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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 53

  • CHRONIQUES DE POURPRE 541 : KR'TNT 541 : ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER / CHEAP TRICK / WILLIE COBBS / THUMOS / TWO RUNNER / ILLICITE / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 541

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 02 / 2022

    ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER

    CHEAP TRICK / WILLIE COBBS

    THUMOS / TWO RUNNER   / ILLICITE /

     ROCKAMBOLESQUES

    Gordon moi ta main et prends la mienne

     - Part Three - Book me Bob

     

             Memphis Rent Party date de 2018. Robert Gordon opte cette fois-ci pour un recueil d’articles, le but étant de proposer une collection de portraits hauts en couleurs, comme le fit Apollinaire en son temps avec Contemporains Pittoresques. On y retrouve les incontournables, Sam Phillips, Charlie Feathers, Jim Dickinson, Alex Chilton, Tav Falco, Jerry Lee, Bobby Blue Bland et d’autres personnalités plus underground comme Junior Kimbrough, James Carr et Otha Turner.

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    Le personnage clé de ce recueil étant bien entendu Memphis - Memphis - my Memphis - likes the unquantifiable. Nashville, New York, and Los Angeles, they promise stardom - Il ajoute que si Elvis n’avait pas démarré à Memphis mais dans l’une de ces trois autres villes, il serait devenu une pâle imitation de Perry Como. Bien vu, Bob. Dickinson rappelle que Memphis ne sera jamais Nashville - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Dickinson a toujours su se montrer fier de cette marginalité péquenaudière. Et pour introduire le chapitre consacré au juke-joint de Junior Kimbrough, Robert Gordon ressort le vieux théorème de Danny Graflund : «Memphis is the town where nothing ever happens but the impossible always does.» L’auteur ajoute qu’à Memphis les loyers sont moins chers, les jours plus longs et on y tolère beaucoup moins le narcissisme qu’ailleurs. Fin philosophe et accessoirement inventeur du rock’n’roll, Sam Phillips indique que the perfect imperfection est une manière de définir the Memphis approach to art. Et dans son intro, Robert Gordon travaille sa vision au corps : «Il y a une profonde vérité dans notre blues, dans notre rock’n’roll, dans notre Soul et c’est pourquoi ces trois explosions ont transcendé leur époque. Chacune d’elles reste un modèle, vibrant et référentiel. Chacune d’elle fut inspirée par une défiance envers les normes sociales, par la misère et l’orgueil, par une soif de nouveauté et de différence. Memphis ne s’intéresse pas à l’instant présent, mais à l’horizon. La générosité de Furry Lewis et d’Odessa Redmond m’a beaucoup appris. J’ai découvert, grâce à tous ces musiciens, blancs et noirs, s’efforçant de lutter contre la haine, la paresse et l’ignorance, que le très grand art peut exister dans l’ombre.» Robert Gordon définit clairement ce qu’on ressent confusément.

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             Tiens, puisqu’on parlait de Sam. Selon Robert Gordon, Sam n’est pas tout rose - The devil is in the details and Sam welcomed the demons - C’est en fait une invitation à entrer dans l’épais Sam Phillips de Peter Guralnick. On croit tout savoir et on ne sait rien. Comme dit Keef, ça vaut la peine d’étudier. Tiens, puisqu’on parle de Keef, Robert Gordon n’hésite pas à comparer Mud Boys & the Neutrons aux Stones, en insistant tout de même sur une petite différence : si les Stones avaient appris directement auprès des bluesmen originaux plutôt que des disques, ils auraient pu sonner comme Mud Boy qui eux avaient appris auprès des bluesmen originaux. Gordon enfonce le clou en ajoutant que Mud Boy privilégiait la personnalité plutôt que le spectacle, et donnait à sa musique de l’espace pour respirer. Et comme si cela ne suffisait pas, Dickinson grommelle : «I have something Mick Jagger can’t afford.» Pas la peine de faire un dessin. D’ailleurs, c’est Dickinson qui se tape la part du lion dans ce recueil de portraits plus vivants que nature. Prophétique, comme toujours, il déclare : «The art form of the twentieth century is undeniably music. And the most important thing that has happened to music happened in Memphis. It’s like being in Paris at the start of the twentieth century. Culture has changed as much in the last twenty years as it did then, and the reason has been music.» En matière de vision, Dickinson fait autorité. Pourquoi ? Parce qu’il sait. Pour avoir étudié, d’une part, et pour savoir réfléchir, d’autre part. Robert Gordon ressort pour l’occasion une interview de Dickinson datant de 1986 et jamais publiée. Quand on lui demande de décrire Mud Boy, Dickinson répond que Mud Boy est un esprit qu’on tente d’invoquer, de la même manière que les Pygmées de la rain forest invoquent le shaman. Il revient aussi sur Alex Chilton pour rappeler qu’à l’époque des Box Tops, il était salement exploité - Alex never received the royalties for anything until Flies On Sherbert, you can imagine how much he made on that - Alors Alex se livra au sabotage systématique - On Big Star 3rd, I watched Alex sabotage every song that had real commercial potential - Dickinson revient à un moment sur sa vision du métier de producteur : «Straight people are afraid of artists, and I am an artist, and a lot of producers aren’t. And that scares record company people, the idea of, This guy thinks it’s art not business.» Et il se demande bien pourquoi tout devrait être un hit - What a sick idea - All I do is make things sound better - En en matière de southern production, il n’y a plus grand monde qui fasse aujourd’hui ce que je fais - Plus loin, Dickinson rend un sacré hommage à Paul Westerberg - Westerberg is way better than anybody gives him credit for. It may be the best stuff I’ve ever done. The Replacements even have a song called ‘Alex Chilton’ - Pour revenir aux Stones, Dickinson pense qu’Exile On Main Street est un album ruiné par la cocaïne et qu’un simple album aurait largement suffi - Keeping the slop, that’s what I’d keep - Il fait aussi la lumière sur sa shoote avec Dan Penn. Ils avaient enregistré 8 ou 9 cuts et il y eut un problème de fric, alors Dickinson s’est barré. Pour se venger, il a produit le Big Star 3rd que voulait produire Dan - I think revenge is the noblest human motive - Questionné sur Jerry McGill, Dickinson indique qu’il a enregistré d’excellentes choses avec lui. On les trouve d’ailleurs sur le disque audio qui accompagne le DVD Very Extremeley Dangerous, un docu qu’a tourné Robert Gordon sur McGill. Le titre de l’album de Mud Boy Known Felons In Drag vient de McGill qui était le road manager de Waylon Jennings. McGill était recherché par les flics, et pour leur échapper, il se déguisait en femme. Mud Boy jouait en première partie de Waylon Jennings et Sid Selvidge reconnut McGill - Yeah that’s got to be McGill or that’s the ugliest woman I ever saw - Alors McGill lui aurait dit : Known felons in drag. S’il est un autre personnage sur lequel Dickinson ne tarit pas d’éloges, c’est bien sûr Tav Falco, qu’il appelle Gus, diminutif de Gustavo. La première fois qu’il le vit chanter, ce fut avec une version de «Bourgeois Blues» en forme de happening. Tav tailla sa guitare à la tronçonneuse, tomba dans les pommes et aussitôt après, Alex vint lui proposer de monter un groupe avec lui - And that was the birth of Panther Burns - Et puis quand Tav faisait son numéro du three-legged man, il épatait toute la galerie. Jerry Phillips disait : «The three-legged man is just the best thing I’ve seen since the bullet.» The bullet ? Ça ne vous rappelle rien ? Dickinson en fait une description fascinante dans son recueil de souvenirs, I’m Just Dead, I’m Not Gone. Le chapitre que Robert Gordon consacre à Dickinson fourmille littéralement d’aphorismes. Par exemple, Dickinson sort ça sur les Klitz : «They didn’t know what the notes were, they knew when the notes were.» Et Robert Gordon conclut en revenant sur le chaos de Sherbert : «The chaos of Like Flies On Sherbert was intentionally developped. Memphis wasn’t about getting it right or wrong, it was about getting it.»

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             On plonge à la suite dans un tourbillon de négritude céleste, à commencer par Lead Belly. Les Lomax le rendirent populaire, mais en même temps, ils en firent leur valet et leur chauffeur. On appelle ça la complexité relationnelle. Plus loin, on apprend que la famille de Robert Johnson n’a jamais reçu d’argent ni pour The Complete Recordings, ni pour les reprises des chansons, ni pour l’utilisation de cette photo où on le voit jouer de la guitare avec une cigarette au bec et que tout le monde utilise jusqu’à la nausée. Joli portrait de Junior Kimbrough, big man, with an air of quiet violence, simmering sexuality and raucous good times. On servait de la fruit beer dans son juke-joint et Robert Gordon voyait des gens tomber dans les pommes - Might have been the fruit beer - On voit aussi le professeur de philosophie africaine Otha Turner donner un cours de fifre à Robert Gordon - You got to know how to know it - ça s’applique au fifre, mais aussi à tout le reste. Puis voilà Bobby Bland, qui n’avait pas de chaussures étant petit et qui adulte s’habillait chez un tailleur. Bobby appelle son grognement un ‘squall’. Peter Guralnick disait de Bobby qu’il avait des ‘sad, liquid eyes’. Autre black de base en termes de Memphis Rent Party, James Carr qui, rappelle Robert Gordon, était adulé au Japon, en Europe, partout dans le monde, sauf à Memphis - He was just another minority dude on welfare - Quinton Claunch rappelle qu’une nuit on tapa à sa porte : il y avait trois blackos, James Carr, O.V. Wright et Roosevelt Jamison. Ils avaient une cassette et un petit lecteur cassettes. Ils s’installèrent à même le sol dans le salon pour écouter la cassette et Claunch fut tellement emballé qu’il fit paraître deux singles sur Goldwax. On tombe bien évidemment sur l’excellent portait photographique que fit Tav Falco de James Carr, près du pont qui franchit le fleuve, à Memphis. On peut lire une interview accordée par James Carr, que l’auteur accepte enfin de publier. Le pauvre James Carr y semble très perturbé, convaincu qu’un autre homme est entré dans son corps. Gordon lui demande : «What was the cause of the switch ?» et James lui répond : «Lost in a dream.» Ces gens sont tellement forts qu’ils transforment tout en poésie. Ailleurs, ça relèverait de la psychiatrie.

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             Restent les géants blancs, Charlie Feathers, Tav Falco, Alex et Jerry Lee. Rien qu’avec ces quatre mousquetaires du Memphis Sound, on a largement de quoi faire. Voilà ce que dit Charlie  : «Rockabilly is the beginning and the end of music.» Et il a raison. Quand Robert Gordon le rencontre, Charlie a le souffle court. On vient de lui enlever un poumon. D’ailleurs il chique, parce qu’il n’a plus le droit de fumer. On voit même une photo de Charlie en train de cracher son jus de chique. Ben Vaughn dit de lui : «He’s so far into the music that he is, in my opinion, a genius. Like we think of jazz greats : Sun Ra or Mingus or Monk.» Et Ben ajoute : «He’s never given up on rockabilly, and he continually redefines it in his mind.» Robert Gordon rappelle le lien de maître à élève qui existait entre Charlie et Junior Kimbrough. Memphis, yeah. Un vrai conte de fées. Que des gens fascinants. Inutile de chercher, tu ne trouveras pas ça ailleurs. Il existe aussi un lien de parenté artistique entre Tav Falco et R.L. Burnside, les two-chord blues drones et l’early rockabilly, cocktail dans lequel Tav rajoute le tango et la samba. Pour Tav, ce qui compte, c’est l’aesthetic, plus que la virtuosité. Très tôt, il a les idées claires. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il s’entend si bien avec Dickinson. Si Tav admire tant Artaud et son Théâtre de la Cruauté, c’est parce qu’il apporte un strong sense of drama on his stage, comme d’ailleurs les grands bluesmen. Tav s’est donc employé à transposer cette théorie sur un groupe. En plus, il partageait la scène avec les gens qu’il admirait : Charlie Feathers, Cordell Jackson, Jessie Mae Hemphill, Otha Turner - Tav alerted a new generation to their existence - Comme le firent le Cramps avec Hasil Adkins et The Phantom. Tav étudiait le blues : «J’ai vu Sleepy John Estes de Brownsville et Hammie Nixon l’accompagnait en soufflant dans une cruche. Bukka White chantait «Parchman Farm Blues» et jouait sur son dobro avec un cran d’arrêt. J’ai vu Nathan Beauregard à 91 ans jouer «Highway 61 Blues» et passer un solo de guitare électrique comme je n’en ai jamais revu depuis. Mississippi Fred McDowell est le plus grand bluesman gothique qui soit. Et j’ai vu the Jim Dickinson Band accompagner Ronnie Hawkins.» Tav raconte aussi comment il est devenu l’assistant de Bill Eggleston - So for me there’s been no separation between literature and theater and visual art and blues and rock and roll and jazz. And this is my formative experience - Robert Gordon et lui évoquent évidemment le fameux Stranded In Canton filmé par Bill Eggleston avec très peu de lumière et une pellicule ultra-sensible. Il évoque aussi le Big Dixie Brick Company, lorsque Randall Lyon et lui animaient les shows de Mud Boy & The Neutrons - A rock and roll Dionysian context. Randall was doing his Guru Biloxi characterization, dressed in a very flowing Blanche DuBois-in-her-terminal-stages-of-dementia type presentation - L’épisode Tav est particulièrement hot, car c’est un écrivain qui s’adresse à un écrivain, un souffle qui croise un autre souffle. Et Tav prend un malin plaisir à rappeler que dans Panther Burns, personne ne savait jouer, ni Eric Hill, ni Ross Jonhson, et encore moins Tav. Sauf Alex, bien sûr. Ils feront d’ailleurs la première partie des Clash lors d’une tournée américaine - My little four piece doing this strange blues - Évidemment, les gens n’y comprenaient rien. Et Tav évoque avec amusement ce concert de Knoxville qui faillit dégénérer en émeute. Tav raconte qu’il s’arrêta en plein milieu de «Tina The Go Go Queen», provoquant un sacré malaise, avant de redémarrer avec «Bourgeois Blues». Et sur sa lancée, Tav se refend d’un bel hommage aux Cramps : «Critics write off the Cramps as a novelty band, and that’s absurd.»

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             Tiens justement, puisqu’on parlait d’Alex, le voici. Robert Gordon raconte qu’en 1977, quelques mois avant les Sex Pistols, Alex montait sur scène et punk-rockait, accompagné de Sid Selvidge au piano, Dickinson à la basse et le garde du corps Danny Graflund au chant - Several months before the Sex Pistols came to Memphis, Alex Chilton pulled back the horizon and let us hear the imminent thunder - Robert Gordon insiste : Alex, les Cramps, Tav et Dickinson se sont tous influencés les uns les autres, ils ont tous su repousser les limites et ont des racines dans le son du passé - And those past sounds were local - You think Elvis wasn’t a punk ? - Bravo Robert ! Bien vu ! Oui, car la filiation est d’une effarante justesse. Robert fréquente Alex mais ne se sent pas l’aise avec lui. Il en parle à Dickinson qui lui répond que c’est la même chose pour tout le monde - Everyone does.

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             Parmi les albums que Robert Gordon cite en référence dans Memphis Rent Party, on trouve celui de John Gary Williams sur Stax. Il s’y niche un très beau «Honey», assez proche de l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. John Gary Williams a cette facilité de pouvoir sonner juste dans la beauté blanche. Il travaille sa chanson à l’élongation maximaliste et atteint l’horizon sans effort. Il leste son ampleur de belles lampées de feeling black et atteint à une sorte d’émancipation. Oui, John Gary Williams vise le mellow, il va parfois sur Marvin («I See Hope»), parfois sur Sam Cooke («I’m So Glad Fools Can Fall In Love») et vise clairement le slow groove de charme intense avec «Ask The Lonely». C’est avec «How Could I Let You Get Away» qu’il atteint à l’excellence staxy. Il flirte avec la Soul blanche, comme Freddie North, mais il finit toujours par redresser la situation en shootant ce qu’il faut de feeling black. Il met en œuvre une délicatesse qui en dit long sur sa configuration. Son feeling reste toujours d’une grande justesse. Il laisse les flûtes bercer nonchalamment «Open Your Heart And Let Love Come In» et il termine en sonnant comme Marvin dans «The Whole Damn World Is Going Crazy». John Gary Williams ne tombe pas du ciel : il chantait dans les Mad Lads qui pour une raison X n’ont pas connu le succès des autres têtes de gondole Stax. 

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             Comme il le fit précédemment avec It Came From Memphis, Robert Gordon joint à son livre Memphis Rent Party ce qu’il appelle un companion disk. L’album vaut le détour, ne serait-ce que parce qu’il en a constitué le track-list. On y retrouve l’extraordinaire «Desperado Waiting For A Train» de Jerry McGill, mais le cut qui emporte la bouche est le duo Luther Dickinson & Shade Thomas qui suit. Ils tapent une version de «Chevrolet» absolument superbe - They channel  Memphis Minnie through fife & drums greats Ed & Lonnie Young, nous dit Robert Gordon. Luther et Shade sont bien sûr les descendants des lignées royales Dickinson et Otha Turner. L’autre gros coup de Jarnac est le «Frame For The Blues» de Calvin Newborn. Complètement irréel de beauté. Calvin : «I used to think I could fly !» On trouve aussi un «All Night Long» de Junior Kimbrough enregistré par Robert Gordon chez Junior, justement - A cabin surrounded by acres of cotton fields - Il chante avec une niaque invraisemblable. Parmi les autres luminaries présents sur cette compile se trouvent aussi Furry Lewis, Alex Chilton et les Panther Burns avec «Drop Your Mask», one of the earliest art damage recordings. Robert Gordon nous dit aussi que Jerry Lee s’ennuyait à Nashville où il enregistrait pour Smash/Mercury, alors il revenait à Memphis enregistrer des trucs comme «Harbour Lights». On entend aussi Charlie Feathers roucouler à la lune dans «Defrost Your Heart». Robert Gordon l’admire tellement en tant que chanteur qu’il le compare à Sinatra et à George Jones. C’est Dickinson qui referme la marche avec «I’d Love To Be A Hippie», un big heavy blues - If you ever see a hippie, baby/ Walking down the road...

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Robert Gordon. Memphis Rent Party. Bloomsbury Publishing 2018

    Memphis Rent Party. Fat Possum Records 2018

    John Gary Williams. John Gary Williams. S*

     

    Pas de vague à Liam

     

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             Dans As It Was, le docu qu’ils consacrent à Liam Gallagher, Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening n’y vont pas de main morte : Liam serait selon eux le dernier grand chanteur de rock en Angleterre. Et ils ont raison, mille fois raison, et vive l’arrogance des frères Gallag ! Bourdieu dirait : Insulter la terre entière, oui, mais à condition d’enregistrer de grands albums.

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    L’histoire d’Oasis n’est rien d’autre que ça, une histoire de grands albums et on n’a pas fini d’en faire le tour, car chaque fois qu’on remet le nez dedans, on s’effare dans la nuit. Les frères Gallag sont en plein dans l’équation magique de Totor : the voice + the song + the sound. Oasis est ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre après les Small Faces, les Pistols et les Mary Chain, c’est la quatrième vague, la vague géante qui a tout balayé et aujourd’hui Liam enfile sa parka pour aller rocker son fookin’ shit sur scène, car bien sûr, il n’est pas question pour lui de se débiner. Lightening prend le parti de nous montrer un Liam qui boit de l’eau et qui fait du sport, qui voyage avec ses fils et sa poule. Il essaye d’en faire un agneau. Liam Gallag un agneau ? Tu déconnes Charlie ! Sur le pont de San Francisco, Liam prend sa meilleure mine de lad pour annoncer au monde entier qu’il prend deux grammes avant de monter sur scène et ajoute en se marrant qu’avant il lui en fallait huit. C’est la seule trace de coke en une heure trente, mais fuck, comme elle est belle ! Lightening ne filme pas assez Liam sur scène, dommage, car comme on va le voir tout à l’heure, les cuts de ses deux albums solo sont fookin’ good. Et puis il y a ces coiffures de petites mèches, ces gueules de rockers anglais dont on ne se lasse pas, ces lunettes à verres teintés. À une époque, Liam se coiffait comme Ian McLagan. Comme les frères Gallag insistaient beaucoup sur le look, ils firent entrer dans le groupe Andy Bell et Gem Archer qui eux aussi arboraient des coupes McLagan. Mais de tous, le plus réussi, c’est Liam. Et puis il y a cette voix. Il fut le seul à pouvoir rivaliser de fookin’ sneer avec John Lydon. La morale de cette histoire est que Liam incarne encore aujourd’hui l’énergie du rock anglais. Il balaye d’un geste toutes les litanies et tous les pronostics à la mormoille : non le rock n’est pas mort.

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             C’est en 1994 qu’Oasis rallume le feu sacré du grand rock anglais avec Definitively Maybe. On le sent dès «Rock’n’Roll Star». Tu prends le son en pleine poire, c’est percuté au power direct. Tout éclate avec le son mordoré des guitares dans l’embrasement d’un soir d’apocalypse et la voix de Liam éclot comme la rose de Ronsard dans le pire bucketfull of punk-blues de tous les temps. On a là le plus gros blastoff d’Angleterre depuis «Gimme Shelter». Oui, ils s’inscrivent dans cette lignée et dans cette tradition du claqué d’Union Jack sur les océans du monde. Ces mecs surjouent leur génie sonique. Mais tout ceci n’est rien en comparaison de ce qui arrive plus loin : «Columbia». Le ciel s’y écroule sous les coups de boutoir combinés du heavy beat et des power chords. C’est l’une des intros les plus monstrueuses de l’histoire du rock. Impossible d’échapper à cette emprise. Liam chante à l’envers dans l’enfer du coulé de lave sonique. Ils vont encore plus loin que les Stones, ils manœuvrent leur rock dans une mer de feu. Voilà encore une preuve de l’existence du diable. Au fond, les frères Gallag ne font qu’appliquer la formule magique : une vraie chanson + une vraie voix + un vrai son, formule qu’ont aussi utilisé les Pistols, les Stones,  les Stooges et bien sûr Phil Spector, l’inventeur de la formule. Et puis t’es encore baisé avec les arpèges de «Supersonic». Le chant plante le décor dans le cœur du vampire. Liam fait du punk de ‘Chester dans un chaos de guitares disto. Et dire qu’il y a des gens qui contestent la suprématie d’Oasis ! Nouveau coup de semonce avec «Shakermaker» et un Liam propulsé en première ligne par une vague géante de heavy chords. Il chante à la pure heavyness. On a là une inlassable fournaise de son sub-coïtal. Ces mecs touillent à n’en plus finir et passent maîtres dans l’art des retours de manivelles. Noel veille sur tout ce bordel en composant des hits. Ils claquent le beignet de «Bring It Down» à l’extrême, Liam tartine sa mélasse sur une prod en acier de Damas. Ils font même du glam avec «Cigarettes & Alcohol», alors t’as qu’à voir. C’est joué à l’eau lourde et Liam chante comme un dieu viking. Même les petits cuts d’entre-deux sont de belles choses. Les frères Gallag ne produisent pas de filler comme le firent les Stones d’Exile qui étaient alors en panne. Et les balladifs d’Oasis sont infiniment plus sexy que ceux d’Aerosmith. Avec «Slide Away», les frères Gallag créent de la magie, à cheval sur la Beatlemania et ‘Chester. Quelle classe ! Les sauts de Liam sont ceux d’un saumon.  

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             La conquête du monde se poursuit l’année suivante avec (What’s The Story) Morning Glory ? C’est là qu’on trouve «Some Might Say» et son intro de rêve. C’est blasté dans l’os au boogie down avec un Liam pris dans l’épaisseur du son. Ses descentes de chant sont uniques dans l’histoire des descentes. Il y a quelque chose de pathologiquement seigneurial chez les frères Gallag. Personne ne pourra jamais leur enlever ça. Tout aussi explosé de son, voilà «Morning Glory». Liam parvient à se hisser par dessus cette barbarie sublime. Ce mec chante son wake up dans une foison de déglutis, dans une véritable dégoulinade d’essaims, c’est un miracle sonique. Un solo nage dans la fournaise, quelle provocation ! Puis on entend les guitares voler dans l’air, c’est la première fois qu’on assiste à un tel phénomène productiviste. Ils jouent «Roll With It» au heavy beat de ‘Chester. C’est plus pop, mais révélateur d’une vraie nature. Ils ont du son à n’en plus finir. Mais ils commencent à boucher les trous avec du filler, comme les Stones d’Exile. L’album est bon, mais pas du niveau du précédent. Ils terminent avec «The Champagne Supernova». C’est le côté marrant d’Oasis, un brin putassier, comme s’ils essayaient de convaincre au plan commercial, mais ça retombe comme un soufflé. Bon, c’est vrai qu’ils ramènent des gros moyens, Liam peut faire son wa-wa-wa, il y a du monde derrière, mais leur truc se barre en sucette à force de surcharge.  

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             Be Here Now est l’album du grand retour. On peut même parler de trilogie définitive. Graphiquement, les trois pochettes s’inscrivent dans l’inconscient collectif. Be Here Now grouille littéralement de coups de génie. «Do You Know What I Mean» donne le ton, bardé de son, mais un son plus éclaté dans le spectre. C’est une prod déflagratoire truffée de rafales de wah. Et puis voilà qu’arrive «My Big Mouth», encore plus overwhelmed. Ces mecs battent tous les records de violence consanguine du sonic trash. C’est bombardé dans la gueule du pacte germano-soviétique, ça rampe dans le son avec un Liam complètement demented. On sent le froid de l’acier des empereurs du rock anglais, le clan du power northerner, pas de pire purée de son sur cette terre ! Il faut aussi les voir partir en maraude avec «I Hope I Think I Know». Ils tombent tout de suite sur le râble du son. Personne ne peut échapper à ça. Toujours âpres au gain, les frères Gallag tapent dans le tas du rock et ça explose en bouquets d’étincelles surnaturelles. Ils travaillent à l’Anglaise, au shake de shook et c’est mélodiquement parfait. Ça continue avec le morceau titre, bien stompé des Batignolles, ils jouent leur carte favorite, celle du big heavy Oasis avec des options plein les manches - Kickin’ up a storm from the day I was born - C’est carrément Jumping Jack Flash. On reste dans les exactions avec «It’s Getting Better (Man)». C’est là qu’Oasis devient irréversible, dans ces rafales d’ultra-son demented. Quelle bombe ! Les accords coulent dans le moule de la mélodie chant, aw my Gawd, il n’existe rien de plus powerful. Ils sont dans l’absolu du rock anglais. Ils jouent ça ad vitam eternam. C’est du double concentré de tomate anglaise, avec les guitares du paradis et le chant qui va avec. On n’en finirait plus avec les frères Gallag.

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             Standing On The Shoulders Of Giants casse l’esthétique des trois premières pochettes. Autre surprise : les frères Gallag ramènent du hip-hop dans «Fucking In The Bushes», mais les guitares reprennent vite le dessus. Ils tentent l’aventure d’un nouveau son et ça redore leur vieux blason. On vit là un moment assez tétanique car les guitares fouillent entre les cuisses du cut qui se révèle vite chatouilleux, avec des échos d’ah ah ah. C’est très spécial, bien bardé de rock anglais. Il faut ensuite attendre «Put Your Money Where Your Mouth Is» pour refrémir. Ils jouent ça in the face, the Northern lads way. Ils ont beau avoir New York sur la pochette, ils sonnent très anglais, ils jouent à l’alerte rouge, à l’urgence de la cloche de bois avec des guitares qui rôdent dans le stomp. Liam l’allume jusqu’au bout. L’autre hit de l’album se planque vers la fin : «I Can See A Liar». C’est un roller coaster roulé dans la farine. Big Oasis power sludge ! Ils envoient Liam au front, alors Liam y va, il s’en bat l’œil. Il claque ses alexandrins et offre sa poitrine à la mitraille, il est invincible, il fonce sous le feu de l’ennemi. Il se relève plusieurs fois et continue de gueuler. Quel merveilleux héroïsme ! Liam est un mec très fort. Il n’en finira plus de chanter comme un dieu. Il faut s’habituer à cette idée. Avec «Gas Panic», on assiste encore à une extraordinaire tournure des événements, car ça dégouline de fièvre, the Madchester fever.

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             Paru en 2002, Heathen Chemistry est l’album du retour éternel des frères Gallag. Ils proposent tout de suite un mur du son avec «The Hindu Times». The wall of sound avec Liam en surface, c’est quelque chose. Superbe. Renversant. Excitant au possible. Nappé et dévastateur. C’est le power du brit rock de lads. Les belles langues de guitares s’en viennent lécher le barouf d’honneur. Ils éclatent «Better Man» au riff de voyou, ça joue du couteau sous les regards. Quel fantastique shoot de voyoucratie ! Flashy et sayant à la fois - I wanna be a better man - C’est le big brawl d’Oasis joué aux guitares de Lennon dans «Cold Turkey», c’est terrific, les guitares te chatouillent les guibolles. Avec «Force Of Nature», ils passent au stomp de Madchester sans coup férir. C’est encore une fois complètement saturé de big heavy guitars, une dégelée catégorique, ça avance à pas lourds, les mecs bombardent à l’ultimate du punch d’uppercut. Liam chante tout ça au croc luisant, il ramone sa cheminée avec une effarante ténacité. Ultimate power ! Ils pompent  les accords de «No Fun» pour «Hung In A Bad Place». Pas de problème, Liam pourrait presque attaquer à la façon de l’Iguane, mais il choisit la voix d’Oasis. C’est joué à l’extrême power concupiscent. Il chante ça comme une entourloupe, c’est exceptionnel de véracité dirigiste, ces mecs dévorent le riff des Stooges tout cru. Et ce démon de Noel vomit du napalm dans la chaudière. Ces mecs sont décidément le plus grand groupe d’Angleterre, il faut les voir répandre leur son comme un fléau. L’album est spectaculairement bon. «A Quick Peep» est l’un des instros les plus dévastateurs qu’on puisse entendre ici bas. Ils passent ensuite au heavy groove psyché avec «(Probably) All In The Mind». Liam s’y prélasse comme un roi fainéant. C’est l’absolu d’Oasis, chanté et joué dans les meilleures conditions d’addiction. Les heavy balladifs d’Oasis passent là où d’autres ne passent pas, grâce à une certaine qualité du Northern raunch. Avec «Born On A Different Cloud», on se croirait chez les Doors du temps du Whiskey bar de Kurt Weil. 

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             Comme par hasard, voilà encore un big album d’Oasis : Don’t Believe The Truth. Ça grouille de coups de Jarnac, à commercer par un «Turn Up The Sun» gonflé de son comme une bite au printemps. Ces mecs sont tellement puissants, ils sont dans doute les derniers seigneurs des temps modernes. C’est frappé au meilleur beat inimaginable et chanté dans le lard de la matière. Ils tapent au maximum de toutes les possibilités. Liam te laboure ton champ, pas de problème. Les clameurs perdurent dans le fond du son. Le génie des frères Gallag consiste à savoir éclater la coque d’une noix de rock anglais. Ça continue avec «Mucky Fingers», comme frappé en pleine gueule, ils jouent le rock pour de vrai, leur power dégomme toute forme de logique. Ils ramènent même du piano dans le stomp. Pur génie. Ils transforment ta cervelle en purée de purple heart et Liam plonge dans l’un des plus gros blast-off de l’histoire du rock. It’s alright ! Pulvérisant et pulvérisé à coups d’harmo. Ils gorgent leur rock de gusto. On se prosterne jusqu’à terre devant un tel power. Trop de power. Ils claquent «Lyla» à coups d’acou et Liam lui saute dessus, alors forcément, ça devient monstrueux. Ils font de la Stonesy. Ils échappent à tout contrôle, leur power les déplace ailleurs. Ils sont dans une sorte d’absolutisme. Un cut comme «Lyla» te plombe le crâne, ils te stompent tout ça à coups redoublés et Liam ramène les foudres de son power extrême. Quelques cuts de pop viennent heureusement calmer le jeu et ça repart de plus belle avec «The Meaning Of Soul». Encore une attaque superbe. Wow, la violence du shuffle ! C’est même concassé à coups d’harmo. «Avec «Part Of The Queue», on constate une fois de plus leur écœurante facilité à naviguer à la surface du son. Ils tapent dans la fourmilière d’une épaisse spiritualité dévergondée. C’est un cut de heavy pop aérienne fabuleusement tendue et ultra-jouée dans les grandes largeurs. Les clameurs du solo qui arrive sur le tard battent bien des records de démence. Comme le montre «Keep The Dream Alive», leurs descentes en balladifs valent bien les meilleures descentes en enfer. Ah il faut voir ce son ! Ils jouent dans les hautes sphères de leur règne. Gem Archer signe l’«A Bell Will Ring» qui suit. Psyché de haut vol avec un Oasis on the run. Quelle équipe ! Ils noient le cut dans une élongation de riffing d’arpèges acides, un vrai melting down d’Angleterre. Dressez l’oreille car voici «Let There Be Love» que Noel gratte aux accords atones. Et ce démon de Liam finit par chanter à la voix d’ange. C’est exceptionnel.

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             Comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin et la fin d’Oasis s’appelle Dig Out Your Soul. Il faut en profiter, car après, il n’y a plus rien. Alors «Bag it Up» ! Deep in the flesh, Liam chante comme un dieu, une fois de plus. Ça blaste comme au bon vieux temps. Liam explose le rock anglais quand ça lui chante. Il dispose de la force de frappe idéale, il se dresse comme un dieu du havoc au bord d’une piscine de coke, accompagné par les guitares du diable. Personne en Angleterre ne peut challenger ce démon de Liam et son groupe de brothas, il chante le rock anglais à l’intrinsèque, avec une vermine de niaque dans la pogne. Il n’existe aucun concurrent face à Liam Gallag. Avec «The Turning», on reste dans le heavy rumble de Madchester. Jusqu’au bout ils vont claquer du c’mon déterminant. Encore une fois ça regorge de power. Too much power. Liam se cogne la gueule dans le mur du son, alors que les guitares explosent autour de lui. Ils stompent «Waiting For The Rapture» à la sauce Oasis. Encore une fois, tout est solide sur cet album. La fin du Rapture est un modèle du genre. Belle énormité encore avec «The Shock Of The Lightning». Ils jouent à la folie Méricourt. Pur jus d’Oasis chargé comme une bombarde à ras la gueule, come in, come out tonite. Ils s’enferment dans leur délire d’énormité. Ils font un «(Get Off Your) High Horse Lady» digne du «Ram» de McCartney et reviennent à leur chère heavyness avec «To Be Where There’s Life». Ils transforment leur plomb en or et c’est comme d’habitude produit au mieux des possibilités. Le rock d’Oasis reste très physique, c’est la raison pour laquelle on blah-blahte à l’infini sur cette espèce d’indispensabilité des choses qu’incarnent leurs albums. Dernier grand coup de Jarnac oasien : «Ain’t Got Nothing». Ils taillent ça dans la falaise de marbre, au 3/4 du 4/4. Et quasi-fin de non-recevoir avec «The Nature Of Reality», drivé par une volonté glam à la wham-bam, dans un extraordinaire fouillis de guitares, de clap-hands et de descente aux enfers. Adios amigos !

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             Si on veut entendre leur reprise d’«I’m The Walrus», elle se trouve sur The Masterplan, une compile de B-sides parue en 1998. C’est une version live et on les voit se fondre dans le groove ultime. Le together leur va comme un gant. Noel joue son gut out, la tête renversée en arrière, un sourire crispé au coin des lèvres, c’mon, Gallag et ses potes explosent le vieux hit des Beatles. On sent essentiellement les fans. L’autre bonne surprise de cette compile n’est autre que «Stay Young», une power pop cavaleuse et bien à l’aise dans sa culotte. Ils savent aussi faire des hits de pop ! Quelle régalade. Ils proposent aussi un «Acquiesce» totalement saturé de guitares et on retrouve leur frappe de frappadingue dans «Fade Away». Ils pulsent du son tant qu’ils peuvent mais ils savent bien que ça ne va pas pouvoir durer éternellement. On peut faire du millefeuille sonique all over the rainbow, mais ça finit par tourner en rond. Gallag joue jusqu’à plus soif, il ramène toutes ses guitares. Ils restent dans la démesure pour «The Swamp Song» et bourrent leur dinde avec «(It’s Good) To Be Alive». C’est du cousu-main d’Oasis.

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             En 2011, Liam récupère l’artillerie d’Oasis, c’est-à-dire Gem Archer et Andy Bell, pour redémarrer avec Beady Eye et un excellent album, Different Gear Still Speeding. Et pouf, on prend «Four Letter Word» en pleine poire, le son est là, immédiat, comme au temps béni d’Oasis. Énorme shoot d’English shit, vraie voix + big sound, imparable ! Explosivité à tous les étages. Nothing lasts forever, nous dit Liam. Avec «The Roller», il sonne exactement comme John Lennon dans «Instant Karma». Quelle belle osmose ! En B, ils éclatent encore les coques de noix avec «Wind Up Dream» et Liam revient foutre le souk dans la médina avec «Bring The Light» - Baby hold on/ baby c’mon - Il n’y a plus que lui en Angleterre qui sache chanter aussi bien. Retour à l’énormité en C avec «Standing On The Edge Of The Noise». Tout le big swagger d’Oasis est là, ce big heavy beat qui fit la grandeur de ce groupe. Remember ! Liam le drive magnifiquement. C’est même assez stupéfiant d’ampleur. La fête se poursuit en D avec «Three Ring Circus», encore du pur jus d’Oasis. Liam sait rocker sa shit, comme on dit en Angleterre. Il est toujours dessus et derrière, ça tient magnifiquement la rampe.

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             Le deuxième et ultime album de Beady Eye s’appelle BE. Nouveau shoot de Gallag superpower, et ce dès «Flick Of The Finger». Plombé d’avance, comme au temps d’Oasis, heavy et même salué aux cuivres. Le prodman a l’intelligence de remonter le beat de Mad au devant, avec un Liam qui entre au chant comme un général dans une ville conquise. L’excitation atteint son apogée, alors oui, ça devient énorme. Toute la magie d’Oasis est intacte, avec le riff dévastateur dans le dos de Liam. C’est le retour du rock de poing d’acier. Le jus de véracité définitive coule à flots. Liam y va de bon cœur, il affronte l’adversité tout seul. C’est un héros. Si on cherche des traces de la clameur du grand rock anglais, c’est là. En plus il donne des conseils, comme dans «Soul Love» : Life is short, so don’t be shy. Avec «Face The Crowd», il passe au pulsatif de big heavy craze de Madchester qu’il chante au inside of my head. Ça sent bon l’album énorme. On est encore au début et on a déjà deux coups de génie, alors t’as qu’à voir ! En voilà un troisième : «Second Bite Of The Apple». Noyé de son ! Il fait son Donovan avec «Soon Come Tomorrow». Ici, tout est très spectaculaire. Liam allume ses cuts à retardement et il faut rester méfiant car il ramène des solos d’outre-tombe. Il reste en fait dans un univers de surenchère miraculeuse. Cet enfoiré tape «Iz Rite» au heavy riff d’Iz Rite. Il taille sa pop dans l’énormité du son. Il faut le saluer pour cet exploit. Il rallume la flamme du génie inconnu sous l’arc de triomphe, il gueule son when you call my name dans un chaos de pop magique. On se retrouve une fois de plus avec un big album sur les bras. Il tape son «Shine A Light» à la vieille gratte de junk. Ça cogne ! Avec Liam, c’est toujours in the face et saturé de son. Il nous fait le Diddley beat de Madchester. Il explose son shine a light et repart en mode sec et net. Pur genius ! Il se calme un peu avec «Start Anew», mais ça ne l’empêche pas de se glisser dans le génie du son, dans l’inventivité du me & you. Back to the drug space avec «Dreaming Of Some Space». Il le restitue fidèlement, ça doit twanguer, talalala overdrive et tu éclates de rire. Fantastique drug song, tu as envie de dégueuler et en même temps, tu te sens bien.

