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soul time

  • CHRONIQUES DE POURPRE 547 : KR'TNT 547 : BUFFALO SPRINGFIELD / FRED NEIL / GRIP WEEDS / TINY TOPSY / BloUe / PEOPLE OF THE BLACK CIRCLE / JULIE SUCHESTOW / SOUL TIME

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 547

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 03 / 2022

     

    BUFFALO SPRINGFIELD / FRED NEIL

    GRIP WEEDS / TINY TOPSY

    bloUe / PEOPLE OF THE BLACK CIRCLE

    JULIE SUCHESTOW / SOUL TIME

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 547

    Livraisons 01 - 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Un coup d’épée dans Buffalo du lac

     

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                À l’époque où se jouait le destin du monde, le seul groupe américain capable de rivaliser artistiquement avec les Beatles, c’était bien sûr Buffalo Springfield. Les bons groupes pullulaient en Angleterre et aux États-Unis, mais en matière de pop, les Beatles assumaient pleinement la suprématie artistique. Dylan faisait du Dylan, pas de la pop. Dès 1966, Buffalo Springfield s’imposa avec un génie composital/interprétatif comparable à celui des Beatles. Horriblement doués, Stephen Stills et Neil Young pouvaient rivaliser directement avec le duo de choc Lennon/McCartney. Même mal produits, les deux premiers albums de Buffalo Springfield sont des mines d’or, au même titre que Revolver et Rubber Soul. Quand plus de cinquante ans après leur parution on écoute ces quatre albums, on reste frappé par la modernité du ton, la richesse des idées et la perfection des compos.

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             Dans Mojo, Sylvie Simmons propose une bonne approche du phénomène Buffalo. On peut croiser la lecture de son article de fond avec celle de The Story of Buffalo Springfield - For What It’s Worth co-écrit par John Einarson et Richie Furay. L’histoire de la formation du groupe est passionnante. Stills et Young se rencontrent à Toronto, sur le circuit folk. Stills est en tournée avec un groupe folk, The Company, et Young joue dans les Squires. Ils sympathisent et font des plans sur la comète. Et si on montait un groupe ensemble ? Ah ouais !

             Stills repart à New York où il vit. Il grenouille dans le circuit folk de Greenwich Village, comme des tas de gens à l’époque, Fred Neil, Dave Van Ronk, Bob Dylan.

             Young écume la scène de Yorkville au Canada, d’où sortiront aussi Gordon Lightfoot et Joni Mitchell. John Kay est là, lui aussi, il a l’avantage de connaître Yorkville et Greenwich Village. Quand Kay quitte son appart à Yorkville, c’est Young qui s’y installe. Pendant ce temps, à New York, Stills crève d’envie de jouer dans les Lovin’ Spoonful. Ça fait trois ans qu’il rame et qu’il gratte sa gratte dans les coffee-houses. Il en a marre, super-marre, il veut monter un groupe. Il essaye de joindre Young au téléphone à Toronto mais n’y parvient pas. C’est là qu’il décide de quitter New York - Neil wanted to be Bob Dylan. I wanted to be the Beatles - C’est parce qu’il entend les Byrds à la radio qu’il comprend qu’il faut aller en Californie - LA was the place to be if I wanted to rock’n’roll - Et il se barre la côte Est en août 1965. Quand Young débarque peu après à New York, il ne trouve pas Stills. Eh oui, Stills est déjà parti pour la Californie, comme Roger McGuinn, Dino Valente, John Phillips, Cass Eliott, et Croz car maintenant, c’est là que ça se passe. Aux yeux de Chris Hillman, Buffalo vient du même background que les Byrds et les Lovin’ Spoonful : Greenwich Village. Seuls les Spoonful et Simon & Garfunkel resteront sur la côte Est.

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             Elle est intéressante la genèse de Bufffalo car elle croise comme on l’a vu celle de Steppenwolf qui s’appelle encore Jack London & the Sparrows, avec les deux frères McCrohan - qui vont changer de nom pour devenir les frères Edmonton - et un certain Bruce Palmer. Quand Bruce Palmer quitte le groupe, il est remplacé par Nick St. Nicholas qui vient des Mynah Birds, dont le chanteur n’est autre que le fameux Rick James, qu’on compare à l’époque à Little Stevie Wonder. Goldy McJohn quitte lui aussi les Mynah Birds pour rejoindre les Sparrows qui vont devenir Steppenwolf après avoir viré Jack London et recruté John Kay. Dennis McCrohan qui avait déjà changé de nom pour s’appeler Edmonton va encore changer de nom pour devenir une figure de légende, Mars Bonfire et écrire le rock anthem «Born To Be Wild». Neil Young rejoint à un moment les Mynah Birds et tout s’arrête brutalement lorsque Rick James est arrêté : c’est un déserteur américain. Hop, direction le ballon. Young est d’autant plus catastrophé que ça s’est passé dans le studio Motown où ils enregistraient leur premier album. Du coup Motown annule tout, sessions et contrat, et les Mynah Birds rentrent au bercail, la queue entre les pattes. Young affirme que Motown détient des enregistrements des Mynah Birds dans ses archives. Il n’est resté que six semaines dans ce groupe qu’il aimait bien. C’est là qu’il décide avec Bruce Palmer de partir en Californie, sachant que Stills se trouve quelque part à Los Angeles.

             Young et Palmer franchissent clandestinement la frontière du Canada au volant d’un corbillard. Stills dira de Palmer qu’il est le meilleur bassman avec lequel il ait joué, aussi bon selon lui que James Jamerson et McCartney. Donc le corbillard roule dans Los Angeles à la recherche de Stills. Ils croisent soudain un van blanc. Dedans il y a Stills et Richie Furay. Pur hasard ! Coups de klaxon, pouet pouet, Young fait un gros demi-tour en pleine circulation et rejoint Stills. Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre et sautent en l’air, comme des gosses ivres de bonheur et de liberté.

             La scène se déroule en avril 1966. Buffalo se forme là, on the spot : Young, the dark ‘Hollywood Indian’, Bruce Palmer le mystérieux qui jouera le dos tourné au public, Stills, le cowboy impétueux et impatient, et le Furay, ebulliant boy-next-door. Maintenant, il leur faut un batteur. Chris Hillman et Croz leur recommandent Dewey Martin, un mec plus vieux qui a battu le beurre pour Carl Perkins, Roy Orbison, Patsy Cline et qui jouait dans les Dillards avant que les Dillards n’arrêtent le groupe pour redevenir un duo acoustique. Auditionner pour ces petits branleurs ? Le vétéran de toutes les guerres Dewey Martin accepte, à condition qu’on le laisse chanter, car il chante comme Wilson Pickett.

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             Le groupe évolue à la vitesse de l’éclair. Stills a tout prévu à l’avance. Il a fait venir Richie Furay de New York, et il compose des chansons pour le groupe qu’il a en tête. Buffalo répète chez Stills et quelques jours plus tard, ils montent sur scène au Troubadour, en première partie des Byrds. Stills et Young se définissent comme un folk-rock band, mais avec une dominante rock and Soul, trois guitares et un peu de Motown/Stax dans la section rythmique. Qui va pouvoir résister à ça ? Personne ! Stills, Young et le Furay chantent tous les trois parfaitement bien et Young multiplie les killer solos flash sur sa Gretsch. Dans Buffalo, c’est la foire aux demi-caisses. C’est vrai qu’ils ont un son, rien à voir avec le jangly twelve-strings des Byrds et Dylan, ils développent un mélange de folk feel et d’instruments électriques. Mark Volman des Turtles explique qu’ils savent écrire des chansons car ils viennent de la scène folk, et en arrivant en Californie, ils avaient déjà plusieurs années d’expérience. Ils savaient ce que le mot songwriting voulait dire, alors que chez les Turtles, par exemple, tout reposait sur la Brill Building philosophy, c’’est-à-dire l’accès immédiat à des hits, the old school philosophy, celle que Don Kirshner impose aux Monkees et que Papa Naz va mettre un point d’honneur à combattre. Chris Hillman est tellement frappé par leur talent qu’il veut les manager. Il leur décroche une residency au Whisky A Go-Go, ils font cinq short sets par soir, et partagent l’affiche avec les Them, les Doors et Love. Le Furay : «The original five of us had the magic.» Et tout le monde considère Stills comme the heart and soul of the band. Sans Stills, pas de Buffalo.

             En réalité, tout Buffalo repose sur la relation Stills/Young. Contrairement à Lennon et McCartney, ils n’écrivent rien ensemble, ils bossent chacun dans leur coin. Au commencement, ils s’admirent l’un l’autre, Young est fasciné par la voix de Stills. Young le voit plus comme un chanteur que comme un guitariste, sur sa big red Guild acoustic guitar. Mais cette admiration ne va durer que 18 mois, le temps de l’existence du groupe. Young est un homme qui a besoin de respirer. Il a surtout besoin de chanter les cuts qu’il compose. Mais les autres trouvent sa voix bizarre. C’est le succès de «Like A Rolling Stone» qui ouvre les portes aux non-singers comme Young, nous dit Einarson. Ça tourne assez vite à la bataille d’egos. Le Furay reste à l’écart et Dewey Martin fait le clown. Le Furay s’entend bien avec Young, qui reste accessible et qui habite en face de chez lui à Laurel Canyon, dans une toute petite cabane. Par contre, le Furay se dit terrorisé par Stills. On ne sait jamais ce que Stills pense. Le Furay lui reproche aussi de ne penser qu’à sa gueule et à ses intérêts. Bon, jusque-là tout va bien, mais si ce qui lui convient doit te blesser, ce n’est pas ça qui va l’arrêter. Comme c’est Stills qui compose, c’est lui qui ramasse le plus d’argent.

             Mais en réalité, le groupe ne roule pas sur l’or. Ils ont tous des grosses bagnoles, mais en location : Young roule en Corvette, Bruce Palmer en Stingray et en Triumph Bonneville, et Stills en Ferrari. Le seul qui fait gaffe, c’est le Furay qui roule en Volkswagen. Puis rapidement, Stills et Young en viennent aux mains. Les shootes éclatent en sortant de scène. Ils se menacent l’un l’autre en brandissant leurs guitares, comme, nous dit Dewey Martin, «deux vieilles qui se battent à coups de sacs à main.» On les voit aussi se balancer des chaises dans la gueule après un concert particulièrement électrique.

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             C’est en 1965 que la Californie devient l’épicentre de l’American rock. En 1964, American Bandstand qui était le symbole de l’American teen culture avait déjà quitté Philadelphie pour s’implanter à Los Angeles, comme le rappelle Lenny Kaye dans l’un des dix chapitres de son imposant Striking Lightning. Maintenant c’est là que ça se passe. Tout y explose avec les Byrds, les Mamas & the Papas, les Turtles, Sonny & Cher, Barry McGuire, les Grass Roots et les Beach Boys, les teen nightclubs sur Sunset Strip, le Gold Star et Totor, Love et les Doors. Le «Mr. Tambourine Man» des Byrds ouvre la voie en juin 1965. Et puis les Monkees ! Comme chacun sait, Stills postule pour un rôle dans la fameuse série télé, mais il échoue et il balance le nom de son pote Tork, un autre expat de Greenwich Village, qui lui va décrocher le jackpot. Il y a des centaines de postulants pour les rôles dans la série télé, et parmi les plus connus, Danny Hutton, futur Three Dog Night, Harry Nilsson, Paul Williams, Rodney Bingenheimer et Charles Manson.

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             Dans son book qui est très bien documenté, John Einarson rappelle qu’au début, Frazier Mohawk, un talent scout qui bosse pour Jac Holzman, s’occupe de Stills et du Furay. C’est Barry Friedman qui les manage, au début. Il joue un rôle capital dans l’histoire de Buffalo : c’est lui qui les finance et qui les héberge, car bien sûr, ils n’ont pas un rond. Barry est le catalyseur, il leur fournit un toit et un endroit pour répéter et leur donne un peu de blé. Un soir, un certain Charlie Greene le chope, le fait picoler et prendre de la dope, l’emmène dans sa limousine et l’oblige à signer un document dans lequel il annule toute prétention à manager Buffalo. S’il ne signe pas, il ne sort pas de la bagnole. Barry cède donc ses droits sur le groupe pour 1000 dollars. Bien sûr, il regrette amèrement de s’être écrasé. 

             Déjà managers de Sonny & Cher, Charlie Greene et Brian Stone deviennent les managers de Buffalo. Herbie Cohen traîne aussi dans les parages, il va bientôt manager Zappa, Tim Buckley et Judy Henske. Stills le connaît car Cohen traînait à Greenwich Village où il manageait Odetta et Fred Neil. Pour Buffalo, c’est loin d’être une bonne affaire que d’être managé par Greene & Stone. Chris Hillman : «Quand tu leur serrais la main, tu comptais tes doigts aussitôt après pour voir s’il ne t’en manquait pas.» Il affirme que Greene & Stone sont des beaux parleurs et qu’ils ont embobiné Buffalo. Stills, Young et les autres pouvaient en outre utiliser la limo quand ils voulaient. Luxe suprême : le chauffeur Joseph leur fournissait de l’herbe. Ça plaisait beaucoup à Stills nous dit Miles Thomas, car il adorait le rock’n’roll way of life. Puis Greene & Stone leur ouvrent un budget instruments. Young achète une Gretsch Chet Atkins 6120 hollow body orange, Stills opte pour une blonde Guild hollow body. Ils se branchent tous sur des Fender Twins. Puis arrivent les offres des labels. Lou Adler propose 5 000 dollars, suivi de Warner Bros qui double la mise avec 10 000 $. Jac Holzman qui vient de signer les Doors fait lui aussi une offre. Mais c’est Ahmet Ertegun qui remporte la partie avec 12 000 $ cash. Barry leur recommandait de signer avec Jac et Elektra, mais ils ont choisi the sleaze brothers. Barry est persuadé qu’en signant avec Jac, le groupe aurait survécu aux turpitudes d’un mismanagement.

             Ahmet Ertegun considère Buffalo comme «the most exciting band». Greene & Stone réservent le Gold Star pour l’enregistrement du premier album et s’improvisent producteurs. Gros problème, ils n’y connaissent rien. Le groupe enregistre sept compos de Stills et cinq de Young. Les compos de Stills passent mieux, paraît-il, plus blues-based et radio-friendly que celles de Young, plus abstraites.

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             Contrairement à ce que pense le commun des mortels, le gros hit du premier album de Buffalo paru en 1966, n’est pas «For What It’s Worth», mais «Burned», une compo de Neil Young qu’il chante et qu’il embarque à la Young. C’est brillant et d’une miraculeuse fluidité. On se prosterne aussi devant «Flying On The Ground Is Wrong», car voilà un balladif extrêmement bien foutu. Young commence à déployer ses ailes de puissant compositeur. Quel sens de la plénitude ! Il maîtrise déjà la nonchalance de la matière, il monte sa harangue en neige dans des clameurs incomparables. Encore un hit signé Young avec «Do I Have To Come Right Out And Say It». Compo parfaite. Stills compose aussi des hits, comme par exemple «Sit Down I Think I Love You», un hit plein d’un certain allant, poivré au psyché californien. Il compose aussi des choses plus classiques comme «Hot Dusty Roads», une Soul pop couronnée de fondus de chant extravagants. On note l’absolue perfection du groove Stillistique. On les voit aussi pulser le gaga punk avec «Leave» et passer un killer solo flash à la clé. Ils terminent cet album étonnant avec «Pay The Price», un fast rock signé Stills. Il est très fort à ce petit jeu, c’est l’acid-rock californien de 1966, plein d’énergie et prêt à conquérir le monde. Tous ces groupes, Love, les Charlatans, Moby Grape jouaient alors fast and tight

             Le gros problème c’est la prod qui passe complètement à côté de l’énergie du groupe. Quand ils écoutent le mix de l’album, les Buffalo sont catastrophés. Ils étaient pourtant contents d’enregistrer, ne sachant pas ce qui se passait de l’autre côté de la vitre. Il existe une démo live enregistrée au Whisky qui est infiniment supérieure à l’album. Young trouve qu’ils ont perdu le groove en entrant au studio et il insiste auprès d’Ahmet Ertegun pour refaire l’album, il trouve que le son n’est pas bon. Mais pressé de faire un retour sur investissement, Ahmet Ertegun sort l’album en l’état. C’est un flop commercial, y compris pour le single tiré de l’album. Quand Ahmet Ertegun vient rencontrer le groupe en Californie, Stills, Young et le Furay lui jouent les cuts qu’ils prévoient d’enregistrer sur leur deuxième album, et Stills gratte et chante «For What It’s Worth», inspiré par la brutalité de la répression policière sur le Sunset Strip. Ahmet Ertegun saute en l’air : «That’s a hit man !». Et pouf, ils l’enregistrent. C’est un hit effectivement, et ATCO l’intègre au deuxième pressage de l’album.  

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             Stills est considéré comme le leader du groupe. S’il existe une rivalité entre Young et Stills, c’est plus dans le son, comme le dit Young : «Stills is on the top of the beat and I’m on the back of it. It was a constant battle, I’ll tell you.» Et il ajoute que si c’était belligérant, alors so be it. Mais il garde un souvenir émerveillé du Buffalo power sur scène. Il arrive à Young de faire des crises d’épilepsie sur scène ou de disparaître sans donner d’explication. Quand il n’est pas venu jouer au Monterey Pop Festival, Croz l’a remplacé au pied levé. Young n’aime pas trop la gloriole et encore moins les shows télévisés. Il n’y va pas. Il est en plus très solitaire. Au moment ou Buffalo entre en studio pour l’enregistrement du deuxième album, Young travaille dans son coin avec Jack Nitzsche. Stills sait que Young n’est pas fait pour rester dans un groupe. Il n’est pas surpris de le voir annoncer qu’il va quitter le groupe. Mais Stills trouve que the whole, c’est-à-dire Buffalo, is greater than the sum of its parts. Aux yeux des historiens, Buffalo a inventé l’image du quintessential LA Band, et le LA sound of the late sixties.

             Les groupe vient jouer à New York pour la promo de l’album et c’est là que se déroule le fameux épisode du pugilat sur scène, dans un club nommé Ondine’s. La scène est minuscule et sans le faire exprès Bruce Palmer cogne la tête de Stills avec le manche de sa basse une fois, deux fois et la troisième fois, Stills lui colle son poing dans la figure. Par contre, Einarson ne précise pas que Bruce Palmer a répondu et envoyé Stills valdinguer dans la batterie.

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             En juin 1967, Young annonce au groupe qu’il se barre - I sort of dropped out of the group. I couldn’t handle it - Ça tombe mal, car le groupe doit passer au Johnny Carson show, qui est alors aussi important que l’Ed Sullivan Show. Stills : «Neil s’est barré la veille du départ pour New York. it was sheer self-destruct.» Stills avoue avoir beaucoup de mal à maintenir le groupe en état de marche. Ce sens aigu de l’autorité lui vient de son éducation militaire mais il rappelle aussi que quelqu’un doit commander dans un groupe, sinon ça ne peut pas marcher, surtout quand on a des rebelles comme Young et Bruce Palmer - So there was chaos - Stills pense que Young ne supportait pas de le voir prendre des solos de guitare. De son côté, Bruce Palmer affirme que Stills et Young n’étaient pas des gens faciles : «Stephen was always hard to get along with; Neil was hard to get along with. Stephen est egomaniaque et brutal, Neil est complètement à l’opposé. Mais au final, ça revient au même : two spoiled little brats. Mais au lieu de gueuler, Neil disparaît. Il passait son temps à disparaître et on le retrouvait planqué dans le placard de Jack Nitzsche.»

             La situation continue de se dégrader : au moment d’entrer en studio pour enregistrer Buffalo Springfield Again, Bruce Palmer se fait drug-buster avec de l’herbe. Pouf, expulsé au Canada.  Il est remplacé par Jim Fielder. Il est essentiel de rappeler qu’en 1966, it was hip to be stoned. Tout le monde se came - Bruce was just a happy-go-lucky guy who loved his LSD - Comme les 13th Floor au Texas, Bruce en prend tous les jours. C’est Owsley en personne qui lui file des sacs pleins des tablettes. Quand il a commencé à fréquenter Croz, Stills «was getting high a lot». Dewey Martin indique que les Byrds «were the ones who turned a lot of people on to opium, forget hash and pot. Crosby liked to get paralyzed, so I’m pretty sure Stephen did too.» Par contre, Young n’est pas défoncé en permanence, contrairement à ce que tout le monde croit. Il ne peut pas se le permettre à cause de ses crises d’épilepsie. Il fume un peu d’herbe, comme tout le monde à l’époque. Par contre, Dewey Martin préfère l’alcool et le speed que lui fournissent en quantité Greene & Stone. On trouve facilement des grands bocaux de pills à Los Angeles, auprès de bons docteurs compatissants.

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             Puis Young va revenir pour le deuxième album. C’est lui qui ouvre le bal de Buffalo Springfield Again avec l’excellent «Mr Soul». Il embarque ça sur le riff de «Satisfaction», mais tout en retenue. On a là l’un des grands hits des sixties. L’autre hit de ce deuxième album est le «Bluebird» de Stills. Il l’attaque au débotté et claque ses descentes de gamme à l’ongle sec. Tout CSN est déjà là, avec des vieux relents de SuperSession, car ça s’étire dans la longueur bienveillante. Stills est un mec qui s’énerve facilement, comme le montre «Hung Upside Down». Il adore finir en apothéose. Par contre, le Furay se vautre avec son country-rock («A Child’s Claim To Fame»). C’est le piège du Buffalo, si tu n’aimes pas trop la country traditionnelle, t’es baisé. On se sent beaucoup mieux avec «Rock And Roll Woman», hit envoûtant. Et puis l’excellent «Expecting To Fly» de Young produit par Jack Nitzsche. Einarson ajoute que Young et Nitzsche ont enregistré pas mal de cuts qui n’ont encore jamais vu le jour. Einarson amène encore un détail qui vaut son pesant d’or du Rhin : Croz est à l’époque le mentor de Stills. Il l’introduit dans tous les milieux hip de Los Angeles et lui fait aussi des suggestions musicales - Rock And Roll Woman was instigated by a guitar tuning suggested by David Crosby - Quand Croz monte sur scène avec Buffalo à Monterey, il ne le fait pas par charité chrétienne. Il sait que son temps au sein des Byrds est compté, d’autant qu’il pousse le groupe à devenir plus créatif, ce qui ne plaît pas à Roger McGuinn. Il pense qu’il peut jouer avec Buffalo si ça tourne mal avec les Byrds, ce qui ne va pas manquer de se produire - David liked to shake things up - McGuinn et Hillman, iront trouver Croz chez lui pour lui annoncer qu’il est viré des Byrds. Chris Hillman prétend même que Croz aurait quitté les Byrds si Stills lui avait offert un job dans Buffalo.

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             Dans la maison que le groupe loue à Malibu, Stills reçoit des invités de marque : Buddy Miles, Noel Redding, Jimi Hendrix, et tout ce beau monde jamme. Pour Stills, c’est un autre level of music - Serious heavy duty blues and rhythm and blues - Stills voit très bien que ces mecs sont sur le point d’amener le rock à un autre niveau, et c’est ce qui l’intéresse. Il a découvert le drumming de Buddy Miles à Monterey. Doug Hastings évoque une session à Malibu avec «Jimi Hendrix, Buddy Miles, David Crosby, Stephen Stills and myself.» Stills joue de la basse. Buddy Miles chante. Jimi joue de la wah dans un coin. Doug Hastings ne sait pas si Jimi joue avec eux ou s’il joue dans son coin - He was popping acid like it was apirin. He was way out there - Plus tard, ils montent à l’étage et tombent sur des gonzesses qui sont arrivées entre temps. Jimi leur demande si elles ont des acides - He took two more. He has enough to kill a horse.

             C’est aussi l’époque où tout ce beau monde fréquente les Monkees, installés eux aussi à Malibu. Jimi Hendrix part en tournée américaine avec eux, mais il se fait virer vite fait de la tournée, car les parents des gosses qui remplissent les salles pour voir les Monkees se plaignent des copulations scéniques du Voodoo Chile. Les Monkees et Buffalo tournent ensemble en 1967. Stills et Tork sont comme on l’a déjà dit de vieux potes du temps de Greenwich Village. Dans les fêtes à Malibu, que ce soit chez Tork ou Stills, on voit toujours les mêmes têtes : Buddy Miles, Croz puis Hendrix suite à Monterey. Tork héberge tout le monde.

             Doug Hastings qui avait été embauché comme guitariste en remplacement de Young est viré quand Young annonce son retour dans le groupe. C’est Stills qui appelle Hastings quelques heures avant un concert prévu le soir-même pour lui annoncer la bonne nouvelle et lui souhaiter bonne continuation. Par contre le Furay et Dewey Martin ne sont pas très chauds pour accepter le retour de Young qui les a déjà plantés une fois. Ils ne supportent pas l’idée de voir réapparaître les tensions entre Stills et Young. Mais bon, Stills a pris la décision. Il y voit surtout un côté pratique : Young connaît les cuts et il compose.

             Enregistré par le bassiste de remplacement Jim Messina, ce deuxième album est cette fois un succès commercial, mais le groupe est moribond. Puis Ahmet Ertegun demande à Messina de produire un troisième album de Buffalo.

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             Dernier tour de piste avec Last Time Around paru en 1968. Young n’y contribue que du bout des doigts. Il ouvre le bal d’A avec la petite pop d’«On The Way Home», mais avec le «Pretty Girl Why» de Stills, c’est tout de suite plus franc du collier. Stills does it right. En fait, c’est Stills, le rock’n’roll animal de Buffalo. Avec «Special Care», on passe au heavy Buffalo Sound, bien dévoré par les chœurs et la basse de Jim Messina. Wow, quel groove ! Ambiance de rêve et prod parfaite. L’autre coup de Jarnac est encore signé Stills : «Questions». C’est bardé de gras double, Stills fond sa chique dans le groove psyché californien. On a tout ce qu’on aime, ici, le gras double, le chant d’inspi et le groove. On considère généralement Last Time Around comme l’album de la désintégration.

             Le groupe finit par splitter au moment où Young annonce son départ pour la troisième fois. It was all over. Un plus tard en 1968, Stills jamme chez Steve Paul à New York avec Johnny Winter et Jimi Hendrix. On apprend aussi par la presse qu’il envisage de monter un groupe appelé the Frozen Noses avec Croz and two Englishmen from name groups, le premier étant Graham Nash et le deuxième est supposé être Stevie Winwood.

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             Et puis voilà ce que les fans de Buffalo appellent the Holy Graal, la fameuse Buffalo Springfield Box pondue par Rhino en 2001, avec ses 36 démos inédites et surtout un son remastérisé, ce qui transforme complètement l’approche qu’on avait à l’époque des deux premiers albums.

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    Le disk 1 démarre avec 11 démos inédites dont un «Flying On The Ground Is Wrong», on sent une ouverture considérable, c’est gratté dans la grandeur, rien à voir avec le son du premier album. Young chante. Même choc esthétique avec «We’ll See» que chante Stills, oh we’ll see, Stills est partout, il fourbit les grooves. Stills place encore une démo démente, «Come On». Tu as l’impression d’être dans le studio avec eux. C’est dire la qualité du son. Young chante «Out Of My Mind», une belle oraison, et plus loin on passe aux cuts de l’album remastérisés, avec «Nowadays Clancy Can’t Even Sing» que chante le Furay, c’est énorme. Voilà qu’éclate l’absolu génie de Stills avec «Sit Down I Think I Love You», il chope toute la magie des sixties et la fait rôtir dans les flammes de l’enfer du paradis, il n’existe pas sur cette planète de plus bel emblème des silver sixties. On se régale du Moby-Grappy «Leave» et du groove zélé d’«Hot Dusty Roads» qui prennent ici un relief considérable, avec le solo de clairette que balance l’ami Young. Il s’impose encore avec l’excellence de «Burned». C’est le Furay qui chante «Do I Have To Come Right Out And Say It», un cut d’une rare perfection mélodique signé Young. Ce vieux Young ramène tellement de compos géniales ! Il est le grand pourvoyeur composital devant l’éternel.

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             Le disk 2 s’ouvre sur trois démos inédites, «Down Down Down» (heavy et beau comme un cœur, compo de Young que chante le Furay), «Kahuna Sunset» (intro stellaire) et «Buffalo Stomp» (flip flop). Et puis voilà «Baby Don’t Scold Me», Stills reprend le contrôle. Il éclate au Sénégal, on sent bien le boss du groupe, c’est bardé de son. Ici dans la box, «For What It’s Worth» prend une autre résonance, la version longue devient une pure merveille psychédélique, bienvenue in the deep California Sound, ça préfigure absolument tout le Croz à venir, c’est en plein dans le mille du sunset. Sur son «Mr Soul», Young est héroïque de débridement, c’est joué au killer solo flash d’ouverture sur le monde, peu de gens atteignent ce niveau d’excellence anarchique. Ils pulvérisent littéralement la Stonesy. Avec de nouvelles moutures de «We’ll See» et de «My Kind Of Love», on goûte à ce qui fait la grandeur inexorable d’un groupe comme Buffalo, on savoure chaque atome de la clameur du chant, cette façon qu’ils ont de se fondre dans le beat aux harmonies vocales est unique au monde, on voit les voix fondre littéralement sur les contreforts du beat, il n’existe alors rien de plus fondu aux États-Unis. Tout CSN vient de là, de cette magie sonore. Les compos du Furay sont moins bonnes et donc dispensables. «No Sun Today» est encore un inédit chanté à deux voix par Stills et le Furay, ils font du fast Buffalo. Ces mecs ont le pouvoir, à un point qu’on n’imagine même pas. Il faut l’entendre pour pouvoir en mesurer l’étendue. Nouveau coup de génie avec ce «Down To The Wire» signé Young et que chante Stills à l’extrême, le Buffalo est là au maximum de ses possibilités, ils ont une façon unique de dégringoler dans le son. Bim bam boum, here comes Buffalo ! Puis Stills ramène la fraise de son fameux «Bluebird» - Listen to my bluebird - C’est un seigneur des annales, le plus puissant de tous, il navigue largement au dessus de la mêlée, il fait partie des mecs qu’il faut suivre à la trace, CSN, solo, Manassas, tout est bien. Comme Steve Marriott en Angleterre, Stills n’aura eu toute sa vie qu’une seule obsession : évoluer vers un son toujours plus gros, vers toujours plus de son. «Hung Upside Down» est un gros numéro de Stills, il fait le job à coups d’acou, pas de problème. Encore de la magie de Stills avec «Rock And Roll Woman», mouture transfigurée, si on la compare à celle du deuxième album.

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             C’est lui qui lance le disk 3 avec une nouvelle mouture de cet «Hung Upside Down» tiré d’Again. Il sait enflammer un cut au chant. Young chante son «One More Sign» qui est une complainte typique du vieux Young. On sait bien qu’il est romantique dans l’âme, alors il en profite pour ramener une autre complainte, «The Rent Is Almost Due». Pendant ce temps, on perd de vue Stills, le rock’n’roll animal. Retour à l’électricité avec «Broken Arrow». Nouvel inédit avec «Whatever Happened To Saturday Night» que chante le Furay et Stills ramène son groove avec «Special Care». Il développe une sorte de génie groovy qui deviendra par la suite sa marque de fabrique. Il fond les voix dans un solo explosé de la rate. «Question» sort aussi de Last Time Around, Stills ramène encore du raw dans le son et dans le chant. Ça rocke à l’oss de l’ass, c’est gorgé de feeling et il claque tout au dirty solo. 

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             Le disk 4 propose les deux premiers albums remastérisés. À force de génie sonique, ces mecs ne se sont pas contentés de défrayer la chronique, ils l’ont explosée. Il faut la voir fumer, la chronique ! Plus on écoute Buffalo et plus on exulte. On ne se lasse pas de leur profondeur de champ. Stills est un meneur hors normes. Il sait faire éclater une pop song au firmament («Sit Down I Think Love You»). Il se pourrait bien que Sit Down et «Flying On The Ground Is Wrong» (I’m sorry to let you down) fassent partie des plus grands hits de l’histoire de la pop américaine, avec ceux des Beach Boys et de Phil Spector. Stills est all over the Buffalo, il est le maître du jeu («Everybody’s Wrong»). Ils jouent leur pop aux accords purs («Do I Have To Come Right Out & Say It»), leur pop semble parfois sortir du Brill, mais avec un vrai son et sous un casque, ça prend une dimension surnaturelle. On atteint le nec plus-ultra de l’art pop, celui des Beatles du White Album, des hits composés et produits par Phil Spector, ou encore de Todd Rundgren et des Beach Boys de Smiley Smile ou de Pet Sounds. Les cuts sont comme illuminés par les éclairs de Gretsch. Buffalo est le groupe de tous les possibles. On comprend qu’Ahmet Ertegun se soit prosterné à leurs pieds. Même le country rock de «Pay The Price» est solide as hell, bien soutenu par Dewey Martin, the fast beurre-man. Que d’énergie encore dans «Baby Don’t Scold Me» et «Mr Soul», avec un Young qui joue ses solos à l’envers. On n’avait encore jamais entendu ça ! On voit encore Stills participer à l’invention du rock de jazz avec «Everydays» et claquer des notes dans tous les coins avec «Bluebird», mélange de fuzz et d’acou complètement demented. Et pour finir cette tournée des grands ducs, Stills prend en biseau son «Rock And Roll Woman» et le plonge dans la chaleur des meilleurs chœurs de l’univers.

    Signé : Cazengler, Buffalourd

    Buffalo Springfield. Buffalo Springfield. ATCO Records 1966

    Buffalo Springfield. Buffalo Springfield Again. ATCO Records 1967

    Buffalo Springfield. Last Time Around. ATCO Records 1968

    Buffalo Springfield Box Set. Rhino Records 2001 

    Sylvie Simmons : Too Many Kooks. Mojo # 337 - December 2021

    John Einarson & Richie Furay. For What It’s Worth: The Story Of Buffalo Springfield. Cooper Square Press 2004 

     

     

    Aux sources du Neil - Part Two

             Tu veux du vécu ? En voilà ! Quand Bob Zimmerman débarque à New York en janvier 1961, il grelotte de froid. Pas de manteau et pas grand-chose dans l’estomac. Il rencontre un vague copain au coin de la rue et en claquant des dents, lui demande :

             — T-t-t-tu sais o-o-o-ù je-je clac clac clac peux trouver Fred clac clac clac Neil ? Paraît kill-kill-kill embauche !

             — Oh yeah ! Au Café Wha?, on McDougal !

             Le tuyau est bon. Le jeune Bob trouve Fred Neil, lui dit qu’il cherche du boulot, qu’il  chante et joue de l’harmo. 

             — Vas-y, montre-moi ce que tu sais faire.

             Le jeune Bob se met à souffler l’air d’Il Était Une Fois Dans l’Ouest.

             — Foooinnn foooinn fooooooo-oooon ooooiiiiiin ooooiiiiiin...

             — Bon ça va, stop !

             — Foooinnn foooinn...

             — STOP !!! Tu m’accompagneras à l’harmo et t’auras un dollar par show !

             — Wow ! Super génial !

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             Aux yeux de Kris Needs, cette histoire illustre bien la métaphysique de la brutalité qu’on appelle l’injustice : alors que Bob Dylan est devenu l’auteur compositeur le plus légendaire de l’histoire du rock, Fred Neil qui lui a filé son premier job est quant à lui resté dans la semi-obscurité. En fait, les choses sont beaucoup plus simples : Fred Neil ne voulait pas devenir célèbre.

             Comme il sait si bien le faire, Needs tire l’overdrive pour transformer son article en tourbillon. Fred Neil superstar ? - His multi-octave mahogany baritone, dazzingly innovative 12-string guitar and spellbinfing charisma - Rien qu’avec ça, on a l’estomac calé, mais ça continue, Needs cite des noms. Fred Neil fut le mentor de Richie Havens, Tim Hardin, Stephen Stills, David Crosby, John Sebastian, Karen Dalton, Gram Parsons et Tim Buckley. Oui Fred Neil aurait pu conquérir le monde mais il nourrissait une aversion définitive pour les médias et le music business. Il s’est contenté d’enregistrer trois albums et de léguer l’imparable «Everybody’s Talking» à la postérité. Grâce au blé que lui rapporte son hit, il peut quitter New York et aller vivre en Floride.

             Au temps de sa jeunesse, Fred composait du rockabilly, notamment le fameux «Candy Man» que chante Roy Orbison, il traînait pas mal au Brill Building où il faisait son petit biz, puis il a découvert la fameuse bohème new-yorkaise de Greenwich Village. Il s’y sentait mieux, il fréquentait Len Chandler, Odetta, Karen Dalton et a monté un duo avec l’hustling livewire Dino Valenti qu’on retrouvera plus tard en Californie dans Quicksilver. Needs cite bien sûr Dylan qui parle longuement de Fred Neil au Café Wha? dans Chronicles.

             Needs fait aussi le point sur les drogues. Fred Neil prenait tout ce qu’on lui proposait, speed, mescaline, hero, morphine mais selon Peter Childs, Fred Neil was not a junkie. Et Vince Martin ajoute : «Les drogues n’ont pas affecté la carrière de Fred Neil. C’est Fred Neil qui a affecté la carrière de Fred Neil.»

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             Paul Rothchild repère Fred et Vince Martin au Gaslight et leur propose d’enregistrer un album, le fameux Tear Down The Walls. Ils sont accompagnés par Felix Papalardi on guitarron (mexican bass) et John Sebastian on harp. Comme Rothchild est un perfectionniste, il demande constamment à Fred de refaire les cuts et ça finit par clasher. Les fans de Fred Neil qui se seront jetés sur l’album se régaleront d’un «Baby» embarqué à l’échappée belle et chanté à la bonne franquette. Fred groove comme un dauphin dans l’eau. On y trouve aussi une belle cover du «Weary Blues» d’Hank Williams, tapée au be cryin’ et au sweet mama please come home par le pauvre Vince Martin, mais heureusement Fred revient dans le chant pour arracher le blues du sol. C’est un album chanté à deux voix et tapé à coups d’acou, très typé, très Greenwich Village de l’hiver 63. Le multi-octave mahogany baritone de Fred domine. Ils font la première version de «Morning Dew», la tapent à deux voix, Fred renchérit sur le copain Vince, walk me out in the morning dew my honey, puis Fred enchaîne cinq de ses cuts, notamment le rampant «I Get ‘Em». Fred Neil est le roi des rampants.

