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robert palmer

  • CHRONIQUES DE POURPRE 681 : KR'TNT ! 681 : PETER PERRETT / DAVID JOHANSEN / ROBERT PALMER / P.P. ARNOLD / TARHEEL SLIM & LITTLE ANN / COLONNE IPERBOLICHE / JEAN-PAUL BOURRE / SLEEPING IN SAMSARA

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 681

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 03 / 2025 

      

     PETER PERRETT / DAVID JOHANSEN

    ROBERT PALMER / P.P. ARNOLD

    TARHEEL SLIM & LITTLE ANN

      COLONNE IPERBOLICHE / JEAN-PAUL BOURRE

    SLEEPING IN SAMSARA

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 681

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Perrett et le pot au lait

     (Part Two)

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             Peter Perrett fait partie de ceux qu’on attend comme les messies. Ils ne sont plus très nombreux, car le messianisme suppose une carrière longue de quarante ou cinquante ans. On pourrait citer quelques noms, tiens Frank Black par exemple, Billy Childish, ou encore John Cale, ou bien encore Anton Newcombe. Presque des institutions.

             C’est une véritable rafale d’articles qui salue le grand retour de Peter Perrett. La presse anglaise n’y va pas de main morte : 5 pages dans Shindig!, 6 dans Uncut, 4 dans Vive Le Rock, mais attention, ce sont des interviews, et les interviews de Peter Perrett ont une sacrée particularité : elles sortent du lot. Et sacrément du lot. Et il ne raconte jamais deux fois la même chose.

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             Dans Shindig!, Jon Mojo Mills qualifie Peter Pan de «romantic bohemian punk poet», pas mal, Mills !, avant de lui poser les meilleures questions qui soient ici-bas, attaquant sur le Mod Peter, lui demandant ce que c’est d’être Mod, et il répond du tac au tac : «It’s an appreciation of a certain style.» Tout l’interview est de ce niveau - Steve Marriott was the guy I wanted to look like - Il dit voir les Small Faces live en 1966, au Windsor Jazz & Blues Festival. C’est son premier concert - The sound just blew me away on the wind - Puis il voit Geno Washington au Marquee, «which was sweaty». Et puis ça qui en dit long sur la finesse du bec fin : «Then I heard the Pink Floyd’s ‘Arnold Layne’ and everything changed.» Deuxième connexion : après les Small Faces, Syd. Puis il voit les Creation. Il explique ensuite que les Mods sont devenus soit des hippies, soit des skins et prend l’exemple de Steve Harley devenu un skin. Pour Peter, pas question d’entrer dans une catégorie - By the time I’d got to 15 and a half, almost 16, I wanted to be an individual - Puis c’est la découverte du Velvet - That changed everything, again - Il y découvre l’enfer et le paradis - I became obsessed with them.

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             Il monte son premier groupe, England’s Glory et pour l’anecdote, Mills raconte que ça sonnait comme un bootleg du Velvet, ce que croyait Nick Kent en 1977. Puis c’est le contrat avec CBS - I signed with CBS because Bob Dylan’s on CBS - Dans la foulée, il rend hommage à McLaren et Vivienne Westwood «as being anti-fashion» - They had clothes that were the antithesis of fashion - Il voit les Pistols pour la première fois en 1975 au Chelsea College Of Arts, «and everybody hated them. That’s what was good about it.» Puis une fois que c’est devenu a trend, c’est-à-dire une tendance, avec la une des canards, «it just became fashion». Il évoque rapidement la scène d’alors, et rappelle que la seule personne avec laquelle il est devenu ami, c’est Johnny Thunders. Puis il évoque la tournée américaine en première partie des Who. Les Only Ones se sont fait jeter - Apparently, we weren’t warming up the audiences the right way - Peter raconte qu’on les autorisait à n’utiliser que 5% de la sono, «we weren’t loud enough». Les gens parlaient pendant qu’ils jouaient. Une catastrophe.

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             Puis il évoque son retour dans le rond du projecteur - I stopped smoking everything, including nicotine. I haven’t had one puff since - Il reconnaît que ses «lungs were really damaged. You have to think about where you’re going to take a breath.» Il parle du chant, bien sûr. Il dit aussi qu’il ne voit plus grand chose - I can’t see any of the knobs on the amp - Et Mills qui est assez pince sans rire lui demande «a funny tale from the heavyness of the drug days.» À quoi Peter répond : «This is pretty dark. How about all the times I set the house on fire?» Et il ajoute un peu plus loin : «It was chaos.»

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             Dans Uncut, il répond aux questions de Stephen Troussé qui commence par le titiller avec la re-formation foireuse des Only Ones en 2007. Peter dit qu’il n’était pas en état, qu’il was still using drugs et que sa voix était complètement fucked. Il était mal, car il aime bien faire les choses proprement - When I do thing I like to do it properly - et là ce n’était pas le cas. Il en profite pour dire que les promoteurs payent trois fois plus quand c’est les Only Ones, plutôt que Peter Perrett. Mais pour Peter, il n’y a plus d’Only Ones depuis que Mike Kellie a cassé sa pipe en bois - Without Kellie, it’s not the Only Ones - Et il rentre dans le vif du sujet : «Back in the 1970s, The Only Ones were my favourite band.» Il rappelle aussi que Johnny Thunders et lui étaient plus âgés que les punks. Ils avaient quatre ans de plus. Il adorait jouer avec les Only Ones - They alowed me... to disintegrate onstage - Puis Troussé lui demande : «How long have you been clean?», alors Peter dit qu’il s’est arrêté de fumer le jour de son annive, April 8, 2011. Et il redit ce qu’il a dit à Mills plus haut, mais avec plus de détails : «I haven’t smoked any heroin, crack, nicotine, grass or hasch since then.» Au moins, comme ça c’est clair - I could fucking breath again - Pour stopper l’hero - I’d been taking it for 35 years and you can’t just stop - il est passé à la méthadone et le traitement s’est terminé en 2015. Quant aux roots, il revient bien sûr sur les Small Faces, mais aussi sur les Who - When I was 13 I bought the first Who album - les Stones et les Kinks - But then I heard «Like A Rolling Stone» and it was the next epiphany - et il s’enflamme  : «Music became art for me at that moment, it became life. And it became my escape.» Puis c’est le Velvet, encore pire que Dylan - They were talking to me the same way that Dylan did, but with a sound that blew everything away - Et pouf, il part sur son weapon, «Sister Ray» - And when the second album came out, «Sister Ray» was my weapon - Dans les fêtes, dit-il, les gens le suppliaient d’arrêter de passer «Sister Ray». Il en rigole : Ha ha ha ! Arrêter ça ? - I said I couldn’t hit it sideways/ I said I couldn’t hit it sideways/ Oh, just like Sister Ray said - Impossible ! C’est le détail qu’on retient le mieux de Peter Pan, son obsession pour «Sister Ray». Son autre obsession est l’exigence : «It’s a thing of not wanting to write bad songs.»

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             Il revient bien sûr sur son état de santé. Il rappelle que Zena et lui ont des poumons dans un sale état et pendant le confinement, ils ne sortaient de chez eux que pour des rendez-vous à l’hosto. C’est lors d’un rencart qu’il glisse de sa chaise et qu’il se casse la hanche. Il est resté à l’hosto 13 jours. C’est là qu’il a commencé à rapetisser - I’ve shrunk by three inches - Et il ajoute ça qui sonne comme un vers de chanson : «One more fucking medical problem to add to the litany.» Puis vient le temps de la rééducation. C’est Douglas Hart qui le fait marcher - He single-handedly rehabilited me - Puisqu’on est dans les Mary Chain, Troussé en profite pour évoquer Bobby Gillespie qui chante sur The Cleansing - Bobby lives round the corner - C’est pratique. Peter dit aussi avoir rencontré Lou Reed en 1972, alors qu’il enregistrait avec England’s Glory. Le Lou utilisait le même studio. Il s’est assis à côté de Peter et Zena et suppliait Zena to let him eat her. Peter ne comprenait pas ce que ça voulait dire. Par contre, c’est autre chose avec Johnny Thunders qu’il a rencontré pour première fois au Speakeasy, en 1977 - Johnny est arrivé et a dit : «Hi, I’m Johnny Thunders and I love your voice.» That was a great opening line, that’s the way to a singer’s heart. I’m like, OK, this might be interesting.

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             Le nouvel album de Peter Perrett s’appelle donc The Cleansing. Il porte bien son nom. The Cleansing se présente comme un événement et ça commence par la pochette. Avant d’entrer dans le contenu, tu observes le contenant, comme au temps jadis, quand les pochettes décidaient presque du sort des albums. Tu le vois, en noir et blanc. Il est tellement carré d’épaules que ça te semble bizarre. Les images parfaites te semblent toujours bizarres. Les lunettes sont comme «modernisées», comme les épaules, avec deux ou trois centimètres d’extension de chaque côté du crâne. Le menton est petit et la bouche pincée, le col blanc très aéré autour du cou, la mise est simple, le dépouillement semble vouloir annoncer le contenu. Straight. Au dos, l’image est encore plus troublante, derrière des lunettes encore plus «modernistes», Peter Perrett hausse le sourcil, comme s’il t’observait. Son grain de peau évoque à s’y méprendre celui d’un cadavre vivant. C’est Peter Perrett que tu observes et qui t’observe. T’as clairement l’impression d’observer une superstar. Avec «I Wanna Go With Dignity», tu commences à boire ses paroles, au sens le plus littéral de l’expression. Le big sound t’accueille. Te voilà rendu sur un very big album, et ce sera sans le moindre doute le plus bel album de l’année. Peter Pan demande juste à partir avec dignité, please help me. Te voilà stupéfait. Et t’es happé aussitôt après par «Disinfectant» que Peter chante à la Perrette, avec son kid Jamie au killer solo de lumière intense. Jamie perpétue le grand art instauré jadis par John Perry. Tu t’aperçois très vite que chaque cut est une fin en soi, chaque cut t’accueille à bras ouverts, Peter Pan crée un monde à chaque fois. Il rend un bel hommage à sa poule avec «Fountain Of You» - I drink the juice/ At the fountain of you - Pur genius de romantica perettienne, c’est même l’une des plus belles chansons de tous les temps, comparable à «Pale Blue Eyes» - I stand in line/ A thousand times - The Cleansing est un double album qui va aller se ranger à côté des grands doubles historiques comme le White Abum et Electric Ladyland. Peter Pan amène «Secret Taliban Wife» en mode stomp. C’est une chanson érotique. Tout est précieux et beau sur cet album, comme dans un recueil de vers de Baudelaire. Peter Pan fait rimer black avec whatsApp, ce qu’aurait osé Baudelaire s’il avait vécu à notre époque. Sur le «Woman Gone Bad» qui ouvre le bal de la B, il gratte une fuzz et fait de l’heavy Perrett. Il chante comme un punk à coups de There’s a fortune to be made/ Cos it’s a dangerous condition. Et comme toujours, il a ces chutes abyssales typiques de long lost memory/ Where innoncence died/ It died. Tu vas tomber de ta chaise avec «Survival Mode», car après un couplet, ça explose à coups de seek precision in desire. Sur «Mixed Up Conficius», Jamie fait un véritable festival, il éclaire la terre, il joue sur son père qui ergote - I just wanna fall in love/ One last time - Cet album est un véritable testament artistique, le testament d’une superstar. Et puis t’as encore la voix avec «Do Not Resuscitate» - Just let them know/ Before it’s too late - Ce sont les paroles d’un rock God - I don’t look good/ I’ve had enough/ Just need a friend to give me the stuff - Seul Peter Perrett peut se permettre de jouer ainsi avec le stuff. Et puis avec le morceau titre, il avoue qu’il ne sait rien du futur ni de l’after-life. C’est tellement demented que t’en tomberais presque dans les vapes. Il repart en C avec l’atrocement mélancolique «All That Time» - Took no time to question/ What we’d done - et il passe au supra-power avec «Set The House On Fire», c’est l’absolu du we never slept/ We did it all night/ I’m obsessed with doing it right/ We carried on/ Doing our thing/ When it’s good/ the angels sing - Les déroulés vocaux sont tous effarants. Encore du maudit génie d’ultime dandy dans «There For You» - It’s all I can do/ To be there for you - Il élève sa diction cadavérique au rang d’art majeur et lâche ça, qui en dit long sur la portée de son There For You : «If you recognise me/ Make a sign.» Plus loin, tu vas croiser l’effarant «World In Chains», avec Johnny Marr aux poux et Alice Go qui chante un couplet, mais ça reste du pur jus d’Only One. Quand ça se met en route, c’est stupéfiant de classe. Il revient encore à ses roots avec l’explosif «Back In The Hole» - I got no voice/ Can’t even scream - et Jamie embarque le «Crystal Clear» de fin au firmament. Quelle envolée de crystal clear ! Jamais un cut n’a aussi bien porté son nom.     

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             Dans Vive Le Rock, Duncan Seaman trouve que les chansons de The Cleansing sont un peu dark, et Peter Pan corrige le tir : «Most of my songs are about love and the close relationships that a human being can have with another human being. It counterbalances the darkness.» Il dit aussi avoir approché The Cleansing comme s’il s’était agi de son dernier album. En plus, c’est un double album et Peter Pan reconnaît que c’est gonflé à une époque «when people have got the attention span of thirty seconds or half a song». Et il développe : «Je sais que je ne vais pas intéresser la grande majorité des gens, ils ne vont pas s’asseoir pour écouter un double album. Je ne sais pas si quelqu’un aujourd’hui sait encore s’asseoir pour écouter 20 chansons à la suite, but I hope that there are some people who enjoy absorbing music in that concentrated form.» Il ajoute que pour beaucoup de gens, la musique est devenue une sorte de background, «I don’t think my music is great as background music. It’s something that you have to immerge in, it requires quite an investment of time and concentration, but hopefully it’s a worthwhile for the people to do.» Il a raison, Peter Pan de dire que ça vaut le coup de s’immerger. Ça relève exactement du même process qu’avec Dylan. Tu t’assois et tu t’immerges. Il dit aussi que l’album s’appelle The Cleansing car «it feels like a new awakening to life and the world.» Il dit être tombé amoureux de la nature et adorer le walking in the park. Il dit aussi que «Fountain Of You» concerne Zena qu’il a épousée en 1970 - It’s a life sentence - Et il ajoute : «She is the person that keeps me alive.»

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             C’est alive and well qu’il débarque sur la scène riquiqui de la Maroquiqui. Il paraît flotter dans son costume noir. Sans doute est-ce l’extrême largeur des jambes du pantalon qui donne cette impression. Peter Pan est à présent légèrement voûté, comme le sont globalement tous les ceusses qui passent la barre des soixante-dix balais. Après ce cap, rien ne va en s’arrangeant.

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    Mais Peter Pan semble avoir de bonnes réserves d’énergie, car il tient la scène - et son rang - pendant 90 minutes, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est extraordinaire de qualité. Moins dandy qu’au Point Éphémère, mais d’une grâce infinie. Voix intacte. Lunettes noires. Look Perrettien. Il incarne mieux que personne le mythe de la légende vivante. Ses deux fils Jamie et Peter Jr l’accompagnent. Il tape essentiellement dans The Cleansing et attaque avec le cut d’ouverture de balda, «I Wanna Go With Dignity» et va finir son rappel avec le «Disinfectant» qui suit dans le balda.

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    Il tape assez rapidement dans son vieux fonds de commerce des Only Ones avec «The Big Sleep» qui n’est pas le meilleur Oner. Par contre il va te broyer le cœur avec «An Epic Story», tiré de l’How The West Was Won paru en 2017. Magie pure ! C’est ce qu’il fait de mieux : caler cette voix ultra-décadente sur une mélodie imparable. Le seul qui ait réussi ce prodige, c’est bien sûr Lou Reed. Et dans une moindre mesure, Kevin Ayers. Il atteint l’autre sommet de son art avec «Fountain Of You». Cut bouleversant sur l’album, alors on imagine ce que ça peut donner sur scène. C’est un moment purement rimbaldien.

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    Tu ne peux rien espérer de mieux d’un concert de rock. T’as tout : le poids de la légende, la crudité de l’instant présent, la perfection artistique, la pureté mélodique, l’extrême beauté de cette voix éculée par tant d’abus, t’as vraiment l’impression de toucher le noyau atomique du rock, l’abstraction devient réalité. Avant le rappel, il balance deux vieux standards : l’inévitable «Another Girl Another Planet» qu’on a tous adoré à l’époque, en 1977, il ressort pour l’occasion tout son vieux panache d’Only One, et il enchaîne avec une version à rallonges de «The Beast», un cut tiré du premier album sans titre des Only Ones et qui, revitalisé, devient une sorte de stormer impavide, tu vois Peter Jr claquer des beaux gimmicks de basse. Ce version démente de «The Beast» va te marquer la mémoire au fer rouge.

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             Peter Pan semble touché par l’accueil du public. Il lui arrive même de sourire, tellement l’accueil est chaleureux. Il s’adresse au public d’une voix cassée et le remercie à sa façon. On le sait, les Anglais ne sont pas très expansifs. Mais cette fois, on le sent ému. On l’observe attentivement, et on se demande ce qu’attend encore un homme de son âge d’un tel événement. Quel sens ça peut avoir ? Besoin de blé ? Besoin de reconnaissance ? Non, c’est pas ça du tout. Soudain, on comprend : il monte sur scène et chante ses compos uniquement parce qu’il aime ça. T’as devant toi un homme qui n’a vécu toute sa vie que pour ça. Il vient d’enregistrer l’un des très grands albums de l’histoire du rock anglais et à 73 ans, il te claque encore un set d’une qualité magistrale. La messe est dite. 

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             Paru en 2019, Humanworld fut le deuxième album du grand retour inespéré. Peter Perrett tapait encore en plein dans le mille. Avec sa marionnette sortie des ténèbres, Humanworld semblait conçu pour hanter les esprits. Cet excellent album chargé d’ambiance s’ouvrait sur «I Want Your Dreams». Peter Pan conservait ses vieux accents perettiens de dandy cocaïnomane des années de braise et ce goût prononcé pour les dynamiques internes. L’affaire se corsait avec «Love Comes On Silent Feet», fantastique swagger de vieux London boy sur la brèche : diction subliminale d’Only One des origines, avec encore plus de swagger dans le ton. Il finissait même parfois par sonner comme Lou Reed, comme on le montrait «The Power Is In You», saturé de nonchalance urbaine. L’hit de l’album se trouvait en B et s’appelait «Walking In Berlin», un hit délicieusement décadent, Peter Pan tartinait ses syllabes comme le fit Lou Reed dans «Walk On The Wild Side» - She walks the day/ She walks the night - Ses fils Jamie et Peter Jr fourbissaient le beat délicat de «War Plan Red» - War plan red/ It’s a shame - Peter Pan n’avait jamais été aussi décadent. Il enchaînait avec «48 Crash», un mambo extraordinairement déliquescent, doté de chœurs venus de l’outerspace - I wanna do something - Tout le psyché d’Angleterre ramenait sa fraise dans «Love’s Inferno» et Peter Pan bouclait son bouclard avec «Carousel» - There’s something with you girl that haunts me - En bon prince des romantiques, il ajoutait qu’it’s like a carousel turning in my heart. Belle déclaration de foi. 

    Signé : Cazengler, Operrett

    Peter Perrett. La Maroquinerie. Paris XXe. 21 février 2025

    Peter Perrett. Humanworld. Domino 2019

    Peter Perrett. The Cleansing. Domino 2024

    Jon Mojo Mills : Set the house on fire. Shindig! # 157 - November 2024

    Stephen Troussé : Terminal lucidity. Uncut # 331 - November 2024

    Duncan Seaman : Blithe spirit. Vive le Rock # 118 - 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Dollse vita

    (Part Three)

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             Que fais-tu quand l’un de tes phares dans la nuit s’éteint ? Tu ressors aussi sec les albums de l’étagère. David Johansen vient de casser sa pipe en bois, alors tu lui rends un dernier hommage en mettant le volume à fond pour écouter les deux albums des Dolls. C’est bien le moins que tu puisses faire.

             Tu vois ces deux albums comme une suite logique. Tu les connais par cœur, mais ils sont comme l’air que tu respires, indispensables à ta pauvre vie de vieux con. Tu les entends en 2025 avec la même oreille qu’en 1974. Cinquante ans ont passé et t’es toujours aussi con, et t’es fier d’être assez con pour être resté fan des Dolls. Ces cinq mecs ont réussi à ne pas se faire avoir et tu les admires pour ça. Ils n’ont jamais vendu leur cul. Alors tu te prosternes une dernière fois. Car c’est bien de cela dont il s’agit : d’un respect infini, quasi-religieux, mais au sens païen. On parle ici de spirit. Le temps des dieux n’a jamais cessé d’exister. Pour une génération entière, les dieux du rock sont une réalité. Ce sont d’ailleurs les seuls que tu honores chaque jour de ta vie. David Jo casse sa pipe en bois, mais son esprit reste parmi nous.

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             Tu peux le palper aussitôt le When I say I’m in love/ You best believe I’m in love/ L/ U/ V de «Looking For A Kiss» et le big bass drum de Jerry Nolan. La prod de Todd installe le trône des Dolls au ciel des dieux. Ça siffle au coin de la rue pour «Personality Crisis», tu peux palper le panache du brio, ça roule tout seul, avec les pianotis de Todd. Sur tout le balda de ce premier album, le son fonce à travers la psyché du temps. Et tout culmine avec cette extraordinaire pièce montée qu’est «Frankenstein». Cul-mine en deux mots ! On disait autrefois que «Frankenstein» tenait debout par la seule vigueur de son élan et de ses clameurs, on dirait aujourd’hui que ça tient debout grâce à la crème de pathos, ils te montent les étages du gâtö et ça tient debout par miracle, avec une extraordinaire combinaison d’audace et de power new-yorkais qu’on appelle aussi le gut - Who’s the one you’re loving/ Misunderstood like a Frankenstein - C’est pas un hit, mais un hallucinant fleuron dégoulinant de pathos. Il est évident qu’un mec comme Todd fut éberlué par l’ampleur compositale de «Frankenstein». Tout le monde, y compris Todd, est dépassé, et toi en premier. Personne n’a jamais aussi bien enfoncé le clou d’un cut de gut - My name is Frankenstein/ Frankenstein/ Frankenstein - C’est là que David Jo est devenu un héros.

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             Et ça repartait de plus belle en B avec le Trash/ Go pick it up de «Trash», et ça rebondissait à coups de take them lights away, avec un Johnny Thunders qui grattait ses poux en crabe dans les descentes de refrains - And please don’t you ask me if I love you/ Cause I don’t know what I do - C’est l’époque où on sortait les paroles pour pouvoir chanter en chœur avec le cut. Maintenant, on n’a plus le temps de faire ça. On n’adore plus les albums de la même façon. Disons qu’on les consomme une fois, et c’est fini. Les Dolls, le Velvet, Electric Ladyland, le White Album et les deux Stooges, The Spotlight Kid, ça durait des années. Et t’as ce final apocalyptique qui fait d’eux des dieux du Trash/Go pick it up. C’est la Marque Jaune des Dolls. Avec «Bad Girl», on reste dans le power à tous les étages en montant chez David Jo. Todd a réussi à leur combiner un power sourd et ramassé sur lequel David Jo le héros peut s’égosiller à coups de what you try to do.

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             Ah, «Subway Train», c’est une autre histoire. Tous les ceusses qui ont joué dans des groupes de reprises se sont cassé les dents sur «Subway Train». Et le diable sait si on a essayé ! Pourquoi ? Parce que ça part en mode balladif et le rythme se casse, you can hear the whistle blowing. Un enfer ! Touche pas à ça ! Impossible à jouer. Il faut être complètement à la ramasse pour jouer ça à la bonne vitesse. Ils attaquent le «Pills» de Bo à gros coups d’harp et d’hospital bed, il faut voir Syl Sylvain et Johnny T gratter leurs accords rock’n’roll ! Quelle street-bravado et quel solo ! Ils enchaînent ça avec le fantastique swagger de «Private World», hop, ils sont déjà sur les rails et tu renoues aussitôt avec cette urgence Dollsy que n’ont jamais eue les Stones. Et puis t’as les dégaines. Tu examines la pochette pendant que t’écoutes David Jo asséner I need a/ Private world! Quel pied de nez à la modernité ! T’es frappé par le poids du sens. Les Dolls rockent le beat pour de vrai et Todd leste leur son. Dernière cerise sur le gâtö : le Jet Boy fly/ Jet Boy gone/ Jet Boy stole my baby de «Jet Boy». C’est l’hit des Dolls. Ils fondent leur empire. Ils font intrusion dans ton imaginaire avec cet up-tempo doublé de clap-hands et de Like he was my baby. On a longtemps cru qu’il s’agissait de Lucky. Alors on chantait Lucky was my baby. Johnny T souligne tout ça en grattant comme un dératé, un tout ça qui paraît décousu, mais non, c’est soudé à la riffalama, à tel point que ça devient l’hymne new-yorkais, au moins autant que «Waiting For The Man». Jet boy stole my baby ! T’es marqué à vie.

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             Aw my Gawd ! On vénérait ce premier album des Dolls, mais avec Too Much Too Soon, ce fut bien pire. Vague souvenir de la première écoute de «Babylon». Quelque chose de l’ordre du choc esthétique. Du choc de civilisation. C’mon boys ! Big time de Babylon ! Les chœurs déboulent et Killer Kane fait ronfler sa basse. On back to Babylon ! Clameur inexorable ! Let’s go to Babylon/ Boys/ Two girls for every boy ! C’est l’album des classiques, «Stranded In The Jungle», meanwhile back in the jungle - et «(There’s Gonne Be A) Showdown», l’autre hit des Dolls, une cover d’ampleur universelle. Personne n’a jamais égalé les Dolls sur ce coup-là. Tu retrouves encore la Marque Jaune des Dolls dans «Who Are The Mystery Girls» et ses chœurs d’artichauts. En B, ils tapent encore en plein dans l’œil du cyclope avec «Puss N Boots», un boogie Dollsy joyeux et puissant. Johnny T prend le chant sur son «Chatterbox» et Shadow Morton monte bien la basse dans le mix. Alors Killer Kane peut bouffer tout cru le foie du cut. Et pour finir, t’as Johnny T qui recouvre tout l’«Human Being» de disto. Il fait un interminable festival.

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             Et voilà, les Dolls, c’est fini. Terminarès. David Jo était le dernier. Au final, on est assez content : les seuls copains qu’on a sont eux aussi des fans des Dolls. Ça simplifie les choses.

             Drôle de coïncidence : Dick Porter nous tartine dix pages de Dolls dans le dernier numéro de Vive Le Rock. Porter est avec Kris Needs et Nina Antonia le grand spécialiste des Dolls. Porter est aussi un Crampologue averti.

