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  • CHRONIQUES DE POURPRE 676 : KR'TNT ! 676 : SAM MOORE / NICK WHEELDON / GLORIA JONES / OLIVIER ROCABOIS / QUINN DeVEAUX / TWO RUNNER / BARSHASKETH / A TERRE

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 676

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 02 / 2025 

     

     SAM MOORE / NICK WHEELDON

    GLORIA JONES / OLIVIER ROCABOIS

    QUINN DeVEAUX / TWO RUNNER

      BARSHASKETH / A TERRE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 676

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - The Moore I see you

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             L’heure est venue d’honorer la mémoire de Sam Moore qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Alors jerkons.

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             Dans un petit livre intitulé Sam And Dave - An Oral History, Sam Moore nous raconte dans le détail l’extraordinaire aventure de Sam & Dave, le duo de plus hot, le plus excitant et le plus radical de l’histoire de la Soul music. Sam se livre à un long monologue et ne nous épargne aucun détail sur son penchant pour le vice, les femmes et les drogues. On comprend mieux d’où vient l’extraordinaire énergie de Sam & Dave. Si Sam avait été un sirupeux ou un béni oui-oui, Sam & Dave n’auraient jamais explosé les charts de la manière que l’on sait. Dans une courte préface, Dave Marsh nous fait l’éloge de Sam, un homme à la fois marrant, perspicace, charmant, the casual epitome of Soul, l’interlocuteur le plus intense qu’un journaliste puisse espérer interviewer. Marsh salue aussi la franchise d’un Sam qui ne fait pas l’impasse sur ce qu’il appelle the dark  dimensions.  Il y a en effet un part de dark en chaque homme, et chez Sam, c’est une double, voire une triple part.

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             Sam grandit en Floride et dès l’adolescence, il se tape toutes les gonzesses du quartier - Elles me donnaient toutes quelque chose. L’une me donnait de l’argent, l’autre de la bouffe. Barbara me laissait monter gratuitement dans le bus. Une autre m’a donné un bracelet avec le nom qu’on m’avait donné gravé à l’intérieur : Daddy Love - Et voilà, c’est parti pour une carrière de mac. Sam va pimper comme une bête. N’oublions que l’histoire de la Soul et des souteneurs est très liée. Sam s’intéresse aussi à la musique, et à Sam Cooke en particulier. C’est l’époque où Sam Cooke sillonnait encore les États-Unis avec les Soul Stirrers. Quand ils arrivent à Miami, Sam Cooke a quitté le groupe. Sam Moore entend dire qu’O.V. Wrigh et James Carr ont postulé pour son remplacement, mais c’est Johnnie Taylor qui chope le job. Sam découvre aussi Jackie Wilson dont le jeu de scène le fascine. Il voit surtout les femmes se jeter sur lui pour l’embrasser et il se dit : «Goddamn, that’s what I want to do !»

             Sam joue pas mal avec le feu en baisant les poules des autres, et un jour un mec le canarde dans la cuisse. Trois balles. Il se retrouve à l’hosto. Et il continue d’envoyer ses copines au tapin. Si elles se plaignent, il leur tient ce genre de discours :

             — Si tu vas au ballon, qui va te sortir de là ?

             — You Daddy Love !

             — Si t’as faim, qui te donne à bouffer ?

             — You Daddy Love !

             — Si t’as besoin de voir le docteur, qui te paye le docteur ?

             — You Daddy Love !

             — Comment je peux te payer tout ça, bitch ?

             — C’est vrai, Daddy, garde tout le blé.

             Pimping.

             Sam finit par se retrouver au trou, au pénitencier de Raiford, en Floride. Il y tire dix-huit mois. Comme Chucky Chuckah et Little Willie John, Sam n’est pas un enfant de chœur. C’est la notion de base, si on veut comprendre le phénomène Sam & Dave. Pas de Sam & Dave sans délinquance.

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             En 1961, Sam entame une carrière de chanteur et se produit au King Of Hearts, un club de Miami. Et puis un soir, voilà que se présente au concours amateur un certain Dave Prater. Le premier mot que Sam prononce pour le présenter, c’est ‘country’, autrement dit plouc - Dave portait une chemise blanche, un pantalon blanc et des tennis. De la poussière se dégageait de ses vêtements et je trouvais ça étrange. Je ne savais pas à l’époque qu’il travaillait dans une boulangerie. Je pensais qu’il se poudrait. Il laissait des traces en marchant. Il portait une pompadour. Un chiffon dépassait de la poche arrière de son pantalon - Ils commencent à chanter ensemble et tapent dans les cuts de Cooke, de Gary US Bonds, de Ray Charles et dans le «Dedicated To The One I Love» des Five Royales - A lot of people don’t understand : Dave and I never harmonized. Sam and Dave was call-and-response - Et Sam ajoute : «Dave was just a ccountry boy from Ocilla, Georgia. Lui et son frère sont venus à Miami quand il devait avoir dix-huit ans pour chanter dans un groupe de gospel. (...) He really was just a clean-cut country boy. Sur scène, il répliquait tout ce que je faisais.» Et ça commence à marcher pour eux, au point que Roulette les signe. Les voilà tous les deux à New York, ils débarquent dans les bureaux de Roulette et tombent sur une grosse altercation. Dinah Washington lance à quelqu’un :

             — You just can kiss my black ass !

             Puis Sam voit sortir Morris Levy du bureau, ‘the big old son of a bitch’ qui répond d’une voix grave à Dinah :

             — Fuck you !

             Ils s’insultent. Puis arrive Frankie Lymon qui a besoin de blé.

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             Un mec de Roulette nommé Henry Wynn envoie Sam & Dave tourner sur le fameux Chitlin’ circuit, ils ouvrent pour Jackie Wilson, les Drifters, Fats Domino, Gene Chandler, Mitty Collier, Patti Labelle & the Bluebelles et Gorgeous George. Puis un jour, Joe Medlin dit à Sam : «Look, Morris don’t know what to do with you motherfuckers. We don’t know where to place you.» Il conseille à Sam d’aller trouver Morris pour lui demander de rompre le contrat. Sam rentre à Miami et trouve l’adresse de la maison de vacances de Morris Levy. Ils s’y rendent tous les deux, sans rendez-vous et terrorisés. Morris Levy se dit : « Si ces deux clowns sont assez tarés pour venir chez moi, je ferais mieux d’écouter ce qu’ils ont à dire.»

             — Vous voulez quoi ?

             — On est sur votre label, et on ne vend pas beaucoup...

             Morris Levy ne les connaît pas, mais il les situe quand Sam cite le titre du single qu’ils ont enregistré pour Roulette.

             — Oh, you that Sam & Dave !

             — Yes sir !

             — Vous voulez quoi ?

             — On voudrait récupérer notre contrat.

             — Yeah ?

             — Yes sir.

             Alors il va au téléphone, appelle une secrétaire qui lui amène une mallette, il fouille et sort un document.

             — Je vais vous dire ce que je vais faire. Vous avez l’air de braves kids. Vous êtes parfaitement stupides, mais vous avez l’air gentils. Bon, je déchire ça. Oublions cette histoire.

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             Et c’est là que Jerry Wexler entre en scène. Il fait savoir à Sam qu’il veut les rencontrer. I don’t know no Jerry Wexler. Sam & Dave prennent Willy Bo Anderson comme manager - He could think fast. He talked fast. And he smelled like a rat - Sam & Dave signent le contrat Atlantic et récupèrent 5 000 $ et un taux de royalties fixé à 3%. Ils filent chacun 500 $ à Bo et le virent dans la foulée. Mais Bo les poursuit en justice. Atlantic envoie Sam & Dave à Memphis et c’est là que démarre véritablement leur histoire : en 1965, avec deux tickets de bus. Arrivés à Memphis, ils prennent un taxi pour McLemore. Sur le trottoir, Packy Axton et David Porter les attendent. Ils papotent pendant cinq minutes et Sam voit arriver dans la rue un drôle de zig : «Il portait une chemise jaune à fleurs, un pantalon vert chartreuse, des chaussettes roses et des mocassins blancs en paille. Son pantalon était en feu de plancher car on voyait bien les chaussettes roses. Puis je levai la tête et vis qu’il avait le crâne rasé. Il ne devait pas avoir plus de vingt ans. Je n’avais encore jamais vu un mec pareil !» Il s’agit bien sûr d’Isaac le Prophète. Par contre, David Porter est agent d’assurance. Il travaille aussi comme caissier à l’épicerie voisine. C’est trop pour Sam qui veut rentrer chez lui. Il a l’impression d’être arrivé dans les Orzacks et pire encore, il apprend que le guy with the weird clothes est leur producteur ! What ? En fait, Sam ne sait rien de Stax. On lui a juste donné un ticket de bus. Ils entrent aussitôt après dans le fameux studio de McLemore et commencent à travailler. Il connaît le nom de Booker T car il a entendu «Green Onions» à la radio, mais il ne sait rien des autres. Jim Stewart leur annonce que David et Isaac ont composé quelques chansons pour eux, «so let’s see if we can get going, get it started !» Isaac fait avec Sam de la direction artistique : «No Sam, I don’t want  you to do that, because if you sing right there you’re gonna go flat.» Et il insiste pour que Sam aille chercher la note : «Go get it !» Isaac et David Porter font tout simplement du sur-mesure avec Sam & Dave. C’est miraculeux. On connaît le résultat. Sam fait aussi l’éloge d’Al Jackson, a genius, like a metronome. Al joue sur une batterie minimaliste. Une caisse claire à hauteur des genoux, un tom basse et une cymbale.

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             Ils démarrent leur trilogie Stax avec l’imbattable Hold On I’m Comin’ paru en 1966. Avec cet album, ils nous installent au cœur du mythe. Comme ceux d’Otis ou de Wilson Pickett, les hits de Sam & Dave ont bâti la légende. L’album s’ouvre sur l’intemporel «Hold On I’m Coming», le plus sexuel des hits. C’est un modèle parfait de r’n’b monté sur un mid-tempo, l’art suprême, le plus difficile à jouer. Ce hit restera un hit jusqu’à la fin des temps. Et ça continue avec «I Take What I Want», pur jus de juke. Real Stax sound, baby. Encore un shout de Soul avec «Ease Me», excellent car mené à la rythmique caracolante. De l’autre côté, on tombe sur «It’s A Wonder», une lointaine redite d’Hold On. On retrouve le strutting des cuivres et les voix qui se perdent dans un canal. Dommage que la production soit tellement minimaliste. L’autre hit majeur de cet album est l’effarant «You Don’t Know Like I Know» sur lequel tous les kids dansaient, un pur hit du temps d’alors avec ses coups de trompette en travers du chemin et Sam & Dave au fond du studio. Quelle staxerie ! 

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             Sam rappelle qu’il a déjà trente ans quand il décroche son premier hit, en 1965. Alors que Little Willie John en avait quinze quand il devint une star. Sam admire Joe Tex, non seulement en tant que performer, mais surtout comme spiritual man. Il qualifie Jerry Butler de class act et devient pote avec son buddy Otis. Mais ceux qu’il place encore au-dessus sont bien sûr Sam Cooke, Jackie Wilson et Little Willie John. Sam voit que Jackie porte des chaussures sans lacets. Il fait la même chose. Il se souvient aussi de Little Willie John à l’Apollo de Harlem, this little short son of a bitch - Willie used to sing his soul out. I know he wanted to be Frank Sinatra - Parce qu’il arrive sur scène avec un petit chapeau et une chemise ouverte et cravatée - He liked that ganster part - He wanted to be great and bad - C’est Little Willy John qui initie Sam à la coke dans les gogues du bar voisin de l’Apollo, chez Wilt’s.

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             Paru la même année, Double Dynamite propose aussi son petit lot d’énormités. «You Got Me Hummin’» est l’un des meilleurs heavy grooves de l’histoire des heavy grooves. C’est un modèle de menace rampante, avec son beat lourd et tout ce gras ! Avec «Soothe Me», Sam & Dave tapent dans la joie et la bonne humeur. C’est du Sam Cooke alors forcément on se rapproche du gospel batch. Le «Just Can’t Get Enough» qui suit vire plus poppy. Chez Stax, dès qu’on sort des pattes d’Isaac et de David, on prend des risques. En B, il tapent dans Dan Penn et Spooner Oldham avec «I’m Your Puppet», un balladif supérieur. On sent là une sorte de magie compositale. Et puis on revient plus loin au boogie blues avec le fantastique «Home At Last», admirablement groové aux cuivres. Au chant, Sam & Dave défient les lois de la physique. Saisissant ! Ils bouclent ce bel album avec «Use Me», une sorte de fin de non recevoir Staxy. C’est du raunch de raw, du râle de raide chanté à la double glotte en feu. Ils chantent comme des dieux.

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             Soul Men paraît l’année suivante. On les voit jerker sur la pochette. Leur truc, c’est d’abord la scène. Avec «Soul Man» qui ouvre le bal, on entend Duck Dunn jouer en sauterie et Steve Cropper gratter à la régalade. Ces gens groovent à la folie. Ils sortent la meilleure Soul du monde. Ils font plus loin une reprise de Gilbert Bécaud avec «Let It Be Me», mais l’ensemble du balda reste assez calme. De l’autre côté se niche «Don’t Knock It», une petite Soul de tempo indéterminé, mi-figue mi-raisin, rythmée à coups de trompettes. Il faut attendre «The Good Runs The Bad Way» pour renouer avec le diabolisme. C’est tout simplement monté en neige sur le haut d’un beat étonnamment squelettique et ça donne un résultat spectaculaire.

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             Mis à part le morceau titre de l’album I Thank You qui fit danser tous les petits culs blancs devant les jukes en 1968, se nichent deux véritables énormités sur cet album, à commencer par «You Don’t Know What You Mean To Me», un compo de Soul joyeuse signée Eddie Floyd. On ne se lasse pas de la réécouter. L’autre coup de Jarnac se trouve de l’autre côté. Il s’agit bien évidemment de «Talk To The Man», un belle pièce de Soul alambiquée et orchestrée jusqu’à plus soif. Cette fantastique pièce de Soul pounding se finit en apothéose. Oh on trouve d’autres bons cuts sur cet album, mais chez Sam & Dave le bon est banal. Tout simplement parce qu’ils sont accompagnés par Steve Cropper et Duck Dunn.  

             Sam est assez amer sur Memphis : «Memphis étant Memphis, ces gens ont obtenu de nous ce qu’ils voulaient. Mais on est toujours restés à part. On était tolérés. Nous étions pourtant the biggest act on the label. Quand plus tard ils ont rasé le bâtiment, ils ont mis une plaque commémorative. Sam & Dave qui avaient enregistré chez Stax étaient les seuls noms qui ne figuraient pas sur la plaque. Ils étaient capables de ça.»

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             Sam explique aussi qu’il aimait beaucoup Dave au début, he was a raw talent, a diamond in the rough. Mais en même temps, il contrôle le duo. Les autres artistes se moquent de Dave car ils le trouvent trop country. Dès qu’il quitte la pièce, tout le monde éclate de rire.

             Sam revient vivre à New York et reprend sa routine de maquereau. Il dispose de deux appartements et de trois filles qu’il met au tapin. Il fait aménager les appartements par les filles, les vire et en trouve d’autres. Dave boit comme un trou et Sam prend de la coke et de l’héro. Pendant un certain temps, il réussit à contrôler son business. Mais c’est de plus en plus difficile de contrôler les filles avec la dope plein la cervelle. «I had all that dope in my head and I’m starting to burn out.» Sam est entré dans le circuit de la mafia d’Harlem - I got to deal with the boys. You understand me ? - Il devient junkie, my drug habit became real bad - I’m talking about real bad. Puis j’ai rencontré some of the gentlemen’s friends. Saying, ‘If you want to act like Superman, we can help you fly’, I was held out the window many times. I was beat with a telephone book many times - Quand il est en tournée, il arrive en ville et il doit trouver that boy (la coke c’est the girl, et l’héro the boy). Il baise des nuits entières, appellent les filles the borad - Oh I’m ready and it was all night, me and the borad - Personne ne peut inciter à Sam à se calmer. Who’s gonna tell Sam Moore ? - Dave est devenu Junkie. Il fait exactement ce que fait Sam - Because everything he see me do, you understand, Dave is gonna do it (...) So if he sees me on drugs, he’s gonna emulate, because I’m Mr. Cool. A year after me, Dave started on the hard stuff.

             C’est en 1970 que Dave tire sur sa deuxième femme, Judy Gilbert - Dave shot judy in the face - Elle survit, mais Sam dit à Dave qu’il continuera de chanter avec lui mais il ne lui adressera plus jamais la parole - I’ll sing with you but I shall not ever, ever again speak to you - Et Dave lui répond : «Well, I don’t give a fuck. It wasn’t none of your business. You ain’t got nothing to do with it, so fuck you.» Pendant les douze années suivantes, Sam n’adressa pas la parole à Dave. Sauf quand ils se partagent la dope. Mais ils ont des loges séparées. Pour sauver sa peau, Dave a dû épouser Judy pour qu’elle ne porte pas plainte contre lui.

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             Le grand retour de Sam & Dave se fait en 1974 avec l’extraordinaire album Back At’ Cha, produit par Steve Cropper. Ça commence pourtant pas très bien puisque «Come Into My Life» flirte avec le reggae, mais attention aux yeux, car «Whan My Love Hand Come Down» est un hit propulsé à la percute de Dunn. Il fait une sorte de festival itinérant, il n’arrête pas, il fait tout à la percute de Soul blast. Donald Duck Dunn est l’un des rois du bassmatic. «A Little Bit Of Good» sonne comme un hit joyeux des Four Tops. Sam & Dave ont su conserver toute leur niaque. Steve Cropper joue ça en funky motion. Il faut voir la classe de la motion. Mais les grosses pièces sont en B. «Shoo Rah Shoo Rah» renoue avec le génie Stax, c’est chanté au meilleur jus de duo d’enfer, c’est admirable de soulitude. Ils sont dessus comme aux premiers jours. S’ensuit un coup de poids lourd intitulé «Queen Of The Ghetto». Ils attaquent ça au heavy r’n’b. Ça claque comme l’étendard de la blackitude. La paire retrouve son incroyable ampleur et Crop place ici et là des riffs particulièrement malsains. «Blinded By Love» reste dans la même veine, shout de r’n’b incroyablement solide et soutenu par l’une des meilleurs sections rythmiques du monde. Sam & Dave chantent chacun leur tour, avec du chien à revendre. Ils retrouvent leur beat de prédilection avec «Give It What You Can», un beat farci de ponts en roue libre, joué au funk, bardé de coups de trompettes et Duck vient tout naturellement infecter le groove à coups de riffs de basse malsains.

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             Curieux album que ce Sweet & Funky Gold paru en 1978. Sam & Dave y ont ré-enregistré tous leurs hits, mais avec une autre section rythmique et surtout une basse bien en avant dans le mix. Du coup, on a un son plus massif qu’avec Stax. La version d’«Hold On I’m Coming» roule pour nous, avec ses trompettes en sourdine et sa grosse basse qui dégage le passage. Même chose avec «I Thank You», un son rudement plus gras, bien pulsé par le pounding de basse. C’est un parti-pris extraordinairement juste. Rien de tel qu’une grosse basse voyageuse, comme celle de James Jamerson. De l’autre côté, on tombe sur des versions énormes de «Soul Sister Brown Sugar», véritable pétaudière, «Can’t You Find Another Way», avec une basse incroyablement agressive aux premier rang et qui fait rêver, et «Soul Man», bien sûr, et une intro qui sanctifie le hit universel. Ils finissent avec une spectaculaire version de «You Don’t Know What You MeanTo Me». C’est chanté avec un feeling indécent. Sam Moore et Dave Prater poussent leur bouchon avec une grande subtilité et jouent de tous les avantages de la diction glissante. Wow ! Ce n’est pas un hasard si pendant les sixties ils étaient nos favoris, avec James Brown.

             Puis Sam finit par quitter Dave définitivement, alors qu’ils sont au top, puisqu’ils jouent pour 60 000 $ par semaine à Las Vegas et qu’on leur propose 100 000 $ à Lake Tahoe. Sam convoque une conférence de presse et annonce : «I’m Sam fuckin’ Moore. I don’t want to stay with this morherfucker. I’m leaving.» Il reviendra chanter en solo à Vegas en 1982.

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    (Sam + Joyce)

             Sam parle très bien de son déclin, à l’âge d’or de la dope. Il commence par perdre son avion privé. Puis son bus de tournée. Puis son bureau. Puis le personnel du bureau. Puis Atlantic. Il ne lui reste rien. Puis il voit un mec lui piquer sa bagnole. Zoop ! Une blanche nommée Joyce qui s’était occupée de Jackie Wilson tombe amoureuse de Sam. Elle va même d’ailleurs le sauver. Elle récupère un chapitre dans le petit livre pour nous expliquer ça. Un vrai conte de fée. Elle voit que Jeff Brown, le manager de Sam, abuse : il goinfre Sam de dope et emplâtre tout le blé des concerts. Elle commence par lui demander : «Pourquoi ne l’aidez-vous pas à aller mieux ?» et Brown lui répond : «Sam ne veut pas aller mieux. On ne peut rien tirer de ce mec à part le faire monter sur scène pour chanter.» Joyce trouve que c’est de l’ugly shit et décide de voler au secours de Sam. Il est arrivé exactement la même histoire à Johnny Winter. Joyce apprend en outre que Jeff Brown a joué au casino de Reno et qu’il a perdu tout le blé de Sam. Elle comprend que ce mec est un gros escroc. Sam doit prendre ses distances avec tout le business, Brown et la dope. Il accepte d’entrer en detox. Le médecin lui dit qu’il va y avoir un sacré boulot : le corps de Sam est gorgé de dope. Joyce qui connaît Bill Graham lui demande de l’aide et Bill envoie deux gardes du corps pour empêcher Brown d’approcher Sam. 

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             On vit réapparaître Sam Moore en 2002 avec Plenty Good Lovin’, le fameux Lost solo album. Dès le morceau titre, Sam renoue avec sa vieille spécialité, l’hot shot de r’n’b. Il fait aussi une version absolument énorme de «Shop Around», Ô puissances des ténèbres, you better shop around ! Quelle version ! Sam la chante à la pointe et la pousse dans ses retranchements. Il réinvente tout simplement le mythe Stax avec un hit de Smokey. On retrouve ce fantastique screamer dans «If I Love You Love». Le vieux Sam sait groover l’heavy groove, pas de problème. Avec «Get Out Of My Life Woman», il passe au fantastique shuffle de classe événementielle. Il surchauffe sa Soul en vrai vétéran de toutes les guerres. Il porte le flambeau du r’n’b, mais avec une belle maturité. On a là le groove de r’n’b pressé de rêve, bien arqué sous le vent, celui qui ne traîne pas en chemin. Incredible ! Sam groove sous le boisseau. Sam le héros se faufile et tire sur le chewing gum de ses syllabes. S’il casse bien ses noix, c’est pour mieux sortir les accents. Il retrouve le fameux sock it to me de la funky motion dans «Keep On Sockin’ It To Me». On note au passage l’extraordinaire santé du beat.

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             Un autre album de Sam Moore paraît en 2006, Overnight Sensational. C’est un album de duos avec des invités parfois douteux (Bon Jovi, Stong). Il attaque avec une version d’«I Can’t Stand The Rain» qu’il groove en compagnie de Billy Preston. Des filles chantent avec Sam le héros. Ça frise le putassier, mais ça passe. Il faut attendre «Ain’t No Love» pour frémir un bon coup. Il y duette avec Stevie Winwood, histoire de renouer avec la classe. N’oublions pas que Stevie fut un Soul Man en culottes courtes. Sam et Stevie, c’est réellement une bonne affaire. Le petit Stevie a su adapter sa glotte à la fournaise des blacks, il sait donc staxer un stick et shaker un shook. Autre duo de choc avec Bekka Bramlett dans «Don’t Play That Song», jolie pièce de good time music. Sam continue de tordre le cou de la girafe avec une énergie hors du commun, oh merci Sam for that mercy ! Le coup de génie du disque s’appelle «If I Had No Loot». Voilà un groove extrêmement rampant et dégoulinant de sensualité malsaine. Sam et les filles abattent un boulot énorme. Allez, tiens, encore du pur jus de Stax avec «Riding Thumb». Sam renoue avec le Sam & Dave System, accompagné par Travis Pitt qui fait ah ah ! C’est explosif. On a là du grand Sam avec pas mal de répondant par derrière. Que peut-on espérer de mieux ?

    Signé : Cazengler, Sam Mou

    Sam Moore. Disparu le 10 janvier 2025

    Sam & Dave. Hold On I’m Comin’. Stax 1966

    Sam & Dave. Double Dynamite. Stax 1966

    Sam & Dave. Soul Men. Stax 1967

    Sam & Dave. I Thank You. Atlantic 1968 

    Sam & Dave. Back At’ Cha. United Artists Records 1974 

    Sam & Dave. Sweet & Funky Gold. Gusto Records 1978

    Sam Moore. Plenty Good Lovin’. 2KSounds 2002 

    Sam Moore. Overnight Sensational. Rhino Records 2006

    Dave Marsh. Sam And Dave. An Oral History. Avon Books 1998

     

     

    L’avenir du rock

     - Wheeldon du ciel

             Pour rester dans l’air du temps, l’avenir du rock erre. L’erre dans le désert. Ça lui plaît car ça sonne bien. L’erre dans l’air. Si ça ne tenait qu’à lui, il s’en gargariserait. Mais ce n’est pas l’heure car voici qu’apparaît au sommet d’une dune un volatile. La chose approche rapidement. L’avenir du rock s’attend au cui cui rituel, mais à sa grande surprise, le volatile lui adresse la parole :

             — Chuis le dindon de Meudon ! Z’auriez pas vu Burdon ?

             — Pardon ?

             — Je cherche aussi Ron Ashedon !

             — Pour quoi faire ?

             — Ben pour monter un groupe qui va s’appeler Armaguidon !

             — Ah c’est pas du bidon !

             Épuisé par cet échange trop insolite, l’avenir du rock brise net et reprend son petit bonhomme de chemin. Alors que le soleil se couche à l’horizon, il voit apparaître la silhouette d’une créature encore plus singulière, qu’on dirait sortie d’une toile de Jérôme Bosch : un grand poisson surmonté d’une épée et monté à la verticale sur deux guiboles fluettes. La chose approche et lance d’une voix claironnante :

             — Chuis Don l’Espadon !

             — Ah oui, je vous reconnais ! Vous ai vu sur un bas-relief crétois en compagnie de Poséidon.

             — Z’auriez pas vu John Lydon ?

             — Pour quoi faire ?

             — Ben pour monter un groupe qui va s’appeler les Cupides Cupidons !

             C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de l’avenir du rock :

             — Vous commencez tous à me courir sur l’haricot avec tous vos Burdon, tous vos Ashedon et tous vos Lydon ! Fuck ! Et Wheeldon ? Vous pensez jamais à Wheeldon ?

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             Nick Wheeldon à Rouen ! Pas au Zénith, mais chez un particulier. Tu ne peux pas rêver plus underground que le salon d’un pavillon en banlieue de Rouen. C’est même un coin qui frise le working class. Le salon est petit, donc small attendance, comme on dit de l’autre côté de la Manche, mais du trié sur le volet, en gros l’attendance des concerts psyché de Braincrushing au Trois Pièces. L’undergound rouennais reprend du poil de la bête, et c’est la meilleure des bonnes nouvelles.

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             On reste dans les bonnes nouvelles avec l’entrée de Nick Wheeldon dans le salon. Sous son bonnet et derrière sa moustache, il fait assez working class, histoire de rester en cohérence avec l’environnement. Tu le sens : dès son arrivée les vibes sont là. Et pouf, il attaque un set assez dense en grattant des coups d’acou, accompagné par un saxman barbu (qui flirte parfois avec Trane), un violoniste (qui aurait pu jouer dans les Pogues), un bassman black incroyablement groovy, un surdoué du beurre, et sur certains cuts, deux petites choristes viennent participer au festin.

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    Car oui, il s’agit bien d’un festin de chansons, puissamment ancrées dans un son très folky-folkah, violonné et saxé de frais, et joliment flanqué d’échos dylanesques. À un moment, dans un cut qui s’appelle «Garden Of Doubt» tu crois entendre des accents de «Girl From The North Country», alors tu te pinces, mais non, c’est Nick Wheeldon. Don du ciel. Il a ce pouvoir et ce talent. Ils ne sont que trois aujourd’hui à savoir honorer le génie de Bob Dylan en l’ayant intégré : William Loveday Intention, c’est-à-dire Wild Billy Childish, Daniel Romano et Nick Wheeldon. Ça va loin cette histoire, car pour un peu, tu te croirais dans la small attendance du Gaslight en 1962. Bon d’accord, la route de Darnétal n’est pas MacDougal Street, mais les chansons sont là et tu crois dur comme fer assister à l’avènement d’une ère nouvelle.

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    Ce capiteux mélange de talent et de dépouillement renvoie aussi au personnage qu’interprète Oscar Isaac dans l’excellentissime Inside Llewyn Davis, et bien sûr sur Gene Clark, qui, après avoir sauté du nid, s’est tapé une sacrée traversée du désert. Tu sens chez Nick Wheeldon le commitment dylanesque, c’est-à-dire l’essence du real deal, certaines de ses chansons t’embarquent pour Cythère, surtout quand il les screame pour les arracher du sol. Sur le coup, t’es complètement flabbergasted. Nick Wheeldon a du souffle et dispose de tout le prestige de ses influences.

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             Tu retrouves «Garden Of Doubt» sur Make Art, un double album de Nick Wheeldon & Friends II qui vient tout juste de paraître. Seize titres en tout et six bombes, mais pas les bombes atomiques habituelles, c’est une nouvelle race de bombes, et il va falloir s’y habituer : des bombes désacralisées d’une extrême pureté, comme par exemple «No God No Master», Nick s’y nique la voix et s’adresse à ta cervelle en direct. En B, on retrouve une énormité nommée «Glue», l’un des pic viscéraux du set, un Glue fantastiquement plombé au What Am I to seek, chargé de sax et de tout le désespoir du monde, il tape ça à la glotte écorchée vive et t’as même une plongée du sax dans le délire de Trane. Il chante ensuite son «Comedy» avec une rare violence interprétative, une sorte de sauvagerie transie jusque-là inconnue. Il faut remonter jusqu’à Tim Buckley pour trouver un point de comparaison. T’arrives en C et t’es pas au bout de tes surprises : tu retrouves l’un des enchaînements magiques du set, «Start Again» (très Geno dans l’esprit, complainte résolue et délibérée digne de No Other) suivi de «Shot Of Turpentine» que Nick claque avec des accents de John Lennon. C’est fin de bout en bout. Le «Garden Of Doubt» se planque en D et le fantôme de Trane revient hanter «Hand Me Down Child» avec une rare violence tourbillonnaire. L’incroyable de toute cette histoire est qu’en live, tous ces cuts sont intacts. Ils ne perdent rien de leur power. T’écoutes Make Art et tu revis tous les moments forts du set.

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             L’album précédent s’appelle Waiting For The Piano To Fall. Pas la même équipe. Il s’agit cette fois des Living Paintings. L’album est moins dense que Make Art, mais il va sur l’île déserte pour au moins trois raisons dont la première porte le doux nom d’«Isaak». Nick y sonne comme Peter Perrett - I promise there’ll be silence/ I promise there’ll be love - Encore une fois, il te flaggerbaste. La deuxième raison s’appelle «Oh Surprise». Par réflexe, t’es tenté de dire qu’il sonne comme... Il sonne comme... Fuck it ! Il sonne comme Nick Wheeldon, avec cette grandeur naturelle qui l’élève au même niveau que John Lennon ou David Bowie, il t’offre ce rare mélange de grande voix et de qualité compositale. Et puis au bout la B, t’as cette merveille qui s’appelle «No Spider In My Room». Le spirit de John Lennon semble encore planer sur cette lancinante rengaine à peine violonnée et donc visitée par la grâce. On en pincera aussi pour «Black Madonna», un fantastique mélopif tourbillonnaire, et pour l’infinie délicatesse de «Weeping Willow». Ses balladifs s’égarent parfois dans un entre-deux, mais c’est ce qui fait leur charme. Tellement intense et effervescent, «They’re Not Selling Flowers Around Anymore» évoque encore le génie fugueur de Tim Buckley. 

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             Communication Problems date de 2021. Il attaque avec un gospel-folk («Talkin’ Bout Jesus») et enchaîne avec un petit folk-rock sans prétention («Telephone #2»). En cherchant bien, on y trouve de vagues échos de Stonesy. Avec «Every Street That We Know», il va plus sur les Byrds. Ce mec croule sous les facilités. Puis avec «Neal», il passe à la Beatlemania - I guess we’ll be working out in the end - C’est brillant, il se plonge avec délectation dans la cour des grands. Il boucle son balda avec un «Ticket Fort Your Love» gratté sur le riff de «Satisfaction». C’est assez curieux et inspiré, et même chanté à deux voix. Il attaque sa B avec un «Love In Vain» qui n’est pas celui qu’on croit. Il flirte cette fois avec John Lennon. Pareil avec «I Forgive You» : très Lennon dans l’esprit. Avec chacun de ses albums, Nick Wheeldon convie les gens à un festin de chansons.

             Un troisième album traîne au merch. On demande à la petite choriste :

             — C’est quoi ?

             — Oh, Nick joue de la basse là-dessus.

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             Le groupe d’appelle Belmont Witch et l’album Mundo Rumbo. Tu tentes le coup. Life is short ! Belmont Witch est le groupe de Michele Santoyo. Elle chante d’une voix éthérée et Nick est ultra-présent dans le mix. Ça accroche bien dès le «Dientes De Leon» en ouverture de balda, et encore plus avec le «Pas De Réponse» qui suit. C’est joliment troussé, avec le Nick en embuscade. De cut en cut, on retrouve ce petit beat pressé qui ne traîne pas en chemin, bien soutenu au bassmatic alerte. Tout est monté sur le même mélange d’éther vocal et d’up-tempo aux pieds agiles. Quelle belle touffeur ! «Se Vale Soltar» sonne comme un hit, avec des échos de Television et des Cocteau Twins. «Atrapame» respire bien, beau souffle mélodique, Nick contribue merveilleusement bien à l’envol. L’album bat pas mal de records d’élégance. C’est le bassmatic que tu écoutes sur «Venfo Detras» en B. Le drive de basse a une présence énorme, le cut flirte avec la psychedelia, mais rien de Mad, juste une belle tension mirobolante. C’est à la fois beau et tendu. Michele Santoyo est assez complète, toutes ses compos tiennent la route et c’est elle qui gratte les poux. Très bel ambiancier encore que cet «El Dolor». On ne se lasse pas des dynamiques, le bassmatic finit même par glouglouter. Oh et puis voilà «Chaos», éclairé de l’intérieur par le cœur battant du bassmatic, c’est d’une grande pureté intrinsèque et ça se termine en bouquets de délires pouilleux d’une rare extravagance. Belmont Witch ? Les yeux fermés.

