c’est du bonus. Comme il est blanc, il fait de son mieux pour chanter le blues. Il fait ensuite une âpre version de «See See Rider» et se tape un numéro de virtuose avec «Let Me Go Home Whiskey», il gratte all over la gratte, c’est du cirque, les enfants applaudissent, il gratte tout ce qu’il peut, c’est un forcené. Puis il tape dans «Parchman Farm». Il reste cool, il ne fait pas son Cactus - I’m sitting here in Parchamn Farm/ And I’ve never done no man no harm - Il ressort ses vieux coucous, «Anniversary» et «It Didn’t Work Out» qu’il gratte à l’ongle sévère, et plus loin, il rend un hommage superbe à Tim Hardin avec «Reason To Believe», un hit inexorable enregistré live in Southampton. Globalement, il ne faut rien espérer de plus que du gratté de poux, mais quel gratté de poux ! Il gratte encore tout ce qu’il peut sur «A Scholarly Man». Il revient en studio avec «Here We Go Again» et du coup, il a trop de son. Il passe de rien à tout. Il s’amuse à groover «Dangerous When Sober» comme un punk. Il se veut libre et sans patrie.

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             On continue d’explorer l’Old Chapland avec Growing Pains 2. Il semble parfois vouloir faire exploser l’austérité et il démarre avec une cover du «Rockport Sunday» de Tom Rush. Il ressort son vieux «Andru’ Easy Rider». Comme Fahey, il gratte dans la nature, il explore les possibilités du manche. Il oublie parfois de chanter. Nous restons chez les Presbytériens avec «Not So Much A Garden» : ici pas de mélodie ni de miracle. Il suffit de regarder la bobine d’Old Chap. Ce n’est pas le genre de mec qui rigole. Les Anglais ont ce goût très prononcé par la grande austérité. «Time Enough To Spare» est enregistré live à Southampton en 1969, toujours avec Keef Hartley  au beurre. C’est bardé de guitares aériennes, Old Chap croise le fer avec Ray Martinez. Encore une belle merveille avec «How Can A Poor Man Stand Such Times And Live», un accordéon amène du grain et les chœurs de filles sont un chef-d’œuvre de discrétion. Ah comme les clameurs sont belles ! On comprend qu’Old Chap n’aurait jamais pu devenir une superstar, et c’est tant mieux.  

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             Plaindealer qui date de 2005 grouille d’Americana, enfin de fake Americana. Le meilleur exemple en est «Ramon & Durango» qu’il chante d’une voix de vieux desperado. Il fait aussi un clin d’œil aux Cajuns avec «Bon Ton Roolay», mais il pousse trop sa voix de cancéreux. Ça finit par éreinter la patience. Il démarre avec un «Streamline Train» qui n’est pas celui de Jessie Mae Hemphill, c’est du low mama embarqué au gratté de poux. Il attaque un peu plus loin un délire de 10 minutes intitulé «Anniversary». Il n’a peur de rien, il chante un peu comme Lanegan, le pire c’est que c’est beau et même extrêmement beau, complètement hanté, ce démon d’Old Chap tient bien la distance, et comme il attaque le final en contrefort, on se prosterne. Il amène «Georgia Gibson» aux arpèges du paradis et ça atteint des hauteurs subliminales. Pur Old Chap ! Dans «Deportees», il nous transporte à la frontière mexicaine avec sa voix d’agonisant et ses coups d’acou sonnent comme le glas. Tout aussi excellent, voici «Moonlight Ride», l’Old Chap fait sa mauvaise tête, il chante comme une teigne - Maybe it’s time for desperation - Le pire, c’est que c’est excellent. Il retrouve sa voix de cancéreux pour «Victory & Defeat», on entend sa glotte racler le charbon. Il travaille toujours ce mélange d’ambiance au chant et de symbiose d’acou, comme les autres grands louvoyeurs britanniques, John Martyn et Richard Thompson. On voit soudain l’Old Chap chercher le hit avec «Youth Is Wasted (On The Young)», il chante à la profondeur des mines du Pays de Galles et sa guitare enchante les boyaux. C’est bien éclaté dans la longueur, il chante un peu comme un con mais sa gratte sonne bien, il joue des délicatesses extravagantes et c’est relancé à coups de retours de manivelle.        

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             Quand il enregistre Sweet Powder en 2008, Old Chap a pris un sacré coup de vieux. Il a 70 balais. Il y fait une superbe cover d’«Hi Heel Sneakers», bien noyée sous la purée - Put on your red dress baby - Il s’énerve et devient le roi de la fake Americana, il joue ses classiques jusqu’à l’oss de l’ass. Il refait son desperado avec «A Spanish Incident» qui est en fait «Ramon & Durango». C’est infernal car il a du son, et une niaque de wild guy de la frontière. Même chose avec «Waiting For A Train». Il ressort aussi son vieux «Rabbit Hills», qui date du temps béni de Fully Qualified Survivor. Fabuleux singalong - or is it my imagination again - Il fait son Ry Cooder avec «In The Valley», il gratte son biz, il chante aussi «I Thought About You» à la gorge profonde. Il termine avec «Which Will», dans l’esprit de Steve Earle, il travaille un folk-rock américain chargé de son et d’histoire, à la voix sourde. Il finit toujours par impressionner.

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             Enregistré en 2010, Wrytree Drift est un album intéressant pour trois raisons. Un, «Soulful Lady», ressuscité. Il y fait du Lanegan à l’agonie. Il coule du liquid feel dans le groove et ça tourne à la magie. L’Old Chap sait faire durer le plaisir. Deux, le morceau titre, il y coule son groove aux arpèges de cristal mou, et le solo s’écoule comme chargé de lumière, alors on l’écoute jusqu’au bout, même si c’est long. Pas question d’en perdre une miette. Trois, «So Young», où il plonge dans un deepy deep à la Nick Drake, mais bizarrement, ses eaux troubles restent lumineuses. Il éclaire ça au riffing de vieil apothicaire. L’Old Chap est un mec passionnant, et puis il y a cette omniprésence du gratté de poux électrisé, ça finit par devenir toxique. Et il prend son temps. Chez lui, la notion de temps est fondamentale. Avec «Another Story», il se positionne à la croisée des chemins de Nick Drake et de Lanegan. Haunting presence, dirait un Anglais. L’Old Chap vise les climats, il propose un rare mélange de chant profond et de musicalité. On le voit plus loin gratter tout ce qu’il peut dans «Wish I Was A Twig». Il joue comme un vieux cowboy un peu trop surdoué. Il n’amuse que lui, en fait. Si t’es pas content, c’est pareil. Il nous refait un petit coup de «Parchman Farm» et refait son Lanegan avec «Blue Season». Avec l’Old Chap, ça reste solide jusqu’au bout, il faut le savoir. Inutile d’espérer un cut foireux, il veille au grain du son, il connaît toute les ressources des arpèges, son «Dewsbury Road» est une merveille, il gratte ça à l’exelsior.

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             Attention avec ce Pachyderm paru en 2012 : l’Old Chap propose un cut par face. Le morceau titre est une variation sur un accord gratté dans l’écho du temps, un arpège intermittent. Il crée ainsi une ambiance étrange et au bout de dix minutes, on comprend qu’il ne se passera rien de plus : 24 minutes de variations sur le même thème. Pinnock dit que c’est l’album le plus expérimental d’Old Chap. Toute la difficulté va consister à revendre l’album à un prix correct.

