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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 55

  • CHRONIQUES DE POURPRE 504 : KR'TNT ! 504: FRANCOISE CACTUS / BOB DYLAN / CHESTERFIELD KINGS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ERIC BURDON AND THE ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXVII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 504

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    01 / 04 / 2021

     

    FRANCOISE CACTUS + STEREO TOTAL

    BOB DYLAN / CHESTERFIELD KINGS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 17

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    ROCKAMBOLESQUES 26

     

    À crédit et en Stereo Total - Part Two

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    En découvrant d’un œil oblique le piano mécanique, la batterie rachitique et la guitare parallélépipédique posée au sol, on redoutait le pire. Puis rappliqua un grand échalas squelettique qui s’appliquait à imiter la saucisse de Strasbourg apoplectique, suivi à deux pas d’une silhouette féminine énigmatique au visage orné de lunettes académiques. Ils allaient ensemble orchestrer la musique automatique. Elle allait fredonner des couplets drolatiques pendant que lui allait produire le trash épileptique en plaquant sur sa guitare géométrique des accords d’une puissance biblique. Selon un principe purement mécanique, Françoise Cactus et Brezel Göring interprétèrent d’une manière pragmatique le plus bel échantillon d’electro-trash dadaïstique qui se pût imaginer ici bas, foi d’amateur boulimique. Passèrent à la moulinette christopho-avertyque une «Nationale 7» et un «Comme d’Habitude» vitriolés à grands jets spasmodiques de distorsion météorique et pulsés sur un tempo frénétique jamais démenti. Lors de cette soirée de mars mythique (2002), la Mutualité cajola son public avec cette bonté de paume pharaonique qui rend les souvenirs tellement poétiques.

    Comme Françoise Cactus vient de casser sa pipe en céramique, nous ressortons de Pictures Of Lili, petit book symbolique tiré en 2002 à deux exemplaires, ce court texte symptomatique pour lui rendre un ultime hommage emblématique.

    Signé : Cazengler, Zéro Total

    Françoise Cactus. Disparue le 17 février 2021

     

    Dylan en dit long - Part Three

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    Avec seulement une poignée d’albums, Bob Dylan fit en six ans autant de dégâts en Occident qu’en fit la révolution d’Octobre quarante ans auparavant. Il est encore difficile de mesurer la portée réelle de la révolution dylanesque. Avec du recul, les historiens sauront le faire. La principale caractéristique de cette révolution est qu’elle fut pacifique. Ni Armée Rouge ni armée blanche, seulement une acou et un harmo. Mais ça n’est pas tout. Dylan fut l’un des premiers à amener du contenu dans un univers considéré à juste titre comme superficiel. Alors que le rock américain divertissait, Dylan dénonçait. Il aurait pu se contenter de dénoncer comme le faisait déjà Woody Guthrie, mais il comprit que pour atteindre un public plus large, il devait aussi poétiser et créer de la magie. Nous fumes des millions à tomber sous son charme. Les sept albums qu’il enregistra entre 1965 et 1970 sont les grands albums magiques américains, au même titre que les sept albums de Jim Morrison.

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    Il faut le voir, le jeune Bob, sur la pochette de Highway 61 Revisited, premier album de la trilogie qui va asseoir son aura dans l’inconscient collectif : il semble déjà rockstarisé sans l’être, il dégage un truc, mais il ne s’agit là que de grâce naturelle. Comme chez Elvis et Jimbo, sa grâce est ailleurs, dans l’expression de son art qui tout au long de l’album n’en finit plus de jouer avec le feu du génie, et ce dès l’overwhelming «Like A Rolling Stone», un cut qu’on adorait jadis à la folie. Diable comme ces paroles ont pu nous hanter, au moins autant que le suicide de Jacques Rigaut, like a complete unknown, ça marque à vie, un truc pareil, you say you’ll never compromise/ With the mystery trend et c’est exactement ce qu’on a fait, we’ve never compromised. En 1966, chaque matin au réveil on chantait «Tombstone Blues» - Mom is the the factory/ She ain’t no shoes/ Dad is in the alley/ he’s looking for food/ I’m in the kitchen with the Tombstone blues awite - Bob est un punk et il a fait de nous des punks avant l’heure. En même temps, il invente le dandysme de l’Americana, Dylan c’est Rimbaud avec une guitare électrique. «It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry» donne une vision du heavy blues dylanesque. Il tire sur ses syllabes à outrance. Là on comprend qu’on est baisé, qu’on ne pourra plus jamais se détacher de lui. Dylan folk ? Tu rigoles ? Il est le plus magnifique rocker d’Amérique. Cinglant sans être cinglé. Pour les ceusses qui ne l’auraient pas compris, l’élégance est la principale vertu de ce vice qu’on appelle le rock. «From A Buick Six» sonne comme un violent shoot de toxic brass. Dylan le respire dans ses rimes, il taille sa dentelle de Calais - She don’t/ Talk too much - Il casse son rock pour le plaisir et gueule comme s’il vendait des harengs. Et il finit ce bal d’A historique avec la fameuse chanson offerte à Sloan, «Ballad Of A Thin Man», encore une fois fabuleusement contrebalancée - Something’s happening here/ But you don’t know what it is/ Do you/ Mr Jones ? - On voudrait que ces chansons ne s’arrêtent jamais. Avec Jimbo, Dylan est le seul artiste auquel on accorde un pouvoir divin. Tout ici est fabuleusement prophétique. Bien sûr, les thèmes politiques dont il traite en 1965 ne sont plus d’actualité, mais la beauté des chansons le reste. «Queen Jane Approximately» est un classic Dylan swagger nappé d’orgue - Won’t you come see me Queen Jane - et dans le morceau titre, Bloomy est en plein bloom, jouant ventre à terre. Back to the big heavy blues avec «Just Like Tom Thumb’s Blues», Dylan s’y montre fascinant d’aisance et de too soooon et cet album mirifique s’achève avec Cinderella sleeping on/ Desolation row. Ce chef-d’œuvre crépusculaire décrit bien la chute de la maison Usher, and the good Samaritan/ he’s getting dressed, car il s’en va ce soir sur Desolation Row. C’est un conte moral sur-dimentionné, un poème fleuve du même calibre qu’«Il n’Y A Plus Rien», Dylan et Léo même combat - And nobody has to think much about Desolation Row - Dylan stigmatise l’indifférence qui tue plus sûrement que le serpent mamba de Tarentino.

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    Sur la pochette de Bringing It All Back Home, Dylan tient un chat gris dans ses bras. Il porte un costard sombre et une chemise blanche rayée de bleu avec de gros boutons de manchettes. L’image déclencha en son temps pas mal de vocations de dandys. Paru dans la foulée de Highway, Bringing grouille de coups de génie, notamment l’enchaînement de trois cuts, «Outlaw Blues», «On The Road Again» et «Bob Dylan’s 115th Dream». Le premier est monté sur une structure de boogie blues râpée à vif dans le son - She’s a brown skin woman/ But I just love her the same - Et les deux autres demandent beaucoup plus d’attention car Dylan évoque des tas de personnages. Dans les 11 couplets du 115th Dream, il croise le capitaine Achab. Pur genius. Mais si on ne chope pas l’anglais, on est baisé. Bringing rocke moins qu’Highway, mais un cut comme «Subterranean Homesick Blues» casse bien la baraque car quel fantastique talking blues ! Dylan y va à coups d’harmo et d’énergie. Tout Antoine vient de là. Il est aussi capable comme on l’a dit de coups de magie et «She Belongs To Me» va rester pour beaucoup l’une des chansons parfaites des Silver Sixties. «Maggie’s Farm» ne prend pas une ride, I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more, nous non plus, c’est du punk rural, Dylan claque sa revoyure de la gadouille. Puis il nous chope avec l’infinie mélancolie de «Love Minus Zero/No Limit» - My love she’s like some raven/ At my window with a broken wing - Il termine cet album si dense avec «It’s All Over Now Baby Blue» qu’il s’en va chanter au sommet de son art - The carpet too/ Is moving under you/ And it’s all over now/ Baby blue.

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    Pour beaucoup de fans, Blonde On Blonde illustre le sommet le l’âge d’or dylanesque. C’est un double album qu’on réécoutait à longueur de journée, souvent pour continuer de déchiffrer les passages qu’on ne comprenait pas. Cet album démarrait avec l’hymne préféré des druggies, «Rainy Day Woman». Chaque fois que l’oppression/répression se manifestait, on chantait «Everyboy must get stoned !». L’un des grands heartbreaking blues d’Amérique restera «Pledging My Time» - I’m peldging my time/ To youuuu - «Visions Of Johanna» fout des frissons dès les premières nappes d’orgue. C’est aussi mélodiquement pur que «Like A Rolling Stone» - And these visions of Johanna/ they kept me up/ Past the dawn - En fait on se demandait comment Dylan pouvait mémoriser des textes aussi densément longs. On s’était posé la même question le soir où on vit Leo Ferré chanter seul les yeux au ciel «Il n’Y A Plus Rien», un poème fleuve qui occupe une face entière sur l’album du même nom, comme d’ailleurs «Sad Eyed Lady Of The Lowlands» en D. Il n’y a qu’une seule réponse : seules les intelligences supérieures peuvent fournir cet effort de mémoire. L’autre exemple est celui de Philippe Caubère qui dans sa série de one-man shows au Théâtre des Champs Élysées parlait trois heures d’affilée sans guide. Dylan, Ferré et Caubère évoluent dans une autre dimension, celle du texte pur. On vit aussi Jean-Louis Trintignant se livrer à cet exercice funambulaire avec une lecture d’environ deux heures des Lettres À Lou d’Apollinaire. «Visions Of Johanna» échappe définitivement au rock pour aller vers un univers de vision pure, car de toute évidence Dylan décrit ce qu’il voit - The harmonicas play the skeleton keys/ And the rain/ And these visions of Johanna/ Are now all that remain - Mais ce n’est pas fini car voici l’un des all time favorites, «One Of Us Must Know». Porté par le souffle des nappes, Dylan monte au sommet du sooner or later, c’est l’une des plus grandes odes à la beauté de tous les temps, ou plutôt une ode à l’incommunicabilité des choses telle qu’elle se manifeste parfois entre un homme et une femme - Sooner or later/ One of us must know/ That I really did try to/ Get close to you - Dylan en fait tout simplement une mystique hugolienne et devient l’un des plus grands artistes de l’histoire du genre humain. Nous n’en pouvions mesurer la portée à l’époque. En C, on tombe encore sur des choses spectaculaires comme «Absolutely Sweet Marie», un soft-rock flamboyant, fabuleusement chargé d’or fin et couronné par une élocution magique, joliment cavalé et illuminé aux licks de Tele. Dylan nous faisait plus rêver que les Rolling Stones, il faut bien l’avouer. Son sentimalisme était celui dans lequel on se retrouvait le mieux. Cheveux bouclés, écharpe à carreaux et copine d’enfance qui dans le bois de Boulogne te jure un amour éternel. Early in the morning ! Voilà comment il attaque «Obviously 5 Believers», à la punkitude céleste de Nashville. Aw comme ces mecs jouent sec et net, et Dylan pousse bien à la roue son I’m callin’ you to/ I’m callin’ you to/ Please, come home.

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    Album surprenant que ce John Wesley Harding. Paru en 1967, l’album brouille bien les pistes. La pochette nous fait croire que c’est un délire de folkeux mais dès le morceau titre, on ravale sa bave, car voilà un fabuleux shoot d’Americana. Charles McCoy swingue son gros bassmatic rural et Bob souffle dans son harmo en fer blanc, alors c’est du pur jus, bien battu par Kenny Buttrey. On tombe plus loin sur le stupéfiant «All Along The Watchtower» - There must be some kind of way out of there/ Said the joker to the thief/ There’s too much confusion/ I can’t get no relief - Version stripped down, mais quelle belle attaque, Dylan nous décrit un vrai horizon, et ça tourne à la magie, avec cet élan surréaliste que reprendra un peu plus tard Jimi Hendrix - Outside in the distance/ Two riders were approaching - Ça se corse merveilleusement et Bob lâche l’extrême onction - And the wind began to howl - «All Along The Watchtower» reste l’un des plus beaux hits de tous les temps. On s’émerveille aussi d’«I Dreamed I Saw Saint-Augustine» qui est un fait la même chose que la chanson de Joe Hill que chante Joan Baez à Woodstock - I dreamed I saw/ Joe Hill last night/ Alive as you and me - C’est encore de la pure magie dylanesque - So go on your way accordingly/ But know you’re not alone - D’ailleurs, à la fin du cut, il pleure. Il termine son bal d’A avec le fantastique shuffle de «Difter’s Escape». La fête se poursuit en B avec «I’m A Lonesome Hobo», pur jus de groove rampant. Il règne sur cet album une fantastique ambiance de sous-bois. Des Indiens accompagnent Bob et ça sent bon la wild Americana. Oh et ce groove de basse rurale ! Oh et ce Bob qui chante à l’excellence de la lancinance ! Que peut-on espérer de mieux ? Restons dans le groove d’Americana sauvage avec «Tke Wicked Messenger». Il n’y a plus aucune trace d’électricité, tu es paumé dans l’empire des bois.

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    On croyait Dylan éteint avec Nashville Skyline paru en 1969. Sans doute à cause de l’acou qu’on voit sur la pochette. Mais c’est au contraire un big album. C’est là-dessus qu’on trouve «Girl From The North Country», l’un des balladifs qui font l’histoire du rock. Cash prend le deuxième couplet. C’est en gros le même plan mélodique que celui de «Lay Lady Lay» qui figure en ouverture du bal de B. Avec le morceau titre, Dylan revient à la country. C’est donc la fin de l’electric ride. On le voit faire un numéro de haute voltige vocale dans «To Be Alone With You» et «I Throw It All Away» signe le retour des grandes nappes d’orgue. Le génie dylanesque s’exprime alors à nouveau, et à l’état le plus pur. Cut après cut, Dylan se livre à une sorte de reconquête. En fait, il fallait surtout éviter de lire les critiques à l’époque et faire confiance à l’artiste. On se régale encore de quelques bricoles en B, notamment de «One More Night» car c’est bourré de son et de shuffle. On a là un sacrément bel album. Nouveau coup de semonce avec «Country Pie», tapé au wild guitar slinging de Nashville. Dylan veille bien au grain de l’excellence. Il termine avec l’imparable «Tonight I’ll Be Staying Home With You». Ce big Dylan d’all your love chante par dessus la skyline. Il est encore à cette époque le Dylan de rêve, le Dylan limpide, il donne au rock américain ses lettres de noblesse, il sait ouvrir un horizon, no more out of the window, tout est imprégné d’inspiration.

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    Les deux albums parus en 1970, New Morning et Self Portrait, sont très différents. Sur la pochette de New Morning, Dylan apparaît comme un mec normal, mais bon, c’est Dylan. Il attaque cet album du renouveau avec «If Not For You» et retrouve la voix du jeune Dylan. George Harrison en fera une cover sur All Things Must Pass. Charlie Daniels et Harvey Brooks l’accompagnent, c’est du soft swing, avec une batterie légère. Un sorte de retour en grâce. Dylan fait le choix du soft rock bien rythmé, mais il n’exclut pas la nonchalance. Il pianote pour aller voir la diseuse de bonne aventure de «Went To See The Gypsy» et renoue avec le power de la harangue. On est content de retrouver le Dylan de la harangue. Dans le morceau titre qui ouvre le bal de la B, on assiste à un beau festival de guitares. Certainement David Bromberg, avec Brooks derrière. La photo qui est au dos date de 1962 : debout à côté de Victoria Spivey, Dylan tient la beat up guitar de Big Joe Williams montée avec 9 cordes. Cette photo n’est pas là par hasard.

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    En réalité, le double album Self Portrait est paru quelques mois avant New Morning et fut mal accueilli. Chaque fois que Dylan a opté pour de brusques changements d’orientation, ça a provoqué des remous. Dans le gatefold, on voit quelques photos de Dylan à la campagne mais aussi deux shoots en studio avec une ribambelle de lascars. Ce double album est bien sûr nettement moins dense que Blonde On Blonde, mais il ne faut pas regretter ni de l’avoir acheté ni de l’avoir écouté, car même si Dylan change, il reste captivant. Il reprend l’«Early Morning Rain» de Gordon Lightfoot et en fait un cut charmant, une véritable merveille de good time music. Il retrouve ses aises de Jo le hareng de la harangue avec «Days Of 49» et nous place un joli slow blues avec «Alberta #1», monté sur une bassline bien grasse - Alberta don’t you treat me unkind - En B, il repend le «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud et sort le grand jeu pour «Belle Isle» : nappes de violons, espagnolades, un enchantement. Plus loin en C, Dylan tâte de l’Americana avec «Gotta Travel On». Bob Johnson signe une prod très âpre. Si on aime la basse rustique, alors on se régale. Nouvelle cover avec «The Boxer» de Paul Simon, suivie d’un retour aux sources avec «The Mighty Queen (Quinn The Eskimo)». C’est en D que se planque la perle : «It Hurts Me Too», un blues classique que Dylan prend en mode round midnite avec une stand-up derrière et c’est superbe. On trouve aussi une version live de «She Belongs To Me» tiré de Bringing et tout ce bazar s’achève avec «Alberta #2», vieux boogie de deep Americana joué dans une superbe ambiance et cette belle basse n’en finit plus de rôder comme le furet.

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Highway 61 Revisited. Columbia 1965

    Bob Dylan. Bringing It All Back Home. Columbia 1965

    Bob Dylan. Blonde On Blonde. Columbia 1966

    Bob Dylan. John Wesley Harding. Columbia 1967

    Bob Dylan. Nashville Skyline. Columbia 1969

    Bob Dylan. New Morning. Columbia 1970

    Bob Dylan. Self Portrait. Columbia 1970

     

    Chesterfield Kings road

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    Difficile de croire que Greg Prevost approche des 65 ans. C’est pourtant ce qu’affirme Jon Mojo Mills dans le chapô d’interview au long cours que Prevost accorda au mois de juin à Shindig. Pour la double d’ouverture, Mills ne s’est pas trop cassé la tête, il a repris le visuel de Mississippi Murderer, le premier album solo de Prevost : on le voit assis sous un casque de mèches dressées à la Keef et rehaussé de coulées multicolores de type Wizard A True Star, vêtu d’un haut de fille jaune qui dénude entièrement l’épaule, d’un skinny legs troué aux genoux et grattant un antique dobro du Mississippi. Bien sûr, il est assis dans un cimetière.

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    Tous les amateurs de garage connaissent les Chesterfield Kings, une institution que Greg Prevost a fondée en 1982. Mais ce n’était pas son premier groupe. Dix ans auparavant, il avait monté Mr Electro & The Psychedelic Burnouts - Inspiration was the Stones, Stooges, Yardbirds, 13th Floor Elevators, Amon Düül II, John Cage, Sun Ra, MC5 - et voilà, c’est parti pour la valse des influences. Comme tous les mecs un peu dégourdis de cette époque, Prevost s’arrange pour échapper au draft (le mortel équivalent américain du service militaire en France), pour travailler dans un magasin de guitares et pour bricoler un fanzine. Il est en contact avec Greg Shaw et quand paraît Nuggets, il connaît déjà tous les groupes qui y figurent, car il écoute la radio, comme le font tous les mecs dégourdis de cette époque. Il est encore plus dégourdi qu’on ne pense car il va au CBGB en 1976, mais pour lui, ce qu’on appelle le punk en 76 n’a rien à voir avec le punk sixties, celui des Shadows Of Knight, des Blues Magoos et de Music Machine. Bon, Prevost travaille at the House Of Guitars dont le boss n’est autre qu’Armand Schaubroek. C’est une relation qui va durer 35 ans. Quand Mills le branche sur son rapprochement avec le Chocolate Watchband en 1978, Prevost répond sèchement que c’est une longue histoire qu’on pourra lire dans son autobio à paraître. La température chute brutalement. Mills n’ose plus trop poser de questions indiscrètes.

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    Alors, il branche Prevost sur le premier album. Cassant, Prevost répond qu’il n’a rien de spécial à en dire, sinon qu’il a fait ce qu’il avait en tête à cette époque - which is what I had in mind in the first place - En 1982, les Chesterfield Kings voulaient encore ressembler aux Stones de 1965, mais ils le firent à l’Américaine : sur la pochette d’Here Are The Chesterfield Kings, il y a trois Brian Jones au lieu d’un. Les Américains ont souvent la main lourde. Andy Babiuk, Doug Meech et Orest Guran ont tous les trois les franges de cheveux blonds comme les blés. Du coup, Greg Prevost assis au premier rang passe inaperçu et Rick Cona a l’air de sortir d’un ranch du Montana, avec son gilet en peau de vache et son gros pantalon à rayures bleues. Ils n’ont pas vraiment de son distinctif, mais ils parviennent tout de même à faire de la Stonesy avec un «Our Side Chance» monté un beau beat rebondi et «I’m Going Home» qui sonne comme le «Flight 505», yeah yeah. On les sent investis d’une mission extrêmement divine. Ils sont même en plein «Goin’ Home». On trouve encore une petite giclée de Stonesy en A avec «Little White Lies». Ils ont tous les réflexes du bon son. En B, il rendent hommage aux Chocolate avec l’excellent «No Way Out» d’Ed Cobb. Ils jouent ça bien psyché avec la belle basse dévorante d’Andy Babiuk. Côté garage, ils se montrent à la hauteur avec «Come With Me», joli cut convaincu d’avance, sautillé à l’orgue, monté sur une rythmique impeccable, doté d’un bel allant et du petit panache de Rochester. L’autre pièce de choix de ce premier album est une reprise du «99th Floor» des Moving Sidewalk. Ils la jouent à la cocote gaga très épurée avec un son clairvoyant - We won’t stop till we get to the nine nine floor - Pour faire bonne mesure, Rick Cona passe un petit solo à la Billy Gibbons.

    Mills fait remarquer à Prevost que trois ans séparent Stop du premier album. Prévost répond qu’il a ramé pour trouver un label. Il ajoute qu’il n’est pas très content de cet album. Il dit que c’est l’ANTI-80 album - I fucking hate the 80s as most people know - and everything after it. I fucking hate EVERYTHING after 1974 with few exceptions - Au moins comme ça les choses sont claires.

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    Les trois Brian Jones sont encore plus stoniens sur la pochette de Stop. Andy Babiuk porte même un pantalon rouge. Cette fois, ils se diversifient au plan musical. Les deux fins de faces sont des merveilles de gaga cra-cra, dans l’esprit des Pretties, mais en mode snarl américain. Prevost chante «Say You’re Mine» à la morve verte, il fait sa petite gouape des bas-fonds. Il finit la B de la même manière avec «Bad Woman» : belle démonstration de force, joli shoot de gaga punk sixties américain, sans la moindre trace de sale petite concession. Avec son joli solo d’orgue, «It’s Alright» pourrait figurer sur n’importe quelle compile de revival gaga. Rick Cona se paye un joli départ en solo dans les règle du lard fumé. On les voit aussi aller sur des trucs plus byrdsiens comme «I Cannot Find Her» et sortir des harmonies vocales typiques de l’âge d’or des anciennes civilisations. Mais c’est aussi le défaut de l’album : ils font trop d’exercices de style, comme s’ils voulaient exhiber leur pedigree. Leur gaga finit par devenir gentil, comme s’ils l’avaient peint en rose. Ils sont aussi capables de sortir une belle pop saturée de guitares flamboyantes, comme le montre «I Don’t Know Why». Ils excellent dans ce monde intermédiaire où excellaient jadis les Byrds et les Hollies. «She’s Got No Time» finit aussi par séduire, avec ses fins de refrains bien rebondies et ses coups d’harmo.

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    Prevost aime à répéter qu’il vit dans le passé - My whole image is a combinaison of 10 years : 1964 to 74 - Quand Mills l’amène sur le terrain du troisième album, Don’t Open Til Doomsday, Prevost fait une grimace épouvantable. Le groupe allait mal et allait se séparer, sauvé in extremis par Dee Dee Ramone qui leur file même un cut, «Baby Doll». Prevost évoque ensuite la tournée européenne de 63 dates sur 3 mois - Nearly physically killed me. I fucking hated everybody in the band and quit when I got home - Doomsday porte bien son nom. C’est avec cet album que Prevost commence à se coiffer avec un pétard. Une grosse mèche jaillit sur le côté gauche de son crâne. Le seul à respecter les vieilles règles de la Stonesy, c’est Andy Babiuk, qu’on appelle aussi le fidèle, en Palestine. Disons-le franchement, l’album peine tragiquement à convaincre. On s’ennuie comme un rat mort pendant toute l’A, jusqu’à «Someday Girl». Voilà enfin du gaga un peu wild orné de clameurs d’Oh. C’est en B que se joue le destin du Doomsday, avec ce fantastique «Social End Product» en forme de grand saut dans le vide. Rick Cona passe un killer solo flash dans «No Mind No Soul». C’est lui qui vole le show, ici, toutes ses interventions nous gavent comme des oies. Voilà «Look Around» dévoré par un bassmatic d’Andy Babiuk. Ça joue sous un sacré boisseau. Ils terminent l’album en beauté avec «Doin’ Me Wrong». Ils savent rendre la pop nerveuse et hausser le ton quand il le faut et Rick Cona illumine le cut d’un autre killer solo flash.

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    Le mec qui remplace Rick Cona dans le groupe parvient à convaincre Prevost de revenir. Alors il revient en bougonnant. Comme le son du groupe change, Prevost songe à changer le nom du groupe, mais ils restent les Chester - Too stupid to do that - On leur reproche un son trop hard dans The Berlin Wall Of Sound. Prevost rétorque : «It was the band at the time, a state of mind. We lost fans, gained others.» Mais bon, quand on tombe sur «Richard Speck», on est bien content, car quelle beigne ! Prevost chante son ultra gaga punk au summum de la voyoucratie avec derrière lui un Rocco en alerte rouge. On ne peut que crier au génie sous un tel déluge d’animalité. Dommage que tout l’album ne soit pas du même niveau. Il faut attendre la fin du bal d’A pour renouer avec la dégelée. Ils roulent ma poule avec «(I’m So) Sick And Tired Of You», ça file droit chez les Chester et Rocco multiplie les prodiges télescopés. Le son berlinois lui va à ravir : énorme écho sur la batterie et voix bien en avant. Joli solo de Rocco et ses frères dans «Branded On My Heart» et les lignes de basse du Babiuk sont toujours aussi dévorantes, comme le montre «Teenage Thunder». Ils repiquent une belle crise de Stonesy en fin de B avec «Who’s To Blame», une crise disons d’era Exile, c’est noyé de slide donc ça ne pardonne pas. Et toujours cette belle basse bourdonnante.

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    Par contre, ils se vautrent un peu avec Drunk On Muddy Water. Ils démarrent avec un gag nommé «Pick A Bale Of Cotton» : on croit entendre des Indiens qui cueillent du coton. Et le gag continue avec une mouture de «Bright Lights Big City» pas piquée des vers. Prevost chante comme un vieux nègre alcoolique qui va dégueuler. On assiste à une faillite totale de sa crédibilité. En forçant son guttural, Prevost se ridiculise. Il fait du guttural de train fantôme. L’album se transforme assez vite en farce atroce. Prevost chante au dégueulis de cabane en carton-pâte. C’est l’un des meilleurs gags de l’histoire du rock. Il invente le dégueu du delta. Ah quelle rigolade ! Il bat tous les records de kitscherie avec «Little Red Rooster». Encore jamais entendu un clown pareil. Comme s’il se raclait la glotte à la toile émeri. L’album finit par devenir insalubre. Il se prend pour un fils d’esclave dans «Walkin’ Blues». C’est incompréhensible qu’il puisse chanter si connement. Pour sa version de «Rollin’ Stone», il chante comme Popeye. Le pire c’est qu’il en fait une version bien allumée. Avec «I’m In The Mood», Il plonge dans l’écume des jours et restitue l’imparabilité du heavy blues. C’est excellent. Dommage qu’il ait flingué tout le début de l’album avec son exacerbation glottale. Il termine avec un «I’m Your Hoochie Coochie Man» qu’il massacre à coups de cris d’orfraie. Dommage car il y a une belle énergie derrière.

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    Prevost adore son album live avec le Paisley Zipper Band, Long Ago Far Away, paru en 1990. C’est un album de reprises solides dont trois de Bo, «Pretty Girl», «Roadrunner» et l’excellent «Diddy Wah Diddy» joué à la patate chaude. Prevost met tout le chien de sa chienne dans Bo et bat tous les records de punkerie à la big bad Bo. Mine de rien, sa version vaudrait presque celle de Captain Beefheart. Hommage aux Stones aussi avec un «Jumpin’ Jack Flash» just perfect, awite ! On sent que Prevost adore ça. Quel carnassier ! Ils font aussi un «Midnight Rambler» qui n’a rien à voir avec «Midnight Rambler» puisque c’est «Love In Vain», avec le fameux suitcase in my hand. Bel hommage à Wolf aussi avec «Smokestack Lightning». Ce sacré Prevost ne lâche jamais sa rampe, c’est un tenace, un féroce contender. Par contre ils se vautrent avec un «Great Balls Of Fire» bien bourrin joué comme une charge, mais ce n’est pas la Charge de la Brigade Légère. Encore un clin d’œil aux Stones avec le morceau titre bâti sur le riff magique de Keef dans «Monkey Man». Ces éclairs de lumière remontent au temps béni de Let It Bleed. Prevost y pique sa crise, comme Jag à l’époque.

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    Mills prend des risques en évoquant le projet d’album avec Johnny Thunders. Prevost ne prend pas de gants pour répondre : «Ça ne pouvait pas déboucher. He was too fucked up on drugs. Nice guy, mais impossible de finir une seule chanson.» Alors, pour éviter que ça ne dégénère, Mills embraye sur Let’s Go Get Stoned. Prevost révèle qu’à l’époque il était enragé. Il parle de raw energy - The raw energy was a state of mind - On connaissait de grands exemples de mimétisme réussi : Union Carbide Productions pour les Stooges et les Subsonics pour le Velvet. Avec Let’s Go Get Stoned, les Chesterfield Kings sont encore plus stoniens que les Stones. C’est même l’un des plus grands hommages jamais rendus aux Stones. Et pourtant, ils brouillent un peu les pistes avec «Johnny Volume» qui fut le premier pseudo choisi par Johnny Thunders. Mais avec la cover de «Street Fighting Man», tout devient évident. Ils optent pour un énorme son de basse, mais ils ne vont pas jusqu’à imiter le minikit de Charlie Watts. C’est un nommé Paul Rocco qui se tape le beau solo vipérin et la basse d’Andy Babiuk gronde délicieusement dans l’épaisseur du son. Tous les morceaux de l’album sont prétexte à exercices de Stonesy style : «Drunkhouse» vaut pour un honky tonk blues de cabane, «Sing Me Back Home» de Merle Haggard se transforme en une sorte de «Dead Flowers», «One Foot In The Graveyard» vaut pour un bon swagger digne d’Exile, très typé, avec de la slide. Kim Simmons de Savoy Brown vient faire son Mick Taylor sur «It’s Getting Harder All The Time», mais son toucher de note est beaucoup trop délicat pour la Stonesy. Encore une belle leçon de swagger avec «I’d Rather Be Dead». Ils font une cover d’un cut des Stones pas très connu, «Can’t Believe It» et en profitent pour défoncer la rondelle des annales. En B, on trouve un «Rock’n’Roll Murder» co-écrit avec Kim Fowley. On parlait de Mick Taylor, ah bah tiens le voilà dans «I’m Not Talking», un cut bien énervé signé Mose Allison et que Prevost chante comme une petite gouape. On finit par tomber sur un vrai coup de génie : «Long Ago Far Away» qu’ils démarrent avec les ah-ouh de «Sympathy For The Devil» et qui roule ensuite sur les accords magiques de Keef dans «I’m A Monkey». Avec leur incroyable perspicacité, les Chesterfield Kings s’installent au panthéon de la Stonesy.

    Prevost attaque la période suivante en s’acoquinant avec Sundazed, puis Wicked Cool, le label de Little Steven. Mais ce n’est pas une période facile pour lui, car il y a du turn over dans le groupe. Il se retrouve avec des mecs beaucoup plus jeune que lui, 15 ou 16 ans d’écart, et donc, il s’oriente sur ce qu’il appelle des «projets» de type Surfin’ Rampage et Where The Action Is - Which are novelty records, more or less - mais boy, quels novelty records !

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    Joli novelty record que ce Surfin’ Rampage paru en 1997 : existe-t-il plus bel hommage rendu à Brian Wilson et à Gary Usher ? Non. Prévost et Babiuk se sont même arrangé les cheveux pour ressembler à des surfeurs. Comme son titre l’indique, tout sur cet album est on the beach, à commencer par sa longueur : 32 cuts, dont certains très connus comme «Little Honda», vrai shoot de BiBi craze. It’s alright ! Ou encore «Our Car Club», ils y ramonent la BiBi craze férocement, ils jouent à la heavyness méphistophélique. Ils tapent aussi dans le «Summer Means Fun» de PF Sloan. Cet album effare par la qualité du son et par son énergie. Ils le font pour de vrai. C’est un hommage aux Beach Boys mais avec un son plus gaga. Ils font du pastiche énergétique et ça sonne juste. Autant leur Drunk On Muddy Water sonne comme un gag, autant leur Surfin’ Rampage sonne comme un petit chef-d’œuvre pastichier. Leur ferveur impressionne. Dans «Farmer’s Daughter», Prevost chante comme Brian Wilson, il pulse son chat perché, tout est juste, le punch, les harmonies vocales et le soleil. En plus c’est signé Gary Usher. Ils vont vite en besogne, les voilà déjà partis à fond de train avec «Draggin’ Deuce». Ils reproduisent tous les éclairs du génie BiBi et se régalent du délire des machines («Shelby GT 356»). En fait, ils réinventent l’énergie perpétuelle du never ending summer. Encore une jolie BiBi craze avec «Black Denim», Prevost claque sa chique du coin de la bouche, ce mec est un démon. Encore du big bouzin de moulin avec ce «RPM» dédié à Gary Usher et Brian Wilson. «Double Red High» sonne comme un classic BiBi craze avec les harmonies à nœud-nœud et des chœurs de rêve. En fait, les solos de Ted Okolowicz sont du pur gaga. Gary Usher est partout sur la plage, le voici encore avec «My Little Bike» et ça donne un killer surf craze. Check my custom machine, miaule Prevost dans «Custom Machine». Fantastique obsession ! Prevost est un géant qui explore les mystères de la plage. S’il est un groupe qui peut se vanter de savoir jouer le surf gaga, c’est bien les Chester ! Tout est hyper joué dans les règles du lard. Ils visent l’impeccabilité des choses. Encore du Sloan avec «Tell ‘Em I’m Surfin». On frise l’overdose, mais c’est le but du jeu. Ils n’en finissent plus de revenir sautiller sur la plage.

