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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 50

  • CHRONIQUES DE POURPRE 519 : KR'TNT ! 519 : DAN PENN / VIV ALBERTINE / SONGHOY BLUES / BOB & EARL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 519

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    02 / 09 / 2021

     

    DAN PENN / VIV ALBERTINE

    SONGHOY BLUES / BOB & EARL

     

    Penn de cœur

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    Bambin, Wallace Daniel Pennington va chaque dimanche et chaque mercredi à l’église, down here, près de Vernon, Alabama. Sa mère joue du piano et son père de la guitare. Avant même de savoir écrire, il chante, émerveillé par la grandeur du gospel - What I liked about the church was the congregational singing - Chaque fois qu’il entend un coup de gospel, il est baisé - I’m in, I’m gone - Et il ajoute que pour lui, parler de Soul music, c’est parler de l’église et non des noirs. Son premier grand modèle est Jimmy Reed, suivi de près par Ray Charles et James Brown. Il admire aussi Elvis, mais lorsque celui-ci part à l’armée, Daniel se sent comme tous les autres abandonné. Alors ils se replonge de plus belle dans la black et commence à composer des chansons.

    Dan a onze ans quand Dad lui paye sa première gratte, a little Silvertone - Then when I was 16, Dad gave me his Gibson, taught me some chords and that’s when I satrted to get serious.

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    Un jour il rencontre Jerry Sherrill et lui joue un de ses trucs. Impressionné, Sherrill lui indique l’adresse du studio SPAR, à Florence, Alabama, installé au dessus du City Drug Store. Il entre et trouve des mecs en train de dormir. Il adore l’endroit et se dit que c’est exactement ce qu’il recherche. Il enregistre quelques démos dont le fameux «Is A Bluebird Blue» dont Conway Twitty va faire un hit. Après un séjour de trois mois à Dallas chez sa tante, Daniel Pennington revient dans la région et devient Dan Penn, le blue-eyed soulster. Il y retrouve Rick Hall qui s’est séparé de ses associés de SPAR pour monter FAME dans un ancien entrepôt à tabac, à Muscle Shoals, Comme le studio marche bien, Hall propose un job à Dan : écrire des chansons.

    Dan en parle à son père qui lui demande :

    — Combien qu’y paye ?

    — 25 par semaine.

    — Tu peux gagner plus à l’usine où j’bosse.

    — C’est sûr, Dad, mais c’est ce job qui m’intéresse.

    — Yeah I understand.

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    Son père fait 40 $ à l’usine textile où on fabrique des pantalons. Sa mère y bosse aussi. Mais bon, Dan veut tenter sa chance. Il trouve aussi qu’Hall a du répondant - He had a lot of drive - FAME décroche son premier hit avec «You Better Move On» d’Arthur Alexander, un black employé à l’hôtel du coin. Dan apprend énormément d’Arthur - The most important thing he showed us is how to keep things simple - Ce que dit aussi Charlie Feathers dans son coin : «The simpler the better.» Dan va passer trois ans DANS le studio d’Hall. Entre 1963 et 1966, il va enregistrer une centaine de chansons. Il enregistre pas mal de démos avec Hall qui va ensuite à Nashville essayer de les vendre. À cette époque, Dan sympathise avec Donnie Fritts. Donnie a la fritte, car l’une des premières chansons qu’ils écrivent ensemble est «Rainbow Road» - And then suddenly there was a song that had glory in it - Pour Dan, the power of glory vient du piano. Donnie la fritte tient à préciser que c’est une chanson écrite pour Arthur Alexander, et non sur Arthur Alexander. Bon d’accord. Et dans la version que Dan enregistre, Hall joue du banjo. Et puis quand Donnie la fritte et les autres se barrent à Nashville, Spooner Oldham fait son apparition. Il devient le pianiste maison de FAME, en remplacement de David Briggs. Comme deux gosses dans une cour d’école, Dan et Spoon forment un partnership. Ils se mettent à pondre des hits, comme deux poules aux œufs d’or. Cot cot ! Dan chante un truc, par exemple «I love you more than I used to» et Spoon joue un accord. Cot cot ! Ça part comme ça. Dan raconte qu’il gratouille sa douze cordes, ting ting ting, et Spoon joue doucement derrière, tung tung tung, et voilà comment «I’m Your Puppet» voit le jour - The song just popped out of my mouth - Dan dit même qu’elle s’est écrite toute seule - It just wrote itself - Les artistes vont upstairs chez FAME écouter les démos sur un petit tourne-disques. Quand les frères Purify entendent «I’m Your Puppet», ils l’adorent et l’enregistrent en l’accélérant légèrement, ce qui ne plait pas à Dan. Mais il ferme sa boîte à camembert. Quelques semaines plus tard, il entend «I’m Your Puppet» à la radio et quand il reçoit un chèque de royalties, il est enfin convaincu - What a great record ! - Tout est magique chez Dan et Spoon. Ils composent deux ou trois chansons par session. Mais Dan fout la pression. Il ne sait pas s’arrêter. Il finit par faire tourner Spoon et Fritts en bourrique. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Dan rappelle que tout le monde dans le Sud prenait des amphètes - little benny pills - Pouf, tu pop ta pill et tu repars à 100 à l’heure. C’est automatique. All nite long. Tout le monde à l’époque tourne aux amphètes : Elvis (surtout Elvis), Dan, Spoon, les routiers et les Mods anglais.

    Dan devient auteur. Plus il compose, plus il aime ça. Un jour il demande les clés de la chambre d’écho à Hall qui lui demande pourquoi. Dan veut juste essayer de modifier l’écho avec un coussin. Hall lui dit non. Pas question. Dan voudrait bien produire. Non. Pas question. T’es payé pour composer, alors tu fermes ta gueule et tu composes. Chez Hall, chacun à sa place. On lui reprochera plus tard son despotisme. Quand son contrat avec Hall arrive à terme, Dan se casse. Il va à Memphis travailler avec Chips. Hall le prend mal. Il perd sa poule aux œufs d’or. Cot cot !

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    Dan évoque ses débuts chez FAME : «We were into R&B, that’s the best way I can put it.» Early sixties, c’est l’âge d’or. Dan et Spoon adorent Stax et Hi, ils adorent tout ce qui vient de Memphis, surtout Otis, Sam & Dave, William Bell, tous les crac boom hue-hue de la Soul. Dan adore aussi Motown et tout ce qui vient de la Nouvelle Orleans. Il adore aussi tout ce qui vient de New York et de Chicago, mais aussi les groupes de Philadelphie. Il adore Little Anthony. Il adore Sam Cooke. Et il adore par dessus tout Ray Charles et Bobby Bland. Ah ces deux-là, ils sont des dieux pour Dan ! Il n’en démord pas, les chanteurs noirs sont les meilleurs. Ils améliorent nous dit Dan la chanson en l’interprétant, en amenant un truc en plus. Pour lui, Joe Simon est le meilleur ameneur de truc en plus. Il cite l’exemple de «Let’s Do It Over» : «Si je chante ‘Let’s Do It Over’, je chanterai la version de Joe Simon, parce que c’est la meilleure.» Pareil pour Aretha. Dan n’en revient pas de voir ce qu’elle a fait de «Do Right Woman». Mais Dan dispose d’une vraie voix et il enregistre des démos de ses chansons. Des mauvaises langues insinuent même que ses démos sont meilleures que ce qu’en font les artistes qui enregistrent ses chansons !

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    Quand fin 1964, David Briggs, Jerry Carrigan et Norbert Putman quittent Muscle Shoals pour aller s’installer à Nashville, Hall se retrouve le bec dans l’eau, sans house-band. Briggs, Putman et Carrigan montent à Nashville le fameux Quadraphonic Studio. Hall redémarre à zéro avec Jimmy Johnson, Tommy Hawkins et Albert Lowe. FAME tourne alors à plein régime car Hall a passé un accord avec Atlantic. Après avoir testé Stax, Jerry Wexler a opté pour FAME. Il envoie donc ses clients Wilson Pickett et Aretha down there, chez Hall. Wexler impose aussi la présence de Chips Moman et Tommy Cogbill qui viennent de Memphis pour participer aux sessions. Et c’est là que Dan flashe sur Chips - Two of the most strong minded and creative mavericks one could imagine - Dan et Chips entrent en osmose. On les prend pour deux frères. Dan et Chips sont inséparables et à l’été 1966, Dan s’installe à Memphis. Dan et Chips composent «Do Right Woman» et «The Dark End Of The Street». Ils participent d’ailleurs à la fameuse session d’Aretha chez FAME, où elle enregistre «I Never Loved A Man (The Way I Love You)». Dan la voit s’asseoir au piano pour jouer des unknown chords au piano. Elle dit ensuite vouloir enregistrer that ‘Do Right’ song à condition qu’il y ait des paroles sur le pont et Dan va aussitôt s’enfermer dans un placard pour écrire les mots demandés. Et c’est là qu’une bagarre éclate entre Hall et Ted White, le mari d’Aretha. Quand Dan sort du placard, tout le monde s’est barré. Et Dan se dit : «You’re not going to make any money today, son !». Dan adore aussi voir Wilson Pickett en studio - He was impressive, to say the least - Oui, Wicked Pickett tape du pied en chantant et Dan le voit soulever un nuage de poussière, ce qui le scie, car Hall est une fée du logis (Rick keeps it clean).

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    Attention, Chips est déjà un vétéran de toutes les guerres : il a accompagné Warren Smith, les Burnette brothers, Gene Vincent et découvert les secrets de la console au Gold Star Studio de Los Angeles. Il a en outre aidé Jim Stewart à démarrer Stax et a produit les early hits : «Last Night» des Mar-Kays et «Gee Whiz» de Carla Thomas, avant d’être viré en 1962 par Jim Stewart. Chips produit le «Keep On Dancing» des Gentrys en 1965 pour financer le lancement de son studio, American Sound Studio, installé au 827 Thomas Street. Dan y produit les Box Tops. Et quand Jerry Wexler se fâche avec Hall suite à la bagarre évoquée plus haut, tous les clients d’Atlantic débarquent chez Chips. Voilà que déboulent des géants et des géantes comme Solomon Burke et Patti LaBelle. Atlantic vient de signer Esther Phillips, alors Dan et Spoon composent «Cheater Man» pour elle, l’un des plus grands hits du siècle dernier. Dan devient selon Hugh Dellar producer and songwriter extraordinaire.

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    Quand Spoon est libéré de ses obligations envers Hall, il débarque à son tour à Memphis. Dan et Spoon se remettent à pondre ensemble. Co cot ! Ils pondent «Cry Like A Baby» pour les Box Tops et «Dreamer» pour Patti Labelle & the Bluebelles. Tout va bien jusqu’au moment où Martin Luther King reçoit une balle dans le cou. Ce jour là, Chips est à l’extérieur. Il appelle Dan et lui conseille de se tirer vite fait du studio, car dit Chips ça va péter. Spoon : «Nothing changed but everything changed.» Puis, comme dans la plupart des mariages, la tension finit par monter entre Chips et Dan. Dan veut produire. Chips freine. Alors crac boom, Dan prend ses cliques et ses claques et va monter son studio, Beautiful Sounds. Il installe le premier 16 pistes de Memphis, mais comme il n’a pas de clients, il se vautre. C’est Chips qui a les clients. Dan y laisse sa chemise. Ça va vite, d’autant plus vite qu’il se soûle la gueule en fumant de l’herbe comme un pompier - I was stoned and drunk and I didn’t take care of business - Il produit l’album d’Ilmo Smokehouse qu’on peut qualifier d’anomalie blues-rock. Et comme il n’a pas d’autre client, il se dit «Okay, I sing so I better cut me», et il enregistre son fameux Nobody’s Fool.

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    Sur la pochette de Nobody’s Fool, Dan pose adossé à une grosse berline. Il faut bien dire que l’album vaut le harponnage car il s’y niche de sacrées merveilles, à commencer par «If Love Was Money», tapi en B, joué au son épais. Dan y ramène tout le soft du monde pour faire jaillir de ce r’n’b quelques prodigieuses flambées de son, avec des retours de couplets aussi radicaux que des retours de manivelle. Cette supercherie ensorcelle littéralement. D’ailleurs s’il fallait qualifier le don de Dan on dirait : divine divination, Dieu et le diable dans la même effluve d’essence transsubstantifique. Le morceau titre d’ouverture de bal d’A sonne aussi comme un hit. Voilà en effet un balladif beau et inspiré, finement teinté d’Americana et empreint d’une douce tiédeur de Deep South orchestrale. Dan chante comme un dieu, il faut se faire à cette idée. Charlie Freeman joue de la guitare. Selon, la légende, Elvis adorait «Nobody’s Fool», mais il ne l’a pas enregistré, au grand regret de Dan. Spoon joue de l’orgue sur le «Raining In Memphis» qui suit, une nouvelle merveille d’intimisme pennic. Ses balladifs ne racolent pas. Ils font appel a ce qu’il y a de plus noble en l’homme, la sensibilité, l’instinct de perception. Voilà encore un cut visité par la grâce. Et tout l’album reste à ce niveau de qualité. «Tearjoint» sonne plus country, mais ça reste d’une élégance inusitée et d’une fraîcheur incomparable. Nouveau balladif de grande ampleur avec «Time». Dan est un sentimental, au bon sens du terme. Avec «Lodi», il plonge dans le Deep South Sound System. Dan pourrait presque chanter comme un blackos. Il donne l’exemple aux futures générations : apprenez à faire de bonnes chansons. Le festin se poursuit en B avec «Ain’t No Love», soft-rock aimable d’une grande délicatesse qui frise la good time music. Toutes ces chansons ne sont que petits chefs-d’œuvre de délicieuse concision. On pourrait même qualifier «I Hate You» de balladif southern gentlemanien. Comme Kim, Dan joue la carte de la haine, mais sur tapis de violons. On note aussi la présence de David Hood dans le coin. Avec «Prayer For Peace», il propose une sorte de gospel slowah de génie, chargé d’esprit et de toute la grâce du monde.

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    Quant à l’album d’Ilmo Smokehouse, c’est une autre paire de manches. Ces mecs flirtent avec le blues à la cloche de bois, mais aussi avec le prog seventies. Choix bizarre, l’heure est grave. Non seulement c’est mauvais, mais ça tourne vite à la catastrophe. Ils s’élancent dans une prog de 9 minutes avec «Movement 1 & 3». C’est impensable que ces mecs aient osé jouer du prog à Memphis, en plus dans le studio du pauvre Dan au bord de la banqueroute ! Ils sortent un pseudo-son anglais épouvantablement poussif. Nouveau sujet d’étonnement : la version de «Johnny B. Goode». Ils jouent le riff au sax merdique et leur gras double manque tragiquement de crédibilité. Ils sont sûrement les seuls au monde à oser un coup pareil. On sent néanmoins chez eux un goût du voyage dans le son. Et bien sûr, ils finissent par mélanger le prog et le heavy blues, comme le montre «Meyer Gold». Bon d’accord, le guitariste est bon, mais les cuts vont mal. On sent que Dan cherche à les aider, en mettant par exemple la basse au devant du mix dans «Have You Ever Had The Blues» et le boogie rock de «Pine Needle Bed» passe bien, mais ils gâchent tout avec un intermède proggy. Dans un cut de deux minutes, ça ne pardonne pas. C’est un album étrange, un grand mélange de tout et de n’importe quoi, on imagine le pauvre Dan derrière sa console, obligé d’avaler cette soupe aux choux, rrrru rrrru, lui qui ne rêve que de mélodies, de chanson parfaites et d’art nègre.

    En 1974, Beautiful Sounds est à genoux. Down on the ground. De son côté, Chips a fermé American et a quitté la ville. Down on the ground, itou. Pire encore, le mighty Stax pique du nez et sera flingué (comme Martin Luther King) par des banquiers blancs dégénérés l’année suivante. C’est la fin de l’âge d’or de Memphis. Dan se barre à Nashville.

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    Vingt ans plus tard, revenu à la vie comme Edmond Dantès, Dan enregistre son deuxième album, Do Right Man. Sur la pochette, on le retrouve assis sur le pare-choc d’une grosse berline, comme au temps de Nobody’s Fool. Cet album est moins dense que le précédent, mais on craque en B pour «He’ll Take Care Of You», un fantastique balladif de classe intercontinentale. Dan navigue au long cours, on sent chez lui une parfaite aisance et un sens aigu du beau. Tout aussi fantastique, voici «I’m Your Puppet» et il enchaîne avec «Where There’s A Will» d’une classe absolue et bardé de chœurs de rêve. Il reprend aussi le hit composé avec Chips pour James Carr, «The Dark End Of The Street», ce slowah qui fit tant de bruit dans le circuit des connaisseurs. C’est vrai que la mélodie ne laisse pas indifférent. Il traite encore d’un problème de cœur dans «It Tears Me Up». Comme il l’a vue parler avec un autre mec, ça le tear up. Étant donné que Dan est un homme sensible, il n’est pas question pour lui de chercher à surmonter une telle douleur. Il sait aussi manager les brusques montées de fièvre, comme on le voit dans «You Left The Water Running». Quel admirable white nigger ! Il ne vit que de ça, de Penn et d’eau fraîche. Il reprend aussi le «Do Right Woman Do Right Man» composé avec Chips pour Aretha : d’allure classique et chanté avec tout le feeling du monde. On note aussi la présence d’un bon boogie sur cet album, «Memphis Women And Chicken», goes like this, bardé encore une fois de chœurs de rêve, avec un Dan en rut qui envoie des oh-oh yes !

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    Cet humble album qu’est Moments From This Theatre vaut le déplacement, car on y retrouve nos deux poules aux œufs d’ors, Dan & Spoon. Cot cot ! Pour cet album live enregistré en Irlande et en Angleterre en 1998, ils se mettent sur leur trente-et-un et démarrent avec l’ineffable «I’m Your Puppet». Pur genius - Darling you’ve got full control - Derrière, Spoon joue des accords cosmiques et Dan gratte sa gratte. Prosternez-vous mes frères. Existe-t-il un art plus pur ? Non. Même magie avec «It Tears Me Up» et son attaque mélodique parfaite. Dan fait sa Soul dans son coin avec un aplomb dément - Aw Lawd I can’t stop crying - «A Woman Left Lonely» s’inscrit dans la même veine, ce balladif éploré vaut pour du grand Penn de cœur. Ça s’étend jusqu’à l’horizon, cette merveille suspensive chantée aux abois, c’est du Dan dans le dur, et ça swingue dans le lard du groove. On se goinfre aussi d’«I’m Living Good», country-Soul de rêve - I’m living good garling/ I’m so satisfied - et il tape dans le mythe de Memphis avec «Memphis Women And Children», il sait gratter le boogie de fried chicken. Ils vont chercher le shuffle de Spoon pour «Sweet Inspiration» et Dan claque sa Soul à coups d’acou. Les gens applaudissent. En fait, ils sortent tous les hits, «Cry Like A Baby» (composé pour Alex, mais via Dan, ça prend une autre résonance), «Do Right Woman Do Right Man» (composé pour Aretha), «The Dark End Of The Street» (composé pour James Carr, bien groové avec cette phrase terrible We have to pay/ For the love we stole) et ils enchaînent avec d’autres merveilles du type «You Left The Water Running» (vieille Soul de Dan), «Out Of Left Field» (qui s’égare un peu dans le gospel) et Spoon chante «Lonely Women Make Good Lovers» du coin du menton. Admirable de bout en bout.

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    Pas de vieille bagnole sur la pochette de Blue Nite Lounge ! Bizarre. Mais que de hits ! À commencer par «When You Gettin’ It». Dan entre dans le beat electro comme dans du beurre. Il sait groover le funk au beurre noir. Sa voix et son style dépassent tout, même l’entendement. Il maîtrise les débordements du funk éjaculatoire avec un tact pennique - Remember when you were my girl - Il groove dans le doux de l’excellence - Tell me now girl face to face - «Looking For Love» reste dans la même catégorie. Dan plonge dans la Soul blanche - Will you be my babe/ Will you be my girl - Il retient son groove par l’élastique du pantalon. Fabuleux exercice de style en forme de pulsion émotive. Il joue non pas dans l’air du temps mais dans l’ouate du temps. Il nous emmène dans le bayou pour «Hallelujah Louisiana», il groove son back on the bayou where I belong, il chante avec toute l’humanité de sa vieille glotte rosâtre et sur «Funky Folks», Reggie Young gratte sa gratte. Il joue tout le cut jusqu’à la dernière goutte de note, c’est du Deep Southern rock, avec un son très proche de celui de Tony Joe White et cette torpeur du rock dans ce qu’elle peut présenter de plus deepy deep. Al Kooper joue sur «You Don’t Miss What You Never Had». Il a raison, Dan, on ne manque pas de ce qu’on n’a jamais eu, c’est aussi simple que ça. Il chante sa Soul blanche un peu à l’édentée et ça lui va bien. On est dans la Soul de charme salivaire - I don’t miss it baby - Il nous jazze «Down Around Birmingham» au butt et revient au big Memphis Sound avec «A Memphis Melody» - Hello Mister Chips/ Where you been ?/ Ain’t it great to be American/ Has anybody seen Reggie/ I need him to play for me/ That Memphis melody - Il ajoute : «We’ll hang here for a while/ And feel the beat !» Puis il va faire un tour sur McLemore, histoire de voir Steve, Duck, Al et les autres au vieux record store de Miz Estelle. Voilà un cut qu’il faut bien qualifier de mythique.

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    Sur la pochette de Junkyard Junky, Dan démonte le pare-choc d’une vieille bagnole. Il bricole aussi un fabuleux morceau titre d’ouverture de bal. Il chante avec des manières de mec qui répare des caisses à mains nues, sans gants. On a là une Beautiful Song absolument somptueuse, un absolue merveille, un mambo inespéré. La magie y plane comme l’aigle sur la vallée. On entend rarement des chansons aussi belles - Don’t push me too far - C’est tellement beau qu’on en pleurerait. Il nous fait un extraordinaire coup de Disneyland avec «The Longest Day». Il fonctionne comme une mine de génie à ciel ouvert. Il chante toujours au feeling pur. Nouveau coup de génie avec «Ain’t No Love», groove de jazz-Soul. On s’y prosterne. Il va chercher des accointances avec la magie, le voilà parti dans l’atonalité, dans Chet Baker et c’est claqué aux violons. Il faut aussi entendre «You Must Know» qu’il chante en suspension. Non seulement Dan Penn compose du grand art, mais il le chante et l’amène avec tact. Il se paye même le luxe de ramener un groove de trompette. Il joue aussi le heavy blues avec une classe invraisemblable, comme on le voit avec «Is A Bluebird Blue». Il chante comme un black, c’est indéniable. Il fait du grand art de Southern Underground. Il chante «Way Back» à l’édentée de l’Alabama. Rien d’aussi lumineux que ce son et cette voix. Il swingue ses relances avec un belle facilité. Il règne dans cet album une ambiance surnaturelle. Quand il tape un shuffle, c’est avec une sacrée énergie, comme le montre «Back To The Beach». Il revient à la belle Soul de Muscle Shoals avec «Midnight Rainbow». Il sait danser avec la Soul et fait d’un slowah classique une œuvre d’art. Il se montre effarant de netteté boogie dans «Tiny Hinys And Hogs». Il chante sa pop luminescente à pleine voix. Encore un slowah chanté au feeling maximaliste : «Smoke Filled Room». Il chante tout à l’extrême pointe de sa vieille glotte fripée. Mais quelle glotte ! Il termine avec «Forever Changed» chanté au touchy de rêve. Il restera dans les annales pour son génie roucouleur.

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    Le voilà assis sur l’aile d’une vieille bagnole pour I Need A Holiday, paru en 2013. Il chante son morceau titre à l’édentée. On sent qu’il a besoin de vacances - Sun goes up/ Sun goes down - Il a raison, it don’t really matters. Chuck Prophet joue le solo. Une pure merveille. Les géants finissent par se rencontrer. Un peu plus loin se trouve «Overtaken By Love», une Beautiful Song mélodiquement pure et tellement insistante. Oh cette façon de fonder un empire dans une chanson ! Il le fait avec une très belle diction molle et salivaire. Il explose plus loin son «Building Fires R&B Version» au gospel batch. Cut mythologique car co-écrit avec Johnny Christopher et Jim Dickinson. Ah comme les filles sont bonnes derrière ! On se croirait chez les Edwin Hawkins Singers. Nouveau coup de génie pennic avec «Make Somebody Happy This Christmas». Il tape dans la black avec une classe effarante et des yes qui en disent long sur sa passion du no. Il porte la Soul blanche à sa cime. C’est extravagant de verdeur. Il faut le voir aussi shaker le shook d’«After The Rain». Il montre une fois de plus le power du Soul-rock, comme si ça pouvait encore intéresser les gens. On le voit aussi taper «Till The Last Star Falls» au c’mon au peu flappi, mais avec tellement d’affection. Tu as toujours été là. C’est une marque d’affection cutanée. Il refait son white niggah dans «Blue In The Heart» et monte au front avec «Battlin’ The Blues». C’est un vrai spectacle que de le voir groover sa Soul aux vermicelles - But when the guns are blazing/ Once again I’m battling the blues - Il revient à cette extraordinaire façon de groover la Soul avec «Dream On It Awhile» - Now I close my eyes/ As to dream a little while - C’est assez magique car joué au banjo du paradis. Et puis on voit le gros en salopette tisser des liens avec God dans «Peace In Poretta».

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    Il n’apparaît pas du tout sur la pochette de Something About The Night paru en 2016. Il y fait nuit et quelque part au fond de l’image brillent les feux d’une bagnole qu’on imagine être la sienne, celle qu’il a réparée bien sûr. C’est un album plus calme que les précédents, hanté par ce déchirant «Hate To See You Go». Aussi déchirant que l’abominable «Ne Me Quitte Pas» de Jacques Brel - Don’t leave me no no - Seul Dan peut implorer comme ça - I’m going on my knees/ What now can I do - Dans ce genre de désespoir extrême, un mec ne réclame même plus une chatte, non, il peut se contenter d’un regard. Dan sent qu’il est baisé. Ça ne sert à rien d’implorer cette conne. Avec «Let’s Boogie Tonight», il fait de la petite pop rapide, mais c’est joué à l’accordéon de Louisiane. Quelle ambiance extraordinaire ! Ces mecs adorent danser, c’est évident. On le voit aussi grimper sa Soul dans «Time To Get Over You» et saluer Memphis dans «My Heart’s In Memphis» - Got a vision in my head - avec un joli coup de trompette à la clé. Miraculeux ! Wayne Carson et Bobby Emmons sont encore là, on les entend dans «It’s Your Dream». Wayne Carson joue de superbes ambiances bardées de musicalité. Dan entre par la grande porte dans «Jewel Of My Heart» - You’re my desire - Il égrène les joyaux de la couronne d’Alabama, mais il porte une salopette. Les paysans du deep South n’ont pas les mêmes notions d’aristocratie.

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    Et voilà qu’en 2020 paraît un nouvel album. Il arrive sur terre comme le messie, enfin juste aux yeux de ses fans, n’exagérons tout de même pas. L’album s’appelle Living On Mercy et pour la pochette, Dan remonte dans une vieille camionnette, histoire de tisser un lien graphique avec les pochettes des albums précédents. Alors autant le dire tout de suite : cet album est génial. Tout ce qu’on peut en dire ne sert pas à grand chose, tellement c’est génial. On sent avec le morceau titre d’ouverture de bal que sa white Soul n’a pas pris une seule ride. Il n’en finira donc pas de swinguer le Penn Sound ? Il reprend son groove au fil du got to be et après être passé par l’inévitable have mercy on me, il s’en va percher son set me free au sommet de la mélodie - I must be/ Living on/ Mercy/ Got to be/ Living on mercy - Comme dirait le Chanoine Docre, la messe est dite. Chaque chanson est montée comme un chef-d’œuvre architectural. Pour «See You In My Dreams», il va chercher l’I saw you walk by dans l’immaculée contraception. En fait, il explose la rondelle de sa Soul en toute impunité et ça lève à chaque fois un violent parfum de magie. Il sait aussi faire de la romantica, comme son idole Elvis, et revient au r’n’b avec «Clean State». Dan a du métier et quand il dit my love is true, on le croit sur parole. Il sait torcher un heavy balladif de r’n’b, il développe l’art suprême des blacks qui est l’insistance, han han, par devant et par derrière, il shake son clean state à la pointe de la glotte en rut - Let me have a clean/ State - Et puis on voit «What It Takes To Be True» exploser de beauté purpurine. Insistance et explosivité sont les deux mamelles du vieux Dan. On est même soulagé de tomber sur des cuts plus banals comme «I Didn’t Hear That Coming». Ça repose la cervelle. Mais deep inside our heart, on trouve ça incroyable qu’un mec comme ce surdoué fasse encore des albums aussi puissants. Cet homme est tout simplement incapable de se vautrer. Même le vieux rumble d’«Edge Of Love», si bien salué aux cuivres, sonne de façon extravagante. Il chante encore comme un débutant qui ambitionne de bouffer tout cru le hit-parade. Gnarf gnarf ! On retombe de sa chaise avec «Leave It Like You Found It» et sa fantastique accroche, et «Blue Motel» semble flotter comme une bénédiction sur ce pauvre pays qu’est devenu l’Amérique. Avec «Soul Connection», il renoue avec le spirit de Muscle Shoals - Ain’t nobody will ever touch my heart - Il a fait ça toute sa vie, c’est extraordinaire qu’il soit encore capable de sonner aussi bien, plus il vieillit, plus il s’affine, ses oooh yeah sont terrific. Il développe un génie vocal de vieux camembert. On souhaite à tout le monde de finir comme lui. Il chante «Things Happen» au doux du Penn et quand arrive «One Of Those Days», on fait glurp car s’agit-il de la dernière chanson d’un grand bonhomme ? Va-t-en savoir.

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    Vient maintenant le temps des compiles, grâce à Ace. Et là attention, on risque l’indigestion. Il existe deux volumes de The Fame Recordings, le premier paru en 2012, et le deuxième en 2016. Le petit conseil qu’on pourrait vous donner serait de les rapatrier, mais de les consommer avec parcimonie. À côté de Dan Penn, Ali Baba est un vrai branleur. Sur les 24 titres proposés, 14 sont des hits. L’amateur de r’n’b sera comblé avec «Come Into My Heart». On voit bien que le jeune Dan est fasciné par le r’n’b. Il shoote sa passion dévorante à l’énergie bondissante. Il pourrait même sonner comme Wilson Pickett. Même chose avec «Come On Over» et «Do Something (Even If It’s Wrong)». Il dispose pour Do Something de la profondeur de champ Motown. C’est tout de même incroyable : ici, chaque cut sonne comme un hit. On assiste médusé à ce phénomène d’enroulement du raw dans le Deep de la Soul. «Keep On Talking», «The Thin Line», «I Need A Lot Of Loving» et «Everytime» valent tous les meilleurs hits de juke. Dan repousse sans cesse les limites des possibilités. Dan veut de l’amour, il le clame dans «I Need A Lot Of Loving» avec toute la candeur du Deep Southern Soul Brother. Et son «Everytime» sonne comme un hit anglais, c’est d’une facture compositale exceptionnelle. Il n’est pas avare de slowahs mirifiques : voilà «Strangest Feeling» et «It Tears Me Up». Il se plonge chaque fois dans l’exercice avec un gusto qui en dit long sur ses mensurations. Il sait dégommer la gommeuse. C’est chaque fois d’une structure slowique parfaite, chanté au feeling pur comme de l’eau de roche. On le voit faire son white nigger dans «I Do». Il chante ça avec toute la blackitude dont il est capable. Bien sûr «Rainbow Road» prend tout de suite le large. C’est l’un des hits les plus salués du monde (Arthur Alexander, Donnie la fritte, Joan Baez, Joe Simon, Percy Sledge, Kris Kristofferson et P.J. Proby). On y entend un solo de banjo mirifique. Autre énormité : «Slipping Around With You», un fabuleux shoot de Soul-pop triturée à l’orgue. Ça se danse. Dan n’en finit plus de jerker le jus de juke, cette énormité donne le tournis. Et puis si on veut entendre l’un des plus grands chanteurs des temps modernes, alors il faut se diriger vers «Living Good». Il y shoote du feeling dans sa Soul d’accent pété. Il adore le living good, with you by my side. Même chose avec «Long Ago». Il chante ses ponts à la blackitude céleste, au raw de vétéran. Il reprend aussi son vieux Puppet. Il plonge dans cette Soul d’inspiration divine et joue avec les nerfs du petit peuple. Ce mec a du génie mais trop peu de gens sont au courant. On le voit jouer la carte du meilleur white niggarisme d’Alabama dans «You Left The Water Running». Il faut aussi se prosterner devant un cut comme «Far From The Maddening Crowd», car ça sonne comme un hit de gros label. On note chez Dan une constance digne du Lac de Constance. Il explose aussi «Power Of Love» avec les accords de «Let’s Spend The Night Together». Il pulvérise littéralement le fion du groove des jours heureux.

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    Close To Me. More Fame Recordings propose la même proportion de hits : 14 sur 24 titres proposés. On peut commencer par écouter les deux coups de génie pennic : «Standing In The Way Of A Good Thing» et «I Can’t Stop (The Feeling Won’t Let Me)». Il anime le premier d’une énergie renouvelée à l’infini, sur des accords en granit d’Alabama. C’est de la Soul à tout casser. Même chose avec I Can’t Stop. Dan y surfe à coups de trémolo. C’est un monster hit. Il se transforme encore une fois en Wicked Pickett pour «Without A Woman» et «Miss Personality». Pas plus excédé que ce Dan-là. Il éclate à l’angle de la Deep Southern Soul avec un power imparable. Il sort tous les chops de Wilson Pickett dans «Miss Personality», il imite sa niaque à merveille. C’est d’une rare puissance pénultième. C’est raw et joué à coups de reins. Nouvelle énormité avec «Destroyed» qu’il embarque avec une bravado digne des Equals ou des Miracles, sur un violent drive de basse. Dan connaît toutes les ficelles, et il rajoute chaque fois une fabuleuse énergie et la volonté de bien faire. Tiens, encore deux hits de juke avec «Love Is A Wonderful Thing» et «Live And Let Live». C’est embarqué au big bassmatic de r’n’b, et Dan se répand à la surface du son pour faire résonner la plus rauque des glottes. Ah l’animal ! Il tape son «Live And Let Live» au pire heavy raw d’Alabama. Pure démence ! C’est encore un hit de tout-venant exceptionnel. Dan crée du power à gogo, c’est drivé dans l’âme, listen to me honey, Don l’implose, c’est infernal. Comment réussit-il à se calmer ? On ne sait pas, toujours est-il qu’il pond parfois des slowahs remarquables, comme par exemple ce «Reaching Out For Someone» hot as hell et cool as fuck, ça frotte dans les pantalons. Ou encore ce «She Ain’t Gonna Do Right» chanté au cœur fendu. Il se fait de plus en plus voluptueux avec «I Need You». Il pulse sa Soul dans les plis de l’ardeur, il parvient même à sonner comme Tom Jones. Diable comme ce chanteur peut devenir fascinant. On le voit aussi parcourir son chemin de croix de white nigger dans «Trash Man» et chanter «So Many Reasons» comme Louis Jordan, avec un petit chat touffu dans la gorge. Quand on écoute «I Love Everything About You», on comprend que Dan Penn chante aussi bien que n’importe quelle star du cru. En prime il amène des compos qui resteront des modèles jusqu’à la fin des temps du rock. Encore un fabuleux shoot d’excellence avec «I Dig A Big Town». Dan est un compositeur avantageux, il crée quasiment la surprise à chaque fois. Extraordinaire ambiance, c’est vénéneux à souhait, I dig a big town yeah ! Big surrounds of New Orleans !