    Signé : Cazengler, Nick Wheeldinde

    Nick Wheeldon. Chez André. Rouen (76). 26 janvier 2025

    Nick Wheeldon. Communication Problems. Le Pop Club Records 2021

    Nick Wheeldon & The Living Paintings. Waiting For The Piano To Fall. Le Pop Club Records 2024

    Nick Wheeldon & Friends II. Make Art. Le Pop Club Records 2024

    Belmont Witch. Mundo Rumbo. Polaks Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La gloire de Gloria

             Baby Claudia était du genre à te dire : «Tourne-moi autour du pot.» Tu ne comprenais pas très bien ce qu’elle voulait te dire, alors tu souriais bêtement. Tu la croisais dans des concerts et tu savais qu’elle était maquée avec un gentil mec, alors pas touche. Mais c’est elle qui revenait à la charge. «Tourne-moi autour du pot.» Ce soir-là, elle portait un petite robe jaune en vinyle très courte et elle ramena deux verres : «Tiens c’est pour toi, Frédérick !». Comme elle sonnait exactement comme Arletty dans Les Enfants Du Paradis, elle eut droit à la fameuse réplique : «Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un si grand amour.» Piquée au vif, elle disparut aussi sec dans la foule. Ouf ! Quel soulagement ! Les mois passèrent. On se croisait de loin en loin. Elle apparaissait toujours par surprise. Un autre soir, lors d’un concert qui affichait complet, elle parvint à se faufiler jusqu’à la barrière et à se couler dans le minuscule espace qui me séparait du voisin. De mémoire, il devait s’agir d’un concert des Gories, donc plutôt explosif, et Baby Claudia se mit à se tortiller de la manière la plus sauvage, gorgeant l’instant de luxure. On aurait presque pu baiser dans la mêlée, mais encore une fois, il fallait bloquer toute idée de dérive, même si on frôlait tous les deux l’orgasme. C’était pas loin du fameux bouleversement de tous les sens, tu sentais que tous tes organes étaient en alerte, tes yeux, tes oreilles, ta peau, ta queue, et Baby Claudia, compressée par la foule en délire, se frottait outrageusement contre tes cuisses, alors pour résister à ça, il fallait être surhumain. Alors a-t-on résisté ou pas ? Si t’es un gros con de moi-je, t’auras aucun scrupule à dire que t’as résisté. Si t’es une bordille, t’auras aucun scrupule à dire que personne n’aurait pu résister à ça. Si t’es un tantinet romantique, tu salueras pieusement la mémoire de Baby Claudia. Dans tes rêves érotiques, tu n’en finis plus de lui tourner autour du pot. 

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             Baby Claudia et Gloria Jones ont un gros point commun : le charme. Gloria Jones aurait pu donner la réplique à Pierre Brasseur dans Les Enfants Du Paradis. À défaut de pouvoir la donner à Pierre brasseur, elle la donnait à Marc Bolan, ce qui pourrait revenir au même.

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             Connue pour avoir été la poule de Marc Bolan, Gloria Jones est une petite black originaire de Cincinnati, dans l’Ohio. Elle est surtout une artiste assez complète, a classicallly-trained multi-instrumentist, singer, performer, songwriter, arranger, actor, producer et supervisor. L’essentiel est de savoir que Gloria est un peu plus que la poule d’une rock star. C’est elle qui enregistra la version originale de «Tainted Love» dans les sixties. Elle vivait à Los Angeles dans les années 60 et Ed Cobb la prit sous son aile. Elle enregistra ensuite des singles déments sur Minit, une cover de l’«I Know» de Barbara George, et le «Look What You Started» de Jackie DeShannon. On la retrouve derrière Dusty chérie, aux backings sur le premier album solo de Neil Young et dans le Dylan’s Gospel d’Ode. Puis elle tape dans l’œil de Berry Gordy, forcément. Elle compose pour les Four Tops, Junior Walker, Gladys Knight, Chris Clark, David Ruffin et Eddie Kendricks, Martha Reeves, Yvonne Fair et des tas d’autres. Pardonnez du peu. Et puis un jour, elle reçoit un coup de fil du manager de Marc Bolan qui cherche des blackettes pour faire des chœurs sur une tournée US de T. Rex. Coup de foudre, Bolan demande à Gloria de venir s’installer en Angleterre. Elle mit au monde Rolan, le fils de Bolan. Tout alla bien jusqu’à cette nuit fatale de 1977 où elle perdit le contrôle de la Mini, envoyant Bolan chanter avec les anges du paradis.  

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             Malgré sa belle pochette, Share My Love n’est pas l’album du siècle. C’est pourtant sorti sur Motown, mais c’est le Motown West Coast de 1973. On comprend très vite avec «Why Can’t You Be Mine» que ça ne se présente pas très bien. Gloria sauve les meubles du balda avec «Tin Can People». Ouf ! Le balda a eu chaud aux fesses. Le Can People est wild a souhait, heavily trompetted, avec Willie Weeks au bassmatic. Mais pour le reste, on repassera. Elle essaye de ramoner la cheminée de sa B avec «Baby Dontcha Know I’m Bleeding For You». Elle a pas mal de power et d’envergure, on sent la petite blackette ferme et déterminée. Elle fait sa early Tina.  

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             Attention, il ne faut pas prendre Vixen pour une buse. C’est un fantastique album bourré à craquer de fast r’n’b de London town. Bolan lui fait cadeau de trois cuts : «Tell Me Now», «Sailors Of The Higway» et «Drive Me Crazy (Disco Lady)», en plus du «Get It On». Elle y va la mémère, dès «I Ain’t Goin’ Nowhere» qu’elle avait composé pour Junior Walker, elle tape ça à la dure. Elle groove le «Tell Me Now» de Marc au deepy deep et enchaîne avec une resucée de son vieux «Tainted Love», le hit immémorial, elle le rocke, elle a le retour de manivelle facile, awhhh tainted love/ How can I stand away. Elle rafle encore tous les suffrages avec «Cry Baby», magnifique shoot de rock-Soul, elle te chante ça à l’éplorée, avec des violons derrière. C’est un album bourré d’énergie, sa version de «Get It On (Pt 1)» est demented, elle explose le glam de Marc, elle le rocke à outrance, elle en fait un hit explosé de l’intérieur. Elle tape dans un autre énorme classique : le «Go Now» de we’ve already said goodbye, rendu célèbre par les Moody Blues. C’est chargé d’histoire. Elle tente de le sublimer. Magnifique artiste ! Elle fait du dancing popotin avec «Would You Like To Know» et boom, elle claque le «Get It On (Pt 2)» en mode heavy groove. Elle en fait une Soul de génie pur, elle chante ça là l’accent fêlé. S’ensuit l’autre hit de Marc, «Drive Me Crazy (Disco Lady)» qu’elle prend au chat perché, elle chante au dessus de ses moyens, elle est héroïque et géniale d’I’m a disco lady. Elle finit avec «Stage Coach», elle colle au cul de son cut, c’est encore une fois très puissant, oh baby, elle en devient intercontinentale.   

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             Avec Windstorm qui est sorti après le départ de Marc pour le paradis, Gloria fait de la pop diskö sensitive de très haute qualité. Sa soft pop dansante est extrêmement agréable, son «Bring On The Love» sonne comme un hit, et ce sera à près tout pour le balda. En B, l’«Hooked On You Baby» colle bien au papier. C’est un excellent mid-tempo de diskö Soul. Elle t’emmène ensuite danser à Coconut Beach avec «Vaya Con Dios». Elle y mène une sarabande délicieusement exotique. Et elle bascule dans le Dancing Queen stiff stuff avec «Kiss Me Kiss Me Kiss Me» qu’elle tape au don’t say goodbye

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             Pour Reunited, Gloria se rabiboche avec Ed Cobb. Le début d’album est un brin diskö. Elle refait bien sûr un petit coup de «Tainted Love». Elle est toujours bonne sur ce coup-là. La viande se planque en B : d’abord «The Touch Of Venus» qui sonne un brin Spencer Davis Group, avec le même ramshakle de bassmatic immature, et elle dédie «Sixty Minutes Of Making Love» à Marc Bolan. Puis elle revient pour finir à un son plus sixties avec «My Bad Boy’s Coming Home». Quelle incroyable caméléonne ! Elle bouffe à tous les râteliers, mais avec un certain panache. Cut signé Ed Cobb, comme d’ailleurs tout le reste sur cet album.

    Singé : Cazengler, Glorien du tout

    Gloria Jones. Share My Love. Motown 1973 

    Gloria Jones. Vixen. EMI 1976   

    Gloria Jones. Windstorm. Capitol Records 1978 

    Gloria Jones. Reunited. AVI Records 1982

     

     

    L’avenir du rock

     - Olivier fait feu de tout Rocabois

             Si l’avenir du rock s’est payé une baraque donnant sur le chemin de halage, c’est uniquement pour pouvoir y promener ses chiens. Chaque matin à la même heure, il pousse le vieux portail en fer forgé et les chiens foncent en poussant des cris. Kaï kaï kaï ! Ils sont hystériques ! Ils aboient littéralement de bonheur. L’avenir du rock se grise de les entendre. Les cris de ses deux amis sont à ses yeux l’expression même de la liberté. Alors il part sur leurs traces, car ils sont déjà loin, t’en as un qui plonge dans la Seine à la poursuite de Miss Duck et de sa progéniture, et l’autre débusque un lapin et se lance dans la Poursuite Infernale. Kaï kaï kaï ! Le premier traverse plusieurs fois la Seine à la nage en évitant de justesse les péniches qui klaxonnent, et l’autre s’en va se rouler dans des excréments pour faire des peintures de guerre. Le premier sort de l’eau et grimpe sur un arbre pour faire son Robin des Bois : il se positionne sur la branche qui surplombe le chemin et va sauter, comme tous les jours, sur le Labrador de Nottingham qui approche, pendant que l’autre rentre dans le jardin du château de Moulinsart pour aller y voler les côtelettes que le majordome Nestor prépare pour le barboque de Charlotte. Ces deux desperados à quatre pattes n’arrêtent jamais. Ils violent les lois et bousculent l’ordre établi, kick out the jams motherfuckers !, ils n’en finissent plus de s’amuser, de courir en poussant des cris perçants, on n’entend qu’eux à des kilomètres à la ronde, kaï kaï kaï ! Pour l’avenir du rock, rien n’est plus rock que les tribulations de ces deux Chinois en Chine, c’est d’ailleurs ainsi qu’il les surnomme, ils ont tous les droits, surtout celui d’avoir le droit de tout faire, allez-y les amis, tribulez ! Rien de tel que le rock qui aboie, c’est-à-dire le Rocabois. 

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             C’est un copain qui te dit un jour : «Tu devrais écouter Olivier Rocabois !». Comme on a globalement flashé tous les deux depuis 50 ans sur les mêmes disks, pas de problème, on écoute ses conseils. C’est même le genre de tuyau qu’on accueille à bras ouverts. D’où sort-il, ce Rocabois ? Pas du bois mais de Bretagne. Apparemment, il est multi-instrumentiste et autodidacte, mais ça on s’en fout. Il faut percer le mystère du buzz. Deux albums. Pas la mer à boire. On se réunit alors en conseil restreint, on vote le rapatriement à l’unanimité et on débloque les crédits.

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             Avec Olivier Rocabois Goes Too Far, Olivier Rocabois va trop loin. En soi, c’est une bonne chose. Kaï kaï kaï ? Presque. Cet Olivier-là propose une belle pop sensible, alambiquée et même ambitieuse, une pop en forme de pièce montée évolutive, avec comme cerise sur le gâtö une trompette de Jérichö. En fait, il paraît extrêmement dédouané, très British dans l’esprit, doté d’élan, pas magique, mais de bon ton, son «High High High» sent bon la Beatlemania. Il se tape une belle montée en neige avec «In My Drunken Dreamscape». Rocabois sort vraiment du bois. Il négocie habilement chaque étape et élève son édifice à la main. C’est puissant, congestionné, saturé d’ambition et de trompettes. Il s’affiche comme un conquérant. On voit même des éclairs de Brian Wilson traverser «Let Me Laugh Like A Drunk Witch». Il a aussi un côté Paddy McAlloon indéniable, son Drunk Witch sonne comme une belle extension du domaine de la turlutte. Il va plus sur les Lemon Twigs avec l’oh-oh-oh d’«Hometown Boys». Il dispose du power excédentaire des grands popsters. Il bascule enfin dans l’enchantement avec «I’d Like To Do My Exit With Panache». Plein pot dans la pop ! Ampleur considérable. Il va chercher une sorte de démesure pop et relance en permanence sans vraiment l’atteindre, mais comme le dit si bien ce dicton à la mormoille : l’essentiel est de participer.

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             Et puis t’as ce deuxième album paru en 2024, The Afternoon Of Our Lives. Tu sais dès «Stained Glass Lena» que t’es sur un big album car cette fantastique allure te rappelle les grosses compos qui font l’histoire du rock intéressant. Rocabois navigue très haut. Et à la stupéfaction générale, il se met à sonner comme David Bowie sur «45 Trips Around The Sun». Ses faux accents évoquent le Bowie de l’âge d’or. Tu vas retrouver ce mimétisme Hunky-Dorien dans «From Hampstead Heath To St John Wood», une merveille de délicatesse qu’on sent prodiguée par un dandy. Il creuse dans la veine Hunky-Dorienne, c’est très ouvragé, très ambitieux, merveilleusement tourneboulé. Il fait encore du pur Bowie avec «All The Suns». Il cultive les mêmes précieuses complexités. Avec «The Coming Of Spring», il se libère de toutes les contraintes morales. Rocabois entre dans la caste des indéniables. Il est plus alerte sur «All Is Well When I Go My Merry Way». Il monte sur tous les coups. Il nourrit un son alerte et vif, bardé d’échos de Bowie. The Afternoon Of Our Lives est spectaculaire de grandeur underground. Et voilà l’archétype du cut intrinsèque : «Prologue/Trippin’ In Memory Lane». Il chante ça en interne, dans son giron mélodique, avec du Bowie plein l’accent. Sa façon de chanter l’«Over The Moon» est encore du pur Bowie. Ça fait du bien de voir le petit Rocabois prendre le relais d’Hunky Dory. Il se dirige vers la sortie avec «Lifetime Achievement Award Speech», un fantastique brouet de pianotage, il semble réellement très en avance sur son temps. Ce petit Rocabois a du génie à revendre, sa démesure orchestrale en est la preuve flagrante.

    Signé : Cazengler, Rocabête (comme ses pieds)

    Olivier Rocabois. Goes Too Far. Microcultures 2021

    Olivier Rocabois. The Afternoon Of Our Lives. December Square 2024

     

     

    God save the Quinn

     - Part Two

             On est franchement ravi de retrouver le beau sourire et l’élégance naturelle de Quinn DeVeaux. Tant pis pour les ceusses qui ont cru bon de faire l’impasse sur ce magnifique concert. Car oui, tout y est : du son, du son et encore du son. Du son à la pelle. D’autant que cette fois, un conglomérat de quatre surdoués nommé The White Bats accompagne notre Mighty Quinn préféré. En mai dernier, c’était une autre équipe, des mecs plus vieux, dont le fameux David Guy, bassmatiqueur de rêve, du niveau d’Harvey Brooks.

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             Ces quatre blanc-becs sortis de nulle part ont électrisé un set déjà bien chargé. On voit rarement des mecs aussi jeunes et brillants à la fois, notamment le guitariste, un certain Yannick Eischair (que l’on comprend ‘Hampshire’ lorsque Quinn le présente). Il gratte toute la première partie du set sur une belle demi-caisse rouge, il arrose de poux le vieux «Been Too Long» tiré de Book Of Soul et fait ruisseler des diamants dans «Bayou».

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    Yannick Eischair fait partie du gang des voleurs de show, comme David Guy, mais surtout comme Jason Victor dans Dream Syndicate, ils emploient exactement les mêmes méthodes : esbroufe, fulminances, pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette, ragaillardisme intempestif, virulences viscérales, outrepassement des bornes et pas de pitié pour les canards boiteux. Ce sont des mecs qui grattent des rafales effrontées, d’inexorables dégoulinures de rentre-dedans, des tourmentes de vazy.

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    Comme Jason Victor, Yannick Eischair n’a pas le temps de frimer, il joue. Il ultra-joue et gratte sans merci. Il est habillé comme l’as de pique, mais ses poux sont ceux d’un prince. Notre Mighty Quinn préféré sait la chance qu’il a d’avoir ce mec sur scène avec lui, et les trois autres ne sont pas en reste, notamment le petit pianiste barbu et chevelu qui n’en finit plus de groover dans la couenne du lard, et il fait un vrai numéro de cirque sur l’énorme cover du «What’d I Say» de Ray Charles. Et là tu dis oui, et tu dis même wow ! Oui, mille fois wow ! Tu vis l’instant à bras raccourcis, t’ouvre bien tes oreilles pour tout ramasser, pas question d’en perdre une seule miette, même si tu joues parfois les gros cons blasés, t’en reviens pas de voir jouer des mecs aussi fantastiques, t’as la Nouvelle Orleans à la maison, le sel de la terre d’Amérique, l’un des meilleurs sons du monde.

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    Le real deal. Et ça rocke le boat à coup de «Good Times Roll» et de «Left This Town», ça te soûle de Soul avec «You Got Soul». Le voleur de show attaque «USA» sur une Tele et il te joue la country du diable, il décrasse bien les vieux schémas et shoote dans le cul de Nashville une honteuse dose de schlouufff, il faut voir le travail, la country d’Amérique ne s’est jamais aussi bien portée, depuis le temps de James Burton. Oui, il est essentiel de mettre dans le même panier des gens comme Jason Victor et Yannick Eischair, car ils savent tous les deux revitaliser un son qui a pourtant du métier et du mérite, un son qui n’a plus rien à prouver, ni du côté de Quinn DeVeaux, ni de celui de Steve Wynn, pourtant les deux pouilleux ramènent avec leur atroce sagacité une énergie surnaturelle, et l’amateur planté au pied de la scène en prend pour son grade, car rien n’est mieux accepté par une cervelle que l’énergie surnaturelle. Elle te parle sans jamais avoir à te donner la moindre explication.

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             Depuis le mois de mai dernier, notre Quinn préféré a perdu du poids. Il a retrouvé sa ligne de jeune coq, mais il n’a pas eu le temps de nous enregistrer un nouvel album. Au merch c’était morne plaine, avec ces quelques albums qu’on connaissait déjà par cœur. God save the Quinn ! Difficile de rater une occasion pareille.

    Signé : Cazengler, couenne de veau

    Quinn DeVeaux. Le 106. Rouen (76). 24 janvier 2025

     

    *

    Le Maine situé tout en haut du Nord-Est des Etats-Unis a reçu la visite des Vikings bien avant que Christophe Colomb ne découvrît l’Amérique, tout au sud la rivière Ossipee, ce nom fleure bon l’Algonquin, il suffit de la remonter pour visiter l’Ossipee Valley, célèbre pour son festival The Ossipee Valley Music Festival consacré aux musiques roots, blues, bluegrass… En juillet 2024 il s’est déroulé du jeudi 25 au dimanche 28 juillet. Two Runner y participa.

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    BURN IT TO THE GROUND

    (THE CROOKED RIVER SESSIONS)

    TWO RUNNER

             Les artistes passent par deux fois sur une des grandes scènes du Festival, mais ils sont aussi invités aux Sessions de la Rivière Sinueuse. De fait une session en plein air, Two Runner nous a habitués à ces prises de vue et de son filmées en pleine nature. Celles de ces sessions d’Ossipee sont systématiques croquées en un endroit typique de la berge de la rivière.

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             Il ne nous étonne donc pas de les retrouver toutes deux debout dans un paysage que l’on pourrait qualifier d’Arcadien. Pour la petite histoire et la grande géographie, le territoire canadien qui jouxte l’Etat du Maine fut baptisé, en référence à l’Arcadie grecque, Acadie pour la douceur de ses paysages et la beauté de ses arbres…

             Burn it to the ground fut le titre qui marqua le retour de Paige Anderson après que les Fearless Kin  se soient dissous. Paige revenait seule, ce premier single annonçait un renouveau  mais laissait aussi transparaître une profonde blessure. Une âme blessée mais fière décidée à reprendre son destin en main. Cette première version de Burn It To The Ground légèrement pop à la voix lasse et traînante, toutefois le banjo de Paige crépitait des mille feux de la colère et de la révolte. Par la suite Paige est revenue à un style beaucoup plus roots.

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             Une vision paradisiaque que ces deux jolies filles, Rose fiddle, sourires, entrain, Paige banjo, tresses et beauté, mais après un regard de connivence déjà le banjo vous entraîne dans une folle galopade, le fiddle soutient le train et l’impétuosité de l’attaque, la voix de Paige s’élève, toujours cette façon de jeter ses mots dans la fureur du monde, Rose sourit, rien de béat dans ce sourire, mais la joie de soutenir cette colère et cette hargne rentrée qui s’exalte, parfois le timbre de Paige et se teinte de nostalgie, mais la ronde de feu reprend, c’est une déclaration de guerre au monde que lancent ces deux hamadryades, sœurs d’armes et d’âmes dans ce paysage agreste.

             Une flamme incandescente.

             Violon incendiaire. Banjo destructeur.

    Damie Chad.

    Nota Bene : j’étais content, j’avais fini ma kro, mais voici que je découvre sans la chercher une nouvelle, plutôt une vieille, vidéo de Two Runner.

    Enregistrée en décembre 2023 à Grass Valley, ville d’où Paige est originaire, au Glod Vibe Kombuchary un bar festif qui propose de multiples activités et réjouissances… spectacles, danse hip hop, séances de yoga, peinture, cours d’auto-défense féminine…

    Rock Salt and Nails est une chanson de U Utah Phillips, personnage sympathique, membre des IWW, donc syndicaliste, anarchiste et nul n’est parfait, mais quand on vient du pays des Mormons cela s’explique, chrétien. Un véritable classique, vous la retrouverez dans les légendaires Basements Tapes de Dylan, pour les puristes écoutez la version de JD Crowe, perso je la préfère par Waylon Jennings. Le texte est un peu antiféministe ce qui n’empêcha pas Joan Baez de l’interpréter, il suffit de changer les pronoms. La version de Baez est mignonnette emplie de joliesses instrumentales et de froufrous vocalistes.

    Two Runner, le contrebassiste me semble être le ‘’petit’’ frère de Paige, nous en offre, une version très lente originale qui métamorphose le morceau. Au départ il s’agit d’une déception amoureuse qui se tourne à l’aigre et à la rancœur, la voix de Paige la hausse au niveau d’un drame absolu, une héroïne antique qui maudit le Destin, l’archet de Rose glisse comme le malheur ruisselle sur la condition humaine. Toutes deux en robe longue de princesse, prisonnières d’une tour maudite.

    Envoûtant.

    Nota Bene 2 :

             Sur Spotify vous trouvez un EP  de Two Runner quatre titres intitulé Western AF Session : Five Minuts / Helmet / Wild Dream / Where did you Go ? 

             Dans notre livraison 670 du 19 / 12 /2024 nous rendions compte de ces mêmes morceaux vidéo YT sous le titre : Live on Germ / Live AF : Helmet / Fortune / Wild Dream / Where did you Go

             Le lecteur aura remarqué que l’ordre n’est pas identique, mais ce sont bien les quatre mêmes morceaux car Five Minuts et Fortune sont un seul et même morceau.

             Vous pouvez retrouver une vidéo titré Five Minuts sur YT.

     

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    *

             Des groupes, il en existe de toutes sortes, j’aime bien les tordus, celui-ci s’inscrit dans cette catégorie, avec toutefois une déviance, tordu, bossu, tout ce que vous voulu, petits goulus, mais en plus il est torsadé. Essayez de faire passer un écrou sur une tige filetée mais tordue, bossue, tortue… Je vous souhaite bien du plaisir, mais un groupe qui se réclame  de Kant, d’Heidegger et Rilke, plus quelques autres du même acabit, je ne peux que me sentir attiré, vous connaissez mon appétence pour tout ce qui offre une certaine résistance.

             Originaire d’Australie il s’est installé depuis quelques années en Ecosse, précisément à Edinburgh. Il vient de sortir en ce début de janvier un nouvel album, rien que le titre fait frémir : Antinomian Asceticism, je vous rassure nous ne l’écouterons pas, doctement nous préférons nous pencher sur un opus antérieur de dix ans d’âge, toutefois je me permets de vous avertir ce n’est pas de la tarte molle, vous n’aurez ni la cerise ni le gätö si chers à notre Cat Zengler !

    OPHIDIAN ENOSIS

    BARSHASKETH

    (Bandcamp / 2015)

             Le titre demande à être décrypter. Tout le monde rapporte le mot ophidien à l’idée de serpent. Oui mais il y a serpent et serpent. Celui qui nous préoccupe n’est pas un inoffensif reptile. Ni un mamba particulièrement dangereux. Non c’est le Serpent, le vrai, le seul, l’unique, la méchante bébête,

    Qui tenta Eve. Lui souffla l’idée de croquer le fruit (poma en latin) défendu qui devait leur donner, à elle et à son mari, la faculté d’être comme des Dieux. Vous connaissez la suite de l’histoire.

             Les premiers chrétiens formaient à l’origine de petits groupes. De véritables sectes, plus ou moins indépendantes, certaines eurent la malchance d’être cornaquées par saint Paul et ses affidés, mais beaucoup se débrouillèrent par elles-mêmes, se procurèrent des textes, plus tard l’Eglise opéra un tri draconien… Encore leur restait-il à les interpréter. Beaucoup de néophytes n’étaient en rien des as de l’herméneutique, ils analysèrent les écrits (plus ou moins) sacrés à leur guise.

             Les difficultés surgirent vite. Dès les premières pages. Tout le monde s’accorda pour décréter que le Serpent était le premier des méchants. Oui mais si on y réfléchit un peu : si (avec des si, on mettrait Paris en bouteille) le Serpent n’avait pas tenté Eve, le Christ n’aurait pas eu besoin de venir sur terre pour racheter les hommes de leurs péchés, or qui oserait affirmer l’inutilité du Christ, donc en voulant faire le mal, le Serpent avait hâté la venue du Christ, l’on ne pouvait lui en tenir tout à fait rigueur. D’ailleurs le Serpent ne serait-il pas le véritable Sauveur…

             Celse, un redoutable mécréant, un païen qui ne croyait pas plus aux Dieux de l’Olympe qu’aux contes à dormir debout de la Bible en déduisit que c’était un serpent à sornettes. Ses écrits frappés de bon sens portaient des coups terribles au christianisme, Celse ne cessait de se moquer de tous ces groupes de chrétiens toujours en désaccord les uns avec les autres. Les pères de l’Eglise tentèrent de trancher non pas le Serpent mais toutes ces contradictions faribolesques, hélas leurs arguments ne pénétraient pas les âmes chrétiennes, enfin en survint un savantissimus emeritissimus qui trouva le mot qui tue. Origène, plus tard il fut accusé d’hérésie, décréta que tous les chrétiens qui croyaient à ces histoires de Serpent tentateur pas si méchant qu’il en avait l’air, n’étaient pas de vrais chrétiens et il les rassembla sous le titre générique d’Ophites. L’Eglise venait de se trouver un ennemi intérieur, rien de tel pour resserrer les rangs qu’une bonne purge… 

             Jusque-là l’histoire est simple. C’est avec le terme Enosis qu’elle se complique. C’est un terme platonicien. Les pères de l’Eglise avaient compris que dans les joutes verbales, privées ou publiques, les intellectuels païens férus de philosophie grecque leur damaient régulièrement le pion. Ils se mirent donc à lire Platon, ce qui explique pourquoi la théologie chrétienne est en partie issue de Platon.

    Enosis signifie union. Par exemple comment peut s’instaurer l’union entre le cheval blanc et le cheval noir qui conduisent le char de l’esprit humain, le blanc représentant la sagesse raisonnante et le noir le désir instinctif et occasionnel. Certes ce n’est pas l’union des contraires mais à minima celle des divergences. Bref un concept difficile à manier. Lorsque les pères de l’Eglise se penchèrent sur Platon, la Grèce était en proie à une vague philosophique néo-platonicienne, dont Plotin était le fer de lance, il ne croit pas en une théorie qui s’enseigne et que les autres répètent. Il préfère parler de gnosis, de connaissance, individuelle que chacun se doit d’expérimenter. Pour Plotin la notion d’Enosis serait l’union de l’âme avec la sphère du divin. Pour le dire avec les gros sabots de l’outrance simplificatrice : l’Homme par lui-même peut devenir un Dieu.

    Avec Plotin, l’Eglise est inutile. Elle sent le danger : regardez les ophites ne sont-ils pas en train de réaliser la scandaleuse énosis du Diable aves le Christ. Les sectes chrétiennes qui ne suivent pas à la lettre l’enseignement, pas encore unifié, de l’Eglise seront traitées de gnostiques, qu’elles soient déjà ophites ou porteuses de toute autre déviance.

    Z’attention : les gnostiques laissent entendre  qu’il existe un Dieu Bon hors de tout soupçon mais que l’âme humaine est enfermée dans une prison de chair, œuvre du Serpent. A moins que ce soit le contraire que le Serpent soit le libérateur et Yawé le dieu de la matière.  Dans les deux cas le résultat est le même :  deux Dieux créateurs. Pour ceux qui deviendront les catholiques il n’existe qu’un Dieu Unique, les gnostiques sont des dualistes… Le gnosticisme se perpétua plus ou moins souterrainement, par exemple l’idéologie  Cathare est une magnifique résurgence du courant gnostique qui se développa durant des siècles au sein de l’Eglise, mais aussi en dehors de celle-ci. Notamment dans les milieux sataniques ou lucifériens et par ricochet dans l’imaginaire idéologique de nombre de groupes de Metal actuels. Parfois en toute connaissance de cause, parfois sans aucune conscience des implications que leur prise de position implique au niveau métaphysique. Par exemple dans notre Chronique sur La Morsure du Christ par Seth, (voir notre livraison 674 du 23 / 01 / 2025), il serait diablement intéressant de mettre en relation la couverture de  Notre-Dame en feu avec la prise du Temple de Jérusalem en 70 par Titus dont l’émotion suscitée dans les milieux pré-gnostiques aurait précipité la création d’une secte forgée autour du personnage de Seth, troisième enfant d’Adam et Eve, l’incendie du Temple étant considéré comme la fin de l’emprisonnement symbolique du couple primordial dans le Jardin d’Eden et ses dépendances matérialistes, à savoir notre monde…

    Ce n’est pas par un incroyable hasard ou  par un détestable manque d’imagination que les morceaux de cet album  sont affublés d’un même titre, simplement distingués par un numéro. De fait il s’agit de sept stations vers la délivrance finale, songez que les quatorze stations du Christ culminent sur la déchéance de la mort…nous sommes ainsi soumis à une espèce de rituel gnostique. Le texte n’offre aucun élément qui, extérieur ou historial, fasse référence à des indications quant à la mouvance gnostique précise à laquelle il se rattacherait. C’est à l’auditeur ou au lecteur de s’extraire de la gangue des sons et du sens pour trouver le chemin vers la lumière, ou le maigre lumignon, du Divin.

    Krigeist : vocals, guitar / GM : guitars / BH : drums / BB : bass

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    Ophidian Henosis – I : déferlement, rien ne l’arrêtera, vous avez mis un pied sur le chemin, il vous est impossible reculer, le vocal est un cri, ni de haine, ni de peur, de catastrophe, le constat de ce qui est, une puissance mélodique à laquelle rien ne saurait résister, il me plaît à penser que c’est la grandeur indémuserée de ce néant qui parle par la bouche de Krigeist : l’Homme pétri de peur et de froid, a décidé d’adorer ce Vide absolu, pour parodier Nietzsche il faudrait parler de descente originelle et menstruelle du nihilisme, une postulation d’acquiescement instinctive envers ce qui n’est que négation. Mais le je néantif cède la place au je humain, il est comme les autres écrasé par le néant du vide, jusqu’à ce qu’il prenne conscience que le néant n’est rien - entre L’Être et le Néant de Sartre et Être et Temps d’Heidegger, un ouvrage, du plus grand penseur du vingtième siècle, que je n’apprécie point et dont il refusera d’écrire le deuxième tome, choisissez le second, le néant est à l’intérieur de nous, c’est l’acceptance de ce qui est au-dehors, une position stirnérienne, tout ce qui n’est pas Moi n’est pas ma Cause, elle est une cause pour laquelle je n’accepterai aucun martyr, ne plus jamais se soumettre à la facticité de ce qui n’est pas nous, car ce qui n’est pas nous, n’est autre que notre mort. Espèce de tumulte terminal. Les ombres sont identifiées. Ophidian Henosis – II : toujours la même déferlance lyrique, mais bientôt le rythme s’alentit, monter au plus haut de soi, dans ces sentiers intérieurs d’Engadine glacés et solitaires où l’air se raréfie  n’est pas facile. Surtout que vous n’êtes pas seuls, une foule vous entoure, tous ceux qui ne sont pas sur le même chemin, vous montez et ils descendent, les lumières d’en bas vous attirent, l’or factice de la chaleur humaine de ceux très mal nommés vos semblables semble trop lourd, il vous tire vers le bas, et vous êtes prêt à vous laisser glisser. La batterie s’alourdit, échec sur toute la ligne. Ophidian Henosis – III : une petite musique, la voix comme un dégueulis infini, en bas la lumière se révèle être pourriture, Lumière Infranchissable Pourriture a écrit Joë Bousquet scrutant la poésie de Pierre-Jean Jouve, le fonds sonore semble à la peine, c’est qu’il faut rejeter la première bouée de sauvetage, l’Ego n’est qu’une écorce morge, un mensonge inopératif, il faut user de l’œil intérieur, celui capable de percer le voile de l’illusion du monde, songez que Maya signifie aussi bien chez les Grecs la beauté terrestre du printemps que la taie illusoire qui trompe votre œil selon la sagesse indienne de l’Eveil, le glaive de la pensée se doit de trouer ce brouillard inconsistant, attention ce n’est pas facile, c’est comme si l’on tuait la mort, la peur de la mort est nécessaire, si vous ne la ressentez pas vous n’aurez jamais la force de la tuer. Mais attention une fois le crime réalisé, le plus dur reste à faire, pensez à Nietzsche décrétant la mort de Dieu, ceux qui ne l’ont pas assassiné auront du mal à vous comprendre. Vous serez encore plus seul. L’on se rira de vous. L’on vous décrètera atteint de folie. Ophidian Henosis – IV : avez-vous souvent entendu une musique aussi noire et un tel chant de sirènes, ne vous bouchez pas les oreilles, elles émanent de vous, la plaie est intérieure, les orties repoussent vite, arrachez-les à pleines mains, il est des chaînes aux anneaux de fer dont il faudra vous libérer, larguez toutes les amarres, que l’Esprit rompe avec le corps, ce sera la seule manière de monter, vers les Enfers, il existe un endroit ou un moment  où le haut et le bas n’existent plus, en ces moments de plus forte déréliction intérieure, je retombe dans le néant. Je m’appesantis dans le vide de moi-même. Ophidian Henosis – V : mélodie de taille et d’estoc, charge de cavalerie effrénée, tout est question de regard, je me voyais dans le vide initial, je suis au même endroit de l’autre côté de l’illusion, de l’autre côté de la vie mais pas encore totalement initié, je n’ai traversé que la moitié de mon chemin astral, il me reste à ressentir sa présence, elle est en moi dans d’autres types d’initiation l’on parle d’alchimie du chaos, voire de rosée du chaos, le chaos n’est pas  le désordre, il n’est que force en mouvements, energeia le définira Aristote, il suffit de m’ouvrir à cette force, elle est l’autre côté initial de moi-même, maintenant elle souffle en moi, je suis la fente d’où elle sort, je suis habité d’une colère incoercible, une rage impitoyable envers les autre, le monde et moi-même, ce n’est pas la mort que je dois tuer, c’est ma propre mort. Chemin glacial. Ophidian Henosis – VI : roulements de tambours, je parle à moi-même mais comme Zarathoustra je m’adresse aussi aux autres. Je résume, je subsume. Je parle depuis ma mort. Je vous donne les enseignements. Ne vous en remettez qu’à vous-mêmes, pas  de dieu, pas de croyance, ne comptez que sur vous, n’ayez aucune confiance en vous, soyez insensibles à la pitié, soyez votre ennemi, tuez tous vos ennemis. Surtout vous-même. C’est le seul moyen d’être vous-même. Que votre sagesse devienne folie. Que votre folie devienne votre volonté(Ici nous ne sommes pas loin de Crowley). Un morceau de pure furie. Je suis le chemin du Serpent. Ophidian Henosis – VII : l’autre côté du serpent, est-ce la queue ou la tête, en tout cas le plus obscur. Musique noire, teintée de désespoir métaphysique, au bout du rien, rien n’a changé sinon que tout a changé, que maintenant je comprends que je ne connaîtrai que défaite, l’initiation n’est-elle pas une défaite en soi. Non car le combat que personne ne gagne ne finira jamais. Pour vaincre il suffit de continuer à se battre sans espoir. Sinon de notre propre gloire que nous seuls savons percevoir.

