Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

two runner

  • CHRONIQUES DE POURPRE 659 : KR'TNT ! 659 : BUDDY GUY / LEMON TWIGS / PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE RECORDS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN / GREAT GAIA / SNAV

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 659

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    03 / 10 / 2024 

     

    BUDDY GUY / LEMON TWIGS

    PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN

    GREAT GAIA  / SNAW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 659

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 659

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Holy Buddy

    (Part One)

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             L’idéal dans la vie serait d’écouter Buddy Guy. L’encore plus idéal serait de lire son autobio, co-écrite avec David Ritz : When I Left Home - My Story, un bon vieux book paru en 2012. Car quel book, Bob ! Des guys comme Buddy Guy, t’en croiseras pas des tonnes. Buddy est un gentil black de la Louisiane. On voit dès la photo de couve qu’il déborde de gentillesse. Quel sourire ! C’est un artiste complet : gentil et brillant. Il reste avec quelques autres cracks blacks l’incarnation parfaite du blues électrique. Andrew Lauder le qualifie à juste raison de chaînon entre Guitar Slim et Jimi Hendrix.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Quand il écrit son autobio, Buddy a 75 balais. Il vient jouer tous les ans à l’Olympia et tous les ans on se dit qu’on DOIT aller le voir, même chose avec George Clinton, et puis on n’y va pas. Parce que c’est limite. C’était limite d’aller voir Chucky Chuckah à la Villette, ce vieux schnoque génial sous sa casquette de yatchman, mais en même temps tu avais clairement l’impression d’arriver après la bataille. Tu préférais rester sur les délicieux souvenirs de son concert ruiné par Jerry Lee à la Fête de l’Huma, en 1973.   

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Ton copain Buddy commence par le commencement : il a 9 ans et il commence à cueillir le coton avec son père et sa mère, et là, Buddy se met à parler dans sa fabuleuse langue de bluesman - I stood next to my daddy, who showed me how to do the job right - ça sonne comme un vers de blues, tu ne traduis pas : tu écoutes, ça groove. Qui aurait l’idée d’aller traduire les paroles d’un blues ? Dans les années 40, les blacks récupèrent un peu d’électricité, oh pas trop, juste de quoi alimenter une mauvaise ampoule et un vieux phonographe tout pourri. Ces rats de blancs dégénérés gardent toute l’électricité pour leurs sales frigidaires et leur sale bouffe de porcs racistes. Mais Daddy Guy ne dit rien, il est gentil, comme son fils. Tais-toi Buddy et cueille le coton du patron blanc. Sur le vieux gramophone tout pourri, il y a un 78 tours d’Hooky. Buddy est hooké, c’est-à-dire baisé : «Boogie Chillen». Tout part de là - That’s the record that dit it - Pour Ted Carroll, ce fut Bill Haley. Pour Buddy, ce sera Hooky. Puis à l’épicerie du village pourri, Buddy découvre le juke-box, et mieux encore : Muddy Waters et «Rollin’ Stone». Buddy bave. Il demande à l’épicier Artigo où vit Muddy. L’épicier Artigo lui répond «Chicago». Alors Buddy demande si c’est loin, Chicago et l’épicier Artigo lui répond «Real far».

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Bon, Muddy et Hooky c’est bien gentil, mais les petites gonzesses du village, c’est encore mieux. Buddy est en rut et il t’explique qu’en Louisiane, le sol est tellement humide qu’il faut apprendre à baiser debout - That ain’t easy, but baby, when there’s a will, there’s a way - Il a 15 ans et il adore voir sa little honey lever la patte pour qu’il puisse l’enfiler délicieusement. Il explique plus loin que le blues et l’amour «sont gravés dans le même bois», que c’est la même chose, il est pareillement hanté par le blues et le sexe. Il a cette incroyable intelligence de reconnaître qu’il n’était pas très expérimenté - In the country, boys didn’t learn how to love so good - Buddy raconte aussi une anecdote épicée : un copain à lui baise une blackette dans la boue et au lieu de l’enfiler, il enfile la boue. La blackette lui dit qu’il n’y est pas, alors elle le nettoie et le fait entrer, mais le copain débande. What’s the matter honey? Ain’t it good to you?, et le mec répond que c’est meilleur dans la boue. Le chapitre s’intitule d’ailleurs ‘Love in the mud’.

             Daddy Guy passe aux choses sérieuses. Il sait que son fils rêve d’une gratte, alors il lui en paye une. Voilà le miracle. Dans cette pauvreté abjecte, Daddy Guy accomplit un miracle. Il rachète la gratte de Coot, un chanteur itinérant qui va dans les cabanes gratter quelques chansons pour une pièce ou un verre d’alcool. Coot ne vaut pas laisser sa gratte à moins de 5 dollars. Daddy Guy n’a pas les 5 dollars. Il n’en a que 4. Alors Coot accepte : «Four dollars and a little change might do it.» Alors Daddy Guy réussit à retrouver une pièce dans sa poche. Coot en veut une autre - I got a dime to go with it - Le destin de Buddy Guy vaut alors 4 dollars et 35 cents.

             Le vrai héros du book c’est peut-être Daddy Guy. Quand Buddy lui dit qu’il aimerait partir s’installer à Chicago, Daddy Guy lui donne sa bénédiction. C’est le passage le plus booleversant du book : «Son, if you wanna go, go. Tu ne dois pas te faire de souci pour nous. Je t’ai déjà dit que ta mama et moi n’allions pas mourir tant que tous nos enfants ne seraient pas bien installés and doing good. Quand tu seras à Chicago, you gonna find pretty woman who gonna wanna marry you. Marie-toi avec qui tu veux. Makes no difference to me. Marie-toi avec un éléphant si tu veux, c’est toi qui vas dormir avec. Quant à ton travail, rappelle-toi ceci : je ne veux pas que tu sois le meilleur en ville. I want you to be the best till the best comes around. You hear me, son?».

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Et le vrai héros de Buddy, c’est Guitar Slim. Il flashe comme un dingue sur Guitar Slim - Slim had a record out, «The Things I Used To Do» that, after «Boogie Chillen» became the biggest record of my life - Buddy ne fait pas les choses à moitié. Il découvre Guitar Slim au Masonic Temple à Baton Rouge - dressed to kill - flaming red suit, flaming red shoes, flaming red-dyed hair - Il le décrit à l’œuvre dans le Temple, avec sa «beat-up Strat» qu’il joue bas, «low on his hip like a gunslinger», avec une bandoulière en fil à pêche et un jack de 100 m de long. Guitar Slim nous dit Buddy ne s’assoit jamais, il gratte ses poux derrière sa tête, gratte le dos au sol, gratte en sautant de la scène, gratte accroché dans les poutres. Il ajoute que Slim ne connaît pas les accords - Slim didn’t know no chords. He was single pickin’ with only two fingers, but those two fingers were causing a riot - Et wham bam : «I wanted to be Guitar Slim.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Buddy donne sa définition du blues à plusieurs reprises. Comme déjà dit, le blues et le sexe pour lui sont une seule et même chose. Plus tard, il parlera du blues avec Muddy qui lui dit qu’il est bien obligé d’enregistrer des hit records, comme «Mannish Boy», «Still A Fool», il ne se plaint pas, pour lui l’essentiel est de maintenir le blues en vie - Just saying that these blues that you and me took from the plantation... man, I just don’t want them blues to die - Mais Buddy lui dit que lui non plus, il ne veut pas voir them blues crever. Et Muddy le visionnaire reprend : «It’s just something we gotta remember. The world might wanna forget about ‘em, but we can’t. We owe ‘em our lives. Wasn’t for them, we still be smelling mule shit.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Plus tard, quand Buddy tourne en Europe avec the American Folk Blues Festival, il se fait huer parce qu’il est jeune et bien coiffé. Les Allemands pensaient, nous dit Buddy, que tous les bluesmen étaient en haillons, vieux et bourrés. Muddy avait été lui aussi déconcerté par la réaction des Européens qui ne voulaient que du blues pur, alors que ça n’existe pas - Blues ain’t no pedigree, it’s a mutt, c’est-à-dire un bâtard, et il ajoute avec un grand sourire : «As far as I’m concerned, mutts are beautiful.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    ( Leonard le renard)

             Qui dit Chicago dit Chess. Alors on y retourne, pas de gaieté de cœur, mais bon, sans Chess pas de Muddy, pas de Chucky Chuckah, pas de rien. Buddy commence par faire des sessions pour le compte de Chess. Mais il a du mal à rencontrer Leonard le renard. Le voilà en studio pour remplacer Hubert Sumlin et accompagner Wolf. Buddy a la trouille de Wolf. Il dit que s’il joue des fausses notes, Wolf va le frapper. Alors Willie Dixon (qui organise la session) lui dit que ça n’arrivera pas : la session va durer une heure et tu vas empocher 10 dollars. Buddy entre en studio et s’installe, et c’est là qu’il se fait traiter de motherfucker, pas par Leonard le renard qui le grand spécialiste des insultes, mais par Wolf. Buddy lui répond qu’il ne s’appelle pas motherfucker mais Buddy, alors Wolf dit que tout le monde chez Chess s’appelle motherfucker. Bonjour l’ambiance. Buddy voit qu’on a posé une bouteille de whisky sur le piano, il demande pourquoi à Big Dix qui lui dit que Leonard est rusé comme un renard - Leonard ain’t dumb. Il sait que les records qui ont le son du club se vendent bien, alors il veut le booze on the record. He wants to feel the fire that the folks get to feeling in the club - Puis Buddy découvre peu à peu la réalité matérielle des géants du blues de Chicago. Mis à part Muddy qui a une baraque au 4339 South Lake Park, les autres vivent ric et rac dans des petites piaules, et là, boom, il allume la gueule de Leonard le renard : «Je ne sais pas combien de disques vendait Chess et je ne connais pas les comptes. Par contre, je sais que Chess wasn’t big in sharing the profits.» Tout pour sa pomme, rien pour les motherfuckers nègres. Chaque fois qu’on tombe sur cette histoire, c’est la même chose : crise d’urticaire. Ce rat de Chess s’en foutait plein les poches, et nous on était tous là comme des cons à chanter les louanges du légendaire label Chess. Fuck it ! Et l’enculerie continue avec Chucky Chuckah, puis avec Bo Diddley qui font tous les deux danser les kids d’Amérique - Leonard made big money of Bo - Un Bo qui a fini dans la misère, obligé de vendre ses droits d’auteur pour financer les études de sa fille, tu vois un peu le travail ? Et boom, rebelotte avec Etta James. Buddy se marre : «Je ne dis pas que Leonard n’aime pas le blues, il l’aime, mais il aime encore plus l’argent. S’il pouvait faire du blé avec la polka, il enregistrerait de la polka.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Puis un jour Big Dix dit à Buddy qu’il va enregistrer «First Time I Met The Blues», son premier single sur Chess. Chouette ! Buddy dit qu’il va casser la baraque, mais Big Dix lui répond qu’il n’en est pas question - Leonard likes his records a certain way. You can’t get all wild like you do on stage. Can’t play too crazy. Can’t fuck up the sound none like I seen you do in the clubs. Leonard likes his blues clean - Et voilà le travail. En plus de se faire arnaquer, Buddy se fait museler. Pire encore : Leonard veut que Buddy change de nom. C’est pas qu’il n’aime pas ton nom, lui dit Big Dix, il veut que tu sois un King - Buddy King or King Guy, something like that - Buddy ne veut pas, à cause de la confusion avec B.B. King et Freddie King. Big Dix argumente, disant que c’est précisément la confusion que recherche Leonard le renard - King is associated with strong-selling blues - Alors Buddy lui dit que Muddy don’t got no king in his name et Big Dix rétorque que Muddy est arrivé avant the kings. Mais Buddy refuse de changer de nom, car sa famille à Baton Rouge ne va pas savoir que c’est lui sur le single. Leonard le renard n’est pas jouasse, mais Buddy tient bon. Bien sûr, Leonard le renard fait main basse sur les droits. Mais à l’époque, Buddy s’en branle - I just wanted to make it - Buddy s’est marié et il montre fièrement son single à son beau-père qui éclate de rire : «Ils t’ont donné le disque à la place de l’argent ?». Buddy ne comprend pas. Le beau-père lui pose la question autrement : «Ils t’ont pas payé pour enregistrer ce disque ?». Buddy répond qu’il a signé un contrat et que si ça se vend bien, il touchera des royalties. Alors le beau-père explose de rire : «Son, when those royalties come in, dogs gonna be fucking pigs.» Oui, les poules auront des dents. Et Buddy de conclure : «The man was right». Nada.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Buddy fait aussi de très belles pages sur Chicago, la deuxième ville qu’il découvre après Baton Rouge. Il commence par évoquer les grands froids qu’il ne connaissait pas en Louisiane, puis les clubs, dont le fameux Bucket of Blood - I was playing my guitar when one cat drove an ice pick deep into another cat’s neck - Il fait aussi l’apologie de Theresa’s, l’un des clubs les plus légendaires du South Side. Il décrit la taulière comme «a mean-looking lady portant un tablier sale avec deux poches. Dans l’une se trouvait un flingot et dans l’autre une matraque. Theresa was no one to fuck with.» Il joue chez elle et attaque avec une cover du «Further On Up The Road» de Bobby Blue Bland. Buddy explique aussi qu’il démarre son set dans la rue et qu’il entre dans le club en jouant. Il a un jack de 100 m, comme son idole Guitar Slim.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Alors il en pleut des idoles à Chicago. Buddy les fréquente tous, Otis Rush, Earl Hooker. L’Otis qu’il décrit est celui des débuts - His guitar was on fire, man, he was something else - Comme tous les autres guitaristes de l’époque à Chicago, Otis Rush joue assis. Buddy monte sur scène avec lui, et Otis lui demande ce qu’il veut jouer - What you wanna play boy? - Buddy répond «Guitar Slim». Et il fout le feu, Otis le laisse jouer. Alors Buddy sort le grand jeu, comme Guitar Slim, gratte dans le dos et la foule adore ça - The more I did it, the louder the crowd - Buddy voit Earl Hooker comme un guitariste d’un niveau supérieur au sien - No way I could compete with the guitarists of the day. I’m talkin’ ‘bout Earl Hooker, the greatest slide man in the history of slides - Il cite dans la foulée Otis Rush, Magic Sam et Freddie King - They was masters, they was monsters, they was killers - De la part d’un killer comme Buddy, c’est quelque chose d’entendre ça. Il rencontre aussi Ike Turner en studio. Ike joue sur une Strat et Buddy se dit qu’il a choisi la bonne gratte. Ike dit aussi qu’il took up guitar because of Earl Hooker. Ike lui demande s’il connaît Earl, Buddy dit «I do» et Ike ajoute : «He got his shit from Robert Nighthawk. You heard him?», et Buddy dit «not yet. I wanna.» Ike lui recommande aussi très chaudement Gatemouth.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    (Sonny Boy Williamson)

             Buddy voit aussi Lightnin’ Hopkins débarquer chez Chess. Big Dix essaye de lui vendre l’idée des «future royalties» et Hopkins l’envoie sur les roses - Fuck future royalties. Fuck Leonard Chess and fuck you, Willie Dixon. Royalties don’t mean shit to me - Au moins les choses sont claires. Lightnin’ veut 100 $ pour enregistrer un cut - You give me a hundred I give you a song - Lightnin’ sait que dans tous les cas il va se faire baiser. Alors il fait comme le fera plus tard Chucky Chuckah : d’avance et cash. Buddy assiste à la scène. Big Dix insiste, Lightnin’ ne cède pas. 100 $ ou rien. Buddy se dit que Lightnin’ a du pot, car lui, le Buddy débutant, il ne reçoit que 10 $ pour jouer en session. Voilà où en est le blues électrique à l’époque. Oh et puis Little Walter qui s’embrouille avec tout le monde, y compris Junior Wells. Buddy fréquente aussi Sonny Boy Williamson qui au breakfast est déjà assis devant un gros verre de whisky, et qui lance à Buddy : «Morning, motherfucker.» Tout le monde le croit rincé par l’alcool, mais quand il saute sur scène pour attaquer «Don’t Start Me Talkin’», «he burns the house down», nous dit Buddy. Comme Gainsbarre le fera plus tard, Sonny Boy indique que les docteurs qui l’avaient condamné ont tous cassé leur pipe en bois. Sonny Boy se marre comme un bossu. Buddy fréquente aussi B.B. King et il salue son humilité, B.B. n’a jamais chopé la grosse tête, nous dit Buddy. Il fréquente encore Big Mama Thornton. Un soir où il l’accompagne sur scène, il voit Big Mama perdre son dentier en chantant. Elle le ramasse, le remet et continue à chanter. La classe ! Du coup, Buddy rêve d’avoir un dentier pour le perdre en jouant et faire comme Big Mama. Il raconte aussi  une tournée aux États-Unis : ils sont quatre dans la bagnole, le chauffeur, Buddy, Big Mama et Hooky. Hooky et elle ne s’entendent pas très bien - Elle était trop autoritaire pour lui et il était trop contrariant pour elle - Buddy ajoute qu’il a passé son temps à se marrer pendant des heures, à les voir se chamailler - Laughing my ass off - Quand il évoque Jimi Hendrix, il le situe dans la lignée des «spacey players comme Ike Turner, Earl Hooker and especially Johnny Guitar Watson, but Jimi had the balls to carry it into new territory.» Last but not least, voilà Albert King - he was something else - Buddy en brosse le portrait d’un géant - He was also big as a bear and could be twice as mean. Albert stung them strings hard, and ain’t no doubt that he was one of the best. Fixed up a stinging style all his own. Je suis bien content de ne pas avoir eu à bosser pour lui.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    ( Buddy Guy : Cognac Blues Passion)

             Buddy se forge un style particulier. Il démarre toujours son set à l’extérieur du club. Il ne joue jamais assis. Il peut aussi aller gratter dans les gogues. Il va s’asseoir en jouant à la table des dames seules. Il peut sauter sur le bar et jouer au sol sur le dos. Il joue aussi avec les dents, il joue entre ses jambes, comme le fera Jimi Hendrix. Et par-dessus tout, il maîtrise ce qu’il appelle the big-city electricity - I learned to ride high on electricity - Feedback, disto, Strat commotion, il connaît tout ça par cœur. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    ( Artistic,label de Cobra)

             Quand Leonard le renard et Big Dix se sont fâchés, Big Dix est allé bosser pour Eli Toscano chez Cobra Records. C’est Magic Sam qui lui refile le tuyau. Buddy qui vient d’arriver à Chicago est tout excité, car sur Cobra on trouve aussi Otis Rush, Harold Burrage et Betty Everett. Toscano a une petite boutique de disques avec un garage à l’arrière. C’est là que se trouve le studio, comme chez Fortune Records à Detroit, et chez Cosimo le héros à la Nouvelle Orleans. C’est là que Buddy rencontre Big Dix pour la première fois - Willie was a big man. Vingt ans de plus que moi. Il devait bien peser dans les 150 kg, but it was mainly muscle, not fat - Buddy le voit dévorer le poulet, de la même façon qu’il allait dévorer les droits d’auteur. Pour l’accompagner sur son premier single Cobra, Buddy a Big Dix on bass, Otis Rush on back-up guitare, Odie Payne on drums, Harold Burrage on piano & McKinley Eaton on baritone sax. Pardonnez du peu. Puis Eli Toscano va disparaître. Plus de Cobra. Plus de rien.

             En fait, Buddy va démarrer sa carrière en 1959, avec «You Sure Can’t Do» et «This Is The End» d’Ike Turner, ce single sur Artistic, un sous-label de Cobra que Toscano crée pour lui, puis il va sortir une ribambelle de singles sur Chess avant d’arriver chez Vanguard en 1968 pour son premier album.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             On peut écouter «You Sure Can’t Do» sur une ravissante compile japonaise, This Is The Beginning. Buddy va y chercher le Little Richard au chant. Il a cette ressource extraordinaire ! Et puis voilà l’heavy blues du beginning «Try To Quit You Baby», il te chante ça à pleine gueule. Wild & heavy ! Voilà les deux mamelles de son destin. Il coule encore comme du miel avec «This Is The End». Il a déjà ce génie de l’heavy blues jouissif. Tu n’en finirais plus avec un mec comme lui. Tu as tout qui coule, le chant, les poux, c’est un paradis. Puis il accompagne Jesse Fortune, un black qui chante comme un crack. Sur «God’s Gift To Man», Big Dix lui donne la réplique. C’est du gospel batch. Jesse Fortune fait encore des étincelles dans «Heavy Heart Beat». Il est hallucinant de qualité. Puis Buddy reprend le chant sur «Baby Don’t You Wanna Come Home». Il est déjà un hard hitter, bye bye ! Il passe au heavy blues de rêve avec «I Hope You Come Back Home». Dans son genre, il est le roi du Chicago Blues claqué à l’ongle sec.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Et si tu veux écouter les singles Chess, alors mets le grappin sur une autre bonne vieille compile, The Complete Chess Studio Recordings. Buddy est le roi de l’Heartbreaking Blues, comme le montrent au moins cinq modèles du genre, à commencer par «I Found A True Love» sur le disk 1. Il joue en finesse et croise un solo de jazz de round midnite, ‘caus my baby she takes her time. Sur le disk 2, tu tombes sur «My Time After Awhile», le big Buddy blues, chanté à l’éplorée congénitale, puis «Mother In Law Blues» - I’m in love with you babe/ But your mother she got the moooo - et puis «I Suffer With The Blues», où il joue en filigrane dans le chant. Magnifico ! Il te screame encore «Leave My Girl Alone» à la folie - You better leave/ You better leave my girl alone - Te voilà prévenu. La plupart des cuts sont cuivrés de frais, parfois ça vire r’n’b («Slop Around»), parfois good time music («Baby (Baby Baby Baby)»), ou encore groove de jazz («Buddy’s Boogie»). Tout reste d’un très haut niveau virtuosic, avec souvent des solos de sax demented. Les petites déboulades n’ont aucun secret pour lui («Let Me Love You Baby») et on retrouve bien sûr le black cat bone à tous les coins de rue. Il claque de fantastiques solos d’ongle sec («Watch Yourself» et «Stone Crazy») et son «Hard But It’s Fair» fait référence. Quel fantastique artiste ! Il faut le voir jouer dans l’épaisseur du groove de «Molic» - You are born to die - Il est criant de vérité.  Son «Worried Mind» balaye tout le British Blues. C’est complètement aérien, avec une basse et un piano dans la couenne du son - Please stick around with me/ Some time - Et puis il faut entendre ce fat bassmatic dans «Night Flight». Big Dix ? Il compresse bien le son du mambo de Chicago dans «Every Girl I See», et on le voit se battre pied à pied avec ses two many ways dans «Too Many Ways». Il s’implique énormément dans ses heavy blues, toujours à la limite de l’arrachement des ovaires. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Comme d’usage, on garde les meilleurs pour la fin. Les meilleurs ? Muddy, Wolf et Junior Wells. Et là ça ne rigole plus. Buddy a fréquenté tous les cracks de son temps, et il évoque tous ces cracks avec une édifiante bonhomie, t’as pas idée. C’est la raison pour laquelle il faut se plonger dans cette autobio, car Buddy porte sur ses contemporains un regard extrêmement bienveillant. Quand Buddy rencontre Mud pour la première fois, il est frappé par son apparence, ses pommettes hautes et l’éclat de sa peau très noire - His dark skin had a glow - Buddy lit l’homme dans son regard - His big eyes sparkled and showed me his mood - C’est encore l’époque où Mud se coiffe d’une pompadour - His hair worked in a doo was shiny and piled high on his head. He was something to see - Les mots de Buddy sont précieux : ils sont justes et black. Lors de cette première rencontre, Mud demande à Bud s’il aime le salami. Il voit que Bud crève de faim. Mud lui demande d’où il vient. Louisiane - You a farm boy? - «Yes sir», répond Bud. C’est ce qu’on appelle dans une vie un moment magique. Mud et Bud sont tous les deux des farm boys. Bud a suivi exactement le même chemin que Mud, arrivé à Chicago dix ans plus tôt. Leonard le renard demande à Muddy d’enregistrer un album de blues acoustique - He wants it to sound like ol’ time delta - Okay dit Mud, et il impose Buddy comme back-up guitar. Leonard n’en veut pas. Mud tient bon. C’est ça ou rien. Mud lui balance ceci : «Vous voulez the old music ? Well, ce jeune homme la joue même en dormant. Si vous le virez de la session, je rentre chez moi.» Alors Leonard le renard écrase sa petite banane. La scène se déroule en 1963. Non seulement Mud laisse Bud gratter ses poux avec lui, mais il le laisse aussi chanter. Bud est émerveillé : «Quand on a enregistré, j’ai mis ma chaise près de la sienne et j’ai plongé mon regard dans le sien. Je n’ai jamais cessé de sourire. C’est dire si j’étais heureux.» Encore un moment magique dans la vie de Buddy Guy. Certaines pages crépitent de bonheur. On sent le book vibrer dans les mains. Fantastique Buddy Guy et fantastique David Ritz. À la fin de la session, Leonard est ravi, et avec toute l’élégance de rat qui le caractérise, il lance à Bud : «You can sound like an old fart, can’t you?» Pour les ceusses qui ne seraient pas au courant, un fart est un pet. Prout. Leonard aurait dû s’appeler Prout. Leonard Prout. Les blacks de Chess étaient mille fois plus élégants que ce malotru. Puis Bud retrouve Mud à son retour d’une tournée anglaise. «How was England?». «Shitty», lui répond Mud. «They booed me again». Il avait joué à coups d’acou et ça n’avait pas plus aux Anglais, alors que lors de la tournée précédente, on reprochait à Mud de jouer trop fort sur sa Tele électrifiée - They don’t want no quiet-ass folk singer. They want loud - Mud ne sait plus ce que veulent «those English motherfuckers». Il dit même qu’ils ont la tête dans le cul. Mud évoque aussi ces «boys from London they was calling The Rolling Stones, named after one of Muddy’s lines». Mud se marre : «Ils en savent plus sur moi que je n’en sais moi-même.» Buddy rappelle un truc essentiel : Muddy était un homme fier. Il n’aurait jamais accepté de porter une tenue de travail de peintre, comme l’ont affirmé les Stones. Il arrivait toujours sur son 31 chez Chess, coiffé et nickel, costard repassé, pompes cirées - Muddy Waters knew that in Chicago, Illinois, he was boss of the blues - Quand sa femme Geneva casse sa pipe en bois, Muddy est secoué. Et en même temps, le voilà libre. Alors il fait venir chez lui tous les gosses qu’il a faits ailleurs. Buddy affirme que Mud adorait sa femme, mais il menait en parallèle sa vie d’homme. Buddy raconte aussi un concert chez Antone’s, à Austin, Texas, où les bluesmen sont rois - Down there in Texas they was blues crazy - Muddy joue sur scène, et comme c’est son annive, Buddy et Junior Wells le rejoignent avec un gâtö en chantant «Happy Birthday». Alors Mud dit au public : «See these here boys? I know ‘em since they was kids. I raised ‘em.» Moment magique. Un de plus. Mud vient aussi d’enregistrer un nouvel album avec Johnny Winter. Il ne trouvait pas de titre, et comme à sa grande surprise il venait de se remettre à bander, il a opté pour Hard Again - What do you think? - Quelle rigolade ! Buddy n’en finit plus d’adorer cet homme : «I just love saying his name. I just love telling everyone that Muddy Waters was my friend, that Muddy Waters was the man.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             The man ! Alors en voilà un autre : Wolf. Un jour Bud demande à Mud pourquoi Hooky a quitté Chicago pour aller s’installer à Detroit. Et Mud lui dit : «Johnny didn’t wanna be around all these heavy-hitters.» Alors Bud dit qu’il ferait bien d’aller lui aussi à Detroit et Mud lui dit non, car Wolf le cherche. What ? Wolf ! Et Mud indique que Wolf joue chez Silvio’s tôt le matin, à 7 h, au moment où les équipes de nuit des abattoirs débrayent - That’s when the Wolf really starts to howl - Mud lui recommande encore de ne pas trop jouer s’il accompagne Wolf, car il n’aime pas qu’on l’éclipse. Si ça ne lui plait pas, il te colle un tas dans la gueule. Buddy va chez Sylvio’s à l’aube et c’est le grand choc de sa vie : «‘Smokestack Lightning’ got wild. Vous n’avez rien vécu tant que vous n’avez pas traîné dans un club de Chicago à l’aube avec tout le monde high on hard whiskey and heavy blues.» Et boom encore avec «Sitting On Top Of The World», «‘cause, baby, he sure is.» Puis Hubert Sumlin vient trouver Buddy pendant le break pour le mettre à l’aise : «Si Wolf veut t’emmener en tournée, pas de problème, je suis d’accord.» Buddy lui répond qu’il ne veut pas prendre sa place. Mais Hubert lui, dit qu’il en a marre du Wolf bourré et brutal - S’il estime que je joue faux, il va me frapper, comme il frappe ses gonzesses - A bon entendeur, salut ! Quand Wolf vient trouver Buddy chez Theresa’s pour lui proposer le job et la tournée, Buddy refuse.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Plus tard, après qu’on ait repêché Toscano dans le Lac Michigan et que Leonard le renard et Big Dix se soient réconciliés, on lui propose une session pour accompagner un crack. Qui ? Wolf ! Buddy répond une fois de plus que Wolf a Hubert, et donc il n’a besoin de personne d’autre. Mais Wolf et Hubert se sont bagarrés. Alors Buddy accepte d’accompagner Wolf pour 10 dollars.  

             Et bien sûr, le big buddy de Buddy, c’est Junior Wells. Buddy lui consacre un chapitre entier - Junior Wells gets his own chapter in my book - Il dit aussi qu’il est l’un des craziest characters qui aient traversé sa vie. Il ajoute encore que cette collaboration ne fut pas de tout repos. Buddy le remercie chaleureusement : «tous les deux on a fait une musique que je n’aurais jamais fait tout seul. He inspired me.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             En 1972, Buddy Guy & Junior Wells enregistrent Play The Blues au Criteria de Miami. Cet Atlantic un véritable chef-d’œuvre, contenu comme contenant. Pochette magique pour un album magique. Ils démarrent avec un gros r’n’b des faubourgs, « A Man Of Many Words ». Junior mise gros - Let me tell you - et derrière Buddy coule ses rivières de diamants. C’est d’un feeling à peine croyable, le jour et la nuit avec A Man And The Blues. Buddy et Junior inventent une sorte d’enfer - au sens de la température - Le génie du blues s’exprime à travers eux. Junior s’en va screamer de plus belle, alors Buddy coule de plus belle. Aucun blanc ne saurait provoquer un tel frisson. Il faut à Buddy un valeureux screamer comme Junior, voilà le secret. Ensemble, ils sont énormes. Et le riff du cut vaut tout l’or du monde. Ils font ensuite un bon boogie blues, « My Baby She Left Me » et reviennent au heavy blues haut de gamme avec « Come On In This House/Have Mercy Baby ». Junior le prend de l’intérieur du ventre et il fait perler ses eh-youuuuh. Ils ont le pouvoir. They got the power, comme dirait Public Enemy. Ils sont les rois du blues. Ils ont une classe folle. Et ils mettent la ville à sac - mercy mercy babe - avec le feeling du diable. Ils rendent un bel hommage à T-Bone Walker avec « T-Bone Shuffle » et vont droit dans le boogie voodoo avec « A Poor Man’s Plea » que Junior chante avec une hallucinante autorité divine. La perle noire se trouve en fin de B : « Honey Dripper ». Ils amènent ça avec une infinie délicatesse et ils se mettent à sonner comme des anges noirs.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Buddy et Junior furent enregistrés à Montreux en 1978 pour un album live bien sympathique. Ils rendent hommage à Guitar Slim avec « The Things I Used To Do », ce vieux slow blues d’anticipation carabinée joué à la bonne franquette mélodique. Buddy chante et pousse des petits yahhh du meilleur effet. Ils essaient d’allumer « Help Me », mais ils le laissent sous le boisseau et ne le font pas exploser, comme sut si bien le faire Alvin. C’est Junior qui chante sur toute la B et il commence par exploser « Come On In This House ». Il fait goutter le jus de ses voyelles. Quel fabuleux shouter ! Puis il attaque « Somebody’s Got To Go » du gras du menton. Junior Wells n’est pas homme à se méprendre, bien au contraire. C’est un pro du gras de Chicago.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Junior fut le joueur d’harp qui remplaça Little Walter dans le groupe de Muddy - Chosen by Mud, he had to be great - Junior vient de West Memphis et il est arrivé à Chicago en 1946. Il avait 11 ans. Quand il demande à Sonny Boy Williamson II, c’est-à-dire Rice Miller, de lui montrer des trucs à l’harp, Rice l’envoie promener, «Motherfucker, you too dumb and stupid», et quand Junior insiste, Rice sort une lame. Dégage ! Puis Muddy prend Junior sous sa protection, devant un juge. Il se porte garant pour Junior qui allait droit au placard après une sale bagarre. Quand ils sortent du tribunal, Junior veut monter dans un bus et Muddy lui ordonne de monter dans sa bagnole. Junior renâcle, «Pas question, j’ai des trucs à faire», et il bouscule Muddy qui sort un flingot. Alors Junior obéit et monte dans la bagnole - That’s when I knew I had a daddy - C’est dire à quel point Muddy est une figure centrale de cette scène. Junior va bien sûr habiter chez Muddy. Geneva et Mud lui demandent un petit loyer et quand Junior apprend que d’autres mecs logent gratis, il sort une lame pour menacer Muddy. Fatale erreur. Muddy ne cille pas. Il se lève et bam, il gifle Junior. Puis il l’attrape par le colback et lui dit : «Je vais tellement de démolir la gueule que tu ne pourras plus jouer d’harp.» Alors Junior s’est calmé. Buddy ajoute que Junior avait un autre problème : il croyait que James Brown lui avait volé son thunder

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Le dernier album en date du grand Buddy s’appelle The Blues Don’t Lie. Tout un programme. Il commence par dire qu’il laisse sa gratte parler à sa place avec «I Let My Guitar Do The Talking», un heavy blues de haut vol. Il raconte son enfance en Louisiane - I made my own rules - Et Buddy monte tous les étages de la démesure. Quel déluge de son, les amis ! Même Noé n’en reviendrait pas. Ça grouille de coups de génie sur cet album, tu vas commencer à te gratter avec «Symptoms Of Love», big boogie down. C’est là qu’il fait la différence. Il gratte ses gros poux sur sa Strato à pois, c’est solide et bien enfoncé du clou, il bourre sa dinde, le wild Buddy. Il est bien plus rock que ne le seront jamais les petits culs blancs. Tu te grattes encore avec «Well Enough Alone», il y va à coups de mojo et de black cat bone et il t’explose l’heavy boogie blues. Il dicte sa loi. Il redore le blason du Black Power. Il est plus funky avec «What’s Wrong With That». Il est assez extraordinaire, car il a tout le son du monde - Please tell me what’s wrong with that - Il veut savoir - I’ve been around the bush - Il connaît la chanson, ne prend pas Buddy pour un con ! Bobby Rush chante en lead et il se tourne vers son buddy Buddy : «Buddy Guy play some guitah for me !». Alors Buddy plays some guitah. Il passe ensuite au big boogie avec «House Party» - It’s Buddy Guy time - Il joue son va-tout de géant. Il est imparable par nature. Et par excellence. «Sweet Thing» sonne comme un heavy blues d’extasy, Buddy ramène de la pulpe dans le son, il gratte du jus, c’est plein comme un œuf, c’est l’heavy blues de la perfection. Grosse intro pour «Backdoor Scratching» et te voilà fixé par la fixture. Buddy se balade comme un crack. Et dans «Rabbit Blood», il te balance ça : «I swear the girl’s got rabbit blood/ I met no woman can do me like she does.» Il a génie du blues. C’est là que se joue son destin. On monte encore un cran dans l’apothéose avec le genius swing de «Last Call», il te groove le jive sans frémir et il termine ce round-up avec une glorieuse cover de «King Bee», il la tape à coups d’acou et à coups de Girl I can buzz around your hive. Sexe pur en hommage à un autre géant, Slim Harpo.

    Signé : Cazengler, Guy mauve

    Buddy Guy. This Is The Beginning. P-Vine Records 2001

    Buddy Guy. The Complete Chess Studio Recordings. MCA Records 1992

    Buddy Guy & Junior Wells. Play The Blues. Atlantic 1972

    Buddy Guy & Junior Wells. Live In Montreux. Black & Blue 1978

    Buddy Guy. The Blues Don’t Lie. RCA 2022

    Buddy Guy & David Ritz. When I Left Home. My Story. Da Capo Press 2012

     

     

    L’avenir du rock

     - Lemon incest

     (Part Three)

             Boule et Bill interpellent l’avenir du rock :

             — Ça fait trois fois que tu ramènes les Lemon Twigs, avenir du rock. Tu ne crois pas que t’exagères un peu ? T’as vraiment décidé de nous prendre pour des cons ?

             — Si vous écoutiez les albums, vous ne feriez pas ce genre de remarque. Vous seriez comme moi impatient de voir arriver le Part Four.

             — Pffffff, non seulement t’es un gros con, mais en plus, t’es prétentieux.

             — Noël Godin te traiterait même de pompeux cornichon, avenir du broc !

             — T’es pédant comme un phoque, avenir du troc. Tu serais pas fils unique par hasard ?

             — Mon cher Boule, tu me fais penser à une copine dont la laideur morale n’avait d’égale que sa laideur physique, mais lui dire, ça aurait pu certainement la blesser, alors que toi, tu survivrais à tout, même à ta propre vacuité. Tu me fais pitié, mon pauvre ami.

             — Oui, mais quand même, un Part Three sur les Lemon Twigs, c’est du rabâchage, dans le contexte d’une rubrique censée trier le bon grain de l’ivresse...

             — Pas l’ivresse, Bill, l’ivraie. Si tu veux qu’on discute un peu, apprends à parler le français.      

             — Boule a raison, t’as rien compris, avenir du rôt ! Tu te prends pour le nombril du monde. L’ivresse ! J’aurais pu te dire livresque ! Ou levrette, comme Limon qui lime ton twat de Twig !

             Boule embraye aussi sec :

             — Ou Lemon de Venus qui tweete une twarte à la crème !

             — Ou Limon du delta sous la twante de Twiggy !

             Boule et Bill rient de bon cœur. Ils sont très fiers d’avoir réussi à fermer le clapet de l’avenir du rock. Quelle sera leur prochaine étape ? Le diable seul le sait.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Si tu cherches les héritiers de Brian Wilson et des Beatles, pas compliqué : ils s’appellent The Lemon Twings. Leur nouvel album A Dream Is All We Know grouille de preuves.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    La première preuve s’appelle «My Golden Years». Alors attention, ça part en mode wild pop drivée de main de maître, ça reste incroyablement tendu de bout en bout, monté sur un beat glorieusement turgescent et boom, ça se termine en final à la Brian Wilson. Chez les frères D’Addario, ça éclot de bout en bout. Tu veux encore du pur Beach Boys sound ? Alors saute sur «In The Eyes Of The Girl». The most perfect Wilson sound depuis Brian Wilson. Ils ré-explosent un univers déjà explosé, celui de la grande pop harmonique. Stupéfiant ! Qui aurait cru ça possible ? Tu veux les Byrds ? Alors saute sur «If You & Me Are Not Wise». Ils descendent en profondeur dans l’excellence des Silver Sixties, ils ramènent même le jingle jangle. Cet album des Lemon Twigs est sans le moindre doute le plus bel album sixties du XXIe siècle. Les frères D’Addario ré-allument tous les brasiers fondateurs : Beatles, Byrds, Beach Boys. Tu veux les Beatles ? Alors saute sur le morceau titre. Ça passe en force au All I know. C’est extrêmement Beatlemaniaque, ils réincarnent le génie de John Lennon. Là tu touches du doigt le real deal. Les frères D’Addario ont ce type de talent magique. Avec «How Can I Love Her More?», ils persistent tellement qu’il tapent dans un au-delà de la pop communément admise. Ils flirtent même avec le glam dans «Rock On (Over & Over)». Ah ils savent driver un stomp d’heavy glam, pas de problème, ils t’éclatent ton pauvre petit Sénégal et même ta copine de cheval. Ils sont fabuleux d’à-propos, mais le cul entre deux chaises, le glam et le «Do It Again» des Beach Boys de l’âge d’or. Encore de la magie pop dans «Peppermint Roses». C’est inspiré à pleins poumons.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Comme un bonheur n’arrive jamais seul, les voilà sur scène, Brian D’Addario sur une douze rouge pailletée qui sent bon les Byrds et tout le tintouin, et son frangin Michael sur une Ricken pour l’anglicité des choses de la vie, et là, franchement, t’as tout, absolument TOUT : le son, la classe, l’âge d’or des sixties, le punch, les harmonies vocales, l’anti-frime, la fraîcheur de ton, l’énergie, les boots, la virtuosité de bon escient, la basse Hoffner et même les monster drives de McCartney, les killer solo flash, les hits, à commencer par «My Golden Years», la magie scénique, les sauts en l’air,

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    le mouvement perpétuel, les Byrds («If You & Me Are Not Wise»), les Beatles («A Dream Is All I Know»), la magie pop («Peppermint Roses», exactement comme sur l’album), t’as aussi les mélodies, les intrications, les mics-macs d’arpèges à la Roger McGuinn, le sens du boogie («Rock On»), un professionnalisme à toute épreuve, en un mot comme en cent, t’as sous les yeux des superstars.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    Zéro temps mort. Effervescence à tous les étages en montant chez Kate. Ils sont tellement brillants qu’ils dépassent un peu les bornes, t’es en permanence aveuglé par leur éclat, ils amènent la pop à un niveau jusque-là réservé aux Byrds, aux Beatles, aux Beach Boys et à Todd Rundgren. Et ils semblent le faire avec une facilité déconcertante. Ils évoluent sur scène avec des pieds ailés, et quand Brian attaque un drive de basse sur l’Hoffner, il carapate ses notes à coups de médiator, jouant deux fois plus de notes que n’en joua jamais McCartney. Et pour ce mec à peine sorti de l’adolescence, c’est encore un jeu. Il joue le visage couvert de cheveux, avec un sourire quasi-permanent.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    Son frère Michael adore faire rigoler la salle. Il casse corde sur corde sur sa Ricken et continue sur une Tele. Ils font aussi tourner les instrus. Michael bat le beurre sur trois/quat’ cuts et il n’en finit plus de faire rouler les baguettes entre ses doigts. Tout n’est qu’un jeu. Le Grand Jeu. En 90 minutes, ils font le grand tour de la grande pop, la seule qui vaille, celle d’avant, cette pop magique qui n’a jamais pris une ride et qui n’en prendra jamais. L’extraordinaire complicité des d’Addario brothers te bluffe.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    Comme les frères McDonald (Redd Kross), ils perpétuent une tradition instaurée par les frères Wilson et les frères Davies, qui est celle d’un brotherhood magique. En rappel, Brian revient jouer trois/quat’ cuts en acou, dont le fabuleux «Corner Of My Eye» tiré d’Everything Harmony, et que certaines personnes reprennent en chœur dans la salle. Pur showmanship à la John Lennon. Puis ils finissent en apothéose avec l’effarant «How Can I Love Her More» et une intrépide cover du «Runaway» de Del Shannon. Tu sors de là transformé.   