    Emmet The Singing Ranger Live In The Woods est le fameux deuxième album de Dan jamais sorti. Dickinson rappelle dans ses mémoires qu’il produisait l’album et que Dan et lui se sont fâchés lors de l’enregistrement. Pour l’instant, nous n’en saurons pas davantage.

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    Voilà deux compiles encore plus nécessaires qu’indispensables : Sweet Inspiration - The Songs Of Dan & Spoon Cot Cot et Happy Times - The Songs Of Dan & Spoon Cot Cot Vol. 2. Ace y rassemble tous les grands interprètes des hits de Dan & Spoon, à commencer par Dionne Warwick avec «I’m Your Puppet». Pur génie interprétatif mais il faut aussi parler de la qualité de l’accompagnement. On est là au sommet de la réitération du maillon de la sécrétion. Ça dégouline de classe. Et ça dégouline encore plus avec Charlie Rich et «A Woman Left Lonely», apothéose du génie pennic. Ce diable de Rich man se fond dans le Penn de cœur, c’est spectaculaire, léché par des vagues de beauté dignes du Shade Of Pale de Gary Brooker. On a tout là-dedans, la beauté romantique et la force du sentiment, le tutélaire en barre et l’accès direct aux cimes. Fantastique Charlie Rich ! Il faut voir aussi Jeanne Newman attaquer «It Tears Me Up» à l’atonale et installer son chant dans la mélodie. Elle remonte à contre-courant d’un sing sing qui crève le cœur ou qui troue le cul, ça dépend comment on est installé. Pur jus de Goldwax. Art Freeman tape dans «Slippin’ Around With You» et sort un effarant brouet d’anticipation. Hey hey hey, c’est le hit de juke que l’on sait, mais Art avale le beat à la force du poignet, poursuivi par des chœurs de filles en chaleur. Quelle révélation ! C’est dit-on l’un des plus beaux efforts de Dan & Spoon pour sonner Motown. Cot cot ! Alex fit des siennes dans «Let It Happen», avec un grain de voix qui en dit long sur la taille de sa meule, et Ted Taylor tortille la Soul de «Feed The Flame» avec une niaque qui laisse pantois, il fait littéralement du Tate et grimpe au sommet de son art. En composant ce hit, Dan songeait plus à Joe Tex. Ronnie Milsap chante «Denver» d’une voix sublime. Avant de travailler avec Chips, Milsap travaillait avec Huey P. Meaux. Irma Thomas tape dans le big r’n’b de choc avec «Good Things Don’t Come Easy». C’est Chess qui l’envoie à Muscle Shoals, dans l’espoir de rééditer le coup d’Atlantic avec Aretha (Chess envera aussi Laura Lee, Etta James et Mitty Collier dans le même but : sortir un hit). Irma chante au sableux d’Alone, élancée, mais doucement, au ouh-ouh de creux de menton. Elle y va Irma, elle tire sur le calumet de la paix comme un grand chef. Sinon la compile grouille de stars, comme Percy Sledge, les Sweet Inspirations qui font justement le fameux «Sweet Inspiration», Etta James qui se repaît du Penn System avec «I Worship The Ground You Walk On», les Ovations qui nous font du pur jus de Goldwax avec «I’m Living Good», Solomon Burke, Arthur Alexander bouffe tout cru «Cry Like A Baby». Et puis la merveilleuse Sandy Posey, chouchoute de Chips, avec «Are You Never Coming Home». The voice ! Sucrée et tellement pop ! On entend aussi James Carr, Tony Joe White et Arthur Conley, c’est un véritable défilé de stars. Patti LaBelle se voit confier «Dreamer» et les Wallace Brothers explosent «I Need Someone». Il faut les ranger dans la catégorie des hot duos avec Sam & Dave et James & Bobby Purify. Barbara Lynn gère bien son «He Ain’t Gonna Do Right», elle couve la portée de sa Soul comme une mère poule. Avec Barbara Lynn, on retrouve la connexion Huey P. Meaux. Et Joe Simon finit en beauté maximaliste avec «Let’s Do It Over». Dan dit que c’est sa toute première compo avec Spoon et ce hit enregistré en 1965 va, nous dit Tony Rounce, définir le son de Muscle Shoals jusqu’aux années soixante-dix.

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    Le deuxième volet d’Ace Ali-Baba vient de paraître et quand on met le nez dans Happy Times - The Songs Of Dan & Spoon Cot Cot Vol. 2, le moins qu’on puisse dire c’est qu’on n’est pas sorti de l’auberge. On le sait depuis longtemps, les mecs d’Ace sont des fous. Écouter ça, c’est un peu une façon de retrouver la crème de la crème des grands interprètes américains, puisqu’on y croise Bobby Womack, Dee Dee Sharp, BJ Thomas et quelques autres. Le petit Bobby qui est à Memphis is waiting for Soul superstardom to arrive. Il enregistre des sessions week-in week-out pour American. En attendant, il ramène toute sa niaque dans «Broadway Walk» qui est son deuxième single sur Minit. Dee Dee Sharp ramène son fantastique timbre fêlé pour «Help Me Find My Groove», elle sait elle aussi gueuler par dessus les toits, à la déchirante, elle ne lâche rien, elle est encore pire que Sharon Tandy. Avec «I Pray For The Rain», BJ Thomas nous rappelle que Chips est un fabuleux orchestrateur. Le cut montre aussi l’évolution de Dan & Spoon. Ils passent du stade du hit de juke parfait à celui des compos plus ambitieuses. Dan compose pour Ronnie Mislap et Spoon pour Bob Luman, devenu star de la country. On croise aussi les Goodies qui nous dit Rounce, sont The Memphis answer to the Shangri-las. Alors allons-y ! Les rois de la fête restent les frères Purify. Avec «Hello There», ils tapent dans cette vieille Soul désuète pleine d’allure. Ils chantent vraiment dans les règles du lard fumant. Les mecs d’Ace ont aussi déterré June Edwards dont le single «My Man (My Sweet Man)» constitue l’entière discographie. Mais quelle fantastique présence ! On croise aussi Merrilie Rush qui fut la chasse gardée de Chips. Et quand on parle de Chips, Sandy Posey n’est jamais loin. Justement la voici avec «Hey Mister» qu’elle chante au sucre suprême. On se régale aussi de la belle Soul sucrée des Ovations avec «I Need A Lot Of Loving», c’est digne des Miracles, avec un lead un peu suave et cette guitare qui joue au long cours. Parmi les plus connus, voici Wicked Pickett avec «Uptight Good Woman» et les Box Tops avec «Happy Time». Bill Brandon ramone le heavy blues avec «Strangest Feeling». La surprise vient de Don Warner qui envoie avec «The Power Of Love» un sacré shoot de Soul power.

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    Et ça continue sur une autre compile de choc, A Road Leading Home - Songs By Dan Penn, mais co-écrites avec Chips, Donnie la fritte, Rick Hall d’expo et d’autres. On retrouve quasiment toutes les stars présentes sur les compiles précédentes, à commencer par Ted Taylor qui s’offre «Without A Woman», une heavy Soul qui colle bien aux cuisses. Rien d’aussi hot que cette Soul. Retour des Sweet Inspirations avec «Oh What A Fool I’ve Been», vraie dimension artistique, on est chez Chips, et les Sweet sont aussi les chouchoutes d’Elvis, ne l’oublions pas. Elles sortent là un groove hautement toxique, a gem of gospel-infused Soul ballad, tordu à l’escient de bonne aventure. On retrouve aussi Ronnie Milsap, encore un chouchou de Chips, avec «I Hate You», nouveau shout de voix de rêve, Ronnie est un virtuose de la facilité. Et puis Dan devait éprouver une réelle fierté à voir son héros Bobby Blue Bland enregistrer cette chanson (sur l’album Get On Down). En fait, ce sont tous les clients d’American qui radinent leurs fraise, comme James & Bobby Purify avec l’imparable «So Many Reasons», du gros swing de vétérans avec du terrific guitar slinging ! Plus loin, Bobby revient seul pour taper «Better To Have It». Il s’appelle en réalité Ben Moore, et devenu aveugle, il fera ensuite partie des Five Blind Boys Of Alabama. Il entre dans l’intimité du cut avec une diction élimée et y ramène toute la majesté du gospel. Brenda Lee est elle aussi venue enregistrer un album chez American. Elle tape dans le hit composé pour Aretha, «Do Right Woman Do Right Man». Cette fantastique petite shooteuse a du chien de sa chienne à revendre. Son Memphis Portrait est considéré comme l’un de ses meilleurs albums. Et puis voilà d’autres grands artistes, comme Billy Young, sous contrat avec Otis, et qui explose «You Left The Water Running» au popotin de Chess. Dan passe vite fait son «Is A Blue Bird Blue» entre deux et sonne comme un blackos. Jeanie Fortune prend «One Man With Feeling» au Motown Sound. Elle fait les Supremes à elle toute seule. Jeanie qui était en fait la femme du co-auteur Marlin Green fut embauchée par Rick Hall de gare pour chanter des démos chez FAME. Et quand on écoute Roy Hamilton chanter «The Dark End Of The Street», on comprend d’où vient Dan Penn : il vient de ce mec qui chante avec la ferveur des églises. Il sait faire vibrer sa glotte dans les bas-fonds épiscopaux. Pas étonnant qu’Elvis l’admirait. Qui voit-on apparaître plus loin ? Les Drifters pour une superbe version de «Far From The Maddening Crowd». Ils en font une Soul supérieure d’une invraisemblable sophistication. Et Laura Lee se tape «Up Tight Good Man». Elle profite de l’occasion pour ramener tout le gospel batch dans la Soul. Et puis on tombe de sa chaise quand arrive Esther Phillips avec «Cheater Man» sans doute l’un des plus beaux hits de Soul de tous les temps, avec «Big Bird» et «It’s Your Thing». Esther Phillips n’enregistra que deux cuts chez American, Cheater et «I’m Sorry» de Brenda Lee. C’est à Percy Sledge que revient l’honneur d’interpréter «Rainbow Road» qui fut composé pour Arthur Alexander. Tout ça se termine avec Albert King et une puissante version de «Like A Road Leading Nowhere». Pas de meilleur hommage au génie pennic que celui de Big Albert.

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    Pour conclure la petite interview de Record Collector, Lois Wilson demande à Dan comment il voit la suite - Now there’s a good question. I’d like to get this 35 Plymouth in my workshop painted. I used to do up cars as a kid. I find it very pleasing.

    Pour finir, on dédiera ce texte au Professor Von Bee, qui comme Bernadette Soubirou, vit un jour Dan Penn apparaître dans la lumière. Il lui voue depuis un véritable culte.

    Signé : Cazengler, Penn-cul

    Dan Penn. Nobody’s Fool. Bell Records 1973

    Dan Penn. Do Right Man. Sire 1994

    Dan Penn & Spooner Oldham. Moments From This Theatre. Proper Records 1999

    Dan Penn. Blue Nite Lounge. Dandy Records 2000

    Dan Penn. Junkyard Junky. Dandy Records 2007

    Dan Penn. I Need A Holiday. Dandy Records 2013

    Dan Penn. Something About The Night. Dandy Records 2016

    Dan Penn. The Fame Recordings. Ace Records 2012

    Dan Penn. Close To Me. More Fame Recordings. Ace 2016

    Sweet Inspiration. The Songs Of Dan Penn & Spooner Oldham. Ace Records 2011

    Happy Times. The Songs Of Dan Penn & Spooner Oldham Vol. 2. Ace Records 2020

    A Road Leading Home. Songs By Dan Penn. Ace Records 2013

    Dan Penn. Living On Mercy. The Last Music Company 2020

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    Hugh Dellar : Do right men. Shindig # 50 - September 2015

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    Thomas Patterson : Nobody’s Fool. Shindig # 107 - September 2020

    Lois Wilson : 33 1/3 minutes with Dan Penn. Record Collector # 512 - December 2020

    Ilmo Smokehouse. Ilmo Smokehouse. Roulette 1970

    Viv la vie !

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    Deux raisons de lire Clothes, Clothes, Clothes. Music, Music, Music. Boys, Boys, Boys, l’autobio de Viv Albertine, qui fut la guitariste des Slits : un, c’est avec le Steve Jones le book le plus réussi et le plus honnête qu’on ait consacré au London punk 1976/77. Deux, c’est un cadeau, mais pas n’importe quel cadeau. L’amie qui l’offre est une sorte de petite Viv Albertine à roulettes : même caractère bien trempé, mêmes Doc Martins, même sens aigu de l’underground, un parallèle qui s’étaye joliment au fil des pages. On pourrait ajouter à tout ça une troisième raison de lire ce Viv book : le style. Viv Albertine écrit extrêmement bien, elle déploie des trésors de véracité, brosse des portraits in the flesh et redore le blason du punk qui fut t’en souvient-il un état d’esprit avant de devenir une mode puis un atroce fourre-tout.

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    Le book est en deux parties, side one & side two, side one on s’en doute pour l’avant-punk et le punk, side two pour l’afterpunk, car il faut bien continuer à vivre, donc vie de famille, avec Husband et Daughter. L’autre particularité du book est qu’il est séquencé en courts chapitres, 50 en side one et 40 en side two, ce qui permet avec des titres explicites, souvent enrichis d’épigraphes triés sur le volet, d’aller picorer si on se sent d’humeur picoreuse. Ou si on cherche des truffes, c’est-à-dire des anecdotes croustillantes. D’ailleurs, dans son intro, Viv indique les chapitres consacrés au sexe, aux drogues et au punk-rock, for those in a hurry, se moque-t-elle, et elle a raison de se moquer. Pour les ceusses qui ne sont pas in a hurry commence alors un voyage passionnant au long d’une histoire de vie, et c’est bien sûr le mode d’approche qu’il faut conseiller. Même s’il arrive à Viv de nous agacer avec ses marques de fringues et ses fuites (elle fuit pas mal, comme dirait Gildas, n’est pas étanche), elle finit par devenir une sorte d’extraordinaire confidente. Elle nous accorde sa confiance, alors on essaye de se montrer à la hauteur. Elle sort on peut bien dire grandie de ce combat qu’est la vie, et on imagine aisément que tous les mecs qui la liront se prosterneront jusqu’à terre devant elle. Quant à ses lectrices, elles n’apprendront rien de plus sur cette condition qu’est la condition de la femme, mais elles devront ajouter à leur panthéon une nouvelle héroïne nommée Viv la vie, certainement l’une des plus fantastiques de toutes.

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    Diminutif de Vivianne car père français, Viv a la chance de grandir à Londres dans la période idéale, celle des sixties. Comme tous les kids de son âge, elle est gavée d’images et de musique, de rock et de pop, de fame et de proto-fame, l’Angleterre en est le plus gros producteur mondial, Stones, Beatles, Kinks, Who, Yardbirds, Troggs, Spencer Davis Group, Hollies, tout le monde en bouffe, t’en veux encore, y en a encore, amène ton auge ! Viv n’a qu’une sœur, mais elle récupère un big brother : John Lennon. Puis elle découvre Yoko. Comme la presse anglaise la hait, Viv l’adore. Elle mentionne bien sûr la pochette de Two Virgins, où John et Yoko posent à poil, et Viv s’exclame : «At last, a girl being interesting and brave.» Elle a raison Viv d’insister sur ce point, car on se souvient à quel point les gens haïssaient la pauvre Yoko qui était et qui est toujours une femme extrêmement intelligente, beaucoup trop intelligente, peut-être. Ça fout la trouille aux cons, l’intelligence. Et comme Viv aime bien Yoko, alors on aime bien Viv. Vive la Viv ! Vas-y Viv, on te suit ! Comme tout le monde en Angleterre, elle devient folle de Marc Bolan puis de Bowie. Impossible d’échapper au glam. Bolan ? Mais oui, nous dit Viv, Marc was almost a girl, avec ses tap shoes from the dance shop Anello & Davide. Par contre, elle trouve Hendrix trop sexuel, et comme elle dit ignorer complètement la masturbation (premier chapitre du book), le sex appeal de Jimi Hendrix lui passe par dessus la tête. Elle craque aussi sur l’Albatross de Peter Green, mais là où elle en rebouche un coin c’est avec the Edgar Broughton Band et Captain Beefheart, ce qui explique bien évidemment le particularisme des Slits. Le premier groupe qu’elle voit sur scène est l’Edgar Broughton Band à Hampstead et elle tombe sous le charme d’«Out Demons Out». Et en 1970, elle se paye Safe As Milk - The music is experimental but accessible - my favourite combination - Elle adore the deranged singing du Capitaine Cœur-de-Bœuf, elle Abba-Zabate dans sa chambre, se branche sur l’Electricty du squawk et Zig-Zague au Wanderer de la basse fuzz. Elle croisera Captain Beefheart en peu plus tard dans un cafe de Portobello Road. Beefheart sort et en passant à côté de Viv, il lui grommelle : «I love your hat.» Et Viv lui répond du tac au tac : «I love your music.» - Il parut surpris, car il n’était pas très connu, il n’était pas de ceux qu’on reconnaissait dans la rue. Il hocha la tête et sortit - Puis Viv bosse au bar du Dingwalls et se tape toute la scène pub-rock. Elle les voit tous jouer sur scène, les Dr Feelgood, les Chilli Willi, mais le groupe qui l’impressionne le plus, c’est Kokomo qu’on a complètement oublié. Deux filles au chant, mais Viv craque pour celle qui est aux percus. C’est la première fois qu’elle voit une petite gonzesse jouer d’un instrument sur scène. Elle veut faire la même chose ! Puis comme tout le monde, elle craque pour l’Horses de Patti Smith, impressionnée par la façon dont ahane la Patti. Elle indique que Jane Birkin ahanait déjà dans «Je t’Aime Moi Non Plus», but that record didn’t resonate with me. Viv n’en finit plus de nous rappeler que le sexe ne l’intéresse pas plus que ça. C’est très anglais, comme état d’esprit. En Angleterre, quand on va quelque part, on laisse sa bite au vestiaire. C’est pas comme en France.

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    En 1975, Viv rencontre Mick Jones qui va pendant un temps devenir son boyfriend. C’est le premier des grands portraits qu’elle brosse et certainement le plus sensible. Elle publie une photo de Mick en glamster, précisant qu’il pourrait bien lui en vouloir de publier cette photo. C’est vrai que le Clash a l’air un peu cucul la praline, avec ses cheveux longs bien peignés et sa veste de velours satiné à pois. La première chose que fait Mick à l’époque est de compléter la culture musicale de Viv à coups de Stooges et de MC5, de Thirteen Floor et de Dolls, de Velvet et de Mott. Mick est un excellent initiateur, il ne se contente pas de faire écouter les albums, il explique les raisons pour lesquelles ils sont intéressants. Viv tombe amoureuse de lui, mais elle veut s’habituer à l’idée avant de le lui avouer - He’s interesting, the smartest, the funniest person I’ve ever met - Puis il va monter les Clash. Viv profite de ce chapitre pour épingler cet obsédé de Joe Strummer qui insistait pour coucher avec elle, sachant pourtant qu’elle était la poule de son poto Mick - I say no. I can’t believe he would do that to Mick - Mais ma pauvre Viv, ces pratiques sont courantes dans le petit monde du sex & drugs & rock’n’roll. La bite, rien que la bite. Loyauté connais pas. Strummer vaut pas mieux que les autres. Bon, en même temps, l’histoire d’amour avec Mick ne va pas durer longtemps, car Viv n’est pas très fidèle et comme Mick devient une rock star, il prend l’habitude de faire ce que font tous les autres : changer chaque soir de crémerie.

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    C’est en 1975 que Viv voit les Pistols pour la première fois au Chelsea School of Arts. On se régale de la description qu’elle fait des early Pistols : «Ils jouent fort et de manière tapageuse, mais ce ne sont pas des mauvais musiciens. J’ai déjà vu des groupes qui ont ces qualités anarchiques : les Pink Fairies, les Pretty Thing, l’Edgard Broughton Band. C’est le chanteur qui impressionne. Johnny Rotten s’affale à l’avant de la scène sur son pied de micro. Son visage est pâle et son corps tellement tordu qu’il semble déformé.» Elle ajoute qu’il n’est pas aussi flashy que Bowie ou Marc Bolan, mais qu’il est just a bloke from Finsbury Park, London, England, who’s pissed off. Pour Viv, c’est la révélation, car Johnny Rotten envoie un sacré message : Be yourself. Et là, Viv envoie sa première déclaration de foi : «J’ai toujours cru que ma condition - pauvreté, North London, lycée polyvalent, HLM, fille - m’empêcherait de m’en sortir. Alors quand je vois les Sex Pistols, je comprends pour la première fois qu’il n’y a pas de différence entre eux et moi. Des idées qui traînaient au fond de moi me montent au cerveau. John Lennon, Yoko Ono, the Kinks, the possible female in Third Ear Band, the untrained female drummer in Kokomo, Sandie Shaw, Suzi Quatro, Emma Peel, the two girls in the Incredible String Band, Patti Smith, Mick Jones, Johnny Rotten, my love of music... This is it. Non seulement je vois clairement l’univers dont j’ai toujours voulu faire partie, mais je vois aussi le pont à franchir pour y parvenir.»

    C’est bien sûr avec Mick Jones qu’elle va acheter sa première guitare, une sunburst 1969 Les Paul Junior. Il faut ensuite qu’elle apprenne à en jouer, car à Londres en 1976, tous les kids apprennent à jouer vite fait pour monter des groupes. En regagnant son squat de Davis Road son étui à la main, elle sent pour la première de sa vie qu’elle est elle-même - I feel like myself - Son prof n’est autre que le futur P.I.L. Keith Levene qui plutôt de lui montrer les accords et les gammes, lui apprend à ne pas jouer. Keith se dit très influencé par Steve Howe, le guitariste de Yes dont il fut un temps le roadie. Viv avoue humblement que Keith lui a transmis sa passion pour le style décousu d’Howe. Au squat, Viv s’entraîne. Elle essaye d’imiter John Cale au temps du Velvet, jusqu’au moment où elle réalise qu’il ne joue pas de guitare mais du violon. Mais elle veut sonner comme lui - I like hypnotic repetition - Elle met son trebble à fond - The higher up the neck the better - Elle est décidée à monter un groupe, qu’elle sache jouer au pas. Dans la pièce d’à côté, elle entend Paul Simonon s’escrimer sur sa basse pour apprendre à en jouer. Il est déjà dans un groupe, les Clash - S’il peut le faire, alors je peux le faire.

    Mine de rien, ces quelques chapitres sur le London punk de 1976 sont assez fascinants, car Vic côtoie les principaux acteurs du mouvement : les Pistols, Malcolm McLaren et Vivienne Westwood, Sid Vicious et les Clash qui pourtant ne font pas partie du premier cercle. Viv dit qu’on ne les trouve pas «cool», ce dont souffre Mick Jones. Bon, il y a quand même un peu de sexe dans cette histoire. Steve Jones dit à Viv de la suivre dans un escalier à l’abri des regards, bêtement elle le suit, et là, il lui demande de lui tailler une petite pipe, mais heureusement Mick Jones apparaît et la tire de ce mauvais pas qu’elle appelle the Steve Jones Incident. Elle se sent aussi attirée par Johnny Rotten qui lui demande une nuit de monter avec lui sur la mezzanine. Viv précise que parmi les punks on préfère les pipes et les branlettes (blow jobs and hand jobs) car ça n’induit aucune forme d’émotion. Alors John comme elle l’appelle lui demande un blow job, il sort sa petite quéquette - He gets his willy out - et dit à Viv : «Come down.» Elle n’a aucune expérience mais elle fait confiance à son instinct. La première chose qu’elle remarque c’est que la quéquette de John sent la pisse, mais elle trouve ça bien - I like it’s familiar - Et elle ajoute qu’à l’époque personne ne se lave ni avant ni après la partie de cul. Mais visiblement, elle ne sait pas tailler une pipe car au bout d’un moment John la supplie d’arrêter de le lécher - Stop it Viv ! - Elle ne comprend pas - What’s he want I’m busy down here - Mais John insiste : «Stop it Viv ! You’re trying too hard.» Et pouf il redescend de la mezzanine et quitte l’endroit avec son ami John Grey qui l’accompagne partout. Viv décrit un autre épisode un peu moins rigolo. Comme les Heartbreakers sont installés à Londres, Viv fait partie avec Keith Levene du cercle rapproché. Elle est forcément attirée par Johnny Thunders qu’elle trouve charmant, more confident and charming than the English boys. Elle lui attribue une sexual aura. Johnny aime bien Viv et lui propose un tour sur la mezzanine, mais il ne bande plus. Ça ne gêne pas Viv - We have a lovely time talking and touching - Puis le jour se lève et Viv prépare le breakfast pour Johnny et Jerry : beans on toast.

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    Comment Viv devient pote avec Sid ? En le croisant dans la rue. Viv annonce qu’elle monte un groupe et Sid qu’elle ne connaît pas encore dit qu’il sera dans le groupe avec elle. Il dit jouer du saxophone. Bon d’accord. Elle commence à le fréquenter, elle sent qu’il existe une physical attraction entre eux, mais en même temps elle n’est pas très à l’aise avec lui. Un jour il lui propose un jeu : s’attacher pendant toute une journée avec des menottes. Bien sûr c’est lui qui garde la clé. Alors ils vont un peu partout dans Londres et Viv évite de boire du thé ou de grignoter des choses, car elle ne veut pas aller aux gogues avec lui, puisque c’est évidemment ce qu’il attend. Il adore mettre les gens mal à l’aise. Quand il a envie de pisser, il traîne Viv aux gogues et pisse devant elle. Sid s’est construit une telle réputation de violence que cette réputation le dépasse. Maintenant, on l’attaque dans la rue, juste pour voir s’il est à la hauteur de sa réputation - Guys want to take him on. He doesn’t care - Il va aussi loin qu’il peut aller, il s’est débarrassé de la peur, du remords, il ne se soucie plus ni de sa sécurité ni de son apparence, il est devenu une sorte de cible pour les autres, comme Paul Newman in Cool Hand Luke. Son truc consiste à dire : voyons jusqu’où on peut aller, voyons si ça résiste à la destruction - C’est la première fois qu’on lit un portrait aussi juste et aussi sensible de Sid Vicious.

    Grâce à Viv, on assiste aux répètes des Flowers of Romance, un nom trouvé par John Rotten. Viv aime bien ce nom car il sonne juste : elle fait partie de ce qu’elle appelle les enfants de la première vague de divorces des années 50, quand les rêves de confort domestique s’écroulaient - On a grandi dans la période peace and love des années 60, pour découvrir qu’il y avait des guerres partout dans le monde et que l’amour romantique était une grosse arnaque - Sid insiste pour que Viv écrive une chanson, mais elle n’y arrive pas, sachant qu’il va systématique lui dénigrer sa chanson. Après les répètes, Sid vient dormir chez Viv. Ils se déshabillent et se glissent dans le lit. C’est encore très anglais, cette manière de coucher ensemble sans baiser. Au départ, les Français qui vivent ça sont désorientés, puis on s’y fait. Ça a même un certain charme. Viv et Sid vont rééditer l’expérience plusieurs fois. Just physical contact, never anything more. Puis Viv voit Sid jouer de la batterie avec Siouxie & The Banshees - Sid is good, no rolls, ni fills, no cymbals - Mais il dit après le concert qu’il ne va pas rester dans les Banshees, car il ne veut pas être derrière, il veut être devant, he wants to be the star. Ce qu’il finira par devenir.

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    C’est Johnny Thunders qui annonce la mauvaise nouvelle à Viv : Sid envisage de la virer des Flowers of Romance. Elle est sous le choc. Pour la soulager, Johnny l’initie à l’héro. Bien sûr elle relate l’épisode comme si elle relatait sa rencontre avec Dieu - Oh my god, this is Johnny Thunders from the Heartbreakers about to turn me on heroin for the first time in my life - Complètement défoncée, Viv se rend ensuite au rendez-vous que lui a fixé Sid. Elle sait, mais lui ne sait pas qu’elle sait. Elle manque de se faire renverser en traversant la rue - Me out of my head on smack, risking my life to meet Sid knowing he’s going to tear my world apart - Sid lui annonce qu’elle est virée, parce que pas assez bonne à la guitare et Viv pond la chute des chutes, assise sur le sol de son appart, les yeux mi clos - Out of my head. And out of the band - Elle fait de cette catastrophe une histoire drôle.

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    Bon mais c’est grâce à ça qu’elle va pouvoir rejoindre les Slits. Le groupe existe déjà, avec Palmolive qui a elle aussi été virée des Flowers of Romance, Ari Up et Tessa. Elles ont viré leur guitariste dont elles n’étaient pas contentes. Elles s’entendent toutes les quatre à merveille, et d’ailleurs, c’est l’impression que dégage leur musique. Viv dit qu’elles sont un mélange étonnant d’influences - Rotten venant d’un HLM, l’audace de Vivienne Westwood, l’utilisation par Sun Ra et Don Cherry de berceuses - C’est vrai qu’elles sortent totalement du lot et qu’en 1979, on les prenait réellement au sérieux avec Cut. Elles font leur truc, avec Budgie au beurre. Elles tapent dans une espèce de reggae de corner shop. Très vite, Tessa vole le show avec son jeu de basse, «So Tough» impressionne tellement qu’on se demande vraiment si ce sont les Slits qui jouent. Elles visent même le heavy dub de Keith Hudson avec «Spend Spend Spend». Très spécial mais pas si bien chanté. À force d’atypisme, ça devient intéressant. Ari chante mal son «FM», c’est dommage, d’autant plus dommage que les copines fournissent le fourniment du reggae stuff de London town. «Ping Pong Affair» reste très slitty, elles rebattent les cartes et font un truc à elles, avec des grattés d’accords très métalliques. On finit par tomber sur l’excellent «Typical Girl» qui fit leur réputation. Comme c’est très beefheartien, elles entrent dans la légende. Elles développent de fabuleuses dynamiques et on tombe fatalement amoureux de ces Typical Girls. Elles mêlent le mystère du reggae à celui de Beefheart et ça devient très sérieux. Cette façon de doubler le rythme est unique, leur balance est une merveille. Elles terminent avec le London groove incongru d’«Adventures Close To Home». Les descentes mal chantées ont du charme, finalement, et Tessa joue comme une petite reine.

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    Back to the book. Dans le cours tumultueux de ce side one, Viv nous emmène aussi au Sex shop, à l’autre bout de Kings Road où nous sommes tous allés, au moins pour voir la vitrine et faire quelques photos. Viv brosse un portrait terrible de Vivienne Westwood - She’s uncompromising in every way - et les fringues sont hors de prix. Viv croise aussi Chrissie Hynde au Speakeasy. Elle lui annonce qu’elle vient de rejoindre les Slits, à quoi Chrissie répond qu’elle l’aurait fait si la place avait encore été libre. Mais Viv ajoute - Elles n’auraient jamais osé proposer à Chrissie de les rejoindre. Personne ne veut jouer dans un groupe avec elle, car elle est trop bonne - Viv croise aussi Nancy Spungen qui vient de débarquer à Londres et qui a mis le grappin sur Sid. Évidemment personne n’y comprend rien, car Nancy Spungen est atrocement vulgaire. Viv n’a qu’une seule explication : «Je pense que s’acoquiner avec Nancy Spungen est le truc le plus choquant que Sid ait fait.» Viv comprend qu’en se lançant dans ce type de relation, Sid reste cohérent avec son goût pour le désastre, mais quand même, elle n’en revient pas, car cette fille incarne tout ce contre quoi les punks de Londres se sont révoltés - Cette fille est une groupie à la mormoille, elle n’a rien d’intéressant, elle incarne tout ce qu’on déteste, à commencer par le fait qu’elle soit américaine, qu’elle ne sait pas s’habiller, qu’elle n’a rien de créatif, elle ne fait que suivre le mouvement. Et pour couronner le tout, elle prend de l’hero. She’s trouble and not in a good way - Quand Sid part en tournée américaine, il demande à Viv d’aller voir Nancy. Alors pour lui rendre service, elle y va et comme il se fait tard, Nancy lui propose de rester dormir. Okay, Viv se couche toute habillée.

    Viv évoque aussi Malcolm, mais c’est lors de son enterrement qu’elle lui rend vraiment hommage - Je suis plus affectée par sa mort que par celle de mon père. C’est dire si ses idées ont pu m’influencer.

    Et puis au détour d’une page, le book prend feu. C’est une image, bien sûr, une façon de dire, fuck, cette petite Albertine est vraiment géniale. Elle raconte qu’un jour elle est avec sa mère dans le bus 31 qui va de Camden Town à Notting Hill et elle décide de lui faire part de ses projets, tellement elle est enthousiaste - ‘Mum, je vais quitter le lycée pour monter un groupe !’ Mum éclate en sanglots. Je la fais descendre du bus et la pousse dans le Chippenham pub. Je lui emprunte des sous pour commander un panaché chacune. Je ramène les verres à la table. Mum a bossé très dur pour me payer le lycée. Je suis la seule dans la famille qui ait eu droit à une éducation, elle a fait des heures de ménage après son boulot pour me payer les livres et les fringues dont j’avais besoin pour ne pas paraître top pauvre, elle a toujours cru en moi, et en mes idées, et voilà que j’abandonne mes études. Je ne sais même pas encore jouer de la guitare et je perds toute chance d’obtenir un diplôme. Je dois absolument la convaincre, elle doit savoir que je sais ce que je fais. ‘Look Mum, regarde comment je suis habillée, je ne ressemble à personne d’autre. Tu sais que la musique compte plus que tout pour moi.’ Elle hoche la tête et essaye de sourire. Maintenant je n’ai plus le choix, je dois réussir. Mum est la seule personne sur cette terre que je ne veux pas voir souffrir - Voilà, le punk à Londres c’est aussi ce genre d’épisode extrêmement poignant. Le génie de Viv Albertine est de savoir les restituer.

