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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 53

  • CHRONIQUES DE POURPRE 510 : KR'TNT ! 510 : WALTER LURE / CAPTAIN SENSIBLE / FONTAINES D. C. / EDDIE COCHRAN + GENE VINCENT / ROCKAMBOLESQUES XXXIII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    ,walter lure, captain sensible, fontaines d. c. , eddie cochran + gene vincent, rockambolesques 33,

    LIVRAISON 510

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    13 / 05 / 2021

     

    WALTER LURE / CAPTAIN SENSIBLE  

    FONTAINES D.C.

    EDDIE COCHRAN + GENE VINCENT

    ROCKAMBOLESQUES XXXIII

     

    Lure a de l’allure - Part Two

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    Les fans des Heartbreakers ont une sacrée veine : après le Nina Book (In Cold Blood) et le Weiss book (Stranded in the Jungle: Jerry Nolan’s Wild Ride - A Tale Of Drugs, Fashion, The New York Dolls, And Punk Rock), voici le Walter book : To Hell And Back. My Life in Johnny Thunders’ Heartbreakers. Le timing ne pouvait pas être plus parfait : Walter Lure fit paraître son autobio juste avant de casser sa pipe en bois. L’étonnant de cette histoire est que le premier tirage fut vite épuisé et donc il fallut attendre un retirage pour pouvoir le rapatrier. Ça montre bien que les Heartbreakers restent d’actualité, même s’ils sont maintenant tous morts, comme le sont les Ramones.

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    Qu’ils n’aient enregistré qu’un seul album est sans doute ce qu’on apprécie le plus chez les mighty Heartbreakers. Un one shot, privilège qu’ils partagent avec les Pistols. Deux albums qui d’ailleurs vont tout seuls sur l’île déserte. On ne saura jamais si Johnny Thunders savait ce qu’il faisait en s’arrêtant avec LAMF, mais il plaît aux fans de l’imaginer. Ça nourrit son charisme post-mortem qui en a bien besoin. Comme celle de Jimbo, l’histoire de Johnny Thunders est vérolée par le journalisme. Dans les deux cas, le public a fini par perdre de vue l’essentiel qui était la dimension artistique. Jimbo et Johnny Thunders furent tous les deux de magnifiques artistes et si LAMF reste l’un des plus beaux albums de rock jamais enregistrés, ce n’est pas un hasard, mon cher Balthazar.

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    On peut dire que le junky business a fait couler beaucoup d’encre. Johnny Thunders ne ratait aucune occasion d’alimenter le moulin d’Alphonse Daudet, ah tu veux du junk, tiens voilà du junk ! Dans son book, Walter Lure en tartine des pages entières. Comme Hell, il parle admirablement bien du junk. Ça fait partie de cette prodigieuse aventure. Walter entre dans le vif du sujet dès la page 3 : il vient d’être engagé dans la première mouture des Heartbreakers et il doit subir un rite d’initiation : on lui coupe les cheveux et on lui fait un shoot d’héro - Jerry held the needle, Dee Dee did the cooking, and I just rolled my sleeve and stretched my arm as Jerry tied it off - Welcome in Hearbreakland, Walter ! Il va d’ailleurs très vite participer aux routines - First we’d met up with Dee Dee, Willy DeVille and various other friends and then we’d head off to score.

    Oui Dee Dee Ramone traîne avec les Heartbreakers car en fait il rêve de jouer dans le groupe. Mais Richard Hell joue déjà de la basse et donc la place est prise. De toute façon, il n’était pas selon Walter un Heartbreaker. D’autres gens postuleront pour un job dans les Heartbreakers, des gens comme John Felice, Jonathan Paley et Chris Stein, ou encore Rat Scabies après le départ de Jerry Nolan, mais il n’y aura pas ou peu d’élus.

    À la différence des récits pré-cités (auxquels on peut rajouter celui de Sylvain Sylvain), le Walter book met le paquet sur le sexe. Notre ami Walter n’y va pas de main morte. C’est à qui baisera le plus, et pas que des gonzesses. Ils n’arrêtent pas. Les commères du villages vont adorer toutes ces anecdotes londoniennes, Walter fait entrer dans la danse leur manager Leee Black Childers et Gail Higgins, la road manageuse du groupe, c’est Sodome et Gomorrhe every night, ça baise à qui mieux mieux et Walter le fucker n’est pas le dernier à ramener des pretty boys dans son plumard. Mais ça, on le savait depuis que Marc avait lâché en rigolant : «Quoi tu ne savais pas que Walter était pédé comme un phoque ?». Toujours adoré cette expression. L’absolu de son manque d’élégance lui confère une stature d’éternité. Mais au fond, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Ce soir-là au Bataclan, Walter Lure était beau comme un dieu, avec sa chemise à pois et sa Les Paul. Il jouait en plus dans le meilleur groupe de rock de tous les temps. Sex & drugs & rock’r’roll ? Disons que ça décore l’histoire du groupe comme une guirlande décore un sapin de Noël.

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    Dans les premières pages, Walter cite ses influences et c’est très intéressant : il s’amourache du «Do You Love Me» des Contours et des trucs de Phil Spector - A lot of the Phil Spector things were terrific - Puis quand il entend les Stones, il sent qu’il est baisé - The first time I heard them I was sold for life - Puis arrivent dans son giron les Pretty Things, Dylan, les Kinks, les Zombies, the Who, the lot. Puis il commence à aller voir des tas de concerts, le Jeff Beck Group, Humble Pie, il est au Fillmore le soir où ils enregistrent Rocking The Fillmore. Il adore Chicken Shack et Fleetwood Mac, les Yardbirds, Procol avec Robin Trower, Ten Years After, puis Led Zep juste avant le premier album. Il voit aussi Jimi Hendrix, mais ce n’est pas son son. Et à tous les concerts, il voit ce kid. Comme lui, il est toujours dans les premiers rangs. Ils se connaissent de vue. C’est le futur Johnny Thunders. Il a déjà beaucoup d’allure. Quand plus tard Walter découvre les Dolls sur scène, il n’en revient pas d’y voir le kid à la guitare - Quelqu’un me dit qu’il s’appelle Johnny Thunders. Ça semblait logique qu’il s’appelle comme ça, vu le look qu’il avait et vu la façon dont il jouait. What else could it have been ? - Eh oui, Walter a la chance de choper les débuts des Dolls, et là il devient aussi intarissable qu’avec les histoires de cul - Les Dolls furent les grandmothers of punk rock, d’une certaine façon, car ils prouvaient qu’on pouvait monter sur scène sans savoir jouer aussi bien que Jimmy Page ou fucking Yes, et qu’on pouvait démarrer un groupe, devenir populaire et faire plaisir aux gens - Selon lui, ce sont les Dolls qui ont tout créé. Avant les Dolls nous dit Walter there was no New York scene - Il y avait le Brill Building, et quelques clubs de jazz et de folk dans le Village, mais en matière de rock club scene ou de street sound, il n’y avait rien. Juste des groupes locaux qui jouaient leur truc - Walter nous dit aussi qu’il voyait Steven Tyler aux concerts des Dolls, au moment où Aerosmith démarrait. Pareil pour Kiss. Ils venaient tout pomper. D’ailleurs, c’est Johnny qui présente Ace Frehley à Walter lors d’un festival au CBGB - Le mec le plus laid que j’aie jamais rencontré, il avait la peau grêlée, on aurait dit une assiette de céréales avec des raisins, il avait les cheveux filandreux et il marchait comme un singe et je me disais, God what a fucking monster, et Johnny m’a dit : ‘Je veux te présenter Ace Frehley’ - Puis Walter voit les Dolls se désintégrer sur scène, avec Killer Kane et son serious drinking problem, in and out of the hospital, Jerry et Johnny n’allaient pas bien non plus, surtout Johnny he’s become something of a major league smackhead - Je suis allé voir les Dolls au Little Hippodrome début mars et almost half of the band was out of action. Leur roadie Peter Jordan jouait de la basse et Spider le batteur de Pure Hell remplaçait Jerry.

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    Grâce à Walter, on se rapproche une fois de plus de ce mec tellement attachant qu’est Johnny Thunders. C’est un autre regard, plus le regard d’un admirateur que d’un bon pote. Walter insiste pour dire ce qu’on savait déjà, que Johnny Thunders n’est pas un technical guitarist - in love with chords and progressions, notes and solos - but he was unique. Personne ne sonnait comme Johnny, même ceux qui essayaient vraiment de l’imiter. Jerry appelait ça le son des dinosaures qui hurlent dans la jungle and he was correct - Walter trouvait ce son excitant - Pas de pédales d’effets, no stomp boxes or other devices. Johnny never used them. Everything you heard was just Johnny. Ses solos, c’était la même chose. Ils étaient si simples, but they stood out - Walter observe les deux cocos, Jerry & Johnny et ça donne des pages remarquables d’insight. Un Johnny qui soigne son image, les gens qui attendent de le voir fucked-up, constantly shooting up, so he did please them. It was an ego thing. D’un autre côté Jerry était un hypocondriaque, and the worst kind. Il n’avait absolument aucune volonté. Il was a lethal combination - La nature de la relation entre Jerry et Johnny est un élément essentiel de l’histoire des Dolls et des Heartbreakers. Walter voit ça comme a father-son type of things. Jerry est un peu plus vieux et il a surtout la patate facile. Quand à l’époque des Dolls Johnny prenait du speed et qu’il devenait incontrôlable, les autres Dolls demandaient à Jerry de l’emmener dans un coin pour le calmer. Okay, viens par là, pif paf et Johnny se calmait - Two or three punches and Johnny would be good for the next few months - Walter se marre car au temps des Heartbreakers, Jerry n’avait même pas besoin de frapper, il se contentait de poser la question : «Johnny do you want a punch in the head?», et Johnny filait droit.

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    Walter observe un autre truc chez Johnny : la constance. Johnny allait jouer les mêmes chansons de la même façon toute sa vie. He would never change. Le reste ne l’intéresse pas. Pour lui, Billy et Jerry, ça leur suffit de jouer dans un groupe et d’en vivre. Le futur, ils s’en branlent complètement. Leur seule ambition was getting high, s’envoyer en l’air. Walter détecte aussi chez Johnny un flair, une sorte d’instinct qui lui permet de faire le tri dans les gens. L’un des épisodes les plus désarmants de l’histoire de Johnny Thunders est sans doute celui de son mariage dans le Queens. Walter n’est pas invité à la cérémonie mais seulement à la fête qui a lieu dans un gymnase délabré du quartier. Johnny vient d’épouser Julie, et Steve des Senders est son témoin. Forcément quand ils arrivent au gymnase ils sont déjà stoned. Ils ont vomi dans la limousine qui les ramenait de l’église. En entrant, Johnny titube en jurant comme un cocher. Pas d’orchestre dans la salle, juste un petit tourne-disques. Des gens dansent mais ce ne sont pas ceux du mariage qui sont tous trop défoncés pour danser. Ça dure un bon moment et des gens commencent à partir. Alors Walter s’en va aussi. C’est un mariage de pauvres - It was simply poverty-stricken.

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    En dehors du cul, Walter a d’autres fixations : les gogues. Il décrit à un moment les gogues de Woodstok, il pousse la porte d’une cabine et voit une montagne de merdasse, il se demande comment ont fait les gens pour aller chier au sommet d’une telle montagne. Mais ça n’est rien à côté du CBGB que le NME appelle a toilet. Walter nous décrit la petite scène et à côté la cuisine infestée de rats et de cafards. Un peu plus tard, ils virent la cuisine et font une loge. Les gogues se trouvent en bas des marches et là Walter se régale - Les gogues étaient l’endroit le plus dégueulasse qu’on pouvait voir. Les murs du men’s room étaient couverts de graffitis, de trucs qui pendouillaient et de longues traînées de merdasse. Les deux ou trois urinoirs ne fonctionnaient pas, mais ça n’empêchait pas les gens de pisser dedans et ça débordait. Si tu voulais chier un coup, il n’y avait pas de porte au stall et tout le monde te regardait. En plus il n’y avait pas de papier pour se torcher - Les réalités du rock’n’roll way of life sont parfois crues, mais c’est ce qui fait leur charme. Walter indique qu’il fallait mieux aller au ladies’ room pour se faire un fix ou tirer un coup. C’est d’ailleurs l’endroit favori de Johnny Thunders : ses plans sexe se déroulent généralement dans les gogues et ils sont souvent gratinés. Walter en décrit un ou deux, mais on trouve aussi dans Some Weird Sin, le book où Alvin Gibbs raconte sa tournée mondiale avec Iggy.

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    Walter revient aussi sur le grand schisme des Heartbreakers : Richard Hell d’un côté, Johnny Thunders de l’autre. Pour Walter, Hell était surtout un amateur de poésie - À ses yeux, nous étions des musiciens et lui était un artiste, un génie and maybe he was - Walter a raison d’avoir un doute, en tous les cas, c’est savamment exprimé. Puis sur cène, ça dégénère. Johnny Thunders lève les yeux au ciel quand Hell prend le chant et quand Johnny chante, ça n’intéresse pas Hell. Et puis Hell décrète un jour qu’il va chanter tout le set - From now on, I’m singing the set. Johnny sings two of the songs, and Walter shuts up - Johnny n’écoute même pas, il sort de la pièce, suivi de Jerry puis de Walter. C’est là que les Heartbreakers engagent Billy Rath.

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    Ils s’entendent tout de suite très bien avec Billy Rath. On se souvient de lui au Bataclan. Il portait un petit bandage blanc taché de sang sur le bras et jouait sur une basse Burns. Walter s’entend bien avec lui, tout au long de la folle virée des Heartbreakers. Mais la fin de l’histoire est moins glorieuse. Après la fin du groupe, il serait resté en Angleterre puis serait devenu pasteur dans l’Ohio. Walter le revoit à New York en 2009 ou 2010. Il avait chopé le Sida et une hépatite, et perdu une jambe dans un accident de bagnole - His body was breaking down. He was a fucking mess - Mais Walter est content de le revoir. Billy lui propose alors de remonter un groupe. Walter décline la proposition. À cette époque, il bosse à Wall Street et il joue un peu dans les Waldos. Un an ou deux plus tard, il est à Londres, il joue au Purple Turtle de Camden et Billy réapparaît. Un ‘entrepreneur’ avait lancé un projet avec Billy et Steve Dior. Walter les voit arriver tous les trois dans le backstage, l’entrepreneur en blouson de cuir, Billy et Steve Dior - Billy was fucking wrecked. Il avait pris du poids, il avait perdu toutes ses dents et on l’avait habillé comme un pirate. Quand il parlait, on aurait dit qu’il avait un gros problème avec sa cervelle. En deux ans, il avait vieilli de vingt ans. Mais la situation allait encore empirer. L’entrepreneur suggéra que Billy monte sur scène avec moi pour «Chinese Rocks». Ce qu’il fit, mais il ne savait plus le jouer. It was a mess - Walter conclut ce terrible chapitre en rappelant que Billy est mort en 2014.

    Richard Gottehrer, un producteur de renom qui venait de monter Sire Records avec Seymour Stein s’intéressait de près aux Heartbreakers. Il commença par leur proposer d’accompagner Robert Gordon qu’il était en train de lancer. Il était même question que Gordon devienne le chanteur du groupe, un idée qui plaisait bien à Jerry, fan d’Elvis, comme Gordon. Mais les trois autres n’étaient pas chauds et c’est donc resté à l’état de rumeur. Il n’empêche, Gottehrer veut les signer sur Sire et au moment où ils vont accepter, ils reçoivent le coup de fil de McLaren.

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    L’autre grand thème du book c’est Londres. Les Heartbreakers y débarquent en 1977, invités par Malcolm McLaren à participer à l’Anarchy Tour. Plus tard, Walter et les autres vont découvrir que McLaren avait d’abord fait cette proposition aux Dollettes, le groupe post-Dolls de David Johansen, mais il avait refusé - So we were at least his second choice and possibly the third - Les Heartbreakers débarquent le jour où éclate le scandale du Grundy TV show. Walter et les autres ne comprennent pas que des écarts de langage puissent provoquer un tel tollé dans la presse. Les Heartbreakers vont rester dix-huit mois en Angleterre, le temps de conquérir l’Europe et d’enregistrer leur fameux album. Walter se plaint essentiellement de la bouffe. Il remarque aussi que les Anglais ne prennent pas les mêmes drogues. Ceux qui prennent de l’héro ne se piquent pas : snort ou smoke, which is probably healthier, but we weren’t interested - Walter évoque la needle culture in New York. Autrement, les Anglais tapent dans le speed, l’acid et le hash. Dans le bus de l’Anarchy Tour, Walter voit les Clash fumer des spliffs, ce qui faisait bien marrer les Heartbreakers - Fuck we haven’t done those drugs in years - Billy Rath qui est un speed freak y retrouve son compte. Il deviendra d’ailleurs un proche de Motörhead.

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    Walter se régale avec les groupes anglais : quand il voit les Damned, il ne comprend pas qu’on puisse se déguiser en vampire. Mais il aime bien les mecs du groupe - They were nice enough guys - Et bien sûr les Damned se font virer de l’Anarchy Tour. Walter donne pas mal de détails sur cette tournée entrée dans l’histoire. On se régale, on est là pour ça. Par contre, le truc qu’il ne supporte pas, c’est le gobbing. Sur scène, ils sont bombardés de mollards - Standing on stage, under hot lights, with this tubercular green shit all over your clothes, all over your guitar - Il raconte le manche et les doigts gluants. Il doit changer ses cordes tous les soirs - Tu devais jouer les yeux et la bouche fermés, et tourner la tête pour respirer. On craignait plus que tout de recevoir un mollard dans l’œil ou dans la bouche et quand je devais chanter, j’étais terrifié, car je recevais des mollards dans la bouche, down your throat. Which happened. A lot - Walter se marre quand il voit les Buzzcoks et surtout Pete Shelley avec sa guitare sciée en deux. Shelley avait bloqué ses volumes sur 10 et Devoto devait hurler pour pouvoir chanter - The music was awful but it was so fucking funny - À Londres, les Heartbreakers sortent toutes les nuits et rencontrent énormément de gens. Walter évoque une Marianne Faithfull fascinée par le punk, il rencontre aussi Chrissie Hynde bien avant les Pretenders, accompagnée de Judy Nylon et Patti Paladin, il traîne au Roxy où règne la débauche punk, pareil, il se passe des trucs pas terribles dans les gogues, Walter dit à demi-mots que Sid Vicious s’y fait enfiler, enfin tous ces trucs-là ne nous regardent pas. Gail Higgins et Leee Black Childers occupent une maison de trois étages à Islington et partent en chasse de chair fraîche tous les soirs - The pair of them lived like vampires - Ils sont tous les deux de très vieux amis de Johnny. Leee a un faible pour les jeunes rockabs londoniens - It was like Babylon on Thames - C’est là, à Babylon, que Walter avoue qu’il est bi. Mais à l’époque ça ne pose aucun problème, ça fait partie du mouvement punk. Walter est donc aux premières loges, il voit la scène punk se développer, les Hearbreakers sont potes avec les Pistols, les Clash. Surtout avec les Banshees, car Nils Stevenson leur manager fait partie du cercle rapproché des Heartbreakers. Les Banshees sont leur support band of choice. D’ailleurs Walter qui ne perd pas une occasion de se marrer nous relate un échange qui eut lieu un soir entre Siouxie et Johnny. Elle lui dit qu’il aurait dût jouer beaucoup plus sur ses knobs (ses boutons de volume) et le street kid Johnny lui rétorque : «I’d like to play with your knobs», and Siouxie just froze. She was So insulted. Walter indique aussi que son groupe punk anglais préféré était les Slits.

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    Les Hearbreakers finissent par signer avec Track Records, le label de Chris Stamp et Kit Lambert. Bien sûr, aucun des quatre Heartbreakers ne participe aux négociations. C’est Leee qui s’en charge. Track, ça plaît bien à Johnny et à Walter, à cause des Who, d’Arthur Brown, de Jimi Hendrix et de John’s Children, pour la première époque, puis Thunderclap Newman, Marsha Hunt et Golden Earring pour la deuxième. Mais les gens disent que Lambert and Stamp are too crazy. Et Walter confirme : «Kit Lambert certainly was. A total drunken queen, he was completely out of it.» Walter le voit tout le temps rigoler, et sa rigolade devient contagieuse. Avec lui tout le monde se marre. Track impose Speedy Keen comme producteur. On ne demande pas leur avis aux Heartbreakers. Johnny arrive souvent en retard aux sessions. Son record est de cinq heures. Speedy Keen garde son calme, nous dit Walter. Dans le studio, il y a tout ce qu’il faut, heaps of amphetamines, Rémy Martin and coke. Walter découvre que Speedy est un peu comme Johnny - He was a wild guy. I don’t think he was never out of it but sometimes by the end of the night he’d have a little bit of loop on - Ah comme c’est joliment dit. Un Français dirait qu’il perdait les pédales, mais Walter parle d’un little bit of loop on. Et puis on connaît la suite de l’histoire, Jerry n’est pas content du son de l’album. Il remixe tellement que le son est de plus en plus pourri. Johnny se marre : «All he did was bring the drums up in the mix.» Puis Jerry s’en prend à tout le monde, les studios, le producteur, le label, et pour finir Leee et même les Heartbreakers. Mais Track veut sortir l’album avant les fêtes et Jerry peut gueuler et menacer, ça ne changera rien. L’album sort le 3 octobre. Trois jours plus tard, Jerry quitte les Heartbreakers. C’est là que Rat Scabies auditionne. Mais il n’est pas un Heartbreaker, comme Walter l’a déjà dit.

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    Il revient bien sûr sur les raisons de «l’échec» : la présence d’un drunken Kit Lambert au mastering, l’inexpérience de l’ingé-son Danny Secunda (le frère de Tony), les remix de Jerry dans le dos du groupe après qu’ils aient tous approuvé le master. De leur côté, les critiques rejettent la responsabilité sur Speedy Keen. Quel cirque ! Et après tout le monde ramène son petit grain de sel, c’est à qui fera du qui mieux mieux d’expert à la mormoille, oh j’ai acheté de mix machin, oh il faut écouter le mix truc. C’est presque une insulte à la mémoire des Heartbreakers. Walter dit qu’il aime bien l’album. Rappelons pour mémoire qu’en 77, on s’en goinfrait tous comme des porcs, alors laisse tomber tes mix à la mormoille. Et puis en pleine tournée de promo, Track dépose le bilan et les Heartbreakers se retrouvent sans support. We were on our own. Walter tient cependant à apporter une précision importante : même si LAMF est un excellent album, il ne restitue pas le power des Heartbreakers - LAMF didn’t EVEN begin to approximate what we sounded like. At their best, on their night, in the moment and on the edge, the Heartbreakers really could break hearts. Every component in its right place, every riff nailed down and solo locked tight, every lyric defiant, every hair in place, the Heartbreakers remain the greatest band I have ever seeen, heard, or dreamed of.

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    Avec le départ de Jerry, les choses deviennent insolubles. Au Bataclan, on a vu Terry Chimes à sa place. Mais les Heartbreakers ne parviennent pas à trouver un remplaçant permanent. C’est impossible - His drumming was totally instinctual and incredible. He never even had to practice, he was just a natural - Et Walter nous brosse un portrait hallucinant de Jerry : «Il avait des valeurs personnelles de très haut niveau, mais se haïssait de ne pouvoir y conformer sa conduite. Au fond de lui, il haïssait les drogues et les junkies. Il crevait d’envie d’avoir une petite amie qui fut vierge. Au fond de lui, il était raciste et homophobe. Il cultivait toutes les phobies et toutes les obsessions de la classe moyenne de droite. Mais il ne parvenait pas non plus à s’y conformer. Il n’arrivait même pas à être antisémite, car sa copine était juive.» Et plus loin, Walter en rajoute et c’est hilarant : «Comme il ne faisait plus partie du groupe, il ne tarissait plus d’opinions à son propos. Même s’il se plaignait encore du mix, il ne s’en prenait plus à Track. Pourquoi ? Parce que le nouveau groupe qu’il venait de monter avec Steve Dior, the Idols, allait enregistrer des démos pour Track.»

    Puis Walter apprend que Johnny qui est resté à Londres entame une carrière solo. Walter pense qu’il a encore besoin des Heartbreakers, mais il se trompe. Les choses vont se défaire toutes seules. Walter et Billy reviennent à Londres, mais Johnny ne les appelle pas. Et eux ne font aucun effort pour le voir. Walter et Billy avaient ramené Spider, le batteur noir de Pure Hell pour redémarrer les Heartbreakers, mais Johnny est passé à autre chose. Il ne reformera les Heartbreakers de temps en temps que pour se faire un billet.

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    Walter rentre à New York et prend un job de trader. Mais il continue de se shooter - I’d be running out at lunchtime to buy drugs - À New York, c’est facile, on en trouve partout. Il rappelle aussi qu’à Wall Street, à cette époque, tout le monde prend de la coke. Il y a même une gonzesse dans son bureau qui est une grosse dealeuse de coke - Coke was everywhere, and pot and hash as well - Il raconte que les fêtes au bureau étaient bien trash, avec des gens qui faisaient la queue devant les toilettes pour aller se faire un rail - All these Fortune 500 companies, the entire work force, lined up to shoot or snort some coke - C’est d’ailleurs ce que montre Scorsese dans The Wolf Of Wall Street. Dope all over the biz. Une réalité.

    Dans l’épilogue, Walter évoque le dernier concert des Heartbreakers à New York en novembre 1990, avec Tony Cairo des Waldos on bass et Jerry on drums. Six mois plus tard, Johnny était mort. Walter n’a pas d’avis sur le mystère qui entoure sa mort - All I can say is that I don’t know. Je n’avais plus de nouvelles de Johnny depuis 6 mois. Je ne savais même pas qu’il était à la Nouvelle Orléans - Et il ajoute un peu plus loin : «Par contre, je sais que ses trente-huit ans de vie sur terre avaient mis son corps à rude épreuve, et qu’il ne s’occupait pas de sa santé. Je sais aussi que pendant dix-sept ans j’ai redouté ce coup de fil m’annonçant sa mort. Ça n’enlève rien au choc que j’ai ressenti en apprenant la nouvelle, mais au moins, je sais que je n’aurai plus à redouter ce coup de fil.»

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    Il évoque ensuite les fameux concerts du quarantième anniversaire de LAMF qui eurent lieu dans un club du Bowery, à New York, avec Wayne Kramer, Jesse Malin, Clem Burke, Cheetah Chrome et d’autres gens. Il existe d’ailleurs un album et un DVD : les concerts furent enregistrés et filmés. Il est recommandé de voir le DVD car l’album ne donne aucune information sur qui fait quoi. Comme le système marche bien, Jesse Malin propose à Walter de continuer avec d’autres gens et hop, Walter nous sort les noms de Mike Ness, de Billy Joe Armstrong, de Glen Matlock et même de Steve Jones. Mais apparemment c’est resté à l’état de projet.

    Pour conclure, Walter redit sa joie d’avoir fait partie des Heartbreakers, un groupe qu’il situe à juste titre dans la catégorie des shooting-star types of artists who blaze so brightly but briefly, et il cite les noms de Pistols et des Dolls, bien entendu. Et il boucle ainsi : «Je crois que si on avait eu plus de succès, on serait morts plus tôt, étant donné nos penchants à l’époque. La raison pour laquelle j’ai survécu tient au fait que j’ai dû reprendre un job, ce que n’ont pas fait Johnny, Billy et Jerry. Johnny n’a jamais travaillé un seul jour de sa vie. Ce fut une belle aventure, but it comes with one hell of a price.»

    Une jour que nous causions d’eux, je fis l’éloge du concert des Heartbreakers au Bataclan, allant jusqu’à dire qu’aucun show n’avait jamais égalé celui-là, à quoi Marc Z répondit en rigolant qu’on lui avait plusieurs fois dit la même chose. Curieusement, Marc n’est pas cité dans le Walter book. Octavio et Henri Paul le sont plusieurs fois. Et donc pour pallier à ce déficit citatoire, nous lui rendrons hommage en lui dédiant ce texte.

    Signé : Cazengler, Walter Plure

    Walter Lure. To Hell And Back. My Life in Johnny Thunders’ Heartbreakers. Backbeat 2020

     

    He said Captain I said Wot

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    Mojo se démocratise : le Mojo Interview habituellement réservé aux célébrités reçoit cette fois ce vieux branleur de Captain Sensible qui jadis nettoyait les gogues at Croydon’s Fairfield Halls. D’ailleurs, la première chose qu’il fait dans le gros chapô, c’est de se vanter d’être sixty-fuckin’-six years young et d’affirmer qu’il n’est jamais devenu adulte. Puis il rappelle que son père l’a baptisé Raymond parce qu’il bossait comme portier dans un club de strip-tease à Soho, Raymond’s Revue Bar. Avec Captain Fun, c’est la rigolade assurée. À l’école, le jeune Ray n’a qu’une seule ambition : devenir biker. Jusqu’au jour où il entend «See Emily Play» à la radio. Il change de vocation mais il n’oublie jamais de rappeler qu’il n’est pas très intelligent - I’m a bit of a bluffer, really, I can’t do the really clever stiff - Quand il était ado, ses copains et lui prenaient du LSD et chouraient une bagnole pour descendre voir la mer à Brighton. Sans le LSD il serait dit-il devenu un football hooligan. Il avoue humblement tout devoir au LSD et notamment la découverte de Soft Machine and Egg, people like that. C’est l’époque où il bosse at Fairfield Halls avec Rat - I cleaned the toilets et Rat cleaned the floors - C’est Rat qui va un jour passer une audition à Londres. Ray voit Rat rentrer à Croydon avec les cheveux taillés courts. Wot ! C’est pas possible ! Aucune fille ne regarde un mec à cheveux courts en 1976, mais Rat s’est coupé les cheveux pour l’audition et il a rencontré un mec nommé Brian James. C’est la révélation ! Rat prédit même l’avènement d’une révolution. Wot ? Pas question pour Ray du cul de se faire couper les cheveux. Puis il rencontre Brian chez lui à Kilburn. Il a déjà toutes les chansons, «New Rose», «Fan Club». Pour Ray du cul, c’est du Chuck Berry on speed. À son tour, il voit Brian comme un visionnaire. Il ajoute qu’à Londres cette année-là, il y en avait d’autres - Not me, but Tony James, Malcolm McLaren, a couple of Pistols, Mick Jones. They knew what was coming - Et pouf, les Damned entament leur wild ride - I wasn’t the best looking bloke in the world and not the greatest musician but that if I did something diabolical on-stage it would be me who had his picture in the press and not Brian or Dave. And I liked that - Puis tout s’arrête brutalement lorsque Brian quitte le groupe. Captain Tutu reconnaît que ce n’était pas facile pour Brian de côtoyer des fous - Me and Rat were fucking horrible. A couple of menaces - Partout où ils vont, ils sèment le chaos, les gens ont peur du couple Capt/Rat qui se spécialise dans l’arrosage au ketchup, à la moutarde, à la bière et, quand ils y ont accès, aux extincteurs.

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    Lorsque les Damned post-Brian James se retrouvent en studio pour Machine Gun Etiquette, Capt explique que les choses se passent beaucoup mieux que prévu - There was a lot of booze and whisky around - Algy Ward est le bassman des Damned et Captain Crazy indique qu’il joue la bassline de «Love Song» avec une pièce de monnaie. Mais Algy est hors de contrôle et Rat lui demande de se calmer, sinon, on sort dans la rue pour régler ça. Wot ? Tu ne parles pas comme ça à Algy Ward. Tu veux sortir ? Alors viens mon con joli. Ils sortent, pif paf, et adieu Algy. Paul Gray le remplace sur le Black Album. Aux yeux de Captain Marvel, Paul et Algy sont les meilleurs bassmen des Damend - I’m third. Or even fourth.

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    Il est heureux le brave Captain à cette époque car il est payé pour jouer de la guitare et la bière est gratuite. Pour lui, c’est quand même mieux que de nettoyer les gogues. Il se fout même de savoir que les Clash sont en Amérique avec CBS derrière eux. Rien à cirer de la célébrité. Captain Flush ne pense qu’au fun. Il vit encore chez mum and dad quand un jour mum lui dit : «Your mate, Roley or Boley, he’s died in a car crash!». Captain Rex est fan de Bolan surtout depuis la tournée des Damned avec lui en 1977 et la nouvelle de sa mort le choque tellement qu’il s’enferme dans sa piaule. Il écrit une chanson pour calmer son chagrin : «Smash It Up» - As in smash the car up. It’s quite a sad piece of music, a deep little piece - Quand il signe son contrat solo, A&M lui file une avance et lui demande un hit. Il rentre chez mum and dad à Croydon et sort «Happy Talk» de dad’s collection - Happy Talk was their tune if you like - Tony Mansfield produit et ça devient un hit. Captain Happy parle de Mansfield en termes de genius. Puis il rencontre la backing singer Rachel Bor. Mais il ne peut plus mener les deux carrières de front, la solo et celle des Damned. Surmené, il tombe dans les pommes. C’est là qu’il doit faire un choix : ça sera la solo - So I chose the career that was making money - Jusqu’au moment où une huge tax bill lui tombe dessus et il se retrouve dans la dèche. Comment il s’en sort ? En faisant de la pub avec Wot pour Wotsits. Et pouf, il s’achète une baraque à la campagne. Et Dave finit par proposer à Captain Luck de reformer les Damned dans les années 90, mais ceci est une autre histoire. Nous y reviendrons.

