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  • CHRONIQUES DE POURPRE 631: KR'TNT 631 : WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY / LARRY COLLINS / MARK LANEGAN / JOHNNY ADAMS / BILL CRANE / OAK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 631

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 02 / 2024

     

    WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY

    LARRY COLLINS / MARK LANEGAN

    JOHNNY ADAMS / BILL CRANE

    OAK / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 631

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Kramer tune

    (Part Three)

     

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             Stupéfiante nouvelle : Wayne Kramer vient tout juste de casser sa pipe en bois. Stupéfiant, parce que dans Mojo, il annonçait le grand retour du MC5 avec un album et une tournée. Il venait de composer 15 cuts et de monter un nouveau MC5 avec le chanteur Brad Brooks, le bassman Vicki Randle, le guitariste Stevie Salas et le beurreman Winston Watson Jr. - We’re gonna go everywhere. The MC5 is a show band, always was. We’re playing with matches - I want to go out there and burn some stages down - Le pauvre Wayne ne va rien cramer du tout.

             Pour honorer sa mémoire, nous allons désarchiver un texte jadis confié à Gildas pour Dig It!. Ce prétentieux panorama couvrait un vaste territoire : une autobio, la dernière apparition de Wayne Kramer sur scène à Paris en 2018 et quelques films lumineux.

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             À l’âge canonique de soixante-dix balais, Wayne Kramer opère un grand retour dans l’actualité : tournée mondiale d’un MC50 cm3 constitué pour célébrer le cinquantenaire de l’enregistrement du premier album du MC5, parution d’une pulpeuse autobio et tapis rouge dans Mojo avec ce fameux Mojo Interview habituellement réservé aux têtes de gondoles. Certains objecteront que le MC5 est aussi une tête de gondole, oui, mais une tête gondole underground, c’est-à-dire à la cave, avec tous les autres seigneurs des ténèbres. Ceux qu’on préfère. Et de loin.

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             Au temps jadis, personne ne pouvait rivaliser de ramalama fafafa avec le MC5. Wayne Kramer était en outre l’idole de Johnny Thunders et de pas mal de kids à travers le monde. Leur premier album avait pour double particularité de n’être pas double (comme l’étaient quasiment tous les albums live de l’époque, Doors, Cream, Steppenwolf and co) et de ne pas nous pomper l’air avec un solo de batterie. Il reste en outre, avec le Live At The Star-Club de Jerry Lee et No Sleep Till Hammersmith de Motörhead, l’un des plus grands disques live de tous les temps. Par grand, il faut entendre explosif. Le seul mec capable de réinventer une telle pétaudière aujourd’hui s’appelle Pat, l’inénarrable zébulon des Schizophonics. Tous les admirateurs de champignons atomiques connaissent Kick Out The Jams par cœur et se prosternent jusqu’à terre devant le zozo des Schizos, parce qu’il a su reprendre le flambeau avec brio. 

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             On piaffe tous d’impatience de revoir Wayne Kramer sur scène. C’est un peu comme de voir Ron Asheton en chair et en os, l’air de rien, ça redonne un peu de sens à la vie. Pour tromper l’attente, on peut lire le Mojo Interview. La double s’ouvre sur un fantastique portrait de Wayne Kramer : souriant, quasi-iconique, le regard pointé vers le ciel, le cheveu court, la barbe taillée, il offre l’image d’un homme bien dans sa peau, pas trop esquinté. Si on s’écoutait, on lui donnerait une petite cinquantaine. Une autre image le montre assis, tenant dans ses bras la fameuse Strato stars & stripes. Il semble rayonner. Ce mec n’a pas fini de nous surprendre. Il rayonne d’autant plus qu’il vient de se faire retaper : «On m’a installé un corset en uranium sur la colonne vertébrale, des implants dentaires et une prothèse auditive.» Refait à neuf - I’m like the bionic man over here - Brother Wayne vit à Hollywood, ça aide. Il nous explique tranquillement que l’absence du père créa dans sa vie un tel manque affectif qu’il ne réussit à le combler que d’une seule façon : en travaillant dur pour monter sur scène et faire en sorte que les mille personnes présentes dans la salle l’aiment. Il revient rapidement sur son adolescence de fauche et de fight, sur son goût prononcé pour la petite délinquance et sur sa colère qu’il ne contrôlait qu’avec de la dope - It was easier to get loaded than let my anger out - Et tout ça le conduit naturellement à Little Richard. Si Lee Allen fascinait tant Lou Reed, Brother Wayne en pinçait pour le beat d’Earl Palmer et pour la sheer exuberance de Little Richard. Il en pinçait aussi pour la vélocité guitaristique de chikah Chuck. Il enchaîne avec le TAMI show - James Brown and the Rolling Stones were something else - Il savait qu’il ne pourrait jamais devenir un James Brown, mais les Stones, oh yeah, c’était largement à sa portée. Tout cela le conduit naturellement aux rencontres : Rob & Fred. Brother Wayne explique là un truc capital : Rob & Fred étaient les seuls mecs qu’il pouvait fréquenter. On a tous connu ça dans la cour du lycée, l’époque des chapelles de Clochemerle, quand tout le monde se pointait avec des albums de Deep Purple et du Pink Floyd sous le bras. Jamais ceux des Stooges ou du MC5. Communication breakdown. En plus, Rob Tyner est un gosse intelligent et cultivé. Il dessine ses fringues et il sait chanter - Always a step ahead - Il n’y a pas de hasard, Balthazard. Pouf, c’est parti ! Brother Wayne forme Fred à la guitare. Tu joues la rythmique et moi la mélodie, rrright ? Ils bossent sur chickah Chuck comme tous les guitaristes le faisaient à l’époque, les fameux accords rock’n’roll qu’on joue en barré avec le petit doigt alternatif. Pas de guerre d’egos entre Wayne et Fred. Ils bossent leur Detroit Sound en toute impunité. Et comme la clairvoyance leur fait comprendre qu’ils ne sont pas des grands musiciens, ils en arrivent à la conclusion suivante : nous devons inventer quelque chose - That’s where the showmanship of the MC5 came from - Ils inventent le ramalama, c’est-à-dire une bombe atomique, mais une bombe atomique de rêve, celle qui ne ferait pas de mal à une mouche. Et quand cette bombe nous est tombée sur la gueule, on a vraiment a-do-ré ça.

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             D’ailleurs Brother Wayne se montre un peu chatouilleux sur la question de la reconnaissance. Quand un mec qui se croit malin le félicite pour son three-chords rock, ça ne passe pas. Le blast du MC5 va bien plus loin que ce qu’en disent les rois de l’étiquette : il suffit d’écouter la fin de «Starship» pour entendre l’importance du côté expérimental, voire insurrectionnel, the boundary-pushing side, comme l’appelle Wayne, la possibilité d’une île, oui, c’est exactement ce qu’on pouvait ressentir à l’époque, ce groupe ne souffrait pas d’être trop serré dans son jean, il savait s’exploser la braguette à coups de rafales de free. Kick Out The Jams sonnait comme une immense clameur de liberté, de la même façon que Fun House sonnait comme l’endroit qu’on rêvait d’habiter. 

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             Les Beatles et les Stones ? Okay, mais Brother Wayne n’y trouve pas son compte. Le coup du hit pop band ne le branche pas. Grâce à tous ces groupes anglais, il découvre qu’on peut écrire ses propres chansons et donner des concerts, plutôt que de jouer dans des clubs, comme c’est l’usage aux États-Unis. Mais à ses yeux, il manque dans ce phénomène de mode deux dimensions fondamentales : l’artistique et la politique. Il se sentait dans une impasse, à jouer les solos de chickah Chuck et à pousser son ampli dans les orties. C’est là qu’il découvre Sun Ra, Trane et Albert Ayler. Soudain tout s’éclaire. Brother Wayne entre alors dans un kinetic cosmic trip, il donne une forme sonique à ses pulsions politico-artistiques. Merci Brother John ! John Sinclair vient d’entrer dans la danse. Un Sinclair plus âgé et plus cultivé qui, comme Captain Beefheart le fit avec son Magic Band, entreprend de rééduquer ses ouailles, aux plans justement artistique et politique. Tout est dans son livre, le fameux Guitar Army. On peut d’ailleurs définir le Detroit Sound comme un rock d’avant-garde doté d’une conscience politique. Alors que la plupart des groupes étaient managés par des affairistes le plus souvent dénués de tout scrupule, le MC5 eut la chance d’être piloté par John Sinclair. Dans l’interview, Brother Wayne se dit fier d’avoir appartenu à cette génération qui s’est battue contre la guerre du Vietnam et pour les droits civiques du grand peuple noir. Par contre, il se dit inquiet pour l’avenir de son pays, car l’expression ‘conscience politique’ semble avoir disparu du dictionnaire, au profit d’on sait quoi. On ne va pas vous faire un dessin.

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             Mais quand on remet le nez dans les sermons politiques de John Sinclair, on bâille vite aux corneilles. S’il est une chose qui vieillit mal, c’est bien le discours politique enragé des années soixante-dix. Par contre, les actes restent, notamment ceux des branches armées des mouvements d’extrême gauche. Sinclair prônait justement la lutte armée, en fondant le White Panther Party, et il voulait que le MC5 soit la voix de cette révolution urbaine qu’il appelait de tous ses vœux. D’où sa vision d’une guitar army - a raggedy horde of holy barbarians marching into the future, pushed forward by a powerful blast of sound (une horde de barbares célestes entrant dans le futur, propulsée par un gros son) - Si le FBI n’était pas intervenu, nul doute que Sinclair aurait terminé sa carrière à la Maison Blanche. Dans le chapitre Roots qui introduit Guitar Army, Sinclair raconte comment ado il découvrit sa vocation via «Maybelline» et «Tutti Frutti» - There had never been any music like that on earth before - Tous ceux qui ont vécu ça à l’époque le savent : du jour au lendemain, ne comptait plus que le rock’n’roll. Excité comme un pou, Sinclair poursuit : «Tout à coup, on avait Screamin’ Jay Hawkins, Fidel Castro, Billy Riley and his Little Green men spreading the spectrum of possibilities all the way over», des gens qui ouvraient un nouveau champ du possible, un peu comme si Moïse était revenu ouvrir la Mer Rouge pour que tous les kids du monde échappent au joug des pharaons, c’est-à-dire les beaufs - Rock’n’roll was just that, a possibility, a whole new way to go and we jumped into it like there was nothing else for us to do - Oui, ça traçait bien la route - Daddio ! You dig ? We got Bill Haley & the Comets kickin’ out the jams and that’s all we need ! - Sinclair ajoute en outre qu’il ne pouvait y avoir aucun problème avec tous ces blackos de génie - Chuck, Fatsy, Bo Diddley et tous les autres - contrairement à ce que laissait entendre la société blanche bien-pensante qui puait la médisance et l’eau de Cologne - These black singers and magic music-makers were the real freedom riders of Amerika - Il y a de l’ironie dans le propos de Sinclair qui transforme les fils d’esclaves en chevaliers de la liberté. Grâce à John Sinclair, le MC5 entre alors dans la vraie mythologie du black power qui est celle de Trane et des géants du free.

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             Le MC5 devient vite intouchable. Aucun groupe américain ne peut rivaliser avec eux - There was no one that could touch us - Aucun groupe, qu’il soit de Frisco ou de New York, ne veut partager l’affiche avec le MC5 - ‘Cos we would kill them - Brother Wayne rappelle que les Stooges se sont développés dans l’ombre du MC5. Les deux groupes partageaient tout, les disques, les copines, les spliffs, les repas, les jams, absolument tout. Les Stooges sont le baby brother band. Wayne rappelle qu’Iggy avait alors une vision très claire de ce qu’il voulait faire, et les Stooges veillaient à rester strictement anti-intello. Chacun son territoire. Space is the Place pour le MC5, I’ve been dirt but I don’t care pour les Stooges.

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             Et puis tout s’écroule après les trois albums. Brother Wayne perd ce qu’il a de plus cher au monde : son groupe, c’est-à-dire la prunelle de ses yeux. Alors pour survivre, il se plonge corps et âme dans la dope - Just get loaded - Réflexe terriblement classique. Mais plutôt que de devenir un pauvre camé à la ramasse, Brother Wayne décide de devenir une star dans le milieu, un mix d’Arsène Lupin et de big dealer. Il en veut à la terre entière, au music-business, il voit le monde interlope des voyous comme le vrai monde. Il crache sur l’ancien, celui des gens normaux - What was good was for suckers - Il leur laisse leur fucking normalité et entre en clandestinité. Il développe même un cynisme à toute épreuve et trouve toutes les raisons de se féliciter quand il vide un appart ou un magasin. Kick out the jams motherfuckers ! Il ne croyait pas si bien dire, à l’époque où il gueulait ça sur scène, en chœur avec Brother Rob. Et petite cerise sur le gâteau, il se sent mille fois mieux depuis qu’il est passé à l’héro. Moins fatiguant que de monter un groupe et de répéter ! C’est d’ailleurs le problème de cette fucking dope - You can feel better automatically - Et quand il se fait poirer pour trafic de coke, on lui annonce le tarif : quinze piges. Fin de la rigolade. Mais comme il a oublié d’être con, il prend ça avec philosophie. Il sait qu’il a tout fait pour que ça finisse mal. Tu joues tu perds. C’est la règle. 

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             Rassurez-vous, il ne va tirer que deux piges. Au ballon, il feuillette des canards et voit des photos des Ramones. Ça le fait marrer, car les Ramones ressemblent tous les quatre à Fred Sonic Smith. Il retrouve la liberté en 1978 et décide de ne plus toucher aux drogues. Une bonne résolution qui ne tient pas longtemps, car la première chose qu’il fait est de monter Gang War avec Johnny Thunders. Il vient aussi jouer à Londres, invité par ses frères de la côte Mick Farren et Boss Goodman.

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             Après dix ans d’errance et de petits boulots, la mort de Brother Rob en 1991 le réveille brutalement. Brother Wayne se dit qu’il lui reste encore 20 ou 30 piges à vivre et qu’il vaut mieux essayer d’en faire quelque chose. Des disques, par exemple. Et en 1995, il démarre grâce à Brett Gurrewitz d’Epitaph l’enregistrement d’une série d’albums exceptionnels. Brother Wayne se sent en forme et il pense qu’il doit l’excellence de sa condition au fait d’être resté pauvre pendant vingt ans - Imagine que le MC5 ait continué et soit devenu le premier groupe de rock américain : il est certain qu’aujourd’hui je serais mort - Dans ce monde-là, le blé veut dire la dope. Mais quand Bob Mehr lui demande pourquoi il n’a pas choisi un mode de vie plus calme, Brother Wayne lui répond qu’il ne peut pas raisonner ainsi - That’s speculating on a level I can’t get to - C’est comme de demander à l’âne Aliboron ce qu’il pense du bleu de Prusse. Ou à Jésus ce qu’il pense des clous. Vous obtiendrez la réponse que vous méritez.

             Brother Wayne indique aussi que la reformation du DTK/MC5 avec Michael Davis et Dennis Machine Gun Thompson ne s’est pas bien passée, car de vieilles tensions sont remontées à la surface. Brother Wayne ajoute que grâce au web, le MC5 n’a jamais été aussi populaire. Incroyable ! Il est le premier à s’en émerveiller. Qui aurait pu penser ça en 1973, quand le groupe a explosé en plein vol ? Brother Wayne se réjouit de penser que les gens dans le monde entier vont venir le voir rejouer sur scène un album de cinquante ans d’âge.

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             L’autobio de Brother Wayne parue cet été ressemble à un passage obligé, un de plus. Comme dans le cas du Nolan book de Curt Weiss, on pourrait penser que la messe est dite depuis un bon bail, mais non, rien n’est jamais aussi déterminant que la parole des principaux intéressés. Ceux qui ont lu Total Chaos ont pu le remarquer : ce big fat book n’a de sens que parce qu’Iggy raconte lui-même son histoire. Les histoires des mecs fascinants sont comme chacun sait forcément fascinantes.

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             La première chose qu’on remarque, c’est le titre : The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibililites. Pas mal, non ? Dans le Mojo Interview, Brother Wayne explique qu’avec son livre, il veut étendre le propos, sortir du rock, revenir à l’humain - a more human path - pour fuir les clichés et surtout transmettre quelque chose qui soit utile. Il laisse les clichés à ceux qui manquent tragiquement de moyens - I wanted to write a book that was broader than rock music - Mais rien n’est plus difficile que de revenir à l’humain. Pour ça, il faut s’appeler Houellebecq ou Cioran, et non Kramer. Le pauvre Brother Wayne confond l’humain avec son nombril. C’est dramatique, et tellement américain, en même temps. Il consacre deux bons tiers de son récit à raconter ses démêlés avec l’addiction. On se croirait dans le cabinet d’un psy. La detox ? J’y arrive ! Oh zut j’y arrive pas ! Mais pourquoi ? Pas de père ? Ah ça c’est embêtant ! Brother Wayne nous raconte dans le détail sa conso d’héro, de vodka, de coke, de malabars et de carambars. Un tout petit peu de sexe, mais pas trop, allons allons, nous ne sommes pas chez Steve Jones. Avec cette marée tourbillonnaire de regrets éternels, Brother Wayne nous emmène aux antipodes de la révolution et de John Coltrane. On espérait une sorte de grandeur, un souffle révolutionnaire et on tombe sur de l’humain, oui, mais pas n’importe lequel : du trop humain. Le PMU de la rue Saint-Hilaire grouille de Brothers Wayne. Et curieusement, c’est peut-être ce qui nous rapproche d’un brave mec comme lui. Le fait qu’il ne sache rien faire d’autre que de parler de lui. Et comme toujours, c’est lorsqu’il évoque les autres qu’il devient intéressant et qu’on commence à l’écouter attentivement. Le cœur de l’autobio, et probablement de sa vie, est sa rencontre avec un certain Red Rodney, derrière les barreaux du Club Med de Lexington, dans le Kentucky.

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             Brother Wayne prend soin de préciser qu’on enfermait essentiellement à Lexington les gens qui trempaient dans la dope, utilisateurs comme dealers. Il sait que de nombreux géants du jazz ont séjourné à Lexington, car il a vu des partitions écrites sur les murs de la petite pièce qui jouxte la scène, dans la salle de spectacle. Ses collègues lui annoncent un jour qu’un certain Red Rodney va arriver - The legendary jazz trumpeter Red Rodney - Qui ? Mickey Rooney ? Non Red Rodney, you dumb fuck ! Brother Wayne apprend que le Red en question a joué avec Benny Goodman, Gene Krupa, Woody Herman et des tas d’autres gens qu’on ne connaît pas. Red remplaça même Miles Davis dans le Charlie Parker Quintet. Brother Wayne s’attend donc à voir arriver un grand black charismatique aux bras couverts de trous de seringues, mais non, Red est un petit cul blanc, la cinquantaine, assez corpulent, presque rose, surmonté d’une touffe de cheveux rouges - Danish jew, he told me later - Brother Wayne a du mal à gagner sa confiance, même s’il se présente à lui comme guitariste. Red garde ses distances, en vieux renard du ballon. Alors Brother Wayne le prend pour un snob. Et puis un jour Red vient le trouver avec sa trompette sous le bras et un cahier à la main. Il lui demande :

             — Tu sais lire la musique ?

             — Euh oui...

             Red ouvre son cahier. Ce sont des partitions.

             — Okay then, let’s play this one. A one ! A two ! A three !

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    ( Charlie Parker _ Red Rodney )

             Brother Wayne accompagne Red en grattant les accords de la partoche. Il en bave des ronds de chapeau - The changes came fast and furious - Quatre accords dans la mesure, tempo enlevé, et Red joue la mélodie. Quand c’est fini, Red dit : «Good, you can play.» Brother Wayne est fier d’avoir réussi son examen. C’est là que débute leur amitié. Ils deviennent copains comme cochons. Alors Red commence à se confier et à raconter ses aventures de trompettiste de jazz à New York dans les années quarante et cinquante, les tournées avec Charlie Parker sur le fameux Chitlin’ Circuit. Bird le surnommait alors Chood et l’obligeait à chanter un blues chaque soir - And I ain’t no singer - Clint Eastwood demanda conseil à Red lors du tournage de Bird et lui demanda même de participer à l’enregistrement de la bande originale du film. Brother Wayne découvre que Red est une sorte de mémoire vivante de l’histoire culturelle et musicale américaine - He was hipper than hip, cooler than cool - Brother Wayne se met à l’admirer intensément, au point de lui consacrer un chapitre entier de son autobio. C’est le cœur battant du livre. Red refait l’éducation musicale de Brother Wayne, lui inculque des notions d’harmonie et de composition. Retour à l’école, mais cette fois avec un vrai maître. Ils montent un jazzband et jouent chaque dimanche à Lexington. Ils sont même autorisés à jouer à l’extérieur. Évidemment, la dope coule à flots à Lexington, comme dans toutes les taules du monde et un jour Red demande à Brother Wayne de l’aider à se shooter, car il n’a plus de veines - Red had no veins left - Comme la grande majorité des jazzmen, Red has a lifetime of shooting up. Eh oui, il a fait ça toute sa vie. Et quand Brother Wayne lui demande pourquoi il est revenu à Lexington, alors Red doit remonter dans le temps...

             Il vivait peinard au Danemark, marié à la responsable du Danish library system. Il recevait sa méthadone chez lui par courrier. La belle vie. Au début des années 70, George Wein les engagea lui et Dexter Gordon pour une tournée américaine. Pour être à l’aise et ne pas être obligé de se ravitailler en tournée, Red acheta deux kilos de raw morphine base à un copain qui était à la fois fan de jazz et gros dealer de la mafia. Red mit le paquet dans sa valise et en arrivant à JFK, les chiens le reniflèrent. Red était repéré. Filature. La brigade des stup défonça la porte de sa chambre d’hôtel au moment où il prenait son premier shoot new-yorkais. Son avocat plaida l’usage et non le deal, alors le juge compatit et colla trois piges dans la barbe de Red, alors qu’il risquait beaucoup plus gros. Mais pour Red, retourner au trou était au-dessus de ses forces. Comme il était libre sous caution, il prit l’avion et se tira vite fait au Danemark. Pendant quelques années, le gouvernement américain demanda son extradition, mais comme Red était danois, pas question. En plus il faut savoir que dans ce pays merveilleux qu’est le Danemark, on ne considère pas l’usage de dope comme un délit. Un jour que Red se trouvait tout seul chez lui, on sonna à la porte. Deux gorilles de l’ambassade américaine lui expliquèrent qu’une nouvelle loi venait de passer, qu’il n’était plus poursuivi et qu’il devait signer un document. Red flaira l’embrouille et demanda à aller chercher ses lunettes. En voulant s’enfuir par la porte de derrière, il tomba sur un troisième gorille qui le braquait avec un 9 mm.

             — Alors, mon gros, tu voulais te faire la belle ?

             Cette ordure tira deux fois, bahm, bahm, une balle dans chaque cuisse. Ils jetèrent Red dans un van et l’emmenèrent à l’American Air Force base. Puis un avion le transporta directement à New York. Ça s’appelle un enlèvement. Red baisse son pantalon et montre à Brother Wayne les deux grosses marques rouges sur ses cuisses : les trous de balles. Arrivé au Bellevue Hospital, Red dut attendre neuf heures avant de voir un médecin. Dans l’aile du Bellevue où il était enfermé, il vit des gens salement amochés, tous kidnappés par les agents du DEA partout dans le monde. Quand il repassa devant le juge, il prit six mois de plus pour délit de fuite. Mais son avocat Edward Bennett Williams se leva lentement et prit soin d’informer le juge que le gouvernement américain avait blessé et kidnappé un citoyen danois vivant au Danemark, en violation de toutes les lois internationales. Juridiquement, il s’agissait d’un cas indéfendable. Maître Edward Bennett Williams demanda donc au nom de son client Red dix millions de dollars de dommages et intérêts. Voilà toute l’histoire du retour à Lexington. Le procès intenté par Red et son avocat contre le gouvernement suivait alors son cours.

             Un an plus tard, alors qu’ils se promènent dans la cour, Red annonce à Brother Wayne qu’on lui propose la liberté immédiate s’il renonce à ses poursuites.

             — Qu’en penses-tu, Wayne ?

             — Appelle ton avocat.

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             Évidemment, l’avocat conseille la fermeté : tiens bon Red ! Six mois plus tard, Brother Wayne sort du trou. Puis il apprend que Red a été libéré un peu après lui. Installé à Manhattan, Brother Wayne appelle son vieux poto pour prendre de ses nouvelles - He was doin’ pretty well ! - En effet, Red s’était acheté un bateau, une maison en Floride et une autre dans le New Jersey. Il avait obtenu trois millions de dollars cash du gouvernement pour boucler le dossier et fermer sa gueule. Red pouvait donc rejouer du jazz, quand il voulait et avec qui il voulait. Red va mourir en 1994, d’un cancer du poumon, à l’âge de 66 ans - He was my mentor and a father figure for me. Le père que Brother Wayne n’a jamais eu. Il rend aussi hommage à Red dans «The Red Arrow», un fantastique blaster qu’on trouve sur l’album Adult World paru en 2002. Écoutez-le et vous verrez trente-six chandelles.

             Ce qui est extraordinaire, dans ce chapitre, comme d’ailleurs dans le reste du récit, c’est qu’on croit entendre cette voix qui nous est familière, si on connaît ses excellents albums solo : débit oral très longiligne, avec un timbre assez doux, presque le ton de la confidence. Des grandes chansons autobiographiques comme «Snatched Deafeat (From The Jaws Of Victory)» ou politiques comme «Something Broken In The Promised Land» font de Brother Wayne un conteur né, mais il semble plus doué à l’oral qu’à l’écrit. Il semble nettement plus à l’aise dans le format sec et net d’un couplet que dans l’enfilade au long cours d’un livre de 300 pages. La distance du livre lui permet toutefois de rappeler ses grandes passions, high-powered drag racing machines (les dragsters) and loud music, le nom du MC5 choisi parce qu’il sonnait comme le nom d’une pièce détachée (Gimme a 4-56 rear end, four shock absorbers and an MC5), le fameux TAMI Show qu’il va revoir plusieurs soirs de suite dans un drive-in et où il découvre les Stones et James Brown, Bobby Babbit, l’un des grands guitaristes de Motown auquel il achète sa première vraie guitare (une sunburst Gibson ES-335), Michael Davis qui l’initie aux drogues (He had lived in New York for a couple of years and knew all about drugs), l’Hendrix d’Are You Experienced, John Sinclair, bien sûr, avant la brouille, Danny Fields, qui soutient le MC5 au moment de la shoote avec Elektra et qui se fait virer comme un chien pour ça, et puis bien sûr les drogues dont il raffole et qu’on croise à toutes les pages, jusqu’au methadon maintenance program qui lui permet de quitter ce parcours du combattant qu’est la vie de junkie - Sick of needles, sick of being broke, sick of lying and hustling - Il ne supportait plus les seringues, la dèche permanente, le mensonge et l’arnaque. Il préfère les opiates du bon docteur. Brother Wayne revient aussi le temps d’un chapitre sur le second désastre de sa carrière (après celui du MC5), Gang War, pour rappeler que cet épisode n’avait pas de sens et que la musique was not much of a consideration. Il aime bien Johnny, mais bon, ce n’est pas si simple - Johnny was not an evil guy but he was also just not the kind of guy who was going to get clean and join a gym (oui, Johnny n’était pas le mauvais bougre, mais il n’était pas non plus du genre à se remettre en état pour aller faire du sport) - Un soir, Johnny choure la caisse d’un club où doit jouer Gang War. Comme le convict Kambes/Kramer sort du ballon et qu’il est encore sous contrôle judiciaire, il ne veut pas y retourner à cause des conneries de Johnny. Il ordonne donc à Johnny de rendre le blé avant que le patron n’appelle les flics. Fin de l’épisode Gang War. Brother Wayne arrête les frais. Dommage, on aurait pu avoir de très beaux albums dans nos étagères. Il faut se contenter de l’existant, qui est sorti sur Skydog. Ce n’est déjà pas si mal.

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             Ce livre grouille d’infos intéressantes sur le MC5, bien sûr, comme l’épisode du renommage. À l’instar de Captain Beefheart, Ricky Derminer rebaptisa tout le groupe, à commencer par lui : il devint Rob Tyner, en l’honneur de McCoy Tyner. Wayne Kambes devint Wayne Kramer, Fred Smith devint Fred Bartholomew Smith (Fred se rebaptisera Sonic plus tard), Dennis Toumich devint Dennis Machine Gun Thompson et Michael Davis Mick Davies, mais pour une minute.

             Entre sa sortie de Lexington et son retour aux affaires, Brother Wayne va rester une bonne dizaine d’années sans jouer. Il s’installe en Floride, puis à Nashville et devient charpentier. Il se marie avec une nommée Gloria et Mick Farren assiste à la cérémonie. Mais au fond, il n’est pas très heureux à construire des maisons pour ceux qu’il appelle des rich motherfuckers. Alors il boit comme un trou. En plus, il voit sur MTV tous ces groupes incroyablement inférieurs au MC5 et qui se goinfrent comme des porcs - The MC5 could have eaten them for breakfast - Et puis le jour où il apprend la mort de Rob Tyner, c’est le déclic. La mort de Rob, c’est la mort de son rêve de jeunesse, auquel il avait consacré la meilleure partie de sa vie. Il le croyait encore possible - Someday it will all turn right - Un jour viendra... Voilà enfin le grand Wayne Kramer, le kid de Detroit à vocation prophétique : «The MC5 would all be great friends again, and we’d rock this MTV generation into a new sonic dimension with the most advanced, hardest-rocking, most soulful music ever heard. We’d usher in a new movement of high-energy music, art, and politics that would break all the old restrictions and power us into the future. (Alors on serait à nouveaux des vrais potes dans le MC5 et on enverrait la génération MTV valser dans une nouvelle dimension avec le rock le plus inspiré et le plus insurrectionnel jamais imaginé, une nouvelle dimension faite de rock, d’art et de politique high-energy qui défoncerait tous les barrages moraux et qui nous projetterait tous dans le futur).» La vision de Brother Wayne fait bien sûr écho à celle de John Sinclair, mais on sent nettement la force de son désespoir : rien n’est pire que la mort d’un rêve. Alors Brother Wayne se reprend, et dans un éclair de lucidité, il comprend qu’on meurt deux fois : la seconde mort est la vraie, celle qui nous attend tous à un moment donné. La première mort est celle de sa jeunesse. Il accepte d’enterrer ses rêves et monte un plan : quitter Nashville pour s’installer à Los Angeles et redémarrer sa vie de rocker. Pourquoi Los Angeles ? C’est là que se fait le business. Brother Wayne veut faire ce pourquoi il est né : kicker les jams. Les albums Epitaph, tous sans exception, sont chaudement recommandés. C’est donc le retour du fils prodigue, qui comme Johnny Thunders et Iggy se voit régulièrement traiter de godfather of punk. Aujourd’hui, on devrait plutôt l’appeler the papy of punk, histoire de le charrier gentiment. Oh, il le prendra bien. Brother Wayne est un homme qui connaît la vie.

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             Pour cette gigantesque tournée mondiale (70 dates), Brother Wayne s’entoure de vétérans et pour ça, il tape dans le dur, c’est-à-dire le batteur de Fugazi, le guitariste de Soundgarden, le bassman de Faith No More et le chanteur de Zen Guerilla. Il nous rassure en affirmant que les musiciens qu’il sollicite pour cette tournée ont des accointances sérieuses avec le MC5. Arrive le grand soir. Il surgit pile à l’heure sur la scène d’un Élysée Montmartre pas très plein, sa guitare stars & stripes en main, sobrement vêtu d’une chemise bleu marine, d’un jean et de petites bottines noires. On sent surtout chez lui une grosse envie de jouer et c’est parti ! Son enthousiasme est non seulement resté intact, mais il se révèle contagieux. Les roadies lui ont aménagé un passage au long de la scène entre la fosse et les retours et il vient y cavaler de temps en temps. Un vrai gosse ! Il ramone son vieux «Ramblin’ Rose» à la glotte rauque et enchaîne avec un Kick Out qui ne fait pas un pli. Quelle vitalité pour un homme de 70 balais ! Il saute dans tous les coins. Mais le mec qui force encore plus l’admiration, c’est Marcus Durant. Cet extraordinaire chanteur de blues se jette à terre pour l’immense burning down de «Motor City’s Burning». Il frappe les planches du plat de la main pour en accentuer le pathos. Lui et Brother Wayne font bien la paire. La vieille énergie du MC5 réchauffe les cœurs flétris. Dans les premiers rangs, la moyenne d’âge est élevée, ce qui paraît logique. Et comme au concert de Martha Reeves, on voit des gens céder à l’émotion. Brother Wayne et ses amis jouent tout le premier album et complètent avec des choses tirées des deux autres albums, du style «Shaking Street» et «Call Me Animal». Évidemment, «Tonight» fait basculer le vieil Élysée dans le chaos et avant de souhaiter bonne nuit aux vieux pépères parisiens, ils leur balancent en pleine gueule la huitième merveille du monde, «Looking At You».