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    Les Slits vont enregistrer un deuxième album en 1981, Return Of The Giant Slits. Ce n’est pas l’album du siècle, autant prévenir ceux qui ne sont pas encore au courant. C’est là qu’on trouve «Earthbeat», le seul hit des Slits avec «Typical Girls». «Earthbeat» est un soft dub très féminin. Viv y gratte le thème par intermittence, mais c’est Tessa qui vole le show en grondant sous la surface du (Earth)beat. Le reste de l’album est un peu problématique. La suite de l’A devient complètement aléatoire, avec une Ari Up qui chante comme une casserole. C’est à la fois paumé et catastrophique. En B, Tessa fait tout le boulot, elle joue le dub de «Difficult Fun» selon les règles du lard fumé, et Viv prend une espèce de solo killer slitty dans «Animal Spacier». C’est très aventureux. On n’écoute ça que parce que Viv y joue, même si elle ne joue qu’en filigrane. Après, si on est assez con pour aller acheter l’album, ça ne regarde que soi. Chacun se débrouille comme il peut avec sa conscience.

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    Avant de refermer le chapitre Slits, il est bon de jeter un œil sur le petit docu que leur a consacré William E. Badgley en 2018, Here To Be Heard. Ce qui frappe le plus dans l’histoire des Slits, c’est l’énergie qu’elles dégagent. Le dub sound du London Underground, heavy on the Tessa bass sound, elles sonnent comme une espèce de caution de la première vague punk. Des images d’archives nous montrent Palmolive avec son boyfriend Woody qui n’est autre que Joe Strummer. On voit aussi une Chrissie Hynde coiffée comme un garçon montrer des accords de guitare à Viv. Et Nora, la mère d’Ari, femme magnifique, photographiée dans la rue en compagnie de Johnny Rotten qui d’ailleurs va devenir son compagnon. Tessa tourne les pages de son scrap book sous l’œil de la caméra, elle raconte toute l’histoire, la première mouture Ari/Palmolive/Kate, puis la mouture fatale Ari/Tessa/Palmolive/Viv, avec Don Letts dans les parages qui tente de les manager, mais surtout qui les filme et on les voit les Slits sur scène pendant le White Riot Tour, avec un son anarchique, mal gaulé, mais ce sont les Slits. Et Tessa déclare : «Thank you the Clash !». La force des Slits, c’est qu’elles n’en avaient rien à foutre, they never gave a fuck. Puis Palmolive est virée, alors Budgie arrive et c’est lui qu’on entend sur Cut. Puis Budgie quittera les Slits pour aller jouer avec les Banshees. Don Letts dit que les Slits sont une espèce d’Avant-garde afrro-punk motherfucking group. Puis elles récupèrent Bruce, le batteur du Pop Group. Un mec dit aussi qu’elles ont une sacrée spécificité : very experimental and still listenable. Pas mal. Bien sûr, on voit pas mal Viv, elle raconte sa version de l’histoire et vers la fin du docu, elle dédicace son book chez Rough Trade. Le docu nous montre aussi la période de reformation initiée par Ari et Tessa, et les tournées américaines, c’est très bizarre et en même temps très vivant, car c’est un groupe qui danse toujours le dub sur scène et wow, quelle énergie ! Des cuts comme «Typical Girls» ou «Earthbeat» nous font littéralement tourner la tête.

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    Le groupe finira par se séparer en 1982, laissant Viv sur le carreau. Elle ne sait plus où aller, elle ne sait plus quoi faire - Nowhere to go, nothing to do - Sa relation avec Mick Jones a rendu l’âme, donc en plus elle est heartbroken. Elle ne peut plus écouter de musique, quand elle entend des instruments, elle souffre mille morts, it reminds me of what I’ve lost. C’est toujours la même chose quand on a tout perdu, la vie n’a plus de sens.

    Changement radical pour le side two : Viv change de vie. Husband, Daughter, un cancer et une maison à Hastings ont remplacé John Rotten, Sid Vicious et Vivienne Westwood. Dommage que Viv s’attarde aussi longtemps sur ses petites misères corporelles, elle devient humaine trop humaine comme dirait l’autre et elle perd de l’altitude, alors qu’elle nous avait habitués à du haut vol, à de l’observation incisive et à de la justesse de ton. Certains passages peuvent couper l’appétit, méfiez-vous des paragraphes où le mot blood apparaît dans le titre. On croyait Viv solide et même invulnérable, mais on se fourre le doigt dans l’œil car elle est au contraire d’une extrême fragilité. Elle fait aussi à un moment le panégyrique d’Hastings, où elle s’est installée avec Husband et Daughter. Elle s’y sent comme au bout du monde, ou, corrige-t-elle, au bout de l’Angleterre - C’est la ville qu’on choisit quand on veut s’éloigner des gens. C’est une ville de marginaux, de musiciens, d’écrivains, d’artistes, de drogués, de filles mères et de pyromanes. Il n’y a pas de loi à Hastings, c’est une ville frontière où tout peut arriver et où on accepte tout, même l’échec. I fucking love Hastings - Viv a parfois des montées de fièvre lyrique du meilleur goût. Mais au bout de seize ans de vie commune, Viv sent que sa relation avec Husband s’étiole, même s’ils ont traversé des choses terribles ensemble et même vécu heureux. Elle sait qu’ils sont restés fidèles l’un à l’autre, mais ils sont arrivés au bout de cette histoire et Viv sent le poids de l’anxiété lui écraser la poitrine, mais voilà, c’est comme ça - Nous voilà comme deux enfants transis de froid et perdus dans la forêt, allongés face à face dans le lit, s’accusant mutuellement de rendre plausible notre vieille peur de finir seuls - Viv traite le désespoir à la racine.

    Elle essaye de ré-exister musicalement, elle se rachète une guitare et reprend des cours. Husband lui lance un ultimatum - Give up the music or that’s it - Mais Viv ne va pas se laisser impressionner. Elle lui répond qu’il ne lui demande pas de choisir entre la musique et le mariage, mais entre la vie et la mort. So there is no choice. Dans sa tête de con, Husband qui gagne l’argent du foyer pense que Viv néglige Daughter et les tâches domestiques, simplement Viv met un point d’honneur à s’occuper de tout. Husband va un peu trop loin : «Tu ne sers à rien, tu es trop vieille et ce que tu fais est une perte de temps.» - Un jour, alors qu’un ami me demande à qui j’aimerais ressembler au chant, je réponds Karen Carpenter, alors Husband s’étrangle de rire, crachant à travers la table le café qu’il avait dans la bouche.

    Autre épisode remarquable et dramatique à la fois : Viv évoque son ‘manager’ Pete Panini, un Panini qui essaye de la convaincre qu’elle a besoin d’un ‘nègre’ pour écrire son book - My so-called manager is now telling me that I’m a shit writer and can’t write a book about my own life - Ça la fout hors d’elle, d’autant plus que le Panini n’est jamais venu la voir jouer sur scène. Et jamais Viv n’aurait cru qu’un membre de son entourage pouvait la torpiller. Alors elle s’en débarrasse. Mais elle reste incroyablement honnête avec elle-même : «J’ai peur qu’il ait raison. Peut-être que je ne sais pas écrire. Le book sera mauvais. Mais je décide d’ignorer ma peur. Je prends mon courage à deux mains et j’appelle mon nouvel agent chez Faber et lui demande si ça l’intéresse que j’écrive le book moi-même. Il me dit oui. J’ai un mal fou à expliquer à quel point ce fut difficile pour moi de passer ce coup de fil, mais heureusement que je l’ai fait.» Viv poursuit ce qui ressemble à un combat perpétuel, même quand elle se casse la gueule pendant son jogging et qu’elle rentre chez elle avec du graviers plein les plaies de ses genoux. I cannot and will not be beaten. Elle est ahurissante de power et de grandeur. Tout chez Viv est à fleur de peau. Quand une amie à elle lui demande de jouer un rôle dans son film, elle accepte, sachant que le scénario prévoit des scènes de cul au lit. Quand elle se retrouve dans un lit avec un homme qui n’est qu’un acteur, elle se met à chialer pendant des heures - Keep filming I’m not going to be able to stop - La scène lui rappelle le temps où Husband et elle s’aimaient. Elle chiale pendant quatre heures, et c’est la première fois depuis des années, depuis la fin de son mariage.

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    En 2012, Viv enregistre The Vermillon Border. Elle rassemble pour chaque cut des musiciens différents. Sur «I Want More» qu’elle prend au groove de Slit, elle a par exemple derrière elle Norman Watt Roy, le bassman de Wilko. Ça joue dans l’intimité des cuisses du want more et le résultat ne se fait pas attendre : c’est superbe. Elle récupère Mick Jones pour «Confession Of A Milf» et chante à la home sweet home magique, au softy de now you really must, elle fait comme Nico, elle gère du mieux qu’elle peut l’arrivée du train en gare, mais ce n’est pas facile quand on est défoncée. Viv est une extraordinaire meneuse. Elle drive son truc à la jupe rouge. Jack Bruce joue sur «In Vitro». Ça ne rigole plus. Le cut devient mythique grâce à Take-me-back-on-the -track-Jack. Elle le dit dans son book, elle décrit Jack la super star en studio. Encore un fabuleux shoot de Viv Magic avec «When It Was Nice». Vaporeux. Viens mon amour. Bienvenue dans le lit du Viv Power. Viv y va. Ambiance digne du Velvet avec Nico, en plus douloureux, elle développe les mêmes gènes, c’est excellent, gorgé de véracité. De cut en cut, Viv continue de se fondre dans l’excellence. C’est elle qui drive. Elle décide de tout. Elle lui appartenait dans «Hook Up Girl». Oui, elle n’était qu’une hook up girl. Elle revient constamment à son groove de cuisses. Dans «Don’t Believe», elle rappelle comme John Lennon qu’elle don’t believe in God. Elle croit en l’amour, love. Elle est à l’aise dans tous ses domaines, cet album tourne à l’enchantement. Elle te chuchote «Little Girl in A Box» au creux du cou. Elle peut se montrer très suggestive. Elle développe un son très fascinant, un son à la Viv, très Slit. Elle devient complètement irréelle avec «The Madness Of Clouds» - Crazy/Hazy crystals in space - elle plane et nous avec. On se croirait dans une toile de Magritte, the madness in clouds, elle accepte de voir son cut s’éloigner, dreamy, sweepy, creamy, elle le lâche, crystals in space, misty drifting.

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    Pour boucler le Viv bouclard, on peut aussi consacrer dix minutes au Flesh EP paru en 2010. Elle y cultive l’étrangeté jadis chère aux Slits, son «Never Come» est même assez ollé ollé. Elle fait sa rampante avec «I Don’t Believe/ In Love», elle fait les Slits toute seule et revient au soft groove de reggae dans «If Love». Elle finit par allécher, mais il faut bien avouer une chose : on n’écoute cet exercice de style que parce qu’elle écrit bien. Son «False Heart» monte bien au cerveau. Elle se veut fantomatique, elle joue les égéries transparentes et voilà le travail.

    Signé : Cazengler, Slip

    Slits. Cut. Island Records 1979

    Slits. Return Of The Giant Slits. CBS 1981

    Viv Albertine. The Vermillon Border. Cadiz Music 2012

    Viv Albertine. Flesh. Not On Label 2010

    Viv Albertine. Clothes, Clothes, Clothes. Music, Music, Music. Boys, Boys, Boys. Faber & Faber 2014

    William E. Badgley. Here To Be Heard - The Story Of The Slits. DVD Cadiz Music 2018

     

    L’avenir du rock -

    Damn right I’ve got the Songhoy blues

     

    Quand il était petit, l’avenir du rock écoutait les conseils de son grand-père :

    — Ne te mêle jamais de politique, car alors tu ferais le lit de l’hégémonie.

    — C’est qui l’hégémomie, pépé ?

    — Une momie grecque qui hantait la mer Égée au temps des Phéniciens !

    — C’est qui les fénichiens, pépé ?

    — Des coquins qui te mordent les mollets et qui chient sur la civilisation !

    — C’est qui la civilisassion, pépé ?

    — Une idée sortie de la mer Égée, malheureusement, les Égémonistes ont phénichié dessus.

    — Pourquoi les hégémomistes y font caca dessus ?

    — Parce qu’ils ont du caca dans la cervelle.

    — Et du pipi aussi ?

    — Tu m’épuises ! Des fois j’ai l’impression que tu te fous de ma gueule, polisson !

    — Mais non pépé, c’est pas facile à comprendre tes histoires à dormir debout !

    — Tu as raison, ta grand-mère m’a assez dit que j’étais con comme une bite. Cependant, il y a une chose que tu dois retenir et qui est essentielle : la terre est de toutes les couleurs. Les gens sont de toutes les couleurs. Le problème c’est que les blancs sont comme ces grosses araignées que tu vois parfois dans la cabane prout-prout au fond du jardin, les blancs aiment bien attraper les races pour les momifier. Plutôt que de réfléchir à la notion d’avenir, ils ne pensent qu’à s’enrichir.

    — Mais alors pourquoi t’es pauvre, puisque t’es tout blanc, pépé ?

    — Parce que je suis Phénichien ! Ouaf ouaf !

    L’avenir du rock et son grand-père éclatent de rire.

    — Tiens viens voir, je vais te montrer la photo de ton cousin, l’avenir du monde. Il n’est pas de la même couleur que toi. Il est tout noir !

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    Chacun sait que l’avenir du monde est africain. Le destin du continent africain est à l’image du serpent qui se mord la queue, c’est l’histoire du tenant et de l’aboutissant, on n’attend plus que l’avènement du black power après trois ou quatre siècles d’esclavage et de racisme, ce ne serait pas seulement une question de justice, mais plus une question de logique. Tout vient d’Afrique, et donc il est logique que le black power maintienne l’évidence de sa prééminence. C’est même le seul pouvoir de droit divin qui soit intellectuellement acceptable. Mais attention, le blues africain peut rebuter les oreilles formatées. Il faut être un peu curieux pour entrer dans cet univers et en goûter l’exotisme. Mais une fois entré, on se trouve confronté à une réalité jusque-là inconnue et que nous pourrions appeler le sentiment de l’immensité, tel qu’il existe dans les grooves aériens de Junior Kimbrough.

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    Dans un vieux numéro de The Blues Magazine, Alice Clark présentait un quatuor malien sorti du désert, Songhoy Blues. Le Mali ? Mais oui, souviens-toi, avec Du Mali Au Mississippi, premier film de la série The Blues, Martin Scorsese nous emmenait faire un tour au Mali, chez Ali Farka Touré, histoire de nous rappeler au cas où on l’aurait oublié, que le blues vient d’Afrique et de cette région en particulier. Bon, tout ça c’est bien gentil, mais en 2012, ça ne rigole pas à Gao, car la ville tombe aux pattes de l’État Islamique et les habitants de Gao crèvent de trouille. Plus question de faire de la musique, c’est interdit. Alors Garba Touré file à Bamako. Il y arrive un jeudi et le samedi suivant il rencontre Aliou Touré (guitare) et Oumar Touré (basse) qui s’appellent comme lui mais ils ne sont pas parents. Par chance, le batteur ne s’appelle pas Touré mais Nathaniel Nat Dembélé. Le père de Garba Touré jouait des percus avec le plus célèbre des Touré, Ali Farka Touré. Profitons de l’occasion pour rappeler que Talking Timbuktu enregistré par Ali Farka Touré et Ry Cooder fait partie des disques magiques de l’histoire du blues.

    Alice Clark précise aussi que Songhoy est le nom d’une petite ethnie du Nord du Mali (environ 6% de la population). Maintenant que le groupe existe, le problème est de savoir comment sortir du Mali - Breaking out seemed an impossibility for us - Miracle ! En 2013, Damon Albarn débarque à Bamako avec son projet Africa Express. C’est là que se fait la connexion.

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    Puis ils entrent en contact avec le petit mec des Yeah Yeah Yeah, Nick Zinner - A famous American guitarist - Zinner qui a déjà bossé avec Ronnie Spector et The Horrors débarque à Bamako avec Brian Eno. Zinner produit donc le premier album de Songhoy Blues, Music In Exile. Vu d’avion, c’est un album de world music, mais «Soubour» remet tout de suite les pendules à l’heure, car ils chargent leur cut de toute une fabuleuse Africanité, comme on le disait jadis des caravanes. C’est chargé de son et d’aventures et les guitar slingers jouent au vif argent. Tu es à Timbuktu avec les Touré brothers qui ne sont pas des brothers. Tu te lèves de ta chaise et tu danses dans le désert, c’est plein de vie et plein d’esprit, avec deux guitares grattées dans le fond du son. Dans «Irganda», ça part en solo frénétique d’excellence universaliste, Aliou Touré et Garba Touré sont les rois du blues, ils ont le son ET l’Africana. C’est vrai qu’«Al Hassidi Terei» sonne world, mais ils sortent un son syncopé qu’aucun blanc n’est capable de jouer, c’est de l’art nègre, comme dirait Apollinaire, trop africain pour le blues, mais t’es au Mali, coco et ces mecs jouent leur jive demented. Bien entendu, ce blues ne plaira pas aux racistes, mais tous les autres iront danser au juke-joint de Tombouctou. Au fond, on savait qu’ils allaient échapper aux schémas du blues traditionnel, mais c’est un bonheur que de voir des gens échapper aux schémas classiques. Ils font un boogie nommé «Nick», les parties de guitares sont des modèles du genre et reviennent à l’art malien avec «Al Tchere Bele», un art concassé qui nous échappe et qu’on pourrait appeler du blues des huttes, à la différence du blues de cabane. Ils donnent des leçons de délicatesse avec «Jolie», un cut d’une subtilité irréelle et ils reconcassent les rythmes avec «Desert Melodie». Mine de rien ils jouent l’une des musiques les plus puissantes qui se puissent imaginer ici bas, mais ça reste exclusivement de l’art africain.

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    Dans la foulée, ils enregistrent trois covers sur le Re-Covered EP. Oh la la mon ami, comme dirait Mamadou. En effet, les Songhoy attaquent avec une version de «Should I Stay Or Should I Go» 1000 fois plus punk que celle des Clash, c’est claqué dans le beignet malien au heavy riffing et chanté à l’Africaine. Ça part en trip malien et bien sûr, ça déborde d’énormité. Ça joue comme chez les Soukous du Zaïre, ça grouille de vie sonique. Puis ils rentrent dans le lard fumé de Manu Dibango avec «Soul Mokassa». Pure Africana, hommage génial, ça joue à la tension extraordinaire, ces mecs chargent le fantôme de Manu comme une batterie, ils connaissent tous les secrets des callipettes de l’afro-beat. Et ils terminent cet EP faramineux avec «Kashmir». Ici, le Mali rencontre l’orientalisme. Quel spectacle ! Ils ramènent Jimmy Page dans le giron du Mali. C’est en même temps un choc de civilisations, le rock des Songhoy sert à ça, à fracasser les civilisations. On assiste à l’exercice du pouvoir, le vrai, celui d’un guitariste qui groove dans l’épaisseur du rythme. Cette façon d’envelopper Kashmir est l’expression du génie interprétatif. Ils l’accaparent avec tout le gusto malien, de la même façon que Jerry Lee accaparait ses cuts avec tout le gusto de Ferriday. Ces mecs jouent au coulé de génie malien.

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    Un guépard trône sur la pochette de Résistance, leur deuxième album et ça bouge bien dès «Voter», wow ça danse sous le baobab, ces quatre blackos ramènent l’énergie primitive des ténèbres de Timbuktu et ça va loin dans ta cervelle de blanc bec décalcifié. Le hit demented de l’album s’appelle «Hometown», une pépite de blues africain, ils vont au-delà du blues et on s’imprègne de toute cette clameur africaine. Chaque cut est très différent. Avec «Bamako», ils vont sur du brûlant, le truc du village, un truc de surdoués inconnus, le blues s’arrête ici, welcome in Songhoy Blues, c’est assez insurrectionnel. Tu pars ensuite au «Sahara», plus aucun lien avec le blues, tu es au Mali avec du heavy drone, impossible d’imaginer un son plus primitif, c’est intense et ravagé par des solos assez incendiaires. Ces mecs ont tellement de son et de belles guitares que ça devient tout de suite joyeux. L’Africana te fait du bien, tu danses dans ta chaise, power to the black people, ces mecs dansent jusqu’au bout de la nuit sur «Badji», ils savent qu’on les écoute, alors ils jouent comme aux premiers jours de l’humanité. Certains cuts renvoient au Magic Band, ils jouent «Ir Ma Sobay» au concassé tribal et sortent un son qui nous dépasse. Ils jouent le blues de «Mali Nord» avec tout le power du désert et «Alhakou» frise le génie artistique, on parle ici d’art nègre, avec une voix et des chœurs africains, c’est le blues des origines, le plus primitif qui se puisse imaginer ici bas, c’est-à-dire le gospel blues africain, celui qui sent la poussière de la piste, la poussière de l’histoire. Les attaques de guitare valent bien celles de Jeff Beck. Laisse tomber les Anglais, ces mecs là jouent pour de vrai. Ils terminent avec «One Color», dans l’informel du blues, dans un fondu de deux guitares de rêve, avec des voix posées dessus, mais pas n’importe quelles voix, celles des origines du monde, et là tu as le vrai truc : la transafricanité la plus pure de l’histoire du rock.

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    Leur troisième album Optimisme vient de paraître sur le même label en Europe (Transgressive), et sur Fat Possum aux États-Unis. C’est donc à la fois une consécration et une sacrée façon de boucler la boucle. On trouve de belles énormités sur Optimisme, à commencer par «Badala». Ils roulent en bulldozer dans le désert, c’est tantrique et pulsé à coups de uh-uuuh. Quelle leçon de power ! Ça court comme le furet du désert. L’autre énormité s’appelle «Worry», une espèce de function at the junction, le blues et le Mali s’épousent pour le meilleur et pour le pire et là oui, ça impressionne. Le reste de l’album est extrêmement malien, ils reviennent au blues pétrifié d’Ali Farka Touré, ce blues qui se trouve à la croisée des mondes, perdu à jamais, blanchi dans le désert, mythifié par le vent. «Fey Fey» sonne comme du pur jus d’Adro beat qui éclôt comme une rose des sables, ils sont dans leur truc, on y va ou on n’y va pas. Ils jouent avec une énergie considérable, ce sont les Mods du Mali. Ils ne refusent aucun riff, ils ont de la transe en réserve. Mais ça sera sans route trop africain pour l’amateur de gaga-punk, même si dans «Gabi», on entend un solo disto joué à la dégueulade de Timbuktu. La violente pression du beat nous dépasse un peu. Ils font du heavy rock malien avec «Barre», tout leur power revient dans ce cut. Et puis on finit par les perdre de vue.

    Signé : Cazengler, Goï Blues

    Songhoy Blues. Music In Exile. Transgressive Records 2015

    Songhoy Blues. Re-Covered EP. Transgressive Records 2015

    Songhoy Blues. Résistance. Transgressive Records 2017

    Songhoy Blues. Optimisme. Transgressive Records 2020

    Alice Clark : Out of Africa. The Blues Magazine # 26 - December 2015

     

    Inside the goldmine - Bob & Earl of suave

     

    Il vient d’être nommé auxi. Il peut circuler dans la journée. Il distribue la gamelle du midi et celle du soir. Il doit aussi nettoyer la cellule de César Luciani, le Corse qui contrôle tout. Chaque midi, il ramène le pain aux Corses qui mangent ensemble en suivant les actus à la télé. Il leur fait aussi le kawa. Comme tous les collègues, il se branle le samedi soir en matant le porno de Canal +. Le lendemain, il en parle avec son pote le Gitan, t’as vu la blondasse comment qu’elle suce bien, et ils vont ensuite dans un coin peinard de la cour fumer un tarpé. Une fois, un dimanche midi, le Gitan lui fait goûter l’héro et il se retrouve dans la salle de cinéma complètement stone. Les Corses le voient dans les vapes et le ramènent chez Luciani qui se met en pétard. Tu bosses pour moi ! Tu m’appartiens et tu ne touches pas à la dope ! De voir Luciani en pétard le fait marrer. Il le voit tout rouge, comme une tomate. Alors Luciani le coince d’un bras contre sa poitrine et s’empare d’une petite cuillère. Je vais t’arracher l’œil ! Arrête ! Aïïïe ! Ça fait mal ! Plop ! L’œil saute. Maintenant, tu t’appelles coco bel œil ! Les Corses éclatent de rire. En regagnant sa cellotte, il croise le bricard qui lui demande ce qui s’est passé. Me suis cogné dans la salle de bain. Ah ouais c’est ça, la salle de bains ! Allez hop mitard ! Quarante jours ! En général, ça calme, car c’est raide : une gamelle par jour, pas de livres, pas de courrier, pas de rien. Luciani a pitié de lui et lui fait passer par un auxi un gros calot en verre. Mais il est trop gros. Il essaye pendant plusieurs heures de se l’encastrer dans l’orbite, mais ça coince. Il défait sa godasse et se sert du talon comme d’un marteau. Bong ! Bong ! Ça y est, le calot est rentré. Quelques jours plus tard, il sort du trou. Il se demande pourquoi les mecs se marrent sur son passage. Le jour-même, on l’appelle pour le parloir. Quoi, moi ? Oui toi ! Magne-toi le cul ! Il y va. Quelle surprise ! C’est un vieux copain d’enfance qui, passé le cap de la stupeur, parvient à articuler :

    — Wouah la gueule...

    — Quoi qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?

    Sentant venir l’impasse, le vieux copain d’enfance change immédiatement de conversation :

    — Tu connais Jackie Lee ?

    Coco bel œil reste quelques secondes silencieux, les sourcils froncés. Puis il lâche, au pif :

    — L’est californien ?

    — Oui, répond son vieux copain d’enfance, Jackie Lee, c’est l’Earl de Bob & Earl !

    — Oh putain ! «Harlem Shuffle» !

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    En fait Jackie Lee s’appelle Earl Lee Nelson. Originaire de Lake Charles en Louisiane, ce petit black aux traits si fins se fait aussi appeler Jay Dee. Quant au Bob de Bob & Earl, il s’appelle Bobby Byrd mais se fait appeler Bobby Day et vient du Texas. Bob & Earl se rencontrent à Los Angeles où leurs familles se sont installées dans les années 30. Ils vont doo-wopper et ramer un moment sous des noms divers jusqu’en 1963, l’année où ils connaissent le succès avec l’irrésistible «Harlem Shuffle».

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    En France, tous les amateurs de Soul ont ramassé en leur temps l’album Bob & Earl paru sur Festival. Quand on les écoute, on pense forcément à Sam & Dave, mais ils jouent plus la carte du heavy groove rampant, avec un son nettement plus épais que le raw de Stax. Ils tapent par exemple une version splendide de «Land Of 1000 Dances», jouée au choo-choo de velours, roulée au timpani et aux chœurs liquides, douce comme une hermine. Ça choo-choote entre deux gloupi gloupa de mashed potatoes. En B, la température monte brutalement avec l’excellent «I’ll Keep Running Back». Ces deux-là maîtrisent bien l’art du duo. C’est pourri de feeling. Ils passent à la Soul de gros popotin avec «Dancing Everywhere», on dirait même du Sam & Dave plus distingué (pardon Sam et pardon Dave), avec des chœurs de filles fantastiques. Une pure merveille ! Ils nous jerkent ça dans la chaleur de la nuit - Every/ where/ Ah ah yeah ! - «Send For Me I’ll Be There» sonne comme un hit magique de Sam Cooke. On reste dans l’excellence du groove de Soul avec «Ooh Honey Baby», co-écrit avec Barry White. Ils déploient là-dedans toute l’énergie du peuple noir. Et ils finissent l’album avec un «Harlem Shuffle» lancé au roulement de drums - You move to the left/ Don’t you go for yourself/ You move to the right/ If it takes all nite - Certainement l’un des plus gros hits de Soul de tous les temps - Yeah yeah yeah/ Do the Harlem Shuffle !

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    C’est Guy Stevens qui fait connaître Bob & Earl en Angleterre avec l’album Harlem Shuffle paru sur Sue en 1965. Pochette magnifique, avec un objet d’art africain larmoyant qui ferait loucher Apollinaire, et au dos, Guy Stevens signe un texte historique - Just play the record. I’m sure it will blow your mind in the same way that it blows mine - Cet album fait un peu double emploi avec celui paru sur Festival quatre ans plus tard, mais seulement pour quatre cuts, «Harlem Shuffle», «Dancing Everywhere», «I’ll Keep Running Back» et «Your Time Is My Time». Le reste justifie pleinement le détour. «Baby I’m Satisfied» sonne comme un hit de Sam Cooke tellement c’est bien chanté. En B, on tombe sur «The Sissy», un hit de dance somptueux, shaké au by your side, ils sont tout le temps sur la brèche. Encore un groove de haut vol avec «Your Loving Goes A Long Way». Ces deux blackos n’en finissent plus de swinguer l’unisson du saucisson. Guy Stevens a raison de saluer la prod de Fred Smith et de Gene Page. Il dit aussi que les 12 cuts de l’album sonnent tous comme des hits - Good enough to relesase as a single.

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    Sur les pas de JY, nous sommes descendus dans la goldmine. Ce fut un jeu d’enfant que de trouver la rétrospective Jackie Lee, The Mirwood Masters, parue chez Kent/Ace. 28 cuts et pas un seul déchet, t’as qu’à voir ! On y trouve l’intégralité de The Duck, l’album qu’enregistra Jackie Lee en 1966. Voilà qu’en 1979, Jackie Lee ré-enregistre «Harlem Shuffle». Sa nouvelle version explose de beauté marmoréenne. Il sait de quoi il parle. Encore un coup de génie avec «Your PERSONALITY», summum du heavy groove, avec des filles qui font ohhh, alors Jackie Lee trouve le passage et un solo de sax dégueulasse vient tout envenimer, alors les filles font wahhhhh. Complètement demented ! Ça se corse avec «The Bounce». Une bombe ! Jackie est dépassé par les événements, les filles l’entraînent et toute l’équipe déboule dans la chaleur de la nuit. C’est écrasant de supériorité, bounce baby bounce et bien sûr les filles ondulent des reins comme des petites Birkin noires en rut. On ne sait plus où donner de la tête sur cette compile. Tu veux danser ? Oui ? Alors voilà «The Duck» - A brand new dance - Même énergie que celle de Jr Walker - Do the duck/ C’mon babe - Ce mec a du génie et le diable au corps. Il fait une version tétanique de «Dancing In The Street», Jackie fond sur Martha comme l’aigle sur la belette, down in New Orleans. Hot as hell ! Cool as fuck ! Ici, ça grouille littéralement d’énormités, tiens comme «Whether It’s Right Or Wrong», il tape dans Motown avec le power absolu, il allume toute la Soul, il va même l’exploser avec «Oh My Darlin’». Il crève l’œil du cyclope, Jackie Lee devient un héros mythologique. Encore un truc qui va te faire tomber de ta chaise : «Let Your Conscience Be Your Guide». Les filles sont folles et Jackie se fond dans le groove comme une couleuvre, les oooh-oooh des filles sont une bénédiction sexuelle. Celle qui duette avec Jackie sur «Baby I’m Satisfied» s’appelle Delores Hall. Il la rejoint sur le lit nuptial comme le fait Marvin Gaye avec Tammi Terrell. Il faut aussi le voir exploser son «Do The Temptation Walk», il se bat pied à pied avec le dance floor du Wigan Casino, vas-y Jackie, danse jusqu’à l’aube, shake tes hips et derrière, les filles font des whop whop et des ooh ooh orgasmiques. Encore un hit fantastique avec «Hully Gully», ça shoote dans le funk de Shotgun. On croirait encore entendre Jr Walker. On s’effare encore de «Would You Believe» et de la magie de ses accords métalliques. Son «Shotgun And The Duck» déboule à 100 à l’heure. On donnerait le bon dieu sans confession à un mec comme Jackie Lee. Il surchauffe encore sa chaudière avec «Anything You Want», il swingue comme mille diables, bienvenue au paradis du relentless. Il est déconseillé d’écouter cette compile d’une traite, car on y frise en permanence l’overdose.

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    En 1974, Earl Nelson devient Jay Dee et enregistre l’excellent Come On In Love. L’album est produit pas son vieil ami Barry White. Il est aussi intéressant de noter qu’Earl Nelson est le concepteur du visuel qu’on trouve au dos, une sorte de vision nocturne à la Magritte. Comme le recto porte la mention «Special Disc-Jockey», on s’attend au pire. Bonne nouvelle, l’album est excellent. Dès l’ouverture du bal d’A, les nappes de violons et les percus du «Jay’s Theme» créent de l’enchantement. Puis il rentre dans le lard de «Strange Funky Games & Things» en fier Soul Brother. On n’est jamais au bout de nos surprises avec ce mec-là : voilà qu’il développe le pouvoir des Tempts. C’est vraiment balèze. Il colle divinement bien à l’esprit de la Motown Soul, son «You’ve Changed» reste de très haut niveau, belle prod, ce mec se conduit sur son album comme un prince. Et les choses prennent encore de l’ampleur en B avec l’éclatant «Come On In Love». L’étendard de la Soul claque dans le ciel de Magritte. Jay Dee Nelson reste dans l’extrême Soul d’excellence avec «I Can’t Let You Go» qu’il chante à gogo. Il revient au power des Tempts avec «Your Sweetness Is My Weakness». Il fonce dans le tas avec une énergie spectaculaire, porté par le souffle d’une prod héroïque. Il termine cet album surprenant avec un cocktail de Soul signé Barry White, «Thinking Of You»/«You’re All I Need», et là on entre dans l’univers d’une Soul mythologique. Il faut se souvenir à quel point cette Soul fut belle et Earl Nelson la sanctifie.