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    Dans le Mojo Interview, Captain Wreck torpille le film de Wes Orshoski, Don’t You Wish That We Were Dead, car ça tourne trop autour des règlements de comptes. Mais nous dit Captain Oï, c’est pareil dans tous les groupes et il ajoute en rigolant que les Damned auraient mieux fait de se tuer en avion après leur premier album, comme ça au moins les choses seraient plus simples. Il n’est pas tendre non plus avec Tony Visconti qu’il appelle Mr Tony Visconti, le producteur du dernier album des Damned, Evil Spirits. Et puis arrive le sujet brûlant : la reformation du line-up originel des Damned et là Captain Marvel fait merveille. Il pense qu’il était important de le faire avant que l’un des quatre compères ait cassé sa vieille pipe en bois - il emploie une autre expression : before one of us kicks the bucket - et il s’enflamme sur la grandeur de l’original line-up : «No one else sounded like that. Il was very powerfull» - et il a raison. Rien de plus powerfull que les early Damned. En bon fouteur de merde, le Mojoman ramène Captain Hook sur un sujet de discorde : Dave et Rat auraient paraît-il racheté le catalogue Stiff des Damned, d’où la rancœur de Ray à l’égard de Rat. La réponse ne se fait pas attendre : «Non. Il faut avancer. Le comportement de mes collègues est un autre sujet. J’ai 66 balais et tout ça date d’il y a longtemps. J’étais alors un parfait connard - a complete arsehole - je dois bien l’admettre, an absolute liability, comme le sont mes chers collègues d’ailleurs. Ce ne sont pas des saints. Je ne dis rien de plus que ce que je dis.» Bon ils annoncent les concerts de reformation et soudain, la peste ravage le pays. The curse of the Damned !, s’exclame Captain Plague.

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    Comme déjà dit, on reviendra sur l’histoire des Damned une autre fois. Puisque Captain Solo est à l’honneur avec ce Mojo Interview penchons-nous si vous le voulez bien sur son extraordinaire carrière solo. En 1982, on le retrouve dans une chaloupe du Titanic. C’est la pochette de Women And Captains First. On y trouve le célèbre «Wot» et sa bassline, cette délicieuse mécanique qui sous-tend le cut de bout en bout et que tous les bassmen du monde se sont amusés à rejouer. Mais avec «Nice Cup Of Tea», Captain Sink se met à sonner exactement comme son idole Syd Barrett, mais avec une pointe de cockney en prime. Il boucle l’A avec le merveilleux «Happy Talk» qui fut aussi un hit et en B, il tape dans le jazz New Orleans pour nous trousser une joli coup de «Nobody’s Sweetheart». Quel sens aigu de la décadence ! Il revient à la pop avec l’excellent «The Man Who’s Gotten Everything». Des chœurs de filles juteuses jazzent le groove, comme elles jazzaient «Les Films de Guerre» de l’early Sanseverino. Ah ce Captain Fracasse, quel fantaisiste de choc ! On gagne énormément à le connaître. Un homme admirable à bien des égards. Son cut sonne exactement comme un truc en plume dans le cul, doux et beau. Qu’on ne vienne pas nous raconter qu’il a fait des mauvais albums dans les années quatre-vingt. Il boucle avec l’excellent «Croydon» et nous rappelle à son bon souvenir - In Los Angeles/ I’m still dreamin’ of ya Croydon !

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    Pour l’album suivant, The Power Of Love, il se fait tirer le portrait et affiche un look de jeune premier hollywoodien. L’album est ravagé par la mauvaise prod des années quatre-vingt et il faut attendre d’entrer sur la B pour tomber sur l’excellentissime «Glad It’s All Over» et ses Submarines/ In the harbour/ Incognito/ Submarines/ Of your dreams/ Not mine, et là, on se voit contraint de parler de génie. L’autre gros cut de l’album est le morceau titre. Il en fait une pop joliment pulsative. Captain Orlock profite de l’occasion pour renouer avec les énergies telluriques des Carpathes. Les vieux jus bouillonnent dans ses artères parcheminées. Fantastique personnage.

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    Revolution Now est un double album paru en 1989. Captain Furax y propose quelques éclats pop comme «A Riot On Eastbourne Pier». Il tape dans la fibre de l’Angleterre profonde - All these crazy people - et se plaît à incendier sa fin de cut. Captain Hellfire sait bricoler de la bonne pop anglaise, on le savait depuis Machine Gun. On trouve en B un beau «Wake Up» pop-punk sautillard. Captain Biz revient aux sources de son fonds de commerce, à savoir une certaine vision du punk-rock anglais qui passe par la pop. En C, il fait une sacrée reprise du hit des Equals, «I Get So Excited». Il part en mode diskö-pop et opère un violent retour au beat des Equals, avec toute l’énergie dont il est capable. C’est battu à la folie, l’esprit du cut veut ça et Captain Mad l’a bien compris. Baby Baby ! Quelle explosion ! «The Kamikaze Millionaire» souffre du mal de prod des années quatre-vingt, mais sous le festif croustille la braise d’un Anglais dans la force de l’âge, rempli de cette culture pop typiquement insulaire. C’est même de la pop endiablée, pas si éloignée que ça de la joie du dance-floor. Captain Bonzaï a bien le droit de s’amuser, après tout. Sa pop reste droite et bien gaulée. Il adore surtout faire le con.

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    Tiens voilà encore un classic album : The Universe of Geoffrey Brown paru en 1993. Dès «Holiday In My Heart», on sent la magnifique pop d’élancement somptueux. Captain Bifsteak œuvre pour la renommé de la pop anglaise, c’est évident. Il fait de la prog, mais soutenu par une clameur de chœurs galactiques. Sa compagne Rachel Bor joue du violoncelle à l’élancé du pont, tout reste extrêmement magique dans le monde coloré du grand Captain Achab. Il fait de «Come On Geoffrey Brown» une sorte de petit opéra à la Odgen des Small Faces, ou si vous préférez, à la Tommy des Who, mais c’est embarqué à l’énergie diabolique. Captain Prag tape dans la prog avec l’énergie des Damned, mais démultipliée. C’est extrêmement ambitieux. Et il atteint une fois de plus au pur génie avec «Getting To Me», claqué à la magie de la pop anglaise. C’est lui the lad of the mob, the beast of it all, il va taper dans la magie de pop anglaise comme d’autres vont siffler une pinte au pub. Encore de la pop explosive avec «Street Of Shame», extraordinaire débauche d’énergie pop. Captain Tagada chevauche son dragon en rigolant comme un bossu. On a là un fabuleux hit d’antan, terriblement volontaire et indiqué. Même quand il fait de la pop, on entend les Damned, de là à conclure qu’après le départ de Brian James, Captain fait les Damned, c’est un pas qu’on laisse à d’autres le soin de franchir. Il donne un énorme coup pied dans la fourmilière du pop punk avec «The Message», il rallume la chaudière et ça explose. Captain Conan sait donner de la voix, tout est conjugué à l’innovante innervée. Il termine cet album épique avec un «Universe Of Geoffrey Brown» monté sur le riff de «Baba O’Riley». Quel fabuleux Zélig, il fouine partout, il entre dans le lard de la grande pop anglaise et crée un monde de son et de guitares exubérantes.

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    Il faut avoir écouté au moins une fois dans sa vie le Live At The Milky Way du bon Captain Hook, car c’est un album spectaculairement bon. On y voit ce démon exploser tous ses hits un par un, accompagné de Paul Gray. Il smashe «Smash It Up» et se fout de la gueule de David Sylvian, puis «Back To School». Captain Flash monte au créneau comme nul autre en Angleterre. Il le fait avec une sorte de classe d’aristocrate dégénéré, puis il raconte son histoire dans «Come On Geoffrey Brown». Ce live prend ensuite une allure mythique avec «Happy Talk». Il sait parfaitement bien embarquer un hit pour Cythère et il enchaîne avec «The Kamikaze Millionaire», fantastique pop d’époque. Ce mec n’en finit plus d’aligner les combinaisons gagnantes. On se prosterne devant une telle aura. Et voilà qu’il tape dans «Love Song», le hit absolu - Just for you - Captain Sparrow n’en finit plus de danser avec le génie, et paf, il enchaîne avec «Neat Neat Neat» - Especially for Cliff Richard and David Sylvian - Tout le génie des Damned remonte à la surface, c’est intenable, joué à l’ultimate bouillonnante. Que peut-il faire de plus ? Taper «New Rose», par exemple, alors il y va, mais avec l’énergie du diable. On a là une épouvantable version, c’est de la macédoine de légende, Captain Wild se jette à corps perdu dans la bataille - I can feel inside of me - Il explose la vieille Rose. Et il passe à «Wot», que Paul Gray prend au bassmatic, mais il ne se contente pas de le jouer, il le dévaste, il en fait une version post-punk démente, avec des chœurs qui défient toute concurrence. Ça ne s’arrête pas là. Captain Nemo tape ensuite dans ses racines avec une monstrueuse version de «Looking At You» du MC5 - When it happens - et il oh-no-notte, il l’explose et passe les solos endiablés de Wayne Kramer. Il termine ce live affolant avec une version d’«Hey Joe» purement hendrixienne, bardée de move de groove originel, presque supérieure en tout, complètement explosive, et il boucle enfin avec l’imparable «Glad It’s All Over» qui sonne comme l’hymne national de l’underground britannique.

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    Paru en 1995, Meathead fait partie des disques hautement recommandables. Il s’agit d’un double album bourré à craquer d’exercices de styles tous plus effarants les uns que les autres. On le voit dès «Sally Blue Shoes», Captain Flint a toujours l’air de dominer la situation. Il propose de la pop à synthés mais avec une autorité qui tue les mouches. Ce mec a du cran et des idées bien arrêtées, alors les choses deviennent vite captivantes. Il attaque «Rough Justice» aux spoutnicks et au punkyrama. Il s’appuie de toute évidence sur de solides antécédents. Même si c’est battu au diable Vauvert, ça vire un peu pop. Quel étrange mélange de crédibilité punkoïde et putasserie pop ! Il a le cul entre deux chaises. Notre bon Captain Wave doit adorer l’instabilité. Il reste dans la belle pop anglaise avec «The Love Policeman». C’est son argument définitif, semble-t-il. Il tâte une fois de plus de la pop magique et bien intentionnée. Il tape plus loin dans l’expérimental psychédélique avec un «Zarbo Nebula» en quatre parties. Cette comédie condamne l’album à l’underground. Il bombarde le Part 2 d’attaques de wah, il voyage dans son univers et franchement, c’est excellent. Il bute le cosmos dans le Part 3 et dans le part 4 il demande : Can I have your attention please ? Et ça vire hypno ! On est entre de bonnes mains. Captain Morgan nous invite au voyage et il se met à jouer les dingos sur ce bon beat hypno - Right can I have your attention ? - Puis il passe à «Freedom» et lance un hey now welcome to the zoo. Ça se politise à outrance - Be a beggar/ Be a conman/ be a mugger/ be a whore - Il revient à la pop du paradis avec «Pasties». La pop reste bel et bien son apanage. Il crée l’illusion. Oh qui dira la modernité du Captain Haddock ? Il est comme Swamp Dogg, intarissable de son et d’idées de son. Il prend «Love Thing» au rock seventies et développe un fantastique espace de prog voyageur. Il explose son univers à coups de solotage. Ce disque est celui d’un fantastique aventurier. Ray Burns n’est autre que Lord Jim, mais sans pathos. Le disk 2 est encore plus spectaculaire. Il revient à la pop magique dès «Aliens Of The Lord» qu’il chante down the bingo avec de fiers accents cockney aux entournures. Il faut lui reconnaître une belle ampleur catégorielle. Prière de ne pas enfermer Captain Blackbeard dans les Damned. Il prend «Space Shuttle» à l’instro de choc et ça s’étend loin à l’horizon, c’est noyé de son, plein d’aventures et de wah system. Il ne vit que pour l’enchantement psychédélique. Il faut prendre ce mec très au sérieux. Ses solos de wah sont d’une rare férocité. Il affûte ses attaques et s’en va gicler dans l’azur immémorial. Encore une merveille avec le morceau titre. Il entre dans le vif du sujet après une intro déconnante. Quand on l’entend passer ses puissants accords, on comprend qu’il a écouté des bons disques quand il était jeune. C’est puissamment drivé. Il crée des petits mondes à coups de spatio-temporalités extraordinaires. Il adore l’espace, comme on le constate une fois de plus à l’écoute d’«Honeymoon In Acapulco». Captain Sensible n’est autre que Major Tom. Il s’amuse tout seul. Personne n’ira le suivre sur six minutes de spatio-temporalité à la dérive coïtale, mais ce n’est pas grave. Back to the magic pop avec «Can You Hear Me». Il lâche toutes ses troupes dans cette nouvelle merveille effrontée et distanciée. C’est même claqué du soubassement des carters de boîte et admirable de rectitude longitudinale. Ça se termine avec du solo à la MC5 et il faut entendre Paul Grey claquer ses notes de bas de manche ! Quelle fabuleuse énergie translucide ! Il repart pour 15 minutes de trip avec «Business Trip To Saturn». Bienvenue à bord de ce fantastique voyage à destination de Saturne ! Captain Trip est heureux de nous accueillir à bord, nous autres fans introvertis de Syd Barrett. Set the controls for the heart of Saturn ! On traverse une première galaxie chargé de son. Les cœurs battent la chamade et le beat s’accélère. On traverse des paysages extravagants et solides. Captain Wah wahte comme un beau diable. Il traite aussi «Inventing The Wheel» à la wah sauvage. Il travaille sa pop au corps, il devient complètement dingue avec sa pédale. Il viole toutes les conventions. Il revient à sa vieille pop avec «The Last Train». C’est plein d’effets vengeurs. Il sait saquer la gourde d’une casse de typographe ! Voilà encore un fabuleux cut atmosphérique traversé par l’un de ces solos rageurs dont Pasteur ne serait jamais venu à bout. On se fend bien la gueule à écouter «Festival Radio Jingles» et Rachel Bor chante ensuite une autre merveille intitulée «We Are The Aliens». Captain Dada passe à la dada jam avec «Stabilizer jam». Des machines se parlent avec des réflexes de perroquets du Zoo de Zanzibar. Il ramène des riffs de punk et fait du pur dada. Bienvenue chez le Picabia du punkyrama. Il finit cet album héroïque avec «Plastic Arcade». Il sonne comme un héros, le héros qu’on a envie d’entendre en Angleterre. Il ramène toute l’énergie des Pistols, mais sans ressentiment. Derrière, Paul Gray fait le con. Voilà encore du génie pop à l’Anglaise.

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    Tout est diaboliquement bon sur Mad Cow & Englishmen. Ça part en trombe avec «While Wrecking The Car», hit de car crash pop qui sonne comme un hymne. Il n’existe décidément rien d’aussi déterminant que cette façon d’illuminer l’univers. On ne peut que vénérer cet immense artiste. Il revient à sa chère pop-punk avec «Bob’s Brown Nose». Eh oui, on sent nettement l’empreinte des Damned. Captain Pop opte ici pour un ton délicieusement cassant. Sa pop se veut atmosphérique, lourde de sens et ambitieuse. Les chœurs relèvent de la magie pure. Écoute bien les albums de Captain Sensible, car ce sont des œuvres incroyablement solides. Avec «The Stately Heroes Of England», il part en mode beatlemania de voix arrières, style Magical Mystery Tour. Extraordinaire ambiance ! Pop d’écran de soie. Puis il brise ses chaînes avec «Smashing The Chains», nouvel exercice de pop fantastique. Il faut voir de quelle façon il amène son «Mr Brown’s Exploding Wallet» : pur jus de pop anglaise. Captain Fury défie les géants du genre. Fantastique et complètement extraverti, nice and sleezy. Monty Oxy Moron fait déjà partie de l’aventure. Et on le sait, Captain Fingers joue de la guitare comme un dieu. Il salue les végans dans «Mr Farther» et revient à la power pop avec «The Letters Love Past» - Big Ferrari engine like a lion’s roar/ I can buy me anything/ And I’m spending more and more - Il raconte qu’il a gagné à la loterie et il renoue avec le génie pop dans «One Little Wonder», mais tout est si bien foutu sur cet album, lyrics, ton, thèmes, son, que les bras nous en tombent.

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    On retrouve tous les hauts faits de Captain High sur le Best Of qui s’appelle Sensible Lifestyles. Comme on l’a vu, cet énergumène est parfaitement capable de se suffire à lui-même. Il fait les Damned tout seul, quand il veut, où il veut et selon ses termes. On retrouve le «Revolution Now» joué aux machines, mais on y retrouve aussi son sens aigu du beat violent et de l’avance rapide. Figure aussi sur Lifetime cette version violente de «Smash It Up» et le fameux «Happy Talk» gratté aux accords hendrixiens. C’est l’un de ses hits les plus explosifs. Captain America sait mener la danse. C’est un peu comme s’il ramenait la cavalerie. Son plus beau hit restera bien sûr «Glad It’s All Over», avec son sentimentalisme sensible, l’explosion du son et les submarines in the harbour. Quant à «Sporting Life», c’est allumé d’entrée, voilà un petit chef-d’œuvre de pop musclée. On retrouve aussi sur ce Best Of son hit le plus connu, «Wot», ramoné par cette gigantesque bassline dont on a déjà dit le plus grand bien.

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    Captain Sensible reprend du service dans les Damned en 1997, mais ça ne l’empêche pas de monter des side-projects, comme par exemple Sonny Vincent & His Rat Race Choir ou The Sensible Gray Cells avec ses vieux potes Paul Gray et Marty Love, the Johnny Moped drummer. On ne sait comment s’y prend ce brave Captain Move, mais il s’arrange toujours pour sonner de façon contemporaine et vitale plutôt qu’anachronique et maniérée. C’est son truc, la botte de Captain Nevers. Dans une interview pour Vive Le Rock, il dit toujours adorer ses premières amours, Ray Davies, Burt Bacharach et les Small Faces. Et il s’emballe : Piper At The Gates Of Dawn, Pet Sounds, Butterfly, Sgt. Pepper ! C’est ce qu’on entend sur Get Back Into The World, leur deuxième album paru en 2020. Captain Psychout y offre un véritable festin de freakout, notamment dans «So Long», pur chef-d’œuvre de belle déglingue. Avec «Sell Her Spark», il entre dans le vif du sujet, il ramène sa wild guitar et crée du flux, mais pas n’importe quel flux, du flux de flush. L’autre hot shot de l’album s’appelle «I Married A Monster». Captain Fracasse y joue des gimmicks de gaga-punk et Paul Gray rôde dans le son comme un furet, c’est somptueux et stupéfiant à la fois, ils envoient tout le drive de crazy beat qu’on peut espérer, c’est bien meilleur que les Damned. Il va plus loin sur une pop plus évolutive («Stupid Dictators»), il sait jouer sur plusieurs tableaux. C’est Paul Gray qui vole le show dans «A Little Prick», il joue ça au drive dévorant. Ça sent bon l’osmose de la comatose. Big album, c’est évident. Et puis avec «What’s The Point With Andrew», Captain Wrath règle ses comptes. Il s’en prend au Prince et à la famille royale. Il n’en peut plus de cette famille royale qui se fait aider financièrement par le gouvernement. Dans l’interview à Vive Le Rock, Paul Gray dit que the whole lot of them devrait être aboli et envoyé au Job Center. Et Captain Anger ajoute qu’il n’a jamais pu les supporter, car on les présentait comme des modèles au peuple britannique, et c’était dit-il loin d’être le cas. Puis ils se payent une fantastique virée dans la mad psychedelia avec «Fine Fairweather Friend» et «Another World». Captain Shankar y fait sonner sa guitare comme un sitar, il cite Alpha Centauri et ça devient très bizarre, très embringué. Beaucoup trop embringué.

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    C’est très instructif d’écouter Captain Sans Peur et Sans Reproche jouer dans le Rat Race Choir de Sonny Vincent. En 1997 paraissait Pure Filth, un album chargé de relents stoogy. Pas étonnant, puisque le batteur n’est autre que Scott Asheton. Sonny Vincent est un mec qui chante à la bonne absolution. Il n’existe pas sur cette terre une aussi belle brochette de crumbies que le Rat Race Choir. Cheetah Crhome complète le panorama. Ils misent sur le syndrome du super-groupe. Avec «Always A Catch», ils rendent un fier hommage aux Stooges. Captain Sens Dessus Sens Dessous monte bien au créneau. Sonny Vincent chante comme il peut, bon c’est sûr qu’il n’est pas Iggy. En fait c’est Captain Sans Scrupules qui fait les Stooges tout seul dans son coin, comme un gros raton laveur dans sa cage. C’est rigolo car il devient ridicule, on est mort de rire. Le Rat Race Choir reste dans les Stooges pour «Life To Life», puis bizarrement tout bascule dans le punk’s not dead pas très beau. On entend Captain Sans Souci rouler sa bosse sur le gaga-punk de «Cinematic Suicide». C’est franchement pas jojo mais comme le Captain est con comme un manche, il fait ce qu’on lui dit de faire. Gratte ton bassmatic, Capt ! On avance ! Ils sont assez marrants car il n’y a aucune compo sur cet album, juste du gaga-punk d’étable, bête à manger du foin, avec un Captain Sans Retour qui ramone ses gammes comme un âne, et derrière, Scott Asheton bat son vieux beurre . L’aventure s’achève avec un «War Party» amené aux accords stoogy. C’est mal chanté, Sonny Vincent se prend pour Jeffrey Lee Pierce mais son «War Party» n’est pas «Death Party». Ça se fond néanmoins dans le groove et Captain Sans Dec ramène le drive que joua Noel Redding dans «Hey Joe».

    Signé : Cazengler, Captain Sempiternel

    Captain Sensible. Women And Captains First. A&M Records 1982

    Captain Sensible. The Power Of Love. A&M Records 1983

    Captain Sensible. Revolution Now. Deltic Records 1989

    Captain Sensible. The Universe of Geoffrey Brown. Humbug 1993

    Captain Sensible. Live At The Milky Way. Humbug 1994

    Captain Sensible. Meathead. Humbug 1995

    Captain Sensible. Mad Cow & Englishmen. Scratch Records 1996

    Captain Sensible. The Best Of. Sensible Lifestyles. Cleopatra 1987

    The Sensible Grey Cells. Get Back Into The World. Damaged Goods 2020

    Sonny Vincent & His Rat Race Choir. Pure Filth. Safety Pin Records 1997

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    Pat Gilbert : The Mojo interview. Mojo # 329 – April 2021

     

    L’avenir du rock - Fontaines de jouvence

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    Alors comment se porte l’avenir du rock ? À son chevet, les médecins ne cachent pas leur inquiétude. Comme d’habitude, ils racontent n’importe quoi. Ça le fait marrer, l’avenir du rock. De toute façon, il n’aime pas les médecins. Il les soupçonne de bosser pour le compte des gros labos impérialistes et de refourguer aux gens des tas de médocs qui ne servent à rien. Pouah !, fait l’avenir du rock, fuck it ! Leurs médocs, ils peuvent aller se les carrer où je pense ! Up the arse, les médocs !

    L’avenir du rock fera comme il a toujours fait depuis soixante ans, il va se dépatouiller tout seul. Pas question de tremper dans leurs combines. Pas question d’alimenter leur petit biz à la mormoille. L’avenir du rock a bien raison de ne pas se faire de mouron, car il ne s’est jamais porté aussi bien. Eh oui, les gars, voilà que la presse anglaise nous sort en 2018 un buzz de derrière les fagots de Tin Pan Alley, comme elle sait si bien le faire : Fontaines D.C., un groupe de kids irlandais littéralement tombé du ciel, c’est-à-dire sorti de nulle part. Et pour une fois, le buzz repose sur du solide, sur un vrai son, une vraie voix et de vraies compos. The boys are back in town, comme le disait si joliment Phil Lynott. Dans 150 ans, les historiens du rock qualifieront certainement Fontaines D.C. de plus gros buzz des années 20.

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    Leur premier album s’appelle Dogrel et sa pochette déroute un peu. L’ambiance graphique se veut résolument post-punk. Photo de cirque et typo hasardeuse, on ne sait pas trop quoi penser, alors on écoute «Big» et là, bonne surprise, le petit chanteur qui s’appelle Grian Chatten part en mode Irish cockney déjanté. C’est assez bien amené, avec un beau big beat. Ils vont fonctionner ainsi tout le long de Dogrel, en forçant l’admiration. Si tu aimes le son pour le son, alors cet album est pour toi. C’est essentiellement un album de son qu’il faut écouter dans de bonnes condition, bien sûr, pas sur un smartphone. Les petites Fontaines ont beaucoup de son et des bons micros. Ils savent pulser un beat, bon d’accord, ils font du post-punk, mais on sent chez un eux un goût prononcé pour la démesure, mais une démesure vois-tu qui met en appétit. Ils optent pour une formule disons éculée, pour rester poli, mais ça fait partie du boulot que de savoir l’accepter telle quelle. Ah si on se laissait un peu aller, on irait jusqu’à dire qu’aujourd’hui tout n’est plus que formules éculées, alors ne nous privons pas du plaisir de voir des petites Fontaines naviguer sur des eaux mille fois éculées de la Britpop d’Adorable. Pour montrer qu’ils ont de bons réflexes, ils embarquent «Hurricane Laughter» à la basse fuzz, alors forcément ça sent bon la resucée, ils jouent cependant leur Hurricane avec la dignité du dernier souffle. La basse surgit derrière l’épaule d’Orion. Avec cet Hurricane, ils nous font du pur Fall. C’est tout de même incroyable que ces petites Fontaines soient devenues si populaires avec du pseudo-Fall et du simili-Adorable. Mais ils y mettent tellement le paquet que ça fonctionne au-delà des espérances les plus rances. Ils font aussi du son aussi sec qu’un saucisson sec avec «The Lotts». Reconnaissons néanmoins que les arrangements de cordes sont superbes. C’est d’ailleurs le contraste qui intrigue. Les strings et le mal aimable ne font généralement pas bon ménage. Ils continuent d’exacerber l’ingratitude du son avec «Chequeless Reckless», le petit chanteur ramène son Irish cockney et on assiste à une belle montée de la tension du son, all across the nation, et là, pouf, ils se tapent une belle embardée en forme de gros solo trash, puis le cut s’en va cavaler dans la nuit, what’s really going on ?, et on finit par le perdre de vue. Mais ça n’est pas tout : voilà qu’ils ramènent les accords de «Gloria», de la frenzy et de l’Irish cockney dans «Boys In The Better Land» - Put the boys in the better land - C’est scandé à l’excellence des petites Fontaines, ils sont dans leur transe irlandaise, ça parle de spirit, et quel spirit ! Grian Chatten drive bien son boys in a better land, et avec ce solo trash à la clé, ça devient une sorte d’énormité. De fait, on touche à l’inespérabilité des choses. Comme ces pauvres gens qui jadis gagnaient leurs sous un par un, les petites Fontaines gagnent leurs fans un par un.

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    Ils récidivent deux ans plus tard avec A Hero’s Death et une pochette encore plus déroutante que la première. La statue est moche mais on s’en fout car voilà un very big album, même s’il met un certain temps à convaincre les cons vaincus. Pourquoi ? Parce que ça démarre sur des tempos bien connus des fans de Joy Division. On est dans cette ambiance un peu lourdingue, pas décidée à sourire. On est dans le sans surprise. Aujourd’hui, les groupes conquièrent le monde avec du sans surprise. Évidemment, c’est très produit. Il faut voir comment la batterie résonne dans le son. Un vrai prodige technique. Voit-on le bout du tunnel, c’est-à-dire de l’intérêt ? Le dark du deep atmopsherix finit toujours par révéler sa beauté. «Love Is The Main Thing» semble tendu de velours noir. On voit que les racines post-punk remontent dans la gorge de «Televised Mind». Ils cultivent admirablement la délectation morose. Malgré les poins bas comme «A Weird Dream», l’album reste d’un bon niveau, c’est très étrange. Ils peuvent même se montrer agaçants. Ils ressortent les petits accords atmosphériques de la Britpop dans «You Said», on a déjà entendu ça mille fois. «Oh Such A Thing» passerait bien pour un balladif en trompe-l’œil, mais coco n’a qu’un œil, comme chacun sait. Les petites Fontaines nous font du gros bingo de gaga, une merveille d’enculerie balladive qu’on aura du mal à leur pardonner. Mais soudain tout s’éclaire car voici venu le temps des énormités, à commencer par le morceau titre destiné aux amateurs d’Irish post-punk, mais chanté avec tout le brio de la bravado. The boys are really back in town, c’est excellent, on sent le cut qui ne veut pas courber l’échine, life ain’t always empty, et ça devient vite stupéfiant, typiquement le cut qu’on réécoute plusieurs fois tellement il éclate au firmament. Ils travaillent sur des grains exceptionnels et ça monte droit au cerveau, même à jeun, ce mec claque son chant au coin des couplets et revient au leitmotiv, life ain’t always empty ! Ils effarent les phares ! Ils montent au somment de la regalia. Ils emblasonnent l’excelsior. Ils enchaînent avec un «Living In America» tout aussi puissant, ces mecs sont comme les Idles, on ne sait pas d’où ça sort, mais ça sort, et quand ça sort, ça sort. Il jaillit un son vainqueur des petites Fontaines, leur America est une horreur de heavy groove. Et pouf, voilà «I Was Not Born» ! Ils finissent par avoir les gens à l’usure, ils défoncent la rondelle des annales avec leur beat élastique, ils disposent d’une vitalité extravagante, oui, c’est un son qui force l’admiration, mais l’admiration ferme sa gueule car elle sait bien au fond d’elle-même qu’elle est faite pour être forcée. On suivrait ces incroyables caméléons jusqu’en enfer. Ils sont passionnants. On peut vraiment compter sur eux.

    Signé : Cazengler, Fonteigne d’ici

    Fontaines D.C. Dogrel. Partisan Records 2018

    Fontaines D.C. A Hero’s Death. Partisan Records 2020

     

    Vous avais promis Sunami, une grosse coupure fibrique m'a privé d'internet... vous refile deux anciennes chroniques la première parue voici dix ans sur la livraison 41 du 23 / 02 /2011 et la deuxième sur la livraison 36 du 20 / 01 / 2011. Le tsunami sera là la semaine prochaine...

    THREE STEPS TO HEAVEN

    THE EDDY COCHRAN STORY

    BOBBY COCHRAN with SUSAN VAN HECKE

    LEONARD CORPORATION. 2003.

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    Deux Cochran pour le prix d'un. L'oncle et le neveu. Tous les fans de Cochran connaissent cette vieille coupure de presse – que l'on retrouve partout – vantant les mérites du petit neveu d'Eddie, reprenant à quatorze ans la succession de son oncle... Ca pue un peu le truc de journaliste prêt à tout pour obtenir un gros titre et deux colonnes en cinquième page...

    Un demi-siècle plus tard il faut se rendre à l'évidence, le journaleux de service avait le nez fin. Bobby Cochran, existe, il suffit d'ouvrir le livre pour le rencontrer. Lourd héritage ou transmission héréditaire ? A vous de juger. Mais avant d'avancer, avisons les fans qui voudraient connaître un peu mieux Eddie Cochran : c'est par ce bouquin – hélas non traduit en français – qu'il leur faut commencer. Les deux autres ouvrages que nous avons chroniqués sur Cochran, le Rock'n'roll Revolutionaries de John Collis et le Don't forget me de Darrel Higham, fourmillent de précisions muséographiques, dates, enregistrements, labels, orchestres, studios, tournées, mais si désirez rentrez en contact non pas seulement avec le travail de l'artiste mais sentir l'épaisseur humaine de l'individu que fut Eddie c'est bien sur cette relation de Bobby Cochran que vous devez vous ruer.

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    Ce n'est pas tant parce que Bobby a connu et côtoyé Eddie – en réalité pas autant qu'on le souhaiterait puisque il était dans sa dixième année lorsque son oncle disparut – mais parce que le livre est écrit d'un lieu privilégié, que tout autre biographe serait incapable d'atteindre, depuis l'intérieur de la famille Cochran. La chair et le sang des Cochran, comme il se plaît à le dire, et qu'il a pu en quelque sorte durant toute sa vie remonter les traces de son oncle, comme avec un laisser-passer back-stage qui lui a permis d'ouvrir toutes les portes, surtout celles que l'on referme soigneusement derrière soi, car l'on n'a pas envie que n'importe qui vienne mettre son nez dans l'envers du décor.

    Sanglantes furent les Pâques de la famille Cochran, ce 17 avril 1960, l'idole de Bobby a fait faux bond. Le grand frère adorable, la figure de proue, l'orgueil de la Cochran Family, ne reviendra plus apporter joie, bonheur, rires et bêtises dans la vie de Bobby. Au soir de ce jour des Parques funestes le petit garçon qui se couche dans son lit se fait le serment de devenir comme son idole pour qu'il ne meure pas tout à fait, pour que son passage en cette vallée de larmes ne soit pas comme une étoile filante dont le souvenir flamboyant ne dure qu'un instant dans la mémoire des hommes.