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             Pour les ceusses qui souhaiteraient pousser le bouchon, il existe une documentation très bien foutue sur le Grande Ballroom qui est le berceau du MC5 et du Detroit Sound : un petit livre de Leo Early intitulé The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace et son pendant filmique, Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. Richement illustré, le petit livre de Leo Early fourmille aussi d’énergie informative. L’Early est allé loin chercher ses infos, jusque dans l’histoire du grand-banditisme juif du Detroit des années vingt. Le mec qui est à l’origine du Grande s’appelle Weitzman. L’Early affirme qu’en comparaison de Weitzman et de son Purple Gang, Capone et son organisation n’étaient que des branleurs. Weitzman possédait déjà le Grande Riviera, d’où le nom du Grande Ballroom. Il aurait approché les architectes à succès d’alors, Agree, Strata et Davis pour la construction d’un ballroom qu’il voulait le plus grand du midwest. À cette époque, le business du divertissement était extrêmement juteux. Le Fox Theater de Detroit proposait 5.000 places assises. Faites le compte : 5.000 places à 1 euro tous les soirs. On parle même de building frenzy dans les années vingt. En 1929, la ville de Detroit ne comptait pas moins de 2.000 salles de cinéma, soit 200.000 places. La famille Weitzman lâcha le Grande en 1964 et un certain Gabriel Glantz le reprit. Mais c’est Russ Gibbs qui va en faire le berceau du Detroit Sound. Comme Sam Phillips, Gibbs commence par travailler à la radio, puis il s’intéresse à l’organisation des concerts. C’est sa came. Quand en 1966 il rencontre Bill Graham à San Francisco, il est fasciné par le savoir-faire du Californien et décide de reproduire le modèle du Fillmore à Detroit - I want to bring music to Detroit in the San Francisco style - Gibbs a surtout flashé sur le stroboscope qu’il ne connaissait pas. Il loue le Grande pour 700 $ par mois à Glantz et commence par recruter les groupes locaux, dont bien sûr le MC5. Mais comme il n’a pas un rond, Gibbs demande au MC5 de jouer à l’œil dans un premier temps. Le groupe installe donc son matériel au Grande et en fait sa salle de répète. Et c’est là que naît la fameuse scène de Detroit qui va révolutionner le monde. Eh oui, les groupes se forment pour venir jouer au Grande : les Chosen Few (avec Scott Richardson, James Williamson et Ron Asheton - après le split, ça donnera SRC et les Stooges), les Prime Movers (avec Ron Asheton à la basse et Iggy on drums), les Bossmen (avec Dick Wagner et Mark Farner - après le split, ça donnera Frost et Grand Funk), mais aussi SRC, les mighty Rationals de Scott Morgan et les Up des frères Rasmussen, trois groupes qui ont bien failli devenir énormes. N’oublions pas les plus connus, les Amboy Dukes, Frost et bien sûr les Psychedelic Stooges. C’est au Grande qu’Iggy invente le stage dive et le stage invasion. Oui, tout ça grâce à Russ Gibbs. L’Early revient aussi sur les fameuses émeutes de 1967 - Motor City’s burning baby - et raconte que Tim Buckley programmé au Grande était coincé à Detroit. La ville était tombée aux mains des émeutiers. En revenant dans le quartier, Gibbs fut épaté de voir qu’on avait épargné le Grande. Il vit passer un gang de kids et leur demanda pourquoi ils n’avaient pas fait cramer le Grande. Ils répondirent : «You got the music here man !» Même histoire que le studio Stax qui sera lui aussi épargné en 68 par les émeutiers après l’attentat qui va coûter la vie à Martin Luther King. Puis Gibbs monte d’un cran et vise les pointures anglaises de l’époque, du style Cream, Jeff Beck Group, Who et Bluesbreakers. Il passe un contrat avec un agent new-yorkais indépendant nommé Frank Barsalona. C’est lui qui organise les tournées des têtes de gondoles anglaises, Beatles, Stones, Who, Yardbirds. Barsalona travaille avec Bill Graham à Frisco et Don Law à Boston. Comme il ne dépend pas des maisons de disques, les profits générés par les tournées vont directement aux groupes. Barsalona ne prend que 10%. Russ Gibbs vient donc le rencontrer à New York et en entrant dans son bureau, il croit se retrouver dans une scène du Goodfellas de Scorsese - Barsalona was a heavy Italian dude - Il appartenait en effet au milieu mafieux new-yorkais qu’on appelle the mob. Russ Gibbs : «Oh yeah, that was the mob !» C’est à Don Was que revient le mot de la fin. Il parle du MC5 et des Stooges - Raw as it was, it always had a groove - Rien à voir avec les autres groupes de l’époque, ajoute-t-il - This stuff was always funky, always had an R&B undertone, number one, and number two, it was, it was always about the feel and not about the technique - Not about the perfection of the delivery - Don Was rappelle que les Stooges et le MC5 ne recherchaient pas la perfection, mais le feeling - It was always, always raw, but it always felt good - Et, conclut-il, «si tu avais ces deux choses, le groove et le feeling, tu étais sûr de ne pas te faire jeter. Si tu entends tellement de mauvais rock aujourd’hui, c’est parce qu’il manque soit le feeling, soit le groove.» 

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             Dans son docu consacré au Grande, Tony D’Annunzio raconte sensiblement la même histoire, mais comme toujours, les témoignages réactualisent le passé plus facilement. Russ Gibbs qui est devenu un vieux monsieur redit sa fascination pour l’endroit - The greatest hard-wood dancefloor in the country - et Brother Wayne rappelle qu’à Detroit, la musique était à l’image de la ville, a rough industrial city in the midwest - What you get is very honest - Et crac, on voit le MC5 sur scène et tout le monde se dit fasciné, Lemmy, Mark Farner. On voit aussi témoigner les autres géants, Dick Wagner, Ted Nugent, Alice Cooper, tout le gratin de la Detroit scene. Il y avait tellement de bons groupes que la barre était placée très haut, rappelle Dick Wagner. Les groupes qui perçaient à Detroit pouvaient partir à la conquête du monde sans aucun problème. Dans l’un des bouts d’interviews, Brother Wayne se souvient d’avoir flashé sur les Who - They had it ! - et il évoque la fantastique débauche qui régnait au Grande - An unbelievable amount of sex at the Grande - Brother Wayne et ses copains avaient installé deux matelas, un sous la scène, et un autre dans un grenier, au-dessus de la scène. Ils baisaient comme des lapins. Ce docu attachant se termine avec un dernier hommage au héros du Grande, Russ Gibbs, free spirit, generous guy.

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             Pas de MC5 non plus sans Danny Fields, évidemment. Tout aussi recommandable, le film de Brendan Toller, Danny Says, raconte l’histoire d’un mec fasciné par les crazy people. Danny a la chance de fréquenter la Factory à la grande époque et d’assister aux débuts du Velvet. Quand on commence comme ça, en général, on est foutu - Nico, Edie Sedgwick, Warhol, le Cafe Bizarre - Jac Holzman crée the publicity department chez Elektra pour Danny et le charge de s’occuper de Jim Morrison. Les fans des Doors trouveront des détails croustillants dans ce docu. Puis Danny découvre David Peel et réussit à convaincre Holzman de sortir l’album. Quand on s’intéresse au Velvet, on finit forcément par s’intéresser au MC5. Danny les voit à Detroit et les veut aussitôt. Brother Wayne lui dit qu’il existe un baby brother band, les Stooges. Danny les voit et les veut aussi. Alors il passe un coup de fil à son boss Jac.

             — Jac, j’ai deux groupes déments ! Le MC5, assez connu et les Stooges, pas encore connus ! Que dis-tu de ça ?

             — Okay, propose 20.000 $ au MC5 et 5.000 $ aux Stooges.

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             Tout est bouclé en 24 heures, les sous et les contrats. John Sinclair se retrouve avec 25.000 $, de quoi payer les dettes et acheter du matériel. On connaît la fin de l’histoire : le MC5 viré d’Elektra, puis les Stooges un peu plus tard. Danny se fait aussi virer d’Elektra. Il devient alors l’assistant de Steve Paul. C’est l’époque de Johnny & Edgar Winter. Comme on le considère comme un découvreur, on le branche aussi sur un groupe de Boston, Aerosmith, oui, bof, ben euh, pfffff... Il laisse ça à d’autres. Danny préfère - et de très très loin - les Modern Lovers.

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    Un peu plus tard, Lisa Robinson lui dit d’aller voir un groupe marrant au CBGB. Ils s’appellent les Ramones. Danny les voit et les veut aussitôt. C’est le coup de foudre. Il leur saute dessus dès qu’ils sortent de scène :

             — Je suis Danny Fields ! Voulez-vous de moi comme manager ?

             — One two three four, okay ! Mais tu nous files 3.000 $, okay ?

             Comme il n’a pas de blé, Danny descend voir sa mère en Floride pour lui emprunter les 3.000 $ et tout le monde connaît la suite de l’histoire - Danny says we gotta go/ Gotta go to Idaho.

    Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

    Wayne Kramer. Disparu le 2 février 2024

    MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

    John Sinclair. Guitar Army. Process 2007

    Wayne Kramer. The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities. Faber & Faber 2018

    Leo Early. The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace. History Press 2016

    Tony D’Annunzio. Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. DVD 2015

    Brendan Toller. Danny Says. DVD 2017

    Bob Mehr : The Mojo Interview. Mojo #297 - August 2018

    Ian Harrison : Brother Wayne reconvenes the MC5. Mojo # 363 - February 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Finley le finaud

     (Part Two)

     

             Cette semaine, l’avenir du rock se penche sur un étrange paradoxe en forme de fleuve : le fleuve des connaissances. Ce fleuve traverse sa vie. Paradoxal, car comme tous les fleuves, celui-ci le nourrit et emporte tout. Conscience paradoxale d’autant plus aiguë que l’avenir du rock se sait conceptuel, donc surexposé. Autant l’avouer tout de suite : il se réserve la métaphore du fleuve pour les bons jours. Les mauvais jours, il se sent moins à l’aise avec l’idée d’être traversé, et se voit plutôt comme un tube digestif, avec toutes les séquelles habituelles : la brioche, l’anus en chou-fleur, la goutte au nez, le double menton et les poches sous les yeux. Comme il se sait conçu pour être traversé, il engloutit inconsidérément et passe du statut de chroniqueur à celui de coliqueur, du statut de concept à celui de conchieur, du statut de prout-prout cadet à celui d’à Dada-sur-le bidet. Le fleuve des connaissances charrie tellement de charivari que le traversé finit par en perdre la moitié de vue. Un exemple parmi tant d’autres : il visionne un docu sur Little Richard, une certaine Valerie June vient claquer sur scène le sublime standard de Sister Rosetta Tharpe, «Strange Things Happening Every Day» et interloqué, l’avenir du rock se demande d’où sort cette black prodigieuse, alors qu’il chantait ses louages dix ans auparavant sur tous les toits. Il s’oblitère à force d’engloutir, il s’annihile à force de pomper, sa boulimie détache le con du cept, il se raccroche désespérément au cept d’Ottokar, ce croyant raffiné, mais le con l’emporte jusqu’au fond des intestins et il va y stagner en compagnie des connaissances putréfiées qui s’accumulent avant l’expulsion bruyante et odorante. Car tout finit par s’expulser, surtout les fleuves de connaissances. Alors grisé par l’auto-défécation subliminale, l’avenir du rock quitte la position accroupie pour s’envoler comme Nosfératu par-dessus les rivages et jurer par tous les dieux qu’il chantera cent fois les louanges de Robert Finley pour enfin endiguer le fleuve de connaissances.

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             Robert Finley est de retour en ville. Dépêche-toi d’en profiter, car tu ne reverras pas un tel géant de sitôt. C’est même une sorte de responsabilité que d’entreprendre un petit bricolo sur un géant de cet acabit. Le soir du concert, tu vis tellement ça en direct que tu ne sais pas comment tu vas pouvoir t’en montrer digne.

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    Tu as devant toi un vieux black qui frise les 70 balais et qui te donne tout ce qu’il a, sans rien demander en échange. Il te le redit, comme il l’avait fait en 2020, I can feel your pain, et il y a un tel accent de sincérité dans le ton de sa voix que tu le crois sur parole. Mais il y a pire. Tu le vois groover sur scène avec une telle indécence qu’il sort non seulement du cadre de ton petit objectif, mais aussi du cadre de tes conceptions. Il y a du Gargantua en Robert Finley, il y a du Saturne et du Golem en lui... Mais non, c’est trop facile ! Les descendants d’esclaves n’ont même pas ces références, puisqu’on leur a tout pris, alors ils ont dû inventer leurs géants, leur culture et leur grandeur. C’est ainsi que Robert Finley prend la suite de Wolf, de Sly, de Miles, de Muddy, d’Hound Dog et d’Hooky, de Bo et de Chucky Chuckah, il est l’un des géants de cette terre et il crève littéralement l’écran.

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    À soixante-dix balais, il dégouline encore de sexe voodoo, il ondule des hanches et baise les déesses africaines de la fertilité, il collectionne les girlfriends et te régale d’histoires de gators dans les étangs, il te ramène toute la grandeur de la Louisiane dans ton époque numérique appauvrie et facebookée en peau-de-chagrin, my Gawd, si tu n’as pas vu Robert Finley sur scène, ça peut vouloir dire que t’as pas vu grand_chose. Mais tu le verras certainement, car comme les géants, il est invulnérable. Il nous survivra tous.

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             Il tourne son dernier album, Black Bayou. La grosse caisse est d’ailleurs décorée d’un visuel Black Bayou. Il y a un tel buzz autour de lui qu’il se retrouve sur la grande scène. Voilà qu’il rameute les foules ! Comme en 2022, sa fille Christy le guide sur scène et chante deux cuts, pas de problème, comme en 2022, l’«I’d Rather Go Blind» d’Etta James et le «Clean Up Woman» de Betty Wright, elle est fabuleusement douée. Comme on dit par ici, les quins font pas des quas. Robert Finley attaque au «Sharecropper’s Son» et embraye aussi sec sur l’infernal «Miss Kitty», pur jus de black power. Tu le vois s’approcher de toi et boucher tout ton champ de vision, il te remplit l’imaginaire à ras bord, tu as sous les yeux ce que le rock, la Soul et le blues combinés peuvent te proposer de mieux.

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    Il y a du Screamin’ Jay Hawkins en Robert Finley, du raw gut d’undergut, de l’Attila black, du griot aux yeux rouges et du sorcier voodoo aux dents branlantes, de l’Hooky et du look out, il rivalise de raunch pyromaniaque avec The Family Stone, il fout le feu au Black Bayou de la même façon que le MC5 foutait le feu à Motor City, Robert Finley ne descend jamais de cheval, car il n’y a pas de cheval chez les esclaves, juste de l’instinct de survie et la peur du patron blanc, il ne faut jamais perdre de vue ce truc-là : avant d’être la patrie du blues et des riches demeures de Gone With The Wind, le Deep South était pour le peuple noir l’enfer sur la terre. Ils ont réussi à transformer cet enfer en paradis pour les amateurs de musique. Mais à quel prix ! Et le vieux Robert enfile ses hits comme des perles en bois, «What Goes Around (Comes Around)», «Nobody Wants To Be Lonely» où il évoque les nursing homes et le commencement de ses problèmes d’old man, «Sneaking Around», et c’est là qu’il te broie le cœur avec «I Can Feel Your Pain». Il va finir avec le pur sexe d’«You Got It (And I Need It)» et «Get It While You Can» avant de revenir en rappel avec «Alligator Bait» et «Make Me Feel Alright». Prodigieux ! Robert Finley atteint le sommet du lard.

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             Cinq étoiles dans Mojo ! Les Anglais qui ont bon goût ne se sont pas trompés : le Black Bayou de Robert Finley est l’un des grands albums de l’an de grâce 2023.

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    Produit par l’Auerbach, mais on s’en fout, Robert Finley n’a jamais été aussi bon, aussi réel. C’est Kenny Brown, le fils (blanc) adoptif de R.L. Burnside qui joue sur l’album. Et il joue dans tous les coins. On se retrouve en plein cœur du Black Power avec un «Sneakin’ Around» explosif de Staxitude. Le vieux Robert chante son raw r’n’b à l’arrache. Encore énormément de son sur «Miss Kitty». Il chauffe tous ses cuts un par un. Robert Finley est un killah ! Encore du power all over avec «Waste of Time» - Standing on the corner/ Trying to lose my mind - Ça joue heavy derrière lui. Et on passe au demented avec «Nobody Wants To Be Lonely». Il chante ça à l’heavy arrache louisianaise, et ça fond dans les chœurs. Il monte encore d’un cran avec un «What Goes Around (Comes Around)» complètement génial de wait a minute, il faut le voir monter son goes around, il travaille sa Soul-rock au corps. Te voilà de nouveau confronté à l’impact d’une météorite légendaire. Robert Finley est un prodigieux artiste, un pur crack du Goes Around, il y va au what goes up, il est partout dans le son. Tu croises très peu d’albums de ce niveau, très peu de Soul Brothers de cet acabit. Encore un coup de génie avec «You Got It (And I Need It)», heavy groove de choc - And you need what I got - Il faut le voir poser son baby et monter au chat perché. Quel festival ! Tous ces mecs se baladent. Down in the bayou avec «Alligator Bait», il y va au we go for a ride, il sort sa meilleure voix d’alligator, il enfonce tous les vieux crabes, il chante au raw des marécages. 

             Oui, 5 étoiles dans Mojo, c’est rarissime. David Hutcheon emmène son lecteur down the 1-20 jusqu’à Monroe. Il dit qu’on peut y pêcher et y canoter, mais attention aux alligators - A lotta kids got ate that way - Hutcheon sort cette phrase macabre d’«Alligator Bait». Puis il s’en va se vautrer en citant les noms de Tom Waits et de Flannery O’Connor. Il tombe encore dans le panneau avec le fameux Southern Gothic. Robert Finley n’a strictement rien à voir avec le Southern Gothic qui est un truc de blancs tourmentés par la culpabilité et la frustration sexuelle, ravagés par les maladies mentales et vénériennes. Hutcheon essaye de nous faire croire que Black Bayou est du «Southern Gothic expressed through soul music.» Alors après s’être vautré dans son analyse, il ramène l’Auerbach. C’est devenu inévitable. Aussi inévitable que les terrines de Bono et de Costello dans les docus musicaux. Ces mecs-là ne se rendent plus compte qu’à force de citer les mauvais noms, ils gomment celui du principal intéressé. Entendu hier soir au moins vingt fois le nom d’Auerbach dans les conversations. Avant on parlait vaguement du mec des Black Keys. Maintenant, tout le monde connaît son nom. Il finira en couverture de Telerama, ça ne saurait tarder. Lorsqu’on cite trop son nom, le diable finit par paraître. Même chose en politique. Tout le monde cite les noms qui devraient être tus, ça rend les mauvais noms très populaires, et ça devient dangereux. Voilà que se pose un gros problème : on finirait par vouloir nous faire croire que sans l’Auerbach, pas de Robert Finley. Si tu crois ça, tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Robert est sur scène et il n’a besoin de personne, surtout pas d’Auerbach, en Harley Davidson. Le géant, c’est-à-dire la superstar, c’est Robert Finley, pas l’autre asticot. Mais l’autre asticot a tellement d’ego qu’il ramène sa fraise partout. En 2022, en papotant au bar avec Robert, il fut bien sûr question de l’Auerbach. Lui disant qu’il y avait trop de guitares électriques dans le yellow album Sharecropper’s Son, il hocha la tête - son premier album Age Don’t Mean A Thing était beaucoup plus intéressant, plus Soul, plus Legal Mess. Cette Soul si particulière qui est celle de la Louisiane. Hutcheon cite aussi Tony Joe White, Booker T & The MGs, et Creedence, connu pour son Born On The Bayou. Dans le petit interview qui suit, Robert dit encore que «Nobody Wants To Be Lonely» est dédié aux vieux qu’on oublie dans les nursery homes, qu’on appelle ici les EHPAD.

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             Dans Soul Bag, le vieux Robert est à l’honneur. Images superbes, avec un portrait d’ouverture en noir et blanc qu’on dirait fait au Leica, ou mieux encore, signé Avedon. Quand on lui demande comment il voit choses quand il chante pour un public qui ne comprend pas les paroles, Robert Finley  dit que c’est une question d’énergie. Ça passe. En plus, il danse, il passe un bon moment, c’est l’essence de son message. Puis il finit par confier qu’il est fier de mettre le même chapeau chaque matin et de constater que malgré le succès, sa tête n’a pas grossi. Il essaye de rester aussi normal que possible. En ville, les gens l’appellent Slim - C’est juste ce bon vieux Slim - Il dit aussi construire un studio chez lui pour offrir aux gens du Nord de la Louisiane une chance de percer. Tim Duffy rappelle dans un petit encart comment il a découvert Robert Finley en 2015, alors qu’il jouait dans les rues d’Helena, en Arkansas. Mine de rien, c’est l’encart qui fait mouche, car Duffy a présenté Robert à Bruce Watson, le patron de Big Legal Mess et de Fat Possum, deux labels ultra-légendaires, et bien sûr Watson a tout de suite mis Jimbo Mathus sur le coup, et là, tu as le real deal : le premier album de Robert, Age Don’t Mean A Thing. La différence avec l’Auerbach, c’est que ni Jimbo Mathus ni Bruce Waltson ne la ramènent. Dans un autre encart, le fils adoptif de RL Burnside Kenny Brown avoue être à peu près du même âge que Robert et que comme lui, il était charpentier. Le mot de la fin revient à Christy Johnson, la fille de Robert, celle qui veille sur lui en tournée et qui n’aime pas trop le voir s’approcher du bord de la scène. Quand on lui demande si elle compte enregistrer un album, elle dit oui, bien sûr, mais pour l’instant, c’est impossible car elle veille sur son père qui vit son rêve, et c’est «beaucoup de travail». Oui, Robert Finley superstar.

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 27 janvier 2024

    Robert Finley. Black Bayou. Easy Eye Sound 2023

    Frederic Adrian. Bayou de jouvence. Soul Bag N°252 - Octobre Novembre Décembre 2023

    David Hutcheon : Later Alligator. Mojo # 361 - December 2023

     

     

     Rockabilly boogie

     - La raie de Larry

    (Part Two)

     

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             L’ancien marsupilami Larry Collins vient tout juste de casser sa pipe en bois. Il y a tout juste dix ans de cela, KRTNT lui rendait hommage en décrivant, autant que faire se peut, ses bonds sur scène au Town Hall Party. Il en existe trois volumes sur DVD, et certainement autant sur YouTube. Ça vaut vraiment le coup d’aller jeter un œil. Sous ses faux airs de Rusty (celui de Rintintin), ce petit délinquant en herbe passait des solos punk bien avant les punks. Larry Collins était à dix ans une superstar, il grattait comme un con et sautait partout. Un vrai modèle de jeu de jambe et il doublait son mad duck walk d’une ding-a-ling digne de Chucky Chuckah. Il ne fallait pas faire l’erreur de prendre son set pour un numéro de cirque. Larry Collins y croyait dur comme fer et déployait l’une des plus belles énergies rock de l’histoire du rock. À l’époque, on n’avait encore jamais vu ça. En l’examinant, on s’apercevait qu’il avait deux raies, une de chaque côté. Il n’arrêtait JAMAIS de sauter. Il était l’haricot mexicain du rock’n’roll. Il enfilait les duck walks et wild killer solos flash comme des perles. Quand il grattait sa double, il était le roi de la délinquance juvénile.   

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             On ne perd pas non plus son temps à écouter les albums des Collins Kids. Tiens, par exemple ce Town Hall Party paru en 1977. L’album vaut tous les Pistols et tous les Damned d’Angleterre, rien qu’avec l’«Hey Hey» d’ouverture de balda, wild as young fuck ! Ils y vont au til the day I die. Et ils enchaînent avec l’imparable «Whistle Bait», du pur proto-punk juvénile. Rien de plus sauvage en dessous de la ceinture. Avec «Beetle-Bug-Bop», ils font un duo d’enfer, au sens le plus noble de l’expression. Ils boppent comme des diables, avec la classe de Shirley & Lee. Plus loin, tu tombes sur «(Let’s Have A) Party» monté sur un beat rockab. Ils sont merveilleusement frais, ça dégouline de candeur juvénile, puis ils passent à la rockab madness avec «Hop Skip & Jump». Personne ne bat Larry Collins à la course. On aurait tendance à vouloir prendre les Collins Kids pour un gadget. C’est au contraire une affaire très sérieuse.

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             Bear Family fit paraître dans les années 80 deux volumes de Collins Craze, Rockin’ Rollin’ Collins Kids et Vol. 2. Ils devraient trôner dans toute discothèque digne de ce nom, car c’est là qu’éclate au grand jour le génie du teenage Larrry Collins. Tu veux du mad rockab juvénile ? Alors écoute «The Cuckoo Rock» et le «Beetle-Bug-Bop» pré-cité. Ça pulse, c’est frais comme un gardon rockab. Avec «Go Away Don’t Bother Me», ils tapent une grosse ambiance country, et le marsupilami allume sur sa double. Il allume autant que James Burton ! La viande est en B, dès «Shortin’ Bread Rock», un rock’n’roll tapé en mode rockab, c’est assez fulgurant, avec une fantastique pulsion du beat, et un slap qui règne sans partage. Encore du wild cat strut avec «Just Because», propulsé par le slap du diable, c’est même une vraie tourmente de delirium, le slap cavale ventre à terre et Larry te finger-pick tout ça vite fait. On t’aura prévenu : c’est un démon. Suite du festival de wild cat strut avec «Holy Hoy» et «Hot Rod». Ils n’en finissent plus de casser la baraque. Larry te gratte ça au heavy mood, à la Cochran. Pur genius.

             Au dos de la pochette, Larry indique que sa sœur Lorrie et lui sont originaires de Tulsa, Oklahoma - I played a double-necked guitar and they called it «rock-a-billy» - Il ajoute qu’Elvis  l’appelait «his little cat» et qu’Eddie Cochran était son ami - Joe Maphis was «king of the strings» and back-stage, I learned to finger-pick watching Merle Travis. Tex Ritter taught me about life and «Rye-whiskey». Johnny Bond inspired us to be real on stage and off - Il dit qu’à l’époque il avait 8 ans et Lorrie 10. Ça s’appelle une vie de rêve.

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             On retrouve le «Whistle Bait» en ouverture de balda du Vol. 2, cet incroyable chef-d’œuvre de protozozo juvénile. Larry fait sa petite bête de Gévaudan. En B, on retrouve aussi l’excellent «Hop Skip & Jump» slappé de frais et transpercé en plein cœur par un solo dément du démon. Il renoue avec deep rockab beat dans «Move A Little Closer». On l’a remarqué, Larry adore la country et sa version de «Walking The Floor Over You» laisse pantois. C’est gorgé de fraîcheur et de joie de vivre.

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             Pour compléter ce petit panorama, on peut aller écouter sans risque le Television Party paru en 1989. Au dos de la pochette, on voit Larry gratter la double de Joe Maphis. On l’entend faire un festival dans «Chicken Reel». C’est un virtuose, il gratte au hard picking. Il éclate le bluegrass au Sénégal avec «I Was Looking Back To See» et on retrouve à la suite l’infernal «Hot Rod» d’attaque frontale, toujours aussi wild as fuck. Larry fait tout ce qu’il veut, on l’entend gratter comme un démon derrière Lorrie dans «The Wildcat». En B, il s’en va swinguer le vieux «Shake Rattle & Roll». Son toucher de note est exceptionnel. Il drive «Kokomo» au wild guitar slinging et il allume la gueule du «Catfish Boogie» de Tennessee Ernie Ford au heavy rockab strut, une fois de plus. Larry monte sur tous les coups.

    Signé : Cazengler, Larry pot de collins

    Larry Collins. Disparu le 5 janvier 2024

    Collins Kids. Town Hall Party. Country Classics Library 1977

    Collins Kids. Rockin’ Rollin’ Collins Kids. Bear Family 1981

    Collins Kids. Vol. 2. Bear Family 1983

    Collins Kids. Television Party. TV Records 1989

     

     

    Lanegan à tous les coups

     - Part Seven

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             On avait cru pouvoir faire l’impasse sur les deux albums que Lanegan enregistra jadis avec les Soulsavers, un petit duo britannique traficoteur d’electro-gospel-rock, comme disent les étiqueteurs en mal d’étiquettes. Au fond, on se fout de ce que ces deux petits mecs traficotent. C’est Lanegan qui nous intéresse et voilà pourquoi.

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             Parce qu’il reste, même après son cassage de pipe en bois, le plus grand chanteur de rock américain. Tu en as 8 preuves irréfutables dans Broken, un Soulsavers de 2009. T’es sonné aussitôt «Death Bells». Lanegan fait battre le cœur du beat. On appelle ça du génie pulsatif. Lanegan y sonne le tocsin des enfers, il fout le feu et n’en finit plus de le rallumer. Il pleut du plomb sur l’or du Rhin. Lanegan passe au heavy groove de cimetière avec «Unbalanced Pieces», il chante avec l’éclat de la mort, avec l’impondérable. Il est déjà mort, semble-t-il, quand il chante ça, car c’est criant de véracité funèbre. C’est un éclat que tu ne peux comprendre que si tu es déjà mort. Avec «You Will Miss Me When I Burn», il arrive sur toi comme un suaire. La couverture de la mort, tu connais ? Il vibre dans les fibres de ton corps défait. Depuis Baudelaire, nul artiste n’est allé aussi loin dans l’art de la décomposition. Lanegan rend l’hommage suprême à Geno avec une cover de «Some Misunderstanding». Te voilà rendu au maximum de ce que peut t’offrir le rock, une star qui rend hommage à une autre star, et ça splasche all over, et ça repart dans la Méricourt avec la gratte de Rick Warren, cette combinaison des génies te fait suffoquer de bonheur, Lanegan sait ce qu’il fait en choisissant Geno parmi tant d’autres. Cette fois, au lieu de t’emmener au cimetière, il t’emmène dans la stratosphère. Et puis voilà «All The Way Down» qui restera certainement l’un des plus gros hits de Lanegan. Alors qu’il brûle en enfer, il chante la rédemption. Il grave encore un hit dans le marbre, il chante avec les dents dehors, il avance dans la nuit comme le loup des steppes, et ce n’est pas fini, car voilà «Shadows Fall», une nouvelle oraison, il travaille sa maille au corps, Lanegan est un homme du tonneau, il pèse son poids et chante à la voix de poitrine, il reste un fabuleux implicateur d’imprécations, il fond sur le cut comme l’aigle sur Tsi-Na-Pah, il screame son shadow moribond, il s’agit de Lanegan, after all, un homme capable de miracles sépulcraux. Cet album sonne comme une alarme, et pendant que tu te diriges vers la sortie, Lanegan rassemble ses shadows comme des stalactites, my love. Il se fond ensuite sous le boisseau ferroviaire de «Can’t Catch The Train». Il se plie à une évidence laneganienne : can’t catch the train, alors il envenime le groove. Lanegan est un atroce sorcier, il plonge ses mains dans les entrailles du groove, sa victime, et te lit les oracles. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans l’exploitation de la beauté formelle. «Rolling Sky» sonne comme le dernier souffle, aérien et moderne, le cut avance à pas d’éléphant, plus free, une chanteuse s’élance dans le grand foutoir carbonisé, c’est heavy as hell, Hell je ne veux qu’Hell, alors évidemment, Lanegan ramène sa morgue de corps bleu et sa voix vibre dans la mort.     

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             Il a enregistré un autre album avec les petits mecs de Soulsavers, l’inestimable It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. Inestimable parce que «Ghosts Of You And Me». C’est lui qui fait danser le squelette, dans une ambiance glacée de vents technoïdes. Ah il faut le voir descendre au barbu du cut, en poussant de sourds ouhm ouhm ouhm. Il groove ensuite la messe de «Paper Momey» dans la cathédrale de la mort. Encore un cut épais et sans espoir. Ça explose en gerbes de sang impur, comme dans la chanson de Rouget de Lisle. Lanegan fait de la littérature, alors qu’on le croit chanteur de rock. Il crée encore l’événement littéraire de la rentrée avec «Spititual». Les deux petits mecs de l’electro-gospel machin lui fournissent tous les effets. La voix règne en maître sur cette terre désolée - Jesus Oh Jesus/ I don’t wanna die anymore - Puis il attaque «Kindom Of Rain» au croack de crocodile, il vibre jusque dans les profondeurs de tes chairs. Et il revient au suprême sommet du lard avec «Through My Sails». Il vient même te le chanter au creux du cou. Sa voix dans le bois de Boulogne... On sent encore son odeur dans «Jesus Of Nothing», il rôde dans l’ombre expressionniste d’entre chien et loup, il miaule d’une voix de génie poitrinaire. Il ne demandera jamais pardon pour ses péchés, ce qui fait sa grandeur. C’est tout ce qu’on aime dans le rock, le poids de la mort qui rôde, comme une évidence, alors autant en faire de l’art. Lanegan swingue le beat des squelettes, avec les faux airs malsains de Rosemary’s Baby, il chante d’une voix de Prince des Ténèbres, il est plus vrai que vrai dans ce rôle tant convoité, il reste l’homme au teint blafard qu’on admire encore plus depuis qu’il s’est vidé de son sang, depuis qu’il est enfin un vrai cadavre. Il termine cet album en forme de convoi funéraire avec «No Expectations», take me to the station, Lanegan répand sa magie comme un poison dans tes veines.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Soulsavers. It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. V2 2007

    Soulsavers. Broken. V2 2009

     

     

    Inside the goldmine –

    Pomme d’Adams

    (Part One)

             Au début, on ne comprenait pas bien ce qu’il cherchait. Il disait s’appeler Adam et se disait originaire du Mali, issu d’une grande famille. Cet homme haut et sec au regard très noir et aux cheveux blancs dégageait une réelle prestance. Le seul hic, c’est qu’il portait la tenue de travail des balayeurs des rues, ce qu’il était effectivement, comme la plupart des Maliens établis à Paris. Il bossait du côté de Belleville et de Ménilmontant. Il disait apprécier notre revue d’art et proposait d’y contribuer. Nous lui offrîmes une bière qu’il refusa. Il voulait juste un accord. Il revint le lendemain avec un dossier de photos. Il étala quelques images sur la grande table. Adam ne disait rien. Les images montraient des fresques peintes sur d’immenses façades et des statues africaines monumentales. Un ensemble stupéfiant. Nous lui demandâmes s’il était l’auteur de toutes ces œuvres et il hocha la tête en signe d’approbation. Mais où se trouvent ces œuvres ? Il retournait les images. Il avait inscrit au dos quelques informations sommaires, un lieu, une date. Là où n’importe quel artiste aurait assommé son auditoire avec des commentaires à n’en plus finir, Adam ne disait absolument rien. On commençait à voir en lui une sorte de griot, ou d’être extrêmement exotique doté de pouvoirs surnaturels. Il gardait ses distances. Il voulait juste savoir si on acceptait de publier ses photos.

             — Mais Adam, il faut qu’on fasse une interview, on ne peut pas passer les photos telles quelles !