    Signé : Cazengler, après l’Earl c’est plus l’Earl

    Bob & Earl. Harlem Shuffle. Sue Records 1965

    Bob & Earl. Bob & Earl. Crestview Records 1969

    Jay Dee. Come On In Love. Warner Bros. Records 1974

    Jackie Lee. The Mirwood Masters. Kent Soul 2010

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 518 : KR'TNT ! 518 : LOVELY EGGS / ANITA PALLENBERG / EDDIE PILLER / DHOLE / CRASHBIRDS / FUNERAL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 518

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    08 / 07 / 2021

     

    LOVELY EGGS / ANITA PALLENBERG

    EDDIE PILLER / DHOLE

    CRASHBIRDS / FUNERAL

     

    AVIS A LA POPULATION

    ENCORE UNE FOIS COMME TOUS LES ETES

    NOS INFATIGABLES REDACTEURS SE LAISSENT ALLER

    A LEURS PENCHANTS SADIQUES ET CRUELS,

    ILS VOUS PRIVENT DE VOTRE UNIQUE RAISON HEBDOMADAIRE

    DE SURVIVRE DANS CE MONDE INSIPIDE.

    LA LIVRAISON 519 ARRIVERA FIN AOÛT

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

     

    L’avenir du rock :

    Egg toi et le ciel t’aidera

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    Comme tout le monde, l’avenir du rock a besoin de vacances. Le voici à Macao, installé de bon matin sur la terrasse du casino. Si vous n’êtes jamais allé là-bas, sachez que cette immense terrasse en pierres de taille surplombe une mer d’huile. L’avenir du rock prend son breakfast en compagnie de God Hillard, The World’s Greatest Sinner. Ces deux éminentes personnalités échangent quelques mondanités :

    — Êtes-vous marié, avenir du rock ?

    — Croyez-vous que ce soit l’heure de me cuisiner ?

    — Simple curiosité. Votre profil n’est pas si banal...

    — Je vous ferai la réponse que vous méritez : oui, mais je me remarie en permanence, chaque fois que j’éprouve un coup de foudre. Je cède à toutes les tentations, ainsi que le prescrivait Oscar Wilde.

    — Un vrai cœur d’artichaut, en somme !

    — Oui, je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant. Et puisque nous pataugeons dans les moiteurs de mon front blême, je vous ferai un dernier aveu : je porte au pinacle, vous entendez bien, au pinacle, la notion de couple...

    Ça fait vingt ans que des couples gaga-rock s’illustrent, avec plus ou moins de réussite. On pourrait citer les White Stripes et des Kills - pour les moins intéressants - et Jucifer, les Raveonettes, Taurus Trakker, les Magnetix, les Table Scraps et les Ghost Wolves d’Austin, Texas - pour les plus intéressants - Ajoutons à cette liste les Lovely Eggs, un couple qui nous vient du Nord de l’Angleterre, de Lancaster, très précisément. David Blackwell bat le beurre et Holly Ross, fervente adepte de la Big Muff, gratte ses poux. Ils écument les meilleures scènes du monde depuis dix ans et il serait grand temps qu’on leur déroule le tapis rouge.

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    Leur premier album mystérieusement titré If You Were Fruit date de 2009. On y trouve pas mal d’archétypes de ce qui fait le charme de la veine Nous Deux, notamment «I Like Birds But I Like Other Animals Too», très Nirvana dans l’esprit, avec ses belles rasades d’accords à la Kurt et son beau sucre candy plein le chant. On sent une réelle présence de crush et de sucre. Elle chante au candy pur et sait crusher son crotch. Il faut la voir plonger son «Sexual Cowboy» dans le lullaby d’Alice. D’ailleurs, le Sexual Cowboy ne serait-il pas David Blackwell qu’on voit au dos du boîtier en patins à roulettes ? L’album connaît un violent passage à vide et reprend vie avec «O Death». Holly Ross est parfaitement capable de foutre le feu au camping, elle passe sans crier gare du scream de Sainte-Anne au lagon paradisiaque. Nouvel exercice de style dans la veine Nous Deux avec «Have You Ever Heard A Digital Accordion». Elle fait son petit biz avec son homme et ça part en trombe d’excellence plantagenesque. Ils sont parfaits dans ce rôle, c’est quasi-velvetien dans le dénudé du traitement, ils sont pleins d’espoir. Et puis voilà le hit de l’album : «Big Red Car». Elle est chaude, la petite Ross, elle vise de groove de mauvaise compagnie et le tient à bouts de bras, elle fait du pur Velvet et gueulant dans la purée du son. Ce «Big Red Car» est digne des early Modern Lovers. Mythe pur. Ils terminent avec un autre hommage indirect au Velvet, «America». Ils n’ont plus rien à perdre, ils tapent ça à deux voix, ils font du pur Nous Deux inspiré de Lancaster, monté sur un drive de guitare infernal et ça devient un vrai hit indie.

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    Pour la pochette de Cob Dominos paru en 2011, David Blackwell et Holly Ross sont allés se rouler dans la vase. À les voir décorés de peintures de guerre, on comprend qu’ils aiment beaucoup s’amuser. C’est aussi ce qu’indique le «Minibus» d’ouverture de bal, ce somptueux mélange de lullaby et de Big Muff. Mine de rien, Holly Ross invente un genre nouveau : le dirty trash pré-pubère. L’ambiance globale de l’album rappelle celle des albums du circuit indie américain des années 90, notamment Babes In Toyland. Donc, ils s’amusent. Avec «Don’t Look At Me (I Don’t Like It)» elle s’adonne aux joies du trash-punk. Tout ce qu’elle fait est bien. Elle injecte encore du lullaby dans le fuck-off de «Fuck It» et elle s’amuse encore plus avec «Alphabet Ting» : Fuck you ! Alors attention à la fin de l’album, car elle passe aux choses sérieuses avec «Watermelons». Elle est tout simplement capable de la meilleure power-pop d’Angleterre, elle bat largement les Teenage Fanclub à la course. Puis ils chantent «Pets» à deux et nous font rêver. La surprise arrive ensuite avec «Real Good Man» qu’elle prend en mode Ross - I know he’s a real good man - et qu’elle finit en mode Pixies, mais si, elle a ce power ! Cet album est réellement impressionnant.

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    Le Wildlife paru en 2012 va plus sur la power pop. «Allergies» donne le la et Holly est tout de suite dans l’effarence du big sound, elle claque bien le beignet du son et son mec gère ça au big drumbeat de relance, alors ça prend des allures de remugle ramonesque. On dira en gros la même chose de «Food», qui sonne aussi comme un classique de power pop. Ils sont en plein prodige, Holly Ross traverse toutes les contrées du rock. Ils font pas mal de petits exercices de style comme «The Undertone», mais elle pique aussi des belles crises de nerfs («Please Let Me Come Mooch Round Your House»). Avec «Green Beans», elle rétablit l’équilibre de l’Angleterre avec ses racines lullaby et c’est avec «I Am» qu’elle ramène tout le big power. Il faut la voir allumer son «I Am», c’est un modèle du genre, une merveille de positionnement. Ils se tapent une belle crise de heavy groove avec «Lee Mellon’s Teeth». Holly fournit le fourniment de Big Muff et avec «Just Won’t Do It», elle s’amuse à balancer entre le lullaby et le heavy trash. Elle se livre vraiment à tous les excès.

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    Magnifique pochette que celle de This Is Our Nowhere paru en 2015 : cette photo de scène dit tout ce qu’il faut savoir des Lovely Eggs. Côté son, ils sont tout de suite parfaits. Ils ont le boom + the voice dès «Ordinary People Unite». Holly Ross est magique, elle a le power absolu. Zéro info dans le booklet, donc tu te débrouilles tout seul avec le ciel étoilé et le son. David Blackwell vole le show dans «The Investment». Il joue à la vie à la mort et Holly Ross parvient à garder le contrôle de justesse. Ils créent à deux des climats extraordinaires. Même chose avec «Magic Onion» : elle prend ses distances - He’s a magic onion - C’est lui qui drumbeate mais elle rentre dans le son comme une vieille pro. C’est tellement bardé de son qu’on ne sait plus où se mettre. Leur principale qualité est l’attaque. Ils combinent à merveille l’énervement et l’excellence. Ils combinent aussi l’énergie à l’envolée, il pleut des retombées de cendres et ça repart au blasting blow. Ils ont certainement le plus bel allant d’Angleterre, c’est en tous les cas ce que tendrait à prouver «Do It To Me». Elle reste excellente sur «Music». Ils ont de la chance d’avoir ce son. Tout est plein d’esprit. Avec «Slinking Of The Strange», elle va chercher le strange dans le lullaby. Cette Ross est incroyable, elle nous méduse impitoyablement. On la voit accompagner «Forest Of Memories» vers l’échafaud, sur fond de roulements de batterie, elle est forte, elle sait qu’elle se bat pour la révolution et que le peuple vaincra.

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    Allez tiens, on va dire que This Is England est leur meilleur album, comme ça au moins, les choses sont dites. Le pire c’est que c’est vrai, l’album grouille de son et de blasts, et ce dès le «Hello I Am Your Sun» d’ouverture de bal. Elle a du son, la vache et l’autre derrière, il bat son beurre comme plâtre, ils sont tous les deux des heavy Visiteurs du Soir, des heavy Enfants du Paradis, ils bardent tout du pire barda de l’univers, ils bourrent le mou du Sun avec des spoutnicks, c’est une véritable abomination pré-nuptiale d’emberlificotage définitif. Elle n’en finit plus d’enfiler ses eggy perles, elle ramène toute sa niaque pour «Wiggy Giggy» et ça marche tout de suite, c’est même magique, bien sonné des cloches, elle a tout, la prestance, le power, la Big Muff, elle chante au sucre candy sur le beat des forges. Aujourd’hui, c’est inespéré d’entendre des gens aussi doués. Et ça continue dans l’eggy de borderline avec «Dickhead», ils foncent dans le trash comme des taureaux devenus fous et elle renvoie son dickhead rouler dans le son. On reste dans l’extrême power eggy avec «I Shouldn’t Have Said That». Elle ramène du riff à la pelle sur le beat de David Blackwell. C’est du génie pur. Il faut voir avec quel aplomb elle allume ses cuts, elle les prend un par un et à chaque fois, boom ! «Return Of Witchcraft», «I’m With You», tout est bien destroy oh boy ! Ils ramènent du pouvoir US dans le son de Lancaster. On se croirait à Detroit. On entend des machines dans «Witchcraft», elle est parfaite en sorcière moderne, elle vole sur une guitare en forme de balai, ça monte soudain et ça explose dans l’espace. Puis elle explose «By Sea», elle cisaille le son avec ses power chords, elle ramène de la pop de rêve et tout le power des Sex Pistols dans la mouvance de sa pertinence - Why don’t you show here - Elle est complètement dingue, elle devient sans même s’en rendre compte la sixième merveille du monde, mais en attendant, elle se contente de la couronne de reine de Lancaster, c’est déjà pas mal. Elle allume sa power pop avec une distance effarante et cette classe qui n’appartient qu’aux blondes d’Angleterre. So weird ! Elle passe au psyché avec «Let Me Observe», mais c’est vite ravagé par des lèpres de son et plongé dans des bains d’huile bouillante, ça se relève avec la gueule gonflée, let me observe. Ses plongées sont d’une brutalité sans commune mesure. Et quand tu arrives à «Would You Fuck», tu es content d’avoir écouté cet album, il est à la fois monstrueux et bien intentionné. Holly Ross est la reine indiscutable de l’extrême, l’une des artistes les plus brillantes d’Angleterre. Elle est entrée dans la légende.

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    On savait qu’elle était une grande chanteuse, mais sur le dernier album paru des Lovely Eggs, l’excellent I Am Moron, elle devient tout simplement une énorme chanteuse. Elle plonge «You Can Go Now» dans une saumure de Big Muff et du coup elle étend son empire sur l’Angleterre. Elle est la nouvelle égérie du Big Muff Sound. Puis elle s’explose les ovaires avec «This Decision», elle hurle en plein air, elle devient spectaculaire, elle grimpe au sommet du lard fumé et devient complètement folle. Et le diable sait si on adore les folles. Elle ramène encore une énergie dementoïde dans «The Digital Hair». Elle est aux commande du big blast d’Egg. L’album propose d’autres cuts relativement intéressants comme ce «Long Stem Carnations» d’ouverture de bal. Elle est invincible, elle base tout sur de fières dynamiques alors forcément, on la prend très au sérieux. Il n’est pas impossible qu’elle devienne un jour une superstar de l’underground britannique. Elle sait cuisiner la flambée de son («Bear Pit») et le wah up («I Wanna»). Elle excelle dans l’exercice du relentless. Elle est même capable de taper dans le heavy trash punk («Insect Repellent»). Fabuleuse Holly Ross ! The trash queen of Lancaster.

    Signé : Cazengler, œuf à la coke

    Lovely Eggs. If You Were Fruit. Cherryade 2009

    Lovely Eggs. Cob Dominos. Egg 2011

    Lovely Eggs. Wildlife. Egg 2012

    Lovely Eggs. This Is Our Nowhere. Egg 2015

    Lovely Eggs. This Is England. Egg 2018

    Lovely Eggs. I Am Moron. Egg 2020

    Anita Banana

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    Pas facile d’exister en tant qu’icône des sixties quand on est à la fois la poule de Brian Jones ET de Keith Richards. Autant l’avouer franchement, si on lit la bio d’Anita que vient de faire paraître Simon Wells, c’est surtout pour y retrouver Brian Jones. Simon Wells se bat héroïquement pour brosser d’Anita le portait d’une femme de caractère et d’une égérie, mais c’est Brian Jones qui sort grandi de ce book : il n’a jamais été aussi dramatiquement magnifique.

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    She’s a Rainbow: The Extraordinary Life of Anita Pallenberg est un vibrant hommage à Brian Jones et à ses drogues, à Brian Jones et à ses fringues, à Brian Jones et à sa classe, avec comme point d’orgue les trips en Bentley jusqu’au Maroc, à l’époque où les Stones fuient l’acharnement de l’establishment britannique.

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    La relation qu’entretiennent Brian Jones et Anita ne dure que deux ans (1965-1967) mais elle occupe la moitié du book. Wells dit qu’ils forment le couple parfait du Swingin’ London. Brian Jones qui est le membre le plus énigmatique des Stones se retrouve dans une Anita toute aussi mystérieuse - The pair would become Swinging London first alpha couple. Alors que Brian Jones se pavanait comme un paon, the neo-European androginity d’Anita captait l’attention - Oui car Anita vient d’une famille allemande un peu aristo et à l’époque où elle met le grappin sur Brian Jones, elle a déjà fricoté avec Fellini en 1959, et avec Andy Warhol en 1963, comme d’ailleurs Nico avec laquelle elle ne s’entend pas très bien. Trop de poins communs ? Of course.

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    Oui, en 1963, Anita et son boyfriend Mario Schifano ont rencontré la crème de la crème du gratin dauphinois new-yorkais : Gregory Corso, Ferlinghetti, Terry Southern, William Burroughs, ils ont vu jouer Charlie Mingus et Monk. Et puis Warhol qui a 35 ans, et le Living Theater, une rencontre qui va la diriger sur Artaud. Un Artaud qui reste central, quelque soit le milieu ou l’époque. À Paris, Anita fréquente Donald Cammell et sa poule Deborah Dixon. C’est la découverte du libertinage - dodgy situations, especially on the sex side - Anita rend hommage à Cammell, lui accordant des trésors de fantaisie et d’imagination. Donald a un frère, David, qu’on va retrouver plus tard, au moment de Performance. L’un des amis d’Anita à Paris n’est autre que Stash de Rola, le fils de Balthus. Elle le voit pour le première fois en 1964, dans l’appartement du philosophe Alain Jouffroy. Stash : «Vince Taylor et moi étions au lit avec ce très beau modèle américain, Johanna Lawrenson, qui était une amie d’Anita. C’était le matin et en se réveillant on a vu cette fille, Anita, qui nous regardait, debout dans un rayon de soleil, en souriant, with this amazing, irresistible barracuda smile.»

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    ( Stash... )

    L’un des poins forts du Wells book, c’est le récit détaillé qu’il fait des virées nocturnes de Brian Jones. Pâques 1965, les Stones jouent à l’Olympia. Après le concert, les Stones se dispersent, mais Brian Jones recherche ce que Wells appelle a more exclusive company. Un petit groupe se forme avec Françoise Hardy et Jean-Marie Périer, Stash de Rola qui est le fils de Balthus, Anita et Zouzou qui, comme Anita, est modèle à Paris chez Catherine Harley, la fameuse agence du Passage Choiseul, dont font aussi partie Anna Karina, Amanda Lear, Nico et Marianne Faithfull. Et donc, ce soir de Pâques 1965, Wells nous fait monter dans la bagnole avec Brian Jones - Courtesy of his aspirant middle-class background, Brian enjoyed a more elevated company - both intellectual and aristocratic. The elegant troupe that left l’Olympia that April night was evidently his sort of people - Ils vont d’abord chez Castel, puis vont finir la nuit dans un nuage de marijuana chez Donald Cammel et Deborah Dixon. À l’aube, la petite troupe raccompagne Brian Jones jusqu’à son hôtel et Zouzou reste avec lui. Anita devra attendre son tour.

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    Elle parvient à s’infiltrer dans le backstage des Stones quelques mois plus tard et voit Brian Jones étalé sur un sofa. Il porte un col roulé et un jean blancs : «Même sans ses chaussettes, Jones was easily the most stylish member of the band.» Anita flashe sur lui - Brian was very well spoken, soft-spoken, il parlait bien l’Allemand, ses manières me captivaient, il voulait capter l’attention des gens en parlant. C’était quelqu’un de sensible, de très évolué, totally ahead of his time, but also part of another time. The dandy with his clothes and all of that - Elle a bien raison de flasher, la petite Anita, car elle a sous les yeux la rock star par excellence. Elle ajoute que Brian était very unusual, il sortait de l’ordinaire, il était très attirant, il ressemblait d’une certaine façon à une fille. Alors que les autres Stones semblaient avoir peur, Brian était prêt à aller dans des endroits bizarres - Except for Brian, all the Stones at that time were suburban squares - Ils vont former un couple mythique, Anita devenant en quelque sorte le reflet de Brian Jones. Pendant la première nuit qu’ils passent ensemble, Brian sanglote. Il est déjà sous pression. Il se plaint de Mick and Keef qui font bande à part - they had teamed up on him - Anita comprend confusément que Brian Jones ne fait plus le poids dans les Stones, même s’il en est le membre fondateur, et elle doit l’aider à mettre en avant les autres aspects de sa personnalité. Marianne Faithfull indique qu’Anita joue un rôle considérable dans les Stones à cette époque, les faisant évoluer du statut de bad boys vers un statut plus enviable de renaissance men. Selon Marianne, les Stones sont devenus les Stones grâce à Anita. Elle serait à l’origine de la révolution culturelle qui a lieu à Londres et qui rapproche les Stones de la jeunesse dorée.

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    Brian Jones a partagé quelques temps une maison de Belgravia avec des membres des Pretty Things, puis en mars 1965, il s’est installé à Chelsea au 7 Elm Park Lane. Il y reçoit les mères de ses enfants (Pat Andrews et son fils Mark, Linda Lawrence et son fils Julian), puis Zouzou et surtout Nico qui l’initie aux mystères de sexe. Puis Anita s’installe à Elm Park Lane et découvre Brian au quotidien, nasty and sexy - Il lisait des livres du vieil Anglais qui disait être le diable (Aleister Crowley). J’ai dit à Brian que j’avais connu le diable et qu’il était allemand - Comme Nico, Anita est née en Allemagne pendant la Seconde Guerre Mondiale.

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    Ils forment un couple fascinant, Brian porte les fringues d’Anita et Anita celles de Brian. Ils paradent dans Londres, affichant un look d’aristrocrats from another age. Brian vient de racheter la Rolls Siver Cloud de George Harrison. Anita lui choisit des fringues : «Costume noir à rayures rouges et blanches, chemise rose, pochette et cravate écarlates. Le tout acheté à New York. Chaussures deux tons achetés sur Carnaby Street.» Puis ils commencent à se chamailler. Ils se chamaillent à propos de tout : les voitures, les prix, les menus. Alors que Brian commettait l’erreur de vouloir avoir le dernier mot, c’est Anita nous disent les témoins qui l’avait systématiquement. Christopher Gibbs dit même qu’elle était un peu une sorcière, car elle savait très bien ce qu’elle faisait. Ils en viennent aux mains et on tombe sur le fameux épisode du poignet cassé, lors du premier trip marocain, en 1966 : en voulant foutre une trempe à Anita, il la rate et frappe le châssis alu de la fenêtre. Il passe une semaine dans une clinique de Tanger. Anita lui pardonne, elle sait qu’il est fragile : «Chaque fois qu’il essaye de me faire du mal, c’est lui qui se fait du mal.»

    C’est Bryon Gysin qui initie Brian aux flûtes de Joujouka. Bryon les fait jouer dans son restaurant, the 1001 Nights et Brian’s eyes are flashing like airplane lights.

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    Fin 1966, le couple s’installe au 1 Courtfield Road, cet endroit mythique du Swinging London dont parle longuement Marianne Faithfull dans son autobio. Robert Fraser : «Courtfield Road was the first incredible place in that London scene.» Ils carburent tous au LSD. Les philosophies occultes et les rites magiques deviennent la nouvelle tendance dans les cercles branchés. On va acheter des livres chez Indica au 6 Masons Yard, une librairie montée par Barry Miles, John Dunbar qui est le premier mari de Marianne Faithfull et Peter Asher. Brian et Anita collectionnent les classiques de l’occultisme, The Golden Dawn, The Golden Bough, les œuvres complètes de Madame Blavatsky et bien d’autres curiosités. L’autre grande présence à Courtfield Road est le LSD. Brian et Anita entretiennent une relation suivie avec le LSD. Keef se joint à eux - Richards was strongly in tune with acid’s vibrations and an aloof triumvirate was created - Keef va même s’installer à Courtfield Road. Ils forment aussi un triumvirat avec Tara Brown. Dans le chapitre des équipées sauvages dans la haute société, Wells cite aussi l’après-concert de Bob Dylan au Royal Albert Hall en 1966 : Dana Gillespie invite Brian et Anita chez elle. Comme Marianne Faithfull et Anita, Dana vient d’un similarly aristocratic pan-European background.

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    Anita a cessé de faire le mannequin pour Catherine Harlé, mais elle entame une carrière d’actrice. Quand elle va tourner en Allemagne Vivre À Tout Prix pour Volker Schlöndorff, Brian Jones la rejoint en Rolls. Le chauffeur s’appelle Tom Keylock. C’est là que Brian fait scandale car pour les besoins d’une séance photo avec Anita, il porte un uniforme d’officier SS. La presse s’énerve et souligne le mauvais goût de cette excentricité. Alors Brian déclare qu’Anita et lui étaient sous LSD. Anita dira plus tard que l’idée était d’elle : «C’était une idée douteuse, but what the hell... He looked good in an SS uniform.»

    L’un des proches des Stones s’appelle Tara Browne, riche héritier des brasseries Guinness. Il se tue en décembre 1966 au volant de sa Lotus Elan à Londres. Son amie Suki Potier sort indemne de l’accident. Alors pour surmonter leur chagrin, Anita, Brian, Keef et sa poule d’alors, Linda Keith, se retirent à l’Hôtel George V, à Paris, et font une consommation massive d’amphétamines et de cocaïne, seulement interrompus par les dindes farcies du room service.

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    Début 1967, les stups persécutent les Stones. C’est le fameux Redland drug bust, chez Keef. Les Stones ne sont même pas incarcérés. Keef : «The best idea was to get the fuck out of England.» Donc, sauve qui peut les rats, il décident de repartir au Maroc. Le voyage s’impose d’autant plus que Brian se met en danger avec une consommation massive de drogues. À cette époque, le Maroc a la réputation d’une terre d’asile pour tous les gens bizarres et les réprouvés - the weird, the perverse and the hunted - Des écrivains célèbres se sont installés à Tanger : William Buroughs, Jack Kerouac, Truman Capote, et Joe Orton. Il faut ajouter à cette liste le compositeur Paul Bowles. Certains membres du cercle des Stones partent en avion, et d’autres en voiture, pour ne pas attirer l’attention des flics. Tom Keylock, Brian, Anita et Keef descendent en bagnole, à bord de Blue Lena, la dark-blue Bentley de Keef - a limited edition S3 Continental Flying Spur, l’un des 68 modèles montés pour la conduite à droite - L’arrière de la Bentley est aménagé comme un salon berbère. Brian et Anita tapent dans les réserves d’herbe, de poudre et de pills dont est chargée la Bentley. Keylock conduit et Keef est assis devant, à côté de lui. Sur la route, Brian crache du sang et ils le déposent dans un hôpital à Toulouse. Et c’est là que les ennuis commencent, car Brian a vu qu’il se passait un truc entre Keef et Anita. Il a raison de s’inquiéter, car Anita ne cache plus son attirance pour Keef. Pendant que Brian se fait soigner à Toulouse, Keylock reprend le volant, direction l’Espagne. Cette fois Keef est à l’arrière avec Anita qui ne peut vraiment pas s’empêcher de lui tailler une petite pipe. C’est plus fort qu’elle. Keylock écrit dans son journal : «It’s all getting very friendly in the back seat.» Chargé de surveiller Anita, Keylock cafte tout quand Brian les rejoint à Gibraltar. Il est mis au courant des moindres détails. Les choses ne vont pas s’arranger. Les vacances au Maroc se présentent très mal. Dans la Bentley, ça pue l’embrouille. Mais Anita est encore officiellement la fiancée de Brian Jones. C’est d’autant plus compliqué qu’elle et Keef ont eu ce qu’on appelle communément un coup de foudre.

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    Pour tous ces Américains qui voient les Stones débarquer à Tanger, c’est un régal. Bryon Gysin flashe sur «Brian’s broad talents and revolving moods». Il décrit leur arrivée chez lui, dans la maison qui surplombe la baie de Tanger : «Il y avait Mick et un Keith saturnien qui louchait sur la minijupe d’Anita Pallenberg, et Brian Jones avec une frange de cheveux roses couvrant les petits yeux rouges de lapin.» Cecil Beaton les décrit aussi autour de la piscine : «Les trois Stones, Brian Jones et sa girlfriend Anita Pallenberg - visage blanc et sale, yeux sales au beurre noir, coiffure jaune canari sale non peignée, bijoux barbares, Keith Richards en costume du XVIIIe siècle, long manteau en velours noir et pantalon moulant, et bien sûr Mick Jagger.» Keef continue d’avoir Brian à l’œil, car il voit bien qu’il commence à dérailler - He was becoming increasingly vicious - Un soir Brian propose à Anita une partie carrée avec deux prostituées berbères couvertes de tatouages et de piercings primitifs. Elle est choquée. Et quand Keef voit un soir Anita arriver avec les yeux au beurre noir, il lui propose de la ramener à Londres.

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    Keef s’en sort comme il peut avec cet épisode pas terrible : «C’était pour la sauver, pas pour la piquer à Brian. Ce qu’il lui faisait subir me dégoûtait. Je savais qu’il n’existait plus aucun lien d’amitié entre nous trois, Brian, Mick et moi. Anita en avait marre de lui. Et en plus, Anita et moi étions really into each other.» Keef ajoute que pendant cette dernière shoote entre Brian et Anita, Anita n’a pas été la seule à recevoir des coups : «Anita lui a rendu coup pour coup, elle lui a pété deux côtes et un doigt.» Et hop, ils repartent en Bentley, abandonnant Brian tout seul à Marrakech. Alors pour l’aider à surmonter l’insurmontable, Bryon emmène Brian au marché Jemaa el-Fnae, espérant que les flûtes de Joujouka vont le distraire de l’enfer dans lequel il a commencé de rôtir. Mais à l’hôtel, il s’effondre. On le transporte dans l’une des chambres libérées par les Stones. La rupture avec Anita diront certains va endommager Brian sérieusement, et même peut-être de façon irréversible. Anita était en fait la seule femme qu’il ait aimé, dit le père de Brian. Après la rupture, il a changé du tout au tout. «Ce jeune homme enthousiaste est devenu un être morose et nous fumes choqués de son apparence physique en le revoyant. Il n’est jamais redevenu le même.» Paul Trynka qui signe une bio de Brian Jones ajoute que la manière dont ils se sont débarrassés de Brian au Maroc «était exceptionnellement brutale et inhumaine, but they were just young.»

    L’infamie ne s’arrête pas là : quand Anita revient à Courtfield Road récupérer ses affaires, elle en profite pour emplâtrer la moitié du stock de hasch de Brian. Quant à Keef, il se sert et embarque une bonne partie des albums de Brian - A good proportion of Jones’ cherished library of albums - Là on touche au fond. Brian ne leur pardonnera jamais cette trahison : il dit à qui veut l’entendre : «First they took my music. Then they took my band and now they’ve taken my love.» Une citation que reprendra Anton Newcombe pour rendre hommage à Brian Jones dans l’un des albums du Brian Jonestown Massacre. C’est une véritable tragédie shakespearienne. On a raconté ici et là que Brian Jones avait été victime de son auto-destruction. Comment peut-on dire une telle connerie ? De son vivant, la plus brillante incarnation du Swinging London rôtissait en enfer. Ses petits copains Mick and Keith ne lui ont épargné aucune humiliation. Beaucoup plus que Keith Richards, Brian Jones pouvait se réclamer du fameux When I die I’ll go to heaven cause I spent all my life in hell.

    Puis Anita s’installe avec son deuxième Rolling Stone. Wells marche sur des œufs pour aborder ce chapitre. Magnanime, il attribue à Keef a modest libido, estimant qu’il préfère une relation suivie avec une seule femme plutôt que l’anarchique profusion de pots de miel générée par la célébrité. Une fois qu’il a rompu avec Linda Keith, Keef se rend disponible pour une nouvelle aventure, et comme il vit un temps à Courtfield Road avec Brian et Anita, la nouvelle aventure ne va pas se faire désirer trop longtemps. Pourtant au début il dit faire gaffe. Il se dit attiré par Anita, mais il veut absolument préserver sa relation avec Brian. Vas-y mon gars, préserve. Mais bon une bite reste une bite, et quand tu as une poule comme Anita dans les parages, ta bite te monte vite au cerveau. Keef rappelle incidemment qu’à l’époque tous les mecs louchaient sur Anita. C’est vrai : quand on la voit à poil dans Perfomance, on se lèche les babines : super cul et super seins, une vraie bombe sexuelle ! Mais attention, Deborah Dixon indique qu’Anita était beaucoup plus sophistiquée que Brian qui lui était beaucoup plus sophistiqué que Keef. Donc c’est pas gagné.

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    Et voilà que Keef se met à porter des bracelets, des écharpes, des bagues, des colliers et même du khôl autour des yeux. Wells insinue qu’Anita le re-définit. Elle poursuit aussi sa carrière d’actrice et voilà que Donald Cammell lui propose l’un des rôles principaux dans Performance. Keef n’aime pas Cammell, il sent que c’est un manipulateur - sa seule passion was fucking other people up - he was the most destructive little turd I’ve ever met - Keef le hait et il propose du blé à Anita pour qu’elle ne fasse pas le film. Mais Anita veut poursuivre sa carrière. Ce sera au tour de Keef de rôtir en enfer, car il sait que dans certaines scènes, Anita doit aller au pieu avec Jag et la petite Michèle Breton, tout le monde à poil et la consigne de Cammell est de ne pas faire semblant. Il tourne en caméra vérité. Keef dit que certains soirs, il fait amener la Blue Lena devant la maison où est tourné le film, mais il n’ose pas entrer de peur de voir ce qu’il ne veut pas voir, Anita au pieu avec son collègue Jag - Tony Sanchez : «His world would crumble as surely as Brian’s had» - Keef ne veut pas se faire baiser comme Brian. Il préfère faire l’autruche. Il pense bien sûr à l’autre, là le Jag qui comme tout le monde ne rêve que d’une chose : baiser Anita Pallenberg, ce qu’il va bien sûr pouvoir faire, puisque Cammell l’envoie séjourner à poil au pieu avec elle. Comment peut-on résister à ça ? Perfide, Anita se dit fidèle à son homme et nie toute baisouillerie, mais des chutes de montage attestent du contraire.

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    Bon alors Performance, parlons-en. On se demande bien pourquoi ce film est devenu culte. Donald Cammell n’est ni Scorsese ni Polanski et encore moins Abel Ferrara. La réputation de violence du film est un peu surfaite. Abel Ferrara en aurait fait quelque chose de plus consistant. James Fox fait partie d’un gang de racketteurs londoniens. Ces gangsters londoniens que filment Cammell et Nicholas Raeg n’ont aucune crédibilité. Quand des mecs passent James Fox à tabac et le violent, la scène est d’une pénibilité sans nom. James Fox trouve refuge dans l’entresol de la maison où vit Turner/Jagger avec deux femmes, Anita et Michèle Breton. Elles sont pour la plupart du temps à poil et le parfum de décadence voulu par Cammell brille par son absence. C’est un film d’une grande indigence, aussi bien au niveau de l’image, du rythme que de l’écriture. Fox déclare dans la presse que sur le tournage, Jag et Anita démarraient une relation. Jag aurait demandé à Anita de virer Keef et elle aurait refusé. Cammell avait en outre demandé à Jag d’incarner deux personnages : Brian, androgynous, druggie, freaked-out, et Keith, hors-la-loi, auto-destructif, tough. Et du coup, Jag va si bien jouer le jeu qu’Anita va tomber sous son double charme. Le film a une réputation si détestable qu’il va rester coincé pendant des années. Lors d’une projection privée, l’épousé d’un producteur exécutif vomit de dégoût sur les pompes de son mari. Un autre spectateur remarque que dans le film tout est dégueulasse, y compris l’eau du bain où s’ébattent Jag, Anita et Michèle Breton. C’est en effet ce qu’on voit. Quand il sort en salle, le film est descendu par la critique. Keef parvient à choper la fameuse K7 des chutes de montage et comme le dit si bien Wells, he was incandescent at what he saw. Mais ça ne l’empêchera pas de faire des gosses à cette roulure. Il l’a dans la peau.

