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howlin' jaws

  • CHRONIQUES DE POURPRE 624 : KR'TNT 624 : WILLIE DIXON / PROTOMARTYR / BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES / TAJ MAHAL / HOWLIN' JAWS / POGO CAR CRASH CONTROL /BANDSHEE / MOLLY MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 624

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 12 / 2023

     

    WILLIE DIXON / PROTOMARTYR

    BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES

    TAJ MAHAL / HOWLIN’ JAWS

      POGO CAR CRASH CONTROL / BANDSHEE

    MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 624

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Le président Dixon

     

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             D’une grosse voix de fausset à voyelles édentées, Willie Dixon rappelle que le blues, c’est les racines, et que tout le reste, c’est les fruits : « The blues is the roots. Everything else is the fruit. »

             Big Dix, c’est le boss. Big Dix bosse sa basse et les bat tous. Big Dix, c’est la bête, le boss du bon beat, le bull du blues. Il est le seul à pouvoir dire qu’il EST le blues.

             Willie a douze ans quand il se fait choper dans une maison abandonnée en train de récupérer des tuyaux de cuivre pour les revendre. Ça se passe du côté de Vicksburg, dans le Mississippi, où il est né. Pouf, au ballon direct, Ball Ground Country Farm, l’une de ces petites taules rurales dont les blancs racistes avaient le secret, et où tous les pauvres nègres ramassés dans le secteur étaient condamnés à travailler gratuitement dans les champs. Comme au temps de l’esclavage qui était pourtant aboli aux États-Unis, depuis le vote du 13e amendement en 1865.

             Puis il se fait ramasser une deuxième fois pour vagabondage près de Clarksdale, Mississippi. On lui inflige une peine de trente jours. Trente jours de prison parce que tu traînes dans la rue, pas mal, non ? Au bout de ses trente jours, le petit Willie a le cran de dire au gardien : « Hey man, my 30 days I know they’re up now ! » (Hey toi, mes trente jours, je sais qu’ils sont faits !) Le gardien ? Plié de rire. Arff Arff ! « Personne ne s’en va d’ici au bout de trente jours ! T’es là jusqu’à la fin de tes jours ! » La gueule à Willie !

             — Hein ? Quoi ? Non, non, non, c’est pas possible !

             — Mais si mon gars. Si tu veux partir, pars, mais tu dois courir plus vite que les chiens et les balles de fusil.

             Le type ne raconte pas d’histoires. Ici, à la Harvey Allen County Farm, ils tirent dans le dos des nègres qui cavalent dans les champs. C’est leur distraction favorite. Vas-y niggah, on te laisse trente secondes d’avance. Vas-y, sauve-toi niggah, n’aie pas peur ! Le niggah détale, comme aux Jeux Olympiques de Mexico, il fait à peine quelques mètres - bang ! - qu’il a déjà pris une balle de calibre 72 dans le dos. Ils font aussi le coup avec des chiens. Ils choisissent un jeune nègre qui court vite. Tu vois les bois, niggah ? Si tu arrives là-bas, t’es libre ! Le jeune nègre affolé se carapate mais ces ordures lâchent une vingtaine de chiens qui rattrapent le pauvre gars et qui lui sautent dessus. Il essaie de se défendre, il hurle, mais ça ne dure pas longtemps. Quelques secondes. Les chiens le dévorent, comme les loups dévorent l’élan isolé. Les chiens reviennent couverts de sang et ces ordures disent aux autres nègres d’aller laver les chiens. Quoi ? Willie et les autres emmènent les chiens à la pompe. T’as déjà essayé de laver un Beauceron couvert de sang ? Willie et les autres se font mordre. Les chiens ne se laissent pas faire. Du haut de ses douze ans, Willie voit tout le bordel des blancs. Il sait qu’il va risquer sa peau en s’enfuyant, mais il ne peut pas rester dans cet enfer. Au bout de deux mois, il réussit à se planquer et à voler une mule. Il fait confiance à la mule pour remonter au Nord. Faut pas traîner dans les parages, parce que les autres ordures le recherchent pour le donner à manger aux chiens. C’est un miracle s’il arrive sain et sauf chez sa frangine à Chicago. Exactement la même histoire que celle d’Hound Dog Taylor. Le rock revient de loin. Big Dix fera ensuite un voyage en train jusqu’à New York.

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             Il raconte tout ça dans son autobio, I Am The Blues. On ne peut pas écouter la musique des bluesmen noirs du delta sans connaître la réalité de leurs conditions de vie, dans ce maudit Deep South d’avant-guerre. Ces gens-là étaient en danger de mort parce qu’ils avaient la peau noire. Les Rednecks exerçaient exactement le même genre de barbarie que les nazis. Ils tuaient par simple haine et leur cruauté ne connaissait pas de limites. Si Willie Dixon ne s’était pas évadé de la Harvey Allen County Farm, il y serait resté toute sa vie. Tu vois un peu le plan ? Les fermiers du coin y trouvaient de la main d’œuvre gratuite. C’était du tout bénef, comme on dit à la campagne. Et Big Dix raconte que Captain Crush s’amusait à fouetter les nègres à mort. Les lanières de son fouet avaient des nœuds. En dix coups, il tuait un nègre en lui mettant les vertèbres à nu. Captain Crush les prenait un par un. Les nègres hurlaient : « Pitié monsieur ! » mais Captain Crush était un sadique et ces atroces bâtards pullulaient dans les plantations et les petites taules blanches du Sud.

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             Voilà en gros les souvenirs d’enfance de Willie Dixon. Pas de sapins de Noël ni de jeudis à la piscine. On comprend qu’après tout ça, il valait mieux éviter de l’importuner. D’autant qu’il a vite appris à se battre, au point de devenir champion de boxe poids lourd dans l’Illinois. Il s’entraînait avec Joe Louis. Et puis un jour, il a découvert un truc qui ne lui plaisait pas, alors il a tout cassé dans le bureau de l’organisateur du championnat et ça a mis fin à sa carrière de boxeur. Big Dix a connu le même destin qu’Arthur Cravan et Champion Jack Dupree. Comme Wolf, il était une force de la nature : « When I fought the Golden Gloves, I didn’t have any training. I just knocked out every damn body and that was it ! » (Quand j’ai combattu pour les Golden Gloves, je n’avais aucun entraînement. Je tapais dans le tas et voilà.) Big Dix grimpait sur le ring et envoyait au tapis tous ceux qu’on lui présentait. Quelle rigolade !

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             Heureusement, Big Dix va s’investir dans la contrebasse, mais à sa façon, « I was one of the most flashy bass players around. » Il ne voulait pas se retrouver au fond de la scène, dans le rôle de l’accompagnateur qu’on n’entend pas. Il voulait passer devant, « Give me a solo ! When it comes my time, I want to be seen and heard ! » Il veut qu’on le voie et qu’on l’entende. Alors Big Dix devient le stand-up man le plus heavy de Chicago. Il s’achète les fringues qui vont avec. « Back then, we started wearing real loud colors - red and green, yellow and purple suits and sharp, you know. » Big Dix porte des costards rouges et verts - comme celui de Muddy Waters - jaunes et mauves. On imagine le résultat : une armoire à glace black de 180 kilos en costume rouge dans les années quarante ! Le premier blanc qui marche sur mes pompes en daim, je lui démonte la gueule. Fini de rigoler. Les nègres renversent la vapeur. Ils marchent dans la rue et ce sont les blancs syphilitiques et dégénérés qui changent de trottoir. Avec le blues, les Blacks deviennent les rois de monde. Ils l’étaient déjà à New York avec le jazz. Mais ils s’emparent de Chicago et préparent la plus grande révolution des temps modernes : celle du rock, évidemment. Big Dix, Wolf et Muddy vont absolument tout inventer. Et on entre fatalement dans le chapitre Chess.

             Sans Chess, Big Dix n’est pas grand-chose. Sans Big Dix, Chess n’est rien. Voilà ce qu’il faut retenir.

             En 1940, Big Dix refusa l’incorporation, parce que dans son pays on traitait mal les gens de sa race (my people, comme il dit). Il s’est retrouvé en tant qu’objecteur de conscience devant des juges en 1942 et l’armée a fini par lui foutre la paix. Black and proud bien avant les Black Panthers et les poings levés de Tommie Smith et de John Carlos aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Quand Cassius Clay devenu Muhammad Ali sera appelé sous les drapeaux, il suivra l’exemple de Big Dix. Pas question d’aller au Vietnam combattre des gens qui ne m’ont rien fait. Votre fucking guerre, vous pouvez vous la carrer dans le cul !

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    ( Leonard & Phill Chess)

             Leonard Chess fait de Big Dix son bras droit. Et comme Big Dix c’est le Gargantua du blues et qu’il connaît tout le monde, qu’il écrit des classiques et qu’il peut accompagner à la stand-up n’importe quelle pointure, il devient le héros Chess. Il gère tous les poulains de l’écurie la plus prestigieuse de l’époque, Muddy et Wolf, mais aussi Little Walter, Willie Mabon, Eddie Boyd, Jimmy Witherspoon et Lowell Fulson. Il accompagne Chuck et Bo sur scène. Il est dans tous les coups fumants de la grande époque. Mais les fucking frères Chess ont un problème assez grave avec l’argent. Big Dix fait tout, il fait le ménage, il fait les paquets quand il faut expédier des disques, il répond au téléphone, il cale des séances, mais il ne voit pas un rond. « They promised to give me so much against my royalties and then every week I’d have to damn near fight or beg for the money. » Et voilà, le cirque continue. Ces rats de Chess lui promettent de l’argent, mais l’argent ne vient pas, et toutes les semaines, Big Dix se dit qu’il va devoir gueuler ou quémander pour récupérer un peu de ce blé qui n’est qu’une « avance sur ses royalties ». C’est dingue, cette mentalité. Et après, on va tresser des couronnes aux frères Chess. Le seul qui se soit refusé à le faire, justement, c’est Willie Dixon. Parce qu’il s’est bien fait rouler la gueule. À cause de leur mentalité pourrie, les frères Chess méritaient mille fois de prendre son poing dans la gueule. Muddy a toujours su qu’il se faisait plumer par ces deux rats, mais il était d’un tempérament plus doux, et de toute façon, il avait reçu l’éducation de la plantation qui fait qu’on accepte tout, au nom de la survie. C’est Big Dix qui va déclencher les procès.

             Willie, Lafayette Leake et Harold Ashby sont le premier backing-band de Chuck en tournée. Willie raconte que Chuck conduisait vite et chaque fois qu’ils s’arrêtaient pour manger un morceau, Chuck commandait du chili. C’est tout ce qu’ils pouvaient se payer. Et Bo ! Alors Bo reprenait à son compte la tradition des tambours africains qui servaient à transmettre des nouvelles de village en village. « The drums are speaking and he’ll tell you what the drums are saying. »   

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             Willie observait le cirque de Leonard le renard. Il le voyait traiter avec de pauvres nègres qui n’y connaissaient rien, et il appelait ça de l’escroquerie. Évidemment, Big Dix ne savait rien du principe de copyright et quand il a découvert le pot aux roses, les frères Chess avaient déjà empoché des millions de dollars grâce à ses chansons. Regardez les crédits sur les rondelles des disques. Vous y retrouvez souvent le nom de Dixon. Comme ces disques des Rolling Stones et de tous les autres se sont vendus à des millions d’exemplaires, ça représente des paquets de millions de dollars.

             Big Dix a douze enfants, sept avec Elenora, puis cinq avec Marie Booker.

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             En 1959, il enregistre son premier album solo avec Memphis Slim, Willie’s Blues. On trouve quelques merveilles sur ce disque. Notamment « Nervous » où l’on entend Big Dix bégayer et slapper. On va retrouver dans tout l’album le jump blues de ses racines, avec des morceaux bourrés de swing comme « Good Understanding » et où l’on entend Al Ashby souffler dans son vieux saxophone en étain. On sent que l’enthousiasme des vieux blacks de Clarksdale est intact. Dans la voix de Big Dix, il y a du gras et de la gourmandise. Dans « That’s My Baby », on l’entend tirer le chewing-gum de ses syllabes. Big Dix se fait roi de la langueur et on l’entend faire un festival de slap dans « Youth To You », il fait ses petits ta ta ta et remonte, tong tong tong, il met son slap bien devant et devient le slapman sublime de Chicago. Il fait même un solo de slap dans « Built For Comfort ». Mais la perle rare se trouve en fin de balda. « I Got A Razor » est un classique vaudou superbe pourri de feeling. Now look, voilà Big Dix le voyou. « Man, you know I ain’t never/ Lost no fight/ I’m way too fast for that cat. » (Mec, je n’ai jamais perdu un seul combat. Je suis bien trop rapide pour ce mec.) C’est un peu le boxeur qui parle. Et il enfonce son clou avec l’histoire du grizzly. « Now look ! If me and a grizzly’s havin’ a fight/ No ! Don’t you think the fight ain’t fair/ You talkin’ ‘bout helpin’ me ?/ You better help that grizzly bear. » (Maintenant, regarde. Si je me bats avec un ours, tu vas croire que le combat est perdu d’avance et tu vas chercher comment m’aider, mais tu ferais mieux d’aider cet ours.) Ce qui fait la force du cut, c’est la crédibilité de Big Dix. « Man, you know I’ve got a razor/ And can’t nobody win over me/ When I got a razor. » Personne ne peut battre Big Dix quand il a un rasoir. Prodigieux.

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             Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon sort beaucoup plus tard, en 1968. On y retrouve nos deux géants favoris dans une série de classiques du type « Joggie Boogie », animé par le piano western de Slim et les triplettes d’un Big Dix qui sonne comme un gamin atteint d’une crise d’allégresse. « Stewball » sent les chants des champs. Ils tirent cette prodigieuse énergie des vieux bagnes agricoles et en font de l’art moderne. Voilà comment deux nègres sortis de nulle part font éclater la modernité - All day round the race track all day long, all day long - S’ensuivent les trois parties de « Kansas City », occasion pour Slim de saluer Jim Jackson, guitar player from Memphis Tennessee. Leur « Roll And Tumble » n’est autre que l’ancêtre du « Rollin’ And Trumblin’ » popularisé par Cream. Et on tombe à la suite sur un fabuleux « Chicago House Rent Party » chanté à deux voix sous la forme du dialogue qu’affectionne particulièrement Big Dix. Ils se mettent au défi de jouer des parties sidérantes, et Big Dix sort un solo - You like it like that ? - I don’t know man try it again - Et Big Dix repart en solo de plus belle. L’effarant « 44 Blues » raconte l’histoire d’un mec qui se balade armé d’un 44, et « Unlucky » boucle la marche en racontant l’histoire d’un mec qui n’a vraiment pas de chance - I didn’t go to school, do you know/ The school burned down - Le KKK avait pris la fâcheuse habitude de brûler les églises et les écoles.   

              Big Dix flashe sur JB Lenoir : « He was a helluva showman’s cause he had this long tiger-striped coat with tails. We used to call it a two-tailed Peter. » Big Dix est fasciné par la queue de pie zébrée de JB Lenoir, qu’il appelait un Peter à deux queues.

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             Il existe un extraordinaire album intitulé One Of These Mornings. Big Dix et JB discutent dans le salon d’un appartement. On entend un baby pleurer. Big Dix demande à JeeBee de lui présenter ses morceaux et notamment « I Feel So Good ». Pas de problème lui répond JeeBee d’une voix fluette et enjouée, et paf, il attaque son boogie-blues des enfers, et tout seul, il swingue autant qu’un garage-band, et même mieux. Big Dix s’esclaffe - awite ! awite ! et il tape du pied - ils chantent ensemble - I’m so glad I know what’s on your mind/ I’m so glad I know what’s on your mind - pureté de l’instant, deux des plus grands artistes de blues à l’unisson. Puis JeeBee prend « One Of These Mornings » très haut - I will be gone/ I’ll get my suitcase made/ and up the road I’ll find my hone - yeah yeah fait Big Dix. Puis JeeBee va chercher son baryton pour chanter « Mumble Low ». En B, le cirque continue. JeeBee monte sur son falsetto pour aller chercher « Mama Talk To You Daughter » et Big Dix fait ses commentaires - No more - et ils reprennent à deux - you don’t talk to your daughter - et  JeeBee prend un solo à l’arrache - oh boy ! fait Big Dix. Et quand JeeBee annonce qu’il va jouer « My Mama Told Me », Big Dix répond : I tink that it’s gonna be awite. JeeBee le prend très haut, chat perché et Big Dix fait Good ! man ! Puis JeeBee tape dans le dur avec « Alabama Blues » - I’ll never go back to Alabama/ Alabama’s not a place for me - l’un des chefs-d’œuvre du blues moderne.

             Lors d’une tournée en Israël, Big Dix monte sur un chameau, comme le fit Gustave Flaubert lors de son voyage en Égypte avec Maxime Du Camp. « Slim was going to take my picture on the camel and when you’re sitting on it and they raise up behind you first, you almost fall forward and when they raise up in front, you almost fall backward. Slim was all set with his camera to take my picture and he ain’t got the picture yet. Some other guy took the picture of me on the camel because Slim was laying out, laughing. » (Slim devait me prendre en photo sur le chameau. Quand il se lève, le chameau se lève d’abord de l’arrière, et tu bascules vers l’avant et tu tombes presque, puis il se lève de l’avant et tu bascules vers l’arrière, et pareil, t’as vraiment intérêt à te cramponner. Slim n’a pas pris de photo. C’est un autre type qui l’a prise. Slim était écroulé de rire par terre).

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             Slim et Big Dix ont enregistré ensemble un album miraculeux, The Blues Every Which Way. Ils ouvrent le bal avec « Choo Choo », pur blues de train et Big Dix fait ses petits ponts pa pa pa papapa. On entend bien ses gros doigts boudinés claquer le caoutchouc des cordes de Chicago. Il adore voyager sur les entrelacs, il multiplie les incartades. Il va dans le slap et Slim chante avec une pureté de ton qui te réchauffe le cœur. Ce sont deux géants, au propre comme au figuré. Sur « 4 O’clock Boogie », Big Dix joue comme un dieu, c’est presque du slap drum, il pounde ses notes avec une incroyable déférence, et ajoute des effets de tagada de temps à autre. Il faut l’entendre emmener son boogie ventre à terre. C’est Big Dix qui chante « Rub My Root » en battant le beat sur le caoutchouc. Il a cette voix de portefeuille crapaud, grasse et tendue, cette voix de gentil géant avec des syllabes mouillées qu’il trempe dans le feeling de Vicksburg. Il fait ses séries de pivert sur les ponts. Sa chanson parle de la racine John The Conqueror capable de résoudre tous les problèmes. Dans « C-Rocker », il fait son numéro de virtuose de la triplette démultipliée et il envoie un solo de slap épatant. Il donne ensuite quelques leçons de maintien aux slappeurs blancs, en montrant comment le slap remplace la batterie et peut tirer comme une loco le train du boogie. C’est Big Dix qu’on voit foncer à travers la plaine. Slim ne fait que le suivre ventre à terre. Quelle superbe virée ! Big Dix revient au chant avec « Home To Mama ». Pour tous les nègres, Mama est le phare dans la nuit, car les familles ont été ravagées par la haine des blancs dégénérés. Le blues de Big Dix fend l’âme. Il met autant de Soul dans son blues que Marvin Gaye met de blues dans sa Soul. Big Dix voit Mama in the cold cold ground. La tuberculose faisait pas mal de ravages chez les nègres. Aller voir un médecin ? Tu rigoles ?

             En B, c’est la suite du festival, avec « Shaky » (Big Dix bégaye quand une gonzesse approche, fabuleuse intensité jazzy), « After Hours » (piano blues de rêve, intense qualité auditive), « One More Time » (jump-blues subtil coulé dans l’ambiance, encore une preuve de l’existence de Dieu - Willie conte les exploits d’une jeune négresse qui ne veut jamais s’arrêter de danser), « John Henry » (boogie blues chanté à deux voix - deux géants de Chicago), et « Now Howdy » (dialogue de génie entre Slim et Big Dix - Hello Slim, Hello Dix - If you don’t know how to do/You better ask somebody).

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             Un autre album solo de Willie Dixon vaut le détour : I Am The Blues, paru en 1970. Il y chante neuf de ses classiques, dont « Back Door Man », où il se montre moins convainquant que Wolf. Il est beaucoup plus décontracté, et cette version arrive vingt ans après l’âge d’or chez Chess. Big Dix recherchait une atmosphère plus conviviale, n’hésitant pas à latiniser son beat et à faire jouer un guitariste de manière sporadique, avec un glissé de manche ici et là. Pas trop souvent. Il reprend l’« I Can’t Quit You Baby » que lui a pompé Led Zep pour en faire autre chose. Pas question de jouer à chat perché comme Robert Plant. Big Dix préfère ses syllabes mouillées. Il est chez lui, il fait ce qu’il veut, c’est son blues, alors on peut lui faire confiance, non ? Il ne fera pas n’importe quoi. Quand on a vécu ce qu’il a vécu, on ne fait jamais n’importe quoi. On voit la vie d’un autre œil. On profite des instants, on vit la vie et on chante le blues avec un aplomb qui synthétise tout cet art de la survie. La perle de ce disque est la version vaudou de « Spoonful », montée sur un beat terrific. Big Dix prend ça à la manière de Wolf. Il se glisse dans la nuit des temps. En B, il tape dans d’autres classiques comme « I Ain’t Superstitious », « You Shook Me » (froti-frotah des nuits chaudes de Harlem, c’est Big Dix l’inventeur, il reprend à son compte toute la luxure développée par les nègres dans les ténèbres de l’esclavage - même enchaînés, ils baisaient), « I’m Your Hoochie Coochie Man » (Big Dix y va de toute l’ampleur de son registre, il sait faire traîner son everybody) et « The Little Rooster » (où il tient le blues par la barbichette).

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             Autre très bel album solo, Catalyst, enregistré en 1974. Big Dix va de plus en plus sur le funk, l’époque veut ça. Il va à l’essentiel, et fait comme tous les vieux crabes, il balance sa leçon de morale - I don’t trust nobody/ When it comes to my girl - Dans « God’s Gift To Man », il fait de la philo - l’amour est plus précieux que l’argent et l’or - Il frise le gospel. Big Dix sait de quoi il parle. Il a rendu ses femmes heureuses. Et puis on tombe sur une version faramineuse de « My Babe », swinguée jusqu’à l’os du swing. En B, il reprend son « Wang Dang Doodle » en mode bien primitif. Avec lui, c’est toujours all night long. Pas question de dormir, poulette. Quoi, t’es fatiguée ? Hopla babe, wang dang doodle, babe ! Et ça groove entre tes reins. Il a même un cut qui s’appelle « When I Make Love » où il explique tout - I don’t drink, I don’t smoke/ And I bring it up - Le roi Big Dix explique aux petits culs blancs comment on s’y prend pour rendre une femme heureuse tout la nuit - All I do is just satisfy... - Et ça continue dans le haut de gamme avec « I Think I Got The Blues ». Il sait comment entrer dans le lard du big fat Chicago blues - I tink I’got da blues - Fameux.

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             Deux ans plus tard, il enregistre l’excellent What happened To My Blues. Il chante « Moon Cat » à la pure puissance, comme Wolf. Même calibre, même férocité d’accent et même façon de mordre dans la gorge du cut. Il tape ensuite dans le heavy blues pour le morceau titre. Il sait driver la carriole, pas de problème, et Lafayette Leake pianote avec tout le poids de sa légende, et il ramène du limon en plus. Avec « Got To Love You Baby », on a une sacrée belle pièce de niaque à la Big Dix. Il est superbe. On sent qu’il se battra jusqu’à la fin. C’est un niaqueur de boogie sans pareil. Comme Wolf, il niaque au-delà de toute expectative. En B, on tombe sur une monstruosité de Chicago : « Oh Hugh Baby ». C’est gorgé de swing et Big Dix nous jive le booty du boogah, babe ! Encore un boogie de poids avec « Put It All In There ». Quel carnassier ! Big Dix bouffe son boogie tout cru. Il boucle avec « Hey Hey Pretty Mama », encore un cut écrasant de poids. Il est bel et bien le seigneur du boogie, le Capone du binaire de Pretty Mama, le trésorier du cul, l’excellence d’ambassade, l’oriflamme des troops, il éclate dans l’azur des légendes du rock et du blues.

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             Il revient dans l’actualité en 1988 avec Hidden Charms. Il chante comme un ogre las de vivre. « I Don’t Trust Myself » est incroyable de présence. Il affirme ne croire en rien - ni en lui, ni la police, ni le priest, ni le plane. Rien ni personne. Dans « Jungle Swing », il renoue avec son africanité - Oh Abyssinia my home ! - Big Dix se réclame de ses ancêtres - Listen to the rhythm swinging/ The drummer come rumbling down - Effectivement, c’est Earl Palmer qui tape le jungle beat ! Il donne des leçons de morale dans « Don’t Mess With The Messer » - I’m gonna bug the bugger/ I’m gonna trick the tricker - et il conclut - You can’t mess with the messer/ The messer gonna mess with you - On devrait l’appeler Willie Diction, car il chante à l’exquisite. En B, il passe au gospel avec « Study War No More ». Il renoue avec l’allant du prêche évangéliste d’église en bois. Et il nous redonne une fantastique leçon de swing avec « Good Advice » - You see you guys & girls in school/ You better study your books and don’t be no fool - Encore une fantastique leçon de diction - And if you keep on bettin’/ Then you’re bound to win - Il termine avec « I Do The Job », un heavy blues à la Big Dix, forcément monstrueux - You may be quick and slide/ You may be fast and greasy/ But I take my time/ And I’m slow and esay - Ça sent bon le sexe.

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             Paru en 1989, Ginger Ale Afternoon est la bande originale d’un film. On retrouve Big Dix au chant sur quelques morceaux comme « I Don’t Trust Anybody » (où il rappelle qu’il n’aime pas qu’on tourne autour de sa poule), « I Just Want To Make Love To You » (I don’t want you to be no slave/ I don’t want you to wait for days) et « That’s My Baby », blues jazzy de round midnite qu’il chante à la syllabe mouillée de vieil hippopotame, histoire de rappeler qu’il est une bonne pâte.

             L’essentiel du slap de Willie Dixon se trouve dans les disques de ses compagnons d’infortune, chez Chess. Comme sa discographie est devenue un marécage de compilations de toutes sortes, il faut rester prudent et se diriger vers des valeurs sûres comme la Chess Box ou le Blues Dictionary qui se complémentent assez bien.

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             Grâce à la Willie Dixon Chess Box, on peut réécouter le swing dément de Little Walter avec « My Babe »  (compo de Big Dix inspirée du vieux « This Train » de Sister Rosetta Tharpe). Ce morceau est l’archétype du gros swing des familles. Quand Big Dix  chante, il faut dresser l’oreille. Il chante « Pain In My Heart » d’un ton fêlé qui évoque Esther Phillips. Il a cette petite diction du nègre du delta héritée de ses ancêtres. La Chess Box est une merveille qui permet de réécouter à la suite Muddy Waters, Wolf et Willie Mabon. Mais le plus intéressant de tous, c’est probablement Little Walter, dont le « Mellow Down Easy » tire un peu sur le vaudou. Little Walter sait y faire pour déclencher les passions intestines. C’est l’un des artistes les plus sauvages de Chicago, et pas seulement à cause des cicatrices qu’il porte sur tout le corps. Il souffle dans son harmo comme un dingue. C’est lui le dieu de l’harmo. Autre retour de manivelle avec Bo Diddley dont le « Pretty Thing » a présidé à l’éclosion de bien des vocations. C’est tellement sauvage qu’on comprend que Phil May ait flashé dessus. Tout y est, le dépouillé de la classe, le jungle beat qui tue les mouches, le primitif de la forêt qui vaut largement tous les murs de briques de l’East End. Le fait que Big Dix  soit mêlé à ces purs moments de magie n’est pas un hasard. Mais la merveille du disk 1, c’est « Walkin’ The Blues », reprise de Champion Jack Dupree, que Willie traite à la manière laid-back des gros durs de Chicago - Slow down, man/ Don’t run so fast/ That’s the way to relax ! - C’est absolument somptueux de classe dixy.

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             Le disk 2 démarre avec le punk à la petite cuillère, l’infernal Wolf, une cuillère de café, une cuillère de thé, non, il veut juste une cuillère d’amour, et Bo Diddley revient avec le sidérant « You Can’t Judge A Book » monté sur une partie de basse démoniaque, mais apparemment, ce n’est pas Big Dix  qui joue sur la version originale. Dans le livret, on a indiqué « bass unknown ». Et pourtant, c’est la basse qui fait la classe du cut. Bo le dingue ! Pur génie. Et après ça s’enchaîne avec du Wolf et du Muddy haut de gamme, on retrouve tous les hits qui ont traumatisé les jeunes Anglais, « I Ain’t Superstitious », « You Need Love », « Little Red Rooster », « Back Door Man », « Hidden Charm » avec un solo fantastique d’Hubert Sumlin, « You Shook Me », avec le travail rampant d’Earl Hooker et soudain, on tombe nez à nez avec Sonny Boy Williamson, l’homme qui avale son harmo. C’est une version démente de « Bring It On Home », avec un strumming digne des géants du rokab et un swing furibard. L’excellence de la merveille ! Derrière, Matt Murphy gratte ses poux. Pur génie, une fois de plus. Et bien entendu, Big Dix est mêlé à tout ça. Le disk 2 se termine avec Koko Taylor, que Big Dix essayait de lancer. Mais Koko a trop de chien, elle frise même la vulgarité, mais il faut essayer de l’accepter comme elle est, puisqu’elle est la protégée de Big Dix. Il chante en duo avec elle dans « Insane Asylum ». Pure merveille. Big Dix sait planter un décor. Ce qu’il fait sur ce morceau est purement extravagant. Koko en rajoute. Ils sont fabuleux. Rien que pour « Insane Asylum », ça vaut le coup de choper la Box.

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             En fait, Big Dix  a eu la chance d’accompagner tous ces interprètes qui comptent parmi les plus grands de l’histoire du rock : Wolf, Muddy, Buddy Guy, Etta James et tous les autres. Dans le Blues Dixionary, on trouve un autre choix de morceaux. On retrouve les ouuuh-ouuuh de Wolf dans « Howlin’ For My Darling », la démence de Buddy Guy dans « Broken Hearted Blues », la fabuleuse pétaudière d’Elmore James dans « Talk To Me Baby », l’arrachage de glotte d’Etta James dans « I Just Want To Make Love To You » et encore une fois, le monstrueux « Back Door Man » de Wolf. Et puis Little Walter décroche la timbale une fois de plus avec « As Long As I Have You », il fait lui aussi le punk avant l’heure, il pousse des ah-ouh et défraie brillamment la chronique.  

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    (Scott Cameron)

             Mais Big Dix sent qu’un truc lui reste coincé en travers de la gorge : les magouilles des frères Chess. Alors il ne lâche plus le morceau, même après la mort de Leonard le renard : « You think of all the time Muddy spent with Chess, he got a few bucks but nothing like the amount of money you’d think he’d have. » C’est Scott Cameron qui met le nez là-dedans lorsqu’il devient le manager de Muddy. Il accepte de mener l’enquête. Il trouve la faille dans le système Chess : ces rats versaient à Big Dix un salaire hebdomadaire en guise d’avance sur les royalties. Donc ils employaient l’auteur et lui versaient une somme ridicule, par rapport à ce que rapportaient les droits d’auteur. Et c’est grâce à cette faille immonde qu’ils ont gagné le procès contre Arc, la société montée par les frères Chess pour encaisser les droits.

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             C’est Horst Lippmann - organisateur de l’American Folk Blues Festival en Europe - qui va secouer le cocotier pour de bon. Horst avait réussi à entrer en contact avec Big Dix et à devenir son ami. Quand il a compris ce qui se passait à Chicago, il a accusé les frères Chess de pratiquer une nouvelle forme d’esclavage. Même leur avocat noir était d’accord avec ce que disait Horst. Big Dix qui assistait à la shoote a blêmi car c’était la première fois qu’il voyait un mec attaquer les frères Chess de front. Leonard le renard était à la fois un père et un exploiteur. Il incarnait le patron blanc des plantations. C’est Horst qui fit basculer la situation. Il rappelait qu’il avait affronté la Gestapo pendant la guerre, alors, les frères Chess ça le faisait bien marrer. « I must say the Chess brothers did a lot for the blues, but they did even more for their own money. That’s okay in a way - only when they do tricky things, then it becomes problematic. » (Je dois dire que les frères Chess ont beaucoup fait pour le blues, mais ils ont encore mieux fait pour leur compte personnel. D’un côté, c’est OK - mais quand ils trafiquent les choses à leur profit, ça devient un problème. »

             Le livre de Willie Dixon est donc l’histoire d’un règlement de comptes, et heureusement qu’il s’en est mêlé, car les frères Chess seraient rentrés dans la légende sans avoir de comptes à rendre, alors qu’ils se sont enrichis sur le dos de pauvres nègres.

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             Et pour finir, on peut aller jeter un œil sur le film de Charles Burnett, Devil’s Fire, volume 4 de la série sur le Blues produite par Martin Scorsese : on y voit Big Dix taper un solo de slap en dansant du cul. Et comme il a un cul énorme, tu es comme marqué à vie par cette séquence. Alors laisse tomber les punks : Big Dix, Bo et Wolf étaient les vrais punks.

    Signé : Cazengler, Willie Picton

    Willie Dixon & Memphis Slim. Catalyst. Every Wich Way. Verve 1960

    Willie Dixon & Memphis Slim. Willie’s Blues. Prestige Records 1960

    Willie Dixon & Memphis Slim. Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon. Folkway Records 1968

    Willie Dixon. I Am The Blues. Columbia 1970

    Willie Dixon. Catalyst. Ovation Records 1974

    Willie Dixon. What Happened To My Blues. Ovation Records 1976

    Willie Dixon & JB Lenoir. One Of These Mornings. JSP Records 1986

    Willie Dixon. Hidden Charms. Capitol Records 1988

    Willie Dixon. Ginger Ale Afternoon. Varese Sarabande 1989

    Willie Dixon. Blues Dixionary. Volume 2. Roots 1993.

    Willie Dixon. The Chess Box. MCA Records 1988

    Willie Dixon & Don Snowden. I Am The Blues. The Willie Dixon Story. Da Capo Press 1989.

    Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

     

     

    Protomartyr de la résistance

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             We’re Protomartyr from Michigan. Laconique, le gros. Pas trop de contact avec le public. Il s’appelle Joe Casey. Comme ses collègues, il se fout du look. Casey porte un costard noir et une chemise noire. Zéro frime. Rien à foutre. Le pire, c’est les pompes.

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    Ils portent tous des pompes atroces, surtout celui qui gratte ses poux juste devant. Le bassman itou. On appelait ça autrefois le look MJC. Mais d’une certaine façon, ça repose de voir des mecs monter sur scène sans vouloir frimer. Les Proto sont des anti-rockstars et du coup, ça les rend éminemment sympathiques. Ils sont là pour jouer. Ils tapent un set d’une rare densité, ça joue à deux grattes, ils donnent une idée de ce que peut donner la modernité dans le Michigan, et ça passe par la violence, mais il s’agit bien sûr d’une violence expressionniste que canalise l’art.

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    Joe Casey chante une canette de bière à la main. Il la fout de temps en temps dans sa poche. Il a une dimension énigmatique, car il ressemble plus à un employé de bureau qu’à un chanteur de rock. Il s’impose à la force du poignet. Pour un gros, il ne transpire pas trop, il luit un peu sous les projecteurs, mais il ne dégouline pas. Il semble complètement en osmose avec son chaos, il déroule son écheveau mécaniquement et passe le plus clair de son temps à beugler dans son micro. Il a une dimension purement gargantuesque.

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    On a parfois l’impression qu’il va avaler le micro, tellement il ouvre sa gueule de shouter apoplectique. Pourtant, il n’en fait pas un spectacle, il ne cherche pas à impressionner avec des regards de fou, il reste dans son climax sonique et palpite comme un gros cœur. S’il avait une gratte, on pourrait le comparer à Frank Black. Ils se contenter de haranguer sans fin. Ils démarrent bien sûr avec un «Make Way» tiré de leur dernier album Formal Growth In The Desert, et dans la foulée, on retrouve d’autres cuts très tourmentés tirés du même album, «3800 Tigers», «For Tomorrow», «Elimination Dances» et plus loin l’excellent «Polacrilex Kid». Et tout va exploser vers la fin avec «Pontiac 87» et «I Forgive You» tirés  de The Agent Intellect.

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     Les Proto montent leur sonic trash à deux grattes au plus haut niveau, celui de l’exultation transcendantale, celle qui entre par tous les pores de la peau. Les deux grattes trament une cisaille intense qui se brûle les ailes, il tapent un rock fusion icarien qui chamboule tellement l’imaginaire que le set finit par prendre une dimension mythologique : il plonge l’auditoire dans la stupeur, comme si l’immense corps carbonisé d’Icare allait tomber lourdement et tous nous écraser.

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             Indéniablement, les Protomartyr de la résistance ont un truc, et plus particulièrement Joe Casey. Il suffit de l’écouter dans «Polacrilex Kid», l’un des hauts lieux de Formal Growth In The Desert, pour s’en convaincre définitivement.

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    Il a les deux mamelles qui font foi, la vraie voix et la big energy. Il chante tous ses cuts à la force du poignet, il établit une dominance spécifique. On l’imagine aisément en seigneur de l’An Mil, avec ses bijoux primitifs et ses fourrures. «Fulfilment Center» sonne comme un belle énormité, balayée par des vents de this is heartbreaking. Les Proto jouent tout à l’envers, à rebrousse-poil. Mais leur vrai fonds de commerce, c’est le Big Atmospherix, tu vois arriver «For Tomorrow» sous des violentes averses de son, même des dégelées royales. Joe Casey tient bien sa voix, elle ne flanche pas. Son Tomorrow résiste bien, car c’est un cut puissant et solide. Avec «We Know The Rats», ils replongent dans leur univers qui est un bel univers. On sent chez eux un goût de l’ostentation, regardez comme je suis balèze, leurs grattés de poux sont d’une rare démence, ils se payent de beaux passages à vide de petite pop à la mode, mais c’est pour mieux rebondir, comme par exemple avec «3800 Tigers», le Casey se hisse au sommet du son. Il lui faut des compos. Ils tapent «The Author» à la cisaille atroce. Ils bricolent leur petit univers de monstres à trois doigts. Vient qui veut. Ils se drapent dans la pourpre impériale de leurs climats sonores.

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             No Passion All Technique restera de toute évidence le meilleur album des Proto. Ça grouille de coups de génie, dans cette marmite. Leur son ne pardonne pas. Ils proposent la version moderne de la fournaise de Michigan, dès l’ouverture de bal, l’«In My Room» te saute au pif, avec un vrai rush de dégelée royale et un final explosif. Cette splendeur irradiée tombe du ciel. Les Proto développent autant de chevaux vapeur que les Pixies. Même sens inné de la démesure. La rafale des coups de génie commence avec «Machinist Man» : power pur, gratté aux entrailles, ça gratte avec des étincelles, il s’appelle Greg Ahee. Les Proto jouent à la relance méphistophélique. Tu n’en es qu’au deuxième blaster et te voilà sidéré pour de vrai. Ils varient les formats, chaque cut est différent du précédent, ils s’enfoncent comme un train fou dans des tunnels et tout explose à nouveau avec «3 Swallows». Joe Casey impose sa présence avec le même aplomb de Mark E. Smith. Format pop sublime, les Proto tapent dans le très haut de gamme. Tout explose en permanence. Encore plus demented, voilà «Free Supper». Greg Ahee cisaille ses poux, ça sent le cramé, et ça reste d’une violence suprême. Suite de la rafale des cuts intemporels avec «Ypsilanti» embarqué ventre à terre, cisaillé aussi sec, ces mecs-là ne s’accordent aucun répit, et voilà l’histoire de Lazare, «How He Lived After He Died», toutes les textures sont richissimes, cousues d’or du Rhin, Greg Ahee joue l’essaim définitif, il n’existe rien d’aussi tendu. Tout aussi passionnant, voilà un «Feral Cats» punchy, avec un riff raff claqué du beignet, c’est complètement explosé au sonic trash, ces mecs-là ne rigolent pas, tout est voué aux gémonies de l’hégémonie michiganne, et boom les voilà dans The Fall avec «Wine Of Ape», mais en plus virulent. Comment est-ce possible ? 

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             Un chien méchant orne la pochette d’Under Color Of Official Right. Toutes leurs pochettes sont très dépenaillées : un gros visuel moderniste, quasiment pas d’infos et le track-listing au dos dans une typo savamment bringuebalante. Inutile de dire que c’est encore un wild album. Avec «Tarpeian Rock», ils sonnent comme The Fall. Greed bastards ! Joe Casey dénonce, comme le fit Mark E. Smith en son temps, même niaque décapante. Tu as clairement l’impression que les Proto te jettent leurs albums en travers de la gueule, c’est en tous les cas l’impression que laisse une première écoute de «Maidenhaed». Tu restes ou tu te casses, c’est simple. Ça vaut le coup de rester. Rassure-toi, ça explose très vite, tu as les grattes de Méricourt, c’est-à-dire Greg Ahee. Et soudain tu réalises que tu te trouvais au pied d’un American guitar slinger de génie. C’est lui autant que Joe Casey qui est l’âme de ce brillant Detroit band. Le cut sur lequel il fait des miracles s’appelle «What The Wall Said». C’est noyé de poux. Greg Ahee persévère inlassablement. Il vole le show en permanence. On observe encore une grande variété d’approches dans un genre connu pour son austérité, la Post. Mais les Proto en font une fontaine DC de jouvence. «Trust Me Billy» sent l’habit noir et soudain, ça explose avec «Pagans», explosé par une dynamique de dynamite power-pop. Encore du Fall de Detroit avec «Bad Advice». Ils n’en finissent plus de tomber dans The Fall. Ces mecs-là vénèrent assez The Fall pour entrer en osmose avec leur esprit. L’album se réveille encore plus loin avec «I Stare At Floors», ils enfoncent le clou de la Post dans la paume du qu’en dira-t-on, bim bam, on entend d’ici les coups de marteau et ce démon de Greg Ahee arrose tout ça d’essaims dangereux. Énorme pression ! Comme le montre encore «Come & See», ils disposent de ressources inépuisables, ils n’en finissent de renaître comme des phénix du rock de Detroit, c’est lumineux et gratté à l’entre-deux. Les structures des cuts sont toutes riches et passionnées. Il terminent avec l’explosif «I’ll Take That Applause». Les Proto ont le power. Ils jettent tout leur dévolu dans la balance et te voilà conquis comme une cité antique.  