             Il fit non de la tête. Il pointa du doigt les légendes sommaires au dos.

             — Ça suffira.

             Il demanda ensuite une feuille de papier et y écrivit laborieusement une adresse au Mali. Il voulait juste qu’on envoie un numéro de la revue à cette adresse pour que sa famille soit informée de son art. Et quand on lui demanda comment titrer les pages qu’on lui consacrait, il répondit :

             — Adam, premier homme.

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             Il y a du Adam chez Johnny Adams : même stature, même mystère, même classe. On pourrait même ajouter ‘même voix’. La meilleure introduction à l’œuvre de Johnny Adams est une belle compile Ace parue en 2015, I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964.

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             Tony Rounce n’est pas avare de compliments sur Johnny Adams. Il parle d’une carrière de 40 ans, ce qui n’est pas rien, et d’un «vocal range that spanned several octaves», ce qui n’est pas rien non plus. Johnny Adams est un petit black né à la Nouvelle Orleans au début des années trente, et l’aîné de dix enfants, ce qui n’est pas rien non plus. Et puis un jour, Dorothy La Bostrie sonne à sa porte. Elle passait dans la rue et a entendu le petit Johnny chanter. Comme elle cherche quelqu’un pour chanter les démos qu’elle doit présenter à Joe Ruffino, le boss et Ric & Ron Records, elle demande au petit Johnny s’il veut bien lui faire l’honneur de les chanter, ce qui n’est vraiment pas rien du tout. Le petit Johnny hésite, car il s’est voué à God et n’approche pas la secular music, alors Dorothy use de ses charmes pour le convaincre, et il enregistre la démo d’«I Won’t Cry». Quand il entend ça, Joe Ruffino craque et cale une session d’enregistrement chez devinez qui ? Cosimo, bien entendu. L’A&R Edgard Blanchard supervise la session. C’est l’«I Won’t Cry» qui ouvre le bal de la compile Ric & Ron et «the near 40-year solo carreer of the ‘Tan Canary’». Quand on écoute «I Won’t Cry», on est aussitôt frappé par la présence vocale de l’early Johnny, il chante du drain, il est surnaturel de volonté. Avec chaque cut, il veille à peser de tout son poids. Il propose un early r’n’b, mais avec une réelle ampleur.

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             Les singles sont bons, mais ne sont pas des hits nationaux. Peu importe, Ruffino y croit dur comme fer. Il envoie Johnny en studio tous les trois mois pour enregistrer un nouveau single. Go Johnny go ! Mac Rebennack entre dans la danse en tant qu’A&R pour Ruffino et co-écrit «Come On», le deuxième single de Johnny, un early r’n’b d’une réelle ampleur. C’est aussi le premier single de Johnny qui paraît en Angleterre, en 1959. Mac Rebennack compose «The Bells Are Ringing», le troisième single de Johnny, qui cette fois est supervisé par Harold Battiste. Nous voilà au cœur du mythe de la Nouvelle Orleans.   

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              Il faut attendre «Someone For Me» pour voir Johnny grimper des échelons. Il chante à outrance et tape un magnifique heavy groove. Il joue de sa voix comme d’un instrument. «You Can Make It If You Try» sonne comme un slowah océanique. Gene Vincent et Sly Stone l’ont tapé, y compris les Stones sur leur premier LP. Johnny y va au make it et accompagne tout ça au awww. Il renoue enfin avec le swing de la Nouvelle Orleans dans «Life Is Just A Struggle», un hit signé Chris Kenner, brièvement signé sur Ric & Ron, mais surtout connu comme compositeur de choc («I Like It Like That» et «Land Of 1000 Dances»). Superbe, rond et concassé, gras et jouissif. Johnny passe au heavy blues avec «Losing Battle», signé Mac Rebennack, un vrai heavy blues d’you know it’s hard, the most adventured record, nous dit Rounce.  Johnny est un scorcher hors compétition. Ruffino investit dans la promo du Losing Battle qui devient enfin un hit national. Mais le conte de fées s’arrête brutalement : en 1962, Joe Ruffino casse sa pipe en bois. Son cœur lâche. Ses fils Ric et Ron tentent de prendre la relève, mais ils n’ont pas le pâté de foi de leur père. Les deux labels vont vite couler à pic. Johnny se retrouve le bec dans l’eau : plus de label.

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             «Tra-La-La» est donc un single posthume. Johnny a des filles qui font tra-la-la, alors ça devient un petit chef d’œuvre de good time music. En 1963, un nommé Joe Assunto tente de ressusciter Ric & Ron, avec la série Ric 900. Johnny enregistre chez Cosimo, et Wardell Quezergue supervise. Alors voilà le coup de Jarnac : «Lonely Drifter» ! Il attaque ça au I’m drifting dans un climat d’excelsior demented, il explose dans la chaleur du four, il s’en va te screamer ça au plafond, le voilà englué dans une énorme purée de son et il n’en finit plus de screamer dans l’allégresse, c’est un hit supersonique, il creuse sa différence. Cette excellente brochette de hits inconnus s’achève avec «Walking The Floor Over You», une belle version primitive, très sauvage - Tell me one thing - ponctuée par un gratté de plonk plonk plonk.

             Après tout ça, Johnny partira à l’aventure, d’abord à Houston, enregistrer pour Huey P. Meaux. Puis il va vivre d’autres aventures palpitantes, en signant chez Atlantic, qui l’envoie enregistrer chez Malaco sous la direction d’un vieux copain, Wardell Quezergue, puis direction Miami où il enregistre au Criteria avec devinez qui ? Les Dixie Flyers. Et ce démon de Tony Rounce balance l’info fatale : «50% of the masters remain inissued.»

     

    Signé : Cazengler, Johnny Œdème

    Johnny Adams. I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964. Ace Records 2015

     

    *

    L’éloignement fait-il du bien aux créateurs ? Pensons à Victor Hugo exilé sur l’île de Guernesey qui écrivit sur ce rocher (pas si lointain) quelques-uns des recueils les plus vertigineux de la grande lyrique française. Aucun gouvernement n’a envoyé Bill Crane en résidence surveillée en Thaïlande. Je ne sais si comme l’auteur de Solitudines Coeli il s’adonne aux tables tournantes et si la nuit noire par la fenêtre de son appartement il aperçoit la dame blanche se promener dans son jardin. Je m’en tiendrai aux faits : dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 je chroniquais : son album : Baby call my name. La semaine suivante le 18 / 01 / 2024 dans notre livraison 628, Love in vain un EP trois titres. Bill Crane s’est sans doute souvenu des anciens 45 tours français aux mirifiques pochettes colorées qui offraient quatre titres, je viens de m’apercevoir qu’il en a donc rajouté un quatrième à son brelan d’as le transformant ainsi en ce que je m’amuse à surnommer, non pas un four of a kind, mais un four of a king :

    GIMME BACK MY LOVE

    (Extrait de l’EP : LOVE IN VAIN)

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    Nostalgie du son et nostalgie de l’amour, l’on ne sait laquelle des deux l’emporte sur l’autre, longues lampées de guitare sixties, juste une vague lentement suivie par une autre, un mouvement qui nous semble infini tant notre désir aimerait que cela ne se termine jamais, en contrepartie le raffut de la machine rythmique qui marque le temps imperturbable qui s’écoule emportant tout sur son passage, et puis la voix d’une singulière pureté, d’autant plus étrange qu’elle s’adresse à un homme, sans beaucoup d’imagination l’on se croit dans un morceau de gospel, une prière qui s’élèverait vers un Dieu charnel. N’oublions pas, le gospel est une des racines du rock’n’roll. Lorsque l’on vise l’essence d’une chose on touche à ses origines car rien ne vient de rien. Ce morceau ajoute une touche abstraite à cet EP, qui agit sur nous comme une épine empoisonnée qui s’enfoncerait dans les existentielles représentations culturelles de la construction mentale de nos souvenances. 

    *

    L’enfer est décidément pavé de bonnes réalisations puisque, ce prolifique mois de janvier billcranien n’était pas terminé que déjà paraissait un deuxième album :

    HELL IS HERE

    (YT / Janvier 2024)

             Le rock’n’roll est une pâte molle, il se modèle à volonté. L’auditeur n’en est pas obligatoirement conscient, car on ne lui montre l’objet qu’une fois terminé, cuit, émaillé, sorti du four électrique et revêtu des riches couleurs dont on l’a doté. En jouant sur le titre de cet album l’on pourrait réunir les deux opus précédents sous l’appellation : Hell was here, même si le passé est si fortement implanté en nous qu’il résonne toujours. Un peu à la manière de ces moulins à prière tibétains qu’un mélancolique vent mauvais et verlainien met en mouvement.

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    You got it : si par maladresse vous avez enlevé le son et que vous ayez laissé défiler les paroles, vous êtes dans la continuité de ce qui précède, selon un aspect du rock’n’roll jusqu’ à lors occulté, celui de la joie du corps, de la dépense physique, de la danse très around the clock, shake it baby. Vous serrez les meubles du salon et vous poussez le son. Changement de ton. Première surprise, le rythme ne boppe pas, un peu pesant, même si le vocal vous donne l’illusion d’un certain entrain, faut dire que la musique vous englobe si bien que vous vous laissez porter par elle, les yeux fermés dans une boîte vous dansez dans la pénombre. Êtes-vous encore vous-même, qui êtes-vous, vous-même, votre propre ectoplasme, votre fantôme et où êtes-vous, il y a tant de morceaux de rock hot rails to hell, peut-être que cette fois-ci, vous êtes vraiment arrivés à destination… Vous aurez du mal à quitter les sombres tonalités de ce titre. Sans doute parce qu’elles émanent de vous. Monstrueux.

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    Do U love me : l’image qui accompagnait le titre précédent était rassurante, une fille qui danse, elle me rappelle un peu la pochette de Rock’n’roll animal de Lou Reed, celle-ci est des plus simples, un cercle, une ronde, around the clock, ou le schéma d’une tête dans laquelle les pensées tournent en rond, notes sombres qui résonnent, et la voix qui interroge, celle de l’adolescent éternel qui n’est jamais sûr d’être aimé pour lui-même ou pour son perfecto. Ce qui est sûr : dès que l’on tente de s’accrocher au monde extérieur l’on prend pied dans le monde des incertitudes. A peine plus de deux minutes, malgré la force maléfique de ce morceau ensorcelant vous êtes soulagés quand il s’arrête. Vous y revenez bien sûr. Comment s’évade-t-on d’un cercle ? 

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    Up & down : vous donne la réponse. Une rythmique, vous savez la même qu’utilisent les combos en concert pour faire durer le titre sur lequel le public a accroché, faisons l’impasse sur ses sonorités venues de nulle part et envoûtantes, ce coup-ci, suffit de suivre le mouvement, vous êtes sûr de votre coup, elle ne pourra pas vous échapper, la poiscaille est ferrée, sifflements d’admiration quand vous sortez pour votre petite affaire, dans la vie il y a des hauts et des bas, aujourd’hui c’est vous qui êtes sur le point culminant.

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    So funky : tout va bien, nous avons fait le tour du cercle, nous repartons donc pour un tour, elle sur la photo, les taches de couleur sur son corps ne sont que les projections de notre désir, la guitare résonne dur, elle imite le danseur perroquet qui prononce sans arrêt so funky, dans la série enfonce-toi bien ça dans la tête, vous ne pourrez faire mieux, le rythme est lancinant, obsédant, angoissant si l’on veut être franc.

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    Go dancing : paysage suggestif, l’a ce qu’il veut, tout dépend de la danse à laquelle on pense, tourner sans fin autour de la pendule ne suffit plus, les résonances explorent le terrain vierge, si vous vous voulez, durant l’orgasme il pousse des cris maniérés à la David Bowie, bientôt la musique prend toute la place, z’ont mieux à faire. 

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    Cool death : l’a pris une image noire pour illustrer cette musique clinquante qui fuse d’un peu partout, dont les points d’entrée délimitent un espace noir, mort fraîche, mort froide, mort molle, mort dure, dans ces résonances abstruses et funèbres, l’on ne danse plus, le rythme est trop lent, épars, des bruits de nulle part, la mort n’est-elle pas le dernier rendez-vous, celui que l’on ne peut éviter, une guitare mugit, une vache que l’on mène à l’abattoir. Long est le chemin. Avec soi-même.

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    Dark street blues : instrumental : ce n’est plus un titre, un totem que les légions romaines promenaient durant batailles et pérégrinations, derrière lequel le rock aime à se protéger, un blues plus profond que la mort, à la hauteur érigée de l’image impudique, l’alliance sans cesse renouvelée d’Eros et Thanatos, au fond de la rue tu n’iras jamais plus loin que la mort de ta chair ou de la chair de ta mort. 

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    My sweet machine : la demoiselle a l’aspect d’un lémure, shake, shake, shake, autant de fois que vous voulez, mais le tempo n’y incite guère, trop lent, peuplé de grincements peu affriolants, douce est la machine, puisqu’il le dit, nous ne le croyons pas, une mécanique qui n’en finit pas de tourner sur elle-même, peu avenante, inquiétante, don’t save for me the last dance baby !

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    The hell : enfin on y arrive, il y a longtemps que l’on y était, ce n’est pas grave, l’on nous distribue une image abstraite et écarlate comme ticket d’entrée, la guitare ne se retient plus, elle fuse, elle metallise à mort, Bill crâne à mort avec sa voix de profundis, danse funèbre, brrre !!! La barbaque est froide, l’on connaît déjà.

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    Waht’s that ? !!! : un peu couronne mortuaire, c’est un peu comme si vous bouffez les fleurs par la racine depuis dessous votre pierre tombale, tiens il y a du monde, y en a même un qui tousse, le cat Bill s’amuse à imiter les agonies et le cri des âmes torturées dans les feux de l’enfer. Les rockers ne peuvent jamais prendre les choses au sérieux. Rock parodie !

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    Rock-cola Cafe : dans les morceaux de blues l’on se réveille généralement le matin, dans les morceaux de rock aussi ( un tantinet plus tard) l’est temps d’enfiler son jean, l’est comme neuf, oublions cette meurtrissure, dans le dos, juste à la place du cœur, est-ce vraiment si important depuis qu’elle est morte comme une poupée gonflable, comme toutes les autres, ça résonne comme si l’on entendait la réverbe occasionnée par une voûte, tiens au niveau paroles c’est un peu comme un remake de The End, attention, il pousse la porte.

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    The walking dead : instrumental : dehors, on respire, la main aux ongles rouges est encore crispée mais la musique est alerte, que cela fait du bien de trouver de l’air frais. Sur la fin la guitare sonne sixties, ah ces jours heureux du rock, ce temps de l’innocence qui ne reviendra jamais. Puisqu’il est toujours là. Serial killer en quelque sorte.

             L’on ne s’y attendait pas. Bill Crane nous a offert un opéra rock, moins optimiste que le Tommy des Who, plus inquiétant que le Berlin de Lou Reed. Ecoutez-le et modelez le scénario à votre guise. Bill Crane a laissé des interstices. Exactement les mêmes qui séparent la vie de la mort.

             Une curiosité. Morbide ajouteront ceux qui n’aiment rien. Surtout pas le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

    *

             L’opus est sorti depuis un an, je n’ai tilté ni sur la pochette, elle n’est pas mal du tout, ni sur le sound pour la raison nécessaire et suffisante que je ne l’avais pas encore écouté, simplement sur le temps. Pas le soleil, ni la pluie, ni la neige, non les 44 minutes 38 secondes du morceau. Bonjour le cachalot ! L’on n’en pêche pas un de cet acabit tous les matins dans sa baignoire.

    DISINTEGRATE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2023)

    Avant d’écouter o monstro, ces deux derniers mots ne sont pas victimes d’une malencontreuse faute de frappe ils sont issus de la langue portugaise, oui ils sont du pays de Camoens l’immortel auteur des Lusiades, livrons-nous à quelques travaux d’approche.

    Ne sont que deux à avoir commis cette abomination temporelle : Guilherme Henriques : vocals, guitars / Pedro Soares : drums.  Pas de frais metalleux du matin, présentent un pedigree groupique long comme le bras, sont membre du groupe Gaerea, c’est d’ailleurs Lucas Ferrand de Gaerea qui est venu tenir la basse.

    La couve est de Belial NecroArts, de Lisbonne, une visite de son FB s’impose pour tous les amateurs de Back Art, pour les autres aussi. J’ai failli ne pas écrire cette chronique, tant j’ai passé de temps à regarder ses œuvres. Beaucoup de noir (et de blanc) mais je me suis surtout attardé sur ses œuvres moins nombreuses qui usent aussi de la couleur. Disintegrate est peut-être la plus colorée. En le sens où la couleur engendre la forme et non pas la forme qui exige telle couleur. Que représente-t-elle, un trou noir, d’autant plus noir qu’il est une effulgence de feu orange, le gouffre que nous portons en nous, le bout du tunnel que l’on est censé traverser lors de la mort, le feu élémental héraclitéen, une revisitation du mythe de Phaéton, que chacun l’interprète à sa guise. Contrairement à ce j’ai dit, les artworks de Belial NecroArts ne sont pas à regarder, fonctionnent un peu à la façon d’arcanes du tarot ou de sigils, ces sceaux qui agissent sur vous, et de par vous sur le monde, dans la mesure ou la démesure, que vous sachiez y lire les chapitres de votre destin que vous y inscrivez.

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    Disintegrate : entendre une œuvre musicale demande peu d’efforts, savoir écouter avant même de tourner le bouton ou de libérer le bras de votre chaîne exige une tout autre préparation mentale. L’on n’écoute pas un opus musical comme l’on promène son chien, d’ailleurs le plus souvent c’est le chien qui commande son maître, preuve que l’on est davantage agi que nous n’ agissions. Le motif de Disintegrate, est bien le récit d’une désintégration, non pas l’effarante surprise d’un missile qui en quelques secondes disloque et détruit l’objet de sa cible, mais une lente dissolution consciente, car le phénomène qui n’est pas pensé ne saurait avoir été vécu. Disintegrate se situe davantage du côté de Platon que d’Aristote, plus près de la contemplation que de l’énergie. Un frais amateur de Metal pourra être surpris, il s’attend à des périodes d’accalmie espacées de-ci de-là, dans le seul but de rendre les grandes bourrasques phoniques encore plus tumultueuses, il n’en est rien. Juste un cheminement, une fonte solaire de l’être, l’esprit qui survit avant de s’atomiser encore quelques temps, des souvenirs épars comme ces épaves sans but qui flottent sur la mer, soumises aux caprices des courants, alors que la coque gît déjà au fond de l’abysse. Un cycle s’achève. Un autre commence, mais ceci est une autre histoire. Une note qui se répète, qui se prolonge selon ses harmoniques, la batterie qui a l’air de se noyer dans chacun de ses battements, l’on attend, l’on ne sait quoi, mais l’on attend, jusqu’au hurlement du loup, non pas le hululement de la bête vers la lune, la musique atteint le plus haut pied de son étiage, voici la voix humaine  déployée d’octaves, qui ploie sous le poids de son passé et de sa présence au monde, une gorge abyssale, peut-être ce larynx en flamme qu’illustre la pochette de Belial, une profondeur sans fin, le monde se dissout, survit le mirage de cette voix grandiose qui recouvre le monde, le background se met à sa hauteur, le feu tombe sur vous, il ne cause aucune souffrance, c’est l’âme intérieure qui brûle et se recroqueville tel un parchemin dont on veut se débarrasser.

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    L’escargot n'habite plus sa coquille, la batterie s’acharne sur ce mollusque visqueux qui refuse de mourir avant d’avoir transmis oralement au néant qui s’approche son ultime message, bouteille au feu que les flammes fondent et foudroient dans le cristal de son impuissance, cri primal de la fin, de la terminaison, de la clôture, ne subsistent plus que des fragments translucides que l’air brûlant disperse… juste quelques notes, ce n’est pas la fin, disparêtre n’est pas facile, n’être plus que des bouts de soi, sur lesquels la batterie tombe à bras raccourcis, ferraillent contre eux aussi les cymbales, tout doit disparaître, il est impossible que quelques brins d’un passé révolu survolent, notes agonisantes d’un requiem éternel, serait-ce l’apaisement, non l’on ne saurait se satisfaire de l’œuvre que l’on a à accomplir, le repos, le recueillement en soi-même ne saurait être une solution, déchaînement total, l’on ergotait sur la possibilité, toute la meute tournoie, babines retroussées, elle passe et repasse sur le disque usé de votre mémoire, elle piétine, elle mord à pleines gueules, la passion de la destruction n’est pas une création, seulement une autodestruction, sans passé, sans présent, sans futur, sans rien, que la brutale et cruelle évanescence de ce que l’on a été de ce  que l’on n’est déjà plus, mais une rythmique entame une folie mortifère, rafales battériales, il ne crie plus, il parle, il dicte l’ultime prophétie qui est en train de se réaliser au fur et à mesure qu’il l’énonce. Tout se précipite, l’on arrive à la dernière scène du dernier acte, le rideau est prêt à s’affaler et à emporter le théâtre de l’existence avec lui, résonances de gong, la matière musicale se plisse comme la croûte terrestre lors des tremblements de terre, fêtes et fastes, je rugis comme un lion, moi qui ai participé au festin des quatre empereurs, moi qui ai été Dieu, ô le souvenir de cette puissance infinie, de cette force qui ébranlait aussi bien les racines du ciel que de la terre, je dois abdiquer, me résoudre à délaisser ce sceptre que j’ai abandonné depuis si longtemps, final grandiose, l’on ne se surpasse jamais, l’on atteint jamais la dernière marche de l’escalier absent, qui apparaîtra une fois que l’on ne sera plus, ma dernière vision sera celle de ma pierre tombale, désespoir total, drame métaphysique, je ne suis plus que mon propre non-être. Superbement éprouvant. La musique se calme, il semblerait qu’elle ricane. Terrible.

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    Disintegrate I : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de 4 minutes : Enrique au chant et à la guitare, Pedro au beurre, pour reprendre une expression cazanglerienne, peu d’intérêt si ce n’est de les voir jouer alors que tombe la neige… / Disintegrate II : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de sept minutes et demie :  regardez celle-ci, ambiance beaucoup plus metal, ils ont remplacé la neige par des bougies, et un faisceau de torches. Les photos qui illustrent notre chronique en sont extraites.

    LONE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2019)

             Grande envie m’a donné Disintegrate d’aller fouiner du côté de leur premier album.

    Pour la couve je me suis fait avoir comme un bleu, me suis demandé quel peintre romantique, voire symboliste aurait pu peindre cette toile, non un contemporain, Paolo Girardi, né en 1974, une vie dure, l’a commencé par la pratique de la lutte libre, athlète professionnel, puis l’est passé à la peinture. L’a appliqué la même méthode que pour la lutte : s’entraîner sans fin. Toile et huile de térébenthine. Je ne sais d’où il tire son inspiration, je ne le connais pas mais je l’entends me dire : ‘’ De moi-même. Je suis un lutteur et un rêveur.’’ Allez voir sur son FB, section photos, entre autres, les 286 Music Covers, un résumé de l’imagerie metal, par un grand peintre. Colossal !

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    Sculptures : le disque met en scène un géant, vous le découvrez sur la couve, qui est-il, on ne le saura pas, écoutez, l’on entend ses pas, ils n’ébranlent pas le monde, il le fracasse mais son empreinte sur la terre reste superficielle, peut-être n’est-il qu’une image de notre infatuation de nous-mêmes, certes il piétine les forêts qu’il traverse comme des fétus de paille, elles sont à l’intérieur de lui, il hurle comme King Kong, mais ce sont ces pensées que vous entendez, il s’apprête à descendre l’interminable escalier qui mène au tréfonds de lui-même, chacun de ses pas intérieurs est comme une chiquenaude qu’un sculpteur infligerait à la masse informe d’une glaise à qui il doit donner forme. La musique s’adoucit, sans doute caresse-t-il quelque rondeur qu’il a décelé au fond de son âme. Au tréfonds de lui une eau froide dans laquelle il se laisse glisser. Il flotte, il descend jusqu’au fond, l’empreinte de ses pas sur la silice vaseuse sculpte châteaux de sable et de rêve. La guitare chante et lisse, la batterie tapote, la voix triomphe, aucune victoire, seulement le contentement d’avoir donné la forme qu’il voulait à son âme. Il se tait, face à lui-même dans le silence il contemple sa réalisation, son œuvre qu’il a façonnée à partir de lui-même. Recueillement. L’artiste n’est-il pas l’œil limpide d’un univers qui ne le mérite pas. L’existe une vidéo Live at Stone Studio de l’interprétation de ce morceau. Idéale pour voir comment avec un minimum de moyen l’on peut produire un maximum d’effets. Mirror : même douceur, regarder le monde n’est-ce pas se regarder soi-même, méditation sans fin qui renvoie sans cesse de l’un à l’autre, notes égrenées, il suffit de traverser le miroir pour sortir de soi, tombe la pluie, sur moi, ou à l’intérieur de moi, les pas du géant s’alourdissent sous le faix des cymbales, introspection ou extrospection, où suis-je dans la nature ou dans les souvenirs qui inondent ma tête, perdu en soi, perdu dans le monde, gosier glaireux, il trimballe tant de débris, ne se trouve-t-il pas juste à la jointure de l’intérieur et de l’extérieur qui façonne l’autre, qui construit l’un, la batterie coupe des branches d’arbres celles qui dépassent, qui entrent dans ma tête, celles qui sortent et s’épanouissent dans le monde, moments de grandes incertitudes, le monde décline, mes forces aussi, mes démarches, la physique et la psychique deviennent moins affirmées, maintenant je me tiens aux arbres pour avancer, est-ce la fin, déjà s’élève le générique que j’ai préparé pour cet instant suprême et décisif, au sortir de ma tanière je veux hurler comme l’ours qui jaillit de sa grotte et pousse un grognement de soudard en guise de salutation au soleil, les rayons de l’astre se figent et le monde devient grisâtre, même couleur ma matière grise, voilé de brume comme s’il s’estompait de lui-même, les évènements se précipitent, c’est le moment de la séparation, mon cadavre d’un côté, mes rêves de l’autre. Fêlure séparative à la surface du miroir. 

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    Abomination : le mot est fort, l’intro fracassante, la bête est là, debout, elle hurle, elle n’y peut rien l’abomination monte comme l’eau au fond du puits. De plus en plus vite, rien ne l’arrêtera, elle noiera bientôt la terre émergée des années heureuses, de l’Arcadie première, d’où vient-elle, est-elle issue de la noirceur de mes cauchemars de ces processus d’affaiblissement insidieux, de ce désir de mort rampant qui grignote mes forces vives, suis-je programmé pour mourir et peut-être pire pour anéantir le monde après moi. Maze : je cours de tous les côtés, sans fin je me heurte au parois des galeries, je suis au-dedans de moi-même, enfermé depuis toujours, pour toujours, autant dire éternellement, mort ou vivant c’est la même chose, j’ai beau piquer des crises de folie, me démener, hurler, rien n’y fait, je suis une capsule éternelle de pensée, le dehors n’existe pas, je me projette le solipsisme de ma présence, en couleurs, sur grand écran, j’y crois, je n’y crois pas, j’invente tous les scénarios que je veux, il n’y a pas de dehors juste un cauchemar que j’entretiens pour ne pas me morfondre au-dedans de moi-même, je suis mon propre être et mon propre non-être, les deux à la fois, le monde est une projection et le projectionniste n’est pas dupe de cette fausse réalité. Pourquoi y a-t-il une chose qui pense et pas rien ? La musique s’autodévore.

             Splendeur métaphysique.

    Damie Chad.

    Nous reviendrons sur OAK, ils viennent de mettre en ligne un troisième album.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    22

             Lorsque je poussai la porte du local, Molossa ferma ostensiblement les yeux et se coucha en rond comme un chat, je sentis comme un reproche dans son attitude réprobatrice.  Malebranche, mort en 1715, aurait-il donc tort en théorisant que les animaux, cartésiennes machines vivantes dépourvues d’âme, sont sans l’intervention directe de Dieu dans l’incapacité totale de faire semblant de simuler des sentiments. Nous devrions paisiblement discuter de cette proposition malebranchienne, hélas le temps nous manque ! Je me contenterai de spécifier que le Chef pourvu d’une âme et d’un Coronado m’adressa un franc sourire :

             _ Agent Chad, je sens que vous avez passé une bonne nuit, à votre mine détendue je subodore que vous avez lâchement abusé d’une veuve et de ses orphelins.

             _ Hélas non, Jean Thorieux a tenté de nous attendrir en évoquant sa femme et ses mioches…

             _ Agent Chad, n’oubliez jamais que la pitié est l’arme des faibles !

             _ C’est sa sœur Gisèle qui m’a reçu, elle m’a décrit son frère comme un individu un peu paumé qui depuis quelques semaines lui racontait des balivernes : à savoir qu’il était possible de traverser les murs.

             _ Or, cadavre en main si je peux employer cette métaphore, nous savons qu’il avait acquis cette curieuse faculté !

             _ Nous possédons même mieux Chef. Ce matin alors que Gisèle très éprouvée par les élucubrations de son frère a enfin trouvé le sommeil. J’en ai profité pour visiter l’appartement voisin de son frère. Pas grand-chose à voir. Une table, un lit, une télé, pas mal de bouteilles de bière et une collection complète du numéro 1 au numéro 297 de la revue Science et Paranormal. C’est tout.

             _ Parfait agent Chad, vous savez ce que vous avez à faire. Pour moi, je reste ici, fumer quelques Coronados m’aidera à réfléchir à cette affaire. Emmenez vos chiens avec vous, vous ne serez pas trop de trois, fiez-vous à mon intuition, nous sommes sur une sale embrouille !

    23

             Lunettes, blouson de daim, pantalons de tergal, et serviettes bourrées de documents, j’avais pris mon air de professeur d’université. La bibliothèque du quartier était déserte, à son bureau, l’hôtesse d’accueil m’accueillit avec empressement :

             _ Que puis-je pour vous Monsieur ?

             _ Est-ce que je pourrais consulter, si vous l’avez, la revue Science et Paranormal ?

             _ Bien sûr Monsieur, quel numéro voudriez-vous, vous trouverez le dernier le 297 sur le présentoir.

             _ J’aurais besoin de la collection entière depuis le numéro 1 ?

             _ La collection entière ?

             _ Oui, j’ai besoin de vérifier un point de détail, j’ai oublié de noter le numéro dans mes notes, c’est urgent, je pars dans trois jours pour un symposium à Chicago, je m’excuse de vous donner un tel travail mais…

             _ Asseyez-vous Monsieur, prenez place je m’occupe de vous.

    Je me suis retrouvé avec d’impressionnantes piles de magazines que Josiane, nous avions eu le temps de faire connaissance, m’apportait par paquets de vingt. Dans un premier temps je décidai d’éplucher le sommaire de chacun d’entre eux. Ce n’était pas aussi rapide que je le souhaitais, parfois il était vers le début, parfois vers la fin, toujours perdu au milieu de pages publicitaires. Un détail me troubla, contrairement aux us et coutumes, les sommaires étaient composés en lettres minuscules. Je m’efforçais donc de les éplucher avec attention. La salle se remplissait sans que j’y prenne vraiment garde.

             _ Pardon Monsieur, est-ce que par hasard vous auriez déjà regardé le dernier numéro, le 297 qui est sorti ce lundi matin ?

    Je relevai la tête, le gars avait une allure sympathique, aux nombreuses rides qui sillonnaient son visage il devait avoir autour de quatre-vingt ans. Je le lui tendis et n’eus aucun besoin d’engager la conversation :

    • C’est que voyez-vous j’adore lire ces élucubrations, bien entendu je n’en crois pas un mot, entre les extra-terrestres qui vivent parmi nous et les gens qui sont capables de mettre en mouvement par la pensée un train de quarante wagons, pensez-donc plus de trois mille tonnes ! En plus ces derniers mois, ils ont engagé un nouveau journaliste, un certain Jean Thorieux, le gars doit être frappé de la cafetière il vous propose des expériences de traversée des murs, il vous propose même de vous inscrire au Club des Briseurs de Murailles. Cela m’a semblé si stupide que j’ai rempli la semaine dernière le bon d’inscription, le pire ce matin en partant pour la bibliothèque, j’ai vérifié le courrier dans ma boîte à lettres, ils m’ont répondu, je n’ai pas ouvert, encore un truc pour vous soutirer de l’argent ! Mais j’arrête de radoter des balivernes ! Vous avez du travail à ce que je vois.

    Je m’apprêtais à me plonger dans la lecture des articles de ce Jean Thorieux, je n’en eus pas le temps, Josiane se dressa devant moi :

    • C’est marrant Damie, vous êtes le premier lecteur qui enlève ses lunettes pour lire !
    • Je les mets juste pour attirer l’attention des jolies filles Josiane, elles sont magiques, ce sont seulement les plus belles qui le remarquent !
    • En tout cas ce que je trouve magique, c’est votre serviette qui bouge toute seule !

    Je n’eus même pas le temps d'improvider une explication, la tête toute ébouriffée de Molissito qui avait réussi à bouger la fermeture éclair apparut !

             _ Oh ! mais il est ravissant, oh, un deuxième ! ils sont beaux tous les deux, vous les transportez tout le temps dans votre cartable, vous possédez une étrange personnalité Damie, j’adore les garçons drôles comme vous, si j’osais je vous inviterais au déjeuner, j’ai deux heures de pose !

    24

    C’était une excellente suggestion. Josiane me guida vers un petit restaurant qui se révéla excellent. Comme il y avait un petit hôtel tout près, et tout prêt à nous accueillir nous y fîmes une petite halte, après quoi nous revînmes à la bibliothèque. Josiane me photocopia les dix-sept articles que Jean Thorrieux avait rédigés ce qui prit pas mal de temps.

    C’est avec fierté que je poussai la porte du local. Le chef fumait un Coronado. Le cendrier était plein, le Chef avait dû longuement méditer.

             _ Agent Chad, enfin vous voici, j’e vous attendais avec impatience, j’espère que vous rapportez un début de piste prometteur !

             _ Plus qu’un début de piste Chef, un dossier, regardez il est assez épais une centaine de pages, j’ajoute pour les finances du service que grâce à mon entregent je n’ai eu aucun centime à verser.

