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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 90

  • CHRONIQUES DE POURPRE 430 : KR'TNT ! 430 : LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE / COCKBOX / RAT'S EYES / DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN / ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO / ROCK'ROLL STORIES / JEAN-MICHEL ESPERET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 430

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 09 / 2019

     

    LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE

    COCKBOX / RAT'S EYES

    DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

    ROCK'N'ROLL STORIES / JEAN-MICHEL ESPERET

    T’en fais pas mon p’tit Lou

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    Contrairement à la plupart des Soul Brothers, Lou Johnson n’est pas né dans le deep South mais à New York. Donc pas de champ de coton pour lui ni d’horrible patron blanc. Et comme dans sa famille tout le monde chante et tout le monde joue d’un instrument, Lou n’a pas d’autre choix que de devenir Soul Brother. Pour une fois, le destin n’est pas trop cruel. Étant donné que Mum and Dad jouent du piano, Lou joue du piano. Le voilà keyboard player. Il commence par jouer du gospel dans les églises puis il se dirige naturellement vers les clubs, le voilà devenu a jazz-slash-gospel musician, comme il dit, a young whippersnaper. Entre 1962 et 1967, il enregistre quelques singles pour Johnny Bienstock, chez Hill &Range, une boîte de prod qui a fait son beurre avec Elvis et le Colonel. Les bureaux d’Hill & Range occupent deux étages au Brill Building et Burt en occupe un au rez-de-chaussée. C’est par l’entremise d’Hill & Range que Lou rencontre Burt - Me and Burt got on really well - Lou enregistre les démos que Burt destine à Dionne la lionne.

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    Et puis un jour, son label Big Top l’envoie enregistrer chez Allen Toussaint à la Nouvelle Orleans - Me and Allen got on really well - Dans la foulée, Johnny Bienstock met Lou en contact avec Jerry Wexler, alors le voilà sur Atlantic via Cotillon. Mais quand Lou découvre que son manager Richard Simpson l’arnaque, il lâche tout et va s’enterrer à Dallas. Il joue du piano au Green Parrot pendant huit ans. Ça brise sa carrière. Il n’empêche qu’en 1968 Jerry Wexler et Tom Dowd emmènent Lou enregistrer un album à Muscle Shoals. Lou est impressionné par le niveau du musicianship des petits culs blancs de Muscle Shoals : David Hood, Jimmy Johnson et le père Hawkins. L’album qu’il enregistre est le fameux Sweet Southern Soul. Attention, c’est un classique de la Soul. Lou entre directement dans le vif du sujet avec une fabuleuse version de «Rock Me Baby». On s’épate d’une telle assise. Lou Johnson chante comme un dieu. Il tape dans un vieux hit des Drifters, «This Magic Moment» pour le profiler sous l’horizon. Il shoote tout le feeling du monde dans cette merveille inexorable. Avec «Move And Groove», il passe au r’n’b de firmament, c’est swingué par la crème de la crème du sweet Southern Sound. Lou diffuse autant de magie que Freddie Scott ou William Bell. Il finit à la hurlette tumultueuse, sa voix éclate au pinacle de la Soul. Avec «Please Stay», Lou Johnson descend dans les soubassements de l’âme humaine. Ah il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie. En B, il shake le shook de «Tears Tears Tears» avec une aisance effarante. Sur cet album, tout est soigné au maximum de l’intensité, au pur Soul Sound System de haut vol, avec derrière des chœurs de rêve, ah on peut dire que les filles savent gueuler. D’ailleurs, personne n’a pensé à les créditer sur la pochette. Lou Johnson referme la marche avec le «Gypsy Woman» de Curtis Mayfield. C’est forcément une version de rêve, Lou la fait mousser et sa voix traverse les ténèbres du temps comme l’éclair du génie.

    Hélas, Jerry Wexler et Tom Dowd décident de concentrer leurs efforts sur Donny Hathaway et mettent Lou de côté. Entre 1968 et 1970, Lou passe à l’héro, puis il décide de décrocher et revient à New York se remettre au carré. Un jour qu’il se balade devant le building CBS, il tombe par hasard sur Allen Tousaint :

    — Lou how are you ?

    — I’m all right.

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    Allen lui explique qu’il a entendu dire ceci et cela sur Lou, des rumeurs d’héro et Lou lui répond que les rumeurs ne se trompaient pas et qu’il est passé à autre chose. Allen lui demande s’il est sur un label et Lou lui dit non. Alors Allen lui propose de faire un saut à la Nouvelle Orleans : «I’ve got some stuff I’d like you to do, I think you’d fit it just fine.» Lou descend passer trente jours avec Allen pour enregistrer cet album faramineux qu’est With You In Mind. Allen produit et Cosimo enregistre. Quand on a écouté ces deux coups de génie que sont «Frisco Here I Come» et «Wrong Number», on éprouve d’immenses difficultés à aller ailleurs. Lou peut rocker «Frisco Here I Come», il le fera à sa façon, avec une maestria du subterfuge et derrière, les filles arrivent, chaudes et plantureuses, alors la fête peut commencer, à coups de chœurs de gospel batch et on renoue avec l’extraordinaire dynamique du New Orleans Sound battu en brèche par un phraseur intriguant et des vagues d’orgue. Voilà un pur chef d’œuvre. Avec «Wrong Number», il tape une Soul de r’n’b classique, mais il la ramène à Broadway. S’il fallait qualifier la Soul de Lou Johnson, il faudrait parler de puissance dévastatrice. Il démarre pourtant cet album avec un «There Were Times» de charme, une sorte de pop éraillée, dotée d’un certain intimisme et en même temps staxy. Les filles envoient des rafales de chœurs déments et ça violonne doucement mais pas trop, voyez-vous. On sent les filles très proches et très discrètes. Il tape ensuite un long «Transition» de huit minutes, uns sorte de vertige à la Jimmy Webb, très orchestré, avec des zones pianotées et des accalmies océaniques. Forcément, avec un type comme Lou, on échappe aux cadres et aux formats. Il lui faut ces huit minutes pour afficher ses prétentions et accéder au trône de Soulland. Il faut l’entendre shooter sa Soul : il s’y donne corps et âme. Même chose avec «The Loving Way» : il traite la Soul à sa façon, d’une voix de feu fêlée, mais aussi à son rythme qui est atypique et d’une grande liberté. Il fait ce qu’il veut, il continue d’échapper aux cadres et aux formats. Cet homme incarne la liberté de ton, ce qui peut sembler ironique pour un descendant d’esclave. On se régale aussi de la belle Soul latérale de «Nearer» et du funky strut de «The Beat» qui évoque un peu Stevie Wonder. Il chante ça d’une voix presque blanche. Avec «Who Am I», il passe au piano bar de rêve. On est à la fête avec un Soulman comme Lou. Il propose ici une beautiful song admirable d’élégance louisianaise et on entend Allen Toussaint pianoter.

    Le problème est qu’Allen et Marshall Sehorn n’ont pas de réseau pour distribuer l’album, alors ils font appel à Stax, mais chez Stax, ils ne sont pas très doués pour la distro. En plus ce n’est pas du Memphis Sound et pour eux, c’est dur à vendre. C’est malheureusement le dernier album de Lou Johnson. Il quitte Dallas et s’installe à Portland dans l’Oregon en 1975, puis quelques années plus tard, il débarque en Californie pour aller jouer dans des clubs.

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    Il existe dans le commerce une très belle compile intitulée Incomparable Soul Vocalist. C’est l’occasion de se convaincre - si ce n’est pas déjà fait - de l’absolue nécessité d’écouter Lou Johnson. D’autant que ça démarre sur deux compos de Burt, «Reach Out For Me» et «The Last One To Be Loved». On peut parler ici de choc de titans. Lou sait que Burt est l’homme clé. Il dit entendre son art - I hear his stuff - Et il ajoute : «I think the only person who could hear his stuff better than me was Luther (Vandross)». Alors Lou met le paquet. Il travaille tous ses cuts au corps. Il va droit au cœur du cut, avec une niaque interprétative hors normes. Il se bat comme James Carr. Avec «Unsatisfied», on note la véracité de son rang princier. Il explose littéralement le Broadway Sound System. Back to Burt avec «Magic Potion». C’est plus poppy mais gagné d’avance, car voilà que dégouline une belle dégelée de gelée royale. Lou trousse ça sec. Oh si sec, sister ! Il reste dans le giron de Burt avec l’énorme «(There’s) Always Something There To Remind Me», le hit sixties par excellence, paré de coups de trompettes. L’affaire est dans le sac, Lou l’explose, il chante à la voix blanche. On aura tout vu. Il tape aussi dans l’extraordinaire «Walk On By» et salue Sidney Bechet avec «A Time To Love A Time To Cry». Il s’agit en fait de «Petite Fleur» traduit en Anglais par Giant, Baum & Kaye, l’une des grosses équipes du Brill. Lou gère cet hommage avec une classe insolente. C’est même joué à la clarinette et Lou nous brosse ça dans le sens du poil. C’est beau comme un solstice d’été. On tombe plus loin sur «Thank You Anyway (Mr DJ)», un heavy balladif ultra-violonné à l’hollywoodienne, signé Giant, Baum & Kaye. C’est même un déluge d’orchestration qui s’abat sur le pauvre cut. Lou brille au firmament, c’est indéniablement indéniable, on en perd les mots tellement il nous compresse la cervelle, thank you, thank you anyway. Sacré géant. Encore du Broadway Sound System avec «Wouldn’t That Be Something» qu’il swingue à outrance. Avec «Any Time», il vire bar de nuit, avec des chœurs de filles magiques et la surprise vient de «Love Build A Fence», véritable power shakedown de gospel batch. Les filles derrière sont probablement les Sweet Inspirations. On a là exactement la même charge qu’avec l’Aretha d’Amazing Grace enregistrée dans l’église de Los Angeles.

    Et puis voilà, on apprend inopinément que Lou Johnson vient de casser sa pipe en bois. L’entrefilet paru dans Record Collector indique que la mauvaise nouvelle n’est pas de source sûre. Lou Johnson aura su rester discret tout sa vie, et jusque dans la mort. Chapeau bas.

    Singé : Cazengler, Lou garou

    Lou Johnson. Sweet Southern Soul. Cotillon 1969

    Lou Johnson. With You In Mind. Volt 1972

    Lou Johnson. Incomparable Soul Vocalist. Kent Soul 2010.

     

    Mavis serre la vis - Part One

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    Mavis Staple à Paris, voilà qui sonne joliment à l’oreille. Un peu comme on si on disait : ‘Aretha à Paris’. Inespéré ! C’est un gros pan d’histoire de la Soul qui débarque dans une capitale surchauffée par les ardeurs d’un soleil estival. Il ne s’agit plus de dire monte là-dessus et tu verras Montmartre, mais plutôt entre-là dedans et tu verras Mavis. La Cigale redevient le temps d’une soirée un bon gros théâtre de boulevard avec ses places assises et sa moyenne d’âge élevée. Cette vieille dame pétrie de légende arrive enfin sur scène. Elle n’est pas bien haute, les mauvaises langues diraient même ‘plus large que haute’, elle porte une longue chemise bariolée ouverte sur un ensemble noir et très vite, elle établit le contact avec un public convaincu d’avance.

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    Mavis maîtrise indiscutablement l’art de communier, elle a fait ça toute sa vie, c’est-à-dire pendant plus de soixante-dix ans, si l’on considère le fait qu’elle commença à chanter dans les églises toute petite. Elle s’entoure d’une équipe minimale composée d’un couple de choristes noirs et de trois musiciens blancs. Et c’est là où les choses deviennent extrêmement intéressantes, car avec cette formule qu’on pourrait presque qualifier de stripped down, Mavis va chauffer la Cigale comme une église. Ils sont cinq à chanter les chœurs avec Mavis et ça prend vite de sacrées proportions, pas au sens du gospel power, mais au sens du groove. Cette musique se glisse littéralement sous l’épiderme, notamment cette version de «Respect Yourself» démarré au baryton de charme chaud par l’excellentissime Donny Gerrard. Wow ! Il n’existe pas de meilleure manière d’entrer dans la légende. Ce vieux hit des sixties ramène à la surface Pops Staples, Yvonne, Cloetha, et même Sir Mac Rice, l’auteur de ce chef-d’œuvre absolu de Soul engagée. Il est essentiel de rappeler que Mavis et les siens ont milité toute leur vie pour l’égalité des races, dans un pays où les mentalités ne peuvent pas évoluer. Elle continue donc aujourd’hui, en montant sur scène et en chantant des textes qui sont à la fois des messages d’espoir et des incitations à continuer le combat, comme ce fabuleux «No Time For Crying» qui referme la marche. Elle dit tout simplement que ce n’est pas le moment de pleurer - People are dying/ Bullets are flying - Oui, on tue encore les nègres aux États-Unis comme on les tuait au début du XIXe siècle, par simple haine et Mavis lève le poing lorsqu’elle clame «We’ve got work to do !», c’est assez brutal au niveau émotionnel, car il semble que la rumeur chantante qui sous-tend le cut remonte à la nuit des temps, jusqu’aux racines de l’esclavage. Mavis semble aujourd’hui porter seule de destin d’un peuple traité pendant des siècles comme de la marchandise.

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    Les mecs qui l’accompagnent se montrent dignes de la situation. Jeff Tunes joue sur une basse blanche sanglée très bas sur les genoux, à la manière d’un punk-rocker. Stephen Hodges bat tranquillement le beurre et celui qui tire le mieux son épingle du jeu, c’est bien sûr Rick Holmstrom, un type un peu décharné qui ne vit que pour la virulence et le venin des incursions intestines. Mavis semble adorer ça, car elle l’encourage en lui donnant des petits coups de poing sur la poitrine. En jouant aussi viscéralement, Holmstrom injecte une violente dose de modernité dans le son de Mavis, comme il le fit jadis dans le son de RL Burnside. C’est très spectaculaire ! Il joue avec des gestes d’épouvantail habité par le diable et lâches des grappes de notes dignes de celles d’un autre grand guitariste hanté, Robert Quine. Mavis attaque le set avec «If You’re Ready (Come Go With Me)» tiré d’un vieil album des Staples, Be What You Are, paru en 1973, à l’âge d’or de Stax. Et elle enchaîne avec un «Take Us Back» plus récent. Elle va ensuite commencer à taper dans les cuts de son dernier album, We Get By, produit par Ben Harper qui, comme par hasard, se pointe sur scène. Mavis l’aime bien car elle l’annonce comme the greatest songwriter in the world. Harper débarque avec son chapeau et duette avec Mavis sur deux autres cuts tirés de We Get By, «Love And Trust» et le morceau titre.

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    Mavis revient ensuite dans le très haut de gamme avec une reprise du big «Can You Get To That» de Funkadelic, et emporte pas mal de suffrages avec une autre reprise, celle de «The Weight» du Band, qui semble beaucoup plaire au public. Elle va heureusement revenir à ce qui est avec Respect Yourself l’un des meilleurs albums des Staple Singers, Be What You Are et cette chanson d’espoir intitulée «Touch A Hand Make A Friend».

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    Les malheureux qui ont raté ce concert peuvent se consoler avec l’album Live In London qui vaut son pesant d’or. Les Londoniens claquent des mains, ça veut dire ce que ça veut dire. La set-list diffère de celle du concert parisien qui est plus axé sur We Get By. Mavis crochète son «Love & Trust» à la vieille arrache de Chicago. On la voit travailler ses cuts sous le boisseau, elle fait du Wolf avec «Who Told You That» et Rick Holmstrom joue si sec ! Hank you ! Elle fait un duo d’enfer avec Donny Gerrard dans «Slippey People», qui est une reprise des Talking Heads. Mavis est déchaînée, ils shakent à deux tout le shook du monde. La température monte encore plus violemment avec «Take Us Back». Quand Mavis fait de la Soul, c’est de la Soul extraordinaire. Elle se jette toute entière dans la bataille. Ella atteint au génie avec «No Time For Crying». Elle retrouve sa fantastique énergie primitive. Les Londoniens stompent le beat - No time for tears/ We’ve got work to do - C’est l’appel au réveil, le grand message de Pops. Message d’autant plus beau qu’il est politiquement très engagé. Elle monte la transe au maximum - All over the world/ It’s a mean old world we’re living in - On reste dans le génie interprétatif avec «Can You Get To That», ce vieux hit de Funkadelic. Mavis nous habitue au confort du heavy doom. À sa façon, elle démonte la gueule du groove, comme savait si bien le faire Isaac le Prophète. Quel sens du punch ! Donny Gerrard fait le wanna know de baryton. Puis Mavis se coule sous la peau du groove pour interpréter «Let’s Do it Again», un cut qui ne fait pas partie du set parisien. Elle devient littéralement magique, sometimes it rains, elle groove à gogo - Let’s do it in the morning/ Sweet lovin’ - Le baryton vient fureter entre les cuisses du groove et ça devient spectaculaire. Elle explose littéralement la notion de live. À la fin, elle se marre - I feel like a butter finger - C’est une reine et la salle explose de plus belle. Elle rend hommage à Curtis Mayfield avec une sweet cover de «Dedicated». Elle sait de quoi elle parle. Elle monte là-haut comme Aretha dans «We’re Gonna Make It», mais en plus guttural. Power suprême ! Elle devient folle à la fin du set avec «Happy Birthday» et «Touch A Hand» - Make some noise ! - Elle allume comme une dingue. Make some noise ! Trop tard. Personne ne plus rien pour elle.

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    Dans la vraie vie, on écoute aussi ce fameux dernier album produit par Ben Harper, We Get By. Album d’autant plus ravissant qu’on y retrouve l’excellent Rick Holmstrom. Il fait des siennes dès «Change» qu’il gratte sec au boogie down. Il part même en solo d’exaction excavatoire. Il sonne vraiment juste, il sort un son de blanc noirci par la passion. Le cut le plus émouvant de l’album pourrait bien être «Heavy On My Mind», car Mavis le chante à l’intimisme extravagant, on l’entend mouiller ses papilles pour alimenter le groove du capella. C’est une chanteuse accomplie. Elle revient à ses basics avec «Sometime», fabuleux shoot de full time gospel joy. Quelle ferveur, les amis ! C’est excellent, comme pouvaient l’être les albums des Staple Singers sur Riverside. La réverb fait toute la magie du son. Mavis retrouve ses marques et chauffe son gospel batch à gogo. On retrouve l’autre Mavis, la Mavis excitée, dans «Stronger», épaulée par la pétarade de Jeff Turmes. Ça continue avec «Chance On Me», monté aussi sur le pouet pouet de cet incroyable bassman qu’est Jeff Turmes. Il tonitrue son bassmatic. Il nous fait du stipped down r’n’b et c’est fameux. Ce qui frappe le plus sur cet album, comme d’ailleurs sur scène, c’est la complicité qui règne entre Mavis et ses amis blancs. Cette complicité saute aux yeux à l’écoute de «Hard To Leave», car ce big cat de Rick Holmstrom ne fait que souligner le chant de Mavis, et c’est toute la différence avec un Jeff Tweedy qui avait une malencontreuse tendance à se mettre en valeur, comme tous les gens qui se payent du crédit sur le dos des autres. Holmstrom a compris que la qualité principale de Mavis était l’intimisme. Cette attachante vieille peau nous embarque quand elle veut, c’est en tous les cas ce que démontre une fois de plus «One More Change». Elle semble y atteindre l’apogée de sa proximité. On parle ici d’une qualité de proximité unique au monde.

    Signé : Cazengler, Mavicelard

    Mavis Staple. La Cigale. Paris XVIIIe. 5 juillet 2019

    Mavis Staple. Live In London. Anti- 2019

    Mavis Staples. We Get By. Anti- 2019

    15 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COEMDIA

    COCKBOX / RAT'S EYES

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    Pas la foule des grands jours ce soir à la Comedia. Bizarre, tous ces gens qui se privent de groupes rares, le premier vient d'Helsinki, et le deuxième de Moscou, peu de chance de les revoir de sitôt par chez nous. Remarquez que cela vous donne l'impression d'être de joyeux élus de la confrérie des maudits. Une pensée émue et reconnaissante tout de même pour ces honnêtes citoyens qui se couchent tôt le dimanche soir afin que leur force de travail soit prête à subir dès le lundi matin l'esclavage social. Les temps de soumission frénétiques vont-ils encore durer longtemps ? En tout cas, l'European Tour 2019 des Cockbox et des Rat'Eyes s'intitule : Peace = Death to the system. L'est sûr qu'il faut savoir prendre le taureau par les cornes si l'on veut tuer le Minotaure.

    COCKBOX

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    Du punk comme on n'en fait plus par chez nous. Bille en tête. Trente secondes de balance, pas davantage et c'est parti. Ce grand gaillard blond aux drums c'est Llari, pour le moment il officie avec componction, bat le beat ( évident quand on s'appelle Boite à Bite ) avec lenteur. Rasmus l'accompagne sur une seule corde répétitive de sa basse, l'on admire sa crête échevelée, l'on imagine facilement que lors de leurs raids meurtriers les crinières des poneys huniques devaient arborer cette flamboyance désordonnée. Elle s'était tenue un peu à l'écart et voici que Vee s'empare du micro. Que cette fille est belle dans sa blondeur sauvage et son cuir noir, sa cartouchière qui lui ceint les reins, ses pieds nus sous la résille de ses bas déchirés, la blancheur diaphane de sa peau et son visage de prêtresse qui s'apprête à lancer à la face du monde ses anathèmes destructeurs. Derrière les guys ne varient pas leur rythmique d'un millimètre, c'est sa voix rauque qui marque les brisures nécessaires. Une mélopée funeste, un son fruste, un timbre rude, la fascination du serpent, une interprétation de Siouxsie et des Banshees qui n'est pas sans rappeler le premier disque des Stooges, un étau minimaliste qui vous prend à la gorge, une coulée d'angoisse pure, une amphore de poison qui s'écoule au fond de vous et fore fort le phosphore des membranes reptiliennes de votre cerveau. Assistance subjuguée par cette entrée en matière.

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    Changement de ton. Vee a pris sa guitare et les villes en flammes s'embrasent. Llari enchaîne les plans sur la batterie, rapide comme le renard insaisissable qui se joue de la chasse à courre. Ne peut s'empêcher de sourire sous ses cheveux blonds, frappe imaginative, roulements incessants, difficile de suivre ses poings refermés sur les baguettes, cavale et cavalcade, il pulse, impulse, il propulse, et offre cette terrible dualité d'un feu roulant inextinguible qui ne se permet aucun bavardage. Une extrême efficacité, il pousse le morceau de ses basfonds les plus sordides aux bastons les plus éructants. Rasmus n'en semble pas ému. Il aime cette émulation, comme souvent Vee repose sa guitare et se consacre au sacre du chant, sa basse est obligée de bosser pour deux, il ne tolère pas de hiatus, il prend en charge le rôle de la lead et il gronde à l'image du lion que vous venez embêter dans sa tanière. Etonnant contraste entre son visage d'une fine délicatesse et son jeu rude et brutal. Vee aime mêler sa voix à ce tumulte, elle la lie à ces rafales de haine pour sonner l'hallali des mondes à détruire, et lorsqu'elle reprend son instrument c'est pour quelques riffs de feu qui vous fusillent sans rémission.

    Le set se termine trop vite. L'on aurait voulu davantage, mais peut-être ne le méritions-nous pas. Une dague qui s'enfonce dans votre cœur et que vous n'êtes pas prêt à laisser ressortir.

    RAT'S EYES

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    Pas l'œil du tigre, mais les yeux du rat. Cet animal que l'on dit plus intelligent que l'homme – - immonde créature destructrice – qui nous accompagne, et nous suit de près, par en-dessous, depuis les égouts et nos décombres, qui nous espionne et nous talonne, n'attendant que notre faiblesse pour prendre le dessus. Superbe métaphore de ce que Jack London nommait le peuple des abîmes, dont les hordes punk de nos jours sont les derniers guerriers. Les autres ont abandonné l'art de la révolte, et pactisé avec les maîtres pour quelques miettes édulcorées. Sont quatre, le ton tout de suite plus étoffé, ce qui ne veut pas dire plus rutilant. Le fond du son est noir. Magnifié par un chanteur. L'est collé au micro. N'en bouge pas. Le bouffe au plus près. Penché dessus, vous ne voyez que ses boucles brunes emmêlées. Chante pour lui-même comme l'animal blessé qui lèche ses plaies intérieures. Il ne claironne pas. Il n'invective pas. Sans doute vous rabroue-t-il de son étrange brouet vocal, vous abasourdit mais du dedans, sa voix forte vous chuchote à l'oreille que vous êtes une chochotte effrayée de tout, vous ne songez pas à le contredire, parce qu'il a raison, parce qu'il n'omet pas de préciser qu'il est comme vous, pas mieux mais aussi pire, vous déconstruit vos tares sans retards, vous décortique vos torts sans repos, bilan attentatoire qui vous met d'autant plus mal à l'aise qu'il est auto-accusatoire.

    Derrière lui, vous avez son exacte antithèse. Ne se cache pas derrière sa batterie. L'a une casquette rouge pour être sûr qu'on le remarque, qu'on ne peut faire semblant de l'ignorer. Obligation de se confronter à lui. Droit devant, face à l'ennemi. Vous démontre comment l'on doit frapper. Directement et sans atermoiement. Pas de posture fuyante, pas d'éclipse de trois quart, du face à face. Les bras largement écartés, et les baguettes de guingois comme s'il voulait que ses bras empoignent un vaste espace. Brasse le vent de la colère. Ne cherche pas le rythme, il l'abat, forgeron rivé à son enclume, le fer fume et il vous semble qu'il va le saisir à pleines mains, le mordre et le réduire en poudre. Pas un batteur. Un rabatteur, un abatteur. Il forge à pleine gorge. Se rengorge de fureur, et la vomit en un halètement monstrueux de locomotive déraisonnable.