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             En février 2016, Old Chap et Andru prennent l’avion pour New York. Ils se rendent au Black Dirt Studio pour enregistrer 50. Bridget St John qui le connaît depuis 1968 fait aussi partie de l’aventure. «A celebration of Chapman’s half-century career», nous dit Pinnock, «enregistré avec un crack team of American musicians, including Steve Gunn et d’autres.» Et il ajoute : «It’s denser and glossier than much of his work, but that, as he explained, was the point.» Et Pinnock lui donne 9/10. C’est vrai qu’on y retrouve pas mal de vieux coucous, comme le fameux «Spanish Incident (Ramon & Durango)» qui devient ici un heavy cowboy movie - Drinking rough red wine - in a Basque road side bar - As the sun rises just like Lazarus - Power monumental ! L’Old Chap se pend pour Cash, c’est du recuit, mais quel recuit ! C’est avec cet album qu’on réalise à quel point l’Old Chap est bon. Il a de grosses compos, comme ce «Sometimes You Just Drive». Admirable, et même plus qu’admirable, c’est bourré de son et d’espoir, il a de la musicalité plein ses soutes. Les guitares font merveille dans «The Mallard». L’Old Chap y crée de la magie, c’est furieux, fin et racé à la fois, gratté sous le vent, tu as là un son plein comme un œuf, les arpèges génèrent de la magie. Il ramène aussi son vieux «Memphis In Winter», qu’il tape au gratté évangélique. Il développe parfois des heavy grooves sans intérêt («The Prospector»), mais bon, les guitares scintillent sous le soleil de Satan, the guitars first ! Encore un numéro de cirque avec «Falling From Grace», l’Old Chap reste fidèle à son art jusqu’au bout, il fait du Fred Neil en plus grave. Il ramène encore énormément de son dans «That Time Of The Night». C’est l’antithèse du rock électrique, l’Old Chap fait tout à la main, il reste intense, noueux, puissant, concentré, sec et déterminé. Il travaille ses mélodies dans la poudreuse du crépuscule. Dans un vieil Uncut de 2017, Jim Wirth encensait le 50 d’Old Chap. Wirth rappelle qu’en cinquante ans, l’Old Chap n’a pas eu beaucoup de succès, alors cet album est un peu sa revanche. À l’âge de 76 ans, il serait temps. Apparemment, des gens reprennent ses chansons : Bill Callahan, Ryley Walker et Kurt Vile. C’est justement le guitariste de Kurt Vile, Stev Gunn, qu’on retrouve sur 50.   

             Old Chap confie à Pinnock qu’il n’était pas très content du mix de 50, «but Andru talked to me». Pour éclaircir son point de vue, il ajoute : «Il y a deux façons de mixer un enregistrement : you can put everything flat across the front, which I always do, or you can make it very dense, and that’s 50. It’s just a different way of mixing records.» 

             Mais en fin de conversation, l’Old Chap avoue qu’il ne s’en sort pas très bien - I’m trying to take it easy, but I’m not doing very well - Il avoue être resté un sale caractère, a really bog-bottom working-class bloke - Si un mec m’appelle pour jouer en concert, j’hésite à lui dire non de peur qu’il ne me rappelle pas.   Pinnock qui ne rate pas une seule occasion de faire l’intéressant fait remarquer à l’Old Chap qu’il a enregistré énormément de disques. Pour amener de l’eau au moulin d’Alphonse Pinnock, l’Old Chap sort une petite anecdote : «Quand j’étais en tournée avec Bill Callahan, un mec au Troubadour m’a dit que Bert Jansch enregistrait un album tous les dix ans et moi un album toutes les dix minutes. Et j’ai répondu : ‘Well I like doing it.’» Et il ajoute, d’une voix sourde : «I love playing. I’ve never used a setlist, I’d be bored to tears. That’s the point in playing solo to me, there’s no restriction. All there is, is freedom.» La liberté, c’est tout ce qui compte.

    Signé : Cazengler, Michael Chapelure

    Michael Chapman. Disparu le 10 septembre 2021

    Michael Chapman. Fully Qualified Survivor. Harvest 1970

    Michael Chapman. Wrecked Again. Harvest 1971

    Michael Chapman. The Twisted Road. Mystic Records 1999 

    Michael Chapman. Americana. Siren Music 2000

    Michael Chapman. Americana 2. Moonscrest 2006 

    Michael Chapman. Growing Pains. Moonscrest 2000 

    Michael Chapman. Growing Pains 2. Moonscrest 2001 

    Michael Chapman. Plaindealer. Rural Retreat Records 2005          

    Michael Chapman. Sweet Powder. Rural Retreat Records 2008

    Michael Chapman. Wrytree Drift. Rural Retreat Records 2010

    Michael Chapman. Pachyderm. Blast First Petite 2012

    Michael Chapman. 50. Paradise Of Bachelors 2017

    Michael Chapman. The Decca Years 1974 to 1977. Moonscrest 2021

    Jim Wirth : 50. Uncut # 237 - February 2017

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    Ben Thompson : Hanging tough. Mojo # 279 - February 2017

    Tom Pinnock : Fully qualified survivor. Uncut # 238 - March 2017

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    Tom Pinnock : Fully qualified outsider. Uncut # 295 - December 2021

     

                                       Inside the goldmine

                                      - I’m not like Everyother else

                Nous étions deux frères et en ce temps-là notre jeu favori consistait à épier les allées et venues nocturnes des gens du village. Nous nous cachions la nuit dans les dunes. Ces mystérieux déplacements embrasaient nos imaginations au point que nous sentions germer en nous une vocation de bandits de grand chemin. Pour l’heure, nous nous contentions de revêtir les panoplies de mamelouks que nous avait offertes l’oncle Oussama au retour d’un voyage à Constantinople. Une nuit, nous vîmes arriver à dos de mule cet homme qu’on connaissait. Son visage en forme d’amphore et son fort accent méridional nous faisaient beaucoup rire. Il transportait amarrées au collet de la mule deux immenses jarres en terre cuite. Nous décidâmes de le suivre discrètement. Bien que cheminant dans le sable, il avait enveloppé de chiffons les sabots de la mule, ajoutant du silence au mystère de son équipée nocturne. Les gens le connaissaient sous le nom d’Ali Baba. La pleine lune nous permettait de le voir comme en plein jour. Il se retournait régulièrement pour vérifier qu’il n’était pas suivi. Il devait couver un bien grand mystère pour rester ainsi sur ses gardes. Il arriva enfin au pied d’une falaise. Il descendit de la mule et alla déplacer les buissons d’épineux qui semblaient masquer l’entrée d’une grotte. Puis il prononça une phrase étrange : «Sésame ouvrrre-toi !». Nous entendîmes un horrible grincement et Ali Baba s’engouffra dans une bouche d’ombre. Nous allions nous endormir lorsqu’il reparut. Il remonta sur sa mule et fit demi-tour. Bizarrement, il repartait avec ses deux jarres en terre cuite. La nuit suivante, nous nous rendîmes à la falaise, écartâmes des buissons d’épineux et prononçâmes la phrase mystérieuse. Nous nous engouffrâmes à notre tour dans la bouche d’ombre. Fixées aux murailles, des torches éclairaient nos pas. Nous descendîmes quelques marches et débouchâmes dans une vaste pièce circulaire. En son centre trônait un autel de taille modeste. Nous nous approchâmes. Il s’y trouvait posé un petit objet carré et noir sur lequel figurait en lettres rouges le mot Everyothers. Nous ne pouvions pas nous douter que ce mot allait bouleverser notre destin. 

     

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             D’autres victimes de ce sortilège le confirmeront : on ne ressort pas indemne de l’écoute d’un album comme celui-ci. The Everyothers date de 2003, donc de vingt ans, mais il reste d’une sidérante actualité. «Can’t Get Around It» te concasse l’office. Le cut dégage une haleine brûlante, à la fois Pistols, Beefheart et Stooges, c’est aussi le souffle du glam de Bowie, welcome in the demented back alleys du rock, chasin’ around yeah, chasin’ around yeah !