             _ Votre souci économique vous honore agent Chad, si vous saviez ce que nous coûte un seul Coronado, vous seriez effaré, figurez-vous, vous n’en croirez pas vos oreilles, le ministère, il vient de me téléphoner, envisage de mettre une taxe carbone sur chacun des cigares que je fume ! Permettez-moi d’étudier ces documents, nous en reparlons dès ma lecture achevée.

    25

    Le Chef alluma un Coronada :

    • Agent Chad, à part le fait que ce fatras d’imbécillités soit signé de Jean Thorieux, le même nom que le zigue pâteux que nous avons retiré de sa gangue de béton dans le mur de notre appartement, ces documents ne présentent qu’un très modeste intérêt. Non n’intervenez pas, je sais bien que le Club des Briseurs de Murailles dont ces articles sont censés rendre compte des progrès de ses activités, ce Jean Thorieux journaliste ne nous renseigne en rien sur le Jean Thorieux que nous avons expédié ad patres. Par contre savez-vous la différence entre un ours blanc, un ours brun, un ours noir ?
    • Euh ! ce sont tous des plantigrades …
    • C’est bien cela, vous vous plantez magnifiquement, et votre fierté d’enquêteur va en prendre pour son grade ! En toute occasion il ne faut jamais se précipiter. Un cas particulier, le mien : après avoir fumé sept ou huit Coronados, j’ai effectué une rapide recherche sur le Net. En trois clics j’ai débouché sur le nom du propriétaire de Science et Paranormal, je me corrige aussitôt, de sa propriétaire, elle possède un nom charmant qui risque de vous dire quelque chose : Jeanne Thorieux.

    Je n’écoutais pas un mot de plus. Déjà je dévalais les escaliers mes chiens sur les talons, mon Rafalos en main.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 546 : KR'TNT 546 : MARK LANEGAN / JAZZ BUTCHER / LEON BRIDGES / EARL BRUTUS / BOURBIER / ALIEN LIZARD / HOWLIN' JAWS / MARIE DESJARDINS / CHRIS BIRD + WISE GUIZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 546

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 03 / 2022

    MARK LANEGAN / JAZZ BUTCHER

    LEON BRIDGES / EARL BRUTUS

    BOURBIER / ALIEN LIZARD

    HOWLIN’ JAWS / MARIE DESJARDINS

    CHRIS BIRD + WISE GUIZ

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 546

    Livraisons 01 - 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :   http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Lanegan à tous les coups - Part Six

     

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             À force de tenter le diable et de jouer avec les near-death experiences, Lanegan a fini par  casser sa pipe en bois. Mais il le fait avec le brio qu’on lui connaît. Un dernier album aurait été accueilli à bras ouverts. Mais non, il nous laisse à la place un petit book, Devil In A Coma, qu’on rangera dans l’étagère à côté du There’s One In Every Town de Mick Farren, de l’Hellfire de Nick Tosches et du Dark Stuff de Nick Kent. Car voilà bien un chef-d’œuvre, un étrange chef-d’œuvre devrait-on dire, car au talent fou qui le caractérise, Lanegan ajoute l’art de la pirouette et l’insolence. Et plane par dessus tout ça l’âcre odeur de la terre de cimetière.

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             Lanegan y narre d’un ton atrocement guttural le cauchemar d’un séjour de plusieurs mois en soins intensifs, dans un hôpital irlandais, pays où il a trouvé refuge après avoir fui la Californie. Il ne donne guère de détails sur les circonstances de sa fuite - Hellhounds at my back in Los Angeles - Il a chopé le fameux virus dont tout le monde parle et il doit être hospitalisé. D’où la pirouette. Au lieu d’évoquer Kurt Cobain et Jeffrey Lee Pierce, cet imbécile nous parle du virus pendant 150 pages, avec tous les détails, les tuyaux, les branchements, les vieux en train de clamser dans la même chambre d’hosto, il ne nous épargne rien. Ah c’est malin ! Pendant deux ans, on a tout fait pour chasser toute cette fucking médiatisation par la porte, et pouf, elle revient pas la fenêtre avec Lanegan. C’est d’autant plus odieux qu’il essaye de prouver sur son lit de douleur l’existence d’un virus qui n’existe que dans sa tête. Il va même très loin au fond de son psychisme, c’est souvent d’une violence terrible, il nous entraîne dans son délire, il atteint un niveau de dénuement encore plus extrême que celui développé dans son livre précédent, le crucifiant Sing Backwards And Weep.

             Lanegan pourrit vivant sur son lit d’hôpital, dans son corps comme dans sa tête et il nous livre tout. Tu en as pour deux à trois heures, si tu veux avaler ça d’un trait, mais après tu ne te sentiras pas très bien. Ce démon t’aura contaminé. Merveilleusement contaminé. Il commence par tomber dans les pommes chez lui, dans sa baraque irlandaise du conté de Querry. Il refusait d’aller à l’hosto, mais sa femme a appelé une ambulance - behind my back, c’est-à-dire dans son dos - I eventually ended up in intensive care, unable to draw oxygen and was diagnosed with some exotic new strain of the coronavirus for wich there was no cure, of course. I was put into a medically induced coma, none of which I remembered - Voilà du pur Lanegan, cette longue phrase se déroule au rythme de sa voix, il écrit des vers, de la prose, en attendant le jour qui vient, dirait Aragon. Oui, c’est exactement ça. Il prend le prétexte d’une maladie exotique pour faire de la littérature. La phrase est si parfaite dans son rythme et sa construction qu’on se surprend à la relire plusieurs fois pour en apprécier la musicalité. Le diable est entré à l’hosto avec le rock’n’roll. Lanegan va détrôner Céline qu’on croyait maître absolu du dithyrambe des corps souffrants.

             Lanegan se voit administrer des calmants, il en cite trois Sequorel, Xanax, OxyContin, mais ça n’a aucun effet sur lui - I’d been self-administrating elephant-sized doses of the same shit on and off for years - Eh oui, Lanegan est le prince des tox. Il a battu tous les records. C’est lui qui l’affirme. Profitons de l’occasion pour rappeler que l’autre grande dimension laneganienne est l’exagération. Tout chez lui est plus dur, plus violent, plus âpre, plus immoral que partout ailleurs. Comme Cash dans son autobio, Lanegan fait de sa maladie un chef-d’œuvre. L’exagération fait partie de son jeu et on l’accepte à partir du moment où on comprend que ça tonifie son style. Chez une oie blanche, l’exagération ne passe pas. Chez Lanegan, c’est cohérent, parce qu’il est naturellement violent et amoral - To me it was a second nature to eat tablets like candy - Il adore aussi rappeler qu’il est très limité d’esprit et que la réalité ne l’intéresse pas du tout - La myopie qui m’a largement handicapé toute ma vie m’a enraciné dans l’à peu près, in the here and now, et je pensais rarement à autre chose que l’à peu près, surtout s’il fallait commencer à réfléchir à l’avenir, some far-off distant future never-never land. Such places did not exist in my limited scope of reality - Cet homme qui est en réalité extrêmement intelligent veille à rester dans l’ombre. Il s’interdit toute vision.        

             L’insolence ? Oh que oui et à bien des égards. Il faut entendre l’insolence au sens où l’entendait Céline, une insolence qui flirte avec l’amoralité du comportement, cette amoralité qui dans le cas de Céline, comme dans celui de Lanegan, nourrit le style. Un homme vertueux n’écrirait ni comme Céline ni comme Lanegan. Il écrirait comme Paul Claudel et ferait interner sa sœur dans un asile. Nous on préfère Lanegan à l’hosto. Au moins on se marre. Il faut être possédé par de sacrés démons pour pouvoir choquer comme sait choquer Lanegan. Il est le premier à reconnaître que sa rage de vivre dépasse les normes - I’d lived like a fire raging through a skyscrapper, a cauldron of negative energy - Il se compare à l’incendie qui ravage un gratte-ciel, à un chaudron de négativité. Comme dans son livre précédent, il se repent, mais c’est pour mieux persévérer - And I continued to careen like a demented pinball off anything and anyone in my way, piling up a small mointain of sorrow, calamity, sadness and trauma - Il continue de rebondir ici et là comme une bille de flipper demented, amassant derrière lui une petite montagne de chagrin, de tristesse, de calamités et de traumas. Comme toutes les forces de la nature, il avoue être incapable de penser à rien d’autre qu’à lui-même, et ça passe bien quand ça sort de la bouche d’une âme damnée comme Lanegan. Il sait que sa clairvoyance va loin : «Ramenés à la même échelle, my lifetime of shady actions and misdeeds surpassait de très loin tout le côté positif que pouvait amener au monde ma carrière de chanteur.» Il se veut damné. C’est très XIXe comme attitude.

             Sa façon de décrire l’hosto relève du curatif. Il commence dès qu’il sort du coma - Maintenant que j’étais de retour dans ce monde et que je connaissais le score, it felt as if my days consisted only of the occasional blood pressure check, a plate of food I never ate, and extreme boredom, pain and unhappiness. Mes voisins de chambrée soupiraient et pleurnichaient sans cesse. The happier ones adoraient papoter. I wore a pair of headphones round the clock so as not to be drawn into conversation - On ne va quand même pas demander à une rockstar de papoter avec des vieux en train de clamser ! Il finit par ne plus pouvoir les supporter - D’entendre les plaintes continuelles et les gueulantes de tous ces gens me poussait à bout, that set me on the edge and I struggled to keep from detonating - Lanegan n’explose pas, il detonate.

             Il veut se tirer de l’hosto, mais il ne tient pas debout. Il s’est pété le genou en tombant chez lui dans l’escalier et de toute façon, il n’arrive pas à respirer - I found the situation to be intolerably fucked - Ça dépasse son entendement. Il refuse d’admettre qu’il est baisé. Fucked. Pour se déplacer, il a un déambulateur et il avoue plus loin dans le récit qu’il ne porte pas de couches car il peut encore aller chier tout seul, ce qui n’est visiblement pas le cas de ses voisins de chambrée. D’ailleurs, il dit être parfois réveillé par l’odeur de la merde. Welcome in Laneganland ! Et comme il s’appelle Lanegan, qu’il est un démon et une rockstar, il parvient à embobiner le personnel de nuit pour aller fumer sa clope à la fenêtre, ce qui bien sûr est interdit vu son état. Il n’empêche qu’il termine sa longue liste de remerciements avec «The staff of Kerry hospital, Tralee, Ireland».  

             Quitter l’hosto devient une obsession. Il insiste, contre l’avis de tous les médecins - I assumed I was going to die anyway but did not want it to be in this fucking hospital - Il veut sortir de là et aller mourir dans les champs. Il n’accepte pas de ne pas pouvoir se battre contre un ennemi qu’il ne voit pas, c’est contraire à ses principes. Quand on lui annonce que ses reins ne fonctionnent plus, il s’en bat l’œil - I honestly did not give a shit because at this point I would just as soon let the chips fall where they might rather than endure any more of what felt like a steady regime on mind-bending torture and ridiculous ennui - Lanegan sait charger une phrase à l’extrême pour en gangrener l’emphase, ses phrases noircissent comme les membres d’un cadavre, il y a quelque chose d’intensément baudelairien dans le lent dévoilement de cette auto-déconfiture.

             Style encore : «As April turned to May I found myself sliding into what I felt like black-mood clinical depression and I was on the precipice of losing a fight against it.» Un Français dirait : «J’en ai marre, j’arrête de me battre.» Lanegan nous sort cette phrase parfaite dont l’éclat baudelairien n’échappera à personne. Il en rajoute une petite louche un peu plus loin : «Alors que mon corps moribond gisait sur un lit d’hôpital, mon esprit moribond continuait de s’auto-dévorer. Je ne m’étais jamais retrouvé devant quoi que ce fût que je ne pouvais combattre ou fuir, et il semblait que le virus allait avoir ma peau, m’apprenant en même temps qu’on ne peut fuir ce qu’on ne voit pas.» Et il repart à l’assaut de sa prodigieuse déconfiture, comme s’il l’acceptait enfin - Toughness, tenacity, balls, fire, audacity and a rock-solid getaway plan had always been my strengths in any battle, mais à présent, tout cela ne me servait plus à rien - Il n’en revient pas d’être confronté à l’absurdité de la situation. Il en fait des pages bouleversantes, les pages d’une rockstar que se bat contre l’inconnu avec de la littérature : «Était-il possible qu’après toutes ces années passées à écumer les cimetières, j’allais être envoyé au tapis ? Comme ça ? No fucking way. Chaque fois que la question me revenait à l’esprit, la réponse était la même, I’ll be damned if I go out like this, no fucking way. Accident d’avion, accident de voiture, coups de feu, meurtre, oui, c’est toujours ainsi que j’avais imaginé ma mort - plane crash, auto crash, gunfire, murder - et ça me foutait en rogne d’imaginer que je pouvais crever comme ça, lying in a goddamned bed, denied a battlefield, privé d’un champ de bataille.»

             Vivre tranquillement n’aura jamais été une option chez Lanegan - I didn’t know how to ride easy and I had no interest in learning how. To do that was contrary to everything I believed, to ride esasy was to set yourself up to get fucked and not in a pleasurable way either - Lanegan a cru toute sa vie qu’il fallait s’endurcir pour se protéger. Il ramène aussi pas mal d’éléments autobiographiques, comme par exemple sa mère qui le haïssait et son premier beau-père dont il fait en quatre lignes un portait saisissant. Bienvenue dans l’Amérique profonde - A hellraising biker covered in homemade tattoss, il chassait les lièvres pour les manger, mais il s’amusait aussi à tirer sur des oiseaux à bout portant, de sorte qu’il n’en restait rien - He was THAT kind of guy

             Le récit s’achève sur une pirouette ultime qu’il appartient au lecteur de découvrir. Cet homme n’aura pas cessé de nous stupéfier.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Mark Lanegan. Disparu le 22 février 2022

    Mark Lanegan. Devil In A Coma. Laurence King Publishing 2021

     

    All that Jazz, Butcher !

     

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             Le souvenir qu’on avait du Jazz Butcher était celui d’un groupe anglais assez proche par l’esprit et le goût du swing de l’excellent Monochrome Set. Lorsqu’en octobre dernier Pat Fish cassa sa pipe en bois, un ami qui le connaissait bien fit de lui le genre d’apologie qui fait dresser l’oreille pour de vrai. Une fois sur le qui-vive, il ne restait plus qu’à mettre le nez dans l’all that Jazz, Butcher. Pour découvrir au final qu’il s’agit d’une œuvre valant tout l’or du Rhin.

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             Le premier album du Jazz Butcher s’appelle In Bath Of Bacon et date de 1983, donc de trente ans. Eh oui, ça glou-gloute sous le Pont Mirabeau. Il faut partir du principe que chaque album du Butcher réserve son petit lot de divines surprises. Ah il faut entendre la basse sur «Bigfoot Motel» ! Ce joli son de basse viandu et raffiné à la fois anime un groove longiligne digne de Cubist Blues. Oh et puis ce «Gloop Jiving» d’ouverture de balda, fabuleux groove de jazz. Max Eider y fait des petites guitares à la Velvet. «Partytime» nous renvoie au charme discret de la bourgeoisie du Monochrome Set. Max Eider fait des miracles avec sa clairette de Digne. Et puis avec «Chinatown», ils font de la pop sur une structure de dub. Ils ne se refusent aucun luxe. Ils ont encore un «Zombie Love» en commun avec Monochrome et Pat Fish chante «La Mer» en français, pas celle de Charles Trenet, mais la sienne est belle - Tout le monde s’amuse bien à la plage - Ils font aussi un groove ensorcelé à la Bid avec «Poisoned Food» - Oysters ! Lobsters ! 

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             Paru l’année suivante, A Scandal In Bohemia tient bien ses promesses, avec notamment «Just Like Betty Page», où Max Eider joue le jazz de Django. Ah il faut l’entendre claquer son Butching Jazz ! Sinon on trouve encore du pur jus de Monochrome («Southern Mark Smith», «Real Men», «Soul Happy Hour», «Marnie» er «Girlfriend»). Ils tapent dans la belle romantica de Bid. Avec «I Need Meat», ils virent carrément rockab, mais attention, c’est le rockab des Stray Cats, avec le même sens de la descente au barbu. Ils font aussi une excellente échaffourée gaga en B avec «Caroline Wheeler’s Birthday Party», qu’ils enveloppent en plus de mystère. Ces mecs sont des surdoués, ils savent rester frais comme des gardons. 

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             L’année suivante paraît Sex And Travel, un mini-album C’est écrit dessus, comme sur le Port-Salut. Pat et ses potes continuent de proposer cette pop anglaise chaleureuse, avec du son et des guitares à gogo. Ils font un petit shoot de Monochrome avec «Red Pets» et un joli balladif avec «Only A Rumour». La principale caractéristique des albums du Jazz Butcher est qu’ils sont extrêmement agréables à l’écoute. En B, on tombe sur «President Reagan’s Birthday Present», une espèce de samba du diable. Le Butcher s’amuse bien avec son heavy bassmatic et son extraordinaire musicalité. Ce surdoué de Max Eider jazze le boogie sur «What’s The Matter Boy» et nous laisse comme deux ronds de flan.

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             Comme son nom l’indique, Hamburg est un album live enregistré à Hambourg en 1985. Max Eider fait partie de l’aventure ainsi que «Bath Of Bacon», «Soul Happy Hour» et «Death Dentist». Ce qui fait le charme de l’album, ce sont les deux hommages à Lou Reed, cover de «Sweet Jane» et, via les Modern Lovers, une cover de «Roadrunner» qu’on retrouvera systématiquement sur les albums live à venir. One two three four five six ! Pat Fish le fait bien, il y va au radio on et le batteur fourbit bien le beat. Il s’appelle Jones et il aurait tendance sur certains cuts à voler le show, comme par exemple sur «Bigfoot Motel» en B, embarqué au jive de Butcher avec un Jones fast on the beat, fin et précis, un vrai batteur de rockabilly. On note aussi au passage l’excellence de Felix le bassman. Avec «Girlfriend», Pat Fish fait encore un beau numéro de pop d’Anglais vertueux. Fabuleux artiste !  

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             Sur Distressed Gentlefolk paru l’année suivante, ils rendent un bel hommage au Velvet avec «Still In The Kitchen». Pat Fish renoue avec l’esprit du Velvet, il ramène les tambourins, la reverb et l’arty-druggy de la lenteur. Puis il retourne se jeter dans les bras du Monochrome Set avec «Hungarian Love Song», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Ça donne un cut tonique, bien enlevé, dynamique, très London town, avec la musicalité des guitares country. Ils attaquent leur B avec «Who Love You Now», une véritable leçon de swing. Ils restent dans le London swing avec un «Domestic Animal» extrêmement bien joué, bien fouetté du cul et joué en walking bass - In the springtime cats have sex - Retour au typical Monochrome avec «Buffalo Shame», même esprit qu’«He’s Frank», même culte de la décadence. Pour décorer la pochette intérieure, Pat Fish a monté un ensemble de petites photos, on y reconnaît Charlie Parker, Syd Barrett, Oscar Wilde, Lloyd Price, George Orwell et Fassbinder. Ça en dit long. Il boucle cet album passionné avec «Angels», une merveille digne des Spacemen 3, jouée avec une profondeur de champ extraordinaire, gorgée de relents de Velvet et enrichie de cuivres et de guitares scintillantes, oui, elles scintillent littéralement au fond du son.   

             Avec Fishcotheque, le Butcher débarque sur Creation. Pat Fish raconte qu’il faisait une tournée européenne en 1987, et un soir, après un concert à Paris, il entre dans sa loge et tombe sur Alan McGee. Pat lui demande ce qu’il fout là et McGee dit qu’il vient le signer sur Creation.  Ça tombe à pic, car son contrat avec Glass vient d’expirer. Comme Max Eider a quitté le Butcher, c’est le guitar tech Kizzy O’Callaghan qui le remplace.

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             Pat Fish et Kizzy se retrouvent en photo sur la pochette de Fishcotheque, un vrai fish and chip shop. C’est McGee qui choisit la photo et le titre de l’album. Pat Fish raconte qu’aujourd’hui cette photo connue dans le monde entier figure sur les menus du shop. L’album est gorgé de grooves modernistes («Out Of Touch», «Living In A Village») et de basslines traversières («Next Move Sideways»). C’est un haut niveau qui requiert toute notre attention. Quelques belles énormités aussi, notamment avec «Looking For Lot 49», fantastique dégelée, ils jouent leur big va-tout au vatootoo des montagnes de Tahiti. Ils frisent le Punk’s not dead et deviennent les masters of the universe, comme l’ont été Hawkwind avant eux - You make me want to carry on - Avec «Susie», ils se prennent pour Lou Reed et ils ont raison, ils font un glamour de kids affamés de great songs. Sonic Boom nous dit Pat y ajoute des layers of beautiful tremolo feedback. Ils jouent «Chickentown» à la régalade vénusienne et terminent sur une authentique Beautiful Song, «Keeping The Curtains Closed». Pat Fish illumine la power-pop anglaise. Fantastique artiste.

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             C’est Pascal Legras qui peint la pochette de Big Planet Scary Planet. Legras est un chouchou de Mark E. Smith, il a fait pas mal de pochettes pour The Fall. Pat Fish le trouve gentil et sincère, mais... He can however also be a proper handful - L’album s’ouvre sur l’effarant «New Invention», un mid-tempo gorgé de jus et d’arpèges de réverb. Pat Fish se prend pour l’Eve of Destruction et développe un power inimaginable, une fabuleuse moisson d’accords psychédéliques. C’est du heavy groove de London boys nourris aux bons disques, ravagé par le napalm d’un killer solo. Leur «Line Of Death» va vite en besogne, embarqué par une extraordinaire bassline de balloche, ils cavalent comme des hussards sur le toit au tagada de la rue des Rosiers. Avec «Hysteria», ils se rapprochent de Nikki Sudden. Sur cet album, ils jouent tout à la folie. Tout est fracassé d’accords. Bon ça va, les surdoués ! Avec «Burglar Of Love», ils entrent au cimetière. Pas loin du Gun Club. Inespéré. La basse vole le show. Retour à la power pop avec «Bad Dream Lover», cut joyeux qui court dans la vallée comme un torrent de montagne. Ils sont rompus à toutes les disciplines. Ils terminent avec un fantastique hommage au Velvet, «The Good Ones». Ils sont en plein dedans, c’est un «Pale Blue Eyes» à la Pat Fish, il attaque la mélodie avec un courage incommensurable, il en a largement les moyens. Pat dit qu’il a écrit «The Good Ones» pour son pote Stuart Kay, mort à 28 ans - I’ve heard people saying ‘oh it’s Pale Blue Eyes’. Of course it is: that’s the point.

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             Comme Kizzy est à l’hôpital pour une tumeur au cerveau, il est remplacé par Richard Formby. Encore pas mal de merveilles sur ce Cult Of The Basement qui date de 1990, tiens par exemple ce pur jus de London Underground qu’est «Pineapple Tuesday». Pat Fish y chante avec des accents de Lou Reed et le son de la guitare se révèle faramineux de véracité psychédélique. Bouquets de notes immaculées, elles descendent dans le lagon du groove, c’est digne des Mary Chain. Il faut aussi écouter «The Basement» et sa fantastique ambiance bellevilloise, avec sa guitare de fête foraine et son accordéon, le morceau préféré des poissons rouges, nous dit l’excellent Pat Fish. D’ailleurs ils décident qu’avec Cult Of The Basement, ils vont faire one of these records,  et Pat Fish cite Oar, les deux Barrett solo, Sister Lovers et le troisième album du Velvet. Ils ont aussi le pouvoir extraordinaire de savoir jouer le country rock, comme le montre «My Zeppelin» : il se rend à Mexico en Zeppelin. Plus loin, ils éclatent «Mr Odd» aux guitares extraordinaires. Chez le Butcher, ce sont les guitares qui font le show et qui overblastent. Ils recréent l’ambiance de fête foraine pour un «Girl Go» qui bascule dans un final frénétique de big heavy guitars. Ils terminent avec «Sister Death», un heavy balladif qui se situe dans l’esprit de Sister Morphine - Sister death/ Get me out of here - Il demande à Sister Death de l’emmener et ça explose aux guitares de get me out of here, ça rue dans les spreads de fuckin’ hot psycho-blast. Personne ne bat le Butcher à la course. Pat indique que Cult Of The Basement est son album préféré avec Sex And Travel. Il croit avoir capturé the true sound of the band.   

              Entre deux eaux, Pat Fish recommande quelques albums : Oh Mercy de Dylan, My Beloved Revolution Sweetheart de Camper Van Beethoven et surtout l’Up de the Perfect Disaster, qui selon lui avoisine one of those records évoqués plus haut. Puis Kizzy débarque un jour dans le studio pour jouer un peu, mais il est tellement médicamenté qu’il se vautre. Il retourne donc a Londres. Pour lui c’est terminé. Pat Fish raconte que Kizzy avait une petite bougie en forme de crâne dont il se servait pour entrer en contact avec l’esprit de Django Reinhardt. Pat la conserve comme un talisman.

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             Au retour d’une tournée, Pat Fish se retrouve seul. Il lance le projet d’un nouvel album avec Alex Lee (guitar), Joe Allen (bass) et Paul Mulreany (beurre). Les sessions d’enregistrement de Condition Blue sont décrites comme celles de four desperate men in a room.     

             Au risque de radoter, on peut bien dire que Condition Blue grouille de petites merveilles, et ce dès «Girls Say Yes», un balladif d’une élégance extravagante. Dira-t-on la même chose de «Still And All» ? Oui, car voilà un groove d’after Jazz qui flotte au gré du temps. C’est pur et magnifique à la fois, monté sur un thème de revienzy et hanté par une trompette. Attention à «Monkey Face» : c’est une invitation à danser au bar de Coconut Beach, autrement dit, une invitation qu’on ne peut refuser. Avec «Harlan», Pat Fish campe dans le what the hell des big balladifs. On note la parfaite intensité de sa présence. Et comme il l’a déjà fait, il finit en plein Velvet avec «Racheland». C’est même une pure mary-chiennerie, même sens de l’instinct pop suprême, même sens du lard fumant, il vise le même horizon que Lou Reed et les frères Reid. Il va chercher le climaxing extrême et ça bascule dans la folie, c’est stupéfiant, en plein dans l’œuf du serpent.          

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             Au lieu d’appeler l’album paru en 1993 Waiting For The Love Bus, le Butcher aurait pu l’appeler Waiting For The Man, car on y trouve pas moins de trois cuts dignes du Velvet, à commencer par l’effarant «President Chang», bien contrebalancé par un bassmatic digne de celui de John Cale, un bassmatic en déplacement dans un son monolithique, trois notes qui dégringolent comme celles de Will Carruthers dans Spacemen 3, cette fois ils recréent la magie du white light/white heat, c’est terrifiant de véracité, il n’existe pas de meilleure recréation de la magie du Velvet que celle-ci - President Chang at the highschool hop - Pat fait son Lou. «Rosemary Davis World Of Sound» est aussi très Velvet dans l’esprit, gratté aux accords de la ramasse urbaine, avec toutes les dissonances qu’on peut bien imaginer. Ils amènent «Killed Out» au riff cinglant, comme un cut de Moby Grape mais ça vire vite Velvet, et ça bascule dans un final puissant en mode hypno de white heat - I want to be an American artist - Encore du Big Butcher avec «Bakersfield». Fantastique swagger ! Cette fois le guitar slinger s’appelle Peter Crouch. Pat Fish taille bien sa route avec «Kids In The Mail» et «Sweetwater». Il fait ce qu’il sait faire de mieux, de l’élan pop, il est dans la vie comme le montre encore «Ghosts». Il fait encore son Lou avec «Ben» puis rend hommage aux pingouins avec «Penguins». C’est un peu une révélation, surtout pour l’amateur de pingouins.  

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             Western Family est un album live enregistré lors d’une tournée au Canada et aux États-Unis. En 1999, le groupe se compose de Peter Crouch (Strato), Dooj (bass), Nick Burson (beurre) et Pat Fish. Il est précisé dans les liners que l’équipe est réduite au minimum et que le Butcher survit miraculeusement. On retrouve tous les vieux coucous : «Sister Death» (très Velvet et sacrément bien joué), «Still & All» (Heavy pop d’écho supérieur jouée aux accords atonaux), «Pineapple Tuesday» (fantastique musicalité) et l’incroyable dévolu de «Girl Go», d’esprit velvetien. Avec «Shirley Maclaine», ils sonnent comme le Wedding Present, ce qui vaut pour compliment. Ils jouent à la folie Méricout et on peut dire que Crouch est un crack. Puis tout explose avec «Racheland», en plein cœur du mythe Velvet - Inside the hardest time - Ils rendent ensuite un hommage superbe à Fred Neil avec une cover d’«Everybody’s Talking», une autre mythologie urbaine, celle de Ratso, avec du son. Ce démon de Pat Fish n’a décidément pas froid aux yeux. Il sait recréer la magie. Ils terminent avec «Over The Rainbow» et là Pat Fish vise le summum. Enfin il essaye.    

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             Dernier album sur Creation : Illuminate, paru en 1995. On y retrouve deux hommages au Velvet, «Cute Submarines» et «Lulu’s Nightmare». Ils réinventent une fois de plus le fameux gratté de poux du Velvet, cet incroyable dépouillé d’accords inventé en 1966 par Lou Reed. Comme Lou, le Butcher s’enferme dans une frénésie underground, ça grouille de génie sous la surface. Lulu est aussi un gros clin d’œil à Lou, avec ces retours de guitare qui font illusion. Avec «Scarlett», Pat Fish montre une fois encore qu’il est capable d’amener des balladifs incroyablement inspirés. C’est à la fois une merveille et une récompense pour les ceusses qui seront allés jusqu’au bout de l’album. S’ensuit d’ailleurs une deuxième récompense : «Cops & Hospitals», véritable coup de génie, illustration de la démesure du Fish, avec on s’en doute un solo de démence pure, suivi d’une véritable descente en enfer, et un swagger digne de Ron Asheton. Pat Fish te pulvérise la Britpop en mille morceaux, ses albums n’ont l’air de rien, comme ça, avec ces pochettes ratées, mais ils te marquent la mémoire au fer rouge. De la même façon que le loup attend l’agneau au coin du bois, Pat Fish attend l’amateur au coin du cut. Avec du génie plein les poches. T’en veux ? Tiens, sers-toi.   

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             Après la disparition de Creation, le Butcher erre dans la nature. Commence alors la valse des parutions improbables, comme ce Glorious & Idiotic, un album live enregistré à Hambourg en 1998 et paru sur le mythique label ROIR en l’an 2000. Max Eider fait partie de l’aventure. Ils démarrent leur set avec le vieux «Partytime» qui sonne comme un hit, groovy et admirable. Max Eider y shoote vieux jazz. Quel guitariste ! Ils font du Velvet avec «Baby It’s You», véritable osmose de la mimétose, Pat Fish s’y croit et il a raison, quelle classe, avec l’accordéon et les accords de «Sweet Jane». Max Eider donne une leçon de swing avec «Who Loves You Now», il jazze le Butcher pendant que Pat Fish bassmatique, il court comme le furet sur l’horizon. C’est joué dans l’absolu déterminant. Ce fantastique ambianceur qu’est Max Eider amène «DRINK» sur un plateau de Gretsch puis le Butcher chauffe «Rain» à coups d’harmo, aw Gawd comme ces mecs sont bons, vous n’avez pas idée. Ils amènent «Old Shakey» au petit groove underground, ce sont des bienfaiteurs de l’humanité. Plus loin, Max Eider plante le décor d’un «Long Night Starts» qui sonne comme «Pale Blue Eyes». Pale Blue Fish chante avec la voix de Nico, au temps du Velvet. Ils ramènent ensuite leur vieux «Bigfoot Motel» au Cubist Blues, au heavy boogie on the run, c’est excellent, du pur jive de Butcher, ils groovent leur lard avec une science inégalable, ils vont droit sous le boisseau et pour couronner le tout, ils terminent avec leur vieille cover de «Roadrunner», pas chantée pareil, juste un clin d’œil. C’est l’intention qui compte. Ils nous grattent ça au fast radio on. Pat Fish connaît toutes les ficelles.             

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             Bizarrement, le Butcher n’a pas de label pour sortir Last Of The Gentleman Adventurers. Encore un big album, un de plus. Max Eider est là et on l’entend sur «Animals». Précieux Max et sa guitare prévalente, il jazze le Jazz Butcher. Avec «Shame About You», ils passent à une fast pop digne des Boos. Même sens de l’ampleur et de la cavalcade. Puis ils passent directement au coup de génie avec le morceau titre. Max Eider crée l’ambiance et Pat Fish chante comme Kevin Ayers, alors welcome in magic land : le groove + la voix + le jazz, ça donne comme on sait de l’imparable, du pur sonic genius. Pat Fish chante «Tombé Dans Les Pommes» en français - C’est pas grave/ C’est pas grave - Max le jazze - Cette histoire d’éléphant/ Ça ne vient pas d’Yves Montand - Il jazze encore le groove du paradis pour «Count Me Out», puis il éclaire de l’intérieur la pop d’«All The Saints». C’est beaucoup plus aérien qu’Echo & The Bunnymen, la tension est tellement supérieure. Ils restent dans l’excellence de la prestance avec cette Beautiful Song qu’est «Mercy», le Butcher y illustre musicalement la douceur du temps. Et puis voilà le retour de «Shakey» et de l’immense lassitude, un brin knock knock knock on heaven’s door. 

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             Premier album posthume : Highest In The Land. Habituellement, on évite d’aller engraisser les charognards, mais comme on aime bien Pat Fish, on surmonte cette petite aversion. Première récompense : «Sea Madness», une pop d’extrême onction. Aw comme ce mec est pur. Alors que le bateau coule, il chante, le Fish. Il chante divinement. Retour au jazz de Max avec «Melanie Hargreaves’ Father’s Jaguar». Comme le temps est compté, voici «Time» monté sur un heavy groove de dub - Just a little bit of time - Pat Fish tente encore de déclencher une émeute des sens avec «Never Give Up», il a un don pour l’émerveillement. On trouve plus loin de la belle pop avec le morceau titre et encore plus loin une pop d’élan mordoré avec «Sebastian’s Medication», mais c’est avec «Goodnight Sweetheart» qu’il va te sidérer pour la dernière fois : belle fin de parcours, Pat Fish fait ses adieux avec un cut emblématique.