             A écouter. A méditer. A expérimenter.

             Nous terminons par quoi nous commençons d’habitude : la pochette.

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    Assez énigmatique. Au premier abord une couronne mortuaire. L’Initié n’est-il pas mort au monde. Nous survient une autre idée celle des mystérieux diagrammes ophites, non pas parce que celui-ci serait à vrai dire un diagramme Ophite, tels que les ont décrits Celse, Origène et Irénée de Lyon, mais plutôt une mise en image et même une mise en imagination représentatrice. 

             Certains symboles sont assez clairs : le bouclier bombé, l’initiation est un combat mental, les crocodiles une allusion aux Mystères égyptiens, je voudrais m’attarder plus longuement aux deux queues de serpents. A moins que ce ne soit un serpent à deux queues. Le serpent à deux queues mais sans tête possède un énorme avantage, il ne peut se mordre la queue, entendons par là qu’il ne saurait être Ouroboros, le serpent symbole de l’Eternel Retour. Que certains groupes Ophites soient allés jusqu’à assimiler le Serpent au Christ, cela se conçoit. Mais même si certains n’ont pas hésité à reconnaître dans le Serpent  le Logos  grec et philosophique (voir le prologue de l’Evangile de Jean), je n’ai pas trouvé, ce qui ne veut pas dire que cela n’existe pas, une accréditation de l’emploi de l’Ouroboros dans la ‘’ théologie’’ ophite. Cela s’explique par l’origine chrétienne des cercles ophites, il ne saurait y avoir d’Eternel Retour, si le Christ revient plusieurs fois pour sauver les hommes, son salut ne vous ouvrirait pas les portes d’un paradis éternel puisqu’il faudrait éternellement le recommencer…

             Quant au nom du groupe, Barshasketh, il proviendrait de l’hébreu Be’er Shahat, lieu biblique aujourd’hui emplacement d’une ville israélienne. Le dictionnaire rabbinique nous apprend qu’étymologiquement il signifie ‘’puits’’, l’eau de la connaissance en quelque sorte, et plus anciennement ‘’fosse’’ celle que l’on creuse pour y coucher les morts. Le vocable est aussi employé dans la Bible pour désigner la mort. Barshassket l’emploierait, nous semble-t-il au sens de  de mort symbolique de l’initié…

    Damie Chad.

     

    *

    Viennent de Gascogne et d’Aquitaine. Leur dernier album paru en janvier de cette année Embrasser la nuit est à écouter. Par esprit de contradiction nous nous penchons dans cette kronic sur leurs trois premiers opus.

    A TERRE

             Z’ont choisi comme appellation une expression issue de la boxe, c’est normal si tu es de la Gascogne c’est que tu cognes.

    NOTRE CIEL NOIR

    (EP / Bandcamp  /Janvier 2021)

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    Circonsimon : guitars / Léo Lassalle Saint Jean : guitars / Jérôme Brokaert : basse / Grégoire Caussèque : vocals / Sébastien  Bonneau : drums

             Couve expressionniste. Nuée noire se massant sur le haut d’une tour de pierres hexagonale, un vol d’aigles noirs comme autant d’oiseaux que les augures romains auraient interprétés en tant qu’annonce imminente du malheur. Inutile de courir aux abris. Il est déjà trop tard. Maintenant si l’on y pense, le ciel noir n’est pas inquiétant, tant qu’il règne au-dessus des autres, mais le titre de l’Ep est sans appel il est ‘’notre’’. Ce ciel noir colle si bien à notre possession que nous sommes peut-être ce ciel noir.

    Bordeaux Traumatisme : vous avez une Vidéo Officielle, la cuillerée de sucre en poudre que l’on ajoutait à l’huile de foie de morue pour les enfants, j’y vais en douceur pour que vous ne soyez pas traumatisés, c’est comme dans le conte d’Andersen, vous avez un matelas et un petit pois, le matelas l’est posé à même le ciment, ce doit être du garage-post-metal, pour le princesse à  la place vous avez une espèce de polytropmatisé, l’est déjà vieux, qui essaie de suicider avec un pistolet à eau – ne riez pas quand vous regarderez vous serez glacé (l’eau doit être gelée) – pour la princesse il se contente d’un balai-Océdar, si vous ne savez pas ce que c’est, vous demandez à votre grand-mère, par contre le petit pois il s’agite à haute dose dans sa cervelle trouée. Bref une épave. Si vous n’êtes jamais allé à Bordeaux, ne vous inquiétez pas, des gars comme lui, un peu à côté de la plaque, beaucoup dans la merde comportementale, il y en a dans toutes les villes de France. D’ailleurs si vous ne voulez pas vous reconnaître ne zieutez pas la vidéo, vous risquez l’usurpation d’identité, ou alors ouvrez les yeux uniquement quand vous voyez de la couleur, c’est le groupe sur scène, c’est bien filmé, mais vous vous êtes mal parti. L’Eternel Retour : avis aux nietzschéens, les guitares croustillent comme du pain mal-cuit, la batterie cogne mais le gars n’est pas rapide, le chanteur se gueule dessus, il s’invective, quand ça se calme que la basse vrombit comme une abeille malade, vous avez l’essaim gavé aux pesticides qui la suit sans entrain, donc l’Eternel Retour que vous propose A Terre ce n’est le cercle de feu wagnérien de Brunhilde, c’est le petit bout de la lorgnette, vous pataugez dans votre existence de raté total, vous tournez en rond dans votre médiocrité, comme un ours polaire perdu sur son glaçon au milieu de l’Océan Arctique, vous pataugez dans le nihilisme. En plus vous êtes en colère contre le monde. Prenez-vous en contre vous-même. Le groupe ne croit plus en vous, et peut-être même en lui, il coupe le son irrémédiablement.  La Réponse :  la musique recommence, un peu tintamarre mou d’une scie électrique, c’est de l’indus, quand on est mort à soi-même il reste encore à crever aux autres, sur le fil du rasoir, entre constat et réponse, bruit de tube, c’est un peu creux, ce ne sera jamais un tube, galimatias tubulaire infini, le gars est au bout du rouleau, les autres sont-ils les gardiens de l’asile intérieur dans lequel vous habitez comme l’escargot dans sa coquille perdue… Pour la réponse vous attendrez le facteur, ce n’est pas pressé, de fait vous êtes obligé de reconnaître que les morceaux ne sont pas du tout, leur violence, leur intensité, désagréables à réécouter. Comme quoi A Terre touche à une corde sensible.

    TRAVERSEE

    (Février 2022)

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    Qu’est-ce que cette couve. Que couve-t-elle ? Que recouvre-t-elle  , un morceau de bois dont le feu n’a pas voulu. Et ces deux esquisses de silhouettes de chiens, que représentent-elles le couple androgynique alchimique, ou la traversée des cendres qui se résorberont en pierre… Ou du bois flotté, échoué sur les bords du monde, qui ne flotte plus,

    Cinquième Colonne : titre ambivalent, la cinquième colonne nous appartient-elle ou se bat-elle contre nous, n’est-elle pas en nous, ne sommes-nous pas tantôt en elle, tantôt contre elle, ne portons nous pas notre cinquième colonne en nous, ne sommes-nous pas notre propre ennemi, voix angoissée, ne pas savoir sur quelle rive de la rivière qui coule  nous campons, la batterie abat les arbres, elle tente un barrage, les guitares ont des bruits de boucliers qui s’entrechoquent, où que je sois, qui que je sois, je reconnais en moi le combattant, j’ai enfin trouvé ma boussole. Résurrection : une longue et lente introduction, une espèce d’apothéose  arrêtée à mi-chemin, un bruit de train qui avance et ahane, hurlement, maintenant je vois ! Rien, mais une direction, vers quelque chose qui n’est pas Moi et qui serait donc Toi. Un fantôme à l’intérieur de moi qui me dirige vers l’extérieur de Toi, un espoir qui a eu lieu, peut-il revenir, long final d’attente, montées en puissance, montées en impuissance, explosions battériales, avancées dans l’incertitude du sens et des rencontres avec soi-même ou l’autre stratifiée en une réalité impalpable. Seulement Toi : cris de joie et d’incrédulité, une guitare seule, que d’exultation, tant de désespoir pour en arriver à cela, â l’âme sœur, vont-ils nous faire le coup d’ils se marièrent et adoptèrent beaucoup de petits et beaux enfants, non ils évitent l’écueil, de justesse, mais ils l’évitent, la société pourrave n’y pourra rien, il sera là toujours là, dans les difficultés les plus aigües, dans les combats les plus désespérés, et plouf ils sortent les grandes orgues du romantisme, seuls tous les deux, au-delà de l’au-delà, contre le monde. Contre tout. Tout contre Toi.

    1944 : MIXTAPE 01

    (Décembre 2023)

             Les deux ep’s précédents forment un tout. Celui-ci est à considérer comme un sas de passage. Si Notre Ciel Noir et Traversée relèvent de l’intime, 1944 – ils auraient pu faire un effort pour la couve peu encourageante – cette Mixtape 01 traite du collectif, de l’Histoire et même de Politique par son parti-pris. Certes les situations intimes ne sont pas sans rapport avec les cadres historiaux dans lesquels s’inscrivent les éléments individuels, il est toutefois bon de se tourner vers le passé pour scruter notre futur et même notre présent.

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    BORDEAUX | Raffle |10 Janvier 1944 : un train souffle inexorablement, pianotis électroniques, un des moments les plus honteux de l’Histoire nationale, hurlements, vacarmes brouillés, fureur du chant crié, hurlé, le dégoût d’être un Homme, les voix se répondent dans un vortex sonore en expansion, que vous soyez hors de l’abîme ou sur les bords, l’innommable est comme un loup pris au piège. BIARRITZ | Bombardement | 25 Mars 1944 : sirènes résonnantes, lointainement incroyable ce bruit à peine perceptible, très vite inexorable le déchaînement de fer et de feu, le meuglement infâme de la mort dévoratrice qui tombe du ciel, les âmes paniquées sous l’écroulement universel, grondements des oiseaux de fer, qui s’éloignent, place au silence. Effrayant. JURANCON | Sabotage | 13 Mai 1944 : (Jurançon commune près de Pau ) : autant les deux morceaux précédents de par leur sujet évènementiel se prêtent aux phénomènes acoustiques de l’harmonie imitative, pour cette cet hommage à la Résistance A Terre a privilégié pour ainsi dire le silence de l’ombre, musique douce et voix parlée, récitant un texte-poème, une espèce de brouillamini sonore relativement gênant rappelle les efforts allemands pour empêcher l’écoute des ondes venus de Londres… La Résistance fut particulièrement active dans le département des Pyrénées-Atlantiques, le groupe ne cite aucun fait précis, rappelant ainsi la clandestinité de ses actions, exaltant sa portée exemplaire nationale et universelle… NORMANDIE | Débarquement | 06 Juin 1944 : sur le background chaotique la voix pose un poème, une méditation sur la mort qui attend le combattant, liberté et mort se confondent dans la grande communion des vivants et des morts. Et de ceux qui sont venus au monde après ces combats et qui se sentent investis d’une fraternité qui les unit à ceux qui les ont précédés afin qu’ils aient pu naître libres. Et continuer le combat. MONT-DE-MARSAN | Libération | 21 Aôut 1944 : (la libération de Mont-de-Marsanne ne fut pas une partie de plaisir, les combats furent intenses…) : ce morceau ne célèbre pas particulièrement des moments de joie, l’on ressent la fièvre des combats et l’incertitude de l’espoir, une bande-son de haute intensité lyrique et les cris d’une voix désespérée qui veut croire malgré tout à ses idéaux rétablis  pour toujours…

             Cet EP militant tranche dans la production rock actuelle, tous styles confondus. Les groupes réfractaires d’aujourd’hui se concentrent davantage sur les combats actuels que sur les ‘’victoires’’ du passé. Toutefois ce rappel des années noires du vingtième siècle ne nous semble guère de la part d’A Terre entaché d’un passéisme facile et consensuel. Nous le percevons plutôt comme un cri d’alarme sur la situation historiale présente, le retour d’une guerre, économique et militaire, imminente programmé sur les terres européennes… Une piqûre de rappel pour les mobilisations de résistance futures…

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 659 : KR'TNT ! 659 : BUDDY GUY / LEMON TWIGS / PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE RECORDS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN / GREAT GAIA / SNAV

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 659

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    03 / 10 / 2024 

     

    BUDDY GUY / LEMON TWIGS

    PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN

    GREAT GAIA  / SNAW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 659

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Holy Buddy

    (Part One)

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             L’idéal dans la vie serait d’écouter Buddy Guy. L’encore plus idéal serait de lire son autobio, co-écrite avec David Ritz : When I Left Home - My Story, un bon vieux book paru en 2012. Car quel book, Bob ! Des guys comme Buddy Guy, t’en croiseras pas des tonnes. Buddy est un gentil black de la Louisiane. On voit dès la photo de couve qu’il déborde de gentillesse. Quel sourire ! C’est un artiste complet : gentil et brillant. Il reste avec quelques autres cracks blacks l’incarnation parfaite du blues électrique. Andrew Lauder le qualifie à juste raison de chaînon entre Guitar Slim et Jimi Hendrix.

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             Quand il écrit son autobio, Buddy a 75 balais. Il vient jouer tous les ans à l’Olympia et tous les ans on se dit qu’on DOIT aller le voir, même chose avec George Clinton, et puis on n’y va pas. Parce que c’est limite. C’était limite d’aller voir Chucky Chuckah à la Villette, ce vieux schnoque génial sous sa casquette de yatchman, mais en même temps tu avais clairement l’impression d’arriver après la bataille. Tu préférais rester sur les délicieux souvenirs de son concert ruiné par Jerry Lee à la Fête de l’Huma, en 1973.   

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             Ton copain Buddy commence par le commencement : il a 9 ans et il commence à cueillir le coton avec son père et sa mère, et là, Buddy se met à parler dans sa fabuleuse langue de bluesman - I stood next to my daddy, who showed me how to do the job right - ça sonne comme un vers de blues, tu ne traduis pas : tu écoutes, ça groove. Qui aurait l’idée d’aller traduire les paroles d’un blues ? Dans les années 40, les blacks récupèrent un peu d’électricité, oh pas trop, juste de quoi alimenter une mauvaise ampoule et un vieux phonographe tout pourri. Ces rats de blancs dégénérés gardent toute l’électricité pour leurs sales frigidaires et leur sale bouffe de porcs racistes. Mais Daddy Guy ne dit rien, il est gentil, comme son fils. Tais-toi Buddy et cueille le coton du patron blanc. Sur le vieux gramophone tout pourri, il y a un 78 tours d’Hooky. Buddy est hooké, c’est-à-dire baisé : «Boogie Chillen». Tout part de là - That’s the record that dit it - Pour Ted Carroll, ce fut Bill Haley. Pour Buddy, ce sera Hooky. Puis à l’épicerie du village pourri, Buddy découvre le juke-box, et mieux encore : Muddy Waters et «Rollin’ Stone». Buddy bave. Il demande à l’épicier Artigo où vit Muddy. L’épicier Artigo lui répond «Chicago». Alors Buddy demande si c’est loin, Chicago et l’épicier Artigo lui répond «Real far».

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             Bon, Muddy et Hooky c’est bien gentil, mais les petites gonzesses du village, c’est encore mieux. Buddy est en rut et il t’explique qu’en Louisiane, le sol est tellement humide qu’il faut apprendre à baiser debout - That ain’t easy, but baby, when there’s a will, there’s a way - Il a 15 ans et il adore voir sa little honey lever la patte pour qu’il puisse l’enfiler délicieusement. Il explique plus loin que le blues et l’amour «sont gravés dans le même bois», que c’est la même chose, il est pareillement hanté par le blues et le sexe. Il a cette incroyable intelligence de reconnaître qu’il n’était pas très expérimenté - In the country, boys didn’t learn how to love so good - Buddy raconte aussi une anecdote épicée : un copain à lui baise une blackette dans la boue et au lieu de l’enfiler, il enfile la boue. La blackette lui dit qu’il n’y est pas, alors elle le nettoie et le fait entrer, mais le copain débande. What’s the matter honey? Ain’t it good to you?, et le mec répond que c’est meilleur dans la boue. Le chapitre s’intitule d’ailleurs ‘Love in the mud’.

             Daddy Guy passe aux choses sérieuses. Il sait que son fils rêve d’une gratte, alors il lui en paye une. Voilà le miracle. Dans cette pauvreté abjecte, Daddy Guy accomplit un miracle. Il rachète la gratte de Coot, un chanteur itinérant qui va dans les cabanes gratter quelques chansons pour une pièce ou un verre d’alcool. Coot ne vaut pas laisser sa gratte à moins de 5 dollars. Daddy Guy n’a pas les 5 dollars. Il n’en a que 4. Alors Coot accepte : «Four dollars and a little change might do it.» Alors Daddy Guy réussit à retrouver une pièce dans sa poche. Coot en veut une autre - I got a dime to go with it - Le destin de Buddy Guy vaut alors 4 dollars et 35 cents.

             Le vrai héros du book c’est peut-être Daddy Guy. Quand Buddy lui dit qu’il aimerait partir s’installer à Chicago, Daddy Guy lui donne sa bénédiction. C’est le passage le plus booleversant du book : «Son, if you wanna go, go. Tu ne dois pas te faire de souci pour nous. Je t’ai déjà dit que ta mama et moi n’allions pas mourir tant que tous nos enfants ne seraient pas bien installés and doing good. Quand tu seras à Chicago, you gonna find pretty woman who gonna wanna marry you. Marie-toi avec qui tu veux. Makes no difference to me. Marie-toi avec un éléphant si tu veux, c’est toi qui vas dormir avec. Quant à ton travail, rappelle-toi ceci : je ne veux pas que tu sois le meilleur en ville. I want you to be the best till the best comes around. You hear me, son?».

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             Et le vrai héros de Buddy, c’est Guitar Slim. Il flashe comme un dingue sur Guitar Slim - Slim had a record out, «The Things I Used To Do» that, after «Boogie Chillen» became the biggest record of my life - Buddy ne fait pas les choses à moitié. Il découvre Guitar Slim au Masonic Temple à Baton Rouge - dressed to kill - flaming red suit, flaming red shoes, flaming red-dyed hair - Il le décrit à l’œuvre dans le Temple, avec sa «beat-up Strat» qu’il joue bas, «low on his hip like a gunslinger», avec une bandoulière en fil à pêche et un jack de 100 m de long. Guitar Slim nous dit Buddy ne s’assoit jamais, il gratte ses poux derrière sa tête, gratte le dos au sol, gratte en sautant de la scène, gratte accroché dans les poutres. Il ajoute que Slim ne connaît pas les accords - Slim didn’t know no chords. He was single pickin’ with only two fingers, but those two fingers were causing a riot - Et wham bam : «I wanted to be Guitar Slim.»

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             Buddy donne sa définition du blues à plusieurs reprises. Comme déjà dit, le blues et le sexe pour lui sont une seule et même chose. Plus tard, il parlera du blues avec Muddy qui lui dit qu’il est bien obligé d’enregistrer des hit records, comme «Mannish Boy», «Still A Fool», il ne se plaint pas, pour lui l’essentiel est de maintenir le blues en vie - Just saying that these blues that you and me took from the plantation... man, I just don’t want them blues to die - Mais Buddy lui dit que lui non plus, il ne veut pas voir them blues crever. Et Muddy le visionnaire reprend : «It’s just something we gotta remember. The world might wanna forget about ‘em, but we can’t. We owe ‘em our lives. Wasn’t for them, we still be smelling mule shit.»

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             Plus tard, quand Buddy tourne en Europe avec the American Folk Blues Festival, il se fait huer parce qu’il est jeune et bien coiffé. Les Allemands pensaient, nous dit Buddy, que tous les bluesmen étaient en haillons, vieux et bourrés. Muddy avait été lui aussi déconcerté par la réaction des Européens qui ne voulaient que du blues pur, alors que ça n’existe pas - Blues ain’t no pedigree, it’s a mutt, c’est-à-dire un bâtard, et il ajoute avec un grand sourire : «As far as I’m concerned, mutts are beautiful.»

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    ( Leonard le renard)

             Qui dit Chicago dit Chess. Alors on y retourne, pas de gaieté de cœur, mais bon, sans Chess pas de Muddy, pas de Chucky Chuckah, pas de rien. Buddy commence par faire des sessions pour le compte de Chess. Mais il a du mal à rencontrer Leonard le renard. Le voilà en studio pour remplacer Hubert Sumlin et accompagner Wolf. Buddy a la trouille de Wolf. Il dit que s’il joue des fausses notes, Wolf va le frapper. Alors Willie Dixon (qui organise la session) lui dit que ça n’arrivera pas : la session va durer une heure et tu vas empocher 10 dollars. Buddy entre en studio et s’installe, et c’est là qu’il se fait traiter de motherfucker, pas par Leonard le renard qui le grand spécialiste des insultes, mais par Wolf. Buddy lui répond qu’il ne s’appelle pas motherfucker mais Buddy, alors Wolf dit que tout le monde chez Chess s’appelle motherfucker. Bonjour l’ambiance. Buddy voit qu’on a posé une bouteille de whisky sur le piano, il demande pourquoi à Big Dix qui lui dit que Leonard est rusé comme un renard - Leonard ain’t dumb. Il sait que les records qui ont le son du club se vendent bien, alors il veut le booze on the record. He wants to feel the fire that the folks get to feeling in the club - Puis Buddy découvre peu à peu la réalité matérielle des géants du blues de Chicago. Mis à part Muddy qui a une baraque au 4339 South Lake Park, les autres vivent ric et rac dans des petites piaules, et là, boom, il allume la gueule de Leonard le renard : «Je ne sais pas combien de disques vendait Chess et je ne connais pas les comptes. Par contre, je sais que Chess wasn’t big in sharing the profits.» Tout pour sa pomme, rien pour les motherfuckers nègres. Chaque fois qu’on tombe sur cette histoire, c’est la même chose : crise d’urticaire. Ce rat de Chess s’en foutait plein les poches, et nous on était tous là comme des cons à chanter les louanges du légendaire label Chess. Fuck it ! Et l’enculerie continue avec Chucky Chuckah, puis avec Bo Diddley qui font tous les deux danser les kids d’Amérique - Leonard made big money of Bo - Un Bo qui a fini dans la misère, obligé de vendre ses droits d’auteur pour financer les études de sa fille, tu vois un peu le travail ? Et boom, rebelotte avec Etta James. Buddy se marre : «Je ne dis pas que Leonard n’aime pas le blues, il l’aime, mais il aime encore plus l’argent. S’il pouvait faire du blé avec la polka, il enregistrerait de la polka.»

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             Puis un jour Big Dix dit à Buddy qu’il va enregistrer «First Time I Met The Blues», son premier single sur Chess. Chouette ! Buddy dit qu’il va casser la baraque, mais Big Dix lui répond qu’il n’en est pas question - Leonard likes his records a certain way. You can’t get all wild like you do on stage. Can’t play too crazy. Can’t fuck up the sound none like I seen you do in the clubs. Leonard likes his blues clean - Et voilà le travail. En plus de se faire arnaquer, Buddy se fait museler. Pire encore : Leonard veut que Buddy change de nom. C’est pas qu’il n’aime pas ton nom, lui dit Big Dix, il veut que tu sois un King - Buddy King or King Guy, something like that - Buddy ne veut pas, à cause de la confusion avec B.B. King et Freddie King. Big Dix argumente, disant que c’est précisément la confusion que recherche Leonard le renard - King is associated with strong-selling blues - Alors Buddy lui dit que Muddy don’t got no king in his name et Big Dix rétorque que Muddy est arrivé avant the kings. Mais Buddy refuse de changer de nom, car sa famille à Baton Rouge ne va pas savoir que c’est lui sur le single. Leonard le renard n’est pas jouasse, mais Buddy tient bon. Bien sûr, Leonard le renard fait main basse sur les droits. Mais à l’époque, Buddy s’en branle - I just wanted to make it - Buddy s’est marié et il montre fièrement son single à son beau-père qui éclate de rire : «Ils t’ont donné le disque à la place de l’argent ?». Buddy ne comprend pas. Le beau-père lui pose la question autrement : «Ils t’ont pas payé pour enregistrer ce disque ?». Buddy répond qu’il a signé un contrat et que si ça se vend bien, il touchera des royalties. Alors le beau-père explose de rire : «Son, when those royalties come in, dogs gonna be fucking pigs.» Oui, les poules auront des dents. Et Buddy de conclure : «The man was right». Nada.

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             Buddy fait aussi de très belles pages sur Chicago, la deuxième ville qu’il découvre après Baton Rouge. Il commence par évoquer les grands froids qu’il ne connaissait pas en Louisiane, puis les clubs, dont le fameux Bucket of Blood - I was playing my guitar when one cat drove an ice pick deep into another cat’s neck - Il fait aussi l’apologie de Theresa’s, l’un des clubs les plus légendaires du South Side. Il décrit la taulière comme «a mean-looking lady portant un tablier sale avec deux poches. Dans l’une se trouvait un flingot et dans l’autre une matraque. Theresa was no one to fuck with.» Il joue chez elle et attaque avec une cover du «Further On Up The Road» de Bobby Blue Bland. Buddy explique aussi qu’il démarre son set dans la rue et qu’il entre dans le club en jouant. Il a un jack de 100 m, comme son idole Guitar Slim.

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             Alors il en pleut des idoles à Chicago. Buddy les fréquente tous, Otis Rush, Earl Hooker. L’Otis qu’il décrit est celui des débuts - His guitar was on fire, man, he was something else - Comme tous les autres guitaristes de l’époque à Chicago, Otis Rush joue assis. Buddy monte sur scène avec lui, et Otis lui demande ce qu’il veut jouer - What you wanna play boy? - Buddy répond «Guitar Slim». Et il fout le feu, Otis le laisse jouer. Alors Buddy sort le grand jeu, comme Guitar Slim, gratte dans le dos et la foule adore ça - The more I did it, the louder the crowd - Buddy voit Earl Hooker comme un guitariste d’un niveau supérieur au sien - No way I could compete with the guitarists of the day. I’m talkin’ ‘bout Earl Hooker, the greatest slide man in the history of slides - Il cite dans la foulée Otis Rush, Magic Sam et Freddie King - They was masters, they was monsters, they was killers - De la part d’un killer comme Buddy, c’est quelque chose d’entendre ça. Il rencontre aussi Ike Turner en studio. Ike joue sur une Strat et Buddy se dit qu’il a choisi la bonne gratte. Ike dit aussi qu’il took up guitar because of Earl Hooker. Ike lui demande s’il connaît Earl, Buddy dit «I do» et Ike ajoute : «He got his shit from Robert Nighthawk. You heard him?», et Buddy dit «not yet. I wanna.» Ike lui recommande aussi très chaudement Gatemouth.

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    (Sonny Boy Williamson)

             Buddy voit aussi Lightnin’ Hopkins débarquer chez Chess. Big Dix essaye de lui vendre l’idée des «future royalties» et Hopkins l’envoie sur les roses - Fuck future royalties. Fuck Leonard Chess and fuck you, Willie Dixon. Royalties don’t mean shit to me - Au moins les choses sont claires. Lightnin’ veut 100 $ pour enregistrer un cut - You give me a hundred I give you a song - Lightnin’ sait que dans tous les cas il va se faire baiser. Alors il fait comme le fera plus tard Chucky Chuckah : d’avance et cash. Buddy assiste à la scène. Big Dix insiste, Lightnin’ ne cède pas. 100 $ ou rien. Buddy se dit que Lightnin’ a du pot, car lui, le Buddy débutant, il ne reçoit que 10 $ pour jouer en session. Voilà où en est le blues électrique à l’époque. Oh et puis Little Walter qui s’embrouille avec tout le monde, y compris Junior Wells. Buddy fréquente aussi Sonny Boy Williamson qui au breakfast est déjà assis devant un gros verre de whisky, et qui lance à Buddy : «Morning, motherfucker.» Tout le monde le croit rincé par l’alcool, mais quand il saute sur scène pour attaquer «Don’t Start Me Talkin’», «he burns the house down», nous dit Buddy. Comme Gainsbarre le fera plus tard, Sonny Boy indique que les docteurs qui l’avaient condamné ont tous cassé leur pipe en bois. Sonny Boy se marre comme un bossu. Buddy fréquente aussi B.B. King et il salue son humilité, B.B. n’a jamais chopé la grosse tête, nous dit Buddy. Il fréquente encore Big Mama Thornton. Un soir où il l’accompagne sur scène, il voit Big Mama perdre son dentier en chantant. Elle le ramasse, le remet et continue à chanter. La classe ! Du coup, Buddy rêve d’avoir un dentier pour le perdre en jouant et faire comme Big Mama. Il raconte aussi  une tournée aux États-Unis : ils sont quatre dans la bagnole, le chauffeur, Buddy, Big Mama et Hooky. Hooky et elle ne s’entendent pas très bien - Elle était trop autoritaire pour lui et il était trop contrariant pour elle - Buddy ajoute qu’il a passé son temps à se marrer pendant des heures, à les voir se chamailler - Laughing my ass off - Quand il évoque Jimi Hendrix, il le situe dans la lignée des «spacey players comme Ike Turner, Earl Hooker and especially Johnny Guitar Watson, but Jimi had the balls to carry it into new territory.» Last but not least, voilà Albert King - he was something else - Buddy en brosse le portrait d’un géant - He was also big as a bear and could be twice as mean. Albert stung them strings hard, and ain’t no doubt that he was one of the best. Fixed up a stinging style all his own. Je suis bien content de ne pas avoir eu à bosser pour lui.

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    ( Buddy Guy : Cognac Blues Passion)

             Buddy se forge un style particulier. Il démarre toujours son set à l’extérieur du club. Il ne joue jamais assis. Il peut aussi aller gratter dans les gogues. Il va s’asseoir en jouant à la table des dames seules. Il peut sauter sur le bar et jouer au sol sur le dos. Il joue aussi avec les dents, il joue entre ses jambes, comme le fera Jimi Hendrix. Et par-dessus tout, il maîtrise ce qu’il appelle the big-city electricity - I learned to ride high on electricity - Feedback, disto, Strat commotion, il connaît tout ça par cœur. 

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    ( Artistic,label de Cobra)

             Quand Leonard le renard et Big Dix se sont fâchés, Big Dix est allé bosser pour Eli Toscano chez Cobra Records. C’est Magic Sam qui lui refile le tuyau. Buddy qui vient d’arriver à Chicago est tout excité, car sur Cobra on trouve aussi Otis Rush, Harold Burrage et Betty Everett. Toscano a une petite boutique de disques avec un garage à l’arrière. C’est là que se trouve le studio, comme chez Fortune Records à Detroit, et chez Cosimo le héros à la Nouvelle Orleans. C’est là que Buddy rencontre Big Dix pour la première fois - Willie was a big man. Vingt ans de plus que moi. Il devait bien peser dans les 150 kg, but it was mainly muscle, not fat - Buddy le voit dévorer le poulet, de la même façon qu’il allait dévorer les droits d’auteur. Pour l’accompagner sur son premier single Cobra, Buddy a Big Dix on bass, Otis Rush on back-up guitare, Odie Payne on drums, Harold Burrage on piano & McKinley Eaton on baritone sax. Pardonnez du peu. Puis Eli Toscano va disparaître. Plus de Cobra. Plus de rien.

             En fait, Buddy va démarrer sa carrière en 1959, avec «You Sure Can’t Do» et «This Is The End» d’Ike Turner, ce single sur Artistic, un sous-label de Cobra que Toscano crée pour lui, puis il va sortir une ribambelle de singles sur Chess avant d’arriver chez Vanguard en 1968 pour son premier album.

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             On peut écouter «You Sure Can’t Do» sur une ravissante compile japonaise, This Is The Beginning. Buddy va y chercher le Little Richard au chant. Il a cette ressource extraordinaire ! Et puis voilà l’heavy blues du beginning «Try To Quit You Baby», il te chante ça à pleine gueule. Wild & heavy ! Voilà les deux mamelles de son destin. Il coule encore comme du miel avec «This Is The End». Il a déjà ce génie de l’heavy blues jouissif. Tu n’en finirais plus avec un mec comme lui. Tu as tout qui coule, le chant, les poux, c’est un paradis. Puis il accompagne Jesse Fortune, un black qui chante comme un crack. Sur «God’s Gift To Man», Big Dix lui donne la réplique. C’est du gospel batch. Jesse Fortune fait encore des étincelles dans «Heavy Heart Beat». Il est hallucinant de qualité. Puis Buddy reprend le chant sur «Baby Don’t You Wanna Come Home». Il est déjà un hard hitter, bye bye ! Il passe au heavy blues de rêve avec «I Hope You Come Back Home». Dans son genre, il est le roi du Chicago Blues claqué à l’ongle sec.

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             Et si tu veux écouter les singles Chess, alors mets le grappin sur une autre bonne vieille compile, The Complete Chess Studio Recordings. Buddy est le roi de l’Heartbreaking Blues, comme le montrent au moins cinq modèles du genre, à commencer par «I Found A True Love» sur le disk 1. Il joue en finesse et croise un solo de jazz de round midnite, ‘caus my baby she takes her time. Sur le disk 2, tu tombes sur «My Time After Awhile», le big Buddy blues, chanté à l’éplorée congénitale, puis «Mother In Law Blues» - I’m in love with you babe/ But your mother she got the moooo - et puis «I Suffer With The Blues», où il joue en filigrane dans le chant. Magnifico ! Il te screame encore «Leave My Girl Alone» à la folie - You better leave/ You better leave my girl alone - Te voilà prévenu. La plupart des cuts sont cuivrés de frais, parfois ça vire r’n’b («Slop Around»), parfois good time music («Baby (Baby Baby Baby)»), ou encore groove de jazz («Buddy’s Boogie»). Tout reste d’un très haut niveau virtuosic, avec souvent des solos de sax demented. Les petites déboulades n’ont aucun secret pour lui («Let Me Love You Baby») et on retrouve bien sûr le black cat bone à tous les coins de rue. Il claque de fantastiques solos d’ongle sec («Watch Yourself» et «Stone Crazy») et son «Hard But It’s Fair» fait référence. Quel fantastique artiste ! Il faut le voir jouer dans l’épaisseur du groove de «Molic» - You are born to die - Il est criant de vérité.  Son «Worried Mind» balaye tout le British Blues. C’est complètement aérien, avec une basse et un piano dans la couenne du son - Please stick around with me/ Some time - Et puis il faut entendre ce fat bassmatic dans «Night Flight». Big Dix ? Il compresse bien le son du mambo de Chicago dans «Every Girl I See», et on le voit se battre pied à pied avec ses two many ways dans «Too Many Ways». Il s’implique énormément dans ses heavy blues, toujours à la limite de l’arrachement des ovaires. 