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             Orné d’un dieu grec, The Agent Intellect est un fantastique album. C’est un 12/12, ce qui est rarissime. Sur trois cuts, ils sonnent comme The Fall : «Cowards Starve», «I Forgive You» et «Boyce Or Boice». Belle tension, belle pression, c’est plein de vie et de mort, terrific d’übervalles et d’ultra spurge. Joe Casey pose ses mots comme le fait Mark E. Smith. Ils changent de structure à chaque nouveau cut, concassage différent pour «I Forgive You», chant plus pressant, c’est même la harangue de MES, et il entre encore à la MES dans «Boyce Or Boice». Décidément, c’est une obsession. Globalement, les Proto sont des Fall du Michigan. Chacun de leurs albums grouille de vie et d’invention. Voilà le «Pontiac 87» qu’ils tapent sur scène, vite embarqué par Greg Ahee. C’est lui le génie des Proto. Il injecte du fiel dans le cul du Pontiac. Quelle violence ! Et puis tu as le «The Devil In His Youth» d’ouvertured de bal, entrée en matière royale, ils entrent au palais en explosant la porte, tu as tout le power du Detroit punk servi sur un plateau d’argent nommé Greg Ahee. Pur genius, conquérant, voilà un cut gangrené de poux purulents, explosivement beau, monté à la clameur. Joe Casey chante son «Uncle Mother’s» au caoutchouc de la titube, c’est encore en plein dans The Fall. Ils sont effarants d’anglicisme. Même dévolu de va-pas-bien. Ils ramonent jusqu’à l’overdose, avec la puissance d’une marche militaire, sabrée au cristal d’Ahee. Wild world encore avec «Dope Cloud». Wild wild world ! Tout le poids du Michigan, beau et puissant, ils jouent à l’inclination définitive, les climax renvoient au génie sonique des Mary Chain. Assaut différent encore pour «The Hermit». Celui-là est d’une rare brutalité. Joe Casey relance sans fin - I don’t think so ! - Encore du climax purulent avec «Clandestine Time». Ils ne vivent que pour la démesure. Tout le monde sut le pont pour «Why Does It Shake», Ahee et Casey sont les premiers, avec juste derrière eux le big beurre d’Alex Leonard. Ahee ahane bien sur la fin, il répand son sonic trash à l’infini. Ils taillent encore «Ellen» à la serpe de cavalcade. Pur Detroit Sound, extraordinaire vélocité, Casey la veloute à la folie, on retrouve des échos d’Adorable dans cette fournaise. Qualifions ça de Big Atmospherix noyé de virulences. Fausse fin et explosion finale. Ils bouclent avec un «Feast Of Stephen» brisé de la mâchoire dès l’accord d’intro. Ça joue à coups rebondis, avec des dissonances qui te font rêver. C’est hallucinant, tellement ce Feast est drivé et beau, carrossé pour traverser les siècles. 

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             Tu retrouves une espèce d’Isabelle Eberhardt sur la pochette de Relatives In Descent. Le coup de génie de l’album s’appelle «Windsor Hum», qu’ils reprennent d’ailleurs sur scène. Greg Ahee le gratte à l’entêtement. Le cut est hanté par un gimmick tétanique - Everything’s fine - Et ils explosent comme seuls les Pixies savent exploser. C’est saturé d’Everything’s fine. Terrific ! Le beurreman Alex Leonard fait des étincelles sur «Here Is The Thing». Il bat son beurre à la vie à la mort. Il bat sec, très sec, il est encore plus sec qu’un olivier oublié au fond du champ. Il faut bien dire que les quatre Proto de base sont des surdoués. Le deuxième guitariste qu’on a vu sur scène est juste un renfort. «Here Is The Thing» est encore du pur Fall sound. Greg Ahee joue le plus souvent en tir de barrage. Il arrose sans discrimination. On entend presque des accords du Velvet sur «My Children». Greg Ahee y injecte du Fall power. En pur Post, c’est très tiré par les cheveux, vite cavalé sur l’haricot. My children ! Voilà encore un «Caitriona» bien martyrisé. Ils ne sont pas Proto pour rien. Joe Casey chante ça à la sauvette relentless, comme un vieux renard du désert. Bon, c’est vrai que cet album n’a pas le cachet de No Passion All Technique, mais ils cachent la misère avec de soudains accès de fièvre. Ça reste saugrenu de virulence, les tempêtes soniques virevoltent, et l’admirable Joe Casey déclame ses vers décomposés au milieu du chaos. Tu restes en arrêt devant «Don’t Go To Anacita» : grosse attaque, beurre, chant, sonic trash, tu as là un bel avant-goût de l’apocalypse, et plus loin, ils te cisaillent «Male Plague» à la base. Joe Casey sort sa meilleure harangue en hommage à Mark E. Smith. Et pour finir, «Half Sister» te tombe dessus, comme une apocalypse molle. Si tu veux qualifier l’art des Proto d’un seul mot, c’est ‘splash’. Ça te tombe sur la gueule.  

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             Un âne orne la pochette d’Ultimate Success Today. Encore un wild & crazy Proto-disk. Ils donnent le ton dès «Day Without End» : hommage à The Fall. Deux coups de génie se planquent plus loin : «Tranquilizer» et «Modern Business Hymns». Joe Casey chante le premier aux clameurs du carnage. Sonic trash d’hallali atomique, fusion de guerre nucléaire et de barbarie antique. «Modern Business Hymns» explose encore plus, attaqué à la marche forcée, broyé de la cervelle, le Killer Casey danse sa ronde de nuit, il plonge Rembrandt dans les carnages de Goya, il place un couplet mélodique au cœur d’une apocalypse saturée d’ad nauseam. À force de violence sonique, les Proto deviennent héroïques. S’ensuit un «Bridge & Town» insidieux. Cut malsain, qui semble ramper au fond de la pièce. Rock cancrelat. Berk. Osseux. Dissonant. Ils renouent ensuite avec les apocalypses verticales d’Adorable. Effet d’ascenseur. Encore de la Michigan craze avec «Possessed By The Boys». Greg Ahee forever ! Encore plus violent et sans pitié, voilà «I Am You Now», et «The Aphorist» marche sur des charbons ardents. Encore une fois, l’album est très varié. Joe Casey chante tout au punch pur. Les Proto produisent énormément, ce sont des industriels de l’anguleux claustrophobique, tout est fracassé et recollé au sonic trash, alors ça tient et c’est même tout terrain. «Michigan Hammers» ? Comme son nom l’indique. Greg Ahee te claque ça à la clairette du Michigan. Incroyable brutalité du son ! Leurs Michigan Hammers sonnent comme la Post de Mondrian. Ils terminent avec «Worm In Heaven» qu’ils amènent comme un balladif de rêve éveillé - So it’s time to say goodbye - Les voilà dans une ambiance à la Radiohead, on reconnaît la progression d’«I’m A Creep». Joe Casey entre dans ses cuts comme un vrai pro, et avec ses Proto-potes, ils travaillent la matière du rock avec acharnement.  

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             Mis à part le concert et les albums, la rubrique ‘My life in music’ offre un bel éclairage. On la trouve à la dernière page d’Uncut et c’est Joe Casey qui s’y colle. Quand on voit son choix de disques, on comprend tout : pas de post-punk, mais Stevie Wonder, les Pogues et Ghostface Killah. Il rappelle que si tu nais à Detroit, on t’offre un album de Stevie Wonder à ta naissance, mais il reconnaît avoir compris le génie de Stevie Wonder plus tard dans la vie. Il parle même d’une career of masterpieces - To me, Stevie is the quintessential Detroit artist making something great out of what he’s been given - Il dit des Pogues qu’ils sont sa «biggest lyrical inspiration». Il rappelle qu’au lycée, il avait à choisir entre Nirvana et le rap, alors il a choisi le rap - Wu-Tang forever - et c’est par le rap qu’il est arrivé à son «later love for The Fall». Il rend aussi hommage à Tyvek, un groupe de Detroit pas très connu. C’est grâce à eux qu’il est devenu chanteur dans un groupe. Il cite l’album On Triple Beams, sorti sur In The Red la même année que le premier Proto. Bel hommage aussi à Ted Leo & The Pharmacists qu’il voit comme un mélange de «Thin Lizzy, mod, punk, The Pogues, ska and more». Puis voilà les deux cerises sur le gâtö : Rocket From The Tombs (The Day The Earth Met The Rocket From The Tombs) et The Country Teasers (Destroy All Human Life). Il démarre son apologie de Rocket ainsi : «Proof that the Midwest is the best.» Il se dit même fier de ce qui vient d’Ohio. Le Rocket le connecte à «Pere Ubu, The Dead Boys, Peter Laughner, it was all there.» Il se dit chanceux d’avoir vu la reformation de Rocket sur scène à Detroit, avec Richard Lloyd, «and it remains my favourite concert experience.» L’hommage aux Country Teasers permet de comprendre la grandeur d’un album comme No Passion All Technique. Pour Joe Casey, les Teasers allaient plus loin que Wire et The Fall - The Teasers are the real deal - Deux des cuts de Destroy All Human Life («Golden Apples» et «David Hope You Don’t Mind») sont «two of the best songs ever». Voilà ENFIN un fan des Country Teasers.

    Signé : Cazengler, Protozoaire

    Protomartyr. Le 106. Rouen (76). 28 octobre 2023

    Protomartyr. No Passion All Technique. Urinal Cake Records 2012

    Protomartyr. Under Color Of Official Right. Hardly Art 2014

    Protomartyr. The Agent Intellect. Hardly Art 2015

    Protomartyr. Relatives In Descent. Domino 2017

    Protomartyr. Ultimate Success Today. Domino 2020

    Protomartyr. Formal Growth In The Desert. Domino 2023

    John Casey : My life in music. Unct # 316 - September 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Bettye n’est pas une lavette

    (Part Two)

             L’avenir du rock lance régulièrement des invitations à dîner. Lorsque ses amis arrivent, ils commencent par papillonner dans le salon. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils n’en finissent plus de s’extasier. Ils poussent des oh et des ah d’admiration, ils rivalisent de surenchère, ils chantent des louanges et des louanges à n’en plus finir, oh ben ça alors, fait l’un, oh bah dis donc, fait l’autre, ils n’arrêtent pas ! L’avenir du rock les implore de revenir au calme. En vain. Leurs pépiements ne font que redoubler. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils frisent tellement l’hystérie collective qu’ils ne voient même pas la mine fermée de leur hôte. Il ne cache plus son agacement. «C’est la dernière fois que je les invite», se dit-il en grinçant des dents. Il tente une manœuvre de diversion en servant l’apéro. Mais ça repart de plus belle !  Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Les voilà qui s’extasient à la contemplation des verres. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! «Quel éclat !», fait l’un. «Quelle mirifique transparence !», fait l’autre. C’est exaspérant. Ils ne complimentent pas l’avenir du rock sur ses choix musicaux ou sur la splendeur de son état de santé, non, ils le complimentent sur la tenue de sa maison, sur la propreté des verres et des carrelages, sur la translucidité des baies vitrées donnant sur les toits de Paris, ils s’extasient sur la netteté parfaite des surfaces qu’aucun grain de poussière ne vient contredire, ils s’ébahissent de l’imposante maturité du cuir de cet immense Chesterfield, ils disent renoncer à trouver le moindre défaut, ils vont même jusqu’à prétendre qu’aucune araignée n’est possible dans cette vaste pièce si magnifiquement entretenue. Et comme ils savent se montrer taquins, ils balancent une petite vanne :

             — Dommage que tu ne sois pas un trave, avenir du rock, on t’aurait appelé la fée du logis et on t’aurait pincé les fesses...

             — Gardez vos ambivalences pour vous, messieurs les pâmés.

             — Nous diras-tu le secret de ton immaculée conception domestique ?

             — Bettye LaVette !

     

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             Si Bettye LaVette savait quel usage on fait des lavettes en France, elle changerait de nom. Bettye est une très jolie femme. Elle ne supporterait pas qu’on l’assimile à une petite serpillière, ou pire encore, à une lavette, c’est-à-dire une couille molle, pour dire les choses crûment. 

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             On chantait ses louanges récemment tout au long d’un Part One bien dodu, et on va les rechanter de plus belle pour saluer la parution de son nouvel album, le sobrement nommé LaVette!. C’est d’autant plus un big album qu’il est produit par le remplaçant de Charlie Watts dans les Rolling Stones, l’éminent Steve Jordan, gage à deux pattes de bon goût et de gros son. C’est lui qui est derrière les X-Pensive Winos de Keef Keef bourricot. Bettye nous cueille dès l’arrivée avec «See Through Me». Elle traîne encore quelques vieux restes de Tina, mais elle tente quand même d’exister pour elle-même. Elle a des accents intéressants de vieille Soul Sister, elle chante toujours un peu au bord du précipice. Elle adore nous faire peur et tituber dans le vent tiède du groove. Des Esseintes dirait d’elle qu’elle chante d’une voix d’éclat éteint. C’est très spécial. Elle est beaucoup plus abîmée qu’il n’y paraît et ça la rend encore plus désirable. Bettye est beaucoup d’essence baudelairienne qu’huysmanienne. Elle enchaîne avec un vrai coup de génie en forme d’avertissement : «Don’t Get Me Started». Elle sait driver le wild r’n’b à merveille. Elle est experte en termes de manipulation du hard on. Fabuleuse Bettye ! Stevie Winwood l’accompagne au B3 sur ce coup-là. C’est un groove puissant et roboratif. L’autre standout track de l’album s’appelle «Mad About It». Tu y retrouves la Bettye en lunettes noires et tu as le groove de Steve Jordan entre les reins. On peut même dire que ça groove au son d’Hi. Elle manœuvre ça dans les moiteurs, sous le boisseau. Elle sait rester très directive. Tiens puisqu’on parlait du loup d’Hi, voici le Rev. Charles Hodges au B3 sur «Sooner Or Later». Bettye a du beau monde derrière elle. Son Sooner est un heavy stuff, elle s’en étrangle de plaisir, c’est une virtuose du râle, elle sait jouer de sa glotte experte, elle règne sans partage sur Saba, aucun doute là-dessus. Elle chante encore son «Plan B» comme une vieille locataire neurasthénique, elle a cette voix acariâtre qui fait la grandeur du has-beendom. Chaque cut est pour elle l’occasion de ramener sa voix de vieille revienzy. Elle en joue éperdument. Sur «Concrete Mind», elle sonne comme une vieille casserole. Elle n’a jamais perdu ni son bric, ni son broc. Bettye est une délicieuse survivante, une fantastique followeuse of the faction. C’est la raison pour laquelle il faut la suivre à la trace. Son authenticité ne fait pas le moindre doute. Avec «Hard To Be Human», Steve Jordan lui tape un hard funk dans le dos. Elle retourne la situation à son avantage. Elle va très vite en besogne. Elle se prête bien au jeu du big fat funk de wild-a-gogo. Mais elle refait sa Tina avec «Not Gonna Waste My Love». C’est plus fort qu’elle. LaVette fait sa tinette. Elle n’est plus à ça près. Elle va tout gâcher en ne voulant plus rien gâcher. Va-t-en comprendre.

    Signé : Cazengler, pauvre lavette

    Bettye LaVette. LaVette! Jay-Vee Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Plein les Mirettes

             Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Lady Minette n’avait rien de câlin. Oh ce n’était pas son genre ! Forte femme, Lady Minette ne s’intéressait qu’à l’intelligence des gens. Elle n’avait aucune indulgence pour les cons et les m’as-tu-vu. Elle œuvrait au sein d’organisations diverses, souvent d’extrême-gauche, et possédait plusieurs domaines aux alentours de Paris, dont un moulin célèbre pour ses soirées littéraires. Lorsqu’elle se trouvait à Paris, elle recevait ses amis pour dîner dans un appartement labyrinthique du quartier de la Gare de Lyon, puis à une autre époque, elle s’éprit de Belleville et y élut domicile. Elle ne recevait plus chez elle, mais dans les restos chinois du quartier dont elle connaissait les propriétaires. Son expertise des réseaux facilitait grandement les choses. Elle se disait femme de ressources. Elle appréciait beaucoup les Chinois, car ils savaient comme les Corses régler n’importe quel type de problème, du plus simple au plus épineux. Sans vouloir en dire trop, elle m’expliqua un soir, dans un resto de karaoké, que tout fonctionnait par échange de services. Comme elle connaissait des hauts fonctionnaires, des académiciens, des dirigeants de grandes entreprises, elle disposait d’un éventail de solutions qui valait largement celui que proposaient ses amis chinois. Lady Minette semblait sortir tout droit d’un roman du XIXe siècle, elle était sans doute la dernière descendante d’une longue lignée d’intrigantes. La seule différence, c’est qu’elle ne couchait pas avec ses contacts. Personne ne savait rien de sa vie privée. Elle portait le cheveu coupé court, à la garçonne. Au milieu de son visage parfaitement rond trônait un nez en trompette. On ne pouvait détacher le regard de ses yeux clairs, d’un bleu presque transparent. Elle incarnait à la fois le père et la mère qu’on rêvait d’avoir, alors que par nature et par idéologie, elle restait définitivement hermétique à tout ce fatras d’imbécillités. Il ne serait jamais venue à l’idée de Lady Minette d’enfanter. Mentorer, oui, mais certainement pas enfanter !

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             Lady Minette aurait adoré les Mirettes, ça ne fait aucun doute. Elle adorait par-dessus tout les gens de caractère et les Mirettes sont des Soul Sisters de caractère. Si veux t’en mettre plein les Mirettes, tu as trois possibilités : soit tu rapatries leurs deux albums parus à la fin des sixties, soit tu tapes dans les compiles Northern Soul et tu les croiseras, notamment dans Cream Of 60’s Soul. Si tu t’en fous plein les Mirettes, c’est à cause de Venetta Fields, qui fit partie - avec Robbie Montgomery et Jessie Smith - de la première vague d’Ikettes qui, après s’être mutinée, fut remplacée par une deuxième vague dans laquelle tu avais P.P. Arnold, Gloria Scott et Maxine Smith. Venetta fit ensuite partie des Blackberries, les trios de backing singers d’Humble Pie. Venetta Fields est une star, mais très peu de gens le savent.

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             Tu en prends vraiment pour ton grade quand tu écoutes In The Midnight Hour, un beau cartonné US paru en 1968. Tu as tout de suite les voix et les chœurs Motown, aussitôt le «Take Me For A Little While» d’ouverture de bon balda. Tu sais tout de suite que tu entres sur un big album et les sexy girls que tu vois au dos de la pochette vont te jerker la paillasse. Elles sont de-men-ted ! Elles montent vite en pression. Il faut entendre Venetta exploser «The Real Thing». La qualité de leur Soul est effarante. Elles tapent encore dans le mille avec «I’m A Whole New Thing» et si tu vas traîner en B, tu vas tomber sur une cover magistrale de «Keep On Running». Pas de basse fuzz, mais des Mirettes. Elle passent pas en-dessous du boisseau, avec une basse bien ronde et elle te dégomment ça vite fait, ah les garces ! Elles compensent l’absence de fuzz par de la niaque. Elles terminent par une belle version d’«In The Midnight Hour» à la Mirette immaculée. Venetta tape dans le tas. 

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             L’année suivante paraît un nouvel album, le supra-excellentissime Whirlpool. Le coup de génie se trouve au bout de la B des cochons et s’appelle «O Miss You Babe (How I Miss You)», un fantastique jerky jerk de Mironton Mirontaine, tu en prends plein la barbe, elles développent un énorme jive de r’n’b, c’est ce qu’on appelle le pur genius de since you’ve been gone, on ne peut pas échapper à ça, elles le montent bien au sucre et c’est propulsé par l’énorme beat local. Et pour sandwicher tout ça, tu as en ouverture de balda l’effarant «Sister Watch Yourself», un heayv popotin motorisé à la Motown, Sister, watch yourself !, c’est bien dans la ligne du party. Elles y vont les copines, et ça continue avec le heavy groove de «Somethin’s Wrong», suivi du morceau titre attaqué au hard Soul Sistering, alors la Venetta y va, elle te groove sa chipolata sous le boisseau du meilleur popotin, tu peux lui faire confiance, elle a fait ses armes dans les Ikettes, alors elle sait de quoi elle parle. C’est excellent, au-delà de toute expectitude. Pas la peine d’aller chercher ailleurs, tu as toute la Soul de tes rêves sur cet album. Elles bouclent ce véhément balda avec «At Last (I Found A Love)», classique et bien vu, oh si bien vu. Clarence Paul te produit ça comme un cake, et on peut ajouter, pour faire bonne mesure, que Marvin Gaye co-signe cette petite merveille de fort tempérament. C’est dingue comme les Mirettes sont bonnes ! Mais dingue ! On ne comprend pas qu’elles soient passées à l’ass, comme d’ailleurs Honey Cone et les Velvelettes, qui étaient le temps d’un hit les reines du monde. Les Mirettes repartent de plus belle en B avec l’effarant «Heart Full Of Gladness», encore un heavy popotin de type Motown, elles dégagent autant d’air qu’Aretha, et c’est pas peu dire, elles te roulent leur r’n’b dans la farine de Motown et elles te montent ça en neige au aaaahhhh d’Aretha. S’ensuit «Ain’t You Tryin’ To Cross Over», une petite Soul plus sucrée mais fabuleusement embarquée pour Cythère. On ne les quitte plus d’une semelle, elles ont le même genre de punch que les Sweet Inspiration de Cissy l’impératrice. Aw my Gawd, il faut les voir régner sur la terre comme au ciel. Encore un coup de baume au cœur avec «Stand By Your Man», un slow groove tellement Southern, qu’on le croirait sorti de Muscle Shoals, et c’est en plus chanté avec des accents d’Aretha, au petit sucre des backwoods confédérés, là où se planquent encore les bataillons de fantômes rebelles.

    Signé : Cazengler, miraud

    The Mirettes. In The Midnight Hour. Revue 1968

    The Mirettes. Whirlpool. UNI Records 1969

     

     

    Taj à tous les étages

     - Part Two

     

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             Printemps 68. Le disquaire caennais te met Taj entre les pattes. «Tiens ! Écoute ça !». Au lycée, on commence à s’agiter. Le copain Yves vend des cartes d’adhésion au fameux CAL, le Comité d’Action Lycéen. Comité radical de lutte armée. Et le copain Pierrot roule en BSA. Et l’autre copain Yves prend des cours de guitare classique dans le but de monter un groupe. Tout semble bouger en même temps, surtout la musique de ce blackos inconnu qu’on voit, sur la pochette, assis dans une chaise avec sa gratte, devant une belle maison en bois peint. La musique grouille, à l’image des oiseaux et des papillons qui volent autour du mystérieux Taj Mahal.

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             Il s’agissait du premier album de Taj Mahal sur CBS. Au dos de la pochette on trouvait les noms d’autres inconnus, Jesse Ed Davis et Ry Cooder. Il y avait aussi trois reprises d’un autre inconnu, Sleepy John Estes. À l’époque, on ne faisait pas le cake, on ne savait pas grand chose. On se contentait de découvrir. Par miracle, le disquaire était un bon. Taj Mahal ouvrait le bal avec un fantastique « Leaving Trunk » porté par une bassline extrêmement dynamique. Avec ce premier cut, Taj Mahal devint un héros. Il chantait au guttural joyeux et donnait de bons coups d’harp. Il enchaînait avec « Statesboro Blues », un fabuleux groove de blues à la limite du rock-gospel-country-funk-screamin’ jive, si tu vois ce que je veux dire. Un vrai son, goulayé à la cantonade - You know I love that woman/ The better woman I’ve ever seen - Encore une fantastique reprise de Sleepy John Este, « Everybody Got To Change Sometimes », une véritable horreur évolutive montée sur une bassline cavaleuse. Il faut saluer l’omniprésent James Thomas derrière sa basse. C’est un voyageur aussi infatigable qu’impénitent. Il cavale sur l’haricot de son manche. En B, Taj claque son « Dust My Broom » et revient à Sleepy avec « Diving Duck Blues ». Il finit cet album magistral avec un hommage à Robert Johnson, « The Celebrated Walking Blues ». Ry Cooder y joue de la mandoline et c’est très beau car Taj va chercher l’esprit du blues dans l’essence même de la pulpe.

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             La suite de ce petit chef-d’œuvre s’appelle The Natch’l Blues. La pochette anglaise est sidérante, avec un Taj cadré en gros plan : il porte ses lunettes noires, son chapeau de caballero et il tire sur sa clope. Black dandy, un brin hendrixien. Dandy de la frontière. Le son est beaucoup plus traditionnel, on l’entend gratter son banjo et envoyer des coups d’harp. Il faut attendre « I Ain’t Gonna Let Nobody Steal My Jellyroll » pour renouer avec la classe du premier album. On retrouve le raunchy, le plein-comme-un-œuf qui en faisait la grandeur. Il renoue avec l’excellence de l’appartenance. Taj avance en vainqueur. Il passe ensuite au heavy blues avec « Going Up To The Country Painting My Mailbox Blue ». Il y ajoute cette véracité qui nourrit la vraie histoire du rock. Taj privilégie le velouté du groove, l’ampleur du meilleur et le suif du swing. S’ensuit une autre pièce de groove extraordinaire, « Done Changed My Way Of Living ». Il offre là tout le rudiment du blues d’antan, le vieux butt-shaking des juke joints. En B, se planque une pure merveille de blues psyché : « The Cuckoo ». Taj ramène toute sa science du blues dans cette intervention radicale.

             Très vite, Taj Mahal va se heurter à un problème : les gens de l’industrie du disque lui demandent de se positionner : « Mr Mahal will you please get in the box ? », à quoi Taj répond : « No, thank you, it doesn’t fit me ! ».

             Alors, quand on tombe sous le charme de ses deux premiers albums, on décide de le suivre à la trace. Ce sera parfois difficile, car Taj Mahal va en effet passer sa vie à explorer las racines profondes du blues et taper dans les connections avec le gospel, le latino, le r’n’b, l’Africana et nous emmener faire un tour dans ce qu’il existe de plus primitif. Il finira même par s’habiller comme ses ancêtres, en vêtements africains. C’est un voyage étonnant à travers l’histoire du blues, au moins aussi étonnant que peut l’être la belle série des sept films consacrés eux aussi à l’histoire du blues, que produisit Martin Scorsese.

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             On a évoqué l’épisode Rising Sons dans un Part One. Pour Columbia, le split des Rising Sons n’était pas grave. L’essentiel était de conserver Taj Mahal sous contrat. Alors Taj va enfiler les albums comme des perles.

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              En 1969 paraît Giant Step/De Ole Folks At Home. Taj se dresse sur la colline, toujours habillé en dandy de la frontière, chapeau, foulard rouge et énorme boucle de ceinturon. Il reprend le « Take A Giant Step » de Rising Sons et gratte son banjo. Il revient au blues avec « Give Your Woman What She Wants » et il a diantrement raison, car c’est une petite fournaise. Il chauffe ça à coups d’harp. Il prend une version de « Good Morning Little Schoolgirl » très rootsy. Sans doute la version la plus intéressante qu’on ait entendue depuis des lustres. Puis il donne une petite leçon de boogie blues éclairé avec « You’re Gonna Need Somebody On Your Bond », vrai swing californien, un modèle du genre, effrayant de direction et de maîtrise. On trouve en B un petit groove à la ramasse qui s’appelle « Farther On Down The Road » et qui révèle une petite tendance paradisiaque. Taj Mahal est une sorte de magicien, son groove coule tout seul et il chante ça avec le pire feeling qui soit. On se régalera aussi du « Bacon Fat » embarqué par une bassline de dingue, Taj rigole - hé hé - il sait pourquoi il rit. Comme l’indique son titre, le deuxième disque de ce double album se situe plus au bord du fleuve. Taj gratte son banjo et échappe à tous les formats. Il s’amuse bien. Il fait un « Stagger Lee » à la sèche des bois et il nous claque ça sec. Il tape aussi « Cajun Tune » à coups d’harp, et au fil des cuts, il devient de plus en plus primitif. Taj va aux roots avec une classe insolente.

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             The Real Thing est le dernier album où il apparaît sous une allure afro-américaine. C’est un album live. Il y gratte encore du banjo, et avec « Fishin’ Blues », il revient aux sources. Taj sifflote le groove dans « Ain’t Gwinen To Whistle Dixie ». Le Fillmore tape des mains car c’est un bon gospel, et derrière Taj, ça cuivre sec. Avec « Sweet Mama Janisse », il explose le contrat. C’est un boogie-blues infernal qu’on retrouvera tout au long de sa carrière. Il y balance un solo de banjo et derrière, ça pulse aux trombones des gémonies et à la basse funk. Démence pure ! Taj fait jerker le Fillmore ! Avec « Big Kneed Gal », il attaque le blues de charme. Taj est un fin renard. Il crée les conditions de la magie en feulant le blues. Il attaque « Tom And Sally Drake » au banjo des Appalaches et revient ensuite à son vieux « Diving Duck Blues ». Il en tire un jus de rumble de r’n’b effarant. Il chante aussi « John Ain’t It Hard » avec le feeling du diable et derrière lui, ça souffle dans des tubas. Sur ce live, tout est extraordinaire d’invention et de densité. Quel artiste !

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           Quand tu ouvres la pochette d’Happy Just To Be Like I Am, tu vois Taj jouer de la flûte dans un champs moissonné. Ambiance de sol jaune et de ciel bleu. Le morceau titre de l’album est chargé de toutes les dynamiques internes que l’on peut imaginer. Taj fouille l’innovation. Il secoue son cut comme un cocotier, il tend ses syllabes et ça devient vivant comme un vivier. Ça grouille de vie. Incroyable mais vrai ! « Stealin’ » est un blues qu’il attaque au banjo. Il adore ce vieux banjo qui remonte comme un saumon à contre-courant du blues. Son blues est prodigieusement dégingandé. En fait, Taj Mahal invente un style de blues, une sorte de blues de cabane tajique qui reste incroyablement persuasif. Puis il passe à la flûte pour jouer « Oh Suzanna », une vraie merveille de boogie original. Il réinvente tout. Son boogie grouille de vie. Il œuvre comme un visionnaire. Taj Mahal cultive le même genre de génie que celui cultivé jadis par Ronnie Lane. « Eighteen Hammers » ? Oh yeah ! Il va chercher l’incroyable profondeur du delta dans les dix-huit hammers. Voilà du primitif définitif. Derrière lui, les autres jouent sur des casseroles. En B, on tombe sur un gros boogie soufflé aux tubas, « Tomorrow May Not Be Your Day ». On sent qu’ils sont nombreux, au moins quatre à souffler comme des brutes. Taj Mahal est un artiste complet. On n’en finira plus d’explorer son œuvre. Il reprend l’« Hey Gyp » de Donovan pour en faire « Chevrolet » et ça rebascule dans le génie. Harp ! Taj s’approche avec un côté suave, mais en réalité, c’est un puissant démon noir. Comme tous ses hits, « West Indian Reservation » a une coloration particulière, effrayante d’énergie et de modernité. Il ne lâche rien. Sa musique lui appartient. Il reste intense de bout en bout. Il joue « Back Spirit Boogie » au bottleneck de la rivière et il y va de bon cœur. Il fait claquer ses coups de slide pendant une éternité. Avec ce cut, il marque l’affirmation maîtrisée du boogie d’instro de fin de parcours. 

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             Sur la pochette de Recycling The Blues & Other Related Stuff, il est photographié en compagnie du vieux crapaud Mississipi John Hurt. Fantastique image de filiation. Taj gratte son banjo dans « Ricochet » et refait « Délivrance » à lui tout seul. Il fait aussi du gospel avec « A Free Song ». Il claque des mains et le public claque des mains. S’ensuit une énorme version de « Corinna » qu’il tape dans le haut de gamme interprétatif. Les Pointer Sisters l’accompagnent sur « Sweet Home Chicago » et ensemble ils produisent un blues de la meilleure qualité johnsonienne. Les Pointer Sisters l’accompagnent aussi sur « Texas Woman Blues ». Elles jettent du swing dans l’extraordinaire crunch de Taj. Pur génie, et Taj monte ses syllabes au chat perché pourri de feeling, alors on atteint des sommets. C’est même Taj qui joue de la stand-up !

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             Pas mal de merveilles aussi dans Sounder, et notamment « Needed Time », un gospel sacré de Lightnin’ Hopkins. Il va piocher au plus profond de sa condition humaine pour recréer l’Americana. Sur « Sounder Chase A Coon », il joue de l’harp et se perd dans l’antiquité. Il reprend ensuite « Needed Time » au banjo et murmure au bord du chemin. C’est effroyablement inspiré. Au fil de l’album, on le voit s’enfoncer dans un mélange d’antiquité et d’Americana. Il claque même une version de « Motherless Children » au bâton. Absolument dément. Avec « Jailhouse Blues », on est dans le très ancien, le très lent et le très fatigué. Il revient aussi aux chants des champs avec « Just Workin’ » - Lord early in the morning - Des filles charrient le groove et ça claque des mains. Avec « Two Spirits Revisited », on se croirait dans une fable antique de Pasolini, car Taj joue de la flûte grecque ancienne, il sonne comme un pâtre macédonien. Et avec « David Runs Again », il banjote comme un démon. Mais on sent qu’il se perd dans des mondes parallèles. Avec « David’s Dream », il retourne dans l’antiquité et s’y perd pour la postérité.

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             Le voilà donc complètement africanisé pour Ooooh So Good ‘N Blues. Les Pointer Sisters sont toujours là et l’accompagnent sur « Little Red Hen », pur gospel batch qui vire au gospel des champs, et Taj gratte son banjo par-dessus tout ça. S’il en est un qui respecte l’esprit du blues agricole, c’est bien Taj ! Il va chercher « Oh Mama Don’t You Know » au feulé du primitif. Il claque ses notes dans le néant de l’éternité. Les Pointer Sisters volent de nouveau à son secours dans « Frankie & Albert ». On se retrouve une fois encore dans le blues supérieur claqué à l’ongle sec. L’incroyable de toute cette histoire, c’est qu’un black réussisse à réinventer l’Americana. Taj gratte son dobro pour « Railroad Bill » et il devient le maître des Appalaches en boubou nigérian. Il fait danser les ours et les castors. Il tape une version incroyablement primitive de « Dust My Broom ». Il fallait oser. Taj gratte avec des séquelles. On se retrouve dans le wagon avec les hobos. Taj crée de vraies atmosphères, ce n’est pas un baratineur. Il sort le vrai truc. Il gratte comme un con, avec une sorte de rage épouvantable. C’est effarant de son sec d’affluence de la prescience. Puis il rend un hommage assez spectaculaire à Big Dix en reprenant « Built For Comfort » en boogie de stand-up. C’est comme on s’en doute bien ravageur. Et il boucle cet album sidérant avec « Teacup’s Jazzy Blues Tune » qu’il slappe, accompagné par les Pointer Sisters. Encore une fois, c’est digne de Pasolini, d’autant qu’il siffle. C’est très directement lié à l’antiquité de Saint-Germain-des-Prés, avec des clochettes et du do-bee-ya-bam. Superbe de fantômisation. Doo-bee ban dam bond ! Pur génie des catacombes. Il ne manque plus que Juliette Greco et Miles Davis.

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             Plus on avance dans l’univers de Taj Mahal et plus on comprend qu’on ne sortira pas indemne de ce voyage. Car voilà Mo’ Roots paru l’année suivante, encore un album fantastique. Il nous emmène aux Caraïbes avec « Black Jack Davey » le pirate. Le travail qu’il fait sur ce cut est exceptionnel : il tire ses syllabes dans les effluves des cocotiers et c’est battu aux tambours des îles. Admirable. La fête continue avec « Big Mama » et là Taj se fâche ! Il joue les gros bras et se prend pour Deep Purple. Il nous sort un gros groove pulsatif noyé d’orgue et des can you can you terriblement agressifs. Il fait un r’n’b de premier niveau. Soudain, il se met à jerker la cambuse comme une Soul Sister ! Puis il attaque « Cajun Watte » au piano - My negresse voulez-vous danser avec moâ voulez-vous danser hé hé - fantastique pièce de rêve cajun. Plus loin, il revient au r’n’b avec « Why Did You Have To Desert Me », encore un groove extraordinaire des îles. Taj chante en espagnol sur un groove dément. Il chante comme l’espion des pirates de la mouzica. C’est le beat des pirates ! Énergie et envergures sont les deux mamelles de l’espion des pirates, et le groove explose littéralement.

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             Une toile représentant des danseuses africaines orne la pochette de Music Keeps Me Together. Quelle énormité que ce morceau-titre ! On a là une pièce de groove africain coloré de sax free, avec en prime le timbre blanc de Taj Mahal - blanc au sens de la voix blanche, évidemment - Avec ce groove de flûte, on retrouve le mélange de Guinée et de Grèce antique, avec en plus du sax en fusion. Taj sublime l’énormité. « Aristrocracy » libère une énergie considérable. Il gratte ça au banjo de saloon. Et avec « Roll Turn Spin », il revient aux Caraïbes. Il se lance dans un beau groove antillais qu’il gratte à la dévastatrice. L’énergie des îles peut tout balayer. Il fait pas mal de reggae sur cet album et il faut attendre « Why And We Repeat Why And We Repeat » pour renouer avec le groove soufflé au sax. Embarquement pour le cosmos. On se retrouve dans la chair à saucisse d’un groove énorme. Ça jazze dans le jive. On voit rarement des grooves d’une telle violence et d’une telle jazz class. Côté gratte, c’est de la folie pure, il faut écouter Taj Mahal, car ses disques réservent pas mal de surprises. « Why And We Repeat Why And We Repeat » relève encore une fois du génie à l’état pur.

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             On le retrouve un an plus tard avec Satisfied ‘N Tickeld Too. Il a maintenant une tête d’Antillais. Il fait du reggae carribéen de haut niveau. Il chante d’une voix douce et colorée. Il nous sort un groove d’exotica qui flirte avec l’enchantement. Taj Mahal a le sens des choses dépareillées. Il ramène le rooster, rooster, rooster, c’est le roi du désarroi - I love you sweet mama - Sa chanson est fabuleusement fraîche et fruitée. Pas étonnant, puisque ça vient d’un artiste qui s’est écarté des feux de la rampe pour cultiver les racines. Il est tellement relaxé qu’il siffle. Il attaque ensuite « New E-Z Rider Blues » en posant ses conditions. Il va chercher du groove dans les chœurs des sisters. Fantastique explosion. Wow ! Nous voilà au cœur de la Soul californienne. Tous les albums de Taj Mahal sont des aventures extraordinaires. Avec « It Ain’t Nobody Business », il titille l’Americana - Champagne don’t drive me crazy/ Cocaine don’t make me lazy - Il fait un boogie business de bastringue digne des blancs. On revient au grand air des Caraïbes avec « Misty Morning Ride » et ça décolle. Taj donne de la voile. On file au vent des îles. C’est merveilleux car gratté à la vie à la mort. Avec « Easy To Love », on croirait entendre Earth Wind & Fire ! C’est du funk flûté de première main. Sacré Taj, il tourne tout à son avantage. Puis il dégringole « Old Time Song » à la désaille du blues. Taj le magicien revient aux percus pour « We Tune » et tout redevient joyeux et vivant. On a même de la pompe manouche !  

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             Attention à ce double album intitulé The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973, car il renferme de la dynamite, et notamment un « Sweet Mama Janisse » enregistré en 1970 à Miami avec les Dixie Flyers qui étaient alors salariés par Jerry Wexler pour accompagner les artistes signés sur Atlantic. Cette version est littéralement explosive. Les Dixie jouent le groove de la cabane de Memphis, monté sur un riff préhistorique. C’est hallucinant de vermoulu. Il y a là-dedans tout le cajun, tout le rock et tout le banjo du monde, y compris le beat du diable. Taj en fait une pièce d’antho à Toto. Dans la même session, ils ont aussi enregistré « Yan-Nah Mamo-Loo » et on reste au cœur du rythme, on reste dans le cut de cot cot, c’est tellement énorme qu’on finit par raconter n’importe quoi. Taj souffle dans son harmo et Tommy McClure sort un drive de basse infernal. Quelle déballonnade ! Les Dixie Flyers font exploser le langage. Ils nous plongent dans les conditions ultimes du groove. Charlie Freeman gratte ses poux. Cette session est tellement bonne qu’elle efface complètement les autres rassemblées sur le premier disque. Le second disque est enregistré live au Royal Albert Hall. Taj ramène le bord du fleuve à Londres et gratte « John Ain’t It Hard » au banjo. C’est du pur « Love In vain ». Puis il reprend son fabuleux « Sweet Mama Janisse ». Jesse Ed Davis et d’autres mecs l’accompagnent. On retrouve l’histoire de cette woman qui come from Louisiana. C’est allumé dès l’intro. Voilà le hit du Taj. Alors il y va. Ils font aussi une version du « Diving Duck Blues » qui est sur le premier album. C’est sacrément troussé. Pas le temps de discuter, ces gens-là vont très vite.

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             Et puis Taj Mahal va égrener au fil des décennies une série d’albums pour le moins fascinants, comme par exemple Music Fuh Ya, paru en 1976. Il tape dans le vieux mythe du blues de train avec « Freight train ». Il envoie ses coups d’ahrmo sonner dans la nuit des temps. On sent que c’est gratté aux arpèges du diable. Aucun être humain ne sait jouer comme ça et les coups d’harmo instillent une certaine frayeur. Il passe au jumpy jumpah avec « Baby You’re My Destiny ». Ce coquin de Taj nous ramène à la Nouvelle Orleans. Il sait lancer les dés et provoquer le destin - Sugar & spice, you’re so nice - C’est terrible car pulsé à la pompe jazzy. La voix de Taj se pose là-dessus comme une cerise sur un gâtö. Wow ! Il part en virée jazz, mais pas le petit jazz du coin de la rue, non le jazz de Bob le baobab shooba dibah doo. Il enchaîne avec « Sailin’ Into Walker’s Cay », un merveilleux swing de groove du paradis des îles. De toute évidence, le but de Taj est de nous emmener là où il fait bon vivre. Puis il chante un groove universel intitulé « Truck Driver’s Two Step ». Oui, il chante ça à la purée de voix géniale. Il revient avec ses ahhh yeahhh et nous rappelle au passage qu’il est un grand sorcier.