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    Avec ces deux-là – sont-ils les deux yeux du rat – vous en oubliez de regarder guitariste et bassiste. Vous noircissent la sauce au sang sans rémission. Sans eux vous n'auriez pas ce fond touffu, ce background de béton qui vous mure toute possibilité de fuite. Ce qui est sûr c'est que êtes dans le faisceau des yeux du rat, qu'il vous observe, peut-être vous assimile-t-il à son rêve, vous amalgame-t-il au marasme du monde, mais vous sentez la froide réalité de votre vie vous transpercer jusqu'aux os.

    Encore un set trop court. Une musique qui se dirige sur vous, telle une caméra de surveillance et vous comprenez que désormais il faudra vivre avec. Que vous devrez augmenter le degré de vos ruses pour donner le change. La partie sera plus difficile que vous l'espérez. Maintenant vous le savez. Il est inutile de pleurer. Gros applaudissements.

    Damie Chad

    ( Photos : FB des artistes )

    CAROUSEL / COCKBOX

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    Bass : Rasmus / Vocals, guitar : Vergi / Drums : Jesse

    Carousel ( tiens quel hasard un titre de Siouxsie & The Banshees ), super 45 tours, pochette recto blanc et noir. Pas de figure, juste un pied de table et deux autres, de Vergi. N'insistez pas, son visage est hors-champ, le corps, et surtout la montée selon la ligne blanche des jambes vers le lieu du désir. Pa de chance rectangle noir pour le buste, à peine la naissance laiteuse des bras. Mallarmé nous a prévenus, mieux vaut suggérer l'absence d'une chose charnelle que d'en décrire la présence. Vous retrouvez le groupe en entier, bien propre sur lui, sagement rangé sur un canapé, au recto, filtre violet, dévoilé, violé ?

    Cute little doll : jolie petite poupée, pas du tout brisée, sait ce qu'elle veut, l'a la voix qui ordonne, et la musique derrière est comme elle, péremptoire, un mur de pierres sèches qui s'écraseraient sur vous si vous tentez de résister à la damoiselle, un solo de guitare comme un lancer de poignards, la batterie ponctue la leçon, il est inutile d'insister. Notre jolie poupée est un être libre. Suit son désir n'obéit pas au vôtre. Shot by jokers : elle vous le dit sur tous les tons, vous n'y échapperez pas, derrière la musique inéluctable le confirme, la batterie renvoie la balle, les guitares écrasent les insectes qui essaient de se faufiler. Dans votre tête, téléguidés par les media. Tout se passe dans la caboche, Cockbox se sert de sa musique comme d'une muraille infranchissable. Méfiez-vous les lézards s'introduiront dans la moindre des fissures. Fun vacations : anti-titre, les Cockbox ont l'humour pistolien. Vous dénoncent la triste réalité. Vous n'êtes que des esclaves de la technologie. Toutes les injustices du monde vous tombent dessus. Les Cockbox vous réinventent la lutte des classes, le couple dominé-dominant, et l'horreur du capitalisme sans employer un seul de ces vocables. Une voix tranchante qui claironne comme un jour de gloire. Ironie froide des guitares et batterie imperturbable, un longue traversée instrumentale pour vous signifier que ce n'est pas prêt d'être terminé, et un dernier vocal pour enfoncer les clous dans le cercueil de vos illusions. Le monde est d'une laideur repoussante. Leech : n'oublions pas que c'est une demoiselle qui chantonne, enfin qui criaille, l'a envie de se débarrasser de celui qui lui colle de trop près. Si sa voix était un fusil il y aurait longtemps qu'il y aurait du sang sur les murs. Les guys derrière se la jouent à massacre à la tronçonneuse, tapent et cisaillent sur tout ce qui ne veut pas bouger.

    Pas de logo sur la rondelle. Blanche de colère.

    Damie Chad.

    RAT'S EYES

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    Peu d'indications sur la pochette. Si ce n'est la mention : Futurepunk sound against fucking politics & fucking police from Moscow. Etrange de penser qu'à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous, à l'autre bout de la terre, tout le monde aussi déteste la police. Quelle surprise !

    IN30.19 : sifflements, tapotements rythmiques, des voix obstruées qui s'en viennent et qui s'en vont, des robinets sonores qui fuient. Serions nous en 3019, en tous cas ce que nous entendons pas n'est guère jouissif, l'avenir s'annonce sombre. The rats VS. The scum : ( le seul morceau en anglais, certes pour les autres comme pour celui-ci ils vous refilent les lyrics mais en russe... ) nous ne nous trompions pas, ce morceau n'est que la suite du précédent et ce qui se profile n'incite pas à l'optimisme. Le son se resserre davantage, les guitares se joignent à la rythmique, l'urgence de la voix explose, de nombreuses coupures mais tout se termine en un obscur pugilat dont nous comprenons que nous n'en sortirons pas vainqueurs. Nous luttons à armes inégales. Digital priority : toujours le même son, mais plus violent, plus oppressant, la voix gronde et devient carnivore, elle essaie de mordre sur l'environnement netivore qui nous englobe dans le système matriciel contre lequel nous luttons en vain. Ne serions nous pas prisonniers de nos priorités, il est des luttes qui sont des jeux de dupes, l'insecte qui se débat ne s'englue-t-il pas davantage dans la toile de l'aragne mortifère. La batterie mène la charge. Et peut-être bien la retraite. No future : le titre est suivi d'un point d'interrogation sur le feuillet des lyrics. La question est à débattre. Une voix qui s'égosille, des guitares qui prennent de l'ampleur, la batterie qui cesse son tapotement irritant pour se métamorphoser en torrent impétueux. Un cri final orgiaque. Mais qu'a fait la police ? En tout cas le son rampe sur la bande-son qui ne bande plus du tout. Effritement terminal. Raving idiots ( the templars ) : un délire d'idiots pour couronner le tout. L'on croyait avoir touché le fond, mais c'était une erreur. Un flot d'invectives vous éclabousse, ça commence grandiosement comme un générique de film d'action et vous entrez dans une cavalcade punk terrorisante, et puis tout change, tout se calme – relativement – une espèce de valse gondolée avec des vomissements peu ragoûtants par-dessus. Certes il y a mieux mais vous ne trouverez pas pire. Un disque étonnamment bien construit. Les Rat's Eyes vous racontent une histoire, une seule, certes ils vous l'offrent en tranches pré-découpées genre barquette de salami à sale mine, mais cela forme un tout, vous avez des motifs instrumentaux qui reviennent et un traitement de la voix des plus intéressants. Un petit bijou de pierre volcanique en éruption soigneusement agencé.

    A se procurer le plus vite possible. En plus ils le balancent à deux euros avec deux autocollants dans le package. Les individus capables d'égaliser leurs actes et leurs idées sont rares par les temps mercantiles qui courent.

    Damie Chad.

     

    VICDESSOS / 10 - 08 - 2019

    BLUES IN SEM

    DAISY PICKERS / PEACHES STATEN

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

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    Dix-huitième Blues in Sem. Avec toujours cette paranoïa organisationnelle qui fait que les portes sont ouvertes à dix-huit heures et non à dix-sept heures cinquante-neuf. Tant pis pour les amateurs qui aimeraient assister aux balances. A croire que certains ont oublié que le blues est à l’origine l’expression populaire d’une révolte métaphysique et d’une convivialité existentielle contre les rigidités sociétales répressives. En ce début de troisième millénaire le serpent de l’efficacité finira par tuer l’aigle de l’esprit.

    DAISY PICKERS

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    Le monde est peuplé d’injustices. Deux sont assis, mais Stéphane Barral reste debout au milieu, bénéficie d’une superbe compensation, une présence féminine. Une belle big mama de bois vernis. Se tient à ses côtés et ne manque pas de lui prodiguer des leçons de bonne tenue, ne lui passe rien, ne se gêne pas pour la reprendre sans arrêt, qu’elle se campe bien droite, et pour être sûr que rien ne dépasse il lui distribue force claques sur le cordier. Une éducation sévère, mais qui porte ses fruits. Normalement avec les deux ostrogoths sur les bas-côtés on ne devrait pas plus l’entendre que le tic-tac d’un réveil au fond de l‘armoire. Oui, mais il fait sonner l’angélus du matin et l’angélus du soir de belle façon. Un métronome implacablement fou qui serait devenu amoureux de la nuance. Je sais bien que l’on ne juge pas le talent d’un artiste à l’applaudimètre mais à plusieurs reprises, en cours de morceaux, il fomentera moult vives réactions appréciatives dans le public. Et ce n’est pas évident car il n’est pas entouré d’une colonie de manchots réfrigérés sur la banquise. A sa gauche à la guitare Matt Bo Weavil, Daniel Giraud à mes côtés me glisse dans l’oreille qu’il l’a remarqué voici près de trente ( ou vingt ) ans avec sa guitare dans les rues du festival de Cahors, bref un cador on the blues trail depuis des lustres. Et cela se sent et s’entend, l’en a dans les doigts et dans la voix. Petit bémol, s’est un peu trop contenté d’un groove rythmique sympathique mais peu imaginatif dans la deuxième moitié du set. L’est pourtant doué et il possède un bel organe sonore qui colle au blues comme la mort aux objets mortels que nous sommes. A sa décharge, il n’est pas tout seul, sur la gauche de Stéphane qui taille sa route à la manière d’un bulldozer qui éventre une montagne, vous avez Vincent Pollet Vilar.

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    Encore un qui n’est pas venu les mains dans les poches, lui fait ses tours de magie sur son piano. Pumpin’ mais pas pompant. L’a l’esprit inventif, le gars qui a toujours une arabesque de feston de rabe à rajouter à la fresque sonore. Vous surprend toujours, imaginez la fougueuse charge d’Alexandre quand il jette son cheval dans les rangs serrés des hoplites thébains qui plient, se rompent et s'éparpillent, vous mène un train d’enfer d’un bout à l’autre de chaque morceau - pour les titres vous demandez à Daniel Giraud qui me les crie dans l’oreille à la première note - vous renouvelle l’interprétation des classiques, tellement pressé d’en finir qu’il les rallonge pour le plaisir de les enluminer à foison. L’assassin qui prolonge la vie de sa victime rien que pour le plaisir de le voir jouir de ses raffinements sanguinaires. En plus il chante, un petit grain de Ray Charles dans le timbre, se repassent le bébé vocal avec Matt Bo, deux ou trois titres et puis à toi companero, et le Barral qui vous verse un baril de solo big mamaïque pour pimenter le ragoût manifestement au goût de l’assistance. Vont jouer longtemps sans provoquer une seconde d'ennui, même que sur une intro Vincent se prend pour Rachmaninov manière de briser la monotonie anatolienne, en résumé une belle première partie qui met la foule sur les genoux. Acclamations, rappel, vous entrevoyez sans peine le tableau.

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

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    A l’impossible tout le monde est tenu. Toutefois pour certains c’est plus facile que pour d’autres. En plus ils n’engagent que la moitié de l’effectif. Pour le moment contrebasse et batterie se la coulent douce, en arrière plan mais légèrement décalés ce qui permet une vision panoramique des quatre pèlerins. Donc Arnaud Fradin et Thomas Troussier en première ligne. Débutent par deux morceaux qui seront le moment le plus fort de la soirée. Arnaud tout seul à la guitare sèche, et Thomas qui murmure si bas à l’harmonica qu’il faut du temps pour se rendre compte de son action.

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    Les cordes qui geignent, le blues le plus pur, le plus rural, que personne de maintenant n’a jamais entendu car à l’époque les séances d’enregistrement n’existaient pas encore. Ne me demandez pas comment je peux l’affirmer puisque je n’y étais pas, tout simplement parce que je le sais, un point c’est tout. Un moment de grâce suspendue au-dessus du monde, cette guitare qui pleure si profond à la manière des chats écorchés dont on retire les intestins alors qu’ils sont encore vivants. Chuintements et suintements, la souffrance à l’état idéal. Et les deux spadassins derrière qui effleurent tout doucement aux endroits qui ne font pas mal. Du blues pur et la meilleure leçon de compréhension de rockabilly que je n’ai jamais reçue, cela peut paraître bizarre, mais en fait dès que

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    Thomas hausse le ton et s’immisce dans les interstices de la friction moanique de la guitare il devient évident que les déchirures rythmiques de Cliff Gallup se glissent et se superposent à la longue plainte échevelée de l’harmonica, ceci pour ceux qui n’auraient pas compris les séminales origines noires de la musique des petits blancs. Après ces deux morceaux d’éblouissante splendeur Vincent se saisit de sa guitare à résonateur. Slide festival et bottle neck en souplesse, derrière l’on appuie le tempo mais jamais le volume sonore, le train prend de la vitesse et vous emporte de plus en plus vite. L’harmonica brûle la bouche de Vincent, siffle dans le lointain à la manière des locomotives fantômes, surgit devant vous pour s’éloigner aussitôt dans de mystérieux horizons. Richard Housset jamais brute mais plus incisif sur ses percussions et Igor Pichon maître des cordes tirées d’un doigt, mais plus franchement et plus répétées, se révèlent enfin, à peine davantage de bruit mais une présence qui n’en finira pas de s’accentuer durant tout le reste du set. La voix mâle d’Arnaud écoule tous les classiques? de Muddy Waters à Nathan James, n’hésite pas à se risquer dans le répertoire de Dylan, et à aider à la résurgence des racines africaines avec Ali Farka Touré, le blues est partout. Les radicelles viennent de loin et leurs prolongements sont sans fin.

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    Un set assez court - du moins m’a-t-il paru - même si l’on rajoute le rappel, mais du diamant bleu d’un éclat absolu, tel que je n’en n’avais jamais vu et entendu sur une scène. Longue ovation respectueuse et frénétique qui en dit plus long que n’importe quelle autre phrase.

    FAYE PEACHES STATEN

    Qui oserait s’aventurer sur scène après ce qui précède. Ce sera Mister Chang. Se fait attendre un petit peu. Le temps que ses trois accompagnateurs habituels préparent le passage en force. Au fond Pompon, un doux nom de chaton innocent, un colosse sapé comme un maquereau, ne riez pas, dans une autre vie avec sa cravate voyante, sa veste impeccable, son chapeau qui lui mange les yeux et son visage de boxeur, il devait être le garde du corps d’Al Capone, certes il a remplacé la mitraillette par une basse, mais il envoie sans discontinuer des pruneaux à défoncer les murs de béton. Ça ne détonne pas vraiment parce que du haut de son piédestal Julien a décidé d’écraser le monde sous sa batterie, un tintamarre de camion poubelle qui passe dans votre rue à quatre heures du mat, en faisant rugir son moteur surpuissant. Encore un nuisible sur votre gauche, Victor Puertas se plie en deux et virevolte sur lui-même, l’a un harmonica chignole entre les dents, l’a décidé de vous vriller les tympans, et il réussit parfaitement. Sur ce Mister Chang se radine, guitare en main, vous voulez du bruit, permettez que j’en rajoute et il éparpille des dégelées de notes à la louche.

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    Trois morceaux, tout juste si dans cette tonitruance généralisée l’on perçoit l’annonce de Mister Chang, et Peaches Staten entre sur scène. Certes toute la salle l’applaudit mais le bruit de nos claquements de mains est totalement recouvert par nos quatre sbires tapageurs. Apparemment cela ne suffit pas, Puertas se déleste de son harmonica et se jette sur l’orgue, question d’ajouter au vacarme orchestral.

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    L’on tremble pour Peaches Staten, que va-telle pourvoir faire dans ce cataclysme. Pas plus que vous et moi. A part qu’elle, elle sourit, secoue les serpents emmêlés de sa chevelure, s’avance vers le micro dans sa tunique triangulaire qui dessine comme la représentation d’un sexe stylisé géant, et tout simplement elle ouvre la bouche. Désormais l’on saura que dans le rhythm’n’blues c’est comme dans les livres de Bourdieu, il y a les instruments dominés et la voix dominante. Evidence sans bavure. C’en est franchement vexant pour la commune humanité. Elle ne chante pas, elle arrache. Elle stentorise. Sans effort, sans problème, avec une efficacité démoniaque. Vous pourriez mettre les potentiomètres sur 22, que ce serait aussi frustrant. Elle a du coffre. Trésors et merveilles. Un vocal qui emporte tout, à vous déplacer la grande pyramide, à faire toucher le sol au sommet de la Tour Eiffel. Avec humour en plus. Dans Sometimes elle demande à Mister Chang de traduire les lyrics, ligne après ligne, dès qu’elle en a énoncé une, et puis elle se lance toute seule dans une grande tempête wagnérienne-soul cataclysmique. Infatigable, increvable. De l’énergie à revendre elle galvanise le combo qui n’en avait pas besoin. Julien tape plus fort, Pompon dépasse les carillons, Puertas égosille son instrument, Chang vous invente toutes les trente secondes des fioritures de notes étincelantes qui ne servent qu’a rehausser le vocal de la diva. La voici qui se munit d’un frottoir, ce qui lui donne l’apparence d’un chevalier du moyen-âge en armure, et se sert de cette moderne washboard pour rajouter au vacarme ambiant le crépitement caractéristique d’une grêle cuillerique…

     

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    Peaches a la pêche. Met le feu à la salle. Finira par descendre faire le tour de l’assistance suivie par Mister Chang transformé en chevalier servant, revenue au bercail elle distribue tambourins, frottoir, et autres ustensiles aux danseurs lancés dans une sarabande gargantuesque et finit par les inviter à monter sur scène poursuivre le carnaval diabolique. Vous n’avez pas voulu aller à la Nouvelle Orléans, pas de problème la Nouvelle Orléans vient à vous. C’est la fête, il y a même un vieux monsieur à la barbe blanche qui profite du capharnaüm pour lui poser des bisous dans le cou et sur les joues, pas vu, pas pris. L’a du courage parce que si Peaches vous passe un bras autour du col, vous pouvez dire bonsoir à vos vertèbres. Diva soul à la facilité déconcertante. Le set s’arrête parce qu’il le faut bien mais elle est aussi fraîche qu’une rose ruisselante de rosée. Ovation debout d’une salle en délire.

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    Certes elle ne renouvelle en rien le rhythm’n’blues mais elle apporte la joie, l’énergie et la vie. C’est déjà beaucoup. Trop peut-être pour notre chétive et triste humanité.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Love Blues In Sem )

     

    STEADY ROLLIN’ MAN

    ARNAUD FRADIN

    AND HIS WILD COMBO

    ( BPCD17 001 / Mojo Hand Records / 2017 )

    Arnaud Fradin : vocals, guitars & backing vovals / Thomas Troussier : harps / Igor Pichon : double bass / Richard Housset : percussions / + special guest : Laurence Bacon ( 07 ) : backing vocal.

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    You can’t judge a CD just looking the cover, dixit Dixon, l’avait raison car à mirer les quatre employés de banque sur la pochette, rien de mirobolant ne vous tape dans l’œil. Heureusement qu’à l’intérieur ce n’est plus la même mouture.

    Steady Rollin’ man : à première oreille l’on eût peut-être aimé la guitare un peu plus en avant que la voix sur ce classique de Robert Johnson, nos rêves se trouvent réalisés par la longue suite instrumentale mais ce qui nous séduit, reste le travail percussif de tambourinade qui vous cisèle et renouvelle le morceau. Two trains running’ : l’harmonica en tête de convoi sur ce titre de Morganfield, et encore cette surprise de la prépondérance percussive qui s’en vient s’enrouler autour de l’harmo de Troussier tel le pampre de la vigne à l’ivresse du vin. If I get Lucky : la voix qui traîne sur l’instrumentation ambiance bleu-Lenoir JB, des éclairs tremblotants d’harmonica c’est le vocal qui mène la marche, un véritable pas de corbillard sans tambour ni trompette, la cadence seule du désespoir. Six minutes, le temps d’agoniser à votre aise, la traversée du pont qui mène aux Enfers est interminable mais vous aimeriez qu’elle ne finisse jamais. I can’t judge nobody : chantent tous en chœur comme pour se donner le courage de s’affirmer. Harmonica pointu sur rythmique fatiguée, le temps de s’étirer et de se tirer hors de ce sentiment de culpabilité dont les tentacules vous étreignent l’âme. Illinois blues : un petit Skip James pour s’envoyer dans les airs, l’harmo pèse un max et puis il s’élève pendant que derrière lui tout s’accélère. Beau vocal. Impeccable. Walk with your maker : la guitare mène le bal, elle éparpille les notes comme ces grains de raisins qui s’envolent lorsque vous agitez fortement la grappe. Le combo en fête, chacun se sert à satiété mais pas de doute c’est la guitare qui régale. Don’t leave me : guitare forte à la texane, mais qui s’adoucit comme l’on perd de la force, lorsque l’adversaire est en train de prendre l’avantage, une goutte supplémentaire de blues et vous êtes mort, voix sans timbre et en même temps sépulcrale, longues entailles d’harmonica comme des lacérations de couteaux dans le dos. Ne bougez plus, ce coup-ci vous êtes mortibus rasibus. La guitare égrène des pétales de fleurs sur votre cercueil. Cela vous fait une bonne jambe. Larmes de big mama pour couronner le tout. Même les crocodiles ont le droit de pleurer. Et tout cela pour une fille ! Franchement il y a de quoi rire. Big mama’s door : beaucoup plus joyeux, apparemment toutes les filles ne claquent pas la porte sur le museau des quémandeurs. Et apparemment le combo s’est décidé pour une entrée en force et groupée. Hot, very hot. Sont en pleine forme. Je ne vous dis pas de quoi. Cela pourrait vous donner des données. Hard time killin’ floor blues : encore un Skip James, beaucoup plus larmoyant que le premier, n’oubliez pas le mouchoir. L’ensemble claudique tristement, l’on se croirait à l’Eglise pour la cérémonie des adieux, tout le monde pleure et personne ne rit, même l’harmo ne se permet aucun ricanement déplacé, et Richard tape sans fin sur le gong du chagrin. Don’t think twice it’s all right : le prennent sur un tempo beaucoup moins rapide que sur scène. Du moins au début parce qu’après ils accélèrent en cachette, la voix et la rythmique qui trottinent et l’harmo qui tente de ralentir la cadence. L’est sûr que l’on n’est pas chez Hugues Aufray. Transparaît ici le vieux fond du roublardise des vieux bluesmen. Don’t let no body drag your spirit down ; retour au blues, tout dans le vocal qui monte et descend pendant que l’instrumentation poursuit un autre chemin, et s’en vient corner à chaque croisement. L’on se dirige vers la tragédie, mais l’on ne sait pas que l’on est déjà dans le dénouement, dans le dénuement le plus absolu, et l’harmo en rajoute une couche pour que vous n’y échappiez point. Good morning love : Troussier trille, souriez c’est du Luther Allison, nous n’avons pas dit polisson, mais c’est fou comment le blues vous annonce les meilleures nouvelles avec une gueule d’enterrement. Entre l’amour et le blues, l’on ne peut choisir que l’amour du blues. Et nos drôles batifolent avec l’insouciance des poulains qui ne savent pas que nous marchons tous, hommes et bêtes, vers l’abattoir final.

    Si vous n’avez pas ce disque chez vous, c’est parce que vous êtes parti pour l’acheter.

    Damie Chad.

    ROCK'ROLL STORIES

    Une émission You tube. Il y eut à partir de février 2018 une première série de 10 épisodes, aussi bien consacrés à un seul artiste qu'à un unique disque ou à la manière de se constituer une collection de disques fifties. C'est en juillet de cette année qu'une deuxième série a vu le jour. Tout cela est en accès libre et sur You Tube ou sur le FB : Rock'n'roll Stories. Rien de bien spectaculaire : plan fixe sur le speaker qui raconte et montre des pochettes de disques. Qu'il saisit un peu maladroitement d'ailleurs. Evidemment les mordus de rock'n'roll connaissent tout cela, mais c'est comme pour les petits enfants et l'histoire du Petit Chaperon Rouge, on ne s'en lasse pas, quand c'est fini on redemande la même ou à la rigueur une autre mais alors avec un méchant loup qui dévore les petits enfants, et le prédateur obsédant et adoré des rockers il s'appelle rock'n'roll ! Peut-être gît-il au fond de cela un brin de masochisme, ou un indécrottable parfum de nostalgie, voire la fabrication d'un monde idéal qui n'a jamais existé, en tout cas cela nous rend heureux et peut-être vaut-il mieux ne pas chercher plus loin que nos lignes d'horizons intérieures.

    Saison 2 / Episode 01

    GENE VINCENT

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    Trente minutes pour résumer la vie de Gene Vincent. Le fond sonore reste évanescent, seule la voix fait sens. Mais l'on se laisse emporter sans problème. Les néophytes seront vite submergées par une vague d'informations qu'ils ne possèdent pas. Mais il suffit de reculer pour saisir ce que l'on n'a pas intégré à la première jactance. Les faits et les gestes. Jeunesse, enrôlement dans la navy, accident, premiers enregistrements, sorties de disques, concerts, tournées en Australie et Japon, accueil du public. L'on ne nous cache rien, le succès éclatant du début, la désaffection du public américain, le renouveau anglais et européen, l'accident d'Eddie Cochran, et puis lentement et sûrement, la dégringolade, la mort. Mais cette assurance que Gene Vincent, à la voix si remarquable porteuse de son propre écho, reste le plus grand, si Elvis fut le roi du rock'n'roll, Gene Vincent en fut l'âme. De couteau.

    Damie Chad.

    De Jean-Michel Esperet nous avons déjà chroniqué ses trois ouvrages consacrés à Vince Taylor. Il s'arrange d'ailleurs pour citer son nom dans ce dernier livre qui traite d'un tout autre sujet. De notre futur. Ou plutôt de notre no-future. Que voulez-vous, le jour où les guitares n'auront plus besoin de musiciens pour jouer n'est pas si loin !