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             Après l’épisode Beady Eye, Liam entreprend en 2017 une carrière solo avec As You Were. Inutile de tourner autour du pot : c’est encore un album énorme. Ça grouille de hits, dont un hit glam digne du temps béni : «You Better Run», monté sur le beat des orques, puissant, rebondi tellement c’est puissant et embarqué au ah ah ah. Terrific ! C’est un hit  ah ah ah qu’il explose sous nos yeux. C’est du glam de Chester claqué aux deux accords. Liam fédère les meilleures énergies du rock anglais. Le «Wall Of Glass» qui ouvre le bal stompe bien le crâne. Violent comme ce n’est pas permis. Liam fait du Oasis avec toutes les ficelles de caleçon et les retours de riffs dans les reins. Ce chanteur génial a la chance d’avoir derrière lui un prodman de son niveau. Liam rallume encore les vieux brasiers d’Oasis avec «Bold», un cut tendancieux mais qui fonctionne, c’est le moins qu’on puisse dire. Belle flambée, en tous les cas. Puis il s’en va rimer la démonologie avec «Greedy Soul» - She’s got a 666/ I got a crucifix - Il plonge ses rimes dans le heavy sludge et allume encore une fois comme au temps d’Oasis, alors on l’écoute avec vénération. On sent la respiration de cette énormité. Ça cogne au tisonnier un coup sur deux. Back to Chester avec «For What It’s Worth». C’est bien lesté de Walrus, nouvelle crise de comatose de la chlorose, il y va de bon cœur, ça ne fait pas de doute. Il éclate sa pop au mieux de toutes les possibilités. Il revisite les soutes d’Oasis. Il chante plus loin son «I Get By» dans les rafales de vent d’Ouest, fabuleux swagger de see your face et de save my life, il chante comme un dieu aux abois. Encore un cut en forme de belle poigne avec «It’s All I Need». Il faut le voir marteler son all I need & more et il ne peut décidément pas s’empêcher de revenir au heavy beat on the brat, comme le montre «Doesn’t Have To Be That Way». C’est plus fort que lui. C’est claqué au pire Manc beat de l’histoire de cavernes. Joli pulsatif de non-retour noyé d’échos de big bang.

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             Et pouf, il revient deux ans plus tard avec Why Me? Why Not. Pas de surprise, l’album est comme les précédents, d’une solidité à toute épreuve. Les nostalgiques du glam se régaleront de «The River» - Well come on/ You weak of knees - Il fait du glam punk et chute avec I’ve been waiting so long for you/ Down by the river. Il n’en finira donc plus d’allumer la gueule du rock anglais. Il fait du boogie de Madchester avec «Shockwave». Après une intro géniale, il nous plonge dans son monde - You sold me right up the river/ yeah you had to hold me back - et il lance avec une morgue fondamentale : «Now I’m back in the city/ The lights are up on me.» Pur genius. C’est du power rock demented avec un rebondissement du son. Et le festin se poursuit avec «Now That I’ve Found You» qu’il chante à la clameur d’Elseneur. Quelle dégelée ! Il remonte le courant du son comme un cake écaillé. Avec «Halo», il passe au son d’anticipation à la Roxy. Il torche un hit précieux au swagger d’excellence. Il chante à l’intérieur du pire beat d’Angleterre. Tout vibre, même les colonnes du temple. Et un solo d’outerspace ajoute à la confusion. En fait, Liam passe son temps à rallumer le flambeau d’Oasis. C’est tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il noie son «Invisible Sun» dans le meilleur des sons - I am a laser/ And I see with X-ray eyes - On croyait Noel le seul capable de composer des hits. Eh bien non, Liam prouve le contraire avec le power-balladif «Misundestood» et tout le reste de cet album. Il n’en finit plus de chanter son ass off. 

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             Après les disks, il reste bien sûr les films. Miam miam. On peut imaginer un sandwich de rêve dont les deux tranches seraient Supersonic (early Oasis) et Lord Don’t Slow Me Down (late Oasis). Surtout Supersonic, car ça démarre à Knebworth sur le riff de «Columbia», l’un des plus beaux riffs de rock de tous les temps - There we were/ Now here we are/ All this confusion/ Nothing is the same to me - Le power Gallag, la Ferrari du rock anglais - The way I feel is so new to me - L’early Oasis est la suite parfaite du grand rock anglais qui va des Stones aux Small Faces en passant par les Who et les Move, ils sont là tous les cinq au début, Bonehead & Gigsy & Tony, goin’ to form a band, fookin’ yeah ! Le film raconte les débuts du groupe, d’un côté Liam avec les fookin’ proto-Oasis et de l’autre Noel qui est roadie pour les Inspiral Carpets. Noel rejoint le groupe de son frangin et dit qu’un soir I went down with a song and everything changed : «Live Forever». Puis McGee les voit sur scène à Glasgow and that was it. Creation. Ils deviennent super-massive avec «Supersonic», et puis arrive Definitively Maybe, remixé par le sauveur Owen Morris, outrageous mixing - Tonite I’m a rock’n’roll star - et là boom, ça explose ! Japan Japan ! Cigarettes & Alcohol, Whisky A Go-Go, coke, Rock’n’Roll Star, crystal meth, fucking shambles, Some Might Say at Top Of The Pops, magic British TV, Tony viré et là ça commence à déconner. Ils enregistrent, Morning Glory à Rockfield, champagne supernova in the sky, et ils bouclent la boucle avec Knebworth, fookin’ biblical dit Liam, alors champagne supernova !   

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             Lord Don’t Slow Me Down nous montre la dernière mouture d’Oasis en tournée mondiale, avec Gem Archer et Andy Bell. Bon, pas trop de plans sur scène, beaucoup de backstage. Ils font la tournée des stades et les femmes montrent leurs seins dans le moshpit. «Rock’n’Roll Star» sur scène à Hollywood : power. Liam répond aux questions, fook Bloc Party, fook Pete Doherty, the English magazines are full of shit. Retour au Japon, c’est tendu dans le groupe, Liam accuse Noel de lécher le cul du NME et il rend hommage au public : the crowd is the best. One take ! The stage is the best place in the universe. Arrivé en Australie, Noel avoue qu’il ne se voit pas continuer le groupe éternellement. J’ai 38 ans, et quand Liam sera chauve, on arrêtera. Dans la box, on trouve un deuxième DVD, Live In Manchester, c’est filmé en 2005 avec la dernière mouture et Zack Starkey au beurre. Ils ont perdu le power des origines. C’est autre chose. Liam ne chante pas toutes les chansons. Et Zack n’est pas Tony. En plus Gem Archer change de guitare à chaque cut, côté pénible des groupes qui ont trop de fric. On sent que le biz a pris la main sur Oasis. C’est incroyable que Noel puisse se priver d’un chanteur aussi bon que Liam. Le pire c’est qu’il se prête au jeu pourri du balladif participatif, c’est l’autre côté pénible d’Oasis. On croirait entendre Aerosmith. La Ferrari a disparu, même si «Live Forever» sonne anthemic. Ils font danser Mancheter avec «Rock’n’Roll Star» et font leur happy ending avec une version bien sentie de «My Generation, baby». Power absolu.          

    Signé : Cazengler, Oabite

    Oasis. Definitively Maybe. Creation Records 1994

    Oasis. (What’s The Story) Morning Glory? Creation Records 1995

    Oasis. Be Here Now. Creation Records 1997

    Oasis. Standing On The Shoulders Of Giants. Big Brother 2000

    Oasis. Heathen Chemistry. Big Brother 2002

    Oasis. Don’t Believe The Truth. Big Brother 2005

    Oasis. Dig Out Your Soul. Big Brother 2008

    Oasis. The Masterplan. Epic Records 1998

    Beady Eye. Different Gear Still Speeding. Beady Eye Records 2011

    Beady Eye. BE. Columbia 2013

    Liam Gallagher. As You Were. Warner Bros. Records 2017

    Liam Gallagher. Why Me? Why Not. Warner Bros. Records 2019

    Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening. Liam Gallagher: As It Was. 2019

    Mat Whitecross. Supersonic. DVD 2016

    Baillie Walsh. Lord Don’t Slow Me Down. DVD 2007

     

    L’avenir du rock

     - Les chic types de Cheap Trick (Part One)

     

             Ses copains aiment bien le faire bisquer.

             — Envisages-tu de prendre un jour ta retraite, avenir du rock ?

             L’avenir du rock les connaît, il se prête à leur petit jeu :

             — Demande un peu au pape s’il croit en Dieu, tu vas voir ce qu’il va te répondre.

             — Ouais, on les connaît tes réparties à cent balles, avenir du rock, «tu auras la réponse que tu mérites»...

             — Tu sais à qui tu me fais penser ?

             — Non vas-y, dis-moi...

             — Tu me fais penser à ces grosses connes qui te demandent si tu es vacciné...

             — C’est drôle, j’allais justement te poser la question, avenir du rock, et puis on se demandait avec les copains si t’étais pas un peu pédé...

             — Ce que j’aime bien chez vous, c’est votre sens inné du degré zéro. Finalement j’en viens à me demander dans quel camp vous êtes, dans celui des beaufs ou celui des trash, parce votre beaufitude confine à la trashitude et c’est impossible de ne pas vous admirer pour ça. C’est vrai que si on y réfléchit bien, le beauf parfait est complètement trash, c’est ce qui fait sa grandeur immémoriale !

             — Oh c’est bon, avenir du rock, c’est pas parce qu’on te traite de pédé que tu dois nous traiter de beaufs !

             — Simple échange d’amabilités. On joue aux jeux qu’on peut, pas vrai les gars ? Mais je vais vous faire un aveu. Quand je vous vois, vous me filez la Trick !

             — Tu vois, on s’était pas trompés !

             — Mais vous ne comprenez rien ! Cheap Trick !

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             Le nouvel album de Cheap Trick qui s’appelle In Another World n’a pas fini de nous réconcilier avec le genre humain, y compris les beaufs. On est comblé rien qu’avec «Final Days», un doom de heavy blues qu’ils explosent à la clameur glam. Le son te coule dans la manche, mais à un point que tu n’imagines même pas. C’est Marc Bolan au paradis. Oui, c’est exactement ça, ils font Marc Bolan au paradis, bienvenue au cœur du mythe. Les mecs de Cheap Trick dressent un autel à la mémoire de Marc Bolan et ça explose dans le refrain saturée de magie - What if we could live forever/ Wouldn’t it all just be insane/ What if we could live together/ Never to be in those final days - Ça t’explose la tête, Lennon/Bolan, le feu sacré du rock anglais, plongée garantie. Ces mecs renversent le cours de l’histoire. On a là la meilleure clameur glam de tous les temps. Ça monte très haut dans l’échelle des valeurs. Plus loin, les accords de «Passing Through» indiquent clairement la venue d’un temps de félicité. C’est au niveau des grands frotis de l’univers, explosé de giclées des meilleures auspices, on est au-delà du génie, ils atteignent des résonances sans frontières, ça sonne comme du jamais atteint, ces vagues de son te caressent l’intellect, c’est d’une pureté évangélique, ça splashe dans l’éternité d’un prodigieux ersatz. On tombe encore dans leurs bras avec «Another World (Reprise)». Ils y ramènent tout le power dont ils sont capables, c’est chargé de toutes les guitares de Rick Nielsen, ce fou dangereux est l’un des génies du siècle, il percute tout de plein fouet, c’est gorgé de riffing et Robin Zander monte tout ça en neige à coups de screams ! «Gimme Some Truth» pose sa tête sur le billot et shlompfff, finit en beauté. Terrific ! Rick Nielsen joue ses dégringolades de guitare à la surface de la terre comme s’il réinventait le rock, il se dit qu’avec ses accords inconnus il va devenir le roi du monde et ça ne traîne pas, Cheap Trick c’est exactement ça, un plein dans l’effet direct. Ils naviguent au niveau des Beatles du White Album, avec une pulsion intacte et humide, just gimme some truth, le power absolu et l’apothéose garantie.

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             Cet album est une mine inépuisable d’énormités. Avec «Quit Waking Me Up», ils sonnent encore comme les Beatles, ils y vont vaille que vaille avec un Nielsen qui télescope tout ce qu’il peut. La vieille magie des Beatles explose dans le giron des lovers. On est prévenu dès «The Summer Looks Good On You» qui ouvre le bal, avec cette heavy pop rock, on voit que ces quatre mecs n’ont rien perdu de leur grandeur anthémique. Ils rockent the world comme au temps du Budokan, ils élèvent la power pop au rang d’art totalitaire. Rick Nielsen titille bien ses tortillettes de killer flasher. Il invente un genre nouveau : le powerful power. On le voit encore fou de rage étriper «Boys & Girls & Rock’n’roll», cet enfoireman tape dans tout ce qui bouge, il est partout.  Du même coup, ils t’actualisent, ils te rendent visible dans un monde d’aveugles. Ils amènent «The Party» au stomp. Tu les vois arriver, alors tu te planques. Ils sont énormes, ils pourraient te marcher dessus, ils déploient des légions sur l’Asie mineure, ils envahissent tout, ils chantent des chœurs brûlants, ils foutent le feu. À notre époque, c’est inespéré d’entendre ce mélange explosif de Dolls, de Cheap et de Zoulous. Tu as la réponse à toutes tes questions : Cheap Trick.

             Et puis voilà un «Light Up The Fire» démoli en pleine gueule. Ils sont capables de claquer un petit enfer sur la terre. Toujours la même histoire : la ville en feu, personne n’en réchappe et Nielsen part en maraude d’excelsior, il pleut du feu de partout, comme au temps béni des bombes au phosphore.

    Signé : Cazengler, Cheap tripe

    Cheap Trick. In Another World. BMG 2021

     

    - Willie Cobbs tout

    Inside the goldmine

     

             Ils chevauchaient vers l’Ouest. Ils avançaient lentement car ils suivaient une piste.

             — Z’ont dû passer par là. Z’ont essayé d’effacer leurs traces en montant sur le rocher. Z’ont dû voir ça dans un film. Ah quelle bande de bâtards ! On va les choper avant la nuit.

             Effectivement, les traces réapparaissaient un peu plus loin dans le sous-bois. Les deux rottweilers muselés Sodome et Gomorrhe grondaient comme des diables. Ils sentaient la chair fraîche et tiraient sur leurs laisses.

             — Ohhh, du calme, mes mignons, l’heure du casse-croûte approche.

             Il leva la main :

             — On va faire une halte, histoire de leur faire croire qu’on a perdu leur trace. 

             Ils descendirent de cheval et attachèrent les laisses des deux Rott à un arbre. Ils firent un feu pour réchauffer un pot de café qu’ils arrosèrent largement de whisky.

             — Sodome et Gomorrhe n’ont rien becqueté depuis deux jours, y vont se régaler...

             — Autant te le dire franchement, Willie Cobbs, j’aime pas trop assister à ce spectacle. Bon d’accord, les blancs sont une sale race, mais de là à les faire becqueter par tes chiens...

             — Z’avaient qu’à rester tranquilles et pas s’échapper de la plantation, goddamnit ! Y sont là pour ramasser les bananes, donc y doivent rester à la plantation et servir le bwana ! Pas compliqué à comprendre, non ? Pas besoin de sortir de Saint-Cyr ! Et pis y connaissent le tarif si y s’font la cerise ! La corde ou les chiens ! C’est tout ce que mérite cette sous-race dégénérée, ces fucking whiteys ! En plus, on leur paye le voyage gratos en bateau pour venir bosser ici, faut pas charrier !

             Il sortit de sa poche son petit harmonica et souffla un air de blues africain. Les notes résonnaient dans l’écho du temps, donnant à cette légère distorsion de la réalité un caractère énigmatique.

     

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             Dans une vie antérieure, Willie Cobbs fut probablement pisteurs d’esclaves, mais dans un monde inversé où les maîtres noirs réduisaient les blancs en esclavage. Pas de raison que ce soient toujours les mêmes qui trinquent. L’imaginaire a ceci de pratique qu’il permet de rétablir certains équilibres. D’ailleurs Tarentino s’est aussi amusé avec cette idée dans Django Freeman. Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, comme dirait l’autre.

             Le pauvre Willie Cobbs a cassé sa pipe en bois en octobre dernier et dans la plus parfaite indifférence, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage.

     

             Il n’existe pas beaucoup de littérature sur Willie Cobbs. L’essentiel est de savoir qu’il vient d’Arkansas, qu’il est monté très vite à Chicago et qu’il est redescendu dans les années 60 à Memphis pour enregistrer son fameux, «You Don’t Love Me» sur le label de Billy Lee Riley, Mojo. Découragé par le showbiz, il est ensuite devenu club owner dans le Mississippi et en 1978, il s’installa à Greenville pour lancer Mr C’s Bar-B-Que, un resto réputé pour sa cuisine. L’autre info de taille, c’est qu’il est pote avec Willie Mitchell.

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    Sur son dernier album Jukin’, paru en l’an 2000, on retrouve toute la sainte congrégation d’Hi, les frères Hodges et Howard Grimes (dont on vient de saluer l’autobio). L’album est enregistré au Royal Recording Studio et Willie Cobbs salue le Memphis Beat à coups d’harmo. Avec «Black Night», les deux Willie (Cobbs & Mitchell) nous proposent le Heartbreaking blues d’Hi, une vraie fontaine de jouvence, on patauge dans l’excellence. L’album est un mix classique de boogie blues et de heavy blues d’une finesse fatale. Les frères Hodges savent aussi jouer le blues. On entend naviguer le bassmatic de Leroy Hodges sur «Poison Ivy», c’est cousu, mais quelle ambiance ! Ces mecs jouent à la revoyure. Ils tapent une version heavy de «Reconsider Baby» et croyez-le bien, on ne s’ennuie pas un seul instant. Willie Cobbs en profite, il chante tout ce qu’il peut, son «Five Long Years» est une merveille de présence intrinsèque. Il tape aussi l’excellent «Please Send Me Someone To Love» de Percy Mayfield. Quelle fantastique allure !

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             Il existe une compile de base parue en 1986 sur Mina Records, Mr. C’s Blues In The Groove. Les Japonais ont procédé comme Bear, de façon chronologique, ce qui permet de survoler l’œuvre du vieux Willie. Et ça démarre avec «Inflation Blues» - Inflation is killing me - Alors le vieux Willie s’adresse à Mister President pour se plaindre. On trouve deux versions de ce merveilleux boogie qu’est «Hey Little Girl», un boogie tentateur qui finit par te hanter. Le heavy blues de Willie n’échappe pas à la règle («Mistrated Blues») et dans les cuts enregistrés à Chicago («You Know I Love You», «Hey Little Girl»), on entend un fantastique guitariste de jazz. L’autre gros shoot est le «Worst Feeling I Ever Had», enregistré à Little Rock en Arkansas. En B se nichent deux merveilles enregistrées chez Malaco, à Jackson, Mississippi, le «Hey Little Girl» déjà évoqué et «CC Rider», monté sur un excellent groove de lard. Et on retombe en bout de B sur ce qui pourrait bien être le hit de Willie Cobbs, «Eatin’ Dry Onion» qu’il tape au beat de Memphis Tennessee. Magnifico ! Willie pourrait bien être one of the greats.

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             Down To Earth qui date de 1994 est un très bel album, enregistré à Clarksdale avec les anciens musiciens d’O.V. Wright, Rawls & Luckett. Willie Cobbs l’attaque avec le vieux «Eatin’ Dry Onions» et ça part dans l’éclair de la première mesure, ces mecs savent ce qu’ils font. Ils sont dans le fast boogie, c’est tight, bien serré à la corde, joué au cul du camion, ils ont pigé la combine, vite fait bien fait, c’est du boogie maison, avec du vrai son, comme chez Lazy Lester. On croise plus loin un autre boogie tout aussi expéditif, «She’s Not The Same (Feeling Good)», un vrai hit de heavy romp, Willie is hot. Il nous sort là un authentique boogie blast. C’est un bonheur que d’entendre jouer ces mecs-là, ils tapent «Goin’ To Mississippi» au crack-boom-uh-uh, Willie Cobbs domine bien la situation, Willie Cobbs tout, il passe des coups d’harmo, ça joue au pur jus d’in-house et tu grimpes dans les étages du boogie blues. Il est encore meilleur en Heartbreaking Blues, comme le montre «Butler Boy Blues», il vit ça dans sa chair. Même chose avec «Amnesia», people don’t know my name, il joue le jeu du heavy blues. Quand tu es dans les pattes de ce genre d’artiste, tu te sens en sécurité. Le guitariste qui joue avec Willie Cobbs s’appelle Johnny Rawling. Ce fabuleux blues guy qu’est Willie Cobbs chante «If You Don’t Know What Love Is» à la glotte languide, il ne chante que la pulpe du blues, d’ailleurs, au dos du boîtier, on le voit assis au bord du fleuve avec son harmo. Il va ensuite aller se fondre dans les breaks de r’n’b de cuts plus audacieux («Good Lovin’»). Willie Cobbs forever ! Il reste impliqué dans sa modernité. Il nous rappelle par bien des aspects un géant nommé Taj Mahal. Il est toujours intéressant, toujours juste, comme le montre encore «Now Slow Down Baby». Il revient en mode heavy blues pour «Carnation Milk». Willie Cobbs fait vibrer sa vieille glotte, c’est un savant du blues, une force de la nature, il vise l’orgasme en permanence, il dépasse toutes les expectitudes. Dead good ! Il termine avec «Wanna Make Love To You», un r’n’b efflanqué, et comme tous les grands artistes, il l’enfourche pour filer au galop.

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             Et puis voilà que paraît en 2019 un nouvel album de Willie Cobbs, Butler Boy Blues. Incroyable mais vrai ! Le pire c’est qu’il s’agit d’un bon album, bourré à craquer de ce boogie dont Willie Cobbs a le secret. Deux exemples : «Mississippi» et «She’s Not The One». Le premier est incroyable de véracité, le vieux Willie Cobbs est dessus, ah ah ah, il ricane comme un démon. Quant au deuxième, il est pulsé au beat originel, Willie Cobbs est un killer boogie man. Même énergie que celle de Lazy Lester. Mais c’est avec les Heartbreaking Blues qu’il rafle la mise. «Butler Boy Blues» sonne comme une bonne adresse, il y va au harp, c’est un fantastique shouter d’harp, il est fabuleux, au moins autant que Little Walter. Encore mieux, voici «If You Don’t Know What Love Is», pur genius, il chante à s’en exploser la rate, pure démence de la prestance, c’est le heavy blues de rêve. Encore du heavy blues avec «Carnation Milk», affolant de persistance, Willie Cobbs devient carnassier sur ce coup-là, quelle énormité ! Il chante aussi son «My Baby Walked Away» à s’en arracher les ovaires. Trop de son. Quel numéro ! Il est furieux, il saute sur tout ce qui bouge, my baby walked away. Il revient au r’n’b avec «Good Lovin’», ça joue sec et net derrière lui. Il conduit bien le groove, comme le montre le vieux «I Wanna Make Love To You». Il est clair, il a envie de la baiser, il revient par vagues insistantes, il charge la barque tant qu’il peut, il devient héroïque. On retrouve bien sûr l’inévitable «Eatin’ Dry Onions», le vieux «Amnesia» et le vieux «Jukin’». Willie Cobbs un vieux renard du bayou, il connaît toutes les ficelles et qui oserait lui reprocher de ressortir tous ses vieux coucous ? Certainement pas nous.

    Signé : Cazengler, Willie Cock

    Willie Cobbs. Disparu le 25 octobre 2021

    Willie Cobbs. Mr. C’s Blues In The Groove. Mina Records 1986

    Willie Cobbs. Down To Earth. Rooster Blues Records 1994

    Willie Cobbs. Jukin’. Bullseye Blues & Jazz 2000

    Willie Cobbs. Butler Boy Blues. Wilco 2019

    *

    Les Dieux sont avec moi, à peine ai-je appuyé sur You tube que se dévoile devant mes yeux le célèbre tableau L’Ecole d’Athènes de Raphaël, tiens une vidéo sur la peinture, pas du tout, le dernier disque de Thumos intitulé The Republic, what is it, un groupe de doom qui reprend La République de Platon, il est impérieux d’aller voir et d’écouter. Même si personnellement mes préférences vont à Aristote.

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    Pour une couverture, c’est une couverture. La plus intelligente que vous pourriez trouver. L’image est bien connue, souvent réduite à la présentation de ses deux personnages les plus importants, Platon et Aristote philosophant en marchant. Méthode péripapéticienne prônée par Aristote. A leurs pieds sont représentés vingt penseurs parmi les plus célèbres de la Grèce Antique. Message privé : nous recommandons à notre Cat Zengler de se méfier du redoutable Zénon d’Elée qui accoudé au piédestal de la colonne (à gauche, en bleu, en train d’écrire )  s’apprête à lui à lui planter la flèche de sa pensée dans le dos.

    THE REPUBLIC

     THUMOS

     ( Snow Wolf Records - 22 / 01 / 2022)

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    Dans le doom l’on ne doute de rien. Thumos, ce nom signifie Colère – nous reparlerons de ce groupe original une autre fois - s’attaque à un gros morceau, de choix, La République de Platon. L’est difficile de dialoguer avec Platon, l’on se sent vite écrasé par tant de subtilité. Thumos ne s’est pas défilé, l’a simplement mis la barre plus haut. Puisque l’on ne parle pas avec Platon, sous peine de débiter des niaiseries, il n’y aura ni paroles, ni lyrics. Ce que Thumos nous propose c’est une lecture de Platon. Attention pas question de faire défiler le texte de Platon (si possible en grec !) sur la vidéo, ou de le joindre en livret dans l’opus, le groupe nous convie simplement à une lecture auditive de Platon. Peut-être vous sentez-vous de facto écarté de la compréhension de ce disque, pas de panique, Platon a pensé à vous, selon sa théorie de la réminiscence, toute connaissance est en vous, hélas engloutie au fond des eaux de l’esprit comme l’Atlantide dans les abysses, il suffit de se mettre en chemin, votre âme a déjà contemplé les Idées irradiantes, l’ascension sera longue et difficile, pas du tout impossible. Vous êtes déjà passés par là.

    Nous allons donc nous livrer à ce difficile exercice de retrouver l’enseignement de Platon, au-travers des dix morceaux présentés par Thumos. Pas de hasard, si Thumos a choisi de présenter dix morceaux c’est parce que La République est composé de dix livres.

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    The unjust : musique lourde et menaçante, Socrate et ses amis discutent d’un sujet important qui relie tous les hommes entre eux tant au niveau individuel que collectif, autrement dit de politique. La question est simple, qu’est-ce qu’une chose juste, qu’est-ce qu’une chose injuste. La musique se fait plus lourde, le juste n’est-il pas ce qui vous fait du bien même au détriment de l’autre. Embrouillamini torsadé sonore la batterie en punching ball vous revient dans la gueule. C’est que nous sommes en train de décréter que la justice peut être en même temps juste pour les uns, injuste pour les autres. Plus tard Marx parlera d’intérêt de classe mais Platon pose le problème avant tout selon une problématique individuelle. N’empêche que l’injustice que vous exercez peut vous faire du bien. La musique tire-bouchonne sur elle-même. Le problème se révèle plus épineux que prévu. The ring : non il ne s’agit pas de l’anneau du temps serpentique qui se mord la queue mais de l’anneau de Gygès qui vous rend invisible et vous permet de commettre les pires méfaits, puisque selon l’adage, pas vu, pas pris. Avouez que s’il entrait en votre possession, vous ne vous gêneriez pas… d’ailleurs si vous respectez les lois et ne commettez pas de choses injustes c’est uniquement par peur de la prison et autres châtiments… la musique va de l’avant, la batterie bat le rappel des mauvaises actions, et les guitares tendent leurs cordes vers toutes les convoitises, l’on marche main dans la main avec son voisin et l’autre dans le sac qui contient sa fortune. Ce n’est pas fini, la musique danse sur le pont d’Avignon, évitons la chute, élevons le débat, si dans une cité les citoyens se laissent séduire par tout ce dont ils peuvent jouir, mal ou bien acquis, il est nécessaire d’avoir une armée et une police pour les contenir, et cette force armée pour qu’elle ne se laisse pas gagner par l’attrait des richesses, il faut l’écarter de la ville et l’envoyer faire la guerre, bref l’on entre dans une suite de malheurs sans fin, d’où la nécessité de bien éduquer la jeunesse. La musique glisse sur une pente fatale, la batterie se transforme en mitraillette et la beauté du mal vous ensevelit, une cloche de vache bat le rappel, évitez la licence, fortifiez vos âmes. Si possible. The virtues : le citoyen doit être vertueux. La musique bat le fer, l’argent, l’or et le bronze pour qu’il reste chaud. La musique devient pratiquement symphonique. Il s’agit de forger des hommes nouveaux, de les éduquer, qu’ils ne connaissent pas la peur de la mort, qu’ils puissent se battre pour leur patrie sans trembler, pas de laisser-aller, l’on pressent une éducation à la spartiate qui fortifie le cœur, l’âme, le sang et la volonté. Le son ne serait-il pas un peu grandiloquent, y croit-on vraiment ? The psyche : entrée martiale, pesante, la raison doit dominer le désir, les masses laborieuses doivent se contenter du nécessaire et réfréner leur avidité, les soldats doivent cultiver le courage, les élites qui commandent faire preuve des deux précédentes qualités mais aussi de sagesse, Thumos délivre une musique pesamment rythmée, nulle fioriture, une idée du droit chemin dont personne ne doit s’écarter sous le moindre prétexte. De même se méfier de toute nouveauté, si l’on a atteint la perfection tout changement apportera un moins. Entre nous soit dit, un peu rébarbative et profondément conservatrice la Cité idéale de Platon. The forms : le mot forms est à traduire ici par agencements, et n’a rien à voir - d’après nous qui faisons la différence entre idées et notions - avec les Idées ( qui en grec signifient formes en tant que modèles originels dans la philosophie platonicienne ) comme un gong qui se prolonge sans fin, puis scandé, et enfin déroulé, décrire les rapports entre les hommes et les femmes, celles-ci communautaires, les enfants élevés en commun ne connaissent pas plus leurs parents que leurs géniteurs ne les connaissent, la musique éveille l’intérêt, ne cédez pas aux pensées grivoises, toute la société fonctionne ainsi car à tous les niveaux les désirs de possession ne doivent altérer la raisonnabilité nécessaire à la bonne marche de la Cité, ainsi le roi ou les chefs suprêmes qui détiennent tous les pouvoirs doivent être aussi philosophes pour ne pas céder aux sirènes des tentations et faire preuve à tous moments de tempérance et de sagesse. Ici la musique atteint à une sorte de sérénité. Compacte, solide, infaillible. Mais quels sont ces coups de gong plus clairs, plus scintillants. Fêlures ou tranquillité thibétaine.

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    The ship : aucune des deux. La musique prend de l’altitude et devient grandiose, la batterie bourre le mou, et l’on est parti pour la vitesse supérieure. Nous rentrons dans la deuxième partie du livre. Le philosophe peut ne pas être reconnu à sa juste valeur, comme le Capitaine d’un navire que les matelots éloignent du gouvernail car ils ne comprennent pas sa manière de tracer la route. Le bateau finit sur les écueils… c’est le philosophe qui doit diriger l’état et la cité, il sait ce qu’il veut beaucoup mieux que tous les autres membres. Il a accès à une connaissance que les autres ne possèdent pas. Il connaît l’idée du Bien, qui permet d’entendre le bien de toutes choses.  Il n’est guidé ni par l’ignorance ni par l’opinion que la multitude des gens se font des choses. Le background comme une fanfare finale précipitée. Arrêt brutal, résonnances soniques. Ce qui resplendit ne s’éteint jamais, mais résonne toujours. The cave : guitares entremêlées irradiantes, riffs de cobalt, nous avons atteint le point culminant, la batterie nous prévient que nous avons encore quelque chose à nous enfoncer dans la caboche, c’est la célèbre allégorie de la caverne, nous ne voyons que les ombres des véritables choses qui sont les Idées, à notre niveau d’hommes modernes ne soyez pas l’imbécile qui ne comprend pas que les images d’un film ne sont pas les choses qui ont été filmées. Musique révélatrice, les philosophes doivent être capables de prendre conscience de cette réalité, Platon décrit leur formation qui mêle théories et moments d’implications dans les affaires de la cité, le rythme se ralentit, l’éducation n’est pas un long fleuve tranquille mais un torrent impétueux à remonter pour au soir de sa vie atteindre aux postes les plus importants de la cité. The regimes : l’on passe aux choses concrètes, les différents régimes politiques, Platon en décrit cinq, qui peuvent exister, étant entendu qu’ils naissent les uns des autres, selon une évolution logique, batterialerie quasi-angoissante, un moteur se met en marche celui de la dégradation sociale, sur un rythme lent et lourd tandis que surviennent les guitares comme un contre-chant lyrique au désordre inéluctable qui se met en place, que rien n’arrêtera, le jeu des désirs et des affects entraînant les citoyens à agir selon leurs prétentions du moment, stridences accumulées, le chant s’est tu, un grincement le suit dans le silence et la musique repart, les cymbales chuintent on dirait qu’elles ont envie de parler, de nous mettre en garde, de murmurer à notre oreille, mais non l’inexorable suit sa route interminable, musique de déréliction, la société humaine arrive au plus bas, chute précipitée sur la fin. The just : douces notes de guitares, presque espagnole, fragiles comme un fil tendu, Platon récapitule la fin du livre précédent, il cerne son propos, dans le dernier état de décomposition de la société tyrannique, ce n’est pas le tyran le plus problématique mais l’homme tyrannique en lui-même comme Marcuse a pu parler de l’homme unidimensionnel ou comme notre société évoque l’homme-consommateur, l’homme ne contrôle plus ses pulsions, il est davantage dominé par son appétit de jouissance que par le tyran, face à cet homme tyrannisé de l’intérieur par lui-même il oppose le philosophe, Thumos le nomme le juste, celui qui a su se dominer lui-même, qui étant son propre maître est à même de percevoir clairement la situation et à mener les citoyens selon de justes préceptes. La musique s’étale désormais sereinement, elle brille, elle illumine. Le soleil atteint son zénith. The spindle : pluie torrentielle, encore une fois l’on a l’impression que les guitares chantent, la batterie vient percuter cette harmonie.  Le titre est une allusion au faisceau tenue par la déesse Nécessité mères des Moires ( les Parques de la mythologie latine ) tel que le raconte le mythe d’Er. Moins connu que celui de la Caverne mais qui a eu une descendance tout aussi importante. Le mythe de la Caverne fonde en quelque sorte la philosophie qui se méfie de l’apparence des choses, celui d’Er institue la croyance religieuse de la bonne conduite récompensée après la mort, tout comme de la mauvaise qui entraînera punitions et châtiments. La Caverne est destinée à ceux qui réfléchissent, Er au peuple ignorant que l’on éduque (et que l’on tient en laisse) en lui montrant de grossières images… Ce n’est pas un hasard si le christianisme s’est reconnu en Platon. Mais ce genre de réflexion nous entraînerait trop loin. La musique est de toute beauté, empreinte de gravité. L’âme du mort doit choisir sa prochaine incarnation, s’il a cédé toute sa vie à ses désirs, il choisira d’être un homme ou un animal qui lui permettra de vivre au plus près de ce qu’il croit être la véritable nature du bien, peut-être à sa prochaine réincarnation choisira-t-il mieux… son âme sera ainsi comme celle du philosophe accompli qui désormais contemple le soleil éternel des Idées… la musique s’illimite et se perd en même temps.

    Je n’ai évoqué que quelques aspects de l’ouvrage de Platon. L’ouvrage entremêle plusieurs thèmes dont celui de la poésie que je n’ai pas du tout traité. Malgré cela, le lecteur risque de trouver un tel disque un peu trop rébarbatif. Il n’en n’est rien. Un disque de rock instrumental peut vite se révéler ennuyeux, surtout si l’on ne pratique pas soi-même un des instruments mis en évidence. Ici il n’en est rien. La musique est splendide. Il n'est pas du tout nécessaire d’avoir lu l’œuvre complète, voire une unique demi-page de Platon, ou même d’ignorer jusqu’à son nom, il suffit d’écouter. C’est étrange à la fin de chaque morceau l’on a envie de connaître la suite, une véritable bande-dessinée musicale. Thumos nous tient en haleine. L’on se laisse guider. Et l’on comprend que l’œuvre forme un tout organique. Il ne reste plus qu’à laisser notre esprit partir en voyage.

    Damie Chad

    *

    J’ai déjà consacré deux chroniques à Paige Anderson in Kr’tnt ! 512 du 27 / 05 / 2021   Paige Anderson & The Fearless Kin et Two Runner in Kr’tnt 514 du 10 / 06 / 2021. Mon déplorable et vieil ordinateur m’a empêché d’écouter les rares vidéos qu’elle a enregistrées, je ne maîtrise pas entièrement le nouveau, qu’à cela ne tienne, une artiste comme Paige Anderson n’attend pas. Voici donc la chronique de deux nouvelles vidéos.  Quand j’emploie le mot artiste j’en use en le sens où l’on peut dire que le poëte John Keats était un artiste, comprenez qu’il vivait simplement mais que son existence touchait à la beauté du monde, en tous ses instants, sans qu’il ait eu besoin de faire un effort pour accéder à l’essentiel de sa présence dans le monde…

    LIVE STREAM

    EMILIE ROSEPAIGE ANDERSON

    (23 / 01 / 2021) 

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    Tout comme en France les mois précédents n’ont pas été favorables aux artistes. Two Runner, comme bien d’autres, a vu ses concerts annulés, pour qui arriverait impromptu sur cette vidéo, le cadre paraîtrait étrange. Nous sommes dans une chambre ou un coin salon, toutefois un lit recouvert d’une couverture indienne et d’un empilement de coussins que l’on pressent douillets et voluptueux. Un petit intérieur comme chez nous, d’ailleurs Emilie Rose dans sa robe bleue qui n’est pas sans rappeler les personnages féminins des westerns ne se préoccupe pas de nous.  Ne nous accorde aucune attention, l’est toute accaparée par son téléphone portable, pour un peu l’on s’excuserait d’être-là, évitons de ronchonner comme de vieux conservateurs sur cette jeunesse portée aux futilités et dédaigneuses des convenances, une inscription sur une affiche manifestement manuscrite placardée sur le mur nous permet de comprendre la situation. Venmo est un mode de paiement utilisé par Instagram (pas seulement, l’entreprise a une vocation internationale) qui permet via les portables de faire ou de recevoir des dons financiers… Les messages amicaux et d’encouragement adressés à nos deux musiciennes s’inscrivent d’ailleurs sur la droite de l’écran.

    Nécessités économiques de survie obligent… Pour ceux que ce rappel insidieux dérange, qu’ils se perdent en la contemplation de la tapisserie de laine tissée au-dessus du lit, elle représente un loup stylisé qui aboie à la lune, nous voici dans un roman de Jack London ou de James Oliver Curwood. L’affleurement mythique de la Grande Amérique, celle des grands espaces, des indiens et des pionniers, the big country is here, un temps perdu devenu matière de nos rêves et de nos songes que la musique country sous toutes ses déclinaisons, traditionnelles, modernes, indépendantes, alternatives s’acharne sans cesse à ressusciter comme pour maintenir un chemin d’accès à un monde passé qui ne veut pas mourir.