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             Alors que les punks déferlent dans les rues de Londres, Taj enregistre la BO de Brothers. Ouverture terrible avec « Love Theme In The Key Of D ». On sent le Taj un peu édenté à la remorque du meilleur blues fruité d’Amérique. Un sax vient poivrer le cut. Terrible, car il traîne et se veut fantastique de tajerie épuisée sur les chemins de traverse - oh yeah sugar sweet - Taj joue le blues à sa façon. Ça donne un blues hanté par l’inspiration. Les gens devraient comprendre. Il faut apprendre à aimer Taj Mahal. Quand il chante « Brother’s Doin’ Time », il s’implique pour ses brothers les taulards. Puis il revient au groove de rêve avec « Night Rider ». Il joue ça à la Taj, forcément. Il en fait un groove joyeux et gorgé de bon jus - ooooooohhh - et c’est gratté aux guitares. Il revendique l’impossible liberté dans « Free The Brothers ». La liberté pour les esclaves ? Foutu d’avance ! Même lui, grand sorcier Taj Mahal, n’y comprend rien. Comment les nègres d’Afrique ont-ils pu accepter l’esclavage ? C’est tellement incompréhensible. Mais oui, tout simplement parce que les noirs sont supérieurs en tout : en danse, en rythme, en musique. Sauf en business, hélas. Ou tant mieux. Son « Centidos Dulce (Sweet Feelings) » regorge de jus d’exotica fantastico. Il termine cet album superbe avec « David & Angela ». Au bout d’un moment, Taj laisse tomber. Alors ça continue en instro. Il a raison de quitter le studio. Inutile de continuer à engraisser les blancs.

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             Evolution paraît la même année. Il attaque avec « Sing A Happy Song », un petit cut sautillant. Taj excelle dans la constance. On sent qu’il va bien. Il porte un chapeau blanc et une chemise hawaïenne. Il pose au dos de la pochette accroupi sur un rocher de l’île. Il connaît les bons coins. Pour « Queen Bee », il va chercher un son à cheval entre l’îlien et l’africain. Il s’amuse à brouiller les pistes pour mieux illuminer son groove. On tombe plus loin sur un énorme instro de groove intitulé «  Salsa De Laventille ». Il revient à ses racines avec « The Big Blues » - Lawd she’s fine as she can be/ She must like cherries hanging on a cherry tree - Taj Mahal est l’un des plus grands bluesmen de tous les temps - I love my babe/ better than I love myself - Il reprend tous les vieux poncifs du blues et leur redonne vie. Stupéfiant.

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             Dix ans plus tard, Taj refait surface avec Taj. Belle pochette avec un portait signé Robert Mapplethorpe. Il attaque avec du bon groove antillais, et un peu plus loin, il tape dans le groove musculeux avec « Do I Love Her ». Taj joue même les gros bras et tire sur ses syllabes pour les malaxer. Il leur fait rendre du jus. Comme c’est beau ! Son harmo revient même hanter le cut. Il parle de Muddy Waters, du blues de Chicago et il fait le Wolf en hululant. Fantistico ! Il connaît toutes les ficelles, ce qui pour un musicologue paraît logique. Il revient au groove des Caraïbes avec « Pillow Talk ». Il évoque une belle journée de bonheur - Oooh sugar baby - Taj sait rendre une femme heureuse. On entend un beau son de basse et un guitariste virtuose des îles, mais surtout cette voix cassée qui ensorcelle, la voix de Taj, reconnaissable entre toutes. Pure merveille et final à l’harmo. Taj Mahal a du génie. Et quand on écoute « Kasuai Kalypso », on songe à l’eau verte de la baie et à la frégate du Capitaine Flint qui s’y trouve ancrée.

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             Un an plus tard paraît Shake Sugaree, sous une pochette bleue et joyeuse. Dès le premier cut, « Fishin’ Blues », on sent l’air frais. Taj annonce le blues du pêcheur. Il joue au bord du fleuve sur sa vieille gratte gondolée. Il tricote et fait le talkin’ blues - C’mon down - Il connaît toutes les vieilles histoires à dormir debout. Avec « Light Rain », on a du pur jus de gros Taj. Il prend son cut sous le vent et gratte sa gratte africaine. Il crée les conditions d’un son profond, donc terrible. Ça vire à l’hypnotisme. Seuls les Africains savent fabriquer de l’hypnotique aussi raffiné. Il enchaîne avec « Quavi Quavi » - a song from Senegal/ from the fruit men - Bananes ! Melons ! Nous voilà en Afrique enchantée. Sur le morceau titre de l’album, il est accompagné par des gosses. L’enchantement se poursuit. En vaillant vainqueur, il joue le jeu du funk avec « Funky Bluesy ABC » et fait le con avec l’alphabet. Voilà encore un groove de niveau supérieur. Si on veut tomber de sa chaise, alors il fait écouter « Railroad Bill » - He was a character - Taj gratte ça en picking des enfers. Le dernier cut de l’album vaut lui aussi largement le détour : « Little Brown Dog ». Taj ramène le blues au bercail. C’est une tenace, un vrai bluesman de légende. Il s’éloigne en sifflant dès qu’il sent qu’on va l’embêter.

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             On trouve un cut génial sur Mule Bone  : « The Intermission Blues ». Eh oui, il incarne le blues primitif mieux que personne. Il le laisse macérer dans sa gorge et le pousse au uh-uh-uh, puis il se lâche. Taj Mahal reste un merveilleux swinger de blues qualitatif. En prime, il laisse filer un solo de rêve. On ne trouve ce genre de chose que chez Taj Mahal. Il transforme ses blues en merveilles absolues. Il sait driver le mythe. Il chante jazz avec des onomatopées er repart en solo de rêve. Personne ne songerait à chanter le blues ainsi. Il crée une véritable ambiance de jazz-blues transparente. Un rêve. Mais il adore aussi faire le con au bal du 14 juillet et danser avec le facteur Tati, c’est en tous cas ce qu’on entend dans « Song For A Banjo Dance ». Son boogie blues « But I Rode Some » part au tripe galop, bien content d’avoir mangé tant d’avoine. Avec « Hey Hey Blues », il plonge  les mains et son banjo dans le limon. Tous ces cuts restent incroyablement inspirés, surtout quand il les gratte au banjo. Il a toujours su réveiller les ardeurs du blues dans la fournaise des jours d’été. Et son « Shake That Thong » vaut pour une belle prise de bec. Les chœurs lui renvoient la belle haleine de phoque du honky tonk. Le dernier gros cut de cet album n’est autre que « Bound No ‘Th Blues », encore plus primitif que les autres. Ses interjections remontent à la nuit des temps. Son blues sonne comme un blues antique, mélodiquement envoûtant. L’ombre du temple plane sur ce disque magnifique.

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             Like Never Before est un album rattrapé par la mauvaise prod. Il faut attendre « Squat Hat Rabbit » pour retrouve le grand Taj libre, le Taj swingué aux castagnettes. Il crée là une sorte d’événement qui dépasse les abrutis de la prod. Taj leur montre qu’on ne peut ni le formater ni le commercialiser. Il échappe à toutes les cages et à toutes les chaînes. Il nous donne à savourer un joli jive et sur le tard du cut, il fait son Beefheart. Il balance aussi un jumpy jumpah à la mode de Kansas City avec « Big Legged Mamas Are Bad In Style ». Il reprend l’art des anciens. Puis c’est « Take A Giant Step ». Ouf ! Taj revient à ses racines et retrouve le dépouillé de l’Africana. Il erre seul au long du chemin de traverse. Fantastique. Il renoue avec la véracité du chant. Il respire par les trous de nez et chante avec détachement. Il se dégage du cut un énorme sentiment de solitude émerveillée - Take a giant step outside your mind - C’est d’une beauté poignante.

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             Encore un album dément avec Dancing The Blues paru en 1993. Célèbre pour ses nombreuses biographies (dont celles d’Etta, de Marvin, de Jerry Wexler et de Smokey,) David Ritz rédige les notes de pochette. Taj reprend « Hard Way » de T-Bone Walker. Pour Taj, T-Bone est le cat qui a inventé le « modern urban blues ». Taj se souvient de T-Bone et Lowell Fulson qui entrèrent un soir de 1968 au Whisky A Go Go. Eh oui les amis, il fut un temps où ces gens-là régnaient sur la terre comme au ciel. Il reprend ensuite « Going To The River » de Fats - part of the Afro American genius - Pour lui, ça sonne comme du Leadbelly. Il rend un fantastique hommage et c’est long comme un jour sans pain et pesant comme la barbe chargée d’or de Crésus. Attention, il invite Etta James à duetter avec lui sur « Mockingbird », un vieux hit d’Inez & Charlie Foxx. Taj rappelle au passage qu’il était amoureux d’Etta à l’âge de 13 ans - Etta was the mainline with Ma Rainey and Bessie Smith - Évidemment, c’est une version énorme, pétrie de génie humain. Etta tient tête à Taj avec une niaque fulgurante. Le pauvre Taj s’accroche comme il peut. Puis il rend hommage à Louis Jourdan avec « Blue Light Boogie » - Louis is the great master of the jump band genre. Also on of the most important precursors of rock n’ roll - Fantastico ! Et pour couronner le tout, Ian McLagan joue de l’orgue sur ce cut. Taj reprend ensuite « The Hoochie Coocha Coo » d’Hank Ballard - When I was a kid I must have worn out copies of that sucker ! I mean if this ain’t dancing the blues, nothing is - Mac est toujours là. C’est pulsé au sax et joué à la sauce de la Nouvelle Orleans. Quelle fantastique énergie ! Il rend ensuite hommage à Otis avec « Tha’t How Strong My Love Is ». On trouve plus loin deux autres perles rares : « Stranger In My Own Town » de Percy Mayfield, que Taj embarque au paradis. Il semble parfois ses situer au-delà de ce qu’on appelle vulgairement le génie. Il crée sa propre dimension. Puis il dédie « Sitting On Top Of The World » aus conducteurs de mules - That’s cause those hard headed mule drivers got to hear the beat chonking - et Taj fait claquer ses coups de dobro. 

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             Énorme album que ce Phantom Blues paru en 1996 ! Tout est bon là-dessus, il n’y a rien à jeter. Avec « Lovin’ In My Baby’s Eyes », Taj reste dans le vieux blues d’harmo sacrément chauffé au soleil et rootsy comme pas deux. Un véritable enchantement pour l’amateur de blues. Puis il embarque son « Cheatin’ On You » d’une manière incroyablement tonique. C’est bourré de swing jusqu’à la gueule. Et les énormités se succèdent, comme par exemple ce « The Hustle Is On », un jumpy doté de l’énergie du diable. On n’avait encore jamais entendu ça. Taj drive son cut à l’énergie maximaliste. Avec son orchestre de dingos, il lève l’enfer sur la terre. Les solos de piano et de sax pleuvent comme des boulets. C’est du pur élastomère de boogie. Absolument terrifiant. Puis Taj replonge sans le pire Deep blues qui soit avec « Here In The Dark ». L’invité s’appelle Clapton et il joue gras, l’animal. Voilà encore un cut hallucinant de puissance bluesy. Taj fait encore feu de tous bois avec « I Need Your Loving », un vieux classique explosif de jump blues et ça tourne à la monstruosité. Les filles envoient des chœurs terribles. Taj fait le con avec les cœurs d’artiche - Oh wo wo wo wo - Puis il tape dans l’« Ooh Poo Pah Doo » des Rivingtons et l’explose ! Taj explose tout. Il chante à la raclette de glotte. Il tape aussi dans Doc Pomus avec « Lonely Avenue ». Il connaît tous les bons coup d’Amérique. Il en fait un heavy blues stompé. Il enchaîne avec « Don’t Tell Me » et plonge dans le groove avec une audace qui l’honore - Don’t tell me baby - Il plonge carrément ses crocs dans le lard du vieux beat. Quelle démence ! Taj rivalise de grandeur groovy avec le Graham Bond ORGANization. Il continue d’enregistrer des albums extraordinaires. Nouveau tour de magie avec la fanfare de « What Am I Living For ». Puis il fait son Sam Cooke pour « We’re Gonna Make It » qu’il chauffe à blanc. Tu aimes le cajun ? Alors tu vas te régaler avec « Little Four Wind Blows », un hit de Fats qu’il remet en perspective. Il injecte une nouvelle énergie dans le cajun du diable. Il reste terrifiant de véracité, en toutes occasions.

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             Il nous refait le coup de l’album énorme avec Señor Blues. Taj porte son chapeau de cowboy et tient une National. Il gratte ses blues et chante à l’édentée. Il sort un « Irresistible You » salement swingué au big band. Pure tajerie ! Désormais, Taj Mahal s’impose comme le protecteur des arts et des lettres du blues. Le morceau titre sonne comme le groove des alizés. On sent planer un son de cuivres inconnus. C’est éclatant de classe jouissive. Il embarque son cut au jazz de grande marée. Les frissons montent, son cut se vit comme une aventure. Taj entre dans le groove avec une classe effarante. Il roule ses r de señor blues. Puis il nous entraîne dans un bastringue des années 20 pour « Sophisticated Mama ». Terrible. Certainement le pire ragtime de l’histoire. Tiens, voilà qu’il nous sort de sa manche un gros r’n’b : «  Oh Lord Things Are Getting Crazy Up In Here ». C’est joué à fond de train. Taj bousille l’overdrive. Un mec joue un solo de sax à 200 à l’heure. Lee Allen ne pourrait pas jouer aussi vite. S’ensuit une autre monstruosité, « I Miss You Baby », un heavy blues slappé et traversé par un solo de Wes Montgomery. Taj nous jazze ça à outrance. Puis il revient au groove juteux avec « You Racsal You ». Il plonge à nouveau dans l’historiologie du jump blues et envoie les chocolats. Rien d’aussi jouissif sur cette terre que ce jumpy jumpah joué à la stand-up. Retour au primitivisme à la Robert Johnson avec « Mind Your Own Business ». Il relaye ça au dixieland, alors on se prosterne devant tant de génie. Encore une pièce de choix : « 21st Century Gypsy Singin’ Lover Man ». Le blues de charme est l’une des spécialités de Taj Mahal. Ce mec fait des miracles depuis 40 ans et il continue - I’m like a fish in the water - Il accroche sa mélodie au firmament et il gratte sa National. On goûte la saveur de sa voix unique au monde. Voilà une énormité, du type de celles que l’on ne croise que très rarement. Tout est là, baby, dans la voix, dans le timbre, dans l’Africanité. Il finit ce disque avec deux hits de r’n’b dont une reprise tétanique de « Mr Pitiful ». Eh oui, Taj peut aussi chanter comme Wilson Pickett.

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             Par miracle, l’album suivant est peu moins génial. Ouf ! paru en 1998, Sacred Island sent bon les Caraïbes. Il suffit de voir Taj sur la pochette avec son chapeau blanc. Il chante « The Calypsonians » d’une voix graveleuse et il gratte savamment son banjo des îles. Franchement, on croirait entendre un vieux pirate qui a navigué sur tous les océans. Attention, la bête du disque s’appelle « Betty & Dupree ». Taj joue le blues des îles - Put your arms around me baby/ Like a circle around the sun - Une fois encore, il transforme ce blues en merveille absolue - Kiss me baby/ Right on my ruby lips - Jamais on ne trouvera ça ailleurs. Taj recycle les clichés du blues à l’infini, mais avec une chaleur et une coloration surnaturelles. Il n’est rien de plus inspiré en ce monde qu’un blues chanté par Tal Mahal. Autre merveille : « The New Hula Blues ». Il replonge une fois encore dans le lagon - You can call me on my cell phone/ But I’ll be out of reach - Il s’amuse bien et nous aussi  - Sweet mama sweet daddy/ Get the new hula blues - Et il hoquette à coups de menton.

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             Il enregistre Kulanjan l’année suivante avec Toumani Diabaté. Encore un album énorme. Avec « Queen Bee », il tape dans la pure Africana. Ramalou chante en duo avec lui et Toumani gratte son kora. Pure démence des racines. On bascule dans l’ère florentine de la culture africaine. Aw my God, c’est le vrai truc, la beauté d’avant le blues des plantations et des bagnes, ça coule de source. Pure magie blanche jouée par des noirs. Taj ne pourrait pas remonter plus loin dans la pureté des origines du blues. Le bord du fleuve, c’est l’Afrique. Ramalou est une fantastique chanteuse, elle apporte sa part d’animalité à la chanson. On goûte là une fois de plus au pur génie. Taj revient au groove avec « Ol Georgie Buck ». Il envoie la troupe. Ça tourne au stormer africain. Ils jouent avec des instruments préhistoriques. Ça yeah-yeah-yeahète dans l’Afrique d’avant les blancs. On entend le solo du démon des forêts, des claquements de mains. Taj fait danser ses ancêtres. Nouvelle éclate de kora avec « Kulanjan », le morceau titre, un vrai blues africain. On bascule dans une sorte de virtuosité indécente. Encore pire : « Guede Man Na », gratté à l’arrache d’une virtuosité qui échappe à toutes les normes. On reste au Mali et on échappe aux clichés. Les filles chantent comme dans un rêve africain. On entend deux koras. Voilà des virtuoses magnifiques. Grâce à Taj, on les entend jouer. Il reprend « Catfish Blues » et fait subir au cut de Muddy le traitement koranique. Ça devient terrible. On appelle ça un retour aux sources. Oui, car Muddy vient de là en droite ligne. C’est gratté à la régalade maximaliste. C’est d’un jouissif dont on n’a pas idée. Et ça continue ainsi jusqu’au bout du bout avec des exercices de virtuosité périlleux. Seul un musicologue averti comme Taj Mahal pouvait entreprendre un tel périple à travers le temps.

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             On retrouve Taj sur la pochette d’Hanapepe Dream avec une barbe blanche. Il ressemble désormais à un vieux nègre, mais il a la stature d’un héros. Encore un album fantastique, eh oui... C’est une idée à laquelle il faut bien s’habituer. Il attaqua avec un groove d’une violence terrible, « Great Big Beat ». Ça cogne au groove des îles - Oh daddy yo yo - Quelle puissance incroyable ! On aimerait bien croire qu’il s’agit là du beat des pirates. Il entre plus loin dans un balladif intitulé « Moonlight Lady » avec une incroyable pureté d’intention. C’est d’ailleurs ce qui le caractérise depuis le début. Il chante « Baby You’re My Destiny » avec la malice d’un vieux sorcier du blues. Entrer dans un album de Taj, c’est entrer dans la caverne d’Ali-Baba. « Baby You’re My Destiny » est une merveille, un cooky cook orchestré à la mode des années vingt, mais il utilise les ficelles d’un sorcier vaudou. Il shoo-bah-doo bah-boo-dee da-boo-bah-doote. Il tournicote ensuite une version antillaise de « Stagger Lee ». Comme c’est un standard, il en fait une version spéciale, type mambo pressé. Il nous entraîne au cœur de l’exotica avec « My Creole Belle » - My creole belle I love her well/ My darling baby my creole belle - Taj transforme ce classique des îles en pur chef-d’œuvre. Il en fait un hit de stomp. Surprise de taille avec une reprise d’« All Along The Watchtower ». Il se lance sur les traces de Jimi Hendrix - No reason to get excited - Il le prend au beat des îles - Yeah all along the watchtower/ Princess kept the view - Évidemment, Taj Mahal ne peur pas en faire autre chose qu’une version démente - And the wind began to howl hey - Nous voilà au cœur de la mythologie. Taj Mahal se dresse parmi les géants de la terre.  

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             Maestro date de 2008. God, quel album ! Il démarre sur une reprise de Slim Harpo, « Scratch My Back ». Le son explose les tympans. Magnifique d’intentionnalité. Mais le baston du son nuit à l’entame de l’original. Il joue « Dust Me Down » avec Ben Harper et ça tourne au r’n’b enflammé. Voilà un blues rock digne des grands du genre. Retour au blues traînard avec « Further On Down The Road ». Taj le gratte au banjo et ça devient affolant de classe. C’est le Taj qu’on adore entendre, sous la pluie chaude d’un été de blues. On entend des coups d’harp et Taj chante de sa belle voix intermédiaire. Retour de Tounami Diabaté pour « Zanzibar ». Angélique Kidjo fait aussi partie de l’aventure. Son énorme. Ça ruisselle de jus africain. Los Lobos accompagnent Taj sur « TV Mama » et ça vire heavy blues. George Porter des Meters accompagne Taj sur « I Can Make You Happy » et là, on ne rigole plus. Si tu aimes les très grands disques, c’est là que ça se passe. Ivan Neville nappe ça d’orgue, et Taj chante avec une certaine mauvaiseté, quasiment comme un punk. Pas compliqué : il sonne exactement comme Captain Beefheart. On le croirait accompagné par les Downliners Sect. Pur génie punk. Taj Mahal est un démon. Il ne se calmera jamais. Plus loin, il reprend le fantastique « Hello Josephine » de Fats et en fait une version surnaturelle. Il fait son Wolf dans « Strong Man Holler ». Il termine ce disque épuisant avec un hommage à Bo Diddley et à Big Dix : « Diddy Wah Diddy ». Version terrible, mais on préfère nettement celle de Captain Beefheart.

             Infatigable, Taj Mahal continue d’explorer les rootsy roots. Comme il le dit si bien lui même : « Even at my age, I’m always fiding something new ! »

    Signé : Cazengler, Mahal embouché

    Taj Mahal. Taj Mahal. Columbia 1968

    Taj Mahal. The Natch’l Blues. Columbia 1968

    Taj Mahal. Giant Step/De Ole Folks At Home. Columbia 1969

    Taj Mahal. The Real Thing. Columbia 1971

    Taj Mahal. Happy Just To Be Like I Am. Columbia 1972

    Taj Mahal. Recycling The Blues & Other Related Stuff. Columbia 1972

    Taj Mahal. Sounder. Columbia 1972

    Taj Mahal. Ooooh So Good ‘N Blues. Columbia 1973

    Taj Mahal. Mo’ Roots. Columbia 1974

    Taj Mahal. Music Keeps Me Together. Columbia 1975

    Taj Mahal. Satisfied ‘N Tickeld Too. Columbia 1976

    Taj Mahal. The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973. Sony Music 2012

    Taj Mahal. Music Fuh Ya. Warner Bros. 1976

    Taj Mahal. Brothers. Warner Bros. 1977

    Taj Mahal. Evolution. Warner Bros. 1977

    Taj Mahal. Taj. Gramavision 1987

    Taj Mahal. Shake Sugaree. Music For Little People 1988

    Taj Mahal / Lyrics Langston Hughes. Mule Bone. Gramavision 1991

    Taj Mahal. Like Never Before. Private Music 1991

    Taj Mahal. Dancing The Blues. Private Music 1993

    Taj Mahal. Phantom Blues. RCA Victor 1996

    Taj Mahal. Senor Blues. Private Music 1997

    Taj Mahal. Sacred Island. Private Music 1998

    Taj Mahal. Kulanjan. Hannibal 1999

    Taj Mahal. Hanapepe Dream. Tone Cool Records 2001

    Taj Mahal. Maestro. Heads Up International 2008

    Classic Rock #203. November 2014. Rising Son by Rob Hugues

     

    *

    Vous êtes gâtés, deux groupes que nous aimons bien dans la même chronique, l’on fait attention à ne pas vous emmêler la comprenette, on parlera de chacun des deux séparément. Pour la préséance l’on n’a pas choisi l’ordre alphabétique même si ça en a l’air.  D'abord le plaisir, ensuitte la nostalgie.

    HOWLIN’ JAWS

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             Regardez jusqu’où se love notre magnanimité, nous sommes obligés de parler d’un de nos concurrents pour évoquer les Howlin’, pas de n’importe lequel, ce mois de décembre 2023 z’en sont à leur numéro 675, nous dépassent un peu, mais on les rattrape, pourtant ils ont commencé presque un demi-siècle avant nous, nous en sommes au 624, dans deux ans on les aura dans le rétro !

             Si vous ne les reconnaissez pas c’est que vous êtes total miros, les Howlin’Jaws en première de couverture, très rare, un honneur pour un groupe français !

             Pour la petite histoire rappelons qu’au mois de novembre notre Cat Zengler nous chroniquait, livraison 621, leur dernier concert dans la bonne ville de Rouen, z’ont toujours été chaud dans ce bled depuis qu’ils ont brûlé la petite Jeanne de Domrémy, non je vous rassure le Cat n’y est pour rien, par contre ensuite il vous explique pourquoi vous avez intérêt à vous procurer leur premier et trois derniers opus.

             Les esprits chagrins renâcleront, chicaner entre Novembre et Décembre c’est mesquin. Certes mais alors reportez-vous à notre livraison 85 du 11 février 2012, oui je sais, voici plus de dix ans, les Howlin’ en concert avec les Spykers et Nelson Carrera, juste dix ans d’avance.

             Nos lecteurs assidus en connaissent un bout des Jaws, nous avons assisté à plusieurs de leurs prestations, oui même celle où ils arboraient fièrement une hélice sur leur casquette, nous avons écouté leurs 45 tours, nous avons commenté quelques uns de leurs clips, et nous vous avons emmenés à l’Olympia, sur France-Inter, au théâtre lorsqu’ils assuraient la partition musicale d’Electre des Bas-Fonds de Simon Abkarian… alors franchement nous nous jetons sur l’article.

             Chance sont tombés sur Isabelle Chelley. Nous avons aussi écrit une belle chronique d’amour sur Isabelle Chelley, mais ceci est une autre histoire.

    Consciencieuse l’Isabelle, les a suivis partout, une véritable groupie, en plus ils n’arrêtent pas de se déshabiller, l’a assisté au tournage du clip de ‘’ Lost song’’, elle cause en connaisseuse de leur parcours, sans oublier de leur laisser la parole, elle ne chipote pas sur leur dernier disque, tiens ils se sont servis de l’Intelligence Artificielle pour la pochette, mais ils y ont appliqué une bonne intelligence neuronale. L’écrit bien Isabelle, vous pouvez la suivre jusqu’au bout du monde, elle vous emmènera jusqu’aux Howlin’Jaws.

    POGO CAR CRASH CONTROL

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             Sont pas fous dans Rock & Folk, à la suite des Jaws ils mettent à l’affiche cinquante groupes français. J’avouons qu’il y en a beaucoup dont on ignore superbement jusqu’à leur existence, je fais un test, j’ouvre au hasard page 65, Komodrag and the Mounodor et Mad Foxes, inconnus au bataillon, mais Johnny Mafia et les Lulies pas de problème on les a déjà vus. Ouf ! L’honneur est sauf !

             Avant de refermer je vérifie l’impossible, voir s’ils les auraient oubliés. Non, par contre un trop court entrefilet. Méritent beaucoup plus, mais ils ne font que confirmer ce qu’ils ont déjà annoncé le 26 octobre dernier sur leur FaceBook.

             Encore un concert à Calonne le 16 décembre pour clôturer l’année. Puis un autre le 30 / 01 / 24 à La Mécanique Ondulatoire, un autre le 31 au Supersonic et un ultime à la Maroquinerie le 03 / 02 /24. Et après ?

             Font un break. Sept années de bons et loyaux services au rock’n’roll, Un Ep, trois albums, et 700 concerts, le besoin de reprendre souffle s’est fait sentir. Il ne suffit pas de dire que le Pogo est un des meilleurs groupes de rock de France, il n’y a qu’un seul mot qui puisse les définir : la folie. Nous les avons suivis, concerts, disques, vidéos et projets parallèles, nous n’avons jamais rien regretté.

             Nous espérons qu’ils reviendront. Vite. Très vite. Le rock ‘n’roll n’est pas un plat qui se mange froid. Quoi qu’ils fassent nous les remercions pour toute cette joie qu’ils ont apportées à des milliers de fans.

             Il est des matins gris qui s’illuminaient lorsque subitement surgissait l’idée salvatrice : ‘’ Pas grave si le monde ne tourne pas rond tant que les Pogo Car Crash Control existent ! ’’

    Damie Chad.

            

    *

             J’avoue que je garde 24 heures sur 24, un neurone spécial led en éveil dans mon cerveau. Pas d’erreur, ce n’est pas pour que ma réflexion soit tout le temps éclairée, je ne parle pas de ces nouvelles lampes économiques que l’on a achetées pour remplacer les ampoules traditionnelles très chères et propagatrices d’une lumière ombreuse, non juste un signal d’alerte qui m’avertit dès que quelque part il est fait une allusion quelconque à Led Zeppelin.

             J’ai violemment sursauté lorsque j’ai aperçu cette pochette : carambar mou, si ce n’est pas une réplique du Led Zeppe III, c’est que je suis devenu complètement gâteux. Jugez-en par vous-même !

    BANDSHEE III

    BANDSHEE

    (Numérique Bandcamp - 30 / 11 / 2023)

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            Ne pensez pas à Siouxsie and the Banshees, elle et ils n’y sont pour rien. The Bandshees se présentent comme un retro stoner band from Louisville située au nord du Kentucky.  Sont quatre : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / MacCammon : bass / Chris Miller : drums.

    Black cat : je ne sais pas si vous voyez exactement ce que c’est que du rétro stoner, je peux facilement éclairer votre lanterne, c’est du foutu rock’n’roll, vous allez aimer je vous le jure, grosse guitare, batterie endiablée, éclats cordiques et surtout Romana, z’avez tout de suite envie d’être un chat noir et de lui manifester votre admiration en se frottant à ses jambes,  question lyrics elle doit être manichéiste, vous rencontrez et Jésus et le Diable, en ces moments vous comprenez pourquoi le drummer bouscule et bascule le monde de ses baguettes magistrales, elle chante comme une maîtresse femme, elle maîtrise sec et se joue de vous. L’a été traversée par les radiations du chat noir, elle vous en fait profiter. Un hit. Bad day : moins sauvage que le précédent, lorsque Romana ouvre la bouche de son vocal poisseux elle vous indique que vous êtes au mauvais endroit au mauvais moment,  tout de suite elle hausse la voix, attention aux balles perdues, derrière ils vous miment un mélodrame glauque, le genre de morceau dans lequel il vaut mieux ne pas s’aventurer, dès que vous faites un pas le serpent noir du doute se faufile sous vos pieds, ça fonctionne comme un polar gris, ça sent le linceul et le motel abandonné au bord de la route, film à suspense suffocant, heureusement que de temps en temps Romana hausse la voix, vous avez au moins l’impression d’être encore vivant. Parties musicales rutilantes. Sex on a grave : là c’est vraiment grave, ni l’éros ni le thanatos, c’est ce blues qui tangue entre les deux, cette guitare qui s’insinue en vous, cette batterie qui culbute vers le néant, cette basse qui résonne et happe, Romana vous pousse à vos dernières extrémités, elle minaude, elle hurle, elle énonce, elle répand le chaud et le froid, elle tord et elle mord les désirs les plus inavouables.

    Play loud ! Tout simplement un EP rock. De taille et d’estoc. Pour la petite histoire le rapport avec la pochette du Dirigeable n’est pas évident, est-ce vraiment important ?

             Si bon que l’on court vers le premier EP du groupe :

    CURSE OF THE BANDSHEE

    (CD via Bandcamp / Décembre 2022)

    Surprise. Changement d’ambiance, est-ce le même groupe : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / Nick Beach : drums / Beverly Reed : flûte, saxophone, vocals / Jason Groves : bass.

             Artwork aux antipodes du précédent. D’Ashley Sego. Une toile, un tantinet médiévale par le sujet représenté, une sorcière, toute de blanc vêtue brûlée vive, deux moines habillés de noir devant le bûcher deux autres personnages de noir vêtus, sont-ce des femmes, seraient-elles victimes de convulsions hystériques, danseraient-elles une danse sabbatique… Une seule certitude, celle dont le bas de la robe est attaqué par les flammes possède une longue chevelure qui n’est pas sans rappeler celle de Romana Bereneth. Romana a écrit les textes de cette malédiction de la sorcière.

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    Black Magic : musicalement l’on est très loin de l’Ep qui a suivi. Intro acoustique, bientôt suivie d’un background plus appuyé, mais cette flûte incessante qui accompagne tout du long le morceau comme une sinueuse langue de feu nous oblige à penser à certains opus progressive-rock à la Jethro Tull, mais rupture drummique et voix vindicative de Romana  nous éloignent de cette piste, dynamisme et harmonie certes, mais aussi  violence gothique souterraine et exacerbée. Il existe aussi une official vidéo de ce morceau qui met en scène avec une très grande fidélité les lyrics. L’entrée, lent cheminement au travers d’une forêt sans savoir où l’on va, est très réussie. Les sorcières sont belles et inquiétantes. L’ensemble ressemble à un début de film. A petit budget mais à grosse impression. Curse of the bansshee : ça démarre comme le précédent, la flute encore, toute une ambiance, la voix de Romana batifole sur la rythmique, étrange différence entre la noirceur des lyrics et ce vocal souverain qui semble se jouer de la situation jusqu’à ce que sa colère éclate, l’on ne sait plus si c’est la sorcière qui est maudite ou si c’est elle qui lance sa malédiction depuis la mort. Guitare apocalyptique en final. Vous avez écouté, vous pouvez voir aussi l’Official Lyrics Vidéo, particulièrement réussie, basée sur le même principe que la précédente, belles images explicites qui assombrissent davantage le mystère qu’elles ne le dissipent.  Diamonds on your prime : toujours cette entrée primesautière et puis ce ramdam sonore et la voix de Romana qui articule et plane au-dessus de la mêlée. Elle essaie d’avertir cette femme du danger, mais d’où parle-telle, a-telle déjà connu cette situation, ou possède-t-elle, pourquoi et comment, une connaissance supérieure, à moins que ce soit elle-même qui parle à elle-même, lyrics terriblement ambigus, par sa rectitude la musique semble les démentir, oh ! ce long pont qui enjambe un ruisseau d’eau pure, la voix de Romana, froide, déterminée, un couteau tranchant de blizzard sans concession. Si vous ressentez un malaise, c’est normal. Une vidéo esthétiquement très différente des deux premières, montées à partir d’images un peu ringardes de vieux films, pour que l’on s’aperçoive que toute existence est par nature vintage car soumise à l’apocalypse mortelle que nous détenons en nous, telle une bombe nucléaire qui n’attend que son heure programmée pour exploser.  Forgotten daughter : entrée fracassante, Romana souveraine, tiens cette manière de poser la voix en début de morceau évoque Led Zeppelin mais je vous avertis : pas de rêverie romantique, même pas romanantique, elle n’est pas une jeune fille naïve qui croyait que tout ce brillait était de l’or, elle est la suzeraine, elle a traversé l’épreuve de la mort, elle est morte, elle a survécu, elle parle d’ailleurs, elle parle de désir impossible, est-ce son corps qui se balance sous l’arbre au pendu. Fort. Poignant. Emouvant. Une vidéo créée par Romana, d’animation, un dessin animé à moitié métaphysique, Une méditation ontologique sur la nature de la femme et de la mortalité humaine. Très beau, très réussi, très original.  Woman 4 sale : (Jake Reber : bass, backing vocal) : un morceau rentre-dedans qui se rapproche de l’Ep qui suivra. Lyrics trop directement féministes, les femmes sont à vendre, Romana joue le rôle d’un formidable commissaire-priseur. Lyrics cousus de fil blanc, dénonciation de l’exploitation sexuelle de la femme, en arrière-fond marché d’esclaves, les quatre premiers titres parce qu’ils sont davantage mystérieux, parce qu’ils jouent sur la peur victimisante que les hommes ressentent face à l’inquiétante puissance sorciérique de l’être féminin forment un tout… Bien sûr une lyric video. Une pub, qui dure cinq minutes, vous ne pouvez détacher les yeux de l’écran, tellement c’est excitant, tout ce qu’il faut jusqu’au symbole freudien du robinet à sperme écumeux qui n’en finit plus de couler, rockabilly pin up en pleine action, encore une idée de Romana, plaisante comme tout, oui mais elle en dit plus sur notre monde avec la rutilance joyeuse de ces images que bien des penseurs attitrés de nos réseaux médiatiques…

             Curse of the Bandshee était un tout autre projet initial que Bandshee lll, que s’est-il passé au juste entre ces deux enregistrements ? Ou alors est-ce que Romana et Stephens sont les deux têtes pensantes et agissantes de Bandshee  qui ont pris pour le deuxième opus le titre III du troisième album de Led Zeppe pour signifier qu’ils n’entendent point se répéter à chaque nouvelle création. Que nous offriront-ils pour leur troisième album ? A quelle surprise devrions-nous nous attendre…

             Pour être tout à fait franc, sur leur site vous pouvez écouter une longue interview de près d’une heure, Romana rieuse comme une mouette, Stephen au look intello, juste un problème, je dois être rétif à l’accent du Kentucky, je n’ai rien compris !

             Quelques explications tout de même : à l’origine Bandsheee était un projet folk-rock, jusqu’à ce que Stephens s’aperçoive que Romana, bien qu’âgée d’une trentaine d’années ignorait tout de l’existence de Black Sabbath… et de tout ce qui s’en suivit. Bref Romana se convertit au doom ! Ceci explique cela, disait Victor Hugo, par exemple que le dernier morceau de Curse of the Bandshee soit une reprise de Lunar Funeral ( voir Kr’TNT ! 517 du 30 / 06 / 2021.

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             Sur le site de Bandshee vous pouvez aussi voir plusieurs vidéos du groupe sur scène. Je ne vous offre qu’une photo de Romana et de sa chevelure, attention, n’y montez pas, ce n’est pas Rapunzel que vous rejoindrez mais la sorcière Bandshee !

    Damie Chad.

     

    *

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    Nous croyions en avoir fini avec notre chronique sur Bandshee, certes nous nous étions dit que nous y retournerions mais pas si vite. Il y avait encore ce dessin, la plupart du temps sur Bandcamp les groupes mettent leurs photos, certains se contentent de leur logo, mais là ce dessin qui n’est pas sans évoquer la pochette de Bandshee III, est crédité, piste instagrammique, à Mollyoakus, qui nous renvoie à Molly Broadhurst pour finalement parvenir à :

    MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS

            Seriez-vous surpris si je vous dis que nous avons affaire à un groupe basé à Louisville dans le Kentucky. Se définissent en toute simplicité comme un groupe de folk sorcièrement alernatif.

             Ne sont que deux. Si vous les croisez dans la rue vous les remarquerez. Z’ont un look étudié. Se ressemblent tous les deux. Parfois vous aurez du mal à discerner lequel est le garçon, laquelle est la fille.  Des mécheux qui n’ont pour coiffure qu’une seule grosse mèche de cheveux qu’ils inclinent et tordent dans tous les sens, un peu comme ces clignoteurs turgescents des anciennes 203 pour les amateurs de vieilles voitures françaises, un véritable effet (de langue de) bœuf. Parfois ils s’amusent à la teindre en couleur flashy. Par contre s’habillent le plus souvent en noir.

             Molly Broadhurst : vocal, rhythm guitar / Tom Crowley : lead guitar.

     Z’ont manifestement choisi leur nom de scène : Molly l’imprécatrice ( pas mal pour une sorcière ) quant au patronyme Crowley de Tom, il rappellera à nos lecteurs les nombreuses traductions effectuées par Philippe Pissier des ouvrages d’Aleister Crowley ( pas plus tard que dans notre livraison 621 du 23 / 11 / 2023 ) que nous chroniquons systématiquement.

    OUTLAWS WITCHCRAFT

    (Vinyl / CD / Juin 2021)

    Pour le deuxième anniversaire de cet album, Molly a préparé un livre d’artiste comportant collages, paroles des chansons et sigils. Nous renvoyons, en ce qui concerne les sigils nos lecteurs à nos chroniques des deux premiers livres d’Austin Osman Spare (Anima Editions) traduits par Philippe Pissier.