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             Dans le petit booklet qui accompagne la compile Dr Cholmondley Repents: A-Sides, B-Sides & Seasides, Pat Fish délire bien. Il rappelle aussi qu’il écoutait Stan Getz, Astrud Gilberto, the Clash, Pistols et Viv Stanshall. Il indique ensuite que «The Jazz Butcher Meets Count Dracula» et «Southern Mark Smith» étaient leurs premiers singles. Le boogaloo de Dracula tapait déjà bien dans le mille. Pour Alan McGee, le Butcher «is one of the most brillant incisive pop writers that Britain has produced since the glory days of Ray Davies ans Pete Townshend.» La compile propose quatre CDs et pas mal de bonnes surprises, comme par exemple cette reprise de «Roadrunner», montée sur l’un des meilleurs bassmatics de l’histoire du rock. Pat Fish y va de bon cœur. Il est d’autant plus courageux qu’il tape dans l’intapable. S’ensuit «Real Men», une pure merveille de pop excédée. On retrouve les vieux accords du Waiting For The Man dans «The Human Jungle». Ça sonne délicieusement transsexuel. Par contre avec «Angels» et son cristal de guitares, il fait son Nikki Nikki petit bikini. Encore une belle cover : «We Love You» : Pat Fish pique sa crise de Stonesy et c’est plein d’esprit. Le disk 2 n’est pas avare de petites merveilles, à commencer par «Drink» une chanson sur le drink, comme le dit si bien Pat Fish, et où Max Eider fait des miracles sur sa gratte. Ils font aussi de l’Americana de saloon avec «The Devil Is My Friend» et de l’exotica avec «South American». Pat Fish y loue les charmes de l’exotica, il est l’un des rares Londoners à pouvoir se permettre ce délire. Max Eider amène «Partytime» à la jazz guitar, il joue dans la matière du groove. Retour au Velvet avec «President Chang», on dira même que le drive de basse sort tout droit des Spacemen 3. C’est l’une des meilleurs dérives velvetiennes jamais imaginées. Encore du Velvet sur le disk 3 avec «Rebecca Wants Her Bike Back». Pat Fish cherche à réinventer le folie foutraque du Velvet. Il tape aussi une cover du très beau «May I» de Kevin Ayers, mais il n’a pas la voix. Encore un coup de Jarnac avec «Almost Brooklyn» et sa fantastique intro d’arpèges du diable. Cette fabuleuse mélasse d’accords et de mélodie monte droit au cerveau. Il est important de savoir que Pat Fish a enregistré «Rebecca Wants Her Bike Back», «May I» et «Almost Brooklyn» tout seul avec une boîte à rythme. «By Old Wind» permet de constater une fois encore que ce mec navigue dans le génie. Max Eider joue là-dessus, il ramène la fabuleuse douceur de son toucher de note, un toucher à la Peter Green. Les courants musicaux qui traversent le cut sont uniques en Angleterre. Ils amènent ensuite «City Of Night» au jazz manouche du canal Saint-Martin. C’est le son du Paris des vieux rêves, Pat Fish traîne dans le Paris de nos vieilles défonces. Le disk 4 propose un live enregistré à Santa Monica en 1989. Laurence O’Keefe est le guitariste. Ils démarrent avec le vieux «New Invention» tiré de Big Planet Scary Planet. C’est l’un des hit du Butcher, Pat le chante au flesh de Fish. Ce mec a le power et les belles guitares. Pour trois minutes, il est le roi du monde. Ils nous tapent aussi «Angels», histoire de saluer Nikki. Mais on ressent un certain malaise à l’écoute de cette radio session californienne, comme si les Anglais étaient trop élégants pour la Californie. Ils jouent une pop anglaise éclairée de l’intérieur par des arpèges, chose que ne savent pas faire les Américains. Ils renouent avec le Velvet dans «Girl Go» et avec «Caroline Wheeler’s Birthday Present», Pat Fish décide d’exterminer le rock, il est le Butcher fatal, ça dégomme, mothhhha !, il fait le punk de la criée aux poissons, aw, oh lala/ Oh lala, il embarque ça en enfer, il fait son Sex Pistol au check it up et ils terminent avec l’excellent «Looking For Lot 49» tiré de Fishcotheque, une belle envolée belle, Pat y nage comme un poisson dans l’eau, il fait du heavy punk de manouches, c’est le big heavy sound de gens qui savent jouer au meilleur niveau. God save the Fish !

             Of course, this one is for Philippe.

    Signé : Cazengler, Pat Fesse

    Pat Fish. Disparu le 5 octobre 2021

    Jazz Butcher. In Bath Of Bacon. Glass Records 1983  

    Jazz Butcher. Hamburg. Rebel Rec. 1983

    Jazz Butcher. A Scandal In Bohemia. Glass Records 1984 

    Jazz Butcher. Sex And Travel. Glass Records 1985              

    Jazz Butcher. Distressed Gentlefolk. Glass Records 1986 

    Jazz Butcher. Fishcotheque. Creation Records 1988

    Jazz Butcher. Big Planet Scary Planet. Creation Records 1989       

    Jazz Butcher. Cult Of The Basement. Creation Records 1990         

    Jazz Butcher. Condition Blue. Creation Records 1991                    

    Jazz Butcher. Waiting For The Love Bus. Creation Records 1993  

    Jazz Butcher. Western Family. Creation Records 1993    

    Jazz Butcher. Illuminate. Creation Records 1995  

    Jazz Butcher. Glorious & Idiotic. ROIR 2000            

    Jazz Butcher. Last Of The Gentleman Adventurers. Not On Label 2012

    Jazz Butcher. Highest In The Land. Tapete Records 2022

    Jazz Butcher. Dr Cholmondley Repents: A-Sides, B-Sides & Seasides. Fire Records 2021

     

    L’avenir du rock

     - Bridges over troubled waters

     

             L’avenir du rock croise parfois son voisin de palier, un homme court sur pattes, pas toujours aimable. Même un peu bougon. Par la concierge, l’avenir du rock sait que son voisin monsieur Léon travaille comme surveillant dans une maison de correction, ce qui explique en partie la fadeur de sa personne. Cet homme semble aussi compenser un violent sentiment d’infériorité par un développement hypertrophique de sa fierté, une fierté que doit bien sûr exacerber le port de l’uniforme. Grâce à la concierge, l’avenir du rock sait aussi que monsieur Léon ne supporte pas d’entendre prononcer son nom qui, selon lui, participe à sa disgrâce. L’avenir du rock qui est d’une nature inventive pense pouvoir dérider ce voisin acariâtre à l’aide de l’une de ces petites boutades inoffensives dont il a le secret. Un dimanche matin, l’occasion se présente. Il rentre du marché et croise monsieur Léon qui descend l’escalier :

             — Alors ça Blum, Léon ? 

             Le silence tombe comme une chape sur les deux hommes. Monsieur Léon ne dit rien. Muet comme une carpe. Une vraie statue de sel. L’avenir de rock fait mentalement une croix sur le sourire qu’il escomptait. Il comprend aussi que l’homme qui déridera monsieur Léon n’est pas encore né. Puis il pose son panier, s’attendant à recevoir une tarte et à devoir répondre, mais Monsieur Léon brise le silence en lâchant d’une voix sourde :

             — Pauvre con !

             Puis il reprend sa descente des marches et disparaît par la porte de l’immeuble. Alors l’avenir du rock se précipite jusqu’à la lucarne qui donne sur la cour et lance :

             — Reviens Léon, j’ai les mêmes à la maison !

     

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             Leon Bridges et monsieur Léon n’ont heureusement en commun que le Léon. Leon Bridges est un grand blackos texan dont on parle pas mal actuellement, notamment dans Uncut.    Et ce n’est pas un entrefilet, Uncut déroule à Leon le tapis rouge réservé aux grands de ce monde, c’est-à-dire six pages richement illustrées. Stephen Deusner n’y va pas de main morte, il affirme que Leon mélange le retro R&B avec le lo-fi garage grit. Leon nous dit Deusner est basé à Fort Worth et veille à porter les plus belles fringues du voisinage. Leon dit qu’il se sent bien à Fort Worth, une ville qui a sa propre identité, alors que Dallas dit-il veut trop ressembler à Los Angeles ou New York. Leon rappelle aussi que de sacrés cocos ont grandi dans son quartier : Ornette Coleman, King Curtis et Cornell Dupree. Puis vient le chapitre des racines : Otis et Sam Cooke. Leon évoque aussi Al Green, Bobby Womack, mais à Fort Worth, il avoue aussi monter sur scène pour chanter avec les Quaker City Night Hawks, un groupe de country rock, un style qui reste dominant dans cette région du Texas. Leon devient aussi pote avec Austin Jenkins, le guitariste de White Denim. Quel mélange. Pas étonnant qu’il y perde sa Soul. 

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             Malheureusement, les albums ne se montrent pas à la hauteur du buzz, du moins pas autant qu’on l’aimerait. Coming Home qui date de 2015 reste pour l’instant son meilleur album. Le morceau titre en ouverture de bal est un pur shoot de black power, un r’n’b de haut rang hanté par un thème chanté aux chœurs de ouh-ouh-ouh. Leon se balade en devanture avec l’aplomb d’un vieux renard de la Soul. C’est un enchantement, une merveille d’équilibre et d’I need you baby. L’autre point fort de l’album s’appelle «Shine», un froti-frotah en forme de clameur chargée de sax. On sent bien la présence d’un Soul Brother en Leon, il chante chaque cut avec gourmandise, mais il dérape parfois dans les virages et s’égare dans des zones plus putassières à la Tom Waits («Brown Skin Girl»). Il rend hommage aux Flamingos avec les pah pah pah de «Lisa Sawyer», mais avec «Flowers», il sonne comme un blanc. Dommage qu’il se disperse. «Twistin’ And Groovin’» peine à convaincre, on dirait un cut destiné aux gens qui ne savent rien et il perd un peu de cette crédibilité si âprement gagnée. Il termine avec un «River» où il finit de perdre tout ce qui lui restait de crédibilité. Il piétine l’art sacré du peuple noir et en même temps il reste extrêmement pur avec son chapeau et son dobro. Il faut essayer de lui faire confiance.  

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             Avec Good Thing, il descend encore d’un cran dans le déceptif, malgré la présence d’un fabuleux «Bad Bad News», emmené au beat de jazz pur, solide et beau comme a hell of fuck, dancing boot de butt, et soudain déboulent les solos de jazz, modernity à tous les étages, la Soul revit ! Le guitariste s’appelle Nate Mercereau, un monstrueux blaster d’inside out ! Mais ce sera le seul gros cut de l’album. Leon fait de la Philly Soul avec «Bet Ain’t Worth The Hand» à la voix d’ange du Texas, il se positionne dans l’or blanc du temps de la Soul. On retrouve Nate Mercereau sur «Beyond». Leon chante ça à la petite ramasse de la Texasse, on se croirait sur Exile On Main Street, avec les échos de la cuisine et les chœurs à la va-vite. Mais ça dégénère aussitôt après avec «Forgive You», une pop à la U2 : brutale déperdition de qualité, Leon perd l’edge de «Bad Bad News». Reviens Leon ! Puis il perd complètement le fil des spaghettis avec «Lions», il n’a plus la moelle, il fait de la mormoille avec des machines. Il tente de sauver la fin d’album avec «You Don’t Know», mais les synthés ruinent tous ses efforts. C’est même incroyable de le voir détruire son début de réputation. Sharon Jones n’aurait jamais osé insulter ses fans avec un son aussi pourri. Difficile de jouer au petit jeu du renouveau de la Soul. Curtis Harding est bien plus dégourdi que Leon. S’il prend les gens pour des cons, ça ne sera pas facile de le suivre. Il termine avec «Georgia To Texas», il semble avoir des remords, il tente une symbiose de la Soul moderne mais ne pond qu’une petite soupe aux vermicelles.  

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             Dans Uncut, Leon explique qu’il est allé enregistrer son troisième album Gold-Diggers Sound à Los Angeles et qu’il envisageait d’expérimenter des sons - This new album is a reflection of the nighlife hang in LA - Il dit avoir essayé de restituer la vibe des nuits chaudes de LA.

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             Disons-le franchement : Gold-Diggers Sound est un album catastrophique. Pourquoi ? Parce que vendu pour de la Soul alors que c’est de l’electro. Dès «Born Again», on sait que ça ne sera pas tenable. Il tente encore sa chance avec «Motorbike», mais ça ne passe pas. Aucun espoir.  Il part en heavy steam avec «Steam», mais on est loin de la Soul qu’annoncent les canards. Merveilleuse arnaque ! Pour le morceau titre, il détourne la fanfare de la Nouvelle Orleans pour en faire une espèce de diskö imbuvable, ce qu’on appelle le diskö fuck you. Il tente encore de conquérir un empire avec «Details», mais sa vue est basse, il est plutôt le nouveau barbare de la Soul. Sa Soul étrangle la Soul. Arrrgghhhh !

    Signé : Cazengler, Léon brise-noix

    Leon Bridges. Coming Home. Columbia 2015  

    Leon Bridges. Good Thing. Columbia 2018        

    Leon Bridges. Gold-Diggers Sound. Columbia 2021

    Stephen Deusner : Lone star state of mind. Uncut # 292 - September 2021

     

                                           Inside the goldmine

    - Quelle Earl est-il Brutus ?

     

             Brutus jeta un coup d’œil à sa montre et répondit d’une voix lasse :

             — Midnight to six, man...

             En retombant sur l’acier de l’accoudoir, son lourd bracelet d’or serti de pierres tinta bruyamment, faisant sursauter les gardes pourtant entraînés à ne pas broncher. César se leva :

             — Je dois hélas te quitter, Brutus. Escartefigue, Brun et Panisse m’attendent pour une partie de manille.

             Brutus ne répondit même pas. Ses yeux chargés d’ennui s’étaient révulsés. Deux globes d’une blancheur de lait toisaient le néant, tels ceux d’un buste d’albâtre. Une esclave blonde approcha à petit pas, s’agenouilla, écarta les pans de la toge et entreprit de suçoter un pénis qui ne réagissait pas. D’un violent coup de talon, Brutus l’envoya rouler sur les dalles de marbre. Elle se releva et disparût aussi vite qu’elle le put derrière l’immense rideau de pourpre qui barrait le fond de la salle.

             — Quel bâtard !, siffla-t-elle entre ses dents pourries.

             L’esclave était furieuse.

             — Cet abruti m’a pété les côtes. Aïe, putain, ça fait mal...

             Elle claudiqua jusqu’à l’entrée de service, sortit dans la rue et héla un tacot.

             — Au secours !

             Le taxi freina brutalement. Elle monta derrière et se mit à sangloter. Le chauffeur ne disait rien, il l’observait dans son rétroviseur. Entre deux filets de morve, elle murmura :

             — Z’ai pas d’sous... Pouvez m’emmener à l’hosto ? Aïe aïe aïe, j’ai trop mal...

             — Qui vous a fait ça ?

             — Ce bâtard de Brutus !

             — Brutus ?

             — Ouais, ce sale bâtard !

             Le chauffeur ouvrit sa veste de treillis. Il en sortit un magnum 44 et un colt 45.

             — Attendez-moi ici dans le taxi. Je reviens dans cinq minutes.

             Travis Bickle entra par la porte de service, descendit les gardes qui tentaient de tirer leur glaive du fourreau et alla coller une balle de Magnum dans la tête de Brutus. Arrachée, la tête roula en prononçant cette phrase terrible : «Vertu tu n’es qu’un mot !»

     

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             Earl Brutus fit irruption dans notre vie aussi brutalement que le fait Travis Bickle chez Sport, bam bam, deux albums, Your Majesty Here We Are, en 1996 et Tonight You Are The Special One deux ans plus tard. Personne ou presque ne s’est penché sur le génie de ce groupe improbable formé en 1993 par John Fry, Nick Sanderson, Bob Marche et Stuart Boneman. Oh ces mecs-là n’étaient pas nés de la dernière pluie puisque Fry chantait dans l’early World Of Twist, Bob Marche venait de Subway Sect, mais le plus connu des quatre était bien sûr Nick Sanderson qui avait fait ses classes dans Clock DVA et le Gun Club. Il allait ensuite rejoindre les Mary Chain. Ils ont apparemment démarré avec un cut, «Life’s Too Long», un stomping glam terrace chant qu’on retrouve sur Your Majesty Here We Are : très clean, très Suicide dans l’accroche. Et chaque fois qu’Earl Brutus montait sur scène, ça se passait très mal, car ils n’avaient à leurs débuts que deux choses à proposer : une bande enregistrée de dix minutes suivie d’un «Life’s Too Long» lui aussi de dix minutes, alors bien sûr le public cassait tout - Have you ever seen pictures of Jamaica after a hurricane ? That’s what the stage used to look like -  Le DJ Steve Lamacq les prit sous son aile et tenta de les lancer. Il organisa un showcase gig au Monarch. Mais ça tombait le jour de l’anniversaire de Nick et les Brutus «passèrent l’après-midi à siffler des pina coladas, feeling like the most important group in the world». Et forcément, le soir, Fry qui avait trop bu tomba de la scène. Furieux, Lamacq décréta qu’il s’agissait du pire concert de rock qu’il ait vu, alors que le NME les voyait comme l’avenir du rock’n’roll.

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             Your Majesty Here We Are parut donc sur Deceptive, le label de Lamacq. On y est tout de suite accueilli par un stomp princier, «Navyhead». On prend la résonance du son en pleine poire - Never want to see you again - Ces mecs ont tout simplement le génie du son. Ils vont ensuite sur une techno-pop assez solide, très intériorisée, ils adorent les spoutniks. Ils cherchent l’ailleurs, comme le feront après eux Fat White Family. Ils assurent comme des brutes avec ce «The Black Speedway» assis sur un power bien charpenté. Ils ramènent le riff de «You Really Got Me» dans «Shrunken Head». C’est bien foutu et même inspiré par les trous de nez.   

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             C’est après la sortie de l’album que Lamacq les lâche. Trop de mayhem à son goût. Le set du Monarch lui reste coincé en travers de la gorge. Island se montre alors intéressé et fait paraître leur deuxième album, Tonight You Are The Special One. Pochette étrange, deux voitures se suicident au gaz d’échappement. Il n’empêche que la presse salue l’album : Avé Brutus ! Il y a deux grands chanteurs dans Brutus, John Fry et Nick Sanderson. Plus décidé que jamais à en découdre, Sanderson et son Farahs-and-Slazenger-jumper nouveau-hooligan look décrète que le public a besoin d’eux car qu’ils sont the ultimate exciting-scary pop band. Eh oui, ils ont le son, en plus du mayhem. Le son est là dès «The SAS And The Glam That Goes With It» qui sonne comme l’anthem de tes rêves inavouables. Oui, Brutus sonne vraiment comme une bénédiction. S’ensuit une nouvelle tentative de putsch avec «Universal Plan» - Such a beautiful world - Ils sont pleins d’espoir, ils dispensent l’omniscience du beat, ils jouent à la dure, au clou bien enfoncé. Avec «Come Taste My Mind», ils tapent dans le power supérieur, ils descendent des accords d’escaliers à la early Rundgren, aw c’mon c’mon show me a mountain, c’est très battu, solidement étayé. Ils font du relentless, mais pour de vrai. Ils ne font pas semblant, ils ne sont pas du genre à la ramener pour des prunes. Le «99p» qu’on trouve en B plaira beaucoup aux amateurs de guitares bien tranchées. Tout est très balèze, ici, cut after cut. Ils font de la pop pompeuse de Pompéi avec «East», mais ce n’est pas grave Brutus, on s’en fout, ils injectent tellement de vie dans l’electro d’«Edelweiss», certainement la fleur la plus killer du bouquet, avec son thème mélodique. Ils bouclent leur vaillant bouclard avec «Male Wife», the glam rock that’s not computers, et bien sûr les Spoutniks arrivent.

             Comme Lamacq, Island finit par les lâcher. L’incroyable de cette histoire est que Sanderson continua d’y croire jusqu’au bout, même s’il dut reprendre un job de conducteur de train. Lorsqu’un cancer l’emporte en 2008, un tribute concert baptisé Train Driver in Eyeliner est organisé à Londres en octobre 2008 avec à l’affiche British Sea Power, Black Box Recorder et les Mary Chain, ce qui n’est pas rien. Les Mary Chain reprennent d’ailleurs «Come Taste My Mind».

    Signé : Cazengler, Earl Bitus

    Earl Brutus. Your Majesty Here We Are. Deceptive 1996

    Earl Brutus. Tonight You Are The Special One. Island Records 1998

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    Matt Barker : Under the radar. Record Collector # 519 - June 2021

     

    BOURBIER / BOURBIER

    ( Poutrasseau Records / Bus Stop Press / Décembre 2021 )

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    Continuons notre petit panorama des french sludgers. Quelle idée bizarre de s’appeler Bourbier lorsque l’on vient de la Côte d’Azur. Comme quoi tout est dans la tête, tout dépend de notre vision du monde. Celle que nous offre la pochette n’est guère joyeuse. Apparemment une photographie de la guerre de 14, des arbres dont il ne reste plus que les troncs, pointés vers le ciel comme des doigts accusateurs, dessous une files soldats franchit sur des claies branlantes ce qui doit être une excavation causée par un obus remplie d’eau… Serait-ce une préfiguration de notre avenir !

    Micka : vocal / Clem : guitars, vocals / Antoine : drums, vocals. / Pedro ancien chanteur du groupe est venu ajouter sa voix sur les pistes 1, 4, 6 et Aytem sur la 2. En février le groupe s’est enrichi d’un quatrième membre. En ce mois de mars il effectue une tournée aux quatre coins de l’hexagone.

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     Garden of eden : on s’y attendait, malgré le titre paradisiaque pas vraiment une idylle pastorale, débute par une charge battériale de longue haleine rehaussée d’un fort brouillamini de guitares, et là-dessus vient se planter la voix de Micka comme la couronne d’épine sur la tête du crucifié, sont décidés à ne pas faire de quartier, le combo déferle emmené par les flammes que crachent ce gosier de feu, Antoine parvient tout de même dans cet élan monstrueux à obtenir par deux fois deux secondes de silence pour qu’on l’entende lui tout seul enfoncer à chaque fois deux clous dans le cercueils qu’il est en train de refermer. Avec cette surprise qu’au quatrième top c’est le morceau qui stoppe brutalement sans préavis, nous qui croyions encore poursuivre cet infernal assaut. Deux minutes douze secondes, ils exagèrent ! Machinery :  étrange début, des notes isolées, espacées, l’on se croirait (presque) dans une symphonie, Micka surgit et sludgit pour nous gâcher notre plaisir à nous raccrocher aux petites herbes du jardin de l’éden, Antoine que l’on faisait semblant de ne pas entendre survient, l’a troqué ses fûts de peau pour un bulldozer qui s’acharne à arraser tout ce qui ose dépasser. La grosse machine ne fait pas de quartier, quand un obstacle lui résiste, on suit la manœuvre à l’oreille sans la voir, il recule et puis il avance an tassant à coups redoublés le malheureux repli se terrain qui s’écrase sous les chenilles sans pitié. De la belle ouvrage, L’affaire est entendue (très fort) en moins de quatre minutes. Deserters : Derrière Micka le rythme ronronne, pas comme un chaton, plutôt comme un tigre mangeur d’homme qui hâte le pas car son œil féroce vous a aperçu vous promenant innocemment entre deux arbres, n’empêche que Micka crache ses viscères par la bouche et comme il a un gosier en fil de fer barbelé, vous imaginez le salmigondis qui en résulte, Clem arrive à point, laisse tomber ses notes une à une, et l’on entend même une corde chuinter, ce qui humaniserait quelque peu le morceau s’il ne s’installait une ambiance délétère, Micka claque son vocal à la manière de ses ces squales qui coupent les jambes du baigneur, en plus il vous imite les hurlements du malheureux. Heureusement le morceau s’achève l’on ne sait pas trop comment, car déjà on regrette qu’il ne dure pas plus longtemps. Effigies : vitesse de croisière, la tempête se lève vite, tournoiement vocalique, autant les instruments suivent une ligne mélodique autant les voix donnent du volume à la chose informe qui poussée par le chancre du chant prend forme devant vos yeux, maintenant ils cavalent tous comme s’ils avaient le diable à leurs trousses, mais ce ne doit être que l’horreur de leurs cauchemars les plus abyssaux qui les poursuit. Quagmire : le titre le plus long, normal quagmire signifie en langue de Shakespeare bourbier. Il n’y a pas de hasard. Il suffit de se regarder dans un miroir d’eau trouble pour apercevoir sa nature profonde. Un autoportrait en quelque sorte. Donc une musique plus narcissique qui prend le temps de se regarder, de faire la belle, de crier sa haine de l’univers, un vocal accusatoire, une frappe plus lente, il est nécessaire que le monde comprenne l’importance de cette manifestation boueuse, et toujours cette syncope qui structure les morceaux, et qui est un peu la marque de fabrique de Bourbier, après le déchaînement initial cette inhalation de guitare creuse, comme perdue dans l’écho de sa propre résonnance, mais ici cette respiration dure et prend de l’ampleur, avant bien sûr que le cobra ne se redresse et vous crache ses boules de poison vocal en pleine figure trois jets de venin, l’on retourne dans la résonnance cordique qui s’amplifie et en même temps s’effiloche en tournant sur elle-même à l’instar de ces bâton de marche autour desquels s’agrège la boue des chemins que nous parcourons à l’intérieur de nous. Delusion : Micka clame les illusions perdues de la condition humaine, notes quasi funèbres, chuintement d’avions à réaction qui partent en vrille, redondance de souffrance, musique compressée, hérissement de batterie. Tout se dilue dans l’espace du néant.

    Pas tout à fait six morceaux. Le disque est à écouter comme une pièce musicale d’un seul tenant avec des motifs qui s’entrecroisent, disparaissent, reviennent et s’absentent… L’est construit tel un quatuor à cordes, chacun des membres entrant tour à tour dans la ronde tout en continuant à assurer la marche de la machine, mais prenant tout à coup une importance primordiale. Comme quoi le sludge mène à tout. A condition d’y rester. Très bel opus.

    Damie Chad.

     

    *

    Depuis Jim Morrison je ne peux lire le mot lizard sans approfondir la chose. Des lézards j’en ai vu de toutes les sortes, mais je n’ai jamais rencontré un squamate extraterrestre. Celui-là il triche un peu, ne vient pas de loin, de Pologne, toutefois je reconnais que le bruit qu’il émet est tout de même étrange…

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    Je l’avoue ce n’est pas la pochette de l’album chroniqué ci-dessous qui m’a retenu mais celle de leur opus précédent. Pas spécialement le graphisme, le titre – sur le moment j’ai cru que je parlais couramment le polonais, mais non, l’est tout bonnement rédigé en français : Veux-tu la vie. Deuxième surprise, dans la setlist un poème de Marceline Desbordes-Valmore ! Descendez dans la rue et demandez aux premiers cent passants que vous rencontrez qui est cette fameuse Marceline. Envoyez-moi un SMS pour me signaler les réponses positives. L’est vrai que l’étoile de Marceline Desbordes-Valmore ne brille plus trop au firmament poétique de notre pays. Elle publie Elégies et Romances en 1819, un an avant les Méditations Poétiques de Lamartine, elle sera une des muses (malheureuses) du romantisme, son plus grand titre de gloire restera d’avoir été nomenclaturée dans Les poëtes maudits entre Stéphane Mallarmé et Villiers de L’Isle-Adam, son talent fut mainte fois reconnu par les plus grands de Baudelaire à Yves Bonnefoy. Ces polonais ont des lettres. Leur dernier album le confirme.

    LUCID DREAM MACHINE

    ALIEN LIZARD

    (Février 2022)

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    Qui sont-ils ? Viennent de Gdansk. Sont-ils un, deux, plusieurs ? Le seul nom qui nous est offert est celui du graphiste de la pochette Stevenvsnothingness. Une appellation dérivée de sa philosophie existentielle résumée en une courte formule : From nothingness to somethingness and back again ( du rien à quelque chose et retour ), une formule un peu désespérée qui décrit l’itinéraire de l’être humain, surgi du néant pour plus tard y retourner, entre temps et ces deux extrémités le mieux à faire est de faire quelque chose plutôt que rien. Sur Instagram vous pouvez vous appesantir sur les dessins blancs et noirs du dénommé Stevensnothingness, voyez ces gros yeux ronds et boutonneux, dites-vous que l’un regarde du côté de l’absence métaphysique et l’autre du côté du dérisoire critique. Je vous laisse explorer l’étrange anamorphose de la pochette. Zieutez-la à différents moments de la journée. Vous n’y verrez pas la même chose. Bougerait-elle dès que vous avez le dos tourné ou reflèterait-elle votre état psychique du moment. Fonctionne-telle comme un thermomètre qui n’indiquerait pas votre fièvre mais traduirait les variations de votre appréhension du monde…

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    Terminal : commençons donc by the end. Instrumental. Un rythme baladeur à la charleston, à moitié assoupi imperturbable, dessus viennent se greffer des sonorités, c’est un peu bâti comme le Boléro de Ravel  en plus bordélique, des bruits divers qui se succèdent et refusent de se greffer les uns aux autres. Se terminent par de doux pépiements d’oiseaux. Nous supposons que notre lézard est un tantinet écologiste. Ensemble agréable mais qui nous laisse sur notre faim. Ou sur notre fin.  Lotus eaters : tout doux, tout lointain, une voix pratiquement inaudible, les courtes paroles ressemblent à s’y méprendre à deux haikus, sont-elles répétées à satiété, cela a-t-il seulement une importance, le rythme répétitif ne nous incite-t-il pas au repos, paisible et endormeur, peut-être est-ce pour cela que nous identifions la sonorité d’un sitar, ne serait-ce pas plutôt un rêve entre deux eaux tournant en rond dans notre cervelle tel un poisson dans son bocal. Des crissements désagréables nous tirent de notre sommeil, Ulysse viendrait-il tirer ses marins de la torpeur qui les a plongés dans un délicieux sommeil au pays des lotophages, à moins que ce ne soit le souvenir du poème d’Alfred Tennyson qui nous envoûte. Obserwacja obserwatora : observation de l’observateur, c’est un peu comme l’arroseur arrosé, toujours ce chuchotement, parmi des tapotements et des bruits familiers, une voix féminine récite des textes, au passage on reconnaît un extrait des Cygnes de Léon Dierx, c’est d’après un de ses poèmes que Rimbaud écrivit Le Bateau Ivre et de Rosalia de Castro poétesse romantique qui donna ses lettres de noblesse à la littérature de Galice. L’on imagine une scène d’intérieur ponctuée de tintements de verres, dans la chaleur pesante d’une après-midi de sieste ensoleillée.  Farniente. Qui regarde l’autre dormir ? Los naranjos : munissez-vous de la méthode Assimil espagnol, les paroles sont un poème d’Ignacio Manuel Altamiro, homme politique et écrivain mexicain du dix-neuvième siècle, le texte quoique plus disert n’est pas sans analogie avec le précédent, une intro tirebouchonnée, très vite le grouillamini sonore s’éteint et une guitare accompagne une voix féminine qui récite le texte altamirien, bel accent espagnol, la voix est en deuxième plan, après un passage musical elle passe au troisième supplantée par un rideau de tubulure, les trois mouvements correspondent aux trois moments du poème, la beauté de la nature, le faux combat entre la jeune vierge et son très bientôt amant, l’acceptation et le repos réparateur du coït, Altamiro n’emploie pas ce mot, il reste dans la bienséance du siècle 19 directement entée sur le modèle de l’idylle grecque antique, faut le dire ces orangers sont plantés en un terreau euphonique un peu maigre, le texte  quoique voilé surpasse la musique. Sympathie for the ludite : un titre trompeur, le texte clame son aversion anti-ludite, encore faut-il comprendre qu’il s’agit d’ironie, rythmique bien marquée et vocal susurrant, un chant de résistance et de non-acceptation à mettre en relation avec le terme machine du titre, notre lézard venu d’ailleurs fait semblant d’adorer les bienfaits de la technique qui ont pris en charge nos vies sans que beaucoup en aient pris conscience, à l’origine le ludisme fut ce mouvement ouvrier anglais qui brisa les métiers à tisser qui non seulement les asservissait à un travail réglementé par la machine mais les faisait travailler plus pour gagner moins. Toute ressemblance avec notre époque serait-elle due à un simple hasard. Beaucoup plus agréable à écouter que le morceau précédent mais une trame répétitive un peu simpliste, exprès peut-être pour exprimer l’inéluctabilité feutrée de l’oppression du travail et de la manipulation mentale. Rien de pire qu’un esclave qui se croit libre. Eyes eye the l’s in you : interlude musical, presque deux mots à l’oreille ‘’ ma chérie’’ une basse rythmique et des bruits de laminoirs qui coulent, chant d’oiseau, le son se volatilise, serait-ce l’oasis perdue dans le désert du désir. Fondu enchaîné entre trois yeux, deux qui regardent, un seul qui comprend l’incommunicabilité des êtres. The bird : le même morceau que le précédent mais la musique a pris son envol, exploration du regard de l’oiseau ou de l’oiselle, atmosphère beaucoup plus mystérieuse, pourtant ce qui est exprimé n’est que notre lot quotidien, l’idée que notre regard est décroché de la réalité, que l’on ne sait plus où on est, que nous sommes enveloppés dans l’ouate du monde, l’on pressent que l’on se dirige vers une espèce de cataclysme, densité de l’accompagnement, peut-être ne voyons-nous rien parce que nous ne regardons ni l’oiseau, ni l’oiselle, peut-être est-ce lui, peut-être est-ce elle, qui nous nous tient prisonnier dans le faisceau de son regard. Captivant. Romantycznosc : une romance, d’amour toujours, pas celui que l’on croit, ici le lecteur français se souviendra de La morte amoureuse de Théophile Gautier, mais la filiation avec Annabel Lee d’Edgar Allan Poe est certaine, l’indolence du fond musical est rehaussé, condensé, une voix féminine mène le bal mortuaire des retrouvailles, les effets s’amplifient, à tel point que l’on n’entend plus que la voix qui parle comme si elle sortait du néant, du vide, de l’autre côté, bientôt agrémentée de ces grattements que font les doigts des morts dans leur cercueil qui s’apprêtent à soulever le couvercle pour aller s’unir dans le monde des vivants à l’être aimé. Ultra romantique. Wombat 9 : le morceau le plus long, pratiquement symphonique si on le compare au minimalisme musical de tout ce qui précède, pourtant le même schéma chromatique, en plus beau, en plus romantique, la voix semble  enfouie au loin au plus profond d’une galerie, le wombat est une espèce de kangourou aussi mignon qu’une peluche de nounours, un animal assez solitaire, symbole parfait d’un poëte abandonné qui se réveille de son rêve érotique et s’aperçoit que ce n’était qu’un rêve, espèce de chants grégoriens pour accentuer la solitude de l’être humain terré dans sa solitude. Très beau. Le wombat possède une particularité que peut-être vous lui enviriez : il chie (ce n’est pas chic mais choc) des crottes cubiques.  Un très beau symbole animalier  pour cette création terrestre qui ne ressemble à rien d’autre mais qui est autre que du rien.

