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  • CHRONIQUES DE POURPRE 431 : KR'TNT ! 431 : CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS / TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK / JIMM / FISHING WITH GUNS / KERYDA / COMPAGNIE R2 / ROCK'N'ROLL STORIES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 431

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    26 / 09 / 2019

     

    CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS

    TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

    JIMM / FISHING WITH GUNS

    KERYDA / COMPAGNIE R2

    ROCK'N'ROLL STORIES

     

    Le choc de Bradychok

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    Coincé entre rien et rien, en plein cagnard béthunien, offert sur la grande scène en pâture au petit peuple venu musarder en masse, le pauvre Carl avait bien du mérite à jouer. D’autant plus de mérite qu’on ne parvenait pas à mémoriser son nom : hein ? Brady qui ? Bradychuck ? Un Américain de Detroit accompagné par des Français, les qui ? Les Monkey Makers ? Ce Brady qui ne devait rien au cinéma de Mocky allait devoir l’emporter à la force du poignet et c’est exactement ce qu’il fit.

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    Ce petit bonhomme sorti de nulle part semblait ravi de jouer sur cette scène offerte aux quatre vents. Il imposa très vite un son et pas n’importe quel son : le Detroit Sound qui même dans le rockab peut faire la différence. Carl Bradychok joue très électrique, c’est un furioso de la six cordes, il tartine ses interventions avec une âpreté au grain qui n’appartient qu’aux guitaristes de Motor City. Par grain, il faut bien sûr entendre le bon grain, celui qu’on sépare de l’ivraie, le grain qui donne le frisson.

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    Ce fut un plaisir jamais feint que de le voir prendre des killer solos flash et doubler son chant au gimmicking sonnant et trébuchant. Il s’illustra particulièrement par une magistrale reprise du «Please Give Me Something» de Lee Allen, l’un des chevaux de bataille de Tav Falco, et certainement l’un des classiques rockab les plus mythiques. Carl Bradychok en fit la plus menaçante, la plus inspirée, la plus heavy des versions, la chargeant comme une mule de Detroit Sound, au point que ça en devenait complètement inespéré de véracité rampante, et plutôt que ce conclure bêtement, il ajouta en queue de cut une petite progression de power chords hendrixiens, un peu dans l’esprit de ce que fit El Vez à une époque, quand il finissait «That’s Alright Mama» sur des accords du «Walk On The Wild Side» de Lou Reed. Fantastique présence d’esprit.

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    Le set prit alors une sorte de tournure purement révélatoire. D’où sortait ce démon de Chok ? Il évoqua un peu plus tard la mémoire de Jack Scott, histoire de rappeler que le vieux Jack venait lui aussi de Detroit. Pour le saluer, il reprit son premier single, «Two Timin’ Woman». Mais il fit vraiment sensation avec des cuts plus construits et beaucoup plus mélodiques, comme cette reprise du «Just Tell Her Jim Said Hello» d’Elvis, car il y shootait un gusto qui rappelait celui de Frank Black.

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    Ce mec imposait un style très puissant, du haut d’une vraie voix, il affirmait une forte personnalité musicale et un goût immodéré pour les grosses compos. Il termina avec une reprise stupéfiante de «Love Me». Depuis celle des Cramps, on n’avait pas entendu de version aussi déterminée, aussi flamboyante, aussi démâtée que celle-ci. Carl Bradychok fut la découverte du Rétro 2019.

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    Ses disques ne courent pas les rues. Pour se les procurer, il faut aller cliquer sur carlbradychok.net. Quand on commence à les écouter, on se félicite d’avoir cliqué car les disques sont excellents. Vraiment excellents, bien au delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. En plus d’Elvis et de Jack Scott, Carl chouchoute une autre idole du siècle dernier : Carl Perkins. Son dernier album est un tribute à Carl Perkins et s’appelle Carl Plays Carl. Tous les fans de Carl Perkins devraient écouter ce tribute, car Carl ramène du son dans Carl, pas n’importe quel son, le Detroit Sound.

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    Il faut le voir remonter les bretelles de «Movie Magg» et passer un solo complètement de traviole avec ce son clairvoyant qu’on va retrouver partout. Carl chante Carl d’un accent sec et tranchant. Idéal pour un cat comme Carl. Avec «Matchbox», Carl décrète l’enfer sur la terre. Il le prend à la bonne mesure, sauvage et sourde. Version bien meilleure que celle de Jerry Lee qui joue Matchbox trop boogie. Autre belle bombe : «Say When». Carl va vite et bien, il embarque ça au jeu liquide et scintillant. Il joue vraiment comme un dieu et n’est pas avare de virulence. Voilà un «Say When» éclaté au shuffle de guitare folle. Comme le fait Jake Calypso, Carl ramène tellement de panache qu’il aurait parfois tendance à effacer les versions originales. L’autre belle bombe est le «One More Shot» qu’on trouve vers la fin. C’est même assez violent. Souvenez-vous de ce que disait Wayne Kramer du Detroit Sound : «What you get is very honest.» On entend un slap de rêve en sourdine totale et un guitariste déterminé à vaincre. Que pourrait-on demander de plus ? Carl ne fait qu’une bouchée de «Put Your Cat Clothes On», avec son pote Roof qui part au quart de tour d’upright. Ah il faut voir Carl enluminer le cut d’un killer solo flash éclair ! Ça vaut vraiment le détour. Il tape aussi une version très country de «When The Rio De Rosa Flows», mais l’écouter jouer est un pur régal, il ramène un son tellement juteux, high on tone, un son de demi-caisse Gibson de jazz agressif et fluide. Fabuleuse version aussi que celle de «Because You’re Mine». Carl y claque tout ce qu’il peut et chante au piqué de because. On voit encore le fan à l’œuvre dans «Honey Cause I Love You» et il joue «Big Bad Blues» comme s’il encerclait la caravane. Quand il lance l’assaut, il part en vrille. Très spectaculaire.

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    Son premier album s’appelle Children At Play et date de 2004. Quand on retourne le boîtier, on voit Carl ado poupin avec sa belle Gibson rouge. Il profite de cet album pour saluer l’autre grande légende du rockab local : Johnny Powers. Eh oui, tous les fans de rockab connaissent «Long Blond Hair». Carl en propose une version incroyablement inspirée, avec le tiguili d’intro et la fournaise immédiate - I love you once/ I love you twice - Il le boppe dans l’œuf. Terrific ! Il tape en plein dans le mille et passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Souvenons-nous que Johnny Powers réussit à se faire connaître à Detroit avec un seul hit et qu’il alla ensuite enregistrer un autre single chez Sun. Il est toujours en circulation.

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    Autre clin d’œil de poids : «That’s All Right». Carl n’a pas froid aux yeux, il le softe bien, il le touille à la pa-patte, comme le chat avec la souris. Vas-y Carl, on est avec toi ! - Anyway you doooooo - Carl claque les trucs de Scotty, il soigne son hommage. Carl n’est pas un beauf, il fait ça bien, anyway you doooo. Il rend aussi hommage à la clameur avec une fameuse cover de «Lawdy Miss Clawdy». Tout est dans la clameur, Carl en saisit la grandeur, because I give all of my money. Son solo à la ramasse est un beau spécimen de génie humain. Il joue juste ce qu’il faut. Ses interventions devraient théoriquement entrer dans la légende. Il sait claquer une note à la revoyure. Bradychok, quel choc ! So bye bye baby, bye bye darling. Autre clin d’œil révélateur : celui qu’il adresse à Link Wray avec une fantastique reprise de «Rawhide». Bill Alton claque des mains. Carl n’a que onze ans. Vas-y Carl, claque-nous le beignet de Link. Ah il y va le Carl, c’est un polisson. On le voit s’énerver avec «House is Rocking» qu’il chante au petit nasal. Carl est déjà un viscéral, il ne lâche pas prise. Son départ en solo pue l’enthousiasme. Oh, il sait de quoi il parle, ain’t got nothing to lose ! Big stuff. On a là du vrai raw. Et tout explose avec «Shim Sham Shimmy», Carl nous plonge au cœur du rockab de Detroit, c’est claqué au slap avec un solo à l’arrache-dent. Il part tout seul, comme un desperado précoce. Il rend aussi hommage à Creedence avec «Bad Moon Risin’» et diabolise le «Viberate» de Conway Twitty. En 2004, Carl sortait donc frais émoulu du moulin.

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    Quand on va sur son site, on voit qu’il en pince pour Elvis. Deux tribute albums ! Le premier étant sold out, on peut se consoler en écoutant le volume 2, Let Yourself Go, paru en 2017.

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    C’est là qu’on trouve sa puissante version de «Just Tell Her Jim Said Hello». Il l’explose littéralement et en fait un véritable chef-d’œuvre interprétatif. Oui, c’est tellement bon qu’on pourrait en tomber de sa chaise. Strong melody. C’est avec cette version qu’il emporta la partie au Rétro. Mais le reste de l’album vaut aussi le détour, à commencer par le morceau titre, embarqué au heavy groove. Il est au faîte de son système, il explose son Let Youself Go dans l’œuf. On enrage à l’idée de penser que cet album va rester inconnu du grand public. Il embarque son «Shake Rattle And Roll» à 300 à l’heure. Carl et ses amis jouent comme des diables, au powerus maximalus. Carl sait très bien fabriquer un grand disque. Toutes ses reprises fument. Tiens, rien qu’avec le «Trouble» d’ouverture de bal, la partie est gagnée. Carl explose le groove anaconda d’Elvis. Mais il va encore beaucoup plus loin dans le serpentinage d’écailles moussues. Il le chante à la pure écroulade de falaise, where I’m evil. Le son est bon, bien au-delà de ce que pourraient en dire les commentés du cyberboulot, Carl joue son va-tout au Detroit Sound, avec du power plein les mains. Encore du power à gogo dans «I’m Coming Home». Il joue au gras de jambon et chante comme un dieu rococo. Tout le rock du Middle West est là. The voice ! Ah il peut taper dans Elvis, il en a les moyens. Il suffit d’écouter «Fame & Fortune» pour comprendre qu’il colle au train d’Elvis avec sa glue. Admirable album ! Et la valse des niaques détroitiques continue avec «Money Honey» et il sort son meilleur shake pour «I Need Your Love Tonight». Il le fait pour de vrai. Sa justesse de ton en dit long sur sa passion pour Elvis. Si on sait apprécier le feeling, alors Carl est un must.

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    Et puis voilà un autre album paru en 2015, sans titre ni label. Carl Bradychok tout court. Rien que le son. Juste un disque destiné aux amateurs. Il pose debout avec sa guitare, tout vêtu de noir et cravaté de blanc. Il repend le vieux «Do Me No Wrong» de Pat Cupp et des trucs beaucoup plus calmes comme «Your Cheatin’ Heart». Il sait se donner les moyens d’une certaine ampleur vocale, comme le fait Jerry Lee, sur ce type de vieux coucou d’Hank Williams. Mais Carl ne s’arrête pas en si bon chemin : on le voit aussi taper brillamment dans Waylon Jennings avec «You Ask Me To». Back to Detroit avec Jack Scott et une cover de poids : «The Way I Walk». Classique parmi les classiques, saint des saints. Carl opte pour le swing. Pas de raunch comme dans la version des Cramps. Carl veille à respecter l’esprit original, avec du solo à gogo. C’est là qu’on trouve sa version de «Please Give Me Something». Il sait bien faire monter la sauce dans l’écho et restituer la zizanie solotique de la version originale. Mais pas de fin en progression d’accords. Dommage. Son coup de Jarnac au Rétro flattait bien les bas instincts. On adore quand ça flatte les bas instincts. La surprise vient de «End Of The World», un hit pas très connu de Skeeter Davis, fabuleusement bien emmené et chanté par dessus les toits.

    Signé : Cazengler, (a)brutichok

    Carl Bradychok. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

    Carl Bradychok. Children At Play. King Drifter Productions 2004

    Carl Bradychok. ST. Not On Label 2015

    Carl Bradychok. Let Yourself Go. Tribute To Elvis Volume 2. Not On Label 2017

    Carl Bradychok. Carl Plays Carl. Not On Label 2018

     

    Wallis the question ?

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    Voici deux ans, on rééditait Death In The Guitarafternoon, l’unique album solo de Larry Wallis. À cette occasion, Vive le Rock consacrait (enfin) une double page à notre héros. L’interview commençait mal. Le mec lui demandait ce qu’il avait fabriqué dans les derniers temps, et Larry lui répondait : Not up to much at all mate. Pas grand chose, mon pote. Il expliquait à la suite qu’il avait perdu l’usage de sa main gauche, puis de sa main droite. Il se trouvait sur une liste d’attente pour se faire opérer. À la question : ‘Pourquoi les Pink Fairies ne sont jamais devenus énormes ?’, Larry répondait : a couple of crap managers, agents that stunk out loud, and a crap record company. Voilà, pour Larry, le crap suffit à ruiner la carrière d’un groupe. En France, on appelait ça des imprésarios véreux.