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    Nouvel exercice de style avec Where The Action Is, l’album de reprises. Bienvenue au club des spécialistes ! Prevost ne tape pas dans les Gypsy Kings, mais dans les Gypsy Trips avec «Ain’t It Hard», un vieux retour de titille sixties joué dans l’écho du temps, mais avec un certain génie. Prevost lui allume bien la gueule, the beat goes on, pas de meilleure restitution possible. Avec cet album ils ressuscitent l’esprit du gaga sixties et Prevost en rajoute, il en fait même un peu trop dans «Wrong From Right» avec ses uh. Avec le «Five Years Ahead Of My Time» du Third Rail, ils tapent dans l’un des fleurons du gaga sixties. On entend de belles guitares psyché. Quel régal ! Et c’est là que Mark Lindsay duette avec Prevost sur «Where Do You Go From Here». Avec «I Walk In Darkness», Prevost bat Van the Man à la course. C’est une OPA sur «Gloria» chanté à la sale petite délinquance. Tout y est, l’I walk/ in/ darkness, le wouaahh de dommages collatéraux, les rebondissements d’harmo et les screams dans la cave. Bel hommage aux Standells avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White». À ce petit jeu, les Chester sont aussi bons que les Nomads. Prevost fait bien son Dick Dodd, il racle bien son tell your moma and your popa, il connaît toutes les ficelles du caleçon et revient inlassablement à son moma et son popa. Ils reprennent aussi le «Don’t Blow Your Mind» des Spiders, juste avant Alice Cooper. Prevost le chante à la colère noire. Il n’est pas homme à se calmer, au contraire. Ted Okolowicz passe un killer solo flash dans le «1-2-5» des Haunted. Prevost revient faire sa petite gouape des bas fonds et souffle dans l’harmo des Problèmes. Belle cover du «Little Girl» des Syndicate Of Sound, puis Babiuk bassmatique le «You Rub Me The Wrong Way» des Beatles et la farandole s’achève avec le «Happenings Ten Years Ago» des Yardbirds. Ted Okolowicz se prend pour Jeff Beck. C’est pas mal, mais il a encore du boulot.

    Au début du XXIe siècle, les Chester sont passés de mode et n’ont plus d’audience aux États-Unis. Le groupe bat de l’aile puis redémarre en 2002 avec l’arrivée de Paul Morabito. Les Chester renaissent de leurs cendres avec trois fantastiques albums, The Mindbinding Sounds Of…, Psychedelic Sunrise et Live Onstage If You Want It.

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    Autant appeler un chat un chat : The Mindbinding Sounds Of… est une bombe. Tous les titres de l’album sont bons, sans exception, tiens comme cet «Endless Circles» que redore le blason du gaga psyché. Ou encore ce «No Entity» où ils se prennent pour les Yardbirds. Et ça marche. Ils sont encore plus royalistes que le roi. Ils rendent un bel hommage aux Stones avec «Flashback», watch out ! Ça pue le Jack Flash à plein nez. Ils jouent le cut qu’ont toujours rêvé de jouer les Stones. C’est à ce moment précis qu’ont réalise que les Chester ont du génie, car il en faut pour savoir rendre des hommages aussi superbes. Autrement, ils font beaucoup de gaga punk, à commencer par «I Don’t Understand». Ils se situent dans le mood des meilleurs exemples, avec le son des guitares, les chœurs d’artichauts et ce mec qui chante à l’avenant. Heavy power psychédélique. Un hit de rêve. Celui dont rêvent tous les jukes. Ils restent dans heavy gaga psyché avec «Runing Through My Nightmares». Ils ont le pouvoir et sortent un son violemment pur. Prevost chante à la force du nez, ils vont même trop loin car le cut leur échappe. Ils font aussi du gaga de Stonesy avec «Somewhere Nowhere». Tout ce qui les intéresse dans la vie, c’est de charger leur chaudière. Tout ici n’est que heavy psychedelia. «Transparent Life» sonne comme un shoot de psyché cavalé ventre à terre. Prevost fonce à la folie Méricourt. C’est pour ça qu’on l’admire. Il n’est pas du genre à ralentir ou à baisser les bras. Ils rendent un bel hommage à Bo Diddley avec «Death Is The Only Real Thing». Merci Bo, car ce riff est le plus distinctif de tous. N’allez surtout pas prendre les Chester pour des brêles, ce serait leur manquer de respect en manquant de clairvoyance. On l’a déjà dit, mais on le redit : tout est bon sur cet album qu’il faut considérer comme un album classique.

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    Avec le temps, les Chesterfield Kings gagnent en crédibilité sonique et graphique. Il suffit de voir la pochette de Psychedelic Sunrise et d’écouter ces énormités que sont «Streaks & Flashes» et cet «Elevator Ride» bardé du meilleur son qu’on puisse espérer. Ça sonne comme des hits de pop anglaise. On se croirait sur Between The Satanic Buttons Request. Le son éclate. C’est un album qui grouille de surprises, dès «Sunrise», shoot de heavy punk psychédélique. Ils cherchent l’au-delà du commun des mortels avec un son arrosé de giclées mirobolantes. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Avec «Rise And Fall», ils basculent dans la heavy psychedelia de la pire espèce et Prevost chante comme un crevard, avec toute la hargne du monde. Il chante à la victoire certaine. Il ne sait faire que ça, peaufiner sa chique. Voilà encore un cut chargé de son, bien languide et culminé. Un beau killer solo illumine «Up & Down». «Inside Looking Out» nous ramène dans les sixties, back in the past, comme dirait Prevost. Il chante à la force de sa voix de nez, avec un petit côté Johnny Thunders, et c’est entrecoupé par un fier solo d’incartade. Bienvenue dans le big business. Trois merveilles se disputent le trône en B : «Spanish Sun» (monté sur le thème de «Paint It Black»), «Outtasite» (pur garage hell avec le gros riff de fuzz à la «I Could Only Give You Everything», écrasant de power, avec une fuzz qui s’étrangle en plein course, c’est du golden casquette de gaga, les Kings sont bien des Kings) et «Stayed Too Long» (on se croirait une fois de plus sur Exile, c’est exactement le même son, mais là les élèves dépassent les maîtres, Prevost est encore pire que Jag). Et il n’existe pas de meilleurs «Yesterdays Sorrows» que ceux des Chester. Ils sont sur une niche, ni trop gaga, ni trop Stonesy, ni trop psyché, disons un astucieux mix des trois. Les fans du groupe ont bien sûr écouté le CD qui va avec l’album, car on y trouve des bonus diaboliques. À commencer par «The Wrong Place To Hide», stupéfiant d’allant, radical, on se croirait dans un Back From The Grave, beautiful sixties gaga punk flavour, l’art suprême de la gelée royale. Ils sont magnifiques de mimétisme tentaculaire. Et ça continue avec «Stop! Hey! Take A Look Around», plus pop et entraînant, fantastique de look around, ils arquent aux guitares des Byrds et brament non pas à la lune mais au miraculeux matin d’été 65 quand tu es jeune et que tu as encore tes 32 dents bien blanches, hey look around ! Ils finissent en removant «Thre’s A Time» à la heavy fuzz. Ils ne reculent devant aucun sacrifice et il faut les saluer pour ça. Ils descendent très profondément dans le son, c’est leur mantra.

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    Live Onstage If You Want It permet de confirmer tout le bien qu’on pense des Chester. Sur scène, leurs hommages aux Stones prennent une ampleur considérable. Ils annoncent la couleur dès «Up & Down» et jettent toute leur ferveur dans la balance. C’est un vrai sludge, l’apanage de la heavy Stonesy. Ils la fracassent, le pauvre Jag peut aller se rhabiller. Prevost démolit tout, backed par la pire équipe de killers outta here. Ils sonnent comme les Stones en 63, mais à la puissance 1000. S’ensuit le cash out de «Sunrise», ils sont les rois de la maintenance du feu sacré, ça sent le garage brûlé et ça repart en mode Stonesy avec «Transparent Life», le fameux clin d’œil à «Paint It Black». Ils dégoulinent d’une classe beaucoup trop pure. «Non Entity» les porte au sommet du rave up. Ces sales voyous sodomisent le gaga punk à coups d’I can’t come back, wow comme ça claque ! Prevost fait le job et marche dans la colique d’un solo liquide. Wouah ! On note qu’Andy Babiuk joue sur une basse Vox Teardrop. Fantastique version du «Flashback» monté sur l’intro de Jack Flash, Prevost sort toute l’arrogance de Rochester pour réactiver le mythe de Jack Flash. On voit le fantôme de Brian Jones danser dans le doom. Prevost chante aussi son «Dawn» à la racine des dents, à chaque fois, il semble mener un assaut. Nouvelle crise aiguë de Stonesy avec «Stayed Too Long» et Prevost s’assoit sur ses lauriers. Un «Stayed Too Long» qu’on croirait sorti d’Exile, véritable boogie down de Nellcôte, exactement le même, cos’ I try so hard. Ils font un détour par les flammes de Raw Power pour «Johnny Volume» et replongent dans leur gaga chéri avec «Outasite». Prevost y place des awites fermes et définitifs. Le festival se poursuit avec un hommage aux Them, «I Walk In The Darkness», I look at my windoye, ah quel sale punk, il a du son derrière lui, alors il en profite. Pur jus de Them frenzy, right down on the floor, fantastique giclée d’I walk in the graveyard. Oui ça pue le graveyard et le jus de chaussette et cette façon qu’il a de relancer le darkness ! Call my name ! Wow ! Ils tapent aussi dans le «Rock’n’Roll Murder» co-écrit avec Kim Fowley et optent une fois encore pour la stoogerie. Prevost se prend pour un Iggy de Rochester. Ils n’en finissent plus de jouer au sommet de leur art. Peu de gens sont capables de passer de la Stonesy à la stoogerie sans coup férir. On se prosterne donc jusqu’à terre.

    Avec le CD, Wicked Cool nous offre le DVD du set. Doc extrêmement intéressant. On voit tout de suite que Prevost a pompé toute la gestuelle de Rod the Mod. Exactement la même allure, mais avec le power américain. Les autres passent très bien eux aussi : Mark Boise énorme au beurre, Babiuk sur Teardrop et Paul Morabito pépère sur Tele. Ce qui frappe le plus, c’est de voir Prevost revenir en 1972 : il joue beaucoup avec son pied de micro et s’approche souvent de la caméra. Il a une grosse mèche dressée sur le sommet du crâne et deux ou trois autres colorées. Il joue énormément son personnage et tombe à genoux facilement. Il peut même ramper au sol avec son micro. Physiquement il est très complet. Même trop complet. Il est même si léger que dans «Dawn», il tombe à genoux et se relève d’un petit bond, sans s’aider des mains. Ils font toute une série de cuts en acou («I Don’t Understand», «Gone», «Sing Me Back Home» et «Drunkhouse»). Cadré serré, Prevost n’a pas l’air aimable. Babiuk se prend encore plus pour Brian Jones avec son acou. Et pour jouer les deux cuts dollsy («Stayed Too Long» et «Johnny Volume»), Morabito change de guitare et joue sur une Les Paul Junior, comme Johnny Thunders, et forcément le son est là tout de suite. Quand Prevost se roule par terre, il réussit l’exploit de rester coiffé. Tout cela impressionne au plus haut point.

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    Et voilà, Mills aborde le sujet qui fâche : la fin des Chester. Prevost : «It was like a firecracker that fizzled out. We ran our course basically and people lost interest in us.» (Ça s’est terminé comme ça devait se terminer. On avait fait le tour et le public était passé à autre chose). Il ajoute que c’est le destin de tous les groupes qui durent 30 ans, unless you are the Stones or Aerosmith. Prevost indique qu’il a quitté le groupe qu’il avait fondé et dont il était à la fin le seul membre original - I was tired. Totally burnt out - Il se sentait devenu un has-been cult band singer - I became a parody of myself. As simple as that - Et pour lui remonter le moral, Mills lui demande quels sont ses meilleurs souvenirs collaboratifs. Il dit avoir adoré travailler avec Mark Lindsay des Raiders et Sal Valentino des Beau Brummels. Par contre, la collaboration avec Johnny Thunders fut la plus problématique.

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    En 2012, Greg Prevost décide d’enregistrer un album solo, Mississippi Murderer. On le voit dans le bac de Born Bad et on se dit oh la la, quelle merde ça doit être. Mais on le ramasse quand même. C’est vrai que la pochette n’inspire pas confiance : assis au bord d’un chemin, Prevost gratte un dobro. On s’attend donc à des mauvaises reprises de Robert Johnson. Eh bien pas du tout. Prevost en bouche même un coin avec son heavy boogie inspiré. «Death Rides With The Morning Sun» annonce bien la couleur. Big bass & drums, et hop c’est parti pour un voyage au pays du dark & muddy boogie. Au fil des cuts, Prevost maintient le cap sur un boogie dévastateur et sournois. Il fait du blues de punk avec une sacrée emphase. Bel hommage à Skip James avec «Hard Times Killing Floor Blues» et retour au heavy blues-punk de junk avec «Stoned To Death». Il dépasse toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. Il termine son bal d’A avec une version hargneuse de «Hey Gyp», aussi hargneuse que celle d’Eric Burdon, c’est dire si. Il y va franco de port avec le bah you a Cadillac. Du coup on est conquis lorsqu’on entre en B. Avec «Ain’t Nothing Here To Change My Mind», il retrouve les accents de Jag dans «Midnight Rambler». Et dans «Downstate New Yawk Booze», il gouleye bien son goh too Niew Awk, c’est du mâché de papier mâché punkoïde. Tiens on parlait de Robert Johnson, justement le voilà avec «Ramblin’ On My Mind». Bien vu, Prevost, coups d’harmo à la clé. Ce mec connaît toutes les ficelles de caleçon, ça le rend précieux. Dans «Never Trust The Devil», il dit : «I should have left there a long time ago.» Eh oui, mon vieux, il faut toujours partir avant qu’il ne soit trop tard. Il termine cet album surprenant avec le «John The Revelator» de Blind Willie Johnson, qui est un classique du gospel blues monté sur les questions réponses Who said that/John the Revelator said. Prevost le tape au big heavy boogie down chanté de l’intérieur du menton, John the Revelator said ! Il fait les questions et les réponses tout seul. Fantastique artiste !

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    Du coup, on s’est jeté sur son deuxième album solo, Universal Vagrant. Même principe : Prevost pose sur la pochette avec sa coiffure de mèches multicolores à la Todd et une Telecaster. Il ramène aussi la fine équipe du premier album solo, Alex Patrick on bass et Zachary Koch on drums. Il ressort son swagger à la Jag dès «Moanin’ The Blues». On se croirait une fois encore sur Exile. Cet incroyable putschiste prend le pouvoir avec «Gin-Soaked Time Warp» et se montre encore plus royaliste que le roi de la Stonesy. De toute évidence, il a appris son métier de shouter en écoutant l’early Jag. Il montre les même tendances à la voyoucratie. Il passe ensuite à un autre roi, le roi Arthur, avec une stupéfiante reprise de «Signed DC». Dès le premier accord, on sait qu’on entre chez Arthur Lee. Ce démon de Prevost en fait une mouture bien lugubre. Il se tape même le solo d’harmo. Il revient au heavy gospel blues avec «Evil On My Mind» et rend hommage à Muddy avec «Mean Red Spider». Il restitue le power de Muddy de toutes ses forces. La B est hélas un peu plus faible. Prevost la sauve avec «Hayseed Riot», un boogie-rock de type seventies bardé de hargne et de below the belt. Il termine avec le vieux classique de Buffy, «Codine» que prisait aussi Jim Dickinson.

    La bonne nouvelle c’est qu’il annonce à Mills avoir enregistré un troisième album solo avec Mick Patrick. Ça sortira quand ça sortira, une fois dit-il que la poussière sera retombée sur la terre.

    Signé : Cazengler, Greg Pré-Veau

    Chesterfield Kings. Here Are The Chesterfield Kings. Mirror Records Inc. 1982

    Chesterfield Kings. Stop! Mirror Records Inc. 1985

    Chesterfield Kings. Don’t Open Til Doomsday. Mirror Records Inc. 1987

    Chesterfield Kings. The Berlin Wall Of Sound. Mirror Records Inc. 1990

    Chesterfield Kings. Drunk On Muddy Water. Mirror Records Inc. 1990

    Paisley Zipper Band. Long Ago Far Away. Trident 1990

    Chesterfield Kings. Let’s Go Get Stoned. Mirror Records Inc. 1994

    Chesterfield Kings. Surfin’ Rampage. Mirror Records Inc. 1997

    Chesterfield Kings. Where The Action Is. Sundazed Records 1999

    Chesterfield Kings. The Mindbinding Sounds Of… Sundazed Records 2003

    Chesterfield Kings. Psychedelic Sunrise. Wicked Cool Records 2007

    Chesterfield Kings. Live Onstage If You Want It. Wicked Cool Records 2009

    Greg Prevost. Mississippi Murderer. Mean Disposition 2012

    Greg Prevost. Universal Vagrant. Mean Disposition 2016

    Jon Mojo Mills : In the past. Shindig # 104 - June 2020

     

    ROCKABILLY GENERATION n° 17

    AVRIL / MAI / JUIN 2021

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    Imperturbable ! Plus de concert depuis un an, trois confinements coup sur coup, et Rockabilly Generation News tient le coup ! Rien de plus opiniâtre que des rockers qui ont le rockab chevillé au corps. Le lectorat se développe, non Nicolas le rockab n'est pas mort. D'ailleurs on plonge illicrock page 8, ils sont beaux et ils sont jeunes, ils s'appellent The Evil Teds, ils n'ont pas pas dépassé la vingtaine et sont en train de concrockter un album. Les photos de Sergio Kash sont superbes ( comme toujours ) ce qui ne l'empêche pas de poser la question qui inquiète. Quel futur pour le rockabilly. N'ont-ils pas l'impression d'être différents de leur génération, si bien sûr, disent-ils mais ils assument, revendiquent ce qu'ils sont, des Teds porteurs d'une culture dont les racines ont pris naissance voici près de quatre-vingts ans dans le tuf fertile des USA, même si le britannique Crazy Cavan est pour beaucoup dans le déclenchement de leur passion rockabillyenne.

    Deux figures historiques du rockabilly au sommaire du numéro, la première Carl Mann liée à sa disparition à la toute fin de l'année 2020, la deuxième était prévue, cette dix-septième parution devait être un hommage à l'un des tous derniers survivants des Pionniers, Gene Summers, dans la rédaction de Rockabilly News l'on était heureux de savoir que Gene en personne pourrait tenir entre ses mains ce magazine en grande partie consacré à son parcours, la camarde ne l'a pas voulu, voici à peine plus d'un mois Gene est passé de l'autre côté... Parfois comme disait Milosz, il se fait tard dans le jour du monde.

    Gene Summers fit partie de ces pionniers que la vague européenne rockabilly a sorti de l'oubli, poussons notre crockcorico, les fan-clubs français regroupés autour de confidentielles revues et le label Big Beat Records cornaqué par Jacky Records ne sont pas étrangers à cette renaissance. Jacky l'accompagna sur scène et nous livre ici une interview inédite datant de 2020, de même que dans les propos recueillis par son fils Shawn, Gene se montre tel qu'il était, un homme simple qui a consacré une grande partie de sa vie à cette musique qu'il a aidée à naître et à conserver vivante. Un homme jette un regard sur sa vie et l'on sent qu'il en éprouve sans aucune ostentation une grande et tranquille fierté. Lui qui était un lointain cousin d'Elvis a beaucoup côtoyé Carl Perkins. Difficile de trouver mieux parmi une liste de connaissances. Il a fait le job, comme aiment à dire les ricains.

    Le dernier fils du soleil nous a quittés. L'expression ne désigne pas un ultime guerrier apache, mais Carl Mann, le dernier des pionniers enregistré par Sam Phillips sur le mythique label Sun. Greg Cattez nous présente le personnage avec brio, m'a même donné envie d'aller le réécouter, moi qui n'ai jamais supporté ( je dois être le seul dans ce cas ) le timbre de sa voix ! Lire en parallèle les carrières de Carl Mann et de Gene Summers est instructif, deux hommes de la même génération qui découvrent la musique de la même manière, grâce à la radio et la célèbre émission Le Grand Ole Opry, cela donne l'impression que tous les adolescents de l'époque qui restaient accrochés aux retransmissions en direct sont par la suite devenus chanteurs... Et puis l'influence d'Elvis alors qu'il n'est encore qu'une vedette régionale... enfin j'ai retrouvé un point commun avec ma modeste personne, tous deux sont des fans de Lefty Frizzel ! Carl Mann qui a raccroché la guitare sera redécouvert lui aussi grâce à l'Europe...

    Déjà vous êtes heureux, les yeux remplis de documents photographiques rares, cette belle légende racontée à plusieurs voix, vous êtes repus, vous ne demandez plus rien, il vous reste encore le meilleur à lire, Gilles Vignal, cet homme a un CV rock long comme quatre cous de girafes, un activiste rock, il a accompagné Gene Vincent lors de sa tournée française en 1967 – notons que l'on ne se battait guère à l'époque pour cet honneur - c'est donc son groupe le Rock'n'roll Gang qui se chargera de cette mission insigne. Le Rock 'n' Roll Gang reprendra du service au début des années 80, la renaissance rockabilly obligeant... les amateurs de rock 'n' roll doivent une fière chandelle à Gilles Vignal, un chercheur infatigable, un passeur de mémoire vive, toujours présent, Gilles n'a jamais arrêté de jouer, de chanter, d'écrire, de rédiger des revues, de tenir des blogues, toujours prêt à prêter main-forte... Total respect pour cet homme serein et modeste qui pense avoir été seulement le jouet de chanceuses circonstances hasardeuses alors que la foudre méritoire du rock'n'roll ne tombe pas sur n'importe qui.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,70 Euros + 3,88 de frais de port soit 9,20 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

     

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS / 1968 ( II )

     

    Les temps ont changé. Pas de beaucoup, juste quelques mois. Pas dans le sens souhaité. Le rêve hippie s'est volatilisé. L'ère de la désillusion commence. Eric Burdon n'abandonne pas la lutte, il effectue un repli stratégique sur sa terre d'élection, le blues. Et l'autre, celle de son origine sociale. Ne prêche pas la nécessité de la révolution armée mais n'oublie pas d'où il sort, simple question de conscience de classe. Il vient d'Angleterre, il n'a jamais été dupe, mais maintenant il est en Amérique, son amour du blues de petit gars de Newcastle Upon-Tyne a pris une grande baffe dans la gueule, de l'idéal, du virtuel, de la sympathie sentimentale qu'il a éprouvés envers le peuple du blues, instinctivement subjugué par l'énergie vitale de ses disques d'adolescent, il est confronté à la réalité de ce qui se cache derrière des mots si simples, Every day I have the blues, rien à voir avec le spleen poétique de Baudelaire, ni avec les fumeuses rêveries des enfants gâtés de la petite-bourgeoisie blanche... Chanter le blues pour eux reviendrait à donner de la confiture aux petits cochons roses. Every one of us, chacun de nous, n'est pas un titre à portée universaliste, nous ne sommes pas tous frères, il y a les uns, et il y a les autres. La pochette est sans appel, nos Animals avec leurs casquettes de prolo sur la tête ou leurs gueules d'intellectuels anarcho-marxistes revendiquent leur camp.

    EVERY ONE OF US

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    Eric Burdon : vocal / John Weider : guitar, violin, celesta / Vic Briggs : guitar / Danny McCulloch : bass, vocal, 12 string-guitar / Barry Jenkins : drums / Zoot Money : org hammond, vocal, piano .

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    White houses : musique douce, paroles amères, rythme de menuet – Steppenwolf adoptera une même stratégie sur Monster – ici on ne tue pas les indiens, on laisse crever les déshérités dans les bouges - l'on croit lire l'enquête de Jack London sur les slums londoniens, de temps en temps Burdon agite le scalp d'un vocal viscéral, les guitares perforent plus fort un solo de colère rentrée puis tout se calme dans l'engluement de la misère... Un des titres les plus forts des Animals qui passera par chez nous à peu près inaperçu, le disque étant réservé au marché américain. Une espèce de ballade country blues psyché, avec des paroles que l'on ne rencontre jamais aussi crûment, aussi politiques dans le blues des origines. Uppers and downers : vingt-quatre secondes, difficile de faire plus court, l'on frôle l'insignifiance, surtout si l'on écoute les paroles, l'on est en plein nursery rhyme, les anglais raffolent de ces comptines enfantines qui flirtent avec le non-sens, de parfaits exemples de cet esprit britannique cher à Lewis Carroll, ne soyez pas sévères avec ces enfantillages, Stéphane Mallarmé les adorait, il a été retrouvé dans les papiers du poëte un manuscrit de ses propres traductions prêt à être imprimé... Les paroles sont d'une évidence qui flirte avec l'idiotie, l'idée de base est très simple : si vous êtes en haut de la colline vous êtes en haut, si vous êtes en bas vous êtes en bas, si vous êtes au milieu de la pente, vous n'êtes ni en bas ni en haut. Pour énoncer de telles lapalissades pourquoi Burdon prend-il sa grosse voix de baryton d'opéra et pourquoi derrière lui les musiciens font-ils monter la soupe crescendo à la vitesse du lait sur le feu qui déborde. Facile de trouver le sens symbolique si vous l'écoutez à la lumière de ce qui précède ( c'est suffisant ) et de ce qui suit ( confirmation absolue ), vous occupez une place dans la société vous êtes condamnés à y rester, que vous soyez tout en haut ou tout en bas. Dans ce dernier cas, n'espérez aucune amélioration, les pauvres restent pauvres et les puissants sont toujours installés au sommet... Déterminisme social... Serenade to a sweet lady : que voulez-vous dire de plus après les deux bilans précédents, le premier poignant, le deuxième empruntant au grotesque ? Rien à rajouter. Ce troisième morceau sera donc strictement instrumental. L'on ne s'y attend pas mais nous changeons de continent musical, nous voici au Brésil en pleine bossa nova, Weider a composé le morceau, Danny McCulloch vous tire de ces lignes de basse à faire agoniser de désespoir un cachalot, nous sommes loin de l'exubérance du carnaval de Rio Janeiro, plus près de la tristesse des favelas, l'on ne sait pas où cet album va nous mener, l'on comprend que le chemin que nous empruntons s'infléchit étrangement et pas une seconde nous vient à l'idée de rebrousser chemin. Quant à la sweet lady, z'aurez besoin d'une imagination débordante pour l'apercevoir, les rêves ne meurent jamais mais ne se laissent pas attraper. The immigrant lad : l'on était à l'autre bout du monde, retour à la case départ, Newcastle upon-Tyne, une ballade dans le style de celles qui ont traversé l'Atlantique et ont servi de moule pour les premiers blues au siècle précédent, douze cordes dans la série qu'elle était verte ma vallée, comment quitter ce pays noir qui grouille de houille, rivière infranchissable, la vraie vie de l'autre côté, la jolie fille aussi, cris de mouettes, silence, plus de musique, bruits de tasses et de verres, le jeune immigrant n'a pas traversé l'Océan, son rêve n'était pas si éloigné, du boulot pour un peu d'argent sur les quais de Londres, conversation dans une taverne, ce n'est pas pour s'embarquer pour l'île au trésor, un jeune cockney ne lui cache pas qu'il est difficile de vivre pour un déraciné dans la capitale... surprise, davantage que du spoken words, quasi un documentaire pris sur le vif dont aurait coupé l'image, la véritable musique du prolétariat n'est-ce pas dans la voix des déshérités qu'elle se fait entendre... on est en Angleterre mais aussi un peu dans un livre de Steinbeck ou de Dos Passos, ou un film d'Elia Kazan... la voix de Burdon sourde et chargée de nostalgie est fabuleuse. Year of the guru : carrément électrique, Burdon débite ses couplets à la manière d'un rappeur, c'est ce qui s'appelle avoir de l'avance sur l'évolution, un rythme implacable, un pauvre gars, un gros naïf malmené par son chef, l'adjudant se joue de lui, finira dans un asile de fous – n'est pas le seul à le devenir, le piano de Zoot Money ricane comme un onagre pris dans une nuit d'orage, les guitares enflent et débordent en rivières en rut, dans son délire le fou est devenu le maître du monde, il a tout compris, tout lu, tout vécu, le rythme se précipite, la voix de Burdon se transforme, s'emplit de résonances africaines, devient habitée par une transe, une possession shamanique de quelque chose de primordial, de primal, qui vient du plus profond des âges premiers, une communication avec la terre noire mère des hommes. L'on ne peut s'empêcher de penser au rappeur Keith Elam qui changera son nom en Guru acronyme de Gifted Unlimited Rhymes Universal... La négritude travaille ce chanteur blanc de blues qu'est Eric Burdon. Morceau diabolique, morceau vaudou, morceau totémique...

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    St James Infirmary : retour au blues en ouverture de la face B, et pas n'importe lequel, en quelque sorte le frère jumeau quant à son historiographie et sa célébrité à The House of the Rising Sun. Mais ici Alan Price ne bouche pas le paysage avec la grandiloquence de son orgue, Eric Burdon et ses Animaux n'ont pas choisi le pachyderme qui encombre l'écran, ont préféré la silhouette spartiate de la panthère noire qui se déplace sans se faire remarquer. Sombre, très sombre, lourd très lourd, nudité assumée, simplement rehaussée de courts appels à Dieu dans la pure tradition des chœurs interjectifs et funèbres du gospel, n'a pas choisi les paroles les plus directes le plus souvent employées, ce n'est pas le conteur qui raconte le terrible récit mais son ami le vieux Joe, ce qui introduit un effet de distanciation des plus glaçants, et permet en un deuxième temps l'explosion d'un paroxysme passionnel, ces hurlements de douleurs tellement insupportables, qu'ils sont suivis d'un court balancement jazzy du genre vaut mieux passer l'éponge sur le drame... version sublimissime. New-York 1963 – America 1968 : le grand-œuvre, l'aboutissement de l'album, mille chemins ouverts, tous les thèmes abordés précédemment sont repris en un long opéra de près de vingt minutes. Un rythme lent et lourd en accord avec la tonalité de l'album, les flots majestueux du Mississippi, je sais il ne coule pas à New York mais la big Aple est colonisée par son delta, l'immigrant y rencontre l'âme et la chair du peuple noir, il tombe en admiration de cette manière d'accaparer l'aisance d'être et de se poser dans la beauté du monde, des chœurs tout de suite en entrée, pas les fanfares ironiquement éclatantes de Sky Pilot, mais des bribes de ferveur contenues qui s'harmonisent avec le lent déroulement du serpent vocal burdonien qui déroule ses anneaux et rampe sans se presser sur le sol, Burdon chante – l'on aurait envie d'écrire parle mais la ligne mélodique nous l'interdit – il y a de tout dans ces paroles, l'émerveillement enthousiaste qu'exhalent Les feuillets d'herbes de Walt Whitman et des bouts de réalités américaines inquiétantes sur lesquelles on ferme les yeux. Mais pas les oreilles. Scènes de la vie quotidienne des noirs. L'on a changé de registre, la musique a disparu, conversations enregistrées, la vie des noirs sans cesse rejetés, qui ne peuvent vivre et s'entraider en paix, que l'on laisse crever au bord de la route, et personne qui ne veut voir, il faudra bien un jour que ça change, deuxième mouvement de l'opéra de quat' cents, on a enlevé la musique pour que vous compreniez mieux, plus de trois minutes, les noirs prennent la parole pour la garder, nous sommes en plein mouvements civiques, le chant reprend, une supplique basse murmurée à la terre, toute simple, vouloir être libre et le tambour de Jenkins prend de l'ampleur, des voix se confondent, ceux qui ont l'espoir et ceux qui n'y croient pas, la rage prend le dessus, peu à peu, elle devient incoercible, l'on verse dans une espèce de spoken gospel, et la rythmique commence à charrier les eaux boueuses de la colère, le funk s'insinue et presse le mouvement, ondées et vrilles d'orgue de Zoot Money, cris dans le lointain qui se confondent avec des sirènes de voitures de polices, salmigondis sonores, surnage le mot de revendication primaire hurlé maintenant à pleine voix, freedom, la belle chose, la bonne chose, la chose droite, si tu ne te bats pas tu ne seras jamais libre.

    C'est en mai 1968 que The Last Poets font leur première apparition publique pour commémorer la mort de Malcolm X, Every one of us est enregistré en juin, Eric Burdon est emporté par un mouvement de révolte collective beaucoup plus grande que sa petite personne, parfois l'Histoire se saisit de vous, et vous incorpore en son tourbillon, Every one of us paraît en août, Briggs et McCulloch ont déserté la mâture en juillet, c'est le chant du cygne noir des Animals, il reste encore un disque à paraître en décembre, voir ci-dessous, mais Every One of Us est à écouter comme une étape importante du blues, il clôt un cycle commencé dans le Delta, un enregistrement prodigieux qui interroge et surprend. Ce que les Doors n'ont jamais réussi à concrétiser avec l'enregistrement non retenu de The Rock is dead, parce que le sujet à cette époque ce n'était pas le rock mais le blues, ce que Steppenwolf n'a pas su magnifier car déjà engagé dans un des nouveaux avatars du blues : le hard rock.

     

    LOVE IS...

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    Eric Burdon : vocal / Zoot Money : bass, backing vocals, spoken words, organ, piano / Andy Summers : guitar, backing vocals / John Weider : guitar, violin, backing vocals / Barry Jenkins : drums, percussion, backing vocals / Robert Wyatt : backing vocals.