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    In througt the mirror : bruits suspects, une acoustique qui descend ses gammes, instrumental pour l’ambiance, qui s’épaissit, qui s’assombrit lorsque retentit les effets de voix de Molly, on ne peut pas dire qu’elle cherche à l’éclaircir, juste poser un point noir sur une page blanche qu’elle transformera en une ligne initiatrice dans les titres suivants.  En moins de deux minutes vous êtes dans une réalité légèrement décalée. Doin’ fine : l’acoustique tricote dur, toute la magie dans le timbre de Molly, elle chante peut-être, nous dirions plutôt qu’elle parle toute seule, à elle-même et au reste du monde. Tout va bien. Enfin presque. Toute remuée à l’intérieur. Elle ne veut plus se souiller au contact de qui que ce soit. Elle a besoin de cette espèce de virginité qu’il faut entendre comme un refus de pactiser non pas avec l’autre, mais chose plus subtile avec la notion d’autre. Quelle opérativité peut-on avoir sur le monde si c’est lui qui entre en vous. Pour les parties extravagantes de guitare de Tom, vous serez comblé. Two cards reading : deux cartes à lire. Elles ne sont pas routières. Même si celles-ci annoncent aussi le chemin proche. Guitare éclatante mais presque en sourdine, Molly décrit ce qu’elle voit, une tempête monocorde dans sa voix, les lyrics ont la force d’un drame shakespearien, restons français pensons à cette tour abolie de Gérard de Nerval, par quel feu a-t-elle été détruite, et pourquoi le roi n’a-t-il pas deux fois vainqueur traversé l’Achéron. Superbe. Crawl back to the light : un semblant de groove compressé de la part de Tom, la voix de Molly aussi tranchante que la lame de guillotine, Tom s’enfuit dans un pickin’ espagnol, alors Molly hausse le ton toujours implacable, elle semble nous raconter une histoire à la Lovecraft mais de fait elle aborde un sujet bien plus grave celui de la survie par le nom, pensez à une formule magique, et aussi à Victor Segalen dans Briques et Tuiles ou Stèles, à ce nom qui doit être à tout prix conservé mais caché pour ne pas courir le risque de mourir définitivement si quelqu’un mal approprié s’en emparait. Takin’you into the moon : la guitare roucoule bellement, Molly prend sa voix de tourterelle la plus douce même si de temps en temps elle ne peut s’empêcher de s’envoler vers la lune ou le paradis, une chanson d’amour, la joie d’être à deux protégée du monde dominé grâce à cette armure de dualité qui nous enserre, nos sorciers deviendraient-ils humains trop humains, heureusement qu’il y a ce serpent qui vient bénir leur union, peut-être sont-ils comme la queue et la bouche du reptile qui se suffit à lui-même. A little like me : encore plus rond, encore plus doux, l’espoir de ne pas être comme les autres et de trouver enfin l’âme frère, les doigts de Tom babillent et émettent de jolies broderies sonores, elle pétille, sifflements pas ceux du serpent, Molly toute molle de promesses et de prophéties, elle n’est pas ce qu’elle semble être, mais qui est-elle au juste… Over the rooftops we go : la guitare claironne à l’espagnole, le ton de Molly a changé, l’interlude amoureux s’achèvera-t-il en queue de poisson… elle veut et elle ne veut plus, elle doute de l’autre, Tom joue au picador et au torero pour la maintenir en de bonnes dispositions, mais sa voix s’envole vers les hauteurs, elle ne sait pas, elle ne sait plus, elle sait qu’elle ne sait pas. La traversée des miroirs n’est pas une sereine aventure nous a avertis Jean Cocteau. Why are you so far away : Tom discret, il se contente de tisser une couverture qu’elle foule des pieds, il n’est pas venu, ce n’est que partie remise, nous dit-elle, elle a autre chose à faire, une fois qu’elle aura vaincu le temps, Tom fait flamber sa guitare, les promesses rendent les fous joyeux, il est curieux d’entendre comment sur ces trois derniers morceaux Molly n’utilise plus son timbre métallique si tranchant, son chant s’apparente un peu aux chanteuses de bluegrass. Peace with the Devil : beaux arpèges, une sorcière sans imprécations aux esprits et au Devil c’est déroutant, Molly récite ses litanies, elle aimerait faire la paix avec le diable, mais ces mots veulent-ils, peuvent-ils dire quelque chose, timbre glaçant, elle marche pieds nus sur le fil de l’épée. Vous qui êtes tombés, nous qui sommes tombés, qui nous a poussés. L’Un ou la Dualité ? October : un bruit comme de l’eau qui coule, puis une guitare crépitante comme un feu dans la cheminée, une ballade froide, la voix qui n’arrive pas à se réchauffer, l’indécision de ne plus savoir, d’être ailleurs, et de désir de savoir, et d’être là-bas, Tom nous fait le coup de la rockstar qui fait gémir sa guitare, l’extase ne suffira pas, même si la voix s’adoucit un moment, elle retourne à cette atonalité ambigüe, marque d’une terrible déréliction. Tiraillements douloureux entre deux plans de réalités.     

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    Sur disque c’est toujours bien, donc voici un enregistrement live de Doin’ fine enregistré à la Saint Cat’s Sound House :  une quinzaine de personnes confortablement installées en de moelleux fauteuils, n’était-ce la batterie inoccupée derrière les artistes on se croirait chez soi, intérieur bourgeois-bohème soupçon fin de siècle (non pas le précédent, l’autre avant), tous les deux debout, habillés de noir ce qui éclaircit encore plus la blancheur gothique de leur épiderme. Sur les avant-bras de Molly, ce ne sont point d’énormes sangsues à queues multiples qui boivent son sang mais des tatouages mastoc, l’’on pourrait écrire une thèse sur l’art dont elle s’en sert sur certaines vidéos du groupe, avez-vous remarqué que 99, 99 % des tatoués n’usent jamais de leurs décalcomanies, je suis sûr que les japonais doivent avoir un mot pour désigner cet art, ne nous égarons point revenons à Molly, à ses yeux que le fard étire, à sa voix imperturbable que rien ne saurait arrêter. Vous cingle le visage avec le mot fuck comme vous ne l’avez jamais entendu. Je me demande comment Tom peut voir sa guitare avec sa mèche qui oblitère son œil gauche, de temps en temps il la chasse pour jeter un regard inquiet sur Molly qui ne s’en aperçoit même pas. Elle a raison, c’est aussi net, précis et sans bavure que sur disque.

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    Wolf : Music Vidéo : quand vous dites pierre précieuse vous ne tenez pas cet artefact dans votre main mais vous employez des mots qui la désignent mais qui ne sont en rien ni une pierre ni précieux, c’est idem pour cette vidéo : les lyrics nous content une scène de lycanthropie, profitons-en pour saluer Marie de France, pas la moindre queue de loup ( même empaillé) dans le clip  simplement Tom et sa nana ( je n’ai pas pu résister à ce mauvais jeu de mots intraduisible), images en blanc et noir,  sauf la mèche de Molly teint d’une jolie couleur renardière, sont dans un bois, Molly se glisse entre et contre des rochers, une merveilleuse symphonie de gris, donc pas de mutation génétique ni loup sauvage, vous n’en avez aucun besoin, toute la force de la scène invisible est transcrite par l’impact du vocal, quelle chanteuse, quelle interprète ( quelle autrice aussi ), elle chante l’innommable, la cruelle innocence de cette bestialité sauvage est si durement exprimée que vous fermez les yeux pour ne pas la voir.

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    Two cards reading : Music Video :  sépia rituel.  Tous deux dans les bois. Immobiles en pleine nature. Cette fois elle a teint sa mèche du rose de l’aurore. Ils chantent tranquillou. De temps en temps une main dessine des sigils. Puis calligraphie des paroles sur une feuille blanche. Plus tard les sigils seront découpés et brûlés sur un autel, sous un œil pyramidal insensible. Rien de bien spectaculaire. Ce n’est pas la théâtralité du geste qui compte mais l’effet qu’il produira. Sur vous. Si vous en êtes digne.

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    Strange, strange friends : Lyrics Video : économie de moyens, trois dessins qui se battent en duel, n’en faut pas plus pour entrer dans l’ambiance, un corbeau, un chat noir, un squelette, vous n’espérez pas tout de même que l’on va vous faire revenir Edgar Poe uniquement pour votre petit plaisir. Concentrez-vous sur cette guitare sèche, entre nous soit dit si vous décrétez qu’elle est country vous n’aurez pas tout à fait tort, une scène de beuverie dans un estaminet quelconque. Un peu inquiétant tout de même, malgré l’humour si blues des paroles, d’ailleurs le costume rayé si ça ne vous dit rien, marchez jusqu’au prochain carrefour. C’est tout de même fou le nombre de morts qui circulent incognito parmi les vivants.  Une pincée d’humour dans la voix si naturelle de Molly. Ne cherchez pas ce qui occasionne ces frissons le long de votre colonne vertébrale.

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    Taking you up  into the moon : live From the Midnight Lair : décontracté, ils sont chez eux, dans leur terrier, elle est en jeans et en chemisier bleu, y a un boa sur le canapé, à son air sympa et débonnaire il ne fait pas peur. J’oubliais le troisième homme (ou femme, cochez la case que vous voulez), une tête de mort, c’est leur côté Et in Arcadia ego, et moi aussi en Arcadie si vous avez séché vos cours de latin. De toutes les manières, il ou elle est toujours avec vous, vous accompagne partout, jusque dans le cercueil. Ne soyons pas triste, c’est une chanson d’amour, spécialement écrite pour une personne particulière expliquent-ils sous la vidéo sur YT, sont gentils tout le monde peut s’y reconnaître affirment-ils. Elle a le sourire aux lèvres quand elle chante, difficile d’apercevoir celui de Tom, surveille sa guitare comme le lait sur le feu, j’ai choisi cette vidéo car l’on voit bien l’agile gymnastique giratoire de ses doigts.

             Nous reviendrons les visiter. Z’ont un son, un look, un univers, des idées, un concept qui n’appartiennent qu’à eux. Un deuxième album et des morceaux isolés. Le seul truc qui m’étonne c’est qu’ils ne soient pas davantage célèbres. Signe d’authenticité.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Chic un groupe de Tolède, ninitas desnudas, puros espuantosos y toros de sangre y carne (c’est ainsi que les espagnols traduisent sex, drugs and  rock’n’roll) enfin la fiesta païenne, merci Damie. Ne me remerciez pas, nous ne partons pas en Espagne, mais dans la grande Amérique, dans l’Ohio pour être géographiquement précis.  Pas grave Damie, les Ricains le rock’n’roll ils connaissent. Z’oui mais là s’agit d’un truc non identifié, un gribouillis sonore informe et infâme… Toutes les chances que vous ne soyez pas épanouis après avoir subi ce tintouin (sans Milou)  inouï dans votre ouïe.

    THOROUGHBREDS

    SOG CITY

    Qui sont-ils : deux gars difficiles à identifier : Jason et Nick. Quoi qu’ils jouent on ne sait pas. Un indice sur le troisième homme qui doit être une femme puisque qualifié(e)) de l’adjectif beautifull, un(e) certain(e)) J. C. Griffin, inexplicablement son nom est suivi d’un instagram qui renvoie à un dessin animé canadien, Lake Bottom pour ceux qui connaissent, enfin Pat Peltier s’occupe du saxophone.

    z22596sogcity.jpg

    Lollygagger : attention ça va commencer, juste un détail que j’ai omis par inadvertance, ce n’est pas la musique qui est étonnante, vous savez avec les groupes noise il est nécessaire de s’attendre à tout, ce sont les lyrics, donc un truc inaudible mais sans plus, perso je trouve cela plutôt agréable, très vite les trois coups du destin, qui se répètent à la cadence d’une marche militaire, l’on sent qu’un évènement grave se prépare, erreur, il s’est déjà déroulé, z’avez intérêt à vous munir d’un stéthoscope pour saisir la voix, trop tard tant pis, pour vous, nous font le coup du riff poussif interminable, genre métro fantôme qui refuse obstinément de s’arrêter à la station où vous l’attendez, par deux fois six secondes le gargouillis incompréhensible vous donne un dernier indice incompréhensible. Dans l’esprit ça ressemble un peu, beaucoup, à la folie, aux Mamelles de Tirésias d’Apollinaire, pour les faits incontestables il y a un cadavre, est-ce lui qui parle entre ses dents agoniques ou un enquêteur qui en privé morigène dans sa barbe (évidemment rien n’indique qu’il soit barbu) si vous réfléchissez un peu trop vous finirez par décréter que ce sont les deux. Aurais-je le droit de vous faire confiance ?  Fool’ s Errand : c’est  complexe vous êtes perplexe, concrètement nous abordons la diagonale du fou, jeu dangereux, souvenez-vous de Nabokov, poum-poum ça repart, très vite c’est un peu cacophonique et même cacaphonique, au loin il y a un gars qui présente un numéro de cirque, apparemment un lion qui ayant bouffé son dompteur et ne sachant pas quoi faire se met avec ses grosses pattes à jouer du piano, y’a un musicien sur l’estrade qui se dit qu’il vaut mieux que ça se termine au plus vite avant que ça ne dégénère alors il vous fait de ces roulements avec sa grosses caisse comme s’il était Keith Moon. Faut bien foutre le cadavre dans un cercueil avant qu’il ne se mette à grandir comme dans une pièce de Ionesco. We trailed off on the middle name : pour comprendre se rappeler que l’américain moyen possède comme tout sénateur romain trois noms : hésitons, un télégraphe qui ne marche pas, une scie à découper, bref un bruit, de toutes les manières ça n’a aucune importance, c’est le moment du monologue dans l’acte III d’une pièce de Racine, le gars ne sait pas déclamer, normal un amerloque peuple jeune et barbare encore mal dégrossi ne peut posséder  les arcanes de cette culture européenne qui repose sur plus de vingt siècles de haute civilisation, en plus c’est peut être un cadavre ou un flic qui parle, ce qui ne vaut guère mieux, y en a tout de même un qui comprend qu’ils sont à la peine alors il appuie sur le bouton de la batterie et ça redémarre sec ( question rock les ricains sont au top ), l’on est au moment crucial, Oreste en tripatouillant ses papiers va-t-il endosser l’identité de Pyrrhus qu’il vient de tuer à moins que ça ne soit le contraire, en tout cas il y en a un dans la pièce à côté qui hurle, est-ce le trépassé ou le vivant, quels sont ces bruits qui carabossent sur sa mathématique bosse, avalanche sonore, folie extraordinaire, bon après la mania-crise, le mec se calme, il ahane comme un âne à qui sa maîtresse suce la queue. Valet parking : dans les thrillers vous avez la scène clef (de voiture), le meurtre dans le parking, nous y sommes, excusez le tintamarre avec toutes ces autos, en plus dans un disque de noise… c’est le moment du doute, le mec il est bien mort, ou a-t-il simplement mal aux dents, doit être chez le dentiste on lui oblitère la molaire car il vocifère, ou alors c’est une métaphore la clef que vous introduisez dans la serrure de la portière, peut-être ressent-elle cette ouverture comme un viol inqualifiable. Je sens que vous êtes perdn… Comment je le sais, facile la musique imite le bruit de vos méninges en cessation d’activité preuve que l’huile de votre intelligence ne les lubrifie plus. Depuis longtemps. Rodeo’s closet : ça y’est on passe à la scène des aveux, la rythmique imite l’agencement du mécano intellectuel qui se met en place. Bien sûr c’est le cadavre qui se confesse, vous pensez la scène confuse pourtant s’il y a un macchabée c’est tout de même de sa faute. Au bruit on devine que pour le faire parler le flic lui passe dessus avec sa voiture, lecteurs amicaux entendez-vous dans cette pièce lointaine rugir le moteur à perdre haleine. Thoroughbreds : vous avez tout compris, il n’y a plus de mystère, n’en profitent pas pour se taire, vous manquent encore quelques détails que généralement l’on omet dans les romans policiers. La question que l’on ne pense même pas à poser. Mais une fois qu’il est arrêté que devient le cadavre ? On ne peut pas le juger. Non on ne le laisse pas seul. Ayons quelque humanité, on se préoccupe de sa survie cadavérique. Y a un service pour cela. Vous n’avez pas compris qu’avec toutes sonorités funèbres, il vaudrait mieux laisser tomber, puisque vous voulez tout savoir : vous saurez tout. Thoroughbreds vous en donne plus. C’est tout simple pourtant : ce sont les mouches qui s’occupent de lui. Est-ce le saxophone de Pat Peltier qui s’en vient jouer le bourdonnement de la mouche enfouisseuse de larves et asticots divers ? Tiens les trois coups du destin reviennent. Qui joue du triangle ? Hop un gros riff monstrueux qui éclate comme ces cadavres que l’on enveloppe dans un grand sachet poubelle en plastique hermétiquech sans penser à  laisser des trous pour que les exhalaisons puissent s’échapper. Putain il y a de la viande d’allongé sur tous les murs, pire que quand vous avez chié dans le ventilateur. Dernier glouglou de cadavre. Cette fois-ci je crois qu’il est vraiment mort. Derniers tintements cristallins, quelque larmes (pas trop, on a quand même bien rigolé) qui tombent sur sa pierre tombale.

              L’ont enregistré à peu près, ce devait être, en quelque sorte vers 2019. Ils ne s’en rappellent plus trop. Sog signifie en bonne santé. Vous voyez ce qui vous arrivera si vous n’êtes pas soges.

             Moi, j’ai beaucoup aimé.

    On y reviendra, ont à leur actif tout un tas de monstruosités. Un complément d’enquête s’impose.

    Damie Chad.

           

  • CHRONIQUES DE POURPRE 621 : KR'TNT 621 : MICK FARREN / ALGY WARD / HOWLIN' JAWS / GUS DUDGEON / DWIGHT TWILLEY / SHANNA WATERSTOWN / CORAL FUZZ / THE CASTELLOWS / ALEISTER CROWLEY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 621

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 11 / 2023

     

    MICK FARREN / ALGY WARD

    HOWLIN’ JAWS / GUS DUDGEON

    DWIGHT TWILLEY / SHANNA WATERSTOWN

      CORAL FUZZ / THE CASTELLOWS

      ALEISTER CROWLEY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 621

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Farren d’Angleterre

    (Part Two)

     

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             Difficile de trouver Star plus True que Mick Farren. L’admiration qu’on éprouve pour lui se mesure à l’échelle d’une vie. Voici les grandes étapes : 1970, séjour à Londres pendant les vacances de Pâques et ramassage pour une bouchée de pain - budget lycéen oblige - des trois albums des Deviants - Disposable, Ptooff enveloppé dans son poster, et celui qu’on appelle la bonne sœur - dans un secondhand record shop de Goldborne Road, au bout de Portobello. 1977, flash sur ‘The Titanic Sails At Dawn’, texte fondateur de Mick Farren paru dans le NME. 1977, killer flash sur «Screwed Up», le meilleur single punk de London town. 2001, flash sur Give The Anarchist A Cigarette, l’une des plus fastueuses autobios de l’histoire des rocking autobios. 2004, flash sur Gene Vincent: There’s One In Every Town, véritable chef-d’œuvre de littérature rock qu’on s’empressera de traduire en français en 2012 (Merci Dom). Ce fut bien sûr l’occasion d’entrer un contact avec Mick Farren et de lui demander un «épilogue explosif» sur «Bird Doggin’», mais il n’était déjà plus en condition et ne disposait pas du «Challenge material», pour reprendre son expression - Quand un mec comme lui t’écrit, tu as l’impression que Dieu t’écrit, il y a du son dans ses mots - Et lorsqu’il a cassé sa pipe en bois en 2013, un bel hommage lui fut rendu ici-même, sur KRTNT. L’autre grand prêtre du culte de Gene Vincent, Damie Chad, avait lui aussi préalablement salué la parution de Gene Vincent: There’s One In Every Town. Ce qui est important avec ce blog, c’est qu’on reste en permanence dans les choses sérieuses. Encore une fois, le rock est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers.

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             Bon on ne va pas revenir sur Give The Anarchist A Cigarette, ni sur Gene Vincent: There’s One In Every Town, il faut simplement rappeler que ces deux books se doivent de trôner sur l’étagère d’une bibliothèque rock digne de ce nom. On va se pencher cette fois sur un recueil d’articles rassemblés par Mick Farren et paru l’année de son cassage de pipe en bois, en 2013, Elvis Died For Somebody’s Sins But Not Mine: A Lifetime’s Collected Writing. Couve avenante, avec Elvis et une belle poule, pagination aussi dodue qu’une retraitée réactionnaire qui se gave de foie gras, et, petite cerise sur le gâtö, mise en page originale, puisque les textes sont justifiés au tiers de page et agrémentés de colonnes annexes dans lesquelles Mick Farren fait coulisser des commentaires. Comme les textes sont anciens et parus dans divers supports de presse, l’idée était d’en éclairer le contexte pour les rendre plus comestibles. Car s’il est une chose qui vieillit très mal, avec le corps humain, c’est l’article de presse.

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             Bien sûr, on se régale, mais en même temps, on sort déçu de ce fat book. Mick Farren est un spécialiste de la science-fiction et il faut être fan de ce sous-genre littéraire pour entrer dans ses délires. Si tu n’es pas fan, tu n’entres pas, c’est aussi simple que ça, même si la langue est joliment rock. Si l’imaginaire sci-fi ne correspond pas au tien, t’es baisé. Va savoir pourquoi tu accordes du crédit à Céline et à Stendhal, et zéro crédit à Philip K. Dick. Il s’agit simplement d’une question d’affinités électives, ou plus bêtement de structure mentale. Si un book te tombe des mains, tu n’insistes pas. La lecture doit rester source de plaisir. Dans son recueil, Mick Farren consacre un chapitre entier à la sci-fi : «Two Thousand Light Years From Home». Malgré le titre qui fleure bon la Stonesy, c’est de la pure sci-fi. L’autre gros problème avec ses anciens articles de presse, c’est le regard politique qu’il porte sur son époque. Certains écrivains commettent l’erreur de dater leurs propos en ciblant des personnages politiques, et ça vieillit très mal. Aujourd’hui, personne n’a plus rien à foutre ni de Nixon, ni de Reagan, ni de la CIA. L’actualité politique naît et meurt aussi sec. Tu ne peux pas faire de littérature avec tous ces guignols politiques. Encore moins avec Tony Blair. Le traitement de l’actualité politique participe d’une dérive journalistique. Les journalistes écrivent dans des quotidiens, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Le quotidien ne mène nulle part. On le jette. Autrefois, on se torchait le cul avec. Par contre, tu peux faire de la littérature avec Elvis, Gene Vincent, John Lennon et Dylan. Et c’est là où Mick Farren retombe sur ses pattes. Et c’est aussi pour ça qu’on lisait et qu’on relisait les textes qu’il publiait jadis dans le NME.

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             Dans une courte intro, Charles Shaar Murray salue son ancien collègue de travail, «as his Own Cosy Leather-Jacket Gin Joint, 24-Hour Global House Party And Medecine Show, offering sharp conversation, bad ideas, cheap stimulation, dirty concepts and links to revolution...» C’est un résumé de 4 lignes qui dit tout. Le Shaar conclut ainsi : «The greasy ‘oodlums are at your door.» C’est le book qui entre chez toi, avec son odeur, le son de sa voix et son univers. Un deuxième préfaceur nommé Felix Denis décrit Mick Farren en six mots : «talent, style, idiot savant, outlaw, friend.» C’est l’outlaw qui frappe le plus. On sent comme une sorte de parenté intrinsèque. Felix illustre plus loin l’extraordinaire polyvalence de Mick Farren : «doorman, editor, journalist, rock star, rabble rouser, critic and commentator, charlatan, jester, c’est-à-dire bouffon, impresario, gunslinging cross-dresser, icon, author, songwriter, poet and - perhaps strangest of all - the Godfather of Punk.» Bien vu Felix ! Pas de punk-rock en Angleterre dans les Social Deviants.        

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             On retrouve bien sûr au cœur de ce recueil le fameux ‘Titanic Sails At Dawn’. Dans son commentaire annexe, Mick Farren rappelle que des tas de gens ont considéré son Titanic comme le texte fondateur du mouvement punk - I disagree - Pour lui, le mouvement était encore trop underground et ne touchait pas grand monde. Il utilise le Titanic comme une métaphore du rock d’alors, «the big time, rock-pop, tax exile, jet-set showbusiness». Il considère que le rock mainstream est dégénéré - For Zsa Zsa Gabor read Mick Jagger, for Lew Grade read Harvey Goldsmith. Only the names have been changed, blah blah - Il parle de turgid mainstream, c’est-à-dire un mainstream en décomposition. Il s’en prend au rock jet-set, il est même en colère quand il voit «les kids qui ont fait son energy and roots faire la queue sous la pluie». Mais les Stones, les Who et Bowie sont bien au chaud - It’s okay if some stars want to make the switch from punk to Liberace as long as they don’t take rock’n’roll with them - Mick Farren considère que le rock doit rester un partage, au sens marxiste du terme. Le rock comme les richesses, sont faits pour être partagés. Le rock appartient à tous ceux qui l’ont fait, et aux kids en premier lieu. Il développe : «Si le rock devient safe, c’est foutu. Cette musique vitale et vibrante est depuis son apparition une explosion de couleurs et d’excitation, une lutte contre la platitude et la frustration sociales.» Pour que tu comprennes mieux, il développe encore : «Si on retire cette vigueur et ce côté calleux du rock, il ne reste plus que la muzak. Même si elle est artistement interprétée et élaborée avec raffinement, elle n’a plus d’âme et ça devient de la muzak.» Mick Farren prêche pour sa paroisse, le proto-punk, mais aussi pour Syd Barrett, Dylan, Elvis et Gene Vincent. Il conclut son Titanic ainsi : «Remettre les Beatles ensemble ne sauvera pas le rock’n’roll. Par contre, quatre kids jouant pour leurs contemporains dans un dirty cellar club pourraient le sauver. And that, gentle reader, is where you come in.» En juin 1977, Mick Farren prêchait la révolution du rock. Il est donc logique que les lecteurs y aient vu un texte fondateur du mouvement punk. Les Sex Pistols allaient faire exactement ce que prônait Mick Farren : sauver le rock. Mais le Titanic du mainstream n’allait pas couler. Les Stones et les Who sont encore là, et ce ne sont pas les pires. Tous les autres atroces vieux crabes sont encore là. La prédiction a donc fait chou blanc. C’est pourquoi Mick Farren a voulu que figure sur la couve de son book cette déclaration de John Lydon : «You cannot believe a word Mick Farren tells you.»  

             À travers tout ça, Mick Farren te demandait simplement de choisir ton camp. C’est sa vraie dimension politique. Et c’est ce qu’il fallait comprendre à l’époque. Alors tu as choisi ton camp. Avec Nick Kent et Yves Adrien, Mick Farren est devenu une sorte de maître à penser, l’équivalent rock de ce que furent pour la génération précédente Sartre et Raymond Aron. Bien sûr, tu devais faire l’effort de lire l’Anglais, et ça venait naturellement, semaine après semaine, à la lecture du NME et du Melody Maker. Puis de Sounds.  

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             Il consacre un chapitre entier à Elvis, qui, comme l’indique le titre du recueil, est mort pour racheter nos péchés, «mais pas les miens», s’empresse d’ajouter l’outlaw Mick Farren - Elvis, de toute évidence l’homme le plus célèbre du monde, apparut so fucked-up par la célébrité qu’il entreprit de se suicider à petit feu en overdosant à coups de Percodan, de graisses animales, et de sucre. Quand il est mort en 1977, et avec tout ce que sa mort a révélé, il apparut que la célébrité n’était pas une forme d’immortalité. Elle prouvait au contraire qu’elle pouvait être a stone killer - C’est le style de Mick Farren : abrasif, il racle la langue, il leste ses mots de plomb, comme le ferait un scaphandrier pour mieux descendre en eaux troubles, pour faire éclater la vérité. C’est sombre, lourd de conséquences. Il rend un hommage faramineux à cette incroyable superstar que fut Elvis : «Elvis Presley était beaucoup plus qu’un entertainer. Il était différent de Frank Sinatra ou Bing Crosby. Il avait repris l’étendard teen lâché par James Dean. Non seulement il l’a repris, mais il a couru avec. Rien qu’en se donnant un coup de peigne, en arborant son rictus et en secouant les genoux, il déclencha la rébellion.» Tout le monde voulait être Elvis. Et le temps a passé, simplement Mick Farren et tous les fans de la première heure sont restés fidèles : «N’importe qui d’autre saurait été oublié, mais pas Elvis. He was just too big for that. En écoutant les vieux disques au milieu de la nuit, je sentais que le magnétisme restait intact, ainsi que the first careless rush. C’était un havre de paix dans un monde de ‘Visions of Johanna’ et d’Have Seen Your Mother Baby’.» Il monte encore d’un cran avec cette formule en forme d’hommage suprême : «Sans Elvis, le monde aurait été sûrement différent, Jagger serait devenu agent immobilier, Dylan un rabbin, Lennon un maçon et Johnny Rotten un juge.» Il a aussi une façon purement farrenienne, c’est-à-dire brutale, de démystifier : «La légende nous dit que le truck driving boy s’est arrêté chez Sun Records pour enregistrer un cadeau d’annive pour sa maman. Sam Phillips le rappela un plus tard et Elvis se révéla être un mauvais crooner. C’est pendant le coffee break que le rock’n’roll fut découvert accidentellement.» Et il grossit le trait : «La légende veut qu’Elvis soit un mec simple qui avait les manières de James Dean, mais il avait aussi sans qu’il s’en doute le pouvoir de réveiller the teenage America qui la porta aux nues dans une mouvement d’hystérie collective.» Attentif au moindre détail, Mick Farren revient sur le style vestimentaire, affirmant qu’Elvis was probably a little weird, son goût pour les costards roses et les chemises noires - the entire hoodlum drag - l’a rendu célèbre. «Ce dont personne ne parle, c’est de la source de son style vestimentaire. En fait, il s’est inspiré des maquereaux black des années 50 qu’il voyait dans les quartiers noirs. Ils étaient les seuls à porter des costards roses comme celui dont se souvient Scotty Moore à la première répète.» Mais pas seulement les black pimps : il s’intéressait aussi au black R&B, avec comme cerises sur le gâtö James Dean et Marlon Brando - His mannerisms are straight from Dean and Brando - Et de là, on passe aux filles assises au premier rang, dans les concerts, qui basculent into screaming hysteria - They fought to get at the larger than life stud in the gaudy suits and longer sideburns than any hot rod punk - Oui, c’est cela qu’il faut retenir, Elvis, the definitive hot rod punk. Encore une fois, tout vient de là. Le rock anglais lui doit tout. Et nous aussi. Plus loin Mick Farren revient sur l’aspect «religieux» des choses. Il commence par affirmer que les religions sont basées sur très peu de choses - Est-ce que ça pourrait être le secret d’Elvis ? Est-ce ça explique le fait qu’il ait été plus qu’un entertainer, ou encore le fait qu’il ait réveillé dans la conscience collective quelque chose d’atavique et très ancien ? Ou sommes-nous simplement victimes de notre délirante imagination ? (out to the ludicrious edge of fantaisy) - The Elvis Universe is one tricky cosmic neighbourhood.

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             En 1975, Mick Farren rendait un bel hommage à Jimbo dans le NME : «La première fois que je l’ai vu, ce fut at the Roudhouse. C’était un Middle Earth all-night spectacular avec les Doors et le Jefferson Airplane - le projet le plus ambitieux mené par les flower punks and psychedelic wheeler-dealers qui géraient what was laughingly called London’s underground rock business.» Mick Farren jette toute son ironie grinçante dans la balance, puis il revient à Jimbo : «Sur scène, pendant les rares moments où Morrison avait le contrôle total, on perdait toute notion d’objectivité. Son théâtralisme, ses longues pauses insolentes, sa façon de se jeter sur le micro, et ses bonds spasmodiques cessaient d’être absurdes. Il emmenait son public au firmament et lui révélait des territoires inexplorés.» Chacun sait que si Jimbo n’avait cassé sa pipe en bois aussi tôt, il aurait été aussi célèbre qu’Elvis, John Lennon et Dylan. Il n’était pas Lizard King pour rien.

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             Par contre, Mick Farren garde un souvenir cuisant de Chucky Chuckah. Il le rencontre pour une interview et l’interviewé ne fait preuve d’aucune commisération pour l’intervieweur. Farren est choqué, car Chucky Chuckah ne se comporte pas en greatest black folk poet of the twentieth century - He doesn’t act that way - Quand l’intervieweur pose son magnéto sur la table, Chucky «tapote dessus de son très long doigt, affiche un sourire espiègle et secoue la tête : ‘Uh-uh. Use the pencil and paper.’» Mick Farren lui demande s’il n’aime pas les magnétos et Chucky secoue de nouveau la tête. Farren est contrarié. Mais ce n’est que le début de ses déconvenues. Chucky répond à côté ou ne répond pas aux questions. Chaque fois que Farren lui pose une question, Chucky répond par un mot de la question. Feel What ? Material ? Problems ? En fait, il ne veut pas entrer dans les détails. Quand Farren lui demande quel effet ça lui fait - what do you feel - d’apprendre que Jimi Hendrix reprenne «Johnny B. Goode», Chucky répond : «I don’t feel nothing». Farren conclut qu’interviewer Chucky est une perte de temps. Excédé, il tente une dernière fois de le faire sortir de ses gonds :

             — Vous avez fait de la taule...

             — No.

             — No ?

             — No.

             Mick Farren sort de l’interview dépité : «J’avais été face à face avec l’un des early giants of rock’n’roll et je m’étais conduit comme un flic qui interroge un petit délinquant.»

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             Dans un bel article paru dans le NME en 1977, il fait un petit retour sur le proto-punk : «Les Dolls tentèrent de s’imposer, échouèrent et essayèrent encore. Brian Eno avait rejoint les Warm Jets et en bavait pour devenir a permanent fixture in the night gallery. Même les Pink Fairies ont essayé de laisser leur marque, mais la seule marque qu’ils ont laissée était celle du sang de Russell Hunter sur le plafond des chambres d’hôtel. Lemmy s’est conformé, comme des millions d’autres anonymes. A band that went by the name of Third World War even preached the philosophy of machine guns in Knightsbridge a good four years before it was at all cool.» Tu as là la meilleure évocation du proto-punk.

             Et puis il y a le fameux ‘Don’t’ qui nous servit de pense-bête pendant un temps. Il s’agit d’une série de commandements, il y en a 3 pages pleines, on ne les a pas comptés, et ça commence bien :

             — Don’t trust anyone who is always on TV.

             Ça s’est vérifié. On ne peut pas faire confiance à ces gens-là. Ils sont pourris de l’intérieur, comme empoisonnés par l’insidieuse mormoille médiatique. Mick Farren dit aussi qu’il ne faut pas faire confiance aux gens qui écoutent Neil Diamond ou Billy Joel. 

             — Don’t trust anyone who thinks Paul McCartney is art.

             Et ça, qui est encore plus farrenien :

             — Don’t trust anyone who thinks Elvis Presley is irrelevant.

             — Don’t trust anyone who’s never heard of Arthur Lee.

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             Deux de ses grands sujets sont les Who et John Lennon. Il rappelle qu’au début, les Who «were badder than any bad-ass teen I ever witnessed.» Ils sont arrivé au bon moment «in both rock technology and the drug culture» - There was a shimmer of juvenile angst and metamphetamine on the band, particulièrement chez Townshend et Keith Moon - et Mick Farren sort l’une de ses bottes de Nevers, la désinvolture fatale du Godfather of Punk : «They were a part of the dark, angry, sometimes psychotic side of swinging London that the tourist brochures always neglected to mention.» Son hommage aux Who est sidérant : «Ce qui fait la force et la malédiction des Who, c’est qu’ils sont trop complexes pour rester seulement un bad-ass teen band avec le même volume sonore et la même violence. Ils ont absorbé toutes les influences à mesure qu’elles se présentaient. Pendant un instant, ils étaient psychédéliques, puis ils sont allés dans ce qui fut Townshend’s inflated idea of big art.» De Tommy, ils sont allés à Woodstock et de là, «on to the ballparks and stadia of the American heartland». À ses yeux, «c’est dans ce teenage wasteland qu’ils ont commencé à pourrir.» Il conclut ainsi cet article daté de 1982 : «Comme je l’ai dit au début, The Who are so damned lovable. Mais il y a une chose que je tiens à dire : s’ils se reforment dans les deux ans à venir, I shall be extremely upset.» Pauvre Mick, s’il savait ! Les Who n’en finissent plus de se reformer. I wanna die before I get old.

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             En 1980, Mick Farren rendait hommage à John Lennon de façon comme toujours impériale - Pour des millions d’entre-nous, les moments les plus importants de notre vie se sont déroulés sur fond sonore de «She Loves You», «Paperback Writer» ou «All You Need is Love». Tout ça sortait d’un poste de radio. John Lennon se trouve dans toutes nos histoires. On s’est tous approprié une partie de lui. Malheureusement, un particular maniac a cru bon de prendre plus que sa part - Il fait bien sûr référence à la balle dans la tête, au pied du Dakota. Et là il se lance dans un parallèle terrifiant : «Il y avait une certaine logique dans le fait qu’Elvis soit mort dans ses gogues avec l’estomac rempli de Quaaludes. Au pire, il était victime de sa faillite spirituelle. Mais il n’y a aucune logique in John Lennon being gunned down outside the Dakota. La faillite spirituelle est celle du fan vampirique qui n’avait d’autre solution que d’abattre l’homme dont la musique le hantait. Et c’était John Lennon. John the cynic, John the lout, John the iconoclast, John the genius, John the working class hero. John Lennon who gave us ‘I feel Fine’, ‘Good Dog Nigel’, ‘Cold Turkey’. Personne n’irait jamais trouver Paul McCartney avec un flingue.» Et Farren, fidèle à lui-même, en rajoute une couche démente : «L’ironie suprême est que parmi les so-called superstars of rock’n’roll, Lennon semblait avoir surmonté les pressions et les peurs qui ont eu la peau d’Hendrix, de Morrison, Joplin et Presley.» Il conclut cet hommage farrenien ainsi : «Christ, I loved the man, and I only met him once», et ajoute un peu plus loin : «The evil that killed Lennon has killed part of all our memories and all our fantasies. Thet self-serving little son-of-a-bitch has killed a part of all of us.» Mick Farren forever. 

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             Tu as d’autres gros textes déterminants sur Bowie, Cash et Dylan - Le problème que j’ai avec Bowie : chaque fois qu’il arrive dans une conversation et que les mecs qui sont au bar se montrent enthousiastes, il y a une petite voix qui chante au fond de ma cervelle : This is the man who recorded «The Laughing Gnome» - Il admet que Bowie a fait pas mal d’erreurs dans sa carrière, comme tout le monde. «Mais chez Bowie, c’est la qualité de ses erreurs qui donne à réfléchir.» Cash, il se fout un peu de sa gueule, dans ‘The Gospel According To J.C.’, publié dans le NME, en 1975 : «Il défend ouvertement les valeurs conservatrices du mariage, du foyer et de la famille. Il chante en duo avec sa femme tout en lui tenant la main. Il est selon ses propres termes, un ancien speedfreak alcoolique qui a laissé Jésus entrer dans son cœur et qui a tourné le dos à la vie sauvage. So far, so tacky - Farren dit que c’est vraiment moche - Et, mon cher lecteur adoré, c’est bien là le problème.» Il le traite en plus d’«arrogant bigored redneck turned holier than thou with diamond rings and a smooth line of Jesus partner.»  C’est le côté américain des riches délinquants convertis au Catholicisme qu’épingle Mick Farren. Il a raison de cibler sur la bigoterie, la deuxième moitié de l’autobio de Cash est en infestée. Une horreur.

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             Son texte sur Dylan paru en 1976 dans le NME s’appelle ‘B-O-B’. C’est un hommage sur-mesure, taillé dans la marbre farrenien. Il évoque la grande époque et «One Of Us Must Know» : «The ponderous ascending cathedral chords do, at times, grab me by the gut in non-verbal uplift.» Et il rend plus loin hommage à Bonde On Blonde - In a way, Blonde On Blonde was in the pits. It was the deepest shaft rock’n’roll had ever sunk in its journey to the center of the psyche - Les pages qu’il consacre dans son autobio au légendaire concert de Dylan à l’Albert Hall comptent parmi les plus belles pages de la rock littérature. Il termine son ‘B-O-B’ ainsi : «Was Dylan the therapist, Machiavelli messing with our heads or just an unwilling caralyst? As I said earlier, That’s the one we don’t get an answer to. Rosebud. Blonde On Blonde is a mnemonic for Bob.»

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             Comme dans tant d’autres grands rock books, le personnage principal pourrait bien être la dope. Elle est partout, surtout dans les histoires des gens qu’il vénère : «La vérité, c’est que Jerry Lee jouait avec une mitraillette dans sa chambre d’hôtel, que Gene Vincent et les Blue Caps entraient dans un patelin redneck dont ils ne se souvenaient pas du nom et avalaient des pillules qu’ils rinçaient avec du Wild Turkey ou du Rebel Yell Confederate bourbon, et tentaient de convaincre une serveuse ou une high school girl de venir avec eux au motel pour voir si the South could rise again.» L’article s’appelle ‘Sex Drugs & Rock’N’Roll’, évidemment. Farren voit son style exploser littéralement : «A thousand Brian Joneses picked up the Futurama guitars and a thousand Johnnies started mixing up the medecine. Once again, rock’n’roll had to move back onto high octane fuel. Yes, you guessed it. A new speed cycle had started up.» Et il embraye sur les mohair suits et les purple hearts. Vroom vroom ! Il rend plus loin hommage aux Blue Cheer - A new wave of suitably demented music. Favorites among the San Francisco speedfreaks were an outfit called the Blue Cheer - Selon lui, la légende veut qu’un chien qui se trouvait sur la scène est tombé raide mort d’une hémorragie cérébrale - 2.000 watts of guitar amplification - Pour Mick Farren, the speedfreaks’ favorite recording reste «Sister Ray» - Partout à travers le monde, dans des grungy basements, with four amps of meth, and an auto-charger set to repeat, ‘Sister Ray» played again and again. On sort un peu sonné de certains articles, tellement sa langue est heavy. On pourrait même qualifier son style de stoner style. Mick Farren a la main lourde. Dans l’intro de son premier chapitre, ‘A Rock’nRoll Insurrection’, il se présente ainsi : «Depuis que j’étais en âge d’acheter mes cigarettes, j’affichais une mine d’adolescent en colère - a snarl of teenage resentment - comme on porte a philosophic motorcycle jacket.» Cette définition qu’il fait de lui-même contient deux clés : «Teenage resentment» et «Motorcycle jacket», dont il va bien sûr faire des livres, Speed-Speed-Speedfreak - A Fast History Of Amphetamine et Black Leather Jacket. Mick Farren est certainement l’auteur britannique qui a su le mieux explorer les mythes de la culture rock. Tout passe par le cuir et la dope. Et les stars - Choqués par ce qui venait de se passer à Altamont, les Stones s’étaient réfugiés dans la chambre 1009, où ils se plaignaient qu’ils n’arrivaient pas à s’envoyer en l’air. Elvis avait revêtu du cuir noir pour essayer de prouver une dernière fois qu’il était un être humain, et comme je l’ai déjà dit, Dylan faisait tout ce qui était en son pouvoir pour se faire passer pour the very first all-jewish country cousin.

             Côté son, des petits labels underground entretiennent la légende de Mick Farren & the Deviants et ont fait paraître quelques albums intéressants.