    Les lecteurs s’offusquent, vous nous annoncez deux musiciennes, nous n’en voyons qu’une. Paige Anderson est là, mais hors-champ, elle répond à Emilie Rose, les filles papotent et commentent les posts, enfin Paige arrive, ravissante dans une tunique bleu pâle et ses longs cheveux blonds, l’on ne peut s’empêcher de penser aux paroles de Jim Morrison American boys, American girls, the most beautifull people in the world, elle s’empare de sa guitare, quelques instants pour saluer des proches, et pour s’accorder, Emilie Rose a pris son fidèle fiddle,  le concert, non la soirée entre amis commence, Paige à la guitare, et au chant, cette manière qui n’appartient qu’à elle de hausser la voix, à chaque fois vous avez l’impression qu’elle vous arrache le cœur, de son violon Emilie cautérise la douleur d’une douce mélancolie, qui prend de l’ampleur, se mêle et s’entremêle aux cris suaves de Paige, comment peut-elle en même temps insuffler tant de tristesse et de sauvagerie dans son chant, le refrain comme un couteau qu’elle enfonce dans votre âme, ses doigts mélancolisent  les cordes, une dernière traînée de violon comme une longue pincée de désespoir. Tout de suite le sourire aux lèvres, un œil sur le téléphone, on leur demande de mettre l’affiche Venmo en évidence au premier plan contre la santiag noire de laquelle émerge un bouquet de fleurs. Petit interlude parlé, nous sommes au Nevada, il neige.  

    Qu’elles sont belles toutes les deux, avec en fond sur le mur le loup solitaire Une nouvelle chanson. Une ballade, toujours cette voix arrachée de l’intérieur qui pleut sur vous en éclats de verre tranchants, ce mouvement de tête vers le haut, comme pour exhaler une fureur contenue, et Emilie Rose, elle ferme les yeux, son violon ruisselle de larmes, tout semble s’apaiser comme une déception, comme une acceptation, la musique continue, lorsqu’elle s’arrête l’on s’aperçoit que l’on n’est pas en train de s’éloigner sur une route jonchée de feuilles mortes.

    Rires, accordage, commentaire sur les posts ‘’ so beautifuul’’ ‘’sounds just fine’’, It’s nothing, accordage, capodastre, une chanson triste, l’autre doit partir, ce n’est rien, c’est ainsi et cette voix qui se plie à la nécessité des choses, même si dans les passages plus lents elle est chargée d’une délicieuse amertume, porteuse des choses qui ont été et qui ne sont plus, Emilie Rose grise la réalité, le violon n’est plus qu’une plainte, de celles que l’on retient mais que l’on ne saurait cacher, quelques saccades de cordes plus loin elle joint sa voix à cette de Paige, et la noirceur tranquille du monde tombe sur vos épaules et les recouvre de glace. L’on croit que c’est terminé, mais non, vie et cauchemar continuent toujours, la voix de Paige devient plus rauque et le violon d’Emilie sonne comme si elle jouait dans un quatuor, en battements d’ailes de cygne qui s’apprête à mourir.  

    Parlent un peu, mais l’on comprend beaucoup. Paige se retourne et s’empare de son banjo. Elle présente le prochain morceau un projet qui se concrétisera au mois d’avril suivant. La vidéo de Burn it to the ground, version orchestrée est sur You Tube. Très belle, mais celle-ci, toute dépouillée est encore plus forte. Crépitements du banjo et cris de crin-crin, plus la voix de Paige qui crache son ressentiment, pour l’exalter et s’en débarrasser, cette juste colère contre l’incompréhension des honnêtes gens, je ne savais pas que l’on pouvait jouer avec tant de force sur un banjo, l’archet d’Emilie se transforme en étrave de brise-glace qui pulvérise le monde. Ce morceau est un chef-d’œuvre absolu. C’est fini. Un ange passe dans une tornade. Emilie sourit doucement. Le visage de Paige se teinte de mélancolie, elle détourne pour poser son instrument et reprendre sa guitare.

    Emilie Rose engage le fer, le violon résonne comme un torrent qui dévale une pente abrupte, Paige les deux mains croisées sur sa guitare, sa voix s’élève altière, maintenant la guitare accompagne, tout se passe entre  le faucon de cette voix qui  qui monte haut dans le ciel pour se laisser tomber comme une pierre sur sa proie, le violon d’Emilie, il joue le rôle de la nature entière dans laquelle se déroule la scène, parfois tout semble immobile, apaisé, l’archet pousse les aigus et ce qui se voulait ordre et beauté se transforme à la seconde suivante en kaos mortel, leurs voix se rejoignent, étendards de victoires éployés, le ton s’adoucit, telle une houle de vent qui berce les épis de blés en une immense vague infinie. Fulgurant. Elles se regardent d’un petit rire discret. Elles peuvent être fières d’elles.

    Regards sur le téléphone. Remerciements. Une nouvelle ballade. Paige à la guitare, et cette voix, vous l’attendez, vous vous doutez que dans une seconde elle va éclater, et pourtant elle vous surprend, vous soulève et vous emporte, vous maintient au-dessus de l’abîme du monde comme par miracle, la tristesse vous poigne, le violon ne fait que l’accentuer par sa traîtrise de douceur, vous planez bien haut, sans être plus heureux pour cela, avec toutefois cette promesse de retour. Un classique de Jimmy Webb, Highwayman,  enregistré en 1977, sous la houlette de Chips Moman ( qui accompagna Gene Vincent sur scène et que l’on rencontre souvent, grâce au Cat Zengler in KR’TNT ! ) reprise par notamment par The Highwaymen ( Johnny Cash, Waylon Jennings, Willie Nelson, Kris Kristofferson ).

    Rituel habituel, rire, téléphone… Cette fois-ci, Paige ne chante pas, Emilie lui a très rapidement rappelé les accords, elle accompagne.  C’est parti pour une pure chevauchée cowboy & fiddle, coloration bluegrass, un régal, le bras blanc de Rose Emilie vole au vent de l’archer tel un albatros qui se joue de la tempête, des images de films tournent à toute vitesse dans la bobine de votre cervelle, élans vertigineux et apaisements virtuoses se succèdent à toute vitesse, Emilie joue avec son instrument mais son corps et sa tête conduisent la danse du cheval fou.  La prestation pétille de joie comme un feu de camp dans la nuit de la prairie. Toutes deux heureuses comme des gamines.

    L’on approche de la fin, on les sent détendues, Emilie raconte une histoire folle… comme quoi le monde est petit, Paige évoque des instants antérieurs, l’on se dirige lentement vers le dernier morceau Where did you go ? Notes lourdes et graves, la voix de Paige traîne et nasille, Emilie la soutient sur les refrains, sinon la guitare seule, et la voix esseulée, chargée de tristesse, ce n’est pas une chanson d’amour perdu, mais une plainte interrogative, sur l’autre côté, sur les sentes obscures de la mort. Une profonde méditation, un regard à la rencontre des ombres qui sont ailleurs. La chanson se termine comme l’on souffle sur la flamme d’une bougie. Paige nous regarde et esquisse un sourire. D’où sort-elle cette sérénité.

    Quelques phrases pour remercier – elles qui ont tant donné avec cette effarante simplicité - Paige se lève et disparaît, Emilie reste assise et fait semblant de pincer les cordes de son violon. This the end, beautifull friends. Bye-bye beautifulL girls. 

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    HAPPY OCTOBER, HAPPY FALL

    TWO RUNNER

    (EMILIE ROSE - PAIGE ANDERSON)

    ( 21 / 10 / 2021 )

    Changement de décor. Comme le temps passe vite, nous voici en octobre. Emilie et Paige sont assises dans un parc. Cette vidéo est un peu un clin d’œil aux anciens clips de Paige Anderson and the Fearless Kin enregistrées en pleine nature devant des arbustes aux branches tourmentées, voici plus de dix ans.

    Robes châtaigne et arbres qui commencent à se parer de couleurs automnales. Une vision idyllique, un peu à la Thoreau. Notes aigrelettes du banjo agreste de Paige en introduction, et toujours cette voix qui surgit et se pose, un oiseau sur les rameaux du désir et de la beauté, Emilie fredonne, à peine remue-t-elle les lèvres et pourtant elle enveloppe d’ouate le morceau qui en acquiert des allures intemporelles. Le violon crisse en une étrange tarentelle ralentie. Le banjo n’arrête pas de grignoter le temps, la voix de Paige nous éloigne d’on ne sait quoi, d’on ne sait où, une longue scie de violon et tout s’arrête scandaleusement. Presque trois minutes de rêve et plouf plus rien. Je l’ai écouté et réécouté plusieurs fois, et je n’ai pas compris. Tout ce que je sais, c’est que c’est plus que magnifique, au sens plein du terme ensorcelant.

    Damie Chad.

    ( Vidéos visibles sur FB : Emilie Rose ou Paige Anderson )

     ILLICITE ( 1 )

    AUTOPORTRAIT COMPLAISANT

     

    Les gens sont parfois curieux, ils me demandent qui je suis. Cela les intrigue. Il vaut mieux qu’ils ne sachent pas. Certains aimeraient savoir si je suis un rebelle. Je ne le suis pas, il faut prendre les armes pour cela, je ne dis pas quand j’étais jeune. Existe-t-il seulement des combats collectifs qui le méritent. Sûr, tout dépend des situations... Au fond les hommes m’indiffèrent. Je ne fais confiance qu’aux individus. Ce qui ne signifie pas que l’on a tort de se révolter. Encore faut-il ne pas être dupe de soi-même. Ni des autres. L’on me taxe souvent de radical, je le suis dans mes a priori. Comme tout le monde. A la différence de beaucoup, je ne feins pas de l’ignorer, je le revendique. J’assure du mieux que je puis ma niche de survie écologique. Je passe ma vie, à moins que ce ne soit ma vie qui se passe de moi, à traficoter dans les sentes obscures de la poésie et du rock ‘n’roll. Dans le monde des humains, je suis un illicite. Je préfère vivre avec les concepts opératoires que sont les Dieux.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    Episode 19

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    MENACES

    Nous étions nus, couchés à même le sol, grelottants, le grand ibis rouge n’avait pas l’air content, sa voix tonnait dans le ciel d’aube pâle.

              _ …Vermines, préparez-vous à mourir, vous qui avez mis le feu à mes quatre buissons sacrés d’hibiscus, crime impardonnable !

              _ …Bon, je crois que je vais de ce pas allumer un Coronado, déclara le Chef en se levant puis s’adressant à nous, levez-vous bande d’arsouilles, et toi le grand emplumé, rabaisse ton caquet, ce n’est pas ainsi que l’on s’adresse au SSR !

    Le GIR (Grand Ibis Rouge ) s’étrangla de fureur, il émit une suite de borborygmes incompréhensibles qui traduisaient une grande ire sans grandeur, nous en profitâmes pour enfiler nos vêtements, les chiens ne bougèrent pas de leur étoile.

              _ Agent Chad, auriez-vous l’obligeance de nous ramener un lot de croissants croustillants afin de nous remettre de nos émotions, en attendant que Monsieur le déplumé retrouve l’usage de la parole humaine.

    Quand je revins le GIB n’en avait pas fini d’expectorer d’infâmes gargouillements

              … grtbk klzx, pdtz, ngtm, dxqr, fwvc…

              … Quel bruit horrible se plaignait Françoise, on dirait un WC bouché !

              … Pas du tout, répliqua le Chef, quel manque de culture chère Françoise, c’est simplement la transcription gutturale et glossolalique des hiéroglyphes de la malédiction de Thot inscrite sur le mur nord de la troisième antichambre de la tombe de Touthânkamon, mais que vous apprend-on en maternelle, quelle ignorance, je n’en crois pas mes oreilles, de toutes les manières, nous en avons encore pour trois quarts - d’heure, l’imprécation aux ennemis de Thot est une des plus longues, certains égyptologues l’attribuent à Seth, une erreur déplorable !

    Les filles avaient préparé le café, je déposai mon paquet de gâteries que j’avais ramené de la boulangerie sur la table basse que Joël avait installée entourée de poufs sur l’ordre du Chef au centre du cercle. Nous déjeunâmes avec appétit, engloutissant, croissants, chocolatines, babas au rhum, millefeuilles, j‘avais même eu la délicatesse de choisir une tarte aux framboises pour Framboise, les cabotos ragaillardis par les effluves alléchants se rallièrent à nous et Molossito avait déjà enfourné trois Paris-Brest lorsque le GIR stoppa son ésotérique sabir et s’adressa à nous sur un ton comminatoire en la douce langue ronsardienne :

              … Misérables créatures, dans quelques minutes vous serez la proie des helminthes, mon messager de la mort n’est plus très loin, je l’ai retiré des limbes de son cercueil, il vient assoiffé de sang, telle une goule malfaisante, tremblez humbles mortels, agenouillez-vous et implorez ma clémence, que je refuserai de vous accorder, votre humiliation aura le goût délicieux d’un fruit succulent !

              … Agent Chad, auriez-vous du feu, pour mon Coronado !

        … Voici Chef, et toi le perroquet si tu pouvais te taire, ce serait parfait, espèce de paltoquet toqué en plaqué de contreplaqué, ferme ton claque-merde !  

    Je sais ce n’est pas poli, mais cette espèce de volatile rougeâtre me tapait sur les nerfs, ensuite je me dois d’être fidèle à la vérité historique de cette scène cruciale pour l’avenir de l’humanité.

              … Votre insouciance vous perdra, impies mortels je serai impitoyable, tant pis pour vous le messager de la mort est tout près de vous, je vous laisse méditer votre inconséquence le temps qu’il arrive. Silence, vous entendrez ainsi le bruit de ses pas !

    LE MESSAGER DE LA MORT

    Dans les minutes qui suivirent nous n’entendîmes que le bruit d’une allumette sur son grattoir, le Chef se préparait à fumer un Coronado. Il n’eut pas le temps d’aspirer afin que le bout du cigare s’embrasât, l’on marchait dans le corridor, il était indéniable que les enjambées du Destin se rapprochaient. Les filles pâlirent, les cabots grognèrent. L’on ouvrait la porte extérieure de la cabane, il y eut trente secondes de silence plus longues que l’éternité de la mort… Derrière la porte qui s’ouvrait sur le jardin l’on prenait plaisir à nous faire attendre, le Chef en profita pour tirer sur son Coronado, dégageant une intense vapeur, hélas point aussi psychédélique comme le dernier disque de Tony Marlow, les gonds rouillés émirent un grincement sinistre, enfin il apparut. C’était, in person, Charlie Watts !

              … Ce bon vieux Charlie ! marmonna le Chef

    Charlie, ne parut pas l’avoir entendu. Il s’arrêta, nous regarda et tira lentement son long bec métallique qu’il ajusta sur son visage. Le GIR gira au rouge cramoisi, les filles essayèrent de retenir quelques manifestations de terreur, leurs dents claquaient comme les castagnettes qui accompagnent les danseurs de flamenco, là-bas, en Espagne… les chiens glapirent de terreur, tandis que Charlie s’approchait à pas lents, soudainement ils se mirent à hurler à la mort.

    Charlie se rapprocha, il avait choisi sa première victime, il s’approcha du Chef et pencha son bec meurtrier vers son visage, le Chef en profita pour relâcher un nuage de fumée aussi inattendue qu’une bouffée délirante.

    Ce fut à ce moment-là que résonnèrent les aboiements joyeux de Molossa et de Molossito qui gambadèrent remuant la queue de contentement tout en se dirigeant vers la porte du jardin. Ingratitude canine qui préfère abandonner leur maître que mourir avec eux, je crus que c’était la dernière pensée de mon existence, mais à l’intérieur de la cahute des ouah ! ouah ! vigoureux se firent entendre, et subitement apparut Rouky. En deux secondes la brave bête visualisa la situation, courut vers Charlie et se jeta dans ses bras. De sa gueule il dépouilla son maître de son bec mortel qu’il jeta à terre, Molossa et Molossito s’en saisirent et disparurent en emportant dans leurs gueules la terrible arme blanche.

     Rouky léchait fébrilement le visage de Charlie Watts, il sembla peu à peu réendosser une apparence plus humaine, son visage recouvrait doucement une   légère teinte rose, il passa ses mains sur ses yeux et son regard acquit une profondeur qu’il n’avait pas auparavant. Je supposais que la salive de Rouky opérait de même que le sang d’un bélier noir que les anciens grecs immolaient au bord d’une fosse dans le but que les âmes des morts soient attirées par le chaud liquide et vinssent retrouver leurs souvenirs de vivants.

    (La conversation qui suit se déroula en anglais qu’en tant qu’agents du SSR nous maîtrisons parfaitement, toutefois la voici reproduite en français pour les lecteurs qui ne s’endorment le soir ni se réveillent le matin, en débitant par cœur une longue tirade de Shakespeare puissent n’en perdre une miette.)

              … Asseyez-vous, Charlie, je vous en prie, prenez place parmi nous, invita le Chef en désignant un pouf vide que je m’empressai de glisser sous les augustes fesses du batteur des Rolling Stones.

              … Euh ! merci (Charlie cherchait ses mots) euh, où suis-je exactement, et euh qui êtes-vous euh, je croyais que j’étais mort…

               … Je vous rassure cher Charlie, vous êtes bien mort, nous sommes les agents du Service Secret du Rock ‘n’ Roll, nous sommes dans le jardin de notre abri anti-atomique clandestin.

             … SSR… SSR… oui je me souviens, c’est vous qui une fois avez récupéré Keith dans la jungle…

              … L’on ne peut rien vous cacher, c’est bien nous, la mémoire vous revient !

              … Oui… elle est comme obstruée par des scènes de meurtres auxquels je ne comprends rien, j’ai une étrange sensation, un grand oiseau rouge, beaucoup de cadavres et beaucoup de sang…je…

    Les trois chiens insouciants qui jouaient à chat arrêtèrent subitement leur course effrénée   brusquement ils pointèrent leur museau vers le ciel et se lancèrent dans un furieux concerts de jappements de mauvais augure. Le GIR, nous l’avions oublié cet oiseau, sa silhouette sembla grandir démesurément, elle était aussi haute que la tour Eiffel, tout Paris devait l’apercevoir, une voix tonnante retentit :

             … Charlie lève-toi, n’oublie pas ta mission, n’oublie pas que tu es un guerrier du Grand Ibis Rouge ! Lève-toi Charlie, c’est un ordre !

    Et Charlie se leva…

    A suivre

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 540 : KR'TNT 540 : HOWARD GRIMES / MICHAEL CHAPMAN / CURTIS HARDING / EVERYOTHERS / GREY AURA / EDDY MITCHELL / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 540

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 02 / 2022

     

    HOWARD GRIMES / MICHAEL CHAPMAN

    CURTIS HARDING / EVERYOTHERS

    GREY AURA / EDDY MITCHELL

    ROCKAMBOLESQUES

     

     Howard the reward

     

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             En français, reward veut dire récompense. On aurait pu titrer ‘Upward Howard’ ou encore ‘An award for Howard’, les possibilités sont infinies dès lors qu’on entre dans les parages d’un homme aussi lumineux. Pour l’amateur comme pour le fureteur, la petite autobiographie d’Howard Gimes est une authentique aubaine. My Life In Rhythm semble tomber du ciel. Peu de petits livres sont capables de labourer aussi profondément nos vieilles cervelles éculées par tant d’abus. C’est pourquoi Howard is a reward.

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             Howard Grimes est un nom qui parle aux ceusses qui ont lu les dos des pochettes d’albums d’Al Green, d’O.V. Wright, d’Ann Peebles, de Syl Johnson, de Denise LaSalle ou encore d’Otis Clay. Howard Grimes - qu’on va appeler Howard parce qu’il est devenu un copain - fut le batteur de l’house-band d’Hi Records, le troisième studio/label mythique de Memphis, avec Sun et Stax. Howard n’a besoin que de 150 pages pour nous faire entrer au Royal Studio, au 1320 South Lauderdale Street, chez Willie Mitchell - boulevard qu’on a depuis lors rebaptisé Willie Mitchell Boulevard - De la même façon que le fit Chips Moman pour Stax, les fondateurs du studio/label Hi, Joe Cuoghi, Quinton Claunch et John Novarese optèrent pour une salle de cinéma désaffectée du quartier black de Memphis. Hi et Stax même combat ! Ce sont des blancs qui font du business. Fondé en 1956, Hi - House of Instrumentals, mais aussi Hi pour les deux dernières lettres du nom de Joe Cuoghi, comme le précise Howard - commence par commercialiser de la musique de blancs, avec comme figure de proue le Bill Black Combo. Quand en 1965, Bill Black, le brillant stand-up man d’Elvis, casse sa pipe en bois, Willie Mitchell qui est l’ingé-son du studio reprend la main en tant que producteur et Hi devient un label de Soul, mais pas n’importe quelle Soul, la Memphis Soul.

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             Howard entre pour la première fois au Royal en août 1960, le jour de l’enregistrement du «Gee Whiz» de Carla Thomas. L’enregistrement devait avoir lieu chez Stax, mais comme la bécane était en panne, ils sont tous allés au Royal, chez Willie Mitchell. Howard rappelle que «Gee Whiz» est un hit historique, car produit par la crème de la crème des producteurs locaux : Willie Mitchell et Chips Moman. Howard précise que Chips dirigeait la session et que Willie l’observait - Willie was so cool and laid back - Howard donne pas mal de détails sur le fonctionnement un peu obscur d’Hi. Les musiciens de l’house-band recevaient un chèque chaque semaine (Howard ramassait 106 $, alors dit-il que son copain Al Jackson en ramassait 500 chez Stax) et il devait aller récupérer son chèque chez Popular Tunes, que tout le monde appelle Pop Tunes. Avec le label Hi, ce magasin de disques qui appartenait au trio d’Italo-américains Cuoghi/Beretta/Novarese. C’est Frank Beretta qui signait le chèque. Il avait nous dit Howard toujours un gros cigare au bec. Howard le charriait en l’appelant Mr Magoo.                    

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             Howard nous fait donc entrer dans l’arrière-boutique de Pop Tunes qui est un entrepôt de jukeboxes. On se croirait dans un film de Scorsese - Ils étaient assis dans l’entrepôt et jouaient aux cartes, ils sifflaient leur whisky, et quand ils me voyaient arriver, they’d say, ‘Hey Howard! Get you a drink.’ - À l’étage de Pop Tunes, il y a trois secrétaires et une table couverte de cash - I’ve never seen so much cash in my life - Les trois secrétaires comptent les billets et font des tas. Howard ne comprend pas d’où vient tout ce blé. Il voit aussi que ses collègues de l’house-band Leroy et Charles Hodges récupèrent du blé par la bande, ils s’achètent des bagnoles et des maisons. Howard n’y comprend rien - They had my goddamn head swimming. In the dark’s where they kept me - Howard n’en croque pas. En plus, il doit reverser une partie de ce qu’il gagne à Willie - Willie had me paying a kickback. That shows how stupid I was - Pauvre Howard, tout le monde profite de lui, comment peut-on l’aider ? 

             Quand Joe Cuoghi casse sa pipe en 1970, c’est Nick Pesce, l’avocat du trio, qui reprend le contrôle du business. Tout au long de la phase de démarrage d’Hi - the making of Al Green - Howard se dit content, il accompagne toutes ces stars, Ann Peebles que Bowlegs Miller a ramenée de Saint-Louis, O.V. Wright, etc., mais il est soucieux car il gagne tout juste de quoi manger.

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             Howard évoque aussi l’épisode Atlantic. Willie reçoit un jour un coup de fil d’Atlantic qui propose s’envoyer chez lui Roberta Flack, Aretha et Donnie Hathaway. Jerry Wexler et Tom Dowd étaient déjà venus faire un tour chez Willie pour jeter un œil, mais Willie ne voulait  pas de ces mecs-là - He didn’t want to be bothered with all them crooks - Willie savait qu’Atlantic avait mis le grappin sur Stax et les avait quasiment mis sur la paille. Une sale histoire que raconte Robert Gordon dans son Stax book. Comme Willie lui claque la porte au nez, Jerry Wexler va envoyer une partie de ses artistes chez Chips qui après avoir été viré de Stax a monté American. Howard est resté en bons termes avec Chips. Il va faire un tour chez American et revoit Tom Dowd qui l’avait complimenté pour son talent de batteur. Howard voit surtout le succès d’American et le blé qui coule à flots, alors que lui ne roule pas sur l’or. La politique d’austérité de Willie a ruiné tous ses espoirs. Il aurait bien aimé gagner un peu plus de blé - It didn’t happen. We all felt let down - Pourtant Hi connaît son âge d’or avec une belle série de hits : «Trapped By A Thing Called Love» de Denise LaSalle, «A Nickle And A Dime» d’O.V. Wright, et bien sûr «Tired Of Being Alone» et «Let’s Stay Together» d’Al Green. Puis Otis Clay et Syl Johnson débarquent de Chicago. Voyant que ça marche bien chez Hi, Tyrone Davis débarque à son tour. Mais Howard discute avec lui et lui recommande de faire demi-tour, car dit-il, tous les œufs d’Hi sont dans le même panier : Al Green. Aucune promo pour les autres. Willie concentre en effet tous ses efforts sur Al Green.  

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             Howard nous brosse un paquet de portraits croquignolesques. Son copain d’école s’appelle Isaac Hayes. Comme Isaac est trop doué et qu’il joue de tous les instruments, une enseignante nommée Mrs Barbara Blake Jones le prend sous son aile et lui apprend les arrangements. C’est comme ça nous dit Howard qu’Isaac est devenu ce qu’il est. Encore débutant, Howard a la chance d’accompagner des stars comme Marvin Gaye et Jackie Wilson, but maybe the biggest star I ever played with was one of the first. Il parle bien sûr d’Isaac, the true Spirit of Memphis.

             Howard parle d’ailleurs de Memphis aussi bien qu’en parle Dickinson : «The Memphis sound is all about that backbeat.» Howard apprend à jouer dans les clubs de Memphis, «those clubs we played every night. Il y avait des organistes au Flamingo Room et au Sunbeam’s Club Handy. Un mec nommé Blind Oscar jouait de l’orgue at the Handy - he was bad (c’est-à-dire bon). Avec Booker T. Jones at Stax et Charles Hodges at Hi, that organ became part of the soul of the Memphis sound. Take those clubs out of the picture of Memphis music and there isn’t any picture.» 

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             Comme les package tours des early sixties passaient par l’Ellis Auditorium de Memphis, Howard y accompagnait toutes les stars : Jackie Wilson et Marvin Gaye comme on l’a dit plus haut, mais aussi Bo Diddley, Jo Jo Benson, Dee Clark, et encore Fats Domino et Mickey & Sylvia qui furent ses idoles de jeunesse - Marvin Gaye came to play the revue before he was a star and I baked him on ‘Hitch Hike’ - Quel veinard ce Howard ! Quand il va jouer au Plantation Inn de West Memphis, c’est-à-dire de l’autre côté du pont, c’est pour accompagner Floyd Newman qui le félicite : «That beat is your identity. No other drummer can play that.» Alors Howard devient un géant. En 1963, il rentre en studio avec Floyd Newman pour enregistrer «Frog Stomp», un mighty single Stax : «We went to the studio because of that beat. Isaac is on top with the organ, I’m driving the rhythm with the foot, playing 4-4 on the bass drum and 6-8 on the high-hat.» Howard the reward fait même swinguer ses phrases. Il faut faire gaffe avec ce genre de mec, car on finit par réécouter tous les grands albums d’Hi rien que pour l’entendre jouer. C’est le syndrome Charlie Watts : à cause du fantastique bouquin de Mike Edison (Sympathy For The Drummer), on a réécouté tous les albums des Stones pour entendre ce que fait Charlie. Et là on comprend pourquoi Edison met en sous-titre : Why Charlie Watts matters.

             On va rester un moment au Plantation Inn avec Howard car il a un sacré coco à nous présenter : «At the Plantation, on jouait du blues et du rock’n’roll derrière un mec qui s’appelait Sissy Charles. Strange cat. Il ressemblait à un gorille. On voyait son impertinence à sa façon de marcher et à la façon dont il vous regardait. Floyd et lui s’appréciaient mais moi, il me regardait de travers. Il était l’un des meilleurs chanteurs de blues du coin. That Sissy Charle was a trip. Je n’avais pas trop de rapports avec lui. I was scared of that motherfucker. Il était fort comme un bœuf. Il avait l’air d’un caveman. Les blancs l’adoraient. Il jouait  dans les white clubs.» En fait Howard nous refait le coup de Dickinson qui dans l’excellentissime I’m Just Dead I’m Not Gone nous décrivait le show de The Bullet, un homme tronc noir qu’on amenait sur scène et dont le numéro consistait à hurler, car c’est tout ce qu’il pouvait faire. Howard nous décrit d’autres artistes extraordinaires, comme Peaches qui s’habillait en femme, ou encore Ms. Shake Right qui s’enfonçait une ampoule dans le vagin et bien sûr l’ampoule s’allumait. Howard qui l’accompagnait se demandait où était le truc - I thought she must have something hot in there - Comme Ms. Shake Right était une amie de sa mère, il la respectait - Ms. Shake Right was a lovely woman - Et pendant qu’il bat le beurre, il peut observer le public, notamment celui des white clubs : «Les blancs dansaient off beat, they were all in different time and doing different moves. La première fois que j’ai vu des blancs danser, j’ai éclaté de rire. Ils restaient on the beat aussi longtemps qu’ils l’entendaient, mais ils étaient vite paumés. Dans les clubs des blancs, je n’ai jamais vu de bagarres, de manifestations de haine ou de négativité. Ça a transformé ma vision des blancs. Je n’aime pas entendre les black people dire du mal des blancs.» Howard développe en expliquant que les blacks ont la sale manie de se battre dans les clubs, ce qu’il ne supporte pas.

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             Howard voit donc le démarrage de Satellite/Stax. Ils sont tous blancs sauf Floyd Newman et Booker T. Jones. L’house-band des débuts est entièrement blanc, puisque ce sont les Mar-Keys - Ils ont eu un hit, «Last Night» et sont partis en tournée. Mais ils n’ont pas emmené Floyd Newman avec eux. Pourtant c’est lui qui chante ‘Ooooooh last night’ - Sur scène, les Mar-Keys ne sont pas aussi bons que sur disque. Il paraît nous dit Howard qu’à Detroit, le public gueule. Il ajoute : «Quand ils se sont aperçus que le batteur blanc des Mar-Keys ne savait pas tenir le tempo, Chips Moman a demandé que je participe aux sessions. Une fois que Chips m’a fait entrer dans le circuit, j’ai commencé à bosser pour de vrai. J’ai accompagné les Mar-Keys sur tout ce qui a suivi ‘Last Night’, mais on ne m’a jamais accepté comme membre du groupe. No matter what, I am a Mar-Key.» Howard rappelle aussi qu’à cette époque, il fallait faire gaffe de ne pas sortir du studio avec un blanc, même si on jouait ensemble à l’intérieur - We had to be careful outside because we didn’t want any trouble for the studio - Howard et donc le premier batteur black de Stax. Il sera remplacé par Al Jackson, qui à cette époque est le batteur d’Hi. Howard insiste beaucoup pour dire qu’il n’existe aucune rivalité entre Al Jackson et lui. Ils ont démarré ensemble et quand Al est arrivé chez Stax, Howard est allé chez Hi - Al avait un jeu plus vif et plus léger que le mien. He played a twenty-two inch ride cymbal, a great cymbal. On l’entend sur much of the Stax stuff - Willie Mitchell disait de ces deux batteurs : «Je ne pourrais pas avoir de meilleurs batteurs qu’Al Jackson et Howard Grimes. The best of two worlds.» À quoi Howard ajoute : «Willie disait aussi que j’étais plus créatif et que j’avais plus d’idées de rythme.» En fait, c’est Willie Mitchell qui fait la différence. Howard cite un exemple très parlant : «Willie Mitchell expliqua comment il voyait les choses. Il s’était fâché avec Al pendant l’enregistrement de ‘Love And Happiness’. Il disait à Al qu’il ne voulait pas the motherfucker pretty, il voulait the motherfucker funky. Alors c’est moi qui ait joué là-dessus. I would drive the beat, it’s a funky thing. Al Jackson played pretty.» Seul Willie Mitchell pouvait voir ces nuances. Tous les grands albums d’Al Green sont des albums de nuances. Howard raconte aussi qu’Al Jackson trimballait une petite sacoche d’appareil photo - Je lui ai demandé pourquoi il trimballait un appareil photo alors qu’il ne prenait jamais de photos. He said : ‘It ain’t no camera’. Il ouvrit la sacoche et en sortit un Luger. Je sus alors qu’il devait avoir de sacrés ennuis (I knew he must be in some serious shit) - Howard reprend un peu plus loin : «La dernière fois que j’ai vu Al Jackson, il m’a dit qu’il allait voir sa femme. He said she had the best pussy in the world. Comme elle lui avait déjà tiré dessus, je lui ai dit de ne pas y aller. (...) Le lendemain, Leroy m’appela pour me dire : ‘Al Jackson is dead.’ Al était allé dans cette maison. Il y avait quelqu’un d’autre.»

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             Comme Howard accompagne tout le monde, il se retrouve un jour embarqué dans une tournée de Paul Revere & The Raiders. Ils sont comme chacun sait venus enregistrer un album à Memphis (Goin’ To Memphis) et Mark Lindsay a repéré Howard. C’est l’époque où les Raiders sont énormes aux États-Unis, Howard nous rappelle qu’ils jouent dans des stades devant 50 000 personnes. Il voit les kids hurler comme dans les Beatles shows. Pour Howard, ce sera la première et dernière expérience de tournée, car ça ne se passe pas très bien. Paul Revere & The Raiders tournent dans le Sud avec un batteur noir, et forcément ça pose un gros problème quand ils arrivent à Montgomery, Alabama, fief du gouverneur Wallace, le gouverneur le plus raciste de tous les temps. Quand le boss du Montgomery Coliseum voit arriver un batteur nègre, il déclare aux responsables de la tournée : «The nigger ain’t playin’ in here. We never have James Brown in here. Ain’t no nigger played in here. Ain’t no nigger ever gonna play here. This is my building.» Pas question de laisser jouer le nigger dans son Coliseum. Le road manager et les Raiders font bloc avec Howard : si Howard ne joue pas, les Raiders ne jouent pas. Howard est fier des Raiders mais inquiet pour la suite. Alors comme les fils du gouverneur sont des fans de Paul Revere & The Raiders, ils implorent la clémence de leur père. Le gouverneur fait donc pression pour que le concert ait lieu. Il dit au boss du Coliseum de fermer sa gueule et il envoie même une escorte de la Garde Nationale pour protéger le tour bus, car bien sûr, Howard et les Raiders sont en danger. Du coup Howard devient une sorte de héros. Le mec du light-show l’éclaire sur scène de façon à ce que tout le monde le voie bien. Il est en plus installé sur une plate-forme qui domine les musiciens. Le concert est nous dit Howard exceptionnel. Le groupe reçoit un ovation. Et ce n’est pas fini : après le concert, les fils du gouverneur viennent même demander à Howard de dédicacer leurs albums des Raiders. Elle est pas belle la vie ?

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             C’est dans ce petit book qu’on trouvera sans doute le meilleur portait de Willie Mitchell, l’une des légendes de Memphis avec Uncle Sam, Stan Kesler, Jim Dickinson, Isaac Hayes et Chips Moman. Un Willie Mitchell humain trop humain : on sort des hommages à l’eau de rose, car Howard ne nous épargne rien du dark side of Willie Mitchell.

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             Quand Howard vient passer son audition, il doit jouer avec les frères Hodges que Willie a formés pour devenir l’house-band de ses rêves : Teenie (guitar), Charles (organ) et Leroy (bassmatic). Howard s’entend tout de suite très bien avec eux. Il décrit fabuleusement bien cette première audition, c’est pourquoi il faut lire ce petit book. À un moment, Willie dit stop et demande à Howard de ralentir : «Slooooow down, Goddammit! We gon’ aaaallll get ther at the saaaaaaaame time.» Howard comprend immédiatement - Willie avait son propre sens du groove, alors j’ai bien écouté le ton de sa voix. Peace was there. Il disait : ‘Here’s where I want it at. I want the motherfucker right there, so play it there’ - Willie forme Howard comme il a formé Teenie, Charles, Leroy et Al Green. Alors Howard sent le son entrer en lui - I thought : ‘This is where I’m supposed to be.’ Willie se tenait debout avec sa trompette, il écoutait. Il tapait du pied on the one. Je voulais qu’il soit content de moi, je désirais tellement faire partie de ce house-band. The Lord told me : ‘Watch his foot. If his foot moves, he’s listening. If It ain’t moving, you have to make it move. That’s how I learned to stay on the one -  Howard ajoute que Willie avait une vision du son pour Al Green, Ann Peebles, Otis Clay, Syl Johnson, O.V. Wright, mais la constante était bien sûr le groove de l’Hi Rhythm Section - Il existe d’autres great studio bands out there, mais je ne pense pas qu’un seul d’entre eux pouvait rivaliser avec nous, hit for hit, style for style, playing live and recording - Howard précise que les frères Hodges sont issus de la campagne, Germantown, outisde Memphis. Leur père Leroy Hodges Sr. avait un groupe, the Blue Dots, dans lequel jouait un guitariste nommé Earl the Pearl qui a tout appris à Teenie.

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             C’est le boss de Duke, Peacock et Back Beat Records Don Robey qui amène O.V. Wright enregistrer chez Hi. Pour la petite histoire, il faut savoir que Don Robey est un boss qui bosse à l’ancienne, gun sur la table et tartes dans la gueule. Il faut aussi savoir qu’O.V. Wright est l’un des plus grands Soul Brothers de tous les temps. Howard pense qu’O.V. est «the finest vocalist I ever worked with. I loved him from the top.» Mais O.V. a ses démons nous dit Howard, il parle bien sûr des drogues. Howard explique ailleurs qu’il n’approche ni les drogues ni les orgies assez courantes à l’époque. Il préfère rester à l’écart de tout ça. Lors d’une session, nous dit Howard, O.V. a sifflé une bouteille entière de sirop et il transpirait tellement qu’il dut enlever sa chemise pour chanter, «but his voice rang out clear as a bell». Un beau jour, Willie reçoit un coup de fil annonçant la mort de Don Robey. O.V. qui est dans le studio déclare : «Dirty dog took my money with him.» Et tout le monde explose de rire. Mais O.V. a pas mal d’ennuis avec les flics, il ne paye pas la pension alimentaire qu’il doit à son ex et quand les flics le collent au trou, Willie le fait sortir. Willie lui paye aussi la rehab et quand O.V. sort clean de rehab, il part en tournée. Mais ses drug buddies le chopent et O.V. replonge - That’s the way he died.

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             Howard raconte aussi comment au cours d’une tournée avec Willie, ils rencontrent un jeune black nommé Al Green. Ça se passe dans un club de Waco, Texas et Al Green demande à chanter avec eux. Howard ne rentre pas trop dans les détails mais la scène est fabuleusement bien documentée dans l’autobio d’Al Green, Take Me To The River. Les rapports entre Howard et Al Green seront assez mouvementés. Sans aucune raison valable, Al va demander à Willie de virer Howard. Willie se contentera de trouver un autre batteur pour accompagner Al, mais Howard se sera pas viré tout de suite. Plus tard, hanté par les remords, Al Green volera au secours d’Howard tombé dans la misère. 

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             Howard précise aussi qu’Abe Tilmon et les Detroit Emeralds sont venus enregistrer des hits chez Hi, «Wear This Ring», «You Want It You Got It», «Baby Let Me Take You» et «Feel The Need In Me» - The best music ever to come out of Memphis. People don’t even know - Howard ajoute qu’Abe Tilmon écrivit ces hits pour sa femme, mais elle lui brisa le cœur - He came back to Memphis half out of his brain from whiskey. He died not long after - Destin tragique comme ceux d’Al Jackson et d’O.V. Wright. Howard évoque aussi Ann Peebles, d’un caractère joyeux, qui riait beaucoup. Don Bryant qui composait pour Hi la faisait beaucoup rire. Mais nous dit Howard, elle avait deux défauts : son timing et sa diction. Elle ne savait pas entrer au bon moment dans une chanson, alors Howard lui apprit à compter. Un deux trois quatre, et tu entres - She stayed relaxed, she stayed with the drums and didn’t jump times - Willie s’intéressait à Ann parce qu’elle avait une voix superbe - We worked her up. So much church in her - Pour la diction, Willie confie le job à Don Bryant : «Teach her to sing clearly». Évidemment Don tombe amoureux d’Ann et ils se marient. Aux dernières nouvelles, ils sont toujours ensemble. On a vu Don Bryant sur scène en 2018 et ce fut une sacrée révélation. Howard ajoute que Don mériterait un book of his own - Don’s a little like I am - Et Howard continue sur sa lancée : «Après être resté tranquille pendant des années, il est revenu avec deux albums enregistrés à Memphis avec Scott Bomar. Je joue sur les deux. Il chante encore comme un jeune homme et il revient vers Willie Mitchell plus que n’importe qui, même les frères Hodges ne vont pas aussi loin.» On a rendu hommage à Don Bryant sur KRTNT en 2018 ( livraison  387 du 06  / 12 / 2018 ) Les deux albums sont parus sur Fat Possum : Don’t Give Up On Love et You Make Me Feel.