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    De Performance à l’hero, il n’y a qu’un pas que Keef et Anita franchissent allègrement. Ils commencent par des speeballs, une pratique que Wells rattache à l’arrivée de Dylan à Londres en 1966. Quand Keef commence à se shooter, il ne fait pas d’intraveineuses, il se pique dans les muscles du dos. C’est sa technique. Puis ils prennent le rythme et Anita monte jusqu’au tiers de gramme par jour. C’est dans cette période que Kenneth Anger fait irruption à Londres et s’infiltre dans le cercle des Stones. Il se rapproche aussi de Donald Cammell dont le père Charles fut ami et biographe d’Aleister Crowley. Mais Wells ne s’étend pas trop sur le chapitre de l’occulte, du moins pas autant que Mick Wall le fait dans sa bio de Led Zep, puisque Jimmy Page est lui aussi un fervent admirateur d’Aleister Crowley. Un autre Américain arrive à Londres : Marshall Chess que les Stones nomment à la tête de leur label. Chess va vivre un an chez Keef et Anita à Cheyne Walk, Chelsea. Keith et Anita ont déjà Marlon. Puis en 1976, Anita met au monde son deuxième fils, Tara Jo Jo Gunne Richards qui va mourir pendant son sommeil. Elle mettra ensuite au monde Dandelion Angela pour laquelle Keef va composer Angie.

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    Et puis voilà l’autre grand épisode de la saga Keef/Anita : Nellcôte. Menacés de faillite par les impôts britanniques, les Stones doivent une fois de plus fuir leur pays. C’est le Prince Rupert Loewenstein qui s’occupe de leurs finances et il leur recommande d’aller s’installer en France : à partir du moment où on paye ce qu’on doit, les flics ne sont pas très regardants. Tout le monde décampe, direction la côte d’azur, the French Riviera - A sunny place for the shady people (Sommerset Maugham) - Et là, Wells nous fait le stupéfiant portrait d’Anita en femme d’intérieur, ou plus exactement en house guest. C’est elle qui doit gérer Nellcôte, embaucher le personnel, choisir la bouffe pour tout le monde tous les jours, il y a des tas d’invités de passage et pas de passage, c’est table ouverte, vingt à trente personnes. Un peu euphorique, Wells se marre avec des petites formules du style La Belle Epoque meets Grand Guignol. La villa se trouve à Villefranche-sur-Mer, tout près de Nice. Wells rappelle que la villa Nellcôte fut pendant la guerre une officine de la Gestapo, donc on trouve des trucs à la cave. Un jeune photographe nommé Dominique Tarlé vient faire un jour faire quelques photos, il accepte de rester le soir et finira par séjourner six mois à Nellcôte. En plus de la bouffe et de l’entretien, Anita doit s’occuper des enfants. Elle fait restaurer la cuisine et embauche un chef. Comme elle parle plusieurs langues, elle gère tout, y compris les fournisseurs. On ne sert qu’un seul repas par jour, vers 18 h, a big meal, tout le monde fume des joints à table et la nuit, on enregistre. Le séjour dure neuf mois et la liste des gens de passage est impressionnante, ça va d’Alain Delon et Catherine Deneuve à John Lennon et Yoko Ono, Terry Southern et Williams Burroughs. Puis les choses se dégradent quand des petits dealers locaux s’installent dans un pavillon au fond du jardin. Encore une mauvaise idée d’Anita. Là ça devient ingérable, les mecs entrent dans la villa et chourent tout ce qu’ils peuvent, des guitares, des bijoux, du cash, c’est un paradis pour les voleurs. Keef le vit mal car une douzaine de ses guitares disparaissent, dont sa Telecaster préférée. Puis des rumeurs de trafic de drogue commencent à circuler et les poulets s’en mêlent. Les Stones vont devoir une nouvelle fois filer à la cloche de bois, en laissant tout sur place.

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    Et puis la relation entre Keef et Anita se détériore. Ils font de la détox tous les deux et comme chacun sait, la détox réactive la libido. Keef recommence à avoir les mains baladeuses, mais pas avec Anita qui a pris du poids et qui n’est plus trop baisable. Keef préfère les formes rebondies d’un mannequin nommé Ushi Obermaier, encore une Allemande, décidément. Anita s’installe à New York et doit se contenter de demi-portions comme Richard Llyod, ce qui quand même laisse songeur, quand on sait qu’elle s’est tapée Brian Jones ET Keith Richards. Mais officiellement, Keith et Anita sont toujours ensemble. Ils ont une maison de famille à South Salem, jusqu’au moment où un jeune mec nommé Cantrell qui est amoureux d’Anita se tire une balle dans la tête avec l’un des calibres de Keef. C’est la fin de la relation entre Keef et Anita. Keef vend la baraque. Chacun pour soi et Dieu pour tous. De toute façon, les enfants sont grands. Donc bye bye Anita. Il y a eu assez de catastrophes comme ça. Brian Jones, Tara, Cantrell, ça suffit.

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    Anita et Keef ont maintenant des petits enfants. Ils se revoient de temps à autre dans des réunions de famille. Keef avoue qu’il reste quelque chose du sentiment qui les unissait avant. Il dit qu’il aime Anita mais qu’il ne peut pas vivre avec elle - And we’re proud grandparents, which we never thought we’d ever see - Eh oui, quand Anita et Keef ont eu Tara et Angela, ils étaient junkies et personne n’aurait misé un seul kopeck sur leur avenir, vu la gueule de morts vivants qu’ils tiraient. Keef va même réussir à survivre à Anita. Elle casse sa pipe en 2017. C’est à Keef que revient l’honneur du dernier mot, chance que n’eût pas le pauvre Brian : «Long may she not rest in peace, because she hates peace !»

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    Signé : Cazengler, Pellenberk

    Simon Wells. She’s a Rainbow: The Extraordinary Life of Anita Pallenberg. Omnibus Press 2020

     

    In Mod we trust - Part One -

    Piller (re)tombe pile

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    Eddie Piller tombe toujours pile. Pas de filler chez Piller. Eddie Piller est certainement le plus habilité de tous à inaugurer cette exploration intensive du Mod World que va proposer dans les prochains mois l’In Mod we trust. Par l’arrogance de sa suffisance, cette chronique des temps MODernes ne manquera pas de trahir une coupable mais massive consommation de paires d’uppers, absolument nécessaires pour d’une part écouter les Jam sans s’endormir et d’autre part doter la plume d’un tonus capable de l’envoyer valdinguer comme un vulgaire scooter dans le premier virage. Tous ceux qui sont montés là-dessus savent que le scoot est l’un des meilleurs moyens de se casser la gueule.

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    Annoncé dans la presse anglaise à grands renforts de tambours et de trompettes, Eddie Piller Presents The Mod Revival est une box indispensable à toute cervelle encore un peu rose. Pour plusieurs raisons. Un, Piller tombe toujours pile. Deux il écrit lui-même son texte de présentation, et ce qu’il écrit tombe toujours pile. Trois, il nous propose avec les cent titres répartis sur quatre CDs une sélection qui est la sienne et qui ne fait pas trop double emploi avec l’autre Mod Box déterminante, Millions Like Us, qu’un Part Two va se charger d’éplucher.

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    Eddie Piller fait remonter le Mod Revival aux early mid-seventies et cite trois groupes en référence : Dr. Feelgood, The Hammersmith Gorillas et Eddie & The Hot Rods. Et pouf, il présente le teenage Mod Jesse Hector qui dans cette période avait transformé his sixties obsession into a hard and angry mod-influenced rock band. Il cite aussi The Radio Stars fronted by the John’s Children mod face Andy Ellison. Puis bien sûr, il embraye sur les Jam qui fut le premier Mod revival band à émerger en 1977, suivi de près par les Écossais de The Jolt. Puis il évoque la formation en 1978 de The New Hearts avec Dave Cairns et Ian Page, qu’Eddie connaît bien puisqu’il grandit dans le même coin qu’eux, à Woodford. Des New Hearts qui par la suite allaient devenir Secret Affair. Il situe une autre source à l’origine du Mod revival dans le booklet de Quadrophenia, paru en 1973 - while completely no-mod in its creative musical style - Selon Eddie Piller, le booklet donna à des milliers de kids their first glimpse of the exotic and forgotten world of the mod. Scooter, target T shirts, feathercut hairstyles and the ubiquitus US Army parka - Le booklet allait aussi donner aux kids américains their first taste of this very British phenomemnon. Puis c’est l’apparition en 1978 des Mekons et de Gang Of Four, et à quelques rares exceptions près (Gary Bushell dans Sounds et Adrian Thrills dans le NME), les journalistes ignorent complètement la naissance du Mod revival. C’est en février 1979 que le mod revival devient le Mod Revival, quand les Jam viennent jouer à Paris, suivis par 50 ou 60 early London mods. Puis ça explose en Angleterre - Suddenly mod was everywhere - Chords, Secret Affair, les Jam, Long Tall Shorty, tout ça au Marquee, in the wake of the maximum r’n’b. En 1979 paraît le fameux Mods Mayday, avec 6 groupes, dont les Merton Parkas et les Chords, enregistrés live. Côté labels, c’est la curée. Tout le monde veut rééditer l’exploit de Stiff avec «New Rose». Jimmy Pursey tombe amoureux du Mod Revival, qu’il voit plus working class que le punk. Il signe sur son label les Chords, les Low Numbers et Long Tall Shorty. Mais comme le dit Eddie, les choses ne sont jamais simples avec Jimmy Pursey qui va voir son business s’écrouler. Secret Affair a plus de chance, puisque leur manager s’appelle Bryan Morrison, un vétéran du Swinging London que Piller qualifie de powerful. C’est aussi en 1979 qu’apparaît la fameuse ska-scene. Tout va bien jusqu’en 1982 : Paul Weller arrête les Jam alors qu’ils sont at their peak. Terminus, tout le monde descend - Mod just went back underground - Et c’est là qu’Eddie situe la deuxième vague du Mod Revival avec Makin’ Time, The Prisoners, The Times, Small World, Fast Eddie et The Moment. Une deuxième vague qui dure six ans, until the 1988 acid house explosion that destroyed British youth culture as we knew it. Deux ans plus tard, Mod was still there but it had changed. Les Prisoners étaient devenus deux groupes : le James Taylor Quartet et les Prime Movers, et Makin’ Time avait engendré les Charlatans - Bizarre qu’Eddie Piller oublie de citer Fay Hallam - Puis c’est la Britpop, plus rien à voir. Eddie Piller termine sur une grosse bouffée de nostalgie : «And the broad church of Mod, in its many forms is still with us today - but nothing, and I mean nothing could replace the sheer excitement of that first summer of 1979. The twisted wheel keeps on turning.» Magnifico.

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    Maintenant la box. Le disk 1 démarre avec The Jam et «I Got By In Time». Désolé Eddie, mais ce n’est pas révolutionnaire. C’est trop énervé et chanté comme ça peut. Pas bien stable dans les virages. Par contre, The Jolt passe comme une lettre à la poste. «I Can’t Wait» est plus décidé à vaincre, bon d’accord, le gratté d’accords ne vaut pas celui des Who, mais ils développent une belle énergie, hey hey hey ! Le relentless de leur Mod rock sent bon le reviens-y. Cette box est passionnante car Piller offre un panorama assez complet en allant piocher à droite et à gauche, comme par exemple chez les Inmates, simplement parce qu’il aime bien leur son, notamment cette reprise de «Dirty Water». En fait, ce qui frappe le plus sur cette box, c’est que non seulement elle grouille de pépites, mais elle regorge aussi d’énergie, elle tient bien la distance des 100 cuts, on ne s’ennuie pas un seul instant et petite cerise sur le gâteau, on fait de sacrées découvertes. Car Eddie Piller nous fait écouter sa collection de singles, et c’est une véritable caverne d’Ali-Baba. Si tu en pinces pour le son, pour l’énergie, pour la découverte, cette box te tend les bras. La bombe du disk 1, c’est «Your Side Of Heaven» par Back To Zero : bien riffé dans la gueule du rock, down in London town, ce hit s’élève dans le fog comme un totem Mod. On retrouve bien sûr les Purple Hearts avec «Frustration», on sent battre le heartbeat Mod, c’est bien amené, just perfect. Belle surprise avec l’«Only A Fool» des New Hearts qui sonnent comme des Américains de London town, et ils ramènent un son incroyable, c’est puissant et chanté à outrance, on comprend qu’Eddie Piller puisse adorer ça. Pur Mod Sound avec l’«Opening Up» de The Circles, ils font du hymnique pur bien orienté vers l’avenir. Il existe forcément un groupe qui s’appelle The Mods. Les voilà avec «One Of The Boys», alors bienvenue au paradis des Mods, ils vont vite en besogne. Eddie Piller choisit bien ses groupes. Tout est basé sur le niveau d’énervement, c’est tapé dans la cuisine, ces mecs sont les rois du raw. Encore une révélation avec Tony Tonik et «Just A Little Mod», il chante d’une voix de Master & Commander, un vrai Moddish king of the saturday nite, Eddie Piller a raison de le ramener dans l’arène, Tony Tonik tient bien le choc. Bizarrement, les Chords ne marchent pas dans cet environnement, ils sonnent comme des libellules, alors qu’ils sont très puissants. Chris Pope visait la perfe avec «The British Way Of Life», cut balèze mais trop délicat dans le contexte de cette pétaudière. Pareil, les Teenbeats ne marchent pas non plus : trop énervés pour monter sur des scooters, trop punk, mais il s’agit d’un punk à l’anglaise, assez working class, no way out, oui, mais avec un certain esprit gluant. Les punksters anglais ont un éclat que n’auront jamais les punksters américains. Speedball est là aussi avec «No Survivors», ils foncent dans le tas, on y reviendra. Tiens voilà The Cigarettes avec «They’re Back Again Here They Come». Le mec chante à la Rotten, il fait un punk Mod de cockney downhome. On retrouve aussi les excellents Long Tall Shorty, assez cultes en Angleterre. Ils jouent leur «Falling For You» au rock’n’roll high energy. Quant au «Don’t Throw Your Life Away» de Beggar, c’est assez bordélique. Ah les jeunes ! Il faut bien qu’ils s’expriment, mais c’est un son de MJC avec du solo crade. Encore du son dans le «No Way Out» des Fixations. Eddie Piller a raison de ramener ces groupes dans sa box, tout est bien ici, Eddie Piller est comme Gandhi, il est le bienfaiteur de l’humanité Mod. Avec «Paint A Day», The Leepers vont plus sur la pop, mais ils ont la bénédiction d’Eddie Pïller, alors laissons-les tenter de sauver le monde. Plus loin, les Two Tone Pinks s’exacerbent avec «Look But Don’t Touch», c’est très anglais, très skabeat, mais c’est mal chanté et on retourne à la MJC avec les Elite (sic) et «Get A Job». Eddie leur donne une chance d’exister, c’est du sans espoir qui a le mérite d’exister.

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    Eddie Piller lance son disk 2 avec Secret Affair et «Let Your Heart Dance». Boom ! Ces démons de Secret Affair ont tout compris, ils ramènent des cuivres, et là tu danses, avec tes petits bras et tes petites jambes. C’est tellement parfait que ça frise le génie. Toute l’Angleterre danse et voilà qu’arrive un solo de sax ! Ils montent des gammes dans le feu de l’action. L’autre énormité cabalistique du disk 2 est «Fuck Art Let’s Dance» par The Name. C’est de l’in the face d’Ace the face drivé au big power. Ces mecs savent de quoi ils parlent. Tout est dans le drive. On retrouve bien sûr les Lambrettas et les Mertons Parkas, les premiers avec «Go Steady», bardé d’énergie juvénile et de scoot italien, fabuleux beat élastique, et les Parkas avec «Flat 19», encore plus Moddish, bien tendu, bravo Merton, Mod all over the place, chanté à l’énergie pure. «Flat 19» est l’un des grands classiques MODernes. On retrouve des cuivres dans l’excellent «Let Him Have It» de The Bureau, c’est un son tellement anglais ! Le «Does Stephanie Knows» de Squire est assez déterminé à plaire. Ce psyché Mod basé sur le Stephanie de Love est visité par les esprits et bien jointé au chant. Une autre petite merveille : «Life On An L.I?» de The Sets, battu sec et allumé au riffing perpétuel, avec un clone de Daltrey au chant et un guitariste qui se faufile entre les jambes, comme un petit serpent proto-Mod. C’est d’une qualité qui subjugue, leur tension est assez rare, alors on y revient. Big sound encore avec le «What I Want» des Donkeys. Quelle envolée ! C’est gorgé de riffing, tout ici est joué à l’énergie maximaliste, sommet du Mod blast. Superbe. Oh il ne faudrait pas oublier de saluer les Crooks avec «Modern Boys», pur jus de Whoish, les chœurs sont un hommage aux Who. Ils font une descente dans la mythologie. Même les claqués d’accords sont whoish. Eddie Piller sait pourquoi il sélectionne des trucs comme «Let Me Be The One» par The Steps : pour le shuffle de cuivres. C’est du haut niveau. Même chose pour Small Hours avec «Can’t Do Without You», c’est cuivré de frais, mais la voix est un peu forcée, dommage. Il n’empêche qu’Eddie Piller les induit dans son Hall of Fame, alors ça passe. Ça finit même par devenir assez beau. Curieux, non ? Il ramène aussi les Dexy’s Midnight Runners et «Dance Stance». On s’en serait douté. Les Dexys sont trop puissants pour ce genre de box, mais il semble logique qu’Eddie Piller puisse les admirer. Il enchaîne à la suite Nine Below Zero et Madness, qui arrivent comme des évidences. Il passe ensuite par une petite zone ska avec The Akrylyx et The Media, puis avec The Little Roosters, on échappe au Mod Sound. Les Roosters doivent être les premiers surpris de se retrouver sur la compile d’Eddie Piller. En fait, il accueille tous les chiens écrasés de la scène anglaise, et c’est bien. Les Hidden Charms sont un peu plus putassiers et plus loin, The Reaction nous envoie avec «I Can’t Resist» une belle giclée de Mod spirit dans l’œil. Ils chantent à la pointe de l’exaction, c’est excellent. Tous ces singles sont excellents. Quelle profusion ! Et ça continue avec The Killometers («Why Should It Happen To Me») et le ska des Colours («The Dance»).

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    Des quatre disks de la box, le 3 est sans doute le plus énervé. Il suffit d’aller écouter le «101 Dam-Nations» de Scarlet Party : ces mecs s’explosent la rate dans la nuit Mod, ils jouent au power d’outer space, ça sonne comme l’injonction du génie mélodique. Avec Eddie Piller, tu n’es pas au bout de tes surprises. L’autre bombe du disk 3 est le «Train To London Town» de Solid State. Ils allument bien la gueule du mythe. Merci Eddie Piller de nous ramener tous ces singles extraordinaires. L’énergie Moddish nous fend le cœur. On l’a dit, ce disk 3 grouille d’énormités, comme Mood Six avec un «Hanging Around» fabuleusement agressif, plein de son et plein d’allant. On croise rarement des groupes aussi brillants. The Onlookers amènent «You And I» au son des London Mods, avec un sens de l’ouverture extraordinaire, voilà le génie des Mods, un subtil mélange de punk et de cockney, une excellence explosive et une basse qui pouette dans le son, all along the way. Vas-y Onlooker ! T’auras jamais mieux. Avec «The More That I Teach You», Les Prisoners sonnent comme une évidence. Graham Day ne rigole pas avec le Teach You, il va même bien au-delà de Piller et de sa box, il pulse son Mod Sound à coups de nappes d’orgue et bien sûr, c’est une énormité. Encore une belle agressivité avec The Scene et «Something That You Said». Ces mecs mélangent le mad psyché au pah pah pah et ça donne une émulsion explosive. Encore du Moddish as hell avec le «Go» des Heartbeats. Ils nous font le coup du get go du coin de la rue, c’est encore une fois brillant et plein d’énergie. Eddie Piller nous déterre encore une merveille : The Risk avec «Good Together», ces arbitres des élégances font une Soul de rêve, une Soul inespérée de grandeur tutélaire, puis les Little Murders chantent un ton en dessous avec «She Lets Me Know», presque pop, mais quelle belle teneur de la ferveur, ils sautent sur le râble de leur cut. Encore du pur jus de Mod Sound avec The Kick et «Stuck On The Edge Of A Blade», c’est taillé dans la masse du beat, allumé dans la gueule, chanté à la cavalcade, infernal, trop d’énergie, tu n’entendras ça qu’une seule fois dans ta vie, alors profites-en. T’es pas prêt de revoir des groupes de ce calibre. Petits calibres et gros calibres, tout ici est invincible. Même le heavy boogie des Long Ryders qui ouvrent le bal du disk 3 avec «Looking For Lewis And Clark». Eddie Piller aime le boogie, donc ça s’explique. S’il sélectionne les Long Ryders, c’est pour leur power, rien que leur power. Avec «I Helped Patrick McGoohan Escape», les Times d’Ed Ball font du Spencer Davis group. C’est leur façon de saluer les ancêtres. On croise plus loin des VIPs qui n’ont rien à voir avec le gang de Mike Harrison. Nouvelle flambée de Mod craze avec Sema 4 et «Up Down And Around», ils nous font le coup de l’équation magique : accords + frénésie + bass drive = wild Mod sound. Les Variations d’Eddie Piller ne sont pas les Français et le «Can You See Me» de 007 déploie une belle énergie de scoot. Ces mecs ont du gusto à revendre, ils pulsent bien leur background social, avec des oh oho oh et une basse voyageuse. Avec «The Faker», The Gents impressionnent aussi, ils font leur truc, une petite Mod pop sans espoir de débouché, mais quelle fraîcheur ! Le «Can We Go Dancing» des Amber Squad sent bon le working class, avec son chant âpre et sa guitare ferrailleuse. Encore une fois, tout est bien ici, le «No Vacancies» de The Clues est assez glorieux, ces mecs chantent vraiment au coin de la rue, ils sont dans leur Mod culture avec tous les défauts et les qualités du genre, la voix est trop mâle, mais diable comme le guitariste est bon !

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    Et forcément le disk 4 grouille encore de merveilles comme «The Other Me» de Studio 68, stupéfiante dégelée envoyée par des surdoués du Mod Sound, ils mettent les bouchées doubles, Piller et sa box explosent avec Studio 68, c’est noyé d’orgue et d’élégance, on se demande vraiment d’où sortent de telles merveilles. Avec «Nor The Engine Driver», les Daggermen n’ont rien à envier aux Who, ils allument leur cut aux chœurs, c’est turgescent, you again, ces mecs jouent dans l’urgence du Whoish System, un vrai crève-cœur. Parmi les groupes les plus connus, on retrouve The Inspiral Carpets avec «Saturn 5», powerfull mélange de claviers, de basse et de fuzz, ça déborde vite, avec ce monstrueux loop de claviers. Makin’ Time est là aussi avec «Here Is My Number», et la bass attack de «Lust For Life» mais ils amènent leur truc assez vite, on comprend qu’ils soient entrés dans la légende. On se demande ce que Five Thrity fait ici et pourtant leur «Abstain» a du potentiel. Eddie Piller a de l’oreille, il a repéré Tara Milton et son dégouliné d’accords jetés dans le brasier. Sa Mod pop anglaise est un modèle. Autre groupe connu comme le loup blanc : Ocean Colour Scene avec «The Day We Caught The Train», ils naviguent dans une autre veine, plus pub rock mais bon, Eddie Piller les aime bien. Pareil pour le James Taylor Quartet, présent avec «One Way Street», big energy, ils sont bien plus puissants en instro qu’avec du chant. Et puis il y a le bataillon des moins connus, comme The Truth qui ouvre le bal du disk 4 avec «Confusion (Hits Us Every Time)», ces mecs sont bons, ils bouffent la bande passante, tout est balèze, les chœurs, les envois de renforts et les retours sur investissements, chœurs de Who et revival craze, c’est l’un des mad Mod blasts les plus réussis, maturité du chant et big sound, the Truth forever ! Eddie Piller adore les cuivres, alors voilà The Blades avec «Revelations Of Heartbreak». On le sait, les Corduroy sont les rois de l’instro avec le James Taylor Quartet et «E Type» ne fait pas exception à la règle. Ça rampe sous la carpette des Mods, ces mecs jouent la carte du heavy groove à la roulette russe, Eddie Piller a 100 fois raison de ramener ces mecs dans la box, ils sont féroces, ils jouent le shuffle à la vie à la mort. Aw my Gawd, quelle énergie ! C’est la basse qui drive ce jazz beat. Puis Mother Earth embarque «Stoned Woman» au shuffle d’orgue, ils jouent la même carte d’instro demented et la voix apparaît sur la tard. Tous les groupes de la box ont du son, et The Strangeways crèvent le plafond avec «All The Sounds Of Fear». Le Mod craze n’est pas une vue de l’esprit, c’est une culture, une esthétique, un fabuleux pactole de vie. Stupidity casse encore la baraque avec «Bend Don’t Break», une vraie petite merveille coulissante, avec des coups de trompette et des cuivres fabuleux. D’intérêt encore supérieur, voici les E-Types avec «She Changes» et les Elements finissent par échapper aux Mods avec «Caught In A Storm». Merci Eddie Piller pour cette belle box et ce «Caught In The Storm» qui finit en beauté. Tous les groupes présents sur cette box doivent être fiers.

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    Dans un Shindig! de l’an passé, Eddie Piller présente une douzaine de ses disques favoris, et chacun de ses commentaires tombe pile. Il démarre avec les Saints et «Know Your Product», nous racontant que le copain de sa mère travaille en 1978 chez EMI. Comme Eddie est malade avec la variole, il ne va pas à l’école et il écoute les 45 tours que lui ramène le dit copain. Pouf, il tombe sur «I’m Stranded» - This record changed my life - Mais il trouve «Perfect Day» encore mieux - J’aimais tellement le groupe que j’ai économisé two grand pour les suivre sur une tournée australienne quand j’avais 17 ans - Et il termine avec ça : «One of the most underrated bands of all time.» L’autre surprise, c’est Todd Rundgren avec «I Saw The Light». Il découvre ce hit quand il bosse pour la filiale anglaise de Bearsville, le label de Rundgren, qui prépare une compile. Eddie Piller se dit convaincu du génie de Rundgren. Il connaît aussi «Open My Eyes» des Nazz - He was one of the few American mods who really got the concept - Et il conclut avec l’une de ses chutes prophétiques : «One of life’s good guys.» Attention, ça monte encore d’un cran avec le «Tin Soldier» des Small Faces - Quite simply the best rock record ever recorded - Eddie nous rappelle que sa mère s’occupait du early fan club des Small Faces avant d’être virée par Don Arden - Le groupe était incroyable et si Marriott hadn’t fucked it up and opened the door to Rod, ils auraient été le biggest British band of the ‘60s (apart from the Beatles ans Stones of course) - Bon, ça chauffe encore avec The Action et «Wasn’t It You» - Reg King formed the best Brisitish mod band of all time - Il se reprend : «No, fuck that, they were the best British band of all time.» Eddie Piller est le fan number one en Angleterre, il ne mégote pas sur l’enthousiasme et c’est pour ça qu’on le vénère et qu’on l’écoute attentivement. Il rappelle en outre que George Martin pensait le plus grand bien de The Action. Eddie surenchérit : «The Action are the most criminally underrated band of all time.» Voici «Orgasm Addict» des Buzzcocks, the first band I ever saw - The post-Howard Devoto line-up was, for me at least, the perfect mod band - Angular guitars with guenine modernist sleeves. Steve Diggle is still one of my heroes - Grâce à ce single, Eddie fut renvoyé de l’école. Bon, il ramène aussi les Jam avec «I Got By In Time» - Weller and his three piece introduced me to the main motivating factor of my life, Mod - Puis il suit le groupe religieusement. Il indique au passage que Weller a toujours voulu nier le Mod Revival - He thought he was alone on his mod crusade - Il n’était pas seul, s’exclame Eddie, we were with him and there were millions like us. Il cite à la suite le «Walk On By» des Stranglers, le single qui l’a initié à l’Hammond organ. Il flashe aussi sur «Ventura Highway» d’America (Sonic genius) et sur «Lady Day And John Coltrane» de Gil Scott-Heron (This record is just one of the best dance records of all time). Il revient sur The Style Council («Shout To The Pop») qu’il qualifie de perfect pop band - Suburban jazz-funk with a super cool aesthetic and razor-sharp political lyrics - Il qualifie «Expansions» de Lonnie Liston Smith de perfection et termine avec l’«Ordinary Joe» de Terry Callier. Eddie Piller rappelle qu’il a passé six semaines en 1989 à rechercher Terry Callier, car il avait arrêté la musique pour travailler dans le bâtiment. Eddie n’avait qu’une obsession : faire redémarrer sa carrière. Il a finalement réussi à l’avoir au téléphone mais Terry ne voulait rien entendre. Mais Eddie est tenace et il a fini par le convaincre de venir jouer à Londres - The nicest man in music bar none.

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    Dans un numéro Special Mods de Vive Le Rock paru aussi l’an dernier, Paula Frost invite Eddie Piller à présenter sa box. L’occasion est trop belle de revenir sur l’historique évoqué plus haut, qu’il complète avec des petites infos pilleriques. Il indique par exemple qu’il aimait bien la scène punk, «but I became a Mod after a Stiff Little Fingers gig.» En rentrant chez lui en train de banlieue après le concert des Stiff, Eddie voit un mec bomber le mot ‘Mods’ sur un mur. Comme il ne savait pas ce que ‘Mods’ voulait dire, il va trouver le bombeur et lui pose la question. En guise de réponse, le bombeur l’invite à venir voir The Chords le lendemain soir à Deptford. Le lendemain, quand il voit les kids en parkas, Eddie se dit : «This is the life for me». En 1979, il devient un Mod obsessed et co-fonde le fanzine Extraordinary Sensastions. Et pouf, The Chords, Secret Affair et les Jam. En 1979, le Mod Revival était encore un mouvement underground à Londres. Eddie indique qu’il n’y avait alors que 200 Mods, puis le mouvement à gagné le Nord de l’Angleterre - that ran up north into northern soul and scooter clubs - Mais dans la presse, personne ne prend le Mod Revival au sérieux. Les journalistes les rattachent au pub-rock ou les dénigrent - It’s a joke - mais bon, le mouvement tient bon car les groupes sont bons, ils sont même nettement plus intéressants que la deuxième vague punk et l’ennuyeuse new wave. Les groupes nous dit Eddie sont différents - We were basically punks with parkas on - Il ajoute que les Purple Hearts et les Chords étaient assez proches des Undertones, et c’est Quadrophenia qui déclenche tout.

    Signé : Cazengler, tripe à la mod de Caen

    Eddie Piller Presents The Mod Revival. Box Demon Records 2020

    Ace Face. Shindig! # 107 - September 2020

    Time For Action. Vive Le Rock # 75 - 2020

    ANIMAL MAN

    DHOLE

    ( Mai 2021 )

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    Faut avoir vu la pochette de leur premier album ( paru en 2015 ) avant de regarder celle de leur deuxième. Cette précaution élémentaire empêchera certains ( et certaines ) de déclencher la farandole des colères inutiles. L'opus n° 1 sobrement porte sobrement l'unique mention Dhole. Pour les bouffons incapables de réciter par cœur L'histoire naturelle de Buffon nous rappelons que le dhole est un canidé d'une belle couleur rousse originaire d'Asie qui par son apparence physique et son mode de vie s'apparente au loup, vit en meutes qui n'hésitent pas à s'attaquer à des animaux dangereux telles les panthères. Il est donc tout à fait logique que cette pochette du premier enregistrement de Dhole, Wild Society, nous offre la photo d'un gros plan d'une carnassière gueule de dhole prête à mordre. Excellent symbole pour un groupe de punks rebelles qui n'a pas envie de se laisser marcher sur les pattes, et prêt à s'attaquer à tout ce qui ne lui revient pas.

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    Pour la petite histoire du rock'n'roll, le kr'tntreader ne manquera pas de faire le rapprochement avec les pochettes du Live de Steppenwolf et de Tears, Toil, Sweat & Blood de Walter's Carabine, enregistré au Swampland Studio ( se reporter à l'article du Cat Zengler de la précédente livraison 517 ) groupe dans lequel officient Joe Ilharreguy et Marius Duflot que l'on retrouve comme par hasard dans Dhole.

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    Enfin nous arrivons au deuxième album de Dhole Animal Man, aucun cousin du lycaon sur la couve, aucun autre animal non plus, enfin si, celui que l'on n'attend pas, un homme, il est vrai que si les naturalistes inscrivent sans problème et sans remords notre espèce dans le règne animal, la plupart de nos congénères se considèrent d'un cran plus élevé que nos amis les bêtes, nous répugnons à confondre les torchons avec les serviettes, nous restons persuadés que nous sommes d'une essence supérieure. Dhole le groupe se refuse donc à ce subtil distinguo, nous ne valons pas plus que les autres bestioles, l'homme est juste un animal, pas plus ni moins et pour prouver leur assertion z'ont déniché la photo d'un très beau spécimen, un mâle blanc hyper-machiste s'insurgeront les guildes féministes, le cigare conquérant tendu comme un sexe en érection, un sceptre royal, un prédateur, les yeux froncés, fixés sur l'horizon, sans doute pour ne pas laisser échapper une proie, à le regarder l'on se dit que l'homme est un dhole pour l'homme ( et la femme ). L'homme est aussi un carnassier, ne mange pas sa victime consentante mais la croque volontiers.

    Marius Duflot : guitar, vox, synthé / Baptiste Dosdat : basse / Joce Ilharreguy : drums, percus.