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    Le mec qui préside aux destinées des Everyothers s’appelle Owen McCarty et il se dresse comme l’apôtre du heavy glam. Il emboutit l’art au cul pincé, il donne l’extrême onction du glam dans sa représentation la plus extrême, Surprise Surprise, ce mec claque sa chique à la démesure, sur fond d’arpèges de la mort. Il chante «Make Up Something» sur une terrasse à peine voilée face à la vallée. Il chante le power du monde, ça ne demande qu’à exploser, là-bas, au loin, sous l’horizon, comme chez Adorable. Mais il décide de tout fracasser avec «Like A Drug», la violence l’emporte sur la beauté, il descend sur le râble du chant avec un aplomb terrifiant. Il trempe dans le heavy dudisme. Après les heavy dandies, voici venu le temps des heavy dudies. Ce mec en plus en a la gueule. Hey ho ! Il embarque tout dans sa dérive totalitaire, il explose cet album-sortilège cut after cut. Il s’arrache à la démesure avec «Get Down Soon», heavy glass de beautiful glam. Il se bat au ceinturon, il rugit comme un lion blessé, il claque sa chique à l’inespérée. Mis à part Johnny Rotten et Iggy Pop, personne n’atteint de tels sommets. Il claque son beat à la porte d’airain, il invente de nouvelles arcanes. Il traîne «Break That Bottle» dans le déjà connu, il chante ça par dessus bord, il jette sa Bottle au loin, beaucoup plus loin que tu n’imagines. Fuckin’ genius ! Il dispose des perceptions de l’inception, il a plus d’espace devant lui que Bowie n’en eut jamais, il est dans l’art de l’exponentiel, dans le gusto collectiviste. Il revient au heavy groove avec «In My Shoes», mais à ce stade il n’a plus rien à prouver. Il vole tranquillement au dessus du nid de cocos et s’en va allumer les putes de fin de cut. Il incarne le rêve des pères fondateurs. Il surplombe l’art élégiaque. Il est l’Everyother, l’emblématique. Il emmène son monde jusqu’au bout et lance un goodbye déchirant dans «Dead Star». Il n’en finit plus de se barrer.

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             Alors après, tu n’as plus que tes yeux pour pleureur. C’est-à-dire qu’il n’existe plus que des singles. Il faut savoir s’en contenter. En 2006, il en paraît deux, Like A Drug et Pink Sticky Lies. «Like A Drug» sort de l’album, mais c’est bien de pouvoir l’écouter sur un single. Owen McCarty casse bien sa baraque, il chante au revienzy, avec cette hargne spectaculaire qui regorge de brio. De l’autre côté, «Whatever You Want» rivalise de monstruosité. Ça bat aux forges de Vulcain. Owen McCarty harangue le rock avec une classe écœurante, il va plus loin que tous les autres dans l’edgy, il module ses syllabes dans les flammes. Il est le maître des enfers miam-miam.

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    L’autre 45 est un quatre titres. Ouverture du bal avec un «Too Far» bombardé de son, Owen McCarty se refait croisé du yeah yeah yeah, ça monte vite en neige, croyez-le bien, c’est excellent, mais comme tout ce qui est excellent, ça n’intéresse plus grand monde. L’indifférence et la médiocrité ont fini par avoir la peau des grands chanteurs de rock. Owen McCarty continue néanmoins de rocker son lard avec «Drive With You», un extraordinaire pulsatif digne d’entrer dans les annales. Il n’en existe pas beaucoup d’équivalents dans le monde moderne. Alors tu écoutes ça, tu te dis : ah tiens, voilà un chanteur exceptionnel, et tu te poses la question : mais enfin, pourquoi n’est-il pas célèbre ? Serait-il trop énorme ? Ce fabuleux meneur embarque ensuite «Pink Sticky Lies» à l’assaut du ciel et il finit en bon maître de cérémonie avec «A New Inebriation», l’occasion pour lui de ramener une dégelée de bon vieux glam, comme s’il voulait faire un petit cadeau aux inconsolables.

    Signé : Cazengler, everyjobard

    Everyothers. The Everyothers. Sidecho Records 2003

    Everyothers. Like A Drug. Kill Rock Stars 2006  

    Everyothers. Pink Sticky Lies. Kill Rock Stars 2006

     

    L’avenir du rock

    - Harding moussaillon !

             Laissé pour mort dans le désert, l’avenir du rock revient à lui. Il parvient à se relever et à se remettre en marche. Lui revient alors en mémoire l’apparition de Lawrence d’Arabie. Au fond, il n’en veut pas à Lawrence de l’avoir abandonné. Lawrence le croyait foutu. À sa place, on aurait tous fait la même chose. Il se dirige vers le soleil couchant. Il marche toute la nuit en claquant des dents et au lever du soleil, il aperçoit soudain dans le ciel deux hommes volants. Ils sont face à face et le plus fort serre l’autre dans ses bras. L’avenir du rock leur fait signe, Ohé ! Ohé ! Ils approchent et atterrissent à la verticale. L’homme aux cheveux rouges qui transportait l’autre en le serrant dans ses bras lâche son passager et se tourne vers l’avenir du rock :

             — Qui es-tu ?

             — Je suis l’avenir du rock...

             — Ta place n’est pas ici !

             L’homme aux cheveux rouges est torse nu. Il porte sur la poitrine une plaque d’acier attachée par le cou. Des versets en langue arabique y sont gravés. L’homme fixe l’avenir du rock d’un air mauvais :

             — Hé bien, avenir du rock, pourquoi ne trembles-tu pas ? Ne sais-tu pas que je suis un démon ?

             L’avenir du rock éclate du rire. Trop d’incongruité. Décidément, ce désert réserve bien des surprises !

             — Et pourquoi devrais-je vous craindre, monsieur le démon ?

             — Tu ne sais donc pas ce que sont les démons des Mille et Une Nuits ? Regarde bien, avenir du rock, je vais Pasoliner Shahzaman !

             Le démon se tourne vers le jeune homme brun et tend la main vers lui, le transformant en singe. Le démon éclate de rire, alors que le singe s’éloigne en jappant.

             — Alors me crains-tu à présent ?

             — Franchement, je ne comprends pas votre logique, monsieur le démon. Vous vous croyez malin mais vous Darwinez à l’envers ! Ôtez-vous de mon chemin, vous me décevez.

             Fou de rage, le démon tend la main vers l’avenir du rock :

             — Je vais te Darwiner dans le bon sens, misérable !

             Il transforme l’avenir du rock en Curtis Harding.

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             Tout est bien qui finit bien, car Curtis Harding repart dans le désert avec une guitare sur l’épaule et des grandes lunettes noires rococo sur le nez. Curtis ne le sait pas, mais il doit une fière chandelle à Pasolini. Basé à Atlanta, Curtis a enregistré trois albums en sept ans, trois albums très différents et tous très passionnants. L’idéal serait d’y mettre le nez.

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             Pas d’infos dans le digi du Soul Power paru en 2014, mais Curtis est là. C’est l’essentiel. Il approche de ses cuts avec des mains baladeuses : très spécial, «Castaway» sonne comme un cut de pop aventureuse qui ne doit rien à la Soul, mais ça reste une pop black. Big présence. Curtis sait exactement ce qu’il veut. Il drive son biz à la black, parfois Soul, toujours Harding, sur un beat énorme digne du Spencer Davis Group («Keep On Shining»). Ça devient vraiment passionnant avec «Freedom». Curtis échappe à tous les cadres, il vise le groove électrique. Il devient une mine d’or avec «Surf». C’est aussi infernal que le Nathaniel Meyer de «White Dress». Il tape dans le white power et ça devient monstrueux. Ce «Surf» est une merveille terrifique, bardée de Detroit sound et de solos. Curtis est un black God tatoué dans le cou. Il crée une ambiance énorme avec «I Don’t Wanna Go Home». Il fait du rock de blancs. Avec «The Drive», il vise la grandeur incommensurable, il devient une sorte de prince de la pression, une pression qu’il gère à la main lourde. C’est puissant et convaincu d’avance. L’album devient fantastique avec «Heaven’s On The Other Side», un drive sa Soul sur un diskö beat des meilleurs auspices. Curtis est un punk, il faut le voir shaker son «Drive My Car», il joue le jeu, Curtis is the king, en fait il se prête à tous les jeux - I just want to drive/ My/ Car - Ça joue au boogie rock des blancs, il s’engage dans un délire compliqué. Impossible de comprendre pourquoi l’album s’appelle Soul Power.       

