Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 52

  • CHRONIQUES DE POURPRE 544 : KR'TNT 544 : MONKEES / NOEL GALLAGHER / LEFT LANE CRUISER / NAOMI SHELTON / JOSE MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 544

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 03 / 2022

    MONKEES / NOEL GALLAGHER

    LEFT LANE CRUISER / NAOMI SHELTON

    JOSE MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

     

    C’est parti Monkee Kee - Part Two

     

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

                Mike Nesmith, que ses amis surnommaient Nez, vient de casser sa pipe en bois. Il est parti, le Kee Kee, aussi allons-nous lui rendre hommage et plonger une fois encore dans l’extraordinaire histoire d’un groupe qui pendant un temps rivalisa de candeur pop avec les Beatles. Les Monkees font partie de ces groupes sur lesquels il n’est pas très élégant de cracher. Leur histoire est celle de quatre mecs brillants embarqués dans le tourbillon du music biz américain des early sixties.

             En 1965, on avait nos chouchous dans les groupes. John Lennon dans les Beatles, Brian Jones dans les Stones. Dans les Monkees, le chouchou c’était Nez, avec son bonnet vert. Il était le guitariste et l’âme du groupe, mais on admirait aussi ce chanteur fantastique qu’est toujours Micky Dolenz.

             Pour plonger dans leur histoire, on dispose d’un tas de choses : des disks (qu’on a épluchés dans un Part One), des livres et des films. Il existe un gros tas de livres sur les Monkees. D’ailleurs, les Monkees sont s’y quasiment tous mis, comme les Pistols. Tous sauf Peter Tork (dans les Monkees) et Paul Cook (dans les Pistols). Les autobios de Nez, Davy Jones et Micky Dolenz jettent un éclairage extraordinaire sur l’histoire du groupe et sur l’environnement dans lequel ils ont évolué. À quoi il faut ajouter l’ouvrage de Peter Mills, The Monkees, Head And The 60s, qui comme son titre l’indique focalise plus sur Head, le film surréaliste de Bob Rafelson qu’on revoit environ tous les dix ans, sans jamais admettre qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre, mais on le revoit, comme on revoit Hard Day’s Night

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Nez a titré son autobio Infinite Tuesday. Au vu de l’objet, on croit que c’est un livre d’auteur : beau choix de papier, de format et d’interlignage, mais ce n’est pas le cas, loin de là. Dommage car Nez démarre en force en rendant deux hommages spectaculaires : le premier à Jimi Hendrix et le second à Bo Diddley. En 1967, Nez est à Londres. Il a rendez-vous dans un restaurant avec John Lennon et Cynthia, la poule d’avant Yoko. John nous dit Nez est en retard et il finit par arriver, essoufflé, il s’excuse et dit qu’il était dans un club où se produisait un mec qu’il a enregistré sur un petit magnéto. Il pose l’engin sur la table et fait écouter : c’est «Hey Joe» et l’inconnu s’appelle Jimi Hendrix. Et là, Nez parle de Visitation. Quand le cut s’achève, quelqu’un dit : «Comment un mec peut-il être aussi bon ?». Conscient que Londres est l’œil d’un typhon qui ravage le monde entier, Nez affirme que Jimi Hendrix est bien pire : un maelström - Both the center and the circonference, with his own gravitational force. He was music as a mass, and all that revolved around that music changed the landscape of the mind. Hendrix fit reculer les limites du son de la même manière que Duchamp fit reculer celles de la vision. Nude Descending A Staircase et «Little Wing» sortaient d’un Purple Haze - Pas mal, le parallèle avec Duchamp. Dommage que tout le book ne soit pas à ce niveau référentiel. Nez reprend : «En recyclant le rock’n’roll américain, les British bands ont levé une tempête, mais Hendrix a ouvert un monde et créé un nouveau style de musique. En créant ce monde et en explorant les sonic possibilities des instruments, il montra le chemin aux groupes qui se formaient.» Il rend à peu près le même genre d’hommage à Bo Diddley qu’il voit à la fin des années 50 dans un club de Dallas, Louann’s. Oui car Nez est texan. Il décrit l’un des génies de l’humanité : «Bo avait une présence énorme, avec la guitare bricolée sanglée très bas sur les genoux, son blazer blanc et son nœud pap, et ses musiciens qui portaient des blazers rouges, sauf Peggy qui portait un one-piece extrêmement moulant en lamé or et des talons aiguilles. Elle jouait elle aussi sur une guitare sanglée très bas, comme celle de Bo. Ils étaient branchés sur des Fender Twin Reverb.» Et un peu plus loin, il ajoute, la bave aux lèvres : «Bo and Peggy and Jerome were the first iteration of the Jimi Hendrix Experience in my life, the first time I kissed the sky.» C’est drôle comme ces phrases peuvent être jolies, plus jolies qu’en français - Quand Bo joua ce soir-là, j’entendis pour la première fois une musique qui correspondait à celle que j’avais en tête. En matière de rock, j’avais entendu beaucoup de choses, mais aucune n’était aussi complète que celle de Bo. Elle n’était pas seulement complète, elle était à la fois infinie et réelle.»

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Bon, Nez postule pour un rôle dans les Monkees et l’obtient. Avant de devenir un groupe, c’est une série télé qui raconte l’histoire d’un groupe, ne l’oublions pas. Très vite, Nez propose d’écrire des chansons et Bob Rafelson l’encourage à continuer. Il le branche aussi sur Tommy Boyce et Bobby Hart, des compositeurs maison chez Screen Gem avec lesquels il s’entend bien, mais il ne peut pas travailler avec eux. Boyce & Hart pondent rapidement «Last Train To Clarksville». Nez ne s’étend pas trop sur le stardom des Monkees. Il raconte cependant une anecdote typique de cette époque. Un matin très tôt, vers 6 h, il se rend en bagnole au studio de télé. Il s’arrête à un feu rouge à l’angle de Berverly et Santa Monica. Il n’y a personne dans les environs, sauf une jolie jeune fille. Elle traverse la rue devant le Buik Riviera de Nez et le reconnaît au volant. Alors elle se met à hurler et se jette sur le capot. Elle frappe le pare-brise et crie : «Mike !». Nez est scié. Au bout d’une minute ou deux, elle semble retrouver ses esprits, elle descend du capot, se réajuste et s’en va, l’air un peu gêné. Elle disparaît aussi vite qu’elle est apparue, comme si rien ne s’était produit.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Nez évoque aussi le combat qu’il mène contre Don Kirshner, le mover shaker du Brill qui considère les Monkees comme sa poule aux œufs d’or. Nez veut obtenir l’indépendance artistique des Monkees et Kirshner s’y oppose. Alors Kirshner menace Bob & Bert, les réalisateurs de la série télé, mais les Monkees ignorent les menaces et enregistrent Headquarters. Kirshner les convoque à une réunion au Berverly Hills Hotel de Los Angeles. Il n’exige qu’une chose de la part des Monkees : la loyauté. Il leur promet monts et merveilles, il va faire d’eux les Beatles américains. Pour ça, il a toute son armada d’auteurs compositeurs au Brill. Nez refuse l’offre poliment. Il ajoute qu’il bosse pour Bob & Bert qui encouragent les Monkees à devenir indépendants, il ne bosse pas pour lui, Kirshner et son armada. Nez sent que Kirshner le pousse à trahir Bob & Bert. Le bras droit de Kirshner sort alors le contrat et fait planer la menace de procès et c’est là que Nez perd patience et défonce la cloison d’un coup de poing. Headquarters sera le seul album enregistré par les quatre Monkees.

             L’épisode le plus passionnant du Nez book est celui de sa relation avec Jack Nicholson, Peter Fonda et Dennis Hopper - Peter et moi sommes devenus potes grâce à nos motos. Je conduisais une Triumph Bonneville et Peter une Harley. On roulait dans les canyons. Peu de temps après, il fit transformer sa Harley en chopper et il commença à porter le casque de Captain America. Dennis Hopper était un pote de Peter et Jack Nicholson entra dans le cercle à son tour - Dennis Hopper propose à Nesmith de bosser sur la BO d’Easy Rider - Dennis était l’un de ces ‘movie types’, comme je les appelais, et je m’entendais bien avec lui, car on avait le même visual sense. Je comprenais ce qu’il voyait. Il était d’humeur changeante, et je ne savais jamais ce qu’il pensait, aussi n’était-il pas un dance partner, mais il avait tout mon respect et toute mon attention, car il amenait toujours quelque chose d’unique. Quand il m’a demandé de bosser sur la BO de son film, j’ai pensé à utiliser un brass big band, the Memphis Horns meet Harry James, mais c’était comme de dire oui à quelqu’un qui te demandait si tu savais piloter un avion cargo - Inspiré par l’Help de Richard Lester, Nez, Bob et Jack commencent à travailler sur le projet d’un film, Head. Bob & Bert envisageaient avec ce projet de tuer le mythe qu’ils avaient créé, c’est-à-dire les Monkees de la télé. Mais ils n’avaient aucune idée de départ. C’est Nicholson qui trouve l’idée de tout situer dans les cheveux du personnage : des pellicules dans les cheveux de Victor Mature.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Un peu plus tard, Nez et Nicholson voient Jerry Lee sur scène. En sortant du club, Nicholson dit à Nez que Jerry Lee est le plus grand live show qu’il ait vu dans sa vie - Bien des années après, Jack évoquait encore le power de Jerry Lee - Nez rend un autre hommage, cette fois à Chris Blackwell - One of the few authentic people I met on the business side of the music industry, without question the best record exec and music curator I ever knew - Nez dit en gros la même chose que Glyn Johns.

             On est alors en droit de penser que le book va rocker, mais il faut vite déchanter. La deuxième partie concerne en gros The First National Band, puis Nez raconte dans le détail ses mésaventures sentimentales et la façon dont il a inventé le vidéo-clip. Bon bref.

             En 1970, Nez rachète son contrat Colgems pour 160 000 $. C’est tout ce qu’il possède. Il  quitte Los Angeles et s’installe à Palm Springs.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             L’un des meilleurs investissements qu’on puisse faire, c’est la box Edsel qui s’appelle Songs et qui rassemble douze albums de Nez, l’essentiel de sa carrière solo et surtout les extraordinaires albums du First National Band, qu’on prend très au sérieux une fois qu’on les a écoutés. Cette box est la mine d’or du roi Salomon. On savait le Nez doué, mais pas à ce point.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Le cœur palpitant de la box, ce sont les trois albums de The First National Band, avec des pochettes qui ne payent pas de mine, mais diable comme ces albums sont bons ! C’est chanté, ça sent bon l’Americana et ce qui frappe le plus, c’est la modernité de ton, à partir d’un genre éculé par tant d’abus, la country. Pochette bleue pour le premier National Band, Magnetic South. «Calico Girlfriend» sonne comme un fantastique assaut. Appelons ça le country power de Papa Nez, comme l’appelle Martin Ruddock dans Shinding!. Terrible et vite embarqué. Papa Nez propose une fantastique texture d’allure. Avec «Little Red Rider», il draine de la heavy country pop fabuleusement bardée de son. «The Crippled Lion» bascule dans une sorte de magie. Tiens je te donne dix Gram Parsons en échange d’un Papa Nez. Sa country sonne comme du rêve cadencé - What is the color of the sun - Il a juste un mec à la basse (John London) et un mec au beurre (John Ware), et bien sûr Red Rhodes à la pedal steel. «Joanne» sonne comme un hit. Papa Nez a des accents de génie. Essaie de claquer des trucs aussi purs, tu verras si c’est facile. Le First National Band embarque «Mama Nantucket» ventre à terre et Papa Nez fait du yodell. C’est extrêmement puissant. Il est parfait dans son rôle de country Monkee. Tous les cuts de cet album sont bons, les dégelées country se succèdent et avec «Beyond The Blue Horizon», il passe du rétro d’Americana aux clameurs de la modernité. Petite cerise sur le gâtö : Papa Nez indique à Bob Mehr qu’ils étaient complètement défoncés lors de l’enregistrement de Magnetic South - We did the entire Magnetic South album drunk and high - Il faut savoir que Red Rhodes adore jouer défoncé, qu’il cultive la meilleure herbe d’Hollywood et qu’il en vend à ses voisins. 

    monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Papa Nez se retrouve enfin en couverture de Shindig!. Il porte son Nudie suit. Martin Ruddock emprunte «Beyond The Blue Horizon» pour titrer son bel article et qualifie Papa Nez de «reluctant teen idol» ayant mené la guerre d’indépendance contre Colgems et Don Kirshner et quitté les Monkees pour devenir un «risk-taking cosmic country-rocker, purely on his own terms.» C’est joliment dit et ça correspond à la réalité. Ruddock rappelle que Papa Nez enregistra une série de cuts à Nashville en 1968 avec les gens qui allaient devenir Aera Code 615, et produits par Felton Jarvis, le producteur d’Elvis. «The Crippled Lion», «Calico Girlfriend», «Little Red Rider» et «Hollywood» (qu’on retrouve sur Magnetic South) et «Some Of Shelly’s Blues» (qu’on retrouve sur Pretty Much Your Standard Ranch Stash), font partie de ces démos extraordinaires. Mais le son de Papa Nez n’intéresse ni les trois autres Monkees ni le Monkee-staff. Un seul cut sort en 1969 : «Listen To The Band» (qu’on retrouve sur Loose Salute). Ruddock parle de «rousing country-soul fusion with trippy drop-outs» et nous décrit dans le détail la formation du First National Band avec John Ware, John London et Red Rhodes, un groupe extrêmement audacieux qui combine «Bakersfireld swing, Appalachian yodelling, gutbucket R&B and even lounge music», en gros l’expression du «quicksilver fusion» que Papa Nez a en tête.

    monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Rattrapés par l’actualité, les Monkees se retrouvent aussi en couve de Mojo, sur fond rouge. David Fricke leur alloue huit pages. Il confirme ce que dit Rubbock. Quand Papa Nez débarque au studio RCA de Nashville avec son idée de «quicksilver fusion», il déclare : «One of the things I wanted to do was experiment with pure Nashville players playing a type of rock’n’roll sensibility.» Ça s’appelle une vision. Papa Nez réussit là où Gene Clark a échoué.    

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Le deuxième First National Band est rouge et s’appelle Loose Salute. Il est encore pire que le premier. Americana et modernité s’y affrontent au soleil de Papa Nez. «Silver Moon» ? Arrgh, laisse tomber ! - Anthemic stag night swagger, nous dit Ruddock - Rien de plus pur que ce Tex-Mex de la frontière, plein d’esprit et de choo choo train. Papa Nez invente un nouveau genre avec «I Fall To Pieces» : le country genius. Il explore et révèle le power souterrain de la country, celui si ingrat des saloons, et l’éclaire. Il amène une énergie énorme qui est celle du ventre de l’Amérique. C’est un bonheur que d’écouter Papa Nez. Il se situe au croisement des cultures, il sait que ce qu’il fait est bon et il n’en finit plus de nous montrer la voie. Il veille à rester au devant de son phénomène, comme s’il chevauchait en éclaireur. Joli shoot d’exotica que ce «Tengo Amore». Fuck, tu suivrais Papa Nez jusqu’en enfer. S’ensuit le vieux «Listen To The Band» - reborn as an up-tempo hoedown - qui te monte lentement au cerveau, encore du pur jus de country power. Avec «Bye Bye Bye», il fait du r’n’b de Nashville et il s’amuse ensuite avec les interférences de la country pour fignoler «Lady Of The Valley». On se demande d’où sort ce son étrange et beau. La country météorique des temps futurs ? Va-t-en savoir ! Fabuleuse modernité de l’attaque, Papa Nez a du génie, il faut le voir tailler ses harmonies.

             Après avoir enregistré leur deuxième album, the First National Band part tourner en Angleterre, en septembre 1970. Tournée bizarre nous dit Ruddock dans les petits salles d’Écosse et du Pays de Galles. Working Men’s clubs & occasional cabarets. Ringo Starr et Jimi Hendrix viennent saluer Papa Nez au Nashville Rooms, à Londres. Deux jours plus tard, l’ami Jimi casse sa pipe en bois. Le groupe reste plusieurs mois en Angleterre. Ils rentrent au bercail, un peu abîmés, pour enregistrer un nouvel album. 

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Troisième et ultime album du First National Band : Nevada Fighter, pochette blanche. Le morceau titre est un authentique coup de génie. Papa Nez le claque à l’Americana de choc, les wild guitars sont de sortie, voilà un cut d’une incroyable puissance, les coups de slide éclatent au Sénégal, quelle violence ! Papa Nez nous fait de la heavy country de saloon. On trouve aussi deux Beautiful Songs sur cet album, «Here I Am» et «Texas Morning». «Here I Am» est d’une pureté extrême, monté sur un gros jeu basse/batterie. «Texas Morning» est du spiritual spirit. Voilà la cosmic Americana dont rêvait Gram Parsons - And the wind blows me/ Like a dixie cup down the highway - On se régale aussi du «Grand Ennui» d’ouverture de bal, country dynamique montée sur une basse dévorante - Runnin’ for the grand ennui - Papa Nez chante avec passion à l’accent persistant. Sur cet album, quelques luminaries comme Al Casey, James Burton et Joe Osborn prêtent la main. Bien que ce soit de la pure country, «Only Bound» envoûte. Encore un choc esthétique avec «Tumblin’ Tumbleeeds», un vieux classique errant de Bob Nolan dont Curt Boettcher fit ses choux gras. Quelle merveille atmosphérique ! C’est tout de même incroyable que Papa Nez parvienne à maintenir un niveau aussi supérieur, album après album. 

             Victimes d’un coup de burnt-out, John Ware et John London quittent le groupe en plein milieu des sessions. C’est la raison pour laquelle Papa Nez et Red Rhodes embauchent des pointures du Wrecking Crew, James Burton, Glen D Harding, Ronnie Tutt et Joe Osborn. Ruddock dit que «Tumblin’ Tumbleeeds» et «Rene» sont de la musique for haunted honky-tonks. Il a raison le bougre, rien de plus hanté que ce son. 

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Après la fin du First National Band, Papa Nez monte le Second National Band avec an eccentric collection of players - dont Johnny Meeks - et enregistre Tantamount To Treason, un album un tout petit peu moins dense, mais attention à «Highway 99 With Melange» : il tape ça en mode barrellhouse et ça frise le destroy oh boy d’excellence. Il défonce les tenants des aboutissants, ouh-ouh, et bascule dans la weird psychedelia. Tantamount est un album étrange est passionnant. Nouveau choc émotionnel avec «You Are My One», un instro organique et puissant, un vrai tube digestif de good vibes - Nez let Rhodes and Cohen go nuts with fizzing psychedelic blasts of steel and moog - Papa Nez reste dans le sans-faute avec «Wax Minute», nouvelle merveille extravagante. Il chante «Lady Lady» à la déchirure de country lover. Il reste un singer parfait, allant même jusqu’à chanter son «Bonaparte’s Retreat» en français, avec tout le power du saloon.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Puis il attaque une petite série d’albums solo avec l’’all acoustic’ And The Hits Just Keep On Comin’, just Nez & Rhodes. Boom ! Dès «Tomorrow & Me», il part en mode demented, il sait créer du brouet, oh oh, the closeness is gone, il chante à l’éplorée seigneuriale, il tartine à l’infini son oh oh, the closeness is gone. Quelle ambiance ! Il enchaîne avec «The Upside Of Good-Bye» et Red Rhodes fait de la dentelle de Calais. Papa Nez dispose de tous les atouts de la country, mais il crée son propre monde qui est spectaculaire. Tant qu’on n’écoute pas ses albums, on ne se doute de rien. Les chansons sont parfois un peu pop («Listening»), mais c’est bien foutu, Papa Nez fouille sa chique. Il ressort le vieux «Different Drum», composé en 1964 et rejeté en 1967 Don Kirshner qui déclarait : «That’s nice but it’s not a Monkees’ song !», à quoi Papa Nez rétorqua : «Wait a minute, I AM a Monkee !». Papa Nez aura sa revanche un peu plus tard quand les Stone Poneys de Linda Ronstadt enregistreront «Different Drum». Papa Nez ressort donc cette vieille pop de harangue, mais diable, comme elle est bonne. Il balance du son, c’est excellent, bien remonté des bretelles à coups de guitares country. Ça grouille de ressources inexplorées. Bienvenue encore une fois chez Nez the cake avec «Harmony Constant». Sa musique vient du ventre de la country, qu’on appelle aussi la Soul des blancs. Sa notion de la beauté passe par la country, comme le montre encore «Keep On». Il termine avec «Roll With The Flow», une sorte de clin d’œil à Doug Sahm : son de la frontière de merveilleuse allure, avec Red Rhodes à l’avant-poste.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Un jour, Jac Holzman entend parler Papa Nez à la radio. Il le trouve intéressant et souhaite le rencontrer : «Il était tellement plus intelligent que le cute, ersatz, housebroken, simian image - et sachant bien à quel point c’est difficile de faire un disque.» Papa Nez passe un accord avec Jac pour lancer son label Countryside Records, sous l’égide d’Elektra. Il dit à Jac : «Si vous me construisez un studio, je monte un house-band around the Stax-Volt formula.» C’est ce house-band qu’on entend sur l’excellent Pretty Much Your Standard Ranch Stash.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Sur la pochette de Pretty Much Your Standard Ranch Stash, Papa Nez porte la barbe et un Stetson. C’est d’ailleurs cette pochette qui décore la box. L’album démarre avec deux coups de génie, «Continuing» et «Some Of Shelly’s Blues». Retour du fantastique power de Country Papa Nez, il amène une espèce de magie de manège, ça joue autour de lui alors qu’il tournoie, c’est Vienne et tout ce qu’on aime, Papa Nez est un immense artiste. Il joue à la petite mesure sans presser le beat, il se fond à la coule dans son moule de perfection country avec un backbeat balloche, mais c’est Papa Nez, l’authentique seigneur texan, il dispose de tous les droits et principalement celui de nous émerveiller. Il attaque «Some Of Shelly’s Blues» aux accents country, il en fait un cut élégant et parfait, bien monté. Il est à l’aise dans l’excellence et l’instrumentation nous monte tout ça en neige. Globalement, toutes ses compos tiennent la route. Il les appuie au chant, ce qui donne des résultats effarants. Il chante par dessus les cactus de sa country de cœur et c’est atrocement bon. 

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Curieusement, l’album ne marche pas et Papa Nez quitte RCA. Il se sent un peu paumé et renaît de ses cendres en montant son propre label, Pacific Arts, qu’il inaugure avec un album spectaculaire : The Prison. Dès l’«Opening Theme (Life The Unsuspective Captive)», on sent clairement une volonté de mélodie universaliste. Papa Nez est capable de développer ce genre de power, il vise les voies célestes, il est dans la religion du son, il aménage de stupéfiantes ouvertures. C’est la révélation ! Et ça continue avec «Dance Between The Raindrops», qui part en mode heavy country, il claque ça comme de la Stonesy, il va sur un boogie rock demented et affreusement bon. Il chante dans les entrelacs de son boogie. Attention, ce n’est pas fini ! Voici «Ellusive Ragings» et ses merveilleuses dynamiques. Le fond est country mais devant c’est du pur Papa Nez. «Waking Mystery» confirme qu’il s’agit là d’un very big album, l’un de ces albums chargés d’ambiances et bien produits. Papa Nez dispose d’un incroyable pouvoir de persuasion et d’une voix qui tranche à merveille. Il diffuse sa magie, il chante à l’accent perché et la mélodie se transforme en féerie. Papa Nez joue avec toi, mais c’est pour ton bien. Il ramène des guitares country dans son rêve éveillé, il revient toujours au chant, pour exploser à la surface du couplet. Encore une fois, Papa Nez a du génie. Il se fond dans le moule d’«Hear Me Calling», un heavy boogie qui n’est pas celui des Ten Years After. Encore une belle échappée belle avec «Marie’s Theme». Papa Nez laisse filer, il prend le chant à la volée, il est superbe, c’est un héros, un fier rocker de country carnaval, il injecte de la furia del sol dans son shuffle. Il navigue exactement au même niveau que Doug Sahm. Il ramène toute la fête de la country, ça joue à bride abattue, Papa Nez lève de bien belles tempêtes, ça part à l’orgue et au piano, et quand il revient au chant, ça lui échappe, il y a trop de vie. Il claque son «Closing Theme» comme un groove de Croz, il dispose du même sens des dérives océaniques, il vise les mêmes horizons. Papa Nez n’en finit plus d’éblouir ses admirateurs.

             Ruddock s’arrête là, juste après The Prison. Il salue son héros : «Thanx for the ride, Papa Nez.» Nous, on continue.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Il se pourrait que From A Radio Engine To The Photon Wing soit encore un big album, ne serait-ce que pour «Love’s First Kiss», petit shoot de pop seigneuriale qui bascule vite dans le génie sonique pour devenir une pop-song surnaturelle. Il gratte «We Are Awake» au mur du son country avec des chœurs d’artichauts demented. Papa Nez est un sacré maître d’œuvre. Il drive sa chique et les filles font ah ah de temps en temps, tu vois le genre ! Il ouvre son balda avec «Rio», groove excellent et intrusif à la fois. Il fait couler un miel de guitares country dans un groove de rêve. Papa Nez serait donc un démon de l’enfer ? - So I think I will travel to Rio - Derrière lui on entend Weldon Myrick et Lonnie Mack. Comme le montre «Casablanca Moonlight», il sait attaquer un cut au pied de l’échelle. Il sait rester d’actualité comme le montre «Navajo Trail». C’est excellent, d’une incroyable véracité. Papa Nez est l’un des meilleurs explorateurs de l’Americana, il fond comme beurre en broche dans le Navajo Trail.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Il a l’air de vouloir se calmer avec Infinite Rider On The Big Dogma. Pour la pochette, il pose dans une pièce à plusieurs portes. L’album n’est pas très bon, mais on sauve «Capsule (Hello People A Hundred Years From Now)», car c’est un groove extraordinaire. Il rend hommage au groove - Check it out/ It’s the time of the day - Il s’amuse avec des petites conneries et ça devient vite énorme. Pour cet album, il abandonne complètement la country. Il se prend pour Leroy Hutson avec «Magic (This Night Is Magic)», il chante à la petite voix d’ange décervelé. On ne doute pas de sa sincérité. Puis il va dans le funk avec «Tonite (The Television Song)». Il donne libre cours à ses fantaisies, mais ça reste du Papa Nez, même si parfois il se vautre et fait pitié («Flying (Silks & Satins)», «Fractions (The Daughter Of Rock’n’Roll)»).

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Pochette années 80 pour The Newer Stuff. Papa Nez porte le cheveu court et la barbe taillée. Deux grosses compos sur cet album : «Tanya» et «Dreamer». Il a troqué sa country pour un son plus synthétique, mais il tente de maintenir son cap. Il y parvient. L’ambiance pue un peu mais il chante à pleine voix, comme il l’a toujours fait. Mine de rien, ça reste du haut niveau. Tu peux suivre Papa Nez sans craindre l’ennui. Encore plus ambitieux voici «Dreamer», monté sur un thème classique d’une puissance évangélique - Why do we dream ? - Il se pose la question. L’orchestration emmène le cut plus loin que le chant, on sait que les trompettes peuvent déplacer les montagnes. Voilà Papa Nez dans les éclairs de Cecil B. De Mille, il éclate comme Moïse au bord de la Mer Rouge, il lève les bras face à la colère de Dieu, c’est très spectaculaire et ça se calme à la fin. Et pourtant, l’album était mal barré, car il commence avec de la diskö pop à la mormoille («Total Control»). Quand on entend «I’ll Remember You», on comprend que Papa Nez est l’un des survivants les plus brillants de l’âge d’or. Il est capable d’aligner des balladifs superbes. Comme tous les hommes de son âge, il fait un peu d’exotica avec «Eldorado To The Moon» et «Tahiti Condo», mais c’est une exotica qui ne porte pas à conséquence.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Tropical Campfires date de 1992. Comme Tav Falco, Papa Nez plonge dans la magie de «Brazil» qu’il chante d’ailleurs en brésilien. Il tape sa «Julianna» au froti de la frontière et la gratte à l’ongle sec. Encore une petite merveille avec «Moon Over The Rio Grande». Il crée de la country de carton-pâte, mais c’est brillant. Il se sert du Rio Grande pour régler ses comptes. Il tape dans Cole Porter avec «In The Still Of The Night» pour en faire un cut d’effarence, il chante à la voix blanche, mais en vrai fan et c’est extraordinaire. Encore du Cole Porter avec «Begin The Beguine». Ça frise encore le génie pur. Fabuleux Papa Nez.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Le dernier album de la box s’appelle The Garden, illustré par une toile de Monet. Papa Nez part donc des Nymphéas pour créer du climat enchanté et jeter de la poudre au yeux. Quand il arrive à la fin de «Garden’s Glow», on ne l’attendait plus. Puis il gratte «Ficus Carica» à sec dans une ambiance paradisiaque. Il abandonne sa chère country au profit d’un gratté de gratte fantôme, c’est assez spécial, plein de coups d’acou et de rebondissements d’acou. Il s’agit donc d’un album d’ambiances. C’est tout ce qu’on peut en dire. Les adieux sont tristes.

             On peut aussi établir un parallèle entre la créativité de Papa Nez et celle de Robert Pollard, ne serait-ce qu’avec les titres d’albums, tous plus dadaïstes les uns que les autres. Fricke parle de cerebral titles.

    monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Ah il fallait lire le Mojo Interview mené par Bob Mehr en 2018. On tombait en ouverture sur un fantastique portrait de Papa Nez coiffé de son Stetson Nudie. À 75 ans, il a le visage d’un vieil homme, mais quelle élégance ! Mehr dit qu’il se fringue comme Steve Jobs, qu’il est entouré d’assistants pendus à ses lèves et qu’il «radiate a particular brand of Texas Zen». Plus rien ne peut plus nous surprendre de la part de Papa Nez. Il indique qu’il découvrit le Texas blues très tôt et qu’il décida de partir en Californie pour devenir écrivain. Arrivé à Los Angeles, il démarre au Troubadour et compose déjà quelques chansons, dont le fameux «Different Drum» et «The Girl I Knew Somewhere» qui sera un hit des Monkees. Bien sûr, Mehr revient sur les Monkees et les liens qu’entretenait Papa Nez avec les trois autres, à quoi l’intéressé répond qu’ils étaient tous les quatre très différents et que c’était voulu par le producteurs de la série télé - There was no feeling like the stars had aligned the way they did with The Beatles, or The Byrds or The Stones - Il demande à Mehr de lui pardonner cette métaphore : les Monkees étaient des légumes dans la soupe - Television was the soup and if one of us was the potato, the other was turnip, c’est-à-dire le navet - Pour Papa Nez, les Monkees n’étaient qu’un produit de télévision, rien d’autre, et il rappelle que la télévision «had taken a place in the American psyche that was dominant, it controlled the American thinking». Ce qui reste d’actualité. Si on veut aujourd’hui essayer de penser librement, il faut virer la télé. Retour sur Head et Bob & Bert que Papa Nez qualifie d’hommes courageux - These were guys on a quest for the artistic truth and they found a lot of it in the hash pipe and the joints and the parties and the women and the times - Hence Head and Easy Rider - Pour Papa Nez, le principal obstacle était Kirshner qui ne jurait que par les hits pop («Sugar Sugar» des Archies est cité en exemple), alors il fallait en sortir - I already had my Nudie Suit made. I was heading out. I was going to make psychedelic country and do The First National Band.

             Les huit pages de Fricke dans Mojo font bien le tour du propriétaire, c’est-à-dire l’histoire des Monkees. Fricke est solidement documenté. Aucun détail ne lui échappe, même pas les 186 000 $ que doit sortir Papa Nez de sa poche pour racheter sa liberté. C’est tout l’argent qui lui reste de sa vie de Monkee. S’en débarrasser est pour lui extrêmement symbolique. Fricke nous dit aussi qu’en novembre 2021, un mois avant de casser sa pipe en bois, Papa Nez a chanté pour la dernière fois «Listen To The Band» au Greek Theatre de Los Angeles. Il avait 78 ans. Papa Nez et Micky Dolenz avaient repris la route ensemble pour faire The Mike & Micky show. Maintenant que Davy Jones, Peter Tork et Papa Nez ont cassé leurs pipes en bois, Micky Dolenz se retrouve tout seul.

             Selon Fricke, c’est Barry Friedman qui en 1965 pousse Papa Nez à répondre à l’annonce de recrutement des Monkees parue dans The Hollywood Reporter. Papa Nez bosse le lundi soir au Troubadour, il organise les hootemannies et chante à l’occasion. Friedman bosse lui aussi au Troubadour. Il va changer de nom pour devenir le fameux Frazier Mohawk que Jac Holzman tenait en haute estime, autant que Danny Fields. Friedman/Mohawk est un fantastique dépisteur de talents. À l’époque, Papa Nez est fauché. Sa femme et lui vivent dans une bagnole. Comme on le sait, Papa Nez débarque au studio pour auditionner avec son sac de linge sale et le fameux bonnet à pompon vert qu’il porte en fait pour ne pas avoir les cheveux dans la figure quand il conduit sa moto.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Les producteurs qui initiaient le projet des Monkees tapaient à l’époque en plein dans le mille, car il n’existait alors rien d’équivalent sur le marché : ils ont généré «an explosive synergy of music, medium and mercantile zeal qui répercuta les ondes de choc de la Beatlemania via the power of Hollywood.» Oui, Hollywood servait d’énorme caisse de résonance et les Monkees furent immédiatement considérés dans les médias comme des superstars. The American Beatles. Mais quand Papa Nez apprend que Don Kirshner sort More Of The Monkees - leur deuxième album - sans avoir demandé l’avis du groupe, il annonce qu’il va quitter le groupe.

             Les journalistes ne comprenaient pas à l’époque du First National Band pourquoi Papa Nez quittait une vie de superstar pour jouer cette stone-country qui ne rapportait pas un rond. Papa Nez dut faire une mise au point : «Vous avez bien compris que je ne suis pas un chanteur/guitariste ordinaire. Je n’existe pas dans la communauté artistique. Je ne sors pas avec Steve Stills et je ne participe pas aux sessions d’Eric Clapton. Et je ne veux pas de Ringo dans les miennes. Je reste dans mon coin.» Ce que confirme Micky Dolenz. Papa Nez est un solitaire, il vit avec sa femme et ses enfants.       

    monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Le Monkee-book le plus accessible est celui de Micky Dolenz, I’m A Believer. Ça se lit d’un trait, même si le style laisse à désirer. Peter Mills parle plutôt d’un style original et créatif, à l’image du personnage. Des quatre Monkees, Dolenz est sans doute le mieux placé pour rappeler un élément fondamental de l’histoire de Monkees : le côté pré-fabriqué du groupe qu’on surnommait d’ailleurs les Prefab Four, un produit purement hollywoodien, de la même façon que Dolenz est lui-même une créature hollywoodienne. Ils ont été recrutés individuellement lors d’un gros casting de cinéma pour jouer dans une série télé. Comme les producteurs voyaient que le teenage business commençait à rapporter gros, il leur fallait une série télé teenage pour les pré-ados. Pas pour les fans des Beatles qui devenaient adultes, mais ceux d’avant. C’est ce que raconte Dolenz dans son livre. Il évoque très brièvement ses collègues Tork, Nez, Davy Jones et se réserve la part du lion, car il a beaucoup plus de choses à raconter.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Dolenz est ce qu’on appelle un child actor, de la même façon que Davy Jones et Steve Marriott le furent en Grande-Bretagne. Et comme le Rusty de Rintintin, il démarre très tôt à Hollywood dans une série intitulé Circus Boy. Les épisodes durent une demi-heure et racontent les pérégrinations de Corky et de son éléphant Bimbo, dans le milieu du cirque au début du XXe siècle. Il devient tellement célèbre qu’il tourne à travers les États-Unis avec Bimbo et apprend à jouer de la guitare et à chanter. Ce cirque dure trois ans, au terme desquels on trouve Micky trop vieux pour le rôle. Fin de la série. Alors il passe du statut de star hollywoodienne à celui moins enviable de collégien. Il quitte un monde féerique pour se heurter de plein fouet à la banalité de la vie normale.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Plus tard, Bob Rafelson et Bert Schneider montent la série télé qu’ils intitulent The Monkees. Dolenz dit que ça marche parce que Bob & Bert sont eux aussi des mecs assez jeunes et assez irrévérencieux, ce qui à l’époque est plutôt atypique dans le milieu. À l’époque, John Lennon déclarait que les Monkees tels qu’on les voyait à la télé s’apparentaient plus aux Marx Brothers qu’aux groupes pop auxquels on voulait les comparer - The Monkees were Marx Brothers with long hair - Bob & Bert informent Micky Dolenz qu’il sera le batteur du groupe. Mais Dolenz dit qu’il ne sait pas jouer de batterie. Dommage car les autres places sont déjà prises par des gens accomplis : Nez et Peter, guitare et basse, et Davy lead singer et tambourin. Alors en bon pro hollywoodien, Dolenz apprend à jouer de la batterie. Et si les Monkees sont devenus si populaires, Dolenz insiste bien là-dessus, c’est parce qu’il s’agissait d’abord d’une entreprise collective. Autour de Bob & Bert, on trouve Lester Sill et Don Kirshner, le duo de songwriters/producteurs Tommy Boyce & Bobby Hart, et d’autres compositeurs de prestige comme Carole King, Neil Diamond, Harry Nilsson, Paul Williams, David Gates et Carole Bayer Sager. Redémarrer les Monkees comme ils ont tenté de le faire dans les années quatre-vingt était quasiment impossible sans tout cet entourage. Eh oui, si les albums des Monkees sont bardés de hits, c’est bien grâce à tous ces auteurs. Quand Lester Sill reçoit Dolenz pour la première fois dans les bureaux de Screen Gems, il l’emmène dans un couloir et frappe à une première porte. «Knock-knock, Micky, meet David Gates !». Une autre porte, «Knock-knock, Micky, meet Carole Bayer Sager !».