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    Oui, cette légende à deux pattes qu’est Larry Wallis joua avec les meilleurs rockers de son temps, Wayne Kramer, Lemmy, Steve Peregrin Took et Mick Farren. Lemmy ? - Not a fantastic bass player but the best Lemmy ever. A complete one-off ! - Il sait aussi reconnaître le talent d’écrivain de Mick Farren - but for many years a crap singer - jusqu’à ce que Larry s’occupe de lui et en fasse un vrai singer sur l’album Vampires Stole My Lunch Money (clin d’œil aux arnaqueurs des maisons de disques). Happé par des tas d’autres occupations, Mick Farren avait disparu de la scène musicale pendant des lustres. À la fin des seventies, il revint avec cet album bourré de chansons à boire, du style «Drunk In The Morning» et l’impavide «I Want A Drink», grosse bouillasse boogie posée sur une bassline frénétique à la «What’d I Say». Aucune originalité, mais quelle classe dans la désaille ! Son coup de génie consistait à reprendre un morceau de Zappa, «Trouble Coming Every Day» pour le transformer en bombe garage, l’une des plus atomiques du siècle, tous mots bien pesés. Mick Farren s’y arrachait la glotte, avec une belle soif d’anarchie ! Il renouait avec son vieil instinct de rebelle. Kick out the jams motherfuckers et Zo d’Axa, même combat ! Mick Farren brandissait le flambeau et il allait le brandir jusqu’à la fin. Cet album est superbe pour une simple et bonne raison : Larry Wallis le produit. «Bela Lugosi» valait aussi le détour. Bien plus intéressant que Bauhaus ! Mick Farren se prêtait merveilleusement au jeu. On avait là un Farren magnifique de prestance boogaloo. Des folles envoyaient des chœurs de vierges effarouchées et Farren psalmodiait comme un ogre amphétaminé. «Son Of A Millionaire» sonnait comme un classique des New York Dolls - Oui, oui, tout ça sur le même album, tu ne rêves pas - Mick Farren harponnait ce boogie dollsy d’une voix bien rauque. Avec «People Call You Crazy», il envoyait sa voix basculer par dessus bord et se rapprochait de Screamin’ Jay Hawkins et des grands prêtres voodoo. Vampires va tout seul sur l’île déserte.

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    Et pourtant, ce n’était pas gagné. Il suffit d’écouter l’On Parole de Motörhead paru en 1979 pour voir que Lemmy a frôlé la catastrophe en s’acoquinant avec Larry Wallis qui était pourtant le leader des Pink Fairies. Ils font une bonne version de «Motörhead», infestée d’intrusions vénéneuses et Larry tente de couler un bronze de légende, comme il a su le faire en reprenant les Pink Fairies sous son aile. Mais les autres cuts de l’album sont un peu mous du genou. Même la version de «City Kids» qu’on trouve sur Kings Of Oblivion manque de panache. On comprend que Lemmy ait opté pour une autre formule. Il voulait quelque chose de plus hargneux. La version de «Leaving Here» qui se trouve sur cet album semble complètement retenue. On ne sent aucun abandon. Et Lemmy chante «Lost Johnny» à l’appliquée, accompagné par Larry à l’acou. N’importe quoi !

    Le grand décollage de Larry Wallis se fit quelques années plus tôt, en 1973, au moment où Paul Rudolph quittait les Pink Fairies. Tout le monde connaît l’anecdote : fraîchement embauché par Duncan Sanderson et Russell Hunter, Larry demande :

    — Alors les gars, on enregistre quoi ?

    Les deux autres lui répondent qu’ils n’ont pas de chansons. Et ils ajoutent :

    — T’as qu’à en composer !

    Larry panique :

    — Mais je n’ai jamais composé de chansons !

    — Do it !

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    Alors il do it et ça donne un album quasi-mythique : Kings Of Oblivion. Le titre est tiré de «The Bewlay Brothers» qu’on trouve sur Hunky Dory. Selon Luke Haines, tous les cuts de Larry Wallis sont punk as fuck - The Lazza-Russ ‘n’ Sandy Fairies line-up was a power trio supreme - Oui, c’est exactement ça, un power-trio suprême, c’est ce qu’on vit au Marquee à l’époque. Quand on avait vu les Fairies sur scène, il n’était plus possible de prendre les groupes français au sérieux. Les Fairies incarnaient l’essence même du rock, the real ragged power et dans le cas particulier des Fairies, the no sell out, qu’on pourrait traduire en français par une intégrité qui a les moyens de son intégrité. «City Kids» sonne comme un classique entre les classiques, monté sur l’extraordinaire beat russellien, heavy à souhait, bardé de relances, il fonctionne exactement comme une loco, il fonce à travers la nuit. À la limite, c’est lui Russell Hunter qui fait le show. Il double-gutte d’undergut. Alors Larry Wallis peut partir en maraude. Ah qui dira la grandeur décadente d’un Russell Hunter qu’on voit - sur le triptyque glissé dans la pochette - sous perfusion de bénédictine, avec un visage peint en vert. Cette photo en fit alors fantasmer plus d’un. Encore un hit avec «I Wish I Was A Girl». Cette fois, Sandy fait le show sur son manche de basse, il voyage en mélodie dans la trame d’un cut bâti pour durer. Ils partent à trois comme s’ils partaient à l’aventure et le Wallis part en Futana de solo gargouille. En B, les cuts auraient tendance à retomber comme des soufflés et il faut attendre «Chambermaid» pour renouer avec le cosmic boogie, et «Street Urchin’» pour renouer avec le classicisme, au sens où entend ce mot dans les musées. On y retrouve l’esprit de «City Kids», le beat avantageux et l’éclat puissant du glam. Fantastique ! Ils sonnent comme d’admirables glamsters de baraque foraine. L’album nous mit à l’époque dans un état de transe proche de la religiosité mystique.

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    Au cœur du mouvement punk londonien, Larry Wallis fit des étincelles chez Stiff avec deux singles, «Police Car» et surtout «Screwed Up» avec Mick Farren.

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    Larry y screwe le beat à sa façon et le précipite dans le gouffre béant du néant psychédélique. Autre petite merveille fatidique : «Spoiling For A Fight», véritable furiosa del sol, c’est la b-side du single «Between The Lines». On a là du pur jus de combativité boogie. Wow, les Faires cherchent la cogne - Fight ! - Et Larry part en killer solo flash !

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    Avec le Live At The Roundhouse 1975 paru en 1982, on tient certainement l’un des meilleurs albums live de tous les temps. Double batterie, Twink et Russell Hunter, Sandy sur Rickenbacker et deux killer flash-masters devant, Paul Rudolph et Larry Wallis. En fait, c’est la dernière fois que Paul Rudolph joue dans les Fairies. Et comme Larry Wallis commençait à jouer avec Motörhead, ça sentait la fin des haricots - If the Fairies were going to bow out, they were planning to do it in style (les Fairies comptaient bien finir en beauté) - Ils roulèrent des centaines de spliffs pour les jeter à la foule. Larry rappelle aussi dans une interview que Sandy, Russell et lui se sont goinfrés de pefedrine avant de monter sur scène - It makes you go mad. So Sandy, Russell and I took as much of that as we could get our hands on (la pefedrine peut rendre cinglé aussi en ont-ils avalé autant qu’ils ont pu) - Quant à Paul Rudolph, il était arrivé à la Roundhouse en vélo avec une thermos de thé. Ce live saute à la gueule dès «City Kids» que Larry avait composé pour Kings Of Oblivion. Hello alright ? Si on aime le rock anglais, c’est là que ça se passe. Tu prends tout le proto-punk en pleine poire. Tu as là tout l’underground délinquant de Londres. Larry chante et Sandy fait du scooter sur son manche de basse. Ils enchaînent avec une version de «Waiting For The Man» de la pire espèce, claquée par les deux meilleurs trash-punksters d’Angleterre, Larry et Paul. Ils rendent un hommage dément au Velvet. Les Fairies développent une énergie qui leur est propre. Ils sont de toute évidence complètement défoncés. Voilà la preuve par neuf qu’il faut jouer défoncé, c’est la clé du rock. S’ils étaient à jeun, ils ne développeraient pas une telle puissance. Ils jouent leur Velvet à outrance, ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est saturé de son, au-delà du descriptible. Ils bouclent avec une reprise du «Going Down» de Don Nix, et en font une version heavy qui dépasse toute la démesure du monde. Ça prend des proportions terribles.

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    Comme Larry Wallis partageait son temps entre la reformation des Fairies et Motörhead, il se gavait d’amphètes : «I think the longest I ever stayed awake in my life was eleven days at Rockfield, and when you think about it now... God !» Onze jours sans dormir à Rockfield ! Et comme il ne mangeait pas, il avait un sacré look - I looked fantastic, my mother nearly had a nervous breakdown when she got to see me - En le voyant si joliment émacié, sa mère faillit bien tomber dans les pommes. N’oublions pas que Larry est l’un des mecs les plus drôles d’Angleterre. Give The Anarchist A Cigarette grouille d’anecdotes hilarantes. L’écrivain Farren y célèbre le génie trash de Larry Wallis : «Larry avait des pythons, des cobras et même un rattlesnake dans des gros aquariums, tout ça dans un appart minuscule. Il élevait des rats pour nourrir ses serpents. C’était un fucking nightmare. Quand il était rôti, il jouait avec ses serpents et on était sûrs qu’il allait se faire mordre et y laisser sa peau.»

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    Big Beat fit paraître en 1984 l’excellent Previously Unreleased, une série de cuts inédits enregistrés par Larry, Sandy et George Butler. On retrouve la niaque épouvantable des Fairies dès «As Long As The Price Is Right». Pas de pire powerhouse que celle-ci. Larry vrille comme un beau diable. Ils restent dans le drive des enfers avec «Waiting For The Lightning To Strike». Ils jouent comme des démons cornus et poilus. Il n’est humainement pas possible de faire l’impasse sur cet album. On entend clairement les puissances des ténèbres sur ce «No Second Chance» battu si fort que les coups rebondissent. Il faut bien dire que c’est extraordinairement bien mixé. Quand on écoute «Talk Of The Devil», on sait les Fairies capables de miracles.

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    Si on veut entendre Larry Wallis et Wayne Kramer jouer ensemble, alors il faut écouter cet album des Deviants, Human Garbage. Ils y accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Sur «Outrageous Contagious», Wayne Kramer passe un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte, n’est-il pas vrai ? On retrouve l’énorme bassmatic de Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif dans l’effarance de la lancinance. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick Farren, certainement le plus punk des singles punk d’alors, visité en profondeur par un solo admirable. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux clin d’œil de Larry aux alchimistes du moyen âge, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste brûlant d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des guitares et tout le brouté de basse qu’on peut imaginer. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec l’inexplicable «Trouble Coming Every Day» de Zappa. Pourquoi inexplicable ? Parce que garage, alors que les Mothers n’avaient rien d’un groupe garage. N’oublions pas que Mick Farren admirait Frank Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

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    On a longtemps pris Kill ‘Em and Eat ‘Em paru en 1987 pour un mauvais album, et chaque fois qu’on le réécoute, ça reste un mauvais album. On y retrouve pourtant la fine fleur de la fine équipe : Larry, Andy Colquhoun, Sandy, Russell et Twink. Sur la pochette, Larry fait le con avec un masque de singe barbu et sa strato rouge. Dans les notes de pochette, Mick Farren raconte qu’un matin de gueule de bois, il est réveillé par un coup de fil qui lui annonce la reformation des Fairies. Oui c’est ça, et Attila revient avec les Huns, hein ? - Yeah and Attila is getting his Huns back together, répond-il - You gotta be kidding - Tu plaisantes, j’espère - And then I remembered, in rock’n’roll, anything is possible - Oui, Mick avait bien raison de dire que tout est possible dans le monde du rock. Et pouf, ils démarrent avec «Broken Statue», un vieux boogie composé par Mick. Larry le joue à la folie et c’est battu comme plâtre par la doublette mythique de Ladbroke Grove. Toute la niaque des Fairies re-surgit de l’eau du lac comme l’épée d’Excalibur. Mais sur cet album, les cuts restent bien ancrés dans le boogie. Larry fait pas mal de ravages, mais il manque l’étincelle qui met le feu aux poudres. «Undercover Of Confusion» sonne comme de la viande de reformation. «Taking LSD» sonne comme un vieux boogie des Status Quo, ou pire encore, de Dire Straits. Pas plus putassier que ce boogie-là. Ils font même un «White Girls On Amphetamines» insupportable de médiocrité et de non-présence. On croirait entendre les mauvais groupes français. Larry tente de sauver l’album avec «Seing Double». Il ressort des grosses ficelles, mais au fond, on ne lui demande pas de réinventer la poudre. Il faut rendre à Cesar Wallis ce qui appartient à Cesar Wallis. «Seing Double» est à peu près le seul cut sérieux de cet album.

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    La compile des Deviants intitulée Fragments Of Broken Probes sortie sur le label japonais Captain Trip propose des cuts qu’on ne trouve pas ailleurs. Mick Farren chante «Outrageaous Contagious» à la manière de Beefheart, en ruminant ses syllabes. Il fait son cro-magnon. Larry Wallis et Paul Rudolph participent à cette sauterie. Mick Farren adore forcer cette voix qu’il n’a pas. Il tape aussi dans Phil Spector avec une reprise de «To Know Him Is To Love Him» : épouvantable. Mick Farren hurle comme le capitaine d’une frégate brisée par la tempête. Version superbe de «Broken Statue». Derrière Mick Farren, ça joue. On retrouve cette ambiance d’émeute urbaine, avec les clameurs et les gros accords. Ce qui la force des albums de Mick Farren, c’est la vision du son. S’il est bien un mec sur cette terre qui sait ce que veut dire le mot power, c’est lui. On trouve à la suite une version live de «Half Price Drinks» extrêmement plombée. Ça s’écoute avec un plaisir renouvelé à chaque verre.