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Ça crache des flammes dans les canards anglais : James McNair fait quatre pages de Lemon Twigs dans Mojo, et Jon Mojo Mills deux dans Shindig!. Les frères d’Addario n’en finissent plus de clamer leur allégeance aux Beatles et aux Beach Boys. On les traite d’ailleurs de Mersey-Beach. Ça fait bien marrer les deux frères - We love the simplicity of the Beach Boys sound, which was a combinaison of Chuck Berry and The Four Freshmen - Jon Mojo Mills les qualifie aussi d’«unstoppable». Sur scène, ils sont accompagnés par Reza Matin des Uni Boys, et un vieux copain, Danny Ayala. Michael D’Addario compare d’ailleurs Reza Matin à Bev Bevan, le beurre des Move. Pour Mills, «My Golden Years» sonne comme du «12-string Beatles meet Beach Boys with a dose of The Monkees and The Raspberries». Michael d’Addario cite aussi «a few key examples», «everything Zombies, The Stones’ ‘She’s A Rainbow’, The Left Banke.» Mills retrouve du Turtles dans «How Can I Love Her More» et Roy Wood dans «Church Bells», à cause du cello. Michael cite aussi Amen Corner, puis les Flying Burritos Brothers, The Mirage et The Notorious Byrds Brothers. Et Mills de conclure, affolé de bonheur : «The Lemon Twigs are the ultimate Shindig! band. Don’t miss this album. It won’t let you down.»  

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             McNair tape sensiblement dans le même registre : il les dit «beloved of Todd Rundgren, Colin Bluntstone and Big Star’s Jody Stephens», trois superstars qui les ont réclamés sur scène.  Michael et Brian se disent alarmés par le temps qui passe - The album is aiming for something timeless - Comme les Beatles, les Byrds et les Beach Boys avant eux, ils cherchent à enregistrer une pop intemporelle - Les gens qui ont enregistré nos albums favoris y ont mis beaucoup de soin. The Beach Boys being the absolute pinacle of that. That’s what we’re chasing - Et voilà qu’ils évoquent des albums solo à venir, Gifts - a goofy Fith Dimension/Jimmy Webb-style collaboration with Sean Lennon - un flexi-disc qui sera distribué gratuitement, et puis un album du père, Ronnie d’Addario, avec Todd Rundgren et le fils d’Al Jardine. Quand les frères d’Addario ont accompagné Todd sur scène en 2017, c’était pour eux comparable aux Teenage Fanclub accompagnant Alex Chilton - Your heroes love it when you’re a young band and you can just nail it - Le mot de la fin revient à une certaine Nathalie Mering : «Les Lemon Twigs ne sont pas vos typical hipsters. Ils essayent de créer des great pop songs dans un monde où tout le monde croit que tout a déjà été fait, et de leur part, c’est pretty brave, c’est-à-dire très courageux.»

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Lemon Twigs. A Dream Is All We Know. Captured Tracks 2024

    James McNair : The Lemon Twigs. Mojo # 366 - May 2024

    Jon Mojo Mills. Sweet Vibrations. Shindig! # 150 - April 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Si Pete a ri, Molinari aussi

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             D’une certaine façon, l’avenir du rock préfère les gens qui rient à ceux qui pleurent. Il préfère les joyeux drilles aux bouches d’ombre et aux figures de cire du Musée Grévin, il préfère les Rabelaisiens et les boute-en-train aux épluchures humaines qui s’abreuvent de journaux télévisés et d’actualité politique, il préfère les hilares et les zutiques aux têtards desséchés et aux virtuoses de la déconvenue. D’un côté le pas ailé et de l’autre la semelle de plomb, d’un côté le verre à moitié plein et de l’autre le verre à moitié vide, d’un côté dix commandements dont le premier dit : «Tu riras tant que tu vivras», et de l’autre, dix commandements dont le premier dit : «Tu ne riras point», d’un côté le gardon et son écaille étincelante, de l’autre la tanche huileuse de vase puante, d’un côté l’aube de la vie et de l’autre le poids des ans, d’un côté «Je ris de me voir si belle en ce miroir», et de l’autre «Ô rage ô désespoir» et son corollaire en forme de train de marchandise, «N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?», d’un côté le blanc des robes de printemps, et de l’autre le noir usé des mises de Presbytériens aussi calvitiés que calvinistes, d’un côté Hulot et de l’autre Godot, d’un côté tu mouftes et de l’autre tu ne mouftes pas, d’un côté chatouille-moi et de l’autre torture-moi, d’un côté Louis Armstrong et de l’autre les champs de coton, d’un côté le flatteur, c’est-à-dire Maître Renard, et de l’autre le flatté, c’est-à-dire Maître Corbeau, d’un côté la paix et de l’autre la guerre, d’un côté la liberté et de l’autre le profit, d’un côté Jean-qui-rit et de l’autre Jean-qui-pleure, d’un côté la Vache qui rit et de l’autre les abattoirs, d’un côté la mare aux canards et de l’autre le magret de canard, d’un côté les Oies du Capitole et de l’autre le foie gras et cet immonde corollaire que sont les grosses rombières réactionnaires, d’un côté le carrosse de Cendrillon et de l’autre le 4x4 dernier cri, d’un côté Charlot et de l’autre Hitler, d’un côté Moonie et de l’autre Thatcher, d’un côté l’horizon et de l’autre la tombe. Mille raisons pour lesquelles l’avenir du rock apprécie tant Pete Molinari.

             Qu’on ne se méprenne pas : Pete Molinari n’est pas un comique, même si par sa consonance, son nom laisse supposer le contraire. Pour l’avenir du rock, ça tombe sous le sens : Pete a ri, alors Molinari aussi. C’est du tout cuit. Un tout-cuit dont il aurait une (fâcheuse) tendance à abuser. N’étant pas d’une nature à se réfréner, l’avenir du rock y va de bon cœur.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Ben Graham y va aussi de bon cœur. Zou ! Quatre pages dans Shindig!. Pour dire quoi ? Pour dire qu’il forge «a musical triumph from the ashes of disillusionment.» Pas mal, le Ben. Un Ben qui indique en outre que Molinari s’est installé à Los Angeles avec sa femme Mila, la danseuse brésilienne. Originaire du Kent, Molinari se dit surtout américain, à cause de Dylan, Hank Williams, Leadbelly, Woody Guthrie and Billie Holiday. Il a commencé par s’installer à New York puis il est allé enregistrer Just Like Achilles à Los Angeles, histoire de s’enraciner dans le mythe de Laurel Canyon. Puis il est reparti à Rome enregistrer Wondrous Afternoon pour se ressourcer dans Motown et Burt. Il indique au passage que son père écoutait de l’opéra et il a grandi avec Maria Callas et Pavarotti, ceci expliquant cela. De père égyptien et de mère maltaise, with an Italian heritage, le p’tit Pite s’est retrouvé au carrefour des cultures. Mais ses principales influences sont ce que le Ben appelle «classic Soul music» : Motown, Stax, Burt Bacharach, Phil Spector, d’où l’idée de laisser tomber Dylan et de faire un album plus Soul avec Wondrous Afternoon.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Délicieuse galette de plastique noir ! Un style c’est sûr. Casquette pied de poule, lunettes noires et manteau en léopard, une espèce de mix Dylan 65/Flaming Groovies. Groove et voix de nez dès le morceau titre. Tu prends immédiatement ta carte au parti. «Wondrous Afternoon» sonne comme une ravissante Beautiful Song. Tu ne peux pas te tromper : le p’tit Pite sonne comme un élu. L’autre merveille événementielle se niche en B : «Always Letting Go». Pop de haut niveau, avec un groove aventureux. C’est d’une justesse infernale - Love is always letting go - «Cezanne Cezanne» ne concerne pas le peintre, mais une gonzesse qui s’appelle Cezanne. Avec «Narcissus», il va plus sur le r’n’b - Narcissus is your second name - Le balda est une chef-d’œuvre de groovytude, «Only When I Love» balance entre deux mers, et avec «You’re Poetry To Me», il prêche la paix sur la terre. Il te berce littéralement. Le p’tit Pite adore le groove. C’est un bec fin. Il reste poppy mais judicieux.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Comme il a grandi dans le Medway Delta, patrie des garagistes britanniques, il était logique que son premier album, Walking On The Map, soit produit par Wild Billy Childish «in the latter’s Chatham kitchen.» Le p’tit Pite était gosse quand Billy tournait «with his bands and stuff». Le p’tit Pite n’est pas une oie blanche. Il allait chez Billy lire ses books de poésie. L’album Walking On The Map date de 2006. C’est un énorme hommage à Bob Dylan. Le p’tit Pite fait du Dylanex pur et dur, au sucre insistant. Tout est monté sur les coups d’harp et tout est chanté avec une pince à linge sur le nez. Le p’tit Pite se prend clairement pour le nouveau Dylan. Bizarre que cet album sorte sur Damaged Goods qui est un straight label gaga. Le p’tit Pite remet sa pince à linge pour attaquer «The Ghost Of Greenwich Village». Il tape en plein dans la mythologie dylanesque. Il arrose «I Just Keep It Inside» de gros coups d’harp. Le pied de poule de son cache-col en laine renvoie bien sûr au costard pied de poule que Dylan portait à l’Albert Hall en 1965. Le p’tit Pite bascule de plus belle dans son délire dylanesque avec «The Ballad Of Bob Montgomery». Le pire, c’est qu’il en a les moyens. Il se veut insistant et tape en plein dans le mille. Il s’amuse avec un yodell de bonne franquette dans «What Use Is The Truth To Me Now», ce mec est superbe, il soulève de très vieilles vagues de fake Americana. Molinari aurait-il du génie ? Oui, de toute évidence. Tout chez lui sonne vrai : les coups d’harp, le gratté de poux, le chant pincé, il tape en plein dans le mille. Il frise parfois le ridicule («Alone & Forsaken»), mais on l’écoute. Il chante «A Lonesone Episode» d’une voix de canard, franchement si ce n’était pas écrit «Molinari» sur la pochette, on croirait entendre Dylan. Il n’en démord pas, jusqu’au bout de l’album, il reste en plein dedans, même ampleur de routine, même moteur artistique, même empreinte digitale.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Sur A Visual Landcape paru deux ans plus tard et enregistré chez Toe Rag, on retrouve du Dylanex : «One Stolen Moment», «Look What I Made» et «Sweet Louise» tapent en plein dans la mythologie. Le p’tit Pite doit être obsédé. Il y va à l’Absolutely Sweet Louise, clin d’œil appuyé à l’Absolutely Sweet Mary. Il refait sa fake Americana avec «Dear Angelina», pur jus de Tex-Mex d’El Paso à la Doug Sahm, c’est de bonne guerre. Et puis, voilà les coups de génie, à commencer par «It Came Out Of The Wilderness», fabuleux shoot d’exaction sucrière. Il a une voix très pointue, et derrière ça sonne comme au temps du Bringing It All Back Home. Terrific ! Vraie profondeur de champ, il ramène du génie dylanesque dans sa fière allure. C’est très métabolique. Encore de la profondeur de champ sur «Adelaine», et retour au grand art avec un «I Don’t Like The Man That I Am» beau et tendu. Oui, il a un truc, le p’tit Pite, avec son inside my head. Il est franc du collier - I can’t love you/ Cause I don’t like the man that I am - Sa franchise l’honore.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Avec A Train Bound For Glory, ses albums commencent à sonner comme des albums classiques. On le voit swinguer la pop-rock de «Streetcar Named Desire» avec une insolence de coming back again, les chœurs font shut up, shut up, c’est extraordinaire de bravado, et les vents de la ville emportent les poux qu’il gratte. Il renoue avec l’éclat de Streetcar dans «Willow Weep For Me». Le p’tit Pite la joue fine, il sait gérer les small dynamiques et il chante d’une superbe voix de canard. Quel artiste ! Encore plus musculeux, voici «Little Less Loneliness». Il shake son hip d’hipster, ça swingue sous le galure, le p’tit Pite est un fantastique mover shaker. Nouveau coup de Jarnac avec «New York City» tapé au heavy piano. Ptoufffhhh ! Il y va à l’heavy dumb d’I alive in New York City. Quelle débinade ! Il fait du power bananas. Il repique une petit crise de Dylanex avec le morceau titre. On se croirait sur Another Side Of Bob Dylan.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Il revient en force en 2014 avec Theosophy. L’album grouille de puces, tiens comme par exemple l’«Hang My Head In Shame» d’ouverture de bal, chanté à la voix de fiotte trempée d’écho, mais c’est énorme, bien balancé, c’est du Molinari de big time, avec son éclatante foison de poux. Il chante d’une voix d’escalope fine, c’est très spécial. Il faut s’y habituer. Attention à «Evangeline», car c’est du wild as fucking fuck. Sa voix colle bien au stomp. Le p’tit Pite sait claquer l’heavy pop d’un hit. «I Get It All Indeed» sonne un brin Velvet, t’as là un balladif sur-vitaminé embarqué à l’up-tempo. Il oscille parfois entre le Dylanex et la féminité («When Two Worlds Collide»), le p’tit Pite est un mec curieux et attachant. Il flirte en permanence avec le génie pop, comme le montre encore «What I Am I Am». il recherche l’effet Totor/Brill, il a cette volonté de vaincre à coups de Sweet Lord. Encore du rentre dedans avec «Mighty Son Of Abraham». C’est même assez religieux. Shindig! a raison de lui dérouler le tapis rouge. Ce furet de p’tit Pite fout son nez partout : le voilà dans l’heavy blues avec «So Long Gone». Il termine cet excellent album avec «Love For Sale», couché sur canapé d’heavy Sound. Il taille vraiment bien sa route. Il sait mettre son côté voix de fiotte en valeur et en faire un atout, une sorte de sucre avarié, un peu divin.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Paru en 2022, Just Like Achilles est un tout petit moins dylanesque que ses prédécesseurs. La seule trace de sa passion dévorante pour le grand Bob se trouve dans «Steal The Night». Il y ramène les deux mamelles dylanesques, la voix et le sens mélodique. Pour le reste, il cultive sa belle aisance du singalong. Il est si parfaitement à l’aise, il faut le voir chanter à l’encan dévolu ! «I’ll Take You There» est plus enjoué, plus orienté vers les hit-parades. Mais au fil du balda, on sent qu’il peine à fournir. Comme s’il se tarissait en s’éloignant de Dylan. Alors il y revient avec «Waiting For A Train». Il ouvre sa B avec la pop pure et fraîche de «You’ve Got The Fever», une vraie fontaine de jouvence. Et plus loin, il nous cale son morceau titre, un joli shoot de pop molinariste gorgeous et bien enlevée.

    Signé : Cazengler, Pete Molinaridicule

    Pete Molinari. Walking On The Map. Damaged Goods Records 2006

    Pete Molinari. A Visual Landcape. Damaged Goods Records 2008

    Pete Molinari. A Train Bound For Glory. Clarksville Recordings 2010

    Pete Molinari. Theosophy. Cherry Red 2014

    Pete Molinari. Just Like Achilles. Blind Faith Records 2022

    Pete Molinari. Wondrous Afternoon. Blind Faith Records 2023

    Ben Graham : Restless Soul. Shindig! # 145 - November 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Un flirt avec les Flirtations

             Pour un flirt avec Fleur/ Je ferais n’importe qui/ Pour un flirt/ Avec Fleur. C’est en quelque sorte la chanson qu’on aurait pu chanter cette nuit-là. Le hasard qui fait toujours bien les choses avait rassemblé une équipe de fêtards autour d’une pompe à bière, quelque part au centre de la douce France/ Doux pays de mon enfance. Nous étions tous invités dans le cadre d’une université d’été. Mes universités/ C’était pas Jussieu/ C’était pas Censier/ C’était pas Nanterre, non c’était encore autre chose, en tous les cas, la pompe à bière était gratuite et les gens n’envisageaient pas d’aller coucher au panier. Grosse ambiance, sauvagement encouragée par la gratuité des choses. Tout le monde en avait comme on dit dans les bars ‘un sacré coup dans la gueule’. Alors ça rigolait et ça titubait, comme au temps des fêtes païennes, lorsqu’on s’abreuvait aux amphores. On se faisait des réflexions stupides du genre «oh j’ai jamais bu autant de bière», mais on s’amusait surtout à voir jusqu’où on pouvait aller trop loin. On causait avec les ceusses qui nous causaient, on rigolait d’un rien et puis soudain, un petit bout de femme surgit de nulle part pour engager la conversation. «On se connaît !». «Ah bon ?». Elle relata les circonstances. «Mais oui bien sûr !». Souvenirs d’une autre fête. Ses souvenirs étaient précis. Petite, cheveux teints en rouge, d’obédience punk, elle semblait parfaitement à l’aise dans la gestion des conversations prévues pour durer des heures, blih blih blah blah, et comme on se trouvait juste à côté de la fontaine de jouvence, on se ravitaillait mécaniquement. Elle ne disait jamais non, au contraire. Lady Fleur tenait remarquablement bien le choc. Admirable ! Elle semblait contrôler sa déliquescence cérébrale. Aussi increvable que la fontaine magique qui n’en finissait plus de transformer cette fête en beuverie dionysiaque. Lady Fleur chopait un titubeur de temps en temps pour me le présenter, Je suis sous sous sous/ Sous ton balcon/ Comme Roméo ho ho, ah comme on s’amusait bien en ce temps-là, un temps que les jeunes de vingt ans/ Ne peuvent pas connaître. Elle disparut au lever du jour. Et bien sûr, le fût de bière rendit l’âme. Il restait heureusement quelques bouteilles de vin sur la desserte.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             À une autre époque, on chantait Pour un flirt avec les Flirtations, ce qui revient au même. Il s’agit de la magie des rencontres. Les Flirtations avaient en ce temps-là un hit faramineux, «Nothing But A Heartache», qui fédérait tous les états. Comme P.P. Arnold, ces trois blackettes américaines eurent l’idée géniale de faire carrière à Londres.

             Originaires de Caroline du Sud, Earnestine et Shirley Pearce montèrent les Flirtations en 1964 avec l’Alabamienne Viola «Vie» Billups. Vie commence par dire qu’elles sont bien meilleures que les Supremes, et comme elle a flashé sur les Beatles, elle dit aux sœurs Pearce qu’il faut aller à Londres, car c’est là que ça se passe.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Dans Shindig!, Andy Morten leur accorde huit pages, un vrai traitement de faveur ! Il rappelle que Vie tenait la barre. Elle savait que les Flirtations étaient énormes, alors direction London. Là au moins elles pourraient s’imposer. Elles débarquent en 1967, en plein Swinging London. C’est lors de leur deuxième voyage à Londres qu’elles s’installent dans un hôtel à Bayswater. Elles ont quelques contacts, dont l’agent des Foundations, this guy Rod, qui les amène chez Barry Class, le manager des Foundations. En sortant de chez Class, elles croisent Wayne Bickerton et Tony Waddington qui leur demandent si elles sont chanteuses.

             — Yeah !

             — Wait a minute !

             Bickerton les ramène chez lui et sa femme Carol leur chante les cuts qu’il compose avec Waddington. Ils ont des hits à leur proposer. Et quels hits ! Comme Bickerton est A&R chez Deram, il présente les Flirtations à son boss Dick Rowe qui les adore et qui les signe aussi sec. En 1968, elles ont déjà un contrat chez Deram, un producteur et des compos de tous les diables. Dès le lendemain, elles entrent en studio avec la crème de la crème du gratin habituel, Big Jim Sullivan, Herbie Flowers.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Les Flirtations furent d’une certaine façon les petites reines de la Northern Soul à domicile. Leur album Nothing Like A Heartache paru en 1969 s’appelle aussi Sounds Like The Flirtations. Pour parler crûment, c’est une bombe, mais une bombe particulière : une bombe de Soul anglaise dopée au big sound et bardée de chœurs d’écho à l’anglaise. Pour Andy Morten, c’est l’album parfait : «12 tracks that ooze class and sophistication.» Quelle classe ! Le morceau titre t’emporte aussitôt la bouche. Tu assistes à l’éclosion du good old fucking genius en plein cœur du Swinging London - Perfect combination of acid rock and sweet Soul - C’est Earnestine qui chante lead. Et ça continue avec «This Must Be The End Of The Line» et une prod extraordinaire de Wayne Bickerton, avec des trompettes. On reste dans le son Bickerton avec «Stay», l’absolute beginner des Flirts, elles t’alignent le Stay sur une harmonie vocale forcée vers le haut. Comme on l’avait déjà constaté avec Sharon Tandy, le son anglais peut être explosif. Nouvelle dégelée avec «How Can You Tell Me?», c’est Motown avec le freakbeat anglais. Power blast ! Elles te jerkent encore «Need Your Loving», elles sont comme bombardées au sommet, tu n’as même plus le temps de chercher tes mots, tellement ça palpite dans la marmite. Motown à la puissance dix ! Big beat so far out ! Tout est bourré de son jusqu’à la gueule, comme on le dit d’un canon.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    Cet album est une totale apocalypse d’excelsior. Il pleut du son, petite bergère ! Range tes blancs moutons ! Ça monte encore d’un cran avec «Once I Had A Love», elles se cognent au plafond du haut de gamme, elle te clament tout à la clameur. Même plan que P.P. Arnold avec «Love Is A Sad Song». Soul de rêve en Angleterre. Elles pulsent jusqu’au délire. Si par bonheur tu as chopé la red RPM, tu vas t’étrangler avec des bonus de rêve : «Keep On Searching» et «Everybody Needs Somebody», tous les deux tapés à l’anglaise, au wild rocking blast, avec les voix des filles de Motown, c’est extrêmement vivace, elles chantent comme des folles et ça vire glam ! Elles tapent l’Everybody au power extra-sensoriel, dans un délire de violonades, le son claque à un point qu’on n’imagine même pas. Nouveau mélange de Motown et d’UK power.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Elles ont trois pages dans Uncut pour évoquer leurs souvenirs de débutantes, et plus précisément l’enregistrement du morceau titre de Nothing But A Heartache (aka Sounds Like The Flirtations). Earnestine commence par rappeler qu’il y avait trop de girl groups aux États-Unis. Elle dit aussi que Vie adorait les Beatles. D’où l’idée d’aller tenter le coup à Londres. Vie prend la parole : «So a wild woman like myself turned up and said ‘Let’s get on that plane.’» Tony Waddington qui va flasher sur elles donne d’impressionnantes précisions : «Earnestine is mezzo soprano, Shirley is more mezzo and Vie is contralto, so that makes for a good harmony, very solid.» Il ajoute que la voix d’Earnestine «really cuts through the mix.» Après la rencontre avec Tony Waddington & Wayne Bickerton, vient la session d’enregistrement chez Decca. Elles enregistrent live. Earnestine est frappée par la qualité des musiciens : Big Jim Sullivan et Herbie Flowers, «some of the best session players in London», confirme Shirley. Waddington explique que les hits américains sonnaient bien à l’époque, car les musiciens étaient des pros, alors qu’en Angleterre, les musiciens étaient des amateurs. C’est pourquoi il voulait des pros en studio. Il voulait les meilleurs. Elles vont devenir des petites reines de la Northern Soul et chanter au Wigan Casino.  

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Viola «Vie» Billups se barre en 1971 pour démarrer une carrière solo sous le nom de Pearly Gates. Misty Browning la remplace, bientôt remplacée par Loretta Noble. En 1975, les sœurs Pearce et Loretta Noble enregistrent Love Makes The World Go Round qui reste un honnête album, même s’il est parfois un peu diskö-poppy. Un cut comme «Like Sister & Brother» n’aura jamais aucun impact sur l’avenir du genre humain. Il faut attendre le bout du balda pour trouver enfin du big flirt des Flirtations : «Lover Where Are You Now». Et en B, elles refont du pur Motown avec un «Mr. Universe» vraiment digne des Supremes, belle stature artistique et grosse emprise. Plus loin, elles renouent avec la grosse Soul orchestrée («One Night Of Love»). Elles chantent toutes les trois à pleine voix. Elles savent se montrer dynamiques et pleines d’allure. Même si «Trial By Fire» sonne comme de la Soul classique, elles brûlent de désir et montent bien à l’assaut.    

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Par contre, Pearly Gates devient une petite Dancing Queen avec On A Winning Streak. C’est un album d’heavy diskö, elle ne fait pas dans la dentelle. Elle a même des cuts qui sonnent comme du late Motown («Lifting Go Of The Pain»). Avec «Whirlpool», elle fait de l’heavy r’n’b à la mode, mais chanté au power pur. Elle suit les évolutions disons commerciales de l’époque. Elle jette dans la balance tout son poids de vieille Soul Sister. Et voilà qu’elle fait son Esther Phillips avec «Days In New York». Superbe shoot de diskö de charme. Du coup, on dresse vraiment l’oreille. Elle tente chaque fois le tout pour le tout, elle est très sportive. «Stop For Love» sonne encore comme la diskö des jours heureux. Elle fait une cover de l’«Ain’t That Peculiar» de Smokey, puis rend hommage à Leiber & Stoller avec une cover de «Dancing Jones», et revient à sa chère hard diskö avec «You’ve Got It». Une chose est certaine : tu ne restes pas assis sur ta chaise. Trop content de danser avec Vie Billups. Bon, il y a aussi un DVD dans l’emballage, mais il doit être destiné aux vrais fans de diskö.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Le croiras-tu ? Les Flirtations refont surface cette année avec un extraordinaire come-back album, Still Sounds Like The Flirtations, titre qui fait écho au Sounds Like The Flirtations. Elles sont là toutes les trois, Earnestine Pearce, lead vocals, sa frangine Shirley et Viola Billups aux backing vocals. Attention, les trois premiers cuts flirtent avec des tendances diskoïdales, et elles passent aux choses très sérieuses avec «Memories», beaucoup plus r’n’b, et là ça devient passionnant, elles te développent le Memories avec des clameurs idoines. Ça devient fameux avec «You Don’t Live Here Anymore», elles l’ultra-chantent et font du Black Power en féminin. Ça éclate encore au Sénégal avec «(Keep Chasing) Blue Skies», elles renouent avec l’âge d’or des sixties, c’est une véritable merveille inconditionnelle, un must de real deal. Tu crois qu’elles vont se calmer ? Non, car voilà «Take It Back», un wild r’n’b, du pur Motown sous amphètes, elles y vont à l’I need you to prove it, elles t’explosent la rondelle des annales de Motown. Quelle aventure ! Elles montent encore d’un cran avec «No One Does It Like You», c’est admirable de véracité Soul, Earnestine chante comme la reine de Nubie, elle donne à ses accents une couleur écarlate et chaude, elle fait dérailler des syllabes dans le bonheur, l’art d’Earnestine te transporte, il faut l’entendre groover son ouh-ouh ouhhouhh, t’as l’impression de vivre un moment historique. Elle monte encore sur ses grands chevaux pour «Life Is Like A Mountain» - Don’t give in - Elle rue dans le rumble. Les Flirtations sont dans le vrai à un point qui dépasse l’entendement. Earnestine appuie encore ses syllabes dans «Thought I Knew You». Elle donne tout ce qu’elle a dans le ventre.

    Signé : Cazengler, fleurt fané

    Flirtations. Sounds Like The Flirtations. Deram 1969

    Flirtations. Love Makes The World Go Round. RCA Victor 1975

    Pearly Gates. On A Winning Streak. Night Dance Records 2010

    Flirtations. Still Sounds Like The Flirtation. Cargo Records 2024

    Nothing but a heartache. Uncut # 329 - September 2024

    Andy Morten : Walking down a street in London. Shindig! # 133 - November 2022

     

     

    Holiday on Ace

     - Part One

     

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Les gens d’Ace font bien les choses. C’est même, dirons-nous, communément admis. Personne n’oserait dire le contraire. Ce postulat a la peau dure. Il avoisine désormais les cinquante ans d’âge. On parle d’Ace comme on parlait de la Bible au moyen-âge : la voie du salut, et en même temps la mère de tous nos vices. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Histoire de re-défrayer une chronique qui n’en peut plus d’être défrayée, les gens d’Ace lâchent dans la nature quatre compiles en forme de bêtes fauves : The Best Of Ace Rockabilly va dévorer les fans de rockab, The Best Of Ace-Sixties Garage Punk va dévorer les derniers fans de gaga-punk, This Is Mod 1960-1968 ne va faire qu’une bouchée des fans de Mod craze, et This Is Street Funk 1968-1974 va engloutir tous crus les fans de funk. Des compiles d’autant plus féroces qu’elles ne sortent qu’en vinyle, ce qui leur donne une crédibilité à toute épreuve. Tu n’approches pas un vinyle de la même façon qu’un CD. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Sur This Is Mod 1960-1968, tu retrouves ce vieux chouchou d’Arthur Conley, à la fois en recto de pochette et sur la B, avec «I Can’t Stop (No No No)». Et tu as encore plein d’autres vieux chouchous, c’est comme s’il en pleuvait, enfin, façon de parler, puisque le nombre de cuts se limite à 14, ce qui n’est pas dans les habitudes des gens d’Ace qui auraient une petite tendance à en rajouter. Si tu veux jerker comme un beau diable, alors écoute James Carr et l’impavide «Coming Back To Me Baby». C’est à Clarence Carter que revient l’insigne honneur d’ouvrir le balda, avec le plus évident des ‘dancing-floor fillers’, «Looking For A Fox». Ha ha ha ha, il rit comme un ogre et tu vois ses dents briller dans la nuit. Mais au lieu de t’enfuir, tu jerkes. Le Fox de Clarence pourrait bien être l’apanage du Mod craze. Tu les vois jerker, les Mods et les Modettes, dans la boom de la dansette. Et puis t’as Jimmy Hughes qui s’amène la bouche en cœur avec un version mellow d’«Hi Heel Sneakers». C’est autre chose que celle de Jerry Lee. Jimmy Hughes est magnifique de feeling black et de tact. Et puis au bout de la B, tu tombes sur le «Talkin’ Woman» de Lowell Fulsom, sa fantastique énergie et son ha ha you’re talkin’ too much. En B, t’as deux autres superstars d’Ace complètement inconnues, d’abord Darrow Fletcher, avec «The Pain Gets A Little Deeper», il met tout le feeling du monde dans son r’n’b. C’est incroyable que Darrow soit passé à l’as. On va dire la même chose de Mary Love qui casse bien la baraque avec «Lay The Burden Down». Elle sait rocker le boat, la petite Mary, elle est fabuleuse d’à-propos black.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Et voici la compile rokab de Keb Darge : The Best Of Ace Rockabilly. Elle se montre digne de ton étagère. Comme Keb compile, il commente ses cuts. Il prend bien soin de rappeler qu’il faut en baver pour trouver certains singles rockab. Il remercie aussi Barney Koumis, Boz Boorer et d’autres spécialistes londoniens. Keb en pince pour le slap, alors il démarre avec le «Blue Jeans & A Boy’s Shirt» de Glen Glen, ça percute la stand-up, ça te boppe le cul. Slap toujours en B avec Hal Harris et «Jitterbop Baby» - The first Ace 45 I bought - Il précise qu’Ace l’a sorti from the Starday masters en 1978. Oh le slap ! Qualité fondamentale de la musicalité ! Bien sûr, les Wild Cats pullulent sur cet album, à commencer par Benny Ingram et «Jello Sal», puis Pat Cupp & The Flying Sauvers et «Do Me No Wrong», ça jive sec, la Cupp est pleine. En fait, le pauvre Keb n’a pas grand chose à raconter sur ses singles. Max Décharné est beaucoup plus intéressant, il sait transmettre sa fièvre. Keb flashe aussi sur le bu bu bu bu baby de Billy Barrix dans «Cool Off Baby» et il a raison, le bougre. Il rappelle aussi que Billy Barrix fut le premier petit cul blanc signé sur Chess. Cinq cuts sur quatorze, c’est déjà pas mal pour une compile rockab. C’est même mieux que rien. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Sur sa lancée, Keb Darge propose une autre compile : The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Keb te claque un bon coup de Chocolate Watchband, «Sweet Young Thing», bien dru et archétypal, et qui sent bon la Stonesy. «Their best outing» nous dit Keb. Il ajoute qu’avec l’arrivée de session musicians en studio, les Chocolate allaient perdre leur magie. Au niveau des têtes connues, t’as aussi The Litter avec le Minneapolis pounder «Action Woman». Pour le côté révélatoire des choses, il faut attendre Sandy Edmonds et sa cover du «minor hit» des Pretties, «Come See Me». Il tape dans le cœur du mythe, en plus poppy. Mais t’as pas mal de cuts qui ne marchent pas : Music Machine avec «The People In Me» ou The Knight Riders avec «I». En B, Keb tape dans les trésors de Norman Petty avec Venture 5 et «Good & Bad». T’as tout de suite du son. New Mexico ! Même chose avec The Fog et «Grey Zone». Cette fois, Keb tape dans Gary Paxton, l’autre génie tentaculaire de l’underground américain. En fait, ils sont trois : Norman Petty, Huey P. Meaux et Gary S. Paxton. Même niveau de légendarité que Kim Fowley. Le «Grey Zone» que Keb a choisi t’accroche car extrêmement psyché et même assez mystérieux. Keb l’a trouvé sur la compile d’Alec Palao, Lost Innocence. Et puis t’as The Lyrics avec «They Can’t Hurt Me», qui sonne comme un hit. En bas du verso de pochette, Keb raconte ses mésaventures de collectionneur. Il se dit fier d’avoir collé sur cette compile des trucs inédits. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Et puis t’as cette petite bombe atomique : This Is Street Funk 1968-1974. Atomique à cause de Billy Garner et «Brand New Girl». Il a le diable au corps, le Billy. Il est encore pire que James Brown. C’est du pur jus de funky Black Power. On va le retrouver Inside The Goldmine. Il n’a enregistré qu’un seul album, l’excellent Super Duper Love. L’autre cake de la bombe atomique, c’est Billy Sha-Rae avec «Do It». Solid Detroit funk d’I need some. Billy est une vraie bête de Gévaudan black. Une poignée de singles et puis plus rien. T’a aussi Millie Jackson avec «Hypocrisy». Millie on le sait est l’une des plus parfaites incarnations du Black Power. Il faut entendre le deep beat de groove derrière elle ! On savoure aussi le délicieux Fatback groove du Fatback Band («Mister Bass Man»), et on retrouve Chet Ivey, salué Inside The Goldmine. Il tape ici un joli shoot de «Bad On Bad». L’autre grosse révélation de la bombe atomique, c’est The Two Things In One avec «Over Dose (Of You)». Solide funk de Soul. The Mello Matics font une belle cover de «Mother Popcorn», et Larry & Tommy une superbe resucée d’«Here Comes The Judge», bien bardée de barda, vraiment juteuse. Et puis t’as Eddy Giles qui fait son Wilson Pickett avec «Soul Feeling Pt1». Il connaît bien son affaire.

    Signé : Cazengler, Ace of EsHPAD

    Keb Darge. The Best Of Ace Rockabilly. Ace 2023

    This Is Mod 1960-1968. Kent 2024   

    This Is Street Funk 1968-1974. Kent 2024

    Keb Darge. Presents The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Ace Records 2024

     

    *

    _ Ah ! Charmante factrice, je vous attendais avec impatience !

    _ C’est gentil Monsieur Damie, mais que faites-vous devant votre portail avec cette winchester dans les mains ?

    _ Je surveille ma boîte à lettres ! Peut-être avez-vous dans votre sacoche, une enveloppe blanche à mon nom. Je ne veux pas prendre le risque que quelqu’un s’en empare, c’est urgent et c’est précieux ! Je suis prêt à abattre comme un chien toute personne qui voudrait s’en emparer !

    _ Oh, Monsieur Damie, vous êtes un grand romantique, je soupçonne que seule une tendre missive écrite par une jeune fille doit être capable de vous mettre en cet état de fébrilité avancée !

    _ Madame la factrice, vous êtes folle à lier si vous pensez qu’un feuillet rédigé par une quelconque femelle énamourée pouvait susciter en moi une telle fièvre ! Non c’est ma revue préférée dont je guette la venue !

    _ Une revue !!! tenez la voici !

    _ Enfin ! à franchement parler je pense que si vous ne me l’aviez pas apportée ce matin, de colère je vous aurais étendue raide d’une balle dans la tête !

    _ Quoi, Monsieur Damie, prêt à perpétrer un féminicide pour une vulgaire revue !

    _ Une revue de rockabilly, cela change la donne, charmante factrice je suis sûr que vous comprenez !

    _ Vous êtes un criminel en puissance, un phallocrate, un macho, un mâle blanc de plus de cinquante ans, un suppôt du patriarcat qui opprime les pauvres femmes comme moi depuis des millénaires, ça ne m’étonne pas, votre winchester, votre perfecto, vous vous prenez pour un cowboy, je parie que votre sale torchon doit être rempli de pauvres gars comme vous, qui exhibent à défaut de leur pénis leur grosse guitare rouge avec un manche aussi long que la tour Eiffel ! Vous vous prenez tous pour les rois du rock’n’roll !

    Evidemment j’aurais dû l’abattre d’une balle de winchester et la laisser agoniser sur le trottoir. Ce serait trop rapide, il faut qu’elle souffre, que tout le reste de sa vie elle ressente la honte d’avoir lancé une accusation mensongère. D’un geste vif je déchire l’enveloppe blanche et arrache le film plastique protecteur avec rage :

    _ Tenez regardez la couverture, lisez le titre et vous saurez comment les rockers vénèrent les êtres féminins : LINDA GAIL LEWIS LA REINE DU ROCK’N’ROLL.

    Elle pousse un cri et tombe évanouie sur son vélo. Je ne lui jette pas un regard, je monte en courant les marches de ma maison, j’ai une revue à lire :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 31

    OCTOBRE –  NOVEMBRE – DECEMBRE (2024)

    Z24964COUVE31.jpg

             Il a fallu deux numéros spéciaux de Rockabilly Generation à Julien Bollinger pour raconter les premières années et le début de la carrière d’Elvis, l’aurait pu ressortir tout fier du brillant travail effectué, oui mais il possédaitt encore une foule d’anecdotes et d’histoires à nous rapporter… ce numéro 31 débute donc par cinq pages arrachées à la légende dorée d’Elvis Presley. Attention parfois c’est du toc…

             Certes sur la couverture et la page deux Linda Gail Davis vous sourit, mais avant de vous incliner devant la reine du rock’n’roll, va vous falloir traverser l’Enfer. Julien Bollinger vous oblige à regarder en face le Diable en personne. Vous le connaissez sous le nom de Colonel Parker.  C’est un peu ce que dans les Séries l’on appelle une préquelle, la biographie du Colonel jusqu’au moment où il se prépare à faire signer au petit gars de Tupelo le pacte faustien dont jamais il ne pourra se libérer… Un drôle de zèbre ce Colonel, mais un zèbre américain ce qui change tout, comme tout bon américain, il vient d’ailleurs, une fois qu’il aura mis le pied sur le sol amérindien il sera plus américain que tous les américains, l’acquiert l’âme d’un héros, d’un winner, d’un tricheur, parti de rien, il parvient au sommet, comme le lierre parasite qui s’enroule autour du séquoia pour mieux l’étouffer… La route n’est pas facile, il apprend vite. L’a le flair. L’a un seul Dieu : le dollar. Faut le suivre. Vous pensez qu’il tente de vivre. Fait mieux que cela. Il cherche ce qui lui manque. La poule aux œufs d’or. Ne croyez pas qu’Elvis sera la révélation de sa vie. Pas du tout. Pour Parker, Elvis n’est pas un début, juste une fin. Le dernier chiffre au bas de l’addition. Quand il trouve Elvis il a déjà expérimenté sur d’autres les moyens de se rendre maître d’Elvis. Cet article est à lire, il vous apprendra tout ce que vous ne savez pas sur la naissance du rock’n’roll, et surtout bien plus grave ce que vous savez. A la différence près que vous n’aurez jamais l’envergure du Colonel Parker. Même si vous chantez aussi bien qu’Elvis, ce qui a toutes les chances de ne pas être votre cas.