             Il va continuer d’enregistrer pour Elektra avec Paul Rothchild, mais leur relation va se détériorer. Rothchild est trop exigeant et Fred quitte souvent les sessions en claquant la porte. C’est ce qu’on appelle un conflit d’intérêts. Rothchild voit Fred comme la poule aux œufs d’or et Fred est tout le contraire de la poule aux œufs d’or. 

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             Le 38 MacDougal récemment paru fut enregistré chez John Sebastian en 1965. Fred venait de claquer la porte du studio où il enregistrait Bleecker & MacDougal et pour le calmer, Peter Childs lui proposa d’aller jouer chez Sebastian, au 38 MacDougal. Enregistré avec les moyens du bord, l’album n’a pas de son, mais on a la voix de Fred. Peter Childs et lui taillent la route du blues à la folie («Country Boy»). Fred est tellement doué qu’il sonne comme un black sur «Gone Again». Son woke up this morning est une merveille d’allumage de gone again - I love you baby/ But you’ve got to understand right now - Il fait le wistle de Lonsesome Train et ça vire à la pire tension d’Americana. Il tape aussi une version underbelly de son «Candy Man» et plus loin, il drive sa «Sweet Cocaine» dans Lexington à la dérive d’acou - Ahhh sweet cocaine/ Round and round your heart and your brain - tout ça à coups de breakouts d’acou. Il termine avec «Blind Man Standing By The Road And Cryin’», mais avec la session d’appart, on perd la profondeur de la prod. Il gratte on truc à la sauvage, il navigue à la surface, il survit, c’est du heavy blues de fin de soirée à MacDougal.

             Selon Needs, 38 MacDougal a mis 56 ans pour refaire surface, grâce au label Delmore Recordings. Par contre, la relation avec Elektra n’est pas réparable. Bleeker & MacDougal sera le second et dernier album de Fred sur Elektra. On l’a épluché ici dans un Part One en 2013. Fred continue pourtant d’enregistrer, cette fois avec Jack Nitzsche. Mais nous dit Needs, l’album n’est jamais sorti, aussi incroyable que cela puisse paraître ! Puis Herb Cohen qui est son manager décroche un contrat pour Fred chez Capitol et Fred enregistre Fred Neil avec Nick Venet à Hollywood (épluché aussi dans le Part One en 2013). Pour mettre Fred à l’aise, Venet installe des canapés dans le studio, fait servir de l’alcool et brûler de l’encens. Les sessions démarrent à minuit et parmi les invités se trouvent Joni Mitchell et un wide-eyed Tim Buckey. C’est là que Fred chante «The Dolphins» que reprendra Buckley.

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             Puis Venet fout la pression et organise les fameuses Sessions avec Peter Childs, Cyrus Faryar et d’autres. Et hop ça part en mode stoned soul picnic, des jams de pas d’heure dont Venet va extraire la substantifique moelle. Occasion rêvée de sortir Sessions de l’étagère. Dès «Felicity», il fait du punk-folk sur sa gratte en yodellisant aux Appalaches. Il prend «Send Me Somebody To Love» de Percy Mayfield au round midnite, il crée de l’océanique à volonté, et c’est avec «Merry Go Round» et un son psych qu’il nous fait décoller. Le chant et le gratté dauphinois créent de l’enchantement. C’est d’une vraie beauté boréale. Il boucle son bal d’A avec un «Look Over Yonder» digne de l’«If I Could Only Remember My Name» de Croz. C’est exactement le même sens de la dérive au soleil couchant, même sens du méandre de delta, absolue merveille supsensive digne des jardins suspendus de Sèvres-Babylone. En B, il tape son vieux «Looks Like Rain» dans un climat de tension à la Richie Havens. C’est gratté aux bons soins du tsoin tsoin d’effervescence de Gaslight, Fred enchante le studio, il s’enfonce dans son groove sous tension et gratte à la régalade, il claque ses descentes de notes à l’ongle sec. C’est la vraie électricité. Pas besoin de wah ni de Marshall, il gère bien son shake, il fait du folk-rock d’énergie new-yorkaise à la fabuleuse dérive des condiments. Il joue son «Roll On Rosie» à l’énergie des coups d’acou, et une basse bien ronde entre dans la ronde. Quelle frénésie ! Si on aime entendre les attaques frénétiques, c’est là.  

             Encore de l’inédit en sous-jacence : Needs évoque des sessions organisées par Nick Venet à Nashville en 1969 : Fred, John Stewart, Vince Martin et les musiciens qui avaient accompagné Dylan sur Nashville Skyline. Rien n’a encore filtré. Puis Fred envoie promener Michael Lang qui lui propose de jouer à Woodstock. Comme il doit encore un album à Capitol, il accepte qu’on l’enregistre live au Purple Elephant Club de Woodstock. On retrouve ces cuts sur Other Side Of This Life.

             Et puis il y a les dauphins. Needs en fait quasiment une page entière. Histoire de rappeler qu’en fait, les dauphins comptaient plus que tout dans la vie du grand Fred Neil. Avec son côté Disneyland, cette dernière page pourrait passer pour de la complaisance, mais venant de Kris Needs, il s’agit surtout d’un bel exercice d’honnêteté intellectuelle. Fred Neil ne pouvait pas se trouver en de meilleures mains.

    Signé : Cazengler, Fred Nul

    Fred Neil. Sessions. Capitol Records 1971

    Fred Neil. 38 MacDougal. Delmore Recording Society 2020

    Kris Needs : Feted Villager. Record Collector # 522 - September 2021

     

    L’avenir du rock - These Weeds on fire

     

             Dans la grande salle commune de l’Hôtel Dieu, deux interminables rangées de lits se font face. Des infirmières industrieuses vont d’un lit à l’autre, pareilles à des butineuses dans un champ de coquelicots. Des râles intermittents gâtent l’épaisseur du silence. On y meurt beaucoup, conformément aux lois de la sélection naturelle. Les évacuations se font dans le silence, pour ne pas gêner ceux qui sommeillent. Le professeur Dox fait sa tournée. Il s’arrête devant un lit et s’adresse à l’infirmière qui l’accompagne :

             — Dites-moi Izabeau, pourquoi a-t-on bâillonné madame Brontë ?

             — Parce qu’elle hurle.

             — Ah oui, elle est atteinte de romantisme tuberculeux. Et ce monsieur, à côté, pourquoi porte-t-il un gilet pare-balles ?

             — C’est un poulet. Monsieur Robocop.

             — Grippe aviaire, je suppose...

             — Cas désespéré.

             — Faites-le piquer, nous avons besoin de lits. Poursuivons...

             Ils arrivent au pied du lit suivant. Un gros monsieur y transpire abondamment.

             — De quoi souffre ce monsieur Apollinarus, Izabeau ?

             — Grippe espagnole !

             — Mais la grippe espagnole a disparu depuis longtemps !

             — Monsieur Apollinarus est un admirateur du poète Guillaume Apollinaire, professeur. Il s’est arrangé pour se faire défoncer le crâne d’un coup de marteau et pour s’injecter un virus qu’il a sans doute dérobé aux archives de l’Institut Pasteur. C’est un peu comme s’il avait été fan de Sid Vichiousse et qu’il s’était overdosé la calebasse...

             — Passez-moi vos commentaires infantiles et envoyez cet huluberlu en psychiatrie.

             Ils arrivent au pied du lit suivant. L’homme sourit. C’est d’ailleurs le seul.

             — Ah encore un atypique ! Il me semble parfaitement radieux. Comment s’appelle-t-il ?

             — L’avenir du rock.

             — Et de quoi souffre-t-il ?

             — Grip Weeds.

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             Grip Weeds est un groupe américain pas très connu en France. Basé dans le New Jersey, Grip Weeds existe depuis les années 90 et continue de faire l’actu avec d’excellents albums. Kurt Reil, son frère Rick et Kristin Pinell constituent le noyau dur du groupe. Non seulement les frères Reil arborent des looks de rock stars, mais ils sont en plus des fans de Todd Rundgren, ce qui en dit long sur leurs mensurations. Car pour jouer dans un groupe qui se réclame de Todd Rundgren, il faut avoir certaines dispositions, à commencer par le talent et la classe. Les frères Reil ont tout ce qu’il faut en magasin.

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             Peut-être était-ce dans Shindig! ou dans Vive Le Rock, toujours est-il qu’une chronique extrêmement bien foutue nous fit loucher sur Strange Change Machine, un double album paru en 2010. Dans ces cas-là, on teste. Pour une fois, le chroniqueur ne prend pas les gens pour des cons : «Speed Of Life» accroche immédiatement avec son gros bouquet de power pop finement sur-cousue de psyché qui gonfle très vite pour atteindre des proportions spectaculaires. Les harmonies vocales s’envolent par-dessus les toits, attention, ces mecs-là sont des géants, on ne croise pas tous les jours des harmonies vocales aussi géniales. Leur truc, c’est la pression. Ils sont tellement doués qu’ils jouent des cascades dans les ponts, ça explose au pinacle du polymorphisme. Ce «Speed Of Life» est une merveille disons incommensurable. L’autre merveille du disk 1 est le morceau titre, une espèce de rumble de freakbeat, ces mecs ont de la santé à revendre, ils proposent de l’extase, ils relayent toutes les genèses, ils mélangent le génie sonique, les harmonies vocales et le trash, c’est quasiment un truc qui nous dépasse, et toutes ces distos qui rôdent dans le son ! On entend les accords des Heartbreakers dans «Thing Of Beauty». Ils sont aux confins des mondes qui nous intéressent, ils tâtent de la power-pop comme d’autres tâtent des culs, ils sont comme Todd Rundgren, ils génèrent du son à n’en plus finir, mais c’est une infinitude rectifiée par des solos de Rick Reil, et le parallèle avec Rundgren s’établit pour de bon quand Rick Reil est sur les rails et qu’il claque ses beignets. On l’entend encore faire pas mal de ravages dans «Close To The Sun» et on s’effare de l’incroyable qualité des cuts à mesure qu’ils défilent sous nos yeux globuleux. Ils contrebalancent «Don’t You Believe It» dans l’excellence du stomp, ces mecs-là ont un talent fou. Kurt Reil chante «Be Here Now» à l’affluence, le son abonde terriblement. Leur collègue Kristin Pinell chante «You’re Not Walking Away», une espèce d’énormité convalescente et la wah descend à la cave. Il n’est pas surprenant de les voir reprendre un hit de Todd Rundgren sur le disk 2. Ils choisissent «Hello It’s Me» : même énergie, même classe, on s’incline devant les frères Reil. Nouveau coup de génie avec «Used To Play». Fabuleux hit pop, ça atteint le sommet du summum, les frères Reil sont des magiciens de la pop américaine. Tous leurs cuts sont visités par la grâce. On croirait entendre les Raspberries. Comme le montre «The Law», ils savent énerver la cuisse d’un cut. Encore de la pop énergétique avec «Truth (Hard To Fake)», ça éclate encore au Sénégal et Kurt Reil chante fabuleusement bien. Il expédie son «Hold Out For Tomorrow» dans les coconuts, on croirait entendre Nazz et le «Long Way (To Come Around)» qui suit vaut aussi le détour, car c’est gorgé d’excelsior, et quand la guitare de Rick Reil vient dévorer le foie du cut, alors ça tourne à la sauvagerie et ça fout les chocotes.

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             Leur premier album s’appelle House Of Vibes et date de 1994. Ils proposent déjà une pop-rock qui goutte de jus. Ça chante dans les chatoiements. Ils claquent leur «Close Descending Love» au crystal clear de la revoyure, c’est très beatlemaniaque. Ils passent au fast drive avec «Embraces». Ils règnent sur leur domaine de compétences, ils activent des réflexes endémiques dans une merveilleuse ambiance. On se sent bien dans leur monde d’up-tempo, comme ce «Don’t Belong» de Grip. Ce straight ahead type of rock s’inscrit dans la carnation du don’t belong. Ça file bien sous le vent. Leur présence dépasse l’entendement, leur «Realise» sonne comme du CSN. Ils enchaînent avec un «Before I Close My Eyes» dégoulinant d’arpèges, pur jus de Grip, ils sonnent comme les Byrds. Ils bouclent avec «Walking In The Crowd». Ils raflent la mise à chaque cut, ils jouent à la classe intrinsèque. Ces mecs-là, tu leur fais confiance, tu leurs donnes tout, ta sœur, les clés de ta bagnole et ton numéro de carte bleue. Ils sont faramineux, ils allument au soloing de fière allure, et ça chante à l’anglaise, c’est à la fois puissant, demented, homérique, faraminé et calaminé. 

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    Si tu aimes bien les Byrds, alors écoute The Sound Is In You. Les Grip y sont même meilleurs que les Byrds. La preuve ? «Better Word» et son solo de traverse qui est un modèle de traverse, presque hendrixien, avec ce court temps d’attente et le départ vers l’espace, ils sont en plein dedans. Ils refont les Byrds avec «Tomorrow» et «Strange Bird». Franchement, on se croirait sur Younger Than Yesterday. Ils font aussi une reprise fantastique d’«I Can Hear The Grass Grow». Après les Byrds, les voilà dans les Move ! Leur cover est encore plus belle que celle de The Fall, ils jouent ça à l’énergie pure, c’est sabré à coups de Grip, chanté au raunch de Carl Wayne avec un technical killer solo. Mais attention les gars, ce n’est pas fini : en plus de tous ces coups de Jarnac, on trouve un coup de génie, un vrai de vrai. Il s’appelle «Down To The Wire», une pop qui se fond dans la magie sonique, c’est Kristin Pinell qui chante, elle se fond délicieusement dans son hang on et atteint un niveau de beauté jusque-là inconnu, l’arpège reste en suspension, c’est une pop saturée de sexe, elle chante son wire à la magie pure, là t’es hooké comme un brochet, elle chante au girlish pur et les accords de guitares fondent sur sa voix, elle ramène du Brill au paradis des Grip, and you hang on/ Hang on. Ils font aussi de la mad psychedelia avec «A Piece Of My Own», on sent nettement la triangulation des guitares, c’est ultra-étoilé et épuisant de candeur sonique. Les Grip perpétuent l’art de la Mad. Tout chez eux est d’une tenue de route impeccable. Leur «Games» sonne comme un hit des Beatles de l’époque Revolver, alors t’as qu’à voir. Incroyable puissance de la perspective. Ils développent leur pop au piercing de son et l’arrosent d’une crème de guitares anglaises, c’est un rare mélange de son anglais et d’énergie américaine. Les Grip sont l’un des groupes les plus attachants de ce monde. Ils ont une passion pour le big sound et l’explosion de l’osmotic caractéristique. Ils sont même parfois bien plus balèzes que les Byrds. Ils veillent à maintenir chacun de leurs cuts au dessus de la moyenne et passent chaque fois que l’occasion se présente un killer solo d’antho à Toto. Ils pulsent d’incroyables harmonies vocales dans la pop de «Morning Rain», et font les oies blanches aux portes du palais dans «Ready & Waiting», avec Big Star en tête. Ils jouent leur power-pop au maximum des possibilités du genre.

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             Malgré sa pochette Byrdsienne, Summer Of A Thousand Years est un album un petit moins spectaculaire que le précédent. Et pourtant ! «Save My Life» sonne comme un cut des Byrds, ça sent bon les arpèges de Ricken. Ils sont assez conscients de leur volonté, ils cultivent le fondu d’harmonies vocales comme d’autres cuisinent le fondu de poireaux. Avec «Future Move», ils prennent un virage résolument power pop. Ils visent la power pop évolutive, celle de Dwight Twilley. Ce que vient confirmer «Moving Circle», amené au gratté de Grip, et ça donne une belle pop extensive, don’t set me free. Ils tapent leur «Rainy Day #3» à l’élongation de syllabes et foutent un pétard dans le cul de «Don’t Look Over My Shoulder». Les Grip sont incapables de se calmer. Tout chez eux est bardé de son, mais en mode ultra, vois-tu ? Ils attaquent l’«Is It Showing» à la petite violence Grippy, mais ça reste de la pop inoffensive. Ils sont marrants et même adorables, ils ont parfois tendance à vouloir monter en température, c’est leur côté freakbeat. Avec «Love’s Lost On You», les guitares s’éclatent au Sénégal avec leurs copines de cheval. Ils font même un clin d’œil à Chicken Shack avec «Changed», boogie typique de Stan Webb, et enchaînent avec un «Life And Love Time To Come» qui pourrait très bien figurer sur Led Zep III, car ça frise le «Gallow’s Pole». Ils ramènent tout le bataclan, même les tablas et ça finit en Salammbô, avec les éléphants. Kristin Pinell amène «Malnacholia» toute seule et résiste aux assauts. Mais ça dégénère en combat de rue psyché avec de la fuzz et du drumbeat pour un final explosif. Ils terminent avec le morceau titre et comme chaque fois, ils repartent à zéro pour recréer les dynamiques fondamentales. Chaque fois, ils refont leurs preuves. C’est le problème des groupes qui n’ont pas le background des Pixies ou des Mary Chain, rien n’est plus difficile que d’imposer sa marque jaune, mais les Grip s’y emploient, leur quête d’excelsior les honore et leurs guitares dévorent tout.

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             Les Grip poursuivent leur petite moisson d’énormités avec Giant On The Beach, un album qui date de 2004. Sept killy kuts sur treize, bonne moyenne, non ? Ça démarre avec un «Astral Man» vite fait bien fait, et tout de suite le gros son, l’aisance planétaire, le chant en place et le tatata d’accords descendants. Peu de groupes savent entrer en osmose aussi parfaitement avec l’harmonique astrale. Les Grip sonnent comme une bénédiction et non seulement ça joue dans le lard, mais c’est vite over the top. Au rayon énormités, on trouve aussi «Infinite Soul» et sa belle descente au barbu, dégelée d’harmonies vocales irrésistibles, c’est violemment bon et plein d’élan, plein d’avenir, même chose pour «Once Again», yes I do, heavy Grip, ça joue aux guitares aventureuses et ça continue avec un «Midnight Sun» violent, dévastateur et même définitif, un Sun emporté par des vagues, ça joue cette fois au pâté de foi. Ça culmine toujours plus avec «Waiting For A Sign» et ses guitares scintillantes, oh la belle envolée, les Grip jouent à la pointe du son. On trouve aussi sur cet album traumatisant deux modèles de mad psychedelia : «Realities» et «Telescope». Ils montent ça bien en neige, ils claquent leur pop au coin du beignet, ils basculent et nous avec dans la reality d’I don’t want to believe avec un solo psycho-psyché à la clé. Power peu commun, ils ont tout le son du monde, ils tombent sous le sens. «Telescope» dépasse aussi toutes les expectitudes, ce heavy psyché te coule dans la manche. Aw my Gawd, comme ce groupe est bon ! Kristin Pinell se tape «Closer To Love», elle redevient le temps d’un cut la reine du New Jersey. Ils transcendent l’art du lard avec «Get By», la wah fulmine dans la barbe de Dieu, les Grip jouent leur va-tout en permanence. Ils restent dans une heavy pop de niveau supérieur, c’est leur raison d’être. Le coup de génie s’appelle «Gone Before», ils cultivent l’excellence de l’art pop et c’est nettoyé au killer solo flash. Les Grip sont ce qu’on appelle un groupe complet.

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             Comme Totor et des tas d’autres, les Grip font leur Christmas album avec Under The Influence Of Christmas. Boom dès «Christmas Dream», on est vite dégommé, ils font le Christmas des Byrds, ils l’allument en pleine poire, au stupéfiant shoot de chant et d’accords, ils sont dans l’excellence supra-normale, ils surpassent tous les modèles, ils cultivent l’urgence d’un son miraculeux, ça drive dans le jus, ça chante à la fournaise dans le démoli des pourtours, hey ! Grip Weeds forever ! Ils font une belle cover du «2000 Miles» de Chrissie Hynde. Ils refont les Byrds avec «Hark The Herald Angels Sing», ils sont en plein dans Turn Turn Turn, c’est hallucinant de véracité. Toutes leurs Christmas songs sont soignées, «Santa Make Me Good» - Yeah yeah it’s Christmas time - c’est explosif, c’mon babe, ils jouent plus loin «God Rest Ye Merry Gentlemen» à la pulsion de réverb, ils sont dans tous les coups fourrés. Ils amènent «Welcome Christmas» à la bonne jachère de la surenchère, c’est poppy jusqu’à la moelle des os, terrific d’anglicisme, c’est quasiment du Marmalade. Et puis il y a cette bombe christmatique, «Merry Christmas All», Kristin Pinell chante et ça devient magique, un vrai splurge de Christmas pop, il faut la voir driver son Merry Christmas, elle le claque en coin, mais avec un génie, c’est l’un des meilleurs Christmas booms de tous les temps, à ranger à côté de celui des Ronettes, a very good time of the year, là tu as tout ce que tu peux attendre de la pop. Encore un coup de génie avec ce «Christmas Bring Us» infesté d’harmonie vocales qui s’en va se perdre dans les voûtes célestes, les échos des Beatles s’y démultiplient à l’infini, c’est un véritable ras-de-marée d’harmonies vocales. On ne peut pas espérer pire démesure.

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             Que valent les Grip sur scène ? La réponse est dans Speed Of Life (In Concert In New Jersey). On y retrouve bien sûr les hits évoqués plus haut comme «Astral Man», bel exemple de power pop extrémiste. Peu de power-poppers ont ce power du ventre. Ils font une cover de «Shaking All Over» assez diabolique, tout le backbone est là, pas de problème. Ils sonnent exactement comme Oasis sur «Close Descending Love». Même genre d’insistance. Avec «Salad Days», ils restent dans cette power pop ravagée par des vinaigres d’arpèges interstellaires et ils enchaînent avec un «Strange Change Machine» tapé aux meilleures harmonies vocales et ravagé par un solo incendiaire. Encore de la power pop capiteuse avec «Be Here Now» et ça explose avec «Speed Of Life». Ils chantent aux accents biseautés et tout explose à nouveau avec «(So You Want To Be) A Rock’n’Roll Star», la cover des Byrds, bienvenue au cœur du mythe, c’est violent, ils en font une version incroyablement musclée, la la la la, avec les solos qui te rampent dans la cervelle, la la la la. Les Grip font partie des groupes parfaits. Ils jouent tout aux grandes eaux du Niagara, tout chez eux est extrêmement sonné des cloches, ils remontent le Gulf Stream comme le thon du Benelux intérieur.

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             Ho la la, encore un album génial : How I Won The War. Ça date de 2015. Il faut attendre «Rise Up» pour bander. Ils jouent ça à la cloche de fer blanc. La principale qualité des Grip serait peut-être leurs réflexes. Ils savent tartiner des clameurs et faire tinter le fer blanc. Ils sont d’une certaine façon les vainqueurs de l’Anapurna du rock. Il n’existe rien de plus parlant en termes d’énormité. Cut après cut, ils taillent bien leur route, les accords de «Follow Me Blind» sont ceux de Really Got Me, mais joués à la pédale douce, «Life Saver» est joué à la volée et «Other Side Of Your Heart» à la belle progression, ils tapent dans l’haut-le-cœur de la mad psyché. Retour aux vieilles dégelées avec «See Yourself», tellement gorgé de son que c’en est volumineux, rattrapé au vol par le stomp. Tout aussi bien venu, voici «Vanish», hey vanish in the sun, et arrive systématiquement un solo qui sonne comme une œuvre d’art. Retour aux coups de génie avec «Force Of Nature» qui passe en mode fast rock. Tout est dans les dynamiques, les Grip son imparables, ils rallument d’antiques brasiers, ils visent l’effarance de la béatitude avec un solo à la quenouille qui s’enroule dans l’écume des jours. Ils fabriquent tout simplement de la fournaise. «Heaven & Earth» se trouve vite bloqué au high speed de cervelle folle, ils tapent cette fois dans l’excellence d’un psychout so far out qui balaye celui des Yarbdirds. Kristin prend enfin le micro pour «Over & Over». Elle reste la reine des Grip, l’un des groupes américains qui a le meilleur répondant. Il faut les voir exploser le rainbow quartz de «Rainbow Quartz» ! On se croirait chez Todd Rundgren. Nouveau coup de génie avec «Lead Me To It», ils repassent pour l’occasion en mode gaga-grippy. Leur notion de la solidité est sans égale. Ils taillent la meilleure route d’Amérique, ils fondent leur art aux voix de Todd. Power absolu ! Il n’y a que les Américains pour sortir un tel power de fondu pop. Une merveille de plus. Ils finissent cet album épuisant avec un «Inner Light» attaqué au banjo déboîté. Ça joue à tout ce qu’on peut, banjo, cornemuse, on ne sait pas trop, ils génèrent des violences guerrières qui les dépassent.

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             Et puis voilà Trip Around The Sun. Ils nous refont le coup des Byrds avec «Truth Behind The Lies». Ils vont même assez loin, car ils transcendent cet art ancien qui date des quatre premiers albums des Byrds sur Columbia. Ils proposent aussi deux petits modèles de power pop avec «Casual Observer (To A Crime)» et «Letters». Ils amènent ces petites merveilles à la heavy cocote. Big sound et solo killah qui s’en viennent splasher all over. Ils chantent «Letters» à la mode californienne, avec un sens aigu du fondu de voix. C’est gens-là sont des dandys, qu’on se le dandise. Ils savent jouer au riff insistant. «She Tries» est encore un cut plein comme un œuf. C’est la même énergie que celle de Big Star. Ils jouent au son d’intervention avec des harmonies vocales inventives. Attention au «Vibrations» d’ouverture de bal, c’est un coup de génie faramineux, un heavy psyché enrichi aux harmonies byrdsiennes, ces gens-là sont à la fois très forts et très purs. Tout est calibré à la perfection, au fondu de chant et aux vibrations. C’est à tomber de sa chaise. Des vagues de wah te jettent dans le mur. Mets ton casque ! Avec «After The Sunrise», on se croirait chez les Sadies, ils jouent à la clairette de la bobinette, le son est là, bien décidé à rester là. L’autre stand-out track s’appelle «Reality Stands Still». Kristin Pinell chante sous un boisseau d’accords scintillants. Elle nous refait le coup à chaque fois. Super sexy sixties, une pure merveille. Elle chante au milieu des flammes comme une Jeanne d’Arc psychédélique, la pression mélodique évoque les Ronettes, mais avec le gut des Grip, et c’est bombardé de son vainqueur, killer solo et délire de bassmatic à la clé. On sent dès l’intro que ce cut est un chef-d’œuvre immérorial, un de plus ! Ils bouclent cet album tombé du ciel avec le morceau titre, un trip de Grip de six minutes. Ils ont tout : le son, le décorum, les rebondissements, les assises culturelles, les étais de rembardage, tout est solide chez les Grip et en guise de cerise sur le gâtö, ils fourbissent un monstrueux big bang.

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             Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà que paraît leur nouvel album, le bien nommé Dig, dont la Deluxe Edition est un double CD. Petit conseil d’apothicaire : chope la Deluxe, car Dig est bourré de covers aussi géniales que celles de Todd Rundgren au temps de Faithful. Tout est beau là-dessus, les frères Reil et Kristin ne se refusent aucun luxe, ils commencent par sublimer le vieux «Shape Of Things To Come» des Yardbirds composé par Barry Mann & Cynthia Weil. Well well well. Les covers sont triées sur la volet. Arrive à la suite le «Lady Friend» de Croz joué au full blast de psycho psyché, expédié dans le museau de Moloch, le dieu gaga. Ils ressuscitent le «Journey Into The Center Of The Mind» des Amboy Dukes, c’est assez dévastateur, claqué vite fait, pas le temps de réfléchir, wild affair. Au menu on trouve aussi l’explosif «Lie Beg Borrow & Steal» de Mouse & The Traps, stupéfiant d’énergie et de revienzy, suivi d’un fantastique hommage à Thunderclap Newman avec «Something In The Air», ils sont en plein dedans, pas de plus belle cover, toutes les descentes sont là. Ils tapent à la suite le «No Time Like The Right Time» d’Al Kooper, ils déboulent littéralement dans le heavy groove d’Al, c’est extrêmement bien arqué, fabuleux shake de sixties power, baby the night time is the right time et ça atteint des sommets avec le «Making Time» des Creation. Il n’existe pas de plus grand cover-band que les Grip, oh no no no no ! Ils tapent dans l’intapable, on entend même un bus à l’entrée du cut, ils savent qu’Eddie Phillips en conduisait un à Londres. Les Grip recréent la magie des Creation. Ils tapent aussi le «Lies» des Knickebockers, ils en lustrent l’éclat, pas de problème, c’est explosé aux guitares. Ils finissent le disk 1 avec «Louie Go Home» de Paul Revere & The Raiders (monté aux chœurs de cathédrale, tout ici est ostensible, surchargé de son), «All Tomorrow’s Parties» du Velvet (que chante Kristin) et «Child Of The Moon» des Stones, bardé de psychedelic wind blows. C’est excellent, ça balance entre tes reins.

             Lenny Kaye signe le texte de présentation de Dig. Il est certainement le mieux habilité de tous à le faire, puisque les Grip tapent dans Nuggets, un double album qui, nous rappelle Kaye, a cinquante ans d’âge. You have to keep digging, nous dit Kaye et il ajoute en guise de conclusion : «These are great songs, make no mistake. That’s why we still sing them and always will.» Le disk 2 est un tout petit peu moins dense que l’1, mais on se régale d’une cover de «Porpoise Song», composé par Gerry Goffin et Carole King pour les Monkees, véritable shoot de Beatlemania. L’autre énormité est l’«Outside Chance» des Turtles, joué au répondant des clairettes de guitares. Et puis encore de l’intapable avec l’«I Feel Free» de Cream. Ils naviguent sous toutes les lattitudes, ils recréent le superbe fondu de voix de Jack Bruce. Retour aux Beatles avec une belle version d’«It’s Only You», pur jus d’oh my oh mind. Ils se cognent aussi l’excellent «For Pete’s Sake» de Peter York, c’est leur façon de dire qu’ils adorent les Monkees, ils jouent cette pop interrogative avec de puissants réflexes sixties. Côté gaga, ils tapent dans le mille avec le «Going All The Way» des Squires, pur jus de gaga-Crypt avec un killer solo flash à la clé. Ils rentrent enfin dans les godasses des Electric Prunes avec «I Had Too Much To Dream (Last Night)». Toutes leurs covers sont des œuvres d’art.

    Signé : Cazengler, Crap Weed

    Grip Weeds. House Of Vibes. Twang! Records 1994

    Grip Weeds. The Sound Is In You. Buy Of Die Compact Discs 1998

    Grip Weeds. Summer Of A Thousand Years. Rainbow Quartz International 2001

    Grip Weeds. Giant On The Beach. Rainbow Quartz International 2004

    Grip Weeds. Strange Change Machine. Rainbow Quartz International 2010

    Grip Weeds. Under The Influence Of Christmas. Rainbow Quartz International 2011

    Grip Weeds. Speed Of Life (In Concert In New Jersey). Ground Up Records 2012

    Grip Weeds. How I Won The War. JEM Recordings 2015

    Grip Weeds. Trip Around The Sun. JEM Recordings 2018

    Grip Weeds. Dig.  JEM Recordings 2021

     

    Inside the goldmine - Tiny at the Topsy

     

             Dommage. Ça aurait pu marcher avec Baby Rich. Le problème n’était pas tant le fait qu’elle avait un visage ingrat, mais elle avait surtout un sale caractère, une fantastique capacité au renfrognement. À la moindre contrariété, elle devenait la reine des connes. L’hyperconne d’hyperkhâgne. Pour le reste, nickel. On partageait une vénération pour Tati et pour les peintres du XIXe et du début du XXe dont on allait admirer les toiles quasiment chaque week-end. On se prosternait jusqu’à terre devant tous ces petits maîtres que sont Albert Marquet, Valotton, Bonnard, Pascin et même Gustave Moreau dont il existe un très beau musée rue de la Rochefoucauld. L’été, nous allions bretonner et trouvions refuge en hiver dans son très bel appartement situé au cœur de Paris. Comme les choses n’étaient pas clairement formulées, nous entretenions chacun de notre côté d’autres relations. Bien sûr, nous n’en parlions pas. L’imperfection des traits de son visage l’insécurisait tellement qu’elle testait en permanence son pouvoir de séduction, principalement sur les gens de son entourage professionnel dans le monde du spectacle. Ça faisait partie du jeu que de l’accepter. Mais on était contents de se retrouver pour entreprendre nos petits safaris culturels. Outre sa curiosité, l’une de ses qualités était son bon appétit. Elle se tenait bien à table et pouvait bouffer comme une vache sans vraiment grossir. Sa bonne nature ne lui permettait hélas pas de contrecarrer les manifestations de son sale caractère. Et puis un jour, elle annonça qu’elle allait se faire refaire les seins qu’elle avait pourtant parfaits. Ça n’avait pas de sens. Mais comme toute décision, celle-ci lui appartenait. Il n’y avait rien à ajouter. Elle avait trouvé une clinique privée pas très loin de chez elle. Elle s’y rendit à pied et pour le retour, il fallut aller la chercher pour la raccompagner, car elle tenait à peine debout, emportée vers l’avant par des seins extraordinaires qui semblaient avoir triplé de volume. Elle ressemblait à la statuette africaine d’une déesse primitive. Pour se rassurer et gérer le déséquilibre causé par ces protubérances surréalistes, elle déclara qu’elle irait chaque jour nager à la piscine pour se muscler le dos.

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             Ce serait faire injure à la mémoire de Tiny Topsy que de la traiter de protubérance, mais elle l’est pourtant au plan artistique. Cette black de Chicago est avec Big Mama Thornton et Etta James l’une des plus belles protubérances artistiques de l’histoire de R&B. Pour être plus précis, elle est l’une des plus grosses arracheuses de l’histoire des arracheurs. Elle chante au rauque du raw définitif, on ne lui connaît pas de concurrence. L’album Aw Shucks Baby en apporte toutes les preuves, à commencer par le morceau titre, qui vaut tout le scream du monde, avec en prime un solo de sax à l’ancienne. Avec «Miss You So», elle allie power et raw, elle doit être la seule avec Etta James et Big Mama Thornton à savoir le faire. Mais on a l’impression que Tiny Topsy les bat à la course. Elle dispose en plus d’un backing solide, comme par exemple le guitariste Johnny Faire qu’on entend sur «I Miss You So». Elle n’en finit plus de forcer l’admiration. «You Shocked Me» est plus classique, mais torride pour l’époque, avec Johnny Faire in tow. Quelle leçon de chant ! Quelle férocité ! Elle démarre son bal de B avec «Just A Little Bit». Elle sait groover son little bit, early in the morning/ Late in the evening/ Around midnight just a little bit. Puis elle s’en va rocker le gospel avec «Everybody Needs Some Loving». Elle est la plus balèze des mémères du raw gospel. Pure genius ! Elle fait encore un fantastique numéro de jump avec «Western Rock’n’roll» et ça se termine avec un «Cha Cha Sue» de rêve. Ah elle peut le driver son cha cha, elle a toute la poigne du monde. Il faut la voir prendre le cha cha à la rauque ! 

             Quand on la voit sur la pochette de l’album, on la croit grande. Pas du tout, elle mesure 1,50 m, mais on voit qu’elle pèse plus de 100 kg. Comme sa collègue Etta James, elle est basée à Chicago, mais c’est à Cincinnati qu’elle enregistre son hit «Aw Shucks Baby». Elle démarre donc sur Federal, sous-label de King, comme James Brown. Elle y enregistre cinq singles, dont le fameux «Just A Little Bit» dont Rosco Gordon va faire un hit l’année suivante. Elle tombe ensuite dans les pattes de frères Chess pour deux singles, l’un sur Argo («After Mariage Blues») et l’autre sur Cadet («How You Changed»).

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             Au dos de la pochette, Dave Penny nous raconte qu’il y eut une mode des grandes chanteuses black à la fin des fifties aux États-Unis et il cite les noms de Big Maybelle, Big Mama Thornton, LaVern Baker, Wynona Carr, Etta James et Tiny Topsy. Puis il entre dans le détail des sessions d’enregistrement chez King, comme le font les gens de Bear Family : on a le détail et la chronologie, un peu comme si on y était.

             Mais globalement, Tiny Topsy va rester inconnue au bataillon, en tous les cas moins connue que Big Mama Thornton ou Etta James. C’est un son particulier, celui de la fin des fifties, quelques années avant l’avènement de la Soul. Mais Tiny Topsy a un truc que n’auront pas les petites chanteuses à la mode qui suivront : la voix d’arracheuse. Seuls les fureteurs et les amateurs de jump connaissent son existence. Une courte existence, d’ailleurs, puisqu’elle casse sa pipe en bois à l’âge de 34 ans, des suites d’une hémorragie cérébrale.  

             Merci à Olivier pour cette découverte.

    Signé : Cazengler, Tiny Topsick

    Tiny Topsy. Aw Shucks Baby. Sing 1988

     

    BloUe

    Dans notre livraison 451 du 13 / 02 / 2020 alerté par ma fille je chroniquais deux vidéos de bloUe, les deux seules disponibles, nouvelle alerte de ma fille pour une nouvelle vidéo, en farfouillant un peu nous avons trouvé un petit filon. Même pochette pour les deux opus, signée par Neyef, l’oiseau bleu, pas celui de Maeterlinck, un petit côté chouette athénienne sans plus, pas un oiseau de mauvais augure, regarde notre monde d’un œil inquisiteur, l’a raison, n’est pas beau à voir.