    C'est Dad, le père de Bobby qui lui enseignera deux années plus tard les premiers rudiments de la guitare. Sur une des deux vieilles caisses délabrées que le père avait récupérées dans une caisse promise à la démolition. Dad n'est pas un virtuose, mais il connaît les premiers accords ceux-là mêmes qu'il avait enseignés à Eddie une dizaine d'années auparavant... L'essentiel, ensuite il suffit de travailler. D'arrache main. Ce que fera le petit Bobby, jusqu'à devenir, selon un critique, un des douze plus grands guitaristes du pays, mais nous y reviendrons. Laissons-le se lancer à la poursuite de Chet Atkins.

    Un sacré bonhomme ce Dad. Pour que vous le situiez mieux, sachez que c'est lui qui a composé le poème inscrit sur la plaque funéraire d'Eddie. Un drôle de truc qui m'a toujours fait penser à l'Annabel Lee de Poe, «  les anges pas à moitié si heureux au ciel ». Je doute fort que le paternel de Bobby ait eu les connaissances littéraires de Poe. Le milieu social n'incline pas à une telle opportunité. Mais de l'esprit torturé de Poe, Dad a sans aucun doute partagé bien des tourments.

    Le sang des Cochran est vicié à la base. L'alcool y abonde. Dad boit, plus de raison. Au-delà de toute raison. Pour parvenir à ce point absolu où les rêves de gloire se mélangent en la sordide réalité des déchéances existentielles. Durant deux ans il ouvrira un studio dans lequel Eddie aimait à le rencontrer, mais les affaires ne seront jamais bonnes et il se résoudra à le fermer. Cet homme qui a fait mille boulots, qui a traversé la grande dépression des années trente, n'aura même pas conscience du rêve américain qu'il aura trimballé toute sa vie avec lui. Difficile à vivre, violent, coureur de jupons, il fit le malheur de sa femme qui finit par partir et de sa famille qui n'en pouvait plus.

    A quinze ans Bobby sera recueilli par la mère de sa petite amie qui l'hébergera et ira jusqu'à lui payer sa première vraie guitare alors que les amours adolescentes de ce futur gendre et de sa fille adorée se sont très vite muées en une simple et franche camaraderie... Mais le Dad de Bobby c'est l'est aussi l'autre Dad, celui d'Eddie qui n'apparaît pratiquement jamais dans les remembrances de Bobby, mais dont la personnalité est comme un double fantômal de celle de son père et comme mangée par celle de son épouse, Granny qui semble le véritable chef de famille alors qu'elle n'est que la poule protectrice de son petit Eddie chéri et préféré. Celle que la réussite d'Eddie investira de la puissance tribunicienne de la famille qui ne fera que s'accentuer après la mort de son mari survenue quelques mois après celle d'Eddie.

    Ainsi Granny jusqu'à sa mort reprochera à Bobby de s'être lancé sur les traces d'Eddie pour récupérer la réputation de son oncle. En fait, elle avait surtout peur de tout ce qui pouvait faire de l'ombre à la postérité d'Eddie.

    La famille Cochran est un peu méditerranéenne quoique le modèle en soit un peu universel. Les hommes commandent mais les femmes règnent. Elles se sacrifient mais ramènent à tout moment leur grain de sel. Les mâles vont au boulot – quand ils en trouvent – mais ils préfèrent s'adonner à de plus viriles occupations, la boisson et la chasse. Eddie ne déroge pas à la loi. Son amour des armes est connu. L'on peut encore admirer sa collection de couteaux et de fusils. Ce que l'on sait moins, ce sont les règles de la chasse à courre qu'il pratiquait. Quatre bonshommes bourrés à fond de train dans leur voiture faisant feu sur tous les lapins qui par malheur croisent leur route. Beaufs en goguette qui n'hésitent pas à abattre froidement et à bout portant une vache qui passait par là. Aventures picaresques : voyage des pieds nickelés au bout de la nuit...

    Bobby nous le rappelle : la Bible affirme que le péché des pères retombe sur les enfants. Une des raisons du froid qui s'établira entre Eddie Cochran et Jerry Capehart qui combine le rôle de producteur et d'imprésario sera la trop grande dépendance d'Eddie à l'alcool. De même pour la fameuse tournée anglaise avec Gene Vincent dont on essaie toujours de nous refaire le coup du dieu noir et de l'ange blond, Bobby Cochran nous décrit un Cochran de plus en plus porté sur la soulographie. Il avance des excuses et des explications : un pays pluvieux et très froid, une cuisine catastrophique, des centaines de kilomètres en des trains insupportables, et l'absence de Granny qui pèse lourd dans le coeur d'Eddie, mais il emploie à plusieurs fois le mot fatal d'alcoolisme qu'il rattache à mots couverts à un atavisme familial... Mauvais sang ne saurait mentir.

    Au contraire de Darrel Higham, Bobby ne laisse planer aucun doute sur l'abstinence sexuelle de notre rock star qu'il nous décrit comme toujours prêt à enfiler dans toutes les positions (in)autorisées la moindre créature féminine qui passe près de lui. Nous apprenons que les ébats de notre chaud lapin auraient laissé sur les rivages britannique – tout comme sur les rives australiennes – une progéniture qui se fit connaître ( mais non reconnaître ) une vingtaine d'années plus tard auprès de la famille...

    Reste le cas Sharon. Bobby Cochran n'élude pas le problème : il ne nous la présente pas toujours sur son meilleur jour. Eddie se serait-il marié avec elle ? Sans doute que non et peut-être que oui, mais en ce cas ils auraient selon son analyse très vite divorcés. Il rappelle que dans les hôtels où ils descendaient Eddie faisait tout pour qu'elle ait sa chambre à un autre étage que la sienne... Sharon était-elle une amoureuse intéressée ? Et Eddie un amoureux intéressant ? J'ose pronostiquer qu'Eddie avait surtout besoin de Sharon lorsqu'elle n'était pas là, mais qu'il était moins en manque de son absence physique que de sa présence dans sa tête. J'entrevois le lien qui l'attachait à Sharon comme un substitut à la personnalité maternelle. Sharon Sheeley était douée d'une forte personnalité et d'un grand appétit de vivre, cela attirait Eddie mais lui faisait peur. Eddie jouait au chat et à la souris avec Sharon Sheeley – je t'attrape et je lève la patte pour la rabattre dare-dare et caetera - non pas pour s'amuser de sa force de séduction mais parce qu'il savait que la petite souris était capable de croquer le gros matou.

    De Cochran, Bobby fait le tour. Nous apprenons ce que nous ignorions comme ce que savions déjà ou avions deviné. Comme la présence du conseil de famille, n'oublions pas qu'Eddie était mineur, qui ne prit peut-être pas toujours les bonnes décisions quant au profilage de sa carrière cinématographique. Pour Granny rien n'était trop beau pour Eddie, mais le mieux étant parfois l'ennemi du bien, il vaut mieux se contenter d'une enchère basse que de brûler les étapes.... Lorsque l'on pense à la dérive filmique d'Elvis, qui sait si Alice Cochran n'aurait pas préservé son rejeton du pire...

    Liberty n'a pas eu une très intelligente attitude quant au soutien de sa vedette censée rivaliser avec le RCA Presley. Waronker, le PDG, regardait le rock par le petit bout de la lorgnette. La compagnie a gardé dans ses frigos des perles qui auraient aidé à établir d'Eddie comme le renouveau et la continuité du rock'n'roll américain, elle préférait le pousser à enregistrer des bluettes qui le classaient comme un des suiveurs d'Elvis, non pas la pente du pelvis pervers mais le côté crooner encroûté...

    Dans la moindre friandise à minettes-teens, le génie d'Eddie parvenait à coller un truc surprenant qui aujourd'hui encore attire et retient l'oreille. La touche du génie en quelque sorte, mais cette espère de surenchère propre aux musiciens de studio consciencieux qui consiste à sauver coûte que coûte la moindre séance possédait son défaut : trop sûr de son talent Eddie ne voyait pas la nécessité d'écrire de nouveaux morceaux puisqu'il était capable de transcender n'importe quel matériau à sa disposition. Sur ce point Jerry Capehart allait à l'encontre de la paresse de son protégé.

    Nous touchons-là à une faiblesse – qui fut aussi sa force en le sens où elle est restée très longtemps une œuvre collective - de toute la musique populaire américaine : la reprise incessante d'un patrimoine d'une telle richesse et d'une telle ampleur que l'on trouve toujours un vieux, ou même récent, morceau à recycler. Ce sont les Stones et les Beatles poussés par de basses considérations matérielles de droits à payer qui comprendront que les interprètes avaient tout à gagner à devenir compositeurs...

    Puisque l'on parle des englishes autant signaler les pages dans lesquelles Bobby Cochran apporte les preuves de l'admiration sans borne que professaient les Beatles mais aussi les Stones, pour l'œuvre d'Eddie Cochran.

    En 1968, Bobby Cochran a la chance de passer avec son groupe en première partie des Yardbirds. A son étonnement Jeff Beck arrive à résoudre avec une grande facilité sur la caisse pleine de sa Fender des passes que lui-même n'obtient qu'avec une très profonde concentration sur la creux caisson de sa Gretch... Bobby se hâtera d'acquérir une fender... Passage symbolique de témoin, le rock évolue... plus tard par un juste retour de manche il sera témoin en compagnie de Sharon Sheeley de la grande admiration de Jimmi Hendrix et de Jeff Beck pour le jeu de guitare d'Eddie Cochran...

    Bobby deviendra un des guitaristes d'un de mes groupes fétiches, Steppenwolf un des fondateurs du hard rock et auteur de l'hymne culte de tous les rockers, l' indétrônable Born to be wild... Bobby continuera sa route notamment avec les Flying Burrito Brothers, Leon Russel et quelques autres du même acabit...

    Mais le destin va de nouveau frapper à sa porte. De nombreux fans d'Eddie l'ignorent mais le 17 avril 1999 Bree Cochran, la fille de Bobby, périt dans un accident d'automobile, touchée à la tête à l'âge de 21 ans, just like Eddie... La suite du chapitre consacré à l'évocation de Bree fait froid dans le dos. Le chagrin d'un père, des mots simples et poignants qui serrent le cœur. L'on a envie de refermer le livre et de sortir sur la pointe des pieds, pour ne pas déranger et endosser le rôle du voyeur, mais Bobbie continue ses synchronicités... quelques mois après la disparition de Bree, Rita sa femme se trouve bloquée dans un encombrement... une jeune fille de 19 ans vient d'être victime d'un accident de la circulation... Rita écrit un mot de consolation aux parents de cette jeune morte dont le sort lui rappelle trop sa Bree chérie... le père téléphone pour remercier... au cours de la conversation, il annonce qu'il lui reste une fille née... un 17 avril et que sa fille morte se prénommait... Cochran...

    Un dernier mot pour finir, Bree Cochran avait elle aussi des relations difficiles avec l'alcool...

    Le sang des Cochran.

    Damie Chad.

    ON EDDIE'S GRAVE...

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    Heavenly music filled the air

    That very tragic day.

    Something seemed to be be missing tho'

    So I heard the creator say :

    «  We need a master guitarist and singer

    I know of but one alone.

    His name is Eddie Cochran

    I think I'll call him home.

     

    I know the folks on earth won't mind,

    For they will understand

    That the Lord loves perfection,

    Now we'll have a perfect band. »

     

    So as we go through life; now we know :

    That perfection is our goal,

    And we strive for this

    So when we are called,

    We'll feel free to go.

     

    SUR LA TOMBE D'EDDIE...

     

    Une paradisiaque musique emplissait l'air

    En ce jour si tragique.

    Quelque chose semblait te manquer à Toi,

    Aussi ai-je entendu le créateur :

    «  Nous avons besoin d'un maître guitariste et d'un chanteur

    Je n'en connais pas à part un seul.

    Il se nomme Eddie Cochran

    Je pense que je l'appellerai dans ma maison.

     

    Je sais que les gens sur la terre ne seront pas d'accord

    Pourtant ils comprendront

    Que le Seigneur aime la perfection,

    Et dès lors nous aurons un orchestre parfait. »

     

    Ainsi cheminons-nous le long de notre vie; désormais nous savons :

    Que la perfection est notre but,

    Et nous nous efforçons d'atteindre à celle-ci

    Pour que, lorsque nous serons appelés

    Nous nous sentions libres de partir.

     

    ROCK'N'ROLL REVOLUTIONARIES

    GENE VINCENT AND EDDIE COCHRAN

    JOHN COLLIS

    ( 230 pp. VIRGIN BOOKS. 2004 )

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    Longtemps que je voulais lire ce bouquin. L'ai toujours vu stigmatisé comme un livre à thèse : comprendre trop partial ou exprimant davantage les idées de l'auteur que la réalité des faits. Il est vrai que le titre claque comme une bannière politique. Rock'n'roll Revolutionnaries, John Collis ne serait-il pas une taupe trotskiste, avec ces englishes intellos il faut se méfier !

    Rangeons les drapeaux rouges dans la profondeur de nos poches. Cette biographie croisée d'Eddie Cochran et de Gene Vincent n'est en rien une analyse marxiste de l'apparition de deux purs héros issus du peuple en lutte contre la rapacité des multinationales qui s'engraissent sur la sueur des forçats chanteurs.... Le terme même n'est jamais repris dans le texte... Le lecteur rectifiera de lui-même, il ne s'agit pas d'une rock'n'roll révolution mais d'une rock'n'roll révélation.

    Avant le soixantième millésime les anglais avaient été gâtés : Bill Halley, Buddy Holly et Jerry Lee Lewis étaient déjà venus prêcher la bonne parole rock, mais ce ne furent que feux de paille trop vite éteints, à peine arrivés, déjà repartis. Avec Cochran et Vincent l'on atteignit un paroxisme orgasmique. La tournée des deux compères eut le temps d'ensemencer le pays : de janvier à avril 1960... quatre mois qui ont révolutionné le rock anglais, car il faut être juste nos deux ostrogoths n'ont pas débarqué en terra incognita, une scène rock existait déjà depuis plusieurs années en Angleterre... d'ailleurs nos américains furent du début à la fin accompagnés par des musiciens autochtones qui s'en tirèrent plutôt bien. Ils en retirèrent même quelques leçons qui permit au rock national de brûler les étapes et de faire en quelques années jeu égal avec le grand-frère américain.

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    Cette tournée fut le big bang initial du rock british et marqua tellement les esprits que cinquante ans après ( donc l'année dernière, en 2010 ) une tournée hommagiale regroupant plusieurs combos accomplit une espèce de pèlerinage musical reconstitutif du charivari originel. Pour ne pas cuver notre dépit dans notre coin, nous petits français donnâmes les 19 et 20 novembre deux soirées du même acabit regroupant les Virginians, Erwin Travis et Thierry Lecoz. Nous vous en reparlerons. Mais revenons à nos lions.

    Sautez allègrement le premier chapitre : certes l'intitulé est alléchant : La marche des Teddy boys. C'est un cours pour lycéen du genre : situation socio-écomique du monde occidental pour la période allant de la fin de la guerre à la fin des années cinquante. Merci monsieur le professeur, ouf ! L'école est finie !

    Dépêchez-vous de tourner la page suivante, car à partir de là, tout n'est que bruit et fureur, la tragédie démarre sur les chapeaux de roue. Ce ne sont pas des conquérants qui foulent le sol de la perfide Albion en ce froid matin de janvier, plutôt des transfuges, des travailleurs émigrés qui s'en viennent voir si l'herbe des célèbres lawns est bien plus verte que celle de leur native grande prairie. Tous deux sont en panne : la carrière de Gene est au point mort, il est déjà un hasbeen de première catégorie, quant à Eddie, plus jeune, si tout n'est pas encore joué, sa maison de disques le verrait mieux en jeune premier de la chanson romantique pour petites filles sages qu'en rocker pur et dur...

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    L'on connaît la suite : le public était en quelque sorte acquis d'avance mais il ne s'attendait pas à une telle furie. Ce n'était pas un spectacle que délivraient les deux boys mais un nouvel art de vivre décliné d'une manière plus enthousiasmante par Eddie, plus tragique chez Gene.

    Vincent et Cochran. Ne tournons pas autour du pot. La question se pose : des deux quel est le meilleur ? John Collis ne l'élude pas. Il ne nous fait pas le coup de l'amitié indéfectible que rien ne pouvait détruire. Trop facile. Si la fatalité n'avait pas endeuillé la fin de la tournée qui oserait prétendre que Gene et Eddie seraient restés comme des frères dans les années qui suivirent ? Parfois les films se terminent trop bien au bon moment.

    Parfois l'amitié est une question de survie. Tout dépend des circonstances extérieures. Et intérieures. Car chacun de nous transportons avec nous nos propres fêlures. Pour Eddie, elle porte un nom que l'on n'attendrait pas : le mal du pays. Au fur et à mesure que les jours passent, que la fatigue s'accroît, que la monotonie s'installe, Eddie prend certainement conscience de ce qu'il est. Pour sûr il adore la scène, les applaudissements, les cris des filles, les sifflets, toutes ces marques de ferveur dopent et dynamisent son égo. Mais point trop n'en faut. Ou alors l'idéal serait de rentrer toutes les fins de semaine à la maison. Sa maman lui manque. Sa chambre, sa guitare, deux ou trois copains qui viennent discuter à la table familiale, Eddie est un jeune garçon tout compte fait plutôt sage.

    N'en faisons pas un retraité avant l'heure, non plus. A toute heure sa gratte le démange. Dans le tumulte de la scène et le tohu-bohu de la tournée, Eddie se cherche et se trouve. On stage, yes OK ! mais dans le corral du studio c'est là que réside la liberté de création. En lui tout est encore en gestation, il a déjà donné quelques chef-d'oeuvres mais tout cela n'est rien comparé à ce qui bouillonne en lui. Cette impatience artistique inassouvie mêlée au sentiment d'instabilité généré par les déplacements incessants se transforme parfois en angoisse. L'on a parlé de prescience de sa mort qu'il aurait manifesté plusieurs fois au cours de son séjour anglais. John Collis remet en cause les témoignages. Que ne ferait-on pas pour attirer ne serait-ce que quelques minutes les projecteurs de la gloire sur notre petite personne. Toutes les occasionnes ne sont-elles pas bonnes ? Les plus dramatiques permettent de mieux frapper les esprits.

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    Il est vrai que Cochran accompagnait ses autographes de la formule « Don't forget me » a posteriori très prophétique, qu'il a été extrêmement marqué par la disparition de Buddy Holly et de Ritchie Valens, mais pour notre part nous voyons en ces faits non pas seulement l'expression d'une peur panique de la mort mais la prise de conscience que le tourbillon existentiel jubilatoire qu'il était en train de vivre le coupait de ce pour quoi il était venu sur cette terre : la musique. Cochran était en train de se rendre compte que cette harassante tournée anglaise l'éloignait de ce qu'il considérait comme l'essentiel de sa vie d'artiste : la création.

    Tout cela était sans doute encore diffus dans la tête d'Eddie. Il savait aussi savourer les bons côtés de son statut de rockstar. John Collis ne le précise pas, mais moi aussi je me doute de la manière dont devaient se terminer ses parties de strip poker organisées avec de jeunes filles consentantes dans ses chambres d'hôtel... Un jour la grande forme je m'amuse comme un fou, un jour la grosse déprime mais qu'est-ce que je fous ici ? Pas besoin d'être docteur pour pronostiquer un début de dépression, et une conduite un peu erratique... quel besoin d'inviter Sharon Sheeley à le rejoindre alors qu'il possédait tout un cheptel à portée de sa couche ! La pauvre Sharon s'est crue l'Elue de coeur, sans doute n'était-elle que la maman de substitution. L'on fuit les fatigantes brebis et l'on se jette dans la gueule de la louve... Il n'y a pas que Gene Vincent dans l'entourage d'Eddie qui se moquaient des prétentions de Sharon...

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    Puisque l'on parle du loup, venons-en à la bête noire de l'attelage. Le cas n'est peut-être pas plus compliqué. Mais il est plus grave. Sans le passage par la case taxi, l'on devine que Cochran, une fois rentré at home, aurait effectué le bon choix, lune de miel + rupture avec Sharon, sortie contre vents et marée d'un disque 100 % guitare, mise en boîtes de quelques futurs standards... la voie était tracée, il suffisait de suivre les pointillés... Mais pour Vincent le découpage était déjà fait. L'homme avait séparé sa vie en deux morceaux : face A, la scène, face B, la scène.

    Non ce n'est pas une erreur de frappe. Dans les mathématiques Vincentiennes A = B et B = A, et tout le reste est égal à zéro. Dans la série je prends le live mais je ne retiens rien de la life, Vincent est sans équivalent. A la vie comme sous les spotlights je suis toujours sur scène. Ce n'est pas tout à fait le même rôle. Devant un micro je suis le roi des fous, à la maison, je suis le fou du roi. Idole d'un côté, idiot de l'autre. L'on ne guérit pas de la schizophrénie, à l'extrême limite vous pouvez donner le change. Tout dépend de quel côté vous regardez le profil de la lune, pas de chance, avec Vincent c'est toujours sombre.

    Un garçon sympathique, gentil, timide, poli, peu bavard. Les premiers anglais qui l'aperçoivent le trouvent falot. Toute sa vie Jack Good se vantera d'avoir été le premier à accoutrer Vincent d'un cuir noir. C'est un peu comme si vous alliez ouvrir la porte de la cage du crocodile qui sommeille et que vous soyez fier de l'avoir réveillé. Ce n'est pas de votre faute, vous pensiez que les gros lézards mangeaient uniquement des mouches. Bref Vincent vous lui donneriez le rock'n'roll sans confession. Le problème c'est qu'il l'a ingurgité depuis longtemps. Toute la partition. De A à Z, et que quand il va vous la jouer, ce n'est pas en sourdine. Vincent, un ange, trois paires de culottes dans sa valise et une auto-miniature en surplus. Un véritable enfant. Quoi de plus innocent ? Rien, à part qu'il a souvent les mains pleines d'une arme. Parfois à feu. Parfois blanche. Mais dans les deux cas, ça chauffe drôlement et vous n'y voyez que du noir. Et attention, ce n'est pas un sketch à la Alfred Jarry, avec Vincent c'est toujours un drame. D'ailleurs, ça finira par la mort. La sienne.

    Mais nous n'en sommes pas si loin. Le livre est structuré comme un roman moderne. La tournée anglaise. Flashback pour les deux chapitres suivants : d'abord Vincent aux States, ensuite Cochran aux States, puis Eddie après le 17 avril, et l'on termine sur Vincent après la même fatidique date.

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    Vincent aux States c'est l'histoire d'un envol vite foudroyé. Vite fourvoyé. Vincent ne prend pas la bonne route. Il prend la route. Be bop a lula n'est pas à son zénith qu'il part en tournée. Un rocker se doit de chanter devant son public. Pas de minauder devant les caméras de TV. Arpentera les USA de long en large, fatiguera ses musiciens qui rentreront vite à la maison, en recrutera d'autres aussi bons mais qui finiront par démissionner. Pour les contrats, les papiers et les dollars, ça ne l'intéressera pas trop. Ne fera pas assez gaffe. Se retrouvera dans des histoires d'avocats. Pour le fric, d'autres se chargeront de le trouver. Gene Chaotic Vincent. Après moi, le rock'n'roll. Le déluge c'est ici et maintenant et tout de suite. C'est un gamin. Qui a mal grandi, avec une guibole accidentée. Et qui refuse de se soigner. Il faudrait une amputation, il pose un morceau de sparadrap, il connaît le remède, se trouve en vente libre dans tous les stores de quartier : un coca-cola de jouvence. Les indiens la surnommaient l'eau de feu et assuraient qu'elle rendait fou. La panacée miraculeuse. Selon Vincent. Vous pouvez l'accompagner de petites pilules de votre choix. Plus besoin de perfusion à l'hôpital si vous optez pour une alcoolisation chronique. Il a un côté très américain. Armes et alcool en vente libre. Mais c'est un rebelle : n'a pas encore compris que le business est indexé sur le prix du dollar. C'est un homme floué qui foule le sol de la perfide Albion. Il a semé les graines du rock aux quatre vents, mais n'a pas fait gaffe aux corbeaux qui ont bouffé la récolte pendant qu'il chantait. La morale n'est pas respectée : c'est la fourmi travailleuse qui se fait plumer comme le stupide dindon de la farce. Essayez de garder votre équilibre psychologique avec de telles colères au coeur. Vincent est une bombe humaine en devenir, il marche au bord de l'abîme, mais la peur est derrière lui. Celui qui a tout perdu possède un immense avantage sur ses commensaux : il ne peut plus perdre.

    Cochran aux States. Aujourd'hui l'on en aurait fait un surdoué de la guitare. On l'aurait envoyé dans une école spécialisée où on lui aurait fait subir la grande aseptisation. Dans les années cinquante l'on vous laissait vous débrouiller tout seul. Do it yourself ! A quinze ans il commence à être reconnu, il a tellement bidouillé le son qu'il a sa place dans le studio à côté de chez lui. C'est un bosseur. Mais pas comme une brute. Il réfléchit, il se pose des problèmes – comme beaucoup – mais il les résout -comme personne. A dix-sept ans il est déjà une figure d'autorité. Pas la grosse tête, le gars toujours prêt à rendre service, à vous montrer comment ça marche et à brancher sa guitare pour vous accompagner. Enthousiaste et pas méprisant. Serviable et efficace. Distribue ses idées sans compter, a real good guy. Sympathique, généreux, talentueux. Tout pour lui, intelligent et beau garçon.

    Pour la beauté nous n'insisterons pas. Collis non plus : se contente de noter qu'Eddie aurait aimé être appelé pour un film qui se passerait de ses talents de chansonnier. Une subtile manière de se démarquer d'Elvis tout en poursuivant un chemin assez parallèle ? L'on n'est pas dans l'imaginaire de notre postulant acteur : rêvait-il d'une bluette sentimentale, d'un western dont il était grand amateur ? Question sans réponse. Qui est mort ne verra pas.

    Mais pour Collis, une chose est sûre. Cochran n'aurait jamais joué d'instinct, il aurait intellectualisé son approche. Comme sur scène. La différence entre Cochran et Vincent ? Inquantifiable. Ils n'habitent pas au même étage, l'un est un instinctif et l'autre un réflexif. C'est vraisemblablement en cela que résidait l'étrange alchimie de leur amitié. Aucun n'empiétait sur le territoire de l'autre. Le dynamisme de Cochran et la sauvagerie de Vincent proviennent de deux sources différentes. Deux tempéraments isolés. L'un peut être au plus haut et l'autre au plus bas. Qu'importe l'un relèvera l'autre et l'autre lui rendra la pareille la fois suivante.

    Sur scène Cochran assure la fin de la première partie et Vincent la fin de la seconde. Il en a été décidé ainsi au moment de la préparation de la tournée. Il semblerait qu'au fur et à mesure que la tournée avance que le set d'Eddie remporterait plus de succès que celui de Gene. Encore que les goûts du plus grand nombre ne correspondent obligatoirement à la meilleure des estimations ! De plus les témoignages que Collis a pu collecter insistent pour la plupart sur la qualité du show de Vincent. Quoi qu'il en soit l'on susurre que Gene devrait s'effacer devant Eddie qui refuse sans ambiguïté. En fait, chacun a trop besoin de l'autre pour mettre en danger leur commune entente. Sans jeu de mot, ils se serviront à tour de rôle de nurse et de béquille.

    Mais au-delà de ces explications psychologiques, il est un autre aspect beaucoup plus rock. Musicalement Cochran est le chef d'orchestre, la valeur sûre dont même Vincent ne saurait remettre les conseils en question, mais pour tout le reste, pour le côté borderline -walk on the wild side, Vincent est l'initiateur. Si Cochran respecte les coups de folie de son alter-ego c'est qu'il a compris que Gene réagit toujours d'après des situations difficiles qu'il a traversées dans un passé agité. Il y a une part de grande sagesse dans l'ouragan de la folie. Très étrangement beaucoup de ceux que Gene a pu exaspérer, voire profondément blesser, par son comportement erratique, avouent ne pas lui en vouloir et le comprendre. Certes les témoignages collationnés par Collis sont parfois postérieurs de plusieurs dizaines d'années aux faits incriminés, le temps est un grand guérisseur qui aplanit bien des aspérités mais ce qui est étonnant c'est que l'on ne trouve trace d'aucune pitié ou mépris envers le créateur de Lotta lovin'. Il est un point de fuite vers lequel tous les interviewes se rencontrent : l'immense artiste que fut Vincent.

    L'après 17 avril pour Cochran est bancal. Collis énumère les rééditions de ses disques, insiste avec raison sur l'énorme travail archéologique réalisé par le label Rockstar, rappelle les reprises de ces morceaux des Blue Cheer à Sid Vicious en passant par les Who. La renaissance rockab des années 80 est trop légèrement évoquée : Matchbox a droit à quelques paragraphes mais les Stray cats sont occultés. Préférences et allergies personnelles de l'auteur ?

    Reste l'épilogue Vincent. La vie de Cochran se trouvant de fait enchâssée dans celle de Vincent, comme un reliquaire d'or pur qui renfermerait le coeur du chevalier invincible. C'est ici que le livre culmine dans une horrifique plénitude. Les dix dernières années de l'existence de Gene Vincent sont une apothéose déliquescente. Le sublime s'y mélange au grotesque. Vincent atteint à une grandeur skakespearienne, deux tragédies pour le prix d'une, Hamlett et le Roi Lear dans la même assomption vers la plus profonde déréliction. Tout y est plus accentué, nous abordons les montagnes russes de l'existence rock'n'roll. Déchéance charnelle et hauteurs métaphysiques. Vincent s'enfonce en lui-même, il ne noie pas son chagrin dans l'alcool, c'est l'alcool qui sombre dans le tonneau des Danaïdes de son mal-être.

    Sur scène, pratiquement jusqu'au bout – et il n'arrêtera jamais de tourner – il est toujours le flamboyant universel. Il peut donner quelques concerts pathétiques, mais dans la série, il y en a toujours un ou deux qui emportent la mise. La fin est horrible, abandonné de tous et lâché par son corps. Il souffre d'asthme, parfois du sang coule de sa bouche et il se dégage une discrète odeur de charogne de sa jambe blessée, mais il reste debout, vaincu mais pas soumis. Il est de très fortes lignes dans lesquelles Collis analyse les belles images du documentaire de la BBC tourné en 1969. John Collis parle de la sérénité qui émane du visage de Vincent. Un homme revenu de tout, qui a jaugé le néant de l'ingratitude humaine, sans illusion et sans regret sur lui-même. Un Rimbaud de retour de sa saison en enfer mais qui n'en tire aucune gloriole. Une illumination bouddhique par la voie de gauche. Un homme qui a payé cash tout ce qu'il n'avait jamais acheté, mais qui reste fier du chemin accompli. Pour parodier Mallarmé, car la parodie est aussi l'arme cachée de la rock attitude, nous dirons que quand l'ombre menaça de la fatale loi son vieux rock'n'rêve, désir et mal de ses vertèbres, affligé de périr sous les plafonds funèbres, il a ployé son aile indubitable en lui. Répétons-le Gene Vincent est un des plus grands personnages de son siècle. La silhouette emblématique des rêves qui n'ont pas fui. Cygne Noir. Devant la sordide réalité du monde.

    Damie Chad.

    PS :Très beau livre, d'un anglais assez difficile pour les petits lecteurs de mon acabit. Les connaisseurs y retrouveront sinon in extenso du moins largement exposés des témoignages originaux dont le lecteur français ne connaît la plupart du temps que de brefs fragments, voire de lapidaires citations. Un très bel hommage à Gene and Eddie.

     

    XXXIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    J'ouvris la porte avec la plus grande précaution. Apparemment rien n'avait changé, rien n'avait bougé, Molossito se précipita vers le bureau et debout sur ses pattes de derrière indiqua en gémissant qu'il était pressé de regagner le tiroir à Coronado dans lequel il avait l'habitude de se s'allonger pour de petites siestes réparatrices.

      • Quel chien intelligent, rayonnait le Chef, non seulement il a depuis longtemps compris que le bonheur réside là où se trouve le Coronado, mais en plus il vient de nous indiquer que le local a été visité avec soin, normalement ses coussinets auraient dû laisser quelques empreintes sur la poussière accumulée pendant notre absence, or le plancher est vierge de toute trace, nos visiteurs ont tenu à passer le balai avant de partir, nous avons affaire à de véritables hommes d'honneur !

      • Ou de simples femmes de ménage, Chef, je pense que les envoyés spéciaux de l'homme à deux mains, doivent manier plus souvent la sulfateuse que le plumeau !

      • Je ne suis pas loin de partager vos appréhensions, agent Chad, la meilleure défense étant l'attaque, il me semble qu'au lieu de jouer au chat ( Ouah ! grogna Molossa ) et à la souris ( Miaou ! s'amusa Molossito ) il serait temps d'avoir une explication définitive le plus vite possible, partageons-nous les préparatifs, dégottez-nous une voiture potable, pendant ce temps je m'occuperai des armes et des Coronado.