    Un disque très littéraire qui risque de désarçonner bien des patiences. A ne pas mettre entre toutes les oreilles. Une tentative de revisitation de la sensibilité romantique – née voici plus de deux siècles - il aurait gagné à bénéficier d’un accompagnement musical plus fourni, quitte à prendre le contre-pied de cette volonté à ne pas crier sur les toits, à ne pas hurler avec les loups du rock ‘n’roll, à contrario de ce désir de proférer un secret à des âmes choisies et délicates. Un truc dérangeant car échappant aux normes esthétiques communément admises. Pas dans l’air du temps, visant à une certaine intemporalité, même si ce qui est issu du néant est destiné à retourner au néant. Toutefois entre temps quelque chose aura eu lieu. Que cela vous plaise ou non, n’a aucune importance.

    Damie Chad.

     

    HOWLIN’ JAWS

    Dix ans que les Howlin’ ravagent le pays. Un des groupes les plus importants de la scène française. Leurs prestations live ont attiré l’attention d’un large public, le cœur des fans est un fromage qui se laisse dévorer avec satisfaction lorsque on lui fournit une énergie électrique revigorante. Kr’tnt ! garde toujours un œil sur eux, pendant le confinement – voir notre livraison 513 du 10 / 06 / 2021 – nous avons chroniqué une de leurs prestations live sans public – autant manger un sandwich au pain, cela calme la faim - visibles sur YT. Cette fois-ci, avant de nous pencher sur leur premier album dans une toute prochaine livraison nous jetons un œil sur trois relativement récentes vidéos.

    Dans notre livraison 436 du 31 / 10 / 2019 nous rendions compte de la prestation des Howlin’ Jaws lors de la création de la pièce Electre des Bas-fonds de Simon Abkarian par La Compagnie des Cinq Roues au Théâtre du Soleil. Les esprits curieux trouveront sur YT différents extraits de la pièce.    Voici à peine plus d’un mois le groupe a attiré l’attention par une vidéo, tournée lors de leur implication dans ce spectacle. Démarche non dénuée de sombres, mais nobles, motivations puisqu’elle rappelait la date de leur futur concert à La Maroquinerie le 25 / 02 /22. Quant au titre interprété il est en troisième position sur leur album Strange Effect sorti en septembre 2021.

    SHE LIES (Official Video)

    HOWLIN’ JAWS

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    Evidemment y a les roses qui encadrent le nom des Howlin’ qui vous mettent la puce à l’oreille, même si l’image suivante est des plus classiquement rock, nos trois héros pris de face, disposés en triangle ( isocèle, pour les adeptes de la géométrie appliquée ), mais  des roses parce qu’ils nous parlent des épines, celles à la morsure la plus sinistre, celles du mensonge, because She lies,  certes l’on peut se mentir à soi-même, toutefois en règle générale faut être deux pour tromper l’autre, est-ce pour cette déraison que de temps en temps l’image se dédouble, que deux Djivan  croisent le manche de deux basses, que deux Baptiste jouent de deux batteries en se tournant le dos en frères siamois, est-ce un hasard si  deux Lucas palindromiques et leurs deux leads se dédoublent…  pour le moment nous n’avons vu que des gars, la fille apparaît, fantôme flou, seule ses lèvres sanguinaires se détachent, morsure de serpent, elle aussi se dédouble, telle est la dualité du mensonge incarnée par la danseuse Chouchane Agoudjian, et subito expresso elles sont légion, tout le corps de ballet en arrière-plan, voici les boys sur un piédestal, elles les entourent - l’on ne peut s’empêcher au ballet du Bolero de Ravel mis en scène par Maurice Béjart - elles  les tiennent prisonniers, les enrobent dans la toile d’araignée de leurs menteries, ne s’en sortiront pas, she lies. Vous avez vu maintenant vous allez entendre. Pas du tout un rock torride, un truc rampant, espèce de boa réticulé qui glisse lentement sur le carrelage de la cuisine et vous enlace de ses anneaux froids comme la mort. Djivan vous décoche les lyrics par-dessous, comme une révélation destinée à vous faire mal, genre coup de couteau dans le dos au moment où vous vous y attendiez le moins, Baptiste tape sans énergie avec cette précision maniaque de l’empoisonneur qui distille un par un les milligrammes de cyanure nécessaire à votre passage dans l’autre monde, Lucas enfile les perles sur les cordes de sa guitare, vous prépare une belle couronne mortuaire pour que votre enterrement ne vous fasse pas honte. Esthétique – merci à Moro Fiorito réalisateur, et insidieux, les Jaws nous rappellent un des aspects les plus malfaisants du rock ‘n’ roll. Pour brouiller les pistes, Djivan porte un costume qui n’est pas sans évoquer ceux que revêtait el caballero Diego de la Vega dans le premier Zorro de Walt Disney( 1957 – 1961 ).

    Quelques jours plus tard les Howlin’ mettent en ligne un nouveau titre, au cas où vous n’auriez pas déjà pris votre billet pour leur passage à La Maroquinerie, et pour remettre les clepsydre, du rock ‘n’ roll, z’ont choisi un titre symbolique de leur évolution, pas du tout un rockabilly endiablé, un classique du british rock, enregistré par les Zombies en 1964, ce n’est plus fifties-fifties, mais sixties-sixties.   

    Cherchent un peu la difficulté. Colin Blunstone avait une voix particulière, de la dentelle ajourée, les Zombies jouaient subtil, pas des pousse-au-crime qui foncent droit devant en écrasant tout ce qui se présente. Avec le passif (très tonitrusif) de leur jeunesse, les Jaws ne se dérobent pas devant l’obstacle. Rappelons que si Noël Deschamps en a dès 1964 réalisé en français une très belle adaptation, c’est qu’il bénéficiait de sa voix qui montait très haut et couvrait trois octaves et des talents de l’arrangeur Gérard Hugé.

    SHE’S NOT THERE

    (LIVE SESSION )

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    Tous trois portent des lunettes noires, sont dehors au soleil, devant des gradins de pierre, en chemise, rose pour Lucas, rouge pour Baptiste, bleu sombre à motifs pour Djivan. Y vont tout doux. Marchent sur des œufs, n’ont pas l’huile de l’orgue pour faire monter la mayonnaise. Donnent l’impression d’effleurer leurs instruments du bout des doigts et des baguettes, Djivan mezzo voce comme s’il ne voulait pas y toucher, avancent à petits pas sur le pas de tir, l’on arrive à l’instant crucial, l’instant fatidique où la voix doit s’élever très haut, Djivan module et Lucas vient à son aide en doublant le refrain, pas du tout désagréable d’autant plus que Baptiste se porte à leur rescousse, ont passé le cap le plus difficile, maintenant c’est plus facile, sont à l’aise sur la partie instrumentale, pas d’esbroufe possible, minutie et précision obligatoires, et l’on repart en altitude vocale, à trois de front, z’ont maintenant acquis une assurance, Lucas vous transperce de notes de snipers et la farandole anapurnienne reprend de plus belle, plus vite, plus haut, plus ténue, en un merveilleux équilibre, la guitare de Lucas influe maintenant un aspect nettement plus rock ‘n’ roll que l’original – trio spartiate versus quintette spatiale – maintenant ils ne touchent plus terre, et c’est fini. Deux minutes et une poignée de secondes de montée vers les étoiles.

    HEARTBREACKER

    (OFFICIAL VIDEO)

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    Deuxième titre de l’album Strange Effect. L’on ne dira jamais assez le mal que les filles font subir aux garçons. Nos demoiselles affirmeront le contraire. Nous ne tenons pas à lancer un débat. Il nous semble superfétatoire. Inutile de se déchirer. Mieux vaut en rire. C’est du moins le parti pris par Marie Chauvin et Stephen Meance les réalisateurs de l’opus, lettres animées, images tressautantes un peu à la manière des premiers films, poupée mannequin, blonde imperturbable en vitrine d’arrière-plan, puis l’écran découpées en trois cases, n’oublions pas que les Howlin’ sont un trio, des espèces de figures panini mouvantes aux couleurs changeantes, le morceau défile à toute vitesse, une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits, vous en prenez plein les mirettes pour un max de rectangles, peut-être veulent-ils nous empêcher de penser, du moins de nous interdire  de prêter la moindre attention à la musique, ce qui est assez déroutant pour un clip musical censé présenter un extrait de l’album… Toutefois il existe une relation sans équivoque entre la forme et le fond. Un morceau. Mais fragmenté. Qui part un peu de tous les côtés. Vous vous croyez dans les bluezy chœurs des premiers Animals et dans la seconde qui suit vous voici en pleines harmonies Beatles, supplantées par des bribes de pure rock ‘n’roll effacées par des implications stoniennes, une pincée des Hollies, un arrière-goût des Kinks, cinquante ans après la British Invasion sévit encore. Une pièce montée, un régal, une horlogerie de haute précision que les amateurs se délecteront de démonter et remonter sans fin.

    LOVE MAKES THE WORLD GO ROUND

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    Cinquième morceau de l’album Strange Efect. Fond d’écran ébénique. Sur ce noir infernal des lèvres qui chantent. Les paroles sont inscrites sur le vermillon buccal. Au début il n’y en a qu’une paire, à la fin, elles sont mathématiquement réparties sur tout le rectangle.  Cette fois la mise en bouches de la vidéo vous invite à n’écouter que les paroles, plutôt l’harmonie des voix entremêlées, vous voici dans Sergent Pepper's, mais si vous prêtez l’oreille à la musique vous êtes dans le disque blanc, vous citerez même Back in the URSS. C’est bien fait, un peu trop beatlemaniaque à mon goût sur ce morceau, quelques zébrures à la Yardbirds vous sabrerait le tout avantageusement, quelques gouttes de sang cramoisi avivent la blancheur diaprée d’une tunique. Les Howlin’ entreprennent une démarche qui est à mettre en parallèle avec l’itinéraire des Flamin’ Groovies.  A suivre.

    Le concert de la Maroquinerie du 25 févier 2022 s’est très bien déroulé. J’étais absent, pour affaires familiales en Ariège. Sur YT vous trouverez deux vidéos. La première,  un peu pénible à regarder, plan fixe de soixante-dix minutes, les Jaws noyés dans un éclairage trop violent, et un son pas vraiment parfait. Un fan nommé Rapido 5 a réalisé à partir de ses propres images et celles de la septante un montage du titre Loves makes the world go round, et c’est déjà beaucoup mieux. Et je n’y étais pas !

    Damie Chad.

     

    UN EDITEUR EFFICACE

    MARIE DESJARDINS

    (La Métropole - 22 / 02 / 2022 )

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    Un petit article, pas plus de cinquante lignes. Qui regorge d’informations étonnantes. Surtout pour nous, petits français qui ne suivons que de (très) loin l’histoire politique du Canada. Une chronique sur Pierre-Louis Trudeau qui a fondé les Editions du Mont Royal ( éMR ). Peu de livres encore à son catalogue qui vise deux domaines de prédilection, culturel et politique. Pierre-Louis Trudeau n’est pas un inconnu en son pays, érudit, essayiste, auteur, un activiste qui depuis un demi-siècle s’est engagé jusqu’en Afrique pour défendre ses idées. Ce n’est donc pas un hasard si un de ses premiers livres publié se nomme Alfred, Premier député noir à l’assemblée nationale du Québec de Paul Morrissette. Attardons-nous sur La République assassinée de Daniel Johnson de Pierre Schneider. Un militant du Front du Québec Libre qui nous fait part de sa longue et minutieuse enquête sur l’assassinat de Daniel Johnson, qui s’apprêtait à proposer à la population de la province du Québec un référendum afin de lui octroyer le statut de République du Québec. Nous sommes dans les années soixante, en 1967 le Général de Gaulle lance son ‘’ Vive le Québec libre’’ suscitant l’enthousiasme des québécois… En France, on jugea la formule comme une foucade sans importance, aux Etats Unis on la comprit beaucoup mieux. La CIA n’avait aucune envie que cette République du Québec destinée à sortir de l’Otan, devant la montée des périls Daniel Johnson est assassiné au mois de septembre 1968. Dès sa création la Gendarmerie Royale du Canada, et les agents de la CIA suivent de près (et influencent dans la mesure du possible) les décisions de l’appareil politique du Front du Québec Libre, une pomme pourrie dans un panier… De l’histoire ancienne certes. Toutefois pensons au triangle Russie-Ukraine-Otan. Parfois la pomme pourrie se métamorphose en pomme de discorde… Un éditeur qui donne à réfléchir est utile et dangereux. Est-ce pour cela que Marie Desjardins le qualifie aussi d’éditeur discret. C’est fou comme l’actualité nous rattrape au moment où l’on s’y attend le moins. Merci à Marie Desjardins auteur d’Ambassador Hotel, un des meilleurs romans rock que nous avons chroniqué dans notre livraison 440 du 28 / 11 / 19.

    Damie Chad.

    NOUVELLES DE CHRIS BIRD

    ET DES WISE GUYZ

    GROUPE UKRAINIEN DE ROCKABILLY

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    VOIR YT Groupe de soutien :

    Help for the WISE GUYZ in Ukraine

    Chers amis

    Pendant que nous avons un peu de temps libre aujourd’hui, je peux donner quelques nouvelles

    Moi et mon cousin sommes en sécurité, continuez à faire du bénévolat. Notre maison n’est pas endommagée et nous pouvons cuisiner, recharger nos téléphones et utiliser internet, ce qui est déjà de super conditions.

    Shnur (batteur) et sa mère sont toujours à Poltava. C’est plus ou moins sûr là-bas, au moins plus sûr qu’à Kharkiv. Merci beaucoup pour vos dons, ils ont de l’argent pour avoir de la nourriture dans les prochaines semaines

    Baden (bassiste) a rassemblé ses proches de différentes parties de la ville et les a envoyés dans la direction ouest de l’Ukraine, où c’est moins dangereux. Ça aussi été possible grâce à vos dons merci Dans le moment ils sont en route.

    Maman et les tantes vous envoient un gros câlin depuis Francfort et elles sont également reconnaissantes pour vos dons. Ils sont en sécurité et pleins de gens aimants et attentionnés autour.

    Merci pour votre amour, votre aide et votre soutien chers amis !!

    Chris Bird.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 503 : KR'TNT ! 503: MARK LANEGAN / MIRIAM LINNA / LOBBY LOYDE / PATRICK GEFFROY YORFFEG / ERIC BURDON AND THE ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXVI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 503

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    25 / 03 / 2021

     

    MARK LANEGAN / MIRIAM LINNA / LOBBY LOYDE

    PATRICK GEFFROY YORFFREG

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    ROCKAMBOLESQUES 26

     

    Lanegan à tous les coups - Part Five

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    Tu es là bien peinard, calé dans ton fauteuil, à feuilleter le Record Collector qui vient tout juste d’arriver et paf, tu tombes sur un portrait plein pot de Lanegan. Cheveux longs pas coiffés, lunettes noires, mine fermée, front plissé, blouson de cuir et les deux mains croisées couvertes de tatouages, deux points et deux étoiles sur chaque doigt, un crucifix sur le dos de la main. Lanegan ne vieillit pas, il reste le dark outsider qu’il a toujours été, il est à l’image de son livre qui est une célébration du mal de vivre à travers tous les excès, cul, drogues, alcool, rock, violence, il incarne ça de toutes les molécules de son corps. Lanegan est un Jimbo qui a réussi à survivre. Un surhomme du sex & drugs & rock’n’roll circus.

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    Pas de meilleur real deal. Quand on sait en plus que ses albums et son autobio battent tous les records d’insalubrité publique. On a tous croisé dans la vie des mecs comme Lanegan, qui sont de parfaites incarnations de ce que l’on appelait autrefois l’esprit rock. Cuir, tatouages, coupe de douilles, on sait immédiatement ce que ça veut dire. Tu es dans le vrai monde, celui des gens qui ne font pas semblant. Rien à voir avec la frime. Ces mecs là n’ont pas besoin de se déguiser. Ils ont cette grâce naturelle qui chasse toute forme d’ambiguïté et qui en même temps les marginalise. Mais il vaut mieux être marginal que rien du tout. Rien n’est pire que de n’être rien du tout dans le néant d’une vie ordinaire avec un boulot ordinaire et une voiture ordinaire et une femme ordinaire. Rien qu’avec sa gueule, Lanegan affiche un palmarès, il n’a pas besoin d’écrire un CV, on sait tout de suite ce qu’il vaut et ça fait vite le tri. Dans la vie c’est pareil, on choisit son camp dès l’adolescence, et vers la fin des sixties c’était assez simple, car les cuirs, les tatouages et les coupes de douilles faisaient vite la différence. Bon alors après il y a les goûts musicaux et c’est vrai que ça se peut se compliquer. Lanegan n’a pas besoin de porter un T-Shirt à l’effigie d’un groupe pour indiquer son appartenance. Sa dégaine dit tout ce qu’il faut dire. Elle ne trompe pas. Et le choix de ses amis non plus : ce n’est pas un hasard si Jeffrey Lee Pierce, Layne Staley (Alice In Chains), Dylan Carlson (Earth) et Kurt Cobain sont ses meilleurs amis.

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    L’important serait peut-être de dire qu’il est assez réconfortant de voir qu’il existe encore dans le circuit des mecs comme lui, c’est-à-dire des purs et durs qui ne rentreront jamais dans le rang et qui ne vendront jamais leur cul pour un billet, comme l’ont fait tant de pseudo-stars par le passé. Quand Lanegan montre ses tatouages, c’est sa façon de dire fuck you au monde des beaufs et au music biz. Il n’est pas dans la frime, contrairement à tous ces mecs qui se font photographier aussitôt sortis du salon de tatouage. Dans son autobio, Lanegan explique qu’il s’est tatoué tout seul, après avoir barboté de l’encre de Chine chez le commerçant local. Tout ça parce qu’ado, il avait flashé sur un livre qui rassemblait des portraits datant du XIXe siècle de marins et de bagnards tatoués, la plupart du temps sur tout le corps, et cet univers le fascinait. Alors crac, tu dessines ton motif au stylo sur la peau, tu attaches deux aiguilles ensemble avec un bout de ficelle et tu pic et pic point par point, tu vois le sang perler et se mélanger à l’encre et quand c’est fini tu rinces la plaie à la bière. Le surlendemain, ça commence à cicatriser et la croûte s’en va dans les jours qui suivent. Ça donne un tatouage bien crade, comme ceux de Lanegan. Il fut un temps où les salons de tatouage se trouvaient dans les caves des HLM.

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    Alors pourquoi une interview dans Record Collector ? Lanegan n’a rien à vendre, cette année, son dernier album et son autobio datent de l’an passé et KRTNT en avait bien sûr fait ses choux gras. Rob Hugues l’interviewe simplement pour le plaisir. À 55 balais, Lanegan est un miraculé. Il confirme qu’il ne touche plus à rien et éclate de rire facilement - dry laughter - mais il ne rit pas des autres, il rit surtout de lui. Il indique aussi qu’il a beaucoup de mal à retourner dans le passé, car il a découvert qu’en vivant au présent, il se sentait mieux. Mais bon, pour son autobio, il a dû replonger dans les années noires. Il a mis quatre mois à écrire ce chef-d’œuvre crépusculaire. Rusé comme un renard, Hugues le branche sur ses premières influences musicales, et Lanegan cite «Folsom Prison Blues» de Cash et passe directement à «Anarchy In The UK» - A whole British and New York punk rock that made music the number one thing in my life - C’est là que le rock est devenu le truc le plus important dans sa vie. Puis il cite les Stooges, les Doors, les Ramones, le Velvet, all that right stuff. Puis il passe à des trucs plus out there, comme Astral Weeks (Van Morrison), Starsailor (Tim Buckey), Trout Mask Replica. C’est en écoutant Astral Weeks qu’il pense pourvoir faire un grand disque (something great) - It became my obsession - Quand il enregistre son premier album solo, The Winding Sheet, il fait encore partie des Screaming Trees, mais John Agnello trouve ses chansons brillantes et le convainc de faire un deuxième album solo, Whiskey For The Holy Ghost. Lanegan se marre car il sait bien que ses three-chords Leonard Cohen rip-offs sont assez limités - It was definitely not Starsailor or Trout Mask Replica - Il sait très bien qu’il n’a pas enregistré l’album du siècle, mais ça correspondait à la vision qu’il avait des choses, avec deux influences principales : Astral Weeks et le roman de Cormac McCarthy, Blood Meridian - The lyrics were kind of influenced by the imaginary and shit in that book, which is out of control (Les paroles sont vraiment influencées par ce livre, qui est complètement barré).

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    L’un des point forts de Lanegan, c’est l’auto-dérision. À ce petit jeu, il est imbattable. Il cite l’exemple d’un mec qui dit qu’il aime bien sa musique mais qu’il ne l’aime pas en tant que personne - what a piece-of-shit person - alors forcément, Lanegan explose de rire : «Comment pourrais-je prétendre le contraire ?». De plus en plus rusé, Hughes revient sur la fin de l’autobio, au moment où Lanegan sauve sa peau en entrant en detox et où, allongé sur la pelouse, il ressent un flash surnaturel. Expérience spirituelle ? Alors Hugues fait son Jacques Chancel : «Et Dieu dans tout ça ?». Lanegan s’esclaffe - I’ve never asked God for anything - Il ajoute que des gens trouvent une voie spirituelle quand ils n’ont plus rien à espérer. Il se souvient très bien du moment qu’il décrit dans son book, il était overjoyed parce qu’il était assis sur une pelouse au soleil et qu’il avait réussi à survivre. Et ça le faisait bien marrer - Fuck you ! Go ahead and try to kill me ! It’s impossible ! - Il se sait invincible. Et comme il sait que les pires ennuis vont succéder à ce court moment de grâce, il se met à chialer. Il sortait d’une période de misère totale - Self-created of course - et il ne sentait pas de taille à affronter la suite. Alors pour la première fois de sa vie, il s’est adressé au ciel : «God change me !». C’est là qu’il a vu toute sa vie défiler en un éclair. Il décrit brillamment cette expérience paranormale à la fin du book.

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    Hughes a gardé le meilleur pour la fin : l’actualité. Il demande à Lanegan ce qu’il pense du pandemic. Comme John Lydon dans une interview récente, Lanegan bouffe le fucking pandemic tout cru : «L’an passé nous avons été dans ce pays à la merci du pandemic et à la merci de ce gouvernement. Personne ne sait ce que nous allons devenir une fois que l’économie va s’écrouler - after the economy has been destroyed overnight - Est-ce qu’il y aura encore une place pour moi dans ce monde ? J’en sais rien. Et je m’en branle car j’ai 55 balais et j’ai vécu 20 ans de plus que prévu. Mais je serais triste de ne plus pouvoir faire de musique. J’aime tellement ça. L’an passé, je me suis dit que j’allais reprendre mon ancien métier, décorateur de cinéma, c’est un métier que je connais bien, pendant deux ans j’ai bossé pour des TV shows. Je vais donc faire un truc que je suis capable de faire, qui est légal et dont les gens ont besoin. Je dois bien réfléchir à ce qui va arriver, car je suis sûr que quelque chose va arriver.»

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    Signé : Cazengler, Lanegland

    I was a nightmare to work with - Mark Lanegan interview. Record Collector # 516 - March 2021

    Linna tout bon - Part One

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    Plom plom plom, Miriam Linna débarque dans Shindig! avec tout un tas de bonnes nouvelles : elle sort sur Norton le prochain album des Grys-Grys (To Fall Down), ainsi qu’un Greatest Hits. Elle annonce aussi la sortie d’un album de Cash Holiday, parfait inconnu au bataillon. Oh, elle tremble un peu à l’idée de sortir tous ces albums en plein cœur d’un pandemic, mais comme diraient Sonny & Cher, the beat goes on, ou plus exactement the beat must go on. Elle annonce aussi un nouveau numéro du mythic Kicks, le # 8, shortly, précise-t-elle. Elle reste aussi active dans la branche éditoriale de Norton (Kicks books) puisqu’elle annonce la parution d’un photo-book de Katherine Weinberger consacré aux Swiss teen gangs. À part Norton et les Suisses, on se demande bien qui peut s’intéresser aux Swiss teen gangs. Puisqu’on est dans Kicks books, elle en profite pour rappeler que Mind Over Matter: The Myths And Mysteries Of Detroit’s Fortune Records est disponible au prix de 100 $, sans compter le port. Bon, là elle exagère, car il faut être sacrément fortuné pour acheter un Fortune book à ce prix-là. Elle annonce aussi la parution de son autobio, Kicksville 76, qui risque de faire double emploi avec son blog Kicksville 66, où elle a déjà raconté en long en large et en travers toute son histoire, et en particulier l’épisode anecdotique de la formation des Cramps. Il est si délicieux qu’on va le resservir. Figurez-vous que les Cramps engagèrent Miriam comme batteuse parce qu’elle ne savait pas jouer de batterie. En nous vantant les charmes d’une simili-batteuse, Lux Interior faisait monter d’un cran le niveau du génie trash.

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    Comme l’interview s’étend sur quatre pages, ça brasse assez large. Point de départ ? Miriam se rappelle d’avoir entendu les premiers singles des Beatles à l’âge de 8 ans. En 1962, son frère Jack écoute «Love Me Do», puis elle voit sa sœur Helen devenir folle-dingue en entendant «She Loves You» sur une radio de Toronto. Quand Jack passe aux Stones et aux Animals, Miriam suit le mouvement. C’est là que germe en elle une petite obsession pour la radio et les disques qui dit-elle va finir par conditionner toute sa vie. Baisée ? Non sauvée.

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    Quand sa famille quitte Toronto pour s’installer à Cleveland en 1967, son obsession monte encore d’un cran. Elle se souvient en particulier d’une double affiche Slade/Stooges qui a traumatisé tous les gens qu’elle connaissait à cette époque. En 1974, elle était comme nous tous crazee about Slade et sur scène, Iggy portait dit-elle une culotte de gonzesse - That double barrel threat of UK vs USA loud sound blasted us out of orbit - Miriam ajoute que tous les gens qui ont assisté à ce concert ont ensuite monté des groupes. Alors évidemment, puisqu’elle parle de Cleveland, Jacques Chancel lui demande : «Et les Raspberries dans tout ça ?». La réponse ne se fait pas attendre : «The Raspberries were absolute superstars, and still are.» C’est bien qu’elle le rappelle parce qu’on aurait tendance à oublier Eric Carmen et les Raspberries. Elle cite aussi les Rocket From The Tombs et les Electric Eels. Elle avoue un soft spot pour les Rocket. Quand un tout petit peu plus tard, les Rocket deviennent Pere Ubu, ils enregistrent le faramineux «Final Solution». On pouvait à l’époque commander ce single via une adresse indiquée dans Who Put The Bomp!, et c’est Miriam qui faisait les paquets. C’est l’époque des petites mains de rêve : Miriam à Cleveland, Suzy Shaw à Los Angeles qui envoyait les albums choisis sur the auction list, ou encore Doug Hanners au Texas qui taillait des gros emballages en carton pour envoyer en Europe le précieux single des Spades, la version originale de «You’re Gonna Miss Me».

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    En 1973 Miriam et sa frangine Helen cassent leur tirelire et se payent un billet d’avion pour l’Angleterre. Leur projet est de suivre une tournée, et pas n’importe quelle tournée : celle des Spiders From Mars : Londres, Écosse, Irlande, elles voyagent en stop, Miriam et Helen sont dingues de Bowie et de Pin Ups. Cette dinguerie va durer jusqu’à Young Americans, après quoi Miriam arrache les posters des murs de sa chambre pour passer au punk-rock. Elle a 20 ans quand elle débarque à New York et qu’elle rencontre Lux & Ivy. Lux la connaît, puisqu’il vient lui aussi de l’Ohio. Il explique à Miriam qu’il vient s’installer à New York pour monter un groupe et c’est là qu’il fait sa proposition historique. Elle pense qu’il est complètement cinglé, mais elle accepte. Et pouf c’est parti. Les Cramps jouent leur premier set en novembre 76 au CBGB, en première partie des Dead Boys. Miriam revient ensuite sur deux personnages clés de la scène new-yorkaise d’alors, Peter Crowley et Marty Thau. Sans eux, dit-elle, cette scène n’aurait pas eu le même retentissement. Crowley programmait les groupes au Max’s Kansas City et Thau managea les Dolls avant de monter son label Red Star et de lancer Suicide. C’est Thau qui donne à Miriam son premier job dans le music biz : assistante chez Red Star. Méchante veinarde - It was one of the most amazing years of my life - Sur Red Star on trouve en plus de Suicide les Real Kids et les Fleshtones.

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    Shindig! la branche ensuite sur les Groovies. Quand Greg Shaw vient prospecter à New York pour son label Bomp!, il rencontre Miriam et lui demande de s’occuper du fan club des Groovies. Honorée, elle accepte. Elle commence à publier The Flamin’ Groovies Monthly en 1977, qui finira par muter pour devenir Kicks en 1979. Kicks bien sûr en l’honneur de Paul Revere & The Raiders. Et comme Greg Shaw, Miriam et Billy Miller qu’elle rencontre fin 77 passeront naturellement du fanzine au label.

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    Kicks, c’est 7 numéros en 15 ans. Les premiers numéros depuis longtemps épuisés ont été réédités, notamment le premier avec sa couverture rose et ses articles sur Vince Taylor, les Everly et les Groovies. Elle aime bien redire que Kicks et toute cette culture des fanzines qui remonte à Who Put The Bomp! servait surtout à célébrer des disques inconnus et rendre hommage à des under-celebrated individuals, comme par exemple Equerita ou Bobby Fuller. Miriam et Billy vont d’ailleurs se spécialiser dans l’exhumation d’under-celebrated individuals et faire de Norton un label légendaire. Parmi leurs gros coups, on note la sortie de 5 albums de Benny Joy et deux albums de démos de Johnny & Dorsey Burnette. Mais plein d’autres choses, comme Rudy Ray Moore, Link Wray, Charlie Feathers, Long John Hunter, Gino Washington, le catalogue de Norton est une vraie mine d’or. Ça va jusqu’à Sun Ra. À une époque, on trouvait tous ces albums au Born Bad de la rue Keller et le compte en banque prenait chaque fois une sacrée claque dans sa gueule de compte en banque. Miriam rappelle aussi l’aspect crucial de leur démarche : «We want to go down to the nitty gritty, and expose lost music and tell the tale.» Elle voulait aussi sortir de l’ambiance savante de la culture rock, le côté ampoulé de l’analyse critique, l’aspect prétentieux d’une certaine presse rock - This music is exciting, act like you’re excited, gosh darn it ! - Bien joué Miriam.

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    Alors forcément, Norton se spécialise dans l’oddball rock’n’roll et le garage/instro stuffy stuffah de préférence bien weird. D’où Hazil Adkins. Elle cite aussi les early tapes d’Arthur Lee qui sont sur Norton (Arthur Lee & The American Four), puis les early tapes de Tommy James ou encore celles de Question Mark & the Mysterians. Elle insiste aussi beaucoup pour recommander les lost recordings d’Esquerita avec Idris Muhammed. L’album s’appelle Sinner Man - C’est probablement le premier Norton issue que je recommanderais - Et quand Shindig! aborde le thème du garage revival des années 80, Miriam répond Lyres sans aucune hésitation - They were hard-edged and real - et dans le feu de l’action, elle indique qu’ils ne cherchaient pas à imiter des gloires gaga du temps passé - They were explosive, absolutely the best - Gildas ne s’était pas trompé non plus quand à l’époque il a flashé sur Monoman, l’âme des Lyres.

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    Billy et Miriam vont injecter leur passion pour ce qu’elle appelle the lost music dans les Zantees, le groupe qu’ils montent en 1979, et qui va devenir the A-Bones. Mais ils le font comme elle dit crudely. Nous y reviendrons dans un Part Two.

    Alors bien sûr ça nous mène tout droit à la question panoramique : en 40 ans, Miriam n’a-t-elle pas tout fait ? Acheter des disques, vendre des disques, faire un fanzine, jouer dans un groupe, éditer des music books. Hé bé oui, comme on dit à Toulouse. Comme Mike Stax, Greg Shaw, Gildas et quelques autres, elle a bouclé la boucle. Mais en même temps, elle est assez amère sur la question de l’évolution des choses. Elle pense comme beaucoup qu’Internet a bousillé l’enthousiasme. C’est par les record shops et les radios qu’on chopait the real music. The real radio d’aujourd’hui lui semble incroyablement boring. Pour lui remonter le moral, Shindig! la complimente sur ses deux albums solo, Nobody’s Baby et Down Today. Elle est touchée et indique qu’elle doit tout à son ami producer/musician nonpareil Sam Elwitt.