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    Autre album des Deviants indispensable : The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve les deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ils démarrent avec un «Aztec Calendar» brûlé à l’énergie des réacteurs. Son terrible, Andy joue dans l’interstellaire, il se répand dans la modernité farrenienne comme un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Bob Dylan qui nous envoie tous au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. La dévotion d’Andy pour Mick Farren n’a d’égale que celle de Phil Campbell pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, fournit un solide bassmatic à l’Anglaise. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon des enfers - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Retour à la légende : ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

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    Autre passage obligé : Shagrat que Larry monte avec Steve Peregrin Took en 1975. Mais ils préféraient se défoncer tous les deux dans le studio plutôt que de travailler. Pour la sortie de Lone Star en 2001, Larry écrivit une fantastique hommage à son pote Took : «Steve a eu et a toujours une prodigieuse influence sur ma vie, depuis ma consommation massive de LSD jusqu’à la façon dont je compose. Une influence magique. Dave Bidwell qu’on appelait Biddy, était aussi un original. Lui et Steve étaient semblables, et même beaucoup trop semblables. Ces deux-là aimaient bien pousser à l’extrême leurs expériences avec les drogues, ce qui, comme chacun le sait, finit en général assez mal. Si je parle des drogues, c’est parce qu’à l’époque on ne vivait que pour explorer des planètes inconnues, et les vaisseaux spatiaux qui permettaient d’y accéder, c’était justement les drogues. Took était le capitaine de notre vaisseau. Dans les années précédentes, Took avait été salement désavoué. Il avait pourtant joué un rôle aussi important que celui de Bolan dans Tyrannosurus Rex, un groupe qui sortait de nulle part, et il semble que ce soit Mickey Finn qui en ait tiré les marrons du feu. J’imagine qu’il n’est pas responsable de cette erreur d’appréciation. Alors, il ne vous reste plus qu’à savourer les virées cosmiques de Took, comme il les appelait. J’ajoute que ces chansons dissipent un malentendu voulant apparenter Took et Bolan au monde des lutins de la forêt. C’est entièrement faux. Tout ce qui intéressait Steve était ce qu’il appelait lui-même le kerflicker-kerflash, une sorte de rock’n’roll super-trippant et cosmique, du neon sex fun.» Comme dans le cas d’Hendrix, on se demande ce que Took aurait pu produire s’il avait vécu. Son sex fun serait-il devenu complètement incontrôlable ? C’est bien du cosmic neon sex fun qu’on entend dans «Boo! I Said Freeze», véritable carnage de druggy dub de freeze joué à l’énergie ralentie. Larry balaye tout à la guitare et il redevient l’un des trublions les plus virulents d’Angleterre. Il déploie sa furia del sol dans les méandres du sex fun de la titube. On se serait damné à l’époque pour un disque pareil. On encore cette mad psychedelia qui hante «Steel Abortion», c’est joué au Wallis of sound, couru comme le furet, répandu comme l’ampleur galvanique, explosé du cortex, projeté au-delà de la raison. Larry fait le show, il va là où bon lui semble. L’autre énormité de cet album miraculé s’appelle «Peppermint Flickstick», un cut digne de Syd Barrett, complètement barré, druggy at the junction, nous voilà plongés au cœur de la pire mad psychedelia qui soit ici bas et l’aimable Larry profite de l’embellie pour se barrer en sucette de solo gras. Ah quelles effluves de dérives molles ! Les Américains prétendument férus de psychédélisme feraient bien d’écouter ça et de prendre des notes.

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    Il est grand temps de revenir à la réédition de Death In The Guitarafternoon. Fantastique album ! (Encore un !). Si on aime la guitare électrique, alors il faut écouter Larry Wallis jouer ses arpèges d’allure martiale dans «Are We Having Fun Yet». Il tape dans le western spaghetti de haut vol et ramène cette vieille niaque qui date du temps béni des Fairies. Au fond, il est très proche de Jeff Beck. Il vise la véritable aubaine d’exaction parégorique. Il peut se montrer très prog dans l’esprit de seltz, mais avec une effarante énergie combustible. Il enchaîne ça avec «Crying All Night», une belle pop de Futana. Larry tient son rang de légende irrémédiable. Tout sur cet album reste allègre et hautement énergétique. Il prend ensuite un vieil instro de fête foraine intitulé «Dead Man Riding». George Webley y fait des merveilles sur sa basse. On note aussi la présence de Mickey Farren en tant que parolier dans «Downtown Jury», un cut typique de l’époque des Social Deviants et hanté par des solos qui s’en vont errer comme des hyènes dans l’écho de temps. Hallucinant ! Et voilà qu’il enchaîne trois cuts encore plus fantasques : «Where The Freak Hang Out», «Don’t Mess With Dimitri» et «Meatman». Larry qualifie «Where The Freak Hang Out» de full flying tribal song. Il est vrai que ça dégage bien les bronches. Un peu long, mais Larry n’est pas homme à mégoter. Il sort un son exceptionnel noyé de réverb maximaliste. Quel album ! Mickey Farren signe aussi ce «Don’t Mess With Dimitri» monté sur une bassline insistante. Larry claque ses vieux accords au loin et ça explose dans la lumière réverbérée de Ladbroke Grove at midnite. Il faut voir ces gens comme une extraordinaire équipe d’aventuriers du son. Avec «Meatman», Larry fait du Tom Waits. Il n’y croit pas un seul instant, mais quelle rigolade ! - Yeah I’m the meatman - Il tape aussi dans son vieux hit, «I’m A Police Car» et l’allonge avec des tonnes de guitar tricks. Larry fait ce qu’il veut quand il veut. On ne craint pas l’ennui, même s’il lui arrive de tirer sur la corde. Il chante d’une voix de mec usé par les conneries. Il termine cet album faramineux avec «Screw It», une fois de plus joué à la vie à la mort. Larry ne lâche rien, il faut s’en souvenir. L’album reste intense de bout en bout - About a pain in my ass/ C’mon let’s do it.

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    Un label psychédélique nommé Purple Pyramid vient de faire paraître un conglomérat de bric et broc intitulé The Sound Of Speed. L’intéressant de cette affaire, c’est que Larry commente ses brics et ses brocs, et ça vaut toutes les revoyures du mondo bizarro. Le bal d’A s’ouvre sur le flamboyant «Leather Forever», un single de 1986. Larry se souvient vaguement des gens qui l’accompagnaient : Andy Colquhoun, Sandy ‘Basso Profundo’ et George Bawbees Butler, Scottish drums. Ah wooow ! comme dirait Wolf. Il aligne ensuite des cuts tirés du lost Stiff, à commencer par «I Think It’s Coming Back Again». Deke Leonard et George Webley l’accompagnent. On note au passage la fantastique énergie du son. En même temps, c’est très anglais, typique du temps de Stiff. Le mec des Attractions bat «I Can’t See What It’s Got To Do With Me» si sec. Larry rend hommage à ce cet excellent drummer nommé Pete Miles O’Hampton Thomas : «Nobody does it better.» En B, il nous sort un «Old Enough To Know Better» qui devait figurer sur le Death album. C’est excellent, entièrement joué sous le boisseau, avec une basse aussi perverse qu’une cousine consanguine. Il tape à la suite un «Story Of My Life» dans le plus pur Fairy style et Deke Leonard passe de fabuleux coups de slide. On sent l’équipe de surdoués. Il faut entendre battre Peter Thomas derrière. On reste dans le Fairy groove avec l’excellent «I Love You So You’re Mine», gratté aux accords de Gloria. Larry y va de bon cœur. C’est fabuleusement embarqué. Il indique au passage qu’il destinait le cut aux Feelgoods. Il termine avec «Meatman». Il dit ne pas se souvenir de l’avoir enregistré. Le Line-up ? Bof... Avant de nous dire au-revoir, il écrit en bas de ses notes lapidaires : «Well I did say I wouldn’t be able to give much away folks, but I did my best. Hope you enjoy my noise and let’s be careful out there, ok ? OK.» (Je vous disais que je ne serais peut-être pas capable d’en dire très long, mais j’ai fait de mon mieux. J’espère que vous allez apprécier ma soupe et faites gaffe à vous les mecs, d’accord ? Bon d’accord). Et il signe Lazza.

    Signé : Cazengler, Larry Varice

    Larry Lazza Wallis. Disparu le 19 septembre 2019

    Pink Fairies. Kings Of Oblivion. Polydor 1973

    Larry Wallis. Police Car. Stiff Records 1977

    Mick Farren And The Deviants. Screwed Up. Stiff Records 1977

    Mick Farren. Vampires Stole My Lunch Money. Logo Records 1978

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

    Pink Fairies. Live At The Roundhouse 1975. Big Beat Records 1982

    Pink Fairies. Previously Unreleased. Big Beat Records 1991

    Deviants. Human Garbage. Psycho Records 1984

    Pink Fairies. Kill ‘Em And Eat ‘Em. Demon Records 1987

    Deviants. Fragments Of Broken Probes. Captain Trip Records 1996

    Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Captain Trip Records 1999

    Shagrat. Lone Star. Captain Trip Records 2001

    Larry Wallis. Death In The Guitarafternoon. Ribbed Records 2001

    23 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

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    Il y a des soirs où il vaut mieux se laisser faire. Surtout quand on vous veut du bien. Je vous laisse juges. Plateaux de melons, tartines de fromages et de pâtés gracieusement offerts par la Comedia, avec Tony Marlow, Alicia F, et des américains venus de Nashville, c'est ce qui s'appelle être gâtés, ou je ne m'y connais pas, d'autant plus que ce lundi soir ce n'est pas la foule énorme mais l'on ne compte pas les amis au mètre carré, comme s'il en pleuvait.

    TONY MARLOW

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    Et sa guitare. Car ce soir Tony ne l'a pas ménagée. Dorée avec d'étranges reflets sépia lorsqu'elle entre en collision avec un rai de lumière. Quelle classe le Tony ! Prestance et port altier. Juste quelques mots de bienvenue et déjà il nous emporte à l'Ace Cafe, une chevauchée à toute blinde qui sera immédiatement suivie d'un petit – minusculité affective – Chuck Berry. Around and Around, fascinant de voir l'emprise digitale du Marlou sur les riffs, l'orfèvre les cisèle, les précise, les incise, une habileté diabolique, j'essaie de mémoriser les plans pour les revendre à une puissance étrangère, mais je n'y parviens pas, car il n'y a pas que les doigts de dextre et de senestre qui courent et accourent, z'avez aussi le son qui monte et descend, ce cristal adamantin qui coule et ricoche dans les oreilles, l'essence du rock'n'roll, qui vous raconte l'épopée magique de la jeunesse du monde.

    Mais une guitare ne suffit pas. Faut un forgeron pour forger l'anneau d'or. Un sorcier des alliages secrets, Fred Kolinski, longs cheveux blancs, sourire énigmatique, ferait un superbe Merlin dans une filmique saga brocéliandesque, détient les clefs du tonnerre derrière sa batterie. Pas un batteur fou, mais le maître de la résonance, la guitare joue et les tambours éclatent, prolongent les effets, et les stoppent définitivement, en une ampleur sonore sans équivalence. Fred finit les séquences, il retourne le sablier du temps pour ouvrir une nouvelle ère riffique.

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    Noire est la big mama d'Amine le fatidique. Il est le temps qui presse la vie, la pousse et l'envoie bouler dans la corbeille à papier. Sans pitié. Ce qui est derrière nous ne reviendra jamais, alors, grand seigneur, Amine Leroy nous console en boutant le feu à notre présent. Sa contrebasse fulmine à la manière des mitrailleuses, les balles traçantes passent au-dessus de vos têtes, et vous comprenez l'urgence du rock'n'roll, la loi du mouvement imperturbable, cette impavide propulsion en avant, qui fait qu'un morceau à peine commencé se hâte vers le delta de sa fin, car vous désirez toujours plus vivre davantage intensément. Alors Amine se déchaîne, devient épileptique, tressaute sur lui-même, se lance dans une frénétique danse du scalp autour de son instrument et parfois il s'engouffre dans des soli de foudre et de poudre qui claquent et cavalent, giclent en rafales d'énergies, emportent tout sur leur passage. Ne vous laissent que les yeux pour rire d'un bonheur effréné.

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    Effarant de voir comment en une vingtaine de titres Tony vous offre sa carrière, quarante ans d'histoire du rock'n'roll français -enté et hanté d'Amérique – et ment partiellement quand il déclare que Rockabilly Troubadour et Le cuir et le baston résument toute sa vie, car sa voix exprime plus qu'une expérience personnelle, elle a ce velouté incisif, ce nostalgique tranchant, qui fait que chacun se reconnaît dans les bribes de son existence, et peut se donner l'illusion bienfaitrice d'en recoller les morceaux épars en une radieuse unité. Tony le musicien n'ignore rien des charmes ensorcelants et des larmes retenues des poëtes.

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    Faudrait disséquer tous les titres un par un, Tony et ses marlous étaient en grande forme, nous retiendrons un de ses tous premiers titres, Western, magnifique, beau comme une chevauchée fantastique, l'émouvant et hommagial I'm Going Home de Gene Vincent, et les trombes cordiques de The Missing Link, car une fois le set terminé, il vous semble qu'il vous manque l'élément essentiel du rock'n'roll, la présence active de Tony Marlow.

    ALICIA F.

    N'a fait qu'une courte apparition dans le set de Tony. Deux malheureux morceaux. Si ce n'est pas un scandale. Mais elle se réserve, bientôt elle sera sur scène en tant qu'elle-même, en vedette, patientez jusqu'au deux novembre.

    Se glisse sur scène en toute simplicité. Ce soir elle nous montre une autre facette de son talent. Nous connaissions l'aguicheuse, celle qui jouait sur la profonde ambiguïté qui relie le rock au sexe, et le roll au désir, mais la voici toute seule dans son charme vénéneux et son espiègle beauté, moulée dans ses tatouages, son legging noir taché de motifs blancs et son T-shirt auréolé de la couronne d'opale de la naissance de ses seins, ses yeux verts d'émeraudes serpentines, et ses cheveux carrés aux bouts teintés d'un soupçon de rouge-sang-séché.

    Marlou et ses sbires enchaînent aussi sec, I Need a Man et I Fought The Law, ce sera tout, une bourrasque qui arrache le toit de la maison et déracine le châtaigner centenaire dans la cour, et dans cette trombe Alicia F, toute droite, mais le moindre déplacement imperceptible de ses bras vous a de ses grâces inquiétantes de panthère, une pose de prêtresse hiératique, elle récite les lyrics démoniaques avec une impassibilité impossible, transformant les mots en brandons de feu, et cette force inquiétante du cobra qui se dresse lentement devant vous, cette immobilité tranquille, que quand elle se retire de la scène, vous avez compris qu'elle vient de vous mordre l'âme, mais que c'est trop tard, que vous êtes mortellement touché, que l'aconit du rock'n'roll vous étreint de son cercle de feu.

    Alicia F. Alicia Fulminante.