    Quel titre ! Après Every One of Us l'on s'attendait à tous sauf à une titulature turlututu  si cucul la praline ! Quelle régression conceptuelle ! Mais surtout quelle horrible pochette, la couve la plus kitch de toutes les sixties. Devait être sous je ne sais quel produit le Burdon pour avoir laissé passer cette ignominie, ou alors devait s'en foutre ! Pour les Animals les haricots rose bonbon étaient cuits depuis longtemps. Un double album de reprise qui sent le remplissage à plein nez, rien qu'à ouvrir le gatefold vous sentez que ça se gâte, quel mauvais goût surtout ne transmettez pas mes félicitations à l'auteur de cette horreur un certain Mitchel Brisker, à notre connaissance il n'a réalisé que quatre couvertures de disques, sans une once d'originalité, mais le sort s'acharne sur nous, celle-ci est de très loin la pire...

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    River deep, mountain high : Burdon n'a peur de rien, n'a-t-il pas osé voici à peine deux ans porter la main dans le saint des saint du rock'n'roll, touché à l'intouchable, et produire une cover au Paint It Black ( horreur et sacrilège ! ) des Rolling Stones, offrant une relecture du morceau qui équivalait à une re-création. Pour ouvrir Love is... il tape encore plus haut, ni plus ni moins que le wall of sound, le fameux mur du son de Phil Spector, et pire que tout rivaliser avec Tina Turner – les Stones apprirent d'elle tout ce qu'ils avaient cru comprendre du rhythm 'n' blues - c'est-là le genre de défi que le petit blanc de Newcastle aimait à se donner... impossible de rivaliser avec le torrent de Tina Turner qui déboule sur vous avec la force sauvage des flots de Poseidon emportant comme des fétus de paille les épais remparts de la mythique cité d'Atlantis, donc le Burdon et ses Animals font exactement le contraire, n'abattent pas les murailles, les construisent brique par brique, évidemment ça prend plus de temps, doublent le timing, et ils s'y mettent tous, décomposent les mouvements, chacun aura droit à son petit quart d'heure de gloire, même qu'au beau milieu le solo de Zoot à l'orgue un tantinet trop trop long nous fait dire zut, oui mais ça reprend du genre le sprinter aux JO qui s'arrête pour fumer sa clope, et qui repart pour passer en premier la ligne d'arrivée, mettent du cœur à l'ouvrage et le Burdon il vous écrase et crisse sa voix encore pire que Tina, du coup l'on a droit à des chœurs féminins qui surgissent là-dedans comme les commissaires de police venaient vérifier les adultères au début du siècle précédent, et tout le monde se met à miauler car il faut bien faire quelque chose et ils le font bien, bilan, loin d'être ridicules ont même rendu hommage à Tina au milieu du capharnaüm, certes ils n'ont pas le mur, mais ils ont le son, total z'ont élevé une tour phonique qui bouche l'horizon. I'm an animal : si le titre précédent était en quelque sorte un pari incontournable pour Eric Burdon le choix de celui-ci est lourd de signifiance quant à la suite de la carrière du très bientôt futur ancien chanteur des Animals, le titre est de Sylvester Stewart beaucoup plus connu par le diminutif de son prénom Sly auquel il faut ajouter le reste de la famille and The Stone Family... Sly and the Stone Family premier groupe d'envergure nationale muti-racial, précisons ( blancs et noirs ) genre de mélange qui n'était pas très apprécié aux States de l'époque... I'm an Animal est un extrait de Life le troisième album du groupe sorti en juillet 1968, sans doute vaut-il mieux s'attarder sur le titre du premier sorti en 1967 The whole new thing, cette totale nouvelle chose désigne certes une exigence de révolution ( a minima des mentalités ) à venir mais est aussi à comprendre en tant que volonté musicale de s'ancrer dans la musique noire – la New Thing est aussi l'autre nom du Free Jazz – dans l'idée d'un renouvellement, d'une fusion qui engloberait blues, jazz, rhythm 'n' blues et rock 'n'roll, le blanc et le noir, non pour tout égaliser en un gris uniformisateur mais de déboucher dans un éclatement de couleurs funkadéliques... Bon la petite Rosie de la famille Stone, une véritable petite chatte qui joue avec ses chatons sur le canapé, c'est mignon tout plein, vous auriez envie de la cajoler, mais le Burdon, question animal il en connaît un animax, faut pas le lui refaire, garde la bande son à l'identique, mais c'est vraiment le matou sauvage et vicieux qui compte aider à la multiplication de l'espèce féline, saute sur la chatoune et vous l'enfourne sans ménagement. Lui enfile au moins douze bâtards dans le pertuis. Dommage que question musique ils se soient contentés de recopier l'arrangement initial. I'm dying ( Or am I !?) : de Burdon, nous fait part de ses états d'âme, ce n'est pas le To be or not to be de Shakespeare, monologue un peu encombré par des chœurs – une fois féminin, une fois masculin – l'on ne sait pas trop où en est, une espèce de ballade country psyché ( ou psychosée ? ), grands effets de manches vocaux, un orgue qui vous marche sur les pieds, pas vraiment le pied. Qui trop étreint mal embrasse. Vous passez vite à la suivante. Ce qu'il y a de meilleur dans ce morceau c'est le titre. ( Fin de la face A ). Ring of fire : choking l'on quitte le blues pour le country le plus pur, le morceau fut créé  en 1962 par Anita Carter la fille de Mother Maybelle Carter, sans surprise puisqu'il était co-signé par sa sœur June Carter destinée à devenir l'épouse de Johnny Cash qui lui-même l'enregistra peu après la même année. Le deuxième co-auteur de Ring of fire n'est autre qu'un cousin éloigné de June – les dynasties country sont un tout-petit monde – Merle Kilgore, une sommité officielle de la country music, qui à quatorze ans côtoyait déjà Hank Williams. L'on peut s'amuser à traduire Ring of fire par les feux de l'amour, mais pour Merle Kilgore, l'expression ring of fire désignait très précisément la sensation que lui procurait la pénétration d'un sexe féminin. Faites un tour autour de la petite Anita, sa version n'est pas mauvaise, même si l'interprétation de Johnny Cash l'a éclipsée, le Burdon c'est un malin, il vous accentue le ralenti que Cash avait imposé, l'a jeté les trompettes et les mariachis, vise sur l'authenticité, vous prend une voix d'agonisant, et les chœurs imitent les grandes orgues de votre messe d'enterrement, la guitare s'étire lentement comme si on lui tirait les tripes centimètre par centimètre hors de sa caisse. Le Burdon, il vous fait la totale grand spectacle, l'anneau, le feu et les cendres. Que voulez-vous de plus ? Rien, alors vous le remettez, dans l'urne vous votez pour Burdon. Coloured rain : Burdon l'a trouvé sur l'album de Mister Fantasy de Traffic paru en décembre 1967, l'on comprend ce qui l'a attiré dans cette gentillette déclaration d'amourette, la prédominance de l'orgue, la dérive psyché qui ressemble ( en moins beaucoup moins fort ) à certains titres de Winds of change, le Burdon vous bouffe le morceau et tous les autres ne se privent pas pour l'imiter, à plein gosier, à pleines cordes, à pleines touches, la version Traffic ne fait pas le poids, une estafette de hippies qui n'osent pas conduire trop vite parce qu'ils se sont partagés un pétard à douze, le Burdon conduit un trucker chargé de quatre-vingt vaches destinées à l'abattoir, l'a avalé à lui tout seul douze boites d'amphétamines et il fonce sur la highway en dessinant des courbes sur la chaussée. ( Fin de la face B ).

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    To love somebody : le Cat Zengler va lever les yeux au ciel de commisération, tiens je ne me souvenais pas que les Animals avaient repris Somebody to love du Jefferson Airplane, comme ce n'était pas l'air j'ai relu avec mes lunettes, ah non, c'est le To love somebody des Bee Gees, ce n'est peut-être pas mieux, sur la vidéo, ils ont vraiment l'air nunuche les frères Gibbs, des épouvantails déguisés en hippie, le Burdon il vous prend le vocal à la pince à épiler, heureusement qu'il fronce les cordes vocales sur les refrains, mais dès qu'une voix féminine vient le soutenir, il se fait tout doux comme un agneau qui vient d'apercevoir la Sainte Vierge ( l'autre nom de l'enceinte vierge ), certes c'est bien enlevé vous avez envie de faire le joli chœur à ses côtés, rien d'essentiel. As the years go passing by : incroyable mais vrai, retour au blues, un standard créé par Fenton Robinson, voix feutrée et guitare un peu à la J. J. Cale, Zoot Money au piano, même tempo, Burdon commence en spoken words, dès qu'il chante Weider poinçonne sa guitare, et c'est parti pour dix minutes de dérive, le piano qui insiste en sourdine, la guitare qui crie, Burdon qui hausse le ton et puis qui laisse la bride aux instruments, Burdon prend le mors au dent, et tout se calme comme s'il était en train de mourir... ( Fin de la face C ). Gemini + The Madman : l'on est à mi-chemin entre Animals et Dantalian's Chariot l'ancien groupe dissous de Zoot Money et Andy Summers, groupe psychédélic qui sonne très british, et la réunion des deux ressemble à un délayage des Beatles, Burdon prenant soin de ne pas écraser la voix de Zoot Money, un long passage d'effets psychédéliques dû à l'orgue de Zoot Money, un peu daté aujourd'hui, sur lequel vient se brancher un peu de spoken words qui se transforme en duo Money / Burdon qui met du temps à démarrer retardé par l'orgue qui imite le décollage d'une fusée interplanétaire, gémini parce que le yin et le yang ne forment qu'un... et l'on bascule sans préavis sur The Madman qui est en train de courir dans les champs, on suppose tout nu et sous acide... la musique sautille allègrement, nous un peu moins. Sonorité diverses finales. Pas très convaincant.

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    Cet album est une impasse, ce n'est pas qu'il soit mauvais, trop disparate, tire sur la corde des morceaux, mais Burdon fait du Burdon, il tourne en rond, trois disques en une année vous empêchent de vous renouveler. Le groupe se sépare. Ne pleurons pas, il n'avait plus grand chose à dire. Et puis Burdon a encore pas mal de colère à sortir de son gosier.

    Damie Chad.

     

    XXVII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    109

    Après les émotions de l'après-midi, Vince nous avait invités chez lui pour nous restaurer. Molossa et Molossito avaient chacun eu droit à un énorme os à moelle auxquels ils s'attaquèrent sans rémission. Trois heures plus tard il n'en restait plus trace et les chiens repus dormaient sous la table. De notre côté nous avions fait honneur au repas concocté par un traiteur, le meilleur de Nice avait déclaré Vince en décrochant son téléphone, nous avions été particulièrement bien soignés mais à peine la dernière bouchée les filles débarrassèrent avec une promptitude inaccoutumées assiettes sales et couverts, pressées par la déclaration du Chef devant le hangar aiguillonné.

      • Servons-nous le café ? interrogea Brunette

      • Bien sûr, mais nous le boirons sans sucre !

    Ce qui aurait pu passer pour un observateur entré par hasard dans la pièce pour la déclaration d'un simple préférence gustative électrisa l'ambiance. Tout le monde avait compris, ce coup-ci nous nous apprêtions à porter l'assaut au cœur même de la citadelle du mystère, nous nous apprêtions à résoudre l'énigme la plus noire.

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      • Vous m'excuserez damoiselles, le Chef examina longuement du regard Charlotte, Charlène et Brunette, si j'allume un Coronado c'est uniquement pour marquer la solennité de cet instant et vous permettre durant les trente secondes que durera cette opération de monopoliser toutes vos facultés intellectuelles, nous avons en effet besoin de toute la sagacité féminine qui nous manque à nous pauvres hommes de main davantage rompus au maniement des armes qu'aux subtilités mathématiques. ( Il est indéniable que le Chef savait parler à la gent femelle ). Vince auriez-vous par hasard dans un buffet une de ces boîtes à sucre en fer blanc dont s'honore la meilleure part des familles de France.

    Lorsque Vince la déposa brutalement sur la table, la tension était si forte que tout le monde sursauta. Molossa eut la réaction la plus vive, elle aboya vivement, sauta sur mes genoux et renifla vivement l'objet, mais apercevant le dessin des deux jolis chatons tout mignons qui décoraient le couvercle, elle poussa un hautain soupir de commisération et retourna se coucher près de Molossito.

      • Agent Chad, nous feriez-vous le plaisir de recommencer votre démonstration.

    111

    Je m'exécutai aussitôt, j'ouvris la boîte que je repoussai sur le côté et commençai mon boniment dès que j'eus extrait le paquet de sucre et déchiré le haut de l'emballage qui lui servait de couvercle :

      • Comme vous pouvez le constater, voici quatre rangées supérieures, chacune est constituée de

      • Quatorze sucres, me coupa Charlène

      • Ce qui fait pour ces quatre rangées cinquante-six sucres, ajouta Charlotte

      • Or il y a trois étages, nous avons donc

      • cent soixante-huit sucres, annonça fièrement Brunette

      • Justement c'est-là où le mystère se corse comme l'on dit à Ajaccio, voici le cent-soixante neuvième sucre, je le sortis de ma poche, nous l'avons trouvé dans la fameuse villa des Réplicants, ils ne l'avaient certainement pas laissé là au hasard, pourquoi ce cent-soixante neuvième élément quand la boîte ne peut en contenir que cent soixante huit !

    A notre grande surprise les filles pouffèrent de rire :

      • Quoi c'est tout ce qui vous pose problème !

      • C'est enfantin !

      • C'est évident !

      • Je vais vous expliquer !

      • Non, pas toi, moi !

    Elles se chamaillèrent un moment, comme elle ne pouvaient se départager elles décidèrent de plouffer. Le Chef profita des tricheries et des récrimination qui s'ensuivirent pour venir à bout de deux Coronado. Après d'intenses pourparlers le sort désigna Brunette.

      • Très simple, le cent soixante neuvième sucre n'est pas un sucre – nous devions faire des mines ahuries, notre surprise déclencha un fou-rire général – je vous rassure c'est un sucre mais il désigne tous les autres sucres, en fait il est-là pour symboliser l'emballage !

      • Nous sommes allés chez la mère d'Eddie Crescendo, nous avons passé en revue sa collection de plusieurs centaines de boites à sucres et je peux affirmer que nous n'avons rien vu d'étonnant, ces boîtes à sucre sont parfaitement innocentes s'écria Vince !

      • Comme les hommes sont idiots - s'exclamèrent-elles toutes les trois à l'unisson – nous ne parlons pas des boîtes en fer mais des emballages en carton ! C'est-là qu'il faut chercher !

    Nous étions stupéfaits, le Chef fut le premier à réagir :

      • Agent Chad, réveillez les cabots et sortez la voiture du garage, nous partons chez la mère d'Eddie Crescendo !

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    Nous nous garâmes dans une rue adjacente. La nuit était tombée. Aux alentours toutes les contrevents étaient fermés. Vince menait la marche. Il s'apprêtait à tourner à droite pour emprunter une mince ruelle mais Molossa se campa devant lui et grogna. Je la caressai mais à ses mimiques je compris qu'elle ne voulait pas que nous empruntions ce chemin.

      • Pas grave, murmura Vince, on revient sur nos pas, et on prend la prochaine à droite, c'est à peu près du pareil au même !

      • Pas d'accord lui répondit le Chef, il est pratiquement deux heures du matin, mettons-nous à la place de la mère d'Eddie Cresendo, six individus qui débarquent chez elle, c'est beaucoup, les filles elle vous ouvrira plus facilement, la première à droite, ensuite c'est au numéro 67. Quant à nous nous allons emprunter cette sente que Molossa nous interdit, les filles emmenez Molossa avec nous, j'ai récupéré quelques pétoires dans le vide-poche de la voiture, Vince est toujours prudent ! Exécution immédiate !

      • Ouah ! Ouah !

    C'était un minuscule jappement, Molossito ne tenait pas à compter pour du beurre, d'un signe de main je lui fis signe de nous précéder. Il entra dans la ruelle tout guilleret la queue dressée toute droite comme un paratonnerre. Il fila tout droit sans nous attendre. Apparemment il n'était pas du même avis que Molossa. Je le rappelais à voix basse, mais il ne revint pas, il se contenta de s'arrêter brusquement, le nez à terre. Nous le rejoignîmes, il ne bougea pas, je me penchais, sa truffe était collée sur un minuscule objet blanc. Je le ramassais. Un morceau de sucre !

    Déjà Molossito repartait en courant, une quinzaine de mètres plus loin il posa son museau sur un deuxième morceau de sucre, nous suivîmes la piste sucrière à toute allure, Molossito dénicha à intervalles irréguliers une trentaine de sucres, nous atteignîmes la maison de la mère de Crescendo en même temps que les filles. La porte d'entrée était grand-ouverte, nous n'eûmes pas besoin de pousser nos investigations bien loin, dans l'entrée la mère de Crescendo gisait à même le sol dans une mare de sang.

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 503 : KR'TNT ! 503: MARK LANEGAN / MIRIAM LINNA / LOBBY LOYDE / PATRICK GEFFROY YORFFEG / ERIC BURDON AND THE ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXVI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 503

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    25 / 03 / 2021

     

    MARK LANEGAN / MIRIAM LINNA / LOBBY LOYDE

    PATRICK GEFFROY YORFFREG

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    ROCKAMBOLESQUES 26

     

    Lanegan à tous les coups - Part Five

    , mark lanegan, miriam linna, lobby loyde, patrick geffroy yorffeg, eric burdon and the animals / rockambolesques 26,

    Tu es là bien peinard, calé dans ton fauteuil, à feuilleter le Record Collector qui vient tout juste d’arriver et paf, tu tombes sur un portrait plein pot de Lanegan. Cheveux longs pas coiffés, lunettes noires, mine fermée, front plissé, blouson de cuir et les deux mains croisées couvertes de tatouages, deux points et deux étoiles sur chaque doigt, un crucifix sur le dos de la main. Lanegan ne vieillit pas, il reste le dark outsider qu’il a toujours été, il est à l’image de son livre qui est une célébration du mal de vivre à travers tous les excès, cul, drogues, alcool, rock, violence, il incarne ça de toutes les molécules de son corps. Lanegan est un Jimbo qui a réussi à survivre. Un surhomme du sex & drugs & rock’n’roll circus.

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    Pas de meilleur real deal. Quand on sait en plus que ses albums et son autobio battent tous les records d’insalubrité publique. On a tous croisé dans la vie des mecs comme Lanegan, qui sont de parfaites incarnations de ce que l’on appelait autrefois l’esprit rock. Cuir, tatouages, coupe de douilles, on sait immédiatement ce que ça veut dire. Tu es dans le vrai monde, celui des gens qui ne font pas semblant. Rien à voir avec la frime. Ces mecs là n’ont pas besoin de se déguiser. Ils ont cette grâce naturelle qui chasse toute forme d’ambiguïté et qui en même temps les marginalise. Mais il vaut mieux être marginal que rien du tout. Rien n’est pire que de n’être rien du tout dans le néant d’une vie ordinaire avec un boulot ordinaire et une voiture ordinaire et une femme ordinaire. Rien qu’avec sa gueule, Lanegan affiche un palmarès, il n’a pas besoin d’écrire un CV, on sait tout de suite ce qu’il vaut et ça fait vite le tri. Dans la vie c’est pareil, on choisit son camp dès l’adolescence, et vers la fin des sixties c’était assez simple, car les cuirs, les tatouages et les coupes de douilles faisaient vite la différence. Bon alors après il y a les goûts musicaux et c’est vrai que ça se peut se compliquer. Lanegan n’a pas besoin de porter un T-Shirt à l’effigie d’un groupe pour indiquer son appartenance. Sa dégaine dit tout ce qu’il faut dire. Elle ne trompe pas. Et le choix de ses amis non plus : ce n’est pas un hasard si Jeffrey Lee Pierce, Layne Staley (Alice In Chains), Dylan Carlson (Earth) et Kurt Cobain sont ses meilleurs amis.

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    L’important serait peut-être de dire qu’il est assez réconfortant de voir qu’il existe encore dans le circuit des mecs comme lui, c’est-à-dire des purs et durs qui ne rentreront jamais dans le rang et qui ne vendront jamais leur cul pour un billet, comme l’ont fait tant de pseudo-stars par le passé. Quand Lanegan montre ses tatouages, c’est sa façon de dire fuck you au monde des beaufs et au music biz. Il n’est pas dans la frime, contrairement à tous ces mecs qui se font photographier aussitôt sortis du salon de tatouage. Dans son autobio, Lanegan explique qu’il s’est tatoué tout seul, après avoir barboté de l’encre de Chine chez le commerçant local. Tout ça parce qu’ado, il avait flashé sur un livre qui rassemblait des portraits datant du XIXe siècle de marins et de bagnards tatoués, la plupart du temps sur tout le corps, et cet univers le fascinait. Alors crac, tu dessines ton motif au stylo sur la peau, tu attaches deux aiguilles ensemble avec un bout de ficelle et tu pic et pic point par point, tu vois le sang perler et se mélanger à l’encre et quand c’est fini tu rinces la plaie à la bière. Le surlendemain, ça commence à cicatriser et la croûte s’en va dans les jours qui suivent. Ça donne un tatouage bien crade, comme ceux de Lanegan. Il fut un temps où les salons de tatouage se trouvaient dans les caves des HLM.

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    Alors pourquoi une interview dans Record Collector ? Lanegan n’a rien à vendre, cette année, son dernier album et son autobio datent de l’an passé et KRTNT en avait bien sûr fait ses choux gras. Rob Hugues l’interviewe simplement pour le plaisir. À 55 balais, Lanegan est un miraculé. Il confirme qu’il ne touche plus à rien et éclate de rire facilement - dry laughter - mais il ne rit pas des autres, il rit surtout de lui. Il indique aussi qu’il a beaucoup de mal à retourner dans le passé, car il a découvert qu’en vivant au présent, il se sentait mieux. Mais bon, pour son autobio, il a dû replonger dans les années noires. Il a mis quatre mois à écrire ce chef-d’œuvre crépusculaire. Rusé comme un renard, Hugues le branche sur ses premières influences musicales, et Lanegan cite «Folsom Prison Blues» de Cash et passe directement à «Anarchy In The UK» - A whole British and New York punk rock that made music the number one thing in my life - C’est là que le rock est devenu le truc le plus important dans sa vie. Puis il cite les Stooges, les Doors, les Ramones, le Velvet, all that right stuff. Puis il passe à des trucs plus out there, comme Astral Weeks (Van Morrison), Starsailor (Tim Buckey), Trout Mask Replica. C’est en écoutant Astral Weeks qu’il pense pourvoir faire un grand disque (something great) - It became my obsession - Quand il enregistre son premier album solo, The Winding Sheet, il fait encore partie des Screaming Trees, mais John Agnello trouve ses chansons brillantes et le convainc de faire un deuxième album solo, Whiskey For The Holy Ghost. Lanegan se marre car il sait bien que ses three-chords Leonard Cohen rip-offs sont assez limités - It was definitely not Starsailor or Trout Mask Replica - Il sait très bien qu’il n’a pas enregistré l’album du siècle, mais ça correspondait à la vision qu’il avait des choses, avec deux influences principales : Astral Weeks et le roman de Cormac McCarthy, Blood Meridian - The lyrics were kind of influenced by the imaginary and shit in that book, which is out of control (Les paroles sont vraiment influencées par ce livre, qui est complètement barré).

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    L’un des point forts de Lanegan, c’est l’auto-dérision. À ce petit jeu, il est imbattable. Il cite l’exemple d’un mec qui dit qu’il aime bien sa musique mais qu’il ne l’aime pas en tant que personne - what a piece-of-shit person - alors forcément, Lanegan explose de rire : «Comment pourrais-je prétendre le contraire ?». De plus en plus rusé, Hughes revient sur la fin de l’autobio, au moment où Lanegan sauve sa peau en entrant en detox et où, allongé sur la pelouse, il ressent un flash surnaturel. Expérience spirituelle ? Alors Hugues fait son Jacques Chancel : «Et Dieu dans tout ça ?». Lanegan s’esclaffe - I’ve never asked God for anything - Il ajoute que des gens trouvent une voie spirituelle quand ils n’ont plus rien à espérer. Il se souvient très bien du moment qu’il décrit dans son book, il était overjoyed parce qu’il était assis sur une pelouse au soleil et qu’il avait réussi à survivre. Et ça le faisait bien marrer - Fuck you ! Go ahead and try to kill me ! It’s impossible ! - Il se sait invincible. Et comme il sait que les pires ennuis vont succéder à ce court moment de grâce, il se met à chialer. Il sortait d’une période de misère totale - Self-created of course - et il ne sentait pas de taille à affronter la suite. Alors pour la première fois de sa vie, il s’est adressé au ciel : «God change me !». C’est là qu’il a vu toute sa vie défiler en un éclair. Il décrit brillamment cette expérience paranormale à la fin du book.

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    Hughes a gardé le meilleur pour la fin : l’actualité. Il demande à Lanegan ce qu’il pense du pandemic. Comme John Lydon dans une interview récente, Lanegan bouffe le fucking pandemic tout cru : «L’an passé nous avons été dans ce pays à la merci du pandemic et à la merci de ce gouvernement. Personne ne sait ce que nous allons devenir une fois que l’économie va s’écrouler - after the economy has been destroyed overnight - Est-ce qu’il y aura encore une place pour moi dans ce monde ? J’en sais rien. Et je m’en branle car j’ai 55 balais et j’ai vécu 20 ans de plus que prévu. Mais je serais triste de ne plus pouvoir faire de musique. J’aime tellement ça. L’an passé, je me suis dit que j’allais reprendre mon ancien métier, décorateur de cinéma, c’est un métier que je connais bien, pendant deux ans j’ai bossé pour des TV shows. Je vais donc faire un truc que je suis capable de faire, qui est légal et dont les gens ont besoin. Je dois bien réfléchir à ce qui va arriver, car je suis sûr que quelque chose va arriver.»

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    Signé : Cazengler, Lanegland

    I was a nightmare to work with - Mark Lanegan interview. Record Collector # 516 - March 2021

    Linna tout bon - Part One

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    Plom plom plom, Miriam Linna débarque dans Shindig! avec tout un tas de bonnes nouvelles : elle sort sur Norton le prochain album des Grys-Grys (To Fall Down), ainsi qu’un Greatest Hits. Elle annonce aussi la sortie d’un album de Cash Holiday, parfait inconnu au bataillon. Oh, elle tremble un peu à l’idée de sortir tous ces albums en plein cœur d’un pandemic, mais comme diraient Sonny & Cher, the beat goes on, ou plus exactement the beat must go on. Elle annonce aussi un nouveau numéro du mythic Kicks, le # 8, shortly, précise-t-elle. Elle reste aussi active dans la branche éditoriale de Norton (Kicks books) puisqu’elle annonce la parution d’un photo-book de Katherine Weinberger consacré aux Swiss teen gangs. À part Norton et les Suisses, on se demande bien qui peut s’intéresser aux Swiss teen gangs. Puisqu’on est dans Kicks books, elle en profite pour rappeler que Mind Over Matter: The Myths And Mysteries Of Detroit’s Fortune Records est disponible au prix de 100 $, sans compter le port. Bon, là elle exagère, car il faut être sacrément fortuné pour acheter un Fortune book à ce prix-là. Elle annonce aussi la parution de son autobio, Kicksville 76, qui risque de faire double emploi avec son blog Kicksville 66, où elle a déjà raconté en long en large et en travers toute son histoire, et en particulier l’épisode anecdotique de la formation des Cramps. Il est si délicieux qu’on va le resservir. Figurez-vous que les Cramps engagèrent Miriam comme batteuse parce qu’elle ne savait pas jouer de batterie. En nous vantant les charmes d’une simili-batteuse, Lux Interior faisait monter d’un cran le niveau du génie trash.

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    Comme l’interview s’étend sur quatre pages, ça brasse assez large. Point de départ ? Miriam se rappelle d’avoir entendu les premiers singles des Beatles à l’âge de 8 ans. En 1962, son frère Jack écoute «Love Me Do», puis elle voit sa sœur Helen devenir folle-dingue en entendant «She Loves You» sur une radio de Toronto. Quand Jack passe aux Stones et aux Animals, Miriam suit le mouvement. C’est là que germe en elle une petite obsession pour la radio et les disques qui dit-elle va finir par conditionner toute sa vie. Baisée ? Non sauvée.

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    Quand sa famille quitte Toronto pour s’installer à Cleveland en 1967, son obsession monte encore d’un cran. Elle se souvient en particulier d’une double affiche Slade/Stooges qui a traumatisé tous les gens qu’elle connaissait à cette époque. En 1974, elle était comme nous tous crazee about Slade et sur scène, Iggy portait dit-elle une culotte de gonzesse - That double barrel threat of UK vs USA loud sound blasted us out of orbit - Miriam ajoute que tous les gens qui ont assisté à ce concert ont ensuite monté des groupes. Alors évidemment, puisqu’elle parle de Cleveland, Jacques Chancel lui demande : «Et les Raspberries dans tout ça ?». La réponse ne se fait pas attendre : «The Raspberries were absolute superstars, and still are.» C’est bien qu’elle le rappelle parce qu’on aurait tendance à oublier Eric Carmen et les Raspberries. Elle cite aussi les Rocket From The Tombs et les Electric Eels. Elle avoue un soft spot pour les Rocket. Quand un tout petit peu plus tard, les Rocket deviennent Pere Ubu, ils enregistrent le faramineux «Final Solution». On pouvait à l’époque commander ce single via une adresse indiquée dans Who Put The Bomp!, et c’est Miriam qui faisait les paquets. C’est l’époque des petites mains de rêve : Miriam à Cleveland, Suzy Shaw à Los Angeles qui envoyait les albums choisis sur the auction list, ou encore Doug Hanners au Texas qui taillait des gros emballages en carton pour envoyer en Europe le précieux single des Spades, la version originale de «You’re Gonna Miss Me».

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    En 1973 Miriam et sa frangine Helen cassent leur tirelire et se payent un billet d’avion pour l’Angleterre. Leur projet est de suivre une tournée, et pas n’importe quelle tournée : celle des Spiders From Mars : Londres, Écosse, Irlande, elles voyagent en stop, Miriam et Helen sont dingues de Bowie et de Pin Ups. Cette dinguerie va durer jusqu’à Young Americans, après quoi Miriam arrache les posters des murs de sa chambre pour passer au punk-rock. Elle a 20 ans quand elle débarque à New York et qu’elle rencontre Lux & Ivy. Lux la connaît, puisqu’il vient lui aussi de l’Ohio. Il explique à Miriam qu’il vient s’installer à New York pour monter un groupe et c’est là qu’il fait sa proposition historique. Elle pense qu’il est complètement cinglé, mais elle accepte. Et pouf c’est parti. Les Cramps jouent leur premier set en novembre 76 au CBGB, en première partie des Dead Boys. Miriam revient ensuite sur deux personnages clés de la scène new-yorkaise d’alors, Peter Crowley et Marty Thau. Sans eux, dit-elle, cette scène n’aurait pas eu le même retentissement. Crowley programmait les groupes au Max’s Kansas City et Thau managea les Dolls avant de monter son label Red Star et de lancer Suicide. C’est Thau qui donne à Miriam son premier job dans le music biz : assistante chez Red Star. Méchante veinarde - It was one of the most amazing years of my life - Sur Red Star on trouve en plus de Suicide les Real Kids et les Fleshtones.

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    Shindig! la branche ensuite sur les Groovies. Quand Greg Shaw vient prospecter à New York pour son label Bomp!, il rencontre Miriam et lui demande de s’occuper du fan club des Groovies. Honorée, elle accepte. Elle commence à publier The Flamin’ Groovies Monthly en 1977, qui finira par muter pour devenir Kicks en 1979. Kicks bien sûr en l’honneur de Paul Revere & The Raiders. Et comme Greg Shaw, Miriam et Billy Miller qu’elle rencontre fin 77 passeront naturellement du fanzine au label.

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    Kicks, c’est 7 numéros en 15 ans. Les premiers numéros depuis longtemps épuisés ont été réédités, notamment le premier avec sa couverture rose et ses articles sur Vince Taylor, les Everly et les Groovies. Elle aime bien redire que Kicks et toute cette culture des fanzines qui remonte à Who Put The Bomp! servait surtout à célébrer des disques inconnus et rendre hommage à des under-celebrated individuals, comme par exemple Equerita ou Bobby Fuller. Miriam et Billy vont d’ailleurs se spécialiser dans l’exhumation d’under-celebrated individuals et faire de Norton un label légendaire. Parmi leurs gros coups, on note la sortie de 5 albums de Benny Joy et deux albums de démos de Johnny & Dorsey Burnette. Mais plein d’autres choses, comme Rudy Ray Moore, Link Wray, Charlie Feathers, Long John Hunter, Gino Washington, le catalogue de Norton est une vraie mine d’or. Ça va jusqu’à Sun Ra. À une époque, on trouvait tous ces albums au Born Bad de la rue Keller et le compte en banque prenait chaque fois une sacrée claque dans sa gueule de compte en banque. Miriam rappelle aussi l’aspect crucial de leur démarche : «We want to go down to the nitty gritty, and expose lost music and tell the tale.» Elle voulait aussi sortir de l’ambiance savante de la culture rock, le côté ampoulé de l’analyse critique, l’aspect prétentieux d’une certaine presse rock - This music is exciting, act like you’re excited, gosh darn it ! - Bien joué Miriam.

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    Alors forcément, Norton se spécialise dans l’oddball rock’n’roll et le garage/instro stuffy stuffah de préférence bien weird. D’où Hazil Adkins. Elle cite aussi les early tapes d’Arthur Lee qui sont sur Norton (Arthur Lee & The American Four), puis les early tapes de Tommy James ou encore celles de Question Mark & the Mysterians. Elle insiste aussi beaucoup pour recommander les lost recordings d’Esquerita avec Idris Muhammed. L’album s’appelle Sinner Man - C’est probablement le premier Norton issue que je recommanderais - Et quand Shindig! aborde le thème du garage revival des années 80, Miriam répond Lyres sans aucune hésitation - They were hard-edged and real - et dans le feu de l’action, elle indique qu’ils ne cherchaient pas à imiter des gloires gaga du temps passé - They were explosive, absolutely the best - Gildas ne s’était pas trompé non plus quand à l’époque il a flashé sur Monoman, l’âme des Lyres.