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    Nobody’s Baby date de 2014. Elle y fait de belles reprises, à commencer par « There Goes My Babe » de Buffalo Springfield qui sonne bien psyché, d’autant qu’elle le Brille à la cloche comme si Totor était là, dans la cabine, à superviser, comme au bon vieux temps du Wall et des Ronettes. Elle tape ensuite dans les Pretties avec un « Walking Down The Street » tiré de The Electric Banana Blows Your Mind. Pur jus mythico-gaga. Elle s’énerve. Derrière serpente un joli fuzz snake. Elle dit bien son down. Clin d’œil aux Ramones avec « Questioningly ». C’est un hommage au Brill, et pouf ça s’en va télescoper les Dolls, les Shangri-las et Dion. Nouvel hommage, cette fois à Bobby Darin et sa merveilleuse pop d’anticipation, avec « Not For Me ». Par contre, la cover du « So Lonely » des Hollies est un peu foireuse. « My Love Has Gone » s’adresse à Ellie Greenwich et aux tambourins du Brill. Elle tape aussi dans Gene Clark avec « So You Say You Lost Your Baby » tiré de son premier album solo enregistré avec les Gosdin Brothers. Bel up-tempo de pop avantageuse. Elle remonte le courant toute seule. On applaudit. Ah bravo ! Elle ose aussi taper dans Billy Nicholls avec « Cut And Come Again », un cut qu’on retrouve sur l’excellentissime Home And Away de Del Sahnnon que produisit Andrew Loog Oldham. Et là, c’est très courageux de sa part, car elle tape dans un gros culte. Encore un shoot de Brill avec « I’m Nobody’s Baby Now », de Jeff Barry. Wall pur. Le drumbeat se perd dans l’écho du temps. Miriam a le bec fin. Elle aime les bons disques.

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    Son deuxième album solo s’appelle Down Today. C’est son Pin Ups, dit-elle. D’ailleurs elle y fait un Bowie, «You’ve Got A Habit Of Leaving». Attention aux trois premiers cuts du bal d’A, car elle tape dans Terry Reid avec «The Hand Dont Fit The Glove», une pop qui grimpe au mur comme le lierre, très sixties, mais Miriam est un peu juste dans les montées, elle ne dispose pas du raw de Reid. Elle contourne l’obstacle avec du petit trash. C’est très héroïque de sa part. Elle enchaîne avec une compo de Sam Elwitt, «I Keep Falling In Love», toujours d’esprit sixties, pop brillante, lumineuse, tendue vers l’avenir, avec un joli son, ambiance Ready Steady Go!, frange, féminité à l’Anglaise, mini-jupe, son étincelant, on pense aussi à Sonny & Cher ou à Jackie DeShannon. Troisième merveille, cette reprise du «Take Me For A Little While» de Jackie Ross, classique Northern Soul monté en épingle avec des éclats brillants. Bizarrement, la suite de l’album est nettement moins intéressante. Il faut attendre la reprise d’«Afterglow» des Small Faces qui se trouve de l’autre côté pour refrémir. Nouvel acte de courage, car Miriam ne dispose pas non plus des octaves de Steve Marriott. Alors, comme pour Terry Reid, elle contourne l’obstacle en se servant astucieusement de la mélodie. Elle passe au garage avec «Which End Is Up», tout y est, l’énergie, le tambourin et la poigne de vétérante de toutes les guerres. Mais il lui arrive aussi de chanter comme une casserole, comme le montre en bout de B sa cover de «You’ve Got A Habit Of Leaving», early Bowie, époque Lower 3rd. Elle s’en sort quand même pas trop mal grâce à un final explosif digne des Who, éventrement d’amplis et drumbeat d’explosivité latérale.

    Signé : Cazengler, Linaze

    Nobody’s baby - Miriam Linna Interview. Shindig! # 113 - March 2021

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    Miriam Linna. Nobody’s Baby. Norton Records 2014

    Miriam Linna. Down Today. Norton Records 2015

     

    Great Balls of fire

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    Lobby Loyde et ses Coloured Balls faillirent bien décrocher le jackpot dans les années soixante-dix avec leurs trois albums de glam-rock australien. Quand Lobby Loyde monte les Coloured Balls en 1972, il est déjà une sorte de vétéran de toutes les guerres de Brisbane. Il fit partie des Purple Hearts et des Wild Cherries, deux groupes sur lesquels nous reviendrons un peu plus tard. Avec les Coloured Balls, il développe un culte à base d’explosive rock’n’roll et de sharp haircut. On entre là dans le domaine sacré du proto-punk. En Angleterre, Jesse Hector fait exactement la même chose. Comme les Saints, les Balls sont mal vus, et dans un monde normal, on aurait dû les considérer comme l’un des meilleurs groupes australiens. Quand il arrive en Angleterre en 1976, Lobby découvre que les groupes sonnent comme les Coloured Balls. Alors il s’exclame : «Mais on fait ça depuis des années !».

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    L’objet de Lobby est de créer du high energy rock’n’roll on his own terms. Eh oui, il suffit d’écouter Ball Power paru en 1973 pour réaliser que les Balls ne sont pas là pour rigoler. Ils attaquent avec «Flash», une espèce de power speed freakout. Fabuleux shake de shook aussie ! Who is in the flash ! Lobby y va de bon cœur - Hey baby cause I love you so/ That’s the flash I ain’t let go - Globalement, les Balls se veulent wild et ils s’en donnent les moyens. «Mama Don’t You Get Me Wrong» sonne comme un boogie blast chauffé à la glotte blanche. Ces mecs ont un sens aigu du rock électrique. Tiens, écoute «Something New», ce heavy groove de feel so good. Tout est travaillé dans le lard de la manière, ils ont tout compris. Comme Jook, ils bossent leur son et leur look. L’un ne va pas sans l’autre. Encore un solide plotach de Balls avec «Human Being». En B, ils reviennent à un son plus seventies avec «Hey What’s Your Name». On croirait entendre Free avec un Cro-Magnon au chant. C’est complètement convaincu d’avance. Comme on peut le constater à l’écoute de «That’s What Mama Said», les Balls ont un sens aigu des dynamiques soniques. Ils se lancent là dans une longue jam qui préfigure le kraut. Lobby Loyde ne revient chanter que sur le tard. Ils répètent that’s what mama said ad vitam eternam et Lobby part en vrille se solo gras. Get the Balls !

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    L’année suivante, ils enregistrent un album beaucoup plus glam, Heavy Metal Kid. Dès «Do It», on observe leur admirable aisance à swinguer le glam. «Private Eye» sonne aussi comme un hit glam. On croirait entendre Marc Bolan. C’est un admirable cas d’osmose. Allez tiens, encore un brin de glam avec un «Dance To The Music» qui ne doit rien à Sly Stone mais qui se présente plutôt comme un cut extrêmement bien foutu avec ses accords de rock’n’roll et sa jolie tension en background. On voit qu’avec leurs coupes de cheveux, ces mecs ne font pas dans la dentelle de Calais. Ils tailladent leur morceau titre à la riffalama et cocotent salement leur beat goes on. Ils montent une réelle habileté à shaker le vieux «You’re So Square» de Leiber & Stoller. Pas mal de bonnes surprises en B, à commencer par «Back To You», heavy boogie down, solide et terrific à la fois. Ils se lancent dans un drive longue distance et tiennent bien la moyenne. Ces mecs sont rompus à toutes les disciplines. Ils font un cut à l’indienne avec «Sitting Bull» et des tambours de guerre. Ils sont étonnant et savent rester vifs comme l’éclair. On ne se lasse pas du power des Balls.

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    On ne reverra pas de sitôt un disque aussi parfait que The First Supper Last, enregistré en 1972, mais seulement paru en 1976. «Time Shapes» sonne comme du vrai glam de bretelles, joué à la moelle fondamentale du big riffing. Lobby et ses amis ont tout compris. C’est le meilleur heavy glam qu’on ait entendu depuis celui d’Helter Skelter. Le killer solo flash renverse toutes les quilles. Pur génie glam. Inespéré ! Ils jouent avec une énergie qui en dit long sur leur crédibilité. Oh boy, laisse tomber la pluie, c’est eux qu’il te faut. Véritable dégelée de gelée royale ! Avec tout le power qu’on peut imaginer. Ils tapent dans le «So Glad You’re Mine» de Big Boy Crudup. C’est bardé de son. Les murs vibrent. Ils surjouent leur shit de choc à l’aune du proto-punk avec une rage incommensurable. Encore un véritable coup de génie avec «Working Man’s Boogie». Ils nous embarquent pour six minutes de forte tension intellectuelle, six minutes dignes du MC5 et des grands éclaireurs. C’est violemment bon. Lobby rentre dans le chou du cut à la vrille moyenâgeuse. Ça vibre comme du gros T. Rex mal dégrossi, ça brûle au fond du cut comme au fond d’une marmite, le solo lèche les flammes de l’enfer. Lobby et ses amis détiennent le pouvoir suprême. On voit le solo courir comme le furet. S’il est un groupe qu’il faut saluer pour son énergie, c’est bien les Coloured Balls. Ils jouent leur «Mama Loves To» à la clameur et tout reprend feu avec «Liberate Rock Part Two Revisited». Heavy rock, oui, mais c’est bardé de son. Ils ont le génie du big Sound. Quelle présence ! Ils tapent à tous les râteliers, boogie, glam, Chuck, ils excellent particulièrement dans l’exercice de la heavy heavyness, ils jouent avec une énergie de tous les diables et sont écrasants de souveraineté. Ils ont même le génie du réflexe qui fait mouche. Et il faut voir ce final en forme de montée démoniaque. Liberate rock ! Set free oh yeah !

    Malgré ces trois albums, les Balls vont rester l’un des groupes les plus malchanceux des années soixante-dix. On les prenait pour un groupe anti-social, à cause de leur agressivité scénique et de leurs coupes de cheveux - the sharpie haircut - qui ramenait les skinheads dans leur sillage. Ils finirent par splitter en 1974, après avoir sorti deux bons albums (le troisième, The First Supper Last, ne sortira qu’après le split).

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    Mais l’essentiel n’est pas là : les groupes malchanceux abondent dans l’histoire du rock. L’essentiel est de savoir qu’un mec comme Lobby Loyde ne tombait pas du ciel. En 1973, il était déjà ce qu’on appelle communément un vétéran de toutes les guerres. Pour s’en faire une idée, il suffit de se plonger dans un fat book intitulé Wild About You. The Sixties Beat Explosion In Australia And New Zealand. Ian D. Marks & Iain McIntyre y racontent l’histoire de 35 groupes australo/néo-zélandais, parmi lesquels figurent les deux premiers groupes de Lobby Loyde, les Purple Hearts et les Wild Cherries. La présentation que fait McIntyre des Purple Hearts vaut bien celle des Pretty Things : il décrit un groupe prêt à embrasser every aspect of the dirty rock’n’roll lifestyle : copious drug use and unkempt clothes. Ils ne sentent pas bon et se gavent d’amphètes. Mais c’est leur son qui va établir leur réputation, hard-edged amphetamine-driven R&B and squalling guitar work, courtesy of Lobby, of course. Dans l’interview qu’il accorde à McIntyre, Lobby rappelle que les Puple Hearts étaient des pilules d’amphètes dont ils faisaient alors une grosse consommation. Ça leur était utile car il leur arrivait fréquemment de devoir jouer quatre fois dans la soirée, avec un dernier set à 5 h du mat, et pour tenir ce rythme, il vaut mieux gober des stimulants. Lobby revient aussi longuement sur la pression des flics australiens à cette époque. Les flics les harcelaient, faisaient des descentes dans leurs chambres d’hôtels, fouillaient leurs valises, vidaient leurs tubes de dentifrice et les considéraient tous ces kids chevelus comme anti-sociaux - You were batting with Satan. You were anti-Joh (gouverneur du Queensland) - Dans une interview, Chris Bailey rappelle lui aussi que la police dans certains coins d’Australie était la plus répressive du monde. Lobby est aussi très fier d’avoir acheté sa pédale fuzz avant que Keef n’achète la sienne pour jouer le riff de «Satisfaction». Lobby entre alors dans les détails et rappelle que Chet Atkins a inventé le fuzz-tone en 1957 et il se dit très fier d’avoir possédé l’un des modèles originaux, the Gibson maestro Fuzz-Tone - I like it because it was really dirty and filthy - Autre détail de poids : le batteur des Purple Hearts n’est autre que Tony Cahill qui va quitter le groupe pour rejoindre les Easybeats. Cette interview est fascinante car Lobby raconte à travers l’histoire des Purple Hearts toute l’histoire du wild rock des sixties. On est aux premières loges, surtout quand en 1965, les Purple Hearts jouent en première partie des Stones en Australie : Lobby y va de bon cœur : «Brian Jones was really a great fingerpicking blues guitarist. Et il était l’un de ces mecs très intenses. He used to get this weird vacant stare and play. À cette époque, Keith était le rythmique et Brian le lead guitarist.» Lobby rend aussi hommage aux Easybeats avec lesquels tournaient aussi les Purple Hearts en Australie : «They were ferocious little bastards. Glasgewians, mate, tough guys !». Lobby raconte aussi qu’il a participé à ce qu’on appelait alors the Caravan of Stars, avec Tom Jones et les Herman’s Hermits, et là forcément, ça drainait un autre public. Pendant la tournée, les Herman’s Hermits n’adressaient pas la parole aux Purple Hearts et Lobby explique qu’il n’avait encore jamais vu des gens aussi propres, aussi bien peignés, avec des chaussures aussi bien cirées et des guitares aussi clean - Lovely clean-cut fellers - Mais en même temps, Lobby rappelle que c’était très éprouvant de jouer en première partie de groupes connus, car le public ignorait totalement les premières parties. Lobby dit qu’on entendant chanter les grillons quand jouaient les Purple Hearts - You’d get pretty depressed out there - Alors il fallait jouer. Il évoque aussi les fameux sharpies qui vont conduire au look des Coloured Balls - The original sharpies were a heavy-duty bunch of guys - Les Sharpies étaient déjà là dans les années 60 et Lobby pense que s’il est allé sur ce look, c’était pour se différencier des wussy pop bands - You had to have a belligerent edge, just for your own survival - Quand McIntyre rappelle qu’un membre des Missing Links portait un flingue, Lobby abonde dans ce sens : oui, il y avait des barres de fer, guns and knives. Ça faisait partie de Sydney - Sydney was a tough place, mate.

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    Avant de disparaître, les mighty Purple Hearts n’enregistrèrent que cinq singles, mais quels singles ! Ils figurent tous les cinq sur Benzedrine Beat, une compile publiée par la Moitié de la Vache. On trouvera difficilement plus enragés que les Purple Hearts. Benzedrine Beat est là pour le prouver. Ils commencent par défoncer «Talkin’ Bout You» qui ne demandait rien à personne. Puis il font rôtir «Louie Louie» dans les règles du lard. Tout y passe, même «Gloria» qu’ils parviennent à massacrer ostensiblement. Bienvenue dans l’enfer des reprises ratées. Le problème est que les Purple Hearts se prennent pour des Yardbirds. Il faut attendre «Of Hopes And Dreams And Tombstones» pour voir l’oreille se redresser. C’est bien ramoné au bassmatic, on a là du Mod rock bien arrosé d’harmo. Ils tapent «I’m Gonna Try» au vieux retour de manivelle. Joli shoot de wild r’n’b aussifié avec une fantastique élasticité du répondant. «Just A Little Bit» vaut aussi le détour, c’est mille fois plus enflammé qu’un hit des Yardbirds. C’est là où les Purple Hearts prennent leur revanche. Lobby devient alors un démon de la voltige, il fait des siennes dans «You Can’t Sit Down». Et ça monte encore d’un cran avec «Tiger In Your Tank». Puis on trouve à la suite une série de cuts assez déments d’un groupe qui s’appelle aussi Coloured Balls, apparemment rien à voir avec Lobby. Ils font une reprise d’«A Song For Jeffrey», ils l’amènent à la flûte mais vont beaucoup trop vite en besogne. Il n’y a que les Aussies pour oser taper dans le vieux Tull. Robbie Van Delf (qui remplace Lobby) explose ensuite la rondelle des annales avec une version de «Killing Floor», puis avec le «Living In The USA» du MC5. Micheal Shannon chante ça à la bonne niaque des USA. Quel power ! Ces mecs ramènent du son à la pelle.

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    Après l’épisode Purple Hearts, Lobby rejoint les Wild Cherries. Dans Wild About You, Ian D. Marks interviewe John Bastow, le chanteur des Wild Cherries MK1, c’est-à-dire l’avant Lobby. Quand Bastow voit arriver Lobby et Mick Hadley, il comprend qu’il n’est qu’un amateur et renonce aussitôt à sa carrière de chanteur de rock - Mick Hadley was just an extraordinary shouter - Ce que va confirmer la Moitié de la Vache avec cette compile des Wild Cherries, That’s Life, dûment coupée en deux : l’avec Lobby et l’avant Lobby. C’est là qu’on voit Mick Hadley à l’œuvre. Wow, on n’est pas sorti de l’auberge avec ces mecs-là. Rien qu’avec «Krome Plated Yabby», on en a pour son argent : pur jus de freakout. Le problème c’est que c’est excellent. Ils se prennent pour des Anglais avec «Everything I Do Is Wrong», excellent et même au-dessus de toute expectative. Lobby ne traîne pas en chemin, comme on le voit avec «That’s Life», une autre giclée de freakbeat à l’Anglaise. Ils se prennent même pour les Small Faces («Try Me») ou le Spencer Davis Group («Gotta Stop Lying»). Mais l’avant Lobby qui date de 1965 est encore plus spectaculaire. Le guitariste s’appelle Malcolm McGee et ça sonne dès «Without You». En voilà un qui sait claquer ses notes. On va de surprise en surprise et les Wild Cherries commencent à taper dans les gros classiques avec «Bye Bye Bird», joué et niaqué de frais. On retrouve Malcolm McGee dans un autre «Without You». Il dévore tout, cut après cut et John Bastow chante divinement «I’m Your Kingpin». Ils rendent un stupéfiant hommage à Hooky avec «Mad Man Blues» et bouffent «Parchman Farm» tout cru. On se régale aussi du bassmatic de Les Gilbert. John Bastow y croit dur comme fer, ses versions de «Smokestack Lightning» et «My Generation» font partie des meilleurs versions jamais enregistrées. Petite révélation, soit dit en passant.

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    En 1976, Lobby s’installe à Londres pour trois semaines et mais il va y rester trois ans. Alors il tente de redémarrer une carrière solo et enregistre Obsecration. Attention, c’est un album de guitariste. Lobby joue alors son petit va-tout dans la plus parfaite indifférence. Il chante son everytime I think of you au clair du heavy rock anglais, just wanna play mah guitah babe. Ce morceau titre d’ouverture en quatre parties dure 17 minutes. Alors accroche-toi babe. Lobby wanna play his chords, c’est vite salué aux trompettes. Que de son, my son, c’est tiré au cordeau du Lobby. Comme Jimi Hendrix, il sait parfaitement créer un monde. Il joue ensuite «A Rumble With Seven Parts And Lap Dissolve» au rumble de Link. C’est le même esprit. Lobby ramène toute la musicalité du rock dans ses approches intempestives. Il tartine à la main lourde. «Dreamtide» dure 14 minutes. Lobby taille ses falaises de marbre à mains nues et ça donne un gros bousin de Carrare joué à l’acou. Tous les coups d’acou sont permis. Cet album devenu très rare fut réédité en 2006 par des Aztèques d’Australie qui eurent le bon goût de ajouter des bonus imprescriptibles. Comme par exemple cette belle reprise de «Do You Believe In Magic». Lobby y ramène une extraordinaire ampleur de son et des échos de Mungo Jerry. Encore une belle pop déterminée à vaincre avec «Gypsy In My Soul». C’est même cuivré à gogo. Lobby tient bon la rampe, il sait travailler un climax et passer des solos incroyablement lumineux. Il ramène aussi énormément de son dans «Too Poor To Die». Voilà encore un cut explosif et terriblement joué, ça frise le Humble Pie. Quelle belle clameur ! Il finit avec un cut simili prog de 9 minutes, «Fist Of Is» et joue les gros bras, c’est plus fort que lui.

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    La même année, les Aztèques d’Australie rééditaient un autre album solo de Lobby Loyde : Live With Dubs. Quand Lobby arrive à Londres en 1976, il monte un groupe nommé Sudden Electric. Dès «Crazy As A Loon», Lobby rafle la mise. Il joue à l’aune de l’horreur compréhensive, il claque du big heavy Lobby explosif, il entre en intraveineuse dans le bras armé du rock. Lobby peut tout exploser, il faut le savoir. Il nous embarque ensuite pour 13 minutes d’un «Weekeend Paradise» qui sonne comme du Steppenwolf ultra-joué, ultra-chanté, Lobby joue à la vie à la mort, il en rajoute à chaque instant, il n’en finit plus de sur-jouer son sur-jeu, il crée du swagger à la compulsive métronomique, c’est le même genre d’énergie qu’on trouve chez Del Bromham de Stray. Laisse tomber tes guitar heroes et écoute Lobby. Il va là où personne n’est jamais allé. Nobody but Lobby. Il n’a qu’un seul rival en ce domaine : le Jimi Hendrix d’Electric Ladyland. Encore du power de Zeus avec «Media Re-Make». Ça vire prog, bien sûr, mais quelle fournaise. Lobby jette tout son génie sonique dans la balance. Il bascule encore dans la démesure cabalistique avec «Sympathy In D». Nouvelle occasion de suivre l’enseignement de Lobby Loyde. Il tartine à la pelle, il se balade dans le son avec l’énergie du diable. On assiste rarement à de tels festins de son. On les voit même redémarrer en côte. Il faut essayer de prendre du recul pour apprécier un tel spectacle. Ces dévoreurs d’espace règnent sur les ruines d’un vieil empire. Lobby fait encore du lobbying avec «Gyspsy In My Soul». Il est quand même gonflé d’envoyer rouler un boogie de 8 minutes. Tous ces cuts faramineux datent de 1980. Par contre, les bonus datent de l’an 2000. Ça démarre avec un «GOD» assez demented, ce diable de Lobby joue tout en vrilles indescriptibles, il joue à la sheer energy du Loyde System. «Flash» explose aussi dans le creux de l’oreille. Lobby dicte sa loi, il joue «Heartbreak Hotel» au heavy reviens-y, c’est quand même plus sexy que la version foireuse de John Cale.

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    La même année, les Aztèques d’Australie rééditent l’encore plus rare Beyond Morgia. The Labyrinths Of Klimster. C’est aussi le titre d’un roman sci-fi qu’écrit Lobby en 1975, après la fin des Balls et juste avant la formation de Southern Electric. Un jour, Lobby craque et jette son manuscrit au feu. Fin du roman. Mais il a la musique de Morgia en tête. Alors il entre en studio avec les gens de Southern Electric. Quand on voit la pochette on sait ce qui nous pend au nez : un voyage intersidéral. Lobby nous embarque dans l’espace, mais à sa façon, à l’outro sci-fi. C’est un voyage sans retour, une expérience unique. Il faut attacher sa ceinture et accepter l’idée d’excès en tous genres. Il nous emmène dans des zones chères aux grands proggers de l’hyper-space, comme Hawkwind ou Utopia. C’est leur domaine. Tu fais comme tu veux : tu y vas ou tu n’y vas pas. Personne ne t’oblige à y aller. Le côté intéressant de cette affaire est qu’on voit Lobby touiller une vieille sauce synthétique. Pour l’amateur de sci-fi, c’est un régal, pour les autres, c’est plus compliqué. Le pire est que ça se laisse écouter. C’est bourré de son jusqu’à la nausée. En fait Lobby vise le mini-opéra. Il progge comme une bête. Il joue à n’en plus finir, il bâtit l’œuvre d’une vie, ses cuts durent encore 14 minutes, mais il joue chaque note de ses 14 minutes. Il exploite toutes les possibilités d’une île et vise l’extension du domaine de la turlutte. Il peut jouer 14 minutes sans débander.

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    Considéré comme un album culte, Plays With George Guitar n’est pas non plus l’album du siècle. Lobby y joue un rock seventies sévèrement niaqué. Il joue rigoureusement dans le son et bat tous les records de cisaille avec «George». On assiste rarement à de tels festivals. Il mélange tous les genres, le funk, le blues et le heavy duty, et il est tellement doué qu’il gratte tout ça à la revoyure d’anticipation. L’enthousiasme prévaut sur tout le reste. Ah pour jouer, il joue ! Il fait du Crosby Stills & Nash avec «I Am The Se» et du lobbying en embuscade dans «What I Want». Lobby n’en finit plus de surprendre.

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    Encore un joli coup des Aztèques d’Australie avec cette compile intitulée Summer Jam. Lobby’s Last. Ce sont les Coloured Balls enregistrés au Sunbury rock festival en 1973 : Trevor Young (drums), Janis John Miglans (bass), Ian Bobsie Miliar (guitar) et Lobby. Ils démarrent avec une version live d’«Help Me/Rock Me Baby». Quand on ouvre le digi, on les voit tous les quatre sur scène. Fantastique ! Ces mecs jouent pour de vrai, surtout Lobby qui développe un jeu à la Ten Years After. Il piétine les plate-bandes d’Alvin, il joue en tourbillon et on est là pour ça, pour le tourbillon. Il fait son vieux shoot de somebedy help me. 11 minutes de vraie jam camembert ! Il enchaîne avec le vieux «Going Down» de Don Nix. Ils y vont les cocos. Lobby farcit son «God» de riffs de Led Zep et ça prend vite une belle ampleur. Il sait embarquer son monde. Il indique dans le plantureux livret glissé dans le digi qu’il a composé «God» en 1971 et qu’il n’a jamais eu l’occasion de l’enregistrer en studio. La compile propose ensuite des inédits qui valent franchement le déplacement, à commencer par ce «Terra Vision» extrêmement powerful. Lobby et ses amis balancent ensuite un «Working Class Hero» de 14 minutes, en mode heavy jamming upwards assez convaincu d’avance. On finit par se faire avoir avec «Revolution». Trop de son. Lobby Loyde n’est pas un amateur. En 1973, il figurait déjà parmi les géants, mais personne ne le savait.

    Signé : Cazengler, Lobby labite

    Purple Hearts. Benzedrine Beat. Half A Cow Records 2005

    Wild Cherries. That’s Life. Half A Cow Records 2007

    Coloured Balls. Ball Power. EMI 1973

    Coloured Balls. Heavy Metal Kid. EMI 1974

    Coloured Balls. The First Supper Last Or Scenes We Didn’t Get To See. Rainbird 1976

    Lobby Loyde. Obsecration. Aztec Music 2006

    Lobby Loyde With Sudden Electric. Live With Dubs. Aztec Music 2006

    Lobby Loyde. Beyond Morgia. The Labyrinths Of Klimster. Aztec Music 2007

    Lobby Loyde. Plays With George Guitar. Infinity 1971

    Lobby Loyde. Summer Jam. Lobby’s Last. Aztec Music 2018

    Ian D. Marks & Iain McIntyre. Wild About You. The Sixties Beat Explosion In Australia And New Zealand. Verse Chorus Press 2011

     

    WELCOME TO HARLEM

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

     

    Non ce n'est as un CD, cela se pourrait Patrick Geffroy Yorffeg est musicien, non ce n'est pas un recueil de poésie, cela se pourrait Patrick Geffroy Yorffeg est poëte, non ce n'est pas un tableau, cela se pourrait Patrick Geffroy Yorffeg est aussi peintre, mais l'on s'en rapproche, simplement ( cet adverbe ne signifie pas qu'il y aurait des arts mineurs ) des dessins, sur son album FB, il précise pour les visiteurs étrangers '' drawings'' , j'aurais presque envie de changer l'alpha en oméga et puis d'adjoindre une lettre pour obtenir ''drownings'', noyades en le sens où l'on descend en soi et l'on laisse défiler les images d'une vie incrustées dans le cortex de l'intelligence et encore plus profond dans le cerveau reptilien. Il existe une profonde analogie entre l'art du dessin tel que le pratique Partick Geffroy Yorffeg et le jeu de la trompette, Patrick Geffroy Yorffeg est ( entre autres ) trompettiste, dans les deux cas l'on apporte quelque chose au monde, mais pour émettre ce son ou ce tracé l'on est dans l'acte même de transmission obligé de se couper momentanément de l'univers, pour exprimer totalement sa solitude de créateur. Je n'ai pas dit d'amuseur ou d'afficheur public. Mais celui qui rajoute à l'être du monde, son propre être, crée ainsi un agrandissement, une amélioration, une doublure séparée de l'être du monde. Dans Le Domaine d'Arnheim, Edgar Allan Poe nous conte son héros qui se donne pour but, il y réussit, d'améliorer la création divine.

    Des deux cent vingt dessins contenus dans cet album, aux thèmes multiples, nous ne nous attarderons que sur quelques uns. Kr'tnt ! étant un blogue à dominante musicale, nous en avons choisi 21 parmi ceux qui répondent à cette option.

    1

    SEUL DANS LA SPLENDEUR DU MONDE*

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    Autoportrait aux feutres pour une présence pas du tout feutrée, des notes bleues, la même encre que sur les anciens cahiers d'écoliers. Ne reste de l'artiste que sa tête et sa trompette, tout le reste est englouti dans une terrible solitude. Peut-être n'est-il pas seul, peut-être est-il seulement la splendeur du monde. Artiste en solo, les moments les plus concentrés, les plus éblouissants du jazz. Le trait discontinu nous rappelle que le jazz est une musique qui peut-être considérée comme un dialogue discontinu avec le silence.

    ( Un titre suivi d'un astérisque signifie que nous avons donné un titre là où l'auteur l'avait délibérément omis. Celui-ci est emprunté à John Keats )

    1

    COMMENT L'HOMME DEVINT OISEAU*

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    Un instant plus tard. Ou plus tôt. Qu'importe la fragmentation du temps, ce qui suit se passe parfois avant. Joyce nous a appris ces discordances structurelles. Dans le jazz ce sont des notes ou plus douces, ou plus criardes, qui s'en viennent faire leurs nids dans l'oreille des auditeurs, il existe une limite où le musicien ne respecte plus l'ordre immonde des choses du monde. Tout s'envole, nuées d'oiseaux acharnées sur le cadavre d'un souvenir, qui s'éparpillent d'un seul coup, sur un klaxon de trompe qui surgit en trombe, ou alors, c'est encore plus troublant, parce qu'une douceur des plus abstraites s'avère aussi inquiétante qu'un poison qui se dépose et cloue le bec du musicien, qui expire. Ou explose.

    2

    DEUX-SAXOS

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    Patrick Geffroy Yorffeg est parfois gentil. Vous offre un titre qui vous réconforte. Justement j'avais vu deux saxos vous exclamez-vous, vous êtes content, vous progressez en identification picturale pensez-vous. Eléphant dans un magasin de porcelaines peintes, vous n'avez pas vu le trait d'union, ce qui sépare et retient, vous faites des efforts, vous proposez une double-croche, vous avez effectué un pas dans l'abstraction, c'est bien, mais c'est autre chose, une dyade, ce principe platonicien qui permet de passer du Un au Deux, comprenez du Un au Multiple, car le Un unique ne saurait être accompagné d'un autre, que vous le nommiez 2 ou 3746, sans la dyade intermédiaire vous seriez incapable de compter jusqu'à deux, le musicien de jazz qui pousse son solo ne pourrait jamais jouer dans un groupe. L'on peut le dire la dyade est germinative ! Etonnez-vous si ce principe métaphysique de dualité, de duellité, préside à la production graphique de Patrick Geffroy Yorffeg, il est son unité rythmique de base, à partir duquel tout s'accroit ou tout s'amenuise.

    2

    LES SAXOPHONISTES

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    Ce coup-ci Patrick Geffroy Yorffeg ne vous trompe pas, sont bien deux. Les cuivres bourdonnent comme des abeilles. Je ne mens pas. Nous avons un bel ensemble. Au sens mathématique du terme. Avec deux éléments. Si vous regardez plus attentivement, vous remarquerez que chaque élément constitue un sous-ensemble de l'ensemble E. Si vous portez votre attention sur ce que l'on nommerait le décor, vous vous apercevez qu'il regorge d'éléments hachurés qui sont autant d'éléments de plusieurs sous-ensembles qu'il est parfois difficile de visualiser, pour cela il faut se servir d'une autre branche de la mathématique appelée la topologie, j'arrête avec les maths je sens que vous avez du mal à suivre, alors pensez à la musique sérielle, ce n'est pas un secret nous nous dirigeons davantage vers le free-jazz que vers le trad-jazz, imaginez les notes rangées sagement comme les rayons alvéolés des abeilles, emparez-vous du gâteau de cire, décomposez-le, lancez-les alvéoles isolés en l'air et étudiez les manières disparates dont elle vont une fois au sol se reconfigurer en différents paquets structurels. Recommencez à plusieurs reprises. Certes vous improvisez à chaque fois. Mais c'est pour mieux percer le mystère des règles du hasard.

    1

    LE CONTREBASSISTE

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    Encore un titre sans ambiguïté. Même que le dessin s'est efforcé à un minimum de réalisme... Nous sommes bien dans le 1. Mais alors pourquoi avoir fait paraître tout ce qui n'existe pas sur ce fond noir. Il eût été symboliquement plus logique de laisser le papier en blanc, le Un se suffit à lui-même, inutile de rajouter une couleur, à tel point que c'est elle que l'on voit en premier, or si le Un n'apparaît pas en premier c'est qu'il n'est pas seul, donc qu'il n'est pas Un. D'abord pourquoi noir ? Je soupçonne l'artiste de faire avec le feutre qui lui tombe sur la main, mais ceci est une autre histoire. Pourquoi pas rouge ? Je ne procède pas au hasard. Ce noir m'évoque irrésistiblement le rouge de la toile de Le Grand Concert de Nicolas de Staël avec son piano et sa contrebasse jaune qui ressemble à une poire géante. Tout cela pour dire que les dessins ( et les peintures ) de Patrick Geffroy Yorffeg ne sortent pas ex-nihilo mais sont aussi porteurs d'une tradition picturale qui remonte à loin. L'on ne fabrique pas un solo de jazz à partir de rien.