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    VOLK

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    Ne sont que deux. Un garçon et une fille. Gal and Guy. Mais le set pourrait être sous-titré, la leçon venue d'Amérique. Ça commence doucement. Eagle Eye ne vous transcende pas. Le temps pour Chris Lowe de vérifier sa planche à effets multiples et à Eléot Reich de chauffer sa voix. Mais après vous comprenez que vous avez posé vos pieds sur le sentier de la guerre et que vous avez peu de chance d'en sortir vivant. Donc Eléot est à la batterie. Mensonge éhonté. Elle ne joue pas de la batterie. Mais de la tambourinade. Un roulement incessant, une transe rythmique impitoyable, vous comprendrez mieux à l'énoncé des titres, Atlanta Dog, Snake Farm, Honey Bee, I fed Animals, ni plus ni moins qu'une séance chamanique, vous ne vous méfiez pas, avec sa chevelure noire et sa robe rouge d'un lamé brillant vous croyez qu'elle va vous jouer le numéro de l'entertaineuse américaine type, vous n'y êtes pas du tout, à la manière dont elle enserre la caisse claire dans la blancheur de ses cuisses, et cette position voûtée, vous vous dîtes qu'il y a de la puissance vaudou en elle, qu'émane de son corps un magnétisme tellurique, et qu'elle transmet et transmute, qu'elle infuse et diffuse une force inconnue que l'on pourrait nommer l'esprit de la terre.

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    De prime abord Chris est moins inquiétant. Un grand gaillard solide, une tête bien faite d'étudiant attentif. Une grosse Gretsch blanche dans ses mains qui barre son épaisse redingote, un large éventail de delays électroniques à ses pieds, simple rythme binaire pour débuter, chante aussi. Faut attendre un peu pour intuiter ses dons de sorcier. Mine de rien, l'a des doigtés étranges. Vous semble qu'il rajoute de temps en temps des pincées de sel dans la tambouille qui cuit paisiblement sur le feu. Plutôt de la poudre à canon. Dissuasive. Little Games et Revelator's Bottleneck, ne riffe pas, il rajoute du son au son, fait des interventions, joue à la manière des joueurs d'échecs, ce n'est que cinq coups après que vous réalisez la raison irraisonnable pour laquelle il a poussé tel pion dans cette case inopérante. En moins de deux il contourne votre défense, force vos muraille et vous met à mal, à mat et vous mate à mort. Une démonstration. In vivo.

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    Fascinant. Eléot ne fait pas que tricoter ses baguettes. Elle chante aussi, une voix qui monte dans les aigus, qui s'assombrit et s'intempestive, et qui au morceau suivant devient douce et suave, un roucoulement de gâteau au miel, sucrée comme un apple pie. Souvent elle double celle beaucoup plus virile de Chris, elle lui apporte une profondeur et une discrète résonnance qui l'amplifie souverainement. Notamment lors du rappel, une très belle balade country de Jack Bruce, qui vient un peu en contrechant à l'inexorable montée progressive du set selon une sourde violence fascinante qui contraindra toute l'assistance à se masser devant la scène.

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    Je terminerai sur cette divine surprise, cette version sublimissime, subluesmissime, de Sumertime Blues d'Eddie Cochran, qui n'a pas entendu le martellement d'Eléot et sa voix d'outre-tombe – elle endosse le rôle de Jerry Capehart – n'a jamais rien entendu, et Chris qui abrupte le riff si sourdement qu'il devient le tourment de votre vie, et son vocal qui flirte avec la raucité d'Eddie sans jamais l'imiter...

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    Un régal ! Tony Marlow résumera la situation : une révélation. Du country roll comme l'on n'en n'avait jamais ouï de ce côté-ci de l'Atlantique. De surcroît un garçon et une fille très gentils, ne connaissent pas un mot de français mais la sympathique complicité qu'ils dégagent ne trompent pas. Une soirée comediane à marquer d'une pierre blanche.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Costa David )

     

    20 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    JIMM / FISHING WITH GUNS

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    Suis arrivé à la Comedia sans trop savoir qui j'allais voir, m'étant quelque peu embrouillé dans les dates. Mais l'instinct du rocker ne se trompe jamais, une soirée explosive m'attendait. Mais je n'étais pas le seul à subir la déflagration!

    JIMM

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    Parfois il vaut mieux être trois que mal accompagné. Cet adage populaire vieux de trois millénaires que je viens d'inventer mérite un codicille précisif : trois cadors. Car comment peut-on produire une telle mayonnaise avec si peu de personnel. L'est vrai que Xavier avec sa taille de géant peut facilement compter pour deux, avec sa chevelure de boucles barbares et sa basse il ne se fait pourtant guère remarquer, à peine s'il vient de temps en temps pousser un cri de guerre ou hurler une rapide interjection au micro. Mais mine de rien, il assure grave. Le grondement de base, c'est lui le fautif, ce roulement de galets entrechoqués emportés par la furie d'un torrent c'est lui le responsable. N'est pas non plus le seul coupable, serait anormal qu'un seul écope de toutes les malédictions. A la batterie, Billy n'est pas innocent. L'a les mains pleines de baguettes. Les lève bien haut, les fait tournoyer entre ses doigts, et puis c'est fini. Le bonheur est désormais personna non grata sur notre misérable planète. L'apocalypse est commencée et rien ne l'arrêtera. L'a compris qu'il est là pour taper, alors il tape, l'a le pied meurtrier sur la grosse caisse et des menottes d'étrangleurs en série. Ne sait pas s'arrêter, un jusqu'au-boutiste, quand il n'y en a plus, il en a encore, l'as de la logistique distributive, des coups pour tous les tambours de la terre, une canonnade d'escadres ennemies, Xavier la tempête, Billy se charge de la métamorphoser en ouragan. Libère les vents de l'outre d'Eole. Bref, vous filez à cent-vingt neuf nœuds secondes et déjà se pose en vous la question fatidique, dans tout ce brouhaha comment un guitariste arrivera-t-il à survivre?

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    Jimm a deux manières de répondre à votre interrogation métaphysique. D'abord : par le chant. S'approche du micro, et non il ne chante pas. Se débrouille – je ne sais comment – pour que sa voix devienne un quatrième instrument, une coloration nouvelle, qui se fond au magma sonore, s'y installe naturellement comme l'oiseau se construit un nid dans le couvert des épaisses frondaisons de l'arbre. De plus en français, n'en tirez aucune gloire nationaliste, car ce serait in english que vous n'entendriez point la différence, l'a sa manière à lui d'appuyer sur les syllabes, et par ce fait même de les détacher si fortement que vous comprenez très vite en ce langage universel qui se nomme l'idiome rock.

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    Ensuite : il joue de la guitare. Au bout de deux minutes vous vous dites, c'est un très bon guitariste. Mais bientôt vous devez réviser votre jugement. L'a un truc spécial, n'est pas un vulgaire pousseur de riffs, son pied à lui c'est de surnager au-dessus du tumulte, comme dans les orchestres symphoniques menées à fond de train par Toscanini quand brusquement au-dessus de la monstrueuse masse sonore s'élève la plainte virevoltante du violon solo et vous n'entendez plus que cela, le Jimm il est pareil, l'a les soli de guitare qui brillent, qui scintillent, tels une rivière de diamants qui vous éclabousse de mille rayons de soleils réfractés. Cette scie sauteuse qui vous dentellise les tympans est le nectar des Dieux.

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    En plus ils vont jouer longtemps, enchaînent les titres, Prêt à penser, Ton blues dans la peau, Jamais vieillir, et devant la scène ça remue salement, pas tous les jours que le rock déboule sur vous avec une telle intensité. Un triomphe.

     

    FISHING WITH GUNS

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    Avec un tel patronyme, l'on se doutait que ce n'étaient pas des joueurs de pipeaux. Passer après Jimm de prime abord ne semble pas être une sinécure. Mais première surprise, ne serait-ce pas Billy Albuquerque qui s'installe derrière les drums, exactly my dear, pas besoin d'être Sherlock Holmes pour comprendre que l'on n'est pas là pour cueillir des petits pois. Va toutefois falloir résoudre l'énigme Inigo. Quand ils se sont installés semblaient être quatre mais là sur scène maintenant que l'éruption volcanique a commencé – déjà rien qu'au trente secondes de secousses sismiques échappées de la guitare de Tof juste pour voir si tout était en place juste avant le début du set, l'on avait subodoré que les gaziers préféraient les bâtons de dynamite à la pêche au goujon -ils ne sont plus que trois.

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    Inigo, c'est un peu comme dans les albums Où est Charlie, faut lui mettre la main dessus, car il est perdu dans la foule. A peine si de temps en temps il s'octroie une brève station et remontera quelques secondes sur la scène. L'est dans le public agglutiné devant. Certes pour l'entendre vous l'entendez. Mais impossible de savoir où il est. Surgit à l'improviste devant vous, un peu comme le vaisseau fantôme entre deux plaques de brume. Mais quel cantaor ! La voix qui djente, pas trop, mais suffisamment pour vous mettre le feu à la moelle épinière. Et ces poses ! Le fil du micro haut levé, le visage tourné vers le cromi et cette poudrière vocale qui explose. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il en use avec parcimonie, n'en abuse jamais, laisse à l'orchestre le temps de poser les assises du riff, d'articuler la séquence, et quand tout est bien en place, il vocalise, tel le caïman qui sort du fourré juste pour venir vous couper une jambe, proprement d'un seul coup de dentition. Puis il se retire dans l'eau saumâtre de son propre silence tandis que ses congénères continuent leurs monstrueux tapages comme s'il était nécessaire à la survie de nos existences. Le pire c'est qu'il l'est indispensable. Motherfucking badass ! Reste du Blood on the ropes !

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    C'est que derrière les trois lascars ne vous laissent pas le temps de respirer jouent une espèce de mixture de stoner estampillé aux marteaux de Thor et émargé aux forges d'Héphaïstos, sur sa basse Bouif ramone la suie des cheminées de volcan, parfois son corps se réduit et se cambre à croire que l'électricité le traverse de part en part et des ondes noires s'échappent de son instruments comme des meuglements d'agonie de cachalots échoués sur les rives du désastre. Tof taffe à mort, l'a la guitare qui mord, le feu qui couve sur deux accords et puis qui tout à coup flamboie et se déploie dans l'univers tout entier, vous consume l'âme comme un mégot qui grésille dans le cendrier. Les Fishing vous fichent la trouille et la chtouille à jouer trop bien, trop fort, trop sauvage. Profitent d'un instant de répit pour distribuer à l'assistance leur dernier EP, le prochain est en préparation et ils nous régaleront de quelques aperçus. Et c'est reparti pour une charge à la baïonnette finale. Pas question, le peuple rock qui s'est salement secoué devant l'estrade refuse de les laisser partir, et nous avons droit à deux derniers feux d'artifice. Deux explosions nucléaires de soleils noirs !

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    Damie Chad.

    ( Photos : Chris on FB : Meteo Rock )

    BLOOD ON THE ROPES

    FISHING WITH GUNS

    ( Avril 2017 )

    Peu d'indications sur la pochette qui reste relativement mystérieuse. Recto brun dont le visage granitique de statue saignante émarge au verso et se dissout en une blancheur envahissante au bas de laquelle se profilent un revers montagneux et la silhouette automnale d'un arbre. Peut-être le sens est-il à décrypter dans l'image des deux lutteurs de pancrace opposés et entremêlés sur la sesterce blanche du CD. Serions-nous emplis d'une fureur incontrôlable qui, dans le temps même qu'elle nous donne force de vie, nous agonise.

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    Dodge and counter : lourd and loud, instrumental, une guitare qui sonne et résonne, des cymbales qui se glissent par dessous car lorsque la menace se précise, que vous entendez ces gros godillots qui avancent, vous êtes dans l'attente de la catastrophe vous êtes sensible aux plus petits détails, au craquement insidieux de la moindre brindille subsidiaire, mais l'emprise sonore devient obsédande, le rythme reste toujours lent, l'intensité sonore s'amplifie, la rupture... Motherfucking badass : ...déboule, une course folle sur une rythmique impitoyable, un trait de feu qui parcourt l'espace, rejoint par une voix qui amplifie le sentiment de l'inéluctable. Brut de noir à pas cadencés, le pendule de la mort qui descend vers vous imperturbablement se rapproche. Une voix de tuerie, des guitares de chienlit, des frayeurs pulsatives de batterie, hallali démiurgique, un dernier hurlement, et les ronronnements de guitares s'éloignent au loin. Un morceau merveilleusement structuré. Thirst for lust : éclats nerveux de guitares, crachats de voix sur la face de Dieu, semelles de plombs du drumming, le rythme se segmente pour se reconstituer en plus schismatique, en plus rapide, mais comme ralenti par la saturation hérésiarque des guitares. Froissements de ferrailles, la voix qui criaille en un festival d'ailerons de requins qui arrachent les chairs sanglantes de leurs victimes. Apothéose. King of the crossroads : guitares grondantes et hachoir vocal, collisions de carrefours, courses à mort, déconnections et reconnections, rien ne les arrêtera. Eclaboussures de tintements et moteurs en furies qui grondent. Reason to cry : pas une raison pour ralentir le rythme en tout cas, ni de pleurer honteusement dans son mouchoir. Une voix salement insidieuse. Forge drummique pressurisée en arrière-plan. Vocalises qui s'égosillent, guitares qui ripent sur du verre brisé, l'on entend les tintements cristallins du diable qui cogne à la fenêtre béante de l'esprit dévasté. Désormais les guitares tirebouchonnent dans les amplis, la voix se fraye un chemin dans les soubassements de l'obscurité et l'on refait un tour sur la bande de Möbius de la souffrance animale infinie. Qui finit par se rompre en un grandiose balancement.

    Damie Chad.

    CAMON ( 09 ) / 09 - 08 - 2019

    La Camonette

    KERYDA

     

    Jeudi, retour obligatoire à la Camonette, bouffe excellente mais totalement subsidiaire, la semaine dernière nous avons eu le père, Chris Papin-Jijibé, dans le jeu des sept familles des musiciens donnez-moi le fils, Damien. L’aurait pu mal tourner comme le père et s’adonner au démon du blues comme le prédestinait son prénom, mais non, est abonné à un tout autre genre. Difficile à définir : disons un folk curieux pour ceux qui ont besoin d’étiquette.