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    Quelques heures plus tard je remontais les escaliers en sifflotant, j'étais assez content de moi, j'avais récupéré une Lamborghini que j'avais fait repeindre en orange fluo, j'avais dû insister pour que l'on me change les plaques d'immatriculation qui maintenant n'offraient plus à l'avant comme à l'arrière, que les trois lettres SSR, ne fallait surtout pas que lorsque nous arriverions devant l'homme à deux mains il puisse hésiter ne serait-ce qu'une fraction de secondes sur notre identité.

    Lorsque j'ouvris la porte, les chiens couraient partout excités comme des puces, par quels mystérieux canaux avaient-ils compris que l'Aventure recommençait, le Chef refermait placidement deux énormes valises, j'eus du mal à soulever celle à Coronado, c'est à ce moment que le téléphone sonna et que le Chef décrocha. Sans doute n'aurait-il pas dû, mais c'est ainsi.

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      • Allo ! - la voix était sèche et brève, l'on sentait quelqu'un qui avait l'habitude de commander, ou plutôt d'être obéi avant même d'avoir commandé – vous êtes bien un représentant du SSR ?

      • Le Chef en personne ! Vous ne pouvez pas mieux tomber.

      • Je viens d'apprendre que les premiers 45 tours d'Elvis Presley étaient des soixante-dix-huit tours, est-ce vrai ?

      • Présentée ainsi la vérité la plus vraie, il n'est pas le seul dans ce cas, il...

      • Je les veux !

      • Lesquels ?

      • Tous !

      • Tous les 78 tours parus depuis...

      • Non pas tous, uniquement ceux des rockers et des petits chanteurs de rockabilly.

      • Cela fait beaucoup...

      • Ne vous préoccupez pas de cela, une ligne de crédit illimité est ouverte sur le compte du SSR depuis trente secondes, je vous rappelle demain matin !

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    Même les chiens avaient arrêté de faire les fous. Pas de temps à perdre maugréa le Chef, nous avons mieux à faire, mais par acquis de conscience il ouvrit l'ordinateur. C'était incroyable le compte bancaire du SSR ne comportait qu'une ligne : crédit illimité, en lettres capitales rouges. Par téléphone le directeur confirma, le secret bancaire lui interdisait de nous communiquer le nom du généreux donateur, une personnalité bien connue du gotha financier ajouta-t-il. La nouvelle demandait réflexion. A bien y réfléchir depuis le temps que nous bataillions contre lui l'homme à deux mains pouvait attendre. Ce n'est pas que nous aimions l'argent mais le Chef caressait depuis longtemps le projet d'ouvrir Le Musée du Coronado, et moi-même je savais que je ne pourrais terminer les Mémoires d'un Génie Supérieur de l'Humanité que sur une île déserte perdue au milieu du Pacifique entouré de quelques servantes attentionnées...

    L'agent Cat Zengler contacté au plus vite était davantage circonspect, mais quand le lendemain notre mystérieux commanditaire nous contacta pour savoir si nous acceptions sa proposition, nous lui posâmes une seule condition, qu'une ligne de crédit illimité soit affecté à notre tête chercheuse, pour couvrir les faux frais, le Cat changea totalement d'avis et se mit en quête du Graal 78 ainsi qu'il dénomma l'opération. En huit jours, sur les sites d'enchères il rafla tout ce qui de près ou de loin ressemblait à un soixante-dix-huit tours de rock'n'roll.

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    En quinze jours l'affaire fut pliée. Le téléphone sonna une dernière fois :

      • Merveilleux, je viens de recevoir votre envoi, tout y est, c'est parfait ! Je vous laisse vos lignes de crédit illimité jusqu'à la fin de l'année, profitez-en bien !

      • C'est très gentil à vous, nous ne savons...

      • Ah oui, j'allais oublier, j'ai un petit cadeau pour vous, il sera chez vous dans deux ou trois jours !

      • Nous guetterons la boîte à lettres avec impatience !

      • J'ai dit un cadeau, pas une bricole !

      • Le facteur nous le montera à l'étage !

      • Ah ! Ah ! Les facteurs français doivent être très forts alors !

      • Alors nous nous contenterons d'attendre sagement !

      • Hélas non, messieurs, je suis immensément riche mais trop pauvre pour vous l'expédier à Paris, il sera livré dans la bonne ville de Cannes, je vous ai réservé le plus beau palace de la ville en entier pour tout le mois, pour vous deux et vos deux chiens. Au revoir.

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    Le Chef n'avait pas reposé le téléphone qu'il sonna aussitôt. Nous reconnûmes aussitôt la voix.

      • Bonjour mes amis, je pensais recevoir votre visite ces jours-ci, vous ai attendu en vain. Vous me décevez ( le cigare du Chef laissa échapper un nuage noir comme une menace de mort ) enfin tant pis, j'espère vous voir à mon retour, pour le moment je pars en vacances sur la Côte d'azur, que voulez-vous même un homme à deux mains a besoin de repos !

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 509 : KR'TNT ! 509 : GLYN JOHNS / JAMES HUNTER / SYLVAIN SYLVAIN / GULCH / FORÊT ENDORMIE / APOLLYON /ROCKAMBOLESQUES XXXII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 509

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    06 / 05 / 2021

     

    GLYN JOHNS / JAMES HUNTER

    SYLVAIN SYLVAIN / GULCH /

    FORÊT ENDORMIE / APOLLYON

    ROCKAMBOLESQUES XXXII

    À la saint Glyn-Glyn

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    Glyn Johns ? Mais oui, tu as vu son nom au dos de tout un tas de pochettes, à la grande époque : Steve Miller Band, Move, Chris Farlowe, Spooky Tooth, Stones, Faces, Led Zep, Who, Humble Pie, Leon Russell, et d’autres moins recommandables dont on ne citera pas les noms pour économiser de la place. Alors comme il a bossé avec une quantité exorbitante de célébrités, Glyn-Glyn nous a troussé une bonne petite autobio, allez hop, 300 pages écrites d’une main de fer, sans fioritures ni bavasseries, fermement sanglées, dans un style âpre et sharp. Pas la moindre trace d’humour ni d’introspection. Glyn-Glyn qu’on surnommait Bluto est un mec qui ne touchait à rien, ni drogues ni alcool et qui était là pour bosser. C’est Ronnie Lane qui lui trouve ce surnom : Bluto, version anglaise de Brutus, le gros dur baraqué qu’on peut voir dans Popeye. Ronnie Lane aime bien Bluto et c’est réciproque. Quand Ronnie prend le quartier d’orange piqué au LSD que lui offre Brian Epstein et qu’il s’envole en direction d’Itchycoo Park, c’est la Jaguar Type E de Bluto qu’il repère dans la circulation.

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    Le Bluto book s’appelle Sound Man. Sec et net et sans bavure. Bien sûr, il y a un sous-titre et deux petites photos en couverture : la première nous montre Bluto avec Jag et McCartney, et l’autre avec Keef et Charlie. L’avantage de ce book est qu’il nous permet d’entrer en studio avec des gens intéressants, notamment les early Stones. Rien que pour ça, on est content du rapatriement. Bluto a le pot d’être pote avec Stu, c’est-à-dire Ian Stewart, le sixième Rolling Stone. Ils partagent un appart. Bluto se retrouve donc aux premières loges. Stu et Brian Jones créent les Rolling Stones en plaçant une petite annonce dans Jazz News. Et voilà comment Bluto se retrouve embarqué pour treize ans dans l’aventure des Rolling Stones. Il voit Brian Jones à l’œuvre - Brian was king of the riff, «The Last Time» being a classic exemple - Il nous explique aussi que Brian et Keef se complétaient - Brian complemented Keith’s exceptionnal rhythm with a variety of sounds - Et puis les drogues entrent dans la danse et Brian se retrouve isolé dans le groupe. Plus il se schtroumphe et plus les autres l’ignorent. Plan classique et tellement dégueulasse. Bluto n’est pas bien clair là-dessus : «Je dois dire qu’à la fin j’éprouvais de la peine pour lui, mais je suppose qu’il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.» Ben voyons. Mais l’histoire de sa relation avec Brian Jones ne s’arrête pas là puisque Brian lui demande de l’accompagner au Maroc pour enregistrer les musiciens de la tribu Gwana, qui sont originaires du Haut Atlas et qui se produisent sur la fameuse place Jemaa el-Fna de Marrakech. L’idée de Brian nous dit Bluto était d’enregistrer les Gwana puis d’aller à New York overdubber du black American blues and soul music on top. Mais Brian est tellement défoncé qu’il demande à Bluto de se débrouiller tout seul pour enregistrer. Alors Bluto part en vadrouille dans la médina avec le magnéto. Pendant ce temps, Brian continue ses conneries et casse le téléphone dans sa chambre. Au Maroc, à cette époque, il faut compter des mois pour réparer un téléphone. Excédé, Paul Getty Jr qui les héberge décide de virer Brian et demande à Bluto de le ramener à Londres. Le voyage de retour ne se passe pas très bien. Brian s’est excusé mais Bluto lui sert une belle soupe à la grimace - The trip did nothing for my already stained relationship with him - Fuck it ! Brian reviendra au Maroc - sans Bluto - pour enregistrer les fameuses Pipes of Pan at Joujouka.

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    Par contre Keef, c’est une autre histoire. Il se schtroumphe aussi, mais c’est Keef, tu comprends ? Bluto nous explique que durant toutes les années où il a travaillé avec lui, Keef ne lui a jamais dit bonjour ou au revoir, et qu’il n’avait absolument aucun goût pour le small talk - His living in a chemically induced state was the norm, so I never took it personally (Son état de défonce permanente était la norme, aussi ne me suis-je jamais formalisé) - Bluto est plus tolérant avec Keef, même s’il est aussi camé que Brian, mais bon, c’est Keef. Le Stone que le tout le monde préfère, c’est Charlie, bien sûr, et Bluto ne fait pas exception à la règle, un Charlie qui résume ainsi cinquante ans de carrière dans les Stones : «Ten years of working and forty years of hanging around.» (Dix ans à bosser et quarante ans de poireau). Tous ceux qui ont joué dans des groupes savent que les temps d’attente sont les plus longs, que ce soit en studio ou en concert. Bluto nous rappelle aussi qu’aussitôt après la session de «Gimme Shelter», Merry Clayton fit une fausse-couche. Autre info de taille : remember «You Got The Silver» sur Let It Bleed ? Comme Jag est en Australie à ce moment-là pour tourner Ned Kelly et qu’il faut boucler l’album, Bluto demande à Keef de chanter «You Got The Silver». Merci Ned Kelly, car «You Got The Silver» est l’un des cuts des Stones les plus mythiques. Et quand Mick Taylor quitte le groupe, Bluto éprouve un grand soulagement, car il ne s’entendait pas bien avec lui. Avec les sessions de Black And Blue, les Stones reviennent à la formation originale - sans Brian Jones - mais c’est à ce moment-là que s’achève la relation de Bluto avec le groupe : les Stones profitent des sessions de Munich pour auditionner des guitaristes, alors Bluto qui n’en peut plus de poireauter finit par craquer et décide de se barrer. Il a une dernière conversation avec Jag, au cours de laquelle il lui rappelle qu’il a passé plus de temps avec eux, les Stones, qu’avec sa femme et ses enfants. Donc, là, c’est bon. Stop. Et quand Bluto dit stop, c’est stop. Par la suite, certains de ses amis lui diront que les Stones sont toujours aussi bons sur scène, mais Bluto n’éprouve aucune envie de les revoir - As I prefer to remember the band as it was with Stu and Bill - Bluto préfère les early Stones et on ne peut pas lui donner tort.

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    Bête de studio comme d’autres sont rats de bibliothèque, Bluto ne lésine pas sur les détails. Il nous rappelle par exemple que les studios Olympic se trouvaient au début derrière Baker Street, avant de se réinstaller dans une ancienne salle de cinéma, in Barnes, south of Hammersmith bridge in London. Keith Grant revendra l’Olympic à Richard Branson. Puisqu’il fricote pas mal avec les Small Faces, Bluto croise aussi Andrew Loog Oldham et Don Arden. Magnanime, il leur octroie à chacun un petit paragraphe. Il rend surtout un bel hommage à Chris Blackwell, le boss d’Island Records - Perhaps the most extraordinary man I met in the music business is Chris Blackwell - Un Blackwell qui démarre en Jamaïque en 1956 et qui s’installe à Londres en 1962 pour créer le premier label indépendant.

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    Et puis un jour un mec de San Francisco appelle Bluto et lui explique qu’un groupe inconnu veut enregistrer son premier album à Londres, à l’Olympic, avec lui. What ? Le groupe s’appelle the Steve Miller Band et c’est le point de départ d’une sacrément belle histoire. En 1968 et 1969, Bluto produit les quatre premiers albums du groupe : Children Of The Future, Sailor, Brave New World et Your Saving Grace, quatre énièmes merveilles du monde.

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    En fait Bluto a une vie bien remplie, certains passages du book donnent carrément le vertige. En 1969, il raconte par exemple qu’il rentre de San Francisco où il a démarré l’enregistrement de Brave New World et qu’en descendant de l’avion, pouf, il saute dans sa Jaguar Type E, et vrrooom, il file directement chez Apple passer deux jours avec les Beatles, puis il enquille aussitôt après une all-night session à l’Olympic avec les Stones, et le matin, paf, sans avoir eu le temps de se brosser les dents, il resaute dans sa Jaguar pour foncer chez Apple où l’attendent les Beatles, mais la journée n’est pas finie, car le soir-même, il doit foncer jusqu’à l’Albert Hall enregistrer the Jimi Hendrix Experience, un enregistrement qu’il va d’ailleurs foirer, pas parce qu’il est crevé, mais parce que l’acoustique de l’Albert Hall est toute pourrie. Enfin c’est ce qu’il dit. Sacré Bluto ! On tourne la page et pif paf pouf !, ça repart de plus belle : un mois plus tard il finit l’enregistrement de Brave New World à San Francisco et de retour à Londres il saute dans sa Jaguar Type E, vroom, pour aller finir Abbey Road avec les Beatles, mais il doit faire la navette entre Abbey Road et l’Olympic où il bosse sur Let It Bleed avec les Stones. La jaguar ne chôme pas. Toujours pas le temps de se laver les dents. Mais ce n’est pas tout, car il bosse aussi en même temps avec George Harrison sur un album de Billy Preston. Plus loin, il nous refait le coup du surbooked man : en 1970, il passe treize jours en studio avec les Who sur Who’s Next et soudain, il sent qu’il doit faire un break, alors il saute dans un avion pour Los Angeles, achète une Jaguar aussitôt descendu de l’avion et demande à son pote Ethan Russell de l’accompagner dans sa traversée des États-Unis. Vroom ! Ils arrivent à New York dix jours plus tard, Bluto saute dans un avion qui le ramène à Londres d’où il repart pour filer à Saint-Trop assister au mariage de Jag et Bianca. Tiens, encore un petit shoot de tourbillon, toujours en 1970 : il vient de finir l’enregistrement du premier album des Eagles et, sans avoir le temps de se laver les dents, il entre en studio avec Paul McCartney et Wings pour enregistrer Red Rose Speedway, deux semaines de boulot au terme desquelles il retrouve Ronnie Lane et Woody pour l’enregistrement du soundtrack de Mahoney’s Estate. En fait sa vie se résume à ça : une cavalcade infernale d’un studio à l’autre, il est l’ingé-son le plus demandé à Londres et, petit à petit, aux États-Unis. Davis Geffen l’invite à dîner et Bluto sait bien que ce n’est pas pour ses beaux yeux - Il doit avoir une idée derrière la tête - Bluto se retrouve donc à table avec Geffen, Jac Holzman et Joni Mitchell. Bien sûr Bluto rêve de bosser avec Joni mais il n’en aura pas l’occasion car Joni n’a visiblement pas envie de bosser avec lui. Il rencontre aussi Denny Cordell, qui avait démarré avec Chris Blackwell chez Island avant de décider de voler de ses propres ailes. Cordell et Bluto enregistrent les Move à l’Olympic, puis le premier single de Joe Cocker, «Marjorine». Cordell allait par la suite lancer Procol Harum avec «A Whiter Shade Of Pale» et propulser la carrière de Joe Cocker avec «With A Little Help From My Friends». Quand Cordell revient à Londres mixer le premier album de Joe Cocker, il ramène avec lui Leon Russell et ils bossent tous les trois ensemble à l’Olympic sur l’album sans titre de Tonton Leon. Alan Spenner, Klaus Voorman, Charlie & Bill, Ringo & George viennent donner un coup de main. Leon Russell sort en 1970 sur Shelter, le label que Tonton Leon et Denny Cordell ont fondé. Ils allaient par la suite signer Tom Petty, Phoebe Snow, Freddie King et JJ Cale, pardonnez du peu. Et le Dwight Twilley Band, bien sûr. Et puis arrive l’épisode du double live Mad Dogs & Englishmen. Bluto se voit confier la mission de sauver les enregistrements des concerts et bien sûr il demande à Joe Cocker de venir valider le résultat. Mais Joe n’est pas très content de la façon dont s’est déroulée la tournée. Tonton Leon avait volé le show et Joe ne cachait pas on amertume. C’est vrai, quand on voit le film, on ne voit que Tonton Leon avec son haut de forme. Mais bon prince, Joe écoute quand même les bandes, donne son accord et se barre sans ajouter un mot.

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    La liste des poids lourds ne s’arrête pas là. Voilà les Who. Bluto eut la chance de bosser comme ingé-son avec Shel Talmy - I was lucky enough to record a few of the early singles they did with Shel, including «My Generation» - Un peu plus tard, il enregistre «Won’t Get Fooled Again», depuis le Stones Truck. Il n’est pas dans le studio, mais quand il entend arriver le son des Who, il sent ses cheveux se dresser sur sa tête - My hair being parted by what was coming out the speakers - Il ajoute qu’il avait déjà entendu pas mal d’énormités dans sa vie, mais le son des Who dépassait tout. Il revient aussi assez longuement sur Moony. De la même façon qu’il a vu Brian Jones se désintégrer, il voit Moony péricliter. Dans un cas comme dans l’autre, il ne se montre pas très charitable : «Keith pouvait être très drôle. Mais hélas, il ne s’arrêtait pas là, et ce qui commençait par être drôle finissait par devenir extremely unpleasant.» Il y a notamment l’histoire de la robe blanche. Lors d’une soirée chez Bluto et sa femme Sylvia à Los Angeles, Moony fait le con en arrosant les jardiniers mexicains. En représailles, Sylvia jette ses fringues qu’il avait soigneusement pliées dans la piscine. Moony pique une crise de rage et demande en dédommagement qu’elle lui prête une robe blanche brodée de fleurs, puis il s’en va. Quelques années plus tard, Clapton et Bluto échangent quelques anecdotes sur les Who et à un moment, Clapton raconte qu’un jour, à l’Hyatt House hotel où il résidait, il a vu Mooney se pointer vêtu d’une robe blanche brodée de fleurs.

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    Bluto se retrouve un jour en charge des London sessions de Wolf. Le mec de Chess qui supervise l’opération embauche Ringo et Klaus Voorman. Mais Bluto sait bien que Ringo et Klaus ne sont pas des musiciens de blues. Ringo se demande même ce qu’il fout là et dit à Bluto qu’il veut se barrer. Alors Bluto suggère au mec de Chess les noms de Bill & Charlie, avec Stu au piano. C’est d’accord et Bluto appelle Bill chez lui dans le Suffolk. Bien sûr, Bill rapplique aussitôt. Dans le control room, Wolf papote avec Bluto qui ne comprend rien - I did not understand a great deal of what he said, as he had an almost unintelligible accent - Mais le plus triste de cette histoire nous dit Bluto, c’est que Wolf ne semblait pas comprendre ce qu’il foutait là, à Londres. Il ne connaissait même pas les noms des musiciens, et comble de malaise, il n’était pas vraiment en bonne santé.

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    En 1970, Bluto se voit sollicité à la fois par Humble Pie et par les Faces. Il commence par enregistrer le premier album d’Humble Pie à l’Olympic, mais il se dit déçu par le groupe. Bizarre. Il enregistre encore Rock On avec eux puis il décide d’arrêter. Stop. Il enregistre le troisième album des Faces, A Nod Is As Good As A Wink To A Blind Horse et là il dit se régaler. Et nous aussi, d’ailleurs. On trouve aussi dans le book un petit règlement de compte avec Phil Spector. Ça n’a rien de surprenant, étant donné que l’affreux Totor a remixé le travail de Bluto sur Let It Be, et forcément Bluto le prend mal, mais vraiment très mal : «John gave the tapes to Phil Spector who puked all over them - c’est-à-dire qu’il a vomi dessus - transformant l’album into the most syrupy load of bullshit I have ever heard.» On voit bien qu’il est en pétard. Et pourtant, Totor a fait des merveilles sur Let It Be. Ils ne sont que deux à ne pas le voir : Bluto et McCartney. Il faudra leur offrir une boîte coton-tiges à Noël. D’ailleurs McCartney a fini par sortir un Let It Be naked, celui de Bluto, justement.

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    Et puis le temps passe et les modes évoluent. Bluto perd ses repères. Mais il avoue encore quelques coups de cœur pour des gens comme Andy Fairweather-Low ou Joan Armatrading. Il fait trois albums avec elle, Show Some Emotion, To The Limit et Steppin’ Out et dit qu’ils font partie de ses albums favoris. Bluto enregistre aussi sur fameux Rough Mix de Pete Townshend & Ronnie Lane. Comme il était dans la dèche, le pauvre Ronnie vint demander de l’aide à son vieux poto Pete qui lui a proposé de faire cet album superbe. Fasciné par l’idée, Bluto accepta aussi sec de leur filer un coup de main. Il dit que c’est l’un de ses albums favoris and certainly one of the best I ever made. On sort de ce book ravi d’avoir recueilli toutes ces confidences, même si certaine son un peu pète-sec.

    Signé : Cazengler, pour qui sonne le Glyn

    Glyn Johns. Sound Man. Plume/Penguin 2015

     

    L’avenir du rock - They call me the Hunter

    ( Part Two )

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    Il se pourrait bien que James Hunter soit l’un des artistes majeurs de notre époque. Tous ceux et celles qui l’ont vu sur scène le savent déjà, mais ça ne représente pas beaucoup de monde. Ce mec a déjà un gros parcours, mais il n’est pas encore en couverture des magazines. Pour le croiser dans la presse rock, il faut se lever de bonne heure. Serrons donc la pince d’Alice Clark pour la remercier d’avoir consacré six pages à James Hunter dans un vieux numéro de The Blues Magazine qui fut, soit dit en passant, un support d’un excellent rapport. Dès le chapô, Alice Clark tape dur : elle cite les noms de Van Morrison, Georgie Fame et Allen Toussaint pour bien situer le contexte, car oui, l’Hunter navigue dans ces eaux-là.

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    L’Hunter-national raconte son histoire de la même façon qu’il joue sur scène : en rigolant comme un bossu. Quand Alice Clark lui demande si l’histoire de la caravane dans un champ d’oignons est vraie, l’Hunter-continental éclate de rire. Oui, c’est vrai, il a grandi à Colchester, Essex, dans une caravane et le voyant privé de distractions, sa grand-mère lui offrit ce qu’on appelle une dansette et un 78 tours de Jackie Wilson, «Reet Petite» - I heard it and it gave me the taste - Jackie Wilson, c’est pas mal, comme point de départ, non ?

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    Pour bien ferrer son sujet, Alice Clark rencontre l’Hunter-féré dans un coffee bar de Brighton, où il s’est installé. Elle le voit arriver en vélo et parler de ses deux chiens, deux terriers, Sugar & Honey, mais la conversion roule aussi sur John Lee Hooker, Etta James et Allen Toussaint. Il revient sur ses débuts, et il avoue que ce n’était pas facile. Pour vivre, il bossait pour le British Rail, à réparer les signaux, comme dans The Navigators, le film de Ken Loach. Il joue le soir après le boulot et finit par envoyer une démo à Ted Carroll, chez Rock On, à Camden. Ça plaît bien et l’Hunter-urbain vient chaque week-end à Londres. Il s’acoquine avec Dot & Tony pour aller busker dans les rues et se faire un billet. Il est surpris à l’époque de rencontrer des gens qui ont les mêmes goûts que lui, the old blues and R&B and Soul. Nos buskers ramassent jusqu’à 40 £ qu’ils vont aussitôt claquer en disques chez Rock On - Rock On was really something - Quand un mec comme l’Hunter-galactique parle ainsi, ça veut dire ce que ça veut dire.

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    C’est la période d’Howlin’ Wilf & The Vee-Jays et de l’album paru sur Big Beat, Cry Wilf, dont on a déjà dit le plus grand bien dans un Part One qui doit dater de 2018. Alice Clark qui fait bien son boulot rappelle que Boz Boorer produisit Cry Wilf, et elle cite comme influences Lee Dorsey, Georgie Fame et Jackie Edwards. Pas mal, non ? Dommage qu’elle n’insiste pas davantage sur la classe de Dot, la guitariste du groupe, une blonde avec une grosse Gretsch, gosso-modo le même trip qu’Ivy, en version londonienne. Mais en dépit d’un énorme potentiel, Howlin’ Wilf & The Vee-Jays passent à la trappe. Alors l’Hunter-actif reprend son petit bonhomme de chemin, plom plom plom, il joue ici et là, jusqu’au jour où Van Morrison le repère et lui demande de venir l’accompagner sur scène. Oh ben oui ! On entend l’Hunter-modal sur deux albums de Van the Man, A Night In San Francisco et Days Like This. Et pendant la tournée de promo américaine, pouf, il se retrouve sur scène avec deux de ses idoles, John Lee Hooker et Georgie Fame. Hooky qui trouve l’Hunter-polé marrant l’invite à une house party, et là, l’Hunter n’en revient pas, des kids jouent un 78 tours sur une dansette, comme lui quand il était petit. Jackie Wilson ? Non Charles Brown. Hooky grommelle : «Who put this shit on ?». Bon là on est en pleine mythologie et Alice Clark demande à l’Hunter-pelé de calmer le jeu. Ça va beaucoup trop vite, Rock On, Jackie Wilson, la caravane, Sugar & Honey, Dot, Van the Man et Hooky, ça fait beaucoup pour un seul article. Bon d’accord.

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    Alors l’Hunter-posé raconte que Georgie et lui parlaient de cinéma, Sidney Lumet et patin couffin et soudain, il remet la pression : le soir du 17 avril 1960, à Chippeham, Georgie raconte qu’il arrive à la police station juste après l’accident qui vient de coûter la vie à Eddie Cochran et il voit la Gretsch d’Eddie sur une chaise.

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    Comme l’Hunter-venant a guesté sur deux de ses albums, Van The Man lui retourne la politesse en guestant sur son premier album, Believe What I Say - I was struck by his voice, he sings at a consistent level of volume. His quiet notes go just as high as his loud ones (J’étais scié par sa voix, il chante toujours au même niveau, avec la même puissance) - Van the Man et l’Hunter-naute duettent sur deux covers de Bobby Blue Bland, «Turn On Your Love Light» et «Ain’t Nothing You Can Do». Sur cet album, il duette en plus avec Doris Troy, pardonnez du peu. Mais en dépit de tous ces coups d’éclat, l’Hunter-rompu se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau, contraint de bosser sur des chantiers et de busker le week-end to make ends meet comme le disent si joliment les Anglais. Eh oui, on peut avoir du génie et connaître des fins de mois difficiles. L’Hunter-stice est tellement déterminé à vaincre qu’il lâche son boulot pour aller busker tous les jours sur Old Crompton Street, ce qui lui permet de doubler ses revenus. Tous les buskers le savent, et Dave Brock le premier, le busk peut rapporter gros - It was a dark time for me but the music was good - C’est très exactement ce qu’on apprécie chez l’Hunter-cédé, cette façon de prendre les choses du bon côté et de s’amuser coûte que coûte. On en bave, mais on se marre. Son troisième album People Gonna Talk finit par sortir sur Rounder et le voilà en tournée aux États-Unis. Il se retrouve en première partie d’Aretha et d’Etta James. Ça bingotte sec sur la piste aux étoiles ! En 2008, il a le privilège d’avoir Allen Toussaint comme guest sur son album The Hard Way. L’Hunter-lude en profite pour taper l’éloge du siècle : «Elegance and economy aren’t often used in the same sentence, but both qualities informed his playing and, as I discovered after I got to know him, through his conversation. He always played or said just enough and no more, but he made the point more eloquently than anyone I have ever met.» (On trouve rarement les mots élégance et économie dans la même phrase, mais on trouve ces deux qualités dans son jeu et dans sa conversation. Il ne dit jamais un mot de plus que ce qu’il faut dire et il est le mec le plus éloquent qu’il m’ait été donné de rencontrer). Que les pipelettes et les commères du village en prennent de la graine. C’est l’époque où Allen Toussaint, chassé de la Nouvelle Orleans par l’hurricane Katrina, s’est installé à New York. S’ensuit la rencontre avec Gabe Roth et l’enregistrement de Minute by Minute à Daptone West, qui se trouve à Riverside, en Californie. Chez Daptone, l’Hunter-mezzo se sent enfin à la maison. Et la Soul a de nouveau de beaux jours devant elle.

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    Son dernier album qui s’appelle Nick of Time grouille de pépites à l’ancienne. Rien qu’avec «Never», «Brother Or Other» et «Paradise For One», Nick of Time entre dans la caste des classiques de la Soul moderne, au côté des albums de Freddie Scott, d’Arthur Alexander ou de Clarence Reid, pour n’en citer que trois. Avec «Never», l’Hunter-cepteur remonte le courant, il chante au smooth de l’inespérance à travers des accords de cuivres inconnus. Il crée une nouvelle dimension de la Soul, mais en même temps son originalité le rend inclassable. «Brother Or Other» est l’occasion pour lui de nous emmener faire la fête en ville. Il groove son groove et shake son shook à un niveau qui nous dépasse, tellement c’est inspiré. On retrouve chez lui l’aisance vocale des géants comme Brook Benton ou Solomon Burke. Il joue «Paradise For One» aux accords de paradis du jazz blues. Oui, James Hunter sait jiver le jazz, il sait couler des bronzes extraordinaires, il détient tous les pouvoirs du magicien, notamment celui de savoir jouer la pompe manouche. En l’écoutant, on le revoit, sur scène il est toujours poilant, toujours en train de déconner, même s’il gratte des trucs terribles sur sa gratte jaune. On le voit se fondre avec «Can’t Help Myself» dans le groove africain. Il est à la fois joueur et sérieux. Il sort sa niaque dès «I Can Change My Mind», let me tell you, il chante au bien fondé du aw baby, il ramène toute la blackitude du monde dans son aw aw aw. Dès qu’il attaque un cut au smooth, on crie au loup. Il secoue les coconuts du paradis avec «Who’s Looking You». Pour redorer le blason du groove, il dispose d’une aisance déconcertante et d’une grâce qu’il faut bien qualifier d’indicible. Son péché mignon doit être le jazz blues car il y revient avec «Till I Hear From You». C’est cuivré dans l’axe et rehaussé d’harmo, c’est plein d’une vieille énergie qui ne veut pas dire son nom, ni groove, ni blues, just the Hunter-face sound, un truc bien à lui. On a constamment l’impression d’entendre un géant du smooth, du genre Sam Cooke ou Bobby Blue Bland. On entend même les castagnettes de Totor dans «Missing In Action». Il attaque son «Ain’t Goin’ Up In One Of Those Things» à la Georgie Fame, c’est-à-dire au vieux rumble de jazz. Ce démon de James Hunter allumerait n’importe quel groove de jazz, il dispose de pouvoirs considérables, d’autant plus considérables qu’il passe là un solo de guitare délicieusement ahuri. Voilà donc un homme qui offre une fête qu’on voudrait sans fin.

    Signé : Cazengler, Hunter-minable

    James Hunter Six. Nick Of Time. Daptone 2019

    Alice Clark : Night Of The Hunter. The Blues Magazine # 29 - April 2016

     

     

    Syl Sylvain m’était conté - Part Two

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    Après les Dolls, Sylvain Sylvain reprend son petit bonhomme de chemin. Il bricole un peu avec les Criminals et lorsque David Johansen lui propose 2 000 $ pour l’accompagner en tournée européenne, il accepte. Il compte sur ce blé pour financer son projet. En rentrant à New York, il croise un vieux pote nommé Ron Roos qui lui propose un deal chez RCA. Wow ! Solo Syl n’en revient pas ! RCA, le label d’Elvis, de Bowie et de Lou Reed ! Il saute de joie. RCA ! RCA !