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             Pas mal d’énormités sur le vaillant Dr Crow qui date de 2004, et notamment le «When Dr Crow Turns On The Radio» d’ouverture. Mick Farren a toujours su s’entourer du meilleur son d’Angleterre. En voilà encore la preuve. C’est un son plein de beat et de guitares, un son qui transcende les morts pour les rendre éternels. Andy Colquhoun veille au grain de la tempête sonique - No direction home/ A complete unknown/ Like a rolling stone - Mick reprend les choses qui l’ont traumatisé à vie. Pure monstruosité aussi que sa reprise de «Strawberry Fields Forever» avec le let me take you down qui nous donne envie d’y retourner encore et encore, et Mick charge ça avec la voix pâteuse d’un pilier de bar, et c’est complètement ravagé par Andy le pyromane. Mick en fait une déconstruction à la Zappa. On sait qu’il a toujours adoré Frank le rital. Nouveau festival d’Andy sur «Bela Lugosi 2002». Extraordinaire partie de purée sonique, terrible épopée. Tout est dense, tout est chapeauté de folie sonique, Andy a tout compris, il rampe dans les limbes de l’ombilic avec une ardeur arachnoïde. Quelle ambiance extravagante ! On trouve une bassline de rêve dans «Diabolo’s Cadillac», le boogaloo farrenien par excellence. On voit Mick Farren traîner un groove dans son terrier pour le bouffer tout cru. C’est de la jute du démon. Farren ne plaisante pas. Il a le discours qui va avec. C’est définitif, énorme et supérieur en tout. Ils terminent avec un hallucinant «What Do You Want» amené aux dégoulinures d’Andy, si bien vu qu’on en reste désarmé. Quel beau heavy blues, bien caverneux, bien infernal, plein de son et Jack Lancaster part en vrille de sax. On se soûle de toutes ces effluves.

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             Paru en 2013, Black Vinyl Dress est l’album posthume de Mick Farren. On y trouve un coup de génie : «If I Was A Hun On My Pony». L’écrivain Farren s’exprime dans son micro - Me serais-je aperçu que j’étais au service de l’apocalypse ? - Il raconte comment il va détruire cette vieille civilisation - A system of supposed civilization/ And ushering in dark ages/ And centuries of war pestilence disease and ignorence - Il se dit que finalement, c’est un jour de boulot en plus - As just another day on the job - Il fait aussi une terrible reprise de «Tomorrow Never Knows». Comme Lemmy, Mick vénère les Beatles. C’est extrêmement significatif de leurs toquades de mad psychedelia. On sent les vétérans de tous les trips et Andy en fait un psychout de rêve. C’est une pure merveille d’exaction écarlate, le summum d’Herculanum. On trouve d’autres goodies sur cet album comme «Cocaïne + Gunpowder», joué aux tambours de guerre - We survived on cocaine & gunpowder - C’est presque une histoire de pirates. Comme Lemmy, il sait décrire les ambiances des cambuses mal famées. Fantastique cut aussi que le morceau titre car c’est chanté par un pur écrivain - And the twisting vortex of fury & dead flowers/ is there significance that it comes 18 hours/ Before I have agreed to the recital? - On sent la puissance du verbe. Mick chante comme un dieu, c’est-à-dire à l’édentée.

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             L’année suivante paraît The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ça démarre sur «Aztec Calendar», brûlé à l’énergie des réacteurs, terrific sound, Andy joue dans l’interstellaire, il lâche dans la modernité farrenienne un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Dylan qui t’envoie au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. Andy est aussi dévoué pour Mick que Phil Campbell l’était pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, ramène son bassmatic. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Là, on tape dans la légende. Ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre anglaise. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques, et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

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             La même année paraît un live des Deviants, Barbarian Princes - Live In Japan 1999. Dans ce live, on retrouve tous les gros hits des Deviants, notamment «Aztec Calendar». Mick y déclame son texte et ses mothafukah, et la chose prend une tournure fantastique avec l’«It’s Alright Ma» de Dylan, gorgé de grattes et d’un bassmatic excessifs. Sur «Disgruntled Employee», Andy joue quasiment en solo continu. C’est l’histoire du mec qui va au boulot - And I’m going to the plant tomorrow morning - Mick Farren raconte une vraie histoire, comme s’il avait bossé à l’usine toute sa vie. Belle pièce aussi que ce «God’s Worst Nightmare» - Shebazz is raging and Ophelia wheeps/ Desemona’s going down on the kid who nerver sleeps - Et dans «Leader Hotel», il raconte l’histoire d’une fille qui enfonce des nine inch nails pour couvrir les cris. Belle pièce de poésie trash. Tout est excitant chez Mick le cadavre. C’est le meilleur groove de psyché qu’on puisse trouver sur le marché. Avec «Thunder On The Mountain», Andy vole le show. On se demande soudain qui, à part les derniers fans de Mick Farren, va aller écouter ça. «Lurid Night» est trop textué. Mick Farren adore les poèmes fleuves. Ils finissent avec un extraordinaire «Dogpoet». Mick est au bar et il dit à un mec de laisser son billet de vingt sur le comptoir. C’est bien pire que «Sympathy For The Devil», c’est un vrai texte de zonard, bourré de visions terribles. Défoncé au bar, Mick Farren raconte. 

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             Bel album que ce Human Garbage des Deviants, car Wayne Kramer et Larry Wallis accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Et pouf, les voilà partis en mode mid-tempo pour «Outrageous Contagious». Wayne Kramer y joue un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte. On retrouve l’énorme bassman Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif et lancinant à la fois. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick, certainement le plus punk des singles punk d’alors, et là c’est visité en profondeur par un solo admirable et porté par la bassline de Sandy le héros. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux boogie de Larry, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des grattes et le brouté de basse. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec cet incroyable garage-cut de Zappa, «Trouble Coming Every Day». N’oublions pas que Mick Farren admirait Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

    Signé : Cazengler, Mick Farine

    Mick Farren. Elvis Died For Somebody’s Sins But Not Mine: A Lifetime’s Collected Writing. Headpress 2013

    The Deviants. Dr. Crow. Captain Trip Records 2004

    Mick Farren And Andy Colquhoun. Black Vinyl Dress. Gonzo Multimedia 2013

    Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Gonzo Multimedia 2014

    The Deviants. Barbarian Princes. Live In Japan 1999. Gonzo Multimedia 2014

     

     

    Third World Ward

     

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             Quand Algy Ward a cassé sa pipe en bois, Vive Le Rock fut le seul canard à lui dérouler le tapis rouge en lui consacrant quatre pages. S’il n’avait pas joué sur deux des grands albums classiques du rock anglais, Eternally Yours et Machine Gun Etiquette, Algy Ward serait passé complètement inaperçu. Mais à l’époque, les fans des Saints et des Damned l’ont repéré.

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             Il eut en effet le privilège de jouer sur cet album qu’il faut bien qualifier de révolutionnaire, Eternally Yours. Eh oui, «Know Your Product» semble conçu pour réveiller les morts du Chemin des Dames. Difficile de réécouter cette dégelée via Algy, on tente le coup, même si Chris Bailey domine le mayhem. Algy bassmatique comme un damned, c’est puissant de what I want. Algy buzze bien dans la fournaise. Il refait des siennes en fin de balda, dans «No Your Product», ça joue au pounding délibéré et au big bass buzz. Idéal pour un bombardier comme Algy Ward. C’est lui qui propulse le cut dans l’avenir. On l’entend aussi se balader dans le fast punk de «Lost & Found». Il multiplie les échappées belles. Il est encore comme un poisson dans l’eau avec «Private Affair» - We got new thoughts new ideas/ It’s all so groovy - et puis il fait son grand retour en B avec «This Perfect Day», il sature littéralement les couplets de basse et le Bailey tombe à bras raccourcis sur le cut à coups de perfect/ Day. Tout le reste est bombardé d’Algy vertes, tout est chargé de la barcasse.

             Algy s’appelle en réalité Alasdair Mackie Ward. C’est un kid de Croydon, et comme le Captain et Rat Scabies, il bosse tout jeune au Fairfield Halls.

             Débarqués en Angleterre en février 1977, les Saints font le carton que l’on sait, mais durant l’été 1977, leur bassman Kym Bradshaw se fait la cerise. Les Saints ont besoin d’un remplaçant vite fait et ça tombe bien, leur roadie Iain Kipper Ward en connaît un : son petit frère Algy, qui n’a que 18 ans. Coup de pot, Algy connaît bien les cuts des Saints et il passe l’audition les deux doigts dans le nez. Les Saints le rebaptisent Algernon et ça se termine en Algy. Ed Kuepper : «We didn’t audition anyone else, he was that good.» Algy joue aussi sur Prehistoric Sounds, mais quand les Saints se séparent, Algy se retrouve tout seul, le bec dans l’eau.

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             Pas pour longtemps. Les Croydon punks ont repéré Algy. «C’est qui ce local bloke que personne ne connaît et qui joue avec les Saints ?», se demande le Captain. Comme Algy aime boire un coup, le Captain devient pote avec lui - We bonded instantly - Après leur deuxième album, les Damned ont implosé, et au moment où ils décident de redémarrer sans Brian James, ils cherchent un bassman permanent - Croydonian Algy was the obvious choice - Il colle parfaitement avec «the merciless dog-eat-dog philosophy» des Damned. En fait ils louchent sur son «Norton Commando bass sound». C’est Algy qui gratte l’intro demented de basse sur «Love Song», l’un des outstanding tracks de l’outstanding Machine Gun Etiquette. Captain Sensible dit qu’Algy grattait ça with a coin. Oui, on l’entend cogner ses cordes à la pièce de monnaie, just for you/ It’s a love song, et le Captain passe un solo à la Wayne Kramer. It’s okay ! Te voilà calé d’entrée en jeu. Nouveau coup de génie avec «Melody Lee», fast Damned trash-punk, ça joue au pire du pire, au beat de London town. Ils font pas mal de pop sur cet album mais tout explose en B avec une cover magistrale de «Looking At You», l’un des smashers intemporels du MC5, les Damned l’avalent tout cru au doin’ alrite et le Captain Moïse grimpe à l’assaut de l’Ararat Kramer avec toute la tension dont il est capable. On entend Algy bombarder dans «Liar», il bombarde partout -  his thunderous bass is all over Machine Gun Etiquette - et ce fantastique album s’achève avec «Smash It Up» plus poppy et pointé à l’orgue. Algy bourdonne dans le son comme un gros bouzin affamé. Il joue gras. C’est un Bomber, comme Lemmy. Vieille école anglaise.

             Et puis crack, le management des Damned vire Algy au jour de l’an 1980. Aucune explication - I wasn’t happy, it was a surprise - Le Captain dit que Rat et Algy picolaient trop et qu’ils se battaient à coups de bouteilles vides pendant le tournage d’un vidéo pour «Smash It Up», ce qui fait bien marrer le Captain. Algy lèche ses plaies et monte Tank avec les frères Brabbs de Croydon. Algy s’inspire de Motörhead et le manager de Motörhead, Doug Smith, prend groupe Tank sous son aile. L’ironie de l’histoire, c’est que Doug Smith a viré Algy des Damned. Alors attention, ce n’est plus tout à fait le même son. On a testé deux albums de Tank. Power Of The Hunter et Filth Hounds Of Hades, parus tous les deux en 1982.

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             C’est Fast Eddie Clarke qui produit leur premier album, Filth Hounds Of Hades. Algy et les frères Brabbs sonnent comme les Damned sur le «Shellshock» d’ouverture de balda. Ils amènent ça au ouhma de la tribu et boom patatrac, ça bascule dans l’enfer des Damned, revu et corrigé par Motörhead. Peter Brabbs sonne exactement comme Fast Eddie Clarke. D’ailleurs, le «Turn Your Head Around» qu’on croise plus loin semble sortir tout droit de No Sleep Till Hammersmith. Brabbs a le diable au corps, il gratte fast and hard, et son frangin Mark bat le beurre du diable. Belle fournaise ! Algy tape là un rock solide et rougeoyant. Tout l’album est monté sur ce modèle. On peut voir des photos d’eux en clones de Motörhead, avec les ceintures de cartouches. Mais on perd complètement les Damned. Au bout de trois cuts, ça commence à tourner en rond. C’est le problème des groupes de power rock anglais, à l’époque. Et dès qu’il sort des Saints et des Damned, Algy est foutu. Il retombe dans l’anonymat. Il bombarde du gros bassmatic, c’est sûr, mais il n’a pas les compos. Ils amènent «That’s What Your Dreams Are Made Of» au riff délétère et ça tient bien la route. On commence à baver à l’approche de «Who Needs Love Songs», mais il faut déchanter : rien à voir avec le Love Song des Damned. Et puis la surprise vient du dernier cut, «(He Fell In Love With A) Stormtrooper» : c’est l’hit de Tank. Ça s’écoute et ça se réécoute sans modération.

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             Avec Power Of The Hunter, Algy va droit sur Motörhead. «Walking Barefoot Over Glass» est du pur jus de Fast Eddie Clarke, c’est exactement le même son, avec l’Algy qui claque son bassmatic au coin par derrière. Ah quelle équipe ! Au plan commercial, ils n’avaient alors aucune chance, ce qui les rend d’autant plus sympathiques. Et puis voilà qu’ils enchaînent les cuts comme des rafales, tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà, ils proposent un son bien ramoné de la virgule, bien crade, avec un Algy qui s’encanaille et qui chante comme un malfrat. Les Tank campent sur leur position, ils roulent sur des chenilles, avec un son cousu de fil blanc, on commence à s’ennuyer et ce n’est pas bon signe. Privé des Saints et des Damned, l’Algy est paumé. Et soudain, un bel instro dévastateur nommé «T.A.N.K» leur sauve la mise et du coup l’album renaît, ce que vient confirmer l’excellent «Used Leather (Hanging Loose)» gratté à la Fast Eddie, tapé au beat rebondi et gratté à la grosse cocotte, on reste dans le Mondo Bizarro de Motörhead, avec les cartouchières. Ils tapent ensuite une reprise étrange, le «Crazy Horses» des Osmonds. Ça gratte dans la couenne et ça donne une belle envolée poppy poppah. On entend l’Algy bananer son bassmatic dans la plaine en feu de «Red Skull Rock» et ce brave album s’achève en beauté avec «Filth Bitch Boogie», bien gratté au coin. Algy adore mettre son bassmatic en évidence, c’est du meilleur effet. C’est lui qu’on entend et Brabbs se balade derrière le son. Crade, oh si crade !

             Algy enregistre ses deux derniers albums tout seul : Breath Of The Pit en 2013, et Sturmpanzer en 2018. Poussé par la curiosité, on s’est amusé à les écouter. Alors bravo Algy, car c’est du bon boulot de one-band band.

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             Dur à dire, mais avec le morceau titre de Breath Of The Pit, il surpasse Motörhead. Il jette tout son Tank dans la bataille, il est complètement fou, il pulvérise tous les records de Motörhead, la cavalcade infernale et tout le reste, le strumming de la marche forcée, il joue tous les tenants et les aboutissants de la fournaise. Algy est héroïque. Puis il avale «T34» tout cru. Après tu peux chipoter sur la qualité des cuts, mais Algy réussit son coup : full power post-Motörhead. Il est écrasant de power et de T34. Avec sa Tele noire, il est virtuosic. Et ça continue avec «Kill Or Be Killed», il bombarde comme un fou, il joue tous les gros accords de la concasse et passe des breaks de bassmatic, tout est chauffé à blanc, y compris le killer solo. Sur «Healing The Wounds Of War», il lèche ses plaies dans sa tanière. Il joue d’incroyables parties de gratté de poux. Il fait encore des étincelles sur «Stalingrad (Time Is Bood)». Sa gratte sonne comme les orgues de Staline, il mitraille toute la plaine gelée. L’épouvantable Algy s’amuse bien dans son studio, il explose la rate de tous ses cuts. Il adore prendre feu en chantant. Algy est un fakir. Ce qu’il adore par dessus tout, c’est arroser la tranchée : rien n’en sortira vivant («Crawl Back Into Your Hole»). Algy est un vieux fou à l’anglaise. Il crée les conditions de l’enfer dans son trou à rats. Toute la frénésie de Motörhead est là, sans la voix, bien sûr. Plus les cuts défilent et plus il s’enflamme. Il peut faire du Fast Eddie Clarke à la puissance dix. Pure hell ! Wow, quelle évanescence comminatoire ! Sur cet album, tout est calé sur le volume 12. «Conflict Primeval» est un cut explosé du chou-fleur, la peau pantelante, les organes diversifiés, Algy ne respecte rien, ni les harmonies de l’univers ni les règles de politesse. On finit par tirer la langue, avec un mec comme lui. Il termine avec «Circle Of Willis», un vieux balladif bien gras, une vraie barquette de frites. Il s’en donne à cœur joie. Il vit dans son lard et lui donne corps. Admirable Algy ! N’aura-t-il tant vécu que pour cette infamie ?

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             Sturmpanzer est donc son dernier album. On le voit à l’intérieur du digi, assis dans son salon, avec des longs cheveux blancs et des lunettes noires. On ne s’habitue pas à l’idée qu’Algy ait les cheveux blancs. Dans l’imaginaire, il reste le jeune Algy de la grande époque, avec ses petits cheveux en épis. Sturmpanzer grouille de cuts intéressants, à commencer par le «2000 Miles Away» d’ouverture de bal. Il bombarde ça tout seul dans son salon et se noie dans sa heavy storm. L’autre poids lourd de l’album s’appelle «Little Darlin’», il y passe un wild killer solo flash qui épouvante la populace. Ce mec est vraiment passionnant. Il a un sens inné de la profondeur de champ, comme le montre encore «Sturmpanzer Pt 1 & 2», sa cocotte sourd des profondeurs du heavy rock anglais, il sonne comme une suite à Motörhead, avec ses éclairs à la Fast Eddie Clarke. Il charge bien sa barcasse. Il dépote comme un Panzer, il est héroïque, il faut le voir écraser ses pâquerettes et arroser les alentours au lance-flammes. On se demande comment il parvient à développer un tel ramdam tout seul. On pense bien sûr à Nick Salomon, l’one-man operation de Bevis Frond. Algy tape ses heavy shuffles de grosse cocotte tout seul et ça se tient («Lianne’s Crying»). Il retombe en plein Motörhead avec «First They Killed The Father». Il parvient à reproduire la pétaudière de Lemmy avec le beurre de Mikkey Dee. Avec «Living In Fear Of», il montre qu’il connaît toutes les ficelles de la débinade, il est capable de fouiller les entrailles d’un killer solo flash. Nouvelle surprise de taille avec «Which Part Of FO Don’t U Understand». Le FO, c’est Fuck Off, il te demande si t’as bien compris. Il passe encore un beau solo à la Fast Eddie et son gratté de poux explose. Il n’en finit plus de faire ses miracles avec ses imitations de Fat Eddie. Il termine avec un superbe instro, «Revenge Of The Filth Hounds Pt 1 & 2». Il attaque ça au Oumbah Oumbah tribal, il ramène du son, un vrai Niagara. Il crée son monde, alors on l’admire.

    Signé : Cazengler, Algue verte

    Algy Ward. Disparu le 17 mai 2023

    Saints. Eternally Yours. Harvest 1978

    Damned. Machine Gun Etiquette. Chiswick Records 1979

    Tank. Power Of The Hunter. Kamaflage Records 1982 

    Tank. Fiith Hounds Of Hades. Kamaflage Records 1982

    Tank. Breath Of The Pit. Southworld Recordings 2013

    Tank. Sturmpanzer. Dissonance Productions 2018

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    Gerry Ronson : Hold on your toupées. Vive Le Rock # 104 – 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Hey Jaws

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             Comme tous les amateurs d’émotions fortes, l’avenir du rock aime bien voir des vampires et des zombies radiner leur fraise sur grand écran. Cette façon qu’ont des mecs comme George A. Romero et Murnau de jouer avec la mort flatte durablement l’intellect chatouilleux de l’avenir du rock. Il s’autorise même à claquer des dents quand glisse sur un mur l’ombre longue de Nosferatu. L’un des jeux favoris de l’avenir du rock consiste à aller acheter une dizaine de grandes tresses d’ail au marché et annoncer d’une voix grave à la marchande qu’il va les accrocher à ses fenêtres pour éloigner les vampires. Comme la marchande ne sait pas si c’est du lard ou de cochon, elle se force généralement à sourire. Quel cabotin, cet avenir du rock ! Il raffole aussi du White Zombie de Jacques Tourneur, mais il ne va pas trop sur les zombie movies plus contemporains, la surenchère d’effets spéciaux l’ennuie profondément. Par contre, il applaudit bien fort l’Only Lovers Left Awake de Jim Jarmush, car c’est un exercice de style des plus réussis. Jarmush établit un lien évident entre deux mythes contemporains : le rock et le vampirisme. Et bien sûr, Adam le vampire vit à Detroit et s’en va reconstituer ses réserves de sang à Tanger, autre ville rock par excellence.  Ce petit chef-d’œuvre d’ironie vampirique entre en concurrence directe avec l’excellent Dracula de Coppola, que l’avenir du rock ovationne. Gary Oldman y fait de délicieux ravages, sous sa perruque de Casanova fellinien. L’avenir du rock apprécie aussi beaucoup Hitchcock pour ses fins de non-recevoir, celles qui laissent l’Hichtcocké bouche bée à la fin des Oiseaux ou de Psychose. Personne ne saurait dire comment vont réagir les milliers oiseaux rassemblés devant la maison au moment où Mitch Brenner fait monter les trois femmes dans la bagnole. Personne ne s’attend à voir Anthony Hopkins parler d’une voix de vieille femme. Hitchcock te laisse imaginer la fin de l’histoire. Pas besoin de coups de tronçonneuse pour te mettre sous pression. L’avenir du rock déteste cet esprit gore américain, les fucking requins blancs et quand on le branche sur Jaws, il hausse les épaules. Il préfère mille fois les Howlin’ Jaws.

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             Contrairement à ce qu’indique le titre de cette rubriquette, les Howlin’ Jaws ne reprennent pas «Hey Joe», mais «Down Down» des Status Quo. Comme déjà dit ailleurs, on a les titres qu’on peut. Même si on ne garde pas un souvenir impérissable des Status Quo, la cover que font les Jaws de «Down Down» est une belle bombe atomique. Ils te lâchent ça en plein cœur de set, et boom, tu te retrouves à Nagasaki, mais un gentil Nagasaki, pas celui qui te brûle la peau, celui qui te brûle la cervelle pendant trois ou quatre minutes. Les Jaws te jouent ça à la pure fusion nucléaire, ils disposent des dynamiques qui font le panache des très grands groupes de rock sur scène, ils fonctionnent en mode tight power trio, avec tous les ingrédients nécessaires, alors tu n’en perds pas une seule miette.

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             On les voit chaque fois jouer en première partie, mais cette fois, ils volent le show pour de bon. Malheur au groupe qui monte sur scène après eux. Il fut un temps où les Jaws sonnaient plus rockab, d’ailleurs Djivan Abkarian slappait jadis une stand-up. Il gratte maintenant une Fender bass et, coiffé comme l’early McCartney, il fait illusion. Ce petit mec est absolument brillant. Il sait placer sa voix, il swingue sa pop comme un vétéran du Mersey Beat, il saute en l’air, il tire le trio dans l’énergie des early Beatles et des Hollies, et c’est vraiment très impressionnant.

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    De l’autre côté de la scène, tu as Lucas Humbert, wild as fuck sur sa Ricken, il entre en transe aussitôt arrivé sur scène, il prend des pauses just for the fun of it et t’éclate le Mersey Beat au Sénégal. Il gratte ses poux à n’en plus finir et ramone son rock comme Johnny Ramone, mais en plus British, en mille fois plus catchy, comme si c’était possible. Et puis au milieu, Baptiste Léon bat le beurre du diable. Il propulse la bombe atomique.

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    Avec les Howlin’ Jaws, le rock ne traîne pas en chemin. Ils tapent le morceau titre de leur quatrième album, «Half Asleep Half Awake». La version live est nettement plus balèze que la version studio, et ils font bien sûr mouche avec «Healer», un big timer glam tiré lui aussi d’Half Asleep Half Awake. Ils montent glam power en épingle. Sur scène c’est imparable. T’en as la jaw qui se décroche et qui te pend sur la poitrine comme une lanterne (l’une des expressions favorites de Jean-Yves, empruntée à Lux Interior).

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             L’autre gros coup d’Half Asleep Half Awake s’appelle «It’s You», un heavy rumble noyé de son. Comme le précédent, cet album est produit par Liam Watson, le Toe Rag Boss. Les Jaws n’ont jamais sonné aussi British.

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    Le «Mirror Mirror» d’ouverture de bal s’orne d’un superbe solo de psychout so far out, avec un chant complètement extraverti. Au moins, on sait où on est : au paradis. S’ensuit un «Bewitched Me» encore plus poppy poppah. Quelle régalade, quand on aime ce genre de débinade. On se croirait à London town en 1966. Ils ont définitivement abandonné leurs racines rockab. Pas facile de s’imposer en France avec une pop anglaise aussi pure. Avec «Blue Day», ils se prennent pour Nick Waterhouse, c’est de bonne guerre, et ils bouclent l’album avec un «See You There» amené au petit psyché de réverb et lesté d’un wanna see you there bien appuyé. Djivan Abkarian chante au petit sucre intentionnel - Won’t you come on down - et Lucas la main froide place un gros shoot de vrille à la Yardbirds, ils s’enfoncent tous les trois dans les bois de la vape, c’est assez spectaculaire, ils cherchent leur voie avec l’énergie du désespoir, c’est une voie qui passe par le freakout. Dommage qu’ils n’explosent pas. Les Who et les Creation n’auraient pas raté une telle occasion. 

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             L’album précédent s’appelle Strange Effect et date de 2021. Encore enregistré et produit par Liam Watson. Bingo, dès «Safety Pack», un cut qui tourne à l’énergie des early Beatles, mais revue et corrigée par les Jaws. Fantastique réinvention du genre, avec un superbe pounding de bassmatic et bien sûr le wild killer solo flash. Cut solide, accueilli à bras ouverts et convaincu d’avance. Châpö les Jaws ! Deux coups de génie se nichent sur ce Stange Effect : «Heartbreaker» et «Love Makes The World Go Round». Le premier est poppy as hell, gorgé d’énergie, celle du British Beat. Ça sonne tout simplement comme un hit planétaire, avec un brin de tension rockab dans le background. On retrouve le sucre candy du chant et les départs en trombe de Lucas la main froide. Plus stupéfiant encore, Djivan Abkarian attaque «Love Makes The World Go Round» à la Lennon. Son incroyable swagger te fout des frissons partout. Il chante vraiment comme un dieu beatlemaniaque. Cet album est une révélation. Ces trois petits mecs échappent à tous les clichés, par la seule force de leur talent. «The Seed» sonne comme un petit boogie vite fait, mais ils le plient à leur volonté - Seed of love ! - Encore du British flavor avec «Long Gone The Time». Son de basse à la Watson, c’est quasiment un hit beatlemaniaque, avec des chœurs Whoish de la la la et un solo à la George Harrison. Ils vont plus sur les Byrds avec «My Jealousy». C’est dire l’ampleur de leur Howlingness.

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             Leur premier album sans titre date de 2012. C’est un pur album de rockab, c’est même du Rockers Culture, avec le nom de Tony Marlow dans les remerciements. L’amateur de rockab s’y retrouve, Howlin’ Jaws est un pur album de wild cats. Avec «Get The Thrill», ils sonnent exactement comme les early Stray Cats. Même énergie. Leur «Babylon Baby» renvoie directement au Stray Cat Strut, et Djivan te bombarde ça à la stand-up. Il chante comme un cake. Les Jaws restent dans la veine Stray Cats avec «Dollar Bill» et une belle descente au barbu. Les Jaws ne traînent pas en chemin. Wild & fast. Et puis voilà le coup de génie de l’album : une cover du «Shake Your Hips» de Slim Harpo. Ils te tapent ça au heavy slap - C’mon move your hands/ C’mon move your lips - Ils jouent à la sourde. On tombe plus loin sur une autre cover de choc, le «Sixteen Tons» de Merle Travis, tapé à coups d’acou, joli swing de deeple and dat - I lost my soul to the company soul - Encore un fantastique shoot de wild as fuck avec «Walk By My Side». Le gratté de poux rôde dans le son comme un fantôme, et avec «What’s The Thing», ils déferlent littéralement en ville. Sur «Danger», Djivan fait le blblblblblb de Screamin’ Jay, il connaît toutes les ficelles, et dans «Why Are You Being So Cruel», Lucas la main froide gratouille du Mick Green par derrière. Ils sont admirables. Fin de party avec le classic jive de «Lovin’ Man». Dans leurs pattes, c’est excellent, plein de jus. Avec les Jaws, c’est la fête au village Rockab, tout le monde saute en l’air.

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             Paru en 2018, le mini-album Burning House est un peu moins dense. Dommage. Le hit rockab se planque en B et s’appelle «Three Days», bien slappé derrière les oreilles. Ils tapent leur morceau titre à la Jody Reynolds et vont plus sur le rockn’roll avec «You Got It All Wrong», comme s’ils prenaient leurs distances avec le rockab. Ils vont sur quelque chose de plus allègre, presque anglais, très Mersey dans l’esprit. Djivan drive bien son «She’s Gone» au walking double-bass. Et son aisance vocale est confondante.

             Pourvu que le mainstream ne les détruise pas.    

     Signé : Cazengler, Howlin’ jawbard

    Howlin’ Jaws. Le 106. Rouen (76). 3 novembre 2023

    Howlin’ Jaws. Howlin’ Jaws. Rock Paradise 2012

    Howlin’ Jaws. Burning House. Badstone 2018

    Howlin’ Jaws. Strange Effect. Bellevue Music 2021      

    Howlin’ Jaws. Half Asleep Half Awake. Bellevue Music 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Magic Gus

     

             Il avait du charisme et il savait. La première rencontre fut un entretien d’embauche. Il était impossible de ne pas être frappé par l’extrême décontraction de Gusto. Rien à voir avec les autres responsables, ces gens qui aiment jouer au chat et à la souris avec les candidats. Gusto semblait au contraire s’inquiéter pour eux, avec des questions du genre : «Ne craignez-vous pas de vous ennuyer avec nous ?», auxquelles il fallait s’empresser de répondre : «Oh non non non, pas du tout !», ce qui avait le don de le faire sourire. Ça devenait troublant, car il souriait comme une movie star. Il avait un charme fou, ce qu’on appelle le charme italien, qu’il rehaussait par une moustache bien fournie. Rencontrer un tel décideur dans ce circuit, ça ressemble à un conte de fées. On finit par avoir une vision détestable du marché de l’emploi, à force de tomber sur des cons. Surtout dans ce domaine d’activité qui est celui de la com, censé être un domaine réservé en partie aux artistes, mais qui en réalité ne l’est pas du tout. Ce marché, comme le sont probablement les autres, est devenu un marché aux bestiaux, avec des procédés d’une violence inouïe. Alors forcément, quand on tombe sur un Gusto, on se demande si c’est un gag. Ce type de rencontre relève du surnaturel. Le plus troublant est qu’il ne jouait pas un rôle, le rôle du mec bienveillant qui accueille les candidats. On sentait au ton de sa voix qu’il était authentique, et ce fut d’autant plus probant qu’il donna son accord très vite, évitant de faire durer le suspense. Dans les jours qui suivirent, ce fut un régal que de le fréquenter. Il traça les grandes lignes du job, fit l’inventaire des quelques clients, montra ce qu’il fallait montrer sur les ordis, accompagnant toutes les consignes de remarques assez hilarantes. Il resta en doublon pendant quelques jours, puis un soir, juste avant la fermeture, il me demanda de venir dans son bureau pour annoncer qu’il quittait Paris : «Je vais vivre à la campagne. Tiens voilà les clés. Je te confie la boutique. Je fais les devis, tu les recevras par fax et c’est toi qui feras les factures. Tu les donnes ensuite à la secrétaire. Voilà tu sais tout. Fais gaffe de ne pas bouffer la grenouille ! La France compte sur toi ! Tu m’as pas l’air trop con, je crois que t’as tout compris». Et il éclata de rire au spectacle de ma consternation.

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             Alors que Gusto inventait le concept du job surréaliste, Gus Dudgeon inventait celui du producteur-enchanteur. Il paraissait donc normal qu’Ace lui rende hommage avec l’une de ces délicieuses compiles qui font depuis disons quarante ans sa réputation. Cette compile s’appelle Gus Dudgeon Production Gems et date de l’an passé. C’est l’une des manières les plus élégantes de revisiter l’histoire glorieuse de la pop anglaise, d’autant que ça démarre avec le «She’s Not There» des Zombies qui n’en finit plus de fasciner la populace. Gus signe la prod de ce chef-d’œuvre tapi sous le boisseau, de belle basslines traversières remontent le courant du couplet, Gus image le son, il soigne la voix de Colin Blunstone, on assiste à une fantastique foison d’excelsior, couronnée par un solo de piano faramineux.

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             John Kaufman attaque le booklet. Il commence par saluer le lecteur - Dear music lover - puis il rappelle que cette compile était prévue pour le soixantième anniversaire de Gus qui hélas cassa sa pipe en bois trop tôt, donc le projet est allé au placard. C’est lui Kaufman qui avait eu l’idée de cette compile pour en faire la surprise à Gus, mais il dut quand même lui en parler, car Gus savait mieux que quiconque ce qu’il fallait choisir. Gus donna donc son accord. Le projet avançait, et au petit matin du 21 juillet 2002, Kaufman reçut un coup de fil lui apprenant et Gus et sa femme Sheila s’étaient tués en bagnole au retour d’une party.

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             Le projet refait surface 15 ans plus tard. Richie Unterberger prend la suite. Il raconte l’histoire de Gus, un gosse qui a commencé comme tea-boy et tape operator au studio Olympic de Barnes. Puis un jour, on demande à Gus de remplacer l’ingé-son Terry Johnson qui enregistre les Zombies, car il est complètement bourré. Pour Gus, c’est le baptême du feu. Il verra par la suite arriver dans le studio des luminaries comme Lulu et Tom Jones (Hello Gildas). Il assistera aussi à l’audition du Spencer Davis Group qui n’est pas encore signé, et Gus les trouvera tremendous. En 1968, il va quittee Decca pour monter sa boîte de prod, et va démarrer avec le Bonzo Dog Band et «Urban Spaceman». Pas mal, non ? 

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             Gus donne aussi de l’écho à Mayall pour «All Your Love», et quel écho, mon coco ! On ne savait pas à l’époque que cet enchanteur de Gus emmenait Mayall sous son boisseau d’argent. On a là l’un des plus beaux échos du British Blues, personne ne bat Gus à la course à l’échalote. Alors forcément, Clapton a du son, plus que dans Cream. C’est aussi Gus qui produit l’A Hard Road des Bluesbreakers de Peter Green, puis Crusade avec Mick Taylor. Il co-produit aussi le premier Ten Years After avec Mike Vernon. L’«Oh How She Changed» des Strawbs sonne comme la sinécure d’Épicure et Gus nous fait avaler une couleuvre avec la prog de The Locomotive, «Mr Armageddon». C’est pourtant excellent, plein de trompettes, on se demande même d’où ça sort. Retour aux choses sérieuses avec le «Space Oddity» de Bowie, le grand control to Major Tom, c’est Gus, il a compris le génie de Bowie, alors il lui donne du champ, tout est soigné, le solo s’écoule dans l’espace, une génie + un génie, ça donne de la grande pop anglaise. On avait encore jamais vu l’espace s’ouvrir ainsi. Unterberger nous apprend que Tony Visconti qui devait le produire n’aimait pas «Space Oddity» et qu’il a demandé à Gus de s’en occuper. Gus n’en revient pas de bosser avec un génie pareil. Mais ce sera le dernier cut qu’il produira pour Bowie, qui préférera travailler par la suite avec Visconti, mais nous dit Unterberger, Bowie s’en excuse auprès de Gus, pensant l’avoir blessé en choisissant de continuer avec Visconti. Gus va donc se consoler dans les bras d’Elton John, toujours aussi insupportable.

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             Gus produit aussi des gens comme Ralph McTell, Ola & The Janglers, Elkie Brooks, Wynder K. Frog et Menswear. Bizarrement, le grand absent de cette compile est Michael Chapman pour lequel Gus fit des miracles. Il fait aussi des miracles avec le «Tokoloshe Man» de John Kongos, typique de l’époque, mais c’est la prod qui fait tout, comme sur les hits de Dave Edmunds. Gus fait entrer les guitares dans «Tokoloshe Man» comme des entourloupes révélatoires. Quant à Joan Armatrading, elle se situe au niveau de Nina Simone, avec «My Family». L’un des cuts les plus faramineux est le «Whatever Gets You Through The Night» enregistré par John Lennon avec l’Elton John Band et les Muscle Shoals Horns. Quel power ! Quel solo de sax ! Et un bassmatic dévore le cut de l’intérieur. On retrouve aussi l’excellente Kiki Dee avec «How Glad I Am», une belle Soul de pop, elle y met tout le chien de sa petite chienne, c’est encore une fois bardé de son. Gus = Totor. Voilà, c’est pas compliqué. Avec «Run For Home», Lindisfarne somme comme un groupe pop incroyablement sophistiqué. Plus rien à voir avec le folk anglais. C’est beaucoup plus ambitieux. Encore une prod de rêve pour Chris Rea et «Fool (If You Think It’s Over)». Tout aussi révélatoire, voici Voyage avec «Halfway Hotel», chanté à la larmoyante de lonely way, ce mec est né pour émouvoir, il y a du Bowie en lui, mais avec un autre timbre. C’est assez énorme, grâce à Gus.

    Signé : Cazengler, Gugusse

    Gus Dudgeon Production Gems. Ace Records 2021

     

     

    Le Dwight dans l’œil

    - Part Two

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             C’est en 1976 que Dwight Twilley nous a tapé dans l’œil pour la première fois avec Sincerelly. Non seulement les chansons de l’album battaient tous les records de magnificence - même ceux de Big Star et d’Arthur Lee - mais le Dwight Twilley qu’on voyait poser en compagnie de son collègue au dos de la pochette était beau comme un dieu. Il ajoutait l’insult à l’injury, comme on dit en Angleterre. Comment pouvait-on être à la fois aussi beau et aussi doué ? Oh bien sûr, Elvis et Bowie étaient déjà passés par là, et ça n’en devenait que plus indécent, car ce petit mec sorti de nulle part, c’est-à-dire d’Oklahoma, s’installait automatiquement au firmament.

             Le rock servait à ça, autrefois, à alimenter la pompe à coups de Jarnac. Les kids du monde entier ne se nourrissaient que de légendes dorées, et donc le destin avait du pain sur la planche, car il fallait alimenter ces millions d’oisillons affamés. Alors le destin n’y est pas allé de main morte :  Elvis, Brian Jones, Vince Taylor, Ray Davies, Iggy, Bowie et Dwight Twilley, pour n’en citer que  sept.

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             La provenance du buzz est depuis longtemps oubliée - probablement Creem - toujours est-il qu’un jour on s’est retrouvé avec Sincerelly dans les pattes, le pressage anglais fabriqué par Island pour le compte de Shelter, en 1976, l’année de tous les dangers. Pif paf, dès «I’m On Fire», Twilley the twilight nous transforme en terre conquise, d’un seul coup de pop lumineuse. C’est encore autre chose que Big Star ou les Beatles, Twilley the twilight propose une pop rayonnante, électrique et radieuse à la fois. L’amateur d’essences légendaires s’y retrouve immédiatement. Le romantique encore plus, avec notamment «You Were So Warm», une pop si belle et si pure qu’elle paraît élevée. On pourrait même dire visitée par la grâce. Mais c’est en B que se niche la merveille définitive : «Baby Let’s Cruise», d’une réelle splendeur mélodique, un crève-cœur pour tous les romantiques, Twilley the twilight chante ça au développé suspensif. L’artisan du son s’appelle Bill Pitcock IV. Il éclaire chaque cut de son lead, just like the sun. En B, on croise aussi l’excellent «TV» et son beat rockab - A pretty good company - Twilley the twilight et Phil Seymour illustrent ainsi le pendant rockab de cette incroyable odyssée qui les a jetés dans les bras de Ray Smith, un vétéran de la scène Sun de Memphis.

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             L’année suivante paraissait l’encore plus spectaculaire Twilley Don’t Mind. On en prenait plein la vue dès la pochette. Comment ces deux mecs pouvaient-ils être aussi beaux ? Et comment pouvait-on résister à «Looking For The Magic» ? Évidemment, ça entrait en résonance avec les sentiments amoureux de l’époque, qu’ils soient de nature excitants ou douloureux. Twilley the twilight prenait cette merveille au tremblé de voix et nous couvrait de frissons. Avec ses gros accords de boogie, Bill Pitcock IV faisait des ravages d’entrée de jeu avec «Here She Comes». Mais la magie était encore à venir, notamment via «That I Remember». Twilley the twilight montait son chant en épingle mélodique et Pitcock tissait un prodigieux réseau d’arpèges. Du coup, ce Remember devenait le hit caché de l’album, emporté par de fabuleux moteurs. On voyait ensuite le chant du Dwight dans l’œil se fondre dans la crème de «Rock & Roll 47» et cette A historique s’achevait sur un autre moment de magie blanche, «Tryin’ To Find My Baby». Une fois de plus, Twilley the twilight nous transperçait le cœur et c’est avec cet air en tête qu’on promenait son spleen dans les rues de la ville. Et bizarrement, la B restait lettre morte. Twilley the twilight avait vidé son sac en A. Donc, inutile de perdre ton temps à écouter la B.  

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             En 1979, Dwight Twilley continuait d’exploiter son mythe. Comment ? En couvrant Twilley d’une myriade de portraits qui le rendaient chaque fois plus irrésistible. Il cultivait à outrance l’arcane du beau ténébreux et bien sûr, ça influençait l’écoute. D’autant qu’il attaquait avec le mélodiquement parfait «Out Of My Hands», revenant à ses vieilles amours et laissant flotter autour de lui la poussière d’étoiles dans la brise tiède des orchestrations. Toutes ses compos restaient soignées, mais ça finissait par tourner un peu en rond. Heureusement, Bill Pitcock volait à son secours dans «Alone In My Room» et la pop se remettait enfin à scintiller. Pitcock n’en restait pas là, car dès le «Betsy Sue» d’ouverture de bal de B, il revenait casser la baraque en ultra-jouant. On voyait bien que Twilley the twilight peinait à rallumer son vieux brasier, et il fallait attendre «It Takes A Lot Of Love» pour frémir enfin. En clamant ses clameurs, il livrait là l’une de ses plus belles œuvres.