    KERYDA

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    Sont beaux et jeunes tous deux, prince courtois et princesse charmante échappés d’un conte de fées. Il a une vieille contrebasse toute sombre à ses côtés, et elle une harpe de bois clair d’Ariège posée sur un piédestal. Contrebasse + harpe, ensemble composite mais en même temps empreint d’une similarité sonore évidente même si la vieille dame s’adonne à de funèbres tonalités automnales et si de la damoiselle fièrement cambrée s’élancent de claires perlées de rires d’enfants cristallines. Alta et contralta. L’assemblée, au bas mots plus de cent cinquante convives, bruisse de bruits confus lorsque Damien se saisit de son archet. Qu’il délaisse aussitôt pour des doigtés de pizzicati virevoltants à la manière d’étincelles de jazz, et c’est sur ce tapis tressautant d’escarboucles que Sara Evans dépose de translucides feuillages brocéliandiques agités par une brise mutine. En un instant, elle installe un autre espace, plus subtil, plus fluide, de silence et de musique entremêlés, miroirs et reflets de miroirs. C’est cela Keryda, cette création d’une dimension à part, d’une intimité plus profonde avec le vertige des apparences. Ce premier morceau est suivi d’un deuxième qui sonne étrangement et orchestralement contemporain, sont-ce les sourds frappés de Damien sur le bois, ou cette savante rythmique entrecroisée de sons clairs et sombres mais l’instant s’avère magique et soulève les applaudissements. Et la musique de Keryda se fait plus lointaine, à croire qu’elle veuille nous entraîner dans les terres du songe en des contrées arachnéennes et infinitésimales. La big mama marmonne de profondes incantations et les notes de Sara profèrent des mélopées d’endormissement vaporeux. La nuit et le jour s’unissent en une couleur goethéenne ignorée des simples mortels, habitée par de malicieux farfadets invisibles dont on ne perçoit la présence que par l’évanouissement disparitif qu’ils laissent derrière eux. Instants de rêves indistincts suspendus sur le vide vertigineux des glaciers de la beauté.

    + FRIENDS

    Pour le troisième set, la scène est envahie d’invités. Le facteur et Zoé, la fille triangulaire. Il fabrique et tient entre ses mains un accordéon, elle toute blonde se contente d’un triangle isocèlement métallique. Il y a encore une violoniste, un guitariste et Julien aux percus. Changement d’ambiance, Damien s’est muni d’une basse électrique et il groove grave, un son concassé que le facteur se hâte par derrière d’étoffer. L’on dérive lentement vers un méli-mélo d’improvisations, au substrat argentin. C’est bien fait, agréable, sympathique, mais cela n’atteindra jamais à l’intemporalité de Keryda.

    Damie Chad.

    TARASCON ( 09 ) / 17 - 08 - 2019

    COMPAGNIE R2

     

    Damie tu pourrais m’amener à Tarascon, ce soir il y a de la danse contemporaine. Un truc de fille évidemment, palsambleu de la danse contemporaine ! tout être normal et évolué aurait repéré un groupe de rock obscur dans un bouge perdu, mais non de la danse contemporaine. Bref direction Tarascon ( con ! ). Evidemment, la grande esplanade festive est vide, faut arpenter les rues en pente de la vieille ville pour trouver La Placette.

    Un mouchoir de poche, le tatamis noir en occupe la plus grande largeur juste devant l’unique maison, déduction logique les habitants sont condamnés à rester chez eux durant la représentation, une trentaine de chaises sont entassées dans le triangle restant, mais des spectateurs peuvent se masser sur le côté de la rue qui monte rude et surplombe, à ne pas confondre avec celle de l’autre côté qui descend profond. Je précise que l’Ariège est peuplée de montagnes. Une hétéroclite collection de tableaux grand-format sont accrochés un peu partout aux murs de pierres ocres.

    PASSAGE

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    Sont tous les quatre en chaussettes blanches, se déchaussent de leurs sandales et vont se prostrer en silence sur quatre chaises de bois noir. Les deux filles vêtues de blanc, les deux garçons en jeans bleu-délavé et tunique blanche. Musique. Non ce n’est pas du rock. C’est du Pink Floyd ! Une bonne sono qui vous en met plein les oreilles. Dès les premiers mouvements esquissés, il apparaît que l’on affaire à de véritables professionnels. Vous scotchent sur place, suivent la musique de The Wall, pas de l’improvisation sauvage et hasardeuse au petit bonheur la chance, un véritable ballet, aux séquences ultra-réglées et codifiées. Pour le Pink dont la musique vous enveloppe, je m’aperçois - mais la gestuelle m’y pousse peut-être - qu’ils ont sacrément pompé sur le Tommy des Who, jusqu’à Waters qui essaie de retrouver la flexibilité vocale ( sans y arriver ) de Daltrey. En tout cas pour la thématique, il n’y a pas plus de lézard que d’horloge. L’enfermement est bien le sujet central des deux opéras.

    Les schizos ne freinent jamais. Sont tout à leur délire. Même leur moments d’abattement restent inquiétants. Sont à côté du monde, enfermés en eux-mêmes, n’ont besoin de rien d’autre, ils ont rapté au grand tout universel des hommes ce qu’ils ont de pire, la violence et la folie. Des guêpes folles recluses dans une bouteille qui tourbillonnent, se montent dessus ou se fuient, se laisse aller à des simulacres de sexe et de meurtre. Des tentatives d’amitié sans lendemain. La seule véritable absente de cet entremêlement de corps entassés ou distendus, c’est étrangement la Mort. L’est comme une valeur fiduciaire qui court entre les individus mais totalement invisible, reléguée hors du plateau et de l’esprit de la folie.

    Une esthétique manga. Sont-ce les tuniques blanches, le fait que le maître plus âgé danse avec ses trois jeunes élèves qui me poussent à une lecture nipponne de cette pièce créée en 1996, non plutôt ces arrachés de bras, ces mouvements subitement arrêtés en plein élan, ces tourbillons de contre-plongée, ces emprunts hip-hopiens comme des citations de mantras énergétiques, cette frénésie d’ailes de phalènes carnivores, subitement cloués en plein vol sur la noirceur d’une planchette par l’épingle froide d’un entomologiste insensible obnubilé par la poursuite vaine d’un rêve sans cœur ni raison. Une inversion de la théorie du papillon, le battement de l’âme d’un individu excédé de folie déclenche les pires tempêtes non pas à des milliers de kilomètres à l’autre bout du monde, mais un tsunami irrémédiable dans l’esprit même, phalène qui halète sans fin, prisonnier dans sa propre cellule intérieure, et le corps secoué de spasmes, cassé en deux, morcelé en fragmentations infinies, n’est que la résultante de cette force psychéïque retournée contre elle-même, à défaut d’un revolver salvateur. L’ensemble vous donne l’impression d’une stérile obstination à perpétrer un hara-kiri impossible puisque opéré avec l’arme émoussée de la chair incapable malgré tous ses remuements eschatologiques d’entamer les silex tranchants et nervaliens de votre psyché délirante. Car la folie tourne en rond en vous-même et vous broie pour vous empêcher de traverser le miroir des apparences. Tout cela dans ces saccades de gestes prompts, ces rafales de delirium tremens, ces abattements somptuaires et résignés qui à peine en repos se rallument comme flammes vives dans les pinèdes des songes inavoués. Et infinis. La danse comme équation mathématique à quatre corps inconnus qui ne sera jamais résolue, sinon sans l’arrêt de la musique qui mène le bal.

    Un triomphe. Pour ceux qui se demandent le pourquoi de cette chorégraphie incandescente sur la musique du Floyd, qu’ils se procurent la cassette vidéo du Pink Floyd Ballet en collaboration avec Roland Petit. La danse est un geste sans cesse recommencé mais toujours inachevé.

    Damie Chad.

    ROCK'N'ROLL STORIES

    BUDDY HOLLY

    RNRS : Série 2 / N° 6

    15 / 09 / 2019

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    Buddy Holly est mort à vingt-deux ans, mais si vous voulez vous pencher sur sa discographie, entreprenez plutôt la lecture du Tractacus Logicus de Wittgenstein, pas très rock'n'roll je vous l'assure, mais ô combien moins complexe. En fait le plus simple sera d'écouter ce sixième numéro de Rock'n'roll Story. Certes Buddy a enregistré un maximum de simples et je vous l'accorde ces pochettes de papier, souvent blanches, ne sont pas très vidéographiques, mais si vous êtes patients vous aurez droit aux belles images des 33 tours. De toutes les manières perso j'ai une préférence pour les EP français. Vous en verrez aussi. Je ne voudrais pas être rabat-joie mais Buddy n'avait pas tout à fait un physique de jeune premier.

    Les débuts de Buddy sont riches d'enseignements pour ceux qui s'intéressent à l'éclosion du rock'n'roll. Ça ressemble un peu à un vol d'albatros qui s'arrachent d'un océan mazouté, mais après c'est comme dans le poème de Baudelaire, cette satanée musique hante la tempête et se rit de l'archer. Enfin pas tout à fait, car il y aura de sacrées descentes en flammes, Buddy notamment abattu en plein vol. Par la main froide du destin.

    Une famille de musiciens – à croire qu'aux States il n'y avait que des gens qui savaient jouer de quelque chose – Buddy taquinera, la mandoline, le piano et grâce à son grand-frère Travis la guitare. En 1951, il formera le duo Buddy and Bob, Bob Mongomery, copain de collège, à la guitare et Buddy au banjo. Auparavant il avait déjà formé un duo avec Jack Neal, le futur bassiste des Blue Caps. Lorsque l'on lit les mémoires de Sharon Sheeley, la '' fiancée'' d'Eddie Cochran l'on s'aperçoit que le vaste monde du rock'n'roll américain devait être toutefois assez exigu car la plupart de ces artistes se connaissaient et n'arrêtaient pas de se croiser malgré l'immensité du territoire. Par contre s'il est un vivier inépuisable c'est celui des maisons de disques, des labels, des imprésarios, des organisateurs de tournées, des producteurs, le dessous grouillant de l'iceberg. Ne nous y trompons pas ces hommes de l'ombre empochaient les plus gros bénéfices. Un véritable panier de crabes. Ainsi entre Decca, Brunswick et Coral, Buddy aura du mal à tirer son épingle du jeu. Ses disques paraîtront sous diverses appellations, The Crickets ou Buddy Holly and The Crickets, Buddy Holly. Autre tare de ce système, les artistes ne sont pas les seuls à avoir droit de regard sur les titres. Beaucoup de démos seront ainsi refusées, elles feront plus tard la joie des rééditions.

    Pour le moment Buddy et ses compagnons – la formation des Crickets est pleine d'allées et venues – deviennent doucement des gloires locales. Peu de choses au regard de l'étendue du pays mais assez pour participer par trois fois à la première partie des trois spectacles qu'Elvis Presley donnera en 1955 – c'est à cette époque qu'il enregistrera Down the Line et Baby won't you play house with me ( ce dernier à mon goût supérieure à la version d'Elvis ) - et 1956, toujours à Lubbock. Sera aussi présent au concert de Bill Haley. Puis ce sera la rencontre de Norman Petty qui restera son producteur pratiquement jusqu'à la fin. Si après la mort de Buddy, Petty trafiquera quelque peu les bandes, il faut reconnaître que leur collaboration permettra à Holly de fixer son style. Imaginez un mix mélodieux et heurté d'un son qui allierait le flegme d'Hank Williams au jungle sound de Bo Diddley. Dans cet alliage, le plus important, ce ne sont ni les racines noires ni celles du western bop, mais cette idée de la création d'un son, Sam Phillips inventera en quelque sorte l'enregistrement, mais Buddy y ajoutera cette idée que l'on ne doit pas reconnaître la marque du studio, mais le son singulier de l'artiste. C'est en Angleterre que la leçon portera ses fruits, Beatles et Stones sauront écouter le message de Buddy et se forger leur propre marque sonore de reconnaissance totémique. Que serait devenu Buddy s'il n'avait pas disparu, tout ce que l'on peut dire c'est qu'il avait le projet de monter un label Prisme. Sans doute serait-il passé souvent derrière les manettes...

    Mais délaissez cette hâtive chronique, écoutez Rock'n'roll Stories, il est impossible de faire mieux et plus précis en trente minutes. ( Sur You Tube ou le FB )

    RNRS : Série 2 / N° 3

    EDDIE COCHRAN

    04 / 08 / 2019

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    Un destin similaire à celui de Buddy Holly. Fauché en pleine jeunesse. A vingt-et-un ans. Mais avec un goût d'inachevé que l'on ne retrouve pas chez Buddy. L'impression non pas d'une perte, mais d'un gâchis. La sensation qu'il est parti hier ou à peine depuis dix minutes, qu'il a laissé sa guitare pour aller fumer une clope et revenir. Buddy a laissé une œuvre. Eddie des semences. De celles qui permirent la renaissance de l'épeautre à partir des grains retrouvés dans les tombes des pharaons. Une dizaine de titres essentiels – sans oublier tout le reste - mais à partir de seule cette maigre poignée, ne subsisterait-il à la surface de la terre que cela, l'on pourrait reconstruire le rock'n'roll rien qu'à partir de ce coffre aux merveilles. Bien sûr tout est bon chez Eddie, un enseignement magistral à puiser du premier titre au dernier enregistrement. Mais cela ressemble à des brouillons d'enfant surgénial. D'une folle générosité. D'une immense précocité. D'une diabolique facilité. L'on ne peut s'empêcher de penser au destin d'un Evariste Galois fauché à vingt ans dans un duel, laissant en jachère des théories mathématiques qui furent reprises par bien des suiveurs. L'on aimerait savoir ce qu'il aurait fait par la suite. L'on se plaît à accroire que les routes du rock'n'roll auraient amorcé d'autres trajectoires, mais l'on n'en sait rien. En disparaissant Eddie Cochran ne nous a laissé sur quelques photographies que son sourire enfantin et triomphal pour essayer de déchiffrer une énigme qui nous dépasse.