    DIABOLUS IN FUTURO

    - ELEGIE -

    JEAN-MICHEL ESPERET

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    Diable, si Sheitan s'en mêle nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Que dis-je de la cuisine de l'auberge. Car c'est dans votre deux-pièces-cuisine que le livre commence. Rassurez-vous vous n'assisterez pas à une scène de ménage d'un couple déchiré en détresse. Ce serait un moindre mal. C'est le ménage lui-même qui se révolte. Non, rien à voir avec une quelconque revendication féministe de juste répartition des tâches. Sapristi ! Vivez avec votre temps. Ne reculez pas dans l'éculé, soyez résolument moderne ! Ce sont les ustensiles qui entrent en dissidence. Notons que c'était le titre du livre précédent de Jean-Michel Esperet, avec un s final, car sur cette terre les lignes de fractures sont nombreuses.

    J'entrevois les esprits forts s'exclamer, '' Ah ! Ah ! Un livre de science-fiction, c'est couru d'avance !'' J'aurais envie de leur répondre qu'ils ont tout à fait raison. Mais c'est moi qui aurais tort. Admettons un livre de science-no-fiction pour reprendre une expression venue d'Amérique. Certes cela ne se passe pas aujourd'hui à cinq heures du soir, mais vraisemblablement plutôt vers six heures trente. L'histoire racontée débute bientôt. A part le fait que ce n'est pas une histoire. Donc pas un roman, plutôt un essai à la Rochefoucauld. Respirez, Jean-Michel ne s'attarde pas à dénoncer vos turpitudes morales. Il sait très bien que vous les connaissez bien mieux que lui. De toutes les manières, vous êtes un homme. Une espèce qui n'existe plus. En voie de disparition, je corrige pour vous empêcher de récriminer, en voie d'extermination. Ne venez pas vous plaindre si vous ne vous en étiez pas aperçu, au moins à partir de cette lecture vous serez averti.

    Identifions donc l'ennemi. Un prédateur repéré est un prédateur à moitié mort. Cela tombe bien, vous êtes justement à moitié mort. Reste donc à isoler la partie vivante de votre corps. Elle est au-dehors de vous. Ne soulevez pas les coussins de votre canapé. Elle est déjà sur vous. Et pour vous éviter de fouiller votre appartement, je vous livre son nom : votre environnement. Ceci n'est pas une fable écologique, la pollution, le désert qui avance, le climat qui entre en surchauffe, tout ce que vous voulez, mais ce n'est là que la portion congrue.

    Je ne sais si je vous ai déjà rappelé l'anecdote de ce seigneur qui se fait construire un château-(très)-fort pour se défendre des assauts de ses voisins malintentionnés. Malencontreusement, avant que la moindre menace ne se manifeste, les murailles de l'épais donjon s'écroulent sur lui et l'envoient ad patres à mauvais escient. Ne dites pas que c'est la faute à pas-de-chance, vous êtes exactement dans le même cas.

    Je m'attarde quelque peu sur mon expression toute latine, c'est que voyez-vous c'est en langage césarien que Jean-Michel Esperet a composé ses titres de chapitres. N'ayez crainte, la traduction est en libre accès dans le glossaire final. Parce que, quoi qu'on en dise, en latin ça sonne plus fort. Pas besoin de sonnerie annonciatrice, dès les trois premières pages cela vous saute à la figure que tout va mal.

    Vous n'êtes pas comme le corbeau de la fable, ce n'est pas parce que le grille-pain vous a bombardé de tartines brûlantes que vous allez en faire tout un fromage. Objection votre honneur, ce n'est pas tout à fait ce que raconte Jean-Michel Esperet, son sujet c'est le transfert de technologie. Un genre d'activité qui tourne toujours au désavantage du généreux donateur. Quand vous semoncez votre gamin en édictant à voix haute '' Tu es un vilain'', il vous tire la langue et rétorque : '' C'est toi qui l'as dit, c'est toi qui l'es !'' Une machine? si vous la tapotez gentiment en vous exclamant : '' Comme je t'ai faite intelligente !'' elle répond '' C'est toi qui le dis, c'est toi qui ne l'es plus !''.

    Si votre vélo d'appartement ne vous a pas encore écrasé, n'en tirez aucune vanité, méfiez-vous de la voiture qui pourrait sortir de votre poste de télévision. Ne riez pas, la menace est plus prégnante que vous ne le croyez. Nos objets doués d'intelligence sont comme nous soumis aux pannes, ils s'usent et se dérèglent et peuvent provoquer des catastrophes. Votre frigidaire ne transformera peut-être pas votre maison en zone sibérienne, mais pensez à ces systèmes de missile atomiques braqués sur vous... Il suffirait d'une défaillance d'un programme informatique...

    Mais Jean-Michel Esperet use d'armes beaucoup plus insidieuses que les bombinettes à neutrons. Ne parle même pas de ces dernières. Imagine simplement des hypothèses de catastrophes intermédiaires. Pas celles auxquelles vous pensez. Le danger ce ne sont pas les bombes, mais la complicité que vous entretenez avec les réseaux d'aides et de facilitations existentielles qui s'emparent de plus en plus de notre quotidien. Le plus grand des périls réside entre l'osmose destinée à s'opérer entre les hommes et les machines. Tout transfert a vite fait de se transformer en échange. Vous donnez votre intelligence à un appareil, comment vous rendra-t-il la monnaie de votre pièce ?Les temps ne sont pas si lointains où vous le saurez.

    En attendant Jean-Michel n'endosse en rien le rôle d'une pythonisse échevelée, préfère l'anecdote amusante, l'humour doucereux, l'ironie décapante, le sourire amer, le rappel historique gênant, le rictus démoniaque. L'on sent qu'il est à deux doigts d'en appeler à Aristote, à ses strictes délimitations des hommes et des objets, mais non, se contente d'agiter, pour attirer l'attention et la réflexion des grands enfants que nous sommes, les deux grandes marionnettes du théâtre d'ombres des représentations homo-sapiensales, Dieu et le Diable. Ne croit pas plus à l'un qu'à l'autre, mais il exècre tellement le premier – plus exactement ses différents sectateurs - qu'il prête au second son humour.

    Dieu lui paraît n'être qu'un pauvre diable dont la valeur boursière dégringole de jour à jour, le Diable lui est davantage rigolo puisqu'il nous ressemble tant et que nous ne pouvons plus nous regarder dans une glace sans éclater de rire. Il serait plus logique d'en pleurer, ce n'est pas pour rien que Jean-Michel Esperet a sous-titré son recueil ''Elégie''. Le monde est triste. Hors contrôle, islamisme, communisme, libéralisme, agitent leurs tentacules destructeurs au travers de ce nouveau monstre transformiste encore en chrysalide qui bientôt les dépassera en nocivité.

    Moins de cent trente pages, vite lu, un délice aussi glacé qu'un poignard dont on vous transperce le dos. Jean-Michel Esperet vous tend une petite fiole de poison, malheur à vous il ne possède pas l'antidote, mais il faut savoir combattre le mal par le mal.

    Damie Chad. ( Septembre 2019. )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 429 : KR'TNT ! 429 : DAVE BARTHOLEMEW / JAKE CALYPSO / ROCKABILLY GENERATION / JUKE JOINTS BAND / BARON CRÂNE / ZARBOTH / LE CORE ET L'ESPRIT / D. J. FONTANA + TONY MARLOW

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 429

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    12 / 09 / 2019

     

    DAVE BARTHOLEMEW / JAKE CALYPSO

    ROCKABILLY GENERATION / JUKE JOINTS BAND

    BARON CRÂNE / ZARBOTH / LE CORE ET L'ESPRIT

    D.J. FONTANA + TONY MARLOW

     

    Un Bartho en cale sèche

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    Le vieux Bartho vient de casser sa pipe en bois alors qu’il devenait centenaire. De la même façon qu’on qualifie Iggy de Godfather of punk, Dave Batholomew se voit affublé du grade de Grandfather of rock’n’roll songwriting. Il rendit populaire le fameux up-tempo R&B qu’on appelle aussi le Big Beat, via des pointures célestes comme Fats Domino, Shirley & Lee et Smiley Lewis. Dans le remarquable Blue Monday - Fats Domino And The Lost Dawn Of Rock ’n’ Roll, Rick Coleman rappelle que le big beat de la Nouvelle Orleans a précédé l’émergence du rock’n’roll. Durant cette fameuse aube du rock’n’roll, Dave Bartholomew n’en finissait plus de composer et de produire des hits tous plus somptueux les uns que les autres.

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    Au commencement, Bartho joue de la trompette, chaperonné par Peter Davis, l’homme qui a formé Louis Armstrong. À l’âge de vingt ans, Bartho se retrouve avec sa trompette dans des big bands. En 1947, il enregistre son premier single sur DeLuxe, un label new-yorkais qui fouine à la Nouvelle Orleans à la recherche de nouveaux talents, comme le feront un peu plus tard les gens d’Atlantic, d’Imperial et de Specialty.

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    Justement, c’est en jouant un soir à Houston que Bartho rencontre Lew Chudd, le boss d’Imperial, un gros label indépendant basé à Los Angeles. Chudd qui s’intéresse aussi bien à la musique mexicaine qu’au hillbilly commence à prospecter dans le R&B. Il est frappé par les qualités des Bartho, pas seulement celles du trompettiste, mais aussi celles du chanteur et du band leader. Bartho chante du Louis Jordan, qui est alors très populaire. Comme Chudd cherche à s’implanter dans le marché naissant du R&B et que Bartho est encore sous contrat avec DeLuxe, il lui demande de prospecter pour Imperial à la Nouvelle Orleans. Bartho lui ramène Mary Jewel King qui rocke the joint at the Hideaway, puis Fats Domino qui rocke aussi le joint, au même endroit.

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    C’est là qu’on entre dans la légende. Chudd signe Fatsy. Vite un disque ! Bartho monte l’orchestre qui accompagne Fatsy : Earl Palmer (drums), Frank Fields (bass), Ernest McLaren (guitar), et une horn section composée d’Alvin Red Taylor, Herb Hardesty, Joe Harris et Bartho himself. Tout le mode s’entasse dans le petit studio de Cosimo Matassa, sur Rampart. Ils démarrent avec une reprise du «Junker’s Blues» de Champion Jack Dupree, en virent toutes les connotations liées à la dope et en font le fameux «The Fat Man» - They call me the fat man/ Cause I weight two hundred pounds - En 1950, Bartho et Fats entament avec ce hit leur carrière de duo infernal. Chudd donne carte blanche à Bartho qui ramène chez Imperial des tas de nouvelles poules aux œufs d’or, du genre Smiley Lewis. Jusqu’au moment où Bartho et Chudd se brouillent. Bartho signe avec un autre blanc entreprenant, Syd Nathan, boss de King Records. Puis en 1952, il bosse pour Art Rupe, boss de Specialty, un autre gros label indépendant de Los Angeles. Lloyd Price enrengistre «Lawdy Miss Clawdy» avec le Batholomew Band. Fats est au piano. C’est un hit. En 1953, Bartho produit l’irrésistible «I’m Gone» de Shirley & Lee. Voyant ces succès, Chudd propose une belle augmentation à Bartho qui revient bosser pour lui. Entre 1953 et 1962, Bartho bosse d’arrache-pied pour Imperial. «Any talent I saw I could record.» Aucune restriction de budget. Bartho ramène Roy Brown, Earl King, Bobby Mitchell, Chris Kenner, Ford Snooks Eaglin et des tas d’autres. Mais son poulain favori reste bien sûr Fatsy qu’il produit avec un zèle religieux. Les hits de Fatsy sont des million-sellers. Le duo de compères fonctionne comme une horloge - Fats and I just played - Bartho enregistre aussi ses trucs et le seul hit qu’il décroche, c’est le fameux «The Monkey» qui devient un classique du New Orleans Sound des années 50. Et puis en 1962, Chudd revend son label à Liberty Records.

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    Dès le début des années 60, le nouveau Bartho s’appelle Allen Toussaint. Il joue d’ailleurs du piano pour Fatsy qui a trop de boulot. Pas le temps de jouer en session. Allen Toussaint va faire le même travail de découvreur de talents que Bartho : il ramène chez Minit Aaron Neville, Irma Thomas, Ernie K-Doe et Benny Spellman. Quand Chudd revend Imperial, Fatsy est en fin de contrat. Il signe avec ABC et va enregistrer à Nashville. Bartho se retrouve donc seul à la Nouvelle Orleans et monte son label, Trumpet. Les deux compères finissent quand même par se retrouver en 1967 et Bartho devient le maître de cérémonie et le band leader de Fatsy sur scène. Lorsque Fatsy décide d’arrêter la scène, Bartho prend sa retraite. Il a quand même 70 balais !

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    Encore une fois, Ace fait bien les choses : The Big Beat - The Dave Bartholomew Songbook vaut tout l’or du monde. C’est une nouvelle compile de rêve, du genre de celles dont Ace nous gave depuis des années. En choisissant les meilleurs interprètes du Bartho Songbook, Ace l’élève au rang de compositeur modèle. Si on est pressé, on peut commencer par la fin, avec le vieux hit de Smiley Lewis, «I Hear You Knocking», repris en 1970 par Dave Edmunds. On s’en souvient, ce fut un hit surnaturel, à l’époque où la radio le diffusait. Il relevait tout simplement de l’imparabilité des choses. Autre coup de Trafalgar : Jerry Lee qui nous glousse un petit coup d’«Hello Josephine». Pur génie vocal, avec tout le fruité de timbre et tout le shaking qu’on puisse espérer, Jerry Lee nails it down, il interprète le vieux hit de Fatsy au maximum des possibilités, oh-oh yeah ! Tiens puisqu’on parle de Fatsy, c’est lui qui ouvre le bal de cette compile avec l’effarant «The Fat Man» et toutes les pétoires de la préhistoire. Fats chante ça à l’immaculée conception. C’est le barrelhouse des origines, le lit du fleuve qu’on appelle le boogie woogie. Si on est friand de coups de génie, alors on est copieusement servi car voilà Shirley & Lee avec «I’m Gone», un hit enregistré en 1952. Lee est un cadeau des dieux, mais Shirley, c’est la crème de la crème, elle chante au perçant définitif. Tu ne trouveras jamais rien de plus exotique que Shirley & Lee, ce fabuleux duo de shouters délicieusement juvéniles. Rien ne vaut leur plainte combinée. On trouve plus loin une effarante version de «Let The Four Winds Blow» par Roy Brown, qui est lui aussi à la racine de tout. Roy n’y va pas par quatre chemins. Il shoute direct. C’est un vrai shouter, un boxeur. Roy is the king of blows. Version superbe aussi d’«Every Night About This Time» par The World Famous Upsetters. Tout le monde sait qui sont les Upsetters : le backing band de Little Richard. Il n’est donc pas surprenant de l’entendre chanter cette pure merveille de heavy groove. L’autre grosse poissecaille de cette compile, c’est Tami Lynn, qui n’est hélas pas très connue. Elle nous tape le très hot «A Night Of Sin» avec une extraordinaire sensibilité jazzy. Elle swingue ça à l’ancienne, un peu à la manière de LaVern Baker ou de Billie Holiday. C’est imbattable. Il faut bien garder présent à l’esprit que Bartho signe tous ces hits. Et ce n’est pas fini. Annie Laurie shake le vieux shook de «3x7=21» au gospel swing de la Nouvelle Orleans. Elle chante dans des harmonies de trompettes de jazz. Bartho souffle comme un dieu. On parlait de Smiley Lewis tout à l’heure : le voici la gueule enfarinée avec «Down The Road» - I’m done no more - Il faut l’entendre embarquer le groove dans le moove. C’est vraiment l’apanage du barrelhouse, avec un solo de Bartho dans la carcasse de la rascasse. Contrairement à ce qu’on croit, «My Ding-A-Ling» n’est pas un hit de Chickah Chuck. Pas du tout. Bartho le signe et l’enregistre en 1952 sur King Records. Sur cette compile on entend aussi pas mal de pionniers qui ont tous tapé dans le stock de Bartho, à commencer par le Johnny Burnette Trio avec «All By Myself», pur jus de Memphis Beat enregistré à Nashville. En arrivant en ville pour enregistrer leur album, Johnny, Dorsey et Paul n’avaient pas assez de morceaux. Alors, ils sont allés chez un disquaire local et on acheté deux singles de Fatsy, dont «All By Myself». Ils en ont fait l’un des cuts les plus excitants de l’histoire du rockab. On croise aussi l’ami Buddy avec «Valley Of Tears» et Elvis avec une admirable cover de «Witchcraft». C’est même à se damner tellement c’est bien chanté. La petite Brenda Lee se charge de «Walking To New Orleans», avec sa voix sucrée et puissante, idéale pour maintenir en vie la magie des sixties. Un géant nommé Georgie Fame se charge de «Blue Monday» et le bouffe tout cru. Ne prends pas Georgie à la légère. Ce serait une grave erreur. Et l’injustement méconnu Bobby Charles nous éclaire de sa présence avec «Grow Too Old», accompagné par The Band. Il faut savoir que le petit blanc Bobby Charles composait avec Bartho et Fatsy («Walking To New Orleans») et qu’il est l’auteur de «See You Later Alligator», une formule que tout le monde emploie pour dire au revoir à une copine. Ce n’est pas Ricky Nelson, mais Larry Storch qui se charge d’«I’m Walking». Le hit de rêve, comme chacun sait et que Ricky joua devant son père Ozzy au bord de la piscine pour le convaincre de le laisser démarrer une carrière de rocker.

    Signé : Cazengler, complètement Bateau

    Dave Bartholomew. Disparu le 23 juin 2019

    The Big Beat. The Dave Bartholomew Songbook. Ace Records 2011

    Hit the road Jake - Part One

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    Pour chauffer un beffroi et les milliers gens qui y battent le pavé, rien de mieux que les Hot Chickens. S’il existe sur cette terre un allumeur de Sainte-Barbe, c’est bien Jake Calypso. Ah t’as voulu voir Vesoul ? Et t’as vu Béthune !

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    Ce démon de Jake Calpypso met le feu aux poudres aussi bien que Blackbeard le pirate qui montait à l’abordage en allumant des mèches sous son chapeau. Jake prend la ville en quelques minutes, épaulé par ses deux fidèles Hot Chickens.

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    C’est un pulsif, une bête de slap, il fait corps avec la matière du roll over, jette sa stand-up en l’air plusieurs fois de suite, se roule par terre avec elle et n’arrête pas de haranguer le public, alors est-ce que ça va Bethune ?

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    Jake Calypso est le roi des entertainers, le pusher boy du Honey Hush. Il est là pour célébrer les dieux du rock’n’roll, alors uh-uh honey ! Il envoie le souffle du bop et la foule ondule comme l’herbe des hautes plaines sous le vent, on voit rarement des phénomènes aussi spectaculaires dans les concerts. Ce mec est là pour électriser un public et il en a largement les moyens. On en est d’autant plus convaincu lorsqu’on connaît ses disques. Comme Don Cavalli, il dispose de la meilleure des crédibilités, celle des intouchables. Le samedi soir, la grande scène du Rétro est traditionnellement réservée aux stars, cette année Jake nous donne en plus du spectacle. Oui, il dispose de cette envergure, comme Jerry Lee, c’est le même genre de hell raiser, même besoin d’envoyer son rock’n’roll percuter la postérité. Il célèbre les vingt ans des Hot Chickens et après avoir commencé à chauffer la foule, avec notamment une version incendiaire de «Keep A Knocking» en hommage à Little Richard, il se met à saluer tous ses compagnons de route et fait monter des invités sur scène.

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    Pour célébrer le temps des Mystery Train, deux bikeuses arrivent sur scène au guidon d’une Harley pétaradante, le temps d’un «Motorcycle Girl» hot on heels, puis c’est Tony Marlow qui vient rendre hommage à Johnny Kidd avec une version bien sentie de «Please Don’t Touch».

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    Ils tapent ensuite dans les Cramps avec «Goo Goo Muck» et portent des masques de carnaval, pour faire bonne mesure. On profite de cette concession au clownage pour décrocher, car l’heure du set de Don Cavalli arrive et il faut cavaler jusqu’à la place du 73e. Cette année, la programmation fait très fort en mettant les deux têtes d’affiche dans un mouchoir de poche : Hot Chickens 22 h, Don Cavalli 23 h. Ça oblige à faire des choix cornéliens. On ne souhaite à personne d’avoir à faire des choix pareils.

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    Revenons à Little Richard. Jake et ses Hot Chickens lui rendaient hommage en 2007 avec Speed King. Il faut être gonflé pour taper dans Little Richard. Pas de problème pour Jake. Question gonflage, Jake a tout ce qu’il faut. Il attaque avec un «Keep A Knocking» hurlé au guttural de bonne guerre et ça passe, car au fond on sent bien le fan instinctif. Les deux coups les plus intéressants sont «Reddy Teddy» et «The Girl Can’t Help It», car Jake et ses amis les tapent au wild rockab, ils sifflent et déversent dans le ramdam transitoire des tombereaux de hot slap. Quelle violence ! Il savent pulser un vieux hit.

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    Jake mord dans le lard des cuts. Oui, il y plante ses crocs. Il ramène tout ce qui fait la démesure du rockab, cette sourde pulsion déterminante. Il continue de voler dans les plumes du mythe avec «Jenny Jenny», même folie cavalée. Les Hot Chickens ont tout compris, ils font une sacrée OPA sur Little Richard ! Ils tapent un «Rip It Up» aux clap-hands et dans la transition, les démons du rockab reprennent la main. Admirable ! Jake chante les vieux hits de Little Richard comme un dieu, chaque départ en solo occasionne une poussée de fièvre rockab, du type de celles qu’on entend chez Johnny Burnette. Jake ramène toute sa folie dans «Long Tall Sally». C’est tellement wild que c’en est inespéré. Ils bouffent tout cru «Tutti Frutti» avec tout le push du monde, Jake ne lâche rien et à la première occasion, il part en vrille de slap. Et voilà qu’il se met à sonner comme Elvis pour entonner «Send Me Some Lovin’». Stunning ! Il profile son chant sous le boisseau du meilleur accent local de downhome cat. Il termine en touillant la fournaise suprême, «Ooh My Soul». Même si on sait que la version de Little Richard est intouchable, force est d’admettre que Jake s’en sort avec les honneurs.

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    Après Little Richard, Jake va aussi rendre hommage à Gene Vincent, Elvis et Buddy Holly, et chaque fois, il va taper en plein de mille. Tiens on commence par l’excellent Hot Chickens Plays Gene réédité en 2017 (et on va voir pourquoi cette réédition est capitale). Disons-le tout net : c’est certainement le meilleur hommage jamais rendu à ce crack entre les cracks que fut Gene Vincent. Jake procède de la même façon qu’avec Little Richard : il shoote la meilleure pulsion rockab dans la ferveur du rock’n’roll. Sa version de «Race With The Devil» devient vite puissante, pulsive et donc knock-outante. Il chante «Say Mama» à la narine palpitante, il rentre dans le lard du mythe comme dans du beurre et soudain, il nous emmène au paradis gégénique avec «I Flipped», groove de jazz affolé et accroché à la crinière d’un drive de basse. Ce diable de Jake se prend tellement au jeu qu’il sort une version bien meilleure que la version originale. Eh oui, ce sont des choses qui arrivent. Mais il ne faut pas s’en formaliser. Et ce n’est pas fini ! Voilà que la fièvre l’emporte et il dépote une version encore plus spectaculaire d’«Hold Me Hug Me Rock Me», et là, ça va très loin car figurez-vous que ça dégénère. Jamais Gene n’aurait osé aller jusque là. Jake explose Gene ! C’est slappé jusqu’à l’os du son et chanté au gant de cuir noir. Effarant phénomène d’osmose dévastatrice ! Jake fait partie de ceux qui ont tout pigé en matière de Gégénétique. Avec ce genre de mec, il faut rester sur ses gardes, il est capable de coups de folie, cet album en est la preuve. Il tape à la suite le «Teenage Partner» au slap de rockab, au gone gone gone d’only seventeen. Les départs en vrille sont de véritables modèles du genre. Il récidive avec «Blue Jean Bop», balayant d’un coup de folie la version originale. Il boppe ça si sec. Quelle classe ! Jake outrepasse la permissivité des choses haut la main, il ramène encore une fois le wild beat du rockab dans le rock de Gene. Avec «Crazy Legs», il ravive le bop des fifties d’Amérique, il secoue les colonnes du temple Capitol. Gene serait vraiment content d’entendre tout ce bordel, c’est pulsé au meilleur beat de l’univers, n’ayons pas peur des mots. Le bassmatic prédomine dans l’action et traverse le cut comme un puissant courant sous-marin. Fin de l’album ? Pas du tout. Voilà pourquoi la réédition de 2017 est primordiale : elle met à jour les des morceaux cachés du premier tir et propose des bonus explosifs. On prend en pleine poire l’«Ain’t That Too Much», véritable horreur pulmonaire, ça bat comme un poumon d’acier, ou pire encore, comme un emboutisseur, avec en prime des coups d’harmo et un chant de tous les diables. Et puis on arrive au cœur du mythe de Gene Vincent : «Bird Doggin’». The real deal. Certainement le plus bel EP de l’histoire du rock, le London EP où Gene fume sa clope devant un mur de briques. Intouchable. Mais Jake a décidé de le toucher et il est dessus, il rampe dans le génie de Gene comme un énorme serpent - All these sleepless nights I’m so tired/ Of - Il a tout compris, il retrouve l’éclat fondamental - Bird doggin’/ Yeahhhh/ Bird doggin’ - Les coups d’harmo sont en plein dans le mille, par contre le solo est moins teigneux que celui de Dave Burgess, le guitar hero des Champs qui tenta d’aider Gene à redémarrer sa carrière. Non, la virulence exacerbée qui fait la grandeur du solo de Burgess n’y est pas. Mais ce n’est grave. Jake does it right. Il descend ensuite le rocky road de «Rocky Road Blues» à toute blinde. Que de génie dans son fanatisme ! Il ne laisse rien en reste. Tout le power de Gene est rallumé. Les Hot Chickens jouent à l’énergie pure. Même avec «I’ve Got My Eyes On You», Jake fait illusion. Il sait rester merveilleusement juste dans l’excellence.