             Vous voulez Linda, oui mais d’abord il faut passer par Johnny. Pour la simple et bonne raison que c’est grâce à Johnny que Linda est à Romilly-sur-Seine et sur scène. Lisez, attardez-vous sur les très belles photos de Johnny, quelle dégaine et quel style, et vous saurez tout sur le Biker Trophy consacré à Hallyday, c’est à cette occasion que Linda Gail Lewis est venue chanter et que Rockabilly Generation l’a interviewée, Brayan et Anaël posent les bonnes questions et Linda se raconte, depuis son enfance. Nous ne retiendrons que l’admiration sans borne qu’elle porte à son frère Jerry Lou… Sergio nous emmène Backstage pour les photos de Linda, d’Annie Marie Lewis, de Danny B. Harvey de Maryse, de Brayan et d’Anaël.

             Fallait être à La Chapelle-en-Serval, belles voitures et beau monde : Barny And The Rhthm All Stars, Darrel Higham And The Enforcers, Matchbox avec Graham Fenton, Ghost Highway… Remarquez le Festival Mont-Dore présenté par Son organisatrice Muriel Hery, avec ses 13 groupes, sa philosophie un tantinet égalitaire, la prestation explosive des Hot Chikens, et chose rare sa gratuité, n’avait pas l’air mauvais non plus. Surtout que les photos grand-format de Sergio vous émerveillent les  mirettes.

             Je termine par une petite curiosité, Christelle, si j’ai bien compris, parce que la couture et moi… à partir de photos de nos idoles, par exemple Gene Vincent et Vince Taylor, elle fait établir une espèce de canevas, mais au lieu d’utiliser de simples fils à broder  elle rajoute des perles de différentes couleurs et obtient ainsi de superbes portraits.

             Y a encore quelques articles dont je n’ai pas parlé, juste pour vous laisser le plaisir de les découvrir.

    Z249652VZNTAILDES COUVES.jpg

             Merci à Sergio Kazh et à son équipe, Rockabilly Generation News, est une revue indispensable à tous les amateurs de rock’n’roll !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

             On ne s’ennuie pas à Pendleton, petite ville au cœur  de l’Oregon, état situé au-dessus de la Californie, au mois de septembre s’y déroule le célèbre Round-up de Pendleton – ne confondez pas avec le très glyphosatique produit méphitique de Monsanto – c’est juste un des rodéos les plus fameux des Etats-Unis. Vous ne désirez pas vous inscrire à ce concours ouvert à tous, nous n’insisterons pas non plus pour l’adjacente compétition des Bull Riders, ne craignez, nous avons une activité moins téméraire à vous proposer, le Jackalope Jamboree de Pendleton, festival de musique, trois jours, trois scènes, au mois de juin, artistes et groupes de blue grass et de country, qui s’étend sur trois jours au mois de juin.

    z24957jackalope.jpg

             Two Runner était sur scène, nous ne les verrons pas, elles ne sont pas cruelles, elles ont posté une vidéo (GemsOnVHS) enregistrée dans en pleine nature dans les environs. Rappelons que chaque année Gems organise un concours qui regroupe plusieurs centaines de concurrents, que Two Runner a remporté en 2022.

    STRAWBERRY RHINESTONE

    TWO RUNNER

    (YT / Field Recording / Septembre 2024)

    z24959palomino.jpg

    Attention, profitez des toute premières secondes, elles permettent de voir un  des podiums du Jamboree, alors que la voix de Paige indique qu’elles vont refaire une prise, admirez la vision de ce palomino qui galope durant quelques secondes, il n’est pas là par hasard, même si par la suite il n’apparaîtra plus sur l’image, on ne perd pas au change puisque voici Emilie Rose et Paige Anderson debout en plein milieu d’un champ de blé, en arrière-fond s’élèvent des collines dépourvues de végétation…

    Une bluette, une chansonnette, presque rien, un presque rien qui trimballe la tristesse de toute l’existence, de toutes ces verroteries fragiles qu’elle nous tend, ne laissez pas passer votre chance, même si elle ne restera pas, elle s’éclipsera, tel le rêve d’un palomino que l’on ne retiendra pas, les songes sont ainsi ils s’éloignent, et se perdent l’on ne sait où, parfois les fruits que l’on mord nous embaument d’une saveur douce-amère.

    Z24958+++danslechamp.jpg

    La voix de Paige emplit l’immensité, sérénité et tristesse emmêlées, le ver est dans le fruit que l’on goûte, la mort habite les rhizomes de la vie, si tu cueilles le jour, tu cueilles en même temps la nuit qui suivra, et qui l’a déjà précédé… leurs deux voix s’emmêlent, elles fredonnent comme l’on s’étonne devant l’évidence, la guitare de Paige coule paisiblement, dans sa robe rouge Emilie promène son archet sur son violon, rafales de l’Inexorable destinée qui s’avancent à pas lents, pieds nus sur la terre sacrée des désirs vifs et des angoisses tues…

    Ne vous laissez pas submerger, Two Runner vous donne l’exemple, le morceau terminé elles éclatent de rire, le monde retrouve subitement sa beauté extravagante…

    Le courage de vivre, encore et encore…

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pouvais pas ne pas écouter, alors on embarque pour un périple touristique, avec un peu de chance un Dieu grec compatissant nous enverra quelque monstre pour égayer la journée…

    MYTHOLOGICA

    CHILDREN OF AEGEAN

    (Grooveyard Records / 2019)

    z24960ulysseetlessirènes.jpg

             Le format carré du CD ne rend pas justice au tableau de John William Waterhouse (1849 -1917), peintre britannique, très inspiré par la mythologie grecque, son œuvre est à voir sur Wikipedia, il fut proche des préraphaélites et des symbolistes, il n’y a pas que l’impressionnisme qui ait rayonné au dix-neuvième siècle… Ulysse et les Sirènes date de 1891.

    Z24968couvzmythologica.jpg

             Le disque est avant tout l’œuvre de Stavros Papadopoulos, compositeur grec, sur cet opus il joue la quasi-totalité des instruments : guitars, bass, keyboards. Un compositeur prolifique qui a aussi participé en tant que guitariste à plusieurs groupes rock. Vous le retrouvez ainsi avec le guitariste  Panagioti Zabourkis dans le groupe Super Vintage, il s’est principalement chargé de la guitare acoustique sur Enfants de la mer Egée.

             Chacun des dix instrumentaux du CD évoquent tour à tour un épisode de la mythologie grecque.

    Sizyphus : l’on a accusé Sizyphe de beaucoup de maux, il s’est joué des Dieux, pas des moindres : Hadès en s’échappant des Enfers, il aurait eu des vues sur Héra l’épouse de Zeus qui n’a pas apprécié… il fut condamné à pousser éternellement un énorme rocher au sommet d’une colline duquel il retombait systématiquement, étrangement Albert Camus l’athée l’a en quelque sorte déifié en en faisant le symbole de l’Humanité obstinée à combattre l’absurde de toute existence vouée à la mort… comment rendre la complexité d’un tel personnage, fourbe, voleur, arrogant, nietzschéen avant l’heure, avec une guitare et moins de six minutes, top chrono ! :  Un décor phonique de carte postale, flûte de berger et coucher de soleil sur la mer Egée, le temps se gâte, la nuit n’habite-t-elle pas l’âme de Sisyphe, la guitare comme un relent d’obscurité qui ne cesse de revenir, il ne s’amplifie jamais, Stavros ne conte pas les exploits et les sacrilèges du fondateur de Corinthe, il n’évoque sa terrible punition que par cette ombre qui mène résidence dans l’esprit de Sisyphe, la marque noire est présente depuis le premier jour de sa naissance dans la gélatine blanche du cerveau, elle n’a pas besoin de se développer, d’ailleurs le monde serait-il assez grand pour l’accueillir, simplement un signe. Le signe de la démesure. Néfaste. Delos : île minuscule au milieu de l’archipel des Cyclades, Délos fut une île sacrée, c’est elle qui permit à Léto, pourchassée par la vengeance d’Héra car enceinte des œuvres de Zeus, d’accoucher sur son territoire. Notez que si vous ne naissez pas vous ne pouvez pas mourir. Les Grecs n’ont jamais eu de problème avec la mort mais beaucoup avec l’immortalité. Qui parle de Délos évoque les Dieux qui y sont nés : : notes claires, Apollon n’est-il pas le Dieu du Soleil, bientôt rehaussées de riffs de guitares aussi étendus que l’immensité de la mer, le ton devient plus grave, une basse mordante, des électriques incisives, Apollon est aussi un Dieu terrible, un dieu-loup investi d’une puissance redoutable, mieux vaut ne point l’offusquer, quelques coups de toms précisent la menace, il est inutile que le Dieu bande son arc, tout redevient calme, le regard d’Apollon se pose sur les eaux. Que regarde-t-il ? Caryatis : la photo des Cariatides de l’Erecthéion est une des images les plus célèbres d’Athènes, se rappelle-t-on que les statues des Cariatides représentent des prêtresses d’Artémis de Laconie : voici donc Artémis la sœur d’Apollon, à sa manière aussi dangereuse que son frère, peut-être même davantage cruelle, elle est la beauté et la pureté, elle aime le sang, évitez de porter ses yeux sur sa nudité, nos Enfants Egéens lui rendent justice, des riffs d’or pur ensorcelants, mais des froncements de sourcils ébouriffés de colère, c’est en Laconie que réside Sparte l’Intransigeante et le territoire mythique de l’Arcadie originelle. Restez discrets. Morpheus : un Dieu que l’on attendait pour cette nuit, Morphée le Dieu du sommeil qui vous effleure de son ale noire, qui apporte les rêves mais qui surtout peut prendre n’importe quelle forme humaine pour apparaître dans votre sommeil, méfiez-vous de vos rêves ce sont des artefacts divins pour vous réconforter ou mettre à mal votre mental : un court repos, le son comme voilé, même lorsqu’il se déploie il semble venir de loin, un rythme langoureux, qu’êtes-vous en train de faire dans votre sommeil, dites-vous que ce n’est qu’un rêve trop tôt évanoui.

    z24961dosde lapochette.jpg

    Argo : la nef divine qui porta Jason lorsqu’il partit avec les quarante plus grands héros de la Grèce pour la conquête de la Toison d’Or, aurait-il réussi si Orphée n’avait pas été de son côté, cette histoire est racontée dans une épopée dont aujourd’hui il ne reste pas un seul mot et qui servit vraisemblablement de modèle inspiratif  à Homère pour l’Odyssée… : inutile de porter un coquillage à votre oreille pour entendre les vagues et voler parmi l’écume et la mer les oiseaux ivres, Stavros ne nous présente pas les passages les plus palpitants de cette expédition guerrière, il insiste sur la longueur monotone de l’Aventure, les hauts-faits ne sont marqués que par quelques soubresauts. Mais le voyage des Argonautes s’est-il vraiment terminé un jour, à la fin du morceau l’on entend encore le bruit des vagues, preuve que le navire sillonne encore les routes de nos rêves… Symplegades : au milieu du détroit du Bosphore les Symplegades se dressaient deux énormes rochers qui ne cessaient de se rapprocher interdisant le passage des navires écrasés entre les deux énormes masses, certains affirment que Jason s’en remit au vol d’une colombe, d’autres maintiennent que par son chant Orphée immobilisa les deux rocs… : l’instant est palpitant, pas de quoi affoler le Capitaine Stavros, doit compter sur sa guitare comme Orphée sur sa lyre, pour se tirer de ce mauvais pas, à peine presse-t-il le tempo, il aiguise un peu les riffs, il étire les notes, Zabourkis est au contrepoint, veille à ce que la barre ne varie pas d’un degré, ne se hâtent pas avec lenteur comme la tortue de tonton La Fontaine, mais ils passent l’obstacle les doigts dans le nez. Wrath of Achilles : colère d’Achille, tout le sujet de l’Illiade,  nous espérons que Stavros va s’énerver, avant qu’Achille ne fasse du boudin sous sa tente, le fils de Thétis a commis quelques beaux carnages, et son courroux sera impitoyable : un beau début avec cette frappe de cloche qui renvoie à Mountain, oui Stavros a compris qu’il fallait hausser le ton, il monte le son, nous donne un peu l’impression que les remparts de Troie vont s’écrouler sur nous lorsque le riff se déploie, ce n’est pas mal du tout mais en sourdine l’on pense qu’il est capable de faire mieux, n’imitons pas l’impétueux Achille, ne boudons pas notre plaisir. Nymph : dommage que Stavros ne nous ait pas emmené dans le cheval de Troie pour participer à la destruction de Troie, nous sommes privés des meurtres, des viols, des pillages et des incendies : la guitare tresse des guirlandes en l’honneur de ces créatures mythiques et élémentales que sont les nymphes, c’est doux et c’est beau, languissant, un petit côté repos du guerrier, pas dégueu mais l’on aurait préféré quelque chose de plus viril que cet intermède yinique, ils doivent s’y trouver bien, ils font durer le plaisir. Penelope’s loom : célèbre scène de l’Odyssée, Pénélope défaisant la nuit ce qu’elle a tissé le jour… : pas de bruit, beaucoup d’acou, guitare glissante et fuyante, la tristesse d’une reine atterrée d’une si longue attente, une réussite. Pythea : non, pas la prêtresse de Rome qui prophétise la fin de Rome – celle de l’antiquité par là-même – mais celle du temple de Delphes, La Pythie enivrée par les vapeurs qui montent de l’antre du serpent, retour à Apollon : une entrée mélancolique, cet exil humain, cette différence, cette distance qui sépare l’Homme des Dieux, toute cette ignorance qui nous définit, ce manque de connaissance et d’incandescence auxquelles nous accédons par l’entremise des oracles, un peu comme si se dévoilait la trame complète de nos jours, cercles ridffiques qui s’enchaînent en un extraordinaire crescendo qui s’arrête au moment exact où l’on croit que la totalité inaccessible  va nous être dévoilée. Encore plus définitivement que quand Platon nous fait cruellement comprendre que nous n’avons accès qu’à des ombres de la réalité.

             L’ensemble est agréable à écouter toutefois il ressemble un peu à un dépliant touristique sur papier glacé. Stavros ne semble pas impliqué à cent pour cent dans la mythologie de son pays. Nous sert une série de belles images, mais cette mythologie ressemble un peu à une morthologie, il ne l’utilise pas pour décrypter notre époque.  Aucun projet de reviviscence n’est développé.

    Damie Chad.

     

    *

    Avec un nom de cet acabit, de grandes chances pour que ce soit un groupe grec. Pour une fois le flair du rocker n’a pas fonctionné, non cette bestiole provient des States, jamais entendu parler, en plus je ne sais même pas si c’est un groupe. En tout cas un truc un peu frappé de la cafetière, je sens que je vais aimer.

    OPUS DOOM

    GREAT GAIA

    ( YT / BC13 Septembre 2024)

    Z’on (vous comprendrez plus loin la subtilité de l’intentionnelle absence du T) déjà sorti un album en 2018 et deux EPs de cinq et six titres en 2019, voici tombé comme un aérolithe venu d’un ciel lointain sur notre planète barbare ce nouvel full-lenght-album.

    Autant j’apprécie le rose tyrien de la couve autant je ne puis retenir un sourire devant ce sage en prière communiale avec la Sagesse Suprême, l’on se croirait transporté près de soixante années en arrière chez nos cousins lointains les hippies d’Amérique. Par contre ces champignons hallucinogènes  au bas de la souche-trône ne me disent rien qui vaille, un peu trop bourrés de colorants, ressemblent trop à des à des amanites phalloïdes, exactement à des Calices de la Mort d’Agaric bulbeux, j’ai vérifié dans un traité de mycologie.  A consommer avec modération… Pour la couronne de cornes qui surmonte la tête de Craig Carloni (voir paragraphe suivant) il se surnomme lui-même : Magicien du Taureau à moitié cuit.

    Pour la distribution des rôles : Craig Carloni : song composition, vocalist, guitarist, bassist, Keyboardist-Synth, Drummer, Lyricist, Production, Art Director, Ego-freak (individu nombrilique), Jack of all cringe, master of… cringe ( serviteur de toute dérision, maître de l’auto-dérision).

    Cerberus : Guardian of the Underworld - Electric Pogo-stick-Bongos.
    David Attenborough - Spiritual Guru-Merch Guy. (guru spirituel, préposé aux produits dérivés)

    Craig Carloni (basé à Columbus capitale de l’Ohio, état situé sous le Lac Erié) principal artefactor de cet album ne se prend pas au sérieux, le rire cache parfois de profondes blessures. Pensez par exemple à quelques nouvelles grinçantes d’Edgar Allan Poe.

             Pour que vous ne soyez pas surpris, voici le court texte par lequel Great Gaïa se présente : Explorer sans cesse les profondeurs des royaumes cérébral, physique et spirituel à travers une séquence de fréquences et de tonalités

    Z24966OPUSDOOMCOUVE.jpg

    Godless : fusilli hélicoïdal de guitare et tout de suite la darkful prend les commandes, une entrée monumentale qui se décline en répétitives trouées de notes claires, un vocal à double-effet, voix masculine et voix féminine se répondent, l’on se croirait dans un opéra, grandiose, avec parties lyriques et répons choriques, de fait le morceau s’avère d’une richesse folle, toutes les trente secondes l’on change d’atmosphère, les séquences se suivent et ne se ressemblent pas tout en s’inscrivant dans une même unité, une guitare qui grogne, une partition digne d’une écriture classique, un growl caverneux du temps de l’âge de pierre, des tempêtes électriques et des tempos liturgiques, le pire c’est que cela ne provient pas de l’envie enfantine d’épater l’auditeur, genre regardez ce que je sais faire, tout est arqué selon la logique d’un mouvement de pensée métaphysique. Une simple constatation, froide comme la mort, serait-ce la mort nietzschéenne de Dieu comme le titre pousse à le penser, non la disparition d’un être aimé, la confrontation avec le scandale d’une l’irréfutable advenue, comparée à ce décès la mort de Dieu est sans importance, ou alors si Dieu est mort c’est toi l’être cher qui étais Dieu. Que puis-je faire, si ce n’est devenir Dieu moi-même -  j’éliminerai par ma totalité tous mes manques, mais ne suis-je pas mort à ta mort, ne pourrions-nous nous retrouver dans l’amour de notre divinité conjointe. Impératif néoplatonicien. Raisonnements de la survivance. Opus doom : une voix perdue, fluette, blanche mangée par les termites du remord et les mites de l’impuissance, l’a l’air comme la batterie de tintinnabuler contre toutes les portes, voix du dedans, cachée, enrouée comme si elle avait honte, il y a de quoi, il se promettait une survie divine et maintenant l’en viendrait à se suicider pour échapper à l’indicible tourment, la musique devient folle, donne l’impression de se cogner la tête sur les murs phoniques, montées et descentes de voix, vouloir sortir du cauchemar et s’en vouloir de vouloir clore l’obsession stupide de poursuivre cette histoire dont un des personnages a été pour toujours rayé de la carte du monde des vivants. Si l’on écoutait cet opus sur une K7 il semblerait que la bande elle-même s’accélèrerait pour arriver encore plus vite à la fin de ce désastre mental. Dead bog’s love : dans le bourbier, dans la tourbière, n’idéalisons pas le passé, ne l’idyllisons pas, remémoration des dernières scènes, pleine voix, couperet d’une note claire toutes les cinq secondes, tension électrique subite, que puis-je faire dans ma solitude, qui as-tu été au juste, et notre amour quel fut-il , peut-être vaut-il mieux l’enfouir sous une masse sonique, jusqu’à ce que la voix se casse comme ciblée par le cristal du doute. Temple of sleep : (ce morceau est dédié à Sarah Tietjen : 12 / 26 /19 6 – 03 / 01 / 2022  – RIP forever loved) : enfin nous savons le nom de la personne aimée, vocal larmoyant, pleurs pour elle qui est partie si jeune, déjà minée par sa vie précédente, larmes pour lui-même, condamné à un terrible dilemme, l’entend-elle, aperçoit-elle son chagrin, sera-t-il capable de l’aimer tout le restant de sa vie, devra-t-il en crever, peut-être existe-t-il des raisons supérieures à sa mort, mais te voici sous terre, est-ce que je serai capable d’aimer aussi fort quelqu’un d’autre, ô toi si tu revenais et qui me manques tant, ô moi qui ne suis que ton absence… de toute beauté, une élégie musicale de Tibulle, la musique se gonflant ou s’amenuisant à chaque mouvement de l’âme. Winterbloom : bise glacée, notes perdues dans la brume, un chant qu’à première audition l’on croirait vespéral, n’est-ce pas une nouvelle naissance qui gouttège, d’un genre particulier, car s’il est impossible de nous retrouver dans la vie, peut-être pourrions-nous communier dans la mort, ne me suffit-il pas de laisser le froid de mon âme gagner mon corps, pour que je parvienne à ressentir ce que tu ressens, gouttes de rosée congelées pleuvent sur mon corps, ne suis-je pas en train de mourir, de faire l’expérience mentale de la mort, une tentative, une éploration froide de mon corps vers ton corps, si nos âmes ne parviennent pas à se rejoindre ne serions-nous pas capable de nous réunir grâce à nos corps qui se reconnaîtront et se retrouveront dans la mer de glace  du trépas. Hélas, je ne suis pas mort puisque mon chagrin triomphe.

    Z24967PORTRAITDE DOOM.jpg

    Ghost Flowers : miracle, sourire synthétique des claviers, les guitares chantent haut, aurions-nous réussi, sommes-nous réunis, ne formons-nous plus qu’un, nous ne sonnes plus séparés, aurions-nous retrouvé l’androgyne originel, l’unité sacrée de notre présence au monde, musique comme suspendue hors du temps, protectrice comme l‘oeuf de l’éros premier, nous étions glace et nous voici feu, tout cela dans ma tête devant ta tombe qui ne s’encombre plus du manque seul de lourds bouquets,  l’un sur terre, l’autre sous terre, nous venons de connaître un moment d’intensité communielle inespéré, je peux mourir et être-enterré à tes côtés, lève-toi dans la mort et rejoins-moi, nous sommes tous deux devenus des Dieux. Pour nous, c’est le moment de relire Annabel Lee d’Edgar Poe : ‘’  … et ainsi, toute l’heure de nuit je repose à côté de ma chérie – de ma chérie – ma vie et mon épouse dans ce sépulcre…’’. Eternity’s end : bulles phoniques, le moment de faire le point, la voix déroule son raisonnement, tout ce que j’ai vécu n’est-il pas splendeur émerveillante, n’est-il pas éructation tourmenteuse, la batterie bat le rappel du doute, ne sommes-nous pas, toi comme moi, et même nous deux-toi-moi, choses mentales ou êtres physiques  périssables, nés pour disparaître, même si un jour la réincarnation nous donnerait une nouvelle fois naissance, ne serions-nous pas encore voués à la mort, et si nous sommes les Dieux que nous avions désirés devenir, notre perfection aura-t-elle encore besoin du manque de l’autre. Sérénité. Guérison. Leshi : pourquoi y a-t-il des arbres alignés comme les vivants piliers de la nature dans le sonnet Les Correspondances de Baudelaire, ‘’qui laissent parfois sortir de confuses paroles’’… parce que Leshi est une divinité issue des mythologies slaves, dieu tutélaire des forêts, nous pourrions le comparer à nos faunes grecs et latins qui hantaient nos bois, ce dernier morceau est semi-instrumental en le sens où l’on entend comme des chuchotements, des voix inaudibles, des cris incompréhensibles, d’inquiétants grognements parsemés de sifflements d’oiseaux, peu à peu écrasés sous les massives frondaisons d’une musique englobante et souveraine. Il serait facile de décréter que notre amant est devenu un Dieu sylvestre s’ébattant parmi les broussailles sous des cimes centenaires… Il est certainement plus juste de l’entendre comme une interprétation panthéiste et spinozienne du cycle de la vie, voire une reprise des enseignements ésotériques d’Eleusis, nous mourons comme la graine pour engendrer ou revenir sous une autre forme.

             Cet Opus Doom est splendide, d’une épaisseur et d’une densité rarement égalée. Un véritable chant d’expérience. Merci à Craig pour cet opera-doom.

    Damie Chad.

     

    *

             Je n’aime pas que l’on maltraite les animaux, mais là mon éthique ne m’interdit pas d’exhiber ce cheval étique.

    A LIGHT SCALPING

    SNAW

    (YT – BCAoût 2024)

    z24969couvesnav.jpg

    Sont de Perth. Ce n’est pas un petit patelin. La cité atteint les deux millions d’habitants. Capitale de Région Occidentale de  l’Australie. Détail intéressant elle s’est élevée au bord d’une rivière qui se nomme Swan. Entre Swan et Snaw, il existe quelques phoniques accointances… La Swan River a-t-elle été nommée ainsi parce que des colonies de cygnes se plaisaient sur ses flots bleus, je ne sais pas, par contre je peux vous affirmer que le palmipède snawéen qui nous intéresse doit être un cygne noir. Particulièrement noir. Si l’on s’en rapporte à la photo sur Bandcamp censée représenter les artistes, la bestiole adore nager en eau trouble.

    z24962eauxtroubles.jpg

    Laissons les cygnes se pavaner majestueusement sur les eaux planes de la Swan pour examiner le cheval  qui orne la couve de du premier album du groupe. L’œuvre est de Marc Potts, je vous conseille de vous attarder longuement sur son Instagram. Une imagerie médiévale très personnelle, fascinante. Peut-être le nom de Rossinante, la pauvre  haridelle de Don Quichotte vous est-il venu à l’esprit, où alors certaines gravures de chevaliers d’Albretch Dürer. Actuellement Marc Potts vit en Espagne, anglais de naissance, il n’a pas oublié la culture de son pays, en quelques mots il nous apprend que son tableau représenterait, le Dieu sous la colline, autrement dit l’Old Crocken l’esprit du Dartmoor qui veille prêt à s’opposer à tout individu qui tenterait de coloniser ce paysage de landes sauvages… En outre un peu d’étymologie nous apprend qu’en vieil anglais ‘’snaw’’ signifie ‘’neige des collines’’. Si malgré le recoupement de ces indices vous ne croyez pas à l’existence de Crocken, vous avez tort. Tor Crocken est un amas de rochers célèbres au milieu du Parc National du Devon, si vous l’examinez attentivement avec un maximum de chance vous parviendrez à percevoir dans l’amoncellement  rocheux le visage de l’Old Crocken qui surveille les alentours… Si l’Old Crocken ne se montre pas, comptez les pattes du cheval, huit comme Sleipnir, la monture d’Odin. La lance que l’Old Crocken tient à la main le classe parmi les guerriers. Snaw veut-il nous signifier que sa musique est un combat.

    Z24963TOR CROCKEN.jpg

    Jon Vayla : guitar, synth, bass / Robin Stone : drums

    Trapped behind seam of the world :si le titre de ce morceau vous paraît mystérieux les lyrics ne vous apporteront aucune aide,  l’opus est composé de six pièces instrumentales , quelles sont donc ces coutures du monde piégeuses, le plus simple me paraît en un premier temps de se fier à la peinture de Marc Potts, d’imaginer l’Old Crocken prisonnier de sombres et interminables couloirs souterrains, image de la relégation des anciens Dieux délaissés par les hommes, nous pouvons même proposer une explication platement naïve de la monture efflanquée qui n’a plus eu depuis quelques centaines d’années l’occasion de brouter l’herbe tendre et savoureuse des collines, de même ce Dieu dépourvu de jambes ne signifie-t-il pas son impuissance à agir sur le monde, entendons le long clopinement battérial de ce cheval harassé, et ces incessantes noirceurs de tristesses propagées par  ces bouffées synthétiques ne sont-elles pas les délétères pensées qui roulent dans la tête de la Divinité mise au rancart par l’Humanité, un mort au rebut qui n’en finit pas de tourner en rond dans sa tombe cyclopéenne. Tout nous oblige à croire à un monde crépusculaire, une espèce de parade dérélictoire pour une pavane infantine révolue… Mais si tout cela n’était qu’un leurre, une métaphore de quelque chose à venir… Bodies of ashes : c’est la suite encore plus ténébreuse la claudication des sabots du harin se font plus lourdes, des vagues poudreuses de sonorités morbides soufflent sur vous, l’Old Crocken est-il en train de passer sous un cimetière, la cendre des morts est-elle mêlée à l’argile, modelée dans la glaise informe… silence, le son devient poignant, ces cendres sont-elles la prémonition de son destin, lui qui arpente depuis si longtemps les couloirs labyrinthiques du dessous de la terre finira-t-il lui aussi en poussière, le kaolin suprême des Dieux emmêlé à la terre rongeuse et élémentale, l’union inêtrale des humains et des Dieux enfin accomplie, klaxons de trompettes, comme quand devant les monuments aux morts les drapeaux des mémoires vacillantes s’inclinent… Toute métamorphose se termine-t-elle en l’ultime forme impalpable du rien… Billboards :  comme si l’on traînait d’énormes charges avec des flambées funèbres de consolation, l’on ressent comme un affaiblissement généralisé subitement démenti par un surgissement phonique, la batterie se taille la part du lion, elle ne rugit pas elle se contente de secouer sa crinière, la synthétisation orchestrale essaie de l’étouffer, elle y parvient mais s’amenuise jusqu’au silence, total, reprise d’une plainte, l’on n’entend plus le pas du cheval, voici des grelots de sanglots pour marquer sa disparition, serait-on au moment de l’extinction des feux, dans le lointain le pas saccadé de la monture d’Old Crocken revient, non pas à la charge, mais indubitablement obstiné, l’Old Crocken proclamatif ira jusqu’au bout, d’on ne sait trop quoi mais jusqu’au bout…The crossing : il existe une vidéo-film de Paul Rankin de ce morceau : que voit-on ? Pas grand-chose. Ne riez pas, où vous croyez-vous, vous pensez que je fais de l’humour, vous ne comprenez rien au film, je ne parle pas des premières images de Rankin, mais du mystère, suis-je obligé de spécifier que ce qui est mystérieux n’est jamais clair, l’opus dans sa démarche musicale avance dans le noir, nous sommes dans le souterrain, des pincées de lumières ne montrent rien, elles nous permettent de deviner des formes, sont-elles réelles ou des produits de notre imagination, le corridor archétypal agit-il comme le révélateur photographique de notre propre imaginaire,  ce qui est sûr c’est la silhouette incertaine de cette fille, qui est-elle, que fait-elle, elle marche, elle danse, est-ce sa façon à elle de vaincre le minotaure dont la musique engendre les barrissements, la lumière est devant, déboucherons-nous à la lumière, aurons-nous le temps, le monstre se rapproche, c’est un vieil homme, maintenant son tronc marche à côté de ses jambes, c’est bien l’Old Crocken, la légende, d’après certains, n’affirme-t-elle pas qu’il est capable de prendre la forme de n’importe quel individu, de n’importe quel animal, de n’importe quelle chose, tout à l’heure lorsqu’elle a improvisé une espèce de ballet, qu’elle a étendu les bras, qu’elle a pris et endossé d’étranges postures, qu’elle s’est enroulée sur elle-même, couchée à terre et qu’un semblant de seconde elle est apparue inerte, comme un bloc de rochers, simulait-elle le Tor Crocken, n’était-elle pas l’Old Crocken lui-même en représentation de lui-même, si vous voulez suivre, dirigez votre oreille vers la résonnance des pas, bruits magnétiques comme de grosses noix écrasées sous les pieds d’un destrier farouche, cela vous empêchera peut-être de ne pas céder à la tempête phonique finale, vous garderez ainsi votre équilibre mental. Vous en aurez besoin. A light scalping : tapotements fatidiques, ondes de musique par-dessus, gémissements électroniques, non pas des avertissements de recul comme sur les engins de chantier pour vous avertir qu’ils vont reculer, non, au contraire pour vous confirmer que vous avancez, que sûrement il serait préférable que vous reculiez, tant pis vous désirez savoir, si vous désirez rencontrer l’ Old Crocken, que redoutez-vous, un léger scalpage, vous êtes prêt à risquer votre tête, à moins qu’il ne s’agit que cette minuscule fenêtre de temps durant laquelle votre imparfaite humanité encontrera, voire entrera en contact avec l’immarcescible profusion du divin. Est-ce pour cela que la musique est si mélodramatique…. Bleak city :  la fin de l’histoire, la solution finale, la dissolution finale, les grandes orgues, les trompettes cérémoniales, les timbales au fond de l’orchestre semblent voilées, elles ne résonnent pas, elles grincent, ça grogne et ça se traîne comme si chacun de vos pas rayait le parquet ciré de vos ambitions, des tentures de musique se déchirent, l’orage gronde, il surgit dans votre intérieur pour s’enfuir par la fenêtre, il imite le bruit d’un moteur d’un avion, un vieux coucou qui se débat dans les forces sifflantes du vent, chute, trompes de deuil, annonce-t-elles votre enterrement, musique finale de western, tout le monde regroupé autour de la tombe, la musique a tout donné. La musique a tout repris. Vous êtes arrivé à destination dans la fosse des serpents sonores. Bienvenue dans la cité du bruit.

    Damie Chad

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 657 : KR'TNT ! 657 : KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE / HONEYCOMBS / LUKE HAINES / BLACKSTAFF / TONY MARLOW / POP POPKRAFT / TWO RUNNER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 657

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 09 / 2024 

     

    KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE

      HONEYCOMBS / LUKE HAINES

    BLACKSTAFF / TONY MARLOW 

    POP POPKRAFT / TWO RUNNER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 657

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

     - Congo à gogo

     (Part Four)

     

    z24862kidcongo.gif

             En examinant la dune qui se dresse devant lui, l’avenir du rock a clairement l’impression de l’avoir déjà vue.

             — Ne serais-je pas déjà passé par là ?, s’enquiert-il auprès de sa mémoire flagada. Et il ajoute, avec tout l’enthousiasme de carton-pâte dont il est encore capable :

             — Une de perdue, dix de retrouvées, ce qui bien sûr n’a pas plus de sens que d’errer dans le désert depuis belle lurette.

             La belle lurette est devenue son unité de mesure préférée. Tout est belle lurette : les nuits, les jours, les étoiles, les grains de sable. En redescendant la dune, il croise un mec déguisé en explorateur colonial, qui s’apprête à la monter et qui a l’air complètement paumé. Histoire de le distraire un peu, l’avenir du rock lui lance, d’une voix chantante :

             — Que fais-tu là Petula/ Si loin de l’Angleterre ?

             Raté. L’explorateur colonial ne rit pas. Il semble un peu constipé.

             — Je m’appelle Stanley. Suis dûment mandaté par Leopold II, roi des Belges. Vous n’êtes pas Livingstone, I presume...

             Ça faisait belle lurette que l’avenir du rock n’avait pas ri de si bon cœur :

             — Ya pas plus de Livingtone que de beurre en broche, Stan !

             — Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer la direction de la jungle ?

             — Quelle jungle ?

             — Bah la jungle jungle...

             — La junjungle ?

             — Oui la junjungle toute verte avec des arbres... Vous m’avez l’air complètement abruti, mon pauvre ami. La junjungle qu’on traverse en pirogue... Pi-ro-gue... Sur un fleuve... Fleu-ve...

             — Le fleufleuve ?

             — Fleufleuve Con-go..., vieux con !

             — Ahhhhhhh oui ! Je connais très bien Kid Congo.

     

    z24867kidmaintendues.jpg

             Sur scène, Kid Congo est certainement l’un des artistes les plus accomplis de son temps. Il rocke le boat et fait du cabaret, il t’émerveille et t’émancipe, il te donne à voir et à entendre, il mélange Tempest Storm et Jeffrey Lee Pierce, Lou Costello et Lux Interior, s’il porte la moustache de John Waters, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, s’il fait rebattre le cœur du vieux «Sexbeat» au cabaret burlesque, c’est encore moins un hasard, et s’il multiplie les hommages à Jeffrey Lee Pierce, alors on est bien obligé d’admettre que tout cela finalement tombe sous le sens, enfin, le sens qui t’intéresse - Viva Jeffrey Lee Pierce ! - Avec le Kid sur scène, on se retrouve dans la meilleure conjonction cosmique possible : tout de blanc vêtu, il perpétue la mémoire d’une vieille énergie sauvage, et il la perpétue à merveille. Il en est le dernier survivant, c’est la raison pour laquelle il est d’une certaine façon devenu un peu crucial. Lux et Jeffrey Lee ont quitté la planète, alors le Kid porte le flambeau de ce vieux no-sell-out calorique qui fit la joie des imaginaires en des temps assez reculés. Et il jette dans ce cérémonial toute son énergie, claquant des moutures qu’il faut bien qualifier d’extraordinaires.

    z24866multipliépartrois.jpg

    Tout son corps bouge, le Kid danse avec les loops, tu ne vois pas ça tous les jours, une superstar en mouvement perpétuel, un Tinguely du Sexbeat, avec le punch de Muhammad Ali. Ses Pink Monkey Birds jouent en formation serrée, comme dirait le général Mitchoum, et ça te donne des versions dévastatrices. Comme le disait si bien Lux Interior, «ta mâchoire se décroche et pend comme une lanterne sur ta poitrine.» Le Kid claque ici et là des killer solo flash qui en disent assez long sur son passé d’apprenti sorcier, lorsque Jeffrey Lee Pierce lui enseignait les évangiles selon Saint-Rock, c’est-à-dire le blues et le free. Et comme ça menace de beaucoup trop chauffer («She’s Like Heroin To Me», «Sexbeat» et l’infernal «Thunderhead» tiré de Mother Juno, pour le Gun side + «Primitive», «Goo Goo Muck» et «You Got Good Taste» pour le Crampsy side), alors le Kid tempère le set avec des rumbas extraordinaires («Ese Vicio Delicioso» tiré du Vice album, et «La Arana» tiré de l’album précédent). Et pour faire planer un voile de mystère sur la salle, il t’emmène au cabaret et interprète «The Smoke Is The Ghost», avec des grands gestes théâtraux et le regard perdu dans la voûte.

    z24868kid+gretch.jpg

    Le petit mec sur la Gretsch s’appelle Gabriel Naim Amor, un expat français qui nous dira au bar qu’il a eu «de la chance de rencontrer Kid.» Pour finir le set en beauté, le Kid sort deux lapins de sa manche, les deux hits du Vice album, «Wicked World» et «A Beast A Priest», avant de demander : «You wanna dance?». Il évoque le mashed potatoes et d’autres vieux coucous et bham ! «Sexbeat» ! Le Kid réussit non seulement l’exploit de régénérer la légende du Gun Club, mais il régénère en plus tous les imaginaires rassemblés à ses pieds. L’awsome t’assomme.

    z24869kidaumicro.jpg

             On trouve d’éminentes traces de modernité sur son dernier album, That Delicious Vice. Au moins deux. La première s’appelle «Wicked World», un World monté en neige de fuzz. Posture effarante. La fuzz congolaise n’est pas la même que les autres fuzz : la sienne te lèche la conscience.

    z24870delisiousvice.jpg

    La deuxième trace de modernité s’appelle «A Beast A Priest», un Beast monté sur l’heavy beat de bass/drum de Mark Cisneros et Ron Miller. Alors le Kid se pointe, pour lui c’est du gâtö - Until I felt the pressure drop - Et il ajoute avec cet accent tellement angelino : «I’m too old/ To Win/ I’m afraid.» Il pèse de tout son poids sur le mystère. Il y a du shaman chez le Kid. Puis les autres cuts vont refuser d’obtempérer. Le reste de l’album ne marche pas. Il s’enfonce dans le western spaghetti avec «Silver For My Sister» et la samba avec «Ese Vicio Delicioso» - At the age of three I knew/ What I wanted to be - Toute la fin de l’album part à vau-l’eau. Le Kid abandonne son Congo Powers.