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             Comme d’usage, on garde les meilleurs pour la fin. Les meilleurs ? Muddy, Wolf et Junior Wells. Et là ça ne rigole plus. Buddy a fréquenté tous les cracks de son temps, et il évoque tous ces cracks avec une édifiante bonhomie, t’as pas idée. C’est la raison pour laquelle il faut se plonger dans cette autobio, car Buddy porte sur ses contemporains un regard extrêmement bienveillant. Quand Buddy rencontre Mud pour la première fois, il est frappé par son apparence, ses pommettes hautes et l’éclat de sa peau très noire - His dark skin had a glow - Buddy lit l’homme dans son regard - His big eyes sparkled and showed me his mood - C’est encore l’époque où Mud se coiffe d’une pompadour - His hair worked in a doo was shiny and piled high on his head. He was something to see - Les mots de Buddy sont précieux : ils sont justes et black. Lors de cette première rencontre, Mud demande à Bud s’il aime le salami. Il voit que Bud crève de faim. Mud lui demande d’où il vient. Louisiane - You a farm boy? - «Yes sir», répond Bud. C’est ce qu’on appelle dans une vie un moment magique. Mud et Bud sont tous les deux des farm boys. Bud a suivi exactement le même chemin que Mud, arrivé à Chicago dix ans plus tôt. Leonard le renard demande à Muddy d’enregistrer un album de blues acoustique - He wants it to sound like ol’ time delta - Okay dit Mud, et il impose Buddy comme back-up guitar. Leonard n’en veut pas. Mud tient bon. C’est ça ou rien. Mud lui balance ceci : «Vous voulez the old music ? Well, ce jeune homme la joue même en dormant. Si vous le virez de la session, je rentre chez moi.» Alors Leonard le renard écrase sa petite banane. La scène se déroule en 1963. Non seulement Mud laisse Bud gratter ses poux avec lui, mais il le laisse aussi chanter. Bud est émerveillé : «Quand on a enregistré, j’ai mis ma chaise près de la sienne et j’ai plongé mon regard dans le sien. Je n’ai jamais cessé de sourire. C’est dire si j’étais heureux.» Encore un moment magique dans la vie de Buddy Guy. Certaines pages crépitent de bonheur. On sent le book vibrer dans les mains. Fantastique Buddy Guy et fantastique David Ritz. À la fin de la session, Leonard est ravi, et avec toute l’élégance de rat qui le caractérise, il lance à Bud : «You can sound like an old fart, can’t you?» Pour les ceusses qui ne seraient pas au courant, un fart est un pet. Prout. Leonard aurait dû s’appeler Prout. Leonard Prout. Les blacks de Chess étaient mille fois plus élégants que ce malotru. Puis Bud retrouve Mud à son retour d’une tournée anglaise. «How was England?». «Shitty», lui répond Mud. «They booed me again». Il avait joué à coups d’acou et ça n’avait pas plus aux Anglais, alors que lors de la tournée précédente, on reprochait à Mud de jouer trop fort sur sa Tele électrifiée - They don’t want no quiet-ass folk singer. They want loud - Mud ne sait plus ce que veulent «those English motherfuckers». Il dit même qu’ils ont la tête dans le cul. Mud évoque aussi ces «boys from London they was calling The Rolling Stones, named after one of Muddy’s lines». Mud se marre : «Ils en savent plus sur moi que je n’en sais moi-même.» Buddy rappelle un truc essentiel : Muddy était un homme fier. Il n’aurait jamais accepté de porter une tenue de travail de peintre, comme l’ont affirmé les Stones. Il arrivait toujours sur son 31 chez Chess, coiffé et nickel, costard repassé, pompes cirées - Muddy Waters knew that in Chicago, Illinois, he was boss of the blues - Quand sa femme Geneva casse sa pipe en bois, Muddy est secoué. Et en même temps, le voilà libre. Alors il fait venir chez lui tous les gosses qu’il a faits ailleurs. Buddy affirme que Mud adorait sa femme, mais il menait en parallèle sa vie d’homme. Buddy raconte aussi un concert chez Antone’s, à Austin, Texas, où les bluesmen sont rois - Down there in Texas they was blues crazy - Muddy joue sur scène, et comme c’est son annive, Buddy et Junior Wells le rejoignent avec un gâtö en chantant «Happy Birthday». Alors Mud dit au public : «See these here boys? I know ‘em since they was kids. I raised ‘em.» Moment magique. Un de plus. Mud vient aussi d’enregistrer un nouvel album avec Johnny Winter. Il ne trouvait pas de titre, et comme à sa grande surprise il venait de se remettre à bander, il a opté pour Hard Again - What do you think? - Quelle rigolade ! Buddy n’en finit plus d’adorer cet homme : «I just love saying his name. I just love telling everyone that Muddy Waters was my friend, that Muddy Waters was the man.»

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             The man ! Alors en voilà un autre : Wolf. Un jour Bud demande à Mud pourquoi Hooky a quitté Chicago pour aller s’installer à Detroit. Et Mud lui dit : «Johnny didn’t wanna be around all these heavy-hitters.» Alors Bud dit qu’il ferait bien d’aller lui aussi à Detroit et Mud lui dit non, car Wolf le cherche. What ? Wolf ! Et Mud indique que Wolf joue chez Silvio’s tôt le matin, à 7 h, au moment où les équipes de nuit des abattoirs débrayent - That’s when the Wolf really starts to howl - Mud lui recommande encore de ne pas trop jouer s’il accompagne Wolf, car il n’aime pas qu’on l’éclipse. Si ça ne lui plait pas, il te colle un tas dans la gueule. Buddy va chez Sylvio’s à l’aube et c’est le grand choc de sa vie : «‘Smokestack Lightning’ got wild. Vous n’avez rien vécu tant que vous n’avez pas traîné dans un club de Chicago à l’aube avec tout le monde high on hard whiskey and heavy blues.» Et boom encore avec «Sitting On Top Of The World», «‘cause, baby, he sure is.» Puis Hubert Sumlin vient trouver Buddy pendant le break pour le mettre à l’aise : «Si Wolf veut t’emmener en tournée, pas de problème, je suis d’accord.» Buddy lui répond qu’il ne veut pas prendre sa place. Mais Hubert lui, dit qu’il en a marre du Wolf bourré et brutal - S’il estime que je joue faux, il va me frapper, comme il frappe ses gonzesses - A bon entendeur, salut ! Quand Wolf vient trouver Buddy chez Theresa’s pour lui proposer le job et la tournée, Buddy refuse.

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             Plus tard, après qu’on ait repêché Toscano dans le Lac Michigan et que Leonard le renard et Big Dix se soient réconciliés, on lui propose une session pour accompagner un crack. Qui ? Wolf ! Buddy répond une fois de plus que Wolf a Hubert, et donc il n’a besoin de personne d’autre. Mais Wolf et Hubert se sont bagarrés. Alors Buddy accepte d’accompagner Wolf pour 10 dollars.  

             Et bien sûr, le big buddy de Buddy, c’est Junior Wells. Buddy lui consacre un chapitre entier - Junior Wells gets his own chapter in my book - Il dit aussi qu’il est l’un des craziest characters qui aient traversé sa vie. Il ajoute encore que cette collaboration ne fut pas de tout repos. Buddy le remercie chaleureusement : «tous les deux on a fait une musique que je n’aurais jamais fait tout seul. He inspired me.»

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             En 1972, Buddy Guy & Junior Wells enregistrent Play The Blues au Criteria de Miami. Cet Atlantic un véritable chef-d’œuvre, contenu comme contenant. Pochette magique pour un album magique. Ils démarrent avec un gros r’n’b des faubourgs, « A Man Of Many Words ». Junior mise gros - Let me tell you - et derrière Buddy coule ses rivières de diamants. C’est d’un feeling à peine croyable, le jour et la nuit avec A Man And The Blues. Buddy et Junior inventent une sorte d’enfer - au sens de la température - Le génie du blues s’exprime à travers eux. Junior s’en va screamer de plus belle, alors Buddy coule de plus belle. Aucun blanc ne saurait provoquer un tel frisson. Il faut à Buddy un valeureux screamer comme Junior, voilà le secret. Ensemble, ils sont énormes. Et le riff du cut vaut tout l’or du monde. Ils font ensuite un bon boogie blues, « My Baby She Left Me » et reviennent au heavy blues haut de gamme avec « Come On In This House/Have Mercy Baby ». Junior le prend de l’intérieur du ventre et il fait perler ses eh-youuuuh. Ils ont le pouvoir. They got the power, comme dirait Public Enemy. Ils sont les rois du blues. Ils ont une classe folle. Et ils mettent la ville à sac - mercy mercy babe - avec le feeling du diable. Ils rendent un bel hommage à T-Bone Walker avec « T-Bone Shuffle » et vont droit dans le boogie voodoo avec « A Poor Man’s Plea » que Junior chante avec une hallucinante autorité divine. La perle noire se trouve en fin de B : « Honey Dripper ». Ils amènent ça avec une infinie délicatesse et ils se mettent à sonner comme des anges noirs.

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             Buddy et Junior furent enregistrés à Montreux en 1978 pour un album live bien sympathique. Ils rendent hommage à Guitar Slim avec « The Things I Used To Do », ce vieux slow blues d’anticipation carabinée joué à la bonne franquette mélodique. Buddy chante et pousse des petits yahhh du meilleur effet. Ils essaient d’allumer « Help Me », mais ils le laissent sous le boisseau et ne le font pas exploser, comme sut si bien le faire Alvin. C’est Junior qui chante sur toute la B et il commence par exploser « Come On In This House ». Il fait goutter le jus de ses voyelles. Quel fabuleux shouter ! Puis il attaque « Somebody’s Got To Go » du gras du menton. Junior Wells n’est pas homme à se méprendre, bien au contraire. C’est un pro du gras de Chicago.

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             Junior fut le joueur d’harp qui remplaça Little Walter dans le groupe de Muddy - Chosen by Mud, he had to be great - Junior vient de West Memphis et il est arrivé à Chicago en 1946. Il avait 11 ans. Quand il demande à Sonny Boy Williamson II, c’est-à-dire Rice Miller, de lui montrer des trucs à l’harp, Rice l’envoie promener, «Motherfucker, you too dumb and stupid», et quand Junior insiste, Rice sort une lame. Dégage ! Puis Muddy prend Junior sous sa protection, devant un juge. Il se porte garant pour Junior qui allait droit au placard après une sale bagarre. Quand ils sortent du tribunal, Junior veut monter dans un bus et Muddy lui ordonne de monter dans sa bagnole. Junior renâcle, «Pas question, j’ai des trucs à faire», et il bouscule Muddy qui sort un flingot. Alors Junior obéit et monte dans la bagnole - That’s when I knew I had a daddy - C’est dire à quel point Muddy est une figure centrale de cette scène. Junior va bien sûr habiter chez Muddy. Geneva et Mud lui demandent un petit loyer et quand Junior apprend que d’autres mecs logent gratis, il sort une lame pour menacer Muddy. Fatale erreur. Muddy ne cille pas. Il se lève et bam, il gifle Junior. Puis il l’attrape par le colback et lui dit : «Je vais tellement de démolir la gueule que tu ne pourras plus jouer d’harp.» Alors Junior s’est calmé. Buddy ajoute que Junior avait un autre problème : il croyait que James Brown lui avait volé son thunder

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             Le dernier album en date du grand Buddy s’appelle The Blues Don’t Lie. Tout un programme. Il commence par dire qu’il laisse sa gratte parler à sa place avec «I Let My Guitar Do The Talking», un heavy blues de haut vol. Il raconte son enfance en Louisiane - I made my own rules - Et Buddy monte tous les étages de la démesure. Quel déluge de son, les amis ! Même Noé n’en reviendrait pas. Ça grouille de coups de génie sur cet album, tu vas commencer à te gratter avec «Symptoms Of Love», big boogie down. C’est là qu’il fait la différence. Il gratte ses gros poux sur sa Strato à pois, c’est solide et bien enfoncé du clou, il bourre sa dinde, le wild Buddy. Il est bien plus rock que ne le seront jamais les petits culs blancs. Tu te grattes encore avec «Well Enough Alone», il y va à coups de mojo et de black cat bone et il t’explose l’heavy boogie blues. Il dicte sa loi. Il redore le blason du Black Power. Il est plus funky avec «What’s Wrong With That». Il est assez extraordinaire, car il a tout le son du monde - Please tell me what’s wrong with that - Il veut savoir - I’ve been around the bush - Il connaît la chanson, ne prend pas Buddy pour un con ! Bobby Rush chante en lead et il se tourne vers son buddy Buddy : «Buddy Guy play some guitah for me !». Alors Buddy plays some guitah. Il passe ensuite au big boogie avec «House Party» - It’s Buddy Guy time - Il joue son va-tout de géant. Il est imparable par nature. Et par excellence. «Sweet Thing» sonne comme un heavy blues d’extasy, Buddy ramène de la pulpe dans le son, il gratte du jus, c’est plein comme un œuf, c’est l’heavy blues de la perfection. Grosse intro pour «Backdoor Scratching» et te voilà fixé par la fixture. Buddy se balade comme un crack. Et dans «Rabbit Blood», il te balance ça : «I swear the girl’s got rabbit blood/ I met no woman can do me like she does.» Il a génie du blues. C’est là que se joue son destin. On monte encore un cran dans l’apothéose avec le genius swing de «Last Call», il te groove le jive sans frémir et il termine ce round-up avec une glorieuse cover de «King Bee», il la tape à coups d’acou et à coups de Girl I can buzz around your hive. Sexe pur en hommage à un autre géant, Slim Harpo.

    Signé : Cazengler, Guy mauve

    Buddy Guy. This Is The Beginning. P-Vine Records 2001

    Buddy Guy. The Complete Chess Studio Recordings. MCA Records 1992

    Buddy Guy & Junior Wells. Play The Blues. Atlantic 1972

    Buddy Guy & Junior Wells. Live In Montreux. Black & Blue 1978

    Buddy Guy. The Blues Don’t Lie. RCA 2022

    Buddy Guy & David Ritz. When I Left Home. My Story. Da Capo Press 2012

     

     

    L’avenir du rock

     - Lemon incest

     (Part Three)

             Boule et Bill interpellent l’avenir du rock :

             — Ça fait trois fois que tu ramènes les Lemon Twigs, avenir du rock. Tu ne crois pas que t’exagères un peu ? T’as vraiment décidé de nous prendre pour des cons ?

             — Si vous écoutiez les albums, vous ne feriez pas ce genre de remarque. Vous seriez comme moi impatient de voir arriver le Part Four.

             — Pffffff, non seulement t’es un gros con, mais en plus, t’es prétentieux.

             — Noël Godin te traiterait même de pompeux cornichon, avenir du broc !

             — T’es pédant comme un phoque, avenir du troc. Tu serais pas fils unique par hasard ?

             — Mon cher Boule, tu me fais penser à une copine dont la laideur morale n’avait d’égale que sa laideur physique, mais lui dire, ça aurait pu certainement la blesser, alors que toi, tu survivrais à tout, même à ta propre vacuité. Tu me fais pitié, mon pauvre ami.

             — Oui, mais quand même, un Part Three sur les Lemon Twigs, c’est du rabâchage, dans le contexte d’une rubrique censée trier le bon grain de l’ivresse...

             — Pas l’ivresse, Bill, l’ivraie. Si tu veux qu’on discute un peu, apprends à parler le français.      

             — Boule a raison, t’as rien compris, avenir du rôt ! Tu te prends pour le nombril du monde. L’ivresse ! J’aurais pu te dire livresque ! Ou levrette, comme Limon qui lime ton twat de Twig !

             Boule embraye aussi sec :

             — Ou Lemon de Venus qui tweete une twarte à la crème !

             — Ou Limon du delta sous la twante de Twiggy !

             Boule et Bill rient de bon cœur. Ils sont très fiers d’avoir réussi à fermer le clapet de l’avenir du rock. Quelle sera leur prochaine étape ? Le diable seul le sait.

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             Si tu cherches les héritiers de Brian Wilson et des Beatles, pas compliqué : ils s’appellent The Lemon Twings. Leur nouvel album A Dream Is All We Know grouille de preuves.

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    La première preuve s’appelle «My Golden Years». Alors attention, ça part en mode wild pop drivée de main de maître, ça reste incroyablement tendu de bout en bout, monté sur un beat glorieusement turgescent et boom, ça se termine en final à la Brian Wilson. Chez les frères D’Addario, ça éclot de bout en bout. Tu veux encore du pur Beach Boys sound ? Alors saute sur «In The Eyes Of The Girl». The most perfect Wilson sound depuis Brian Wilson. Ils ré-explosent un univers déjà explosé, celui de la grande pop harmonique. Stupéfiant ! Qui aurait cru ça possible ? Tu veux les Byrds ? Alors saute sur «If You & Me Are Not Wise». Ils descendent en profondeur dans l’excellence des Silver Sixties, ils ramènent même le jingle jangle. Cet album des Lemon Twigs est sans le moindre doute le plus bel album sixties du XXIe siècle. Les frères D’Addario ré-allument tous les brasiers fondateurs : Beatles, Byrds, Beach Boys. Tu veux les Beatles ? Alors saute sur le morceau titre. Ça passe en force au All I know. C’est extrêmement Beatlemaniaque, ils réincarnent le génie de John Lennon. Là tu touches du doigt le real deal. Les frères D’Addario ont ce type de talent magique. Avec «How Can I Love Her More?», ils persistent tellement qu’il tapent dans un au-delà de la pop communément admise. Ils flirtent même avec le glam dans «Rock On (Over & Over)». Ah ils savent driver un stomp d’heavy glam, pas de problème, ils t’éclatent ton pauvre petit Sénégal et même ta copine de cheval. Ils sont fabuleux d’à-propos, mais le cul entre deux chaises, le glam et le «Do It Again» des Beach Boys de l’âge d’or. Encore de la magie pop dans «Peppermint Roses». C’est inspiré à pleins poumons.

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             Comme un bonheur n’arrive jamais seul, les voilà sur scène, Brian D’Addario sur une douze rouge pailletée qui sent bon les Byrds et tout le tintouin, et son frangin Michael sur une Ricken pour l’anglicité des choses de la vie, et là, franchement, t’as tout, absolument TOUT : le son, la classe, l’âge d’or des sixties, le punch, les harmonies vocales, l’anti-frime, la fraîcheur de ton, l’énergie, les boots, la virtuosité de bon escient, la basse Hoffner et même les monster drives de McCartney, les killer solo flash, les hits, à commencer par «My Golden Years», la magie scénique, les sauts en l’air,

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    le mouvement perpétuel, les Byrds («If You & Me Are Not Wise»), les Beatles («A Dream Is All I Know»), la magie pop («Peppermint Roses», exactement comme sur l’album), t’as aussi les mélodies, les intrications, les mics-macs d’arpèges à la Roger McGuinn, le sens du boogie («Rock On»), un professionnalisme à toute épreuve, en un mot comme en cent, t’as sous les yeux des superstars.

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    Zéro temps mort. Effervescence à tous les étages en montant chez Kate. Ils sont tellement brillants qu’ils dépassent un peu les bornes, t’es en permanence aveuglé par leur éclat, ils amènent la pop à un niveau jusque-là réservé aux Byrds, aux Beatles, aux Beach Boys et à Todd Rundgren. Et ils semblent le faire avec une facilité déconcertante. Ils évoluent sur scène avec des pieds ailés, et quand Brian attaque un drive de basse sur l’Hoffner, il carapate ses notes à coups de médiator, jouant deux fois plus de notes que n’en joua jamais McCartney. Et pour ce mec à peine sorti de l’adolescence, c’est encore un jeu. Il joue le visage couvert de cheveux, avec un sourire quasi-permanent.

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    Son frère Michael adore faire rigoler la salle. Il casse corde sur corde sur sa Ricken et continue sur une Tele. Ils font aussi tourner les instrus. Michael bat le beurre sur trois/quat’ cuts et il n’en finit plus de faire rouler les baguettes entre ses doigts. Tout n’est qu’un jeu. Le Grand Jeu. En 90 minutes, ils font le grand tour de la grande pop, la seule qui vaille, celle d’avant, cette pop magique qui n’a jamais pris une ride et qui n’en prendra jamais. L’extraordinaire complicité des d’Addario brothers te bluffe.

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    Comme les frères McDonald (Redd Kross), ils perpétuent une tradition instaurée par les frères Wilson et les frères Davies, qui est celle d’un brotherhood magique. En rappel, Brian revient jouer trois/quat’ cuts en acou, dont le fabuleux «Corner Of My Eye» tiré d’Everything Harmony, et que certaines personnes reprennent en chœur dans la salle. Pur showmanship à la John Lennon. Puis ils finissent en apothéose avec l’effarant «How Can I Love Her More» et une intrépide cover du «Runaway» de Del Shannon. Tu sors de là transformé.   

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             Ça crache des flammes dans les canards anglais : James McNair fait quatre pages de Lemon Twigs dans Mojo, et Jon Mojo Mills deux dans Shindig!. Les frères d’Addario n’en finissent plus de clamer leur allégeance aux Beatles et aux Beach Boys. On les traite d’ailleurs de Mersey-Beach. Ça fait bien marrer les deux frères - We love the simplicity of the Beach Boys sound, which was a combinaison of Chuck Berry and The Four Freshmen - Jon Mojo Mills les qualifie aussi d’«unstoppable». Sur scène, ils sont accompagnés par Reza Matin des Uni Boys, et un vieux copain, Danny Ayala. Michael D’Addario compare d’ailleurs Reza Matin à Bev Bevan, le beurre des Move. Pour Mills, «My Golden Years» sonne comme du «12-string Beatles meet Beach Boys with a dose of The Monkees and The Raspberries». Michael d’Addario cite aussi «a few key examples», «everything Zombies, The Stones’ ‘She’s A Rainbow’, The Left Banke.» Mills retrouve du Turtles dans «How Can I Love Her More» et Roy Wood dans «Church Bells», à cause du cello. Michael cite aussi Amen Corner, puis les Flying Burritos Brothers, The Mirage et The Notorious Byrds Brothers. Et Mills de conclure, affolé de bonheur : «The Lemon Twigs are the ultimate Shindig! band. Don’t miss this album. It won’t let you down.»  

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             McNair tape sensiblement dans le même registre : il les dit «beloved of Todd Rundgren, Colin Bluntstone and Big Star’s Jody Stephens», trois superstars qui les ont réclamés sur scène.  Michael et Brian se disent alarmés par le temps qui passe - The album is aiming for something timeless - Comme les Beatles, les Byrds et les Beach Boys avant eux, ils cherchent à enregistrer une pop intemporelle - Les gens qui ont enregistré nos albums favoris y ont mis beaucoup de soin. The Beach Boys being the absolute pinacle of that. That’s what we’re chasing - Et voilà qu’ils évoquent des albums solo à venir, Gifts - a goofy Fith Dimension/Jimmy Webb-style collaboration with Sean Lennon - un flexi-disc qui sera distribué gratuitement, et puis un album du père, Ronnie d’Addario, avec Todd Rundgren et le fils d’Al Jardine. Quand les frères d’Addario ont accompagné Todd sur scène en 2017, c’était pour eux comparable aux Teenage Fanclub accompagnant Alex Chilton - Your heroes love it when you’re a young band and you can just nail it - Le mot de la fin revient à une certaine Nathalie Mering : «Les Lemon Twigs ne sont pas vos typical hipsters. Ils essayent de créer des great pop songs dans un monde où tout le monde croit que tout a déjà été fait, et de leur part, c’est pretty brave, c’est-à-dire très courageux.»

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Lemon Twigs. A Dream Is All We Know. Captured Tracks 2024

    James McNair : The Lemon Twigs. Mojo # 366 - May 2024

    Jon Mojo Mills. Sweet Vibrations. Shindig! # 150 - April 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Si Pete a ri, Molinari aussi

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             D’une certaine façon, l’avenir du rock préfère les gens qui rient à ceux qui pleurent. Il préfère les joyeux drilles aux bouches d’ombre et aux figures de cire du Musée Grévin, il préfère les Rabelaisiens et les boute-en-train aux épluchures humaines qui s’abreuvent de journaux télévisés et d’actualité politique, il préfère les hilares et les zutiques aux têtards desséchés et aux virtuoses de la déconvenue. D’un côté le pas ailé et de l’autre la semelle de plomb, d’un côté le verre à moitié plein et de l’autre le verre à moitié vide, d’un côté dix commandements dont le premier dit : «Tu riras tant que tu vivras», et de l’autre, dix commandements dont le premier dit : «Tu ne riras point», d’un côté le gardon et son écaille étincelante, de l’autre la tanche huileuse de vase puante, d’un côté l’aube de la vie et de l’autre le poids des ans, d’un côté «Je ris de me voir si belle en ce miroir», et de l’autre «Ô rage ô désespoir» et son corollaire en forme de train de marchandise, «N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?», d’un côté le blanc des robes de printemps, et de l’autre le noir usé des mises de Presbytériens aussi calvitiés que calvinistes, d’un côté Hulot et de l’autre Godot, d’un côté tu mouftes et de l’autre tu ne mouftes pas, d’un côté chatouille-moi et de l’autre torture-moi, d’un côté Louis Armstrong et de l’autre les champs de coton, d’un côté le flatteur, c’est-à-dire Maître Renard, et de l’autre le flatté, c’est-à-dire Maître Corbeau, d’un côté la paix et de l’autre la guerre, d’un côté la liberté et de l’autre le profit, d’un côté Jean-qui-rit et de l’autre Jean-qui-pleure, d’un côté la Vache qui rit et de l’autre les abattoirs, d’un côté la mare aux canards et de l’autre le magret de canard, d’un côté les Oies du Capitole et de l’autre le foie gras et cet immonde corollaire que sont les grosses rombières réactionnaires, d’un côté le carrosse de Cendrillon et de l’autre le 4x4 dernier cri, d’un côté Charlot et de l’autre Hitler, d’un côté Moonie et de l’autre Thatcher, d’un côté l’horizon et de l’autre la tombe. Mille raisons pour lesquelles l’avenir du rock apprécie tant Pete Molinari.

             Qu’on ne se méprenne pas : Pete Molinari n’est pas un comique, même si par sa consonance, son nom laisse supposer le contraire. Pour l’avenir du rock, ça tombe sous le sens : Pete a ri, alors Molinari aussi. C’est du tout cuit. Un tout-cuit dont il aurait une (fâcheuse) tendance à abuser. N’étant pas d’une nature à se réfréner, l’avenir du rock y va de bon cœur.

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             Ben Graham y va aussi de bon cœur. Zou ! Quatre pages dans Shindig!. Pour dire quoi ? Pour dire qu’il forge «a musical triumph from the ashes of disillusionment.» Pas mal, le Ben. Un Ben qui indique en outre que Molinari s’est installé à Los Angeles avec sa femme Mila, la danseuse brésilienne. Originaire du Kent, Molinari se dit surtout américain, à cause de Dylan, Hank Williams, Leadbelly, Woody Guthrie and Billie Holiday. Il a commencé par s’installer à New York puis il est allé enregistrer Just Like Achilles à Los Angeles, histoire de s’enraciner dans le mythe de Laurel Canyon. Puis il est reparti à Rome enregistrer Wondrous Afternoon pour se ressourcer dans Motown et Burt. Il indique au passage que son père écoutait de l’opéra et il a grandi avec Maria Callas et Pavarotti, ceci expliquant cela. De père égyptien et de mère maltaise, with an Italian heritage, le p’tit Pite s’est retrouvé au carrefour des cultures. Mais ses principales influences sont ce que le Ben appelle «classic Soul music» : Motown, Stax, Burt Bacharach, Phil Spector, d’où l’idée de laisser tomber Dylan et de faire un album plus Soul avec Wondrous Afternoon.

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             Délicieuse galette de plastique noir ! Un style c’est sûr. Casquette pied de poule, lunettes noires et manteau en léopard, une espèce de mix Dylan 65/Flaming Groovies. Groove et voix de nez dès le morceau titre. Tu prends immédiatement ta carte au parti. «Wondrous Afternoon» sonne comme une ravissante Beautiful Song. Tu ne peux pas te tromper : le p’tit Pite sonne comme un élu. L’autre merveille événementielle se niche en B : «Always Letting Go». Pop de haut niveau, avec un groove aventureux. C’est d’une justesse infernale - Love is always letting go - «Cezanne Cezanne» ne concerne pas le peintre, mais une gonzesse qui s’appelle Cezanne. Avec «Narcissus», il va plus sur le r’n’b - Narcissus is your second name - Le balda est une chef-d’œuvre de groovytude, «Only When I Love» balance entre deux mers, et avec «You’re Poetry To Me», il prêche la paix sur la terre. Il te berce littéralement. Le p’tit Pite adore le groove. C’est un bec fin. Il reste poppy mais judicieux.

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             Comme il a grandi dans le Medway Delta, patrie des garagistes britanniques, il était logique que son premier album, Walking On The Map, soit produit par Wild Billy Childish «in the latter’s Chatham kitchen.» Le p’tit Pite était gosse quand Billy tournait «with his bands and stuff». Le p’tit Pite n’est pas une oie blanche. Il allait chez Billy lire ses books de poésie. L’album Walking On The Map date de 2006. C’est un énorme hommage à Bob Dylan. Le p’tit Pite fait du Dylanex pur et dur, au sucre insistant. Tout est monté sur les coups d’harp et tout est chanté avec une pince à linge sur le nez. Le p’tit Pite se prend clairement pour le nouveau Dylan. Bizarre que cet album sorte sur Damaged Goods qui est un straight label gaga. Le p’tit Pite remet sa pince à linge pour attaquer «The Ghost Of Greenwich Village». Il tape en plein dans la mythologie dylanesque. Il arrose «I Just Keep It Inside» de gros coups d’harp. Le pied de poule de son cache-col en laine renvoie bien sûr au costard pied de poule que Dylan portait à l’Albert Hall en 1965. Le p’tit Pite bascule de plus belle dans son délire dylanesque avec «The Ballad Of Bob Montgomery». Le pire, c’est qu’il en a les moyens. Il se veut insistant et tape en plein dans le mille. Il s’amuse avec un yodell de bonne franquette dans «What Use Is The Truth To Me Now», ce mec est superbe, il soulève de très vieilles vagues de fake Americana. Molinari aurait-il du génie ? Oui, de toute évidence. Tout chez lui sonne vrai : les coups d’harp, le gratté de poux, le chant pincé, il tape en plein dans le mille. Il frise parfois le ridicule («Alone & Forsaken»), mais on l’écoute. Il chante «A Lonesone Episode» d’une voix de canard, franchement si ce n’était pas écrit «Molinari» sur la pochette, on croirait entendre Dylan. Il n’en démord pas, jusqu’au bout de l’album, il reste en plein dedans, même ampleur de routine, même moteur artistique, même empreinte digitale.

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             Sur A Visual Landcape paru deux ans plus tard et enregistré chez Toe Rag, on retrouve du Dylanex : «One Stolen Moment», «Look What I Made» et «Sweet Louise» tapent en plein dans la mythologie. Le p’tit Pite doit être obsédé. Il y va à l’Absolutely Sweet Louise, clin d’œil appuyé à l’Absolutely Sweet Mary. Il refait sa fake Americana avec «Dear Angelina», pur jus de Tex-Mex d’El Paso à la Doug Sahm, c’est de bonne guerre. Et puis, voilà les coups de génie, à commencer par «It Came Out Of The Wilderness», fabuleux shoot d’exaction sucrière. Il a une voix très pointue, et derrière ça sonne comme au temps du Bringing It All Back Home. Terrific ! Vraie profondeur de champ, il ramène du génie dylanesque dans sa fière allure. C’est très métabolique. Encore de la profondeur de champ sur «Adelaine», et retour au grand art avec un «I Don’t Like The Man That I Am» beau et tendu. Oui, il a un truc, le p’tit Pite, avec son inside my head. Il est franc du collier - I can’t love you/ Cause I don’t like the man that I am - Sa franchise l’honore.

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             Avec A Train Bound For Glory, ses albums commencent à sonner comme des albums classiques. On le voit swinguer la pop-rock de «Streetcar Named Desire» avec une insolence de coming back again, les chœurs font shut up, shut up, c’est extraordinaire de bravado, et les vents de la ville emportent les poux qu’il gratte. Il renoue avec l’éclat de Streetcar dans «Willow Weep For Me». Le p’tit Pite la joue fine, il sait gérer les small dynamiques et il chante d’une superbe voix de canard. Quel artiste ! Encore plus musculeux, voici «Little Less Loneliness». Il shake son hip d’hipster, ça swingue sous le galure, le p’tit Pite est un fantastique mover shaker. Nouveau coup de Jarnac avec «New York City» tapé au heavy piano. Ptoufffhhh ! Il y va à l’heavy dumb d’I alive in New York City. Quelle débinade ! Il fait du power bananas. Il repique une petit crise de Dylanex avec le morceau titre. On se croirait sur Another Side Of Bob Dylan.

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             Il revient en force en 2014 avec Theosophy. L’album grouille de puces, tiens comme par exemple l’«Hang My Head In Shame» d’ouverture de bal, chanté à la voix de fiotte trempée d’écho, mais c’est énorme, bien balancé, c’est du Molinari de big time, avec son éclatante foison de poux. Il chante d’une voix d’escalope fine, c’est très spécial. Il faut s’y habituer. Attention à «Evangeline», car c’est du wild as fucking fuck. Sa voix colle bien au stomp. Le p’tit Pite sait claquer l’heavy pop d’un hit. «I Get It All Indeed» sonne un brin Velvet, t’as là un balladif sur-vitaminé embarqué à l’up-tempo. Il oscille parfois entre le Dylanex et la féminité («When Two Worlds Collide»), le p’tit Pite est un mec curieux et attachant. Il flirte en permanence avec le génie pop, comme le montre encore «What I Am I Am». il recherche l’effet Totor/Brill, il a cette volonté de vaincre à coups de Sweet Lord. Encore du rentre dedans avec «Mighty Son Of Abraham». C’est même assez religieux. Shindig! a raison de lui dérouler le tapis rouge. Ce furet de p’tit Pite fout son nez partout : le voilà dans l’heavy blues avec «So Long Gone». Il termine cet excellent album avec «Love For Sale», couché sur canapé d’heavy Sound. Il taille vraiment bien sa route. Il sait mettre son côté voix de fiotte en valeur et en faire un atout, une sorte de sucre avarié, un peu divin.