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             Dix pages de Dolls ça fait toujours plaisir, même si encore une fois on connaît l’histoire par cœur. Porter attaque son récit par la Floride. Les Dolls sont en train de se désintégrer dans une caravane, puis Porter remonte vite fait jusqu’à McLaren, car c’est lui qui les a amenés là. Un McLaren qui en avait marre de Londres et des Teds et qui cherchait à élargir son horizon : direction New York et les Dolls. Il arrive juste à temps pour ressusciter les Dolls qui sont lâchés par leur management. David Jo l’apprécie énormément, car McLaren ne cherche pas spécialement à se faire du blé sur le dos des Dolls, et en plus, il ramène tout son discours révolutionnaire pompé chez Guy Debord. Alors ça, on peut dire que ça plait à David Jo : «I liked him because for an Englishman, he was full of revolution, and I was especially into the whole sixties demonstration attitude, which is what we came up out of.» Et pouf, McLaren commence par récupérer le loft de Mandrill sur la 23e Rue pour que les Dolls puissent répéter les cuts du troisième album : Syl ramène «On Fire» et Johnny T «Pirate Love». McLaren finance aussi la détox de Killer Kane et propose aux deux zozos Johnny T et Jerry Nolan de se détoxer aussi. Les deux zozos refusent et se mettent à regarder McLaren de traviole. De quoi y’se mêle ciui-là ? Quant à Killer Kane, il va bien sûr replonger après sa détox. Seuls Syl et David Jo s’enthousiasment de la présence de McLaren parmi eux. En plus, McLaren ne fait pas signer de contrat. Il essaye juste de les aider. Il veut vraiment ressusciter les Dolls. Et puis arrive l’épisode «Red Patent Leather» - Indians, the Communists - destiné à rétablir la «subversive credibility» des Dolls. L’idée est de sortir les Dolls d’une image d’«idiotic, silly nonsense» et d’en faire quelque chose d’«a little bit more dangerous».  Vivienne Westwood coud les costumes en cuir rouge. Syl dit qu’ils ont du mal à les enfiler, car trop serrés. Ils doivent mettre du talc. Nouvelles tenues de scène et nouvelles chansons : le moral est au plus haut. McLaren choisit le Little Hippodrome - a drag and comedy club on East 56th Street - pour lancer le projet Red Patent Leather. McLaren sort aussi des slogans fabuleux pour sa campagne de presse : «We are the politics of boredom» et «Better red than dead». Et comme petite cerise sur le gâtö, il est écrit que les New York Dolls sont «produced by Sex originals of London.»

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             Ça se passe en février 1975. C’est un succès. McLaren a réussi son coup. Les Dolls sortent de la tombe, comme Lazare. Et hop, ils partent en tournée, mais personne à part les New-Yorkais ne peut schmoquer les Dolls. Syl résume la situation : «In America you could be gay, commit incest, do anything - but you clould not be a communist.» Le drapeau rouge ne passe pas. Porter sort des détails extraordinaires : le road manager des Dolls à l’époque n’est autre que le cousin de Syl, Roger Mansour, qui fut le batteur des Vagrants. Et comme il fait trop chaud en Floride, ils laissent tomber les costumes en cuir rouge. Et heureusement, on leur a piqué leur drapeau rouge à l’Hippodrome, sinon, Syl pense qu’ils se seraient fait lyncher dans le deep South.

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             McLaren a organisé une tournée de gigs en Floride. Le camp de base des Dolls est le camping qui appartient à la mère de Jerry Nolan. Ils ont deux caravanes, et le soir, ils discutent de l’avenir du groupe avec McLaren. Après la tournée en Floride, McLaren prévoyait un show au Beacon Theater de New York. Mais Johnny T et Jerry Nolan n’arrivaient pas à trouver «a regular heroin connection» en Floride, et ils deviennent irritables. David Jo ne supporte plus de les entendre se plaindre de tout - These guys wanted to be Bela Lugosi - Alors que le trip en Floride se présentait comme un nouveau départ, il se transforme soudain en psychodrame. Toutes les tensions s’aggravent, particulièrement celle qui existe entre David Jo et Johnny T. Johnny T louche sur la poule de David Jo, la fameuse Cyrinda Foxe. Quand on commence à baiser les femmes des autres, c’est la fin des haricots, confesse Syl qui voit tout ça d’un très mauvais œil. Mélangé aux problèmes d’addiction et de fric, ça devient vite incontrôlable. En plus, Johnny T et Jerry Nolan s’en prennent à McLaren, ce qui fout David Jo en rogne. Nolan est le premier à cracher sur McLaren : «Malcolm’s fucking around was too artsy-fartsy.» Ils reprochent aussi à McLaren de les avoir entraînés dans cette tournée pourrie en Floride, loin de tout - This horrible string of gigs in terrible out-of-the-way clubs - Le pire, c’est d’être coupé des approvisionnements. David Jo est le premier à le reconnaître : «As long as they had stuff, everything was OK.» Puis un soir, alors qu’il a trop bu, David Jo déclare qu’il est le singer et que les autres Dolls sont remplaçables. Alors Johnny T et Jerry Nolan se lèvent et quittent la table. Le cœur brisé, Syl les reconduit le lendemain à l’aéroport de Tampa. The Dolls are dead.

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             David Jo, Syl, Killer Kane et Peter Jordan restent en Floride pour finir la tournée. Ils engagent le teenage Steven Duren pour remplacer Johnny T. Puis tout le monde rentre à New York, sauf McLaren et Syl qui se payent un road trip à la Nouvelle Orleans. L’idée de McLaren est de faire venir Syl à Londres pour jouer avec des kids «hanging around my shop.» Mais ça ne se concrétisera pas, car McLaren va dénicher Johnny Rotten.

             David Jo admet que les Dolls ne pouvaient pas tenir éternellement : «I don’t think we could have ever transcended it all. If we did, we could’ve wound up like Kiss and that really would’ve been a drag.»

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             Porter embraye à la suite avec les «carrières» de Syl, Killer Kane et David Jo. Syl qui tente désespérément de remonter les Dolls, mais David Jo marche bien avec Buster Poindexter et il n’a pas envie de se replonger dans le cauchemar des Dolls, il marche tellement bien qu’il passe à la télé et quand Killer Kane, désespéré de ne plus être une rock star, le voit un soir dans une émission de télé, il se jette par la fenêtre du deuxième étage. Il ne meurt pas, mais on lui met des broches dans les genoux. Puis il contacte une secte religieuse, the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints et se convertit. Il parle d’un «LSD trip from the Lord».

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             Le Lord se pointe enfin sous l’apparence de Morrisey, oui, le mec des Smiths, que Porter qualifie d’«another English saviour» (après McLaren). Moz veut arracher les Dolls à l’oubli. N’oublions pas qu’il fut en son temps président du fan-club des Dolls en Angleterre. Il était pareillement fasciné par Jobriath, Sparks et les Cramps. En 2004, on lui demande de faire la prog du Meltdown festival, alors évidemment, il propose aux Dolls de se reformer ! David Jo prend la proposition au sérieux, car elle vient de Moz et non de ces «stubby-fingered vulgarians». Syl est ravi. Il n’en finit plus de dire que les Dolls étaient «way ahead of the pack». Pour rentrer dans les godasses de Johnny T, David Jo fait appel à Steve Conte. Tous ses amis musiciens le lui conseillent : «Just call Conte.» Killer Kane a bien sûr du mal à rejouer ses vieilles basslines, mais il finit par y parvenir. En fait, il est déjà très malade. Leucémie. Arrivés à Londres, les Dolls montent sur scène avec le batteur black des Libertines, Gary Powell. Deux shows. On peut voir le Meltdown sur DVD. C’est même chaudement recommandé. Trois semaines plus tard, Killer Kane casse sa pipe en bois. Une fois le coup encaissé, David Jo et Syl décident de continuer, avec Sami Yaffa et Steve Conte. Ce sont les nouveaux Dolls. Trois albums et tout s’arrête en 2021 quand Syl casse sa pipe en bois. Toute pipe en bois finit par se casser. Personne ne passe à travers.         

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    David Johansen. Disparu le 28 février 2025

    New York Dolls. New York Dolls. Mercury 1973

    New York Dolls. Too Much Too Soon. Mercury 1974

    Dick Porter : The Lazarus paradox. Vive Le Rock 119 - 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Palmer qu’on voit danser le long des golfes clairs

     (Part One)

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             C’est un peu grâce à Philippe Garnier, mais surtout grâce à Robert Gordon qu’on est entré un jour dans le monde magique de Robert Palmer. Les deux Robert (le Gordon et le Palmer) ne sont pas ceux que l’on croit. Robert Gordon est l’apologue de Memphis, pas le rockab, et Robert Palmer le journaliste/écrivain, pas le playboy, comme dirait Garnier.

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             Dans Les Coins Coupés, Garnier raconte qu’il s’est rendu à Memphis pour enquêter sur Palmer et découvre qu’il avait aussi joué «de divers saxophones» derrière Furry Lewis ou Bukkah White. Garnier dit encore l’avoir rencontré, «sans faire le rapprochement», alors qu’il était «critique de rock au New York Time, puis comme gourou du blues chez Fat Possum (faisant enregistrer Junior Kimbrough, R.L. Burnside et les Jelly Roll Kings)». Garnier connaît bien sûr Deep Blues. «Ce touche-à-tout jouait même de la clarinette sur «Midnight Sunrise» dans Dancing In Your Head, le disque qu’Ornette Coleman avait fait avec les Flûtes de Jajouka (que Palmer avait fait découvrir à Brian Jones et à William Burroughs lors d’un voyage au Maroc).» Et il repart de plus belle pour expliquer que Palmer et son collègue guitariste Bill Barth «avaient eu tôt fait de jeter leurs douze mesures aux orties.» C’est l’épisode Insect Trust. Les voilà partis à New York pour aller jammer avec Alan Wilson, «la voix de fausset de Canned Heat.» Puis les Insect Trust se retrouvent à l’affiche de l’Electric Circus en première partie de Sly & The Family Stone.

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             Avec It Came From Memphis, Robert Gordon a très tôt suivi la piste de Robert Palmer, via Insect Trust, une espèce de combo hybride de blues et de free. Insect Trust testait en effet le country-blues-inspired free jazz. Ces mecs retravaillaient des chants de marin au banjo des Appalaches et au violon. Dans le groupe, Robert Palmer faisait un peu office de liant, tellement les profils différaient les uns des autres. L’album Insect Trust vaut le détour, ne serait-ce que pour entendre «Special Rider Blues», inspiré du «Blues Rider» d’Elmore James. Nancy Jeffries y chante le blues fantastiquement, elle se laisse porter par d’indicibles vagues de blues et ce diable de Bill Barth joue l’acid rock dans un fracas de free jazz. Quel mélange ! Bill Barth n’en finit plus d’irriter les zones érogènes de l’instinct free du sax et cette folie contribue largement aux frictions salvatrices. Quel freakout ! On comprend que l’album soit devenu culte. Ils reprennent aussi le «World War I Song» de Joe Callicott, avec une clarinette New Orleans. Nancy Jeffries chante le blues d’une belle voix généreuse, elle embarque son monde comme savait si bien le faire Joan Baez avec «Joe Hill». C’est un retour aux racines du blues de Memphis. Autre pièce de choix : «The Skin Game», blues solide et bien cuivré, ambitieux et fouillé par un délire foutraque de saxophones en délire. Bill Barth y gratte des poux divins. On assiste là aussi à une merveilleuse envolée d’impro, ou si vous préférez, une échappée belle délibérée. Tu entres avec cet album dans la cour des grands inconnus. Ils finissent leur B avec trois cuts à dominante folky. Cette femme chante comme une militante, on la sent animée d’une foi de pâté de foi. Et ça se termine avec un «Going Home» joué à la flûte de pan et à coups d’acou magiques, et comme on dit, c’est de la bonne Baez.

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             Leur deuxième album s’appelle Hoboken Saturday Night. Il faut avoir écouté le morceau titre, si on ne veut pas mourir idiot. Nancy Jeffries transforme l’heavy boogie rock en coup de Jarnac, et derrière, t’as le gros bassmatic de choc. C’est encore elle qui fait la pluie et le beau temps sur «Now The Sweet Man» en B, cette belle Americana flûtée et inspirée par les trous de nez. Quelle grande finesse ! Tout n’est pas exceptionnel sur cet album, mais quand ça l’est, ça l’est pour de vrai, comme le montre «Ragtime Millionaire». Les Trust sont les rois du ragtime. Tu entends Elvin Jones au beurre sur «Our Sister The Sun», et sur «Trip On Me», Bill Barth is on fire !

             Après avoir dévoré Deep Blues, on dévore Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer, une compilation d’articles parue en 2011. C’est une bible. Palmer couvre tous les domaines, pas seulement le blues, il couvre aussi le classic rock, le jazz, le punk-rock et Jajouka, qu’on appelle en France Joujouka.

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             Dans son intro, Anthony DeCurtis plante bien de décor. Pour qualifier le style de Palmer, il parle d’«elegance and hipster enthusiasm», il parle aussi d’un mec qui sait creuser et entraîner son lecteur avec lui. Palmer est l’homme qui a su dire l’importance historique du blues - How much history can be transmitted by pressure on a guitar string - DeCurtis rappelle encore que Palmer a consacré des books à Leiber & Stoller, Memphis, la Nouvelle Orleans, Jerry Lee et les Rolling Stones. Tous ces books datent hélas des années 70/80 et sont introuvables ou hors de prix.

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             L’ado Palmer s’est tellement amouraché de la culture black qu’il était souvent le seul blanc dans les concerts de Sam Cooke, d’Otis et de Solomon Burke. Avec «Young Blood» et «Searching», les Coasters ont transformé ce kid né en Arkansas. Il flashe ensuite sur Ray Charles. Puis il enquille sur Ike & Tina Turner, Wolf et Muddy, qui pour lui sont aussi importants qu’Elvis, les Beatles et Dylan. Par contre, les «manufactured pop artists» comme Madonna n’ont pour lui aucun sens. Il dit qu’en plus elle ne chantait pas très bien. Il n’aime pas non plus les Ramones qu’il qualifie d’«one-joke band» - They play dumb in order to look cool.

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             DeCurtis rappelle encore que Palmer prenait de l’hero, mais pas n’importe comment. Palmer : «Well I’m from the William Burroughs school of junkies.» Il faut que ce soit littéraire. Et c’est une petite hépatite qui va l’envoyer six pieds sous terre, en 1997.

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             La première série d’articles concerne le blues, le dada de Palmer. Dans un article concernant le mojo, il évoque une session d’enregistrement avec R.L. Burnside : «En 1993, je produisais une Burnside session pour l’album Too Bad Jim et une série d’incident menaça le projet. Une contrebasse tomba en pièces dans le studio. Puis ce fut un drum kit, après un single light tap. Et une porte vitrée m’est tombée sur la tête. Du coin de l’œil, j’ai vu que R.L. s’amusait comme un kid at a Disney movie.» Plus loin, il revient sur le héros de Deep Blues, Charley Patton - If you define rock & roll as a jacked-up shotgun wedding of blues and hillbilly music, Patton’s music was rock & roll - Palmer rappelle que Patton a tout inventé : gratter sa gratte entre ses jambes et derrière sa tête, jeter sa gratte en l’air et «catching it without missing a beat.» Et voilà l’hommage suprême : «Charley Patton was more than a great American musician. He was an American archetype, the first of a series of hard-living, hard-rocking ramblers that has included artists as musically diverses as Robert Johnson, Hank Williams, Jerry Lee Lewis and Jimi Hendrix.» Au niveau référentiel, Palmer ne se fout jamais le doigt dans l’œil. C’est pour ça qu’on le suit à la trace et qu’on boit ses paroles d’évangile, comme on boit celles de Robert Gordon et de Peter Guralnick. Pour traverser cet immense terrain de connaissance qu’est la rock culture, il faut parfois des guides, c’est-à-dire des gens qui l’ont exploré avant toi, et qui savent. Comme il s’agit d’un domaine sacré, on peut parler de guides spirituels. Citons d’autres guides spirituels : Nick Kent, Mick Farren, Eve Sweet Punk Adrien, John Broven et Bob Stanley.  

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             Retour sur Robert Johnson, l’autre héros de Deep Blues : «Robert Johnson écrivit 29 chansons entre 1936 et 1937. Avec les alternate takes, on en compte 41. Puis il disparut dans le murky Mississippi Delta world of juke-joints, voodoo lore, violence, grand plantation houses for whites et de paysans noirs endettés à vie qui bossaient dans les champs de coton et qui ne plaisantaient pas avec leur samedi soir.» Retour aussi sur l’ugly Robert Pete Williams, dont Captain Beefheart avait repris  le «Grown So Ugly» sur Safe As Milk. Pour Guralnick, Robert Pete Williams est l’un des meilleurs : «Après avoir écouté Robert Pete Williams, il est difficile d’approuver les banalités de la plupart des blues singers.»

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             Palmer monte encore d’un cran avec Muddy. Pourquoi Muddy ? Parce que petit, Muddy aimait se rouler dans la boue et il essayait même d’en manger. Muddy était lui aussi fasciné par Charley Patton : «He had so much showmanship in his thing, all this wild clownin’ with the guitar, and he could holler! Ooh what a voice. But Son House was the top man in my book.» C’est en 1941 qu’Alan Lomax est allé à la plantation Stovall à la recherche de Robert Johnson. Mais il est arrivé trop tard, par contre, on lui dit qu’il en existe un autre, down the road, qui joue comme Robert Johnson. Lomax y va et c’est Muddy, qui dit : «He brought his stuff down and recorded me right in my house.» Lomax y retourne l’année suivant pour l’enregistrer une deuxième fois. Palmer nous rappelle que ces deux enregistrements se trouvent sur Down In Stovall’s Plantation, «on the Testament label and they are phenomenal.» Palmer sait de quoi il parle. Quand en 1943, Muddy demande une augmentation parce qu’il conduit le tracteur - to twenty-five cents an hour - le contremaître pique sa crise de colère. Muddy en parle à sa grand-mère qui lui dit de filer à Chicago avant que ça ne tourne mal - You better go - Muddy : «That was on monday. I worked till that thursday at five o’clock and on friday I came in sick and went to Clarksdale to catch the four o’clock train.» Voilà l’une des racines du monde moderne : le four o’clock train de Clarksdale. Voilà d’où viennent les Rolling Stones et tout le reste du bataclan. Muddy arrive à Chicago. On connaît la suite : Leonard le renard. Muddy joue encore le country blues, but with a beat.

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             On passe directement à Lightning Hopkins, qui derrière ses lunettes noires, réclame son blé au club owner : «I want my money.» L’érudit Palmer rappelle que Lightning Hopkins écumait le South dans les années 30 et qu’il revint s’installer à Houston en 1945. Donc c’est pas un débutant. L’un des héros de Palmer est Junior Kimbrough qui a tout appris à Stan Kesler et à Charlie Feathers, un Charlie qui déclarait en son temps : «Junior Kimbrough is the beginning and the end of music.» On saute directement dans les bras d’un autre héros, Bo Diddley, «a kind of super-hoodoo man, larger-than-life, almost mythic figure with a supernaturel whammy.» Coup de chapeau à Jerome Green, auquel Bo apprend tout, notamment à jouer des maracas. Ah Bo, sans doute l’une des plus belles stars du pays magique, «the hoochie-coochie dude in his cobra-snake necktie and Western boots and ten-gallon hat, cracking that grin, and enduring.» Comme tous les becs fins de la terre, Palmer n’a jamais pu résister au charme fatal de Bo.

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             De Bo à Uncle Sam, il n’y a qu’un pas qu’on franchit avec allégresse. En 1978, Palmer écrit un article pour le Memphis Magazine : ‘Sam Phillips: The Sun King.’ Tout un programme. D’autant plus important que Palmer interviewe Uncle Sam et là on se pourlèche les babines et tout le reste. Voilà Uncle Sam qui lâche ça du haut de son infernale modestie de visionnaire : «I think that if I contribued anything, it was the ability to discern in people a naturel talent, be it unpolished or semi-polished or almost crude - I feel prouder of myself for that ability than for any other achievement.» Uncle Sam précise des points essentiels : «And I never did see white people singing a lot when they were chopping cotton, but the odd part about it is, I never heard a black man that couldn’t sing good. Even off-key, it had a spontaneity about it that would grab my ear.» Uncle Sam se passionne donc pour les artistes noirs, il est ingé son pour une station de radio jusqu’en 1951, puis il bosse pour le Peabody - So I was a pretty busy cat - Il voulait enregistrer des artistes noirs et hop, il sort B.B. King, Wolf, Bobby Blue Bland, Junior Parker, Rufus Thomas, James Cotton et tous les autres. Il parle de sa passion pour la créativité comme d’un évangélisme - My evangelism is, in my own peculiar way, letting people out of themselves. I got pure gratification, far more than recompense - Il rappelle que ce qui l’a frappé le plus en Elvis, ce n’était pas qu’il chantât bien ou qu’il fût beau, c’était le fait qu’il connaisse une chanson d’Arthur Big Boy Crudup - That just knocked me out - Il revient évidemment sur la vente du contrat d’Elvis à RCA et il veut que tout soit bien clair : «I must have been asked a thousand times, did I ever regret it? No, I did not, I do not and I never will.» Puis il passe à la star suivante, Carl Perkins. Un Carl qui prétend avoir joué du rockab avant d’avoir entendu Elvis, et Uncle Sam qui dit qu’il a fallu un peu de temps pour passer du stade de country artist à celui de rocker. Pour Palmer, les Sun records de Carl are some of the best - not country, not blues, not rock & roll, just pure Perkins - Puis Uncle Sam transforme Jerry Lee «into an international phenomenon», avec des singles qui se vendent par millions et le tournage d’un film avec Mamie Van Doren, High School Confidential. Uncle Sam revient toujours à l’essentiel : «Je savais ce que je cherchais lorsque j’entrais en session. Maybe not the lyric, maybe not the melody pattern but the feel. And with this approach and an awful lot of patience, I think that each person developped that feel in working with me. It was a mutual type of thing.» Jimmy Van Eaton révéla à un journaliste anglais que Sun avait commencé à se casser la gueule après qu’Uncle Sam ait viré Jack Clement et Bill Justis - After the hits stopped coming, they started screwing the musicians - Comme tous les empires, celui-ci finit par s’écrouler. Palmer chute ainsi : «And records don’t sound like Sam Phillips’s anymore. A good 99 percent of today’s popular music sound dull and lifeless in comparison.» Il enfonce son clou : «It doesn’t have the soul.» Il espère vraiment qu’un jour des disks sonneront comme les Sun records again.

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             Bon d’accord pour Sun. Mais t’as aussi Litlle Richard, et Palmer n’y va pas par quatre chemins - Little Richard provided  the big bang, that first explosion that made all that followed possible. He was the most influential vocalist and band leader of fifties rock - Pour lui, James Brown et Otis Redding sont des imitateurs qui ont su développer leurs propres styles respectifs. Palmer ne rate pas une si belle occasion de saluer la Nouvelle Orleans et Dave Bartholomew, un Bartho qu’avait imposé Art Rupe. Little Richard voulait enregistrer avec ses Upsetters, heureusement, Rupe a tenu bon.

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             Jerry Lee ! Palmer le vénère. Il lui consacre un bel article en 1979 dans Rolling Stone. Palmer le voit dans un backstage new-yorkais. Jerry Lee sort de scène, il est torse nu et il lance : «I’m the toughtest son of a bitch that ever shat out of a meat ass.» L’un des jeux favoris du Killer consiste à faire semblant de te frapper dans la gueule. Son poing s’arrête juste à quelques millimètres. Il fait le coup à Palmer et à sa femme. Palmer lui demande si ça lui arrive de frapper quand même et le Killer lui répond : «Seulement quand je le veux.» Beaucoup plus intéressant : le killer rappelle que ses parents ont hypothéqué leur maison pour acheter un piano à Jerry Lee - I’ve still got it. There’s no more ivory on the keys. I wore them ‘em down to the wood - C’est probablement le piano qu’on voit sur la pochette du Mean Old Man paru en 2010. Palmer se marre bien avec le piano car il rappelle que Jerry Lee et son paternel Elmo l’ont installé sur le back of a truck pour aller jouer à droite et à gauche et se faire un peu de blé. Jerry Lee a 15 ans quand il épouse une certaine Dorothy Parton, puis il engrosse Jane Mitcham qu’il doit épouser, après avoir divorcé de Dorothy : son fils s’appelle Jerry Lee Lewis Jr. Palmer salue aussi son éclectisme -  He will play Chuck Berry, Hoagy Carmichael, Jim Reeves, Artie Shaw, spirituals, blues, low-down honky-tonk, or all-out rock & roll, as the mood strikes him - avec, ajoute-t-il, une «formidable and entirely idiosyncratic technique (both instrumental and vocal) and sheer bravura.» Sam Phillips ne s’y était pas trompé : «Good God almighty! I’m not talking about voice, piano, any one thing. He is one of the great talents of all time, in any cathegory.» Palmer égrène aussi les drames qui ont émaillé la vie du Killer : Steve Allan Lewis, le fils qu’il eut de Myra, se noie dans la piscine familiale en 1970. Son fils Jerry Lee Lewis Jr. casse sa pipe en bois en 1973 dans un car crash. En 1976, le Killer descend son bassman Butch Owens d’un coup de 357 Magnum. Pour se donner du courage, Palmer siffle un verre d’alcool et demande au Killer si c’était un accident. Il a la réponse qu’il mérite : «Of course it was an accident.» Puis il y a les séjours à l’hosto, pour des trucs assez graves. Le Killer survit à tout. Puis finit par casser sa pipe en bois sur le tard. Le très tard.

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             Palmer reste chez les cakes avec Sam Cooke, «the most gifted pop vocalist of his time, no more no less», il cite ensuite deux albums live en référence, celui du Copa et celui de l’Harlem Square Club, puis Night Beat - a vocal tour de force, et juste en dessous de la gracefully melodious surface de la musique, the emotional waters run deep - Et au sommet de l’Ararat, il place l’album sans titre de Sam Cooke - By far Cooke’s most intimate album - Le musicien Palmer pousse bien le bouchon sur Sam Cooke, en citant Rene Hall : «Sam avait une oreille très étrange, différente de celle des gospel singers, parce que most gospel singers dealt in sevenths, like blues-type changes, and Sam dealt in sixths. Like you hear him do his yoo-hoo-hoo, that’s sixths.» Est-il important de le savoir ? Oui, tout ce qui touche à Sam Cooke est important.

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             Palmer glisse de Sam Cooke à Ernie Isley, c’est-à-dire qu’il ne quitte pas les cakes. Des Isleys qui ont explosé en 1959 avec un «Shout» - a thinly secularized slice of gospel hysteria - que tout le monde a repris, même Elvis et les Beatles, suivi de «Twist & Shout», que les Beatles tapent sur leur premier album. Par contre, nous dit Palmer, les Isleys ne reviennent jamais sur leur vieux hits, pas même «It’s Your Thing» - They remain determinally fresh and contemporary - Palmer rappelle aussi l’«on-again-off-again relation» avec Motown et le young Jimi Hendrix. C’est Ernie qui a pris la suite de Jimi dans les Isleys. Il reste certainement l’un des grands guitaristes américains. Et en guise de chute pour son article, Palmer cite Ronald Isley : «C’est la fondation de tout ce business, the foundation of rock & roll. It had to come from somewhere, and the church is where it all came from.» Tout est dit.