    Evil girlfriend : bruizarre, bruizarre, j'ai bien dit bruizarre, serait-ce l'imitation approximative du bruit qu'émet le guttural gosier du dhole en période de reproduction, l'on s'attendait à une avalanche de gros son, une agression punk dument sur-calibrée et nous avons affaire à un phénomène qui échappe à tout ce à quoi une oreille puisse s'attendre, la suite est encore plus aventureuse, cette guitare et cette basse incapables de produire une franche sonorité, une batterie qui joue à la fragmentation éparpillative de la frappe, et cette voix qui semble n'avoir pour but que de ne pas être entendue tout en voulant qu'on la remarque. Cette fille est vraiment diabolique elle déstabilise le cortex de l'auditeur moyen. She's mine : double surprise cette fois-ci, serait-on parti pour une croisière au bon son, bon ce n'est pas Le beau Danube bleu non plus, mais enfin cela s'écouterait sans trop de problème s'il n'y avait pas ce vocal d'asthmatique répétitif, c'est fou comme la parole humaine peut provoquer des catastrophes auditives, aucun kr'tntreader ne me croira après ce que j'ai dit sur le morceau précédent, ce truc ressemble à une chute studio pas très longue des Beatles ( deuxième période expérimentale ), une espèce de déconstruction derridienne de la chanson rock. S'ils continuent comme cela, vont nous rendre chèvres. Celle de Monsieur Seguin attaquée au petit matin par un grand méchant dhole. Sticky eyes : sûr que l'on ne se méfie pas, pas question de les suivre les yeux fermés, mais les trompes d'Eustache en alerte maximum, c'est un peu la suite du précédent, même style, en plus rapide, agrémentée d'une urgence ambulatoire, tentent de pousser l'expérience au bout de ses limites, c'est du haché maison tout cru mais robotisé, une dégringolade d'escalier avec au bout la trappe du palier qui s'entrouvre et vous happe sans ménagement. Descendez au sous-sol, il n'y a plus rien à entendre. Le temps de reprendre vos esprits vous vous apercevez qu'il y a eu dans le monde deux grands évènements : le massacre des bébés phoques dans les sixties et celui opéré plus tard par des groupes de rock inconscients qui ont décidé de massacrer les sixties elles-mêmes, fils de mauvaises familles qui dilapident l'héritage consciencieusement amassés par les générations précédentes dans l'envie rimbaldienne de trouver du nouveau. Wrong : vous comprenez que cela ne peut pas durer, vont tous se retrouver à l'asile, ces fils dévoyés faut bien qu'ils servent à quelque chose, qu'ils accèdent au moins au statut d'objets vivants d'étude, cela permettra d'économiser le prix des souris de laboratoire, le résultat est atterrant, l'ensemble ressemble à des coupes de cerveaux longitudinalement étirés, rien à en tirer, c'est mou comme du chewing gum, ça colle aux gencives, mais reconnaissons-le le goût n'est pas mauvais, nous en reprendrions bien une deuxième dose. Stay at home ( when you want to go out ) : le morceau précédent n'avait qu'un seul défaut sa lenteur escargotique alors sur celui-ci ils rattrapent temps perdu, à toute vitesse, se sont entassés dans une 2Chevaux cahotique après avoir saboté les freins, font les essais sur une pente savonneuse, un peu foutraque, mais ils s'amusent bien, nous aussi. En plus à la fin c'est eux qui crashent, pour nous que du plaisir. Bully : apparemment s'en sont sortis vivants car ils envoient la daube à grosses louches, faut tout de même qu'ils gâchent tout, jouent aux élastiques vocaux et bientôt c'est du n'importe quoi contrôlé, z'ont de la suite dans les idées, ils sont le cheval fou et l'auditeur se doit à un moment ou à un autre être désarçonné. C'est leur manière à eux d'emballer.  Primitive ( cover ) : on ne peut rien vous cacher depuis quelques temps l'on sentait quelques crampes nous monter le long de l'œsophage et des rotules, là ils allument la luxmière à tous les étages, sont trop près du modèle sur la première moitié du morceau, il ne faut jamais hésiter à tuer le maître dès la première seconde, se lâchent un peu par la suite, se permettent quelques fantaisies, mais pas assez iconoclastes à notre goût. Z'auraient peut-être dû reprendre une tranche de Captain Beefheart. Water will dry : se rattrapent sur le dernier morceau avec ce bruit de lessiveuse caverneuse et cette voix qui nous annonce une apocalypse somme toute joyeuse si l'on en juge aux intonations simili-africaines du vocal qui prédit l'estocade finale, des buveurs, l'on sent que la race dholienne ne connaîtra pas l'extinction des dinosaures, sont trop malins et trop doués pour se faire rattraper par le cataclysme sonoriquement avarié qu'ils ont suscité.

    Un opus majeur. A écouter. Musicalement aventureux. Un must zical.

    Damie Chad.

    *

    EUROPEAN SLAVES

    CRASHBIRDS

    ( YT / Juin 2021 )

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    Depuis ce doux pays pluvieux de Bretagne où le beurre est aussi salé que les larmes, les Cui-Cui nous adressent leur nouvelle vidéo. Une mauvaise habitude que le confinement a renforcée. L'avant-dernière Silence ( assez bruiteuse tout de même ), la précédente You can't always get what you want, reprise des Stones, ( qui nous en a donné pour notre plaisir ) et la toute dernière, cet European Slaves. Mettons les choses un peu au point, pour ceux qui risqueraient être choqués par la voix cinglante de Delphine, qui claquera en leur esprit comme le fouet sur le dos de l'esclave, et qui se trouveraient vexés d'être ainsi injustement rabaissés...

    RAPPEL GEOGRAPHICO-HISTORIAL

    Depuis la fin des cueilleurs-chasseurs, l'Humanité a connu trois époques : celle de l'esclavage, celle du servage, celle du salariat. Par chance, s'écrient les âmes primesautières, nous vivons en le troisième tronçon de l'amélioration sociétale. Nous ne sommes plus des esclaves accablés sans aucune contre-partie jusqu'à notre mort de travaux pénibles, de même nous ne sommes plus des serfs attachés à la terre que nous labourons gratuitement pour nos maîtres, nous vivons en une époque magnifique, nous sommes libres de vendre notre force de travail à qui veut l'acheter. Et nous dépensons notre paye comme nous le voulons. Certes souvent notre rétribution est un peu maigre voire insuffisante, mais tant que nous avons un travail plus ou moins bien payé, tout ne va pas si mal que cela. Il y a eu pire même si ce n'est pas encore le top supérieur. Optimisme ravageur. Qui oublie que les trois étapes susnommées ne représentent que des variantes adaptalisées selon les nécessités productales des besoins plus ou moins différents d'une même exploitation...

    Ces idées générales pour traiter du mot ''slaves'' qui constitue la deuxième partie du titre. Le premier mot ''European'' est davantage inquiétant. Comme nous sommes européens puisque nous vivons en Europe, nous nous sentons géographiquement concernés par ce premier vocable. N' y a pas que la Géographie qui soit européenne, l'Histoire l'est aussi. Et puisqu'il faut aborder les sujets qui fâchent, ces dernières décennies l'Histoire Européenne nous laisse pour le moins dubitatifs...

    DE BRIC ET DE BROC

    Le sujet est complexe. Mais les Crashbirds n'ont peur de rien. L'on pourrait accroire qu'ils se sont retirés en Bretagne pour durant une bonne quinzaine d'années rédiger une thèse de plusieurs milliers de pages ( que personne n'aura le courage de lire ) afin de nous exposer leurs idées sur la question. Ben non, se contentés de prendre leurs guitares, de se munir de bouts de cartons, d'une pochette de feutres, d'une poignée de rivets, et d'une paire de ciseaux pour découper les dépliants publicitaires de leur boîte à lettres, z'étaient si sûrs de leur coup qu'ils n'ont même pas eu besoin de demander à leur chat de participer à leur projet. Que voulez-vous, les situations critiques relèvent de la plus grande urgence.

    LE CONSTAT DE DEPART

    Sont partis d'un constat simple : comment se fait-il que leur album European Slaves hormis l'accueil chaleureux du public et de la presse rock n'ait pas suscité un tumulte effroyable parmi les larges masses amorphes de la population. Nous sommes au siècle de l'image, malgré la superbe pochette de l'album dessinée par Pierre Lehoulier, il a manqué ils ne savaient pas quoi au juste pour que le pays prenne feu. Ils avaient le son et l'image, que rajouter encore pour produire le cataclysme social espéré. La réponse aristotélicienne s'imposait d'elle-même : le mouvement. Se sont immédiatement mis à l'œuvre. Le résultat ne s'est pas fait attendre.

    RESULTAT

    Sur la vidéo Pierre Lehoulier et Delphine Viane interprètent, guitare à la main, la chanson phare de l'album : European Slaves. J'entends déjà les ronchons maugréer, super original, une vidéo sur laquelle les artistes chantent leur chanson ! Je désespèrerais toujours de l'engeance humaine. On lui désigne la charge du troupeau de rhinocéros qui foncent sur elle et les malheureux ne voient que les rhinocéros, n'ont pas la présence d'esprit d'entrevoir la lourdeur de la charge qui est déjà en train de les piétiner. Les zoziaux ont inversé les rôles, normalement dans un film le décor est au service des acteurs, là c'est le contraire nos sinistres corbacs – ne nous ont jamais habitués à une telle modestie - servent de faire valoir au décor.

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    Evidemment au tout début on ne voit qu'eux déguisés en simili-militaire qui se détachent sur un fond de carton uni. Deuxième révolution filmique : z'ont décidé que les images subliminales des propagandes idéologiques invisibles à l'œil humain seraient visibles par tout le monde. Pas question qu'ils vous refilent leurs idées en douce, Pierre n'a pas oublié qu'il était aussi dessinateur de BD, l'a mis des dessins partout, se bousculent tout le long du morceau, et attention des dessins qui bougent. Des engrenages complexes qui tournent. Hélas pas tout seul. Faut des humains pour faire turbiner les machines, faut des conducteurs dans les bagnoles pour aller au boulot, faut des ménagères pour pousser les caddies, des ouvriers pour les marteaux piqueurs, des employés pour taper sur les ordinateurs, et j'en passe, etc... etc... tiens des docteurs pour vacciner les gens à la chaîne...

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    Peut-être est-ce le moment pour s'interroger bêtement : mais pourquoi tous ces gens se ruent-ils à toute vitesse sur le boulot, c'est vrai que s'il y a un bobo, les pompiers et le Samu se hâtent pour vous soulager au plus vite, mais pourquoi acceptent-ils avec tant d'empressement leur aliénation, pourquoi se comportent-ils comme des esclaves ( européens ) ?

    Les Crashbirds nous glissent en douce une petite explication, parce qu'ils vont pouvoir consommer à outrance, vous font défiler des bandeaux de pub à toute vitesse, ne gagnent pas beaucoup mais quel hasard extraordinaire, vous avez des promotions ou des rabais gigantesques sur toutes sortes de produits, surtout sur ceux dont vous n'avez nul besoin, mais un si grand désir suscité se doit d'être comblé au plus vite...

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    Sont pris dans la machine et les machines n'ont qu'une fonction les transformer en engrenages de la machine, le kr'tntreader pensera au film si prophétique de Chaplin sur Les temps modernes... Les petits dessins de Pierre ont la même force persuasive et démonstratrice. Certes le morceau est à écouter, ces guitares implacables et cette voix lumineusement laminante de Delphine, mais pour une fois, nous avons affaire à un clip qui parle à notre intelligence et non plus seulement au déclenchement pavlovien de déhanchements rythmiques qui vous apaisent plus qu'ils ne vous poussent à la révolte. L'est parfois nécessaire que l'on vous mette le nez dans le caca de votre vie d'autruche pour que vous vous rendiez compte que vous filez un mauvais coton comme l'on disait dans les plantations du grand sud... ce pays où est né le blues...

    Un cartoon qui cartonne !

    Damie Chad.

    *

    La semaine dernière l'on a commencé la tournée des cimetières, pas de raison pour que l'on ne continue pas, juste avant les vacances un petit rappel du Memento Mori, que prononçait l'esclave qui tenait la couronne au-dessus de la tête du général qui fêtait son triomphe dans l'antique Rome, ne saurait faire de mal, en plus les Kr'tntreaders qui viennent d'apprendre qu'ils seront privés jusqu'à la fin août de leur cazenglérienne ration hebdomadaire de rock 'n' roll tirent déjà une gueule d'enterrement. Donc nous nous mettons au diapason de leur état d'esprit, nous savons bien que cette interruption beaucoup d'entre eux la vivent comme la pire des :

    TRAGEDIES

    FUNERAL

    ( Artic Serenade / 1995 )

    Premier album du groupe précédé de deux démos, la première nommée Tristesse ( bonjour ) et la deuxième Beyond All sunsets, l'on ne peut pas reprocher à ses trois membres originaux de ne pas avoir de la suite dans les idées. Viennent de Norvège. L'on dit que la proximité du cercle polaire et les longues nuits des hivers nordiques n'incitent pas à la joies et inclineraient au suicide. Einar Andre Fredriksen bassiste du groupe mettra fin à ses jours en 2003. Il est l'auteur des lyrics des troisième et quatrième morceau de l'opus. C'est lui aussi qui assure les parties djentées du disque. Christian Loos, guitare, décèdera en 2006, il travaillait à un hommage à son ami Einar... Thomas Angel malgré son nom séraphinesque survivra mais finira par quitter le groupe dans lequel il officiait à la guitare, Anders Eek, batteur et membre fondateur restera toujours présent jusqu'à aujourd'hui malgré de nombreux changements. Toril Snyen arrive pour l'enregistrement de la deuxième démo, excellente pioche, elle sortira de scène après Tragedies , je ne sais ce qu'elle a fait par la suite. Ce premier album est considéré comme décisif pour la création de ce courant que l'on désigne sous l'appellation funeral doom.

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    Taarene : chanterelle de guitares tire vers le médiéval en introduction, n 'hésitez pas à lui trouver une allure guillerette, car vingt secondes plus tard lorsque surgit le bourdon, pardon le burdoom funèbre du groupe, surgissement de basses funèbres, vous comprenez que le soleil de la joie s'est noyé, englouti au fond de la la mer, au fin-fond de l'amertume, mais ce n'est rien, la voix froide de Toril s'élève et vous envoûte sous les voûtes sombres du désespoir, une voix pure comme la mort qu'elle chante, elle est-là toute seule au bord de la tombe de son bien-aimé, dans un premier temps elle se parle à elle-même, mais c'est la voix enrouée de gravier qui lui répond de dessous les profondeurs éternelles, musique froide à la ressemblance de ces scolopendres géants qui hantent les cercueils délabrés, sur les linceuls funèbres des rideaux mortuaires étincelle un gémissement de guitare recouvert de la chape baveuse des pleurs asséchés, elle chante maintenant dans le silence des notes dispersées d'un luth, elle promet l'éternité de son amour pour parvenir à l'amour de l'éternité, musique processionnaire, roulements lents de batterie, la musique et le chant vous mènent pas à pas, vous ne savez pas où mais peut-être dans une immobilité éternelle. L'orchestration s'appesantit et recouvre de terre le devenir de l'oubli qui se fige en lui-même. Under ebony shades : consolation du pauvre, ils ont abandonné le norvégien pour l'anglais, mais ce n'est pas plus gai. Un chantonnement plus aérien, lorsque le désespoir n'est plus qu'une consolation, que l'on a tout brûlé au fond de soi, la pureté atteinte est pour ainsi dire désincarnée, la bouche d'ombre éructe depuis le lointain dessous, si proche mais si inatteignable, l'âme esseulée ne croit plus en rien, ses anciennes croyances se sont évanouies, pour son âme et pour le monde Dieu est mort. Ils, elle et lui, chantent tous les deux en même temps celui qui mange la terre par les racines et celle qui refuse le ciel, musique plus lourde, poussée en avant par la batterie d'Eek qui roule à la manière d'un fourgon mortuaire traînée par deux chevaux de traits, double soulignage noir tiré sur les appétences de l'existence, l'on aimerait que cela ne finisse jamais mais il y a déjà longtemps que tout s'est arrêté, et la voix glaciale continue à tomber tels de rares flocons de neige qui ne se rejoignent jamais dans leur étrange ballet funéraire. Et la litanie s'égrène encore plus esseulée, juste quelques cordes de guitares psalmodiées en acoustique, grognements souterrains, reprises incandescentes de flammes qui ne brûlent pas mais pétrifient, et l'une d'entre elles, électrique qui monte encore plus haut, élastique en vain, la prière au néant de dieu reprend de plus belle. Que reste-t-il de l'esprit sous la glaise inféconde, le mort ne peut survivre que dans ses propres souvenirs qui tournent en rond dans le vide de sa cervelle. Accompagnement ad libitum. L'on prend son temps chacun des deux premiers morceaux dépasse les douze minutes. Demise : ne pensez pas qu'ils n'ont pas d'imagination si encore une fois le morceau débute par quelques notes de guitares si dénudées que l'on a envie de dire qu'elles sont jouées a capella, la voix semble apaisée, dans le calme du cimetière, tout intérêt s'amenuise, le chagrin n'est-il qu'une illusion, qu'une courte-vue, les fleurs poussent entre les tombes ne sont-elles pas le signe de la résurrection, du retour, de l'éternel retour de ce qui ne veut pas mourir, dialogue empli d'espoir, mais il est une autre manière d'entrevoir la plénitude du verre de la mort rempli à moitié, l'homme renaît de sa propre poussière oh oui, mais n'est-ce pas pour retourner au creux du verre de la mort à moitié vide, poussière tu es, poussière tu retourneras, le timbre de Snyen parcouru d'élans et de brisures, la musique en points de suspension qui dispersent leurs atomes, plus pure la proclamation de la vanité finale de la survie cyclique, la voix triomphe pour mieux mourir. Basse implacable. When nightfall clasps : au plus mauvais moment de la nuit lorsque l'encre tombe, que le noir du désespoir s'épaissit et s'alourdit tel un moteur d'avion qui ne veut pas disparaître et qui vous obsède de sa puissance, la voix prend la relève de la guitare, elle comble les vides, et la bouche d'ombre se confine en ses propres dires, elle vous demande de vous taire et de ne faire confiance qu'en vos actes passés, il existerait donc une possibilité sinon de réveil, au moins de récompense, a-t-on tué Dieu trop vite, nous appellera-t-il à lui, illumination d'espoir ou de folie, vers où se dirige-t-on dans cette immobilité d'éternité, le vocal comme une prière et l'orchestration qui s'allonge telles les ombres devant nous sur le chemin quand le soleil décline, elle atteint à une grandiloquence instrumentale que l'on ne lui connaissait pas, est-ce que que ce que les mots bégayants ne peuvent pas prononcer, la musique est-elle là pour l'exprimer, le borborygme s'enlace au chant de la colombe, le vieil espoir séculaire ne veut pas mourir, la voix de Toril sonne comme des cloches d'angélus, une prière s'exhale des lèvres des agonisants. Le silence nous laisse dans l'expectative. Moment in black : ce coup-ci ce sont de franches sons de cloches qui résonnent, l'on va connaître le dénouement, n'y a-t-il rien, ou y a-t-il autre chose ? Marche funèbre ces roulements de tambours, ou le ciel qui s'entrouvre, la voix plane comme un ange, elle prend son envol vers l'empyrée, dans les films lorsque le dénouement approche l'on monte la musique et l'on fait durer le silence, ne se privent pas de cet artifice, l'on y arrive, mais doucement sans se presser, le bourdon butine encore de plus en plus fort, les tambours roulent pour l'ouverture des portes, la guitare devient tendresse, elle tourne au violon, c'est le grand moment, derrière les huis jusqu'à lors fermés, s'ouvre l'éternité, la mort n'est qu'un pénible et court instant à traverser.

    Pas de quoi en faire un fromage dirait d'un rire sardonique le renard de la fable qui malgré ses paroles n'oublie pas de ramener le calendos dans son terrier, l'on pensait que Funeral nous conterait les affres du nihilisme, non, l'on retombe dans les tiroirs usés de la christologie la plus coutumière. Tant de fascination pour la mort pour rentrer sagement au paradis, Funeral nous déçoit un peu. Pourquoi cet attrait pour le tombeau pour s'en échapper à la fin, finitude qui se révèle être une naissance définitive... C'est sûr que c'est magnifique. Superbe. Une messe chantée. Pratiquement en apesanteur. S'inscrit davantage dans une tradition christianolâtre que dans le rock satanique. Peut-être est-ce pour cela que le disque a eu tant de succès. Il ne vous referme pas la porte sur le nez au dernier instant. Vous laisse l'espoir. Il ne faut pas décourager l'auditeur qui n'est qu'une partie du bon peuple qui a porté au pouvoir ceux qui le dirigent. Il est juste qu'il reçoive un lot de consolation. Ça ne peut pas faire de mal et ce n'est surtout pas trop cher. Manquerait plus que cela ! Par contre j'hésite au niveau idéologique, si l'orchestration me fait pencher pour le catholicisme, les paroles m'incitent à désigner une influence rigoriste toute protestante. Ce qui expliquerait l'économie de moyens, peu d'instruments, une voix toute classique, une retenue récitative. L'on hésite sans arrêt entre symphonie ou psaume chanté.

    Petite note personnelle : en rédigeant cette chronique, me suis aperçu – c'est mon ordi qui m'a montré les traces de mon passage – que j'avais déjà pensé au mois de septembre 2020 à chroniquer cette bête. Je n'en n'avais aucune souvenance, l'on échappe difficilement à ses propres errances, sans doute avais-je déjà été attiré par la pochette ultra romantique, cette automnale feuille d'un orange incendiaire et cette implorante figure féminine éplorée, les yeux levés vers le ciel...

    TRISTESSE

    FUNERAL

    ( NOL / 1993 )

    Funeral s'est formé en 92, Tragedies n'est pas né ex nihilo, le disque est trop parfait pour ne pas avoir été longuement mûri. Tristesse est la première démo sortie en cassette six titres. Une grosse ruse de sioux pas très finauds, la côté A présentait trois morceaux et le côté B exactement les trois mêmes morceaux. Parfait pour jouer à pile ou face. Vous étiez sûr de tomber sur vos trois titres préférés. Le format du carton de la K7 ne se prête pas au sujet évoqué, ce cadavre roide comme une planche à repasser dont l'âme est censée monter au ciel attendue par des anges – l'un pourrait voir Dieu en personne - armés de glaives vindicatifs se révèle peu explicite.

    Anders Eek : drums et clear vocal ( clair ) / Einar Andre Fredriksen : guitars, dark vocals / Thomas Angel : guitars / Pat Kjennerud : basse. + Steffen Lundemo : guitare classique.

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    Thoughts of tranquility : intro à l'acoustique merci Mister Lundemo, lorsque la guitare se tait la tranquillité prend un sacré coup dans l'aile, le mourant a encore de l'énergie, râle très fort parfois il semble vomir, faut dire que derrière l'orchestre ne lui laisse pas de répit, joue un peu le rôle de ces prêtres qui se mettent en colère et tempêtent lorsque l'agonisant refusent l'absolution, sont dans la grandiloquence lente, de fait dans ce titre Funeral a condensé tout ce qui sera développé dans l'ensemble de Tragedies, tout est là, certes le mort est encore là, pas pour très longtemps l'est en train de passer de l'autre côté, n'y a que ces arrêts subits, ces pauses de silence qu'ils abandonneront, le gars y va vitesse grand V, clamse en dix minutes et hop grande joie, passe du désespoir le plus profond à la plénitude la plus accomplie, Dieu est là, tout gentil, le moribondé peut même l'embrasser, il se sent revivre, il sent le parfum des fleurs, à croire que les étagères du paradis sont remplies de pot de chrysanthèmes. A poem for the Dead : petit intermède classique comme tous les débuts mais le groupe pousse ses guitares comme l'on jette le taureau dans l'arène, un morceau pratiquement deux fois plus long que le précédent, c'est un peu normal, c'est le mauvais côté de la chose. La chose c'est la mort. Et le mauvais côté c'est la vie. Pour sûr le mort est heureux de respirer les senteurs des coquelicots dans les champs du Seigneur, mais pour ceux qui restent du mauvais côté c'est plus dur, l'amour est parti et une vie de tristesse et de désolation attend celle qui l'aimait. Le bonheur est une pomme qui se mange à deux mais il semble qu'une des deux parts est plus amère que l'autre, musique tragique, la batterie marque le pas, à chaque coup elle décapite une colonne de la solitude humaine, les survivants arpentent des champs de ruines, une cymbale sonne le glas des illusions déçues et des séparations fatales, la batterie dissèque les heures fatidiques, celles qui vous écartèlent, le chant n'est plus qu'une énorme profération qui essaie de joindre les deux bouts des tendresses humaines, elle s'exalte en un hosanna de pleurs, point de gémissements, des grognements de bêtes prises aux pièges du bonheur et du malheur et... retour de l'intermède classique, le morceau coupé en deux, un cœur qu'un glaive cruel a partagé, irréductiblement. Rien ne recoudra cette plaie ouverte dans l'âme humaine. Si le morceau est si long c'est qu'il n'y a pas de réparation possible. Cul-de-sac à deux voies. Yearning for heaven : sombres éclats de basse, sans doute faut-il regarder des deux côtés à la fois, et trouver ce point d'équilibre où toutes les contradictions s'équalisent, s'amenuisent, disparaissent... à moins qu'elles ne s'exaspèrent, celui qui reste, celui qui part, celui qui tutoie les anges et celui qui tutoie le cadavre et le cadavre qui se tue soi-même, l'âme est peut-être là-haut mais il vaut mieux n'y pas penser, ci-bas sous terre c'est la vie vécue que l'on revit, et si on veut la revivre encore il vaut mieux oublier son âme qui batifole dans le jardin des délices. Musique solennelle et dramatique, vomitoire de vocal, qui grince et rappelle que la faille est partout, mortelle dans la vie, existentielle dans la mort. Imaginons une limace géante et saliveuse, toute glaireuse qui s'avance lentement et tourne en rond indéfiniment sans pouvoir rompre le cercle enchanté et maléfique du destin humain. Intermède classique pour faire passer la pilule...

    De même intensité musicale que Tragedies cette première démo vaut le déplacement. Tristesse est beaucoup plus sombre que Tragedies. Une catharsis ne survient pas fort à propos pour nous fournir une fin heureuse. Tristesse erre sans fin dans son propre labyrinthe. Giratoire sans issue.

    BEYOND ALL SUNSETS

    FUNERAL

    ( NOL / 1994 )

    Einar Andre Fredriksen : guitars, dark vocals / Anders Eek : drums / Thomas Angel : guitars / Christian Loos : guitars / Toril Snyen : vocals

    Encore une cassette les deux faces présentant des titres différents et une image beaucoup plus soignée que le blanc et noir de la précédente. Le même visage féminin que l'on retrouvera sur Tragedies, mais ici présenté comme une photographie posée sur un mur craquelé de formes difficilement identifiables, motif géométriques, floraux, mystérieux comme des signes en voie d'effacement...

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    Heartache : toujours ces cordelettes de guitare classique en intro, cela correspond sans aucun doute à la formule rituelle des contes pour les enfants, il était une fois, mais la musique est trop angoissante pour s'attendre à une merveilleuse histoire, la voix de Toril, douce comme une plainte, enchanteresse comme une mystérieuse litanie, et la réponse engorgée arrive, un duo s'établit, l'esseulée et l'homme au cœur brisé, tous deux sont seuls, l'une bougie qui s'éteint, et l'autre de l'autre côté, dans la mort, encore faut-il s'en rendre compte, en prendre conscience, une différence subtile quand on y songe, quelque degrés d'insimilitude, un froid un tantinet plus glacial, une guitare qui glisse un solo de glace dure et coupante, tout vocal est souffrance qu'il soit de clarté funèbre ou d'incompréhension encore entachée d'existence, le morceau se déploie telle la prise de conscience de son inconscience. Tout s'apaise, peut-être vaut-il mieux ne pas savoir. Fêlure insondable. Moment in black : ce morceau concluait Tragedies, ici il perd sa force conclusive, Funeral a compris que les concepts ou les images ne sont pas fixes, sont comme des pièces de mécano qui peuvent être agencées de façons fort différentes, ce ne sont pas les fragments en eux-mêmes qui déterminent le sens d'un raisonnement mais la place où ils se situent. Beyond all the sunsets ne se terminera pas comme Tragedies, les données sont ici traitées beaucoup plus généralement ce qui explique pourquoi dans ce morceau le mort est remplacée par une morte... When nightfall clasps : ce morceau est à l'origine l'avant-dernier de Tragedies, mis à cet endroit, nous sommes au plus noir du désespoir. Forlon : une introduction encore plus lourde, sans harmonique, dénudée, plus loin que le désespoir ne reste que la révolte, le rejet des dieux. Funeral semble suivre la postulation baudelairienne du reniement, les deux voix, celle de l'homme et celle de la femme, sont enlacées, psalmodient de concert, elles n'y croient plus, colère d'autant plus décidée qu'elle n'explose pas, qu'elle reste rentrée, comme figée, glacée comme un cadavre, mortuaire, ou la vie éternelle, ou le refus de dieu, sont déterminés à vouloir tout. Ou rien. La basse comme une mouche qui bourdonne au carreau mais qui ne traverse pas la vitre. Amplitude du désespoir. Long tunnel instrumental. Tout semble bouché. Dying ( Together as One ) : dix-huit minutes, le morceau de la résolution finale, l'on peut dire que Funeral est une musique wagnérienne, une espèce d'oratorio dans lequel les voix remplacent les cuivres, avec en prime cette étonnante particularité qu'il ne présente qu'un seul et unique leitmotive, décliné sempiternellement mais tellement beau et prenant que jamais l'on ne s'ennuie, une musique qui ressemble à une sculpture mobile de Calder, elle bouge pour vous tout en restant dans l'immobilité de sa propre représentation, n'y a qu'à se laisser porter, c'est vous qui êtes dans le cercueil et c'est vous que l'on porte en terre, jamais on a eu autant d'égard envers votre personne du temps où vous étiez vivant, ce qui n'empêche pas de se demander comment nos héros – mal en point - vont s'en sortir... ils ont une solution, si les Dieux ne donnent pas l'immortalité, ne reste qu'à mourir ensemble, se suivre dans la mort, s'accompagner dans la mort, de Baudelaire l'on passe à Villiers de l'Isle Adam, Axël et sa fiancée Sara qui boivent à la coupe sciemment, non pas comme Roméo et Juliette ces amoureux victimes des circonstances, mais ici en un acte délibéré décidé dans la splendeur de la vie. Mais Funeral n'imagine pas que la mort soit un soleil, elle est juste la manière de surseoir à la laideur des existences agoniques. La vie est une défaite et la mort un coucher de soleil définitif. Avec rien au-delà. Prélude et mort d'Iseult et de Tristan. Pas pour rien qu'ils aient été traités après cette deuxième démo de groupe le plus dépressif du monde. Z'ont un peu corrigé le tir avec Tragedies. Mais le mal était fait. Quelques années plus tard ils ont adopté le style gothic. L'est sûr que comparé au funeral doom, le carton-pâte du gothic c'est de la grosse rigolade. Du moins de la comédie romantique...

    Très puissant, âmes fragiles et dépressives s'abstenir...

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 517 : KR'TNT ! 517 : SWAMPLAND / B. J. THOMAS / SPIRIT / ROCKABILLY GENERATION NEWS 18 / LUNAR FUNERAL / MUSIQUE PROTOCOLAIRE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 517

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    01 / 07 / 2021

     

    SWAMPLAND / B. J. THOMAS / SPIRIT

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 18

    LUNAR FUNERAL / MUSIQUE PROTOCOLAIRE

    L’avenir du rock -

    Swampland of thousand dances

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    Mis à part quelques médecins et deux ou trois représentants des laboratoires pharmaceutiques, il n’y a pas grand monde à l’enterrement de Pandemic. Comme l’aurait fait Boris Vian, l’avenir du rock approche, crache sur la pierre tombale et lâche en guise d’oraison funèbre :

    — Tu vois enfoiré, ça ne mène à rien de vouloir jouer les terreurs. Tu croyais m’enterrer et c’est toi qui bouffe les pissenlits par les racines. Pauvre con de Pandemic, avec tes masques, tes vaccins et tes présidents sauveurs du peuple, tu as battu tous les records de disgrâce. J’en ai encore des frissons de dégoût !

    Aussitôt sorti du cimetière, l’avenir du rock traverse la rue et entre dans un rade pour s’envoyer un ballon de rouge. Il lève son verre et lance :

    — À la santé de Swampland !

    Alors tous les clients accoudés au bar lèvent leur verre et beuglent :

    — À la santé de Swampland !

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    Eh oui, l’avenir du rock a des raisons de se réjouir. Vient de paraître The Swampland Sessions, un double album anthologique bricolé en analogique par Lo’Spider, l’un des principes biologiques de l’underground en France : chroniqueur emblématique du fanzine Dig It!, musicien méphistophélique mais aussi et surtout tête pensante psychédélique de Swampland, un studio toulousain installé au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble famélique de vingt étages. Ambiance à l’ancienne, matériel à l’ancienne, tous les groupes qui viennent enregistrer à Swampland n’ont qu’un seul but dans leur vie : enregistrer à Swampland.

    — Alors mec, où tu l’as enregistré ton album ?

    — À Abbey Road !

    — Pfffff...

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    Tous ceux qui vont enregistrer à Swampland savent qu’ils repartent avec du son. Il faut faire gaffe quand on balance des compliments comme celui-là, car ça pourrait passer pour du fayotage. L’essentiel est de rappeler que la plupart des studios sont maintenant équipés en numérique et le son n’est pas le même. Si on aime bien le son qui buzze et la fuzz qui bave, alors il faut aller à Swampland. C’est un état d’esprit, l’une des clés magiques de l’underground musical.

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    Lo’Spider a dû faire un choix pour remplir ses quatre faces. Il propose un ensemble extrêmement diversifié, qui va du gaga-punk au blues en passant par des choses extrêmement ambitieuses et novatrices comme le «Space Is The Key» de Slift, un groupe toulousain repéré en Angleterre par les Shindigers. Les Slift sont devenus l’un des groupes phares de la scène toulousaine et Gildas ajoutait qu’ils commençaient à tourner énormément en Europe et en Angleterre. Ces trois mecs proposent un son extrêmement énergétique, ils dégagent tout ce qu’on aime dans le rock : du shagging, de l’idée, de la virevolte, du modus operandi, de l’élégance, du power-triotisme, leur son gronde bien sous la surface de la terre, ils recyclent les vieux moteurs hypnotiques des seventies comme d’autres recyclent des vieux moteurs de motocyclettes.