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             Trois ans plus tard paraît Face Your Fear. Torse nu sur la pochette et groove avec le morceau titre. Il va sur une Soul plus ambitieuse, très belle, gorgée de son et d’horizon, it’s okay - Just face your fear - C’est un maître chanteur assez powerful, il mène une sacrée farandole, c’est le groove du Marvin des temps modernes. Puis il enchaîne trois énormités : «Go As You Are», «Till The End» et «Need Your Love». Il lance sa Soul avec des accords de reverb et des tablas, il se paye toutes les audaces, il devient le futur de la Soul - Go as you are/ Don’t come back the same - Il va chercher le meilleur groove pour «Till The End», les filles répondent comme elles peuvent. Curtis a le power, mais un power contenu, et c’est claqué aux guitares de Los Angeles. Il transforme son album en aventure extraordinaire, c’est le nouveau défi, les blackos prennent le pas sur les blancs, Curtis y va à l’énergie maximaliste d’I need your love baby, c’est du Stax moderne géré au break de basse demented, il surfe sur une vague de rêve. Pas de meilleur power ici bas. Il passe au gratté d’acou pour «Welcome To My World», c’est très blanc dans l’essence, il va cependant droit sur Terry Callier au chant de swing absolu, il se fond dans l’excellence d’une Beautiful Song, il chante à mi-voix et crée de l’enchantement. Il chante son «Dream Girl» à la levrette sur un heavy bassmatic de rêve et il se montre assez heavy dans l’expression du Harding avec le «Wednesday Morning Atonement» d’ouverture de bal. Il se fond dans sa psyché psychique d’excellence, il crée son monde, c’est aussi âpre que les falaises de marbre, il va même chercher des développements de prog. La belle Soul de «Ghost Of You» colle bien à la peau, chantée à la clameur des copains avec de belles chutes de tension. Il fait une Soul sensitive, il vise l’éclat mordoré, son I know est un chef-d’œuvre d’emprise. Puis il va chercher la grandeur à la force du poignet avec «Need My Baby». Il ramène des élans somptueux, il vise l’éhontée cabalistique, le sommet du lard fumant. Curtis Harding a du génie, qu’on se le dise.     

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             Pour la promo de son troisième album, Duncan Fletcher se fend d’une belle double dans Shindig!. Il indique - ce qu’on savait déjà - que Curtis propose un mix capiteux de vintage funk, R&B, symphonic Soul, psychedelic rock, rap and hip-hop. Fletcher rappelle que Curtis vient du Michigan et que sa mère chantait le gospel in the Menmonite church. Quant à son père, il fricotait avec des gens du Tennessee comme BB King, Isaac Hayes and all these guys. Côté influences, Curtis cite Curtis, forcément, le Mayfield de Chicago, et Sly Stone - He had the funk, he had the rock, Soul gospel, he had everything - Deusner refait deux pages sur le troisième album de Curtis dans Uncut. Il parle cette fois d’une «fantasia of sound, intricately arranged and produced, qui change en permanence et qui saute d’une idée à l’autre, pleine de références historiques et d’odball sons sortis de son imagination». Cette fois il parle d’un mix d’«old school Soul, private-press R&B, trippy psych rock, soft jazz, hard funk, catchy pop, gospel, rap and everything in between».  Deusner situe Curtis dans la vague du Soul revival qui a émergé dans les années 2000  et bien sûr il cite Leon Bridges et les Boulevards de Caroline du Nord. Quand Deusner écoute Curtis, il entend l’autre Curtis, celui de Chicago, Mahalia Jackson, Parliament, Pink Floyd, Miles et Stevie. Pardonnez du peu. Après avoir circulé dans le Gospel circuit avec sa mère, Curtis s’est installé à Atlanta où il a commencé à fricoter avec Mastodon et les Black Lips. 

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             Le titre de son troisième album, If Words Were Flowers lui vient de sa mère qui lui disait : «Give me flowers while I’m still here.» Du bon sens près de chez vous. Première énormité avec le morceau titre en ouverture de bal. Curtis tape dans la Soul avec des moyens énormes et il t’embarque aussitôt. Il crée un Wall of Sound superficiel, mais ça fonctionne, car la trompette relaye, et quand la trompette va, tout va. Il fait ensuite un peu de hip-hop avec «Hopeful» et revient au big r’n’b avec «Can’t Hide It». Des filles entreprenantes le rejoignent très vite, Curtis adore les filles entreprenantes, il adore aussi le fast drive de big day out et l’ensemble donne une énormité bien envoyée. Curtis veille à rester dans un r’n’b bien identifiable. Il ne brûle pas les ponts comme l’autre bridgeur de Leon. Il s’aventure aussi dans des territoires inexplorés, ceux du groove moderne («Explore»), et plus loin, il essaye de créer l’événement avec «The One Camp», mais il faut se lever de bonne heure pour créer l’événement. Pourtant son baby I’m the one sonne bien. Il faut attendre «Forever More» pour retrouver un peu de viande. Il revient en force - Can’t keep my cool - et renoue avec l’éclat de son Soul Power, cette douce arrogance soulignée par un solo de trompette. Il travaille l’«It’s A Wonder» à la caverneuse d’oh yeah et termine en beauté avec «I Won’t Let You Down», un puissant heavy groove de prévenance - Take your time/ Don’t worry baby - Curtis accorde du temps au temps, la sagesse vient du black power, comme chez Isaac le prophète, et c’est en place, alors on peut parler d’un Curtis Power.

    Signé : Cazengler, Curtis Radis

    Curtis Harding. Soul Power. Burger Records 2014     

    Curtis Harding. Face Your Fear. Anti- 2017          

    Curtis Harding. If Words Were Flowers. Anti- 2021

    Duncan Fletcher : In with the love crowd. Shindig! # 121 - November 2021

    Duncan Fletcher. Chronique d’ If Words Were Flowers. Uncut # 295 - December 2021 

    *

    Mal m'en a pris. Le deuxième album de Grey Aura m'ayant séduit ( voir KR'TNT ! 539 du 20 / 07 / 2021 ) j'ai décidé de chroniquer leur premier opus. Mes connaissances en néerlandais sont limitées, surtout quand il s'y mêle, d'après ce que j'ai compris, des mots d'un dialecte néerlandais d'origine belge, et vraisemblablement des mots de vieil Néerlandais. Le lecteur devra me pardonner mes hypothétiques approximations.

    Ce disque évoque Barentz qui à la fin du seizième siècle entreprit de trouver le passage du Nord-Est qui raccourcirait le voyage vers l'Inde, en passant au nord par les eaux du cercle polaire... La pochette évoque le moment crucial, où la mer se charge de glace nous   aurions préféré la toile Mort de Barentz (voir plus bas ) de Christiaan Julius Lodewyck Portman peinte en 1896.

    Le disque se présente sous la forme d'un double album enregistré en 1913 et 1914. Il est paru en novembre 2014. Il existe de par le monde un nombre important de concept-albums. Dans beaucoup de cas, les artistes traitent le thème projeté sur trois ou quatre morceaux et rajoutent quelques titres qui n'ont pas beaucoup à voir avec le projet. Ici chacune des  plages décrit une des étapes du périple du navigateur  Willem Barentz  ( 1550 – 1597 ) qui y laissa la vie... Le lecteur français se rappellera un des premiers Voyages Extraordinaires de Jules Verne : Les aventures du Capitaine Hatteras.

    ( Waerachtighe beschryvinghe van drie seylagien, ter werelt noyt soo vreemt ghehoort )

    VERITABLE RELATION DU TROISIEME VOYAGE

    DE WILLEM BARENTZ

    AUX CONFINS DU MONDE GLACé

    GREY AURA

    ( Blood Music / Novembre 2014 )

     

    TJEBBE BROEK :  guitar, percussion, bruitage, synthesizer, Spanish guitar / RUBEN WIJLJACKER :  vocals, lyrics, guitar, percussion, foley, synthesizer, mixing / BAS VAN DER PERK : drums, percussion  / 

    Voix : Menno de Groot : Gerrit de Veer ( officier qui a participé au troisième voyage et qui en a laissé un récit ) / Arie Vermeer : Willem Barentz / Eric van Esch : Jacob van Heemoherck  /  Maxim Slepier : matelot russe / Korn Makkelie : voix diverses.