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             Palmer flashe aussi sur Lowman Pauling, le guitariste des ‘5’ Royales, qui cassaient déjà la baraque en 1958 avec «The Slummer The Slum». Palmer se demande d’ailleurs pourquoi le nom de Lowman Pauling ne remonte jamais à la surface quand on s’inquiète de savoir qui sont les plus grands songwriters et les most influential electric guitarists. Le seul à le faire n’est autre que Steve Cropper qui le cite as his major influence. On reparle des 5 Royales, des Isleys et de Sam Cooke dans des tartines à venir.

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             Quand Palmer chronique The Complete Stax/Vox Singles, il ne manque pas de saluer Barbara Stephens, Wendy Rose and the mighty Mabel John (pas Mabel, Palmer, Mable !). Mais il s’extasie aussi de la qualité des 244 cuts, comme le savent d’ailleurs tous les ceusses qui ont eu la glorieuse idée de rapatrier cette magic box. Celle qui est ici est un cadeau de Jean-Yves. Palmer parle d’une douzaine d’«out-and-out bombs» - and the rest ranges from the merely fine to the utterly transcendent - Il se demande d’ailleurs quel autre American label peut se vanter d’un tel palmarès - Not even the Chess and Sun calalogs are so potent, song after song after song - Palmer sait de quoi il parle. Et c’est vraiment bien que ce soit un mec comme lui qui le dise. Palmer cite aussi Willie Mitchell qui en sait un rayon sur «Memphis music’s unique rhythmic peculiarities.» Il s’agit en fait d’un «lazy, behind the beat feel, set by Al Jackson’s outstandingly creative drumming, and the supple, loping Duck Dunn bass lines.»

             Palmer s’étend longuement sur les Hawks et The Band, mais bon, berk. Quand on a vu The Last Waltz, on est vacciné à vie contre Robertson et sa frime de m’as-tu-vu et de proto facebooker. Et puis, il suffit de relire les mémoires de Bill Graham pour bien situer cet asticot. Le vieux Bill avait de bonnes raisons de ne pas supporter cet atroce frimeur.

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             Comme Palmer est l’un des grands spécialistes des Stones, il en sert une grosse tartine, histoire de rappeler que Beggar’s Banquet et Let It Bleed sont de très grands albums - collections of superb rock & roll songs - mais qu’Exile n’est qu’un «defiant chunk of rock & roll noise.» Et puis, il a la chance de rencontrer John & Yoko. Il est invité au Dakota pour papoter dans la kitchen - talking music and indulging ourselves with brownies, milk, and a cheesecake that must have been sent from heaven - Palmer indique qu’il se rend plusieurs fois au Dakota pour des interviews - the talk was fast, intense, mercurial - et pouf, John Lennon se fait descendre dans l’«entrance tunnel». En fait, John & Yoko prennent Palmer à la bonne parce qu’il connaît Fluxus et donc les happenings de Yoko. John & Yoko lui demandent s’il connaît leurs albums et Palmer qui a décidé d’être franc répond qu’il ne les connaît pas tous. S’ensuit un silence bizarre et soudain John & Yoko explosent de rire : «He hasn’t heard it yet!». Alors ils vont tout de suite dans les pièce voisines à la recherche des albums. Ça leur prend une demi-heure. Ils trouvent une copie d’Approximately Infinite Universe, puis tous les albums de Yoko et ceux de John solo. «Here’s your home-work». Ils attendent  des chroniques de Palmer - Listen to Yoko’s first. We’ll be expecting report - Alors Palmer se lance dans l’apologie d’Onobox qui «plays like a suite or a continuous densely woven tapestry of sounds.» Et Palmer de conclure : «To me, this music sounds as contemporary in 1991 as it did when Yoko and John proudly presented it to me at the Dakota in 1980.» Palmer a raison, il faut absolument écouter Yoko Ono, l’une des grandes prêtresses de la modernité. 

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             On reste dans la modernité avec le Velvet. Palmer commence par rappeler qu’il existe  deux sortes de «success» in rock & roll. Le premier est le «standard all-American success story», avec le «take the money and run», celui des «hit records & mass adulation, the way of Elvis & the Beatles, the way of ‘pop’.» L’autre n’est pas aussi funny : «Be an innovator, march to the beat of your own drum, go against the grain of times, make your own statement, sit back and starve and hope you become a legend before you die of old age (or malnutrition).» Palmer rappelle à la suite que le Velvet et les Stooges étaient décrits comme «decadent, crude, dark, negative, abarasive, nihilistic, and incompetent.» On connaît la suite de l’histoire. Et puis ceci, qu’il est bon de rappeler : Lou Reed avait composé «Heroin» quand il était encore en fac, influencé par le Last Exit To Brooklyn d’Hubert Selby Jr., le Naked Lunch de William Burroughs et bien sûr par Delmore Schwartz, son mentor, qui déclarait : «The poet must be prepared to be alienated and indestructible.» Un Lou qui la ramène un peu plus loin : «I took a major in English and a minor in philosophy. I was into Hegel, Sartre, Kierkegard. After you finish reading Kierkegard, you feel like something horrible has happened to you - Fear and Nothing. See, that’s where I’m coming from.» Voilà un bel éclairage sur l’univers du Lou.   

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             On croit que Palmer va se calmer après tous ces textes d’une rare intensité. Eh bien non, au contraire, il remet le turbo avec Jajouka. Bienvenue dans le cœur battant de Blues & Chaos ! Palmer commence par se situer dans la twilight zone, entre On The Road et Woodstock, comme la plupart d’entre-nous. Il dit avoir lu tout William Burroughs, comme la plupart d’entre-nous. Et c’est là qu’il repère le nom de Jajouka, «a mountain village somewhere in Morocco, home of the Master Musicians (who where they?) and the mysterious Rites of Pan (what was that?)».» Le voilà lancé, le Palmer ! En plus, il entend dire que Brian Jones y est allé, alors ça fait boom dans la cervelle de ce «Stones fanatic». Brian Jones in Jajouka ! Puis il découvre que Brion Gysin a consacré The Process à Jajouka. Palmer : «Ils étaient les descendants des musiciens et s’asseyaient tout le jour pour jouer de leurs instruments et fumer du kif et entraînaient des tribesmen possédés into mass Dionysian frenzies. It sounded like my kind of scene.» Alors bien sûr, Palmer chronique le roman de Brion Gysin qui, pour le remercier, l’invite à Tanger : «Drop in any time.» Puis paraît le fameux Brian Jones Presents The Pipes Of Pan At Jajouka. Palmer obtient un budget de Jann Wenner, boss de Rolling Stone magazine, et prend le premier bateau pour le Maroc. Il va retourner plusieurs fois au Maroc, notamment une fois avec Ornette Coleman, avec lequel il enregistre un album sur place, «with the screaming and shrilling of hundreds of hill tribesmen in trance overlaying the elemental ritual music.» Il cite aussi un album produit par Bill Laswell avec the Master Musicians, Apocalypse Across The Sky. Bon bref, il y a de l’écoute dans l’air. On y revient. Palmer cite aussi des books, The Sheltering Sky (adapté à l’écran par Bertolucci), et le Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods and Heroes de Stephen Davis. On y revient.

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             Pour Rolling Stone, il écrit Up the mountain. Il décrit la transe qui accompagne l’arrivée de Bou Jeloud, «the Father of Skins», dans la danse. Palmer affirme que Bou Jeloud est le «continuing survival of the Horned God of antiquity, the goat-god Pan.» Pan, le dieu cornu ! Sa prose s’enflamme lorsqu’il évoque le passé, et là ça va plaire à Damie Chad : «Quand Marc Antoine revêtu d’une peau de bête fit la couse des Lupercales à Rome, César lui, demanda de frapper Capunia, sa femme stérile, en courant. Aujourd’hui, Bou Jeloud danse dans la peau d’un bouc fraîchement massacré, avec un immense chapeau de paille attaché au-dessus de ses oreilles, son visage, ses mains et ses pieds sont noircis au charbon, et on dit que les femmes qu’il fouette avec sa branche seront enceintes dans l’année.» La prose de Palmer prend feu ! Il faut lire ces pages ardentes ! T’es en plein rock & roll, mais pas celui de la Fnac et de Cure, amigo, celui des origines. Bou Jeloud est le nom de l’esprit, explique Brion Gysin. Celui qui l’incarne s’appelle Slimou, a very wild creature. Personne ne peut l’approcher. Il n’entre jamais dans une maison. Brion Gysin est un érudit, il explique aussi à Palmer qu’Aisha Hamouka danse parmi les arbres. Hamouka, poursuit-il, est le même mot qu’Amok. Il ajoute qu’en langue punique, c’est-à-dire carthaginoise, Aisha veut dire Asharat, ou Astarte. Grâce à son érudition, Gysin décode les rituels musicaux de Jajouka, il y voit la résurgence des Rites of Pan, qui étaient déjà très anciens quand les Romains les adaptèrent dans leur calendrier sous le nom de Lupercales, fêtes annuelles en l’honneur de Faunus, dieu de la forêt et des troupeaux. Lors de l’une de ces fêtes rituelles, Palmer raconte qu’il saute dans un feu sans se brûler. Puis il sombre dans les ténèbres pour se réveiller loin du village, en bas de la montagne - Je n’étais pas blessé. Quand j’ai réussi à rejoindre le village, j’ai remarqué qu’une lumière éclairait encore la maison des musiciens. Le chef Jnuin - dont le nom vient du mot arabe jinn, ou «elemental spirit» - m’attendait, en compagnie d’autres anciens et d’un sherif, c’est-à-dire d’un descendant de Muhammad. «We have seen you though the music. Now you are one of us.» - Jajouka est selon Palmer un haut lieu de la spiritualité depuis l’antiquité. On trouve des ruines de temples phéniciens dans les collines environnantes. Les Master Musicians se reconnectent avec de très anciennes racines. Les contes locaux disent que Bou Jeloud est venu avec eux, mais qu’Aisha Hamouka, c’est-à-dire Astarté, a toujours hanté ces collines. Et Palmer de conclure : «The whole mountaintop is said to be one great storage cell for baraka.»

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    (Brion Gysin)

             On entre ici dans les racines d’une mythologie qu’explorait aussi Jimbo, deep inside the goldmine. Palmer voit jouer les Master Musicians et se demande comment ils tiennent la note aussi longtemps, alors qu’ils ne semblent pas utiliser la technique du circular breathing de Roland Kirk, mais il n’a guère le temps de réfléchir à tout ça, car il s’abandonne à la musique, «the flutes floating free over a piledriver 6/8 rhythm straight down from remotest Near Eastern antiquity and the drummers shouting ‘Aiwa’ - Everything’s groovy.» Il précise plus loin que les Master Musicians sont arabes et non berbères, et qu’un Master Musician ne peut être que le fils d’un Master Musician. Le pionnier de tout ça est bien sûr Brion Gysin, arrivé au Maroc avec Paul Bowles en 1937. Palmer résume bien le phénomène : «The Master Musicians of Jajouka play their rhaitas, flutes, and drums, smoke their kif, guard their chain of secret knowledge unbroken since pagan times, and wonder about their luck and their future.»

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             Pour finir, Palmer claque un texte sur Tanger, un endroit qui fut l’inspiration «for the archetypal world city of Interzone in William Burroughs’s novel Naked Lunch.» Palmer a l’immense privilège de fréquenter Brion Gysin lorsqu’il s’installe à Tanger. On trouve aussi dans Blues & Chaos une longue interview de Williams Burroughs qui ne fonctionne pas. Questionné sur l’apport des drogues, Burroughs dit que le cannabis est la meilleure. «It has the most value. Amphetamines, absolutely none. Barbiturates, absolutely none.» Palmer a un dernier spasme avec Sonny Sharrock, histoire de rappeler que dans l’«early-eighties New York No Wave fracas», des mecs comme le guitariste de Captain Beefheart (il doit parler de Gary Lucas) et Robert Quine «began exploring some of the areas Sharrock had mapped out.» Un Sharrock capable, selon Palmer, de burster «into a paroxysm of six-string mayhem.» Et il enfonce son clou dans la paume du book : «Au temps où le «Shapes Of Things» des Yardbirds semblait être the cutting-edge of electric-guitar music, Sharrock was a true visionary, in a class with nobody but himself.» On croise rarement des esprits aussi aventureux et aussi brillants que celui de Robert Palmer.

    Signé : Cazengler, pied Palmer

    Insect Trust. The Insect Trust. Capitol Records 1968 

    Insect Trust. Hoboken Saturday Night. ATCO Records 1970

    Philippe Garnier. Les Coins Coupés. Grasset 2001

    Robert Palmer. Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer. Scribner 2011

     

     

    L’avenir du rock

     - Arnold Layne

     (Part Two)

     

             — Ça va, Boule ? T’as pas l’air dans ton assiette...

             — Oh mais si tout va béné ! Pourquoi m’dis-tu ça, av’nir du rock ?

             — On dirait que t’as le pâté de foi qu’est pas droit...

             — Quesse tu racontes ? L’a jamais été aussi droit ! R’garde !

             Boule ouvre son veston et bombe le torse.

             — Mais t’aurais pas l’pylori qui s’colore ?

             — Ah ah ah, t’en fais un drôle de pylori, av’nir du toc ! Suis sûr que tu vas m’demander si j’ai l’coccyx qui s’dévisse !

             Alors, Boule se lève, se retourne, baisse son pantalon, puis son caleçon, et se penche en avant.

             — Alors y s’dévisse ?

             — Non, l’a encore l’air à sa place, mais t’aurais pas les genoux un peu mous et les guiboles qui flageolent ?

             — Décidément, av’nir du rock, t’es encore pire qu’un médecin généraliste ! Tiens tâte-moi ça, tu vas voir si ça flageole !

             — Tiens tourne-toi, pour voir. T’aurais pas l’épigastre qui s’encastre et l’thorax qui s’désaxe ?

             Alors Boule déboutonne sa chemise :

             — Tu vois bien que l’thorax y s’encastre pas, et tâte-moi cet épigastre ! Alors y s’désaxe ou y s’désaxe pas ?

             — L’a pas l’air de s’désaxer...

             — Tu m’demandes pas des nouvelles d’Arnold ?

             — C’est qui Arnold ?

             — Ben ma queue...

             — Désolé, Boule, je préfère P.P. Arnold.

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             Et ça fait même une éternité que l’avenir du rock en pince pour P.P. Arnold. Il était déjà à genoux devant l’ex-Ikette en 1968, lorsque parut son premier album, l’ultra-mythique First Lady Of Immediate. L’ultra-mythique va tout seul sur l’île déserte, car il grouille d’énormités. P.P. démarre bien sûr avec le fameux « (If You Think You’re) Groovy » des Small Faces, tapé au power Marriott/Lane et aux descentes de toms de Kenney. Avec « Something Beautiful Happened », P.P. tape dans l’œil du Brill, soutenue par un grand ensemble dévastateur.

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    Sacrée P.P., elle peut monter tellement haut qu’elle devient une sorte de visiteuse des cieux. Elle tape ensuite dans le « Born To Be Together » de Spector/Mann/Weil, alors attention, ça ne rigole plus. C’est énorme et même explosif. Elle fait sauter le couvercle de la voûte, elle chante avec toute la puissance de sa blackitude céleste. Wow ! Quelle shouteuse ! Elle hurle littéralement au sommet du beat. On a là le nec plus ultra du bénéfice des longs termes. Toujours aussi magnifique, voici « Am I Still Dreaming » monté sur un beat solide et embarqueur. C’est d’une énormité sans nom, comme on dit quand on ne sait plus quoi dire. C’est monté à l’adrénaline de mini-jupe, le jerk des enfers. Tu veux danser, baby ? Elle finit son balda avec le fameux « First Cut Is The Deepest », ce vieux balladif d’intensité maladive. Elle y fait un final éblouissant à coups de gotta gotta. Une grosse pelletée d’orchestration ouvre l’« Everything Is Gonna Be Alright » signé Oldham. Pur jus de Swinging London ! Stomp de rêve - hey hey hey - C’est plombé au beat à l’air, un vrai rêve du juke humide. P.P. le chante à bout de voix et l’explose en phase terminale. S’ensuit la pop nerveuse de « Treat Me Like A lady ». Ça part en pur jive de jerk. Très franchement, cet album compte parmi les fleurons des sixties. P.P. n’en finit plus d’exploser. C’est son seul vice. Elle peut driver un cut comme Aretha. Elle revient au jerk du Loog avec « Speak To Me », un hit fait pour le dancefloor, tourbillonnant de violons et P.P. te le chante à pleine gueule. Tu veux quoi en plus ?

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             Quasiment soixante après, elle refait surface avec un Live In Liverpool pour le moins spectaculaire. T’en reviens pas ! On l’a dessinée pour la pochette, elle tient bien le choc, elle a gardé un look très moderne. Good evening Liverpool ! Elle annonce bien la couleur. Et bam ! Elle te groove «Baby Blue» avec une classe extravagante. Elle enchaîne avec «Everything Is Gonna Be Alright», pure Mod craze, yeah yeah yeah ! Quand tu l’entends chanter ça, tu comprends mieux ce qui se passait dans les clubs en 1966. Ça jerkait pour de vrai ! Elle fait une superbe cover du «Different Drum» de Mike Nesmith. Elle l’amène à London town et ça bascule dans le génie pop. L’autre cover de choc est l’«(If You Think You’re) Groovy» des Small Faces - The very special friends of mine - Elle fait aussi la pub de Chip Taylor avec une cover d’«Angel In The Morning», elle s’y fond avec délectation, puis elle tape dans Brian Wilson avec «God Only Knows», et là, mon gars, elle tape dans le haute du panier, comme au temps d’Immediate, elle en a la trempe. C’est un rare mélange de Soul Sisterism et d’On The Beach magique, elle le travaille à la clameur de God only knows de what I’d been without you, et t’as un truc qui se met en route et qui fait toute la différence. Et puis quand elle attaque «Hold On To Your Dreams», tu ne peux pas rester assis. Big dancing beat à l’air ! Comme elle est à Liverpool, elle claque un coup d’«Eleanor Rigby», «déjà enregistré sur mon deuxième album», précise-t-elle. Elle salue Mister Steve Craddock sur «Still Trying». Wow, la classe infernale de cet heavy slowah du Swingin’ London. Elle le monte aussi haut qu’elle peut, et elle enchaîne avec «The Magic Hour», pop Soul de London town, c’est même du Brill de London town, un son unique ! Elle termine bien sûr avec «The First Cut Is The Deeper», un cadeau que lui fit Cat Stevens, dit-elle. Elle en fait son fonds de commerce, mais un brillant fonds de commerce. 

     Signé : Cazengler, P.P. room

    P.P. Arnold. The First Lady of Immediate. Immediate 1968

    P.P. Arnold. Live In Liverpool. Ear Music 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Tarheel ne tarit pas

             Le pauvre Tareau ne pouvait échapper à son destin. Cruel destin en vérité que d’être surnommé Taré parce qu’on s’appelle Tareau. Mais il faisait face, car il disposait de ce qu’on appelle une bonne nature. La méchanceté des autres ne l’affectait pas. Il se contentait de sourire. Il faisait le canard, comme on dit dans les milieux autorisés. Petit, le regard clair, il semblait n’offrir aucune prise. Plus il souriait, et plus l’agressivité des autres augmentait. Certes, il préférait entendre qu’il prenait le Tareau par les cornes, plutôt que de se faire traiter de pauvre Taré, mais bon, il faisait contre mauvaise fortune bon cœur, ce que tentent généralement de faire les gens esquintés par le destin, si l’on considère que de venir au monde avec un tel nom est un destin. Ces esquintés ont-ils le choix ? Bien sûr que non. Se morfondre ne sert à rien, alors autant faire face. C’est l’occasion rêvée de voir les cons développer leurs routines. Plus les cons l’agressaient, et plus Tareau encaissait. Le plus intéressant dans toute cette histoire était de voir certains cons baisser les yeux, ne pouvant soutenir le regard de Tareau. Il avait en effet des yeux extraordinairement grands. Tareau semblait vouloir inviter ses interlocuteurs à plonger dans son regard. Cette lumière qui émanait de lui pouvait réellement déconcerter. En réalité, il fascinait les esprits faibles qui, furieux de se sentir troublés, redoublaient de malveillance. Alors Tareau souriait, mais s’il comprenait que son sourire pouvait aggraver les choses, alors il essayait d’afficher un air neutre. Pas question pour lui d’importuner les gens qui lui voulaient du mal. Et encore moins de les mettre mal à l’aise. Il n’avait pour lui que son regard, mais il ne voulait pas en faire une arme. Il finissait par fermer les yeux, et il souffrait tant de ce malentendu qu’il en pleurait.

     

             Les cons auraient aussi pu surnommer Tarheel Slim Taré, mais ils ne l’ont pas fait. La raison en est simple : c’est un mot qui n’existe pas en anglais. Alors Tarheel a du pot, plus de pot que Tareau.

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             Tu croises Tarheel Slim sur des compiles intéressantes, comme le New York City Blues d’Ace ou encore The Wild Jimmy Spruill Story. C’est toujours la même histoire : voilà un artiste pas très connu, mais on se félicite de croiser sa piste. Tarheel Slim est surtout l’un des artistes phares de Bobby Robinson. On retrouve Tarheel Slim en duo avec Little Ann sur tous les petits labels de Bobby Robinson devenus mythiques, Red Robin, Fire et Fury Records. Tarheel Slim et Little Ann n’ont enregistré que des singles, donc le plus simple est de recourir aux compiles. Il en existe deux, qui sont assez complètes.

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             Lock Me In Your Heart est un Charly de 1989. Les photos de pochette tapent à l’œil : Tarheel Slim est une sorte de grand dandy black, et à côté de lui, un mètre plus bas, Little Ann rigole comme une petite arsouille des Batignolles. C’est ce duo extraordinaire qui va te jerker la paillasse dès «Don’t Ever Leave Me». Puis on voit Little Ann se glisser avec autorité dans le groove de «Forever I’ll Be Yours».Tu veux du rockab ? Tiens, voilà «Wild Cat Tamer» ! Tarheel joue cartes sur table. Encore un hit intemporel avec «Too Much Competition», il tape ça au mellow et son groove vire jazz. Et pour t’achever, Lillte Ann fout le feu à «Security». En B, tu retrouves leur hit le plus connu, le fameux «Number Nine Train», claqué rockab avec Wild Jimmy Spruill derrière. Pur génie. Encore de la fantastique allure avec «Anything For You». C’est ce qu’on appelle un duo d’enfer - I’ll be your baby/ If you be my man - Ils te chantent ça à la vie à la mort. Ils terminent cette compile avec «Can’t Stay Away From You». Ça joue sec derrière Slim et Ann, ça gratte les poux du diable.

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             On retrouve bien sûr tous les coups fumants de Tarheel Slim & Little Ann sur The Red Robin & Fire Years Golden Classics. «Wild Cat Tamer», bien sûr, ce boogie blues de classe supérieure qu’est «Too Much Competition», l’imparable «Number Nine Train» et le wild jump de «Lock me In Your Heart», «Can’t Stay Away (Pt1)» et «Can’t Stay Away (Pt2)» où Little Ann remporte la palme d’or, mais il y a bien d’autres choses, comme ce «You’re Gonna Reap», elle s’y colle au you may do right/ You may do wrong, et ils battent tous les records de duo d’enfer avec un «Much Too Late» qui sonne comme l’«House Of The Rising Sun», puis on retrouve l’«Anything For You» qui est du pur Shirley & Lee, pur jus de New Orleans. Tarheel y va au no more dans «It’s Too Late», fantastique pâté de pathos, et Little Ann entre à sa suite, au petit chat perché d’exception. Fin de parcours avec le retour de l’excellent «Can’t Stay Away From You», l’heavy jump de New York City, fortement orchestré, plein de jus urbain et orbi, et Little Ann fait les chœurs de can’t stay away, c’est bien chargé de la barcasse.

    Signé : Cazengler, Taré Slim

    Tarheel Slim & Little Ann. The Red Robin & Fire Years Golden Classics. Collectables 1989   

    Tarheel Slim & Little Ann. Lock Me In Your Heart. Charly R&B 1989

     

    *

             Ce n’est pas toujours la musique qui m’attire pour écouter un groupe. Parfois c’est un mot, ou une image. Ou les titres des morceaux qui me semblent faire référence à une de mes marottes. Plus l’attrait du mystère. Je l’avoue celui que nous allons écouter coche toutes les cases. Au minimum deux fois plus qu’une. Au début je l’ai pris à la rigolade, non d’un pois chiche c’est quoi ce truc hyperboliche. Chiche, si j’allais voir. J’y suis allé. J’ignore encore si j’en suis revenu.

             Une belle image, une plage de sable fin, Une île perdue au milieu du Pacifique, un être féminin engoncée dans une robe bleue, l’a l’air un peu paumée, hop j’enfile mon maillot de bain, tiens bon, poupée ! j’arrive dans deux minutes, le titre de l’album m’a un peu refroidi, A Letter from the Past, holà Damie réfléchis les filles d’aujourd’hui sont déjà un tantinet embêtantes pourquoi te charger d’une âme d’un autre siècle qui ne partagera pas ta mentalité.  J’ai pris le temps de méditer.

             D’abord le nom du groupe. Deux trucs m’ont laissé perplexe, s’appelle Colonne Hyperboliche, colonne je vois bien ce que c’est, mais quel nom bizarre, y a bien un cocotier sur la couve, mais pas une colonne en vue. N’empêche que ça m’a l’air de l’Italien. J’ai vérifié sur Bandcamp, oui ils viennent d’Italie, mais aucun autre renseignement, ah, tiens c’est leur deuxième album, l’est sorti le premier mars, chers lecteurs avec les Chroniques de Pourpre vous collez à l’actualité comme nulle part ailleurs, z’ont un opus  précédent simplement nommé Colonne Hyperboliche, normal pour un premier album, paru en juin 2024, en plus il y a bien deux colonnes sur la couve, on en reparlera bientôt.

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             Le traducteur a confirmé mon intuition, hyperboliche signifie bien hyperbole, j’ai grimacé les courbes mathématiques et moi, c’est comme les mousquetaires ça fait quatre. J’ai cherché une idée dans l’intitulé des morceaux, des titres de roman de Jules Verne, bingo j’ai tout compris. Je vois c’est en relation avec les sections des méridiens avec les parallèles, des intellos tordus, ils ont sûrement lu Le Mont Analogue le roman de René Daumal, le Mont Analogue n’est marqué sur aucune carte car pour y accéder il faut suivre les méridiens selon leur intersection conique avec les parallèles, suffit de le savoir pour y arriver facilement. Bon il n’y a plus qu’à se laisser glisser. Je me munis de ma casquette de capitaine et l’on embarque immédiatement, larguez les amarres !