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             Paru en 2022, Just Like Achilles est un tout petit moins dylanesque que ses prédécesseurs. La seule trace de sa passion dévorante pour le grand Bob se trouve dans «Steal The Night». Il y ramène les deux mamelles dylanesques, la voix et le sens mélodique. Pour le reste, il cultive sa belle aisance du singalong. Il est si parfaitement à l’aise, il faut le voir chanter à l’encan dévolu ! «I’ll Take You There» est plus enjoué, plus orienté vers les hit-parades. Mais au fil du balda, on sent qu’il peine à fournir. Comme s’il se tarissait en s’éloignant de Dylan. Alors il y revient avec «Waiting For A Train». Il ouvre sa B avec la pop pure et fraîche de «You’ve Got The Fever», une vraie fontaine de jouvence. Et plus loin, il nous cale son morceau titre, un joli shoot de pop molinariste gorgeous et bien enlevée.

    Signé : Cazengler, Pete Molinaridicule

    Pete Molinari. Walking On The Map. Damaged Goods Records 2006

    Pete Molinari. A Visual Landcape. Damaged Goods Records 2008

    Pete Molinari. A Train Bound For Glory. Clarksville Recordings 2010

    Pete Molinari. Theosophy. Cherry Red 2014

    Pete Molinari. Just Like Achilles. Blind Faith Records 2022

    Pete Molinari. Wondrous Afternoon. Blind Faith Records 2023

    Ben Graham : Restless Soul. Shindig! # 145 - November 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Un flirt avec les Flirtations

             Pour un flirt avec Fleur/ Je ferais n’importe qui/ Pour un flirt/ Avec Fleur. C’est en quelque sorte la chanson qu’on aurait pu chanter cette nuit-là. Le hasard qui fait toujours bien les choses avait rassemblé une équipe de fêtards autour d’une pompe à bière, quelque part au centre de la douce France/ Doux pays de mon enfance. Nous étions tous invités dans le cadre d’une université d’été. Mes universités/ C’était pas Jussieu/ C’était pas Censier/ C’était pas Nanterre, non c’était encore autre chose, en tous les cas, la pompe à bière était gratuite et les gens n’envisageaient pas d’aller coucher au panier. Grosse ambiance, sauvagement encouragée par la gratuité des choses. Tout le monde en avait comme on dit dans les bars ‘un sacré coup dans la gueule’. Alors ça rigolait et ça titubait, comme au temps des fêtes païennes, lorsqu’on s’abreuvait aux amphores. On se faisait des réflexions stupides du genre «oh j’ai jamais bu autant de bière», mais on s’amusait surtout à voir jusqu’où on pouvait aller trop loin. On causait avec les ceusses qui nous causaient, on rigolait d’un rien et puis soudain, un petit bout de femme surgit de nulle part pour engager la conversation. «On se connaît !». «Ah bon ?». Elle relata les circonstances. «Mais oui bien sûr !». Souvenirs d’une autre fête. Ses souvenirs étaient précis. Petite, cheveux teints en rouge, d’obédience punk, elle semblait parfaitement à l’aise dans la gestion des conversations prévues pour durer des heures, blih blih blah blah, et comme on se trouvait juste à côté de la fontaine de jouvence, on se ravitaillait mécaniquement. Elle ne disait jamais non, au contraire. Lady Fleur tenait remarquablement bien le choc. Admirable ! Elle semblait contrôler sa déliquescence cérébrale. Aussi increvable que la fontaine magique qui n’en finissait plus de transformer cette fête en beuverie dionysiaque. Lady Fleur chopait un titubeur de temps en temps pour me le présenter, Je suis sous sous sous/ Sous ton balcon/ Comme Roméo ho ho, ah comme on s’amusait bien en ce temps-là, un temps que les jeunes de vingt ans/ Ne peuvent pas connaître. Elle disparut au lever du jour. Et bien sûr, le fût de bière rendit l’âme. Il restait heureusement quelques bouteilles de vin sur la desserte.

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             À une autre époque, on chantait Pour un flirt avec les Flirtations, ce qui revient au même. Il s’agit de la magie des rencontres. Les Flirtations avaient en ce temps-là un hit faramineux, «Nothing But A Heartache», qui fédérait tous les états. Comme P.P. Arnold, ces trois blackettes américaines eurent l’idée géniale de faire carrière à Londres.

             Originaires de Caroline du Sud, Earnestine et Shirley Pearce montèrent les Flirtations en 1964 avec l’Alabamienne Viola «Vie» Billups. Vie commence par dire qu’elles sont bien meilleures que les Supremes, et comme elle a flashé sur les Beatles, elle dit aux sœurs Pearce qu’il faut aller à Londres, car c’est là que ça se passe.

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             Dans Shindig!, Andy Morten leur accorde huit pages, un vrai traitement de faveur ! Il rappelle que Vie tenait la barre. Elle savait que les Flirtations étaient énormes, alors direction London. Là au moins elles pourraient s’imposer. Elles débarquent en 1967, en plein Swinging London. C’est lors de leur deuxième voyage à Londres qu’elles s’installent dans un hôtel à Bayswater. Elles ont quelques contacts, dont l’agent des Foundations, this guy Rod, qui les amène chez Barry Class, le manager des Foundations. En sortant de chez Class, elles croisent Wayne Bickerton et Tony Waddington qui leur demandent si elles sont chanteuses.

             — Yeah !

             — Wait a minute !

             Bickerton les ramène chez lui et sa femme Carol leur chante les cuts qu’il compose avec Waddington. Ils ont des hits à leur proposer. Et quels hits ! Comme Bickerton est A&R chez Deram, il présente les Flirtations à son boss Dick Rowe qui les adore et qui les signe aussi sec. En 1968, elles ont déjà un contrat chez Deram, un producteur et des compos de tous les diables. Dès le lendemain, elles entrent en studio avec la crème de la crème du gratin habituel, Big Jim Sullivan, Herbie Flowers.

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             Les Flirtations furent d’une certaine façon les petites reines de la Northern Soul à domicile. Leur album Nothing Like A Heartache paru en 1969 s’appelle aussi Sounds Like The Flirtations. Pour parler crûment, c’est une bombe, mais une bombe particulière : une bombe de Soul anglaise dopée au big sound et bardée de chœurs d’écho à l’anglaise. Pour Andy Morten, c’est l’album parfait : «12 tracks that ooze class and sophistication.» Quelle classe ! Le morceau titre t’emporte aussitôt la bouche. Tu assistes à l’éclosion du good old fucking genius en plein cœur du Swinging London - Perfect combination of acid rock and sweet Soul - C’est Earnestine qui chante lead. Et ça continue avec «This Must Be The End Of The Line» et une prod extraordinaire de Wayne Bickerton, avec des trompettes. On reste dans le son Bickerton avec «Stay», l’absolute beginner des Flirts, elles t’alignent le Stay sur une harmonie vocale forcée vers le haut. Comme on l’avait déjà constaté avec Sharon Tandy, le son anglais peut être explosif. Nouvelle dégelée avec «How Can You Tell Me?», c’est Motown avec le freakbeat anglais. Power blast ! Elles te jerkent encore «Need Your Loving», elles sont comme bombardées au sommet, tu n’as même plus le temps de chercher tes mots, tellement ça palpite dans la marmite. Motown à la puissance dix ! Big beat so far out ! Tout est bourré de son jusqu’à la gueule, comme on le dit d’un canon.

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    Cet album est une totale apocalypse d’excelsior. Il pleut du son, petite bergère ! Range tes blancs moutons ! Ça monte encore d’un cran avec «Once I Had A Love», elles se cognent au plafond du haut de gamme, elle te clament tout à la clameur. Même plan que P.P. Arnold avec «Love Is A Sad Song». Soul de rêve en Angleterre. Elles pulsent jusqu’au délire. Si par bonheur tu as chopé la red RPM, tu vas t’étrangler avec des bonus de rêve : «Keep On Searching» et «Everybody Needs Somebody», tous les deux tapés à l’anglaise, au wild rocking blast, avec les voix des filles de Motown, c’est extrêmement vivace, elles chantent comme des folles et ça vire glam ! Elles tapent l’Everybody au power extra-sensoriel, dans un délire de violonades, le son claque à un point qu’on n’imagine même pas. Nouveau mélange de Motown et d’UK power.

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             Elles ont trois pages dans Uncut pour évoquer leurs souvenirs de débutantes, et plus précisément l’enregistrement du morceau titre de Nothing But A Heartache (aka Sounds Like The Flirtations). Earnestine commence par rappeler qu’il y avait trop de girl groups aux États-Unis. Elle dit aussi que Vie adorait les Beatles. D’où l’idée d’aller tenter le coup à Londres. Vie prend la parole : «So a wild woman like myself turned up and said ‘Let’s get on that plane.’» Tony Waddington qui va flasher sur elles donne d’impressionnantes précisions : «Earnestine is mezzo soprano, Shirley is more mezzo and Vie is contralto, so that makes for a good harmony, very solid.» Il ajoute que la voix d’Earnestine «really cuts through the mix.» Après la rencontre avec Tony Waddington & Wayne Bickerton, vient la session d’enregistrement chez Decca. Elles enregistrent live. Earnestine est frappée par la qualité des musiciens : Big Jim Sullivan et Herbie Flowers, «some of the best session players in London», confirme Shirley. Waddington explique que les hits américains sonnaient bien à l’époque, car les musiciens étaient des pros, alors qu’en Angleterre, les musiciens étaient des amateurs. C’est pourquoi il voulait des pros en studio. Il voulait les meilleurs. Elles vont devenir des petites reines de la Northern Soul et chanter au Wigan Casino.  

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             Viola «Vie» Billups se barre en 1971 pour démarrer une carrière solo sous le nom de Pearly Gates. Misty Browning la remplace, bientôt remplacée par Loretta Noble. En 1975, les sœurs Pearce et Loretta Noble enregistrent Love Makes The World Go Round qui reste un honnête album, même s’il est parfois un peu diskö-poppy. Un cut comme «Like Sister & Brother» n’aura jamais aucun impact sur l’avenir du genre humain. Il faut attendre le bout du balda pour trouver enfin du big flirt des Flirtations : «Lover Where Are You Now». Et en B, elles refont du pur Motown avec un «Mr. Universe» vraiment digne des Supremes, belle stature artistique et grosse emprise. Plus loin, elles renouent avec la grosse Soul orchestrée («One Night Of Love»). Elles chantent toutes les trois à pleine voix. Elles savent se montrer dynamiques et pleines d’allure. Même si «Trial By Fire» sonne comme de la Soul classique, elles brûlent de désir et montent bien à l’assaut.    

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             Par contre, Pearly Gates devient une petite Dancing Queen avec On A Winning Streak. C’est un album d’heavy diskö, elle ne fait pas dans la dentelle. Elle a même des cuts qui sonnent comme du late Motown («Lifting Go Of The Pain»). Avec «Whirlpool», elle fait de l’heavy r’n’b à la mode, mais chanté au power pur. Elle suit les évolutions disons commerciales de l’époque. Elle jette dans la balance tout son poids de vieille Soul Sister. Et voilà qu’elle fait son Esther Phillips avec «Days In New York». Superbe shoot de diskö de charme. Du coup, on dresse vraiment l’oreille. Elle tente chaque fois le tout pour le tout, elle est très sportive. «Stop For Love» sonne encore comme la diskö des jours heureux. Elle fait une cover de l’«Ain’t That Peculiar» de Smokey, puis rend hommage à Leiber & Stoller avec une cover de «Dancing Jones», et revient à sa chère hard diskö avec «You’ve Got It». Une chose est certaine : tu ne restes pas assis sur ta chaise. Trop content de danser avec Vie Billups. Bon, il y a aussi un DVD dans l’emballage, mais il doit être destiné aux vrais fans de diskö.

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             Le croiras-tu ? Les Flirtations refont surface cette année avec un extraordinaire come-back album, Still Sounds Like The Flirtations, titre qui fait écho au Sounds Like The Flirtations. Elles sont là toutes les trois, Earnestine Pearce, lead vocals, sa frangine Shirley et Viola Billups aux backing vocals. Attention, les trois premiers cuts flirtent avec des tendances diskoïdales, et elles passent aux choses très sérieuses avec «Memories», beaucoup plus r’n’b, et là ça devient passionnant, elles te développent le Memories avec des clameurs idoines. Ça devient fameux avec «You Don’t Live Here Anymore», elles l’ultra-chantent et font du Black Power en féminin. Ça éclate encore au Sénégal avec «(Keep Chasing) Blue Skies», elles renouent avec l’âge d’or des sixties, c’est une véritable merveille inconditionnelle, un must de real deal. Tu crois qu’elles vont se calmer ? Non, car voilà «Take It Back», un wild r’n’b, du pur Motown sous amphètes, elles y vont à l’I need you to prove it, elles t’explosent la rondelle des annales de Motown. Quelle aventure ! Elles montent encore d’un cran avec «No One Does It Like You», c’est admirable de véracité Soul, Earnestine chante comme la reine de Nubie, elle donne à ses accents une couleur écarlate et chaude, elle fait dérailler des syllabes dans le bonheur, l’art d’Earnestine te transporte, il faut l’entendre groover son ouh-ouh ouhhouhh, t’as l’impression de vivre un moment historique. Elle monte encore sur ses grands chevaux pour «Life Is Like A Mountain» - Don’t give in - Elle rue dans le rumble. Les Flirtations sont dans le vrai à un point qui dépasse l’entendement. Earnestine appuie encore ses syllabes dans «Thought I Knew You». Elle donne tout ce qu’elle a dans le ventre.

    Signé : Cazengler, fleurt fané

    Flirtations. Sounds Like The Flirtations. Deram 1969

    Flirtations. Love Makes The World Go Round. RCA Victor 1975

    Pearly Gates. On A Winning Streak. Night Dance Records 2010

    Flirtations. Still Sounds Like The Flirtation. Cargo Records 2024

    Nothing but a heartache. Uncut # 329 - September 2024

    Andy Morten : Walking down a street in London. Shindig! # 133 - November 2022

     

     

    Holiday on Ace

     - Part One

     

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             Les gens d’Ace font bien les choses. C’est même, dirons-nous, communément admis. Personne n’oserait dire le contraire. Ce postulat a la peau dure. Il avoisine désormais les cinquante ans d’âge. On parle d’Ace comme on parlait de la Bible au moyen-âge : la voie du salut, et en même temps la mère de tous nos vices. 

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             Histoire de re-défrayer une chronique qui n’en peut plus d’être défrayée, les gens d’Ace lâchent dans la nature quatre compiles en forme de bêtes fauves : The Best Of Ace Rockabilly va dévorer les fans de rockab, The Best Of Ace-Sixties Garage Punk va dévorer les derniers fans de gaga-punk, This Is Mod 1960-1968 ne va faire qu’une bouchée des fans de Mod craze, et This Is Street Funk 1968-1974 va engloutir tous crus les fans de funk. Des compiles d’autant plus féroces qu’elles ne sortent qu’en vinyle, ce qui leur donne une crédibilité à toute épreuve. Tu n’approches pas un vinyle de la même façon qu’un CD. 

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             Sur This Is Mod 1960-1968, tu retrouves ce vieux chouchou d’Arthur Conley, à la fois en recto de pochette et sur la B, avec «I Can’t Stop (No No No)». Et tu as encore plein d’autres vieux chouchous, c’est comme s’il en pleuvait, enfin, façon de parler, puisque le nombre de cuts se limite à 14, ce qui n’est pas dans les habitudes des gens d’Ace qui auraient une petite tendance à en rajouter. Si tu veux jerker comme un beau diable, alors écoute James Carr et l’impavide «Coming Back To Me Baby». C’est à Clarence Carter que revient l’insigne honneur d’ouvrir le balda, avec le plus évident des ‘dancing-floor fillers’, «Looking For A Fox». Ha ha ha ha, il rit comme un ogre et tu vois ses dents briller dans la nuit. Mais au lieu de t’enfuir, tu jerkes. Le Fox de Clarence pourrait bien être l’apanage du Mod craze. Tu les vois jerker, les Mods et les Modettes, dans la boom de la dansette. Et puis t’as Jimmy Hughes qui s’amène la bouche en cœur avec un version mellow d’«Hi Heel Sneakers». C’est autre chose que celle de Jerry Lee. Jimmy Hughes est magnifique de feeling black et de tact. Et puis au bout de la B, tu tombes sur le «Talkin’ Woman» de Lowell Fulsom, sa fantastique énergie et son ha ha you’re talkin’ too much. En B, t’as deux autres superstars d’Ace complètement inconnues, d’abord Darrow Fletcher, avec «The Pain Gets A Little Deeper», il met tout le feeling du monde dans son r’n’b. C’est incroyable que Darrow soit passé à l’as. On va dire la même chose de Mary Love qui casse bien la baraque avec «Lay The Burden Down». Elle sait rocker le boat, la petite Mary, elle est fabuleuse d’à-propos black.

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             Et voici la compile rokab de Keb Darge : The Best Of Ace Rockabilly. Elle se montre digne de ton étagère. Comme Keb compile, il commente ses cuts. Il prend bien soin de rappeler qu’il faut en baver pour trouver certains singles rockab. Il remercie aussi Barney Koumis, Boz Boorer et d’autres spécialistes londoniens. Keb en pince pour le slap, alors il démarre avec le «Blue Jeans & A Boy’s Shirt» de Glen Glen, ça percute la stand-up, ça te boppe le cul. Slap toujours en B avec Hal Harris et «Jitterbop Baby» - The first Ace 45 I bought - Il précise qu’Ace l’a sorti from the Starday masters en 1978. Oh le slap ! Qualité fondamentale de la musicalité ! Bien sûr, les Wild Cats pullulent sur cet album, à commencer par Benny Ingram et «Jello Sal», puis Pat Cupp & The Flying Sauvers et «Do Me No Wrong», ça jive sec, la Cupp est pleine. En fait, le pauvre Keb n’a pas grand chose à raconter sur ses singles. Max Décharné est beaucoup plus intéressant, il sait transmettre sa fièvre. Keb flashe aussi sur le bu bu bu bu baby de Billy Barrix dans «Cool Off Baby» et il a raison, le bougre. Il rappelle aussi que Billy Barrix fut le premier petit cul blanc signé sur Chess. Cinq cuts sur quatorze, c’est déjà pas mal pour une compile rockab. C’est même mieux que rien. 

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             Sur sa lancée, Keb Darge propose une autre compile : The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Keb te claque un bon coup de Chocolate Watchband, «Sweet Young Thing», bien dru et archétypal, et qui sent bon la Stonesy. «Their best outing» nous dit Keb. Il ajoute qu’avec l’arrivée de session musicians en studio, les Chocolate allaient perdre leur magie. Au niveau des têtes connues, t’as aussi The Litter avec le Minneapolis pounder «Action Woman». Pour le côté révélatoire des choses, il faut attendre Sandy Edmonds et sa cover du «minor hit» des Pretties, «Come See Me». Il tape dans le cœur du mythe, en plus poppy. Mais t’as pas mal de cuts qui ne marchent pas : Music Machine avec «The People In Me» ou The Knight Riders avec «I». En B, Keb tape dans les trésors de Norman Petty avec Venture 5 et «Good & Bad». T’as tout de suite du son. New Mexico ! Même chose avec The Fog et «Grey Zone». Cette fois, Keb tape dans Gary Paxton, l’autre génie tentaculaire de l’underground américain. En fait, ils sont trois : Norman Petty, Huey P. Meaux et Gary S. Paxton. Même niveau de légendarité que Kim Fowley. Le «Grey Zone» que Keb a choisi t’accroche car extrêmement psyché et même assez mystérieux. Keb l’a trouvé sur la compile d’Alec Palao, Lost Innocence. Et puis t’as The Lyrics avec «They Can’t Hurt Me», qui sonne comme un hit. En bas du verso de pochette, Keb raconte ses mésaventures de collectionneur. Il se dit fier d’avoir collé sur cette compile des trucs inédits. 

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             Et puis t’as cette petite bombe atomique : This Is Street Funk 1968-1974. Atomique à cause de Billy Garner et «Brand New Girl». Il a le diable au corps, le Billy. Il est encore pire que James Brown. C’est du pur jus de funky Black Power. On va le retrouver Inside The Goldmine. Il n’a enregistré qu’un seul album, l’excellent Super Duper Love. L’autre cake de la bombe atomique, c’est Billy Sha-Rae avec «Do It». Solid Detroit funk d’I need some. Billy est une vraie bête de Gévaudan black. Une poignée de singles et puis plus rien. T’a aussi Millie Jackson avec «Hypocrisy». Millie on le sait est l’une des plus parfaites incarnations du Black Power. Il faut entendre le deep beat de groove derrière elle ! On savoure aussi le délicieux Fatback groove du Fatback Band («Mister Bass Man»), et on retrouve Chet Ivey, salué Inside The Goldmine. Il tape ici un joli shoot de «Bad On Bad». L’autre grosse révélation de la bombe atomique, c’est The Two Things In One avec «Over Dose (Of You)». Solide funk de Soul. The Mello Matics font une belle cover de «Mother Popcorn», et Larry & Tommy une superbe resucée d’«Here Comes The Judge», bien bardée de barda, vraiment juteuse. Et puis t’as Eddy Giles qui fait son Wilson Pickett avec «Soul Feeling Pt1». Il connaît bien son affaire.

    Signé : Cazengler, Ace of EsHPAD

    Keb Darge. The Best Of Ace Rockabilly. Ace 2023

    This Is Mod 1960-1968. Kent 2024   

    This Is Street Funk 1968-1974. Kent 2024

    Keb Darge. Presents The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Ace Records 2024

     

    *

    _ Ah ! Charmante factrice, je vous attendais avec impatience !

    _ C’est gentil Monsieur Damie, mais que faites-vous devant votre portail avec cette winchester dans les mains ?

    _ Je surveille ma boîte à lettres ! Peut-être avez-vous dans votre sacoche, une enveloppe blanche à mon nom. Je ne veux pas prendre le risque que quelqu’un s’en empare, c’est urgent et c’est précieux ! Je suis prêt à abattre comme un chien toute personne qui voudrait s’en emparer !

    _ Oh, Monsieur Damie, vous êtes un grand romantique, je soupçonne que seule une tendre missive écrite par une jeune fille doit être capable de vous mettre en cet état de fébrilité avancée !

    _ Madame la factrice, vous êtes folle à lier si vous pensez qu’un feuillet rédigé par une quelconque femelle énamourée pouvait susciter en moi une telle fièvre ! Non c’est ma revue préférée dont je guette la venue !

    _ Une revue !!! tenez la voici !

    _ Enfin ! à franchement parler je pense que si vous ne me l’aviez pas apportée ce matin, de colère je vous aurais étendue raide d’une balle dans la tête !

    _ Quoi, Monsieur Damie, prêt à perpétrer un féminicide pour une vulgaire revue !

    _ Une revue de rockabilly, cela change la donne, charmante factrice je suis sûr que vous comprenez !

    _ Vous êtes un criminel en puissance, un phallocrate, un macho, un mâle blanc de plus de cinquante ans, un suppôt du patriarcat qui opprime les pauvres femmes comme moi depuis des millénaires, ça ne m’étonne pas, votre winchester, votre perfecto, vous vous prenez pour un cowboy, je parie que votre sale torchon doit être rempli de pauvres gars comme vous, qui exhibent à défaut de leur pénis leur grosse guitare rouge avec un manche aussi long que la tour Eiffel ! Vous vous prenez tous pour les rois du rock’n’roll !

    Evidemment j’aurais dû l’abattre d’une balle de winchester et la laisser agoniser sur le trottoir. Ce serait trop rapide, il faut qu’elle souffre, que tout le reste de sa vie elle ressente la honte d’avoir lancé une accusation mensongère. D’un geste vif je déchire l’enveloppe blanche et arrache le film plastique protecteur avec rage :

    _ Tenez regardez la couverture, lisez le titre et vous saurez comment les rockers vénèrent les êtres féminins : LINDA GAIL LEWIS LA REINE DU ROCK’N’ROLL.

    Elle pousse un cri et tombe évanouie sur son vélo. Je ne lui jette pas un regard, je monte en courant les marches de ma maison, j’ai une revue à lire :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 31

    OCTOBRE –  NOVEMBRE – DECEMBRE (2024)

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             Il a fallu deux numéros spéciaux de Rockabilly Generation à Julien Bollinger pour raconter les premières années et le début de la carrière d’Elvis, l’aurait pu ressortir tout fier du brillant travail effectué, oui mais il possédaitt encore une foule d’anecdotes et d’histoires à nous rapporter… ce numéro 31 débute donc par cinq pages arrachées à la légende dorée d’Elvis Presley. Attention parfois c’est du toc…

             Certes sur la couverture et la page deux Linda Gail Davis vous sourit, mais avant de vous incliner devant la reine du rock’n’roll, va vous falloir traverser l’Enfer. Julien Bollinger vous oblige à regarder en face le Diable en personne. Vous le connaissez sous le nom de Colonel Parker.  C’est un peu ce que dans les Séries l’on appelle une préquelle, la biographie du Colonel jusqu’au moment où il se prépare à faire signer au petit gars de Tupelo le pacte faustien dont jamais il ne pourra se libérer… Un drôle de zèbre ce Colonel, mais un zèbre américain ce qui change tout, comme tout bon américain, il vient d’ailleurs, une fois qu’il aura mis le pied sur le sol amérindien il sera plus américain que tous les américains, l’acquiert l’âme d’un héros, d’un winner, d’un tricheur, parti de rien, il parvient au sommet, comme le lierre parasite qui s’enroule autour du séquoia pour mieux l’étouffer… La route n’est pas facile, il apprend vite. L’a le flair. L’a un seul Dieu : le dollar. Faut le suivre. Vous pensez qu’il tente de vivre. Fait mieux que cela. Il cherche ce qui lui manque. La poule aux œufs d’or. Ne croyez pas qu’Elvis sera la révélation de sa vie. Pas du tout. Pour Parker, Elvis n’est pas un début, juste une fin. Le dernier chiffre au bas de l’addition. Quand il trouve Elvis il a déjà expérimenté sur d’autres les moyens de se rendre maître d’Elvis. Cet article est à lire, il vous apprendra tout ce que vous ne savez pas sur la naissance du rock’n’roll, et surtout bien plus grave ce que vous savez. A la différence près que vous n’aurez jamais l’envergure du Colonel Parker. Même si vous chantez aussi bien qu’Elvis, ce qui a toutes les chances de ne pas être votre cas.

             Vous voulez Linda, oui mais d’abord il faut passer par Johnny. Pour la simple et bonne raison que c’est grâce à Johnny que Linda est à Romilly-sur-Seine et sur scène. Lisez, attardez-vous sur les très belles photos de Johnny, quelle dégaine et quel style, et vous saurez tout sur le Biker Trophy consacré à Hallyday, c’est à cette occasion que Linda Gail Lewis est venue chanter et que Rockabilly Generation l’a interviewée, Brayan et Anaël posent les bonnes questions et Linda se raconte, depuis son enfance. Nous ne retiendrons que l’admiration sans borne qu’elle porte à son frère Jerry Lou… Sergio nous emmène Backstage pour les photos de Linda, d’Annie Marie Lewis, de Danny B. Harvey de Maryse, de Brayan et d’Anaël.

             Fallait être à La Chapelle-en-Serval, belles voitures et beau monde : Barny And The Rhthm All Stars, Darrel Higham And The Enforcers, Matchbox avec Graham Fenton, Ghost Highway… Remarquez le Festival Mont-Dore présenté par Son organisatrice Muriel Hery, avec ses 13 groupes, sa philosophie un tantinet égalitaire, la prestation explosive des Hot Chikens, et chose rare sa gratuité, n’avait pas l’air mauvais non plus. Surtout que les photos grand-format de Sergio vous émerveillent les  mirettes.

             Je termine par une petite curiosité, Christelle, si j’ai bien compris, parce que la couture et moi… à partir de photos de nos idoles, par exemple Gene Vincent et Vince Taylor, elle fait établir une espèce de canevas, mais au lieu d’utiliser de simples fils à broder  elle rajoute des perles de différentes couleurs et obtient ainsi de superbes portraits.

             Y a encore quelques articles dont je n’ai pas parlé, juste pour vous laisser le plaisir de les découvrir.

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             Merci à Sergio Kazh et à son équipe, Rockabilly Generation News, est une revue indispensable à tous les amateurs de rock’n’roll !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

             On ne s’ennuie pas à Pendleton, petite ville au cœur  de l’Oregon, état situé au-dessus de la Californie, au mois de septembre s’y déroule le célèbre Round-up de Pendleton – ne confondez pas avec le très glyphosatique produit méphitique de Monsanto – c’est juste un des rodéos les plus fameux des Etats-Unis. Vous ne désirez pas vous inscrire à ce concours ouvert à tous, nous n’insisterons pas non plus pour l’adjacente compétition des Bull Riders, ne craignez, nous avons une activité moins téméraire à vous proposer, le Jackalope Jamboree de Pendleton, festival de musique, trois jours, trois scènes, au mois de juin, artistes et groupes de blue grass et de country, qui s’étend sur trois jours au mois de juin.

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             Two Runner était sur scène, nous ne les verrons pas, elles ne sont pas cruelles, elles ont posté une vidéo (GemsOnVHS) enregistrée dans en pleine nature dans les environs. Rappelons que chaque année Gems organise un concours qui regroupe plusieurs centaines de concurrents, que Two Runner a remporté en 2022.

    STRAWBERRY RHINESTONE

    TWO RUNNER

    (YT / Field Recording / Septembre 2024)

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    Attention, profitez des toute premières secondes, elles permettent de voir un  des podiums du Jamboree, alors que la voix de Paige indique qu’elles vont refaire une prise, admirez la vision de ce palomino qui galope durant quelques secondes, il n’est pas là par hasard, même si par la suite il n’apparaîtra plus sur l’image, on ne perd pas au change puisque voici Emilie Rose et Paige Anderson debout en plein milieu d’un champ de blé, en arrière-fond s’élèvent des collines dépourvues de végétation…

    Une bluette, une chansonnette, presque rien, un presque rien qui trimballe la tristesse de toute l’existence, de toutes ces verroteries fragiles qu’elle nous tend, ne laissez pas passer votre chance, même si elle ne restera pas, elle s’éclipsera, tel le rêve d’un palomino que l’on ne retiendra pas, les songes sont ainsi ils s’éloignent, et se perdent l’on ne sait où, parfois les fruits que l’on mord nous embaument d’une saveur douce-amère.

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    La voix de Paige emplit l’immensité, sérénité et tristesse emmêlées, le ver est dans le fruit que l’on goûte, la mort habite les rhizomes de la vie, si tu cueilles le jour, tu cueilles en même temps la nuit qui suivra, et qui l’a déjà précédé… leurs deux voix s’emmêlent, elles fredonnent comme l’on s’étonne devant l’évidence, la guitare de Paige coule paisiblement, dans sa robe rouge Emilie promène son archet sur son violon, rafales de l’Inexorable destinée qui s’avancent à pas lents, pieds nus sur la terre sacrée des désirs vifs et des angoisses tues…

    Ne vous laissez pas submerger, Two Runner vous donne l’exemple, le morceau terminé elles éclatent de rire, le monde retrouve subitement sa beauté extravagante…

    Le courage de vivre, encore et encore…

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pouvais pas ne pas écouter, alors on embarque pour un périple touristique, avec un peu de chance un Dieu grec compatissant nous enverra quelque monstre pour égayer la journée…

    MYTHOLOGICA

    CHILDREN OF AEGEAN

    (Grooveyard Records / 2019)

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             Le format carré du CD ne rend pas justice au tableau de John William Waterhouse (1849 -1917), peintre britannique, très inspiré par la mythologie grecque, son œuvre est à voir sur Wikipedia, il fut proche des préraphaélites et des symbolistes, il n’y a pas que l’impressionnisme qui ait rayonné au dix-neuvième siècle… Ulysse et les Sirènes date de 1891.

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             Le disque est avant tout l’œuvre de Stavros Papadopoulos, compositeur grec, sur cet opus il joue la quasi-totalité des instruments : guitars, bass, keyboards. Un compositeur prolifique qui a aussi participé en tant que guitariste à plusieurs groupes rock. Vous le retrouvez ainsi avec le guitariste  Panagioti Zabourkis dans le groupe Super Vintage, il s’est principalement chargé de la guitare acoustique sur Enfants de la mer Egée.

             Chacun des dix instrumentaux du CD évoquent tour à tour un épisode de la mythologie grecque.

    Sizyphus : l’on a accusé Sizyphe de beaucoup de maux, il s’est joué des Dieux, pas des moindres : Hadès en s’échappant des Enfers, il aurait eu des vues sur Héra l’épouse de Zeus qui n’a pas apprécié… il fut condamné à pousser éternellement un énorme rocher au sommet d’une colline duquel il retombait systématiquement, étrangement Albert Camus l’athée l’a en quelque sorte déifié en en faisant le symbole de l’Humanité obstinée à combattre l’absurde de toute existence vouée à la mort… comment rendre la complexité d’un tel personnage, fourbe, voleur, arrogant, nietzschéen avant l’heure, avec une guitare et moins de six minutes, top chrono ! :  Un décor phonique de carte postale, flûte de berger et coucher de soleil sur la mer Egée, le temps se gâte, la nuit n’habite-t-elle pas l’âme de Sisyphe, la guitare comme un relent d’obscurité qui ne cesse de revenir, il ne s’amplifie jamais, Stavros ne conte pas les exploits et les sacrilèges du fondateur de Corinthe, il n’évoque sa terrible punition que par cette ombre qui mène résidence dans l’esprit de Sisyphe, la marque noire est présente depuis le premier jour de sa naissance dans la gélatine blanche du cerveau, elle n’a pas besoin de se développer, d’ailleurs le monde serait-il assez grand pour l’accueillir, simplement un signe. Le signe de la démesure. Néfaste. Delos : île minuscule au milieu de l’archipel des Cyclades, Délos fut une île sacrée, c’est elle qui permit à Léto, pourchassée par la vengeance d’Héra car enceinte des œuvres de Zeus, d’accoucher sur son territoire. Notez que si vous ne naissez pas vous ne pouvez pas mourir. Les Grecs n’ont jamais eu de problème avec la mort mais beaucoup avec l’immortalité. Qui parle de Délos évoque les Dieux qui y sont nés : : notes claires, Apollon n’est-il pas le Dieu du Soleil, bientôt rehaussées de riffs de guitares aussi étendus que l’immensité de la mer, le ton devient plus grave, une basse mordante, des électriques incisives, Apollon est aussi un Dieu terrible, un dieu-loup investi d’une puissance redoutable, mieux vaut ne point l’offusquer, quelques coups de toms précisent la menace, il est inutile que le Dieu bande son arc, tout redevient calme, le regard d’Apollon se pose sur les eaux. Que regarde-t-il ? Caryatis : la photo des Cariatides de l’Erecthéion est une des images les plus célèbres d’Athènes, se rappelle-t-on que les statues des Cariatides représentent des prêtresses d’Artémis de Laconie : voici donc Artémis la sœur d’Apollon, à sa manière aussi dangereuse que son frère, peut-être même davantage cruelle, elle est la beauté et la pureté, elle aime le sang, évitez de porter ses yeux sur sa nudité, nos Enfants Egéens lui rendent justice, des riffs d’or pur ensorcelants, mais des froncements de sourcils ébouriffés de colère, c’est en Laconie que réside Sparte l’Intransigeante et le territoire mythique de l’Arcadie originelle. Restez discrets. Morpheus : un Dieu que l’on attendait pour cette nuit, Morphée le Dieu du sommeil qui vous effleure de son ale noire, qui apporte les rêves mais qui surtout peut prendre n’importe quelle forme humaine pour apparaître dans votre sommeil, méfiez-vous de vos rêves ce sont des artefacts divins pour vous réconforter ou mettre à mal votre mental : un court repos, le son comme voilé, même lorsqu’il se déploie il semble venir de loin, un rythme langoureux, qu’êtes-vous en train de faire dans votre sommeil, dites-vous que ce n’est qu’un rêve trop tôt évanoui.