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    Prologue : un clapotement de batterie, scène de film, manifestement les préparatifs, deux navires à quai,  bruits divers, cheval, voix, on ne comprend rien, on imagine, des pas sur la dunette, une grosse voix autoritaire, le Capitaine s'adresse à son équipage, les prévient que la navigation ne sera pas des plus simples. Vers le Nord : sans préavis une musique ample et lyrique nous enveloppe, la tension monte, le chant comme un chœur de marins englué dans la pâte musicale, mais la voix devient sinistre, ils étaient partis la rage de vaincre chevillée au corps, ils n'ignoraient pas l'importance et la témérité de l'entreprise, mais le soleil se voile, la brume les entoure, le voyage continue, au loin de merveilleux cygnes blancs apparaissent, les icebergs ne sont que les signes avant-coureurs de la banquise qui s'étend à l'infini sur laquelle il ne faut pas se fracasser, Barentz navigue au plus près pour éviter les dangers, ce n'est pas encore la peur, mais s'instille un sentiment d'incertitude, la partie s'avère plus difficile que rêvée, entre deux périls une certaine monotonie marquée par le rythme qui se scande, le courage revient dès qu'il faut faire face, les voix se sont tues, le navire glisse dans la brume, il a échappé à la barrière de glace, des riffs de guitare mélodramatiques sont de plus en plus en plus inquiétants, au loin apparaît une terre que l'on devine inhospitalière. L'île aux ours : l'appel de l'aventure éblouit le cœur des hommes, la musique défile à toute vitesse, un chant immense soulève les âmes, pourtant la terre est toute blanche, désertique sans arbre, qu'importe on descend un canot qui fonce vers les falaises sans ouverture, l'on parle, l'on n'en pense pas moins, rugissements du vent dans lequel planent des oiseaux tempétueux, rien de bon ne peut survenir de ce monde blanc et froid comme un immense cadavre, souque, souque matelot, droit devant, nous sommes dans un opéra symphonique, la musique emporte tout sur son passage. Keerwijck : souffle le vent, imperturbablement, le bateau avance, des oiseaux crient, l'on discute âprement, quelques arpèges de piano et un récitant qui conte le long voyage qui ne mène nulle part... Dispute : roulements de tambour il a fallu retourner, les esprits se tendent, musique implacable, entre les deux bateaux un désaccord surgit, faut-il monter encore vers le nord ou tourner vers l'ouest, lyrics grondeurs chargés de colère, qui l'emportera, aucun des deux, chacun suivra sa route, une brume épaisse recouvre les deux navires, chacun ira vers son destin. Le vent soufflait : la musique se traîne mais avance gaillardement, tout comme le navire qui tire bordée après bordée, l'important est de tenir le cap sans se décourager, parfois des champs de glace se forment mais l'étrave du bateau peut encore les disloquer, tenir, tenir, devant l'immensité nordique qui recule sans cesse au fur et à mesure que l'on avance, des géants de glace se dressent à l'horizon, la tension est à son comble, chant d'équipage rugissant et musique expressionniste, ils ont louvoyé, ils sont  passés entre les iceberg, terre en vue. Le vent souffle. L'île de la Croix : juste le vent, des voix qui interpellent le chef, des bruits de pas crissent dans la neige. Cet opéra rock est construit comme une opérette ( le mot ne convient guère ). Les fragments parlés ne font pas progresser l'action, sont distribués comme de très courts plans qui font la jonction entre deux scènes d'un film. La côte de la Nouvelle Zemblie : le vent toujours, le vent sans cesse, la musique n'est plus qu'une plainte lugubre, un mur de glace les entoure, la tempête se lève, dans ce chaos de glacier illustré par un feu de guitare Barentz tente une manœuvre désespérée, le navire est arrimé derrière un énorme morceau de glace qui le dépasse de plusieurs mètres, sans doute la mer poussera-t-elle les immenses glaçons vers le Sud, ils doivent se rendre à l'évidence leur glaçon est plaqué contre la banquise et ne bouge plus, la mer de glace s'écoule mais eux restent collés et immobiles. Les voici bloqués contre  la côte de la Nouvelle Zemblie, cette île interminable qui longe la côte russe. Une mer glaciale : ( vocal : Wessel Reijman ) : la musique s'est faite glace, elle glisse sans fin, ils se sont détachés de leur ventouse, le vent souffle et les voici en pleine tempête, tantôt vers le sud, tantôt vers l'est, ils aimeraient passer de l'autre côté de l'île de la Nouvelle Zélinde  mais ils sont obligés de descendre vers la côte russe à des centaines de kilomètres au nord de Saint-Pétesbourg, les rivages sont inhospitaliers, pas d'ours ou d'oiseaux à chasser, la musique s'affole, le temps presse, l'hiver n'est plus très loin, la musique se hâte, il faut se sortir du piège au plus vite, mais les éléments seront plus forts qu'eux, l'on n'entend plus que le vent, la glace qui s'entrechoque, la mer qui se ferme, le piège qui se transforme en nasse, la main inexorable du destin qui se referme sur eux en une immense clameur silencieuse. Intermède I : givre : ( violon : Sagitte de Ruich ) : musique moqueuse, le violon chante, malheur au vaincus, les cordes du violon grésillent, givrées, glacées, intermède ironique. Le rire de la mort annoncée. La cabane de survivance : est-ce le vent, sont-ce des hommes surgis de nulle part, ils sont descendus à terre, c'est le dernier combat pour la survie, avec des troncs d'arbres arrachés à la Sibérie qui ont dérivé avec les glaces du printemps, ils ont construit une cabane, précaire abri contre le froid, le gel, et le vent, musique violente, hyper-violente, lorsqu'elle s'arrête c'est pour reprendre sa course encore plus forte, encore plus violente, brutale, la voix explosive roule comme des trombes de neige hurlantes, elle devient insistante, il faut qu'elle peuple le silence de la mort qui avance à pas feutrés. Superbe morceau. Pays des ombres blanches. Sans fin. Monotonie et isolement : le vent encore et toujours qui déferle, emballement des guitares, ils se battent avec l'énergie des ours polaires, ils tentent d'améliorer leur cabane quitte à cannibaliser le navire, la plainte longue et monotone du vent qui souffle le froid et la mort, voix haletante, il  faut tenir coûte que coûte même s'ils ne sont plus que des fantômes essouflés, sous la froide lumière des étoiles, le vent et une voix sépulcrale qui raconte leur souffrance et leur combat, la musique forte et interminable se confond avec le vent, puis elle reprend et s'enfuit comme si elle savait comment tout cela se terminerait, et l'on murmure à nos oreilles des mots que nous ne comprenons pas mais dont nous n'ignorons pas le sens. Froid hivernal : juste le vent, des voix, l'une qui rit et se moque, l'autre qui se fâche.  Tricherie : musique glissante, gelée, une lueur rouge quelque part à l'horizon, annonce du printemps, le courage est là, il faut partir, avec des traineaux, surtout ne pas laisser le froid s'appesantir sur les corps, l'espoir et la joie propulse les instruments, même lorsque l'on stoppe pour reprendre souffle, l'espérance aiguillonne les hommes et les galvanise. Course vers le soleil, course contre la mort, se rapprocher du rivage, ne plus traîner, faire vite, la survie est là devant, il suffit de bander encore ses forces en un effort surhumain. Ce n'est plus le vent qui souffle mais la voix qui porte le souffle de la vie. Intermède II : Mer ouverte : intermède joyeux et bruit de vague, la mer est libre, mouvement de valse. La délivrance approche à grands pas. Arpents de glace : le navire a repris sa course, il vogue vers le nord et longe la Nouvelle Zemblie, la musique scintille, les cœurs débordent d'appétit de vire, bientôt ils doubleront le cap nord de l'île, ils seront vraiment sur le chemin de retour, il suffira de pointer vers l'ouest. Maladie : voix off, ils sont épuisés par le scorbut, la fin est proche... Absence de tout confort : ( vocal : Wessel Reijman, paroles du poëte national hollandais Hendrik Tollens 178o _ 1856 ) ) : musique dramatique, les éléments se déchaînent, les voici perdus, il n'y a plus de jour, il n'y a plus de nuit, juste un labyrinthe sans fin, des icebergs disloqués s'acharnent autour du bateau, il faut rejoindre le rivage, au prix d'un effort surhumain, ils y parviendront, mais l'épuisement les étreint, Barentz ne survivra pas, ses hommes le veillent. Il s'éteint. Il ne leur reste plus qu'à joindre leurs mains pour prier.