    COLONNE IPERBOLICHE

    COLONNE IPERBOLICHE

    (Piste numérique sur Bandcamp)

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             Belle couve. Très romaine. La colonne de gauche évoque le Trophée de la Turbie élevé par Auguste pour remémorer la victoire des légions Romaines opposées aux tribus celtes qui tenaient les passages des Alpes. Elle marquait symboliquement la séparation de la Province Narbonnaise de l’Italie. Question limites, ces deux monuments métaphoriques évoquent les fameuses colonnes d’Hercule, aujourd’hui notre détroit de Gibraltar qui séparait la mer Méditerranée de l’Océan Atlantique. Ayons une pensée émue pour Thumos, le groupe américain que nous suivons depuis ses débuts, fasciné par le mythe de l’Atlantide révélé par les dialogues platoniciens. Je ne cite pas Thumos au hasard, Colonne Hyperboliche et Thumos semblent procéder de manière semblable. Tous deux ne proposent que des instrumentaux. Sont chacun axés sur l’œuvre d’un auteur majeur, Platon pour Thumos, Jules Verne pour Colonne Hyperboliche. Je n’en veux pour preuve que le morceau intitulé Gordon Pym sur ce premier album.

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             Inutile de me faire remarquer qu’Arthur Gordon Pym est un roman d’Edgar Poe et non de Jules Verne. Vous avez complètement tort et totalement raison en même temps. Si Jules Verne a nommé ses livres Voyages Extraordinaires c’est en l’honneur d’Edgar Poe et de ses Histoires  Extraordinaires, traduction de Baudelaire. Avant d’entreprendre sa série d’œuvres, ce très curieux Jules Verne, c’est ainsi que le définissait Stéphane Mallarmé, a commencé par une monographie d’Edgar Poe. Mais ce n’est pas tout, un des plus beaux, hélas pas le plus célèbre, romans de notre auteur s’intitule Le Sphinx des Glaces qui n’est autre que la suite des Aventures d’Arthur Gordon Pym abruptement arrêtées par leur auteur américain…

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    Reset : ( sur la chaîne YT du groupe vous avez le reels d’une image fixe d’une ville en flamme) reinitialisation, soyons moderne, ils ont laissé tomber la formule Il était une fois qui ouvrait livres de contes de l’enfance, quatre mots qui donnaient accès à l’univers du rêve, qui vous projetaient dans un monde impalpable dans lequel vous étiez dans votre vraie maison… Ils ont grandi, alors ils appuient sur la touche magique, surgit un son violent venu de loin mais ample et brutal comme les lames qui frappent la coque de l’esquif de l’esprit en partance,  la zique vous emporte sur les mers intérieures qui sont les plus lointaines. Gordon Pym : ( ce morceau est illustré d’une image symbolique, un bateau chevauchant une mer tempétueuse, parfaite représentation symbolique du parcours d’une vie humaine ) une mer calme, un esprit agité, Arthur Gordon Pym n’est que le personnage revisité d’Edgar Allan Poe, les guitares grincent comme les vergues du mat de hune agitées par la force du vent, mer calme, chuintement de cordes pas encore désaccordées mais s’élèvent les signes d’une grande menace, l’on ne sait si elle est cachée à l’extrême horizon de la mer infinie ou tapie dans la tête du guetteur sans cesse en éveil, sont-ce des nuages noirs ou les vols impassibles des corbeaux totémiques qui président à votre destinée… tout comme Gordon vos étiez un gamin qui aimaient à s’amuser avec les jeunes voyous du quartier, et vous voici dans le silence de l’incertitude, cette sœur d’ombre de toutes les certitudes sur lesquelles vous avez bâti votre personnalité, la batterie marque le rythme de votre ramage s’il se rapporte à votre obstination forcené, vous êtes l’hôte des malheurs du monde, désormais salement embarqué dans la galère de votre existence, c’est parti pour ne plus jamais revenir, vous avez atteint le point du non-retour, tout, vous-même et le reste du monde se sont ligués contre vous, maintenant vous ne pouvez plus reculer même si votre barque s’encalmine en une mer d’huile, la houle vous arrache à cette torpeur, elle vous emporte là où vous avez toujours espéré vous rendre… droit devant pour affronter l’infini de l’inconnu, n’êtes-vous pas le noir héros de votre destinée, la seule qui importe, là où vous sou Southern Limits : ( agrémentée d’une belle image d’Epinal  d’un explorateur qui se lance dans l’exploration de rivages glacés) bruits cristallins de blocs de glace sur lesquels se vautrent l’écume blanche des vagues mouvementées, vous connaissiez la noirceur du monde et de votre âme, vous pensiez qu’il ne saurait y avoir rien de plus sombre et de pire, mais vous voici entré dans le monde blanc, si c’est un processus alchimique il semble être régressif, l’on ne s’attend jamais au pire, l’on pense se diriger vers quelque chose de meilleur, vous tremblez, vous frissonnez, il est inutile de songer à retourner en arrière, il est trop tard depuis la première seconde de votre détachement du rivage et de vous-même, sûrement vous ne le voudriez pas, vous ne le voulez pas, l’inexorable boussole de votre batterie vous entraîne plein sud vers le sud ultime, vous ne l’auriez jamais cru si loin, mais vous ne reculez pas, votre destin est inscrit sur ces fragments d’écumes glacées, noir sur blanc, dommage que vous ne saviez pas lire ces runes intraduisibles. Waters above : (belle image merveilleuse d’une contrée ruisselant d’un fleuve solaire) sont-ce les moments de vérité, avez-vous réfléchi que vous dirigeant toujours vers le Sud vous êtes aimanté vers le nord futur, d’où proviennent ces bruits, sont-ce des signes, des paroles à vous adressées, incertitudes fragmentales de la musique qui se perd en elle-même et qui devient ces formes blanches indistinctes qui se penchent sur vous, il semble que dans son agonie à Baltimore Poe vous ait appelées, vous conjurait-il de vous éloigner ou vous appelait-il, désirait-il s’arrimer pour toujours, pour l’éternité au rocher des Moires, en cet espace magnétique et central où le ciseau des Parques serait incapable de couper le dernier fil de sa condition de mortel… la musique ne vous dira rien de plus. Allez-y voir par vous-même si vous voulez savoir… Restart :

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    ( Surprise l’on renoue avec Thumos, il semble que le navire de la première image, après avoir connu les rigueurs hivernales et découvert un pays merveilleux relâche toute une population sur le rivage de la mythique Cité d’Atlantis) rembobinage de toute la bobine à toute vitesse il ne vous reste plus qu’à appuyer sur le bouton, pour repartir au début et écouter encore une fois cette histoire, pour la mieux entendre, la mieux comprendre, la mieux intégrer en vous, ne croyez point que vous pourrez y échapper, elle est en vous, votre destin est en elle, tant que vous-même vous n’aurez pas vu les formes blanches se pencher pour vous, pour vous dévorer, mais tout amour n’est-il pas la dévoration de l’autre, vous ne saurez rien, il vous faudra attendre la fin de votre histoire.

             Si vous désirez être davantage (mais pas trop) optimiste vous vous dites que les cinq images qui illustrent les morceaux vous racontent une autre histoire (de fait très pessimiste) qui correspond à la pensée désespérée de l’évolution des civilisations  selon Jules Verne, elles retracent très  sommairement la vision historiale d’un retour des cycles de l’Humanité un peu analogue à ce que raconte The Course of Empire de Thumos. Pour ceux qui veulent en savoir plus lire : L’éternel Adam dans Hier et Demain attribuée à Michel Verne, fils de Jules Verne.

    A LETTER FROM THE PAST

    COLONNE IPERBOLICHE

    (Piste numérique sur Bandcamp)

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    Combien de romans d’aventure ne commencent-ils pas par la découverte au fond d’un grenier ou dans le bazar hétéroclite d’une vieille boutique d’antiquaire, d’un journal de bord rédigé par le commandant d’un navire échoué là on ne sait comment mais livrant d’étranges informations… Jules Verne a utilisé à plusieurs reprises ce motif… L’opus nous paraît partagé en deux parties, chacune consacrée à un des romans les plus célèbres de l’écrivain.

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    Captain’s Logbook : étrange introduction, s’en dégage par son rythme tranquille l’impression d’une étrange sérénité emplie d’une espèce de terreur contenue, l’imagination se laisse bercer par ce balancement monotone et aventureux, nous voici dans l’ultime message lancée à la fureur des flots dans le poème d’Alfred de Vigny La Bouteille à la mer ( 1854) l’on sait qu’elle arrivera à la fin du siècle dans le naufrage du Coup de dés mallarméen, à moins qu’elle n’ait été retrouvée dans l’estomac d’un requin au tout début du roman Les Enfants du Capitaine Grant, livre qui recoupe et termine le cycle des aventures du Nautilius… Nemo : évocation d’un des personnages les plus énigmatiques de Jules Verne, un prince anarchiste, un paria devenu le maître des profondeurs, qui poursuit sans pitié une terrible vengeance, traquant ses ennemis sur toutes les mers du globe, un orque sauvage revêtu d’une carapace d’inhumanité, la musique est à son image, forte, violente, empreinte d’une terrible volonté, même si quelques modulations secondaires à la fin du morceau laisse sous-entendre qu’il saura se réconcilier avec les hommes.

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    Nautilius descent : le rythme s’accélère, l’on aimerait que le Nautilius descende et se laissât reposer doucement au fond des abysses océaniens à l’orée des vestiges de l’Atlantide engloutie, mais non le sous-marin trace sa route sans faillir, tente-t-il  de passer sous la calotte glaciaire de l’Antarctique, ne disparaît-il pas à la fin du livre, en suprême hommage vernien à Edgar Poe, en étant pris dans les tourbillons du Maelström, laissez-vous guider par vos préférences imaginatives… le générique du film que vous écoutez semble durer sans fin au moins pendant vingt mille ans…

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    A letter from the past : mystérieuse ambiance, ça cliquette comme la clef du déchiffrement du mystérieux message que le Professor Lidenbrock a découvert dans un vieux livre, et qu’il tente de faire tourner dans la serrure bloquée de son cerveau afin de parvenir à décoder l’énigmatique message,  c’est que toute aventure décisionnelle se précipite d’abord dans votre tête, faut forcer les rouages rouillés de l’ignorance,   tenter de vous faufiler en vain dans le corridor du mystère, vous frappez du poing sur la porte du paradis obstinément fermée dans votre cervelle. The Center of the Earth : en route vers l’incroyable, Lidenbrock aidé de son neveu a réussi à fracturer le message, les voici confrontés à la terrible réalité, le rythme avance à tâtons, à chaque détour des entrailles terrestres les surprises vous assaillent, elles sautent en vous, car le voyage au centre de la terre est aussi une extraordinaire descente en votre cerveau, vous retrouvez en vous toutes les étapes antérieures à votre survenue sur la terre, vous traversez les couches sédimentaires de vos synapses, les strates alluvionnaires des ères enfouies dans votre mémoire neuronale, vous  régressez vers le néolithique, vous voici arrivé aux sédiments dinosauriens, tout ce que vous avez oublié et emmagasiné en vous prend forme devant vous… heureusement que la Terre vous recrachera comme un bouchon de champagne éjecté du goulot du Stromboli… Quelle trombine auriez-vous tirée si vous aviez vu Dieu souffler dans sa statue de glaise inanimée ! L’auriez-vous tué avant qu’il n’accomplisse son terrible forfait ? Losing tecnology : le dernier morceau est à considérer comme une méditation sur l’essence de la technologie. Du temps de Jules Verne elle était un espoir, une promesse en train de s’accomplir, mais quelle est cette eau qui coule dans ce background conquérant, l’on entend la mer, le bruit des vagues, les cris des oiseaux, est-ce une rêverie écologique sur les ravages des technologies de notre modernité actuelle qui est en train de prendre le pas sur nous, des borborygmes incompréhensibles, tout semble être allé trop vite, la bande-son de l’humanité ne délivre plus qu’un bruit de fond… Colonne Iperboliche partagerait-il le pessimisme du vieux Jules Verne, celui qui sur sa tombe a fait dresser une statue d’homme s’extrayant avec difficulté de la glaise de ses errements…

             C’est fou tout ce que l’on peut dire en n’utilisant pas le langage. Comme si la musique était la seule langue nécessaire et suffisante ! Message de musiciens adressés à leurs congénères. Musique de divertissement ou d’avertissement.

             Comme pour leur premier album, sur You Tube, Colonne Iperboliche utilise aussi un autre langage celui des images. Celles de l’album entier et celles de Captain’s Longbook, de Nemo, de Nautilius Descent, d’A letter from the past sont empreintes d’une grande naïveté, qui ne manque pas parfois d’une didactique documentaire, dans leur ensemble elles éveillent en nous des idées d’émerveillements et de curiosité intellectuelle…

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             L’illustration de The Center of the earth s’avère beaucoup plus étrange, le puits d’accès aux profondeurs ressemble à s’y méprendre au tube d’une longue vue, d’un télescope géant braqué vers le cosmos, nous somme-t-on de regarder vers notre passé ou vers notre futur ?

    Damie Chad.

     

    *

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             Nous avons déjà chroniqué Quand j’étais un blouson noir et au moins deux autres ouvrages, sur John Lennon et Michal Jackson, appartenant à la galaxie rock, de Jean-Paul Bourre, un des rares, pour ne pas dire le seul, témoignages d’importance sur les blousons noirs… Jean-Paul Bourre nous a quittés au mois d’octobre 2023. Or voici que m’intéressant ces jours-ci à diverses biographies de Gérard de Nerval, je me suis souvenu du très bel ouvrage qu’il avait consacré à Villiers de L’Isle Adam, par rebond m’est revenu en mémoire qu’il avait au tout début de notre siècle rédigé un ouvrage sur Gérard de Nerval. Bingo ! l’occasion de rendre un hommage à Jean-Paul Bourre et à Gérard de Nerval. Rock et littérature sont à appréhender comme les reflets brisés du miroir du Moi et de l’Etre…

    GERARD DE NERVAL

    JEAN-PAUL BOURRE

    (Bartillat / Septembre 2001)

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    Gérard de Nerval est un poëte fascinant. Peut-être encore plus que son œuvre qui est un des phares de la littérature romantique européenne. Il n’avait que dix-neuf ans lorsqu’il fut adoubé par Goethe qui écrivit qu’il préférait lire Faust dans la traduction de Nerval que de relire son  propre ouvrage dans sa langue allemande. Qui a pu prétendre débuter en littérature sous de tels auspices ? Les contemporains ont cru que Goethe célébrait la naissance d’un jeune écrivain, sans doute voulait-il dire que la prose de ce jeune écrivain illuminait d’une lumière crue le gouffre obscur de l’âme humaine dont il avait tenté par sa farce métaphysique de définir les contours kaotiques… Peut-être même le maître de Weimar avait-il pressenti que cet inconnu sorti de nulle part n’était un innocent qui s’était avancé par hasard sous les voûtes sombre de la psyché humaine, mais un appelé par lui-même, un élu nanti d’une seule certitude, celle d’être un homme averti.  Qui en vaut deux.  

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    Les biographes de Nerval courent après un être insaisissable. Toujours en partance de lui-même. Ils ont exploré les témoignages de ses amis et de ses détracteurs. Ils ont patiemment enquêté sur les dires du poëte, retrouvé et passé au crible l’ensemble de ses textes éparpillés en de de multiples revues éphémères. Un travail de longue patience et de recherches ardues qui au bout d’un siècle et demi a commencé à porter ses fruits. Nous citerons par exemple Gérard de Nerval, le poète et l’œuvre d’Aristide Marie paru en 1917, et Gérard de Nerval L’Inconsolé de Corinne Bayle sorti en 2008.

    Entre ces deux mastodontes le maigre volume de Jean-Paul Bourre, même pas deux cents pages, prête à sourire. Petit format, grosse (toutefois élégante) police, bel interligne qui semble signifier un intersigne de mauvais augure.  Oui mais voilà, Jean-Paul Bourre ne court pas après Nerval. Il ne le prend pas en filature. Use d’une méthode totalement différente. Ses prédécesseurs comme ceux qui ont écrit après lui essaient de rassembler les morceaux, ils scrutent le moindre indice, après quoi ils essaient d’établir le lien logique qui unit ces fragmentations souvent contradictoires. Jean-Paul Bourre est convaincu, il ne parle pas en érudit mais en poëte, que la vie de Nerval répond à une cohérence intime. Qui évidemment se retrouve en son œuvre. Que vie et œuvre se sont déroulées en parfaite symbiose. La poésie est une œuvre de longue patience nous a prévenu Mallarmé.

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    Il va même beaucoup plus loin, assurant que Nerval a totalement maîtrisé la soit-disant incohérence de sa vie et de son œuvre. Du début à sa fin. Il est vrai que les amis de Nerval furent surpris par son suicide. N’aurait-il pas été assassiné, le crime n’aurait-il pas été maquillé en une sordide mise-en-scène. Ont-ils voulu en faisant courir ces bruits épargner sa mémoire, empêcher que l’on incombe cette mort à sa folie… Se sont-ils sentis coupables de ne pas avoir pris soin de cette fragile personnalité…

    Jean-Paul Bourre ne cache rien. Il appuie même comme aucun autre sur les sujets tabous. La folie de Nerval, il ne la nie pas, mais n’hésite pas à relever dans les textes et la correspondance  de Nerval les fréquentes allusions à l’alcool, notamment dans les divagations, terme (ô combien mallarméen) qui regroupe les errements pédestres, dans les rues de Paris comme dans les chemins de campagne, et les délires qui accaparent son esprit… Quant à la douceur de la folie nervalienne il n’occulte pas les crises de violence. Il ne laisse pas supposer que de nos jours grâce aux progrès de la science psychiatrique l’on aurait traité d’une façon bien plus humaine les énervements du poëte…

    Pour appuyer ses analyses, notre auteur insiste sur l’influence de Nerval sur Rimbaud. Le dérèglement de tous les sens promu par le voyou des Ardennes lui semble sorti tout droit de Nerval. La comparaison des textes est éloquente. Vous pouvez trouver en lisant entre les lignes de nombreux critiques littéraires mention de telles occurrences, mais jamais exprimées avec tant de subtile volonté que chez Jean-Paul Bourre.

    Vous pourriez accroire en lisant les paragraphes précédents que Nerval ne maîtrisait ni sa vie, ni ses addictions… La première partie de l’opuscule vous convaincra du contraire. L’on ne choisit pas l’endroit de sa naissance, mais celle de notre mort nous laisse une plus grande indépendance. Evidemment il faut y mettre du sien et avoir une bonne raison pour agir ainsi.

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    Nerval a beaucoup erré. Les difficultés pécuniaires ne l’ont pas aidé. Mais il a conduit sa barque avec une logique qui peut paraître déroutante. L’est venu mourir dans la rue de la Petite Lanterne qui se termine là où commence celle dans laquelle il est né.  Serait-ce pour signifier la fin d’un cycle. Mais est-il vraiment né à l’endroit mentionné dans le registre des naissances, n’est-il pas né plus tard, dans cette petite enfance passée à Mortefontaine, à moins que ce ne soit au retour de son père de la Retraite de Russie, ou alors à la mort de sa mère durant cette même retraite de Russie, ou alors encore plus tard au moment de ses séjours vacanciers à Mortefontaine, ou quand il a essayé de retracer par écrit les heures importantes de son enfance qu’il a peuplées de ceux et celles qu’il fréquenta en ses années paradisiaques,  qu’il a meublées d’autres scènes issues de son imagination, à moins qu’elles n’appartiennent à une autre réalité, celle du rêve de sa propre vie qui a squatté son existence, où qu’elle se soit déroulée, à Paris, en France, en Allemagne, en Italie, en Egypte, en Syrie… à moins, à plus, que ce ne soit en une autre chronologie, en les temps mythiques, en la jointure des Dieux du Paganisme finissant ou du Christ mourant, comme s’il n’y avait, même dans le Mythe, aucune stabilité, aucune certitude, si ce n’est dans le récit mouvant de toutes ces occurrences, de toutes ses incohérences, celle des faits, celles des rêves, celles de sa vie, celles de sa folie, d’où cette nécessité de reprendre sans fin toutes ces structures signifiantes, de les réécrire et de les réécrire encore une fois comme si l’écriture devenait une variable d’ajustement à l’équilibre général de son existence, encore qu’il convenait de savoir si la prose du récit ne serait pas la variable d’adaptabilité à la poésie, ou la variable d’adaptabilité de la poésie elle-même, que de chimères entremêlées, encore faudrait-il y mêler les femmes et les déesses, les premières étant la négation des dernières, à moins que ce ne soit le contraire, comment voulez-vous vivre sereinement dans tout cet imbroglio, comment se diriger durant toute une existence accrochée à ses lourdes et fantomatiques valises à transporter avec peine toujours avec soi… dans sa vie… Mais aussi dans sa mort.

    Mort et vie intimement mêlées. Ne transporte-t-on pas les siècles morts et ceux à naître dans sa vie. Pourquoi Nerval ne s’est-il pas pendu à la fenêtre de sa maison natale. Il n’avait qu’à remonter la rue de la Petite-Lanterne pour revenir chez lui, pour boucler la boucle, sans doute est-ce cela qu’il voulait signifier, selon Jean-Paul Bourre, la nécessité de terminer un cycle, d’apporter une zone de stabilité, un anneau refermé sur lui-même, d’un pourtour si minuscule soit-il dans le monde… Donner un sens à cette vie découpée, morcelée…

    Mais il n’a refermé le cercle que symboliquement. Il n’est pas rentré à la maison. Il n’a pas refermé, il n’a pas décrit l’arabesque d’un cercle parfaitement concentrique qui soit en même temps une représentation du fini idéen et de l’infini humain. Trop humain.  N’a pas voulu, n’a pas pu, l’a voulu, l’a pu, se contenter d’une spirale, soit pour stagner dans l’incompétence marasmique de sa vie et de son œuvre, ou au contraire montrer qu’il passait à un autre stade, à un nouveau cycle, qu’il subsumait tout ce qui avait eu lieu.

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    Une chose est sûre : dans les quatre dernières années de sa vie Nerval publie la version définitive de son œuvre. Qu’avait-il besoin , ce travail accompli, de la vie qui lui restait.

    Ce livre de Jean-Paul Bourre est une plongée dans le gouffre. Qui nous cerne. Qui nous hante. Nous y rencontrons Nerval. Et nous-même. Ce qui est beaucoup moins intéressant et davantage problématique. Peut-on toutefois refuser de se voir dans un miroir qui ne nous reflète pas.

    Merci à Jean-Paul Bourre de cette introspection nervalienne.

    Damie Chad.

     

    *

            Un truc un peu à part qui vient fort à propos à la suite de la chronique consacrée au Gérard de Nerval de Jean-Paul Bourre.

    SLEEPING IN SAMSARA

    SLEEPING IN SAMSARA

    (Bandcamp - YT / Mars 2025)

             La photographie de la couve ne m’a pas enthousiasmé. Certes elle est belle, mais un peu facile. C’est quoi au juste, un faisan doré, une de ces pauvres bestioles lâchées à la veille du jour de l’ouverture de la chasse, complètement perdue au bord des routes qui nous obligent à freiner brutalement lors de leurs intempestives traversées du ruban goudronné, ou alors un paon, dommage qu’il ne soit pas en train d’étaler l’éventail de sa queue que la divine Héra constella des cent yeux parsemés d’Argos, pas de chance je me trompe de mythologie, manifestement nous sommes en Inde, encore un truc de vieux hippies.

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             J’allais passer à autre chose, mais mon esprit toujours en éveil m’a posé une question qui demande réflexion : Damie, tu crois que l’on dort lorsque l’on est dans le Samsara ? J’avoue que je ne me suis jamais réveillé la nuit pour résoudre une telle interrogation. Dear spirit, si pour vous le Samsara est le mot ’’indien’’ pour désigner notre monde l’on y dort et l’on n’y dort pas tout aussi bien, maintenant si par ce vocable vous désignez les tourbillons cosmiques de l’univers cantonnés dans les structures du temps et de l’espace, je ne sais si à votre mort votre âme emportée, en attendant une future réincarnation, dans cette espèce de maelström géant sera paisiblement endormie ou éveillée ! Damie, comme tu es intelligent, presque plus que moi, mais si tu me permets une dernière question, que veut selon toi nous signifier  ce groupe en se nommant Sleeping in Samsara ?

             Quelle perfidie ! J’ai dû me résoudre à déchiffrer le petit laïus qui accompagne l’enregistrement. Une histoire triste. Du moins vue de notre petit coin à nous du Samsara, mais peut-être juste un minuscule fragment de couleur tirant plutôt sur le noir dans l’univers multicolore du Samsara.

             Le texte introductif est de Christian Peters. Reçoit un coup de téléphone de Steffen Wigang. Ils se connaissent un peu, leurs deux groupes, Terraplane, et The Great Escape se sont déjà rencontrés lors de quelques concerts communs. Steffen malade lui parle d’un projet solo et propose à Peters de participer à deux des morceaux qu’il projette pour son futur album. Peters fournit les paroles et la partie guitare. Il doit aussi se charger du mixage. Steffen décède  le 13 juin 2023… Peters a finalement publié ces deux morceaux testamentaires ce 05 mars 2025… Dans son sommeil dans le tourbillon cosmique L’âme de Steffen est-elle bercée par ses deux dernières mélodies…

    Steffen Weigand : drums, keyboards and synthetizers, rhythm guitar in track 1 / Christian Peters : vocals, lead guitar, bass guitar in track 2.

    Twilight Again : sonorités orientales poussées et effilées par la guitare de Peters, lent tempo battérial, un vocal d’enterrement, chanson bas d’un moribond qui rebondit entre le mur du désespoir et l’espoir insensé de trouver un sens à cette vie qui s’enfuit, une méditation funèbre emportée par les anneaux de feu qui semblent s’étirer vers l’infini crépusculaire d’un voyage dont la fin n’est pas entrevue, peut-être parce que le néant l’attend, peut-être en partance pour une grandeur démesurée… Downtime : musique davantage resserrée, occidentale si ce mot signifie quelque chose, paroles d’acceptance apaisées, face à l’inéluctable, à ce coup d’arrêt proximal, se blottir dans le souvenir des jours heureux, et les bras de l’autre pour l’empêcher de s’éloigner dans la vie, tournoiements doucereux, voluptueux, cosmiques et crépusculaires qui vous emportent jusqu’au dernier battement du cœur. Plus rien. Juste un souffle.

             Prégnant.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 548 : KR'TNT 548 : ROBERT PALMER / DION / WILDHEARTS / SAILORS / BOB DYLAN / BACKBONE / ELVIS PRESLEY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 548

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    31 / 03 / 2022

     

    ROBERT PALMER / DION

    WILDHEARTS / SAILORS

    BOB DYLAN / BACKBONE

    ELVIS PRESLEY

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 548

    Livraisons 01 - 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Palmer qu’on voit danser le long des golfes clairs

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             Dans sa vertigineuse bibliographie, Robert Gordon cite aussi Robert Palmer, un journaliste/musicologue/saxophoniste new-yorkais qui, tombé follement amoureux du blues, décida de lui consacrer sa vie. Il est allé creuser aux racines du Delta blues pour écrire Deep Blues, un livre d’une densité spectaculaire. Comme Dickinson, Stanley Booth et Robert Gordon, Palmer entre dans la catégorie des écrivains inspirés. Leur point commun est une passion pour le Memphis Sound.