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             Trois ans plus tard, il revenait dans le rond de l’actu avec Scuba Divers. Il amenait la power pop à son apogée dès «I’m Back Again». Bill Pitcock s’y illustrait avec un solo très condensé, comme ceux de Todd Rundgren. Il se livrait ensuite au petit jeu des rafales, et cette pop éclatait au grand jour. En fait, Pitcock allait continuer de voler le show de l’A avec «10.000 American Scuba Divers Dancin’», même si Twilley the twilight s’entêtait à chanter à la revoyure. On comprenait confusément que sa principale qualité était l’entêtement. Sa power pop plaisait par petites touches, son «Touchin’ The Wind» devenait une merveille touchy. En B, il chargeait «I Think It’s That Girl» de tout le poids du monde, avec ce démon de Pitcock en contrefort. Il lui arrivait aussi de se fâcher, comme le montrait «Cryin’ Over Me», nettement plus musclé, quasiment rock, gorgé de basse et de cocote sourde. Et puis après l’avoir cherchée - «Looking For The Magic» - il la trouvait enfin avec «I Found The Magic», et malgré tous les éclats pop et l’habituelle ténacité, on comprenant que Twilley the twilight n’avait plus rien à dire.   

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             Paru en 1984, Jungle pourrait bien être son album le plus faible. L’impression de tourner en rond persiste et signe. Il retrouve ses marques avec «Why You Wanna Break My Heart» : belle tension pop et jardins suspendus de Babylone. Il se remet aussi à ahaner avec «Cry Baby», il a toujours adoré ça, ahaner. Mais la B se perd dans les méandres de la carence compositale.

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             Paru en 1986, Wild Dogs n’aura aucune incidence sur l’avenir de l’humanité. Bon, comme d’habitude, c’est bien joué, bien enregistré, mais ça reste un brin passe-partout. «You Don’t Care» ne sort pas de l’ordinaire du twilight. If you’re looking for the magic : tintin. Malgré de beaux efforts, «Hold On» ne veut pas démarrer. Difficile de surpasser la perfection des deux premiers albums. La B tente de sauver l’A avec un «Baby Girl» assez bien foutu, fougueux comme un étalon sauvage. Ça pulse et ça hennit le beat à l’air. Twiley the twilight tente de retrouver le chemin du magic cut et «Ticket To My Dream» pourrait bien être celui qui s’en approche le plus. Ce mec est un vrai cœur d’artichaut, un romantique incurable. Il ne veut pas lâcher la grappe de la romance. Son «Secret Place» est néanmoins excellent. 

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             Daté de 1993, The Great Lost Twilley Album sonne comme un passage obligé. L’amateur de coups de génie s’y régalera de deux cuts : «Somebody To Love» et «Dancer». Le son est là tout de suite, avec des éclairs dans le gratté de some place in the sun et des oh oh au sommet du refrain, la magie est intacte, le développé d’accords d’une douceur incomparable. «Dancer» trône donc au sommet de l’art pop, c’est un tenant de l’aboutissant explosif. D’autres merveilles encore, telles ce «Burning Sand» bourdonnant et gorgé de soleil, doté de tous les charmes de l’embellie, ils restent pourtant dans leur vieux son, mais «Sky Blue» tape dans l’excellence. Ils emmènent «Chance To Get Away» à vive allure. Dwight dans le nez chante parfois à ras des pâquerettes, mais le spectacle continue sans fin, de courts éclairs de pop traversent «I Love You So Much». La pop magique reste l’apanage du Dwight dans l’œil et avec «I Don’t Know My name», il crée de l’enchantement, il taille ça dans un cristal d’arpèges. Il règne sur l’empire de la pop lumineuse, certaines chansons semblent suspendues à ses lèvres. Intrinsèque et littéral, «The Two Of Us» tisse une toile d’ersatz Pound et la voix du Dwight dans le nez s’enroule autour d’un soleil d’arpèges lumineux. «I Can’t Get No» sonne comme un hit de Brill. Peu de choses planent aussi haut. Ce mec-là ne s’arrête jamais.

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             La première chose qu’on remarque en fouinant dans les infos de Tulsa, c’est la présence de Bill Pitcock IV. Il faut donc s’attendre à du powerfull power-poppisme. Et comme prévu, on a tout de suite du son, du bien amené, du Dwight dans le nez. Il mène son biz prodigieusement orchestré à la pogne. Du haut de sa légende, il domine la ville, les mains sur les hanches. Il fait la pluie et le beau temps avec «It’s Hard To Be A Rebel», une authentique merveille étoilée, dotée de toute la persistance dont est capable la prestance. Son «Baby Got The Blues Again» est une magnifique romance, une Beautiful Song dirigée vers l’avenir. On se voit contraint de dire la même chose de «Way Of The World». Dwight dans l’œil a le compas dans l’œil. Il renoue avec son vieux génie romantico, celui qui irriguait ses deux premiers albums. Terrific ! Le morceau titre nous sonne bien les cloches, lui aussi - You’ve always been there - Dwight dans le nez rend hommage à sa city, ça prend vie avec de l’eau, Dwight & Bill forever ! Le Dwight bourre bien le mou de «Miranda» et au passage, il nous en bouche un coin, une fois de plus. Tout est solide sur cet album, vraiment très solide. Il faut voir le Dwight embarquer son «Miracle» au doigt et à l’œil. Bill veille au grain et les chœurs font «miracle !». En prime, c’est battu sec et net. Ce démon se dirige vers la fin avec «Goodbye», un balladif dwighty doté d’une énergie fantastique et nous fait ses adieux provisoires avec «Baby Girl». Un truc qui n’a rien à voir avec le Dwight : la gonzesse qui vendait cet album a mis son parfum dans le booklet et du coup, ça devient très capiteux. Les parfums de femmes sont parfois très capiteux. Alors Dwight Twilley peut claquer son Baby Girl, un hit violent et sexuel à la fois.  

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             Paru en l’an 2000, Between The Cracks Volume One est comme son nom l’indique une collection de fonds de tiroirs. Comme tous les grands compositeurs, Twilley the twilight collectionne les fonds de tiroirs, et comme le font tous ceux qui veulent soigner sa postérité, il se retrousse les manches et fouille. Dans l’insert, il commente chacun des 16 cuts de la compile et salue bien bas ses principaux collaborateurs, le scorching Bill Pitcock IV et la cool Susan Cowsill aux backing vocals. Pas de surprise, les 16 cuts restent bien dans la ligne du parti, c’est-à-dire la power pop à laquelle il nous habitue depuis 1976. On retiendra le «Living In The City» qui se planque en B, car Twilley the twilight indique qu’il l’écrivit pour son collègue Phil Seymour au temps de Twilley Don’t Mind, et ajoute-t-il, Bill Pitcock on devil guitar. En fin de B, on tombe aussi sur l’excellent «No Place Like Home», un heavy boogie d’Oklahoma qu’il joue les Dwight dans le nez.

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             Paru en 2001, The Luck est un solide album de power pop, donc rien de surprenant. Il attaque avec une sacrée triplette de Belleville, «Music», «Holdin’ On» et «Forget About It». On voit même Dwight se fâcher dans «Music». On le croit gentil, mais au fond, ce mec ne rigole pas. Il se livre aux joies tatapoumesques du heavy stomp. Son «Holdin’ On» est une merveille de holdin’ on. Le heavy beat de la power pop prédomine, il crée son monde depuis vingt ans et il est devenu imparable. On reste dans la heavy power pop avec «Forget About It», son énergie poppy descend sur la ville - The way I love you/ I’ll find a new way to forget about you - Il chante ça mais n’en croit pas un mot. Il se pourrait bien ce que Luck soit l’un de ses meilleurs albums. Il claque son «No Place Like Love» à la folie. Il vire même glam avec «I Worry About You». Pour un cador comme Dwight, c’est plutôt heavy. Puis il revient à son fonds de commerce, la petite pop bien foutue à laquelle il nous habitue depuis Sincerelly. Il y va toujours de bon cœur. Son «Suzyanne» est assez balèze, force est de l’admettre. C’est exactement le son de Sincerelly. Il vit sur ses réserves et pardon de l’avouer, on bâille un peu aux corneilles, car ça sent le réchauffé. Il oscille toujours entre le puissant («Leave Me Alone») et le plan-plan («Gave It All Up For Rock’n’Roll»). Ah ces Okies !

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             Comme Totor et d’autres fans du Père Noël, Dwight Twilley s’est fendu en 2004 d’un beau Have A Twilley Christmas, un mini-album qu’il faut bien qualifier d’enchanté. Dwight dans le nez ramène le soft du Christmas time dans son soft rock étoilé. Il fait aussi le show avec «Rockabilly Christmas Ball» - The rock/ The rock/ A Billy/ Christmas - Bien vu, Dwight dans l’œil. Il profite de «Christmas Night» pour renouer avec le power du Dwight, c’est-à-dire les power chords, et ça continue avec l’énorme «Christmas Love» - Oooh baby I want you - Il finit toujours par ramener du power dans son Christmas stomp. Et bien sûr Bill Pitcock IV veille au grain.

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             On est très content de rapatrier Green Blimp, car on voit sur la pochette que Twilley the twilight va bien. Il a un certain âge, mais il conserve son look de jeune premier. De là à penser qu’il est lui aussi un vampire, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Globalement l’album est bon, et ce dès le coup d’envoi et la fantastique allure de «Get Up» - Get up/ I’m tired of being down - Il incite ses fans à se lever. La bonne nouvelle, c’est que Bill Pitcock IV est de retour. Twilley the twilight sonne comme les Beatles avec «Me And Melanie» et il se fend d’une Beautiful Song avec «Let It Rain». Plus que jamais, Twilley the twilight est dans la chanson, il n’y a que ça qui l’intéresse. Il cherche chaque fois à renouer avec «Looking For My Baby». Mais on sent chez lui une tendance plus pop, comme le montre le «You Were Always Here» d’ouverture de bal de B. Il chante toujours au sommet de son lard, c’est un indéfectible, un arpenteur, un passeur d’ordres, un émetteur de missions, et Bill Pitcock IV vient envenimer les choses, comme au bon vieux temps. Avec «Ten Times», on se croirait sur Sincerelly. Même son d’accords impavides. Son «Witches In The Sky» reste lui aussi fidèle au passé : pop alerte de gorgée de son, avec un Pitcock en contrefort, l’inestimable roi des cocotes et des subterfuges. Et puis pour finir, Twilley the twilight nous fait non pas le coup du lapin, mais le coup du coup de génie avec «It Ends». Twilley don’t mind, avec ses méchants relents de psychedelia, et Pitcock s’en donne à cœur joie.    

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             En vieillissant, Twilley the twilight se bonifie, comme certains pinards. Il suffit d’écouter ce Soundtrack paru en 2011 pour en avoir le cœur net. L’album est comme pris en sandwich entre deux grosses tranches de pop géniales, «You Close Your Eyes» et «The Last Time Around». Il est là et même plus que là, au coin du déroulé de guitares, comme au temps de Sincerelly - So you you close your eyes - Bill Pitcock IV rafle encore la mise. Il va chercher le power dans l’essence même de cette vieille power pop qu’il cultive depuis 1976, depuis la nuit des temps du rock. Ça reste très fascinant, très dense, d’une rare ampleur et bien sûr, Pitcock transperce le cœur de «The Last Time Around» d’un solo dément. Tout au long de l’album, Pitcock descend dans la bedaine des cuts et taille dans le vif. «Tulsa Town» surprend par sa puissance. S’il est un puissant sur cette terre, c’est bien Twilley the twilight. Il drive ses chansons d’Okie à l’extrême onction. Les coups d’harmo de Tulsa valent bien ceux de Charles Bronson. Twilley the twilight enfonce encore son clou avec «Skeleton Man» et refait battre le poumon d’acier de Sincerelly avec «My Life». Ce mec étend son empire en permanence, chez lui c’est une manie. Il crache du power jusqu’à la dernière seconde. «Out In The Rain» pourrait aussi figurer sur Sincerelly, la vieille magie est intacte, c’est encore une fois une merveille d’équilibre entre la pop et l’harmonie. De toute évidence, Twilley the twilight a du génie. Il te voit dans le noir et il chante pour toi. Il te balade dans un monde parfait, le sien. On tombe sur un autre cut monumental, «The Lonely One». Il chante ça au power pur de la grande pop instrumentale. Il est grimpé au sommet de son art, un art qu’il faut bien qualifier d’unique en Amérique. Tous les cuts de cet album sont remarquables.  

    Signé : Cazengler, Dwight Eiso-nowhere

    Dwight Twilley Band. Sincerelly. Sheter Records 1976

    Dwight Twilley Band. Twilley Don’t Mind. Arista 1977

    Dwight Twilley. Twilley. Arista 1979

    Dwight Twilley. Scuba Divers. EMI America 1982

    Dwight Twilley. Jungle. EMI America 1984

    Dwight Twilley. Wild Dogs. CBS Associated Records 1986 

    Dwight Twilley Band. The Great Lost Twilley Album. Shelter Records 1993

    Dwight Twilley. Tulsa. Copper Records 1999  

    Dwight Twilley. Between The Cracks Volume One. No Lame Recordings 2000

    Dwight Twilley. The Luck. Big Oak Recording Group 2001

    Dwight Twilley. Have A Twilley Christmas. Digital Musicworks International 2004

    Dwight Twilley. Green Blimp. Big Oak Records 2010

    Dwight Twilley. Soundtrack. Varèse Sarabande 2011

     

    *

    Chouah ! chouah ! chouah ! ce n’est pas un chien asthmatique qui nous accueille lorsque nous poussons la porte du 3 B, mais le bruit caractéristique de la charleston jazz qui ruisselle de partout, juste le temps de reprendre nos esprits, nous arrivons deux minutes après le début du concert, impossible de comprendre pourquoi la route a été si lente ce soir, une nuit foncièrement noire mais the road n’était pas chargée, ce n’est pas mon habitude je déteste rater le début d’une prestation, par respect pour les artistes.

    TROYES / 17 – 11 – 2023

    3 B

    SHANNA WATERSTOWN

                    Désolé pour les amateurs de rockabilly mais ce soir Béatrice la patronne innove, elle a saisi l’opportunité d’une tournée entre Suisse, France et Belgique pour accueillir une chanteuse de blues. L’occasion de se remémorer les ariégeoises et estivales heures bleues du Festival de Blues de Sem entre Patricia Grand et Daniel Giraud, coup de blues dans mon âme ces deux amis chers ne sont plus depuis quelques mois de notre monde.  Everyday I have the blues, fredonne comme par hasard Shanna Waterstown.

             Pas un petit calibre elle a joué en première partie de James Brown… Bien sûr elle est accompagnée par trois supers musicos issus du fin fond du Sud. Devinez d’où : de Memphis ? de Clarksdale ? de Chicago ?  Erreur sur toute la ligne, ce trio infernal vient de tout en bas, de Floride ? Presque, c’est Shanna qui est née là-bas, eux sont des natifs du sud… de l’ Italie, Naples par exemple.

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             Sont trois. A droite le bassiste. Coiffé d’un bonnet et assis de profil, ne quittera pas sa chaise de tout le set. Le mec qui ne fait rien pour attirer le regard des gens. On ne l’entend pas. Comprenez ce que je veux dire, vous vous promenez sur la plage, les cris des mouettes vous percent les oreilles, les enfants se chamaillent en hurlant, les ploufs des baigneurs résonnent comme des coups de canon. Pour une promenade au calme, c’est raté. Pas de crainte, au contraire votre subconscient lui a totalement conscience du bruit de fond, l’écroulement insistant des vagues qui se brisent sur le rivage. Un extraordinaire vacarme tellement habituel que l’on n’y prête pas attention, faudrait que les êtres vivants s’immobilisent et se taisent d’un seul coup pour que l’on puisse se rendre compte de cette sourde rumeur inapaisée. Ces instants de silence les trois autres membres le lui accordent de temps en temps, le temps d’un solo, alors une pulsation profonde se colle à vos tympans et vous fait entendre le bruit primordial de la vie.

             Sont encore trois. A gauche le guitariste.  C’est pas le boss, donc il bosse. Le mec multi-fonctionnel. Il joue de la guitare ce qui n’est en rien significafif pour un guitariste. Mais il joue après. Après tout le monde. Particulièrement après Shanna, nous en reparlerons plus tard. S’appelle Massino, parce qu’il fait le maximo. L’est comme les paléologues, vous leur portez un informe fragment d’os que vous venez de dénicher dans la glaise du champ de fouilles et tout de suite il vous explique que cette esquille osseuse de trois centimètres de long provient de la patte arrière gauche d’un dinosaure, exactement d’un brachiosaure qui vivait à l’époque bénie du Jurassique supérieur. Ces collègues ont fait ce qu’ils ont voulu, lui il rajoute un truc, un lick drôlement bien foutu, ou étrangement biscornu, l’est comme ces maîtres de la Renaissance qui soulignait d’un coup de pinceau l’œil du portrait que venait de terminer un de ses élèves, et tout de suite le tableau acquerrait une force qui vous aurait échappé sans son intervention.

             Sont toujours trois. L’est au centre. Lui il rayonne comme le Roi Soleil. Depuis son trône il illumine la galaxie. Grand, costaud, solide. Il ne joue pas de la batterie. Il frappe, il cogne. Vous fait des démonstration sonores. N’insiste jamais. Tape uniquement les coups strictement nécessaires. Avec une telle conviction que vous entendez le superflu. L’est comme ces génies de la mathématique qui donnent en trois secondes le résultat d’une multiplication à dix-huit chiffres, sans jamais se tromper. Un ordinateur. Qui n’en fait qu’à sa tête, qui n’obéit à aucune préprogrammation, qui ne suit aucune logique, dont la justesse de ses improvisations s’impose par l’évidence de leur présence.

             Quand on y pense ces trois énergumènes sont des larrons en foire taillés sur le même type. Fonctionnent sur le même modèle, dans telle situation, la meilleure solution que pourrait proposer un algorithme génial serait celle-ci, et ils vous la sortent d’instinct. Avec un petit sourire satisfait qui semble dire, si par un hasard extraordinaire la solution idoine ne marchait pas, pas de panique j’ai encre mieux en magasin. Voici. Imaginez que vous avez cette équipe de cadors et que vous seriez chanteuse. N’imaginez plus rien, par chance nous avons Shanna Waterstown !

             Tout devant, au premier rang. Shanna, vous ne voyez qu’elle. Belle, grande, charismatique, micro en main, elle bouge un peu, on ne peut pas  dire qu’elle danse. Quand on a une voix comme la sienne, il est inutile de se contorsionner pour attirer l’attention.  

             Elle commence piano, un peu cabaret jazz, vous avez un peu ce genre de blues middle-class huppée parfois chez BB King, Shanna nous la fait en grande dame, un peu entraîneuse sur les bords, un Dock of the bay si bien modulé qu’on aimerait un coup de vent, un Stay with me sans l’angoisse du timbre de Bene King et un Summertime au soleil pas vraiment estival. En tout cas la voix est chauffée. Il est temps de passer aux choses sérieuses.

             Elle annonce un blues, une de ses compositions. La voix est montée d’un cran, mais elle n’accapare pas le devant de la scène, elle chante pour permettre à ses musiciens se s’exprimer. Ils ne s’en privent pas. Vous font la totale. Un peu de blues, un peu de shuffle, un peu de ryhthm ‘n’blues, un peu de groove, un peu de funk, par pincées, n’exagèrent pas non plus, vous démontrent la différence entre une bicyclette électrique et une grosse cylindrée, vous en déduisez qu’il ne faut pas les classer dans la première catégorie, n’en bombent pas pour autant le torse… Tous les quatre préparent le piège dans lequel on va tomber. Le premier set s’arrête sous les applaudissements.

             Second set. Changement de décor. Nous étions sous un vent fore 7, nous allons connaître la catastrophe planétaire. Par la faute de Shanna Waterstown, elle sort les gros calibres, propres compositions en compagnie de Buddy Guy, Freddy King, Koko Taylor, Big Mama Thornton pour qui elle a manifestement un faible. Avez-vous déjà entendu chanter une chanteuse de blues. Non, au début ce n’est pas grave, elle chante comme vous et moi, enfin presque, ensuite il suffit de chanter comme Shanna. Plus de voix, une tonitruance, sans préavis, on ne s’y attend pas, elle est déjà au sommet de la montagne, la suite est ravageuse, elle pose les mots les uns sur les autres comme les Titans empilaient les blocs cyclopéens pour grimper jusqu’aux demeures divines de l’Olympe. Vous imaginez qu’un lanceur de foudre jupitérien va la calmer à coups d’éclairs, mauvais scénarios, c’est elle qui lance la foudre et le tonnerre. Cataclysmique, elle a le blues-Stromboli éruptif, il déferle sur vous, et vous succombez sous le poids des mots et le choc du vocal.

             Vous n’avez pas vu le temps passer. Shanna sonne la fin des jouissances. Béatrice la patronne, qu’elle soit remerciée pour tout ce qu’elle fait pour la musique que l’on aime, se précipite pour un petit supplément. Nous n’aurons droit qu’à un unique et dernier morceau. De quoi nous refiler le blues !

    RETOUR

    Ouah ! Ouah ! Ouah ! cette fois-ci ce sont des chiens, les miens, tout heureux de m’accueillir après cette nuit bleue !

    Damie Chad.

    *

    Mes chiens me regardent avec reproche, je n’y suis pour rien, l’heure de la promenade est passée depuis longtemps, il pleut à verse, je ne peux rien faire pour eux, sinon appuyer sur cette image d’une plage ensoleillée :

    FATA MORGANA

    CORAL FUZZ

    ( AlbumNumérique / Novembre 1923)

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    Entre nous, le genre de couve, un peu trop brésilienne à mon goût, que je n’aime guère, un bon point les chiens se sont recouchés et prennent leur mal en patience, je regarde de plus près, tiens des grecs, vu le dessin ils n’ont pas l’air d’être portés vers la mythologie, enfin faisons confiance un peuple qui engendré des zigues de la taille d’un Aristote ou d’un Cavafy ne peut pas être entièrement mauvais. J’ai donc cliqué, et je ne le regrette pas.

    J’ai remonté tout l’Instagram de Mariano Piccinetti, l’est argentin, aurais-je été distrait je n’y ai pas trouvé la couve du disque, ce n’est pas le meilleur de ses artworks, vous le comprendrez mieux lorsque vous aurez compris qu’il oppose la bestiole humaine, avec ses us et coutumes modernes, à l’immensité cosmique, et que nous apparaissons en ses œuvres comme un animalcule épisodique… Je m’aperçois qu’il est suivi sur son Instagram par Paige Anderson de Two Runner, que nous suivons depuis plusieurs années, la vie est pleine de connexions surprenantes.

    George Papakwastas : vocals, guitar, Farsifa / Manos K : bass / Argyris Aliprantis : drums, percussions.

    Shiny days : le titre est sorti au mois de juillet 23, la couve n’est pas créditée, elle pourrait être de Mariano Piccinetti, ces personnages en suspension sur les aiguilles de hautes montagnes sont bien dans son style, avec peut-être un petit clin d’œil avec Le voyageur de Gaspar David Friedrich : je ne connais pas les débuts du rock grec, ceux qui auront un peu planché sur la couverture auront reconnu un album de surf, mais il ne me semble pas inspiré par Dick Dale et consorts made in USA, semble plutôt avoir pris pour modèle les premiers groupes de rock instrumental français, voir nos chronics sur les Vautours, les Fantômes et les Fingers, leurs disques seraient-ils parvenus en Grèce ou fait des émules, en tout cas c’est le même son, pas très épais, un peu aigre mais porteur d’une terrible nostalgie… laissez-vous emporter par les premières notes, ricochets d’une belle guitare, une rythmique qui ose pointer à plusieurs reprises le bout de son nez par la portière, cerise sur le gâteau un vocal qui ne dépare en rien l’ensemble, alors que chez les groupes français… Oui mais George chante en anglais. Certes il triche mais il sort gagnant, personne ne lui en veut. Andalucia : quand vous avez une arène en Espagne vous y poussez un taureau, dans les instrumentaux on ne peut pas faire le coup de la vache folle à tous les coups mais une belle espagnolade aux relents de fandango emporte toujours les faveurs du public. Guitare banderille et batterie estocadante, le taureau est envoyé ad patres en deux minutes. Trop vite fait, mais extrêmement bien fait. Run n’ hide : groovy groovy, la basse se régale, la batterie bat de l’amble et la guitare se fait légère comme une brise d’été, le chanteur chante, on n’écoute pas ce qu’il dit, on s’en fout, sa voix nous accompagnera jusqu’au coucher du soleil. Saw you in my dream : cette guitare en chevauchée western nous emporterait jusqu’au bout de la nuit, devrait se taire, il la voit dans ses rêves, l’en fait tout un fromage, m’étonnerait qu’elle cède, en plus il n’arrête pas, enfin si, mais il tient à terminer. Entre nous soit dit le morceau aurait été meilleur en instrumental. My babe’s gone : évidemment elle est partie, la déception a du bon, z’attaquent plus fort, et nous font de ces floutés soniques dont on se souviendra toute la semaine. Pour un peu il se prendrait pour Robert Plant, heureusement que la musique vous balaie le chagrin comme le vent l’écume sur la mer.  Scorching sun : soleil brûlant et combo vent en poupe, pas de problème, personne ne pousse la roucoulante, l’on bondit au sommet des vagues et l’on chevauche les abîmes. Que voudriez-vous de plus. Les chevaux de Neptune sont nos amis. Fata Morgana : le morceau le plus long, ils s’appliquent, tiennent la cadence, cette fille est une fée, sont sages mais ils tiennent à se faire remarquer, la guitare tire la langue d’une façon impertinente, le batteur tient le bon bout, en fait ils veulent s’en débarrasser alors ils s’éloignent sur la pointe des pieds. Bien joué ! Not your type : basse grondante, tout ce que l’on peut faire avec des cordes ils vous l’offrent, du coup George y va mezzo voce, l’a raison mais les autres ne l’entendent pas ainsi joignent leurs organes au sien, ouf ils n’insistent pas, ils ont un si beau son quand ils se taisent. Ils ont compris, sur la fin ils montrent tout ce qu’ils savent faire. Guitar radiation : avec un tel titre vous avez intérêt à assurer. Comme des bêtes. Ce qu’ils font.  Rien à redire, si ce n’est que l’ensemble les dix titres auraient dû être des instrumentaux. Connaissent beaucoup plus de plans qu’ils ne croient eux-mêmes. Techniquement le titre le plus au top. Un régal. Back again : ne lâchent pas le morceau, un petit côté Apache mais pour que l’on ne confonde pas, George se met à chanter et vous change la physionomie de l’objet, vous le fait un peu à l’anglaise, se débrouille même bien, un peu pop, mais brillant.

             Extrêmement agréable à écouter. A réécouter aussi. Le disque n’a pas plus d’une semaine et déjà l’on attend le suivant.

     

    *

    Dans notre livraison 615 du 12 / 10 / 2023 nous nous penchions sur les premières vidéos de trois jeunes filles présentées comme des figures montantes du country, The Castellows, nous les avons suivies depuis leur enfance et les avons quittées sur leur départ pour Nashville nous doutant bien qu’elles ne laisseraient pas insensible le monde musical de cette cité reine de la country.

    Ce 10 novembre l’officialisation de la signature des Castellows avec le label Warner Music Nashville / Warner Records n’a surpris personne. Dans les heures qui ont suivi deux premiers clips officiels n’ont pas tardé à être mis en ligne sur toutes les chaînes de streaming.

    Cette première vidéo étonnera ceux qui ont regardé et écouté les Silo Sessions. Certes l’on retrouve Eleanor Balkcom à la guitare, Lilian au chant et Powell au banjo. Elles ne sont plus seules : Andy Leftwich, fiddle and mandolin, les accompagne. Jerry Mc Pherson est à la guitare électrique, Jimmy Roe aux drums, Steve Macky tient la basse.

    Le morceau est co-signé par les trois sœurs mais le nom d’une quatrième personne apparaît : Hillary Lindsay. Pas tout à fait n’importe qui, depuis vingt ans ses compositions se retrouvent systématiquement en tête des hit-parades country. 

    Les Silo Sessions étaient un peu spartiates, trois jeunes filles assises jouant et chantant en acoustique. Certains reprocheront la monotonie de cette mise en scène, seront-ils pour autant ravis par ce clip qui rappelle un peu trop l’esthétique tik-tokienne…

    N0. 7 ROAD

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             Certes l’on reconnaît les Caslellows, le vocal si particulier de Lily et le fredonnement de leur chant, l’accompagnement entraînant sait se faire discret quand elles chantent pour revenir au galop dans les passages musicaux. Visuellement on se croirait devant un décor peint de théâtre poético-réaliste tel que l’on en présentait au dix-neuvième siècle, une route agreste bordée d’arbres, c’est beau vous avez envie de vous y promener, nos trois adorables princesses s’amusent comme des petites folles, elles courent, elles bondissent, elles dansent, elles rient, une fois par-ci, une fois par-là, si l’on suit les lyrics, l’on peut affirmer qu’elles ont la nostalgie joyeuse…

             Quand l’on regarde le nombre de vues, l’on se dit que le produit Castellows manufacturé par l’industrie de l’entertainement nashvillien est des plus efficaces. 

             Oui, mais voilà il y a la deuxième vidéo, dix fois moins prisées que la précédente puisqu’elle ne bénéficie que de 21 000 vues. L’on y retrouve la même distribution mais ce coup-ci Andy Leftwich est au banjo, Steve Mackey au fiddle, Jerry Mc Pherson a laissé sa guitare électrique à Eleanor et se charge de la basse, en plus de la batterie Jimmy Roe rejoint Eleanor et Powel aux backin vocals. Changements typiques de la dextérité instrumentale des musiciens country.

    Il ne s’agit pas d’une reprise de l’Hurricane de Dylan mais d’une composition de Tom Shuyler + Keith Stegal, + Stewart Harris qui fut créée en 1980 par le chanteur Leon Everret et repris par beaucoup d’autres. You Tube en propose toute une gamme d’interprétations, associées à des images chocs accompagnés de phrasés mélodramatiques… qui portent un peu à rire. Même si l’on a encore le souvenir de l’ouragan Katrina de 2005 qui dévasta la Nouvelle Orleans.

    HURRICANE

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             D’une esthétique totalement différente de NO. 7 Road. Un fond rouge froissé uniforme sur lequel viennent s’incruster en blanc les vues mouvantes des Castellows en train de chanter. On a envie d’écrire qu’elles ne chantent pas qu’elles susurrent, ce qui est faux, mais la rythmique lenteur de l’accompagnement infuse cette impression d’inéluctabilité menaçante, d’une catastrophe imminente, on reste suspendu aux paroles qui s’inscrivent sur l’arrière-fond du rideau cramoisi, les gouttes de pluie du banjo, les plaintes du violon, le suintement percussif créent une ambiance délétère angoissante. La voix de Lily vous entraîne jusqu’au bout de la nuit de l’intranquillité  humaine assumée.

             Une réussite exceptionnelle. Agit sur vous comme l’inoculation d’un poison mortel dont vous ne pouvez vous passer.  Une espèce de tragédie antique dans lesquelles trois sybilles d’Apollon, aux lèvres de de pierre froide et ardente dévoilent ce que nous ne devrions pas savoir.

    ATHENS GA ENTERTAIMENT MUSIC

    6 / 10 / 2023

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             Non, les Castellows n’ont pas encore atteint une renommée internationale qui leur permettrait une tournée européenne. Nous ne sommes pas au bas des pentes de l’Acropole, seulement en Georgie, séparée de la Russie, mais en l’Etat américain de Georgie dont elles sont originaires. Les voici toutes trois sur le devant de la scène, au centre Lily arbore un chapeau de cowboy et une tunique aux couleurs du drapeau américain, leurs longues et fines jambes enserrées en le bleu soutenu d’un jeans.  Derrière les gars sont habillés d’un similaire grimpant, c’est le moment de mesurer si la voix somme toute fluette de Lily peut surmonter la puissance sonore d’un combo, violon, guitare, basse, batterie. Vous trouverez facilement l’ensemble du concert filmé et édité par Gregory Frederik, nous commentons seulement, la vidéo finale, notamment parce que l’on y retrouve Hurricane, c’est exactement la même voix mais les guys derrière devraient jouer un bémol au-dessous, il est nécessaire de se focaliser sur le chant si l’on ne veut pas perdre la magie qui vous saisit à l’écoute de la vidéo précédente… Terminent par une reprise sur un tempo rapide de House of the rising sun, à la fin de laquelle elles offrent aux garçons l’occasion de démontrer leur virtuosité. Sur l’ensemble du concert, elles s’en tirent assez bien, il est indéniable qu’il y a encore des détails à revoir, mais l’on sent qu’elles sont à l’aise et qu’elles apprennent vite.

             La chro était terminée depuis deux jours que viennent d’être annoncées les premières dates d’une première tournée : vingt dates entre février et avril 2024, la machine se met en route.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous avons déjà présenté à plusieurs reprises des traductions françaises de textes théoriques et magickes d’Aleister Crowley opérées par Philippe Pissier. Par exemple dans notre livraison 592 du 16 / 03 / 2023 une Anthologie Introductive à l’œuvre d’Aleister Crowley qui parmi différents types d’œuvres en prose, proposait quelques Poèmes érotiques de la Grande et sommitale bête britannique.     

    En sa jeunesse Crowley a débuté par l’écriture de plusieurs recueils de poésie. Phillipe Pissier vient de traduire en notre langue l’un d’entre eux en intégralité. Qu’il en soi remercié.

             Ceux qui ne comprendraient pas pourquoi en notre blogue rock nous nous obstinons à chroniquer les livres de Crowley au dos de la couverture sont cités pas moins de treize (serait-ce l’arcane tarotique majeur) groupes et personnalités irrémédiablement constitutifs de la culture rock.

    NUEES SANS EAU

    ALEISTER CROWLEY

    Traduction de Philippe Pissier

    Préface de Tobias Churton

    Illustrations d’Anja Bajuk

    HEXEN PRESS / 2023

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             Magnifique couverture, reproduction du peintre Howard Pyle ( 1853 – 1911), illustrateur de livres pour la jeunesse, cette période de l’existence où tous les potentialités de la vie sont ouvertes, mais aussi créateur d’une série de toiles ultra-romantiques entachées d’un absolu pessimisme dont cette Sirène qui nous conte et exalte l’impossibilité néantifère de la réalisation amoureuse entre deux êtres. Notons que Nuées sans eau est paru en 1909. Le choix de cette couverture n’est pas uniquement guidé par des appréciations strictement esthétiques, il témoigne aussi, que l’éditeur en soit remercié, de la recherche d’une concomitance de sensibilité imaginative et réflexive entre des artistes ayant vécu dans de mêmes latitudes temporelles.

             Crowley ne revendique pas son livre, il s’agirait d’un manuscrit anonyme présenté par le Révérend C. Verey pour mettre en garde les âmes pieuses qui abandonneraient la foi transmise par leurs aïeux. Le moindre écart de conduite les mènerait à la mort et à la damnation éternelle… Crowley s’amuse et se moque, il n’en oublie pas pour autant les mésaventures survenues à Oscar Wilde. 

             Le manuscrit est dédié par son auteur présumé inconnu à Marguerite Porete (1215 -1310) béguine mystique qui finit par être brûlée vive (quelques jours après les templiers) pour son livre : Le Miroir des Âmes Simples, qui demeurent en vouloir et en désir de Dieu, il sentait d’après moi un peu trop le gnosticisme, est-ce un hasard si le dédicataire ‘’ inconnu’’ dédie non pas son ouvrage mais son contenu défini comme le ‘’ compte-rendu de nos amours’’ …

             Le livre est divisé en huit chants composés de quatorze quatorzains, à l’exception d’un seul qui en offre quinze, précédés d’un Treizain qui vient après un ensemble de cinq quintils. Ce n’est pas un texte facile – à intensité égale la poésie de langue anglaise est davantage close sur elle-même que la nôtre. La savante préface de Tobias Churton tente de l’éclairer en braquant sur lui les projecteurs de l’existence Crowleyienne et les influences littéraires. Notamment celle d’Axel magnifique pièce de théâtre de Villiers de l’Isle Adam, dans laquelle entrés en possession d’un immense trésor deux amants préfèrent se donner la mort que de survivre au rêve de l’absolu de leur rencontre zénithale destinée à être jour après jour grignotée par l’usure du temps. Notre préfacier ne l’évoque pas mais en plus de la lecture d’Axel que j’ai si ignoblement résumé, le lecteur aura intérêt à se pencher sur le poème Le phénix et la colombe de Shakespeare que Crowley ne pouvait ignorer.

             Les quintils jouent aux quatre coins, les dieux, le rire, l’amour, la mort. Autrement dit l’étrange quadrilatère du rapport de l’expérience de la vie avec l’idée de l’immortalité. Suit une espèce de sixième quintil de quelques mots, un semblant de formule rituellique magique et phonétique, dont la visée n’est autre pour le poëte que d’entamer sous des auspices favorables son voyage de poésie. Le treizain rebat en quelque sorte les dés. Averti par la préface, le lecteur remarquera l’acrostiche de Katlheen Bruce qui désigne une des maîtresses de Crowley, lors de leurs ébats érotiques elle lui infligea le cruel refus de se donner entièrement à lui. Faut-il, maintenant que les choses se sont déroulées ainsi, en rire ou n’en pas pleurer…

             Chaque chant possède sa propre figure. Le premier porte le masque de L’Augure : la prédiction est nette et sans bavure. La chose la plus heureuse qui pourra arriver à nos amants sera la mort. Les Dieux et les Puissances ne sauraient proposer meilleure solution. Attention, se donner la mort est une insulte à l’immortalité des Dieux, l’apparition ici de l’arrière-fond chrétien de l’éducation puritaine reçue par Crowley refait surface, nous touchons à la la psyché métabolique de Crowley qui sans cesse invoque les Dieux pour retrouver une présence unitaire. L’Alchimiste : ici, même lorsque les Dieux nous rappellent notre honteuse et prochaine fin, les contraires s’annulent la vierge peut se donner à son amant, le chant deux est celui de l’ivresse physique de la donation et de la possession, à leurs lèvres les amants boivent le vin de la volupté, mais cette ivresse charnelle n’est-elle pas semblable à celle de la poésie. Le processus alchimique est une chose, mais l’alchimiste est tout aussi important, malgré toutes les pâmoisons s’il y a poésie et poëte, reste-t-il une place pour l’amante… L’Ermite : d’ailleurs elle n’est plus là, us et coutumes sociales les voici séparés, ils ne sont pas morts ensemble et la vie les a disjoints, toute cette absence, toute cette incomplétude, comme par hasard évocation blasphématoire des fêtes chrétiennes… la voix du poëte s’élève jusqu’au rire des Dieux. Le Thaumaturge : le miracle du retour, faut-il pour cela en appeler au Seigneur de la Bible, il est vrai que l’amour vient et s’en va comme Dieu se rapproche et s’écarte, de quoi perdre confiance et de ne plus croire en lui, le concile d’amour se mue en monologue sarcastique, l’incroyant se retrouve seul, ne lui reste que le souvenir de la foi des ardences perdues, les retrouvailles seront désormais intermittentes, miracle de la sagesse de l’acceptation. La messe noire : l’œuvre au noir de l’amour, l’instant où la femme se révèle succube, le désir atteint son paroxysme de dévoration, de destruction de l’un par l’autre, de l’autre selon l’un, une grande violence, viol consenti de l’intégrité de soi-même à l’autre-même, se déposséder de la possession par la possessivité de l’autre, l’amour entre masochisme et sadisme pour sa plus grande exultation, l’impie est impitoyable, l’impie est im-pitoyable, après la monstruosité de l’exaltation, viennent les brises du repos des chairs alanguies et brisées. De l’esprit reposé. L’Adepte : tout se passe dans la tête, autant dire dans la solitude du solipsisme, je suis l’unique, j’englobe le tout et le rien, l’être et le néant, l’immortalité et la mort, je suis Dieu et faiblesse humaine de toi, si je te veux égale à moi tu es déesse, mais peut-être te préfèrerais-je prêtresse de mon culte, nous serions alors  séparés, dans tous les cas l’union de nos solitudes se résoudra dans la mort. Est-ce parce que ce chant pourrait être qualifié d’Egyptien qu’il possède une strophe de plus que les autres ou seulement parce que nous sommes au sommet de l’acmé solitaire de l’amant et du poëte. Tout n’est-il pas déjà écrit, le dernier vers n’est-il pas ‘’ Donne-mou ta bouche, ta bouche, et mourons !’  Ce n’est plus une prophétie mais un ordre en quel sens est-il inclus dans l’ordre du monde. Qui n’est que l’autre face du désastre du monde. Le Vampire : si je suis le seul Dieu quel but donner à ma flèche, tu n’es plus, tu n’es rien, mais comme je suis aussi le rien  tu es le vampire qui vient sucer le sang de mon désir, si Dieu est tout, vers quoi, vers qui étendra-t-il son amour, sur qui pourrais-je tirer sinon sur moi-même, le Dieu de la Bible n’a-t-il pas eu besoin d’un peuple pour lui manifester son amour, le poëte a besoin de lecteurs, lorsque le mirage du théâtre se termine, Shakespeare ne s’en remet-il pas au  public pour être ce qu’il est. Désillusion cosmique est aussi désillusion comique. L’initiation : il faut savoir être logique, les dieux comme les hommes sont mortels, il ne nous reste plus qu’à parfaire notre nature, qu’elle soit divine ou humaine en la mort, du même coup nous nous séparerons de cette commune humanité qui pleurniche devant l’inévitable, qui préfère décliner que regarder le soleil noir de la mort, face à face, afin d’accomplir par ce geste la seule survivance qui nous soit accessible. Les amants qui sont morts ne peuvent plus mourir. L’acte est significatif, non pas pour les autres, mais en lui-même. Endormons-nous pour ne plus jamais nous réveiller. Mais les Dieux dorment-ils du même sommeil que les hommes…

             J’ai juste résumé l’architecture conceptuelle de recueil. Nous ne sommes pas ici dans un blogue consacré à la littérature, toutefois nous attirons l’attention sur ce fait étrange : chaque chant - nous ne dénions pas à ce recueil l’adjectivation d’épique même si le héros ne combat que ses propres faiblesses, que lui-même – peut être lu en tant que récit avec un début et une fin, plus le rejet d’une suite au chant suivant… Il est une autre manière de le lire : chacune des strophes qui forme à elle seule un poème hermétiquement refermé sur lui-même peut aussi être considérée comme la répétition de la strophe précédente. Nous en tirerons deux conclusions : oui elles sont dissemblables,, mais le retour du même n’est pas le même. Mais retour.