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Autre composante fondamentale dans la genèse des Monkees : au sein du groupe, les styles sont très différents : Davy a un style très Broadway, Nez un style très Country & Western et Peter va plus sur le folk, car il vient de Greenwich Village, comme d’ailleurs Stephen Stills. Comme il a la plus belle voix, Micky Dolenz va chanter tous les grands hits, «Last Train To Clarksville», «I’m A Believer» et tous les autres. Une faille apparaît très vite dans le Monkee System : Nez exige the musical integrity and the creative control. Car évidemment, les Monkees ne jouent pas sur leurs albums et ne composent rien. Ils ne font que chanter. Il entame une partie de bras de fer avec le pouvoir, c’est-à-dire Don Kirshner. Il en fait même l’ennemi numéro un du groupe. Pour le calmer, Kirshner lui octroie le droit d’enregistrer deux compos à lui par album, mais ce ne seront pas des hits, loin de là. Dans une réunion, Nez exige le contrôle total des albums des Monkees et il annonce que s’il ne l’obtient pas, il quitte le groupe. Un avocat nommé Moelis lui répond qu’il ferait mieux de jeter un coup d’œil à son contrat : «Son, you can’t quit unless we tell you you can quit !». Cette déférence méprisante met Nez hors de lui. Il réussit par miracle à conserver son calme, se retourne et défonce la cloison d’un violent coup de poing : «That could have been your face, motherfucker !». Nez ne perd pas de temps et convoque une conférence de presse pour annoncer au monde entier que des musiciens de studio jouent sur les deux premiers albums des Monkees. Une belle façon de révéler ce qu’il considère comme une petite arnaque. Parmi les musiciens non crédités qu’on trouve sur ces deux albums figurent Glen Campbell, Hal Blaine, Earl Palmer, Buddy Miles, Billy Preston, Harry Nilsson, Stephen Stills, Neil Young et Carole King. Pardonnez du peu. Ce sont les méthodes californiennes de la Grande Efficacité.

             Concernant ses collègues, Dolenz reste très réservé. Il indique toutefois que Peter Tork et Nez ne s’entendaient pas très bien et quand Peter fut le premier à quitter le groupe, ce fut au grand soulagement de Nez qui entendait devenir ce qu’il voulait être depuis le début, le leader des Monkees. Réduits à un trio en décembre 1968, les Monkees enregistrent Instant Replay et Monkees Present. Mais encore une fois, ces albums se vendent moins bien que ceux de la première époque. Don Kirshner savait ce qu’il faisait.

             Dolenz va ensuite venir s’installer à Londres chez Harry Nilsson, à Mayfair. Endroit maléfique, puisque Mama Cass et Keith Moon vont y mourir. Dans l’appendice du book, Mark Bego rappelle que les Monkees vont enfin enregistrer un album entier de compos à eux, Justus, en 1996. Comme indiqué dans le Part One, Justus pourrait bien être le meilleur album des Monkees. Et curieusement, ce sont les compos de Micky Dolenz qui mordent la poussière. 

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Peter Mills nous rappelle que Davy Jones a écrit deux livres. On peut se contenter de lire le premier, They Made A Monkee Out Of Me. C’est largement suffisant. Il n’est pas inutile de rappeler que Davy Jones est originaire de Manchester et qui s’est retrouvé jeune prodige dans des comédies musicales, à Londres puis à Broadway. Ce qui frappe le plus chez lui quand on le voit à l’écran, c’est la petitesse de sa taille. Bon, son book n’est pas un chef-d’œuvre littéraire, loin s’en faut, il parle beaucoup de son père, pur working-class lad de ‘Chester. Il rappelle aussi que c’est grâce à Aunt Jessie qu’il a commencé à faire du théâtre. En réponse à une annonce («Wanted school boys to audition for radio play») parue dans le Manchester Evening News, Aunt Jessie écrivit : «You must audition my nephew, David. He’s very good. He played Abdullah, the Turkish Magician.» Et voilà comment on se retrouve à Hollywood. Après un premier succès à Londres, le jeune Davy is going West. Bruce Prochnick qui le voit sur scène à Broadway est effaré par son talent : «It was obvious that this kid had everything.» Davy a 16 ans quand il joue dans Oliver. C’est juste avant l’arrivée des Beatles. Puis le succès d’Hard Day’s Night donne l’idée des Monkees aux producteurs - Four rock’n’roll musicians trying to make it, living together in a house in Malibu Beach - Même plan, il faut juste remplacer les costumes Pierre Cardin par des maillots de bain. Rafelson et Schneider se jettent à corps perdu dans le projet et commencent à auditionner. Davy, Bob & Bert écument les clubs et trouvent d’autres gens : Micky Dolenz qui s’appelle alors Micky Braddock. Davy insiste, si c’est lui qu’il faut ! Ils trouvent aussi Chip Douglas, Jerry Yester et Bill Chadwick. Davy est avec Lester Sill et Ward pour auditionner un certain Michael Blessing qui se pointe avec son sac de linge sale et son bonnet à pompon vert. Papa Nez ! Donc Davy s’octroie un petit rôle moteur dans la genèse des Monkees. L’autre détail biographique intéressant dans son book est le petit jeu auquel se livrent les quatre Monkees et un certain Frawley : leur jeu s’appelle Killer. Chacun a droit à trois coups par jour, le gun ce sont les deux doigts de la main, on mime le gun et quand on tire, il faut faire tssshhh ! Frappée d’une balle dans la poitrine, la victime doit s’écrouler, comme au cinéma - Whoever was shot had to die - Et celui qui a perdu ses trois vies est éliminé. Davy raconte qu’il s’apprête à embrasser une fille quand Peter l’interpelle, «Oh David !», et lui tire dessus, tssshhh ! Alors Davy doit s’écrouler et se convulsionner au sol comme dans un western. Ou s’écrouler à travers une porte. Ou s’écrouler sur un parking -  Arrrgh shot ! - Et puis un jour le jeu ne marche plus. Frawley ne veut plus mourir. Dolenz lui tire dessus. Rien. Nez tire à son tour. Rien. Puis Davy tire - All the feeling was gone. The beginning of the end - Ce que confirme le tournage de Head - Kill the Monkees - C’était le mot d’ordre.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Vers la fin de son book, Davy propose une série de portraits de gens qu’il a connus, comme par exemple Phil Ochs : «Un jour je suis allé chez lui. Comme d’usage, la porte n’était pas fermée, aussi je suis entré. Il y avait un plat sur la table qu’il n’avait pas fini de manger, de la vaisselle dans l’évier, des cendriers pleins, et le lit n’était pas fait. Pas de Phil. Je me suis dit que j’allais le rappeler plus tard. Mais je n’ai pas réussi à l’avoir. Il venait de quitter sa maison en laissant les choses en l’état. Il avait pris l’avion pour New York et s’était pendu.» Il brosse bien sûr des portraits de ses collègues, à commencer par Peter Tork : «Peter portait des pantalons moulants. Il ne s’intéressait pas à la mode. Il suivait la sienne. C’est la première fois que je voyais quelqu’un porter des chaussettes de couleurs différentes. Il portait la boucle de son ceinturon sur le côté. Il détestait les boots. Il portait toujours des sandales ou des mocassins. Il marchait avec une certaine allure, beaucoup d’aisance, en balançant ses bras. Il soignait l’hystérie et la dépression chez les autres.» Et plus loin il ajoute : «Musicalement, il est le plus doué de nous tous. Ses chansons sont de vraies chansons. «For Pete’s Sake» est de toutes les chansons ma chanson préférée. On rigolait à l’époque où Peter distribuait tout ce qu’il possédait. Mais il l’a fait pour de vrai. Il avait toujours une chambre libre pour qui avait besoin d’un hébergement.» Joli portrait aussi de Nez que Davy appelle Nes - Il aimait le style, Nes et sa limousine Cadillac, Nes et son garde du corps/chauffeur anglais, Alfie Weaver, Nes et son berger allemand Frak entraîné à tuer qui en jour planta ses croc dans ma tête sans même quitter le sol

             Dans les 300 pages de The Monkees, Head And The 60s, Peter Mills rebrasse tous ces éléments pour dire l’importance du phénomène Monkees. Il est persuadé que les Monkees sont des gens brillants et il a raison. Il en fait un postulat.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Il revient aux origines du phénomène avec le fameux casting de recrutement pour indiquer que des gens connus s’étaient portés candidats : Bryan McLean, le guitariste de Love, Stephen Stills, Jerry Yester, compagnon de Judy Henske et futur Lovin’ Spoonful. Stills n’est pas retenu car il a les dents pourries et commence à perdre ses cheveux. Il recommande alors son pote Peter Tork.

             Quand ils ont obtenu leur indépendance artistique et qu’ils commencent à tourner, les Monkees font sur scène des numéros radicalement différents : Davy fait le show avec de grandes chansons, Micky Dolenz fait du James Brown et se roule par terre comme on le voit dans le biopic Daydream Believers dont on va reparler plus loin, Peter Tork joue des airs de banjo, comme on le voit dans les concerts de reformation, et Nez rend hommage à Bo Diddley et Big Dix avec «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover».

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Mills rappelle que Davy Jones monte sur scène à Broadway en 1963, neuf mois après ses débuts à Londres. Puis il attire l’attention de Columbia et il se retrouve en Californie pour jouer dans une comédie musicale inspirée de Dickens, Pickwick. Il est sous contrat avec Screen Gems. Tork passe lui d’un univers magique à l’autre : il arrive de Greenwich Village et devient le quintessential Laurel Canyon flower child : il fait partie de la bande à Stephen Stills, avec David Crosby, Buddy Miles et Jimi Hendrix, comme l’explique si bien Richie Furay dans l’excellent Buffalo Springfield book dont on va bien sûr reparler. Quant au Texan Nez, il en pince pour Hank Williams et, comme on l’a dit, Bo Diddley, ce qui va lui permettre de créer un style qu’il faut bien qualifier d’unique, la country Soul - country shapes and pop moves and a dash of R&B in the rhythm section - avec l’aide de Chip Douglas, ex-Modern Folk Quartet qui fait brièvement partie du Gene Clark Group, puis des Turtles, auquel Nez demande de produire les Monkees. Nez le chope un soir au Whisky A Go Go et lui dit qu’il aime bien ce qu’il a fait avec les Turtles, notamment son jeu de basse dans «Happy Together». Chip Douglas dit que les albums des Turtles étaient les mieux produits de cette époque.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Autre composante fondamentale du mythe des Monkees, le Brill Building sur lequel l’ami Mills s’étend longuement. Il dit avoir toujours connu l’adresse par cœur : 1619 Broadway, New York, NY 10019, United States Of America. C’est la même choses à ses yeux que London’s Tin Pan Alley on Denmark Street, in London W1. Quand Mills débarque à New York pour la première fois, il va directement voir le Brill. Don Kirshner a tous les grands auteurs sous contrat, comme le rappelle Davy Jones : «He had the Carole Kings and the Neil Diamonds and Carole Bayer Sagers, the Neil Sadakas, the Nilssons, Barry Mann, Cynthia Weil, Leiber & Stoller, Sears & Roebuck, Neiman & Marcus, he had them all under contract!». Kirshner est «The Man With The Golden Ear», il sait reconnaître un hit. Mais il est par dessus tout un businessman de talent. Il hésite pourtant à mettre Boyce & Hart sur le projet des Monkees. Il veut des mecs plus chevronnés. Il leur dit : «Sure you guys had hits as writers but for a project of this magnitude, we need producers that have a proven track record.» Il n’empêche que Boyce & Hart vont faire l’affaire. «Last Train To Clarksville» est une merveille intemporelle. Et la voix de Micky Dolenz !

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Quand Peter Tork quitte le groupe en 1968, c’est le commencement de la fin. Head est un échec commercial retentissant. Puis Nez se barre. Davy Jones et Micky Dolenz continuent à deux, mais pas longtemps. Après la fin des Monkees, les choses se compliquent. Micky Dolenz continue de vivre la grande vie car sa mère a du blé, alors ils participe aux légendaires débauches hollywoodiennes en compagnie d’Alice Cooper, Keith Moon, Harry Nilsson et John Lennon. Peter Tork qui avait distribué tout ce qu’il possédait a du mal à s’en sortir. Il se fait en plus choper à la frontière mexicaine avec un stash de marijuana et passe deux mois au ballon. Nez fait comme on l’a dit des albums spectaculairement bons. Il vit bien car sa mère qui a inventé le Typex est milliardaire. Dolenz et Jones remontent une première fois les Monkees avec Boyce & Hart et partent en tournée. Le groupe s’appelle Dolenz, Jones, Boyce & Hart. Les fans ont pris un coup de vieux, mais ils viennent aux concerts. Dolenz, Jones, Boyce & Hart enregistrent aussi un album sur lequel il va falloir revenir. En fait les ex-Monkees font tous des albums solos, c’est la foire à la saucisse. Rhino Records réussit à rallumer le mythe des Monkees avec Justus, premier album entièrement composé, interprété et produit par les Monkees, depuis Headquarters. Puis Rhino va exhumer les inédits des Monkees, trois volumes, avant d’être absorbé par Warner en 1999. 

             Mills cite les groupes qui se réfèrent aux Monkees : Yo La Tengo et les Go-Betwwens et plus tard The Lemon Twigs et Foxygen. Pas mal ! Dans les annexes, le mec de KLF Bill Drummond explique que même si les Monkees n’ont écrit aucun de leurs grands hits, et qu’ils ne jouaient pas sur leurs disques, ils avaient «un power - a force. I knew the Monkees were great art.» Il dit aussi qu’à l’époque où il jouait dans Big In Japan, ils rêvaient lui et ses copains d’être les Monkees alors que les autres groupes rêvaient d’être Pere Ubu ou les Talking Heads ! Puis il est devenu manager d’Echo & The Bunnymen et il dit avoir mis le paquet pour en faire the best band that we could : «Le public ne se rend pas compte du travail que ça représente, ni même le groupe d’ailleurs et encore moins les journalistes de la presse rock. Sans ces efforts et la foi dans le groupe, ça ne peut pas marcher. C’est pourquoi les projets solo de band membrers ne marchent généralement pas.» C’est la façon qu’a Drummond d’expliquer que les Monkees ne sont pas tombés du ciel. Quand Drummond loue pour le groupe le dernier étage d’une massive Victorian house on the edge of Sefton Park in Liverpool, c’est pour recréer l’équivalent de la Monkees house on the ocean front of Malibu. Il dresse aussi un parallèle entre les Monkees et le Velvet : les deux avaient un mentor : pas de Velvet sans Warhol et pas de Monkees sans Kirshner, et les deux histoires se déroulent au même moment, entre 1966 et 1968. Les deux histoires ne doivent rien ni à Haight Ashbury (pour les Monkees) ni à Woodstock (pour le Velvet). Drummond se dit aussi fasciné par Head. Il ajoute que l’échec commercial de Head was the perfect ending for the ultimate manufactured band.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Le cœur du Mills book est bien sûr Head qu’il épluche dans le moindre détail. Il revient évidemment sur la genèse du film : Bob & Bert, Nicholson, les Monkees et le manager Brendan Cahill s’enferment pendant quatre jours dans un motel d’Ojai, en Californie et prennent de la dope à des fins créatives. Le biopic Daydream Believers recrée bien l’épisode, avec Nicholson qui leur balance : «You guys could be like danndruff in somebody’s hair...». Micky Dolenz comprend après coup que le but était non seulement de déconstruire les Monkees, mais aussi de déconstruire Hollywood. Le film fourmille de plans provocateurs, des pastiches de westerns et de Lawrence d’Arabie. Rafelson indique aussi que Nicholson a construit le script sur le modèle d’un acid trip. C’est encore Nicholson qui dessine le logo des Monkees en forme de guitare. Et puis Mills salue chaleureusement la prestation du Hollywood wildman Timothy Carey qu’on appelle un ‘heavy’ dans les studios.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Peter Mills consacre les deux tiers de son book au film de Bob Rafelson. Head est une tentative de loufoquerie cinématographique qui ne fonctionne pas. Pourquoi ? Parce que les Américains ne savent pas le faire. Dada et sa séquelle le surréalisme n’auraient jamais pu exister ailleurs qu’en Europe. Il faut du terreau culturel, du sang de fin de race et un don particulier pour la pure extravagance intellectuelle, trois éléments qui n’existent pas aux États-Unis. Ils ont autre chose, mais certainement pas ça. L’intérêt d’Head est qu’on voit les Monkees saboter leur image, c’est voulu, comme on le sait. On voit Micky Dolenz sauter du pont d’Amérique sur fond sonore d’un «Porpoise Song» très beatlemaniaque. Rafelson enchaîne des plans totalement dépareillés : les quatre Monkees sont dans une tranchée sous les bombardements et ils se retrouvent après l’assaut d’une caverne sur scène tout de blanc vêtus pour un fabuleux «Circle Sky» que chante Nesmith tout en grattant sa SG blanche - And it looks like we’ve made it once again - Ils sonnent comme les Byrds. Puis Rafelson commence à jongler avec les métaphores douteuses : Micky Dolenz erre dans le désert et tombe sur un distributeur de coca qui est God. On voit arriver un cavalier bédouin sosie d’Anthony Quinn dans Lawrence D’Arabie, puis un char de l’armée italienne dont le conducteur se rend, ainsi que toute l’armée italienne, Dolenz monte dans le char et tire sur God, boom ! Drôle de mélange : on voit la fameuse exécution du Vietcong à Saïgon, puis Dolenz se retrouve prince arabe avec un harem sur fond de «Can You Dig It». On se lasse assez vite de toute cette frénésie superficielle. Ils font des pastiches de westerns avec des flèches dans la poitrine puis Timothy Carey vient voler le show avec sa peau de mouton et une corde de pendu autour du cou, Davy Jones se fait boxer la gueule sur un ring par Sonny Liston et les quatre Monkees se retrouvent dans les cheveux de Victor Marure, c’est l’idée de base de Nicholson, dandruffs, c’est-à-dire des pellicules. Ils sont aspirés et Rafelson enchaîne avec le délire de la boîte noire. Mais Davy Jones s’échappe et s’en va danser à Broadway, il fait son Fred Astaire, on voit aussi Frank Zappa et une vache sortir d’un studio d’Hollywood. Il est évident que ce film ne pouvait pas marcher commercialement. Trop barré, trop n’importe quoi. Le film se termine par une poursuite géante que le pont d’Amérique et les quatre Monkees plongent dans le Pacifique pour aller nager solarisés avec des sirènes. Tout ça est bien résumé dans Daydream Believers, le biopic que Neill Fearnley consacrait aux Monkees en 2001 : il reconstitue quelques plans comme la birthday party géante très psychédélique, mais il montre aussi les salles de cinéma qui se vident lors de la projection d’Head. Pour une fois, ce biopic est assez réussi, les quatre acteurs collent bien aux personnages, Nez porte son bonnet à pompon vert et il arrive bel et bien à l’audition d’embauche avec son sac de laundry. On voit aussi Don Kirshner qui demande le contrôle artistique total du groupe pré-fabriqué. Il a les auteurs et pouf, ça démarre avec l’excellent «Last Train To Clarksville», Tork on bass et Nez on guitar et ce fantastique shouter de Dolenz ! Et ça continue avec «Hey Hey Hey We’re The Monkees». Micky Dolenz apprend à battre le beurre pour son rôle de batteur dans la série télé. Il n’y aura que deux séries d’épisodes. Comme Nez insiste pour jouer sur scène, on envoie les Monkees jouer à Hawaï. Encore un hit mondial avec «I’m A Believer» cette fois composé par Neil Diamond, ils portent tous les quatre leurs chemises rouges à huit boutons. Tout va bien jusqu’au moment où Nez tape dans le mur et demande la liberté. Le biopic restitue bien les épisodes de Monkeemania on stage avec les filles qui hurlent, Dolenz bête de scène sur Stepping Stone, puis Kirshner est viré. Les Monkees enregistrent Headquarters, un album plutôt raté. Ils savent que c’est pas bon. Not good enough. Lors d’une tournée, ils ont Jimi Hendrix en première partie, mais le public de gamines réclame les Monkees, alors Jimi sort de scène écœuré. On voit les Monkees habillés en blanc chanter «Daydream Believer» et cette façon qu’a Davy Jones de danser avec les hanches et le buste, tout en frottant les semelles ! Ah c’est un style ! La troisième série d’épisodes TV est annulée et c’est là que les Monkees, Rafelson et Nicholson auront l’idée «géniale» de tourner Head - You guys could be dandruffs in somebody’s hair.

    noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?,monkees

             Tant qu’on est dans les Monkees movies, on peut aussi jeter un œil sur les deux films qui documentent bien les reformations, surtout le Live Summer Tour qui date de 2002. Les Monkees ne sont que trois, Tork, Jones et Dolenz. L’intérêt de ces films est de voir Dolenz sur scène. Il s’est empâté mais quel fantastique chanteur ! Davy Jones a rapetissé et Peter Tork ressemble au coucou d’une horloge suisse. Ils démarrent avec l’excellent «Last Train To Clarksville». Ils chantent ensuite tous les trois à tour de rôle, Jones et Tork s’en sortent avec les honneurs, surtout Tork avec «For Pete’s Sake», c’est solide as hell, fin et ouvragé. Il faut voir Dolenz poser sa voix sur «The Girl I Knew Somewhere» : il va chercher le gorgeous avec une puissance et une mélodicité exceptionnelles. Puis il s’installe à la batterie pour «Mary Mary». Tout ce qu’il fait est bien. Il revient taper une impro jazz sur «Goin’ Down» et les trois Monkees dansent. Dolenz est un artiste complet, c’est surtout lui qu’il faut suivre. Ces trois vieux crabes font le show, pas de problème. Tork fait le clown au banjo et son «Higher & Higher» se révèle solide. Et quand ils attaquent la série finale des hits sixties, toutes les vieilles du public viennent au pied de la scène danser le jerk. «A Little Bit Me A Little Bit You» est le jerk sixties parfait. Dolenz chante «I’m A Believer» avec Tork à l’orgue. Dolenz le finit en force et ça enchaîne aussi sec avec «Steppin’ Stone» et ils finissent en apothéose avec «Pleasant Valley Sunday», l’un des hits les plus précieux de l’âge d’or du rock sixties. Pur génie pop ! 

    Signé : Cazengler et monkee, c’est du poulet ?

    Michael Nesmith. Disparu le 10 décembre 2021            

    Michael Nesmith. Songs. Box Edsel Records 2019

    Michael Nesmith. Infinite Tuesday. An Autobiographical Riff. Crown Archetype 2017

    Micky Dolenz. I’m A Believer. Cooper Square Press 2004

    Davy Jones. They Made A Monkee Out Of Me. A Book’s Mind 2014  

    Peter Mills. The Monkees, Head And The 60s. Jawbone 2016

    Bob Rafelson. Head. DVD Rhino 1994

    Monkees. Heart & Soul. The Reunion Tour Story. DVD Rhino 1988

    Monkees. Live Summer Tour. DVD 2002

    Neill Fearnley. Daydream Believers. The Monkees’ Story. DVD 2001

    Bob Mehr, The Mojo Interview : Mike Nesmith. Mojo # 292 - March 2018

    David Fricke : The cat in the hat. Mojo # 340 - March 2022

    Martin Ruddock : Beyond the blue horizon. Shindig! # 124 - February 2022

      

    Le père Noel n’est pas une ordure

     

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Une belle actualité sur Noel Gallagher n’est pas pour nous déplaire. Il fait même la une du vieux Record Collector. Toujours la classe, au moins autant que son frère. Il est aussi l’invité du fameux Mojo Interview, avec comme toujours un portrait soigné en page de gauche de la double d’ouverture. Fuck, le père Noel vieillit extraordinairement bien, il arbore toujours la même gueule de rock star anglaise. Le genre de gueule qui ne peut exister qu’en Angleterre : Brian Jones, Keef, Liam Gallag, Rod The Mod, Jeff Beck, Jackie Lomax, pour n’en citer que six.

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Dorian Lynskey branche le père Noel sur son enfance, alors forcément, ça démarre en trombe. Pas le genre de famille qui encourage les gosses à suivre leurs rêves - Get out to work. Earn your keep, that was it - Quant à l’obsession pour les Beatles, elle commence avec la mort de John Lennon. Intrigué, le jeune père Noel creuse dans l’histoire des Beatles pour savoir qui était ce mec. Puis ça embraye très vite sur Oasis et la soudaineté du succès. Le père Noel rappelle qu’un groupe indé ne pouvait pas espérer mieux que de remplir Brixton Academy, et pouf les voilà dans les stades, et ça secoue tellement que pour garder les pieds sur terre, le père Noel compose - The thing that kept me grounded was the songwriting - Alors bien sûr il parle de ses chansons, pas forcément celles qu’on préfère, comme «Wonderwall» ou «Don’t Look Back In Anger», mais ce sont les plus populaires. Et puis il y a les drug-songs, comme «Champagne Supernova» et là le père Noel a de la coke plein les yeux - Typical ‘90s scene - And the songs fell out of the sky. Songs used to fall out the sky every fucking day in the ‘90s - Alors Lynskey en profite pour lui demander s’il a besoin de se doper pour composer. Le père Noel lui fait une réponse à la Happy Mondays : «I don’t think I ever NEED to be on drugs, it’s just that I always WAS on drugs.» Il ajoute que ça lui permettait d’éviter de se poser des questions. Globalement, le père Noel est assez fier de ses compos. Il n’hésite pas à dire que des tas de compositeurs voudraient bien avoir eu au moins deux de ses chansons. Mais en même temps, il avoue qu’au fil des albums, la qualité des compos baissait : «We were still playing stadiums while not being very good.» C’est en effet ce qu’on voit dans les concerts filmés dans les stades. Oasis perd le punch du premier album. 

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Que fait le père Noel pendant que son frère règne sans partage sur l’empire du rock ? Des albums avec les High Flying Birds. En 2011 paraît Noel Gallagher’s High Flying Birds. S’il y a une chose que le père Noel sait faire, c’est ramener non pas des jouets mais du son. On peut même dire que c’est son boulot. Mais sa voix n’est pas bonne. Il retombe à plat, il a beau gueuler son «Everybody’s On The Run», ce n’est pas ça. Liam l’aurait explosé. Le père Noel fait entrer des grosses orchestrations de Cecil B. de Mille pour cacher la misère, mais il manque l’essentiel : Liam. Liam d’Oasis. Par contre le père Noel est plus à l’aise avec le stomp, comme le montre «Dream On». C’est sa véritable identité. Il ramène le stomp des quartiers de Manchester et là ça prend une certaine allure. Voilà un hit de pop anglaise comme seul le père Noel sait en pondre. Il est dans les Beatles et les Small Faces, et là mon gars, t’as du solide. Ce mec génère du génie sonique, c’est mieux que de générer du profit. Il chante au sommet de son shout it out for me, on assiste à une superbe déflation de la livre anglaise, il chante par dessus les toits de Manchester, comme jadis John Lennon et Jackie Lomax chantaient par dessus les toits de Liverpool. Tous ces mecs sont incomparables. La meilleure pop vient d’Angleterre. Nous voilà de nouveau confrontés aux dures réalités. Puis il allume un heavy balladif mancunéen avec «If I Had A Gun», il chante à la revancharde et fait de l’Oasis sans Liam, alors c’est assez frustrant. Désolé, père Noel, mais pas mal de cuts n’ont aucun intérêt. Sa voix ne peut pas nous intéresser. On préfère celle de Liam. Forcément, le nom d’Oasis génère du following, mais il faut rester prudent. Il réussit à faire monter en pression «Aka What A Life» avec des claqués d’accords énormes et ce sera sa dernière tentative de putsch. Il tente un retour au glam qui ne marche pas avec «(Stranded  On) The Wrong Beach» et il finit à coups d’acou avec «Stop The Clock», le côté formaliste anglais à la con, ah on va finir avec un coup d’acou, mais il manque toujours la voix.

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Le père Noel revient aux affaires trois ans plus tard avec Chasing Yesterday. Dès «Riverman», il gratte sa gratte. Il est toujours dans le mid-tempo, dans cette excellence du relentless mancunien, pas manucuré. Et puis voilà qu’il ramène les big guitars du rock anglais, c’est à la fois très puissant et bien torturé, claqué dans l’évanescence, en lien avec nos réalités et un sax vient traîner ses savates dans le son. Well done, père Noel ! Puis il amène «In The Heat Of The Moment» au stomp sans peur et sans reproche. Il peut gueuler, mais il n’a pas la voix de Liam. Liam is the man, ça saute aux yeux. L’autre cut bingoïde de l’album s’appelle «Lock All The Doors». Ça signifie le retour des bazookas et des guitares en feu, c’est-à-dire the supersonic Gallag sound qui a réveillé la vieille Angleterre. C’est explosé en plein vol, le père Noel se noie dans le crush des guitares, il disparaît dans un fantastique Wall of sound, il devient l’Achab des océans, le Victor Hugo des Contemplations, mais un contemplations que tu vas prononcer à l’Anglaise en te régalant du shionne, le père Noel commande aux éléments et un solo vient flotter à la surface de l’excelsior, dans l’écume des limbes sacrées. La magie sonique des Gallag n’était pas une vue de l’esprit. Il fait plus loin un «Right Stuff» qui n’est hélas pas celui de Captain Lockheed, repris et magnifié par Monster Magnet. Avec «While The Song Remains The Same», le père Noel va se lover dans le giron d’une pop de let me go. Il semble vouloir faire de l’Adorable mais sans la voix de Piotr. Le père Noel n’a pas de voix, c’est une dure réalité, il peut gratter tout ce qu’il veut, mais sans la voix. On lui passe cette incartade pour aller saluer «You Know We Can’t Go Back». Il y drive son biz au big beat, il va au plus court, il sait qu’on n’a pas le temps. Il ramène vite fait le pouvoir absolu d’Oasis et les solos d’exception. Alors on serre la pince du lad pour le remercier.

    , monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Dans l’interview qu’il accorde à Chris Catchpole, le père Noel révèle qu’il existe chez lui des tas d’inédits d’Oasis, notamment une version d’«It’s All Too Much» enregistrée le jour de la mort de George Harrison, avec Alan White et Johnny Marr. Alors évidemment, Catchpole qui porte bien son nom revient sur le split d’Oasis à Paris en 2009. Il rappelle qu’en 18 ans d’existence, les deux frères se sont souvent affrontés, mais la shoote de Paris en 2009 signa l’arrêt de mort du groupe. Lorsqu’il revient sur Oasis, le père Noel est catégorique : «I’ve only ever had the songs and that’s where, with the Liam thing, that’s what made Oasis great.» Il sait aussi qu’avec ses nouvelles chansons, le père Noel n’est plus obligé de chanter les vieux hit d’Oasis quand il monte sur scène. It’s all good. Puis il revient longuement sur l’Hacienda et l’acid house qui pour lui était le vrai truc, avec bien sûr les Smiths, Happy Mondays, Joy Division et les Roses. Il adore la diversité des goûts dans le rock, ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas, il se dit même fasciné par the «fascistness» of the tribes in music, mods and rockers and punks, ce qu’on appelle en France le sectarisme et il s’empresse d’ajouter qu’il est open-minded, even jazz. En ce moment il est dans Sun Ra - Of course everybody likes fucking Sun Ra - Il ajoute que Sun Ra is the rock guy’s version of jazz - It’s far out - And Archie Shepp who I just got into - C’est sa façon d’annoncer que la porte est ouverte à toutes les possibilités - The road’s open now for anything, really. Apart from heavy métal, of course. Heavy metal’s a bit shouty - C’est aussi sa façon de nous rassurer.

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Et trois ans plus tard, qui que revoilà ? Le père Noel avec Who Built The Moon. Un album plus faiblard que le précédent, sauvé des eaux par deux coups de génie oasiens : «Holy Montain» et «Keep On Breaching». Ce sont deux raisons majeures de rapatrier cet album qui se présente comme un petit book emboîté, mais bon, il n’y a pas grand chose dans le petit book, de beaux photo-montages réalisés par un photoshopman, et comme on n’est pas là pour ça, on feuillette vite fait et on range pour aller se cogner un coup d’«Holy Mountain». The père Noel is on the move. Il veut un hit alors il le fabrique, il ramène des chœurs de Dolls et du heavy bad beat et boom, ça marche. Il enchaîne avec «Keep On Breaching». Comme il n’a pas la voix de Liam, il compense comme il peut et ça donne de l’Oasis à la petite semaine. L’essentiel est qu’il ramène du rock en Angleterre. C’est lui le frère de la rock star, alors il fait ce qu’il veut. Dommage que ce soit sans Liam - But can you keep a secret ? - Alors après, ça se gâte. Il pompe dans le Walrus pour «Be Careful What You Wish For». Il fait du sous-cutané lennonien, il cherche à retrouver le chemin des voies impénétrables, sa vieille fascination pour Lennon le travaille au corps, mais cette fois, il est d’une maladresse incroyable. Il fait du pompé de Pompéi et ça ne marche pas. Il vaut mieux écouter la légendaire cover d’«I’m The Walrus» qui date du temps d’Oasis. Puis on voit que les cuts peinent à jouir. Le père Noel va chercher la petite pop d’arpèges avec «Black & White Sunshine». On attend de la magie et il nous sert de la betterave. «If Love Is The Law» stagne dans la petite pop énervée. Le problème du père Noel, c’est qu’il fait des albums moins percutants que ceux de Liam. Il va puiser dans les vieux marigots, mais on sent le manque d’inspiration. Pourtant, on voit bien avec le «Fort Knox» d’ouverture de bal qu’il cherche à repousser les frontières, mais ça va bientôt faire trente ans qu’il repousse les frontières, et on comprend qu’il puisse en avoir ras le cul. Bon, il est temps de te dire adieu, père Noel, merci de ta légende et de ta générosité.

    Signé : Cazengler, gallaglaire

    Noel Gallagher’s High Flying Birds. ST. Sour Mash 2011        

    Noel Gallagher’s High Flying Birds. Chasing Yesterday. Sour Mash 2014    

    Noel Gallagher’s High Flying Birds. Who Built The Moon? Sour Mash 2017

    Dorian Lynksay : The Mojo Interview - Mojo # 332 - July 2021

    Chris Catchpole : Ballad of the mighty N. Record Collector # 519 - June 2021

     

    L’avenir du rock

     - Cruisin’ with the Cruisers (Part Two)

     

             Au courrier, l’avenir du rock trouve une invitation : le premier «Marché aux Actions Remarquables», organisé par la DRH d’une multinationale renommée, l’IUI (International Underground Incorporated). Initiative intéressante, se dit l’avenir du rock qui file aussitôt chez son voyagiste acheter un billet d’avion et réserver un hôtel. Arrive le jour dit. Les organisateurs ont installé le marché dans un grand hall d’exposition. C’est un vrai marché, avec ses stands en toile rayée bleue et blanche. Mais au lieu de vendre des saucisses et des pommes de terre, les exposants proposent leurs excentricités. Il y en a pour tous les goûts. L’avenir du rock s’engage dans l’allée centrale et tombe tout de suite sur le stand des Schizophonics. Il y a un petit attroupement, car Pat Beers, grimpé sur une table de camping, s’apprête à faire un numéro : il respire profondément et exécute un triple saut périlleux arrière en grattant des accords du MC5. Les gens applaudissent poliment. Un peu plus loin se dresse le stand de Turbonegro. Pour remplacer Hank Von Helvete qui a eu l’indélicatesse de casser sa pipe en bois, Euroboy et Happy Tom ont déguisé une poupée gonflable en Prince des Ténèbres. Ce curieux hologramme d’Hank a le cul nu, tourné vers l’allée. Dans le trou de ce cul est enfoncé un feu de Bengale qu’Euroboy remplace par un neuf dès qu’il s’éteint. Au stand Sleater-Kinney, Carrie Brownstein se roule par terre avec sa guitare : elle tente de battre le record mondial d’enchaînement de crises d’épilepsie. Au stand Endless Boogie, Paul Major est lui aussi grimpé sur une table de camping, histoire de montrer qu’il a les cheveux les plus longs du monde. Les pointes de ses cheveux atteignent en effet le sol. Plus loin, au stand des Black Lips, Cole Alexander crache jusqu’à trois mètres en l’air et des admirateurs ouvrent la bouche pour tenter de récupérer ces mollards de rock star. On peut aussi voir le Reverend Beat-Man danser la carmagnole sur son étal et Tav Falco danser le tango avec Belphegor. L’avenir du rock tombe enfin sur ses préférés : Left Lane Cruiser, qui assis dans des chaises, piquent des crises.

     

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             S’il n’en reste qu’un, ça pourrait bien être Freddy J IV, le roukmoute de la conduite à gauche, le rock-blues man issu de la nuit des temps et qui sera là jusqu’à la fin des temps du rock, car enfin, les accords restent les accords et le raw reste le raw, mais le raw qu’épure à n’en plus finir Freddy J IV atteint une sorte de niveau supérieur. Oh bien sûr, on parle souvent de niveau supérieur ici sur KRTNT, ça banalise de ramener à tout bout de champ des coups de génie et des coups de Jarnac, mais en fait, le problème n’est pas là. C’est parce qu’on atteint les limites du langage qu’on tourne en rond parmi les mots.

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

    Il faudrait presque inventer un nouveau langage pour décrire l’explosivité scénique de Left Lane Cruiser, cette façon qu’ont ces deux mecs assis d’exploser sans bouger, bien que le corps de Freddy J IV semble parfois se désarticuler, comme le fait celui d’un batteur de rockabilly qui boppe le blues.