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             Dans Deep Blues, Palmer raconte l’incroyable histoire de la plantation Dockery, située au bord du fleuve, à Cleveland, Mississippi, un endroit où traîne, dans les années vingt, l’ineffable Charley Patton. Palmer raconte aussi dans le détail the big flood que chante Patton, et les pérégrinations des ramblers, qui jouent de ville en ville for a nickel or a dime. Palmer décrit aussi l’ambiance de Maxwell Street à Chicago - Jewtown was jumpin’ like mad on Sunday morning - et tous ces blacks venus du Delta who liked their music rural and raw - Oui, Maxwell Street, l’aboutissant de ce tenant qu’est le Delta, puis le fameux radio show d’Helena King Biscuit Time qui rend Rice Miller célèbre et que le jeune Ike Turner, qui grandit à Clarksdale, écoute attentivement. Palmer brosse un portait en pied de Muddy, un Muddy qui un beau matin fait dire à Monsieur Fulton qu’il est malade, puis il revêt son seul costard, met quelques affaires dans une valise, dit au-revoir à sa grand-mère et attrape the Illinois Central train à Clarksdale à 4 h de l’après-midi pour monter à Chicago. Muddy ne peut pas prétendre avoir inventé le blues électrique, mais il a le premier groupe de blues électrique connu, le premier à utiliser des amplis pour sonner plus loud, plus raw. Palmer explique à longueur de temps que le blues revient de loin : ceux qui le jouaient et le chantaient ne possédaient rien et vivaient dans une forme de servage virtuel. Et si on demandait à un pasteur noir, à un petit propriétaire ou à un habitué de la messe qui étaient ces gens qui chantaient et jouaient le blues, ils répondaient tous : «The cornfield niggers.» Le blues est avant toute chose une sociologie. Ceux qui haïssaient les blacks n’étaient pas forcément les patrons blancs des plantations, mais plutôt les blancs pauvres, ceux qu’on qualifie de white trash. Ce sont eux qui lynchaient les nègres. Les patrons blancs ne pouvaient plus les protéger. Muddy raconte aussi qu’il vit Robert Johnson étant jeune - It was at Friar’s Point. He coulda been Robert Johnson, they said it was Robert. I stopped and peeked over and then I left. Because he was a dangerous man - Palmer ajoute que comparé à Robert Johnson, Muddy est plus conservateur, musicalement. Si Robert avait continué à vivre, il aurait sans doute développé an electric jazz-influenced brand of modern blues, alors que Muddy en restait aux rich ornemented pentatonic blues melodics à la Son House et à la Charley Patton. Les débuts de Muddy à Chicago ne furent pas évidents. Leonard Chess l’auditionna et ne réagit pas. C’est Evelyn Goldstein qui le trouva bon et qui vit son potentiel. Mais après le raté du départ, Muddy eut une bonne relation avec Leonard le renard - I didn’t even sign no contract with him, no nothing. It was just ‘I belong to the Chess family’ - Leonard traitait tout le monde de motherfucker, sauf Muddy qu’il traitait en parfait gentleman - on the basis of absolute mutual respect - Malcolm Chishom précise un point capital - Leonard didn’t know shit about blues, but he knew an awful lot about feeling. He could feel music.

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             Muddy, Charley Patton, mais aussi Pops Staples qui a grandi lui aussi sur la plantation Dockery qu’il quitte à l’âge de 20 ans pour monter à Chicago - Charley Patton stayed at what we called the lower Dockery place and we stayed on the upper Dockery - C’est Charley qui pousse Pops à jouer de la guitare. Wolf traîne aussi à Dockery et c’est aussi Charley qui lui apprend à jouer de la guitare, en 1929 - It was Patton who started me off playing - Wolf bourlingue aussi avec Robert Johnson et Rice Miller dans le milieu des années trente et prend en mains Johnny Shines et Floyd Jones. Le groupe de Wolf va être bien plus primitif que celui de Muddy, Wolf hurle comme Charley Patton, blowing unreconstructed country bues harmonica, his band featured heavily amplified single-string lead guitar by Willie Johnson - Eddie Shaw fait une description apocalyptique du son de Wolf sur scène : «Muddy never had the energy Wolf had, not even at his peak. Muddy would rock the house pretty good, but Wolf was the most exciting blues player I’ve ever seen.» Palmer ajoute : «Muddy was the superstud, the Hoochie Coochie Man. Wolf was the feral beast.» Et Sam Phillips ajoute : «When I heard Howlin’ Wolf, I said, ‘This is for me. This is where the soul of man never dies.’ Then Wolf came over to the studio, and he was about six foot six, with the biggest feet I’ve ever seen on a human being. Big Foot Chester is one name they used to call him. He would sit there with those feet planted wide apart, playing nothing but the French harp and, I tell you, the greatest show on earth you could see to this day would be Chester Burnett doing one of those sessions in my studio. God, what it would be worth on film to see the fervor in that man’s face when he sang. His eyes would light up, you’d see the veins come out on his neck and, buddy, there was nothing on his mind but that song. He sang with his damn soul.» Palmer insiste sur le jeu de Willie Johnson et ses thunderous power chords, the most electric guitar sound that had been heard on records. Et le premier à flasher sur le son de Willie Johnson fut Paul Burlison. On est en 1952, et Paul, les frères Burnette et Elvis travaillent tous à la Crown Electric Company. Et cette filiation va remonter jusqu’à l’Anglais Mick Green qui flashe à son tour sur le son de Burlison. Mick combine lui aussi le lead avec la rythmique et devient l’idole d’une nouvelle génération de guitaristes britanniques qu’on connaît bien, Wilko en tête. Robbie Roberston et Roy Buchanan flashèrent eux aussi sur le jeu de Willie Johnson. Voilà comment se construit la légende du rock. Merci Dockery, car oui, il faut remonter à Charley Patton, qui se trouve à l’origine de tout, un homme au cœur de pierre - a heart like railroad steel - un Patton qu’on disait «lubricated» en studio, mais, rappelle Palmer, on leur servait à boire pour les décontracter, un Patton qui n’allait jamais voir un médecin, car comme le précisait Son House, he would have sought out a hoodoo doctor or root man.

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             Oui, Son House, lui aussi à l’origine de tout et qui comme tous les gens du Delta portait une arme, bim bam, légitime défense et petit stage en 1928 à Parchman Farm, avant d’être relâché deux ans plus tard par un juge qui lui conseille de ne pas rester à Clarksdale, et puis voilà Johnny Shines qui voyage avec Robert Johnson - who was kind of long-armed -  et qui jouait mieux que tous les autres, un Robert qui restait sur son trente-un quelle que fut l’heure - Sharp enough to attract a crowd and attract a woman - un Robert qui fait sonner son acou comme une guitare électrique, avec ses high-bottleneck lead lines et ses driving bass riffs. Quelle galerie d’ancêtres prestigieux ! Le rock moderne peut être fier de tous ces vieux blackos de choc. Tiens et puis Rice Miller, alias Sonny Boy, le mystérieux Sonny Boy Williamson the Second, mais jusqu’au dernier jour, il clamait qu’il était le vrai Sonny Boy et que l’autre Sonny Boy, quinze ans plus jeune que lui, lui avait barboté son nom. Un Rice Miller qui se retrouve arrêté pour vagabondage et qui passe un mois au trou nourri, logé, à condition de jouer, alors ils se font, son pote Lockwood et lui, mille dollars et on leur amène du moonshine et des putes toutes les nuits en cellule, typical Rice Miller ! Un Rice Miller qui jouait avec son harmo soit dans la bouche, soit coincé comme un cigare sur le côté, qui était capable de jouer tout ce qu’on lui demandait et lorsque sonnait l’heure de l’émission et que l’annonceur clamait ‘Pass the biscuits’, Rice et Robert Lockwood se mettaient à jouer le thème du King Biscuit Time, un jump-tempo blues - We’re the King Biscuit boys/ And we’ve come out to play for you - Rice dépensait aussitôt tout ce qu’il gagnait en alcool, en femmes et au jeu, alors que Lockwood économisait pour s’acheter une Pontiac. Pas n’importe qui non plus, ce vieux Robert Lockwood, puisque Robert Johnson draguait sa mère, et comme il avait le môme à la bonne, il lui apprit à jouer le blues - I think I’m the only one he ever taught - Méchant veinard ! Et quand Robert Johnson mourut comme on le sait empoisonné, Robert n’eut pas le courage d’aller à son enterrement. Trop de chagrin. Il lui fallut un an pour surmonter son chagrin et se remettre à la guitare. Mais il chialait, chaque fois qu’il grattait un mi. Alors pour chialer un peu moins, il se mit à composer.

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             En plus de Rice Miller et de Robert Lockwood, on trouve aussi Little Walter à Helena. On raconte que Rice Miller sauva la peau du jeune Little Walter dans un juke-joint : une gonzesse l’attaquait avec une lame et Rice sortit la sienne. Little Walter vivait déjà à la dure, il dormait sur les tables de billard et il dépendait de la générosité des autres pour les clopes et la bouffe. Tous ces mecs, Elmore James, Muddy, Wolf, Sonny Boy, Little Walter, Jimmy Rogers, Roger Nighthawk et Johnny Shines viennent du même coin. On peut même parler de triangle magique Helena/Clarksdale/Memphis. Et Ike monte à Memphis enregistrer chez Sam qui sait - Sam Phillips, with a shock of bright red hair, a pair of piercing blue eyes and a gift for oratory worthy of a country preacher - Sam est ravi d’enregistrer les blacks - I thought it was vital music. I don’t know whether I had too many people agree with me immediately on that - Méchant visionnaire ! Mais comme il a bossé gamin dans les champs de coton, il connaît bien les gens qu’il va enregistrer plus tard, les blancs comme les noirs. Sam est intarissable sur Ike : «People don’t know that Ike Turner was the first stand-up piano player.» C’est Ike qui invente la distorse avec son ampli crevé, lorsqu’il enregistre le fameux «Rocket 88» - Step in my rocket/ And don’t be late - Entre 1950 et 1954, Sam et Ike vont enregistrer the most outstanding blues performers to be found in Memphis and the Delta. Les teenagers branchés du coin n’écoutaient plus que de la nigger music. La country était réservée aux blancs pauvres et aux péquenauds. Par la violence de son jeu, Ike va lui aussi influencer des tas de guitaristes - Turner would keep up a machine-gun-like barrage of turtuously twisted high notes, bent and broken chords and reiterated trebble-string riffing at the very top of the neck - Et Palmer en arrive à expliquer que le seul qui pouvait lancer l’idée du country blues d’Elvis ne pouvait être que Sam. John Lee Hooker vient lui aussi de Clarksdale et son beau-père Will Moore fréquentait Charley Patton. Mais comme Will Moore venait de Louisiane, il avait une façon de jouer le blues plus hypnotique, one-chord drone blues with darkly insistant vamping, ce qui va bien sûr forger l’esprit d’Hooky. Un Hooky qui cite Albert King comme l’un de ses guitaristes de blues favoris, un Big Albert qui comme Ike va s’installer à Saint-Louis pour démarrer. Mais plutôt que d’imiter B.B. King ou Elmore James, Big Albert va créer une synthèse, playing single-string leads with a broady metallic tone and brawny, heaving phrases that seemed to dig into the beat from the underneath - Palmer parle aussi de menacing riff rock, de bulldozer rhythm, de high-energy guitar leads, oui Big Albert, c’est tout ça, et son album Born Under A Bad Sign est considéré comme the most influential blues album of the sixties. Quant à Little Miton, il vient du même coin, de Greenville. Il pouvait sonner comme n’importe quel autre guitariste de blues, et bien sûr, il démarre chez Sam. Palmer finit son impressionnante galerie de portraits avec Guitar Slim qui fait carrière à la Nouvelle Orleans, et Jimmy Reed qui allait devenir l’un des bluesmen les plus populaires de son temps. Sonny sortit de ce livre un peu sonné.

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             Robert Palmer tourne aussi un film en 1991, Deep Blues - A Musical Pilgrimage To The Crossroads. On y voit RL Burnside gratter le North Mississippi Hill Country Blues chez lui, sur une vieille Fender. Il joue assis sur le perron de sa vieille cabane en bois. Un seul accord, withey. Tout est là. Puis voilà Jessie Mae Hemphill, Abe Young et Napoleon Strickland au fife. Bouncing Ball ! Il émane d’eux quelque chose de très ancien, qui doit remonter à l’antiquité. Sans doute est-ce dû à la grâce du son de fifre, très fellinien. Jessie Mae chante et joue le blues, pas de problème. Elle a quelque chose d’Indien dans le visage. Une prestance d’histoire de destins croisés et de sangs mêlés, de l’ordre du vertige de l’histoire du monde. Ce qu’elle fait est mille fois plus garage que ce que font tous les groupes modernes réunis. Le réalisateur Robert Mugge a l’intelligence de ne pas couper les chansons. Jessie Mae et Rural ont besoin d’une certaine distance pour exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre. Et voilà Junior Kimbrough qu’admirait tant Charlie Feathers. Encore une belle leçon de blues. Épouvantable section rythmique, c’est swingué à l’Africaine rampante, une pure merveille de boogaloo. Kimbrough est littéralement lumineux. Il émane de lui toute la bonté de la terre et une sorte de doux génie. Puis Palmer débarque à Greenville pour évoquer la légende de Nelson Street en compagnie de Roosevelt Booba Barnes, un homme des bois couvert de bijoux et effrayé par la caméra. Il joue une sorte de Chicago blues sur une strato noire. Il y a quelque chose d’ineffablement raw dans son style, il gratte ses notes au pouce. On aurait bien aimé qu’il fasse son Eddie C. Campbell. Puis on fait une halte à Clarksdale, le temps de voir Big Jack Johnson claquer son boogie blues. Encore un roi du raw. Un king du cut. Un boss du blues. Un cake du twang. Fabuleuse présence ! Il joue à l’onglet de pouce et pique de vilaines crises de bottleneck. Wow, la teneur de la tenue !

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             Le petit frère de Deep Blues s’appelle You See Me Laughin’, un docu Fat Possum initié par Matthew Johnson, boss de Fat Possum. Le principe du doc est d’aller rendre visite aux vieux de la vieille, The Last Of The Hill Country Bluesmen. On voit CeDell Davis jouer sur son Epihone bleue avec un couteau à beurre. Il raconte qu’il aime les fat women, qu’il a chopé la typhoïde en 1933 et la polio en 1934 - I’ve got one hand but I can play guitar - Rien que pour cette séquence, il faut voir le film. CeDell raconte aussi qu’il jouait avec Robert Nighthawk et là, on retourne dans le book de Robert Palmer. Le pauvre Cedell s’est battu aussi longtemps qu’il a pu, mais son cœur a fini par le lâcher en 2017. Bienvenue chez T. Model Ford ! Il joue sur un gros Peavey et gratte une guitare de metaller. RL Burnside joue la pétaudière avec son fils adoptif Kenny Brown qui est blanc. On les voit taper «Snake Drive» sur scène - On drums, my grandson, Mr Cedric Burnside ! - On annonce aussi la mort de Junior Kimbrough et la disparition de son légendaire juke-joint qui a pris feu. Tout le monde dansait dans ce juke de rêve. Le défaut du docu, c’est qu’on y voit la gueule à Bono, et ça ruine tout. Dommage.

    Signé : Cazengler, Robert Palmerde

    Robert Palmer. Deep Blues. Prentice Hall 2001 

    Robert Mugge & Robert Palmer. Deep Blues - A Musical Pilgrimage To The Crossroads. DVD 1991

    You See Me Laughin’. The Last Of The Hill Country Bluesmen. DVD Fat Possum 2003

     

    Nom de Dion !

     

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             Dion reste la plus obscure des stars de l’urbano-ritale Americana des fifties. Si on ne jure que par Dion, c’est un peu la faute de Johnny Thunders qui ne jurait que par lui. Johnny et Dion avaient deux sacrés points communs : ils partageaient la ritalité des choses et un goût prononcé pour la junk-culture. «Heroin was instant courage», dit Dion today. «It was complete confidence. It did for me what I couldn’t do for myself.»

             Grâce à Dion, on tombe sur un concept monumental : the hydrogen jukebox. Ce concept est de la même importance que l’extraordinaire «Salon des Incohérents» découvert chez François Caradec. Ce sont des concepts qui éclatent comme des révélations et qui pulvérisent la monotonie du quotidien. Davin Seay : «The voice of Dion came exploding out of what Allen Ginsberg called the ‘hydrogen jukebox’ in the ‘50s. Dylan himself would write in the liner notes of the 2000 Dion retrospective King of the New York Streets.» Il n’y a pas que Dylan et Johnny Thunders qui s’extasièrent à l’écoute de l’hydrogen jukebox. Lou Reed a toujours eu du flair pour les goodies : «Lou Reed put it, «to do all the turns... stretch those syllables so effortlessly, soar so high he could reach the sky and dance among the stars forever.»

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             Dans un vieux numéro de Mojo, l’érudit Davin Seay nous troussait un portrait en pied de Dion, dans une langue râpeuse, pas très élastique, pleine de proéminences intéressantes, hérissée de formulations inconfortables, mais d’une redoutable efficacité sémantique. Davin Seay balançait ses vérités émotionnelles comme d’autres énonçaient des paroles d’évangile. Il fallait au moins cela pour restituer la grandeur d’un personnage de légende comme Dion. «With hindsight it’s all too easy to ascribe inspired intent to Dion’s personification as one of the most enduring archetypes in pop history, a stylistic social statement that would, in time, become shorthand for the very essence of Cool itself.» Mister Cool, c’est bien ainsi qu’on perçoit Dion.

             Même si la réalité urbaine du Bronx nous échappe complètement à nous autres les franchouillards mal dégrossis, il faut bien admettre que l’histoire de Dion fascine. «Me and the guys weren’t singing doo wop in front of the candy shop or riding the ‘D’ train», he asserts. «At least we didn’t call it doo wop. It was shotgun Boogie and Lawdy Miss Clawdy and Stagger Lee.» Dion se souvient de ses débuts. Il a eu la chance comme Johnny Cash de se trouver au bon endroit au bon moment. Pendant que le sombre Cash forçait la main de Sam Phillips à Memphis, Dion allait enregistrer des démos au studio Allegro. «I went down on my own to Allegro studio, in the middle of Tin Pan Alley, and cut a demo of Carl Perkins’ Bop The Blues. Pure rockabilly, even though I didn’t know that’s what you called it.» Dion ne se limitait pas au rockab. Il lorgnait aussi vers le blues, et pas n’importe lequel. Dion en a bavé : «I love Burl Ives and Robert Johnson, whose sound took me a long time to translate. It seemed so alien at first, like Chinese music from across a huge ocean.» Et on tombe au plein cœur de ce texte dense et tumultueux sur un hommage terrible à Hank Williams. Cash qui écrit pourtant si bien n’aurait pas fait mieux : «Hank was a high lonesome spectre that, once heard, haunted everything Dion would ever do : ‘He taught me that there might be three verses to a song’, he explains with mystical certitude, ‘but there’s a fourth verse you never hear and that’s the singer... his life, his story, what he brings to the music. That’s what Hank did. He told stories, in that half-talking, half-singing way, philosophing about life on tunes like Pictures From The Other Side and the Funeral.’»

             Et puis on rentre de plein fouet dans la mythologie des gangs, période «Wanderers». Dion fit partie des gangs ritals de New-York. «It was what writers Jane and Michael Stern dubbed ‘hoodlum Baroque’ and Richard Price, author of The Wanderers, would summon up with ‘sharkskin pants, Flagg Brothers dagger-toed roach killers and waterfall pompadours’. It played gleefully on the mainstream panic of juvenile delinquincy and found its own kind of eloquent cultural choregraphy in 1961’s West Side Story, with every artful leap of Jerome Robbins’ homoerotic Jets and Sharks.» Dion va de gang en gang : «Subsquently graduating to the altogether more resolute Baldies, who took their name from the American bald eagle, he skirmished with the Imperial Hoods, the Italian Berettas and the Golden Guineas in turf wars replete with zip guns and brass knuckles.»

             Davin Seay est impérial pour décrire l’ampleur du phénomène Dion : «Reaching the top 30 in the spring of 1958, I Wonder Why achieved in two minutes and 19 seconds a crackling fusion between the music’s street corner legitimacy, exemplified in the Belmonts’ rumbling glissandos, and its vast commercial potential, riding on a rarified updraft of Dion’s clarion lead.» Et ça continue de plus belle : «In between, on stray album cuts like Wonderful Girl and the glorious That’s My Desire, they managed to hold on what had once held them together, that mutual thrill of close-bended harmony.»

             Dion est comme Big Jim Sullivan qui a failli prendre le taxi mortel de Gene Vincent et Eddie Cochran : il est passé à deux doigts de la mort mythique : «He had in fact already felt the chill brush of mortality back in 1958 when, as part of the Winter Dance Party Tour, promoting A Teenager In Love up and down the midwinter Midwest, only his famous frugaliry kept him from buying a seat on the plane ride that took out Buddy Holly, Ritchie Valens and the Big Bopper. «They hired a charter to fly them to the next gig early so they could get off the tour bus for awhile and sleep in a real bed. My share was going to be 35 dollars, a month’s rent fo my parents. I passed.»

             À certains moments, Davin Seay devient pharaoniquement biblique. «But from the opening notes of Dion’s poignant and supremely assured rendition (Abraham, Martin and John), it belongs, like the rest of his canon, solely to him, with Gernhard’s masterfully modulated clarinets and harps and church organ giving the heartfelt sentiments a fitting cinematic sweep... and a generational resonance.»

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             Si on est assez solide pour supporter la variété américaine des early sixties, on peut essayer d’écouter les premiers albums de Dion parus sur Laurie. Quand on écoute Alone With Dion paru en 1961, on voit bien que Dion s’imposait déjà. «PS I Love You» était en fait une merveilleuse pièce de slowah des early sixties, un froti de rêve. Il reprenait sur cet album «Save The Last Dance For Me» et il avait l’avantage de bénéficier d’une vraie voix de stentor. Il pouvait aussi rivaliser avec Sinatra, en attaquant des bluettes comme «Close Your Eyes» et passait au jazz kitschy avec «Fools Rush In». Il a une si belle voix qu’il peut faire le «My One And Only Love» au bar de nuit de charme fatal et taper dans Broadway sans aucun complexe avec «North East End Of The Corner». Fantastique interprète.

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             Runaround Sue date aussi de 1961, et ça ne nous rajeunit pas. Le morceau titre fut le premier hit américain de Dion. On dit que ce sont les Beatles qui l’ont détrôné. Il faut dire que Dion se situait à la lisière de la pop de fête foraine. Il avait déjà ce qu’on appelle une voix, c’est vrai, il suffit d’entendre «Life Is But A Dream» pour s’en convaincre. Sur cet album se trouve l’autre grand hit de Dion, «The Wanderer», un swing du Bronx pour le moins extraordinaire. Il chante du nez, c’est en place, mais aujourd’hui, qui va aller écouter ça ? On retrouve le doo-wop qui fit sa réputation dans «In The Still Of The Night». Dion faisait ce qu’il voulait avec sa voix, même une version bon enfant de «Kansas City» 

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             Lovers Who Wander paraît en 1962. Voilà un album plein de jus. Si tu veux connaître Dion, écoute Dion. Si tu n’écoutes pas ses premiers albums, tu ne pigeras rien au personnage. Il démarre avec le morceau titre qui est le twist du dépôt de la Demi-lune, bien crooné aux chœurs de juke. Comme Dion est un être joyeux, il chante «Come Go With Me» soir et matin, il chante sur les chemins. C’est Bobby Keys qui joue du sax. Avec «Little Diane», il tape dans la vraie pop de désespoir du Bronx. Il prend aussi «Stagger Lee» à la meilleure volée et il passe aux choses très sérieuses avec une reprise de «Shout». Cet album est surprenant de bout en bout. Son Shout vaut tout l’or du Rhin. Quelle énergie ! Il peut tenir longtemps au meilleur jus de juke - She’s good to me/ I’am alrite now - Quel jiver ! Il repart comme un beau diable, c’mon now ! Il retrouve son statut de chanteur extraordinaire avec «Born To Cry» et revient au rock du Bronx avec «Queen of The Hop».

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             Donna The Prima Donna est un pur album de jerk. Avec le morceau titre, Dion tape directement dans le doo-wop des camors. Il faut écouter ça ! Dion mène le bal, c’est indéniable. Pow pow pow, voici «Can’t We Be Sweethearts» embarqué à la fièvre de juke. Dion nous swingue ça à la vie à la mort. C’est admirable de tenue et les autres font du bow bow bow en descente. «Sweet Sweet Baby» ? Mais c’est le jerk du New York des années 50. Dion jerkait déjà l’oss de l’ass. Encore du vieux jerk de rital new-yorkais avec «This Little Girl Of Mine». Sacré Dion, c’est fou ce qu’il sait jerker. Il sait rendre les choses terriblement excitantes. Et c’est torché au sax. Par contre, il tape «Flim Flam» au riff du delta. Quelle classe. On a des clap dans l’oreille gauche. Voilà un cut qui préfigure les Beach Boys. C’est swingué aux clap-hands. Quel fantastique développement ! Même chose pour «This Little Girl» qui est swingué aux clap-hands. Tout ça se déroule dans les jukes new-yorkais et Dion chante comme un démon. Avec «You’re Mine», Dion retape dans le heavy boogie blues. Il est malin comme un renard. Il multiplie ses ooh yeah. Pour l’époque, c’est d’une grande modernité. Il faut aussi écouter «I Can’t Believe», joué à la guitare expansive de flamenco et secoué aux castagnettes. Il connaît les ficelles.

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             Sur la pochette de Ruby Baby, Dion porte un joli pull rouge. Dès le morceau titre qui fait l’ouverture, on retrouve cette voix extraordinaire et colorée qui le rendra indispensable. Ruby est bardé de bonnes dynamiques. Quel son ! Voilà le pur jive new-yorkais, un son en qui tout est comme en un œuf aussi rond qu’harmonieux. Avec «Go Away Little Girl» et sa subtile orchestration, Dion se rapproche de Fred Neil. Il peut aussi rocker la boutica comme on le constate à l’écoute de «Gonna Make It Alone», d’autant qu’il a derrière lui des chœurs de rêve. De l’autre côté rayonne «Will Love Ever Come My Way», pur jus de doo-wop. Leur son est bourré de bonne énergie. Tous les morceaux de cet album sont agréables et bien foutus et il termine avec «Unloved Unwanted Me», une belle pièce pantelante de pop, montée sur un beau son de basse et ça drumbeate bien jungle, avec un léger parfum d’exotica.