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    Après Little Richard et Gene Vincent, voici Elvis. Jake lui rend hommage avec 100 Miles. C’est d’autant plus gonflé qu’il n’a pas la voix pour ça. Il tape en plus dans les balladifs, le côté sentimental d’Elvis, le moins évident. Il raconte dans les notes de pochette qu’il s’est mis à chialer sur la tombe d’Elvis, à Graceland. Il chante tous ses cuts à la mélancolie instinctive. On sent une fantastique investiture dans «Tomorrow & Forever». Il finit par nous entraîner dans son rêve, c’est dire s’il est fort. Ça devient très poignant, une sorte de beauté s’élève du cut. Il chante à la perfection. Jake est un grand sentimental. Il sait dire son attachement à Elvis. Avec «Milky White Way», il va droit sur le gospel. Il devient une sorte d’Elvis français, sans même s’en douter. Son gospel redonne vie au mythe d’Elvis. Il faut écouter cet album car c’est celui d’un fan réellement dedicated. Il y croit si fort que les chœurs sonnent comme la voix de la révélation.

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    Avec Fool’s Paradise, le dernier album en date des Hot Chickens, Jake rend un hommage pour le moins stupéfiant à Buddy Holly. Ne vous attendez pas à de la pop un peu sucrée, non Jake a décidé de rentrer dans le chou du Buddy, comme il a su le faire avec Gene Vincent et Little Richard. On l’attendait au virage avec «Reminiscing» qui fait aussi partie des disques auxquels on s’attache pour la vie, surtout le EP français paru en 66 avec la belle veste bleue et «Rock A Bye Rock» de l’autre côté. Diable comme on a pu vénérer ce son, alors on imagine ce qui a dû se passer dans la tête de Jake quand il a croisé «Reminiscing» au coin du bois ! Il le tape à sa manière, dans l’excellence, mais sans le sax. Sa tournure d’I’m lonely au retour de l’accord est pure, et son thinking of sonne incroyablement juste. Et dès l’attaque avec «Tell Me How», il est dessus. Tapé direct. Il ne rigole pas. On ne trouve pas moins de trois coups de génie sur ce tribute au binoclard, à commencer par «Whishing». Il va chercher son Buddy dans les fondements du mythe. Terrific ! Il chante sa pop de rock à la déchirade, il fouille vraiment les tréfonds du mythe, il faut vraiment adorer Buddy Holly pour arriver à chanter comme ça. C’est là où on comprend ce que veut vraiment dire le mot fan. Jake ne fait pas semblant. Plus loin, il explose littéralement «It’s So Easy». Il le bouffe tout cru ! C’est pas beau à voir. Crouch crouch ! Quel carnage ! Et un tourbillon de guitare vient couronner la scène. Les Hot Chickens donnent le tournis. Troisième coup de génie avec «Maybe Baby». Jake l’allume au chant, bien soutenu par le riffing de Christophe Gillet. Que de son ! C’est inespéré. Du son à gogo qui rend gaga. Avec «Lonely Tears», il boit à la source des larmes d’Holly. Nouvel hommage stupéfiant au génie du binoclard. Il lui shake bien le shook. Jake fout la gomme en permanence. Encore du pur jus de Buddy craze avec «Love’s Made A Fool Of You». En plein dans le mille une fois de plus, avec un son destroy, oh boy ! Il cherche à rallumer la gueule du cut en permanence. L’une des covers les plus fines est certainement «What To Do» et puis ça rebascule dans la folie douce avec «Rave On». Il tape en plein dans l’envergure astronomique de Buddy Holly. Il le chante comme s’il avait été son pote pendant vingt ans. Encore une fois, Jake joue avec le feu, car sa version challenge assez violemment la version originale. Cet album effare par sa justesse de ton.

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    Pour terminer (provisoirement) le panorama des hommages, voici celui que Jake et Michel Brasseur (qu’on voit sur la pochette à côté Jake) rendent hommage à Hank Williams avec les Rambling Men. L’album s’appelle Move It On Over et le petit conseil qu’on peut donner aux fans d’Hank Williams, c’est de se jeter dessus vite fait. Pour au moins une raison, et quelle raison ! Elle s’appelle «Rockin’ Chair Money». Attention, Michel Brasseur s’entoure de deux fous : Jam Jam on drums et Gus au slap. Duo de choc. Il faut les voir tailler la route ! Ils sonnent comme une révélation, comme la section rythmique de rêve. Oui il faut entendre Jam Jam et Gus rouler le bop dans leur farine ! Ils ont une façon très particulière de faire monter la sauce. C’est aussi Michel Brasseur qui chante l’excellente version de «Hey Good Lookin’». Il est écœurant d’assurance, il ramène une sorte de grandeur interprétative dans l’essence d’Hank, avec une niaque magistrale. Du coup, ça devient hot. Avec «Love Sick Blues», Jake fait la pluie et le beau temps. On y entend les guitares de Tahiti. Ils dégomment plus loin «When The Book Of Life Is Read» au boost de bluegrass de bastringue, avec un vrai gutso de gugusse. C’est Christophe Gillet qui signe le numéro de virtuose. S’ensuivent des versions assez affolantes de «My Sweet Love Ain’t Around» et de «Kaw-Liga». Jake fournit les effets dévastateurs et il en a largement les moyens, puisqu’il est une sorte de Rothschild du bluegrass. Que de bop dans le beat, Bob ! Michel Brasseur revient casser la baraque avec «Ramblin’ Man», et comme Jam Jam et Gus l’accompagnent, alors la baraque s’écroule vite fait. Jam Jam tape sec et le cut saute en l’air. C’est Jake qui se dévoue pour se jeter dans l’océan de yodell d’«I’m So Lonesome I Could Cry». Il tape à la suite «Your Cheatin’ Heart» au heavy rumble, comme Jerry Lee, avec une sorte de grâce sous-cutanée. Jake bouffe le Heart tout cru, il n’en fait qu’une bouchée. Ils terminent cet album faramineux avec un «Move It On Over» qui sonne comme un hit de Bill Haley, boppé au big beat !

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    Après Little Richard, Elvis, Gene Vincent et Hank Williams, voici sans doute le meilleur, Jake Calypso. Commencez par Grandaddy’s Grease paru en 2010. Sur la pochette, Jake a déjà un faux air de Sam Phillips, mais il faut l’entendre chanter «My Baby Rocks». Jake est le plus américain des kids d’ici. Let’s bop ! Il est effarant de véracité congénitale, il fait son Charlie avec le meilleur drive de deep des temps modernes. Il enchaîne avec un «Rock’n’Roll Girl» parfait, doté d’un pacing de bop supérieur. Jake est le Robin des Bois du monde moderne, il redistribue les richesses des rois du bop. Et puis voilà qu’il cite les noms des gares dans «Rock’n’Roll Train» - Memphis, Nashville, Knoxville, Kentucky - Il connaît les secrets du choo-choo, bien épaulé par ses potes de bop. Quelle élégance ! Il chante le nez dans le menton et accentue ses effets à coups de yeah-eh-eh. Il passe sans transition au Cajun stomp avec un «C’est Ça Qu’est Bon» drivé au beau beat de bop. Tout l’apanage est là, il tape en plein dans le mille du mill. Il hiccuppe son «Boppin’ Day» à gogo et sort le meilleur bop-ah-bop du coin. Il nous calypsotte ensuite un «Cinderella» plus rock’n’roll et réussit l’exploit de groover son bop avec une grâce infinie. Christian Gillet passe un solo d’une élégance qui laisse baba et derrière rôde la fabuleuse pulsion sourde du rockab. Ils boppent comme des bêtes. On les voit aussi tailler leur route en père peinard sur la grand-mare des canards avec «Black Moon». Il faut les voir lancer le cut au slap ! C’est assez stupéfiant. Jake gagne de la crédibilité à chaque instant. C’est à ça qu’on reconnaît les très grands artistes. Il monte son «Tell Me Lou» sur une carcasse à la Long Tall Sally, mais avec la pulsion rockab en sous-main et des éclats de solo étincelants. Ce mec sait rester passionnant jusqu’au bout des ongles. Jake s’amuse comme un gosse avec ses vieux démons.

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    Il excelle aussi au petit jeu des side-projects, histoire d’aller aller taper dans le blues. Il monte le Wild Boogie Combo en 2012 avec Terry Reilles et enregistre Blues, sans doute l’un de ses meilleurs albums. Quel son ! Jake est devenu un expert du raw to the bone, c’est en tous les cas ce que tend à révéler «Country Blues In My Bag». C’est le son du fleuve, il tape ça au kazoo de vieux black qui a sifflé trop de moonshine. Jake chante par en-dessous et il est bon à ce petit jeu. Ultra bon. In the flesh. Son country blues tape dans le mille du bag. Comme Charlie Feathers, il a compris que l’énergie du rockab et celle du blues coulent de la même source : le son. Tout l’album est bon. Il part en mode heavy boogie avec «I Believe In You». C’est l’un des boogies les plus speedés du cheptel. Son «Yesterday I Talked To My Bottle Baby» sent bon la cruche en clay, il chante du menton, il tackle ses notes dans les tibias, take takes it down. S’ensuit un «Bad Son Good Mother» embarqué à vive allure, ça pulse à la folie. Jake pulse le son des géants et rentre plus loin dans la gueule du gospel avec «Oh Lord» et un banjo. Il bat tous les records d’insistance. Il connaît le secret du beat hypno, I said to Lord et il y va de bon cœur. Il gagne encore en crédibilité avec «She Breaks Me Down», il allume là l’un des pires boogies de l’univers, uhh uhhh she breaks me down, c’est assez définitif et sa façon de revenir à l’économie époustoufle. Il tape son «Save Your Soul» aux violons Cajuns et crée aussitôt les conditions de la curée. Tout ce qu’il fait sonne juste, chaque cut tape dans le mille. Il chante «Rats In Town» à l’estropiée et part la fleur au fusil chanter l’hypno Cajun de «Hard Love Ways». Il semble obsédé par ce son. Il sort là un fabuleux shake de jive hypno et le noie d’harmo. Il reste chez les Cajuns avec «They Call Me Earth Boy». Il prend ça à la désaille, c’est gorgé de son, ça sonne comme un paradis. Ce mec a vraiment tout compris.

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    Il enregistre Father & Sons avec ses Red Hot en 2013. Dès «Call Me Baby», il redistribue les cartes : son rustique, bop de rêve, yodell et pah pah pah des Appalaches. Eh oui, il a le son, alors ça roule tout seul. Il fait tout simplement de l’Americana. Il enchaîne avec un torride shake de fat sound titré «Torrid Love». Durieux le slappeur l’embarque pour Cythère et Jake hiccuppe à la vie à la mort. C’est peut-être sur cet album qu’il fait le plus de fantaisies vocales. Il yodelle «Cassie Magikal» à la lune. C’est un véritable festin de swing de chat perché. Se dresse à la suite un monument de bop fever intitulé «I’m Fed Up», emmené tambour battant par cette bête de beurre qu’est Thierry Sellier. Ils sautent en B sur le râble de «Cause You’re My Baby», une sorte de hot jump de barrelhouse, mais avec le son de la Nouvelle Orleans, avec du piano et des cuivres. Ils savent tout faire, même restituer ce son que Mac Rebennack disait unique au monde. On se croirait chez Cosimo. Côté chant, c’est pas loin de Bunker Hill.

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    Sur Downtown Memphis, Jake rend deux beaux hommages à Elvis avec «Blue Moon Over Kentucky» et «That’s Alright». Il a le son et il a le talent. Il a le swagger et il a le feeling. Il a tout. Il règne sur son monde. Il tape son «That’s Alright» bien sec, il le prend à l’oblique avec un sens aigu du dark de 706. Il le chante du coin du nez, comme s’il sniffait la coke d’Elvis. Il rentre dans la mythologie comme dans du beurre. Il charlite son Elvis, il cruduppe son Alright et hiccuppe sur la colline. Le Vatican devrait canoniser ce démon, il est trop pur. Il revient au pur rockab avec «Turn Me Loose». On est chez Sun, les gars. C’est dans la poche, pocket boy ! Turn me Loose, c’est une sinécure, un vrai retour aux sources. Tout aussi demented, voici le morceau titre, joué au heavy dump de downtown, bourré de bon esprit, avec un solo de piano. On sent le fan de Sun. Ils jouent plus loin «I’m A Real Cool Cat» à l’insistance du Tennessee, la pire de toutes les insistances, le slap boppe le cul du cut, Jake hiccuppe comme Charlie. Oh le poids du slap ! Joli drive aussi que celui de «When The Pretty Girl Bop». Pur Cochran drive - Yeah she bop yeah ! - Il a de la suite dans les idées. Jake boppe son swing au big beat, il est atrocement doué. Il propose aussi un «Babe Babe Baby» bien saqué des socks. On n’en finirait plus avec un tel démon.

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    On avait salué sur KRTNT l’excellent Vance Mississippi, que Jake est allé enregistrer en 2016 avec Archie Lee Hooker qui est le neveu de John Lee Hooker. Jake et Archie Lee y atomisent le boogie blues. Comme son oncle, Archie Lee chante d’une voix d’outre tombe. Sur le morceau titre, ils duettent à l’ancienne, dans une ambiance de basse-cour. Si on aime l’hypno de tonton Hooky, on est servi. C’est l’endroit exact où le blues et le rockab se rejoignent, un endroit que connaît bien Charlie Feathers, puisqu’il vient de là, d’Obie Patterson. Rebelotte et dix de der avec «Juke House Man». Comme son oncle, le vieux impose une grosse présence, celle de l’immédiateté. Ça explose dans la seconde. Boom boom boom boom. Jake tape ensuite «Louise Blues» à la trade. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais il impose le fucking respect. Aussitôt après le vieux refout le feu au lac avec un «Blues Inside Me» tapé au vieux beat sauvage. Derrière lui, ça bat avec toute la rage du raw. Tout le blues primitif est là, dans le creux de sa main, un blues aussi vénéneux et fatal qu’une morsure de rattlesnake. «Blues In My Bones» sonne comme un heavy blues machiavélique, bien ancré dans l’esprit de tonton Hooky - I was born with the blues in my bones - Le vieux fait résonner tous ses B de manière sidérante. Et voilà que Jake se tape la part du lion avec «Hey Barber Barber», qu’il tartine au yodell sur un rythme effréné, et ça donne un boogie cajun têtu comme une bourrique et soûlé d’harmo. Hot as hell ! Jake revient faire sensation avec «Rain Rain Rain», un heavy sludge joué à la syncope de fife & drums, ceux d’Otha Turner, bien sûr. Décidément, l’ami Jake multiplie les coups de Jarnac du Mississippi. Il parvient même à chanter au guttural des backwoods. L’album s’achève dans la pétaudière du limon avec «My Shoes», gros shoot de boogie diabolo, dans une extravagante débauche de raw.

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    Attention ! Le Boogie In The Shack des Nut Jumpers figure (lui aussi) parmi les grands albums des temps modernes, car il est bourré à craquer de son, de guitare, de beat et d’énergie tellurique. On sent cette énergie aussitôt ce «Woah Oh Oh» embarqué au shaking de shack, ça sent bon la cabane branlante, elle tangue car ils y font la fête et une guitare s’étrangle de plaisir sauvage. C’est la guitare d’Helen Shadow. Nous voilà au cœur du plus ancien mythe de la rock culture : le bastringue. Ils enchaînent avec un «Set Me Free» digne des early Kinks, ceux du temps de Shel Talmy et continuent leur course folle avec «Love Truck» drivé dans le gras du bide, bien riffé dans la panse du gut. Et tout explose avec «Boogie In The Shack», c’mon shake at the shack. Fantastique force de frappe, Jake n’en finit plus d’écrouler la gueule du raw, il swingue son beat à coups d’harp, c’est vraiment énorme, digne de Jerry Boogie McCain. Helen Shadow fait un véritable carnage sur tout l’album. Jake secoue la paillasse de «C’mon C’mon» - Let’s move around ! - C’est monté sur le plus fier des Diddley beats. Tiens encore un coup de Jarnac avec «Blow Your Top» : après une intro kill kill kill, ils lâchent tous les démons des enfers. C’est là que Ricky Lee Brown bat comme un diable. Puis Helen Shadow bat la campagne sur «Catholic Boy» avec sa vieille gratte moisie. Que de son ! C’est battu sec et net, pas de meilleur tapeur de tapas que Ricky Lee Brown. Ce mec lève une tempête chaque fois que l’occasion se présente. Ils inventent ensuite le gospel de cabane avec «Gonna Stand My Ground» et reviennent à du Creedence rock bien descendu dans l’esprit des guitares avec «No Good No Good». Helen Shadow does it right. Elle joue avec une niaque à peine croyable. Elle sonne littéralement comme le jeune Dave Davies, elle sort des notes carnivores, oui, elle joue au croc de note, gnac gnac ! Fantastique ! Ils reviennent au Memphis Beat avec «Keep A Little Place», avec une Helen paradisiaque et un Jake un peu Fea thers. C’est une équipe de rêve. Et ça se termine avec «Nut Jump» et là on bascule dans une folie à la Hasil Adkins. Ils vont même plus loin, avec du jump jump jump ! On n’imagine pas à quel point Jake et ses amis sonnent juste.

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    Vient de paraître My Foreign Love, le nouvel album de Jake & His Red Hot. Il attaque «Don’t Miss The Train Man» comme d’habitude, au big mumbling avec un son de rêve. Puis avec le morceau titre, il nous embarque pour Tahiti avec une espèce de classe dédouanée. C’est en fin de parcours que se trouvent les hits, à commencer par «Come Back To Me». Jake y joue le séducteur sous le boisseau du Tahiti groove. C’est visité par les alizés et bourré de notes virulées. Comme Elvis, il pique sa petite crise d’exotica. Et c’est avec «Gimme Your Love» que tout explose. On croirait entendre le Spencer Davis Group. Chœurs magiques et stomp de rêve. Il échappe aux genres avec une aisance déconcertante. Son «Gimme Your Love» sonne comme un hit énorme. Il rend hommage aux Coasters avec «Addiction Baby» et revient à la magie de Buddy Holly avec «You’re My Wonderful Love». Bien sucré, chanté du coin de la lunette à monture d’écaille, fruité et coconut, big Texas bound. Sa Buddy pop n’en finit plus de forcer l’admiration. Il claque ensuite «When I Was 15» aux accords garage. Jake fait ce qu’il veut, quand il veut et comme il veut. Il évoque dans son texte les motorcycles et les rockabilly rebels. Tiens voilà le «Fairy Tale» qu’on a entendu au Rétro. Il y fait un petit coup de hein-hein-hein à la Charlie. Idéal pour faire chanter une foule en chœur. Il termine l’album avec «The Queen Of The Road». Jake convoque les foudres du garage. On sent le souffle du bop dans le dos. Chaque fois que c’est possible, il tente le tout pour le tout, comme le fait dans son coin Jack Rabbit Slim. Mais ça ne marche pas à tous les coups.

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    Au mersh de Jake, on tombe sur une étrange pochette orange : on y voit un fakir méditer, confortablement allongé sur son tapis de clous. Le fakir s’appelle Maharadjah Pee Wee Jones et son album s’intitule Spring In Almeria. En sous-titre, on peut lire : Trance - Ethnic - Voodoo Blues. Ça ressemble à un truc de hippie.

    — C’est un copain à Jake ?

    — Non pas du tout ! C’est un projet parallèle !

    Pour faire le malin, on glousse de rire. Mais on l’achète. Avec des gens comme Jake, il faut savoir rester curieux. De retour au bercail, on ouvre le digipack. On y voit Jake déguisé en freak psychédélique. Thierry Sellier fait aussi partie de l’aventure, ainsi qu’un certain Serge Bouzouki. Tout cela semble très mystérieux. Le mystère ne plane pas longtemps, car dès qu’on commence à écouter l’album, on tombe de sa chaise. Aïe ! On peut parier que tous les malheureux qui ont écouté cet album sont aussi tombés de leur chaise. Pourquoi ? Parce que cet étrange Spring In Almeria compte parmi les meilleurs albums de Jake. Il commence par donner le change avec «Ulan Bator», il part de l’autre côté, en Orient mais il ramène du banjo dans son Bator. Il sculpte sa falaise à mains nues, il façonne un son qu’il faut bien qualifier de fascinant. Attention c’est très sérieux, le twing du twang défonce le heavy groove et on entend même des violons cajuns. Ses aw aw aw de corbeau valent bien ceux de Captain Beefheart. C’est tout bêtement de l’abattage de grand visionnaire, il se poste au carrefour de toutes les cultures, celles d’Orient et du Deep South et crée le boogie de la démesure. Il exsude la matière du son, fabrique une espèce de heavy psychout de downhome beat gorgé de banjo, oh boy ! Et quand on écoute le «Fame» qui suit, on voit qu’il ne peut pas s’empêcher de revenir au bord du fleuve, c’est plus fort que lui, même déguisé en fakir. Il purifie son son à l’extrême, il le fait pour de vrai, comme Don Cavalli. Avec «You’re Gonna Take Me», il quitte son tapis de braises pour allumer les braises du meilleur boogie d’insistance congénitale. Ah si seulement les gens pouvaient entendre cette réinvention de la montée en puissance ! Comme Lou Reed, Jake crée des miracles avec deux fois rien. Et vlan, voilà «I’m Glad», prétexte à inventer une nouvelle sauce. Il overwhelme son album sans prévenir, c’est une manie. Il amène son «Big Wise Healing» à l’orientale pour en faire un French hop de bayou craouette, bien craignos. C’est vrai que les Cajuns sonnent parfois comme les shamans de Mongolie, la racine magique est la même. Jake patauge dans cette soupe de mandragore. Flip flop and fly ! Il invente le shamanisme du delta. Et ça devient stupéfiant de primitivisme. Il attaque ensuite son «Get Along» comme une folle, oooh ooh ! Quelle désinvolture ! S’il voulait nous impressionner, c’est réussi. Il va beaucoup plus loin qu’on ne l’imagine. Qui va aller acheter l’album d’un fakir ? Et pourtant, c’est son album le plus libre, le plus percuté de la gâchette, il chante avec toute la folie des rois du rumble américain. Il dégage ensuite le maharadjah pour revenir au heavy sound de «Chicken Shack». C’est bombardé de son. Rockab pur ! Hey man hey ! I call you baby ! Il gratte ça au long cours. Il pousse des yah sur fond de sitar et ça donne l’un des albums les plus génialement déjantés de l’histoire du rock. Cette fois, on sent qu’il est complètement barré. Il chante son «Hey Man» par en dessous, accompagné par des violons. Il se permet désormais toutes les fantaisies. Les gens qui sont allés aussi loin ne sont pas légion. Jake découvre de nouveaux horizons et derrière lui ça gratte à la vieille cavalcade de mountain men, il chante son truc en lousdé, il rôde littéralement dans le son. S’ensuit un effarant clin d’œil à LeadBelly avec «Black Betty». Mais ce diable de Jake décide de le jouer à sa façon. Ce mec est un vrai punk, au sens où l’entendaient les Américains avant que les médias ne s’emparent du mot pour en faire ce que l’on sait. Punk, ça veut dire qu’il faut s’attendre à tout et c’est exactement ce qui se passe avec ce démon de Jake. Cet album est vendu comme un «projet expérimental», mais il est mille fois plus viandu et innovant que toutes les nouveautés à la mormoille. Jake taille une magnifique croupière à Black Betty. Il la travaille à la glaire de kid énamouré, il n’existe rien d’aussi explosé ni d’aussi viscéral ici bas. Il l’achève en allant hurler par dessus les toits. Avec «Almeria», il pique une petite crise d’espagnolade, mais ça explose vite fait dans des tourmentes. Ce mec nous épuise la cervelle avec son énergie inventive. «Almeria» sonne comme du Manitas Dr Plata, mais avec des coups de punk de Jake dans les tibias. Impossible d’échapper à l’emprise d’un tel coup de génie. Il ressort ses vieux accords du delta pour «You Don’t Know». Il gratte ça face au fleuve. Il s’enfonce dans la vase tellement c’est primitif - You don’t have - Il ne sait plus quoi dire, alors il en perd ses dents tellement il s’exacerbe. Il joue violent et juste, à coups répétés. Il offre ici une authentique approche du blues des origines. C’est d’une véracité qui en dit long sur son attachement pour cette culture. Il claque comme un dingue, comme s’il éprouvait la rage d’un nègre réduit en esclavage par un sale con de blanc dégénéré. Il devient alors très spectaculaire, et de plus en plus vrai, il cogne sa gratte. Captain Beefheart n’est jamais allé jusque là. Ni personne d’ailleurs. Le seul qui ait osé, c’est Jake Calypso.