    Armand : vocal / Nico : banjo, harmonica / Jonas : batterie / Basse : Antoine

    MANGE

    (Février 2020 / Bandcamp)

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    La petite histoire : petites notes agrestes de banjo, basse profonde et triste, Armand vous raconte la petite histoire, vous la connaissez, celle des révoltes perdues, et de la rage qui vous noue les tripes, de cette colère qui refuse d’abdiquer, qui continue le combat, malgré tout, malgré rien, un beau chant de désespoir et de lutte. Qui atteint à une dimension lyrique dans sa deuxième moitié. Le titre est illustré par un clip sur YT un clip que nous pourrions résumer en une courte formule, dans l’essoreuse des défaites la résistance perpétuelle. A écouter. A voir. Train de nuit : la vie n’est pas heureuse, sur cette constatation de l’évidence du monde débute le vieux shuffle redondant du blues, l’harmonica de Nico évoque à merveille de l’Amérique des westerns et des hobos, mais nous n’y sommes pas, ou plutôt ce train de nuit roule aux quatre coins du monde, ce n’est pas que le soleil ne brille pas, c’est la nuit de la misère, des miséreux et des sans-grades de partout qui se réchauffent aux paroles de leur impuissance. Parfois l’on ne peut compter que sur ses propres faiblesses. La route sera encore longue. Alors tu reviens : tiens une autre petite histoire, un peu plus anecdotique, talkin’ blues, je me permets cet américanisme puisque le refrain chanté en chœur est en anglais, les couplets sont en français, l’histoire d’un retour, rien à voir avec une love d’amour, une histoire de classe, le péquenot de base, le fils de prolo qui a cru aux miroirs aux alouettes du libéralisme, le mot n’est pas prononcé, l’idiot utile dont on n’a plus besoin qui revient parmi les siens, la voix acerbe et ironique d’Armand est des plus incisives, les cordes du banjo aussi cinglante qu’une clôture électrique. Une bonne décharge pour remettre les idées en place. Mama cailloux : tambourinade battériale, refrain chanté en chœurs, couplets assénés manières couperets de colère, l’on a quitté le blues, l’on a avancé dans les années soixante-dix un peu à la manière des Last Poets, c’est cru, c’est nu, dépouillé jusqu’à l’os, jusqu’au cœur changé en pierre. Front contre front. Sans rémission. Goutte de sueur : banjo du diable et steel guitar ( David Haddog Hougron ) des carrefours mènent le bal des accords pincés et étranglés du blues millénaire, s’en donnent à cœur joie, le pont musical qui permet de passer la rivière des paroles condensées sur une rythmique soutenue soulèvera d’enthousiasme le cœur des rockers, tout ça pour une petite goutte de sueur qui n’en finit pas de tracer son chemin dans la crasse des activités humaines, remugles vocaux, cris de corbeaux, rafales cordiques,  noise blues mêlé au vacarme de la vie.

    Mange la vie à grosse ventrée, même si c’est de la merde, cela te permettra de survivre. Saine philosophie.  

    CAILLOUX

    (Octobre 2021 / Bandcamp)

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    Machiniste : entrée bajoïde, Armand récite son texte à voix basse, n’arrive pas à dormir, quelques bruits de ferrailles saxophoniques ( Laurent Bouchereau), la voix devient de plus en plus haute, de plus en plus grosse, mal-être de l’ouvrier, les mots se bousculent se montent dessus, spoken-words qui se mélodisent, pour le moment nous sommes dans le registre de la plainte, de l’énumération de l’insomnie, une âme charitable plaindrait le malheureux, texte politiquement correct, la musique prend le relais chaotique en sa structure mais douce à l’oreille, le récit bascule, la suite vire cauchemar, ou dans le rêve le plus fou, tout dépend de vos penchants idéologiques,  y a un responsable à tout malaise, le patron, ô le crever, ô l’assassiner, ô le tuer, le meurtre accompli tout serait mieux, pourrait folâtrer tout autour du globe, jusqu’à se retrouver en Bosnie…le crime est partout dans la tête et dans le monde, Armand susurre, la musique s’évapore… Texte profondément anarchiste. La violence est-nécessaire au bonheur de l’individu… ASQç : y en a une version live sur YT que je préfère, avec cris d’animaux sauvages pour introduire le jungle beat, sur la version CD z’avez en prime un trombone ( Jérôme ‘’ Bone’’ Cassin) qui nous la sort bonne un hachis compartimenté de flatulences, ce qui donne un petit côté hétéroclite New Orleans, dans les deux cas on ne s’étonne pas qu’en la filigrane instrumentale le nom de Bo Diddley soit psalmodié, l’on pourrait s’attendre à un vocal tonitruant à la Eric Burdon, pas du tout, Armand chante à mi-voix du bout des lèvres, genre je ne le claironne pas tout fort mais faites gaffe, écoutez bien et faites circuler, apparemment des paroles cool, si l’on y prête attention un bréviaire libertaire, une incitation à se poser dans la vie de   manière à assurer sa liberté d’action tout en respectant les autres. Ahora Que ? :  banjo et harmo en intro,  et hop, ça saute, après la petite leçon de morale précédente il est temps de passer à l’action, les belles idées c’est bien, elles sont encore plus belles quand on les conduit en actes, faut qu’elles croustillent comme une manif contre les casqués, qu’elles flambent comme un molotov, qu’elles tintent comme une vitrine de banque pillée, dangereux certes, mais tant qu’on prend des risques l’on est vivant, morceau éruptif, joyeux, bordélique – Ben Stazic est au scratch - un salmigondis jouissif, une fête réussie. Petite remarque sémantico-philologique : Lénine a écrit Que faire ? Ahora que ? (Maintenant quoi ?) fleure davantage l’Espagne de Durruti. Sachez entrevoir la différence. Dans le mal : le robot mixeur Laurent Peuzé vrombit dans votre tête, le tambour marteau de Jonas vous troue la cervelle, c’est fait exprès pour vous donner une idée de l’état du bonhomme, presque du réalisme socialiste ! pas frais comme un gardon, Armand martèle les mots, les lendemains de fête ne sont pas obligatoirement agréables, parfois la vie ce n’est pas du tout cuit, mais du tout cuite, surtout avec ce banjo qui vous cisaille les neurones, pas de quoi en faire un drame non plus, parfois le mal ce n’est pas mal, l’est prêt à recommencer. Solution homéopathique : guérir le mal par le mal. A boire tavernier ! Sorry Mama : tous en chœur pour une complainte joyeuse, c’est un peu comme dans la chanson de Gilbert Bécaud le gars qui a pas volé l’orange, mais là l’Armand revendique son forfait, l’est tout panache, même s’il finit au trou, pas la case prison, dans celle du cimetière, au jeu de loi il n’a pas réussi à s’extraire de celle de la misère, s’en fout l’a essayé de l’enjamber, belle envolée d’harmonica, la vie parfois tu gagnes, parfois tu perds, faut pas pleurnicher, faut tirer la langue à la camarde et ne pas flancher, ça se finit en une exaltation gospellique magnifiée par la voix de Loraj qui swingue à mort. Pardon pour cette malheureuse expression, désolé Maman, tu peux être fière de ton fils.

    Cailloux dans la chaussure, cailloux du petit Poucet pour trouver son chemin, cailloux que l’on lance sur les vitrines des banques. Rien n’est à vous, tout est à BloUe !

    Damie Chad.

     

    PEOPLE OF THE BLACK CIRCLE

    PEOPLE OF THE BLACK CIRCLE

    (Mars 2022)

    Viennent de Grèce. A voir la couve l’on comprend vite qu’ils ne sacrifient point à l’Apollon solaire. Pour des athéniens récipiendaires d’une mythologie des plus fameuses, ils semblent plutôt attirés par l’ésotérisme occidental, l’imagerie médiévale, et la légende de Conan le barbare. Entre autres.   

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    Alchemy of sorrow :  une pointe de noirceur rehaussée de notes argentées s’insinue dans votre oreille, attente mystérieuse, le son s’amplifie, des chœurs surgissent de la nuit, une voix s’en détache, nous conte la recette alchimique, trop facile de transformer le fer en or, l’opération ici est plus difficile, s’agit de fixer dans la présence du monde un monde évanoui, ce n’est pas la pierre rouge de l’immortalité qui est le but recherché, la musique se traîne, les images mentales ont du mal à se stabiliser, à se transformer en pierres, à redonner vie ce qui est mort depuis des siècles. Ressusciter une civilisation morte n’est pas donné à tout le monde, des éclats de guitare rougeoient dans la pâte sonore, sont-ce des éclats de paradis ou d’enfer ?  Cimmeria : nous y sommes, souffle le vent dans les ténèbres, le pays des Cimmériens, peuple étrange dont bien plus tard l’Histoire nommera leurs lointains descendants les Scythes, une voix s’élève, les guitares tremblent, nous avançons dans des ténèbres épaisses, les Cimmériens ne sont que des tribus ombreuses sorties de la préhistoire, le récitant est lui-même hanté, il est vêtu d’ombres vivantes, il n’est pas sûr qu’il saura s’en délivrer. Voyage au bout de la nuit. Souffle le vent sans fin. The ghoul and the seraph (Ghoul’s song II) : l’orgue nous emporte, partout et nulle part, tout le passé tournoie, l’on ne sait plus qui est qui, l’ange ou la bête, le séraphin et la goule des cimetières qui veille sur la nourriture des morts dans le garde-à-manger des tombeaux, batterie heavy-music, orgue pourpre profond , guitares filées, tournoiements emphatiques, bande-son d’un film qui ne fait pas peur mais dont on ne se lasse pas, surtout que sur la fin un superbe solo de guitare nous réconcilie avec nous-mêmes et que le kaléidoscope des siècles n’est pas encore terminé. Nyarlathotep : en pleine mythologie lovecraftienne, des chœurs d’adorateurs nous accueillent, le chaos musical ne rampe pas, il court, le peuple du cercle noir donne la gomme et sort les grands effets sonores, l’on n’en attend pas moins de l’âme des anciens Dieux sortis de l’abîme, la voix raconte l’histoire innommable que l’on oublie dès que l’on ne l’écoute plus, mais qui circule parmi les hommes comme une légende maudite, nul n’échappera, feeling lugubre et ténébreux, la production n’a pas lésiné sur les effets spéciaux, un chant de prière s’élève, un hymne à la destruction du monde. L’on a hâte de voir le phénomène de notre vivant. Gouttelettes de pluie de nuit. Ghost in Agartha : Agartha le paradis souterrain, le pays sans violence, oui mais le peuple du cercle noir évoque ses fantômes, mise en forme dramatique, un troupeau de malheureux marche sans fins, enfants emmenés en esclavage, leurs âmes ne connaîtront plus jamais le bonheur, guitare incisive tranchante comme un rayon laser, cloches dans le noir retentissent, la musique ahane lourdement, une voix conte leurs tourments et leurs souffrances, horreur à l’état pur, musique grandiloquente, la caravane humaine passe devant nous et se perd dans le néant.

    C’est bien fait. Un seul défaut, on n’y croit pas. Normalement on devrait se cacher sous le lit et ne plus en sortir avant trois jours. Faudrait avoir une dizaine d’années et n’avoir jamais écouté ce genre de disque avant. Là on claquerait des dents toute la nuit. Hélas on a passé l’âge !

    Damie Chad.

     

    JULIE SUCHESTOW

    DANSEUSESLAMEUSERAPEUSE

    Elle dessine aussi. Je la connais depuis plus de trente ans. Sans l’avoir jamais rencontrée. Si une fois, entraperçue, échangé quelques mots dans un café bruyant. Je la suis pour ainsi dire depuis son admission au collège, très loin dans le sud. Par Luc-Olivier d’Algange et sa compagne qui était son professeur de français, tous deux ne tarissaient pas d’éloges sur sa personnalité. Le monde est plus petit que l’on ne croit. Au détour d’une conversation avec Patrick Geffroy Yorffreg – voir la livraison 532 du 02 / 12 / 2021  consacrée à quelques-unes de ses vidéos musicales - et Léa Ciari – la livraison 534 du 16 / 12 /21 présente quinze de ses peintures – apparaît le nom de Julie Suchestow, suivi de commentaires élogieux, elle s’avère être leur nièce… N’étant ni fan de slam, ni de rap, je ne m’intéresse guère à Julie Suchestow, jusqu’à hier soir où recherchant quelques enregistrements de Patrick Geffroy Yorffreg, j’en avise un dans lequel il a rajouté sa trompette sur une vidéo de sa nièce. Je suis trahi par mon oreille, en tant que rocker j’admets la trompette-jazz, si aventureuse peut-elle être, mais le slam – j’ai fait des efforts, j’en ai même écouté en direct live au Musée Mallarmé - oui mais là c’est différent, d’abord la voix, surtout le texte, indéniablement de qualité. Aussitôt, je cherche. Et je trouve.

    DANSE

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    Julie Suchestow est danseuse. De profession. Affiliation. Modern jazz, contemporain, hip-hop. Elle donne des cours à des élèves de tout âge. Danse avec d’autres. Danse seule. Vous trouverez quelques vidéos sur son instagram au nom de junajahklame sur Instagram. N’y a pas pléthore, et elles sont dans l’ensemble très courtes. Mais cela suffit. En quelques mouvements elle résume l’âme de la danse. Saute aux yeux qu’elle n’a pas besoin de musique. Soul romantique ou funk fragmenté, tout cela n’est que de l’emballage. Un décor. Qu’elle annihile par sa seule présence. La danse est mouvement. Un paraphe sur une page blanche. La calligraphie est l’art japonais qui lui correspond le plus. Julie ne danse pas avec son corps. C’est son corps qui danse pour elle. Lorsqu’elle danse elle semble dans l’absence d’elle-même. Elle est ce point focal et aristotélicien du vide nécessaire à l’impulsion du mouvement. Elle ne dessine pas l’espace. Elle ne l’illimite pas. Au contraire elle le réduit à son corps. Elle le ramène à elle, avec cette aisance naturelle des oiseaux qui replient leurs ailes. Elle ne se pose jamais, à terre elle rampe dans sa propre immobilité. Où qu’elle soit, plus rien n’existe, elle se métamorphose en pierre   originelle. Elle réside dans le pur instant de chaque seconde éternellement détachée de la roue du temps. Elle happe le regard mais s’en moque, vestale éblouie de son seul feu intérieur, même si son corps écrit le fugace alphabet de la beauté. Sur l’ardoise du monde qu’elle efface lorsqu’elle revient parmi nous.

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    [JULIE SUCHESTOW –

    Une très courte vidéo. Visible sur Instagram. Presque rien. Des mots posés entre vertige et poésie. Julie assise en tailleur, chez elle, salon, tables rondes, coussins, belle retirée en elle-même, traversée du flow des mots qui coule de sa bouche comme s’ils ne lui appartenaient plus, une vibration venue de loin, dont elle ne serait que le vecteur. Portée par un ressac intérieur, un de ces instants où l’on ne s’appartient plus, la mer n’est jamais aussi puissante que quand elle est parcourue de frémissements tranquilles, quand la houle tangue à peine, basse profonde de la musique, elle berce et amplifie le mouvement du corps qui pourtant ne bouge qu’à peine, les mains sculptent et pétrissent la boule de l’espace qui les sépare, est-ce ainsi que prophétisait Cassandre lorsque Apollon cracha entre ses lèvres, les mots transbahutent la violence du monde, la poésie ne peut parler que de la poésie, fièvre tranquille de pythonisse, le poème déroule le rouleau de la parole, le chant sacré de la poëtesse nous rend à notre petitesse. Sublime abîme.

       - SUCHESTOW JULIE ]

    Junajah est le nom empédocléen de répulsion et de désir que s’est donnée Julie Suchestow lorsqu’elle récite, chante, clame, slame, rappe. De trop rares vidéos sont visibles sur You Tube.

    SENTIERS BATTUS / JUNAJAH

    ( Novembre 2009 / YT)

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    Ecran noir. Junajah, cheveux rejetés en arrière, robe noire, seules blancheurs les mains, le visage, le V de l’échancrure qui descend du cou en tête de vipère. Un sujet rebattu ces dernières années, pas encore d’actualité médiatique en 2009. Un long poème dans la fureur contenue des yeux d’une volonté implacable, d’une bouche affirmée qui avertit, pas de hurlement, la force émotionnelle du Dire suffit. Sous l’emprise des coups, la femme fait front, elle ne cache rien, elle fait face martelée à la situation, l’impuissance des mots, la force de la poésie. Arme blanche, laser translucide, de la dénonciation démonstrative du réel, dirigée aussi bien contre l’autre que contre ses propres faiblesses, ses propres abandons, ses propres renonciations. La mort amortie par l’espoir d’un mieux qu’elle n’espère plus, acculée contre le mur de l’incommunicabilité partagée. Un texte choc. Cinq stances entrecoupées d’un silence. Autant de rounds clos dont elle ne sort pas vainqueur. Si ce n’est que les mots sont plus puissants que les coups. Ondes de choc qui assaillent et submergent et paralysent ceux qui les écoutent et les reçoivent.

    FLEUR DU MAL / JUNAJAH

    ( Novembre 2009 / YT)

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    Vidéo sœur jumelle de la précédente. Même esthétique du dénuement. Même absence du dénouement. Tout passé est intemporel puisque inscrit dans l’éternel retour que ce soit dans la conscience, ou dans le mode d’être du déploiement du temps. Fond noir, longue blondeur de cheveux, épaules nues, bras blancs entre noir de la robe et de l’écran. Féminité attirante, phare immaculé dans la nuit. Un texte au plus près de la chair et du don et de la captivité de soi. La beauté n’est pas un bouclier. Elle appelle les gladiateurs intrusifs bien plus qu’un chant de sirène. Femme en tant que monnaie d’échange entre les hommes, elle n’a de valeur que le prix de la jouissance qu’elle suscite. Colporte toute sa vie le sentiment de s’être fait avoir, de n’avoir récolté qu’une souillure de l’âme qu’aucune eau de l’oubli n’efface. Violence des mots contre la douleur des viols qui n’ont pas fui. Aucune musique sur ces deux vidéos. La charge émotive des mots suffit. Toute implication physique entre deux êtres induit une dimension métaphysique. Lorsque l’individu qui la transcrit use des tels des entrechocs de silex, surgit la flamme De la poésie.

    IL Y A EU / JUNAJAH

    (Juin 2020 / YT )

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    Début formellement identique aux deux vidéos précédentes, réalisées plus de dix ans auparavant. Julie vêtue de noir, apparaît sur fond noir dans deux, puis trois fenêtres. Pour combler le noir spectral, au bout de quelques secondes l’on change d’esthétique, deux voix off, l’une qui slame rehaussée d’une autre  chantante qui adoucit l’amertume des paroles, musique de fond peu profonde elle gouttège et se change en eau de pluie, en eau de larmes, des images ou des scénettes aux vives couleurs chatoyantes illustrent le texte, la vie ne serait-elle pas si sombre, non les mots ne sont pas porteurs d’opacité, c’est la même histoire que la précédente certes dépourvue de toute dramatique intensité circonstancielle, mais embrumés de la grisaille de la désillusion. Sur la fin les volets noirs reviennent, sont suivis d’une image grise. Constat amer. La splendeur des occasions rêvée s’est souvent désagrégée. Le texte est en surlignage, le mieux est sans doute de fermer les yeux et d’écouter Junajah, de se laisser porter par le texte, ses images, ses métaphores, et le flow de Julie, elle ne heurte pas les vocables, elle les égrène telles des perles qu’elle expose au soleil du Dire pour qu’ils s’allument et clignotent dans la tristesse du monde.

    DU TROP PLEIN / JUNAJAH

    (Juin 2020 / YT )

    Un beau clip enté de présence féminines. Je préfère écouter le texte. L’illustration me paraît superfétatoire. Ce trop plein raconte non pas ce qu’il y a eu, mais ce qu’il y a : la vie. Avec toutes ses déceptions. Qui sont autant de pierres tombales qui ponctuent les étapes d’un combat. Ce n’est plus le bilan désabusé de la vie, mais une réflexion slamique sur l’acte poétique. Pose une question fondamentale sur les rapports entre vécu, écriture et poésie. Comment faire pour que ‘’du trop plein déborde la rime’’, pour que s’établisse une adéquation entre l’existence et les mots, que celle-ci ne mange pas ces derniers, mais que ceux-là impulsent le corps, qu’ils mènent la danse, qu’ils incendient le réel et donnent sens à ses cendres. 

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    Le flow en étrave de navire qui fend le flot. L’écriture de Junajah possède un grand avantage sur celle de nombre de slameurs. Elle possède une dimension littéraire indéniable, elle fait sens sans avoir besoin de rechercher la rime riche à tout prix, quand elle en use, elle n’en abuse pas, elle a intuitivement compris qu’il est inutile de chercher à ce qu’elle brille comme les étoiles dans le ciel – tout le monde n’est pas parnassien - car trop lumineuse elle prend l’apparence d’un clou rouillé de cercueil à moitié sorti de sa gangue de bois. Surtout ce rythme, ce phrasé qui n’appartient qu’à elle, exerçant un subtil déséquilibre entre le son et le sens, de telle manière que le Dire véhicule avant tout la pensée. La pensée et non pas les stéréotypes d’un quelconque discours idéologique. Celle du corps. Celle de l’esprit. Réunis dans le souffle.

    Damie Chad.

     

    ALL NIGHTERS

    SOUL TIME

    (Official Video / Mars 2022 / YT)

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    Nouveau clip de Soul Time, paru ce 17 mars 2022. All nighters. Toutes les nuits, danser. Tel est le mot d’ordre. Soul Time a survécu au confinement et aux interdictions des concerts. Si le rock pur et dur a toujours été une musique de cave la Northern Soul s’est épanouie dans les ambiances de fête. D’exultation, de sueurs, et de dépassement de soi dans une course éperdue jusqu’au bout de la nuit. Dans l’espoir secret qu’elle ne finisse jamais. Dans l’espérance insensée de forcer le barrage qui interdit d’entrer dans une certaine intemporalité. Evidemment au petit matin, l’on se retrouve tel qu’en soi-même mais rien n’empêche de recommencer le soir suivant. Cette vidéo d’Enzo Cassar et de Soul Time enregistrée au Seguin Sound est à regarder comme une marche à suivre, une recette de soul kitchen, une présentation de tous les ingrédients nécessaires à la réussite d’une de ses nuits blanches que l’on espère sans radieuse aurore. Sinon intérieure. N’attendez donc pas une vidéo classique avec les huit membres de Soul Time en pleine action, tournée lors d’un concert avec une foule compressée de danseurs. Donc d’abord l’instrument roi, ni un saxophone ni un trombone, non une platine qui tourne, avec un disque dessus, si possible de Soul Time, z’ensuite un petit décrochage, que viennent faire ces images de survivalistes scootérisés d’un ancien temps syxtisé, non vous n’êtes pas propulsé dans un documentaire italien sur les vespas, la voix de Lucie nous aide à raccrocher les wagons du temps, la Northern Soul est née en Angleterre, les Mods n’écoutaient pas que les Who, allaient aussi danser dans les quartiers noirs sur de la musique soûle, rajoutez un barman, un de ces héros des temps modernes, ces travailleurs de l’ombre qui ajoutent l’excitation de l’alcool à la musique, des danseurs, pas la foule, la vidéo se veut éducative, faut que l’on puisse bien voir, retour sur les Vulcan Scooter Riders, clin d’œil amusé sur le plus célèbre passage piéton d’Angleterre, au cas où vous vous laisseriez entraîner dans une fasse direction, ne suffit pas de traverser la route pour trouver de la bonne musique. Descendez l’escalier, c’est en bas, les images ralentissent et semblent se fluidifier preuve que vous entrez dans une nouvelle dimension. Cachet administratif faisant foi de votre bienvenue au club, le coup de tampon que vous recevez sur le poignet en guise de sésame, et la danse, la danse, la danse, les spots qui vous glissent sur vous, vous encerclent une seconde dans le halo de célébrité, puis s’échappent. Dans la pénombre chacun devient son propre roi, tente des poses effigiques d’un instant, n’offre aux autres qu’un instantané iconique ou acrobatique de soi, l’on tourne sur soi-même en électron libre dans une masse de corps humains qui semblent soudés à jamais en une sorte de transe collective. Le diamant termine sa course dans le sillon, le disque s’arrête. Le clip aussi. Un conseil, play loud, si vous désirez vous reposer sur un lit rythmique de cuivres, ensorcelés par la voix de Lucie.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 515 : KR'TNT ! 515 :MING CITY ROCKERS / BAY CITY ROLLERS / PHIL SPECTOR / SOUL TIME / CRASHBIRDS / FORÊT ENDORMIE / QUERCUS ALBA / CIRCADIAN RITUAL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 515

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    17 / 06 / 2021

     

    MING CITY ROCKERS / BAY CITY ROLLERS

    PHIL SPECTOR / SOUL TIME / CRASHBIRDS

    FORÊT SENSIBLE / QUERCUS ALBA

    CIRCADIAN RITUAL

     

    L’avenir du rock - La dynastie des Ming

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    C’est en fouinant dans les pages de chroniques de disques de Vive Le Rock qu’on a fini par repérer les Ming City Rockers.

    — Monsieur Vive le Rock, comment expliquez-vous ce phénomène ?

    — What phénomène ?

    — Bah, les Ming City Rockers ?

    — Ah oui ! Ils font partie de ces centaines de groupes qu’on case comme on peut, tiens on va les mettre là en attendant, on sait jamais, des fois qu’y percent. Bon c’est pas mal, hein ?, me fais pas dire ce que j’ai pas dit. Alors bon, on leur met une bonne note, disons 8/10, et après chacun cherche son chat, pas vrai ? On met tout le temps des 8/10 et des 9/10, question de moralité. On n’est pas là pour jouer les tontons flingueurs. Mais bon en même temps, y sont bien gentils les Ming City machin, mais y a pas de quoi se relever la nuit, et puis les groupes de British gaga-punk un peu trop énervés, ça grouille de partout, il en arrive dix par jour au courrier, et t’as des gens qui prétendent que le rock est mort, y feraient mieux de venir voir la gueule de ma boîte aux lettres, ça n’arrête pas ! Non seulement tu reçois tous ces disks, mais en plus, faut les écouter ! Méchant boulot ! Sais pas comment font les autres, mais des fois ça fait mal aux oreilles. C’est comme quand tu baises trop, tu finis par avoir mal aux couilles, ha ha ha !

    — L’underground se porte bien, d’après ce que vous dites...

    — S’est jamais aussi bien porté ! Ma boîte aux lettres récupère toute la crème de la crème de l’underground, et cette crème n’a jamais été aussi vivace, je veux dire au plan bactériologique. Ah la vache, tu verrais cette vivacité ! Une vraie prolifération !

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    C’est vrai, quand on écoute Lemon, le deuxième album des Ming City Rockers, on a l’impression que l’underground vit bien sa vie, qu’il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Dès «Sell Me A Lemon», on saute dans le cratère d’un volcan. Toute cette disto et tout ce bass drum sonnent comme une déclaration de guerre. Ils ont le power et tu les prends tout de suite au sérieux. Ils développent avec ce cut une espèce d’énormité rampante qui te grimpe dans la jambe du pantalon. Le petit délinquant qui chante n’a pas de voix, mais il fait illusion. C’est tout ce qu’on lui demande. Le solo ferait penser à une avalanche de vieilles déjections. Ils savent couler un bronze qui fume, alors bravo les Ming ! Et les voilà partis à l’aventure, avec le handicap du pas de voix, mais quelle énergie ! Disons que c’est visité par le haut, avec des solos vampires qui planent dans la nuit. Ils démarrent tous les cuts sur le principe de l’avalanche et c’est parce qu’ils n’inventent rien qu’on s’intéresse à eux. Tout l’avenir du rock repose sur cette énergie désespérée, les Ming jouent leur va-tout avec des cuts désespérés mais pleins de jus. «Death Trip» est l’archétype du no way out. Ils s’enfoncent dans la désespérance du heavy gaga-punk mais c’est plein de spirit. Les gens devraient théoriquement adorer leur profond désespoir plein d’espoir. C’est l’énergie qui les porte et qui les arrache à l’oubli. Ils travaillent chacun de leurs cuts au corps. Ils envoient paître «Christine» dans les prairies de la power pop, c’est tout ce qu’elle mérite, ils ba-ba-battent la campagne et cisaillent tout à la base. Et puis avec un cut comme «How Do You Like Them Apples», ils avancent à marche forcée vers le néant, portés par un gros riff abrasif, suite à quoi ils prennent feu et on finit par les perdre de vue. Le coup du lapin arrive enfin avec un «Don’t You Wanna Make My Heart Beat» complètement vérolé par un solo de wah. Ils réveillent de vieux démons et font leurs adieux dans une stupéfiante envolée de fin de non recevoir.

    Mais alors, les Ming City Rockers ne sont pas des chinetoques ? Non, ils sont basés à Immingham, une ville portuaire située sur la côte Nord de l’Angleterre, à mi-hauteur, à droite de Leeds et de Sheffield. On surnomme cette ville Ming-ming, d’où les Ming City Rockers.

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    Leur premier album vaut véritablement le détour. Même équipe avec Clancey Jones au chant, mais c’est la lead-guitar Morley Adams qui vole le show, notamment dans «You’re Always Trying Too Hard». Quelle violence intentionnelle ! Elle joue au hard drive, mais en fait, elle se livre à un sacré tour de passe-passe car elle vise l’enfilade superfétatoire, forant son couloir avec une hallucinante virtuosité. On croirait entendre Jeff Beck, alors t’as qu’à voir ! Elle fait un gratté de gamme avec un son extrêmement acide. Nouveau coup de Jarnac avec cette cover du «Crossroads» de Robert Johnson. Clancey Jones chante ça à petit feu, mais Morley Adams se met dans tous ses états. Ils ne sont pas avares d’énormités, comme le montre ce «Wanna Get Out Of Here But I Can’t Take You Anywhere» d’ouverture de bal. Ils amènent ça dans les règles du lard fumé, c’est battu à la dure, avec une disto en contrefort du roquefort. Voilà encore un obscur objet du désir, un cut extrêmement bon, bourré à craquer d’énergie subliminale. Et quand ils prennent le gaga-punk d’«I Don’t Like You» au ventre à terre, ils ne sont pas loin des Cheater Slicks. Ils font du simili-stomp avec «You Ain’t No Friend Of Mine». Ils tapent ça au break de bass-drum. Il y a du volontarisme chez les Ming. Non seulement ils stompent comme des princes, mais Doc Ashton bat comme un beau diable. Ce wild man de Clancey Jones se tape une belle descente aux enfers avec «She’s A Wrong ‘Un». Sur ce coup-là, les Ming valent bien les Chrome Cranks, car ils sortent un son qui fuit dans la ville en flammes et ça devient très spectaculaire, pulsé par un poumon d’acier rythmique. Les Ming ne plaisantent pas non plus avec le ramonage, comme le montre «Rosetta». Pendant que Clancey Jones gueule comme un veau dans son micro, les autres jouent dans tous les coins. Du coup, ils deviennent nos copains. Ils bouclent leur joli bouclard avec une autre merveille, «Get Outta Your Head». Ils gonflent leur gueulante d’une belle énergie sixties. Les filles envoient des chœurs impardonnables, les accords claquent bien dans le studio, Morley Adams part en petite vrille intestine, et du coup ça sent bon le glam. On attend des nouvelles des Ming avec impatience.

    Signé : Cazengler, Ming Pity rocker

    Ming City Rockers. Ming City R*ckers. Bad Monkey Records 2014

    Ming City Rockers. Lemon. Bad Monkey Records 2016

     

    Dock of the Bay City Rollers

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    Quelques articles ici et là nous avaient prévenus : l’histoire des Bay City Rollers que raconte Simon Spence dans When The Screaming Stops: The Dark History Of The Bay City Rollers est une histoire affreusement sombre. Mais tant qu’on n’a pas lu le book de Spence, on n’imagine pas à quel point cette histoire peut être sombre.

    McLaren déclara en son temps que les Pistols were just the Bay City Rollers in negative, et c’est probablement grâce ou à cause de lui qu’on finit par s’intéresser 40 ans après la bataille à ce groupe qui déclencha l’hystérie en Angleterre.

    Et puis comme Les McKeown - deuxième chanteur des Rollers et le plus connu - vient de casser pipe en bois d’Écosse - trois ans après que le bassiste Alan Longmuir ait lui aussi cassé sa pipe en bois d’Écosse - il nous a semblé opportun d’entrer dans cette histoire par la grande porte.

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    Simon Spence est une sorte de Rouletabille du sex & drugs & rock’n’roll, il nous tartine 500 pages avec une prompte célérité, ne mégote sur aucun détail, il fouille dans les chambres et dans les arrêts des tribunaux, c’est un infatigable, un retrousseur de manches, une sangsue affamée de vérité, la puissance de son investigation pourrait presque passer pour un souffle littéraire, 500 pages c’est long, il réussit l’exploit de maintenir l’attention du lecteur en éveil, jusque dans les heures sombres de la nuit. Pas facile de lâcher ce pavé. Une fois qu’on y est entré, on est baisé. C’est aussi bête que ça.

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    Ni les frères Longmuir ni Les McKeown ne sont les personnages principaux de cette sombre histoire. Ils laissent ce triste privilège à Tam Paton, leur manager/protecteur, le prototype du svengali à l’Anglaise, ou devrait-on dire à l’Écossaise, car toute cette histoire se déroule à Edimbourg, et son esthétique repose sur le tartan. Paton est l’un de ces bidouilleurs du rock qui pullulent dans les early seventies. Il fume soixante clopes par jour, se goinfre de valium et supervise les moindres faits et gestes de ses poulains, les Bay City Rollers. Il leur interdit l’alcool, les drogues et les fiancées - No girlfriends and no booze - Quand ils partent en tournée à six, il loue trois chambres d’hôtel. Pour éviter les accointances, Paton organise chaque soir un roulement : deux par deux, ce ne sont jamais les mêmes qui dorment ensemble et bien sûr, le cinquième est celui qui devra dormir dans la chambre de Paton. Autant le dire tout de suite : Paton aime bien les jeunes garçons, ni trop jeunes, no trop vieux. Si tu veux faire partie des Bay City Rollers, tu dois passer à la casserole.

    En tournée, Paton leur interdit tout : ils doivent rester dans leur chambre et descendre dans la bagnole quand il l’ordonne. Aucune interaction avec les autres gens. La presse considère Paton comme le sixième Roller. On le décrit comme le manager des Rollers, leur conseil et leur ami. Son modèle n’est autre que Brian Epstein. La Beatlemania sera le modèle de la Rollermania. Il pousse le bouchon assez loin - No sex no drugs no rockn’n’roll - Il veut que les Rollers restent disponibles pour les fans qui sont évidemment des adolescentes. Et comme Epstein, Paton doit garder le secret sur son homosexualité. À cette époque, elle est encore répréhensible. Le seul hic, dans ce parallèle, c’est que les Beatles avaient du talent, pas les Rollers. Brian Epstein avait de la classe, Tam Paton est un prédateur sexuel. Les McKeown déclarera plus tard avoir été violé par Paton.

    Mais comme le rappelle si justement Rouletabille, il ne peut y avoir de Bay City Rollers sans Tam Paton. C’est lui qui recrute et qui vire les Rollers, sur des critères esthétiques, bien sûr - Good-looking boys wanted, ability to play not necessary - il contrôle le moindre détail de leur vie privée comme professionnelle, il est à la fois le bon et le méchant de cette histoire - Both hero and villain - l’artisans de leur rise and fall, et nous dit Spence, tous ces éléments font de l’histoire des Bay City Rollers une véritable tragédie shakespearienne, et là, le book se met en route. En comparaison de Tam Paton, les Don Arden, Morris Levy et autres Lasker ne sont que des enfants de chœur.

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    Juste après la liquidation d’Immediate Records en 1969, l’associé d’Andrew Loog Oldham Tony Calder monte avec David Apps une nouvelle structure, MAM, à la fois agence et label. Calder commence à prospecter en Écosse et signe trois groupes, Northwind, Hate et Tear Gas. Puis un collègue écossais l’emmène assister à un concert des Bay City Rollers à Edimbourg, et là Calder ne comprend pas ce qui se passe - Christ what is this? - Son collègue écossais lui répond : «This is the Bay City Rollers.» Calder assiste tout simplement à un scène d’hystérie collective comme on en voyait dix ans auparavant, au temps des early Stones - It was like seeing the Stones when they broke. You could smell sex everywhere - Alors Calder se rapproche de Paton car le phénomène l’intéresse. Mais des gens le mettent en garde, disant que Paton enfile ses protégés - You know he’s fucking some of the band up the bum - Comme Paton dans le civil est grossiste en patates, on dit qu’il les enfile à l’arrière du camion de patates - He was shagging them in the back of the potato wagon - C’est vrai qu’on se régale avec les tournures de la version originale. C’est à la fois comique et tragique. Calder ajoute que personne ne connaît l’âge véritable des Rollers. Tout le ponde ment, Paton le premier. Calder refuse de travailler avec ce Paton qui le rend malade - It made me feel ill. Tu voulais te récurer les mains après lui avoir serré la sienne. J’avais jamais vu des ongles aussi dégueulasses. Je n’ai jamais su si ça venait des patates ou du trou du cul d’un kid. Si tu as du sang sur les ongles pendant la nuit, le matin, c’est noir. On dirait de la crasse. Tu veux vraiment prendre ton petit déjeuner avec Tam Paton alors qu’il a enfilé his finger up some kid’s arse, celui qui est assis à table et qui chiale parce qu’il a mal au cul, ah non merci.

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    Tam Paton mène son business d’une main de fer. Tout le monde a peur de lui - S’il te dit saute, tu sautes - Quand il sent des réticences chez l’un de ses protégés, il lui fait avaler des mandrax. Mais même avec cette discipline de fer, Paton peine à préserver l’image clean-cut des Rollers, notamment durant les tournées américaines. Paton surprend plusieurs fois Ian Mitchell au lit avec une groupie, ce qui lui vaudra d’être viré. Chaque fois que Les McKeown entend frapper à la porte de sa chambre d’hôtel et qu’il ouvre, il tombe sur une petite gonzesse à poil qui veut baiser avec lui, alors il se planque dans un placard pour la baiser, car Paton fait des rondes de surveillance. Pat McGlynn qui fit brièvement partie des Rollers explique qu’en arrivant dans le groupe, il était puceau - I’d never had sex with a girl - Il préférait se bagarrer - My first experience of sex was with that bastard Paton when he abused me on his couch - McGlynn ajoute que Paton droguait les verres des gens qu’il envisageait de baiser - He was just an animal - Il dit aussi que Les McKeown lui a sauvé la mise plusieurs fois. Les et lui se tapaient des tas de filles, mais Stuart Wood allait tout cafter à Paton. En fait, McGlynn nous explique que Paton voulait aider ses protégés à devenir homosexuels, leur expliquant que les femmes, bah, ça ne sent pas bon et ça crée des problèmes, quand elles sont enceintes. Les McKeown : «Paton ramenait en permanence son concept that women were dirty fish, dirty, smelly fish you don’t want any of them, you want to be one of the boys.» Pat McGlynn finit par raconter à son père que Paton le harcèle. Wot ? Ivre de rage, le père se lève d’un bond et s’en va péter la gueule à Paton. Rouletabille rapporte d’autres épisodes gratinés, mais on va s’arrêter là. KRTNT a pour objet de vous divertir et non de vous faire vomir.

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    Paton va ensuite se lasser des Rollers. Dans sa résidence de Little Kellerstain, il continue de se livrer à toutes sortes d’abus. C’est d’une grande banalité chez les gens riches qui ont de très gros appétits sexuels. Il leur faut un harem. Little Kellerstain est donc un harem. Des kids y logent à l’année. Ils portent tous des robes de chambre. Paton fournit les drogues, il devient même un gros dealer local.