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

    Entre chaque cut, Freddy J IV marmonne des conneries dans sa barbe, du style «le cut qu’on va jouer n’a pas de sens, comme tout ce qu’on fait», et pendant qu’il marmonne ses conneries de deep Indianais, il touille à n’en plus finir les mécaniques de sa gratte, une SG grise qui lui sert de planche de salut vers l’éternité, tout au moins aux yeux de ses fans, qui ne sont pas loin de le considérer comme l’un des géants de cette terre, mais il le mérite plus encore que les autres, car il semble se foutre de tout, ne comptent pour lui que ses hommages incendiaires à R.L. Burnside et à Freddie King, lorsqu’il s’attaque à «Goin’ Down».

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

    Freddy J IV c’est l’anti-frimeur parfait, il s’habille d’un sac et d’un bonnet, il reverse tout son crédit de vie dans l’une des formes les plus infernales de blues-rock moderne, il en devient presque noir à force d’être primitivement bon, il fait toute la différence avec des pseudo duos qui depuis vingt ans font l’actualité de la scène gaga-blues-rock. Freddy J IV puise au fond de sa source intérieure et allume la grande scène, il est majestueux et poignant à la fois, et en même temps, il est par rapport à l’univers parfaitement insignifiant, et donc il s’efforce d’exister et racle tous ses fonds de tiroir pour offrir aux gens l’une des formes d’art les plus authentiques de notre époque. Il faut être soit très con, soit aveugle pour ne pas le voir. Le blues se situe au niveau de ces mecs-là, Freddy J IV, ou encore Cedric Burnside, des rescapés de vagues successives et héritiers d’un art purement africain. L’Amérique n’a rien à voir là-dedans. Freddy J IV invoque les esprits d’une antiquité dont il n’existe plus d’autre trace que celle-ci : la musique. Pas de temples, pas de pyramides, juste du blues et pas n’importe quel blues, le blues du diable qui va dévorer la civilisation des blancs, ses crucifix et ses vaticans, ses cathédrales et ses pontifes, car Freddy J IV véhicule la vie, il déverse de la vie pendant plus d’une heure, des torrents de vie, comme un volcan crache sa lave, c’est une vie qui va dans l’air et sous la peau, une vie qui redonne espoir aux gens qui croient encore aux valeurs primitives de l’art, Freddy J IV a ce pouvoir shamanique, assis au bord de sa chaise et grattant sa gratte à la folie, tellement à la folie qu’on se demande comment il fait pour remplir le son comme un œuf, il joue parfois prostré, puis rejette le buste en arrière alors que ses accords s’en vont télescoper de plein fouet ce profond sentiment d’éternité qui plane sous la voûte, il trépigne des pieds, il est en mouvement sans l’être, il exacerbe la violence du son et son big poto-man Brenn Beck bat l’un des meilleurs beurres qu’il soit donné d’entendre ici bas, un beurre complice, un beurre de tous les coups fourrés, un beurre d’ampleur domestiquée, un beurre claqué du beignet, un beurre blanc de barbu blanc, mais ça passe, ces deux mecs jouent leur va-tout et vont droit au but. L’ensemble croyez-le bien est sidérant.

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             On a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait des albums de Freddy J IV (en 2014, et en 2017 pour King Mud, son side project). Il suffit juste de rappeler qu’il est fortement conseillé de les écouter de temps en temps, si bien sûr on en pince sérieusement pour le romp de raw. Une seule petite ombre au tableau : ce concert de Left Lane était le dernier des fameux concerts «assis/masqués» imposé par le petit père du peuple et ses conseillers hygiénistes à la mormoille. L’interdiction des « concerts debout » prenait fin ce soir-là à minuit, c’est-à-dire aussitôt après la fin du concert. Ce fut une façon pour le public d’entrer en osmose avec ces deux hommes, par la musique, bien sûr, mais aussi par le fait d’être assis. Première expérience d’atomic trash-blues blast le cul dans la chaise.

    Signé : Cazengler, Left Larve Cruiser

    Left Lane Cruiser. Nuits de l’Alligator au 106 (Rouen )

     

    Inside the goldmine

    - Gimme Shelton

                Baby Small n’avait pas inventé le fil à couper le beurre. Et encore moins la roue. Ne parlons pas de la poudre. Elle avait ce qu’on appelle charitablement une cervelle d’oiseau qui ne lui servait qu’à une seule chose : faire des mots fléchés. C’était sa passion, avec la clope et les bombecs. En dehors de tout ça, rien ne semblait l’intéresser. Elle vivait comme on dit dans son monde et il n’était pas question d’y interférer. Il faut savoir que les gens comme Baby Small existent. Et pour savoir à quel point ce mode de vie frise le néant, il faut le partager au quotidien. Chaque jour on se dit que ça va s’arranger, qu’en l’aidant un peu, elle va progresser, mais c’est une erreur. Plus grave encore : il faut être atrocement prétentieux pour imaginer pouvoir aider quelqu’un qui ne veut pas qu’on l’aide. On finit par comprendre qu’après tout les gens sont comme ils sont avec leurs petits bras et leurs petites jambes. Mais si on se fait un devoir de les accepter tels qu’ils sont, ça peut générer d’autres problèmes. Autant Baby Small piquait une crise de colère indépendantiste chaque fois qu’on cherchait à l’aider, autant l’ambiance consensuelle d’acceptation la rendait folle de rage, car elle perdait l’ennemi de vue : elle le traitait alors de fourbasse capable d’inventer des ruses pour mieux l’embobiner. Au lit ça pouvait se traduire par des insultes et des coups de pieds. À sa façon, elle était originale, car elle échappait à tous les modèles référencés dans la mémoire affective : ni nympho, ni romantique, ni intelligente, ni casanière, ni fantasque, ni féminine, ni cultivée, du coup ce petit être atypique et dramatiquement égocentrique devenait une sorte de cas d’école, un «objet» de curiosité. Mais bon, on a autre chose à faire dans la vie que d’observer les petits êtres atypiques qui de toute façon, ne vous apprendront rien de plus que ce que vous savez déjà.

     

             Baby Small se situe à l’opposé exact de Noami Shelton. Autant on ne peut rien attendre de Baby Small, autant on peut TOUT attendre de Noami Shelton.

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Noami Shelton et ses Gospel Queens, ça commence par l’image et donc les pochettes des deux albums : elles semblent appartenir à une autre époque. On les verrait plus dans un bouge de la Nouvelle Orleans en 1854 que dans le studio Daptone de Troutman Street en 2009. Elles ont toutes les quatre des têtes de Hoodoo Queens. Si elles échappent à tous les critères ethno-culturels, c’est sans doute parce qu’elles incarnent mieux que toutes les autres Sisters l’incroyable mélange des races qui se fit à La Nouvelle Orleans pendant trois siècles, et qui avait commencé au XVIIe siècle, du temps où les colons français s’implantaient dans la région. Elles dégagent toutes les trois un violent relent d’histoire et d’exotisme, ce relent qui fut propre à ces régions du bout du monde, là où échouaient les aventuriers et tous ceux qui pour des raisons diverses fuyaient la civilisation et l’ordre moral.

             Les deux albums de Naomi Shelton sont parus sur Daptone Records, le label de Gabe Roth. Daptone est devenu un label mythique, aussi mythique que le furent Chess, King, Imperial et Specialty. Tous ces labels avaient des figures de proue (Chuck Berry pour Chess, James Brown pour King/Federal, Fats Domino pour Imperial et Little Richard pour Specialty). Daptone a aussi sa figure de proue : l’immense Sharon Jones. Daptone incarne surtout la renaissance de la grande Soul américaine. Gabe Roth réintroduit sur scène le sacro-saint principe de la Revue, telle qu’elle existait du temps d’Ike & Tina Turner et de James Brown & The Famous Flames. Avant que Sharon Jones n’arrive sur scène, l’orchestre chauffe la salle. Ils sont une bonne dizaine et les choristes chantent deux ou trois cuts avant d’aller rejoindre leur place sur une petite estrade à l’arrière de la scène. Tous ces grands artistes noirs savaient offrir un spectacle à leur public.

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Naomi Shelton ne chante pas que du gospel. Elle tape aussi dans le r’n’b, mais le gros r’n’b, pas celui qu’on entend aujourd’hui à droite et à gauche, non, celui de Sam & Dave. On trouve sur son premier album What Have You Done My Brother un cut terrible intitulé « Am I Asking To Much ». Elle a exactement la même niaque que Sam & Dave. C’est monté sur une ligne de basse signée Gabe et on sait pour l’avoir entendu jouer avec Sharon Jones qu’il ne plaisante pas. C’est un Staxeur fou, peut-être pas aussi fantaisiste que Duck Dunn, mais tout de même très impressionnant. En plus, c’est lui qui compose les cuts. Naomi Shellton chante d’une étrange voix rauque qu’on pourrait dire unique au monde. On entend chanter une authentique Hoodoo Queen. Sa voix est un sortilège. Quand on l’entend chanter « What More Can I Do », on voit bien qu’elle ne fait pas partie des petites chanteuses à la mormoille. Elle chante d’une voix de femme qui a déjà vécu neuf vies. Sa voix évoque aussi celle des chats qu’on croise la nuit dans la lande de Lessay et qui vous souhaitent le bonsoir d’une voix sourde après vous avoir accompagné un bout de chemin. Avec « What More Can I Do », elle chante du r’n’b sensitif, mais la démesure lui fait défaut. Il faut attendre « Trouble In My Way » pour renouer avec le vrai shuffle de gospel, celui qui fonctionne au répondant. Elle chante dans l’église avec le diable dans le corps, ce qui ne peut pas plaire au Vatican. On retrouve le pur gospel de groove d’orgue d’église dans « He Knows My Heart ». Elle chante ça d’une voix de crocodile acariâtre. Stupéfiant ! Puis elle s’en va chauffer « Lift My Burdens » avec la voix de James Brown. Quand on a une voix comme la sienne, on peut tout se permettre. Gabe sait repérer les voix. Il a compris que la voix primait sur tout.

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

             Le deuxième album de Naomi Shelton s’appelle Cold World. Il est beaucoup plus intéressant. On y sent une sorte d’accomplissement. Tous les cuts accrochent, à commencer par « Sinner » qu’elle prend d’une voix de squaw qui en a vu de toutes les couleurs. On pourrait même parler d’une voix de vieille négresse qui a miraculeusement survécu à toutes les humiliations et à tous les sévices qu’impliquait sa condition de femme noire dans une plantation. Naomi Shelton halète la Soul dans le cou de ses syllabes et parsème son chant d’ah-ahh gangrenés de feeling. Quand on écoute « Movin’ », on voit bien qu’il traîne au fond de son timbre ce léger accent de mauvaiseté qui le rend unique. C’est un peu comme si Daniel Emilfork chantait du r’n’b. Naomi revient au gospel avec « Bound For The Promised Land » - Oh Lord ! have mercy on you ! - Elle fait du gospel Soul comme seule Aretha sait en faire. Sa voix contient toute la rage de la Soul. Violente poussée de fièvre Soul pour « It’s A Cold Cold World », elle éclate chaque mot avec rage. Elle y met tout le chien de sa chienne. Il y a là de quoi faire rêver chaque jukebox d’Amérique. En B, elle revient au format classique du gospel festif avec « Get Up Child » - It’s in my body and soul and in my heart - La merveilleuse dynamique du gospel s’ébranle. Et ça grimpe par étapes, comme dans toutes les grandes exactions œcuméniques. Encore plus spectaculaire : « I Earned Mine », monté au beat gospel, pulsé à l’orgue d’église et claqué au tambourin. Ces gens-là savent faire des disques. Ils savent offrir un vrai son de gospel joyeux au sauveur, Papa Legba, couronné par un fantastique final expiatoire ! Toujours aussi fantastique, voilà « Thank You Lord », r’n’b digne des grandes heures du Duc de Stax. Naomi Shelton chante une fois de plus comme James Brown. Quelle niaque ! Et elle boucle l’affaire avec un balladif haut de gamme, « Everybody Knows (River Song) » et cette fois, elle s’en va chercher l’Al Green.

    Signé : Cazengler, Noamiteux

    Naomi Shelton & The Gospel Queens. What have You Done My Brother. Daptone Records 2009

    Naomi Shelton & The Gospel Queens. Cold World. Daptone Records 2014

    De gauche à droite sur l’illusse : Edna Johnson, Angel McKenzie et Bobbie Jean Gant. Devant : Naomi Shelton.

    *

    Le confinement a eu du bon. Pas beaucoup, je vous l’accorde. Du moins pour une partie de la population. Les artistes. Pas tous, nous pensons par exemple aux musiciens coincés dans leur appartements dans l’incapacité interdictoire de se réunir pour répéter, pire à la suppression des concerts. Gardons une positive attitude : pour ceux qui travaillent en solo tout seuls, chez eux devant leur écran ou une toile, écrivains, peintres, graphistes, le mal a été moindre. Encore cela dépend-il de leur monde imaginal ou de l’épaisseur protectrice de leur bouclier psychique.

    Je me doute que José Martinez aurait passé une bonne partie du printemps - soyons précis du 17 mars au 11 mai - 2020 à folâtrer sur son vélo – ceci est un euphémisme, à foncer comme un tambour sur les pentes les plus escarpées de la campagne ariégeoise – entre quatre murs l’a dû se contenter de la deuxième corde de son violon d’Ingres. L’a quadruplé sa production artistique habituelle. L’a même gardé ce rythme jusqu’à aujourd’hui : voici trois jours il présentait sur son FB son dernier autoportrait. Entre nous soit dit, il s’est un peu rajeuni, pas tant que cela, ce qui compte ce n’est pas ce que les autres appréhendent de nous mais ce que l’on projette de l’intérieur de soi au-dehors, que l’on est souvent seul à voir.

    Z17587JOS1.jpg

    Dans notre livraison 451 du 13 février 2020, nous présentions vingt-quatre œuvres de José Martinez regroupées en un album sur ses photos FB.  Toutes en noir et blanc. Nous nous étions arrêtés à ce chiffre parce que la série ne se prolongeait pas, aussi à cause de ce pied-de nez, l’introduction d’une couleur sur un des personnages de l’ultime image. Signe annonciateur. Sans avoir totalement abandonné le noir et blanc, la couleur accapare une grande partie des dernières réalisations. Trop nombreuses pour que nous les présentions dans leur ensemble. La fois précédente nous avions pour nos commentaires emprunté l’ordre chronologique, partant du principe aristotélicien que ce qui précède est au moins partiellement la cause de ce qui suit. Aujourd’hui, nous remonterons le flot du temps à l’envers. Un peu comme la flèche ailée du cruel Zénon d’Elée qui recule quand elle avance. Chaque tableau étant ainsi envisagé comme un fragment à part entière, et néanmoins morcelé, de l’imaginaire créatif de l’artiste.

    18 FRAGMENCES MYTHOLOGIQUES

    DE JOSE MARTINEZ

    18 / 02 - 2022

    z17515nurouge.jpg

    Les 24 Fragments Mythologiques de notre livraison 451 relevaient du dessin. S’il fallait ajouter un adjectif pour les qualifier nous dirions psychédéliques.  Ici nous sommes dans un tout autre monde. Dans les deux sens du terme. Pour cette suite nous parlerons de visions. D’images qui viennent de loin, des abysses mémoriels, des résidus égrégoriens des siècles passés, qui affleurent en nous et que souvent nous renvoyons à leurs ténèbres. José Martinez ouvre les huis du rêve nervalien, son dessin est une pensée mythologique en action, présent, passé, futur, éternité s’entremêlent. La terre est suspendue dans l’espace, nous sommes sur la planète rouge, entre bourg médiéval et île de Pâques. Qui passe là ? Visiteur éphébique, résidente cramoisique, qu’importe, ces lieux filigraniques sont peuplés de nos phantasmes.

    17 / Janvier 2022

    z17516nuenubleu.jpg

    Elle nous attend, houri revêtue de bleue vénusté, dans un jardin ou dans un éden à l’orée d’une forêt, derrière une palissade qui s’ouvre sur le chemin d’échappée, par où l’on procède, alanguie sur son sofa, dans son voile qui dévoile tout ce qu’elle cache, la très chère était nue et n’avait même pas gardé ses bijoux, les bribes de Baudelaire s’imposent, ici tout n’est que calme, luxe et volupté, elles coulent de notre bouche comme cet incarnat de rosée s’est déposé sur ses lèvres, pointe aigüe du désir. Pourtant le plus beau c’est en arrière-fond cette luxuriance de vert équatorial qui pleut en rafales, serait-ce une bouffée d’angoisse métaphysique, la permanence des passions qui brûlent le cœur et l’âme, attisées par cette chair d’outre-ciel offerte dans la solitude de sa souveraineté.

    16 / Janvier 2022

    z17517nublond.jpg

    Androgynil (ou androgynelle) céruléen(ne) qui court perdu(e) dans le monde de la réalité. Le paysage  semble s’être arraché par sa facture et ses bistres limoneux d’un tableau de Corot comme si déjà la nature se mettait à imiter l’art. Parfois nous sommes ainsi perdus entre deux mondes, entre deux planètes, à la recherche de nos rêves à moins que ce ne soit notre rêve qui nous cherche, ou alors peut-être s’est-il enfui, il était entré par mégarde en nos songes, les a jugés trop étriqués pour sa blondeur alexandrique, il erre dans le monde interlope des quatre éléments afin de trouver une niche où se lover, un logis digne de sa magnificence éthérale, un lieu intérieur de splendeur, une âme assez vaste pour servir de refuge, une aire de repos où il soit accueilli, fêté, honoré, puis prendre son envol.

    15 / Janvier 2022

    Z17518BLONDECRÄNE.jpg

    La voici. Elle a rejoint l’empyrée des nuages. Photons d’or venus des étoiles lointaines sur sa chevelure blonde. Entre ses doigts elle tient la mort. Orgueilleuse vanité. Le néant est en haut, la beauté est en bas. Qui domine le monde ? L’image serait-elle moins doucereuse qu’il n’y paraîtrait. Ne serait-ce pas plutôt le repos du guerrier. Le rêve serait-il plus ambigu qu’on ne le rêve. Serait-on en train de découvrir le pot au rose qui d’ailleurs contient des tulipes jaunes. Il est des signes sur les azuleros de la voûte stellaire que l’on lit mais que l’on ne comprend pas. Ne sont-ils pas comme les arrêts des destins incompréhensibles. Dans le coin gauche, un mistigri vert aux longues moustaches de sagesse innée vous fixe du mystère de ses yeux bleus. Il connaît ce à quoi vous n’accèderez jamais.

    14 / Janvier 2022

    Z17588toréador.jpg

    Nous avions ressenti une fêlure. La voici. Elle s’exprime par un retour à un style beaucoup plus psychédélique, cet espace empli à foison – dans ce même moment José Martinez s’adonne à une suite de noirs et blancs que nous n’évoquerons pas ici – mais aussi par l’introduction de l’humour, pas noir, de toutes les couleurs, plus exactement ce que Poe nommait le grotesque, à tel point que l’on ne voit que les dessous de l’histoire, la petite culotte rose du toréador, ce n’est qu’après que l’on s’aperçoit que ce n’est pas un homme, mais un taureau qui torrée, n’empêche que si le Christ est affublé d’une tête de taureau son corps est celui d’un humain, on peut rire mais la muleta porte le dessin d’un bombardier. Morale : l’association homme-animal ne résout en rien notre fragilité.

    13 / Décembre 2021

    Z17519HORUS.jpg

    L’heure d’Horus. Le Dieu faucon. Retour aux fondamentaux. Au réveil du monde la treizième heure s’apprête à revenir. Il détient les insignes de la puissance. Fleurs immortelles sur son sceptre. Auréole rectangulaire, qui se détache d’elle-même comme la marque de la surréalité du réel. Serions-nous dans un bestiaire orphique à la Apollinaire. Le monde est constitué de strates, le peintre en rajoute une sur laquelle apparaissent les anciens desseins des âges premiers comme la laitance du béton s’en vient affleurer la surface des murs. L’artiste ne recouvre pas, il dévoile. Etrange palimpseste, le texte que l’on lit est le plus originel. Qui peint, qui trace au juste ? Est-ce la main qui engendre le dessin ou le dessin qui guide le geste. La résurgence d’Horus nous interroge sur la nature de l’acte de création.

    12 / Décembre 21

    Z17520LIONNE.jpg

    Qui sait qui c’est. C’est Seth. Les couches les plus profondes que l’on remonte à la lumière sont les plus dangereuses. Doivent être traitées avec considération. Seth n’a pas droit à une image mais à un tableau de maître. Il est le Dieu du kaos. La force élémentaire de destruction. Le pendant d’Horus. A tous deux ils forment le Démiurge. L’artiste sait qu’il manie la foudre. Il ne la commande pas, il ne mesure pas au juste ses conséquences. Peut-être serait-il temps d’accorder notre attention à ces motifs décoratifs que l’on retrouve de station en station, ces runes hiéroglyphiques qui ressemblent à des voussures de fer forgé irradiantes sont les mots éparpillés d’un message illisible. En bas à gauche le chat aux yeux verts s’étonne de notre ignorance. A fouir le fouillis de sa folie créatrice, l’Artiste qui expose sait-il à quoi il s’expose.

    11 / Décembre 21

    Z17521VANIT2.jpg

    Serait-elle complètement femme. Lascive, l’on aimerait Vénus, planète bleue du désir ou Aphrodite née de la mer azuréenne, méfions-nous, le vautour au long bec et la tête de mort ricanante nous incitent à réfléchir. L’orange rougeoyant est-il celui de la passion pulsionnelle ou une tenture sanglante. Nous aurions toutefois encore préféré décrire une vanité, nous alarmer avec Villon, ô corps féminin qui tant est tendre, doux, suave et précieux, malgré nos vies si incertaines, mais nous nous devons opter pour Astarté, dont la latine et la grecque ne sont que des déclinaisons, Astarté si tentante, la grande et l’originelle, intercesseuse des Dieux et non des pauvres humains, les ossements sont notre avenir, si belles soient-elles, on ne fait pas l’amour avec des images. Miroir aux alouettes.

    10 / Décembre 2021

    Z17522BAIGNEUSE.jpg

    La tête d’équidé au bas du tableau est bien la signature d’Astarté. Nous avons affaire à un diptyque. L’Astarté bleue de la vie fertile et l’Astarté grise inhumaine. Comme le yin et le yang chacune des deux arcanes féminins de cette série comporte son contrepoint coloré. Ici souveraine hiératique juchée sur son piédestal elle se prête à l’adoration, sur l’autre l’ève charnelle pratiquement terrestre nous adresse un sourire complice, celle-là comme la chose même et celle-ci comme sa représentation, l’une est le mensonge de la vie vouée à la reproduction, et l’autre l’éternité de la mort destinée à la destruction. L’Artiste comprend intuitivement le statut de l’œuvre d’art, que son pinceau hausse sur la ligne de crête au sommet de deux pentes, celle qui monte vers l’éblouissance, celle qui descend vers le néant.  

    09 / Novembre 20 21

    Z17523JANUS.jpg

    Nous glissons de la mythologie égyptienne à la romaine. Nous parlions de ligne de crête. La voici symboliquement manifestée par le Dieu Janus. Deux visages, l’un qui regarde vers le passé et l’autre vers le futur. Peut-être sommes-nous à la mitan de cette suite. Série qui n’est pas terminée. Mais le présent est toujours porteur de sa propre signifiance. Ou alors les Dioscures, ces jumeaux fils de Zeus et de la mortelle Léda. Castor sera mortel. Pollux d’essence divine. Lorsque Castor meurt Pollux lui donne la moitié de son immortalité. Chaque jour l’un est mort et l’autre vivant. Les deux frères adossés l’un à l’autre et ainsi à la mort. Janus porterait-il d’un côté son regard vers la vie et de l’autre scruterait-il la face à la mort. Image de l’Artiste qui regarde le monde vivant et le tue non pas en l’immortalisant mais en l’in-mortalisant.

    08 / Novembre 2021

    Z17524JHECTOR.jpg

    Aurions-nous mal interprété. Janus regarderait-il d’un côté vers le monde des hommes mortels et de l’autre vers le monde des Immortels. Car nous voici face à Zeus l’étincelant. Zeus le dominateur. Depuis l’Olympe il impose sa volonté sur tous et toutes. Symboliquement sur le buste d’Héra. Les psychanalystes et les féministes se hâteront de dénoncer ce machisme viriliste outrageant. Nous adopterons une autre identification, celle de l’Artiste victorieux qui impose par la maîtrise de son art sa vision du monde. Plus on avance, plus on recule, davantage l’on s’aperçoit que le thème fondateur, le mythème directionnel de José Martinez réside en une longue et lente réflexion sur la notion de création. D’où la présence de la femme procréatrice et la figure de l’Androgyne qui réunit sa masculinité et sa part féminine.

    07 / Novembre 2021

    Z17525ZEUSPROM2TH2E.jpg

    Une des plus belles images de la série. Confrontation de Zeus roi des Dieux et de Prométhée ami des hommes. Symboles en évidence, la foudre de Zeus, l’aigle châtimentaire chargé de dévorer le foie qui repousse sans cesse de Prométhée. Ici dominent les valeurs virilistes, force contre force, bloc contre bloc, marbre divin contre granit humain. Serpent pythien entre les deux en sinueuse ligne de démarcation, celle qui sépare l’Art de l’Artiste. Le même qui se retourne contre le même et par ce geste même s’inscrit dans la naissance de l’autre. Fragmentation kaotique du dessin, à concevoir en tant que dislocation, lambeaux de flammes rouges éparpillés entremêlés aux débris bleus de la volonté humaine. La nudité de Zeus d’un gris bleu métallique sans éclat, terne, préfiguration de l’âge de fer qui viendra.

    06 / Septembre 2021

    Z17526LABËTE.jpg

    Nous y voici, selon un imaginaire médiéval, la bête vicieuse court sur nous, hyène vorace, chacal des cimetières, mystère du Gévaudan, épine dorsale dinosaurienne, le monstre de l’infra-monde est lâché, pas une once de vide dans ce tableau, le mal est partout, n’empêche qu’il a un petit côté sympathique, toutou fidèle qui accourt vers son maître pour son susucre, ne se déplace-t-il pas sur un tapis de fleurs luxurieux, de tous les animaux plus affreux les uns que les autres qui lui font cortège il est le roi. L’Artiste est ainsi, tout ce qui coule de son pinceau, toutes ces visions qui remontent de son esprit sont siennes, en quelque sorte ses enfants. Ses desseins nous ensorcèlent, il nous charme, peut nous présenter toutes les horreurs, nous y souscrivons sans état d’âme.

    05 / Septembre 2021

    Z17527LECHEVALIER.jpg

    Nous croyions être au bout de l’horreur. Nous n’avions encore rien vu. Satan l’Adversaire, en personne déboule. Nu comme un ver sur son cheval vert. Il s’amuse, il mime le preux chevalier du moyen-âge fonçant au triple galop sur son ennemi, vision cauchemardesque, les têtes de mort se marrent de peur, pire que cela, il joue à l’Ange Gabriel terrassant l’hydre menaçante du mal, la pointe de sa lance plantée dans le gosier de l’infâme reptile, empirons le pire, composition en abîme, c’est le prince des ténèbres en personne qui s’en vient occire le serpent malfaisant, l’Artiste revendique son art, il n’est pas du côté de la morale, il chasse sur toutes les terres, il brouille les pistes pour l’image qu’il produit en soit que plus percutante. Le blasphème de l’imaginaire est une composante essentielle de l’Art.

    04 / Août 2021

    Z17529FILLEAUXSERPENTS.jpg

    Quel contraste avec le précédent. Serait-ce la Vouivre de Marcel Aymé, cette déesse rustique maîtresse des serpents qui hante les prés et les bois d’un petit village typique de la France campagnarde du début du siècle dernier. Son apparition attisera l’antagonisme entre ceux qui croient et ceux qui se targuent de pensée positiviste. Tous les éléments sont réunis, les vaches paisibles, l’enceinte fortifiée et protectrice qui regroupe les maisons, et cette dame énigmatique au collier vipérin. José Martinez a-t-il voulu produire une image de ses propres œuvres, lui qui vit dans notre époque post-industrielle et ses ouvrages qui mettent en scène de bien étranges créatures dont plus personne ne se soucie. Nul besoin de croire en l’existence des déesses, il suffit de les peindre pour qu’elles existent.

    03 / Juillet 21

    Z17530LEBOUC.jpg

    Triomphe de sa majesté. Ne cherchez pas le bouc émissaire. Il est là. Il trône. Des pectoraux comme des seins. Qui est-il au juste. Ce que vous voulez. Le roi du monde. Impassible. Tel qu’il s’offre à vous devant vos yeux dès que vous posez vos yeux sur un point quelconque de la réalité. Même lorsque le regard de José Martinez reste des plus objectifs il montre qu’il ne peint pas l’apparence futile qui flotte devant tous, il est un voyant, translucide, il saisit les choses en tant qu’images mentales, il ne se laisse pas corrompre par l’extériorité, il peint ce qui affleure à l’intérieur de lui. Le monde ne se regarde pas uniquement avec nos globes oculaires, encore faut-il comprendre que lui aussi nous regarde, qu’il nous transmet sa propre vision, pas de nos chétives et pauvres petites personnes, mais de lui-même.  

    02 / Décembre 2020

    Z17528HOPLITEFEMME.jpg

    Sous l’égide d’Athéna. Même si la colombe est consacrée à Vénus. Le monde sera-t-il sauvé par une déesse. N’exagérons-pas. L’épée est certes tranchante, et il ne manque pas de monstres répugnants à combattre. L’arme la plus étincelante reste celle de la pensée. L’esprit de décision commande. Notez sa flèche acérée. Elle n’a peur de rien, elle sourit au serpent qui se dresse. Les monstres visqueux resteront impuissants. Nous sommes en plein confinement. Cette image est une espèce d’icône protectrice. Un appel aux forces profondes du courage. Une tentative de test auto-persuasif. Un tatouage mental. Les Dieux ne sont jamais loin, il suffit de dégager les voies de remontée à la surface du présent pour qu’ils arrivent dans la nudité de leur présence. Se regarder dans son propre miroir intérieur pour qu’ils fassent signe.

    01 / Mars 2020

    Z17531TABLEAU.jpg

    La terre et le ciel. Pleins comme un œuf. Pas celui originel de l’Eros. Ouvert au jour de sa date. Celle du confinement. D’ailleurs il est là. Oursins disséminés un peu partout. Une espèce de bal funèbre. Un carnaval d’opérette. Sont-ce des Dieux déguisés en homme ou des hommes déguisés en Dieux. L’on ne sait pas. Personne ne jettera le masque. Surtout pas celui de la mort rouge. Pied-de-nez au destin ou rire mortuaire. Ironie de la vie ou tristesse du dédain. Joyeux et désespéré. Ces instants où les plateaux du destin s’équilibrent avant que l’un des deux ne choisisse de triompher. Seul Silène est à visage découvert.  La situation ne l’inquiète guère, il est lui-même la situation, il voit le monde par le prisme de l’ivresse. Cela lui permet de le modifier à sa volonté. Tout comme le peintre qui ne connaît que l’ivresse de l’art.

    0 / Août 2020

    z17589josé.jpg

    Nous terminons comme nous avons commencé. Par un portrait. Plus exactement un auto-electric-portrait collectif, celui de l’incertitude interrogative pour ne pas dire de la peur suscitée dans la population par les mesures confinales. Le lecteur raisonnera sur la violence des couleurs. Nous n’avons dans ces analyses pratiquement pas tenu compte de la composition picturale des œuvres. Nous nous sommes plutôt concentré sur les vertiges de   l’inspiration de José Martinez, qui n’est qu’une expiration de remontées de choses lointaines, un peu comme ces bulles d’air qui viennent crever à la surface des marécages. Souvent dues à la putréfaction d’anciens organismes vivants en décomposition lente au fond des eaux. Il n’est pas donné à tout le monde de les traduire en images.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Episode 22

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

    REVEIL MATINAL

    Nous avons dormi d’un sommeil de plomb. Tous, même Charlie Watts, je peux vous assurer que l’expression dormir comme un mort est fidèle à la réalité, il n’a pas ouvert l’œil de la nuit, Rouky couché à ses pieds. Nous fûmes réveillés au petit matin, l’on frappait violemment à la porte. En quelques instants nous fûmes debout. Le Chef alluma un Coronado, un exceptionalito, pour les grandes occasions nous expliqua-t-il, puis il ajouta :

    _ Agent Chad, veuillez ouvrir à notre visiteur, il semble pressé, je suppose qu’il ne s’agit pas du Père Noël, quoique avec le dérèglement climatique on ne sait jamais.

             Je fus étonné, pour avoir cogné si fort sur la porte blindée je m’attendais à une grosse brute épaisse, une tête de mort tatouée sur sa joue gauche, une veuve noire sur la droite, bref un hostile mastodonte qui d’entrée en matière m’aurait décoché un direct au foie. Point du tout, un gringalet engoncé dans un costume de tweed bon marché, genre représentant de commerce en papier toilette, au bout du rouleau, bafouillant et s’excusant longuement. Je n’en restais pas moins méfiant, comment un être aussi insignifiant serait-il arrivé dans notre repaire secret.

           _ Je vous prie de bien vouloir excuser mon intrusion à une heure si matinale, si ces messieurs-dames avaient l’obligeance de daigner m’accorder un entretien, je ne saurais le refuser.

    • Entrez cher ami – le Chef répondait à ma place – rien ne nous serait plus agréable que de partager en toute simplicité, une tasse de café et quelques croissants que mes commensaux et leurs chiens se feront un diligent plaisir de nous ramener de la meilleure boulangerie de Paris.

    Nous obtempérâmes tout de suite. Nous avions compris que nous n’étions pas invités. Lorsque nous nous retrouvâmes dans la rue, je pris le commandement de la petite troupe.

    • Les filles vous nous attendez au café, laissez tomber l’idée des croissants, nous avons mieux à faire. Joël, Charlie avec moi, gardez les chiens.

    Si Molossa et Molossito acceptèrent de tremper leur langue gourmande dans la bolée de whisky vint ans d’âge que leur présenta le garçon, Rouky refusa obstinément de quitter Charlie.

    Une heure plus tard nous nous retrouvâmes au café. Le Cheh fumait sereinement un Coronado.

    • Agent Chad j’espère que vous avez dégoté, ce dont nous avions besoin !
    • Sans aucun problème Chef, Charlie nous a emmenés dans un petit hôtel discret pour milliardaires que les Rolling Stones ont l’habitude de fréquenter lorsqu’ils viennent incognito à Paris, nous avons choisi une superbe Rolls Royce, spécial grand modèle, pouvant contenir jusqu’à quatorze personnes que nous avons empruntée à un émir du Qatar, il n’y a pas de hasard, sans lui demander la permission.
    • Parfait, je crois qu’il est temps de faire un petit tour.

    UN SYMPATHIQUE PETIT TOUR

    Je klaxonnais sans ménagement devant le portail de l’Elysée, les deux gardes surgirent des deux guérites disposées de chaque côté de l’entrée, mitraillette à bout de bras. La vue de la plaque Corps Diplomatique du Qatar les rassura aussitôt, le Chef abaissa sa vitre et spécifia que nous demandions d’urgence à nous entretenir avec l’intérimaire de service qui faisait office du Président de la République. Les deux battants s’ouvrirent instantanément. A peine avais-je arrêté la Rolls au bas du perron, que des huissiers nous ouvrirent les portières et que l’un d’entre eux nous déclara qu’il avait l’honneur de nous annoncer que Monsieur le Président du Sénat, assurant la fonction de Président de la République jusqu’aux élections, nous recevrait en compagnie de son conseiller spécial nous attendait.

    Firent une drôle de mine à notre entrée. S’apprêtaient vraisemblablement à négocier un important prêt bancaire (pots de vin à l’appui) avec l’émir du Quatar, et notre intrusion subite, leur déplaisait fort. Pourtant nous avions peaufiner notre cortège, les trois filles devant, quoi de plus aimable que trois sourires féminins pour briser la glace, nos deux cabotos derrière elle, la queue frétillante, surveillés de près par Joël, Le Chef et moi-même faisions rempart à Charlie et à Rouky. Malgré nos efforts méritoires, l’accueil fut glacial.

    • Qu’est-ce encore, le SSR qui se fait passer pour l’émir du Qatar et toute sa Smala, vous comptez transformer le palais de l’Elysée en refuge de la SPA pour chiens errants ?

    Molossa et Molossito grognèrent et d’un bond sautèrent sur le bureau présidentiel sur lequel ils s’assirent en grognant et en montrant les dents. Le Chef prit le temps d’allumer un Coronado avant de prendre la parole :

             _  - Lors de notre dernière entrevue vous nous avez demandé de vous ramener avant huit jours, le dénommé Charlie Watts, l’auteur pas du tout présumé des massacres de la Préfecture de Dijon, et de la Tour Eiffel, le voici.

    Ils ne lui jetèrent pas un regard.

    • C’est bien, le temps que les journalistes viennent prendre sa photo, que nos secrétaires rédigent sa confession, d’ici une demi-heure, il sera fusillé. Vous pouvez disposer.
    • Nous vous remercions pour la célérité de votre accueil – quel était donc ce Coronado que fumait le Chef, au goût si étrangement miellé, si capiteux que j’emploierai pour le qualifier avec une plus grande exactitude l’adjectif mielleux, nous avons aussi un dernier visiteur que vous ne connaissez pas mais qui vous apportera des détails intéressants !
    • Vous vous moquez de nous, si vous croyiez que nos services de renseignements ne connaissent pas l’identité de votre professeur d’université et de ses trois étudiantes, vous faites fausse route !