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             Fin de l’époque Laurie avec Love Came To Me : doo-wop de rêve (le morceau titre) et coups d’acou bien rythmés («So Long Friend»). On goûtera l’élégance primordiale d’«Heaven Help Me» et la voix de rêve du dieu Dion dans «Then I’ll Be Tired Of You», cut visité au loin par une belle trompette. C’est même admirable d’élasticité mélodique. Oui, Dion chante comme un dion. Il n’est pas convenable d’être aussi primordial. Sion aime Dion, il faut aussi écouter le bon kitsch de «Kissin’ Game». Il crée une sorte d’extase et c’est violonné à la ritale. Dion sonne comme Dylan dans «Candy Man», même timbre new-yorkais. Et il passe au gospel avec «I’m Gonna Make It Somehow». Il tire l’énergie du gospel et les chœurs montent avec des ahhh et des ouhhh, hallelujah ! Il revient au très beau «PS I Love You» d’une extrême pureté mélodique. Quand c’est servi au chant par une voix d’ange, ça devient intolérablement bon. Encore une merveille avec «Could Somebody Take My Place Tonight», fantastique pièce de swing - I love you so ! - C’est embarqué à la stand-up et tapé à l’austère swing new-yorkais.

             Jon Mojo Mills tend son micro à Dion pour Shindig!. Dion dit avoir découvert le blues grâce à John Hammond qui lui passe des albums de Robert Johnson, Furry Lewis, Leroy Carr et Fred McDowell. Il dit suivre le même parcours que Keith Richards, de l’autre côté de l’Atlantique. Pour lui, la force des sixties réside dans le fait que la musique commerciale était aussi du grand art - Oh this is artistic and that’s commercial -  Dion a aussi une anecdote marrante sur John Lennon : il raconte qu’en 1965, il tombe sur John et Ringo dans une boutique de fringues de la 57e rue. John et Dion achètent le même leather jacket. John qui est fan de Dion lui dit qu’il adore «Ruby Baby» et qu’il le jouait sur scène au Star Club de Hambourg. Et donc, le portrait de Dion qui est collé sur la pochette de Sgt Pepper a été découpée sur la pochette de «Ruby Baby». Dion et Dylan sont les seuls musiciens américains à figurer sur la pochette de Sgt Pepper - Yeah good company

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             Wonder Where I’m Bound sort en 1969, année érotique. Avec «I Can’t Help But Wonder Where I’m Bound», Dion sonnerait presque comme Fred Neil. Il navigue aux confins du folk et de la pop élégiaque de type Brill. Quelle ampleur ! Il enchaîne avec une belle cover d’«It’s All Over Now Baby Blue» signé Dylan, comme chacun sait. Oh attention, il prend «A Sunday Kind Of Love» au chat perché, mais il pose si bien sa voix que ça tourne au pur régal. Ce mec est un chanteur exceptionnel, il travaille sa mélodie au demi-chat perché et crée des effets mirifiques. Il prend «Now» à l’ampleur mélodique de la Belmont-mania. C’est une fois de plus digne du Brill. Il tape aussi dans le «Southern Train» de Big Dix. C’est envoyé au choo-choo-shuffle d’harmo et aux vieux coups d’acou, ça joue au gimmick exacerbé par devant et ça strumme comme dans l’Arkansas par derrière. S’ensuit un heavy blues de rêve, «The Seventh Son». Dion le prend à la perfe. Il a une vision exceptionnelle du son. Et il faut entendre la profondeur du son de guitare ! C’est un véritable coup de génie. Le solo s’inscrit dans la voix de son maître et c’est bardé d’effets prescriptifs de la pire espèce.

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             En 1968 sort Dion sur Laurie. Attention, c’est un très bon disque. Il attaque avec l’un de ses hits, «Abraham Martin & John», un pur hit sixties, l’un de ces hits doux qui ensorcelaient, comme ceux de Fred Neil ou de David Crosby. Il enchaîne avec une version balladive du «Purple Haze» de Jimi Hendrix. Il chante d’une voix à l’accent tranchant et il jazze le jive hendrixien à la manière de Duffy Powers. Ça groove et ça flûte sur le delta du Mekong jusqu’à l’horizon. Il fait aussi une reprise du «Tomorrow Is A Long Time» de Dylan, jouée au doux balladif de voix insistante et le couple avec l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil, comme par hasard. Dion sait manier la beauté pure. Il passe au heavy blues des ténèbres avec «Sonny Boy». Il sait créer les conditions de la magie. Il revient à Fred Neil avec «The Dolphins». Il chante d’une voix tellement parfaite qu’il peut aller traîner dans les eaux de Fred Neil sans rougir. Il a le même sens océanique. On est là dans la pureté mélodique absolue. En B, on tombe sur un «Sun Fun Song» assez élégiaque, mélodique et orchestré aux trompettes de Sgt Pepper. Dion maintient le cap mélodieux d’une voix d’accents tranchants. Quelle ampleur ! Encore de la pure magie mélodique avec «From Both Sides Now». Une vraie fleur du paradis. Il oscille d’une voix de rêve éveillé.

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             Avec Sit Down Old Friend paru deux ans plus tard, il entre dans une période résolument folky folkah. Diaphane et éperdu, «Natural Man» sonne comme du Nick Drake. Dion porte une petite moustache et il ressemble au batteur de Creedence. Il tape son «Jammed Up Blues» à coups d’acou et il fait le virtuose à la manière de John Hammond. Dion est un fantastique guitariste de blues ambiancier. Il tape plus loin une cover de «You Can’t Juge A Book By The Cover» et fait son petit primitif. Il attaque sa B avec une reprise de Jacques Brel, «If We Only Have Love» et ça sonne comme «Le Partisan». Mais ça ne fonctionne pas. Avec «Sweet Pea», il revient au blues de primate évolué. Pas de doute, Dion sait jouer le blues. Avec le morceau titre qui referme la marche, on note l’excellence du timbre de Dion.

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             On considère Sanctuary comme un classique, mais ce n’est qu’un album de folk américain sans retentissement, même si certains cuts comme le morceau titre sont des balladifs d’ampleur considérable. Avec «Willigo», on ne retient que la voix. Toujours la voix. Rien que la voix. De cut en cut, Dion touille son petit brouet de folkah sans se presser. En B, il tape son vieux «Wanderer» à coups d’acou et revient aussi sur «Abraham Martin & John». Le grand art de Dion, c’est cette façon de chanter perché à l’harmonique tutélaire. Il reprend aussi son vieux «Ruby Baby» et ça passe comme une lettre à la poste.      

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             La même année sort You’re Not Alone, et sur la pochette, il gratte ses poux. Donc pas de surprise. On se régale de «Sunniland», balladif doux et intimiste. Dion est un être chaud et humide. Il sait gérer la douceur du temps qui passe. Arrive «Windows», folky comme pas deux et beau comme un cœur. Pas de vagues. Tout est paisible sur cet album. Son «Peaceful Place» est magnifique de pacifisme éberlué. Dion sait poser sa voix sur l’eau calme d’une étendue. De l’autre côté, il tape à deux reprises dans les Beatles. D’abord avec «Let It Be», puis avec «Blackbird». Mais le hit de l’album, c’est «The Stuff I Got», joué au blues rock de bonne augure et swingué à l’acou. Dion est un petit futé. Il garde ses vieux réflexes belmontiens. Voilà ce qu’il faut bien appeler un cut parfait, ce qui est toujours plus intéressant qu’un cul parfait. Il fait aussi des miracles avec «Josie». Il fait couler son miel de voix mélodieuse sur le velours de ton estomac.       

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             L’année suivante, il revient au folk pur avec Suite For Last Summer. Avec «Running Close Behind You», il tape dans le folky road blues. Il nous gratte ça au petit gimmick scintillant et il chante avec l’autorité d’un donneur de leçons. Les parties de guitare sont comme toujours parfaitement exquises. Il fait de sacrées confidences dans «Traveller In The rain» - I’m a friend of the darkness/ Traveller in the rain/ I’ll be gone before the daybreak comes again - Et il enchaîne avec «Tennessee Madonna», une belle chanson d’amour hantée. Cet album est celui des balladifs romantiques. Tout est beau et chanté d’une voix pleine aux as, comme par exemple «Jennifer Knew», balladif violonné aux nappes brunes d’un automne fuyant. 

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             Comme Brian Wilson, Dion fait l’expérience d’un enregistrement avec Phil Spector. Il s’agit de Born To Be With You. On retrouve tout en double : «There were ten guitar payers, nous dit Dion, «as many backing singers, two drummers, two bass players, two vibists, and even more people on the control booth.» Totor voulait Dion, et Dion voulait Totor. Mais ça ne s’est pas très bien passé et Dion est parti avant la fin. Il manquait deux morceaux. Cet album fait partie des classiques du rock américain. Dès le morceau titre, on retrouve la patte d’écho spectorienne. On compte pas mal de célébrités dans le studio : Jesse Ed Davis, Hal Blaine, Klaus Voorman, Jerry Cole, Bobby Keyes, Barry Mann, pour n’en citer que quelques-uns. Dion et Totor tapent dans «Make The Woman Love Me» de Mann & Weil, une pièce de pop extraordinaire. Retour au pur Spector sound avec «(He’s Got) The Whole World In His Hands». Dion chante à la décontracte du Bronx. Il fait son ménestrel de l’impossible et ça marche. De l’autre côté, il tape dans «Only You Know», un hit de pop lourde signé Spector & Goffin. Inutile d’ajouter que c’est un hit parfait, hanté de l’intérieur par un beat lourd et majestueux. «New York City Song» est l’un des deux titres non produits par Totor. C’est une pure merveille - Ain’t it funny baby/ That we’ve taken different roads - Et on revient à la pop de rêve avec un «In And Out Of The Shadows» signé Spector & Goffin. C’est la combinaison gagnante : la voix, la chanson, le producteur de génie, donc le son. Dion chante ça à gorge déployée. Il devient alors l’un des géants d’Amérique. 

             Pour les beaux yeux de Jon Mojo Mills, Dion revient sur l’épisode Totor - Working with Phil Spector was a trip - Il dit être allé dans son château de Los Angeles. Totor et lui répétaient ensemble les chansons de l’album dans cette pièce où se trouvait le piano, la table de billard et des tas de portraits au mur, Muhammad Ali, Einstein, Friedrich Nietzsche, Bertrand Russell, Bernard Shaw, avec lesquels nous dit Dion Totor s’identifiait complètement. C’était un mec très différent, quite tumultuous, a little crazy, but I loved being with Phil. Son ami Nino Tempo jouait de la trompette. Il évoque aussi la foule dans le control room pendant l’enregistrement, Sonny & Cher, Springsteen, et même Jack Nicholson. Avec le recul, il pense que Born To Be With You est l’album parfait. Ça tombe bien car on pense exactement la même chose. 

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             Le morceau titre de Sweetheart est une pure merveille de pop violonnée à la Fred Neil. Encore de la pop de rêve ! «The Way You Do The Things You Do» qui ouvre le bal de l’album est de bonne augure, car c’est de la good time music new-yorkaise finement violonnée et Dion chante à l’admirabilité suprême des choses. Avec «Queen of 59», Dion sonne comme le Kim d’«International Heroes». Par contre, «You Showed Me What Love Is» va plus sur le rock, avec un beat plus soutenu. Dion retrouve vite ses marques océaniques avec «Hey My Love» et «On The Night», cette pièce de grande pop américaine qui prend bien son temps et que rien ne presse. Nom de Dion, quelle élégance ! Un léger parfum de Stonesy plane sur «Lover By Supreme». Dion sait faire claquer ses vieux accords - I’m a lover boy supreme !   

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             Pochette putassière pour Return Of The Wanderer qui sort en 1978. Avec «Heart Of Saturday Night», il donne le la : il va droit sur la good time music, celle qui fait battre les petits cœurs adolescents. Il prend le prétexte de «Guitar Queen» pour rendre hommage à la grande Bonnie Raitt - Robert Johnson let her records/ And Johnny taught her slide guitar - Il parle de John Hammond, bien sûr. Il attaque l’autre côté avec «Brooklyn Dodger», un balladif absolument fantastique - And if I had my leather jacket/ I swear I’d give it another try - C’est à la fois puissant et mélancolique, et un extraordinaire solo de sax à la Bernard Hermann embarque le cut au firmament. Franchement, il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Pour finir, il reprend le vieux «Do You Believe In Magic» des Lovin’ Spoonful. Oh, ça lui va comme un gant. C’est même effarant de qualité. 

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             En en 1980, Dion va entrer dans sa période mystique, comme Candi Staton. Il va enfiler une série d’albums d’obédience évangélique et chanter les louanges de Jésus. Le premier album de cette série s’appelle Inside Job. Il porte sa fameuse casquette de Gavroche. Il attaque son chemin de croix avec «I Believe» histoire de balayer toute ambiguïté. Selon Dion, croire en Jésus, c’est la même chose que de tomber amoureux d’une fille. «Center Of My Life» est un superbe balladif velouté à la belle voix lumineuse. En en B, on trouve deux bons cuts, «New Jersey Wife», mid-tempo new-yorkais bien senti - Search for your own tomorrow - et «Man In The Glass», où il mène le rock à la baguette. Il n’a rien perdu de sa fougue d’antan.  

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             L’année suivante sort Only Jesus. Dion porte toujours sa casquette. Beau cut que ce «The Best». C’est du folk-rock de haut rang et «It’s Gonna Rain» se veut mid-tempique, bien soigné, bordé aux chœurs et orchestré à la new-yorkaise. S’ensuit le morceau titre de l’album qui par son fil mélodique renvoie directement à Procol Harum. En effet, on se croirait sur «Salty Dog». De l’autre côté, il fait du Lord au heavy blues avec «Thank You Lord» et ça vient saxer à la mode du Bronx. Il termine avec «Greater Is He». Pour Dion, Jésus est un vrai héros. Il peut chanter ses louages sur des albums entiers. Sacré Dion !           

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             On continue de patauger dans l’eau bénite avec I Put Away My Idols. Il tape dans le gospel de reggae pour «Trust In The Lord». Il se réclame de Saint-Mathieu - Là où se trouve votre trésor, c’est dans votre cœur - ce qui ne veut rien dire, si on voit le cœur comme un muscle. Mais chez les ritals, ça finit toujours dans la bondieuserie. Par contre, avec «Daddy», on retrouve le bon vieux Dion de substance, celui des chansons palpables. Il redemande à son père de lui raconter l’histoire de Jésus. On s’en serait douté. En B, on se régalera de «They Won’t Tell You», un vrai rock de Dion, bien emmené et bien senti - Jesus will always be your friend - Et il revient au balladif de charme infernal avec «Healing», et le petit côté Fred Neil - And healing just another world for love - fantastique ! C’est la pop de rêve à laquelle Dion nous avait habitués dans ses anciens albums. Dion crée son monde et chante vraiment comme un dieu.        

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             Excellent album que ce Kingdom In The Streets paru en 1985. Dion sourit sur la pochette. Il porte sa casquette de Gavroche et un blouson de cuir noir. Trois belles énormités se nichent sur cet album, à commencer par «Crazy Too (Fallen In Love)», chanté au chant puissant - My friends I’ve gone crazy - Quel fabuleux groove new-yorkais ! C’est suivi au sax et battu sec. Dion s’impose comme d’habitude, par la seule qualité de son timbre. Aussi énorme, voici «He Hears Them All», un balladif imparable, monté sur un bon beat entraînant. Dion enchante - As shoulder to shoulder we stand at his throne/ As we raise our voices in song - Ce mec est très convainquant. En B, on tombe sur l’effarant «I’ve Come Too Far». Il met God à toutes les sauces. Après le simili-reggae,  voici le heavy blues. C’est admirable car saxé. Dion raconte sa libération - He released me from my  pain/ Kept me from going totally insane/ Now I stand firmly in the rock/ Yes and I praise his holy name.    

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             Avec Velvet And Steel, Dion replonge de plus belle dans la religiosité. Il rend un percutant hommage à God avec «Hymn To Him» et parle beaucoup de Jésus. Dans «Just Talk To Him», il parle à Lui, c’est-à-dire Jésus et «I Love Jesus Now» ne laisse aucun doute sur le fond de sa pensée. Il chante «Another Saturday Night In Heaven» avec toute la gouaille du Bronx dont il est capable et passe «Prayers» en mode balladif, mais sur une très belle mélodie chant. Il y évoque les ancient men et les ancient shrines - prayers spoken soft in desperation

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             Dave Edmunds produit Yo Frankie, un album paru en 1989. Sur la pochette intérieure, on peut lire un fantastique éloge de Lou Reed. On l’entend d’ailleurs faire les backing sur «King Of The New York Streets» qui ouvre le bal de l’album - I didn’t need no bodyguard/ I just ruled from my backyard/ Livin’ fast livin’ hard - Sur le morceau titre, on entend une fantastique bassline de Phil Chen - You might want a movie star type/ I don’t go for that show-business hype - Quelle fantastique allure ! On sent le chanteur à l’aise et auréolé de légende. Il attaque la face cachée de la lune avec un «Drive All Night» en bonne santé et visité par un solo de sax extrêmement avantageux. C’est vraiment la fête. Et voilà la bombe de l’album : «Always In The Rain», un cut digne du Brill. On y retrouve même les castagnettes de Totor. C’est une tradition qui remonte à loin dans le temps, au temps où on savait produire des chansons. Et dans «Tower Of Love», Dion nous refait le coup du solo de sax en fin de parcours. Les mid-tempos balladifs de Dion restent des modèles inégalables - We’ll blend it together/ We’ll build a tower of love - Beat that, comme dirait Jerry Lee.                 

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             Il porte toujours sa casquette sur la pochette de Fire In The Night. Il y aligne une série de cuts pop un peu passe-partout. Du radio friendly, comme diraient les Anglais. Ça pue un peu le Dire Straight et le Spingsteen. «Hollywood» sonne comme du Stevie Wonder commercial. Berk. De l’autre côté, il redescend dans la rue pour «All Quiet On 34th Street» et il raconte l’errance. Il fait du pur jus de Stevie Wonder avec «You Are My Star». On retrouve enfin le grand Dion mélodique. Et il finit avec un fameux «Poor Boy». À la limite, c’est dans la good time music qu’il se sent le mieux - Lost in the heart of the city/ hanging out on the corner.  

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             Le Deja Nu sorti sur Ace en l’an 2000 est un disque bourré de bon doo-wop et de basse sourde. Comme à son habitude, Dion donne bien de la voix. Avec «Hug My Radiator», il donne un fantastique exemple de l’expressivité du rock’n’roll à la new-yorkaise : son plein et chœurs de rêve. Les trois vieux copains de Dion font des chœurs de doo-wop extraordinaires. Franchement, quand on écoute «I New York City» ça crève les yeux : Dion chante comme un dieu. Il peut créer les conditions de l’ampleur urbaine. Sur «Ride With You», il sonne presque comme Joe Cocker. On comprend que Totor se soit intéressé de près à un chanteur comme Dion, surtout lorsqu’on l’entend chanter «Book Of Dreams». Il tape aussi dans le heavy blues d’ampleur considérable avec «If You Wanna Rock & Roll». Dion est véritablement the real deal, the best thing on the block. Il passe un bel hommage à Buddy avec «Everyday (That I’m With You)». Il faut se souvenir que le jeune Dion se trouvait dans le bus de la tournée fatale - We dreamed the dream - Dion est un chanteur hors du commun. Il sait poser sa voix et traiter d’égal à égal avec les meilleurs balladifs. Encore un coup de maître avec «Hey Suzy». Franchement, Dion sait dresser une table.    

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             Bronx In Blue compte aussi parmi le grands classiques de Dion, et ce pour quatre raisons. Un, ce bel hommage à Bo avec une reprise de «Who Do You Love». Le son ! La pureté du claquage ! Dion est dessus, coiffé de son béret. C’est probablement l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Bo. Dion gratte ses coups d’acou avec la prestance d’un seigneur de l’an Mil. Il atteint des profondeurs de ton exceptionnelles. Ça fait vraiment plaisir à voir. C’mon ! Dion sait serpenter et ramper au mieux des intérêts de Bo. Deux, une reprise de Wolf édifiante, «Built For Comfort» - Some folk feel like this/ Some folk feel like that - Il fait bien le traînard wolfien - Cause I dig the comfort - Une vraie pétarade de Dion Bouton ! Yeah babe ! Il mouille ses syllabes et c’est gorgé de son. Trois, une autre reprise de Wolf, «How Many More Years» que Dion chante à plein gosier. Et quatre : une superbe reprise d’Hank Wiliams, «Honky Tonk Blues». Ça lui va comme un gant. Mais il tape aussi d’autres classiques terribles comme le «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed, admirable de traînarderie, ou «You’re The One» qu’il prend à la voix idoine. Il tape aussi dans le vieux Robert avec «Travellin’ Riverside Blues», monté sur une belle rythmique opaque, et il place des coups d’acou nerveux et fouillés, infestés de tortillettes andalouses.     

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             Dion ne chante pas que du Skip James sur Son Of Skip James paru en 2007. Il attaque avec le «Nadine» de Chuck et en sort une version sourde comme un pot. Dion a le même sens de prod que Dave Edmunds. Il enchaîne avec une fantastique reprise du «My Babe» de Big Dix. Sa voix porte au loin. Il tape le «Drop Down Man» de Sleepy John Estes au bon fouillis de son de cabane de Bronx. Il chante à la diction mouillée - Two trains running never go my way - C’est effarant de son. Il joue aussi «Hoochie Coochie Man» à la bonne affaire et même si ça sent le cousu de fil blanc, le fouillis du son le lave de tous ses péchés. Dans les notes de pochette, Dion raconte qu’il fréquentait Dylan à l’époque des sessions CBS et d’ailleurs il fait une reprise admirable de «Baby I’m In The Mood». Puis il gratte «I’m A Guitar King» à l’ongle sec. On entend les cordes vibrer. Excellent ! Ce n’est que sur le tard qu’il va taper dans Skip avec «Devil Got My Woman». Il chante ça au traîné de malveillance. Dion fait un portrait de Skip - He was a beautiful shy, mysterious dude who sang like he was from outer space - Le pauvre Dion essaye de retrouver le fil de Skip. Il tape aussi dans Robert avec «If I Had Possession Over Judgment Day». Il joue avec entrain et se montre plus viandu que John Hammond.

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             Comme l’indique son nom, l’album Heroes est un album de reprises, et ho let’s go ! Quelles reprises ! Ouverture du bal avec «Summertime Blues». Dion a LA vraie voix et il gratte ça sec. Excellent. Version bien teigneuse et classieuse à la fois. Il roule les paroles mythiques dans la farine de sa maturité. On ne sautait espérer un chanteur plus adapté au vif argent d’Eddie. Il prend ensuite «Come On Let’s Go» au chat perché et c’est excellent. Il navigue au gros solotage new-yorkais et c’est bourré de sons de guitares irréelles. Le son, baby, rien que le son ! Il ramène ça dans la Bamba, oh mais c’est vrai, il connaît bien Ritchie Valens, puisqu’il se trouvait dans le bus de la tournée fatale, en février 1959. Tiens, justement il tape dans le «Rave On» de Buddy qu’il voyait jouer tous les soirs, lors de cette tournée de 1959. C’est un bonheur que d’écouter Dion chanter ça. Il rajoute du plomb dans l’aile du vieux hit de Buddy. C’est incroyable ce qu’il chante bien ces vieux hits poussiéreux. Il tape aussi dans «Believe What You Say» des frères Burnette et dans «Be Bop A Lula», et même dans le «Runaway» de Del Shannon qu’il surpasse, car il en fait une version beaucoup plus terrienne avec des woa woa woa plus maîtrisés. Puis il passe à «Jailhouse Rock» et Don jette toute sa prestance dans la balance. Il prend «I Walk The Line» au vieux tagagda des Memphis Three, ce n’est pas la même voix, bien sûr, mais quelle viande de son ! S’ensuivent des versions extrêmement solides de «Blue Suede Shoes», de «Who Do You Love» et de «Sweet Little Rock And Roller» et ainsi va la vie. 

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             En 2010, Dave Marsh dit à Dion que ses trois derniers albums sont les meilleurs. Dopé par le compliment, Dion enregistre Tank Full Of Blues, un album terrible. Il joue le boogie blues avec toute la niaque du Bronx. Il rend hommage à Dave Marsh avec «I Read It (In The Rolling Stone)». Il le considère comme le grand gourou du journalisme rock. Ça commence vraiment à chauffer avec «Holly Brown», un fantastique boogie blues chanté à pleine voix. Dion reste éclatant comme pas deux. Avec lui, on est sûr de connaître la plénitude. Il ramone plus loin la cheminée de «Do You Love Me Baby» avec la niaque d’un nègre de Baton Rouge. Il montre le même genre de puissance invertie. Il traite ensuite «You Keep Me Cryin’» au beat pulsatif. Dion sait mener sa barcasse. Il file à la patte du caméléon et sort un cut énorme, bien tendu, avec la voix toujours posée et soudain, il claque une espèce de solo à l’éparpillée. La classe absolue ! - What can I do ? What can I say ? - et il y va du menton - Someday baby I won’t cry no more ! - Encore plus énorme : voici «My Michelle», un stomp digne de «High Heel Sneakers» - Dion a décidé de casser la boutica, alors il réveille les morts de la tranchée d’Epernay - Mitchelle ma belle you’re sweet as hell/ hey Mitchelle I saw you dance across the poem ! - «I’m Ready To Go» sonne comme un hit dès la première mesure. On a là une grosse basse et une pulsion parfaite. Dion a toujours su créer l’événement et il termine ce faramineux album avec «Bronx Poem» - I was born on the Bronx on a strange day I guess you can say - Il chante du rap à la Dylan - he blessed me beyond wy mildest dreams - et il lance ses Yo life is hard et ses Yo allelujah ! Et puis il brode à l’infini, yankees, JFK, delta blues...

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             Un live qui date de 1971 refait surface : Recorded Live At The Bitter End. Il attaque avec une belle reprise de Dylan, «Mama You’ve Been On My Mind». On retrouve sa tenue de voix impeccable. Avec «Too Much Monkey Business», il joue un peu à l’élégance de l’acou, comme John Hammond - This is an old Chuck Berry song ! - Il fait là encore une belle cover de voix mûre. Dion sonne comme un dandy du rock. Si Oscar Wilde avait pu chanter, peut-être aurait-il sonné comme Dion. Il revient à Dylan avec «One Two Many Mornings». Il le prend du nez et reste interminablement bon. Il tape aussi dans les Beatles avec l’indicible «Blackbird» et va chercher la mélodie très haut dans la stratosphère. Il tape aussi dans le boogie blues avec «You Better Watch Yourself». Pour lui, c’est facile, comme il joue très bien de la guitare, forcément, ça aide. Il aligne ensuite une série de hits imparables, «Don’t Start Me Talking» de Sonny Boy Williamson, «Sanctuary», «Wanderer» et «Ruby baby», qu’il chante très haut.

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             New York Is My Home date de 2016. Pas de hit en particulier, mais du son et une voix. Dès «Aces Up Your Sleeve», il sort le grand jeu, c’est-à-dire sa voix et le gros son.  Avec le morceau titre, il s’approprie la ville - She is everything - Il passe du heavy blues au rock’n’roll et revient au vieux boogie avec le «Kate Mae» de Lightnin’ Hopkins. Dion ne se casse plus la tête. Pour «Ride With Me», il fait tourner une moto dans le studio, comme le fit Shadow Morton au temps des Shangri-Las. Il lance ainsi son cut, qui par ailleurs se révèle excellent. Il co-écrit aussi avec Scott Kempner des Dictators. Résultat : «Visionary Heart» qui sonne hélas comme du rock FM. Il boucle avec un vieux boogie d’Hudson Whittaker, «It Ain’t For It». Implacable, c’est sûr. Dion adore le boogie - Spend my money - Il adore le vieux boogie des années de braise. On le comprend.