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    La voix s'égosille, elle conjure les éléments, rien n'y fait, le monde s'est empli de chaos, personne ne saurait s'y opposer. Ils ont lutté jusqu'au bout.

    Avouons-le ce premier opus de Grey Astra ne vaut pas leur deuxième album Zwart Vierkant. Un sujet original certes, mais traité d'une manière trop narrative. Un concept ne se raconte pas, il se déploie. Les intermèdes musicaux et parlés sont de trop. Ils entrecoupent l'audition de temps morts. Les morceaux violents n'en auraient eu que plus de force. Le son est totalement différent. La batterie n'est pas ce cheval fou qui mène le train sur l'ouvrage suivant. Dans ce disque c'est la voix des chanteurs qui joue ce rôle, c'est elle, rauque, lyrique, et récitative qui fomente les splendeurs orchestrales, aussi puissante à elle-seule que le chœur des matelots dans Le vaisseau fantôme de Wagner.  Une espèce d'orocktario, Un de  ces monstres antédiluviens surgis des abysses de la mer échoué sur les plages du black-metal.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 7 )

     

    BIG BAND AU CASINO DE PARIS

    EDDY MITCHELL

    ( Spectacle du 14 au 18 décembre 1993 )

    ( Polydor / 1995 )

    En 1995 Eddy Mitchell sort en même temps une triplette de trente-trois tours enregistrés en public. Le volume I,  je vous causerai je ne sais pas quand des deux suivants, un autre jour, peut-être, je ne suis pas un fanatique des disques live de Mitchell, trop glacés, trop déconnectés de l'ambiance de ses spectacles, qui ne donnent pas l'impression d'être vivants, un peu comme ces mammouths congelés que l'on arrache du permafrost sibérien, surtout à ne pas comparer au Palais des Sports de Paris de 1967, sur lequel la clameur insensée du public rendait inaudible l'orchestre et la voix de Johnny Hallyday. Ce Big Band au Casino de Paris, n'a pas marqué les mémoires, peut-être parce que le titre qui sonne un peu trop jazz a dû effrayer les fans amateurs de rock 'n' roll. C'est justement ce parti-pris je marche hors les clous et je piétine des plates-bandes peu fréquentées par les rockers purs et durs qui nous ont séduit. Les fans de rockabilly se souviendront que le leader des Stray Cats avait entrepris dès 1990 avec son disque Brian Setzer Orchestra une démarche similaire. Les rockers ne devraient jamais vieillir ou retomber en enfance en se souvenant des disques Louis Prima ou Franck Sinatra que les adultes ou leurs parents écoutaient lorsqu'ils étaient mômes...

    C'est très dur de rester rocker jusqu'au bout des ongles toute sa vie. Eddy Mitchell en est un parfait exemple. Passé la mi-temps de la trentaine ses textes évoluent, ils deviennent moins punchy, moins rentre-dedans, plus désabusés, un désenchantement psychique qu'il camoufle sous un vernis grinçant de sociologie hâtive, qu'il cache sous couvert d'humour. Non pas noir. Gris. En demi-teinte ironique. Ce qui ne l'empêchera pas encore d'écrire quelques lyrics percutants, mais qui n'ont plus rien à voir avec l'insolence débridée des années soixante.

    Dix-sept musiciens, nous faisons suivre leur nom d'une de leur autre activité   musicale afin de les situer dans le paysage musical français :

    Saxophones : Michel Gaucher, ténor, vieux complice des aventures mitchelliennes / Bruno  Ribera, ténor, Champs Elysée Orchestra / Patrick Bourgouin, alto, Orchestre de Jean-Claude Petit / Pierre Holassian, alto, Swing Family /  Gilles Meloton, Baryton, Grand Orchestre du Splendid.

    Trombones : Guy Arbion, bass, Paris Jazz Band / Bernard Camoin, Ornicar Brass Band / Jean-Louis Damant : Nicole Croisille.

    Trompettes : Eric Gousserand, Claude Nougaro / Kako Bessot, Swing Family / Michel Ragonnet, Ensemble Erwarton / Pierre Dutour, Claude Bolling Sextet.

    Keyboards : Yves d'Angelo, Michel Jonaz QuartetDrum : Kirk Rust, Dider Lockwood. Eectric bass : Evert Nerhees, musique de films.

    Electric Guitar : Basile Leroux, Jean-Pierre Danel / Jean Michel Kadan, David-Calvet-Kadjan.

    Chaque titre est suivi du nom de l'album dans lequel Mitchell l'a pioché, précédé de sa date de parution. On s'attendrait à ce que le disque débutât par Choco Choco Boogie espion bidon,  qui terminait l'album Made in USA ( 1975 ) reprise de Choo Choo Ch'Boogie de Louis Jordan ( interprété entre autres par Bill Haley ). Mais non, Mitchell ne s'est pas trop fatigué, l'a choisi ses titres parmi ses albums précédents, se contentant de modifier l'orchestration, ce qui donnera souvent à ce live censé être un hommage aux Big Bands, une allure beaucoup moins swing qu'attendu et pas plus proche des petits combos de rhythm 'n' blues d'après-guerre de Kansas City...