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    Rien qu’avec Slift, l’avenir du rock peut dormir sur ses deux oreilles. Les autres gros «clients» de Lo’Spider sont bien sûr les Magnetix, pionniers du gaga-punk en France, avec la plus belle collection de pédales de disto qu’on puisse voir sur scène. Pour ce double-album, Lo’Spider a choisi «Cowboy Vs Soleil», petit chef-d’œuvre de gaga-punk lo-fi joué au minimalisme invulnérable. Et juste derrière, on retrouve les Monsters, avec «Too Pretty To Be Loved», une espèce de huitième merveille du monde et en même temps résidu de gaga-trash. C’est plus fort que lui, Beat-Man ne peut pas s’empêcher d’aller chercher l’excellence dans la fournaise. Pour ceux qui auront le bon goût de rapatrier l’objet, il faut savoir que Lo’Spider raconte à l’intérieur du gatefold l’histoire de chaque cut et c’est souvent très drôle. Et si la basse qu’on entend dans le «Lolai Lolai» d’El Vicio sonne si bien, c’est normal : le bassman s’appelle Lionel Limiñana. Son bassmatic hypnotique dévore le cut de l’intérieur. On entend encore une basse dévorante dans l’excellente reprise de «Pass The Hatchet» par les Hurly Burlies et pour les ceusses qui apprécient tout particulièrement la trash-guitar, il est recommandé d’écouter le «Fly Inside» de Black Luna. Non seulement on se régale de cette voix de ghoule qui flotte dans la crypte, mais on vendrait son père et sa mère en échange de la trash-guitar qui entre dans le lard de la matière. Si raw et si impure qu’on croit entendre Monsieur Jeffrey Evans.

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    Lo’Spider a rassemblé les cuts de blues en C, notamment cette version somptueuse de «Sittin’ On Top Of The World» de Mama Rosin, une version jouée à coups d’acou avec des percus qui feraient danser un couvent de Carmélites. Le son est parfait et en fin de parcours, ils virent cajun, alors ça tourne à l’énormité. Comment résister à ça ? Impossible. S’ensuit une autre merveille, le «Six Pink Cadillac» de Roy & The Devil Motorcycle, encore des Suisses. En faisant référence à Spiritualized, Lo’Spider tape en plein dans le mille. Il existe effectivement une parenté dans le feeling. Tout comme Jason Pierce, les Suisses proposent un blues qui flatte l’intellect pour l’envoûter. Avec «Wayfaring Stranger», Julian & The Goodtimes Roll vont plus sur un son rockab, mais l’assise et l’allure sont parfaites. Quant à la D, c’est la face gaga-punk, sept cuts enfilés comme des perles et qui sont à l’image du mighty Dig It! Radio Show de Gildas : une pure déboulade, poussez-vous, ils arrivent ! Le «PAIN» des Spits dégueule par dessus bord, le «Crisis» d’Asphalt s’énerve tout seul, tatapoumé à la toulousaine, plein d’entrain et d’énergie d’apéro et de sens de la fête. C’est tout juste si on n’entend pas Gildas annoncer les cuts, car quand arrive l’«Over The Edge» des Cellophane Suckers, on retourne droit sur Canal Sud, c’est sa came. Gildas a laissé sa marque jaune sur le mur de briques de l’imaginaire toulousain, elle symbolise le pouvoir absolutiste du son pur et dur. Pendant quarante ans, ce mec n’a jamais baissé les bras ni changé de cap. Il a su défendre ce son jusqu’à la fin de sa vie et cet album, comme d’ailleurs l’After Chez Eddy, est un peu la suite de cet incroyable périple. Les Swampland Sessions s’achèvent sur un enchaînement pétaradant, de la même manière que le fameux Back From The Canigo, cette compile des groupes de Perpignan avec laquelle Gildas avait conclu son ultime Radio Show, en janvier dernier. Les Swampland Sessions sont dédiées à trois personnes, dont Gildas.

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    Signé : Cazengler, sans land

    Swampland Sessions. Le Laboratoire Records 2021

     

    Pop à la sauce Thomas

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    B.J. Thomas qui n’est pas très connu en France fait partie avec des gens comme Charlie Rich, Ronnie Milsap, Jerry Lee, Tony Joe White ou encore Mickey Newbury des grands chanteurs américains, ceux qui ont ce qu’on appelle une vraie voix. Il vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois, au terme d’une carrière excessivement longue, puisqu’il enregistra son premier album en 1966 sur Scepter, le label on va dire mythique de Florence Greenberg.

    — Mythique ? Mythique ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ?

    Forcément, puisque Floflo avait, en plus de B.J. Thomas, Dionne Warwick, Chuck Jackson, les Shirelles, les excellents B.T. Express et sur Wand, une filiale de Scepter, Maxine Brown. Floflo qui était blanche et new-yorkaise faisait du black business. B.J. Thomas était quasiment le seul blanc de son écurie.

    Avec une bonne soixantaine d’albums, la discographie de B.J. Thomas est aussi délirante que celle de Jerry Lee, alors plutôt que de partir à la découverte de ce continent, contentons-nous d’un focus sur une période particulière qui va de 1968 à 1970, quand il est allé chez American à Memphis enregistrer cinq albums pour Scepter.

    Il est bon de rappeler que dans l’histoire du Memphis beat, American a joué un rôle aussi important que ceux de Stax et de Sun. Après avoir monté Stax avec Jim Stewart et s’être fâché avec lui, Chips Moman monte son studio qu’il baptise American. Comme ça au moins il a les coudées franches. De la même manière que Stax, Motown ou Muscle Shoals, il met en place un house-band, les Memphis Boys (Tommy Cogbill, Reggie Young, Gene Chrisman, Bobby Emmons et Bobby Wood) et embauche des songwriters (Wayne Carson et Mark James). Chips est un mec brillant et pendant quelques années il fait d’American une véritable usine à tubes. Ça se bouscule au portillon : Dusty chérie, Dionne la lionne, les Box Tops, Neil Diamond, Petula, Brenda Lee, Bobby Womack, sa plus grande fierté étant d’avoir pu enregistrer Elvis («Suspicious Minds», «In The Ghetto» et bien d’autres merveilles inexorables). Chips est un amateur de grandes voix et de chansons bien foutues. Il lance Sandy Posey et Merrilee Rush. Il épouse Toni White, une petite gonzesse qui a composé quelques bricoles avec Totor, notamment «Black Beauty» pour les Checkmates Ltd. Parmi les chouchous ce Chips, on trouve aussi Ronnie Milsap et... B.J. Thomas. Aux yeux de Chips, B.J. Thomas était LE chanteur d’American - the man who embodied the integrity, craftmanship, versatility, originality and refusal to be categorized that typified the American group. (L’homme qui incarnait l’intégrité, le savoir-faire, la versatilité, l’originalité et le refus d’entrer dans une catégorie qui caractérisaient si bien l’état d’esprit des musiciens d’American).

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    Chips accepte de produire un premier album de B.J. Thomas pour Scepter, le fameux On My Way qui paraît en 1968. À cette époque, les producteurs comme Chips ou Jerry Wexler proposent des chansons aux interprètes, et Chips a le bec fin.

    — Hey B.J., pourquoi ne taperais-tu pas dans les Doors ?

    — Oh quelle bonne idée, Chips !

    Alors les Memphis Boys nous groovent «Light My Fire» et ça tourne à l’envoûtement. Reggie Young gratte ça avec une délicatesse infinie et B.J. chante à la prodigieuse insistance. C’est probablement l’une des meilleurs reprises de ce vieux hit éculé par tant d’abus.

    — Hey B.J., pourquoi ne taperais-tu pas dans «Smoke Gets In Your Eyes» ?

    — Oh quelle merveilleuse idée, Chips !

    D’autant que c’est soutenu à l’orgue d’église. B.J. nous chante ça par dessus les toits, et ça devient stupéfiant d’allant et d’allure.

    — Tiens B.J., j’ai cette jolie chanson de Wayne Carson dans mon tiroir pour toi. Elle s’appelle «Sandman» !

    — Oh merchi Chips !

    B.J. la chante à la parfaite insistance de haut rang, comme s’il chantait du Burt, et c’est pas peu dire. Tout sur cet album est chanté à pleine voix et savamment orchestré. Chips ne fait jamais les choses à moitié. Il envoie toujours les violons au moment crucial, à la manière de Napoléon qui envoyait la brigade légère du Maréchal Ney au moment le plus décisif de la bataille.

    — Tiens B.J., j’ai aussi cette belle chanson de Mark James pour toi, elle s’appelle «Hooked On A Feeling» !

    — Oh mille fois merchi Chips !

    Reggie en profite pour sortir son sitar et en faire un hit psyché. Les bras nous en tombent. Ces gens sont formidables.

    Floflo est contente. B.J. est ravi. Chips ronronne comme un gros chat. Alors Floflo passe commande pour un deuxième album, Young And In Love. On prend les mêmes et on recommence.

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    — Tiens B.J., que penses-tu de cette belle compo de Jimmy Webb qui s’appelle «The Worst That Could Happen» ?

    — Oh quel beau choix, Chips !

    Mais Jimmy Webb, ça ne marche pas à tous les coups, il faut le savoir.

    — Bon alors, j’ai ça dans mon tiroir : «Living Again» de Mark James.

    — On va echayer Chips !

    Mais ça ne marche pas non plus.

    — Ah mince ! Bon, alors on va essayer Neil Diamond, okay ?

    — Chi tu veux Chips...

    Ils enregistrent «Solitary Man», puis ils vont sur Dan Penn avec «I Pray For Rain». Derrière B.J., Reggie et Tommy rôdent comme des vieux renards du désert. Bobby Emmons nappe «I’m Gonna Make You Love Me» d’orgue comme un malade et B.J. l’allume à grands coups de baby baby ! L’eau commence à frémir, c’est bon signe. Ne perdons jamais de vue que B.J. adore les balladifs. C’est sa came. On le voit bien avec «It’s Only Love». Chips ramène des chœurs de gospel dans la sauce, alors forcément ça change tout. B.J. monte encore d’un cran dans l’excellence avec «Hurting Each Other». Chips ne lésine pas sur les orchestrations. Il a même parfois la main un peu lourde. Mais ça convient très bien à un artiste de haut niveau tel que B.J. Il tape en fin de B dans la deep Soul de Southern crop avec «Never Had It So Good». Admirable white niggah ! Il ramone bien la cheminée de son never never.

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    Toujours en 1969, B.J. Thomas enregistre les trois derniers morceaux de la B.O. de Raindrops Keep Falling On My Head chez Chips : ««So What You Gotta Do» de Jimmy Webb, «Mr Mailman» et l’excellent «Suspicious Minds» de Mark James. Chips nous plonge dans le big American Sound, avec une ligne de basse qui fait rêver. Pour le reste, B.J. tape dur dans Burt, notamment avec le morceau titre, connu comme le loup blanc des steppes du Kilimandjaro. Encore du bon Burt avec «This Guy’s In Love With You». B.J. chante divinement le jazz de Burt, sans doute le plus doux du mondo bizarro. Chips orchestre «If You Ever Leave Me» à l’outrance de la consistance. En B, on reste dans la pop ultra sophistiquée avec Jimmy Webb et son «If You Must Leave My Life». B.J. sait se positionner dans les degrés du vertige. Il tape ensuite dans Joe South avec «The Greatest Love» qu’il chante à la grande revoyure d’éclat surnaturel. Ce mec sait travailler l’éclat d’un cut.

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    L’année suivante, B.J. Thomas revient chez Chips enregistrer Everybody’s Out Of Town. Il attaque ce bel album de rues désertes avec une cover de l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. Les Memphis Boys s’en donnent à cœur joie. Ces mecs savent swinguer le soft. Burt produit deux des titres, «Send My Picture To Scranton» et le morceau titre qui sonne un peu comedy act, comme Raindrops. Scranton aussi, mais B.J. parvient à l’embarquer à la force de sa conviction. C’est très gonflé comme choix de chanson. Mais on a une bonne conjonction Chips/Burt/B.J. L’une de ces conjonctions idéales qui font les grands disques pop. En B, on tombe sur un admirable slab de Memphis groove avec «What Does It Take». Wow ! Quel délicieux coup de good time music soutenue au sax enchanteur. Encore un cut bien foutu avec «Created For A Man». B.J. ne force jamais le trait, il chante sa pop à la bonne mesure. Il se sent bien chez Chips et ça s’entend. Le son est à la fois décontracté et bien intentionné. Cool man !

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    Le dernier album que B.J. Thomas enregistre chez Chips s’appelle Most Of All. Il sort comme les précédents sur Scepter. Chips propose à B.J. deux covers somptueuses, «Rainy Night In Georgia» de Tony Joe White et «Brown Eyed Woman» composé par Mann & Weil. B.J. prend le Tony Joe si haut qu’il perd l’intimisme, mais il y ramène toute la volonté pop de Memphis. B.J. peut aller très haut et swinguer ses vocalises dans la stratosphère. Il reste dans le haut niveau mélodique avec le Mann & Weil. Il monte si haut qu’il atteint la dimension du vertige. Quel shouter ! Chips ne s’y était pas trompé. B.J. tape aussi dans Burt avec «(They Long To Be) Close To You». Idéal pour un chanteur aussi doué. Chips profite encore une fois de l’occasion pour ramener l’armée mexicaine des violonistes. On est en sécurité chez Chips. B.J. reprend aussi deux cuts de James Taylor dont «Circle Round The Sun» que Chips orchestre à outrance. B.J. chante ça tellement over the rainbow qu’il en fait une merveille inexorable.

    Signé : Cazengler, B.J. à la masse

    B.J. Thomas. Disparu le 29 mai 2021

    B.J. Thomas. On My Way. Scepter Records 1968

    B.J. Thomas. Young And In Love. Scepter Records 1969

    B.J. Thomas. Raindrops Keep Falling On My Head. Scepter Records 1969

    B.J. Thomas. Everybody’s Out Of Town. Scepter Records 1970

    B.J. Thomas. Most Of All. Scepter Records 1970

     

    Spirit in the sky - Part Two

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    Les deux gros pendants du Spirit story sont bien sûr la carrière solo de Randy et Jo Jo Gunne. Randy démarre sa carrière solo en 1973 avec un album devenu mythique, Kapt. Kopter & The (Fabulous) Twirly Birds. Mythique tant par la pochette que par le son. Plus wild que jamais, tout en crinière et en lunettes noires, Randy pose devant un hélicoptère. Ses deux sidemen chevelus tournent le dos à l’objectif. C’est l’une des grandes pochettes du l’histoire du rock.

     

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    Et certainement le plus hendrixien des disques que n’a pas enregistré Jimi Hendrix. Ça saute aux yeux dès «Downer», monté sur un beat de funk électrique. Tous les amateurs de grand rock US connaissent ce chef-d’œuvre par cœur. Et ça repart de plus belle avec «I Don’t Want Nobody», tapé au battage hendrixen. Randy s’en va chercher la meilleure des rockalamas de son époque, l’hendrixité pure, doublée de chœurs de filles éperdues. C’est littéralement incendié de l’intérieur. Et pouf, il explose «Day Tripper» en plein vol. Ce riff magique lui va comme un gant de cuir noir. Il l’enflamme à l’hendrixienne, avec un même sens aigu de la tortillette endiablée. Voilà ce qu’il faut bien appeler une cover flamboyante. Il fait aussi des miracles sur le balladif de fin d’A, «Mothers And Child Reunion». Pur enchantement de vox et de tox. Nouveau coup de Jarnac en B avec «Things Yet To Come», véritable chef-d’œuvre de psychout so far out visité par des chœurs de femmes écloses comme des roses. Randy descend dans l’arène d’un groove magique et Clit McTorius qui n’est autre que Noel Redding joue une bassline superbement tortillée. Tout est incroyablement soupesé dans l’azur prométhéen. On entend Noel Redding jouer à sec des notes perlées. Randy tape encore une cover des Beatles avec «Rain» et cet album fantastique s’achève avec «Rainbow». Randy s’inscrit là dans la meilleure des veines. Kris Needs nous dit qu’il existe un Kapt Kopter Part Two inédit...

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    Randy reprend sa carrière solo neuf ans plus tard avec Euro American. En Allemagne, les gens l’adorent, alors Randy y va de bon cœur. Excellent album pour trois raisons, la première étant «Skull & Crossbones». Il y regratte ses vieux accords obliques du temps de Spirit. Il les adore. Il ne rate pas une seule occasion de les placer. Pur Spirit sound, insidieux au possible. Randy est un mec sur lequel on peut compter. La deuxième raison s’appelle «Rock Of Ages». Randy y brandit le flambeau du vieux son des sixties, le heavy Spirit sound. Il tire ses solos à quatre épingles et met son rock sur son 31. Pas de doute, Randy est le milord du rock californien. La troisième raison est une reprise solide de «Wild Thing». Randy adore taper dans les vieux coucous de son ami Jimi. Il prend son «Wild Thing» avec la même ampleur vocale. C’est même troublant de similitude. D’autres bons cuts raviront l’amateur éclairé, comme par exemple «Fearless Leader», baigné dans une belle atmosphère spirituelle. Randy se prend pour une sorte du gourou du rock. Il semble avoir des accointances avec l’au-delà du rock, en tous les cas, son rock finit par conquérir des terres. Il ramène même des infrabasses, comme dans «All Along The Watchtower». Son «Five In The Morning» se laisse savourer sans problème. Idéal pour un palais rock. Randy connaît toutes le ficelles de caleçon. Avec «Shattered Dream», il jette tout son goût pour le smooth dans la balance. Il renoue avec son cher délié de groove électrique. Des relents de Watchtower traversent le paysage, ça pianote ici et là, la chose se veut libre comme l’air. Les petites montées sont du pur Watchtower. Puis il repend son bâton de pèlerin et revient au pur Spirit Sound avec «Rude Reaction», un son à la fois dépenaillé et très enveloppé, chargé de guitares et d’ambiances superbes. Sans doute est-ce là l’un de ses meilleurs albums.

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    La même année paraît All Along The Watchtower. Randy y repart sur les traces de son ami Jimi. Il joue en power-trio et pousse même des pointes de guttural. On note le joli beat de Preston Heyman. L’autre haut fait de l’album se trouve au bout de la B et s’appelle «Hand Guns». Ça sonne comme le hit de Scott McKenzie, avec des accents de flowers in your hair. «Run To Your Lover» pourrait aussi sonner les cloches, avec un son rude et raide, âpre et soft. Randy y arrondit si bien les angles. Mais les cuts sont assez difficiles d’accès. Ils paraissent lisses, comme trop surfacés.

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    Restless est encore un bel exemple d’album ruiné par la prod des années quatre-vingt. Le pauvre Randy est tombé dans la trappe du Docteur Mabuse. Quel gâchis ! Dommage, car pour la première fois, Randy est bien coiffé. Il est même assez beau. Son «Shane» sort un peu du lot, car il revient à l’hendrixité des choses. On retrouve enfin le gommeux flamboyant, mais pour le reste, il faudra repasser un autre jour, si vous voulez bien.

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    À la suite d’une mésentente, Jay Ferguson et Mark Andes partent fonder Jo Jo Gunne. Ils ne savent pas encore qu’ils vont faire le bonheur de millions de kids à travers le monde. Le sobrement titré Jo Jo Gunne paru en 1972 est tout simplement une bombe. Belle pochette en plus, car quand on ouvre le gatefold, on tombe sur quatre freaks californiens beaux comme des dieux, tout en tignasses sauvages et en crucifix. Et dès «Run Run Run», Jay annonce la couleur. Quel fantastique shoot de power-pop californienne gonflée d’énergie glam ! La basse de Mark Andes ronfle admirablement dans du corpus du boogie. Ces mecs sont littéralement visités par la grâce. C’est un rock puissant, élégant, qui enchante le cœur. Un rock qui remonte le moral. Si on écoute ça un jour où ça va mal, ça va mieux. Ils nous stompent à la suite «Shake That Fat». Tom Dowd veille au grain et ça s’entend. Matt Andes qui est le guitariste du groupe part à l’insidieuse, au slide de delta électrique. Les Gunners s’offrent même le luxe d’échappées bubblegum à coups de nah nah nah nah. Fantastique «Babylon» monté aux harmonies vocales. C’est sans doute l’album dont Spirit a toujours rêvé. Les Gunners pavent le chemin pour les Doobie et les Eagles. Encore plus redoutable, cet «I Make Love» qu’ils stompent comme des brutes. Ils mettent tous leurs pieds dans le plat et on assiste à des départs fulgurants de Matt Andes. S’ils posent leurs culs sur le capot d’un hot rod, ce n’est pas pour rien. Pression énorme, le son gicle comme du pus. Matt Andes économise ses forces pour tenir jusqu’au bout. En B, Jay s’en va chanter «99 Days» à la saturation de glotte. Il chauffe bien son rock californien et Matt part en solo de slide. Quelle fournaise, les amis ! Ce groupe sonne comme un modèle. Avec «Academy Award», ils nous font le coup de l’intro historique. Jay chante ça au chat gunnique sur fond de léger gratté insidieux. Album parfait. C’est l’un des classique du rock seventies. Même les cuts lents sont bons car Jay les rocke jusqu’à l’os. À l’époque, des gens ne juraient que par Jo Jo Gunne et nous en faisions partie.

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    La fête continue avec Bite Down Hard paru l’année suivante. Ça grouille encore de hits. À commencer par «Roll Over Me», énorme shoot de power-pop pantelante. Jay chante comme un dieu et ça bascule dans des univers d’une surprenante beauté boréale. Tout aussi spectaculaire, ce «Take Me Down Easy» joué au carré de vieux rock US. Jay a laissé pousser ses cheveux, alors ils ondulent. Il chante son psychout comme un dieu. Quelle énergie ! Matt part en maraude, il sucre les fraises alors qu’on secoue des sableurs. Ça tourne à la démence de la partance. Tout le spirit de Spirit est là. Jay laisse glisser sa voix au chat perché et il bat tous les records de maestria. Il profite encore de «What A Lifetime» pour allumer la gueule du vieux boogie rock. On le suivrait jusqu’en enfer. Il règne chez les Gunners une énergie du rock lumineux. Ça chante et ça solote au maximum overdrive de California drive. Ce cut qui n’a pourtant l’air de rien allume toutes les lanternes. Que de son ! Effarant ! Même chose pourrait-on dire du «Ready Freddy» d’ouverture de bal. On a là du rock californien ultra-vitaminé, même si Mark Andes a cédé la place à Jimmie Randall. Que de punch dans un si petit disk ! Tout aussi invulnérable, voilà «60 Minutes To Go». Jay emmène sa troupe au combat avec une sorte de brio ensoleillé. Son rayonnement relève de l’Égypte ancienne, même s’il porte un gros crucifix en turquoise. Les Gunners sont nettement supérieurs à Spirit. Ils pourraient même bien être le trésor caché du rock US. Ces mecs jouent leur «Rock Around The Symbol» au power maximalis. On comprend que ça ne pouvait coller ni avec Cass ni avec Randy. Les Gunners ne vivent que pour la fabuleuse envolée. Ils n’en finissent plus de redorer le blason du rock US. Tiens, encore un sacré coup de Jarnac avec «Broken Down Man». Ils partent en mode boogie down et jouent à l’endiablée. Pendant trois minutes, ils deviennent les rois du boogie. Il faut voir le travail. Jay gère ça bien. Si bien.

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    Pour la pochette de Jumpin’ The Gunne, ils sont au lit. Mais ça gigote sous les draps, avec un «To The Island» solidement tartiné, que de son, que de son, ces mecs jouent comme des dieux du stade, c’est bardé de transitions chantées toutes plus intéressantes les unes que les autres, et Matt Andes prend un solo impérial. Jay va toujours au choc des harmonies vocales. Ils tapent «Before You Get Your Breakfast» au heavy delta-blues. Même dans ce genre de plan, ils font des merveilles, avec un son fruité, juteux et ça reste ultra-chanté. Matt Andes règne sur les terres du Docteur Moreau, il faut le voir partir en maraude, il tape ses notes au double gras. S’il fallait résumer le rock américain classique des seventies, alors ce serait Jo Jo Gunne et Mountain. Matt joue à la déflagration déviationniste. Et les canards boiteux ? Trop tard ! S’ensuit un «Monkey Music» solide et battu au beat des Gunners avec un Matt flamboyant. Le rock des Gunners explose. Jay chante «Neon City» avec tout le feeling du monde. Nous avons là le rock américain parfait. Les Gunners honorent leurs dettes. Ce sont des grands seigneurs. Jay fait le show avec ses glissés de voix. Il se pourrait qu’il soit l’un des singers les plus raffinés de son temps. Ils terminent cet album imparable avec «Turn The Boy Loose». Matt Andes y fout le feu. Quel guitarman ! Roi du killer solo flash devant l’éternel. Les Gunners jouent tout au maximum des possibilités. Ils ont fini par prendre leurs distances avec le vieux Spirit. Ils ont tellement le viande à revendre.

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    Le quatrième album de Jo Jo s’appelle So... Where’s The Show ? On le conserve précieusement pour deux raisons, la première étant «I’m Your Shoe». C’est là où les Gunneriens s’atteignirent, avec un fabuleux son de heavy rock californien. Jay chante ça au gras double de Gunner averti. Ça joue au bassmatic dévastateur. Jay se fâche, il chante son rock à la colérique. Cette fois, c’est Joe Staehely qui fait le guitarman. Il jouait sur Feedback, au temps de Spirit. La seconde raison est le «S & M Blvd» qui ouvre le bal de la B, joué une fois encore au gras double aventureux, comme chez Leslie West, le gras qui musarde, celui qui chaloupe élégamment. Admirable pâté de son. Just perfect. Ça joue à l’énergie des reins. Jay surfe sur la vague de gras. C’est même tellement hot que ça prend feu. Le beat enfonce ses clous dans les paumes du rock, pour le salut de l’humanité. Le morceau titre vaut aussi le détour, car la pop de Jay y prend une belle ampleur. On sent le gut chez lui et les encorbellements de power pop incendient le ciel au dessus de l’océan. On s’amourachera aussi de ce «Big Busted Bombshell From Bermuda» incroyablement audacieux - tee whap tee dee - judicieusement pianoté et bien remonté des bretelles. Tout ceci se termine autour du monde, c’est-à-dire «Around The World», claqué à la note furtive par le diable de Feedback. Jay joue sa dernière carte. Dommage. Les Gunners méritaient de l’emporter, tout chez eux reste claqué à la meilleure note incendiaire et Jay n’en finit plus de relancer sa machine en perdition. C’est une fin tragique.

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    Petite consolation pour les fans des Gunners : Big Chain, un album de reformation paru en 2005. En fait, ils rejouent leurs vieux hits et c’est avec une joie non feinte qu’on retrouve «Babylon». Ils s’y replongent avec délectation et portent les harmonies vocales à incandescence. Force est d’admettre qu’il s’agit là d’un des gros hits des seventies. On y entend de vrais chœurs de cathédrale. Même chose avec «Academy Award», riffé à la tragi-comédie du non retour. La magie des Gunners est intacte, Jay sait interjecter et le festin se poursuit avec «Shake That Fat», merveille absolue, heavy as hell, sans doute leur hit le plus heavy, sans doute le summum du fat d’Amérique, avec ses nah-nah-nah trempés dans le saindoux. Les Gunners règnent sans partage. Encore plus énorme, «99 Days», sans doute le hit rock à l’état pur. On y est. Les vieux hits des Gunners fonctionnent aussi bien que les vieux hits des Beatles ou des Who. Jay introduit tout ça au piano. Tout s’enroule bien. C’est dans les vieux Gunners qu’on fait les meilleures soupes. Et quand Matt part, attention aux yeux. Ils terminent avec leur vieux «Run Run Run». Explosif.

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    Il existe aussi un Live 1971 & 1973 paru en 2015 qui, comme tout le reste vaut sacrément le détour. Ces deux concerts enregistrés fonctionnent bien sûr comme un Best Of, tout est extrêmement dense et chanté à la vraie voix. Sur scène, Jay joue beaucoup de piano. Ils ouvrent sur «Run Run Run», énorme machine que Matt tire à quatre épingles, en vrai surmonteur de cimes. On le voit ensuite trancher dans le vif du sujet avec «Academy Award». Jay chante à la surface du monde. Sur scène, ces gens-là jouent à la vie à la mort. «Take It Easy» sonne comme le Grand Œuvre des Gunners, car c’est du pur jus de power-pop, un son qui se reconnaît entre mille. Matt fait le show. Ils tapent bien sûr dans «99 Days» et «Shake That Fat», et chaque fois, Matt entre dans le gras du bulbique, aw fucking heavyness, ces gens-là écrasent tout sur leur passage, ils n’ont jamais entendu parler des Conventions de Genève. Tout est monté en neiges du Kilimandjaro. Fabuleuse chaleur intrinsèque ! On retrouve tous ces hits dans le concert de 1973, avec un son encore meilleur.

    Signé : Cazengler, spirate (qui s’dilate)

    Kapt. Kopter & The (Fabulous) Twirly Birds. Epic 1973

    Randy California. Euro American. Beggars Banquet 1982

    Randy California. All Along The Watchtower. Line Records 1982

    Randy California. Restless. Vertigo 1985

    Jo Jo Gunne. Jo Jo Gunne. Asylum Records 1972

    Jo Jo Gunne. Bite Down Hard. Asylum Records 1973

    Jo Jo Gunne. Jumpin’ The Gunne. Asylum Records 1973

    Jo Jo Gunne. So... Where’s The Show? Asylum Records 1974

    Jo Jo Gunne. Big Chain. Blue Hand Records 2005

    Jo Jo Gunne. Live 1971 & 1973. RockBeat Records 2015

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS n° 18

    JUILLET / AOÛT / SEPTEMBRE 2021

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    Il est des couvertures qui font votre bonheur avant même que vous ayez lu les articles correspondants au sommaire. Ray Campi et Olivier Clément rien de tel pour me mettre en joie.

    A tout seigneur tout honneur, suffit de regarder la photo de Ray page 7 pour comprendre la nature du bonhomme, à quatre-vingt-cinq berges, le Ray vous a une dégaine à couper le souffle, l'œil vif, la bouche inquisitrice, le sourire du tigre qui aperçoit sa future proie. Le précurseur du revival, certes mais l'est né une année avant Elvis Presley et Gene Vincent – pour les rockers, 1935 ( avant et après ) correspond à l'année 0 du christianisme – Greg Cattez nous rappelle qu'il enregistre son premier disque en 1956, et qu'il slappait sa contrebasse avant les Stray Cats. N'oublie pas non plus de mentionner Ron Weiser et son label Rollin' Rock, un véritable activiste, un maillon essentiel de la passation mémorielle du rock... Un bel hommage à ce pionnier qui nous a quittés voici peu. Ceux qui voudront en savoir plus se reporteront à notre livraison 502 du 18 / 03 / 21 pour lire la longue chronique que le Cat Zengler lui a consacrée.

    Je saute sans tarder à l'autre bout du revue, les Black Prints m'ont toujours paru être un des meilleurs groupes de la mouvance rockabilly actuelle, l'article est consacré à Olivier Clément, guitariste rythmique et chanteur. Fascinant sur scène, l'enchaîne les morceaux sans discontinuer – compos et originaux – s'il ne tenait qu'à lui et qu'à nous on serait encore là le lendemain matin, une classe naturelle, une simplicité surnaturelle, un talent fou, le prince du rock'n'roll, le titre correspond à la réalité. Avec ses frères Thierry et Pascal, il est une grande part du french revival, les Dixie Stompers ont marqué leur époque, Olivier raconte la suite de son aventure, le départ au Canada, le retour, les passages à vide, ce qui n'empêche pas une vie bien remplie et le nouveau départ avec les Black Prints.

    Heu ! Qui c'est. J'ai honte de ne pas connaître, Benjamin Leheu, un peu de sa faute, s'est installé en Norvège – que voulez vous l'amour – l'a vingt-sept ans, une petite fille et un pédigrée musical long comme un oriflamme, par contre l'esprit sectaire il en est totalement dépourvu, joue avec tout le monde, hillbilly, country, rockabilly, bluegrass, western swing, rien ne lui fait peur, cette jeune génération a les crocs mais pas d'œillères, l'on repère le passionné, une tête chercheuse, en France on l'a vu à côté d'Al Willis et des Hot Slap, l'a monté les Muddy Hill Boys, faut retenir son nom, prometteur !

    Voyageons, après la Norvège nous voici en Argentine et en Espagne où Matt Olivera a fini par s'installer, Matt se raconte depuis l'enfance, son parcours, los Tremendos, los Quasars,.. participe à deux groupes, Matt and the Peabody Ducks plus roots et The Kabooms plus rock, riche idée d'avoir fait suivre son interview des pochettes de quelques uns de ses disques. A lire cet article et le précédent, une évidence s'impose, ça fourmille de partout, et le titre de la revue choisi par Sergio Kazh se révèle prophétique, certes il y a le rockabilly et aussi la génération, le tronc et les branches, les barrières s'estompent, la musique ne quitte pas son terreau natal, mais les styles, les envies, les expériences se diversifient.

    Rockabilly Generation n'est pas très vieux mais il se bonifie malgré son jeune âge, comme toujours les photos sont belles, certaines sont de véritables documents, elles soutiennent le texte mais ne l'éclipsent pas. Félicitations à Sergio Kazh et à son équipe, se sont accrochés dans la tourmente pandémique, Nietzsche avait raison, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. En feuilletant le magazine et le soin apporté à la mise en page je rajouterai, plus fort et plus beau !

    Sans doute embrasserez-vous la page 38, attention à votre rouge à lèvres, ni une jolie fille, ni un beau garçon, les flyers des prochains festivals, le retour des concerts !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,95 Euros + 3,94 de frais de port soit 8,89 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !

    SEX ON THE GRAVE

    LUNAR FUNERAL

    ( Forbiden Place Records / Février 2017 )

    Sûr que c'est grave. Le disque que vous ne penserez pas, pour parodier le Cat Zengler, à emporter sur l'île déserte pour la fin de vos jours. Ou alors juste pour la toute fin. A moins que n'ayez votre place réservée sur L'île des morts d'Arnold Böcklin, parce que là c'est la bande-son idéale. Remarquons toutefois que sur le tableau de Böcklin il y a beaucoup plus de ''grave'' que de ''sex'', il est vrai que l'on peut en discuter. Eros n'est jamais loin de Thanatos. En tout cas pour la pochette, ce n'est pas que le dieu du désir soit tout près c'est qu'il est pratiquement dedans. N'imaginez pas un scénario à la Gabrielle Wittkop, son Nécrophile aime les cadavres enterrés de frais, encore moins à la Jacques Chessex ( and death ) et Le Vampire de Ropraz qui préfère s'en délecter... non ici la chair de l'amatrice est encore ferme, opulente et vivante, son amant un peu plus maigre, réduit à l'état de squelette – tous les goûts sont dans la nature, à moins que vous n'interprétiez cette réduction outrancière comme l'idée même de la mort. Sur son FB, Lunar Funera se définit en quatre mots : We love the dead. Sont deux, Evgeny Titov ( guitar ) et Evgen Kalinichen ( drums ), sont russes, de la romanovienne Saint-Pétersbourg. est-ce pour cette raison que le fond de pochette est d'un rouge drapeau révolutionnaire qui vous tape dans l'œil avant même que vous ayez visualisé le dessin. Le rock russe est différent du nôtre, lorsque l'on écoute il donne l'impression d'être pour ses géniteurs d'une nécessité beaucoup plus vitale même lorsqu'il parle de mort... Nous ne savons pas si l'imaginaire russe nous le permet mais nous avons envie de traduire le nom du groupe Lunar Funeral non pas par Funérailles Lunaires mais par Lune noire. Point focal de renversement astrologique entre les figures mythiques d'Artémis et d'Hécate.