             Don Bryant et Earl Randle étaient les deux Hi Records staff songwriters. Howard en évoque un autre, Dan Greer, qui se pointait de temps en temps - Dan Greer a peint l’enseigne de Satellite Records. Je l’ai vu grimpé sur l’échelle le jour où avec Rufus on est venus enregistrer «Cause I Love You». Dan filait des compos à Willie. Il a aussi composé pour Wilson Pickett, Arthur Conley et James Carr - Il existe d’ailleurs une très belle compile Kent Soul, Beale Street Soul Man: The Sound Of Memphis Sessions, et une autre encore plus capiteuse, qui date du temps où Dan duettait avec George Jackson sous le nom de George & Greer, chez Goldwax : George Jackson And Dan Greer – At Goldwax. Tout ceci fait l’objet de futurs chapitres. 

             Par contre, Howard voit les choses se gâter chez Stax avec l’arrivée de Johnny Baylor, engagé comme garde du corps avec Dino Woodard par Isaac. Ces deux blackos viennent de New York. Depuis que Martin Luther King a reçu une balle dans le cou, la tension est montée à Memphis. Baylor fait entrer les guns chez Stax et il prend petit à petit le pouvoir. Satx le charge d’aller percevoir les impayés. Pas de problème. Au moment où Isaac connaît son heure de gloire, il fait travailler Chin, un copain d’école. Howard : «Me and Isaac went to school with Chin. Chin vivait à l’hôtel avec des prostituées, il fumait le cigare et dépensait le blé qu’il devait utiliser pour assurer la promo d’Isaac, par exemple arroser les DJs pour qu’ils passent les disques à la radio. Johnny Baylor a fait rosser Chin.» Ce sont bien sûr les méthodes de la mafia.

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             Un jour, Willie annonce à l’house-band qu’il est grand temps pour eux de faire un album. C’est On The Loose, le fameux Hi Rhythm Section record. Willie suggère d’enregistrer cinq instros et cinq cuts chantés par différents chanteurs. Mais Teenie veut chanter et Willie lui répond : «You can’t sing motherfucker.» Teenie rétorque : «Mick Jagger can’t sing.» Et Willie lui balance du tac au tac : «You ain’t Mick Jagger.» Howard nous restitue ce fabuleux dialogue. Howard et Leroy veulent faire chanter Ann Peebles et Al Green, mais Teenie, Charles et Hubbie veulent garder le singing. Ils l’obtiennent. Ce sont donc les frères Hodges qu’on entend sur cet album qui finalement tient bien la route. On retrouve le groove d’Hi dès le morceau titre d’ouverture de balda. Ils groovent comme des dieux. Le chant n’est pas très bon sur «Superstar», mais ils compensent par une extraordinaire musicalité. Howard a raison, ils ont un problème avec les voix, ce ne sont pas des belles voix et pourtant on se régale de «Purple Raindrops». C’est Howard qui mène la danse, au Memphis beat sec et net. Nouvelle merveille avec «Save All My Lovin’», ces mecs ont du génie, ils développent leur groove, ça chante à la ramasse mais le beat bat comme un cœur de bœuf. On s’habitue très bien au pas de voix. La chaleur du groove sur «You Got Me Comin’» est un modèle du genre. Ils terminent cet album étonnant avec «Skinny Dippin’» et Teenie Hodges joue psyché en fond de toile, c’est un vrai coup de génie ! Quasi hendrixien dans l’esprit.

             Mais l’album ne sort pas. Willie nous dit Howard ne voulait pas perdre le groupe. Il craignait que l’album ait du succès. Howard : «Trente ans après qu’on ait enregistré l’album, Don Bryant m’appela pour me dire de venir le rejoindre chez un disquaire de Beale Street. Il avait l’album. Je ne savais pas qu’il était sorti. Un label anglais nommé Demon Records l’avait publié et le disquaire en avait trouvé quelques exemplaires lors d’un voyage à Londres. Sur la pochette, on aurait dit que Teenie a un sandwich glissé dans son pantalon. Mais il a dit que ce n’était pas un sandwich.» Et pour conclure ce chapitre un peu tristounet, Howard jette un dernier éclairage sur la politique de Willie : «Willie n’a pas voulu qu’Al me vire. Il n’a pas voulu que Lou Rawls me fasse jouer.» Il craignait trop de perdre sa poule aux œufs d’or.

             Un jour que Syl Johnson est en studio chez Hi, il dit à Howard : «God put the pussy on earth and put me down here to get it», ce qui fait bien marrer Howard - Syl always had crazy thoughts in his head.

             Puis un jour Willie arrive en session avec une drôle de nouvelle : Hi est vendu. Les propriétaires ont vendu le label à un autre label qui s’appelle Cream. Willie rassure les musiciens en leur annonçant qu’ils vont toucher un dédommagement. Howard se frotte les mains. Comme Hi a beaucoup de disques d’or, il pense pouvoir palper dans les 100 000 $. Il sait que les ventes de disques représentent des millions de dollars. Nick Pesce l’appelle dans son bureau pour lui remettre un chèque. Howard n’en revient pas : il touche un chèque de 10 000 $ et il doit reverser un bakchich de 400 $ à Pesce. Alors il gueule et Pesce se met en rogne, se lève d’un bond et hurle : «Take your money and get the fuck out of here !». Viré.

             En réalité, ce qui fait la force de ce récit, aussitôt après les hommages rendus aux artistes, c’est la vie spirituelle d’Howard Grimes. Il dit souvent dans son récit que Dieu lui parle. Howard Grimes est tellement sincère qu’il serait capable de nous faire croire en Dieu. Lorsqu’il relate ses souvenirs d’adolescent, il fait un jour une demande à Dieu : «I want to be in the family of God’s great drummers.» - He didn’ answer but things were to be happening - C’est son ami Darryl Carter qui lui dit un jour : «Quand je vois tous les disques que tu as enregistré, tous ces hits, tous les grands artistes avec lesquels tu as joué, I believe you are in the family of God’s great drummers.» Dans sa vie, Howard a toujours écouté ce que lui disait God. Il évoque aussi sa mère qui était fière qu’il soit devenu batteur - That’s my son, playing them drums.

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             Quand il est viré d’Hi après la revente, Howard sombre dans la misère. Plus de revenus. On lui coupe même le courant - Il ne me restait plus que ma maison. No wife, no job, no income. I had no future. The death of Hi Records began my crisis - Alors il demande à God : «Why me ? What did I do wrong ?». God lui redit de l’écouter - You obey me well. I’ll send you back up - Plongé dans le silence et dans le noir, Howard dit entendre tous les bruits de la ville, les sirènes, les gunshots.  God commence par lui envoyer son ex-femme qui vient demander pardon, et Howard lui dit qu’il lui pardonne et elle repart. Puis God lui envoie Al Green. Howard n’en revient pas. Al entre avec une mallette à la main, la pose sur la table, l’ouvre et sort 500 $. Alors Howard lui demande pourquoi il fait ça. Al lui répond simplement qu’il suit des instructions. Plus tard, Howard se rendra dans la chapelle d’Al, the Full Gospel Tabernacle Church, à Memphis. 

             Dans les dernières pages de cette bouleversante autobio, Howard ne cache rien de ses inquiétudes : «Le monde d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui dans lequel j’ai grandi. The joy, the fun, the safety are all gone. Memphis, Tennessee turned rotten. Pendant mon enfance, les rues étaient sûres. Aujourd’hui tout le monde a un gun. My friend Willie Wine tells me, ‘Lucifer got ‘em.’» Et plus loin il ajoute : «It’s been darkness around Memphis. People love darkness.» Pas Howard, il n’aime pas la darkness.

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             Vers la fin du book, Howard rend un fier hommage à Scott Bomar, le mec qui a monté les Bo-Keys à Memphis. Le survivant des Bar-Kays Ben Cauley a joué dans les Bo-Keys, ainsi que Skip Pitts, le guitariste d’Isaac. Sur scène, les Bo-Keys nous dit Howard ont accompagné Don Bryant et William Bell - Je ne suis pas en colère après Hi, ni après Stax, but Scott Bomar at Electraphonic est la seule personne qui m’ait payé rubis sur l’ongle. Ça m’a choqué qu’il me paye pour la session de Cyndi Lauper. Il a juste dit que je le méritais. Bosser avec Scott, c’est un peu comme bosser avec Willie Mitchell. Electraphonic is the only place left that feels like the glory days.

             Puis il revient à l’essentiel, qui est le mythe de Memphis : «J’ai vu la music faire renaître cette ville (années 50/60). Avant, il n’y avait rien à Memphis. Et rien ne s’est vraiment produit depuis que tout est mort. Le hip hop ne marche pas. Les jeunes récupèrent notre travail et font de l’argent avec, mais personne ne joue comme on jouait. Il n’existe aucune valeur éducative dans ce qu’ils font. Leur seul message est un message de violence et de colère. Pas un message d’amour. Les gens viennent encore de partout dans le monde à Memphis en pèlerinage.» Howard est tellement amer. Il pense que c’est l’argent qui a tué le Memphis Sound, «Greed, corruption and violence killed us. It killed Al Jackson Jr. It killed Stax. It killed Hi Records. Si on était restés solidaires dans la paix, on serait encore au sommet.»

             Et puis il y a cette dernière phrase d’Howard qui sonne comme une prophétie : «The city’s music has to be reborn. The Memphis sound will return. When it does, my time will come again. That’s my dream.»

             Comme Howard, les frères Hodges sont toujours en vie. On peut les entendre accompagner quelques luminaries comme Syl Johnson, Robert Cray ou encore Alex Chilton.

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             Syl Johnson enregistre Back In The Game avec Hi Rhythm en 1994 et remet sa couronne de groover en jeu. On est saisi dès les premières mesures du morceau titre par l’énormité du son. C’est monté au beat insubmersible, groové dans le deepy deep, dans l’Hi des Hodges brothers. Même percuté par une torpille, ce groove ne peut pas couler. Tous les cuts de l’album rivalisent d’énormité, comme l’infectueux «I Can’t Stop», une véritable horreur jouée aux accords de r’n’b, ou encore ce violent coup de boogie qu’est «Keep On Loving Me», silly thang, absolute vodka de force majeure, fabuleux shook de shake, ils y vont doucement mais sûrement, no problemo, et le solo télescope une embrouille de funk. Et voilà l’un des hits majeurs du grand Syl Johnson, une cover du «Take Me To The River» d’Al Green - I don’t know why/ I love her like I do - Et il part en vrille sur le wanna know. Cette version glisse comme la boue vers la mer. Ceux qui ont bivouaqué au bord d’un fleuve sauvage savent de quoi on parle - Won’t you tell me - Syl chante avec un timbre unique au monde - Take me to the river/ Wash me down - La fantastique Syleena Thompson vient prêter main forte à Syl sur «Dripped In The Water». Ah ces brutes n’en finissent plus de dripper in the water, et l’orgue nous noie tout ça. Back to the heavy blues avec «Driving Wheel» et puis Syl renaît de ses cendres avec «Clean Up Man», un hit de funk extraordinaire, avant de replonger dans l’enfer vert du groove avec «I Will Rise Again». Wow quelle partie de groove ! - You got me feeling.

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             L’autre gros coup d’Hi Rhythm, c’est l’album enregistré avec Robert Cray en 2017. Hélas Howard the reward n’y joue pas, Steve Jordan prend sa place et à aucun moment on regrette l’absence d’Howard car voilà l’un de ces albums énormes dont on ne se lasse pas. Tiens on va commencer par les deux cuts mythiques qui s’y nichent, «Aspen Colorado» et «Don’t Steal My Love». Pourquoi mythiques ? Parce que Tony Joe White y joue. Normal, ce sont ses compos. Tony Joe gratte sa gratte et souffle dans l’harp de triomphe et comme Robert Cray chante comme un dieu, alors ça vire real cool time. Tony Joe supervise son Aspen, il descend un solo dément et là, tu as tout le son de l’Amérique, le vrai. Même chose avec «Don’t Steal My Love». Tony Joe l’emmène au fast tempo du swamp, il joue ça au gratté de poux, il lance des éclairs, il gratte en lousdé et ça tourne au génie purulent avec les coups de wah. Alors on imagine le travail, avec les frères Hodges en plus ! Et si on en pince pour le Memphis beat, alors il faut se jeter sur «The Same Love That Made Me Laugh» d’ouverture de bal. Steve Jordan bat le beurre et produit, alors Robert Cray devient énorme, comme le sont Keef & the X-Pensive Winos dans les pattes de ce mec-là. Et des tas d’autres gens, Candi Staton, Boz Scaggs, Solomon Burke, etc. Du coup l’album de Robert Cray prend des proportions gigantesques. Comme Teenie Hodges brille par son absence, c’est Robert Cray qui joue le simili solo d’Hi. Et boom ça explose avec «You Must Be Yourself», big Memphis beat, Robert se prend au jeu, c’est stupéfiant de power, il part en vrille au fond du Royal et les cuivres l’attaquent en contrebas. Ce son n’existe qu’à Memphis. Il enchaîne avec un «I Don’t Care» signé Sir Mack Rice et là t’es encore baisé. Back to Memphis, all over the rainbow, Robert nous plonge dans l’I don’t care if the sun refuse to shine/ I don’t care if it’s raining cats and dogs, c’est du pur jus de Mack Rice. On sort du cut en s’ébrouant comme ce poney apache qui vient de traverser le Rio Grande. Plus loin, Robert amène «Just How Long» au heavy groove. Ça tombe bien, car c’est la spécialité des frères Hodges et Dieu sait que c’est bon, c’est même du pur génie, le meilleur rampant de tous les temps - I’ll never know just how long - Il claque des accords farouchement déments. Puis il s’en va éclater «I’m With You» au Sénégal - Hey baby I want to know/ Oh yes I am - Il swingue sa Soul en mode doo-wop. Encore un shoot de Mack Rice avec «Honey Bad» et là, Leroy Hodges bassmatique au devant du mix. Tu es à Memphis, boyo, chez Willie, au paradis du groove ! Alors Robert est aux anges avec tous ces mecs-là. Il s’amuse comme un fou avec sa guitare et multiplie les petites descentes au barbu. 

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             Vient de paraître cet album live d’Alex Chilton & Hi Rhythm Section, Boogie Shoes: Live On Beale Street, bourré de covers triées sur le volet, comme on s’en doute, à commencer par «Precious Precious» d’Isaac. Excellence de la prestance, c’est subtilement horné et quel backing : Howard, Teenie, Charles & Leroy. Ils sont tous là ! Ils tapent ensuite le «634-5789» d’Eddie Floyd, encore un beau groove de boogie blues. Leroy croise dans le lagon du groove comme un requin bassmatiqueur. Pour Howard et Leroy, c’est ensuite du gâtö que de taper dans «Kansas City». Ils groovent ça sec et net et sans bavure. Et Alex le chante au pur jus. Par contre, ils font n’importe quoi avec des reprises de «Lucille, de «Maybelline» et de «Big Boss Man». Ils remontent le niveau de l’ensemble avec un hommage aux Supremes, «When Did Our Love Go», puis un hommage à Fatsy avec «Hello Josephine». Idéal pour un gang de surdoués comme l’Hi Rhythm. Alex annonce some real music for you et balance un «Trying To Live My Life Without You» qui sonne un peu mythique - Here we go/ Turn around - Il marie le r’n’b avec le Memphis beat.

    Signé : Cazengler, Howard Gris

    Howard Grimes. Timekeeper. My Life In Rhythm. DeVault Graves Books 2021

    Hi Rhythm. On The Loose. Hi Records 1976

    Syl Johnson With Hi Rhythm. Back In The Game. Delmark Records 1994

    Robert Cray & Hi Rhythm. Vee-Jay Records 2017

    Alex Chilton & Hi Rhythm Section. Boogie Shoes: Live On Beale Street. Omnivore Recordings 2021

     

    Chapman of constant sorrow

             Alors folky folkah, le vieux Chapman ? Pas tant que ça. À force de lire des beaux hommages dans la presse anglaise, on a fini par aller y mettre le nez, comme on dit. Et comme la presse anglaise c’est pas des bœufs (comme on dit encore), on finit par découvrir grâce à elle un artiste extrêmement attachant. Alors attention, c’est un gratteux, comme John Fahey, Bert Jansch, John Renbourn et tous ces mecs-là, il propose un univers très austère, mais bon, des fois, ça fait du bien d’aller traîner chez les austères. C’est un peu comme d’aller séjourner chez les moines, ça remet les pendules à l’heure. On écoute de la musique. C’est comme de passer sa soirée à lire un livre, on se sent un tout petit moins con à la fin de la journée.

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             Comme l’Old Chap vient de casser sa pipe en bois, le conseil d’administration de KRTNT s’est réuni pour prendre la décision de lui rendre hommage. Les quatre membres du conseil (Damie, le Cat, Rahan et Rouchka) ont voté à l’unanimité, ce qui n’était pas évident, car l’Old Chap n’est pas très connu en France. En plus, il n’est pas très sexy, commercialement parlant. C’est comme si on rendait hommage au vieux cordonnier du coin de la rue ou au marchand de quatre saisons qui passait encore avec sa charrette avant que l’arthrose ne l’en empêche. Old Chap est lui aussi un artisan à l’ancienne et mine de rien, on préfère mille fois ce genre de vieux crabe à toutes ces tronches de cakes qui déambulent dans les médias et qui affichent complet dans les smacks. Smack toi-même !

             Étant donné qu’Old Chap a enregistré une cinquantaine d’albums, on est confronté au dilemme de Fantasia. Alors on fait profil bas et on va se contenter d’écouter ce que les journalistes de la presse anglaise - qui ne sont toujours pas des bœufs - recommandent. Bienvenue dans l’Old Chapland.

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             En 2016, Tom Pinnock interviewait Old Chap pour Uncut. En guise d’hommage funèbre, Uncut publie pour la première fois l’intégralité de cette interview, six pages très denses avec comme il se doit le petit encadré ‘Essential records’. Six en tout et le premier, Fully Qualified Survivor, paru sur Harvest en 1970, reçoit la note suprême : 10/10. Le court texte rappelle que cet album fut a favourite of Pohn Peel’s. On est tout de suite frappé par la qualité du son. Eh oui, Gus Dudgeon produit. Il est en Angleterre le roi de la profondeur de champ. Ace vient d’ailleurs de lui consacrer une compile dans sa collection ‘Producer Series’. L’Old Chap fait à cette époque une pop assez conquérante. Avec «Stranger In The Room», il taille sa route dans l’univers et c’est fabuleusement bien produit, guitare adroite et climats du paradis, on admire les envols de guitare. Belle tension famélique, unique en Angleterre. Voilà ce qu’il faut bien appeler une merveille inexorable. Au fil des cuts, on le voit organiser sa fantastique prescience, avec «Postcards Of Scarborough», il nous emmène au cœur du London groove, Gus fait monter la neige de prod et ce démon d’Old Chap retombe sur des tapis de son magique. Cet album est une mine d’or. «Soulful Lady» démarre dans le moelleux d’un son inespéré. C’est du rock anglais, mais devenu beau et élastique, comme par enchantement. Là tu touches au but, comme avec Fred Neil. On se grise littéralement de cette qualité du son. De la même façon que Totor a fait les Ronettes, Gus fait l’Old Chap. Seul Gus sait interjecter dans l’élastique du groove. Il met du gras et du deep dans le son de «Rabbit Hills». Il a bien capté le bottom d’Old Chap. Ce spongieux défie toute concurrence. On comprend que cet album soit devenu culte. Old Chap gratte sa gratte sur l’île déserte. Avec «March Rain», la prod prend le pas sur le gratté d’Old Chap, car c’est Gus qui fait le son de la gratte. L’Old Chap revient à la charge avec «Kodak Ghosts», il gratte allègrement, c’est assez fin, bien tiré par les cheveux. On entend tout clairement, les petits arpèges et la petite purée au fond du son. Dans «Andru’s Easy Rider», Gus rattrape les arpèges du delta au vol et cet album mirifique s’achève avec un «Trinkets & Rings» qui démarre sur les percus de «Sympathy For The Devil» : l’Old Chap envoie des coups de slide résonner dans l’écho du temps de Gus. 

             Si l’Old Chap connaît Mick Ronson c’est tout simplement parce qu’à une époque il a enseigné à Hull, d’où est originaire Ronson. C’est aussi à Hull qu’il a rencontré Andru et le bassiste Rick Kemp. Dans cette extraordinaire interview qu’il accorde à Pinnock, Old Chap avoue qu’il aurait bien aimé jouer comme Kenny Burrell or Grant Green - But I was never good enough. So I played with anybody that would offer me £2 or £3 a night - Alors il joue dans des orchestres de rock ou de jazz. Quand Pinnock l’épingle sur la question des tunings, Old Chap fait son Old Chap. Pinnock lui demande s’il a pompé des tunings à Thurston Moore et il obtient la réponse qu’il mérite : «No, he leaves me miles behind. His are just too weird to consider. L’autre guy qui m’en bouche un coin, c’est Nick Drake. I don’t know how he’s come across some of his tunings without going to Brazil.» Old Chap a bien sûr rencontré Nick Drake mais aussi John Martyn, il a fait des tas de concerts, double headed university gigs - John was nuts but there you go - Et bien sûr, la question suivante concerne Mick Ronson, qu’Old Chap découvre alors qu’il jouait dans les Rats - They were awful, but Mick had ‘star’ written across him. Une fois qu’il est passé de la Strat à la Les Paul, wow that was something - Il évoque aussi Bert Jansch et John Renbourn, notorious fot not turning up, c’est-a-dire qu’on ne pouvait pas compter sur eux en concert. Ils jouaient ailleurs. L’Old Chap dit aussi que des gens comme Roy Harper et Al Stewart ne pouvaient pas marcher en Europe, car ils avaient trop de texte et les gens ne comprennent pas l’Anglais - With me, you get a lot of guitar and a few short lines and it works fine over there

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             Paru sur Harvest en 1971, Wrecked Again grouille de chansons, mais aucune ne prétend à trôner dans les charts. Old Chap fait de la heavy chapmannerie et veille à ce que tout soit bien articulé. Son morceau titre est quasiment pop, pas loin de ce que fait Croz à la même époque. Son country folk n’a pas la force de celui de Fred Neil, mais il dégage une certaine puissance. Chapman sonne très américain. En B, il repart en groove à la Croz avec «Fennario», il est même en plein dedans. Il reste dans l’Americana avec «Time Enough To Spare» et fait preuve d’une merveilleuse présence avec «Night Drive». Ses cuts sont comme visités par la grâce. Sa mélancolie évoque bien sûr celle de Nick Drake. Il passe à la heavy pop anglaise avec «Mozart Lives Upstairs». Ça devient bougrement intéressant, on pense à des tas de gens, Spooky Tooth ou l’early Led Zep, par exemple. Son «Shuffle Boat River Farewell» s’écoule comme un long fleuve au fil du temps - Don’t you know that it’s coming on so strong. Old Chap : «I never made a dime on Wrecked Again, for instance.»

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             On reste dans les années 70 avec 3 albums que Mooncrest vient de rassembler sous la forme d’un petit coffret digi : The Decca Years 1974 to 1977. Ces albums réservent pas mal de surprises. Sur Deal Gone Down enregistré en 1974 se niche une Beautiful Song, «Another Season Song». L’Old Chap nous sert un gratté d’acou franc du collier et bricole l’une de ces petites merveilles suspensives dont il a le secret, l’Old Chap éclot dans l’éclat des gros accords. Il attaque «Party Pieces» au gratté de coin du feu, il fait son Dylan avec des paroles de fancy clothes, mais il n’ose pas aller plus loin, comme s’il faisait un Dylan qui n’ose pas dire son nom. Puis on le voit naviguer au long cours sur «Stanger Passing By», il gratouille ses poux et crée de la petite tension. Avec le morceau titre, il se lance dans l’Americana, qui va devenir l’un de ses péchés mignons. Il est très pur, et ça tourne au génie car des chœurs de gospel le rejoignent. Quel fantastique artiste ! Il vise exactement le même genre de plan que Don Nix à la même époque : le mélange des genres. Il drive ensuite son «Banjo Song» au heavy boogie. C’est un merveilleux artiste. Il passe au heavy boogie boogah avec «Goodbye Sunny Sky». Il a du son, et même tout le son du monde. Il est marrant, car il se prend pour un rocker anglais alors qu’il trimballe un look de folkie, avec sa casquette et son manteau afghan. Mais ce mec dégage de bonnes vibrations, comme le montre encore «Journeyman» - Long way/ Long way/ Back to you - Ce Journeyman est une merveille de slow groove soutenue au picking. Old Chap est un mec fiable, infiniment fiable, son Journeyman est un chef-d’œuvre de fiabilité. On adore les mecs fiables. Son long way back to you te met du baume au cœur. Il ajoute encore des couplets et ça reste aussi puissant qu’une grande Dylan song, c’est travaillé au son et au chant. Décidément, l’Old Chap mérite tous les honneurs. 

             On tombe ensuite sur le pot-aux-roses : un Savage Amusement enregistré en 1976 chez Ardent à Memphis. Eh oui ! Et produit par devinez qui ? Don Nix ! Comme par hasard. L’album est solide mais pas aussi brillant que le précédent. L’Old Chap attaque avec un «Shuffleboat River Farewell» qui sonne comme du Mungo Jerry. Globalement, il joue de la heavy country américaine, son «Secret Of The Locks» est bien foutu, on se croirait dans le Nevada à cause de la poussière, mais c’est dommage, car on est à Memphis et l’Old Chap devrait en profiter. Il fait de la fake Americana comme son copain le Heron d’Incredible. Il n’empêche que les cuts sont bardés de son, la nonchalance règne sans partage sur l’album, mais pas de hit en perspective. L’Old Chap révèle pas mal de points communs avec Robert Forster. Et puis l’album se réveille en sursaut avec «It Didn’t Work Out». L’Old Chap pique sa crise de Stonesy et ça devient balèze, c’est le meilleur mélange des genres, the Memphis sound et l’Old Chap, avec des chœurs demented, ooouh ooouh ça devient sexy, roule ma poule avec le Memphis beat. On assiste même à un faux départ et à un faux retour. Cette belle escapade s’achève avec un «Devastation Hotel» tout de suite bardé d’orgue et de chœurs de filles. L’Old Chap n’a jamais été aussi choyé. Don Nix s’y connaît en matière de chœurs. Il transforme l’Old Chap en seigneur du Deep South. La transformation est spectaculaire.

             Puis en 1977, il enregistre The Man Who Hated Mornings. Keef Hartley bat le beurre sur l’album. Dans «I’m Sobber Now», l’Old Chap annonce qu’il a arrêté de boire. Mais ce n’est pas le fait qu’il arrête de boire qui rend le cut intéressant, c’est la présence de Mick Ronson on guitar ! Dommage que Ronno ne joue pas sur tout l’album. L’Old Chap part en virée jazz sur le morceau titre et il retourne dans la poussière du Nevada gratter «Steel Bonnets». «Dogs Get More Sense» sonne comme un petit boogie rock anglais inutile. Ça sent le vieux rock anglais qui ne se lave pas souvent, à cause de la rigueur du climat. L’Old Chap revient plus loin à son cher country rock avec «While Dancing The Pride Of Erie». Il domine tous les géants du genre avec une facilité écœurante.

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             Pinnock publie un premier article sur l’Old Chap en 2017, dans Uncut. Il est reçu dans la ferme - a weather-beaten farmhouse - où vivent l’Old Chap et se femme Andru depuis 1972, dans cette région sauvage du Northumberland, juste en dessous de la frontière écossaise. À part la machine à café, tout est ancien dans cette bicoque. L’Old Chap n’a jamais eu d’ordi. Il n’a que des disques, des books et des guitares dont une Martin qui aurait appartenu à Jimi Hendrix. Il est très content d’être resté éloigné du music biz - Don’t overthink things, that’s my motto. I’ve never wanted to be part of the club, the same way I’ve never wanted to move to London - L’Old Chap est un mec de Leeds, pas question de s’installer à Londres - I’m a Yorkshire man, I don’t waste money - Sur scène, il annonce : «Pour ceux qui ne sont pas contents, la porte c’est pas là.» S’il voit que très peu de gens quittent la salle, il se dit qu’il n’a pas été assez clair.

             Ben Thompson voit l’Old Chap comme un self-styled old white blues guy from Yorkshire, qui évoque les heavy-hitters John Renbourn et Bert Jansch, the muscular authority de Jimmy Page et the maverick edge de Roy Harper, sans altérer le moins du monde son own indisputably Chapman-esque character. Mais c’est à Davy Graham qu’Old Chap doit tout : «Davy was the first.» Thompson rappelle aussi qu’Old Chap jouait en première partie d’Emerson Lake & Palmer dans les années 70, qu’il a découvert Mick Ronson à Hull et qu’il a conquis le trône de John Fahey en devenant à son tour the Godfather of experimental rock-guitar (avec Pachyderm). L’Old Chap raconte aussi à Thompson son baptême du feu en 1958 à Leeds : Muddy Waters sur scène avec quatre Fender showman amps et sa Telecaster - It wasn’t just loud, it was the loudest thing ever heard in Leeds - Et bien sûr le public de jazz s’est enfui - These people fled in horror but they should‘ve stayed because it was perfect.

             Dans les années 80, l’Old Chap disparaît de la circulation parce qu’il boit comme un trou - That’s what Andru calls ‘Michael Chapman: The Missing Years’. I was drinking too much, fucking up gigs and being a bit of an arsehole - more than a bit of an arsehole - D’où une petite heart attack en 1990. Il est obligé de retourner jouer dans la bars, ce qui lui convient parfaitement. Il avoue à Pinnock avoir fait sa part de drinking et de doping - But I never went anywhere near hard drugs. Davy Graham went to Morocco and came back well fucked up - Il ajoute que c’était une tragédie - I did gigs with him where he was just stood in the dressing room for an hour laughing at the clock.

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             On attaque ensuite une série d’albums plus tardifs, comme ce The Twisted Road paru en 1999. Comme il enregistre énormément d’albums, il se dilue un peu dans la masse. Forcément on tombe sur des cuts comme «Another Crossroads» qui sont cousus de fil blanc. Il ne s’y passera rien, sauf que ce mec gratte divinement sa gratte, alors ça va plaire aux gratteux. Mais il chante comme un simili Clapton et on bâille à s’en arracher les ovaires. Il traîne sa voix de vieil épouvantail tout au long de l’album. Dommage, car le gratté scintille. Il donne envie d’aller réécouter Ralph McTell. L’Old Chap se fond dans son son comme la noix de beurre dans le poêle. Il n’envisage même pas de décrocher un hit, comme si ça ne l’intéressait pas. Il chante sa pop du pauvre, il crée son petit monde de fortune et ça donne des cuts bien coordonnés et assez puissants comme «All Day All Night». On sent des éclairs de grandeur dans «Memphis In Winter». C’est très intériorisé, au point que les arpèges descendent dans les soutes du son. Alors on admire la tension. Son mélange de chant et d’arpèges crée le buzz, mais il lui faut du temps, environ 7 minutes. Comme il est le seul maître à bord, il décide de tout, surtout des climats. Son «That Time Of Night» frise le Velvet par la pureté de l’intention. Et puis il finit par affecter son chant avec «Full Bottle Empty heart», on perd alors le goût de la pulpe. Il profite de «Cowboy On A Beach» pour danser sur le sable et finit en mode aéroplane d’Americana avec «I Got Plans», mais toujours avec ce chant imparfait qui remet en cause sa crédibilité. Du coup, on ne retient pas grand chose de cet album, dommage car la pochette est belle. On sent trop les limites du système Chappy, ça sent l’usure, ça tourne en rond, pas de magie, pas de mélodie. Il faudra attendre un peu.   

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             C’est la curiosité qui pousse à écouter ses deux albums d’Americana. Rien de plus intriguant qu’un Anglais qui prétend faire de l’Americana. On a déjà vu ce que ça donnait avec Incredible String Band. La vraie question qu’on se pose est celle-ci : à quoi ça sert ? C’est justement pour apporter une réponse à cette question qu’on écoute tous ces mecs-là. L’Old Chap monte bien son coup : ses onze instros sont conçus comme des cartes postales sonores et du coup, c’est passionnant, car ça fonctionne. «A Strangers Map Of Texas» exprime la douceur du temps dans le désert. Dans «Swamp», on entend les crapauds de Mr Quintron. C’est en plein dans le mille. «The Coming Of The Roads» se situe à la croisée des chemins du blues et l’Old Chap en fait un cut assez évangélique. Il nous fait visiter des tas de régions, il devient le roi de la carte postale, il charge bien la barque d’«Indian Annie’s Kitchen» et forcément on entend la sonnette du rattlesnake dans «Rattlesnake». Il nous fout même la trouille avec son bruitage de la mort certaine. Il adore interpréter la mort sur sa gratte. Il colle bien au titre d’«Anything But The Blues», une pure merveille. On sort de cet album éberlué.

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             Il récidive quelques années plus tard avec un Americana 2. Il commence par espagnoliser avec «La Madrugada», il s’y veut limpide et purpurin. Il part en longue dérive de blues pour «Blues For Mother Road» et amène «Apache Creek» à coups de banjo. On l’entend chevaucher dans l’eau, il pousse bien le bouchon des vignettes sonores. Il envoie une belle coulée de guitares dans «Looking For Charlie In Nogales» et sa guitare fait loi dans «White House». Il ressort ses plus gros arpèges et il remonte dans le courant du paradis. Quelle merveille. Il reste dans le grand art avec «Ghosts In The Sycamores». L’Old Chapman impose sa loi. Fully qualified survivor ! 

             Si les Américains l’adulent, c’est sans doute à cause de sa passion pour l’Americana. Steve Gunn dit qu’Old Chap is trying to go for this Big Bill Broonzy style. En fait, il est plus reconnu aux États-Unis qu’en Angleterre : des gens comme Kurt Vile, Bill Callahan et Steve Gunn l’adulent.

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             Il existe aussi trois volumes de Growing Pains. On peut écouter les deux premiers, ça ne mange pas de pain. Ces albums sont des compiles d’enregistrements live et en studio. Il démarre avec une belle cover du «Key To The Highway» de Big Bill Broonzy qu’il gratte à l’ongle sévère, pas de plus bel hommage, il y va, il s’y connaît en ongles secs, et le chant, c’est du bonus. Comme il est blanc, il fait de son mieux pour chanter le blues. Il fait ensuite une âpre version de «See See Rider» et se tape un numéro de virtuose avec «Let Me Go Home Whiskey», il gratte all over la gratte, c’est du cirque, les enfants applaudissent, il gratte tout ce qu’il peut, c’est un forcené. Puis il tape dans «Parchman Farm». Il reste cool, il ne fait pas son Cactus - I’m sitting here in Parchamn Farm/ And I’ve never done no man no harm - Il ressort ses vieux coucous, «Anniversary» et «It Didn’t Work Out» qu’il gratte à l’ongle sévère, et plus loin, il rend un hommage superbe à Tim Hardin avec «Reason To Believe», un hit inexorable enregistré live in Southampton. Globalement, il ne faut rien espérer de plus que du gratté de poux, mais quel gratté de poux ! Il gratte encore tout ce qu’il peut sur «A Scholarly Man». Il revient en studio avec «Here We Go Again» et du coup, il a trop de son. Il passe de rien à tout. Il s’amuse à groover «Dangerous When Sober» comme un punk. Il se veut libre et sans patrie.

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             On continue d’explorer l’Old Chapland avec Growing Pains 2. Il semble parfois vouloir faire exploser l’austérité et il démarre avec une cover du «Rockport Sunday» de Tom Rush. Il ressort son vieux «Andru’ Easy Rider». Comme Fahey, il gratte dans la nature, il explore les possibilités du manche. Il oublie parfois de chanter. Nous restons chez les Presbytériens avec «Not So Much A Garden» : ici pas de mélodie ni de miracle. Il suffit de regarder la bobine d’Old Chap. Ce n’est pas le genre de mec qui rigole. Les Anglais ont ce goût très prononcé par la grande austérité. «Time Enough To Spare» est enregistré live à Southampton en 1969, toujours avec Keef Hartley  au beurre. C’est bardé de guitares aériennes, Old Chap croise le fer avec Ray Martinez. Encore une belle merveille avec «How Can A Poor Man Stand Such Times And Live», un accordéon amène du grain et les chœurs de filles sont un chef-d’œuvre de discrétion. Ah comme les clameurs sont belles ! On comprend qu’Old Chap n’aurait jamais pu devenir une superstar, et c’est tant mieux.  

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             Plaindealer qui date de 2005 grouille d’Americana, enfin de fake Americana. Le meilleur exemple en est «Ramon & Durango» qu’il chante d’une voix de vieux desperado. Il fait aussi un clin d’œil aux Cajuns avec «Bon Ton Roolay», mais il pousse trop sa voix de cancéreux. Ça finit par éreinter la patience. Il démarre avec un «Streamline Train» qui n’est pas celui de Jessie Mae Hemphill, c’est du low mama embarqué au gratté de poux. Il attaque un peu plus loin un délire de 10 minutes intitulé «Anniversary». Il n’a peur de rien, il chante un peu comme Lanegan, le pire c’est que c’est beau et même extrêmement beau, complètement hanté, ce démon d’Old Chap tient bien la distance, et comme il attaque le final en contrefort, on se prosterne. Il amène «Georgia Gibson» aux arpèges du paradis et ça atteint des hauteurs subliminales. Pur Old Chap ! Dans «Deportees», il nous transporte à la frontière mexicaine avec sa voix d’agonisant et ses coups d’acou sonnent comme le glas. Tout aussi excellent, voici «Moonlight Ride», l’Old Chap fait sa mauvaise tête, il chante comme une teigne - Maybe it’s time for desperation - Le pire, c’est que c’est excellent. Il retrouve sa voix de cancéreux pour «Victory & Defeat», on entend sa glotte racler le charbon. Il travaille toujours ce mélange d’ambiance au chant et de symbiose d’acou, comme les autres grands louvoyeurs britanniques, John Martyn et Richard Thompson. On voit soudain l’Old Chap chercher le hit avec «Youth Is Wasted (On The Young)», il chante à la profondeur des mines du Pays de Galles et sa guitare enchante les boyaux. C’est bien éclaté dans la longueur, il chante un peu comme un con mais sa gratte sonne bien, il joue des délicatesses extravagantes et c’est relancé à coups de retours de manivelle.        

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             Quand il enregistre Sweet Powder en 2008, Old Chap a pris un sacré coup de vieux. Il a 70 balais. Il y fait une superbe cover d’«Hi Heel Sneakers», bien noyée sous la purée - Put on your red dress baby - Il s’énerve et devient le roi de la fake Americana, il joue ses classiques jusqu’à l’oss de l’ass. Il refait son desperado avec «A Spanish Incident» qui est en fait «Ramon & Durango». C’est infernal car il a du son, et une niaque de wild guy de la frontière. Même chose avec «Waiting For A Train». Il ressort aussi son vieux «Rabbit Hills», qui date du temps béni de Fully Qualified Survivor. Fabuleux singalong - or is it my imagination again - Il fait son Ry Cooder avec «In The Valley», il gratte son biz, il chante aussi «I Thought About You» à la gorge profonde. Il termine avec «Which Will», dans l’esprit de Steve Earle, il travaille un folk-rock américain chargé de son et d’histoire, à la voix sourde. Il finit toujours par impressionner.