    Le Chef exhala de son Coronado un énorme nuage de fumée bleuâtre qui mit quelque temps à se dissiper. La surprise dépassa mes prévisions, je ne m’y attendais pas, en émergea un petit homme toussotant, en costume de tweed, avec son air minable et sa voix chevrotante :

    • Excusez-moi messieurs de paraître d’une manière si impromptue devant vous, ma timidité m’a empêché de paraître devant vous sans avoir été invité par vos sommités, j’ai saisi cette occasion, c’est mon directeur de vente qui m’a intimé l’ordre de me présenter à vous afin de régler un léger contentieux de rien du tout, trois fois rien, je n’en ai pas pour longtemps, quelques minutes tout au plus, deux, trois, quatre peut-être…

    C’était manifestement trop. Le Président nous désigna la porte d’un geste péremptoire :

    • Emmenez votre espèce de paltoquet, je suppose un représentant de commerce qui va essayer de nous vendre une machine à café, laissez-nous le dénommé Charlie et filez au plus vite avant que l’on ne vous fasse fusiller tous ensemble. Quant à ce petit dégueulasse qui vient de pisser sur mon bureau, nous appelons tout de suite le vétérinaire de la SPA pour l’euthanasier ! Dehors bandes de jean-foutres !
    • Je m’excuse de vous avoir dérangés, je peux toutefois vous certifier que je ne suis pas un représentant en cafetière, je…
    • On se moque éperdument de ce que vous êtes, déguerpissez !

    Il y eut une espèce de froissement, en une seconde l’homme en complet de tweed disparut, à sa place une clignota une espèce de lueur pâle, vaguement rose, et d’un seul coup le Grand Ibis Rouge se matérialisa devant nos yeux sidérés.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 543 : KR'TNT : 543 :SYL JOHNSON / KIM SALMON / THE HAWKS / CIGARETTE ROLLING MACHINE / BLIND SUN / MATHIAS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 543

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    24 / 02 / 2022

     

    SYL JOHNSON / KIM SALMON / THE HAWKS

    CIGARETTE ROLLING MACHINE /BLIND SUN

      MATHIAS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    ATTENTION !

    LIVRAISON 542 PARUE LE 15 / 02 / 2022

    LIVRAISON 543 PARAÎT CE 19 / 02 / 2022

    LIVRAISON 544 PARAÎTRA LE  05 / 03 / 2022 

    Syl n’en reste qu’un

     

    z17591dessinsylvester.gif

             Syl Johnson, l’un des géants de la scène de Chicago, vient de casser sa pipe en bois. Et comme tous les géants de la scène de Chicago, Syl Johnson vient du Mississippi, et plus précisément d’Holly Springs, d’où sont aussi originaires R.L. Burnside et Charlie Feathers. Syl a dix ans quand sa famille s’installe dans la capitale des abattoirs et de la pègre américaine. Il s’appelle encore Thompson et rencontre un certain Sam Maghett qui va devenir le fameux Magic Sam. Puis comme tous les géants de la scène de Chicago, il va faire ses débuts sur Federal, l’un des labels de Syd Nathan. C’est Syd qui dit à Syl : «Tu t’appelleras Johnson !». Il trouve que Johnson sonne mieux que Thompson.

    z17594dressed.jpg

             Il enregistre son premier album en 1968 sur un petit label de Chicago, Twinight Records. Fantastique album de r’n’b que ce Dresses Too Short ! Syl danse dans la rue en costard vert. Ça jerke dans les brancards dès le morceau titre, un Too Short admirablement roulé dans une farine de bassmatic. On se croirait chez Stax ! Alors le petit peuple va pouvoir danser, avec le popotin de «Different Strokes» et sa fantastique tenue de la tenure, puis avec le dripping de «Soul Drippin’» suivi d’un explosif «Ode To Soul Man» digne de San & Dave. La B n’est pas en reste, oh no no no, car «I’ll Take Those Skinny Legs» rivalise d’énergie avec la Soul de James Brown, c’est une vraie shoote de hot Soul, hot as hell et cool as fuck, comme dirait le ghetto man des Batignolles. Le pire est à venir avec «Sorry Bout Dat», nouveau shoot de hot Soul à la James Brown. Syl Johnson sort ici un funk de Soul sacrément fin, doté d’un aérodynamisme qui te laisse comme deux ronds de flan.

    z17595because.jpg

             Paru deux ans plus tard, Is It Because I’m Black est l’album politique de Syl Johnson. Dans le morceau titre, il se demande si c’est le dark brown of my skin qui pose un problème et il rappelle que Mama she works so hard to earn a penny. Et il lève le poing, comme John Carlos aux Jeux Olympiques pour clamer sa volonté d’exister - I wanna be somebody so bad - et il ajoute qu’il veut aussi un diamond ring as yours, une bague en diamant comme la tienne, et il exhorte le grand peuple noir à poursuivre la lutte - If we keep pushing on, we got to be a little further - il a raison, il faut continuer - We’re trying so hard/ To be somebody - Alors les Brothers et les Sisters se massent derrière Syl qui lance : «We can’t stop now/ We got to keep on/ Keep on !» Il revient à la politique en fin de B avec «I’m Talking Bout Freedom» et lance un appel à la liberté. Il boucle cet album superbe avec un «Right On» digne de James Brown - Ride on Sister ! - Nouvelle crise de colère avec «Concrete Reservation». Il y dénonce les ghettos - It’s just a bad situation - et les chœurs font : «In the ghetto !» Il enchaîne avec «Black Balloons», un solide balladif de très haut rang, il faut voir Syl swinguer ses balloons et ses afternoons. Par l’éclat de sa classe, il évoque d’autres géants de la Soul comme Spoon et Brook. On note aussi en A la présence d’une belle cover du «Come Together» des Beatles.

    z17596taste.jpg

             Avec Back For A Taste Of Your Love, Syl Johnson entame en 1973 sa période Hi Records sous la houlette de Willie Mitchell, à Memphis. Fais gaffe, cette série de quatre albums va semer le souk dans ta médina. Syl n’en reste qu’un ce sera celui-là, le Syl d’Hi. Rien qu’avec «Back For A Taste Of Your Love», Syl rafle la mise, car voilà un fabuleux shake d’Hi, du pur jus de Memphis Soul. Leroy, Teenie et Charles Hodges swinguent la meilleure Soul du temps d’avant et Syl chante au fruité de glotte, à l’accent perçant, mais c’est le smooth du groove qui lève des vagues sous l’épiderme. L’autre coup de génie de l’album ouvre le bal de la B et s’appelle «Feelin’ Frisky». Ce vieux coup de raw popotin rampe dans le jus de juke. Comme Al Green, Syl atteint là une sorte d’apothéose. La Soul conduit droit au plaisir des sens et étend son empire kurosawaïen. Encore un coup du sort avec un «I Hate I Walked Away», solidement beau - You got the right to be disgusting/ After what you trusted - Il sort aussi des fabuleux slowahs d’élongation bitumineuse du type «Wind Blow Her Back My Way» et «Anyway The Wind Blows». Pour conclure, on peut ajouter qu’avec «I’m Yours», Syl Johnson n’a rien à envier au gros popotin de Stax.    

    z17597diamond.jpg

             Pour Diamond In The Rough paru l’année suivante, Syl Johnson s’offre une vraie pochette de Soul Brother, le poitrail à l’air, en plein dans le feu de l’action. Il a des allures de superstar. Quatre puissantes énormités y guettent l’imprudent voyageur, à commencer par «Let Yourself Go», où il t’invite à te laisser aller - Get on up ! - La deuxième arrive aussitôt après : «Don’t Do It». Imparable - Don’t do it/ Don’t break my heart - C’est le groove de Willie Mitchell et des frères Hodges, avec de fantastiques breaks descendants. Pur jus d’Hi. Il faut aller en B pour choper les deux autres, le morceau titre et «Music To My Ears». C’est de la raw Soul d’Hi, grattée au meilleur rave de studio, ce sont deux hits immémoriaux, high on time, sweet sweet music. Avec «Stuck In Chicago», ils vont chercher le boogie rock de Soul et Teenie Hodges gratouille dans l’ombre d’Hi, alors que les Memphis Horns nappent tout ceci de cuivre frais.     

    z17598total.jpg

             On peut dire quasiment la même chose de Total Explosion paru en 1975 : c’est un pur album d’Hi Sound et ce dès «Only Have Love». Ils sont tous là, les frères Hodges, Willie Mitchell et les Memphis Horns. Fameux fumet. Production de rêve. On a là tout ce dont on peut raisonnablement rêver. La fête se poursuit avec «Bustin’ Up Or Bustin’ Out», chef-d’œuvre de groove popotin hodgé jusqu’à l’oss de l’ass. C’est le paradigme du groove d’apanage, l’épandage des vieux adages. Il n’existe rien d’aussi jerky sur cette planète que ce shooooot de grooooove, avec un Syl qui souffle ses coups d’harp. On le voit d’ailleurs souffler au dos de la pochette. C’est en B que se trouve son hit le plus connu, la cover du «Take Me To The River» d’Al Green - I don’t know why - Il laisse ses syllabes s’envoler comme des bouffées de chaleur - Get my feet on the ground/ I don’t know why/ She treats me so baaaaaaahd - Nouvelle énormité avec «Bout To Make Me Leave Home», du basic de base d’Hi, modèle absolu de Soul inspirée. Syl allume bien la terrine de la Soul avec sa voix, c’est l’un des plus beaux mariages de l’histoire des Amériques. Ça frise l’inespérabilité des choses. Pouvait-on concevoir pareil miracle ? Non.    

    z17599uptown.jpg

             Fin d’Hi pour Syl en 1978 avec Uptown Shakedown. Malgré sa pochette fantastique, l’album est moins dense que les trois précédents, mais God, ça reste du big Syl. Il fait un peu de diskö-Soul avec «Mystery Lady» et revient au groove magique avec «Let’s Dance For Love». On ne peut parler ici que d’excellence. Il passe au sexe avec «You’re The Star Of The Show» - Sexy lady/ I like what you’re doin’ to me - et on tombe en B sur «Who’s Gonna Love You», un slow-groove joué à la trompette dans la nuit urbaine. Groove élégantissime. Il propose ensuite un «Otis Redding Medley», avec du Fa Fa Fa FA et du Respect. Il enfile les hits d’Otis comme des perles, mais tout n’est pas du même niveau. Il commet cependant l’erreur fatale : l’impasse sur «Try A Little Tenderness».

    z17600bluesonme.jpg

             Puis on passe à autre chose. Syl va revenir au blues et errer d’un label à l’autre. Brings Out The Blues In Me paraît sur Shama Records en 1980, avec une belle pochette. Syl s’y dresse en Soul Brother, toujours le poitrail à l’air. Le morceau titre qui fait l’ouverture de balda surprend par ses qualités organiques. Ça grouille de vie, comme dans le swamp. C’est pourtant enregistré à Chicago. Le son palpite littéralement, Syl Johnson nous sort là l’un de ces grooves organiques dont il partage le secret avec Tony Joe White. Mais c’est un album de blues et la suite de l’A se perd un peu dans le classical Chicago blues, avec notamment un tribute à Magic Sam intitulé «Get My Eyes On You». On se réveille en B avec «Sock It To Me», fantastique shoot de funk, les guitares dégorgent comme des coquillages dans la bassline, Syl renoue avec sa légendaire fierté rectangulaire, il fait fi des lois et des règlements, sock it to me babe !   

    z17601missfine.jpg

             Ms Fine Brown Frame paraît deux ans plus tard sur le bien nommé Erect Records. Pas de pochette plus putassière que celle-ci, avec sa louve black en monokini blanc, mais comme c’est Syl, on comprend. Syl aime les femmes, alors il paraît logique d’en voir une envahir la pochette. Mais l’album ne casse pas des briques. Il fait un peu de diskö, comme tout le monde à l’époque, mais il le fait avec une telle classe que son «Keep On Loving Me» passe comme une lettre à la poste. C’est un album classique de Soul/diskö-funk de blues comme il en paraissait des milliers dans les années quatre-vingt. On ne peut pas en dire plus que ce qu’on en dit.       

    z17613suicide.jpg

             Par contre, Suicide Blues réserve quelques bonnes surprises, comme ce violent boogie intitulé «Before You Accuse Me». Son effarante présence évoque bien sûr celle de Lazy Lester. Il revient au vieux «Take Me To The River» d’Al Green en B. Oh the vox ! Quel fabuleux shooter de r’n’b. Il enchaîne avec un «The Blues In Me» qui sonne un peu comme «I Hear You Knocking». C’est un boogie fin et délicat qu’il monte au chat perché. Aw my Gawd, what a singer ! On ne se lasse pas d’écouter Syl chanter. Il tape dans James Brown pour «Sock It To Me» et revient au blues pour «Got To Make A Change». Il chante son blues avec une classe affolante. Il est l’un des plus far-out du genre. Il finit avec ce diable de heavy blues intitulé «Crazy Man». Sacrément emblématique ! Syl pue la classe à dix kilomètres à la ronde. N’oublions pas qu’il est avant tout guitariste et on le voit faire des siennes dans le morceau titre. Il dit qu’il veut se suicider, avec cette voix de vibrating tension.

    z17602inthegame.jpg

             Avec Back In The Game, Syl Johnson remet sa couronne de groover en jeu et descend retrouver la bande d’Hi à Memphis. On est saisi dès les premières mesures du morceau titre par l’énormité du son. C’est monté au beat insubmersible, groové dans le deepy deep d’Hi. Groove insubmersible. Tous les cuts de l’album sont énormes, à commencer par l’infectueux «I Can’t Stop» joué aux accords de r’n’b, puis le violent boogie de «Keep On Loving Me», silly thang, absolute vodka de force majeure, cathartic shook de shake, ils y vont doucement mais sûrement, et le solo vient télescoper de plein fouet une embrouille de funk. Ils reviennent forcément sur «Take Me To The River» - I don’t know why/ I love her like I do - Cette version excitera encore les gens dans trois mille ans - Won’t you tell me - Syl chante avec un timbre unique au monde - Take me to the river/ Wash me down - Sa fille Syleena Thompson vient prêter main forte à Syl sur «Dripped In The Water» et l’orgue nous noie tout ça dans un bain de jouvence. Back to the heavy blues avec «Driving Wheel» et puis Syl renaît de ses cendres avec «Clean Up Man», un hit de funk extraordinaire, avant de replonger dans l’enfer vert du groove avec «I Will Rise Again». Wow quelle partie de groove ! - You got me feeling.

    z17603bridge.jpg

             Tiens encore un album fantastique avec Bridge To Legacy paru sur le label d’Austin Antone’s Records en 1998. Sur la pochette, Syl joue de la guitare assis sur une vieille chaise. Ça fonctionne comme sur l’album précédent : on sent la violence du groove dès l’intro de «Who’s Still In Love». Syl soigne sa pêche, son boogie sent le fil blanc, mais il le joue avec le petit quelque chose en plus qui fait toute la différence, comme Lazy Lester. On retrouve sa fille Syleena sur «Half A Love». Encore un hit ! Syleena s’y fait reine du groove sexy. Elle chante d’une voix tremblante de désir. Syl revient dessus et ça donne un duo magique et compressé à la fois. On s’effare aussi de «Midnight Woman», aussi heavy que translucide. Syl est un démon du groove, il joue la carte du boogie blues à l’écrasée. Son groove de blues reste complètement à part. Il y a quelque chose de très fascinant dans le style de cet homme. Il rejoue la carte du groove transversal avec «I Don’t Know Why». C’est noyé de violons et de guitares électriques, et même foudroyant d’électricité. Ce mec a un son véritablement moderne. Il sort un groove subtil et beau comme une tempête magnétique. On se régalera aussi des chœurs qu’on entend dans «Let’s Get It On Again», nouveau slab de heavy blues spectaculaire, oh yeah, ses balladifs accrochent au meilleur niveau d’interférence itérative. C’est bardé de chœurs de rêve et ça se vautre dans une perfection parfaitement indécente. Quelle ambiance ! On voit rarement passer des disques aussi indispensables. Syl reste dans l’excellence du balladif avec «They Can’t See Your Good Side», c’est traité à l’écho fatal, les filles sont toujours là, sur le good ride. Effarant ! Syl crée son monde. Il est l’absolute foreigner. Il termine avec un nouveau coup de génie intitulé «Sexy Wayz», encore un hit de juke, furieux et solide. Syl chante son sexy wayz avec une hargne à peine croyable - I can’t sleep baby/ When I see you dance/ You move so sexy - Syl devient dingue. Quelle pogne ! 

    z17604hands.jpg

             Au risque de radoter, voilà encore un album énorme : Hands Of Time. Syl Johnson finira par nous rendre tous gagas. Avec «Tell Me In The Morning», il joue la carte du mec qui trépigne dès le matin. Syl se comporte comme un dieu du stade - Tell me tomorrow - Il joue un double jeu, à la fois groover du delta et Mister Dynamite limoneux. Il bat tous les records de classe rampante. Syl est le maître incontestable des grooves interlopes. Il se montre en permanence effarant de classe, mais pas n’importe classe, on parle ici de classe totémique. Oh il faut aussi écouter ce «Superwoman» amené au funk de Mister Dynamite, avec une vraie attaque en règle. En plus de tout le reste, Syl est un sale casseur de baraque. Il nous fait même le coup du solo ravagé. Encore plus énorme : «You’re Number One». Syl l’explose en plein vol. Voilà encore un hit de juke, du pur jus de pétaudière, une énormité embarquée au groove de reins de je vais et je viens et pour calmer le jeu, il nous fait le coup du froti-frota de luxe avec «Listen To Me Closely». Il allume son slowah à la pure sauvagerie primitive - I really miss you - Ah on le croit sur parole ! N’allez surtout vous amuser à prendre Syl à la légère, ce serait une grave erreur. Puisqu’on est dans les énormités, on peut aussi évoquer «Touch Of Your Love», joué au meilleur funk de basse de l’univers. Syl s’y vautre. On frise encore le stroke en découvrant «Funky Situation». Syl gère ça comme il peut, il s’aperçoit que sa poule est partie, there was no one inside, sur fond de groove funk mécanique.  

    z17605chicago.jpg

             Tiens le voilà sur Delmark pour Talkin’ Bout Chicago, un album paru en 1999. Et quel album ! On croit que c’est du Chicago blues, mais non, Syl vient du Sud, il amène son vibré de glotte et un style de guitare qui lui est propre. Il s’embarque avec «Cheryl» dans un fantastique slow-boogie blues, une vraie merveille, jouée à la marge, avec des tiguiliguilis de guitare d’une rare subtilité. Il chante toujours avec autant de feeling. La fantastique Theresa Davis vient duetter avec lui sur «Sweet Dynamite». Comme il a toujours su le faire, Syl crée les conditions du hit. Quand il fait du boogie blues de Chicago, comme c’est le cas avec le morceau titre, ça devient absolument extraordinaire. «Different Strokes» sonne comme un coup de génie. Syl démonte la gueule du groove. Il le plie à sa volonté. Il dispose de cette classe qu’ont perdu les bluesmen de Chicago. «I’m Back Into You» reste du groove de très haut niveau. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Trade Secret», un coup de slow boogie blues. Il le prend avec un brio inégalable. C’est un véritable chef d’œuvre de chant lent. Syl a du génie à revendre - I’m gonna pick another fight - C’est le chanteur idéal - Hush Hush Honey I can - et il enfonce son clou - Need a trade secret - Ça sonne comme un vieux hit de juke inconnu. Il sort encore de l’ordinaire avec «All Night Long», un vieux coup de heavy blues. Syl est un diable, un authentique géant de la Soul - Help me/ Squeeze me tight ! - Fabuleux Syl Johnson ! On le voit tout au long de cet album infernal, Syl ne lâche jamais sa vieille rampe. Il est captivant de bout en bout. Dans «Get Free Call Me», les filles font des ravages. Elles gueulent leurs chœurs de get free par-dessus les toits et elles explosent la notion même de bonheur conjugal. Sur cet album, tout est sur-saturé de feeling et d’inspiration. Ça peut donner la nausée.

    z17606togrthr.jpg

             Paru sur Shama Records, We Do It Together est une compile qui vaut le détour. Oui, car c’est du double concentré de Syl Johnson. «Kiss By Kiss» sonne comme le meilleur funk de Soul qu’on ait entendu ici-bas, avec cette admirable dégringolade de basse dans le dos de Syl. Il tape dans le «Get Ready» des Tempts et enchaîne avec un autre hit Tempty, «The Way You Do The Things You Do», fantastique shoot de raw popotin. Syl le swingue dans le gras du bide et ça tourne au raw définitif. Il passe en B à la Soul de dance avec «Annie Got Hot Pants Power», hallucinante giclée de sexy Soul avec des femmes qui jouissent derrière des micros. Retour au sexe plus loin avec «Hot Pants Lady», fantastique partie d’orgasmes féminins sur fond de funky strut - Hey babe I like your teeth ! - et il nous fait le coup du lapin avec «Your Lovin’ Is Good For Me», shoot de Soul de descente extraordinaire - It keeps going strong/ It’s good for me - Oui, il la remercie pour son amour - You pick me up when I’m down !

             Le festin discographique de Syl Johnson ne s’arrête pas là, on y reviendra probablement.

    Singé : Cazengler, cire Johnson

    Syl Johnson. Disparu le 6 février 2022

    Syl Johnson. Dresses Too Short. Twinight Records 1968

    Syl Johnson. Is It Because I’m Black. Twinight Records 1970  

    Syl Johnson. Back For A Taste Of Your Love. Hi Records 1973        

    Syl Johnson. Diamond In The Rough. Hi Records 1974      

    Syl Johnson. Total Explosion. Hi Records 1975             

    Syl Johnson. Uptown Shakedown. Hi Records 1978

    Syl Johnson. Brings Out The Blues In Me. Shama Records 1980

    Syl Johnson. Ms Fine Brown Frame. Erect Records 1982    

    Syl Johnson. Suicide Blues. Isabel Records 1983

    Syl Johnson. Back In The Game. Delmark Records 1994

    Syl Johnson. Bridge To Legacy. Antone’s Records 1998  

    Syl Johnson. Hands Of Time. Hep Me Records 1999 

    Syl Johnson. Talkin’ Bout Chicago. Delmark Records 1999 

    Syl Johnson. We Do It Together. Shama Records 2017

     

     

     L’avenir du rock

    - Kim est Salmon bon (Part Four)

     

    Finalement, l’avenir du rock est ravi d’assister à ce séminaire des avenirs. Il n’était pas très chaud au début, puis il s’est ravisé, supputant que la compagnie de ses collègues lui serait agréable. Oh ils sont tous là, l’avenir de l’humanité (toujours aussi con), l’avenir de l’art (ce gros veinard), l’avenir de l’homme (toujours aussi séduisante) et des avenirs plus techniques avec lesquels l’avenir du rock ne se sent guère d’affinités : l’avenir de l’Euro, l’avenir de la gauche, l’avenir du numérique, l’avenir de l’industrie agro-alimentaire, et tout un tas d’autres futurologues invités à prendre la parole à la tribune. Tiens d’ailleurs, voilà que l’avenir de la pensée libre monte à la tribune et déclare :

             — J’ai l’av’nir qui s’dilate et la foi qu’est pas droite !

             Et la foule reprend en chœur :

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque ! Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque !

             Ravis, les convives applaudissent chaleureusement. La règle au séminaire des avenirs est de dire tout ce qu’on a sur la patate. Puis c’est au tour de l’avenir des petites sœurs des pauvres de prendre la parole :

             — J’ai l’av’nir bien trop mou et l’futur qu’est trop dur !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque !

             Le public lui fait une ovation et lui jette des pièces de monnaie qu’il ramasse dans un seau prévu à cet effet. Les manifestations sauvages de générosité sont fréquentes dans ce type d’événement.

             Arrive le tour de l’avenir des rillettes du Mans de s’exprimer devant le parterre collégial :

             — J’ai l’av’nir qui s’démanche et mes pots bien trop gros !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’être toujours patraque ! Bravo ! Bravo !, font les avenirs qui exultent.

             Aussitôt après, l’avenir des échelles de Richter arrive d’un pas athlétique à la tribune et déclare avec un grand sourire :

             — J’ai l’av’nir qui pylore et l’futur qui s’endort !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’être toujours patraque !

             Une salve d’applaudissements salue l’allocution. Une petite assistante binoclarde s’approche de l’avenir du rock et lui chuchote à l’oreille :

             — C’est votre tour, avenir du rock. Veuillez vous rendre à la tribune.

             L’avenir du rock s’exécute et s’installe derrière le pupitre. Il se verse un verre d’eau minérale et lève les deux bras au ciel :

             — J’ai l’av’nir qui Salmonne et l’futur qu’est tout comme !

     

    z17592dessinscientist.gif

             Il a raison d’exulter l’avenir du rock. Kim Salmon n’a jamais autant salmonné. Surtout depuis qu’il a réactivé les Scientists. Tony Thewlis, Boris Sujdovic, Leanne Cowie, ils sont tous là, tu ouvres le gatefold et tu les retrouves grandeur nature, avec un Kim Salmon au premier plan, terrifiant de véracité, l’œil quasi-mauvais sous la broussaille de sa tignasse. Ah quelle allure ils ont tous les quatre ! Voilà ce qu’on appelle un vrai groupe de rock. Le temps n’a aucune prise sur eux et l’album sort sur In The Red, alors elle est pas belle la vie ? On pourrait se contenter de ça, mais il se trouve qu’en plus l’album est bon, et même plus que bon. Ce sera la seule bonne nouvelle de la journée.

    z17612scientists.jpg

             Avec ces groupes qui ont un passé chargé, c’est toujours un peu la même histoire. On pense que la messe est dite et qu’ils n’ont plus grand chose de neuf à nous apprendre. Mais ce serait faire insulte à l’intelligence de Kim Salmon. C’est justement parce que c’est difficile de redémarrer en côte qu’il relève le défi avec un nouvel album, et c’est là où il fait la différence : il en profite pour se réinventer. «Outsider» ouvre le balda et tout est là : la voix, la fuzz et cette épouvantable niaque, cette façon de nous servir le meilleur pâté de foi. Here it comes ! The Scientistic beat ! Quasiment groové sous le boisseau de la fuzz et Tony Thewlise savamment. Il y a autant de modernité chez ces mecs-là que chez Iggy. La fête se poursuit avec un autre coup de génie : «Make It Go Away», encore plus rampant, ça devient stoogy mais au scientistic way, ça rampe de manière totalement indécente avec du piano dans le bourbier du lard bourbeux. Le troisième coup de génie ouvre le bal de la B : «The Science Of Suave». Tony T l’embarque au riff rageur, puis il joue sa dentelle d’acid freak-out au long cours et quand Kim fait Yeah !, c’est de façon bien racée, bien wild, bien dans l’air du temps qu’on aime. Les autres cuts valent bien sûr le détour. Avec «Naysayer», le cat Kim décide de rôtir en enfer, il semble donner de la profondeur aux flammes, les Scientists font du tribal psycho psyché dans l’eau noire d’excelsior, puis ils passent au funk des catacombes avec «Safe», une façon comme une autre d’empiéter sur les plate-bandes du JSBX. C’mon ! Ils restent dans les catacombes pour «Magic Pants», du gaga qui a le goût d’une purée noire empoisonnée. Avec cet album, le cat Kim n’en finit plus d’échapper aux règles et aux attentes. Il fait du lard moderne, c’est important de le savoir et encore plus important de s’en montrer digne. Encore un chef-d’œuvre de rock moderne avec «I Wasn’t Good At Picking Friends». Tony T y coule un bronze fabuleusement liquide que ponctuent des chœurs épanouis. Ses solos sont des merveilles intentionnelles. Nos vaillants Scientists frisent ensuite le Velvet avec le pesant «Moth Eaten Velvet». Kim Salmon le chante avec des accents de Kevin Ayers. En fait, cet album n’est qu’une série d’idées de cuts qui se mettent à fonctionner. Cette facilité à œuvrer ne court pas les rues. Leanne Cowie bat le jive de jazz de «Dissonance» - Meet my approval - et Kim Salmon le finit à l’oh yeah baby baby Oooh !

    z17608vive83.jpg

             Dans un article frétillant, Gerry Ranson annonce la parution du brand new album from Aussie post-punk contortionnists The Scientists. Bon, l’article est mal barré, parce que les Scientists n’ont jamais fait de post-punk. Ranson voulait sans doute dire que le groupe est arrivé aussitôt après le punk, mais il faut faire gaffe quand on utilise ce genre d’étiquette, surtout celle-ci, qui comme l’étiquette new wave fait un peu office de repoussoir. Gildas qui ne supportait pas ce son l’appelait ‘la poste’. Dans son élan, Ranson rappelle l’histoire du groupe Aussie originaire de Perth et qui débarque à Londres en 1984, avec dans ses bagages les Stooges, le Gun Club, les Cramps et Captain Beefheart. Après le split en 87, nous dit Ranson, Salmon monte les Surrealists et joue avec Beasts Of Bourbon. Ça s’appelle un parcours sans faute.

    z17607scientists.jpg

             Comme Kim avait annoncé qu’il n’y aurait plus d’albums des Scientists dans le futur, Negativy arrive comme une bonne surprise. Au moment de la reformation, ils enregistraient des singles, alors Salmon a fini par décider de faire un album, tant qu’à faire - Hence us going back on our word and recording that dreaded latter-day album - Eh oui, ce n’est pas évident de faire du latter-day. Kim Salmon avoue qu’il espère pouvoir continuer à tourner avec le groupe. En attendant la fin de Pandemic, il fait du solo stuff down under. Il évoque comme tout le monde les confinements et avoue faire a lot of paintings. Il fait même des successful exhibitions. Il avoue aussi avoir investi les subventions pandémicales du Government dans un album d’experimental improvisation qui s’appelle OK Commissioner. En fait il a des tas de projets liés à l’isolement, comme ce show multimédia crypté qui s’appelle Haunted Grooves, dédié à tous les gens avec lesquels il a bossé et qui ont cassé leur pipe en bois - Of which there have been way too many - Il voit ce show comme une thérapie et il s’empresse d’ajouter : «Mais c’est bien plus léger que ne pourraient l’imaginer les gens ! J’ai beaucoup d’histoires marrantes à propos de ces gens qui devraient faire beaucoup rire.» Oui car Kim sera dada jusqu’au bout des ongles ou ne sera pas, comme dirait Malraux.

    Signé : Cazengler, Kim Savon

    Scientists. Negativity. In The Red Recordings 2021

    Gerry Ranson : Profiled - The Scientists. Vive Le Rock # 83 - 2021

     

    Inside the goldmine - Hawks see more

     

             La première fois qu’il rencontra Nox, ce fut dans la salle d’accueil d’un centre de formation. Comme Nox, il était arrivé en avance, ce que font tous les banlieusards qui anticipent les imprévus. Nox n’avait pas l’air de rouler sur l’or. Sous son parka, il portait un survêtement, comme s’il sortait d’une cité. Il ne leva pas le nez du livre qu’il lisait. Sans doute était-il lui aussi un peu tendu. Candidats à la reconversion professionnelle, Nox, lui et douze autres personnes allaient passer un an en stage de formation longue durée. Objectif : obtenir une qualification permettant de décrocher un job de webmaster dans une grosse boîte, un marché alors en plein boum. Nox et lui créchaient en banlieue Ouest, il leur arrivait donc de prendre le même RER. Ils finirent par devenir potes. Comme Nox connaissait pas mal de petites gonzesses délurées, ils passèrent ensemble de charmantes soirées. Nox revenait de loin, car il venait de passer quelques années au RMI, d’où le survêtement : pas de blé, pas d’habits. L’année de formation s’acheva avec un examen. Ceux qui sont passés par là savent qu’ensuite commence le plus difficile : la prospection. C’est quitte ou double. Double, on décroche un job. Quitte, retour au chômdu avec un éventail de possibilités qui se réduit de manière drastique. Il n’eut plus de nouvelles de Nox pendant un an ou deux. Chacun vivait sa vie. En région parisienne on perd facilement les gens de vue. Il existe une chance sur un million de croiser une connaissance dans la rue, et curieusement c’est ce qui se produisit, rue Saint-Dominique. Il faillit ne pas reconnaître Nox qui déboulait sapé comme un ministre.

             — C’est quoi ce costard de frimeur ?

             — Ha ha ha, c’est ma tenue de travail. Je bosse dans les ministères, je supervise des tas de trucs ! On m’appelle CyberNox. Tiens regarde...

             Il sortit de la poche intérieure de son veston une sorte de petite télécommande. Il cliqua. Sa tête se mit à vibrer et à changer de couleur, il émit une sorte de sifflement et ses yeux se transformèrent en deux petits écrans dans lesquels défilaient des symboles cryptés, comme on en voit sur les machines à sous. D’une voix métallique, il onomatopait du code : Nox Nox Nox, tilililili, Nox Nox tilili !

    z17594dessinhawks.gif

             Pendant que Nox fait sa démo de CyberNox, les Hawks font un bel oxymore : on trouve dans le même groupe un Kuss fraîchement émoulu de TV Eye et un Stephen Duffy fraîchement émoulu de l’early Duran Duran. Formé en 1979, le groupe va durer deux ans avant d’imploser. Mais l’album récemment exhumé a un cachet particulier - Unforgettable guitar playing, inventive rhythm section, Duffy’s enigmatic words and a killer chorus - Mark Chadderton définit bien le style des Hawks. Et Duffy ajoute : «To me, that was the whole thing, the music, the look.» Oui, car les Five Believers ont du look à revendre. Au début, ils s’appellent Obviously Five Believers, mais on leur dit que le nom est trop long. Puis ils veulent s’appeler The Subterraneans, mais Nick Kent leur barbote le nom. Comme ils ont une chanson qui s’appelle «Hawks Don’t Share», ils décident de s’appeler Hawks Don’t Share et ça devient the Subterranean Hawks Obviously Don’t Share Believers. On connaît le résultat final. Duffy dit que The Hawks était le pire nom de groupe - Unless you’re backing Dylan in 1966 ! - Ils enregistrent des cuts qui ne sortent pas. Jusqu’à la fin de sa vie, Kuss va insister pour que ça sorte.

    syl johnson,kim salmon,mathias richard,rockambolesquesep21,lind sun,cigarette rolling machine

             Il a eu raison d’insister. L’album paraît enfin sous le nom d’Obviously 5 Believers. On sent dans l’«All The Sad Young Men» d’ouverture de balda une volonté de bien sonner et un petit blondinet du nom de Simon Colley signe le bassmatic. C’est d’ailleurs lui qui va voler le show sur l’ensemble de l’album. Il est assis au fond à gauche de l’illusse. Quant à Stephen Duffy, au premier plan à gauche, il chante à l’empruntée de Birmingham et Kuss passe dans «Aztec Moon» l’un de ces solos aériens dont il va se faire une spécialité. Kuss est assis au premier plan, à droite. Tous les cuts sont intéressants, comme encore ce «Big Store», un up-tempo bien tempéré par le bassmatic de Simon Colley. Kuss y joue au long cours, il remplit the biggest store in town d’éclats psychédéliques, Kuss et Coll font tout le boulot. Quelle densité ! Ce démon de Coll est partout dans le son. Son bassmatic monte au devant du mix dans «What Can I Give», et Kuss reste bien sûr en embuscade. On entend encore Coll tourbillonner dans «A Sense Of Ending», il est de tous les instants, sur tous les coups, il pétarade dans son coin et Kuss fidèle à lui-même claque encore l’un de ces chorus dont il a le secret. Le coup de génie de l’album se trouve en B : «Something Soon», un clin d’œil à Dylan, comme l’indique d’ailleurs le titre de l’album. On a même les coups d’harmo. Cette équipe de surdoués embarque ce fantastique up-tempo au firmament de la pop dylanesque. C’est le batteur David Twist qui souffle dans l’harp. On a encore de la belle pop anglaise avec «Bullfighter» et en fond de toile, Coll multiplie à l’infini les triplettes de Belleville, il attise le brasier pop. On écoute cet album pour Kuss, bien sûr, mais c’est Coll la star. Il nous fait le coup du walking bass dans «Jazz Club». S’ensuit un «Serenade» plus classique, claqué au riff de Kuss, mais avec un Coll qui gronde comme le dragon de Merlin sous la surface du son. Quelle équipe ! Il faut avoir vu ça si on ne veut pas mourir idiot : Kuss gratte son funk pendant que Coll fait son Bootsy à contre-courant. Ces mecs sont beaucoup trop doués.

    z17611recordcollector.jpg

             Dans Record Collector, Patrick Wray interviewe Stephen Duffy qui est une petite superstar underground, comme l’était aussi Kuss. Il raconte son enfance, le White Album qu’on écoute en famille, le père qui apprend la guitare à l’aîné Nick qui ensuite l’apprend à Stephen et puis voilà qu’arrive le punk et Stephen joue tout de suite dans des groupes - That was when I switched to bass and played in punk bands - Il arrive au Art College et rencontre John Taylor. Ils forment Duran Duran. Au bout de six mois, Stephen quitte les Duran pour aller bricoler avec les mecs de TV Eye qui comme leur nom l’indique étaient des fans des Stooges. Il emmène ses chansons («Aztec Moon» et «Big Store») et Simon Colley avec lui pour aller former les Hawks avec Kuss et David Twist - David Twist was the ambitious one - Puis il évoque Kuss et son alcoolisme qui commençait déjà à faire pas mal de ravages dans le groupe. Quand en 2019, Kuss retrouve Stephen dans un club de Birmingham, il fout la pression pour que l’album des Hawks sorte enfin : «When are you going to put the Hawks tapes out?», puisque c’est Stephen qui les possède. Il le prend au mot, mais Kuss casse sa pipe en bois en plein fucking Pandemic. Il ne pourra donc pas écouter cet album qu’il appelait de ses vœux. Stephen précise que Kuss n’est pas mort à cause de fucking Pandemic - But it was because of the isolation that he just kind of dropped off - Si le groupe a disparu c’est nous dit Stephen parce qu’ils n’avaient ni contrat ni manager. Ils en étaient exactement au même point qu’Echo & The Bunnymen et les Teardrop Explodes qui eux ont eu plus de chance. Quand il monte The Lilac Time, Stephen décroche tout de suite un contrat chez WEA. 

    z17610vive85.jpg

             Au même moment, Mark Chadderton raconte sensiblement la même histoire dans Vive Le Rock, mais il apporte ici et là des petites précisions qui valent leur pesant d’or du Rhin. Exemple : personne ne se demande ce qu’est devenu David Twist. On le croyait à Saint-Tropez, pas du tout : il joue dans les excellents Black Bombers, nous dit Chadderton. Twist explique qu’il connaissait John Taylor depuis l’âge de 11 ans, qu’ils étaient ensemble à l’Art college, qu’ils admiraient les TV Eye guys et qu’ils montèrent ensemble un groupe nommé DADA. Twist jouait aussi de la batterie pour les Prefects. Quand le chanteur de TV Eye s’est barré, c’est Twist qui demanda à Stephen Duffy de le remplacer. Voilà pourquoi on l’accuse d’avoir brisé l’early Duran Duran.