             Il est beaucoup plus à l’aise avec le Wolfmahattan Project. Sur le what ?

    z24871bluegenestew.jpg

             Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, the Wolfmanhattan Project est un super-groupe. Le trio se compose de Mick Collins, Kid Congo et Bob Bert, une sorte de conglomérat Cramps/Gories/Chrome Cranks. Leur premier album s’appelle Blue Gene Stew et Bob Bert a peint la pochette. On y entre comme on entre dans le lagon d’argent, bien conscient de la présence des dieux. C’est inespéré de down the drain dès «Now Now Now» que le Kid chante dans la pénombre, alors que Mick Collins envoie ses jets d’acide. Le Gorie prend ensuite le chant pour «Braid Of Smoke» et sale le plat au sonic brash. Non seulement il le sale, mais il le noie de disto. On croise ensuite quelques cuts étrangement inconsistants, et en B, «Smells Like You» nous rappelle à l’ordre, car plus garage, plus Pussy Galore par le côté défiant et le drumbeat indus de Bob. C’est monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’» et chanté en désespoir de cause. Dernier spasme avec «Silver Sun» que Mick Collins chante au feeling insidieux. Il s’engage dans l’avant-garde du beat déployé, il s’étonne lui-même d’être tellement en avance sur son époque, you need the silver sun now, et fait entrer dans la danse un sax free. Alors on est vraiment content d’être venu. Avant d’envoyer l’album coucher au panier, on note que «Last Train To Babylon» pioche dans l’ancien farfouillis de Roxy, à moins que ça ne soit dans celui du Babaluma.

    z24872summer.jpg

             Summer Forever And Ever est leur deuxième album. Avec «Like Andrea True», tu te croirais chez les Cramps. T’as même le petit tiguiliguili à la Ivy League, ça gratte dans les vieux replis de la légende, c’est comme abandonné aux bons soins d’une modernité à la dérive. Et puis soudain Mick Collins attaque au three two one yeah ! Cover de Jerry Nolan : «Countdown Love». Ces trois vieux crabes sont encore capables de rocker une heavyness joyeuse et fébrile. On sent tout le poids des Gories dans cette furie. C’est le Kid qui chante «Summer Forever», il place sa voix à la surface du beat infectueux. C’est forcément génial, plein d’esprit, battu sec par Bob et soutenu aux chœurs par ce démon de Mick Collins. Il profite de l’occasion pour tailler une vrille malsaine. Ils terminent leur balda avec «Hypnotize Too», un petit instro visité par un sax free. Weird, humide et fascinant. La B est moins héroïque. Ils l’attaquent avec un «H Hour» gratté à la Gories. Ça tombe sous le sens, très saccadé, quasi JSBX, coincé dans un coin. Ils s’amusent encore avec «Silky Narcotic» et envoient des spoutnicks. Ils travaillent des idées, on les sent fébriles dans leur quête de modernité. Ils bouclent avec «Raised/Razed», un groove Congolais, le Kid tartine bien son all over the sky et son turn you on/ because I can raise you.

    z24873neardeathexperience.jpg

             Pour retrouver l’énergie d’un set de Kid Congo, l’idéal est d’écouter le Live In St Kilda de Kid Congo Powers & The Near Death Experience, un In The Red sorti l’an passé. C’est qui Kilda ? On a l’explication en ouvrant le gatefold : Kim Salmon avait invité le Kid pour la parution de son book à Melbourne. St Kilda est donc un patelin de la banlieue de Melbourne. Honoré par l’invitation de celui qu’il surnomme «my long time Scientist Surrealist Beast of a friend», le Kid monte un set avec le groupe d’Harry Howard, ex-Crime & The City Solution, Harry Howard & The Near Death Experience, «as the logical choice». Tu retrouves l’ambiance explosive du set des Pink Monkey Birds, avec comme point commun, une belle introduction : «You like to dance?» Et il ré-énumère les mashed potatoes et les autres vieux dance crazes qui datent de Mathusalem, «but you’ve not heard the one called Sexbeat!» Et re-bham, et t’es de nouveau frappé par l’infernale modernité du beat de Sexbeat. Dans ses liners écrite à la main, le Kid te dit : «Enjoy the racket». C’est bien d’un racket dont il s’agit dès «LSDC» - This is a place called/ L/ Sssss/ Diiii/ Ciiii - Et il embraye avec l’un de ces instros du diable dont il a le secret, «Black Santa», et de conclure la bouche en cœur : «It’s Christmas all of the tiiiiime.» Contrairement à ce qu’indique le track-listing d’In The Red, c’est «New Kind Of Kick» qui boucle le balda - You are searchers of some other sort of new/ Kind/ Of/ Kick - Et il tape une version demented en souvenir d’un groupe demented. C’est donc «Sophisticated Boom Boom» qui ouvre le bal de la B - Especially for Kim, by the Shangri-Las, you know the Shangri-Las ? Sophisti/ Cated/ Booooom/ Booooom». Il fait du big atmospherix avec «Diamonds Fur Coat Champagne» et termine l’album avec l’une des plus grosses dégelées royales de tous les temps : «Garbage Man» - Here comes/ The Garbage Man - Grosse attaque Crampsy - You ain’t no punk/ You punk - Qui dira la grandeur des Cramps, la portée de cette clameur binaire, l’heavy beat en crabe, qui dira l’impact surnaturel du do you understand et du stuff I use ?

    z24874swing.jpg

             Au merch, une autre pochette te fait de l’œil : Swing From The Sean DeLear, un maxi de Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Sean DeLear était un queer punk icon de la scène de Silver Lake. Ron Miller te bat «Sean DeLear» sec et net, ça frise le Sexbeat. Puis le Kid introduit à sa façon cet instro du diable qu’est «(Are You) Ready Freddy» et il embraye aussi sec sur «(I Can’t Afford) Your Shitty Dreamhouse». Il y va au take your hair out my air, ou out of my hair, c’est comme on veut, et on retrouve le bassamatic bien ordonné de Kiki Solis. En B, il passe avec «He Walked In» au heavy groove ténébreux et bien noyé d’underground angelino, là-bas, sous le soleil de Satan - The flesh of a man/ The face of a friend - Et il t’invite au jump inside, il voyage chez les morts et bizarrement, ça se termine en mode rumba des îles, en big latin flavour avec Mark Cisneros à la flûte bucolique.

    Signé : Cazengler, Kid Con tout court

    Kid Congo. Le 106. Rouen (76). 11 septembre 2024

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. That Delicious Vice. In The Red Recordings 2023

    Wolfmanhattan Project. Blue Gene Stew. In The Red Recordings 2019

    Wolfmanhattan Project. Summer Forever And Ever. In The Red Recordings 2022

    Kid Congo Powers & The Near Death Experience. Live In St Kilda. In The Red Recordings 2023

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Swing From The Sean DeLear. In The Red Recordings 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Roxy ça vaut pas Jerry Lee

    z24865roxymusic.gif

             Se foutaient pas le doigt dans l’œil Eddick Ritchell, Sharon Glory et Jimmy Freud quand, dans «Ego-Dames», ils clamaient la main sur le cœur «Ziggy et Roxy ça vaut pas Jerry Lee !». Ils tournaient le glam en dérision. La fière équipe d’Au Bonheur Des Dames est arrivée dans le rond du projecteur un peu après Roxy, mais la parenté crevait l’œil, au moins au niveau visuel. Du côté d’Au Bonheur, on rigolait, mais pas du côté de Roxy. Au Bonheur Des Dames fut ce qui arrivait de mieux à la France de 1974, de la même façon que Ziggy et Roxy à l’Angleterre de 1972. On sentait alors une volonté clairement affichée de réinventer le rock de part et d’autre de la Manche. Le rock ne s’est jamais mieux porté qu’en ces années-là.

    z24875roxymusic.jpg

             On a tous flashé sur le premier Roxy paru en 1972 sur Island. Cet album parfait est resté un point de repère, pour une seule et unique raison : «Re-Make Re-Model», avec son intro de piano historique et le tagaga de Paul Thompson. Et aussitôt après, Manza foutait le feu, t’avais des chœurs de lads - I tried but coundn’t find a way - L’un des cuts parfaits de l’histoire du rock anglais. T’ouvrais le gatefold et t’avais ces six portraits supersoniques. Par contre, le reste de l’album te laissait sur ta faim de loup.

    z24876foryourpleasure.jpg

             Il fallut attendre For Your Pleasure, paru un an plus tard, pour calmer cette faim de modernité. T’avais encore cinq portraits fantastiques dans le gatefold. Pas de bassman. Un certain John Porter était crédité à la basse. Et Chris Thomas produisait. Trois cuts allaient te marquer la cervelle au fer rouge : «Do The Strand», «Editions Of You» et «The Bogus Man». Tu retrouvais la fantastique énergie de la décadence dans un «Do The Strand» épaulé par le sax d’Andy Mackay. Tu retrouvais des accords de piano dans l’intro d’«Editions Of You», mmmmmhh, et la frappe sèche de Paul Thompson. Alors John Porter entrait en lice et ça virait au demented are go. T’étais au cœur du phénomène Roxy. Ils bouclaient leur balda avec «In Every Dream Home A Heartache», un Big Atmosphrix d’I blew up your body/ But you blew my mind ! Et en B, t’avais bien sûr l’excellent «Bogus Man» et la belle frappe sèche de Paul Thompson, renforcée par l’adroit bassmatic de John Porter. Ils faisaient en fait du Babaluma, de l’hypno à Nono, et Manza grattait des poux funky dans le déroulé. Puis Ferry repartait dans son maniérisme à la mormoille avec «Grey Lagoons» que venait tempérer Andy avec un solo de porcelaine de sax. C’est dingue comme ces mecs savaient développer.

             Et puis, les choses vont se dégrader. Une fois Eno viré, Roxy va devenir un groupe commercial, à l’image d’un Bryan Ferry dévoré d’ambition. La modernité de Roxy va s’étioler d’album en album, d’abord avec Stranded et Country Life, puis sombrer enfin dans la daube commerciale que l’on sait. Rien à tirer des albums suivants.  

    z24878bookrevoliution.jpg

             Roxy revient dans l’actualité via l’autobio de Phil Manzanera, Revolucion To Roxy. Tu chopes l’info, tu te frottes les mains, tu baves même un peu : toute littérature concernant Roxy est ultra-bienvenue. Tu t’attends même à un big book, étant donné que tu considères Manza comme un élégant personnage cosmopolite. Avant ça, tu n’avais eu que le book de Michael Bracewell à te mettre sous la dent : Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music, un book bien documenté,  très axé sur le concept de Roxy, mais qui manque d’épaisseur humaine. On n’y sent pas bien les personnages. Manza va-t-il combler ce déficit ?

    z24903concert.jpg

             Il comble que dalle. Tu l’as dans le baba. C’est l’une des grandes déconvenues du siècle. Manza fait d’autres choix. Roxy, c’est juste deux chapitres, et tout le reste concerne la gloriole, les tournées mondiales, les raids en Amérique latine, la fréquentation de lascars comme David Gilmour, les maisons, les bagnoles, les awards, les gosses, les arbres généalogiques, et puis bien sûr les épisodes de reformation de Roxy avec les millions de dollars, c’est l’histoire d’un groupe qui fut passionnant le temps de deux albums et qui a fini par tourner en eau de boudin, c’est-à-dire en grosse machine à fric vide de sens, mais qui remplit les stades. Là est le paradoxe. On le connaît par cœur, ce paradoxe. On ne peut pas lutter. Comme si la dimension artistique ne comptait plus. Ne reste que la gloriole et l’Hall of Fame, toute cette drouille immonde qui gâche la légende d’un art qu’on croyait sacré et qui n’est au fond qu’un business de plus. Tu lis ce book et t’es atterré par le spectacle qu’il t’offre. C’est un peu comme si tu lisais les mémoires de Jagger ou celles de Gilmour, des books que tu n’approcherais jamais, même avec une pince à linge sur le nez. Bon, là, tu dois bien reconnaître que tu t’es fait baiser.

             On attendait de Manza qu’il nous parle d’Andy Mackay en long et en large, ou d’Eno, ou de Paul Thompson. Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Et pas un mot sur Johnny Gustavson, le mec des Big Three qui joue de la basse sur 4 albums de Roxy, ni sur Sal Maida. Rien ! Que dalle !

             Roxy avait passé une annonce dans le Melody Maker : «Wanted. The perfect guitarist for avant rock group: original, creative, adaptable, melodic, fast, slow, elegant, witty, scary, stable, tricky. Quality musiciens only.» Manza passe l’audition avec sa Gibson ES 335 et comme ils n’aiment pas  le look de la 335, ils lui disent de revenir avec une Strato. Mais c’est David O’List qui décroche le job. Manza est déçu. Le seul défaut d’O’List était d’arriver en retard aux répètes, et c’est comme ça que Manza finit par décrocher le job. Il est là, alors les autres lui demandent de jouer. Dans la première mouture, le bassman s’appelle Graham Simpson. Et comme Manza connaît bien les cuts, Bryan Ferry lui propose un CDI à 15£ la semaine. En 1972, il devient professionnel.

    z24901gate1.jpg

             Manza donne des détails importants : au début, Roxy n’a pas de blé, alors le groupe doit redoubler d’inventivité. Comme ils viennent de décrocher un contrat avec Island, on les confie à Anthony Price, un fashion designer qui doit peaufiner leur image. Manza est sapé comme l’as de pique et Price qui bien sûr est gay fait «no, no, noooo» et lui demande de porter un blouson de cuir et des lunettes d’extra-terrestre, sur lesquelles sont collés des clous en diamant. Manza a son look en 5 minutes. Le problème, c’est qu’il ne voit rien avec ces «bug eyes». Il ne voit que ses pieds. Pour gratter ses poux, c’est l’enfer. La photo des «bug eyes» est dans la page. Tu les vois aussi quand tu ouvres le gatefold du premier Roxy.

    z24902gate2.jpg

             C’est aussi là que commencent les problèmes : Bryan Ferry décide de tout. La pochette du premier Roxy, c’est lui. Manza rappelle aussi que Graham Simpson était dans le premier groupe de Bryan Ferry, The Gas Band, au temps de la fac de Newcastle. Puis Simpson va traverser une mauvaise passe et se faire virer. C’est là que commence le bal des bassistes. Manza en dénombre 15. Il indique aussi que Bryan Ferry et Andy Mackay sont revenus transformés d’un concert de Ziggy. C’est là qu’ils décident de se transformer en gravures de mode, comme l’ont fait les Spiders From Mars. Et le plus avancé, dans cet art, c’est bien sûr Eno. Il tombe toutes les filles et Manza sous-entend que Bryan Ferry le jalouse.

    Z24904CHISTHOMAS.jpg

    (Chris Thomas)

             C’est Chris Thomas qui va enregistrer Music For Your Pleasure. John Cale l’a recommandé à Roxy. Manza rappelle aussi que Thomas a bossé sur le White Album. Alors wham bam ! Mais Bryan et Brian ne s’entendent pas. Eno se considère comme un «Independant mobile unit» et un «non-musician». Il ne supporte pas l’autorité. En plus, il est le plus flamboyant du groupe - which I’m sure Bryan didn’t enjoy - Il va subir le même sort qu’un autre Brian, Brian Jones. En plus, Eno est très extraverti, alors que Bryan Ferry reste impénétrable. Ils sont à l’opposé l’un de l’autre. En plus, Bryan Ferry continue de faire ses coups en douce. Il a déjà quasiment réglé la question de la pochette du deuxième album sans en parler aux autres. Manza le redit : Bryan Ferry n’a consulté personne. Il a choisi Amada Lear pour le recto et c’est lui qu’on voit au verso déguisé en chauffeur. Les membres du groupe émettent une molle protestation et Bryan Ferry la prend en compte. Puis une petite shoote éclate entre Bryan et Brian, à propos d’une gonzesse. Brian Eno joue une dernière fois avec Roxy en 1973 et il quitte le groupe avant de se faire virer.

    Z24895COUNTRYLIFE.jpg

             Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on a sur Roxy. Manza donne aussi des détails sur la pochette de Country Life avec les deux belles gonzesses en petite tenue. Il rappelle aussi qu’entre 1972 et 1984, il n’a pas gagné un rond, malgré les tournées mondiales et les disques d’or : le management et probablement Bryan Ferry s’en s’ont mis plein les poches. Puis les choses vont se détériorer dans le groupe. 1976 nous dit Manza est le commencement de la fin. Il voit encore Bryan Ferry faire ses coups en douce et traiter les autres membres comme son backing band. À la fin de la tournée Avalon, en 1982, Andy Mackay et Manza donnent leur démission : «It’s been a great pressure working with you. Goodbye.»

             Il leur faudra attendre 18 ans pour se reparler. Ce que Manza veut dire à travers tout ça, c’est qu’on ne peut pas être pote avec un mec comme Bryan Ferry. C’est impossible.

    z24898egodames.jpg

             C’est le gros billet qui va les motiver pour la reformation, comme c’est le cas pour tous les groupes de vieux crabes. Tout ce qu’ils veulent, c’est se payer des belles baraques dans la campagne anglaise et des Rolls. Tu vois un peu le niveau ? On leur propose 7 millions de livres. Bryan Ferry, Manza et Andy Mackay acceptent le principe. Ils se retrouvent en studio à Londres et tentent de jouer «Virginia Plain». Ça marche. Paul Thompson est là aussi, avec Guy Pratt on bass. Il est question d’un nouvel album produit par Chris Thomas. Eno fait aussi partie du projet. Ça se passe bien jusqu’au moment où ils s’assoient pour papoter tous ensemble, et Eno fait remarquer que chaque membre rejoue le rôle qu’il jouait 35 ans auparavant. Alors Manza comprend que le projet est foutu. Chacun repart de son côté. Roxy, ça vaut pas Jerry Lee. 

    z24877mojo.jpg

             Le Mojo Interview est mal barré : Manza apparaît tel qu’il est aujourd’hui, en petit pépère souriant. Fini l’allure de wild rocker glamour. Il pose pour un autre portrait en fin d’interview avec les fameux «bug eyes» qu’il a conservés. Et si sa plus belle heure de gloire était d’avoir accompagné Robert Wyatt sur Ruth Is Stranger Than Richard ? Pour mener l’interview, Mat Snow ne se casse pas la nénette : il repart de l’autobio. Père anglais, possible agent double, et mère argentine. Rusé comme un renard, Snow amène vite Manza sur le terrain de Roxy. Alors le pépère souriant y va de bon cœur : «I wanted to be more like the Velvet Underground, textural. Les autres ont amené des choses différentes : Eno had systems music, Bryan a mixture of Motown and the Velvet Underground, Andy loved King Curtis and Paul loved Led Zeppelin.» Chacun amenait sa petite contribution, conclut gaiement Manza. Pour lui c’est un collectif. Eno avait inventé le mot «scenius». Snow revient sur l’éviction d’Eno. Manza n’est pas clair là-dessus, il indique qu’Andy en sait plus que lui, aussi recommande-t-il d’attendre qu’Andy écrive son autobio - Et quand j’ai dit à Bryan l’autre jour que j’écrivais un book, je lui ai dit qu’il devrait en faire autant - j’aimerais bien enfin savoir ce qui s’est passé - Andy et Manza se sont quand même posé la question de savoir s’il fallait suivre Eno ou rester dans Roxy. Ils ont décidé «de rester pragmatiques» et sont restés dans Roxy. Manza va aussi filer un coup de main à Eno sur Here Come The Warm Jets et à John Cale sur Fear et Slow Dazzle. Manza précise que Roxy avait demandé à Calimero de produire For Your Pleasaure, mais comme il était sous contrat avec Warners, il ne pouvait pas, et il recommanda Chris Thomas. 

    z24879bookremake.jpg

             Après toutes ces déconvenues, il est grand temps de ressortir le Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music de Michael Bracewell. Finalement, c’est lui qui a raison : avant d’être une aventure humaine, Roxy est un concept - Above all... a state of mind, lâchait Bryan Ferry en 1976 - Bracewell souligne très vite la proximité des «wily strategies of Duchampian aesthetics», cette proximité qui nous conduisit à l’époque à délirer sur Roxy et pondre un Conte, cot cot !  Bracewell ose des parallèles extraordinaires entre Roxy, Smokey Robinson, Marcel Duchamp, le Velvet, John Cage et Gene Kelly, «all in their different ways, forcefully and glamourously modern.» Bracewell ajoute qu’avec le premier Roxy, Ferry «presented his carte de visite to the world. The record was arch, thrilling, elegant, unique, clever and richly romantic.» C’est bien ce qu’on reproche à Ferry, le côté trop clever, mais Bracewell a raison de souligner l’élégance et la singularité. Bracewell établit aussi en lien entre Joe Meek et Roxy - the Meekian other-worldniness - symbolisé par «Ladytron». Parmi les influences de Roxy, Bracewell cite le «Bad Penny Blues» d’Humphrey Lyttelton, produit par Joe Meek, dont l’intro de piano sera reprise par les Beatles dans «Lady Madonna». Ferry cite aussi le Charlie Parker Quintet avec Miles Davis, et bien sûr LeadBelly - a black dandy, a precursor to Bob Dylan - Et là, effectivement, Bracewell navigue à un autre niveau que Manza. Comme quoi, il y a book et book.

    Z24896hamilton.jpg

             Bracewell lance encore des ponts entre le Velvet et Roxy via l’art moderne, puis établit le lien fondamental entre Andy Mackay et Dada, un Andy qui flashe aussi sur les Bonzos - There is definitevely the English art school influence of Dada rediscovered - et puis le lien Richard Hamilton/Marcel Duchamp qui est au cœur de Roxy, car Bryan Ferry fut l’élève d’Hamilton, le théoricien du Pop Art, héritier de Duchamp - No living artist commands a higher regard among the younger generation than Marcel Duchamp - Hamilton enseignait à Newcastle, où vivait encore le jeune Ferry. Un Hamilton qui va d’ailleurs concevoir la pochette du White Album. Le concept, rien que le concept. C’est ce qu’il faut comprendre. Roxy n’est pas un groupe ordinaire. 

    z24896peinture.jpeg

    ( Peinture de Mark Lancaster)

             Et ça qui vaut tout l’or du Rhin : Mark Lancaster évoque sa rencontre avec Marcel Duchamp - J’ai rencontré Marcel Duchamp chez Richard Hamilton à Londres, quand il est venu pour son exposition à la Tate Gallery en 1966. Il m’a demandé : ‘Êtes vous artiste ?», and when I said yes, or «Oui», he said, «Moi aussi.» Quelques jours plus tard, je l’ai rencontré avec sa femme Teeny à Carnaby Street. Je venais d’acheter un costume jaune vif. Ils l’ont admiré, mais je n’ai pas osé lui demander de le signer - C’est quand même plus intéressant que le Rock’n’roll Hall Of Fame, n’est-ce pas ?

    z24897duchamp.jpg

    ( Marcel Duchamp)

             Liens encore avec le «Moon River» d’Henri Mancini et Breakfast At Tiffany’s, avec les photos de Mark Lancaster de yellow cabs qu’il a photographiés depuis le «fire escape of Andy Warhol’s Factory», Bracewell n’en finit plus de rappeler que les racines de Roxy sont la trilogie suprême de l’art moderne : Andy Warhol, Marcel Duchamp et Richard Hamilton. D’où les portraits qui ornent le gatefold de Roxy Music. Bracewell s’en donne à cœur joie : «Serré dans une chemise noire, Mackay est incroyablement beau - a mascaraed rocker, greasy quiff piled high at the front and straggling in disdainful rat-tails down the nape of his neck. Le menton dans la main, chaque doigt portant une lourde bague, son image est celle du rebelle solitaire et introverti, a one-shot amplification of the rock and roll style of fifties Americana.» Les six portraits sont des œuvres d’art moderne. On avait tous flashé là-dessus en 1972. Et Bracewell de rappeler que Mackay était aussi un dandy fasciné non seulement par Dada, mais aussi par «Swinburne, Audrey Beardsley and the Preraphaelte Brotherhood». Personnage complet.

             Signé : Cazengler, Roxy Musette

    Roxy Music. Roxy Music. Island Records 1972

    Roxy Music. For Your Pleasure. Island Records 1973

    Mat Snow : Phil Manzanera - The Mojo Interview. Mojo # 366 - May 2024

    Phil Manzanera. Revolucion To Roxy. Expression 2023

    Michael Bracewell. Re-make Re-model. Faber & Faber 2007

     

     

    L’avenir du rock - Squire boy

             Le jusqu’au-boutisme n’a aucun secret pour l’avenir du rock. Sans vouloir manquer de respect aux ceusses qui se poseraient la question de savoir pourquoi, disons qu’une nature conceptuelle sans jusqu’au-boutisme n’est pas concevable. Un concept qui ne pas va au bout des choses n’est pas un concept. L’avenir du rock ne manque pas une seule occasion de mettre ce postulat en pratique. Pour d’obscures raisons éditoriales, il a besoin de se faire traiter de square, aussi décide-t-il de se déguiser en beauf atroce et d’aller provoquer Boule et Bill à la terrasse de la Civette. Il mouille son peigne et se coiffe les cheveux vers l’arrière, les plaque avec du saindoux, il se dessine une grosse moustache au feutre, puis il enfile un marcel, un short en nylon rouge, des chaussettes noires et chausse des charantaises. Il complète l’ensemble avec une vieille casquette Ricard du Tour de France et des lunettes de soleil miroir. Avant de sortir, il prend soin de placer quelques traces de Nutella sur le marcel et sur l’arrière du short pour que le côté douteux des choses ne laisse absolument aucune chance au doute. Pour compléter le panorama, il s’est acheté des boules puantes chez son fournisseur préféré. En arrivant à destination, il allume bien sûr un cigarillo bien puant. Boule et Bill l’ont vu arriver de loin. Ils ne cachent pas leur dégoût lorsque l’avenir du rock, sans même leur demander leur permission, s’assoit face à eux.

             — Tu nous fous la honte, avenir du rock. En plus tu schlingues comme un putois.

             L’avenir du rock leur souffle la fumée du cigarillo dans la gueule et lâche le plus sonore des pets. Prrrrrrrrrrr ! Tous les gens installés sur la terrasse se retournent.

             — Alors les deux réactionnaires, toujours sur la brèche ?

             — Avec un lascar comme toi, on ne sait jamais ce qui va nous tomber sur la gueule. Tu veux quoi, avenir du rock ?

             — Chais pas, Boule. Une petite insulte ?

             — Tu veux qu’on te traite de beauf ?

             — Ah oui mais en anglais !

             Bill qui connaît trois mots d’anglais saute sur l’occase :

             — Fooking square !

             Radieux, l’avenir du rock lâche un gros Prrrrrrrr dionysiaque et corrige le tir :

             — Non pas square, fooking Bill, Squire !

    z24861johnsquire.gif

             John Squire superstar ? Aucun doute là-dessus. Il refait l’actu en compagnie de Liam Gallag : les voilà tous les deux en devanture de Mojo. Tapis rouge : douze pages et des photos à gogo. Promo presse pour un nouvel album, comme au temps d’avant.

    Z24886MOJOLIAM.jpg

             Douze pages. T’es obligé de t’y reprendre à deux fois - It’s the best bits of Oasis with the best bits of The Stone Roses, they promise - La classe des deux ! Tu te rinces l’œil. Ces deux vétérans ont de vraies allures de rock stars anglaises, surtout Squire Boy avec sa petite coupe de douilles seventies et cette façon qu’il a de te regarder droit dans les yeux. Liam Gallag raconte qu’il a offert deux paires de mocassins à Squire Boy qui était sorti de sa réclusion pour venir jouer en rappel sur «Champagne Supernova», à Knebworth, en juin 2022 - Hand-made from Portugal, with tassels - c’est-à-dire avec les glands. Mod shoes. Liam Gallag raconte qu’il s’est toujours intéressé aux pompes de Squire Boy, d’où l’idée du cadeau des mocassins. En échange, Squire Boy lui offre deux chansons et lui demande : «Would you like to sing on them?». Of course. C’est là que naît l’idée de leur collaboration. Et Liam Gallag d’ajouter : «John’s songs are the reason I got into music in the first place.»

             Quand les frères Gallag voient Les Stones Roses pour la première fois en 1988, ils flashent  comme des bêtes - If they can do it, I can definitively do it - Noel Gallag dira même à Squire Boy qu’Oasis doit son entière existence aux Stones Roses. Il faut rappeler qu’entre 1988 et 1990, les Stone Roses régnaient sans partage sur l’Angleterre. Parmi les adorateurs/followers des Stone Roses, se trouvaient les Inspiral Carpets, dont Noel Gallag était le roadie. Ted Kessler chante les louanges des Stone Roses en termes de «musicianship, particularly the expansive playing of Squire and drummer Alan ‘Reni’ Wren», un Squire, ajoute Kessler, «who was harking back to the more flashily fluid styles of Jimi Hendrix and Jimmy Page.»

    z24882second.jpg

             Si on suit Squire Boy à la trace depuis plus de trente ans, la raison en est simple : elle porte le doux nom de Second Coming, le deuxième album des Stone Roses. On s’en souvient peut-être, les Stone Roses étaient un groupe de surdoués : section rythmique de rêve et un Squire Boy on fire. Le maillon faible était sans doute Ian Brown, le chanteur. Les Stone Roses groovaient comme des dieux, et ce dès «Breaking In Heaven». Là t’avais Squire Boy au décollage, il avait déjà tout bon, il déployait une sorte de sauvagerie, et le bassmatic de Mani entrait au bout du compte. Ian Brown n’avait pas de voix, mais ça marchait quand même. Ils restaient dans une espèce de power fondamental avec «Driving South». Dans l’instant T, ils étaient réellement les meilleurs. «Ten Storey Love Song» sonnait comme un balladif frappé de magie, et sur ce coup-là, Ian Brown s’en sortait plutôt bien. Au beurre, Reni avait une fâcheuse tendance à voler le show. On sentait aussi chez eux une volonté affichée de psychedelia («Your Star Will Shine», pas loin du «Tomorrow Never Knows» des Beatles, on sentait le power sous la toile de jean) et ça repartait de plus belle avec le groove de «Straight To The Man». Classique mais rondement mené. Ils revenaient au groove sauvage avec «Begging You». Fantastique énergie, wild as fucking fuck, c’était d’une rare violence comportementale, mille fois plus puissant que Primal Scream, tout était dense, compressé à l’extrême, même les poux de Squire Boy, et Reni battait le beurre du diable. Puis ils te swinguaient «Tightrope» fabuleusement - I’m on a tightrope baby - avec des clap-hands, avant de replonger dans le caramel du groove, c’est-à-dire «Good Times», pure niaque de ‘Chester, t’en revenais pas d’entendre l’élégance du gratté de poux de Squire Boy. Avec ces mecs-là, tu nageais en plein bonheur. Ils bouclaient avec «Love Spreads», un heavy groove drivé au yeah yeah yeah, admirablement bien balancé, my sister/ She’s alright and she’s my sister !

    z24881stoneroses.jpg

             Second Coming était nettement supérieur au premier album sans titre des Stone Roses. Tu y sauvais deux cuts, «I Wanna Be Adored» et «She Bangs The Drums». Le Wanna Be Adored sonnait comme un hymne, rien que par le thème. Même sans voix, ça passait comme une lettre à la poste. Squire Boy foutait bien la pression. Et tu retrouvais ce son unique dans «She Bangs The Drums», t’avais là-dedans toute l’ampleur de la pop anglaise, poppy puppy popette de poppah. Puis ce premier album allait décliner lentement, malgré les efforts de Squire Boy. Dans «Waterfall», il se livrait à un brillant numéro ondoyant et il revenait avec «Don’t Stop» à la Beatlemania psychédélique. On assistait là à une fantastique tentative d’osmose. Puis tout virait poppy popette («(Song For My) Sugar Spun Sister» et «Made Of Stone»), bien dans la veine de la tradition, ils entraient même dans le ventre mou de la pop anglaise («Shoot You Down»). Reni battait «I Am The Resurrection» comme un diable, mais ça n’en faisait pas un hit pour autant, même si ça se terminait en heavy groove dévastateur. Kessler est marrant car il dit exactement le contraire : il parle d’«one great album and a dissappointing follow up». Il n’a rien compris au film.

             Quand Oasis joue à Knebworth en 1996 devant 200 000 personnes, ils invitent Squire Boy à venir jouer sur «Champagne Supernova». Et 26 ans plus tard, Liam Gallag lui refait le coup en le présentant à la foule comme étant «the coolest man on the planet.»  C’est encore Noel Gallag qui rend hommage aux Stones Roses : «They kicked the door open for us, then we came in and nailed it to the wall.»

             Liam Gallag et Squire Boy ont commencé par enregistrer des démos et sont ensuite allés passer 15 jours chez un producteur de Los Angeles nommé Greg Kurstin, lequel Kustin a proposé de bassmatiquer et de rapatrier le batteur Joey Waronker.

    z24880liam+john.jpg

             L’album s’appelle Liam Gallagher John Squire. Ils ne se sont pas cassé la nénette pour trouver un titre. Et t’as le Liam qui s’impose aussitôt avec «Raise Your Hand». Non seulement t’as du son, mais t’as aussi la voix. Le Liam écrase son raise au fond du cendrier et Squire Boy claque un solo d’étranglement. Le Liam est toujours aussi Oasien. Il va toujours chercher le bon ton au sommet d’un rock ultra-saturé. «You’re Not The Only One» est le coup de génie de l’album. C’est fin, racé, ficelé, c’est même un hit pour la radio, on retrouve le goût des Anglais pour le big time, Squire Boy y passe un killer solo flashy comme pas deux. Liam Gallag + killer Squire, ça fait revivre la vieille Angleterre. C’est à la fois délicieusement classique et imbattable. Avant de cracher sur Oasis, écoute cette merveille. Si tu veux un album de rock anglais, c’est là.  Et t’as aussi un «One Day At A Time» écrasé de power et de singalong Oasien. Liam Gallag n’en finit plus de traîner la savate dans le chant. C’est d’une rare puissance. Puis ils tapent dans l’heavy blues avec «I’m A Wheel». Pas de problème ! Mais l’album finit par tomber dans la routine Oasienne. Squire Boy fait des efforts considérables pour la briser. Avec «Love You Forever», ils jouent le hard blues des seventies. Ils n’inventent pas la poudre, c’est juste un prétexte à jouer dans le bac à sable. On entend Squire Boy claquer ses mighty carillons dans «I’m So Bored». Il est l’un des guitaristes les plus infectueux d’Angleterre. Il gratte toujours tout ce qu’il peut.

             Selon Kessler, l’album de Liam Gallag et Squire Boy n’aura pas le même impact qu’ont eu sur la rock culture les deux premiers albums d’Oasis et le premier Stones Roses, «but it’s the best thing either have recorded since those early records.» Kessler parle d’un «sleek rock album», c’est-à-dire élégant, bourré d’«unshakably sticky melodies and choruses.» Kessler y retrouve toutes les influences dont Squire Boy et Liam Gallag sont tellement friands : Jimi Hendrix dans «Love You Forever», les Stones et les Beatles dans «Just Another Rainbow», les Faces dans «Make It Up As You Go Along» et Liam Gallag trouve que «Raise Your Hands» sounds like Roxy Music. Et puis bien sûr Oasis et les Stone Roses - It’s a perfect mariage of the two bands - Ailleurs dans l’article, Kessler ramène aussi le duo De Niro/Pacino dans Heat, un autre exemple de perfect mariage. Squire Boy dit bien son admiration pour Liam Gallag : «He brings a passion and intensity that I can’t muster. There’s something about his voice that meshes with the way that I play guitar.» Il parle de complémentarité. Kessler termine en beauté, puisqu’il les voit se lever pour aller faire leur photo-shoot, «just like in the old glory days - which surprisingly, may be still ahead of them.» Une chute qui tinte merveilleusement bien à l’oreille de l’avenir du rock.

    z24883doyourself.jpg

             Après la fin des Stone Roses, Squire Boy va monter The Seahorses et enregistrer Do It Yourself. C’est un album qui vaut le déplacement. Pour au moins quatre raisons, dont deux Beautiful Songs, «Love Me & Leave Me» et «Head». Dans Love Me, Squire Boy ne croit en rien, don’t believe in Jesus, don’t believe in Jah, il croit en lovers, c’est fameux et surtout très gratté, ça te donne une belle rengaine enluminée de poux scintillants. «Head» sonne aussi comme une grosse compo. Les Seahorses auraient pu devenir énormes. Squire Boy fait là du power balladif, avec un Chris Helme qui pose bien sa voix et qui l’entortille quand il faut, il a du poids et du ruckus. «1999» sonne comme un coup de génie, c’est très Oasis dans le ton, avec du sharp slinging de Squire Boy, ça sonne comme du heavy Quicksilver avec l’aura de Madchester et t’as l’incroyable clameur du Squire Boy qui du coup se met à sonner comme Stylish Stills. Ah il faut voir cette bravado ! Belle attaque encore avec «I Want You To Know», pas loin d’Oasis et un Squire Boy qui fout le feu avec ses poux. C’est un son très anglais. Chris Helme fait encore merveille sur «Blinded By The Sun», il a la voix un peu grasse, comme une huître, une voix juteuse et colorée, et derrière lui t’entends le Squire Boy voyager dans le son. «Suicide Drive» coule bien dans la manche et Squire Boy y joue un solo au long cours, avec le feu sacré. Ils se confrontent ensuite à la shakespearisation des choses avec «The Boy In The Picture», ça veut dire qu’ils entrent en dramaturgie, avant de revenir à un son plus heavy avec «Love Is The Law». Chris Helme fait son Liam Gallag. Il vise clairement l’Oasis. Il se croit dans le désert, et après un joli break de basse, Squire Boy part en vrille de poux demented. Yeah yeah ! Il gratte encore comme une brute dans «Round The Universe», cut de belle pop enjouée aux joues bien roses. Il descend une fois de plus au barbu avec une science aiguë du solo flash. Ils frisent plus loin le Sabbath avec «Standing On Your Head», on se croirait sur le premier Sabbath tellement c’est bien foutu. L’in the sky vaut bien celui d’Ozzy. 

    z24884changes.jpg

             En 2002, Squire Boy enregistre son premier album solo, Time Changes Everything. Bon, c’est déjà plus la même chose. Pour le dire autrement : c’est autre chose. On admire tellement Squire Boy qu’on ne peut pas dire du mal de ce premier album solo. Il fait du Dylanex avec «Transatlantic Near Death Experience». C’est exactement Queen Jane Approximately, avec les mêmes descentes de couplets, mais sans l’orgue Hammond. Squire Boy tartine fantastiquement. Pour le reste, il y va à l’insidieuse («Joe Louis»), il fait de la belle heavy pop avec un certain goût de revienzy («I Miss You»), mais c’est pas Liam, il chante à l’écrase-syllabe. Il est cependant meilleur que Ian Brown au chant. Il a même du cachet. Il sait challenger un cut (le morceau titre) et il pense toujours à ramener du big guitar slinging. Son «Welcome In The Valley» est excellent, bien tenu par la colle d’un chant à la ramasse. Il a d’excellents réflexes comportementaux. Il se laisse aller avec l’heavyness de «Strange Feeling». Globalement, c’est un album honnête, très sonnant, très trébuchant, mais sans idées. D’où ‘l’autre chose’.

    z24885marshall.jpg

             Son deuxième album solo s’appelle Marshall’s House et sort deux ans plus tard. Il fait encore quelques étincelles sur «Summertime», il tente bien le coup en grattant une belle clairette, il barde bien la barcasse de barda. Squire Boy est un mec assez balèze. Il tartine son morceau titre à n’en plus finir, mais on en restera là. Il force trop sa voix. Il se prend pour Liam, mais il est loin du compte. Il tente le coup du power absolu, mais la voix n’y est pas. Trop affectée. Il se gratte la glotte. Dommage. Dès qu’il chante, il ruine tous ses efforts. Il finit en mode Big Atmospherix avec «Gas». Il se réconcilie avec le gros son. Bye ! Bye Baby ! Il se jette dans la balance, il envoie sa dégelée et ça devient l’hit de l’album. Squire Boy se noie dans son son. Aucun espoir de le sauver. «Gas» est un cut entreprenant, totalement remonté des bretelles.

             En 2016, les Stones Roses tenteront de se reformer en enregistrant deux singles, «All For One» et «Beautiful Thing» - It proved to be a mirage - Une dernière tournée, puis Squire Boy dit stop. Il ne s’entend plus très bien avec son vieux copain d’école Ian Brown. Il préfère se consacrer à sa peinture et à sa famille. Enough monkey business.

    Signé : Cazengler, John Square

    Liam Gallagher John Squire. Liam Gallagher John Squire. Warner Records 2024

    Stone Roses. The Stone Roses. Silvertone Records 1988

    Stone Roses. Second Coming. Geffen Records 1994

    The Seahorses. Do It Yourself. Geffen Records 1997

    John Squire. Time Changes Everything. North Country 2002

    John Squire. Marshall’s House. North Country 2004

    Ted Kessler : What the world is waiting for. Mojo # 365 - April 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Just like Honeycombs

             Tu ne pouvais imaginer Baby Honey qu’au lit. Et bien sûr dans tes bras. Elle symbolisait le paradis, comme on aimait à l’imaginer au sortir de l’adolescence. Franchement, le paradis c’était pas compliqué : il te suffisait d’avoir un grand lit, des draps de satin jaune et le corps nu de Baby Honey que tu pouvais butiner encore et encore. Tu poussais même le fantasme jusqu’à imaginer qu’elle aimait à se faire butiner, puisqu’elle en réclamait encore et encore. Tu l’entendais soupirer : «encore... encore...», et tu t’arrachais aux torpeurs d’un premier sommeil pour couvrir le centre de son corps des baisers le plus attentionnés. Le jour se fondait dans la nuit et la nuit dans le jour, le paradis avait gommé tous les aspects rugueux de la réalité, le premier étant de s’arracher à ses bras pour aller bosser. Tu ne quittais le paradis de satin jaune que pour aller au frigo préparer une bricole à grignoter, une salade de tomates et une tranche de jambon, ou servir l’un de ces Américanos à l’orange dont Baby Honey était tellement friande, puis quand le frigo était vide, tu te hâtais d’aller faire trois courses pour revenir te jeter dans ses bras. Le paradis semblait infini, tu voulais y vivre pour le restant de tes jours, et lorsque tu demandais à Baby Honey si elle voulait partager cet infini avec toi, elle plissait les yeux et murmurait «encore... encore...», en te prenant la main pour la poser à l’endroit le plus sensible de son corps. Les jours et les semaines passaient, sans que rien ne vînt troubler la paix du paradis de satin jaune. Il n’existait rien de plus sacré que de réveiller Baby Honey avec un baiser, elle ouvrait doucement les yeux et ses yeux semblaient rire. Elle rayonnait de mysticisme amoureux et tu t’abreuvais en elle. Toi qui n’étais pas croyant, tu finissais par trouver Dieu sympa, puisqu’il avait inventé, rien que pour ta pomme, le paradis sur la terre. À aucun moment, tu n’aurais imaginé que ce paradis allait se transformer en enfer. Il te faudra cinquante ans de recul pour comprendre que ce basculement des genres est d’une grande banalité.

    z24863honeycombs.gif

             Baby Honey n’a rien à voir avec Honey, la batteuse des Honeycombs. Baby Honey est blonde et Honey brune. Baby Honey hait le rock et Honey Lantree le jouait en 1964 de façon spectaculaire. Il ne fallait donc pas se tromper d’Honey. Autant Baby Honey était une mauvaise pioche, autant Honey Lantree est la bonne.