    4

    LE JAZZ EN NOIR EN BLANC ET EN LARGE

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    Quatre, nous avançons. Saxophoniste, bassiste, pianiste ( il y a aussi un piano dans la toile de de Staël, nous sommes en musique classique ) et batteur, pas d'équivoque nous sommes in jazz. Du Un nous sommes déjà à quatre, mais le noir est devenu blanc. Le titre nous le confirme. Faut-il penser que le jazz est une musique noire appréciée et jouée par les blancs. En large parce que la feuille utilisée était un grand format, la reproduction informatique ne permet pas d'en juger, mais nous revenons à l'adjectif grand devant concert qui désigne quoi au juste, la dimension de la toile ou la qualité du concert. Le noir a laissé place au blanc, il est l'essence de l'épure – admirez le rendu de la précision des poses des musiciens – est-ce parce qu'il n'a pas pu se débarrasser de l'invasion rougeoyante de sa dernière toile, que Staël a mis fin à son existence. Peinture et musique sont des arts dangereux.

    6

    LE JAZZ C'EST COMME LA VIE

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    Chassons les ombres du cimetière, il faut tenter de vivre a dit Valéry, certes le jazz est une musique de torturés, chacun dans sa case, mais aussi d'exultation corporelle, de danse, et de joie. Nous n'avons présenté jusqu'à maintenant que des dessins en blanc et noir, pas tout à fait, mais la couleur se fait discrète, ici simplement trois tâches rose, rouge, orangé, des marqueurs génétiques en quelque sorte, si le blanc et le noir correspondent au blues souterrain qui irrigue le jazz, les couleurs sont au centre des rythmiques et des des timbres, jugez de cette volonté de représenter le jazz par des productions muettes, ici le dessin ne saurait être représentation mais suggestion. C'est à vous de chaircher le rythme dans votre corps.

    1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10...

    FÊTE DE LA MUSIQUE

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    C'est encore mieux en le proclamant, de l'afficher sur les murs pour mieux le crier sur les toits, et cette apparition de l'animal, poisson froid et chien chaud, toute la gamme de cette force primordiale qui n'irrigue plus que très rarement le sang de l'homme et de la femme obligés de se coller l'un à l'autre pour se réchauffer. Ainsi va l'humanité... sur cette image peut-être un peu trop située dans l'ici festif et maintenant répétitif de la réalité française...

    WELLCOME TO HARLEM ( 1 )

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    Nous entrons ici dans une série numérotée. De un à treize. Nous ne pensons pas que l'ordre numéral invite à la lire comme autant de case d'une bande dessinée racontant une histoire anecdotique avec un début et une fin. Sans doute faut-il la regarder comme l'on écoute des disques de John Coltrane, chaque morceau se développant comme un climat de l'âme de l'artiste. Une phrase de Friedrich Hölderlin donne le la : '' Une félicité nouvelle est donnée au cœur qui persiste''. Les amateurs de réalisme socialiste affirmeront que pratiquement rien dans ce dessin n'évoque le quartier noir d'Harlem. Sur le plan cadastral, ils ont raison, mais ils oublient l'essentiel, Harlem est juste une image, Harlem est partout dans le monde s'il est en vous. Il est sûr que cette cité en laquelle ( elle n'est pas la seule ) le jazz élut domicile en ses années légendaires est chère au cœur de Patrick Geoffroy Yorffeg, elle est à considérer comme un mot talisman, un lieu symbole du peuple du jazz, d'ailleurs le dessin est paré des plus douces fragrances, presque du lavis, une sérénité ineffable se dégage de cette œuvre qui n'est pas sans rappeler les douceurs hiératiques de Puvis de Chavanes. Cela peut étonner, mais Harlem est partout.

    WELLCOME TO HARLEM ( 2 )

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    Celle-ci pour s'apercevoir que la précédente était en couleur. Que voulez-vous le retour du même n'est pas exactement la répétition du même. A Harlem comme partout dans le monde, la nuit les chats sont gris. La nuit est même l'heure idéale de la fête. Le gris n'est pas obligatoirement gris, il grise. Une autre vision du bonheur, certes un jour nous ne serons que des ombres blanches au fond des enfers, de fait plus légers que dans notre vie. Il n'est pas obligatoire que la pulsation originelle qui nous assaille soit anéantie avec nous. La mort n'est peut-être que le filigrane de la vie.

    WELLCOME TO HARLEM ( 3 )

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    Ce coup-ci il faut l'admettre, le dessin est beaucoup plus inquiétant. La foule semble s'agglomérer et l'esprit n'a plus l'air à la fête. Le gris s'assombrit, le solo ne se ressemble plus, il se teinte d'angoisse et d'attente. Le même se ressemble de moins en moins. Ce n'est plus la nuit, mais l'ennui. Une variation atmosphérique dans la perception du monde et nous voici dans un autre monde. La joyeuse kermesse du début se mue en morne défilé. Toute répétition engendre-elle la lassitude. Opacité.

    WELLCOME TO HARLEM ( 4 )

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    L'on a poussé les murs, l'espace est libéré. Un champ de neige. Les ombres n'ont jamais été aussi noires et jamais aussi joyeuses. L'on sent l'entrain, la joie de vivre, tout baigne dans un merveilleux idyllique. Plus besoin de musiciens. La danse suffit. Autant de signes qui ne font pas signe mais qui gesticulent. Peut-être atteint-on à une sorte de transe mystique échevelée et immobile, le mouvement s'inscrivant comme des lettres inconnues sur le tableau blanc de l'âme vierge. Harlem n'est pas obligatoirement noir. Il peut atteindre à l'innocence de Marc Chagall.

    WELLCOME TO HARLEM ( 5 )

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    Une subtile variation comme si le solo de trompette était en quelque sorte doublé par un feulement de sax aphone, les ombres noires paraissent plus sombres que sur le précédent car le blanc de neige est encombré de taches grises comme si l'ombre était plus claire que le corps qui la projette. L'ambiance n'en est pas morose pour autant, au contraire, elle s'intensifie, un remuement insaisissable dans tous les coins, il est temps de recopier le proverbe Igbo qui l'éclaire de sa sagesse sentencieuse : Le monde est comme un masque qui danse : pour bien le voir il ne faut pas rester à la même place. D'ailleurs n'est-il pas vrai que les couleurs du peintre sont son masque de guerre. Ici lumineuse. Vibrionnant tel un amas de spermatozoïdes.

    WELLCOME TO HARLEM ( 6 )

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    Nous nageons en pleine folie. La diagonale du fou partage le tableau, blanc d'un côté, multicoloré de l'autre. Avec en plus cette noirceur des hommes qui s'en détachent souverainement. Comme pour affirmer la phrase d'Euripide : Nombreuses sont les merveilles de l'univers, mais la plus grande de toutes reste l'Homme. Que son âme soit blanche comme une colombe ou noire comme le cafard. Ici pas de cafard, comme si le jazz oubliait qu'il sortait du blues et qu'il était, aux heures de ses plus flamboyantes exaltations, encore plus bariolé que l'arc-en-ciel.

    WELLCOME TO HARLEM ( 7 )

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    Ce sept serait-il de pique ! Nous sommes ailleurs. Ailleurs que le dessin. Pourquoi n'ai-je pas évoqué d'une façon précise les gestes des personnages. Oui certains sont musiciens, oui certains sont des danseurs, d'autres s'esbaudissent moultement sans que l'on puisse décider ce qu'ils font au juste. Et à l'injuste. Mais ce répertoriage me semble insignifiant. Ce qui compte c'est que par-delà leur signifiance, disons sociale, ils fassent signe. Pas à nous. Ne nous prenons pas pour le centre du monde, parce que celui-ci est comme Harlem partout, non ils font signe de Patrick Geffroy Yorffeg, ils sont à interpréter comme ces calligrammes que les calligraphes chinois jettent telle une bouteille d'encre à la mer sur la laque du papier, ils ne forment pas de mots, ils sont le mot à eux tout seul, tout le monde peut le déchiffrer mais ce que l'on doit lire c'est l'art du peintre, car le mot devient alors le nom du calligraphe. Il est nécessaire que l'amateur retrouve non pas la représentation de l'objet ou du sujet, mais le souffle, expulsé de l'intérieur de son soi, du geste qui le produit. Tout comme l'on reconnaît la flamme de Coltrane sans avoir vu la pochette du disque. L'on pense, puisque notre peintre est aussi poëte à ces glyphes que traçait Henri Michaux qui ne sont plus des lettres et pas encore des dessins. Il est des lignes où peinture et poésie se rejoignent.

    WELLCOME TO HARLEM ( 8 )

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    Groupe de jazz est une expression consacrée. La série change de cap, Patrick Geffroy Yorffeg réduit la focale. Des fanfares de Congo Square l'on passe aux quatuors, aux quintettes des clubs. De la macro au micro. De la foule endiablée aux individus. Personnages qui passent telles des notes colorées d'un solo, ils glissent entre ciel de pare-brise balayé de traces d'essuie-glaces et le sable des rêves mouvants engloutis. Où va la beauté quand elle traverse le monde ! Et si la chatoyance du monde s'évanouit aussitôt que produite l'artiste a-t-il le don de la fixer par une opération d'alchimie synesthésique. Ne peut-on exprimer une chose que par ce qu'elle n'est pas.

    WELLCOME TO HARLEM ( 9 )

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    Lorsque l'on se rapproche, que l'on cherche à savoir à quoi se résout cet effet qui a provoqué de profondes vibrations en vous, une pierre que l'on jette en soi qui n'arrête pas de tomber encore et encore, l'on est bien obligé de reconnaître que ce n'est qu'un simple la qui a bon do, tout comme ces gens issus des délires d'un Salvatore Dali et lorsque l'on s'approche l'on reconnaît nos costumes de tous les jours, comme ils sont laids et anguleux, des géométries figées sur place, à regarder de trop près l'on ne voit que la réalité, nous qui nous prenions pour des Narcisse orangés ! Nos écorces sont à terre et nous sommes couleur muraille. Grisâtres. Astres morts.

    WELLCOME TO HARLEM ( 10 )

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    Cachons-nous dans le tutti de l'orchestre, fondons-nous dans la masse, devenons transparents, noyons-nous dans l'anonymat de la goutte séminale, à défaut d'être original, soyons l'originel indistinct, ce qui n'est pas encore advenu puisque nous ne sommes pas, soyons le possible, l'inattendu de l'attendu. Ne formons-nous pas une bande hermétique, ne sommes-nous pas comme des hiéroglyphes égyptiens que personne n'aurait encore déchiffrés, une fresque dont tous les éléments auraient été mélangés, les pièces éparses d'un puzzle...

    WELLCOME TO HARLEM ( 11 )

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    Le tout est de se retrouver. Un jeu. Ce n'est pas que les murs ont des oreilles, c'est que nous sommes les murs. Mais certains s'en détachent. Le proverbe Igbo n'a jamais été aussi prophétique. Seuls seront eux-mêmes ceux qui auront osé être, le geste d'appel ou le geste d'acceptation, dans le passage du témoin ce qui est important ce n'est pas le témoin, c'est le passage, l'acte d'être soi en esquissant les silhouettes. Les flèches du lac de Stymphale tombent sur nous mais ne nous transpercent pas.

    WELLCOME TO HARLEM ( 12 )

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    Du moins l'avons-nous cru. Nous voici debout et survivants dans la neige d'un autre âge. Une génération a passé. Le rap a remplacé le jazz. Pas de quartier. Toute tentative artistique est-elle vouée à l'échec. Quand votre solitude ne fait pas l'histoire c'est l'histoire qui vous ratt-rap. Qui vous jazz-trappe.

    WELLCOME TO HARLEM ( 13 )

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    Que chacun se débrouille comme il peut dans ce monde qui nous ressemble de moins en moins, à chacun son petit carreau de plexiglas géométrique. Les pièces du puzzle se mettent en place, ce qu'il dessine c'est une étrange solitude à un, à deux ou a plusieurs, la règle est simple il faut être pareil à l'autre pour s'assembler. Un immense dallage vitrifie Harlem. La vie continue. Certains résistent, ils jouent encore de la musique. D'autres peignent. A l'instar de Patrick Geffroy Yorffeg.

    Même quand tout est perdu, il est important de dessiner des signes de victoire sur la robe des poneys de guerre.

    Damie Chad.

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS / 1968

     

    Enregistré en décembre 67, sorti en mai 1968, cet album est souvent considéré comme le frère jumeau de Winds of Change. Apparemment son souvenir aurait moins marqué la mémoire collective même si deux de ses titres surgissent en vrac dans la tête de ceux devant qui le nom d'Eric Burdon est prononcé. Il est vrai qu'il est un peu borderline, un peu trop de son époque et en même temps un peu trop expérimental. Pour ne pas résister à un mauvais jeu de mots nous dirons qu'il est davantage hippie-free que hippie-freak !

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    La pochette attire l'œil. Elle est signée de Fred Otnes. Pas n'importe qui. Dans les années soixante il illustrera bien des couvertures des plus grands magazines américains. Pas le gars à se contenter d'une seule image. Vous en file sous les yeux un minimum de trois ou quatre, échelles différentes, utilisation de silhouettes monochromes et surimpressions. Son art confine au collage. Même s'il travaille à partir de photos connues ( hommes politiques, écrivains, etc... ) il essaie plutôt de suggérer une certaine idée de la globalité de l'évènement traité comme s'il réunissait plusieurs points de vue sur la question. Il réussit l'exploit de donner au lecteur l'impression que l'artiste a traduit la nébulosité, ou le questionnement, ou l'idée bien arrêtée qui agite son esprit. Otnes possède cette particularité de faire croire à tout un chacun qu'il penche de son côté. Son art intersectif réside en une manipulation abstraite de représentations réalistes. Il n'a réalisé que peu de pochettes de disques, les plus représentatives restent celles de la série anthologique Atlantic Rhythm and Blues.

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    Eric Burdon en blanc et noir occupe l'espace de quatre des vingt carrés qui parcellisent la pochette. Le nom d'Eric Burdon apparaît mais si vous voulez voir celui des Animals il vous faut le chercher... Les mauvais esprits remarqueront qu'il est disposé à côté de la case quasi-centrale qui représente un animal. Pas n'importe lequel : la colombe de la paix. Nous sommes en pleine guerre du Vietnam et il n'y a pas d'équivoque, Burdon est contre cette guerre et la mécanique destructrice de la société qui l'a engendrée... Le lecteur optimiste adorera l'effulgence orangée du recto de cette couve, le pessimiste s'attardera sur son verso, identique, mais d'une tonalité bleu sombre... Le titre de l'album est résolument positif, traduisons en forçant le trait, les ennemis finiront par se réunir, si vous préférez une vision dialectique, empruntons-la au président Mao Tsé Toung qui en ces temps-là enseignait au monde entier que Deux se réunissent en Un ( pour ajouter aussitôt que Un se divise en Deux ) je ne sais si Fred Otnes avait ce principe en tête lorsqu'il a composé son artwork avec face lumineuse et face obscure... Plus près de la culture britannique le titre The twain shall meet est pour ainsi dire une réplique de l'expression Never the twain schall meet tirée d'un des plus célèbres célèbres poèmes de Ruydard Kipling, The Ballad of East and West dans lequel un indien ( d'Inde ) et un anglais finissent après s'être âprement combattus par devenir frères de sang... Un jour l'amour entre les hommes triomphera, un des futurs albums d'Eric Burdon s'intitulera plus simplement Love is...

    THE TWAIN SHALL MEET

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    Eric Burdon : vocal / John Weider : guitar, violin / Vic Briggs : guitar / Danny McCulloch : bass, vocal / Barry Jenkins : drums.

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    Monterey : le festival de Monterey fut un révélateur pour Eric Burdon, pas tant musicalement parlant, n'en fut-il pas avec ses nouveaux Animais partie prenante, que par cette foule de jeunes gens, ces beautiful people, qui parurent à ce natif de la froide Albion un nouveau peuple, la résurgence d'une tribu d'indiens miraculeusement reformée un siècle après leurs exterminations, qu'elle ait changé de couleur de peau n'avait pas d'importance, la possibilité d'une autre vie, d'un autre pays, n'était plus une utopie, même plus un rêve, mais un embryon de réalité palpable du bout des doigts. En France, vieux pays révolutionnaire, se déroula aussi au joli mois de mai 68 un phénomène semblable mais totalement différent car enté selon une historiale dimension politique. Aux USA une foule pacifique offrait des fleurs, en France on jetait des pavés. Certains accouchements sont plus violents que d'autres, mais au résultat les deux bébés ne survécurent que peu de temps à leurs tumultueuses naissances... Mais lorsque Burdon et ses sbires enregistrent ce disque, ils se sentent chargés d'une mission quasi spirituelle, ce nouveau monde qu'ils ont touché du doigt est en demande d'une bande-son originale. Le précédent opus Winds of change dans la structuration de ses morceaux, si miroitants, si novateurs qu'ils soient, n'était à y réfléchir qu'un ramassis de chansonnettes des plus traditionnelles. L'hymne folk We shall overcome n'était que la future promesse d'un monde meilleur. Monterey est le témoignage que la la chose attendue a eu lieu, que le vœu pieux a été en partie réalisé. Que l'on est en train de quitter les champs du possible pour entrer dans l'autre contrée de l'effectivité. Quelques notes de cristal et Burdon qui murmure, trois mots, pas le merveilleux ''il était une fois'' dont on sait qu'il raconte une belle fable mensongère mais la formule sacramentelle du dépouillement prométhéen de Dieu, In the begining, c'est un nouveau monde qui commence, qui déboule sur une cascade instrumentale sans précédent, le groupe a bénéficié de musiciens additionnels – notamment une trompette à la Jéricho, longtemps que je l'avais écouté, mais une évidence m'a sauté aux oreilles, peut-être grâce à la chronique de la semaine dernière du Cat Zengler sur Jimbo, c'est que ce morceau propose de profondes analogies sonores avec le son des Doors, ne pensez surtout pas à du copiage ou de l'espionnage industriel, mais une rencontre, plus que l'air du temps, parfois des artistes sont des caisses d'incarnation miraculeuses de leur époque... Les lyrics évoquent l'ambiance et différents moments scéniques du festival écoutons-les comme des mantra opératifs que l'on récite sans en connaître le sens, c'est la musique - une fête pour les musicos - qui mène la danse du diable et des anges, emplie de folies galopantes et de ruptures sanglantes, pleine de ces années de feu et de cendre, d'avancées et de piétinements d'exaltation et de brisures effrayantes que furent les mid-sixties. Just the thought : vaguelettes, ne nous y trompons, cette flûte innocente, l'on pourrait s'endormir, mais non, une étrange conjonction avec le deuxième disque des Doors s'impose, même recherche d'une douceur rassurante et inquiétante, le morceau s'étiole, une fleur vénéneuse qui se meurt de respirer ses propres senteurs, musique ensorcelante aussi nauséabonde qu'une charogne de Baudelaire qui serait la seule invitation au voyage possible, Danny McCulloch est au vocal, il ne dépare pas après Burdon, loin de là, le texte est à la hauteur, tout se passe dans la tête mais parfois les tubéreuses corolles  qui poussent hors de notre cerveau sont carnivores, l'homme est un cannibale qui se mange lui-même, ses rêves certes, mais aussi son corps. Les morts rêvent-ils encore. Peut-être sommes-nous, nous les vivants, fragmences de leurs cauchemars. Monterey était un hymne, Just the thought est un fredonnement délétère. Closer to the truth : c'est ce que l'on pourrait appeler un blues expérimental, très frustre et très savant, avec de subtils décrochages comme si le son vous parvenait d'un poste de radio éloigné puis rapproché puis exilé au loin, une jam-session improvisée, une partie de plaisir pour les guitares qui se tirent la bourre et s'interpénètrent, la voix de Burdon fait office de rythmique et vous avertit que le secret de l'homme est en lui et pas dans le monde. Sous prétexte de passer un message sans doute parle-t-il de lui. No self pity : philosophiquement dans la même veine, une osmose parfaite entre l'accompagnement, la basse de McCulloch est éblouissante, et Burdon qui joue au grand sage, vous dit que vous trouverez toujours plus grand et plus petit que vous, que le génie de l'homme n'est rien comparé aux beautés de la nature, il pourrait vous chanter la messe en latin ou votre propre condamnation àmort que vous trouverez l'ensemble merveilleux. Orange ans red beams : troisième tranche de la même trame musicale c'est pourtant le seul qui soit crédité uniquement à Danny McCulloch et non pas à tous les participants, c'est d'ailleurs lui qui se charge du vocal, chargé de glaires d'un nouveau-né qui a du mal à retrouver sa respiration, un morceau qui fonctionne un peu à la manière d'une maladie auto-immune, tempo lent sur lequel se greffent des bruits mal identifiables, à un tel point qu'à un certain moments malgré une trompette insistante, ce rampement de bassine terreuse sur le sol j'ai cru que les chiens s'amusaient entre mes jambes, mais non c'était le disque, lever du soleil, naissance d'un enfant, n'est-ce pas l'humanité entière qui renaît chaque matin en tout homme.

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    Sky pilot : plutôt un astronaute de l'espace intergalactique, un véritable ovni tombé sur les ondes radiophoniques, bon pour la voix a cappella si magnifique pas de problème, celle de son maître Eric Burdon, n'a qu'à ouvrir la bouche pour que l'on comprenne que l'on est en plein drame, pas un truc fictionnel, un machin qui nous concerne, mais le morceau en lui-même, on n'en n'avait jamais entendu de pareil, ça démarrait à peu près convenablement, mais ce refrain qui s'élevait comme une prière impie, un chœur grégorien en goguette qui s'en va tirer la barbichette du divin, et le boucan qui survient au milieu, faudra attendre le II de Led Zeppelin pour en entendre un pareil, je veux dire qui s'harmonise destructivement avec ce qui précède et ce qui suit, et puis ces sons de cornemuses venus tout droit d'un régiment de hihglanders qui monte imperturbablement à l'attaque comme dans les films, et au milieu cette douceur révoltante... on ne comprenait pas tout mais assez pour intuiter que Burdon s'élevait contre les bombardements au Vietnam. Tout le monde en prend pour son grade, la prêtaille et la piétaille, la religion et l'armée, le titre est magnifique, vraisemblablement inspiré par l'actualité et par ces images qui traînaient partout à la TV où l'on voit le prêtre bénir l'avion qui va s'envoler pour larguer la bombe atomique sur le Japon... un oratorio d'une puissance folle, qui file la chair de poule et vous pousse à l'insoumission. Le genre de morsure qui ne doit pas vous faire que des amis dans l'establishment. A la limite il serait possible pour les imbéciles de traiter les morceaux précédents pour de la masturbation expérimento-musicale, un groupe de hippies pas très clairs sous fumette acidulée, mais là c'est un coup de boutoir dans la forteresse étatique... The unknown soldier des Doors ( sur Waiting for the sun ) ne lui arrive pas à la cheville. Burdon et ses Animals touchent à l'universel. We love you Lil : quand on a frappé si fort sur la plage précédente l'on peut tout se permettre à la suivante. Sans dire un mot de plus. Un instrumental, n'imaginez pas un petit coucou à une groupie, la petite Lil, l'air sifflé en préambule vous renseigne sur son identité officielle, Lili Marleen de Marlène Dietrich, l'hymne plébiscité par les troupes allemandes durant la deuxième guerre allemande, aucune nostalgie fachisante bien entendu mais une façon de dire que les ravages du conflit n'égaleront jamais le souvenir d'un amour dans une âme humaine... magnifique mélodie avec cette cloche qui résonne comme un glas funèbre sur les brouillardeux glissandi de guitares de Weider et de Briggs, et petit à petit la joie survient comme des pousses d'herbes folles qui sortent de terre car l'amour de la vie est plus fort que le désir de mort. Il est rare que l'on écoute un instrumental rock en-dehors des prouesses des musiciens, mais ici la beauté sonore l'emporte sur l'habileté qui n'est pas restée en rade. All is one : retour des highlanders, toute la nostalgie des bruyères et des landes, un vol de bourdonnement d'abeilles s 'enfuit d'un sitar, Burdon moane comme s'il récitait les koans du Yi King, et le chant gravit les étages et monte sans fin jusqu'à s'échouer sur la motte fondante de beurre du violon électrique, Burdon vous parle de l'unité de toutes les unités, une leçon de philosophie qui s'emballe comme un moulin à prières tibétain emporté par un ouragan, tout est un, et un est tout, tout est dit, tout est tu. Ne posez pas de question. Sinon vous n'avez pas compris.

    Depuis les cinq cents livraisons précédentes je n'ai jamais pris autant de plaisir à (re)découvrir un disque.

    SKY PILOT / 1968 Let's Go / Vancouver TV

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

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    La petite sucrerie habituelle, sur You Tube, un bonbon au poivre, pour changer, c'est ce que l'on appelle de la télévision didactique, d'abord Eric prend la parole, ne mâche pas ses mots, ensuite les Animals sur scène plantés comme des piquets de tomates, regardez les bien car vous n'allez pas les voir longtemps, vous avez le son, puis les images qui envahissent l'écran, des scènes d'actualités, guerre de 14, de 39, jusqu'à la bombe d'Hiroshima, si vous n'avez pas compris que c'est une chanson anti-guerre c'est que vous êtes particulièrement obtus, frères chrétiens ne regardez pas les deux premières minutes, vous seriez déçus et honteux... sur les dernières notes, retour sur la scène, les musiciens ont disparu, sont remplacés par des militaires de tous les pays ( qui ont refusé de s'unir ! ). De ce temps-là les canadiens n'y allaient pas à vents couverts ! L'intention est bonne, le résultat un peu kitch !

    Damie Chad.

    XXVI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

     

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    107

    Le Chef n'eut même pas le temps de craquer l'allumette pour enflammer son Coronado, au fond de la fosse les Réplicants s'agitaient dans tous les sens, il était difficile de comprendre ce qui se passait. Au bout d'un quart d'heure la situation s'éclaircit. La plupart d'entre eux s'étaient massés sur les bords, laissant un vaste espace dégagé devant la plus grosse des machines sur lequel vinrent se placer une partie d'entre eux, il fut facile de les compter car ils se rangèrent à la manière des militaires, formant un impeccable bataillon de dix rangs de dix individus qui restèrent-là sans bouger. Nous ne comprenions pas ce qu'ils attendaient. Au bout d'un quart d'heure il nous sembla que la machine bougeait. Imaginez un énorme parallélépipède aussi long et trois fois plus large que deux wagons de marchandise. Une espèce d'auvent transparent coulissa du toit de l'appareil et se déploya lentement au dessus du bataillon immobile, puis commença à se retirer en arrière doucement. Les Réplicants n'avaient pas bougé d'un millimètre.

    Tout à coup nous comprîmes que nous ne comprenions pas. Sitôt que le toit mobile eut repris sa position initiale à l'instant une centaine d'autres Réplicants se rangèrent devant la machine.

      • Nom de Zeus grogna Vince, j'ai dû rater un épisode !

    Nous partagions tous la même incompréhension. Nous n'eûmes pas le temps d'épiloguer, déjà le toit mécanique se remettait en mouvement. Nous écarquillâmes les yeux, nous concentrâmes toute notre attention sur la scène, mais elle se déroula de la même manière que la précédente. Et nous restâmes plongés dans la même stupéfaction. Une nouvelle fois cent Réplicants vinrent se ranger devant la machine, mais leurs rangs étaient nettement moins rectilignes, chacun déposa à ses pieds une grosse caisse sur laquelle ils finirent par s'assoir attendant que le toit transparent les recouvrit et puis ait reculé. Une quatrième centaine de Réplicants poussant d'énormes malles se rangèrent tant bien que mal devant la machine !

      • Inutile de les regarder avec des yeux de merlans frits, la chose est aussi simple que bonjour dit le Chef

      • Moi il me manque une pièce dans le puzzle s'exclama Charlotte, ils se mettent devant, le toit avance et recule et d'autres viennent prendre leur place, mais où sont ceux qui les ont précédés, c'est tout de même étrange !

      • Non, pas du tout, c'est extrêmement logique, ils sont là mais vous ne les voyez pas quand ils s'écartent sur les bords ! Le Chef prit le temps d'allumer son Coronado. Cette espèce de couvercle qui les recouvre et puis s'en va n'est pas une vulgaire structure en matière plastique transparente mais un mécanisme ultra-perfectionné qui rend les Réplicants invisibles !

      • Un rayon d'invisibilité on aura tout vu, si je peux me permettre grogna Vince, nous avons affaire à un ennemi redoutable !

      • Par contre m'écriais-je j'ai compris les changements de la villa, non seulement les Réplicants sont invisibles mais tout ce qu'ils touchent aussi, puisque les caisses sur lesquelles ils se sont posés voulez-vous supprimer un arbre dans le jardin il suffit qu'un Réplicant pose la main dessus, voici pourquoi la maison changeait du tout au tout d'un jour sur l'autre, nous croyions être seuls nous étions entourés par une foule de décorateurs qui devaient se marrer à chaque métamorphose !

      • Certains sont invisibles mais d'autres ne le sont pas, ils sont donc doublement dangereux précisa le Chef

      • Je ne regrette pas d'être venue quand je pense à l'article que je vais publier, je sens que je vais être bombardée rédactrice en chef, Brunette en bondissait de joie sur place, finie la rubrique des chats et des chiens écrasés !

      • Ne prenez pas vos rêves pour des réalités – la voix était glaciale - vous êtes tombés dans le piège, oui nous pouvons être invisibles, et nous montons toujours la garde à l'endroit exact où Eddie Crescendo à disparu !

    108

    Nous n'étions pas fiers. Nous nous étions faits avoir comme des bleus d'Auvergne. Par une galerie que nous n'avions pas remarquée nous étions descendus tout en bas de la fosse, ils nous avaient délesté de nos armes, et même si nous ne les voyions pas nous sentions leurs fusils dans le creux de nos reins, et maintenant nous étions à notre tour assis devant la machine. Nous n'allions pas devenir invisibles, la voix glaciale nous avait tout expliqué, l'on sentait que le Réplicant prenait plaisir à vanter les performances de sa Rayonide ainsi la nommait-il, le rayon d'invisibilité fonctionnait à partir de deux principes, celui de la cryogénisation des particules temporelles qui structurent l'espace et celui de leur mise sous tension énergétique. Le premier permettait de rendre invisible tout corps physique et le second dégageait un rayon qui vous consumait en quelque secondes, mais à un point tel que l'on ne retrouvait même pas les cendres. Une espèce de bombe atomique qui ne dégageait ni explosion, ni nuage, ni radiation. Il nous assurait une mort écologique. Nous étions ligotés sur nos chaises, mais notre interlocuteur invisible possédait un cœur d'or, aurions-nous par hasard une dernière volonté, si cela était dans ses possibilités il nous l'accorderait volontiers ;

      • Vous serait-il possible de nous délier les mains afin que nous puissions profiter de nos derniers instants pour fumer un ultime Coronado demanda le Chef

      • Accordé, humains je ne vous comprendrai jamais, quelle race inconséquente êtes-vous, vous demandez à fumer avant de partir en fumée !

    Des lames de couteaux invisibles sectionnèrent nos cordes, le Chef distribua ses Coronado, je me suis réservé le meilleur pour moi, j'espère que vous ne m'en voudriez pas, un negro grosso vomito, jeunes filles vous m'excuserez, je reconnais que parfois il peut dégager une odeur pestilentielle mais quel arôme dans le palais, ce cigare est une merveille, sans aucun doute ce que l'Humanité a produit de meilleur... je ne l'écoutais plus je regardais les volutes que dégageait le cigare du Chef, de grosses traînées blanchâtres qui convergeaient en plusieurs points autour de nous désignant ainsi la position des quatre gardiens qui avaient coupé nos liens...

      • Bon je vois que vous avez presque fini, vous les gardiens venez à mes côtés - zut nous ne pourrions même pas essayé de les neutraliser au dernier moment – regardez, la manette vers le haut je les rends invisibles, vers le bas je les fais disparaître à jamais, messieurs êtes-vous prêts, ô les petits cachotiers, vous avez profité que mes aides m'aient rejoint pour tenter de brûler à l'aide de vos cigares les cordes de vos jambes, quel effort pitoyable, je...

    Il y eut une terrible explosion, une fumée noire s'échappait de la machine, l'on courait autour de nous mais nous ne voyions personne, un peu hébétés et titubants nous arrachâmes nos entraves, la lumière s'éteignit, un aboiement bref, Molossa nous indiquait la direction à prendre, nous fonçâmes mais derrière nous la poursuite s'organisait, sans doute étions nous dans la galerie qui nous permettrait de remonter, mais la galopade de nos poursuivants se rapprochait, c'est alors qu'il y eut une seconde explosion et qu'une boule poilue me sauta dessus en jappant, Molossito réfugié dans mes bras me léchait le visage, mais nous n'entendions plus rien, hormis la voix du Chef : Plus vite !

    Nous nous extirpions du hangar tout essoufflés lorsqu'il s'écroula sur lui-même.

      • La machine a dû exploser, les galeries se sont effondrées, les Réplicants n'existent plus jubila Vince !

      • Agent Chad, heureusement que vos chiens sont plus performatifs que vous sinon nous serions morts à l'heure qu'il est !

      • Oui Chef, ils ont décampé sans se faire remarquer quand les Réplicant nous ont pris par surprise, et Molossa a déposé sa ceinture d'explosif sous la machine et a tiré sur le cordon d'allumage avant de s'éloigner à toute vitesse pour nous guider, quant à Molossito il s'est délesté de son gilet de sauvetage au milieu de nos poursuivants et les a ainsi proprement éliminés ! Ces chiens ont dû recevoir de leur maître une éducation hors-pair pour se conduire si intelligemment !

    109

    Les filles étaient heureuses. Elles savouraient notre triomphe, elles croyaient que l'aventure était terminée, le Chef doucha quelque peu leur enthousiasme :

      • Pour le moment nous nous en sommes bien sortis, mais ce n'était que les hors d'œuvres, que dis-je de chiches biscuits d'apéritifs, il nous reste à affronter le mystère le plus noir celui pour lequel Eddie Crescendo est mort, l'énigme de la boîte à sucres !

    A suivre...