    Signé : Cazengler, la lowk

    The Hawks. Obviously 5 Believers. Seventeen Records 2021

    Mark Chadderton : Brum’s Babylon revisited. Vive Le Rock # 86 - 2021

    Patrick Wray : Let us pray. Record Collector # 523 - October 2021

    *

    En ce mois des fièvres Cigarette Rolling Machine vient de sortir un disque. Groupe inconnu au bataillon, me suis-je dis. Une machine qui doit rockin’ and rollin’ à mort ai-je supposé. Marx a décrété que si l’on veut savoir le goût de la pomme il suffit de la goûter. J’avoue que les deux premières minutes de l’album Hysteria sont un peu déstabilisantes, ces espèces de craquements inaudibles ne m’ont guère convaincu, j’allais abandonner lorsque mon œil a été attiré par la pochette du premier opus du groupe. Une version psychédélique du célèbre tableau La mort de Marat de David. Tiens un truc marrant, avec ses cheveux violets l’a un aspect glam des mieux réussis. J’ai regardé le titre de l’opus,

    SOBRE A MUERTE

    CIGARETTE ROLLING MACHINE

    ( Juin 2020 )

    syl johnson,kim salmon,bcigarette rollin' machine,lind sun,mathias richard,rockambolesquesep21

    Ces gars-là ont de la suite dans les idées, avant la folie, la mort, s’intéressent à des problématiques un peu extrêmes. Une notule de quatre lignes m’apprend que les morceaux sont à écouter comme un commentaire au livre Au sujet de la mort : Réflexions et conclusions sur les dernières choses de Schopenhauer. Donc après Platon, Schopenhauer, serions-nous en train d’entamer une série rock philosophique. Certes Schopenhauer est moins connu que son illustre devancier. A la fin du dix-neuvième siècle son aura fut immense, son pessimisme radical influença des générations entières. Aujourd’hui on ne le lit guère. Il reste tout de même le philosophe préféré de Molossito et Molossa, n’a-t-il pas écrit ‘’S’il n’y avait pas de chiens, je n’aimerais pas vivre’’. Nietzsche lui doit beaucoup. Ce second couteau de Freud aussi. Une myriade de romanciers et de poëtes se sont intéressés à lui, nous ne citerons par chez nous que Maupassant, et Jules Laforgue. Mon maître Pham Cong Thien professait une grande admiration pour Schopenhauer qui à l’âge de vingt-quatre ans possédait et maîtrisait déjà son propre système. N’a fait que le dérouler méthodiquement par la suite. 

    Le groupe n’est pas disert quant à sa composition, nous en reparlons dans notre analyse du deuxième morceau.

    Preambulo : notes de piano et clapotement régulier de moteur diesel, le piano (ou synthé), s’arrête mais le diésel continue de fonctionner tout seul encore quelques secondes, le morceau ne dépasse guère une minute. Faut-il interpréter la partie pianotée comme l’expression des émotions (enthousiasmes, passions, ennuis, souffrances, désarrois…) que l’individu ressent tout au long de son existence. Lorsque nous disparaissons le diésel qui continue à fonctionner sans nous serait alors la manifestation du vouloir-vivre qui selon Schopenhauer est le moteur imperturbable du déploiement de ce que l’on pourrait appeler la présence du monde. Lequel ne se soucie pas de nous.

    Peace karma : une ligne de texte nous apprend que pour ce morceau Cigarette Rollin Machine s’est inspiré d’Anjo Gabriel : O Culto Secreto do Anjo Gabriel, je suis dans l’expectative, je l’avoue humblement l’Ange Gabriel ne s’est jamais soucié de moi – il aurait dû – je ne possède pas son numéro de portable, une seule solution, le net, je tape l’intitulé et terrible surprise, je m’attendais à de longues heures de recherches fastidieuses sur la toile, la première indication que me fournit internet, est son lieu de résidence. En plus je connais, j’y vais souvent, sur Bandcamp, clic je tombe sur un groupe nommé Anjo Gabriel, avec photo, leurs identités, et leur logement terrestre : Recifé, au Brésil. Quant à l’inspiration elle est évidente, z’ont un morceau intitulé Peace Karma, basé sur le même riff que celui que nous nous préparons à écouter, pour la petite histoire je préfère l’interprétation de la Machine qui roule les cigarettes. Sont-ce les mêmes, certains membres participent-ils aux deux groupes, le mystère reste entier.

    Reste à voir ce que cette notion de karma vient faire chez notre philosophe allemand admirateur de Kant et qui fut en relation avec Goethe.   La liaison est plus facile à faire que l’on ne s’y attendrait, il existe des relations évidentes entre la pensée de notre philosophe et les textes sacrés et premiers de l’Inde : les Upanishdads, ainsi il n’hésite point à emprunter le terme Maya ( = illusion ) pour qualifier notre croyance en notre rationalité, nous pensons pouvoir expliquer notre propre implantation dans le monde par nos analyses rationnelles, foutaises, tout cela n’est qu’illusion, la seule vérité c’est la force incoercible du vouloir être qui nous traverse et nous force à être et dont la plupart d’entre nous n’ont aucune conscience. Platon affirmait que la seule réalité était les Idées, pour Schopenhauer s’il existe une réalité supérieure c’est le vouloir-vivre. Schopenhauer s’est toujours senti proche de Platon et d’Aristote. Pour lui le moteur immobile qui met en branle l’univers porte le nom de vouloir-vivre.

    Le karma est souvent employé par chez nous avec le sens de destin. Il est cela en le sens où l’ensemble de nos actes, passés, présents, futurs représente notre destin, mais nous pouvons dans les instants- mêmes où nous les accomplissons influer sur eux de telle manière que lorsque après notre mort nous reviendrons dans le monde des vivants, nous pourrons accéder à une conscience de notre présence au monde qui nous permettra de nous élever jusqu’à atteindre au cours de nos retour le point de détachement et d’annulation de toute illusion. Reprenez souffle, écoutez le Nevermind de Nirvana.

    Comment comprendre le titre Peace Karma, puisque le thème de Sobre a morte est la mort, la paix karmique est-il le moment (Instant Karma, disait Lennon) où l’esprit parvient au bout de la chaîne de toutes ses incorporations pour connaître l’instant nirvanique ou simplement une réflexion sur le fait de mourir au bout d’une existence humaine. Il est sûr que lorsque nous mourons nous nous détachons de nous-mêmes et sommes en quelque sorte en paix avec nous-mêmes.

    Quelques notes élastiques sur une rythmique un peu jazz, assez joyeuse, comme si la musique faisait de la gymnastique, celle des gymnosophistes, et là-dessus vient se superposer un fuzz de guitare à faire péter les fuzzibles de la joie. Pas serein, enjoué. A l’entendre l’on se dit que mourir est un truc agréable, l’on a presque envie de se passer l’arme à gauche illico presto et de se laisser emporter par cette farandole pas du tout macabre, la batterie ralentit, le synthé sautille moins légèrement, se dirige-t-on vers une désagréable agonie, pas du tout l’ensemble reste allègre.

    Joint of life : les vieux rockers, les jeunes aussi, ne pourront s’empêcher de penser à  Rock the joint de Bill Haley d’autant plus que le morceau est accompagné d’une étrange confidence : ‘’ Un jour moi et mes amis avons créé un bec géant et l’avons appelé bec de la vie. C’est tout. ’’ Genre, ne cherchez pas plus loin. Ce qui ne nous empêche pas de nous remémorer la corne d’abondance que Zeus a arrachée à la chèvre Amalthée… De cette corne suintait l’ambroisie super-confiture qui vous conférait l’immortalité. D’ailleurs ne sommes-nous pas immortels tant que nous sommes vivants. Groove tranquillou sur lequel se surajoute une guitare qui ronronne joliment, pas vraiment l’horreur de la mort, l’on se dirige sans se presser vers on ne sait où, peut-être une côte à gravir car le son monte, le mec à la guitare nous régale, prend son pied, nous aussi, sympathique et presque pépère, un petit parfum impro hippie à la Grateful Dead, nom de circonstance, pas du tout désagréable, un lézard qui se déplace lentement pour atteindre la portion du mur ensoleillé la plus chaude. Attention on ralentit, pas de panique, faut laisser un peu de place à la basse qui chantonne tout doucement, la guitare soloïse comme la cigale qui passa l’été de la vie à chanter pour enchanter notre séjour terrestre. Une vision de l’existence, osons le dire, peu schopenhauerienne. C’est parti pour douze minutes de dérive pénardeuse. L’on attend qu’il se passe quelque chose, Anne ma sœur Anne ne vois-tu pas la mort venir, que nenni sœurette juste les champs qui verdoient et le soleil qui oroie… Ecoutez sans fausse peur, vous n'en mourrez pas. Un plaisir. Farniente à volonté.

    Bagana : même racine latine que le mot bagage bien de chez nous. Le sac ou la graine qui enveloppe les ferments du vouloir-vivre. Question musique c’est un peu la suite de la précédente, mais s’y mêlent de drôle de voix, ce qui n’empêche pas la guitare de piquer un petit solo, la batterie de continuer son pas balancé de dromadaire, une note nous précise que la voix est empruntée à de vielles publicités américaines contre la marijuana. Bon Dieu ! le sac contiendrait-il de l’herbe que le peuple hippie ne broute pas mais fume allègrement. Faudrait-il interpréter le titre précédent d’une autre manière… en tout cas l’on prend plaisir à suivre les volutes de cette guitare… Le rapport avec Schopenhauer risque de paraître lointain. Il ne l’est pas. Souvenons-nous des hippies américains (et des autres pays) adonnés aux cultures orientalisantes, ils prônaient une certaine libération de l’homme grâce à l’emploi des psychotropes, mais libéré de quoi ? de la peur de la mort ou du vouloir-vivre ? Même réponse schopenhauerienne à ceux qui affirment que la drogue ouvre les portes de la perception et donne accès à une plus grande conscience. Dans les deux cas, qu’on le cache ou qu’on s’en rapproche, il s’agit du vouloir-vivre. Que les détracteurs religieux de Schopenhauer n’ont de cesse d’identifier au néant. Fuir ou se réfugier dans le néant c’est nier la divinité affirment-ils, mais Schopenhauer ne reconnaît que le vouloir-vivre. Ce vouloir-vivre que l’on peut comparer à la notion aristotélicienne d’entéléchie. Ce qui au plus profond de notre être nous pousse à être.

    Ex nihilo nihit fit : (rien ne sort de rien) : roulette de dentiste, musique grave et profonde, plainte violonneuse avachie, l’impression se doit d’être grandiose, moteur diésel, notes de pianos en cris de souffrance, des murmures de respiration affleurent la pâte sonore, le message est simple, ex nihilo fit, rien ne naît du néant, nous vivons dans l’éternel présent, nous ne faisons que passer, avant de naître nous ne sommes que néant, une fois mort nous ne sommes que néant, plus rien. Nous sommes comme les feuilles de l’arbre, quand elles tombent d’autres les remplaceront, selon le vouloir-vivre de l’arbre, tout comme la présence du vouloir-vivre nous remplacera. Ce n’est pas que notre individuation reviendra toujours, c’est que le vouloir-vivre des choses et des hommes se renouvelle générationnellement sans cesse.

    Sobre a morte : suite funèbre, chœurs masculins qui donnent une sensation d’infini glacé, notes qui tombent comme des feuilles de plomb d’un arbre d’airain, un récitant prend la parole, il dit la tristesse de la vie, évoque-t-il ce sentiment de sereine résignation que prônait Schopenhauer face à l’inéluctabilité du vouloir-vivre, veut-il la mort, l’attend-il, le texte est terriblement ambigüe, pleure-t-il la mort d’un amour qu’il espère retrouver en se précipitant dans la mort, à moins que la mort ne soit l’éternelle fiancée que l’on attend tant que nous vivons, collée à notre chair, chevillée au creux de nos reins, une partie de nous que nous perdrons, dont nous nous débarrasserons enfin lorsqu’elle surviendra et nous recouvrera, la musique décroît lentement, quelques bribes esseulées en pointillés et puis plus rien. Très beau.

    Damie Chad

    *

    Après Thumos et l’idéale République de Platon, j’avais un peu de mal à quitter la Grèce, je ne sais si ce sont les Dieux ou 666 mister doom qui régulièrement présente sur You Tube des groupes qui vous tirent les oreilles dans le bon sens, mais nous voici encore sous le soleil d’Athènes acropolique dont est originaire Blind Sun.

    Leur origine remonte à 2016, se sont successivement nommés, Once in the Wild, Supersonic Fox et enfin Blind Sun. La composition du groupe a varié, le drumer que l’on entend sur le disque – enregistré en 2020 - a cédé la place à Antonis Aspropoulos.

    z17513pochetteblindsun.jpg

    La couve est de Manster Design qui a réalisé des dizaines de pochettes d’albums. Voir site, FB et Instagram. Jolie, toutefois un peu composite à mon goût, les amateurs de Rockambolesques ne manqueront de s’interroger sur la présence de l’ibis (mauve) à côté du serpent. Remarquez aussi le S hiéroglyphique de Sun.

    UNDER THEM STONES

    BLIND SUN

    (Février 2022 / Bandcamp)

    Xanthipie Papadopoulou : vocals / Marios Kassianos : guitar / Kostas Kotsiras : rhythm guitar  / Nick Toutias : bass / Angelo Psylas : drums.

    z17511photoblindsun.jpg

    Freedom in hell : dès les premières notes de leur séduisant stoner mélodique  l’on comprend qu’ils n’ont pas l’intention de révolutionner le genre, l’on s’en moque, l’on se sent bien, guitare et sur-guitare en intro et double intro, la ménagerie se met en place, vitesse de croisière atteinte en trente secondes, une voix s’élève, c’est celle de Xanthippe – nom de l’épouse ronchonneuse de Socrate, on lui pardonne, elle a les cheveux clairs de Hélène qui enflamma le cœur de Pâris et par qui plus tard la cité de Troie fut la proie des flammes, une blonde incendiaire à sa manière, un timbre de tungstène, dur et mélodieux à la fois, un bijou précieux, alors les boys lui confectionnent un coffret de bois précieux, rubis de batterie, améthyste de basse et topaze de guitares, pour sa rivière de diamants qui coule sans se soucier de rien, à tel point qu’il est nécessaire de réécouter le morceau en faisant semblant de ne pas se focaliser sur elle, difficile de prêter attention à leur travail d’orfèvres. Superbe morceau, pour une fois on ne nous entraîne pas dans l’enfer souterrain, nous restons sur terre, en plein désert, n’oublions pas que le stoner a souvent été surnommé le rock du désert par les journalistes, un véritable hymne à la solitude et à la survivance, violent, cruel, sans concession, à mettre en relation au niveau symbolique avec Born to be wild, mais cinquante ans après dans un monde désillusionné. Stoned godess : parfois le deuxième morceau d’un disque c’est comme le second roman d’un romancier que l’on attend au tournant, optent pour un groove plus lent qui enfle et se fait murmure pour accueillir the voice. Peut-être en avez-vous assez de ces filles qui se vêtent du titre de sorcière, mais qui dévêtues ne se révèlent guerre ensorcelantes, Xanthippe elle se pare de la couronne de déesse, elle laisse chanter les guitares et se répand en confidences impudiques sur le plaisir féminin, avec son riff qui monte crescendo et descend lentamento, l’on est ici sur l’autre face, obscure, des orgasmes chatoyants de Robert Plant au bon vieux temps du Zeppelin, Xanthippe se dévoile et assume ses contradictions. Viande crue. Vous risquez de saigner. Continent noir illuminé. These blues : retour au blues, les guitares rampent et le shuffle vous plie à son rythme, Xanthippe déclare sa flamme au blues, le blues est plus vieux qu’elle mais elle porte la souffrance et l’éternité du blues au creux de son esprit et dans l’épine de sa chair, les boys sont aux petits oignons, les guitares s’en donnent à cœur joie, mais Xanthippe joue à larynx de colère. Pas vraiment une déclaration d’amour, mais une déclaration de sexe meurtri de bleu. Ghost of revolutions past : la batterie démarre comme un moteur qui prend de la vitesse, et c’est parti, pour la révolution, peut-être pas, mais un morceau politique assez rare dans les groupes de rock, Xanthippe plaque les mots en shoots d’encouragements, ne jamais perdre l’espoir, accomplir ce que l’on doit faire, ne jamais abandonner l’esprit de la lutte. A peine trois minutes, mais les mots claquent comme des fusils, les boys en première ligne.

    Z17512Photoblindsun++.jpg

    I am : chipotages de cordes, coups de batterie, inflation de guitare, rien à voir avec une stérile affirmation du moi, le background fait table rase, enfin Xanthippe place ces mots à la manière des boxeurs qui ne pensent qu’à tuer l’adversaire, ouragan de colère et tumeurs de rage, Xanthippe règle ses comptes à tout ce qui s’est opposé à elle. N’est pas une sorcière mais une guerrière, derrière elle et puis devant les guitares taillent dans le vif et la batterie hache menu la chair du monde.  Uppercut de haine nécessaire. Tum : repli sur soi, musique comme éloignée, parvenant du dedans de soi, groove minimal Xanthippe énonce les mots de l’incertitude, de ses doutes, de ses désarrois ; elle ne pleurniche pas, elle serre les dents du vocal, y mord dedans, refuse tout secours extérieur, la solution est au fond de nous, batterie bétonnière, guitare perforateuse, coups décisifs, tranchants de guitares, les boys dessinent la porte de sortie, Xanthippe entonne le seul chant de victoire qui vaille le coup, celle que l’on remporte sur soi-même. Mariners : bruits de vagues, aubade cordiques, intro métaphore, toute douce, toute lente, la voix s’élève, pure, céleste celle de l’espoir, soudain l’aube se fait plus fraîche, la fin de l’histoire n’est pas pour aujourd’hui, la batterie ralentit, il faut continuer à lutter, la guitare a beau forer en avant, rien n’est encore gagné, les fausses promesses sont trompeuses, Xanthippe chante en sourdine, c’est les boys qui donnent l’ampleur au rêve aux ailes brisées, maintenant elle est seule dans la nuit,  lampe à huile  qui refuse de s’éteindre. Under them stones : continuité dans la ténuité mélodique, ronronnement de guitares comme le chat au coin du feu qui brûle dans l’âme de Xanthippe, chant qui n’ose s’affirmer, comme s’il avait honte de lui-même, mais les boys attisent l’incendie alors elle élève la voix pour témoigner de son échec, généralement l’on pose des pierres dessus, mais elle donne l’impression de cacher les pierres qui ont jalonné son existence. Ambiguïté des fondations. La voix susurre et prend de l’ampleur, la batterie s’affole. Fin de partie.

    Une réussite. On attend la suite.

    Damie Chad.

     

     

    *

              Le cyberpunk est un des nombreux courants de la Science-Fiction apparu dans les années 80. Le kr’tntreader à l’esprit affuté aura tout de suite relevé le hiatus : comment le punk dont un des slogans originels de base reste le fameux et fulgurant No Future peut-il se retrouver associer à l’idée de science-fiction.

             C’est qu’il existe deux sortes de futur, le premier très lointain situé à quelques siècles, voire millénaires de notre existence, les auteurs ne sont pas d’accord entre eux, certains nous décrivent des sociétés idéales dans lesquelles nos post-progénitures auront la chance d’évoluer, d’autres   parlent d’organisation tyranniques qui font frissonner. Pas de panique dans les deux cas, des plans sur la comète, l’on a le temps de voir venir…

             Le cyberpunk regarde par le petit bout de la lorgnette, ne pousse pas très loin le curseur du futur, maximum une cinquantaine d’années, vingt ans, dix ans, peut-être cinq, même deux… son futur ressemble à notre présent. Dans ces cas-là l’avenir s’annonce plutôt sombre… Soyons positifs, tant qu’on n’y est pas, jouissons sans entraves du peu de bon temps qui nous reste. A une seule condition, de ne surtout pas lire le dernier livre de Mathias Richard. Nous propose une autre lecture. Nous vivons déjà dans notre futur proche. Vous ne le croyez pas, pour vous en persuader, il nous donne la date d’ouverture de l’ère nouvelle cyberpunky. 

    2020

    L’ANNEE OU LE CYBERPUNK A PERCE

    MATHIAS RICHARD

    ( Caméras Animales / Juin 2020 )

    z17590mathias.jpg

    Attention ce livre de soixante-dix pages n’est pas un essai. Le but de Mathias n’est pas de persuader le lecteur, il n’a pas rédigé une thèse quadrillée avec argumentation calibrée au cordeau, ne cherche pas à vous convaincre.  Se contente de montrer. Je n’ai pas dit de désigner du doigt la lune hors de notre portée. Parle de l’intérieur. L’on entre dans ce livre comme l’on ouvre une porte. L’on se retrouve non pas dans un poème mais dans un cri de poésie brute. Prend la parole et ne la lâche pas. L’est tout seul dans son livre. N’est pourtant en rien nombrilique. Ce qu’il énonce c’est la trame existentielle de sa présence au monde. Joue le rôle du filtre des cigarettes qui garde le témoignage des poisons qui le traversent.

             Laissons cela pour le moment. Quittons la poésie pour la politique. 2020, l’année pas du tout érotique mais covidique. Ce n’est pas le pire. Virons le virus, ce n’est pas lui le coupable. N’est qu’un prétexte. Le plus dangereux c’est ce que l’Etat nous a imposé. Le confinement. Qui n’est pas un début mais la condensation de tout ce qui a précédé. De ce mouvement insidieux, de cette marche sociétale qui depuis des années fragmente les rapports humains et réduit l’individu à lui-même. Pourquoi croyez-vous que du début à la fin de son ouvrage Mathias ne parle que de lui, que de sa vie, n’emploie que la première personne, je-je-je… à la différence près que ce ‘’je’’ n’est pas l’intumescence lyrique d’un moi hypertrophique, mais un ‘’je’’ qui ne s’appartient pas, qui n’est plus lui-même, pas une girouette qui tourne selon le vent mais qui est traversée du vide du monde annihilé. D’où cette écriture que l’on peut qualifier d’impersonnelle. Mathias se raconte certes, mais surtout et avant tout, ce faisant il nous raconte. Ses errements sont nos errements. Il se regarde dans le miroir de sa nullité et lorsque nous tentons de saisir son image au fond de la glace, c’est notre portrait qui nous sourit. Ironiquement. Tout cela c’est le côté punk de Mathias. L’anti-héros par excellence qui ne comprend pas plus son époque qu’elle ne se soucie de lui.

             Reste à zieuter du côté cyber. Ce mot évoque notre dépendance à l’informatique. Pas uniquement le clic-clic de la mignonne petite souris. L’autre face qui induit nos vies, qui les surveille, qui les compartimente, qui les espionne, qui les guide, qui les désinvidualise, big brother qui nous aseptise. Nous transforme en clone de l’autre qui lui-même n’est que notre clone. Avec au bout la zone noire, celle du transhumanisme qui permet tous les possibles, d’augmenter nos possibilités de faire de nous des surhommes. Ou des suresclaves. Monde binaire, l’un ne va pas sans l’autre. L’emprise technologique qui dans les deux cas, surhumanisante, soushumanisante, nous déshumanise.

             Mais il y a plus grave. Si la cybernétique nous déshumanise, que fait-elle de la poésie. Sous-poésie ou sur-poésie. Si la poésie n’est pas à hauteur ou à démesure d’homme, elle est le produit d’une technologie d’écriture produite par une machine. Dada misait sur le hasard. La rencontre inopinée de deux termes qui a priori n’avaient rien à faire l’un avec l’autre. Une machine poétique ne peut pas compter sur le hasard. Le résultat serait trop aléatoire. La machine fonctionne selon le rythme de la répétition. Elle répète les mêmes processus, les mêmes gestes. Les mêmes mots. Avec des variantes, sans quoi sa production serait trop monotone, trop illisible. Elle peut répéter les mêmes cadres. Les mêmes structures. Encore faut-il inclure de subtiles variations qui monopolisent l’attention. En d’autres termes c’est le facteur humain des textes qui impulse ses propres algorithmes. Plus question de se laisser mener par le bout du nez. Mathias est passé maître en cette prestidigitation vocablique. Il casse la coquille des expressions toutes faites, mélange le jaune nourricier du sens avec la glaire blanchâtre du non-sens. Car un mot signifie tout ce qu’il signifie et tout ce qu’il ne signifie pas.

             Mallarmé parlait de disparition élocutoire du poëte. Mathias mise plutôt sur sa disparition scripturale. C’est à la machine du langage d’écrire le texte. Il ne suffit pas de la laisser agir toute seule, le machiniste, celui qui tire les fils de la marionnette – il est bon de relire Kleist pour entendre cela – doit s’abstenir de penser. Essayer de ne plus penser, c’est déjà penser qu’il ne faut plus penser, et penser qu’il ne faut plus penser c’est penser que l’on pense qu’il ne faut plus penser et penser… étrange ce serpent qui se mord la queue tout en ne la mordant pas, à moins qu’il ne la morde pas tout en la mordant. Pire si l’on pense que l’on pense avec les mots l’on a besoin de plus en plus de mots, même si ce sont les mêmes mots qui reviennent toujours, c’est justement et injustement de leur retour que le texte prend sens. C’est-là que survient la question subsidiaire, peut-on penser sans les mots. Reconnaissez que ce genre de vertige vous pousse, vous vacillant, dans le trou du désespoir le plus noir – l’ère cyberpunk n’est pas particulièrement heureuse, vous l’avez compris puisque vous en faites partie - reste que lorsque l’on est au fond du trou le seul espoir, non pas de s’en sortir, mais de s’en extraire, c’est de faire coucou et d’en rire.

             L’humour peut causer autant de ravage que la guerre. L’on rit beaucoup en lisant cet opus et pourtant ce n’est pas drôle. Ce que raconte Mathias Richard n’est guère joyeux.  Un peu comme ces blagues qui font toujours rire, car on les connaît. Mais là on ne les connaît pas puisqu’il parle de lui de ses intimités, les intérieures et les extérieures, hélas, on s’y reconnaît. La mouche qui bourdonne contre la vitre de son vécu, c’est nous. La vitre aussi. Le vécu aussi. Jusqu’au bourdonnement si particulier. Totalement nôtre. Du coup on ne rit plus. La comédie tourne au drame. A croire qu’il a installé une caméra dans notre appartement et une autre dans notre tête. Et qu’il a tout recopié dans son bouquin. Lecture shaker et montagnes russes.

             C’est un livre-Samaritaine, dans les rayons énumératifs on y trouve de tout, je vous rassure même du rock ‘n’roll – Mathias est musicien - mais l’on n’en ressort pas avec son dû, tout est gratuit, chacun peut se servir à son gré et choisir les éléments qui lui agréeront le mieux, et réassembler sa vie à sa guise. Un gros hic. Votre nouvelle vie, votre nouvelle personnalité, n’est pas supérieure à la précédente. Elle a le même goût déplorable. C’est à ce moment que vous comprenez que vous vivez dans une époque opaque. Qui pique. Depuis quand au juste ? Depuis l’an de disgrâce 2020.

    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    z16280cabots.jpg

     Episode 21

    LES QUATRE COINS

    Charlie a récupéré son bec meurtrier, son regard est devenu fixe, l’on sent qu’il n’est plus lui-même, qu’une force indépendante de sa volonté s’insinue en lui, qu’il se transforme en machine à tuer. Les filles poussent de petits cris, Joël saisit un de ces poufs hirsutes fort à la mode dans les années soixante-dix, pense-t-il vraiment se défendre avec cette arme dérisoire ! Charlie s’approche à petit pas saccadés du Chef, il lève son bec et s’apprête à le transpercer lorsqu’il se retrouve englué dans un brouillard aussi épais que le fog londonien – j’en déduis que le Chef a choisi un Coronado Fumato, qui surprend toujours ses interlocuteurs. Charlie n’y voit plus rien mais il entend deux voix. Celle du Chef, douce, paisible et rassurante – pourtant le Chef déteste être dérangé quand il s’offre un Fumato - :

    • Cher Charlie, vous avez donc la mémoire plus courte qu’un Courtido, ces petits Coronados pour jeunes filles prépubères, vous avez oublié que le Grand Ibis Rouge vous a ordonné de commencer par vous débarrasser des chiens !

    Le plus terrible, c’est que le GIR lui donne raison :

    • Exactement Charlie, troue-moi d’abord la peau de ces misérables sacs à puces, il est vrai que je t’avais dit lors de notre dernière entrevue que Monsieur Lechef était une commande spéciale et autoritaire, mais d’abord les dépose-crottes, ensuite les autres.

    Les chiens n’ont pas attendu Charlie, ils se sont dispersés dans le jardin, chacun s’est réfugié sur l’emplacement d’un des buissons d’hibiscus réduits en cendres. Charlie se dirige droit vers Molossito dont la queue frétille allègrement. Molossa aboie, Charlie darde son bec vers le pauvre chiot, mais à l’ultime seconde, la courageuse bête bondit en avant, se faufile entre les jambes du batteur stonien, étonné de le  voir s’échapper, Molossito traverse le jardin vers le quatrième buisson et s’assoit sur le tapis de cendres. Watts se retourne et fonce sur lui. Hélas pour lui, les cabotos sont enchantés de se livrer à une superbe partie de quatre coins. S’amusent à changer de place dès que Charlie fait mine de se diriger vers l’un d’eux.

    Charlie ne sait plus où donner du bec. Les chiens le narguent, l’appellent, ont l’air de se moquer de lui, détalent, ralentissent, accélèrent, empruntent comme des fous les deux diagonales. De grosses gouttes de sueur coulent sur son front, nous nous moquons de lui, nous l’ houspillons, ‘’ Cours plus vite Charlie’’, ‘’ Cut across shorty’’, nous rions franchement aux éclats. Qui ne partagerait pas notre joie ! Evidemment le Grand Ibis Rouge, aussi rubicond qu’un homard ébouillanté :

    • Bougre d’idiot, tu es ridicule, arrête-toi trente secondes que je t’insuffle le maximum de force que tu puisses supporter !

    Pas de paroles en l’air ! Charlie est gonflé à bloc, il a gagné en vigueur, ses foulées sont plus longues, il est beaucoup plus rapide et à diverses reprises les

    Chiens lui échappent par miracle. Comme d’habitude une idée géniale me traverse l’esprit :

    • Il faut aider les chiens, mettons-nous sur sa trajectoire pour le gêner et ralentir sa course.

    Nous apportons une aide précieuse à nos amis. Molossito adopte une nouvelle tactique, de temps en temps, par derrière il s’en vient mordiller les mollets de Charlie. Par deux fois, Watts s’écroule. Il se relève avec célérité, nous remarquons qu’il ne se fatigue plus, par contre les quatre pattes moulinent un tantinet, ils tirent une langue démesurée, si Molossa et Molossito s’en tirent encore assez bien, Rouky, plus massif, moins jeune est à la traîne. Charlie s’en est aperçu, il se concentre sur lui, ignore les deux autres, il le traque, ne lui laisse plus une seconde pour reprendre souffle. Nous avons beau essayer de le freiner, tirant même sur ses habits pour le retenir. Hélas, en pure perte.

    Charlie est parvenu à coincer Rouky, dans un coin, entre les deux murs. La pauvre bête est acculée. Le bec s’abaisse, se relève, s’apprête à frapper. Les yeux implorants de Rouky se lèvent vers lui. Je sais que les balles n’ont pas d’effet sur Charlie, je sors tout de même mon arme pour lui tirer dans le dos espérant que le choc des projectiles le déstabilisera quelque peu. Le Grand Ibis Rouge exulte :

    • Bien Charlie tue-le, sans pitié, doucement, cruellement, qu’il souffre un maximum !

    Charlie va frapper, et brusquement Rouky saute dans ses bras, il a passé ses deux pattes autour de son cou et lui lèche la partie du visage que le bec d’acier   laisse dégagé. Les mains de Charlie se referment sur son dos, et esquissent une caresse.  Charlie est tombé à genoux, Il a rejeté son masque, Molossa et Molossito s’en emparent et décampent avec.

    • Charlie : obéis – le Gir s’étrangle de rage - fais ton devoir, souviens-toi que vous avez signé, si je ne peux rien contre un mort, pense au reste du groupe, à ceux qui sont vivants, tes amis Mick, Keith, et Ron, ma vengeance sera terrible !

    Charlie a entendu. Il se retourne, lève les yeux et accorde au Grand Ibis Rouge, un pâle sourire, suivi – je ne m’attendais pas à ce geste de la part d’un gentleman comme Charlie Watts, ni d’un anglais si bien élevé, un superbe bras d’honneur !

    Qui produisit son effet. Il fut immédiatement suivi d’un intense éclair rouge. Le Gir n’était plus là. Disparu en une fraction de seconde !

    SOIREE RECREATIVE

    Il faut le dire, pour un mort Charlie était en pleine forme. Encore un soupçon d’énergie et les filles devenaient ses groupies attitrées. Nous étions rentrés dans l’abri et devisions sereinement. Les chiens se virent offert un plateau de charcuterie pantagruellique. Bien Mérité. Rouky le dévorait couché au pied de son maître. Charlie lui tapotait la tête :

    • Mon Rouky, quand j’aurai terminé mon contrat, je te jure que je t’emmènerai avec moi au pays des morts, nous ne nous quitterons plus.
    • Dites-moi, cher Charlie, de quel contrat parlez-vous, vous serait-il possible de nous en communiquer les termes exacts, ce genre d’informations ne peut que nous aider à comprendre les dessous de cette affaire. Attendez toutefois une minute que j’allume un Coronado, ce genre d’activité ne supporte pas la moindre inattention !
    • C’est très simple, nous les Rolling Stones avons signé un contrat collectif. Le Grand ibis Rouge, nous promettait fortune, réussite et célébrité toute notre vie. Il a tenu parole. Nous devons le reconnaître. En échange nous nous engagions une fois morts à tuer mille personnes. Il était en outre spécifié qu’un seul d’entre nous pourrait être chargé de cette tâche macabre. Nous avons cru à une plaisanterie, nous avons apposé nos paraphes au bas du document sans sourciller. A peine la pierre tombale s’était-elle refermée sur mon cercueil que le Grand Ibis Rouge m’est apparu et m’a déclaré qu’il m’avait choisi pour tuer les mille personnes qu’il me désignerait. Qu’après quoi le contrat rempli nous serions quitte.
    • Parfait, dit le Chef, cher Charlie nous allons vous tirer d’affaire. Quel malheur quand je pense que cette palpitante aventure tire à sa fin ! Gros dodo, ce soir, demain nous avons du travail.

    Nous nous endormîmes du sommeil du juste.