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    Billy et Miriam vont injecter leur passion pour ce qu’elle appelle the lost music dans les Zantees, le groupe qu’ils montent en 1979, et qui va devenir the A-Bones. Mais ils le font comme elle dit crudely. Nous y reviendrons dans un Part Two.

    Alors bien sûr ça nous mène tout droit à la question panoramique : en 40 ans, Miriam n’a-t-elle pas tout fait ? Acheter des disques, vendre des disques, faire un fanzine, jouer dans un groupe, éditer des music books. Hé bé oui, comme on dit à Toulouse. Comme Mike Stax, Greg Shaw, Gildas et quelques autres, elle a bouclé la boucle. Mais en même temps, elle est assez amère sur la question de l’évolution des choses. Elle pense comme beaucoup qu’Internet a bousillé l’enthousiasme. C’est par les record shops et les radios qu’on chopait the real music. The real radio d’aujourd’hui lui semble incroyablement boring. Pour lui remonter le moral, Shindig! la complimente sur ses deux albums solo, Nobody’s Baby et Down Today. Elle est touchée et indique qu’elle doit tout à son ami producer/musician nonpareil Sam Elwitt.

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    Nobody’s Baby date de 2014. Elle y fait de belles reprises, à commencer par « There Goes My Babe » de Buffalo Springfield qui sonne bien psyché, d’autant qu’elle le Brille à la cloche comme si Totor était là, dans la cabine, à superviser, comme au bon vieux temps du Wall et des Ronettes. Elle tape ensuite dans les Pretties avec un « Walking Down The Street » tiré de The Electric Banana Blows Your Mind. Pur jus mythico-gaga. Elle s’énerve. Derrière serpente un joli fuzz snake. Elle dit bien son down. Clin d’œil aux Ramones avec « Questioningly ». C’est un hommage au Brill, et pouf ça s’en va télescoper les Dolls, les Shangri-las et Dion. Nouvel hommage, cette fois à Bobby Darin et sa merveilleuse pop d’anticipation, avec « Not For Me ». Par contre, la cover du « So Lonely » des Hollies est un peu foireuse. « My Love Has Gone » s’adresse à Ellie Greenwich et aux tambourins du Brill. Elle tape aussi dans Gene Clark avec « So You Say You Lost Your Baby » tiré de son premier album solo enregistré avec les Gosdin Brothers. Bel up-tempo de pop avantageuse. Elle remonte le courant toute seule. On applaudit. Ah bravo ! Elle ose aussi taper dans Billy Nicholls avec « Cut And Come Again », un cut qu’on retrouve sur l’excellentissime Home And Away de Del Sahnnon que produisit Andrew Loog Oldham. Et là, c’est très courageux de sa part, car elle tape dans un gros culte. Encore un shoot de Brill avec « I’m Nobody’s Baby Now », de Jeff Barry. Wall pur. Le drumbeat se perd dans l’écho du temps. Miriam a le bec fin. Elle aime les bons disques.

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    Son deuxième album solo s’appelle Down Today. C’est son Pin Ups, dit-elle. D’ailleurs elle y fait un Bowie, «You’ve Got A Habit Of Leaving». Attention aux trois premiers cuts du bal d’A, car elle tape dans Terry Reid avec «The Hand Dont Fit The Glove», une pop qui grimpe au mur comme le lierre, très sixties, mais Miriam est un peu juste dans les montées, elle ne dispose pas du raw de Reid. Elle contourne l’obstacle avec du petit trash. C’est très héroïque de sa part. Elle enchaîne avec une compo de Sam Elwitt, «I Keep Falling In Love», toujours d’esprit sixties, pop brillante, lumineuse, tendue vers l’avenir, avec un joli son, ambiance Ready Steady Go!, frange, féminité à l’Anglaise, mini-jupe, son étincelant, on pense aussi à Sonny & Cher ou à Jackie DeShannon. Troisième merveille, cette reprise du «Take Me For A Little While» de Jackie Ross, classique Northern Soul monté en épingle avec des éclats brillants. Bizarrement, la suite de l’album est nettement moins intéressante. Il faut attendre la reprise d’«Afterglow» des Small Faces qui se trouve de l’autre côté pour refrémir. Nouvel acte de courage, car Miriam ne dispose pas non plus des octaves de Steve Marriott. Alors, comme pour Terry Reid, elle contourne l’obstacle en se servant astucieusement de la mélodie. Elle passe au garage avec «Which End Is Up», tout y est, l’énergie, le tambourin et la poigne de vétérante de toutes les guerres. Mais il lui arrive aussi de chanter comme une casserole, comme le montre en bout de B sa cover de «You’ve Got A Habit Of Leaving», early Bowie, époque Lower 3rd. Elle s’en sort quand même pas trop mal grâce à un final explosif digne des Who, éventrement d’amplis et drumbeat d’explosivité latérale.

    Signé : Cazengler, Linaze

    Nobody’s baby - Miriam Linna Interview. Shindig! # 113 - March 2021

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    Miriam Linna. Nobody’s Baby. Norton Records 2014

    Miriam Linna. Down Today. Norton Records 2015

     

    Great Balls of fire

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    Lobby Loyde et ses Coloured Balls faillirent bien décrocher le jackpot dans les années soixante-dix avec leurs trois albums de glam-rock australien. Quand Lobby Loyde monte les Coloured Balls en 1972, il est déjà une sorte de vétéran de toutes les guerres de Brisbane. Il fit partie des Purple Hearts et des Wild Cherries, deux groupes sur lesquels nous reviendrons un peu plus tard. Avec les Coloured Balls, il développe un culte à base d’explosive rock’n’roll et de sharp haircut. On entre là dans le domaine sacré du proto-punk. En Angleterre, Jesse Hector fait exactement la même chose. Comme les Saints, les Balls sont mal vus, et dans un monde normal, on aurait dû les considérer comme l’un des meilleurs groupes australiens. Quand il arrive en Angleterre en 1976, Lobby découvre que les groupes sonnent comme les Coloured Balls. Alors il s’exclame : «Mais on fait ça depuis des années !».

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    L’objet de Lobby est de créer du high energy rock’n’roll on his own terms. Eh oui, il suffit d’écouter Ball Power paru en 1973 pour réaliser que les Balls ne sont pas là pour rigoler. Ils attaquent avec «Flash», une espèce de power speed freakout. Fabuleux shake de shook aussie ! Who is in the flash ! Lobby y va de bon cœur - Hey baby cause I love you so/ That’s the flash I ain’t let go - Globalement, les Balls se veulent wild et ils s’en donnent les moyens. «Mama Don’t You Get Me Wrong» sonne comme un boogie blast chauffé à la glotte blanche. Ces mecs ont un sens aigu du rock électrique. Tiens, écoute «Something New», ce heavy groove de feel so good. Tout est travaillé dans le lard de la manière, ils ont tout compris. Comme Jook, ils bossent leur son et leur look. L’un ne va pas sans l’autre. Encore un solide plotach de Balls avec «Human Being». En B, ils reviennent à un son plus seventies avec «Hey What’s Your Name». On croirait entendre Free avec un Cro-Magnon au chant. C’est complètement convaincu d’avance. Comme on peut le constater à l’écoute de «That’s What Mama Said», les Balls ont un sens aigu des dynamiques soniques. Ils se lancent là dans une longue jam qui préfigure le kraut. Lobby Loyde ne revient chanter que sur le tard. Ils répètent that’s what mama said ad vitam eternam et Lobby part en vrille se solo gras. Get the Balls !

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    L’année suivante, ils enregistrent un album beaucoup plus glam, Heavy Metal Kid. Dès «Do It», on observe leur admirable aisance à swinguer le glam. «Private Eye» sonne aussi comme un hit glam. On croirait entendre Marc Bolan. C’est un admirable cas d’osmose. Allez tiens, encore un brin de glam avec un «Dance To The Music» qui ne doit rien à Sly Stone mais qui se présente plutôt comme un cut extrêmement bien foutu avec ses accords de rock’n’roll et sa jolie tension en background. On voit qu’avec leurs coupes de cheveux, ces mecs ne font pas dans la dentelle de Calais. Ils tailladent leur morceau titre à la riffalama et cocotent salement leur beat goes on. Ils montent une réelle habileté à shaker le vieux «You’re So Square» de Leiber & Stoller. Pas mal de bonnes surprises en B, à commencer par «Back To You», heavy boogie down, solide et terrific à la fois. Ils se lancent dans un drive longue distance et tiennent bien la moyenne. Ces mecs sont rompus à toutes les disciplines. Ils font un cut à l’indienne avec «Sitting Bull» et des tambours de guerre. Ils sont étonnant et savent rester vifs comme l’éclair. On ne se lasse pas du power des Balls.

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    On ne reverra pas de sitôt un disque aussi parfait que The First Supper Last, enregistré en 1972, mais seulement paru en 1976. «Time Shapes» sonne comme du vrai glam de bretelles, joué à la moelle fondamentale du big riffing. Lobby et ses amis ont tout compris. C’est le meilleur heavy glam qu’on ait entendu depuis celui d’Helter Skelter. Le killer solo flash renverse toutes les quilles. Pur génie glam. Inespéré ! Ils jouent avec une énergie qui en dit long sur leur crédibilité. Oh boy, laisse tomber la pluie, c’est eux qu’il te faut. Véritable dégelée de gelée royale ! Avec tout le power qu’on peut imaginer. Ils tapent dans le «So Glad You’re Mine» de Big Boy Crudup. C’est bardé de son. Les murs vibrent. Ils surjouent leur shit de choc à l’aune du proto-punk avec une rage incommensurable. Encore un véritable coup de génie avec «Working Man’s Boogie». Ils nous embarquent pour six minutes de forte tension intellectuelle, six minutes dignes du MC5 et des grands éclaireurs. C’est violemment bon. Lobby rentre dans le chou du cut à la vrille moyenâgeuse. Ça vibre comme du gros T. Rex mal dégrossi, ça brûle au fond du cut comme au fond d’une marmite, le solo lèche les flammes de l’enfer. Lobby et ses amis détiennent le pouvoir suprême. On voit le solo courir comme le furet. S’il est un groupe qu’il faut saluer pour son énergie, c’est bien les Coloured Balls. Ils jouent leur «Mama Loves To» à la clameur et tout reprend feu avec «Liberate Rock Part Two Revisited». Heavy rock, oui, mais c’est bardé de son. Ils ont le génie du big Sound. Quelle présence ! Ils tapent à tous les râteliers, boogie, glam, Chuck, ils excellent particulièrement dans l’exercice de la heavy heavyness, ils jouent avec une énergie de tous les diables et sont écrasants de souveraineté. Ils ont même le génie du réflexe qui fait mouche. Et il faut voir ce final en forme de montée démoniaque. Liberate rock ! Set free oh yeah !

    Malgré ces trois albums, les Balls vont rester l’un des groupes les plus malchanceux des années soixante-dix. On les prenait pour un groupe anti-social, à cause de leur agressivité scénique et de leurs coupes de cheveux - the sharpie haircut - qui ramenait les skinheads dans leur sillage. Ils finirent par splitter en 1974, après avoir sorti deux bons albums (le troisième, The First Supper Last, ne sortira qu’après le split).

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    Mais l’essentiel n’est pas là : les groupes malchanceux abondent dans l’histoire du rock. L’essentiel est de savoir qu’un mec comme Lobby Loyde ne tombait pas du ciel. En 1973, il était déjà ce qu’on appelle communément un vétéran de toutes les guerres. Pour s’en faire une idée, il suffit de se plonger dans un fat book intitulé Wild About You. The Sixties Beat Explosion In Australia And New Zealand. Ian D. Marks & Iain McIntyre y racontent l’histoire de 35 groupes australo/néo-zélandais, parmi lesquels figurent les deux premiers groupes de Lobby Loyde, les Purple Hearts et les Wild Cherries. La présentation que fait McIntyre des Purple Hearts vaut bien celle des Pretty Things : il décrit un groupe prêt à embrasser every aspect of the dirty rock’n’roll lifestyle : copious drug use and unkempt clothes. Ils ne sentent pas bon et se gavent d’amphètes. Mais c’est leur son qui va établir leur réputation, hard-edged amphetamine-driven R&B and squalling guitar work, courtesy of Lobby, of course. Dans l’interview qu’il accorde à McIntyre, Lobby rappelle que les Puple Hearts étaient des pilules d’amphètes dont ils faisaient alors une grosse consommation. Ça leur était utile car il leur arrivait fréquemment de devoir jouer quatre fois dans la soirée, avec un dernier set à 5 h du mat, et pour tenir ce rythme, il vaut mieux gober des stimulants. Lobby revient aussi longuement sur la pression des flics australiens à cette époque. Les flics les harcelaient, faisaient des descentes dans leurs chambres d’hôtels, fouillaient leurs valises, vidaient leurs tubes de dentifrice et les considéraient tous ces kids chevelus comme anti-sociaux - You were batting with Satan. You were anti-Joh (gouverneur du Queensland) - Dans une interview, Chris Bailey rappelle lui aussi que la police dans certains coins d’Australie était la plus répressive du monde. Lobby est aussi très fier d’avoir acheté sa pédale fuzz avant que Keef n’achète la sienne pour jouer le riff de «Satisfaction». Lobby entre alors dans les détails et rappelle que Chet Atkins a inventé le fuzz-tone en 1957 et il se dit très fier d’avoir possédé l’un des modèles originaux, the Gibson maestro Fuzz-Tone - I like it because it was really dirty and filthy - Autre détail de poids : le batteur des Purple Hearts n’est autre que Tony Cahill qui va quitter le groupe pour rejoindre les Easybeats. Cette interview est fascinante car Lobby raconte à travers l’histoire des Purple Hearts toute l’histoire du wild rock des sixties. On est aux premières loges, surtout quand en 1965, les Purple Hearts jouent en première partie des Stones en Australie : Lobby y va de bon cœur : «Brian Jones was really a great fingerpicking blues guitarist. Et il était l’un de ces mecs très intenses. He used to get this weird vacant stare and play. À cette époque, Keith était le rythmique et Brian le lead guitarist.» Lobby rend aussi hommage aux Easybeats avec lesquels tournaient aussi les Purple Hearts en Australie : «They were ferocious little bastards. Glasgewians, mate, tough guys !». Lobby raconte aussi qu’il a participé à ce qu’on appelait alors the Caravan of Stars, avec Tom Jones et les Herman’s Hermits, et là forcément, ça drainait un autre public. Pendant la tournée, les Herman’s Hermits n’adressaient pas la parole aux Purple Hearts et Lobby explique qu’il n’avait encore jamais vu des gens aussi propres, aussi bien peignés, avec des chaussures aussi bien cirées et des guitares aussi clean - Lovely clean-cut fellers - Mais en même temps, Lobby rappelle que c’était très éprouvant de jouer en première partie de groupes connus, car le public ignorait totalement les premières parties. Lobby dit qu’on entendant chanter les grillons quand jouaient les Purple Hearts - You’d get pretty depressed out there - Alors il fallait jouer. Il évoque aussi les fameux sharpies qui vont conduire au look des Coloured Balls - The original sharpies were a heavy-duty bunch of guys - Les Sharpies étaient déjà là dans les années 60 et Lobby pense que s’il est allé sur ce look, c’était pour se différencier des wussy pop bands - You had to have a belligerent edge, just for your own survival - Quand McIntyre rappelle qu’un membre des Missing Links portait un flingue, Lobby abonde dans ce sens : oui, il y avait des barres de fer, guns and knives. Ça faisait partie de Sydney - Sydney was a tough place, mate.

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    Avant de disparaître, les mighty Purple Hearts n’enregistrèrent que cinq singles, mais quels singles ! Ils figurent tous les cinq sur Benzedrine Beat, une compile publiée par la Moitié de la Vache. On trouvera difficilement plus enragés que les Purple Hearts. Benzedrine Beat est là pour le prouver. Ils commencent par défoncer «Talkin’ Bout You» qui ne demandait rien à personne. Puis il font rôtir «Louie Louie» dans les règles du lard. Tout y passe, même «Gloria» qu’ils parviennent à massacrer ostensiblement. Bienvenue dans l’enfer des reprises ratées. Le problème est que les Purple Hearts se prennent pour des Yardbirds. Il faut attendre «Of Hopes And Dreams And Tombstones» pour voir l’oreille se redresser. C’est bien ramoné au bassmatic, on a là du Mod rock bien arrosé d’harmo. Ils tapent «I’m Gonna Try» au vieux retour de manivelle. Joli shoot de wild r’n’b aussifié avec une fantastique élasticité du répondant. «Just A Little Bit» vaut aussi le détour, c’est mille fois plus enflammé qu’un hit des Yardbirds. C’est là où les Purple Hearts prennent leur revanche. Lobby devient alors un démon de la voltige, il fait des siennes dans «You Can’t Sit Down». Et ça monte encore d’un cran avec «Tiger In Your Tank». Puis on trouve à la suite une série de cuts assez déments d’un groupe qui s’appelle aussi Coloured Balls, apparemment rien à voir avec Lobby. Ils font une reprise d’«A Song For Jeffrey», ils l’amènent à la flûte mais vont beaucoup trop vite en besogne. Il n’y a que les Aussies pour oser taper dans le vieux Tull. Robbie Van Delf (qui remplace Lobby) explose ensuite la rondelle des annales avec une version de «Killing Floor», puis avec le «Living In The USA» du MC5. Micheal Shannon chante ça à la bonne niaque des USA. Quel power ! Ces mecs ramènent du son à la pelle.

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    Après l’épisode Purple Hearts, Lobby rejoint les Wild Cherries. Dans Wild About You, Ian D. Marks interviewe John Bastow, le chanteur des Wild Cherries MK1, c’est-à-dire l’avant Lobby. Quand Bastow voit arriver Lobby et Mick Hadley, il comprend qu’il n’est qu’un amateur et renonce aussitôt à sa carrière de chanteur de rock - Mick Hadley was just an extraordinary shouter - Ce que va confirmer la Moitié de la Vache avec cette compile des Wild Cherries, That’s Life, dûment coupée en deux : l’avec Lobby et l’avant Lobby. C’est là qu’on voit Mick Hadley à l’œuvre. Wow, on n’est pas sorti de l’auberge avec ces mecs-là. Rien qu’avec «Krome Plated Yabby», on en a pour son argent : pur jus de freakout. Le problème c’est que c’est excellent. Ils se prennent pour des Anglais avec «Everything I Do Is Wrong», excellent et même au-dessus de toute expectative. Lobby ne traîne pas en chemin, comme on le voit avec «That’s Life», une autre giclée de freakbeat à l’Anglaise. Ils se prennent même pour les Small Faces («Try Me») ou le Spencer Davis Group («Gotta Stop Lying»). Mais l’avant Lobby qui date de 1965 est encore plus spectaculaire. Le guitariste s’appelle Malcolm McGee et ça sonne dès «Without You». En voilà un qui sait claquer ses notes. On va de surprise en surprise et les Wild Cherries commencent à taper dans les gros classiques avec «Bye Bye Bird», joué et niaqué de frais. On retrouve Malcolm McGee dans un autre «Without You». Il dévore tout, cut après cut et John Bastow chante divinement «I’m Your Kingpin». Ils rendent un stupéfiant hommage à Hooky avec «Mad Man Blues» et bouffent «Parchman Farm» tout cru. On se régale aussi du bassmatic de Les Gilbert. John Bastow y croit dur comme fer, ses versions de «Smokestack Lightning» et «My Generation» font partie des meilleurs versions jamais enregistrées. Petite révélation, soit dit en passant.

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    En 1976, Lobby s’installe à Londres pour trois semaines et mais il va y rester trois ans. Alors il tente de redémarrer une carrière solo et enregistre Obsecration. Attention, c’est un album de guitariste. Lobby joue alors son petit va-tout dans la plus parfaite indifférence. Il chante son everytime I think of you au clair du heavy rock anglais, just wanna play mah guitah babe. Ce morceau titre d’ouverture en quatre parties dure 17 minutes. Alors accroche-toi babe. Lobby wanna play his chords, c’est vite salué aux trompettes. Que de son, my son, c’est tiré au cordeau du Lobby. Comme Jimi Hendrix, il sait parfaitement créer un monde. Il joue ensuite «A Rumble With Seven Parts And Lap Dissolve» au rumble de Link. C’est le même esprit. Lobby ramène toute la musicalité du rock dans ses approches intempestives. Il tartine à la main lourde. «Dreamtide» dure 14 minutes. Lobby taille ses falaises de marbre à mains nues et ça donne un gros bousin de Carrare joué à l’acou. Tous les coups d’acou sont permis. Cet album devenu très rare fut réédité en 2006 par des Aztèques d’Australie qui eurent le bon goût de ajouter des bonus imprescriptibles. Comme par exemple cette belle reprise de «Do You Believe In Magic». Lobby y ramène une extraordinaire ampleur de son et des échos de Mungo Jerry. Encore une belle pop déterminée à vaincre avec «Gypsy In My Soul». C’est même cuivré à gogo. Lobby tient bon la rampe, il sait travailler un climax et passer des solos incroyablement lumineux. Il ramène aussi énormément de son dans «Too Poor To Die». Voilà encore un cut explosif et terriblement joué, ça frise le Humble Pie. Quelle belle clameur ! Il finit avec un cut simili prog de 9 minutes, «Fist Of Is» et joue les gros bras, c’est plus fort que lui.

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    La même année, les Aztèques d’Australie rééditaient un autre album solo de Lobby Loyde : Live With Dubs. Quand Lobby arrive à Londres en 1976, il monte un groupe nommé Sudden Electric. Dès «Crazy As A Loon», Lobby rafle la mise. Il joue à l’aune de l’horreur compréhensive, il claque du big heavy Lobby explosif, il entre en intraveineuse dans le bras armé du rock. Lobby peut tout exploser, il faut le savoir. Il nous embarque ensuite pour 13 minutes d’un «Weekeend Paradise» qui sonne comme du Steppenwolf ultra-joué, ultra-chanté, Lobby joue à la vie à la mort, il en rajoute à chaque instant, il n’en finit plus de sur-jouer son sur-jeu, il crée du swagger à la compulsive métronomique, c’est le même genre d’énergie qu’on trouve chez Del Bromham de Stray. Laisse tomber tes guitar heroes et écoute Lobby. Il va là où personne n’est jamais allé. Nobody but Lobby. Il n’a qu’un seul rival en ce domaine : le Jimi Hendrix d’Electric Ladyland. Encore du power de Zeus avec «Media Re-Make». Ça vire prog, bien sûr, mais quelle fournaise. Lobby jette tout son génie sonique dans la balance. Il bascule encore dans la démesure cabalistique avec «Sympathy In D». Nouvelle occasion de suivre l’enseignement de Lobby Loyde. Il tartine à la pelle, il se balade dans le son avec l’énergie du diable. On assiste rarement à de tels festins de son. On les voit même redémarrer en côte. Il faut essayer de prendre du recul pour apprécier un tel spectacle. Ces dévoreurs d’espace règnent sur les ruines d’un vieil empire. Lobby fait encore du lobbying avec «Gyspsy In My Soul». Il est quand même gonflé d’envoyer rouler un boogie de 8 minutes. Tous ces cuts faramineux datent de 1980. Par contre, les bonus datent de l’an 2000. Ça démarre avec un «GOD» assez demented, ce diable de Lobby joue tout en vrilles indescriptibles, il joue à la sheer energy du Loyde System. «Flash» explose aussi dans le creux de l’oreille. Lobby dicte sa loi, il joue «Heartbreak Hotel» au heavy reviens-y, c’est quand même plus sexy que la version foireuse de John Cale.

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    La même année, les Aztèques d’Australie rééditent l’encore plus rare Beyond Morgia. The Labyrinths Of Klimster. C’est aussi le titre d’un roman sci-fi qu’écrit Lobby en 1975, après la fin des Balls et juste avant la formation de Southern Electric. Un jour, Lobby craque et jette son manuscrit au feu. Fin du roman. Mais il a la musique de Morgia en tête. Alors il entre en studio avec les gens de Southern Electric. Quand on voit la pochette on sait ce qui nous pend au nez : un voyage intersidéral. Lobby nous embarque dans l’espace, mais à sa façon, à l’outro sci-fi. C’est un voyage sans retour, une expérience unique. Il faut attacher sa ceinture et accepter l’idée d’excès en tous genres. Il nous emmène dans des zones chères aux grands proggers de l’hyper-space, comme Hawkwind ou Utopia. C’est leur domaine. Tu fais comme tu veux : tu y vas ou tu n’y vas pas. Personne ne t’oblige à y aller. Le côté intéressant de cette affaire est qu’on voit Lobby touiller une vieille sauce synthétique. Pour l’amateur de sci-fi, c’est un régal, pour les autres, c’est plus compliqué. Le pire est que ça se laisse écouter. C’est bourré de son jusqu’à la nausée. En fait Lobby vise le mini-opéra. Il progge comme une bête. Il joue à n’en plus finir, il bâtit l’œuvre d’une vie, ses cuts durent encore 14 minutes, mais il joue chaque note de ses 14 minutes. Il exploite toutes les possibilités d’une île et vise l’extension du domaine de la turlutte. Il peut jouer 14 minutes sans débander.

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    Considéré comme un album culte, Plays With George Guitar n’est pas non plus l’album du siècle. Lobby y joue un rock seventies sévèrement niaqué. Il joue rigoureusement dans le son et bat tous les records de cisaille avec «George». On assiste rarement à de tels festivals. Il mélange tous les genres, le funk, le blues et le heavy duty, et il est tellement doué qu’il gratte tout ça à la revoyure d’anticipation. L’enthousiasme prévaut sur tout le reste. Ah pour jouer, il joue ! Il fait du Crosby Stills & Nash avec «I Am The Se» et du lobbying en embuscade dans «What I Want». Lobby n’en finit plus de surprendre.

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    Encore un joli coup des Aztèques d’Australie avec cette compile intitulée Summer Jam. Lobby’s Last. Ce sont les Coloured Balls enregistrés au Sunbury rock festival en 1973 : Trevor Young (drums), Janis John Miglans (bass), Ian Bobsie Miliar (guitar) et Lobby. Ils démarrent avec une version live d’«Help Me/Rock Me Baby». Quand on ouvre le digi, on les voit tous les quatre sur scène. Fantastique ! Ces mecs jouent pour de vrai, surtout Lobby qui développe un jeu à la Ten Years After. Il piétine les plate-bandes d’Alvin, il joue en tourbillon et on est là pour ça, pour le tourbillon. Il fait son vieux shoot de somebedy help me. 11 minutes de vraie jam camembert ! Il enchaîne avec le vieux «Going Down» de Don Nix. Ils y vont les cocos. Lobby farcit son «God» de riffs de Led Zep et ça prend vite une belle ampleur. Il sait embarquer son monde. Il indique dans le plantureux livret glissé dans le digi qu’il a composé «God» en 1971 et qu’il n’a jamais eu l’occasion de l’enregistrer en studio. La compile propose ensuite des inédits qui valent franchement le déplacement, à commencer par ce «Terra Vision» extrêmement powerful. Lobby et ses amis balancent ensuite un «Working Class Hero» de 14 minutes, en mode heavy jamming upwards assez convaincu d’avance. On finit par se faire avoir avec «Revolution». Trop de son. Lobby Loyde n’est pas un amateur. En 1973, il figurait déjà parmi les géants, mais personne ne le savait.

    Signé : Cazengler, Lobby labite

    Purple Hearts. Benzedrine Beat. Half A Cow Records 2005

    Wild Cherries. That’s Life. Half A Cow Records 2007

    Coloured Balls. Ball Power. EMI 1973

    Coloured Balls. Heavy Metal Kid. EMI 1974

    Coloured Balls. The First Supper Last Or Scenes We Didn’t Get To See. Rainbird 1976

    Lobby Loyde. Obsecration. Aztec Music 2006

    Lobby Loyde With Sudden Electric. Live With Dubs. Aztec Music 2006

    Lobby Loyde. Beyond Morgia. The Labyrinths Of Klimster. Aztec Music 2007

    Lobby Loyde. Plays With George Guitar. Infinity 1971

    Lobby Loyde. Summer Jam. Lobby’s Last. Aztec Music 2018

    Ian D. Marks & Iain McIntyre. Wild About You. The Sixties Beat Explosion In Australia And New Zealand. Verse Chorus Press 2011

     

    WELCOME TO HARLEM

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

     

    Non ce n'est as un CD, cela se pourrait Patrick Geffroy Yorffeg est musicien, non ce n'est pas un recueil de poésie, cela se pourrait Patrick Geffroy Yorffeg est poëte, non ce n'est pas un tableau, cela se pourrait Patrick Geffroy Yorffeg est aussi peintre, mais l'on s'en rapproche, simplement ( cet adverbe ne signifie pas qu'il y aurait des arts mineurs ) des dessins, sur son album FB, il précise pour les visiteurs étrangers '' drawings'' , j'aurais presque envie de changer l'alpha en oméga et puis d'adjoindre une lettre pour obtenir ''drownings'', noyades en le sens où l'on descend en soi et l'on laisse défiler les images d'une vie incrustées dans le cortex de l'intelligence et encore plus profond dans le cerveau reptilien. Il existe une profonde analogie entre l'art du dessin tel que le pratique Partick Geffroy Yorffeg et le jeu de la trompette, Patrick Geffroy Yorffeg est ( entre autres ) trompettiste, dans les deux cas l'on apporte quelque chose au monde, mais pour émettre ce son ou ce tracé l'on est dans l'acte même de transmission obligé de se couper momentanément de l'univers, pour exprimer totalement sa solitude de créateur. Je n'ai pas dit d'amuseur ou d'afficheur public. Mais celui qui rajoute à l'être du monde, son propre être, crée ainsi un agrandissement, une amélioration, une doublure séparée de l'être du monde. Dans Le Domaine d'Arnheim, Edgar Allan Poe nous conte son héros qui se donne pour but, il y réussit, d'améliorer la création divine.

    Des deux cent vingt dessins contenus dans cet album, aux thèmes multiples, nous ne nous attarderons que sur quelques uns. Kr'tnt ! étant un blogue à dominante musicale, nous en avons choisi 21 parmi ceux qui répondent à cette option.

    1

    SEUL DANS LA SPLENDEUR DU MONDE*

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    Autoportrait aux feutres pour une présence pas du tout feutrée, des notes bleues, la même encre que sur les anciens cahiers d'écoliers. Ne reste de l'artiste que sa tête et sa trompette, tout le reste est englouti dans une terrible solitude. Peut-être n'est-il pas seul, peut-être est-il seulement la splendeur du monde. Artiste en solo, les moments les plus concentrés, les plus éblouissants du jazz. Le trait discontinu nous rappelle que le jazz est une musique qui peut-être considérée comme un dialogue discontinu avec le silence.

    ( Un titre suivi d'un astérisque signifie que nous avons donné un titre là où l'auteur l'avait délibérément omis. Celui-ci est emprunté à John Keats )

    1

    COMMENT L'HOMME DEVINT OISEAU*

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    Un instant plus tard. Ou plus tôt. Qu'importe la fragmentation du temps, ce qui suit se passe parfois avant. Joyce nous a appris ces discordances structurelles. Dans le jazz ce sont des notes ou plus douces, ou plus criardes, qui s'en viennent faire leurs nids dans l'oreille des auditeurs, il existe une limite où le musicien ne respecte plus l'ordre immonde des choses du monde. Tout s'envole, nuées d'oiseaux acharnées sur le cadavre d'un souvenir, qui s'éparpillent d'un seul coup, sur un klaxon de trompe qui surgit en trombe, ou alors, c'est encore plus troublant, parce qu'une douceur des plus abstraites s'avère aussi inquiétante qu'un poison qui se dépose et cloue le bec du musicien, qui expire. Ou explose.

    2

    DEUX-SAXOS

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    Patrick Geffroy Yorffeg est parfois gentil. Vous offre un titre qui vous réconforte. Justement j'avais vu deux saxos vous exclamez-vous, vous êtes content, vous progressez en identification picturale pensez-vous. Eléphant dans un magasin de porcelaines peintes, vous n'avez pas vu le trait d'union, ce qui sépare et retient, vous faites des efforts, vous proposez une double-croche, vous avez effectué un pas dans l'abstraction, c'est bien, mais c'est autre chose, une dyade, ce principe platonicien qui permet de passer du Un au Deux, comprenez du Un au Multiple, car le Un unique ne saurait être accompagné d'un autre, que vous le nommiez 2 ou 3746, sans la dyade intermédiaire vous seriez incapable de compter jusqu'à deux, le musicien de jazz qui pousse son solo ne pourrait jamais jouer dans un groupe. L'on peut le dire la dyade est germinative ! Etonnez-vous si ce principe métaphysique de dualité, de duellité, préside à la production graphique de Patrick Geffroy Yorffeg, il est son unité rythmique de base, à partir duquel tout s'accroit ou tout s'amenuise.

    2

    LES SAXOPHONISTES

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    Ce coup-ci Patrick Geffroy Yorffeg ne vous trompe pas, sont bien deux. Les cuivres bourdonnent comme des abeilles. Je ne mens pas. Nous avons un bel ensemble. Au sens mathématique du terme. Avec deux éléments. Si vous regardez plus attentivement, vous remarquerez que chaque élément constitue un sous-ensemble de l'ensemble E. Si vous portez votre attention sur ce que l'on nommerait le décor, vous vous apercevez qu'il regorge d'éléments hachurés qui sont autant d'éléments de plusieurs sous-ensembles qu'il est parfois difficile de visualiser, pour cela il faut se servir d'une autre branche de la mathématique appelée la topologie, j'arrête avec les maths je sens que vous avez du mal à suivre, alors pensez à la musique sérielle, ce n'est pas un secret nous nous dirigeons davantage vers le free-jazz que vers le trad-jazz, imaginez les notes rangées sagement comme les rayons alvéolés des abeilles, emparez-vous du gâteau de cire, décomposez-le, lancez-les alvéoles isolés en l'air et étudiez les manières disparates dont elle vont une fois au sol se reconfigurer en différents paquets structurels. Recommencez à plusieurs reprises. Certes vous improvisez à chaque fois. Mais c'est pour mieux percer le mystère des règles du hasard.