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    Du coup l’album du Maharadjah Pee Wee Jones sert de leçon. Il existe un autre side-project de Jake qui est une compilation de ses cuts de blues préférés. On y va les yeux fermés. C’est du convaincu d’avance. La compile s’appelle Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. La cabane en bois qu’on voit sur la pochette est nous dit le mec du mersh celle où vit Jake. Cette compile rabat bien le caquet du spécialiste qu’on croit être. Jake Calypso joue son rôle de passeur à merveille : il nous fait découvrir des cracks qu’on ne connaissait pas, et quels cracks ! Tiens comme Hop Wilson & His Chickens, avec «Chicken Stuff». Eh bien c’est du rockab. Et même du rockab demented are go à gogo. Tout le bop de black est là dans l’épaisseur du son. Sur cette compile, tu vas découvrir du hot de hutte à la pelle. Willie Nix avec «Just Can’t Say» vaut toute l’hypno du monde. Grosse découverte avec Papa Ligthfoot et son «Mean Ol Train». Il met le heavy groove de jump en coupe réglée. Quel clinquant dans l’enfonçage de clous ! Ils font le train à l’énergie maximaliste. Le «We’re Gonna Boogie» de Lefty Dizz, c’est du punk-rock de nègres. Il gratte ça à la déraille de commando et ça vire hypno. Lefty veut groover comme Hooky et il tape la carte d’un fantastique boogie, il y met tout ce qu’il a dans le ventre. Parmi les gens connus, on trouve Lightnin’ Hopkins et son effarant «Had A Girl Called Sal». Encore un rockab amené au violent storm de slap. Lightnin’ boppe le blues avec une violence sourde. Vrai coup de génie. Autre géant du genre, Fred McDowell avec «Shake Em On Down». Carnassier. On entend les grenouilles de Quintron. Le fou qui joue de l’harmo ne peut être que Johnny Woods. Le «Country Boy Blues» de Pee Wee Hughes & The Delta Duo sonne comme un heavy boogie d’une absolue perfection. Pas de surprise avec John Lee Hooker qui nous plonge avec son «21 Boogie» dans le boogie des origines de l’humanité. Bo Diddley sonne comme un roi avec son «Bring It To Jerome», c’est probablement le beat le plus profond et le plus organique de l’histoire du beat. Doctor Ross nous ramène au temps des plantations avec «Chicago Breakdown». Purement africain. On croise plus loin l’infernal Frankie Lee Sims et sa guitare rouillée, l’affreusement sain Robert Petway et ce claqueur de beignet qu’est Lightnin’ Slim. Voilà qu’arrive ensuite un autre Slim de choc, Slim Harpo et sa fleur à la boutonnière, puis Rufus Thomas qu’on surnommait the Real King of Memphis, puis Frank Frost, dernier black enregistré par Uncle Sam et enfin le puissant Junior Parker qui tape au cahin-caha de voracité extrême son «Feelin’ Bad». On sort de cette compile à quatre pattes, complètement rincé.

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    En marge du très bel album que Jake Calypso et Archie Lee Hooker ont enregistré ensemble, il existe un album d’outtakes qui circule sous le manteau et dont il faudrait ne pas parler, mais il est tellement bon qu’on est obligé de l’évoquer. Il s’appelle The John Lee Hooker Day et propose huit morceaux enregistrés au Delta Blues Museum de Clarksdale, tous chantés par Archie Lee Hooker, avec Jake derrière à la guitare. Deux d’entre eux sont stupéfiants de primitivisme, «Water Boy» et «No Shoes». Le premier évoque bien sûr le gamin qui amène l’eau aux esclaves cueillant le coton en plein cagnard - The sun is breaking down/ Water/ Boy/ Bring water ‘round - Le deuxième remue encore plus la paillasse, car c’est le blues de l’extrême pauvreté, tel que l’a aussi chanté Wolf - No food on my table/ No shoes on my feet - Et puis tout explose avec «Bundle Up & Go», Mississippi shuffle tapé du pied. Bien dévoyé et sans retour possible. C’est du pulsatif primitif. Jake gratte sa gratte comme un crack.

    Signé : Cazengler, Hot shit

    Hot Chickens. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

    Hot Chickens. Speed King. Stax Records 2007

    Hot Chickens Play Gene. Chickens Records 2017

    Hot Chickens. Fool’s Paradise. Rock Paradise 2019

    Jake Calypso. 100 Miles. Chickens Records 2017

    Jake Calypso. Grandaddy’s Grease. Chickens Records 2010

    Wild Boogie Combo. Blues. Chickens Records 2012

    Jake Calypso & His Red Hot. Father & Sons. Chickens Records 2013

    Jake Calypso & His Red Hot. Downtown Memphis. Chickens Records 2016

    Jake Calypso & His Red Hot. My Foreign Love. Rock Paradise 2019

    Maharadjah Pee Wee Jones. Spring In Almeria. Trance Ethnic Voodoo Blues 2008

    The Rambling Men. Move It On Over. Chickens Records 2014

    Jake Calypso, Archie Lee Hooker & The Boogie Combo. Vance Mississippi. Chickens Records 2016

    Nut Jumpers. Boogie In The Shack. Rock Paradise 2018

    Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. Chicken & Yokatta Records 2019

    Jake Calypso, Archie Lee Hooker. The John Lee Hooker Day. Around The Shack Records

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N°10

    JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2019

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    Dans la série vaut mieux se servir soi-même pour avoir exactement ce que l'on veut, Sergio a pris les choses en main. L'a commencé par la chasse aux blancs. Je vous rassure, il n'a tué personne, par contre au niveau typographique il a éradiqué sec. Plus de lignes sautées entre deux paragraphes, idem pour les photos, ces belles demoiselles ne se pavanent plus en leur solitude en de vastes espaces nivéens. Résultat vous en avez plus pour la même surface. Esthétiquement l'a tout de même su éviter le pavillon concentrationnaire, la revue est plus agréable à lire.

    Une fille chez les pionniers. Ni Brenda Lee, ni Wanda Jackson, mais Janis Martin. Sa carrière commença sous une bonne étoile, le soleil le plus brillant, Elvis Presley en personne. Se terminera un peu en queue de comète puisque ses parents refuseront de la laisser dans les griffes du Colonel Parker. Suivra un gros trou... N'empêche que sur son premier disque, Chet Atkins et Grady Martin s'occupent des guitares. Difficile de trouver mieux dans les studios à l'époque. Des disques un peu trop sauvages qui hormis le premier ne trouveront pas le grand public. En contre-partie une belle légende du rock'n'roll. Les comebacks se suivent mais n'apportent guère le sujet escompté. Quelques mois avant sa mort, l'on trouvait sur le net une annonce d'une de ses amis pour récolter des fonds pour éditer son dernier album...

    La vie ne fait pas de cadeau. Les jeunes n'y pensent guère, voici The Accidents, Keri-Anne sourit de toutes ses dents sur la photo pleine-page, elle et ses deux frères n'ont qu'une envie : s'amuser, profiter de la vie high-voltage, s'éclater sur scène, prendre du bon temps. Une philosophie un peu à courte vue, toutefois très agréable, pourvu que ça dure disait la mère de Napoléon...

    Gros dossier sur les Stray Cats. Sergio retrace leur carrière, avant, pendant, après. Quarante ans ! Cela ne nous rajeunit guère, par contre le rockabilly leur doit une fière chandelle, lui ont infusé un sang neuf et une bonne dose d'énergie. Rappelons que sans les Teddies d'Angleterre l'histoire aurait pu se perdre dans les sables de l'incompréhension.

    Le Cochon à Plumes n'est pas un nom de groupe mais un bar-concert à Reims qui accueillit le mois de mars dernier un concert Wild Records avec trois groupes : les Mighty Tsar de chez nous, Los Killer Tones de Mexico, et Chuy & the Bobcats en vedette. Le compte-rendu vous fera regretter de l'avoir raté. Mais le plus intéressant vient après. Jesus – pas lui – l'autre de Wild Cat, beaucoup plus glamour, répond aux questions, un pédigrée à rendre un chien de concours malade, l'a notamment enregistré avec Darrell Higham, et surtout il a des tonnes de choses à raconter, l'a accumulé des expériences diverses, toute la différence entre l'insouciance des Accidents et le gars confronté à des situations enrichissantes...

    Un article sur Rock'n'roll Show de Samer ( Pas-de-Calais) avec entre autres lors de ces trois jours de mai les Black Raven, Long Black Jackets, Jake Calypso, Rough Boys et Spuny Boys, évidemment si vous ne prenez que des cadors... Les Spuny que l'on retrouve à Lille pour leur 1000 ° concert, la fête rock'n'roll de l'année. Si vous n'y étiez pas, Sergio vous refile ses plus belles photos. Un lot de consolation dont la beauté ravivera vos regrets.

    Chroniques habituelles sur les trois dernières pages, mais je m'aperçois, bande de malfrats, que vous avez sauté la présentation de Chukka-Boots Teddy Boys & Rock'n'Roll Club qui sévit dans la ville de Bourges et le Berry, des activistes rock de la meilleure volée. De tous les numéros de Rockabilly Generation celui-ci me paraît le meilleur, il atteint à une réelle densité rock.

    Damie Chad.

    P. S. : Si vous êtes un gros maladroit, en déchirant le plastique vous évitez de faire tomber le flyer pour la Rockin' Gone Party n) le 16 / 09 / 2019 à St Rambert d'Albon ( 26 140 ) dans la Drôme.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

     

    CAMON ( 09 ) / 02 - 08 - 2019

    La Camonette

    JUKE JOINTS BAND

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    Plus de camionnette garée sous les platanes. Que voulez-vous ma bonne dame tout se perd en ce bas monde. Certes mais il est inutile de tomber dans le nihilisme le plus désespéré. Car tout se recycle. La Camonette est morte, vive la Camonette, surtout que la nouvelle est désormais coachée par Christophe. Les plus anciens lecteurs de Kr’tnt ! connaissent. Drivait le groupe Number Nine voici quelques années, mais là il a ajouté un fusil à son épaule. L’est devenu ( entre autres ) restaurateur. L’a ouvert un enclos de vieux murs, dressé quelques tables, installé un coin culinaire et il vous sert de succulentes saucisses pimentées accompagnées des salades qu’il va cueillir tout droit dans son potager à quelques mètres, le mec question empreinte carbone minimale, vous ne trouverez pas mieux. Miam ! Miam ! Et tous les jeudis soirs il reprend la tradition des concerts hebdomadaires.

    Pour cette soirée est programmé le Juke Joints Band, la file d’attente ne désemplit pas. Plus de cent vingt personnes se sont déplacées, forte proportion d’anglais qui squattent la région sans vergogne. N’y a pas de miracle, depuis que le Juke parcourt les environs, il a désormais un public fidèle, près à le suivre dans tous les carrefours maudits.

    JUKE JOINTS BAND

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    Formule minimale ce soir. Ben Jacobacci à la guitare et Chris Papin au chant. Une guitare et une voix, pour le blues c’est amplement suffisant. Deux sets, une dizaine de morceaux pour accompagner l’apéritif, et un second plus tard pour sublimer la digestion. N’oubliez pas qu’en ses débuts le blues était la musique des crève-la-faim. Mais avant la poche gastrique vide ou après la peau bien tendue le Juke vous distille la même eau-de-vie, la même eau-de-mort, car le blues c’est comme le Mississippi, il vous charrie dans ses eaux tumultueuses autant de charognes que de poissons-chats indomptables. Dans les deux cas la friture vous restera en travers du gosier.

    Faudrait jouer à pile ou face pour savoir si le blues c’est d’abord la voix de Chris ou la guitare de Ben. Beaucoup des deux. Ce qui est sûr c’est qu’ils puisent leur répertoire en eaux troubles, autant chez Creedence que chez Keb Mo, autant chez Muddy Waters que chez les Stones, autant chez Otis Redding que chez Tony Joe White. Du Sonny Boy à Tina Turner. Large panel, blues, rhythm’n’blues, rock ‘n’ roll, s’en foutent, z’ont leur moulin à café à double engrenage.

    La guitare de Ben, un fouillis inextricable, filez-lui une six-cordes, en un tour de main elle sonne comme une deux fois douze cordes. Vous êtes perdu, vous vous demandez ce qui va bien pouvoir sortir de cette mouture. Un enchevêtrement sans fin. Un labyrinthe auditif. Vous éprouvez la nécessité de vous faire greffer une douzaine d’oreilles supplémentaires pour comprendre de quoi il en retourne au juste. Si vous avez le malheur de vous attarder sur Ben, vous n’entendez plus Chris, peut vous chanter la Carmagnole ou l’Ave Maria de Schubert, vous ne le remarquerez pas. Vous êtes confronté à cette étrange énigme : comment de tout ce marasme cordique peut-il naître une telle clarté riffique. Le Ben est un orchestre à lui tout seul, un nuage d’hirondelles qui s’envolent aux quatre vents de l’esprit pour en ramener le duvet nécessaire à la confection du couffin protecteur nécessaire à la voix de Chris.

    Car le Papin, quelle classe dans sa chasuble noire et ses gestes sobres, l’est le coucou qui s’en vient poser sans vergogne l’œuf germinal de son larynx brûlé dans la coque protectrice soigneusement tissée par Ben. L’en éclot un phénix de flammes fulminantes qui se calcine en cendres à chaque intonation. Vous fout le feu au blues comme le pyromane à la forêt. Gorge ardente. Là ou sa voix passe le blues repousse toujours, comme la lèpre sur les écrouelles. Aucun mérite, c’est naturel chez lui, n’a qu’à ouvrir sa bouche pour que le blues le plus pur coule à l’instar de ses rayons de miel d’abeilles sauvages qui débordent dans le creux de l‘arbre de vie. Le mojo entre les dents. Un alligator dans le cerveau. Quand il se tait et que Ben s’arrête de jouer, c’est la longue flopée des applaudissements approbateurs qui prennent le relai. Ces deux-là, tout le monde est d’accord ne faut pas les laisser s’échapper, pas de crainte, le Ben vautré à la renverse dans son tabouret est trop bien là où il est, ses mains se débrouillent toutes seules pour vous embrouiller la tête et le Chris est trop content de vous abasourdir entre deux morceaux de craques introductives destinées à vous faire douter de la réalité des légendes. Sourires complices de criminels en goguette, sûrs de commettre les pires méfaits hautement répréhensibles, des voleurs d’âmes, commencent par la charmer, et elle s’enfuit de vous sans que vous y preniez garde, vous la peinturlurent en bleue et vous la rendent habillée pour l’hiver. En plus Ben sort de temps en temps son arme secrète, l’a aussi une voix de baroudeur du blues, et nos deux lascars se permettent des résonances harmoniques à vous vriller la moelle épinière. Même que parfois l’on applaudit quand ils se taisent car l’on croit que le morceau est fini et enterré. Et hop il rebondit comme une balle de squash, la guitare de Ben tourbillonne comme un maelström et la voix de Chris résonne comme la trompette rouillée de l’apocalypse.

    Inutile de se plaindre, vous le saviez, le Diable ricane de toutes ses dents pourries au fond du blues. Faut ce qu’il Faust. La voiture de messieurs Ben et Chris est avancée. J’espère que vous avez reconnu le chauffeur qui conduit devant, s’appelle Robert Johnson. Ne réveillez jamais la bête endormie. Seigneur quelle soirée de rêve fantomatique avec nos deux saigneurs du blues !

    Damie Chad.

    J’ai eu droit à un cadeau, tant pis pour vous, vous n’aviez qu’à être là, un exemplaire de démonstration ( huit morceaux sur neuf ) du prochain CD.

    Devant de pochette noire qui n’est pas sans évoquer les deux disques précédents. Le logo du groupe et rien d’autre. C’est au dos que vous retrouvez les quatre mousquetaires en leurs œuvres vives, sur scène.

     

    HELP ME / JUKE JOINTS BAND

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    Ben Jacobacci : guitare, chœurs / Rosendo Frances : batterie, chœurs / Michel Teulet ; basse, chœurs / Chris Papin : homme sans chœurs mais au chant.

    One meat ball : me suis repassé quinze fois l’intro rien que pour le plaisir de savourer, on a beau dire et beau faire l’invention de l’électricité vous éclaire le monde d’une autre manière, le Ben a laissé l’acoustique au placard, ça change le son, le Juke a multiplié la puissance de feu, et pourtant ils n’en profitent pas, ne vous font pas le coup de la découpe au lance-flamme, non les trois compères se sont entendus pour un loop de loop douillet, le Rosendo survole ses caisses en douceur, Michel Teulet ne vous graphite pas au noir absolu les lignes de basse, reste sobre, et le Chris vous fait le coup du chat qui se promène sur le toit de l’église du village. Une aisance déconcertante, vous avez peur qu’il tombe, mais il se joue des difficultés, l’est sur l’arrête de la faitière centrale, et il vous semble qu’il folâtre au-dessus des clefs de voûte les yeux fermés. S’en va dénicher la ratignole qui niche sous les plus hautes ardoises du clocher. L’est sûr de lui. Vous sort le miaulement feutré du gentil minou qui vous le met quand même dans le trou de meat ball, tout en douceur. Undercover agent : en tant que membre émérite du Service Secret du Rock’n’roll, je peux le certifier, pas vu pas pris, laissez s’agiter les autres et agissez dans l’ombre. Plus vous déléguez, moins vous en faites, alors le Chris puisqu’il a trois pointures à son service, il leur laisse toute la place, pas un instrumental mais presque, faut entendre le Rosendo aligner les patins sur ses traces, et dès que Chris se tait, vous avez la basse et la guitare qui broutent avec délectation la même touffe d’herbe, et quand il reprend l’avantage c’est pour les diriger tout droit sur un final abrupt dans lequel ils se taillent la part du lion. Start it up : les guitares s’amusent, font des pointes comme les danseuses à l’opéra, et ensuite l’on balance la soupe, Chris tient la queue de la casserole et il distribue joliment la purée, alors les autres en joie ne tardent pas d’une seconde pour tapisser les murs du contenu de leurs assiettes, se déchaînent même salement, le Chris obligé de faire semblant de les freiner pour mieux envoyer la mousseline au plafond. Heart attack and vide : attention, là c’est du blues qui lave plus bleu que bleu, les guitares chancellent comme la flamme des chandelles sous la brise matinale, et le Chris il se surpasse, plus blues que lui tu trépasses, le Ben sonne les cloches, l’on est désormais plus proche de la mort que de la vie. L’est sûr que c’est dangereux mais chacun souque ferme pour se tirer de ce mauvais trépas, ceux qui sont remontés des Enfers sont plutôt rares, mais eux ils vous font la démonstration de leur savoir-faire. Un must. San Francisco Bay : une gratte qui banjoïse et la voix de Chris qui tinte comme des coupes de champagne. Un blues qui folkle et sifflote, faut de tout pour faire un blues, mais perso je l’aurais quand même tenu plus fortement sur la chaise électrique. Satisfaction : dans la série je fais de la planche à voile sur un skate pourri, nos quatre lascars ne doutent de rien, faut du culot pour s’attaquer à de tels monuments. Z’ont choisi la fausse copie conforme de la carte d’identité qui met la police de la pensée et des mœurs sur leurs dentitions plombées jusqu'à l'os, au début ils essaient de ne pas sortir des sentiers rebattus et puis ils s’approprient le truc comme si c’était à eux, tout juste qu’ils ne l’aient pas revendiqué dans les crédits, vous le font à la décontracte, je m’amuse à rester sérieux et à la fin le Ben il vous catapulte le rififi à cent à l’heure. Am I wrong : très mauvais, c’est le seul morceau qui ne soit pas sur ce disque ! Help Me : peuvent crier au secours tant qu’ils veulent, se dépatouillent très bien tout seuls, c’est du beau, c’est du bon, c’est du dur, le truc sans défaut qui emporte la conviction de vos ennemis les plus féroces. Un festival, vous laissez couler le robinet rien que pour le plaisir de voir l’inondation se répandre dans le monde entier. Et le cas échéant aller sauver la voisine du dessous toute nue dans sa baignoire. Ain’t superstitious : normalement avec le morceau précédent vous êtes rassasié, mais le Juke vous offre le petit dernier, le coup de l’étrier, il ne vous tuera pas mais il vous rendra plus fort. Prennent leur temps, fignolent le gâteau, posent la cerise explosive. Hey ! Hey !

    C’était juste un avant-goût, vous rechroniquerai le disque dès que j’aurai l’exemplaire définitif. Un record qu’il faudra avoir dans sa discothèque pour ne pas avoir l’air trop naze et être pris pour un bleu.

    Damie Chad.

    06 – 09 – 2019 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BARON CRÂNE / ZARBOTH

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    Retour à la Comedia après les vacances d'été. Ne suis pas à trente mètres de l'établissement que quelque chose a changé dans mon champ de vision. Non ce n'est pas moi, mais le mur. Serait-on face à un étrange phénomène digne d'une nouvelle de Lovecraft, la fresque de la façade a gagné en surface, elle s'est emparée de l'arrière du deuxième étage du bâtiment, aurions-nous affaire à la suspecte prolifération d'une nouvelle mutation d'un champignon des murailles hors de tout contrôle destinée à recouvrir toutes les maisons de Montreuil de son étonnante lèpre calligraphique, dans un avenir relativement proche la population de la ville sera-telle évacuée pour laisser place aux millions de touristes venus du monde entier visiter les rues bigarrées de cette nouvelle Pompéi moderne ? Je n'en sais rien, au moins aurais-je tiré la sonnette d'alarme pour prévenir les autorités. En tout cas j'ai réussi à identifier le bacille responsable de cette invasion graphique, il s'agit du Martinus Peronardus. Une virus proliférant venue d'Amérique du Sud particulièrement nocif. Il n'y a qu'à pénétrer dans le local pour s'apercevoir qu'elle s'attaque aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ne lui reste plus que deux plafonds à recouvrir, c'est d'autant plus inquiétant qu'à la Comedia l'on a bossé tout l'été, que le local a pris un coup de beau, et il faut bien le reconnaître désormais les groupes sur scène bénéficient d'un superbe décor, ah ! cette chaîne d'yeux disposées en hélice d'ADN qui vous scrute depuis les plafonnettes, c'est ainsi que du haut de l'empyrée les Dieux doivent regarder avec un dédain fatigué les vains agissements des humanoïdes ratés que nous sommes. Et ce soir ils ont dû être particulièrement édifiés, à quel étrange et déraisonnable culte les nombreux représentants de l'espèce humaine qui avaient envahi le local se sont--ils adonnés ? Certainement une cérémonie en l'honneur de Nyarlathotep, l'énergie noire du chaos rampant...

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    BARON CRÂNE

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    Je ne veux pas crâner, mais avec cette kronique je suis sûr d'avoir tout juste, de ne pas me tromper de case. C'est simple vous pouvez les cocher toutes, vous gagnerez toujours. Vous ne tomberez pas à côté. En plein dans le mille. Cœur de cible tous azimuts. Si vous n'avez jamais entendu une seule note de Baron Crâne, et que l'on vous demande de définir leur style, prenez l'air inspiré du monsieur-( ou de la madame ) je-sais-tout, et laissez tomber négligemment ces cinq mots : c'est du rock, voyons ! Vous êtes sûr de ne pas vous tromper, si votre langue fourche et que vous dites, c'est du jazz, ou c'est du surfin', ou c'est du prog, ou c'est du funk, ou tout ce vous voulez d'autre. A l'exception du biniou serbo-crate, vous aurez raison, parce que le Baron Crâne, c'est tout cela à la fois. Et en plus ils ne pourront même pas vous contredire, parce qu'ils sont muets comme des carpes, n'ouvrent pas la bouche, ne prononcent pas un mot, ils ne jouent que la musique, de l'instrumental pur, des bijoux vocaux de la Castafiore ils n'en offrent aucun en devanture.

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    Parce que le Baron Crâne, ils réussissent ce prodige de tout donner et de récurer la marmite jusqu'au fond, et pourtant ils ne sont que trois à réaliser ce miracle de vous emmêler les pinceaux pour vous peindre les fresques les plus magnifiques. Un trio de malfaisants décidés à réaliser les pires tours de passe-passe. Au fond, près de la batterie le cancrelat de la classe. S'appelle Léo Goizet. Fonctionne comme une machine à concasser le rythme. Avec lui votre oreille dégoise grave. Ne peut pas laisser ses camarades se dépatouiller en toute quiétude de leur instrument, l'est partisan des accélérations subites, l'a de ses rictus diaboliques quand il tape à la madurle sur sa caisse claire, il regarde ses acolytes du genre '' les gars ne lanternez pas sur le passage à niveau, le TGV arrive'', ou alors il est pris d'une aversion subite envers le public et durant trois minutes un incendie de cymbales carillonnent dans votre tête comme un camion de pompiers en feu. Pour la grosse caisse il lui refile des coups de pieds comme s'ils étaient quinze à latter une victime innocente dans la pénombre d'un cul-de-sac morbide. Moralement parlant Léo Pinon-Chaby ne vaut guère mieux. N'a pas une collection de toms lui, n'a que six cordes à sa guitare, alors s'est rattrapé sur le nombre des delays, en use et en abuse, un clic du pied par ci ou par là et la donne change du tout au tout, de l'escadrille d'avions au décollage, aux senteurs de pivoines fraîchement éclose au petit matin, est incapable de rester longtemps sur les mêmes mêmes sonorités, un borderline des pédales, il lui arrive même de temps en temps de délaisser sa guitare pour tomber à genoux et tourner quelques boutons. A première vue Olivier Pain est le plus normal, un faux semblant éhonté, se colle à sa basse comme la ventouse aux double-wc, comme le mont Ventoux à son sommet. L'essaie de s'en arracher, s'arc-boute de toutes ses forces, mais non, vlan ! il retombe dans un gravier de groove fou qu'il n'a jamais quitté, une espèce de motoculteur fantôme décidé à couper en deux de son soc sanglant la population terrestre des lombrics sauvages qu'apparemment il exècre sans trop savoir pourquoi.

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    Vous entrevoyez le tableau. Mais hélas vous n'entendez pas le son. Vous imaginez une toile dadaïste avec des barbouillages de maternelle qui dépassent de partout. Tout faux. Maîtrisent salement leur délire. Certes à eux trois ils font autant de bruit qu'un orchestre symphonique. Mais quelle classe ! Vous emmènent en promenade. Sur les montagnes russes, escalades de parois glacées, vertiges d'abîmes sans fond, houles océaniennes, longue plage de sables fins bordée de palmiers, torrents tempétueux, géographie musicale planétaire, une espèce de fouillis zappatiens, des espaces de beautés floydiens, des bidouillages critiques de contemporanéités ultraïques, toutes les trois minutes vous changez de scène, flogistique shakespearien, une aisance déconcertante, un regard complice échangé et les décors se métamorphosent.

    Une musique sans concession, c'est à vous de suivre, si vous perdez le fil vous êtes pommé, c'est comme à la corrida si vous lâchez le taureau et le torero du coin de l'œil, vous vous ne comprenez pas pourquoi c'est la bête ou l'homme qui agonise par terre, mais à la Comedia le public est formé de connaisseurs, pas question de lâcher une miette, les applaudissements ponctuent les passages acrobatiques à tel point que parfois ils se piquent au jeu et vous jouent des fausses fins de séquences des baissers de rideaux, rien que pour vous faire comprendre qu'ils ont toujours quelques décamètres d'avance sur vous. Une dizaine de morceaux, autant d'atmosphères irisées d'étranges couleurs, une musique puissante, coruscante, sinueuse, frontale, un vol d'engoulevents emportés dans un tourbillon cosmique, Baron Crâne a su fomenter la ferveur d'un auditoire qui aurait voulu les retenir toute la nuit.