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 542 : KR'TNT 542 : DAPTONE RECORDS / TURBONEGRO / NEAL FRANCIS / PARIS SISTERS / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 542

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    17 / 02 / 2022

     

    DAPTONE RECORDS / TURBONEGRO

    NEAL FRANCIS / PARIS SISTERs

    THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

     

    Daptone en fait des tonnes - Part One

     

    Z17532DAPTONE.gif

                La légende de Daptone Records reposait sur un trio de choc : Sharon Jones, Charles Bradley et Naomi Shelton. Les trois ont cassé leur pipe en bois. Frappé de plein fouet par la poisse mortifère, Daptone réussit néanmoins à créer l’événement avec la parution l’an passé d’un triple album live : Daptone Super Soul Revue, Live At The Apollo. Ce concert extraordinaire fut enregistré en décembre 2014. Le gros avantage c’est qu’on peut ré-écouter chanter ces artistes disparus et constater en même temps qu’ils sont bien meilleurs sur scène qu’en studio. Ce triple album les fait entrer dans la postérité. The Daptone Super Soul Revue est au complet sur scène, avec une intro du band leader Binky Griptite, suivi d’un court set des choristes de Sharon Jones, Saun & Starr, bien meilleures sur scène que sur leur album, lui aussi paru sur Daptone. Elles sont on the spot et à l’Apollo, elles passent comme des lettres à la poste. C’est Naomi Shelton & The Gospel Queens qui nous mettent les sens en alerte avec «Thank You Lord», massif shoot de gospel groove, le meilleur d’Amérique avec celui des Como Mamas. Stupéfiant, ça y va au heah yeah et ça continue au blast furnace de gospel batch avec «Stranger», talkin’ bout the Lawd, ça screame dans les brancards et ça explose encore avec «Higher Ground». Tu vas droit au tapis avec ces folles. Naomi y va au gospel yeah yeah, ça blaste early in the morning. On entend en fin de B les Como Mamas chanter «Out Of The Wilderness» au capella d’arrache de Como et c’est aussi très spectaculaire. Le deuxième disk est consacré à Charles Bradley, screamer extraordinaire, il enfonce son clou avec «Heartaches & Pain». Il a une attaque de la Soul unique, il feule et chante à la chaleur du peuple noir. Il fait de la heavy Soul éplorée avec «Lovin’ You Baby», il sonne comme un écorché vif, il harangue et screame sa Soul au sang. Il finit son «Slip Away» au gotta d’Otis et fout le feu à «How Long». Il rugit comme un lion dans les flammes de l’enfer, Charles Bradley est l’un des grands screamers noirs définitifs. «Let Love Stand A Chance» est sans doute son plus beau shout de heavy Soul. Il chante à la chaleur du Bradley fire. Il revient secouer l’Apollo après un intermède du Burdos Band. «Ain’t It A Sin» est une belle dégelée de raw r’n’b. Le troisième disk est réservé à Sharon Jones, the Voodoo Queen. Son arrivée est explosive, elle est aussi balèze qu’Aretha. Avec «Get Up & Get Out», elle tape un r’n’b endiablé quasi-voodoo à la Isley Brothers, bien monté en neige. Thank you Daptone pour ce festin de Soul. C’est sur la F qu’elle passe véritablement à la transe voodoo avec «I’m Not Gonna Try», ça joue aux percus de Daptone Square. Elle tape dans l’infernal «There Was A Time» de James Brown, arrhhh, mais elle annonce la couleur : «My way, not James Brown’s !». Et elle rentre dans le lard du funk survolté. Dans le book qu’on évoque à la suite, il est écrit que le show de Sharon Jones est «le pinacle d’une carrière qui rivalise d’énergie et de showmanship avec James Brown’s historic revues upon the same stage.» Et ça se termine avec toute la Daptone Family pour un clin d’œil à Sly avec «Family Affair/Outro». Ça devient mythique, Sharon, Charles et tous les autres explosent le Sly Thang. Un book au format LP propose des photos noir et blanc de la soirée, toutes plus spectaculaires les unes que les autres. Il se pourrait bien que cet objet soit un passage obligé, à condition bien sûr d’aimer la Soul à la folie.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Shindig! salue l’événement historique que représente la parution de cet album avec une petite double. Quand Paul Richie demande à Gabe quel est le highlight de sa vie, Gabe répond que ce fut d’être sur scène avec Sharon - That was the highest I could ever get - Il ajoute qu’il n’a jamais vu personne du même niveau que Sharon - She had a unique talent and that goes way beyond singing - Gabe rappelle aussi que l’éthique de Daptone consiste à sortir les albums qu’il aurait envie d’acheter. Il évoque aussi «a very low tolerance for bullshit.» Il profite de l’interview pour dire ce qu’il pense des mutations du music biz, le fameux cheaper and faster, cette musique en ligne qui l’horripile et qui finit par dénaturer la musique. Gabe dit aller à l’opposé. Deux albums par an, ça suffit. À conditions qu’ils soient bien foutus.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             En même temps que sortait ce triple album, Jessica Lipsky faisait paraître l’an passé un ouvrage remarquable dans lequel on trouvera tout ce qu’il faut savoir sur Daptone, et même davantage : It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution. Elle nous raconte dans le détail cette histoire qui s’étale sur vingt ans, mais elle propose en plus un panorama assez complet de la scène Soul contemporaine : il ne manque rien ni personne, ni Colemine, ni Kelly Finnigan, ni Curtis Harding, ni Durand Jones, ils sont tous là et chacun des paragraphes de ce book génial sonne juste. On voit bien qu’elle a écouté les disks dont elle parle. Ce qui rend l’ouvrage doublement référentiel. Mine de rien, Jessica Lipsky a pondu une petite bible.

             Rien qu’avec l’histoire de Gabe Roth, on est comblé. Ce kid new-yorkais fan de Soul est co-fondateur de Desco avec Phillip Lehman. Gabe compose et joue de la basse dans les Dap-Kings. Quand il est sur scène, il devient Bosco Mann. Grâce à Daptone et aux Dap-Kings, Gabe Roth est devenu une figure légendaire, au moins aussi légendaire que Willie Mitchell, Sam Phillips et Chips Moman. Ou encore Berry Gordy, mais en beaucoup plus sympathique.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             C’est un copain de sa grande sœur qui fait découvrir le funk au jeune Gabe, notamment une compilation nommée James Brown’s Funky People sur laquelle on peut entendre «the sexy voice of female preacher Lyn Collins, the punching horns of Fred Wesley and Maceo & The Macks».

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Au commencement était non pas le verbe, mais Desco, fondé comme on l’a dit par Gabe et son pote Lehman. Lehman est un fils de riche qui arrive de Paris. Il s’installe à New York parce qu’il collectionne les raw funk singles. Gabe et lui ont une passion commune pour ce son, d’où Desco. Ils sont dingues de James Brown et des obscure funk 45s with a heavy dose of East African heat, and the great Fela Kuti. À quoi Gabe ajoute les Meters - Fela, James Brown, The Meters, ils paraissent évidents maintenant, mais à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de groupes funk qui sonnaient comme ça - Jessica Lipsky qu’on va appeler Jessica parce qu’elle est devenue une copine rappelle que le terme funk est resté un terme très vague. Il a servi à décrire «Papa’s Got A Brand New Bag» en 1965, puis le «Spreadin’ Honey» du Watts 103rd Street Rhythm Band et enfin l’acid-damaged weirdness of Parliament Funkadelic’s 1971 album Maggot Brain. C’est vrai qu’on a tout le funk de la terre dans ces trois bonnes pioches.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Gabe et Lehman ont des personnalités très différentes - Lehman with a no-holds-barred (sans tabous) punk rock attitude et une énergie créative qui ignorait les limites. Roth avait une attitude plus pratique with a highly musical sensibility - ce que confirme Steinweiss : «Phillip était un genre de visionary creative guy qui avait des tas d’idées. Et Gabe était lui aussi très créatif et visionnaire, mais il avait l’avantage de savoir mettre en pratique.»     

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             C’est en l’an 2000 que Lehman et Gabe se séparent. On ne sait pas grand- chose des raisons de ce schisme. Gabe dit que leur «partnership ended because of inevitable ‘business differences - money and shit’» - Gabe se retrouve seul et fauché. Alors que Lehman qui est plein aux as s’en va fonder Soul Fire Records, Gabe s’installe à Bushwick, Brooklyn, pour lancer Daptone, focused on expertly polished mid-to-late-60s soul and funk. Selon Jessica, Daptone vient peut-être du «Dap Walk» d’Ernie & the Top-Notes, un groupe funk de la Nouvelle Orleans. Dap-Dippin’ With The Dap-Kings est le premier album paru sur Daptone. C’est aussi le premier album de Sharon Jones. Comme Chips, Willie Mitchell, Berry Gordy, Stax et Motown, Gabe monte un house-band pour Daptone, les Dap-Kings.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Si Gabe prend le pseudonyme de Bosco Mann, c’est tout bêtement parce qu’il est endetté. Il craint que ses débiteurs ne louchent sur son label. Les Dap-Kings se composent de Gabe (bass), Steinweiss (beurre), Axelrod (keys, pas le David, un autre Axelrod, un Victor, qui se fait appeler Earl Maxton), Fernando Velez (percus), Leon Michels (sax), Binky Griptite (guitar). Gabe appelle ça la Daptone Family car il a grandi dans un milieu ouvert et il nourrit une passion réelle pour le concept de famille étendue. Le résultat ne se fait pas attendre : «There’s a sound to this crew, this bunch of guys.» Et il ajoute un peu plus loin : «I think that’s the biggest thing, to have a crew of musicians... That know how to make a record, know how to make a sound.» Ça ne te rappelle rien ? Chips, bien sûr, qui disait la même chose de son house-band. C’est le B-A-BA du recording biz : le house-band, la bonne ambiance. Il y a eu ça aussi chez Stax avant que ça ne dégénère. It’s a Family Affair, comme disent Gabe et Sly Superstar. Quand ils commencent à palper un peu de blé, Gabe et sa famille de Dap-Kings s’installent au 115 Troutman Street, à Williamsburg, un autre quartier de New York. Et tout le monde participe à la rénovation du local pour en faire un studio. Gabe dit que ce furent les jours les plus durs de sa vie. Charles Bradley donnait un coup de main, il réparait les radiateurs et l’escalier qui conduisait au deuxième étage. Ils font l’isolation acoustique avec des pneus ramassés dans le quartier. Ça devient the Daptone’s House Of Soul, un endroit qui va devenir légendaire, on parle même de «magic sound» et Gabe applique son motto «Shitty is Pretty», en ayant recours aux méthodes d’enregistrement traditionnelles, celles qu’on taxe d’analogiques. Gabe prend aussi des leçons de basse auprès d’un pianiste aveugle, Cliff Driver - It helped me figure out just how to play that shit - Et il ajoute qu’il a eu beaucoup de chance d’avoir pu jouer avec all these guys. It’s crazy to me. Méchant veinard !

             Sous la plume de Jessica, Gabe Roth apparaît comme un homme extrêmement attachant et donc très fréquentable. On s’en doutait un peu à l’écoute des album parus sur Daptone, mais ce livre fournit un éclairage fondamental. On apprend par exemple qu’il faillit devenir aveugle à cause d’un accident de voiture. Homer Steinweiss conduisait dans New York et bam, il roule dans un nid de poule et l’airbag explose dans la gueule de Gabe, lui déchirant les yeux. Il va retrouver la vue mais sera contraint de porter des lunettes noires toute sa vie. Plus grave : sa femme ne supporte plus de vivre avec un mec endetté jusqu’aux oreilles et qui ne gagne pas un rond avec sa fucking musique. Peu après l’accident, pouf, elle se fait la cerise. Le pauvre Gabe doit donc dormir dans le canapé du studio. Pas toujours facile, la vie. D’autant plus que la première année, il n’y a pas de chauffage dans The House Of Soul. Il s’accroche à son rêve de Soul et continue. Il s’associe avec Neal Sugarman, membre des Sugarman 3 et ils devront attendre plusieurs années avant de pouvoir sortir un salaire de Daptone. Pour vivre, ils jouent sur scène, d’un côté Sugarman avec The Sugarman 3 et de l’autre Gabe avec Sharon Jones & The Dap-Kings. Ils jouent dans des clubs et dans des mariages.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Avec Daptone, Gabe laisse tomber le raw funk pour aller sur la Soul de style Gladys Knight, Archie Bell et Wilson Pickett. Il compose énormément et impressionne Sharon Jones : «I think Gabe is an alien and he’s in disguise, man, he’s been around a looooog time.» Elle a raison de le prendre pour un extra-terrestre. Et elle ajoute que tout ce qu’il compose pour elle lui va comme un gant. Quand un peu plus tard elle voit que les albums commencent à se vendre, Sharon chope Gabe. Elle veut des royalties sur les chansons qu’elle n’a pas écrites. Elle considère que ces chansons résultent d’un effort créatif commun. Et contre l’avis de ses avocats, Gabe accède à la requête de Sharon en décidant que the ethical move était de reverser à Sharon un pourcentage des droits d’auteur, ce qui sur douze ans représente une somme rondelette. En fait la décision de Gabe a sauvé leur working relationship, nous dit Jessica avec - on l’imagine - un sourire bienveillant. Eh oui, elle a raison, c’est toute la différence avec ce rat de Leonard le renard qui barbotait les royalties dues à ses artistes. C’est tout de même incroyable qu’on puisse se conduire ainsi. Les économies de Daptone en prennent encore un coup avec le cambriolage de The House Of Soul. Les mecs ont barboté tout le matos, y compris les instruments pour la plupart de valeur qui n’étaient pas assurés. Mais Gabe encaisse bien le coup, même si ça ruine complètement le label. Il déclare officiellement qu’il leur reste le principal, c’est-à-dire la santé, l’ambition, les tape machines et l’humour - You can slow us down but you can’t stop us.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Gabe est un mec extrêmement balèze, car quand il sort le premier album de Naomi Shelton & The Gospel Queens, il en éprouve une réelle fierté, nous dit Jessica : « Le succès des Gospel Queens en particulier a conforté Gabe dans l’idée que de sortir un album de gospel was more punk rock than actually releasing a punk record.» C’est assez criant de vérité. Tous ceux qui ont eu le privilège de voir les Como Mamas le savent : tu donnerais tous tes singles punk pour un set des Como Mamas. Elles sont the real deal.

             Dans un passage plus intimiste, Gabe explique qu’il ne tire aucune fierté d’avoir pu accompagner Cliff Driver, Lee Fields ou Sharon Jones : «Je peux dire que ça ne m’est pas monté à la tête et je le pense encore aujourd’hui. Ça m’a juste appris que je ne dois pas m’approprier l’histoire d’un autre quand ce n’est pas la mienne. Si je joue bien, tout le monde est content. Depuis le début, je veille à ne pas péter plus haut que mon cul et à ne pas me comporter comme un imposteur. Je ne vole pas les licks, je ne suis ni un imposteur culturel, ni un imposteur social.» Dans la même veine, il revient aussi sur la question de l’engagement politique : «Ce n’est pas ce que chantent Sharon, Charles ou Lee qui est important, mais l’idée qu’ils soient là et qu’ils injectent du power et de l’honnêteté dans la musique. Il y a quelque chose de très politique dans cette idée. Nous ne sommes pas des leaders du combat des civil rights, mais comme dirait l’autre, il faut un soundtrack à la révolution. Pas besoin d’être Gil Scott Heron, ça peut être Earth Wind & Fire, ça peut être anybody, man. It can be Fugazi or Rage Against The Machine, or it could be Bob Dylan. L’idée, c’est que les gens écoutent the soundtrack.» 

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Gabe bosse aussi avec Booker T Jones sur The Road From Memphis paru en 2011, puis il finit par récupérer l’excellent James Hunter sur Daptone.

             Autre point clé du personnage : il n’aime pas les Grammys et tout le bataclan des récompenses officielles, il appelle ça the other shit - pop studio sessions, Grammys, radio. Parce que tout ça n’est pas basé sur le fait de faire de la bonne musique et se connecter avec les gens. Regarde qui sont les gens qui décrochent des Grammys - That’s where you want to be? There’s an award for THAT? Et maintenant regarde les disks que tu aimes bien : do any of them have Grammys? No - Au moins les choses sont claires. Gabe défend une idée de la qualité qui passe par l’indépendance. Il explique sa conception de la qualité en faisant la différence entre ces grands artistes que sont Charles et Sharon, et qui vont durer, et «some neo soul so-and-so who’s on the radio at the moment, but those people fade in and out. Maybe it’s Adele or Macy Gray or The Alabama Shakes. Or Amy Whinehouse.» Et il conclut ainsi, s’exprimant comme un oracle : «Sharon stuck around a lot longer than all that stuff.» Il pourrait même ajouter que les six albums enregistrés de son vivant font toute la différence, sans parler du triple Live At The Apollo. Puis il s’en prend à l’idée du succès : «Les gens deviennent complètement tarés à vouloir le succès. Il faut avoir une notion très claire de ce qu’est le succès pour que ça ne te détruise pas. Si tu décides que le succès, c’est l’argent, then go get some fucking money, you know? Si tu décides que le succès, c’est de faire un bon disk, then make a really good record and shut the fuck up and don’t complain to me about who’s buying it.» Il ajoute qu’il n’existe aucune corrélation entre le succès financier et la qualité. «That’s the whole illusion of the American Dream, les gens n’obtiennent que ce qu’ils méritent. And that’s what that whole Sharon record was about.» Les propos de Gabe sont déterminants.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Oh et puis il y a les artistes. Les premier fut Lee Fields, auquel on a déjà consacré pas mal de place ici (juin 2016, mai 2017, février 2020, c’est dire si on l’aime bien ici, au moins autant que les Jallies). Lee Fields débarque chez Gabe au temps de Desco. Il est ce qu’on appelle alors a Soul legend, il est monté sur scène avec Kool & The Gang, O.V. Wright, Betty Wright et Darrell Banks. Jessica précise en plus qu’on le surnommait ‘Little JB’ à cause de sa ressemblance avec James Brown. Puis il est tombé dans l’oubli, chassé par la diskö et la DJ culture. C’est Phillip Lehman qui trouve son adresse et qui lui propose du cash pour enregistrer un single de funk - He came in and just crushed it - Gabe trouve que même s’il est the best singer alive, mais il n’a pas le pouvoir scénique de Sharon. C’est vrai qu’en concert, Lee Fields base tout sur le participatif et ce n’est pas bon de vouloir faire chanter les salles en chœur. Il n’enregistre qu’un seul album sur Desco, Let’s Get A Groove. Et puis au moment de la séparation, Lehman emmène Fields dans ses bagages et sort Problems sur son label Soul Fire, un album enregistré chez le père de Lehman, avec un seul  musicien (Leon Michels) et sur lequel on trouve l’excellent «Honey Dove». Gabe ne prend pas trop mal le fait que Lee ait suivi Lehman : «Lee est de la vieille école. Tu veux qu’il vienne chanter, alors tu lui donnes du cash et il chante. Il aurait fait un album avec moi si j’avais eu de l’argent pour le payer, mais je n’en avais pas. J’étais encore jeune marié et ma femme était écœurée car on n’avait pas de quoi payer le loyer.» On comprend bien que Gabe n’a pas une très haute opinion de Lee.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Puis Sharon Jones, sans doute l’une des Soul Sisters les plus importantes de l’histoire des Soul Sisters. En tous les cas, les ceusses qui l’ont vue sur scène savent qu’elle fut l’une des dernières vraies superstars. On a dit ici (en novembre 2014) tout le bien qu’on pensait d’elle, de son show de Voodoo Queen et de ses six fantastiques albums.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Sharon arrive un beau jour chez Desco pour faire des chœurs derrière Lee Fields sur «Let A Man Do What He Wanna Do». Gabe attend trois choristes mais Sharon se pointe toute seule. Elle fait l’affaire. Elle démarre comme ça, en s’imposant. Binky Griptite la présentera sur scène comme une «super Soul Sister with that magnetic je ne sais quoi». Gabe démarre donc Daptone avec Sharon qu’il paye cash, puis il embauche Griptite, Steinweiss, Axelrod et Michels pour enregistrer Dap-Dippin’ With The Dap-Kings. Ils commencent ensuite à enchaîner les tournées. Leur spécialité est de se mettre sur un one-chord James Brown-style vamp et Sharon entre dans la danse. Axelrod : «Then the band would get really loud and then bring it right back down. That was my favourite shit.» Steinweiss ajoute : «I think Gabe saw from the very beginning that Shaton had the power.» Jessica n’y va pas de main morte quand elle affirme que Sharon physicalized the music avec ses pieds, ses genoux, ses bras et sa tête. Pendant toute cette première époque, Sharon voyage dans le van avec les Dap-Kings. Et chaque soir, elle donne comme elle dit 120 percent d’elle-même. Enregistré à Troutman, Naturally, qui est le deuxième album de Sharon, est aussi le quatrième album paru sur Daptone. On sent une nette évolution. Jessica indique que Sharon s’inspire des divas du passé, Aretha, Ann Peebles et Lyn Collins. Sharon est contente de Daptone et de Gabe, elle ne se sent décidément pas faite pour le music business officiel, car elle se dit «too Black, too fat and too old to make it». Oui, car avant Daptone, elle avait essayé de faire carrière, mais elle n’intéressait pas les labels : trop petite, la peau trop noire, un peu ronde, aucune chance. Soixante balais en plus. Le seul à voir la star en elle, c’est Gabe. Pas mal, non ? Elle a fait tous les métiers, y compris celui de matonne. Elle trimballe dans sa poche un calibre 22, on ne sait jamais. Elle aime la pêche - Fish in my dish - et fumer de l’herbe ou le cigare au bord du fleuve. Elle veut toujours être the loudest person in the room, elle veut qu’on la remarque. Elle veut faire le show en permanence. Sur scène, Sharon porte une petite robe à franges et des talons hauts qu’elle vire pour danser le Voodoo. Brenneck : «Ce furent les meilleures années de ma vie, playing fucking limbo with Sharon Jones.» Il raconte des souvenirs de tournées en France, «getting drunk» avec Sharon «and we just smoked a ton of weed togther. She was a party animal, a lunatic.» Quand on lui reproche d’être rétro, Sharon s’insurge : «There’s nothin’ retro about me, baby, I AM Soul.»

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             C’est avec 100 Days 100 Nights que le succès commercial arrive. Sur scène à l’Apollo, le show dure deux heures, avec un hommage à James Brown, «This Is A Man’s World», suivi d’un medley James Brown en duo avec Lee Fields. Et puis pouf, en 2013, un toubib lui dit qu’elle a chopé un cancer. Elle vient d’enregistrer son cinquième album, Give The People What They Want et elle pense que c’est son testament. Pour les Dap-Kings c’est dur, car les tournées avec Sharon sont leur seule source de revenus. Elle va cependant passer à travers une première fois et reprendre les tournées. Mais comme on sait, l’histoire finit mal. Gabe va faire paraître deux albums posthumes. Après tout, c’est bien pour les fans de Sharon. On reviendra sur elle prochainement, car tout n’est pas dit.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Puis Charles Bradley, qu’on peut considérer avec Lee Fields comme le fils spirituel de James Brown - Perhaps even more than Sharon Jones, Charles Bradley WAS Soul music - the love, sorrow, exuberance and fear written in the wrinkles of his face et son histoire furent un pur triomphe du spirit que le public a adoré - Une vie incroyable que celle de Charles, qui fuit la violence de sa mère, qui dort dans la rue, et qui pendant dix ans travaille comme cuistot dans un asile de fous, avant de partir en stop à travers les États-Unis. Il atterrit en Californie et vit de petits boulots. Et puis un jour, il tape à la porte du studio de Gabe - I heard you’re looking for a singer - C’est l’époque où il porte une perruque, il se produit sous le nom de Black Velvet with Jimmy Hill & the Allstartz Band et personne ne comprend ce qu’il dit quand il parle. Lorsque Charles commence à connaître le succès, Sharon est un peu jalouse car elle a bossé dur pour ouvrir les portes, comme elle dit, et voilà que Charles se pointe, pour lui c’est du tout cuit. Alors elle se comporte avec lui comme la grande sœur, the mean big sister. Gabe dit qu’elle «would fuck with him a little bit and it would get to him because he was sensitive». Eh oui, Charles est hypersensible, on n’entend que ça sur ses disques, cette hypersensibilité. Quand les choses ne vont pas bien, il s’isole, il réfléchit et prie, comme Howard Grimes. Jessica fait remonter l’aspect extrêmement spirituel de la personnalité de Charles : les gens viennent le voir et Charles dit : «I’m looking at their faces and see their spirits. I love this world and I love everybody in this world, but I will say not everybody may love and treat me the way I love them.» Charles parle de Soul. Prends-en de la graine, petit homme blanc dégénéré qui osa prétendre à une époque que les nègres n’avaient pas d’âme. Alors fuck le monde des blancs. Et bien sûr, il faut ressortir vite fait de l’étagère les trois albums de Charles Bradley.  

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             The Budos Band fait partie des autres poulains de Gabe, un groupe que Jessica qualifie de Staten Island metalheads qui adore Cymande et Sabbath, du coup elle fout bien l’eau à la bouche, d’autant qu’elle en rajoute : «Perhaps the most direct expression of Daptone’s punk attitude and their show as a hardcore flip of SJDK’s studied showmanship.»

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

    Et puis les Como Mamas, dont on a longuement parlé ici sur KRTNT en mars 2018, fières d’être sur Daptone - Daptone wasn’t gonna leave Jesus out, s’exclame Mama Della Daniels qu’on a vu chauffer à blanc une salle normande voici quelques années avec ses deux consœurs. Et puis Sugarman 3 et Sugar’s Boogaloo, premier album paru sur Desco. Et puis Naomi Davis, plus connue sous le nom de Naomi Shelton, qui fait des ménages pour vivre, mais le soir elle monte sur scène avec The Gospel Queens, accompagnée par Fred Thomas des J.B.’s et Cliff Driver, le pianiste aveugle et prof de Gabe. Naomi chante avec une voix à la Wilson Pickett. On reparlera d’elle la semaine prochaine.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

    Et puis bien sûr Amy Whinehouse, que les Dap-Kings accompagnent sur l’excellent Back In Black. Jessica parle d’elle en termes d’expressive contralto vocals and intensely personal tales of love lost, addiction and rebellion. Elle se trimbale en plus un punky Ronette look et les Dap-Kings se retrouvent bien malgré eux au centre du maelström médiatique. Mais la Whinehouse session de 2006 fut le premier véritable ‘money gig’ pour Daptone. Cette session permit aussi d’établir la réputation de Daptone as one of the most important recording house in a generation. Brenneck ajoute qu’Amy a vendu dix millions d’albums alors que Daptone vendait à peine quelques dizaines de milliers d’albums de Sharon. Des gens remarquent qu’Amy sonne bien, mais elle n’est pas très sûre d’elle, comme si elle avait le talent pour devenir une star mais pas la force. Les Dap-Kings accompagnent ensuite Amy en tournée en 2007.

             Quand après la disparition de Sharon et de Charles, Gabe se réinstalle à Riverside, en Californie, c’est pour élever ses trois gosses et explorer the new sounds on the West Coast. Il tient aussi à préciser qu’il n’existe pas de compétition avec Durand Jones, Colemine ou Big Crown, «We do it together.» Et quand Jessica lui demande s’il pense avoir élargi le public de la Soul avec Daptone, Gabe est sceptique : «Plus de gens qu’avant ? Ce n’est pas ce que je vois.» Il rappelle qu’il a pris des risques, qu’il a fait un peu de promo, mais ça n’a pas changé grand-chose - In the end it’s an underground thing.

             Terry Cole pense lui aussi qu’il faut rester en contact avec les gens, lire des livres, ne pas trop vivre avec son smartphone, il pense que de faire des disques à l’ancienne permet de garder les pieds sur terre et rester en contact avec la réalité. 

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             L’after de Daptone est un sujet à part entière. Après la disparition de Sharon Jones, les Dap-Kings ont accompagné Jon Batiste, un chanteur pianiste de la Nouvelle Orleans, a talented songwriter and arranger with mainstream appeal, un black qui aurait partagé l’affiche avec Stevie Wonder, Prince et Willie Neslon. Sur scène, Gabe insiste pour reprendre avec Batiste un vieux hit d’Ernie K-Doe, «Beating Like A Tom Tom». Parmi ceux qui portent le flambeau de la Soul pendant l’after, Jessica cite Durand Jones & the Indications qu’il faut effectivement prendre au sérieux, sur la foi de trois albums, avec cependant une petite complexité : le batteur blanc Aaron Frazer chante pas mal du cuts, alors que Durand Jones est déjà en poste. Puis Kelly Finnigan et son falsetto-heavy «I Don’t Wanna Wait», et ses terrific albums avec les Monophonics sur Colemine. Jessica revient longuement sur les Monophonics qu’a rejoint Kelly Finnigan lors de son arrivée en Californie et ensemble, ils ont replongé dans Isaac, Curtis Mayfield, l’early Funkadelic, les Tempts et Norman Whitfield et bien sûr l’hometown hero Sly Stone. Jessica parle de Finnigan’s searing Stax-style vocals over heavy organ, fuzzed-out guitar and sharp horns. Elle cite aussi Grace Love & The True Loves - Betty Wright meets Mahalia Jackson vocals and serious Hammond B3 action - Un groupe inspiré par Sharon Jones & The Dap-Kings, dit le guitariste Jimmy James. Et puis Lee Fields moins funky qu’avant et qui se met à enregistrer comme Sharon des slow-tempo love songs sur Big Crown Records.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

              Elle ramène aussi Leon Bridges dans ses filets. Elle note tout de suite que le public de Leon est essentiellement blanc, comme l’est globalement le public du Soul revival. Leon est le premier à le remarquer. Il ne compte que quelques blackettes dans la salle. Par contre, Gabe se méfie de Leon : «Leon Bridges is a little bit bullshit to me, je ne miserais pas sur lui dans le combat pour les civil rights.» Il trouve les chansons et la voix de James Hunter bien plus profondes que celles de Leon. Gabe avoue aussi avoir du mal avec les mecs trop pretty - Also he’s real pretty. I have a hard time with people who are real pretty, even if they’re talented - Terry Cole dit bien aimer Leon mais il est choqué de voir des gens entrer dans son magasin pour acheter les disks de Leon qui dit-il n’ont aucun intérêt. Alors ils leur écrit une liste d’autres albums de Soul revival et chaque fois il met Sharon Jones et Lee Fields en tête de liste.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             En 2020, Daptone lance Penrose avec des groupes californiens : The Altons, Thee Sinseers, Thee Sacred Souls, Los Yesterdays, et Jason Joshua qui considère Gabe comme un mentor. Puis Gabe lance de nouveaux artistes, Orquesta Akokan, Cheme, Menahan Street Band, LaRose Jackson, Napoleon Demps, Vicky Tafoya et puis il sort un deuxième album posthume de Sharon, une compile de reprises, Just Dropped In.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Le label célèbre son vingtième anniversaire en 2021 avec la parution du triple album dont on chante les louanges un peu plus haut. Et partout dans le monde, des groupes poursuivent le combat de l’authenticité de la Soul initié par Daptone. Jessica cite les Dojo Cuts d’Australie, The Dip de Seattle, le chanteur Desi Valentine. Des groupes comme Khruangbin, Kamauu, The Ephemerals, Skinshape et les Seratones (vus sur scène à Rouen en 2016) défient dit-elle les catégories mais puisent dans la Soul et le funk pour créer de nouveaux sons. Elle a bien bossé, la petite Jessica, elle a tout ratissé. Il ne manque pas grand monde dans son état des lieux. Elle ramène encore dans les dernière pages les noms des Resonaires qui sont sur Colemine avec la Dapette Saundra Williams au chant et celui de Rickey Calloway accompagné par les Dap-Kings.   

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Mine de rien, Colemine prend bien la suite. Terry Cole est un fan de Gabe. En 2007 il établit sur quartier Général à Cincinnati, Ohio qui selon lui a toujours été et restera l’épicentre du funk. C’est Colemine qui sort le hard funk de The Grease Traps d’Oakland, the cinematic Soul of Sure Fire Soul Ensemble de San Diego, et le boogie d’Orgone. 

             En vingt ans, Daptone est devenu une référence incontournable. David Ma : «Faire de la Soul music est une chose, mais la faire sonner brassy, drum-heavy et projeter la chaleur qu’on n’obtient qu’avec l’analog equipment, c’est là où Daptone fait la différence.»

             Daptone a fabriqué de la magie - Cette magie demandait du talent et de la détermination, mais au fond, elle est extrêmement simple. C’est la pure joie d’entendre les cuivres jouer ensemble, cette facilité à dodeliner de la tête sur une groovy bassline, la façon dont on donne du relief à une chanson avec des percus et l’extraordinaire énergie d’authentiques performers comme Sharon Jones et Charles Bradley - Et voilà le travail.

    Signé : Cazengler, Dapcon

    Daptone Super Soul Revue. Live At The Apollo. Daptone Records 2021

    Jessica Lipsky. It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution. Jawbone Press 2021

    Paul Ritchie : Soul celebrations. Shindig! # 119 - September 2021

     

    Le gros turbo de Turbonegro

     

    Z17533turbonrgro.gif

             Plus encore que les Hellacopters, les Soundtrack Of Our Lives ou les Flaming Sideburns, Turbonegro a su donner au ‘rock scandinave’ (comme on dit) une réelle profondeur, une épaisseur unique. En dix ans, Turbonegro a su bâtir une mythologie réelle, ces mythologies qui font la vraie histoire du rock, celles qui allient le son et le look pour fabriquer de la légende. Ces mythologies ne sont pas aussi nombreuses qu’on pourrait le croire, mais on les connaît bien : Stooges, Gun Club, Cramps, Brian Jones, Jimi Hendrix, Elvis, Gene Vincent, Charlie Feathers, et puis en remontant dans le temps, Lemmy, Dave Wyndorf, Anton Newcombe, Jason Pierce, sans oublier les Soul Brothers et les Soul Sisters qui sont, eux, bien au-delà des mythologies. Par la puissance de son image et la qualité de ses albums, Turbonegro s’est hissé dans cette caste, et c’est d’autant plus remarquable qu’ils tiraient toute leur inspiration des bars gay, des bas-fonds et de la violence qui s’y rattache. L’un de leurs mots clés est l’anus. On en croise pas mal dans les refrains. Ils ont réussi là où Alice Cooper a échoué. Si tu veux jouer les ambigus, baby, fais-le pour de vrai. Et ramène le son qui va avec, celui d’une culture de l’infra-trash. Car on est avec Turbonegro dans le trash puissance mille. Chez les descendants des Vikings.