    C'est pour cela que les remémorations de Rock'n'roll Stories nous sont précieuses, au-delà des faits elles ouvrent les perspectives infinies du rêve.

    Damie Chad.

    Sur FB : Rock'n'roll Stories ou sur You Tube.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 222 : KR'TNT ! 341 : KIM FOWLEY / MONTEREY POP / WISEGUYS / ABSTRACT MINDED / INSANECOMP / ROCKABILLY GENERATION 2 / BRUNO BLUM / KERYDA

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 341

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    28 / 09 / 2017

     

    KIM FOWLEY / MONTEREY POP / WISE GUYS

    ABSTRACT MINDED / INSANECOMP

    ROCKABILLY GENERATION N° 2 / BRUNO BLUM

    KERYDA

     

    TRISTE NOUVELLE

    Disparition de Tina Craddock, soeur de Gene Vincent, qui fut toujours au côté de son frère et qui a beaucoup fait pour préserver son souvenir et sa présence on the Rocky Road Blues...

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    Feu Fowley - Part Two

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    Paru voici cinq ans, le premier volet de l’autobiographie de Kim Fowley choque. De plusieurs façons. Un, par le riquiqui de sa taille. On s’attend à un volume de 500 pages et on se retrouve avec un petit recueil de vers et de prose dans les pattes. Deux, par la violence contenue dans le premier tiers du livre qu’il consacre essentiellement à ses souvenirs d’enfance. Et trois, par l’âcre parfum de génie que dégagent les pages et qui vous monte directement au cerveau. Kim Fowley, c’est de l’oxygène à l’état pur, mais ça, on le savait depuis 1972, l’année où on écoutait I’m Bad chaque soir en rentrant du lycée.

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    Alors commence le bal des évidences. Quel est l’auteur américain qui par le un et le trois se rapproche le plus de Kim Fowley ? Dylan, bien sûr. Fabuleux Dylan qui plutôt que de nous assommer avec un gourdin de 500 pages préféra nous glisser un petit ouvrage de prose, le fameux Chronicles, dont on relit les pages avec un plaisir aussi gourmand que celui qu’on prendra à relire les contes rassemblés dans L’Hérésiarque & Cie - De la même façon qu’Apollinaire, Bob Dylan et Kim Fowley auraient pu dire : «Oh mais j’ai la faiblesse de me croire un grand talent de conteur.»

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    D’autres parallèles s’imposent avec des auteurs dont la prose est si pure qu’on qualifie leurs ouvrages de ‘précis littéraires’. On pense à Guy Debord et à Maurice Sachs, et bien entendu à Drieu : Feu Fowley croise le destin d’Alain Leroy dans Le Feu Follet, récit mirifique d’exemplarité crépusculaire. Kim Fowley est mort sans s’être tiré une balle dans la bouche, mais il laisse cette extraordinaire impression d’existence furtive, comme s’il n’avait jamais eu de prise sur la réalité. Il précise d’ailleurs qu’il n’a jamais possédé ni meubles, ni maison, ni famille. Comme Jacques Rigault, dadaïste furtif que Drieu prit comme modèle pour son Feu Follet, Kim Follet traverse la culture d’une époque et se volatilise dans une poussière d’étoiles, laissant derrière lui une poignée de disques et quelques feuilles de prose. Qu’on comprenne bien qu’un personnage comme Kim Fowley n’est pas un gadget, ou pire encore, un objet de spéculation chez les Thénardiers du vinyle. Au même titre que Bob Dylan, Kim Fowley est l’un des artistes les plus brillants, les plus complets et les plus fascinants du XXe siècle.

    S’il est une chose qu’il réussit à merveille, c’est assener des vérités. Il commence son ouvrage ainsi : «Les deux moteurs du rock sont le sexe et la vengeance. Vengeance contre les membres pourris de la famille, les copains retors, les profs sadiques et les ennemis du voisinage, tous ces gens qui pensent que vous n’avez ni talent, ni magie, ni avenir.»

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    Mais le conseil qu’on pourrait donner à ceux et celles qui n’ont pas encore lu ce fatidique livruscule serait de commencer par la fin, car Kim Fowley y salue son lecteur de manière émouvante : «J’en ai bavé pour écrire ça. Je voulais simplement que tu saches que j’ai vécu sur cette planète. Que j’ai cherché une femme, qui soit aussi une amante et une amie. Merci d’être mon amie. On a traversé ensemble les miroirs du passé et du temps présent. Mais il n’y a plus d’avenir pour Kim Fowley. Seulement des ennuis. N’oublie pas de lire les deux volumes à paraître. Ils changeront ta vie. Et maintenant, prie pour moi, cette nuit. Je suis déjà parti, quelque part dans l’obscurité où je cherche un trou pour m’y enfouir. Ce livre est dédié à la fiancée de Frankenstein. Hélas, je ne l’ai jamais rencontrée. Tâche d’être heureuse dans ta vie. Merci de m’avoir consacré ton temps.»

    Nous sommes tous la fiancée de Frankenstein. Dans la mort comme dans la vie, Kim Fowley fonctionne en termes d’universalisme. «Si j’étais mort en 1959 avec Big Bopper, Buddy Holly et Richie Valens, ou mort d’une overdose en 1969, et que j’avais laissé ce livre en souvenir, vous vous seriez tous extasiés. Sauf que le jour de leur mort, je suis allé à Hollywood. Ce que j’essaye de te faire comprendre, c’est que j’ai vécu le rock même après qu’il soit mort avec la mort de Buddy Holly. Je suis encore en vie, sous perfusion, avec l’esprit au bord de l’abîme et quelques derniers éclairs de lucidité. Je traverse tout ça juste pour essayer de produire encore un peu de magie. Je raconte dans ce livre le fond de toute cette histoire qu’on appelle le rock et la façon dont ça fonctionnait. Je ne fais que raconter des anecdotes.»

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    Comme Nietzsche avant lui, Kim Fowley se montre humain trop humain, et de la griserie des rencontres naît une sorte de gai savoir qu’il nous restitue sous la forme d’une pluie d’hommages : «Qui étaient les meilleurs ? J’ai déjà cité leurs noms, John Lennon, Jim Morrison, Jerry Lee lewis, et puis aussi Etta james, Sandy Shaw et Dusty Springfield. Mary Weiss a eu de grands moments, elle aussi, God, quels disques ! Phil Spector : sensational. Encore des noms évidents, Joe Meek et George Martin. Roy Orbinson, c’est Dieu. Quand il ouvre le bec pour chanter, c’est la même chose que le mec des Ink Spots ou celui des Skyliners, Jimmy Beaumont. Je veux dire : wouah ! Lorsqu’ils ouvraient le bec pour chanter, ils te changeaient la vie.» En contrepartie, il ne fait pas de cadeaux aux demi-portions : «Frank Zappa était très doué, mais il n’était peut-être pas aussi doué qu’on le disait. Surestimé. Comme tous ces mecs, Nick Cave, Elvis Costello, Nick Drake, on leur donne le bon dieu sans confession. C’est vrai qu’ils étaient relativement bons, mais pas si bons que ça. Tout le monde a de grands moments, mais aussi des moments ennuyeux, ou pas de moments du tout.»

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    Certaines pages peuvent donner le vertige comme celle qu’il consacre à son vieux camarade PJ Proby : «C’est le meilleur interprète de rock qu’il m’ait été donné de côtoyer dans un studio. On lui montre une chanson et il l’enregistre du premier coup, comme s’il l’avait chantée pendant dix ans. Stupéfiant ! Il n’avait même pas besoin de répéter. Et sur scène, il était aussi bon que Jim Morrison. Aussi bon que James Brown. Il avait l’allure, le son, la présence et en plus, il savait composer.» Et il repart de plus belle avec le drinking side : «PJ savait boire. C’était un homme sensible. Il était extrêmement intelligent. C’était un mec bien, même beaucoup trop bien. Tout en lui était beaucoup trop bien. C’est là que se situait le problème, on ne pouvait absolument rien lui reprocher. Il buvait comme un trou, semblait sortir d’un récit de John Barrymore ou d’Eugene O’Neill, ou de n’importe quelle pièce irlandaise montée à New York. Cet homme savait vraiment boire - This guy was a world-class drinker.»

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    Un jour à Londres, Kim Fowley va rendre visite à Joe Meek. La qualité du portrait qu’il brosse de Joe Meek renvoie bien sûr aux portraits qu’Apollinaire croqua de ses contemporains dans Le Flâneur Des Deux Rives, des gens aussi exotiques qu’Alfred Jarry ou Jean Moreas. «Il m’a payé à bouffer. C’était un sandwich à la dinde, parfaitement appareillé à la peau de dinde de son visage. Un sandwich au pain blanc. Il l’avait préparé lui-même. On s’est assis et on a boulotté nos sandwiches. Je lui disais que c’était génial de le rencontrer et on a échangé des compliments sur nos mérites respectifs. Puis je suis parti. Joe Meek est un type qui analyse les choses. Il portait un sweater Mr Rogers avec des boutons devant. Il s’était gominé les cheveux et ils avait sur la peau une couche aussi translucide que la peau d’une dinde de supermarché.»

    À tout seigneur tout honneur, puisqu’il rend un hommage spectaculaire à Syd Nathan, le boss de King Records : «J’ai passé un après-midi avec lui. Il m’avait accordé une audience. J’avais l’habitude d’aller voir des gens comme lui uniquement pour les entendre me raconter leur histoire. Syd Nathan, quel génie ! James Brown, Hank Ballard and the Midnighters, c’est lui. Starday Records aussi. Je veux dire : wouah !»

    Comme Kim Fowley se dit chien, il bénéficie d’un flair extraordinaire et dès 1959, il multiplie les découvertes : Jan & Dean («Jan Barry est une sale mec, un type vicieux, mais c’était un génie du doo-wop, au sens rock’n’roll du genre. Parce qu’il se savait intelligent et talentueux, il croyait que c’était une bonne raison pour se comporter comme un porc»). Puis Kip Tyler, un type qui venait de l’Est et qui portait du cuir («Il était rockabilly, mais d’adoption. No Southern rockabilly»). Puis Bruce Johnson qui joue encore aujourd’hui dans les Beach Boys. Puis les Rivingtons qui lui chantent «Papa-Oum-Maw-Maw» au téléphone. Puis les N’Betweens, futurs Slade, dont Kim admire le chanteur, Noddy Holder, «qui a la même voix que Little Richard et les Isley Brothers - Gravel and power and poetry.»

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    Les pages qu’ils consacre à Gene Vincent comptent parmi les plus émouvantes de ce recueil. Gene ne voulait pas enregistrer en Californie, mais au studio Malaco, situé à Jackson, dans le Mississippi. Comme le studio se trouvait au bord du fleuve, Gene pensait qu’il aurait pu aller pêcher avec ses copains musiciens entre deux prises de son. Il adorait ça. Il voulait faire ce qu’il avait toujours fait : du Southern rock’n’roll. Mais le label refusa. Clive Selwood n’aimait pas Kim et ne comprenait rien à Gene Vincent. Kim raconte qu’ils furent contraints d’aller enregistrer au studio Elektra, dans une ambiance psychédélique qui n’avait strictement rien à voir avec le gut-bucket-rockabilly/redneck-country-driving rock and roll dont se réclamait Gene. Des gens débarquaient dans le studio, comme John Sebastian et son chien de luxe. Ou encore Paul Rothschild, producteur des Doors, accompagné de two blonde surf beasts, au moment où Gene allait attaquer le «Sexy Ways» d’Hank Ballard. Excédé, Gene demanda qui étaient ces gens qui débarquaient sans prévenir. Kim fit les présentations. Gene se tourna alors vers le Rothschid pour le prévenir qu’il allait sortir le flingue qu’il planquait dans sa botte pour lui mettre une balle dans la tête - Leave my studio ! - Rothschild disparut immédiatement.

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    Et lorsqu’on se rapproche des premiers chapitres, Kim replonge avec une rage indescriptible dans la violence de ses souvenirs d’enfance. Ses parents cherchaient à faire carrière à Hollywood. Quand son père Doug partit faire la guerre, sa mère profita de l’occasion pour filer avec un autre mec. Kim a cinq ans et demande à sa mère ce qu’il va devenir. Elle lui répond : «Tu n’es pas le bienvenu chez mon nouveau mari. Il ne veut pas du fils d’un acteur raté. Il va me faire des gosses meilleurs que toi. Ton père est une merde et mon nouveau mari vaut mille fois plus. Mais je n’ai rien contre toi.» C’est ici que l’auteur prend son envol, car à travers la violence des dialogues qu’il restitue, il met en route l’imparable mécanisme d’un roman tragique. Mais c’est en puisant dans le privilège d’avoir vécu cette horrible situation qu’il établit son pouvoir sur le lecteur. Enfant, Kim Fowley fut à la fois victime de la polio et de l’égocentrisme pathologique de ses parents. Et le même jour, sa mère ajoute : «Je ne te reverrai plus. Ça ne m’intéresse pas de te revoir. Je vais donner d’autres enfants à mon nouveau mari.» On est en Californie, à Beverley Hills, une ville que Kim qualifie dans ses chansons d’usine à rêves.