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    Argo : la nef divine qui porta Jason lorsqu’il partit avec les quarante plus grands héros de la Grèce pour la conquête de la Toison d’Or, aurait-il réussi si Orphée n’avait pas été de son côté, cette histoire est racontée dans une épopée dont aujourd’hui il ne reste pas un seul mot et qui servit vraisemblablement de modèle inspiratif  à Homère pour l’Odyssée… : inutile de porter un coquillage à votre oreille pour entendre les vagues et voler parmi l’écume et la mer les oiseaux ivres, Stavros ne nous présente pas les passages les plus palpitants de cette expédition guerrière, il insiste sur la longueur monotone de l’Aventure, les hauts-faits ne sont marqués que par quelques soubresauts. Mais le voyage des Argonautes s’est-il vraiment terminé un jour, à la fin du morceau l’on entend encore le bruit des vagues, preuve que le navire sillonne encore les routes de nos rêves… Symplegades : au milieu du détroit du Bosphore les Symplegades se dressaient deux énormes rochers qui ne cessaient de se rapprocher interdisant le passage des navires écrasés entre les deux énormes masses, certains affirment que Jason s’en remit au vol d’une colombe, d’autres maintiennent que par son chant Orphée immobilisa les deux rocs… : l’instant est palpitant, pas de quoi affoler le Capitaine Stavros, doit compter sur sa guitare comme Orphée sur sa lyre, pour se tirer de ce mauvais pas, à peine presse-t-il le tempo, il aiguise un peu les riffs, il étire les notes, Zabourkis est au contrepoint, veille à ce que la barre ne varie pas d’un degré, ne se hâtent pas avec lenteur comme la tortue de tonton La Fontaine, mais ils passent l’obstacle les doigts dans le nez. Wrath of Achilles : colère d’Achille, tout le sujet de l’Illiade,  nous espérons que Stavros va s’énerver, avant qu’Achille ne fasse du boudin sous sa tente, le fils de Thétis a commis quelques beaux carnages, et son courroux sera impitoyable : un beau début avec cette frappe de cloche qui renvoie à Mountain, oui Stavros a compris qu’il fallait hausser le ton, il monte le son, nous donne un peu l’impression que les remparts de Troie vont s’écrouler sur nous lorsque le riff se déploie, ce n’est pas mal du tout mais en sourdine l’on pense qu’il est capable de faire mieux, n’imitons pas l’impétueux Achille, ne boudons pas notre plaisir. Nymph : dommage que Stavros ne nous ait pas emmené dans le cheval de Troie pour participer à la destruction de Troie, nous sommes privés des meurtres, des viols, des pillages et des incendies : la guitare tresse des guirlandes en l’honneur de ces créatures mythiques et élémentales que sont les nymphes, c’est doux et c’est beau, languissant, un petit côté repos du guerrier, pas dégueu mais l’on aurait préféré quelque chose de plus viril que cet intermède yinique, ils doivent s’y trouver bien, ils font durer le plaisir. Penelope’s loom : célèbre scène de l’Odyssée, Pénélope défaisant la nuit ce qu’elle a tissé le jour… : pas de bruit, beaucoup d’acou, guitare glissante et fuyante, la tristesse d’une reine atterrée d’une si longue attente, une réussite. Pythea : non, pas la prêtresse de Rome qui prophétise la fin de Rome – celle de l’antiquité par là-même – mais celle du temple de Delphes, La Pythie enivrée par les vapeurs qui montent de l’antre du serpent, retour à Apollon : une entrée mélancolique, cet exil humain, cette différence, cette distance qui sépare l’Homme des Dieux, toute cette ignorance qui nous définit, ce manque de connaissance et d’incandescence auxquelles nous accédons par l’entremise des oracles, un peu comme si se dévoilait la trame complète de nos jours, cercles ridffiques qui s’enchaînent en un extraordinaire crescendo qui s’arrête au moment exact où l’on croit que la totalité inaccessible  va nous être dévoilée. Encore plus définitivement que quand Platon nous fait cruellement comprendre que nous n’avons accès qu’à des ombres de la réalité.

             L’ensemble est agréable à écouter toutefois il ressemble un peu à un dépliant touristique sur papier glacé. Stavros ne semble pas impliqué à cent pour cent dans la mythologie de son pays. Nous sert une série de belles images, mais cette mythologie ressemble un peu à une morthologie, il ne l’utilise pas pour décrypter notre époque.  Aucun projet de reviviscence n’est développé.

    Damie Chad.

     

    *

    Avec un nom de cet acabit, de grandes chances pour que ce soit un groupe grec. Pour une fois le flair du rocker n’a pas fonctionné, non cette bestiole provient des States, jamais entendu parler, en plus je ne sais même pas si c’est un groupe. En tout cas un truc un peu frappé de la cafetière, je sens que je vais aimer.

    OPUS DOOM

    GREAT GAIA

    ( YT / BC13 Septembre 2024)

    Z’on (vous comprendrez plus loin la subtilité de l’intentionnelle absence du T) déjà sorti un album en 2018 et deux EPs de cinq et six titres en 2019, voici tombé comme un aérolithe venu d’un ciel lointain sur notre planète barbare ce nouvel full-lenght-album.

    Autant j’apprécie le rose tyrien de la couve autant je ne puis retenir un sourire devant ce sage en prière communiale avec la Sagesse Suprême, l’on se croirait transporté près de soixante années en arrière chez nos cousins lointains les hippies d’Amérique. Par contre ces champignons hallucinogènes  au bas de la souche-trône ne me disent rien qui vaille, un peu trop bourrés de colorants, ressemblent trop à des à des amanites phalloïdes, exactement à des Calices de la Mort d’Agaric bulbeux, j’ai vérifié dans un traité de mycologie.  A consommer avec modération… Pour la couronne de cornes qui surmonte la tête de Craig Carloni (voir paragraphe suivant) il se surnomme lui-même : Magicien du Taureau à moitié cuit.

    Pour la distribution des rôles : Craig Carloni : song composition, vocalist, guitarist, bassist, Keyboardist-Synth, Drummer, Lyricist, Production, Art Director, Ego-freak (individu nombrilique), Jack of all cringe, master of… cringe ( serviteur de toute dérision, maître de l’auto-dérision).

    Cerberus : Guardian of the Underworld - Electric Pogo-stick-Bongos.
    David Attenborough - Spiritual Guru-Merch Guy. (guru spirituel, préposé aux produits dérivés)

    Craig Carloni (basé à Columbus capitale de l’Ohio, état situé sous le Lac Erié) principal artefactor de cet album ne se prend pas au sérieux, le rire cache parfois de profondes blessures. Pensez par exemple à quelques nouvelles grinçantes d’Edgar Allan Poe.

             Pour que vous ne soyez pas surpris, voici le court texte par lequel Great Gaïa se présente : Explorer sans cesse les profondeurs des royaumes cérébral, physique et spirituel à travers une séquence de fréquences et de tonalités

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    Godless : fusilli hélicoïdal de guitare et tout de suite la darkful prend les commandes, une entrée monumentale qui se décline en répétitives trouées de notes claires, un vocal à double-effet, voix masculine et voix féminine se répondent, l’on se croirait dans un opéra, grandiose, avec parties lyriques et répons choriques, de fait le morceau s’avère d’une richesse folle, toutes les trente secondes l’on change d’atmosphère, les séquences se suivent et ne se ressemblent pas tout en s’inscrivant dans une même unité, une guitare qui grogne, une partition digne d’une écriture classique, un growl caverneux du temps de l’âge de pierre, des tempêtes électriques et des tempos liturgiques, le pire c’est que cela ne provient pas de l’envie enfantine d’épater l’auditeur, genre regardez ce que je sais faire, tout est arqué selon la logique d’un mouvement de pensée métaphysique. Une simple constatation, froide comme la mort, serait-ce la mort nietzschéenne de Dieu comme le titre pousse à le penser, non la disparition d’un être aimé, la confrontation avec le scandale d’une l’irréfutable advenue, comparée à ce décès la mort de Dieu est sans importance, ou alors si Dieu est mort c’est toi l’être cher qui étais Dieu. Que puis-je faire, si ce n’est devenir Dieu moi-même -  j’éliminerai par ma totalité tous mes manques, mais ne suis-je pas mort à ta mort, ne pourrions-nous nous retrouver dans l’amour de notre divinité conjointe. Impératif néoplatonicien. Raisonnements de la survivance. Opus doom : une voix perdue, fluette, blanche mangée par les termites du remord et les mites de l’impuissance, l’a l’air comme la batterie de tintinnabuler contre toutes les portes, voix du dedans, cachée, enrouée comme si elle avait honte, il y a de quoi, il se promettait une survie divine et maintenant l’en viendrait à se suicider pour échapper à l’indicible tourment, la musique devient folle, donne l’impression de se cogner la tête sur les murs phoniques, montées et descentes de voix, vouloir sortir du cauchemar et s’en vouloir de vouloir clore l’obsession stupide de poursuivre cette histoire dont un des personnages a été pour toujours rayé de la carte du monde des vivants. Si l’on écoutait cet opus sur une K7 il semblerait que la bande elle-même s’accélèrerait pour arriver encore plus vite à la fin de ce désastre mental. Dead bog’s love : dans le bourbier, dans la tourbière, n’idéalisons pas le passé, ne l’idyllisons pas, remémoration des dernières scènes, pleine voix, couperet d’une note claire toutes les cinq secondes, tension électrique subite, que puis-je faire dans ma solitude, qui as-tu été au juste, et notre amour quel fut-il , peut-être vaut-il mieux l’enfouir sous une masse sonique, jusqu’à ce que la voix se casse comme ciblée par le cristal du doute. Temple of sleep : (ce morceau est dédié à Sarah Tietjen : 12 / 26 /19 6 – 03 / 01 / 2022  – RIP forever loved) : enfin nous savons le nom de la personne aimée, vocal larmoyant, pleurs pour elle qui est partie si jeune, déjà minée par sa vie précédente, larmes pour lui-même, condamné à un terrible dilemme, l’entend-elle, aperçoit-elle son chagrin, sera-t-il capable de l’aimer tout le restant de sa vie, devra-t-il en crever, peut-être existe-t-il des raisons supérieures à sa mort, mais te voici sous terre, est-ce que je serai capable d’aimer aussi fort quelqu’un d’autre, ô toi si tu revenais et qui me manques tant, ô moi qui ne suis que ton absence… de toute beauté, une élégie musicale de Tibulle, la musique se gonflant ou s’amenuisant à chaque mouvement de l’âme. Winterbloom : bise glacée, notes perdues dans la brume, un chant qu’à première audition l’on croirait vespéral, n’est-ce pas une nouvelle naissance qui gouttège, d’un genre particulier, car s’il est impossible de nous retrouver dans la vie, peut-être pourrions-nous communier dans la mort, ne me suffit-il pas de laisser le froid de mon âme gagner mon corps, pour que je parvienne à ressentir ce que tu ressens, gouttes de rosée congelées pleuvent sur mon corps, ne suis-je pas en train de mourir, de faire l’expérience mentale de la mort, une tentative, une éploration froide de mon corps vers ton corps, si nos âmes ne parviennent pas à se rejoindre ne serions-nous pas capable de nous réunir grâce à nos corps qui se reconnaîtront et se retrouveront dans la mer de glace  du trépas. Hélas, je ne suis pas mort puisque mon chagrin triomphe.

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    Ghost Flowers : miracle, sourire synthétique des claviers, les guitares chantent haut, aurions-nous réussi, sommes-nous réunis, ne formons-nous plus qu’un, nous ne sonnes plus séparés, aurions-nous retrouvé l’androgyne originel, l’unité sacrée de notre présence au monde, musique comme suspendue hors du temps, protectrice comme l‘oeuf de l’éros premier, nous étions glace et nous voici feu, tout cela dans ma tête devant ta tombe qui ne s’encombre plus du manque seul de lourds bouquets,  l’un sur terre, l’autre sous terre, nous venons de connaître un moment d’intensité communielle inespéré, je peux mourir et être-enterré à tes côtés, lève-toi dans la mort et rejoins-moi, nous sommes tous deux devenus des Dieux. Pour nous, c’est le moment de relire Annabel Lee d’Edgar Poe : ‘’  … et ainsi, toute l’heure de nuit je repose à côté de ma chérie – de ma chérie – ma vie et mon épouse dans ce sépulcre…’’. Eternity’s end : bulles phoniques, le moment de faire le point, la voix déroule son raisonnement, tout ce que j’ai vécu n’est-il pas splendeur émerveillante, n’est-il pas éructation tourmenteuse, la batterie bat le rappel du doute, ne sommes-nous pas, toi comme moi, et même nous deux-toi-moi, choses mentales ou êtres physiques  périssables, nés pour disparaître, même si un jour la réincarnation nous donnerait une nouvelle fois naissance, ne serions-nous pas encore voués à la mort, et si nous sommes les Dieux que nous avions désirés devenir, notre perfection aura-t-elle encore besoin du manque de l’autre. Sérénité. Guérison. Leshi : pourquoi y a-t-il des arbres alignés comme les vivants piliers de la nature dans le sonnet Les Correspondances de Baudelaire, ‘’qui laissent parfois sortir de confuses paroles’’… parce que Leshi est une divinité issue des mythologies slaves, dieu tutélaire des forêts, nous pourrions le comparer à nos faunes grecs et latins qui hantaient nos bois, ce dernier morceau est semi-instrumental en le sens où l’on entend comme des chuchotements, des voix inaudibles, des cris incompréhensibles, d’inquiétants grognements parsemés de sifflements d’oiseaux, peu à peu écrasés sous les massives frondaisons d’une musique englobante et souveraine. Il serait facile de décréter que notre amant est devenu un Dieu sylvestre s’ébattant parmi les broussailles sous des cimes centenaires… Il est certainement plus juste de l’entendre comme une interprétation panthéiste et spinozienne du cycle de la vie, voire une reprise des enseignements ésotériques d’Eleusis, nous mourons comme la graine pour engendrer ou revenir sous une autre forme.

             Cet Opus Doom est splendide, d’une épaisseur et d’une densité rarement égalée. Un véritable chant d’expérience. Merci à Craig pour cet opera-doom.

    Damie Chad.

     

    *

             Je n’aime pas que l’on maltraite les animaux, mais là mon éthique ne m’interdit pas d’exhiber ce cheval étique.

    A LIGHT SCALPING

    SNAW

    (YT – BCAoût 2024)

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    Sont de Perth. Ce n’est pas un petit patelin. La cité atteint les deux millions d’habitants. Capitale de Région Occidentale de  l’Australie. Détail intéressant elle s’est élevée au bord d’une rivière qui se nomme Swan. Entre Swan et Snaw, il existe quelques phoniques accointances… La Swan River a-t-elle été nommée ainsi parce que des colonies de cygnes se plaisaient sur ses flots bleus, je ne sais pas, par contre je peux vous affirmer que le palmipède snawéen qui nous intéresse doit être un cygne noir. Particulièrement noir. Si l’on s’en rapporte à la photo sur Bandcamp censée représenter les artistes, la bestiole adore nager en eau trouble.

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    Laissons les cygnes se pavaner majestueusement sur les eaux planes de la Swan pour examiner le cheval  qui orne la couve de du premier album du groupe. L’œuvre est de Marc Potts, je vous conseille de vous attarder longuement sur son Instagram. Une imagerie médiévale très personnelle, fascinante. Peut-être le nom de Rossinante, la pauvre  haridelle de Don Quichotte vous est-il venu à l’esprit, où alors certaines gravures de chevaliers d’Albretch Dürer. Actuellement Marc Potts vit en Espagne, anglais de naissance, il n’a pas oublié la culture de son pays, en quelques mots il nous apprend que son tableau représenterait, le Dieu sous la colline, autrement dit l’Old Crocken l’esprit du Dartmoor qui veille prêt à s’opposer à tout individu qui tenterait de coloniser ce paysage de landes sauvages… En outre un peu d’étymologie nous apprend qu’en vieil anglais ‘’snaw’’ signifie ‘’neige des collines’’. Si malgré le recoupement de ces indices vous ne croyez pas à l’existence de Crocken, vous avez tort. Tor Crocken est un amas de rochers célèbres au milieu du Parc National du Devon, si vous l’examinez attentivement avec un maximum de chance vous parviendrez à percevoir dans l’amoncellement  rocheux le visage de l’Old Crocken qui surveille les alentours… Si l’Old Crocken ne se montre pas, comptez les pattes du cheval, huit comme Sleipnir, la monture d’Odin. La lance que l’Old Crocken tient à la main le classe parmi les guerriers. Snaw veut-il nous signifier que sa musique est un combat.

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    Jon Vayla : guitar, synth, bass / Robin Stone : drums

    Trapped behind seam of the world :si le titre de ce morceau vous paraît mystérieux les lyrics ne vous apporteront aucune aide,  l’opus est composé de six pièces instrumentales , quelles sont donc ces coutures du monde piégeuses, le plus simple me paraît en un premier temps de se fier à la peinture de Marc Potts, d’imaginer l’Old Crocken prisonnier de sombres et interminables couloirs souterrains, image de la relégation des anciens Dieux délaissés par les hommes, nous pouvons même proposer une explication platement naïve de la monture efflanquée qui n’a plus eu depuis quelques centaines d’années l’occasion de brouter l’herbe tendre et savoureuse des collines, de même ce Dieu dépourvu de jambes ne signifie-t-il pas son impuissance à agir sur le monde, entendons le long clopinement battérial de ce cheval harassé, et ces incessantes noirceurs de tristesses propagées par  ces bouffées synthétiques ne sont-elles pas les délétères pensées qui roulent dans la tête de la Divinité mise au rancart par l’Humanité, un mort au rebut qui n’en finit pas de tourner en rond dans sa tombe cyclopéenne. Tout nous oblige à croire à un monde crépusculaire, une espèce de parade dérélictoire pour une pavane infantine révolue… Mais si tout cela n’était qu’un leurre, une métaphore de quelque chose à venir… Bodies of ashes : c’est la suite encore plus ténébreuse la claudication des sabots du harin se font plus lourdes, des vagues poudreuses de sonorités morbides soufflent sur vous, l’Old Crocken est-il en train de passer sous un cimetière, la cendre des morts est-elle mêlée à l’argile, modelée dans la glaise informe… silence, le son devient poignant, ces cendres sont-elles la prémonition de son destin, lui qui arpente depuis si longtemps les couloirs labyrinthiques du dessous de la terre finira-t-il lui aussi en poussière, le kaolin suprême des Dieux emmêlé à la terre rongeuse et élémentale, l’union inêtrale des humains et des Dieux enfin accomplie, klaxons de trompettes, comme quand devant les monuments aux morts les drapeaux des mémoires vacillantes s’inclinent… Toute métamorphose se termine-t-elle en l’ultime forme impalpable du rien… Billboards :  comme si l’on traînait d’énormes charges avec des flambées funèbres de consolation, l’on ressent comme un affaiblissement généralisé subitement démenti par un surgissement phonique, la batterie se taille la part du lion, elle ne rugit pas elle se contente de secouer sa crinière, la synthétisation orchestrale essaie de l’étouffer, elle y parvient mais s’amenuise jusqu’au silence, total, reprise d’une plainte, l’on n’entend plus le pas du cheval, voici des grelots de sanglots pour marquer sa disparition, serait-on au moment de l’extinction des feux, dans le lointain le pas saccadé de la monture d’Old Crocken revient, non pas à la charge, mais indubitablement obstiné, l’Old Crocken proclamatif ira jusqu’au bout, d’on ne sait trop quoi mais jusqu’au bout…The crossing : il existe une vidéo-film de Paul Rankin de ce morceau : que voit-on ? Pas grand-chose. Ne riez pas, où vous croyez-vous, vous pensez que je fais de l’humour, vous ne comprenez rien au film, je ne parle pas des premières images de Rankin, mais du mystère, suis-je obligé de spécifier que ce qui est mystérieux n’est jamais clair, l’opus dans sa démarche musicale avance dans le noir, nous sommes dans le souterrain, des pincées de lumières ne montrent rien, elles nous permettent de deviner des formes, sont-elles réelles ou des produits de notre imagination, le corridor archétypal agit-il comme le révélateur photographique de notre propre imaginaire,  ce qui est sûr c’est la silhouette incertaine de cette fille, qui est-elle, que fait-elle, elle marche, elle danse, est-ce sa façon à elle de vaincre le minotaure dont la musique engendre les barrissements, la lumière est devant, déboucherons-nous à la lumière, aurons-nous le temps, le monstre se rapproche, c’est un vieil homme, maintenant son tronc marche à côté de ses jambes, c’est bien l’Old Crocken, la légende, d’après certains, n’affirme-t-elle pas qu’il est capable de prendre la forme de n’importe quel individu, de n’importe quel animal, de n’importe quelle chose, tout à l’heure lorsqu’elle a improvisé une espèce de ballet, qu’elle a étendu les bras, qu’elle a pris et endossé d’étranges postures, qu’elle s’est enroulée sur elle-même, couchée à terre et qu’un semblant de seconde elle est apparue inerte, comme un bloc de rochers, simulait-elle le Tor Crocken, n’était-elle pas l’Old Crocken lui-même en représentation de lui-même, si vous voulez suivre, dirigez votre oreille vers la résonnance des pas, bruits magnétiques comme de grosses noix écrasées sous les pieds d’un destrier farouche, cela vous empêchera peut-être de ne pas céder à la tempête phonique finale, vous garderez ainsi votre équilibre mental. Vous en aurez besoin. A light scalping : tapotements fatidiques, ondes de musique par-dessus, gémissements électroniques, non pas des avertissements de recul comme sur les engins de chantier pour vous avertir qu’ils vont reculer, non, au contraire pour vous confirmer que vous avancez, que sûrement il serait préférable que vous reculiez, tant pis vous désirez savoir, si vous désirez rencontrer l’ Old Crocken, que redoutez-vous, un léger scalpage, vous êtes prêt à risquer votre tête, à moins qu’il ne s’agit que cette minuscule fenêtre de temps durant laquelle votre imparfaite humanité encontrera, voire entrera en contact avec l’immarcescible profusion du divin. Est-ce pour cela que la musique est si mélodramatique…. Bleak city :  la fin de l’histoire, la solution finale, la dissolution finale, les grandes orgues, les trompettes cérémoniales, les timbales au fond de l’orchestre semblent voilées, elles ne résonnent pas, elles grincent, ça grogne et ça se traîne comme si chacun de vos pas rayait le parquet ciré de vos ambitions, des tentures de musique se déchirent, l’orage gronde, il surgit dans votre intérieur pour s’enfuir par la fenêtre, il imite le bruit d’un moteur d’un avion, un vieux coucou qui se débat dans les forces sifflantes du vent, chute, trompes de deuil, annonce-t-elles votre enterrement, musique finale de western, tout le monde regroupé autour de la tombe, la musique a tout donné. La musique a tout repris. Vous êtes arrivé à destination dans la fosse des serpents sonores. Bienvenue dans la cité du bruit.

    Damie Chad

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 657 : KR'TNT ! 657 : KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE / HONEYCOMBS / LUKE HAINES / BLACKSTAFF / TONY MARLOW / POP POPKRAFT / TWO RUNNER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 657

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 09 / 2024 

     

    KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE

      HONEYCOMBS / LUKE HAINES

    BLACKSTAFF / TONY MARLOW 

    POP POPKRAFT / TWO RUNNER

     

     

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    L’avenir du rock

     - Congo à gogo

     (Part Four)

     

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             En examinant la dune qui se dresse devant lui, l’avenir du rock a clairement l’impression de l’avoir déjà vue.

             — Ne serais-je pas déjà passé par là ?, s’enquiert-il auprès de sa mémoire flagada. Et il ajoute, avec tout l’enthousiasme de carton-pâte dont il est encore capable :

             — Une de perdue, dix de retrouvées, ce qui bien sûr n’a pas plus de sens que d’errer dans le désert depuis belle lurette.

             La belle lurette est devenue son unité de mesure préférée. Tout est belle lurette : les nuits, les jours, les étoiles, les grains de sable. En redescendant la dune, il croise un mec déguisé en explorateur colonial, qui s’apprête à la monter et qui a l’air complètement paumé. Histoire de le distraire un peu, l’avenir du rock lui lance, d’une voix chantante :

             — Que fais-tu là Petula/ Si loin de l’Angleterre ?

             Raté. L’explorateur colonial ne rit pas. Il semble un peu constipé.

             — Je m’appelle Stanley. Suis dûment mandaté par Leopold II, roi des Belges. Vous n’êtes pas Livingstone, I presume...

             Ça faisait belle lurette que l’avenir du rock n’avait pas ri de si bon cœur :

             — Ya pas plus de Livingtone que de beurre en broche, Stan !

             — Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer la direction de la jungle ?

             — Quelle jungle ?

             — Bah la jungle jungle...

             — La junjungle ?

             — Oui la junjungle toute verte avec des arbres... Vous m’avez l’air complètement abruti, mon pauvre ami. La junjungle qu’on traverse en pirogue... Pi-ro-gue... Sur un fleuve... Fleu-ve...

             — Le fleufleuve ?

             — Fleufleuve Con-go..., vieux con !

             — Ahhhhhhh oui ! Je connais très bien Kid Congo.

     

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             Sur scène, Kid Congo est certainement l’un des artistes les plus accomplis de son temps. Il rocke le boat et fait du cabaret, il t’émerveille et t’émancipe, il te donne à voir et à entendre, il mélange Tempest Storm et Jeffrey Lee Pierce, Lou Costello et Lux Interior, s’il porte la moustache de John Waters, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, s’il fait rebattre le cœur du vieux «Sexbeat» au cabaret burlesque, c’est encore moins un hasard, et s’il multiplie les hommages à Jeffrey Lee Pierce, alors on est bien obligé d’admettre que tout cela finalement tombe sous le sens, enfin, le sens qui t’intéresse - Viva Jeffrey Lee Pierce ! - Avec le Kid sur scène, on se retrouve dans la meilleure conjonction cosmique possible : tout de blanc vêtu, il perpétue la mémoire d’une vieille énergie sauvage, et il la perpétue à merveille. Il en est le dernier survivant, c’est la raison pour laquelle il est d’une certaine façon devenu un peu crucial. Lux et Jeffrey Lee ont quitté la planète, alors le Kid porte le flambeau de ce vieux no-sell-out calorique qui fit la joie des imaginaires en des temps assez reculés. Et il jette dans ce cérémonial toute son énergie, claquant des moutures qu’il faut bien qualifier d’extraordinaires.

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    Tout son corps bouge, le Kid danse avec les loops, tu ne vois pas ça tous les jours, une superstar en mouvement perpétuel, un Tinguely du Sexbeat, avec le punch de Muhammad Ali. Ses Pink Monkey Birds jouent en formation serrée, comme dirait le général Mitchoum, et ça te donne des versions dévastatrices. Comme le disait si bien Lux Interior, «ta mâchoire se décroche et pend comme une lanterne sur ta poitrine.» Le Kid claque ici et là des killer solo flash qui en disent assez long sur son passé d’apprenti sorcier, lorsque Jeffrey Lee Pierce lui enseignait les évangiles selon Saint-Rock, c’est-à-dire le blues et le free. Et comme ça menace de beaucoup trop chauffer («She’s Like Heroin To Me», «Sexbeat» et l’infernal «Thunderhead» tiré de Mother Juno, pour le Gun side + «Primitive», «Goo Goo Muck» et «You Got Good Taste» pour le Crampsy side), alors le Kid tempère le set avec des rumbas extraordinaires («Ese Vicio Delicioso» tiré du Vice album, et «La Arana» tiré de l’album précédent). Et pour faire planer un voile de mystère sur la salle, il t’emmène au cabaret et interprète «The Smoke Is The Ghost», avec des grands gestes théâtraux et le regard perdu dans la voûte.

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    Le petit mec sur la Gretsch s’appelle Gabriel Naim Amor, un expat français qui nous dira au bar qu’il a eu «de la chance de rencontrer Kid.» Pour finir le set en beauté, le Kid sort deux lapins de sa manche, les deux hits du Vice album, «Wicked World» et «A Beast A Priest», avant de demander : «You wanna dance?». Il évoque le mashed potatoes et d’autres vieux coucous et bham ! «Sexbeat» ! Le Kid réussit non seulement l’exploit de régénérer la légende du Gun Club, mais il régénère en plus tous les imaginaires rassemblés à ses pieds. L’awsome t’assomme.

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             On trouve d’éminentes traces de modernité sur son dernier album, That Delicious Vice. Au moins deux. La première s’appelle «Wicked World», un World monté en neige de fuzz. Posture effarante. La fuzz congolaise n’est pas la même que les autres fuzz : la sienne te lèche la conscience.

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    La deuxième trace de modernité s’appelle «A Beast A Priest», un Beast monté sur l’heavy beat de bass/drum de Mark Cisneros et Ron Miller. Alors le Kid se pointe, pour lui c’est du gâtö - Until I felt the pressure drop - Et il ajoute avec cet accent tellement angelino : «I’m too old/ To Win/ I’m afraid.» Il pèse de tout son poids sur le mystère. Il y a du shaman chez le Kid. Puis les autres cuts vont refuser d’obtempérer. Le reste de l’album ne marche pas. Il s’enfonce dans le western spaghetti avec «Silver For My Sister» et la samba avec «Ese Vicio Delicioso» - At the age of three I knew/ What I wanted to be - Toute la fin de l’album part à vau-l’eau. Le Kid abandonne son Congo Powers.

             Il est beaucoup plus à l’aise avec le Wolfmahattan Project. Sur le what ?

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             Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, the Wolfmanhattan Project est un super-groupe. Le trio se compose de Mick Collins, Kid Congo et Bob Bert, une sorte de conglomérat Cramps/Gories/Chrome Cranks. Leur premier album s’appelle Blue Gene Stew et Bob Bert a peint la pochette. On y entre comme on entre dans le lagon d’argent, bien conscient de la présence des dieux. C’est inespéré de down the drain dès «Now Now Now» que le Kid chante dans la pénombre, alors que Mick Collins envoie ses jets d’acide. Le Gorie prend ensuite le chant pour «Braid Of Smoke» et sale le plat au sonic brash. Non seulement il le sale, mais il le noie de disto. On croise ensuite quelques cuts étrangement inconsistants, et en B, «Smells Like You» nous rappelle à l’ordre, car plus garage, plus Pussy Galore par le côté défiant et le drumbeat indus de Bob. C’est monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’» et chanté en désespoir de cause. Dernier spasme avec «Silver Sun» que Mick Collins chante au feeling insidieux. Il s’engage dans l’avant-garde du beat déployé, il s’étonne lui-même d’être tellement en avance sur son époque, you need the silver sun now, et fait entrer dans la danse un sax free. Alors on est vraiment content d’être venu. Avant d’envoyer l’album coucher au panier, on note que «Last Train To Babylon» pioche dans l’ancien farfouillis de Roxy, à moins que ça ne soit dans celui du Babaluma.

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             Summer Forever And Ever est leur deuxième album. Avec «Like Andrea True», tu te croirais chez les Cramps. T’as même le petit tiguiliguili à la Ivy League, ça gratte dans les vieux replis de la légende, c’est comme abandonné aux bons soins d’une modernité à la dérive. Et puis soudain Mick Collins attaque au three two one yeah ! Cover de Jerry Nolan : «Countdown Love». Ces trois vieux crabes sont encore capables de rocker une heavyness joyeuse et fébrile. On sent tout le poids des Gories dans cette furie. C’est le Kid qui chante «Summer Forever», il place sa voix à la surface du beat infectueux. C’est forcément génial, plein d’esprit, battu sec par Bob et soutenu aux chœurs par ce démon de Mick Collins. Il profite de l’occasion pour tailler une vrille malsaine. Ils terminent leur balda avec «Hypnotize Too», un petit instro visité par un sax free. Weird, humide et fascinant. La B est moins héroïque. Ils l’attaquent avec un «H Hour» gratté à la Gories. Ça tombe sous le sens, très saccadé, quasi JSBX, coincé dans un coin. Ils s’amusent encore avec «Silky Narcotic» et envoient des spoutnicks. Ils travaillent des idées, on les sent fébriles dans leur quête de modernité. Ils bouclent avec «Raised/Razed», un groove Congolais, le Kid tartine bien son all over the sky et son turn you on/ because I can raise you.

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             Pour retrouver l’énergie d’un set de Kid Congo, l’idéal est d’écouter le Live In St Kilda de Kid Congo Powers & The Near Death Experience, un In The Red sorti l’an passé. C’est qui Kilda ? On a l’explication en ouvrant le gatefold : Kim Salmon avait invité le Kid pour la parution de son book à Melbourne. St Kilda est donc un patelin de la banlieue de Melbourne. Honoré par l’invitation de celui qu’il surnomme «my long time Scientist Surrealist Beast of a friend», le Kid monte un set avec le groupe d’Harry Howard, ex-Crime & The City Solution, Harry Howard & The Near Death Experience, «as the logical choice». Tu retrouves l’ambiance explosive du set des Pink Monkey Birds, avec comme point commun, une belle introduction : «You like to dance?» Et il ré-énumère les mashed potatoes et les autres vieux dance crazes qui datent de Mathusalem, «but you’ve not heard the one called Sexbeat!» Et re-bham, et t’es de nouveau frappé par l’infernale modernité du beat de Sexbeat. Dans ses liners écrite à la main, le Kid te dit : «Enjoy the racket». C’est bien d’un racket dont il s’agit dès «LSDC» - This is a place called/ L/ Sssss/ Diiii/ Ciiii - Et il embraye avec l’un de ces instros du diable dont il a le secret, «Black Santa», et de conclure la bouche en cœur : «It’s Christmas all of the tiiiiime.» Contrairement à ce qu’indique le track-listing d’In The Red, c’est «New Kind Of Kick» qui boucle le balda - You are searchers of some other sort of new/ Kind/ Of/ Kick - Et il tape une version demented en souvenir d’un groupe demented. C’est donc «Sophisticated Boom Boom» qui ouvre le bal de la B - Especially for Kim, by the Shangri-Las, you know the Shangri-Las ? Sophisti/ Cated/ Booooom/ Booooom». Il fait du big atmospherix avec «Diamonds Fur Coat Champagne» et termine l’album avec l’une des plus grosses dégelées royales de tous les temps : «Garbage Man» - Here comes/ The Garbage Man - Grosse attaque Crampsy - You ain’t no punk/ You punk - Qui dira la grandeur des Cramps, la portée de cette clameur binaire, l’heavy beat en crabe, qui dira l’impact surnaturel du do you understand et du stuff I use ?