             Qui se souvient des Honeycombs ? Un groupe londonien des early sixties produit par Joe Meek ? Honey Lantree y battait le beurre, et l’excellent Alan Ward était l’un des premiers à claquer de killer solos flash en Angleterre. Mais quand on voit les clips sur YouTube, on est vite fasciné par cette batteuse paradisiaque qu’est Honey Lantree.

    z24887honeycombs.jpg

             Le premier album sans titre des Honeycombs était très en avance sur son temps. Ce Pye de 1964 taillait bien la route. C’est Dennis D’Ell qui chante, et à propos du solo spatial d’Allan Ward sur «Once You Know», Meeky Meek parle de «brillant solo work».  Meeky Meek signe une partie des liners, au dos de la pochette. Bon, les compos sont parfois laborieuses, et c’est le son qui fait l’intérêt. La batteuse Honey chante sur «That’s The Way», et quand elle chante, elle donne du jus. Allan Ward prend encore un solo superbe dans «I Want To Be Free (Like A Bird In A Tree)» et ils bouclent leur balda avec leur big time hit, «Have I The Right». Full tilt de Meelky Meek ! Il a exactement la même intelligence du son que Totor. En B, on entend Honey battre sec et net «Nice While It Lasted». Il faut l’entendre relancer avec ses petits roulements pète-sec ! Grosse fête foraine dans «She’s Too Way Out». Space guitars & wild bassmatic, le pur génie productiviste de Meeky Meek est à l’œuvre et l’Honey bat ça si sec ! - Exceptional pretty and clever girl drummers are hard to find - Avec «Ain’t Necessary So», Meeky Meek fait sonner la guitare d’Allan Clark comme celle de Billy Harrison dans les Them. Pour 1964, The Honeycombs est un album extrêmement moderne. Bizarre que l’Angleterre ne s’en soit pas aperçue.

    Z24888HONEY.jpg

             Le deuxième album des Honeycombs est fantastique. All Systems Go! sonne, aussitôt l’«I Can’t Stop». Ils ont du son. Et quel son, my son ! Solo de sax et solo de gratte demented, que veux-tu de plus ? Résonance exceptionnelle des basses, elles t’embooment l’oreille. Coup de génie pur avec le morceau titre, un wild ride transpercé en plein cœur par un wild killer solo flash, et visité dans les entrailles par cet ingé-son de génie qu’est Meeky Meek. Il sait faire claquer la charley ! Meeky Meek est le roi du killer solo flash. Allan Ward joue lead, mais c’est Meeky Meek qu’on entend. Ils tapent une belle reprise de l’«Ooee Train» du grand Bobby Darin, puis il refoncent dans le tas avec un «She Ain’t Coming Back» signé Meeky Meek. Tout est savamment meeké par Joe. On entre dans le territoire du génie productiviste, l’apanage de Totor, de Gary Usher et de quelques autres. Belle poussée d’exotica avec «Our Day Will Come». Meeky Meek fournit tout le boniment, c’est-à-dire le son. Ils enchaînent avec le «Nobody But Me» de Doc Pomus. Pure craze ! Encore une dégoulinade de kitsch avec «There’s Always Me» et retour à l’exotica avec «Love In Tokyo». Chaque fois, Meeky Meek crée les conditions du succès.  

    z24889angelrecords.jpg

             Angel Air sort en 2016 l’album de la reformation des Honeycombs, 304 Holloway Road Revisited. Laisse tomber. C’est la reformation des vioques qui font du Buddy Holly sans Meeky Meek ni Honey, ce qui est un double anathème. Ça pue la reformation greedy, ces mecs-là feraient n’importe quoi pour palper un billet. Avec «Mary Jo», ils font du glam de vieux branleurs. Il n’y a rien de Meeky dans leur sauce. On se demande rapidement pourquoi on écoute cette daube de charognards. Avec «It’s Crazy But I Can’t Stop» et «That’s The Way», ils sont pathétiques et même atroces de putasserie. On en dégueule. Ils osent même retaper l’«Have I The Right». Comment osent-ils ? Pas de son, pas de Meeky, pas de rien.

    Signé : Cazengler, Honeycon

    Honeycombs. The Honeycombs. Pye Records 1964

    Honeycombs. All Systems Go! Pye Records 1965 

    Honeycombs. 304 Holloway Road Revisited. Angel Air Records 2016

     

     

    Luke la main froide

     - Part Six

    z24864lukehaines.gif

             Il se trouve que Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll est une mine d’or à ciel ouvert. Luke la main froide a la main lourde sur les recommandations. Alors on les suit.

    z24894songakan.jpg

             Par exemple Cathal Coughlan. On rapatrie aussi sec son Song Of Co-Aklan, histoire de voir ce que ce Cathal a dans la culotte. Song Of Co-Aklan est son ultime album. Luke la main froide y gratte des poux. Dès le morceau titre, t’as une belle pop tendue à se rompre et un big beurre de Nick Allum. Luke s’y tape le bassmatic. C’est du Big Atmospherix. Le mot-clé de cet album est la dramaturgie. Cathal monte le Dog de «Passed-Out Dog» en neige. Pour lui, le Big Atmospherix doit voyager dans le ciel comme un gros nuage d’apocalypse. Tout est très dense, très sombre, plongé dans une sorte de malheur théâtral. Cathal donne trop de caractère à ses cuts. Ça ne peut pas prendre. Un album suffit pour se faire une idée. Il repart en belle pop d’allant martial avec «Let’s Flood The Fairyground». Cathal est un fier Coughlan, et le cut décolle à la seule force du chant. Mais il revient ensuite à ses travers. Il est trop dans le théâtre du rock. On se croirait chez Ariane Mouchkine. Il sauve l’album avec «The Knockout Artist», un cut qui ne se connaît pas de limites. Cathal se jette dans l’avenir. Un vrai gardon ! Il donne un peu le vertige. Ça devient magique ! Puis avec «Falling Out North Street», il préfigure Michael Head. Il fait une belle pop ambitieuse et là, t’adhères au parti. 

    z24893getwisz.jpg

             La main froide recommande aussi deux Flies, «London’s Flies and New York’s Flies». Elle qualifie ces groupes de «blink-and-you-miss-them-cos-they-barely-existed mythical bands in rock». Alors tu vas voir ça de plus près. Tu commences par le New York’s Flies. L’album s’appelle Get Wise. Fantastique énergie du Boston Sound 1984. «Put All That Behind Me Now» est bardé du plus beau barda, c’est même ravagé par des lèpres soniques. Ce power trio a un sens inné du power. T’as presque envie de serrer la pince de la main froide pour le remercier du tuyau. Tu trouves à la suite un «Endless Summer» sauvagement riffé et battu à la diable. Ils cultivent les dynamiques infernales, tu t’enfonces toujours plus loin dans la balda et soudain tu tombes sur une incroyable cover du «2000 Light Years From Home» des Stones. Magic Stuff ! En plein dans l’œil du cyclope ! I feel so very/ Lonely ! En B, ils se donnent des faux airs de Velvet dans «The Only One». C’est indéniable et fabuleusement inspiré. C’est monté sur les accords de Gloria. Le mec connaît la harangue ! Ils bouclent avec un «Everybody’s Trying To Be My Baby» encore très Velvet dans l’esprit, lourd, très lourd, chargé de sens, très All Tomorrows Parties, avec un chant harangue dylanesque. Quel brouet spectaculaire ! 

    z24892collection.jpg

             Tu serres la pince de la main froide pour le remercier, et tu passes aussitôt aux London’s Flies. Ça tombe bien, il existe une brave petite compile sur Acme : Complete Collection 1965-1968. Rapatriement immédiat. T’es pas déçu du casse-croûte, comme on dit sur les chantiers. Tu tombes dès l’ouverture de balda sur le fameux «(I’m Not Your) Stepping Stone» qui fit les beaux jours du Volume 1 de Chocolate Soup For Diabetics : heavy psyché psychotic, fantastique mélasse, sans doute la meilleure cover de ce vieux hit des Monkees et des Raiders. Les Flies ont bien failli connaître leur heure de gloire, puisqu’ils traînaient dans le bon circuit à la bonne époque. On les sent timorés dans «Turning Back The Pages», mais aussi dotés d’une volonté tentaculaire. Ils chantent «Gently As You Feel» à l’horizon clair, c’est pur et doux comme un agneau. Une vraie Beautiful Song. Puis ils tapent dans les Kinks avec «Tired Of Waiting For You», mais en sonnant comme les Byrds, alors tu commences vraiment à les prendre au sérieux. Car quelle vélocité ! On comprend que les Flies aient pu taper dans l’œil de la main froide. En B, tu retrouves avec «A Hymn With Love» cette petite pop innocente et douce comme un agneau. Bêêêêêêê. «Where» est encore un shoot de pop qui colle bien au papier. Leur where/ Where have you been flirte avec le génie. Puis ils passent au Dylanex avec le chant de nez pincé sur «There Ain’t No Woman», le mec fait du pur It ain’t me babe. On saluera pour finir cette pop de rang princier qu’est «Winter Afternoon. La main froide ne s’est pas fourré le doigt dans l’œil. Elle devrait écrire des bouquins plus souvent.

    z24891blasters.jpg

             Parmi ses recommandations, on trouve aussi les mighty Electric Eels de Cleveland, l’archétype du groupe proto-punk. Vient de paraître un double album compilatoire, Spin Age Blasters. Tu peux y aller les yeux fermés, même s’il coûte un billet. Au dos de la pochette, tu vois les quatre Eels, et notamment Nick Knox, à la veille de son heure de gloire avec les Cramps. L’autre batteur des Eels n’est autre qu’Anton Fier, qu’on va retrouver sur un seul cut, «Spinach Blasters» et qui ira ensuite battre le beurre sur le premier album des Feelies. Les cuts rassemblés sur Spin Age Blasters datent de 1975, donc ils sont très en avance sur leur époque. C’est en tous les cas ce que révèle le «Splittery Splat» d’ouverture de balda : wild proto-demolition. Mais ils sonnent aussi très punk anglais. On se demande même parfois si les Buzzcocks n’ont pas écouté le premier single des Eels paru chez Rough Trade, mais après vérification, il apparaît qu’«Agitated/Cyclotron» est paru après Spiral Scratch, donc pas de problème. Pourtant la parenté est troublante. «Agitated» et «Cyclotron» sonnent exactement comme les cuts des early Buzzcocks. Pur ‘Chester punk ! Exactement la même énergie. D’autres influences flagrantes : celle des Dolls dans «Refregirator», et des Stooges dans «Cold Meat». Ils attaquent «Jaguar Ride» à la Johansen. On se croirait sur «Jet Boy». Et sur «Zoot Zoot», McMahon passe un solo d’accoutumance discursive totalement révolutionnaire. En C, tu vas tomber sur un cut atroce, «Silver Daggers», gratté à la cisaille et chanté sans pitié. En D, ils tapent une cover proto-punk du «Dead Man’s Curve» de Jan & Dean, mais en sonnant comme des punks anglais. Encore un shoot buzzcocky avec «Accident» et t’as à la suite cet «Anxiety» atrocement concassé dans l’idée et dans le son des grattes de Morton et de McMahon. Franchement, t’en reviens pas de tomber sur un groupe aussi en avance sur son époque. 

    z24890eyeball.jpg

             The Eyeball Of Hell fait un peu double emploi, mais cette fois tu l’écoutes au casque et t’en prends plein la vue, dès l’ohhh I’m so agitated d’«Agitated», suivi du Buzzcocky «Cyclotron».  Tu croises plus loin l’explosif «You’re So Full Of Shit», protozozo comme pas deux, avec McMahon qui chante comme un voyou. Tu retrouves aussi l’«Anxiety», McMahon chante mal, mais c’est ce qui le rend révolutionnaire. McMahon joue encore comme un atroce démon incisif sur «Silver Daggers» et le «Zoot Zoot» éclate de modernité. Cleveland était alors un vrai jackpot. Retour au simili-Buzzcocks d’«Accident» et «Refrigirator» sonne tout simplement comme l’enfer sur la terre. Avec «Bunnies», ils sont mille fois plus modernes que Pere Ubu. McMahon joue de la clarinette et injecte un shoot de free dans la scie du punk. «Spinach Blasters» vire jazz. Bifarx me sir ? «It’s Artistic» : même power underground que les Swell Maps. John Morton se dit fan de Dada-euro-trash. Les Eels étaient beaucoup trop en avance sur leur époque. Ils se sont brûlé les ailes.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Electric Eels. The Eyeball Of Hell. Scat Records 2001

    Electric Eels. Spin Age Blasters. Scat Records 2023

    The Flies. Complete Collection 1965-1968. Acme 2000

    The Flies. Get Wise. Homestead Records 1984

    Cathal Coughlan. Song Of Co-Aklan. Dimple Discs 2021

     

     

    *

    J’ai vu la couve, elle m’a plu, par son côté outrancièrement kitch, j’ai tout de suite eu envie que l’on me lise une histoire, personne ne s’est proposé alors c’est moi qui m’y colle, je vous avertis vous risquez d’avoir peur.

    STORYTELLER

    BLACKSTAFF

    (Numérique / Bandcamp / Sept 2024)

             Black, ok vous voyez le style, ce n’est pas la bibliothèque rose, pour le staff, à boire et à manger, le personnel est un peu maigre. Se réduit à une seule personne. Ou à toute une colonie. C’est selon. Expliquons-nous, il y a de plus en plus de gars, post-metal, post-stonner, post-death, post-tout-ce-que-vous-voulez qui concoctent tout seul, dans leur coin, leur petit opus. En règle générale je ne chronique point trop ce genre de solitaires, sont à mon goût davantage ‘’genre’’ que solitaire, en gros ce n’est pas souvent original et pas très particulier. Bref Blackstaff se résume à un unique individu : Dustin Cleary. Oui mais sur son bandcamp il vous colle en toute honnêteté une liste longue comme un jour sans pain, tous les individus qu’il a rencontrés et qui l’ont inspiré, encouragé, filé un coup de main, aidé à monter son projet. D’où le terme de colonie.

             Vient de Seattle, l’a l’air d’y avoir dans cette ville une bande de groupes un peu frappés de la cafetière, ce qui n’est pas pour me déplaire. Dustin a déjà sorti deux EP et trois titres cet été qui se retrouvent sur son album.

    z24858couveblackstaff.jpg

             La couverture est d’Adam Burke un tour sur son instagram (night jarillustration) s’impose, l’ensemble est superbe, les esprits délicats risquent d’en ressortir effrayés, entre macabre, imaginaire médiéval et fantastique… Longue table de bois, le maître de noir vêtu, de loin il ressemble à un étron, est assis à la place du roi ou de Dieu, choisissez votre option. Devant lui est posé le grimoire sacré, le public l’écoute lire une histoire. L’assistance n’est pas au mieux de sa forme, des squelettes avachis, se tiennent droit sur leur chaise mais l’on sent que dès le lecteur aura tourné le dos, ils se laisseront – dans la série tu retourneras à la poussière - tombés par terre, soyons compréhensifs, ils sont fatigués de vivre. Le plus proche de nous nous jette un regard angoissé, nous pose la question existentielle essentielle, la mort ne finira donc jamais… Au fond de l’image l’espèce de vortex calamiteux n’incite pas à la joie. Pas plus que les arbres dépenaillés qui tendent leurs bras comme un appel au secours sans espoir.

    Seidr : en gallois ce mot signifie cidre : bruits indistincts, puis une note noire qui semble vouloir s’étendre jusqu’à la fin des temps, redondante elle rebondit pour se perpétuer, ambiance lugubre, vous avez envie de refermer le livre mais coup de théâtre de sombres effluves s’en échappent, vous êtes prisonnier, comme une bolée de cidre empoisonnée que rien ne vous empêchera de boire en une longue lampée interdite, vous point l’envie de lire l’histoire interdite.

    z24859cloack.jpg

    Cloack of stars : nous illustrons ce morceau avec la couverture du deux titres Seidr+Cloack of stars qui doit être de Maxime Taccardi (voir plus loin). Cloack ne signifie pas cloaque (tellement death metal !), question guitare ça ne baisse pas d’un cran, noir, son épais violent plus la batterie qui claque de tous les côtés, oui mais il y a en summum, une voix sludge à vous arracher les ongles des pieds, Dustin était destiné à devenir clameur, il vaudrait mieux qu’il ne clame pas trop haut because les lyrics sont inquiétants, tout ce qui est beau, grand et grandiose, peut de par la primauté qu’on lui accorde et devenir comme un Dieu et vous asservir comme du bétail. Une histoire un peu triste quand on y pense, l’on comprend mieux la tonalité écrasante de cette musique qui ne vous laisse aucune espérance. Procession of ghouls : ne fantasmez pas, dans les nouvelles fantastiques, les goules sont généralement de belles et énigmatiques jolies filles ou femmes qui se donnent à vous sans chichiter, au matin vous vous apercevez que ce ne sont que d’infâmes créatures diaboliques qui ont abusé des désirs du héros, ici aussi mais c’est présenté sous son aspect métaphysique, le côté érotique de ces nuits torrides n’est pas évoqué, vous avez l’implacabilité phonique du son qui vous avertit que l’instant est grave, et puis le chant, une espèce de sludge asthmatique, qui vous enfonce les clous de la peur dans la moindre fibre de votre chair tétanisée d’horreur, c’est la mort qui avance vers vous et vous pénètre lentement pour vous faire souffrir encore davantage, pour que vous compreniez que la vie n’est pas un chemin qui conduit à la mort, au contraire c’est la mort qui est un chemin qui s’achève dans votre vie, la batterie sonne votre déroute mentale, maintenant vous savez, cela ne vous rend pas heureux, car au moment où vous savez vous êtes mort.

    z24860swarm.jpg

    Swarm : le morceau précédent vous donnait l’épure, l’abstraction schématique, avec celui-ci nous rentrons dans les détails. Enfin ce sont les détails qui entrent vous, des millions d’insectes, vous les entendez voler en groupe, l’essaim vous a repéré et fonce sur vous, c’est horrible, c’est terrible, Dustin grogne comme le goret que l’on allonge dans l’auge pour lui prendre la vie, silence l’on murmure à votre chair, l’on vous apprend que votre lymphe est le miel du fruit mûr et elles les abeilles qui se posent sur vous plantent leurs dards pour s’enivrer de la substantifique moelle de votre sang, si vous comptiez que l’on vous expliquerait tout ce qu’il vous arrive avec la subtile musique des sphères, erreur fractale, non l’on vous fait comprendre à grosses pelletées de doom, elles vous assènent sans pitié et sans faillir des vérités mortuaires comme des implants nécrologiques que l’on vous enfonce à coups redoublés dans votre tête.  Maxime Taccardi est un saigneur de l’illustration death Metal, nous lui consacrerons une chronique à part entière, celle-ci semble s’inscrire par ses arabesques rouges dans ses œuvres réalisées avec son propre sang, la légende, grande raconteuse d’histoires affirme que certains se disputent ses originaux pour les lécher,  cette mort qui s’avance vers vous auréolée de ses spirales sanglantes, le lecteur sera sidéré tant elle épouse parfaitement les lyrics… Worm : une ode démantibulante au ver vainqueur, vocal visqueux, batterie-pioche et riffage foreur, il est en vous, il vous désosse, il emporte en lui-même tout ce dont vous n’avez plus besoin, je ne suis que cadavre, le background comme une pelleteuse sur une fosse commune, fin de charnier, le ver a éteint ma lumière, j’en étais fier, elle irriguait le monde, subsiste toutefois cette absence de moi que le ver glouton emporte en rampant dans son ventre. Spider : vous croyez que l’histoire s’est terminée, non il reste des addendas philosophiques, entrée majestueuse, batterie hachoir, guitare suaires de plomb, une dernière moquerie, les hommes vivants aiment la mort, le mal court parmi eux comme une araignée malfaisante, ils ne la voient pas, ils se prennent pour des héros que la gloire rendra immortels, les guerriers galopent, ils se lancent les uns sur les autres, l’aragne mortelle emporte leurs corps morts dans ses cavernes ombreuses, elle suce leur sang, ils survivent un certain temps empreint d’une glaçante léthargie létale, bientôt vidés de leur substance molle, ils ne sont plus que des trophées soyeux entassés sur la toile de la mort. C’était une petite leçon de nihilisme de ma mère la tarentule aux tulles tubéreux. Thrill of the hunt : bonus track, même la mort qui vous court après peut être sympa, issu de la session 23 de l’enregistrement de leur deuxième EP trois titres Godless : musicalement ne dépare en rien des titres précédents si ce n’est peut-être la guitare qui klaxonne comme une voiture derrière vous qui demande que vous passiez au vert, le vocal aussi davantage articulé, sinon encore une histoire impie, impitoyable, la mort court après vous, vous êtes le gibier, vous ne échapperiez pas même si vous vous terrez au fond de votre lit en espérant lui échapper.

             Agréablement surpris, se débrouille bien tout seul notre Dustin Cleary. Porte pourtant un patronyme qui ne lui convient pas. Pas clair du tout, sombre, très sombre.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Comment faire beaucoup avec peu ? La recette nous est proposée par Seb le Bison et Tony Marlow. La gageure semble impossible : comment réaliser une vidéo sur un voyage en avion vers les cieux cléments d’une île méditerranéenne quand, c’est-là où le problème se corse, on n’a pas prévu un avion dans le casting ?

    LE GRAND VOYAGE

    TONY  MARLOW

    (Official Video / Bullit Records / Juin 2024)

    Oui ils ont un avion, on ne voit que lui, un superbe bimoteur à hélices, le genre de coucou que l’on a commencé à mettre au rebut dans les années cinquante. Non je ne suis pas un menteur. C’est vrai qu’il est sur l’image dès la deuxième seconde du clip, en surimpression graphique. Puis il disparaît. Le bruit du moteur s’estompe avantageusement remplacé par la guitare de Tony Marlow. D’ailleurs le voici le Marlou, marche à pied, comme tout le monde, heureusement qu’il porte son étui à guitare, sinon de loin on ne le reconnaîtrait pas, il arpente, silhouette grise dans un beau paysage, attention la vidéo n’est pas en couleur, on est surpris : pour un extrait de l’album Cryptogenèse, l’on s’attend à une phénixiale explosion de mille feux multicolores genre poster à la Jimmy Hendrix, mais non c’est tourné en noir et blanc, vu la beauté de l’image l’on a envie de dire en argentique.

    z24866marlowwmarche.jpg

    Petit moment de réflexion nationaliste : c’est un beau pays la France, je ne parle pas des petites villes sinistrées par le chômage ni de ces grandes agglomérations défigurées par des constructions à bon marché mais de ses paysages. De cette campagne façonnée durant deux millénaires par la main de l’homme, de cette osmose réussie entre nature et ouvrages d’arts. Ici pas de fières structures édifiées en pierres de taille, juste  un pont étroit jeté sur  un canal bordé d’arbres, ou une modeste rivière aux eaux paresseuses quasiment immobiles, que longe Tony sur un simple chemin de terre, le voici maintenant en pleine campagne sur cette longue voie vicinale déserte.

    Depuis son avion, ce sont les paroles qui l’affirment, il aperçoit des voitures minuscules, cette fois l’image est davantage surréaliste, objet insolite planté dans l’agreste décor un tabouret de bar solitaire, surgi de nulle part, hors-sol pourrait-on dire même si ses pieds reposent sur la terre, esseulé le trône à pastis semble attendre qu’un passant veuille bien faire cas de lui. Tony ne se refuse pas à l’appel de ce siège, si les objets inanimés ont une âme lamartinienne, peut-être se sent-elle cette chaise curule désertée comme un chien abandonné et éprouve-t-il l’intense ferveur nostalgiques des apéros de comptoir… Voici Tony, étui ouvert, guitare sur le giron, acoustique bien sûr, aucun pylône électrique dans les parages où se brancher, il gratte et il tourne sur lui-même, de fait c’est l’image qui tourbillonne, presque un miracle, la statue de Marlow semble mue dans un étrange tourbillon, dans le ciel tout là-haut, un éclair de soleil jaune salue ce miracle.

    Du coup l’on retrouve Tony en ville, il déambule sur une piste cyclable, voudrait-il, lui le rocker, lui le biker, nous faire accroire que c’est ainsi que l’on vit dangereusement, en tout cas la ville déserte s’anime, Marlow marche prudemment comme sur des œufs sur un large trottoir, mon dieu toi qui n’existes pas, que se passe-t-il, aurions-nous trop insisté lors de l’apéritif, le Marlou se dirige vers nous mais les voitures filent à reculons, Marlow sourit,  un rocker en perfecto, se porte à sa hauteur, hélas lui aussi est pris de cette bizarre dérive reculatoire et il disparaît dans les limbes de la pellicule, l’est aussitôt suivi d’un deuxième individu qui, encore un, est happé en arrière par cet étrange vortex inexplicable… tiens une jolie fille, va-t-elle être aussi accaparée par cet extraordinaire phénomène, non le pouvoir sensoriel de Marlow la garde à ses côtés, mais au plan suivant elle n’est plus là, les habitants de cette cité sont tout de même touchés par cette étrange maladie de la vache folle ou de la brebis galeuse, pour échapper à cette étrange épidémie contaminatoire l’on ferme les yeux et l’on en profite pour apprécier le long solo de guitare de la bande-son, tiens tout ( enfin presque) rentre dans l’ordre. En voici deux qui sont guéris, d’ailleurs ils s’enfilent dans la salvatrice porte  d’un café ils ont sûrement besoin d’un remontant, le Marlou les imite, l’a beaucoup arpenté, l’a besoin de reprendre quelque force, surprise, couleurs, nous voici bien au chaud à l’intérieur de L’Armony, bar émérite de Montreuil cité rock, sont attablés autour d’une table,

    z24857armony.jpg

    tous les quatre, on les reconnaît, Amine Leroy gratouille sa big mama, Jacques Chard caresse sa caisse claire, Tony est plus intéressé par le poster géant de Marilyn que par sa guitare, ils ne font même pas semblant de jouer en playback, mais l’on s’en moque, on se repose de notre grand voyage en contemplant la dégaine incomparable d’Alicia Fiorucci que comme par hasard Seb le Bison, le producteur avisé, a placée au premier plan.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Les mésoPOPtamiens disaient qu’il suffisait de traverser l’EuphKRAFTe pour être heureux, si l’on en croit Xénophon qui en des temps antiques mena l’épopée des Dix Mille en ces lieux hostiles, l’aventure peut s’avérer périlleuse, aussi vais-je vous mener dans une contrée plus douce à laquelle vous accèderez en quelques clics.

    POP POPKRAFT (FB)

    HISTOIRE DU ROCK GARAGE

    (Voir aussi Art Pop CreationFB)

    z24855salut les amis.png

             J’y suis tombé dessus par hasard, un pantin de bois qui s’agitait, j’ai failli ne pas m’arrêter, les gamins qui rêvent de Pinocchio, très peu pour moi, feraient mieux de relire le Timée de  Platon, oui mais il y avait un truc rond au fond de l’image qui tournait, toutefois dans mon cerveau élémentaire, la traduction s’est faite, un truc rond qui tourne, avec un peu de chance c’est un tourne-disque. Je ne m’étais pas trompé, j’ai aperçu l’icône du haut-parleur barrée, j’ai mis le son, mais ce n’est pas mauvais, ne serait-ce pas du rock, bingo, j’avais gagné ! Deuxième surprise en descendant légèrement le fil, le même ostrogoth dans son tricot gris glissait une rondelle vinylique sur son appareil, encore du rock, et du bon, cela méritait écoute et attention.

             Mea culpa, je ne l’ai pas fait exprès, je ne recommencerai pas si je mens que Belzebuth me butte et me catapulte en Enfers ! Je rassure tous les écologistes, non l’Opérateur, ou plutôt le rockpérateur, n’a pas bousillé un séquoia ou déraciné un baobab pour sa figurine qui doit faire cinq centimètres, elle n’est pas en bois, l’a confectionné avec de la pâte à papier et du carton. Ainsi que tout le décor, un salon avec fauteuils et canapés, les meubles et tous les petits détails qui vous rendent un lieu particulièrement agréable, les murs recouverts d’affiches de concerts, ou par exemple le cendrier, en plus dans certains épisodes il est rempli de cadavres alanguis de cigarettes, tristes et déplorables exemples d’incitation à la débauche, vous savez avec les amateurs de rock il faut s’attendre non pas à tout mais au pire, prions pour la santé mentale des mineurs qui visionneraient les épisodes.

             Car oui, nous sommes sur le FB d’un obsessionnel du rock’n’roll, à chaque jour ne suffit pas sa peine, quotidie, dixit Caesar, il rajoute un nouveau chapitre à cette saga. Le principe est simple, un groupe, un titre, quelques explications. Nous n’avons pas affaire à ces insupportables animateurs de radio qui parlent sur les titres, n’ouvre pas la bouche, s’exprime par bulles comme les poissons-rouges ou les bandes dessinées. Entre nous soit dit, cela doit lui prendre un temps fou et demander un esprit minutieux. Un aspect de La Pop Culture que j’ignorais qui aurait enchanté l’amie Patou qui aujourd’hui n’est plus là, doit se balader sur l’autre rive accompagnée de ses chats…

             Allez-y voir sans problème, attention c’est terriblement addictif, à ce jour d’aujourd’hui (9 septembre) il vient de poster sa soixante-huitième livraison, pour vous mettre l’eau à la bouche j’ai relevé l’intégralité, si je n’en ai pas oublié, des artistes passés en revue, je n’ai pas mis le titre précis, à vous d’aller le découvrir : Sonics, Saints, Ramones, Cynics,Richard Hell and the Voidvoid, Dream Syndicate, 13 Th Floor Elevator, Plan 9, Seeds, Joy Division, Thee The Sees, Hoodoo Gurus, Dogs, Mono Men, Fuzztones, Velvet Underground,  The Senders, Wilco, Doors, Love Screaming Trees, Eels, Link Wray,  The Nomads, DMZ, The Animals, Tom Petty, Bob Dylan, White Stripes, Tim Buckley, Willie Dixon, X, The Music Machine,  Roy Orbison, Ty Segall, The Chocolate Watchband, Johnny Kids and the Pirates, Ike & Tina Turner, Motör Head,  Beatles, Vince Taylor and his Play-Boys, Psistepinkko, Walkabouts, John Spencer Blues Explosion, Smashing Pumpkins, Them, Wire, Elvis Presley, Modern Lovers, Thugs, Screaming Trees, Nick Drake, Woven Hand, Echo and the Bunnymen, The real Kids, Small Faces, The Celibates Riffles, Buzzcocks, creation, The Litter, Creation, Television Eddie Cochran… ils ne sont pas dans l’ordre, il y en a un dans ma liste manuscrite que je n’ai pas réussi à relire !

             Originalement rock !

    Damie Chad.

    1. S.: pour ceux qui veulent tout savoir, vous avez de temps des tutos dans lesquels vous sont livrés les secrets de fabrication.

     

    *

             Au début de ce mois nous présentions le premier titre du nouvel EP de Two Runner, vient de paraître le second extrait qui donne son nom à l’opus.

    LATE DINNER

    TWO RUNNER

    (Official Music Video de Nick Futch / 13 - 09 – 2024)

    z24899videorunner.jpg

             Un jeu stupide : regarder une Music Video sans mettre le son. Rien de surprenant : une fille qui rentre à la nuit tombée, une qui l’attendait en lisant. Tout de suite Paige et Emilie sur le divan en train de jouer, par intermittences ensuite, car Paige prépare un repas, végétal et sans surprise, des espèces de tartines au fromage qui seront posées sur la table auprès d’assiettes remplies d’une sauce brunâtre, heureusement que l’on entrevoit un plat de ce qui doivent être des biscuits pour le dessert, je ne voudrais pas la ramener avec ma petite et prestigieuse science nationale culinaire de petit froggie mais ce repas vraisemblablement végétarien ne m’ouvre pas l’appétit, d’ailleurs si elles ont allumé des bougies elles restent chacune à leur tour prostrées devant  leur assiettes pensives sans toucher à la nourriture, l’on sent le dépit,  un petit mot d’amour est déchiré, brûlé, réduit en cendres, mais tout change elles sautent de joie et tout à leur entrain elles s’en vont danser sur le perron de la maison.

             Si vous n’êtes pas tout à fait crétinoïde vous avez compris la morale de cette histoire : un seul être vous manque et cela ne vous empêchera pas de faire la fête et de continuer à vivre.

             Nous sommes désormais prêts pour écouter la chanson :

    Paige Anderson : vocals, guitar, banjo, composition  / Emilie Rose : vocals, fiddle/ Ben Eaton : upright bass.

    z24853couve.jpg

    Ben Eaton, d’un bout à l’autre fournit le bruit de fond, il suit le rythme de si près comme le chien qui marche dans l’ombre du maître, il le fortifie lorsque la cadence s’accélère il devient alors tourbillon de feuilles mortes que le vent de l’automne emporte et laisse tomber inanimées sur le sol, Emilie ferme souvent les yeux, son violon tour à tour agonise et festonne la mélancolie des jours passés et à venir, tous identiques, qui se suivent et ne se ressemblent pas, la voix de Paige bouscule la donne, de l’écheveau de l’évidence des rêves et du vécu elle tisse un drame antique, elle métamorphose une comédie amère en fusion destinale, l’on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer, il existe une telle différence entre les routes de la réalité vivante et la voie du songe absolu que notre esprit n’arrête pas de poursuivre sans fin. Ne sommes-nous pas, les deux à la fois, Ulysse luttant contre les vents contraires et la longue patience de Pénélope tirant les fils des songes infinis. Tout cela Paige l’écrit avec des mots simples qui n’en finissent de créer de subtiles résonnances en l’âme des choses qui ne sont plus et de celles qui subsistent, en un autre plan ontologique.

    Vous reprendrez bien un morceau de gâteau, farine de tristesse, sucre des jours heureux et cerise à l’eau de mort…

    Superbe composition.

    kid congo,roxy music,john squire,honeycombs,luke haines,blackstaff,tony marlow,pop popkraft,two runner

     

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 594: KR'TNT 594 : DAVID CROSBY / ALEJANDRO ESCOVEDO / J. J. BARNES / THE HARLEM GOSPEL TRAVELERS / HUEY PIANO SMITH / TWO RUNNER / TELESTERION / MELVINS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 594

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 03 / 2023

     

    DAVID CROSBY / ALEJANDRO ESCOVEDO

    J.J. BARNES / THE HARLEM GOSPEL TRAVELERS

    HUEY PIANO SMITH / TWO RUNNER

    TELESTERION / MELVINS / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 594

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Crosbibi Fricotin - Part Three

     

    z20417davidcrosby.gif

             Pour être tout à fait franc, l’ultime album de Croz, Live At The Capitol Theatre, n’était pas arrivé au moment de la mise en ligne du Part Two. Comme l’album est bon, décision fut prise en comité restreint d’en faire un Part Three, histoire de refermer proprement le chapitre Croz.

    z20428disccrosby.jpg

             À la fois audio et DVD, l’album nous permet de voir et d’entendre David Crosby & The Lighthouse Band lors du dernier concert de leur tournée américaine, en 2018. Live At The Capitol Theatre n’est paru qu’après le dernier album studio de Croz, l’excellent For Free, dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser.

             C’est une bonne chose que de voir ce vieil homme sur scène, coiffé d’un bonnet en laine rouge et brioche en avant toute. Croz démontre à sa façon qu’on peut se pointer sur scène à presque 80 balais, c’est-à-dire vieux et moche, tout en conservant une certaine allure, qu’on qualifiera pour simplifier d’allure de vieux cowboy psychédélique. Le plus troublant est le niveau artistique de sa prestation. Croz est incapable de vendre son cul, il est resté pur toute sa vie et ce n’est pas au seuil de ses 80 ans qu’il va se mettre à putasser. On constate en plus qu’il entretient avec son public un lien privilégié. Croz est un grand communiquant, il raconte des souvenirs et des anecdotes entre chaque cut, comme il l’a toujours fait, ce qu’on lui reprochait d’ailleurs à l’époque des Byrds. Trop de blah blah, pas assez de musique. Mais bon, il s’agit de David Crosby after all, il peut tout se permettre, et les gens l’écoutent.

             Soit tu commences par l’audio, soit par le DVD. La solution de facilité serait de commencer par le DVD. Mais si tu commences par l’audio, tu vas pouvoir savourer le grand art de cet homme qui a fait du grand art toute sa vie. Il n’en finit plus de te ramener aux réalités de son prestige. Il colle le groove de «Things We Do For Love» au plafond. Tu es conquis d’avance. Quand tu découvres «Things We Do For Love» sur le DVD, tu vois qu’on donne une acou à Croz. Alors, il gratte des arpèges en picking sans jamais regarder son manche, il gratte sa gratte comme le fantastique cowboy psychédélique qu’il a toujours été. La grande différence entre l’audio et le DVD, c’est que les transitions orales sont coupées sur l’audio, par contre, elles sont intactes sur le DVD : c’est le surdoué du Lightouse Band, Michael League, qui explique qu’en 1974, Croz est entré en studio pour gratter quelques accords et puis il est reparti sans s’occuper des bandes. Pouf, terminé. League explique qu’il a retrouvé cet enregistrement sur l’ordi de Croz. You should finish it ! dit League à Croz, and a song was born : «1974». Ça jazze dans le groove. Croz introduit ensuite «Vagrants Of Venice», a weird song. Il parle même d’une science-fiction song, et il ajoute : «‘Wooden Ships’ is a science-fiction song.» Dommage qu’il ne tape pas son vieux «Wooden Ships». C’est la surdouée de servie, Becca Stevens, qui l’accompagne à la gratte électrique. Les chœurs des deux filles sont très nubiles. La nubilité, on la sent mieux sur l’audio. Plus loin, Croz indique qu’il a écrit «Laughing» spécialement pour George. Il explique qu’en tournée en Angleterre avec les Byrds, il a rencontré les Beatles et a filé à George l’album de Ravi Shankar qu’il trimballait dans sa valise. Croz prend son «Laughing» au filet de voix argentée. C’est bon de voir cette vieille superstar au sommet du lard jusqu’à la fin. Il cite Ravi Shankar, Miles and Trane. Bon, tu bâilles un peu sur certaines chansons («By The Light Of Common Day», Glory», «The City»), et puis il remonte dans ton estime avec «Look In Their Eyes», il fond le groove dans sa science délicate, on croit comprendre à un moment que tout le groove psychédélique californien sort de cette bedaine, ça joue au fin du fin. Il décide de passer aux choses sérieuses : «I promised a song you’ve heard before. «Wolly Bully» ? «In A Gadda Da Vida» ? «Freebird» ?». Alors ils sort son vieux «Guinnevere». Pas le meilleur choix. Il faut attendre le retour de «Déjà Vu» pour renouer enfin avec les magies d’antan, il y va au don’t you, il faut le voir driver son train d’arpèges, le cut se met à léviter, we have all been here before, et grâce au DVD, tu peux voir Michael League jouer un solo de basse demented. En rappel, Croz et ses amis tapent une belle resucée de «Woodstock», histoire de bien boucler la boucle et de refermer le chapitre de cette vielle histoire. Le frisson woodstockien laisse place à un profond malaise : ta vie est bientôt finie. This is the end, beautiful friend. 

    z20429cpr.jpg

             Tant qu’on y est, on peut aussi saluer les deux albums de CPR, que Croz a enregistrés avec son fils biologique James Raymond. C’est important de préciser la dimension biologique, car Croz a donné son sperme à droite et à gauche, et donc, il a des fils biologiques. En réalité, quand James est né, sa mère l’a fait adopter. Le premier album de CPR s’appelle CPR. Fantastique album ! Tiens, pour changer, on va commencer par les coups de génie. Tu en as deux et ils sont gros : «Somebody Else’s Town» et «Rusty & Blue». Croz tape un vieux heavy groove de rockalama - Blood is thicker than water - Il a raison. Il monte sur de fantastiques harmonies vocales, il explose l’Everybody else’s town et t’embarque dans son trip préféré, le heavy groove psychédélique, Croz sait de quoi il parle, il est aussi rock’n’roll animal que son vieux copain Stills, il nous fait du power californian rock à l’état le plus pur, c’est magnifique et puissant à la fois, tu ne te lasses pas de l’entendre pousser ses pointes d’Everyboy else’s town, il culmine à l’écarlate, tell the truth I found out ! Pur genius ! Il groove encore son «Rusty & Blue» au long du bat-flanc, il cueille toujours le groove à la queue de cerise, il est fin comme une idée, il transforme sa voix en fil d’argent, en fait, il groove pour toi, alors régale-toi. Croz est un mec gentil et affable. Dans «Morrison», il recrée la magie de harmonies vocales de CS&N, c’est un retour aux sources d’eaux vives, une fantastique imparabilité du come-back. Jeff Pewar signe le solo liquide. Sur cet album béni des dieux, Croz enfile les grooves comme des perles. «That House» se fond dans l’excellence du roof outside, il a fait ça toute sa vie, se fondre dans le groove du roof outside de l’anymore. Il mène bien la sarabande d’«One For Every Moment», un groove joyeux de Père Noël aux joues bien rondes. Puis il s’en va chanter «At The Edge» au sommet de son chat perché harmonique, une vraie chocolaterie de Charlie, ça coule encore de source, and you know you should go. Et partout on retrouve ce sens inné de la dérive dans le delta du Mékong. Croz fond son groove dans l’athanor d’Eleonor, il ne fait que des albums d’inspiration divine. Tu sors de CPR ravi et couvert de frissons.

    z20430gravity.jpg

             Il existe un deuxième CPR, Just Like Gravity qui, d’une certaine façon, tient bien la route, puisque Croz y chante ses cuts, notamment «Map To Buried Treasure», où on retrouve l’excellence de sa pulsation d’heavy pusher. Il vise en permanence ce nuage d’harmonies vocales qui frise l’orgasme, une espèce de bruine de son dans le soleil levant, l’éjaculation des dieux, la renaissance de la terre. Il pousse bien à la roue. Encore du big heavy groove avec «Gone Forever». Au cœur de la tempête, il fait preuve d’une belle constance. C’est un long cut, il a l’habitude des dérives au long cours, il sait gérer le gone forever. Il est encore à la manœuvre dans «Jerusalem», il se montre une fois de plus serviable et veille à ce que sa démarche reste miraculeuse. Il sonne comme un héros. Et ça continue avec «Kings Get Broken», il chante d’une voix toujours aussi verte, il rentre dans le lard de n’importe quel cut et en fait son ivraie. Il navigue toujours sous le vent. Il est là et il n’est plus là. C’est un furibard, un fou de liberté. Il vise la concorde supérieure. Il cultive le groove d’exaltation, il faut le voir éclater son «Darkness», avec sa petite voix de perfide apology, il n’en finit plus d’être Croz. On l’entend encore faire vibrer sa glotte de vieux pépère ventripotent dans «Angel Dream». Les harmonies vocales sont sublimes. Il groove encore l’air chaud du canyon dans «Coyote King», Croz s’envole comme l’aigle royal de Blueberry. Il plane dans les derniers recours du groove, comme suspendu à un fil.