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    Bon alors maintenant que le décor est planté, on peut s’intéresser à Les McKeown. Rouletabille le situe comme l’âme de la Rollermania - avec Eric Faulkner, le guitariste - Selon Rouletabille, McKeown n’est pas un saint : il va comparaître trois fois devant des juges. Une fois pour avoir renversé accidentellement une femme alors qu’il fonçait au volant de sa Ford Mustang - un an de retrait de permis - une fois pour avoir assommé un photographe d’un coup de pied de micro lors d’un concert et autre fois pour avoir canardé en pleine tête une fan qui s’était introduite dans son jardin. Chaque fois, il est passé à travers. Rouletabille indique que Les McKeown était le seul Roller qui parvenait à échapper au contrôle de Paton - A street kid from quite a hard family, a NED (non-educated-delinquant) - Donc un vrai Sex Pistol, comme Steve Jones - He was the guenine thing. He just did what he wanted - Selon Bob Gruen qui a suivi les Rollers pendant une tournée américaine, Les was a great singer, very cute, very savvy, he had charisme... A really talented charismatic guy - Les visionnait les films que Bob Gruen avait tournés sur les Dolls et ce groupe le fascinait, mais ça ne fascinait pas Tam Paton qui ne comprenait rien : «Oh ils sont maquillés, ils font semblant. Our band is really good, their band isn’t. They broke up, we’re a succes.» En fait, Bob Gruen sentait bien que Paton était terrifié par les Dolls. Et bien sûr, celui qui hait le plus Paton, c’est Les McKeown - Je voulais lui enfoncer un stylo dans l’œil. I hated him. He was a beast. Il s’en prenait aux jeunes pour les exploiter sexuellement et financièrement. Tam m’a toujours dit que s’il n’avait pas été là, j’aurais bossé sur des chantiers, mais si je n’avais pas été là, il serait toujours grossiste en patates - Quand plus tard Paton casse sa pipe en bois, Les McKeown affirme que personne ne va pleurer sa disparition. Et il ajoute : «Les Écossais peuvent dormir sur leurs deux oreilles maintenant the beast of Kellerstain is dead.» Déchaîné, Les McKeown déclare à qui veut l’entendre que Paton «is a thug, a predator and a drug-dealing bastard.» Amen, ou plutôt pas amen.

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    À une époque, les Bay City Rollers étaient the hottest pop act en Angleterre. Les fans assiégeaient leurs domiciles 24 h/24. Le line-up le plus populaire est celui qu’on voit sur l’illusse : Eric Faulkner (guitare), Alan Longmuir (basse), Derek Longmuir (beurre), Les McKeown (chant) et Stuart Wood dit Woody (guitare). Ian Mitchell et Pat McGlynn remplaceront Alan Longmuir viré par Paton parce qu’il était trop vieux. Le nom du groupe est inspiré par celui de Mitch Ryder & the Detroit Wheels. C’est bien connu, des wheels aux rollers, il n’y a qu’un pas et Bay City fut choisi parce que ça sonnait comme something big, American/Motown sounding. Bien sûr, au départ, ils ne savaient pas jouer. Quand ils viennent à Londres enregistrer leur premier single avec Jonathan King, seul Nobby Clark (le premier chanteur du groupe) est autorisé à entrer dans le studio. King ne veut pas perdre de temps avec a stupid fucking band. Just give me the singer.

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    Le premier label des Rollers, c’est la filiale anglaise de Bell Records que monte Dick Leahy à Londres. Juste avant l’arrivée du glam, il signe Hello et Twiggy, puis Gary Glitter en 1972. Des gens comme Jonathan King et Chris Denning constituent un environnement qui forcément plaît beaucoup à Tam Patton. D’ailleurs Paton demande à l’un des Rollers de coucher avec Denning, car, leur dit-il, «il a le bras long». Leahy bosse exactement de la même manière que Mickie Most, son voisin et concurrent - Get a hit record, get on Top of the Pops and conquer the world - Comme le fait Mickie Most avec Nicky Chinn et Mike Chapman, Leahy paye le duo de compositeurs Bill Martin et Phil Coulter pour lancer les Rollers. Et pour fêter l’enregistrement du premier single («Keep On Dancing»), Leahy emmène les Rollers dans un restau chic de Londres et leur dit de commander tout ce dont ils ont envie, leur affirmant que c’est sur le compte de Bell, alors qu’en réalité c’est financé par les royalties du groupe. Pendant les premières années, les Rollers reçoivent 80 £ par semaine et doivent aider Paton à charger les camion de patates. Quel cirque !

    Comme les Rollers n’ont pas de son, Phil Coulter se retrouve dans l’obligation d’en inventer un. Il faut bien sûr que ça soit très commercial et surtout pas rock’n’roll. Son modèle est le «Da Doo Ron Ron» des Crystals, mais Coulter n’a pas les épaules de Totor. Puis se rappelant du conseil de Brian Epstein, Paton demande aux Rollers de travailler leur look. Ils vont évoluer vers le boot boy look rehaussé de tartan et les coiffures bouffantes, qu’ils nomment tufties - Faulkner had a 100 per cent tufty et les frères Longmuir had 50 per cent tufties. Wood had almost but not quite the same as Faulkner - La réputation des Rollers va donc reposer plus sur leur look de pretty boys que sur leur potentiel musical qui avoisine le niveau zéro. Comme Mike Nesmith dans les Monkees, Eric Faulkner sa battra tout au long de leur histoire pour imposer ses chansons. À son arrivée dans le groupe, il avait amené une réelle énergie et l’envie de rocker, mais Paton ne voulait pas que ça rocke. Il voulait que ça plaise aux gamines de 13 ans qui allaient aux concerts et qui adhéraient au fan club, un fan-club qui fut pendant les années chaudes de la Rollermnia une source de revenus considérables.

    Lorsque Les McKeown arrive dans les Rollers en remplacement de Nobby Clark, il apporte avec «Shang-A-Lang» un sang neuf. Aux dires des connaisseurs, «Shang-A-Lang» reste le meilleur single des Rollers - A more liquid, funky version of the Glitter stomp - Les Rollers cultivaient une sorte d’aura de jeunesse et «d’innocence» qui les distinguait des concurrents : Glitter, Mud, les Rubettes, Slade et Sweet.

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    Puis le contact se fait avec Clive Davis et Arista. Mais Davis a du mal à prendre les Rollers au sérieux. Quand il écoute leur album Once Upon A Star, il est frappé par la pauvreté du contenu. Davis n’est pas le seul à réagir comme ça. Quand paraît l’album Wouldn’t You Like It, le Melody Maker déclare : «musique incompétente jouée par un groupe incompétent». Sur les 12 cuts, 11 sont composés par Eric Faulkner et Stuart Wood. Aux yeux du Melody, cette musique est pire que tout et les paroles pathétiques. Et Rouletabille ajoute qu’il était difficile de ne pas être d’accord. Voilà le vrai problème des Rollers : une médiocrité musicale abyssale. C’est pour ça qu’on ne voyait pas les albums chez les bons disquaires. Les Rollers étaient essentiellement un groupe de singles.

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    Mais bon, Davis finit par signer les Rollers sur Arista, flairant le jackpot, mais il impose une direction artistique. C’est aussi lui qui impose la reprise du vieux hit de Dusty chérie, «I Only Want To Be With You». Bizarrement, la Rollermania prend aux États-Unis. Davis voit un concert à Philadelphie et se dit choqué par l’hystérie collective. Quarante gamines tombent dans les pommes. Chris Charlesworth qui suit la tournée américaine pour le Melody est sidéré de voir le succès des Rollers : «Ça n’a jamais marché pour Slade ici alors qu’ils étaient mille fois meilleurs. Ça semblait ridicule. Pendant le concert, on n’entendait rien à cause des hurlements. Ils n’avaient pas du tout de son - They sounded thin and weedy: Weak.» Mais ça ne marche pas partout. Le concert de Detroit est annulé à cause des ventes de billets trop faibles. Curieusement, le succès des Rollers aux États-Unis entraîne leur déclin en Angleterre.

    En fait, Arista vise le marché de la pop commerciale, ce qu’on appelait le circuit des MOR rock stations (middle of the road), qui programmaient les Carpenters, Wings et les Moody Blues. Mais paradoxalement, on retrouve les Rollers dans le fameux Punk magazine de John Holmstrom qui les voit comme les first true punks britanniques. C’est vrai que Les McKeown est un vrai punk, au sens où on l’entendait avant que ça ne devienne une mode. D’ailleurs McKeown et Faulkner ne s’entendent pas très bien. McKeown trouve que Faulkner est pompeux, il pète plus haut que son cul et se prend pour John Lennon, alors qu’il n’a jamais été foutu d’écrire une bonne chanson. Pendant les séances d’enregistrement, ils passent leur temps à se chamailler sur le choix des chansons. L’intérêt de ces gros pavés de 500 pages est de pouvoir entrer dans ce genre de détails, dans le relationnel des groupes, ce que ne permet pas l’article de presse rock et encore moins le «contenu» offert en pâture sur le web aujourd’hui, et notamment wiki. La superficialité est la porte ouverte à toutes les dérives. Pendant des décennies, la presse rock a véhiculé des clichés des fausses rumeurs, dus à un manque de travail en profondeur. Il faut un Rouletabille pour rétablir la vérité des choses. La vie d’un groupe - qu’il soit bon ou mauvais, chacun cherche son chat - est toujours intéressante, car ça reste avant toute chose une aventure humaine.

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    Et puis évidemment, les Rollers sont énormes au Japon. 120 000 fans les attendent au Narita International Airport. Ils jouent bien entendu au Budokan. Mais les tensions dans le groupe atteignent leur paroxysme et McKeown qui ne s’est jamais vraiment senti intégré finit par quitter les Rollers la veille d’un départ pour une nouvelle tournée au Japon. Son départ entraîne le split du groupe qui perd en même temps son cachet de 14 millions de dollars. McKeown n’en pouvait plus de voir tous ces mecs se prendre pour God : Paton, Faulkner et les autres. Le sud-africain Duncan Faure remplacera le street kid McKeown.

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    Rouletabille entre bien sûr dans le détail du business. Il annonce des détournements de sommes astronomiques. Il cite par exemple une facture de Marty Machat d’un montant de 500 000 $, et des frais d’avocats estimés à 800 000 £. Davis lâche les Rollers après l’album Strangers In The Wind qui a coûté une fortune et qui ne se vend pas. Les Rollers finissent enfin par virer Paton. En 1979, les Rollers qui ont besoin de blé partent jouer an Afrique du Sud, alors que tous les groupes respectent le boycotage de ce régime pourri. Mais les Rollers ne sont plus à ça près. Ça fait longtemps qu’ils ont perdu toute estime d’eux-mêmes et aller jouer au pays de l’Apartheid ne leur pose absolument aucun problème. Néanmoins l’argent se fait rare et les Rollers cherchent un nouveau manager, ce qui n’empêchera pas le groupe de crever. Faulkner ne cache pas son amertume : «Les gens autour de nous ont tout pris. Ils n’ont pas pris que l’argent, they want to take all of it, everything. Those business types don’t give a damn about anybody, you’re just a commodity to them.» Rouletabille consacre les 100 dernières pages du book à l’habituelle litanie des groupes qui ont généré des millions et des millions et qui se sont fait plumer. Dans le cas des Rollers, le verbe ‘entuber’ serait d’ailleurs plus approprié. McKeown : «It was fucked up so bad, il faudrait 100 experts pour démêler ça et ça prendrait des années.» On voit apparaître dans ce bouquet final une silhouette bien connue : Mark St John. Rouletabille tient tout de même à préciser que Mark St John n’est pas seulement le «sauveur» des Pretty Things. Il fut le collaborateur de Peter Grant et de Danny Sims, the Mob-collected former manager/producer of Bob Marley. St John se fait appeler «the Robin Hood of rock’n’roll». Il a réussi à sauver les master tapes et les copyrights des Pretties, et à leur récupérer une somme d’argent significative. St John poursuit les gros labels en justice. Il les mord et ne les lâche plus. Il en vit. Et donc Eric Faulkner fait appel à lui pour récupérer le blé des Rollers. Il sait que les Rollers ont vendu quasiment autant de merch que les Beatles et Elvis, ça représente des sommes astronomiques. Donc il y a un problème : où est passé le blé ? Certainement pas dans les poches des Rollers. St John estime les profits générés par le groupe à un billion de $. Il estime aussi que Tam Paton n’a pas fait le poids dans cette histoire : «Tam was incredibly stupid. Il n’était pas capable de manager un groupe qui connaissait un succès international.» Et il ajoute : «C’était juste un working class guy qui transportait des patates and liked to bugger people up the arse behind the van.» Il indique aussi que les Rollers ont été «financially destroyed» et parle d’une «rock’n’roll tragedy». St John déclare qu’on leur doit entre 26 et 90 millions de £. Trouvant l’estimation est exagérée, Arista suggère 2 millions de £. Mais le dossier est dans les pattes de la justice américaine et au final, les Rollers ne vont récupérer que des clopinettes qui serviront à couvrir les frais de justice qui se chiffrent en millions de dollars.

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    Si on veut voir ce que les Bay City Rollers avaient dans le ventre, musicalement, il existe une petite box 3 CD parue chez Cherry Red : The Singles Collection survole toutes les époques et c’est vrai que certains singles ne manquent pas de charme, notamment «Saturday Night» qui date de 1973, produit par le duo Bill Martin/Phil Coulter. Les Rollers font du Glitter, c’est assez efficace, l’époque veut ça, on est en Angleterre et les kids adorent stomper le samedi soir.

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    Encore un hit pop avec «Remember» toujours produit par la même équipe. C’est encore Nobby Clark qui chante, il sera remplacé par Les McKeown aussitôt après. Un truc comme «Remember» ne pouvait que marcher. L’un de leurs meilleurs singles est le fameux All Of Me Loves All Of You/The Bump. Aucune dimension artistique, mais du gros biz pop, oh oh. Ils savent claquer un hit, ils tapent en plein dans le mille. C’est même assez puissant en matière de sucre Scot. Avec «The Bump», ils jouent la carte du heavy stomp. Avec Keep On Dancing/Alright, Nobby Clark reprenait les Gentrys et Buddy Holly, il y avait une certaine volonté de faire du rock, mais dans les pattes de Jonathan King, ça devenait inepte. C’est dingue ce que ça pouvait puer dans les pattes de ce mec-là. L’histoire du groupe n’était déjà pas très ragoûtante, mais ce genre de single ajoute encore au malaise. «Manana» est le single qui bat tous les records de putasserie. C’est le genre de truc qu’on entend dans les mariages des beaufs. On y atteint les tréfonds de l’horreur. À l’écoute des singles, on ressent exactement le même malaise qu’à la lecture du book. Tout est vérolé dans cette histoire. Sur «Hey C.B.», les musiciens de studio font n’importe quoi, ça n’a plus rien à voir avec les Rollers. C’est avec «Shang A Lang» que Les McKeown fait son entrée dans la «légende». Il s’agit d’un petit glam écossais d’une incroyable fraîcheur. Les Rollers se positionnent sur un créneau plus poppy que les glamsters, d’où leur absence dans l’histoire du glam. Force est d’admette que «Summertime Sensation» est un peu n’importe quoi. Ils font du candy glam rock très ballroom, c’est l’Angleterre du samedi soir. Cette pop un peu bubblegum finit par indisposer.

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    Ils attaquent le disk 2 avec «Bye Bye Baby», une pop à la Spector produite par Phil Wainman, mais ce n’est pas le son. C’est bien plus putassier. On assiste à un incroyable déploiement de forces. Ils refont un «Saturday Night» plus glamour, assez candy darling, montre-moi ton cul que je t’enfile, mais rien dans le ventre. Ce n’est ni Slade ni Sweet. On sauve «Money Honey», un heavy boogie rawk anglais avec des tendance beatlemaniaques. C’est très curieux et même assez accrocheur. Ils font aussi un classique glam avec «I Only Wanna Be Like You», un beat à se faire sucer, la fameuse reprise de Dusty chérie imposée par Clive Davis, que reprirent aussi les Surfs et Richard Anthony. Il y a du teen power là-dedans, c’est indéniable. Mais ils font aussi pas mal de petits slowahs de bite molles, comme «Give A Little Love». Et puis on sent le poids de Tam le prédateur derrière cette pop insipide qu’est «She’ll Be Crying Over You». Les pauvres Rollers n’avaient aucune chance. Les singles sont souvent exécrables. Avec «Mama Li», ils se prennent pour des compositeurs, mais c’est atrocement mauvais. Avec «Rock N Roller», ils montrent qu’ils savent allumer la petite gueule d’un hit de classic Ballroom blitz. Et voilà qu’ils se prennent pour les Easybeats avec une reprise de «Testerday’s Hero». Belle prod en tous les cas. C’est leur période Arista, ils font du gros rentre-dedans, ils savent ce qu’ils font.

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    Et puis, avec le disk 3, on entre dans l’horreur totale. Il n’existe rien de plus putassier que ce «Dance Dance Dance». Et ça se dégrade encore avec «You Made Me Believe In Magic». On se croirait dans une boîte de traves à Honfleur. Ça péricilite en 77 avec «Are You Cuckoo». Les McKeown tente de sauver les meubles avec «Dedication», il chante son petit bout de gras. Il est intéressant ce mec, on sent qu’il a du caractère, c’est lui the real kid. Par contre, ils retombent dans le porn de Tam avec «The Way I Feel Tonigh», qui équivaut à une giclée de sperme dans l’œil. «Love Power» renoue avec l’atrocité sans nom et quand on écoute «All The World Is Falling In Love», on prie Gawd. Aw Gawd, protégez-nous de ces horreurs ! Toute cette période qui est la fin de parcours des Rollers est d’une médiocrité qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer, mais c’est intéressant de l’entendre. Ça permet de savoir jusqu’où on peut aller trop loin. Quand Duncan Faure prend le chant sur «Turn On The Radio», c’est la fin des Rollers. D’ailleurs le groupe s’appelle désormais les Rollers. Fini le Bay City. Ils font du pub rock. Ça n’a ni queue ni tête. Et les derniers singles se terminent en eau de boudin avec Duncan Faure. «Set The Fashion» n’a plus aucun sens, ça bascule dans le ridicule.

    Signé : Cazengler, Boue City Roller

    Alan Longmuir (bass). Disparu le 2 juillet 2018

    Les McKeown (chant). Disparu le 20 avril 2021

    Bay City Rollers. Singles Box. Cherry Red 2019

    Simon Spence. When The Screaming Stops: The Dark History Of The Bay City Rollers. Omnibus 2016

     

    Spectorculaire - Part Four - The ashes

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    Richard Williams revient longuement sur le chapitre des héritiers du Wall. Parmi les plus évidents, il cite Sony & Cher («I Got You Babe»), Andrew Loog Oldham qui produisit les premiers albums des Stones, Brian Wilson, George Shadow Morton et les Shangri-Las, Roy Wood en Angleterre, et des cuts comme «Summer In The City» (Lovin’ Spoonful), «Heroes & Villains» (Beach Boys) et «A Day In The Life» (Beatles) lui semblent être de bons exemples d’influençage. Bizarrement, il oublie de citer Dave Edmunds dans sa liste. Les albums des Crystals allaient aussi influencer Hank Medress, le producteur des Chiffons. Et puis il y a bien sûr tout le cheptel Red Bird, couronné par le «Chapel of Love» des Dixie Cups. C’est Jeff Barry, fervent admirateur de Totor, qui les produit, ainsi que les Jelly Beans et les Butterflies. Williams cite aussi Jan & Dean, dont le «Dead Man Curve» lui paraît sacrément spectorish. Et quand Brian Wilson enregistre Pet Sounds, il utilise bien sûr le même studio (Gold Star) et les mêmes musiciens que Totor.

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    Ce sont les compiles qui se tapent la part du lion sur la question de l’héritage. On en trouve de deux sortes dans le commerce : les Ace et les pas-Ace. On l’aurait parié, les plus sexy sont les Ace. Les gens d’Ace se sont amusés à réunir sur trois compiles bien dodues tous les dévots et tous les imitateurs de Totor. Ce sont les fameux Phil’s Spectre - A Wall Of Soundalikes, volumes 1, 2 et 3. On ne fait pas trop gaffe la première fois qu’on ramasse ça, on croit que c’est du Totor, mais pas du tout. Ce ne sont que des émules et pas des moindres : sur le volume 1, on croise Jackie DeShannon, Sonny & Cher, les Righteous Brothers ou P.J. Proby pour les plus connus, et une multitude d’autres artistes le plus souvent tombés dans l’oubli. C’est aussi l’occasion de se refiler des gros shoots de frissons à répétition.

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    Rien qu’avec le «When You Walk In The Room» de la belle Jackie, on est ravi, car avec ses arrangements, Jack Nitzsche y ramène tout le power du Wall, les castagnettes et les violons. Mais ce n’est pas lui qui produit, c’est Dick Glasser. La voix de Jackie se détache merveilleusement bien, elle ramène toute sa niaque de petite gonzesse. On croise quelques productions signées Holland/Dozier/Holland (Supremes avec «Run Run Run» ou les Darnells), mais il n’y a pas de wall, si peut-être un peu dans le «Too Hurt To Cry» des Darnells. Par contre, Sonny Bono qui a pas mal traîné au Gold Star à l’âge d’or sait ramener du Wall pour «Just You». Il reproduit le Wall de manière assez directive, Cher chante dans l’épaisseur des nappes de violons et Sonny vient l’aider. Pure merveille. On le sait Brian Wilson est le plus grand fan de Totor et ce n’est pas une surprise de voir bourrer «Why Do Fools Fall In Love» de Wall. Et voilà un groupe qui s’appelle The Wall Of Sound avec «Hang On», deux mecs apparemment, Buzz Clifford et Jan Davis. Ils sont en plein Wall, en plein dans l’exercice de la fonction. Nino Tempo qui est l’un des plus vieux amis de Totor arrive avec sa sœur April Stevens et un «All Strung Out» bien monté en neige. Ils reproduisent tous les clichés du River Deep. C’est quand même dingue de voir tous ces gens essayer de se mesurer au génie de Totor. Pareil avec les Four Pennies : on croit entendre les Ronettes. Même jus de mini-jupe, même juvénilité. Quant à Bill Medley, c’est un autre problème. Il haïssait Totor parce qu’on ne parlait que de lui et non des Righteous. Le plus marrant, c’est qu’après avoir rompu avec Totor, il va s’épuiser à vouloir l’imiter. C’est lui qui produit «(You’re My) Soul & Inspiration» pour les Righteous et il fait du pur jus de Wall. Rien que du Wall. Exactement le même Wall. Tiens voilà la petite Clydie King, la blackette qui accompagnait Humble Pie sur scène. Elle chante «Missin’ My Baby» et Jerry Riopelle pioche à la pelle dans le Wall. Il envoie Clydie au chagrin magique et comme elle est bonne, ça donne un cut plein d’allant et plein d’allure. Précisions que Jerry Riopelle est un petit protégé de Totor et que Clydie King aurait dû devenir énorme. Attention à ce producteur nommé Van McCoy : il soigne l’«It Breaks My Heart» de Ray Raymond aux petits oignons, avec de la profondeur intentionnelle. On assiste à une élongation du domaine de la wallkyrie, Ray fait du baby baby de Wall qui rit, c’est en plein dedans, on est en plein dans le Spectre de Phil. Jack Nitzsche est de nouveau à l’honneur avec deux de ses prods les plus magistrales : Hale & The Hushabyes («Yes Sir That’s My Baby») et P.J. Proby («I Can’t Make It Alone»). Jack a tout compris, il va chercher le deepy deep pour Hale et utilise la formule magique : PJ + Jack + the voice + la compo + la prod de rêve. C’est du Goffin & King. Alors bien sûr, il paraît évident que P.J. était l’interprète idéal pour Totor, car il dispose d’une force de persuasion extraordinaire. C’est aussi Jack qui produit le «Love Her» des early Walker Brothers. Ils enregistrent ça juste avant de quitter la Californie pour aller tenter leur chance à Londres. Jack leur fait un beau Wall et Scott chante par dessus les toits du Wall. C’est un spectacle. Kane & Abel se positionnent exactement au même niveau que les Righteous avec «He Will Break Your Heart» et les Dolls qui n’ont rien à voir avec les Dolls sonnent avec «And That Reminds Me» exactement comme les Crystals.

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    On retrouve dans le volume 2 des luminaries du volume 1, comme Nino Tempo, Clydie King ou les Beach Boys. Pour «I Do», Brian Wilson recrée le son des Ronettes. Et Bill Medley recrée lui aussi le Wall pour «Nite Owl». Mary Wells nous rappelle avec «One Block From Heaven» qu’elle fut l’une des géantes de la Soul. Ace salue encore une fois le team Holland/Dozier/holland car quelle prod ! Et quelle voix ! On voit aussi les Bonnets se prendre pour les Ronettes avec «You Gotta Take A Chance». C’est un vrai phénomène de métempsychose. Tiens, voilà Shadow Morton ! Il ramène des goodies avec les Goodies et leur vaillant «The Dum Dum Duffy». Ça dégouline de jus, les filles s’arrêtent pour dire «I wanna say yeah yeah». C’est du big Wall. Autres grandes retrouvailles cette fois avec Reparata & The Delrons et «I’m Nobody’s Baby Now». Sucré et balèze. Très Ronettes dans l’esprit. Grosse présence. Power absolu. Elles sont en plein dans le Wall. C’est Jeff Barry qui les produit. Dobie Gray fait sa Soul de Wall avec «No Room To Cry». Il a une discographie tentaculaire. Dobie n’est pas un petit amateur du coin de la rue. Nino Tempo et April Stevens reviennent taper leur chique avec «The Habit Of Loving You Baby», ils se jettent dans le Wall de Jerry Riopelle, ce sont les grandes pompes de Phil, exactement le même son et c’est très bien. On reste dans le Wall jusqu’au cou avec Eight Feet et «Bobbie’s Come A Long Way». Juste un single sur Columbia. Ces petites gonzesses chantent avec leurs guts out. Pur Wall. Suzy Wallis est une blanche et elle colle son «Be My Man» dans le Wall. Suzy a du reviensy. Kane & Abel créent la surprise car avec leur «Break Down And Cry» ils sont encore plus spectaculaires que les Righteous. Ils sont des clones de la transcendance, ces mecs disposent de moyens énormes qui leur permettent d’exploser la formule. C’est dingue ce que le Wall peut susciter comme talents. Pareil, Kane & Abel ça se limite à trois singles ! Grand retour de Van McCoy avec les Fantastic Vantastics et «Gee What A Boy». C’est plus Soul, plus black, mais diable c’est du Van McCoy. Il fait son Wall. Vantastic ! Les Dreamlovers explosent la formule du doo-wop avec «You Gave Me Somebody To Love», fabuleux groove, mais rien à voir avec le Spectre de Phil. Encore une énormité sortie de nulle part : «Bobby Coleman» avec «(Baby) You Don’t Have To Tell Me». C’est bâti sur un développement de Wall, et c’est tellement puissant que ça devient génial. Retour de Clydie King avec «The Thrill Is Gone». Oh Clydie ! Tu nous rendras marteau. Jerry Riopelle fourbit la compo et le Wall, alors t’as qu’à voir. Smokey Robinson se tape lui aussi sa petite crise de Wall en produisant le «Wonderful Baby» des Four Tops». Mais ça manque de profondeur de champ. Orchestré, certes, mais pas Wall qui rit. Les Knickerbockers vont chercher le doux du Wall avec «Wishful Thinking». Comme c’est ultra-orchestré, ils tombent dans le panneau des Righteous. Mais diable comme c’est bardé ! Et Joe South radine sa fraise avec «Do You Be Ashamed». En fait il ne se casse pas top la nénette, il fait du River Deep. Sacré Joe ! Il cherche de l’or comme d’autres cherchent des truffes.

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    Le volume 3 arrive à pic pour compléter ce spectorculaire panorama. La révélation s’appelle Alder Ray avec «Cause I Love Him». Elle est en plein dans les Ronettes. Même son, même pulsatif de mini-jupe. Alder est une black, pareil, il n’existe que des singles. Les Satisfactions, c’est le groupe de Gracia Nitzsche, la première épouse de Jack. «Yes Sir That’s My Baby» frise le génie. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Encore une révélation avec Bonnie et «Close Your Eyes». Bonnie est bonne, elle est en plein Wall, bien sucrée, ça y va la sucette, rien de plus juvénile que cette petite chatte extravertie. Mais attention, Bonnie est blanche. Encore un inconnu au bataillon : Jerry Ganey avec «Who I Am». Il est lui aussi en plein Wall, c’est Bill Medley qui fait son Totor. Merci Ace, car Jerry Ganey est excellent, please call my name. Medley pousse le bouchon très loin, comme le fait Totor, mais vraiment très loin. Encore un mec qui se prend pour Totor : Bob Finiz. Il produit les Kit Kats avec «That’s The Way». Tous ces mecs ont du Wall à gogo mais ils n’ont pas les compos. Il leur manque un élément de la formule magique. Parmi les gens connus, voici Lesley Gore avec «Look Of Love» signé Barry/Greenwich. C’est Quincy Jones qui produit et sa prod n’a rien à voir avec celle de Totor, elle est profonde mais pas aussi profonde, c’est autre chose. Lesley chante au sucre du Brill et c’est passionnant. Voilà Bobby Sheen avec «Sweet Sweet Love» produit par Jerry Riopelle, mais ça sonne comme du sous-Wall. On croise plus loin Merry Clayton avec «Usher Boy» et comme à son habitude, Merry se bat pied à pied avec le corps à corps. C’est Jack qui produit le «Let The Good Time Roll» de Judy Henske. Elle ramène tout son pathos, chante avec des accents virils et gueule par dessus les toits. On a aussi un petit coup de prod Holland/Dozier/Holland avec Martha & The Vandellas et «In My Lonely Room». Encore une fois, le Motown Sound n’a rien à voir avec le Wall. Lamont Dozier et les frères Holland savent cependant donner de l’air au beat. Et puis Sonny Bono radine sa fraise avec «It’s The Little Things». Cher sort sa voix de vieille maquerelle et le sucré dans l’affaire, c’est Sonny. On note aussi la présence incongrue des 1910 Fruitgum Company, un groupe de bubblegum qui fait avec «When We Get Married» un pastiche du Wall. Mais quel beau pastiche. Ils le montent bien en neige. Ils font partie des rares à savoir atteindre le cœur du Wall. D’autres bricoles intéressantes encore, comme par exemple les Castanets qui, avec «I Love Him», sont en plein délire Ronettes. Le producteur s’appelle Morty Craft. Il ramène tout le saint-frusquin du Wall. Johnny Caswell qui est blanc chante comme une fille et les Girlfriends qui sont en fait les Blossoms explosent le Wall avec «My Own And Only Jimmy Boy». C’est produit par David Gates qu’on verra plus tard dans Bread. Pour «My Tears Will Go Away», les Righteous ont gardé les castagnettes mais ils n’ont pas la compo. Dans la vie, il faut savoir ce qu’on veut. Debbie Rollins est une black sucrée qui se prend elle aussi pour Ronnie. Son «He Really Loves Me» est excellent, mais perdu dans l’océan des singles excellents. Dan Folger est associé à Mickey Newbury donc on dresse l’oreille. Avec «The Way Of The Crowd», il propose une belle pop blanche. Pas d’album, rien que des singles. Bien produit, mais pas de Wall. C’est à Jerry Garney que revient l’honneur de refermer la marche. Même blanc il s’en sort bien, Bill Medley produit, on a donc du petit Wall et une belle niaque.

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    Wallpaper Of Sound - The Songs Of Phil Spector & The Brill Building est une compile (pas Ace) qui s’intéresse au côté anglais du Wall des soundalikes. Williams, Brown et Ribowsky sont tous les trois d’accord pour dire que Totor fut beaucoup mieux accueilli en Angleterre que dans son pays. Bon cette compile n’est pas avare de coups de génie, à commencer par ces 5 AM Event, des Canadiens débarqués à Liverpool pour enregistrer un single, «Hungry». Quelle histoire ! C’est une horreur rampante de 1966, un véritable coup de génie proto-punk. C’est tout de même incroyable que ce single débarque ici. L’autre bombe, c’est la cover de River Deep par Long John Baldry. Il l’attaque au deepy Baldry et derrière on vous garantit que ça orchestre, alors Long John peut swinguer sa chique, ce mec est un huge white nigger, il chante avec une niaque de Tina Thang, il restitue tout le côté effrayant et effréné du hit original, il chante à la cavalcade, c’est sans commune mesure avec la mesure, on l’attend au virage, le vieux Long John et il y va, il monte en élongation son my-oh-my, il a pigé les enjeux, il s’arrache les miches sur le baby baby. On trouve cette cover miraculeuse sur l’album Wait For Me, à côté d’autres covers comme celles de «Spanish Harlem» ou «MacArthur Park». Inutile de rappeler que tous les albums de Baldry sont excellents. Dommage qu’on l’ait un peu oublié. L’autre bonne surprise de cette compile, c’est Twice As Much, le duo composé de David Skinner et Andrew Rose, qu’Andrew Loog Oldham payait pour composer des hits au temps béni d’Immediate. Ils reprennent l’«Is This What I Get For Loving You Baby» de Spector/Goffin/King, mais à l’anglaise, c’est-à-dire en mode dents de lapin & clairette psyché. Ils sont merveilleusement tempérés, donc pas de Wall, tintin. On les retrouve avec Vashti pour «The Coldest Night Of The Year», un hit signé Mann/Weil, et Vashti se vashte vachement bien dans le moule. Comme on le sait, Andrew Loog Oldham est le plus gros fan de Totor en Grande-Bretagne, alors c’est normal qu’on voie aussi P.P. Arnold radiner sa fraise. Elle tape carrément dans l’effarant «Born To Be Together» de Spector/Mann/Weil, elle va chercher le grain pour le moudre et le moud, elle s’arrache même les ovaires à chanter par dessus les toits. C’est très spectorculaire. Elle aurait pu rivaliser de power avec Tina. Une bonne surprise avec Peanut, une blackette de Trinitad. Elle envoie l’«Home Of The Brave» de Mann/Weil sucrer les fraises, elle chante au nasal pur, comme Ronnie, ça dégouline de sucre. L’autre gros coup de la compile, c’est Jackie Trent qui chante «Goin’ Back» avec des chaleurs expiatoires. Elle est aussi sur Pye comme 5 AM Event et les Kinks, mais elle est surtout la compagne de Tony Hatch et là on entre dans la légendarité de la pop anglaise. Mais c’est avec le «You Baby» de Spector/Mann/Weil qu’elle bouffe tout, une vraie croqueuse de beat, elle impose sa ferveur de féline fêlée, et la prod vaut tous les Walls du monde. Alors oui, Jackie Trent & Tony Hatch ! Le «Downtown» de Petula, c’est lui. Justement la voilà avec «I’m Counting On You», mais elle est loin du compte, la pauvre. On croise aussi les Searchers à trois reprises : avec «Twist & Shout» (atroce) et «Da Doo Ron Ron» qu’ils aplatissent pour en faire de la petite pop anglaise. Ils se prennent aussi pour les Ronettes avec une cover de «Be My Baby», mais ils n’ont pas de sucre. Juste des chœurs de lanternes sourdes. Le blanc Jimmy Justice tente sa chance avec «Spanish Harlem» et les Breakaways massacrent «He’s A Rebel». Tous ces trucs manquent de Wall, c’est vrai que ce n’est pas facile de monter un Wall. Les Cadets qui sont irlandais font un «Chapel Of Love» bien vert. On voit aussi la pauvre Barbara Ann qui est blanche se battre avec Lovin’ Feelin’, elle se bat bien, elle monte même dans le son, elle sait le faire comme Dusty chérie ou Cilla Black qui est blanche, et du coup sa version est une petite merveille de féminité héroïque. Bref, on sort de cette compile ravi. Force est d’admettre que l’influence de Totor produit globalement de très bons disques.

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    Avant de refermer le chapitre spectorculaire, voyons comment les canards anglais se sont acquittés de cette corvée qu’est l’éloge funèbre. Dans Mojo, Andrew Male signe un texte qui n’y va pas de main morte, Ruin Of Sound. Avec ce titre, les choses sont claires. Male ne s’apitoie pas sur le destin de Totor, au contraire, il l’enfonce un peu plus, rappelant que dans la box Back To Mono, les deux textes du livret (Tom Wolfe et David Hinckely) volent dans les plumes d’un Totor qui a déjà mauvaise réputation - an entitled asshole vivant dans un marasme colérique - Bien sûr, Male va chercher dans le Brown book les trucs qui clochent, comme ce propos de Kirshner affirmant que Totor était un homme capable de se faire du mal et de faire du mal aux autres. Comme Male n’aime pas Totor, il transforme la réalité, écrivant par exemple que le jeune Totor transforma son talent pour la musique en arme pour se venger de la vie, ce qui est quand même un peu à côté de la plaque. Puis il résume le Wall Of Sound à un petit studio A bondé de cracks qui à force de répéter le même cut perdent leur individualité, et deux ceramic echo chambers qui permettent d’obtenir le booming qui déclenche l’hystérie. Il ajoute à ça les trois couples de songwiters du Brill et enfin les voix, Darlene, LaLa et Ronnie, que le Wall of Sound mettait en valeur. Puis il nous explique que River Deep fut blacklisté à cause de l’arrogance de Totor, un Totor que vomissaient les journalistes. Échec, réclusion, Citizen Kane. Male essaie de faire en une page ce qu’ont fait trois écrivains avec trois livres, mais il ne rend pas hommage, il enfonce, sous couvert de madness and paranoia. Puis Male nous explique que Totor est allé noyer Let It Be sous des orchestrations, puis qu’il a massacré les albums de John et George, puis ceux de Leonard, de Dion et des Ramones, avec en prime de longues nuits de torture psychologique. Male organise ensuite sa chute sur le thème de la délivrance : All Things Must Pass va reparaître nettoyé - Stripped of Spector’s production - même chose pour End Of The Century des Ramones, on se demande comment c’est possible, mais apparemment les charognards sont à l’œuvre. Mais attention, la chute de l’article est assez spectorculaire : «Peut-être que des gens voudront aussi nettoyer les singles des Crystals, des Ronettes et de Darlene Love, ne sachant pas que grâce à ces voix de femmes, grâce aux rangs serrés du Wrecking Crew et grâce à ces paroles de teenage experience, ces chansons ont toujours existé au-delà du Spector’s wall et qu’elles existeront à jamais.» Merci Mister Male. Les chansons vont rester, c’est tout ce qui compte.