    À toutes fins utiles, il prend soin de re-situer ses parents dans l’histoire du cinéma : «À l’écran, Doug Fowley était horriblement nul. Ma mère Shelby l’était aussi. Elle jouait le rôle de la vendeuse de cigarettes dans Le Grand Sommeil, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall.» Quand adulte Kim sort de l’hôpital, il entre en poésie et se rend à Venice pour «baiser des vieilles salopes à la façon de Byron, avec une canne.» Comme beaucoup de personnages de romans rescapés d’une enfance cauchemardesque, Kim Fowley verse dans l’immoralité, de la même manière que Monsieur de Phocas ou Moravagine. Il crache le feu et domine le monde. Il baise des tonnes de filles et dort sur des parquets - I’ve lived like an animal and a dog since 1959 - «La plupart des gens en Amérique vivent au dessus de leurs moyens. Ils vivent dans des maisons remplies de meubles, de rideaux et de toute cette merde. Ils sont les esclaves de leurs emprunts. Je ne l’ai jamais été. Je suis tout le contraire de ça. J’ai vécu comme un chien et par conséquent j’ai pu rêver toute ma vie comme un sage.» Il faut comprendre par là que Kim Fowley n’appartient plus à son époque et qu’il est devenu ce que professait Oscar Wilde : une œuvre d’art, mais pas inspirée de la Renaissance italienne ou des paisibles Impressionnistes. Non, Kim Fowley tape dans le cœur de cette culture profondément américaine : le trash. «Je suis à la fois John Waters et Sam Phillips. Je suis le roi des hors-la-loi d’Amérique - The Outlaw King of America.»

    Signé : Cazengler, Kim falot.

     

    Kim Fowley. Lord of garbage. Kick Books Original 2012

     

     

    Il est des choses qu’on peut Monterey sans rougir

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    Tiens, voilà Peter Watts ! Il est de retour dans l’Uncut de June pour un petit coup de projecteur sur Monterey, le premier grand festival pop d’Amérique. Watts tend son micro à Pete Townshend : «Ben c’était mon premier voyage en Californie. Ah ouiche ! Il faisait un temps de rêve et c’était le début d’une aventure. Ah t’aurais vu, dans le backstage, t’avais des tas de beautiful people sous acide qui se regardaient fixement les uns les autres et qui dansaient comme des brêles - dancing like twats.» Monterey symbolisait l’âge d’or de la culture hippie, c’est pourtant la férocité des Who et de Jimi Hendrix qui eut le plus d’impact sur le public. Monterey allait servir de modèle à tout ce qui allait suivre : Woodstock, Glastonbury, Altamont et tout le tintouin. Eric Burdon rappelle que Monterey doit essentiellement son succès aux good ol’ vibes qui régnaient dans le coin, cette année-là.

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    Hormis la qualité de la programmation, l’aspect fascinant de Montery Pop est sa genèse. Un playboy nommé Alan Pariser vit le Monterey Jazz Festival et ça lui donna l’idée d’organiser le Monterey Pop Festival. Il connaissait Derek Taylor, l’attaché de presse des Beatles, qui lui conseilla de programmer les Mamas & the Papas qui étaient alors the hippest local act. Étrange coïncidence : John Phillips, Lou Adler et Paul McCartney venaient juste d’envisager l’organisation d’un festival. Et pouf, Lou et John prirent les rênes du projet. Il décidèrent d’en faire une œuvre de charité, ce qui fut un coup de génie. Lou, John, Terry Melcher, Johnny Rivers et Paul Simon mirent chacun 10.000 livres dans la caisse commune pour financer le projet. D’autres personnalités comme Brian Wilson, Donovan, Roger McGuinn, Smokey Robinson, Andrew Loog Oldham et Jagger apportèrent leurs concours. Oldham fut bombardé International Director. Ça lui permit de quitter l’Angleterre où les Stones avaient des problèmes avec la justice. C’est d’ailleurs ce départ pour la Californie qui lui vaudra d’être accusé de lâcheur et d’être viré des Stones. Lou et John demandèrent à Oldham et à McCartney quels étaient selon eux les groupes anglais les plus indiqués pour Monterey. Ils répondirent d’une seule voix : «The ‘Hoooo and Jimi Hendrix !»

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    Lou et John firent des miracles, en tant qu’organisateurs : Lou dealt with money, John the music. Ils s’entendaient à merveille. John Phillips appelait les groupes pour les convaincre de venir jouer à l’œil. Il était à la fois l’organisateur, le promoteur, le booking agent et la tête d’affiche. Il se trouvait au pinacle de sa gloire. C’est là qu’il écrivit en 20 minutes l’un des plus grands hits de l’époque, «San Francisco (Be Sure To Wear Flowers In Your Hair)». Grâce à ce hit, Scott McKenzie allait entrer dans l’histoire. Ce qui fit la grandeur du team Adler/Phillips, c’est qu’ils voulaient the best of everything, et leur everything comprenait le blues, la musique indienne, la pop, le jazz et l’acid rock. Ils eurent donc Ravi Shankar (qui fut le seul à toucher un cachet), le Dead, Simon & Garfunkel et Paul Butterfield. Ils voulaient aussi absolument Dionne Warwick qui hélas ne put se libérer. Les Beach Boys étaient prévus, mais bon, Brian avait la gueule dans la dope. Sollicités, les Impressions ne répondirent pas à l’invitation. Quant à Donovan et aux Kinks, ils ne réussirent pas à obtenir leurs visas. Une rumeur courait comme le furet : les Beatles envisageaient de venir pour un concert exceptionnel. Captain Beefheart, Love et les Lovin’ Spoonful déclinèrent l’invitation. On oublia par contre d’inviter les Doors. Et si Smoky Robinson ne parut pas, c’est parce que Berry Gordy ne voulait pas que Motown participe à ce truc de blancs.

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    Lou Adler réussit même l’exploit de financer le tournage d’un film qu’il confia à D.A. Pennebaker. Par contre, il n’apprécia pas du tout le carnage des ‘Hoooo : on le voit arriver sur scène à la fin de «My Generation» et ramasser les débris en tirant une gueule d’empeigne. Jimi Hendrix et les ‘Hoooo jouèrent l’ordre des sets - qui passait avant qui - à pile ou face, une idée de Brian Jones. Pete Townshend raconte aussi que Jimi Hendrix était pretty fucked up, very smashed on acid. Eh oui, Owsley lui avait offert 100 mg de STP - A major dose - une demi-heure avant le set qui allait le rendre célèbre dans le monde entier. Jimi baise sa guitare sur scène et la fait cramer. Des mauvaises langues dirent à l’époque que la différence entre les ‘Hoooo et Jim Hendrix, c’est que Pete Townshend violait sa guitare alors qu’Hendrix lui faisait l’amour. Townshend le reconnaît lui-même : «Ben ouiche, quoi qu’il fit, Jimi looked so beautiful. Moi jétais qu’un skinny West London boy avec un gros pif, rien qu’un sale petit branleur qui la ramenait.» Quand Lou Adler envoya un extrait du Set de Jimi Hendrix à la chaîne de télé qui devait faire une émission spéciale sur Monterey, le contrat fut bien sûr aussitôt annulé. Trop sauvage pour la middle-class.

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    Monterey est surtout l’emblème d’un temps qu’il faut bien qualifier de magique, ne craignons pas d’employer les grands mots : un temps où on voyait Brian Jones déambuler dans la foule avec Jimi Hendrix ou avec Nico, un temps où la ronde des talents donnait franchement le vertige. Pour s’envoyer un petit shoot de ce bon vertige, il suffit tout simplement de visionner les 3 DVD du coffret Monterey Pop festival paru en 2002. Attention, c’est un format zoné pour l’Amérique. Seul le lecteur DVD de votre cher ordi acceptera ce format.

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    On connaît tous le Jimi Plays Monterey et l’Otis in Monterey, mais la vraie valeur ajoutée du coffret, c’est the Outtakes Performances, presque deux heures d’extraordinaires prestations d’artistes et de groupes qui en 1967 n’étaient pas encore très connus. L’éclosion de la fameuse scène de San Francisco date d’ailleurs de cette année-là. Ils sont venus, ils sont tous là, comme le dit Charles Aznavour : the Association, fantastique énergie, on voit ces mecs en costards prendre les harmonies vocales d’«Along Comes Mary» à quatre voix, puis Paul Simon - mmmm - «Homeward Bound», ce Paul du diable qui drive sa mélodie dans de juteuses descentes d’octaves mirobolantes - Mmmm/ like emptiness in harmony/ I need someone’s company - C’est puissant, car ils ne sont que deux avec une acou, ils créent de la magie, et ils enchaînent avec the Sounds d’Hello darkness my old friend, et ça décolle au subtil tremblement d’and the vision/ That was planted in my brain/ Still remain - on reprend son souffle, on savoure chaque syllabe de cet imputrescible chef-d’œuvre - Within the sound/ ........./ Of silence - C’est imbattable car si pur, d’une pureté mélodique sans égale, Paul prend ça au tremblé de glotte. Ça relève tout simplement de l’admirabilité des choses de ce monde. Ces deux branleurs affichent dans le faire exprès de véritables dégaines d’anges. La misérable banalité de leurs traits n’a d’égale que la grandeur de leur art vocal. D.A. Pennebaker a le génie des cadres serrés : on est si près d’eux qu’on s’y croirait. Country Joe, c’est une autre énergie. Il s’est peint des fleurs sur les joues et il frotte ses talons au sol comme Otis en 1962. Barry Melton joue le blues sur une bête à cornes. Ils swinguent leur Sweet Lorraine, ils psychoutent le Frisco blues et au passage, Country Joe s’impose comme un homme du futur. N’oublions pas qu’à l’époque, tous ces gens sont encore des embryons. Mais quelle présence ! S’ensuit un Al Kooper pas très bon. Accompagné par Harvey Brooks et toute l’équipe de Butter, il tente le coup du shuffle, mais ça ne marche pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas de voix. On passe à travers, et justement, Butter arrive à la suite, avec sa gueule de sale mec de service. Il a de la voix, mais il génère de l’ennui avec son blues de Chicago. Alors, attention, voilà Quicksilver, baby, comme si on y était. Cipo porte une veste trois-quarts à franges et joue à l’onglet de pouce. Gary Duncan chante, soutenu aux chœurs par David Frieberg. Fabuleuse décharge de good-timey jerkoff - All I ever wanted to dooooo - Fascinant spectacle !

     

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    Et pouf, voilà l’Electric Flag, l’un des groupes les plus mythiques de Californie, monté de toutes pièces par un Bloomy qui voulait inventer LE groupe qui n’existait pas encore, à l’époque, un mélange de rock, de blues et de soul, avec Buddy Miles au beurre et Harvey Brooks au bassmatic. Il faut voit Bloomy embarquer cette brochette de blues hoods ! Buddy Miles bat comme un démon, avec sa pompadour de soixante centimètres et sa cravate à fleurs. Wow ! Et paf, on tombe à la suite sur les Byrds, avec un Croz coiffé d’une toque en chinchilla. Les Byrds sont brillants, et ça va bien au-delà des possibilités du langage. Croz gratte sa demi-caisse STP. Qui dira la classe du vieux Croz ? Pas de Gene Clark dans les parages, c’est Roger qui se tape le lead. Il porte un bouc et gratte sa Ricken en picking d’onglets. Le peu qu’on en voit donne la chair de poule. On a là l’absolue perfection des harmonies vocales. Voilà encore un shoot d’émotion à l’état le plus pur. Ils font les vibrer les «Chimes Of Freedom» rien que pour nous. Si ce n’est pas de la veine, alors qu’est-ce que c’est ? Chez les Byrds, tout est saturé d’une clarté d’arpeggio florentin. Croz raconte que JFK a été abattu par plusieurs mecs en même temps et que les témoins have been killed, this is your country, ladies and gentlemen ! Ils retombent dans l’excellence d’«He Was A Friend Of Mine» et puis ils s’encanaillent avec une version sauvage d’«Hey Joe», celle des Leaves, bien sûr. Croz trépigne - What’s chou gonna doo - Il embarque ça à train d’enfer, il entre en transe, il chauffe tout Monterey à lui tout seul. Extraordinaire ! Ça fait partie des choses à voir dans une vie d’amateur, tout comme le clair de lune à Maubeuge.

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    Rien qu’avec cet enchaînement de légendes vivantes, on est déjà sur-saturé d’émotion. Mais ce n’est pas fini, car ça repart de plus belle avec Laura Nyro. Elle nous swingue la nuit californienne. Son «Wedding Bell Blues» sonne bien les cloches, même écourté. Elle enchaîne avec ce groove de la perdition absolue qu’est «Poverty Train». Au moyen-âge, on l’aurait accusée de sorcellerie et brûlée vive. S’ensuit l’Airplane qui, comme tous les autres, est encore en phase de décollage, and you better find somebody to love, baby ! La mauvaise surprise de cette montagne d’Outtakes, c’est le Blues Project. Incompréhensible et étrange. Ils attaquent au solo de flûte et ne s’accordent pas la moindre chance. Janis vient électriser la scène, elle s’impose comme on sait, oh-oh yeah, avec «Combination Of The Two». Ce diable de James Gurley joue dans son coin et part en vrille de garage fuzz. Il joue ça au picking d’onglet sauvage. Entre Cipo, Roger McGuin et lui, on a toute la crème de la crème des picking-Gods du rock californien. On voit aussi le Buffalo Springfield. Croz remplace Neil Young. Stephen Stills a déjà une sacrée allure de rock star, avec ses énormes rouflaquettes rouges et sa grosse demi-caisse.

    Oh on voit aussi les Canned Heat, la vraie formation, avec big Bob au chant, Henri Vestine qui passe son solo excentrique et Al Wilson qui en rajoute un à la slide. Tous les groupes qui ont fait la grandeur de la scène californienne sont au rendez-vous, Lou Adler et John Phillips ont bien bossé. Eric Burdon prend un «Paint It Black» très psyché. Dommage que Moby Grape ait sauté au montage.

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    Maintenant, place aux Anglais. This is the ‘Hoooo ! Moony explose d’entrée de jeu. «Substitute» ! Si tu veux voir un grand batteur anglais, c’est le moment ou jamais. Pas de pire sauvagerie scénique que celle des ‘Hoooo. Pendant que Pete fait des bonds, Moony dynamite le beat. Ils enchaînent avec «Summertimes Blues» et «A Quick One». Si on veut les voir démolir le matos, c’est dans l’autre film, le Monterey Pop complet : Pete y explose sa Strato à la fin de «My Generation» puis Moony démolit son kit à coups de pompes pour faire bonne mesure. Ces sont les Mamas & les Papas qui bouclent cet événement historique. Normal, puisque John Phillips est l’un des organisateurs, avec Lou Adler. John porte sa toque en chinchilla. Entre deux coups de Mamas, Scott McKenzie vient chanter son hit planétaire d’alors, «San Francisco» et paf, les Mamas & les Papas tapent dans «Monday Monday», so good to me, avec l’ami Doherty au lead sensible : ça donne une apothéose de la pop du non-retour. Mama Cass fournit les contre-chants de rêve et elle finit par shaker le shook de «Dancing In The Street», oh oui, la grosse le danse et le ouh-ouhte comme une Tamla Queen.