    1

    LE CONTREBASSISTE

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    Encore un titre sans ambiguïté. Même que le dessin s'est efforcé à un minimum de réalisme... Nous sommes bien dans le 1. Mais alors pourquoi avoir fait paraître tout ce qui n'existe pas sur ce fond noir. Il eût été symboliquement plus logique de laisser le papier en blanc, le Un se suffit à lui-même, inutile de rajouter une couleur, à tel point que c'est elle que l'on voit en premier, or si le Un n'apparaît pas en premier c'est qu'il n'est pas seul, donc qu'il n'est pas Un. D'abord pourquoi noir ? Je soupçonne l'artiste de faire avec le feutre qui lui tombe sur la main, mais ceci est une autre histoire. Pourquoi pas rouge ? Je ne procède pas au hasard. Ce noir m'évoque irrésistiblement le rouge de la toile de Le Grand Concert de Nicolas de Staël avec son piano et sa contrebasse jaune qui ressemble à une poire géante. Tout cela pour dire que les dessins ( et les peintures ) de Patrick Geffroy Yorffeg ne sortent pas ex-nihilo mais sont aussi porteurs d'une tradition picturale qui remonte à loin. L'on ne fabrique pas un solo de jazz à partir de rien.

    4

    LE JAZZ EN NOIR EN BLANC ET EN LARGE

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    Quatre, nous avançons. Saxophoniste, bassiste, pianiste ( il y a aussi un piano dans la toile de de Staël, nous sommes en musique classique ) et batteur, pas d'équivoque nous sommes in jazz. Du Un nous sommes déjà à quatre, mais le noir est devenu blanc. Le titre nous le confirme. Faut-il penser que le jazz est une musique noire appréciée et jouée par les blancs. En large parce que la feuille utilisée était un grand format, la reproduction informatique ne permet pas d'en juger, mais nous revenons à l'adjectif grand devant concert qui désigne quoi au juste, la dimension de la toile ou la qualité du concert. Le noir a laissé place au blanc, il est l'essence de l'épure – admirez le rendu de la précision des poses des musiciens – est-ce parce qu'il n'a pas pu se débarrasser de l'invasion rougeoyante de sa dernière toile, que Staël a mis fin à son existence. Peinture et musique sont des arts dangereux.

    6

    LE JAZZ C'EST COMME LA VIE

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    Chassons les ombres du cimetière, il faut tenter de vivre a dit Valéry, certes le jazz est une musique de torturés, chacun dans sa case, mais aussi d'exultation corporelle, de danse, et de joie. Nous n'avons présenté jusqu'à maintenant que des dessins en blanc et noir, pas tout à fait, mais la couleur se fait discrète, ici simplement trois tâches rose, rouge, orangé, des marqueurs génétiques en quelque sorte, si le blanc et le noir correspondent au blues souterrain qui irrigue le jazz, les couleurs sont au centre des rythmiques et des des timbres, jugez de cette volonté de représenter le jazz par des productions muettes, ici le dessin ne saurait être représentation mais suggestion. C'est à vous de chaircher le rythme dans votre corps.

    1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10...

    FÊTE DE LA MUSIQUE

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    C'est encore mieux en le proclamant, de l'afficher sur les murs pour mieux le crier sur les toits, et cette apparition de l'animal, poisson froid et chien chaud, toute la gamme de cette force primordiale qui n'irrigue plus que très rarement le sang de l'homme et de la femme obligés de se coller l'un à l'autre pour se réchauffer. Ainsi va l'humanité... sur cette image peut-être un peu trop située dans l'ici festif et maintenant répétitif de la réalité française...

    WELLCOME TO HARLEM ( 1 )

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    Nous entrons ici dans une série numérotée. De un à treize. Nous ne pensons pas que l'ordre numéral invite à la lire comme autant de case d'une bande dessinée racontant une histoire anecdotique avec un début et une fin. Sans doute faut-il la regarder comme l'on écoute des disques de John Coltrane, chaque morceau se développant comme un climat de l'âme de l'artiste. Une phrase de Friedrich Hölderlin donne le la : '' Une félicité nouvelle est donnée au cœur qui persiste''. Les amateurs de réalisme socialiste affirmeront que pratiquement rien dans ce dessin n'évoque le quartier noir d'Harlem. Sur le plan cadastral, ils ont raison, mais ils oublient l'essentiel, Harlem est juste une image, Harlem est partout dans le monde s'il est en vous. Il est sûr que cette cité en laquelle ( elle n'est pas la seule ) le jazz élut domicile en ses années légendaires est chère au cœur de Patrick Geoffroy Yorffeg, elle est à considérer comme un mot talisman, un lieu symbole du peuple du jazz, d'ailleurs le dessin est paré des plus douces fragrances, presque du lavis, une sérénité ineffable se dégage de cette œuvre qui n'est pas sans rappeler les douceurs hiératiques de Puvis de Chavanes. Cela peut étonner, mais Harlem est partout.

    WELLCOME TO HARLEM ( 2 )

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    Celle-ci pour s'apercevoir que la précédente était en couleur. Que voulez-vous le retour du même n'est pas exactement la répétition du même. A Harlem comme partout dans le monde, la nuit les chats sont gris. La nuit est même l'heure idéale de la fête. Le gris n'est pas obligatoirement gris, il grise. Une autre vision du bonheur, certes un jour nous ne serons que des ombres blanches au fond des enfers, de fait plus légers que dans notre vie. Il n'est pas obligatoire que la pulsation originelle qui nous assaille soit anéantie avec nous. La mort n'est peut-être que le filigrane de la vie.

    WELLCOME TO HARLEM ( 3 )

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    Ce coup-ci il faut l'admettre, le dessin est beaucoup plus inquiétant. La foule semble s'agglomérer et l'esprit n'a plus l'air à la fête. Le gris s'assombrit, le solo ne se ressemble plus, il se teinte d'angoisse et d'attente. Le même se ressemble de moins en moins. Ce n'est plus la nuit, mais l'ennui. Une variation atmosphérique dans la perception du monde et nous voici dans un autre monde. La joyeuse kermesse du début se mue en morne défilé. Toute répétition engendre-elle la lassitude. Opacité.

    WELLCOME TO HARLEM ( 4 )

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    L'on a poussé les murs, l'espace est libéré. Un champ de neige. Les ombres n'ont jamais été aussi noires et jamais aussi joyeuses. L'on sent l'entrain, la joie de vivre, tout baigne dans un merveilleux idyllique. Plus besoin de musiciens. La danse suffit. Autant de signes qui ne font pas signe mais qui gesticulent. Peut-être atteint-on à une sorte de transe mystique échevelée et immobile, le mouvement s'inscrivant comme des lettres inconnues sur le tableau blanc de l'âme vierge. Harlem n'est pas obligatoirement noir. Il peut atteindre à l'innocence de Marc Chagall.

    WELLCOME TO HARLEM ( 5 )

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    Une subtile variation comme si le solo de trompette était en quelque sorte doublé par un feulement de sax aphone, les ombres noires paraissent plus sombres que sur le précédent car le blanc de neige est encombré de taches grises comme si l'ombre était plus claire que le corps qui la projette. L'ambiance n'en est pas morose pour autant, au contraire, elle s'intensifie, un remuement insaisissable dans tous les coins, il est temps de recopier le proverbe Igbo qui l'éclaire de sa sagesse sentencieuse : Le monde est comme un masque qui danse : pour bien le voir il ne faut pas rester à la même place. D'ailleurs n'est-il pas vrai que les couleurs du peintre sont son masque de guerre. Ici lumineuse. Vibrionnant tel un amas de spermatozoïdes.

    WELLCOME TO HARLEM ( 6 )

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    Nous nageons en pleine folie. La diagonale du fou partage le tableau, blanc d'un côté, multicoloré de l'autre. Avec en plus cette noirceur des hommes qui s'en détachent souverainement. Comme pour affirmer la phrase d'Euripide : Nombreuses sont les merveilles de l'univers, mais la plus grande de toutes reste l'Homme. Que son âme soit blanche comme une colombe ou noire comme le cafard. Ici pas de cafard, comme si le jazz oubliait qu'il sortait du blues et qu'il était, aux heures de ses plus flamboyantes exaltations, encore plus bariolé que l'arc-en-ciel.

    WELLCOME TO HARLEM ( 7 )

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    Ce sept serait-il de pique ! Nous sommes ailleurs. Ailleurs que le dessin. Pourquoi n'ai-je pas évoqué d'une façon précise les gestes des personnages. Oui certains sont musiciens, oui certains sont des danseurs, d'autres s'esbaudissent moultement sans que l'on puisse décider ce qu'ils font au juste. Et à l'injuste. Mais ce répertoriage me semble insignifiant. Ce qui compte c'est que par-delà leur signifiance, disons sociale, ils fassent signe. Pas à nous. Ne nous prenons pas pour le centre du monde, parce que celui-ci est comme Harlem partout, non ils font signe de Patrick Geffroy Yorffeg, ils sont à interpréter comme ces calligrammes que les calligraphes chinois jettent telle une bouteille d'encre à la mer sur la laque du papier, ils ne forment pas de mots, ils sont le mot à eux tout seul, tout le monde peut le déchiffrer mais ce que l'on doit lire c'est l'art du peintre, car le mot devient alors le nom du calligraphe. Il est nécessaire que l'amateur retrouve non pas la représentation de l'objet ou du sujet, mais le souffle, expulsé de l'intérieur de son soi, du geste qui le produit. Tout comme l'on reconnaît la flamme de Coltrane sans avoir vu la pochette du disque. L'on pense, puisque notre peintre est aussi poëte à ces glyphes que traçait Henri Michaux qui ne sont plus des lettres et pas encore des dessins. Il est des lignes où peinture et poésie se rejoignent.

    WELLCOME TO HARLEM ( 8 )

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    Groupe de jazz est une expression consacrée. La série change de cap, Patrick Geffroy Yorffeg réduit la focale. Des fanfares de Congo Square l'on passe aux quatuors, aux quintettes des clubs. De la macro au micro. De la foule endiablée aux individus. Personnages qui passent telles des notes colorées d'un solo, ils glissent entre ciel de pare-brise balayé de traces d'essuie-glaces et le sable des rêves mouvants engloutis. Où va la beauté quand elle traverse le monde ! Et si la chatoyance du monde s'évanouit aussitôt que produite l'artiste a-t-il le don de la fixer par une opération d'alchimie synesthésique. Ne peut-on exprimer une chose que par ce qu'elle n'est pas.

    WELLCOME TO HARLEM ( 9 )

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    Lorsque l'on se rapproche, que l'on cherche à savoir à quoi se résout cet effet qui a provoqué de profondes vibrations en vous, une pierre que l'on jette en soi qui n'arrête pas de tomber encore et encore, l'on est bien obligé de reconnaître que ce n'est qu'un simple la qui a bon do, tout comme ces gens issus des délires d'un Salvatore Dali et lorsque l'on s'approche l'on reconnaît nos costumes de tous les jours, comme ils sont laids et anguleux, des géométries figées sur place, à regarder de trop près l'on ne voit que la réalité, nous qui nous prenions pour des Narcisse orangés ! Nos écorces sont à terre et nous sommes couleur muraille. Grisâtres. Astres morts.

    WELLCOME TO HARLEM ( 10 )

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    Cachons-nous dans le tutti de l'orchestre, fondons-nous dans la masse, devenons transparents, noyons-nous dans l'anonymat de la goutte séminale, à défaut d'être original, soyons l'originel indistinct, ce qui n'est pas encore advenu puisque nous ne sommes pas, soyons le possible, l'inattendu de l'attendu. Ne formons-nous pas une bande hermétique, ne sommes-nous pas comme des hiéroglyphes égyptiens que personne n'aurait encore déchiffrés, une fresque dont tous les éléments auraient été mélangés, les pièces éparses d'un puzzle...

    WELLCOME TO HARLEM ( 11 )

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    Le tout est de se retrouver. Un jeu. Ce n'est pas que les murs ont des oreilles, c'est que nous sommes les murs. Mais certains s'en détachent. Le proverbe Igbo n'a jamais été aussi prophétique. Seuls seront eux-mêmes ceux qui auront osé être, le geste d'appel ou le geste d'acceptation, dans le passage du témoin ce qui est important ce n'est pas le témoin, c'est le passage, l'acte d'être soi en esquissant les silhouettes. Les flèches du lac de Stymphale tombent sur nous mais ne nous transpercent pas.

    WELLCOME TO HARLEM ( 12 )

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    Du moins l'avons-nous cru. Nous voici debout et survivants dans la neige d'un autre âge. Une génération a passé. Le rap a remplacé le jazz. Pas de quartier. Toute tentative artistique est-elle vouée à l'échec. Quand votre solitude ne fait pas l'histoire c'est l'histoire qui vous ratt-rap. Qui vous jazz-trappe.

    WELLCOME TO HARLEM ( 13 )

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    Que chacun se débrouille comme il peut dans ce monde qui nous ressemble de moins en moins, à chacun son petit carreau de plexiglas géométrique. Les pièces du puzzle se mettent en place, ce qu'il dessine c'est une étrange solitude à un, à deux ou a plusieurs, la règle est simple il faut être pareil à l'autre pour s'assembler. Un immense dallage vitrifie Harlem. La vie continue. Certains résistent, ils jouent encore de la musique. D'autres peignent. A l'instar de Patrick Geffroy Yorffeg.

    Même quand tout est perdu, il est important de dessiner des signes de victoire sur la robe des poneys de guerre.

    Damie Chad.

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS / 1968

     

    Enregistré en décembre 67, sorti en mai 1968, cet album est souvent considéré comme le frère jumeau de Winds of Change. Apparemment son souvenir aurait moins marqué la mémoire collective même si deux de ses titres surgissent en vrac dans la tête de ceux devant qui le nom d'Eric Burdon est prononcé. Il est vrai qu'il est un peu borderline, un peu trop de son époque et en même temps un peu trop expérimental. Pour ne pas résister à un mauvais jeu de mots nous dirons qu'il est davantage hippie-free que hippie-freak !

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    La pochette attire l'œil. Elle est signée de Fred Otnes. Pas n'importe qui. Dans les années soixante il illustrera bien des couvertures des plus grands magazines américains. Pas le gars à se contenter d'une seule image. Vous en file sous les yeux un minimum de trois ou quatre, échelles différentes, utilisation de silhouettes monochromes et surimpressions. Son art confine au collage. Même s'il travaille à partir de photos connues ( hommes politiques, écrivains, etc... ) il essaie plutôt de suggérer une certaine idée de la globalité de l'évènement traité comme s'il réunissait plusieurs points de vue sur la question. Il réussit l'exploit de donner au lecteur l'impression que l'artiste a traduit la nébulosité, ou le questionnement, ou l'idée bien arrêtée qui agite son esprit. Otnes possède cette particularité de faire croire à tout un chacun qu'il penche de son côté. Son art intersectif réside en une manipulation abstraite de représentations réalistes. Il n'a réalisé que peu de pochettes de disques, les plus représentatives restent celles de la série anthologique Atlantic Rhythm and Blues.

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    Eric Burdon en blanc et noir occupe l'espace de quatre des vingt carrés qui parcellisent la pochette. Le nom d'Eric Burdon apparaît mais si vous voulez voir celui des Animals il vous faut le chercher... Les mauvais esprits remarqueront qu'il est disposé à côté de la case quasi-centrale qui représente un animal. Pas n'importe lequel : la colombe de la paix. Nous sommes en pleine guerre du Vietnam et il n'y a pas d'équivoque, Burdon est contre cette guerre et la mécanique destructrice de la société qui l'a engendrée... Le lecteur optimiste adorera l'effulgence orangée du recto de cette couve, le pessimiste s'attardera sur son verso, identique, mais d'une tonalité bleu sombre... Le titre de l'album est résolument positif, traduisons en forçant le trait, les ennemis finiront par se réunir, si vous préférez une vision dialectique, empruntons-la au président Mao Tsé Toung qui en ces temps-là enseignait au monde entier que Deux se réunissent en Un ( pour ajouter aussitôt que Un se divise en Deux ) je ne sais si Fred Otnes avait ce principe en tête lorsqu'il a composé son artwork avec face lumineuse et face obscure... Plus près de la culture britannique le titre The twain shall meet est pour ainsi dire une réplique de l'expression Never the twain schall meet tirée d'un des plus célèbres célèbres poèmes de Ruydard Kipling, The Ballad of East and West dans lequel un indien ( d'Inde ) et un anglais finissent après s'être âprement combattus par devenir frères de sang... Un jour l'amour entre les hommes triomphera, un des futurs albums d'Eric Burdon s'intitulera plus simplement Love is...

    THE TWAIN SHALL MEET

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    Eric Burdon : vocal / John Weider : guitar, violin / Vic Briggs : guitar / Danny McCulloch : bass, vocal / Barry Jenkins : drums.

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    Monterey : le festival de Monterey fut un révélateur pour Eric Burdon, pas tant musicalement parlant, n'en fut-il pas avec ses nouveaux Animais partie prenante, que par cette foule de jeunes gens, ces beautiful people, qui parurent à ce natif de la froide Albion un nouveau peuple, la résurgence d'une tribu d'indiens miraculeusement reformée un siècle après leurs exterminations, qu'elle ait changé de couleur de peau n'avait pas d'importance, la possibilité d'une autre vie, d'un autre pays, n'était plus une utopie, même plus un rêve, mais un embryon de réalité palpable du bout des doigts. En France, vieux pays révolutionnaire, se déroula aussi au joli mois de mai 68 un phénomène semblable mais totalement différent car enté selon une historiale dimension politique. Aux USA une foule pacifique offrait des fleurs, en France on jetait des pavés. Certains accouchements sont plus violents que d'autres, mais au résultat les deux bébés ne survécurent que peu de temps à leurs tumultueuses naissances... Mais lorsque Burdon et ses sbires enregistrent ce disque, ils se sentent chargés d'une mission quasi spirituelle, ce nouveau monde qu'ils ont touché du doigt est en demande d'une bande-son originale. Le précédent opus Winds of change dans la structuration de ses morceaux, si miroitants, si novateurs qu'ils soient, n'était à y réfléchir qu'un ramassis de chansonnettes des plus traditionnelles. L'hymne folk We shall overcome n'était que la future promesse d'un monde meilleur. Monterey est le témoignage que la la chose attendue a eu lieu, que le vœu pieux a été en partie réalisé. Que l'on est en train de quitter les champs du possible pour entrer dans l'autre contrée de l'effectivité. Quelques notes de cristal et Burdon qui murmure, trois mots, pas le merveilleux ''il était une fois'' dont on sait qu'il raconte une belle fable mensongère mais la formule sacramentelle du dépouillement prométhéen de Dieu, In the begining, c'est un nouveau monde qui commence, qui déboule sur une cascade instrumentale sans précédent, le groupe a bénéficié de musiciens additionnels – notamment une trompette à la Jéricho, longtemps que je l'avais écouté, mais une évidence m'a sauté aux oreilles, peut-être grâce à la chronique de la semaine dernière du Cat Zengler sur Jimbo, c'est que ce morceau propose de profondes analogies sonores avec le son des Doors, ne pensez surtout pas à du copiage ou de l'espionnage industriel, mais une rencontre, plus que l'air du temps, parfois des artistes sont des caisses d'incarnation miraculeuses de leur époque... Les lyrics évoquent l'ambiance et différents moments scéniques du festival écoutons-les comme des mantra opératifs que l'on récite sans en connaître le sens, c'est la musique - une fête pour les musicos - qui mène la danse du diable et des anges, emplie de folies galopantes et de ruptures sanglantes, pleine de ces années de feu et de cendre, d'avancées et de piétinements d'exaltation et de brisures effrayantes que furent les mid-sixties. Just the thought : vaguelettes, ne nous y trompons, cette flûte innocente, l'on pourrait s'endormir, mais non, une étrange conjonction avec le deuxième disque des Doors s'impose, même recherche d'une douceur rassurante et inquiétante, le morceau s'étiole, une fleur vénéneuse qui se meurt de respirer ses propres senteurs, musique ensorcelante aussi nauséabonde qu'une charogne de Baudelaire qui serait la seule invitation au voyage possible, Danny McCulloch est au vocal, il ne dépare pas après Burdon, loin de là, le texte est à la hauteur, tout se passe dans la tête mais parfois les tubéreuses corolles  qui poussent hors de notre cerveau sont carnivores, l'homme est un cannibale qui se mange lui-même, ses rêves certes, mais aussi son corps. Les morts rêvent-ils encore. Peut-être sommes-nous, nous les vivants, fragmences de leurs cauchemars. Monterey était un hymne, Just the thought est un fredonnement délétère. Closer to the truth : c'est ce que l'on pourrait appeler un blues expérimental, très frustre et très savant, avec de subtils décrochages comme si le son vous parvenait d'un poste de radio éloigné puis rapproché puis exilé au loin, une jam-session improvisée, une partie de plaisir pour les guitares qui se tirent la bourre et s'interpénètrent, la voix de Burdon fait office de rythmique et vous avertit que le secret de l'homme est en lui et pas dans le monde. Sous prétexte de passer un message sans doute parle-t-il de lui. No self pity : philosophiquement dans la même veine, une osmose parfaite entre l'accompagnement, la basse de McCulloch est éblouissante, et Burdon qui joue au grand sage, vous dit que vous trouverez toujours plus grand et plus petit que vous, que le génie de l'homme n'est rien comparé aux beautés de la nature, il pourrait vous chanter la messe en latin ou votre propre condamnation àmort que vous trouverez l'ensemble merveilleux. Orange ans red beams : troisième tranche de la même trame musicale c'est pourtant le seul qui soit crédité uniquement à Danny McCulloch et non pas à tous les participants, c'est d'ailleurs lui qui se charge du vocal, chargé de glaires d'un nouveau-né qui a du mal à retrouver sa respiration, un morceau qui fonctionne un peu à la manière d'une maladie auto-immune, tempo lent sur lequel se greffent des bruits mal identifiables, à un tel point qu'à un certain moments malgré une trompette insistante, ce rampement de bassine terreuse sur le sol j'ai cru que les chiens s'amusaient entre mes jambes, mais non c'était le disque, lever du soleil, naissance d'un enfant, n'est-ce pas l'humanité entière qui renaît chaque matin en tout homme.

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    Sky pilot : plutôt un astronaute de l'espace intergalactique, un véritable ovni tombé sur les ondes radiophoniques, bon pour la voix a cappella si magnifique pas de problème, celle de son maître Eric Burdon, n'a qu'à ouvrir la bouche pour que l'on comprenne que l'on est en plein drame, pas un truc fictionnel, un machin qui nous concerne, mais le morceau en lui-même, on n'en n'avait jamais entendu de pareil, ça démarrait à peu près convenablement, mais ce refrain qui s'élevait comme une prière impie, un chœur grégorien en goguette qui s'en va tirer la barbichette du divin, et le boucan qui survient au milieu, faudra attendre le II de Led Zeppelin pour en entendre un pareil, je veux dire qui s'harmonise destructivement avec ce qui précède et ce qui suit, et puis ces sons de cornemuses venus tout droit d'un régiment de hihglanders qui monte imperturbablement à l'attaque comme dans les films, et au milieu cette douceur révoltante... on ne comprenait pas tout mais assez pour intuiter que Burdon s'élevait contre les bombardements au Vietnam. Tout le monde en prend pour son grade, la prêtaille et la piétaille, la religion et l'armée, le titre est magnifique, vraisemblablement inspiré par l'actualité et par ces images qui traînaient partout à la TV où l'on voit le prêtre bénir l'avion qui va s'envoler pour larguer la bombe atomique sur le Japon... un oratorio d'une puissance folle, qui file la chair de poule et vous pousse à l'insoumission. Le genre de morsure qui ne doit pas vous faire que des amis dans l'establishment. A la limite il serait possible pour les imbéciles de traiter les morceaux précédents pour de la masturbation expérimento-musicale, un groupe de hippies pas très clairs sous fumette acidulée, mais là c'est un coup de boutoir dans la forteresse étatique... The unknown soldier des Doors ( sur Waiting for the sun ) ne lui arrive pas à la cheville. Burdon et ses Animals touchent à l'universel. We love you Lil : quand on a frappé si fort sur la plage précédente l'on peut tout se permettre à la suivante. Sans dire un mot de plus. Un instrumental, n'imaginez pas un petit coucou à une groupie, la petite Lil, l'air sifflé en préambule vous renseigne sur son identité officielle, Lili Marleen de Marlène Dietrich, l'hymne plébiscité par les troupes allemandes durant la deuxième guerre allemande, aucune nostalgie fachisante bien entendu mais une façon de dire que les ravages du conflit n'égaleront jamais le souvenir d'un amour dans une âme humaine... magnifique mélodie avec cette cloche qui résonne comme un glas funèbre sur les brouillardeux glissandi de guitares de Weider et de Briggs, et petit à petit la joie survient comme des pousses d'herbes folles qui sortent de terre car l'amour de la vie est plus fort que le désir de mort. Il est rare que l'on écoute un instrumental rock en-dehors des prouesses des musiciens, mais ici la beauté sonore l'emporte sur l'habileté qui n'est pas restée en rade. All is one : retour des highlanders, toute la nostalgie des bruyères et des landes, un vol de bourdonnement d'abeilles s 'enfuit d'un sitar, Burdon moane comme s'il récitait les koans du Yi King, et le chant gravit les étages et monte sans fin jusqu'à s'échouer sur la motte fondante de beurre du violon électrique, Burdon vous parle de l'unité de toutes les unités, une leçon de philosophie qui s'emballe comme un moulin à prières tibétain emporté par un ouragan, tout est un, et un est tout, tout est dit, tout est tu. Ne posez pas de question. Sinon vous n'avez pas compris.

    Depuis les cinq cents livraisons précédentes je n'ai jamais pris autant de plaisir à (re)découvrir un disque.

    SKY PILOT / 1968 Let's Go / Vancouver TV

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

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    La petite sucrerie habituelle, sur You Tube, un bonbon au poivre, pour changer, c'est ce que l'on appelle de la télévision didactique, d'abord Eric prend la parole, ne mâche pas ses mots, ensuite les Animals sur scène plantés comme des piquets de tomates, regardez les bien car vous n'allez pas les voir longtemps, vous avez le son, puis les images qui envahissent l'écran, des scènes d'actualités, guerre de 14, de 39, jusqu'à la bombe d'Hiroshima, si vous n'avez pas compris que c'est une chanson anti-guerre c'est que vous êtes particulièrement obtus, frères chrétiens ne regardez pas les deux premières minutes, vous seriez déçus et honteux... sur les dernières notes, retour sur la scène, les musiciens ont disparu, sont remplacés par des militaires de tous les pays ( qui ont refusé de s'unir ! ). De ce temps-là les canadiens n'y allaient pas à vents couverts ! L'intention est bonne, le résultat un peu kitch !

    Damie Chad.

    XXVI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

     

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    107

    Le Chef n'eut même pas le temps de craquer l'allumette pour enflammer son Coronado, au fond de la fosse les Réplicants s'agitaient dans tous les sens, il était difficile de comprendre ce qui se passait. Au bout d'un quart d'heure la situation s'éclaircit. La plupart d'entre eux s'étaient massés sur les bords, laissant un vaste espace dégagé devant la plus grosse des machines sur lequel vinrent se placer une partie d'entre eux, il fut facile de les compter car ils se rangèrent à la manière des militaires, formant un impeccable bataillon de dix rangs de dix individus qui restèrent-là sans bouger. Nous ne comprenions pas ce qu'ils attendaient. Au bout d'un quart d'heure il nous sembla que la machine bougeait. Imaginez un énorme parallélépipède aussi long et trois fois plus large que deux wagons de marchandise. Une espèce d'auvent transparent coulissa du toit de l'appareil et se déploya lentement au dessus du bataillon immobile, puis commença à se retirer en arrière doucement. Les Réplicants n'avaient pas bougé d'un millimètre.

    Tout à coup nous comprîmes que nous ne comprenions pas. Sitôt que le toit mobile eut repris sa position initiale à l'instant une centaine d'autres Réplicants se rangèrent devant la machine.

      • Nom de Zeus grogna Vince, j'ai dû rater un épisode !

    Nous partagions tous la même incompréhension. Nous n'eûmes pas le temps d'épiloguer, déjà le toit mécanique se remettait en mouvement. Nous écarquillâmes les yeux, nous concentrâmes toute notre attention sur la scène, mais elle se déroula de la même manière que la précédente. Et nous restâmes plongés dans la même stupéfaction. Une nouvelle fois cent Réplicants vinrent se ranger devant la machine, mais leurs rangs étaient nettement moins rectilignes, chacun déposa à ses pieds une grosse caisse sur laquelle ils finirent par s'assoir attendant que le toit transparent les recouvrit et puis ait reculé. Une quatrième centaine de Réplicants poussant d'énormes malles se rangèrent tant bien que mal devant la machine !

      • Inutile de les regarder avec des yeux de merlans frits, la chose est aussi simple que bonjour dit le Chef

      • Moi il me manque une pièce dans le puzzle s'exclama Charlotte, ils se mettent devant, le toit avance et recule et d'autres viennent prendre leur place, mais où sont ceux qui les ont précédés, c'est tout de même étrange !

      • Non, pas du tout, c'est extrêmement logique, ils sont là mais vous ne les voyez pas quand ils s'écartent sur les bords ! Le Chef prit le temps d'allumer son Coronado. Cette espèce de couvercle qui les recouvre et puis s'en va n'est pas une vulgaire structure en matière plastique transparente mais un mécanisme ultra-perfectionné qui rend les Réplicants invisibles !

      • Un rayon d'invisibilité on aura tout vu, si je peux me permettre grogna Vince, nous avons affaire à un ennemi redoutable !

      • Par contre m'écriais-je j'ai compris les changements de la villa, non seulement les Réplicants sont invisibles mais tout ce qu'ils touchent aussi, puisque les caisses sur lesquelles ils se sont posés voulez-vous supprimer un arbre dans le jardin il suffit qu'un Réplicant pose la main dessus, voici pourquoi la maison changeait du tout au tout d'un jour sur l'autre, nous croyions être seuls nous étions entourés par une foule de décorateurs qui devaient se marrer à chaque métamorphose !

      • Certains sont invisibles mais d'autres ne le sont pas, ils sont donc doublement dangereux précisa le Chef

      • Je ne regrette pas d'être venue quand je pense à l'article que je vais publier, je sens que je vais être bombardée rédactrice en chef, Brunette en bondissait de joie sur place, finie la rubrique des chats et des chiens écrasés !

      • Ne prenez pas vos rêves pour des réalités – la voix était glaciale - vous êtes tombés dans le piège, oui nous pouvons être invisibles, et nous montons toujours la garde à l'endroit exact où Eddie Crescendo à disparu !

    108

    Nous n'étions pas fiers. Nous nous étions faits avoir comme des bleus d'Auvergne. Par une galerie que nous n'avions pas remarquée nous étions descendus tout en bas de la fosse, ils nous avaient délesté de nos armes, et même si nous ne les voyions pas nous sentions leurs fusils dans le creux de nos reins, et maintenant nous étions à notre tour assis devant la machine. Nous n'allions pas devenir invisibles, la voix glaciale nous avait tout expliqué, l'on sentait que le Réplicant prenait plaisir à vanter les performances de sa Rayonide ainsi la nommait-il, le rayon d'invisibilité fonctionnait à partir de deux principes, celui de la cryogénisation des particules temporelles qui structurent l'espace et celui de leur mise sous tension énergétique. Le premier permettait de rendre invisible tout corps physique et le second dégageait un rayon qui vous consumait en quelque secondes, mais à un point tel que l'on ne retrouvait même pas les cendres. Une espèce de bombe atomique qui ne dégageait ni explosion, ni nuage, ni radiation. Il nous assurait une mort écologique. Nous étions ligotés sur nos chaises, mais notre interlocuteur invisible possédait un cœur d'or, aurions-nous par hasard une dernière volonté, si cela était dans ses possibilités il nous l'accorderait volontiers ;

      • Vous serait-il possible de nous délier les mains afin que nous puissions profiter de nos derniers instants pour fumer un ultime Coronado demanda le Chef

      • Accordé, humains je ne vous comprendrai jamais, quelle race inconséquente êtes-vous, vous demandez à fumer avant de partir en fumée !

    Des lames de couteaux invisibles sectionnèrent nos cordes, le Chef distribua ses Coronado, je me suis réservé le meilleur pour moi, j'espère que vous ne m'en voudriez pas, un negro grosso vomito, jeunes filles vous m'excuserez, je reconnais que parfois il peut dégager une odeur pestilentielle mais quel arôme dans le palais, ce cigare est une merveille, sans aucun doute ce que l'Humanité a produit de meilleur... je ne l'écoutais plus je regardais les volutes que dégageait le cigare du Chef, de grosses traînées blanchâtres qui convergeaient en plusieurs points autour de nous désignant ainsi la position des quatre gardiens qui avaient coupé nos liens...

      • Bon je vois que vous avez presque fini, vous les gardiens venez à mes côtés - zut nous ne pourrions même pas essayé de les neutraliser au dernier moment – regardez, la manette vers le haut je les rends invisibles, vers le bas je les fais disparaître à jamais, messieurs êtes-vous prêts, ô les petits cachotiers, vous avez profité que mes aides m'aient rejoint pour tenter de brûler à l'aide de vos cigares les cordes de vos jambes, quel effort pitoyable, je...

    Il y eut une terrible explosion, une fumée noire s'échappait de la machine, l'on courait autour de nous mais nous ne voyions personne, un peu hébétés et titubants nous arrachâmes nos entraves, la lumière s'éteignit, un aboiement bref, Molossa nous indiquait la direction à prendre, nous fonçâmes mais derrière nous la poursuite s'organisait, sans doute étions nous dans la galerie qui nous permettrait de remonter, mais la galopade de nos poursuivants se rapprochait, c'est alors qu'il y eut une seconde explosion et qu'une boule poilue me sauta dessus en jappant, Molossito réfugié dans mes bras me léchait le visage, mais nous n'entendions plus rien, hormis la voix du Chef : Plus vite !

    Nous nous extirpions du hangar tout essoufflés lorsqu'il s'écroula sur lui-même.

      • La machine a dû exploser, les galeries se sont effondrées, les Réplicants n'existent plus jubila Vince !

      • Agent Chad, heureusement que vos chiens sont plus performatifs que vous sinon nous serions morts à l'heure qu'il est !