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    Record Collector est plus généreux et accorde trois pages à Bob Stanley pour s’acquitter de la corvée. Bob remonte assez loin dans son enfance pour situer l’origine de sa fascination pour Totor : il a 11 ans et un copain d’école lui dit qu’il vient d’acheter Phil Spector’s Echoes Of The Sixties avec son Christmas money - I was impressed. À 20 ans, Bob sait que Totor est the greatest and most innovative record producer who ever was. Alors il collectionne ses disques, à tel point qu’il forme avec son copain Pete Wiggs un pop group nommé Saint Etienne. Ils essayent de faire du DIY Phil Spector. Puis il revient sur Lovin’ Feelin’, expliquant que seul Totor pouvait demander aux Righteous de chanter slow and low, si slow and low que Barry Mann crut lorsqu’il entendit le disque à la radio qu’il ne tournait pas à la bonne vitesse. Et pouf, Bob embraye avec le chapitre des héritiers, commençant par Bill Medley dont il recommande deux prods, «Stand By» des Blossoms et «Just A Fool» de Jerry Ganey. Tout ça le conduit aux Jesus & Mary Chain, Jim Steinman, Sonny Bono et Roy Wood, notamment «See My Baby Jive». Puis Bob survole le parcours de Totor, depuis les Paris Sisters jusqu’au Wall of Sound, en passant par Glen Campbell et Jack Nitzsche, et Bob en arrive à la conclusion que ces hits n’ont pas été enregistrés mais qu’ils sont made out of some implausible magic. Totor nous dit Bob était tellement perfectionniste qu’il refusa de faire paraître la version de «Chapel Of Love» enregistrée par les Ronettes, ainsi que «This Could Be The Night», du Modern Folk Quartet - a masterpiece of surf harmonies - au grand dam de Brian Wilson. Il s’opposa aussi à la parution d’«I Wish I Never Saw The Sunshine» des Ronettes, encore un hit certain. Devenu a huge Spector fan dans les années 80, Bob dit qu’il était facile alors de savoir à quel point Totor était un sale mec, grâce notamment à l’autobio de Ronnie - the guns, les barbelés et le cercueil avec un couvercle de verre - Puis paraissent des photos de Totor avec son gun, alors Bob décroche un peu et le traite de creep. Il n’aime pas le Dion, ni le Leonard ni le Ramones, par contre, il louche sur le «Black Pearl» des Checkmates Ltd et «A Woman’s Story» de Cher. Aux yeux du monde, Totor n’est plus alors qu’un reclus qui séquestre Ronnie. Comme Mister Male, Bob finit par se taper la chute du chef : «J’entends un TOUT. Des tas de gens talentueux ont contribué au Spectorsound. Vous ne pouvez pas faire l’impasse sur ce qu’il a fait en dehors de la musique, mais vous ne pouvez pas non plus oublier la musique. C’est dans nos fibres, c’est une partie de la raison pour laquelle vous lisez ce magazine.»

    Signé : Cazengler, Phil Pécor

    Phil’s Spectre. A Wall Of Soundalikes. Ace Records 2003

    Phil’s Spectre. A Wall Of Soundalikes II. Ace Records 2005

    Phil’s Spectre. A Wall Of Soundalikes III. Ace Records 2007

    Wallpaper Of Sound. The Songs Of Phil Spector & The Brill Building. Castle Music 2002

    Andrew Male : Ruin Of Sound. Mojo # 329 - April 2021

    Bob Stanley : Phil Spector 1939-2021. Record Collector # 516 - March 2021

    MODERN LIFE

    SOUL TIME

     

    Peu de nouvelles ces derniers temps de Soul Time, n'auraient-ils pas survécu à la pandémie, un mail de Rovers ( l'homme qui n'a jamais Torz ), ce neuf juin me signale l'apparition d'une nouveauté, ont-ils une nouvelle cassette d'une reprise northern soul à nous faire entendre ? Allons faire un tour sur YT pour flairer l'objet de près.

    Carrément un clip, une Wanga Gut Production, la porte est ouverte, l'on entend du bruit, alors on suit la caméra, on entre dans l'antre, un bar sur notre droite, nous pourrions trouver pire, on a repéré, on est au Gambrinus ( gambrine, gambrinum, gambrini... profitons-en pour réviser nos déclinaisons latines, c'est la seconde langue des Dieux, cela peut être utile ), c'était bien la peine de se dépêcher juste le temps d'entrevoir la radieuse silhouette de Lucie Abdelmoula, ( Abdelmoula, Abdelmoulam, Abdelmoulae, que disais-je, déjà une déesse ) et c'est terminé, non ils redémarrent illico.

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    Sous sa casquette Torz tape sur ses baguettes, important dans la soul les départs, profilent la suite, sous le néolithique pour cuire son cuisseau de mammouth l'homme des cavernes n'avait pas intérêt à rater l'étincelle des silex, sur le champ et sur son clavier Thierry Lesage chauffe le groove, gros plan sur la section cuivrique, c'est à eux de faire monter les flammes hautes, ont tous des lunettes noires qui leur donne un look d'agent de la CIA, mais sont tous des pros, l'image est rapide mais l'on reconnaît à l'extrême gauche Claire Fanjeau à l'alto, clin d'œil sur les cordes : la basse appartient à Julien Macias, et la guitare à Francis Fraysse, profitez du minuscule intermède instrumental pour les zieuter agiter fort joliment la salade, parce qu'après vous oublierez de les regarder, ils n'existeront plus, seront rayés de la carte des vivants, ce n'est pas qu'ils soient laids et bêtes et qu'ils joueraient mal, c'est que la soul queen numéro une s'approche du micro, et vos yeux se rivent sur elle comme la torpille court à la ligne de flottaison du navire ennemi, ô bien sûr de temps en temps la trompette de Laurent Ponce fonce sur l'image tel un dard de serpent, et le col des saxophones de Richard Mazza et Mathieu Thierry s'exhaussent tel le cou flexible d'un cygne prêt à l'envol, mais non,

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    même quand elle ne dit rien, qu'elle se contente de marquer le rythme du balancement de son corps, sa cascade ondulée de cheveux noirs qui cerne son visage, ses lèvres d'amarante agressive, la blancheur pallide qu'Edgar Poe prête au buste de Pallas sur lequel son corbeau maléfique vient se percher, Lucie nous ensorcèle. Chante sans effort, une facilité déconcertante, celle des grandes chanteuses jazzy, comme si elle faisait cela depuis le jour de sa naissance, alors les guys and the gal derrière ne chôment pas, assurent les breaks et les passations démocratiques instrumentales, et on ne les a pas comptés pour du beurre avarié au montage, merci à Sica Zahoui, font rouler la montagne, mais Lucie est dans son chant, et quand elle ne chante pas, on attend son sourire et sa façon à elle de convaincre le micro qu'il possède cette chance extraordinaire et ce privilège immérité d'être là pour elle, et elle lui parle si naturellement qu'elle vous ressemble quand vous demandez avec votre sans-gêne habituel du mou pour votre chat à votre boucher, en plus elle commet ce sacrilège de ne pas forcer sur ses cordes vocales, de ne pas chercher à imiter une noire gutturalité du ghetto, northern soul ok vocal, mais la voix de l'âme a la couleur qu'elle veut, suffit de ne pas perdre le nord, d'être dans le rythme et de savoir se poser en lui comme le diamant dans son enchâssement de platine. Et quand c'est fini, voir les regards gourmands complices et satisfaits des musicos, tout fiers d'avoir accompagné la diva.

    En plus une composition originale, durant ce confinement Soul Time n'a perdu ni son temps, ni son âme !

    Damie Chad.

     

    *

    Tiens les Crashbirds ont commis un nouveau clip s'exclameront les lecteurs assidus de Kr'tnt ! Pas du tout, ils ont fait du rangement. Apparemment en Bretagne, chez eux c'est le gros désordre. Rappelez-vous la dernière vidéo commentée dans notre livraison 510, ce chat qui surgissait de n'importe où, n'était pas soigneusement rangé à sa place, par exemple sage comme gigot d'agneau sur une étagère du frigidaire, comme il se devrait. Bref Delphine a farfouillé et elle a trouvé, dans un monceau d'on ne sait trop quoi. Un vieux truc qui date de 2011, soyons précis elle n'a mis la main que sur la moitié du gibier, normalement il y avait l'image et le son, enregistré live, en concert, à Paris, pour l'image nous attendrons une décennie de plus. Rendez-vous en 2031.

    YOU CAN'T GET ALWAYS WHAT YOU WANT

    CRASHBIRDS

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    Sont comme ça, nos zoziaux préférés, ne doutent de rien. S'attaquent sans vergogne à plus gros qu'eux. L'on a envie de les pousser discrétos du coude, holà les hirondeaux, ce n'est pas du n'importe quoi, c'est les Stones, rien de plus casse-gueule que les Rolling, Même que le Jag l'était pas fier lorsqu'il a proposé d'enregistrer sa chansonnette sur Let it Bleed. Un truc tout simple qu'il gratouillait à la guitare dans sa salle de bain. Pensez que c'était tellement tordu que le Charlie n'est pas arrivé à reproduire le rythme ( enfin ça devait le gonfler l'a refilé le boulot au premier clampin qui passait ), et que pour étoffer le gâteau z'ont dû faire appel à un chœur spécialisé dans la musique classique, alors là franchement avec les pantoufles soniques de Pierre vos êtes mal partis. Bref se sont accrochés comme le naufragé à son bout d'espar brisé dans l'océan tempêtueux, sont même arrivés à reprendre pied sur la terre ferme. Bref ne nous reste plus qu'à écouter le désastre. On aimerait bien leur river le bec à nos mouettes rieuses qui se moquent de nos appréhensions, ben non, s'en sont sortis comme des chefs. Sont doués et pas comme des perroquets savants qui débitent du Marcel Proust sans rien comprendre au texte.

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    Pas de triche, d'abord réécouter les Stones. Let it Bleed, parfois au lycée on désertait les cours pour se passer dans le foyer le trente-trois tours sans être dérangés, l'on se retrouvait à trois ou quatre pour prendre une part supplémentaire du gâteau d'autant plus délicieux qu'écouté en fraude, sinon c'était entre midi et deux après la cantine, là on était une dizaine, sur 700 ou 800 élèves... ça râlait un peu quand on imposait toute la semaine l'écoute du pirate au serpent vert The greatest group of rock'n'roll on the earth, l'on toisait les récalcitrants d'un tel regard navré et méprisant qu'ils préféraient se les geler dans la cour glaciale... L'était sûr qu'à l'époque il n'y avait que les Stones, ou vous étiez Stones ou vous n'existiez pas... Laissons ces moments inoubliables, et réécoutons avec des oreilles blasées You can't always... on ne comprenait pas les paroles, mais le titre résumait à lui tout seul toutes les frustrations adolescentes et révolutionnaires de la bourrasque de mai 68, on aimait les Stones parce qu'ils vous en donnaient plus pour votre argent ( les 45 on s'en procurait plus facilement ) un son plein comme un œuf, et maintenant à la réécoute je me dis que l'ensemble fait un peu sandwich au patchwork, la Samaritaine du rock, vous y trouvez tout ce dont vous ignoriez jusqu'à l'existence, les Stones vous beurraient la tartine des deux côtés, et vous engluaient le listel de la croute d'une épaisse gluance de confiture. Vous écoutiez les Stones et vous aviez votre ration de survie et de combat pour votre journée. Aujourd'hui à l'entendre, vous ne pouvez pas rester plus de vingt secondes tranquille sans qu'une estafette diligente ne vienne vous livrer un cadeau surprise, en fait on s'en fout un peu, puisqu'après les chœurs symphoniques ne vous reste dans la tête que le premier couplet chanté par le Jag, de quoi qu'il cause on s'en moque mais c'est la manière de le dire, de poser les mots, à chaque syllabe le gars vous dépose une mine antipersonnel, en plus comme il ne commet pas son sinistre méfait en cachette l'est pratiquement tout seul, quelques effleurements de cordes de guitares, et par la suite le morceau se transforme en sapin de Noël, une avalanche de cadeaux vous submerge, choisissez l'orgue est daté mais la voix de Nanette Workman vous enflamme les sens, de toutes les manières ce qui reste gravé dans vos synapses c'est la strophe du début chantée au scalpel par le Jag.

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    Ne faudrait pas croire qu'à écouter les Stones on ait oublié les Crashbirds, parce que eux ils ont compris où nichait la beauté du morceau. Une voix et une guitare et puis tout le reste est superfétatoire. Or justement Delphine possède une voix et une guitare. Pierre aussi, un peu d'électricité ne messied pas quand on cause rock. Pour tout le reste, z'ont fait une croix dessus, et une fosse profonde pour enterrer tout le flot excessif de fioritures dont les Stones vous goinfraient généreusement à la pelle.

    A la première seconde elle a le riff acoustique, et elle ne le lâchera plus, les classicals du gosier peuvent retourner à leur partition, Delphine les remplace avantageusement, l'a de l'émotion dans la voix, comme si elle avait de la réverbe dans le larynx, tout le malheur du monde tombe sur nous, sûr qu'on n'aura pas toujours ce que l'on veut mais pour le moment l'on a Delphine, amplement suffisant avec ce tremblé vocal qu'elle rajoute comme un double sachet de sucre en poudre dans le yaourt, c'est alors que survint Pierre ( qui roule ), l'arrive par derrière, pratiquement en traître, l'a laissé les pantoufles au vestiaire mais il a pris les patins pour ne pas rayer le plancher, l'allume la bougie de son électrique et vous passe la petite flamme sur les cordes, la Delphine en miaule de plaisir, et l'on est parti pour ne pas revenir. Erreur c'est fini. Remarquez, sept minutes de bonheur, on a quand même eu ce dont on avait besoin.

    Damie Chad.

    *

    Je m'étais promis de retourner de temps en temps vers Forêt endormie, pour une fois que l'on a un groupe américain qui chante en français pas question de s'en priver. Puisque dans la livraison 509 du 06 / 05 / 2021 j 'avais chroniqué leur dernier disque, très logiquement je m'étais promis de m'attarder sur l'avant dernier. Pas tout à fait un album, un split, le disque partagé avec un autre groupe. Là j'avoue que j'ai eu peur, que Forêt endormie chantât en français je trouvons cela très bien, mais subito j'ai cru qu'ils étaient doublés sur leur gauche, le nom du deuxième groupe carrément en latin, Quercus Alba, si l'on continue à vouloir remonter aux origines, bientôt les ricains vont se mettre au grec ancien et peut-être même au sanskrit, pas de panique, Quercus Alba est instrumental et les titres sont en anglais.

    FORÊT ENDORMIE / QUERCUS ALBA

    ( Août 2019 )

    Belle pochette crépusculaire signée de Max Alex. Je rappelle que le mot crépuscule désigne autant le matin que le soir. Tonalité mauve pour le ciel, et vert charbonneux pour la terre. Sur la gauche une silhouette d'arbre. Dépouillé de ses feuilles. Pratiquement un squelette de chêne blanc. La lune dans la tourmente des nuées grenat en bouton de chemise, seule présence humaine que je m'amuse à y voir dans ce monde élémental où l'homme n'a pas sa place, trop chétive créature pour les forces telluriques qui convergent dans cette mutation éveil-sommeil, pulsation respiratoire de notre univers.

    FORÊT ENDORMIE

    Victorio Hurblurt : violon / Jordan Guerette : compositions, guitare, chant / Emmett Harrity : piano / Shannon Allen : violoncelle / Kate Beever : vibraphone, percussions, voix.

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    Entouré : notes cristallines gouttes d'eau perlant des feuilles, éveil matutinal, si vous croyez entrer dans un morceau de rock c'est raté, il faut d'abord l'écouter en son entier afin de comprendre que nous sommes en pleine composition classique, un morceau composé comme un opus de musique dite sérieuse, la voix étant traitée en tant qu'instrument et non en locomotive qui ouvre le chemin, l'intro est trompeuse dans sa simplicité, ces sept minutes sont beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît, l'orchestration assez grêle du début évolue en une structure de volutes huluberluantes des plus surprenantes, et sur une vibration de violoncelle une libellule replie ses ailes et s'enferme en elle-même. Le morceau repart en spirale, le piano dans sa progression imite l'odonate qui se meurt, nous sommes plus près de Gnosiennes épurées de Satie que des orchestrations à la Pink Floyd. Vous pouvez rester des heures à tenter de pénétrer le mystère de ces richesses entrouvertes comme un coffre au trésor interdit. Toute écoute s'avère frustrante car elle renouvelle non pas la compréhension mais la vision synesthésique que vous vous formez à chaque fois. Cette lanterne : deuxième mouvement, qui ne vous éclairera pas davantage sur son être profond, des voix plus proches, une espèce de chant grégorien épuré, un piano qui explose et gicle, un violon qui ne s'arrête plus, et tout se tait pour renaître et s'amplifier une fois de plus encore, le premier morceau était beau, celui-ci frise la beauté souveraine, celle de l'idée platonicienne éparpillées parmi les mille verroteries du jeu des perles de verre échappées de leur boulier idéel et qui roulent aux confins du monde et s'en viennent cogner au mur de votre esprit avec la violence de balles assassines. Imaginez un quatuor de Bartok dont les notes seraient distendues et séparées en une lenteur qui n'exclurait aucunement leur violence initiale. Une étincelle que je veux avaler : j'intitulerais celui-ci le chemin du retour, en retrait par rapport aux deux premiers mouvements construits comme un labyrinthe dont les des galeries seraient des échos distordus, l'on repasse par deux moments qui sont les reprises tombales des deux précédents et surprise plus on avance plus l'on sent une extraordinaire présence magnifiée par des voix qui se pressent sur votre chair, non pas pour fêter le retour de l'enfant prodigue mais l'arrivée en une surprenante contrée dont nous ne saurons rien, car la musique s'arrête avant que nous n'en franchissions le seuil.

    Musique savante diront certains, je dirais plutôt exigeante en le sens où elle vous prend par la main et vous n'avez qu'à suivre. Ce qui est sûr, c'est que si vous cédez à ce vertige initial, vous êtes perdu, vous resterez des heures à tenter de trouver le chemin, vous voudrez tout voir, tout comprendre, même l'inaudible et l' ineffable. Une dimension ensorcelante qui n'est pas sans évoquer l'angoisse mystérieuse qui sourd des moindres syllabes et des moindres notes de Pelléas et Mélisande de Debussy et Maeterlinck. Prodigieux.

    Danger, si vous tentez l'expérience beaucoup de groupes prog risquent de perdre de leur couleur et leur attrait.

    QUERCUS ALBA

    Vous retrouvez des mentions de Jake Quittschreibber jusque des sites de Metal, ici il est seul, joue de tous les instruments, surtout du banjo.

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    Equinox : souvent les musiciens donnent à leur morceau instrumental un titre poétique. Me faudrait plusieurs livraisons de Kr'tnt, pour dresser la liste de toutes les équinoxes musicales, là je suis bluffé, ici ça commence bien ou plutôt mal, un arrière-fond musical agrémenté de notes éparses de banjo, faut savoir reconnaître ses torts, c'est vrai que Jake Quittschreibber a trouvé le nombre d'or du son, pas grand-chose, cinq-six notes et tout de suite l'on tombe dans une merveille d'équilibre, s'installe en nous cette évidence qu'ici le jour est égal à la nuit, à la seconde près, deux segments de droite rigoureusement égaux, l'on entend le chuintement des cordes comme un bruit de souris rongeuses, mais rien n'y fait on est confronté à ce que les mathématiciens appellent une remarquable égalité. Dépourvue de toute connotation symbolique, pas de vie, pas de mort, pas de noir, pas de blanc, juste le fléau de la balance rigoureusement droit. L'on pense à ces traités de l'Antiquité qui assimilait la musique à des rapports proportionnels de mathématique. Mourning cloak : l'on change de registre, une cascade de notes en ouverture et l'on pénètre dans le monde blanc, le morceau a beau se cacher sous son manteau de deuil, rien de triste, cela vous a même un petit air espagnol, disons de gravité ibérique, et le pendule tictacte fort joliment, point de roses de moroses, juste un mouvement de claudication, comme si la mort n'était que le pas que l'on n'ose pas avancer pour rentrer et revenir dans le monde des vivants. Pas de quoi être triste. La mort un peu profond ruisseau calomnié a écrit Mallarmé. Melting stream : ne croyez pas que le ruisseau qui charrie la vie sera plus joyeux, coule même lentement, le banjo est roi mais le morceau progresse surtout par ce sifflement doux et insupportable, c'est lui qui apporte le froid vivifiant nécessaire à la fonte des énergies, l'eau coule sous la glace même si parfois elle s'amasse, en de sombres cavernes souterraines, c'est pour mieux repartir et devenir fontaine de jouvence et de grande résurgence. Skies of gold : banjo au trot de vives joliesses, comment le Quitts peut-il insuffler tant d'allégresse à cette sonorité si grêle, c'est parti pour un sirtaki exalté et une flopée de notes aussi brinqueballantes qu'une bourrée auvergnate, l'on n'a peut-être pas atteint le ciel mais il pleut de la joie si fort qu'elle tinte comme des pièces d'or.

    L'on serait tenté d'affirmer que la face A est réservée à la musique savante et la B à l'expression de la musique populaire. Une riche idée de leur avoir permis de coexister de si près. L'on s'aperçoit qu'elles ne sont pas si éloignées que cela, toutes deux s'immiscent en nous pour atteindre et toucher notre sensibilité. Il suffit de se mettre en état de réception maximale.

    ETIRE DANS LE CIEL VIDE

    FORÊT ENDORMIE

    ( Octobre 2017 )

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    Ce n'était pas prévu, mais le disque précédent m'a laissé une si forte impression que j'ai eu envie d'en entendre davantage. J'ai descendu d'un étage, c'était le rez-de-chaussée, le premier LP, avant celui-ci un seul morceau enregistré en juin 2017 qui ouvre cet album.

    Pochette due à Max Allen, si la précédente peut-être facilement rattachée à l'iconographie du romantisme allemand, qui exalte la confrontation de l'animalcule humain à la mystérieuse présence de la Nature entrevue entant que phusis panthéiste, celle-ci se rapproche davantage de l'âme torturée d'un symbolisme plus tourmenté, l'impression d'être confronté à une coupe intérieure du cerveau de Monsieur Teste de Paul Valéry, on aperçoit les structures labyrinthiques des deux cotylédons ouverts encore engoncés dans l'ossature rocheuse du crâne dont on aurait scié la calotte. Le microcosme individuel s'offre à nous en tant que reproduction miniaturisée de la complexité macrocosmique de la Nature. Au-dessus le ciel bleu vide, nous comprenons dépourvu de toute déité. Une absence qui peut produire quelques angoisses. Pour la petite histoire nous remarquerons qu'un lecteur distrait ou pressé lira le titre de l'album : Etire dans le ciel vide en Etre dans le ciel vide...

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    L'angoisse : poème de Paul Verlaine ( le lecteur se rapportera aux textes de souvenirs que Paul Valéry a composés sur ce passant considérable accompagné de son troupeau bachique ) extrait de Les poèmes Saturniens. Il existe sur You Tube une vidéo sur laquelle l'on voit le groupe interpréter ce morceau, au milieu d'une forêt. L'auditeur sera sensible à la mise en voix de la forme compacte du sonnet verlainien, qui est ici étiré à l'extrême, l'on pourrait dire dispersé comme ces épaves que la houle emporte dans l'écume du naufrage de Brise Marine, de Stéphane Mallarmé ami cher de Verlaine, car ce n'est pas un navire qui coule mais les débris d'une âme humaine désespérée que les flots emportent, tout est en place pour un mélodrame, mais la partition de Jordan Guerette insiste sur l'idée de dispersion, le drame est évacué par cette orchestration qui semble prendre l'eau de toutes parts, c'est le sens du monde et des hommes qui s'en va à vau-l'eau, et peut-être n'est-ce pas aussi grave que cela, hymne à la déliquescence du monde, des hommes et de l'art. Et ce chant qui mange les mots, à l'image de la mer et de la mort qui ne ne rendent jamais ce qu'elles ont pris. Trois morceaux ! I, II, III, nomenclaturés, dans la musique classique cela est de nature courante du genre : concerto pour Clarinette et orchestre, n'empêche que cette corde et ce marteau me semblent participer de ces bouts de ficelles et de ces marteaux sans clous avec lesquels on s'empresse de rafistoler une coque de navire délabrée : String & hammer I : Sylvan Wayfaring : piano et violon, chutes alternées de l'un et glissando de l'autre, zigzaguer entre les troncs un peu à la manière du cavalier dans le tableau de Magritte Le Blanc-seing, une alternance qui permet de passer entre les arbres ou de se fondre en eux, un peu comme les hamadryades antiques étaient des nymphes qui se manifestaient sous forme d'arbre, une manière de peupler ce que l'on est et ce que l'on n'est pas car l'on est autant ce que l'on est que ce que l'on n'est pas, le morceau atteint à une forme de plénitude symphonique que l'on pourrait qualifier d'horizontale en le sens où elle semble avancer avec tout son espace de déploiement vers un point d'effacement, puis disparaît tel le faune de Mallarmé, '' Couple, adieu : je vais voir l'ombre que tu devins. '' String & hammer II : Pastorale : avec un tel titre l'on reste dans la forêt et l'on rentre aussi dans la symphonie ô combien symphonique de Beethoven, ce n'est pas la nature qui s'exprime mais la jouissance innocente de l'Humain dans le domaine naturel, très belle amplitude du violoncelle qui semble délimiter les murs intemporels d'un refuge idyllique. Closure réfugiale. String & hammer III : Baleful apparition : trop bien, trop beau, la forêt est aussi un monde étrange, un être qui transparaît dans l'innocence présence de ses feuillages, notes de piano comme rugosités d'écorces desquamées, qui marche là, qui glisse là, sur les andins du violon et puis tressaute, juste assez fort pour manifester, l'apparition invisible de quelque chose de plus grand que vous, qui vous englobe. Et peut-être vous gobe comme le museau animal d'un monstre qui serait la vie. The cleaning : mise au point, mise au net, une voix, des chœurs après ce titre intermède lyrique, il est temps que l'être humain revendique sa place, l'homme et la femme, le couple primordial et impossible, Sieglinde et Siegfred, de cette forêt enchantée qu'est la tétralogie wagnérienne qui conte la chute des Dieux et contient dans ces dissonances la gestation de la musique française qui s'en suivit. Méditations on disquiet : rondeurs et sombreurs de notes qui se prolongent et résonnent tel le soupçon de l'incertitude qui nous hante, tout est calme et doux mais la fêlure est là, même si elle ressemble à une traînée de miel sur un bras ami, la musique le dit, quelque chose est là qui n'est pas la musique, une présence qui n'est pas moi, me partage et m'attire, barytonneries de violoncelle, une résonance étrangère qui vient se mêler à ce monde pacifié comme une torche noire qui s'en vient apporter la fièvre et le tourment, mais qui ne brûle pas plus que ne rougeoie notre âme inquiète. Soleils couchants : deuxième poème de Verlaine extrait de Poèmes Saturniens, rappelons-nous que le nom de Saturne rappelle autant le fabuleux âge d'or qui se déroula sous son règne que la fin de celui-ci lorsque Zeus chassa son père, l'on ne sera pas étonné de la dimension cosmique de l'accompagnement pas du tout infatué de lui-même, une course en avant tressautante parfois, qui réussit à s'apaiser, mais il est difficile à des instruments humains d'imiter la musique des sphères, ne peuvent qu'en exprimer ces ombres platoniciennes qui dansent sur le mur de la caverne platonicienne. L'arbitrage : piano à Gnossos s'il fallait interpréter la dernière toile de Nicolas de Staël, puisqu'il faut en finir, et même dans la forêt profonde du mystère des origines, il faut bien couper la pomme ou la poire en deux, s'interroger sur la part qu'il faut préserver pour les dieux absents, la plus grosse, la plus mûre, la plus juteuse pour les pauvres humains, mais la musique nous le déclame doucement à l'oreille, les Autres avec cette moitié ridée, sèche et dure, avec ce morceau riquiqui ont accédé à l'immortalité du non-être. Tant pis pour nous. Forêt endormie évoque ce que nous avons perdu.

    Plus angoissé et torturé que la face A du disque précédent – n'oublions pas que c'est Etire dans le ciel vide qui lui est chronologiquement antérieur – pose la problématique de notre présence sur cette terre mais ne parvient pas à la circonscrire. De fait l'écoute est pour ainsi dire davantage intellectuelle. Faut calculer pour se diriger dans un labyrinthe. Très beau disque.

    Damie Chad.

    *

    L'on était dans le Minnesota avec Quercus Alba autant y rester, d'autant plus que ce Jake Quittschreiber et son banjo dont on retrouve le nom dans le réseau Metal m'interrogeait et me posait question. Une rapide enquête m'a permis de le localiser dans un groupe de doom, Circadian Ritual. Le groupe a enregistré deux albums sur le minnesotien label Live Fast Dye et ne donne plus de nouvelles depuis décembre 2019...

    L'écoute de Circadian Ritual après Quercus Alba peut déstabiliser. Ces deux projets apparaîtront à beaucoup comme provenant de deux univers totalement différents et presque antagonistes. Il existe pourtant un trait d'union évident, Jake Quittschreiber en personne, si de surcroît l'on réfléchit un peu le banjo agreste du premier – les pochettes des albums du Chêne Blanc le confirment – n'est pas loin d'une vision holistique de la nature telle que la pratiquent les hippies spinozistes et la revendication de ces rythmes circadiens ( qui s'étendent sur une durée à peu près égale à vingt-quatre heures ) n'est pas étrangère à de nombreux cycles naturels, notamment végétal et animal. Ne parlons pas des hominidés... Une certaine mystique contemplative peut considérer le déroulement de ces cycles comme des rituels...

    S / T

    CIRCADIAN RITUAL

    ( Juillet 2016 )

    Rick Parsons : guitare / Jake Quittschreiber : guitare, vocal / Ben Shaffer : basse / Jim Clark : batterie.

    S/T signifie-t-il temps sacré ( sacred time ) ? Pochette noire, ombreuse. Des cimes d'arbres éclairées par la trouée lumineuse de l'astre sélénique à moins que ce ne soit un appel, un troublant trou blanc en but d'une allée pratiquement invisible que l'on n'imagine qu'avec peine. Sur le côté deux bouts de pilastres qui signent la présence anonyme d'une entrée, serait-ce celle d'un cimetière...

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    The high priestess : lenteur agonisique, voiles funèbres de guitares que le vent remue faiblement, ambiance noire, une avancée très très darkly, des grincements, clous de cercueils que l'on arrache de l'intérieur, pas lourds d'une légion d'ombres en marche, l'on sent des muscles roides, ankylosés mais l'amplitude des enjambées devient manifeste, la cadence s'accentue, clarté de guitares vite réprimées par un son qui prend de l'allant, il est sûr que l'on piétine sur un chemin de pierre et la grande prêtresse prend la parole, elle est la déesse éternelle, elle ne prononce que son nom, et la voix des morts prend la relève, la rumeur engorgée psalmodie et la musique accapare la tête du défilé, plus forte, plus violente, une batterie qui tire et pousse et la voix des mourus s'impose et s'expose, litanie des morts vivants qui empruntent le tunnel des aîtres intérieurs pour renaître, revenir à la vie, repartir, s'envoler dans le grand tourbillon vital, vie et mort s'emmêlent, naissance et décès ne forment plus qu'une clameur victorieuse. Ethereal monolith : intro grandiose qui se traîne en sa majesté, l'instant est décisif, l'on sent comme une élévation, une aspiration, la prise en main de son destin, la musique s'appesantit, des pas qui ébranlent la terre, la batterie écroule les arbres, une longue agonie de guitare et la basse prend place, les dernières pentes de la montagne magique, l'air se raréfie il est peu à peu remplacé par un fluide éthérien plus subtil que seuls les créatures supérieures peuvent respirer à leur guise, c'est le moment où le héros ne contrôle plus sa raison, n'est-il pas en route vers l'Insurmontable, au travers de murailles cyclopéennes, une voix qui n'est plus que de cendres brûlantes, que d'invectives de feu adressées à soi-même, tout se tait, rien que le frôlement d'une basse exsangue et nous voici au sommet face au monolithe d'éther, comment une pierre aussi monstrueuse peut-elle être constituée d'un brouillard d'atomes, c'est le moment du duel, grognements terribles, fauves en furies, l'on ne saura jamais, une brume musicale tel un rideau qui descend à la fin du dernier acte, et cache ce que l'on ne doit apprendre qu'en suivant notre pensée ,si elle est assez vive pour se faufiler dans ce kaos sonore, et saisir la voix de l'inaudible au milieu de cet ébranlement terminatif. Black Chalice I : lourdeurs de cordes chuintantes, résonances, une cloche sonne dans le lointain de la nuit, l'heure des grands changements est arrivée, la voix vomit commandements et excommunications, ce qui doit périr doit périr, les promesses d'immortalité ne sont qu'un leurre, la musique se répand comme un gaz toxique chargé de mort, coups de béliers sur les certitudes humaines, l'ordre nouveau n'est qu'édits de folie et d'incertitudes, monstrueuse tabula rasa, coups de faux mortuaires sur l'herbe des vivants, procession vers le néant qui n'en finit pas, tous innocents et tous coupables, si vous abolissez le péché il faut aussi abolir les pécheurs. Une guitare claironne dans le lointain qui se rapproche. Black Chalice II : si vous croyiez avoir atteint le pire, écoutez ces pétarades phoniques qui ne laissent rien augurer de bon, et ces abats sanglants de tentures magnifiques qui se déploient autour de vous, auréolés de chœurs d'anges maudits, vous n'êtes pas près d'être tirés d'affaire, renoncez à tout espoir, l'enfer est sur cette terre, vous n'y échapperez pas, des remparts de basses s'écroulent sur vous pour empêcher toute fuite, l'on marche sur vos corps agenouillés, l'on vous écrase, il n'est pas de bonne mort sans souffrance, vous avez cru vous échapper, vous avez tenté votre chance, mais vous avez perdu, la religion est un étau destiné à vous enserrer, à vous broyer méthodiquement, sans pitié, sans amour, sans espoir, des vents de colères se lèvent et tournoient sur votre charpie humaine, les vomissures vocales prophétisent votre esclavage physique et moral, miaulements effrayants de fauves affamés lâchés sur vous. Galopade de terreurs. L'on serre une dernière fois l'écrou fatal.

    Pas vraiment réjouissant. Les amateurs de doom adoreront. Feront comme moi.

    BEFALLEN

    CIRCADIAN RITUAL

    ( Décembre 2017 )

    Pochette de Jake Quittschreiber, si vous la comparez avec la précédente de Bjorn Christianson vous aurez tendance de la qualifier de flashy grâce à ce jaune illuminatif qui accapare la vue, et vous cache la noirceur de cette langue de terre qui s'avance dans la mer, et rampe sous le ciel. Tellement obscure qu'elle semble n'avoir d'autre but que de rendre l'artefact plus lumineux. Ne vous trompez pas, comme l'on dit dans un film célèbre, nous sommes ici du côté obscur de la force.

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    Solomon's Temple : cordes qui sonnent comme un psaltérion, grondement lointain qui vibre, enfle et prend toute la place, le chant est censé évoquer la magnificence du lieu sacré, un borborygme qui s'étend trop longtemps pour que l'on y croie, macérations phoniques comme si le Dieu en personne prophétisait, rappel de batterie et la voix reprend et s'étire tandis que le background se précipite, des chants liturgiques s'élèvent, soyez heureux vous êtes sous la protection divine, la musique s'emballe et file à toute vitesse comme si elle descendait le temps... aujourd'hui, de toute cette magnificence ne subsiste rien, rayée de la surface de la terre, grandiloquence du temps qui passe et efface tout, rien ne subsiste des promesses divines, la mort arase tout, rythmiques de guitares implacables, la marée des jours s'amoncelle sur elle-même et rien ne surnage, sombre et grave la réalité de la dispersion en poussière s'abat sur vous et recouvre de cendres les hommes et les dieux. Befallen : vous avez lu l'Apocalypse, vous l'entendez en musique, ce ne sont pas vos yeux qui saignent de désespoir mais vos oreilles, surprises de ces sons si doux... qui ne durent pas longtemps, voici les imprécations du désastre, entrecoupées de courts silences et de voix agonisantes, qui parle ? qui gagne ? qui perd ? la bête sort du gouffre, les anges s'en viennent au combat, mais il est perdu d'avance, les hommes n'y croient plus, la terre est infestée d'hérétiques, musique noire et emphatique une cloche sonne le glas de la conscience du Dieu, malédiction humaine, le royaume est une pomme pourrie qui court lentement vers sa dissolution annoncée, clameurs de désespoir et de colère, rien n'arrêtera l'Inéluctable, seule la mort triomphera, cela se termine par une onction de grâce au néant des choses abîmales. Très fort. Très beau. Elysian desire : ici tout n'est que luxe calme et volupté, que peut-on désirer lorsque l'on est mort si ce n'est l'immortalité, instrumental, ce ne sont pas séraphins qui tirent sur les cordes des harpes célestes mais un désir d'éternité impossible qui monte, enfle et gonfle, que rien ne peut arrêter, ni même satisfaire, car lorsque l'on désire le tout le désir est encore étranger à ce trou, et la musique speede aux confins de l'univers en une espèce de tapis magique cosmosique, débordement que la batterie essaie de contenir mais les guitares emportent le tout et forcent le passage. Pyramids : sont-ce des anges qui chantent ou des puissances démoniaques, l'on croyait que Dieu était mort, mais nous voici au cente de l'Empyrée, après avoir parcouru les champs élyséens nous serions donc arrives emportés par la musique comme un bateau perdu dans l'espace, non plus après la mort du Dieu mais avant sa naissance, dans la musique des sphères, un peu graisseuses, il faut l'avouer, mais ô combien entraînante et dispensatrice d'un certain équilibre, à la manière de ces monuments aux bases énormes mais qui s'affinaient en leur sommet au point de toucher l'éther après avoir délaissé leur revêtements de pierres, le chant n'est plus qu'un gargouillis d'éternité soutenue par des voiles empourprés taillés dans le linceul des Dieux. Montée graduelle vers le plaisir de la grandeur. The hierophant : la dernière carte, l'arcane suprême que l'on jette en annonce nouvelle lorsque l'on a gagné la partie, lorsque le grand-œuvre est enfin réalisé, tonnerre de guitare, c'est Zeus tonnant, le Jupiter païen qui apparaît, une apparition qui remet le chemin tortueux de ces titres droit vers les étoiles d'un coup de foudre, les anciens dieux ont repris le pouvoir et leurs adeptes les fêtent dignement. Le morceau se déroule tel un hymne homérien, vindicatif et triomphal, buccins phénoménaux, la terre enfin réconciliée avec elle-même, les hommes exultent, ils sont les modèles des Dieux qu'ils ont replacés sur le trône impérieux. Derniers chuintements des plus paisibles. Heidegger aurait écrit qu'ils sont arrivés dans la maison de l'Être.