             Mojo et Uncut se sont fendus de deux très beaux hommages à Croz, sans pourtant aller jusqu’à lui consacrer la couve. Dommage, Croz aurait tout de même bien mérité de finir en couve. Mojo et Uncut lui ont préféré Led Zep et Depeche Mode. Fuck it.

    z20432mojo.jpg

             Bon, Mojo opte pour la réécoute : ‘The Croz’s 20 greatest songs’, et bien sûr, on croise aussitôt les quatre cuts phares de Croz au temps des Byrds, à commencer par «I See You» (a flesh of Coltrane-inspired guitar riffing). Le mec dit de Croz qu’il était déjà «adventurous, deliberately risk-taking and open.» Le mec conclut : «So very good, even now.» Eh oui. S’ensuit «Everybody’s Been Burned», sur Younger Than Yesterday, «mesmerising, as much jazz as folk», puis «Lady Friend», et «Draft Morning» qualifié par Johnny Rogan d’«among the finest songs in the Byrds cannon». Puis on passe aux hits majeurs, «Wooden Ships» (composé à bord du Mayan «with a couple of passing chords»), et «Long Time Gone». Arrive ensuite l’extraordinaire «Cowboy Movie», Croz y est accompagné par le Grateful Dead. Puis CPR, et enfin For Free, son dernier album - Croz had an effortless ability to float along and complement whoever he was signing with - Sarah Jarosz qui duette avec Croz sur «For Free» ajoute : «Il vous attirait à lui, comme un phare musical.» S’ensuit une interview datant de 2018. Croz papote avec Dave DiMartino. Il y évoque ses souvenirs d’égotisme, comme dirait Stendhal, au temps des Byrds, il évoque les frictions avec McGuinn et Hillman qui ont fini par le virer comme un chien - I was a very egostical kid - Pareil dans CSN&Y : au début c’est tout joli tout beau et puis ça dégénère. Comment éviter ça ? Lose your ego. Il dit que ça arrive à tous les groupes. Croz pense qu’il a irrité les autres en devenant junkie. Mais il rappelle aussi que Neil Young a quitté Stills en pleine tournée, à trois reprises. C’est pas terrible - That’s pretty grim. You don’t do that - Quand DiMartino évoque les arrestations et les séjours au ballon, Croz rigole - I made every mistake possible, all of it - Il est allé jusqu’au bout du délire - Freebaser and junkie. It was bad as it gets - Il dit qu’il n’existe que quatre options dans ces cas-là : soit tu meurs, soit tu vas au placard, soit tu deviens fou, soit tu décroches. Il dit qu’il a eu de la chance en allant au placard. Jail was positive. Alors DiMartino lui demande s’il en a bavé, au placard. Et tu sais ce que Croz lui répond ? «It’s not a vacation spot, man. They mean it be hard. And they’re assholes. And it was Texas.»

    z20431uncut.jpg

             Uncut confond Croz avec un jambon et découpe sa vie en quatre grosses tranches. Ça démarre avec ‘1964-67, lift-off’, c’est-à-dire les Byrds. Croz revient sur son éviction des Byrds : «Roger and Chris blasted up my driveway in a pair of Porsches and said, ‘We’ll do better without you.’»  C’est au moment de la parution de The Notorious Byrd Brothers. Les quatre chansons de Croz restent sur l’album, mais sur la pochette, sa tête est remplacée par celle d’un cheval. Croz pense qu’il a été viré à cause de son comportement - I might have been an asshole - Il dit aussi que Roger était as crazy as a fruit bat et qu’en plus, Columbia venait de leur filer a million bucks, et pouf, le taking drugs et tout le saint-frusquin, rien de tel pour semer le bordel dans un groupe. Mais le plus important pour Croz était de conserver sa liberté - I didn’t want to be showbizzy Hollywood, I wanted to be free - Et puis il y a son engagement politique. Croz rappelle avoir tout appris de Pete Seeger, de Woody Guthrie, de Joan Baez, de Josh White et d’Odetta. S’il a si bien surmonté son éviction des Byrds, c’est surtout parce qu’il venait de rencontrer Stephen Stills, et là mon gars, c’est plus pareil - Stills was a better writer and a much better player and singer than Roger, and he wanted to sing with me - Évidemment, Croz rêve de se joindre à lui, il n’aime pas la direction que prennent les Byrds, plus country, non, Croz veut aller dans le sens de Stills. Deuxième tranche : ‘1968-71, canyon dreams’. La communauté s’établit à Laurel Canyon, Stills, Croz et Nash répètent dans la cuisine de Joni Mitchell. Ils avancent à contre-courant, l’époque est aux grosses guitares, Led Zep, Jimi Hendrix. Croz et ses amis basent tout sur les harmonies vocales, avec des chansons très politiques. Croz se dit aussi très fier d’If I Could Only Remember My Name - Totally proud of it  - Croz dit aussi que Joni Mitchell, dont il a produit le premier album, était une poétesse aussi brillante que Dylan et bien meilleure musicienne que lui. Et puis voilà les deux dernières tranches, ‘1974-2013, living with war’ et ‘2014-2023, home free’, où l’on apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà. Croz rappelle qu’ils gagnaient des millions de dollars et qu’ils tournaient dans tous les stades d’Amérique - Of course the drugs got in the way. That’s what they do - Dans la tranche finale, Croz explique un truc essentiel : le travail en collaboration. Il cite l’exemple de «Wooden Ships», co-écrit avec Stills et Paul Kantner - You can write really good songs with other people - Il dit ensuite que la plupart de ses compatriotes «in this business want all the credit and all of the money, and so they don’t do that. I didn’t come for the money and I don’t care about the credit, but I really care about the songs.» Voilà pourquoi Croz est un immense artiste. Jusqu’à la fin, il a su s’entourer de bons auteurs.

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    David Crosby & The Lighthouse Band. Live At The Capitol Theatre. BMG 2022

    CPR. CPR. Samson Music 1998     

    CPR. Just Like Gravity. Gold Circle Records 2001

    Graeme Thomson : Music is Love. Uncut # 311 - April 2023

    Final Flyte. Mojo # 353 - April 2023

     

     

    Escovedo va bien ?

     

    z20418acocevedo.gif

             Alejandro Escovedo ? Tout dépend du regard qu’on porte sur lui : on peut le voir comme une légende, ou bien comme un forçat condamné aux ténèbres de l’underground. Il est d’une certaine façon un mélange des deux. Son frère Javier est peut-être plus connu, en tant que guitariste des Zeros. Côté bio, tous les détails sont sur wiki. L’essentiel est de savoir qu’Escovedo est un Chicano texan et qu’il a bossé avec Chuck Prophet et participé à un tribute à Doug Sahm, ce qui permet de le situer géographiquement. Pour apprendre à mieux le connaître, il suffit d’entrer dans sa discographie. Une sorte de petit paradis pour becs fins. 

    z20433gravity.jpg

             Alejandro le Grand sort son premier album solo en 1992, ce qui à l’échelle de l’histoire de la planète est assez récent. Alors faut-il écouter Gravity ? Oui car notre chicano préféré y pique deux petites crises de Stonesy, comme s’il voulait marquer son territoire. Il joue «One More Time» au big blast d’accords compromettants. Il est le seul boss à bord, il chante comme le capitaine Achab, l’œil sur les flots, il se conduit dans son cut comme un maître de céans absolutiste. Il sort un rock capable d’aplatir les vagues de dix mètres, et c’est rien de le dire. Il relance à coups d’hey, il se veut puisant et irrémédiable. Il nous claque plus loin «Oxford» à la bonne Stonesy de derrière les fagots de Redlands, avec un joli down at the crossroads bien assumé. Alejandro le Grand sait créer les chaudes ambiances confraternelles, c’mon hold me tight. Il chante toujours très haut, comme on le constate à l’écoute de «Paradise», un peu aux abois d’on ne sait quoi. Il adore le tragique de pathos. «Paradise» est très beau, mais bon. Il semble vouloir se spécialiser dans le soft balladif de la frontière. Cette façon de gérer la mélancolie est très Tex-Mex. On aura un petit coup de cœur pour «Burry Me», joué au boogie de nappes de plomb. Des trompettes à la Miles Davis entrent  dans le jeu, ça donne une musicalité assez phosphorescente. Mais attention, il peut flirter avec le rock MTV comme c’est le cas avec «Pyramid Of Tears», même si les guitares croquent la vie à belles dents. Le morceau titre nous rappelle qu’il ne faut pas prendre ce mec à la légère. Il impose un son et une vraie dimension artistique. Il boucle avec un «Tired Skin» joué au violoncelle de fin de vie. Alejandro aurait pu s’appeler Merlin Ecovedo. 

    z20434thirteen.jpg

             Il nous repique deux crises de Stonesy sur Thirteen Years paru l’année suivante. Il claque violemment «Losing Your Touch», à la manière d’un coupe-jarret du Nevada. Quelle niaque ! C’est d’autant plus inattendu qu’il joue sa Stonesy dans les règles de l’art, il la drive avec un aplomb qui en dit long sur sa teneur en plomb. On a même droit au solo de «Jumping Jack Flash». Il nous tatapoume aussi «Mountain Of Mud», cette admirable déboulade d’Escovedorama, ce mec sait rocker sa Stonesy, il nous sort le meilleur riffing keefien qu’on ait vu de ce côté-ci de la frontière. On entre chez Alejandro Escovedo en terre de musicalité, comme chez Steve Wynn. Il sait aussi trousser les meilleurs balladifs. En témoigne l’excellent «Ballad Of The Sun & The Moon», un cut des True Believers, le groupe qu’il a monté avec son frère Javier. On trouve là-dedans tout le poids du ramalama de la frontière. Alejandro le Grand sait driver the crazy Mexicana. Il revient inexorablement à sa romantica d’excellence violonnée. Il rivalise d’aisance mélodique avec Allen Toussaint et Dan Penn. Il nous gratte plus loin «Way It Goes» à l’arpège d’ongle sec, au coin du feu. Il crée de la confiance et couvre les épaules des veuves et des orphelins. Il est une sorte de Josey Wales de la frontière. Il sait cumuler les fonctions et passer de la Stoney infernale au balladif efflanqué. On se régale aussi du «Thirteen Years Theme» joué au violoncelle. Très pertinent. On le retrouve d’ailleurs sur le disque de bonus sous la forme d’un thème instro joué au violon et qui élève Alejandro le Grand au rang de grand sachem. Encore une merveille avec «She Towers Above». Ce diable d’Alejandro surplombe le monde du rock avec une grâce qui n’appartient qu’à lui, ça violonne à l’excellence escovedienne, il va chercher le meilleur accord entre l’art et la matière. Alejandro Escovedo est une sorte de seigneur éclairé des temps modernes, ça crève les yeux. Il embarque «The End» à l’aventure sacrément dynamique. On peut lui faire confiance, il sait gérer un album. Il file droit sur l’horizon et ça bat si sec derrière lui. Dans le disk de bonus, on tombe sur deux reprises, l’«I Wish I Was Your Mother» de Mott et le «Pale Blue Eyes» du Velvet. On ne voit pas bien l’intérêt des deux covers, et le Pale Blue Eyes est d’autant plus foireux qu’une fille chante avec Alejandro, alors ça fausse la perspective de ce vieux chef-d’œuvre. 

    z20435thesehands.jpg

             C’est avec With These Hands qu’on fait la connaissance du beat d’Austin, notamment avec le morceau titre, qui sonne comme du 13th Floor Elevators : on entend l’electric jug derrière - Say what you will/ With these hands - C’est le plus bel hommage qu’on puisse rendre au génie de Roky Erickson. Avec «Little Bottles», Alejandro le Grand revisite les caves du heavy rock américain. Il tape là dans le big bad sound avec un riff patibulaire. Il sait se montrer méchant et sortir un son de balafré. Ce cut devrait rester dans les annales. «Put You Down» sonne comme un petit coup de rock atmosphérique - You know I just can’t put you down - Ça reste du beau rock d’allure impartiale et ça ne peut que plaire au petit peuple. Alejandro la Grand sait remporter les suffrages. On note une certaine puissance d’émancipation dans «Crooked Frame». Il ramène toujours beaucoup de son dans ses cuts, comme s’il craignait d’en manquer - I could smile the first time about thinking of you - C’est assez élégant. Il a aussi cette façon exceptionnelle de poser son don’t expect too much dans «Pissed Off 2AM». Il joue en fin renard du désert. À l’usage, les dynamiques de ses balladifs se révèlent infernales.

    z20436moremiles.jpg

             Sur ce bel album live qu’est More Miles Than Money, Alejandro Escovedo renoue avec trois de ses principales influences : Dylan, les Stooges et les Stones. Dès «Last To Know», il se prend pour Dylan. Il tape dans la Stonesy avec une belle cover de «Sway». Ce n’est pas le son des Stones, Escovedo va plus sur le soft et ça devient très fascinant, d’autant qu’il passe un solo demento à gogo. L’autre reprise de choc est celle du «Wanna Be Your Dog» de Stooges. Il en fait sept minutes. Il a une bonne équipe derrière lui. Il chante à la chicano, la gueule dans le sac, avec des retours malsains. C’est long, mais ça passe. Il ramène un violon dans le dog et foire un peu la fin, dommage. Le violon est pourtant une composante essentielle de son son, comme on le constate à l’écoute de «Pissed Off 2 AM» - Sometimes I come home/ I don’t expect too much - C’est compliqué la vie - Why don’t you speak - Ça va mal dans la cambuse du docteur Mabuse. Le violon coule un bronze dans la marmite. Escovedo adore les climats mélodramatiques. On le voit revenir inlassablement au modèle heavy balladif soutenu au violoncelle. Ça génère parfois un ennui léger. Oh, rien de bien grave. Il joue «Broken Bottle» comme un vieux gratté de bar à la con, il chante son morning dew, just to find you’re gone. On retrouve la protubérance du violon dans «Five Hearts Breaking». C’est joué d’avance. Peu d’espoir. Son destin est écrit. Beau cérémonial. «Gravity/ Falling Down Again/ Street Hassle» est enregistré en France. On se croirait au philharmonique de Batavia. Il chante comme un veux briscard. Ça joue à outrance. Il sait de quoi il parle. Il finit avec un hommage à Lou Reed assez explosif. Digne du Velvet.

    z20437boubotonis.jpg

             L’une des principales raisons pour lesquelles il faut écouter Alejandro Escovedo se trouve sur Bourbonitis Blues et s’appelle «Everybody Loves Me». Il tape ça au heavy riffing. N’oublions jamais que ce mec fut l’un des maîtres du heavy sound américain. Son Everybody est une abomination, un sur-bardé de son peu commun, il nous twiste ça à coups de revienzy, c’est l’Austin Sound, avec Joe Eddy Hines on guitar. C’est typiquement le rock qu’on aime, I don’t know why - Il récidive avec «Sacremento & Polk», et joue ça à la colère noire, Joe Eddy Hines au gouvernail, ça file ventre à terre. C’est une aubaine jouée à l’inflation violentée, embarquée au vent mauvais des prochaines évolutions. Ce mec Hines fout les jetons avec ses ambiances démoniaques. C’est tout simplement effrayant d’ampleur déflagratoire. Ça gratte all over the pampa, Hines joue partout en même temps, il claque du rock de loup errant, il tape des digonnades décaties et malsaines, ce mec joue à fond de train le beau rock d’Alejandro. Ils sortent aussi une version lourde du «Sex Beat» de Jeffrey Lee Pierce, mais c’est joué au cello. Ils osent. C’est la deuxième cover qu’ils foirent sur cet album, après celle de «Pale Blue Eyes». Dommage. C’est pourri, épais et vraiment pas bienvenu. Alejandro Escovedo trempe dans les grandes eaux mais il passe à côté de la moelle substantifique. Parmi les autres cuts intéressants, on peut citer «I Was Drunk», qui vaut pour un belle Americana soûlographique, avec un Joe Eddy Hines au picking de haut vol. Appelons ça de l’Americana de bon ton. Pour attaquer le boogie-rock de «California Blues», Alejandro Escovedo sort toute sa foi de pâté de foie, celle qui va si bien à Doug Sahm. On reste dans le so solid boogie-rock avec «Guilty». Ça frise la Stonesy, ça ultra-joue aux grosses guitares. Prestance indéniable. Alejandro Escovedo joue son rock à l’insistance parabolique. Comme s’il transformait tout en Americana. On appelle ça le souffle. Son «Amsterdam» n’est pas celui de Brel. Il fait le sien. Il l’ultra-chante. Mélancolique en diabolo. Il s’inquiète de savoir si Johnny did it well. Un violoncelle emporte le morceau comme en vent mauvais.

    z20438influence.jpg

             Très bel album que cet A Man Under The Influence sorti en 2001. On est conquis dès «Wave», fantastique balladif mélancolique - They wave North/ They wave South - Non seulement c’est joué au violoncelle, mais ça se met à vouloir décoller. On pourrait dire la même chose de ce «Don’t Need You» bien léché aux violons. Il répète qu’il n’a pas besoin d’elle, c’est stupéfiant de désespoir, sur fond d’ambiance de bal de campagne - I don’t like you/ You don’t need me - Il se rapproche aussi de Doug Sahm avec «Rosalie», power-pop violonnée à la romantica de la frontière. Ce rock respire au grand air et les phrasés de guitare éclatent au grand jour. Voilà du Tex-Mex à la fois superbe et élégant. Côté énormités, on est bien servi, à commencer par «Castanets». C’mon, ce diable sait rocker jusqu’à plus soif. C’mon ! Il renoue avec les influences des Dolls et des Stooges, ça gicle dans tous les coins. Il multiplie les claqués d’accords stoogy et ses clap-hands enivrent. On a aussi un «Velvet Guitar» claqué à la vieille niaque escovedienne et ça part au bon vent droit sur l’horizon. Il sait calmer le jeu pour aller exploser un peu plus loin. Il n’est pas avare de chorus incendiaires. Il fait aussi éclater de somptueux bouquets d’accords dans «Rhapsody». Sa pop peut rocker les contreforts, c’est très appuyé - If it’s my fault/ I’ll pay the cost - Il se distingue par une prestance de tous les instants. Nous voilà dans l’excellence de l’underground américain. Son I saw your face/ from across the river accroche terriblement. Très grand cut que cet «Across The River» dont on se surprend à attendre des miracles. On ne peut pas se lasser de l’intégrité de ce Tex mec. 

    z20439handfather.jpg

             Sur la pochette de By The Hand Of The Father, on voit une photo du père d’Alejandro en compagnie d’un groupe d’amis, au temps de la Californie des pionniers, enfin des pionniers des années trente. On retrouve sur cet album l’excellent «Ballad Of The Sun & The Moon» joué au meilleur déploiement d’Americana. C’est solide comme un rocher du désert et embarqué manu-militari au violon. Fabuleuse énergie ! «Hard Road» offre une superbe vision panoramique. C’est un coup de maître cavalé au beat de desperado, digne d’un Kurt Weill de la sierra. On retrouve sur cet album d’autres cuts comme «Wave» et «Rosalie» et pas mal de cuts d’exotica joués au village, comme «Did You Tell Me» et «Mexico» joué à l’accordéon. Il raconte l’histoire de ses parents dans «59 years», un mariage qui a duré 59 ans - We loved to dance/ And we got married - Fantastique ! Avec cet album, Alejandro le Grand cultive la nostalgie de la Mexicana. Vamos ! C’est son monde. Il tape le morceau titre au big bash-up et derrière, ça tartine aux espagnolades. Magnifique parti-pris d’échappée solitaire ! Ça n’a l’air de rien comme ça, mais quelle pureté dans l’intention ! Alejandro et ses amis mixtent le shuffle et les espagnolades et ça tourne à la merveille productiviste. Ils jouent la carte de la surprise d’American Mexicana.  

    z20440boxing.jpg

             John Cale produit The Boxing Mirror paru en 2006. Il fallait s’y attendre. Alejandro Escovedo finit par attirer les sommités. Ça commence avec John Cale et ça va se terminer avec Chuck Prophet, comme on le verra plus tard. Notre Tex mec favori repique une jolie crise de Stonesy avec «Break This Line» - If you could see you/ The way that I see you - C’est de haut niveau keefy. Le hit de l’album s’appelle «Sacremento And Polk», très Velvet dans cette façon d’initier le chaos. Alejandro le Grand trempe dans l’expectative - And falls upon the landing/ And falls upon the landing - Comme dans Sister Ray, il n’en finit plus de psalmodier a spell her name - That was so long ago/ I’m under a spell her name - Avec «Arizona», il se montre digne du paysage, mais un paysage de fin de nuit au bar du coin de la frontière. Pas forcément convaincu d’avance, même si ça reste bardé de son. Il place son «Looking For Love» dans le giron du meilleur rewarding de l’underground et une fois de plus, c’est effarant de classe. Il fait un peu de funk dans «Take Your Place». C’est bardé de son, et du meilleur, yeah I take your place, il balaye facilement la concurrence. Il faut savoir que l’ex-Spirit et JoJo Gunne Mark Andes joue de la basse sur cet album et John Cale du piano.  

    z20441realanimal.jpg

             Pas moins de quatre grosses et belles énormités se nichent sur Real Animal, un album paru en 2008 et salué par la critique. «Chelsea Hotel 78» raconte bien sûr une tranche de vie, mais de manière ultra-jouée et tendue. Alejandro Escovedo évoque bien sûr l’histoire de Sid & Nancy, il gueule qu’it makes no sense et les chœurs lui répondent que non, it makes no sense. Si on a autant de son sur cet album, on le doit de toute évidence à la présence de Chuck Prophet. «Smoke» sonne un comme un hit, avec son côté dylanesque et ses descentes spectaculairement bonnes. Le cut se tortille dans des breaks - We’re still going bop bop baby/ All night long - Alejandro Escovedo a en lui la puissance d’un Soul scorcher. Il rappelle par certains côtés l’early Graham Parker. Encore une vraie dégelée avec «Real As An Animal». Quelle puissance ! Ils filent au vent mauvais, sur un superbe pounding chicano et ça part en solo de non-retour. «Nuns Song» vaut aussi pour une belle énormité, I don’t live it cha cha, un vrai délire d’électrac monté en double set de calme/orage où s’entrelacent des couplets cocotés. Idéal pour un mec comme Escovedo. Il monte ça en épingle jusqu’au moment où ça explose. Alors on le voit jerker le trash du rock et lui faire ravaler ses injures - I turn the TV/ Goodnite ! - Sur «Chip N’ Tony», il va aussi très vite en besogne - All I ever wanted was a four piece band - Explosif ! - Chip and Tony said it was against the law/ C’mon ! - S’ensuit un killer solo flash in the flesh. N’oublions pas de saluer l’«Always A Friend» d’ouverture de bal, cut absolument somptueux. Ce démon d’Escovedo sort le grand jeu, the heavy American pop-rock chanté aux guts de fast rider. Chuck Prophet gratte derrière. On croit rêver tellement c’est bien foutu.

    z20442streetsongs.jpg

             Paru en 2010, Street Songs Of Love pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. Tony Visconti produit. Dès «Anchor», Alejandro Escovedo développe une extraordinaire puissance de son, avec des chœurs de folles invétérées. La puissance du son nous méduse, comme dirait Satie. S’ensuit un «Silver Cloud» tout aussi énorme, notre Tex Mec nous tape ça au big sound de set around, I’m a man, ce diable sait rouler un riff dans sa farine, ça joue au solo liquide, avec des relances excessivement bien foutues. Alejandro Escovedo règne sans partage sur son petit underground. On reste dans la tension maximaliste avec «This Bed Is Getting Crowded». C’est à la fois explosif et de très haut niveau. Il monte son rock en neige du Kilimandjaro, you’re saying love, il fait battre le cœur du rock. Explosivité à tous les étages en montant chez Kate, but they said love ! Rien qu’avec ces trois cuts, Alejandro le Grand nous sonne les cloches à la volée. Il passe sous le boisseau de l’underground pour ficeler «Street Songs», c’est adroit et bien mené, voilà un vieux groove de bonne extraction salué aux clap-hands. Back to the big beat avec «Tender Heart», un admirable déluge d’heavy power de with you. Complètement convaincu d’avance et voilà que sonnent les trompettes de l’apocalypse ! My tender heart ! S’ensuit évidemment un killer solo dévastateur. Alejandro Escovedo rocke avec majesté. C’est quand même la quatrième énormité de cet album. Pas mal, pour un petit chicano underground. Il joue «Tula» au sous-jacent de la pire espèce. Avec ce Tex mec, on n’est pas au bout de nos surprises. Mais le pire est à venir et le voilà : «Undesired». Ça sonne tout simplement comme un hit séculaire d’envolée suprême. Il taille sa route vers le firmament, avec un thème ravaleur de façade. Il renvoie tout le rock aux gémonies, le thème se déploie tout seul. Encore une petite énormité avant d’aller coucher au panier ? Alors voilà «Shelling Rain». C’est encore une fois bardé du meilleur son viscontien. Alejandro Escovedo propose désormais des albums de rock très haut de gamme destinés aux aficionados.

    z20443bigstation.jpg

             Sur la pochette de Big Station, il refait son dandy. Cette fois, Chuck Prophet co-écrit tout avec lui et Tony Visconti veille au grain derrière sa console. Ça sent les gros moyens et donc le bel album. Ce que vient immédiatement confirmer «Man Of The World». Big attack ! Alejandro Escovedo ressort ses meilleurs heavy chords, il a du son à revendre. On a là une musicalité qui évoque à la fois Phil Spector, les Stones et les Dolls, les clap-hands sont d’une véracité qui laisse rêveur, les tortillons de guitare valent largement ceux des Stones. On est dans les splendeurs d’une Babylon pleine de Dolls et d’Oh yeah. Une fois encore, ce Tex mec renverse le cours de l’histoire. Dommage que le reste de l’album ne soit pas du même niveau. Il faut attendre «Headstrong Crazy Fools» pour renouer avec le frisson - For the Valentine/ See on the other side - Il cite Dylan, il adore se rappeler de ses darker days et des crazy fools, il fait aussi son Lou Reed à coups de you know James, comme dans «Walk On The Wild Side». On entend une trompette à la Miles Davis dans «Can’t Make Me Run» et dans «San Antonio Rain», il annonce que la pluie ne viendra pas. Il est bien meilleur que les grosses connasses de la météo. Il emprunte un riff à Lou Reed pour «Party People» et pousse des oh pour briser le rythme. Il tente d’emmener son «Too Many Tears» au tribal mécontent et derrière, des filles la ramènent en sourdine. Il termine avec un «Sabor A Mi» de la téquila señora, ça dérive à l’espagnolade, mais avec du son. Il ne sait pas stopper les machines, alors il va là où le vent le porte, au muchos de la señora. 

    z20444beatiful.jpg

             Alors, on reste dans la série des gros albums avec Burn Something Beautiful ? Et comment ! Bienvenue à bord avec «Horizontal», explosé de son dès l’intro à coups de lucky day/ Lucky day. Alejandro le Grand connaît toutes les ficelles, il ramène les pires guitares dans son mayhem d’I wanna see what you see. Derrière, ses amis envoient des renvois et une vieille wah vomit sur le passage du cortège. Ça gueule au fond du studio. Un démon nommé Kurt Bloch joue en lead. Plus loin, ils passent au glam avec «Shave The Cat», ils y vont de bon cœur, shave ta chatte, ils développent le power du glam américain. Étonnante rencontre entre le Tex mec et le T Rex. Et ça marche ! Exactement les mêmes accords et le même swagger. Avec «Beauty Of Your Smile», Alejandro le Grand nous sort ce qu’il faut bien appeler une grosse compo. Ça cocote sec dans les parages, ça revoie vers le Dylan électrique, tellement c’est plein d’allant et d’élégance. Il enchaîne avec «I Don’t Want To Play Guitar Anymore», un superbe balladif chargé de son comme une mule. Il déploie à l’infini, il multiplie les climats et les horizons, il cultive une vision assez pure du rock basée sur des admirations et un sens aigu de l’underground. Avec «Luna De Miel», on se croirait dans le «Mean Machine» des Cramps, c’mon, à cause de cette fabuleuse tension macrobiotique. La pop-rock de «Johnny Volume» semble orientée vers l’avenir. Alejandro le Grand sait transformer une chanson en petit western spaghetti hanté par des guitares louvoyantes. Et puis il trouve un compromis entre l’Americana et la Stonesy pour «Heartbeat Smile». Quelque part au milieu de la Sierra Escovedo, avec des filles qui font la pluie et le beau temps. C’est une fois encore chargé d’accords, avec un Peter Buck ultra présent dans le son. Tout est joué au maximum des possibilités du genre. 

    z20445crossing.jpg

             Sacré retour en force en 2018 avec The Crossing et sa pochette de cactus. Voilà encore un album qui grouille d’énormités, comme par exemple «Something Blue», balladif américain extrêmement bien envoyé, ce Tex mec déclenche des tornades de son par dessus les toits. Même chose avec «MC Overload», joué au riff de commandeur de la charte, c’est affreusement bon. I feel overload, il sait de quoi il parle. On retrouve toute cette énergie dans «Fury And Fire», bang bang ! Il joue la carte de l’armée mexicaine - They want to tear it down - On se croirait dans Vive La Révolution. On le voit aussi chercher des noises à la noise dans «Teenage Langage» et il passe au boogie blues pour «Outlaw For You». Il frise une fois encore la meilleure Stonesy. Il claque son truc comme personne - I’ll be James Dean for you/ I’ll be Sid Vicious - Puis on le voit duetter avec Peter Perret sur «Waiting For Me». La décadence de Peter Pan se marie bien avec la pertinente Americana du Tex mec. Et puis voilà le pot aux roses : une version de «Sonic USA» avec Wayne Kramer. The beast on board ! Il faut savoir que Brother Wayne ne lâchera jamais la rampe. Ça joue au this is Amarica/ I want it all. Alejandro le Grand + le MC5, ça donne du mythe, my friend.Ce diable de Brother Wayne explose ses vieux accords de grille-pain rouillé. Imparable. 

    z20446believers.jpg

             Comme Steve Wynn, Alejandro Escovedo multiplie les side-projects de choc, à commencer par les mighty True Believers qu’on qualifiait à une époque de gang le plus puissant de la frontière. Un album paraît sur Rounder Records en 1986. Son frère Javier joue de la guitare et Jim Dickinson produit. Alors il faut s’attendre à un très gros disk, ce qui est le cas. Le son est là, immédiatement, dès «Tell Her». Dickinson mixe ça sec ! On entend les violentes montées de basse dans les couches du mix. S’il fallait trouver un point de comparaison, ce serait les Byrds. Une vraie bénédiction. Ils tapent dans l’énorme «Train Round The Bend» de Lou Reed et l’enrichissent à la slide. «Rebel Kind» sonne aussi comme un hit des Byrds qui retapisseraient l’All Over Now Baby Blue. On retrouve la grosse niaque d’Escovedo dans l’«Hard Road» qui ouvre la bal de la B. Tout est là : beat puissant et big riffs descendus de la colline. Quel fabuleux shoot de rock Believer ! On sent l’équipe de grands professionnels de la frontière. Ils te convient à un festin de son.

    z20447pawnshop.jpg

             On n’en finirait plus de chanter les louanges de cet immense rocker qu’est Alejandro Escovedo ! Il suffit d’écouter The Pawn Shop Years qu’il enregistra en 1997 sous le nom de Buick MacKane, qui est comme chacun sait le titre d’un hit de T. Rex. Sur les dix cuts de l’album, huit valent pour des énormités confondantes et ça commence dès «The End», bardé du plus gros son des Amériques, ça sent bon le Tim Kerr. On note l’extraordinaire passionaria d’extension du domaine de la lutte intestine. Avec «Falling Down Again», on voit qu’Alejandro Escovedo sait gratter une vieille cocote. Puis il repart en mode rumble avec «Black Shiny Beast», c’est avalé au meilleur dévidé d’Avalon, rocké dans la matière du roll. Ce qui frappe le plus, c’est le déhanchement du chaloupé, c’est explosif mais en même temps ça reste dans le cadre du boogie down, riffé à la bonne augure dans une marée de son. Encore une fois, ça sent bon le Tim Kerr. On reste au Sweatbox avec «Edith», ça coule dans la manche, ça coule même dans le pantalon. Quelle énorme giclée de son ! Les guitares suintent comme des plaies infectées dans le Sweatbox de Tim Kerr. On est au paradis de la bravado. Tout est là : les solos à la traîne, les trucs pas clairs, les débuts d’incendie dans l’humidité, les retours de riffs. Encore un coup de génie avec «Queen Anne» claqué aux pires accords de la confédération, avec du wouahh de hurlette en préambule de Théodule. C’est d’une rare violence productiviste, les solos coulent comme de la morve sur les seins de la copine, c’est admirable d’immoralité, c’est même à se damner pour l’éternité. Alejandro Escovedo nous chante «Big Shoe Head» très salement, avec un vieux trémolo du bout de la piste. C’est un laid-back d’une grande élégance, illustré à coups de silver Cadillac, une merveille de boisseau qui ne veut pas dire son nom et un solo des enfers de Dante vient nous vriller tout ça brillamment. Tim Kerr revient pour «John Conquest» et le son explose. Ah qui dira l’excellence de l’outrance ? On a là l’un des meilleurs sons de l’univers, ça grouille de tortillettes, ça perfore à tire-larigot et ça devient absolument démentoïde. Il n’existe rien d’aussi barré sur cette pauvre terre, ça joue à la mortadelle du petit cheval blanc, ça coule de partout. Les deux derniers cuts de l’album ne sont pas en reste. «Wandering Etye» se révèle puissant, au-delà de toute expectitude. Il y circule toute l’énergie de Sister Ray, la même folie, la même volonté d’en découdre. Ils finissent cet album spectaculaire avec une reprise du «Loose» des Stooges. Alejandro Escovedo brûle la chandelle par les deux bouts, il laisse à la postérité une sorte de coup de génie impavide, il va loin dans sa stoogerie, c’est une splendeur. La triplette Kerr/Stooges/Escovedo est une triplette faramineuse. 

    z20448pinkpony.jpg

             Pour monter ses Fauntleroys, Alejandro Escovedo s’entoure d’Ivan Julian (Voidoids), Nicholas Tremulis et Linda Pitman (Miracle 3). En 2014, ils enregistrent l’excellent Below The Pink Pony, un grand mini-album underground de plus. Sur les six titres de ce mini-album, on ne compte pas moins de quatre coups de génie. Eh oui, c’est comme ça. Alejandro Escovedo ressort son meilleur groove dès «I’m In Love With Everything», ça joue à l’extrême muddyness, Linda Pitman bat ça si sec et Ivan Julian fait son vieux cirque de bassmatic circonvolutoire. On assiste à une sorte d’explosion de l’atome sonique. Ils passent aux choses très sérieuses avec un «Chinese White» amené au big trash-boom-uh-uh. Ça va très vite, Escovedo le prend par les cornes, de toute façon, il n’a pas le choix, car le beat charge. Ça gicle littéralement de son, ça joue comme dans l’underground des années de braise, au maximum de toutes les possibilités. Ils restent dans l’arrache pour «Suck My Heart Out With A Straw». Escovedo plonge dans l’obsolescence du garage underground, ça pulse comme aux plus beaux jours de l’âge d’or, ça chante aux gants de cuir noir, cet album est une aubaine, Escovedo suck son heart avec une stupéfiante abnégation, ça vire à la dégelée apocalyptique, le son rend le chanteur fou. Ils jouent «Warry Doll» à l’énergie new-yorkaise et ça bascule très vite dans le chaos de non-recevoir. Alejandro Escovedo revient aux basics du mythe new-yorkais, le solo hoquette. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises, car voici «(This Can’t Be) Julie’s Song». Linda chante avec Alejandro Escovedo et ça prend une tournure magique. On a là l’un des hits du siècle. Nicholas Tremulis claque ses accords dans l’écho du temps, c’est une bénédiction. Ces gens-là jouent sur le qui-vive de l’underground magique. Et ça se termine avec «Take You Far Away». Alejandro Escovedo attaque à l’ancienne, avec ses poumons de jeune homme. Mais derrière, les autres jouent comme des démons. Ça cisaille l’espace et ça bascule dans le grandiose bullshit out. Escovedo colle bien au train de son cut. Il ne faut jamais perdre de vue un mec comme lui. Les chœurs de filles font I wanna take/ You/ Far away, on se régale de cette énormité d’anciens combattants.

    z20449setters.jpg

             Alejandro Escovedo monte un groupe nommé Setters et enregistre un premier album en 1992. Il vaut le détour car on y trouve une belle version de «Wanna Be Your Dog». Ils en font une mouture inventive : ils dévient le courant des Stooges pour en faire de l’ouate des bas-fonds. Alejandro le Grand a cette intelligence de ne pas vouloir recréer le brasero stoogien. Il se contente de marquer son territoire, mais il le fait à sa manière, sous le boisseau escovedien. L’autre point fort de l’album est ce «Let’s Take Some Drugs And Drive Around». On entre sur les terres sacrées du slowah de Deep South, nothing to do/ And there’s nothing to say, alors on prend des drogues et on va faire un tour. C’est une belle escalope de virée nocturne, ce drive around est poignant de véracité. S’ensuit un «She’s Got» travaillé au corps de riff. Voilà ce qu’il faut bien appeler un réveil en fanfare. Les Setters jouent au riff sous-jacent, ils tapent dans la silly joy et the long black Cadillac. Bienvenue dans le monde des artistes de rock. On note un parti-pris d’intensité Stonesy dans «Don’t Love The Wisely» et la présence d’un groove de jazz à la Fever des bas-fonds dans «Helpless».   

    z20450darktrash.jpg

             Les Setters ne sont plus que trois pour enregistrer Dark Ballad Trash en 1997. L’album met un temps fou à donner du jus et ce n’est qu’avec la fantastique Americana de «Beeville By Morning» qu’il arrive enfin. Ils reclaquent une version de «Wanna Be Your Dog» à coups d’acou, et mine de rien, ils tapent en plein dans le mille, ils en font une mouture marrante. De toute manière, il serait vain de vouloir approcher la réalité de la version originale. Autant s’en éloigner le plus possible. On sent le truc de fan, esprit Kid Congo, chicano tombé dans la marmite quand il était petit. Mais sur le reste de l’album, on s’ennuie un peu. On se serait bien passé de «Find A Way», même si Alejandro Escovedo laboure ses terres jusqu’au crépuscule. Il est le rocker de Millet, humble et pauvre, dressé dans son infâme dignité. On voit plus loin notre Tex mec favori gratter «Sharlene» dans les sous-bois. Il tente de réveiller l’assistance qui pique du nez. Il donne aussi un festin d’acou dans «Five Hearts Breaking». On l’observe, médusé. Il joue avec le son, comme le chat avec la belette, ça manque de sexe, comme chez Millet. Il choisit la voie de l’éplorée qui n’est pas forcément la meilleure ni la plus fréquentable.