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             Enregistré en 2010, Wrytree Drift est un album intéressant pour trois raisons. Un, «Soulful Lady», ressuscité. Il y fait du Lanegan à l’agonie. Il coule du liquid feel dans le groove et ça tourne à la magie. L’Old Chap sait faire durer le plaisir. Deux, le morceau titre, il y coule son groove aux arpèges de cristal mou, et le solo s’écoule comme chargé de lumière, alors on l’écoute jusqu’au bout, même si c’est long. Pas question d’en perdre une miette. Trois, «So Young», où il plonge dans un deepy deep à la Nick Drake, mais bizarrement, ses eaux troubles restent lumineuses. Il éclaire ça au riffing de vieil apothicaire. L’Old Chap est un mec passionnant, et puis il y a cette omniprésence du gratté de poux électrisé, ça finit par devenir toxique. Et il prend son temps. Chez lui, la notion de temps est fondamentale. Avec «Another Story», il se positionne à la croisée des chemins de Nick Drake et de Lanegan. Haunting presence, dirait un Anglais. L’Old Chap vise les climats, il propose un rare mélange de chant profond et de musicalité. On le voit plus loin gratter tout ce qu’il peut dans «Wish I Was A Twig». Il joue comme un vieux cowboy un peu trop surdoué. Il n’amuse que lui, en fait. Si t’es pas content, c’est pareil. Il nous refait un petit coup de «Parchman Farm» et refait son Lanegan avec «Blue Season». Avec l’Old Chap, ça reste solide jusqu’au bout, il faut le savoir. Inutile d’espérer un cut foireux, il veille au grain du son, il connaît toute les ressources des arpèges, son «Dewsbury Road» est une merveille, il gratte ça à l’exelsior.

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             Attention avec ce Pachyderm paru en 2012 : l’Old Chap propose un cut par face. Le morceau titre est une variation sur un accord gratté dans l’écho du temps, un arpège intermittent. Il crée ainsi une ambiance étrange et au bout de dix minutes, on comprend qu’il ne se passera rien de plus : 24 minutes de variations sur le même thème. Pinnock dit que c’est l’album le plus expérimental d’Old Chap. Toute la difficulté va consister à revendre l’album à un prix correct.

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             En février 2016, Old Chap et Andru prennent l’avion pour New York. Ils se rendent au Black Dirt Studio pour enregistrer 50. Bridget St John qui le connaît depuis 1968 fait aussi partie de l’aventure. «A celebration of Chapman’s half-century career», nous dit Pinnock, «enregistré avec un crack team of American musicians, including Steve Gunn et d’autres.» Et il ajoute : «It’s denser and glossier than much of his work, but that, as he explained, was the point.» Et Pinnock lui donne 9/10. C’est vrai qu’on y retrouve pas mal de vieux coucous, comme le fameux «Spanish Incident (Ramon & Durango)» qui devient ici un heavy cowboy movie - Drinking rough red wine - in a Basque road side bar - As the sun rises just like Lazarus - Power monumental ! L’Old Chap se pend pour Cash, c’est du recuit, mais quel recuit ! C’est avec cet album qu’on réalise à quel point l’Old Chap est bon. Il a de grosses compos, comme ce «Sometimes You Just Drive». Admirable, et même plus qu’admirable, c’est bourré de son et d’espoir, il a de la musicalité plein ses soutes. Les guitares font merveille dans «The Mallard». L’Old Chap y crée de la magie, c’est furieux, fin et racé à la fois, gratté sous le vent, tu as là un son plein comme un œuf, les arpèges génèrent de la magie. Il ramène aussi son vieux «Memphis In Winter», qu’il tape au gratté évangélique. Il développe parfois des heavy grooves sans intérêt («The Prospector»), mais bon, les guitares scintillent sous le soleil de Satan, the guitars first ! Encore un numéro de cirque avec «Falling From Grace», l’Old Chap reste fidèle à son art jusqu’au bout, il fait du Fred Neil en plus grave. Il ramène encore énormément de son dans «That Time Of The Night». C’est l’antithèse du rock électrique, l’Old Chap fait tout à la main, il reste intense, noueux, puissant, concentré, sec et déterminé. Il travaille ses mélodies dans la poudreuse du crépuscule. Dans un vieil Uncut de 2017, Jim Wirth encensait le 50 d’Old Chap. Wirth rappelle qu’en cinquante ans, l’Old Chap n’a pas eu beaucoup de succès, alors cet album est un peu sa revanche. À l’âge de 76 ans, il serait temps. Apparemment, des gens reprennent ses chansons : Bill Callahan, Ryley Walker et Kurt Vile. C’est justement le guitariste de Kurt Vile, Stev Gunn, qu’on retrouve sur 50.   

             Old Chap confie à Pinnock qu’il n’était pas très content du mix de 50, «but Andru talked to me». Pour éclaircir son point de vue, il ajoute : «Il y a deux façons de mixer un enregistrement : you can put everything flat across the front, which I always do, or you can make it very dense, and that’s 50. It’s just a different way of mixing records.» 

             Mais en fin de conversation, l’Old Chap avoue qu’il ne s’en sort pas très bien - I’m trying to take it easy, but I’m not doing very well - Il avoue être resté un sale caractère, a really bog-bottom working-class bloke - Si un mec m’appelle pour jouer en concert, j’hésite à lui dire non de peur qu’il ne me rappelle pas.   Pinnock qui ne rate pas une seule occasion de faire l’intéressant fait remarquer à l’Old Chap qu’il a enregistré énormément de disques. Pour amener de l’eau au moulin d’Alphonse Pinnock, l’Old Chap sort une petite anecdote : «Quand j’étais en tournée avec Bill Callahan, un mec au Troubadour m’a dit que Bert Jansch enregistrait un album tous les dix ans et moi un album toutes les dix minutes. Et j’ai répondu : ‘Well I like doing it.’» Et il ajoute, d’une voix sourde : «I love playing. I’ve never used a setlist, I’d be bored to tears. That’s the point in playing solo to me, there’s no restriction. All there is, is freedom.» La liberté, c’est tout ce qui compte.

    Signé : Cazengler, Michael Chapelure

    Michael Chapman. Disparu le 10 septembre 2021

    Michael Chapman. Fully Qualified Survivor. Harvest 1970

    Michael Chapman. Wrecked Again. Harvest 1971

    Michael Chapman. The Twisted Road. Mystic Records 1999 

    Michael Chapman. Americana. Siren Music 2000

    Michael Chapman. Americana 2. Moonscrest 2006 

    Michael Chapman. Growing Pains. Moonscrest 2000 

    Michael Chapman. Growing Pains 2. Moonscrest 2001 

    Michael Chapman. Plaindealer. Rural Retreat Records 2005          

    Michael Chapman. Sweet Powder. Rural Retreat Records 2008

    Michael Chapman. Wrytree Drift. Rural Retreat Records 2010

    Michael Chapman. Pachyderm. Blast First Petite 2012

    Michael Chapman. 50. Paradise Of Bachelors 2017

    Michael Chapman. The Decca Years 1974 to 1977. Moonscrest 2021

    Jim Wirth : 50. Uncut # 237 - February 2017

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    Ben Thompson : Hanging tough. Mojo # 279 - February 2017

    Tom Pinnock : Fully qualified survivor. Uncut # 238 - March 2017

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    Tom Pinnock : Fully qualified outsider. Uncut # 295 - December 2021

     

                                       Inside the goldmine

                                      - I’m not like Everyother else

                Nous étions deux frères et en ce temps-là notre jeu favori consistait à épier les allées et venues nocturnes des gens du village. Nous nous cachions la nuit dans les dunes. Ces mystérieux déplacements embrasaient nos imaginations au point que nous sentions germer en nous une vocation de bandits de grand chemin. Pour l’heure, nous nous contentions de revêtir les panoplies de mamelouks que nous avait offertes l’oncle Oussama au retour d’un voyage à Constantinople. Une nuit, nous vîmes arriver à dos de mule cet homme qu’on connaissait. Son visage en forme d’amphore et son fort accent méridional nous faisaient beaucoup rire. Il transportait amarrées au collet de la mule deux immenses jarres en terre cuite. Nous décidâmes de le suivre discrètement. Bien que cheminant dans le sable, il avait enveloppé de chiffons les sabots de la mule, ajoutant du silence au mystère de son équipée nocturne. Les gens le connaissaient sous le nom d’Ali Baba. La pleine lune nous permettait de le voir comme en plein jour. Il se retournait régulièrement pour vérifier qu’il n’était pas suivi. Il devait couver un bien grand mystère pour rester ainsi sur ses gardes. Il arriva enfin au pied d’une falaise. Il descendit de la mule et alla déplacer les buissons d’épineux qui semblaient masquer l’entrée d’une grotte. Puis il prononça une phrase étrange : «Sésame ouvrrre-toi !». Nous entendîmes un horrible grincement et Ali Baba s’engouffra dans une bouche d’ombre. Nous allions nous endormir lorsqu’il reparut. Il remonta sur sa mule et fit demi-tour. Bizarrement, il repartait avec ses deux jarres en terre cuite. La nuit suivante, nous nous rendîmes à la falaise, écartâmes des buissons d’épineux et prononçâmes la phrase mystérieuse. Nous nous engouffrâmes à notre tour dans la bouche d’ombre. Fixées aux murailles, des torches éclairaient nos pas. Nous descendîmes quelques marches et débouchâmes dans une vaste pièce circulaire. En son centre trônait un autel de taille modeste. Nous nous approchâmes. Il s’y trouvait posé un petit objet carré et noir sur lequel figurait en lettres rouges le mot Everyothers. Nous ne pouvions pas nous douter que ce mot allait bouleverser notre destin. 

     

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             D’autres victimes de ce sortilège le confirmeront : on ne ressort pas indemne de l’écoute d’un album comme celui-ci. The Everyothers date de 2003, donc de vingt ans, mais il reste d’une sidérante actualité. «Can’t Get Around It» te concasse l’office. Le cut dégage une haleine brûlante, à la fois Pistols, Beefheart et Stooges, c’est aussi le souffle du glam de Bowie, welcome in the demented back alleys du rock, chasin’ around yeah, chasin’ around yeah !

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    Le mec qui préside aux destinées des Everyothers s’appelle Owen McCarty et il se dresse comme l’apôtre du heavy glam. Il emboutit l’art au cul pincé, il donne l’extrême onction du glam dans sa représentation la plus extrême, Surprise Surprise, ce mec claque sa chique à la démesure, sur fond d’arpèges de la mort. Il chante «Make Up Something» sur une terrasse à peine voilée face à la vallée. Il chante le power du monde, ça ne demande qu’à exploser, là-bas, au loin, sous l’horizon, comme chez Adorable. Mais il décide de tout fracasser avec «Like A Drug», la violence l’emporte sur la beauté, il descend sur le râble du chant avec un aplomb terrifiant. Il trempe dans le heavy dudisme. Après les heavy dandies, voici venu le temps des heavy dudies. Ce mec en plus en a la gueule. Hey ho ! Il embarque tout dans sa dérive totalitaire, il explose cet album-sortilège cut after cut. Il s’arrache à la démesure avec «Get Down Soon», heavy glass de beautiful glam. Il se bat au ceinturon, il rugit comme un lion blessé, il claque sa chique à l’inespérée. Mis à part Johnny Rotten et Iggy Pop, personne n’atteint de tels sommets. Il claque son beat à la porte d’airain, il invente de nouvelles arcanes. Il traîne «Break That Bottle» dans le déjà connu, il chante ça par dessus bord, il jette sa Bottle au loin, beaucoup plus loin que tu n’imagines. Fuckin’ genius ! Il dispose des perceptions de l’inception, il a plus d’espace devant lui que Bowie n’en eut jamais, il est dans l’art de l’exponentiel, dans le gusto collectiviste. Il revient au heavy groove avec «In My Shoes», mais à ce stade il n’a plus rien à prouver. Il vole tranquillement au dessus du nid de cocos et s’en va allumer les putes de fin de cut. Il incarne le rêve des pères fondateurs. Il surplombe l’art élégiaque. Il est l’Everyother, l’emblématique. Il emmène son monde jusqu’au bout et lance un goodbye déchirant dans «Dead Star». Il n’en finit plus de se barrer.

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             Alors après, tu n’as plus que tes yeux pour pleureur. C’est-à-dire qu’il n’existe plus que des singles. Il faut savoir s’en contenter. En 2006, il en paraît deux, Like A Drug et Pink Sticky Lies. «Like A Drug» sort de l’album, mais c’est bien de pouvoir l’écouter sur un single. Owen McCarty casse bien sa baraque, il chante au revienzy, avec cette hargne spectaculaire qui regorge de brio. De l’autre côté, «Whatever You Want» rivalise de monstruosité. Ça bat aux forges de Vulcain. Owen McCarty harangue le rock avec une classe écœurante, il va plus loin que tous les autres dans l’edgy, il module ses syllabes dans les flammes. Il est le maître des enfers miam-miam.

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    L’autre 45 est un quatre titres. Ouverture du bal avec un «Too Far» bombardé de son, Owen McCarty se refait croisé du yeah yeah yeah, ça monte vite en neige, croyez-le bien, c’est excellent, mais comme tout ce qui est excellent, ça n’intéresse plus grand monde. L’indifférence et la médiocrité ont fini par avoir la peau des grands chanteurs de rock. Owen McCarty continue néanmoins de rocker son lard avec «Drive With You», un extraordinaire pulsatif digne d’entrer dans les annales. Il n’en existe pas beaucoup d’équivalents dans le monde moderne. Alors tu écoutes ça, tu te dis : ah tiens, voilà un chanteur exceptionnel, et tu te poses la question : mais enfin, pourquoi n’est-il pas célèbre ? Serait-il trop énorme ? Ce fabuleux meneur embarque ensuite «Pink Sticky Lies» à l’assaut du ciel et il finit en bon maître de cérémonie avec «A New Inebriation», l’occasion pour lui de ramener une dégelée de bon vieux glam, comme s’il voulait faire un petit cadeau aux inconsolables.

    Signé : Cazengler, everyjobard

    Everyothers. The Everyothers. Sidecho Records 2003

    Everyothers. Like A Drug. Kill Rock Stars 2006  

    Everyothers. Pink Sticky Lies. Kill Rock Stars 2006

     

    L’avenir du rock

    - Harding moussaillon !

             Laissé pour mort dans le désert, l’avenir du rock revient à lui. Il parvient à se relever et à se remettre en marche. Lui revient alors en mémoire l’apparition de Lawrence d’Arabie. Au fond, il n’en veut pas à Lawrence de l’avoir abandonné. Lawrence le croyait foutu. À sa place, on aurait tous fait la même chose. Il se dirige vers le soleil couchant. Il marche toute la nuit en claquant des dents et au lever du soleil, il aperçoit soudain dans le ciel deux hommes volants. Ils sont face à face et le plus fort serre l’autre dans ses bras. L’avenir du rock leur fait signe, Ohé ! Ohé ! Ils approchent et atterrissent à la verticale. L’homme aux cheveux rouges qui transportait l’autre en le serrant dans ses bras lâche son passager et se tourne vers l’avenir du rock :

             — Qui es-tu ?

             — Je suis l’avenir du rock...

             — Ta place n’est pas ici !

             L’homme aux cheveux rouges est torse nu. Il porte sur la poitrine une plaque d’acier attachée par le cou. Des versets en langue arabique y sont gravés. L’homme fixe l’avenir du rock d’un air mauvais :

             — Hé bien, avenir du rock, pourquoi ne trembles-tu pas ? Ne sais-tu pas que je suis un démon ?

             L’avenir du rock éclate du rire. Trop d’incongruité. Décidément, ce désert réserve bien des surprises !

             — Et pourquoi devrais-je vous craindre, monsieur le démon ?

             — Tu ne sais donc pas ce que sont les démons des Mille et Une Nuits ? Regarde bien, avenir du rock, je vais Pasoliner Shahzaman !

             Le démon se tourne vers le jeune homme brun et tend la main vers lui, le transformant en singe. Le démon éclate de rire, alors que le singe s’éloigne en jappant.

             — Alors me crains-tu à présent ?

             — Franchement, je ne comprends pas votre logique, monsieur le démon. Vous vous croyez malin mais vous Darwinez à l’envers ! Ôtez-vous de mon chemin, vous me décevez.

             Fou de rage, le démon tend la main vers l’avenir du rock :

             — Je vais te Darwiner dans le bon sens, misérable !

             Il transforme l’avenir du rock en Curtis Harding.

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             Tout est bien qui finit bien, car Curtis Harding repart dans le désert avec une guitare sur l’épaule et des grandes lunettes noires rococo sur le nez. Curtis ne le sait pas, mais il doit une fière chandelle à Pasolini. Basé à Atlanta, Curtis a enregistré trois albums en sept ans, trois albums très différents et tous très passionnants. L’idéal serait d’y mettre le nez.

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             Pas d’infos dans le digi du Soul Power paru en 2014, mais Curtis est là. C’est l’essentiel. Il approche de ses cuts avec des mains baladeuses : très spécial, «Castaway» sonne comme un cut de pop aventureuse qui ne doit rien à la Soul, mais ça reste une pop black. Big présence. Curtis sait exactement ce qu’il veut. Il drive son biz à la black, parfois Soul, toujours Harding, sur un beat énorme digne du Spencer Davis Group («Keep On Shining»). Ça devient vraiment passionnant avec «Freedom». Curtis échappe à tous les cadres, il vise le groove électrique. Il devient une mine d’or avec «Surf». C’est aussi infernal que le Nathaniel Meyer de «White Dress». Il tape dans le white power et ça devient monstrueux. Ce «Surf» est une merveille terrifique, bardée de Detroit sound et de solos. Curtis est un black God tatoué dans le cou. Il crée une ambiance énorme avec «I Don’t Wanna Go Home». Il fait du rock de blancs. Avec «The Drive», il vise la grandeur incommensurable, il devient une sorte de prince de la pression, une pression qu’il gère à la main lourde. C’est puissant et convaincu d’avance. L’album devient fantastique avec «Heaven’s On The Other Side», un drive sa Soul sur un diskö beat des meilleurs auspices. Curtis est un punk, il faut le voir shaker son «Drive My Car», il joue le jeu, Curtis is the king, en fait il se prête à tous les jeux - I just want to drive/ My/ Car - Ça joue au boogie rock des blancs, il s’engage dans un délire compliqué. Impossible de comprendre pourquoi l’album s’appelle Soul Power.       

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             Trois ans plus tard paraît Face Your Fear. Torse nu sur la pochette et groove avec le morceau titre. Il va sur une Soul plus ambitieuse, très belle, gorgée de son et d’horizon, it’s okay - Just face your fear - C’est un maître chanteur assez powerful, il mène une sacrée farandole, c’est le groove du Marvin des temps modernes. Puis il enchaîne trois énormités : «Go As You Are», «Till The End» et «Need Your Love». Il lance sa Soul avec des accords de reverb et des tablas, il se paye toutes les audaces, il devient le futur de la Soul - Go as you are/ Don’t come back the same - Il va chercher le meilleur groove pour «Till The End», les filles répondent comme elles peuvent. Curtis a le power, mais un power contenu, et c’est claqué aux guitares de Los Angeles. Il transforme son album en aventure extraordinaire, c’est le nouveau défi, les blackos prennent le pas sur les blancs, Curtis y va à l’énergie maximaliste d’I need your love baby, c’est du Stax moderne géré au break de basse demented, il surfe sur une vague de rêve. Pas de meilleur power ici bas. Il passe au gratté d’acou pour «Welcome To My World», c’est très blanc dans l’essence, il va cependant droit sur Terry Callier au chant de swing absolu, il se fond dans l’excellence d’une Beautiful Song, il chante à mi-voix et crée de l’enchantement. Il chante son «Dream Girl» à la levrette sur un heavy bassmatic de rêve et il se montre assez heavy dans l’expression du Harding avec le «Wednesday Morning Atonement» d’ouverture de bal. Il se fond dans sa psyché psychique d’excellence, il crée son monde, c’est aussi âpre que les falaises de marbre, il va même chercher des développements de prog. La belle Soul de «Ghost Of You» colle bien à la peau, chantée à la clameur des copains avec de belles chutes de tension. Il fait une Soul sensitive, il vise l’éclat mordoré, son I know est un chef-d’œuvre d’emprise. Puis il va chercher la grandeur à la force du poignet avec «Need My Baby». Il ramène des élans somptueux, il vise l’éhontée cabalistique, le sommet du lard fumant. Curtis Harding a du génie, qu’on se le dise.     

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             Pour la promo de son troisième album, Duncan Fletcher se fend d’une belle double dans Shindig!. Il indique - ce qu’on savait déjà - que Curtis propose un mix capiteux de vintage funk, R&B, symphonic Soul, psychedelic rock, rap and hip-hop. Fletcher rappelle que Curtis vient du Michigan et que sa mère chantait le gospel in the Menmonite church. Quant à son père, il fricotait avec des gens du Tennessee comme BB King, Isaac Hayes and all these guys. Côté influences, Curtis cite Curtis, forcément, le Mayfield de Chicago, et Sly Stone - He had the funk, he had the rock, Soul gospel, he had everything - Deusner refait deux pages sur le troisième album de Curtis dans Uncut. Il parle cette fois d’une «fantasia of sound, intricately arranged and produced, qui change en permanence et qui saute d’une idée à l’autre, pleine de références historiques et d’odball sons sortis de son imagination». Cette fois il parle d’un mix d’«old school Soul, private-press R&B, trippy psych rock, soft jazz, hard funk, catchy pop, gospel, rap and everything in between».  Deusner situe Curtis dans la vague du Soul revival qui a émergé dans les années 2000  et bien sûr il cite Leon Bridges et les Boulevards de Caroline du Nord. Quand Deusner écoute Curtis, il entend l’autre Curtis, celui de Chicago, Mahalia Jackson, Parliament, Pink Floyd, Miles et Stevie. Pardonnez du peu. Après avoir circulé dans le Gospel circuit avec sa mère, Curtis s’est installé à Atlanta où il a commencé à fricoter avec Mastodon et les Black Lips. 

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             Le titre de son troisième album, If Words Were Flowers lui vient de sa mère qui lui disait : «Give me flowers while I’m still here.» Du bon sens près de chez vous. Première énormité avec le morceau titre en ouverture de bal. Curtis tape dans la Soul avec des moyens énormes et il t’embarque aussitôt. Il crée un Wall of Sound superficiel, mais ça fonctionne, car la trompette relaye, et quand la trompette va, tout va. Il fait ensuite un peu de hip-hop avec «Hopeful» et revient au big r’n’b avec «Can’t Hide It». Des filles entreprenantes le rejoignent très vite, Curtis adore les filles entreprenantes, il adore aussi le fast drive de big day out et l’ensemble donne une énormité bien envoyée. Curtis veille à rester dans un r’n’b bien identifiable. Il ne brûle pas les ponts comme l’autre bridgeur de Leon. Il s’aventure aussi dans des territoires inexplorés, ceux du groove moderne («Explore»), et plus loin, il essaye de créer l’événement avec «The One Camp», mais il faut se lever de bonne heure pour créer l’événement. Pourtant son baby I’m the one sonne bien. Il faut attendre «Forever More» pour retrouver un peu de viande. Il revient en force - Can’t keep my cool - et renoue avec l’éclat de son Soul Power, cette douce arrogance soulignée par un solo de trompette. Il travaille l’«It’s A Wonder» à la caverneuse d’oh yeah et termine en beauté avec «I Won’t Let You Down», un puissant heavy groove de prévenance - Take your time/ Don’t worry baby - Curtis accorde du temps au temps, la sagesse vient du black power, comme chez Isaac le prophète, et c’est en place, alors on peut parler d’un Curtis Power.

    Signé : Cazengler, Curtis Radis

    Curtis Harding. Soul Power. Burger Records 2014     

    Curtis Harding. Face Your Fear. Anti- 2017          

    Curtis Harding. If Words Were Flowers. Anti- 2021

    Duncan Fletcher : In with the love crowd. Shindig! # 121 - November 2021

    Duncan Fletcher. Chronique d’ If Words Were Flowers. Uncut # 295 - December 2021 

    *

    Mal m'en a pris. Le deuxième album de Grey Aura m'ayant séduit ( voir KR'TNT ! 539 du 20 / 07 / 2021 ) j'ai décidé de chroniquer leur premier opus. Mes connaissances en néerlandais sont limitées, surtout quand il s'y mêle, d'après ce que j'ai compris, des mots d'un dialecte néerlandais d'origine belge, et vraisemblablement des mots de vieil Néerlandais. Le lecteur devra me pardonner mes hypothétiques approximations.

    Ce disque évoque Barentz qui à la fin du seizième siècle entreprit de trouver le passage du Nord-Est qui raccourcirait le voyage vers l'Inde, en passant au nord par les eaux du cercle polaire... La pochette évoque le moment crucial, où la mer se charge de glace nous   aurions préféré la toile Mort de Barentz (voir plus bas ) de Christiaan Julius Lodewyck Portman peinte en 1896.

    Le disque se présente sous la forme d'un double album enregistré en 1913 et 1914. Il est paru en novembre 2014. Il existe de par le monde un nombre important de concept-albums. Dans beaucoup de cas, les artistes traitent le thème projeté sur trois ou quatre morceaux et rajoutent quelques titres qui n'ont pas beaucoup à voir avec le projet. Ici chacune des  plages décrit une des étapes du périple du navigateur  Willem Barentz  ( 1550 – 1597 ) qui y laissa la vie... Le lecteur français se rappellera un des premiers Voyages Extraordinaires de Jules Verne : Les aventures du Capitaine Hatteras.

    ( Waerachtighe beschryvinghe van drie seylagien, ter werelt noyt soo vreemt ghehoort )

    VERITABLE RELATION DU TROISIEME VOYAGE

    DE WILLEM BARENTZ

    AUX CONFINS DU MONDE GLACé

    GREY AURA

    ( Blood Music / Novembre 2014 )

     

    TJEBBE BROEK :  guitar, percussion, bruitage, synthesizer, Spanish guitar / RUBEN WIJLJACKER :  vocals, lyrics, guitar, percussion, foley, synthesizer, mixing / BAS VAN DER PERK : drums, percussion  / 

    Voix : Menno de Groot : Gerrit de Veer ( officier qui a participé au troisième voyage et qui en a laissé un récit ) / Arie Vermeer : Willem Barentz / Eric van Esch : Jacob van Heemoherck  /  Maxim Slepier : matelot russe / Korn Makkelie : voix diverses.

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    Prologue : un clapotement de batterie, scène de film, manifestement les préparatifs, deux navires à quai,  bruits divers, cheval, voix, on ne comprend rien, on imagine, des pas sur la dunette, une grosse voix autoritaire, le Capitaine s'adresse à son équipage, les prévient que la navigation ne sera pas des plus simples. Vers le Nord : sans préavis une musique ample et lyrique nous enveloppe, la tension monte, le chant comme un chœur de marins englué dans la pâte musicale, mais la voix devient sinistre, ils étaient partis la rage de vaincre chevillée au corps, ils n'ignoraient pas l'importance et la témérité de l'entreprise, mais le soleil se voile, la brume les entoure, le voyage continue, au loin de merveilleux cygnes blancs apparaissent, les icebergs ne sont que les signes avant-coureurs de la banquise qui s'étend à l'infini sur laquelle il ne faut pas se fracasser, Barentz navigue au plus près pour éviter les dangers, ce n'est pas encore la peur, mais s'instille un sentiment d'incertitude, la partie s'avère plus difficile que rêvée, entre deux périls une certaine monotonie marquée par le rythme qui se scande, le courage revient dès qu'il faut faire face, les voix se sont tues, le navire glisse dans la brume, il a échappé à la barrière de glace, des riffs de guitare mélodramatiques sont de plus en plus en plus inquiétants, au loin apparaît une terre que l'on devine inhospitalière. L'île aux ours : l'appel de l'aventure éblouit le cœur des hommes, la musique défile à toute vitesse, un chant immense soulève les âmes, pourtant la terre est toute blanche, désertique sans arbre, qu'importe on descend un canot qui fonce vers les falaises sans ouverture, l'on parle, l'on n'en pense pas moins, rugissements du vent dans lequel planent des oiseaux tempétueux, rien de bon ne peut survenir de ce monde blanc et froid comme un immense cadavre, souque, souque matelot, droit devant, nous sommes dans un opéra symphonique, la musique emporte tout sur son passage. Keerwijck : souffle le vent, imperturbablement, le bateau avance, des oiseaux crient, l'on discute âprement, quelques arpèges de piano et un récitant qui conte le long voyage qui ne mène nulle part... Dispute : roulements de tambour il a fallu retourner, les esprits se tendent, musique implacable, entre les deux bateaux un désaccord surgit, faut-il monter encore vers le nord ou tourner vers l'ouest, lyrics grondeurs chargés de colère, qui l'emportera, aucun des deux, chacun suivra sa route, une brume épaisse recouvre les deux navires, chacun ira vers son destin. Le vent soufflait : la musique se traîne mais avance gaillardement, tout comme le navire qui tire bordée après bordée, l'important est de tenir le cap sans se décourager, parfois des champs de glace se forment mais l'étrave du bateau peut encore les disloquer, tenir, tenir, devant l'immensité nordique qui recule sans cesse au fur et à mesure que l'on avance, des géants de glace se dressent à l'horizon, la tension est à son comble, chant d'équipage rugissant et musique expressionniste, ils ont louvoyé, ils sont  passés entre les iceberg, terre en vue. Le vent souffle. L'île de la Croix : juste le vent, des voix qui interpellent le chef, des bruits de pas crissent dans la neige. Cet opéra rock est construit comme une opérette ( le mot ne convient guère ). Les fragments parlés ne font pas progresser l'action, sont distribués comme de très courts plans qui font la jonction entre deux scènes d'un film. La côte de la Nouvelle Zemblie : le vent toujours, le vent sans cesse, la musique n'est plus qu'une plainte lugubre, un mur de glace les entoure, la tempête se lève, dans ce chaos de glacier illustré par un feu de guitare Barentz tente une manœuvre désespérée, le navire est arrimé derrière un énorme morceau de glace qui le dépasse de plusieurs mètres, sans doute la mer poussera-t-elle les immenses glaçons vers le Sud, ils doivent se rendre à l'évidence leur glaçon est plaqué contre la banquise et ne bouge plus, la mer de glace s'écoule mais eux restent collés et immobiles. Les voici bloqués contre  la côte de la Nouvelle Zemblie, cette île interminable qui longe la côte russe. Une mer glaciale : ( vocal : Wessel Reijman ) : la musique s'est faite glace, elle glisse sans fin, ils se sont détachés de leur ventouse, le vent souffle et les voici en pleine tempête, tantôt vers le sud, tantôt vers l'est, ils aimeraient passer de l'autre côté de l'île de la Nouvelle Zélinde  mais ils sont obligés de descendre vers la côte russe à des centaines de kilomètres au nord de Saint-Pétesbourg, les rivages sont inhospitaliers, pas d'ours ou d'oiseaux à chasser, la musique s'affole, le temps presse, l'hiver n'est plus très loin, la musique se hâte, il faut se sortir du piège au plus vite, mais les éléments seront plus forts qu'eux, l'on n'entend plus que le vent, la glace qui s'entrechoque, la mer qui se ferme, le piège qui se transforme en nasse, la main inexorable du destin qui se referme sur eux en une immense clameur silencieuse. Intermède I : givre : ( violon : Sagitte de Ruich ) : musique moqueuse, le violon chante, malheur au vaincus, les cordes du violon grésillent, givrées, glacées, intermède ironique. Le rire de la mort annoncée. La cabane de survivance : est-ce le vent, sont-ce des hommes surgis de nulle part, ils sont descendus à terre, c'est le dernier combat pour la survie, avec des troncs d'arbres arrachés à la Sibérie qui ont dérivé avec les glaces du printemps, ils ont construit une cabane, précaire abri contre le froid, le gel, et le vent, musique violente, hyper-violente, lorsqu'elle s'arrête c'est pour reprendre sa course encore plus forte, encore plus violente, brutale, la voix explosive roule comme des trombes de neige hurlantes, elle devient insistante, il faut qu'elle peuple le silence de la mort qui avance à pas feutrés. Superbe morceau. Pays des ombres blanches. Sans fin. Monotonie et isolement : le vent encore et toujours qui déferle, emballement des guitares, ils se battent avec l'énergie des ours polaires, ils tentent d'améliorer leur cabane quitte à cannibaliser le navire, la plainte longue et monotone du vent qui souffle le froid et la mort, voix haletante, il  faut tenir coûte que coûte même s'ils ne sont plus que des fantômes essouflés, sous la froide lumière des étoiles, le vent et une voix sépulcrale qui raconte leur souffrance et leur combat, la musique forte et interminable se confond avec le vent, puis elle reprend et s'enfuit comme si elle savait comment tout cela se terminerait, et l'on murmure à nos oreilles des mots que nous ne comprenons pas mais dont nous n'ignorons pas le sens. Froid hivernal : juste le vent, des voix, l'une qui rit et se moque, l'autre qui se fâche.  Tricherie : musique glissante, gelée, une lueur rouge quelque part à l'horizon, annonce du printemps, le courage est là, il faut partir, avec des traineaux, surtout ne pas laisser le froid s'appesantir sur les corps, l'espoir et la joie propulse les instruments, même lorsque l'on stoppe pour reprendre souffle, l'espérance aiguillonne les hommes et les galvanise. Course vers le soleil, course contre la mort, se rapprocher du rivage, ne plus traîner, faire vite, la survie est là devant, il suffit de bander encore ses forces en un effort surhumain. Ce n'est plus le vent qui souffle mais la voix qui porte le souffle de la vie. Intermède II : Mer ouverte : intermède joyeux et bruit de vague, la mer est libre, mouvement de valse. La délivrance approche à grands pas. Arpents de glace : le navire a repris sa course, il vogue vers le nord et longe la Nouvelle Zemblie, la musique scintille, les cœurs débordent d'appétit de vire, bientôt ils doubleront le cap nord de l'île, ils seront vraiment sur le chemin de retour, il suffira de pointer vers l'ouest. Maladie : voix off, ils sont épuisés par le scorbut, la fin est proche... Absence de tout confort : ( vocal : Wessel Reijman, paroles du poëte national hollandais Hendrik Tollens 178o _ 1856 ) ) : musique dramatique, les éléments se déchaînent, les voici perdus, il n'y a plus de jour, il n'y a plus de nuit, juste un labyrinthe sans fin, des icebergs disloqués s'acharnent autour du bateau, il faut rejoindre le rivage, au prix d'un effort surhumain, ils y parviendront, mais l'épuisement les étreint, Barentz ne survivra pas, ses hommes le veillent. Il s'éteint. Il ne leur reste plus qu'à joindre leurs mains pour prier.

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    La voix s'égosille, elle conjure les éléments, rien n'y fait, le monde s'est empli de chaos, personne ne saurait s'y opposer. Ils ont lutté jusqu'au bout.

    Avouons-le ce premier opus de Grey Astra ne vaut pas leur deuxième album Zwart Vierkant. Un sujet original certes, mais traité d'une manière trop narrative. Un concept ne se raconte pas, il se déploie. Les intermèdes musicaux et parlés sont de trop. Ils entrecoupent l'audition de temps morts. Les morceaux violents n'en auraient eu que plus de force. Le son est totalement différent. La batterie n'est pas ce cheval fou qui mène le train sur l'ouvrage suivant. Dans ce disque c'est la voix des chanteurs qui joue ce rôle, c'est elle, rauque, lyrique, et récitative qui fomente les splendeurs orchestrales, aussi puissante à elle-seule que le chœur des matelots dans Le vaisseau fantôme de Wagner.  Une espèce d'orocktario, Un de  ces monstres antédiluviens surgis des abysses de la mer échoué sur les plages du black-metal.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 7 )

     

    BIG BAND AU CASINO DE PARIS

    EDDY MITCHELL

    ( Spectacle du 14 au 18 décembre 1993 )

    ( Polydor / 1995 )

    En 1995 Eddy Mitchell sort en même temps une triplette de trente-trois tours enregistrés en public. Le volume I,  je vous causerai je ne sais pas quand des deux suivants, un autre jour, peut-être, je ne suis pas un fanatique des disques live de Mitchell, trop glacés, trop déconnectés de l'ambiance de ses spectacles, qui ne donnent pas l'impression d'être vivants, un peu comme ces mammouths congelés que l'on arrache du permafrost sibérien, surtout à ne pas comparer au Palais des Sports de Paris de 1967, sur lequel la clameur insensée du public rendait inaudible l'orchestre et la voix de Johnny Hallyday. Ce Big Band au Casino de Paris, n'a pas marqué les mémoires, peut-être parce que le titre qui sonne un peu trop jazz a dû effrayer les fans amateurs de rock 'n' roll. C'est justement ce parti-pris je marche hors les clous et je piétine des plates-bandes peu fréquentées par les rockers purs et durs qui nous ont séduit. Les fans de rockabilly se souviendront que le leader des Stray Cats avait entrepris dès 1990 avec son disque Brian Setzer Orchestra une démarche similaire. Les rockers ne devraient jamais vieillir ou retomber en enfance en se souvenant des disques Louis Prima ou Franck Sinatra que les adultes ou leurs parents écoutaient lorsqu'ils étaient mômes...

    C'est très dur de rester rocker jusqu'au bout des ongles toute sa vie. Eddy Mitchell en est un parfait exemple. Passé la mi-temps de la trentaine ses textes évoluent, ils deviennent moins punchy, moins rentre-dedans, plus désabusés, un désenchantement psychique qu'il camoufle sous un vernis grinçant de sociologie hâtive, qu'il cache sous couvert d'humour. Non pas noir. Gris. En demi-teinte ironique. Ce qui ne l'empêchera pas encore d'écrire quelques lyrics percutants, mais qui n'ont plus rien à voir avec l'insolence débridée des années soixante.

    Dix-sept musiciens, nous faisons suivre leur nom d'une de leur autre activité   musicale afin de les situer dans le paysage musical français :

    Saxophones : Michel Gaucher, ténor, vieux complice des aventures mitchelliennes / Bruno  Ribera, ténor, Champs Elysée Orchestra / Patrick Bourgouin, alto, Orchestre de Jean-Claude Petit / Pierre Holassian, alto, Swing Family /  Gilles Meloton, Baryton, Grand Orchestre du Splendid.

    Trombones : Guy Arbion, bass, Paris Jazz Band / Bernard Camoin, Ornicar Brass Band / Jean-Louis Damant : Nicole Croisille.

    Trompettes : Eric Gousserand, Claude Nougaro / Kako Bessot, Swing Family / Michel Ragonnet, Ensemble Erwarton / Pierre Dutour, Claude Bolling Sextet.

    Keyboards : Yves d'Angelo, Michel Jonaz QuartetDrum : Kirk Rust, Dider Lockwood. Eectric bass : Evert Nerhees, musique de films.

    Electric Guitar : Basile Leroux, Jean-Pierre Danel / Jean Michel Kadan, David-Calvet-Kadjan.

    Chaque titre est suivi du nom de l'album dans lequel Mitchell l'a pioché, précédé de sa date de parution. On s'attendrait à ce que le disque débutât par Choco Choco Boogie espion bidon,  qui terminait l'album Made in USA ( 1975 ) reprise de Choo Choo Ch'Boogie de Louis Jordan ( interprété entre autres par Bill Haley ). Mais non, Mitchell ne s'est pas trop fatigué, l'a choisi ses titres parmi ses albums précédents, se contentant de modifier l'orchestration, ce qui donnera souvent à ce live censé être un hommage aux Big Bands, une allure beaucoup moins swing qu'attendu et pas plus proche des petits combos de rhythm 'n' blues d'après-guerre de Kansas City...