    Le disque est à écouter comment font-ils simplement à quatre pour donner une telle force à leur musique, l'opus s'écoute comme une symphonie romantique en progression continuelle, parviennent à indiquer une direction, à donner du sens, comparé à celui-ci, le premier très bon en lui-même n'est pas exempt d'une certaine contingence. Chef-d'œuvre doom. Mythologique.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 495 : KR'TNT ! 495: PHIL SPECTOR / RON WOOD / SHELLEY - CROWLEY / SOUL TIME / TONY MARLOW / STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES XVIII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    phil spector,ron wood,shelley-crowley,soul time,tony marlow,steppenwolf,rockambolesques 18

    LIVRAISON 495

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    28 / 01 / 2021

     

    PHIL SPECTOR / RON WOOD

    SHELLEY-CROWLEY / SOUL TIME

    TONY MARLOW / STEPPENWOLF

    ROCKAMBOLESQUES XVIII

     

    Spectorculaire - Part One

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    En guise d’adieu à Phil Spector qui vient de casser sa vieille pipe en bois, nous sortons du formol ce vieux conte égyptien. Il fut d’abord conçu en hiéroglyphes, mais vu que les lecteurs de KRTNT ne sont pas tous férus d’égyptologie, il nous a semblé plus prudent de le traduire en langue française. Puis nous nous pencherons sur l’abondante littérature spectorienne dans un Part Two et un Part Three viendra flatter l’œuvre, car c’est bien d’une œuvre dont il s’agir.

    Pharaon fait son entrée dans le temple du son. Les talons de ses Chelsea boots claquent sur le marbre du sol. Haut comme trois pommes et maigre comme un clou, il porte une tiare en or, un pagne fraîchement repassé et des grosses lunettes noires. De longues rouflaquettes encadrent son visage. Sur la tiare en or est épinglé un badge «Back to Mono».

    Le temple s’ouvre sur la vallée des morts. Au fond de la vallée sont rassemblés quelques milliers de musiciens issus de toutes les peuplades de l’empire. Ils attendent en silence, telle est la consigne. De part et d’autre de la vallée, des milliers d’esclaves motivés par le fouet élèvent un mur gigantesque. Ils font rouler des moellons de plusieurs tonnes sur de gros rondins de cèdre lubrifiés. Le mur doit s’élever jusqu’au ciel, car telle est la volonté de Pharaon.

    Il fait construire le wall of sound.

    Pharaon se prépare à entrer dans l’histoire. Il lance un défi aux dieux dont il se dit l’égal. Plutôt que de conquérir le monde pour montrer sa puissance, Pharaon préfère écrire des chansons. Quand les dieux entendront «River Deep Mountain High», ils frémiront.

    Pharaon vient d’écrire «River Deep Mountain High» avec Jeff Barry et Ellie Greenwich. Extraordinairement cultivés, Jeff et Ellie sont ses scribes les plus précieux.

    Pharaon contemple longuement la vallée. Il éprouve de grandes difficultés à dominer son impatience. Il sait qu’il tient un tube éternel. Ses narines palpitent. Sous le pagne, il sent son membre divin se dresser lentement. Il fait signe aux prêtres du temple du son. Il veut entendre les oracles. Les prêtres éventrent les bestiaux prévus à cet effet et accourent les mains pleines d’abats sanguinolents. Ils se bousculent pour offrir à Pharaon l’exclusivité des oracles.

    — Les conditions sont réunies, Pharaon ! Il ne pleuvra pas aujourd’hui !

    Agacé, Pharaon envoie un terrible coup de sa crosse en or sur le crâne du prêtre-météo qui s’agenouille, abasourdi de terreur.

    — Mais il ne pleut jamais dans la région, sombre crétin ! Qu’on le jette aux crocodiles sacrés !

    — Noooon pitié Pharaon ! Nooon !

    Les Turkmènes de la garde rapprochée emmènent le prêtre qui se débat. Pharaon commence toujours par caler ses orchestrations. Lorsqu’elles sont irréprochables, il demande à des interprètes soigneusement sélectionnés de venir s’y fondre. Pharaon vit dans l’obsession de l’osmose : le jour et la nuit, la folie et le génie, les cuivres et les cordes, le ciel et la mer, le chant et l’instrumentation, il mêle les extrêmes en permanence.

    Il se tourne vers l’horizon et lève les bras au ciel. Un immense murmure s’élève de la vallée. Les musiciens s’affairent. Ils vont bientôt devoir jouer selon les règles strictes édictées par Pharaon. Les partitions sont gravées dans des tablettes d’argile. Des milliers de scribes ont travaillé jour et nuit. Les musiciens n’ont que quelques minutes pour s’accorder sous le soleil de plomb. Quand Pharaon donnera le signal, ils devront être prêts à jouer. Pharaon donne ses dernières instructions :

    — Bassistes crétois, vous façonnerez l’épine dorsale d’une grosse bassline et vous fendrez le silence comme la proue d’un navire de guerre ! Quant à vous, guitaristes ibères, je vous demande de jouer le rythme basique ! Ne jouez rien d’autre, pas de flamenco,avez-vous bien compris ?

    Une immense clameur monte de la vallée :

    — Yeahhhhhh Pharaon !

    Puis il s’adresse aux huit mille pianistes :

    — Je vous demande de jouer les octaves de la main droite ! J’exige de vous l’emphase dramaturgique !

    — Got iiiiiiit, Pharaon !

    Pharaon passe sa main dans le dos et ramène le flingue qu’il garde toujours serré sous la ceinture. Il tire un coup en l’air. C’est le signal. Les basses crétoises roulent comme le tonnerre, agrémentées de tampanis congolais. L’immense orchestre joue une petite introduction en escalier. Pharaon lève les bras.

    Silence.

    Puis l’orchestre reprend, des vagues assourdissantes s’en vont se briser contre les murailles et se réverbèrent dans un chaos d’écho d’une profondeur incommensurable. Des nappes de piano s’envolent comme des nuées de sauterelles et s’en vont percuter les roulements des tambours que battent avec pesanteur des milliers de berbères. Pharaon fait jouer l’orchestre des jours durant. Il n’est jamais satisfait.

    Et puis un jour, son visage se détend. Les lèvres tremblantes, il murmure :

    — Oui, c’est ça ! C’est ça !

    La qualité de l’écho atteint la perfection. Pharaon lève les bras au ciel. Les musiciens arrêtent de jouer, mais les deux murailles géantes renvoient encore de l’écho pendant de longues minutes. Jusqu’à ce que le silence s’installe.

    L’orchestration est au point, le moment est venu de choisir un chanteur ou une chanteuse. Pharaon ordonne qu’on fasse venir les cages des candidats. Dix petites cages à roulettes sont installées en demi-cercle sur l’esplanade du temple. Pharaon les passe en revue. Dans la première s’agitent quatre sauvages à la peau blanche. Ils ont les cheveux longs et sales. Ils portent des blousons de cuir et des jeans déchirés.

    Pharaon s’adresse au plus grand :

    — Ton nom !

    — Joey Ramone !

    — Chante-moi quelque chose !

    Joey bombe le torse et chante «Baby I Love You» des Ronettes. Pharaon est agréablement surpris.

    — Hum... Tu as une bonne voix, mais tes amis ne me plaisent pas du tout... Ils ont l’air tellement stupides !

    Celui qui reste allongé dans la paille lance d’une voix rageuse :

    — Je m’appelle Dee Dee et je t’encule, Pharaon tête de con !

    Et Dee Dee crache au sol, juste entre les deux pieds de Pharaon. Silence de mort.

    Pharaon sort son flingue, tire une balle dans le ciel et hurle :

    — Aux crocodiles !

    Dans la deuxième cage se trouve un autre sauvage à la peau blanche. Il porte une barbe et les cheveux longs.

    — Ton nom ?

    — George Harrison !

    — Tu m’as l’air bien mystique... Chante !

    Le pauvre George n’est pas en très bonne santé. Il ravale sa salive et chante «My Sweet Lord».

    — Aux crocodiles !

    Pharaon passe à la cage suivante. Un autre sauvage à la peau blanche et une chinoise sont allongés nus dans la paille.

    — Ton nom !

    — John Lennon et elle, c’est Yoko !

    Pharaon admire les formes un peu lourdes de la chinoise :

    — Vous n’êtes pas là pour forniquer mais pour chanter. Alors chantez !

    John Lennon se lève et entonne «Instant Karma». Yoko joue du tambourin en faisant un sourire qui ressemble à une grimace. Pharaon ne les envoie pas aux crocodiles. Il ne veut pas que ses crocodiles sacrés attrapent une indigestion.

    Dans la cage suivante se trouve encore un blanc.

    — Ton nom ?

    — Dion DiMucci !

    Pharaon ne lui demande même pas de chanter. Trop romantique. «River Deep Mountain High» a besoin de chair fraîche. Pharaon passe en revue cinq autres cages où sont enfermés les Crystals, les Righteous Brothers, Darlene Love, Leonard Cohen, Bobb B Soxx.

    Il se plante devant la dernière cage. Une esclave nubienne plonge son regard de feu dans celui de Pharaon. Elle porte une tunique déchirée qui ne cache pas grand chose de son anatomie pulpeuse. Ses cuisses ressemblent à des colonnes d’albâtre.

    — Ton nom, horrible femelle lascive !

    — Tina, Pharaon, pour te servir...

    Et elle fait glisser la pointe de sa langue sur le pourtour de sa bouche entrouverte. Près d’elle se tient un grand Nubien d’apparence teigneuse.

    — Ton nom !

    — Ike Turner ! Je suis le mari !

    — Faites-la sortir de la cage ! Pas lui ! Qu’il y reste et emmenez-le avec les autres ! Qu’ils disparaissent tous de ma vue ! Mon génie ne les a même pas aveuglés ! Ah les chiens galeux ! Que les descendants de ces immondes barbares soient maudits jusqu’à la septième génération !

    Tina est enchaînée. En marchant, elle râle comme une panthère. Pharaon la présente à l’immense orchestre installé jusqu’au fond de la vallée.

    — Musiciens ! Voici Tina ! Elle portera ma chanson aux nues !

    Un grondement d’acclamations roule dans la vallée. On installe un pupitre devant Tina. Les paroles de la chanson sont gravées sur une tablette d’argile. Pharaon lève les bras au ciel. Le silence se rétablit. Il tire un coup de feu en l’air. L’orchestre joue la petite intro en escalier. Break. Silence. Reprise. Tina ouvre une bouche grande comme un four :

    — Quand j’étais une petite fille, j’avais une poupée de chiffon, la seule poupée que j’aie jamais eue... Maintenant je t’aime comme j’aimais cette poupée de chiffon... Mais maintenant mon amour a grandi !

    Tina chante comme une nymphomane. Elle roule les paroles entre ses muqueuses. Elle est poignante et magnifique. Le son qui monte de la vallée l’enveloppe. Des langues d’écho lèchent la peau luisante de ses cuisses. Les musiciens des premiers rangs voient son sexe béant palpiter.

    Alors Pharaon donne un violent coup de crosse sur le sol et le son explose. L’immense orchestre de la vallée bâtit des montagnes imaginaires, des ponts de cristal suspendus, des murailles de verre, des cavernes enchantées, des falaises de marbre, des gouffres abyssaux et des cascades de son s’écoulent dans des précipices wagnériens, des fumées blanches montent dans l’air saturé d’écho, une féérie grandiose éclate dans le tournoiement des masses d’air. Les tambours et les percussions se fondent dans les basses qui se fondent dans les guitares qui se fondent dans les pianos qui se fondent dans les violons soudanais qui se fondent dans les voix. En transcendant le principe même de l’osmose cosmique, Pharaon crée une fantastique pulsation qui remplit tout l’univers perceptible. Et au sommet de cette pulsation s’empale l’esclave Tina. Chaque molécule de son corps se dissout dans le souffle magique que renvoient les deux murailles géantes.

    Pharaon lève les bras au ciel. L’orchestre s’arrête brusquement. Quel choc ! Un silence vibrant d’écho s’installe. Les dieux ne pardonneront jamais à Pharaon de les avoir ainsi nargués. «River Deep Mountain High» n’aura pas le succès escompté. Profondément vexé, Pharaon fera construire une pyramide avec les moellons de son mur du son et s’y retirera pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Spectordu

    Phil Spector. Disparu le 16 janvier 2021

     

    Knock on Wood

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    Dommage. Vraiment dommage. La petite autobio de Ronnie Wood aurait pu valoir son pesant de rigolade, car Woody a une réputation de joyeux drille. Manque de pot, il tombe avec Ronnie dans le piège que la célébrité tend à tous les parvenus : le pauvre Woody se complaît dans l’étalage de people, c’est même par moments assez abject. N’allons pas salir le blog de Damie Chad en citant les noms de ces horribles célébrités que Woody se targue de fréquenter. Pour une fois qu’on a un blog bien propre, n’allons pas tout gâcher avec du m’as-tu-vu à la mormoille. C’est d’autant plus dommage qu’au départ, Woody ne fréquentait que des gens bien : Jeff Beck, Ronnie Lane & the Faces, et puis fatalement Keef. Manque de discernement ? Allez savoir... Besoin de reconnaissance, sûrement. Dans les dernières pages, il se livre à un délire d’auto-satisfaction. Comment ? En jonglant avec ses multiples talents. On le savait guitariste, peintre (my art), et le voilà qui se projette dans un avenir de romancier, de scénariste et de cinéaste. Il explose de vantardise comme la crapaud de La Fontaine. Cette fin d’autobio est encore pire que celle de Cash qui lui se vantait d’avoir les maladies les plus rares du monde, après s’être vanté d’avoir les gens les plus célèbres du monde comme amis. On entre avec ces recueils de mémoires dans des sphères qui nous dépassent et qui sont celles de l’ultra-célébrité. Elles ne font malheureusement pas rêver. On leur laisse leur pauvre ultra-célébrité, leur train de vie et tout le maudit saint-frusquin qui va avec. Nous ne voyons pas l’aristocratie de la même manière. Syd Barrett, oui, Ron Wood, non. Mais Keef oui. Justement, le gros intérêt du Wood book, c’est Keef, car forcément, Woody le fréquente assidûment. Un jour en 1965, Jag appelle Woody pour lui demander s’il veut bien venir jouer de la guitare en session. Jag produit le duo Rod Stewart/PP Arnold qui enregistre «Come Home Baby» et c’est là, à l’Olympic studio, in Barnes, que Woody voit Keef pour la première fois. Puis Woody achète un maison luxueuse, the Wick, à Richmond, et Keef vient habiter dans le cottage attenant où avait vécu quelques temps Ronnie Lane. Comme Woody a installé un studio à la cave du Wick, Keef et lui passent leur temps à jouer, et pouf, il nous ressort l’histoire de l’ancient art of waving qui, nous rappelle Mike Edison dans son Charlie book, existait du temps de Brian Jones. Woody revient sur cette interaction entre les deux guitaristes qui caractérisait le son des early Stones. Il explique aussi une autre particularité de la Stonesy : «Depuis le début, les Stones ont toujours eu un style particulier. Keef joue un accord, Charlie suit et Bill est légèrement derrière Charlie. Et Brian Jones se situait quelque part au milieu.» Woody raconte aussi que la fréquentation de Keef n’est pas de tout repos. C’est même parfois assez violent. Keef sortait parfois son Bowie knife et posait la lame sur la gorge de Woody en lui disant qu’il allait le tuer. Alors Woody raconte que pour sauver sa peau, il fixait Keef dans le blanc des yeux (a stareout). Il ajoute que l’incident se produisait environ deux fois par an, à la grande époque de la coke. Une autre fois, Keef entra dans la piaule de Woody en brandissant Derringer, alors Woody sortit son Magnum 44 - That was the last time Keith ever drew his gun on me, until the next time - Ah les drogues ! Pour ça, ils sont les champions du monde. Keef déclara un jour qu’il n’avait jamais eu de problème avec les drogues, seulement avec les flics. Et Woody ajoute que si Keef est encore en vie, il doit ça au top quality junk, et jamais il n’a dérogé à ce principe : pas question de prendre n’importe quoi. Woody poursuit en rappelant que Keef a la constitution d’un ox et qu’il a eu beaucoup de chance, notamment d’être tombé sur des juges compréhensifs. Il a en outre toujours veillé à donner aux médias ce qu’ils attendaient. Woody rappelle aussi que Keef est un bourreau de travail. Il cite l’anecdote de l’enregistrement d’Emotional Rescue à Paris : tout le monde est crevé, mais Keef veut continuer à travailler, alors tout le monde doit continuer à travailler. Keef : «Nobody sleeps while I’m awake !». L’épisode le plus rigolo du Keef chapter est celui des retrouvailles avec son père Bert à Redlands. Keef fait venir son père qu’il n’a jamais revu depuis l’enfance et demande à Woody d’aller l’accueillir à sa descente de voiture. C’est la première fois que Woody voit Keef dans cet état de nervosité. La bagnole arrive dans le jardin et Woody va accueillir Bert. Bert est un vieil homme qui fume la pipe et qui a les jambes arquées. Woody lui donne son bras. Ils approchent tous les deux de la maison et soudain Keef apparaît à la fenêtre et lance à Woody : «Tu ne savais pas que j’étais le fils de Popeye ?». L’autre truc qui fait bien marrer Woody, c’est l’histoire des Glimmer twins qui remonte à l’époque où Jag et Keef voyageaient incognito sur un paquebot. Ils intriguaient une vieille qui finit par les coincer sur le pont : «Who are you ? Just give us a glimmer !». Le glimmer vient de là et Keef ajoute : «Mick est ma femme, que ça me plaise ou non. Impossible pour nous de divorcer.» Par contre, l’épisode des décorations royales (équivalent britannique de la légion d’honneur) impressionne Woody : «Quand Mick a obtenu la sienne, Keith aurait dû en obtenir une aussi. Mais si Buckingham Palace avait offert un knighthood à Keith, ça aurait dû être autre chose. Ils savaient qu’il n’accepterait jamais. Ce genre de chose ne signifie rien pour lui. Il me disait : ‘Qu’on m’appelle Sir Keith n’est pas un hommage assez important à mes yeux. Fuck knighthood, give me a peerage.» Vers la fin du book, Woody nous emmène dans les loges des Stones. Chacun la sienne. Keef s’installe devant son miroir. Personne ne lui coupe les cheveux, il prend des ciseaux et le fait lui-même, il taille dans la masse. C’est Keef - Keith only ever wears Keith-clothes - Pas d’habilleuse ni de coiffeuse.

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    Avec Keef, l’autre personnage central de l’autobio c’est bien sûr la dope. Woody explique qu’il passe beaucoup de temps dans la bathroom - a very long journey through freebase, coke, heroin, booze and more freebase - Il évoque aussi le fameux pharmaticals - There was a pill in those days called Destubol, moitié turquoise et moitié orange, and it was half-upper and half-downer. Freddie Sessler en avait à Paris et c’était la meilleure came qu’il ait jamais eue. Ça n’existe plus - C’est Bobby Keys qui fait découvrir la freebase à Woody en 1979, à Mandeville Canyon, en banlieue de Los Angeles - Bobby arriva un soir, tout excité : ‘Hey mec, j’ai découvert ce truc, it’s called freebase. It saves your nose. Tu n’as plus besoin de te servir de ton nez. Ça se fume.’ J’ai démarré avec lui et ça a duré cinq ans. Tu sépares la base de la coke en la faisant cuire dans du soda et tu fumes ça dans une pipe - Même histoire que celle de David Crosby, lui aussi passé à la freebase. D’ailleurs Woody le taille un peu - David Crosby ne savait pas utiliser les drogues correctement. Il mélangeait la coke et l’héro. Je l’ai vu faire ça un soir dans la cuisine d’Alan Pariser et en quelques secondes, il est tombé par terre. J’ai cru qu’il était mort au moins cinq fois dans la nuit. Mais il revenait toujours à lui - Donc Woody et Bobby passent leur vie dans la salle de bains. Ils y restent des journées entières, à freebaser - Keef m’a dit qu’une fois, il est entré dans la salle de bains pendant qu’on freebasait. Il a fait caca et on a rien remarqué - L’un des voisins de Woody à Mandeville Canyon est Sly Stone. Quand Sly entend dire que Woody a une pipe, alors il se pointe chez lui, accompagné de 15 personnes en file indienne derrière lui. Hop, direction la salle de bain, toujours en file indienne, pour tirer une taffe chacun son tour. Puis ils repartent en file indienne. Ce qui est fort dans les histoires de dope que nous raconte Woody, c’est qu’elles sont toutes drôles. Il dit aussi que la toute première taffe est paradisiaque et qu’après, on cherche à retrouver cette sensation, mais c’est impossible - You’re always chasing that first time. It’s a mad drug - Mais l’avantage dit-il c’est qu’elle n’est pas addictive. Tout cela se mélange avec les crises de Keef - We were on tour in the States in the early 1980s, for example, when Keef decided he was going to kill me - Keef ne veut pas entendre parler de freebase : «Nobody does freebase, it’s a waste of time !». Bien évidemment, Woody et Bobby se ruinent à freebaser pendant des jours entiers dans la bathroom. Bobby finit même par mettre son sax au clou. Woody : «On a vécu 5 ans à L.A., alors faites le calcul et vous verrez le blé que j’ai craqué en dope.» Il rend aussi hommage à Freddie Sessler, le dealer officiel des Stones : «Je parle d’un homme qui se pointait avec des bouteilles de lait remplies de high quality Mallencrodt and Merck. He was a sex-fuelled, vodka-charger, coke mountain.» L’autre grand fournisseur des Stones est le fameux Dr Steve, un neurologiste qui fait des ordonnances et qui s’approvisionne directement dans les labos, fournissant à ses clients les meilleures cames, d’où la longévité de Keef. Contrairement à Keef, Woody dit qu’il don’t do needles, il fume l’héro. Ce sont les fameuses DCs, c’est-à-dire dirty cigarettes. Woody parle de tout ça très simplement. La dope faisait partie du rock’n’roll circus des Stones, alors il en parle à sa façon.

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    Autant la fin de l’autobio indispose, autant son début enchante. Car Woody raconte son enfance - Mes frères et moi sommes les premiers dans la famille à être nés sur la terre ferme. Ma mère et mon père sont nés sur des péniches in the Paddington Basin, West London. Ils sont tous les deux des mariniers (water gyspies), comme l’étaient mes grand-parents et leurs parents avant eux - Pas mal, non ? On se croirait dans L’Atalante, avec Michel Simon. Woody brosse de son père un portrait haut en couleurs : il avait tout le temps des weird mates à la maison, «certains étaient mariniers, d’autres des repris de justice, mais tous étaient musiciens, tous étaient bourrés and all of them were fucking nuts.» La famille Wood vivait at Number 8 Whitethorn, pas loin d’Heathrow, a rocking house où tout le monde jouait d’un instrument. Le type qui s’est installé dans cette baraque après le départ de la famille Wood raconte qu’il a découvert 1700 bouteilles de Guiness enterrées dans le jardin. Petit Woody avait beaucoup d’humour. Ses grands frères collectionnaient les œufs d’oiseaux et Woody qui avait trois ans s’amusait à les écraser à coups de marteau. Alors Art et Ted se plaignaient à leur mère : «Ce petit merdeux a écrasé tous nos œufs. Pourquoi l’as-tu acheté ?». Woody raconte aussi que son père se fit un jour couper une patte. Deux jours après l’amputation, il se lève, oubliant qu’il a une patte en moins et se casse la gueule. Il tombe sur le lit du voisin, se retrouve nez à nez avec lui et balance du tac au tac : «Ah bah voilà, comment qu’on va l’appeler notre bébé ?». Humour anglais. Ravageur. Woody aime bien rappeler aussi qu’à une époque il avait un perroquet nommé Sadie. Chaque visiteur était accueilli par une formule de bienvenue, Fuck off, fuck off, ce qui ne manquait pas de faire marrer notre woodpecker.

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    C’est Art qui va se lancer le premier dans le music biz avec les Artwoods. Woody voit son grand frère tomber dingue de Fats Domino et déclarer qu’il veut chanter comme lui. Puis Woody décide à son tour de monter un groupe : «Je n’ai pas eu besoin d’aller chercher loin. Kim Gardner vivait au coin de la rue, Tony Munroe à l’autre bout de la rue et Ali McKenzie dans le quartier voisin. J’ai décidé d’appeler le groupe the Thunderbirds, d’après ‘Jaguar & The Thunderbirds’ de Chuck Berry.» Comme il existe déjà des Thunderbirds (ceux de Chris Farlowe), ils deviennent les Birds et Leo de Klerk devient leur manager. Ils se retrouvent en plein boom du British Beat et tournent sans arrêt. De Klerk les paye 5 livres par concert. Ils réussiront à obtenir une augmentation : 30 livres par concert, mais divisées en 5, et bien sûr, tous les frais à leur charge : nourriture, essence et vêtements. Woody ajoute que ça leur coûtait de l’argent de jouer dans le groupe. Comme la plupart des groupes à l’époque, les Birds se font plumer : «Les Birds ont rapporté énormément de blé à Leo. Grâce à ce blé, il a pu se marier et investir dans une chaîne de magasins d’épicerie.»

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    Ce qui est bien avec les Birds, c’est qu’on a tout de suite du son. Il suffit d’écouter The Collector’s Guide To Rare British Birds pour en avoir le cœur net. Et bien net. Ils font du early British Beat explosion et leur «You’re On My Mind» est excellent. Le singer des Birds s’appelle Ali McKenzie et bien sûr Kim Gardner is on bass. C’est notre Woody national qui passe le solo punk. Si on cherche l’archétype de l’absolute garage punk anglais, il est là et s’appelle «You Don’t Love Me». Pur jus de délinquance juvénile. Ils sont encore plus punkish que les Downliners ou les Pretties, comme si c’était possible ! Outch ! Downhome punk underground, baby. S’ensuit un «Leaving Home» encore plus heavy. Ali est un sérieux client. Si on aime le primitive London garage, c’est les Birds. «No Good Without You» va plus sur la pop, et Ali sonne comme un géant en devenir. Woody repasse l’un de ces solos magiques dont il va se faire une spécialité. Encore une tentative de putsch avec «How Can It Be», cut très pop, très ambitieux, avec des attaques de heavy gimmicking. Incroyable énergie ! Les guitares cassent la baraque. Tout vient des riffs. Woody is on fire. Leur hommage à Bo vaut tout l’or du monde. «You Don’t Love Me» est encore plus fort que le Roquefort. Ils se prennent pour les Who avec «Run Run Run», et toujours cette énergie, rien de plus beau que ce Run Run Run à l’aube des temps bénis. Leur «Good Times» donnera la Poupée Qui Fait Non en français, d’ailleurs on en trouve la version française un peu plus loin sur cette compile.

    C’est l’époque où Woody rencontre Rod The Mod - Un jour en 1965, je traînais à l’Intrepid Fox, un pub sur Wardour Street quand je vis entrer un mec portant une grande veste à carreaux de Coco the Clown et des cheveux en épis sur le sommet du crâne, comme les miens. Il avait aussi un œil au beurre noir. Il s’est approché de moi et m’a dit : ‘Hello, face, comment ça va ? - Rod conduisait une Spitfire à l’époque, mais dès qu’il eut un peu de blé, il s’offrit une Marcos. Jusqu’au moment où «Maggie May» lui permit de se payer une Lamborghini. Ses centres d’intérêt après le foot, nous dit Woody étaient donc les voitures de sport et les femmes, «mais pas nécessairement dans cet ordre».

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    L’autre amateur de fast cars, c’est Jeff Beck - Do you fancy getting a band together ? - Et hop, c’est parti ! Jeff Beck conduit une Corvette Stingray. Vroom !

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    Pendant quelques mois, Woody partage un appart à Londres avec Jimi Hendrix, à Holland Park. On est en 1966. «En fait, c’est la maison de PP Arnold. Elle louait le sous-sol à Jimi et le rez-de-chaussée à bibi. Elle habitait à l’étage in the big flat.» Et là Woody nous fait un prodigieux portrait de Jimi : «Il adorait vivre à Londres. Il adorait aussi son chapeau qu’il ne quittait jamais. Il était défoncé en permanence, beaucoup plus que je ne l’étais. J’avalais un quaalude de temps en temps, mais Jimi n’arrêtait jamais.» Un jour Jimi lui offre deux albums : James Brown Live At The Apollo 1962 et BB King Live At The Regal. Woody avoue que ces deux albums lui ont changé la vie. Au sens où ils l’ont poussé à améliorer sa façon de jouer. «Mais ce ne sont pas les seuls cadeaux qu’il m’ait fait. Un jour il est arrivé avec un basset nommé Loopy. Quand il était en voyage, il me confiait Loopy, puis il a fini par me le donner. Je trouvais ça pretty cool, seulement le problème c’est que Loopy chiait partout dans l’appart. Pat Arnold ne trouvait pas ça cool du tout et donc elle nous a virés Loopy et moi.» Woody adorait passer du temps avec Jimi - J’adorais ses spliffs et ses Quaaludes. Il avait cinq ans de plus que moi, il avait 27 ans quand il est mort, mais il semblait beaucoup plus vieux - Woody se souvient aussi d’avoir rencontré Brian Jones une seule fois à l’Olympic, in Barnes. «Glyn Jones et Nicky Hopkins nous présentèrent, je dis Hi et il murmura quelque chose d’indistinct. Il était dans un autre monde et l’affichait clairement.» Woody ajoute que la dernière chanson sur laquelle il joua fut «Honk Tonk Woman», en mars 1969, «mais Mick et Keith avaient déjà décidé de le remplacer.»

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    En 1968, Woody joue de la basse dans le Jeff Beck Group. Mickie Most produit leur premier album, Truth. On peut bien l’avouer : on est tous tombés de notre chaise à l’époque en entendant ça, surtout le «Shape Of Things» d’ouverture de bal d’A. Le Jeff Beck Group avec Rod The Mod au chant est certainement l’un des meilleurs groupes qui ait jamais existé en Angleterre, et par la modernité de leur attaque, ils ont servi de modèle à Led Zep qui ne parvint jamais à les égaler. Il faut voir Rod the Mod chanter à la revoyure, Beck entrer dans le lard du son au tiguili vénéneux et Woody rôder dans le son comme un maraudeur. L’autre coup de génie est la reprise d’«I Ain’t Superstitious» qui ferme le bal de la B. Beck y invente l’impromptu interventionniste. Il surgit là où personne ne l’attend. Et puis on voit avec «Blues De Luxe» que ce groupe était le British blues band idéal : en matière de blues électrique, tout est monté au sommet de l’art, le chant, la guitare, l’intensité du bassmatic, il faut voir Woody aller chercher des figures de style au bas de son manche. Beck y passe l’un des solos les plus impatients de son temps et Rod se couronne roi du blues en rigolant. Led Zep va d’ailleurs repomper la fin du cut, avec le chant en écho d’une note. Woody se montre encore sacrément musical dans «Let Me Love You». Il joue en solo derrière Beck et multiplie les descentes de gamme, croisant et recroisant celles de Beck. Rod the Mod fait des prodiges avec «Morning Dew» et «Ol Man River» qui sont des morceaux de chanteur et le groupe redéfinit le heavy blues avec «You Shook Me». Joli coup de Beck. Ils rééditent l’exploit avec «Rock My Plimsoul», listen ! Rock me all nite long. Rod ne s’embarrasse pas de scrupules et Woody se balade dans les gammes de blues comme s’il était chez lui. Alors oui, wow !

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    L’année suivante paraît l’encore plus spectaculaire Beck Ola. Oh les fous ! Les deux reprises d’Elvis vont en traumatiser plus d’un, à commencer par «All Shook Up», avec Nicky Hopkins dans le mix, c’est tendu à l’extrême, ils pétrissent un brouet infâme à base de maraudes de Beck et de rumble de Woody. Il est certain que les pirouettes de Beck sont depuis restées inégalées. Face à cette modernité de ton, Led Zep ne faisait pas le poids. Jeff démolit «Jailhouse Rock» d’entrée de jeu à coups de Beck et Rod shakes it hard. Quelle fabuleuse équipe ! Beck fait même la sirène avant d’envoyer un killer solo nous flasher le bulbe. L’autre coup de génie de l’album, c’est bien sûr le fameux «Spanish Boots» - Aw my boots are/ So/ Long - l’un des sommets du rock anglais. Il faut entendre Woody cavaler en contrechamp derrière Beck qui dégringole son killer solo flash. Woody le bombarde littéralement de triplettes de Belleville, alors pour Rod, forcément, c’est du gâteau. On a même un solo de basse demented are go a gogo. La B est hélas un peu faible. C’est là qu’on trouve «Plynth», monté sur l’un des plus beaux riffs de l’histoire du rock, un riff sec et net, mais gras double dans l’esprit. Tony Newman bat ça à la cymbale. Quand on est ado et qu’on tombe là-dessus, on est marqué à vie.

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    Le Jeff Beck Group va faire cinq american tours, mais cette histoire finit par tourner en eau de boudin - Chaque tournée devenait encore plus pénible. J’avais le sentiment qu’on ne pouvait plus travailler avec Jeff - Woody voulait aussi échapper aux griffes de Peter Grant qui manageait le Jeff Beck Group, et quand Ronnie Lane lui propose de venir jammer un soir, Woody saute sur l’occasion. Ils montent les Faces avec les naufragés des Small Faces. D’ailleurs la formation des Faces est un épisode assez cocasse : échaudés par le lâchage de Steve Marriott, Plonk Lane, Mac et Kenney Jones ne sont pas très chauds pour intégrer ce Rod The Mod que leur propose Woody, et de son côté Rod the Mod, échaudé par le comportement de Jeff Beck, n’est pas très chaud pour se remettre en ménage avec un groupe de losers. Mais bon, the deal is done. Woody est assez content de l’opération : «Rod a donné aux Faces une dynamique que nous n’avions pas avec le Jeff Beck Group et que les autres n’avaient pas non plus avec les Small Faces. Mais ce qui était le plus important, c’est qu’on s’amusait beaucoup. It was fun.» Il y a eu nous dit Woody onze tournées américaines des Faces.

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    Leur premier album qui s’appelle The First Step paraît en 1970 sous deux pochettes : Faces et Small Faces. Le groupe va s’organiser autour de deux pôles : Woody/Rod d’un côté et Ronnie Lane de l’autre. Et comme on va pouvoir le constater à l’écoute des albums suivants, c’est Ronnie Lane qui amène les hits, alors que Rod The Mod met les siens de côté pour ses albums solo. Ce premier album est un peu faiblard. Woody et Rod sauvent les meubles avec «Around The Plynth». Woody fait son barouf à coups de bottleneck, et avec le raw de Rod par dessus, ça donne un énorme classique hérissé d’épis. Comme le montre «Stone», Ronnie Lane est déjà très country honk à l’époque. Il est d’une classe écœurante, les autres devaient bien le sentir. Il résume avec «Stone» tout le folk anglais. Le mix Woody/Rod qu’on entend dans «Shake Shudder Shiver» est le mix anglais idéal. On dira la même chose de «Wicked Messenger» joué à l’épaisseur anglaise, et derrière, Ronnie Lane plombe bien le son. C’est aussi lui qui embarque «Looking Out The Window» au bassmatic. Vas-y mon gars ! Mac est derrière avec son shuffle d’orgue Hammond. Cet instro sauve les meubles. Et l’album se termine avec «Three Button Hand Me Down», un boogie facy lancé par la basse de Ronnie Lane. Il règne sans partage sur le son des Faces. Avec Three Buttons, ils font une espèce de resucée de Something Wonderful au big boogie boogah. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. C’est un bonheur que d’entendre Plonk jouer de la basse.

    Au moment où Woody intègre les Faces, les Stones cherchent un guitariste. Un soir Jag téléphone au local de répète et c’est Plonk Lane qui décroche. Jag lui demande si Woody voudrait bien jouer avec les Stones et Plonk lui répond que Woody est bien content avec les Faces thank you very much.

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    Malgré sa pochette ratée, Long Player est l’un des bons albums de 1971, ne serait-ce que par la présence de «Bad ‘N’ Ruin», un groove emmené par l’un des meilleurs chanteurs d’Angleterre, un Rod The Mod au sommet de sa crête, early in the morning. Il chante au meilleur raw de tous les temps, au thing between my legs, Rod The Raw chante au raw de Rod, il fait le show, nobody won’t recognize me now. Rod chante ensuite un cut de Plonk, «Tell Everyone» et dans «Sweet Lady Mary», Woody joue tout ce qu’il peut en contrefort. Mais on dresse l’oreille quand arrive un cut de Plonk comme «Richmond», d’autant qu’il le chante et qu’il le joue au bottleneck. Pure genius. Rod rend un bel hommage à McCartney avec «Baby I’m Amazed» et les Faces décident d’allumer la gueule de leur B avec l’énorme «Had Me A Real Good Time». Quelle rasade de Rod et quel son ! Les Faces sont à leur sommet. Rod is on fire dans la longue version live d’«I Feel So Good», et derrière lui les Faces développent du raw, c’est incroyable de raw, le raw bouffe l’écran, ils sont dans leur délire, alors laissons-les tranquilles.

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    Paru la même année, A Nod’s As Good As A Wink To A Blind Horse pourrait bien être le grand album des Faces. Pour deux raisons signées Ronnie Lane : «You’re So Rude» et «Debris». Il chante Rude à la ferveur de sa fermeté, bien droit devant. Il hisse le rock anglais au sommet de l’art de la matière, le chant taille sa route et Woody se met au service de. Oh you’re so rude ! «Debris» ouvre la bal de la B. C’est là que le génie mélodique de Ronnie Lane devient solide comme le rocher de Gibraltar. On ne se lasse pas de l’entendre chanter sa mélancolie. Admirable promeneur des deux rives du rock anglais ! Son «Last Orders Please» illumine encore l’album et fait certainement de l’ombre à Rod. Sinon, l’album regorge de merveilles du type «Miss Judy’s Farm» : Woody ajoute son raw sur celui de Rod. Voilà encore du rock anglais parfait. Woody explose aussi «Stay With Me» au raw du riff. Raw du riff + raw de Rod, ça donne le melting pot des mighty Faces. Que de son aussi sur «Memphis» ! Le raw des Faces redore le blason du Mississippi Sound. Tiens encore un shoot de raw Woody/Rod avec «Too Bad». Il semble qu’avec tout ce raw, les Faces menaçaient la suprématie des Stones.