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    Son premier RCA sort en 1979 et s’appelle Sylvain Sylvain. Il opte pour un look beaucoup plus sobre qu’au temps des Dolls et attaque avec le fameux «Teenage News» sur lequel il comptait pour relancer la machine des Dolls qui était en panne. Solo Syl joue la carte du fin du fin sur beat fruité et chœurs d’artichauts. C’est extrêmement bien produit, embarqué au c’mon c’mon, idéal pour les jukes du New Jersey. Solo Syl annonce la couleur : ce sera du soda-pop drive. Mais le revers de la médaille, c’est que le son est très typé. «What’s That Got To Do With Rock’n’Roll» est très joué, trop joué, trop propre, on perd le trash des Dolls. Solo Syl ramène des chœurs de folles mais le son est nettoyé. Il faut attendre «Every Boy & Every Girl» pour retrouver la terre ferme. Quelle énergie ! Mais ça reste très pop. Solo Syl fait son Brill - Closest together/ Closest than ever - De toute évidence, il vise l’éclat du Brill. Il met de l’écho sur le beat et ça sonne bien les cloches. Il reste dans le haut de gamme avec «14th Street Beat». Il fait du jump avec «I’m So Sorry», il dispose d’une belle puissance de groove et d’une profondeur de champ extraordinaire. Il savait qu’on allait claquer des doigts. Quand on écoute «Deeper & Deeper», on comprend clairement que Solo Syl a tout compris aux jukes, il sait se rapprocher des chaudasses avec tact et un solo de sax vient trouer le cul du cut. Tout est bien foutu sur cet album. Solo Syl a tout le son dont il peut rêver. Il brasse à la grande largeur, il croise dans le lagon d’une prod idéale. Il boucle sa petite affaire avec «Tonight» et un heavy solo de sax urbain. C’est la grandeur du kid Syl.

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    Deux ans plus tard, Solo Syl monte un autre projet avec une batteuse et un saxman, Syl Sylvain & the Teardrops. On trouve sur cet album un sacré coup de génie intitulé «Dance Dance Dance». Énorme car joué au sax, you know I love you babe, New Jersey on the beat, cœur battant de solo sax, merveille impérissable. Il y a tout le son du monde dans cette merveille, Syl est un crack de la résonance du sax dans le son. Il sort aussi le vrai son pour «Formidable», vrai son tout du long, Solo Syl explose la frontière de la power pop de Brill, c’est excellent, inspiré, vif argent, fouillé dans la masse, avec un Syl qui multiplie les effets de voix au chant persistant. Il fait de la Stonesy de clap-hands avec «It’s Love», mais il va trop sous le boisseau, c’est incendié de l’intérieurs, ça halète au bord du chemin. Mais il se vautre sur pas mal de cuts, comme ce «Crowded Love» au son trop putassier, on croirait entendre un bastard à la mode. Pire encore, «Lorell» qui sonne comme un tue-l’amour. Il renoue avec le big Brill dans «Can’t Forget Tomorrow» et ramène énormément de son. C’est l’autre hit de l’album. Solo Syl sait ce qu’il veut : du Brill. Son «Medecine Man» tient bien la route, avec une bassline ronflante et le big push du beat au cul. Fantastique petit Solo Syl, il reste à la hauteur de sa réputation. Encore de la bonne pop avec «Teardrops». Il grenouille dans la jouvence, c’est un killer popster, il explose 1000 fois plus que n’explosera jamais Graham Parker. Solo Syl sort du rang, il est du cru.

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    En 1997, il sort un nouvel album solo, (Sleep) Baby Doll, qui est en fait l’album de la nostalgie. Il y fait une version de «Trash» assez magique. Frankie Infante joue sur cette resucée bien remontée des bretelles, aussi vivace que la version originale. Version mythique de «Your Society Makes Me Sad». Solo Syl envoie un sacré clin d’œil à son vieux poto Johnny. Andy Sheppard coule un joli bronze de sax. L’hommage sonne comme un beau cadeau d’adieu. Solo Syl amène une fois de plus une incroyable profondeur de champ. Il chante en plus comme un dieu. Rien que pour ce tour de magie, il faut rapatrier l’album. Le «Paper Pencil & Glue» qui ouvre le bal réinstalle Solo Syl sur son petit trône de popster impénitent, il faut le voir rifffer sur sa grosse guitare blanche et construire la tension, il est assez balèze à ce petit jeu, c’est visité en plus par l’esprit du son. Quelle classe ! C’est beau et explosif à la fois, in your face. Il semble couler ça sous le boisseau d’argent du Brill. Il rend hommage à Bo Diddley avec «Oh Honey», il reste dans l’esprit des Dolls, c’est relancé à l’infini. On a là l’un des plus beaux hommages au Bo qui se puissent imaginer. Solo Syl ne déçoit pas les amateurs car voici «Hungry Girls» et sa fantastique allure. Solo Syl est le crack boom, il plane autour de lui un fort parfum de légendarité, et ça se mélange à la niaque et à la profondeur du son. Encore une belle merveille avec «I’m Your Man». Stupéfiante assise stompique, Baby I’m your man, hommage aux Pretties. Rudi Protrudi est dans les backing vocals. C’est amené au heavy trash de basse, on retrouve le Syl créatif, le mec qui a des idées fantastiques, le vif argent des Dolls c’est lui, il est bon de le rappeler. Sa version élastique d’«I’m Your Man» balaye toutes les autres. Il semble bricoler une bombe vite fait et ça saute. Boom ! On le voit aussi tremper dans la balladiverie du Queens où il a grandi («Another Heart Needs Mending») et propose avec «Forgetten Parties» l’instro ambiancier de rêve, un instro effarant de réalisme urbain.

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    Bon, les fans de Sylvain Sylvain se seront tous jetés sur le petit coffret pondu par Easy Action en 2004, New York’s A Go Go. On y retrouve l’album précédent qui s’appelle aussi Paper Pencil & Glue et le disk 2 est le fameux 78 Criminal$ réédité par Munster sous le titre Bowery Butterflies. Solo Syl nous fait le coup du New York Sound avec «The Cops Are Coming» et «14th Street». Il sait mettre le paquet quand il le faut. Il renoue avec la vieille énergie des Dolls, avec des clap-hands et du son. Il va plus sur la power-pop avec «Emily». C’est le hit de Syl choo-choo-choo-choo. Il sait embarquer un hit de Brill pour Cythère. On retrouve aussi «Teenage News». C’était trop pop pour les Dolls. Johnny Thunders n’y croyait pas. C’est une autre veine. Dans «Kids Are Back», Solo Syl essaye de marier la petite pop avec des chœurs de Dolls, mais ça ne marche pas à tous les coups. Il tient pourtant la dragée haute au Brill, il ne fait rien à moitié.

    Signé : Cazengler, Sylvain est tiré il faut le boire.

    Sylvain Sylvain. Sylvain Sylvain. RCA Victor 1979

    Syl Sylvain & the Teardrops. RCA Victor 1981

    Sylvain Sylvain. (Sleep) Baby Doll. Fishead Records 1997

    Sylvain Sylvain. New York’s A Go Go. Easy Action 2004

     

    CALIFORNIA DREAMIN'

    Ah, la Californie ! Ses plages de sable fin, ses surfers, ses beautifull peoples, ses guitares gorgées de soleil, ne me remerciez pas de vous y emmener, l'ère hippie est terminée depuis longtemps, les temps ont changé, est-ce la métamorphose climatique qui inspire de nos jours les groupes métalliques, plutôt que de chercher à répondre à cette fausse question, prêtons une oreille compatissante à quelques nouvelles formations de cette édénique contrée. Pour ceux qui n'aiment pas prêter, je vous rassure, nul besoin de vous fatiguer, le son est si fort qu'il squatte votre esgourde sans cérémonie. Et quand il ressort vous n'êtes pas pour autant soulagé, vous avez le tympan qui vibre durant au moins quinze jours.

     

    GULCH

    Le groupe s'est formé en 2016, entre Vera Cruz et San José, c'est son premier album chroniqué ci-dessous – on a rajouté en tête de gondole deux titres parus voici peu – qui a fait le buzz chez les amateurs de musique violente, cet appel d'air a été aussi suscité par des prestations de haut vol. Ont commencé par quelques moreaux enregistrés sur cassettes tirées à très peu d'exemplaires. Petits tirages mais rééditions successives avec goût inné pour vinyles multicolorés. Beaux objets. Signe des temps, sont eux-mêmes effarés du succès de leur merchandising à tel point qu'ils ont parfois l'impression d'être davantage des vendeurs de sweats à capuche que des musiciens.

    Le groupe a quelque peu varié : Elliot Morrow : vocal / Cole Kakimoto : guitars / Sammy Ciaramitaro : drums / Tim Flegal : bass. Il semble que ce dernier ait été remplacé par Mick Durrett et que le groupe ait été rejoint par le guitariste Christian Castillo.

     

    SUNAMI GULCH SPLIT

    ( Triple B Records / Mars 2021 )

    Prenons quelques précautions. Cet objet est dangereux nous n'en écouterons que la moitié, nous gardons l'autre pour la livraison prochaine. Sur ce modeste EP cohabitent en effet deux groupes : Sunami et Gulch. Si vous aimez le calme évitez de louer un appartement sur le même palier, ce seraient des voisins bruyants. Ce n'est pas que vous ne pourriez pas dormir la nuit, c'est que vous ne parviendriez pas à survivre le jour. Suffit de regarder la pochette dessinée par Brad Hoseley pour comprendre que ce sont deux génies du mal qui sont sortis de la lampe diabolique ( d'Alladin Sane, visez l'ambiguïté bowienne ), n'ont pas l'air contents mais comme celui qui représente Gulch est plus noir et davantage cramoisi que son alter ego, nous l'avons élu.

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    Bolt swallower : Assommage gratuit. Ne se pressent pas, il y en aura pour tout le monde, le vocal en prophétie politique pour l' ici et maintenant tout de suite, une bouche d'ombre qui vous agonise de votre propre réalité, et tout s'emballe car l'être humain a besoin qu'on lui répète l'horreur sociétale dans laquelle il se débat pour qu'il en prenne conscience. Surprise à la fin de la tonitruance, une douce musique imprègne l'atmosphère, que voulez-vous le monde est ainsi séparé, le bruit et la fureur pour les domestiques, la suavité et la douceur pour les maîtres. Accelerator : moins de deux minutes, il n'en faut pas plus pour que l'ouragan se déverse sur vous, hurlements, fureurs d'ours blancs, batterie affolée, guitares grondantes sans retenue, l'accélérateur court dans vos veines et vous détruit. La vie est une drogue qui mène à la mort. La violence décanillée de l'impact sonore pour vous rappeler qu'il n'existe pas de contre-poison. Constat froidement inéluctable. C'est ainsi. Comme cela. Pas besoin non plus d'en faire une maladie. Merveilleux shoot d'adrénaline qui vous aide à vivre

    IMPENETRABLE CEREBRAL FORTRESS

    GULCH

    ( Closed Casket Activities / Juillet 202O )

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    Belle couve. La première fois qu'elle m'est apparue s'est imposée à moi l'idée d'un artiste mexicain, un petit côté muraliste, tout faux, Boone Naka est originaire du Canada. A son actif deux seules pochettes rock de... Gulch. Normal elle ( ? ) est spécialisée dans les tattoos, les bikers de Vancouver doivent en être recouverts. Etudiante elle a adoré son prof, vieil hippie qui faisait écouter les Beach Boys à ses élèves – l'intro de cette chro n'est donc pas si déconnectée que cela – si ses tattoos participent de ce que l'on pourrait nommer des engrammes symboliques, cette toile s'inscrit dans un tout autre registre relevant d'une vision rituellique. Je ne sais pas pourquoi ( là je mens ) l'image m'évoque un ancien rituel toltèque, le don du sang, selon lequel la prêtresse verse l'eau de mort issue des quatre vierges qui ont été sacrifiées en l'honneur du dieu Tezcalipoca qui par traîtrise a pris le pouvoir sur Quetzalcoalt, c'est cette cérémonie sacrificielle qui forme la trame profonde et occulte du roman Le serpent à plumes de D. H. Lawrence.

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    Impenetrable cerebral fortress : ce premier morceau est le titre éponyme de l'album. Toute forteresse. si inébranlable qu'elle soit, suscite un impétueux désir de pénétration, de porter l'assaut pour la conquérir, ne soyez pas étonné par la violence de l'attaque meurtrière qui fond sur votre tour mentale. Beaucoup classent Gulch dans le metal hardcore. Ce qui est bien gentil, mais l'écoute de l'opus nous forcerait plutôt à reconnaître en lui un des chevaux fous du grindcore. Souvenons-nous que les étiquettes sont faites pour être arrachées. Folie furieuse, batterie folle, vomissures sauvages de vocal, grincements confus, volcan dévastateur en éruption. Vous ne reprendrez pas votre esprit. En moins de deux minutes l'ennemi l'a saccagé. Cries of pleasure, heavenly pain : batterie wagnérienne, guitares en sirènes d'alarmes, bombes vocaliques lâchées sans relâche, si votre esprit a éclaté il vous reste les plaisirs orgasmiques de la chair, si violents qu'ils s'apparentent à une séance de torture. Ejaculation précoce, moins de deux minutes, une émission de sperme équivaut à un rai de foudre qui vous transperce le corps. Self-inflicted mental terror : jamais quitte, l'être humain fonctionne à la manière d'une partie de tennis, la chair renvoie une balle de haine à l'esprit, ce morceau est autant une agression sexuelle qu'un viol de conscience que le corps s'inflige, encore une fois en moins de deux minutes une destruction totale, que rien ne subsiste tant que tout palpite, un désir de mort n'est pas la mort du désir. Intraveineuse phonique dévastatrice. Lie, deny, sanctify : vrilles de larsens et dégueulis de vocal, hachoirs de batterie sur les os de votre pensée, vocal époumoné, bruitismes éhontés, lorsque tout est foutu en l'air, il n'y a plus de haut ni de bas, la chair et l'esprit s'égalisent, vous prenez conscience de cette révélation à la manière d'une rafale de mitraillette qui vous traverse et baisse le rideau. Fuckin' towards salvation : ronronnements monstrueux d'une rythmique qui se dirige vers le cataclysme, vocal tassé à coups de pelle dans le bocal du mental, vous rampez dans l'enfer et l'horreur indicible réside en le fait que ce désir d'auto-destruction est aussi celui qui vous élève. All fall down the well : grincements insupportables, vocal de volatile égorgé, batterie tueuse, hurlements, foutez-tout en l'air, tripes et boyaux éjectés, vous étiez au plus haut et vous voici au plus bas. Encore plus profond que la mort. Shallow reflective pools of guilt : oreilles trouées par des sifflements impromptus et le vocal plonge dans les excréments puants de l'âme pour s'apercevoir que ce n'est pas grand-chose. Juste une idée de la réalité qui n'est pas tout à fait juste. Sin in my heart : ce n'est pas l'amour fou mais l'amour punk, une chanson volée à Siouxie et ses Banshees, intro romantique à la belle sonorité, mais le rythme se précipite, le gars s'égosille, la musique en devient presque symphonique mais le vinaigre de la rythmique punk vient vicier la confession, voyez-vous tout se passe dans la tête, chant de triomphe et de victoire, la forteresse reste imprenable.

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    Une boucherie sonore inqualifiable, nous sommes d'accord, mais la barbaque saignante arrachée à pleines dents sur le dos de la bête ( humaine ) l'on aime ça. Ce qu'il y a de beaucoup plus surprenant c'est que Gulch n'est pas vraiment éloigné de la postulation baudelairienne exposée dans Les fleurs du mal. Reconnaissons qu'ils hachent un peu trop leurs alexandrins mais question méditation métaphysique ils ont tout compris. D'instinct. Quant à la force de la musique, elle s'impose d'elle-même. Un fer rouge sur l'épaule du condamné.

    Damie Chad.

     

    *

    Un groupe un peu différent. Un disque étrange. Vient du Maine. Très simple à situer sans avoir besoin de regarder une carte, façade Atlantique, l'état tout en haut qui jouxte le Canada. Un groupe américain. Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais au dixième groupe venu de la patrie du rock'n'roll que j'écoute, je me dis que ce n'est pas mal, mais si de temps en temps ils pouvaient faire un effort et chanter en français ce serait bien. Mais non s'obstinent tous à jacter leur sabir incompréhensible. Tous ? Objection votre honneur, j'en ai dégoté un qui chante en français. Relativement ( franchement einstonnant n'est-ce pas ) sans accent en plus ! Sur tous leurs disques ! Un véritable parti-pris esthétique, mûrement réfléchi et assumé.

    UNE VOILE DECHIREE

    FORÊT ENDORMIE

    ( Red Nebula / 2020 )

    Couve romantique due à Jordan Grimmer, vieux rafiot de bois gréé en sloop à la voile déchirée sur une mer indocile qui poursuit sa route improbable tandis qu'au loin un soleil fractal s'insinue dans la noirceur tempétueuse de nuages sombres comme la mort. Les amateurs de jeux vidéos et de couvertures d'album metal trouveront sur le site de ce concept artist, ainsi qu'il aime à se définir, ses images d'outre-mondes de rêves et de cauchemars qui peupleront désormais leurs imaginations phantasmatiques.

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    J'ai toujours pensé qu'il existait d'étranges similitudes entre un groupe de rockabilly et un quatuor à cordes. Forêt Endormie n'est pas un groupe de rockabilly, donc ils ne se prennent pas pour un quatuor, descendent beaucoup plus bas dans l'ignominie, se décrivent sans complexe comme un orchestre de chambre, et il suffit de ne même pas leur accorder une oreille inattentive pour s'apercevoir qu'ils procèdent davantage de Debussy que du Blue Öyster Cult. Certains s'en tireront en proclamant qu'ils s'inscrivent dans le sous-ordre du metal neo-folk, je veux bien mais alors il s'agit d'un metal sans une once de fer. Ni d'argent, ni d'or, ni de platine.

    Jordan Guerrette est le principal instigateur de ce projet, sous prétexte d'une lointaine ascendance française, il a décidé d'écrire et de chanter en français. He's in love with the french language, la terre est peuplée de types bizarres. Le plus étrange c'est que ces originaux qui cherchent à se démarquer de la commune humanité qui les entoure sont très souvent les plus passionnants.

    Jordan Guerrette : guitare électrique, synthétiseur, harmonium, voix / Emmett Harity : piano, harmonium, synthétiseur / Sarah Mueller : violon / Laurent Viera : synthétiseur, voix / Maria Wagner : Clarinet / David Yearwood : contrebasse.

    Bientôt cette forêt deviendra cendres : concentrons-nous d'abord sur les paroles, certes c'est du français mais prononcé par un Amerloque, ce n'est pas que son accent soit à couper au couteau, pas du tout, mais il pose les mots à des hauteurs vibratoires différentes de nos grenouillages nationaux. Mais ce n'est pas tout, possède du vocabulaire mais quand il écrit il traduit de l'amerloque, les structures et les expressions sont différentes, cela pourrait donner un infâme galimatias genre traducteur d'il y a vingt ans, mais non, cela opère plutôt une espèce de tremblé poétique non dépourvu de charme. Accentué par des paroles assez mystérieuses, encore faut-il comprendre qui parle, ici c'est la forêt en attente de l'incendie qui la détruira. Pas de fable écologique, l'humanité n'est pas accusée, même si peut-être elle sera la cause du désastre qui s'approche, le problème est ailleurs, celui de la perception de la catastrophe par un organisme incapable de penser. Existerait-il un instinct végétal à l'instar de celui que nous accordons au règne animal. Ce langage sans mot, tout de sensation passerait-il par l'eau, quelques scientifiques ont évoqué, non sans subir les foudres et les moqueries de leurs confrères, la mémoire de l'eau, mais ici Jordan Guerrette semble avancer l'idée d'une prescience de l'eau. Idée révoltante pour les tenants d'une stricte logique aristotélicienne qui ne se sont jamais intéressés à cette notion très embarrassante d'entéléchie chère au stagirite car remettant en cause le principe du moteur immobile, autrement dit la croyance que toute chose n'est que la conséquence d'une cause. Voici un texte bien énigmatique et aux profondeurs vertigineuses. Dans un court topo son auteur nous prévient qu'il est à considérer comme l'expression symbolique de l'accablement qui saisit l'individu lorsque se profile la venue inéluctable de la mort. Transparence d'un bourdonnement qui surgit du silence, s'amplifie et s'étale en vastes vagues violonnantes, ondes de tristesse sur laquelle se pose la voix étirée de Guerrette qui pousse les syllabes à leur maximum d'intensité, tel un mourant qui s'essouffle à laisser un dernier message à ses proches, une élégie funèbre adressée au monde extérieur, la voix est parfois épousée de fragrance féminine dépourvue de toute charnellité, et la plainte du violon se tord sur elle-même tel un serpent à l'échine brisée qui s'enroule pour agoniser, ne reste plus qu'un doigté de cordes comme des gouttes d'eau qui s'effilochent d'une feuille d'arbre pour s'écraser à terre, alors s'élève un oratorio orchestral magnifique, l'ultime sursaut de la vie avant la fin. La mer nous attend : l'on s'attendrait à un déploiement d'extrême violence en rapport avec la voile abîmée du sloop sur la pochette mais non, une contrebasse funeste se fait entendre, l'on songe que vue de l'intérieur son architecture n'est pas sans analogie avec l'agencement des planches et des poutres d'un navire, une impression de calme magnifiée par le violon saisit l'auditeur, pas un mot, la mer serait-elle un refuge, une berceuse sans cesse recommencée. L'ancre est levée : quelques notes de piano comme traînées d'écume vivifiante sur le visage, deux voix, la masculine et la féminine en écho, l'espoir du voyage, de la dérive entrevue au nord s'élève dans les âmes, la mer est grosse de volupté idyllique, il semblerait qu'une pointe d'inquiétude sous-jacente... mais non tout est calme, serein, paisible. Nuages orageux : obésités de contrebasse peu à peu peuplées de notes cristallines et la clarinette qui klaxonne telle la conque des naufrages qui prévient en sourdine que le danger se précise, une note maintenue trop longtemps insiste sur l'imminence des orages, nous n'assisterons pas à la tempête, cette musique n'est pas anecdotique, elle se contente de suggérer la possibilité du possible. L'orage est entrevu en lui-même et non en ses relations avec le peuple des humains, sachez lire les images auxquelles vous vous identifiez.

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    Les champs négligés : l'attrait du néant, de retour dans le monde des hommes, les voix s'élèvent tel un chœur d'église en une splendeur oratoriale, ruissellement synthétique, que de ferveur, l'on se croirait en plein bonheur, mais non c'est le chant du cygne, l'homme s'est enfermé en une tour d'ivoire de solitude, il mourra pour ne pas avoir entendu les voix de la nature, pour avoir mal compris ce qu'elle chuchotait, ce n'est pas elle qui sera rayée du globe terrestre mais la race humaine impie. Est-ce un hasard si cet avertissement létal est celui qui jouit de la plus grande splendeur orchestrale. Existe-t-il une beauté qui soit ironie pure ? Cendres : retour au thème initial, à l'efflorescence instrumentale précédente, juste des cordes de contrebasse que les doigts agrippent, et une lourde plainte funèbre qui s'exhale, mortuaire. La forêt de nos songes a totalement brûlé. Lit de poussière : nous croyions être parvenus au bout, voici la dernière chance, le couple terminal réuni pour une impossible renaissance, triste musique et voix terne, des nappes sonores qui tombent en pelletées de terre sur le cercueil des illusions perdues, qui s'accroissent et s'accrochent au couvercle pour être sûre que rien ne le rouvrira, plus d'espoir, auto-destructivité nihiliste, majesté grandiloquente de la mort acceptée. Un soleil qui se couche plus tard : notes sereines, clartés entrevues, la voix s'attarde sur elle-même comme si elle ne croyait pas ses propres dires, le printemps est né, serait-on dans les quatre saisons vivaldiennes, après l'opulence des champs négligés de l'été, après la déréliction des cendres de l'automne, après l'hiver du lit de poussière, serait-ce le vere novo vivaldien, rien ne serait donc tout à fait perdu, ah cette cascade vive de notes de piano, le soleil se couche-t-il plus tard que prévu, à moins que le drame de la vie me donne droit à un dernier acte, mais n'est-il pas temps de mettre un terme à cette comédie. !

    L'opus est à considérer en son écriture comme une mini-tétralogie wagnérienne qui serait dépourvue de toute clinquance ( mais aussi de toute signifiance ) mythologique parfaitement en osmose avec notre époque qui est incapable d'ordonner le récit mythique de sa propre réalité, et n'ayant pas encore dépassé cet espace temporel que Nietzsche appelait la montée du nihilisme et dont il estimait le déploiement pour une durée minimale de trois siècles avant d'amorcer sa décrue.

    L'orchestration emprunte aux modalités de la musique classique sans s'aventurer dans les dissonances apportées par l'irruption de la modernité, elle se cantonne en ce que l'on pourrait nommer l'effet de saturation / décomposition phonique qui surgit dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, elle risque de déplaire aux oreilles des rockers pur et durs. Qu'y pouvons-nous si les pistes perdues du rock'n'roll s'égarent en des massifs jugés impénétrables par certains.

    Damie Chad.

     

    *

    Puisque l'on était dans le Maine, autant y rester. Sur wikipedia l'on apprend que 5 % de la population de Portland la capitale de l'état parle français. J'ai donc voulu savoir si tous les groupes du Maine s'adonnaient au french vocal et au néo-apocalyptic-folk comme Forêt endormie. Je n'ai pas poussé mon enquête très loin, le troisième nom que j'ai trouvé m'a vivement interpellé. Je me suis toujours senti une âme apollinienne, donc sans rien connaître d'eux j'ai jeté mon dévolu sur Apollyon, était-ce des néo-païens qui voudraient rendre un culte à l'impitoyable archer qui écrasa de son talon le serpent terrifique. Je ne pense point, si j'en juge aux croix inversées qui ornent leur pochettes j'opterais davantage pour des damnés de la première heure qui ont pris fait et cause pour Satan. J'avertis les kr'tntreaders qui ont aimé Forêt endormie, ici tout n'est que bruit, fureur et kaos. Du vrai rock'n'roll quoi !

    BUILT FOR SIN

    APOLLYON

    ( 2020 )

    Le groupe cultive une certaine opacité, un album numérique paru en 2015, un CD six titres sortis en 2016, une cassette de 11 titres live et ce Built For Sin numérique paru en 2020. Peu de photos, pas d'identité. Le tout est sur Bandcamp. La couve est des plus simples. Visages blafards et ombres noires. Vous pensez à ces photos par lesquelles les flics transforment, si avenante soit-elle, votre tronche en gueule d'assassin récidiviste. Ils ont gardé leur lunettes noires, point pour que personne ne les reconnaisse mais pour que l'on sache que ce sont des agents de la Bête, d'Anton Lavey, du réseau 666, pour qui vous voulez, pourvu que ce ne soit pas des bienfaiteurs de l'humanité.

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    Built for sin : plus qu'un titre : une profession de foi. Pas la meilleure. Au moyen-âge ils auraient fini sur un bûcher pour hérésie. Roulement de batterie et course de guitares, le titre est à l'image de leur revendication, carré, tiré au cordeau, un vocal échevelé et basphématique, arrêts brutaux pour repartir dans les deux nano-secondes qui suivent, un sacré batteur qui pétarade à la manière d'un hot-rod lancé dans le désert et alors que l'on croit que l'on va continuer tout droit, sans que la pression baisse ne serait-ce qu'un quart de pouce s'insinue une indolence rythmique, un balancement luxurieux attrayant comme un appel de syrènes alors qu'un solo de guitare prend feu tout seul. Bastar intoxicator : poinçons introductifs de haut voltage, toujours cette batterie devant et les guitares à sa poursuite, la voix qui chevauche le tout, c'est ultra-rapide, on n'a pas le temps de l'entendre passer, c'est ainsi que l'amour du mal s'insinue en vous, un mirage qui fuit et votre âme le suit sans que vous vous en aperceviez, ce qu'il y a de terrible c'est que la musique devient de plus en plus prégnante, de plus en plus violente, des tentacules de poulpe qui sifflent dans l'air, qui vous lacèrent, qui vous emportent dans des antres inouïs. Ectasies of violence : l'anévrisme est-il une extase, dilatation sonique sans équivalence, sans rémission, un drummin' de folie furieuse et des guitares lance-flammes, vocal agonique. Si vous n'êtes pas mort c'est que vous ne l'avez pas fait exprès. Death lust : gargouillements spongieux dans votre oreille, c'est la voix vomitique de la tentation, la luxure ne serait donc que la lumière qu'émet le corps qui brûle de la réalisation du désir, incandescence absolue, des pas cadencés sur votre corps, les légions du diable vous piétinent, et vous désirez cette annihilation féroce. Jamais un groupe ne vous aura procuré un plaisir féroce aussi vif. Dungeon creeper : attaque surprenante, il s'agit de monter à l'assaut du ciel, pour en chasser les derniers occupants à coups de batterie-mitraillette, cris de haine pour entraîner les troupes rebelles, blitz crackrophonique insupportable, submersion totale.

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    Winds of iron tyrany : rafales tempétueuses, voix martiales, la musique marche au pas, et ravage tout sur son passage, ascendances de guitares, gouffre de basse, éclatements de batterie, une chape de plomb étend ses ailes sinistres et englobe le monde, chants de victoire, monstruosités gutturales, rien n'arrêtera cette marche en avant. We came from the north : bruit de fond qui force et perce les tympans, déplacements de peuplades barbares, les loups d'Apollon lyncée sont lancés sur le monde, morsures sanglantes et incisives, la batterie roule telles les roues des chariots d'invasions sauvages. Eruption de criailleries finales. Blood moon death cult : nuit cultuelle, rituel maudit, le soleil est mort et la lune saigne comme un ventre de sang, catapulte vocale, grondements chamanique de loups, horreurs sans fin, la musique devient écrasante, les guitares crient, la batterie détruit tout ce qui passe à sa portée, pandémonium apocalyptique, folie universelle, walpurgis démentiel. Witch bitch : flamboyance des ronds de sorcière, liesse générale, chant de joie, à pleine gorge, une houle de foule qui déboule dans l'ivresse, triomphe, rondes sardanapalesques, fièvres explosives, cavalcade sans fin, carnaval des désirs libérés, une flamme qui éclate et purifie le monde entier des miasmes anciens. Délivrance. Treshhold : douces notes, oasis de silence, des pas d'enfants, des pieds nus qui se pressent vers le seuil du gouffre, coup sur coup trois hurlements zèbrent l'air telles des lanières de haine et le vocal devient une immonde et gluante bave de crapaud dans laquelle il fait bon se baigner et oindre son corps, réalité ou illusion, le son s'éloigne et revient, se rue en rut, s'interrompt, pour reprendre en plus violent, ici dans ce capharnaüm le bien, le mal, le rêve, le cauchemar ne présentent plus de valeur intrinsèque, apprenez à ce que le monde entier corresponde à votre volonté, respirez, rampez, reprenez votre souffle, et laissez-vous emporter par cette onde subtile et tellurique qui vous emprisonne dans ses anneaux de feu que vous traversez sans difficulté, en qui vous prenez force, joie et assurance, connaissez le rire des dieux et l'éclatement merveilleux de votre volonté qui s'empare de l'univers, libérant vos pulsions les plus acerbes, vous avez vaincu le monstre que vous étiez.

    Apollon ne m'a pas déçu. M'a fait connaître des guerriers plus sombres que l'orichalque noir qui sert de combustible à mon cerveau malade qui refuse de se soigner, qui préfère les thérapies de choc, qui déstabilisent la matière grise et élargit les anfractuosités latentes qui sont lieu de passage et de partage.

    Je n'arrive pas à comprendre que ce groupe soit si peu connu. Les guetteurs de kaos se sont sans doute endormis. Réveillez-vous !

    Damie Chad.

     

    XXXII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

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    ''Autoroute 7 km'' indiquait le panneau, exactement ce qu'il me fallait, je ne tardai pas à m'enfiler à toute vitesse dans la bretelle d'accès au péage, peu de monde, les propriétaires à qui j'avais volé le Suv avaient pris soin de fixer sur le pare-brise le macaron qui donnait accès aux voies de télépéage, certes j'avais un tantinet ralenti mais maintenant j'accélérais comme un fou, les deux hélicos me suivaient sans faillir, je donnais mes dernières instructions :

      • Les filles tenez bien les chiens sur vos genoux, d'ici peu ça va tanguer !

    En effet ça tangua salement. Je montai le compteur à plus de deux cents et restaient sur la ligne tout à gauche, les hélicos suivaient bêtement comme des moutons que l'on conduit à l'abattoir, au loin se dessinait le tablier d'un ouvrage d'art qui enjambait les voies pour mener à une station service, à la vitesse où je bombais les autres véhicules étaient loin derrière, j'infléchis brutalement ma trajectoire sur la droite tout en freinant à mort, et m'arrêtai pile sous le pont, et repartis tranquillou en marche arrière sur la bande d'arrêt d'urgence, les hélicos emportés par leur vitesses firent demi-tour, j'arrêtai illico de jouer à l'écrevisse pour revenir me cacher sous le pont, les gros bourdons se mirent à tourner au-dessus de la structure de béton...

      • Damie on est bloqué, c'était la voix de Charlotte, si tu nous sors de ce piège je jure que jusqu'à mes quatre-vingts ans ta photo encadrée trônera au-dessus de la télévision dans le salon !

      • Mais enfin Damie – je dénotais une certaine anxiété dans la voix de Charline - on est fait comme des rats, qu'attends-tu ?