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    Je fais le singe ( Intro ) : ( 1978,  Après Minuit ) : cuivre + batterie, c'est parti, en voiture Simone, on eût aimé une fanfare annonciatrice digne des tonitruances de Bayreuth, mais non, ce n'est qu'un groove  d'une minute proprement emballé mais un peu passe-partout. Comment t'es devenu riche : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : là y-a tout ce qu'il faut, une voix creuse et fluide qui ricoche sur les encoches cuivrées, et l'orchestre qui ruisselle de partout avec des cristaux de guitare éparpillés, des solos dans les coins, des draperies de trombes de trombones qui nous la sortent bonne et drue, plus un chorus de fin à repeindre la tour Eiffel en vert pomme. Y-a pas de mal à se faire du bien : ( 1993, Rio Grande ) : encore mieux, on critiquait l'intro, tout ce qui manquait nous est donné, ce grand déploiement de cuivres qui resplendit tel un soleil de midi, il triche un peu le Schmoll, l'a mis du blues dans son swing, sa voix ne flotte pas, elle pèse une tonne et blues oblige l'on nous sert un solo de guitare, un truc à vous déboucher les oreilles, d'autant plus que de de temps en temps vous recevez de grandes claques de trompettes à travers la gueule, survient un cri de rocker, faut lui pardonner ça lui a échappé, deuxième giclée de guitare, et l'on finit sur un écroulement de ferraille qui fait du bien. Fauché : ( 1964, Toute la ville en parle... Eddy Mitchell est formidable ) : le seul titre issu de la première moitié des années soixante, pas n'importe lequel, vraisemblablement la meilleure adaptation du grand Schmoll jamais réalisée, d'ailleurs en position d'entrée en face A, il s'agit du Busted de Ray Charles, cette version quoique fidèle à celle de l'album originel, n'apporte pas grand-chose, le dessin en paraît un peu trop dilué par des paroles (sans grand intérêt philosophique ) adressées au public. Le piano esbroufe le thème, mais ce que l'on attend c'est l'avalanche appuyée des cuivres, enfin ils arrivent... mais le pianiste se taille une part trop belle du gâteau, se termine trop brutalement. Un filon d'or pur qui n'a pas été exploité à fond. Le blues du blanc : ( 1984, Racines ) : belles larmoyances cuivrées en intro, Mitchell confond le blues avec la chansonnette de film américain des années cinquante, fin de soirée déprimante, du coup les cuivres ressemblent à des clinquances de ferblanterie. On n'y croit pas, le blues du blanc est déprimant, pas la moindre idée noire à l'horizon. Stressé : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : bien envoyé, y aurait comme une dichotomie entre la voix de Mitchell qui ne s'élève que de peu au-dessus de la terre, et la zique qui de temps en temps  se permet des claquettes, les trompettes s'envolent taper la causette avec les anges tout là-haut dans le ciel, toutefois la jonction entre les deux est parfaite, un plaisir d'écoute qui ne vous procure aucun stress. Petite annonce : ( 1979, C'est bien fait ) : les guitares se taillent la part du lion, les cuivres jouent les arcs-boutants qui soutiennent les cathédrale gothiques, faut reconnaître que sur les refrains ils sont plutôt massifs et rutilants, mais les grandes orgues ce sont les écorchures guitariennes qui s'en chargent tout le long du morceau, en prime vous pouvez goûter à l'humour des paroles de Mitchell en pleine forme, un grand théâtreux. Under the rainbow : ( 1989, Ici Londres ) : non ce n'est pas over, un slow désenchanté, l'entrée des cuivres est aussi belle que le prologue de Lohengrin, mais cela ne dure pas, l'on retrouve le Mitchell des années 80-90, les cuivres viennent colmater les trous dans le refrain, mais l'on se demande ce que cette interprétation vient faire dans ce Big Band qui se transforme un peu en big bazar en période de soldes. Vigile : ( 1993, Rio Grande ) : un bon titre de Mitchell, traité à la manière du précédent, les cuivres en feuilles de salade accompagnent les hors-d'œuvres, et Mitchell emploie une voix blanche alors que sur le disque originel elle est nettement plus noire, décevant, on sauvera le solo de sax au premier tiers. Tiens une petite reprise de batterie et un sax qui cancane de belle manière avec le clavier, hélas trop millimétré. Toute improvisation reléguée dans le domaine de l'impossible. Cœur solitaire : ( 1993, Rio Grande ) : tube nickelé qui sonne creux, y a bien la flamberge de la guitare surmontée d'une entrée de cuivres fracassante, mais la suite est décevante, surtout si l'on songe aux morceaux lents de Muscle Shoals, ici ça tourne court, faut chercher le steak saignant sous la frite trop dure, pas étonnant qu'il ait pris deux guitaristes, s'en donnent à cœur joie, bluesent à mort, mais le Big Band joue les utilités. Vieille canaille : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : tiens un peu de swing comme au bon vieux temps des Big Bands, trompettes jazzy punch, le vocal de Mitchell un peu trop rase-motte alors on a droit à un peu de piano, sur lequel Eddy est plus à l'aise. Trois minutes pas une seconde de plus, Mitchell ne sait pas faire durer le plaisir. De fait ce sont les musicos qui font tout le boulot. Le temps qui passe : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : et plouf l'on retombe dans la citronnade pseudo-post-romantique, Mitchell case encore une fois un de ces slows délabrés dont il a le secret. Son public doit avoir vieilli et être complètement désillusionné car il applaudit à tout rompre à chaque fois. L'orchestre se fait tout petit, s'imagine qu'il est en train d'enregistrer une musique de film pour ménagères frisant la soixantaine. Vivement les scopitones de Vince Taylor ! Que reste-t-il de nos amours : ( Charles Trenet 1955 ) : n'ai jamais compris pourquoi l'on dit que Charles Trenet est l'introducteur du jazz dans la chanson française, Mitchell au début il y va sur des escarpins de feutrine mezzo-mezzo, mais bientôt il jargonne à gros pataugas, l'orchestre est derrière, difficile d'accompagner un chanteur qui ne module pas. Alors il pousse les meubles pour montrer qu'il n'est pas payé pour rien faire. Oldie but goldie : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : l'on est encore parti pour pédaler dans la choucroute, l'orchestre en catimini apporte les saucisses de Strasbourg et le lard du cochon gras, Mitchell parle à sa fille, se raconte et ce qu'il dit ne correspond pas à la folie qu'il nous a fait partager en des temps sixtiques et mirifiques, avouons-le on ne l'écoute plus, depuis longtemps lorsque ça s'arrête... Le cimetière des éléphants : ( 1982, Le cimetière des Eléphants ) : au contraire de Mitchell qui  en offre deux versions sur le 33 originel je n'ai jamais aimé ce titre geignard aux paroles larmoyantes et affligeantes. Malgré ces dix-sept musicos, l'arrangement qui se traîne lamentablement ne lui file pas un gramme de peps. Vous donne l'impression d'un escargot paraplégique peu pressé d'aller se suicider. Alors vous l'écrasez sous votre pied. Sûr qu'au Paradis, Dieu vous assoira à sa droite pour vous remercier de cette bonne action. Le Big Band y va mollo, l'a peur de se faire réduire en bouillie par le troupeau des pachydermes, une trompe de sax de vingt secondes c'est tout ce l'on voit, au milieu ils y vont sur la pointe des pieds, c'est sur la fin lorsque l'interminable file des grosses bêtes s'estompe qu'ils se permettent quelques glissandi. Otis : ( 1969, Super 45 T ) : rien de mieux qu'un bon rhythm 'n' blues pour réchauffer l'atmosphère après tous les caramels mous précédents, n'arrive pas à la hauteur de l'original, faut pas mettre de l'eau dans le vin du groove ni dans la cuivrerie, même si l'on essaie une fausse impro qui améliore le morceau sur sa fin, mais Otis méritait une auréole enflammée. Pas de boogie woogie : ( 1976, 45 T ) : le morceau avait été interdit sur les ondes du rocher de Monaco pour son impiété,  que voulez-vous dès que Jerry Lou n'est pas loin ça branle dans le manche, les cuivres sont là pour supporter, Yves d'Angelo prend son pied, c'est lui le roi de la fête, dommage que les cuivres essaient de montrer qu'ils existent, et Mitchell appuie un peu trop grossièrement là où il faut filer comme un hors-bord de contrebandiers pris en chasse par une vedette des douanes. Couleur menthe à l'eau : ( 1980, Happy Birthday ) : un beau slow qui n'a pas grand-chose à faire  dans un tel disque, piano, batterie, basse, guitare suffisent bien, Mitchell et sa belle voix de velours, que voulez-vous de plus alors les cuivres ont mis la sourdine, ne font qu'acte de présence discrète sur le pont ( d'Avignon ). Je fais le singe ( final ) : ( 1978,  Après Minuit ) : retour du groove sans grand intérêt si ce n'est quelques mercis trop vite expédiés.

    C'est hier soir que je me suis dit qu'il ne fallait pas que je meure sans avoir écouté cet album d' Eddy Mitchell que j'ai beaucoup fréquenté durant ma basse adolescence, dont j'ai par la suite toujours suivi la carrière parfois avec approbation, souvent avec déception.  J'en sors un peu dépité, ce Big Band sent un peu la tromperie sur la marchandise. Revenir sur les cendres froides de son passé n'est peut-être pas une bonne solution.

    En plus il n'y a ni De la Musique, ni Fortissimo...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 17

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    QUARANTE-HUIT

    Le Chef alluma un Coronado.

             _ Agent Chad, j'espère que vous avez compris notre participation au défilé des zigotos du pensionnat libertin !

             _ Cinq sur cinq, Chef, l'idée vous est venue de chercher un quelconque indice dans cette zone d'amour libre !

             _ Et pourquoi cette idée m'aurait-elle subitement traversé l'esprit cher Chad ?