             Hank Von Helvete est parti au Valhalla rejoindre ses ancêtres. Il fut à partir du troisième album Never Is Forever la figure de proue de Turbonegro, reprenant à son compte le maquillage d’Alice Cooper mais en allant le mixer avec des looks extrêmement menaçants. Il a eu sa période Prince des Ténèbres puis il a émigré vers la barbarie pure et dure en trimballant une arbalète. Il pouvait se permettre de déconner, car il avait derrière lui l’un des meilleurs groupes de rock du monde.

    z17541never.jpg

             De 1994 à 2005, les Turbo ont effectué un parcours sans faute avec cinq albums explosifs, ce qui est extrêmement rare dans l’histoire du rock. Les groupes s’épuisent assez vite. Pas Turbonegro. La fête commence avec Never Is Forever et «Suburban Prince’s Death Song» joué à l’excès excédentaire, ça turbine dans le Turbo, c’est même trop demented pour être honnête. Ils vont vite en besogne, ah les brutes. Et puis voilà qu’avec «I Will Never Die», ils inventent le power définitif. C’est d’une rare violence et pourtant c’est de la power-pop norvégienne. Aucun groupe dans le monde ne peut rivaliser avec le Turbo du Negro. C’est même encore pire avec «No Beast So Fierce». Personne ne peut rivaliser avec un truc pareil, ils montent leur speed-gaga en mayonnaise, ils pulvérisent tous les records de violence riffique, ils revoient Motörhead au vestiaire - Just ready for my time - C’est violent et génial, ils purgent le rock. Avec «Destination Hell», il se passe encore autre chose : le son te tombe sur le râble et les cocotes des bas-fonds te scient les tibias. C’est effroyable. On se croirait dans l’une des caves de l’Inquisition. De pire en pire, voici «Timebomb», ils cocotent dans les flammes de l’enfer, alors ce sont des diables. Sur cet album, tout est explosé dans l’ass du Negro, ils cultivent l’excès d’excellence comme d’autres cultivent les fleurs de la passion. Les Turbo sont la preuve vivante du Punk’s Not Dead. Tout ici est balayé par des vents de violence sonique, avec la voix de Von Helvete posée dessus comme la cerise sur le gâtö, ou pour rester en cohérence avec leur univers, comme un crucifix posé sur une mer de flammes. 

    z17542asscobra.jpg

             Le deuxième joyau de la couronne, c’est le fameux Ass Cobra. Sans doute leur album le plus flamboyant. C’est là-dessus qu’on trouve l’«I Got Erection». Ici, tu as tout : le power, les Vikings, l’érection, c’est claqué dans l’ass. Oh-oh-oh, c’est un hymne ! Oh-oh-oh ! L’autre coup de génie s’appelle «Deathtime», tu descends droit en enfer, tu subis ta punition, tu rôtis avec le rock en enfer. Tu veux aller faire un tour dans les bas-fonds ? Avec voilà «Sailor Man» - Sailor man come take my hand - Son incendiaire, le décor ne trompe pas. Encore plus explosif : «A Dazzling Display Of Talent». C’est même hors contexte et hors concours. Pur jus de pur jus. Rien de plus extrême. Retour en enfer avec «The Midnight Nambla», gaga-punk jusqu’au bout des ongles, ça prend feu de l’intérieur. Ils repartent comme des fous avec «Black Rabbit». Ils ravagent les campagnes comme leurs ancêtres, rien de sert de s’opposer à cette barbarie ! «Denim Demon» est encore plus exacerbé. C’est le Graal du blast, ces mecs dégagent tout, les artères et les bronches, Tubo forever ! Ass Cobra est l’album du power inexorable, l’un des meilleurs albums du genre. Ils renouent avec le power du MC5 dans «Raggare Is A Bunch Of Motherfuckers». Ils y jouent les accords de «Tonight». Turbo ruine les runes de Motorcity, ça burn dans les burnes, ils sont encore plus motherfucked que les Motherfuckers du MC5. Avec «Turbonegro Hate The Kids», ils sonnent exactement comme les Dead Boys. Et s’il est un cut qui illustre bien la barbarie des Vikings, c’est «Bad Mongo» : on les entend débarquer la nuit sur le rivage avec les haches et les boucliers. Aw my Gawd...

    z17543apocalypses.jpg

             À l’époque, on avait clairement l’impression de monter encore d’un cran dans la violence sonique avec Apocalypse Dudes. Le batteur qui jouait avec nous à l’époque voulait absolument reprendre «The Age Of Pomparius», une belle introduction à l’ère de la dégelée fondamentale mais d’une part, c’est impossible de reprendre Turbonegro et d’autre part, les vrais coups de génie se trouvent un peu loin, à commencer par «Get It On», joué au riffing des Fjords, le riffing ultra, le ras-de-marée des brutes. Insurpassable. Right ! On ! Autre dégelée fondamentale : «Rendezvous With Anus», aussitôt embarqué, awite ! Pas de pire dégelée, c’est à se faire enfiler pour l’éternité. Encore un coup de génie avec «Are You Ready (For Some Darkness)», tout un programme. C’est l’hymne des Turbo, ils allument leur invitation au boute-feu, c’est aussitôt en flammes. Le feu, c’est leur truc. So c’mon ! Ils poussent le mauvais génie des Dead Boys encore plus loin, avec le pounding de fond de cale. Il n’existe rien de plus parfaitement rebondi du beat que «Selfdestructo Bust». Les guitares dégringolent sur la gueule du gaga-punk, c’est pulsé dans les règles du lard fumant. Avec «Rock Against Ass», l’Hank mise sur le rock et ramène un peu de mélodie dans son chant. Ces mecs sont tellement doués qu’ils font de la power-pop sans même s’en rendre compte. Encore un monster smash de gaga turbo avec «Zillion Dollar Sadist». Impossible d’y échapper, c’est claqué du beignet. Ils sont trop puisants. «Prince Of The Rodeo» sonne encore comme une attaque en règle. Ils explosent le daddy oh du rodéo, sans doute a-t-on là le meilleur Punk’s Not Dead de tous les temps. Ils attaquent leur «Back To Dugaree High» comme le «New Rose» des Damned. Même énergie ! Ils ne s’épargnent aucune grandeur de destruction massive. Ils s’en vont clouer «Monkey On Your Back» sur la porte de l’église, on your back ! On your back !, c’est riffé au power blast et battu dans le vent. Le temps d’un album, ils sont comme leurs ancêtres les rois du monde.

    z17544darkness.jpg

             Darkness Forever est l’album live de rêve. Sans doute, l’un des plus beaux albums live de l’histoire du rock et en même temps un Best Of faramineux. Ils explosent tous leurs hits un par un. Avec «The Age of Pomparius», tu as tout, the biggest band on earth, wow wow wow, Euroboy te riffe ça à la Les Paul noire et te scie les tibias à la volée, l’autre fou bat le beurre du diable, nothing to lose, ces mecs naviguent exactement au même niveau que les Stooges et le MC5, wow wow wow, et ça continue de monter en température, ça joue à la Norje de non retour («Back To Dungaree High»), à la destruction massive de riff pompé («Get It On»), à la force du poignet («Just Flesh»), au pire Punk’s Not Dead jamais imaginé («Don’t Say Motherfucker Motherfucker»). Ils sont à leur apogée dévastatrice avec «The Midnight Nambla», ils chantent au bord du gouffre («Sailor Man»), ils cavalent dans le lard fumant - Vive la résistance ! Vive la (sic) Rendezvous Avec Anus - ils élèvent le chaos de destruction au rang d’art majeur avec «Are You Ready (For Some Darkness)», aucun groupe au monde ne peut égaler cette débauche de power, même pas Motörhead, ils n’en finissent plus d’aligner les bombes («Selfdestructo Bust», «Rock Against Ass»), le batteur vole le show sur «Prince Of The Rodeo», les Turbo perdent la tête mais les chœurs sont en place et «Denim Demon» est certainement le plus explosif de tous. Ils terminent avec «I Got Erection» et l’Hank présente les Turbo - Chris Summers, the prince of drummers, puis The magic fingers, the boy wonder, the little Prince, what’s his name ? The Euroboy !, puis les autres, Happy Tom, Rune Rebellion et Pal Pot Pomparius.

    z17545scandinavian.jpg

             Quatrième joyau de la couronne Turbo : Scandinavian Leather et sa bague serpent qui se mord la queue. «I Want Everything» est l’un de leurs plus grands exploits, so c’mon ! Fabuleuse balance des powers, ils développent le même power que celui de Mountain à l’âge d’or, so c’mon ! Encore un coup de génie avec «Ride With Us», le dernier cut de l’album. L’Hank y va, il veut être sûr, une petite virée en enfer ? Okay, tapé à la basse métal, fouetté à la cocote malsaine, Ride with us ! Monstrueux ! Ils ramènent toute la barbarie dont ils sont capables dans «Wipe It ‘Till It Bleeds». Il n’existe rien de plus gratté que cette chose. C’est un modèle du genre. Ils se payent le luxe d’une grosse intro pour «Turbonegro Must Be Destoyed» - No no no/ Yeah yeah yeah - et les virées de bassmatic donnent le tournis. S’ensuit un «Sell Your Body To The Night» monté lui aussi sur une grosse intro - Every/ Body/ Sell your body/ To the night - avec la cocote afférente. Ce power Viking n’appartient qu’à eux. Tout ici est blasté au beurre/basse. On ne se lasse pas du power Turbo et de ces solos incendiaires. Ils explosent encore le hard-gaga Viking avec «Train Of Flesh». Ils foncent dans la nuit - Nevah stop/ Nevah nevah stop - Le message est clair. Ils sonnent comme Oasis avec «Fuck The World». On reste dans le domaine des clameurs extraordinaires avec «Drenched In Blood», ils s’amusent avec la power-pop comme le chat avec la souris, wo wo wo/ wo wo. On voit ensuite l’intro du «Saboteur» prendre feu, awite, oh oh !, avec des chœurs de marins au milieu des couplets et au loin des notes qui rougeoient dans le ciel de Detroit, oh oh oh, ça percute bien la balistique, diable comme la violence peut parfois être belle.

    z17546animals.jpg

             Dernier joyau de cette couronne infernale : Party Animals et son casque mystérieux. Le hit de l’album s’appelle «If You See Kaye», embarqué au wild gaga-punk. C’est logique, les Turbo sont incapables de calmer le jeu, même dans les méandres du delta. Ils explosent l’If you see Kaye, c’est brillant, plein de revienzy, tout est explosé en pleine gueule d’everybody, l’Hank est un démon. Ils font aussi du glam avec «Hot Stuff Hot Shit». Trinquons au power supremo du Negro. Ils font aussi du dead punk explosif avec «All My Friends Are Dead». Une vraie fontaine de jouvence, avec les guitares incisives d’Euroboy. C’est d’ailleurs lui qui arrose «Blow Me (Like The Wind)» de napalm. Il vrille en permanence pendant que Pâl Pot rythme et qu’Happy Tom bassmatique. Ils se servent de Satan pour claquer un heavy stomp («City Of Satan») et ils sonnent comme les Damned avec «Death From Above», belle resucée de «Neat Neat Neat». Pour annoncer l’arrivée d’une coulée de lave, l’Hank compte jusqu’à quatre : One, two, three, four ! («Wasted Again»). Rien d’aussi dévastateur. Puis ils clouent «High On The Crime» à la porte de l’église avec. Power du Turbo. L’Hank relance au c’mon et Euroboy vrille comme un démon. L’Hank compte en norvégien pour lancer «Babylon Forever», nouvel exercice de haute voltige enflammée. Ils finissent cet album éreintant avec un «Final Warning» de dix minutes, vite embarqué dans l’enfer du paradis Norje de Turbo, the biggest Turbo in the fjords. Pas de pire équipe sur cette terre.

    z17547retox.jpg

             Paru en 2007, Retox est le dernier album du Turbo sur lequel chante l’Hank. L’album n’est pas aussi intense que les cinq précédents. On sent remonter leur passion pour les Dead Boys dans «Welcome To The Garbage Dump» et dans «Hot & Filthy». le solo d’Euroboy y éclaire la scène - Yeah yeah hot and filthy/ We were so pretty - On retrouve le power Viking avec «Everybody Loves A Chubby Dude». Les power chords sont un modèle du genre. Ils font aussi un «Hell Toupee» quasi glam chanté avec la braguette ouverte et ils renouent enfin avec le gaga-Turbo dans «No I’m Alpha Male», un pulsatif Viking de voiles gonflées. 

    z17548sexual.jpg

             Le remplaçant d’Hank s’appelle Anthony Sylvester. On peut écouter le Sexual Harrassment paru en 2012. Non seulement ça n’engage à rien, mais en plus ça ne mange pas de pain. L’album coûtait un bon billet, mais bon, on voit écrit Turbonegro sur la pochette et on ne fait pas gaffe. En plus, sur la pochette intérieure, Sylvester ressemble comme deux gouttes d’eau à l’Hank, mais il ne se maquille qu’un seul œil. Le reste du Turbo est toujours là, fidèle au poste, et on peut bien dire que l’album est génial. Euroboy continue de faire des miracles dans «Hello Darkness», heavy as hell - Hello darkness/ Where have you been - Turbo reste la grosse Bertha des fjords, la vraie turbine à chocolat, comme l’indique «Shake Your Shit Machine». Ils nous stoogent «TNA (The Nihilistic Army)» aux accords de «1969», ça tourne au délire d’excelsior, ils remontent les bretelles du chemin de Damas, c’est plein de vie, c’est exacerbé d’allure. Encore de la violence écarlate avec «Mister Sister», c’est complètement écrasé du champignon, c’est véritablement l’apogée de l’apanage, une vraie dégelée de turbine. Ces démons de Turbo n’en finissent plus de tout écraser sur leur passage. Ils font partie des plus puissants seigneurs de cette terre. Ils remettent la pression en B avec «Dude Without A Face», la cocote règne dans les ténèbres de la turbine, c’est violemment bon, explosif et amené à la fleur du mal. Avec «Tight Jeans Loose Leash», la turbine écrase son fjord dans la gorge d’Odin, ils raclent et ils ramonent, ils arrachent tout, le loose leeash, le call your friends tonite, c’est encore du big blast. Sylvester attrape «Rise Below» à la mélodie chant, à la manière d’Oasis. Même attaque sur canapé d’arpèges, c’est vite embarqué pour la Cythère des glaces. Puis ils font leurs adieux avec «You Give Me Worms», et ils gueulent ‘worms’ comme on crie ‘war’. Ça fout la trouille.

    z17549machine.jpg

             Le dernier album en date du Turbo s’appelle Rock’N’Roll Machine. On croyait les Turbo finis ? Oh la la pas du tout ! Euroboy attaque «Part II Well Hello» aux riffs d’Hello et là tu as tout le Turbo, avec le power intact. On assiste à l’une de ces explosions de son dont ils se font une spécialité depuis le début. Il reste aussi Happy Tom et Rune Rebellion de la formation originale, c’est déjà pas mal. Et le nouveau chanteur Anthony Silvester fait le job. Grand retour du Turbo dans «Fist City», claqué à la malveillance Viking, fist city c’mon ! Euroboy fournit le claqué de beignet, ça monte bien en température, il cultive la tension comme au temps de l’âge d’or. Puis on les voit se vautrer en beauté avec «Skinhead Rock’nRoll». Il faut attendre «Hot For Nietzsche» pour retrouver le grand Euroboy à l’œuvre, pas de problème le son est là, Euroboy mène le bal aux riffs incendiaires, il fout le feu comme au temps jadis. Ils terminent en Vikings avec «Special Education». Le nouveau n’a vraiment pas la voix de Turbo, mais derrière ça reste du Turbo, le son tombe comme les chutes du Niagara. Turbo aura été l’un des groupes les plus puissants de l’histoire du rock, il ne faut pas l’oublier. Ils avaient le génie du son.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Hank Von Helvete enregistre Egomania, son premier album solo, en 2018 : chapeau claque blanc, yeux maquillés et doigt d’honneur. Finis Euroboy et les arbalètes. L’Hank repart sur les chemins du Vallalah avec Cat Casino on lead et une autre équipe. Il fait une sorte de sous-Turbo, c’est évidemment bardé de son, ça bat le beurre comme chez Motörhead. Avec «Blood», ils tapent un heavy blues à la ZZ Top, l’Hank tente d’en rajouter, mais ce n’est pas bon. Il fait de l’Alice Cooper. Il tente ensuite de renouer avec les réflexes Turbo («Dirty Money»), mais la magie Turbo brille par son absence. Non, Hank, ce n’est plus du gros Turbo. Voilà «Never Again», assez heavy, comme s’il n’y avait plus rien à ajouter. L’Hank est en panne de compos. Il se prête bien au jeu du Punk’s Not Dead avec «Bombwalk Chic», mais la messe est dite ailleurs depuis belle lurette. C’est avec «Wild Boy Blues» que l’album reprend du sens. Fantastique allure - Wild boy blues/ Staring at the sun - C’est le hit sauveur d’album. S’ensuit une autre belle dégelée, «Too High», ça joue au va-tout avec une Cat Casino qui part en vrille d’exception. L’Hank peut alors renouer avec le génie Turbo. 

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             L’Hank devient Hank Von Hell en 2020 et enregistre un album prémonitoire : Dead. Dead à tous les sens du terme. Une catastrophe épouvantable. Il démarre d’ailleurs sur une ambiance funéraire - I’m already dead - C’est l’album des deux morts, la mort du corps et celle de l’esprit. Le son est là, mais incroyablement putassier. Il nous fait le coup de l’injure suprême avec un album de new wave. Il chante comme un gros dead. Un vrai désastre - See my blackened eyes - Tu parles Charles ! Adios Turbo ! Il sombre dans la diskö new wave, on se croirait chez les Talking Heads. À ce niveau de médiocrité, c’est forcément voulu. L’Hank ne voulait pas finir en beauté.  C’est dur de voir une immense star se vautrer dans le stupre. On perd l’anus, on perd la violence, il nous fait une petite pop de branleur. Bravo les gars !

    z17538hotcar.jpg

             Ce n’est pas l’Hank, mais Harry Neger qui chante sur les deux premiers albums de Turbonegro, Hot Cars And Spent Contraceptives et Helta Skelta. Ça n’empêche pas de les écouter, au contraire. Ça permet en plus de constater que le son du Turbo est déjà là. Ils attaquent avec les confessions d’une pute, «Librium Love» - Would you like to hear - Le Turbo explose en plein Sex & Drugs & Rock’n’roll, pur jus de gros Negro, sex & power. Ils alignent ensuite une collection de classiques gaga-punks pour le moins exceptionnels, «Punk Pals», «Kiss The Knife» (le pire des trois, on n’avait encore jamais vu ça, les Anglais à côté sont des enfants de chœur) et «Clenched Teeth» (embarqué à la cocote sévère, ils sont over the overwhelming). Gros pied de nez aux Sex Pistols avec «Hot Cars», annoncé comme a Sex Pistols song. Ils scient à la base l’infernal «New Wave Song» et ils passent de l’extrême violence à la dégelée extrême avec «Zonked On Hashish». Ils inventent aussi un nouveau genre : le destructive trash avec «I’m In Love With The Destructive Girls». Ce sont les seigneurs du yeah yeah. Puis on entre au paradis de la heavyness avec «Prima Moffe». On y entend les voix des dieux Vikings mêlés au vent du fjord. Donc, avant même que l’Hank n’arrive, les Turbo battent déjà tous les records de barbarie.

    z17540helta.jpg

             Paru l’année suivante, Helta Skelta fait double emploi avec Hot Cars, puisqu’on y retrouve «Librium Love» - let me wank it, oh what a gorgeous cock - «Punk Pals», «New Wave Song», «Hot Cars», «Clenched Teeth» et quelques autres sucreries. Seules nouveautés : «Manimal» (embarqué au pire Punk’s Not Dead d’Oslo) et «Dark Secret Girl» (absolute wanderer, punk à tête chercheuse).

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Il existe un tribute à Turbonegro qui vaut vraiment le détour. Il date de 2001 et s’appelle Alpha Motherfuckers - A Tribute To Turbonegro. À l’époque on se demandait comment un groupe pouvait oser reprendre Turbonegro. C’est de l’intapable pur. Pareil pour les Pistols. Eh bien figure-toi que des mecs ont réussi l’impossible, au premier rang desquels on retrouve Nashville Pussy et Therapy. Nashville tape dans l’«Age Of Pomparius» et là, tu as tout, c’est-à-dire les trois extrêmes : l’Empire romain, les Vikings et le Nashville, wah wah oh, Blaine y va, c’est un démon et il leur inflige le pire outrage, car il explose la rondelle du Turbo. Therapy tape dans «Denim Demon», la meilleure cover de cette compile explosive : c’est là où le Punk’s Not Dead flirte avec le génie apoplectique. Ces mecs foncent comme Ayrton Senna au volant de sa formule 1, vroarrrrr, ils ne craignent pas la mort. L’autre belle surprise est l’«Hate The Kids» par Amulet. Pour un peu, ces fous surpasseraient le Turbo. Encore une révélation avec Samesugas et «(I Fucked) Betty Page». Merci Turbo Page pour cette belle clameur d’excelsior : fantastique énergie de rock incendiaire et le mec ajoute : «I fucked her yesterday.» Il y a 25 prétendants au trône et bien sûr, tous ne sont pas aussi bons que les pré-cités. Les Supersuckers tapent un bon «Get It On». C’est avec Bela B & Denim Girl qu’on voit à quel point les compos du Turbo sont solides, car la reprise d’«Are You Ready (For Some Darkness)» sonne comme un hit. C’est HIM qui se tape «Rendezvous With Anus» et il ramène énormément de son. Les diables cornus de Satyricon tapent l’«I Got Erection» et ils ne s’en sortent que grâce à une surenchère de rrrroarrrhhh. On note aussi la violence des trash-punkers d’Hot Water Music qui s’en prennent au «Prince Of The Rodeo», en fait tous les groupes plongent avec délectation dans la mythologie du Turbo. Zeke se tape «Midnight Nambla». Zeke, c’est Attila. Pas de pitié. C’est là où l’insanité confine au génie. Les Dwarves n’ont de leçon à recevoir de personne, comme le montre leur cover d’«Hobbit Motherfuckers», les Real McKenzies tapent un «Sailor Man» aux guitares et l’heure des crocodiles sonne enfin avec «Prince Of The Rodeo». Toby Damnit y va de bon cœur. C’est exceptionnel de mauvaises intentions. Idéal pour du gros Negro, ça s’englue dans le chocolat en fusion.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Réalisé lors de la tournée mondiale de 1998, The Movie donne un idée assez juste du Turbo Power, d’autant que ça démarre sur «Age Of Pomparius» et c’est un peu comme si la messe était dite. Le Power est là, in the face, avec un Euroboy en collier de chien comme Iggy et ça wow wow wow ! On les voit jouer en Allemagne, aux États-Unis et en Espagne. Line-up classique, l’Hank, Euroboy, Happy-Tom, Chris Summers et Rune Rebellion. Sur scène, Euroboy porte parfois un stetson blanc. Il est toujours en action, très physique, il joue beaucoup du buste, jambes écartées. Dans un bar en Allemagne, ils écoutent les Byrds. On les voit aussi faire le breakfast au champagne et aux fraises. Sur scène, l’Hank défraye la chronique en s’enfonçant un cake fire dans le cul. Les Turbo cultivaient l’excès et ils pouvaient inspirer une certaine frayeur. On voit aussi des clips qu’il faut bien qualifier de parfaits, comme celui de «Get It On», avec un Europboy en stetson blanc, rouge à lèvres et Les Paul blanche. Il n’existe pas grand-chose de plus parfait au plan graphique. Le Movie s’achève avec «Prince Of The Rodeo», Euroboy est monté sur les épaules d’un collègue et après le break, il relance jusqu’au vertige. Euroboy est l’un des plus grands guitaristes de rock de son temps. Comme Ron Asheton, il sait jouer jusqu’au vertige.

    daptone rcords,turbonegro,neal francis,paris sisters,thumos,rockambolesques

             Encore plus fascinant : The ResErection, un DVD paru en 2005. C’est la suite du film précédent. À l’issue de la tournée mondiale de 1998, l’Hank est rincé - I was a full time heroin junkie - Il est obligé d’arrêter le groupe pour des problèmes de santé. Sa vie ne tient plus qu’à un fil. Alors il rentre chez lui aux îles Lofoten, au Nord de la Norvège, vers le cercle polaire, «still on morphine to ease pains», dit-il. Environnement de rêve en été, précise l’Hank, car après l’été vient la nuit polaire qui dure six mois. Il survit grâce à ses grand-parents et à God. Tout fan de Turbonegro doit impérativement voir ce film, car on y découvre un homme différent, plutôt beau. L’Hank de Lofoten n’a plus rien à voir avec la brute de Turbonegro. Il reste quatre ans à Lofoten, il bosse au musée de la pêche. Mais pour Euroboy et les autres, c’est une catastrophe. Le groupe était leur priorité. Happy Tom va voir l’Hank à Lofoten. Ils commencent à envisager de redémarrer. On assiste à une première répète du groupe. Ils attaquent avec «Age Of Pomparius», évidemment, wow wowo wow, diable comme l’Hank est beau, il ressemble à Jimbo avec sa barbe et sa façon de s’arrimer au micro. Il est vite torse nu. Sa voix revient. Ils sont content, le groupe sonne bien. Ils font une fantastique mouture d’«Erection». Ils disent faire du deathpunk. Euroboy précise aussi qu’au début, ils ont hésité entre deux noms : Turbonegro et Nazipenis. Alors ils ont choisi Turbonegro. Et pouf, ils partent jouer dans trois festivals en Europe, dont le Bizarre Festival en Allemagne. 40 000 personnes ! Wow wow wow ! L’Hank est ravi de se retrouver dans le tour bus : «To get on the tour bus with Turbo four years later is perhaps the best feeling in the world.» Les fans arrivent du monde entier, Turbojugend USA ! Et sur scène, le groupe reste imparable, avec un Euroboy qui joue tous les riffs de Johnny Thunders et de Jimmy Page, mais avec une niaque qui n’appartient qu’à lui. Wow wow wow !

    Signé : Cazengler, Turbozéro

    Hank Von Helvete. Disparu le 19 novembre 2021

    Turbonegro. Hot Cars And Spent Contraceptives. Big Ball Records 1992

    Turbonegro. Helta Skelta. Repulsion 1993

    Turbonegro. Never Is Forever. DogJob Records 1994

    Turbonegro. Ass Cobra. Boomba Rec 1996

    Turbonegro. Apocalypse Dudes. Boomba rec 1998

    Turbonegro. Darkness Forever. Bitzcore 1999

    Turbonegro. Scandinavian Leather. Burning Heart Records 2003

    Turbonegro. Party Animals. Burning Heart Records 2005

    Turbonegro. Retox. Scandinavian Leather Recordings 2007

    Turbonegro. Sexual Harrassment. Scandinavian Leather Recordings 2012

    Turbonegro. Rock’N’Roll Machine. Scandinavian Leather Recordings 2018

    Hank Von Helvete. Egomania. Sony Music 2018

    Hank Von Helvete. Dead. Sony Music 2020

    Alpha Motherfuckers. A Tribute To Turbonegro. Biztcore 2001

    Turbonegro. The Movie. DVD Biztcore 1999

    Trond Sættem. Turbonegro - The ResErection. DVD Biztcore 2005

     

    L’avenir du rock - Neat Neat Neat Neal

     

             L’avenir du rock n’a jamais réussi à retrouver la route d’Amman, en Jordanie. Il se souvient vaguement avoir laissé sa valise à l’hôtel et avoir rencontré Lawrence d’Arabie dans le désert. Ça doit bien faire des mois qu’il erre de désert en désert, se nourrissant de scorpions, de bouses de dromadaires et de roses des sables. Il passe des dunes aux étendues de caillasses et des étendues de caillasses aux mers de sel. Il n’imaginait pas qu’un désert pût revêtir des allures aussi diversifiées. Et puis voilà qu’un jour, il croise inopinément deux blancs. L’avenir du rock qui a un peu perdu la boule soulève le chapeau qu’il n’a pas et déclare solennellement :

             — Dr Livingstone I presume ?

             — Non ! Speke !, répond d’un son sec le barbu coiffé d’un casque colonial.

             L’avenir se tourne vers l’autre et lui lance :

             — Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

             — Non ! Burton !, répond d’un ton bourru le moustachu coiffé d’un casque Viking.

             Pourtant rompu aux arts de la dialectique, l’avenir du rock se sent passablement dépourvu d’arguments. Il tente quand même de recréer un peu de lien social :

             — Alors ça carbure, ton ?

             Ça ne fait pas rire l’intéressé qui lance :

             — Bon, c’est pas tout ça, mais faut qu’on y-aille. Faites gaffe aux Danakils !

             — Aux dana qui ?

             — Aux Danakils ! Ces guerriers sont les plus féroces de la Corne de l’Afrique !

             — Merci de votre attention. Vous n’en auriez pas une autre ?

             — Si ! Vous ne devriez pas vous balader comme ça dans le désert sans chapeau. Tenez, prenez ceci !

             Et Burton lui donne son casque Viking qui est brûlant.

             — Vous voyez, vous avez ici une petite ficelle, vous tirez dessus et ça agite les deux ailes pour ventiler l’air. Bon sur ce, adieu monsieur l’avenir et bon vent !

             — Merci. Bon vent de même. Vous allez dans quelle direction ?

             — Vers le Nord !, fait Speke d’un ton sec.

             — Qu’expektez-vous, Speke ?

             — Découvrir la source du Nil ! Et vous, pourquoi allez-vous vers le Sud ?

             — Pour découvrir la source du Neal.

     

    z17534nealfrancis.gif

             Le Neal dont parle l’avenir du rock n’est pas un fleuve mais un Américain. Non seulement Neal Francis est américain, mais il est en train de devenir énorme. Shindig! lui donne un petit coup de pouce en saluant la parution de son deuxième album, In Plain Sight et en lui accordant la rubrique ‘It’s a happening thing’ dans l’un des derniers numéros : cette double fait un peu baver les grosses limaces que nous sommes, car l’invité y commente ses disques préférés. Neal Francis avoue des faibles pour Life Love And Faith d’Allen Toussaint («Toussaint’s production, songwriting and arranging during this period of his career were the largest influences on my first record, Changes»), pour le Live de Donny Hathaway («The 13-minute version of ‘Voices Inside (Everything Is Everything)’ that features Willie Weeks laying down probably the best bass solo of all time»), pour There’s A Riot Goin’ On de Sly & The Family Stone («Along with Innervisions, this may be the album I’ve listened to most in my life. It is at times sublime. Sometimes it’s frantic, psychedelic, drug-induced nightmare»), pour Let’s Take It To The Stage de Funkadelic («I used to listen to this album every morning on my way to high school»). Neal Francis salue aussi Bob James (plus jazz), Dorothy Ashby (plus Harpist) et Boards Of Canada (plus Scot).

    z17555inplainsight.jpg

             Que déduit-on de tout ça ? Qu’In Plain Sight est forcément un big album, vu l’état des sources. Quand on écoute de bons albums, on fait généralement de la bonne musique et Neal Francis nous chope immédiatement avec «Alameda Apartments», un cut bien ramassé, bien storytellé, hérissé de bons réflexes, saturé d’orchestrations - Inside the Alameda Apartment/ Outside from the pouring rain - On le sent très aguerri, il gère sa pop-rock au mieux des possibilités, pas étonnant qu’il plaise tant aux Shindiggers. Comme il a du son, il est extrêmement crédible, et «Can’t Stop The Rain» enfonce bien le clou, ça joue au deep heavy. Il faut bien regarder la réalité en face : ce mec défonce les barrières. C’est du sérieux. Il recycle les élongations des anciens, ça baigne dans une sorte de gospel dévoyé à la Mad Dogs et là tu y vas, sans pinailler. On reste dans les énormités avec «Sentimental Goodbye». Il rentre dans le flanc du rocky groove d’I’m so sorry I missed you/ I couldn’t hear you with the radio on, il négocie un fabuleux m’as-tu-vu de plotach, il est superbe d’à-propos et d’Im so sorry, tout ça drivé au meilleur swagger de big burning sound noyé d’orgue. Neal Francis est un maître d’œuvre extraordinaire. Il bâtit des cathédrales. Dans «Asleep», il coiffe son génie avec des chœurs de filles géniales, il chante son brain is broken dans une ambiance surnaturelle, il plonge dans le feels like I wanna take a drink/ But instead I stop & think, il flotte dans la démesure de son son, il développe sa vision au long cours - Sleep in the arms of another/ Dreaming that we were still lovers - Ce mec est rompu à toutes les disciplines et il passe au big shuffle avec «Say Your Prayers». Il glisse dans un groove de down under, be above it all/ But I’m locked in bed. Comme l’ami Michaux, il s’engouffre dans la connaissance par les gouffres. 

    z17554colemine.jpg

             Paru en 2019, son premier album Changes annonçait bien la couleur. On y trouve deux phénomènes d’osmose avec le cosmos, à commencer par «Put It In His Hands» qui est en fait un hommage direct à Sly Stone. Même power, comme si c’était possible ! Un power accueilli à bras ouverts par un chant d’exception, Neal Francis coince sa glotte dans le funk, c’est un converti, le power de Sly est explosé du ventricule par le solo de Sergio Rios et l’autre fou de Mike Starr se prend pour Larry Graham, il relance au heavy bassmatic et là t’es baisé, car c’est ici que ça se passe, chez ce démon de Neal Francis, le white Soul boy définitif explosé dans le ciel de sa passion. L’autre clin d’œil s’adresse à Allen Toussaint : «Can’t Live Witout You». On se croirait à la Nouvelle Orleans, c’est plus étalé dans le son, mais quelle classe ! Avec «This Time», il entre dans son album au groove vainqueur, mais avec un swagger de petit homme blanc qui s’y connaît. Il passe comme une lettre à la poste. C’est bardé de nappes de cuivres, comme si on était à Memphis. Rien qu’avec «This Time», il est admis dans la classe supérieure. C’est vrai qu’il y a du monde derrière lui. Ces killers de Chicago que sont Mike Starr et Sergio Rios voleraient presque le show. Avec sa voix de blanc, Neal Francis parvient à bricoler de la black, comme le montre encore «How Have I Lived». Il chante du haut de sa science, mais avec une volonté clairement affichée de r’n’b, les cuivres en témoignent, notamment ce vieux shout de sax demented. Encore une fabuleuse mélasse de good time music avec «These Are The Days», il est profondément inspiré, il drive son groove au plaisir pur et rejoint les accents funk au chant. Sur certains cuts, Mike Starr sonne comme James Jamerson («Changes Pts 1 &2»). «Lauren» montre encore une fois que Neal Francis a du funk plein la voix, il sonne un peu comme Johnny Guitar Watson. Dans l’osmose, il est encore plus balèze que Dan Penn ou Nino Ferrer («Je Voudrais Être Un Noir»).

    Signé : Cazengler, Neal Ranci

    Neal Francis. Changes. Colemine Records 2019

    Neal Francis. In Plain Sight. ATO Records 2021

    Neal Francis : Out of sight. Shindig! # 121 - November 2021

     

    Inside the goldmine

     - J’ai deux amours, mon pays et Paris

     

             Les boches bombardaient dur, les emmanchés ! On se planquait comme on pouvait. On craignait par dessous tout l’arrivée des marmites, ces monstrueux obus à ailettes qui ravageaient des tranchées entières et qui semaient la terreur dans la troupe. Pour fanfaronner, le gros, qu’on appelait le pouët, lisait un recueil du Mercure de France. Il faisait semblant d’afficher un calme olympien alors qu’on entendait siffler ces maudites marmites. Les boches préparaient l’assaut. On savait qu’on allait finir soit en charpie, soit crevé à la baïonnette. On avait entendu dire qu’aucun régiment ne pouvait résister à l’assaut de la 325e section, celle des Bavarois, les plus féroces. Le Colonel Dax avait demandé le renfort d’une section de tirailleurs sénégalais, les seuls troupiers qui ne craignaient pas la mort et qui se montraient au combat plus sanguinaires encore que les Bavarois. Un homme hurla : «Marmite !». Elle tomba en plein dans la tranchée et balaya tout des deux côtés, floooouffff, ziip, zaaac, bing, bang et badaboum, des terribles giclées d’éclats brûlants allèrent tailler des chairs et ouvrir des casques sur des centaines de mètres, fauchant la troupe comme les blés. Ça hurlait de partout, les pans de calcaire s’écroulaient sur les corps. Encore vivant, les Colonel Dax titubait et hurlait, «Baïonnette au canon !», «Brancardiers évacuez les saucisses !», «Vive la République, vive la Franche-Comté !», « À bas le prix du beurre !», «Les boches arriiiiivent !», «La garde meurt mais ne se rend pas !», «Ah ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne !», il semait la stupeur parmi les survivants, l’un de nous devait se résoudre à l’abattre, il donnait des coups de sifflet et tirait des coups de revolver en l’air, «No future for you and me !», «Tout est à nous rien n’est à eux !», «Élections piège à cons !», puis il se mit à chanter : «J’ai deux amours/ Mon pays et Paris»...

    z17535parissister.gif

             S’il n’avait pas été abattu, le Colonel Dax aurait continué. Mais on ne saura jamais s’il pensait à Paris, ville lumière, ou à Priscilla Paris, la belle lead des Paris Sisters qui, comme leur nom ne l’indique pas, nous viennent de San Francisco. Leur mère qui est chanteuse d’opéra élève Albeth, Priscilla et Sherrell Paris pour devenir chanteuses, comme les Andrew Sisters. Priscilla est la plus jeune des trois - We did have a showbiz mom - Dans les early sixties, Lester Sill signe les Paris Sisters et il demande à Totor de les produire. Forcément, Jack Nitzsche est dans le coup. Avec ces trois blondes, on est au cœur du phénomène girl-groups que Totor va ensuite développer avec les Crystals et les Ronettes. Bien sûr Totor tombe amoureux de Priscilla, mais elle en aime un autre. L’album prévu des Paris Sisters ne voit pas le jour car Totor et Lester Sill se sont fâchés. Alors elles se retrouvent sur Columbia, MGM et Mercury et bossent avec trois sacrés cocos, Terry Melcher, Nick Venet et Mike Curb. 

    z17559heavenly.jpg

             L’idéal pour bien prendre leur mesure est de se plonger dans une antho des Paris Sisters et comme toujours, c’est Ace qui fait le nécessaire avec Always Heavenly. Grâce au Wall, elles sont capables de coups de génie, comme par exemple «Always Waitin’», produit par Mike Curb, chanté d’une voix de grosse pute, une vraie bénédiction. Le stomp est celui d’une armée de l’Antiquité en marche. On retrouve ces méchantes allumeuses dans «Why Do I Take From You», toujours produit par Mike Curb. Elles sucrent bien les fraises, on est pleine spectorisation des choses, au cœur de la prod d’extrême onction, une véritable explosion au sommet du lard fumé, elles grimpent là-haut sur la montagne. Totor ne produit que cinq cuts des Sisters, le plus connu étant «I Love How You Love Me», fabuleux deep chick pop, c’est d’un kitsch qui en bouche un coin. Mais Totor ne fait pas de miracles avec les autres cuts, «Be My Boy», «What Am I To Do» et «He Knows I Love Him Too Much». Par contre, «Once Upon A While Ago» groove bien, Totor renoue avec la pop magique. Jack produit quelques petites merveilles, comme par exemple «When I’m Alone With You», pure pop de Brill, mais composée par P.F. Sloan. Jack reste dans l’énergie du Brill avec «My Good Friend». Elles sont dans l’éclat de l’éclair avec tout le sucre du Brill, aw yes we’re still good friends, ah les garces comme elles chantent bien leur petit bout de gras. Jack orchestre «I’m Me» jusqu’à l’infini, c’est très tendu dans l’excellence des violons, on voit Jack là-bas au fond du ciel, avec son sourire énigmatique. Elles sont encore magnifiées dans «See That Boy», toujours en plein Brill, Jack orchestre à la racine du son. Il produit aussi une reprise de Burt, «Long After Tonight Is All Over» et puis «You», fabuleux cut car ramassé sous le boisseau, elles chantent comme des garces et collent au train du beat. C’est Jack et Jackie DeShannon qui composent «Baby That’s Me» et c’est Terry Melcher qui produit. Époque Columbia. On est content que Jack soit impliqué dans cette merveille inexorable, c’est du spectorish pur et dur. «Dream Lover» est un hit signé Bobby Darin et comme beaucoup de ceux qui précèdent, il est invincible. Les Sisters sont balèzes, elles chantent du haut de leur talent. Les amateurs de sex-pop se régaleront de «Lonely Girl», chanté dans la chaleur de la nuit des cuisses, c’est chaud et humide, on y glisserait bien la langue. Les Sisters sont atroces de Brillitude et c’est noyé de violons. Elles font de la pop d’époque, mais l’amènent avec esprit. One of the earliest 60s girl-groups, Albeth, Priscilla et Sherrell Paris auraient dû exploser. Diable, comme le destin peut être cruel. Album Columbia jamais sorti, projet Totorish avorté. Notez bien qu’en 1966, Jack produit Sing Everything Under The Sun, leur seul album paru sur Reprise en 1967.

    z17558singunder.jpg

             Sing Everything Under The Sun n’est pas l’album du siècle, on est bien d’accord. Mais en même te temps, c’est l’un des albums fondateurs d’un courant musical qu’on va nommer the girl-groups Sound. Priscilla y fait de superbes numéros de shoo bee doo wap. Quasiment tous les cuts de l’album figurent sur Always Heavenly, sauf trois : «It’s My Party», «Born To Be With You» et «Too Good To Be True». Tout le mode connaît le fameux «C’est ma fête/ Je fais ce qu’il me plait» de Richard Anthony, l’adaptation française d’«It’s My Party», l’un des grands hits de Lesley Gore. Elles tapent ça à la langueur kitsch, c’est d’une mollesse divine, le son des fantômes dans l’écho du temps béni, cry for Ronnie. Yves Adrien ajouterait : «Tous les garçons s’appellent Ronnie». Elles chantent toutes les trois «Born To Be With You» et font de la heavy pop, elle tapent là un hit de Brill interlope, un peu capiteux, chanté à la force de persuasion, ce qui fait son charme. «Too Good To Be True» reste de la big pop de Brill, he’s so good to me, elles sucrent le sugar du so good et les chœurs lui susurrent à l’oreille so good to be true. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Quelle présence ! On applaudit bien fort Priscilla. On retrouve l’excellent «See That Boy» de Mann & Weil monté aux chœurs de cathédrale et le «Long After Tonight Is All Over» de Burt qui reste du big Burt, du sans surprise, du bien vendu, du payé sur la bête. Cette fantastique lady qu’est Priscilla tire toujours son épingle du jeu.   

    z17557goldenhits.jpg

             On donnerait son père et sa mère en échange du Golden Hits Of The Paris Sisters paru en 1967. «I Love How You Love Me» ? Just perfect. Une merveille de pop sensuelle, un truc rare, chanté avec de l’intention à l’âge d’or de la pop. Absolute candy sex. S’ensuit un «I Don’t Even Care» tout aussi inspiré, comme doté de variations de vitesse, mais wow, on est dans une énergie ancestrale, alors wow, mille fois wow ! Allez-y les filles, on est avec vous, même quand elles ne font plus que de la petite pop palpitante. Elles se fondent dans l’air du temps d’avant avec «Can’t Help Falling In Love» et reviennent au candy sex en B avec «Be My Boy», une compo de Totor. Belle proximité. Joli, doux et tiède. Et ça continue avec «I Don’t Give A Darn», compo de Prisci qui te monte droit au cerveau, je vais et je viens entre tes reins/ Et je me retiens. Prisci récidive avec «Together», une fantastique purée de sunshine pop. Elles grimpent assez facilement dans l’azur marmoréen. Elles tapent aussi une irréprochable cover de «Yesterday», alors bravo les Sisters !

    z17560priscilla.jpg

             Priscilla Paris entama en 1967 une carrière solo et enregistra trois albums. Ace qui fait toujours très bien les choses en compile deux sur Love, Priscilla - Her 1960s Solo Recordings. Le premier s’appelle Priscilla Sings Herself. Priscilla y propose une belle pop proche du Wall, mais elle est très engagée dans sa politique interprétative et donc elle ramène du pathos. Elle compose quasiment tout. Son «I’m Home» est assez beau. Elle sait tartiner une Beautiful Song de rêve. Tout est parfait : la féminité, la proximité, l’américanité, no matter when I go. Mais sa tendance au pathos revient vite. Elle donne tout ce qu’elle a avec «He Owns The World», mais elle sonne comme Judy Henske, limite CGT. Elle revient à une pop superbe avec «My Window». Elle y crée son univers - I can feel the sunshine in my window - Elle bosse dans son coin et croyez-le bien, she does it right. Cette petite gonzesse teinte en blonde est affreusement douée. Elle se fond dans la pop de Brill, elle sait gérer son Brill, c’est excellent, puissant et délicat à la fois («I Can’t Complain»). Elle ne te lâche pas. C’est une battante. Bravo Prisci ! Et voilà qu’elle nous tape un coup de Jimmy Webb avec «By The Time I Get To Phoenix», elle rentre dans l’or du temps d’avant, mais elle y rentre à la voix d’or, elle sème son laid-back dans le poudroiement du crépuscule, c’est violonné par le haut et vautré dans du heavy groove. On a là la version hippie de ce hit cathartique. Avec «Some Little Lovin’ Lie», elle montre aussi qu’elle sait chanter à la voix de l’oreiller, mais elle en abuse, du coup ça sonne comme un encart sexuel. Elle plonge littéralement les mains dans la culotte du cut. Elle boucle cet album avec un «I Can’t Understand» qu’elle chante en parfaite allumeuse, au sucré de sexe. Une tendance qui se confirme avec le deuxième album, Priscilla Loves Billy, qui est l’un des albums les plus sexuels de l’histoire du rock. Dès «Just Friends», elle annonce la couleur. Elle crée de l’enchantement dans des voiles de violons et chante à la vaporeuse. Puis elle plonge avec «He’s Funny That Way» dans le groove de jazz, se montre intime dans l’intrinsèque, elle crée du sexe de proximité. Pas de pire allumeuse sur cette terre. Elle chante au sucre de sexe pur. Elle se rapproche de ta bite à chaque instant. Elle se transforme en fée pour «Stars Fall On Alabama». Son Alabeïma est d’une beauté irréelle, elle module toutes ses syllabes et son last night d’accent tranchant te rentre sous la peau. Elle s’efforce de sonner comme Billie Holiday, elle travaille la persistance de la présence, elle fonctionne au charme fou, elle te prend dans ses bras et te baise. Elle attaque «Moonglow» au groove de jazz. Moonglow est le groove de jazz par excellence, elle va et elle vient, c’est humide et chaud. Encore du groove de heavy round midnite avec «In My Solitude», cette fois joué au piano. Elle chante du ventre. Elle est supérieure en tout. Elle finit en beauté avec «Girls Were Made To Take Care Of Boys», elle est la fiancée de tes rêves, profite vite de sa présence car après c’est fini.