      • Oui Chef, ils ont décampé sans se faire remarquer quand les Réplicant nous ont pris par surprise, et Molossa a déposé sa ceinture d'explosif sous la machine et a tiré sur le cordon d'allumage avant de s'éloigner à toute vitesse pour nous guider, quant à Molossito il s'est délesté de son gilet de sauvetage au milieu de nos poursuivants et les a ainsi proprement éliminés ! Ces chiens ont dû recevoir de leur maître une éducation hors-pair pour se conduire si intelligemment !

    109

    Les filles étaient heureuses. Elles savouraient notre triomphe, elles croyaient que l'aventure était terminée, le Chef doucha quelque peu leur enthousiasme :

      • Pour le moment nous nous en sommes bien sortis, mais ce n'était que les hors d'œuvres, que dis-je de chiches biscuits d'apéritifs, il nous reste à affronter le mystère le plus noir celui pour lequel Eddie Crescendo est mort, l'énigme de la boîte à sucres !

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 502 : KR'TNT ! 502: RAY CAMPI / DOORS / HOWARDS / ERIC BURDON AND THE ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXV

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 502

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    18 / 03 / 2021

     

    RAY CAMPI / DOORS

    HOWARD / ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    ROCKAMBOLESQUES 25

     

    Choisis ton Campi, camarade

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    Un bon copain passait l’autre jour. On a ouvert des bières pour discuter cinq minutes. Quand il a vu les albums de Ray Campi empilés sur la table basse, il s’est mis à sourire avec une certaine forme de condescendance.

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    Effectivement, qui va aller écouter Ray Campi aujourd’hui ? Pas grand monde, c’est sûr. Pourquoi ? Parce que nous vivons désormais dans une autre époque, qu’on qualifiera comme on voudra, celle des téléphones et des réseaux m’as-tu-vu, où la modernité de ton et d’esprit brille par son absence. Ray Campi n’intéresse plus grand monde, on s’en doute. Le problème n’est pas que Ray Campi soit dépassé, car ses premiers albums sur Rollin’ Rock sont d’une incroyable modernité. Mais aux yeux des jeunes gens modernes, il pourrait bien de passer pour le clown rockab de service. En tous les cas, il a fait tout ce qu’il fallait pour en arriver là. Bon ça ne nous empêche pas de lui rendre hommage sur KRTNT, car le pauvre Ray vient de casser sa pipe en bois.

    Sans doute a-t-il aussi enregistré beaucoup trop d’albums dans les années quatre-vingt et donc suscité des critiques. Mais ce n’est pas si grave, car ces critiques émanent généralement d’où on sait. Et puis, cette manie qu’il avait de grimper sur sa stand-up blanche et de faire des grimaces en tirant la langue pour ses photos de pochettes d’albums n’a sans doute pas arrangé les choses.

    Un jour, sur le stand de Rockin’ Bamaloo aux Puces de Gand, Francis le Corse sortit un Ray Campi du bac. Il le montra à son collègue Jojo le Glaçon et lâcha, avec un fort accent : «Ava, mais c’est qui ce pitre ?» Jojo le Glaçon fit la moue et ne répondit même pas.

    Justement, c’est pour ça qu’on aime bien Ray Campi. En examinant la pochette, on comprend très vite qu’il s’amuse comme un gosse. Il se déguise, il tire la langue, il fait des calipettes, il invite ses copains et ses copines et il adore souffler dans des guimbardes. Bon d’accord, ses disques ne sont pas tous exceptionnels, mais chacun d’eux présente la même particularité : une vitalité peu commune. Ray Campi est un personnage extrêmement doué, très modeste et profondément enthousiaste. Il a consacré sa vie au rockabilly, ce qui nous arrange bien. Des types comme lui, on n’en voit pas des masses. Surtout qu’il fait ça depuis 1957. Ça fera bientôt un siècle.

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    ( Hervé Loison + Ronnie Weiser )

    Le destin de Ray Campi reste indissociable de celui de Ronnie Weiser, le boss du label Rollin’ Rock. Comme Greg Shaw, Ronnie Weiser a commencé par publier un fanzine puis il est passé à la suite logique, c’est-à-dire la création d’un label. Comme Greg Shaw, il a su rester dans l’optique du fan qui fait des choses pour les fans. Weiser se vantait d’avoir créé la plus petite maison de disques du monde à seule fin de publier l’obscure, sexy, juicy, greasy, savage, Real American Rock. Il a su créer une esthétique unique au monde et les albums parus sur Rollin’ Rock sont de véritables trésors. Il fabriquait ses visuels de pochettes en découpant des photos et en écrivant les textes à la main. Et comme il ne disposait d’aucun budget, il enregistrait les artistes dans son salon.

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    On reproche généralement à Ronnie Weiser d’être arrivé après la bataille, puisqu’il a monté son label en 1970. Mais justement, le revival rockab avait un charme fou. Weiser, Ray Campi, Johnny Legend, les Blasters, Mack Stevens et Mac Curtis étaient dingues de rockabilly et ils ravivaient le brasier, avec une énergie nouvelle et de vraies chansons. Pour eux, pas question d’aller grenouiller dans la country nashvillaise. Carl & the Rhythm All Stars et les Sure-Can Rock font aujourd’hui la même chose. Ils se jettent à corps perdus dans l’aventure. Pour eux, il n’existe pas d’autre possibilité que de rallumer la mèche des frères Burnette et de bopper le blues.

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    Rockabilly de Ray Campi fut le premier LP édité par Rollin’ Rock en 1973. Accompagné de son vieil orchestre, Ray rejoue des morceaux enregistrés au Texas entre 1956 et 1958, dont le fameux «Caterpillar» qui le fit connaître des collectionneurs. On trouve sur ce disque tous les signes extérieurs de richesse du swing texan («It Ain’t Me») et du rockab rudimentaire («Give That Love To Me»). Ray adore faire le pitre et chanter comme Donald Duck («Let Go Of Louie»). Il sait aussi rendre hommage à Chuck («You Can’t Catch Me»), mais quand il se décide à casser la baraque, il devient l’un des Golems du rockab texan. «I Didn’t Mean To Be Mean» est l’un de ces fabuleux mid-tempos inspirés, têtus, bien sanglés, swingués avec une élégance despéradique, comme seuls savent en pondre ces mecs-là. Ray nous plonge dans un primitivisme digne de Meteor avec «The Crossing» et nous donne à goûter l’un des brouets rythmiques les plus singuliers du Deep South. Rien que pour ces deux morceaux, on était vraiment content d’avoir croisé le chemin de Ray Campi.

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    Avec Rockabilly Rebel (LP 006), on entre directement dans la légende, puisque Ray Campi joue de tous les instruments et Ronnie Weiser l’enregistre dans son salon. On se retrouve avec un disque fabuleux entre les pattes. Le son y est tellement dépouillé qu’on pense à Sam Phillips, mais un Sam Phillips du pauvre, avec des moyens complètement ridicules. Ray et Ron transforment le plomb en or. Ray boppe «A 50 Dollar Upright» à gogo. Il chante comme un dieu et fait sa gorge chaude avec une ferveur touchante. Il sait chevroter comme Charlie Feathers. «I Let The Freight Train Carry Me On» est l’un de ses classiques. Si vous souhaitez entendre le vrai son du slap, c’est là, dans ce morceau. Grâce à ce son primitif et pur, l’amateur de rockab monte directement au septième ciel. Cette parfaite définition du grain donne un son extraordinairement présent et juste, on goûte au vrai truc. Ray remet le couvert avec «The Rip Off». Il met de la réverb sur son ampli et nous emmène faire un tour à la fête foraine. Encore une fois, on sent la justesse du ton rockab, avec cette guitare qui ouvre un espace incroyable. L’effet est spectaculaire. On a là un cut d’une insondable profondeur, souligné par une rythmique en sourdine. Ceux qui tapent comme des sourds sur leurs fûts devraient écouter ça. Dans «Cincinatti Cindy», Ray pompe un riff de Carl Perkins, mais personne ne lui en fera le reproche, d’autant qu’il slappe le morceau au sang. Et on retrouve ce son dépouillé qui fait la force majestueuse de l’album. Puis on arrive au coup de Trafalgar, l’un des épisodes clés de l’histoire du rockabilly : la reprise du titanesque «Jungle Fever» de Charlie Feathers. Ray en fait une mouture étrange et inspirée, gothique et comme éloignée dans le temps, enfiévrée de petite guitare thématique, hantée comme la cabane d’un sorcier du bayou et soudain, Ray boppe le beat avec une classe qui ahurit. C’est magique, au sens de Méliès. Mystérieux, au sens de Mandrake. Insolite, au sens de Clovis Trouille. Torride, au sens de Hugues Rebell. Avec cette reprise de «Jungle Fever», Ray devint tout simplement un héros.

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    Eager BB Beaver Boy (LP 008) est le quatrième album de Ray Campi sorti sur Rolling Rock. «Pretty Mama» fait partie de ces classiques bien slappés auxquels on ne peut rien reprocher. Pur Texas beat. Slap en avant toutes sur «One Part Stops Where The Other Begins». Pour l’amateur, c’est une véritable aubaine. On entend tout le détail du slap, le claquement de la peau sur la corde, les doublettes et les triplettes. Un morceau comme «Pinball Millionaire» donne une petite idée de l’ahurissante virtuosité de Ray Campi. Il y joue un solo qu’il faut bien qualifier d’hallucinant. L’animal pousse le bouchon jusqu’au vertige. Il n’y pas que James Burton sur terre. Ray Campi écrase la concurrence sans le vouloir. On trouve aussi sur cet album une nouvelle mouture d’«It Ain’t Me», accompagnée au piano. Pièce de swing texan exceptionnelle, dotée d’un solo de guitare classique. Une perle d’extase extrêmement lourde de conséquences.

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    On reste dans la veine des très grands disques avec Rockabilly Rocket. Du pur jus de slap coule de «Second Story Man», un cut qui sonne comme un vrai classique du genre, subtil et adroit. «Don’t Get Pushy» fait penser aux Pink Pedal Pushers du grand Carl Perkins, même élégance du son, bien épaulé par une rythmique en souplesse et judicieusement épicé d’une pincée de yodelling au chant. Que demande le peuple ? Sur «Separate Ways», Ray nous gratifie d’une partie de guitare baignée de lumière préraphaélite. Ray règne. Puis Ray rit, il adore la fantaisie de son enfance, comme on peut le constater en écoutant le savoureux «Chew Tobacco Rag». On sent le cow-boy assis près du feu, sous l’immensité de la voûte étoilée et là-bas, au sommet de la colline, un coyote hurle à la lune. Si on veut entendre un joli son de batterie, alors il faut écouter «You Don’t Rock’n’Roll At All». Le morceau en lui-même n’a aucune originalité, mais le son épate. Bien sûr, Ray frôle le potache avec cette atmosphère conviviale et truculente. Il en profite pour jouer un solo d’instrument de la frontière. Ses racines parlent. Un peu plus loin sur le même disque, deux perles guettent le voyageur imprudent du haut de leurs cactus : «Ruby Ann» et «I Don’t Know Why You Still Come Around». Voilà du très haut de gamme, admirable de pureté, judicieusement slappé pour le premier et astucieusement pianoté pour le second. Tous les morceaux de ce disque restent à un très haut niveau. Les moqueurs feraient bien d’écouter cet album attentivement, car c’est l’un des grands classiques du genre. Chacun sait que le rockab est avant tout une affaire de singles et que les bons albums sont assez rares. Les premiers albums de Ray Campi sur Rollin’ Rock en font partie.

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    En 1979, Ronnie Weiser se payait déjà le luxe de sortir une compilation Ray Campi. L’album s’appelait Rockabilly Rebellion et on y retrouvait des perles comme «Jungle Fever», «Don’t Get Pushy» et «Eager B-B-Beaver Boy». Le roi Ray n’en finit plus d’épater la galerie avec ses prodiges, comme par exemple «California Motorcycle Rockabilly Stomp», une pièce classique et si fraîche, colorée par un jeu de guitare héroïque, dotée d’un solo soigneux et fugace. Ray retrouve les accents cochraniens et brutalise son jeu de sortie. «Rockin’ And Rollin’ Towards Tennessee» en allumera aussi plus d’un, avec son chant syncopé et relancé par des petits coups de guitare. On a là l’une des sauteries le plus endiablées de l’époque. Ron profite de l’occasion (et du dos de pochette) pour indiquer aux fans que Ray est, dans la journée, prof d’Anglais dans un collège des environs, et le soir, bopping cat sur scène. Mister Jekyll and Doctor Ray. Le rockabilly, c’est bien gentil, mais ça ne fait pas bouillir la marmite. Johnny et Dorsey Burnette en savaient quelque chose. Il leur a fallu composer pour des chanteurs à la mode comme Ricky Nelson, sinon, ils risquaient de retourner à l’usine.

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    Et hop, Ron and Ray vont commencer à enfiler les disques comme des perles. Gone Gone Gone sort en 1979. Ray slappe le title-track «Gone Gone Gone» à la clé de gamme et chevauche son swing sauvage à travers la plaine. Youpee ! Il enchaîne ensuite des rockabs authentiques mais pas décisifs comme «Wildcat Shakeout» ou «3-D Daddy». On sent un retour de manivelle. Ray rame. Il chantouille un peu du nez. Il sort quand même de sa manche un jumping jive superbe, «Mind Your Own Business» qu’il agrémente de vrais chœurs. Puis il attaque sur sa guitare une reprise du vénérable «I’m Coming Home» de Johnny Horton, mais ça manque un peu de plomb dans l’aile. On sort de cet album en se disant que le prochain sera meilleur. Il faut toujours regarder l’avenir droit dans les yeux et lui faire confiance.

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    Rockabilly Music sort en 1980 et Ray renoue avec le bon niveau. Il joue de la guitare comique sur «Lucky To Be In Love» et reprend le «Rockabilly Music» de Jackie Lee Cochran, un vieux compagnon d’écurie. Il en livre une version effarante de vitalité, bien slappée et gonflée de chœurs de gospel. S’ensuit un solo country fleuve qui indique assez la hauteur de voltige à laquelle ces gens-là évoluent. On trouve aussi sur ce disque une reprise de Little Richard bien kitsch («Boo Hoo») et une grosse tranche de «Cruisin’» extrêmement classique, dépotée au slop, sans ambages, idéale pour rouler en décapotable sur Sunset Boulevard, histoire de rester dans les clichés. Sur «One Is Enough», il se remet à chanter comme Donald Duck. Du coup, ça semble ridicule, malgré le beau slup élancé, tiré sur toute la hauteur du manche et harmonique au sens du swing. Mais Ray est un fantaisiste dans l’âme et les gens l’adorent pour ça. Il est ce qu’on appelle aux États-Unis un first class entertainer, un boute-en-train de première classe. S’il tire la langue, c’est pas pour exciter les filles, comme pourrait le faire l’autre clown de Kiss. Ray adore déconner, monter en équilibre sur sa stand-up blanche et montrer son agilité au ball-slop. Un morceau comme «Sweet Mama Baby» est bien plus classique qu’il n’y paraît, ce qui n’étonnera personne. Il en va des genres comme des gens, ils fluctuent au gré des vents. Ne compte au fond que l’extrait. Au-delà l’extrait, on se perd en conjectures.

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    Retour en force avec Hollywood Cats sorti en 1983. Son «Rockabilly Man» est aussi accrocheur qu’un standard de Warren Smith. Sur «Don’t Come Knocking», Ray chante comme Elvis et s’en va siffler dans le cours du fleuve. Encore une fois, c’est d’une incroyable vélocité. Sur «Give Me A Taste», il se sert de sa langue comme d’une percu et nous balance un fabuleux rockab hiccuppé à l’ancienne mode. Seul un fantaisiste de génie peut réussir ce tour de passe-passe. Dans «Hold That Train», Ray retrouve son timbre elvissien et nous balance un solo d’un hallucinante virtuosité. La perle noire du disque se trouve sur la B. «Hollywood Cats» est l’un de ses plus beaux numéros de charme. Voilà un morceau magnifique d’aisance à l’américaine, un modèle absolu de classe rockabilly chanté avec tous les accents souhaités. Really boppin’ the blues. Un rêve pour les amateurs. Le genre de truc qu’on réécoute en boucle, tellement c’est bon. «One Is Enough» est l’autre hit de Ray, chanté à plusieurs voix et décisif.

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    Rockin’ At The Ritz fourmille de merveilles, comme par exemple «Eager Boy» du Lonesome Drifter, sévèrement sloppé et strummé, incroyablement bon et sec. Ou encore «Wrong Wrong Wrong», farci d’incursions de guitare virtuoses. Une fois de plus, Ray joue de tous les instruments et sa version de «Tore Up» laisse coi. Dans «Rockin’ At The Ritz», il devient le roi du banjo et il strumme en continu, comme le faisaient jadis les hillbillies dans les sous-bois de l’Arkansas. Ray est tout bonnement effarant, tous mots bien pesés. On retrouve le fantastique «I Let The Freight Train Carry Me On» et on tombe sur une reprise démente de «My Baby Left Me» que Ray incendie à la manière d’Elvis. Même fièvre de l’or. Ray rue pour de bon. Attention aux coups de sabots.

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    En 1988, il rassemble sur un album des morceaux enregistrés avec des copains et des copines comme Merle Travis, Lou Ann Barton, Del Shannon ou encore Mae West. Franchement, l’album vaut le détour. Il s’appelle With Friends In Texas. Lou Ann Barton vient épauler Ray sur cette pièce de swing dément qu’est «Quit Your Triflin’». Ils nous swinguent ça à la dérobade et on les sent seigneurs du secteur des chaussettes de l’archiduchesse. Place au maestro Merle Travis dans «Merle’s Boogie Woogie». On entend un fou de la vitesse éclair, un vrai maelstrom qui va vous siphonner la cervelle, comme d’autres siphonnent de l’essence la nuit sur des parkings d’immeubles. On tombe en pâmoison devant ce fabuleux mid-tempo violonné qu’est «Drifting Texas Sound» et Mae West vient chanter «Caterpillar» en duo avec Ray. Hot ! Quelle ambiance ! Rien que pour ce duo, il faut se jeter sur ce disque. Il fait partie de ces disques fascinants auxquels on revient inlassablement. L’une des forces de Ray, c’est justement la variété des tons et des styles. Même lorsqu’il tape dans la country texane ou les bluettes de frontière, il est excellent.

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    Domino (un label d’Austin) sortait en 1981 une compilation contenant des morceaux anciens : Give That Love To Ray Campi. Il retrouve la veine Elvis sur «Play It Cool» mais il repompe «Jailhouse Rock». Évidemment, on lui pardonne. Sur cet album sympathique, on trouve aussi deux brillants hommages. L’un au Big Bopper («The Man That I Met») et l’autre à Ritchie Valens et Buddy Holly («The Ballad Of Donna & Peggy Sue»). Avec «The Waddle», on revient au rock texan bien strummé et donc aux sources, ce qui nous permet de comprendre une bonne fois pour toutes que ces mecs jouaient pour de vrai, pas pour de faux. Il fait son canard sur «No Time». Apparemment, les Texans adorent Donald Duck.

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    Ray Campi continue à jouer et à enregistrer des disques. On parvient à choper des trucs ici et là, chez les disquaires du Béthune Rétro. Comme par exemple ce Ray Campi And The Hicksville Bombers. Ray fait un malheur avec son «Rockabilly Man» mélodieux en diable. Il ressort aussi son fabuleux «Hollywood Cats», du bon Ray au beurre noir dont on se régale. Il fait des reprises salées de Glen Glenn («Everybody’s Movin’»), de Johnny Horton («I’m Coming Home» et «Honky Tonk Man»), de Jackie Lee Cochran («Hungry Hill» et «Rockabilly Music»). Ray trie sur le volet. Puis il boucle son affaire avec ses autres hits, «Rockin’ At The Ritz», «Caterpillar» et «Lucky To Be In Love».

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    On trouve aussi un disque enregistré avec les Bellhops, One More Hop. Ray grimpe encore une fois sur sa contrebasse. Pas de surprise, l’album tient ses promesses. Ray et ses copains nous pondent du solid romp, comme on dit là-bas. Ils envoient une belle pièce de country fumante se fondre dans l’incendie du crépuscule («Don’t Forget The Trains») alors que Red allume son cigarillo au coin du feu. «One More Hop» est monté sur une somptueuse walking bass. Encore un coup à faire rêver tous les apprentis sorciers. Après un «I Just Drove By» sloppy, Ray envoie un «Rock Me Up» slappy. Rip it up Ray ! Just perfect. Tout y est, blue take on the bop, bip bop, le dos rond du bop avec à la clé une pompe manouche. «Blue To The Bone» est pilé au mortier des guitares tex-mex du désert et Ray nous emmène faire un tour dans le marais avec «Swamp Fox». Bienvenue dans la brume électrique. Il boucle l’affaire avec une solide version de «The Crossing», son vieux hit antédiluvien. Ray Campi a bien raison de camper sur ses positions.

    Signé : Cazengler le campiteux

    Ray Campi. Rockabilly. Rollin’ Rock 1973

    Ray Campi. Eager BB Beaver Boy. Rolling Rock 1976

    Ray Campi. Rockabilly Rebel. Rollin’ Rock 1977

    Ray Campi. Rockabilly Rebellion. Rollin’ Rock 1979

    Ray Campi & His Rockabilly Rebels. Gone Gone Gone. Rollin’ Rock 1979

    Ray Campi. Rockabilly Music. Rollin’ Rock 1980

    Ray Campi. Rockin’ At The Ritz. Rounder Records 1980

    Ray Campi & His Rockabilly Rebels. Hollywood Cats. Rollin’ Rock 1983

    Ray Campi. Rockabilly Rocket. Magnum Force/Rollin’ Rock 1987

    Ray Campi. Give That Love To Ray Campi. Domino Records 1987

    Ray Campi. With Friends In Texas. Bear Family 1988

    Ray Campi & the Hicksville Bombers. At the Thunderbird Rn’R Venue. Rockstar Records 2001

    Ray Campi & the Bellhops. One More Hop. Raucous Records 2006

     

    Ka-Doors - Part One

     

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    Lorsqu’on découvrait la pochette de Waiting For The Sun dans la vitrine d’un disquaire en 1968, on comprenait que les Doors allaient conquérir le monde. Certaines pochettes sont capables de lancer ce type de message. Autres exemples : le premier album des Dolls ou encore la pochette jaune et rose des Pistols. Ces pochettes buzzent toutes seules, elles n’ont besoin de personne en Harley Davidson.

    Donc on entre chez le disquaire pour écouter, car à cette époque on peut écouter ce qu’on veut acheter, et le petit mec qui connaît bien son métier passe directement le dernier cut de la B, «Five To One». Forcément c’est vendu. Et c’est là que démarre une longue idylle avec Jimbo. Il va occuper dans notre petite mythologie kiddy le même rang que Jimi Hendrix, Jerry Lee, les Pretties, Dylan ou encore Brian Jones, le rang de gros culte.

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    Comme Hendrix, les Stones ou Dylan, les Doors bénéficient d’une abondante littérature. La bio des Doors la plus convaincante est sans nul doute celle de Mick Wall, Love Becomes A Funeral Pyre - A Biography Of The Doors. Mick Wall est l’un des grands rocking biographes anglais et ses ouvrages sur Lou Reed, Lemmy, Led Zep, Sab et Hendrix font référence. Il tape aussi dans les têtes de gondole du metal, mais on laisse ça aux amateurs. Pour la petite histoire, Wall fut redac chef de Kerrang! à la grande époque et forcément ça laisse des traces. On feuilletait parfois Kerrang! chez Smith, à la recherche d’articles sur les Wildhearts, un groupe que boudaient les autres hebdos britanniques. Wall écrit comme un fan. Il sait rythmer une monographie pour la rendre passionnante de bout en bout. En général, on ne lâche pas un Wall book avant de l’avoir terminé, même s’il fait 400 pages, comme le Doors book. Wall sait allumer un réacteur biographique au bon moment. Comme les grands romanciers, il maîtrise parfaitement l’usage des ressorts narratifs. Il déclenche toujours ses phases dramatiques au bon moment. Si vous êtes ado et que vous en pincez pour Flaubert, vous lisez forcément Madame Bovary. Lire Madame Bovary, c’est un peu flâner dans l’herbe, vous marchez sur le râteau que vous n’avez pas vu et bam !, vous prenez le manche en pleine gueule. Le manche, c’est le ressort dramatique que déclenche Flaubert à la fin du récit. Wall utilise les mêmes ressorts. On entre avec Wall dans l’épaisseur humaine de Jimbo comme on entre dans celle d’Emma Bovary avec Flaubert. C’est à ce prix que ça prend.

    C’est aussi aux chutes de chapitres qu’on mesure la hauteur des grands écrivains. Un premier exemple : «Waiting For The Sun était sorti et en dépit des critiques mitigées, l’album grimpait vers la tête des charts. Number fucking one, baby! Walk that parapet naked, crazy man!». Wall est électrisé par son personnage et il s’adresse parfois à lui en direct. Dans un autre passage, Wall relate l’arrivée de deux impresarios véreux, Sal and Asher, qui tentent de pousser Jimbo à quitter les Doors et Elektra pour entamer une carrière solo chez Columbia qui le rendrait dix fois plus riche - C’mon Jim, what d’ya say? Have another drink and think about it, huh? C’mon baby, let the good times roll - Et bien sûr Wall indique dans la foulée que Jim n’aimait pas du tout cette idée - But Jim didn’t dig that idea at all - Wall rocke ses fins de chapitres avec une belle aisance. Mais c’est vrai qu’avec un personnage central comme Jimbo, c’est assez facile. Autre exemple : «Avec l’arrivée de l’hero et de la coke comme drogues du jour à la place de l’acide et de l’herbe, les heavy manners avec lesquelles on se conduisait en Amérique et à L.A. en particulier semblaient soudain se caler sur celles que pratiquait déjà Jimbo à Miami. Blood on the streets of fantastic L.A., baby.» Et vers la fin du book, Wall tente de secouer son héros qui n’est plus que l’ombre de lui-même : «Never mind all that shit, man. Monte sur scène une dernière fois avec le groupe, one more fucking time. For the road! Lève-toi demain matin, ouvre une bière and let’s roll, baby, roll. Fuck yeah! Go Jimbo go!». Wall va développer cette pratique et se glisser dans la peau de Jimi Hendrix pour les besoins de son dernier book récemment paru, Two Riders Were Approaching - The Life & Death of Jimi Hendrix, mais ceci bien sûr est une autre histoire. Comme l’actu Cramps, l’actu Hendrix est extrêmement riche, nous y reviendrons incessamment sous peu, comme on dit.

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    Jimbo nous dit Wall est un mec extrêmement cultivé qui attire les jolies femmes cultivées comme Eve Babitz. Il dévore tout, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Hemingway, Faulkner, Mailer et puis les géants du XXe siècle, Joyce, Camus, Sartre et même Céline, et sa boulimie l’entraîne chez Burroughs, Kerouac, Ginsberg, Ferlinghetti, Corso. Jimbo a tout lu, tout au moins tout ce qu’il faut lire si on ne veut pas mourir trop con. Il se passionne pour les idées de Nietzsche sur le surhomme, mais il touille ça avec des idées apolloniennes sur l’harmonie et un goût dionysien pour le chaos, la jouissance et l’intoxication. Ce qui le fascine le plus chez Nietzsche, c’est cette idée que dans un monde idéal, il n’existe pas de notion de bien, de mal, de passé et de futur, puisque tout doit être vécu dans l’instant, c’est cette idée de transcendance par tous les moyens, cette idée que l’individu volontariste est bien plus puissant que le troupeau bêlant d’une populace maintenue dans l’ignorance et les ténèbres par les médias et des pouvoirs soit-disant démocratiques. Jimbo fascine son copain Ray du cul qui voit en lui une sorte de satyre dionysien, like Rimbaud, Modigliani, Neal Cassidy. Jimbo a aussi des copains qui ne sont pas dans les Doors, comme Felix Venable, un mec qui s’adonne à tous les excès, speed, acid, herbe et qui enseigne à Jimbo l’art de siffler une bouteille de bourbon d’un trait, histoire d’expérimenter le Grand Jeu.

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    L’autre grande influence est celle d’Artaud et du Living Theater de Julian Beck, qui avec sa représentation du Théâtre de la Cruauté démantèle le «quatrième mur», celui qui sépare la scène du public, et vise l’événement total. Jimbo ira plusieurs soirs de suite voir le Living Theater sur scène, cherchant un moyen de ramener cette modernité dans les Doors - Try it out on stage - Oui, Jac Holzman a raison, les Doors n’étaient-ils pas supposés to be so far out ?

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    Au commencement, Jimbo veut être poète. Il veut monter un duo avec son poto Dennis Jakob. Il a même un nom pour le duo : The Doors. Jakob précise que ce choix est inspiré par Look Homeward Angel de Thomas Wolfe. Wall nous sort l’autre version, la version officielle. Jimbo voulait rendre hommage à William Blake qui dans The Marriage Of Heaven And Hell écrit : «Si les portes de la perception étaient propres, toute chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est, infinie.» Et de là, Jimbo cite Aldous Huxley qui a sorti les Portes de la Perception du poème de Blake pour titrer son essai sur l’expérimentation de la mescaline. Tous ces mecs sont de fabuleux expérimentateurs, d’immenses découvreurs : Huxley, Artaud, Burroughs, Gilbert-Lecomte et bien sûr Henri Michaux avec ce livre de chevet qu’est Connaissance Par Les Gouffres. Jimbo appartient à cette caste. Il met en place sa théorie : les meilleurs trips sont ceux qui ouvrent les portes de ton esprit et qui te permettent le break on through, dig ? Tout au long de la courte histoire des Doors, Jimbo réussira à maintenir le cap sur la poésie. Il va ancrer le rock des Doors dans le feu sacré, c’est-à-dire la littérature. Au même titre que Dylan, Jimbo est l’homme du contenu. Pas de rock sans contenu. Il édicte un autre principe : dans le groupe, on partage tout à quatre parts égales. Une fois que les Doors sont formés et que Jac Holzman les signe, Jimbo demande que les crédits soient répartis sur les quatre noms. Jimbo partage tout et ne veut rien posséder, sauf une Mustang bleue. Il adore conduire défoncé dans le crépuscule californien.

    Les deux personnages clés dans l’histoire des Doors sont Jac Holzman et Paul Rothchild.

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    Holzman découvre les Doors au Whisky A Go Go, le soir où ils se font virer parce que Jimbo a improvisé sur scène l’histoire du Father I want to kill you et du Mother I want to fuck you. Holzman qui est un businesss man new-yorkais amateur de rock edgy leur propose un contrat sur Elektra, avec une avance de 2 500 $ et 5 % de royalties sur les ventes. Holzman va se passionner pour les choix de Jimbo, notamment «Whiskey Bar (The Alabama Song)» - Monochromatic mock-Weimar cabaret sound,. This was rock but with a major difference - Alors que les groupes en 1966 cultivaient the psychedelic prism of love-love-love, les Doors en proposaient l’antithèse, avec un ange qui voulait buter son père et baiser sa mère. Holzman voyait Elektra comme l’antithèse des gros labels. Pour lui, small is beautiful, il ne voulait pas viser le mass market, même si les Doors allaient devenir célèbres. Holzman préférait soigner ses objets, avec des livrets et des belles pochettes. Wall : «If Atlantic was for hip swingers, Elektra was for the knowledgeable elite.» (Si Atlantic s’adressait aux branchés, Elektra s’adressait aux érudits). Holzman s’intéresse aux folkies californiens, comme Phil Ochs, Judy Collins ou Tim Buckley et il rate de peu les Byrds et les Lovin’ Spoonful. Quand les Doors qui sentent le besoin d’un manager signent avec Bonafede et Dann, la première chose que font Bonafede et Dann est d’essayer de décrocher les Doors d’Elektra pour aller signer chez Columbia et récupérer un gros billet. Mais bizarrement le contrat Elektra va tenir bon. Holzman aura sur les Doors une influence bénéfique jusqu’au bout. Wall va même jusqu’à dire que Jimbo aura changé la vie de Jac Holzman, faisant de lui un multimillionnaire et donnant à Elektra une nouvelle identité.

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    C’est Holzman qui engage Paul Rothchild pour produire les Doors. Rothchild n’est pas le dernier à se schtroumpher. Il arrive en studio avec une valise à la main. Elle contient évidemment toutes sortes de cames. Rothchild est non seulement un gros consommateur de coke, mais il est aussi un gros dealer de marijuana. Quand les flics le poirent chez lui avec plusieurs valises de marijuana, il leur explique qu’elles ne sont pas à lui, mais les flics ne le croient pas et l’envoient droit au trou d’où va le sortir Jac Holzman au bout de quelques mois, se portant garant pour lui. Rothchild doit donc une fière chandelle à son boss, qui en plus de lui redonner son job à la sortie du trou, a aidé sa femme à survivre pendant son incarcération. Au début, Rothchild n’aime pas trop les Doors qu’il trouve limités mais Jac Holzman lui demande de l’aider à en faire les Doors tels qu’on les connaît, ce qu’il ne peut évidemment pas refuser. Rothchild façonne donc le son des Doors et en fait les hit-makers que l’on sait. C’est après être entré dedans que Rothchild réalisa à quel point l’univers musical des Doors était fascinant.

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    Puisqu’on est dans les personnages clé, il ne faudrait pas oublier Bill Siddons qui n’a que 19 ans quand les Doors l’engagent après avoir viré Bonafede et Dann. Siddons est un peu jeune pour le job, mais il va se contenter de jouer un rôle de facilitateur. Il sait discuter avec les patrons des salles et il peut gérer Jimbo qui est défoncé en permanence. Jac Holzman donne sa bénédiction : «C’est un gamin, mais il est très intelligent. C’est un plaisir que de travailler avec lui.» On voit un peu Siddons dans l’excellent film d’Oliver Stone.