    Autre détail d'importance qui explique la brièveté ( moins de quarante minutes ) de l'opus, c'est qu'en ses premières manifestations artefactiques Sex on the grave, apparaît sous forme d'une K7. Un modèle d'édition qui a été balayé par l'apparition du CD mais qui a été repris comme objet transactionnel de distribution par des groupes désargentés. A tel point qu'il existe aujourd'hui un retour à la K7, moins visible que le renaissance du vinyle, ce qui lui confère une aura de résistance underground des plus délictueuses.

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    Indian'death : dès les premières mesures vous êtes sur le sentier de la guerre. Après la bataille. La voix volète sans se presser comme les corbeaux, certains de n'être pas dérangés dans leur repas, qui gobent les yeux des cadavres placidement allongés sur le sol. Pour le rythme pas de panique, vous le suivrez avec facilité, se déplace à la vitesse d'un convoi funèbre qui monte contre le vent une pente ardue, z 'avez le temps de compter les touffes d'herbes, la batterie n'incite pas à la danse macabre et la guitare fuzze comme ces pelletées de chaux vive - le nuage de poussière qui s'élève d'une dizaine de centimètres avant de retomber par sa propre force d'inertie - que le terrassier fatigué épand sur les morts avant d'en aligner une deuxième couche dans la fosse commune. Red wine : un nuage de mouches sur un cadavre, la guitare en profite pour nous faire le coup du vol du bourdon de Rimski-Korsakov, remarquez ça donne un peu d'animation, vous en avez besoin parce que le mec qui chante sa voix vous parvient mal, doit être enterré et pas encore tout-à-fait mort, profite de ses derniers instants pour nous envoyer un dernier message incompréhensible. Je rassure les âmes sensibles, l'existe une vidéo où on les voit interpréter le morceau, ils sont vivants – quoique la teinte mauve rappelle ces perles violettes avec lesquelles on tresse les couronnes mortuaires – le guitariste – l'est aussi chanteur dans la même vie – est très beau, look dandy romantique, bonjour Pouchkine, les filles le préfèreront au batteur, ses lunettes rondes et ses moustaches peu sexy lui refilent un air de prolétaire qui stakanovise ses caisses à outils, du bon boulot. L'ensemble ressemble à du Hendrix sous-vitaminé au ralenti, mais vous vous laissez porter par cette rythmique tintinnabulesque et envoutante. A la fin le public, on l'aperçoit quelques trop courtes secondes dodelinant, crie sa satisfaction. Nous aussi. You 're nothing : un peu de philosophie n'a jamais fait de mal, vous ouvrirez votre livre à la leçon trois sur le nihilisme. Moins électrique – courant basse pression mais continu – ce troisième morceau semble presque joyeux, le charme étrange des cimetières, la voix toujours d'outre-tombe, la batterie imitant le bruit des fémurs claquant contre le bois des cercueils, une guitare qui pique d'étranges crises d'euphorie non hystériques, bref on n'est pas près de laisser sa place, on est trop bien assis sur une tombe à écouter ces bruits de nulle part qui résonnent dans notre tête. Sex on a grave : nous entrons dans le vif du sujet mort, rien à dire, l'amour à mort vous requinque un macchabée, pour un peu on comprendrait le chanteur, déclare que c'est magique, quand le soir vous ne savez pas quoi faire, voici au moins de quoi vous occuper. La guitare a du peps et la batterie procède par enjambées folâtres. Même si vous n'avez pas une tombe à votre disposition dans le living-room, z'avez envie de vous dégourdir les membres. C'est comme les éléments mais c'est le cinquième qui fait la différence. Permet de participer aux gustations divines. A grave, ils exagèrent leur tonus-fuzz on s'en fera toute une rangée. Mortel mais pas morbide. Like you and I ( like a knife ) : une histoire d'amour, drôlement bien balancée, chapeau au batteur, à cette guitare qui boîte de conserve, pour le vocal c'est parfait, on imagine le drame, on s'arrête pour jouir du solo de guitare, toujours dans le style Hendrix du pauvre, ce qui est déjà d'une richesse au-dessus de la normale, imaginez donc que votre médiator soit un couteau et que pour faire plaisir à votre instrument qui tient le rôle de l'être féminin, donc imparfait puisqu'il est vivant, vous lui procurez jouissance en lui enfonçant la lame, doucement, dans le corps qui tangue, sans à-coups brutaux, relisez La mort de C de l'ange Gabrielle, qui raconte perpétuellement comment le couteau s'introduit dans le foie de C afin de mieux comprendre cette espèce de slow macabre. The lights : dans le livre des morts égyptiens, l'on parle des illuminations qui émanent des champs de Ialou, lorsque l'âme atteint le terme de son voyage, vous ne verrez peut-être rien, mais vous sentirez que même si le rythme ne s'accélère pas vous prenez de l'altitude, quant à l'Eugène qui tient la guitare l'a du génie dans sa manière d'enchâsser les notes comme à la Maternelle l'on enfile les macaronis pour le cadeau de la fête des Mamans, joue sans se presser, le collier possède mille défauts qui par miracle se transforment en diamants noirs d'une beauté absolue. Redneck song : z'ont décidé de nous bluffer. Même pas trois minutes. Mais d'une richesse foisonnante. Six titres que la batterie semble battre avec un temps de retard comme si elle cherchait à imiter la démarche de l'escargot. Et la guitare qui épouse le moindre caillou du chemin. Alors là, à la première seconde c'est retour dans le passé, soyons précis, mid-sixties, jouent à ma petite sœur qui bat le beurre à cent kilomètres à l'heure, la tornade ratiboise, là où elle passe Attila ne repousse pas, l'on pense au Velvet dans ses bons jours, mais ce n'est pas tout, le pire c'est que ce TGV ne dépare en rien les six poussives locomotives précédentes à vapeur, s'inscrit dans la lignée, n'apporte aucune brisure dans le déroulé du film. Sister of mercy : on a eu la petite sœur voici la pitié qui tombe sur vous, se foutent carrément de notre gueule, t'as eu le rock, ben maintenant t'auras le blues, déjanté qui se traîne à la manière d'un couvercle de poubelle sous lequel un groupe de rats s'est faufilé et a entrepris de monter dans leur grenier, ne vous parle pas du tintamarre sur les marches. L'emportent pour s'en servir de trampoline. Des joueurs de blues depuis vingt ans il en naît une quinzaine tous les jours, qui vous refont et électrifient les plans du delta à la perfection, Lunar Funeral ne sont pas des partisans de l'embaumement, z'aiment que les cadavres rampent encore à toute vitesse sur leur lit d'asticots, première fois que j'entends un blues à la ressemblance de notre monde angoissant certes, mais surtout désopilant quand on y pense, un blues qui se lamente à la manière des crocodiles tapis au fond du bayou de la modernité, qui connaissent la fin de l'histoire et qui savent que riront bien ceux qui dans la mare se marreront les derniers. Je vous résume cela en une formule lapidaire : un blues anti-écologique. Mort aux pleureuses. Suicide : là ils exagèrent, si vous pensiez vous suicider tristement tout seul dans votre coin en versant toutes les larmes de votre corps, eux ils sont pour le suicide collectif, pourraient vous arroser de kérosène enflammé, non comme pour les ravalements de façade, ils vous éclaboussent avec un gros tuyau au mortier de suicide. Tout de suite c'est beaucoup plus gai, vous vous sentez comme les carcasses de Pompéi immortalisées dans leur gangue de cendres. Souriez dans deux mille ans les touristes se déplaceront en masse pour vous admirer. Peut-être même qu'ils viendront baiser sur votre tombe. Preuve que votre sex-appeal n'était pas un leurre.

    Fabuleux. Du coup ce qui n'était pas prévu au programme, j'ai écouté leurs deux premiers morceaux, puis enchaîné sur leur deuxième album.

    LUNAR FUNERAL

    ( Bancamp / Février 2016 / Avril 2016 )

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    If you stay away : pas de surprise z'avaient déjà leur style en main mais pas parfaitement accompli en le sens où le morceau reste inscrit dans une interprétation blues très classique, une voix un peu trop chantée, une rythmique un peu trop appuyée – l'on sent les accointances originelles avec les trois temps de la valse – par contre là les solos déjantés de la guitare sont déjà en place, cette sensation de conduire une voiture sur les deux roues à plat sur le bas-côté, blues borderline qui s'apprête à délaisser le ruban goudronné pour de futurs dérapages incontrôlés.

    Cut my vein : feutre claudicant, cette voix par-dessous, encore un peu trop musical - l'on cherche le beau son, l'on sait ce que les gens au son trop polis sont, d'ailleurs la guitare furète dans les buissons pendant que la batterie bat le rappel de la meute qui ne vient pas. L'on sent que le groupe court deux lièvres à la fois, soit foncer sur l'autoroute, soit rechercher l'embardée, trop d'indécision, sur la fin l'on aurait envie qu'ils choisissent, cela nous tarde, mais ils terminent sans avoir opté pour un des pots à moutarde. L'on a envie de leur crier, la pétarade !

    ROAD TO SIBERIA

    LUNAR FUNERAL

    ( Regain Records / Avril 2021 )

    Quand on parle de Sibérie tout de suite l'on pense au goulag et patati et patata, l'on a envie de réciter la déclaration universelle des droits de l'homme et tutti quanti... ne réagissons pas à la manière des chiens de Pavlov trop bien apprivoisés, la pochette ne montre aucun champ de fils barbelés... elle exhibe un guerrier, s'adjuge en seigneur toute la place, domine à lui tout seul la steppe entière, n'est armé que d'un ridicule bouclier, et d'un faisceau de bâtons qu'il brandit fièrement comme s'il faisait face à une armée. Il est l'homme immémorial, le chamane, celui qui avale l'esprit des animaux pour s'adjuger leur force, leur ruse, leur agilité, leurs facultés naturelles que nous avons perdues. Le véritable esprit de résistance est ici dans cette capacité à devenir le réceptacle des énergies animales et végétales.

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    Introduce : Les mêmes guys mais plus le même groupe. Commencent toujours par ce son tire-bouchonné qui débute systématiquement tous les morceaux. Dans la chronique précédente nous avions entrevu les deux voies qui s'offraient à eux. Ce deuxième morceau était prophétique, Road to Siberia s'éloigne de cet amateurisme de génie aventureux du premier album. En quatre ans le son a changé. On les qualifiait de groupe stoner-doom en leurs débuts, et aujourd'hui on les désigne comme une formation garage à tendance psyché, l'est sûr que ces appellations passe-partout sont par trop évasives, s'il fallait les utiliser encore, j'invertirais les étiquettes, leur premier album sonne bien plus garage que celui-ci. Le combo a mûri. Le son s'est étoffé, l'a acquis de l'expérience et une épaisseur doomique bien supérieure à ces plongées erratiques expérimentales qui faisaient le charme fou de Sex on the grave. Cette introduction resserre les boulons. The thrill : onze minutes achilléenne, prennent le temps d'exposer leur projet, du rock épileptique l'on passe au blues mélodramatique, batterie majestueuse et gerbe enflammée de guitares, la violence par-dessous, mais tenue en laisse pas du tout déjantée, la voix a forci, nécessaire car l'amplification sonore l'exige, le morceau porte bien son titre, l'on prend son pied, un motif arabisant, que l'on se complaît à écarteler afin qu'aucun détail de la planche à vivisection ne nous échappe, des réflexions se bousculent dans notre tête, lorsque les groupes veulent s'éloigner des sentiers balisés du rock, les divergences possibles ne sont pas incalculables, soit l'on singe le classique, l'on peut dire que l'on électrifie les lampadaires qui marchaient au gaz, soit l'on se tourne vers la musique monodique, ce qui a pour but de fragmenter notre gamme en de nombreux mini-tons ( de valeurs inégales ) qui à l'oreille produit cet effet de décomposition d'une phrase, le Zepplin nous a habitués à cette élongation des muscles du rock y sont parvenus très logiquement par les blue-notes si caractéristiques du blues qui amorçaient le chemin, Lunar Funeral construit avec ce long morceau sa cathédrale gothique flamboyant, à croire que l'on assiste aux somptueuses obsèques d'un prince aimé du peuple, et sur la fin les arabesques vocales ne sont pas sans rappeler un appel à la prière lancé du haut d'un minaret. Ne sont que deux, mais l'ensemble est magnifiquement orchestré. Manque peut-être d'un peu de puissance, mais vous contournerez le problème en playing very loud. 25 th hour : retour sur le plancher des vaches maigres du rock'n'roll, quoique très vite apparaissent des guirlandes électriques de notes, clignotent et disparaissent, le blues-rock infrangible poursuit son chemin impavide pavé des meilleurs intentions qui ne nous mènent pas en enfer dans une espèce de mid-tempo gémissant, sur lequel la voix se love tel un serpent qui s'enroule autour d'un tronc pour entreprendre l'ascension afin de se saisir de la nichée d'oisillons dans le nid. Le monde est souvent cruel. Black bones : l'on repart sur un rythme de casseroles avec la voix projetée en plein dedans, l'impression que l'on vous parle depuis le fond d'un tuyau, la guitare vrombit comme une basse, la batterie agite ses cymbales et dans le lointain un riff claironne, et l'on tombe sans préavis dans un charivari brinqueballant qui n'a pas l'air de savoir où il doit aller. Le son saute d'une de vos oreilles dans l'autre en un perpétuel et déclinant mouvement de balancier. Lorsque c'est terminé vous avez envie de vous ébrouer à la manière d'un chien qui sort de l'eau. Des rigoles de son sont absorbées par le sable de la plage. Silence : avec un tel titre l'on sent le coup fourré, en tout cas c'est joli tout plein, et le vocal est une véritable partie chantée, pour une fois c'est d'ailleurs la voix qui domine et montre le chemin, pas très silencieux, mais un vocal royal qui renoue avec les influences orientalisantes, comme par hasard le titre prend son temps, il dépasse les huit minutes, nous voici partis pour une nouvelle symphonie basrocke, chœurs et orchestrations l'on rentre dans les pâturages d'une certaine grandiloquence, n'y a plus qu'à se laisser porter par les circonvolutions sonores entrelacées à charmer les serpents. Si vous n'aimez pas les reptiles suivez les volutes de la fumée des narghilés qui s'évanouissent dans l'air. Your fear is giving me fear : un bon rock bien lourd qui sème ses graines à tout vent pour rassurer les auditeurs qui n'aiment pas trop s'aventurer en terres et cultures étrangères. L'envie de dodeliner de la tête comme un headbanger du bon vieux temps du hard, attention tout de même, y a de temps en temps des fissures peu catholiques qui peuvent vous prendre en traître et vous jeter au fond de ravins insondables. Regardez où vous mettez l'oreille, l'est sûr que l'on se dirige vers un but certain, mais le chemin est trop tortueux pour être honnête. Don't send me to rehab : l'on comprend, ce n'était qu'une ouverture pour les onze minutes finales. Une partition. Les incontournables sont présents : la lourde lenteur rythmique de la batterie, la belle résonance de la guitare, la voix qui drive et commande, l'on attend la surprise qui ne vient pas, amble monotone du dromadaire qui foule le sable des dunes interminables, l'on est bercé par ce balancement régulier qui n'achoppe que très rarement, et cette voix de solitude enfermée en elle-même qui ne parle qu'à elle-même, à tel point que la guitare joue le blues en pointillés dans les rares moments où elle se tait, on ne s'ennuie pas mais on n'éprouve aucune émotion sinon cette torpeur funèbre qui envahit le monde.

    Ce deuxième album n'est pas la répétition du premier que nous préférons. Le groupe a progressé mais ce qu'il propose est davantage calibré, sans défaut, mais pas inattendu. L'opus est de grande qualité, mais si vous devez n'en écouter jetez votre dévolu sur Sex on the grave, il est beaucoup plus grave, beaucoup plus gravement rock'n'roll.

    Un groupe à suivre.

    Damie Chad.

     

    FAN ? FAN ? FAN ?

    Jusqu'à ce jour pour ma part je n'ai inventé que pas-grand-chose, hélas aucun investisseur n'a jamais voulu m'aider à commercialiser cette notion qui pourtant pourrait leur rapporter gros, généralement les entreprises ne nous vendent que du rien, de l'insignifiant ou de l'insipide, du vent... Il est sûr qu'à proposer à nos concitoyens, qui en règle générale ne font pas grand-chose de leur existence, cet ennuyant pas-grand-chose prêt à l'emploi leur épargnerait bien des tracas, le seul fait d'acheter leur ration journalière de survie de pas-grand-chose leur apporterait un degré de satisfaction encore jamais atteint, l'argent qu'ils investiraient pour combler ce vide existentiel, leur procurerait un sentiment exaltant de plénitude, ils auraient ainsi l'impression que leur vie aurait un prix. Quant à cette notion de pas-grand-chose l'on saurait exactement la définir puisqu'elle serait cotée en bourse.

      • Damie, tu nous les brises avec tes délires à la noix de coco pourrie !

      • Ah ! je suis comme tous les génies supérieurs de l'humanité, vilipendé par la foule des médiocres helminthes qui m'entourent, tu n'as donc pas compris la critique radicale du mode opératoire du capitalisme sous-tendue par ma proposition, je...

      • Change de disque Damie, tu nous fatigues !

      • Bon, puisque vous ne voulez pas de mon invention, je vais évoquer, celle d'un autre, musicale par-dessus le marché, dont vous pouvez entendre douze des treize premières applications sur Bandcamp !

      • Enfin du sérieux, nous sommes tout ouïe Damie, peut-être pas comme les abeilles de l'Hymette qui venaient butiner le miel des paroles sacrées de Platon qui coulaient de ses lèvres, mais nous t'écoutons !

    PRESENTATION DE L'INVENTEUR

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    Pas tous les jours que l'on puisse, à la terrasse d'un café – ne voir en cette précision aucune pandémique allusion circonstancielle – discuter avec un inventeur. Les plus vieux, pardon les moins jeunes, kr'tntreaders le connaissent depuis longtemps, l'était déjà au sommaire de notre vingt-huitième livraison du 25 / 09 / 2010, nous chroniquions alors deux de ses concerts agrémentés à chaque fois d'une exposition de ses tableaux. Une partie de notre livraison était titrée Le rock sans guitare. Pour ne rien vous cacher Frédéric Atlan est peintre et musicien. Pour faire plus court nous le présenterons comme une espèce d'arctiviste en roue libre doué d'un esprit inventif et ingénieux. Passe parfois sur Provins d'où de temps à autre une rencontre au café... Vous ne le connaissez pas. Prenez un billet d'avion pour le Japon, l'on vous parlera de lui. L'a des idées intéressantes. Notamment sur les réseaux sociaux, s'en méfie en tant que peintre, à force de présenter au fur et à mesure de leur réalisation ses tableaux au compte-goutte, la force du projet en cours s'amenuise, se dilue, ne provoque plus le choc émotionnel espéré lors d'une exposition qui devrait être inaugurale et qui apparaît comme la liquidation d'une fin de série... Les musiciens feront le parallèle avec les morceaux qu'ils postent en avant-première sur les réseaux-sociaux... L'a profité du confinement pour se mettre au vert ( expression idéale pour décrire le repos du peintre ), ne dévoile pas ses ( prochaines ) batteries et nous met au courant de sa dernière et prépandémique invention : la

    MUSIQUE PROTOCOLAIRE

    Rien à voir avec ces hymnes officiels qu'un orchestre professionnel souvent militaire flonflonne pour la visite d'un chef d'état. Pour qu'il n'y ait pas d'ambivalence Frédéric Atlan a rédigé un manifeste sobrement intitulé Manifeste de la Musique Protocolaire. Il n'est pas très long, mais je vous le résume.

    La musique protocolaire est dite protocolaire parce qu'elle débute par l'élaboration d'un protocole écrit. Toute personne qui a envie de participer à un concert précis doit être présente à la réunion de préparation, qu'elle soit musicienne ou non. Chacun décrit le son ou les sons dont il veut être l'instigateur. Vous pourrez emmener par exemple votre trombone, ou des sons pré-enregistrés, ou des ustensiles divers – caresser des vêtements de poupées, brûler votre carte d'électeur, soyez imaginatifs - dont vous tirerez des bruits qui vous agréeront, lire un texte si vous le désirez... Ensuite les participants doivent se mettre d'accord sur leurs interventions, en solo, en groupe, en-sous-section... L'architecture du morceau est ainsi définie à l'avance. Quelques jours plus tard vous recevez votre copie du texte élaboré en commun, vous avez le droit de proposer des changements, quand tout le monde est d'accord, une date, un lieu, une heure est fixée. Pas de répétition. Pas d'entraînement. Le jour J, à l'heure H, le concert débute...

    CRITIQUE ET CONTRE-CRITIQUE MANIFESTES

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    Rien de révolutionnaire. N'est-ce pas ainsi que travaillent bien des groupes qui mettent en train un nouveau morceau, l'on ne note peut-être rien sur un bout de papier mais l'on cause un max. Objection acceptable certes, mais la musique protocolaire ne se permet jamais d'essayer, de faire entendre ce que l'on a envie d'apporter. La musique protocolaire refuse les tâtonnements expérimentaux, les essais et les brouillons, elle est beaucoup plus intellectuelle. Alors qu'elle est composée de matérialités sonores elle n'en demeure pas moins un objet de grande abstraction. En cela elle se démarque totalement des pratiques habituelles. Elle se distingue aussi de l'improvisation jazz, ou de l'arrache-punkotuosidale. Je la rattacherais plutôt à la pratique surréaliste du cadavre exquis encore que celle-ci soit biaisée par le niveau d'habileté langagière dont des participants sont capables.

    Telle que nous l'envisageons la musique protocolaire est davantage un assemblage de sons que de notes. Nous sommes aux limites du noise, autant pour s'en évader que pour y entrer. Le mieux est encore d'aller y voir par nous-mêmes.

    PROTOCOLE # 1

    Je vous recopie le protocole 1 in extenso : conçu par huit participants musiciens et non musiciens :

    Daniel Azélie ; trompinette, bugle et autres cuivres, objet, micro ''contact'' / Véronica Lombardi : lecture et manipulation de sculptures en tissus. Sébastien Gabard : synthétiseur analogique, pédalier basse et ordinateur. MP#H1-4 : noise box. Simon Girard : synthétiseur, oscilloscopes, caméra. / Tiziana Puleio : voix. Frédéric Atlan : tuyau, micro, jack, oscillateur. / De Motu Cordis : voix, boîte à rythmes, effet.

    Le protocole comporte dix séquences. L'enchaînement des séquences peut se faire en surimpression et decrescendo ou par juxtaposition '' cut''.

    1 : Veronica Lombardi manipule des sculptures sur lesquelles sont installés des micros '' contact''. Simon Girard reprend les signaux visuels et sonores, et les rediffuse en les réinterprétant.

    2 : MP#164 crée des textures avec une noise box ; il est rejoint par les voix de Tiziana Puleio et de De Motu Cordis.

    3 : Sébastien Gabard et Frédéric Atlan improvisent un duo de basse pour tuyau PVC et pédalier de basse.

    4 : Le son du tuyau se transforme et annonce l'entrée de Daniel Azélie aux cuivres. Puis le tuyau s'interrompt et Daniel fait désormais évoluer les cuivres sur un rythme lancé par Sébastien.

    5 : La séquence précédente s'interrompt brutalement avec l'intervention de Simon Girard qui lance un sample minimal ( solo ) et De Motu Cordis qui intervient avec des chants aigus.

    6 : L'ensemble des participants jouent chacun un son minimal qui se répète.

    7 : Nouvelle séquence de Daniel aux cuivres accompagnés de Tiziana et de De Motu Cordis.

    8 : Veronica entreprend la lecture d'un texte a capella.

    9 : MP#1-4 rejoint Veronica avec sa noise box, puis Sébastien produit des nappes de sons tandis que De Motu Cordis diffuse un rythme texturé.

    10 : L' ensemble des participants émettent simultanément un son continu qui la clôture du protocole #1

    Musique protocolaire - Protocole #1 : 8 février 2018 à 20 heures au 100 ECS, cent rue de Charenton. Paris 12ème.

    Vous avez lu, filons sur Bandcamp écouter le résultat !

    Protocole #1

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    Bruitiste mais pas surprenant. Le résultat s'écoute aussi facilement qu'un morceau de musique classique. L'on s'aperçoit que les expérimentations sonores du siècle dernier ont porté leurs fruits. Le côté dadaïste et provocateur a totalement disparu. Nous disposons d'une niche auditive pour accueillir ce genre de bruitage qui ne veut ressembler qu'à lui-même sans être choqués ou vivement interpelés. La question n'est pas d'aimer ou de ne pas aimer mais de savoir à quoi, en quoi, cette production pourrait un jour ou l'autre incessamment proche nous être utile quoique nous n'accordions aucune fonction utilitariste ou utilitaire à l'art. Cette musique – employons ce terme à défaut d'un autre – ressemble trop à notre monde pour nous être insupportable. Le sentiment esthétique n'est-il pas proportionnel à la congruence de la notion de plaisir avec le ressenti affectif de notre inscription dans la trame de notre vécu. Rupture ou adhésion. Ces deux postulations sont à considérer en dehors de toute appétence moralisatrice, l'art de faire ne serait-ce que du bruit pour se situer dans l'univers se situe au-delà du bien et du mal, du bon et du beau, du juste et de l'injuste. Le son n'est pas une idée, il ne participe que de lui-même. Nous le considérons en la phrase précédente hors de toute intention.

    Deux choses qui me gênent, les applaudissements à la fin qui nous ramènent à quelque chose d'habituel, qui ne sort en rien de tout rituel d'humanoïdes policés, et le passage du texte lu - le fait qu'il soit en langue étrangère n'est en rien ennuyant, au contraire nous l'entendons en tant que son sans prêter le moindre sens - une voix humaine et donc normalisante, qui ressemble à celle de votre voisine de palier, ce qui est d'autant plus dommageable que les sons sont songes phoniques, nous emportent dans un univers de science-fiction, l'esprit lâché en liberté vagabonde tout à son aise, l'imagination nous laisse le champ libre de monter notre propre scénario.

    Protocole # 4 ( 28 / 03 / 2018 )

    Dinah Douïeb / Nicolas Boone / Thomas Lyn / Daniel Azélie / Le Rhinocéros / Frédéric Atlan

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    Rien à voir avec le Protocole #1. Ici nous sommes en terres connues. Le début ressemble à un scène de film en anglais, très vite l'on passe à une espèce de documentaire en voix off mais qui attire toute l'attention, ce n'est pas la manière de prononcer les mots mais ce qui est raconté, l'histoire de la naissance du Raï en Algérie, rien d'exemplairement musical, l'on comprend alors que la chose n'est jamais évoquée explicitement en sa dimension révolutionnaire, comment le Raï est une musique fondamentalement anti-religieuse, comment sa genèse s'oppose en touts points à ce désir obsédant de pureté que l'on retrouve dans les trois religions monothéiques méditerranéennes, grondements et poinçonnements, bête caverneuse qui grogne, cette troisième phase débute comme un intermède lyrique, le morceau a déraïllé, voix radiophonique qui cause de système anti-missile, et la boucle se boucle, retour au début.

    Applaudissements qui n'apparaissent pas aussi incongrus et inopinés qu'à la fin du Protocole # 1, ce numéro est constitué de fragments du monde réel, fonctionne sur le principe de l'auberge espagnole où chacun apporte de chez soi ce qui lui semble approprié à la situation. Ce protocole, aussi intéressant et agréable à écouter qu'il puisse être, n'est guère créatif. L'on pourrait le qualifier de classique, d'attendu.

    Protocole # 7 ( 13 / 06 / 2018 )

    Thomas Levée / Frédéric Ravore / Jean Robin Merlin / Daniel Azélie / Simon Girard / Le Rhinocéros / Frédéric Atlan

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    Pianotements introductifs, agressions de rainurages industriels, l'impression d'être dans un vaste atelier d'usine empli de machines diverses en plein travail, cris de voix aigües, arrêt de la machine, démarrage rythmique rock qui s'impose au premier plan, suivi d'un appareil à propulsions répétitives, lieu de production, l'ambiance sonore se diversifie, des échos porteurs de mystères, le processus de fabrication entre dans une nouvelle phase, des voix venues d'ailleurs se mêlent au bruit, à croire qu'elles proviennent de l'espace, les bruits deviennent plus réguliers, moins assourdissants, l'on était sur une monstrueuse chaîne de montagne, l'on régresse au niveau du bricoleur du dimanche matin dans son garage, arrosages, gazouillis monstrueux, piles de pièces métalliques qui s'écroulent, échos, tempêtes d'échos, machine locomo qui avance, le train démarre et s'enfuit, freinage, pressurage, messages venus de l'espace, crissements non égoïstes de scies égoïnes, trompettes dans le lointain, partition de musique concrète, une scie mécanique n'arrête pas de tourner, sons de guitares, basse, rebondissements chromatiques, le bruit se ferait-il musique, concert symphonique, mais le bruit revient tel un moteur d'avion, coups de gong final qui ne marquent pas la fin, des lames s'entrechoquent, coups de clairon, harmonica, tuba disharmonieux, bruit de soudure, et l'on repart en rythme, claudication allègre, arpentages divers, érayures, l'on est presque dans un morceau de rock'n'roll et peut-être même tout-à-fait, rythmique metal et charivari d'enfer, l'on est parti au paradis, mais des sifflement vous cisaillent le cerveau. Applaudissements nourris et mérités.

    Un protocole bien protocrockenroll, musique métallurgique, sans surprise, bien foutue, cette idée que pour produire du metal, il suffit d'avoir le pattern initial et de mettre la machine en route pour au bout du processus mécanique avoir l'objet sonore en main.

    Protocole # 12 ( 21 / 05 / 2019 )

    Simon Girard : voix, synthés, audio et vidéo / Thomas Lyn : ocarina, piano, boîte à rythmes voix / Frédéric Atlan : guitare lyre, piano préparé, voix, boîte à rythmes, piezzo

    ( chips écrasés, papier à bulles écrasées, mâchouillages, drone )

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    Emiettements, douces sonorités musicales ce qui n'empêche pas l'installation d'une ambiance mystérieuse, bruits de bouches et toujours ces sons venus de loin, détraquage, pétillements de flammes, cris de souffrances, bruits de boîte de conserve – le chien qui dort à mes pieds n'apprécie pas – cris entre exaspérations et miaulements – bizarrement le chien n'y fait pas gaffe - avec une montée sonore progressive, et l'on repart sur des clapotis innocents qui se perdent tandis qu'un engin venu de l'espace ne fait que passer, il est loin et l'on sent l'accélération qui s'éteint dans le lointain, ne reste plus que des friselis de sons dans les oreilles, ça s'en va et ça revient pour se terminer en pets buccaux néanmoins rythmiques, une onde de mystère vous traverse le ciel à la manière de soucoupes volantes, les computeurs reçoivent un message, rien de méchant, ambiance quiète.

    L'antithèse du morceau précédent. Pas de bruit. Mais du bruitage à dimension humaine. Une composition méditée. Une question insidieuse, qu'est-ce que la démarche protocolaire apporte de plus à cette musique ?

    Protocole # 13 ( 04 / 06 / 2019 )

    Thomas Lyn / Simon Girard / Frédéric Atlan

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    Conformément aux habitudes de présentation en vigueur sur Bandcamp, les œuvres à écouter sont accompagnées de la pochette du disque dont elles sont issues ou d'une illustration. J'avouons que le rapport entre les images proposées par Frédéric Atlan et les morceaux enregistrés ne m'est presque jamais apparu évident. Toutefois pour ce dernier opus, le protocole précise que nous sommes au lever du jour dans une forêt équatoriale et qu'au début l'on entend des chants d'oiseaux – déjà Beethoven dans sa pastorale... - toutefois nonobstant que je n'ai jamais mis les pieds en Afrique, cette région montagneuse n'a m'a pas trop l'air équatoriale...

    Z'en effet l'on entend les zoziaux au plumage multicolore ( rêvons ) pépier sans contrainte, sont bientôt rejoints par ce qui ressemblerait à l'amplification du vol d'une mouche tsé-tsé, plus un bruit de fond que le protocole qualifie de granuleux, grondement d'orage, bruit d'appareil électronique en détresse, picotements de bâtonnets à percussions et une belle voix féminine surgit, le temps et l'espace semblent s'étirer indéfiniment, éloignements divers, bruits des quatre saisons, oscilloscopes qui se télescopent, dialogue de film, un train à grande vitesse se précipite sur nous, passe et disparaît.

    Des morceaux que nous avons écoutés, celui-ci est le plus décevant. Nos protocoleurs seraient-ils fatigués, ne sont plus que trois, ont-ils déjà tout donné, la formule a-t-elle épuisé ses possibilités... cette treizième séquence n'emporte pas l'adhésion, l'imagination n'est pas au rendez-vous, ressemble un peu à ces sandwichs que l'on remplit sans réfléchir avec les restes du frigo, sans se soucier d'harmoniser les saveurs, qui vous laissent sur votre faim. Dépasse à peine les six minutes. Précisons que tous les morceaux proposés ne sont pas des reprises à l'identique. Les prestations sont d'après nos estimations réduites de moitié. Ce qui sous-entend que certains moments doivent être par trop répétitifs. Souvenons-nous que sur un disque l'on n'a pas droit non plus à l'intégralité des séances d'enregistrements.

    Indépendamment des résultats obtenus, cette notion de musique protocolaire sortie de l'esprit fertile de Frédéric Atlan, ne me satisfait pas pleinement. Je ne saisis pas ce qu'elle apporte de plus à l'auditeur ni non plus en quoi elle influe d'une façon intrinsèque et particulière sur l'originalité de la forme de la production obtenue. Par contre je conçois très bien que les participants puissent y prendre leur pied. S'amuser comme des fous et ressentir un maximum de plaisir. Sans doute cette notion demande-t-elle à être approfondie en son essence d'Acte agissant.

    Damie Chad.