    Signé : Cazengler, Alejandro Escabot

    Alejandro Escovedo. Gravity. Watermelon Records 1992 

    Alejandro Escovedo. Thirteen Years. Watermelon Records 1993

    Alejandro Escovedo. With These Hands. Rykodisc 1995

    Alejandro Escovedo. More Miles Than Money. Live 1994-96. Bloodshot Records 1998

    Alejandro Escovedo. Bourbonitis Blues. Bloodshot Records 1999

    Alejandro Escovedo. A Man Under The Influence. Blue Rose Records 2001 

    Alejandro Escovedo. By The Hand Of The Father. Blue Rose Records 2002

    Alejandro Escovedo. The Boxing Mirror. Back Porch 2006

    Alejandro Escovedo. Real Animal. Back Porch 2008

    Alejandro Escovedo. Street Songs Of Love. Fantasy 2010 

    Alejandro Escovedo. Big Station. Fantasy 2012 

    Alejandro Escovedo. Burn Something Beautiful. Fantasy 2016 

    Alejandro Escovedo. The Crossing. Yep Roc Records 2018

    True Believers. Rounder Records 1986  

    Buick MacKane. The Pawn Shop Years. Rykodisc 1997

    Fauntleroys. Below The Pink Pony. Plowboy Records 2014

    Setters. The Setters. Blue Million Miles Records 1992  

    Setters. Dark Ballad Trash. Return To Sender 1997

     

     

    Inside the goldmine

     - Barnes to be wild

     

            On l’aimait bien Burn. Il émanait de sa personne une sorte de chaleur humaine, ce qui n’est pas si courant, quand on y réfléchit bien. Et puis quand on s’adressait à lui, il souriait. Une sorte de sourire christique. Tu sais, ce sourire des yeux qui en dit long. Il était toujours le premier à t’offrir un joint ou à t’adresser un clin d’œil, juste par sympathie. Par chance, il s’intéressait aux mêmes groupes que nous, et quand nous décidâmes de monter un tribute aux Saints, il accepta d’en être le batteur. Monter un groupe, c’est toujours facile. Une décision qu’on prend dans un moment d’enthousiasme collectif. Les difficultés apparaissent au moment de la première répète, avec un choix de cuts qui doit faire l’unanimité et la recherche d’un son, donc d’une forme de crédibilité. Ça sonne ou ça ne sonne pas. En règle générale, ça ne sonne pas tout de suite. Il faut parfois une bonne dizaine de répètes pour commencer à croire que ça peut marcher, mais rien n’est jamais moins sûr. Alors commence la traque aux maillons faibles, tu as toujours les vrais musiciens, et ceux qui sont là pour le plaisir de jouer, compensant leur manque de technique par de l’énergie et de l’enthousiasme. Si le batteur ou le bassiste n’est pas bon, on doit l’éliminer, c’est une condition de survie, même dans un groupe amateur. Comme Burn n’était pas très précis sur les breaks, toujours en retard d’une micro-seconde, ça posait un problème au guitariste, un musicien accompli qui ne supportait pas le moindre défaut. Défaut qu’il était d’ailleurs bien le seul à entendre. Plus il insistait sur la précision des sorties de breaks, plus Burn était à côté. Schéma classique. Mais ça n’avait aucun sens, dans le contexte d’un groupe amateur. Le guitariste allait même jusqu’à arguer, l’air mauvais, «qu’il perdait son temps avec des mecs comme ça». L’élimination de Burn se fit de la manière habituelle. Un coup de fil à Palerme. Contact habituel. Tarif habituel. Petites coupures habituelles. Délai ? Le plus vite possible. 48 heures ? D’accord. Rendez-vous à l’endroit habituel pour remise de l’enveloppe en échange de la preuve. Les flics retrouvèrent Burn dans le coffre d’une bagnole le surlendemain. Deux balles dans la nuque et une main coupée qui avait disparu, mais un drôle de sourire aux lèvres. Un sourire christique.

    z20419barnes.gif

             Le seul point commun qu’ont Burn et Barnes, c’est d’avoir disparu. Sinon tout les différencie : Burn est blanc, Barnes est black, Burn bat, Barnes chante. Tu croises couramment J.J. Barnes sur les compiles Northern Soul. C’est un vieux de la vieille, avec des singles enregistrés dans les années soixante et un peu de temps passé chez Motown à composer.

             Comme J.J. Barnes vient tout juste de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage avec, comme d’usage, les moyens du bord.

    z20451bornagain.jpg

             Ce sont des Anglais qui rééditent le seul album américain de J.J. Barnes, Born Again. Du coup, il devient Born Again Again. Dans ses liners, John Ridley nous rappelle que JiJi s’appelle en réalité Jimmy James Barnes et qu’il est né à Detroit. JiJi enregistre sur Ric Tic, un label racheté par Berry Gordy, et comme JiJi sonne trop comme Marvin Gaye, Gordy le neutralise - Barnes got lost in the shuffle with nothing ever being released - Ça s’appelle un destin. Alors il se barre chez Groovesville, enregistre pas mal de hits, et Ridley indique que tout ça est resté in the can. JiJi compose aussi pas mal et refile des cuts à Chuck Jackson, Mavis Staples et les Marvelettes. Il finit enfin par enregistrer Born Again. On remarque tout de suite la fantastique présence de sa prescience. JiJi est un Soul Brother fabuleusement lyrique. Il faut le voir fondre sa voix dans la voûte céleste de «Time Is Love». Il fait aussi du heavy rock de Soul avec «Good Men Don’t Grow On Trees», c’est puissamment beau, quasi Soul de Stax extatique, JiJi y va au gros popotin miraculeux, il illumine la Soul, sit down and think it over, il relance au ouh ouh, comme un vieux pro. Puis il te colle son baby baby baby au plafond de «You’re Just A Living Doll, c’est un forcené de l’excellence, un king de la Soul, il t’en met plein des mirettes, comme dirait Venneta Fields, il y va au you’re so sweet/ You’re so kind. Il fait un grand retour à la persuasion avec «Wishful Thinking», c’est fabuleux de conviction biseautée, c’est-à-dire implacable, JiJi tape dans la modernité de la Soul, il procède par avancées, il pose des semi-conducteurs dans son phrasé, yeah, this is the Soul, baby. Il tape aussi dans la nuit urbaine de Shaft avec «You Owe It To Yourself Pt 1 & Pt 2», il chante ça les dents serrées, il en bave, il pousse des mmmmm-ohmmmm - Say you got no money/ You got no shoes - Il sonne vraiment comme une vieille star, une sorte d’Al Green croisé avec Otis, il monte encore en grade à l’excelsior du beat up avec «No If’s And’s Or But’s», il te bat ça comme plâtre, c’est chauffé à l’orgue, JiJi est un sacrément bon, un article de choix, un leader of the pack, il racle sa glotte au ah aha, c’est violent et soft en même temps, une pure merveille d’éveil. Non seulement il te court sur l’haricot, mais il te court aussi sur le steeplechase, il chauffe encore la gamelle d’«(I Just Can’t Believe I’m) Touching You», il la chauffe au touch me babe. Il sait se faire aussi délicat qu’un papillon pour coller au train d’un make believe babe, ce mec passe par tous les souterrains, c’est une vraie glu de la Soul, il lui colle au train à coups de make believe.

    z20453smile.jpg

             Après une belle éclipse, il tente de redémarrer sur un petit label anglais, Contempo, avec Sara Smile. Le moment est mal choisi car l’album sort en 1977. Il n’empêche qu’on retrouve la bonne énergie de JiJi dès «The Errol Flynn», il y va au c’mon babe et au do it baby. JiJi est un bon. Il tape aussi un joli mid-tempo d’I’m so glad she’s mine avec «She’s Mine». Jiji a du caractère, il chante avec une réelle finesse et il finit par t’envoûter. Toute la viande se planque en B, et ça part au «Let Me Feel The Funk», un pulsatif déterminant, JiJi est dessus, JiJi est un sérieux client, il tape une Soul solide, bien soutenue aux chœurs. Même ses slowahs épatent la sauce tomate («We Can’t Hide It Any More») et voilà qu’il tape dans le big hit d’Ace, «How Long», idéal pour un groover comme JiJi, il te plie ça à sa volonté, il en fait une everlasting version. Petite cerise sur le gâtö : il fait son Marvin sur «I’m The One Who Loves You». Alors là, bravo JiJi !  

    z20452groovesville.jpg

             Produites par Don Davis, les fameuses Goovesville Sessions sont aussi sorties sur Contempo. C’est sans le moindre doute le meilleur album de JiJi. Le «Sweet Sherry» qui se planque en B vaut tout l’or du monde : monté sur un beat insistant, avec des relents de Motown, le tout quasiment passé sous le boisseau, mais un boisseau délicieusement ingénu. JiJi fait danser tout le Wigan Casino. Il est la superstar la moins connue. Il fait aussi du funk avec «Cloudy Days», ouhh! Il fait le cake et il est bon, JiJi jamme le jambon du funk, ça s’étrangle dans le goulot d’une mauvaise prod, mais il porte sa croix jusqu’au bout du funk, oh yeah ! L’autre hit de l’album s’appelle «Chains Of Love», JiJi tient le r’n’b par la barbichette au set me free. Sa pression est bonne, bien sucrée au bassmatic. Il est aussi sur les traces des Tempts avec «Baby Please Come Back Home», mais avec une voix plus ronde. Ça reste cependant du grand art. «Your Love Is Gone» est une Soul de belle avancée. On peut même parler de modernité. Modernité et élégance sont les deux mamelles de JiJi. Il ne passe jamais en force, comme le montre encore «Now That I Get You back», mais il tape bien l’incruste.        

    z20454onemoretime.jpg

             JiJi se retrouve sur Motorcity en 1991 et enregistre le fantastique Try It One More Time. Dès le morceau titre en ouverture de bal, JiJi t’embarque ventre à terre sur un drive de basse demented, c’mon baby, il est supérieur en tout, modern Soul et Motorcity à la fois, aw quelle blague ! JiJi est d’une imparabilité sans nom, comme dirait H.P. Lovecraft. Il bénéficie de la prod du grand Ian Levine. Quel son de basse ! JiJi tape dans une suite diskoïde noyée de Soul, il assure sa legacy. Il pulse «You Can Bet Your Love» au meilleur call on me, il te groove ça sous le boisseau de Motorcity, il dit en gros à sa poule : tu peux parier sur moi, baby, c’est du vrai call on me. JiJi tape l’un de ces grooves éperdus dont il s’est fait une spécialité. Encore un extravagant shake de r’n’b avec «Please Let Me In». JiJi chante comme un seigneur, il a un tempérament de conquérant. Puis on le voit flotter sur le «Slow Motion» signé Sylvia Moy/Ian Levine, une incroyable conjonction d’esprits supérieurs. Big Barnes bosse comme une bête, il forge sa Soul night and day, dans des flux de forge. Back to the fast Motorcity Sound avec «That’s Just Never Enough». JiJi Lamorosa te met ça au carré. C’est dans la poche. Bien drivé, linéaire et beau comme un cœur. Il fait encore du fast Diskö Soul avec «Talk Of The Grapevine», mais comme on est sur Motorcity, c’est safe. Pas de putasserie chez ces gens-là. Ian Levine veille au grain. La Soul prédomine. JiJi termine ce big album avec «Build A Foundation», uns nouvelle compo signée Sylvia Moy/Ian Levine. C’est non seulement bien écrit, mais aussi bien orchestré. JiJi tape ça de bon cœur. Comme Sylvia est dans le coup, alors pas de problème. C’est une merveille de groove urbain et orbi. 

    Signé : Cazengler, la Burne

    J.J. Barnes. Disparu le 10 décembre 2022

    J.J. Barnes. Born Again Again. Perception Records 1973

    J.J. Barnes. The Groovesville Masters. Contempo 1975

    J.J. Barnes. Sara Smile. Contempo 1977        

    J.J. Barnes. Try It One More Time. Motorcity Records 1991

     

     

    L’avenir du rock

     - Travelers check

     

             L’avenir du rock a toujours adoré les groupes qui choisissent des noms de villes : New York Dolls, Tokyo Dragons, Towers Of London, Chicago Transit Authority, Voices Of East Harlem, Motor City Five, Detroit Cobras. Oui il a toujours adoré cette immédiateté géographique, cette façon qu’ont ces groupes si courageux de se revendiquer de leur ville, comme s’ils en décoraient le dos de leurs perfectos, à la façon dont les bikers le font avec les couleurs de leur club. New York Dolls, ou Tokyo Dragons, comme ça sonne bien ! Tu as même les Tokyo Cramps. Ça te tokyotte bien les cloches, on imagine cette démesure urbaine de néons et d’yeux bridés, d’écolières sexy et de rockers immatures. L’avenir du rock sait que le principe de l’excitation est exactement le même, qu’on soit à New York, à Londres ou a Tokyo. Il fallait avoir du bollocking pour apparaître en couverture du NME sous le nom de Towers Of London, ils avaient tout misé sur le mish mash, sur l’arrogance streetwise et l’effet de surprise, le tout bien lesté de grattes en disto maximaliste et de cheveux décolorés. Le fait qu’ils n’aient pas percé n’a aucune importance, seule compte la bravado de la démarche, avec un cri de ralliement qui pourrait ressembler à celui du MC5, au temps béni du Kick Out The Jams Motherfuckers. L’avenir du rock sait que les rocking towns sont une source de jouvence intarissable, une idée qui se régénère en permanence. Le phénomène prend naissance dès l’adolescence, les kids veulent gratter des grattes et battre du beurre. Tout cela peut aujourd’hui paraître folklorique, et même un brin suranné, aux yeux des vieux crabes issus de la génération des sixties, mais c’est avant toute chose une évidence, puisque la fontaine de jouvence a toujours existé. Alors bien sûr, toutes les possibilités sont encore permises, de nouvelles routes ne demandent qu’à s’ouvrir, il suffit de demander. À quand des London Pricks, à quand des New York Wankers, à quand des Detroit Rats, à quand des Tokyo Cats, à quand des Boston Brats, à quand des Memphis Panthers ? En attendant, l’avenir du rock se gave d’une nouvelle réalité géographique : Harlem Gospel Travelers. Quelle fantastique réalité, les amis ! 

    z20421harlemtravellers.gif

             De la même façon que Gabe Roth, le Colemine Man s’intéresse de près au mix Gospel/Soul, en tous les cas, d’assez près pour sortir le fantastique premier album des Harlem Gospel Travelers, He’s On Time.

    z20455h'sontime.jpg

    Dès «Oh Yes He Will», tu es dedans, c’est drivé à la wild guitar, avec un batteur fiévreux, wow, quel wild drive de Gospel Soul ! I know the Lawd, ça flirte avec le raw Stax et les chœurs enveloppent l’Oh yes He will ! Tout sur cet album est fantastiquement amené au Soul stirring, «Am I Doing Enough» sonne comme un vieux hot hit d’Al Green et on s’en extasie. Ils ramènent la fantastique clameur du Gospel sur un tapis de wah pour «Motherless Child». Eli Paperboy Reed les accompagne sur ce coup-là et ça rebascule dans le heavy Stax avec le morceau titre de power extrême, et ça donne la fabuleuse pulsion du Black Power, ces mecs te débouchent tout, les bronches et les artères. C’est une fournaise exceptionnelle, saturée de Black Power, avec des chœurs de blackettes d’Harlem, quelle énergie ! Encore une merveille avec «If You Can Make It Throught A Storm», c’est chanté à la voix d’ange de contrefort, juste dans l’angle, if you can make it, et là tu entres par la grande porte dans le groove du Gospel batch, tu approches de la lumière, celle qui compte, et tu vois cette voix traverser le flot de lumière. Ils allument tout l’album, cut après cut, et ça continue avec «On The Right Road», droit dans le Stax way out, le Gospel bascule dans la Soul, c’est énorme - I’m on the right/ With Jesus on my side - En fait, ils s’en branlent de l’église, c’est un prétexte à shaker. Ils sont extrêmement fascinants, avec leurs regards dirigés vers le ciel. Ils tapent le Gospel de «Do You Know Him» au groove longiligne, avec une wah au cul, alors attention aux yeux !  On assiste à des descentes de groove fascinantes et ça se redresse, do you know Him, les filles bouffent le cut tout cru. Retour au raw Stax avec «Brighter Day». Imparable. Globalement, ils proposent avec cet album un mix de Soul et de raw r’n’b, servi avec une violente dose de Gospel.

    z20456lookup.jpg

             Leur deuxième album vient de paraître et s’appelle Look Up. Petit conseil d’ami : look at Look Up ! Car quel album ! On croit encore une fois tomber sur un shoot de gospel batch traditionnel et crack boom, ça part en fast r’n’b, une vraie bénédiction, cocktail explosif de fantastique présence et de fast drive. Look up ! Avec «Hold On (Joy Is Coming)», ils passent au heavy r’n’b de gospel batch avec des filles derrière, tu en prends plein la bouille et ça explose avec «God’s In Control», I know/ I know, c’est tapé au pur jus. Ces Travelers naviguent dans la magie pure, Aaron Frazer vient guester sur «Help Me To Undersand», c’est atrocement beau et ils redorent le blason de la pureté évangélique de la Soul avec «Nothing But His Love». On nage dans l’opulence du paradis. Les Travelers ne vivent que pour la beauté. Ils proposent une Soul de génie pour une nouvelle génération de dévots. Avec «Fight On», ils descendent au cœur des sixties, ils te claquent ça aux wahs de Shaft, ça pulse tellement des reins que ça tend vers les Tempts, ouuuh ouuuh ! «Hold Your Head Up» n’a plus rien à voir avec le Gospel batch, les Travelers sont les killers, my brother, my sister, ils convolent en justes noces avec le génie du Black Power, ils te sortent pour l’occasion un big heavy groove de r’n’b qui bascule dans l’excelsior intensif, my brother, my sister, ces trois Travelers créent une nouvelle école de pensée. Encore de la heavy Soul de r’n’b avec un «That’s The Reason» bien contrebalancé. Partout, tu as des voix et des black guitahs, c’est du solide, tu brûles d’impatience de les voir sur scène. Ils terminent cet album faramineux avec «I’m Grateful», encore un fast r’n’b, ils te le drivent à la bonne franquette et frisent la mad frenzy, yes I’m grateful, les Travelers font le show, tu peux jerker jusqu’à l’aube.

    david crosby,alejandro escovedo,j.j. barnes,the harlem gospel travelers,huey piano smith,two runner,telesterion,melvins,rockambolesques

             Alors les voilà sur scène ! Tu crois voir arriver les Temptations sur scène ! Ça vire au blast de Soul dès «We Don’t Love Enough». Au centre, tu as Thomas Gatling, fantastique shouter efféminé qui ramène à la fois Esquerita et David Ruffin, fute de cuir noir, crinière de dreads et gilet de perles blanches. À sa droite tu as George Marage, et à sa gauche le petit Dennis Keith Bailey. Derrière, quatre blancs, imprégnés de Soul jusqu’à l’oss de l’ass, font sauter la sainte-barbe.

    david crosby,alejandro escovedo,j.j. barnes,the harlem gospel travelers,huey piano smith,two runner,telesterion,melvins,rockambolesques

    Les Travelers ont décidé de rocker la nef des fous, alors ils te la rockent au raw de Stax, ça tangue, avec, dans l’œil du typhon, cet extraordinaire shouter qu’est Thomas Gatling. Il te sert tout le Soul-shaking new-yorkais sur un plateau d’argent. Comme sur leurs deux albums, ils proposent un cocktail explosif de gospel et de Soul Colemine, à coups d’«Hold Ya Head Up» et de «Fight On», c’est George Marage qui se tape les coups de falsetto et qui fait l’ange de miséricorde, comme le fit en son temps Eddie Kendricks dans les Tempts.

    david crosby,alejandro escovedo,j.j. barnes,the harlem gospel travelers,huey piano smith,two runner,telesterion,melvins,rockambolesques

    Ils ont tous les réflexes, tous les talents et tous les pouvoirs, c’est complètement impensable de voir trois jeunes blacks aussi doués, capables de revisiter une heure durant toute l’histoire de la Soul. Ils tapent dans leurs deux albums avec un bonheur qui te court délicieusement sur l’haricot, chaque cut sonne comme un hit de l’âge d’or, ils n’en finissent plus de monter à l’assaut du ciel, ils font le show comme tous les grands groupes de Soul de l’âge d’or, tout passe par la chorégraphie, par le shout et par le bamala. Shout bamala ! Ils tapent une belle cover de «Satisfaction» qui renvoie bien sûr à celle d’Aretha, mais c’est avec celle de «Love Train» pendant le rappel qu’ils deviennent définitifs. Ils invitent le public à monter à bord du Love Train, ce fantastique hit signé Gamble & Huff qui rendit les O’Jays célèbres dans le monde entier. Tu ne peux pas résister à ça. Et de les voir danser sur Love Train te réconcilie un peu plus avec la vie.   

    david crosby,alejandro escovedo,j.j. barnes,the harlem gospel travelers,huey piano smith,two runner,telesterion,melvins,rockambolesques

             C’est avec la mad frenzy de yes I’m grateful, couplée à «He’s On Time» qu’ils terminent ce set explosif. Thomas Gatling fait d’«I’m Grateful» un numéro digne de Wilson Pickett, il en tombe à genoux et s’ultra-shoute à la Pickett-mania. Thomas Gatling est déjà une superstar.

    david crosby,alejandro escovedo,j.j. barnes,the harlem gospel travelers,huey piano smith,two runner,telesterion,melvins,rockambolesques

    Signé : Cazengler, grosse pelle travelot

    The Harlem Gospel Travelers. Le 106. Rouen (76). Le 21 mars 2023

    The Harlem Gospel Travelers. He’s On Time. Colemine Records 2019

    The Harlem Gospel Travelers. Look Up! Colemine 2022

     

    Wizards & True Stars

    - Ne huez pas Huey

     

    z20420hueypianosmith.gif

             La nouvelle vient de tomber sur les téléscripteurs : Huey Piano Smith a cassé sa vieille pipe en bois. Alors qui qu’on fait ? On rend hommage. On dresse la stèle. Surtout pour un mec comme Huey qui est un héros, au même titre que Fatsy, le bon Doctor John et d’autres bobines légendaires de la Nouvelle Orleans. Il est aussi essentiel de rappeler qu’Huey Piano Smith a joué exactement le même rôle que Fatsy et Little Richard, deux pionniers qu’on qualifie généralement de précurseurs du rock’n’roll.

             Parlons berceaux. Memphis d’un côté, et la Nouvelle Orleans de l’autre : tout vient de là. Chaque scène a son identité, plus rockab pour Memphis, plus power-jumpy pour la Nouvelle Orleans. Mais dans les deux cas, ça grouille de génies. Phénomène d’émulation. D’où l’ancienne notion de scène - Memphis, la Nouvelle Orleans, Detroit, San Francisco, Swingin’ London, Liverpool, Madchester, New York CBGB, London 77 - une notion qui aujourd’hui semble s’être volatilisée. La dernière révolution culturelle en date remonte aux années 90 et fut celle de Seattle. Depuis, plus rien. 

    z20464book.jpg

             L’idéal pour entrer dans l’histoire d’Huey est de se farcir le book de John Wirt, Huey Piano Smith & The Rocking Pneumonia Blues. Il s’agit là d’un book extraordinairement bien documenté, qu’il faut associer à la bible de John Broven, Rhythm And Blues In New Orleans

             Huey est resté célèbre pour quatre hits : «Rocking Pneumonia And The Boogie Woogie Flu», «Sea Cruise», «High Blood Pressure» et «Don’t You Just Know It». John Wirt consacre quasiment la moitié de son book aux procédures judiciaires menées par Huey et ses avocats successifs pour tenter de récupérer le blé généré par ses compos. Comme tant d’autres, le pauvre Huey s’est fait plumer. Dommage, car c’est une histoire qui commence comme un conte de fées, chez Cosimo Matassa, sur North Rampart Street, là où Roy Brown enregistra «Good Rocking Tonight» en 1947. Un Cosimo qui sert aussi de guide pour les pisteurs venus dénicher les talents à la Nouvelle Orleans.   

    z20465 rpneumonia.jpg

             Huey est dès le début un cas à part : il compose, arrange, interprète et produit. Comme Totor, il s’intéresse aux vraies voix pour les mettre en avant. En matière de voix, il est extrêmement exigeant. Il prend l’exemple du «Hound Dog» d’Elvis : «Il chantait ce que Big Mama Thornton disait, mais il n’avait pas la flavor. Les gens ont acheté le disque parce qu’il chante, pas à cause de la façon dont il sonne. Bien sûr, Elvis est meilleur que tous les autres, mais je n’ai jamais rien vu d’unique en lui. Je compte sur les doigts d’une main les chanteurs qui ont quelque chose d’unique : Larry Darnell, James Brown, Ray Charles, Joe Turner. On peut ajouter Sam Cooke, Clyde McPhatter, et Billy Ward And His Dominoes.» Pour Huey, Billy Ward And His Dominoes est un modèle. Billy et lui sont tous les deux des auteurs compositeurs qui prennent des interprètes sous leurs ailes respectives : Clyde McPahtters et Jackie Wilson ont fait partie des Dominoes. Huey cite aussi Johnny Otis qui prit sous son aile Esther Phillips. C’est pourquoi Huey monte les Clowns et prend Bobby Marchan sous son aile. Dr John : «Huey would school cats. He was about the show. It was about presenting something and making fun.»   

    z20467lizajane.jpg

             Dr John voit Huey comme un novateur : «I credit Huey with opening the door for funk, basically as we know it, in some ridiculously hip way, and putting it in the mainstream of the world’s music.» Dr John est fasciné par Huey - And Huey was catching the real second line on «Little Liza Jane» - Il parle bien sûr de l’énergie du carnaval de Mardi Gras. Il ajoute qu’Huey «savait rendre ses chansons spéciales». Dr John adore voir Huey composer : «Il prenait son temps. Il démarrait avec une idée et bossait dessus. Ça pouvait être une ligne de basse à la main gauche et des accords à la main droite. Puis il ajoutait une petite mélodie, il la savourait. Il était très relax.» À l’époque où le jeune Mac chercher à démarrer sa carrière de compositeur, Huey lui donne des conseils. Il lui file un livre de poèmes pour enfants et lui dit que s’il cherche une mélodie, alors il doit aller écouter les enfants chanter dans la rue - Il m’a montré a path that was beautiful. He started me to where I was able to get songs recorded. It changed my life - Mac dit en gros qu’il doit tout à Huey. Diane Grasi, responsable de Cotillon Music, rend elle aussi hommage à Huey : «Il était en avance sur son époque. Il a composé certaines des meilleures chansons de son époque, faciles à chanter et agréables à écouter. C’est la beauté d’une bonne chanson. Pas besoin d’être Frank Sinatra  pour la chanter.»

    z20468guitarslim.jpg

             Pianiste débutant, Huey commence par accompagner Guitar Slim, un blackos excentrique originaire d‘Hollandale, Mississippi. Slim se teint les cheveux en orange et porte des futals aux jambes de couleurs différentes. Slim et Huey démarrent ensemble au Club Tiajuana, à la suite de Spider Bocage, c’est-à-dire Eddie Bo, qui vient de partir chanter à Mexico. Guitar Slim utilise un cordon-jack de guitare très long, ce qui lui permet d’aller jouer dans la rue. Buddy Guy est fasciné par Slim - I wanted to be Guitar Slim - Slim rebaptise ses musiciens en fonction de leurs instruments : Oscar Drummer Moore, Tenor Red et bien sûr Huey Piano Smith. C’est Huey qui présente Slim à Johnny Vincent qui, à cette  époque, est talent scout pour le compte de Specialty, le label californien d’Art Rupe. Coup de foudre, Slim enregistre «The Things That I Used To Do» en 1953. Ray Charles, qui est de passage à la Nouvelle Orleans, participe à la session. Cosimo se souvient que Slim n’était pas facile à gérer en session : il attaquait avec trois pétards d’herbe et un litron de gin. La pauvre Guitar Slim va casser sa pipe en bois prématurément. En 1958, il a du mal à respirer. Un toubib lui dit d’arrêter de picoler. Alors qu’il est en tournée sur la côte Est, Slim s’écroule dans l’ascenseur du Cecil Hotel à New York. Il n’a que 32 ans. Son pianiste Lloyd Lambert déclare : «If Slim was alive today, he would be bigger thant that guy that had ‘Boom Boom Boom’ or any of those other blue guys.»

    z20469earlking.jpg

             Alors après, Huey va se maquer avec Earl King. Il lui demande s’il veut jouer avec lui : «Earl, you want to make a gig?», et Earl lui dit qu’il ne connaît pas de chansons - Man, I don’t know no songs - Alors Huey lui dit qu’il va lui en montrer quelques-unes. Et comme Earl King est doué, les gens croient entendre un nouveau Guitar Slim. Huey accompagne aussi Smiley Lewis, le favori de Dave Bartholomew. C’est Huey qu’on entend jouer l’intro d’«I Hear You Knocking», le big hit de Smiley en 1955, que va reprendre plus tard Dave Edmunds. Dave Bartholomew est triste : les disques de Smiley marchent bien à la Nouvelle Orleans, mais il ne parvient pas à le rendre célèbre dans le reste du pays.

    z20470littlerichrd.jpg

             Nous voilà donc au cœur du mythe de la Nouvelle Orleans. C’est Little Richard qui le dit : «New Orleans is to me the capital of music. C’est là que j’ai rencontré Earl King. C’était un grand chanteur, un grand guitariste et il m’a influencé.» Huey Piano Smith fait partie des piano players de renom. Earl Palmer : «Les gens ne savaient pas qui était Professor Longhair, mais ils connaissaient Huey because Huey was Uptown. Clubwise, everything was Uptown.» Pour les premières sessions de Litlle Richard chez Cosimo, Bumps Blackwell recrute Huey, mais aussi James Booker et tous les autres (Alvin Red Taylor, Lee Allen, Frank Fields, Earl Palmer et deux guitaristes). Mais comme ils n’ont pas le temps de bosser sur les arrangements de piano, Blackwell laisse Little Richard jouer son wild piano sur «Tutti Frutti».

             Quand Huey quitte le groupe d’Earl King pour entamer sa carrière solo, c’est un jeune pianiste de 17 ans qui le remplace : Allen Toussaint. Shirley and Lee font aussi leurs débuts chez Cosimo en 1952  avec «I’m Gone». Mac Rebennack n’est pas loin : il commence à bosser pour Ace records en 1956. Son père est un ami de Cosimo, ça facilite les choses. Mac est fan de Guitar Slim et d’Earl King, et il a eu comme prof de guitare Walter Papoose Nelson, le guitariste de Fatsy et de Professor Longhair. Mac indique en outre qu’il s’est souvent retrouvé en studio avec Huey.

    z20472professorlonghair.jpg

             La vie de Professor Longhair est comme on dit un poème. En tant que musicien, il n’a jamais réussi à gagner de quoi nourrir sa famille, alors il a dû boxer, faire le cuistot et il a fini par devenir joueur professionnel, mais il fut aussi balayeur au One-Stop Record Shop sur South Rampart Street. Lors de l’enterrement de Fess, Jerry Wexler lui rendit hommage, ainsi qu’aux New Orleans pianists : «J’ai eu le privilège de les connaître tous et même de travailler en studio avec certains d’entre eux. D’avoir rencontré Professor Longhair, Allen Toussaint, James Booker, Mac Rebennack, Huey Smith et Fats Domino a enrichi ma vie.» À l’enterrement d’Earl King, Dr John conduit le cortège et la Clown Gerri Hall déclare : «Quand des gens comme Guitar Slim, Earl King et Professor Longhair disparaissent, there’s no mucic in New Orleans no more. Nobody can make the noise they make.» Wirt n’en finit plus de faire tourner le manège des légendes. Imperial Records qui a déjà Fatsy et Huey compte aussi parmi ses artistes Smiley Lewis, les Spiders, Snooks Eaglin, Robert Parker, Wardell Quezergue and the Sultans et Shirley & Lee. Pardonnez du peu ! Lew Chudd ratissait large. Il va aussi récupérer Earl King et Frankie Ford.

    z20474erniekdoe.jpg

             En 1963, une délégation d’artistes de New Orleans se rend à Detroit : Earl King, Johnny Adams, Chris Kenner, Esquerita, Wardell Quezergue et Reggie Hall (beau-frère de Fatsy), mais le projet Motown-New Orleans ne s’est hélas pas matérialisé. Earl King est impressionné par l’organisation de Berry Gordy. Il comprend qu’avec ce type d’organisation, tout est possible. Aidé d’Allen Toussaint, Joe Banashak essaye de lancer un gros label local, Minit Records, il a pas mal de hits avec Ernie K-Doe («Mother-in-Law»), Benny Spellman («Fortune Teller»), Chris Kenner («I Like It Like That»), mais aussi Aaron Neville, Irma Thomas, Eddie Bo, Lee Dorsey, mais cela ne suffit pas. En 1966, trois hits énormes sont enregistrés à la Nouvelle Orleans, «Tell Like It Is» d’Aaron Neville, «Barefootin’» de Robert Parker, et «Working In The Coalmine» de Lee Dorsey, mais cela ne suffit pas non plus. Allen Toussaint, Eddie Bo et Huey produisent pour Banashak, mais cela ne suffit pas. Banashak monte trois autres labels en plus de Minit : Instant, Alon et Seven B, mais cela ne suffit pas. Quand Dr John enregistre Gumbo à Van Nuys, en Californie, il s’entoure d’expats de la Nouvelle Orleans : Harold Battiste, Lee Allen, Ronnie Barron, Shirley Goodman de Shirley & Lee, Tami Lynn et Alvin Shine Robinson. Gumbo est un album génial, mais ça ne suffit pas.

             En fait, tous les entrepreneurs de la Nouvelle Orleans se cassent la gueule financièrement, Joe Banashak, Johnny Vincent et Cosimo Matassa. Dans l’histoire, Cosimo est ruiné. Il perd même son studio - I wasn’t a good business man as I should have been - Banashak confie à Huey qu’il a dû filer des sous à Cosimo pour qu’il puisse aller se faire couper les cheveux.

             Lorsqu’il évoque l’histoire de James Booker, Wirt ouvre un horrible chapitre. Suite à un drug bust, Booker est condamné et envoyé à Angola, la taule la plus terrible de l’histoire des taules. Les juges y enverront aussi Leadbelly, Robert Pete Williams et Chris Kenner. Condamné pour possession de deux joints, Charles Neville y purge 5 ans de travaux forcés. Un spécialiste nommé Nick Spitzer déclare à ce propos : «Le côté terriblement ironique des prisons du Sud, c’est que la culture africaine y a été préservée, parce que la grande majorité des gens emprisonnés étaient des Afro-américains.»

    z20473johnny vi,cent.jpg

             Le nœud gordien du Wirt book, c’est Johnny Vincent, blanc boss d’Ace d’origine italienne. Wirt en fait un portrait pas très ragoûtant. Vincent commence par sortir sur son label Ace des enregistrements financés par Specialty. Donc Art Rupe le vire, officiellement pour faire des économies, mais Vincent dit que Rupe n’a pas respecté ses engagements. Vincent attendait des royalties sur les enregistrements de Guitar Slim, de Sam Cooke & The Soul Stirrers, de Wynonie Harris, de John Lee Hooker et de Frankie Lee Sims - Oh, man, I had me some royalties coming. The money was so big, that’s why I got fired - Vincent sort donc le premier hit de Guitar Slim sur Ace, «The Things That I Used To Do», puis le hit d’Earl King, «Those Lonely Lonely Nights». Comme il n’a pas les sous pour enregistrer chez Cosimo, il va dans un studio primitif de Jackson, Mississippi. Huey joue sur un piano qui n’est pas accordé. Vincent dit que ce n’est pas grave. Earl King dit avoir détesté cet enregistrement - I liked to die when I heard it. But it sold - Huey sent bien qu’il se fait rouler par Vincent, mais il le considère comme un ami. Johnny Vincent est l’un des rares blancs qui socialise avec les blackos, en plein Jim Crow. Vincent adopte même leur slang, comme s’il voulait se faire passer pour un hip cat, dit Huey. Vincent va dans les clubs noirs pour voir jouer les groupes - I was the only white man in there - Quand «Rocking Pneumonia» sort sur Ace et devient un hit national, Vincent ne paye pas Huey. En guise de «dédommagement», il lui offre la camionnette qui sert aux tournées des Clowns. Belle arnaque. Un collègue rital de Vincent qui assiste à la scène du dédommagement se dit embarrassé - Oh Johnny man, you go’ give the business a bad name - Comme Huey est fauché, il doit faire des coupes sombres dans ses Clowns. Il n’a pas les moyens de les payer, alors que «Rocking Pneumonia» est en tête des charts américain. Pour Huey, c’est le commencement d’un très long chemin de croix. Le seul gros chèque que Vincent va donner à Huey sera d’un montant de 4 000 $, le jour où Huey achète sa maison sur Congress Avenue - That’s the highest money I ever got from Johnny in my life - Huey ajoute qu’il n’a jamais vu aucun relevé de royalties. Dr John indique lui aussi que Vincent ne payait jamais les musiciens. Puis Vincent fait comme Uncle Sam : il comprend que les blancs passent mieux à la radio, beaucoup mieux que les noirs : alors il lance Frankie Ford et demande à Huey de lui écrire des hits. Huey comprend qu’il vaut mieux se faire un allié plutôt qu’un ennemi de Frankie et il le prend sous son aile. Il lui apprend «Alimony» - He didn’t steal it. But Johnny never paid me for that song or none of the rest neither. And they didn’t pay me for the writing or bringing Frankie to the barber. I had to use my own gas to get him down there! - Huey dit aussi que Vincent ne payait pas Frankie Ford. Lorsque l’accord de distribution passé avec Vee-Jay se casse la gueule, Ace fait faillite. Vincent se retrouve le bec dans l’eau - I hit hard times - Sa femme se barre. Alors il vend les droits des chansons d’Huey pour 20 000 $ - I blowed it all - Plus tard, Vincent refait surface et propose 300 $ à Huey pour composer des hits, ce qui fait bien marrer Joe Banashak : «Laisse-moi te dire un truc Huey. Si Johnny te propose 300 $, ça veut dire que quelqu’un lui en a proposé 30 000.» Mais bizarrement, Huey continue de voir Vincent comme un ami.

             Vincent casse sa pipe en bois en l’an 2000. Earl King ne pleure pas sur la tombe de Vincent, au contraire : «He ain’t treat nobody good, man, I was sorry for him, you know, mais il a fait du tort aux gens alors qu’il n’était pas obligé.» Par contre, Frankie Ford lui a rendu hommage.

    Z20474DON4TYOU.jpg

             Wirt donne aussi pas mal de détails sur les Clowns. Rudy Ray Moore fut à une époque le chauffeur des Clowns, lorsqu’ils partaient en tournée. C’est lui qui invente la fameuse expression «don’t you just know it» dont Huey va faire un hit. Quand Moore écrase le champignon sur un tronçon de route, Huey lui demande pourquoi il roule si vite. Moore lui répond qu’il n’aime pas trop le secteur. Alors Huey lui dit que si un pneu éclate, «we’ll still be up here», et Moore lui lâche le fameux «don’t you just know it», qu’on pourrait traduire par «tu ne crois pas si bien dire». Sur «Don’t You Just Know It», on entend Gerri Hall, Bobby Marchan, Roosevelt Wright, Huey et l’excellent batteur polyrythmique Charles Hungry Williams, ha ha ha ha, hey-ey oh ! Gooba-gooba gooba-gooba goo ! Quand Huey en a marre des tournées avec les Clowns, il demande à James Booker de le remplacer. Parmi les Clowns célèbres, on trouve aussi Curley Moore, Robert Parker, John Williams, Gerri Hall, Jesse Thomas et James Rivers.

             Huey finit par se retirer du music biz. Il monte Smith’s Dependable Gardening Service, avec sa femme, Margrette. Cosimo fait partie de ses clients. Wirt affirme que si Huey avait pu récupérer ses royalties, il aurait pu vivre confortablement. En 1997, ses chansons nous dit Wirt ont généré 70 000 $ de royalties.

             Les gens de Charly sont des gros malins : ils ont réussi à refourguer deux fois les fameuses sessions Cotillon 1970 de Joe Banashak. On les trouve sur Pitta Pattin’ et puis sur It Do Me Good -The Banashak & Sansu Sessions, un double CD compilatoire paru en 2012. Même si on connaît tout ça par cœur, la compile vaut le détour. Pour la petite histoire, Atlantic/Cotillon voulait qu’Huey ré-enregistre tous ses vieux hits, mais la parution fut annulée. Banashak sortira quelques extraits de ces fameuses sessions dans les années 80. Cette annulation de projet est d’autant plus mystérieuse qu’Atlantic fit paraître deux ans plus tard, en 1972, le Gumbo de Dr John sur lequel tu trouves cinq cuts d’Huey. Va-t-en comprendre ! C’est après cette déconvenue qu’Huey s’est retiré du music business pour devenir Témoin de Jéhovah et monter sa petite société de jardinage. Marshall Sehorn et Allen Toussaint réussiront à faire revenir Huey en studio en 1978. Ce sont les sessions Sansu qu’on retrouve sur l’album Rockin’ & Jivin’. L’ensemble de toutes ces sessions arrachées à l’oubli sonne comme une bénédiction, dès lors qu’on en pince pour le son de la Nouvelle Orleans. On passe avec Huey des soirées extraordinaires.

    z20463itdomegood.jpg

             Tu entres dans les Banashak Sessions par la grande porte, c’est-à-dire «Through Fooling Around Part 1 & 2», c’est Gloria Franklin qui mène le bal et les Clowns claquent le beat. Le duo Gloria Franklin/Alex Cox se tape la part du lion, avec l’oooh-ooh baby de «Baby You Hurt Me», puis ils explosent la buenaventura de la Nouvelle Orleans avec «(I’m Gonna Gotcha) What’ch Bet», ils font ensuite du Shirley & Lee au bord du fleuve avec «(I’ve Got) Everything». Gloria t’explose encore l’Huey avec «(I Do Things Come) Naturally». On trouve ensuite Little Buck sur «Coo Coo Over You», et Pearl Edward sur «Blues 67». Tous ces interprètes sont bien sûr énormes. On retrouve du coo coo plus loin avec «Feeling Kinda Coo Coo Too», une pure merveille claquée au contretemps du coo coo too. Pur genius ! «Eight Bars Of Amen» est d’une incroyable modernité. Huey envoie sa meute et ça swingue ! Huey tape son «Ballad Of A Black Man» au heavy groove de wah, il rend hommage à Ray Charles, à Booker T. Washington, à Joe Lewis - Everybody knows Doctor Martin Luther King/ He was a peace loving man - Sur le disk 2, on retrouve la version moderne de «Rocking Pneumonia» tapée au heavy groove. Huey s’amuse bien avec son vieux hit. On entend Curley Moore et Scarface Joe Williams dans un «We Like Mambo» modernisé lui aussi en 1970 pour Atlantic. Extrême musicalité ! Ça joue le cha cha groove chez Huey ! Ils restent dans le vieux style mais avec un son heavy pour l’imparable «High Blood Pressure» - I’ve got / Ahhh highhh/ Blood pressure/ Down my veins - Tout est fabuleusement orchestré, Huey ne se foutait pas de la gueule d’Atlantic. Gloria Franklin allume «If You’d Only Come Back Home» aux clameurs de gospel et on retombe en plein mythe New Orleans avec «Don’t You Just Know It», ah-ah-ah eh-eh oooh ! Encore un coup de génie avec «I’m Boss Yeah Pt1 & Pt2».

    z20457jivin'.jpg

             On enquille ensuite les sessions Sansu parues sur Rockin’ & Jivin’. Huey chante lead, Roosevelt Wright fait le baryton et Margrette fait le falsetto. Ils sont accompagné par Skor, un groupe de blancs. Huey embarque «Witcha Way To Go» au baïon de la concorde, puis il rend hommage aux Coasters avec une fantastique cover de «Young Blood». Comme Chucky Chuckah, Huey possède la science infuse du lyric parfait. Il rend plus loin hommage à Hank Williams avec une cover de «Jambalaya (On The Bayou)». Une vraie perle noire. Il amène ensuite «‘Fore Day In The Morning» au heavy revienzy, c’est carrément Wolf à la Nouvelle Orleans, taillé à la serpe de sax. On reste au paradis de la musicalité avec «I’m So Blue (Without You)», come on home ! Basse énorme et gros coups de trombone. Comme il a besoin d’une rime avec monkey dans «Hip Little Monkey», il lance : «Who likes to get funky ?». Il te ramène au cœur du mythe, en plein dans Mac, en plein story telling, il te raconte une histoire de what’s it’s all bout, une histoire de monkey in a coconut tree, le groove glisse dans la légende, tu as tout le son de Wardell Quezergue et de Mac et de Cosimo et d’Harold Batiste et de Bobby Marchan et de Lee Allen et d’Earl Palmer et de Fatsy et de tous les autres géants de la Nouvelle Orleans. John Wirt révèle que l’album fut mixé sans Huey. En 1984, Huey et Margrette découvriront horrifiés que leurs chansons enregistrées au Sea Saint sont parues sans leur accord : c’est le fameux Rockin’ & Jivin’ paru sur Charly 1981.