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    Je fais le singe ( Intro ) : ( 1978,  Après Minuit ) : cuivre + batterie, c'est parti, en voiture Simone, on eût aimé une fanfare annonciatrice digne des tonitruances de Bayreuth, mais non, ce n'est qu'un groove  d'une minute proprement emballé mais un peu passe-partout. Comment t'es devenu riche : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : là y-a tout ce qu'il faut, une voix creuse et fluide qui ricoche sur les encoches cuivrées, et l'orchestre qui ruisselle de partout avec des cristaux de guitare éparpillés, des solos dans les coins, des draperies de trombes de trombones qui nous la sortent bonne et drue, plus un chorus de fin à repeindre la tour Eiffel en vert pomme. Y-a pas de mal à se faire du bien : ( 1993, Rio Grande ) : encore mieux, on critiquait l'intro, tout ce qui manquait nous est donné, ce grand déploiement de cuivres qui resplendit tel un soleil de midi, il triche un peu le Schmoll, l'a mis du blues dans son swing, sa voix ne flotte pas, elle pèse une tonne et blues oblige l'on nous sert un solo de guitare, un truc à vous déboucher les oreilles, d'autant plus que de de temps en temps vous recevez de grandes claques de trompettes à travers la gueule, survient un cri de rocker, faut lui pardonner ça lui a échappé, deuxième giclée de guitare, et l'on finit sur un écroulement de ferraille qui fait du bien. Fauché : ( 1964, Toute la ville en parle... Eddy Mitchell est formidable ) : le seul titre issu de la première moitié des années soixante, pas n'importe lequel, vraisemblablement la meilleure adaptation du grand Schmoll jamais réalisée, d'ailleurs en position d'entrée en face A, il s'agit du Busted de Ray Charles, cette version quoique fidèle à celle de l'album originel, n'apporte pas grand-chose, le dessin en paraît un peu trop dilué par des paroles (sans grand intérêt philosophique ) adressées au public. Le piano esbroufe le thème, mais ce que l'on attend c'est l'avalanche appuyée des cuivres, enfin ils arrivent... mais le pianiste se taille une part trop belle du gâteau, se termine trop brutalement. Un filon d'or pur qui n'a pas été exploité à fond. Le blues du blanc : ( 1984, Racines ) : belles larmoyances cuivrées en intro, Mitchell confond le blues avec la chansonnette de film américain des années cinquante, fin de soirée déprimante, du coup les cuivres ressemblent à des clinquances de ferblanterie. On n'y croit pas, le blues du blanc est déprimant, pas la moindre idée noire à l'horizon. Stressé : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : bien envoyé, y aurait comme une dichotomie entre la voix de Mitchell qui ne s'élève que de peu au-dessus de la terre, et la zique qui de temps en temps  se permet des claquettes, les trompettes s'envolent taper la causette avec les anges tout là-haut dans le ciel, toutefois la jonction entre les deux est parfaite, un plaisir d'écoute qui ne vous procure aucun stress. Petite annonce : ( 1979, C'est bien fait ) : les guitares se taillent la part du lion, les cuivres jouent les arcs-boutants qui soutiennent les cathédrale gothiques, faut reconnaître que sur les refrains ils sont plutôt massifs et rutilants, mais les grandes orgues ce sont les écorchures guitariennes qui s'en chargent tout le long du morceau, en prime vous pouvez goûter à l'humour des paroles de Mitchell en pleine forme, un grand théâtreux. Under the rainbow : ( 1989, Ici Londres ) : non ce n'est pas over, un slow désenchanté, l'entrée des cuivres est aussi belle que le prologue de Lohengrin, mais cela ne dure pas, l'on retrouve le Mitchell des années 80-90, les cuivres viennent colmater les trous dans le refrain, mais l'on se demande ce que cette interprétation vient faire dans ce Big Band qui se transforme un peu en big bazar en période de soldes. Vigile : ( 1993, Rio Grande ) : un bon titre de Mitchell, traité à la manière du précédent, les cuivres en feuilles de salade accompagnent les hors-d'œuvres, et Mitchell emploie une voix blanche alors que sur le disque originel elle est nettement plus noire, décevant, on sauvera le solo de sax au premier tiers. Tiens une petite reprise de batterie et un sax qui cancane de belle manière avec le clavier, hélas trop millimétré. Toute improvisation reléguée dans le domaine de l'impossible. Cœur solitaire : ( 1993, Rio Grande ) : tube nickelé qui sonne creux, y a bien la flamberge de la guitare surmontée d'une entrée de cuivres fracassante, mais la suite est décevante, surtout si l'on songe aux morceaux lents de Muscle Shoals, ici ça tourne court, faut chercher le steak saignant sous la frite trop dure, pas étonnant qu'il ait pris deux guitaristes, s'en donnent à cœur joie, bluesent à mort, mais le Big Band joue les utilités. Vieille canaille : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : tiens un peu de swing comme au bon vieux temps des Big Bands, trompettes jazzy punch, le vocal de Mitchell un peu trop rase-motte alors on a droit à un peu de piano, sur lequel Eddy est plus à l'aise. Trois minutes pas une seconde de plus, Mitchell ne sait pas faire durer le plaisir. De fait ce sont les musicos qui font tout le boulot. Le temps qui passe : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : et plouf l'on retombe dans la citronnade pseudo-post-romantique, Mitchell case encore une fois un de ces slows délabrés dont il a le secret. Son public doit avoir vieilli et être complètement désillusionné car il applaudit à tout rompre à chaque fois. L'orchestre se fait tout petit, s'imagine qu'il est en train d'enregistrer une musique de film pour ménagères frisant la soixantaine. Vivement les scopitones de Vince Taylor ! Que reste-t-il de nos amours : ( Charles Trenet 1955 ) : n'ai jamais compris pourquoi l'on dit que Charles Trenet est l'introducteur du jazz dans la chanson française, Mitchell au début il y va sur des escarpins de feutrine mezzo-mezzo, mais bientôt il jargonne à gros pataugas, l'orchestre est derrière, difficile d'accompagner un chanteur qui ne module pas. Alors il pousse les meubles pour montrer qu'il n'est pas payé pour rien faire. Oldie but goldie : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : l'on est encore parti pour pédaler dans la choucroute, l'orchestre en catimini apporte les saucisses de Strasbourg et le lard du cochon gras, Mitchell parle à sa fille, se raconte et ce qu'il dit ne correspond pas à la folie qu'il nous a fait partager en des temps sixtiques et mirifiques, avouons-le on ne l'écoute plus, depuis longtemps lorsque ça s'arrête... Le cimetière des éléphants : ( 1982, Le cimetière des Eléphants ) : au contraire de Mitchell qui  en offre deux versions sur le 33 originel je n'ai jamais aimé ce titre geignard aux paroles larmoyantes et affligeantes. Malgré ces dix-sept musicos, l'arrangement qui se traîne lamentablement ne lui file pas un gramme de peps. Vous donne l'impression d'un escargot paraplégique peu pressé d'aller se suicider. Alors vous l'écrasez sous votre pied. Sûr qu'au Paradis, Dieu vous assoira à sa droite pour vous remercier de cette bonne action. Le Big Band y va mollo, l'a peur de se faire réduire en bouillie par le troupeau des pachydermes, une trompe de sax de vingt secondes c'est tout ce l'on voit, au milieu ils y vont sur la pointe des pieds, c'est sur la fin lorsque l'interminable file des grosses bêtes s'estompe qu'ils se permettent quelques glissandi. Otis : ( 1969, Super 45 T ) : rien de mieux qu'un bon rhythm 'n' blues pour réchauffer l'atmosphère après tous les caramels mous précédents, n'arrive pas à la hauteur de l'original, faut pas mettre de l'eau dans le vin du groove ni dans la cuivrerie, même si l'on essaie une fausse impro qui améliore le morceau sur sa fin, mais Otis méritait une auréole enflammée. Pas de boogie woogie : ( 1976, 45 T ) : le morceau avait été interdit sur les ondes du rocher de Monaco pour son impiété,  que voulez-vous dès que Jerry Lou n'est pas loin ça branle dans le manche, les cuivres sont là pour supporter, Yves d'Angelo prend son pied, c'est lui le roi de la fête, dommage que les cuivres essaient de montrer qu'ils existent, et Mitchell appuie un peu trop grossièrement là où il faut filer comme un hors-bord de contrebandiers pris en chasse par une vedette des douanes. Couleur menthe à l'eau : ( 1980, Happy Birthday ) : un beau slow qui n'a pas grand-chose à faire  dans un tel disque, piano, batterie, basse, guitare suffisent bien, Mitchell et sa belle voix de velours, que voulez-vous de plus alors les cuivres ont mis la sourdine, ne font qu'acte de présence discrète sur le pont ( d'Avignon ). Je fais le singe ( final ) : ( 1978,  Après Minuit ) : retour du groove sans grand intérêt si ce n'est quelques mercis trop vite expédiés.

    C'est hier soir que je me suis dit qu'il ne fallait pas que je meure sans avoir écouté cet album d' Eddy Mitchell que j'ai beaucoup fréquenté durant ma basse adolescence, dont j'ai par la suite toujours suivi la carrière parfois avec approbation, souvent avec déception.  J'en sors un peu dépité, ce Big Band sent un peu la tromperie sur la marchandise. Revenir sur les cendres froides de son passé n'est peut-être pas une bonne solution.

    En plus il n'y a ni De la Musique, ni Fortissimo...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 17

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    QUARANTE-HUIT

    Le Chef alluma un Coronado.

             _ Agent Chad, j'espère que vous avez compris notre participation au défilé des zigotos du pensionnat libertin !

             _ Cinq sur cinq, Chef, l'idée vous est venue de chercher un quelconque indice dans cette zone d'amour libre !

             _ Et pourquoi cette idée m'aurait-elle subitement traversé l'esprit cher Chad ?

             _ Elémentaire mon cher Dupin, vous avez simplement appliqué le principe d'Edgar Poe selon lequel ce que l'on cherche n'est jamais très loin de nous !

             _ Agent Chad je vois que vous n'êtes pas tout à fait un imbécile, fallait d'abord faire décamper les heureux jouisseurs du lieu, Joël et les filles ont frappé à toutes les portes en faisant croire à une descente de police imminente, cela a failli tourner au psychodrame, lorsque nous leur avons proposé de sortir tous en groupe de joyeux fêtards, ils ont foncé dans la combine à cent pour cent ! Mais vous  agent Chad avez-vous trouvé pourquoi les chiens ont grogné ?

             - Oui, ils ont compris, je ne sais comment, grâce à leurs antennes hyper-sensorielles que la police n'était pas loin, en poste dans un sous-marin, la camionnette qui vous a suivis.

             _ Ils connaissent donc notre repaire, demanda Françoise inquiète.

             _ Non, déclara péremptoirement le Chef, sans quoi ils seraient déjà intervenus, mais ils en savent  plus que nous, devaient avoir repéré le Neil dans les parages, lui nous avait sans aucun doute localisés, n'aurait pas tardé à entrer en contact avec nous, c'est pour cela qu'ils l'ont arrêté et abattu.  Les filles je vous avais donné l'ordre de rentrer dans les chambres pour repérer un indice quelconque, vous n'avez rien remarqué, heureusement que je suis passé derrière vous. Maintenant j'ai besoin des lumières de Joël.

             _ J'ai même inspecté à quatre-pattes sous les lits se défendit vivement Framboise !

             _ Mais vous n'avez pas pensé à glisser la main sous les oreillers ! Joël prenez ce sachet et dites-moi ce que vous en pensez.

    Joël ne prit même pas la peine d'ouvrir le la poche plastique transparente, à vue d'œil son contenu ne devait pas dépasser deux grammes, que le Chef  lui tendit

             _ De simples pétales de fleurs décréta-t-il sans hésitation, je précise, des pétales d'hibiscus !

             _ J'ai compté quarante-huit chambres, ajouta le Chef, j'ai exactement recueilli quarante-huit pétales !

             _  Quelle idée de glisser un pétale d'hibiscus sous l'oreiller pour faire l'amour, les gens sont étranges, j'essaierai sûrement la prochaine fois pour voir quel plaisir particulier cela procure ! ( Chers lecteurs je ne vous révèlerai pas le nom de cette âme de jeune fille en fleur douce et naïve ).

    Tout le monde sauf elle avait compris, derrière ces fragments d'innocentes corolles se cachait la mystérieuse société secrète de la conjuration de l'Ibis Rouge. Enfin nous tenions une piste sérieuse ! D'ailleurs le Chef ne perdit guère de temps. Il annonça que nous allions immédiatement nous livrer au contre-rituel secret d'annihilation de la grande menace imminente.

    CONTRE-RITUEL INITIATIQUE

             Nous déconseillons vivement à toutes nos lectrices et à tous nos lecteurs de tenter de reproduire le contre-rituel dont nous racontons le déroulement dans les lignes qui suivent. Ce n'est pas qu'ils ne trouveraient pas de volontaires pour participer à cette sombre cérémonie. Les préparatifs exigent une extrême minutie, les modalités du déroulement doivent être suivies à la lettre sans quoi rien ne se passera. Dans ces cas-là les participants s'accusent mutuellement d'avoir fait rater l'expérience, la déception générale est si forte que l'on en vient facilement aux mains, il n'est pas rare que cela se termine par un ou deux cadavres.

    Etape Un : nous passâmes toute une partie de la nuit à désherber une grande partie du terrain, puis à aplanir les bosses. Le Chef nous pressait :

    • Agent Chad et Joël laissez les filles poursuivre le travail, vous avez vingt minutes pour ramener quatre jerrycans de 50 litres d'essence.

    Par chance, pas très loin se trouvait une station ouverte ( chose rare en plein Paris ) nous nous dépêchâmes d'assommer le gardien, de lui faucher de gros bidons qu'il cachait dans sa guérite, et comme un automobiliste s'impatientait alors que nous monopolisions les deux seules pompes pour les remplir, je dus l'abattre froidement pour qu'il ne réveille pas le voisinage. Lorsque nous revînmes le travail avait avancé. Une large surface assez plane débarrassée de sa végétation touffue s'étendait devant nous. Les filles étaient en nage. Le Chef fumait péniblement un Coronado. Il avait aussi mis à contribution Molossa et Molossito qui finissaient de creuser quatre trous d'une vingtaine de centimètres de profondeur au pied des buissons d'hibiscus.

    Etape 2 : le Chef nous avait prévenus, c'était la plus difficile. Elle consistait à creuser le pourtour d'un cercle de six mètres de diamètre dans lequel devaient se verser les quatre rigoles qui partaient des cavités creusées par les cabotos. Il faut reconnaître que les diligentes bêtes nous aidèrent beaucoup. Le Chef les félicita.

    • C'est bien, normalement les animaux ne sont pas admis dans ce genre de cérémonie, au lieu de les enfermer dans l'abri, nous allons leur dessiner une double barrière de protection. Agent Chad tracez au centre du cercle une étoile à cinq branches à l'aide de petits cailloux que vous récupérez dans le terrain.

    Tout le monde joua au petit Poucet et bientôt les chiens s'assirent fièrement dans la figure rapidement dessinée.

             _ Bien, dit le Chef, maintenant écoutez-moi, Molossa et Molossito le fixèrent de leurs deux oreilles, si vous mettez une seule patte hors du tracé de l'étoile, vous êtes morts. Je compte sur votre sagesse. Je vous fais confiance. Soyez-en dignes.

    L'exactitude historiale m'oblige à rapporter qu'ils furent sages comme des images, un peu animées, il faut l'avouer, car si jamais ils ne sortirent de l'étoile ils s'amusèrent toutefois à singer les attitudes des six représentants de la race humaine que nous étions.

    Etape 3 : Déjà la nuit semblait plus claire. Nous nous étions mis entièrement nus, pour manifester notre innocence et notre pureté. Auparavant nous avions empli d'essence les quatre trous creusés au pied des hibiscus. Les rigoles et le pourtour du cercle en étaient remplis. Joël, moi et le Chef  étions couchés à l'intérieur du cercle, jambes écartées, nos pieds touchant celui de notre voisin de droite et de gauche, il en était de même de nos mains. Françoise, Noémie et Framboises en tenue d'Eve étaient accroupies entre nos jambes. Le chef imperturbable tirait sur son Coronado. Une minute avant le premier rayon de soleil, il prononça les premières paroles du rituel dont nous suivîmes les commandements pendant sa récitation :

    Incantation

    Salut ô toi Soleil Invaincu

    nous sommes ici pour demander ta protection

    contre les forces mauvaises de l'Ibis Rouge

    qui ne tardera pas à se manifester

    en contre-partie nous t'offrons

    cette ronde de feu

    ( à cet instant précis il rejeta son Coronado dans la rigole emplie d'essence qui s'enflamma,

    en quelques secondes les quatre buissons d'hibiscus crépitèrent )

    cette ronde de feu et de chair copulatoire

    prêtresses jetez-vous sur les pals fièrement dressés

    des officiants, et encerclez-les de vos pertuis vulveux

    vite, vite, que les officiants prennent votre place

    et vous prêtresses la leur

    afin qu'ils entrent en vos pertuis vulveux

    leur pal infatigable

    et que cent fois cette double opération soit recommencée

    à moins que l'apparition de l'Ibis Rouge

    nécessite d'y mettre fin

    Etape 5 : je ne sais combien de fois nous dûmes répéter cette ronde frénétique, tout ce dont je me souviens, c'est qu'à un moment Molossito et Molossa poussèrent des aboiements de terreur. Nous arrêtâmes notre circonvolution opératoire et levâmes les yeux au ciel. La monstrueuse figure de l'Ibis Rouge fixait sur nous ses yeux méchants en abaissant son bec cruel.

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 539: KR'TNT ! 539 :TONY MARLOW / BRYAN MORRISON / COSMIC PSYCHOS / ADORABLE / JIM MORRISON / GREY AURA / HECKER / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 539

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    27 / 01 / 2022

     

    TONY MARLOW / BRYAN MORRISON

    COSMIC PSYCHOS / ADORABLE

    JIM MORRISON / GREY AURA

    HECKER / ROCKAMBOLESQUES

     

    L’avenir du rock

    Marlow le marlou (Part Two)

     

    Fatigué du charme des palaces décatis de Marrakech et du confort boiseux des chalets suisses, l’avenir du rock opte cette année-là pour des vacances populaires. Il se réjouit à l’avance d’aller passer trois semaines dans un camping des gorges du Tarn en compagnie des représentants de ce qu’on appelait autrefois la classe ouvrière. Ah il s’en réjouit à l’avance, l’idée des grands verres de Pastis à l’apéro le fait baver. Et ça ne rate pas, il se retrouve dès le premier jour coincé derrière une petite table de camping en compagnie d’une équipe de joyeux drilles, les occupants de l’emplacement voisin. L’homme qui mène la bacchanale a la main lourde sur le Pastis et sa femme qui est bien ronde et qui manque tragiquement de conversation passe son temps à aller pêcher des glaçons dans la glacière tout en bouffant des olives à la chaîne. Un autre couple participe aux agapes et l’avenir du rock comprend qu’ils sont apparentés. C’est l’heure la plus bruyante du camping. Tous les vacanciers «font l’apéro», comme ils disent. L’avenir du rock comprend au bout de cinq minutes qu’il ne tiendra pas trois semaines dans cet enfer.

    — Une petite rincette, avenir du rock ?

    — Ce n’est pas de refus. Au point où nous en sommes.

    Alors que le jour baisse, le niveau de la bouteille de Pastis baisse aussi. L’avenir du rock sent monter une petite gerbe, il s’excuse, va dégueuler vite fait derrière la caravane de ses hôtes, et revient en s’excusant de cette interruption. La dame ronde lui propose un sopalin pour s’essuyer la bouche. Puis l’hôte fonce dans la caravane et revient avec un litron de Pastis tout neuf. Soucieux du confort intellectuel de son invité, il lui demande, tout en lui servant une énième rasade de coyote, s’il lit des livres.

    — Oh ça dépend.

    L’hôte ne se satisfait pas de cette réponse évasive. Il décide d’investiguer :

    — Connaissez-vous Dashiell Omelette, avenir du rock ?

    — Comme ça, de nom, l’Omelette maltaise, c’est ça ? Mais ce n’est pas ma tasse de thé, voyez-vous.

    — Et Raymond Chandeleur, vous l’connaissez ?

    — Ah oui, j’aime bien Tony Marlow !

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    Bon l’avenir du rock se mélange un peu les crayons. Ce n’est pas parce qu’il est bourré, mais parce qu’il en fait exprès. Il ne sait pas alimenter ce genre de conversation, par contre, il profitera de la moindre occasion pour dire le plus grand bien qu’il pense de Marlow Rider, c’est-à-dire Tony Marlow en trio, et son nouvel album, First Ride.

    Eh oui, quel album ! On les voit tous les trois sur la pochette intérieure, Tony enlooké sixties et encadré du brillant Amine (stand-up) et du non moins brillant Fred Kolinski (beurre). Quand on a vu jouer Amine sur scène, on sait qu’il est fou et qu’il est avec Al Rex (Comets) et James Kirkland (Shadows de Bob Luman) l’un des rois du slap. C’est un bombardeur, un pourvoyeur, un démolisseur, un empêcheur de tourner en rond. Mais avec cet album on va assister à un phénomène surprenant. Ah tu crois que tu vas entendre douze slabs de rockab sauvage ? Non.

    Marlow le marlou ne te prend pas en traître. Sur la pochette intérieure, il déclare : «Mes guides spirituels d’adolescent planent au dessus de ce disque : Jimi Hendrix, Cactus, Peter Green’s Fleetwood Mac, Johnny Winter, Cream, Deep Purple MK II, Rory Gallagher, Paul Kossof et... Johnny Hallyday.» Puis il salue la mémoire de Marc Zermati, «qui ne pourra pas écouter cet album qui lui aurait fait plaisir». Oui, car les ceusses qui ont eu la chance d’entrer chez Marc ont vu cette petite photo de Jimi Hendrix prise lors de son premier set à l’Olympia. Marc adorait raconter le souvenir extraordinaire qu’il conservait de ce show et de la soirée à l’hôtel d’Hendrix qui s’ensuivit.

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    Jimi Hendrix ? Tony Marlow en bourre la dinde de sa B avec trois covers, et c’est d’autant plus gonflé qu’il n’a ni la voix ni les doigts de Jimi Hendrix, mais fuck it, il aime tellement ça qu’il y va et c’est la raison pour laquelle qu’on l’admire : Marlow le marlou est un fan qui s’adresse à des fans. Il ouvre donc son bal de B avec un hommage direct, «Jimi Freedom», c’est un peu maladroit, mais il parvient à retrouver le son qu’avait l’ami Jimi sur «Freedom», le cut d’ouverture de balda sur Cry Of Love, l’album posthume. Fabuleuse performance. Il enchaîne aussi sec avec «Fire», l’un des hits les plus explosifs de l’Experience. Tony a le courage d’aller taper dans l’intapable, hey baby ! Ses deux amis déploient des trésors d’ingéniosité pour recréer la magie de l’intapable hendrixien et wow, ça percute dans la syncope. Il faut les saluer pour cet exploit. Tony part en solo sur un droppin’ blast d’Amine, ils jouent le jeu du breaking à fond et les chœurs sont d’une justesse effarante. Plus loin, ils tapent un «Hey Joe» à la française, sur un tempo plus enlevé. Évidemment, ça réveille de vieux souvenirs. En plus Tony le fait bien, son Jojo. C’est dans cette version qu’on trouve cette élégante expression : «Pourquoi t’as d’la chance plein les doigts ?», remember ?, et il ajoute, comme le fit Jojo en son temps : «En naissant/ T’as marché dans quoâ ?». Ils développent d’incroyables dynamiques d’up-tempo, c’est une merveille, Kolinski tatapoume allègrement et Amine joue balloche. Ces gars-là, mon vieux, ils sont terribles ! S’ensuit une version solide de «Purple Haze». Ses intros hendrixiennes sont toutes parfaites, il les joue rubis sur l’ongle. Il chante du Purple Haze haut perché, à la Johnny, c’est assez réussi et Amine ramène un pounding extrêmement pouf pouf. C’est là qu’il faut saluer Amine, car il sait adapter son jeu. Toujours en B, Tony chante «Sur La Route Du Temps» en français et part sur une espèce de beat anglais qui n’est pas inintéressant. On pense bien sûr à sa référence au Deep Puple MK II, comme il dit. Il termine cette B lourde de conséquences en mode rockab avec «Rowdy». L’une des qualités de cet album et la parfaite maîtrise d’une diversité des genres.

    Mais attention, les coups de génie se planquent de l’autre côté. Marlow le marlou chante «Debout» en français, vite repris par le beat d’Amine. Notre marlou national fait son Johnny avec les genouuux. Il recrée l’accent. C’est vraiment bien qu’il y ait encore des mecs qui veuillent sonner comme leurs idoles. Et boom, ça explose avec «Shut Up». Marlow le marlou passe en mode sixties, monte par dessus sa voix et fond son shut up dans une purée à la Cream. Ces chœurs sont une merveille inespérée et ce marlou de Marlow part en solo liquide. Il connaît toutes les ficelles et franchement, on se régale. Ça monte encore d’un cran avec «Among The Zombies» - walking through the streets of the city - C’est faramineux de rockabilly fever - The traffic is like a raging sea/ Ah ah ! - Il injecte encore un gros shoot de beat rockab dans le son sixties de «Mutual Appréciation». Il réussit là où se vautrèrent jadis les Jack Rabbit Slim : il met le beat de reins rockab au service de la wild énergie des sixties. Il a tout compris.

    Et comme si tout cela ne suffisait pas, l’album de Marlow Rider est un cadeau de Damie Chad, ce qui le rend doublement précieux.

    Signé : Cazengler, Tony marlourd

    Marlow Rider. Fast Ride. Bullit Records 2021

     

    Morrison attelle

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    Si Morrison attelle, c’est parce qu’il joue au polo. Rien à voir avec les Doors. L’homonymie s’arrête là. Il ne faut pas confondre Morrison attelle et Morrison Hotel. D’un côté Jimbo picole et de l’autre, Bryan Morrison polote avec les princes de sang du Royaume Uni. Ce n’est pas le même monde et pourtant, les deux Morrison ont un point commun : le rock.

    Chez Jimbo, le rock est roi, le rock se bouffe aux mythes. Chez Bryan Morrison, le rock est ric et rac. Son autobio ne tient pas la distance. Dommage car ça démarre sur des chapeaux de roues avec les Pretties, Syd Barrett et Marc Bolan pour finir dans le fossé avec «Saturday Night Fever», George Michael, le prêt-à-porter et le polo, un polo qui d’ailleurs finira par avoir sa peau. L’auteur va faire une chute de cheval dont il ne se remettra pas. Son autobio, Have A Cigar! est parue après sa disparition, au terme de deux ans de coma. Destin épouvantable.

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    Un drôle de mélange s’affiche sur la couverture : Pink Floyd, T.Rex, The Jam and George Michael. Il faut se faire violence pour accepter l’idée que ce mélange soit logique. Aux yeux d’un homme d’affaires britannique, il l’est. Après avoir soutenu Ray Charles, Ruth Brown et Professor Longhair, Ahmet Ertegun a lui aussi mal tourné puisqu’il a fini par signer les rois du rock FM, Yes, INXS, Foreigner et Genesis. Ce sont les lois de business. Cette façon de voir les choses ne correspond en rien à celle d’un fan de rock. Pour entrer dans les pages de ce type de livre, il faut savoir accepter la logique d’une pensée différente. Ça peut aller loin, car ça veut dire accepter de voir un homme riche comme Morrison faire étalage de ses goûts pour les toiles des peintres modernes, les voitures de sport, les marques de prêt-à-porter, les parfums qui vont avec et la médiocrité musicale des années 80 dont la meilleure illustration sont les groupes qu’il avait en charge à cette époque, Wham! et Haircut One Hundred. Au début de cet itinéraire qui est celui d’une réussite exceptionnelle, il y a bien sûr un fan, mais la nécessité de générer du profit passe ensuite par d’autres fourches caudines, Claudine.

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    Bryan Morrison trouve sa vocation en février 1957 lorsqu’il voit Bill Haley & The Comets au Dominion Theatre sur Tottenham Court Road. C’est la première tournée anglaise du vieux Bill et aw my God, les Brits n’ont encore jamais vu un bordel pareil ! - His live show hit me like a steam hammer - Le vieux Bill envoie Bryan direct down the ground, surtout quand l’autre fou d’Al Rex se jette sur sa stand-up pour jouer les pieds en l’air. Six ans plus tard, Morrison ressortira l’idée afin de convaincre Vivian Prince de quitter sa batterie pour ramper au sol. C’est ici que naît la tradition du batteur fou des Pretty Things, qu’entretiendra Skip Allan.

    Avec les Pretties, on entre dans le quartier chaud du livre. Un jour de 1963, un certain Dick Taylor vient trouver le brillant Bryan pour lui demander de mettre son groupe à l’affiche d’un concert. Bryan lui demande quel est le nom du groupe. Dick lui répond :

    — «The Pretty Things.

    — The what ?

    — C’est le nom du groupe. The Pretty Things.»

    Coup de cœur ! Love at first sight. Bryan adoooore le nom de ce groupe - I was stuck immediately by the uniqueness of this name. It was totally fresh and original, and I felt a certain inexplicable excitement - La scène se déroule juste avant l’explosion des Beatles avec «She Loves You» - Rock’n’roll was in the air - Bryan sent que tout va changer. C’est l’avènement du swingin’ London - Something magical was about to happen - Il est comme les autres, Andrew Loog Oldham, Joe Boyd, Shel Talmy, Guy Stephens, at the right place at the right time, il arpente gaiement Denmark Street, que tout le monde appelle Tin Pan Alley, et où sont rassemblés tous les éditeurs. Au bout de la rue se trouve Regent Sound, the little studio of the day, mais on peut s’arrêter en chemin à la Gianconda, un café où grenouillent les musiciens, les auteurs et les publishers, un petit monde doré dont Bryan va bientôt faire partie. Il va être publisher/manager, c’est décidé ! Il organise l’un de ses premiers concerts au fameux 100 Club, sur Oxford Street. Comme Joe Boyd, Bryan rappelle que le music biz à cette époque est une jungle pleine d’Ostrogoths et qu’il faut rester sur ses gardes - You had to watch your back in every way.

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    ( Jack Baverstock )

    Bon les Pretty Things c’est bien gentil, mais goddamnit !, il faut un contrat avec une maison de disques. Bryan rencontre l’A&R man de Fontana, Jack Baverstock dans un restaurant. Entre la poire et le cheese, Jack balance sur la table le contrat et lance d’une voix d’outre-tombe : «Get the boys to sign this and we’ll make a record.» Il n’y avait nous dit le débutant Bryan ni négociation ni avance - On a signé pour cinq ans et ce fut la fin de la discussion - C’est parti pour les Pretties, seven gigs a week, screaming girls, les promoteurs et la presse. Comme les Pretties se font vite une sale réputation, les journalistes veulent en croquer. Pour percer, Bryan devine intuitivement qu’il faut créer l’événement, avec du mayhem, c’est-à-dire du chaos. C’est là qu’il demande à Vivian Prince de faire son numéro de batteur fou. Il supplie le groupe de tenter le coup du mayhem. Mayhemez-vous, les gars ! Alors ils essayent et c’est le mayhem ! Puis le riot. C’est l’hystérie en Angleterre. Après «Rosalyn», Bavertock emmène les Pretties en studio enregistrer leur premier album. Mais Vivian Prince est tellement défoncé qu’il vomit sur sa batterie et tombe de son tabouret à deux reprises. Écœuré, Baverstock quitte le studio en claquant la porte et en hurlant qu’il ne peut pas travailler avec ces animaux-là. On fait alors venir Bobby Graham pour produire l’album. Ça tombe à pic car comme il est aussi batteur, il peut remplacer Vivian Prince qui vient de s’écrouler pour la troisième fois et pour de bon. Ce sont les Pretty Things, after all. Pour donner à manger à la presse, Bryan organise l’éviction des Pretties du 13 Chester Street en août 1965 : ça fait la une des tabloïds et des TV news. Sacré Bryan, il bosse comme Tony Secunda, il fait des coups, il magouille. Puis il tente de lancer les Pretties dans le circuit des tournées internationales. Comme il n’arrive pas à les envoyer aux États-Unis, il les envoie en tournée en Nouvelle Zélande avec Sandie Shaw et Eden Kane. C’est la fameuse tournée chaotique à laquelle Ugly Things consacra jadis un fabuleux hors-série, Don’t Bring Me Down Under. C’est là que Vivian Prince s’illustre en jouant le yogi dans les halls d’hôtel, avec dans sa poche un homard mort. Les kids viennent nombreux méditer avec lui, et ça peut durer des heures. Bien sûr, conformément à la théorie du mayhem, chaque concert tourne à l’émeute. Résultat des courses : le parlement néo-zélandais vote le bannissement à vie des Pretties. Aux yeux des fans, c’est le couronnement de leur carrière.

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    Alors après le mayhem, Bryan réfléchit à l’étape suivante. Il sent confusément qu’il faut un hit. Pour lui, ni «Rosalyn» ni «Don’t Bring Me Down» ne sont des hits. Il raisonne en termes de worldwide hit, tu comprends, ce n’est pas la même chose. Il rencontre Donovan à la Giaconda qui lui file une démo de «Tangerine Eyes». Puis le Dylan publisher en Angleterre lui fait écouter «Mr Tambourine Man» qui n’est pas encore devenu le hit que l’on sait. Bryan adooooore cette chanson. Love at first sight. Il essaye de la refourguer aux Pretties qui tirent une méchante gueule. Bryan est persuadé qu’avec «Mr Tambourine Man», ils seront en tête des charts dans le monde entier, mais pour Phil et Dick, c’est absolument hors de question. No way. Ils restent fidèles à Bo. Bryan dit alors sa déception au Dylan publisher qui le réconforte en lui disant que la vie est ainsi faite, parfois ça va bien, parfois ça va mal. D’ailleurs, ajoute-t-il, un groupe américain vient tout juste de reprendre «Mr Tambourine Man». Ah bon ? Bryan demande le nom du groupe. Le Dylan publisher lui répond : «The Byrds». Bryan voit subitement ses derniers espoirs s’envoler, avec les millions de singles qu’il aurait pu vendre dans le monde. Il dit adieu à la chance - We had lost initiative and never got it back - Encore heureux qu’il n’ait pas proposé «No Milk Today» aux Pretties.

    La morale de cette histoire, c’est que les Pretties ont continué à faire de très grands albums sans jamais vendre leur cul. Bizarre que Bryan Morrison n’ait pas compris ça à l’époque. Mais encore une fois, la logique du rocker ne correspond en rien à celle de l’affairiste qui ne vise qu’une seule chose : le profit. Et quand on sait que le profit, le vrai, passe par les grosses ventes, c’est-à-dire le nivellement pas le bas, ça conduit tout droit aux fléaux du XXe siècle que sont la new wave, le rock FM et les méga-stars à la mormoille. D’un côté les puristes s’appauvrissent, de l’autre côté les pommes de terre s’enrichissent. That’s only rock’n’roll.

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    Bryan a la main verte puisqu’après les Pretties, il récupère Syd Barrett et son groupe, le Pink Floyd. Il commence par persuader les managers Peter Jenner et Andrew King de lui confier l’organisation des tournées du groupe dont la réputation grossit beaucoup trop vite. C’est là qu’il arrache le Floyd des mains de Joe Boyd. Il met ensuite le groupe dans les pattes d’EMI. Bryan a réussi à négocier une avance de 5 000 £, ce qui était encore très rare en 1967. Il se dit fasciné par Syd Barrett (mais ça ne va pas durer longtemps) : «Syd était l’un de ces people who seemed to have it all : the looks, the intelligence and, more importantly, the ability to write great songs.» Les difficultés liées à ces bonnes vieilles drugs of choice ne tardent pas à surgir. Syd entre en studio mais refuse de jouer. Alors Bryan déclare : «Syd would have to go.» Et il développe : «Le premier album du groupe, The Piper At The Gates Of Dawn, paraît en août, mais comme Syd est incapable de jouer sur scène ou de participer aux interviews, ça agit sur le moral des autres membres du groupe. Le bassiste Roger Waters qui va devenir le porte-parole du groupe m’annonça qu’il avait trouvé un guitariste pour remplacer Syd. C’est David Gilmour.»

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    Attention, l’histoire ne s’arrête pas là. Syd Barrett disparaît pendant un moment de la circulation. Bryan indique qu’il s’est installé au London Hilton Hotel, sur Park Lane : «Il y avait trois postes de télévision, allumés tous trois, et une douzaine de guitares dispersées au sol. Syd Barrett était devenu une sorte de Howard Hughes du rock et il réglait de faramineuses notes d’hôtel hebdomadaires qui nous faisaient passer pour des pauvres. Il avait gagné beaucoup d’argent et il le dépensait rapidement. Fin 1968, il avait retrouvé la santé et semblait mener une existence normale, même s’il se tapait de temps en temps un petit freak out.» Bryan rôde dans les parages de Syd car il est encore son agent. Il est question d’un album solo, mais c’est loin, très loin, d’être évident. Bryan connaît les chansons que Syd a composées, et il les trouve superbes. Les séances sont compliquées, car Syd chante un couplet puis il s’arrête pour regarder dans le vide - Un jour, il chantait assis sur un tabouret, et au milieu du deuxième couplet, on l’a vu s’endormir. Puis il s’est cassé la gueule, avec le micro et le tabouret. L’incroyable de cette histoire est qu’il ne s’est pas réveillé. Il a dormi là pendant une demi-heure - Puis Syd prend l’habitude de venir voir Bryan dans son bureau pour réclamer des avances sur royalties. Comme il achète des guitares, il a besoin de cash. Un jour, il sonne, Bryan ouvre et il tombe sur Syd qui le fixe bizarrement. Au moment où Syd va lui coller son poing dans la figure, Bryan lui bloque le bras. Alors Syd mord la main de Bryan, mais en vrai, au sang - Stop Syd ! Stop ! - Bryan doit le frapper pour lui faire lâcher prise. Syd tombe en éclatant de rire. The Madcap Laughs - Not a laugh of joy, but an ever-increasing pitch of hysteria - Bryan est complètement scié et sa secrétaire Cora s’évanouit. Syd reviendra une fois au bureau de l’Agency pour demander à Cora si Morrison veut bien le reprendre comme client et redevenir son manager. No way. C’est la dernière fois que Morrison le voit. Il conclut le Syd Chapter en disant ce que tout le monde sait : Syd est allé vivre the happy life à Cambridge.

    La morale de cette histoire ? Syd a fini par échapper à tous ces mecs-là, les agents, les managers, les collègues du groupe qui ne valent guère mieux. Il faut voir ça comme une victoire et non comme une défaite.

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    En 1967, the Bryan Morrison Agency a le vent en poupe : ils sont agents et managers du Pink Floyd, des Pretty Things, de Soft Machine, d’Incredible String Band et de Keith West, un Keith West qui invite un jour Bryan à déjeuner pour lui annoncer qu’il le vire. Fired ! Quand Bryan demande pourquoi il est viré comme un chien, Keith West répond : «You’re useless. My records never made number one.» Puis arrive ce qui doit arriver : «En très peu de temps, il s’est retrouvé avec un hit sur les bras, mais pas de travail. Je m’empresse d’ajouter que je n’étais pas vraiment traumatisé par sa décision de me virer. His next record was a flop and he never had another hit.» C’est le destin des artistes qui ne sont pas correctement managés : ils vont droit à la fosse. L’Angleterre est la plus grande fosse commune de l’histoire du rock.