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    L’histoire des Doors nous dit Wall est une histoire beaucoup plus compliquée qu’on ne croit, celle d’un homme, Jimbo, qui n’a pas d’amis - Jim n’avait pas d’amis. Certainement pas Pamela avec ses cheveux rouges, son smack et son nouveau copain le Comte. Ou Ray avec sa manie d’envoyer du please-Jim-just-for-me shit en pleine gueule. Ou John cet asshole avec ces mines de travers et ce regard d’accusateur public. Ou encore Robby, la cerveau grillé par l’acide, à déblatérer son passive-agressive bullshit, Robby, the secret businessman - Jimbo se sent mal entouré. Wall calme le jeu en redistribuant les rôles : il voit quatre éléments dans les Doors. La terre, c’est John, celui qui a les pieds sur terre, trop peut-être, l’Américain moyen qui ne connaît pas Dionysos et qui ne supporte pas de voir Jimbo s’auto-détruire. L’air, c’est Robby, avec ce sens de l’expansion et de la vibration. Ray c’est l’eau, à cause de la fluidité et des interconnexion et bien sûr, le feu c’est Jimbo - Baby you can light my fire.

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    Un Jimbo qui dès le début se pose toutes les bonnes questions : comment ramener dans le rock la profondeur du drame et de l’émotion, la joie et le pathos, le chagrin et la terreur ? Car pour lui, c’est le cinéma qui combine tout ça, et il veut que le rock de Doors soit aussi complet qu’un classique du cinéma, ce cinéma d’où il vient, ce cinéma ancré dans la littérature, et Jimbo est persuadé que le rock des Doors peut charrier les mêmes extrêmes. Le rock des Doors peut charrier du Eisenstein et du Murnau, du Abel Gance et du Pabst, du Rimbaud et du Joyce. Si le cinéma permet de jouer le rôle de God, alors le rock doit aussi le permettre. Selon Jimbo, le grand art cinématographique relève d’une tradition ancienne, celle des magiciens, l’art de maîtriser les ombres et la lumière (Murnau), un art inséparable d’une croyance dans la magie (Artaud). Voilà comment Jimbo le visionnaire voit le rock des Doors. Alors il va injecter dans le cul du rock des Doors des doses massives de poésie, de théâtre, de shamanisme, de chaos dionysien, il veut emmener le public - body and mind - dans le tourbillon des origines, il a cette vision d’un grand art pour les masses populaires d’Amérique, cette nation si tragiquement inculte.

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    L’incroyable de la chose c’est qu’Oliver Stone a réussi à reconstituer la bacchanale de Jimbo dans son film, The Doors, au moins à deux reprises, lors d’une scène de concert à San Francisco, où brûle un bûcher devant la scène, alors que Jimbo chante «Not To Touch The Earth» - Run run run - une antique version de «Celebration of The Lizard», et on voit de délicieux corps de femmes nues danser à la lueur des flammes, c’est gigantesque, fabuleusement orgiaque, Stone a compris ce que Jimbo voulait dire par art total. Et dans une deuxième scène, le concert de Miami, la bacchanale est encore plus spectaculaire, plus incontrôlable car Jimbo danse sur scène avec des sorciers apaches et toute la foule est embarquée dans le tourbillon des origines du monde. Chaque fois qu’on revoit cette scène, elle fonctionne comme un sésame, même sur un écran de télé. Oh bien sûr, ce fut mille fois plus spectaculaire la première fois en salle car cette salle des Champs semblait tournoyer en même temps que la foule de Stone, moment grandiose, trip extrême, que la volonté de Jimbo soit faite, c’est la plus belle bacchanale de l’histoire du rock. Jimbo sur scène se jette sur son pied de micro et il entraîne cette foule dans un «Break On Throught (To The Other Side)» qui prend là toute sa résonance - The Doors got so completely out of control - Ce film fut critiqué à l’époque, mais Stone avait réussi à boucler la boucle voulue par Jimbo, le rock des Doors revenait au cinéma par la grande porte, celle de la magie du cinéma. Rien que pour ce coup de génie, Oliver Stone mérite sa place au firmament. Il fait partie de ceux qui ont su interpréter le cheminement intellectuel de Jimbo. Stone a compris l’essentiel : les Doors ne sont peut-être pas les premiers à transformer le rock en art, mais ils sont les plus authentiques. Jimbo a su plus que tous les autres incarner cette idée. Au prix de sa vie.

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    À l’origine des temps, Jimbo et Ray du cul posent les bases du rock des Doors : Kerouac meets John Coltrane. Le problème c’est qu’on aura Kerouac, mais pas Coltrane, car les trois Doors sont très limités. Pas grave se dit Jimbo, on va compenser. Les trois autres comprennent vite que sans Jimbo et le chaos qu’il génère sur scène, ils ne sont rien de plus qu’un groupe ordinaire. Il y a une telle différence de charisme entre les trois musiciens et le chanteur que le public fait son choix. Il veut Jimbo. Quand les photographes organisent des sessions, ils ou elles veulent Jimbo, le rock God, pas les autres. Pas question d’avoir big-bird Ray, frizzly-haired Robby et pinch-faced John. C’est Joel Brodsky (et non une femme comme le montre Stone dans son film) qui shoote the iconic Christ-like American Poet qu’on a vu sur les posters à l’époque. Elvis, Jimbo et le Che furent les trois plus beaux mecs de cette époque. Ils avaient en plus pour particularité d’avoir tous les trois du génie.

    Bizarrement, des gens détestent Jimbo. Wall en épingle quelques-un, comme Lou Adler qui refuse de mettre les Doors à l’affiche du Monterey Pop Festival, ou encore Lou Reed qui hait profondément les Doors.

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    Musicalement, les Doors, c’est simple : sept albums en quatre ans et la messe est dite. Ou pour être plus précis, cinq albums moyens pris en sandwich entre deux grands albums classiques, The Doors (paru en 1967) et L.A. Woman paru en 1971.

    Oui, ce premier album des Doors reste l’un des grands classiques du rock américain des sixties. The Doors ouvre son bal d’A avec «Break On Through» et la fantastique profondeur de the other side. Jimbo est déjà là et il ne nous quittera plus. Il nous embarque pour Cythère, avec power & warmth. Il étend encore son empire avec «Soul Kitchen». On fut frappé à l’époque par l’immédiateté de ce son. En fait, c’est Jimbo qui fait tout le boulot, learn to forgive. On repère très vite des gros défauts dans le Doors Sound System, notamment cette rythmique un peu plan-plan. Les Doors ne groovent pas. C’est ce qui frappe à l’écoute de «Light My Fire» : la rythmique tournoie, mais de façon balloche. Alors oui, bien sûr, c’est idéal pour un acid trip. Mais enlève la voix de Jimbo et c’est une catastrophe. On revient aux choses sérieuses en B avec un «Back Door Man» heavy on the beat, fute de cuir noir, Jimbo s’appuie de tout son poids sur l’understand. Comme chacun sait, «Back Door Man» est un hommage à l’annal sex, qui est alors l’obsession de Jimbo. Mais derrière, la rythmique ne groove pas. C’est beaucoup trop rigide pour un hommage à Wolf. Jimbo sauve le cut à la seule force du chant. Le solo frigide de Krieger bat tous les records de platitude. Au fond, on s’en fout que les trois autres ne soient pas à la hauteur, car Jimbo va imposer un style et marquer le rock à jamais. Ils terminent cet album suprêmement morrisonien avec la première d’une série de longues compos atmosphériques dont les Doors vont faire une spécialité : «The End». L’intro nous replonge immédiatement dans Apocalypse Now, avec la petite descente aux enfers. Bien vu, Coppola ! S’il voulait illustrer son époque, c’est réussi. Jimbo nous entraîne dans les fameuses weird scenes in the goldmine, où rampe un snake of several miles, c’est de la poésie à l’état le plus pur, diction parfaite, pas besoin d’un dico. C’est sûr qu’avec son Mother I want to fuck you, il a dû choquer le KKK, ce qui était le but. Jimbo nous rappelle que la poésie peut aussi être subversive. Selon, Paul Rothchild, les sessions de ce premier album furent incontrôlables, car Jimbo se goinfrait d’acides. Pendant l’enregistrement de «The End», Jimbo dansait dans le studio comme un derviche tourneur.

    «Light My Fire» nous dit Wall va devenir le plus gros hit du summer of love et Jimbo va devenir un rock god/poète hédoniste à visage d’ange, certainement le dernier et le plus grand, le gardien de la pierre philosophale du rock. Wall a raison de délirer avec les formules, les grandes heures de Jimbo sont le Grand Œuvre du rock.

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    L’album suivant s’appelle Strange Days. On le revoit encore dans la vitrine. Aw comme il nous faisait baver. C’est l’une des grands pochettes mystérieuses des sixties et c’est là-dessus qu’on trouve le deuxième chef-d’œuvre de la série des longs cuts atmosphériques : «When The Music’s Over». Ça s’annonce mal, avec l’intro rigide de Ray raide comme un piquet, mais la voix de Jimbo arrive comme une délivrance. Le voilà lancé dans sa plus belle échappée belle, il croone à l’intensité pure, au raw et au hot de glotte. De toute évidence, John Doe s’est inspiré de cette façon de chanter - What have they done to the earth/ What have they done to our fair sister - Ce cut fascinant fait partie de ceux qu’on réécoute plusieurs fois de suite, intrigué par les mystères et les merveilles indicibles qu’il recèle. Dans l’histoire du rock, Jimbo est un phénomène unique et chaque fois qu’on le réécoute, on vibre, même si on connaît la moindre parcelle de son univers. On trouve d’autres jolies choses sur cet album, comme «Moonlight Drive» que Jimbo arrache du sol au chant. Ils font aussi une petite tentative de putsch psychédélique avec «My Eyes Have Seen You». Dommage qu’ils n’aient pas foncé dans ce tas-là. Ce qui frappe le plus à l’écoute du morceau titre d’ouverture du bal d’A, c’est l’incapacité des Doors à groover. La rythmique n’a rien dans la culotte. Encore une fois, Jimbo fait tout le boulot. Cette basse d’orgue raidit tout le son. L’intro de «Love Me Two Times» est catastrophique de sécheresse contextuelle et un solo de clavecin réduit tout à néant. C’est peut-être ça au fond qui fait la grandeur des Doors : le mélange d’un orchestre plan-plan et d’un shouter de génie. «People Are Strange» passe beaucoup mieux car on n’entend plus l’orgue. Jimbo et un peu d’acou passent mieux que tout le bataclan des Doors. On apprendra après coup que «When The Music’s Over» fut enregistré live dans le studio, comme le voulait Jimbo - Jim wanted to keep it raw and alive - Mais l’album ne va pas marcher, il va disparaître des charts rapidement, in a flash. L’album n’allait laisser aucun souvenir, hormis l’étrange pochette. Le public ne comprenait pas qu’un groupe aussi brillant pût se vautrer avec ce deuxième album.

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    Dans nos têtes de lycéens affamés de mythes, on associait la pochette de Waiting For The Sun à l’idée du wild rock américain. Quelles dégaines pour l’époque ! Et puis ce single magique que fut «Hello I Love You (Won’t You Tell Me Your Name)» fait l’ouverture du bal des vampires. Malgré le handicap d’une rythmique rigide, Jimbo bouffe sa pop toute crue. Excité par une giclée de fuzz, il finit en apothéose dionysiaque. C’est l’un des hits américains qu’on vénérait en 1968. L’autre coup de génie de l’album, c’est bien sûr «Five To One» avec son terrible effet de stomp - Gon/ na make it ba/ by if we/ try - C’est fabuleusement bien dit. Jimbo chante au heavy guttural, son c’mon est l’un des plus beaux du c’mon world - Get together one more time - Le redémarrage est superbe, même s’il est un peu raide. Jimbo écrase son Five à coups de talon, get/ to/ ge/ ther one/ more/ time - Ah comme il est bon ! Par contre le reste de l’album peine à jouir, d’où la déception. On retrouve avec «Not To Touch The Earth» le run run run qui a tant fasciné Oliver Stone et qu’on entend dans la scène du concert de San Francisco - Run with me ! - Une fois encore, Jimbo sauve les meubles des Doors à la seule force du chant. Mais c’est un nouvel échec. Jimbo sent que les Doors ne sont pas à la hauteur de sa vision. Il voulait consacrer une face entière à «Celebration Of The Lizard», mais Paul Rothchild s’y opposa, arguant que ça n’était pas assez commercial. Il avait pour instruction de renouer avec le succès de «Light My Fire». Jac Holzman donnait carte blanche aux Doors, mais en même temps, il avait besoin d’un hit pour relancer la machine - No more fucking around - Mais les sessions furent de plus en plus incontrôlables, Jimbo arrivait défoncé ou n’arrivait pas du tout, ce qui avait le don d’excéder les autres, plus particulièrement John Densmore, qui voyait les Doors comme une belle machine à fric et cet asshole de Jimbo faisait tout pour saboter leur carrière. Pendant Waiting, Jimbo battait tous les records d’out of control, avec une consommation massive de psychedelics.

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    Tu n’avais plus que tes yeux pour pleurer, après avoir acheté puis écouté The Soft Parade. En 1969, il était impossible d’imaginer que les Doors pussent nous décevoir à ce point. La désillusion était d’autant plus cruelle que le pouvoir d’achat d’un lycéen issu de la classe très moyenne était dramatiquement limité. Cet album est bourré de cuts dont on ne sait quoi penser, des trucs comme «Shaman’s Blues», «Runnin’ Blue» ou encore «Wishful Sinful» au travers desquels on passe, tellement ils sont transparents. On en sauvera deux : «Touch Me», monté sur le riff de basse d’Harvey Brooks. On croit entendre les Chambers Brothers. Puis «Wild Child» qui ouvre le bal de la B, car Jimbo y fait un grand numéro en tant que wild shouter d’accent royal, en tant qu’ultime rocker des Amériques, titre qu’il partage bien sûr avec Iggy. Quant au reste, ça ne va pas du tout. Ils font une tentative de putsch psychédélique avec «Do It», mais ça foire lamentablement. Quant à l’«Easy Ride», c’est poppy et sans objet, presque parodique. Excédé, Jimbo l’extermine au wild shout. On se demande comment un artiste de ce calibre a pu s’abaisser à chanter des trucs aussi mauvais. Le team Robby/Ray ? Laissez-nous rire ! Leur seule chance d’exister artistiquement, c’est Jimbo et ses longues dérives shamaniques. On ne sauve pas non plus le morceau titre, pourtant groové par Brooks - This is the best part of the trip ! - Ils reprennent le riff de Back Door Man, avec des échos de chant de gentle street et Jimbo tente encore une fois l’impossible : sauver le cut à la force du shout. Il est héroïque.

    Si cet album est tellement ambitieux - et même Brechtien - c’est parce qu’au même moment arrivent des albums révolutionnaires, comme The White Album ou Electric Ladyland, qui redéfinissaient les possibilités du rock context. Mais Jimbo est trop défoncé pour entrer en lice. Alors Rothchild ramène des orchestrations pour compenser la misère compositale. À sa façon, il visait la perfection, mais tout le monde ne s’appelle pas Phil Spector. Les Doors sont le groupe numéro un des États-Unis et ils ont besoin d’un big album. Rothchild veut devenir un grand producteur. C’est un fantastique échec. Quand Jac Holzman entend le test pressing, il est furieux. Il demande à Rothchild de virer toutes ces orchestrations et de ramener les Doors aux racines des Doors, mais Rothchild refuse. Il tient bon.

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    C’est donc avec une certaine méfiance qu’on approchait Morrison Hotel paru l’année suivante. Les groupes dont on a décroché à cause d’albums ratés sont légion, mais dans le cas des Doors, c’était plus compliqué, à cause de Jimbo. On imagine le carnage qu’il aurait fait avec un groupe comme l’Electric Flag derrière lui. Ce qui va faire la différence entre Morrison Hotel et les albums précédents, c’est l’enrôlement d’un bassman, et pas n’importe qui : Lonnie Mack sur deux cuts, «Roadhouse Blues» et «Maggie MGill». Alors ça change tout. Ça groove. On entend bien le vieux Lonnie dans les refrains de «Roadhouse Blues». Un bon drive de basse, ça change la vie. Le bassmatic semble même doper Jimbo dans «Maggie MGill», car il chante au mieux de ses possibilités. Les Doors redeviennent alors les rois du heavy stuff de Los Angeles. Il faut entendre le vieux Mack groover dans le son. Sur les autres cuts, c’est Ray Napolitan qui joue de la basse. On se régale d’un «Peace Frog» bien envoyé. Cette façon de revenir au chant après un break n’appartient qu’à Jimbo et il faut le voir enfoncer ses clous. Voilà typiquement l’artiste dont il est impossible de se lasser. Avec «Land Ho», ils renouent avec leur dimension épique. Leur son va mieux dès qu’une basse entre dans la danse. Ça s’articule. Jimbo revient au blues hedonistic avec «The Spy», qu’il chante magnifiquement, avec toute la profondeur dramatique de la goldmine. Wall dit que Morrison Hotel est le plus up-sounding Doors album of them all.

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    Paru en 1970, Absolutely Live confirme l’idée qu’on se fait des Doors : l’erreur serait de les voir comme un groupe pop. Ce Live tombé du ciel n’en finit plus de sacraliser le génie de Jim Morrison et ramener les trois autres au rang de vulgaire backing band. Jimbo chauffe son Bo dès l’intro à la folie messianique. Dans ses pattes, «Who Do You Love» devient une œuvre d’art organique, un truc qui bouge. Jimbo porte tout le poids du rock sur ses épaules, et avec du recul, on le comprend encore mieux. Plus que tous les autres grands shouters, il incarne à la perfection le rock power, une dimension qu’on pourrait imaginer remonter à la nuit des temps. Les quatre faces de ce Live tombé du ciel sont un gisement éternel. Il faut entendre le scream de Jimbo à l’orée de «Backdoor Man», il enfonce son oh yeah à coups de talon dans la rondelle des annales. Mais diable, comme le backing est pauvre. C’est encore plus frappant sur «Five To One», le beat devient presque sloppy. Ce qui effare le plus, c’est la pauvreté du jeu de Densmore. Il ne joue que les dominantes, aucune volonté d’en découdre. Quant au jeu d’orgue, c’est une catastrophe. Ces mecs sont d’une extrême platitude. Retour au monde magique et incantatoire de Jimbo avec «When The Music’s Over», il gueule après les gens, shut up, il veut entendre le vol des papillons. C’est Ray du cul qui ouvre le bal de la C en chantant «Close To You» et là on comprend mieux que les Doors sans Jimbo n’ont aucun sens. Ils ne se rendent même pas compte de la chance qu’ils ont d’avoir Jimbo. Le voilà qui éclate au grand jour dans «Universal Mind», merveilleux mélange de poésie et d’aura. Jimbo restera pour nous le plus beau seigneur des annales, surtout avec ce beautiful balladif crépusculaire. Derrière, Ray du cul et Densmore la mormoille essayent de swinguer, mais ils ne savent pas. Ils en sont incapables. On leur en veut, c’est vrai, d’avoir tourné le dos à Jimbo quand il avait besoin d’aide - Petition the Lord with the payer ! - Et vlan, voilà «Break On Through». Jimbo pose la question à la foule : «Petition the Lord with the payer !» - The cat, the rats awite, you know the day destroys the night, night divides the day, yeah ! - Cette façon de lancer l’assaut du rock est unique au monde. La D est la face la plus palpitante des quatre, parce qu’on y trouve «The Celebration Of The Lizard» qui devait figurer sur The Soft Parade. Il n’en faut point perdre une miette. Is everybody in ? The ceremony is about to begin. C’est le roi des poèmes fleuves, once I had a little game, il dicte ses conditions - Forget the world, forget the people and we’ll erect a different staple - et il injecte dans sa Celebration l’excellent Let’s Run de «Not To Touch The Earth» et ça devient énorme, jusqu’au moment où il salue son public - Retire now to your tents & to your dreams/ Tomorrow we hit the town of my birth & I want to be ready - Spectaculaire ! Il termine avec «Soul Kitchen», et en puissant shouter, il monte par dessus son chant, là haut sur la montagne. Faramineux Jimbolaya.

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    Mais il va payer son hédonisme au prix fort et se retrouver isolé au milieu du groupe. Les trois autres ne supportent plus de le voir défoncé. Plus il se sent jugé et plus il en rajoute. Quand il se fait tabasser pas les flicards en décembre 1967 à New Haven, Connecticut, il devient un martyr, car des gens voient les cops rouer Jimbo de coups et lui savater la gueule, un rôle de rock star martyr nous dit Wall qu’il va continuer à jouer après sa mort - The role in fact he stills enjoys today - Jimbo n’a pas de maison, il vit dans des chambres d’hôtel, il ne se lave plus et pue le vomi. Côté sexe, il ne désarme pas. Toutes les groupies de Los Angeles se plaignent de ce bouc qui les encule toutes une par une. Dès qu’une garce arrive dans son lit, pouf !, Jimbo l’encule. Il n’a de goût que pour les fast women, la bonne bouffe, le badass whisky et les drogues assez puissantes pour t’envoyer là d’où tu ne reviens plus - 17 capsules de cristaux de mescaline dans un verre de jus d’orange et hop ! En voiture Simone ! Trois jours plus tard, se souvient January Jansen, ils sont encore en plein trip. Quand Jansen commence à vomir du sang, Jimbo lui dit que c’est normal car il a trop de sang dans le corps.

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    Lorsque se produit l’incident de Miami, Jimbo en a marre du carnaval. Il veut se débarrasser de cette image de Lizard King, il grossit, se laisse pousser la barbe et porte des fringues ordinaires. Il boit de plus en plus - Getting drunk, tu gardes le contrôle jusqu’à un certain point, c’est toi qui décides chaque fois que tu avales un verre. Chaque fois, c’est un choix que tu fais. C’est la différence entre le suicide et la lente capitulation - Ce Miami show si bien reconstitué par Oliver Stone sonne le glas des Doors. Et pourtant, du point de vue de Jimbo, c’est une réussite, un sommet de l’art dionysien, le chaos total, la célébration du dieu de la passion, de la folie et de l’ivresse, avec des gens qui se battent, les flics qui tapent dans le tas et la scène qui s’écroule. On ne saurait imaginer meilleur dénouement. L’insane sexuality de Jimbo est une offense que l’establishment va lui faire payer très cher. Jimbo va se retrouver devant des juges accusé de masturbation en public, alors qu’il n’y a aucune preuve. Le pire c’est que trois Doors se désolidarisent de Jimbo. Ils envisagent même de redémarrer les Doors à trois. Finalement, ils franchiront le Rubicon de la honte en continuant d’enregistrer après la mort de Jimbo. Mais comme dit Wall, comment leur en vouloir ? Les pauvres, Jimbo leur en a fait voir des vertes et des pas mures, il a presque réussi à détruire leurs petites carrières de rock stars californienne avec leurs maisons qui ont vue sur l’océan, leurs fucking voitures de sport et leurs petites familles aseptisées. Le pire c’est que la mort mystérieuse de Jimbo va leur permettre de jouir d’une très belle fin de carrière. La mort de Jimbo, comme celle d’Evis, fut un véritable jackpot. Comme Dead Hendrix et Dead Elvis, Dead Jimbo va vendre plus de disques que Jimbo n’en vendit de son vivant.

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    L’un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire des Doors et celui de la vente des droits de «Light My Fire» à un constructeur automobile, Buick. Profitant de l’absence de Jimbo qui est en voyage à Londres, Ray du cul, Densmore et Krieger vendent les droits pour se faire un gros billet. À son retour à L.A., Jimbo chope l’info et il pique une crise d’apoplexie. Non seulement il ne supporte pas la trahison, mais cet acte porte atteinte à ce qu’il a de plus précieux : sa probité artistique. C’est un affront. Les trois autres ne l’ont même pas consulté. Mais comment des gens peuvent-ils se conduire ainsi ?

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    Le dernier concert des Doors a lieu à la Nouvelle Orleans. Jimbo est tellement défoncé qu’il s’accroche au micro. Il ne chante même pas. Le groupe panique et attaque «Light My Fire». Jimbo s’assoit sur l’estrade de batterie et Densmore lui file un méchant coup de pied dans le dos. Alors Jimbo se lève, retourne au micro mais ne se souvient plus des paroles. Une émeute éclate. Jimbo sort de scène pour la dernière fois. Dans la loge, Densmore explose de rage : «Plus jamais avec cet asshole, plus jamais !». C’est là que l’histoire des Doors s’achève, dans une sorte d’ignominie, avec trois pauvres mecs incapables de mesurer la chance qu’ils avaient d’accompagner l’une des plus grandes stars de tous les temps.

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    Le dernier album des Doors est l’extravagant L.A. Woman. Tous les cuts sont bons, sans exception. Les amateurs de stomp y overdoseront avec «Been Done So Long» et «The WASP (Texas Radio And The Big Beat)». Même chose : si ça marche c’est parce qu’il y a un bassman dans le studio, et cette fois, c’est Jerry Scheff, un session man célèbre pour avoir accompagné Elvis à Vegas. Jimbo finit son «Been Down So Long» à la bonne arrache. Les amateurs de heavy blues vont eux aussi overdoser avec «Car Hiss By My Window» - Like the waves down on the beach - et «Crawling King Snake», bel hommage à Hooky - Till the day I die - Les amateurs des merveilles ne seront pas épargnés. Overdose garantie avec «L’America» et «Hyacinth House», deux cuts chargés comme des mulets de mystère et d’insidious. Et les amateurs de grande pop californienne ? Oh, ils sont gâtés eux aussi avec «The Changeling» et «Love Her Madly». Jerry Scheff va se promener au bas de son manche et comme Jimbo chante comme un dieu, alors nous voilà tous au paradis. Avec cet album magique, les Doors grimpent au somment de leur art. La plat de résistance ici est le morceau titre. C’est encore une fois Jimbo qui crée les conditions de la grandeur tutélaire. Fantastique allure ! C’est un cut assez long, bardé de climats et de paysages changeants. Il tente de récidiver en fin de B avec «Riders On The Storm», mais c’est «L.A. Woman» qui va t’envoûter définitivement. On note l’absence de Paul Rothchild qui a rendu son tablier. C’est Botnick qui produit. Jerry Sheff explique que Jimbo commençait sérieusement à se laisser aller, avec sa barbe et ses fringues - Il ne voulait pas être là, il voulait sortir du spotlight. Il était le mec le plus simple et le plus facile à fréquenter que j’ai connu - Pour Jac Holzman, L.A. Woman est un aboutissement - Leur premier album est l’un des meilleurs premiers albums de tous les temps, mais le dernier est tout simplement poignant. «Riders On The Storm» est parfait, c’est le totem de l’album. Just terrific. Cet album m’excitait. Je leur disais de ne plus rien changer. J’étais tellement soulagé d’entendre ça que j’en pleurais - Wall nous dit que le dernier cut qu’enregistra Jimbo fut «Riders On The Storm».

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    À part Pam, quatre femmes jouent un rôle capital dans la vie de Jimbo : Eve Babitz dont on peut lire les mémoires, Agnès Varda, Nico et Patricia Keannelly dont on peut aussi lire les mémoires. Eve Babitz fut photographiée à poil en train de jouer aux échecs par Marcel Duchamp. C’est elle qui organise la rencontre entre Zappa et Salvatore Dali et qui découvre Brett Easton Ellis. Jimbo reviendra toujours vers elle. Nico ? Elle s’est tapé tous les plus beaux mecs de son époque : Alain Delon dont elle a un fils (Ari), Brian Jones qui débarque avec elle chez Andy Warhol à New York, Lou Reed, Iggy, Jackson Browne, Tim Hardin, Bob Dylan et Jimbo. Surtout Jimbo, c’est une relation intense. Elle adore s’asseoir et se frotter le cul sur la bouche de Jimbo et bien sûr Jimbo adore l’enculer.

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    Mais il est surtout fasciné par la force mentale de cette femme née dans l’Allemagne nazie et découverte par Fellini. Jimbo trouve qu’elle est, de toutes celles qu’il a connues, la plus intelligente, la plus intéressante et la plus sophistiquée. Et Nico est folle de lui, au point de se teindre les cheveux en rouge, car Jimbo adore les shanties with red hair, comme Pam. Nico est tellement folle de lui qu’elle veut l’épouser, ce qui fait marrer Jimbo. Il se marre tellement qu’il en tombe du lit. Humiliée, Nico lui met son poing dans la gueule et paf, Jimbo lui rend la politesse. Ils prennent l’habitude de s’envoyer des tas dans la gueule, surtout quand ils sont défoncés. Et même en baisant. Nico a l’habitude, elle se battait déjà avec Brian Jones, d’où son œil au beurre noir. Nico disait qu’ils étaient «punch buddies» et qu’ils «enjoyed the sensation». Wall décrit l’une des ces soirées au Castle, l’hôtel où séjournent Nico et Jimbo. Ils baisent sur le balcon à la vue de tous, surtout ceux qui sont assis autour de la piscine, Dennis Hopper, Peter Fonda et Terry Southern, occupés à sniffer une montagne de dentist-quality coke tout en travaillant sur le scénario d’Easy Rider. En fait, ces trois-là prennent Jimbo pour un punk, car il porte un futal en cuir noir et il baise cette grosse salope d’Allemande qu’ils n’osent même pas approcher.

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    Quand Jimbo et Leon Barnard séjournent la première fois à Paris, ils s’installent à l’hôtel George V. Ils fréquentent Agnès Varda et son mari Jacques Demy, qui comme Jimbo se passionnent pour les arts, le cinéma et la vie. Demy est en train de tourner Peau d’Âne et Jimbo traîne sur le tournage, en bord de Loire, soulagé d’échapper au carnaval du rock - Strictly non-rock’n’roll company - Il fait aussi la connaissance de François Truffaut et comme il s’amuse bien et qu’il apprécie cette compagnie, il vide trois bouteilles de pinard à table. Quand il revient plus tard à Paris, il retourne voir Agnès Varda, rue Daguerre. Il s’entend bien avec elle car elle ne lui met pas la pression. Ils s’installent dans la cuisine pour grignoter un truc et Jimbo apprécie ces moments de répit. La nuit où on retrouve Jimbo dans la baignoire fatale, c’est Alain Ronay et Agnès Varda que Pam appelle. Agnès Varda arrive aussitôt et fait intervenir son médecin. Trop tard. Enfin bref.

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    L’autre dame de cœur de Jimbo est une new-yorkaise, Patricia Kennealy, une go-go dancer devenue redac chef de Jazz & Pop Magazine et qui dans Strange Days - My Life With And Without Jim Morrison raconte son mariage avec Jimbo, mais pas un mariage à l’église, attention, un mariage païen, ce qu’elle appelle a Celtic Pagan Ceremony, avec des invocations, des robes noires, des épées, du sang qu’on boit dans un calice, des fumées et de la dope. Wall prend la défense de Patricia qu’on a traité de tarée, alors que cette cérémonie païenne est en pleine cohérence avec le personnage de Jimbo qui concevait justement son show comme une cérémonie païenne - let the ceremony begin - Un Jimbo shaman qui voulait lancer une nouvelle religion, qui était plus cultivé que des gens deux fois plus âgés que lui, alors bien sûr il ne pouvait qu’apprécier un Celtic Pagan Wedding with a High Priestess. Ça faisait sens. Après la mort de Jimbo, Patricia va s’appeler Kennealy-Morrison. Elle est donc l’épouse officielle de Jimbo, roi lézard. Ce Celtic Pagan Wedding est même peut-être l’épisode le plus important de la vie de Jimbo, en tous les cas, Wall le met bien en valeur. Mais nous y reviendrons dans un Part Two.

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    Puis arrive l’épisode parisien. Jimbo adore Paris en été. La bohème, les bistros, Verlaine et Rimbaud, le vin et la poésie, les mangeurs d’opium et les buveurs d’absinthe, les putains et les intellos, tout ce bric-à-brac romantique le fascine. Il y retrouve aussi Pam et l’hero. Wall se marre bien avec la version officielle qu’on nous a servi pendant quarante ans : «Poor old Jim, retrouvé dans une baignoire par son épouse aimante, mort d’une crise cardiaque à l’âge de 27 ans - Pas un seul mot n’est vrai.» En fait Jimbo fut retrouvé mort sur le trône, comme son idole Elvis. Overdose. L’épisode s’est déroulé dans les gogues d’un club qui portait bien son nom, le Rock’n’Roll Circus, qui jouxtait l’Alcazar, et le corps de Jimbo fut transporté nuitamment jusqu’à l’appartement qu’il occupait avec Pamela rue Beautreillis, dans le Marais. Les deux transporteurs mirent Jimbo dans la baignoire et expliquèrent à Pamela ce qu’elle devait dire aux flics. Et c’est passé comme une lettre à la poste. Il est mort dans la baignoire. Une autre version beaucoup plus rigolote a circulé pendant un temps : des agents de la CIA auraient liquidé Jimbo qui représentait un danger pour le pouvoir américain. Merci en tous les cas à Mick Wall et Oliver Stone d’avoir su rendre hommage à Jim Morrison, l’un des plus grands artistes du XXe siècle.

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    Signé : Cazengler, the doortoir

    Doors. The Doors. Elektra 1967

    Doors. Strange Days. Elektra 1967

    Doors. Waiting For The Sun. Elektra 1968

    Doors. The Soft Parade. Elektra 1969

    Doors. Morrison Hotel. Elektra 1970

    Doors. Absolutely Live. Elektra 1970

    Doors. L.A. Woman. Elektra 1971

    Mick Wall. Love Becomes A Funeral Pyre. A Biography Of The Doors. Orion Books Ltd 2014

    Oliver Stone. The Doors. DVD 2011

    HOWARD

     

    I HEAR A SOUND

    ( Clip / Févier 2021 / YT )

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    Un clip de circonstance en le sens où Mallarmé entendait qu'à un niveau métaphysique tout acte poétique de création était de circonstance appelé à se dissoudre dans le néant de sa propre insignifiance, excepté peut-être à l'altitude, tout tient en ce ''peut-être'' qui sous-entend que l'on n'a rien sans rien. La première image affichée du clip avant même qu'il ne soit mis en branle est le reflet de cette vacuité. Elle est connue. Elle court sur les réseaux et les blogues d'artistes, un rideau de théâtre baissé devant un manipule de fauteuil rouges. Symbole du refus de cette culture, musicale, théâtrale, cinématographique que le gouvernement bâillonne depuis des mois. Rien de plus terrible que l'asphyxie économique. Méthode très efficace pour avancer les pions d'un tyrannie qui n'ose pas dire son nom, et qui se pavane sous les cache-sexes des mots santé et démocratie Il n'est pas bon que le mauvais peuple se divertisse, imaginez qu'il profite de cette liberté pour réfléchir, nul n'ignore que le développement de l'intelligence conduit à la révolte.