    Les Faces s’amusent tellement et font tellement les cons dans les motels américains qu’ils finissent par être interdits dans certains d’entre eux, par exemple dans les Holiday Inn. Alors ils réservent au nom de Fleetwood Mac ou de Grateful Dead.

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    La pochette d’Ooh La La intriguait tout le monde en 1973. D’autant que les yeux d’Arsène Lupin bougeaient, dans la vitrine du disquaire. Questionné sur le phénomène, le disquaire affichait une mine sceptique. T’es sûr ? Ben oui, je les ai vus bouger. La pochette n’est pas la seule à intriguer. Le nombre de coups de génie figurant sur l’album n’est pas banal. Tiens, par exemple ce «Glad And Sorry» signé Plonk Lane. Il ramène sa marchandise au moment où Rod The Mod a démarré sa carrière solo. Plonk remet les pendules à l’heure avec un jeu de basse demented, il joue la mélodie au doigté suprême, can you show me a dream - la mélodie éclot dans la lumière d’un jour d’été et Woody vient le saluer avec un cornaqué de Strato. Plonk chante, alors welcome in paradise. C’est Woody qui chante le morceau titre de fin de B. Pas facile pour lui de prendre le micro dans un groupe comprenant déjà deux fabuleux chanteurs, but he does it right. C’est avec «Silicone Grown» qu’on retrouve le raw des Faces, le raw Rod/Woody. Rien de plus British que ce son. Rod chante à la pointe de sa délinquance et Woody coule l’acier du riff, tout est solide et agressif, comme au temps du Jeff Beck Group. Plonk chante «Flags & Banners», alors bien sûr on crie de nouveau au loup. Il rentre dans le lard des Faces et des nappes d’orgue, c’est stupéfiant. Puis Rod revient au boogie avec «My Fault». C’est lui le boss, il ravage les contrées, rien ne résiste à Rod The Mod. Pur power ! Big hard boogie ! Et l’A se termine en apocalypse avec les sirènes de «Borstal Boys», Woody claque ses riffs et Rod blaste son Borstal, ils font l’histoire du rock anglais, comme les Stones, les Beatles, les Who et tous les autres avant eux, les claqués de beignet de Woody dégoulinent de superberie.

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    On trouve deux très belles covers sur l’album live des Faces, Live Coast To Coast. Ouverture And Beginners paru en 1973 avec de beaux avions sur la pochette : «Angel» et «Jealous Guy». L’Angel est un cut peu connu de Jimi Hendrix qui ne tient que par le chant. Rod le magnifie. Et le «Jealous Guy» qu’il tape en fin de B vaut lui aussi le détour. Pure merveille. Le groupe est à son apogée, il frise la perfection mélodique, the voice + the song + the band, toutes les conditions de l’universalisme sont réunies. Et bien réunies. On note aussi que Ronnie Lane n’est plus dans le groupe, mais que de son dans «It’s All Over Now». Rod is on the run, avec une belle musicalité héritée des Small Faces et que caractérisent les pianotis de Mac et le drumming parfait de Kenney. Rod ultra chante «Too Bad/Every Picture Tells A Story». Il pousse son bouchon comme nobody et sur la belle version de «Stay With Me», Woody fait des miracles avec un son limpide et fouillé à la fois. Comme le montre «I’d Rather Go Blind», c’est sur les balladifs que Rod s’illustre le mieux, avec ses vieux accents à la Sam Cooke. Et puis après avoir joué sa dentelle de blues, Woody revient au heavy riffing pour «Borstal Boy/Amazing Grace». Ces mecs sont bien les rois du boogie d’Angleterre. Ils savent développer une bonne mesure.

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    Et puis un jour, en arrivant à Detroit, Plonk Lane voit écrit en gros sur une affiche : «Rod Stewart & The Faces.» Il giffle le manager Gaff et peu de temps après quitte le groupe, après avoir tenté un «It’s Rod or me», annonçant que de toute façon, Rod allait lâcher le groupe, ce qui ne manqua pas de se produire. Woody n’est pas très clair non plus, car à cette époque il commençait à jouer avec les Stones, et Rod avait prédit aux autres que Woody allait les lâcher. C’est même assez compliqué à une époque car Woody fait une tournée américaine avec les Stones ET une tournée américaine avec les Faces. Ça se termine par un show désastreux à l’Anaheim Stadium, en Californie et chacun part de son côté : «Je sais que Rod m’en voulait d’être allé jouer avec les Stones, mais de son côté il faisait aussi ce qu’il voulait. Il envisageait une carrière solo et tout ce que j’avais à faire de mon côté était de suivre mon destin.»

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    Mais pour entrer dans les Stones après le départ de Mick Taylor, Woody doit passer une audition à Munich. Il se retrouve en compétition avec Marriott, Beck, Clapton, Wayne Perkins et Harvey Mandel. Woody : «Steve Marriott aurait pu faire un excellent Rolling Stone, mais il n’était pas un virtuose à la guitare. Il grattait ses accords, mais il avait besoin d’un lead and rhythm guitar player. Jeff Beck était un grand guitariste, mais c’est lui décidait avec qui il travaillait. Clapton m’a dit à Munich : ‘Je suis bien meilleur guitariste que toi.’ Et je lui ai répondu : ‘Oui, mais il ne faut pas seulement jouer avec les Stones, il faut aussi vivre avec eux. Et tu n’en es pas capable.’ Ce qui est vrai. Il n’aurait jamais survécu dans les Stones.» Quand Keef lui annonce qu’il est choisi pour remplacer Mick Taylor, Woody lui répond qu’il le savait. Alors Keef lui demande de tenir sa langue, ça ne doit pas être officialisé. Pas de problème. «Mon père ne m’a plus jamais appelé Ronnie. Il m’appelait Ronnie Wood of the Rolling Stones.»

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    Après la fin des Faces, Woody attaque sa carrière solo. Un premier album paraît en 1974, le drôlement titré I’ve Got My Own Album To Do. Excellent album car Woody sait s’entourer : Willie Weeks, Andy Newmark, Mac et Keef l’accompagnent et ça monte au cerveau dès «I Can Feel The Fire». Quelle science du son ! Woody et Keef duettent au somment de la vague, c’est d’un niveau inégalable, Woody exubère et Mac keyboarde comme au temps béni des Small Faces. C’est du rock anglais de rêve éveillé. Tout le monde joue énormément dans cette joyeuse pétaudière. Ils jouent tous à gogo, Willie Weeks multiplie les rushy-rushas et Andy Newmark joue un beat aussi idéal qu’un gendre idéal. L’autre coup de génie de l’album se trouve au bout de la B : «Crotch Music», un instro emmené au bassmatic par Willie Weeks et swingué par Andy Newmark, avec en botte fatale le twin guitar attack de Keef & Woody. Stupéfiant ! Encore une bonne pioche en bout d’A avec «Am I Groovin You», un heavy boogie keefy, du pur rampant avec un son à fleur de peau. Keef fait de la Stonesy avec «Shirley». On y retrouve les plus belles guitares d’Angleterre et «Sure The One You Need» frôle le Chucky Chukah. Oh comme Keef chante bien ! Il est beaucoup plus à son aise avec Woody qu’avec les Stones.

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    Pour son deuxième album solo, l’excellent Now Look, Woody s’entoure encore de gens triés sur le volet : Keef, Willie Weeks et Bobby Womack. Dans son autobio, Woody consacre de très belles pages au petit Bobby. Il rappelle que la famille Womack était énorme, Bobby avait une quinzaine de frères et de sœurs. «Tous avaient des noms bizarres, l’un de ses frères s’appelait West et un autre East. Un autre frère s’appelait Friendly.» Woody rappelle aussi que Bobby s’est marié avec la veuve se Sam Cooke et son frère Cecil a épousé la fille de Sam, Linda. Linda et Cecil allaient d’ailleurs former Womack & Womack. Woody poursuit : «J’ai rencontré Bobby à Detroit en 1975 lors d’une tournée des Faces. David Ruffin des Temptations et lui étaient venus sur scène chanter «Losing You» et «I Wish It Would Rain» avec nous. Quand j’ai demandé un coup de main à Bobby pour mon deuxième album solo, il est venu et quand il m’a demandé un coup de main pour son Resurrection, j’y suis allé, accompagné de Rod, Keith et Stevie Wonder.» C’est Bobby qui swingue le hit de l’album, «If You Don’t Want My Love». Belle tranche de Soul fumante. On le sait, Bobby crée de la magie. On entend aussi Willie Weeks dans «I Got Lost When I Found You». Ça sonne et c’est tout le côté sympathique de Woody. Il fait une pop de Soul foisonnante, à son image. Bobby chante cette pièce charmante de rock de Soul qu’est «I Can Say She’s Alright», avec Keef in tow. En B, il propose une version très Stonesy d’«I Can’t Stand The Rain» et montre qu’il n’a pas besoin des Rolling Stones pour faire de bons albums. C’est en tous les cas ce que prouve «Carribean Boogie». Il propose un son à part, très personnel. Il poursuit son petit bonhomme de chemin avec le morceau titre et termine avec «I Got A feeling», un cut de Soul à la Womack, accompagné des Womack sisters et de Willie Weeks on bass.

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    En 1979, Woody retrouve son vieux pote Plonk pour l’enregistrement d’une BO, Mahoney’s Last Stand. Évidemment, c’est Plonk qui rafle la mise avec «Just For A Moment». On sent sa patte dès les premières mesures. Il chante au doux du chant. Woody doit éprouver une grande fierté à accompagner son pote Plonk au dobro. C’est une extraordinaire palanquée de feeling, le feeling le plus doux d’Angleterre avec celui de John Lennon. Ah quelle belle mésaventure et quelle qualité de la limpidité ! Tous les copains sont venus jouer sur la BO : Bobby Keys et Jim Price, Mac et même Pete Townshend. Woody et Plonk s’amusent bien. Ils grattent leurs grattes en bons potos roses. Ils font un superbe numéro de chant à deux sur «Chicken Wired». Cet cut de country honk est très bon esprit, un régal pour les fans de Plonk. En B, Woody pique sa crise de blues avec «Mona The Blues». Il ne faut pas lui en promettre. Ils repiquent une crise de heavy blues du Sommerset avec «Rooster Funeral», en souvenir d’un vieux coq.

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    Gimme Some Neck paraît en 1979 sous une pochette très dessinée. Si on ne savait pas que Woody dessinait, on l’apprend. Bon, l’album n’est pas très spectaculaire. Woody fait de la Stonesy, ce qui semble logique puisqu’à cette époque, il fait partie des Stones. Il ne faut donc pas attendre de cet album plus que ce qu’on y trouve. Avec «Buried Alive», Woody fait beaucoup de battage avec sa Strato. Son «Come To Realise» sort tout droit d’Exile. Woody ne s’embarrasse pas avec les détails. Il sonne exactement comme le Keef d’Exile. Puis il retourne faire un tour du côté des Faces pour ficeler sa Stonesy avec «In Pekshun». C’est le son du rock anglais tel que défini par les gentry kings du borough of Chelsea. Il attaque sa B avec une reprise du «Seven Days» de Bob Dylan. On croit entendre Dylan chanter, c’est dire si Woddy est balèze. Puis il taille une Stonesy sur mesure pour «We All Get Old». On pourrait d’ailleurs très bien lui reprocher de ne pas vouloir réinventer la poudre. Il termine avec un «Don’t Worry» bien charpenté et relativement nerveux. Nous n’en attendions pas moins de lui. Et ses dessins requièrent un minimum d’attention. Woody adore croquer des scènes de la vie quotidienne. Et croquer des nus.

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    Il grimpe sur un chameau pour la pochette de 1234 et balance au dos un bel autoportrait. Bobby Womack et Clydie King font partie de l’aventure «Fountain Of Love», ce qui nous donne un joli shoot de Soul. Woody pique sa petite crise de Stonesy avec «Wind Howlin’ Through». On croirait entendre Keef : même façon de chanter à la petite persiflette.

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    Woody fait aussi du Chuck à la main lourde avec «Outlaws». Il est parfaitement à l’aise, comme d’ailleurs dans tous les autres genres. Nicky Hopkins l’accompagne eu piano et Mac à l’orgue. Quelle belle équipe ! En B, Charlie Watts vient faire des miracles sur «She Never Told Me». Véritable leçon de maintien. Le cut dure longtemps et c’est excellent, à tous les points de vue. Voilà encore un album qui vaut largement le détour.

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    Woody s’acoquine avec Bernard Fowler pour enregistrer Slide On This en 1992. La plupart des cuts ne sortent pas de l’ordinaire. Il faut attendre «Josephine» pour renouer avec le frisson. Sa Josephine est bien remontée du cul, elle chevauche un joli beat prévalent. Woody fait un peu de Stonesy avec «Must Be Love», et même une belle Stonesy bien heavy, qu’il chante au nez pincé, à la Dylan. Il reste très dylanesque avec «Show Me», avec un petit côté Cours Plus Vite Charlie, mais ça n’a bien sûr aucun intérêt. Il reste dans Dylan avec «Always Wanted More». C’est incroyable comme le vieux Woody chante comme le vieux Dylan. Mais de cut en cut, Woody s’enlise. Il devrait écouter les Black Crowes. Le problème de Woody est le problème des gens qui s’endorment sur leurs lauriers. Signalons au passage qu’il aurait pu au moins nous épargner le dernier cut, «Breathe On Me». Ah ces Rolling Stones qui se croient tout permis !

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    On ne comprend pas bien la pochette de Not For Beginners. Woody chez les Huns ? Sûrement l’une de ses toiles. Enfin bref, c’est sûrement indiqué quelque pat dans wikipedia. Bon, nous ne sommes pas là pour parler de wikipedia mais de «Rock N’Roll Star». Woody pulse son Rock N’Roll Star est c’est excellent. On note la qualité du big heavy sound. La clameur impressionne. Il duette ensuite avec Kelly Jones dans «Wadd’Ya Think», puis on le voit voler au secours de sa fille dans «This Little Heart». Woody sort le gros business. Il revient à son cher vieux «Leaving Here». Belle version, il n’a rien perdu de son swagger. Des vieux amis viennent jouer sur «R.U. Behaving Yourself» : Mac, Andy Newmark et Willie Weeks. C’est du vieux guitaring à la Woody. Il faut cependant l’écouter attentivement, car il sait toujours éveiller l’intérêt. C’est pour ça que Keef l’apprécie. Voilà un «Red Hard Rocker» bien secoué de la bonbonnière et chanté en sous-main. Puis il s’en va réveiller les vieux démons avec «Heart Soul & Body». Excellent car claqué à la volée et gavé de son comme une oie. Et voilà la surprise du chef : «King Of Kings» avec Bob Dylan à la guitare. Bon, pas d’affolement, c’est très cousu, Bob gratte son truc, c’est un gentil mec, il adore Woody, comme tout le monde.

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    Album étonnant que cet I Feel Like Playing paru en 2010 et orné d’une toile abstraite de Woody. Ça démarre en trombe avec le très dylanesque «Why You Wanna Go And Do A Thing Like That For». Woody le chante à la voix d’outre-tombe, épaulé par des nappes d’orgue Hammond. Ce mec a toujours été marrant et intéressant, c’est très facile de l’approcher. Il joue pour nous. Il est là tout près, dans une sorte de proximité de ton et de son, comme peu savent le faire. Woody a compris ça : la proximité. Rien de plus enviable. À force de véracité, il sonne presque comme le vieux Dylan. Il nous plonge dans le dedicated, c’est un coup de maître. Woody n’a jamais rien fait par hasard. Il tente le tout pour le tout avec «Lucky Man». C’est assez bon, il faut bien le reconnaître. Big heavy sound. Il parvient à créer un petit événement hors Stonesy, et nous fait le cadeau d’un final fantastique. Pour «Thing About You», il a rassemblé un backing band des enfers : Bobby Womack et Blondie Chaplin. C’est d’autant plus énorme que Billy Gibbons gratte les poux du riff. Bonne pioche, Woody ! Nouvelle merveille avec «Catch You». Par contre il ramène Slash dans «Spoonful» et ça gâche tout. Quelle horreur ! En plus la version est nulle car jouée à la basse funk par le Red Hot Chilli Peppermint. Ça change tout quand Bobby Womack vient jouer dans «I Don’t Think So», She said/ She said, avec Mac on keys. Big Woody ! Il n’est de bonne compagnie qui ne cuite, comme dirait Mr. G. Waddy Watchel entre aussi dans la danse. On retrouve la même équipe dans «100%». Woody veille bien au grain, il prend 5 minutes pour déclarer sa flamme, I’ll be around you 100% at a time. Woody chante «Tell Me Something» aux accents tellement chaleureux que ça devient fabuleux. Big album en vérité.

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    Le dernier album en date de Woody est un hommage à Chucky Chuckah, Mad Lad. A Live Tribute To Chuck Berry. Malheureusement, c’est une catastrophe. Il faut faire gaffe quand on tape dans Chuck, il ne faut pas faire n’importe quoi. Imelda May vient duetter avec Woody sur «Wee Wee Hours» est c’est assez putassier. Pas sûr que Chuck eut apprécié, car elle chante avec une sorte de glaire dans la voix. Ça bascule assez vite dans l’horreur. À partir de là, l’album est grillé. Ces abrutis font n’importe quoi avec «Almost Grown». Comment Woody ose-t-il vouloir commercialiser les vieux hits de Chuck ? Son «Back In The USA» est indigne et insupportable. Tout ce qui suit est ignoble de singerie. Woody réussit même l’exploit de flinguer the record machine dans «Little Queenie». Ses reprises sonnent comme des descentes d’organes. La May revient massacrer «Rock’n’Roll Music». Si l’inquisition existait encore aujourd’hui, elle utiliserait cet album pour torturer les hérétiques. Comme il fait un peu de promo dans l’interview qu’il accorde à Danny Eccleston dans Mojo, il en profite pour glisser une vanne ou deux. Il raconte par exemple qu’un jour, il est en studio avec Chuck et il place un lick de guitare. Chuck lui dit : «Où t’as trouvé ça ?», et Woody lui répond : «From you». Même plan avec Steve Cropper, Woody lui joue un vieux truc que Cropper trouve balèze, «d’où ça sort ?», et Woody répond comme à Chuck : «It’s one of yours». Woody dit aussi qu’il envisage une trilogie de tributes, avec à la suite de Chucky Chuckah Bo Diddley et Jimmy Reed. Ou peut-être Big Bill Broonzy. En espérant qu’il ne leur fera pas subir le même sort qu’au pauvre Chucky Chuckah.

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    L’un des épisodes dont Woody est le plus fier est celui des Barbarians, une sorte de super-groupe monté avec Keef et les plus grosses pointures de l’époque. Comme il existait déjà un groupe qui s’appelait les Barbarians, Woody dut modifier le nom à deux reprises, ce qui a donné The New Barbarians, puis The First Barbarians. Ils ne voulaient pas enregistrer d’album, seulement jouer pour le plaisir de jouer. Heureusement, on trouve des traces de tout ça dans le commerce. En 2006 est sorti un live des New Barbarians, Live In Maryland. Buried Alive. Autour de Woody & Keef jouaient Mac, Zigaboo Modeliste, le beurre-man des Meters, Mac et Bobby Keys. Il réussit aussi à embaucher Stanley Clarke, the best jazz bass player qui, me dit-il plus tard «se mit à jouer de la basse après m’avoir entendu jouer dans le Jeff Beck Group». Là Woody a raison de se vanter, car ses drives de basse dans les deux albums du Jeff Beck Group sont exceptionnels. Et sans avoir d’album à promouvoir, ils remplissent le Madison Square Garden et quinze autres grandes salles en tournée. Buried Alive est un double album live assez fantastique qui démarre sur un «Sweet Litlle Rock’n’Roller» claqué aux accords de non-retour. Ah comme ces mecs adorent Chucky Chuckah ! Cette cover est une vraie preuve d’amour. T’auras jamais ça ailleurs, Keef & Woody dans le feu de l’action. Ils barbotent comme des canards sur la grand mare des canards, c’est leur privilège, il n’y a qu’eux qui puissent se permettre un tel privilège, et Keef vient chanter un couplet. Ils amènent ensuite le morceau titre au big beat des enfers, oh yeah, c’est claqué dans la meilleure tradition. Keef chante et gratte du power d’accords inconnus, un power de sommet d’Olympe, ils vont loin, au-delà de toute imagination, Keef joue en double retourné acrobatique, il claque sa voix dans un micro. Ils sont écœurants, ces Barbarians, et on ne parle même pas de la section rythmique et du shoot de sax que Bobby ramène à la fin. On voit ensuite un phénomène paranormal se produire sous nos yeux : les cuts bougent tout seuls. Avec Stanley Clarke on bass et Zigaboo on drums, le paranormal est normal. On espère encore des miracles et en voilà un qui s’appelle «Infekshun». C’est Woody qui prend le lead, il n’a pas l’aura de Keef mais Keef le laisse faire. Comme à Kilburn, Keef prend «Sure The One You Need» au chant et rallume le brasier de la vieille Stonesy. Il a fallu attendre six cuts pour que ça explose pour de vrai. Keef is the real deal, on ne se lassera jamais de le répéter. C’est bombardé de son et du coup les cuts de Woody comme «Lost And Lonely» font pâle figure. C’est lui qui conclut le disk 1 avec «Breathe On Me». Bon, Woody est un mec rigolo mais un peu m’as-tu vu, une sorte de rabouin devenu riche et qui se paye les services des Zigaboo et de Stanley Clarke. Keef attaque le disk 2 avec «Let’s Go Steady». Il y fait son vieux white nigger de mauvaise pioche, il chante vraiment comme un con. Il enchaîne avec «Apartment N°9», un autre balladif, honey à la ramasse, il chante presque faux. Les Barbarians tapent aussi dans les gros classiques avec un «Honky Tonk Woman» claqué à l’accord fatal. Un seul accord et la messe est dite. Zigaboo fait son Charlie. C’est très spécial, Woody essaye de faire son Jag mais il a tout faux. Il faut s’appeler Jag pour chanter ça. Puis il fait du guttural sur «Worried Life Blues» et se vautre. Tous ses surdoués surjouent énormément, comme le montre encore «I Can Feel The Fire», ils chargent la barque de la mule qui n’en peut plus. Dommage que Woody se mette tellement en avant. On est surtout là pour Keef et Zigaboo. Woody n’a plus de voix quand il attaque la petite pop de «Come To Realize». Mais derrière lui, ça joue à la patate chaude, avec un Bobby Keys qui arrose tout au sax. Il y a comme une puissance compositale, un truc porté par l’accumulation des légendes, ce «Come To Realize» est un passage obligé. S’il fallait rapatrier ce disk, ce serait essentiellement pour «Come To Realize» qui synthétise tout le bien qu’il faut penser des Barbarians. Stanley Clarke vole le show dans «Am I Grooving You». Woody présente ensuite Mister Keith Richards, here, ahhh et paf, Keef claque le bouquet de «Before They Make Me Run», c’est lui le boss, il récupère toute la fournaise de Stanley Clarke et Zigaboo, alors on imagine le travail, il semble prendre le pied de sa vie. Et tout ça se termine avec «Jumping Jack Flash», mais le riff est trop acide, c’est mal chanté, atroce et confus. Massacre à la tronçonneuse. Ne laissez jamais Woody approcher de Jack Flash.

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    L’année suivante est sorti un autre live, celui de The First Barbarians, Live From Kilburn. Woody & Keef s’étaient offert une nouvelle section rythmique : Willie Weeks et Andy Newmark. Le gros avantage de ce live c’est qu’il existe en DVD et là on se régale. On voit Woody la rock star arriver sur scène avec des plumes sur les épaules, comme Eno sur la pochette du premier Roxy. Il porte aussi un gros pantalon blanc et attaque un heavy groove que l’immense Willie Weeks anime au bassmatic de funk. Woody rock super star ! Am I grooving you ? Yessss et Keef monte au micro pour faire les chœurs. Mais il n’est pas très à l’aise pour danser le funk. Ah ces blancs qui veulent danser comme des noirs, c’est toujours le même problème ! Woody et Keef chantent «Cancel Everything» à deux voix. Mais la super star, en fait, c’est Keef, il ne faut pas se tromper d’adresse. Si on veut voir du beau Keef, c’est le moment ou jamais. Il a encore ses dents pourries et sa coiffure d’épis. Rod The Mod vient chanter «If You Gotta Make A Fool Of Somebody» les mains dans les poches de son gros pantalon blanc. Keef fait le sideman. Puis ça redevient les Faces avec «Take A Look At The Guy», bien propulsé par cette section rythmique de rêve. Quel power ! Quand Rod s’en va, Woody et Keef font pas mal de funk de haute voltige, et on entend au passage les accords magiques d’«I’m A Monkey». Mais le moment déterminant est bien celui où Keef prend le chant avec «Sure The One You Need». Pur rock’n’roll drive. Keef forever. Ils finissent avec deux autres merveilles, l’instro «Crotch Music» amené par un fiff de basse atonal de Willie Weeks (un instro sorti tout droit du premier album solo de Woody, I’ve Got My Own Album To Do) suivi de l’excellent «I Can Feel The Fire», sorti lui aussi du même album. Voilà ce qu’on appelle un passage obligé pour tout fan de Keef et des Faces.

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    Dans son autobio, Woody salue deux personnages importants, Margo et Bo. Margo ? Oui, Margo Lewis qui jouait de l’orgue dans Goldie & The Gingerbreads, the first all-girl American rock band : «Il y avait plein de girl groups, comme Diana Ross & the Supremes, Martha & The Vandellas, les Ronettes, mais les Gingerbreads étaient autre chose : c’était quatre blanches qui sonnaient comme des noires, et qui non seulement chantaient, mais jouaient leur propre musique.» C’est Margo qui organise la tournée de Woody et Bo. «Voilà comment c’était organisé : Bo démarrait le set avec 4 ou 5 cuts, avec son groupe dirigé par sa bassiste, Debby Hastings et le guitariste surnommé ‘The Prince of Darkness’, puis c’était mon tour avec quelques cuts, accompagné par Debby et le groupe, et Bo revenait et on faisait quelques cuts ensemble.» Et c’est là qu’ils enregistrent Live At The Ritz - He’s the man and in his uniquely Bo Diddley way, he does whatever he wants to do and doesn’t give a shit about nothing else. La différence entre Bo et moi, c’est que je me considère comme un guitariste consciencieux, alors que Bo veut juste enfourcher son cheval et cavaler, et il se fout de savoir s’il y a une selle ou pas.

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    C’est pour ça qu’il faut écouter ce Live At The Ritz, car Bo se tape tout le bal d’A et ce vieux King of the road attaque avec l’emblème des emblèmes, «Road Runner». Porte ouverte à tous les écarts. Il enchaîne avec «I’m A Man». Tout l’art de Bo est là, dans le heavy riffing. Ce qui frappe dans les vieux hits de Bo, c’est leur incroyable modernité de style. On note qu’Eddie Kendricks et David Ruffin sont dans les backing vocals. Avec «Crackin’ Up», Bo fait son petit coup d’exotica de calypso, you’re crackin’ up yeah yeah et il termine son bal d’A avec «Hey Bo Diddley». C’est Bo qui mène le bal, avec tout le power du Chicagogo. Et ce petit renard de Woody ramène sa fraise en B avec un choix de cuts en forme de panorama : il revisite toute son histoire en commençant par sa période Jeff Beck Group : «Plynth/Water Down The Drain». Il se prend pour Jeff Beck et attaque au bottleneck, mais c’est une erreur et ça devient un exercice de style un peu m’as-tu-vu qui n’a rien à voir avec la flamboyance des coups de Beck. Et dans l’histoire, on perd complètement le Bo. Woody ramène là-dedans du Amazing Grace et ça fout tout par terre. Puis avec «Oh La La», il se prend pour Rod The Mod. C’est n'importe quoi. Woody devient le crapaud de La Fontaine qui veut grossir comme un bœuf. Puis il fait bien évidemment son Keef avec «They Don’t Make Outlaws Like They Used To». Il ne rate aucune occasion de montrer ses petits biscotos. On se doute bien qu’après Keef, il va vouloir faire son Jag, alors voilà «Honky Tonk Woman». Enfin bref, on préfère entendre Bo qui d’ailleurs revient boucler avec «Money To Ronnie». Bo reprend les choses du heavy blues en main.

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    Avec cet album live, Woody rend ainsi le plus somptueux des hommages à l’un des grands héros de la légende du rock : «La guitare qui le rendit célèbre était faite à la main, rectangulaire et incroyablement lourde, heavy as hell, car remplie d’électronique. Dedans il y avait un vibratone et un filtre, ainsi que tous les trucs qui normalement se trouvent dans les pédales d’effets. Il a des cordes incassables et tendues très haut au-dessus du manche. Il joue en open tuning. Pas facile de jouer sur cet engin, croyez-moi.» Et ça continue : «Il trimbalait ce monstre rectangulaire d’un bout à l’autre de la scène. Il installait aussi lui-même ses amplis sur scène, alors il n’est pas surprenant qu’il se soit pété le dos.» Pour Woody, Bo est the absolute master of rhythm guitar, il joue comme une locomotive. «Un journaliste de San Francisco déclara un jour que Bo sonnait comme le diable déplaçant ses meubles.»

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    Et les Stones dans tout ça ? Mis à part Keef, le Rolling Stone qui l’impressionne le plus c’est bien sûr Charlie. Un Charlie qui dessine lui aussi en tournée, parce qu’il s’ennuie. «Il déteste partir en tournée. Il déteste se trouver éloigné de chez lui. Dans son esprit chaque tournée est la dernière, mais il adore jouer de la batterie et vous ne pouvez pas jouer de la batterie dans un groupe si vous restez chez vous.» Woody voit aussi comment se comporte Charlie dans les conférences de presse : «Il reste là, les bras croisés et ne dit rien. Si quelqu’un lui pose une question, il répond qu’il ne sait pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas envie de parler. Il préfère laisser les autres répondre à sa place. C’est un homme merveilleux, un pur excentrique britannique.» Et il repart sur le vieux duo de choc : «Charlie et Bill étaient inséparables. Charlie dit que ça lui manque d’entendre Bill dire ‘Cor, I fancy a cuppa tea’ entre deux prises ou, sur scène : ‘Nice pair of tits over there’.»

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    Woody rappelle aussi que Dirty Work fut l’album des Stones le plus difficile, car Keith & Jag ne s’adressaient plus la parole. Bon on revient sur les albums des Stones prochainement, par l’entremise non pas de la tante Artémise, mais par celle de Mike Edison et de Charlie Watts.

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    Oh mais ce n’est pas fini. Woody a rendez-vous avec Mojo pour l’interview, alors le voilà qui se pointe dans une suite du Landmark Hotel de Londres tout de noir vêtu avec a black barnet with a life of its own, c’est-à-dire une grosse coiffure noire qui bouge toute seule. Danny Eccleston le traite de clown prince of rock’n’roll, de true keeper of the flame, de human cartoon et de Face-turned-indispensable Stone qui est miraculeusement soigné à la fois d’un cancer du poumon et d’un emphysème, ce qui ne s’était encore jamais vu. Eccleston ajoute que c’est the lost stroke of good furtune in a long line of similar, son meilleur coup de chance fut d’être déclaré membre officiel des Stones en 1976, the apoptheosis of Wood the jammy jammer. Woody ajoute : «Somebody up there likes me.»

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    C’est aussi ce qu’il déclare dans le film de Mike Figgis qui vient de sortir, non pas dans les salles comme on disait avant, mais sur le site d’Arte. Le doc s’appelle justement Somebody Up There Likes Me. Figgis a du métier, puisqu’il a participé à la série The Blues de Martin Scorsese avec Red White And Blues. Il passe donc en revue la carrière de Woody, et on se régale de vieux plans des Birds, du Jeff Beck Group et des Barbarians. Keef témoigne, Jag aussi, enfin bref, c’est l’illustration visuelle de l’autobio. Avec ses joues creusées de profonds sillons et son regard de rescapé, Woody évoque la dope et sa chance de pendu, il s’étend longuement sur la fin des addictions et se dit sauvé par une opération miraculeuse. Mais le côté m’as-tu-vu remonte vite à la surface, lorsqu’on voit par exemple le peintre à l’œuvre dans son atelier, en train de croquer une ballerine qui n’est même pas à poil. Il peindrait Bambi dans les bois, ça serait la même chose. Il ne peut pas non plus s’empêcher de faire parler Imelda May qui n’a rien d’intéressant à dire, et on échappe de peu à Bono et à Slash, ouf ! Puis vers la fin, voilà qu’apparaît sa femme qui pourrait être sa fille, un vrai canon, et bien sûr Figgis filme les deux jumeaux, encore tout petits sur les genoux de leur père Superman. À un moment, il faut arrêter les conneries de l’éternelle jeunesse : Woody a 74 balais et il n’a pas l’élégance d’un vampire. Mais au fond, c’est peut-être ce besoin désespéré d’incarner son personnage jusqu’au bout qui le rend tellement sympathique.

    Signé : Cazengler, Ronnigaud

    Birds. The Collector’s Guide To Rare British Birds. Deram 1999

    Jeff Beck Group. Truth. Columbia 1968

    Jeff Beck Group. Beck Ola. Columbia 1969

    Faces. The First Step. Warner Bros. Records 1970

    Faces. Long Player. Warner Bros. Records 1971

    Faces. A Nod’s As Good As A Wink To A Blind Horse. Warner Bros. Records 1971

    Faces. Ooh La La. Warner Bros. Records 1973

    Faces. Live Coast To Coast. Ouverture And Beginners. Warner Bros. Records 1973

    The New Barbarians. Live In Maryland. Buried Alive. Wooden Records 2006

    The First Barbarians. Live From Kilburn. Wooden Records 2007

    Ron Wood. I’ve Got My Own Album To Do. Warner Bros. Records 1974

    Ron Wood. Now Look. Warner Bros. Records 1975

    Ron Wood & Ronnie Lane. Mahoney’s Last Stand. Atlantic 1979

    Ron Wood. Gimme Some Neck. CBS 1979

    Ron Wood. 1234. Columbia 1981

    Ronnie Wood & Bo Diddley. Live At The Ritz. Victor 1988

    Ron Wood. Slide On This. Continuum 1992

    Ron Wood. Not For Beginners. SPV 2001

    Ron Wood. I Feel Like Playing. Eagle 2010

    Ron Wood. Mad Lad. A Live Tribute To Chuck Berry. BMG 2019

    Rolling Stones. Black And Blue. Atlantic 1976

    Rolling Stones. Some Girls. Atlantic 1978

    Rolling Stones. Emotional Rescue. Atlantic 1980

    Rolling Stones. Tattoo You. Atlantic 1982

    Rolling Stones. Undercover. Atlantic 1983

    Rolling Stones. Dirty Work. Columbia 1986

    Rolling Stones. Steel Wheels. Columbia 1989

    Rolling Stones. Voodoo Lounge. Virgin 1994

    Rolling Stones. Stripped. Virgin 1995

    Rolling Stones. Bridges To Babylon. Virgin 1997

    Rolling Stones. A Bigger Bang. Virgin 2005

    Rolling Stones. Blue & Lonesome. Polydor 2016

    Ron Wood. Ronnie. Macmillan 2007

    Danny Eccleston. Born Lucky. Mojo # 315 - February 2020

    Mike Figgis. Somebody Up There Likes Me. 2019

    PERCY BYSSHE SHELLEY

    ALEISTER CROWLEY

    Traduction de

    PHILIPPE PISSIER

     

    Pas la première fois que les noms de Percy Bysshe Shelley et d'Aleister Crowley apparaissent dans Kr'tnt ! Dans notre livraison 478 du 01 / 10 / 2020, nous signalions la parution de l'adaptation musicale de Prometheus Unbound – drame de Shelley – par Stupör Mentis, pour rafraîchir les mémoires défaillantes un petit addenda sera consacré à deux nouveaux morceaux de cette version magistrale dévoilés sur Bandcamp à la fin de cette chronique.

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    En attendant penchons-nous sur ce texte de Crowley qui ne dépasse pas les cinq pages. Shelley et Crowley appartiennent tous deux à la légende noire du rock'n'roll. Certains penseront qu'ils y sont entrés par la petite porte, mais les amateurs de blues savent qu'il faut se méfier des backdoormen. Le nom de Crowley est inscrit dans la saga de Led Zeppelin, Jimmy Page féru d'ésotérisme acheta le manoir du Mage... Certains prétendent qu'à partir de cet acte notarié l'éblouissante carrière du Dirigeable battit de l'aile jusqu'à l'écrasement final... Quant à Shelley, c'est un extrait d'un de ses poèmes Adonaïs dédié à John Keats récemment disparu, que, durant le mémorable concert d'Hyde Park, lut Mick Jagger – le chanteur des Stones, vous savez ce groupe qui enregistra Sympathy for the Devil – en l'honneur de Brian Jones, décédé après avoir été débarqué des Rolling...

    Ce qui tombe bien puisque Crowley débute son texte par une longue comparaison entre Keats et Shelley. Cela ne saurait nous étonner, Crowley en sa jeunesse écrivit nombre de recueils de poèmes, or Keats et Shelley sont tous deux les soleils les plus noirs de la poésie romantique anglaise. Que Keats quant à l'extraordinaire et splendide fluidité de ses vers ait été meilleur poëte que Shelley, Crowley veut bien l'entendre. Encore importe-t-il de savoir discerner la différence entre l'acte et le geste. L'acte du poëte peut être assimilé à son œuvre, le geste est d'une nature plus impalpable. L'œuvre se résout aux textes, le geste est cette volonté qui préside à la mise en œuvre de l'œuvre. C'est pareil pour le rock, il y a ceux qui maîtrisent la technique et ceux qui possèdent la hargne. Hargne et Geste ne sont guère mesurables, ce sont des impalpables, Aristote emploierait le mot de dynamis.

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    Ces quelques pages ne sont guère faciles à lire, Aleister Crowley – rappelons qu'il était anglais - est mort en 1947, beaucoup de noms qu'il cite appartiennent à des anglo-saxons qui vécurent dans la première moitié du vingtième siècle ( le texte a dû être rédigé selon nous circa 1922 pour le centenaire de la mort du poëte ) et pour certains leur renommée a malheureusement au cours de ces dernières décennies énormément pâli... Que cela ne nous empêche pas d'avancer.

    La pensée de Crowley est un peu comme les deux serpents du caducée, l'un qui monte et l'autre qui descend. Poésie et Science seraient leur nom. Keats les appelle Beauté et Vérité. Si Beauté = Vérité et si Vérité = Beauté, il est impossible que le mouvement s'éternise, selon Crowley chez Keats la beauté se perd dans sa propre contemplation. Par esprit de contradiction nous remarquerons que si la vérité est belle elle ne peut être vraie, or une vérité qui n'est pas vraie...