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    Bryan devient aussi l’agent/publisher de Marc Bolan - Faire connaître des groupes comme Tyrannosaurus Rex et le Pink Floyd, c’était extrêmement difficile, to say the least. Les médias ne s’intéressaient pas encore aux groupes underground. Pendant les deux années suivantes, j’ai essayé en vain de faire passer les chansons de Bolan à la radio, mais je me suis chaque fois heurté à des refus. La seule exception fut John Peel. Sur Top Gear, il passait les disques des gens qu’il appréciait et plus particulièrement Tyrannosaurus Rex. Bon nombre de groupes de cette époque doivent leur succès à John Peel - Puis le succès arrive et Bolan s’entoure d’une cour - And the court of king Bolan was created. From here on in, Marc engulfed himself in the Presley style of omnipotence. C’est ce qui a conduit Marc à la faillite, non pas à cause de sa musique, mais à cause des conseils financiers qu’on lui donnait - Après Syd, Bryan perd donc Marc.

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    Un jour, Bryan raconte qu’il va trouver Chris Blackwell chez Island pour lui emprunter 3 000 £ dont il a besoin pour empêcher la saisie de sa maison. Blackwell ne dit pas non, mais en échange, il demande l’un des groupes signés par l’Agency. Il veut le groupe que Bryan vient tout de juste de signer : Free. Bryan lui répond : «Plutôt crever.» Alors Blackwell lui dit qu’il ne peut pas l’aider, mais il insiste : «Free n’a pas encore signé de contrat avec une maison de disques, alors signez-les avec moi, cédez-moi les droits du groupe et je vous donne l’argent dont vous avez besoin.» Bryan résiste. Il oppose un no-no. Pas question de céder les droits. Un publisher ne cède jamais les droits. Never. Puis il se casse. Quatre jours plus tard, voyant la menace d’une saisie se préciser, il appelle Blackwell pour dire qu’il accepte de céder - I was sick as a dog - C’est ainsi que Free est arrivé sur Island. Au terme d’une discussion de chiffonniers.

    En 1969, Bryan en a marre de toutes ces conneries, et il décide de revendre son Agency à NEMS, une société montée par Brian Epstein pour manager les Beatles, Cilla Black, Gerry & The Pacemakers et d’autres. À l’intérieur de NEMS, il va continuer de bosser comme agent, mais ce n’est plus lui qui prend les risques financiers.

    Forcément, Bryan Morrison croise aussi des gens de la pègre londonienne. Pas de Swingin’ London sans la pègre. Il n’a pas affaire aux jumeaux Kray mais aux Dixon Brothers qu’il rencontre dans un pub de l’East End pour leur demander un service, mais quand il entend parler des moyens envisagés, il abandonne et se carapate aussi vite qu’il le peut. Bien sûr, les Dixon Brothers se pointent quelques temps après à l’adresse de l’Agency pour demander du cash à Bryan, oh pas grand chose, 150 £, et ils promettent de s’en aller. Bryan commence par dire non puis il finit par comprendre qu’il vaut mieux payer. Il a encore besoin de ses deux jambes et de ses deux bras.

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    Les années passent et en 1976, Bryan reçoit un coup de fil d’un certain Malcolm McLaren : «On ne se connaît pas, Bryan, mais je connais votre parcours dans le music business, et votre goût de l’avant-garde et de la new wave. Une nouvelle vague arrive et je suis le manager du best band in the world.» Bryan lui demande quel est le nom du groupe et McLaren lui répond : «The Sex Pistols.» Ah ah, comme c’est intéressant. Bryan dresse alors un parallèle entre Brian Epstein et McLaren, un McLaren qui propose à Bryan de bosser avec lui, et pour le convaincre, il l’invite à venir voir jouer les Sex Pistols. Le 23 avril 1976, Bryan débarque au Nashville Rooms. Chapitre pénible. Il se dit impressionné par l’énergie du groupe, jusqu’au moment où Johnny Rotten fait le con avec le salut nazi et les slogans qui vont avec. Pour Bryan Morrison, c’est rédhibitoire. Hop, terminé. Au fond, il n’était pas aussi intéressé qu’il le prétend. La preuve ? Quelques pages plus loin, il fait l’apologie de George Michael.

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    C’est à peu près tout ce qu’on peut dire de ce recueil de souvenirs. Les épisodes ne sont que des épisodes, after all. Les maniérismes de Bryan Morrison constituent probablement la vraie richesse de ce book. Pour qui aime lire la langue anglaise bien écrite, certaines formules méritent l’effort citatif, tiens comme celle-ci : «Je reçus un appel de Vic Lewis, asking me to pop up to see him in his luxuriously appointed office on the first floor of Hill Street. I sat down and was poured the ever-ready cup of tea in a fine bone china teacup. Vic was always pedantic about being surrounded by and using the best.» On entend presque sa voix et on sent bien sûr l’odeur du cigare. Cette façon de décrire une ambiance est typiquement anglaise, mais on est là dans une Angleterre tout de même un peu huppée, n’est-ce pas ? Plus loin, il décrit son patrimoine de parvenu distingué : «By 1970, in spite of my apparent disdain for money, I seemed to be enjoying its fruits, with a beautiful Grade II-listed, sixteenth-century manor house in Oxted, Surrey, and a pied-à-terre in London with all the various accoutrements. The only thing that I needed to complete the picture was a wife and family.» Alors évidemment, tout lecteur d’Oscar Wilde en version originale sera troublé par l’insidieuse proximité des styles, par cette parenté d’élocution. Alors Bryan Wilde va rencontrer the wife : «Elle s’appelait Greta van Rantwyk and after about three months of manoeuvring we had dinner in a restaurant in Beauchamp Place. Everything was set for the birth of one of those great eternal love stories - the candles, the food, the wine. Everything was perfect, or was it ?» Il fait un petit saut de ligne pour relancer l’irrémédiable Oscarisation des choses : «There was one small detail that I hadn’t counted on - It seemed she wasn’t too keen on me - (Bryan suppute qu’il ne lui plaît pas) - Later I was to discover that she felt I was too flash. My black leather clothing, zip-up jacket and tight-fitting trousers, plus the black Aston Martin DB7 sitting by the front door were simply too much. She was probably right; I was a bit flash.» Et puis pour finir, Bryan raconte ses démêlés avec un couturier anglais, une association financière qui se termine en eau de boudin : «It took me quite some time to persuade him that principle came before profit - pour Bryan, les principes d’abord, le profit ensuite - Something I think that he never understood. As the years go by, I feel that less and less people understand this, a sad indictment of the world we live in.» Comme bon nombre d’entre-nous, Bryan Morrison n’aime pas trop l’époque dans laquelle il vit.

    Signé : Cazengler, Bryan Saucisson

    Bryan Morrison. Have A Cigar!: The Memoir Of The Man Behind Pink Floyd, T. Rex, The Jam and George Michael. Quiller Publishing Ltd 2019

     

    Cosmic trip

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    Les Cosmic Psychos étaient déjà là dans les early eighties, et ils continuent aujourd’hui de foncer tout droit dans leur bush. Ce trio est un cas à part, mais aussi l’un des phares de l’underground. Quelle que soit l’époque où on entre dans leur histoire musicale, c’est intéressant. Bien sûr, une certaine frange de la population va les traiter de bourrins, mais ça ne gêne pas les Cosmic. Ça les amuse. Ils en font un jeu, avec les tâches de bière et les dents pourries. À une époque, il fallait choisir entre Michael Jackson et les Cosmic Psychos, alors le choix était vite fait. C’mon down !

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    La principale caractéristique des Cosmic Psychos, c’est le tout-droit. Ils foncent tout droit. Leur premier EP Down On The Farm paraît en 1985. Ils sont trois, Ross Knight (bass vocals), Bill Walsh (drums) et le guitariste Peter Jones qui amène «Custom Credit» au riff de la menace. C’est excellent et assez hypno. Basses avant toutes avec un filet de bave psyché dans le fond du son. Quant au beurre, il reste fluet. En fait, ils dépotent un petit gaga-punk qui avance comme un rouleau compresseur. C’est leur marque. Ils n’ont que ce son-là et ils l’exploitent à gogo. Ils font donc toujours un peu le même cut, yeah yeah, avec le même son caverneux et cette petite purée en fond de déco trash. Ils atteignent rapidement leurs limites. Le meilleur cut de l’EP est sans doute «Gangrene Dream» en B : ils mettent un discours d’Hitler en musique. C’est le plus trash des trucs.

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    Leur premier album sans titre Cosmic Psychos date de 1987. Dès «Decadence», on est dans le bain d’un punk-rock hypnotique. La basse rôde dans le ciel comme un gros ptérodactyle. Ils sont parfaits dans leur rôle de punksters monolithiques. Ils foncent dans le bush et la basse de Ross Knight hante le son. Bill Walsh bat «No Complications» bien tribal, mais avec de spectaculaires descentes de roulements. Ces mecs sont inclassables, ils montent sur les coups comme d’autres montent sur les braquos. On est ravi de l’excellente qualité du son et du beat. Ils tentent le diable en B avec un heavy «Jellyfish», ils honorent à leur façon le heavy blues rock des seventies. Et paf, ça repart de plus belle avec «Can’t Come In», ils foncent tout droit, c’est tout ce qu’ils savent faire. Avec eux, Punk’s not dead.

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    Leur deuxième album s’appelle Go The Hack. Ils posent au crépuscule sur un bulldozer, ce qui colle bien à leur image d’Aussie gaga-punks. Et pouf ! Ils foncent tout droit dès «Lost Cause». Ils adorent foncer tout droit, alors ils foncent tout droit. Avec «She’s Cracking Up», ils font un excellent numéro de power trio. Leur son est un mélange brutal de droit devant et de marteau pilon, arrosé de chœurs de cracking up. Quand on écoute «Out Of The Band», on pense bien sûr aux Ramones. Même sens de la scie. Ils emmènent encore leur gaga-punk à fière allure en B avec «Pub». Même lorsqu’ils passent en mid-tempo, ils restent dans la tempérance de bonne mesure, avec de la cisaille et du bon beat métronomique. Ils scandent le BIT de «Back In Town» à qui mieux mieux, ça prend des allures d’hymne sur un beau tempo à la Ramones. Bon bref, tout ça reste très longiligne. Ils terminent avec le morceau titre qui sonne comme un punk anglais, avec un solo de trash-wah. De toute façon, c’est excellent.

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    Paru en 1990, Slave To The Crave est un album live at the Palace. Départ en trombe avec l’excellent «Decadence». Ross mène le bal à la basse fuzz. Il parle avec l’accent cockney aussie, c’est un vieux barboteur. Les deux bombes sont «Quarter To Three» et «Stink». Ah ces giclées de wah ! Ils savent créer les conditions de l’embrasement. Rien de plus rougeoyant qu’une giclée de wah sur fond de beat hypno. Bill Walsh drumbeate «Stink» à la folie Méricourt. Quelle violente giclée de manhood ! Ils sont relentless, comme on dit en Angleterre. Ils sont quasi-anglais dans l’approche du punk-rock, quasi Johnny Moped. Bush not dead ! Ils se mettent en colère en B avec «David Lee Roth» - Suck me off ! - On ne les changera pas.

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    Encore une belle gamelle de punk and fuck avec Blokes You Can Trust sorti sur Amphetamine Records en 1991. Ils restent fidèles à leur mad frenzy, le genre battu à la diable par Bill Walsh, et bien sûr l’autre dingue est toujours là, le Robbie Watts, avec sa chemise à carreaux. Robbie va loin dans la démesure, c’est pour ça qu’on l’aime bien. Ces mecs font leur truc dans leur coin, il ne faut pas les déranger. Tiens, voilà «Dead Roo», punk-rock relentless avec un Robbie en maraude. Ce mec est le roi des somptueuses giclées de sperme sonique. Ces trois mecs sortis du bush jouent leur truc à la vie à la mort. Alors bien sûr, certains diront que Ross Knight chante mal et toi tu leur répondras : vas-y, prends le micro et chante ! Pas facile de faire du Psycho. D’une certaine manière, c’est du grand art. Robbie Watts fait le gros du boulot, il organise les fleuves de lave, il veille à tirer ses notes et part en vrille à point nommé. C’est un bonheur que d’entendre ce mec jouer de la guitare. Il est un peu comme Fast Eddie, always on the run. Pas de surprise avec un titre comme «Hooray Fuck». Cho-cho hooray ! Ils sont dans l’énergie renouvelable, ils n’arrêtent jamais et Robbie part en vrille assassine à la Ron Asheton. Ils s’entendent tous les trois comme larrons en foire. Qui saura dire l’excellence de la Psychomania ? Voilà «Never Grow Old», véritable déclaration d’intention et Robbie Wallts nous fracasse ça d’entrée de jeu. Ça devient vite infernal, bien pulsé par ce batteur fou qu’est Bill Walsh. On entend même Robbie claquer des chorus fantômes dans les interstices. Ces mecs ne s’ennuient jamais et nous non plus. Robbie joue comme un conquérant et ce fou de Walsh bat tout ce qu’il peut battre, il est comme une loco, celle de Jean Gabin qui fonce la nuit vers le Havre, à grands renforts de roulement intestins.

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    C’est avec Palomino Pizza paru en 1993 et produit par Mike Mariconda à Melbourne que les Psychos déploient leurs ailes. Il foncent tout droit dès «Rain Gauge» et développent un power à la Motörhead. Ils font de l’ultra-rock, comme Lemmy. Ils sont hallucinants de tout-droitisme, ils filent sur le fil, pied au plancher. On les voit plus loin faire décoller le gros bolide de «GOD». Le cut devient passionnant car des événements surviennent sur le tard, notamment la wah de Robbie Watts, c’est même une wah phénoménale, on assiste à une élongation du domaine de la turlutte, ces trois mecs sont puissants, peu de gens sont capables de mener un tel train d’enfer en maintenant l’intérêt en éveil. Thanx Mariconda for this one. Bill Walsh vole le show dans «Champagne Sunday», ce batteur fou bat ça à la savage punk. Les Psychos développent encore une énergie punkoïde dans «Shut Up». Ces mecs n’arrêtent jamais, ô grand jamais, ils savent couler un bronze fumant. Ils se situent dans une certaine énormité. Ils terminent avec un «Shove» allumé aux renvois de chœurs, sous un gratin de heavy Cosmic. Bizarrement, ce cut ne figure pas sur la track-list de l’album. Il faut savoir qu’il existe et qu’il est bon.

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    Les Psychos passent au pur blast avec Self Totalled paru en 1995. Tu prends «Bullet» en pleine poire, t’es baffé direct par le bass blow, les amplis vibrent, les Psychos jouent à la sature extrême et c’est bienvenu. Leur blast rivalise de deafening avec celui de Motörhead, ils jouent comme des diables et explosent la rondelle des annales. Seuls les Australiens sont capables d’une telle violence sexuelle. Prod exceptionnelle. Le mec a su garder le vibré des baffles, l’essence même du rock. Là, tu as tout, le drum et la voix en peu derrière et le pulsatif devant. Chez eux tout est ramoné à la ramonade, ils nous font le coup de la logorrhée de heavy bassmatic. Sur cet album, Ross Knight s’appelle Slapper Jackson et Robbie Watts devient Fess Parker. Nouvelle explosion avec «The Man Who Drank Too Much». Pur blast, Bill Walsh volerait presque le show. Oh ils font aussi du gaga-punk avec «Bad Day» et redorent le blason d’un vieux mythe, celui du power trio. Walsh bat ça à la dure. Il est monstrueux. C’est dingue ce qu’il développe. On ne croise pas tellement de groupes capables de développer un tel power. Les Psychos sont un phénomène. C’est l’un des pires albums de blast qu’on puisse écouter ici bas. Leur folie flirte avec le génie, il y a de la stoogerie dans leur côté destroy. Stupéfiant ! Encore une crise de folie Méricourt avec «Thank Your Mother For The Rabbits». On reste avec ça dans la stupéfiante violence de la puissance sonique. Ces trois mecs valent n’importe quelle armée, ils se situent au-delà de tout et l’autre, là, qui part en vrille de wah ! Il va d’ailleurs ravager le «Neighbours» d’après. Ces mecs jouent tout à bride abattue. On croise plus loin un «Almost Home» bien déflagré, bardé de grosse saucisse d’aussie blast et Robbie Watts ne rate pas une occasion de passer un killer solo flash. Diable, comme ce mec peut être bon. Il incarnerait presque la rectitude. Bon batteur, bon guitariste, bonne voix, les Psychos ont tout l’apanage en magasin. Ils foncent ventre à terre dans leur heavy psychotic bush - I couldn’t give a fuck - claque Ross Knight dans «Come On». Il a raison, rien a foutre, claque ton bush, Ross, don’t give a fuck. C’est avec cet album qu’on prend vraiment les Psychos au sérieux, au moins autant que Motörhead.

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    Ils nous tapent une petite pochette à la Dwarves pour Oh What A Lovely Pie. Les photos à l’intérieur du trois volets ne te seront d’aucun secours. Les filles sont à poil, mais pas comme chez les Dwarves. L’album sort en 1997 et on l’accueille à bras ouverts. Ils démarrent avec un «Can’t Keep A Good Man Down» heavy on the brawl. C’est du Psychos de la pire engeance, du demented are go surmonté au win it over, chanté à la rascasse et percuté de plein fouet par un solo de wah. En gros, ils bardent à l’excès. Avec «Hammer», «Guns Away», «Moll» et «Breathless», on peut parler de génie. Leur son est une marée montante, les coups de wah aplatissent l’occident, Robbie Watts flashe sa purge en permanence, pure bush genius. Ils balayent les frontières avec «Guns Away», le solo prend feu, ils rivalisent d’audace avec les Stooges, tout est arrosé de wah en feu, c’est du trash killer wah, ça bat à la vie à la mort et la basse fuzz fait l’interface. «Moll» monte encore d’un cran, comme si c’était possible. Ici, le power enfile le génie qui adore se faire enfiler. On voit le chant tituber dans l’écho des riffs. Les Psychos deviennent des géants. Impossible d’imaginer une pire équipe et une pire maîtrise. Ils restent dans l’extrême punk-out avec «Breathless». No way out, on les suivrait jusqu’en enfer. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de la nuit, dégelée après dégelée, ils s’arrangent pour nous maintenir en éveil comateux, avec des cuts visités par des vents mauvais. «Creepin’» sonne comme une stoogerie. Leur «Super Vixen» va encore bien au-delà des Ramones et des Aussies. Ils sont dans un power trip et c’est passionnant. Ils font le punk’s not dead à eux tout seuls, ils l’éclatent au qui mieux mieux et bien sûr Robbie Watts passe un solo killer flash histoire de raviver les braises, le Vixen put a spell on me bascule dans la magie cosmique, on les vénère pour cette constance de la prestance et si tu veux entendre le pilon des forges, il est dans «Chainsaw».

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    Le molosse qui gronde sur la pochette de Dung Australia annonce bien la couleur. Pas de pires Demolition Doll Lads que les Psychos. On se fait immédiatement sauter à la gueule par «If You Want To Get Out Of It». Merveilleuse violence, c’est un bienfait pour la rate, ils aplatissent tout sur leur passage, avec en queue de cortège l’inévitable solo en flammes de John Mad Macca McKeering, le remplaçant du pauvre Robbie Watts qui vient de casser sa pipe en bois. Rassure-toi Mad Macca est aussi psychoïde que Robbie Watts. Ils atteignent avec cet album une espèce de maîtrise du son absolutiste. Ross Knight explose tout au chant. Un certain Keiran Clancy amène le renfort d’une deuxième guitare et Dean Muller a remplacé Bill Walsh au beurre. Les Psychos restent dans leur délire extrémiste. Ils défoncent «20 Pot Screamer» à la pure dementia, ils labourent les côtes du son, c’est tout ce qui les intéresse. Ils ont tellement de son qu’on s’en effare, les rasades de killer solos ne servent qu’à détruire et on tombe plus loin sur un «Miss Me» explosé d’entrée de jeu, ces mecs sont d’épouvantables monsters, ils battent tous les records de lourdeur et de verdeur. Ça bat tellement que le son chevrote. Existe-t-il pire force de frappe sur cette terre ? Non. Ça démolit dans la démolition, les flammes du solo coulent dans le courant du fleuve, ils jouent le beat des soudards, ils sont à la fois excellents et impitoyables, leur maîtrise dépasse un peu la capacité des mots. Certains cuts sont plus classiques, mais tout est bourré de son jusqu’à la gueule, comme on le dit d’un canon de flibuste. Ils attaquent «Follow Me Home» à la belle avoine, ils créent de la joie et de la bonne humeur au cœur des enfers, tout est énorme ici, et l’autre fou n’en finit plus de tapisser les murs de giclées de wah. Ils finiraient presque par devenir trop énormes et par nous donner la nausée, mais en même temps, ils jouent l’un des meilleurs rocks de l’histoire du rock. «Bee Sting» sonne comme du gaga punk supérieur, claqué du beignet dans l’absolutisme défenestré. Les guitares dévorent tout. «Dollar Each Way» vaut pour l’une des plus belles coulées d’heavyness d’Australie et «Skirt Lifter» pue le cramé de wah. Ah quels diables ignobles ! Leur démesure finit par foutre la trouille. One two three, hommage aux Ramones avec «Anarchy In Boondall». Ils rockent ça à la vie à la mort, c’est bourré de vie, de gratté de grattes et de chant à la bonne franquette.

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    En 2011 paraît Glorius Barsteds. Ils gagnent toujours en power, battle punk forever. «Hate Drunkenness Vandalism Demolition» sent bon la démesure tribale. Et dans «Hoon», le solo prend feu. Comme d’habitude, tout est extraordinairement bardé de son. John McKeering démolit «Bull At A Gate» qui ouvre le bal de la B. Il s’amuse à rentrer dans le lard des cuts au moment le plus opportun. Il continue de faire sauter la B avec «3rd Strike». McKeering visite ça en profondeur. Il crée une source de jouvence permanente et l’album devient mirobolant. McKeering est partout, on le voit surgir dans «Nude Shellas On Motorbikes Drinking Beer» et ça reste puissant jusqu’au bout de la nuit. Ils finissent avec un «Wake Up Rocket» fantastiquement heavy.

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    Hooray Fuck - Live At The Tote qui s’appelle aussi I Love My Tractor pourrait bien être le meilleur album des Psychos. C’est un live. La pochette d’Hooray reste sur l’esthétique des premières pochettes, avec le beau ciel bleu derrière les Psychos, mais la pochette de Tractor est marrante, car on voit trois mecs se rouler par terre devant la petite scène où jouent ces démons de Psychos. Là dessus, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Ils démarrent avec un «Pub» dévastateur, Dean Muller bat ça à la vie à la mort et Ross Knight gueule comme un con. Big heavy Cosmic blast ! Ils font du high energy atmospherix à trois, ils balancent une vraie dégelée de no way out, à la Cosmic ultraïque. Mad Macca est un dieu de la wah. Alors si tu aimes la basse fuzz, il te faut écouter «Nice Day To Go To The Pub». Mad Macca prend feu, une fois de plus, ça blaste all over et ça wahte par dessus la basse fuzz, et bien sûr ce démon de Ross is on fire. Et ça continue de cavaler à travers la plaine avec «Mortician», ces mecs n’en finissent plus de redorer le blason du blast, mais un blast en surchauffe, cramé de l’intérieur. On les voit repartir aussi sec à chaque fois pour une autre dégelée, et le gros arrose tout de wah brûlante. Avec «I’m Up You’re Out», Ross fait du heavy punk aussie. Il est magnifique de screaming, il prend tout en frontal. C’est dingue comme ces mecs savent tenir la distance. Chaque cut est pulsé dans le ventre du rock. Leur passion pour le bulldozer prend ici tout son sens. Leur violence ricoche dans le son, c’est en tous les cas ce que montre «Dead In A Ditch». Ils sont dans l’expression de la violence salvatrice. Il n’existe pas grand chose au dessus des Psychos. Encore une belle envolée avec «Quater To Three». Ils savent très bien ce qu’ils font. This is the real blast, my friend. Les accords rayonnent dans la chaleur du blast. Ces trois mecs ont tout : l’aussie, la wah et le hard beat. Quel bonheur de voir cette wah tout dévorer. Chaque cut sonne comme une invasion. Ils cherchent chaque fois le maximalisme de la violence sonique et parviennent à la maîtriser pour en faire une sorte d’anti-art. «Go The Hack» sonne comme un pandémonium, c’est un blast à toute épreuve qui date du temps de leurs débuts. Retour de la basse fuzz avec «20 Pot Screamer», ils syncopent leur beat et ils deviennent complètement fous avec «Back In Town». Ils vont très vite en besogne et ça devient incontrôlable, Dean Muller remet tout ça au carré. Mais on sent bien qu’ils sont irrécupérables, on voit bien avec «Lost Cause» qu’ils ont du mal à s’arrêter. Ils font plaisir à voir. Ils restent les tenants du titre, blasters forever. C’est sans doute leur tenue de route qui impressionne le plus. Ils font un «David Lee Roth» punk as hell, c’est le blast définitif, touch me out !, et ils bouclent avec «Hooray Fuck», c’mon cunt ! Ah les fous !

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    Si on fait l’effort de rapatrier ce gros picture-disc qu’est Cum The Raw Prawn, on sera bien récompensé. Les Psychos s’améliorent en vieillissant et gagnent en véracité combinatoire. Pour preuve, voici «Bum For Grubs», une belle giclée de Cosmic trippe, ça wahte dans tous les coins, ils sont exceptionnels. Ils mènent le power à la trique et McKeering wahte comme un beau diable, Il fout le feu quand il veut. Ils atteignent une sorte de maturité avec «Come And Get Some» et leur aisance à driver un beat les préserve de toute critique. Ah quelles belles vagues de wah ! Ils ne sont pas près de se calmer. En B, ils terminent leur morceau titre à coups de fuck you et de fuck yourself. Ils développent encore un potentiel d’acier avec «Ack-Ack» et la wah expiatoire de McKeering vient lécher les bollocks du Cosmic beat, elle se répand dans l’air comme un vent de flammes. Pour finir en beauté, ils explosent en plein vol avec «Didn’t Wanna Love Me», une énorme dose de Cosmic blow.

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    Leur dernier album en date s’appelle Loudmouth Soup. Il date de 2018. Curieusement, il n’est pas aussi intense que certains de leurs albums précédents. Ils transforment «100 Cans Of Beer» en bulldozer sonique, c’est-à-dire en heavyness incommensurable et il faut attendre «Moon Over Victoria» pour refrétiller, car John McKeering joue les accords des Stooges. Les Psychos restent dans le décorum du fucking hell avec le fuzzed-out bass sound de «Mean» et là, mon coco, tu vas entendre McKeering passer l’un de ces killer solos dont il a le secret. Et puis arrive le cut mythique par excellence : «To Dumb To Die» qui est en fait un hommage à Roky Erickson, car c’est «Two Headed Dog» revu et corrigé par les Psychos. Ils se situent d’emblée au firmament de l’underground universel - I’m too dumb to die/ I don’t know why I’m too dumb to die - Roky doit se marrer dans sa tombe. Retour des cavalcades infernales avec «Rat On The Mat». On assiste à l’explosion d’un power trio. Quelle équipe ! Ils font sauter tous les vieux concepts et Ross Knight se tape un final au finish à l’anglaise, aw, hell ! Ils bouclent Loudmouth Soup en allant vers le fleuve avec «Last Stand». On est bien content de les accompagner, même s’ils nous font parfois des tours pendables.

    Signé : Cazengler, Comique Psycho

    Cosmic Psychos. Down On The Farm. Mr. Spaceman 1985

    Cosmic Psychos. Cosmic Psychos. Mr. Spaceman 1987

    Cosmic Psychos. Go The Hack. Survival 1989

    Cosmic Psychos. Slave To The Crave. Rattlesnake Records 1990

    Cosmic Psychos. Blokes You Can Trust. Amphetamine Records 1991

    Cosmic Psychos. Palomino Pizza. City Slang 1993

    Cosmic Psychos. Self Totalled. Amphetamine Reptile Records 1995

    Cosmic Psychos. Oh What A Lovely Pie. Shagpile 1997

    Cosmic Psychos. Dung Australia. Timberyard Records 2007

    Cosmic Psychos. Glorius Barsteds. Missing Link 2011

    Cosmic Psychos. Hooray Fuck - Live At The Tote. Cobra Snake Necktie Records 2011

    Cosmic Psychos. Cum The Raw Prawn. Desperate Records 2015

    Cosmic Psychos. Loudmouth Soup. Go The Hack Records 2018

     

    Inside the goldmine

    - De l’Adorabilité des choses

     

    Oui, ça devait être ça, Porte d’Aubervilliers ou de la Chapelle. C’est là qu’elle tapinait. Elle arrivait vers 1 h du matin. Elle annonçait le tarif, ok, et elle montait à bord. Tiens tu vas par là, c’est tranquille. Elle avait deux dents cassées, devant. C’est la première chose qu’il remarqua. Elle devait avoir tout au plus trente/trente-cinq ans. Cheveux longs, châtain clair, un peu ronde. Mais diable, comme elle suçait bien. Elle y mettait tout le tact dont peut rêver un homme. On pouvait même en déduire qu’elle devait aimer ça. Très rare dans ce circuit où la pipe se fait généralement sans âme ni état d’âme. La pute est contente, elle a ramassé son billet, le mec s’est vidé les couilles, il peut rentrer dormir chez lui. Il fut tellement ravi qu’il y retourna la nuit suivante. Personne. Elle devait être victime de son savoir-faire, ça paraissait évident. Alors il remonta les Maréchaux vers le Nord et fit demi-tour une demi-heure plus tard. Elle était là. Ils nouèrent cette nuit-là une espèce de relation. Il revint la retrouver quasiment chaque nuit pendant quatre mois, le plus souvent dans l’hôtel où elle vivait, vers la Porte d’Auber. Ils dépêchaient longtemps une vague besogne, puis quittaient l’hôtel pour aller vers la rue Myrha. Elle devait se ravitailler car elle tournait au crack, bien sûr. Ils allaient ensuite dans un mini-market ouvert toute la nuit acheter un doseur de Ricard et filaient aussi sec dans un hôtel de Stalingrad procéder au rituel. Elle partageait tout, sa vie, son crack, son corps et l’extrême misère de sa condition. «T’es adorable, mon cœur», disait-elle, avec un léger accent. Il repartait au lever du soleil pour aller bosser, fier d’avoir goûté aux saveurs du trash suprême, ce qu’il appelait l’Adorabilité des choses. Alors que l’énergie bouillonnait en lui et livrait un combat sans merci à la fatigue, il allait retrouver sa bagnole, s’émerveillant à chaque pas de l’immense saleté des rues, le long du métro aérien. Valsait en lui l’Adorabilité des choses. Jusqu’au vertige.

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    Elle aurait pu dire d’Adorable qu’ils étaient adorables. Le premier album de ce groupe anglais date de 1995 et s’appelle Against Perfection. Le chanteur s’appelle Piotr Fijalkowski, il est polonais.

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    Dès «Favourite Fallen Idol», he makes it. C’est violent, side by side, il dégringole dans les vapes du génie vocal, ah les Psychedelic Furs devraient prendre des notes. Piotr tombe, aw aw. C’est un fantastique artiste. Avec «A To Fade In», il fracasse tout, il transforme la Brit Pop en apocalypse now, il multiplie les douches froides d’exception. Le génie est dans la course comme il est dans la cause. Ce Polak à moitié viking ravage les côtes de «Homeboy», aw comme il chante bien, you’re so beautiful. Il faut voir l’«Homeboy» éclore en bouquets d’artifice. Comme ce Piotr est un singer exceptionnel, tous les cuts prennent de sacrées tournures, les montées flambent, ils jouent à deux guitares. Nouvelle splendeur catatonique avec «Cut # 2». Piotr a autant de power que Lou Reed ou Peter Perrett, mais avec un truc en plus, un truc en plume, un truc à lui, une couleur de timbre qui rend sa présence immanente. Ces adorables Brit-popsters lèvent des vagues dans leur pop et Piotr met un point d’honneur à exploser chaque fin de cut. Ils font aussi du wall of sound («Crash Sight») et bouclent cet infernal bouclard avec «Breathless», une chanson d’amour chargée d’un désespoir de main tendue, Piotr chante au tranchant d’effarence, il crée les conditions du fall out, sa voix porte au loin, il touche les cordes raides, il atteint les ports, il touche tellement au but qu’on voit le but. C’est l’une des voix de notre époque. Ce mec a la Melancholia de Dürer gravée dans sa cuirasse. I love you !

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    Leur deuxième et hélas ultime album d’Adorable s’appelle Fake. Il vaut peut-être mieux commencer par écouter «Road Movie» que Piotr plie en quatre avec un fatalisme typiquement polonais, puis il s’exprime au grand jour et à pleine poitrine, alors tout bascule dans l’ampleur shakespearienne de la tempête. L’autre point fort de Fake est le «Feed Me» d’ouverture de bal, un Feed Me éclairé aux accords malovelants et ça donne une pop teigneuse et belle, brune et sensuelle - She falls ever so/ Ever so soft/ So soft - et ça éclate au Sénégal avec la copine de cheval. Avec Piotr, la messe est dite en permanence. Messieurs les Furs, rangez vos fears, personne ne peut égaler le Polak au petit jeu du power surge atmosphérique. Il monte vite au vent de la vague. Il est magnifique et tellement désintéressé. Une présence qui n’en finit plus d’être présente, c’est la force de cet adorable Polak. Mais Fake est nettement moins dense que son prédécesseur. Les submarines ne sont pas aussi glorieux que ceux de Captain Sensible. Il semble même que ce géant se noie dans un son à la mode. Avec «Lettergo», Adorable sonne comme une fiotte éplorée sans port d’attache. Fake se tire une balle dans le pied. Mais la basse fuzz vole au secours de «Kangaroo Court» et le radeau de la méduse reprend sa course, avec un Polak en figure de proue. Les pronostics les donnaient perdants et voilà que le radeau file à présent vingt nœuds. Il file droit sur l’horizon que scrute Piotr alors qu’un matelot affamé commence à lui dévorer un mollet. «Go Easy On Her» s’ouvre sur des arpèges magiques, une véritable invitation à l’Adorabilité des choses, mais ça peine un peu à jouir, même si Piotr bande ses muscles pour tenter de hisser ce boulet jusqu’au sommet.

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    Quelques années plus tard, le Polak monte Polak à Brighton avec son frangin Krzys et trois autres petits mecs du coin. Ils enregistrent deux album. Le premier s’appelle Swansongs et vaut le déplacement, sacrément le déplacement. Piotr ne traîne pas au coin du bois mais au coin du son, il est tout de suite présent. Mille fois plus présent que ne le sera jamais Nick Cave. Eh oui, c’est malheureux à dire, mais c’est la réalité. Piotr impose une ambiance, comme savent le faire Owen McCarty et Mark Lanegan. Pour lancer «Tracer», il ouvre la bras, venez mes amis, je chante pour vous. Il est très bon, peut-être même trop bon. Trop d’intégrité ? Il est aussi juste et profond que Mark Lanegan. Pas de demi-mesure, il chante à l’absolu du chant, il brûle en profondeur et quand les guitares arrivent, il fait monter la sauce, il racle son chant aux parois de l’abandon. Il enchaîne avec un autre cut faramineux, «Nobody’s Cowboy Song», amené au merveilleux hook de guitar slinging. Il entre dedans comme dans du beurre, c’est un spécialiste, un fabuleux groover, il sait de quoi il parle, c’est ouvert sur le ciel, complètement ouvert, my friend, I’ll stay alive my friend, avec de faux échos de «You Can’t Always Get What You Want», juste de faux échos, I’ll stay alive, c’est stupéfiant, et niaqué aux guitares. Très beaux restes d’Adorable. D’autres morceaux rappellent aussi Adorable, comme ce «Storm Coming» amené à la marée montante absolutiste, aw storm coming, comme son nom l’indique. Avec une voix pareille, Piotr Fijalkowski devrait être aussi célèbre que Bowie. Le fait qu’il soit resté à l’écart est incompréhensible. Encore de l’Adorabilité des choses avec «Impossible», ils rejouent la même carte, celle du Big Atmospherix adorable, un mix unique en Angleterre. C’est le romantisme byronien du XXe siècle, une pure merveille d’extension du domaine de la turlutte. Il va ensuite chercher la petite bête dans «Love In Reverse» avec une gonzesse nommée Ruth Calder. Elle est pas mal. Tous ces exercices ne sont pas simples, il faut savoir s’y prêter pour un rendu. Piotr va ensuite fracasser son «Shipwrecked» sur les récifs, il adore ça, c’est le vieux fonds de commerce Adorable, le cut perdu dans la nuit des temps immémoriaux. Ce mec sait ce qu’il fait, on le comprend bien, soft et léger, avec l’underground des trottoirs jonchés d’immondices à fleur de peau.

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    Le deuxième album de Polak sort deux ans plus tard et s’appelle Rubbernecking. Même chose qu’avec l’album précédent, on est tout simplement heureux de le croiser. Piotr Fijalkowski ne veut pas qu’on le réveille dans «Don’t Wake Me». C’est assez clair. Drug song ? Va-t-en savoir ! Et boom, voilà «Love Lies», il prend le taureau des Lies par les cornes, suivi par des guitares. Il redevient le temps d’un cut l’un des plus puissants seigneurs d’Angleterre. Power absolu ! Il descend sur la pop comme un aigle, ou mieux encore, comme un vampire, on le voit littéralement descendre dans le son. Terrifiante prestation ! On reste dans le génie polish avec «Joyrider» qu’il attaque au ras des pâquerettes pour l’émulser dans une abondance d’excellence, alors ça monte, comme au temps béni d’Adorable. Les cuts sont très physiques, ces montées et ces descentes ne sont pas monnaie courante, dans le monde rock. Les groupes on tendance à rester linéaires. Piotr Fijalkowski adore les reliefs. Il les génère. Il est par exemple bien plus climatix que Liam Gallag qui est pourtant un grand chanteur. Piotr fabrique de la clameur. Il est tellement à l’aise qu’il donne l’impression de se balader dans le son. Il chante son «Dumbstruck» au hanté demented, il relance avec une majesté sidérante, you’re my obsession, il éclate sa sortie comme une noix, toujours juste et puissant à la fois. Avec «Something Wrong», il rentre dans le lard du son, comme Peter Perrett, Piotr est un vieux renard, il colle au big heavy groove de something wrong. Il tourne tout, absolument tout, à son avantage. Il termine cet album somptueux avec un «Come Down» d’une rare proximité. Il s’y américanise un peu, à la Fred Neil, et quand il laisse tomber son come down, on pousse un oh d’admiration, car c’est extrêmement beau. Alors il fait entrer du son, mais du très gros son, avec un drive de basse énorme et ça submerge tout, le drive démolit tout, glou glou, on disparaît avec la cité d’Atlantide. Heavy as hell !

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    Et puis voilà, les années passent. Piotr Fijalkowski sombre dans l’oubli, alors il décide de simplifier son nom en Pete Fij et de s’acoquiner avec Terry Bickers, l’ex-House Of Love, pour enregistrer deux albums. Le premier paraît en 2014 et s’appelle Broken Heart Surgery. Bien sûr, ils n’ont pas de label. Cette fois, Piotr n’a plus que sa voix. Les compos ne sont pas vraiment au rendez-vous. Il va se lover au creux du giron en attendant que vienne l’inspiration. Mais cette garce se refuse à lui. On le voit chercher sa voie dans «Sound Of Love». Même s’il chante à la Piotr du pauvre, ça reste nettement supérieur à la moyenne. Mais pas de feu dans la plaine, pas de bombes sur la cathédrale. On sauvera «Breaking Up» pour son côté insidieux, bien orienté, bien rocky, I got run over, il sait doser sa rockitude, il attend patiemment que ça se réveille, le breaking up est bien claqué au riff, avec des coups d’harp en fin de parcours. Mais bon, les autres cuts restent au sol. Ce n’est pas l’album du siècle, on est bien d’accord.