      • Moi, rien, simplement que le Chef allume un Coronado !

      • En effet, agent Chad j'allais oublier, que voulez-vous la voix enchanteresse de nos deux sirènes me faisait rêver, en plus quelle horreur, je suis un malotru, chère Charline, nous descendons tous les deux et vous prenez la place de devant, l'on y voit beaucoup mieux que derrière le chauffeur. Action !

    En quelques secondes le Chef se retrouva à la place de Charline, l'était manifestement en forme car dès qu'il fut assis :

      • J'ai bien peur que la fumée de mon Coronado ne vous importune, je me permets d'ouvrir la fenêtre, Chad, mon agent Chad, ne voyez-vous rien venir dans votre rétroviseur ?

      • Hélas, non Chef, je n'aperçois que la route qui flamboie et les hélicos au-dessus qui tournoient

      • Mon dieu, mon dieu – le Chef s'amusait comme un gamin – Chad, mon Agent Chad, ne voyez rien toujours venir dans votre rétro ?

      • Hélas non, mais si au fond très loin, un nuage de poussière de bon aloi !

      • Chad, mon agent Chad, démarrez sans émoi que j'allume mon Coronadoi !

    Je fis rugir le moteur du Suv et déboulai comme un boulet de canon hors de la protection du pont, les hélicos perdirent un peu de temps, j'en profitais toujours sur la bande d'arrêt d'urgence pour accélérer à fond, mais je ne suis pas un gars rancunier, je ralentis un petit peu pour les attendre, pas trop, enfin pas exactement eux, pour qu'un gros poids lourd lancé à fond les gamelles arrivât à ma hauteur, zut mon Coronado s'est envolé maugréa le Chef, j'écrasais l'accélérateur jusqu'au plancher, voyant mon manège, les hélicos tentèrent de me remonter, ils n'auraient pas dû, quand ils arrivèrent à la hauteur du camion, sa citerne explosa libérant une immense flamme qui monta jusqu'au ciel, j'exagère, assez haut pour embraser les hélicoptères qui s'écrasèrent en un infernal vacarme sur d'innocentes voitures de tourismes, quelques rescapés transformés en torche vivante couraient imprudemment un peu partout sur la chaussée au lieu d'appeler les pompiers sur leur portable. Comme il existe une justice immanente en ce bas-monde ils ne tardèrent pas à être percutés par de nouvelles voitures qui venaient s'encastrer dans le brasier...

      • Que vous disais-je ce matin, déclara doctement le Chef, pour ma part je ne me déplace jamais sans un Coronado Dynamitero dans ma poche.

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    Nous sortîmes sans problème de l'autoroute, la sortie était libérée, les autorités avaient décidé de la vider pour le passage des secours... Nous nous arrêtâmes auprès d'un petit bois, le Chef déclara qu'il était temps de tenir un rapide conseil de guerre après '' cet intermède lyrique, certes passionnant mais superfétatoire '' je rapporte ces mémorables propos tels quels pour les livres d'histoire du futur...

      • Vince dit le Chef, je compte sur toi pour cette enquête sur cette nouvelle mystérieuse et inquiétante apparition d'Eddie Crescendo. Tu restes sur la région avec Ludo et Brunette, tu sais comment nous joindre, à la première occasion l'agent Chad vous procurera un véhicule, quant à nous nous retournons à Paris pour un petit entretien avec l'homme à deux mains...

    Nous nous embrassâmes tendrement, il y eut même quelques larmettes furtives... Dès l'agglomération suivante je leur dénichais chez un concessionnaire une voiture toute neuve qu'il m'offrit d'essayer et qu'il ne revit plus jamais de sa vie...

    Note de la redaction

    Si les lecteurs désirent connaître les résultats de l'enquête de Vince Rogers relative à la mystérieuse disparition d'Eddie Crescendo, il ne les trouvera pas dans cette série des Rockambolesques, elles sont à paraître dans la Lon-box 3 de Vince Rogers, il se murmure qu'elle contient des vidéos qui risquent de porter le sbul dans les services secrets du monde entier, la CIA a déjà tenté de les intercepter, les Chinois sont dans la course, mais Vince veille jalousement sur ces documents qui seraient par leurs extraordinaires révélations capables de changer la face du monde...

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    Nous rentrâmes à Paris sans problème. Les filles nous quittèrent pour rejoindre leurs parents. Elles se souviendraient longtemps de leurs vacances. Ceux qui les regrettèrent le plus furent Molossa et Molossito qui avaient adoré voyager sur leurs genoux. Je dédicaçai une photo grand format de mon meilleur profil à Charlotte, je promis à toutes les deux que je les citerai dans mes mémoires, le Chef leur passa une bague cartonnée de Coronado Dynamitero, trop large pour leur index mais qu'elles portèrent en sautoir à l'aide d'une chaînette en or, puis en parfait gentleman il leur baisa le bout des doigts et leur dit au revoir.

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    Nous montions les escaliers qui desservaient le local du SSR, au fond de nous nous étions heureux de revenir dans notre base, toutefois au fur et à mesure que nous gravissions les marches, une idée me turlupinait, je finis par m'en ouvrir au Chef :

      • Cela fait quelques semaines que nous sommes partis et pas une seule lettre dans la boîte, c'est tout de même étrange...

      • Agent Chad, la même réflexion titillait mon attention... le Chef s'arrêta pour allumer un Coronado... bien entendu un homme à deux mains doit bien en avoir une de libre pour s'emparer de notre courrier, toutefois je soupçonne un coup particulièrement fourré...

    Les chiens nous avaient précédés et nous attendaient devant la porte, Molossito frétillait de la queue, mais Molossa posa son museau sur mon jarret droit...

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 508 : KR'TNT ! 508 : BADFINGER / COBRA VERDE / LOVE AS LAUGHTER / RITA JONES / LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE / MICHEL EMBARECK/ ERIC BURDON/ ROCKAMBOLESQUES XXXI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 508

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    29 / 04 / 2021

     

    BADFINGER / COBRA VERDE

    LOVE AS LAUGHTER / RITA ROSE

    LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE

    MICHEL EMBARECK / ERIC BURDON

    ROCKAMBOLESQUE XXXI

    Badfinger in the nose

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    Tout le monde s’accorde à dire que l’histoire de Badfinger est une histoire tragique. En effet, deux pendus, ça vous plombe une histoire. C’est un peu comme si on passait brutalement du jardin magique (la musique) aux poubelles (les faits divers). La vie souriait pourtant à Badfinger. Elle lui souriait de ses trente-deux dents. Son avenir semblait assuré. Ces quatre surdoués savaient composer et les Beatles les chouchoutaient, au point de les signer sur Apple en 1970. Ils en imposaient sur les photos : ouvrez le gatefold de No Dice et vous les verrez rayonner tous les quatre dans la lumière orangée d’un crépuscule gallois. Le grand, derrière, c’est Pete Ham, ou si vous préférez Pete Jambon, dressé comme un phare dans la nuit et principal compositeur du groupe. Le petit rastaquouère, devant, c’est Tom Evans. Une vraie petite gueule de berger calabrais. Il joue de la basse et compose lui aussi pas mal de trucs. À gauche, le mec qui ne ressemble pas à grand chose, c’est Mike Gibbins, le batteur. Et de l’autre côté, la petite gueule de rock star évaporée appartient à Joey Molland, le guitariste et second phare dans la nuit de Badfinger. Alors qui sont les deux pendus ? Pete Jambon et le berger calabrais. On les a retrouvé tous deux pendus, le premier dans son garage, l’autre à un arbre parce qu’il n’avait pas de garage. Que s’est-il passé ? L’histoire classique du groupe à succès qui se fait arnaquer en bonne et due forme par un intermédiaire véreux. Homme d’affaires new-yorkais Stan Polley prend les Anglais sous contrat et ça donne le résultat suivant : une tournée américaine en 1971 rapporte environ 25 000 $ aux quatre musiciens et 75 000 $ à Stan. Ça, c’est du business ! Les plus malins diront : Ah, si les musiciens sont assez cons pour accepter ça, tant pis pour eux ! Mais dans la réalité, les choses ne sont jamais aussi simples qu’on le croit. Déjà, pour commencer, les musiciens ne voyaient pas la paperasse. Ils faisaient confiance. On fait toujours confiance à un spécialiste. On fait même confiance à un comptable.

    Le résultat ne se fait pas attendre : les quatre Badfinger n’ont pas un rond alors qu’ils voient leurs singles parader en tête des charts. Pete Jambon se demande comment il va pouvoir rembourser l’emprunt qu’il a contracté pour s’acheter sa baraque. Il finit par se convaincre qu’il n’y parviendra pas. Il flippe tellement qu’il se pend. Dans sa lettre d’adieu, Pete Jambon traite Polley de bâtard. Le berger calabrais finira lui aussi par craquer, huit ans plus tard, suite à une engueulade téléphonique avec Joey.

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    Dans un récent numéro de Record Collector, Bill Kopp rend hommage à ce groupe décimé par le destin. Kopp rappelle que le nom du groupe provient du working title d’un célèbre cut des Beatles : «With A Little Help From My Friends» s’appelait au début «Badfinger Boogie». C’est McCartney qui leur compose leur premier hit («Come And Get It»), mais très vite Pete Jambon montre qu’il sait lui aussi pondre des œufs. Les quatre Badfinger sont tellement potes avec les Beatles qu’ils sont invités à jouer sur les albums solo de Ringo, de John Lennon (Imagine) et de George Harrison (All Things Must Pass).

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    Les interviews de Joey Molland menés par Michael Cimino et rassemblés dans Badfinger And Beyond apportent un bel éclairage sur l’histoire de ce groupe qui faillit bien devenir énorme. Indépendamment du fait que George Harrison les avait à la bonne au point de les signer sur Apple, il est important de savoir que Pete Jambon et le berger calabrais étaient gallois, alors que Joey Molland venait de Liverpool et qu’à l’époque où il rejoignit Badfinger, il pouvait déjà se targuer d’un joli parcours. Eh oui, Joey avait connu la mythique Cavern - The Cavern was probably the best Rock club there ever was - Il évoque Rory Storm, Gerry & the Pacemakers et bien sûr les Beatles - The sound was punchy and hard - Il évoque aussi The Big Three, avec le batteur Johnny Hutchinson au chant, Johnny Gustafson à la basse et Brian Griffith à la guitare. Joey était tellement fasciné par Grif qu’il se rendit chez lui, tapa à la porte et lui demanda de lui apprendre à jouer de la guitare, mais Grif lui dit non. Pourquoi ? «Parce que je ne sais pas jouer de la guitare !». On raconte pourtant que Grif a formé George Harrison. Joey raconte aussi son enfance à Liverpool. Chez lui, il y avait un piano, comme dit-il dans toutes les maisons à l’époque. Il rend hommage à son père qui lui enseigna la patience et qui l’autorisa à commettre des erreurs pour apprendre. Il rappelle aussi que le Liverpool de son enfance était une ville très dure, il fallait apprendre à courir vite. Les gangs régnaient dans les quartiers et on se battait à coups de marteau. Et puis on découvre au fil des pages que Joey est un mec charmant. Richard DiLello dit de lui qu’il était toujours de bonne humeur - a Liverpudlian rocker who never seemed to have a bad day - On voit à sa bouille qu’il est à part. Joey fit aussi partie d’un groupe mythique, Gary Walker & The Rain. C’est Gary Leeds, alias Gary Walker, qui lui enseigne le cool - Gary was a very cool guy and he wanted the people around him to be cool. To look cool and to be cool - Le groupe s’installe à Chelsea et Joey n’en revient pas de vivre avec une giant rock star. C’est là dans les clubs du Swinging London qu’il commence à fréquenter la crème de la crème du gratin dauphinois. En 1967, il a vingt ans. Tout le monde portait des futals en mohair et des pulls à col roulé. Le moindre détail avait son importance. Il rappelle que les Londoniens voulaient tous aller en Allemagne, car c’est là qu’on trouvait les meilleures écharpes et les plus beaux cols roulés.

    L’histoire de Badfinger remonte au temps où les Beatles cherchaient de nouveaux talents pour leur label Apple. George Harrison avait déjà ramené chez Apple Jackie Lomax, lui aussi de Liverpool, Doris Troy et le clavier de Little Richard, Billy Preston. C’est Mal Evans qui déniche the Iveys, le groupe qui accompagne David Garrick. C’est dans ce groupe que se trouvent les trois autres Badfinger. Avec Joey en complément, le groupe trouve un son. Chez Apple, Joey voit bien sûr Allen Klein et ne l’aime pas beaucoup. Il garde par contre des bons souvenirs de l’enregistrement d’All Things Must Pass, auquel George Harrison leur demande de participer. Parmi les stars qui traînaient au studio 3 d’Abbey Road, il y avait Ringo, Klaus Voorman, Bobby Whitlock, Carl Radle, Leon Russell et bien sûr Phil Spector.

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    Alors, la réputation de Badfinger est-elle surfaite ? Pour répondre à la question, le mieux est d’écouter les albums. Ce n’est pas une expérience désagréable. Au temps de leur parution, ces albums ne laissaient pas indifférent, même si pour les gueules à fuel le son paraissait un peu trop poppy. Par contre, les obsédés sexuels pouvaient se branler sur la pochette de No Dice. Une fois dépliée, on y voyait une splendide créature au regard torve s’exhiber dans un costume de courtisane orientale. Elle dégageait cet érotisme littéraire à la Pierre Louÿs qui au temps jadis réveillait aisément les bas instincts. S’il l’avait aperçu en vitrine, Baudelaire aurait de toute évidence acheté l’album rien que pour la pochette. Sans doute l’aurait-il ensuite écouté. Sans doute aurait-il succombé au charme de «Love Me Do», cette solide machination inspirée de «The Ballad Of John And Yoko».

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    Sans doute aurait-il salivé à l’écoute de «No Matter What», cette pièce scintillante et pleine de vie, en qui tout est, comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieux. Sans doute se serait-il réjoui d’apprendre que Pete Jambon jouait sur la Gibson SG utilisée pour «Paperback Writer», une guitare que lui avait offert George Harrison, et Joey Molland sur sa Firebird de débutant, tous les deux branchés sur des Vox AC30. Sans doute se serait-il agacé de ce «Without You» connu comme l’albatros, cette mélopée torride et bêtement romantique qui, bien que popularisée par Nilsson, ne pouvait plaire qu’aux Belges et à Mariah Carey. Sans doute aurait-il levé un sourcil à l’écoute du jeu byzantin de Joey Molland dans «Better Days», sans doute se serait-il rapproché pour mieux entendre couler cette rivière de diamants dans la texture même du son. Ah, mais ne nous méprenons pas, Baudelaire n’est pas Des Esseintes, il n’ira pas jusqu’à l’évanouissement. Intrigué par tant d’allure, il aura sans doute poursuivi l’examen et découvert que Joey Molland hantait à nouveau un autre château d’Écosse, «Watford John». Comment pouvait-on résister à ce succédané d’élévation spirituelle, à cette touche démiurgicale d’éclat lunaire ? Baudelaire en convenait, c’était impossible. Agité d’une fièvre de curiosité, il aura sans doute poussé jusqu’à «Believe Me», étrangeté chantée d’une petite voix funeste, mais gonflée comme une voile de démesure ancillaire. On ne saura jamais ce que Baudelaire aurait pensé de tout ceci, mais il plaît aux esprits fantasques de l’imaginer.

    Dans le cours de ses interviews avec l’ami Cimino, Joey Molland rappelle que No Dice fut enregistré sur du temps libre de studio à Abbey Road, à raison de trois heures par jour, au moment où le groupe qui louait le studio allait déjeuner. Une chanson par jour pendant dix ou douze jours.

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    La pochette de Magic Christian Music paru sur Apple Records en 1970 nous renvoie tous non pas au vestiaire, mais chez Giorgio De Chirico, ce peintre des architectures somnolentes annexé par les Surréalistes dans les années vingt. Mais nos amis de Badfinger n’ont rien de particulièrement surréaliste. Ils optent pour une petite pop inoffensive et relativement bien intentionnée, au plan des harmonies vocales. Le cut qui sort du lot s’appelle «Dear Angie», un groove de Beatlemania dûment violonné, doux et brillant, admirablement travaillé au corps. Et puis au fil des cuts, une certaine forme de solidité s’impose, digne du meilleur cru albionnesque. On s’effare même du très beau niveau composital de «Beautiful And Blue». C’est une pop qui se tient, une matière chamarrée, nappée de violons et anoblie par l’ampleur des harmonies vocales. Ils frisent la Slademania avec les mah-mah de «Rock Of All Ages». Encore de jolies choses en B, notamment «I’m In Love», un bel exercice de style tapé au drive de basse bondissant. Voilà un cut à la fois convaincu et convaincant, qui flirte avec les progressions de jazz. On est à Liverpool, ne l’oublions pas. Pete Jambon nous chante «Walk Out In The Rain» au fil ténu de sa sensiblerie et «Knocking Down Our Home» flirte avec l’esprit de «Martha My Dear», un esprit généreux et légèrement rétro. C’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.

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    On les voit tous les quatre poser pour la pochette de Straight Up paru un an plus tard. Ce sont les coiffures rococo de l’époque. Le seul des quatre qui sache rester intemporel est Joey Molland, à gauche. Pete Jambon affiche l’air perplexe d’une tête de broc et Tom Evans celle d’une tête de coiffeur pour dames. Todd Rundgren produit quelques cuts et George Harrison d’autres. Deux des cut produits par Todd Rundgren vont éclater au grand jour : «Flying» et «Sometimes» qui est en B. On le sait, Rundgren est un fan des Beatles et comme les quatre Fingers jouent comme des dieux, ça prend une tournure captivante. Les deux cuts sonnent littéralement comme des hits des Beatles. C’est aussi simple que ça. George Harrison passe un solo sur «Day After Day». On note aussi la présence de Leon Russell - Little piano fill. That’s how great those people are, nous dit Joey Molland dans l’une de ses interviews. Tiens, encore un hit digne des Beatles : «Suitcase», doté d’une fantastique émotivité - Pusher pusher/ All alone - Avec «Baby Blue», ils proposent un hit de power-pop et Joey Molland se tape une fois encore la part du lion en déliant un solo magistral. Mais il précise qu’il n’aime pas Todd Rundgren. Pourquoi ? Parce qu’en studio, Rundgren les insulte et leur dit qu’ils ne savent pas jouer - He was openly rude - Il n’a accepté de produire cet album que pour ramasser du blé. Ça se passe mieux avec George Harrison. C’est lui qui joue le Strat stuff sur «I Die Babe» - You make me loving like crazy/ You make my daisy grow high - On entend Nicky Hopkins sur «Name Of The Game». C’est assez puissant car la musicalité est celle d’All Things Must Pass.

    Comme ce fut le cas pour la plupart des groupes qui commençaient à marcher à cette époque, le business leur mettait la pression : «Make a hit record !». Ça devint une obsession pour le berger calabrais et Pete Jambon. Ça les rendait fous - Tommy drove himself crazy trying to make a hit record, absolutely crazy - Pete Jambon n’a jamais réussi à écrire un hit, ça le rendait fou, lui aussi. Plus on lui mettait la pression, plus il devenait fou. Il finira par détruire sa guitare préférée.

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    La carotte qu’on voit sur la pochette d’Ass est une idée du berger calabrais. C’est la fameuse carotte de Magritte (Ceci N’est Pas Une Carotte) qu’on utilisait jadis pour symboliser la motivation, lorsqu’on menait une opération de communication interne dans une grande entreprise. Ass pourrait aussi vouloir dire : tu l’as dans le cul. Il y avait du ressentiment dans les rangs de Badfinger. Ceci dit, Ass reste un très bel album de pop anglaise. Cette pop d’Apple qui jadis nous faisait tant baver. Dès «Apple Of My Eyes», on se retrouve au cœur du Apple Sound System : admirable facture mélodique et Chris Thomas produit, alors, ça fait encore plus la différence. Le hit du disk ouvre le bal de la B et s’appelle «Constitution». Ils sonnent là-dessus comme les Beatles du White Album. Joey Molland signe cette imparable resucée beatlemaniaque. «Icicles» sonne comme un hit de George Harrison, avec un fabuleux son de guitare océanique. Quel cachet ! On trouve aussi sur Ass deux cuts produits par Todd Rundgren et tirés des sessions de l’album précédent, à commencer par «The Winner», qui se veut plus rocky, avec une belle approche du son carré. Alors là, on peut dire qu’ils savent monter un œuf de pop en neige du Kilimandjaro ! Joey Molland explique que sa chanson concerne John Lennon qui passait à son temps à se plaindre de tout. Et quand on écoute «Blind Owl», on se dit qu’on n’en attendait pas moins de Badfinger. Pete Jambon nous entortille ça au riff de guitare virtuose et on voit ces quatre mecs s’auto-émerveiller par tant de brio. Ils éclatent tellement au grand jour que ce spectacle fait plaisir à voir. L’autre cut produit par Rundgren s’appelle «I Can Love You», un immense balladif à prétention romantico-universaliste. Ils savent s’en donner les moyens, c’est vraiment le moins qu’on puisse en dire. Ils savent mailler les moyeux et mouiller les maillets. Au fond, la présence de Rundgren dans les parages n’étonnera personne quand on sait à quel point il vénère lui aussi les Beatles. Il suffit d’écouter les trois albums de Nazz. Et puis nos vaillants héros tragiques bouclent l’Ass avec un «Timeless» extrêmement joué à la guitare. Joey Molland joue au gras tout au long de ce balladif typiquement britannique, il sort ce bon gras spécifique de la panacée, il fait vraiment le show et son solo compte parmi les merveilles du rock anglais. On le voit revenir par vagues, inlassablement, pareil à l’océan hugolien - Ces enfers et ces paradis de l’immensité éternellement émue.

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    Jolie pochette que celle de ce Badfinger paru en 1974 sur Warner Bros. Eh oui, l’empire Apple s’est écroulé et le vieux label américain, flairant la bonne affaire, les accueille à son bord. Nos héros tragiques ne prennent pas de risques, puisque Chris Thomas veille au grain. «Love Is Easy» sonne comme un hit. On y va les yeux fermés. Ils ramènent tout le bon son dont ils sont capables, d’autant que ça bat bien au devant du mix. Et bien sûr, Joey Molland fait à nouveau des merveilles. En B, on se régalera du r’n’b Mod pop action de «Matted Spam», et plus loin de «Lonely You», une belle pop anglaise soutenue par des harmonies vocales de premier choix et un jeu de guitare bien tempéré. Mais le hit de l’album pourrait bien être «Give It Up», un jaillissement de belle pop immaculée dûment monté en apothéose. Une vraie réussite, tant au plan atmosphérique qu’affectif, parsemée de très beaux éclats de guitare. Nos quatre héros tragiques portent le poids du monde sur leurs épaules et se montrent capables de sacrés coups de Jarnac.

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    Il semble que le soufflé retombe un peu avec Wish You Were Here paru la même année. Deux cuts sauvent l’album, à commencer par l’excellent «Just A Chance», nouveau coup de pop de grande ampleur, cuivré et chanté à pleine voix. On sent la patte des vieux briscards de la pop. Mais on sent aussi chez eux une tendance à s’endormir sur leurs lauriers, car cette pop devient souvent très pépère. «Know One Knows» se laisse consommer tranquillement. On appelle ça de la petite pop sans histoires. Le «Love Time» qui se planque de l’autre côté sonnerait presque comme un hit, car ce balladif se prévaut d’une élégance suprême. On croirait presque entendre «Across The Universe». Mais il faut attendre «Meanwhile Back At The Ranch» pour enfin trouver chaussure à son pied. Voilà encore de la belle pop à la Lennon, on sent frémir le son d’une belle détermination. Ce cut visité par l’esprit du White Album, indéniablement. Avec les Buffalo Killers et Ty Segall, ils sont sans doute les seuls capables de jouer à ce petit jeu-là.

    Joey quitte le groupe en 1974, complètement ruiné. Il perd sa maison à Londres et se retrouve dans un minuscule appart à Golden Green, Lyons avenue. Pete Jambon est mort et Joey se rend à ses funérailles au pays de Galles. Sa famille dit-il était détruite. Ils le croyaient à l’abri du besoin, comme n’importe quelle rock star et ne savaient pas qu’il en bavait et que la dépression due à sa pauvreté allait le pousser à finir pendu comme un paysan ardéchois.

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    Les voilà sur Elektra pour l’album Airwaves qui sort en 1979. Sur la pochette, on ne voit plus que Joey Molland et Tom Evans, les survivants. Tom Evans compose et chante énormément, mais il ne crée pas forcément la sensation. Joey pense que «Love Is Gonna Come At Last» est une great song et avoue que le riff est difficile à jouer. Mais si on veut de la viande, il faut aller la chercher en B, et ce dès «The Winner» et son festin d’harmonies vocales. Ça joue dans les règles de l’art fingerien et ce n’est pas Joey qui se tape la partie de lead, mais Joe Tansin. D’ailleurs Joey dit de Joe qu’il sait vraiment bien jouer. On retrouve Tansin au lead dans «The Dreamer». Joey dit que ça sonne comme une Ringo song, doesn’t it ? Les voix se fondent dans l’excellence des arrangements orchestraux. Quel fieffé mélodiste que ce Tansin. «Come Down Hard» sonne comme un hit d’entrée de jeu. Joe Tansin rôde dans les parages et perpétue bien l’esprit in the nose de Badfinger.

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    Tom Evans est encore vivant quand Badfinger enregistre Say No More en 1981. En bons vétérans de toutes les guerres, lui et Joey Molland s’adonnent aux joies du rock’n’roll dès «I Get You». C’est un très anglais et presque trop parfait. Leur «Come On» sonne comme du boogie rock à dents blanches. Le pire, c’est que cet album tient bien la route, même si Pete Jambon n’est plus là. «Hold On» s’orne d’un fil mélodique à l’or fin et «Because I Love You» renoue avec l’ampleur du souffle pop d’antan. C’est exactement ce qu’on attend de Badfinger : une pop cousue de fil d’or. On s’extasie aussi devant la belle tenue de «Rock’nRoll Contact», même si ça chante au guttural. Les retours au calme y fonctionnent comme des havres de paix et Joey Molland gratifie son cut d’un éblouissant final guitaristique. L’un dans l’autre, c’est un beau brin d’A. Il faut bien comprendre que ces mecs ne font pas n’importe quoi. Le «Passin’ Time» qui ouvre le bal de la B sonne incroyablement juste. C’est encore une pop très entreprenante, avec des parties chant gonflées d’énergie - I couldn’t believe it/ Oh no - Et ça accroche terriblement. Idem pour «Too Hung Up On You», chanté à l’Anglaise, c’est-à-dire à l’inspirette carabinée, dans le pur esprit pop, avec tout le répondant du palpité de glotte. Tout est incroyablement solide et bardé de son. Badfinger fait vraiment partie des élus de Palestine. Ils terminent cet album tonique avec «No More», une pop qui comble bien les vides, qui captive et qui nourrit bien son homme. Belle ambiance progressiste et même assez envoûtante. Joey Molland et le berger calabrais ultra-jouent leur va-tout en permanence.

    La fin du groupe est moins glorieuse. Joey et le berger calabrais attendent une avance promise par le management. Comme l’argent ne vient pas, Joey refuse de commencer à travailler sur le prochain album. Il quitte le studio et annonce qu’il ne reviendra que si le blé est là. Puis il apprend que le berger calabrais et Tony Kaye continuent tous les deux en tant que Badfinger, annonçant à qui veut bien l’entendre que Joey a quitté le groupe. What ? Joey tente de joindre ses amis, mais personne ne prend ses appels. En désespoir de cause, Joey finit par former un autre Badfinger aux États-Unis. On a donc deux Badfinger en circulation qui finissent par enterrer la légende. C’est une fin d’histoire assez pitoyable.

    La nuit où le berger calabrais va se pendre, il appelle Joey pour lui raconter ses déboires financiers. Il avait signé un contrat avec un certain John Cass et comme il n’avait pas honoré ce contrat, Cass lui collait un procès au cul pour plusieurs millions de dollars. Il se savait donc fait comme un rat. Au téléphone, il semblait nous dit Joey très détendu, mais il annonçait tout de même qu’il allait se foutre en l’air. Bien sûr, Joey n’en croyait pas un mot.

    Signé : Cazengler, badfinger dans le cul

    Badfinger. No Dice. Apple Records 1970

    Badfinger. Magic Christian Music. Apple Records 1970

    Badfinger. Straight Up. Apple Records 1971

    Badfinger. Ass. Apple Records 1973

    Badfinger. Badfinger. Warner Bros. Records 1974

    Badfinger. Wish You Were Here. Warner Bros. Records 1974

    Badfinger. Airwaves. Elektra 1979

    Badfinger. Say No More. Radio Records 1981

    Michael A. Cimino. Badfinger And Beyond. CreateSpace Independant Publishing 2011

    Bill Kopp. Maybe Tomorrow. Record Collector #487 - Christmas 2018

     

    La morsure du Cobra

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    Cobra Verbe et son chanteur John Petkovic sont probablement l’un des secrets les mieux gardés d’Amérique. Quand on parle de la scène de Cleveland, on mentionne généralement les Dead Boys et Pere Ubu, mais on oublie hélas Cobra Verde. Ce n’est pas la même époque, bien sûr, mais au niveau prestige, Cobra Verde vaut mille fois les Dead Boys. Six albums sont là pour le prouver. À commencer par l’excellent Viva La Muerte paru en 1994. C’est là que se niche «Montenegro» - Montenegro/ In your mountains of my worthlessness - Fabuleux balladif infectueux, hit en forme de puissant sortilège. Petko mène bien sa barque vers l’autre rive du Styx de l’underground. On trouve plus loin «Debt» qui sonne un peu pareil, avec un bel aperçu sur les abysses - She’s a suicide/ And I’m a cyanide/ Look at us die/ She cries I’m blind - Effarant ! Toutes les puissances des ténèbres se pressent dans le corridor - So in debt/ The days I’ve blown away - John Petkovic est l’un des grands auteurs américains. Même trempe que Mark Lanegan ou Greg Dulli. «Despair» sonne comme une vraie stoogerie clevelandaise. Tout est là, même les clap-hands. Son Awite est stoogy en diable et c’est claqué aux accords de Detroit. Petko jette de l’huile sur le feu, il chante son all the way to the bank à l’arrache impétueuse. Attention aussi au «Was It Good» d’ouverture de bal, car ça joue au funk clevelandais, avec de grosses dynamiques et une basse métallique, invendable mais si présentable. Cet album spectaculairement artistique se termine avec une sacrée doublette : «I Thought You Knew (What Pleasure Was)» et «Cease To Exist». Le premier reste très Velvet d’aspect. Petko vise l’explosion du bouquet final - Don’t make me wait - C’est exemplaire. Il va au bout du wait - I don’t wanna wait in the valley of kings - Puis il taille son Cease dans une matière d’apothéose, c’est très écrit, pulsé à l’ultraïque - I am the richess/ You are the pain/ I’ll never see you ever again - Voilà ce que les historiens appelleront dans 150 ans un classic album.

    C’est dans la presse rock américaine de type Spin que paraissaient les rares articles sur Cobra Verde, des textes plutôt bien foutus qui bien sûr mettaient l’eau à la bouche. Le journaliste qui les suivait en faisait une sorte de légende underground et Viva La Muerte répondit bien aux attentes. Cobra Verde devint comme les Saints l’un des groupes à suivre de près.

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    On retrouve les big atmospherix petkoviens sur Egomania (Love Songs) paru trois ans plus tard. Dès «Everything To You», on retrouve le charme toxique de «Montenegro». Beaucoup d’allure et gros impact - What else could I do but leave everything to you ? - Il lui laisse tout. Pekto a cette générosité, celle du big atmospherix, du larger than life, c’est tellement bardé de son, my son, il va même jusqu’à exploser les annales de sa rafale. S’ensuit un «A Story I Can Sell» battu à la vie à la mort et tout aussi dévastateur - I lost my pride/ I lost myself - On note l’indéniable power du Cobra Sound. Il s’adresse à des chicks from Babylon. Il chante tous ses cuts à la pire intensité de l’incandescence. Avec «Leather», Petko s’énerve - Born in different dreams/ Every stranger is an enemy - Il taille son rock dans la falaise, porté par un gros drive de basse - Same bed/ Different dreams - Ce mec est atrocement doué. Tiens, encore deux passages obligés : «Blood On The Moon» et «For My Woman». Avec Blood, il tape dans le heavy balladif captivant, atmospherix en diable, sacrément bien senti, bien foutu, bien ficelé, bien gaulé, tout tient par la présence de cette voix ultraïque. Même chose avec Woman, Petko fait son cro-magnon - I need to be your man - Quelle clameur ! - Yeah I’m gonna understand - Solide, punkoïde as the fuck of hell, solo de rêve, rond et flashy - You know I love you woman/ More than the world - C’est la réponse du Cobra au défi du love affair de deep end.