    ZARBOTH

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    Zarbi, les Zarboth. Le début est une véritable calamité. D'abord ils ont un look dépareillé. Un grand gars à la moustache en arc de cercle qui tape un rythme boiteux sur la caisse claire sans trop de conviction, l'air de je serais vraiment mieux ailleurs qu'ici, pas très loin il y a une espèce de faux vrai indien – à moins que ce n'en soit un vrai indien faux - avec des tresses à la Sitting Bull mais beaucoup plus courtes, lui Phil Reptil, il essaie de tenir sur ses cordes la même cadence que le batteur sans trop y parvenir, et enfin au micro, un trompettiste, pas tout à fait un jeune premier, qui souffle hors de ton une espèce de pépiement d'oiseau horripilant. Z'ont tout faux. Et puis par miracle au bout de deux minutes ils ont tout juste. Du costaud. Macdara Smith vous profile de ces lampées cuivrées dignes de Miles Davis, et les deux acolytes vous percutent une espèce de noise-jazz du meilleur acabit. Mais voici que maintenant Etienne Gaillochet entonne un étrange gargarisme qui tient autant de la mélopée funèbre, que du chant grégorien, de l'haka rugbistique que des chœurs de carabins en goguette. Jaloux Macdara dépose son instrument à vent pour l'imiter. Dès le second morceau Phil Reptil ne résistera pas à se joindre à cette cacophonie délirante.

    Durant les vingt minutes suivantes, certains éléments inquiétants sont à relever, exemple le Gaillochet qui quitte ses tambours en plein morceau pour entamer une espèce de danse de l'ours dans le dos de son guitariste, du coup le Macdara délaisse le chant au profit d'un long hurlement de loup solitaire affamé dans les froideurs de la taïga sibérienne, mais bientôt tout rentre dans l'ordre, et l'épisode chamanique semble définitivement clos. Du free-jazz, l'on passe à une espèce de simili rap tortueux du meilleur effet, l'on en profite pour s'apercevoir que tous trois savent vraiment très bien jouer et qu'en plus Macdara n'est ni le deuxième ni le troisième couteau de la formation. Come et Lost passent comme des lettres à la poste, Stymied est un peu plus chaotique, mais à partir de Naked l'on entre dans une autre dimension.

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    Avec son inimitable accent américain, Macdara nous demande d'être bien en nous-mêmes et de trouver les gestes qui nous délivreront, bon prof, il nous donne un exemple, lève ses bras au-dessus de sa tête – chez une petite fille de quatre ans à son premier cours de danse vous ne saurez résister à la beauté de cette gracile élévation – mais chez notre quadragénaire au physique de guichetier de la poste, vous ne pouvez que sourire, erreur fatale nous ne savions pas ce qui nous attendait. Le morceau est-il à peine fini qu'il lance ses chaussures en l'air, une au plafond, l'autre qui retombe sur la caisse claire, puis dans un geste auguste et en même temps crampien il retire – avec une certaine difficulté due à la sueur – son T-shirt, puis son pantalon qui atterrit et s'entrecroise en plein dans les toms ce qui ne facilite pas le travail de Gaillochet. Malgré son calçon rouge qui souligne les rondeurs de ses attributs Macadara micro en main se lance dans une espèce de hip-rock déjanté qui met en valeur la dextérité de ses compagnons. Faut voir le Reptil, l'est enchanté d'être sur le sentier de la guerre, à chaque nouveau morceau il vous déterre des tomahawks de haine de plus en plus tranchants.

    Délire général. Les titres s'enchaînent, Putain Putain ( d'Arno ), Sperman, Clitoman, tous au dessous de la ceinture, politique et érotique, nos musicos se retrouvent tous les trois enlacés à chanter à capella puis regagnent leur instruments pour un groove de la mort à vous évader de la prison de votre chair. Certes l'esprit est là, celui de la folie, de la dérision, du cirque, du chahut et de la chasse au dahu au fond des bahuts. Devant la scène les corps s'enchevêtrent de plus en plus sauvagement. Il y a longtemps que nous n'avions tant ri.

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    Rappel homérique. Un groove tentaculaire plantureux, une espèce de rythmique géante euphorisante qui refuse de s'arrêter et qui durera plus de vingt minutes. Attention, sont tout sauf des rigolos. Des performers qui sont revenus de tout, surtout de leur performance, car cruauté bien ordonnée et incisive commence par soi-même. Si maintenant les rockers se lancent dans la philosophie. Où va le rock ? Et peut-être plus grave : où va la philosophie ?

    Damie Chad.

     

    PASSEUR / LE CORE ET L'ESPRIT

    ( Clip / Septembre 2019 )

    ( Réalisateur : NICOLAS ALLIOT )

    Orpheline : Ellyn / Orphelin : Liam / Passeur : Florent / Officier allemand : Marco.

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    L'album est sorti au mois de mars, nous les avions vu le 15 avril à la Comedia ( livraison 416 ), et voici le premier clip adapté du premier morceau du CD.

    Le Core et l'Esprit fait partie de ces groupes qui ne misent ni sur l'esbroufe ni sur l'air du temps pour gagner les cœurs. Une musique sauvage mais des lyrics en français. Quand on a quelque chose à dire autant le crier distinctement que le public le comprenne. Que voulez-vous, il reste encore des individus qui refusent de formater leur cervelle avec ces ersatz de recharge de pensées consensuelles vendus en boites dans tous les supermarchés.

    Passeur est une chanson hommage à tous ces passeurs anonymes qui dans la France occupée ont aidé à sauver ( entre autres ) les enfants juifs. Certes c'était il y a longtemps, mais les autres titres du disque vous soufflent fortement que la résistance à toutes formes d'oppression est des plus actuelles et des plus nécessaires.

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    La réalisation de Nicolas Alliot est remarquable. Dès les premières images vous êtes projeté dans ces films en noir et blanc qui ont fait la grandeur du cinéma français d'avant guerre. En cinéma gris, un choix esthétique, regardez une des photographies du tournage, et la correspondante extraite du clip, la différence parle d'elle-même, vous pouvez toucher du doigt, pardon de l'œil, ce qu'une démarche artistique ajoute à la simple reproduction du réel. Dans la première cas, la viride beauté de la nature campagnarde vous vrille la tête, dans la deuxième elle n'a pas disparu, loin de là, son impassibilité est même sublimée par l'angoisse de la situation. Les gamins sympathiques du tournage sont transformés en marionnettes du destin, ils perdent toute singularité pour devenir des symboles agissant de la peur et de l'espoir.

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    Le pré-générique est magnifique de justesse – c'est dans les tout petits détails que gisent la grandeur des choses et des actes, les billes de verre, le regard emmuré en-lui-même de la grande sœur, la fumée de la cigarette au bout des doigts, mais voici le groupe de rock dans une grange aux trous béants, la musique déboule mais les fuyards glissent sans bruit emportés comme dans un songe de liberté. L'on ne voit plus que le groupe, seulement par des intermittences des éclats gris de l'histoire évoquée, le regard réfléchi du Passeur, et l'officier allemand qui remonte la piste, revolver à la main, car les rêves virent souvent au cauchemar, et le vaste espace découvert à franchir en courant... les enfants courent au-devant de la vie et d'eux-même, superbe montage de Nicolas Alliot, qui vous stresse d'angoisse avec seulement quelques fragments d'images, la séquence est courte mais elle donne une impression d'infinie durée.

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    Et pourtant, question timing le groupe se taille la part du lion, belle prestation scénique de Léo d'une générosité très expressive, et les mains des musiciens sur cordes, avec en plus surtout ces effets de propulsion en avant qui ne sont pas gratuits, qui ne visent à aucun pittoresque, mais qui s'inscrivent dans le dénouement de l'écriture filmique. Un peu comme la rime finale d'un sonnet clôt sur lui-même l'artefact poétique dont elle est censée être le dernier mot, mais dont elle révèle le sens ultime.

    Le Core et l'Esprit est décidément un groupe à suivre. Ils font en sorte de s'intégrer dans une démarche signifiante, selon laquelle musiques, lyrics, images, forment un tout opératif dont les parties se répondent dans un dialogue porteur de sa seule raison d'être. Car de quel droit incongru peut-on s'adresser aux autres si le projet dont vous êtes porteur reste un brouillon illisible, ou sans conséquence notable sur le monde qui nous entoure. Qui a, hélas, souvent besoin de quelques mises au point. Au poing.

    Damie Chad.

    D.J. FONTANA

    BATTEUR HISTORIQUE D'ELVIS PRESLEY

    par TONY MARLOW

    ( in Jukebox 393 )

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    L'on se souvient avec émotion de la superbe série que Tony Marlow avait consacré aux guitaristes des pionniers. Pour ceux qui ont raté, pas de panique sont tous repris dans le Hors-série N° 37 d'avril 2017. Sait de quoi il cause le Marlou, l'est un de nos meilleurs guitaristes actuels, ce qui ne l'a pas empêché de débuter dans le métier en tant que batteur. Et voici donc qu'il nous présente cette fois-ci D. J. Fontana le batteur d'Elvis. Fut là pratiquement du tout début jusqu'à la fin, on le retrouve sur 460 morceaux du King. Jugez du peu !

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    L'a quatre ans de plus qu'Elvis qui le rencontrera lors de son première fois au Louisiana Hayride avec Scotty Moore et Bill Black. Certes il apporte sa batterie au trio, cet instrument qui nous semble aujourd'hui indispensable au rock'n'roll, mais aussi une science de l'instrument pas spécialement ancrée dans le rockabilly, d'ailleurs en totale gestation à l'époque. Son idole à lui c'est Buddy Rich batteur de jazz qui sur son lit de mort à l'infirmière préposée aux injections qui lui demandait s'il était allergique lui répondit : ''Oui, au country !'' . Comme quoi vos enfants spirituels sont parfois surprenants. Buddy Rich, était remarquablement doué, fit sa première apparition publique à l'âge de dix-huit mois, l'était un technicien hors-pair mais aussi le gars capable d'improviser et de s'adapter à toute situation. Il est à croire que c'est cette qualité calaméonienne de Buddy Rich que D. J. Fontana engrangea dans son subsconscient. A quinze ans il trouve le seul boulot pour lequel j'accepterais de travailler à l'œil, il accompagne les séances d'effeuillage de strip-teaseuses. Cela n'a l'air de rien mais entre Buddy Rich, les déshabillages de ces dames, et Elvis, il existe une logique souveraine.

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    L'on ne le répètera jamais assez, et Tony Marlow analyse le phénomène avec tout son savoir de praticien émérite, entre 1954 et 1958, le rock'n'roll était une musique à inventer. Ce furent des gamins somme toute bien inexpérimentés qui se chargeront de cette tâche. Un peu par la force des choses, et beaucoup par instinct. Les évènements vont vite et l'on n'a pas le temps de réfléchir. D'autant plus que le bagage théorique dont disposent la plupart de ces créateurs est bien maigre. Sur scène, notre jeune héros n'a pas le temps de feuilleter un traité d'instrumentation ou de composition ( d'autant plus qu'il ne sait pas lire la musique ), faut que ça pulse illico, tout en douceur exactement comme quand la main se rapproche de la bretelle du soutien-gorge, car le secret est de faire durer le plaisir, ralentir les feulements prometteurs du balai, mais au moment ultime de l'arrachage, z'avez intérêt à sonner toutes les cloches du beffroi de Bruges sur votre caisse claire si vous vous voulez être en accord avec la montée testostéronique du public, je ne vous parle pas quand on aborde le triangle des Bermudes situé un peu plus bas, c'est Elvis qui a de la chance, le Fontana il devine tout ce qui va se passer, connaît l'instant précis où le Pelvis va se déhancher, quand il est nécessaire de craquer les allumettes ou de refermer la boîte. Désormais sur scène l'Elvis sait qu'il peut improviser sa gestuelle à tout moment, fait confiance à son batteur pour trouver le tchac-a-poum-boom-boom qui tue. De leurs côtés Bill Black et Scotty Moore comprennent qu'ils n'ont qu'à innover dans le même sens. Et chacun y va de sa petite trouvaille. Le détail qui tue, le bouquet de fleurs rouges négligemment posé sur le guéridon vert, sans quoi même le palais de Buckingham vous prend une lamentable allure de chaumière délabrée.

    Lorsqu'ils arriveront en studio ce savoir deviendra décisif. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je possède un critère absolu pour juger d'une œuvre d'art ( plastique, écriture, peinture, musique, etc... ) : c'est simple ou je peux le faire et cela ne vaut pas tripette, ou je pourrais le faire. Exemple : si j'étais batteur je pourrais sans trop de difficulté – parfois je me vante - suivre le rythme de My Baby Left Me, mais il y a de certaines dégringolades dans ces premiers morceaux, de véritables descentes d'organes, je n'aurais pas pu. Totalement incapable. Physiquement et mentalement. Je m'incline, je m'avoue vaincu, j'adore, je deviens inconditionnel, quand j'en ai entendu une la première fois, j'ai cru que l'aiguille du phono avait attrapé une grosse poussière et avait lamentablement dérapé, mais non, après vérification, j'ai dû me rendre à l'évidence. A cette occasion je me suis vraiment aperçu que derrière le chanteur il y avait des musiciens tout aussi importants... Pour ce qui se passe en studio, vous suivez Tony Marlow les yeux fermés, car non seulement il peut le faire, mais en plus il sait écouter et décrypter. Z'allez être obligés de ressortir vos disques d'Elvis pour comprendre.

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    Lorsque Elvis sera en Allemagne, Fontana ne se retrouvera pas au chômage. Jouera notamment avec Gene Vincent et Lefty Frizzel, la liste est longue mais je cite mes deux chouchous. L'en sera de même après la disparition du King, ce coup-ci la liste est interminable, mais Tony le Marlou vous sort une incroyable quinte d'as de son bâton de maréchal du rock français. Sait de quoi il parle, l'était présent, ce 14 novembre 1993, en première partie avec Betty & The Bops, juste avant le show de D. J. Fontana et Scotty Moore, l'a échangé avec ces idoles du rock d'une fabuleuse simplicité, l'en parle lui-même avec modestie, consacre beaucoup plus de lignes à Lucky Blondo qui en 1977, enregistre un 33 tours hommagial ( en français ) avec D. J. Fontana à la batterie. D. J. enchanté du résultat sera aussi sur les deux suivants en 1978 et 1979...

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    L'article est à découper et à conserver précieusement dans un classeur.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 428 : KR'TNT ! 428 : DON CAVALLI / DONNIE FRITTS / ROCKABILLY GENERATION / BENNY & THE FLYBYNITERS / HANK'S JALOPY DEMONS / GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS / TOM WOODS / SO LUNE / EDREDON SENSIBLE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 428

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    05 / 09 / 2019

     

    DON CAVALLI / DONNIE FRITTS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS # 9

    BENNY & THE FLYBYNITERS

    HANK'S JALOPY DEMONS

    GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS

    TOM WOODS / SO LUNE / EDREDON SENSIBLE

     

    Un bon Cavalli n'est jamais le dernier

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    Voir arriver Don Cavalli sur la petite scène de la Place du 73e, c’est un peu inespéré. L’air de rien, le voilà devenu légendaire, sur la base de quelques albums et de quelques interviews de ci de là. Mais surtout sur la base d’une voix. Et quelle voix ! L’homme paraît modeste, on pourrait même presque dire timide, en tous les cas, il ne la ramène pas. Il est là pour le purisme et c’est exactement ce qu’on est venu chercher à Béthune : un brin de purisme.

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    Don Cavalli nous en sert une heure entière sur un plateau d’argent. Il gratte ses coups d’acou du pouce et ses amis siciliens jouent le bop le plus délié qu’ait jamais imaginé la Cosa Nostra. Fantastique conglomérat d’attitude, de mesure, de véracité et de Cavallisme. Il fait tellement la différence qu’il sonne comme un vieux requin du rockab sur le retour. Il a pris un petit coup de vieux, c’est vrai, mais quelle présence !

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    Il porte du blanc et attache sa gratte avec une ficelle, comme on savait le faire dans les mines de cuivre du Kentucky, au début du siècle d’avant. Don Cavalli ne pointe pas sa gratte vers le sol comme tous les autres, mais vers le ciel. Il fait la différence, mais n’en fait pas exprès. Chez lui, le purisme est quelque chose de naturel.

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    Son batteur sicilien porte une casquette de capitaine à la Humphrey Bogart et joue comme un dieu, tout en retenue et au fil d’un swing-along qui en dit long sur sa baie d’Along. Quand Don le présente au public, il dit de lui qu’il est passé du grade de capitano à celui de commandante. Touché par le compliment, le commandante hoche la tête respectueusement.

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    Il règne dans cette équipe quelque chose de particulier, une atmosphère de frères de la côte à la Mac Orlan. D’ailleurs, le guitariste haut et sec comme un cep de vigne semble sortir d’un bar mal famé de Marsala, avec ses faux airs de Robert Mitchum, ses boucles d’oreilles et sa clope au bec. Don indique que le slappeur des Banjeras vient d’Australie, mais il ressemble vraiment à l’un des bras droits de Toto Riina.

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    Comme il s’adresse à un public de fans, Don Cavalli se fend d’une belle reprise du «Bottle To The Baby» de Charlie Feathers. Dans l’interview qu’il accordait à Dig It en 2016, Don explique qu’il a enregistré des reprises de Charlie Feathers au moment de sa disparition en 1998 («Cold Dark Night», «Early In The Morning» et «Let’s Live A Little»). Du coup, on l’a catalogué comme le ‘nouveau Charlie Feathers’ alors qu’il n’aimait pas trop se voir cataloguer. Des albums comme Cryland et Temperamental nous montrent à quel point Don Cavalli est un esprit libre, donc pas question de se retrouver au fond d’un bocal. Il insiste beaucoup sur cette notion de liberté. Comme il ne vit pas de sa musique, il bosse comme jardinier. Don Cavalli se moque du look fifties et des clichés. Ne l’intéresse que le feeling et ce que doit ressentir un chanteur derrière son micro, qu’il s’agisse d’un sentiment d’amour ou de désespoir. Et c’est exactement ce qu’on voit sur scène.

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    Don Cavalli ne se contente pas d’interpréter, il hante ses chansons, donne de la voix quand il le faut, mais descend aussi chercher ses vieilles tonalités rocailleuses, telles qu’on les trouve dans De Profundis. Il est avec Jake Calypso le plus américain des Européens. Cette extrême rigueur - on pourrait presque parler d’austérité dilettante - fait sa singularité. Ce set de rêve se termine vers minuit. Il revient en rappel chanter son nouveau single, un cut tellement hot qu’il s’étrangle presque de rage.

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    À la façon dont il coince sa clope au bec sur la pochette d’Odd & Mystic, on voit que Don Cavalli ne plaisante pas. On sent dès «Cursed Day Stomp» un énorme souffle rockab. On croirait entendre Sandford Clark. Quel admirable rootser d’Americana ! Il enchaîne avec un fantastique jump roll de honky-tonk intitulé «Hard Working Blues», bien pulsé par le hot slap de Kalle Victor. Mais c’est avec «Yellow Moon Is Risin’» que tout explose, Don Cavalli chante ça dans l’âme de l’essence, c’est battu à la sourde et bardé du meilleur bop. Ce Don est un don du ciel. Il tape plus loin un «Railroad Special» au hot on heels, il choo-choote sa gratte et passe au croack de crocro pour «Don Cavalli’s Blues». Il presse sa voix comme une boule de pus et ça gicle dans le micro. Ce mec crée de l’événement en permanence. Il va droit au but avec «Morphine», il chante à la bonne défonce, à l’elastic du roots ethic. Il chante d’une voix toujours pleine, il croone son croak de crac dans «Life’s Too Long» et va chercher ses meilleurs accents pour évoquer God dans «God Said No».

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    De Profundis est un album qui a nous a tous laissé le souvenir d’une grande âpreté. Sur la pochette, Don Cavalli porte un bleu de chauffe et il nous gratte dix cuts à l’ongle sec sur sa douze d’hobo rider. Il chante en plus dans un micro de guimbarde, alors forcément, il bat tous les records de dépenaille. Il joue son «Row And Ruck» au claqué de Mathusalem avec un délié de travailleur des champs. On pourrait qualifier ça de backwood jive florentin. Il se tape en toute impunité un bon coup de boogie blues avec «Myriam». Don Cavalli se montre une fois encore digne des hillbillys les plus obscurs des Orzak Mountains. Mais trop de véracité peut jeter le trouble en eau trouble. Il passe en B au country blues de derrière les fagots du delta avec «Arguments And Alibis» et réussit presque à nous tétaniser avec «King Jesus (Of Nazareth)» : il gratte sa mandoline de gondole à l’extrapole de roosty rootsah. Il envoie là le plus fantastique shoot d’agnostic shuffle de douze qui se puisse imaginer. On le voit ensuite gratter «I Ain’t Jealous» comme s’il sortait d’un coin paumé de l’Arkansas, un de ces coins à la ramasse de la pire rascasse, du type de ceux où sont nés Johnny Cash et Al Green. Au dos de la pochette, on retrouve des faux airs du Michel Bouquet jeune dans le portrait de Don Cavalli. Il dégage la même impression de puritanisme exacerbé. Et dans l’interview pour Dig It, il indique qu’il a enregistré l’album sur deux magnéto-cassettes, «sans écho, sans son à la Sun», il dit vouloir aller vers le dark rockabilly, «là où blues, rockabilly et Soul ne font qu’un». Ce mec a tout compris, il nous ramène aux origines du mythe, à l’époque où Obie Patterson enseignait la guitare à un jeune blanc-bec nommé Charlie Feathers.

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    C’est Lenox, label de la mythique boutique de la rue Legendre, qui fit paraître Carmela en 2003. Cet album est un véritable classique du rockab. On trouve à l’intérieur du boîtier une petite photo en noir et blanc de Don Cavalli sur scène, tout seul avec sa gratte. Quel album ! Il chante «The Creature Returns» avec l’art de la manière. Il va chercher le meilleur gras de ton. Il n’en finit plus de sonner juste. Le coup de génie de l’album s’appelle «Claustrophia Blues». Il hoquette à merveille, comme Charlie Feathers. Il chante comme un hippocampe, fier et droit, et sort les meilleurs effets du genre. Il fait la fête avec «Make Her Mine», poussé dans le dos par le meilleur beat de bop buté. Il tape «Hey Hey Baby» à l’insistance du Tennessee, avec le slap au ventre. Rockab forever ! Tout ce qu’il fait sonne juste. En fait, il est comme Saint-Just, il ne pardonne pas. Il fait avec «You Never Can Vie With My Baby» une véritable dentelle de véracité agnostique. Le voilà à la gare avec «Standing On The Platform». Il s’y montre effarant de patience américaine, il gratte en attendant le freightrain. Puis il nous embarque à fond de freightrain dans cette valse de non-hésitation qu’est «Two Timer». Un vrai délire de hey go man, pulsé au petit bonheur la chance du pur wild rockab. Il chante son «Coffee Baby» comme un crac, il y ramène toute l’exaspération des géants du rockab. Il reste dans l’excellence du hiccup avec «Crazy Blues». On peut lui faire confiance pour le going crazy, il sait de quoi il parle. «Curtain Call» sonne comme un honnête shuffle de country jive, ce diable de Don does it right. Il est de toutes les combines, le western swing de mad redneck comme le blues de cabane branlante. Il sait mélanger les genres. Il tape «Swing Duck And Uppercut» au laid-back du Tennessee avec un épouvantable swagger. Ça se corse encore avec «Who’s Baby Are You Baby» gratté au meilleur avenant, sévère et bien secoué au who’s baby. Hit de juke idéal ! Il avale le rockab à la goulée. Il allume autant que Carl Perkins. Toute la fin de l’album est hot on heels. «Hey Charmin’» vaut tous les classiques du genre et il bat encore des records de sauvagerie avec «Your Brands On Me». Hot as hell !

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    Ne vous fiez pas au psychédélisme de la pochette de Cryland. C’est un album d’une incroyable modernité. «Gloom Uprising» commence par dérouter, avec un son extrêmement original, mais on sent toute l’énergie rockab dans le fond du son. Une wah pouette dans le jardin magique de la pochette. Il chante à la tension du Tennessee. Le son captive et déroute en même temps. Nous voilà donc conquis. Dans le Dig It Interview, Don Cavalli dit avoir découvert un jour la wah en studio. Wah ? Wow ! Il revient à son cher boogie de cabane branlante avec «I’m Going To A River». C’est tout simplement terrifiant de véracité. Il chante «Aggression» d’une voix ferme et grasse qui rappelle celle d’Elvis. Même genre de swagger. Avec en plus le bouquet des enfers du vieux guitar man. Plus loin, il fait son bal Cajun du 14 juillet avec «Vengeance». Il chante au décalé du beat et ça couake à l’harmo. Stupéfiant de fraîcheur mentholée ! Don sort sa wah pour le bal. Il bouffe à tous les râteliers d’Amérique avec un égal bonheur. Il reste chez les Cajuns avec «Cherie De Mon Cœur». Il le fait à l’effrénée, il sait le faire, mon cœur est malade, il se traîne dans le crouilli-crouillah du bayou - Chérie de mon cœur/ Come back to me - Tout l’album tape en plein dans le mille. Il passe au heavy blues avec «Here Sat I (Off Jumps The Don)», avec de la wah à gogo et redescend au fond du galimatias mississipif avec «Vitamin A». Il est dessus systématiquement. Il fait du morceau titre un royaume de wah en réverb et crée de nouveau la surprise avec «New Hollywood Babylon». Il sort sa meilleure cocotte pour l’occasion. C’est frais et léger comme un bonbon de Saint-Hubert. On croirait entendre chanter un black blanc. Il chante du groin comme Bobby Blue Bland dans «Wonder Chairman» et attaque le boogie rock de «Casual Worker» à la racine. Il sort là le meilleur rumble des bois du Bible Belt. Il termine avec un «Summetrime» qu’il prend par dessus la jambe et nous gratifie au passage d’un killer solo qui nous laisse tous pantelants. Encore un album qui va tout seul sur l’île déserte. Même si comme le rappelle Don Cavalli, des soit-disant puristes ont détesté l’album au point d’aller lui cracher à la gueule.