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             Norton vient de sortir le mythique Lost Album de Dion, Kicking Child. Franchement cet album vaut non seulement le déplacement, mais aussi le rapatriement. Pour de multiples raisons, à commencer par l’infernal «Now». On y assiste à l’extraordinaire mobilisation des grandes heures du Duc de Dion. Il semble tout balayer sur son passage. La puissance de son chant règne sans partage sur l’empire des sens. On note aussi qu’il est à l’époque très influencé par Dylan : le morceau titre d’ouverture du bal est là pour nous le rappeler. Il joue ça très laid-back à l’écho du temps. Même chose avec «Baby I’m In The Mood For You» et «Two Ton Feather» : Mood est une reprise de Dylan, Dion claque ce prodigieux heavy boogie aux meilleures guitares de l’époque et le démon qu’on entend s’appelle Johnny Falbo. On l’entend refaire des siennes dans «Two Ton Feather» d’inspiration dylanesque. Parmi les autres énormités, on trouve «I Can’t Help But Wonder Where I’m Bound», fabuleux shoot de Dion chanté à l’extrême onction. N’oublions pas que Tom Wilson, le producteur de «Like A Rolling Stone» et de «The Sound Of Silence», veille au grain. Nouvelle merveille prospective avec «Wake Up Baby», pur jus de wandering jangling guitars, c’est une ode au génie des lieux, Dion sonne comme un dieu. Il fait encore une cover de Dylan avec «Farewell». Mais quand il tape dans «It’s All Over Now Baby Blue», on se dit qu’on pourrait aussi écouter la version originale. À force de dylaner dans le jangling, Dion s’affaiblit.

             Dion dit qu’à l’époque de Kicking Child, il était out of his mind on drugs. Il est sidéré après coup de voir que le drug fog n’altérait que ses relations avec les gens, pas la musique. Il avoue avoir adoré Dylan à l’époque et les groupes anglais, Kinks, Animals, alors il a monté un petit groupe pour enregistrer Kicking, avec Carlo des Belmonts au beurre, son pote Johnny Falbo on guitar, Pete Falciglia qui n’était même pas bassiste on bass et Al Kooper. Grâce à Billy Miller et Miriam Linna, l’album sort enfin. Quand Jon Mojo Mills lui demande s’il connaît Dylan, Dion dit oui,  ça remonte au temps de la fameuse tournée avec Buddy Holly, Dylan jouait dans le groupe de Bobby Vee sous le nom d’Elston Gunn. Puis Dion le retrouve plus tard à New York au studio Columbia, ils ont le même producteur, Tom Wilson, qui justement va produire Kicking Child. C’est Tom Wilson qui propose à Dylan d’enregistrer avec un groupe de rock. Wilson overdubbe la voix de Dylan sur du rock pour lui donner un modèle et Dylan trouve ça vraiment excellent. Dion est fasciné par Dylan - That guy is, you know, just genius - Fasciné par Dylan, oui, qui ne le serait pas ?

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             Dion revient dans l’actu avec un étrange album, Blues With Friends. Pourquoi étrange ? Parce que c’est un album de vieux, comme on en voit tant de nos jours. Comme Dion est vieux, forcément tous ses copains sont vieux et ça donne un vieil album. Trois cuts sortent un peu du lot, à commence par «Stumbling Blues» avec Jimmy & Jerry Vivino. Ça chante au raw de lounge, à la Louis Armstrong et du coup Dion renoue avec sa légende de petit mec génial. Sur «Bam Bang Boom», c’est Billy Gibbons qui l’accompagne et c’est tout de suite allumé, car la vieille barbe de Zizi a le sens du groove. C’est heavy as hell, le barbu rôde dans le son. Troisième point fort : «I Got Nothing» avec Van Morrison et Joe Louis Walker. Le gras double de Joe Louie change la donne. C’est le seul vrai cut de blues de l’album. Car oui, le reste n’est pas jojo, même si les invités prestigieux se bousculent au portillon, tiens, comme Joe Bonamassa, qui joue dans le «Blues Comin’ On» d’ouverture de bal. C’est du gros sans surprise, du prévisible de foire du trône qui n’a plus grand chose à voir avec le blues et c’est bien ce qu’on déteste dans cette histoire : le détournement, ou pire encore, la récupération du blues par les blancs, l’abolition de l’esprit du blues au profit d’une mascarade prétentieuse. «Kickin’ Child» sent aussi la putasserie. Nom de Dion botte en touche avec un groove replet et pépère. Il perd toute sa crédibilité. Brian Setzer vient duetter sur «Uptown Number 7» et le détourne pour en faire du swing et ça devient la foire à la saucisse. Il ne manque plus que Stong et Slosh. Voilà Jeff Beck sur «Can’t Start Over Again», trop beau pour être vrai, mais Jeff Beck sur cet album, ça ne veut rien dire. Même chose pour John Hammond. On se demande ce qu’il fout là. Tous les invités redoublent de belles giclées bien propres sur elles, mais tout est atrocement prévisible. On entend aussi Paul Simon dans «Joy For Sam Cooke» et l’album finit par ressembler à une galerie de singes savants. Tous les solos de guitare se ressemblent. Mais avec John Hammond qui revient une deuxième fois sur «Told You Once In August», c’est un peu plus sérieux car plus rootsy. Le son de ses cordes vient de la nuit des temps du blues. Mais il serait plus simple d’aller écouter Joe Callicott. Disons que John Hammond a encore un peu de crédibilité avec sa guitare, mais Dion n’en a aucune. Et puis ça finit tragiquement avec Van Zandt et puis le pire, Springsteen.

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             Ah tiens, encore un album de vieux ! Dion revient dans le rond de l’actu avec Stomping Ground, une espèce de suite de l’album précédent, car sur chacun des 14 cuts, Dion reçoit des invités. Toujours la même histoire : on a les invités qu’on peut. Si on veut sauver un cut, alors ce sera le morceau titre, car l’invité s’appelle Billy Gibbons et il ramène de la viande. Avec Billy, on sort du pré carré des demi-portions. On sauvera aussi le «Cryin’ Shame» car Sonny Landreth accompagne Nom de Dion. On retrouve même le chant têtu qu’on aime bien. Le reste n’a guère d’intérêt, Dion collectionne les resucées et les vieux boogies usés jusqu’à la corde («Take It Back»), ça tourne au pathétique avec les vieux crabes habituels, Clapton, Springsteen, Frampton, Knopfler, il ne manque plus que Stong et Slosh, et en bonus, le chanteur Bonus. Quelle déconfiture ! Grâce à la vulgarité putassière de certains cuts, l’album descend en dessous de tout. Nom de Dion chante pourtant comme du dieu sur «The Night Is Young», un heavy balladif de 42nd Street. Son «I’ve Got To Get You» sonne comme du Canned Heat on fire, il y a de beaux restes, heureusement. Le problème c’est que tous les invités essayent de chanter aussi bien que Nom de Dion, mais c’est impossible, comme ce fut le cas sur The Last Man Standing de Jerry Lee, où les invités se ridiculisaient. Tous ces pauvres mecs ramènent leur petite glotte et leur couteau, mais face à une présence tutélaire comme Nom de Dion, ils font pâle figure. Avec Lanegan, on retient quatre grands chanteurs américains : Iggy, Nom de Dion, Jimbo et Jerry Lee. Par contre, Nom de Dion réussit l’exploit de massacrer le «Red House» de l’ami Jimi. Le petit blanc ne fait pas le poids face au Voodoo Chile. C’est d’ailleurs le cas de tous les blancs dégénérés. À force d’efforts commerciaux, Nom de Dion finit par perdre un peu la face. Au plan artistique, c’est pas loin du KO technique. Le dernier cut, «I’ve Been Watching» qu’il chante en duo avec Rickie Lee Jones sonne comme une collusion entre le scoubidou et l’huître, tellement les accords de voix sont catastrophiques. Nom de Dion nous laissera donc sur une mauvaise impression. 

    Signé : Cazengler, Fion

    Dion. Alone With Dion. Laurie Records 1961

    Dion. Runaround Sue. Laurie Records 1961 

    Dion. Lovers Who Wander. Laurie Records 1962

    Dion. Donna The Prima Donna. Columbia 1963

    Dion. Ruby Baby. Columbia 1963        

    Dion. Love Came To Me. Laurie Records 1963

    Dion. Dion. Laurie Records 1968

    Dion. Wonder Where I’m Bound. Columbia 1969

    Dion. Sit Down Old Friend. Warner Bros. Records 1970

    Dion. Sanctuary. Warner Bros. Records 1971               

    Dion. You’re Not Alone. Warner Bros. Records 1971              

    Dion. Suite For Last Summer. Warner Bros. Records 1972

    Dion. Born To Be With You. Phil Spector International 1975       

    Dion. Sweetheart. Warner Bros. Records 1976   

    Dion. Return Of The Wanderer. Lifesong Records 1978          

    Dion. Inside Job. DaySpring Records 1980     

    Dion. Only Jesus. DaySpring Records 1981             

    Dion. I Put Away My Idols. DaySpring Records 1983          

    Dion. Kingdom In The Streets. Myrrrh 1985                      

    Dion. Velvet And Steel. DaySpring Records 1986  

    Dion. Yo Frankie. Arista 1989                      

    Dion. Fire In The Night. Ace 1990                                  

    Dion. Deja Nu. Ace 2000   

    Dion. Bronx In Blue. SPV Records 2006     

    Dion. Son Of Skip James. SPV GmBh 2007

    Dion. Heroes. Sagaro Road Records 2008   

    Dion. Tank Full Of Blues. Blue Horizon 2011

    Dion. Recorded Live At The Bitter End. Ace Records 2015

    Dion. New York Is My Home. The Orchard 2016

    Dion. Kicking Child - The Lost Album 1965. Norton Records 2017

    Dion. Blues With Friends. Keeping The Blues Alive Records 2020

    Dion. Stomping Ground. Keeping The Blues Alive Records 2021

    Davin Seay : Dion The King of New York. Mojo # 147. Mai 2006

    Jon Mojo Mills : Attraction works better then promotion. Shindig! # 120 - October 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - Wildhearts of gold (Part Two)

     

             L’avenir du rock sort du garage et se présente au guichet pour obtenir son certificat de contrôle technique. Assis devant son ordi, le mec tape les infos qu’il a recueillies au cours du scan et les commente d’une voix lénifiante :

             — Pour un vieux châssis, vous vous en sortez bien, avenir du rock. Vous dites dater de 54, c’est ça ?

             — Oui, j’ai choisi Sun pour simplifier les choses. Sister Rosetta Tharpe était là avant, mais je ne veux pas rentrer dans ces controverses d’historiens à la petite semaine, ça me fatigue.

             — Ça vous fait donc 68 ans d’activité. Pas mal pour un châssis de 68 ans. Très peu de corrosion, il faudra juste surveiller les rotules directionnelles...

             — Oh je sais, vous me dites ça tous les deux ans. Elles finissent par avoir du jeu, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, pas vrai ?

             — Côté cerveau-moteur, évitez les pointes de température. L’été, mettez-vous à l’ombre, il n’est pas certain que vos composants aient conservé leurs caractéristiques psychédéliques.

             — Vous allez trouver curieux que je vous dise ça, mais j’ai la nette impressions que mes tendances psychédéliques s’aggravent...

             — Ce n’est pas forcément bon signe. Essayez l’huile de foie de morue, ça décongestionne le cerveau-moteur, et en même temps ça renforce les pulsions libidinales. Vous allez retrouver votre punch de jeune avenir ! Pensez aussi à vous dégraisser le circuit respiratoire de temps en temps, il me semble drôlement encombré.

             — Oui, je sais. C’est la chique. En hommage à Charlie Feathers, je crache ma chique à distance, environ trois mètres, dans un pot. Avec de l’entraînement, on y arrive facilement.

             — Ah c’est pour ça que vous avez les dents dégueulasses ! J’allais justement y venir. Il faudrait penser à les faire nettoyer, ça vous fait la gueule d’un croque-mort chinois dans un western. Mais il n’y a aucune obligation. Les dents ne sont pas considérées comme un organe de sécurité.

             — Tant mieux, car j’ai horreur des dents blanches. Fuck it !

             — Côté cœur, impec. Rien à redire !

             — Et vous savez pourquoi ? Parce que c’est un cœur sauvage, un Wildheart !

     

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             Étrange coïncidence : au moment où l’avenir du rock s’extasie sur les Wildhearts, leur nouvel album paraît en Angleterre. 21st Century Love Songs est l’album de toutes les énormités.

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    Le line-up original tient toujours le coup (Ginger/CJ/Danny McCormack/Rich Battersby) et continue de sortir des albums dignes de leur âge d’or, c’est-à-dire P.H.U.Q. Tant que ces mecs-là seront en état de jouer, l’avenir du rock pourra continuer de dormir sur ses deux oreilles. Car enfin existe-t-il un groupe de wild rock plus brillant en Angleterre ? Bien sûr que non. Et ils restent délicieusement underground, ce qui peut-être les sauve. Tu veux du big heavy rock de Newcastle ? Tiens c’est là, dans «Remember These Days», c’est dans les pattes de Ginger, Danny, CJ & Rich, la plus fière équipe d’Angleterre depuis les Pink Fairies. Ces mecs sont nés dans le rock et ne vivent que pour le rock, pas étonnant qu’ils finissent par éclater au Sénégal. Ils enfoncent leur heavy boogie glam dans la gorge du XXIe siècle, ils sont les seuls à tenter un coup pareil, avec un son plein comme un œuf. Ils s’inscrivent dans la lignée princière de l’underground britannique qu’illustrèrent jadis Mick Farren et les Pink Fairies. Il faut voir Ginger lancer un one/two/three dans le cours du fleuve, en plein couplet de «Splitter», juste pour redonner de l’élan. Il adore les aventures, on le voit ensuite concasser «Institutional Submission» et provoquer des rebondissements inexpected. Il explore toutes les contrées, comme s’il était l’éclaireur d’une expédition. On se prosterne ensuite devant un «Sleepaway» amené aux arpèges de lumière et vite gonflé par le souffle des mighty Wildhearts. C’est un son à la fois plein et in the face, une démesure de power-pop - I need a real love - On s’effare des fantastiques évolutions - The warning reflections/ It’s just a sleepaway/ The Morning erection/ It’s just a sleepaway - Et ils repartent de plus belle en B avec «You Do You», une heavy dégelée finement teintée de glam et ça explose en plein couplet - Everybody is an expert these days - Les chansons des Ginger sont des chansons de colère. Il ne décolère pas. Pas étonnant que «Sort Your Fucking Shit» sonne comme un hymne. On assiste à une fantastique envolée par dessus un pont de chœurs demented - Oi/ Sort it out - Et Ginger finit à l’arrache de guttural définitif. Il reste dans la révolte politique avec «Directions». Il dit attendre qu’on lui indique une direction - I’m staying put until I get some directions - Puis il attaque «A Physical Exorcism» au killer riffy flash, il tape en plein cœur du mythe Wildhearts, ça joue à la volée, avec des couplets posés sur le beat des forges. Et quand tu ouvres le gatefold pour voir encore une fois leurs bobines, tu comprends que ces mecs-là ne sont pas là pour rigoler.

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             Dans Vive Le Rock, Guy Shankland tend son micro via Zoom à CJ Wildheart. CJ s’efforce de voir la vie en rose, mais comme pour tous les musiciens de rock, les deux dernières années ont été rudes. CJ n’en revient pas d’avoir joué à Londres dans des salles à moitié vides. À Londres ! Alors que d’habitude, les concerts des Wildhearts sont tous sold-out en Angleterre. Il ajoute qu’il met habituellement trente personnes sur sa guest-list et à l’Electric Ballroom, il n’en a vu que deux. Wow, les gens ont les pétoches ! La télé a bien fait son boulot. Au lieu d’aller voir jouer les Wildhearts sur scène, les gens préfèrent trembler de trouille devant leur journal télévisé. Bon CJ dit aussi qu’il n’est pas très en forme, mais ça c’est le problème de tous les tox et anciens tox confrontés à l’actu, comme on l’a vu avec Lanegan. CJ dit aussi que les Wildhearts n’ont jamais été aussi bons, il a raison, car c’est exactement ce que dit leur nouvel album. CJ aime bien rappeler que les Wildhearts sont avant toute chose une alchimie entre quatre mecs qui adorent jouer ensemble - We’re not a band that can do a ballad. We’re not Bon Jovi or a bluesy rock’n’roll band and we wouldn’t be able to play a Stones type song. We have a bombastic sound - Il ajoute que leurs cuts deviennent toujours anthemic, ce qui est parfaitement vrai. On apprend au détour de la conversation que Danny McCormack écrit son autobio, mais pour CJ, il n’en est pas question. Sa vie privée ne regarde personne. Il dit connaître de très bonnes histoires, mais ça ne reste dit-il que des histoires. À la limite, il accepterait d’écrire un cookbook, c’est-à-dire un livre de recettes de cuisine. Puis il repart sur les Wildhearts pour indiquer que le groupe s’en sort plutôt bien, financièrement, même s’il n’est pas ce qu’on appelle an internationally known band. Ils ne font pas de tournées mondiales et ne ramassent pas de millions de livres - Our maket is the UK only - Ça commence à bouger au Japon, mais que dalle en Europe et aux États-Unis. CJ ajoute que même s’ils arrivent à jouer pour deux cents personnes in a club over there (comme ce fut le cas au Backstage By The Mill en 2019), ce n’est pas ce qui leur permet de gagner leur vie. Alors pour joindre les deux bouts, CJ a dû ouvrir un hot sauce shop. Il en vit bien, il a de plus en plus de clients - It’s the hardest sauce to get hold of in the world - il n’ouvre que deux semaines d’affilée, deux fois par an. Alors si tu n’as pas acheté ta hot sauce au bon moment, tu devras attendre un peu. Il est marrant, CJ, très factuel, comme sur scène, il est là pour gratter sa gratte, alors il gratte sa gratte. Quand Shankland lui demande d’évoquer l’avenir des Wildhearts, CJ reste assez évasif. Tout ce qu’il espère, c’est que les gens sortiront de chez eux pour venir les voir en concert.    

    Singé : Cazengler, Wildbeurk

    Wildhearts. 21st Century Love Songs. Graphite Records 2021

    Guy Shankland : Wild at Heart. Vive Le Rock # 88 - 2021

     

     

    Inside the goldmine - Sail on Sailors

     

             Nous allons l’appeler C. À l’époque où nous partageons le même bureau, C’ est un homme dans la quarantaine, père de famille et propriétaire d’un pavillon, dans un quartier de banlieue. Il avoue s’être saigné aux quatre veines pour offrir à son épouse le pavillon de ses rêves. Il lance très vite une invitation à venir dîner un soir après le boulot, l’occasion, dit-il, de faire connaissance avec sa fille, son fils et son épouse. La nature n’a pas gâté le pauvre C. Un front bombé et disgracieux surplombe un visage taillé à la serpe. Autour d’un nez de boxeur pétillent deux petits yeux vifs et ce visage terriblement ingrat s’achève vers le bas par un menton en galoche. Pour compléter l’ensemble, il doit rabattre une chevelure appauvrie par-dessus son crâne pour masquer une calvitie précoce. Le pavillon ressemble très exactement à l’idée qu’on se fait d’un pavillon de banlieue. Bienvenue chez les beaufs ! Le terrain en pente, la terrasse en bois brut, les vases dans les étagères, il ne manque rien, un chef-d’œuvre de beaufitude. La fille et le fils sont à l’image du père et de son idéal : blêmes, boutonneux et sans conversation. Par contre, l’épouse, c’est une autre histoire. Au premier regard, on comprend tout. Cette femme brune au sourire angélique pourrait figurer sur n’importe toile issue de la renaissance italienne : elle est d’une beauté parfaite, très maquillée, serrée dans une robe noire moulante qui met en évidence des seins splendides et un ventre parfaitement plat, ce qu’on appelle communément un corps de rêve. Très peu de femmes inspirent autant de désir. Du coup, ce couple devient une énigme. Comment C a-t-il pu séduire une femme aussi belle et lui faire des enfants ? Quelque chose ne va pas. C’est elle qui fait la conversation. Elle attaque sur Saint-John Perse qu’elle cite dans le texte. Alors que nous finissons l’apéro et que nous passons à table, elle poursuit sur Victor Segalen dont elle se dit toquée, et de fait, la conversation dérive sur Gauguin pendant tout le repas. Sail on Sailor. En échangeant nos connaissances, nous alimentons ce vieux travers de l’érudition qui consiste à monopoliser la conversation. C s’en absente complètement. Soudain, l’évidence éclate : C vit en enfer. Il renouvellera plusieurs fois son invitation, sans succès. Pas question de retourner là-bas. Le spectacle de ce couple si exagérément dépareillé est tout simplement insupportable. Trop faible, C ne pourra pas dominer longtemps sa parano. En se jetant une nuit d’octobre dans la Seine pour s’y noyer, C avouera enfin qu’il nourrissait à l’égard de sa merveilleuse épouse des soupçons d’infidélité.

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             Basés à Melbourne en Australie, les Sailors pondent leur premier album en 2001, l’excellent Violent Masturbation Blues.

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    Ils font sensation à l’époque, et ce dès «Trim The Bush» joué à la basse fuzz, mais une fuzz démontée qui erre de porte en porte. On voit tout de suite qu’ils s’amusent bien. Il jouent plus loin «Turkey Slap Blues» à la petite folie Méricourt. Il ne leur manque qu’un tout petit soupçon de démesure pour devenir aussi énormes que les Chrome Cranks. Ils remontent au front avec un «I Just Got Back» salement riffé et enfilé à contre-sens. Ils bricolent quelques développements intérieurs et ça prend vite des proportions, surtout que c’est monté sur un seul riff et une seule phrase, I just got back. Et puis voilà le morceau titre qui nous ouvre les bras en B : pur sex exacerbé, ils vont loin dans la cochonnerie, aussi loin que Larry Clark, ouh ouh ouh, c’est vraiment le trash de la branlette.

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             Leur deuxième album paraît deux ans plus tard et s’appelle The Sailors Play Turning The Other Cheek. Il est nettement plus faible que le précédent même si «YMCA» s’annonce comme une fantastique dégelée. Ils ont un sens aigu de la montée en température et un goût prononcé pour le chaos - You cut my ass ! - Leur «Dr Creep» sort bien dans les virages, ça déraille au chant du Doctor Creep, mais il ne se passe rien de plus. Encore du raw sex avec «Just Touch It». Ce sont les accords de «Tobacco Road» - Come on milk me - C’est très sexuel. Ils font une cockaracha avec «The Cockroach» et retrouvent leur veine abrasive en B avec un «Russian Oil Tanker Blues» monté sur une structure blues rock et chanté à la Rotten.

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             On retrouve nos matelots préférés dans un nouvel album neurasthénique, Failure Depression Suicide qui date lui aussi de 2003. Ça chauffe dès «Girls That Look Like Boys They Are Shit», they are THE shit, dirait un grossier personnage en Angleterre. Les Sailors sont dans leur monde et c’est un beau monde. C’mon ! «Girls That Look Like Boys» est une belle énormité vite montée en neige. La neige ça les connaît, ils ne chipotent pas. Il leur reste encore deux énormités du même acabit en magasin, «Good Karma’s Coming My Way» et «Teenage Mama Blues». (Attention, le track-listing au dos est faux). Ils y croient dur comme fer au Good Karma et ils stoogent bien leur Teenage Mama Blues, ce sont des adeptes de la bonne franquette et du renvoi de chant, ils sont capables de vrai raw et du meilleur aussie boogie.

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             Leur dernier album paraît en 2005 et s’appelle The Sailors Play Viva La Beaver. C’est la fête aux énormités, dès «Finding My Match» attaqué au heavy raw de type Pussy Galore. Même son de dépouille avancée, même audace sexuelle, avec une wah qui sonne le départ des exactions et qui plonge tout le monde y compris l’auditeur dans la bassine d’huile bouillante, ces mecs sont des killers de crevettes, ça gratte et ça gueule dans les contreforts du rock, ils sont dans le bain, wild as fuck. Avec «I Wanna Be Black», ils se prennent pour Lou Reed, oh I wanna be black, ils sont exactement dans le même swagger et avec «Set Your Ass On Fire», ils se prennent pour Sticky Fingers. Ah les Aussies, il faut faire avec - I’m gonna set your ass on fire - Tout un programme ! Encore plus fabuleux : «I Hate Myself», shake de big ass rock chanté au sommet de l’hate. Et voilà qu’ils débarquent dans la pire des énormités avec «Cracker In The Niggertonk», un big boogie rock, et plus loin, ils se prennent pour Chuck Berry avec «Speeded It Away». C’est toujours une bonne chose que de se prendre pour Chuck Berry, c’est une preuve de goût. Mais ils le font bien sûr à la sauce Sailors, Sail on, boy, bien grasse, bien délirante. Ils se prennent pour Johnny Rotten avec «Back In The Closet», un joli shoot de balladif et puis ils singent les Small Faces avec «Out Thy Vile Jelly», chanté à l’hyper-guttural de caricature. On entend même les coups de piano à la McLagan. On saluera aussi ce rap de Melbourne qui s’appelle «Women Of Melbourne», joué aux accords déconfits et chanté au cockney local. Fuck her ! On termine cette tournée des grands ducs avec «Barry’s Place» lancé d’un ouh ! de fast English rock. Ils sont rompus à tous les lards, pas de problème.

    Signé : Cazengler, Sailarve

    Sailors. Violent Masturbation Blues. Dropkick 2001

    Sailors. The Sailors Play Turning The Other Cheek. Dropkick 2003

    Sailors. Failure Depression Suicide. Dropkick 2003                                       

    Sailors. The Sailors Play Viva La Beaver. Dropkick 2005

     

     

    DYLAN

    (Collection Rock & Folk # 22 )

    (En collaboration avec UNCUT)

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    Le principe est simple, raconter Dylan, disque après disque, le tout entrecoupé d’interviews inédites en France. Notre propos n’empruntera pas la même démarche, plus modestement nous essaierons de transcrire notre propre vision du personnage.

    DE BOB DYLAN A STREET LEGAL

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    De 1962 à 1978. De son premier disque, une sacrée gueule d’enfoiré sur la couve de son premier opus, cet avis n’engage que moi, quant à Street Legal because c’est le dernier disque que j’ai acheté du big Zim, écouté une fois et remisé je ne sais plus où. Un beau parcours toutefois qui a soulevé admirations et protestations. Normal, Dylan est l’homme des ruptures. L’on a fait de son passage à l’électricité une révolution esthétique. Je ne l’ai jamais vécu ainsi. D’abord parce que petit français de l’autre côté de l’Atlantique le rock – entendu en ses multiples modalités - me paraissait naturellement électrique, même si l’on usait de l’acoustique. De toutes les façons, Dylan avait une manière électrique de tordre les mots.  Ce n’est pas qu’il avait une belle voix, c’est qu’il se servait au mieux de son appareil vocal, qu’il s’est forgé un style adapté à ses possibilités. Dylan en ses années d’apprentissage   n’a cherché à imiter personne. Par contre l’était une véritable éponge. Doué d’une mémoire prodigieuse. L’a tout avalé pour le recracher à sa guise. Parti du rock, Buddy Holly, Gene Vincent, a bifurqué sur le folk. Pas tout à fait, a emprunté aussi une route parallèle, celle du country blues. Du country blues au blues électrique, la route était déjà tracée, c’est ce modèle que Dylan appliquera à l’électrification des campagnes folk. 