             Les ceusses qui le possèdent s’en sont néanmoins régalés jusqu’à plus soif. Personne ne savait rien de cette carambouille. Comme déjà dit, on y croise des covers fabuleuses, le «Young Blood» des Coasters et le «Jambalaya (On The Bayou)» d’Hank Williams. Tout le son de la Louisiane est là. «I’m So Blue (Without You)» et «Little Chickee Wa-Wa» sont des prototypes de l’archétype inflammatoire.

    z20461pittapattin.jpg

             On retrouve les Banashak sessions sur un autre album Charly, Pitta Pattin’, paru en 1987 et déniché aux Puces, à l’époque. C’est l’âge d’or Gloria Franklin et Alex Cox et on retrouve bien sûr l’excellent «Coo Coo Over You» chanté à la voix cassée (Little Buck), et en B, le gros délire funéraire, «Bury Me Dead (Deep In My Grave)», ah ils s’amusent bien avec la tombe, ils y vont au baryton de deep in my grave suivi d’un coup de chat perché de Gloria au deep in my grave. Elle fait encore un carton avec «(I’m Gonna Getcha) Wat’cha Bet» qu’elle tape à l’arrache du gospel batch, yeah yeah yeah. Son watcha bet vaut tout l’or du monde. Puis le duo d’enfer Goria/Alex Cox se lance dans des numéros de cirque avec «(I’ve Got) Everything» et «Baby You Hurt Me» : pendant qu’Alex Cox fait sa folle, Gloria sings her ass off. Et puis il faut la voir achever le «Blues 67 Pt1» au scream.

    z20459goodtime.jpg

             L’Having A Good Time d’Huey Piano Smith & His Clowns est l’un des rares albums officiels d’Huey à être paru sur Ace en 1959. Attention, pas l’Ace des gens d’Ace en Angleterre, non, l’Ace de Johnny Vincent, le mover & shaker de Jackson, Mississippi. On y retrouve l’inévitable «Rockin’ Pneumonia», mais le cut qui rafle la mise du balda est l’excellent «Little Liza Jane» - You like to dance ! - Huey a toujours sous la main une petite gonzesse qui chante comme la Shirley de Shirley & Lee. Fantastique partie de rigolade avec «Don’t You Know Yockomo». C’est la grande force d’Huey : il aime la rigolade. Il s’amuse en B avec ah-ah get ah high/ Blood pressure/ On my head. C’est un festin, en plus d’être un hit séculaire. On retrouve toute la powerhouse de Little Richard derrière «Well I’ll Be John Brown». C’est le beurre qui rafle la mise dans «Everybody’s Wailin’» et dans «We Like Birdland». Pur afro-beat !

    z20462goodold.jpg

             Encore de l’Ace pur avec Good Ole Rock ‘N Roll et des liners signés Johnny Vincent. On trouve en balda une version bizarre de «Fortune Teller» et la sainte-barbe saute avec «Educated Fool», fantastique jumpy clownesque alimenté aux renvois de chœurs. Bobby Marchan se tape le «Second Line» et on retourne au cœur du mythe en B avec «At The Mardi Gras». Encore un coup de Jarnac avec «Bashful Bob» et ses chœurs de filles évaporées. Et tu retrouves tout le génie d’Huey avec «It Do Me Good», Gerri Hall chante, elle y va au chat perché infectieux et là tu as tout le génie du lieu : Huey + Clowns + Frank Field + Lee Allen + Mac et cette magnifique virée s’achève avec «That Will Get It», où Miss Gerri duette avec Huey.

    z20458rnrrevival.jpg

             Encore un coup d’Ace avec Huey Piano Smith’s Rock & Roll Revival, une sérieuse compile parue en 1971, avec au dos des liners de Greg Shaw. On retrouve tous les géants du cru, Bobby Marchan avec l’hey eh oh de «Don’t You Just Know it» et derrière, tu as Mac, Earl Palmer, Allen Toussaint, Lee Allen, Papoose Nelson et Earl King. Tout ici n’est que fantastique ambiance, Earl Palmer t’explose «Little Liza Jane» et le duo Huey/Gerri Hall fout le feu sur «Little Chicken Wa-Wa». Ah elle y va la Gerri ! En B, on retrouve sur «Honey Honey» toute l’ambiance des pétaudières du Little Richard de l’ère Specialty. Bobby Marchan explose le «Tiddley Wink», c’est l’un des princes de la nuit de la Nouvelle Orleans. Alors attention, il y a des inédits sur cette compile, c’est pour ça qu’on est là. Voilà l’énorme Frankie Ford & The Sisters avec «Alimony». Frankie est un crack, il tient bien sa rampe, il est de toute évidence le Killer de la Nouvelle Orleans. À la suite, Huey et Gerri Hall tapent la version originale de «Sea Cruise», sur un bassmatic demented ! Et Bobby Marchan referme la marche avec la pétaudière de «Loberta». Ah comme ça dégage chez Cosimo ! Le fantastique shuffle rythmique de la Nouvelle Orleans agrémenté de chœurs inlassables est d’une rare puissance. Pour Jay Cocks, cet album d’Huey va tout seul sur l’île déserte (in Stranded: Rock And Roll For A Desert Island).

    z20460serious.jpg

             On peut conclure ce brave petit tour d’horizon avec d’autres clients sérieux, les gens de Rhino. Il firent paraître en 1986 un Serious Clownin’ -The History Of HPS And The Clowns. En plus d’Huey, on retrouve sur la pochette Frankie Ford et Jimmy Clanton. Ford tape le «Sea Cruise» d’Huey en ouverture de bal de B et on assiste une fois de plus à la fantastique exubérance du beat. Bobby Marchan tape l’«Hush Your Mouth», un délicieux heavy groove à la Fatsy. On retrouve aussi ce clin d’œil aux Coasters, «Well I’ll Be John Brown» et l’allez allez allez ho de «Don’t You Know Yockomo», c’mon baby, ce démon d’Huey rocke sa chique ! Tout le good time roll de la Nouvelle Orleans est comme on le sait concentré dans «Little Liza Jane», ce fast jumpy jumpah. Jimmy Clanton tape «Just A Dream», mais ça sent trop le blanc. Pas bon. Par contre, Frankie Ford transforme «Loberta» en «Roberta». Pur power ! En B, tu vas aussi retrouver les classiques clownesques, «High Blood Pressure» et «Don’t You Just Know It». Bobby Marchan referme la marche avec «Rockin’ Behind  The Iron Curtain» qu’il chante à l’accent tranchant des bas-fonds du Dew Drop Inn. 

    Signé : Cazengler, Huey pineau des charentes

    Huey Piano Smith. Disparu le 13 février 2023

    Huey Piano Smith. Rockin’ & Jivin’. Charly Records 1981

    Huey Piano Smith. Huey Piano Smith’s Rock & Roll Revival. Ace Records 1971

    Huey Piano Smith & His Clowns. Having A Good Time. Ace Records 1959

    Huey Piano Smith. Serious Clownin’. The History Of HPS And The Clowns. Rhino Records 1986

    Huey Piano Smith. Pitta Pattin’. Charly R&B 1987

    Huey Piano Smith. Good Ole Rock ‘N Roll. Ace Records 1990

    Huey Piano Smith. It Do Me Good. The Banashak & Sansu Sessions. Charly Records 2012

    John Wirt. Huey Piano Smith & The Rocking Pneumonia Blues. Louisiana State University Press 2014

     

    *

    z20412.jpg

    Nous avions laissé Two Runner à la mi-juin 2022, elles venaient de remporter le Gems in the rough ( 2022 ), concours de musique bluegrass qui regroupa plus de 800 concurrents. Elles avaient alors quelques concerts en prévision dans leur escarcelle pour le mois de juillet. Ils se sont petit à petit multipliés, elles n’ont pas arrêté de tourner de tout l’été, la liste de la tournée n’en finissant pas jour après jour de s’allonger. A la rentrée elles annonçaient sur leur FB que lassées par le temps perdu et la fastidieuse tâche de mettre en place de nouvelles dates elles avaient pris un tourneur. Depuis le nom de Two Runner apparaît dans d’importants festivals de Bluegrass de cette nouvelle année. Enfin cerise supplémentaire sur l’apple pie, elles annonçaient la sortie de leur premier album pour le 24 mars 2023.

    Elles ne sont pas cruelles, en novembre 2022, puis en février et début mars 2023, elles ont présenté en avant-première trois morceaux de cet opus, certes nous les avons écoutés mais pas chroniqués car nous voulions avant tout juger du total impact de ce premier disque.  

    Pour les curieux qui n’auraient pas suivi les épisodes précédents nous renvoyons les lecteurs à nos livraisons 512 du 27 / 05 / 2021, 514 du 10 / 06 / 2021, 541 du 10 / 02 / 2022 et 559 du 15 / 06 / 2022.

    MODERN COWBOY

    TWO RUNNER

    ( Dark Horse Recording / Juin 2022 )

    z20411discbanfcamp.jpg

    Non, notre cowboy ne pose sur la couve ni avec son colt, ni avec son lasso, ni avec son cheval, l’est même absent, l’on n’y perd pas, avec ces deux jolies filles souriantes l’on y gagne à coup sûr, la modernité a parfois du bon, faudra s’y faire, inutile d’intituler l’album ‘’modern cowgirl’’, le message est clair, les filles sont là, elles remplacent avantageusement le cowboy Marlboro, elles l’ont relégué au magasin des antiquités, les temps changent. Est-ce pour cela qu’elles apparaissent dans un carré noir, à la manière des vignettes des BD de pirates, comme dans un cercle de longue-vue, parce qu’il est temps de prendre le vieux monde à l’abordage… 

    Tournez la pochette. Les fans de Two Runner ne sont pas surpris. Derrière elles, un paysage magnifique. N’habitent pas pour rien dans le Nevada, de nombreuses vidéos sur You Tube les présentent en pleine nature, en moto ou en voiture elles s’arrêtent volontiers lorsqu’elles aperçoivent arbres, rochers, parcs, rivières, elles se saisissent de leurs instruments, et dans un grandiose décor à couper le souffle se mettent à jouer et à chanter.

    Attention les amateurs de gros sons électriques, Two Runner se définit comme un duo d’American Roots, musicalement nous sommes quelque part entre bluegrass, folk, et une pincée de country, en un lieu indéterminé entre tradition et modernité. Détail d’importance, sur huit titres, cinq sont écrits et composés par Paige Anderson, deux ( 2, 3 ) par Paige et Z Bert.

    Paige Anderson : lyrics, vocals, guitare, banjo clawhammer / Emilie Rose : Fiddle, vocals / Pamela Roberts : bass / Ethan Anderson : upright bass / Dave Brewster : drums.

    Devil’s rowdydows : quelle entrée ! ces sourds tampons de batterie sur laquelle le clapotement incessant du banjo monte à l’assaut, tel le lierre qui se greffe sur le chêne, l’enlace et finit par ne faire plus qu’un avec lui, la voix de Paige mène le train, les zébrures infernales du violon de Rose éclatent en giboulées de mars, puis ruissellent en averses rutilantes. Cette sarabande est d’autant plus effrénée que les mots de Paige sont ambigus, la flamme du désir qui consume le présent se perd dans le rêve d’une éternité retrouvée. It’ s nothing : un ton plus grave, la rythmique en sourdine, la voix de Paige, les mots sortent lentement de sa gorge, le violon ne danse plus sur les vagues, le vent ne cingle plus sa grand-voile lyrique, lyrics d’une tristesse absolue, le fiddle tente de s’embraser mais l’archet d’Emilie étouffe ses pleurs, et si ce que nous avons vécu existait vraiment, si nous nous étions vraiment inscrits dans le cœur de la présence de l’être, à moins que tout cela ne soit tragiquement qu’un feu de paille éteint, que rien du tout… Run souls : bouleversant, notes de banjo égrenées dans le néant du temps, la voix de Paige s’élève, elle parle depuis l’autre côté, elle accuse depuis la face sombre de la nuit, elle conte son échec, une existence étriquée, le désir de quitter ce monde d’étroitesse, le violon vous perce le cœur, Paige pose des mots lourds de détermination sur la laideur du monde, le monde est pourtant si divin, que les âmes cherchent  l’aube des temps, le banjo éclate en sanglots inaltérables, le violon d’Emilie pousse son chant du cygne. Shakin’ down the accorns : instrumental, Emilie s’en donne à cœur joie, la basse a beau gronder par-dessous, le banjo devenir fou, l’on n’entend que le feu follet de son archet qui secoue le monde et le balance follement à le faire choir dans l’herbe du bonheur comme un fruit trop mûr. L’original ( 1947 ) de ce traditionnel est d’Edden Hammons dont la vie et son violon ressemblent au Bateau Ivre d’Arthur Rimbaud, un maître incomparable, Emilie y rajoute un zeste de folie non négligeable. Red sunrise : en quelque sorte la suite de Run souls, la voix de Paige monte comme une vague énorme qui s’est brisée sur une barrière de récifs infranchissables, elle appuie sur les mots de telle manière que l’on croit qu’elle arrache de sa chair des poignards enfoncés jusqu’à la garde, le violon d’Emilie n’est plus qu’un contre-chant de souffrances, tantôt sourdes, tantôt aigües. Effrayant. Ce morceau est à mettre en relation avec le libératoire Burn it to the ground qui n’est pas sur cet album mais qui forme une parfaite trilogie avec celui-ci et Run Souls. Modern cowboy : chant d’ivresse et de triomphe, la voix de Paige plane très haut, fiddlement soutenu par Emilie, un aigle s’élève dans son cœur, elle détache les mots comme les chercheurs d’or arrachaient les pépites aux racines des herbes sauvages, un hymne à la délivrance qui pointe telle la cime adamantine d’une montagne inconnue. Un petit côté tex-mex, l’ensemble m’évoque la scène de fête de La Horde sauvage dans le village mexicain, une espèce d’hymne miraculeusement suspendu hors du temps, avec cependant le sentiment diffus que ces pics de joie sans égale sont exceptionnels dans une vie humaine. Wild dream : un feu de joie, une course éperdue de s’être trouvées, le banjo qui batifole et le violon d’Emilie qui bat la chamade à l’unisson, une ronde d’allégresse sans fin, la batterie bondit jusqu’au septième ciel. Where did you go : contraste absolu avec le morceau précédent, notre pressentiment dans Modern Cowboy s’avère confirmé, la menace sourde prend ici toute la place, la Mort nous attend, Paige la regarde dans les yeux, elle est seule avec sa guitare. L’on ne se confronte à l’innommable que dans la nudité la plus absolue de son âme. De toute beauté.

             Un disque sans concession. Emouvant et magnifique. Paige et Emilie telles que la musique les a unies. Deux musiciennes hors-pair, la voix incomparable de Paige, cette légère raucité qui vous érafle le cœur à chaque mot qu’elle prononce un mot, et le violon d’Emilie qui s’insinue en vous telles des piqûres d’abeilles dont on ne guérira pas. Et puis les lyrics de Paige si simples et porteurs d’une mystérieuse aura poétique indiscutable.

    Pour ceux qui voudraient en savoir plus, nous signalons quelques vidéos en relation avec certains des morceaux présents sur le disque.

    z20414redsunrise.jpg

    Red Sunrise : outdoor take : d’abord le plaisir de voir Ethan Anderson le petit frère de Paige accompagnant sa sœur sur son upright basse, Emilie au violon les yeux fermés et Paige à la guitare acoustique dans son poncho à la Clint Eastwood dans Pour une poignée de dollars. Derrière eux, le bâtiment de Dark Horse Recording où fut enregistré le disque. Vidéo de Scott G Toepfer.

    Red Sunrise, by Two Runner,  Dark Horse Recording : vous n’êtes plus au-dehors mais dans le studio et vous assistez à l’enregistrement du morceau.

    Run souls, by Two Runner,  Dark Horse Recording : Paige, Emilie, Ethan, dans le bâtiment du studio.  Vidéo de Scott G Toepfer. Le studio est situé à Franklin, dans le Tennessee, près de Nashville.

    Wild dream || Back When FM : un enregistrement pour BackWhenFM lors de la tournée d’été de Two Runner, Emilie et Paige au banjo.

    Two Runner | Devil’s Rowdidows | Western AF : comme dans la précédente elles se présentent en quelques mots.

    Damie Chad.

     

    *

    Je commence par chanter Dèmètèr aux beaux cheveux, vénérable Déesse, elle et sa fille aux belles chevilles qu'Aidôneus, du consentement du retentissant Zeus au large regard, enleva loin de Dèmètèr à la faucille d'or et aux beaux fruits, comme elle jouait avec les filles aux seins profonds d'Okéanos, cueillant des fleurs, des roses, du safran et de belles violettes, dans une molle prairie, des glaïeuls et des hyacinthes, et un narcisse que Gaia avait produit pour tromper la Vierge à la peau rosée, par la volonté de Zeus, et afin de plaire à Aidôneus l'insatiable. Et ce narcisse était beau à voir, et tous ceux qui le virent l'admirèrent, Dieux immortels et hommes mortels. Et de sa racine sortaient cent têtes, et tout le large Ouranos supérieur, et toute la terre et l'abîme salé de la mer riaient de l'odeur embaumée.

    Hymne à Demeter

    In Hymnes Homériques

    Traduction : Leconte de Lisle

    MYESIS

    z20415myesis.jpg

    Et la Vierge, surprise, étendit les deux mains en même temps pour saisir ce beau jouet ; mais voici que la vaste terre s'ouvrit dans les plaines de Nysios, et le Roi insatiable, illustre fils de Kronos, s'en élança, porté par ses chevaux immortels. Et il l'enleva de force et la porta pleurante sur son char d'or. Et elle criait à haute voix, invoquant le Père Kroniôn, le très puissant et le très suprême ; mais aucun des Dieux immortels ni des hommes mortels n'entendit sa voix ni celles de ses compagnes aux mains pleines de belles fleurs.

    Reconnaissez que comme commentaire à la couve de Myesis je ne pouvais faire mieux que de recopier la deuxième strophe de cet Hymne à Demeter dans la traduction de Leconte de Lisle. Je me contenterai de rajouter que cette fresque ornait un des murs de la tombe dite d’Eurydice, non pas la compagne d’Orphée mais la mère de Philippe II père d’Alexandre le Grand. Il s’agit d’un des douze tombeaux Macédoniens retrouvés dans les restes de la cité royale d’Aigai.  

    TELESTERION

    (K7 – CD / Bandcamp )

    Ce n’est pas un hasard si cette chronique s’ouvre par les premières lignes de L’Hymne à Demeter. Malgré leur titre Les Hymnes Homériques n’ont pas été écrits par Homère, leur rédaction est néanmoins ancienne puisqu’elle remonte à l’époque d’Hésiode. Les poèmes de ce recueil se présentent comme des invocations aux principales divinités grecques. L’Hymne à Demeter conte le rapt de Koré la fille de Demeter par Hadès ( Aidôneus). La mère éplorée se désole de cette disparition, elle refuse de laisser pousser les récoltes, Zeus règlera le problème : 1 / 3 de l’année Koré, sous le nom de Perséphone, siègera sur le trône des Enfers aux côtés d’Hadès son ravisseur devenu son mari qui lui permettra de vivre les 2 / 3 tiers restants à l’air libre auprès de Demeter. Une belle légende certes, mais arquée sur les vieux mythes agrestes proto-néolithiques dont la naissance accompagna les premiers déploiements de la naissance de l’agriculture. Ce long poème est une entrée propylétique aux Mystère d’Eleusis.

    Telesterion était le nom du bâtiment dans lequel se déroulaient des cérémonies des Mystères d’Eleusis. Le nom du groupe ( qui sont-ils ou qui est-il au juste ) est une référence explicite aux Mystères d’Eleusis et d’une manière générale aux cultes à mystères de l’antiquité gréco-romaine. Dans nos livraisons 590 du 02 / 03 / 2023 et 561 du 27 / 06 / 2022, nous avons chroniqué les premiers enregistrements de Telesterion.

    Ce n’est pas un hasard si Myesis ( = Initiation ) a été mis en ligne ce 18 mars 2023. Les quatre morceaux de cet album sont sortis aux dates ( 12, 14, 16, 18 mars ) correspondant aux quatre journées dévolues aux cérémonies des Petits Mystères d’Eleusis qui se déroulaient durant le mois d’Anthestérion (soleil dans la constellation du bélier ) en Grèce Antique.  

    Arrival /Seekers : contrairement à ce que l’on pourrait croire les petits mystères d’Eleusis ne se déroulaient pas à Eleusis, mais à Agra bourgade proche d’Athènes. Les seekers ( = chercheurs ), que nous appellerons mystes ( couronnés de myrte), sont accueillis et guidés par les mystagogues ( prêtres, prêtresses), ils doivent prouver qu’ils sont grecs ( connaissance de la langue grecque ) et juré qu’ils ne sont pas des meurtriers. N’est-ce pas Demeter qui a purifié Hérakles du meurtre des Centaures ? Sans doute sont-ils reçus dans le temple de Demeter. Ils y suivent une première séance de purification. Peut-être quelques gouttes d’eau lustrales pour les débarrasser de toutes souillures mais surtout un enseignement élémentaire selon lequel ils apprennent qu’ils doivent abandonner leur nature sauvage, ainsi ils ne doivent plus consommer de viande, la consommation de ces protéines animales est le signe d’une espèce humaine parfois anthropophage qui n’avait pas reçu de Demeter les premières notions civilisatrices initiées par les pratiques de l’agriculture : basse grave, les initiations étaient censées se dérouler dans le silence, le son s’intensifie petit à petit, suivons-nous une procession nocturne éclairées par des torches, en souvenir de cette torche avec laquelle Demeter tenta de percer les ténèbres près d’Eleusis pour retrouver sa fille, chacun se doit de penser en soi-même, par soi-même, embrasement soudain, la musique devient aussi lourde que le poids de ces connaissances que l’on se doit d’intégrer pour progresser, des chœurs puissants chuchotent à notre oreille, désormais il faudra se taire et ne jamais divulguer ce que l’on aura appris, sous peine de mort, la batterie se fait de bronze retentissante, les chœurs deviennent écrasants, il est impossible de reculer, attention le chemin sera long et difficile, tintamarre spirituel dans les crânes, l’on n’a aucune idée de là où l’on ira mais l’on sait que la pente sera dure à monter, les dieux sont en haut, grandioses et nous dominent. Offering / Diasa : avant d’aborder ce deuxième moment de l’initiation, l’on passera la nuit sous une tente dépouillée de tout luxe, manière symbolique d’abandonner sa richesse matérielle et toute ancienne pensée de futilité qui distrayait nos âmes alors obscurcies… le sommeil sert à se reposer, il est aussi l’instant des rêves, pas ceux de M. Freud, plutôt des songes envoyés par les Dieux.  : tubulures de basses grondante, offrandes de gâteaux que l’on jette dans le feu dédiés à Dionysos le dieu qui est né mortel, la musique s’enflamme tel un gigantesque incendie, déchiré par les géants, que Zeus a reconstitué et à qui il a octroyé le don suprême de l’immortalité, les mystes sont soumis à des trombes assourdissantes de tambours de bronze, l’air sonore vibre et retentit et et assourdit, les mystagogues entament-ils autour d’eux une espèce de ballet corybantique, un peu comme si tout cette agitation était le signe qu’il fallait en quelque sorte détacher symboliquement l’âme du corps. Libations / Fleece of Zeus : troisième moment : même résonnance davantage clinquante, pas joyeuse mais délivrée, ces cymbales fouettées sont-elles à l’image de ces coupes emplies de miel, dont la gluance désigne l’embourbement de notre esprit dans notre enveloppe charnelle,  que l’on lève vers les dieux et dont on verse quelques gouttes vers la terre en pensant à la très haute culminance des Dieux, le son vous perce les tympans, vous êtes en une position difficile, debout les deux pieds qui ne marcn’avancent pas, c’est la lourde démarche de votre esprit dont la batterie reproduit les sons d’une marche en avant implacable, vos pieds reposent sur la peau d’un bélier, symbole de cette toison d’or qui appartenait au bélier préféré de Zeus l’assourdissant, de Zeus l’oragique, autour de vous cette ronde tapageuses des mystagogues qui tournent  sans fin et vous avez l’impression que leurs pas font trembler les voûtes des abysses infernaux. Liknon / Purification : quatrième et dernier moment : vous avez reçu un enseignement, il est temps maintenant que vous l’intégriez sous la forme d’un symbole, mais d’un symbole actif, pas un objet, mais une cérémonie qui vous permettra de mieux saisir le sens de votre aventure : vent de résonnance, c’est l’épreuve du van, si votre esprit a reçu une première purification, les déchets de ces vieilles écorces mortes sont encore présents en vous, le vent orchestral se lève et souffle sans discontinuer, lorsque Demeter a appris aux hommes à récolter le blé, elle a brandi très haut le van d’osier pour que le souffle d’Eole chasse les impuretés végétales dans lesquelles le grain était enfoui, opération nécessaire à la composition d’une nourriture qui ne ressemble point aux graminées que mâchent les animaux mais qui soit cette nourriture qui sépare l’homme de l’animal. Un chœur triomphal rehaussé de festons volumiques triomphaux éclate et emporte votre adhésion. Un peu comme votre rudesse native et naïve a été désencroûtée de cette boue d’ignorance qui obstruait vos facultés de penser.

    Les Petits Mystères sont justes un décrassage intellectuel. Sans eux les Grands Mystères vous resteraient incompréhensibles. Il nous faudra attendre l’équinoxe d’automne pour le deuxième stade de l’initiation. Ne dîtes pas que c’est plutôt facile et assez simple. Nous venons d’apprendre à écrire, à lire et à compter. Munis de cette science élémentaire nous avons l’impression de savoir penser. Cette croyance est la preuve indubitable de notre ignorance. Un disque à écouter et à méditer. Merci à Telesterion  de cette offrande musicale, un hymne digne des Dieux.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne connaissais pas, j’aurais dû, ils ont sorti une bonne vingtaine d’albums depuis leur formation en 1984. Le dernier Bad Moon Rising date de 2021.Suis tombé dessus tout à fait par hasard. Mais la couve m’a percé les deux yeux d’une seule flèche. J’ai toujours aimé les indiens. Alors ce peau-rouge, imaginons un sioux, sur son poney effectuant une salutation au soleil m’a transpercé le cœur. Moi aussi j’ai fait partie d’une tribu indienne, je vous raconterai cela une autre fois. Le peu, en fait ils sont célèbres, que j’ai glané sur eux m’a plu. Z’ont choisi leur nom un peu comme Alfred Jarry a marqué au fer rouge M. Hébert le nom de son professeur de physique le transformant avec ses camarades lycéens en Ubu, Melvin était le nom de l’employé le plus haï de l’équipe qui travaillait dans l’épicerie où bossait le guitariste fondateur King Buzzo. Le turn over n’a jamais cessé dans le groupe, z’étaient présents aux débuts du grunge, Dave Crover a même battu le beurre pour Nirvana, leurs expérimentations soniques ont ouvert les pistes du stoner et du doom… Bref en me penchant sur cet album je répare une injustice que j’ai commise envers moi-même par ignorance.

    LYSOL

    MELVINS

    ( Boner Records / 1992 )

    z20416lysol.jpg

    Encore une fois j’ignorais ce que signifie le titre de cet album. Pour signaler les méfaits que son écoute risquait de produire sur les personnes fragiles ils n’ont pas hésité à se servir d’une marque de produits désinfectants renommés pour leur efficacité… disons peu écologique ! Lysol n’ayant pas apprécié, Boner Records a dû repasser toutes les mentions Lysol au feutre noir !

    Dale Crover : batterie / Joe Preston : basse / King Buzzo : vocal, guitare.

    Hung bunny : grincement censé être désagréable pour toute oreille humaine non habituée aux douces sonorités du rock ‘n’ roll, commencent par un solo, car il vaut mieux être solo que malo accompagnato, ce n’est pas une entrée fracassante mais faite  pour décourager les néophytes imprudents qui s’aventureraient là où ils ne devraient jamais laisser traîner l’oreille, surtout la droite, quelques tombées de batterie espacées pour laisser durer le suspense, en fait il n’y en a pas, ou vous aimez marcher sur la queue d’un crotale ou vous n’aimez pas, c’est tout, au fond peut-être une espèce de mélopée hindou vocale, le genre d’horreur dans laquelle Ravi Shankar ne s’est jamais aventurée, ça y est le train démarre enfin et prend de la vitesse, pas trop car il faut savoir faire durer le déplaisir, le drumming halète comme un chameau du désert assoiffé, tiens l’on a augmenté la vitesse de pointe, émoussée parce que ça fait plus mal quand on vous l’enfonce à coups de marteau dans le crâne. Vomissure de vocal, enfin ça ressemble un peu, c’est-à-dire pas vraiment beaucoup, à un vrai morceau de rock’n’roll, encore faudrait-il s’entendre sur la notion de vrai, par contre l’est vrai que l’on a changé de titre, l’on ne s’en est pas aperçu mais l’on s’en doutait, oui l’on est dans Roman dog bird peut-être est-ce un peu tard car il ralentit, l’on suppose pour se terminer, l’on doit tout de même pouvoir bien achever un  roman ou un chien ou un oiseau. Question de piaf, c’est plutôt chouette, l’on nage dans une espèce d’oratorio fuzz-noise et l’on adore. Tremblons voici venir le moment du Sacrifice : pas possible une basse vous caresse dans le sens de l’harmonie, c’était trop beau, pour qui sont ces serpents siffleurs qui s’en viennent nicher dans nos oreilles, la batterie vient les rétamer à coups de marteau, des hurlements emphatiques prennent la relève et les riffs de guitare vous  imitent la courbure des dauphins qui bondissent et rebondissent au-dessus des vagues, à l’avant du bateau le mec n’a pas l’air très bien, pourquoi a-t-il besoin de s’égosiller comme une sirène déréglée, ça va mieux il se tait, on croirait entendre des mouettes dans les embruns, ça ressemble un peu trop à des caquètements de poulets lors d’une cérémonie vaudou, on leur tranche le cou en vitesse car on ne les entend déjà plus. Second coming : roulements militaires de caisse claire et montée en gamme guitarique, mon Dieu tout puissant, cela ressemble enfin à de la musique écoutable, évidemment ça ne dure pas longtemps. The ballad of Dwight Fry : un gars sympathique ce Dwight Fry un acteur que l’on rencontrait dans des films des années 30 comme Frankenstein et Dracula, un bienfaiteur de l’humanité qui a peuplé les cauchemars d’une foule d’innocents spectateurs, l’on espère des horreurs sonores, l’on est déçu au début car c’est du genre mélodique, mais du mélodique hurlé de temps en temps, soyons francs l’on aurait préféré un truc beaucoup plus chaotique. With teeth : ouf l’intermède lyrique est terminé, rebattent la mayonnaise lentement mais fortement, à la manière des coups de fouets que le bourreau vous inflige sans se presser pour que vous ayez le temps de goûter la brûlure de la lanière. D’ailleurs ç’est trop vite fini.

             La première face de l’album est la plus aventureuse, la deuxième en retrait donne l’impression d’avoir été rapidement expédiée. Ces Melvins méritent détour et exploration.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    a30000molosa.jpg 

    ( SERVICES SECRETS DU ROCK'N'ROLL )

     DEATH, SEX AND ROCK'N'ROLL !

    115

    Nous étions prêts, mais durant dix minutes il ne se passa rien de bien tangible. Devant notre mine étonnée le professeur Laffont prit la parole.

              _ Messieurs je vois poindre un soupçon d’incrédulité dans vos regards, je vous rassure, c’est tout à fait normal, nous venons de mettre en action les casques de virtualité intellectuelle, ils fonctionnent un peu à la manière de radars, ils sont actuellement en train de forcer, n’ayez pas peur de ce mot, l’épaisseur osseuse de votre boîte crânienne, cette opération demande une demi-heure durant laquelle il ne se passe rien d’extraordinaire, c’est pour cette raison que durant les vingt minutes qui suivent nous installons le dernier appareil nécessaire à la clarté de cette opération, n’ayez crainte !

    Le professeur tapa dans ses mains, dans notre dos la porte du local s’ouvrit, cinq secondes plus tard deux nouveaux techniciens se hâtèrent de déplier devant nous un écran de projection pour diapositives :

              _ Je m’attendais à quelque chose de plus évolué !

              _ Oui Monsieur Lechef, vous avez raison, cet écran ne fait pas à proprement parler de l’expérimentation, il est là pour votre distraction et votre curiosité. Dans quelques minutes sera projetée l’image de contrôle qui se trouve sur le moniteur de l’ordinateur depuis lequel nous commandons et surveillons le déroulement de notre expérience. Maintenant j’exige de votre part le silence absolu afin que je puisse discuter avec Mr Serge Blondin, notre chef-opérateur, l’as des as, diplômé du Technological Institute of Massachusetts. Serge tout se déroule-t-il normalement ?

              _ Aucune problématique aléatoire, le processus suit son cours, nos deux messieurs pourront admirer l’image de leur cerveaux d’ici deux ou trois minutes environ.

    Il avait raison. Il y eut comme une focalisation de lumière sur l’écran. Elle tremblota un peu, de vagues couleurs indéfinissables se stabilisèrent bientôt sous forme d’un trait noir qui divisa l’écran en deux.

              _ A droite s’affichera l’image du cerveau de Mr Chad, à gauche celle du cerveau de Mr Lechef, pédagogisa le professeur Laffont

    En effet je ne tardais pas à visualiser la représentation de ma boîte à intelligence pure. Pour le Chef, rien n’apparaissait.

              _ Problème technique, Professeur Laffont, l’image de gauche est trop floue, elle est quasiment invisible sur le moniteur !

    • Lancez tout de suite une ADE Serge, je précise pour nos patients une analyse descriptive de l’élément !
    • Voilà qui est fait, je lis à haute voix le résultat automatique : ‘’ Présence de fumée coronadienne dans la boîte crânienne faisant obstacle à la pénétration des rayons’’
    • Rien de grave, nous avons rencontré cette problématique sur un lot de souris de laboratoire, après enquête il s’est avéré que le gardien de nuit s’était pris d’amitié pour ces rongeurs et qu’il emmenait leur cage dans sa loge de surveillance dans laquelle il passait son temps à fumer toute les nuits… Déclenchez un NLP, sur la caméra.

    Nous n’avons jamais su ce qu’était un NLP, mais l’amélioration fut immédiate, le cerveau du Chef apparut dans toute sa majesté.

    116

    _ Bien messieurs, nous vous octroyons vingt minutes récréatives durant lesquelles M. Blondin va établir les corrélations échangières entre les deux fuseaux d’exploration, chacun d’eux s’occupe d’un de vos cerveaux, nous établissons ainsi un mouvement d’extraction et de remplissage de vos deux subconcients afin d’effectuer le transvasement. Cela demande une vingtaine de minutes, pour que le temps d’attente vous soit moins ennuyeux une collaboratrice viendra vous servir une petite collation.

    La porte du   local s’ouvrit et la collaboratrice entra. En blouse blanche, mais au col si entrouvert que lorsqu’elle se pencha vers moi pour me tendre un verre de Moonshine j’entrevis jusqu’à son nombril. Peut-être plus. Ce fut le moment le plus agréable de la séance. Molossa et Molossito eurent même droit à une boîte de chocolat et moultes caresses. Hélas l’intermède s’achevait.

              _ Charmante enfant demanda le Chef, nous vous remercions de vos prévenances, avant de vous éclipser pourrions-nous au moins savoir notre nom ?

               _ Au revoir messieurs, ma participation est terminée, je vous souhaite une bonne soirée, je m’appelle Alice.

    Nous entendîmes la porte se refermer derrière elle.

    117

              _ Voilà, Serge actionne notre procédé de colorisation situationnelle, par exemple cette partie colorée en rouge est la zone de l’intelligence, son étendue diffère selon les individus, par exemple celle de M. Lechef occupe un espace quatre fois supérieur à celle de M. Chad, c’est normal puisque M. Le chef est le chef de l’agent Chad. A l’arrière du cerveau se trouve la zone du subconscient. Ne cherchez pas l’inconscient, la théorie de Freud ne tient pas la route, ce que nous appelons subconscient est la somme de tous les souvenirs stockés par la mémoire. Considérez le subconscient comme une immense bibliothèque, chaque souvenir représente un volume. C’est un peu comme les livres de votre propre bibliothèque, vous ne vous souvenez plus jusqu’à l’existence de certains, vous relisez vos préférés souvent, d’autres évoquent en vous quelques vagues souvenirs mais vous n’éprouvez plus le besoin de les relire. Bref tout dépend de votre intérêt. Ou de votre désintérêt. Le cas de M Lechef est intéressant, il ignore le titre du volume qu’il recherche et il n’arrive point à se remémorer le rayon dans lequel il l’a rangé. Il râle, il s’obstine, il s’énerve, car il sait qu’il correspond à un problème qui l’obsède présentement. Sans doute s’il prenait huit jours de vacances, il y mettrait la main dessus sans même y penser, mais j’ai cru comprendre que c’était urgent ! Mais je vois que nous pouvons débuter le transvasement.

    Deux traits rouges réunirent sur l’écran nos deux zones subconscientes de couleur vertes. Au fur et à mesure que les zones se vidaient elles se remplissaient. Je comprenais enfin pourquoi les instituteurs torturaient les élèves avec ces problèmes de robinets qui coulent alors que les baignoires fuient, si j’avais su j’aurais mieux écouté… La voix de M Laffont me tira de mes réflexions.

              _ Voilà, c’est fini. M. Lechef je vous laisse vous débrouiller avec les souvenirs de l’agent Chad. Vous ne risquez pas grand-chose, contentez-vous de vire avec une grande intensité l’instant présent. Quelques derniers conseils pour M. Chad. Ne vous précipitez pas sur les souvenirs de M. Lechef, vous ne savez pas ce que vous cherchez au juste, vous avez toutes les chances de vous perdre. Laissez-les venir à vous. Le plus simple est de vous coucher ce soir à votre heure habituelle, vous avez quatre-vingt-dix-neuf pour cent de chance qu’ils affleurent dans vos rêves, dès ce soir. Messieurs téléphonez-nous dès que vous voudrez rentrez en possession de vos propres souvenirs. Le temps de vous débarrasser de notre matériel et nous vous laissons tranquilles.

    118

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Dure journée agent Chad, je crois que nous allons en rester là pour aujourd’hui. Je vais suivre à la lettre les conseils du Professeur Laffont, je vais essayer de vivre intensément pour ne pas entrer dans vos souvenirs avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaines. Ce soir je double ma ration de Coronados, durant l’intermède j’ai donné rendez-vous au restaurant à notre délicieuse Alice qui a si bien pris soin de nous, je pense me pencher de très près sur le mystère de ces Alice successives qui croisent notre chemin. Quant à vous agent Chad, rentrez à Provins, pas d’excès, une promenade digestive à Molossa et Molossito, ensuite au dodo. N’oubliez pas la suite de notre enquête et la survie du rock ‘n’ roll dépendent de vous.

    119

    Sur la route de Provins j’étais aussi dépité qu’Eddy Mitchell sur la route de Memphis. Je n’en menais pas large. Je pressentais que la nuit serait dure. Toutefois un agent du SSR n’a jamais peur, j’accélérai, rien ne sert de fuir le danger, il vaut mieux l’affronter. Sur la banquette arrière les chiens se mirent à hurler à la mort.

    A Suivre…