             _ Elémentaire mon cher Dupin, vous avez simplement appliqué le principe d'Edgar Poe selon lequel ce que l'on cherche n'est jamais très loin de nous !

             _ Agent Chad je vois que vous n'êtes pas tout à fait un imbécile, fallait d'abord faire décamper les heureux jouisseurs du lieu, Joël et les filles ont frappé à toutes les portes en faisant croire à une descente de police imminente, cela a failli tourner au psychodrame, lorsque nous leur avons proposé de sortir tous en groupe de joyeux fêtards, ils ont foncé dans la combine à cent pour cent ! Mais vous  agent Chad avez-vous trouvé pourquoi les chiens ont grogné ?

             - Oui, ils ont compris, je ne sais comment, grâce à leurs antennes hyper-sensorielles que la police n'était pas loin, en poste dans un sous-marin, la camionnette qui vous a suivis.

             _ Ils connaissent donc notre repaire, demanda Françoise inquiète.

             _ Non, déclara péremptoirement le Chef, sans quoi ils seraient déjà intervenus, mais ils en savent  plus que nous, devaient avoir repéré le Neil dans les parages, lui nous avait sans aucun doute localisés, n'aurait pas tardé à entrer en contact avec nous, c'est pour cela qu'ils l'ont arrêté et abattu.  Les filles je vous avais donné l'ordre de rentrer dans les chambres pour repérer un indice quelconque, vous n'avez rien remarqué, heureusement que je suis passé derrière vous. Maintenant j'ai besoin des lumières de Joël.

             _ J'ai même inspecté à quatre-pattes sous les lits se défendit vivement Framboise !

             _ Mais vous n'avez pas pensé à glisser la main sous les oreillers ! Joël prenez ce sachet et dites-moi ce que vous en pensez.

    Joël ne prit même pas la peine d'ouvrir le la poche plastique transparente, à vue d'œil son contenu ne devait pas dépasser deux grammes, que le Chef  lui tendit

             _ De simples pétales de fleurs décréta-t-il sans hésitation, je précise, des pétales d'hibiscus !

             _ J'ai compté quarante-huit chambres, ajouta le Chef, j'ai exactement recueilli quarante-huit pétales !

             _  Quelle idée de glisser un pétale d'hibiscus sous l'oreiller pour faire l'amour, les gens sont étranges, j'essaierai sûrement la prochaine fois pour voir quel plaisir particulier cela procure ! ( Chers lecteurs je ne vous révèlerai pas le nom de cette âme de jeune fille en fleur douce et naïve ).

    Tout le monde sauf elle avait compris, derrière ces fragments d'innocentes corolles se cachait la mystérieuse société secrète de la conjuration de l'Ibis Rouge. Enfin nous tenions une piste sérieuse ! D'ailleurs le Chef ne perdit guère de temps. Il annonça que nous allions immédiatement nous livrer au contre-rituel secret d'annihilation de la grande menace imminente.

    CONTRE-RITUEL INITIATIQUE

             Nous déconseillons vivement à toutes nos lectrices et à tous nos lecteurs de tenter de reproduire le contre-rituel dont nous racontons le déroulement dans les lignes qui suivent. Ce n'est pas qu'ils ne trouveraient pas de volontaires pour participer à cette sombre cérémonie. Les préparatifs exigent une extrême minutie, les modalités du déroulement doivent être suivies à la lettre sans quoi rien ne se passera. Dans ces cas-là les participants s'accusent mutuellement d'avoir fait rater l'expérience, la déception générale est si forte que l'on en vient facilement aux mains, il n'est pas rare que cela se termine par un ou deux cadavres.

    Etape Un : nous passâmes toute une partie de la nuit à désherber une grande partie du terrain, puis à aplanir les bosses. Le Chef nous pressait :

    • Agent Chad et Joël laissez les filles poursuivre le travail, vous avez vingt minutes pour ramener quatre jerrycans de 50 litres d'essence.

    Par chance, pas très loin se trouvait une station ouverte ( chose rare en plein Paris ) nous nous dépêchâmes d'assommer le gardien, de lui faucher de gros bidons qu'il cachait dans sa guérite, et comme un automobiliste s'impatientait alors que nous monopolisions les deux seules pompes pour les remplir, je dus l'abattre froidement pour qu'il ne réveille pas le voisinage. Lorsque nous revînmes le travail avait avancé. Une large surface assez plane débarrassée de sa végétation touffue s'étendait devant nous. Les filles étaient en nage. Le Chef fumait péniblement un Coronado. Il avait aussi mis à contribution Molossa et Molossito qui finissaient de creuser quatre trous d'une vingtaine de centimètres de profondeur au pied des buissons d'hibiscus.

    Etape 2 : le Chef nous avait prévenus, c'était la plus difficile. Elle consistait à creuser le pourtour d'un cercle de six mètres de diamètre dans lequel devaient se verser les quatre rigoles qui partaient des cavités creusées par les cabotos. Il faut reconnaître que les diligentes bêtes nous aidèrent beaucoup. Le Chef les félicita.

    • C'est bien, normalement les animaux ne sont pas admis dans ce genre de cérémonie, au lieu de les enfermer dans l'abri, nous allons leur dessiner une double barrière de protection. Agent Chad tracez au centre du cercle une étoile à cinq branches à l'aide de petits cailloux que vous récupérez dans le terrain.

    Tout le monde joua au petit Poucet et bientôt les chiens s'assirent fièrement dans la figure rapidement dessinée.

             _ Bien, dit le Chef, maintenant écoutez-moi, Molossa et Molossito le fixèrent de leurs deux oreilles, si vous mettez une seule patte hors du tracé de l'étoile, vous êtes morts. Je compte sur votre sagesse. Je vous fais confiance. Soyez-en dignes.

    L'exactitude historiale m'oblige à rapporter qu'ils furent sages comme des images, un peu animées, il faut l'avouer, car si jamais ils ne sortirent de l'étoile ils s'amusèrent toutefois à singer les attitudes des six représentants de la race humaine que nous étions.

    Etape 3 : Déjà la nuit semblait plus claire. Nous nous étions mis entièrement nus, pour manifester notre innocence et notre pureté. Auparavant nous avions empli d'essence les quatre trous creusés au pied des hibiscus. Les rigoles et le pourtour du cercle en étaient remplis. Joël, moi et le Chef  étions couchés à l'intérieur du cercle, jambes écartées, nos pieds touchant celui de notre voisin de droite et de gauche, il en était de même de nos mains. Françoise, Noémie et Framboises en tenue d'Eve étaient accroupies entre nos jambes. Le chef imperturbable tirait sur son Coronado. Une minute avant le premier rayon de soleil, il prononça les premières paroles du rituel dont nous suivîmes les commandements pendant sa récitation :

    Incantation

    Salut ô toi Soleil Invaincu

    nous sommes ici pour demander ta protection

    contre les forces mauvaises de l'Ibis Rouge

    qui ne tardera pas à se manifester

    en contre-partie nous t'offrons

    cette ronde de feu

    ( à cet instant précis il rejeta son Coronado dans la rigole emplie d'essence qui s'enflamma,

    en quelques secondes les quatre buissons d'hibiscus crépitèrent )

    cette ronde de feu et de chair copulatoire

    prêtresses jetez-vous sur les pals fièrement dressés

    des officiants, et encerclez-les de vos pertuis vulveux

    vite, vite, que les officiants prennent votre place

    et vous prêtresses la leur

    afin qu'ils entrent en vos pertuis vulveux

    leur pal infatigable

    et que cent fois cette double opération soit recommencée

    à moins que l'apparition de l'Ibis Rouge

    nécessite d'y mettre fin

    Etape 5 : je ne sais combien de fois nous dûmes répéter cette ronde frénétique, tout ce dont je me souviens, c'est qu'à un moment Molossito et Molossa poussèrent des aboiements de terreur. Nous arrêtâmes notre circonvolution opératoire et levâmes les yeux au ciel. La monstrueuse figure de l'Ibis Rouge fixait sur nous ses yeux méchants en abaissant son bec cruel.

    A suivre...