             Deuxième conclusion, il reste donc les entailles des huit chants qui correspondent à huit moments différents. Huit points de vue d’un rituel magique en train de se dérouler point par point. Le lecteur aura intérêt à se pencher sur la structure de L’anneau et le Livre de Robert Browning.  Il y est bien question de mort, celle de l’infortunée Pompilia et celle d’Elizabeth Barret Browning. A l’époque où Aleister Crowley rédige et compose Nuées sans eau, Marcel Proust se débat avec la mise en place de la structure de La Recherche du Temps Perdu… Proust, grand admirateur de L’Anneau et le Livre de Browning.

             Croiriez-vous en avoir fini ? Non une seconde lecture s’avère nécessaire. Quinze collages d’Anja Bajuk parsèment le volume, ils n’ont pas été réalisés pour illustrer le recueil Nuées sans eau, pensez-vous que les couleurs qu’employa Gustave Moreau pour ses tableaux aient été créées à l’origine pour ses toiles !

             A l’origine ces collages ont été conçus pour rendre hommage à la figure de Diana Orlow ( 1971 – 1997 ) qui traduisit pour la première fois Le Livre de la Loi de Crowley en langue polonaise. Lilith von Sirius nom de guerre charnelle et spirituelle de Diana Orlow

             Ce sont des images, des lames à s’enfoncer dans le dos. L’art du collage est un art de grande précision, au travers de débris l’on se représente soi-même ou plutôt la vision que nous avons de tel ou tel concept. De concept agissant. Rien à voir avec une idée morte ou une nature morte. Il s’agit de recomposer à partir de mor(t)ceaux éparpillés, tel le cadavre de Dionysos, le vivant afin de le modeler, nous irons jusqu’à dire modeler le regard de celui qui regarde. De là surgissent les archétypes originels que l’on veut potentialiser ou détruire. Ces collages d’Anja Bajuk sont à regarder comme les scènes d’un opéra statique et silencieux – ce n’est pas pour rien qu’Anja Bajuck est une spécialiste des musiques extrêmes, le silence ne contient-il pas l’ensemble des bruits de l’univers portés à leurs paroxysmes, un peu à l’image des papiers déchirés d’Anja Bajuk qui ouvrent une porte sur l’effroyable beauté souveraine et souterraine du monde. Autrement dit de la femme sphinge et de l’homme singe.

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             Ces images sont comme le levain qui fait lever la pâte. Attention, prenez garde, ce livre est opératoire.

    Damie Chad.

             Ce livre est dédié à Olivier Cabière, éditeur du recueil d’Aleister Crowley Rodin in Rime (2018) traduit par Philippe Pissier.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 546 : KR'TNT 546 : MARK LANEGAN / JAZZ BUTCHER / LEON BRIDGES / EARL BRUTUS / BOURBIER / ALIEN LIZARD / HOWLIN' JAWS / MARIE DESJARDINS / CHRIS BIRD + WISE GUIZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 546

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 03 / 2022

    MARK LANEGAN / JAZZ BUTCHER

    LEON BRIDGES / EARL BRUTUS

    BOURBIER / ALIEN LIZARD

    HOWLIN’ JAWS / MARIE DESJARDINS

    CHRIS BIRD + WISE GUIZ

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 546

    Livraisons 01 - 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :   http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Lanegan à tous les coups - Part Six

     

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             À force de tenter le diable et de jouer avec les near-death experiences, Lanegan a fini par  casser sa pipe en bois. Mais il le fait avec le brio qu’on lui connaît. Un dernier album aurait été accueilli à bras ouverts. Mais non, il nous laisse à la place un petit book, Devil In A Coma, qu’on rangera dans l’étagère à côté du There’s One In Every Town de Mick Farren, de l’Hellfire de Nick Tosches et du Dark Stuff de Nick Kent. Car voilà bien un chef-d’œuvre, un étrange chef-d’œuvre devrait-on dire, car au talent fou qui le caractérise, Lanegan ajoute l’art de la pirouette et l’insolence. Et plane par dessus tout ça l’âcre odeur de la terre de cimetière.

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             Lanegan y narre d’un ton atrocement guttural le cauchemar d’un séjour de plusieurs mois en soins intensifs, dans un hôpital irlandais, pays où il a trouvé refuge après avoir fui la Californie. Il ne donne guère de détails sur les circonstances de sa fuite - Hellhounds at my back in Los Angeles - Il a chopé le fameux virus dont tout le monde parle et il doit être hospitalisé. D’où la pirouette. Au lieu d’évoquer Kurt Cobain et Jeffrey Lee Pierce, cet imbécile nous parle du virus pendant 150 pages, avec tous les détails, les tuyaux, les branchements, les vieux en train de clamser dans la même chambre d’hosto, il ne nous épargne rien. Ah c’est malin ! Pendant deux ans, on a tout fait pour chasser toute cette fucking médiatisation par la porte, et pouf, elle revient pas la fenêtre avec Lanegan. C’est d’autant plus odieux qu’il essaye de prouver sur son lit de douleur l’existence d’un virus qui n’existe que dans sa tête. Il va même très loin au fond de son psychisme, c’est souvent d’une violence terrible, il nous entraîne dans son délire, il atteint un niveau de dénuement encore plus extrême que celui développé dans son livre précédent, le crucifiant Sing Backwards And Weep.

             Lanegan pourrit vivant sur son lit d’hôpital, dans son corps comme dans sa tête et il nous livre tout. Tu en as pour deux à trois heures, si tu veux avaler ça d’un trait, mais après tu ne te sentiras pas très bien. Ce démon t’aura contaminé. Merveilleusement contaminé. Il commence par tomber dans les pommes chez lui, dans sa baraque irlandaise du conté de Querry. Il refusait d’aller à l’hosto, mais sa femme a appelé une ambulance - behind my back, c’est-à-dire dans son dos - I eventually ended up in intensive care, unable to draw oxygen and was diagnosed with some exotic new strain of the coronavirus for wich there was no cure, of course. I was put into a medically induced coma, none of which I remembered - Voilà du pur Lanegan, cette longue phrase se déroule au rythme de sa voix, il écrit des vers, de la prose, en attendant le jour qui vient, dirait Aragon. Oui, c’est exactement ça. Il prend le prétexte d’une maladie exotique pour faire de la littérature. La phrase est si parfaite dans son rythme et sa construction qu’on se surprend à la relire plusieurs fois pour en apprécier la musicalité. Le diable est entré à l’hosto avec le rock’n’roll. Lanegan va détrôner Céline qu’on croyait maître absolu du dithyrambe des corps souffrants.

             Lanegan se voit administrer des calmants, il en cite trois Sequorel, Xanax, OxyContin, mais ça n’a aucun effet sur lui - I’d been self-administrating elephant-sized doses of the same shit on and off for years - Eh oui, Lanegan est le prince des tox. Il a battu tous les records. C’est lui qui l’affirme. Profitons de l’occasion pour rappeler que l’autre grande dimension laneganienne est l’exagération. Tout chez lui est plus dur, plus violent, plus âpre, plus immoral que partout ailleurs. Comme Cash dans son autobio, Lanegan fait de sa maladie un chef-d’œuvre. L’exagération fait partie de son jeu et on l’accepte à partir du moment où on comprend que ça tonifie son style. Chez une oie blanche, l’exagération ne passe pas. Chez Lanegan, c’est cohérent, parce qu’il est naturellement violent et amoral - To me it was a second nature to eat tablets like candy - Il adore aussi rappeler qu’il est très limité d’esprit et que la réalité ne l’intéresse pas du tout - La myopie qui m’a largement handicapé toute ma vie m’a enraciné dans l’à peu près, in the here and now, et je pensais rarement à autre chose que l’à peu près, surtout s’il fallait commencer à réfléchir à l’avenir, some far-off distant future never-never land. Such places did not exist in my limited scope of reality - Cet homme qui est en réalité extrêmement intelligent veille à rester dans l’ombre. Il s’interdit toute vision.        

             L’insolence ? Oh que oui et à bien des égards. Il faut entendre l’insolence au sens où l’entendait Céline, une insolence qui flirte avec l’amoralité du comportement, cette amoralité qui dans le cas de Céline, comme dans celui de Lanegan, nourrit le style. Un homme vertueux n’écrirait ni comme Céline ni comme Lanegan. Il écrirait comme Paul Claudel et ferait interner sa sœur dans un asile. Nous on préfère Lanegan à l’hosto. Au moins on se marre. Il faut être possédé par de sacrés démons pour pouvoir choquer comme sait choquer Lanegan. Il est le premier à reconnaître que sa rage de vivre dépasse les normes - I’d lived like a fire raging through a skyscrapper, a cauldron of negative energy - Il se compare à l’incendie qui ravage un gratte-ciel, à un chaudron de négativité. Comme dans son livre précédent, il se repent, mais c’est pour mieux persévérer - And I continued to careen like a demented pinball off anything and anyone in my way, piling up a small mointain of sorrow, calamity, sadness and trauma - Il continue de rebondir ici et là comme une bille de flipper demented, amassant derrière lui une petite montagne de chagrin, de tristesse, de calamités et de traumas. Comme toutes les forces de la nature, il avoue être incapable de penser à rien d’autre qu’à lui-même, et ça passe bien quand ça sort de la bouche d’une âme damnée comme Lanegan. Il sait que sa clairvoyance va loin : «Ramenés à la même échelle, my lifetime of shady actions and misdeeds surpassait de très loin tout le côté positif que pouvait amener au monde ma carrière de chanteur.» Il se veut damné. C’est très XIXe comme attitude.

             Sa façon de décrire l’hosto relève du curatif. Il commence dès qu’il sort du coma - Maintenant que j’étais de retour dans ce monde et que je connaissais le score, it felt as if my days consisted only of the occasional blood pressure check, a plate of food I never ate, and extreme boredom, pain and unhappiness. Mes voisins de chambrée soupiraient et pleurnichaient sans cesse. The happier ones adoraient papoter. I wore a pair of headphones round the clock so as not to be drawn into conversation - On ne va quand même pas demander à une rockstar de papoter avec des vieux en train de clamser ! Il finit par ne plus pouvoir les supporter - D’entendre les plaintes continuelles et les gueulantes de tous ces gens me poussait à bout, that set me on the edge and I struggled to keep from detonating - Lanegan n’explose pas, il detonate.

             Il veut se tirer de l’hosto, mais il ne tient pas debout. Il s’est pété le genou en tombant chez lui dans l’escalier et de toute façon, il n’arrive pas à respirer - I found the situation to be intolerably fucked - Ça dépasse son entendement. Il refuse d’admettre qu’il est baisé. Fucked. Pour se déplacer, il a un déambulateur et il avoue plus loin dans le récit qu’il ne porte pas de couches car il peut encore aller chier tout seul, ce qui n’est visiblement pas le cas de ses voisins de chambrée. D’ailleurs, il dit être parfois réveillé par l’odeur de la merde. Welcome in Laneganland ! Et comme il s’appelle Lanegan, qu’il est un démon et une rockstar, il parvient à embobiner le personnel de nuit pour aller fumer sa clope à la fenêtre, ce qui bien sûr est interdit vu son état. Il n’empêche qu’il termine sa longue liste de remerciements avec «The staff of Kerry hospital, Tralee, Ireland».  

             Quitter l’hosto devient une obsession. Il insiste, contre l’avis de tous les médecins - I assumed I was going to die anyway but did not want it to be in this fucking hospital - Il veut sortir de là et aller mourir dans les champs. Il n’accepte pas de ne pas pouvoir se battre contre un ennemi qu’il ne voit pas, c’est contraire à ses principes. Quand on lui annonce que ses reins ne fonctionnent plus, il s’en bat l’œil - I honestly did not give a shit because at this point I would just as soon let the chips fall where they might rather than endure any more of what felt like a steady regime on mind-bending torture and ridiculous ennui - Lanegan sait charger une phrase à l’extrême pour en gangrener l’emphase, ses phrases noircissent comme les membres d’un cadavre, il y a quelque chose d’intensément baudelairien dans le lent dévoilement de cette auto-déconfiture.

             Style encore : «As April turned to May I found myself sliding into what I felt like black-mood clinical depression and I was on the precipice of losing a fight against it.» Un Français dirait : «J’en ai marre, j’arrête de me battre.» Lanegan nous sort cette phrase parfaite dont l’éclat baudelairien n’échappera à personne. Il en rajoute une petite louche un peu plus loin : «Alors que mon corps moribond gisait sur un lit d’hôpital, mon esprit moribond continuait de s’auto-dévorer. Je ne m’étais jamais retrouvé devant quoi que ce fût que je ne pouvais combattre ou fuir, et il semblait que le virus allait avoir ma peau, m’apprenant en même temps qu’on ne peut fuir ce qu’on ne voit pas.» Et il repart à l’assaut de sa prodigieuse déconfiture, comme s’il l’acceptait enfin - Toughness, tenacity, balls, fire, audacity and a rock-solid getaway plan had always been my strengths in any battle, mais à présent, tout cela ne me servait plus à rien - Il n’en revient pas d’être confronté à l’absurdité de la situation. Il en fait des pages bouleversantes, les pages d’une rockstar que se bat contre l’inconnu avec de la littérature : «Était-il possible qu’après toutes ces années passées à écumer les cimetières, j’allais être envoyé au tapis ? Comme ça ? No fucking way. Chaque fois que la question me revenait à l’esprit, la réponse était la même, I’ll be damned if I go out like this, no fucking way. Accident d’avion, accident de voiture, coups de feu, meurtre, oui, c’est toujours ainsi que j’avais imaginé ma mort - plane crash, auto crash, gunfire, murder - et ça me foutait en rogne d’imaginer que je pouvais crever comme ça, lying in a goddamned bed, denied a battlefield, privé d’un champ de bataille.»

             Vivre tranquillement n’aura jamais été une option chez Lanegan - I didn’t know how to ride easy and I had no interest in learning how. To do that was contrary to everything I believed, to ride esasy was to set yourself up to get fucked and not in a pleasurable way either - Lanegan a cru toute sa vie qu’il fallait s’endurcir pour se protéger. Il ramène aussi pas mal d’éléments autobiographiques, comme par exemple sa mère qui le haïssait et son premier beau-père dont il fait en quatre lignes un portait saisissant. Bienvenue dans l’Amérique profonde - A hellraising biker covered in homemade tattoss, il chassait les lièvres pour les manger, mais il s’amusait aussi à tirer sur des oiseaux à bout portant, de sorte qu’il n’en restait rien - He was THAT kind of guy

             Le récit s’achève sur une pirouette ultime qu’il appartient au lecteur de découvrir. Cet homme n’aura pas cessé de nous stupéfier.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Mark Lanegan. Disparu le 22 février 2022

    Mark Lanegan. Devil In A Coma. Laurence King Publishing 2021

     

    All that Jazz, Butcher !

     

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             Le souvenir qu’on avait du Jazz Butcher était celui d’un groupe anglais assez proche par l’esprit et le goût du swing de l’excellent Monochrome Set. Lorsqu’en octobre dernier Pat Fish cassa sa pipe en bois, un ami qui le connaissait bien fit de lui le genre d’apologie qui fait dresser l’oreille pour de vrai. Une fois sur le qui-vive, il ne restait plus qu’à mettre le nez dans l’all that Jazz, Butcher. Pour découvrir au final qu’il s’agit d’une œuvre valant tout l’or du Rhin.

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             Le premier album du Jazz Butcher s’appelle In Bath Of Bacon et date de 1983, donc de trente ans. Eh oui, ça glou-gloute sous le Pont Mirabeau. Il faut partir du principe que chaque album du Butcher réserve son petit lot de divines surprises. Ah il faut entendre la basse sur «Bigfoot Motel» ! Ce joli son de basse viandu et raffiné à la fois anime un groove longiligne digne de Cubist Blues. Oh et puis ce «Gloop Jiving» d’ouverture de balda, fabuleux groove de jazz. Max Eider y fait des petites guitares à la Velvet. «Partytime» nous renvoie au charme discret de la bourgeoisie du Monochrome Set. Max Eider fait des miracles avec sa clairette de Digne. Et puis avec «Chinatown», ils font de la pop sur une structure de dub. Ils ne se refusent aucun luxe. Ils ont encore un «Zombie Love» en commun avec Monochrome et Pat Fish chante «La Mer» en français, pas celle de Charles Trenet, mais la sienne est belle - Tout le monde s’amuse bien à la plage - Ils font aussi un groove ensorcelé à la Bid avec «Poisoned Food» - Oysters ! Lobsters ! 

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             Paru l’année suivante, A Scandal In Bohemia tient bien ses promesses, avec notamment «Just Like Betty Page», où Max Eider joue le jazz de Django. Ah il faut l’entendre claquer son Butching Jazz ! Sinon on trouve encore du pur jus de Monochrome («Southern Mark Smith», «Real Men», «Soul Happy Hour», «Marnie» er «Girlfriend»). Ils tapent dans la belle romantica de Bid. Avec «I Need Meat», ils virent carrément rockab, mais attention, c’est le rockab des Stray Cats, avec le même sens de la descente au barbu. Ils font aussi une excellente échaffourée gaga en B avec «Caroline Wheeler’s Birthday Party», qu’ils enveloppent en plus de mystère. Ces mecs sont des surdoués, ils savent rester frais comme des gardons. 

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             L’année suivante paraît Sex And Travel, un mini-album C’est écrit dessus, comme sur le Port-Salut. Pat et ses potes continuent de proposer cette pop anglaise chaleureuse, avec du son et des guitares à gogo. Ils font un petit shoot de Monochrome avec «Red Pets» et un joli balladif avec «Only A Rumour». La principale caractéristique des albums du Jazz Butcher est qu’ils sont extrêmement agréables à l’écoute. En B, on tombe sur «President Reagan’s Birthday Present», une espèce de samba du diable. Le Butcher s’amuse bien avec son heavy bassmatic et son extraordinaire musicalité. Ce surdoué de Max Eider jazze le boogie sur «What’s The Matter Boy» et nous laisse comme deux ronds de flan.

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             Comme son nom l’indique, Hamburg est un album live enregistré à Hambourg en 1985. Max Eider fait partie de l’aventure ainsi que «Bath Of Bacon», «Soul Happy Hour» et «Death Dentist». Ce qui fait le charme de l’album, ce sont les deux hommages à Lou Reed, cover de «Sweet Jane» et, via les Modern Lovers, une cover de «Roadrunner» qu’on retrouvera systématiquement sur les albums live à venir. One two three four five six ! Pat Fish le fait bien, il y va au radio on et le batteur fourbit bien le beat. Il s’appelle Jones et il aurait tendance sur certains cuts à voler le show, comme par exemple sur «Bigfoot Motel» en B, embarqué au jive de Butcher avec un Jones fast on the beat, fin et précis, un vrai batteur de rockabilly. On note aussi au passage l’excellence de Felix le bassman. Avec «Girlfriend», Pat Fish fait encore un beau numéro de pop d’Anglais vertueux. Fabuleux artiste !  

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             Sur Distressed Gentlefolk paru l’année suivante, ils rendent un bel hommage au Velvet avec «Still In The Kitchen». Pat Fish renoue avec l’esprit du Velvet, il ramène les tambourins, la reverb et l’arty-druggy de la lenteur. Puis il retourne se jeter dans les bras du Monochrome Set avec «Hungarian Love Song», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Ça donne un cut tonique, bien enlevé, dynamique, très London town, avec la musicalité des guitares country. Ils attaquent leur B avec «Who Love You Now», une véritable leçon de swing. Ils restent dans le London swing avec un «Domestic Animal» extrêmement bien joué, bien fouetté du cul et joué en walking bass - In the springtime cats have sex - Retour au typical Monochrome avec «Buffalo Shame», même esprit qu’«He’s Frank», même culte de la décadence. Pour décorer la pochette intérieure, Pat Fish a monté un ensemble de petites photos, on y reconnaît Charlie Parker, Syd Barrett, Oscar Wilde, Lloyd Price, George Orwell et Fassbinder. Ça en dit long. Il boucle cet album passionné avec «Angels», une merveille digne des Spacemen 3, jouée avec une profondeur de champ extraordinaire, gorgée de relents de Velvet et enrichie de cuivres et de guitares scintillantes, oui, elles scintillent littéralement au fond du son.   

             Avec Fishcotheque, le Butcher débarque sur Creation. Pat Fish raconte qu’il faisait une tournée européenne en 1987, et un soir, après un concert à Paris, il entre dans sa loge et tombe sur Alan McGee. Pat lui demande ce qu’il fout là et McGee dit qu’il vient le signer sur Creation.  Ça tombe à pic, car son contrat avec Glass vient d’expirer. Comme Max Eider a quitté le Butcher, c’est le guitar tech Kizzy O’Callaghan qui le remplace.

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             Pat Fish et Kizzy se retrouvent en photo sur la pochette de Fishcotheque, un vrai fish and chip shop. C’est McGee qui choisit la photo et le titre de l’album. Pat Fish raconte qu’aujourd’hui cette photo connue dans le monde entier figure sur les menus du shop. L’album est gorgé de grooves modernistes («Out Of Touch», «Living In A Village») et de basslines traversières («Next Move Sideways»). C’est un haut niveau qui requiert toute notre attention. Quelques belles énormités aussi, notamment avec «Looking For Lot 49», fantastique dégelée, ils jouent leur big va-tout au vatootoo des montagnes de Tahiti. Ils frisent le Punk’s not dead et deviennent les masters of the universe, comme l’ont été Hawkwind avant eux - You make me want to carry on - Avec «Susie», ils se prennent pour Lou Reed et ils ont raison, ils font un glamour de kids affamés de great songs. Sonic Boom nous dit Pat y ajoute des layers of beautiful tremolo feedback. Ils jouent «Chickentown» à la régalade vénusienne et terminent sur une authentique Beautiful Song, «Keeping The Curtains Closed». Pat Fish illumine la power-pop anglaise. Fantastique artiste.

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             C’est Pascal Legras qui peint la pochette de Big Planet Scary Planet. Legras est un chouchou de Mark E. Smith, il a fait pas mal de pochettes pour The Fall. Pat Fish le trouve gentil et sincère, mais... He can however also be a proper handful - L’album s’ouvre sur l’effarant «New Invention», un mid-tempo gorgé de jus et d’arpèges de réverb. Pat Fish se prend pour l’Eve of Destruction et développe un power inimaginable, une fabuleuse moisson d’accords psychédéliques. C’est du heavy groove de London boys nourris aux bons disques, ravagé par le napalm d’un killer solo. Leur «Line Of Death» va vite en besogne, embarqué par une extraordinaire bassline de balloche, ils cavalent comme des hussards sur le toit au tagada de la rue des Rosiers. Avec «Hysteria», ils se rapprochent de Nikki Sudden. Sur cet album, ils jouent tout à la folie. Tout est fracassé d’accords. Bon ça va, les surdoués ! Avec «Burglar Of Love», ils entrent au cimetière. Pas loin du Gun Club. Inespéré. La basse vole le show. Retour à la power pop avec «Bad Dream Lover», cut joyeux qui court dans la vallée comme un torrent de montagne. Ils sont rompus à toutes les disciplines. Ils terminent avec un fantastique hommage au Velvet, «The Good Ones». Ils sont en plein dedans, c’est un «Pale Blue Eyes» à la Pat Fish, il attaque la mélodie avec un courage incommensurable, il en a largement les moyens. Pat dit qu’il a écrit «The Good Ones» pour son pote Stuart Kay, mort à 28 ans - I’ve heard people saying ‘oh it’s Pale Blue Eyes’. Of course it is: that’s the point.

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             Comme Kizzy est à l’hôpital pour une tumeur au cerveau, il est remplacé par Richard Formby. Encore pas mal de merveilles sur ce Cult Of The Basement qui date de 1990, tiens par exemple ce pur jus de London Underground qu’est «Pineapple Tuesday». Pat Fish y chante avec des accents de Lou Reed et le son de la guitare se révèle faramineux de véracité psychédélique. Bouquets de notes immaculées, elles descendent dans le lagon du groove, c’est digne des Mary Chain. Il faut aussi écouter «The Basement» et sa fantastique ambiance bellevilloise, avec sa guitare de fête foraine et son accordéon, le morceau préféré des poissons rouges, nous dit l’excellent Pat Fish. D’ailleurs ils décident qu’avec Cult Of The Basement, ils vont faire one of these records,  et Pat Fish cite Oar, les deux Barrett solo, Sister Lovers et le troisième album du Velvet. Ils ont aussi le pouvoir extraordinaire de savoir jouer le country rock, comme le montre «My Zeppelin» : il se rend à Mexico en Zeppelin. Plus loin, ils éclatent «Mr Odd» aux guitares extraordinaires. Chez le Butcher, ce sont les guitares qui font le show et qui overblastent. Ils recréent l’ambiance de fête foraine pour un «Girl Go» qui bascule dans un final frénétique de big heavy guitars. Ils terminent avec «Sister Death», un heavy balladif qui se situe dans l’esprit de Sister Morphine - Sister death/ Get me out of here - Il demande à Sister Death de l’emmener et ça explose aux guitares de get me out of here, ça rue dans les spreads de fuckin’ hot psycho-blast. Personne ne bat le Butcher à la course. Pat indique que Cult Of The Basement est son album préféré avec Sex And Travel. Il croit avoir capturé the true sound of the band.   

              Entre deux eaux, Pat Fish recommande quelques albums : Oh Mercy de Dylan, My Beloved Revolution Sweetheart de Camper Van Beethoven et surtout l’Up de the Perfect Disaster, qui selon lui avoisine one of those records évoqués plus haut. Puis Kizzy débarque un jour dans le studio pour jouer un peu, mais il est tellement médicamenté qu’il se vautre. Il retourne donc a Londres. Pour lui c’est terminé. Pat Fish raconte que Kizzy avait une petite bougie en forme de crâne dont il se servait pour entrer en contact avec l’esprit de Django Reinhardt. Pat la conserve comme un talisman.

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             Au retour d’une tournée, Pat Fish se retrouve seul. Il lance le projet d’un nouvel album avec Alex Lee (guitar), Joe Allen (bass) et Paul Mulreany (beurre). Les sessions d’enregistrement de Condition Blue sont décrites comme celles de four desperate men in a room.     

             Au risque de radoter, on peut bien dire que Condition Blue grouille de petites merveilles, et ce dès «Girls Say Yes», un balladif d’une élégance extravagante. Dira-t-on la même chose de «Still And All» ? Oui, car voilà un groove d’after Jazz qui flotte au gré du temps. C’est pur et magnifique à la fois, monté sur un thème de revienzy et hanté par une trompette. Attention à «Monkey Face» : c’est une invitation à danser au bar de Coconut Beach, autrement dit, une invitation qu’on ne peut refuser. Avec «Harlan», Pat Fish campe dans le what the hell des big balladifs. On note la parfaite intensité de sa présence. Et comme il l’a déjà fait, il finit en plein Velvet avec «Racheland». C’est même une pure mary-chiennerie, même sens de l’instinct pop suprême, même sens du lard fumant, il vise le même horizon que Lou Reed et les frères Reid. Il va chercher le climaxing extrême et ça bascule dans la folie, c’est stupéfiant, en plein dans l’œuf du serpent.          

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             Au lieu d’appeler l’album paru en 1993 Waiting For The Love Bus, le Butcher aurait pu l’appeler Waiting For The Man, car on y trouve pas moins de trois cuts dignes du Velvet, à commencer par l’effarant «President Chang», bien contrebalancé par un bassmatic digne de celui de John Cale, un bassmatic en déplacement dans un son monolithique, trois notes qui dégringolent comme celles de Will Carruthers dans Spacemen 3, cette fois ils recréent la magie du white light/white heat, c’est terrifiant de véracité, il n’existe pas de meilleure recréation de la magie du Velvet que celle-ci - President Chang at the highschool hop - Pat fait son Lou. «Rosemary Davis World Of Sound» est aussi très Velvet dans l’esprit, gratté aux accords de la ramasse urbaine, avec toutes les dissonances qu’on peut bien imaginer. Ils amènent «Killed Out» au riff cinglant, comme un cut de Moby Grape mais ça vire vite Velvet, et ça bascule dans un final puissant en mode hypno de white heat - I want to be an American artist - Encore du Big Butcher avec «Bakersfield». Fantastique swagger ! Cette fois le guitar slinger s’appelle Peter Crouch. Pat Fish taille bien sa route avec «Kids In The Mail» et «Sweetwater». Il fait ce qu’il sait faire de mieux, de l’élan pop, il est dans la vie comme le montre encore «Ghosts». Il fait encore son Lou avec «Ben» puis rend hommage aux pingouins avec «Penguins». C’est un peu une révélation, surtout pour l’amateur de pingouins.  

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             Western Family est un album live enregistré lors d’une tournée au Canada et aux États-Unis. En 1999, le groupe se compose de Peter Crouch (Strato), Dooj (bass), Nick Burson (beurre) et Pat Fish. Il est précisé dans les liners que l’équipe est réduite au minimum et que le Butcher survit miraculeusement. On retrouve tous les vieux coucous : «Sister Death» (très Velvet et sacrément bien joué), «Still & All» (Heavy pop d’écho supérieur jouée aux accords atonaux), «Pineapple Tuesday» (fantastique musicalité) et l’incroyable dévolu de «Girl Go», d’esprit velvetien. Avec «Shirley Maclaine», ils sonnent comme le Wedding Present, ce qui vaut pour compliment. Ils jouent à la folie Méricout et on peut dire que Crouch est un crack. Puis tout explose avec «Racheland», en plein cœur du mythe Velvet - Inside the hardest time - Ils rendent ensuite un hommage superbe à Fred Neil avec une cover d’«Everybody’s Talking», une autre mythologie urbaine, celle de Ratso, avec du son. Ce démon de Pat Fish n’a décidément pas froid aux yeux. Il sait recréer la magie. Ils terminent avec «Over The Rainbow» et là Pat Fish vise le summum. Enfin il essaye.    

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             Dernier album sur Creation : Illuminate, paru en 1995. On y retrouve deux hommages au Velvet, «Cute Submarines» et «Lulu’s Nightmare». Ils réinventent une fois de plus le fameux gratté de poux du Velvet, cet incroyable dépouillé d’accords inventé en 1966 par Lou Reed. Comme Lou, le Butcher s’enferme dans une frénésie underground, ça grouille de génie sous la surface. Lulu est aussi un gros clin d’œil à Lou, avec ces retours de guitare qui font illusion. Avec «Scarlett», Pat Fish montre une fois encore qu’il est capable d’amener des balladifs incroyablement inspirés. C’est à la fois une merveille et une récompense pour les ceusses qui seront allés jusqu’au bout de l’album. S’ensuit d’ailleurs une deuxième récompense : «Cops & Hospitals», véritable coup de génie, illustration de la démesure du Fish, avec on s’en doute un solo de démence pure, suivi d’une véritable descente en enfer, et un swagger digne de Ron Asheton. Pat Fish te pulvérise la Britpop en mille morceaux, ses albums n’ont l’air de rien, comme ça, avec ces pochettes ratées, mais ils te marquent la mémoire au fer rouge. De la même façon que le loup attend l’agneau au coin du bois, Pat Fish attend l’amateur au coin du cut. Avec du génie plein les poches. T’en veux ? Tiens, sers-toi.   

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             Après la disparition de Creation, le Butcher erre dans la nature. Commence alors la valse des parutions improbables, comme ce Glorious & Idiotic, un album live enregistré à Hambourg en 1998 et paru sur le mythique label ROIR en l’an 2000. Max Eider fait partie de l’aventure. Ils démarrent leur set avec le vieux «Partytime» qui sonne comme un hit, groovy et admirable. Max Eider y shoote vieux jazz. Quel guitariste ! Ils font du Velvet avec «Baby It’s You», véritable osmose de la mimétose, Pat Fish s’y croit et il a raison, quelle classe, avec l’accordéon et les accords de «Sweet Jane». Max Eider donne une leçon de swing avec «Who Loves You Now», il jazze le Butcher pendant que Pat Fish bassmatique, il court comme le furet sur l’horizon. C’est joué dans l’absolu déterminant. Ce fantastique ambianceur qu’est Max Eider amène «DRINK» sur un plateau de Gretsch puis le Butcher chauffe «Rain» à coups d’harmo, aw Gawd comme ces mecs sont bons, vous n’avez pas idée. Ils amènent «Old Shakey» au petit groove underground, ce sont des bienfaiteurs de l’humanité. Plus loin, Max Eider plante le décor d’un «Long Night Starts» qui sonne comme «Pale Blue Eyes». Pale Blue Fish chante avec la voix de Nico, au temps du Velvet. Ils ramènent ensuite leur vieux «Bigfoot Motel» au Cubist Blues, au heavy boogie on the run, c’est excellent, du pur jive de Butcher, ils groovent leur lard avec une science inégalable, ils vont droit sous le boisseau et pour couronner le tout, ils terminent avec leur vieille cover de «Roadrunner», pas chantée pareil, juste un clin d’œil. C’est l’intention qui compte. Ils nous grattent ça au fast radio on. Pat Fish connaît toutes les ficelles.             

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             Bizarrement, le Butcher n’a pas de label pour sortir Last Of The Gentleman Adventurers. Encore un big album, un de plus. Max Eider est là et on l’entend sur «Animals». Précieux Max et sa guitare prévalente, il jazze le Jazz Butcher. Avec «Shame About You», ils passent à une fast pop digne des Boos. Même sens de l’ampleur et de la cavalcade. Puis ils passent directement au coup de génie avec le morceau titre. Max Eider crée l’ambiance et Pat Fish chante comme Kevin Ayers, alors welcome in magic land : le groove + la voix + le jazz, ça donne comme on sait de l’imparable, du pur sonic genius. Pat Fish chante «Tombé Dans Les Pommes» en français - C’est pas grave/ C’est pas grave - Max le jazze - Cette histoire d’éléphant/ Ça ne vient pas d’Yves Montand - Il jazze encore le groove du paradis pour «Count Me Out», puis il éclaire de l’intérieur la pop d’«All The Saints». C’est beaucoup plus aérien qu’Echo & The Bunnymen, la tension est tellement supérieure. Ils restent dans l’excellence de la prestance avec cette Beautiful Song qu’est «Mercy», le Butcher y illustre musicalement la douceur du temps. Et puis voilà le retour de «Shakey» et de l’immense lassitude, un brin knock knock knock on heaven’s door. 

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             Premier album posthume : Highest In The Land. Habituellement, on évite d’aller engraisser les charognards, mais comme on aime bien Pat Fish, on surmonte cette petite aversion. Première récompense : «Sea Madness», une pop d’extrême onction. Aw comme ce mec est pur. Alors que le bateau coule, il chante, le Fish. Il chante divinement. Retour au jazz de Max avec «Melanie Hargreaves’ Father’s Jaguar». Comme le temps est compté, voici «Time» monté sur un heavy groove de dub - Just a little bit of time - Pat Fish tente encore de déclencher une émeute des sens avec «Never Give Up», il a un don pour l’émerveillement. On trouve plus loin de la belle pop avec le morceau titre et encore plus loin une pop d’élan mordoré avec «Sebastian’s Medication», mais c’est avec «Goodnight Sweetheart» qu’il va te sidérer pour la dernière fois : belle fin de parcours, Pat Fish fait ses adieux avec un cut emblématique.

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             Dans le petit booklet qui accompagne la compile Dr Cholmondley Repents: A-Sides, B-Sides & Seasides, Pat Fish délire bien. Il rappelle aussi qu’il écoutait Stan Getz, Astrud Gilberto, the Clash, Pistols et Viv Stanshall. Il indique ensuite que «The Jazz Butcher Meets Count Dracula» et «Southern Mark Smith» étaient leurs premiers singles. Le boogaloo de Dracula tapait déjà bien dans le mille. Pour Alan McGee, le Butcher «is one of the most brillant incisive pop writers that Britain has produced since the glory days of Ray Davies ans Pete Townshend.» La compile propose quatre CDs et pas mal de bonnes surprises, comme par exemple cette reprise de «Roadrunner», montée sur l’un des meilleurs bassmatics de l’histoire du rock. Pat Fish y va de bon cœur. Il est d’autant plus courageux qu’il tape dans l’intapable. S’ensuit «Real Men», une pure merveille de pop excédée. On retrouve les vieux accords du Waiting For The Man dans «The Human Jungle». Ça sonne délicieusement transsexuel. Par contre avec «Angels» et son cristal de guitares, il fait son Nikki Nikki petit bikini. Encore une belle cover : «We Love You» : Pat Fish pique sa crise de Stonesy et c’est plein d’esprit. Le disk 2 n’est pas avare de petites merveilles, à commencer par «Drink» une chanson sur le drink, comme le dit si bien Pat Fish, et où Max Eider fait des miracles sur sa gratte. Ils font aussi de l’Americana de saloon avec «The Devil Is My Friend» et de l’exotica avec «South American». Pat Fish y loue les charmes de l’exotica, il est l’un des rares Londoners à pouvoir se permettre ce délire. Max Eider amène «Partytime» à la jazz guitar, il joue dans la matière du groove. Retour au Velvet avec «President Chang», on dira même que le drive de basse sort tout droit des Spacemen 3. C’est l’une des meilleurs dérives velvetiennes jamais imaginées. Encore du Velvet sur le disk 3 avec «Rebecca Wants Her Bike Back». Pat Fish cherche à réinventer le folie foutraque du Velvet. Il tape aussi une cover du très beau «May I» de Kevin Ayers, mais il n’a pas la voix. Encore un coup de Jarnac avec «Almost Brooklyn» et sa fantastique intro d’arpèges du diable. Cette fabuleuse mélasse d’accords et de mélodie monte droit au cerveau. Il est important de savoir que Pat Fish a enregistré «Rebecca Wants Her Bike Back», «May I» et «Almost Brooklyn» tout seul avec une boîte à rythme. «By Old Wind» permet de constater une fois encore que ce mec navigue dans le génie. Max Eider joue là-dessus, il ramène la fabuleuse douceur de son toucher de note, un toucher à la Peter Green. Les courants musicaux qui traversent le cut sont uniques en Angleterre. Ils amènent ensuite «City Of Night» au jazz manouche du canal Saint-Martin. C’est le son du Paris des vieux rêves, Pat Fish traîne dans le Paris de nos vieilles défonces. Le disk 4 propose un live enregistré à Santa Monica en 1989. Laurence O’Keefe est le guitariste. Ils démarrent avec le vieux «New Invention» tiré de Big Planet Scary Planet. C’est l’un des hit du Butcher, Pat le chante au flesh de Fish. Ce mec a le power et les belles guitares. Pour trois minutes, il est le roi du monde. Ils nous tapent aussi «Angels», histoire de saluer Nikki. Mais on ressent un certain malaise à l’écoute de cette radio session californienne, comme si les Anglais étaient trop élégants pour la Californie. Ils jouent une pop anglaise éclairée de l’intérieur par des arpèges, chose que ne savent pas faire les Américains. Ils renouent avec le Velvet dans «Girl Go» et avec «Caroline Wheeler’s Birthday Present», Pat Fish décide d’exterminer le rock, il est le Butcher fatal, ça dégomme, mothhhha !, il fait le punk de la criée aux poissons, aw, oh lala/ Oh lala, il embarque ça en enfer, il fait son Sex Pistol au check it up et ils terminent avec l’excellent «Looking For Lot 49» tiré de Fishcotheque, une belle envolée belle, Pat y nage comme un poisson dans l’eau, il fait du heavy punk de manouches, c’est le big heavy sound de gens qui savent jouer au meilleur niveau. God save the Fish !

             Of course, this one is for Philippe.

    Signé : Cazengler, Pat Fesse

    Pat Fish. Disparu le 5 octobre 2021

    Jazz Butcher. In Bath Of Bacon. Glass Records 1983  

    Jazz Butcher. Hamburg. Rebel Rec. 1983

    Jazz Butcher. A Scandal In Bohemia. Glass Records 1984 

    Jazz Butcher. Sex And Travel. Glass Records 1985              

    Jazz Butcher. Distressed Gentlefolk. Glass Records 1986 

    Jazz Butcher. Fishcotheque. Creation Records 1988

    Jazz Butcher. Big Planet Scary Planet. Creation Records 1989       

    Jazz Butcher. Cult Of The Basement. Creation Records 1990         

    Jazz Butcher. Condition Blue. Creation Records 1991                    

    Jazz Butcher. Waiting For The Love Bus. Creation Records 1993  

    Jazz Butcher. Western Family. Creation Records 1993    

    Jazz Butcher. Illuminate. Creation Records 1995  

    Jazz Butcher. Glorious & Idiotic. ROIR 2000            

    Jazz Butcher. Last Of The Gentleman Adventurers. Not On Label 2012

    Jazz Butcher. Highest In The Land. Tapete Records 2022

    Jazz Butcher. Dr Cholmondley Repents: A-Sides, B-Sides & Seasides. Fire Records 2021

     

    L’avenir du rock

     - Bridges over troubled waters

     

             L’avenir du rock croise parfois son voisin de palier, un homme court sur pattes, pas toujours aimable. Même un peu bougon. Par la concierge, l’avenir du rock sait que son voisin monsieur Léon travaille comme surveillant dans une maison de correction, ce qui explique en partie la fadeur de sa personne. Cet homme semble aussi compenser un violent sentiment d’infériorité par un développement hypertrophique de sa fierté, une fierté que doit bien sûr exacerber le port de l’uniforme. Grâce à la concierge, l’avenir du rock sait aussi que monsieur Léon ne supporte pas d’entendre prononcer son nom qui, selon lui, participe à sa disgrâce. L’avenir du rock qui est d’une nature inventive pense pouvoir dérider ce voisin acariâtre à l’aide de l’une de ces petites boutades inoffensives dont il a le secret. Un dimanche matin, l’occasion se présente. Il rentre du marché et croise monsieur Léon qui descend l’escalier :

             — Alors ça Blum, Léon ? 

             Le silence tombe comme une chape sur les deux hommes. Monsieur Léon ne dit rien. Muet comme une carpe. Une vraie statue de sel. L’avenir de rock fait mentalement une croix sur le sourire qu’il escomptait. Il comprend aussi que l’homme qui déridera monsieur Léon n’est pas encore né. Puis il pose son panier, s’attendant à recevoir une tarte et à devoir répondre, mais Monsieur Léon brise le silence en lâchant d’une voix sourde :

             — Pauvre con !