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    Backseat, champagne et poules pour la pochette du Nightlife paru en 1999. Une fois de plus, on se retrouve avec un très gros album dans les pattes. On le sent dès cette puissante démiurgerie clevelandaise qu’est «One Step Away From Myself». Ils nous bardent ça de son, nous cisaillent tout au riffing et il faut voir comme ça descend sur le manche de basse. En gros, ça dégueule de son. Il semble que Cobra Verde crée la sensation sans même le vouloir. Ils sortent un «Conflict» travaillé au corps défendant, bâti par des charpentiers de marine. Et puis soudain, on tombe sur le furieux et glorieux «Crashing In A Plane» - Baby I’m a detour - Petko ressort son meilleur guttural montenegrain - Baby I’m the dustbin - Il envoie ça à l’outrance princière, avec toute la bravado dont il est capable et le sax s’en vient rallumer les brasiers du Shotgun de Junior Walker. Véritable coup de génie que ce «Don’t Let Me Love You», véritable hit d’insistance parabolique - My baby’s desperation/ Is driving me insane - Il faut le voir touiller sa fournaise, c’est absolument faramineux de menace sous-jacente, effarant d’inventivité du glauque. Il n’en finit plus d’allumer les plus bas instincts du rock, il chante à la voix d’orfraie, porté par un sax de free en perdition mentale. Il reste encore une énormité sur cet album : «Don’t Burden Me With Dreams» qui sonne comme une délivrance catatonique, Petko charge en tête du Cobra, il chante à la vie à la mort avec toutes les foisons du monde. Il tape aussi «Casino» aux gros climats d’extrême violence, il s’en va laper du sang dans le creux des mains. Bel exploit aussi que cet «Heaven In The Gutter» tapé à la basse métallique. Ces mecs n’offrent que des solutions extravagantes, il faut le savoir. Joli coup aussi que ce «Back To Venus», ça joue au heavy groove de guitar slinger. Encore un cut que les Stones auraient sans doute rêvé de jouer.

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    Après cette fantastique triplette, trois membres originaux disparaissent : Don Depew, Dave Swanson et Goug Gillard. Frank Vazzano (guitar), Mark Klein (drums) et Ed Sotelo (bass) les remplacent pour enregistrer cet album effarant qu’est Easy Listening. Trop de son, sans doute. Trop écrit. Trop chanté. Comme le furent les grands albums des Pixies et des Saints. Un cut comme «Whores» frappe par la violence du volontariat. Petko explose la comète - I don’t care cause I got away - Ça explose des deux côtés, par le chant et par le son. Même chose pour «Terrosist» amené aux riffs de non-retour, Petko chante à la glotte en fer, c’est sa force. Back to the big atmospherix avec «The Speed Of Dreams». On a l’impression de voir cette merveille s’écrouler dans la mer comme une falaise de marbre. Ça tombe dans la bascule de l’énormité rien qu’au son du chant - I can’t remember how it is/ You disappeared - Avec «Riot Industry», il fait du rentre-dedans clevelandais. Ça se situe vraiment un cran au dessus du reste. Petko fait régner la terreur de son génie sur le rock américain. Il emmène très vite «Til Sunrise» dans l’enfer clevelandais et jette des lyrics de «Hosanna To Your Pretty Face» au ciel. On trouve un peu de Bowie en Petko, justement dans cette façon de jeter au ciel. Même genre de puissance. Cobra Verde est une vraie usine à tubes. Ils jouent «My Name Is Nobody» au surjeu et traînent leur «Mortified Frankenstein» dans un anglicisme à la Led Zep. Fantastique energy of surgery, fantastique shake up de yeah yeah yeah. Avec «Throw It Away», Petko retrouve son titre de champion du monde du Big Atmospherix - Raise a glass to the dead and gone - Et back to the big Cobra Sound avec «Here Comes Nothing», bardé de relents de Montenegro et forcément ça vire à l’énormité, wow, cette façon qu’il a de swinger et de crawler sous le boisseau du Cleveland Sound of steel, il embarque tout au chant comme dans «Debt».

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    Nouveau point commun entre Petko et Bowie : l’album de reprises réussi. Oui, car Copycat Killers est aussi brillant, aussi viscéralement bon que Pinups. Petko tape un peu dans les silver sixties, comme Bowie, avec l’«I Want You» des Troggs, qu’il transfigure au stomp de Cleveland, c’est l’une des plus belles versions jamais enregistrées, alone on my own. Quel fantastique écraseur de mégots que ce Petko, il fait son Reg du midwest, c’est punk jusqu’à l’os et il faut voir le départ en solo clevelandais, la torchère devient folle et éclaire la nuit comme un phare breton. Son prophétique, apocalypse démesurée, le solo place le Cobra au panthéon des crève-cœurs. Ils tapent aussi dans le «Play With Fire» des Stones. On s’étonnera toujours de la fascination des Américains pour la Stonesy de série B. Jolie reprise du «Yesterday’s Numbers» des Groovies. Petko veille à chanter à la Roy Loney. Eh oui. Ça donne une petite merveille d’absolutisme absolu. On les voit aussi taper dans un cut de New Order qui s’appelle «Temptation», qu’ils transforment en bête de somme. Petko tord le bras à la new wave pour lui faire pleurer des larmes de sang. Même traitement infligé à Donna Summer et à son hit diskö «I Feel Love». Petko et ses amis transforment ça en shoot de furie clevelandaise. Ah il faut voir le travail ! Quelle admirable incursion dans la pétaudière du dance-floor ! Autre coup de Jarnac : le fameux «Urban Guelilla» d’Hawkwind, ce hit qui rendit Lemmy tellement furieux car il fut censuré sur la BBC. Le Cobra nous claque ça à la volée, ils redonnent vie au vieux coucou d’Hawk, ils le gavent de toute la niaque du monde et développent une puissance de marteau-pilon. C’est embouti à la vapeur. Ils vont loin, bien au-delà du Cap de Bonne Expectation. Encore un hommage de taille avec the «Dice Man», hommage au géant de ‘Chester, Mark E. Smith, via le Diddley Beat, push push, les Clevelandais retroussent les manches, ce n’est pas si simple, et puis voilà le clin d’œil à Mott avec «Rock And Roll Queen», ils sautent au paf, avec de quoi ridiculiser cette vieille moute de Mott. On le sait, Cleveland est une ville infiniment rock. Comme à Detroit, le son, rien que le son. Belle cerise sur le gâteau : un «Teenage Kicks» amené à la baravado, c’est tout de suite over the rainbow, Petko le chante à l’urgence de la démence, c’est déjà un hit monstrueusement beau, alors tu imagines ça dans les pattes de ces mecs-là ! Ils ramènent les clap-hands, ils jouent comme d’habitude à la vie à la mort, c’est d’une profonde véracité fanatique. On sort de là à quatre pattes.

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    Paru en 2008, Haven’t Slept All Year est encore un album à tomber par terre. L’urgence du beat qu’on trouve dans «World Can’t Have Her» est sans équivalent. On voit ce diable de Petko entrer dans la danse et ça cisaille dans les parages. C’est bien lui, le beat clevelandais, assez ultime, ultra-chargé, d’une terrifiante puissance, c’est même battu au stomp des forges avec des breaks exacerbés et ce diable de Petko hurle dans la fournaise alors que coule l’acier liquide des riffs à la Zep. S’ensuit un «Wildweed» embarqué au meilleur rock de bonne constance. Allez-y les gars, c’est gagné d’avance. Pour ceux qui auraient raté un épisode, les Cobra Verde sont l’un des fleurons du rock américain. Ils font tout beaucoup mieux que les grands groupes, avec une énergie convaincante. C’est ultra-électrique, joué à fond de train, avec un roaring Petko au sommet de son art - I won’t let you go now - Un vrai modèle d’exemplarité concurrentielle. Petko renoue avec la magie des grands balladifs dès «Home In The Highrise». Véritable consécration eucharistique, c’est même un éclair dans le ciel de la pop, une Beautiful Song maximaliste, une merveille assez rare. Petko sait éveiller l’instinct d’un album à des fins mélodiques, cousues de fil blanc, certes, mais quel souffle ! On pourrait dire la même chose du «Haunted Hyena» qui referme la marche, d’autant qu’un killer solo flash lui en transperce le cœur. Ces mecs grouillent de coups de génie comme d’autres grouillent de puces. On trouve aussi un bel exercice de style intitulé «Wasted Again», tapé au groove de jump, assez risqué et pire encore : inutile. Même si les trompettes de Miles viennent saluer la confrérie. Autre cut intriguant : «Something About The Bedroom». Il s’agit là d’une puissante pop sous le boisseau, ou si tu préfères, un puissant boisseau sous la pop. Oui, le Cobra peut aussi sonner pop, presque anglais, même s’ils frappent la pop derrière les oreilles de la pop, et elle n’est pas contente. Elle devra s’arranger avec le batteur. Figure-toi qu’ils se montrent aussi capables d’Americana de haut vol avec «Free Ride» - Bye bye West coast - Quelle équipe ! Et quel album !

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    L’ère post-Cobra Verde porte le doux nom de Sweet Apple. Petko s’y acoquine avec J Mascis. Les journalistes appellent ça une rencontre au sommet. Leur premier album, Love & Desperation, paraît en 2009. La pochette est un délicieux pastiche de celle du quatrième album de Roxy Music, Country Life : deux belles poules s’y pavanent en petite tenue. Comme le Roxy, on ne l’achète que pour la pochette. Mais on est bien récompensé, car voilà le vieux stomp d’«Hold Me I’m Dying». Petko adore les grandes mesures. Encore de la viande en B, avec «Blindfold». Petko joue la carte du plomb, c’est-à-dire celle du heavy doom suspensif, hanté par les envolées cosmiques du vieux J, la sorcière du Massachusetts. «Somebody’s Else Problem» sonne comme un hit et J y fait carrément des chœurs de Dolls. On assiste là à une véritable débauche cobra-verdesque, une pavane de carrure extravagante. Tiens, tu as encore du heavy rock de Cobra avec «Crawling Over Bodies». Petko le coco revient à l’attaque avec des effets dévastateurs. Ce cut semble sortir tout droit de l’un des grands albums de Cobra Verde. Et ça continue avec «Never Came», fantastique et sur-puissant. Ah ces mecs-là savent ficeler un cut de rock ! C’est le filon du Cleveland rock, les mêmes racines que celles de Rocket From The Tombs. Ils bouclent ce disque ahurissant avec «Goodnight», solide et bien élancé. Avec un J en contrefort, ça donne de la power-pop moderne et riante.

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    Cinq ans plus tard paraît The Golden Age Of Glitter. On y trouve des invités de marque : Mark Lanegan et Robert Pollard, la fine fleur de l’underground américain. Avec Petko, on entre au royaume de la power-pop par la grande porte, et ce dès «Wish You Could Stay (A Little Longer)». Derrière, J ne chôme pas. Avec des mecs comme J et Petko, on a toujours l’impression de passer aux choses sérieuses. J bat le beurre sur «Reunion» et nos amis flirtent avec le Cheap Trick sound. «Boys In Her Fanclub» sonne comme l’absolu d’Absalon. Laissez tomber Paul Collins et écoutez ça, car on parle ici de haute voltige, d’une power-pop explosive et fraîche comme l’eau d’un torrent d’Écosse. Petko renoue avec son cher stomp de glam dans «Another Dent Skyline». Tous les vieux fans de Cobra Verde sont ravis de retrouver Petko le coco. Et en B ça dégénère avec «I Surrender». Ça s’envole littéralement. Quelle tenue et quelle ampleur ! Il faut voir avec quelle classe Petko manage ses syllabes dans le feu de l’action. J repasse à la guitare pour «Troubled Sleep» et il ramène sa violence proverbiale. En Amérique, il doit bien être le seul à savoir jouer comme ça, sans vergogne, avec un son épais, saturé, infesté de départs de solos apocalyptiques. Il rivalise de démesure avec Bob Mould. Lanegan vient chanter «You Made A Fool Out Of Me», un vieux heavy blues de circonstance. Et ils terminent cet album exceptionnel avec un nouvel hymne planétaire, «Under The Liquor Sing». Ils se situent immédiatement à la croisée des Raspberries et de Brian Wilson. Petko n’en finit plus d’exploser la coque de la power-pop pour en faire jaillir le lait jusqu’au ciel. C’est un homme libre qui chante à l’envie pure. Il réinvente le paradis et la clameur des anges.

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    Troisième set de Sweet Apple avec Sing The Night In Sorrow. La pochette montre le très gros plan d’une bouche nubile qui fume sa clope, sans doute en écho au délicieux Green Mind de Dinosaur. J Mascis joue essentiellement de la batterie sur l’album et laisse Tim Parmin s’exprimer sur «World I’m Gonna Leave You». John Petkovic cultive toujours ses idées suicidaires et ne souhaite qu’une chose : quitter ce monde cruel. On tombe très vite sur un hit avec «You Don’t Belong To Me». Quelle fantastique élévation power-poppy ! C’est la force du grand Petko que de savoir donner le l’élan. J Mascis revient à sa chère lead guitar sur «She Wants To Run». Voilà encore un hit inter-galactique, chanté à la puissance Byrdsy, mais en power mode heavy. En vérité, on pense plus au Teenage Fanclub, car cette pop roule joliment ses muscles sous la peau. Et J l’honore d’un solo exemplaire. En B, il reste en lead pour l’effarant «Candles In The Sun». On a là une sorte de heavy blues à la Screaming Trees. Admirable, beau et wild. J rôde dans le fond du cut comme un aigle en maraude, il joue loin là-bas dans l’écho du canyon, il plane sur le rock comme l’Empereur sur le pays des aigles, c’est-à-dire l’Albanie. Le tour de force se poursuit avec «Thank You». C’est littéralement bardé du meilleur son d’Amérique, voilà de l’heureuse pop de heavy rock et Pekto la mène au combat, il chante à l’énergie pure, avec toute la grâce et toute la bravado du pur rock’n’roll animal clevelandais. C’est bourré à craquer de stomp et J graisse sa disto à outrance. C’est le genre d’album qui marque la mémoire au fer rouge.

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    Quant à l’ère pré-Cobra Verde, elle porte le non moins doux nom de Death Of Samantha. Doug Gillard fait partie de cette aventure qui démarre en 1985 avec Strungout On Jargon. Sans doute leur meilleur album, mais à l’époque, on ne le sait pas. Cet album fourmille de hits, à commencer par le «Coca Cola & Liquorice» d’ouverture de bal. Petko chante ça comme un Beefheart de Cleveland, à l’incantatoire, avec un aplomb qui en dit long sur ses intentions. Quelle fabuleuse lutte intestine ! Quel brouet déterminant ! C’est joué au bactériel agressif, à la hargne du Midwest, celle des gens qui liquorisent en lice et qui poussent si loin le bouchon qu’on ne le voit même plus. Avec sa merveilleuse aisance ambulatoire, «Simple As That» renvoie directement au Velvet, car ils jouent ça la dépouille de Lou Reed. Petko scie plus d’un tronc et descend les vallées de son immense Jargon. Ça se corse encore en B avec «Grapeland (I’m Getting Sick)», violemment gratté à l’énergie du MC5. Petko et ses amis renouent avec l’énergie du Grande Ballroom, ils sortent la meilleure des attaques, ils vont vite et bien et Doug Gillard part en virée psyché en pleine cavalcade, alors forcément, ça sidère. Dans «Sexual Dreaming» Petko déclare : «I got to stop/ Sexual Dreaming». Le grand Doug Gillard nous infecte ça à coups de virées intestines. Petko étale ses whaooouh à la surface du groove, un peu dans le style de ce que fait John Lennon dans «Cold Turkey». Ils bouclent cet album captivant avec «Couldn’t Forget ‘Bout That (One Item)», un very big atmospherix. Dans ses moments de rage, Petko sonne comme Jim Morrison, il s’envole dans le taffetas des riffs du bout de la nuit. On a là un thème mélodique imparable doublé d’une atmosphère grandiose qui rappelle Adorable, ne serait-ce que par le côté brillant du dépôt de voix sur l’aile du désir. Là où Petko fait la différence, c’est quand il emmène sa chanson loin dans la démesure. Il la ravive et l’anime indéfiniment, And I got up to there.

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    Paraît l’année suivante un sacré beau brin de mini-album, Laughing In The Face Of A Dead Man. Pourquoi ce groupe n’a pas explosé comme un pétard dans la bouche d’un crapaud, on ne le saura jamais. On a là un rock extrêmement agité, bardé de son, avec de jolis échos de stonesy, joué au panache clevelandais, très désordonné, littéralement emmené à la force du poignet : bref, tout ce qu’on peut aimer dans le rock. Dans «Blood & Shaving Cream», on a tout le dépenaillé de braguette ouverte qu’on peut espérer. On retrouve en B l’énorme présence vocale de Petko dès «The Set Up (Of Madame Sosostris)». Ces mecs n’en finissent plus d’éclairer l’underground. Ils ont du répondant à revendre. Même chose avec «Yellow Fever», Petko n’en finit plus de ramener sa petite niaque clevelandaise - I’m so/ Sick sick sick.

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    Ils reviennent avec un nom d’album à coucher dehors : Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Ça saute à la gueule dès «Harlequin Tragedy». Petko en impose dès le git go. Il ramène sa fraise épique et bien enlevée et sort du cut vainqueur, avec un éblouissant final d’exaction mercuriale. Imbattable. Avec «Good Friday», ils sonnent presque comme les Damned - C’mon round ! - L’autre énormité de cet album se niche au bout de la B : «Blood Creek» : en voilà encore un chargé de son comme une mule, dira le voisin à sa fenêtre - We are/ Going to/ Blood Creek/ baby ! - C’est du rock décidé et sans compromission, une belle viande lardée d’intrusions, les deux guitares surjouent à la mortadelle du cheval blanc d’Henri IV, pas de tergiverse sur le Pont des Arts, ça swingue et ça avance. Petko chauffe son rock avec toute l’énergie clevelandaise - Blood Creek/ Put your hands/ Into the wa/ Ter ! - Dire que tout est bon sur cet album serait un euphémisme. On ne se lasse pas de la présence d’un tel son ni du panache d’un tel Petko. «Lucky Day (Lost My Pride)» sonne si américain. C’est extrêmement travaillé au corps. Avec «Monkey Face», ils trempent dans le Detroit Sound malevolent - You’re so evil - Comme Jagger qui ne supportait pas the man on the radio, Pekto ne supporte pas qu’on vienne lui raconter n’importe quoi on the TV et justement, il part en sucette jaggerienne d’I’m a monkey, et on assiste médusé à une fabuleuse sortie de route - Evil monkey/ Monkey evil ! - Et ça repart de plus belle en B avec «Savior City». Qui aurait pu se douter que l’album était aussi bon ? Petko pose encore une fois sa voix sur un admirable slab de rock, il cale bien son wording sur le beat d’acier bleu du midwest - No one seems to really care/ Baby/ What you’re talking about - Et ça continue avec «Start Through It Now» - We’re gonna have some fun tonite - Il faut dire que Doug Gillard joue comme un dieu. Il reste en effervescence permanente.

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    Pour leur ultime album, Petko et ses amis vont s’amuser à sonner comme les Dolls. Come All Ye Faithless va tout seul sur l’île déserte. En effet, trois cuts sonnent too much too soon, à commencer par «Geisha Girl» - Geisha Girl get in my Chevrolet/ We’ll make love the American way - Spectaculaire beau et sexy, comme les hits des Dolls. Tout y est, l’énergie du déroulé, les coups de cuivres et le bouquet final digne de Johansen. Même chose avec «Looking For A Face», fantastique déballage de rock samanthy - And we both know/ We’re looking for a face - Ce n’est pas le Looking for a kiss des Dolls, mais tout juste, car flamboyant et comme emporté. Ils remettent ça en B avec un «Machine Language» magnifiquement riffé. Doug et Petko se livrent à une sorte de carnage guitaristique de la pire espèce et on a toujours ce chant héroïque monté au dessus de la mêlée. Petko repart ensuite dans l’un de ces immenses balladifs crépusculaires dont il a le secret, «Oh Laughter». Ça s’étend à l’infini. Il est d’ailleurs l’un des grands specialistes de ce genre d’évasion. Avec «New Soldier/New Sailor», il raconte une nouvelle histoire d’amour, mais il ne traite jamais ça deux fois de la même façon, il trouve chaque fois un nouvel angle - You know and I say/ That we’re both big nothings - Et voilà qu’avec «Come To Me», il sonne exactement comme le Jim Morrison de «When The Music’s Over». Il chante à la supplique de la vint-cinquième heure. Ce mec reste tendu de bout en bout. Quel chantre de la désespérance relationnelle ! Il clame tout à la clameur de la chandeleur.

    Signé : Cazengler, cobra cassé

    Cobra Verde. Viva La Muerte. Scat Records 1994

    Cobra Verde. Egomania (Love Songs). Scat Records 1997

    Cobra Verde. Nightlife. Motel Records 1999

    Cobra Verde. Easy Listening. Muscle Tone Records 2003

    Cobra Verde. Copycat Killers. Scat Records 2005

    Cobra Verde. Haven’t Slept All Year. Scat Records 2008

    Sweet Apple. Love & Desperation. Tee Pee Records 2009

    Sweet Apple. The Golden Age Of Glitter. Tee Pee Records 2014

    Sweet Apple. Sing The Night In Sorrow. Tee Pee Records 2017

    Death Of Samantha. Strungout On Jargon. Homestead Records 1985

    Death Of Samantha. Laughing In The Face Of A Dead Man. Homestead Records 1986

    Death Of Samantha. Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Homestead Records 1988

    Death Of Samantha. Come All Ye Faithless. Homestead Records 1989

     

    Laughter ne rigole plus

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    Perdu dans l’océan des groupes garagindés américains, il y avait ce groupe au nom rêveur, Love As Laughter. Remember ? Spin qui fut dans les années 90 le canard référentiel en la matière disait le plus grand bien de ce groupe et donc on suivait les recommandations de Spin.

    Love As Laughter se distinguait des autres groupes garagindés par un côté expérimentateur qui n’était pas sans rappeler l’early Sonic Youth. Bon, ça pouvait engendrer quelques malentendus, mais au fond, ce n’était pas si grave. Comme beaucoup d’autres pêcheurs, Sam Jayne et ses amis cherchaient le chemin de la rédemption. Il se peut d’ailleurs que Sam Jayne l’ait trouvé, car en cassant sa pipe en bois, il est monté tout droit au paradis.

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    Il ne nous reste pas que nos yeux pour pleureur. Sam Jayne laisse aussi cinq albums extrêmement intéressants qui au temps de leur parution furent toujours salués dans une certaine presse. Avec son air de ne vouloir toucher à rien et sa chemise à carreaux, Sam Jayne était capable de coups de génie. On en trouvait deux sur ce premier album si difficile à trouver à l’époque, The Greks Bring Gifts. À commencer par l’incroyable «Singing Sores Make Perfect Swords», cette heavy oh so heavy Beautiful Song tartinée au riff de plomb, cette rengaine d’une beauté béatifiante plongée dans le meilleur vinaigre d’Amérique, ces mecs développaient un climax mélodique digne des grandes heures du Duc de Mercury Rev. C’est un Sores qu’il faut saluer. L’autre merveille de cet album s’appelle «Half Assed». Sam Jayne chante à l’anglaise, maybe I’m half to be, mais il le fait de manière seigneuriale, comme s’il avait grandi en Franche-Comté en 1210. Et voilà qu’il part à dada avec «Eeyore Crush It». En sortant son dada flush, il frise l’excellence inversée, il va loin dans le cat cat cat, il a du dada plein la disette, c’est fabuleux de non-sens. Du coup, il devient éminemment sympathique. Et ce n’est pas fini, il dispose de ressources insoupçonnables, comme le montre encore «If I Ever Need Someone Like You». Il va là où le vent le porte. Il nous fait le coup du balladif d’arpèges magiques, tu veux du by one ? Il est là. Sers-toi. Les LAL, comme les appellent les journalistes, cultivent aussi la démesure, comme le montre l’«It’s Only Lena» d’ouverture de bal. C’est sur-saturé de son et Sam Jayne chante en plein cœur de tout ce bordel. Par contre, ils ont pas mal de cuts invertébrés qui n’avaient aucune chance d’atteindre le rivage. Le rock indé introverti était insupportable. Les marchands classaient Love As Laughter dans le bac du garagindé, alors qu’ils n’avaient rien à voir avec ça. Ils s’apparentaient plus à une sorte de mouvance dada paumée, enfin disons qu’ils affichaient clairement leur mépris des conventions. Comment pouvait-on écouter des trucs comme «Uninvited Trumpets» ou «Next Time You Fall Apart» à l’époque ? Ces cuts invertébrés n’avaient aucune chance. Mais on s’extasiait encore de «High Noon». Sam Jayne devenait une sorte de fabuleux essayiste, il testait des idées de son à mains nues avec de l’harmo et du gratté d’acou, alors on lui accordait du temps.

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    Deux ans plus tard, les LAL réapparaissaient avec #1 USA, un album dramatiquement privé d’information. Le packaging du CD est réduit à sa plus simple expression. Merci K. Ça veut dire en clair : débrouille-toi avec les chansons. Il faut attendre «Fever» pour retrouver la heavy disto de Sores. Et en plus Sam Jayne chante ça à la dégueulante maximaliste. Il est capable d’excès terribles, il faut entendre ses hoquets de dégueulade et cette guitare qui s’étrangle dans le prurit. Sur cet album, il rend deux hommages superbes : le premier aux Stones avec «Pudget Sound Station», un rumble de Stonesy drivé d’une main de fer, le deuxième au Velvet avec «I Am A Bee», gratté au no way out, et là il explose littéralement le fantôme du Velvet, il drive ça de main de maître. Il fait aussi un heartbreaking Blues avec «Slow Blues Fever». Sam Jayne sait allumer la gueule d’un heavy blues, pas de problème. Il propose aussi un «California Dreaming» ravagé par les vinaigres. C’est violent et sans espoir. Ces mecs jouent dans une sorte de dimension supérieure. Le «Old Gold» d’ouverture de bal est assez révélateur. Ils drivent ça comme on drivait les choses à l’époque, au riffing féroce. D’ailleurs, ils grattent pas mal de cuts sans peur et sans reproche. Ils étaient les chevaliers Bayard des années 90.

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    Ils débarquent sur Sub Pop en 1999 pour Destination 2000. C’est leur album le plus connu et sans doute celui qui s’est le mieux vendu. Dès le «Stay Out Of Jail», on sent les chevaux vapeur, comme dirait Lavoisier. Mais il faut attendre «On The Run» pour retrouver l’ampleur compositale de Sam Jayne. Il nous sort là les power-chords de la romantica et retrouve sa couronne de roi des Beautiful Songs. Puis il passe à son autre marotte, qui est celle des énormités, avec le morceau titre, joué à la ferveur du chaos, un cut bardé de tout le barda du régiment, il gave ses cuts de son et développe des puissances incontrôlables, et boom, voilà que ça explose dans un final dément avec du piano et des cascades du Niagara dans les sous-couches. C’est stupéfiant ! Sam et son gang repartent à l’assaut du ciel avec «Stakes Avenue», ils deviennent passionnants, ils créent leur monde à coups de douches froides et montrent d’excellentes dispositions au power. En prime, Sam Jayne screame son ass out. Nouveau shoot de Stonesy avec «Statuette». Ils ont du répondant à revendre et ils savent lester un cut de plomb. Quel power ! Nouveau prodige avec «Freedom Cop». Sam Jayne arrose son délire de délire, il n’en finit de montrer des dispositions à tout, il fait même du distodada. Quelle singulière aventure que cet album ! Voilà un nouvel épisode avec «Demon Contacts», un mélopif de type Sister Morphine. C’est exactement la même ambiance - Are you sick of fucking your life - Même délire que When are you coming round, Sam the charm jette tout son pathos dans la balance et pour ça, cet enfoiré a la main lourde. Quel stupéfiant power de la mainmise ! Il explose tout. Les tenants fondent dans la graisse des aboutissants. Merci de ne pas prendre Sam Jayne pour un branleur. Il termine son album avec le big surge de «Body Double», au no way out. C’est le côté Sam de Sam, il peut lui exploser la gueule si l’envie lui en prend. En attendant, c’est bardé de gaga à gogo. Il faut aussi le voir amener son «Margaritas» au run down de mec qui va tomber à la renverse. Belle potée aux choux. Ça sonnerait presque comme un hit tellement c’est parfait.

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    On reste dans les gros disks énergétiques de Sub Pop avec Sea To Shining Sea paru en 2001. On y va de bon cœur car comme Nash Kato dans Urge Overkill ou encore Greg Dulli dans Afghan Whigs, ce mec Jayne a un truc. Son «Coast To Coast» d’ouverture de bal est dévastateur. On comprend qu’ils aient pu se bâtir une grosse réputation. En plus, ça sent bon les drogues. Sam Jayne chante son «Temptation Island» à la petite précipitation. Il cherche le train wreck et chante comme une folle échappée de l’asile. Il entre dans le territoire des énormités avec «Sam Jayne = Dead», un cut terriblement précurseur. Il sonne exactement comme Neil Young dans le Gold Rush - Shoot me in the hand man - Il demande à l’autre de lui faire un shoot dans la pogne alors bienvenue dans le délire de LAL, dans ce fabuleux shake de druggy motion. Monstrueuse dérive ! Il revient à l’experiment avec «Put It Together» et 8 minutes de blast all over, il colle tous les morceaux au plafond d’un rock acrobatique. C’est le rock de Jayne, Sam, mais en même temps il faut suivre. Et puis avec «Miss Direction», il bascule dans le Dylanex. Il est le boss du disk. Et voilà revenu le temps des cerises avec «Druggachusetts». Wow, ça sent bon la titube. Il mise sur sa connaissance des gouffres et ça passe par des excès, il sature ça de solos clairs et nous entraîne dans sa misère psychologique. C’est explosif et beau à la fois, mais d’une beauté plombée comme peut l’être celle de Syd Barrett. Il fait une fois de plus exploser son cut en lui enfonçant un pétard dans le cul. Et ça continue avec «French Heroin», explosif d’entrée de jeu, allumé aux accords de white heat, incroyable renversement des réacteurs abdominaux, le cut explose dans l’œuf du serpent, c’est violent, vraiment digne du Velvet. Sam Jayne a du génie, qu’on se le dise. Il faut le voir allumer sans fin son «French Heroin», il vise la fin des limites qu’on appelle aussi l’infinitude et chante à la clameur fatale de la vingt-cinquième heure. Ses morceaux longs ne tiennent que par l’intensité de la fournaise, comme ceux de Lou Reed au temps du Velvet. Il faut le voir se jeter dans le combat. Beautiful loser.

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    Le dernier album de LAL date de 2005 et s’appelle Laughter’s Fifth. On y dénombre pas moins de trois coups de génie, pas mal pour un groupe underground, non ? Avec «Every Midnight Song», il repasse un contrat avec la heavyness. Son truc à trac, c’est le big atmospherix. Alors voilà une belle tempête de sonic trash demented. Sam Jayne redevient le temps d’un cut le prince des ténèbres et du débordement. Il se montre encore extrêmement passionnant avec «I’m A Ghost». Il a des idées de son et entre vite dans le vif du sujet. Il drive son power surge dans une madness de ponts audacieux comme pas deux et ça explose de bonheur, aw comme ce mec est doué. Il joue sur les alternances avec du fruit dans le son. Avec «Pulsar Radio», ils se prennent pour les Spacemen 3, puisque c’est amené à l’orgue des drogues. L’ambiance évoque une fois encore le Velvet, Sam Jayne hurle dans le chaos spongieux et là tu vois défiler toute l’histoire du rock, mêlée à son désespoir et à ses tempêtes. Sam Jayne bat bien des records de puissance. Il peut aussi faire son Neil Young comme le montre «An Amber» et tremper son biscuit dans le Crazy Horse, comme le montre «Survivors», mais quand il le faut, il sait ramener des paquets de mer. Il ramène même du Tonnerre de Brest dans «Fool Worship Fool Worship». il claque sa pop-rock sur une guitare rouillée et cultive l’effervescence.

    Signé : Cazengler, torve as laughter

    Sam Jayne. Disparu le 15 décembre 2020

    Love As Laughter. The Greks Bring Gifts. K 1996

    Love As Laughter. #1 USA. K 1998

    Love As Laughter. Destination 2000. Sub Pop 1999

    Love As Laughter. Sea To Shining Sea. Sub Pop 2001

    Love As Laughter. Laughter’s Fifth. Sub Pop 2005

     

    *

    Les temps ne sont pas roses pour les groupes. Une année épineuse pour tout le monde. Les avoir privés de concerts c'est comme leur avoir ôté leur raison d'être. En attendant la reprise chacun s'est organisé selon ses moyens. Certains ont sorti un disque, d'autres se sont rabattus sur les radios, on a tourné des clips, on a jammé entre copains, on a joué live devant un public absent calfeutré chez lui derrière l'écran de son ordinateur... bien sûr il y a eu des concerts sauvages de-ci de-là, mais il vaut mieux ne pas ébruiter... Big Brother is hearing you.