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    L’on a beaucoup glosé sur les rapports Woody Guthrie – Bob Dylan. Il existe une différence essentielle entre les deux hommes. Guthrie est beaucoup plus politique que Dylan. Entre eux deux, toute la différence entre le militant et l’étudiant. L’un a la guitare dans le cambouis de l’action pré-révolutionnaire et l’autre dans des idées généreuses qui mettent tout le monde d’accord. Entre Guthrie et Dylan, les temps ont changé, la fin de la guerre et le boom économique sans précédent qui s’ensuivit permet à l’Establishment de vendre à bras prix aux masses laborieuses les promesses de l’american dream beaucoup plus jouissives. Plus de fascistes à tuer, la lutte révolutionnaire cède la place aux combats sociétaux, contre la discrimination raciale, contre la guerre au Vietnam.

    Passons aux facteurs individuels. Dylan recherchait le succès. Avait conscience que son talent était supérieur à beaucoup d’autres. Toute une partie de sa personnalité repose sur cette juste appréhension de soi-même. Notons la différence avec Fred Neil que le Cat Zengler nous présentait dans la livraison 547. Les individus ne sont pas identiques. Rien ne serait pire que de vivre dans une république de clones. Que chacun en juge par soi-même. La machine s’est méchamment emballée autour des premiers disques du zigue Zimmerman. L’est devenue l’icône du mouvement protestataire, le dieu vivant descendu sur terre pour apporter le message et la musique folk aux quatre coins de l’univers. On lui a taillé un costume XXL dans lequel il s’est senti mal à l’aise. Mal fagoté. Dylan ne s’appartenait plus. N’était plus libre. La route était toute tracée, sans surprise, il n’y avait plus qu’à suivre le Mouvement. L’aurait pu surfer sur la vague. L’a préféré – c’est tout à son honneur – débrancher. En branchant sa guitare électrique.

    Ces années ont été cruciales. Sur le plan musical mais aussi comportemental. Sa première visite en Angleterre a servi de leçon. Dans cette vieille Europe l’on s’intéressait à ses paroles. De quoi rendre fier n’importe quel auteur. L’a compris le danger, s’il acquiesçait à cet enthousiasme idéologique il perdait sa liberté d’écriture, l’a donc adopté une stratégie qu’il n’abandonnera plus jamais. N’a pas choisi de vivre caché – la célébrité et ses royalties présentent bien des avantages – pour être heureux il a opté en faveur de la dissimulation. L’est devenu mutique. Disait mais n’expliquait rien. Devenait imprévisible. S’est revêtu d’une cape de mystère. Les journalistes se sont amusés à expliciter le moindre de ses propos, transformant la plus insignifiante réplique en paroles sibyllines sacrées engageant le devenir de l’Humanité. Cette infatuation journalistique n’a fait que renforcer son individualisme, l’est devenu indifférent à tout ce qui ne l’intéressait pas, se permet d’ignorer tout interlocuteur qui n’est pas sur les mêmes longueurs d’ondes que lui. On lui a reproché son mépris. Il y a gagné une paix souveraine qui le retranche de tout le cirque et de tout le verbiage médiatiques.

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    Après Blonde on Blonde. Une coupure dans l’œuvre de Dylan. On a beaucoup glosé sur ce virage. Il n’est pas unique, Elvis Presley et Jerry Lee Lewis en ont effectué un semblable. Poussés par des évènements extérieurs, le service militaire pour le premier et le scandale de son mariage avec sa cousine de treize ans pour Jerry Lou. Pour Dylan, c’est différent. Ce sont avant tout des motivations intérieures. La pression occasionnée par son rôle de maître à penser de toute une génération exige un ressourcement. Dylan veut se retrouver. Opère un subtil glissement, du folk il passe à la country. Musicalement l’on observe une baisse de régime. L’était arrivé et s’était imposé dans le folk par une vision personnelle de cette musique qu’il allait redéfinir et doter d’une assise incomparable. La country n’a pas besoin de lui. Possède son public, ses habitudes, sa mythologie et Johnny Cash… Il y a pire que l’ombre de Johnny Cash. C'est l'idéologie véhiculée par cette musique. Celle de l’Amérique profonde, rurale – en opposition avec le folk urbain – conservatrice dont Dylan va donner l’impression qu’il épouse les valeurs. S’installe à la campagne, vit avec sa femme, fait des enfants… Joue de la musique pratiquement à la maison avec the Hawks, ex-groupe de Ronnie Hawkins, pionnier du rock, enregistre avec la crème des musiciens de Memphis, considérés à l’époque par son public comme des ploucs et des bouseux. Tant qu’à plonger dans l’Ouest autant explorer sa légende, débute par un album consacré à John Wesley Harding célèbre Outlaw, gunslinger qui aurait – l’on ne prête qu’aux riches - quarante cadavres à son palmarès.

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    Les pages les plus intéressantes de cette partie de la revue sont les huit de Michael Watts en visite sur le tournage de Pat Garrett & Billy the Kid, dans lequel Sam Peckinpah a octroyé un rôle, un certain Alias, de comparse à Dylan. Dylan à Durango ne met guère de grenadine fraternelle dans les relations humaines, l’évocation de Peckinpah nous ravit. Les mauvaises choses comme les bonnes n'ont qu’un temps, dès 1975 les rapports de Dylan et de son épouse se tendent, l’album Desire consomme la fin de la période country… Le suivant, mainstream est-il qualifié par Graeme Thomson, Street Legal laisse augurer le pire…

    SAUVE ET PERDU

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    Si je ne m’abuse c’est Barbey d’Aurevilly qui dans son article de recension d’A rebours décrète qu’après un tel livre il ne reste plus à son auteur, J. K. Huysmans, que deux solutions, ou se tirer une balle dans la tête ou s’agenouiller au pied de la Croix. Dylan empruntera cette deuxième sortie de secours. Slow train Coming apporte une étrange nouvelle, Dylan l’irréductible s’est converti. A l’extrême limite l’on aurait compris ce cheminement intellectuel s’il s’était contenté d’en faire une affaire personnelle, mais non, il le proclame, il s’obstine à vous conjurer de l’imiter, il n’est de pire affection mentale que le désir de prosélytisme, le Seigneur vous attend, l’Enfer vous guette. Le pire dans cette histoire c’est que Dylan n’est pas le seul, il rejoint le troupeau des brebis repentantes que sont les born again, un mouvement de fond de la société américaine – notamment dans la musique country, s’agit de dénoncer ses fautes en clamant bien haut que l’on renie tous ses péchés, que l’on ne recommencera plus, Dylan ne reprendra plus ses vieux morceaux – et de prêcher bien haut à son entourage de l’ imiter au plus vite… Retour à la vieille tradition conservatrice et rétrograde. Que le chantre de la conscience et de la révolte folk s’aligne sur les patenôtres de la morale chrétienne est décourageant. Qu’il vous menace de griller en Enfer auprès de Satan si vous n’obtempérez pas à ses avertissements, quel obscurantisme rétrograde. Dylan déchoit. Le rebelle fait amende honorable. Perd toute crédibilité. S’il est une trahison de Dylan ce n’est pas l’électrification de sa guitare, mais ce reniement intellectuel de lui-même, Dylan n’est plus Dylan.

    Dès 1983 avec Infidels Dylan met un peu d’alcool dans son eau bénite. Il croit encore mais se permet quelques incartades, il boit, il baise, s’éloigne doucement du christianisme pour se rapprocher de ses racines juives. Peut-être ce retour était-il prophétisé depuis ses premiers textes par l’emploi de nombreuses métaphores bibliques. Empire Burlesques marque une cassure, à la base le disque se voulait comme un retour au rock ‘n’roll, il se terminera dans le delta d’une soi-disant modernité. Nous sommes au milieu des années 80, le rock ‘n’roll n’est pas au mieux de sa forme.

    Pour la dizaine d’albums qui reste, je ne me permettrais pas d’apporter mon grain de sel. Ce n’est pas Dylan qui est perdu, c’est moi, à peine si par-ci par-là ai-je entendu (je ne dis pas écouté) un morceau. Si j’en crois les comptes-rendus, il y a de splendides vautrages et deux ou trois merveilles. Disposés plutôt selon une courbe ascendante. Dylan en est conscient. N’est plus tout jeune, le pire se profile à l’horizon…

    Nous arrivons à la fin de la revue. Les petits plus qui ravissent les chercheurs de collectors, une  recension peu fouillée des films et des vidéos dans lesquelles apparaît Dylan, une rapide revue des Official Bootlegs Séries présentés d’une manière un tantinet confuse, un choix de lives, de books et de compilations…

    Surtout ne pas sauter les huit pages – hélas un peu moins si l’on enlève les photos qui mangent l’espace – qui offrent le texte de la prise de parole de Dylan an gala annuel de Musicares en février 2015, association d’aide aux musiciens vieillissants, malades, dans le besoin… Dylan se raconte. Un peu à la manière de son livre Chroniques (vol I) et beaucoup comme son discours de réception du prix Nobel de Littérature 2016. Lui à qui l’on a souvent reproché de piller le passé remet un peu les pendules à l’heure, ses chansons sont inscrites dans une tradition populaire dont il n’est que l’héritier et le transmetteur. Cite des artistes qui ont repris ses chansons notamment Nina Simone  et Johnny Cash à qui il rend un hommage appuyé, évoque le blues dans lequel on retrouve les arabesques des violons que jouaient les gardiens arabes des esclaves confinés dans les cales des bateaux négriers,  et le rythme des valses pianotées dans les salons des plantations qu’entendait la main-d’œuvre servile, s’attarde sur les minstrels qui se grimaient pour imiter les noirs qui chantaient, et les noirs qui les imitaient pour gagner quelque argent. S’attarde sur le rock ‘n’roll, fils du blues et du hillbilliy, musiques d’esclaves et de ploucs, et rend un vibrant hommage à Billy Lee Riley l’immortel créateur de Red Hot - Musicares l’a soutenu durant ses six dernières années - citant au passage Jerry Lou et Sam Phillips.

    Tout cela serait parfait, s’il ne s’étendait pas longuement sur les critiques qui lui ont été adressées. Dévoile un petit côté parano assez mal venu, oublie ce principe clef de la renommée journalistique, que l’on parle en bien ou en mal de vous l’important est que l’on parle de vous. Dylan serait-il plus sensible que son indifférence apparente ne le laisserait soupçonner.

    N'empêche que ces cent trente pages se lisent d’un trait, et que l’on n’en a pas fini avec le phénomène Dylan. Dernière nouvelle : devrait sorti en novembre de cette un nouveau livre de Bob Dylan intitulé : The philosophy of modern song.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Avec le doom il faut s’attendre à tout. Mais pas à ce mignonitou chatounou tout noiroud  stylisou sur son fond rouge - perso je ne le dis pas à mes chiens, j’ai toujours préféré les chats – totale déconvenue   quand l’image s’agrandit, non ce n’est pas un chat, quel est cet objet non-identifié, en imaginant un max, un satellite qui aurait perdu son orbite et serait venu s’encastrer sur une espèce de silo bétonné. Dans un paysage désolé, bien entendu. Voici de quoi présager le pire. Je peux d’ores et déjà vous signaler la justesse de ma prophétie. Vous n’allez pas être déçus. Si vous avez des tendances suicidaires, abstenez-vous. Remarquez ce sont des optimistes, présentent leur album un peu à la manière de la célèbre phrase de Nietzsche, ce qui ne vous tue pas vous rendra plus fort. Cet adage irrite beaucoup de monde, aussi ils se contentent d’écrire qu’en écoutant leur opus vous apprendrez les dures vérités de la réalité.

    Sont des polonais. Manifestent leur solidarité avec les Ukrainiens. Se sont formés en 2012, ont déjà à leur actif deux EPs et deux singles extraits de :

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     EMBRACING DISSOLUTION

    BACKBONE

    ( Mars 2022 )

    Piotr Kowalsczyc : guitar, vocals  / Piotr Potowcki : guitars vocals / Aleksander Borguszewski ; basse / Michal Kowalski : drums.

    Pilgrimage : vous vous attendez à une kaophonie coassante, pas du tout une tambourinade légère, s’accélère un peu par la suite, une basse tremblotante, et le pèlerinage commence, les guitares chantent votre solitude, des claques de tambour vous préviennent, les guitares se grippent, une voix s’élève, pas violente, étire les syllabes, une autre presque sludge prend la parole, peut-être est-ce vous qui clamez votre désespoir de marcher dans un monde d’après-monde, brinqueballé dans votre impuissance, z’avez déjà abandonné toute espérance comme Dante à l’entrée de l’Enfer, mais ces souterrains mortuaires seraient encore un refuge, vous êtes à la surface de la terre, dans un monde détruit dans lequel votre humanité ne vous sera d’aucun secours, une seule solution avancer dans  cette désolation. Il n’y a plus de Dieu, il n’y a plus d’Homme non plus. Cinereal lands : machine à broyer du néant en marche, une scie métallique miaule et tourne pour rien, des centaines de marteaux claquettent dans le vide, klaxons d’alarmes incessants, la machine n’arrête pas de fonctionner, elle imite l’inconsistance de la réalité, le cerveau est l’urne funéraire de vos rêves, la pellicule n’imprime plus rien, la voix gronde en vain tel un chien qui crie après sa chaîne, sentiment d’abandon absolu. La machine brasse l’air inconsistant qui vous asphyxie. Vocal terminal. The ghost theorem : le théorème fantôme, très beau titre que j’aurais aimé inventé, le fantôme du théorème arrive doucement, se déplace sur des pattes de colombe comme l’écrit Nietzsche pour expliciter le surgissement de la pensée, pas besoin d’être fort en math pour comprendre que l’inconnue de l’équation que l’on cherche à définir est le zéro absolu de la nécessité vitale, prennent leur temps pour vous le spécifier, le morceau dépasse les dix minutes, donne l’impression de progresser et de s’emballer, un pur leurre, ce n’est pas le monde qui va mal, ce sont les schèmes intellectuels par lesquels on l’exprimait qui ont perdu toute réalité, la voix l’énonce, le background le claironne, un véritable bombardement neuronal accable l’espèce humaine, toute pensée est vermoulue, que ce soit celle de la croyance en laquelle on doute de croire ou le doute dont on croit douter, tout semble inutile, d’ailleurs la musique s’arrête pour reprendre en acoustique, car stopper serait donner encore trop d’importance à cette vacance  spirituelle et intellectuelle, maintenant voix et instruments réitèrent le constat de cette déroute si absolue qu’elle en devient relative. A quoi bon crier au secours quand tout est terminé. Starflesh : Nauman ( participe à plusieurs groupes amis ) assure guitare et vocal : quand l’on est au plus bas, il ne reste plus qu’à remonter. La batterie et les riffs ne vous lâchent plus et vous le rappellent, une fois les valeurs humaines arrivées en bout de course, il est inutile d’en inventer d’autres, elles finiront elles aussi par se déliter, la solution n’est plus sur cette terre, sous la lune dirait Aristote, mais bien au-dessus, il est nécessaire de réaliser la grande fusion, quelques notes de guitare acoustique avant de vous révéler le grand dessein, asséné à coups de lourdes orchestrations, savoir se transformer, ne plus être le fils de la terre, devenir celui du cosmos, que la chair devienne poussière d’étoiles, l’accompagnement chavire comme un disque légèrement décentré avant de gagner une amplitude victorieuse, la mutation est-elle réussie, est-elle seulement envisagée, toujours est-il les guitares s’en vont tutoyer les galaxies.

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     Calculated silence : musique compressée, tout se bouscule, batterie éruptive, vocal enragé, revenir à vitesse grand V dans ce monde-ci, se retrouver, apprendre à faire le calme, à juguler l’expérience de ces millions d’années que tu as intégrées, coupure, respirer fort, se recueillir en soi-même, tu es une bombe humaine lancée sur l’autoroute du destin hominidien. Où, quand, comment exploseras-tu ? Trop tôt, trop tard. Pétard mouillé. Vertige ou illusion. Modernity : rien n’a changé, des plaques de musique se détachent de nulle part et viennent vous envelopper, lorsque la séquence est terminée une autre ne tarde pas à la suivre, voix étouffées qui se forcent un passage malgré le diaphragme oppressé, la modernité n’est pas celle que l’on croit, celle du progrès et de la libération des hommes par les miracles technologiques, elle est celle de la séparation, des riches et des pauvres, de cette coupure insurpassable qui régit les lois de la société, la modernité vous enserre de ses blocs de glaces qui vous paralysent et vous engourdissent, quelques notes d’une berceuse pour qu’entre en vous l’acceptation des faits établis, tout s’éteint, se calme, vous endort à jamais. Chut ! Silence. Questionning everything : comme un ours entre en hibernation lors d’une grande glaciation, l’acceptation de la mort se rapproche à pas lourds et  feutrés, tout est perdu, refaire la partie dans sa tête, le vocal devient solennel, moment crucial, comment et pourquoi résister, abdiquer au plus vite de peur de reconnaître que l’on n’est déjà plus soi, légers tapotements interludes, serait-ce la fin du combat de soi, n’at-on pas déjà tout essayé en vain, l’on perd toute créance en soi-même, lourdeurs de catafalques pour générique terminal, la défaite est une chose, mais l’acceptation de la défaite est encore plus terrible. La solution ne serait-elle pas de quitter la coquille vide des illusions et de se redresser tête nue tel un soldat qui se hisse hors de la tranchée sachant que dehors ne sera peut-être pas mieux, mais ne pourra être pire. Dissolution : la solution n’était pas la bonne. Encore pire que prévu. Tintements de cordes. Une voix d’agonie tire la leçon, une espèce de confession sur le lit de mort, les dernières paroles ultimes léguées à ses proches, l’idéal n’est-il pas de mourir. Elegeia : élégie poème du regret et de la mélancolie, la musique est trop forte pour que l’on se contente d’un tel dessein, pourtant rien n’a changé, le monde est aussi laid et impitoyable qu’on le savait, inutile de faire de beaux rêves, d’embrasser de nouveaux idéaux, toute cette pacotille tombera au fond de l’eau, aucun espoir ne te sera permis, marche martiale, dorénavant tout sera comme avant, comme toujours, aucune amélioration, voix étranglée par l’effort, personne ne te tendra la main, tu seras sempiternellement seul, aucune consolation, la musique se délite pour reprendre force et tourment, le héros continue sa route, sans peur ni reproche, face tournée vers le soleil des vivants. La musique poursuit son chemin…

    ,robert palmer, dion, wildhearts, sailors, bob dylan, backbone, elvis presley,

    Pas très gai. Un regard noir jeté sur notre époque. Lyrics de toute beauté. L’on peut dire que les musiciens subsument le vocal, comme la pierre supplante Sisyphe.

    Radoslaw Kurzeja est l’auteur de la couve, quelques-unes de ses œuvres sont à regarder sur Instagram, la pochette d’Embracing dissolution ne me semble pas tout à fait représentative de son style, celle de l’EP Grey foundations of stone me paraît plus appropriée pour rendre compte de cet artiste, graphiste, musicien et libraire.

    Profitons-en pour écouter cet étrange Ep sorti en   qui précède et éclaire l’atmosphère si particulière de l’album précédent.

    GREY FOUNDATIONS OF STONE

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    Cathedral : dès le début l’on est surpris, parce que le groupe ressemble davantage à un groupe de doom lambda, tant au traitement de la voix que des séquences instrumentales, mais le tout est baigné d’un mysticisme peu commun qui emporte l’adhésion par son étrangeté. C’est la même équipe qui a participé aux deux disques. Les lyrics ne sont pas tous signés du même rédacteur, n’empêche qu’il s’en dégage une unité de ton étonnante. Cathedral porte bien son puisqu’il s’agit de la description d’une cathédrale, même si l’amplitude sonore et la voix hérissée nous transporte vers quelque chose de plus immémorial et fondateur, tout se mélodise et nous voici déambulant dans la nef déserte, ce qu’il advient par la suite est plus difficile à saisir, une espèce de crise mystique, pour ainsi dire une transfiguration minérale, où l’impétrant subit une transgression êtrale qui lui permet  descendre dans les règnes naturels et de devenir lumière de pierre. L’ensemble est d’autant plus bizarre que celui qui ne comprend pas les paroles se dira, pas mal du tout ce morceau. Passant à côté de son irréductible étrangeté. Forest of twilight : rythme balancé, tanguant entre rêve et souvenir, entre présent et passé, cheminement dans une étrange forêt, est-elle intérieure, ou extérieure, dans quelle dimension est-elle située, atmosphère non diaphane, la voix sludge, grossièrement serait-on tenté de dire si l’on en juge par ce qu’elle dévoile, serait-ce la simple confession d’un croyant qui se livre à son examen de conscience, ou l’expression d’une expérience de ressourcement aux formes primaires et végétales, quelque chose qui se situerait entre les travaux sur la lumière et les réflexions sur les plantes de Goethe. La voix se tait et laisse la musique dérouler la pelote du sens.  A moins qu’elle ne marque le retour à la vie de tous les jours…Spectral blue moon : instrumental, car que dire de plus. Un halo instrumental fuse hors du néant et se distille dans l’espace. Apesanteur, repos, méditation. Rosée qui tombe de l’astre sélénéen, grosses gouttes de basse, Backbone à cheval entre les pataugas de la réalité et son interprétation par le rêve. Grey fondations of stone : davantage torturé, quelles sont ces grises fondation de pierre, une métaphore des éléments culturels sur lesquels se fondent les civilisations. Le vocal devient acerbe. Il est empli de soubassements christianolâtres, mais cela suffit-il, l’échec n’a-t-il pas couronné cette voie, les guitares se heurtent en bruits cristallins d’icebergs qui se cognent l’un dans l’autre. Interrogation sacrilège, serait-ce vraiment utile de rebâtir sur ces fondations de pierre dont les assises n’ont pas tenu. Est-ce pour cela que nous revenons toujours à ce granit tellurique. Ne seraient-elles pas un cul-de-sac, une voie sans issue. Le même ne revient-il pas toujours. Pourquoi donc réessayer, à cause de cet espoir empli d’amertume. Le fond sonore nous laisse dans l’expectative.

    Ces quatre morceaux s’inscrivent dans un fonds religieux sans équivoque. Un questionnement fondamental assureront les âmes religieuses. Du haut de mon incroyance j’en ricane avec l'Abbé Cane dans la barbacane. N’empêche que ces quatre morceaux sont puissants et méritent le détour.

    Damie Chad.

     

     

    *

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    Il est des disques ou des CDs que l’on achète simplement pour le plaisir, quitte à les poser dans un coin sans les écouter parce que l’on connaît le contenu. En voici un, pas vraiment une nouveauté, ni même une rareté, des titres archi-connus en prime. Tiens m’étais-je dit, l’Elvis Country ( I’m 10 000 years old) avec une pochette que je n’ai pas, certes l’originale de 1971 était bien plus belle, mais c’est Elvis, on ne mégote pas, on prend les yeux fermés. Un rocker ne commet aucun crime de lèse-majesté. Bien sûr je me suis planté, cet Elvis Country n’a rien (presque rien) à voir avec l’Elvis Country ( 1971 ). Remarquez, comme c’est piégeux, cet Elvis Country existe aussi avec la pochette de l’Elvis Country 1971. Bienvenue dans le labyrinthe des rééditions presleysiennes.

    ELVIS COUNTRY / ELVIS PRESLEY

    ( RCA / 1987 )

    Huit titres, à l’origine une cassette de moyenne durée.

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    Whole Lotta shakin’ goin’ on : Je n’aurais jamais mis ce titre dans une sélection country mais si Elvis et Felton Jarvis qui supervisait la séance de 71 l’ont décidé, je prends acte et je me tais. Voix parfaite d’Elvis, une interprétation que je qualifierais de synthétique dans la lignée de son I got a woman, une orchestration qui met en évidence le tom-tom de la batterie et cette pedal steel guitar coulissante qui particularise cette version. Elvis connaît sa grammaire rock sur le bout de la langue, je ne vous en voudrais pas si vous préférez Jerry Lou et son pumpin’ piano. Funny how time slips away : vieux morceau de Willie Nelson, qui suit aussi le titre précédent sur le 71, caution country au plus haut, mais un peu trop jazzy-sirupeux à mon goût, je ne peux l’entendre sans penser qu’ Elvis imite un tantinet le phrasé de Sinatra… Je vous laisse seul juge. Baby let’s play house : l’on se demande ce que vient faire ce titre sur ce disque consacré au répertoire country, sur Sun Elvis met au point les tables de la loi du rock blanc, l’arrache justement à la gemme country, ne boudons point toutefois notre plaisir même si perso j’ai un gros faible pour la version de Buddy Holly, moins rurale je l’admets, déjà plus urbaine. Rip it up : se trouve sur l’album Elvis 1956, le génie d’Elvis à l’état pur, toujours la même transmutation alchimique faire de la pierre rouge du rock’n’roll noir une autre pierre rouge fondatrice du rock’n’roll blanc. Ma préférence se porte sur la version de Gene Vincent. Dans tous les cas, hommage à Little Richard. Lovin’ arms : le mélo country par excellence, paru en 1974 sur l’album Good Times, voix du King à pleurer, pedal steel guitar, chœurs féminins, à redécouvrir d’urgence. You asked me to : issu de l’album Promised Land paru en 1975. Dans la même lignée que le précédent mais hormis les refrains l’on peut dire que le vocal se rapproche d’un certain dépouillement. She thinks I still care : enregistré par Elvis chez lui en 1976. Voir le CD : Way down in the jungle room. Elvis - ses boys et Felton Jarvis son ami qui de 1966 à 1977 produisit pratiquement tous ses disques - enregistre en deux séances, février et octobre tout un lot de chansons qu’il aime particulièrement, Elvis cherchait-il une nouvelle voie, à partir de son substrat originel… Le morceau Way Down publié en 1977 un mois et demi avant sa disparition fut son dernier numéro 1… Intéressant d’écouter ces trois morceaux dans l’ordre chronologique, se ressemblent beaucoup, mais la voix d’Elvis gagne à chaque fois en ampleur. Cette fois-ci l’interprétation d’Elvis n'est pas loin de ses premiers slows enregistrés chez RCA style I want you, I need you, I love youParalysed : retour à l’album Elvis, j’appelle cela du rock vocal, bonjour les Jordanaires, qui flatte l’oreille mais ne détruit pas le cerveau, qui s’éloigne de la parfaite réussite de Don’t be cruel. Un morceau non essentiel à la survie du rock’n’roll et encore moins à celle de la country.

    Gloire à Elvis !

    Damie Chad.