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    Il continue d’expérimenter des sons avec Temperamental paru en 2012. Comme l’album précédent, celui-ci fourmille de surprises, à commencer par le morceau titre d’ouverture, une sorte de heavy funk de wah. On sent un appétit vorace d’innovation. Don Cavalli jour son va-tout avec un sens aigu du claqué de wah exacerbé. Il ne tient plus en place, il fait son funkster et lance des oh yeah d’antho à Toto. Pendant quelques cut, on commence à douter de Don. Il reste dans le Soul-funk pour «Garden Of Love» et passe à l’exotica chinoise avec «Me And My Baby». Un certain Vincent Talpaert bassmatique comme Bootsy Collins. Attention à «Santa Rita» ! Don charge sa barque de synthé chinois et ça porte à confusion. Il rétablit la confiance avec «The Greatest» et ses grands coups d’harmo. Une chinoise chante et ça prend soudain du sens : Chinese Rocks avec du banjo, pas de mélange plus explosif ! Il chante ensuite «Voice Of The Voiceless» à marche forcée. Il agit en rock star, il entre sans ménagement dans ses chansons, c’est ultra-orchestré et il devient héroïque. Il faut vraiment écouter Don Cavalli, car rien de ce qu’il fait ne laisse indifférent. Il revient au Cajun de kazoo avec «You And My Zundapp». Fantastique retour aux sources, il remonte dans la légende des siècles, c’est tout le génie de Don Cavalli, la capacité d’évocation. Il ramène du passé un son perdu. Avec «Birthday Suit», il passe en mode heavy country, mais vraiment heavy. Ce mec fait tout à l’envers, avec un bassmatic infernal qui démolit tout. Le voilà qui s’amuse à démolir la country. Un vrai gosse. Il chante avec une candeur désarmante. Quel coup de génie ! Rosemary Standely vient duetter avec lui sur «Say Little Girl». C’est assez demented, d’autant que Don lui déroule une sorte de tapis rouge, alors ça vire au duo des enfers. Rien d’aussi merveilleusement weird sur cette terre. Comme il aime bien ramer, Don boucle avec «Raw My Boat». Il y fait un peu n’import quoi, comme s’il voulait ruiner son album.

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    Pour se remonter le moral, on peut revenir un instant au Dig It Interview, car Don Cavalli évoque ses disques préférés. Il commence par recommander les Stanley Brothers, un duo de bluegrass américain, puis Bill Monroe et les Delmore Brothers que chouchoutent aussi les fans de country. Il saute du coq à l’âne avec Burning Spear, en expliquant que les racines du blues et du reggae sont identiques. Il cite ensuite les Staple Singers, O.V. Wright. On sent le bec fin. Il se prosterne aussi devant le premier single de Jerry Lee, «Crazy Arms», allant jusqu’à dire que c’est le meilleur et rend un bel hommage à Django Reinhardt. Il aimerait bien aussi parler de Bo Diddley et de Son House, mais comme il le dit si bien, ça ira pour l’instant !

    Signé : Cazengler, Don Casanis

    Don Cavalli & His Banjaras. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

    Don Cavalli. Odd & Mystic. Tail Records 2001

    Don Cavalli. De Profundis. White Heat 2003

    Don Cavalli. Carmela. Lenox Records 2003

    Don Cavalli. Cryland. A Rag 2007

    Don Cavalli. Temperamental. Because Music 2012

    Interview Don Cavalli par Philippe Migrenne. Dig It # 67 - Mai 2016

     

    Donnie a la fritte

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    Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Il porte des vêtements éculés par la routine des bivouacs et rapiécés à cause des trous de balles. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes n’ont plus des bottes que le nom. Assis sur un banc, il fume son cigarillo en scrutant l’horizon. C’est ainsi qu’on le découvre sur la pochette de Prone To Learn, un album Atlantic paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache et son fusil Springfield à huit coups. Il ne perd pas son temps à palabrer et attaque aussi sec avec un rock d’Alabama intitulé «Three Hundred Pounds Of Hongry». C’est du pur jus de Southern rock finement cuivré. Que de son et que de beat ! Jimmy Johnson et Eddie Hinton font partie du gang, donc ca donne la fritte à Donnie. David Hood et Roger Hawkins sont aussi de la partie. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler et Kris Kristofferson. Il règne ici une très chaude ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent sa patte, on sent cette magie finement teintée d’orgue. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal, car très décontracté. Donnie Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin en lisière du bois. Cette équipe de desperados a suffisamment de talent pour pouvoir capter les moments magiques de la journée. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Nous voilà plongés dans la torpeur du swamp, Tony Joe joue lead sur ce boogie-funk vermoulu, bien spongieux sous les pas. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country-funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano, admirable brouet de bastringue de saloon alabamien. Le morceau titre est un cut de Kris, c’est-à-dire un folk-rock solidement enraciné dans le Muscle Shoals Sound. Ah comme ces mecs sont bons avec leur big sound. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

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    Encore un coup de Jarnac avec cet Eveybody’s Got A Song paru en 1997 ! Dan Penn fait partie de l’aventure. Il chante avec son vieux poto Donnie «Hello Memphis» et on peut bien dire qu’ils chantent comme des cracs. Lee Roll Parnell passe un sacré solo de slide. Quel swagger ! Ils sont les rois du monde le temps d’une chanson. Donnie duette ensuite avec Tony Joe White sur «Shot End Of The Stick». Derrière, Dan gratte ses coups d’acou et Eddie Hinton se joint à la fête. On sent très vite qu’on entre dans un cercle magique. Waylon Jennings et Reggie Young viennent accompagner Donnie sur «A Damn Good Country Song». Waylon prend le lead. Quel duo de rêve ! Il faut se souvenir que Donnie et Eddie Hinton ont co-écrit «Breakfast In Bed». Lucinda Williams vient le chanter. Royal ! Elle est dessus, avec son swagger demented. Elle reste la meilleure sugar babe du Deep South. Elle swingue sa dégoulinure avec beaucoup d’allure. Lucinda est encore à cette époque une chanteuse de rêve. Mais avec le temps, elle perdra le sucre de sa voix. Encore du Donnie/Eddie avec «Ten Foot Pole» tapé au big heavy Soutnern Sound. Eddie chante avec Donnie, ils s’entendent comme larrons en foire. C’est inespéré. Ces blancs jouent le Southern spirit à la manière des blackos, et en prime, on a des solos de rêve. Donnie tape dans la nostalgie avec «We Had It All», il pense au temps béni des jours heureux. C’est l’un des slowahs les plus destructeurs de l’histoire du rock. On ne se remet jamais d’une histoire extraordinaire avec une femme. Jamais. Puissant Donnie Fritts. Il pousse bien le bouchon dans la rondelle des annales. S’ensuit un «Better Him Than Me» joué à la slide féroce et gratté aux accords de deep deepy. Donnie Fritts chante tout à l’inspiratoire patentée. Il termine avec le morceau titre et le vieux Kris Kristofferson vient duetter. Les vieux cowboys mélangent leurs voix comme dans Brokeback Mountain.

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    On se souviendra d’Oh My Godness pour sa profondeur. Donnie démarre son album avec «Errol Flynn», un joli groove de vieux crabe du marigot. Il nous plonge dans une ambiance de cabane branlante. Il chante son «It’s Really Gotta Be The Way» d’une voix de mineur cacochyme et c’est très impressionnant, au sens rootsy de la chose. David Hood allume «Memphis Women & Children» avec l’une de ces basslines dont il a le secret. Ça vibre sous le casque. Ces mecs sont des fous. Nous voilà au cœur du Memphis beat et Donnie chante comme un white niggah. Il revient au heavy groove de Southern guy avec «Tuscaloosa 1962». Les mecs qui accompagnent Donnie jouent comme des rois du bayou et Donnie chante avec une niaque incomparable. On sent chez lui le vieux cowboy bourré de talent. Il passe par des country-grooves et enfonce ses clous dans le Golgotha. Il faut le voir faire son Doctor John dans «Good As New» - I must confess I was a mess - Fantastiques clameurs ! C’est fouetté du beat, étonnante ambiance, aux confins du fantastique de la Nouvelle Orleans. Ce diable de Donnie explose l’art majeur de Doctor John à coups de clameurs de chœurs et de solos métalliques. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait aussi une version surprenante de «Choo Choo Train». Il la groove et David Hood la dévore toute crue avec sa bassline. Version monstrueuse - But you see my baby/ Is waiting at the station - Il joue ça à l’admirabilité des choses - So give me a mittle more acceleration - Southern genius ! Il l’explose, eh oui. Il revient faire son Doctor John dans «Oh My Goodness», avec un appétit d’alligator. Il n’en finit plus de mâcher ses chansons.

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    Pour la petite histoire, sachez que Donnie est un vieil admirateur d’Arthur Alexander et qu’il veillait sur sa carrière au temps béni des années soixante-dix. Il vient juste d’enregistrer un hommage à Arthur qu’il appelle June : June (A Tribute To Arthur Alexander). C’est un album délicat et sensible, à l’image du «June» d’ouverture de bal. Donnie y raconte toute l’histoire de June, dans un bel esprit intimiste - He was my brother/ Oh what a blessing/ That good friendship/ Oh how I miss my good friend June - Avec «All The Time» (co-écrit avec Arthur), Donnie passe à la Beautiful Song. C’est d’une beauté fantastique, le doo-idley-doo bat tous les records de prestance sculpturale, c’est à la fois admirable et humain, un truc de beaux mecs, on sent venir une apothéose. C’est quasiment la même magie que celle de Dan Penn. Même veine. Tiens, quand on parle du loup : voilà «I’d Do It Over Again», co-écrit avec Dan Penn. Ça se sent dans l’immédiateté du coulis de chèvrefeuille. Les senteurs enivrent. Encore un hit co-écrit avec Arthur : «Thank God He Came». Cette fois, Donnie tape dans la ferveur du gospel batch. C’est à la fois puissant et bienvenu, complètement descendu du piédestal. On assiste en fin de cut à une belle explosion, les filles sont folles. Donnie finit l’album avec «Adios Amigo». On reste dans l’esprit des grands cuts de Deepers inspirés du gospel. On est chez ces blancs fascinés par le peuple noir et conscients de ce que les malheureux nègres ont pu endurer dans les états du Sud. Aw Lawd, comme les blancs ont été odieux avec tous ces pauvres nègres ! Donnie reprend bien sûr l’énorme hit d’Arthur, «You Better Move On» dont s’étaient repus les Stones. Donnie frise un peu le Tom Waits, mais heureusement, il ramène son petit deep southern drawl dans le fond du still you beg me to set her free. «Come Along With Me» vaut aussi pour un cut d’une fantastique ampleur catégorique, c’est du deep Southern Soul de la pire espèce, solid as hell. Et puis on croise aussi ce «Lonely Just Like Me» d’Arthur qui sonne un peu comme «You Better Move On». Toute la grâce alexanderienne est là : il tourneboule le mambo africain dans l’été de la pop américaine. Mine de rien, ce diable d’Arthur fit remonter tous les remugles du bonheur africain datant d’avant les blancs.

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    Comme il a failli mourir à cause d’un kidney malade, Donnie s’est fendu d’un One Foot In The Groove. Il joue sur les mots. Il fait du foot in the grave un foot in the groove et c’est tout à son honneur. D’ailleurs Tony Joe White l’accompagne sur le morceau titre. D’autres copains sont là : David Hood on bass et Spooner on keys. Et petite cerise sur la gâteau, Dan Penn produit l’album. Alors on y va les yeux fermés. C’est d’ailleurs Dan qui signe «She’s Got A Crush On Me», un balladif inspiratoire nappé d’orgue par Spooner. Il co-signe aussi «Chicken Drippings», mais on revient aux choses extrêmement sérieuses avec «Across The Pontchartrain» : Tony Joe White et Wayne Jackson radinent leurs fraises pour un coup d’épée dans l’eau du lac. Le vieux Wayne envoie ces coups de trompette dont il a le secret. Atmosphère pesante et Tony Joe claque ses notes magiques. Donnie nous refait le coup du white nigger dans «Don’t Beat Around The Bush». Ça sonne comme un vieux hit de Wilson Pickett, oui, on se croirait au temps de Muscle Shoals, tellement c’est bien foutu. Clayton Ivy vient jouer du B3 sur «Robin In The Rain». Donnie en impose encore, avec sa religion de la Soul fêlée. Clayton joue comme au temps béni de Percy Sledge. Quelle puissance ! Donnie nous propose plus loin un très beau balladif d’Americana avec «My Friend», c’est noyé d’orgue et signé Spooner. Mais c’est avec «Huevos Rancheros» que tout explose. Wayne Jackson y fait son mariachi. On entend Billy Swann dans le background. Quel fabuleux shake d’Americana de la frontière ! Avec Doug Sahm, ces mecs sont les plus habilités à jouer de l’Americana. No problemo hombre ! On se croirait dans le Pat Garrett de Sam Peckinpah, dans lequel Donnie a d’ailleurs tenu un petit rôle. Il finit cet excellent album avec un «Nothing Stays The Same» bien salé de cuivres. Toute la bande est là et encore une fois, on se croirait à Muscle Shoals. Donnie chante ça de main de maître.

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    Il a fini par casser sa vieille pipe en bois. Il faisait partie de la vieille garde de Muscle Shoals du temps de Rick Hall, l’époque des pionniers du son, pourrait-on dire. Un temps où dans ce modeste studio d’Alabama, des petits culs blancs lançaient les carrières d’Arthur Alexander, de Candi Staton et de Clarence Carter, pour n’en citer que trois. Dan Penn et lui composaient ensemble, puis à un moment donné, Donnie s’est tiré à Nashville, avant de devenir pendant quarante ans le keyboardist de Kris Kristofferson. Il ne reste plus grand monde aujourd’hui de cette vieille garde mythologique, seulement Dan Penn et Spooner Oldham, c’est-à-dire les chouchous des amateurs éclairés.

    Signé : Cazengler, fritte-saucisse

    Donnie Fritts. Disparu le 27 août 2019

    Donnie Fritts. Prone To Learn. Atlantic 1974

    Donnie Fritts. Eveybody’s Got A Song. Repertoire Records 1997

    Donnie Fritts. One Foot In The Groove. Leaning Man Records 2008

    Donnie Fritts. Oh My Godness. Single Lock Records 2015

    Donnie Fritts. June (A Tribute To Arthur Alexander). Single Lock Records 2018

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N°9

    AVRIL-MAI-JUIN 2019

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    L'est sorti en retard, est arrivé à la maison en juillet alors que j'étais parti en vacances, ce qui explique que le N° 11 devrait survenir très vite en ce début de mois de septembre. Sa couverture flamboyante est déjà visible sur le FB Rockabilly Generation News.

    Génération pionniers : ce coup-ci c'est Ritchie Valens qui ouvre le bal, hélas funèbre. L'on peut se demander qui se souviendrait de Ritchie aujourd'hui s'il n'avait pas disparu dans l'avion qui emporta Buddy Holly et le Big Bopper. Interrogation insidieuse qui risque de me valoir quelques ennemis. Pour me dédouaner j'ajoute que lorsque je suis parti de la maison parentale, mon père en a profité pour faire main basse sur mon 33 Tours de Ritchie que j'ai retrouvé bien plus tard dans sa collection. M'avait aussi chouravé In The Ghetto d'Elvis, mais ceci est une autre histoire.

    Belle gueule de Johnny Fox sur la couve. Mais le meilleur c'est la longue interview opérée par Bryan Katz qui permet à Johnny Fox de retracer cinquante années de carrière au service du rock'n'roll. Le pire c'est que l'on ne voit pas défiler les pages et nous sommes à la moitié du numéro lorsqu'elle se termine. Pas de regret, Johnny Fox épanche ses souvenirs de vieux renard qui a écumé les meilleurs poulaillers de Grande Bretagne ( et d'ailleurs ). Fut avec Cavan un des piliers du revival Ted des années soixante et soixante-dix. Sa formation, the Riot Rockers est légendaire. Mais ce n'est pas fini, nous les retrouvons, de nouveau réunis au St Gordon Festival de novembre 1918. Remarquez la date, il faudra qu'un jour RGN double ses pages pour suivre au plus près l'actualité du rockab par chez nous.

    Deuxième partie de l'article du numéro 8 de la séquence New Generation, suite de l'interview du jeune Alexandre Lucet qui a apporté le sang neuf de sa jeunesse aux Vinyls, comme quoi le premier rock français des années 60 suscite encore des frissons.

    Thoury reste un rendez-vous incontournable du mouvement Ted français, Rought Boys en ouverture, les Southerners restent fidèles à leur grandeur, Graham Fenton met le feu avec sa Matchbox originale, les Teencats clôturent la fête mais Stig Rune Reiten gravement malade n'est pas au mieux de sa forme.

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    Fabrice Birin n'est pas chanteur mais pyrograveur. Grave sur bois les portraits des idoles rock. A lire et à admirer. Les dernières nouveautés disques et déjà la fin du groupe de Miss Victoria Crown. Nous rajoutons l'annonce du split des Wise Guyz qui firent la couve d'un des premiers numéros de Rockabilly Generation. Cette neuvième mouture - très agréable à lire – se termine par un lot de photos de Sergio Katz. Avec un peu de chance nous chroniquerons le N° 10, dans notre 429° livraison.

    Damie Chad.

     

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

    30 / 08 / 2019 - TROYES

    3B

    BENNY & THE FLYBYNITERS

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    Dernière ligne droite avant le 3B, le moteur de la teuf-teuf rugit, mais quels sont ces zigotos qui débarquent d'une camionnette et entreprennent de barrer la route à l'aide de grosses briques plastifiées, serait-ce un concert surprise du Pink Floyd ? caramba ! j'improvise un 90 degrés sur la droite, coupe direct la file de tacots qui foncent sur moi et atterris sur le parking salvateur, me reste plus qu'à rejoindre le 3B à pieds. Caramba bis ! Y mettent du leur, j'ai affaire à de méchants obstinés, sont maintenant une cinquantaine à bloquer le rond-point, plus des gros engins de chantier et des camions mastodontes qui squattent tous les embranchements. Refont la chaussée, l'accès au 3B est coupé de toutes parts jusqu'à six heures du matin !

    Z'en tout cas le monde afflue au 3 B, à pattes ou en empruntant les sens interdits, en marche arrière pour les plus vicieux, la vaste terrasse se remplit d'habitués, motos, belles américaines et même un superbe hot-rod envahissent les trottoirs, la soirée sera chaude, deux groupes venus d'Australie, et pastèque sur le clafoutis, Béatrice la patronne annonce que ce soir, c'est le centième concert du 3 B !

    BENNY AND THE FLYBYNITERS

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    L'est imposant Benny, d'autant plus qu'à ses côtés ses acolytes n'arborent pas non plus des silhouettes fils de fer, pour le moment il se contente de parler en cet idiome anglais que tout le monde adore mais que personne ne comprend, finit par déclarer que les Flybyniters sont un groupe de Rhythm'n'blues. Hop ils enchaînent sec sur un instrumental, true fine swing avec des senteurs jazzy assez fortes, le truc par excellence qui ne supporte pas le moindre faux pas, ou ça balance, ou ça casse, mais les Niters vous prennent en douceur et en souplesse, vous entraînent dans la danse en moins de deux, une double-bass élastique, un drumin' aussi léger qu'une aile d'oiseau, une Fender qui court sur son aile et un saxophone en pluie d'automne. Faut vous y faire. Tell Me Pretty Baby, l'on change de tempo, l'on est en plein bluesshouter, Benny Peters lâche les grandes orgues de ses vocalises, le sax de Dean Hilson mord à pleines dents dans la plus grande part du gâteau qu'il s'adjuge sans complexe. La section rythmique change d'allure comme une escadre qui se prépare au combat. Difficile d'apercevoir Andrew Linsey, mais il produit une frappe flegmatique qui va se jouer fort allègrement de toutes les nuances stylistiques du combo, colle la voile du beat au plus près des sautes des vents tournants. Tel Vox snappe en osmose, batifole sur la crête des vagues, dum-dum-dum, il entre ses doigts dans les cordes avec la même placidité avec laquelle vous enfoncez votre couteau dans la tablette de beurre au petit déjeuner, et ma foi jamais vous ne goûterez de tels toast si finement briochés. Ejecte les notes bien chaudes – mais d'une précision absolue – comme ces grille-pains qui satellisent les tartines hors de leurs fournaises brûlantes.

    Benny and the Flybyniters c'est du rockab au temps où le rockab n'existait pas. Campent dans cet espace d'après-guerre où le blues est sorti du Delta et s'en est parti partouser avec les grandes formations, une esthétique de pirate, le couteau entre les dents, faire davantage de bruit avec moins de musiciens. Moins d'étalements riffiques démonstratifs, plus de nerfs et d'entrain. L'on ne s'écoute plus jouer, l'on joue. Point à la ligne. Efficacité avant tout. L'on s'arrête juste avant Bill Haley, l'on ne jumpe point à pieds joints dans le rock sauvage, mais l'on s'y approche de si près que l'on ressent la même intensité. Y en a un qui question aspiration n'est pas à la fête – qui normalement ne devrait pas l'être - mais il se charge du boulot sans rechigner une seconde. Dean Hilson hisse l'art du sax dans le registre de la facilité, vous donne l'impression de fournir autant d'efforts que s'il était assis à une table de bridge, ne relâche jamais son souffle ni son attention, si parfois un peu, le temps que Benny fasse monter la mayonnaise d'un court solo sur sa guitare moutarde, sinon l'est de ces chevaux qui font la course en tête du début à la fin, et qui franchisent la ligne d'arrivée aussi frais et alertes que s'ils venaient d'avaler leur picotin.

    Ce n'est un secret pour personne, qui dit rythm'n'blues, dit blues. Blues is a Feeling, certes mais chez nos Niters ce n'est jamais une tragédie, n'ont pas le blues suicidaire, l'ont même étonnamment roboratif, un blues pêchu et juteux comme pas deux, vous le construisent en béton armé avec renforts et arc-boutants, certes il y a toujours, pour qui prête l'oreille, cette démarche de guingois si caractéristique de canard malade, mais inutile de sortir vos mouchoirs pour éponger des larmes de sang, le volatile fonce droit devant, ne perd pas son temps à se lamenter, l'a volé quelques étincelles aux fournaises du diable et cela vous réchauffe et vous énergise le palpitant de bien belle manière. Après un R. M. Blues ils termineront par un Two Dollars Woman qui bastringue dur, l'on a déjà un pied dans le rockab le plus pur, mais le set s'arrête. Hélas.

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    Benny et ses Flybyniters, ont remporté la mise. De sacrés cambrioleurs, qui entrent par effraction et qui vous squattent la maison avec tant d'élégance que quand ils mettent les bouts vous notez leur numéro de portable pur leur demander de revenir au plus vite. Méfiez-vous d'eux, des carrures de boxeurs et dès qu'ils commencent à turbiner, vous entraînent dans un tourbillon ascendant de grâce et de légèreté mais d'une précision rythmique meurtrière. Nuits festives embrumées d'alcool et d'étreintes sauvages. Au petit matin vous vous dites que la vie mérite d'être vécue.

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    Tiens on prend les mêmes et l'on recommence. Normal quand on a une section rythmique de cet acabit on la garde. Donc Tel Vox, sa barbichette, ses anneaux aux oreilles et ce sourire épanoui de Père Noël, sûr de son coup à l'avance, vous allez adorer le chien de sa chienne qu'il vous réserve dans sa hotte. Vous avez demandé un ouah-ouah en peluche, ce sera un véritable houndog frétillant qui va transformer votre appartement en champs de ruines, intenable mais si attachant. Me faudra me démonter le cou pour apercevoir Andrew le drummer.

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    L'est comme ces employés horripilants qui ont toujours réponse à tout, traitent votre cas avec une facilité déconcertante quasi humiliante, sont en train de remplir la grille de mots croisés sur leur journal, et ils vous fournissent toutes les bonnes réponses que vous attendiez, vous règlent votre cas avec une parfaite célérité mais vous sentez bien qu'ils sont d'une essence supérieure à la vôtre, que toutes vos difficultés ne sont que broutilles sans importance qu'ils remettent à plat en trois coups de baguettes magiques.

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    Deux nouveaux toutefois. Pas vraiment car nous les avons déjà vus au 3B au mois de mai 2018, voir in livraison 375. Un petit rouquin. Dave Cantrell à la guitare. Un véritable traître. L'a une spécialité confondante. Se sert de ses cordes hautes pour vous sortir trois grosses notes tonitruantes qui vous embouchent les esgourdes, z'et puis il descend sur les aigües, et alors que vous vous attendez à une aigre et maigre sonorité toute gringalette, erreur lamentable de votre intuition logique, il vous ressort trois bastos aussi grasses que le trio de cachalots précédents. Je ne sais pas comment il fait cela. Mais il le fait. De temps en temps, en passant, sans forfanterie, comme si c'était tout à fait normal.

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    Au micro Hank Ferguson, pas celui qui ne reconnaît personne, celui que vous identifiez immédiatement avec sa casquette aplatie, son jean de travail, sa chemise à carreaux, et son look de prolétaire descendu des collines qui essaie de s'adapter à la grande ville mais qui, le visage voilé d'une expression de mélancolie indécrottable, n'en reste pas moins fidèle à son vieil hillbilly natal.