    Rita Rose est un groupe de reprises, AC / DC, Stones, Pixies, Steppenwolf, des gens que l'on imagine jeter leur dévolu plus facilement sur Guns N' Roses que Les Roses Blanches de Berthe Sylva. A défaut de scènes se sont réunis exactly au DGD Music Studio, et là l'idée leur est venue qu'au lieu de transplanter les boutures déjà existantes ils pourraient créer comme dans le roman d'Alexandre Dumas leur propre tulipe noire. N'ont pas l'âme commerciale, ils ne vendent rien et on ne les achète pas, donc ils l'ont laissé en accès libre et chacun peut la cueillir à sa guise.

    TOMORROW MAYBE

    RITA ROSE

    ( Clip / YT )

    Chant : Dénis / Guitare : Eric Coudrais / Guitare : Manu Doucy / Basse : Jean-Claude Aubry / Batterie : Michel Dutot.

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    Quand on a lu dans le paragraphe précédent leur goût pour les reprises hot, l'on est sûr qu'ils vont extirper triomphalement de leur hotte une espèce de hot-rod brûlant dégoulinant de bruit et de fureur, pas du tout, z'ont opté pour la douceur et la nostalgie, une ballade électrique, qui vous emmène doucement en balade, vous prend par la main et vous entraîne sur un sentier tapissé de pétales de roses. Malheureux vous marchez les yeux fermés sur la sente des vipères. Ce Dénis, quel enchanteur, une voix qui coule comme de l'eau pure. N'y buvez pas elle est empoisonnée. Ensorcelante, cascade comme du kaolin sur le verre de vos artères, vous mène par le bout des oreilles, vous emplit le cœur de mélancolie, vous phagocyte la mémoire de souvenirs beaux comme hier, les guitares glissent et la batterie vous attire plus qu'elle ne vous pousse, demain le monde sera plus beau et la nuit s'évapore et l'aube se lève, Rita vous passe exactement le film que vous vous tournez dans votre tête, méfiez-vous des magiciens, ils pétrissent à votre guise la gangue de vos émotions, vous emportent sur les tapis volants des rêves vertigineux d'innocence, et vous suivez la route que l'on vous trace, plus vous avancez plus vous retournez vers le néant du passé et vous vous croyez en partance pour un futur radieux, mais c'est la fin, un susurrement de langue d'aspic et le doute s'installe en vous pour toujours. Seriez-vous cette abeille enivrée dans le calice refermée d'une rose carnivore. Peut-être.

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    Maintenant que vous avez rouvert les yeux, vous vous apercevez qu'ils sont plus cruels que vous ne l'imaginiez, le clip est empli d'images muettes et remuantes des concerts d'avant...

    Damie Chad.

     

    LEE O' NELL BLUES GANG

     

    Bien avant le temps de la prohibition les vieux bluesmen ne voyageaient pas de ville en ville les mains dans les poches, bien sûr se dépatouillaient pour porter leur guitare, mais la plupart n'oubliaient jamais de se munir de leur assurance tous risques, rien de mieux qu'un calibre en état de marche pour faire son chemin dans la vie. Les temps étaient durs, il était nécessaire de savoir se défendre contre les aigrefins de toutes espèces avec des arguments convaincants. L'association des mots blues et gang s'avère historialement correcte, reste encore à savoir qui se cache derrière cette redoutable association.

    Sont français. Cette précision ne relève d'aucun chauvinisme, simplement le fait que l'on peut être amené à les rencontrer au hasard de nos pérégrinations. Respirons, ne sont que deux. Pas beaucoup, mais pensons au gang Barrow plus connus sous le nom de Bonnie and Clyde, justement, sont bâtis sur le même modèle, un couple, aussi venimeux qu'une paire de crotales qui auraient élu domicile dans une de vos bottes ( voir la Mine de l'allemand perdue de Blue Berry ), donc un gars Lionel Wernert et une gerce Gipsy Bacuet. Pas des tendrons de la dernière couvée, citer la liste des mauvais coups auxquels au sein de diverses formations ils se sont livrés, soit séparément, soit ensemble, serait trop long. Ils ont fini par se faire repérer, l'agence Bluekerton de la revue Soul Bag les tient à l'œil. En ces temps covidiques ils ont réussi un gros coup, ils ont sorti en décembre 2020 un album Shades of Love, en cette occasion a éclaté au grand jour les ramifications secrètes de leur influence occulte, notamment leur amitié avec Fred Chapelier, une sommité du blues ( blanc rouge ).

    WALKING BY MYSELF ( YT )

    Vocal : Gipsy Bacuet, Leadfoot Rivet, Fred Chapelier, Neal Walden Black / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Slide : Neal Walden Black /  Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Walking by myself because Jimmy Rogers a longtemps été dans l'orchestre de Muddy Waters, vous le chante d'ailleurs assez gentiment sur une rythmique qui musarde doucettement, notre gang le commence comme finissaient les morceaux de musique dans l'antiquité, tous les instruments ensemble en une espèce d'apocalypse sonore, puristes du blues ne criez pas au scandale, le balancement de gondole vénitienne particulier à la zique bleue, il arrive très vite, prenez cette expression au pied de la lettre, sur une espèce d'aircraft électrisé qui fonce droit devant sans se poser de question sur la métaphysique du blues, la Gipsy elle n'aime pas que les gars se reposent, vous envoie le vocal à la batte de baseball et chacun essaie ( et réussit ) de rester sur le même diapason, deux solo de corrida et des lyrics à la rasetta entre les cornes du taureau impulsif. C'est du rapide et ça se déguste, donc il faut réécouter septante sep fois. Avis personnel : ne vous laissez pas happer par les photos réalisées lors de l'enregistrement, elles mangent votre attention et vous empêchent de vous plonger dans la musique, qui vous attend gueule ouverte style les dents de la mer.

    ALONE ( YT )

    ( Official Music Video )

    Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Tout ce que vous n'avez pas eu le temps de goûter à sa juste valeur dans le morceau précédent, Alone vous le permet, les images bistres suivent les musiciens de près, les doigts sur les guitares et le bonheur dans la prise. Ne chôment pas pour autant, mais Gipsy a dosé un entrefilet de jazz dans sa manière distinguée de dispatcher les syllabes, elle n'essaie pas d'arriver la première, elle pousse vers le haut, du coup les guitares prennent de l'altitude et deviennent aériennes. Ici la rythmique ne joue pas à la terre brûlée, rapide et relax en même temps, Lionel et Fred se tirent la bourre de la fraternité, montrent ce qu' ils savent faire, mais sans esbroufe, pas à la m'as-tu-vu-je-te-tue, ils distillent leur style félin flexible sur les fusibles, un régal.

    DIFFERENT SHADES OF LOVE ( YT )

    ( Live / La Scène / Sens / Octobre 2020 )

    ( Organisé par l'association Red & Blue 606 )

    Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Blues, soul, rock, tout ce que vous voulez, les gars ont une chanteuse avec eux, alors ils la servent, la gâtent, sont à ses petits soins, pas un qui essaie de tirer la couverture à soi, mais sans cesse un petit yoyo à lui refiler sous chaque intonation, l'air de rien, sans démonstration, juste de temps en temps un petit sourire satisfait car tout baigne, z'auraient d'ailleurs tort d'essayer de se pousser devant, car Gipsy elle survole, l'épeire qui danse dans le soleil de l'aurore sur la toile perlée de rosée, une équilibriste, une funambule, n'a pas le vocal bancal, elle hausse à peine le ton et le monde change de couleur, n'en fait jamais trop, une simplicité renversante, vous donne l'impression qu'elle lit à mi-voix la liste des commissions, mais avec une aisance, un tact et une classe infinis. Le tout sans la froideur de la perfection, sans ostentation, infiniment naturelle.

    Damie Chad.

     

    BURRIED MEMORIES

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Clip / YT / 04 – 04 -2021 )

     

    Dans notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 nous présentions Disaray le dernier CD de Across The Divide, nous en avions profité pour évoquer certaines vidéos reprenant certains titres de l'album. Au début du mois est parue une nouvelle vidéo de Regan MacGowan illustrant le deuxième titre de cet opus, que nous avons beaucoup apprécié, un artefact soigné tant au niveau esthétique que musical.

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    Le clip est à l'image de Across The Divide, un objet fini qui se suffit à lui-même qui de surcroit est facile à appréhender puisqu'il est loin d'atteindre les cinq minutes. De belles prises de vue, un bon son, d'une lecture agréable et facile. Apparemment une situation idyllique, le groupe en pleine nature interprétant une de ses dernières œuvres. La face claire des phénomènes. Cette dernière phrase induit qu'elle coexiste avec une face plus sombre.

    Nous n'en dirons pas plus ne voulant pas davantage effleurer le contenu de cette chose. La chose diffère de l'objet, si l'objet relève du mental, la chose participe du mystère de sa propre présence. L'esprit ne l'a pas scannée. Elle fait encore partie de l'informe, du mystérieux, du menaçant, ce n'est pas qu'elle serait non humaine, c'est qu'elle est a-humaine. D'une nature autre. A vous de regarder ce clip. Pas uniquement du début à la fin. De d'avant le début à après la fin. Sachez voir. Ensuite vous êtes libre de l'interprétation. Quand on raconte une histoire, l'on n'est pas obligé de tout dire, à vous d'interpréter les indices. De monter votre propre scénario. A partir de vos malaises et de vos angoisses, et de la réalité dans laquelle vous évoluez.

    Ce clip est une merveilleuse réussite, une clef qui s'adapte à de nombreuses serrures. Choisissez la porte qui vous correspond. Celle d'ivoire ou celle d'ébène.

    Damie Chad.

     

    TROIS CARTOUCHES POUR

    LA SAINT-INNOCENT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / Mars 2021 )

     

    Fût-il aristocrate Michel Embareck pourrait se vanter d'avoir des ancêtres qui auraient participé à la première croisade, ceci pour vous dire que notre homme possède ses quartiers de noblesse rock, n'était-il pas une des plumes des plus talentueuses qui en des temps anciens s'illustrèrent dans la revue Best. Si le nom de ce magazine ne vous dit rien c'est que vous êtes jeunes, ce qui n'est pas, je vous rassure, une tare rédhibitoire... Depuis Michel Embareck a publié une bonne trentaine d'ouvrages, nous avons déjà chroniqué en ce blog-rock Jim Morrison et le diable boîteux ( livraison 322 du 29 / 03 / 17 ) et Bob Dylan et le rôdeur de minuit ( livraison 361 du 15 / 02 18 ), le voici qui revient parmi nous avec un roman, qualifié selon sa couverture, de noir. Evitez les raccourcis dangereux, noir ne signifie pas policier.

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    Certes vous avez un cadavre en ouverture, dès le premier chapitre, mais ce n'est pas le bon, celui-là s'apparente à un cadeau Bonux, circulez il n'y a rien à voir, très vite nous tenons l'assassin, une femme ( elles sont dangereuses ), inutile d'endosser votre chapeau à la Sherlock et de vous munir d'une loupe pour les indices. L'Embareck ne vous laisse pas dans l'embarras, nous refile son nom et nous signale qu'elle a depuis longtemps été jugée et qu'elle a purgé sa peine. Ce n'est pas non plus une serial killer qui aurait avoué un meurtre pour mieux faire silence sur les soixante autres bonshommes qu'elle aurait précédemment occis sans que nul ne la soupçonne. Bref le livre commence alors que l'histoire est terminée, je n'ose pas écrire morte et enterrée.

    La victime est aussi au fond du trou. Un gars sympa, un blouson noir – chez Kr'tnt cela équivaut à un certificat de bonne conduite - un bosseur, certes il tapait peut-être sur sa femme – c'est elle qui le dit – mais qui en ce bas-monde n'a pas ses petits défauts... Elle devait bien aimer ça puisqu'elle s'était mariée avec lui.

    Donc Michel Embareck rouvre l'enquête. Pourquoi pas. Toutefois quelques détails nous interpellent quant à cette démarche. Premièrement, il ne fait pas cela au grand jour, se déguise en journaliste, pour brouiller les pistes, pour qu'on ne le reconnaisse pas, lui l'amateur émérite de rock'n'roll, il s'adjuge le nom d'un musicien classique : Wagner. Deuxièmement : il nous tend un piège, file au lecteur un détail foireux à se mettre sous la dent. Dans quel ordre ont été tirées les trois bastos qui ont envoyé l'innocent trucidé ad patres ? Non il n' y a pas de troisièmement. Notre perspicacité nous permet dès maintenant de vous filer la véritable identité du meurtrier. Ne poussez pas des oh de stupéfaction ou d'indignation en l'apprenant. Nous fournirons les preuves et les terribles révélations qui marchent avec, dès la fin de ce paragraphe. Tiens, il est fini.

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    Le criminel c'est... Michel Embareck ! Mais enfin Damie tu dérailles, n'est-ce pas Jeanne Moreau – pas l'actrice, l'autre – qui s'est dénoncée elle-même à la gendarmerie, z'oui âme naïve, mais c'est Michel Embareck qui a créé le personnage de Jeanne et l'assassinat de son mari. Il en est donc pleinement responsable. L'auteur du crime, c'est lui. Mais ce n'est pas tout. Ce n'est qu'un début. Assez médiocre quand on connaît la suite. Ne jetons pas la pierre sur Michel Embareck, ce n'est pas de sa faute, l'a sans doute été atteint du terrible syndrome du tigre altéré de sang. Mangeur d'hommes. Et de femmes. ( Soyons respectueux de la parité ).

    Un peu la problématique de la carabine. Si elle ne tire qu'un coup et si vous attrapez un coup de sang, vous ne tuez qu'une seule personne. A répétition, c'est le carnage. L'aurait dû intituler son book, ''Midnight rambler sur piste sanglante'', au long de son enquête l'Embareck wagnérien, il ne s'économise pas, vous offre la tétralogie in extenso, Crépuscule des Dieux compris avec embrasement final terminator. Méfiez-vous si vous ouvrez le bouquin, attention aux balles perdues, parce que l'Embareck en colère ne respecte personne, l'est prêt à abattre son lecteur ( et même sa lectrice ) sans sommation si sa figure ne lui revient pas. Non, n'ayez pas peur, il ne dum-dumise pas au fusil à cinq balles mais à symboles. Plus il avance dans son enquête plus notre confiance en nos institutions s'estompe. N'épargne aucune de nos vaches sacrées. Remonte le troupeau jusqu'au vacher en chef. Un crime peut en cacher un autre.

    Attention dear kr'tntreaders, ne vous précipitez pas sur une courageuse lettre anonyme pour dénoncer aux autorités la malfaisance anarchisante de cet ignoble individu qui répond au nom de Michel Embareck, c'est que pour le moment nous n'avons traité que le roman. L'intrigue romanesque si vous préférez. Le plus dur reste à venir. On vous a avertis, c'est noir. Très noir. Non, pas tout à fait le noir anarchie. Plutôt le noir opaque. L'est comme cela l'Embareck vous raconte une petite histoire de rien du tout. Une bonne femme qui se débarrasse de son mari. Ça ne va pas chercher loin. Vingt ans maximum. ( Vingt ans pour avoir tué un blouson noir, perso je lui en aurais filé quarante et l'on n'en parlait plus. ) Le malheur c'est qu'à partir de ce fait divers, Michel Embareck vous fait visiter les sept cercles de l'Enfer de Dante.

    Depuis la Divine Comédie les choses ont bien changé, l'Enfer n'est plus en Enfer, s'est déplacé, l'est partout, ses tentacules ont envahi le Purgatoire et le Paradis. Ce ne sont plus les morts qui occupent l'Enfer mais les vivants comme vous et moi qui y résidons. Vous pensez que j'exagère, que je dépeins l'existence terrestre sous une couleur un peu trop sombre. Vous avez totalement raison. C'est plus que sombre, c'est noir. ( Cf la couverture ).

    Michel Embareck se gausse tel un gosse, il laisse traîner le fil de l'intrigue et vous vous amusez à le tirer. C'est idiot parce que c'était le cordon du bâton de dynamite qui vous explose à la figure. Ah ! vous croyiez être dans un livre policier, erreur sur toutes les lignes, Embareck vous a embarqué dans un essai politique. Philosophiquement parlant traduisons par : Marx a remis la dialectique de Hegel sur ses pieds. Les crimes ne sont que le miroir de notre société. Si vous inversez la phrase cela donne : notre société est criminelle.

    Imaginons que vous soyez de bonne composition. D'accord Damie, Michel Embareck n'a pas tout à fait tort, plus on monte dans la pyramide, moins c'est beau. Vous vous rendez à la raison, oui dear lector avec Embareck l'on part de la mésentente d'un couple pour se retrouver tout en haut, nous l'avons déjà dit, mais en reconnaissant cela vous n'aurez fait que la petite moitié du chemin. En fait vous vous débrouillez pour ressortir de cette histoire ( noire ) blanc ou blanche comme neige, ce n'est pas moi, c'est les autres. Ben non ! vous démontre Embareck que vous aussi ( pas tous, beaucoup d'élus mais peu qui refusent de céder à l'appel trompeur ) vous marchez dans les entourloupes, pardon vous y courez, vous y galopez ventre à terre, car vous êtes totalement manipulés par les instances politiques, médiatiques et marchandiques, elles ont bien compris que vous ne croyez plus en leur combine, alors elles vous préparent et vous proposent la contre-combine, voire l'anti-combine, pour soi-disant esquiver la première, mais qui dans les faits se révèlent encore plus piégeuses. Ce n'est pas de votre faute, c'est que vous êtes bêtes.

    Pas moi ! Pas moi ! tout ça c'est de la théorie de l'emberlificotage, vous écriez-vous, alors Michel Embareck qui est très gentil, vous plonge le nez dans votre caca, au moins vous n'êtes pas dépaysé, vous parle du quotidien dans lequel vous tracez votre route, et c'est-là qu'il décanille sec, vous ouvre les yeux, vous révèle ce que Balzac nommait l'envers de l'histoire contemporaine, vous n'êtes que des marionnettes qui récitez le texte que l'on attend de vous. Vous sciez en toute stupide bonne foi la branche sur laquelle vous êtes assis, vous vous attaquez à ceux qui vous ressemblent mais qui gardent une vision claire de la situation que vous n'êtes plus capable d'appréhender...

    Ce n'est pas un livre optimiste. Michel Embareck ne se gêne pas pour crever les baudruches des idées nouvelles qui embrasent les fausses colères des révoltes auto-immunes. Talentueux et jouissif, surtout quand il porte direct la main au saint du sein.

    Aux lecteurs innocents, la cervelle pleine ! Distribution gratuite de coups de pied au cul pour les autres. Ce dernier mot s'entend aussi au féminin.

    Damie Chad.

     

    SURVIVOR

    ERIC BURDON

    ( 1977 )

     

    Lead vocals : Eric Burdon / Keyboards : Zoot Money – John Bundrick – Jürgen Fritz / Guitar : Alexis Korner – Frank Diez – Colin Pincott – Geoff Whitehorn – Ken Paris + vocals / Bass : Dave Dover – Steffi Stefan / Drums : Alvin Taylor / Backing vocals : Maggie Bell – P. P. Arnold – Vicky Brown

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    Une belle pochette due à Jim Newport. Un disque à la croisée des chemins pour Burdon. Ne sait plus trop où il en est. L'aventure War est terminée depuis longtemps mais en 1976 est sorti un album de vieilles bandes, il remonte la pente avec la création d'Eric Burdon Band, les Animals datent de la préhistoire pourtant quelques mois après la sortie de ce Survivor sortira le disque de la re-formation originale et cette aventure parallèle durera pratiquement jusqu'au milieu des eigthies, et il faudra attendre 1980 pour un nouveau disque d'Eric Burdon, preuve que le Survivant n'a pas trop bien survécu son titre fait froid dans le dos : Darkness, darkness... Survivor est enregistré en Angleterre, dans la flopée des musiciens l'on remarque un ami de la première heure Alexis Korner pionnier du blues anglais, mais aussi Alvin Taylor qui participa à Sun Secrets et surtout Zoot Money qui depuis la fin des Animals croise sans cesse la route de Burdon et qui co-signe avec lui huit titres sur dix de l'album Si l'on regarde Survivor avec le recul nécessaire, l'on se rend compte que cet album qui n'a jamais été réédité est bien meilleur que les deux derniers disques des Animals reformés, Ark et Greatest Hits Live, qui de fait apparaissent comme de pâles copies, de tristes tentatives avortées. La comparaison est d'autant plus significative que Zoot Money a participé à l'aventure de ces deux disques animaliers.

    Rocky : l'on peut partir d'un principe d'équivalence simple c'est que si Eric Burdon n'est pas au mieux de sa forme, c'est que le rock'n'roll a perdu son innocence, certains lecteurs tiqueront, en 77 le punk lui file un sacré coup de pied au fesse au vieux rocky des familles, c'est une époque explosive et séminale, certes mais quand on y réfléchit le Burdon est devenu un has been, la jeune génération n'a pas besoin de lui, ne l'attend pas, alors il va leur montrer comment on manie la dynamite, vous empoigne le vocal et ne vous le lâche pas d'un millimètre et derrière ça déménage un max, on dirait que tous les crédités sont présents sur cette séance et ça tourbillonne dans tous les sens, un bon vieux rock'n'roll comme l'en n'en fait plus et Burdon vous le chevauche comme s'il drivait les chevaux de Poseidon dans la tempête et se sert de sa voix comme du trident neptunien pour ébranler les consciences. Sur ce coup vous fout K.O. Au premier round. Woman of the rings : changement d'atmosphère, vous avez eu le rock, voici le blues. Mais un blues comme vous n'en avez jamais entendu. Comme le Led Zeppe n'a jamais eu l'idée, des guitares qui jouent comme des chats écorchés et un clavier qui roucoule comme la colombe poignardée d'Apollinaire, pas besoin de plus, là-dessus Burdon pose ses phrases sans emphase à tel point que les nanas se chargent de craquer l'allumette et l'orchestre s'engage dans le maelström, et c'est à cet instant que vous réalisez, maintenant qu'il se tait, l'art de Burdon, le mec qui fait semblant de chanter à moins qu'il ne fasse semblant de parler, funambule sur la ligne de crête.

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    The kid : un sale gamin qui brouille la piste et qui ne se laisse pas écouter. Tomb of the unknown singer : malheureux vous entendez les premiers arpèges et vous pensez être parti pour une ballade de toute coolitude d'un chanteur qui se meurt d'amour, et puis le Burdon l'on dirait qu'il a emprunté la voix écorchée de Dylan, good trip en perspective, d'ailleurs le titre se retrouve sur la compil Good Times, certes mais alors éloignez-vous tout au fond du jardin et écoutez le ramage des petits oiseaux … pour vous donner une idée de comparaison c'est le même scénario que Le chanteur abandonné de Johnny Hallyday mais avec Burdon le loup est entré dans la bergerie, l'a bouffé le Berger, l'a égorgé tous les agneaux et puis s'en est allé pousser sa plainte lugubre à la lune hécatienne, un iceberg de solitude vous tombe dessus, vous ressentez l'incomplétude humaine, ce titre est une invitation baudelairienne au suicide, une pente fatale qui vous happera sans pitié si par hasard vous ne vous sentez pas au mieux de votre forme, un faire-part de la mort qui vous spécifie l'heure de votre rendez-vous au cimetière. Glaçant. Toutes mes condoléances. Famous flames : réchauffons-nous, rythmique guillerette à conter le guilledou à Magie Bell et ses copines, Alvin Taylor bat le beurre mais ce n'est pas du bio, heureusement qu'il y en a qui se défoncent à la guitare, le Burdon rigole tout seul, mais vous avez du mal à participer à la fête, je vous le dis mais le répétez pas, les flammes ne sont pas aussi fameuses que promises, un peu longuet et la gueule du dragon cracheur de feu n'est pas au rendez-vous à l'autre bout de la queue. Hollywood woman : Burdon nous fait son cinéma country : au début ce n'est pas mal, à la suite aussi, c'est dans les refrains qu'il sourit un peu trop fort pour plaire au grand public, les musicos se la donnent, des petites trouvailles de partout, on en oublie le Burdon qui chante un peu trop dans le registre de l'attendu. C'est vrai que l'on ne peut pas être tout le temps Johnny Cash. Surtout si l'on part du principe que c'est une cause perdue. Hook of Holland : un morceau qui accroche qui arrive à point nommé après les deux relâchements précédents, dans la droite ligne du morceau introductif, un feu de bois qui pétille dans la cheminée et qui met le feu à la maison, Burdon est parfait en pyromane, les filles crient pour qu'il vienne les délivrer, mais non, il faut du combustible pour alimenter le feu de joie. Une guitare incendiaire et des chœurs de pompiers heureux du beau brasier qui s'offre à eux. Chaud. Très chaud. I was born to live the blues : le Burdon l'est comme les aristocrates, se souvient qu'il a le sang bleu, voix nue et une guitare dont les cordes sont en boyaux de chat, le vieux classique de Brownie McGhee qui se permettait de le chanter de sa face joviale et épanouie, le vieux renard qui en a trop vu pour ne pas sourire à la vie, le Burdon lui il emmêle ses tripes dans ses cordes vocales de tigre, la dureté de la vie vous cisaille sans pitié, chante comme une lame de guillotine qui tombe sur les condamnés à mort que nous sommes.

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    Highway dealer : rien qu'au titre l'on sent que l'on aime déjà et quand on écoute l'on est subjugué, non ce n'est pas pied au plancher en sens inverse sur l'autoroute ( si un peu quand même ) une ambiance proche de The man sur Stop, avec des guitares qui pètent les mégaphones à la Roadrunner du grand et du beau Bo Diddley, tout le début pue le soufre et l'enfer, le Burdon barrit comme une éléphante dont un car de touristes vient de buter son petit, bref un carnage. Quant au band derrière et devant il déploie plus d'inventivité et de nuances que le Deutches Symphonie-Orchester Berlin quand il était mené par Wilhelm Furtwangler. P. O. Box 500 : poste restante. Pas à perpétuité mais récidiviste. Rien de plus terrible que d'être mis en boîte par un ami ! Burdon en faux-jeton gagnant ! K. O. Boxe. Cinq sens éteints.

    Damie Chad.

     

    XXXI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

    Suite à notre trentième livraison, nous avons reçu des centaines de lettres de la part des adhérents de la Société Protectrice des Animaux ulcérés nous reprochant l'absence de Molossa et de Molossito dans les évènements dramatiques relatés. Certains nous accusent même d'avoir falsifié notre document. Jamais, affirment-ils nous n'aurions pu sortir vivants de cette aventure sans leur aide précieuse. C'est la vérité vraie, mais les reproches qui nous sont adressés sont particulièrement injustes, ils méconnaissent surtout le génie stratégique du Chef. Il est évident que sans nos canidés nous aurions perdu la partie, mais il ne faut jamais oublier que dans toute attaque il convient d'assurer la protection de la base de repli. Cette besogne souvent ingrate mais nécessaire échut à nos quadrupèdes aguerris. Connaissez-vous quelque chose de plus féroce qu'un chien de garde ? Sinon deux chiens de garde.

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    Nous nous retrouvâmes tous dans la cuisine où nous avaient précédé Vince et Ludovic. Ce dernier avait repris des couleurs, des timbales fumantes de café extra-fort nous attendaient, nous en avions besoin pour nous remettre de nos émotions. Les filles auraient bien croqué un petit gâteau sec, mais le Chef s'y opposa :

      • Nous n'en avons pas le temps, nous repartons dans une minute, le temps que l'agent Chad récupère les chiens, et hop tout le monde dans le SUV !

    Molossa était sagement assise devant la porte, je remarquai immédiatement l'absence de Molossito, le museau de Molossa se posa comme par inadvertance sur mon jarret gauche, je la fis rentrer avec moi.

      • Chef, sûrement un problème, l'on doit nous épier, et Molossito n'est pas là !

      • Léger changement de programme dit le Chef, Vince, Ludovic, les filles, vous sortez en papotant comme si de rien n'était, vous ne risquez rien, s'ils ne sont pas intervenus c'est qu'ils attendent les ordres, Vince au volant, moteur allumé vous attendez que l'on revienne, l'Agent Chad et moi-même nous allons récupérer Molossito, Charlotte tu prends Molossa dans tes bras quand tu es devant le Suv tu fais semblant de la poser sur le siège arrière mais tu la relâches discrètement, les autres et les portières grande-ouvertes te faciliteront la manœuvre, que notre comité de surveillance ne s'aperçoive de rien, exécution immédiate !

    En passant derrière le tronc de l'ormeau, le Chef et moi nous nous engouffrâmes dans une zone d'ombre, Molossa nous rejoignit très vite et nous guida rapidement vers un bosquet, une longue voiture noire stationnait tout feu éteint. Nous nous accroupîmes sans bruit, le Chef alluma un Coronado en faisant attention qu'aucune flamme ne trahisse notre présence.

      • A toi de jouer Molossa !

    Elle ne se le fit pas dire deux fois. Trois secondes plus tard elle était sur le capot, grognant, aboyant de toutes ses forces, l'on s'agita dans la voiture, mais des piaillements aigus nous cisaillèrent les oreilles, l'otage Molossito donnait de la voix, la réaction ne se fit pas attendre, une vitre s'abaissa et Molossito fut rapidement éjecté sans ménagement.

      • Cassez-vous les cabots, vous allez nous faire repérer, proféra une voix sourde,

    Nous étions tout près je récupérai Molossito au vol, d'un geste vif le Chef balança son Coronado par l'entrebâillement de la vitre, la grosse limousine explosa illico !

    Trente secondes plus tard nous plongions dans le SUV que Vince arracha de son immobilité de main de maître. Le Chef nous conseillait d'avoir toujours un Coronado série El dynamitero dans sa poche, ça peut toujours servir, ajoutait-il.

    127

    Vince connaissait la région, il roulait à tombeau ouvert n'hésitant pas à éteindre régulièrement les phares, et changeant systématiquement de direction à chaque croisement. Malgré toutes ces précautions nous ne tardâmes pas à être repérés par un hélicoptère, qui bientôt nous prit carrément en chasse.

      • Décidément l'homme à deux mains n'aime vraiment pas le rock'n'roll soupirai-je !

      • Il n'a pas que deux mains bougonna Vince, il a aussi les moyens !

      • Hum-hum, le Chef toussota, si nous étions d'un optimisme béat nous pourrions dire que ce déploiement de moyens permet de l'identifier à coup sûr, mais comme nous sommes des pessimistes actifs, nous en déduirons que s'il se montre ainsi à visage découvert c'est qu'il est sûr que nous ne profiterons pas longtemps du renseignement qu'il nous a révélé.

      • Ce qui veut dire ? s'enquit Ludovic que l'on sentait dépassé par la cascades d'évènements qui avaient si abruptement bouleversé sa vie...

      • Vous pensez que bientôt nous allons donner du museau en plein dans un barrage proposa Brunette

      • Non, cela ne correspond pas au personnage, le Chef allumait un nouveau Coronado je suppose qu'il emploiera les grands moyens, il reste à deviner lesquels avant qu'il ne se présente

      • Vous avez-vu, ils ont changé d'hélicoptère, celui-ci il porte un long-tube sous lui !

      • Ce n'est pas un long-tube charmante Charline, mais un missile air-sol, à tête chercheuse, Vince arrête-toi tout de suite, sans vouloir t'offenser l'agent Chad s'est déjà trouvé dans de telles circonstances, ce n'est pas qu'il soit meilleur conducteur que toi, mais il connaît les procédures à suivre en de tels cas, que nous pourrions qualifier de dramatiques.

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    Je me mis à zigzaguer sur la chaussée, piètre échappatoire, essayant de me rabattre juste devant les rares voitures que je doublais les obligeant à me coller au cul, ralentissant si elles ralentissaient, accélérant si elles accéléraient de telle manière que nous ne formions qu'un seul véhicule et qu'avec un peu de chance le missile s'abattrait sur l'autre conducteur, mais le gars préférait piler net et s'arrêter sur place, je repartais donc à la recherche d'une tête brûlée qui trouverait ce jeu stupide intéressant. Hélas la nationale n'était visitée que par des pleutres. Ces velléités avaient dû inquiéter, car un deuxième hélicoptère vint se ranger à côté du premier, que je sois sur la voie de droite ou de gauche, j'étais toujours dans le viseur de l'un ou de l'autre.

      • Agent Chad nous avons affaire à des coriaces, sans doute auriez-vous intérêt à adopter une autre stratégie !

    Comme toujours le Chef avait raison. Ce fut le déclic qui me permit de prendre les bonnes décisions. Pour être risqué, c'était risqué, mais si je réussissais quel magnifique chapitre à ajouter aux Mémoires d'un Génie Supérieur de l'Humanité. Maintenant que nous connaissions l'identité de l'homme à deux mains il aurait été stupide d'échouer si près du but.

      • Chef je vais utiliser une tactique vieille comme le monde, mais qui au cours de l'Histoire a fait ses preuves.

      • Agent Chad, je n'en attendais pas moins de vous !

      • C'est simple Chef, quand l'ennemi est plus fort que vous il convient de l'attaquer sur son point le plus faible !

      • Agent Chad, cela me paraît d'une grande sagesse, je vous laisse faire, pendant que vous vous emploierez à nous défaire de nos ennemis, si cela ne vous dérange pas, je me permettrai, en toute sérénité de fumer un Coronado. Que le rock'n'roll soit avec nous !

    A suivre...