             Hélas, les deux albums floppent. Prisci est profondément déçue. Son compagnon et guitariste de jazz Don Peake fut le premier surpris de ce non-succès : «She should have been a star.» Évidemment. Dans le petit booklet d’Ace, Alec Palao nous apprend tout ce qu’il faut savoir de Prisci, ses deux fils, Edan et Seth, puis sa tentative de redémarrage à Londres avec Chap and Chinn qui composaient pour Suzi Quatro et Sweet, pour enfin boucler la boucle et s’installer à Paris. Fin brutale de l’histoire en 2004 : elle se casse la gueule chez elle, rue de la Bastille.

    Signé : Cazengler, Parigot tête de veau

    Paris Sisters. Golden Hits Of The Paris Sisters. Sidewalk 1967

    Paris Sisters. Sing Everything Under The Sun. Reprise Records 1967

    Paris Sisters. Always Heavenly. Ace Records 2016

    Priscilla Paris. Love, Priscilla - Her 1960s Solo Recordings. Ace Records 2012

     

    *

    z17508thumosextérieur.jpg

    Le rock c’est comme l’armoire aux confitures : l’on y revient toujours, surtout pour tremper nos oreilles dans les pots qui émettent de délicieuses sonorités. La semaine dernière nous écoutions The Republic  de Thumos, nous avons eu envie de nous pencher sur l’EP précédent Nothing further beyond, mais nous referrant à Bandcamp, nous nous sommes aperçus que le groupe venait de ressortir l’opus sous forme de deux CD’s intitulés, Allegories and Metaphors regroupant tous leurs enregistrements précédant  The Republic. Thumos nous vient du Kentucky. Le groupe n’a pas plus de visage – à peine une photo plus que floue sur Instagram - que leur musique ne bénéficie de paroles.

    1

    DEMO COLLECTION

    (Juillet 2021 )

    z17494demoscollection.jpg

    Il nous plaît à pense que cet homme barbu soit Virgile et point Homère. D’abord parce que Virgile avait l’habitude de faire lecture de morceaux incomplets de l’Enéide à des proches ou à des admirateurs, c’est en se laissant bercer par le rythme des vers qu’il en rajoutait d’autres à la fin des passages qui n’étaient pas terminés. Ensuite parce que l’on retrouve dans l’œuvre de Virgile de fortes allusions aux doctrines orphiques, et toute une numérologie qui n’est pas sans rappeler Pythagore dont les doctrines ont fortement inspiré Platon. Les morceaux que nous écoutons sont systématiquement précédés de l’image qui illustrait les pochettes des cassettes ou des disques originaux sur lesquels ils ont paru. Soyons juste, moindre des choses lorsque l’on parle de Platon, ne proférons point de mensonge, ne nous laissons pas dompter par nos vains désirs, la mosaïque représente bien Platon entouré de ses disciples.

    z17497thespire.jpg

    La pochette du disque reste assez mystérieuse. A première vue un motif floral, mais l’œil ne peut détacher son regard des trois formes qui grossièrement évoquent des silhouettes humaines. Le jeu des couleurs possède sa signification, ombre noire sur la gauche, rouge sur la droite, moitié noire-moitié rouge collées l’une à l’autre, ne serait-ce pas une représentation symbolique du mythe de l’androgyne de Platon, selon lequel à l’origine existaient des êtres nommés androgynes à la fois féminins et masculins. Hélas pour les punir de leur orgueil Zeus les aurait coupés en deux, dissociant leur partie mâle de leur partie femelle. Aujourd’hui, ces parties séparées essaieraient de se retrouver, ce désir d’unicité correspondrait à cette attirance inexplicable entre deux êtres que l’on nomme, dans notre vocabulaire, l’amour.

    The spire : ( demo single / Juin 2018 ) :  (la flèche) : compressions sonores, les tambours roulent comme la flèche du temps court en avant mais le clinquanement des cymbales nous apprend que c’est une  course perdue d’avance, l’ambiance s’assombrit pour déboucher sur une sérénité victorieuse croissante, une mélodie s’installe, que se passe-t-il, la flèche du temps est repartie dans l’autre sens, elle courait dans la dissolution et la déperdition kaotiques, elle remonte maintenant vers l’éternité. Tout comme une moitié de l’androgyne qui aurait retrouvé son autre moitié et serait revenue à son origine.

    z17496thepathosofthings.jpg

    La pochette de Mono No Aware ( sous-titré Pathos of things ) est facile à comprendre. Deux hoplites grecs au combat. Nous sommes à un moment précis de la joute, l’instant le plus cruel, la mise à mort, le vainqueur enfonce sa lance au bas du cœur de son ennemi. Mono no aware signifie en japonais le mal du pays.

    Hiraeth : ( demo Mono No aware Mai 2019 ) : la musique vient de loin, elle fond sur l’auditeur telle une menace, relayée par une martiale batterie, l’inéluctable est en route rien ne l’arrêtera, les coups du destin beethovonien se font entendre, l’oiseau de la mort glisse à toute vitesse vers nous, il descend en piqué, ses battements d’ailes mortuaires nous effraient, l’instant fatidique se rapproche, et se distend, impossible de ne pas penser à la terrible scène de l’Illiade dans lequel Achille écoute sa prochaine victime   l’implorer, il est jeune, il est riche, ses parents paieront une confortable rançon, mais Achille lui répond qu’il ne peut rien, que c’est ainsi que les Dieux et les Destins en ont décidé, qu’il ne tire aucun plaisir aucune gloire de l’acte qu’il est en train de commettre, mais que personne ne saurait s'y opposer, les coups du Destin s’accélèrent, la musique s’enfuit et gargouille tel un flot de sang qui coule. Morrina : (idem) : tout comme le précédent ce titre peut se traduire par mélancolie, tristesse. Un deuxième mouvement dans la continuité de l’autre, mais en mineur, un ton plus bas, moins rapide, des coups de basse qui tombent comme le glas évoquent tout ce que l’on perd, l’on repense à Achilles déclarant à Ulysse qui a convoqué son ombre, qu’il vaut mieux être un vulgaire gardien de porcs vivant qu’un héros mort dans les Enfers. Nous sommes ici dans une vision de la mort totalement anti-platonicienne, peut-être est-ce pour cela que la guitare claironne, que la ligne mélodique devient plus attrayante, est-ce pour signifier que la véritable mélancolie est celle de l’âme exilée en un corps qui se souvient de son séjour au royaume des Idées, mais non, cette corde de guitare finale lentement égrenée comme des roses jetées sur un cercueil, nous rappellent combien notre vie sur terre est douce

    z17495lacrimarerum.jpg

    La douceur de la teinte charnelle de la pochette de Mono No Aware II contraste avec la noirceur stylistique de Mono No Aware I, les mêmes ombres noires, ici elles ne combattent pas, une scène heureuse, un couple, des enfants : un garçon, une fille. Peut-être peut-on l’interpréter autrement, sans en changer le sens, la femme ne serait-elle pas Aphrodite qui dans un ancien culte était une terrible divinité de la mer, et l’homme ne serait-il pas Asclépios, Dieu de la médecine, à qui dans le Phédon Socrate consacre ses dernières paroles avant de mourir. Le sous-titre de l’opus Lacrimae Rerum est une citation du Chant I de l’Enéide de Virgile, Enée confronté  à une peinture représentant Priam roi de Troie ne peut s’empêcher de s’écrier que les larmes des choses humaines touchent le cœur des mortels.

    Symbiosis : ( demo  Lacrimae rerum – Mono No aware II : mélancolie / Février 2020 ) : musique vive, presque joyeuse, nous voici plongés dans l’épopée humaine, tous ses malheurs mais aussi toutes ses splendeurs, ses merveilles quotidiennes, cette geste continuelle de sentiments qui fondent notre existence terrestre. Ici nous sommes malgré tous nos déboires heureux. Un instant de rémission avant l’horreur finale. Transtemporal : (idem) : la notion de transporalité est difficile à définir, serait-ce la mémorisation des instants passés, soit le retour dans nos vies antérieures, ici le rythme de la musique, rapide, enthousiaste, nous invite à penser plus loin, il s’agit certes de traverser le temps, pas du début à la fin, mais totalement, de sortir hors du temps, de passer dans ce qui n’est plus le temps mais l’éternité. Désormais la musique danse une farandole endiablée, rayonnement de l’âme qui atteint le monde supérieur idéel dont notre vie n’est qu’un pâle reflet.

    z17494unwritendoctrins.jpg

    Pas de problème pour la pochette d’Unwriten  doctrins, une statue de Platon. Si toute une large partie de l’espace est peuplée d’un bleu nébuleux, peut-être est-ce pour signifier que l’essentiel de la pensée du philosophe n’est pas accessible par tout le monde.

    Comme beaucoup de philosophes antiques Platon dispensait deux sortes de cours. Les exotériques dispensés aux étudiants et les ésotériques destinés à de rares élus. Si les premiers circulaient sous forme d’écrits, l’écriture des seconds était prohibée. L’enseignement, l’acquisition et la transmission était exclusivement orale. Il ne reste rien des cours ainsi professés par Platon.  Cette tradition des enseignements non-écrits de Platon remonte à Aristote qui fut son élève. Des tentatives de reconstitution ont été élaborées. Léon Robin en reste l’initiateur. Rappelons que la traduction des œuvres de Platon  par Léon Robin, est celle de La Pléiade.  Nombre de ces dialogues ont aussi paru en collection de poche. 

    Anamenesis : (demo  Unwritten doctrins / Décembre 2020 ) :   ils exagèrent un peu nos thumosiens, l’anamenesis est largement accessible dans les écrits de Platon, les doctrines non-écrites portaient avant tout sur une analyse des déclinaisons de l’Un. Abats de catapultes battériales, la musique suit une courbe ascendante, uniquement marquée par une lente accélération. Se souvenir de ce que ou de qui l’on a été en des vies antérieures n’est pas primordial, c’est-là rester dans la sphère corporelle, la grande séparation ne réside pas entre soi et un autre, mais dans le fait que l’âme immortelle peut se souvenir des idées intelligibles, que seule la partie noétique de notre esprit est capable de réaliser. Ce morceau est un tantinet décevant, trop simpliste dans son déroulement, pas assez imaginatif. Serait-ce pour décourager les individus pas assez motivés de se lancer dans l’aventure. Emission : (idem) : Le Kr’tntreader pourra se reporter à notre étude de L’anthologie des écrits de Jim Morrison. Pas si farfelu que cela le chanteur des Doors quand il déclare que la télévision nous regarde. La lumière qui permet de voir un objet émane-t-elle de l’œil ou de l’objet lui-même. Les philosophes grecs se sont longtemps disputés sur cette question. Est-ce le monde qui nous fait signe ou nous qui faisons signe au monde. Platon adopte une position intermédiaire. Les rayons émanés de l’objet et de notre œil se rejoignent. C’est notre part divine qui rencontre le reflet du divin que sont les objets. Belle intro, la batterie a l’air de couper les cheveux en quatre et même de les hacher menu, quant aux guitares elles montent et descendent des échelles sans fin, galopades effrénées aux quatre coins du cerveau, des assertions brutales et définitives sont assénées mais l’entortillement balancé des guitares, reprend de plus belle. Sur la fin, l’on tourne à la démence. Duels où tout le monde finit par s’entretuer. Morceau bien supérieur au précédent qui semble un peu sans âme. Un comble pour Platon ! Aporia : : (idem) :  sans doute trouvez-vous que les raisonnements de Platon vous laissent dans l’expectative, que sans être d’accord avec lui, ses objections ne vous semblent pas stupides. Qu’il évoque des problématiques dans lesquelles l’on s’englue facilement. L’est vrai que Platon n’apporte pas toujours des solutions toutes faites. Semble ne pas avoir des idées bien arrêtées ! Dites-vous que ces énigmes ont le mérite de vous forcer à réfléchir. L’on dit que l’univers compressé contiendrait dans un dés à coudre, c’est cette sensation que fournit le background de ce morceau un bourdonnement touffu de basse, une guitare qui se déplace lourdement qui se cogne à tous les murs du labyrinthe dans lequel elle a du mal à se diriger. Une espèce de pachyderme arrêté par une vitre incassable, il avance mais cela ne change rien à sa situation, erre de cul-de sac en cul-de-sac, se retrouve bloqué, silence, trois coups de symboles et la bestiole fonce droit devant, elle brise les   cloisons de briques dure du dédale, peine perdue, elle n’en est pas plus avancée pou cela. La musique s’arrête brusquement stoppée dans une impasse. 

    z17501ritueldurer.jpg

    Avec cette couve nous changeons carrément d’époque. Bye-bye l’Antiquité, bonjour le Moyen-âge, célèbre gravure d’Albretch Dürer, Le chevalier, la mort et le diable. Ces deux titres sont tirés d’une compilation intitulée Démiurge : Le satanisme et la magie produite par Ritual Abuse Hysteria ( on y retrouve outre Thumos les groupes : Maw, Glyph, Reproach, The Bleak  ). Le satanisme et la magie est aussi le titre d’un titre de Jules Bois, vivement intéressé en ses débuts par l’ésotérisme, il côtoya l’Ordre Hermétique de l' Aube Dorée et finira par se féliciter de l’expansion du catholicisme. Le lecteur se demandera ce que nos platoniciens viennent faire dans le continent   médiéval. La réponse est donnée par l’emploi du mot Démiurge emprunté à la gnose, courant de pensée qui dans l’Antiquité tardive mélangea le christianisme à la philosophie de Plotin. Plotin, l’héritier de Platon. Platon qui lui-même utilisait le mot démiurge.

    The betrayer is come : étrangement ces titres me font penser à des figures du tarot, mais ne nous égarons pas. Pour faire le lien avec Platon disons que ce menteur est l’équivalent de la réalité qui n’est que mensonge. Ambiance sombre. Le danger est partout. Encore plus menaçant qu’on le suppose, la batterie comme un serpent qui s’enroule autour de vous, les guitares vous enlacent et tout ce magma brûlant tourne à toute vitesse. Perfidies agissantes. Silence. Pas le temps de réfléchir. L’enveloppement recommence, plus lent, mais plus puissant, se précipite, vous étreint, vous empêche de respirer, s’incruste dans votre peau, comprime vos thorax, plus le temps de respirer, vous êtes pris au piège. Un dernier effort, vous êtes mort. Know the face of the Destroyer : moins sombre, l’Adversaire n’a pas besoin de se cacher, musique qui se dresse comme une tête de reptile décidé à vous barrer le chemin. Reptations de guitares, pas de batterie qui marche u pas de l'oie sur vous sans attendre, la bête est en face de vous, la basse imite son grondement, elle crache du feu par ses naseaux, le rythme s’accélère, la tension monte. Elle attaque, vous croisez le fer avec elle, des notes de tristesse vous submergent, il va falloir quitter ce monde. Des pas se précipitent, qui vient vous apporter le grand destructeur, la mort, ou la vie. Cassette puissante. En plus maintenant vous savez que le grand destructeur possède deux faces, tout aussi fascinantes l’une que l’autre

    2

    THE END OF WORDS

    ( Juin 2021 )

    z17493endsofthewords.jpg

    Encore une pochette évidente. Gros plan sur le visage de Platon.  Question philosophie Thumos pourrait tout de même se préoccuper davantage de l’esthétique. Montrer une portion du buste suffit. Le titre, la fin des mots, est à comprendre en tant que mots ultimes. Les quatre titres correspondent à quatre des concepts cardinaux de la pensée platonicienne. Par lesquels Platon a tenté de répondre à la question, qu’est-ce que l’âme. Quelle est sa nature.

    Epithusmetikon : une vrille qui fore, qui va de l’avant, que rien n’arrêtera, l’épithusmetikon, c’est ce courage qui nous fait avancer, avoir du cœur à l’ouvrage que nous entreprenons, c’est un peu la force vitale qui nous porte, l’on pourrait s’attendre à une musique plus rapide, non elle est lente, un peu comme si vous vous arcboutez  contre un rocher et que vous le poussiez dans un corps à corps inébranlable, vous bandez vos muscles et la roche recule, doucement, vous redoublez d’effort, la vie n’abdique jamais dans votre poitrine, vous progressez doucement mais sûrement. Thumoeides : l’on reconnaît dans ce mot la racine Thumos,  ce n’est pas la colère  en tant que caprice, ou passion submergeante, mais cette force intérieure qui vous pousse à agir, la composition de ce morceau est caquée sur le précédent, la même poussée, mais beaucoup plus violente, qui bouscule les obstacles, écroulement de batterie et riffs tenaces, toute cette énergie que vous déployez est une des qualités de votre âme, qui se transformera en volonté ( de puissance ajoutera Nietzsche plus tard ), on peut la considérer comme un effluve du divin qui vous permet de vous surpasser. Guitares triomphales, qui chantent et célèbrent la nature physique de l’homme en tant qu’émanation de quelque chose de plus subtil, qui participe d’un autre plan. Logistikon : l’homme n’est pas qu’une brute animalement instinctive, la partie la plus élevée de son âme lui permet de réfléchir - musique combinatoire qui n’est pas sans évoquer une partie d’échecs, sur le damier du monde, l’esprit fomente de savantes stratégies - elle joue, elle insinue, elle pousse ses pions, elle ne se fie pas au hasard, c’est son existence qui est en jeu, guitares brillantes et nerveuses, batterie opératoire et basse impulsive, la partie n’est pas jouée d’avance, encore faut-il en comprendre l’enjeu. Pas d’incertitude, une maîtrise évidente, qui contourne les difficultés. Metempsychosis : jaillissement musical, l’enjeu était de taille, comprendre que l’âme doit se séparer du corps, coups de maillets de la batterie pour l’aider à s’en détacher. La mort n’est qu’un passage. L’âme est emportée en un immense tourbillon de guitare, elle entre dans le jeu des réincarnations, autant de fois que nécessaire pour choisir la meilleure possible, afin  d'accumuler lors des séjours dans le monde des apparences la sagesse qui vous permettra de rester dans la contemplation des Idées premières. Pas à pas, mais une montée souveraine, à vous de faire tourner la noria infatigable des destins et de vous en affranchir définitivement. La musique s’apaise, elle ressemble à l’harmonie qui préside à la danse silencieuse des sphères.

    Note :  si nous avons privilégié le mot  Colère pour traduire  le nom du groupe, au détriment d'émotions, coeur, courage, volonté, c'est que Thumos est un groupe de doom qui n'est pas une musique particulièrement planante...

    3

    NOTHING FURTHER BEYOND

    THUMOS

    ( Septembre 2021 )

    z17492beyond.jpg

    Enfin nous abordons l’opus qui précéda de quelques mois la sortie de La République (voir Kr’tnt 541), il est en fait une préparation à ce dernier ouvrage. 

    The ecumene : le morceau de soixante-dix secondes sonne comme une ouverture d’opéra (hélas trop courte ) ou mieux encore mieux comme un générique de film d’aventure. Une aventure intellectuelle certes, mais surtout humaine. Le terme français écoumène ne nous parle guère, nous préférons utiliser la transcription plus fidèle au vocable grec, oikouméné qui désigne autant la terre habitée que sa population. Reste à le mettre en relation avec la pochette du disque. Cet individu solitaire dans son fragile esquif serait-il Ulysse voguant vers Ithaque, ou est-il un personnage emblématique représentant l’Homme qui se dirige vers la terre pour rejoindre ses semblables, et sur quelle mer navigue-t-il, serait-ce le fleuve Okeanos encerclant le monde habité, et les dauphins qui l’accompagnent sont-ils le symbole de l’Atlantide le mystérieux continent englouti situé au-delà des colonnes d’Hercule, cette Atlantide que Platon nous décrit comme un royaume idéal. The pillars : une première réponse nous est donnée par l’illustration du compact Disc, pas besoin d’être grand savant pour reconnaître les colonnes d’Hercules, et non pas celles d’un temple quelconque, l’inscription latine nec ultra qui signifie qu’il n’y a rien de mieux, qu’il est inutile de chercher plus loin, est à mettre en relation avec le titre de l’album : Nothing Further Beyond ( rien au-delà ) à ne pas prendre pour une revendication athée – il n’y a rien au-delà de la matière – il faut entendre que l’homme ne doit pas se perdre en des explorations lointaines, ou des rêves fumeux, qu’il doit se contenter de faire son bonheur dans le lieu de l’endroit où il est né, dans sa patrie, dans sa cité. Musique resserrée, au contraire du prologue qui ouvrait sur de vastes espaces, l’orchestration réduit la surface de nos investigations. Desséries de ricochets nous préviennent que la tâche qui nous attend n’est pas facile, elle est vaste, les guitares deviennent lyriques, l’horizon s’ouvre, si l’on ne peut s’étendre à l’infini, pour croître et bâtir l’on ne peut que monter, vers le haut pour employer une expression pléonasmatique. The noble lie : Le lecteur aura compris qu’il s’agit d’édifier, un pays, une ville correctement gouvernée, en d’autres mots une Cité qui corresponde aux préconisations du dialogue La République. Gouverner les hommes n’est pas facile, les persuader qu’ils doivent obéir et rester à la place qui leur sera impartie encore plus. L’on a donc le droit de leur mentir, non pour profiter d’eux ou les asservir, mais pour leur bien. C’est ce que Platon nomme le noble mensonge. Un exemple concret : pour les mariages les couples sont tirés au sort, égalité parfaite, mais il est nécessaire de truquer le tirage de telle manière que chacun s’allie à une personne de son niveau social. Tromperie, mais le plus important c’est que l’élite garde le pouvoir… La musique n’est pas hypocrite, elle dresse des murailles d’airain, n’oublions pas les trois remparts qui encerclaient Atlantis, n’empêche qu’ensuite les rebondissements rythmiques de la pâte sonore ont l’air de se moquer du monde, le mot bouffonnerie nous vient à l’esprit, voudrait-on nous instiller l’idée que le peuple est dévolu au rôle du bouffon de service. Si certains ne sont pas contents la batterie vous rabat le caquet, en vous tapant sur la tête, sur la fin vous avez droit à une espèce de farandole hilarante, une réunion de beaufs que l’on distrair en leur faisant danser la chenille. Que le peuple s’amuse et soit heureux. The dilemme : cette manière d’agir peut causer des remords de conscience. Evidemment c’est pour le bien du peuple et le bien provient des Dieux. Tout de même si l’on se déclare pieux – c’est-à-dire que l’on agit dans le respect des Dieux (Louis XIV roi de droit divin avait simplifié la formule ) – est-on pieux parce que l’on est aimé des Dieux ou les Dieux nous aiment-ils parce que nous sommes pieux. Gros dilemme. En d’autres termes sommes-nous favorisés par les Dieux, ou les Dieux nous aiment-ils parce que nous sommes naturellement pieux. Sous-entendu : le pouvoir que nous détenons le devons-nous à nos mérites ou aux Dieux. Autrement dit quelle est la légitimité du pouvoir politique. Platon ne prend pas parti. Qui saurait parler à la place des Dieux… S’en sort en déclarant qu’être aimé des Dieux et être pieux sont deux choses de natures différentes, l’on n’additionne pas des vaches avec des chevaux vous a-t-on appris à l’école. Thumos ne s’attarde pas sur ces subtilités, à peine expose-t-il le problème en moins de deux minutes, use de grandiloquence, sans doute est-ce la seule manière de faire ressortir l’importance du sujet qui pourrait apparaître comme d’ineptes arguties aux esprits primesautiers. The chariot : pas idiot Platon, quand la face nord d’une montagne est trop glissante on l’attaque par la face sud. Non on ne l’escalade pas avec un char (fût-il de guerre). Non le chariot n’est pas autre chose que votre âme qui après votre mort s’envole vers le monde des idées. A vous, lors de votre existence, de bien maîtriser vos chevaux, le blanc qui représente votre intelligence ne se laisse pas distraire, il est déjà sur la route qui vous mènera vers le lieu convoité, hélas le noir chargé de tous vos désirs terrestres n’a qu’une envie, celle de   brouter l’herbe juteuse des verts pâturages. S’il prend le dessus, votre âme retournera en exil sur notre planète, comme au jeu des petits chevaux, vous restez bloqué dans l’écurie et vous refaites un tour pour rien. Comment rendre la course de l’âme, Thumos a choisi celle de l’étoile filante qui ne dévie pas de sa trajectoire et file droit, les cymbales jouent le rôle des soubresauts du moreau qui renâcle, mais le blanc le force à galoper dans la bonne direction, le noiraud freine, l’on ne sait plus sur quel galop danser, lequel des deux prendra le mors aux dents, espérons aucun, les cymbales claquent comme des coups de fouets sur des croupes rebondies, c’est le cocher qui doit guider et pas les chevaux, ralentissement, est-ce une reprise en main, arrêt brutal. Vous avez perdu. Tilt ! The great beast : qu’est-ce que cette grosse bête. Quel monstre cache-telle, est-ce un tigre rugissant, un rhino-féroce, un dragon cracheur de feu, voulez-vous comme Alexandre le Grand vous ruer sur votre épée pour affronter seul à seul un lion sauvage, pas la peine. La grosse bête est en vous. Elle grouille dans votre sang, dans vos entrailles, elle est la somme de tous vos désirs, de toutes vos turpitudes. Vous avez intérêt à vous en rendre maître, à dominer vos instincts bestiaux, sans quoi vous êtes perdu. Très logiquement le morceau commence comme le précédent a terminé. Peu à peu vous apercevez que le rythme piétine, la batterie a beau produire des roulements, elle tire sur le démarreur mais le moteur ahane, vous êtes dans la mouise complète, la musique vous entoure, elle vous cerne, elle vous suit comme une ombre, elle prend même comme une teinte funèbre, devient un peu pesante, juste pour que vous compreniez que vous pédalez malgré tous vos efforts dans votre propre caca, tant pis pour vous, trop tard !  Vous avez compris votre seule chance de réussite, lire les explications et la méthode à suivre dans la République de Platon. Pour ceux qui n’aiment pas lire, vous avez de la chance, le disque suivant de Thumos en est justement une transcription musicale.

    Tous ces titres sont repris sur la compilation Allegories & Metaphors dont nous vous laissons admirer la double pochette intérieure.

    z17510thumosinterne.jpg

     

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    Episode 20

    Charlie Watts semble hésiter, sa main droite farfouille l’espace, sa gauche semble chercher quelque chose à l’intérieur de sa veste. Ses yeux se voilent d’incertitude. La voix du Grand Ibis Rouge tonne :

    • Charlie, vous aviez promis, vous vous êtes engagés, vous êtes devenus grâce à ma protection le plus grand groupe du monde, mais n’oublie pas Charlie, la mort c’est comme la vie, donnant-donnant, obéis Charlie, sinon ma colère sera terrible !

    Mon esprit alerte saisit la balle au bond :

    • Charlie ne l’écoute pas, votre talent seul est responsable de votre succès planétaire, cet ibis de malheur raconte des mensonges, regarde, il ne peut rien contre nous, nous avons réussi le contre-rituel de protection, ce n’est qu’un épouvantail incapable de faire peur à une volée de moineaux !

    Avez-vous déjà entendu un ibis rouge ricaner ? C’est une expérience difficile à supporter, des milliers de grenouilles coassent à l’intérieur de votre oreille gauche, la droite n’est guère mieux lotie, je ne sais pas trop à quoi ça ressemble, j’opterais pour un hennissement de dinosaure englué dans une toile d’araignée géante, je peux me tromper, sachez que l’effet est en même temps horrible et lugubre. Heureusement après deux rafales de rires strénogoïque, le GIR se remet à parler :

    • Arrêtez de me faire rire avec votre contre-rituel de protection, sachez qu’il n’existe aucune parade à l’action de Charlie, lorsque je lui insuffle l’énergie ibisique il se transforme en une espèce de guerrier zombïique que rien ni personne ne peut arrêter, n’est-ce pas vrai Charlie, dis-le leur avec tes mots à toi, ils te comprendront mieux.
    • C’est vrai, balbutie Charlie – il se rassoit – je vais tout vous raconter…

    Les filles poussent des soupirs de soulagement. Le Chef en profite pour allumer un Coronado.

    • C’est une vieille histoire – Charlie parle-vite, l’on sent qu’il a envie de lâcher le morceau, un peu comme vous à la confesse quand vous révéliez au curé vos turpitudes morales – c’est en 1967, l’année où nous avons sorti Flowers – les filles se mettent à chanter en chœurs Let’s spend the night together, ce titre a l’air de les mettre en joie, Charlie n’est pas d’accord – mais non c’était un titre pour les garçons, nous avions dédié aux jeunes filles quelque chose de plus romantique comme Lady Jane!
    • Continuez Charlie, damoiselles taisez-vous, les vrais rockers préfèrent Have you seen your mother, baby, standing in the shadows ? Ah ! si vous aviez continué avec ce genre de monstruosité, regrette le Chef en exhalant douze ronds de fumées emboîtés les uns dans les autres !
    • Sûrement… Charlie ferme les yeux, le souvenir lui est manifestement pénible… Ce ne sont pas les chansons qui sont à ‘origine de l’affaire !
    • La pochette, j’en suis sûr, s’exclame Joël, je la visualise très bien avec les cinq fleurs dont vos figures forment les corolles ! Je ne vois pas en quoi…
    • Nous non plus, it was funny, quelques mois après nous avons été contactés par un homme d’affaires
    • Un de mes émissaires, le Grand Ibis Rouge s’immisce dans la conversation, un chantage, un petit chantage de rien du tout !
    • Des millions de dollars s’insurge Charlie, l’avait tout un tas de journalistes qui préparaient des articles affirmant que l’espèce de tulipe sur laquelle repose la tête de Keith était une fleur de chanvre, que l’on faisait la promotion de la drogue, le gouvernement et la Reine étaient prêts à soutenir l’entourloupe, l’on était dans de sales draps, pire que l’affaire de Jerry Lou et son mariage avec sa cousine !
    • Et vous avez payé ?
    • Vous savez, moi et l’argent - le Grand Ibis Rouge, vous a une voix mielleuse à engluer les ours polaires – que ferai-je de quelques millions de dollars, je suis le maître du monde, tout m’appartient, rien n’est à vous.
    • Non on n’a pas payé, on a passé un deal. Un bon deal d’ailleurs. L’émissaire nous a dit que son patron adorait les Stones, qu’il voulait simplement que l’on chante une chanson qu’il avait composée… Au début on a rigolé, l’on croyait avoir affaire à un hasbeen… mais quand on a vu la chanson et les accords, l’on s’est aperçu que c’était un superbe morceau, bien supérieur à tout ce que l’on avait créé auparavant… c’était sympa, d’autant plus qu’il nous laissait les royalties… alors on a signé, un bon contrat, le meilleur !
    • J’ai toujours pensé que j’étais un bienfaiteur de l’humanité, coasse le Grand Ibis Rouge, un véritable philanthrope !
    • De plus en plus passionnant - le Chef relâche de gros nuages de fumée, l’on dirait de grosses bulles qui se seraient échappées d’une bande dessinée géante pour aller visiter le monde – je suppose que cette chanson était Sympaty for the Devil!

    Sur ce pris d’une étrange frénésie nous nous mettons tous à hululer, hou-hou ! hou-hou ! hou-hou ! et Charlie revigoré par notre entrain mime le rythme sur une batterie imaginaire. L’en est tout ragaillardi, le sang afflue à ses pommettes, j’improvise des paroles, please let me allow myself, I’m the great and red ibis, i’m the king of the universe, le Coronado du Chel relâche maintenant d’énormes nuages noirs de fumée, les mêmes qu’envoyèrent à Little Big Horn les guetteurs Cheyennes avant de scalper les tuniques bleues…

    Etrangement le Grand Ibis Rouge n’a pas l’air d’apprécier notre interprétation de son chef-d’œuvre, tous les goûts sont dans la nature, toutefois avec Charlie dans l’équipe, nos cœurs féminins et les effets spéciaux du Chef, ce n’était pas mal du tout. Vous remarquerez ma modestie qui a préféré ne faire aucune allusion à ma performance vocale, car l’on ne saurait en toute équité être juge et partie. Bref l’ibis rouge pique une crise de colère noire :

            _ Charlie, prends ton bec et tue-les tous !

       _ Ô mon maître vénéré, ô grand Ibis rouge sang, je suis prêt à exécuter tes ordres, mais les chiens ont subtilisé l’arme sacrée et l’ont cachée je ne sais où !

        _ Tu tueras ces pâles bêtes en premier, je veux que ce soient l’agréable odeur de leur charogne qui vienne en premier chatouiller agréablement mes narines !

          _ Oui, mon maître adoré, les chiens en premier et tous les autres après, que la pestilence de leurs cadavres ensanglanté soit l’encens qui monte pour honorer ta royauté, mais je n’ai pas d’arme !

    Il y eut un sifflement, un long objet métallique pointu et cylindrique se ficha dans le sol à quelques mètres de nous

          _ Prends, serviteur fidèle et accomplis ta tâche !

                                                                                                                                A suivre…