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    Guitare sèche entre les mains de Hank, l'on sent que les Démons du bush se placent aussi en un temps où l'on n'avait pas encore inventé le rockabilly mais que l'on en débroussaillait les terrains d'expérimentation. Un jeu d'une justesse absolue. Certes Dave est un virtuose de la guitare électrique, n'en perd pas une pour refiler ses licks dévastateurs, mais comme il le fera remarquer en déclenchant une hilarité générale, l'on n'est pas chez AC / DC. Des affûtés, toujours sur la brèche, vous émondent les feuillages par trop luxuriants, pas une once de graisse de trop. Pas des sculpteurs, des ciseleurs. Jamais trop, jamais pas assez. Le juste milieu de la stricte observance des codes intangibles. Attention les ruralités sont aussi sauvages que les quartiers déshérités. La musique de Hank's Jalopy Demons comporte son lot de surprises et de dangers. Faut être sur le qui-vive, un pas de trop et vous marchez sur la queue du lézard venimeux. Et les Jalopy's vous salopègent les belles campagnes écologiques d'une multitude de ces bébêtes peu affriolantes. Tous les morceaux offrent leurs chausse-trappes, n'y promenez vos chaussons du soir qu'avec prudence, sont emplis de taillis d'épines et de cactus cruels. Faut une habileté diabolique pour tailler sa route dans de tels parages. Jusqu'au Linsay qui doit de de temps en temps s'énerver grave et frapper ses cymbales comme les fesses d'un enfant récalcitrant, aussitôt secondé par Hilson qui vous fouette le visage de ses cordes houspillantes, Hank alors affirme la cognée de sa voix et Dave en profite honteusement pour faire bruisser ses riffs bien effrontément. Les Démons savent être déments. Z'apportent le démenti très vite. Un peu d'agilité, un soupçon de retenue, et l'on revient à des séquences moins agitées. Attention, l'on file la syncope aussi vite, mais l'on mise davantage sur le charme d'un certain équilibre zénithal que sur les tempêtes hivernales. Hank vous refile une leçon de vocal hillbilly, c'est facile, suffit de savoir s'arrêter à temps. Au millimètre près. L'essence même du pur rockab, contrairement à ce que l'on pourrait accroire ce sont les silences qui sont le plus importants, ces coupures, qu'elles soient brusques ou pratiquement inaudibles, commandent les compressions explosives du chant, à tout instant les agglutinations de phonèmes se nitroglycérisent mais l'on vous coupe au montage les séquences des répliques incessantes, pas de longs métrages sur les effets attendus, la dévastation pure mais sans les apitoiements de rigueur sur les effets dévastateurs. Toute cette tuerie vous la trouvez dans les silences, ces trous d'air irrespirables qui vous homicident bien plus fort que le choc du chant lancé à trois cents à l'heure. Lorsque les Jalopies stoppent leur stomp l'heure légale est dépassée depuis longtemps mais Béatrice la patronne ne peut résister à un dernier morceau. Et nous non plus.

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    ( Dave, Duduche, Hank )

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot et Eric Duchene)

    *

    Je l’avoue, à ma plus grande honte, la seule fois de mon existence où mon légendaire flair de rocker n’a pas fonctionné. J’ai des circonstances atténuantes, c’était du jazz, mais enfin. Rien ne prédisposait mon esprit à m’orienter sur cette voie. Le spectacle n’avait rien à voir, une lecture du Prélude de Pan de Jean Giono, il y avait bien un violoncelle mais en m’approchant j’avais entendu des gammes tout ce qu’il y a de plus respectueusement classique sur cette terre. Sur la petite table à l’entrée étaient déposés les flyers de l’association organisatrice de l’événement, date et lieux d’autres prestations, tout ce qu’il y a de plus normal sur notre planète. J’ai un peu tiqué sur le format à vue de nez pochette 45 Tours des anciens EP français. Des trucs noirs, barbouillés de couleurs, qui pesaient un max comparés à leurs épaisseurs. Diable que cela pouvait-t-il être ? Des dessous de plats en une matière nouvelle en même temps souple et rigide ? Pas eu le temps de commander une expertise aux services de la répression des fraudes, la séance commençait.

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    Un beau moment, une superbe lecture in extenso d’une nouvelle extraite de Solitude de la Pitié de Giono, un texte fort qui ravira les contempteurs de la souffrance animale et les amateurs des anciens Dieux qui attendent avec impatience leur retour. Mais ce n’est pas pour demain. Gaël Mevel à la voix et au violoncelle. Beaucoup, douce et chargée d’émotion cataclysmique, à la première, peu au second, des effleurements succincts, des tamponnades catiminesques, pas d’emphase, des indices qu’il faut savoir lire. Bref un moment enchanteur. A la fin me suis rapproché de la table à flyers, le texte de Prélude de Pan ( collection Folio à 2 euros ) et ces mystérieuses plaquettes noirâtres peinturlurées de différentes teintes. Mais qu’est-ce donc ? Voyant que je m’emberlificote avec ces étranges objets, Gaël Mevel me relève l’usage et le mode d’emploi de ces objets non identifiés : de simples Cds’ entre deux lames de plastique aimantées, faut les séparer ( avec force ) et à l’intérieur la précieuse galette est agrémentée d’un dépliant papier en accordéon. L’on apprend aussi que le dimanche prochain il accompagnera au violoncelle le film muet L’Heure Suprême de Frank Borzage, un chef-d’œuvre de 1937, dans le parc de la mairie de Lavelanet. Et voici que Gaël Mevel nous dévoile l’autre face de ses activités, l’est musicien de jazz, possède un groupe, et a enregistré quelques disques, je choisis la pochette à dominante verdâtre, l’est au piano accompagné d’un saxophoniste américain, doctor Freud, pourquoi suis-je attiré par la forme exutoirement phallique de cet instrument de haute rutilance, z’en tout cas ne reste plus qu’à écouter.

    GAËL MEVEL / MICHAËL ATTIAS

    ( Rives / N° 3 / 2013 )

    Gaël Mevel : piano / Michaël Attias : saxophone Alto.

    Enregistré à La Maison en Bois ( Essonne ). Pochettes peintes à la main par Dominique Masse.

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    Le dépliant de présentation porte en exergue deux vers de Paul Valéry extrait de Les Pas un des poèmes de Charmes qui ont provoqué en son temps le plus de commentaires. Une indication précieuse, un disque qui cherche davantage à exprimer le vide qu’à se perdre dans d’oiseux bavardages. Musiciens du silence dirait Mallarmé.

    Almaty : frémissement de piano, des notes cristallines destinées à créer l’espace de recueillement nécessairement à leur réception et là-dessus se glisse aussi agreste que la flûte de Marsyas la respiration du saxophone de Michaël Attias. Ne jouent pas ensemble, s’accommodent, se trouvent sans se chercher, mais chacun dans une terrible solitude jusqu’à cet irrémédiable empiètement de vide, comme si au bout d’eux-mêmes ils n’avaient trouvé que le rien de l’inanité de vivre, et ils repartent d’un commun accord serions-nous tentés d’écrire mais la plénitude d’une phrase musicale n’est pas encore au rendez-vous, n’en sont qu’ à des essais de phrasés qui cherchent à être. C’est le sax qui s’aventure le plus loin avec des glissements furtifs de serpent fugitif. Parfois vous éprouvez la bizarre sensation de votre âme qui rampe dans le cerveau. Les ailes du renard : les sables du désert et la chimère de l’esprit qui court plus vite que le rêve. Encore plus de lenteur, mais le saxophone rouillé s’entête à dérouler la volupté des anneaux du reptile. Le piano de Gaël Mevel résonne dans une nouvelle proximité de lointains immarcescibles qui affleurent sous le sable tels des vestiges prestigieux. Le saxophone s’envole. Le fennec s’enfuit. Le cinquième rêve de Nathanaël : un sax ouaté et un piano à la Debussy dans des notes qui se perdent dans leur propre présence, le sax qui grince maintenant comme la clef des songes que vous introduisez dans la serrure des rêves. Des pierres sous une feuille : sous les feuilles arachnéennes se niche la solidité des galets lithiques. Le vent du saxophone les caresse mais la lourdeur du piano exprime la solidité de la présence du monde qui possède un cœur de pierre. Et le piano tape sur ce granit incontournable comme un gong qui égrène l’inéluctabilité du destin. Oh ! : joie jazzistique, l’on quitte la musique de la concrétude du silence pour la complexité des accords compliqués du jazz. L’on a beau faire, l’on n’oublie pas ses origines et il faut bien donner au public l’illusion qu’il est en pays conquis. Le sax frétille à la manière d’une truite mais bientôt le poisson se retire dans des eaux souterraines inconnues. Sombres et mystérieuses. Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge de l’évanescence. Couacs saxophoniques, ridelettes de piano. La princesse juive : retour dans le domaine du rêve, le faune de l’après-midi se réveille, il ose quelques pas hors des feuillages propitiatoires, le saxophone étire des désirs de soleil dans cet entre-deux de la réalité ici tout n’est qu’entrechoquement discret de luxe, de calme, et de voluptés idéelles. Le vent sous les pierres : retour au monde sédimental, grattez la pierre, usez-la d’opiniâtreté et au bout du caillou vous retrouverez le vent du rêve qui vous permet d’accéder aux délices sans trêve. Le saxophone se dresse comme le serpent sous la flûte insistante du joueur de pipeau. Vous ne savez plus dans quel royaume vous vous trouvez. Fenix : la réponse est apportée par le renard des sables qui étrangement est en même temps la flamme vive et inextinguible du phénix qui ne meurt jamais. Parfois la lumière s’éteint et le morceau s’insinue entre le plein du monde et le vide de nos perceptions, piano suave et saxophone aussi doux que le renard apprivoisé qui se plie sous l’échine que vous caressez. Instant de grâce et de plénitude, combien de longueurs de chemin parcourues depuis le début du disque. Fusion inespérée, mais voici que le saxophone se met à klaxonner comme le gyrophare de la voiture de police du réel, le piano essaie de réparer l’accroc dans la toile du songe. Les pas retenus : l’heure du choix, l’escargot se retire dans le vide de sa coquille, se mure en lui-même, entre dans sa propre hibernation, refuse désormais les aspérités du réel, le sax se met en boule à la manière des chats qui se retranchent du monde dans l’infinie vigilance de leur sommeil. Doucement le piano ferme la parenthèse.

    Splendide, fortement déconseillé aux âmes peu subtiles.

    Damie Chad.

    BURRET ( 09 ) - 01 / 08 / 2019

    TOM WOODS / SO LUNE

    EDREDON SENSIBLE

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    Vous ne connaissez pas Burret. J’ai parfois l’impression d’écrire pour les ignorants. Je vous l’accorde, même la plupart des ariégeois sont incapables de situer ce lieu improbable sur une carte. Une seule maison dans un virage en épingle à cheveux avec un mec qui vend du miel, pas de panique si vous ne le voyez pas, il n’est jamais dans son stand. Dans le tournant ne vous déportez pas sur la gauche, c’est le ravin. Si vous avez négligé ce conseil précieux, pas d’affolement sur l’escarpement rocheux, sis sur votre droite, vous avez tout ce dont vous aurez besoin, une église et un cimetière.

    Depuis trois ans, tous les premiers du mois d’Auguste, c’est l’invasion. Venus d’on ne sait où, sortis de leurs forêts profondes, une tribu de néo-ruraux se regroupe pour le grand pow-wow d’été. Une horde jeune et joyeuse se livre à ses activités préférées, grand bouffe bio, danses tribales, des chiens qui courent partout sans se battre et des bambins qui s’amusent toute la soirée à se jeter du sable dans les yeux. Bien élevés, pas un seul qui pleure ou qui se réfugie dans les jupes de sa maman. Pour les intellos vous avez un stand lecture, poésie érotique sur les étagères du haut, fanzines avec même des articles de notre Loser Zengler vénéré et préféré, rien à dire, ces jeunes gens ont de saines lectures. Pour ceux qui se sentent une âme d’ethnologue, ce grand rassemblement affiche un projet de haute moralité : récolte de fonds pour l’ouverture d’un café associatif dans le village voisin

    TOM WOODS

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    La tâche ingrate, le mec tout seul avec son micro et sa guitare, l’assistance le nez plongé dans son assiette à avaler de succulentes potées végantiques et de délicieux falafels, ou à se barbouiller les joues avec la succulente confiture de framboise des crêpes - au mitant de la soirée z’en avaient déjà fourgué plus de sept cents et le préposé à la crêpière n’en finissait pas de marmitonner la pâte. Attention, la liste des producteurs locaux est affichée.

    En plus le gars il a le blues. Tout le monde fait la fête, mais lui il a le blues, et pas n’importe quel blues, le blues-folk. Un truc à vous saper le moral d’entrée. Personne ne lui en veut. Reçoit même des encouragements à haute voix qui ressemblent à des déclarations d’amour. C’est cela le miracle du blues, ça vous rentre dans une oreille et vous vous y empêtrez dedans comme la mouche dans la toile d’araignée. Le blues est une tarentule poisseuse mais fascinante. Une fois que vous êtes mordu, vous ne pouvez plus vous en détacher et comme le boy est un adepte du pickin’ vous succombez vite à son charme vénéneux. Quatrième fois qu’il joue en solitaire nous confie-t-il, alors il nous refile tous ses plans, nous offre ses propres compos, la dernière improvisée la veille est la meilleure, joue un peu trop longtemps à mon avis, l’aurait pu écourter, si l’alligator du blues vous coupe la jambe, exigez une coupure franche, s’il prend trop son temps et commence à mâchonner gentiment la gambette pour ne pas vous faire du mal c’est moins agréable. S’en tire bien le guy, se retire sous une salve d’applaudissements.

    FARA NAZWA

    Changement d’ambiance, une colonie de fourmis selmerienne s’empare de la scène. Un accordéoniste aux beaux yeux bleus étrangement fixes assis au centre entouré de deux cuivristes, d’une basse, d’un guitariste, d’un batteur à la batterie minimaliste, et sur notre droite une violoniste au crin-crin entraînant. Musique des balkans qui s’en fout le camp, vers l’est, du côté de la Roumanie et des routes tziganes. C’est le rush devant la scène, ça n’en finit pas de danser, pressés comme des harengs en caque, et de se dandiner, Font un tabac. Une manufacture à eux tout seul, Z’y mettent le cœur et l’allant nécessaire, les cuivres rutilent, le piano du pauvre étale toutes ses richesses, et la grande sorcière chevauche son archet diaboliquement. Perso, cela me laisse assez froid, mais je dois être le seul, j’aime bien me la jouer en mon âme de rocker incompris à la Thomas Hardy, loin de la foule déchaînée. Qu’importe ce soir le folk festif fait des adeptes, j’en conviens.

    SO LUNE

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    Quelques gouttes éparses de pluie pendant l’installation de So Lune, quelques rougeoiements lointains d’éclairs et des tambourinades de tonnerre étouffées, une menace qui ne se précisera pas davantage. Ouf ! So Lune s’installe, sur le dessus du vieil harmonium délabré que l’on a dû retirer de l’église règne en maître le must du modernisme électronique, une collection de sampler-machines dont les boutons brillent dans le noir, et contrepoint idéalement et musicalement oxymorique, un magnifique violoncelle trône sur son chevalet exposé comme un tableau de maître.

    Sont tous les deux sur le côté de l’estrade en train de se livrer à une espèce d’haka rituel d’obédience superstitieuse. Mais quand faut y aller il n’est plus temps de reculer. Courageux le garçon donne l’exemple, passe en premier, se dirige tout droit vers ses échantillonneurs, l’on sent le bricoleur fou du dimanche et le trafiqueur émérite de la semaine sainte, sa sœur le suit, tout de suite l’on pressent, à sa chevelure bouclée étrangement disposée de guingois en crinière de lion romantique, et à la découpe savante de sa robe, l’artiste de la famille, l’infante géniale, qui n’en fait depuis ses trois ans et demi qu’à sa tête emplie de volitions et de dormitions pour le moins pittoresques. Sont applaudis poliment parce qu’ils sont beaux et jeunes. Romane lève son archet et Joseph se penche sur ces boites magiques. Vous tourne les potentiomètres à fond, le violoncelle gémit et râle funèbrement, tel un mourant désespéré de ne pouvoir communiquer ses dernières volontés. Entre nous soit dit, l’on est plus près de Moussorgski que d’Eddie Cochran, et subitement Romane se met à chanter. Une ampleur démesurée, une double sirène, celle tonitruante du bateau qui annonce son entrée dans le port, et la meilleure des trois d’Ulysse, pour lesquelles il se fit attacher au mât afin de pouvoir entendre sans péril les mélodieuses mélopées. La muse vous méduse l’assistance en moins de trente secondes, vous subjugue la foule en moins de deux, l’a l’organe baryton qui tonne sans fin. En cinq minutes ils ont gagné la partie, on leur mangerait dans la main. Alors ils vont s’amuser, vous voulez de la zique, z’on va vous z’en donner de toutes les couleurs. La Romane elle est capable de tout, elle vous râpe du rap et vous restez tout cloche devant ce beau fromage qu’elle laisse tomber de son bec, passe des intonations en arrière-fond de tessiture à la Shirley Bassey pour plonger dans des roucoulades à la Barbara Hendricks et l’instant d’après se rouler dans les arpèges les plus chaudement sensuels des divas de la soul. Idem pour le frérot, à un moment vous a sorti une partition malherienne, juste avant de se jeter dans du noise-funk à délices, même qu’une fois il se mésaventure au micro, mais là faut être réaliste, son rôle à lui c’est le cambouis électronique, l’est le grand manitou des circuits intégrés pour musac désintégrée. Mais ce que l’on préfère ce sont ces grandes envolées lyriques au violoncelle qui gronde comme l’Etna en feu, et cette voix sortie tout droit des Mémoires d’Outre-tombe, des espèces de mini-opéras wagnériens, une extravagance vocale des grands vents du souffle épique qui servit de bande-son aux tohus-bohus révolutionnaires du dix-neuvième siècle, tout cela servi dans la marmite du diable de la technologie du troisième millénaire.

    Un set de toute beauté. So Lune - duo surprenant, décalé, original, époustouflant - ne fait pas de quartier.

    EDREDON SENSIBLE

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    Avec un nom pareil vous vous attendez à tout. Pour la sieste voluptueuse sur lit de plumes d’oie vous repasserez. Ces quatre malfrats usent incongrument de cet ustensile. Commencent par fracturer votre porte à grands coups de pieds, vous surprennent dans votre sommeil et se servent de votre édredon douillet pour vous asphyxier et vous envoyer de cet autre côté dont on ne revient pas. Des sauvages. Bref vous êtes sûrs qu’avec eux le pire est à prévoir.

    Le batteur se sert de sa grosse caisse comme caisse claire. Tout de suite la situation s’assombrit. Doivent faire un concours à qui des deux l’aura la plus grosse car son voisin s’est choisi une énorme timbale, une monstrueuse tabala, sur laquelle l’on sonnait l’alerte dans les villages africains pour réveiller la tribu endormie attaquée en pleine nuit. Devant ils ont disposé les saxophones, un ténor un peu ridicule quand on le compare à la basse   démesurée qui lui fait face.

    Nous ont un peu déçus à partir de la vingt-sixième minute, montre en main. Parce que lorsqu’ils ont débuté l’on a cru qu’ils s’étaient installés pour battre le record du monde du morceau le plus long. Le principe de base le plus simple, la goutte d’eau qui vous rend fou - rien à voir avec le colibri, eux c’est plutôt l’autruche aux pieds plats. Un lourd volatile disgracieux mais génialement entêté. Les deux batteurs ont commencé à marteler un rythme simpliste et à le répéter indéfiniment. Les spectateurs ont adoré, parfait pour endurer la froidure de l’altitude montagnarde et remuer le popotin tous en groupe, et puis il y avait le saxophone basse qui refusait de se laisser distancer dans le marathon. Vu la grandeur de la tuyauterie, le gars devait lui balancer le volume d’air que vous respirez en trois jours toutes les six secondes. S’est installé dans un groove de funk poussif et en voiture Simone, voyage jusqu’au bout de la nuit tressautant. Cahots debout.

    Faut toujours se méfier des plus petits ce sont les plus vicieux. Pendant un moment l’alto a fait autant de bruit qu’une limace paresseuse sur une feuille de salade. On l’a oublié, jusqu’à ce qu’éclate un hennissement de cheval colérique, on a cherché des yeux si un véritable canasson des alentours n’aurait pas quitté sa pâture, mais non c’était bien le petit saxo qui s’était engrangé dans une espèce de dégringolade de rire hystérique, une strombole d’accélérateur lysurgique car derrière, les bateleurs qui tamponnaient allegro-vas-y-mollo se sont mis à ruer des quatre mailloches dans les brancards rythmiques et la fanfare s’est emballée, à qui ira le plus vite et à qui fera mieux que l’autre, sont partis dans une cavalcade tonitruante sans issue, le premier batteur s’est ulcéré dans un solo apocalyptique pendant que les autres harassés se désaltéraient pour mieux revenir à la charge. Encore plus vite, encore plus fort. Mais trop d’effort n‘engendre pas obligatoirement le réconfort. A la fatidique vingt-sixième minute, le quartet s’est arrêté, ses quatre membres crevés comme les pneus d’une guimbarde abandonnée sur le bord de la route qui ne mène nulle part. Sont repartis par la suite, un rythme guilleret mais au bout de dix minutes, je suis rentré à la maison, la magie n’agissait plus, peut-être ont-ils fait un second essai pour transpercer le mur du son, mais non je n’y croyais plus. J’ai laissé lâchement les héros vaincus se dépatouiller avec le dernier carré des danseurs en transe voodooïque, ont-ils sacrifié un coq au soleil levant où sont-ils morts fièrement à la manière de la chèvre de M. Seguin, sous les dents cruelles du froid des petits matins sans gloire, je ne saurais le dire.

    Damie Chad.

    P. S. : il y avait aussi Alchimix, un groupe qui n'a pas démérité, mais ne tentez pas de savoir où j'étais pendant leur prestation.

     

    CHILD SPIRIT / SO LUNE

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    Romane et Joseph Beaugrand : composition, arrangement, interprétation, mixage.

    Basse additionnelle : Galael Dunbaar / Visuel : Virginie Lacouault / Graphisme : Salomé Dollat, Juliette.

    Pochette Arty qui veut davantage suggérer que représenter. Un fond blanc à la Moby Dick, des espèces noires de tiges de fleurs de chardons stylisées, quelques nuances de gris bleutés, quelques points jaunes pratiquement invisibles, pour le portrait des artistes, un flou de crayonné du profil filigrané des deux artistes à l’intérieur du gatefold.

    Inspire Me : voix de petite fille perverse sur un tissu de dons d’organes. Elle n’a qu’à ouvrir la bouche pour que vous la suiviez les yeux fermés dans le jardin des délices. Les roses ont des épines empoisonnées mais elle passe entre leurs tiges en se jouant, une rythmique toute simple juste pour mettre en évidence la lascivité étirée de la voix, le tout entrecoupé d’épaisseurs nostalgiques de violoncelle qui résonnent comme des innocences de périodes ingénues à jamais perdues. Cold Woman : vous avez eu la petite fille voici la mystérieuse égérie frigide à la voix de glace. Se la joue à la Dietrich, mais très vite elle dévoile sa lointaine cruauté et donne des ordres d’une voix coupante comme des poignards, et la colère simulée l’emporte, elle vous met en garde contre vous-même, vous ne savez pas ce qu’elle cache, des éclats de moire de violoncelle renforcent la naïve violence de sa fausse candeur. Child Spirit : l’instant peut-être de se pencher sur l’accompagnement électro qui depuis le début fait des claquettes sur toutes les inflexions de la voix mutines à s'y confondre avec elle. Plus ce violoncelle qui pleure des larmes de topaze. L’on ne sait trop pourquoi mais l’instant crucial du vivre selon soi est aussi fragile que le souffle d’un enfant qui babille dans lequel s’incarne l’âme éperdue des désirs assassins. Un jour on ne joue plus. Un joyau, un pur chef d’œuvre. Le Bal : c’est la vie qui tourbillonne, mais dans l’œil de l’ouragan, voici la féminine solitude, parfois l’on n’est plus qu’un amas de décombres et de souvenirs, Joseph vient au secours de sa sœurette mais rien ne saurait briser la solitarité de l’iceberg glacé que l’on est devenu et que l’on transporte avec soi, si ce n’est un aboiement de chien qui peut être aussi bien le toutou au portail de l’enfance que le Cerbère qui vous attend à la porte des Enfers. Longue suite musicale mélodramatique pour vous accompagner dans l’escalier qui descend, la guide passe devant et arbore un timbre adamantin de vil coquin. Impermanence : une petite voix doucereuse pour nous assurer de la catastrophe de l’immuable écoulement des choses, rien ne dure, l’impureté du néant ronge la pureté de l’existence, ce n’est pas un drame, une comptine à chantonner d’une voix claire même si les gouttes de violoncelle démentent toute cette insouciance. Les bijoux qui brillent le plus sont ceux qui ressemblent le plus au toc des pacotilles. Tragic Secret : cliquetis et lourdeurs, la voix effleure les touches du piano électronique, elle s’affirme et se fait plus grave pour vous révéler l’innommable. Vous pénétrez au cœur atomique de la révélation comme quand vous glissez vos doigts dans la fente d’un sexe, vous l’avez voulu, vous ne ressortirez changé à jamais du cancer de la vie qui vous ronge la tête. La rose des folies conduit aux névroses irrémédiables. Drame métaphysique. Silence : parfois il vaudrait mieux arrêter de parler et de chanter car l’on est rentré dans les étendues de l’inefficience et de l’inutilité. Mais l’on prononce toujours quelques mots sur les tombes qui se referment.

    Le disque est à écouter comme un somptueux oratorio sanglant qui retrace le chemin intérieur d’une petite fille qui n’aurait pas dû grandir. Nous non plus. Mais on fait semblant de l'ignorer.

    Superbe.

    Damie Chad.