    Selon l'avis de Crowley, il n'en n'est pas de même pour Shelley, son œuvre ne reste pas prisonnière de son propre reflet. Elle n'est pas le cygne mallarméen pris dans les glaces de son miroir, la poésie de Shelley est le reflet du monde, n'entendez pas celui-ci par l'extériorité de son apparence, ses forêts, ses rochers, ses rivières... non il est nécessaire de considérer le monde davantage en son êtralité, le reflet du monde ainsi entrevu est ce que Platon nommait l'âme du monde, le fait que le monde en tant qu'être soit conscient de sa propre forme. De sa propre idée pour reprendre une terminologie plus proche de l'étymologie. Cette âme du monde est donc mouvement. Ce que Shelley nommera enthousiasme lorsqu'elle se manifeste chez l'homme, lorsque le poëte prend conscience d'elle.

    Shelley aurait donc été capable de saisir en son esprit cette palpitation respiratoire, cette vibration fondamentale du monde, l'Aum originel des hindoux, ces deux forces antagonistes qui ainsi que l'explique Empédocle tour à tour se rapprochent ( Eros ) et s'éloignent ( Ares ), Nietzsche nomme celle-ci Agon, et pour reprendre les catégories de l'auteur de La naissance de la tragédie, Keats serait apollinien et Shelley dionysiaque.

    L'on serait tenté de dire que Crowley n'apporte rien de bien neuf, que son analyse n'innove en rien par rapport aux anciens grecs, ce serait là une vision à très courte vue aussi ridicule qu'un problème de chronologie littéraire ou philosophique de moindre importance. Là n'est pas la question. Nous la formulerons tout autrement : pourquoi Aleister Crowley prend-il en quelque sorte position en faveur de Shelley et non pour Keats.

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    Les esprits primesautiers répondront parce que sa sensibilité s'accordait davantage avec celle de Shelley qu'avec celle de Keats. Simple tautologie. Description phénoménale doxique empreinte de basse subjectivité individuelle. Crowley, se place sur un tout autre plan : celui de la Science. Ne nous laissons pas intimider dans le texte par les gros mots de Russell et d'Einstein. La notion de science dont il est question ici est d'obédience philosophique, il s'agit de cette revendication chez les anciens grecs – on la retrouve chez Hegel – de fonder un savoir sur ce que nous appellerions une certaine objectivité et que les grecs nommaient vérité – ce concept a été très abîmé par la religiosité chrétienne – il correspond à ce que l'on pourrait cerner par l'expression adéquation de la pensée avec le déploiement du monde. Keats nous décrit le monde en tant que beauté. Vision contemplative qui n'a nul besoin d'action. Incidemment, le paganisme de Keats relève davantage de Plotin que de Platon.

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    Or l'action a été le mot d'ordre de Shelley, le révolté, l'athée, le révolutionnaire. Rien de plus dissemblable que Shelley l'hyper-actif et Keats le souffreteux, le malade, l'agonisant... La vie de Crowley est beaucoup plus proche de celle de Shelley que de Keats, les deux hommes procédaient d'un même tempérament volontariste, mais cela n'explique en rien la revendication shelleyenne de Crowley. Cette dernière est primordiale pour Crowley, le monde contemplatif de Keats exclut l'action et le mouvement, or si le mouvement est exclu de la suprême réalisation de la conscience de l'être, Crowley le magicien n'a plus aucune utilité, pire son action magique se révèle totalement inopérante car paralysée par l'absence de toute efficience mouvementale. Le magicien qui ne peut se servir d'aucune force émanant du monde est réduit au chômage, coincé dans la bulle d'immobilité parfaite de la sphère parménidienne.

    L'enthousiasme dynamique de Shelley est nécessaire à Crowley pour asseoir l'emprise de sa magie rouge sur le monde. Sans mouvement, manipulation ou mise en action de forces, tout Rituel est inopérant. Remarquons que tout à la fin de son texte Crowley remplace le concept d'Âme du monde par celui de Verbe ( d'obédience bien trop chrétienne pour nous ). L'assimilation de Shelley au Verbe du Serpent Ailé ( qu'à son époque l'on nommait Satan ) ressemble à ces apothéoses païennes qui à leur mort transformaient les Héros et les Empereurs en Dieux... De même ce dernier paragraphe donne à la Poésie préséance sur la Science.

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    ( Le lecteur peut se reporter à la lecture des poésies d'Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, exact contemporain d'Aleister Crowley quant au rapport Poésie / Science. ). Il ne nous reste plus qu'à remercier Philippe Pissier pour sa traduction et son infatigable et semenciel labeur à faire connaître au public français la geste de la Grande Bête.

    Damie Chad.

    ADDENDA

    PROMETHEUS UNBOUND

    STUPÖR MENTIS

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    Le Prometheus Unbound est une des œuvres non pas les plus difficiles mais les plus mystérieuses de Shelley. Tout comme le Caïn de Lord Byron, elle se présente sous la forme de d'une pièce de théâtre destinée à ne pas être jouée. Ce ne sont pas les difficultés techniques des mises en scène qui ont motivé ces deux prescriptions chez nos deux poëtes, sans doute sentaient-ils qu'il n'existait pas un public assez réceptif pour accueillir leurs drames métaphysiques. Pensons à Victor Hugo qui ne termina jamais La fin de Satan... Le meurtre d'Abel est un geste de révolte et de vengeance contre Dieu qui a crée la mort pour punir les êtres humains de la désobéissance du premier couple, s'il est un héros qui donne sens à l'absurdité de la vie, c'est bien le Caïn de Byron. Caïn joue à jeu égal avec Dieu, certes lui et l'espèce humaine sont condamnés à mort mais en assassinant son frère il prive Dieu de l'amour qu'Abel lui portait, tout comme Dieu a privé l'Homme de son amour en lui offrant la mort... La notion chrétienne d'amour en prend un sacré coup... Contrairement à Caïn, Prométhée ne se contente pas d'un match nul, Dieu est battu, il perd la partie. L'Homme peut enfin naître. Exposée si rapidement, la pièce peut ressembler à une tartinade philohumaniste. Mais Shelley situe ces personnages mythologiques dans la réalité historique de l'échec de la Révolution Française qu'il faudra surmonter par une action révolutionnaire encore plus efficace... Shelley forge le concept de métaphysique révolutionnaire. Karl Marx admirait Shelley, mais il s'est prudemment cantonné à un révolutionarisme matérialiste... En conséquence pour plusieurs générations la compréhension du texte de Shelley en a été obscurci et commence tout juste à se défaire des voiles condamnatifs qui l'ont relégué dans l'ombre.

    Stüpor Mentis ne donne aucune interprétation ( au sens philosophique de ce terme ) du Prométhée délivré, se sont contentés – ce qui est déjà extraordinaire - de présenter des extraits du texte sous forme d'un oratorio à un public qui en grande partie ne l'aurait jamais approché autrement.

    Spirit of keen joy : troisième morceau ( voir in Kr'tnt 478 nos recension de Monarch of Gods, I ask the earth ) : montée de sanglots musicale, la voix de la terre parle comme d'en dessous, elle effleure le souvenir des jours heureux, la voix prend de l'ampleur comme la sève se propulse au printemps aux sommet de l'arbre, toutefois la musique reste oppressante, souffle une bourrasque d'hiver vocale, Zeus a pris le pouvoir, le monde est flamme et catastrophe, le plein-chant vacille en ces horreurs qui ne peuvent être dites mais qui ne sauraient être tues, un trésor dispersé brille et palpite tel l'aile blessée d'un oiseau à la surface de la terre, celle de la naissance prophétique de Prométhée qui hante les souffrances mémorielles de tout être vivant. Peace in the grave : huitième morceau ( voir in Kr'tnt 478 notre recension de The Curse - N° 5 . Les lecteurs qui seraient gênés par cet effeuillage du dévoilement, sont appelés à méditer sur Les disciples à Saïs de Novalis ). La voix d'Erszebeth s'élève telle une plainte dans la nuit, Prométhée en appelle à la mort, les puissances dissolutrices du néant le séduisent, l'orchestration se fait plus forte, la voix est devenue consolation, une bougie dont la flamme vacille, prédominances d'orgue funèbre, jamais si près de la défaite, qui s'instille dans l'âme de Prométhée comme la nielle ronge l'épi de blé pour anéantir l'espoir d'une renaissance. De profundis... ( A suivre... ).

    Damie Chad.

    *

    SOUL TIME

    Livraison 487 : Soul Time / Livraison 488 : Soul Time / Livraison 489 : Soul Time / 490, 491, 492, 493, 494 : pas un sou de Soul Time. 495 : le retour, et pas qu'un peu, deux titres cette fois, vous pouvez en prendre tout votre soûl, pour le premier nous aurions pu le chroniquer en 494, mais le temps nous a manqué, donc cette fois l'horloge sera à l'heure, de la Soul Time !

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    RIGHT TRACK

    BILLY BUTLER

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    Rien à dire ils bossent. Aucun mérite, ils sont dix, nous avec le Cat on n'est que deux, sachez apprécier la différence, mais les groupes de soul qui turbinent par ces temps covidiques, il faut les soultenir. Faut pas qu'ils se sentent seuls dans la soute à Soul. Donc leur quatrième reprise : Right Track de Billy Butler. Se débrouillent toujours chez Soul Time pour mettre leur pas sur les bonnes pistes. Allez faire un tour sur You Tube pour écouter la version originale de Butler. Vous ne perdrez pas votre temps, deux minutes trente secondes et même moins, lorsque vous aurez terminé vous aurez l'impression de n'avoir plus rien à connaître du monde, les gars qui ont enregistré cette monstruosité ( producteurs, musiciens, choristes, Billy ) ils ont dû être piqués par la mouche tsé-tsé du bonheur, quand ils se sont réveillés, se sont aperçus qu'ils avaient pondu un drôle d'œuf, un peu comme l'histoire que raconte Borges dans une nouvelle, celle du gars qui a réussi à tracer un aleph, et comme les alephs sont des nombres qui contiennent davantage d'objets que ne peut en offrir l'univers, si vous arrivez à en visualiser un, vous voyez l'intégralité de l'histoire de l'univers depuis son commencement jusqu'à sa fin... comment de la musique de danse, je crache mon mépris, je fiente dessus, j'écoute par acquis d'inconscience, et c'est parfait, j'ai beau chercher je n'arrive pas à trouver un défaut, le Butler il devait connaître l'âme humaine, à la seconde juste avant celle où vous allez vous ennuyer, il vous propose autre chose, il change la donne, vous ouvre une autre porte et au bout de la septième, lorsque vous vous retrouvez dehors, vous êtes en pleine plénitude zénithale, jamais personne ne pourra vous apportez mieux en ce cul de basse-fosse parfois appelé planète Terre.

    RIGHT TRACK

    SOUL TIME

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    C'est OK, ils ne feront pas mieux que l'équipe d'OKeh, attention chez OKeh il y a du beau monde qui a enregistré, Louis Armstrong, Mamie Smith, Ida Cox, Larry Williams, Little Richard, Screamin Jay Hawkins, Link Wray, Esquerita pour ne citer que quelques noms qui résonnent dans le cœur des rockers, la firme existe depuis plus d'un siècle, spécialisée dans le jazz et les races series, alors les Soul Time ils ne font pas les malins se collent au morceau et vous le reproduisent à la perfection se permettent même une petite effronterie, rajoutent dix secondes à la fin, genre on en a sous la semelle et avec nous les danseurs ont leur pochette surprise. Des gamineries, des broutilles, de l'esbroufe à peu de frais, on peut le comprendre comme cela. Mais si cela n'est rien, c'est que d'abord ils ont osé une suprême insolence. Z'ont sorti l'arme de dissuasion terrible, oui Billy tu chantes comme un dieu, mais nous on a une déesse. Ecoute-la un peu depuis l'autre monde, elle est jeune, elle est mignonne, elle est jolie, elle est belle, mais cela toutes les filles parviennent à le faire, non ce n'est pas ça, dès qu'elle ouvre la bouche c'est une rivière de diamant qui resplendit, ça brille comme de l'or, d'ailleurs elle s'appelle Lucie. Un peu de basse, un broutonnement de batterie et tout de suite elle prend les choses en main, ou plutôt en voix, vous avez la fanfare à vents qui scande le bouillon kub, savent rester discrets et présents en même temps, la suivent à la trace et lui déroulent le tapis rouge, mais elle ne daigne y poser le pied, elle le survole, et quand elle se tait vous ressentez un vide, une absence cruelle, et le pire c'est que vous préférez cette souffrance écarlate, ce manque absolu, ce trou béant dans votre âme, à ce sentiment de plénitude procuré par Billy.

    SOUL TIME / SOUL TIME

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    Enfin ! Quand début novembre je suis allé faire un tour sur le FB de Soul Time, z'avaient mis en épigraphe une citation de Shirley Ellis, et comme Charly Ellis a crée Soul Time j'en avais déduit que Soul Time qui se présentait comme un groupe de reprises de Northern Soul, allait comme impérieux premier devoir de mémoire reprendre Soul Time de Shirley Ellis. Nous ont fait attendre plus de deux mois.

    La carrière de Shirley Ellis ne s'étend guère sur nombre d'années, entre 1963 et 1967, elle se retire en 1968, et disparaît en 2005. Elle débuta avec les Metronomes ce qui lui permit de rencontrer son mari et de s'essayer ( et de réussir ) à la composition. Elle a participé à l'écriture des nombreux hits qui la rendirent célèbre.

    Son interprétation me semble procéder de ce que je nommerai de ce vocable mien : freeme, formé du mot anglais free et du vocable français frime. Frime parce que Shirley joue à la Diva, vous écoutez trois secondes et vous entendez je pourrais faire mieux si je le voulais, mais pour vous c'est déjà trop, une facilité évidente, vous scotche les danseurs sur le dansefloor pour le restant de leur existence, s'amuse, se sent libre et souveraine, je sais je fais un caprice, mais vous adorez.

    Ont-ils senti le danger, toujours est-il que l'orchestre donne l'impression de faire bloc derrière la chanteuse et ( je suppose ) Carla évite de jouer à la donneuse de leçon, c'est que dans le Soul Time original vous avez la professeur Ellis qui montre l'exemple mais après vous avez l'impression que ce sont les élèves les plus douées, qui répètent en chœur les mouvements pour que le vulgus pecum puisse les assimiler, cela fait sûrement partie du jeu de la Reine Shirley, mais chez nos français ( peuple révolutionnaire ) l'on n'ose pas traiter le peuple avec ce dédain aristocratique, la version de nos Soul Time qui est des plus fidèles nous donne une sensation d'humanité que l'american entertainment exile un peu trop au loin.

    Se débrouillent bien chez Soul Time, se font les dents sur des chamallows de granit, une fois qu'ils auront enregistré sept autres covers du même high fidelity acabit pour compléter une cire de 30 centimètres, ils sera temps qu'ils passent à la création d'originaux. Z'ont la carrure pour prendre tous les risques.

    Damie Chad.

    *

    Ce monde est peuplé d'injustices. Non je ne parle pas des gens qui meurent dans la rue, ni des guerres qui dépeuplent le monde des civils aux quatre coins du monde, comparé aux tourments que j'ai endurés entre 1989 et le début de 2001, ceci n'est rien. Figurez-vous que depuis quarante ans, il y avait un trou dans ma collection de disques. Une faille énorme, un scandale d'état, pas d'exemplaire de Tony Marlow poussant la goualante swing ! C'est un peu de ma faute, j'aurais dû prendre une classe de maternelle en otage, ou enclencher le bouton d'une bombe atomique, n'importe quoi, mais je n'ai rien fait. Que voulez-vous, comme tout un chacun je suis un être peuplé d'inconséquences, de toutes les manières j'ai enfin pu m'en procurer un.

    Tiens un lecteur qui ne comprend pas en direct :

    • Allo Damie, tu parles du même Tony Marlow duquel la semaine dernière tu chroniquais son Purple Haze - je n'avais même pas écouté la moitié des titres que ma femme téléphonait à son avocat pour cruauté mentale et tapage rock'n'roll, depuis qu'elle est partie ça va beaucoup mieux entre nous deux – moi qui croyais que depuis les Rockin' Rebels, Marlow n'avait toujours joué que du rock'n'roll.

    • Tout faux cher ami ! Comme tous les rockers Tony Marlow est un esprit curieux et ouvert, s'est renseigné sur ce qui existait en musique avant le rock, tu sais comment sont les cats, quand il n'y mettent pas la patte, ils y plongent dedans jusqu'au menton, et ron et ron da-dou-ronron, l'a monté un groupe Tony Marlow et les privés, se sont bien amusés, difficile de trouver les disques originaux, mais là j'ai dégotté un truc dans la même veine, Marlow avec presque un grand orchestre, et ça flonflone, tu peux me croire, attention c'est du live !

    • Oh, Damie avec toi et le Cat Zengler l'on apprend chaque semaine des tas de choses !

    • Merci du compliment, dear friend, mais pour rester dans une perspective historiale du rock'n'roll français, tu écoutera aussi Big Band d'Eddy Mitchell enregistré en 1995 au Casino de Paris et tu te pencheras  sur le parcours de Victor Leeds, trop ignoré de nos jours !

     

    FLAGRANT DELIT AU SLOW CLUB

    TONY MARLOW

    ( Jazztrade-SL-CD- 7036 / 1989 )

     

    Tony Marlow : vocal / Jean-Marc Tomy : guitare, arrangement / Sylvain d'Almeida : basse / Charlie Malnuit : batterie / Bernard Auger : saxophone ténor / Philippe Slominski : trompette / Jean-Louis Damant : trombone.

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    Caldonia : bonne fanfare au pas de course en entrée, dommage que Tony n'ait pas choisi les paroles désopilantes du grand Schmoll – un des plus belles réussites du père Moine – excellent morceau pour débuter un set, le mieux c'est d'attendre les trois vents qui soufflent en tempête force 10, on se demande comment ils font pour ne pas s'emmêler les lignes, c'est qu'ils ont intérêt à assurer, jute avant la section rythmique vous a débarqué un imbroglio de première catégorie, et là-dessus le Tony se met à japper comme si la chienne de la voisine était en chaleur, à moins que ce ne soit sa chatte. Frénésie : une intro ordonnée, pas un col de trompette ne dépasse, elles attendent leur tour, Tony en dragueur sûr de lui, l'emballe rapide et puis ce sont les autres qui s'emballent, le morceau est assez long pour que chacun puisse se livrer à son exhibition la plus perverse. Buona sera : on n'est pas sorti de l'affaire, le bateau tango et va couler, le Tony fait le gigolo pour grosses dondons, mon dieu jusques à quand vais-je supporter cette infamie, trente secondes, parce que Tony il envoie valser la mémère aux quatre diables et sans préavis il se déchaîne, et derrière l'orchestre le suit dans sa crise de folie. On ne les a pas enfermés, mais ce dut être juste. Pourtant le Tony on aurait dû, ne voila-t-il pas qu'emporté par son délire il hurle ''rock'n'roll'' en plein tutti swing, se rattrape au dernier moment avec sa politesse de crooner rital qui en fait trop. Mademoiselle voulez-vous ? : soyons sérieux, les retraitées de quatre-vingt ans c'est sûrement bien mais enfin vaut mieux papillonner les demoiselles, une leçon de drague pour les timides, Tony vous a la tchatche, suffit de l'imiter, bon quand la zamzelle saute la barrière, l'orchestre frétille de joie. Is you is or is you ain't my baby : là c'est très beau, cette trompette qui aboie sur le velours de Tony, du Louis Jordan comme l'on n'en fait plus, en prime vous avez de ces nappées de cuivres et de ces halètements à la Satchmo, et le Slominsky il skie sur sa trompette et sur le final il est éblouissant. Route 66 : chic un classique du rock, révisez vos leçons, un succès de Nat King Cole que tout le monde a reproduit, même les rockers, ne le reprennent pas carrément rock, mais rondement roll, Tony caracole dessus – prononce misery comme Presley - les cuivres ne jazzifient point, ils le rhtythm-and-bluesent à brouter la pelouse. Belle version. Ain't nobody here but us, chickens : revenons dans l'orthodoxie du swing avec Alexis Kramer et son épouse qui écrivirent pour Jimmy Dorsey et Harry Belafonte, beau spécimen pour visualiser le vocal swing, comme un funambule sur le fil instrumental et en même temps une espèce de Monsieur Loyal pour laisser la place aux numéros des musiciens, tour à tour dans le halo du projecteur et dans l'ombre noire de la clinquance orchestrale, faut savoir ne pas se faire oublier, et avoir le dernier mot, ici cocorico. Tentation sous les tropiques : rien que le titre vous êtes sous les cocotiers englobés dans le rythme des moiteurs latines, une ambiance brésilienne et le Tony nous fait son numéro de gandin rock, très belles intonations à la Dick Rivers, à l'aise partout le Marlou, la batterie a beau faire du bruit, le Tony en complet blanc, pas celui qui danse le mieux, mais celui que les filles remarquent, car il a la classe. Baby want you want me to do / Please don't leave me : sous-marin rock ( Jimmy Reed et Fats Domino ) mais bien camouflé, ça swingue dur, mais le Tony ne peut pas se retenir de se la jouer à la Genre Vincent encourageant Cliff Gallup à montrer comment il se sert de sa guitare, bref si vous êtes un mordu du swing vous criez à la contrefaçon mais si vous êtres rock vous décrypterez tous les signes secrets du vocabulaire rock. Cliché nocturne : un peu de tristesse nostalgique s'il vous plaît en intro car très vite sur ce rythme qui en fait des tonnes ( les Stray Cats s'en souviendront ) une histoire de mauvais garçons, un jeune qui se prend pour un dur neuf et qui n'est qu'un œuf mollet. Pour les danseurs c'est parfait vous pouvez vous frotter sur votre cavalière transformée en motte de beurre fondue, à volonté. Reet petite and gone : après l'intermède sixty, une rythmique jazz s'impose, les gars s'y collent, font même chauffer la colle bellement, le Tony l'essaie de suivre, mais non, l'on sent bien que c'est un amateur de rock qui chante – ça tombe bien, c'est ce que l'on préfère – en tout cas pas un chanteur de jazz n'arrivera à décoller les syllabes avec une telle désinvolture. La vie est une question d'attitude. De phrasé. Hello baby, mademoiselle : un petit peu d'histoire, le jazz emmené par les GI's à Paris... l'on pense à Claude Luter et à tout ce que l'on n'a pas connu, les caves de St Germain, Tony imite l'accent français à la perfection. Don't let the sun catch you cry'in : l'on s'attendait à un feu d'artifice pour le dernier morceau, on aura un slow pour se quitter, dans la pure tradition sixty même que sur la partie parlée Tony imite Presley, derrière l'orchestre larmoie à souhait. On se quitte, mais on y reviendra.

    Inutile de vous suicider si vous n'avez pas le disque, soyez stoïque, une petite indication pour les affamés et les impatients : Frénésie, Mademoiselle voulez-vous ? , Cliché Nocturne, et Hello Baby Mademoiselle sont sur L'Anthologie 1978 – 2018, 40 ans de Rock 'n'Roll. Vous pouvez commander sur Tony Marlow Big Cartel.

     

    FOR LADIES ONLY

    STEPPENWOLF

    ( Novembre 1971 )

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    La pochette sous forme de lettrine moyenâgeuse parsemée de petites fleurs n'est pas la meilleure de Steppenwolf. Pour attirer l'œil il est indéniable qu'elle vous scotche la rétine, je ne voudrais pas critiquer Tom Gundelfinger mais pour un disque de hard-rock j'attends mieux. N'accablez pas ce pauvre guy, l'est comme ces cowboys dans les westerns qui possèdent un holster à droite de leur ceinturon et un autre à gauche, dans les moments cruciaux vous ne savez jamais s'il va dégainer à dextre ou à sénestre. Avec un nom aussi carabiné il faut se méfier de ce gus au doigt sur la gâchette, pas le gars à tirer son coup pour rien. Ouvrez la pochette, quel est donc ce cri d'horreur que pousse le chœur outragé de nos hypocrites ( et baudelairiennes ) lectrices, désolé demoiselles, cet engin phalloïde à roulettes sur le bord du trottoir, vous l'avez reconnu, un sexe d'homme turgescent pointé tel une ogive nucléaire vers votre délicate pudeur. A croire que vous n'auriez jamais vu le loup ( des steppes ).

    Rassurez-vous ce n'est ni grivois, ni paillard, même pas érotique. C'est féministe et politique. Un concept album, d'après une idée de Jerry Edmonton. Un truc pour la défense et l'illustration des dames. Pas celles du temps jadis, celles de leur époque. Les mauvais esprits insinueront que le Loup cède à la montée en puissance de la femelle petite-bourgeoise de l'american way of life qui se désole du si peu de cas que l'autre moitié du monde éprouve pour ses valeurs clitoridiennes. Quant à nous, nous nous contenterons de nous étonner du fait que jusqu'à maintenant aucune pétition n'ait réclamé l'interdiction de cette pochette outrageante.

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    John Kay : vocal, guitar / Kent Henry : lead guitar / Georges Biondo : vocal, bass / Goldy McJohn : organ, piano / Jerry Edmonton : drums

    For ladies only : doux arpèges de guitares tendus comme un bouquet de fleurs, attention le titre manifeste de l'album, dure neuf minutes, l'orgue prédomine vite ( souvenir marial ? ) ensuite le morceau bien appuyé se déroule dans le pur style Steppenwolf réglé comme sur du papier à musique. Pour les paroles rien de bien novateur, reprochent aux hommes de maltraiter psychiquement les femmes, sur le pont la musique devient plus forte pour souligner l'importance du message, et puis un peu de tendresse bordel dans ce monde de machos, ce n'est plus une gerbe que l'on offre mais une brassée monumentale, le temps de moissonner un champ de tulipes multicolores – les rockers s'ennuient un peu parce que ça dure un max, vous avez le piano de Goldy qui se prend pour Bartok, et quand vous croyez que c'est fini il rajoute une flopée de notes à ne plus savoir où les mettre et le band lui emboîte le pas, parfois les trajets en train deviennent un peu longs, lorsque j'ai acheté ce disque je n'ai dû écouter qu'une seule fois cette piste because je ne me souvenais plus de ce passage où le Loup se prend pour le London Symphony Orchestra. Sur la fin ils redeviennent le Loup mais auriez-vous la patience d'attendre si longtemps. I'm asking : entrée mélodramatique, serait-ce un remake de la Tosca, non très vite ils comprennent qu'ils doivent rattraper l'audimat, alors le Kay fonce dans le vocal et derrière ils mordent à mort, un petit coup de grandiloquence mais Goldy se la joue virtuoso-desperado du piano et l'on est parti pour un bon ramonage. Du grand Loup. Schackles and chains : l'alcool n'a jamais fait bon ménage, mais le Loup vous essore la serpillère à la perfection, en tout cas Kent Henry, là où passe sa guitare l'herbe ne repousse pas, mais attention faut bien se comporter avec les filles, c'est sur les ponts que décidément ils ne savent pas quoi inventer pour attirer leur attention, le Goldy il ose le saut à l'élastique, ce qui est sûr c'est que vous ne traînerez pas ce morceau comme un boulet. Plutôt comme un canon. A votre santé. Tenderness : écrit par Mars Bonfire, peut-être pour se faire pardonner Born to be wild, une ballade, Kay prend la voix de Bruce Springsteen ( chronologiquement étrange ) et c'est parti pour les remords, le piano de Goldy pleure derrière lui de toutes ses larmes, pour un peu vous en chialerez aussi, le coup du countryman qui regrette les erreurs de son passé. Bien fait, mais un peu tendre.

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    The night time's for you : on retourne la galette et l'on retombe sur la plume de Bonfire, le titre fait un peu peur, mais Kay ne roucoule pas, le désir le brûle et le feu se communique au morceau, durant les moments nocturnes où il n'est plus besoin de parler Harry vous pousse sa guitare jusque dans les trompes de Fallope, je ne sais pas ce que Goldy fait à son orgue mais il en tire de drôles de couinements. Jaded strumpet : une fille qui a laissé un souvenir impérissable, une intro jazzy mais à la suite ils la ( l'intro pas Jaded ) malmènent sans ménagement, vous avez l'orgue qui s'égosille comme si vous étiez un poisson vivant et que l'on vous écaillait sur le bord de l'évier, vous sentez votre souffrance, et nous notre joie car c'est diablement jouissif d'être maltraité par un Loup en colère. J'ai oublié de préciser la Jadet elle vous mène les hommes à la baguette et ils aiment ça. Sparkle eyes : le Loup il a l'art de vous dynamiter le country ( qui a dit que le hard provenait du blues ? ) et en plus au milieu du morceau vous traversez un pont bizarre avec des arches de toutes les formes pour atterrir dans le pays de la grande nostalgie, n'ayez crainte ça pétarade de tous les côtés et vous en redemandez, alors ils vous en resservent une bonne portion. Black pit : un instrumental pour descendre au fond de l'abîme, l'on ne touchera pas le bout du trou ( allo, doctor Freud ) mais il y a des passages aussi intéressant que Voyage au centre de la terre. Le Loup ne sait pas quoi faire pour vous étonner. Ride with me : une chevauchée macho de Bonfire, suffit de se laisser porter, vous avez l'orchestre qui fuse et qui vire sur l'aile, chante en chœur quand la guitare en flamme vous fait un piquet rase-motte d'hirondelle, le Kay nous fait le coup d'amour toujours, amour d'un jour. In hopes of a garden : retour au jardin de l'éden, un ange passe aux ailes brisées, ce n'est pas aussi beau que l'on l'espérait, mais l'on fait avec ce que l'on a, l'endroit n'est pas mal pour une courte ballade.

    Pas si mal que cela. Le Loup a essayé d'enrichir sa palette musicale – étonnant sur le titre éponyme – l'on pourrait sous-titrer l'album, comment le hard devint prog. Il est parfois difficile de quitter sa steppe natale. Lorsque de loin, chez mon fournisseur toulousain j'ai vu qu'il y avait un 33 que je ne connaissais pas dans le casier Steppenwolf, wouh ! ai-je pensé, un nouveau disque tout juste après quatre mois ! Quand je me suis approché j'ai appris que non, c'était la fin... une espèce de Rest in peace, un best of, par contre une des meilleures couves de Tom Gundelfinger ( je sais, j'ai des goût bizarres et je ne me soigne pas ).

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    This the end de l'Histoire du Loup. Ne pleurez pas, il renaquit de ses cendres pas très longtemps après, mais c'est une autre histoire, peut-être vous la raconterais-je une autre fois. Voilà, c'était For Fans Only.

    Damie Chad.

     

    XVIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    82

    Il y eut une discussion animée qui dura toute la nuit pour savoir duquel des quatre dangers qui menaçaient le SSR il fallait s'occuper en priorité. Au matin les avis étaient encore partagés, d'un commun accord nous décidâmes de reporter la décision après un petit déjeuner roboratif. Nous étions en train de trempotter nos tartines de confiture dans notre café au lait lorsqu'un flash d'information de la radio annonça la mise en confinement du pays.

    Le Chef poussa un rugissement, bouscula d'un geste ample bols et beurrier qu'il envoya valser sur le plancher – Molossa et Molossito se chargèrent aussitôt de nettoyer cette manne tombée du ciel, un nettoyage tellement parfait que par la suite les filles n'eurent même pas besoin d'essuyer la vaisselle – nous, nous n'avions d'yeux que pour Dieu le Chef qui étalait une carte sur la toile cirée :

      • Nous allons frapper un grand coup, tel Hannibal marchant sur Rome avec ses éléphants, déclara le Chef d'une voix emphatique

      • Mais nous n'avons pas d'éléphants ! le coupa vivement Charline

      • Non, nous avons mieux puisque nous possédons Molossa et Molossito - qui illico tous deux très fiers entamèrent une marche pachydermique autour de la table – et ce sont eux qui enfonceront les défenses avancées de l'ennemi

      • Mais si les ennemis ont des défenses c'est qu'ils ont aussi des éléphants s'écria Charlotte

    Vince prit la parole. Apparemment il s'y connaissait un tout petit peu plus en éléphants et en Hannibal que nos nouvelles recrues féminines. Il fronça les sourcils :

      • Attention, Hannibal a emmené ses grosses bestioles mais elles ont été inopérantes sur le champ de bataille, je m'oppose à ce que Molossa et Molossito soient sacrifiés en vain !

      • Vince tu as totalement raison, je ne suis pas Hannibal, d'abord celui-ci ne fumait pas de Coronado, ensuite l'agent Chad et nos deux jeunes filles seront dès la fin de cette réunion chargés de leur entraînement !

      • Voilà qui est rassurant opina Vince, mais l'exemple d'Hannibal me semble mal venu puisqu'il n'a pas réussi, son entreprise fut un échec !

      • La raison de la défaite d'Hannibal sera le fer de lance de notre victoire, ce général borgne qui n'y voyait que d'un œil, et qui je le rappelle ne fumait pas de Coronado, a commis une terrible erreur, au moment propice il a hésité devant l'énormité de la tâche, il a refusé de prendre Rome, le cœur décisionnel du pouvoir romain, nous SSR ne commettrons pas cette impardonnable et grossière erreur, nous SSR, nous porterons sans faillir notre attaque éclair - plus tard les historiens en qualifieront l'audace de suicidaire – précisément là, et il pointa son Coronado incandescent sur un endroit très précis de la carte.

      • Vertigineusement fou, pratiquement irréaliste, et totalement infaisable, j'en suis ! déclara Vince, j'ai voué ma vie à la défense du rock'n'roll, et tiens à passer au stade supérieur : l'attaque rock'n'roll !

      • Merci Vince, je savais que tu ne nous abandonnerais pas, nous passons immédiatement aux préparatifs, Vince tu t'occuperas de la 2 Chevaux, les filles et l'agent Chad de Molossa et de Molossito, quant à moi je me réserve le plus difficile, le maniement du Coronado, auprès duquel l'ikebana des Japonais se révèle d'une technicité rudimentaire et d'une subtilité de grosse brute hémiplégique. Exécution immédiate. Dans trois jours tout doit être prêt.

    83

    L'on se faisait un monde de l'entraînement de Molossa et Molossito, ce fut une partie de plaisir pour les canidés. Nous avions réquisitionné l'escarpolette de la balançoires que Vince avait installé pour ses petits-enfants, les deux chiens adoraient s'asseoir côte à côte sur la planchette, puis par un jeu de poulies et de cordes nous les hissions jusqu'au sommet  de l'arbre le plus haut du jardin, un magnifique cèdre du Liban qui culminait à plus de quarante mètres puis nous les descendions à des vitesses variables en imprimant de fortes oscillations, Molissito essayait d'attraper la queue de Molossa qui indifférente au tangage et au roulis prenait la pose d'un sage stoïcien ayant depuis longtemps dépassé l'ataraxie.

    Dans les heures qui suivirent l'ensemble de la maison se transforma en fourmilière, Vince et le Chef s'affairèrent autour de la deutcholle qu'ils remisèrent au garage, nous ne savions pas à quelle transformation ils se livraient mais de temps en temps la tête du Chef surgissait de l'entrebâillement du portail et hurlait :

      • Agent Chad, une clef de 12 immédiatement !

    Avec les deux filles nous courions de tous les côtés, Vince avait entreposé dans l'entresol de la bâtisse les réserves de son magasin de brocante '' C'est simple avait-il expliqué, vous trouverez là-dedans tout ce dont vous avez besoin avec en plus tout ce qui ne sert à rien. '' C'était vrai, mais il fallait farfouiller un max... Nous n'arrêtions pas, lorsque les filles découvrirent une centaine de rouleaux de papier crépon une dispute homérique éclata entre elles sur le choix de la couleur nécessaire à la confection de certains ustensiles utiles à la fabrication de leurs costumes spéciaux que le Chef leur avait demandé de confectionner...

    Entre douze et seize heures le Chef exigeait un silence absolu, il s'asseyait sur une chaise en plein soleil et tirait de longues bouffées de quelques Coronado, je remarquai que montre en main, il prenait dans le même temps des notes sur un carnet qu'il surchargeait de calculs frénétiques.

    Le troisième jour, à seize heures pile, Vince, la mine soucieuse, vint le trouver après nous avoir fait signe de nous ( chiens compris ) rapprocher :

      • Je pensais qu'après avoir branché notre compresseur à effet rétro-actif nous aurions résolu le problème, mais il n'en est rien, à moins que l'un de nous ait subitement une idée de génie, la mission s'avèrera impossible.

      • Vince, dès qu'un problème se pose, disons-nous qu'un peu de logique le résoudra, énonça sentencieusement le Chef. Prenons en exemple le cas qui vous préoccupe. Vous avez besoin d'une idée de génie pour le résoudre. Donc il nous faut un génie, or nous en avons justement un, pourquoi l'Agent Chad aurait-il intitulé ses mémoires Mémoires d'un GSH, ce qui signifie Génie Supérieur de l'Humantié s'il n'était pas un génie. Agent Chad, discutez un peu avec Vince, à 16 heures trente précises vous me rapportez l'idée de génie.

    84

    A 16 heures 30 très précises je me dirigeais en compagnie de Vince tout souriant devant le Chef :

      • Agent Chad, je ne doute pas de vous, aussi vous demanderais-je la permission d'allumer un Coronado avant que vous ne nous fournissiez l'idée géniale nécessaire à la réussite de notre entreprise.

      • Hélas Chef, je n'ai pas l'idée géniale à vous exposer...

    Les yeux des filles s'humidifièrent

      • Oh ! Damie nous qui voulions tant participer à cette aventure extraordinaire !

      • Non Chef, je n'ai pas l'idée géniale, mais j'ai la solution !

      • Excellent, agent Chad, c'est le minimum que j'attendais de vous ! Votre esprit a donc trouvé...

      • Oui Chef, l'idée géniale de téléphoner au Cat Zengler pour lui demander de me fournir la solution, tel un trait de la foudre de Zeus a surgi dans mon cerveau einsténien. Mon idée était la bonne, le Cat a non seulement trouvé la solution, mais il m'a envoyé le fichier adéquat que Vince a recopié via le net sur le CD que voici, il n'y aura plus qu'à glisser dans un lecteur pour la rendre opératoire.

      • Parfait, il est seize heure trente six minutes, je vous donne quartier libre, pensez que nous avons toutes les chances de périr, regroupement à 10 heures trente devant le garage, départ à onze heures tapantes.

    ( A suivre... )