             Puis il reprend sa descente des marches et disparaît par la porte de l’immeuble. Alors l’avenir du rock se précipite jusqu’à la lucarne qui donne sur la cour et lance :

             — Reviens Léon, j’ai les mêmes à la maison !

     

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             Leon Bridges et monsieur Léon n’ont heureusement en commun que le Léon. Leon Bridges est un grand blackos texan dont on parle pas mal actuellement, notamment dans Uncut.    Et ce n’est pas un entrefilet, Uncut déroule à Leon le tapis rouge réservé aux grands de ce monde, c’est-à-dire six pages richement illustrées. Stephen Deusner n’y va pas de main morte, il affirme que Leon mélange le retro R&B avec le lo-fi garage grit. Leon nous dit Deusner est basé à Fort Worth et veille à porter les plus belles fringues du voisinage. Leon dit qu’il se sent bien à Fort Worth, une ville qui a sa propre identité, alors que Dallas dit-il veut trop ressembler à Los Angeles ou New York. Leon rappelle aussi que de sacrés cocos ont grandi dans son quartier : Ornette Coleman, King Curtis et Cornell Dupree. Puis vient le chapitre des racines : Otis et Sam Cooke. Leon évoque aussi Al Green, Bobby Womack, mais à Fort Worth, il avoue aussi monter sur scène pour chanter avec les Quaker City Night Hawks, un groupe de country rock, un style qui reste dominant dans cette région du Texas. Leon devient aussi pote avec Austin Jenkins, le guitariste de White Denim. Quel mélange. Pas étonnant qu’il y perde sa Soul. 

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             Malheureusement, les albums ne se montrent pas à la hauteur du buzz, du moins pas autant qu’on l’aimerait. Coming Home qui date de 2015 reste pour l’instant son meilleur album. Le morceau titre en ouverture de bal est un pur shoot de black power, un r’n’b de haut rang hanté par un thème chanté aux chœurs de ouh-ouh-ouh. Leon se balade en devanture avec l’aplomb d’un vieux renard de la Soul. C’est un enchantement, une merveille d’équilibre et d’I need you baby. L’autre point fort de l’album s’appelle «Shine», un froti-frotah en forme de clameur chargée de sax. On sent bien la présence d’un Soul Brother en Leon, il chante chaque cut avec gourmandise, mais il dérape parfois dans les virages et s’égare dans des zones plus putassières à la Tom Waits («Brown Skin Girl»). Il rend hommage aux Flamingos avec les pah pah pah de «Lisa Sawyer», mais avec «Flowers», il sonne comme un blanc. Dommage qu’il se disperse. «Twistin’ And Groovin’» peine à convaincre, on dirait un cut destiné aux gens qui ne savent rien et il perd un peu de cette crédibilité si âprement gagnée. Il termine avec un «River» où il finit de perdre tout ce qui lui restait de crédibilité. Il piétine l’art sacré du peuple noir et en même temps il reste extrêmement pur avec son chapeau et son dobro. Il faut essayer de lui faire confiance.  

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             Avec Good Thing, il descend encore d’un cran dans le déceptif, malgré la présence d’un fabuleux «Bad Bad News», emmené au beat de jazz pur, solide et beau comme a hell of fuck, dancing boot de butt, et soudain déboulent les solos de jazz, modernity à tous les étages, la Soul revit ! Le guitariste s’appelle Nate Mercereau, un monstrueux blaster d’inside out ! Mais ce sera le seul gros cut de l’album. Leon fait de la Philly Soul avec «Bet Ain’t Worth The Hand» à la voix d’ange du Texas, il se positionne dans l’or blanc du temps de la Soul. On retrouve Nate Mercereau sur «Beyond». Leon chante ça à la petite ramasse de la Texasse, on se croirait sur Exile On Main Street, avec les échos de la cuisine et les chœurs à la va-vite. Mais ça dégénère aussitôt après avec «Forgive You», une pop à la U2 : brutale déperdition de qualité, Leon perd l’edge de «Bad Bad News». Reviens Leon ! Puis il perd complètement le fil des spaghettis avec «Lions», il n’a plus la moelle, il fait de la mormoille avec des machines. Il tente de sauver la fin d’album avec «You Don’t Know», mais les synthés ruinent tous ses efforts. C’est même incroyable de le voir détruire son début de réputation. Sharon Jones n’aurait jamais osé insulter ses fans avec un son aussi pourri. Difficile de jouer au petit jeu du renouveau de la Soul. Curtis Harding est bien plus dégourdi que Leon. S’il prend les gens pour des cons, ça ne sera pas facile de le suivre. Il termine avec «Georgia To Texas», il semble avoir des remords, il tente une symbiose de la Soul moderne mais ne pond qu’une petite soupe aux vermicelles.  

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             Dans Uncut, Leon explique qu’il est allé enregistrer son troisième album Gold-Diggers Sound à Los Angeles et qu’il envisageait d’expérimenter des sons - This new album is a reflection of the nighlife hang in LA - Il dit avoir essayé de restituer la vibe des nuits chaudes de LA.

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             Disons-le franchement : Gold-Diggers Sound est un album catastrophique. Pourquoi ? Parce que vendu pour de la Soul alors que c’est de l’electro. Dès «Born Again», on sait que ça ne sera pas tenable. Il tente encore sa chance avec «Motorbike», mais ça ne passe pas. Aucun espoir.  Il part en heavy steam avec «Steam», mais on est loin de la Soul qu’annoncent les canards. Merveilleuse arnaque ! Pour le morceau titre, il détourne la fanfare de la Nouvelle Orleans pour en faire une espèce de diskö imbuvable, ce qu’on appelle le diskö fuck you. Il tente encore de conquérir un empire avec «Details», mais sa vue est basse, il est plutôt le nouveau barbare de la Soul. Sa Soul étrangle la Soul. Arrrgghhhh !

    Signé : Cazengler, Léon brise-noix

    Leon Bridges. Coming Home. Columbia 2015  

    Leon Bridges. Good Thing. Columbia 2018        

    Leon Bridges. Gold-Diggers Sound. Columbia 2021

    Stephen Deusner : Lone star state of mind. Uncut # 292 - September 2021

     

                                           Inside the goldmine

    - Quelle Earl est-il Brutus ?

     

             Brutus jeta un coup d’œil à sa montre et répondit d’une voix lasse :

             — Midnight to six, man...

             En retombant sur l’acier de l’accoudoir, son lourd bracelet d’or serti de pierres tinta bruyamment, faisant sursauter les gardes pourtant entraînés à ne pas broncher. César se leva :

             — Je dois hélas te quitter, Brutus. Escartefigue, Brun et Panisse m’attendent pour une partie de manille.

             Brutus ne répondit même pas. Ses yeux chargés d’ennui s’étaient révulsés. Deux globes d’une blancheur de lait toisaient le néant, tels ceux d’un buste d’albâtre. Une esclave blonde approcha à petit pas, s’agenouilla, écarta les pans de la toge et entreprit de suçoter un pénis qui ne réagissait pas. D’un violent coup de talon, Brutus l’envoya rouler sur les dalles de marbre. Elle se releva et disparût aussi vite qu’elle le put derrière l’immense rideau de pourpre qui barrait le fond de la salle.

             — Quel bâtard !, siffla-t-elle entre ses dents pourries.

             L’esclave était furieuse.

             — Cet abruti m’a pété les côtes. Aïe, putain, ça fait mal...

             Elle claudiqua jusqu’à l’entrée de service, sortit dans la rue et héla un tacot.

             — Au secours !

             Le taxi freina brutalement. Elle monta derrière et se mit à sangloter. Le chauffeur ne disait rien, il l’observait dans son rétroviseur. Entre deux filets de morve, elle murmura :

             — Z’ai pas d’sous... Pouvez m’emmener à l’hosto ? Aïe aïe aïe, j’ai trop mal...

             — Qui vous a fait ça ?

             — Ce bâtard de Brutus !

             — Brutus ?

             — Ouais, ce sale bâtard !

             Le chauffeur ouvrit sa veste de treillis. Il en sortit un magnum 44 et un colt 45.

             — Attendez-moi ici dans le taxi. Je reviens dans cinq minutes.

             Travis Bickle entra par la porte de service, descendit les gardes qui tentaient de tirer leur glaive du fourreau et alla coller une balle de Magnum dans la tête de Brutus. Arrachée, la tête roula en prononçant cette phrase terrible : «Vertu tu n’es qu’un mot !»

     

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             Earl Brutus fit irruption dans notre vie aussi brutalement que le fait Travis Bickle chez Sport, bam bam, deux albums, Your Majesty Here We Are, en 1996 et Tonight You Are The Special One deux ans plus tard. Personne ou presque ne s’est penché sur le génie de ce groupe improbable formé en 1993 par John Fry, Nick Sanderson, Bob Marche et Stuart Boneman. Oh ces mecs-là n’étaient pas nés de la dernière pluie puisque Fry chantait dans l’early World Of Twist, Bob Marche venait de Subway Sect, mais le plus connu des quatre était bien sûr Nick Sanderson qui avait fait ses classes dans Clock DVA et le Gun Club. Il allait ensuite rejoindre les Mary Chain. Ils ont apparemment démarré avec un cut, «Life’s Too Long», un stomping glam terrace chant qu’on retrouve sur Your Majesty Here We Are : très clean, très Suicide dans l’accroche. Et chaque fois qu’Earl Brutus montait sur scène, ça se passait très mal, car ils n’avaient à leurs débuts que deux choses à proposer : une bande enregistrée de dix minutes suivie d’un «Life’s Too Long» lui aussi de dix minutes, alors bien sûr le public cassait tout - Have you ever seen pictures of Jamaica after a hurricane ? That’s what the stage used to look like -  Le DJ Steve Lamacq les prit sous son aile et tenta de les lancer. Il organisa un showcase gig au Monarch. Mais ça tombait le jour de l’anniversaire de Nick et les Brutus «passèrent l’après-midi à siffler des pina coladas, feeling like the most important group in the world». Et forcément, le soir, Fry qui avait trop bu tomba de la scène. Furieux, Lamacq décréta qu’il s’agissait du pire concert de rock qu’il ait vu, alors que le NME les voyait comme l’avenir du rock’n’roll.

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             Your Majesty Here We Are parut donc sur Deceptive, le label de Lamacq. On y est tout de suite accueilli par un stomp princier, «Navyhead». On prend la résonance du son en pleine poire - Never want to see you again - Ces mecs ont tout simplement le génie du son. Ils vont ensuite sur une techno-pop assez solide, très intériorisée, ils adorent les spoutniks. Ils cherchent l’ailleurs, comme le feront après eux Fat White Family. Ils assurent comme des brutes avec ce «The Black Speedway» assis sur un power bien charpenté. Ils ramènent le riff de «You Really Got Me» dans «Shrunken Head». C’est bien foutu et même inspiré par les trous de nez.   

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             C’est après la sortie de l’album que Lamacq les lâche. Trop de mayhem à son goût. Le set du Monarch lui reste coincé en travers de la gorge. Island se montre alors intéressé et fait paraître leur deuxième album, Tonight You Are The Special One. Pochette étrange, deux voitures se suicident au gaz d’échappement. Il n’empêche que la presse salue l’album : Avé Brutus ! Il y a deux grands chanteurs dans Brutus, John Fry et Nick Sanderson. Plus décidé que jamais à en découdre, Sanderson et son Farahs-and-Slazenger-jumper nouveau-hooligan look décrète que le public a besoin d’eux car qu’ils sont the ultimate exciting-scary pop band. Eh oui, ils ont le son, en plus du mayhem. Le son est là dès «The SAS And The Glam That Goes With It» qui sonne comme l’anthem de tes rêves inavouables. Oui, Brutus sonne vraiment comme une bénédiction. S’ensuit une nouvelle tentative de putsch avec «Universal Plan» - Such a beautiful world - Ils sont pleins d’espoir, ils dispensent l’omniscience du beat, ils jouent à la dure, au clou bien enfoncé. Avec «Come Taste My Mind», ils tapent dans le power supérieur, ils descendent des accords d’escaliers à la early Rundgren, aw c’mon c’mon show me a mountain, c’est très battu, solidement étayé. Ils font du relentless, mais pour de vrai. Ils ne font pas semblant, ils ne sont pas du genre à la ramener pour des prunes. Le «99p» qu’on trouve en B plaira beaucoup aux amateurs de guitares bien tranchées. Tout est très balèze, ici, cut after cut. Ils font de la pop pompeuse de Pompéi avec «East», mais ce n’est pas grave Brutus, on s’en fout, ils injectent tellement de vie dans l’electro d’«Edelweiss», certainement la fleur la plus killer du bouquet, avec son thème mélodique. Ils bouclent leur vaillant bouclard avec «Male Wife», the glam rock that’s not computers, et bien sûr les Spoutniks arrivent.

             Comme Lamacq, Island finit par les lâcher. L’incroyable de cette histoire est que Sanderson continua d’y croire jusqu’au bout, même s’il dut reprendre un job de conducteur de train. Lorsqu’un cancer l’emporte en 2008, un tribute concert baptisé Train Driver in Eyeliner est organisé à Londres en octobre 2008 avec à l’affiche British Sea Power, Black Box Recorder et les Mary Chain, ce qui n’est pas rien. Les Mary Chain reprennent d’ailleurs «Come Taste My Mind».

    Signé : Cazengler, Earl Bitus

    Earl Brutus. Your Majesty Here We Are. Deceptive 1996

    Earl Brutus. Tonight You Are The Special One. Island Records 1998

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    Matt Barker : Under the radar. Record Collector # 519 - June 2021

     

    BOURBIER / BOURBIER

    ( Poutrasseau Records / Bus Stop Press / Décembre 2021 )

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    Continuons notre petit panorama des french sludgers. Quelle idée bizarre de s’appeler Bourbier lorsque l’on vient de la Côte d’Azur. Comme quoi tout est dans la tête, tout dépend de notre vision du monde. Celle que nous offre la pochette n’est guère joyeuse. Apparemment une photographie de la guerre de 14, des arbres dont il ne reste plus que les troncs, pointés vers le ciel comme des doigts accusateurs, dessous une files soldats franchit sur des claies branlantes ce qui doit être une excavation causée par un obus remplie d’eau… Serait-ce une préfiguration de notre avenir !

    Micka : vocal / Clem : guitars, vocals / Antoine : drums, vocals. / Pedro ancien chanteur du groupe est venu ajouter sa voix sur les pistes 1, 4, 6 et Aytem sur la 2. En février le groupe s’est enrichi d’un quatrième membre. En ce mois de mars il effectue une tournée aux quatre coins de l’hexagone.

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     Garden of eden : on s’y attendait, malgré le titre paradisiaque pas vraiment une idylle pastorale, débute par une charge battériale de longue haleine rehaussée d’un fort brouillamini de guitares, et là-dessus vient se planter la voix de Micka comme la couronne d’épine sur la tête du crucifié, sont décidés à ne pas faire de quartier, le combo déferle emmené par les flammes que crachent ce gosier de feu, Antoine parvient tout de même dans cet élan monstrueux à obtenir par deux fois deux secondes de silence pour qu’on l’entende lui tout seul enfoncer à chaque fois deux clous dans le cercueils qu’il est en train de refermer. Avec cette surprise qu’au quatrième top c’est le morceau qui stoppe brutalement sans préavis, nous qui croyions encore poursuivre cet infernal assaut. Deux minutes douze secondes, ils exagèrent ! Machinery :  étrange début, des notes isolées, espacées, l’on se croirait (presque) dans une symphonie, Micka surgit et sludgit pour nous gâcher notre plaisir à nous raccrocher aux petites herbes du jardin de l’éden, Antoine que l’on faisait semblant de ne pas entendre survient, l’a troqué ses fûts de peau pour un bulldozer qui s’acharne à arraser tout ce qui ose dépasser. La grosse machine ne fait pas de quartier, quand un obstacle lui résiste, on suit la manœuvre à l’oreille sans la voir, il recule et puis il avance an tassant à coups redoublés le malheureux repli se terrain qui s’écrase sous les chenilles sans pitié. De la belle ouvrage, L’affaire est entendue (très fort) en moins de quatre minutes. Deserters : Derrière Micka le rythme ronronne, pas comme un chaton, plutôt comme un tigre mangeur d’homme qui hâte le pas car son œil féroce vous a aperçu vous promenant innocemment entre deux arbres, n’empêche que Micka crache ses viscères par la bouche et comme il a un gosier en fil de fer barbelé, vous imaginez le salmigondis qui en résulte, Clem arrive à point, laisse tomber ses notes une à une, et l’on entend même une corde chuinter, ce qui humaniserait quelque peu le morceau s’il ne s’installait une ambiance délétère, Micka claque son vocal à la manière de ses ces squales qui coupent les jambes du baigneur, en plus il vous imite les hurlements du malheureux. Heureusement le morceau s’achève l’on ne sait pas trop comment, car déjà on regrette qu’il ne dure pas plus longtemps. Effigies : vitesse de croisière, la tempête se lève vite, tournoiement vocalique, autant les instruments suivent une ligne mélodique autant les voix donnent du volume à la chose informe qui poussée par le chancre du chant prend forme devant vos yeux, maintenant ils cavalent tous comme s’ils avaient le diable à leurs trousses, mais ce ne doit être que l’horreur de leurs cauchemars les plus abyssaux qui les poursuit. Quagmire : le titre le plus long, normal quagmire signifie en langue de Shakespeare bourbier. Il n’y a pas de hasard. Il suffit de se regarder dans un miroir d’eau trouble pour apercevoir sa nature profonde. Un autoportrait en quelque sorte. Donc une musique plus narcissique qui prend le temps de se regarder, de faire la belle, de crier sa haine de l’univers, un vocal accusatoire, une frappe plus lente, il est nécessaire que le monde comprenne l’importance de cette manifestation boueuse, et toujours cette syncope qui structure les morceaux, et qui est un peu la marque de fabrique de Bourbier, après le déchaînement initial cette inhalation de guitare creuse, comme perdue dans l’écho de sa propre résonnance, mais ici cette respiration dure et prend de l’ampleur, avant bien sûr que le cobra ne se redresse et vous crache ses boules de poison vocal en pleine figure trois jets de venin, l’on retourne dans la résonnance cordique qui s’amplifie et en même temps s’effiloche en tournant sur elle-même à l’instar de ces bâton de marche autour desquels s’agrège la boue des chemins que nous parcourons à l’intérieur de nous. Delusion : Micka clame les illusions perdues de la condition humaine, notes quasi funèbres, chuintement d’avions à réaction qui partent en vrille, redondance de souffrance, musique compressée, hérissement de batterie. Tout se dilue dans l’espace du néant.

    Pas tout à fait six morceaux. Le disque est à écouter comme une pièce musicale d’un seul tenant avec des motifs qui s’entrecroisent, disparaissent, reviennent et s’absentent… L’est construit tel un quatuor à cordes, chacun des membres entrant tour à tour dans la ronde tout en continuant à assurer la marche de la machine, mais prenant tout à coup une importance primordiale. Comme quoi le sludge mène à tout. A condition d’y rester. Très bel opus.

    Damie Chad.

     

    *

    Depuis Jim Morrison je ne peux lire le mot lizard sans approfondir la chose. Des lézards j’en ai vu de toutes les sortes, mais je n’ai jamais rencontré un squamate extraterrestre. Celui-là il triche un peu, ne vient pas de loin, de Pologne, toutefois je reconnais que le bruit qu’il émet est tout de même étrange…

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    Je l’avoue ce n’est pas la pochette de l’album chroniqué ci-dessous qui m’a retenu mais celle de leur opus précédent. Pas spécialement le graphisme, le titre – sur le moment j’ai cru que je parlais couramment le polonais, mais non, l’est tout bonnement rédigé en français : Veux-tu la vie. Deuxième surprise, dans la setlist un poème de Marceline Desbordes-Valmore ! Descendez dans la rue et demandez aux premiers cent passants que vous rencontrez qui est cette fameuse Marceline. Envoyez-moi un SMS pour me signaler les réponses positives. L’est vrai que l’étoile de Marceline Desbordes-Valmore ne brille plus trop au firmament poétique de notre pays. Elle publie Elégies et Romances en 1819, un an avant les Méditations Poétiques de Lamartine, elle sera une des muses (malheureuses) du romantisme, son plus grand titre de gloire restera d’avoir été nomenclaturée dans Les poëtes maudits entre Stéphane Mallarmé et Villiers de L’Isle-Adam, son talent fut mainte fois reconnu par les plus grands de Baudelaire à Yves Bonnefoy. Ces polonais ont des lettres. Leur dernier album le confirme.

    LUCID DREAM MACHINE

    ALIEN LIZARD

    (Février 2022)

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    Qui sont-ils ? Viennent de Gdansk. Sont-ils un, deux, plusieurs ? Le seul nom qui nous est offert est celui du graphiste de la pochette Stevenvsnothingness. Une appellation dérivée de sa philosophie existentielle résumée en une courte formule : From nothingness to somethingness and back again ( du rien à quelque chose et retour ), une formule un peu désespérée qui décrit l’itinéraire de l’être humain, surgi du néant pour plus tard y retourner, entre temps et ces deux extrémités le mieux à faire est de faire quelque chose plutôt que rien. Sur Instagram vous pouvez vous appesantir sur les dessins blancs et noirs du dénommé Stevensnothingness, voyez ces gros yeux ronds et boutonneux, dites-vous que l’un regarde du côté de l’absence métaphysique et l’autre du côté du dérisoire critique. Je vous laisse explorer l’étrange anamorphose de la pochette. Zieutez-la à différents moments de la journée. Vous n’y verrez pas la même chose. Bougerait-elle dès que vous avez le dos tourné ou reflèterait-elle votre état psychique du moment. Fonctionne-telle comme un thermomètre qui n’indiquerait pas votre fièvre mais traduirait les variations de votre appréhension du monde…

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    Terminal : commençons donc by the end. Instrumental. Un rythme baladeur à la charleston, à moitié assoupi imperturbable, dessus viennent se greffer des sonorités, c’est un peu bâti comme le Boléro de Ravel  en plus bordélique, des bruits divers qui se succèdent et refusent de se greffer les uns aux autres. Se terminent par de doux pépiements d’oiseaux. Nous supposons que notre lézard est un tantinet écologiste. Ensemble agréable mais qui nous laisse sur notre faim. Ou sur notre fin.  Lotus eaters : tout doux, tout lointain, une voix pratiquement inaudible, les courtes paroles ressemblent à s’y méprendre à deux haikus, sont-elles répétées à satiété, cela a-t-il seulement une importance, le rythme répétitif ne nous incite-t-il pas au repos, paisible et endormeur, peut-être est-ce pour cela que nous identifions la sonorité d’un sitar, ne serait-ce pas plutôt un rêve entre deux eaux tournant en rond dans notre cervelle tel un poisson dans son bocal. Des crissements désagréables nous tirent de notre sommeil, Ulysse viendrait-il tirer ses marins de la torpeur qui les a plongés dans un délicieux sommeil au pays des lotophages, à moins que ce ne soit le souvenir du poème d’Alfred Tennyson qui nous envoûte. Obserwacja obserwatora : observation de l’observateur, c’est un peu comme l’arroseur arrosé, toujours ce chuchotement, parmi des tapotements et des bruits familiers, une voix féminine récite des textes, au passage on reconnaît un extrait des Cygnes de Léon Dierx, c’est d’après un de ses poèmes que Rimbaud écrivit Le Bateau Ivre et de Rosalia de Castro poétesse romantique qui donna ses lettres de noblesse à la littérature de Galice. L’on imagine une scène d’intérieur ponctuée de tintements de verres, dans la chaleur pesante d’une après-midi de sieste ensoleillée.  Farniente. Qui regarde l’autre dormir ? Los naranjos : munissez-vous de la méthode Assimil espagnol, les paroles sont un poème d’Ignacio Manuel Altamiro, homme politique et écrivain mexicain du dix-neuvième siècle, le texte quoique plus disert n’est pas sans analogie avec le précédent, une intro tirebouchonnée, très vite le grouillamini sonore s’éteint et une guitare accompagne une voix féminine qui récite le texte altamirien, bel accent espagnol, la voix est en deuxième plan, après un passage musical elle passe au troisième supplantée par un rideau de tubulure, les trois mouvements correspondent aux trois moments du poème, la beauté de la nature, le faux combat entre la jeune vierge et son très bientôt amant, l’acceptation et le repos réparateur du coït, Altamiro n’emploie pas ce mot, il reste dans la bienséance du siècle 19 directement entée sur le modèle de l’idylle grecque antique, faut le dire ces orangers sont plantés en un terreau euphonique un peu maigre, le texte  quoique voilé surpasse la musique. Sympathie for the ludite : un titre trompeur, le texte clame son aversion anti-ludite, encore faut-il comprendre qu’il s’agit d’ironie, rythmique bien marquée et vocal susurrant, un chant de résistance et de non-acceptation à mettre en relation avec le terme machine du titre, notre lézard venu d’ailleurs fait semblant d’adorer les bienfaits de la technique qui ont pris en charge nos vies sans que beaucoup en aient pris conscience, à l’origine le ludisme fut ce mouvement ouvrier anglais qui brisa les métiers à tisser qui non seulement les asservissait à un travail réglementé par la machine mais les faisait travailler plus pour gagner moins. Toute ressemblance avec notre époque serait-elle due à un simple hasard. Beaucoup plus agréable à écouter que le morceau précédent mais une trame répétitive un peu simpliste, exprès peut-être pour exprimer l’inéluctabilité feutrée de l’oppression du travail et de la manipulation mentale. Rien de pire qu’un esclave qui se croit libre. Eyes eye the l’s in you : interlude musical, presque deux mots à l’oreille ‘’ ma chérie’’ une basse rythmique et des bruits de laminoirs qui coulent, chant d’oiseau, le son se volatilise, serait-ce l’oasis perdue dans le désert du désir. Fondu enchaîné entre trois yeux, deux qui regardent, un seul qui comprend l’incommunicabilité des êtres. The bird : le même morceau que le précédent mais la musique a pris son envol, exploration du regard de l’oiseau ou de l’oiselle, atmosphère beaucoup plus mystérieuse, pourtant ce qui est exprimé n’est que notre lot quotidien, l’idée que notre regard est décroché de la réalité, que l’on ne sait plus où on est, que nous sommes enveloppés dans l’ouate du monde, l’on pressent que l’on se dirige vers une espèce de cataclysme, densité de l’accompagnement, peut-être ne voyons-nous rien parce que nous ne regardons ni l’oiseau, ni l’oiselle, peut-être est-ce lui, peut-être est-ce elle, qui nous nous tient prisonnier dans le faisceau de son regard. Captivant. Romantycznosc : une romance, d’amour toujours, pas celui que l’on croit, ici le lecteur français se souviendra de La morte amoureuse de Théophile Gautier, mais la filiation avec Annabel Lee d’Edgar Allan Poe est certaine, l’indolence du fond musical est rehaussé, condensé, une voix féminine mène le bal mortuaire des retrouvailles, les effets s’amplifient, à tel point que l’on n’entend plus que la voix qui parle comme si elle sortait du néant, du vide, de l’autre côté, bientôt agrémentée de ces grattements que font les doigts des morts dans leur cercueil qui s’apprêtent à soulever le couvercle pour aller s’unir dans le monde des vivants à l’être aimé. Ultra romantique. Wombat 9 : le morceau le plus long, pratiquement symphonique si on le compare au minimalisme musical de tout ce qui précède, pourtant le même schéma chromatique, en plus beau, en plus romantique, la voix semble  enfouie au loin au plus profond d’une galerie, le wombat est une espèce de kangourou aussi mignon qu’une peluche de nounours, un animal assez solitaire, symbole parfait d’un poëte abandonné qui se réveille de son rêve érotique et s’aperçoit que ce n’était qu’un rêve, espèce de chants grégoriens pour accentuer la solitude de l’être humain terré dans sa solitude. Très beau. Le wombat possède une particularité que peut-être vous lui enviriez : il chie (ce n’est pas chic mais choc) des crottes cubiques.  Un très beau symbole animalier  pour cette création terrestre qui ne ressemble à rien d’autre mais qui est autre que du rien.

    Un disque très littéraire qui risque de désarçonner bien des patiences. A ne pas mettre entre toutes les oreilles. Une tentative de revisitation de la sensibilité romantique – née voici plus de deux siècles - il aurait gagné à bénéficier d’un accompagnement musical plus fourni, quitte à prendre le contre-pied de cette volonté à ne pas crier sur les toits, à ne pas hurler avec les loups du rock ‘n’roll, à contrario de ce désir de proférer un secret à des âmes choisies et délicates. Un truc dérangeant car échappant aux normes esthétiques communément admises. Pas dans l’air du temps, visant à une certaine intemporalité, même si ce qui est issu du néant est destiné à retourner au néant. Toutefois entre temps quelque chose aura eu lieu. Que cela vous plaise ou non, n’a aucune importance.

    Damie Chad.

     

    HOWLIN’ JAWS

    Dix ans que les Howlin’ ravagent le pays. Un des groupes les plus importants de la scène française. Leurs prestations live ont attiré l’attention d’un large public, le cœur des fans est un fromage qui se laisse dévorer avec satisfaction lorsque on lui fournit une énergie électrique revigorante. Kr’tnt ! garde toujours un œil sur eux, pendant le confinement – voir notre livraison 513 du 10 / 06 / 2021 – nous avons chroniqué une de leurs prestations live sans public – autant manger un sandwich au pain, cela calme la faim - visibles sur YT. Cette fois-ci, avant de nous pencher sur leur premier album dans une toute prochaine livraison nous jetons un œil sur trois relativement récentes vidéos.

    Dans notre livraison 436 du 31 / 10 / 2019 nous rendions compte de la prestation des Howlin’ Jaws lors de la création de la pièce Electre des Bas-fonds de Simon Abkarian par La Compagnie des Cinq Roues au Théâtre du Soleil. Les esprits curieux trouveront sur YT différents extraits de la pièce.    Voici à peine plus d’un mois le groupe a attiré l’attention par une vidéo, tournée lors de leur implication dans ce spectacle. Démarche non dénuée de sombres, mais nobles, motivations puisqu’elle rappelait la date de leur futur concert à La Maroquinerie le 25 / 02 /22. Quant au titre interprété il est en troisième position sur leur album Strange Effect sorti en septembre 2021.

    SHE LIES (Official Video)

    HOWLIN’ JAWS

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    Evidemment y a les roses qui encadrent le nom des Howlin’ qui vous mettent la puce à l’oreille, même si l’image suivante est des plus classiquement rock, nos trois héros pris de face, disposés en triangle ( isocèle, pour les adeptes de la géométrie appliquée ), mais  des roses parce qu’ils nous parlent des épines, celles à la morsure la plus sinistre, celles du mensonge, because She lies,  certes l’on peut se mentir à soi-même, toutefois en règle générale faut être deux pour tromper l’autre, est-ce pour cette déraison que de temps en temps l’image se dédouble, que deux Djivan  croisent le manche de deux basses, que deux Baptiste jouent de deux batteries en se tournant le dos en frères siamois, est-ce un hasard si  deux Lucas palindromiques et leurs deux leads se dédoublent…  pour le moment nous n’avons vu que des gars, la fille apparaît, fantôme flou, seule ses lèvres sanguinaires se détachent, morsure de serpent, elle aussi se dédouble, telle est la dualité du mensonge incarnée par la danseuse Chouchane Agoudjian, et subito expresso elles sont légion, tout le corps de ballet en arrière-plan, voici les boys sur un piédestal, elles les entourent - l’on ne peut s’empêcher au ballet du Bolero de Ravel mis en scène par Maurice Béjart - elles  les tiennent prisonniers, les enrobent dans la toile d’araignée de leurs menteries, ne s’en sortiront pas, she lies. Vous avez vu maintenant vous allez entendre. Pas du tout un rock torride, un truc rampant, espèce de boa réticulé qui glisse lentement sur le carrelage de la cuisine et vous enlace de ses anneaux froids comme la mort. Djivan vous décoche les lyrics par-dessous, comme une révélation destinée à vous faire mal, genre coup de couteau dans le dos au moment où vous vous y attendiez le moins, Baptiste tape sans énergie avec cette précision maniaque de l’empoisonneur qui distille un par un les milligrammes de cyanure nécessaire à votre passage dans l’autre monde, Lucas enfile les perles sur les cordes de sa guitare, vous prépare une belle couronne mortuaire pour que votre enterrement ne vous fasse pas honte. Esthétique – merci à Moro Fiorito réalisateur, et insidieux, les Jaws nous rappellent un des aspects les plus malfaisants du rock ‘n’ roll. Pour brouiller les pistes, Djivan porte un costume qui n’est pas sans évoquer ceux que revêtait el caballero Diego de la Vega dans le premier Zorro de Walt Disney( 1957 – 1961 ).

    Quelques jours plus tard les Howlin’ mettent en ligne un nouveau titre, au cas où vous n’auriez pas déjà pris votre billet pour leur passage à La Maroquinerie, et pour remettre les clepsydre, du rock ‘n’ roll, z’ont choisi un titre symbolique de leur évolution, pas du tout un rockabilly endiablé, un classique du british rock, enregistré par les Zombies en 1964, ce n’est plus fifties-fifties, mais sixties-sixties.   

    Cherchent un peu la difficulté. Colin Blunstone avait une voix particulière, de la dentelle ajourée, les Zombies jouaient subtil, pas des pousse-au-crime qui foncent droit devant en écrasant tout ce qui se présente. Avec le passif (très tonitrusif) de leur jeunesse, les Jaws ne se dérobent pas devant l’obstacle. Rappelons que si Noël Deschamps en a dès 1964 réalisé en français une très belle adaptation, c’est qu’il bénéficiait de sa voix qui montait très haut et couvrait trois octaves et des talents de l’arrangeur Gérard Hugé.

    SHE’S NOT THERE

    (LIVE SESSION )

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    Tous trois portent des lunettes noires, sont dehors au soleil, devant des gradins de pierre, en chemise, rose pour Lucas, rouge pour Baptiste, bleu sombre à motifs pour Djivan. Y vont tout doux. Marchent sur des œufs, n’ont pas l’huile de l’orgue pour faire monter la mayonnaise. Donnent l’impression d’effleurer leurs instruments du bout des doigts et des baguettes, Djivan mezzo voce comme s’il ne voulait pas y toucher, avancent à petits pas sur le pas de tir, l’on arrive à l’instant crucial, l’instant fatidique où la voix doit s’élever très haut, Djivan module et Lucas vient à son aide en doublant le refrain, pas du tout désagréable d’autant plus que Baptiste se porte à leur rescousse, ont passé le cap le plus difficile, maintenant c’est plus facile, sont à l’aise sur la partie instrumentale, pas d’esbroufe possible, minutie et précision obligatoires, et l’on repart en altitude vocale, à trois de front, z’ont maintenant acquis une assurance, Lucas vous transperce de notes de snipers et la farandole anapurnienne reprend de plus belle, plus vite, plus haut, plus ténue, en un merveilleux équilibre, la guitare de Lucas influe maintenant un aspect nettement plus rock ‘n’ roll que l’original – trio spartiate versus quintette spatiale – maintenant ils ne touchent plus terre, et c’est fini. Deux minutes et une poignée de secondes de montée vers les étoiles.

    HEARTBREACKER

    (OFFICIAL VIDEO)

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    Deuxième titre de l’album Strange Effect. L’on ne dira jamais assez le mal que les filles font subir aux garçons. Nos demoiselles affirmeront le contraire. Nous ne tenons pas à lancer un débat. Il nous semble superfétatoire. Inutile de se déchirer. Mieux vaut en rire. C’est du moins le parti pris par Marie Chauvin et Stephen Meance les réalisateurs de l’opus, lettres animées, images tressautantes un peu à la manière des premiers films, poupée mannequin, blonde imperturbable en vitrine d’arrière-plan, puis l’écran découpées en trois cases, n’oublions pas que les Howlin’ sont un trio, des espèces de figures panini mouvantes aux couleurs changeantes, le morceau défile à toute vitesse, une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits, vous en prenez plein les mirettes pour un max de rectangles, peut-être veulent-ils nous empêcher de penser, du moins de nous interdire  de prêter la moindre attention à la musique, ce qui est assez déroutant pour un clip musical censé présenter un extrait de l’album… Toutefois il existe une relation sans équivoque entre la forme et le fond. Un morceau. Mais fragmenté. Qui part un peu de tous les côtés. Vous vous croyez dans les bluezy chœurs des premiers Animals et dans la seconde qui suit vous voici en pleines harmonies Beatles, supplantées par des bribes de pure rock ‘n’roll effacées par des implications stoniennes, une pincée des Hollies, un arrière-goût des Kinks, cinquante ans après la British Invasion sévit encore. Une pièce montée, un régal, une horlogerie de haute précision que les amateurs se délecteront de démonter et remonter sans fin.

    LOVE MAKES THE WORLD GO ROUND

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    Cinquième morceau de l’album Strange Efect. Fond d’écran ébénique. Sur ce noir infernal des lèvres qui chantent. Les paroles sont inscrites sur le vermillon buccal. Au début il n’y en a qu’une paire, à la fin, elles sont mathématiquement réparties sur tout le rectangle.  Cette fois la mise en bouches de la vidéo vous invite à n’écouter que les paroles, plutôt l’harmonie des voix entremêlées, vous voici dans Sergent Pepper's, mais si vous prêtez l’oreille à la musique vous êtes dans le disque blanc, vous citerez même Back in the URSS. C’est bien fait, un peu trop beatlemaniaque à mon goût sur ce morceau, quelques zébrures à la Yardbirds vous sabrerait le tout avantageusement, quelques gouttes de sang cramoisi avivent la blancheur diaprée d’une tunique. Les Howlin’ entreprennent une démarche qui est à mettre en parallèle avec l’itinéraire des Flamin’ Groovies.  A suivre.

    Le concert de la Maroquinerie du 25 févier 2022 s’est très bien déroulé. J’étais absent, pour affaires familiales en Ariège. Sur YT vous trouverez deux vidéos. La première,  un peu pénible à regarder, plan fixe de soixante-dix minutes, les Jaws noyés dans un éclairage trop violent, et un son pas vraiment parfait. Un fan nommé Rapido 5 a réalisé à partir de ses propres images et celles de la septante un montage du titre Loves makes the world go round, et c’est déjà beaucoup mieux. Et je n’y étais pas !

    Damie Chad.

     

    UN EDITEUR EFFICACE

    MARIE DESJARDINS

    (La Métropole - 22 / 02 / 2022 )

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    Un petit article, pas plus de cinquante lignes. Qui regorge d’informations étonnantes. Surtout pour nous, petits français qui ne suivons que de (très) loin l’histoire politique du Canada. Une chronique sur Pierre-Louis Trudeau qui a fondé les Editions du Mont Royal ( éMR ). Peu de livres encore à son catalogue qui vise deux domaines de prédilection, culturel et politique. Pierre-Louis Trudeau n’est pas un inconnu en son pays, érudit, essayiste, auteur, un activiste qui depuis un demi-siècle s’est engagé jusqu’en Afrique pour défendre ses idées. Ce n’est donc pas un hasard si un de ses premiers livres publié se nomme Alfred, Premier député noir à l’assemblée nationale du Québec de Paul Morrissette. Attardons-nous sur La République assassinée de Daniel Johnson de Pierre Schneider. Un militant du Front du Québec Libre qui nous fait part de sa longue et minutieuse enquête sur l’assassinat de Daniel Johnson, qui s’apprêtait à proposer à la population de la province du Québec un référendum afin de lui octroyer le statut de République du Québec. Nous sommes dans les années soixante, en 1967 le Général de Gaulle lance son ‘’ Vive le Québec libre’’ suscitant l’enthousiasme des québécois… En France, on jugea la formule comme une foucade sans importance, aux Etats Unis on la comprit beaucoup mieux. La CIA n’avait aucune envie que cette République du Québec destinée à sortir de l’Otan, devant la montée des périls Daniel Johnson est assassiné au mois de septembre 1968. Dès sa création la Gendarmerie Royale du Canada, et les agents de la CIA suivent de près (et influencent dans la mesure du possible) les décisions de l’appareil politique du Front du Québec Libre, une pomme pourrie dans un panier… De l’histoire ancienne certes. Toutefois pensons au triangle Russie-Ukraine-Otan. Parfois la pomme pourrie se métamorphose en pomme de discorde… Un éditeur qui donne à réfléchir est utile et dangereux. Est-ce pour cela que Marie Desjardins le qualifie aussi d’éditeur discret. C’est fou comme l’actualité nous rattrape au moment où l’on s’y attend le moins. Merci à Marie Desjardins auteur d’Ambassador Hotel, un des meilleurs romans rock que nous avons chroniqué dans notre livraison 440 du 28 / 11 / 19.

    Damie Chad.

    NOUVELLES DE CHRIS BIRD

    ET DES WISE GUYZ

    GROUPE UKRAINIEN DE ROCKABILLY

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    VOIR YT Groupe de soutien :

    Help for the WISE GUYZ in Ukraine

    Chers amis

    Pendant que nous avons un peu de temps libre aujourd’hui, je peux donner quelques nouvelles

    Moi et mon cousin sommes en sécurité, continuez à faire du bénévolat. Notre maison n’est pas endommagée et nous pouvons cuisiner, recharger nos téléphones et utiliser internet, ce qui est déjà de super conditions.

    Shnur (batteur) et sa mère sont toujours à Poltava. C’est plus ou moins sûr là-bas, au moins plus sûr qu’à Kharkiv. Merci beaucoup pour vos dons, ils ont de l’argent pour avoir de la nourriture dans les prochaines semaines

    Baden (bassiste) a rassemblé ses proches de différentes parties de la ville et les a envoyés dans la direction ouest de l’Ukraine, où c’est moins dangereux. Ça aussi été possible grâce à vos dons merci Dans le moment ils sont en route.

    Maman et les tantes vous envoient un gros câlin depuis Francfort et elles sont également reconnaissantes pour vos dons. Ils sont en sécurité et pleins de gens aimants et attentionnés autour.

    Merci pour votre amour, votre aide et votre soutien chers amis !!

    Chris Bird.