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             Au merch, une autre pochette te fait de l’œil : Swing From The Sean DeLear, un maxi de Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Sean DeLear était un queer punk icon de la scène de Silver Lake. Ron Miller te bat «Sean DeLear» sec et net, ça frise le Sexbeat. Puis le Kid introduit à sa façon cet instro du diable qu’est «(Are You) Ready Freddy» et il embraye aussi sec sur «(I Can’t Afford) Your Shitty Dreamhouse». Il y va au take your hair out my air, ou out of my hair, c’est comme on veut, et on retrouve le bassamatic bien ordonné de Kiki Solis. En B, il passe avec «He Walked In» au heavy groove ténébreux et bien noyé d’underground angelino, là-bas, sous le soleil de Satan - The flesh of a man/ The face of a friend - Et il t’invite au jump inside, il voyage chez les morts et bizarrement, ça se termine en mode rumba des îles, en big latin flavour avec Mark Cisneros à la flûte bucolique.

    Signé : Cazengler, Kid Con tout court

    Kid Congo. Le 106. Rouen (76). 11 septembre 2024

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. That Delicious Vice. In The Red Recordings 2023

    Wolfmanhattan Project. Blue Gene Stew. In The Red Recordings 2019

    Wolfmanhattan Project. Summer Forever And Ever. In The Red Recordings 2022

    Kid Congo Powers & The Near Death Experience. Live In St Kilda. In The Red Recordings 2023

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Swing From The Sean DeLear. In The Red Recordings 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Roxy ça vaut pas Jerry Lee

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             Se foutaient pas le doigt dans l’œil Eddick Ritchell, Sharon Glory et Jimmy Freud quand, dans «Ego-Dames», ils clamaient la main sur le cœur «Ziggy et Roxy ça vaut pas Jerry Lee !». Ils tournaient le glam en dérision. La fière équipe d’Au Bonheur Des Dames est arrivée dans le rond du projecteur un peu après Roxy, mais la parenté crevait l’œil, au moins au niveau visuel. Du côté d’Au Bonheur, on rigolait, mais pas du côté de Roxy. Au Bonheur Des Dames fut ce qui arrivait de mieux à la France de 1974, de la même façon que Ziggy et Roxy à l’Angleterre de 1972. On sentait alors une volonté clairement affichée de réinventer le rock de part et d’autre de la Manche. Le rock ne s’est jamais mieux porté qu’en ces années-là.

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             On a tous flashé sur le premier Roxy paru en 1972 sur Island. Cet album parfait est resté un point de repère, pour une seule et unique raison : «Re-Make Re-Model», avec son intro de piano historique et le tagaga de Paul Thompson. Et aussitôt après, Manza foutait le feu, t’avais des chœurs de lads - I tried but coundn’t find a way - L’un des cuts parfaits de l’histoire du rock anglais. T’ouvrais le gatefold et t’avais ces six portraits supersoniques. Par contre, le reste de l’album te laissait sur ta faim de loup.

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             Il fallut attendre For Your Pleasure, paru un an plus tard, pour calmer cette faim de modernité. T’avais encore cinq portraits fantastiques dans le gatefold. Pas de bassman. Un certain John Porter était crédité à la basse. Et Chris Thomas produisait. Trois cuts allaient te marquer la cervelle au fer rouge : «Do The Strand», «Editions Of You» et «The Bogus Man». Tu retrouvais la fantastique énergie de la décadence dans un «Do The Strand» épaulé par le sax d’Andy Mackay. Tu retrouvais des accords de piano dans l’intro d’«Editions Of You», mmmmmhh, et la frappe sèche de Paul Thompson. Alors John Porter entrait en lice et ça virait au demented are go. T’étais au cœur du phénomène Roxy. Ils bouclaient leur balda avec «In Every Dream Home A Heartache», un Big Atmosphrix d’I blew up your body/ But you blew my mind ! Et en B, t’avais bien sûr l’excellent «Bogus Man» et la belle frappe sèche de Paul Thompson, renforcée par l’adroit bassmatic de John Porter. Ils faisaient en fait du Babaluma, de l’hypno à Nono, et Manza grattait des poux funky dans le déroulé. Puis Ferry repartait dans son maniérisme à la mormoille avec «Grey Lagoons» que venait tempérer Andy avec un solo de porcelaine de sax. C’est dingue comme ces mecs savaient développer.

             Et puis, les choses vont se dégrader. Une fois Eno viré, Roxy va devenir un groupe commercial, à l’image d’un Bryan Ferry dévoré d’ambition. La modernité de Roxy va s’étioler d’album en album, d’abord avec Stranded et Country Life, puis sombrer enfin dans la daube commerciale que l’on sait. Rien à tirer des albums suivants.  

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             Roxy revient dans l’actualité via l’autobio de Phil Manzanera, Revolucion To Roxy. Tu chopes l’info, tu te frottes les mains, tu baves même un peu : toute littérature concernant Roxy est ultra-bienvenue. Tu t’attends même à un big book, étant donné que tu considères Manza comme un élégant personnage cosmopolite. Avant ça, tu n’avais eu que le book de Michael Bracewell à te mettre sous la dent : Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music, un book bien documenté,  très axé sur le concept de Roxy, mais qui manque d’épaisseur humaine. On n’y sent pas bien les personnages. Manza va-t-il combler ce déficit ?

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             Il comble que dalle. Tu l’as dans le baba. C’est l’une des grandes déconvenues du siècle. Manza fait d’autres choix. Roxy, c’est juste deux chapitres, et tout le reste concerne la gloriole, les tournées mondiales, les raids en Amérique latine, la fréquentation de lascars comme David Gilmour, les maisons, les bagnoles, les awards, les gosses, les arbres généalogiques, et puis bien sûr les épisodes de reformation de Roxy avec les millions de dollars, c’est l’histoire d’un groupe qui fut passionnant le temps de deux albums et qui a fini par tourner en eau de boudin, c’est-à-dire en grosse machine à fric vide de sens, mais qui remplit les stades. Là est le paradoxe. On le connaît par cœur, ce paradoxe. On ne peut pas lutter. Comme si la dimension artistique ne comptait plus. Ne reste que la gloriole et l’Hall of Fame, toute cette drouille immonde qui gâche la légende d’un art qu’on croyait sacré et qui n’est au fond qu’un business de plus. Tu lis ce book et t’es atterré par le spectacle qu’il t’offre. C’est un peu comme si tu lisais les mémoires de Jagger ou celles de Gilmour, des books que tu n’approcherais jamais, même avec une pince à linge sur le nez. Bon, là, tu dois bien reconnaître que tu t’es fait baiser.

             On attendait de Manza qu’il nous parle d’Andy Mackay en long et en large, ou d’Eno, ou de Paul Thompson. Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Et pas un mot sur Johnny Gustavson, le mec des Big Three qui joue de la basse sur 4 albums de Roxy, ni sur Sal Maida. Rien ! Que dalle !

             Roxy avait passé une annonce dans le Melody Maker : «Wanted. The perfect guitarist for avant rock group: original, creative, adaptable, melodic, fast, slow, elegant, witty, scary, stable, tricky. Quality musiciens only.» Manza passe l’audition avec sa Gibson ES 335 et comme ils n’aiment pas  le look de la 335, ils lui disent de revenir avec une Strato. Mais c’est David O’List qui décroche le job. Manza est déçu. Le seul défaut d’O’List était d’arriver en retard aux répètes, et c’est comme ça que Manza finit par décrocher le job. Il est là, alors les autres lui demandent de jouer. Dans la première mouture, le bassman s’appelle Graham Simpson. Et comme Manza connaît bien les cuts, Bryan Ferry lui propose un CDI à 15£ la semaine. En 1972, il devient professionnel.

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             Manza donne des détails importants : au début, Roxy n’a pas de blé, alors le groupe doit redoubler d’inventivité. Comme ils viennent de décrocher un contrat avec Island, on les confie à Anthony Price, un fashion designer qui doit peaufiner leur image. Manza est sapé comme l’as de pique et Price qui bien sûr est gay fait «no, no, noooo» et lui demande de porter un blouson de cuir et des lunettes d’extra-terrestre, sur lesquelles sont collés des clous en diamant. Manza a son look en 5 minutes. Le problème, c’est qu’il ne voit rien avec ces «bug eyes». Il ne voit que ses pieds. Pour gratter ses poux, c’est l’enfer. La photo des «bug eyes» est dans la page. Tu les vois aussi quand tu ouvres le gatefold du premier Roxy.

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             C’est aussi là que commencent les problèmes : Bryan Ferry décide de tout. La pochette du premier Roxy, c’est lui. Manza rappelle aussi que Graham Simpson était dans le premier groupe de Bryan Ferry, The Gas Band, au temps de la fac de Newcastle. Puis Simpson va traverser une mauvaise passe et se faire virer. C’est là que commence le bal des bassistes. Manza en dénombre 15. Il indique aussi que Bryan Ferry et Andy Mackay sont revenus transformés d’un concert de Ziggy. C’est là qu’ils décident de se transformer en gravures de mode, comme l’ont fait les Spiders From Mars. Et le plus avancé, dans cet art, c’est bien sûr Eno. Il tombe toutes les filles et Manza sous-entend que Bryan Ferry le jalouse.

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    (Chris Thomas)

             C’est Chris Thomas qui va enregistrer Music For Your Pleasure. John Cale l’a recommandé à Roxy. Manza rappelle aussi que Thomas a bossé sur le White Album. Alors wham bam ! Mais Bryan et Brian ne s’entendent pas. Eno se considère comme un «Independant mobile unit» et un «non-musician». Il ne supporte pas l’autorité. En plus, il est le plus flamboyant du groupe - which I’m sure Bryan didn’t enjoy - Il va subir le même sort qu’un autre Brian, Brian Jones. En plus, Eno est très extraverti, alors que Bryan Ferry reste impénétrable. Ils sont à l’opposé l’un de l’autre. En plus, Bryan Ferry continue de faire ses coups en douce. Il a déjà quasiment réglé la question de la pochette du deuxième album sans en parler aux autres. Manza le redit : Bryan Ferry n’a consulté personne. Il a choisi Amada Lear pour le recto et c’est lui qu’on voit au verso déguisé en chauffeur. Les membres du groupe émettent une molle protestation et Bryan Ferry la prend en compte. Puis une petite shoote éclate entre Bryan et Brian, à propos d’une gonzesse. Brian Eno joue une dernière fois avec Roxy en 1973 et il quitte le groupe avant de se faire virer.

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             Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on a sur Roxy. Manza donne aussi des détails sur la pochette de Country Life avec les deux belles gonzesses en petite tenue. Il rappelle aussi qu’entre 1972 et 1984, il n’a pas gagné un rond, malgré les tournées mondiales et les disques d’or : le management et probablement Bryan Ferry s’en s’ont mis plein les poches. Puis les choses vont se détériorer dans le groupe. 1976 nous dit Manza est le commencement de la fin. Il voit encore Bryan Ferry faire ses coups en douce et traiter les autres membres comme son backing band. À la fin de la tournée Avalon, en 1982, Andy Mackay et Manza donnent leur démission : «It’s been a great pressure working with you. Goodbye.»

             Il leur faudra attendre 18 ans pour se reparler. Ce que Manza veut dire à travers tout ça, c’est qu’on ne peut pas être pote avec un mec comme Bryan Ferry. C’est impossible.

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             C’est le gros billet qui va les motiver pour la reformation, comme c’est le cas pour tous les groupes de vieux crabes. Tout ce qu’ils veulent, c’est se payer des belles baraques dans la campagne anglaise et des Rolls. Tu vois un peu le niveau ? On leur propose 7 millions de livres. Bryan Ferry, Manza et Andy Mackay acceptent le principe. Ils se retrouvent en studio à Londres et tentent de jouer «Virginia Plain». Ça marche. Paul Thompson est là aussi, avec Guy Pratt on bass. Il est question d’un nouvel album produit par Chris Thomas. Eno fait aussi partie du projet. Ça se passe bien jusqu’au moment où ils s’assoient pour papoter tous ensemble, et Eno fait remarquer que chaque membre rejoue le rôle qu’il jouait 35 ans auparavant. Alors Manza comprend que le projet est foutu. Chacun repart de son côté. Roxy, ça vaut pas Jerry Lee. 

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             Le Mojo Interview est mal barré : Manza apparaît tel qu’il est aujourd’hui, en petit pépère souriant. Fini l’allure de wild rocker glamour. Il pose pour un autre portrait en fin d’interview avec les fameux «bug eyes» qu’il a conservés. Et si sa plus belle heure de gloire était d’avoir accompagné Robert Wyatt sur Ruth Is Stranger Than Richard ? Pour mener l’interview, Mat Snow ne se casse pas la nénette : il repart de l’autobio. Père anglais, possible agent double, et mère argentine. Rusé comme un renard, Snow amène vite Manza sur le terrain de Roxy. Alors le pépère souriant y va de bon cœur : «I wanted to be more like the Velvet Underground, textural. Les autres ont amené des choses différentes : Eno had systems music, Bryan a mixture of Motown and the Velvet Underground, Andy loved King Curtis and Paul loved Led Zeppelin.» Chacun amenait sa petite contribution, conclut gaiement Manza. Pour lui c’est un collectif. Eno avait inventé le mot «scenius». Snow revient sur l’éviction d’Eno. Manza n’est pas clair là-dessus, il indique qu’Andy en sait plus que lui, aussi recommande-t-il d’attendre qu’Andy écrive son autobio - Et quand j’ai dit à Bryan l’autre jour que j’écrivais un book, je lui ai dit qu’il devrait en faire autant - j’aimerais bien enfin savoir ce qui s’est passé - Andy et Manza se sont quand même posé la question de savoir s’il fallait suivre Eno ou rester dans Roxy. Ils ont décidé «de rester pragmatiques» et sont restés dans Roxy. Manza va aussi filer un coup de main à Eno sur Here Come The Warm Jets et à John Cale sur Fear et Slow Dazzle. Manza précise que Roxy avait demandé à Calimero de produire For Your Pleasaure, mais comme il était sous contrat avec Warners, il ne pouvait pas, et il recommanda Chris Thomas. 

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             Après toutes ces déconvenues, il est grand temps de ressortir le Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music de Michael Bracewell. Finalement, c’est lui qui a raison : avant d’être une aventure humaine, Roxy est un concept - Above all... a state of mind, lâchait Bryan Ferry en 1976 - Bracewell souligne très vite la proximité des «wily strategies of Duchampian aesthetics», cette proximité qui nous conduisit à l’époque à délirer sur Roxy et pondre un Conte, cot cot !  Bracewell ose des parallèles extraordinaires entre Roxy, Smokey Robinson, Marcel Duchamp, le Velvet, John Cage et Gene Kelly, «all in their different ways, forcefully and glamourously modern.» Bracewell ajoute qu’avec le premier Roxy, Ferry «presented his carte de visite to the world. The record was arch, thrilling, elegant, unique, clever and richly romantic.» C’est bien ce qu’on reproche à Ferry, le côté trop clever, mais Bracewell a raison de souligner l’élégance et la singularité. Bracewell établit aussi en lien entre Joe Meek et Roxy - the Meekian other-worldniness - symbolisé par «Ladytron». Parmi les influences de Roxy, Bracewell cite le «Bad Penny Blues» d’Humphrey Lyttelton, produit par Joe Meek, dont l’intro de piano sera reprise par les Beatles dans «Lady Madonna». Ferry cite aussi le Charlie Parker Quintet avec Miles Davis, et bien sûr LeadBelly - a black dandy, a precursor to Bob Dylan - Et là, effectivement, Bracewell navigue à un autre niveau que Manza. Comme quoi, il y a book et book.

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             Bracewell lance encore des ponts entre le Velvet et Roxy via l’art moderne, puis établit le lien fondamental entre Andy Mackay et Dada, un Andy qui flashe aussi sur les Bonzos - There is definitevely the English art school influence of Dada rediscovered - et puis le lien Richard Hamilton/Marcel Duchamp qui est au cœur de Roxy, car Bryan Ferry fut l’élève d’Hamilton, le théoricien du Pop Art, héritier de Duchamp - No living artist commands a higher regard among the younger generation than Marcel Duchamp - Hamilton enseignait à Newcastle, où vivait encore le jeune Ferry. Un Hamilton qui va d’ailleurs concevoir la pochette du White Album. Le concept, rien que le concept. C’est ce qu’il faut comprendre. Roxy n’est pas un groupe ordinaire. 

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    ( Peinture de Mark Lancaster)

             Et ça qui vaut tout l’or du Rhin : Mark Lancaster évoque sa rencontre avec Marcel Duchamp - J’ai rencontré Marcel Duchamp chez Richard Hamilton à Londres, quand il est venu pour son exposition à la Tate Gallery en 1966. Il m’a demandé : ‘Êtes vous artiste ?», and when I said yes, or «Oui», he said, «Moi aussi.» Quelques jours plus tard, je l’ai rencontré avec sa femme Teeny à Carnaby Street. Je venais d’acheter un costume jaune vif. Ils l’ont admiré, mais je n’ai pas osé lui demander de le signer - C’est quand même plus intéressant que le Rock’n’roll Hall Of Fame, n’est-ce pas ?

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    ( Marcel Duchamp)

             Liens encore avec le «Moon River» d’Henri Mancini et Breakfast At Tiffany’s, avec les photos de Mark Lancaster de yellow cabs qu’il a photographiés depuis le «fire escape of Andy Warhol’s Factory», Bracewell n’en finit plus de rappeler que les racines de Roxy sont la trilogie suprême de l’art moderne : Andy Warhol, Marcel Duchamp et Richard Hamilton. D’où les portraits qui ornent le gatefold de Roxy Music. Bracewell s’en donne à cœur joie : «Serré dans une chemise noire, Mackay est incroyablement beau - a mascaraed rocker, greasy quiff piled high at the front and straggling in disdainful rat-tails down the nape of his neck. Le menton dans la main, chaque doigt portant une lourde bague, son image est celle du rebelle solitaire et introverti, a one-shot amplification of the rock and roll style of fifties Americana.» Les six portraits sont des œuvres d’art moderne. On avait tous flashé là-dessus en 1972. Et Bracewell de rappeler que Mackay était aussi un dandy fasciné non seulement par Dada, mais aussi par «Swinburne, Audrey Beardsley and the Preraphaelte Brotherhood». Personnage complet.

             Signé : Cazengler, Roxy Musette

    Roxy Music. Roxy Music. Island Records 1972

    Roxy Music. For Your Pleasure. Island Records 1973

    Mat Snow : Phil Manzanera - The Mojo Interview. Mojo # 366 - May 2024

    Phil Manzanera. Revolucion To Roxy. Expression 2023

    Michael Bracewell. Re-make Re-model. Faber & Faber 2007

     

     

    L’avenir du rock - Squire boy

             Le jusqu’au-boutisme n’a aucun secret pour l’avenir du rock. Sans vouloir manquer de respect aux ceusses qui se poseraient la question de savoir pourquoi, disons qu’une nature conceptuelle sans jusqu’au-boutisme n’est pas concevable. Un concept qui ne pas va au bout des choses n’est pas un concept. L’avenir du rock ne manque pas une seule occasion de mettre ce postulat en pratique. Pour d’obscures raisons éditoriales, il a besoin de se faire traiter de square, aussi décide-t-il de se déguiser en beauf atroce et d’aller provoquer Boule et Bill à la terrasse de la Civette. Il mouille son peigne et se coiffe les cheveux vers l’arrière, les plaque avec du saindoux, il se dessine une grosse moustache au feutre, puis il enfile un marcel, un short en nylon rouge, des chaussettes noires et chausse des charantaises. Il complète l’ensemble avec une vieille casquette Ricard du Tour de France et des lunettes de soleil miroir. Avant de sortir, il prend soin de placer quelques traces de Nutella sur le marcel et sur l’arrière du short pour que le côté douteux des choses ne laisse absolument aucune chance au doute. Pour compléter le panorama, il s’est acheté des boules puantes chez son fournisseur préféré. En arrivant à destination, il allume bien sûr un cigarillo bien puant. Boule et Bill l’ont vu arriver de loin. Ils ne cachent pas leur dégoût lorsque l’avenir du rock, sans même leur demander leur permission, s’assoit face à eux.

             — Tu nous fous la honte, avenir du rock. En plus tu schlingues comme un putois.

             L’avenir du rock leur souffle la fumée du cigarillo dans la gueule et lâche le plus sonore des pets. Prrrrrrrrrrr ! Tous les gens installés sur la terrasse se retournent.

             — Alors les deux réactionnaires, toujours sur la brèche ?

             — Avec un lascar comme toi, on ne sait jamais ce qui va nous tomber sur la gueule. Tu veux quoi, avenir du rock ?

             — Chais pas, Boule. Une petite insulte ?

             — Tu veux qu’on te traite de beauf ?

             — Ah oui mais en anglais !

             Bill qui connaît trois mots d’anglais saute sur l’occase :

             — Fooking square !

             Radieux, l’avenir du rock lâche un gros Prrrrrrrr dionysiaque et corrige le tir :

             — Non pas square, fooking Bill, Squire !

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             John Squire superstar ? Aucun doute là-dessus. Il refait l’actu en compagnie de Liam Gallag : les voilà tous les deux en devanture de Mojo. Tapis rouge : douze pages et des photos à gogo. Promo presse pour un nouvel album, comme au temps d’avant.

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             Douze pages. T’es obligé de t’y reprendre à deux fois - It’s the best bits of Oasis with the best bits of The Stone Roses, they promise - La classe des deux ! Tu te rinces l’œil. Ces deux vétérans ont de vraies allures de rock stars anglaises, surtout Squire Boy avec sa petite coupe de douilles seventies et cette façon qu’il a de te regarder droit dans les yeux. Liam Gallag raconte qu’il a offert deux paires de mocassins à Squire Boy qui était sorti de sa réclusion pour venir jouer en rappel sur «Champagne Supernova», à Knebworth, en juin 2022 - Hand-made from Portugal, with tassels - c’est-à-dire avec les glands. Mod shoes. Liam Gallag raconte qu’il s’est toujours intéressé aux pompes de Squire Boy, d’où l’idée du cadeau des mocassins. En échange, Squire Boy lui offre deux chansons et lui demande : «Would you like to sing on them?». Of course. C’est là que naît l’idée de leur collaboration. Et Liam Gallag d’ajouter : «John’s songs are the reason I got into music in the first place.»

             Quand les frères Gallag voient Les Stones Roses pour la première fois en 1988, ils flashent  comme des bêtes - If they can do it, I can definitively do it - Noel Gallag dira même à Squire Boy qu’Oasis doit son entière existence aux Stones Roses. Il faut rappeler qu’entre 1988 et 1990, les Stone Roses régnaient sans partage sur l’Angleterre. Parmi les adorateurs/followers des Stone Roses, se trouvaient les Inspiral Carpets, dont Noel Gallag était le roadie. Ted Kessler chante les louanges des Stone Roses en termes de «musicianship, particularly the expansive playing of Squire and drummer Alan ‘Reni’ Wren», un Squire, ajoute Kessler, «who was harking back to the more flashily fluid styles of Jimi Hendrix and Jimmy Page.»

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             Si on suit Squire Boy à la trace depuis plus de trente ans, la raison en est simple : elle porte le doux nom de Second Coming, le deuxième album des Stone Roses. On s’en souvient peut-être, les Stone Roses étaient un groupe de surdoués : section rythmique de rêve et un Squire Boy on fire. Le maillon faible était sans doute Ian Brown, le chanteur. Les Stone Roses groovaient comme des dieux, et ce dès «Breaking In Heaven». Là t’avais Squire Boy au décollage, il avait déjà tout bon, il déployait une sorte de sauvagerie, et le bassmatic de Mani entrait au bout du compte. Ian Brown n’avait pas de voix, mais ça marchait quand même. Ils restaient dans une espèce de power fondamental avec «Driving South». Dans l’instant T, ils étaient réellement les meilleurs. «Ten Storey Love Song» sonnait comme un balladif frappé de magie, et sur ce coup-là, Ian Brown s’en sortait plutôt bien. Au beurre, Reni avait une fâcheuse tendance à voler le show. On sentait aussi chez eux une volonté affichée de psychedelia («Your Star Will Shine», pas loin du «Tomorrow Never Knows» des Beatles, on sentait le power sous la toile de jean) et ça repartait de plus belle avec le groove de «Straight To The Man». Classique mais rondement mené. Ils revenaient au groove sauvage avec «Begging You». Fantastique énergie, wild as fucking fuck, c’était d’une rare violence comportementale, mille fois plus puissant que Primal Scream, tout était dense, compressé à l’extrême, même les poux de Squire Boy, et Reni battait le beurre du diable. Puis ils te swinguaient «Tightrope» fabuleusement - I’m on a tightrope baby - avec des clap-hands, avant de replonger dans le caramel du groove, c’est-à-dire «Good Times», pure niaque de ‘Chester, t’en revenais pas d’entendre l’élégance du gratté de poux de Squire Boy. Avec ces mecs-là, tu nageais en plein bonheur. Ils bouclaient avec «Love Spreads», un heavy groove drivé au yeah yeah yeah, admirablement bien balancé, my sister/ She’s alright and she’s my sister !

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             Second Coming était nettement supérieur au premier album sans titre des Stone Roses. Tu y sauvais deux cuts, «I Wanna Be Adored» et «She Bangs The Drums». Le Wanna Be Adored sonnait comme un hymne, rien que par le thème. Même sans voix, ça passait comme une lettre à la poste. Squire Boy foutait bien la pression. Et tu retrouvais ce son unique dans «She Bangs The Drums», t’avais là-dedans toute l’ampleur de la pop anglaise, poppy puppy popette de poppah. Puis ce premier album allait décliner lentement, malgré les efforts de Squire Boy. Dans «Waterfall», il se livrait à un brillant numéro ondoyant et il revenait avec «Don’t Stop» à la Beatlemania psychédélique. On assistait là à une fantastique tentative d’osmose. Puis tout virait poppy popette («(Song For My) Sugar Spun Sister» et «Made Of Stone»), bien dans la veine de la tradition, ils entraient même dans le ventre mou de la pop anglaise («Shoot You Down»). Reni battait «I Am The Resurrection» comme un diable, mais ça n’en faisait pas un hit pour autant, même si ça se terminait en heavy groove dévastateur. Kessler est marrant car il dit exactement le contraire : il parle d’«one great album and a dissappointing follow up». Il n’a rien compris au film.

             Quand Oasis joue à Knebworth en 1996 devant 200 000 personnes, ils invitent Squire Boy à venir jouer sur «Champagne Supernova». Et 26 ans plus tard, Liam Gallag lui refait le coup en le présentant à la foule comme étant «the coolest man on the planet.»  C’est encore Noel Gallag qui rend hommage aux Stones Roses : «They kicked the door open for us, then we came in and nailed it to the wall.»

             Liam Gallag et Squire Boy ont commencé par enregistrer des démos et sont ensuite allés passer 15 jours chez un producteur de Los Angeles nommé Greg Kurstin, lequel Kustin a proposé de bassmatiquer et de rapatrier le batteur Joey Waronker.

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             L’album s’appelle Liam Gallagher John Squire. Ils ne se sont pas cassé la nénette pour trouver un titre. Et t’as le Liam qui s’impose aussitôt avec «Raise Your Hand». Non seulement t’as du son, mais t’as aussi la voix. Le Liam écrase son raise au fond du cendrier et Squire Boy claque un solo d’étranglement. Le Liam est toujours aussi Oasien. Il va toujours chercher le bon ton au sommet d’un rock ultra-saturé. «You’re Not The Only One» est le coup de génie de l’album. C’est fin, racé, ficelé, c’est même un hit pour la radio, on retrouve le goût des Anglais pour le big time, Squire Boy y passe un killer solo flashy comme pas deux. Liam Gallag + killer Squire, ça fait revivre la vieille Angleterre. C’est à la fois délicieusement classique et imbattable. Avant de cracher sur Oasis, écoute cette merveille. Si tu veux un album de rock anglais, c’est là.  Et t’as aussi un «One Day At A Time» écrasé de power et de singalong Oasien. Liam Gallag n’en finit plus de traîner la savate dans le chant. C’est d’une rare puissance. Puis ils tapent dans l’heavy blues avec «I’m A Wheel». Pas de problème ! Mais l’album finit par tomber dans la routine Oasienne. Squire Boy fait des efforts considérables pour la briser. Avec «Love You Forever», ils jouent le hard blues des seventies. Ils n’inventent pas la poudre, c’est juste un prétexte à jouer dans le bac à sable. On entend Squire Boy claquer ses mighty carillons dans «I’m So Bored». Il est l’un des guitaristes les plus infectueux d’Angleterre. Il gratte toujours tout ce qu’il peut.

             Selon Kessler, l’album de Liam Gallag et Squire Boy n’aura pas le même impact qu’ont eu sur la rock culture les deux premiers albums d’Oasis et le premier Stones Roses, «but it’s the best thing either have recorded since those early records.» Kessler parle d’un «sleek rock album», c’est-à-dire élégant, bourré d’«unshakably sticky melodies and choruses.» Kessler y retrouve toutes les influences dont Squire Boy et Liam Gallag sont tellement friands : Jimi Hendrix dans «Love You Forever», les Stones et les Beatles dans «Just Another Rainbow», les Faces dans «Make It Up As You Go Along» et Liam Gallag trouve que «Raise Your Hands» sounds like Roxy Music. Et puis bien sûr Oasis et les Stone Roses - It’s a perfect mariage of the two bands - Ailleurs dans l’article, Kessler ramène aussi le duo De Niro/Pacino dans Heat, un autre exemple de perfect mariage. Squire Boy dit bien son admiration pour Liam Gallag : «He brings a passion and intensity that I can’t muster. There’s something about his voice that meshes with the way that I play guitar.» Il parle de complémentarité. Kessler termine en beauté, puisqu’il les voit se lever pour aller faire leur photo-shoot, «just like in the old glory days - which surprisingly, may be still ahead of them.» Une chute qui tinte merveilleusement bien à l’oreille de l’avenir du rock.

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             Après la fin des Stone Roses, Squire Boy va monter The Seahorses et enregistrer Do It Yourself. C’est un album qui vaut le déplacement. Pour au moins quatre raisons, dont deux Beautiful Songs, «Love Me & Leave Me» et «Head». Dans Love Me, Squire Boy ne croit en rien, don’t believe in Jesus, don’t believe in Jah, il croit en lovers, c’est fameux et surtout très gratté, ça te donne une belle rengaine enluminée de poux scintillants. «Head» sonne aussi comme une grosse compo. Les Seahorses auraient pu devenir énormes. Squire Boy fait là du power balladif, avec un Chris Helme qui pose bien sa voix et qui l’entortille quand il faut, il a du poids et du ruckus. «1999» sonne comme un coup de génie, c’est très Oasis dans le ton, avec du sharp slinging de Squire Boy, ça sonne comme du heavy Quicksilver avec l’aura de Madchester et t’as l’incroyable clameur du Squire Boy qui du coup se met à sonner comme Stylish Stills. Ah il faut voir cette bravado ! Belle attaque encore avec «I Want You To Know», pas loin d’Oasis et un Squire Boy qui fout le feu avec ses poux. C’est un son très anglais. Chris Helme fait encore merveille sur «Blinded By The Sun», il a la voix un peu grasse, comme une huître, une voix juteuse et colorée, et derrière lui t’entends le Squire Boy voyager dans le son. «Suicide Drive» coule bien dans la manche et Squire Boy y joue un solo au long cours, avec le feu sacré. Ils se confrontent ensuite à la shakespearisation des choses avec «The Boy In The Picture», ça veut dire qu’ils entrent en dramaturgie, avant de revenir à un son plus heavy avec «Love Is The Law». Chris Helme fait son Liam Gallag. Il vise clairement l’Oasis. Il se croit dans le désert, et après un joli break de basse, Squire Boy part en vrille de poux demented. Yeah yeah ! Il gratte encore comme une brute dans «Round The Universe», cut de belle pop enjouée aux joues bien roses. Il descend une fois de plus au barbu avec une science aiguë du solo flash. Ils frisent plus loin le Sabbath avec «Standing On Your Head», on se croirait sur le premier Sabbath tellement c’est bien foutu. L’in the sky vaut bien celui d’Ozzy. 

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             En 2002, Squire Boy enregistre son premier album solo, Time Changes Everything. Bon, c’est déjà plus la même chose. Pour le dire autrement : c’est autre chose. On admire tellement Squire Boy qu’on ne peut pas dire du mal de ce premier album solo. Il fait du Dylanex avec «Transatlantic Near Death Experience». C’est exactement Queen Jane Approximately, avec les mêmes descentes de couplets, mais sans l’orgue Hammond. Squire Boy tartine fantastiquement. Pour le reste, il y va à l’insidieuse («Joe Louis»), il fait de la belle heavy pop avec un certain goût de revienzy («I Miss You»), mais c’est pas Liam, il chante à l’écrase-syllabe. Il est cependant meilleur que Ian Brown au chant. Il a même du cachet. Il sait challenger un cut (le morceau titre) et il pense toujours à ramener du big guitar slinging. Son «Welcome In The Valley» est excellent, bien tenu par la colle d’un chant à la ramasse. Il a d’excellents réflexes comportementaux. Il se laisse aller avec l’heavyness de «Strange Feeling». Globalement, c’est un album honnête, très sonnant, très trébuchant, mais sans idées. D’où ‘l’autre chose’.

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             Son deuxième album solo s’appelle Marshall’s House et sort deux ans plus tard. Il fait encore quelques étincelles sur «Summertime», il tente bien le coup en grattant une belle clairette, il barde bien la barcasse de barda. Squire Boy est un mec assez balèze. Il tartine son morceau titre à n’en plus finir, mais on en restera là. Il force trop sa voix. Il se prend pour Liam, mais il est loin du compte. Il tente le coup du power absolu, mais la voix n’y est pas. Trop affectée. Il se gratte la glotte. Dommage. Dès qu’il chante, il ruine tous ses efforts. Il finit en mode Big Atmospherix avec «Gas». Il se réconcilie avec le gros son. Bye ! Bye Baby ! Il se jette dans la balance, il envoie sa dégelée et ça devient l’hit de l’album. Squire Boy se noie dans son son. Aucun espoir de le sauver. «Gas» est un cut entreprenant, totalement remonté des bretelles.

             En 2016, les Stones Roses tenteront de se reformer en enregistrant deux singles, «All For One» et «Beautiful Thing» - It proved to be a mirage - Une dernière tournée, puis Squire Boy dit stop. Il ne s’entend plus très bien avec son vieux copain d’école Ian Brown. Il préfère se consacrer à sa peinture et à sa famille. Enough monkey business.