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    Pete Fij et Terry Bickers enregistrent un deuxième album en 2017, We Are Millionaires. Ça reste du hot Fij avec le big guitar sound de Terry Bickers, une présence indéfectible, un son très anglais, on the verge of the edge, violonné à outrance («Love’s Going To Get You»), comme suspendu dans l’espace, ce mec pose sa voix et c’est tout de suite captivant («Waking Up»), il faut le voir swinguer son groove de deepy deep, il travaille sa magie vocale au crossroad puzzle («Marie Celeste»), bien vu, Pete le Polak, il tape bien sa rengaine - I don’t know much about you honey/ But I know you’re driving me mad - Toujours la même histoire. Et puis voilà le miracle tant espéré : le morceau titre, hanteur comme seul Pete Fij peut hanter, il nous enveloppe dans sa chaleur mélodique, il faut voir l’éclat du tombé de ton - If that melancholy that we share was common currency/ Then we’d be millionaires - Toxique au plus haut point, l’une des plus belles chansons qu’il soit donné d’entendre en langue anglaise. Rien que pour cet all the currency, on se damnerait pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Adorat d’égout

    Adorable. Against Perfection. Creation Records 1993

    Adorable. Fake. Creation Records 1994

    Polak. Swansongs. One Little Indian 2000

    Polak. Rubbernecking. One Little Indian 2002

    Pete Fij/ Terry Bickers. Broken Heart Surgery. Not On Label 2014

    Pete Fij/ Terry Bickers. We Are Millionaires. Broadcast Recordings 2017

    *

    J'avais vu l'annonce de l'édition américaine, pas de sitôt que l'on verra une telle monstruosité en France m'étais-je dit. Il faut savoir reconnaître ses torts. Le voici sur mon bureau. Un paquebot, un porte-avions, le genre de pavé monstrueux qui encombre les bibliothèques et embarrasse les heureux possesseurs. Apparemment le souhait de la famille... Quarante-cinq euros, je sais bien que la poésie n'a pas de prix, bonjour l'opération marketing ! Il est vrai que le livre propose un grand nombre d'inédits, surtout en France. De nombreuses pages blanches ou noires aussi. Beaucoup de blanc aussi autour des textes composés en petits caractère. Z'ont dû mal comprendre la boutade de Mallarmé comme quoi les blancs sur lesquels s'inscrivait le poème étaient plus importants que le texte... Z'auraient aussi pu réfléchir sur le désir de Morrison de publier An American Night sous forme d'une plaquette destinée à s'immiscer dans la poche arrière d'un jean... Cessons nos jérémiades, il est d'autres questions plus importantes...

    ANTHOLOGIE

    JIM MORRISON

    POEMES, CARNETS, RETRANSCRIPTIONS, PAROLES

    ( Massot / 2021 )

    Que les Doors aient été dans les années soixante un des groupes de rock les plus importants des Etats-Unis, que leur chanteur possédât une voix et une indéniable présence sur scène, le monde entier nous l'accordera. Affaire classée. Mais en plus d'être un chanteur exceptionnel Jim Morrison s'est voulu poëte. Sur ce point les avis divergent. Sûr que ses lyrics étaient de loin supérieurs à la plupart des autres groupes, de là à lui décerner le titre de poëte, ne serait-ce pas trop ? Il est étrange de constater qu'à une époque où la gloire du poëte n'est plus ce qu'elle a été durant les siècles précédents, l'on dénie à Morrison, le droit de revendiquer ce titre bien galvaudé. C'est qu'inconsciemment s'opère dans les esprits, une scandaleuse équivalence entre grand chanteur de rock et grand poëte. Apparemment c'est beaucoup trop, quasiment antidémocratique, qu'un seul et même individu ait été ainsi favorisé des Dieux. Reste à lire les textes.

    Un temps d'adaptation est nécessaire. Surtout pour les textes connus depuis de si nombreuses années. La nouvelle traduction de Carole Delporte, nous déporte un peu hors de nos habitudes. Mais l'on s'y fait. Avoir à sa disposition plusieurs translations de textes dont on baragouine la langue, malheureusement les subtilités nous échappent, ne saurait être un handicap. J'ai passé la soirée à lire in-extenso de la première à la dernière ligne ces 586 pages. Voici venu le temps de donner mes impressions.

    Première surprise, la masse d'inédits nous obligent à reconnaître que le Morrison Rocker, ne correspond pas tout à fait à l'écrivain. L'ensemble des écrits gomme l'aspect mythologique des lyrics du chanteur. Moins de lézards, moins de serpents. Moins d'implications personnelles dans les personnages des poèmes. Dans une interview Morrison récuse le sérieux d'un texte comme La Célébration. Il parle d'ironie. Nous croyons que le jeune homme, et davantage encore l'adulte, qu'il est en train de devenir mûri par les expériences accumulées en peu d'années, s'écarte d'une vision trop adolescente, inhérent à son statut de rebelle absolu.

    Cette vision mythologique correspond aussi à celle d'un élève doué qui s'est forgé une culture livresque. De même beaucoup de ses premiers textes sont une réflexion sur le cinéma. Bizarrement l'ancien étudiant en art cinématographique à l'Université de Los Angeles ne parle ni de film, ni de technique. Le cinéma l'intéresse en tant que regard et vision. Pas celle du spectateur qui regarde des films. Du cinéma il passe d'ailleurs à un moyen de communication, spécifiquement américain, de diffusion des images : la télévision. Morrison évite la tarte à la crème de la critique de la médiocrité des émissions de télé. Ne s'intéresse pas davantage aux attitudes des téléspectateurs scotchés devant l'écran. Le problème n'est pas de regarder la télé pour la simple et bonne raison que c'est la télé qui vous regarde. Evitons les fausses interprétations. Morrison ne se lance pas dans une diatribe contre Big Brother. Il ne développe en rien la critique politique de l'éducation manipulatoire et de la surveillance des masses anonymes par un pouvoir oppressif.

    Inutile de vous précipiter dans votre salle de bain pour retoucher votre coiffure, la télé ne vous regarde pas. Elle regarde autre chose. La réalité. Si cela vous paraît incongru, vous allez avoir du mal à comprendre la démarche poétique de Morrison. C'est que bientôt il ne parle plus de télévision. Il n'a pas éteint l'appareil. Il a pris sa place. Ou plutôt sa poésie se chargera de cette occupation. Elle enregistre le réel qui se présente à elle.

    Une constance dans la poésie de Morrison, tantôt il évoque la chaleur, tantôt le froid. C'est qu'il ne jette pas un regard désabusé, neutre et glacé sur le spectacle du monde. De même, malgré un tel parti-pris sa poésie n'est ni réaliste, ni matérialiste. Elle ne dénombre pas le réel, elle ne revendique aucune vision philosophique du monde. Elle n'est pas non plus une poésie à hauteur d'homme. Très peu peuplée. De temps en temps un tueur solitaire – pas vraiment un bienfaiteur de l'humanité - et des filles ( beaucoup ) désirantes et désirables. Deux adjectifs que l'on remplacera par le mot sexe. La poésie de Morrison est animale. Il nous rappelle que nous sommes une espèce animale, ni pire ni meilleure que les serpents et les chiens... Nous sommes dans le regard que la poésie pose sur nous. Rien de plus. Rien de moins.

    Pourtant ce n'est pas une poésie impersonnelle. Loin de là. Il est indéniable que les poèmes portent en eux l'empreinte morrisonienne. Reconnaissable à première lecture. De quoi parle-t-elle au juste. De rien. Elle évoque non pas tout mais une certaine totalité. Celle de l'Amérique. Il l'annonce clairement dans les titres, An American Prayer, American Night Journal. L'Amérique de son temps, mais pas ''son'' Amérique. Aucun jugement moral ou de préférence affective. L'époque le voulait, certains poèmes évoquent le Vietnam, pas de condamnation de la violence, juste la violence. Morrison n'est pas Joan Baez. Il ne défend pas une cause, si juste serait-elle, il n'envoie aucun message, il montre.

    L'Amérique qu'il nous montre, ou plutôt l'Amérique qui nous regarde, est monstrueuse. Pas parce qu'elle est l'Amérique, parce qu'elle ressemble à nos pulsions humaines. En quoi le désir d'un assassin, un désir de mort, serait-il plus condamnable qu'un désir de vie – Morrison emploie rarement le mot amour – tous deux sont des désirs. Point à la ligne. Serait-il né en France je crains que la réalité française ne lui soit point apparue moins noire que la nuit américaine... Cette poésie sans illusion mais aussi sans mépris sur les hommes et les femmes touche à l'universel.

    L'on connaît le destin de Morrison. La plupart de ses écrits sont restés confinés dans des carnets. Cette Anthologie nous dévoile leur aspect extérieur, certainement moins anecdotiques des photographies présentent quelques poèmes traduits dans le volume. L'accès au texte original est un plus, mais nous emmène à quelques commentaires. Les poèmes de Morrison sont écrits en vers libres, disposés en strophes qui peuvent atteindre jusqu'à une quarantaine de vers. Le plus souvent beaucoup moins. Morrison prenait des notes. Des notes poétiques serait-on tenté de dire. Il n'a pas eu le temps de trier, d'arranger et de mettre en forme. La famille, quelques amis, et l'éditeur se sont chargés de cette tâche. Il est un point qui arrache la vue. La grosse écriture de Jim occupe l'ensemble de la surface d'une page. Quand on compare aux transcriptions typographiques de cette édition, il nous vient à l'idée qu'une dimension s'est perdue. L'on ne se gênera pas pour nous faire remarquer que les recueils édités de son vivant par Morrison se sont contentés d'une présentation à peu près similaire. Certainement. Je pense toutefois que dégagé de son métier de chanteur Morrison aurait apporté un plus grand soin à la mise en page de ses livres. L'œil lit, mais il voit aussi.

    Nous sommes de ceux qui pensons que Morrison n'est pas un poétereau de treizième zone, sans doute convient-il de le comparer à ses aînés. Dans les années soixante-dix, à l'écoute et à la traduction des lyrics des disques des Doors, je l'avais intuitivement rapproché de Shelley. Qui a le tort, si j'ose dire, d'être anglais. Je fais l'impasse sur la Beat Generation, il me semble que Morrison vient culturellement d'ailleurs, ceci serait à débattre. Réfléchissant ce matin à ma lecture de la veille, un nom s'est imposé dans ma réflexion, je n'y pensais pas, l'est venu je ne sais comment à mon esprit. Difficile d'établir une relation entre deux individus, deux biographies, et deux conditions d'écriture si dissemblables. Je pense à la recluse, à Emily Dickinson, qui n'est pour ainsi dire jamais sortie de sa maison, mais une même façon d'appréhender la totalité du réel au travers de leurs courts poèmes.

    Damie Chad.

    P. S. : Les paroles des textes des chansons ne sont pas traduites. Le manque d'un minimum d'apparat critique se fait sentir.

     

     

    GREY AURA

    ( Onism Productions / Mai 2021 )

    Comment, fût-il néerlandais, et se nommant Aura Grise - peut-être la traduction Âme grise serait-elle plus juste et plus respectueuse de l'idée véhiculée par une telle nomenclature – un groupe peut-il affubler la pochette de son deuxième album d'un tel tintamarre de couleurs ! C'est une longue histoire. Zwart Vierkant est le titre de ce deuxième opus, nous n'évoquerons point dans cette chronique leur premier disque que nous réservons pour une prochaine livraison.

    Le mystère sera en partie résolu lorsque nous aurons révélé que le titre de l'album raconte l'histoire d'un peintre nommé Zwart Vierkant. Si vous ne connaissez pas le néerlandais sa proximité avec la langue allemande vous incitera à rapprocher Zwart de Schwarz, le simple fait qu'un peintre arbore le drapeau noir d'un tel prénom symbolique s'éclairera si vous soumettez son patronyme au premier transcripteur venu, vous apprendrez que Vierkant signifie Carré.

    Le Carré Noir est le tableau le plus célèbre de Casimir Malevitch ( 1879 – 1935 ). Il ne voulait pas dire que la peinture était parvenue au bout de son cheminement, qu'il était désormais impossible pour un peintre conscient des limites de son art de peindre comme ses prédécesseurs. Au contraire, il escomptait marquer un nouveau début, la peinture devant se contenter de formes géométriques simples et de couleurs primaires, du blanc et du noir. Ce parti-pris pour empêcher que le peintre et le spectateur ne soient point distraits par un sujet choisi. Devant une scène de chasse, les chiens, les chevaux, les cavaliers, le renard, l'herbe, les arbres monopolisent et dispersent votre attention, vous oubliez que ce qu'il faut voir c'est la peinture et non le sujet de sa représentation...

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    Cet art nouveau, au début du vingtième siècle, Malevitch l'appela le suprématisme. Le suprématisme irrigue encore la production d'artistes modernes. Un tour sur l'instagram de Sarija Marusic, elle est l'auteur de la pochette, s'impose. Photographe, elle agrémente ses photos de couleurs violentes qui vous arrachent les yeux. Les personnes mises en scène, souvent en des poses peu communes, en sont d'autant plus visibles, qu'elles ne sont plus que des éléments du tableau au même titre que les couleurs, ce traitement de réduction graphique inaccoutumé les font davantage ressortir. La couve de l'album en est un parfait exemple. Après l'écoute du disque nous reviendrons sur la signification à donner à cette image, ce qui est une hérésie, puisque selon les canons du suprématisme, elle ne devrait signifier que le fait d'être une image.

    TJEBBE BROEK : guitar, percussion, bruitage, synthesizer, Spanish guitar / RUBEN WIJLJACKER : vocals, lyrics, guitar, percussion, foley, synthesizer, mixing / BAS VAN DER PERK : drums, percussion / SYLWIN CORNIELJE : bass

    GLEEN COENEN & INEKE NOORDHUIZEN : voice acting / ALBERTO PEREZ JURADO : trombone, trompette / HAENEL ENGEL : castagnettes / JOOST VERVOORT : vocal sur dernier titre.

    Nous avons opté pour la traduction des titres néerlandais. Ils peuvent ainsi aider à une appropriation de l'œuvre. Qui n'est pas facile. Elle est inspirée par un roman de Ruben Wijlacker qui l'a lui-même adapté à la différence près que son écriture a fait partie du processus de création de l'album. Le disque ne raconte pas à proprement dire le parcours de Zwart Vierkant fasciné au début de ce siècle par le suprématisme russe et les travaux tant pratiques que théoriques de Kandisky père de l'art abstrait. Chaque morceau est état un d'âme du peintre lors de son voyage initiatique en Europe. Peint de l'intérieur. Peu de détails explicites, l'ensemble est à interpréter, à écouter, à méditer, texte et musique, comme si vous découvriez à chaque fois le nouveau tableau d'une exposition que vous seriez en train de visiter.

    Mais ce n'est pas tout. Le groupe a travaillé pendant plus de six ans pour la production de l'œuvre. Il s'agit d'un projet ambitieux. Qui serait à mettre en relation avec Le Chef d'œuvre absolu d' Honoré de Balzac. L'histoire de Frenhofer qui finira par brûler toute son œuvre après avoir achevé son chef -d'œuvre. Cette histoire de destruction est au centre de la création de Zwart Vierkant. S'il arrive à réaliser un tableau totalement abstrait la réalité concrète du monde s'auto-détruira. Mallarmé a caressé de telles rêveries, la création du Livre exprimant totalement le Monde, induirait la disparition du Monde désormais inutile. Le lecteur retrouvera ici une application du principe de réversibilité que nous avons exposé dans notre chronique de Moonchild d'Aleister Crowley ( voir livraison 537 ). Grey Aura se revendique explicitement du modernisme, du décadentisme et de notre littérature fin de siècle. Ils se considèrent comme un groupe de Black Metal, qui leur semble le vecteur musical le mieux approprié pour s'aventurer dans toutes les hybridations intellectuelles et artistiques les plus novatrices. Ces sentes obscures sont en effet les plus créatrices.

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    Maria Ségovie : deux roulements fuyants de tambours, indice d'une tambourinade épileptique, signe d'un léger décrochage avec la réalité, comme une photo que vous tenez dans la main et dont l'image glisserait légèrement en dehors du cadre, vocal crépusculaire qui très vite confine à la folie, musique violente, comme ces couchers d'herbes hautes sous le vent de violons que l'on rencontre dans les symphonies, mais ici électriques, la voix légèrement dédoublée, maintenant précipitée, Zwart Viertkand, notre carré noir ne tourne pas rond, la peinture se confond avec la réalité, ce portrait de vierge est-ce un tableau véritable aperçu dans un musée ou une hallucination colportée sur les murs de la réalité, le sang de la vierge doit-il couler, meurtre nuptial ou phantasmatique, ambiance lourde et angoissée. Plongée au cœur du drame. Une guitare espagnole balaie les remugles de ses pensées. Volutes de fumée, bouteille : reprise de batterie que l'on pourrait imaginer pour accompagner la scène d'un film de la charge de Ney sur les batteries anglaises de Waterloo, hurlements de folie, pas douce du tout, des guitares comme un incendie de tourbières rases qui fument, douceur maintenant, l'artiste se calme, l'alcool, la drogue peut-être, ou l'abattement devant la tâche inaccomplie, la toile qui n'aboutit pas  se voile et devient voile sur la mer déchaînée de l'anabase de la folie. La traînée de mauve du désastre : la tragédie ne tarde pas à envahir son esprit, il crie, il s'exalte, il tient le bon bout du pinceau et de la folle du logis, il pense galoper vers la victoire, mais cette trainée mauve sur le tableau devient la preuve de son échec, il se mure dans la tour d'ivoire de son incapacité, la batterie s'écroule, les guitares se sont muées en vol de corbeaux au-dessus de champs de blé de Van Gogh à l'horizon, des chœurs transgéniques le transportent dans son rêve, la chair et le sang, toute femme n'est qu'une figure de la mort qui s'avance sur la mer, portée par des ailes de séraphins. El Greco en Tolède : nous ne sommes pas sortis de l'auberge de la folie, Zwart Vierkant crie comme un reître, il est dans le musée entouré des toiles del Greco, il rugit, il comprend, il accède aux arcanes finales de l'Art, son âme tinte comme une cloche fêlée, une fissure par laquelle s'engouffre la folie de la chair et du sang criminel, signe que le Monde sera enfin brisé, Elle est là, tous deux vont jouer les scènes torrides de la femme et le pantin de Pierre Louÿs, il cède à la sirène maléfique, c'est ainsi qu'il vivra sa saison en enfer, c'est ainsi qu'il recevra l'illumination créatrice. Et destructrice. Chant nuptial, le fiancé se dirige vers l'autel, un couteau, un pinceau, ou un pénis à la main. Paris est un portail : grandiloquence battériale, ahanements, Paris capitale des arts, chacune de ses nuits repeuplait les morts des batailles de Napoléon, chants d'ivrogne et de triomphe, rupture cette guitare qui swingue, une étymologie du mot jazz ne nous dit-elle pas que dans une langue africaine ce mot signifie l'acte sexuel, longs plaidoyers guitariques, est-ce ici que la perpétuation du geste signifie la maîtrise de l'œuvre et du monde. Paris est-elle la cité de la puissance ou de l'illusion. L'entrée du dédale dans lequel on se perdra. La séduction indescriptible de la vertu s'efface : roulements de tambours pour la charge de l'infanterie, vociférations, les réveils du petit matin, instants pathétiques, n'aurait-on libéré le kaos uniquement en soi, le monde extérieur ressemble-t-il à un corps froid sur lequel on n'a plus aucune prise, se moque-t-il de nous, marche-t-on vers le désastre de l'échec. Grandeur et décadence de l'empire que l'on a sur soi-même et sur les choses. Serait-on une fiole de folie brisée sur les rochers de la réalité. A moins que la fissure ne se fendille devant nous. Bouche d'ombre gracieuse : reprise effrénée mais que l'on pourrait aussi interpréter comme une pastorale ironique, la fissure correspondrait-elle au sexe de la femme, une voix mélodramatique pour signifier que toute gorge d'orgie est aussi une entrée des Enfers, la violence se fait douce, lit-on un poème ou un avertissement, interrompu par le cri de celui qui tombe, une diction tel un souffle sur une bouche et les cris d'exaspération de celui qui s'aperçoit que nul frémissement ne répond à sa frénésie, guitares à fond, bouleversements, entassements, la taupe qui progresse dans son terrier rejette la terre dans le monde extérieur, soulèvement de haines, extirpation de colères, elle n'était rien qu'une incarnation idéelle, la mer du monde se retire. Que reste-t-il ? Où sommes-nous? Quelle place pour l'artiste ?

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    La batterie tempétueuse cascade et écume sur les récifs du récit déchiré. Dans un quatuor elle tiendrait le rôle du premier violon accroché à la barre du naufrage. Les cordes en bruit de fond, le souffle des vents multiples baignés d'embruns qui vous précipitent du bord de la falaise dans le maelström sonore, la voix agitée en tous diapasons à la manière des haillons d'une voile qui claquent désespérément au vent.

    Un deuxième opus est en préparation. Nous attendons cette suite destructrice avec impatience. Une œuvre de longue patience. Certains kr'tntreaders s'étonneront des couleurs si pimpantes de la couverture si flashy pour un disque si sombre. C'est oublier que la violence est partout, qu'elle est intimement mêlée à la vie, un peu à l'image de ses gros rocheux laineux du paysage d'aspect si pelucheux, si inoffensifs qu'ils ont l'apparence confortable de ces poufs dans lesquels on s'assoit en toute voluptueuse quiétude, qui vous absorbent à tout jamais pour vous couper de l'attrait de toute action, un peu à la manière de l'étreinte de ces amants cannibales entremêlés qui s'entredévorent dont il ne reste quelques membres épars.

    Damie Chad.

     

    *

    Serait-ce un hasard ? Le monde serait-il plus petit qu'on ne le croit. Hier soir je me livrais à une autre de mes passions coupables, pas le rock 'n'roll donc, mais la poésie du dix-neuvième siècle, réécoutant sur You Tube une conférence de Quentin Meillassoux sur Le coup de dés de Mallarmé. Par acquis de conscience, la vidéo terminée, je m'autorise un petit net-surfin sur les livres de Quentin Meillassoux édités. A force de chercher l'on trouve. Tiens, Quentin Meillassoux est censé avoir écrit des notes de pochettes sur un CD de Florian Hecker. Nous voici à l'endroit précis où les Athéniens s'atteignirent. Je connais Stéphan Eicher mais pas Florian Hecker. Je tape le nom heckerien sur mon clavier et apparaissent une kyrielle d'occurrences, l'a apparemment enregistré davantage de disques que vous n'avez perdu de dents de lait, et plonk mon œil de rocker exercé repère deux références de sites connus, les deux mamelles nourricières indispensables à la survie du rocker en détresse, Bandcamp et Discogs. Je cours sur le premier, une dizaine de pochettes, mais les notes n'indiquent aucune mention de Quentin Meillassoux. Déçu mais pas vaincu. Je me précipite sur Discogs, notre gazier a au moins enregistré une vingtaine de disques et Cds notamment celui qui m'intéresse, Speculative Solutions. Et là je tique, y a un truc qui tilte dans ma tête, la maison de disques, Edition Mego.

    Ne mégotons pas sur les rouages du cerveau, mais oui, je vérifie, c'est là qu'ont été édités Luciferis et aussi Nona, decima et morta de Golem Mécaniques, chroniqués la semaine dernière dans notre livraison 538. Nous voici presque en terre connue.

    SPECULATIVE SOLUTION

    FLORIAN HECKER

    ( Editions Mego / Urbasonic / 2011 )

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    I : Le livret :

    L'objet se présente sous forme d'un coffret ne contenant qu'un seul CD et d'un livret de cent soixante pages présentant trois textes, version en français, version en anglais, de Robin Mackay, d'Elie Ayache, de Quentin Meillassoux. Trois textes qui demandent attention et qui risquent de surprendre le kr'tntreader habitué à des réflexions sur tout autre genre de sujet, comme par exemple le rock 'n' roll. Nos trois auteurs sont des philosophes. Leurs œuvres, selon des déploiements très particuliers, recoupent un thème commun : celui de l'influence du hasard sur l'ordre et le désordre des choses.

    Ainsi dans Ceci est ceci Robin Mackay étudie le rapport existant entre l'Histoire et les Idées, comment la pensée humaine, soumis à sa logique rationnelle, se modifie-t-elle devant les accidents de l'Histoire. Il n'existerait donc pas de pensée pure, entendons purement humaine, puisque pour répondre à la logique des évènements contingents la pensée doit afin de les penser se résoudre à opérer des modifications de ses propres schèmes de production logique. Au mieux la pensée humaine ne peut que louvoyer entre les propositions extérieures du hasard.

    Dans Le Futur réel Elie Ayache nous rappelle que nous ne pouvons prévoir ou imaginer le futur qu'à partir de nos connaissances actuelles. Qui elles-mêmes ne sont pas fiables. Bref nous ne pouvons définir au mieux que des possibilités improbables du futur. Notre pensée de tout événement ( qu'il soit du passé, du présent, ou du futur ) se présente sous la forme d'une chaîne déductive probabiliste. Pour faire simple, nous ne maîtrisons pas grand-chose du monde, car notre seul et insuffisant organe de sa préemption, autrement dit la pensée, n'est sûre de rien.

    Métaphysiques et fiction des modes hors-science de Quentin Meillassoux est une méditation à partir de La boule de billard nouvelle d'Isaac Asimov. Il s'agit pour lui de démontrer qu'il existe deux types de livres de Science-fiction, ceux qui extrapolent à partir des données scientifiques de leur temps ( exemple tout bête, le Nautilius de Jules Verne paru en 1869 s'inspire des différentes expérimentations sous-marinières depuis l'Antiquité et la guerre de Sécession qui finit en 1865 ). Mais il existe des auteurs qui s'affranchissent de toute l'armature scientifique de leur époque pour créer des univers qui échappent à toutes les lois scientifiques, notamment de celles qui régissent nos compréhensions du temps et de l'espace ( voir Ravages de Barjavel roman dans lequel les pôles de l'électricité s'inversent ). Que veut dire Meillassoux, que si l'arrivée des choses s'inscrit dans l'ordre du possible, il est possible qu'il en survienne dans le désordre de l'impossible.

    Le coffret est agrémenté de cinq petites boules de métal, vous pouvez les considérer comme le jeu des perles de verres de Hermann Hesse, le jeu de dés de Stéphane Mallarmé, les atomes épicuriens qui n'attendent que votre intervention clinaménique pour former ( ou déformer ) un monde.

    II : Le disque :

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    Peut-être avant de vous précipiter ( à pas lents ) sur les deux seules vidéos relatives aux quatre pistes du CD visibles sur You tube, serait-il bon que vous fassiez l'effort d'imaginer la musique qui pourrait correspondre aux textes si hâtivement résumés du livret. Si par exemple vous êtes fan de Heavy Metal ou des opéras de Wagner vous serait-il nécessaire d'effectuer une réduction de l'amplification sonore de vos souhaits...

    Speculative Solution 1 : l'audition est impossible. Profitons de ce répit pour spéculer sur les titres identiques des trois premiers morceaux. Spéculation indique que cette musique est une espèce d'œuvre in progress, en le sens qu'elle n'est qu'une hypothèse, qu'une probabilité de ce qui pourrait être. Pas du tout une outake préférée ou écartée, une proposition. Les chiffres qui suivent sous-entendent non pas la précarité d'une telle proposition mais le fait que l'on est face à une problématique complexe qui nécessite plusieurs essais. Mais au fait sur quoi, de quoi, spécule-t-on, du déploiement d'une musique qui réduirait les interventions du hasard à presque rien, peut-être à zéro, mais ce serait-là atteindre à l'absolu. Speculative Solution 2 : deuxième spéculation, avec en plus cette interrogation : le CD nous en propose deux, sont-ce les mêmes ou deux versions différentes, You Tube ne nous en propose qu'une seule sans plus de spécification, Hecker veut-il insister sur le retour du même, une manière de nier le hasard ou de l'affirmer car même si c'est le même qui revient l'auditeur l'entendra-t-il de la même manière, en dehors de tout affect ( contentement, ennui, impatience... ), le seul fait de l'écouter deux fois de suite, n'induira-t-il pas une manière différente d'appréhender et d'analyser le morceau, ne serait-ce pas un tour du musicien pour que le hasard différentiel révélé dans l'audition ne soit que le fait de l'auditeur, ce qui permettrait au compositeur de se prévaloir de la fierté d'avoir éjecté le hasard de son œuvre. Pauvres auditeurs désormais porteurs de la patate chaude et hasardeuse. Speculative Solution 2 : je vous conseille d'écouter la vidéo sans regarder les images superfétatoires qui l'agrémentent. Prises de nuit, depuis la vitre d'un wagon d'un train en mouvement, elles n'apportent rien, elles donnent surtout l'impression qu'on les a mises là pour meubler l'écoute et tempérer la déceptions des spectateurs. C'est sûr que l'on n'en prend pas plein les oreilles. Un petit bruit. Pas grand-chose, un clapotis, comme quelqu'un qui mâcherait son chewing gum à vos côtés, un rythme sempiternel – cela dure moins de trois minutes – une espèce de chuintement aléatoire vers la fin, c'est tout. Minimalisme sonore. Serait-ce une stratégie pour éliminer au maximum les incidences de toute surprise extérieure. Il est certain que vous avez moins de chance de ne pas subir le désagrément de vous faire écraser en traversant une autoroute en restant assis dans votre fauteuil. Esthétiquement je vous accorde que ce n'est pas très esthétique. Mais la beauté qui vous assaille provient évidemment des contingences extérieures. Octave Chronics : pour ceux qui ont difficilement supporte la solution 2, la direction vous avertit que celle-ci dure dix-neuf minutes et dégage toute sa responsabilité. Ça ressemble à quoi ? Un petit bruit électronique, un peu comme si vous choisissiez les deux touches du piano les plus aigües et que vous vous obstiniez à y appuyer dessus, l'une après l'autre, sans arrêt. Certes il y a des coupures, de très très légères brisures, mais ça reprend, un tout petit peu différemment, au bout de cinq minutes cela devient presque imperceptible mais ça repart style klaxon de voiture que vous entendez depuis le trente-deuxième étage, ensuite cela vous prend de faux airs de ritournelles, ça ressemble à un gamin qui vous tire la langue, l'on dirait que sur le clavier électronique le musicos est fatigué, appuie en deux temps mais trois mouvements, celui du milieu étant le plus silencieux, un bruit de gamelle en matière plastique que le chien racle deux fois sur le linoleum, et plouf, de minuscules gouttes d'eau qui tombent de partout, l'on dirait qu'elles se prennent pour Jean-Sébastien Bach, toccata en mineur pour fugue dans l'inaudible cristallin, précipitation extrême, mine de rien, il s'en passe des choses dans ce morceau, la musique se précipite-t-elle pour empêcher toute intrusion extérieure dans son champ d'émission fréquenciel, un peu comme quand vous bourrez votre théière de billets de 500 euros pour interdire à la moindre goutte d'eau d'y pénétrer, l'on peut parler de frénésie extrême, vous attendez que ça casse et ça passe un octave au-dessous en plus grave ce qui ne l'empêche pas de reprendre sa fuite vagabonde de truite de Schubert, l'on monte, l'on monte, l'on se dit que plus dure sera la chute, l'on aimerait savoir comment cette affaire se terminera, n'y aurait-il pas un certain désordre dans toutes ses notes qui se marchent sur la queue, ce n'est qu'une apparence, toutefois ça tangue un peu et l'on monte encore et le tout s'arrête sur deux coups étouffés et une espèce de souffle en expiration. Cette fois, c'est la stratégie inversée de la précédente, le morceau n'est pas refermé comme un œuf dans lequel il est impossible d'entrer, toutes les subtiles variations qui éclosent tour à tour n'ont d'autres but que de monopoliser votre attention. Les portes sont ouvertes en grand, le hasard et le destin du monde peuvent venir le squatter, vous ne les apercevez pas, tellement vous songez à suivre cette musique et son trottinement menu de souris, vous n'entendez guère, plus rien n'existe autour de vous, l'univers chaotique a disparu, tout est réduit à sa plus simple expression, cette musique que vous ne quittez pas de vos deux oreilles et de tout votre corps. N'y a pas plus de hasard que de lézard dans l'horloge du temps aboli. Ce n'est rien, mais un rien qui se fait entendre.

    Livret et CD sont indissociables. Ici la musique a repris son bien aux mots. Hecker apporte ses solutions. Dans la 2, veut-il nous signifier que les mots de la philosophie produisent un bruit de fond pas très profond dans l'univers. Dans ses chroniques d'octave s'amuse-t-il a rajouter des notes et encore des notes pour singer ces diarrhées de mots qui coulent sans fin des porte-plumes philosophiques...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 16

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    LE PLAN ALPHA' ( 1 )

    Je ne vous cache pas qu'après les déductions du Chef nous restâmes un long moment abasourdis. Même les queues de Molossa et de Molossito adoptèrent la forme d'un point d'interrogation. Les esprits battaient la campagne, chacun essayait de mettre de l'ordre dans ses pensées. Le Chef en profita pour allumer un Coronado. Il soupira devant nos mines atterrées et reprit parole :

    _ La balle est dans notre camp. Il est indéniable que Neil cherchait non pas à nous contacter, mais à nous prévenir, de quoi nous ne savons pas, c'est à nous de le trouver. Auriez-vous une idée ?

    Seul le silence lui répondit. Nous regardions le bout de nos pieds, espérant que le Chef ne s'adresserait pas nommément à l'un de nous, mais non, un sourire effleura ses livres :

    _ Vous n'êtes vraiment pas très malins, s'il a cherché à nous avertir, c'est que lui-même ( le Chef aspira une longue bouffée de son Coronado, qu'il exhala très vite, formant une traînée odorante aussi longue que ces chemtrails que relâchent les Boeings dans le ciel azuréen ) n'avait pas pu entrer en contact avec une autre personne et qu'il pensait qu'en tant que Services Secrets du Rock 'n' Roll nous étions ceux qu'ils jugeaient le plus à même d'accomplir cette tâche délicate !

    _ Vous sous-entendez hasarda timidement Noémie qu'il voulait que nous le présentions au président par interim de l'Elysée !

    _ Surtout pas lui ! Sans quoi l'Intelligence Service aurait prévenu les plus hautes autorités de sa présence sur le territoire national. C'est parce qu'il opérait en secret qu'ayant été repéré il a été abattu par la police...

    _ Mais alors qui, moi peut-être ! les dernières paroles du Chef avaient manifestement perturbé Noémie, pourquoi pas Molossito après tout tant qu'on y est!

    _ Enfin une parole sensée, Noémie je vous félicite, votre intelligence progresse depuis que vous êtes entrée au SSR, vous brûlez ! Vous pouvez remercier Molossito !

    _ Ouah ! Ouah !

    Molossa jeta un coup d'œil admiratif sur son fils adoptif, leurs queues maintenant se dressaient toute droites en points d'exclamation. Je commençais à entrevoir l'aléatoire vérité.

    _ Chef personnellement j'opterais plutôt sur Rouky, toutefois je pense qu'il s'agit de...

    Les deux chiens grognèrent sourdement.

    - Agent Chad, ces deux bêtes sont trop intelligentes pour manifester leur mécontentement sans motif, allez voir ce qu'il se passe ! Sans bruit et discrètement.

    AU DEHORS

    Le jardin était vide. Je m'y attendais. Je collais l'oreille contre la porte d'accès. Aucun bruit. Je l'entrouvris et me glissai dans l'obscur couloir jusqu'à la grille. Personne. Il ne me restait plus qu'à parcourir le corridor jusqu'à la porte extérieure. Ce que je fis à grandes enjambées silencieuses. Ne me restait plus qu'à sortir dans la rue. Quitte ou double. Ce fut deux fois double. Du bruit dans l'escalier de l'immeuble. L'on parlait à mi-voix, je me retournais un couple s'avançait vers moi. Des illégitimes qui sortaient d'un rendez-vous d'amour. J'attendis qu'il se rapprochât. Ils s'embrassaient, j'ouvris la porte :

    _Je vous en prie Monsieur-Dame !

    _ Oh merci, c'est gentil ! Ce qui serait parfait c'est que si par hasard le mari de Madame nous attendait pas très loin, vous jouiez le rôle d'un ami qui leur a offert un verre chez lui !

    _ Je n'y manquerais pas !

    Je les accompagnais jusqu'au bout de la rue, aucun conjoint jaloux ne les attendait... Quelques minutes plus tard je revenais par le trottoir opposé, tête baissée, téléphone au bout de l'oreille, réglée sur la fréquence de la police. Je passais devant la camionnette d'entreprise, que j'avais repérée, pas d'erreur c'était un sous-marin de la police :

    _ Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, le gigolo qui accompagnait le couple de tout-à-l'heure revient vers la maison de passe... non il n'est pas accompagné, avec sa gueule d'obsédé sexuel, ce doit être un adepte de triolisme, une bonne âme qui propose ses services aux couples en mal d'exotisme... non il s'éloigne, je me demande comment il touche pour sa prestation, plus que ce que je gagne dans un mois, je devrais songer à me recycler...

    Pas question de rentrer à l'abri. Une idée commençait à trotter dans ma tête bien faite et bien pleine comme les aimait Rabelais. Je m'installai dans un bar, commandai une bouteille de bourbon et attendis la suite des évènements.

    LE PLAN ALPHA' ( 2 )

    Ne croyez que pendant ce temps les autre étaient restés sans rien faire. Le Chef avait repris et terminé ma phrase que le grognement des cabotos avait interrompue si abruptement :

    _ Oui, le Chef tapota son Coronado pour précipiter la chute de la cendre, la personne que Neil Young cherchait à contacter, ce n'était pas l'un de nous, c'était :

    Il s'arrêta pour parfaire le suspense

    _ Vous l'avez deviné... Charlie Watts !

    Il y eut un grand chahut, ce n'était pas possible, Charlie venait assister à ses concerts sous la Tour Eiffel, il ne lui avait pas même adressé la parole...

    _ Complètement invraisemblable, totalement illogique, je vous l'accorde, mais qui d'autre aurions-nous pu contacter dans cette histoire, avez-vous quelqu'un d'autre à proposer ? Je suis prêt à examiner toutes les propositions...

    Il n'y en eut pas...

    _ Ne perdons pas davantage de temps. Je sens qu'il nous faut renforcer le plan Alpha, désormais nous entamons le plan Alpha qui devient Alpha' prime. Ecoutez voici les nouvelles modalités d'action...

    Instinctivement les têtes se rapprochèrent. Hélas le Chef parla si bas que je ne peux rapporter que les derniers mots qui furent prononcés : vous avez trente minutes pour vous préparer, Action !

    COULEUR TURQUOISE

    _ Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, c'est urgent, vous nous avez parlé d'une maison de passe discrète, mais c'est le boxon total dans ce foutu bordel !

    _ Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1 : vous avez besoin de renforts immédiats ?

    _ Ah, non surtout pas, ça crie, ça hurle, ça chante, ça fait du bruit, toutes les fenêtres sont allumées, un potin de tous les diables dans les escaliers !

    _ Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1, que l'un de vous descende discrètement de la camionnette et aille voir de quoi il s'agit au juste !

    _ Pas la peine, ils sortent, holà c'est la carnaval de Rio, y en a qui sont à moitié à poil et d'autres déguisés en n'importe quoi, sont au moins une soixantaine, ils chantent, ils dansent, ils crient, ils rient, ils tapent sur des casseroles, pour des rendez-vous discrets ils sont loin du compte ! En plus doit y avoir des zoophiles dans ce binz, y'a au moins quatre ou cinq chiens qui aboient comme des sauvages. Maintenant ils remontent la rue tous en groupe.

      • Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1, suivez-les, roulez derrière eux, ne les quittez pas des yeux !

      • Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, ils se sont tous engouffrés dans une bouche de métro, le temps de descendre du véhicule, ils se sont engouffrés dans une rame qui a démarré sous nos yeux.

      • Arrêtez tout et rentrez au bercail, inutile de perdre notre temps, c'était une opération de nettoyage, ils ont eu le temps d'enlever ce que nous cherchions.

    RETOUR A L'ABRI

    Ils m'avaient rejoint au café. Nous repartîmes à l'abri. Le Chef nous ouvrit la porte. Il souriait. Nous avons ce que nous voulons, la situation s'éclaircit !

    A suivre...