    Vous aimez les films d'action emplis de meurtres, de bagarres, de scènes de guerre, d'aventuriers sans scrupule, et d'héroïnes nues et galbées, il est inutile de visionner ce clip, d'abord on ne voit rien, ensuite il ne se passe rien, enfin il n'y a rien de rien. Attention par d'erreur, Howard et Delta Fuzz Electronic, ne sont pas des adeptes de Kasimir Malevitch, ils ne nous font pas le coup de l'enregistrement de la caméra qui filme un mur blanc, tout cela pour que vous preniez conscience que le média est plus important que la réalité du monde qu'il montre ou ne montre pas. Non, ils ne font pas dans l'avant-gardisme, rassurez-vous le clip foisonne de tas de trucs, vous avez même envie de dire trop c'est trop. Au début, c'est très beau ces fûts d'arbres élancés, très écologique, très développement durable, point de malotrus qui scient les troncs pour les revendre au prix fort, une bonne idée pour votre prochain weekend, une balade en pleine nature, quoi de plus hygiénique. Ça se gâte par la suite, du béton partout, des halls de gare, des centres commerciaux, des aéroports, des intérieurs de cafés, de salles de spectacles, de musées, de magasins, d'hôtels, des rues, des parkings, bref les décors quotidiens de notre modernité... Pas de quoi en faire un fromage râpé, et qui plus est un clip bougonnerez-vous ! Non je n'ai rien oublié, justement parce qu'il n' y a rien. Ni personne. Tout est vide. Tilt, un clip sur le confinement ! Les Howard veulent-ils nous pousser au suicide en nous montrant le monde vide qui nous entoure. Non, ils ne sont pas si méchants, vous ont mis le nez sur l'horrible révélation que tout un chacun a pu expérimenter par soi-même ces derniers mois. Ils ne sont pas cruels, nous ont gratifiés d'une bande-son. Ceux qui n'aiment pas le rock ne seront pas contents. Ultra-speed. C'est Morrison qui disait dans When the music is over, I hear a gentle sound, là c'est pareil, mais le son n'est pas gentil, vous arrive dessus à la vitesse d'une balle-traçante, et la voix du chanteur, c'est simple, elle pue le cimetière, elle vous provoque sur le champ une crise d'angoisse suicidaire, le mec perdu au milieu de nulle part qui se sent seul, imaginez-vous sur une île déserte sans un livre, sans un disque, sans rien, avec vous tout seul comme animal de compagnie, croyiez-vous que vous le supporteriez... Horace a bien dit que l'homme était un loup pour l'homme, mais dans certaines occasions vous aimeriez avoir au minimum un lupus mechantus carnivorus à vos côtés. Tout dépend des circonstances.

    Ce clip, très réussi tant au niveau du montage que musical, est un acte de résistance, à l'instar de tous ces comédiens et intermittents qui occupent les théâtres, et il nous agrée fort qu'un groupe de rock en soit le fer de lance !

    ( JM Canoville : guitars, vocals / Tom Karren : drums / Raphael Jandenand : organ, bass, synths )

     

    Du coup on est allé voir les réalisations antérieures d'Howard. On s'y attendait, on n'a pas été désappointés ! Trois de Paris, amateurs de fuzz et de stoner rock, un groupe qui bouscule...

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    HOWARD !

    ( Juin 2018 )

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    Une couve de Jo Riou Graphic Designer, spécialisé dans les pochettes stoner and doom, qui détonne dans le genre, on s'attendrait à des couleurs explosives, des images choc, que nenni un modeste paysage aux teintes qui réussissent l'exploit d'être en même temps crues et pâles, l'endroit idéal pour ne pas passer ses vacances, s'en dégage un fort sentiment d'inquiétude.

    JM Canoville : guitars, vocals / Tom Karren : drums, samples / Raphael Jandenand : organ, moog, bass

    Moan : pas besoin de tendre l'oreille pour entendre le gémissement, pas mal du tout pour un premier morceau, un bras de poulpe géant qui s'accroche à vous et vous emporte au fond de son antre pour vous dévorer à plaisir. Une guitare qui grésille, une batterie qui s'emballe et une allée de cyprès dessinée par un clavier, une voix qui a l'air de s'implorer elle-même et tout bascule dans une espèce de folie maîtrisée, Karren imperturbable sur ses caisses, et plus on avance plus on est séduit par ce qui va suivre, aucune idée d'où l'on va mais on se laisse happer par le courant. Evil : contredanse de guitare et ces maudits claviers qui glissent à la manière de patins à roulettes sur le bitume abîmé. Vous n'auriez jamais cru que le mal était aussi entraînant, le sourire du diable, toujours cette sensation de suivre sans se poser de question, la voix de Canoville qui virevolte, retour de guitares, tintement de cymbales et le grand méchant orgue ne fait qu'une bouchée de vous. Final surprenant. Vous a tranché la tête. Animism : c'est beau comme le jour de votre premièrement communion, goûtez la voix sereine du chantre JM Canoville, l'ensemble s'énerve par la suite mais l'on est dans une balade et sans s'apercevoir l'on s'élève dans les airs, de plus en plus haut propulsé par les coups de boutoir de la batterie, plus dure est la chute. Architect : une voix comme en dehors, ouatée de guitares, batterie amphionesque, le sorcier Jandenand mène le jeu, étire ses claviers à l'infini tandis que la voix semble s'échapper du gosier de Canoville, Karren ramène l'envolée au sol et la cloue à coups de merlin. Râle final.

    Que voulez-vous de plus, ils ont un son bien à eux, des compos aux structures personnelles et l'on ne s'ennuie jamais.

    OBSTACLE

    ( Mars 2020 )

    JM Canoville : guitars, vocals, lap steel / Tom Karren : drums / Raphael Jandenand : organ, moog, theremin

    Etait-ce un bon timing que de sortir un album le premier mois du premier confinement. Peut-être pas, mais la fortune sourit aux audacieux et rien ne sert de remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même.

    Pochette de Jean LeBreton et de JM Canoville, que représente-t-elle ? une éclipse solaire, un globe oculaire, la tache noire de Gérard de Nerval, ce qui irait bien avec l'origine lovecraftienne du nom du groupe, voire le simple O d'Obstacle.

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    Quicklime : un son nettement plus rock que sur le Extended Play, davantage dans les canons de l'ancien temps, une intro très Very Heavy, Very Humble, des poussées de fièvre comme un urticaire violent, un vocal dans sa première apparition qui flirte avec Zeppelin, sans être ridicule, et puis s'en éloigne, délaisse les aigus pour la gorge déployée, un beau solo de guitare mais sans surprise, un petit côté regardez ce que l'on sait faire mais pas du tout désagréable, si vous ne vous mesurez pas aux serpents, vous ne saurez jamais quand vous les dépasserez. Quelques sonnettes électroniques pour rappeler que l'on entamé le troisième millénaire et c'est fini. God is dead : fini l'animisme, ce coup-ci Dieu est mort, grand bien lui fasse, en voiture pour le titre nietzschéen, ça rebondit un peu comme le Rock'n'roll du Dirigeable, mais il est évident que les années cinquante ne les ont pas marqués au fer rouge dans leur chair, sont les fils des mid-sixties, avec une préférence pour les groupes avec orgue In Rock, les Doors mais pas les premiers Animals, un plaisir de les écouter, vous tuent le bon dieu à gros coups de marteaux et Raphaël fait du patin à glace sur sa longue barbe blanche. Void : normal, une fois que Dieu n'est plus, c'est le vide. Se dépêchent de le combler à grands coup de pelletées hammondiennes, JM bouche les trous avec sa voix, Tom tasse la terre sur le cadavre, une large rincée d'orgue pour que l'on ne puisse pas plus tard l'accuser de l'avoir laissé pourrir comme un chien à l'air libre. Pour un peu moins vous danseriez sur sa tombe en criant de joie. Des trois premiers morceaux c'est le plus abouti. Le plus fou. The path : ce n'est pas tout reste encore du chemin à faire, tapent un peu dans la démesure, se prennent pour le buisson ardent, avec des épines qui s'enfoncent profond dans votre corps, réussissent à ce que la fièvre monte plus haut à El Paso que sur le morceau précédent, sur un tempo plus bluezy. Gone : un peu l'air de Land of thousand dances sur l'entrée en matière, quand on tient un bon riff on ne le lâche jamais, loi numéro 2489 du rock'n'roll, nous ne sommes qu'à la moitié du morceau et voici qu'ils débutent une séquence encore plus échevelée avec cette guitare qui frémit et glapit comme le coyote solitaire dans la grande prairie, l'orgue prend le relais, on l'entend venir de loin, prépare l'explosion finale, mais non c'est Canoville au chant qui allume la mèche de la dynamite. Je ne vous décris pas le massacre final. Make up your mind : un peu plus de sophistication sur l'avant dernier, le vocal de Canoville ouvre ses ailes d'aigle pour forcer l'altitude et il s'engouffre dans le tourbillon instrumental qui l'entraîne dans les nuées porteuses de foudre, il n'en peut plus, l'air lui manque mais en un suprême effort il se se hisse sur le toit du monde et se laisse retomber sur la terre tout en bas, une pierre brûlante qui sera responsable de l'extinction des dinosaures. Features : this is the end, beautifull kr'tntreaders alors ils donnent toute l'énergie qu'il leur reste dans le ventre, respirent un peu pendant que l'orgue essuie leurs visages et se met à ruisseler comme une pluie de printemps sur la terre inculte, se retirent à reculons, peuvent être fiers d'eux. De la belle ouvrage. Colossal.

    Damie Chad.

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS / 1967

     

    Mutation, explosion, quel terme employer ? On nous a changé les Animals. Pas grave, les changements de personnel sont monnaie courante dans les entreprises, on nous a métamorphosé Eric Burdon, pas la personne, le bonhomme. Méconnaissable. N'est plus le même. En y réfléchissant le terme plus adéquat pour expliquer cette mue invraisemblable serait extension du domaine de la conscience. Ne pas confondre avec une cure psychanalytique où l'on ressort des placards les vieux cadavres oubliés qui sentent mauvais, non tout le contraire, s'agit de s'ouvrir au monde de se laisser envahir par ses multiples chatoyances, et partir en voyage, l'on ne sait trop où, en suivant quelques unes de ses franges versicolores. A la même époque Jim Morrison a décidé de laisser grandes-ouvertes les portes de la perception. C'est que les temps ont changé, Dylan l'avait prédit, mais les choses ne se réalisent jamais comme on l'entrevoyait.

    Il souffle un vent nouveau, le mouvement hippie a pris une envergure inégalée, la jeunesse est en demande d'une autre forme de vie, des horizons apparaissent, retour à la nature, consommation de psychotropes plus ou moins acidulés, envie de briser les cadres étriqués des représentations mentales, intérêt pour des spiritualités orientalisantes, et la musique est l'un des vecteurs déterminants qui accompagnent ces essais de dynamitage des sempiternelles structures dépassées, une chance lorsque l'on est soi-même un chanteur de blues et de rock, une occasion à ne pas laisser passer, Burdon a le privilège d'être l'ami de Jimi Hendrix, le musicien qui ne dit pas qu'il cherche du nouveau mais qu'il a déjà voyagé avec sa guitare en cette autre terre, en cet autre pays, et que tout le monde peut tenter l'expérience, le voyage est intérieur même s'il vous propulse loin...

    WINDS OF CHANGE

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    ( Octobre 1967 )

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    Ce n'est pas seulement un disque, une sorte de manifeste, et même d'auto-manifeste en le sens où Burdon, s'est beaucoup impliqué, c'est lui a réalisé la pochette, pas une photo qui cèderait au culte du moi, carrément un texte qu'il a composé et qui occupe toute la place : '' Le nouveau monde sera différent de l'ancien grâce de nouveaux trésors à dilapider, de nouvelles frontières à abolir, et beaucoup plus encore d'amour à donner. Doit-on accepter cette existence de peine et d'extase, il est facile de savoir que toutes deux gisent-là au creux de mon estomac et peuvent être allumées ou éteintes aussi facilement qu'un poste stéréo de télévision couleur. Je vous aime tous, et désire que vous tiriez quelque avantage de ces nouvelles sonorités autant que j'en obtins en écoutant mes idoles dans le passé. Vous-même si vous vous sentez seul, et perdu, malheureux et mécontent, sachez juste que je ( et ils sont nombreux comme moi ) vous aime, et peut-être vous saurez pourquoi je suis heureux, content et bien en mes baskets. Les jeux auxquels je joue sont pour la plupart des sentes d'amour, de mystère, d'émerveillement, s'il vous plait excusez mes sentiers de peur et de jalousie. Je ne suis seulement qu'un être humain après tout, et je reste un apprenti de la vie. Peut-être que la production suivante sera toute constituée de conduites d'amour, mais alors je serais dans un autre monde... '' excusez cette traduction hâtive et infidèlement interprétative qui ne respecte pas la simplicité des mots de Burdon. Pensez-en ce que vous voulez, ils sont révélateurs de toute une époque et pour ma part j'y ressens trop fortement une imprégnation de la mentalité américaine à mon goût trop entachée d'idéologie chrétienne.

    Donc Burdon a changé, mais avec cette nouvelle orientation, il joue collectif. Les morceaux portent la signature de chacun des membres de l'équipage. Ne se contente pas de donner le nom des nouveaux affiliés, sur la pochette intérieure les soumet tous, un par un, à une sorte de questionnaire proustien. Genre de jeu dont l'intérêt est me semble-t-il limité.

    Vic Briggs le guitariste n'est pas un novice. Big Jim Sullivan – alter ego de Jimmy Page dans les studios - lui apprend les secrets de la guitare, il a traversé de nombreux groupes et joué avec beaucoup de monde, derrière Jerry Lee Lewis avec les Echoes, a accompagné Dusty Springfield, a sessionné pour Johnny Hallyday, a été une pièce essentielle de Steampacket et de Brian Auger Trinity, a connu et côtoyé tous les grands noms de l'éclosion britannique, de Noël Redding à Rod Stewart, de Julie Driscoll à Eric Clapton, Hendrix a donné ses premiers concerts sur son propre matériel. Il ne restera que le temps de trois albums avec Eric Burdon, mais le mysticisme hippie dans lequel baigne cette deuxième mouture des Animals, n'a pas dû l'effrayer, plus tard il se convertira au sikhisme et par l'entremise de Ravi Shankar il s'adonnera aux harmonies de la musique religieuse hindoue... John Weird, ami de Vic Briggs, n'est pas spécialement manchot non plus, guitariste, bassiste et violoniste électrique, il restera dans la formation animale jusqu'à sa dissolution en 1968, après quoi il rejoindra Family qu'il quittera après ses deux premiers albums... Danny McCulloch tiendra la basse, il a joué avec Screamin' Lord Sutch, plus tard il déclarera qu'avoir rejoint les Animals aura été la plus grosse ânerie de sa vie ce qui ne l'aura pas empêché de participer à plusieurs formations parallèles des Animals...

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    Winds of change : timbre lugubre de Burdon, très bas, très lent, évocation des morts, passage de témoins, Burdon cite les grands noms du blues, du jazz du rock'n'roll – il en manque plein, ce n'est pas le plus important, ce qui importe au début c'est ce grincement de souris dont a piégé la sortie de son trou en y glissant des éclats de verre sur lesquels elle est incapable de se déplacer, le violon de Briggs, auquel se mêle le souffle du vent, tous ces génies disparus ne sont que feuilles mortes que le vent d'automne a emportées – l'influence de Shelley sur le texte est évidente – ne pleurons pas les nouvelles pousses sont là, des Papa's and Mama's à Ravi Shankar, termine sur la présente culmination hendrixienne. Tout est corruptible dirait Aristote, loi du renouveau, tout renaît et se transforme, le bruit du vent se métamorphose en le fracas des vagues de la mer et voici Poem by the sea : l'accompagnement musical devient plus sombre, Burdon chante il n'est qu'un animalcule minuscule face à l'immensité des forces tumultueuses de la nature, le violon de Briggs brûle et pousse des cris de souffrance dans ce tumulte – Tony Wilson a dû s'en inspirer lorsqu'il a enregistré le violon de John Cage sur Sister Ray de White heat, white light - une flamme qui s'épure sous sa propre torture, et se termine en un long solo de guitare que l'on croirait échappé d'une symphonie romantique... Paint it black : une montée chromatique en puissance, Jenkins et sa batterie inexorable, le violon qui se démembre, Burdon se démène et bientôt c'est parti pour un torrent de sonorités entrecoupées de passages à vides jenkinsiens, la plainte de la voix pratiquement seule, des vagues de basse, Budon chante comme s'il était devenu idiot, tout explose, le désespoir et la traversée des apparences, un jet de lave noire envahit le monde, ( je m'en souviens encore, il devrait être interdit de faire subir de telles émotions à un être humain, j'étais jeune, je rentrais du collège, j'avais encore des certitudes, exemple que personne au monde ne pourrait jamais égaler une splendeur telle que le Paint It Black des Rolling Stones, habituel premier geste de survie en arrivant à la maison j'avais poussé le bouton du transistor, deux ou trois chansonnettes, une série de pubs, et tout de suite après sans annonce, cet aérolithe noir descendu de l'espace interstellaire directement dans la cuisine, Odyssée De L'Espace 1967, directly live, un truc qui cassait les Kubricks en confettis... une folie ce Burdon qui osait s'attaquer à une montagne sacrée et qui vous la pulvérisait en grains de sable... c'est à ce moment que je réalisais modestement que je devais être un surhomme puisque j'avais survécu au feu atomique... mieux que les Stones, plus fort que les Stones, plus original que les Stones, le truc qui éStones et qui déStones... ) l'influence de River Deep, Mountain High, produit par Phil Spector est manifeste, Burdon l'enregistrera bientôt. The black plague : mauvais vent, celui de la peste noire qui ravagea l'Europe, orgue macabre, cloche funèbre et chants grégoriens, récité à la manière d'un poème, tintements insistants, grattements de cordes, cortèges funéraires, plus de musique, rien que la voix, chœurs grégoriens qui s'estompent, reste-t-il seulement des survivants, une ambiance à la Swinburne, question paroles l'on est entre l'apologue et le conte romantico-médiéval, entre Le Masque de la Mort Rouge d'Edgar Poe et Le Hussard sur le Toit ( première partie ) de Giono, l'on eût aimé un vocal plus appuyé, incidemment un des textes les plus politiques des Animals. Yes I am experienced : Are you experienced ? demandait Jimi Hendrix, Yes I am, répond Burdon, l'occasion de rendre hommage à son ami – généralement on attend que l'artiste soit mort, mais dans la vie il faut affirmer ses choix – une belle opportunité de montrer que les nouveaux Animals ne sont pas des gueilles, on ne peut pas vanter Hendrix sur un passo-doble miteux, le morceau est un festin pour les musicos, qui ne font pas l'erreur de fuzzer à mort, mieux vaut être soi qu'imiter un maître, Briggs s'en tire bien, davantage rock'n'roll que la profondeur bluezy de Jimi, la voix de Burdon survole le morceau, la face A se termine en apothéose.

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    San Francisco nights : au micro monsieur loyal vante les mérites de San Francisco, la ville des hippies, des beautiful peoples et de l'amour libre, l'ensemble démarre comme une ballade, un slow tout doux idéal pour flirter le samedi soir sur le bel organe d'Eric Burdon, une fleur empoisonnée, une cuillère de miel qui recouvre une atroce potion porteuse de mort, une atroce réalité celle de la présence de la guerre du Vietnam dans les têtes et les corps... à mettre en parallèle avec la fable à grand spectacle de la Black Plague, chanter à mots couverts est parfois plus angoissant que les grosses orchestrations mélodramatiques. Man – Woman : un morceau pour Jenkins, à part quelques miaulements cordiques des plus discrets il est le seul à battre la charge. Le mot love s'épanouissait dans chaque phrase que prononçaient les hippies. L'amour c'est sympathique, mais qu'est-ce qu'au juste ? Restez cool, Burdon ne va pas vous pondre un long laïus incompréhensible, vous fait le tour de la question, enfin c'est parler pour dire qu'il y va franco de port sans mettre de gants : une véritable scène de théâtre, plutôt du Labiche que du Racine, en plus il surjoue, il hurle, endosse la voix de tous les personnages, et nous plonge en plein boulevard, l'amour éternel, le couple qui se fissure, l'appel au secours aux copains, et le raccommodement sur l'oreiller, humain, très humain. Grattez les belles couleurs psychédéliques, la race des bipèdes est d'une couleur bien terne, mais il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Hotel hell : Briggs caresse sa guitare à l'espagnole, attention le taureau est blessé, il a le blues, toute la tristesse du monde et d'une vie ratée tombe sur vous, une trompette souligne la souffrance du héros, parfois la vie est un enfer... Good times : un peu la suite de la précédente, arabesques orchestratives, la voix de Burdon irradie le morceau surtout lorsqu'il reprend les intonations des premiers titres des first Animals, une belle mise en scène vocale, suffit qu'il appuie sur une syllabe pour que vous sentiez le scalpel du chirurgien qui tranche dans le vif de vos plaies intimes qui suppurent. Anything : une ballade qui semble sortie des poèmes de Kipling, genre de mélodie sur laquelle Burdon pose le serpent noir de sa voix, envolées instrumentales lyriques et violoniques comme un papillon qui défroisse ses ailes. It' all meat : le serpent se mord la queue, retour aux bluesmen, à toute cette viande saignante accrochée à l'os de la vie qui ne veut pas mourir, carrément rock'n'roll.

    Un album qui dégage un charme étrange, un peu versatile qui parvient à ce miracle de manger un peu à tous les râteliers tout en gardant une forte unité. On l'affuble souvent de l'adjectif psychédélique, peut-être l'expression ''dérangements climatiques'' lui conviendrait-il mieux, Burdon se cherche toujours mais parfois il se trouve, l'on ne sait lequel de ses deux états lui convient le mieux.

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    La profuse collection des singles des Animals a dû être confié à un épileptique compulsif, les titres sont accouplés de différentes manières, d'abord il faut savoir que les versions de Good times et de San Francisco nights sont légèrement différentes, rallongées de quelques secondes ce qui ne veut pas dire qu'elles soient meilleures, en fait tout dépend du support sur lequel on les écoute, le mieux à mon humble avis est de privilégier le vinyle... par contre il reste quatre morceaux qui n'ont pas trouvé de place sur le trente-trois tours et pas des moindres :

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    When I was young : un des morceaux les plus connus des Animals, une parfaite réussite, la profondeur sombre - comme la tombe où repose mon ami aurait dit Malcolm Lowry – de la voix de Burdon et le puzzle des très courtes séquences musicales aux colorations les plus diverses et les plus étranges, dont chaque fragment est aussi essentiel qu'une symphonie, forme un tout d'une cohérence infinie dédoublée par le fait que les paroles ne nomment jamais la désillusion de l'homme devenu adulte qui ne présente pas la jeunesse comme un âge édénique, mais comme le leurre fondateur de l'existence. A girl named Sandoz : il faudrait s'interroger sur la brièveté de la plupart des titres des Animals qui dépassent difficilement les trois minutes pour mieux la mettre en parallèle avec la richesse musicale des morceaux, de celui-ci par exemple, vous auriez besoin d'un ordinateur additif à votre cerveau pour mémoriser et séquencer la multitude de ces situations musicales éphémères que je comparerais à ces milliers de facettes hexagonales des yeux des abeilles qui lui permettent de pixeliser la réalité des choses, cette fille nommée Sandoz court du début à la fin du morceau si vous ne lui prêtez qu'une oreille grossière, mais si vous vous adonnez à une audition plus fine, vous avez l'impression que vous assistez à une suite sans fin d'engendrements sonores et d'éclosions sans cause comme autant de mystérieuses bulles d'eau qui s'en viennent crever à la surface des eaux semencielles... C'est en fait ce que Tony Wilson avait tenté de mettre en place sur l'album précédent Eric is here, lui a manqué sans doute la volonté cohésive d'un groupe. Quant à cette mystérieuse Sandoz qui est-elle au juste, une fille, un psychotrope, une vision de la vie considérée en tant qu'approche au travers de sa merveilleuse diversité de la mort... Gratefully dead : quand on parle du loup... l'on peut s'en tirer facilement en disant tiens un hommage au Gratefull Dead, un bon rock bien envoyé avec un Burdon survolté qui s'adjuge non pas la meilleure part mais la proie entière, ayons une parole de consolation pour les musicos qui assurent comme des bêtes, ne manquent pas d'à-propos et d'invention dans leurs interventions, vous mènent le train comme Alexandre la cavalerie à Arbelès, mais les lyrics sont comme les manoirs comportent plusieurs tours, certains souterrains descendent en des abysses ignorés, le texte présente d'étranges considérations philosophiques, un paradoxal panthéisme qui abolirait les frontières entre le monde des morts et des vivants, relisez Gérard de Nerval. Ain't that so : de la même veine que le précédent pour l'allant et l'énergie, le chant devant, Burdon au charbon, les musiciens au contact, ça déboise sec, une défense et illustration de l'identité freakienne, la revendication affirmée de vouloir être soi. Chœurs féminins, piano qui semble courir après son clavier, very speed.

    P. S. : pour ceux qui comme moi achètent parfois les yeux fermés, le coffret 2 CD's The Animals Singles+ BRMUSIC 85 81 1 262 ne contient pas les deux derniers titres, ci-dessus.

    THE LAST BUT NOT THE LEAST

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    You wanna be my dogs, la mauvaise habitude ces dernières semaines que j'ai eue de vous refiler un susucre à chaque fin de chronique animalière, alors en voici un, pas un truc tordu comme la dernière fois, non cinq titres des Animals au festival de Monterey Pop, le 16 juin 1967, vous le trouverez sur You Tube, sans les images : une très courte intro, et San Francisco Nights, Gin House Blues, Hey gyp et Paint it black, avant tout une superbe prestation de Burdon, l'en arrive à éclipser l'accompagnement et cette performance sur Gin House Blues où il parvient sans se départir de sa propre voix virile à retrouver les intonations de Bessie Smith, un travail d'orfèvre, Hey Gyp électrifié au violon électrique perd un peu de sa fougue originelle, mais si vous aimez les dérives psychédéliques prenez un aller sans retour, vous ne serez pas déçus, surtout que vous risquez de griller vos ultimes neurones en état de marche sur Paint it black qui vous en fera voir de toutes les couleurs.

    Damie Chad.

    XXV

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Un coup d'épaule suffit à jeter le portail vermoulu à terre. La lumière du jour dévoila un amoncellement hétéroclite de vieilleries, caisses, planches, ferrailles, pneus, objets indéterminés, vieilles revues, tissus disparates, nous restâmes quelques secondes interdits devant l'ampleur du bazar, Molossito fut le premier à s'enfoncer dans le capharnaüm, durant deux heures nous l'entendîmes farfouiller de tous côtés, de temps en temps il revenait triomphant, une ratignole morte au bout de la gueule qu'il déposait fièrement devant Molossa avant de repartir au triple galop se perdre dans ce magnifique terrain de jeu. Nous étions moins enthousiastes que lui, le Chef avait pris les opérations en mains :

      • On avance tous en lignes, nous sommes six et le hangar ne dépasse pas les quinze mètres de largeur, dès que quelqu'un prend un ou deux mètres de retard, on l'attend, il convient de ne pas disloquer le rang, les filles n'ayez pas peur, peu de chance pour que nous tombions nez à nez avec un réplicant, tout ce fatras sert à cacher une entrée secrète, elle peut être n'importe où. Inutile de crier à la moindre araignée !

    Molossa ne daigna pas nous aider, elle secoua dédaigneusement par deux fois la tête lorsqu'elle comprit ce que nous entreprenions, elle préféra se coucher sur le sol de terre battue, pas très loin de l'entrée, pour profiter des rayons du soleil !

      • Excellente initiative déclara le Chef, si par hasard des réplicants survenaient, elle sera aux premières loges pour donner l'alerte.

    Nos fouilles se révélèrent vaines, nous ne trouvâmes aucun indice susceptible de nous mettre sur la piste des Réplicants. Nous fîmes trois fois l'aller retour de cette remise nauséabonde qui empestait le moisi et l'urine de rat syphilitique. Mais rien, de rien. Vince arborait un visage sombre :

      • Ce n'est pas possible maugréait-il, si Eddie a disparu ici, c'est que les Réplicants n'étaient pas loin !

      • Peut-être l'entrée est-elle dans la grosse bâtisse, suggéra la Brunette

      • Non, je l'ai explorée vingt fois avec compteur Geiger et détecteur de métaux de la cave au grenier, je suis certain qu'il n'y rien !

      • Cherchons ailleurs dans la végétation du parc, proposa Charlotte

      • Essayons, admit Vince, mais je n'y crois pas !

    Dépités, et faute de mieux nous tirâmes les deux vantaux du portail, c'est-à ce moment-là que Molossa grogna pour manifester son mécontentement, elle n'était pas satisfaite de quitter son bain de soleil supposions-nous, mais lorsque je l'appelai elle fit la sourde oreille ! Je me fâchai :

      • Enfin Molossa, arrête de faire ta mauvaise tête, tu me fais honte !

      • Agent Chad, c'est tout le contraire, c'est elle qui s'en veut de posséder un maître si stupide ! Cela fait deux heures qu'elle nous indique l'endroit que nous cherchons et aucun de nous n'y a prêté attention ! Ces Réplicants sont très forts, ils ont manifestement lu La lettre volée d'Edgar Poe, si vous désirez cacher un objet quelconque, exposez-le en plein sous le nez de ceux qui le recherchent, nous sommes entrés et n'avons porté aucune attention à ces deux mètres carrés de terre nue, obnubilés que nous étions par l'immensité de ce magasin d'antiquités croupissantes sous la poussière amoncelée depuis des années, parmi lesquelles nous n'avons trouvé aucune trace de pas, ou de main, prenez des ferrailles et creusez-mois ce sol, au plus vite pendant ce temps je fumerai un Coronado, nous approchons du danger, cela demande concentration et réflexion !

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    A plus de quarante centimètres de profondeur apparut un large panneau de bois, quatre anneaux à ses quatre coins nous permirent de le déplacer, nous ne pûmes retenir notre surprise, un large escalier de pierres s'enfonçait dans les entrailles du sol.

      • Silence absolu, ordonna le Chef, Vince et l'agent Chad devant, les filles au milieu, je ferme la marche, Molossa et son fils en reconnaissance ! Nous avons quelques lampes dans notre matériel, mais les utiliser s'avèrerait dangereux, marchez la main sur l'épaule de celui qui vous précède ! En route ! N'oubliez jamais qu'il n'est pas de meilleure cause que de mourir pour le rock 'n' roll !

    Nous n'y voyions goutte mais notre progression dans l'obscurité totale, fut relativement aisée. A tour de rôle, Molossa et Molossito revenaient vers nous, la légère poussée d'une truffe au bas du pantalon avertissait Vince que nous pouvions avancer sans danger. Le sol était régulier, cimenté avec soin. Nous n'étions pas dans une cavité naturelle mais dans une galerie artificielle, aménagée par les Réplicants. Nous avançâmes ainsi sur plus d'un kilomètre, un frottement insistant de Molossa contre la jambe de Vince nous demanda de stopper. Nous nous immobilisâmes, Molossa grognait sourdement pour nous interdire d'avancer. Situation peu enviable dans cette pénombre et ce silence pensais-je. Sur mon épaule la main de Charlise s'appesantit. Elle se colla contre moi, je sentais ses cheveux contre ma chair érectile, ses lèvres se posèrent pour ma joue et recherchèrent mon oreille

      • Damie me souffla-telle, j'ai toujours eu une ouïe développée, il y a un bruit devant nous, je ne sais pas ce que c'est, il vient de loin, mais il grossit petit à petit, écoute bien.

    Elle avait raison, d'abord ce fut qu'une minuscule rumeur, mais elle ne cessa de s'amplifier, maintenant nous l'entendions tous, nous pouvions même parler à voix basse entre nous sans avoir peur d'être entendus.

      • Avançons, souffla le Chef.

    Nous n'avions pas fait dix mètres que Vince s'arrêta brutalement :

      • Une lueur devant nous !

    C'était vrai, une vague lumière rampante était maintenant perceptible sur le sol ! Mais la nouvelle annonce de Vince fut encore plus surprenante :

      • Notre galerie n'a plus de mur sur notre gauche – et pas sur notre droite non plus !

      • Droit devant ordonna le Chef !

    Nous progressâmes d'une vingtaine de mètres, le bruit devenait assourdissant, mais la lumière restait figée au ras du sol et demeurait toujours incertaine.

      • Aïe ! Ouille ! Je me suis cogné à je ne sais pas quoi ! s'exclama tout fort Vince

      • Revenez vers moi dit le Chef, j'ai compris, je vous explique, notre galerie débouche sur une fosse, c'est de celle-ci que provient le bruit et la lumière, elle doit être profonde puisque Vince s'est cogné à une rambarde de protection. Approchons-nous, regardons et avisons !

    Le spectacle était dantesque. Nous étions au-dessus d'une usine, un gigantesque atelier gisait dans une vaste arène à trente mètres de fond. D'énormes machines – je n'en avais jamais vu de semblables - émettaient un bruit continu. Autour d'elles s'agitait une foule de Réplicants, au bas mot, un demi-millier. Trop occupés par leur besogne, ils tournaient autour des machines et aucun n'avait l'idée de regarder vers le haut. De si bas pouvaient-ils seulement nous apercevoir sur ce qui maintenant nous apparaissait comme un chemin de ronde... Les filles tremblaient, ils sont au moins cent fois plus nombreux que nous pensaient-elles. Elles n'avaient pas tort, les nouvelles paroles de Vince ne les réconfortèrent pas !

      • J'ai pigé, c'est ici que les Réplicants se dupliquent, ces machines servent à produire des Réplicants, il faut les arrêter avant qu'ils ne deviennent trop nombreux !

      • Vince vous avez raison, nous sommes dans l'œuf du serpent, nous devons l'anéantir au plus vite !

      • Fuyons crièrent les filles, et prévenons la police !

      • Il y a beaucoup mieux à faire, dit le Chef, d'ailleurs je vais commencer par allumer un Coronado !

    ( A suivre... )