    Signé : Cazengler, John Square

    Liam Gallagher John Squire. Liam Gallagher John Squire. Warner Records 2024

    Stone Roses. The Stone Roses. Silvertone Records 1988

    Stone Roses. Second Coming. Geffen Records 1994

    The Seahorses. Do It Yourself. Geffen Records 1997

    John Squire. Time Changes Everything. North Country 2002

    John Squire. Marshall’s House. North Country 2004

    Ted Kessler : What the world is waiting for. Mojo # 365 - April 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Just like Honeycombs

             Tu ne pouvais imaginer Baby Honey qu’au lit. Et bien sûr dans tes bras. Elle symbolisait le paradis, comme on aimait à l’imaginer au sortir de l’adolescence. Franchement, le paradis c’était pas compliqué : il te suffisait d’avoir un grand lit, des draps de satin jaune et le corps nu de Baby Honey que tu pouvais butiner encore et encore. Tu poussais même le fantasme jusqu’à imaginer qu’elle aimait à se faire butiner, puisqu’elle en réclamait encore et encore. Tu l’entendais soupirer : «encore... encore...», et tu t’arrachais aux torpeurs d’un premier sommeil pour couvrir le centre de son corps des baisers le plus attentionnés. Le jour se fondait dans la nuit et la nuit dans le jour, le paradis avait gommé tous les aspects rugueux de la réalité, le premier étant de s’arracher à ses bras pour aller bosser. Tu ne quittais le paradis de satin jaune que pour aller au frigo préparer une bricole à grignoter, une salade de tomates et une tranche de jambon, ou servir l’un de ces Américanos à l’orange dont Baby Honey était tellement friande, puis quand le frigo était vide, tu te hâtais d’aller faire trois courses pour revenir te jeter dans ses bras. Le paradis semblait infini, tu voulais y vivre pour le restant de tes jours, et lorsque tu demandais à Baby Honey si elle voulait partager cet infini avec toi, elle plissait les yeux et murmurait «encore... encore...», en te prenant la main pour la poser à l’endroit le plus sensible de son corps. Les jours et les semaines passaient, sans que rien ne vînt troubler la paix du paradis de satin jaune. Il n’existait rien de plus sacré que de réveiller Baby Honey avec un baiser, elle ouvrait doucement les yeux et ses yeux semblaient rire. Elle rayonnait de mysticisme amoureux et tu t’abreuvais en elle. Toi qui n’étais pas croyant, tu finissais par trouver Dieu sympa, puisqu’il avait inventé, rien que pour ta pomme, le paradis sur la terre. À aucun moment, tu n’aurais imaginé que ce paradis allait se transformer en enfer. Il te faudra cinquante ans de recul pour comprendre que ce basculement des genres est d’une grande banalité.

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             Baby Honey n’a rien à voir avec Honey, la batteuse des Honeycombs. Baby Honey est blonde et Honey brune. Baby Honey hait le rock et Honey Lantree le jouait en 1964 de façon spectaculaire. Il ne fallait donc pas se tromper d’Honey. Autant Baby Honey était une mauvaise pioche, autant Honey Lantree est la bonne.

             Qui se souvient des Honeycombs ? Un groupe londonien des early sixties produit par Joe Meek ? Honey Lantree y battait le beurre, et l’excellent Alan Ward était l’un des premiers à claquer de killer solos flash en Angleterre. Mais quand on voit les clips sur YouTube, on est vite fasciné par cette batteuse paradisiaque qu’est Honey Lantree.

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             Le premier album sans titre des Honeycombs était très en avance sur son temps. Ce Pye de 1964 taillait bien la route. C’est Dennis D’Ell qui chante, et à propos du solo spatial d’Allan Ward sur «Once You Know», Meeky Meek parle de «brillant solo work».  Meeky Meek signe une partie des liners, au dos de la pochette. Bon, les compos sont parfois laborieuses, et c’est le son qui fait l’intérêt. La batteuse Honey chante sur «That’s The Way», et quand elle chante, elle donne du jus. Allan Ward prend encore un solo superbe dans «I Want To Be Free (Like A Bird In A Tree)» et ils bouclent leur balda avec leur big time hit, «Have I The Right». Full tilt de Meelky Meek ! Il a exactement la même intelligence du son que Totor. En B, on entend Honey battre sec et net «Nice While It Lasted». Il faut l’entendre relancer avec ses petits roulements pète-sec ! Grosse fête foraine dans «She’s Too Way Out». Space guitars & wild bassmatic, le pur génie productiviste de Meeky Meek est à l’œuvre et l’Honey bat ça si sec ! - Exceptional pretty and clever girl drummers are hard to find - Avec «Ain’t Necessary So», Meeky Meek fait sonner la guitare d’Allan Clark comme celle de Billy Harrison dans les Them. Pour 1964, The Honeycombs est un album extrêmement moderne. Bizarre que l’Angleterre ne s’en soit pas aperçue.

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             Le deuxième album des Honeycombs est fantastique. All Systems Go! sonne, aussitôt l’«I Can’t Stop». Ils ont du son. Et quel son, my son ! Solo de sax et solo de gratte demented, que veux-tu de plus ? Résonance exceptionnelle des basses, elles t’embooment l’oreille. Coup de génie pur avec le morceau titre, un wild ride transpercé en plein cœur par un wild killer solo flash, et visité dans les entrailles par cet ingé-son de génie qu’est Meeky Meek. Il sait faire claquer la charley ! Meeky Meek est le roi du killer solo flash. Allan Ward joue lead, mais c’est Meeky Meek qu’on entend. Ils tapent une belle reprise de l’«Ooee Train» du grand Bobby Darin, puis il refoncent dans le tas avec un «She Ain’t Coming Back» signé Meeky Meek. Tout est savamment meeké par Joe. On entre dans le territoire du génie productiviste, l’apanage de Totor, de Gary Usher et de quelques autres. Belle poussée d’exotica avec «Our Day Will Come». Meeky Meek fournit tout le boniment, c’est-à-dire le son. Ils enchaînent avec le «Nobody But Me» de Doc Pomus. Pure craze ! Encore une dégoulinade de kitsch avec «There’s Always Me» et retour à l’exotica avec «Love In Tokyo». Chaque fois, Meeky Meek crée les conditions du succès.  

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             Angel Air sort en 2016 l’album de la reformation des Honeycombs, 304 Holloway Road Revisited. Laisse tomber. C’est la reformation des vioques qui font du Buddy Holly sans Meeky Meek ni Honey, ce qui est un double anathème. Ça pue la reformation greedy, ces mecs-là feraient n’importe quoi pour palper un billet. Avec «Mary Jo», ils font du glam de vieux branleurs. Il n’y a rien de Meeky dans leur sauce. On se demande rapidement pourquoi on écoute cette daube de charognards. Avec «It’s Crazy But I Can’t Stop» et «That’s The Way», ils sont pathétiques et même atroces de putasserie. On en dégueule. Ils osent même retaper l’«Have I The Right». Comment osent-ils ? Pas de son, pas de Meeky, pas de rien.

    Signé : Cazengler, Honeycon

    Honeycombs. The Honeycombs. Pye Records 1964

    Honeycombs. All Systems Go! Pye Records 1965 

    Honeycombs. 304 Holloway Road Revisited. Angel Air Records 2016

     

     

    Luke la main froide

     - Part Six

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             Il se trouve que Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll est une mine d’or à ciel ouvert. Luke la main froide a la main lourde sur les recommandations. Alors on les suit.

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             Par exemple Cathal Coughlan. On rapatrie aussi sec son Song Of Co-Aklan, histoire de voir ce que ce Cathal a dans la culotte. Song Of Co-Aklan est son ultime album. Luke la main froide y gratte des poux. Dès le morceau titre, t’as une belle pop tendue à se rompre et un big beurre de Nick Allum. Luke s’y tape le bassmatic. C’est du Big Atmospherix. Le mot-clé de cet album est la dramaturgie. Cathal monte le Dog de «Passed-Out Dog» en neige. Pour lui, le Big Atmospherix doit voyager dans le ciel comme un gros nuage d’apocalypse. Tout est très dense, très sombre, plongé dans une sorte de malheur théâtral. Cathal donne trop de caractère à ses cuts. Ça ne peut pas prendre. Un album suffit pour se faire une idée. Il repart en belle pop d’allant martial avec «Let’s Flood The Fairyground». Cathal est un fier Coughlan, et le cut décolle à la seule force du chant. Mais il revient ensuite à ses travers. Il est trop dans le théâtre du rock. On se croirait chez Ariane Mouchkine. Il sauve l’album avec «The Knockout Artist», un cut qui ne se connaît pas de limites. Cathal se jette dans l’avenir. Un vrai gardon ! Il donne un peu le vertige. Ça devient magique ! Puis avec «Falling Out North Street», il préfigure Michael Head. Il fait une belle pop ambitieuse et là, t’adhères au parti. 

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             La main froide recommande aussi deux Flies, «London’s Flies and New York’s Flies». Elle qualifie ces groupes de «blink-and-you-miss-them-cos-they-barely-existed mythical bands in rock». Alors tu vas voir ça de plus près. Tu commences par le New York’s Flies. L’album s’appelle Get Wise. Fantastique énergie du Boston Sound 1984. «Put All That Behind Me Now» est bardé du plus beau barda, c’est même ravagé par des lèpres soniques. Ce power trio a un sens inné du power. T’as presque envie de serrer la pince de la main froide pour le remercier du tuyau. Tu trouves à la suite un «Endless Summer» sauvagement riffé et battu à la diable. Ils cultivent les dynamiques infernales, tu t’enfonces toujours plus loin dans la balda et soudain tu tombes sur une incroyable cover du «2000 Light Years From Home» des Stones. Magic Stuff ! En plein dans l’œil du cyclope ! I feel so very/ Lonely ! En B, ils se donnent des faux airs de Velvet dans «The Only One». C’est indéniable et fabuleusement inspiré. C’est monté sur les accords de Gloria. Le mec connaît la harangue ! Ils bouclent avec un «Everybody’s Trying To Be My Baby» encore très Velvet dans l’esprit, lourd, très lourd, chargé de sens, très All Tomorrows Parties, avec un chant harangue dylanesque. Quel brouet spectaculaire ! 

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             Tu serres la pince de la main froide pour le remercier, et tu passes aussitôt aux London’s Flies. Ça tombe bien, il existe une brave petite compile sur Acme : Complete Collection 1965-1968. Rapatriement immédiat. T’es pas déçu du casse-croûte, comme on dit sur les chantiers. Tu tombes dès l’ouverture de balda sur le fameux «(I’m Not Your) Stepping Stone» qui fit les beaux jours du Volume 1 de Chocolate Soup For Diabetics : heavy psyché psychotic, fantastique mélasse, sans doute la meilleure cover de ce vieux hit des Monkees et des Raiders. Les Flies ont bien failli connaître leur heure de gloire, puisqu’ils traînaient dans le bon circuit à la bonne époque. On les sent timorés dans «Turning Back The Pages», mais aussi dotés d’une volonté tentaculaire. Ils chantent «Gently As You Feel» à l’horizon clair, c’est pur et doux comme un agneau. Une vraie Beautiful Song. Puis ils tapent dans les Kinks avec «Tired Of Waiting For You», mais en sonnant comme les Byrds, alors tu commences vraiment à les prendre au sérieux. Car quelle vélocité ! On comprend que les Flies aient pu taper dans l’œil de la main froide. En B, tu retrouves avec «A Hymn With Love» cette petite pop innocente et douce comme un agneau. Bêêêêêêê. «Where» est encore un shoot de pop qui colle bien au papier. Leur where/ Where have you been flirte avec le génie. Puis ils passent au Dylanex avec le chant de nez pincé sur «There Ain’t No Woman», le mec fait du pur It ain’t me babe. On saluera pour finir cette pop de rang princier qu’est «Winter Afternoon. La main froide ne s’est pas fourré le doigt dans l’œil. Elle devrait écrire des bouquins plus souvent.

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             Parmi ses recommandations, on trouve aussi les mighty Electric Eels de Cleveland, l’archétype du groupe proto-punk. Vient de paraître un double album compilatoire, Spin Age Blasters. Tu peux y aller les yeux fermés, même s’il coûte un billet. Au dos de la pochette, tu vois les quatre Eels, et notamment Nick Knox, à la veille de son heure de gloire avec les Cramps. L’autre batteur des Eels n’est autre qu’Anton Fier, qu’on va retrouver sur un seul cut, «Spinach Blasters» et qui ira ensuite battre le beurre sur le premier album des Feelies. Les cuts rassemblés sur Spin Age Blasters datent de 1975, donc ils sont très en avance sur leur époque. C’est en tous les cas ce que révèle le «Splittery Splat» d’ouverture de balda : wild proto-demolition. Mais ils sonnent aussi très punk anglais. On se demande même parfois si les Buzzcocks n’ont pas écouté le premier single des Eels paru chez Rough Trade, mais après vérification, il apparaît qu’«Agitated/Cyclotron» est paru après Spiral Scratch, donc pas de problème. Pourtant la parenté est troublante. «Agitated» et «Cyclotron» sonnent exactement comme les cuts des early Buzzcocks. Pur ‘Chester punk ! Exactement la même énergie. D’autres influences flagrantes : celle des Dolls dans «Refregirator», et des Stooges dans «Cold Meat». Ils attaquent «Jaguar Ride» à la Johansen. On se croirait sur «Jet Boy». Et sur «Zoot Zoot», McMahon passe un solo d’accoutumance discursive totalement révolutionnaire. En C, tu vas tomber sur un cut atroce, «Silver Daggers», gratté à la cisaille et chanté sans pitié. En D, ils tapent une cover proto-punk du «Dead Man’s Curve» de Jan & Dean, mais en sonnant comme des punks anglais. Encore un shoot buzzcocky avec «Accident» et t’as à la suite cet «Anxiety» atrocement concassé dans l’idée et dans le son des grattes de Morton et de McMahon. Franchement, t’en reviens pas de tomber sur un groupe aussi en avance sur son époque. 

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             The Eyeball Of Hell fait un peu double emploi, mais cette fois tu l’écoutes au casque et t’en prends plein la vue, dès l’ohhh I’m so agitated d’«Agitated», suivi du Buzzcocky «Cyclotron».  Tu croises plus loin l’explosif «You’re So Full Of Shit», protozozo comme pas deux, avec McMahon qui chante comme un voyou. Tu retrouves aussi l’«Anxiety», McMahon chante mal, mais c’est ce qui le rend révolutionnaire. McMahon joue encore comme un atroce démon incisif sur «Silver Daggers» et le «Zoot Zoot» éclate de modernité. Cleveland était alors un vrai jackpot. Retour au simili-Buzzcocks d’«Accident» et «Refrigirator» sonne tout simplement comme l’enfer sur la terre. Avec «Bunnies», ils sont mille fois plus modernes que Pere Ubu. McMahon joue de la clarinette et injecte un shoot de free dans la scie du punk. «Spinach Blasters» vire jazz. Bifarx me sir ? «It’s Artistic» : même power underground que les Swell Maps. John Morton se dit fan de Dada-euro-trash. Les Eels étaient beaucoup trop en avance sur leur époque. Ils se sont brûlé les ailes.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Electric Eels. The Eyeball Of Hell. Scat Records 2001

    Electric Eels. Spin Age Blasters. Scat Records 2023

    The Flies. Complete Collection 1965-1968. Acme 2000

    The Flies. Get Wise. Homestead Records 1984

    Cathal Coughlan. Song Of Co-Aklan. Dimple Discs 2021

     

     

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    J’ai vu la couve, elle m’a plu, par son côté outrancièrement kitch, j’ai tout de suite eu envie que l’on me lise une histoire, personne ne s’est proposé alors c’est moi qui m’y colle, je vous avertis vous risquez d’avoir peur.

    STORYTELLER

    BLACKSTAFF

    (Numérique / Bandcamp / Sept 2024)

             Black, ok vous voyez le style, ce n’est pas la bibliothèque rose, pour le staff, à boire et à manger, le personnel est un peu maigre. Se réduit à une seule personne. Ou à toute une colonie. C’est selon. Expliquons-nous, il y a de plus en plus de gars, post-metal, post-stonner, post-death, post-tout-ce-que-vous-voulez qui concoctent tout seul, dans leur coin, leur petit opus. En règle générale je ne chronique point trop ce genre de solitaires, sont à mon goût davantage ‘’genre’’ que solitaire, en gros ce n’est pas souvent original et pas très particulier. Bref Blackstaff se résume à un unique individu : Dustin Cleary. Oui mais sur son bandcamp il vous colle en toute honnêteté une liste longue comme un jour sans pain, tous les individus qu’il a rencontrés et qui l’ont inspiré, encouragé, filé un coup de main, aidé à monter son projet. D’où le terme de colonie.

             Vient de Seattle, l’a l’air d’y avoir dans cette ville une bande de groupes un peu frappés de la cafetière, ce qui n’est pas pour me déplaire. Dustin a déjà sorti deux EP et trois titres cet été qui se retrouvent sur son album.

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             La couverture est d’Adam Burke un tour sur son instagram (night jarillustration) s’impose, l’ensemble est superbe, les esprits délicats risquent d’en ressortir effrayés, entre macabre, imaginaire médiéval et fantastique… Longue table de bois, le maître de noir vêtu, de loin il ressemble à un étron, est assis à la place du roi ou de Dieu, choisissez votre option. Devant lui est posé le grimoire sacré, le public l’écoute lire une histoire. L’assistance n’est pas au mieux de sa forme, des squelettes avachis, se tiennent droit sur leur chaise mais l’on sent que dès le lecteur aura tourné le dos, ils se laisseront – dans la série tu retourneras à la poussière - tombés par terre, soyons compréhensifs, ils sont fatigués de vivre. Le plus proche de nous nous jette un regard angoissé, nous pose la question existentielle essentielle, la mort ne finira donc jamais… Au fond de l’image l’espèce de vortex calamiteux n’incite pas à la joie. Pas plus que les arbres dépenaillés qui tendent leurs bras comme un appel au secours sans espoir.

    Seidr : en gallois ce mot signifie cidre : bruits indistincts, puis une note noire qui semble vouloir s’étendre jusqu’à la fin des temps, redondante elle rebondit pour se perpétuer, ambiance lugubre, vous avez envie de refermer le livre mais coup de théâtre de sombres effluves s’en échappent, vous êtes prisonnier, comme une bolée de cidre empoisonnée que rien ne vous empêchera de boire en une longue lampée interdite, vous point l’envie de lire l’histoire interdite.

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    Cloack of stars : nous illustrons ce morceau avec la couverture du deux titres Seidr+Cloack of stars qui doit être de Maxime Taccardi (voir plus loin). Cloack ne signifie pas cloaque (tellement death metal !), question guitare ça ne baisse pas d’un cran, noir, son épais violent plus la batterie qui claque de tous les côtés, oui mais il y a en summum, une voix sludge à vous arracher les ongles des pieds, Dustin était destiné à devenir clameur, il vaudrait mieux qu’il ne clame pas trop haut because les lyrics sont inquiétants, tout ce qui est beau, grand et grandiose, peut de par la primauté qu’on lui accorde et devenir comme un Dieu et vous asservir comme du bétail. Une histoire un peu triste quand on y pense, l’on comprend mieux la tonalité écrasante de cette musique qui ne vous laisse aucune espérance. Procession of ghouls : ne fantasmez pas, dans les nouvelles fantastiques, les goules sont généralement de belles et énigmatiques jolies filles ou femmes qui se donnent à vous sans chichiter, au matin vous vous apercevez que ce ne sont que d’infâmes créatures diaboliques qui ont abusé des désirs du héros, ici aussi mais c’est présenté sous son aspect métaphysique, le côté érotique de ces nuits torrides n’est pas évoqué, vous avez l’implacabilité phonique du son qui vous avertit que l’instant est grave, et puis le chant, une espèce de sludge asthmatique, qui vous enfonce les clous de la peur dans la moindre fibre de votre chair tétanisée d’horreur, c’est la mort qui avance vers vous et vous pénètre lentement pour vous faire souffrir encore davantage, pour que vous compreniez que la vie n’est pas un chemin qui conduit à la mort, au contraire c’est la mort qui est un chemin qui s’achève dans votre vie, la batterie sonne votre déroute mentale, maintenant vous savez, cela ne vous rend pas heureux, car au moment où vous savez vous êtes mort.

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    Swarm : le morceau précédent vous donnait l’épure, l’abstraction schématique, avec celui-ci nous rentrons dans les détails. Enfin ce sont les détails qui entrent vous, des millions d’insectes, vous les entendez voler en groupe, l’essaim vous a repéré et fonce sur vous, c’est horrible, c’est terrible, Dustin grogne comme le goret que l’on allonge dans l’auge pour lui prendre la vie, silence l’on murmure à votre chair, l’on vous apprend que votre lymphe est le miel du fruit mûr et elles les abeilles qui se posent sur vous plantent leurs dards pour s’enivrer de la substantifique moelle de votre sang, si vous comptiez que l’on vous expliquerait tout ce qu’il vous arrive avec la subtile musique des sphères, erreur fractale, non l’on vous fait comprendre à grosses pelletées de doom, elles vous assènent sans pitié et sans faillir des vérités mortuaires comme des implants nécrologiques que l’on vous enfonce à coups redoublés dans votre tête.  Maxime Taccardi est un saigneur de l’illustration death Metal, nous lui consacrerons une chronique à part entière, celle-ci semble s’inscrire par ses arabesques rouges dans ses œuvres réalisées avec son propre sang, la légende, grande raconteuse d’histoires affirme que certains se disputent ses originaux pour les lécher,  cette mort qui s’avance vers vous auréolée de ses spirales sanglantes, le lecteur sera sidéré tant elle épouse parfaitement les lyrics… Worm : une ode démantibulante au ver vainqueur, vocal visqueux, batterie-pioche et riffage foreur, il est en vous, il vous désosse, il emporte en lui-même tout ce dont vous n’avez plus besoin, je ne suis que cadavre, le background comme une pelleteuse sur une fosse commune, fin de charnier, le ver a éteint ma lumière, j’en étais fier, elle irriguait le monde, subsiste toutefois cette absence de moi que le ver glouton emporte en rampant dans son ventre. Spider : vous croyez que l’histoire s’est terminée, non il reste des addendas philosophiques, entrée majestueuse, batterie hachoir, guitare suaires de plomb, une dernière moquerie, les hommes vivants aiment la mort, le mal court parmi eux comme une araignée malfaisante, ils ne la voient pas, ils se prennent pour des héros que la gloire rendra immortels, les guerriers galopent, ils se lancent les uns sur les autres, l’aragne mortelle emporte leurs corps morts dans ses cavernes ombreuses, elle suce leur sang, ils survivent un certain temps empreint d’une glaçante léthargie létale, bientôt vidés de leur substance molle, ils ne sont plus que des trophées soyeux entassés sur la toile de la mort. C’était une petite leçon de nihilisme de ma mère la tarentule aux tulles tubéreux. Thrill of the hunt : bonus track, même la mort qui vous court après peut être sympa, issu de la session 23 de l’enregistrement de leur deuxième EP trois titres Godless : musicalement ne dépare en rien des titres précédents si ce n’est peut-être la guitare qui klaxonne comme une voiture derrière vous qui demande que vous passiez au vert, le vocal aussi davantage articulé, sinon encore une histoire impie, impitoyable, la mort court après vous, vous êtes le gibier, vous ne échapperiez pas même si vous vous terrez au fond de votre lit en espérant lui échapper.

             Agréablement surpris, se débrouille bien tout seul notre Dustin Cleary. Porte pourtant un patronyme qui ne lui convient pas. Pas clair du tout, sombre, très sombre.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Comment faire beaucoup avec peu ? La recette nous est proposée par Seb le Bison et Tony Marlow. La gageure semble impossible : comment réaliser une vidéo sur un voyage en avion vers les cieux cléments d’une île méditerranéenne quand, c’est-là où le problème se corse, on n’a pas prévu un avion dans le casting ?

    LE GRAND VOYAGE

    TONY  MARLOW

    (Official Video / Bullit Records / Juin 2024)

    Oui ils ont un avion, on ne voit que lui, un superbe bimoteur à hélices, le genre de coucou que l’on a commencé à mettre au rebut dans les années cinquante. Non je ne suis pas un menteur. C’est vrai qu’il est sur l’image dès la deuxième seconde du clip, en surimpression graphique. Puis il disparaît. Le bruit du moteur s’estompe avantageusement remplacé par la guitare de Tony Marlow. D’ailleurs le voici le Marlou, marche à pied, comme tout le monde, heureusement qu’il porte son étui à guitare, sinon de loin on ne le reconnaîtrait pas, il arpente, silhouette grise dans un beau paysage, attention la vidéo n’est pas en couleur, on est surpris : pour un extrait de l’album Cryptogenèse, l’on s’attend à une phénixiale explosion de mille feux multicolores genre poster à la Jimmy Hendrix, mais non c’est tourné en noir et blanc, vu la beauté de l’image l’on a envie de dire en argentique.

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    Petit moment de réflexion nationaliste : c’est un beau pays la France, je ne parle pas des petites villes sinistrées par le chômage ni de ces grandes agglomérations défigurées par des constructions à bon marché mais de ses paysages. De cette campagne façonnée durant deux millénaires par la main de l’homme, de cette osmose réussie entre nature et ouvrages d’arts. Ici pas de fières structures édifiées en pierres de taille, juste  un pont étroit jeté sur  un canal bordé d’arbres, ou une modeste rivière aux eaux paresseuses quasiment immobiles, que longe Tony sur un simple chemin de terre, le voici maintenant en pleine campagne sur cette longue voie vicinale déserte.

    Depuis son avion, ce sont les paroles qui l’affirment, il aperçoit des voitures minuscules, cette fois l’image est davantage surréaliste, objet insolite planté dans l’agreste décor un tabouret de bar solitaire, surgi de nulle part, hors-sol pourrait-on dire même si ses pieds reposent sur la terre, esseulé le trône à pastis semble attendre qu’un passant veuille bien faire cas de lui. Tony ne se refuse pas à l’appel de ce siège, si les objets inanimés ont une âme lamartinienne, peut-être se sent-elle cette chaise curule désertée comme un chien abandonné et éprouve-t-il l’intense ferveur nostalgiques des apéros de comptoir… Voici Tony, étui ouvert, guitare sur le giron, acoustique bien sûr, aucun pylône électrique dans les parages où se brancher, il gratte et il tourne sur lui-même, de fait c’est l’image qui tourbillonne, presque un miracle, la statue de Marlow semble mue dans un étrange tourbillon, dans le ciel tout là-haut, un éclair de soleil jaune salue ce miracle.

    Du coup l’on retrouve Tony en ville, il déambule sur une piste cyclable, voudrait-il, lui le rocker, lui le biker, nous faire accroire que c’est ainsi que l’on vit dangereusement, en tout cas la ville déserte s’anime, Marlow marche prudemment comme sur des œufs sur un large trottoir, mon dieu toi qui n’existes pas, que se passe-t-il, aurions-nous trop insisté lors de l’apéritif, le Marlou se dirige vers nous mais les voitures filent à reculons, Marlow sourit,  un rocker en perfecto, se porte à sa hauteur, hélas lui aussi est pris de cette bizarre dérive reculatoire et il disparaît dans les limbes de la pellicule, l’est aussitôt suivi d’un deuxième individu qui, encore un, est happé en arrière par cet étrange vortex inexplicable… tiens une jolie fille, va-t-elle être aussi accaparée par cet extraordinaire phénomène, non le pouvoir sensoriel de Marlow la garde à ses côtés, mais au plan suivant elle n’est plus là, les habitants de cette cité sont tout de même touchés par cette étrange maladie de la vache folle ou de la brebis galeuse, pour échapper à cette étrange épidémie contaminatoire l’on ferme les yeux et l’on en profite pour apprécier le long solo de guitare de la bande-son, tiens tout ( enfin presque) rentre dans l’ordre. En voici deux qui sont guéris, d’ailleurs ils s’enfilent dans la salvatrice porte  d’un café ils ont sûrement besoin d’un remontant, le Marlou les imite, l’a beaucoup arpenté, l’a besoin de reprendre quelque force, surprise, couleurs, nous voici bien au chaud à l’intérieur de L’Armony, bar émérite de Montreuil cité rock, sont attablés autour d’une table,

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    tous les quatre, on les reconnaît, Amine Leroy gratouille sa big mama, Jacques Chard caresse sa caisse claire, Tony est plus intéressé par le poster géant de Marilyn que par sa guitare, ils ne font même pas semblant de jouer en playback, mais l’on s’en moque, on se repose de notre grand voyage en contemplant la dégaine incomparable d’Alicia Fiorucci que comme par hasard Seb le Bison, le producteur avisé, a placée au premier plan.

    Damie Chad.

     

     

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             Les mésoPOPtamiens disaient qu’il suffisait de traverser l’EuphKRAFTe pour être heureux, si l’on en croit Xénophon qui en des temps antiques mena l’épopée des Dix Mille en ces lieux hostiles, l’aventure peut s’avérer périlleuse, aussi vais-je vous mener dans une contrée plus douce à laquelle vous accèderez en quelques clics.

    POP POPKRAFT (FB)

    HISTOIRE DU ROCK GARAGE

    (Voir aussi Art Pop CreationFB)

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             J’y suis tombé dessus par hasard, un pantin de bois qui s’agitait, j’ai failli ne pas m’arrêter, les gamins qui rêvent de Pinocchio, très peu pour moi, feraient mieux de relire le Timée de  Platon, oui mais il y avait un truc rond au fond de l’image qui tournait, toutefois dans mon cerveau élémentaire, la traduction s’est faite, un truc rond qui tourne, avec un peu de chance c’est un tourne-disque. Je ne m’étais pas trompé, j’ai aperçu l’icône du haut-parleur barrée, j’ai mis le son, mais ce n’est pas mauvais, ne serait-ce pas du rock, bingo, j’avais gagné ! Deuxième surprise en descendant légèrement le fil, le même ostrogoth dans son tricot gris glissait une rondelle vinylique sur son appareil, encore du rock, et du bon, cela méritait écoute et attention.

             Mea culpa, je ne l’ai pas fait exprès, je ne recommencerai pas si je mens que Belzebuth me butte et me catapulte en Enfers ! Je rassure tous les écologistes, non l’Opérateur, ou plutôt le rockpérateur, n’a pas bousillé un séquoia ou déraciné un baobab pour sa figurine qui doit faire cinq centimètres, elle n’est pas en bois, l’a confectionné avec de la pâte à papier et du carton. Ainsi que tout le décor, un salon avec fauteuils et canapés, les meubles et tous les petits détails qui vous rendent un lieu particulièrement agréable, les murs recouverts d’affiches de concerts, ou par exemple le cendrier, en plus dans certains épisodes il est rempli de cadavres alanguis de cigarettes, tristes et déplorables exemples d’incitation à la débauche, vous savez avec les amateurs de rock il faut s’attendre non pas à tout mais au pire, prions pour la santé mentale des mineurs qui visionneraient les épisodes.

             Car oui, nous sommes sur le FB d’un obsessionnel du rock’n’roll, à chaque jour ne suffit pas sa peine, quotidie, dixit Caesar, il rajoute un nouveau chapitre à cette saga. Le principe est simple, un groupe, un titre, quelques explications. Nous n’avons pas affaire à ces insupportables animateurs de radio qui parlent sur les titres, n’ouvre pas la bouche, s’exprime par bulles comme les poissons-rouges ou les bandes dessinées. Entre nous soit dit, cela doit lui prendre un temps fou et demander un esprit minutieux. Un aspect de La Pop Culture que j’ignorais qui aurait enchanté l’amie Patou qui aujourd’hui n’est plus là, doit se balader sur l’autre rive accompagnée de ses chats…

             Allez-y voir sans problème, attention c’est terriblement addictif, à ce jour d’aujourd’hui (9 septembre) il vient de poster sa soixante-huitième livraison, pour vous mettre l’eau à la bouche j’ai relevé l’intégralité, si je n’en ai pas oublié, des artistes passés en revue, je n’ai pas mis le titre précis, à vous d’aller le découvrir : Sonics, Saints, Ramones, Cynics,Richard Hell and the Voidvoid, Dream Syndicate, 13 Th Floor Elevator, Plan 9, Seeds, Joy Division, Thee The Sees, Hoodoo Gurus, Dogs, Mono Men, Fuzztones, Velvet Underground,  The Senders, Wilco, Doors, Love Screaming Trees, Eels, Link Wray,  The Nomads, DMZ, The Animals, Tom Petty, Bob Dylan, White Stripes, Tim Buckley, Willie Dixon, X, The Music Machine,  Roy Orbison, Ty Segall, The Chocolate Watchband, Johnny Kids and the Pirates, Ike & Tina Turner, Motör Head,  Beatles, Vince Taylor and his Play-Boys, Psistepinkko, Walkabouts, John Spencer Blues Explosion, Smashing Pumpkins, Them, Wire, Elvis Presley, Modern Lovers, Thugs, Screaming Trees, Nick Drake, Woven Hand, Echo and the Bunnymen, The real Kids, Small Faces, The Celibates Riffles, Buzzcocks, creation, The Litter, Creation, Television Eddie Cochran… ils ne sont pas dans l’ordre, il y en a un dans ma liste manuscrite que je n’ai pas réussi à relire !

             Originalement rock !

    Damie Chad.

    1. S.: pour ceux qui veulent tout savoir, vous avez de temps des tutos dans lesquels vous sont livrés les secrets de fabrication.

     

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             Au début de ce mois nous présentions le premier titre du nouvel EP de Two Runner, vient de paraître le second extrait qui donne son nom à l’opus.

    LATE DINNER

    TWO RUNNER

    (Official Music Video de Nick Futch / 13 - 09 – 2024)

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             Un jeu stupide : regarder une Music Video sans mettre le son. Rien de surprenant : une fille qui rentre à la nuit tombée, une qui l’attendait en lisant. Tout de suite Paige et Emilie sur le divan en train de jouer, par intermittences ensuite, car Paige prépare un repas, végétal et sans surprise, des espèces de tartines au fromage qui seront posées sur la table auprès d’assiettes remplies d’une sauce brunâtre, heureusement que l’on entrevoit un plat de ce qui doivent être des biscuits pour le dessert, je ne voudrais pas la ramener avec ma petite et prestigieuse science nationale culinaire de petit froggie mais ce repas vraisemblablement végétarien ne m’ouvre pas l’appétit, d’ailleurs si elles ont allumé des bougies elles restent chacune à leur tour prostrées devant  leur assiettes pensives sans toucher à la nourriture, l’on sent le dépit,  un petit mot d’amour est déchiré, brûlé, réduit en cendres, mais tout change elles sautent de joie et tout à leur entrain elles s’en vont danser sur le perron de la maison.

             Si vous n’êtes pas tout à fait crétinoïde vous avez compris la morale de cette histoire : un seul être vous manque et cela ne vous empêchera pas de faire la fête et de continuer à vivre.

             Nous sommes désormais prêts pour écouter la chanson :

    Paige Anderson : vocals, guitar, banjo, composition  / Emilie Rose : vocals, fiddle/ Ben Eaton : upright bass.

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    Ben Eaton, d’un bout à l’autre fournit le bruit de fond, il suit le rythme de si près comme le chien qui marche dans l’ombre du maître, il le fortifie lorsque la cadence s’accélère il devient alors tourbillon de feuilles mortes que le vent de l’automne emporte et laisse tomber inanimées sur le sol, Emilie ferme souvent les yeux, son violon tour à tour agonise et festonne la mélancolie des jours passés et à venir, tous identiques, qui se suivent et ne se ressemblent pas, la voix de Paige bouscule la donne, de l’écheveau de l’évidence des rêves et du vécu elle tisse un drame antique, elle métamorphose une comédie amère en fusion destinale, l’on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer, il existe une telle différence entre les routes de la réalité vivante et la voie du songe absolu que notre esprit n’arrête pas de poursuivre sans fin. Ne sommes-nous pas, les deux à la fois, Ulysse luttant contre les vents contraires et la longue patience de Pénélope tirant les fils des songes infinis. Tout cela Paige l’écrit avec des mots simples qui n’en finissent de créer de subtiles résonnances en l’âme des choses qui ne sont plus et de celles qui subsistent, en un autre plan ontologique.

    Vous reprendrez bien un morceau de gâteau, farine de tristesse, sucre des jours heureux et cerise à l’eau de mort…

    Superbe composition.

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    Damie Chad.