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    Mais l’épisode le plus dévastateur de Monterey reste bien sûr le set de Jimi Hendrix. Curieusement, Pennebaker glisse un autre extrait de concert en amuse-gueule : Jimi y porte un pantalon de velours bleu clair et fait gicler le jus de «Sergent Pepper’s Lonely Heart Club Band», jambes pliées. Puis Brian Jones arrive sur la scène de Monterey pour annoncer the Jim Hendrix Experience, à la suite des ‘Hooo. Jimi surgit affublé d’un boa rouge et d’un pantalon rouge assez moulant. C’est gagné d’avance - I shoul’ve quit you babe/ A long time ago - Mitch Mitchell tente de battre comme Moony mais c’est impossible. Jimi explose «Killing Floor», puis il enchaîne avec «Foxy Lady» - I want do you no harm/ Hooooo/ Foxy lady - Tout se passe dans une ambiance d’aristocratie à la peau noire, puis le set bascule dans l’enchantement d’How does it feel to feel, «Like A Rolling Stone», wooly groovy d’once upon a time you dressed so fine, didn’t you, c’est dingue comme ces phrases nous collent à la peau, mais soudain, Jimi explose «Rock Me Baby» à coups de power-chords, et il revient à de meilleurs sentiments en interpellant Joe - Where you goin’ with that gun in yer hand - Jimi bouffe ses cordes à la grande mode du Chitlin’ - C’mon wild thing/ You make my heart sing - Jimi fait une calipette au sol avec da guitare - I wanna know for sure - Solo dans le dos, les ‘Hooo peuvent prendre des notes, ils n’atteindront jamais ce degré de sauvagerie intrinsèque, et ça ne s’arrête pas là, car voilà que Jimi fait l’amour à sa guitare allongée au sol, il lui pisse un coup d’essence à la raie et craque une allumette. Oh ce n’est pas fini, il la réduit en miettes qu’il jette dans la foule. Les Américains n’avaient encore jamais vu un carnage pareil.

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    Singé : Cazengler, Monteraie du cul

    D.A. Pennebacker. The Complete Monterey Pop Festival. DVD 2002

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    Peter Watts : Be Sure To Wear Flowers In Your Hair. Uncut #241 - June 2017

     

    TROYES / 22 – 09 – 2017

    3B

    WISEGUYZ

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    Attention ils reviennent, de leur lointaine Ukraine, en tournée en France et bien sûr ils connaissent les bonnes adresses, les voici donc ce soir au 3 B. L'information a dû circuler car passé vingt et une heures le bar est sous pression, z'auriez même du mal à y glisser un malabar.

    WISEGUYZ

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    C'est choquant. Vous le savez, mais vous vous y faites prendre à chaque fois. Au début ils ressemblent à n'importe quel autre groupe de rockab. Quand ils démarrent, l'invraisemblable vous saute dessus. Jouent ensemble. Les esprits forts répondront que c'est la moindre des choses à laquelle l'on puisse s'attendre de la part d'un quatuor. Oui, mais avec les WiseGuyz c'est différent.

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    Prenez Ozzy, on le voit mal, au fond, caché par ses trois acolytes, à la batterie. Ne donne jamais l'impression de marquer la rythmique, l'a une frappe – je ne saurais la qualifier, ni lourde, ni légère, tout ce que l'on comprend c'est qu'elle n'accompagne pas les trois cordiers devant, elle se colle à eux, l'est aussi inséparable de leurs sonores émissions que la carapace ne l'est de la tortue, n'importe où qu'ils aillent, il fait partie du chemin, que ça trotte fort ou ça galope sec – pour le pas de parade faut pas y compter avec les Wise, apparemment n'en ont jamais entendu parler – le pire, lorsque vous apercevez l'Ozzy, c'est que pour un peu vous en crèveriez de jalousie, donne l'impression de ne pas y penser, assure avec une facilité déconcertante, vous ne vous étonneriez pas de le trouver en train de lire le journal.

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    Rebel c'est exactement le contraire. Ozzy assis aussi tranquille qu'un pêcheur à la ligne, Rebel debout l'oeil aux aguets, le chasseur qui ne lâche pas son chien du regard prêt à tirer sur le premier perdreau de l'année. N'a pas de hound dog qui vadrouille devant lui, alors il affûte sa contrebasse, de bois verni, plus haute qu'une horloge comtoise et tout aussi mince. L'on dirait qu'il se cache derrière un arbre, le dos courbé, puis lui saute dessus toutes les six secondes, style intervention commando-parachutiste, et il lui secoue les cordes si vigoureusement que les vibrations vous traversent le coeur comme des coups de feu tirés en rafales. De l'autre côté c'est Gluck. Pourquoi la nature lui a-t-elle donné un corps avec deux jambes et deux bras ? Ne se sert que de sa tête et que de son seul avant-bras droit. Démontez tout le reste. Totalement inutile. Ça le prend par crises. Très fréquentes, de deux sortes. L'approche ses lèvres du micro, esquisse un sourire qui rappelle l'oeil goguenard du serpent prêt à frapper qui sort sa langue fourchue, et hop, vous balance une de de ces onomatopées endiablées qui dans le rockab aident à souligner le lead vocal. Ou alors beaucoup plus grave.

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    L'avant-bras – le droit, je rappelle – ne répond plus aux ordres du cerveau. Devient autonome. Impossible de l'arrêter, fouette les cordes de sa guitare, une fois, dix fois, mille fois, impossibilité de stopper et comme par miracle les trois autres suivent le mouvement, des moments de folie collective qui se propage à l'assistance qui crie et applaudit encore plus vigoureusement. Dans cet état rien ne l'arrêterait. Si clinc ! Une corde en moins. Pas de panique, ravitaillement en plein vol, d'une seule main – les copains ne lui jettent pas un regard – pourquoi s'en feraient-ils ? Il continue à wapdoowapper sur son micro à la seconde exacte, à croire qu'il n'a rien d'autre à faire de toute la soirée. C'est que Chris est à la lead-guitare. Avec un tel dynamitero, z'êtes certains que le boulot sera fait de main de maître. Aux doigts d'or. L'est assez grand pour se suffire à lui tout seul. Je l'ai épié de longues minutes, ne suis pas arrivé comprendre comment il fait apparaître et à disparaître son médiator en une fraction de seconde. De toutes les façons avec ou sans, l'a un touché incroyable d'une précision inimaginable. En plus pour vous mettre encore plus la honte, l'est occupé à autre chose. Au chant.

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    Le rockab, c'est de l'art. Un mouchoir de dentelle. Une maille sautée et tout est foutu. Bancal. Banal. Banque-route. Crack boursier. Crise économique. Civilisation effondrée. Voilà l'effet. L'erreur n'est pas un droit. Ou vous réussissez tout, du premier coup, ou vous êtes un tocard. Et les WiseGuyz, ils osent tout, donnent dans l'arachnéen sauvage. Un premier set éblouissant. Pas une seule bavure sur l'ossature. Du rockab pur et dur. Comme vous avez rarement la chance d'en entendre sur scène. En studio, pouvez vous y reprendre à dix fois et multiplier les alternate takes, mais sur scène, c'est du travail d'orfèvre. Faut polir le diamant sans le casser. Le rockab des WiseGuyz ressemble à un mikado musical. Chacun son tour et tous ensemble. Sont lancés à trois cents kilomètres-heure, s'activent dans tous les coins, courent du four au moulin, se passent les brandons pour attiser l'incendie, toc-toc, tout s'arrête, n'entrez pas, pas le temps, les poings ont frappé deux fois sur les bois de l'instru et l'on repart tous groupés comme si rien ne s'était passé. Chris a le vocal mordant. Et c'est le public qui mord à l'hameçon.

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    Vous le suivriez jusqu'au bout du monde. C'est d'ailleurs-là où il va vous emmener au deuxième set. Trois morceaux d'entrée, encore plus saignants que les quinze du premier tir groupé. Vous les prenez en plein museau, des balafres encore plus longues que les précédentes. Et puis l'on change de voltige. L'on change de fil. L'on ne marche plus sur du barbelé qui vous saccage les petons, l'on repose sur de l'élastique qui s'enfonce dans l'abîme à chaque pression la plus infime, et puis vous propulse vers le haut du ciel à une vitesse inouïe. L'on saute dans le jump, on glougloute dans le swing et l'on agonise dans une pulsation, une puljazzion originelle. Les Guyz vous détendent les ressorts du rockab, l'en devient flagada, l'est la corde de l'arc décrochée qui gît à terre, ne bande pas plus qu'un ver de terre qui ondule sur un gazon humide. Tout est perdu. Et hop ! Bop ! Rock ! comme par miracle, les cordages des voiles abattues vous hissent la voilure jusqu'en haut des mâts. Le vent se déchaîne vous emmène au large et pffuittt ! La comédie recommence. Les Wise s'amusent comme des petits fous.

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    Vous collent la crêpe au plafond et la laissent retomber mollement, pour la shooter encore plus haut en trouant les plafonnettes. C'est le moment des interventions, Rebel pulvérise les accords, Gluck hache menu, Ozzy balaie les cendres, Chris recolle les morceaux en un tour de main. Faut les voir s'activer. Dessinent et découpent, déchirent en petits bouts de rien du tout, et vous ressortent la toile de maître, toute neuve, la peinture à l'huile encore fraîche. Jeu cruel et geste fabuleuse, racontent l'histoire du rockab, sa provenance et ses métamorphoses, toute la saga, sans rien omettre. Ne cachent rien, refusent la création ex-nihilo par le saint-esprit, vous  content par le menu sa germination et vous exposent en pleine tête les plans secrets du sous-marin atomique.

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    Laissent l'auditoire pantois, des gosses à qui l'illusionniste a lacéré, à coups de cuter, et puis rendu tout neufs, encore plus beaux, encore plus doux, leurs doudous chéris, avec le sourire comme si rien ne s'était passé. Trop forts. Magique. L'on se précipite sur les disques et les t-shirts, ça baragouine de tous les côtés en mauvais anglais. Rencontre du troisième type. Le genre de concert dont on se souviendra longtemps.

    Damie Chad.

    ( Photos FB : Béatrice Berlot / Sergueï Störkel / Sergio Kazh )

    BEHIND THE WILL

    ABSTRACT MINDED

    ( Official Music Video )

    ( Visible sur YOUTUBE et le FB : ABSTRACT MINDED )

     

    Dernier single d'Abstract Minded. Sur YouTube, image fixe, grimace de logo sur fond d'infini stellaire, avec les paroles qui défilent. Très bon confort d'écoute, très belle prod. Un must.

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    Un unique morceau construit sur le schéma des tétralogies grecques. Commence par un bourdonnement grondeur de voix qui buterait sur elle-même, une tétraplégique reptation de gorge issu des galeries les plus obscures d'une mine charbonnière, musique qui moutonne noir impassible, un fleuve de cendre volcanique qui progresse et arase les doux paysages des âmes choisies, coup de cymbales comme gong de bronze qui résonne dans les temples désertés par les dieux, colère vocale crispatique, et la marche processionnaire reprend, impassible, mais les mots s'écrasent plus longuement tels ces mouchoirs de papier emplis de morve, de sang et de sperme que vous jetez derrière vous afin de désobstruer vos méningiques cloisons fissurées, lézardes de rage sur le métal stridal, la voix qui bazooke les portes blindées de la sortie du labyrinthe, cris de triomphe afin de fêter l'issue catacombère, long soli lyriques de guitares explosives, émissions spharynxgicoïdales chantent victoire, arrêt brutal. Nous ne sommes qu'à l'orée du chemin de glaise noire.

     

    Le plus difficile c'est d'en sortir. Que vous soyez mort – sachez que cela vous arrive plus souvent que vous ne le pensez – étendu en votre léthargie ou simplement retenu en vous-même. Bref, faut s'extraire. Pas facile. Vous n'avez pas la bonne clef dans votre poche. Sinon vous seriez déjà dehors. Une seule solution : enfoncer la porte. Oui, ça fait du bruit. Vous ne croyiez tout de même pas que ça se passerait dans le silence absolu. Et puis il y a le gardien du seuil. La solution décisive serait de l'abattre. Ce n'est pas l'envie qui vous en manque. C'est qu'il vous ressemble tellement que vous vous apercevez qu'il n'est autre que vous-même. La partie s'avère plus compliquée que prévu. Remarquez c'est une histoire connue et rebattue. Le scénario remonte à l'antiquité. C'est expliqué dans les textes des gnostiques. L'avaient pompé sur les vers dorés de l'orphisme. Suffit de transformer le cercueil de votre chair, lui insuffler l'énergie alchimique de la vie. Parce que vous n'êtes que rarement vivant quand vous y réfléchissez.

    Voilà vous avez le fil de l'action. Un peu compliqué, je le concède. Abstrait, dites-vous ? Emission gutturale de la lettre A. L'aleph prodigieux du point d'inexistence qui contient l'univers.

    Damie Chad.

    OFF THE GRID

    INSANECOMP

     

    1290605 – 1921031119 / DIE ALONE / PARTY OUT OF CONTROL / DRUGS ARE FOR IDIOTS / J'EMMERDE / UNSTABLE / FUURY WALL / DUNRK IM FELL BETERR / GET THE FUCK OUTTA MY WAY / I HATE YOU SO MUCH RIGHT NOW / OFF THE GRID / I KNOW EVERYTHING ABOUT LONELINESS / THE FRIGHT / THAT BELONG TO ME / ANOTHER SONG ABOUT YOU / DEMONS UNDER MY SKIN

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    12090605 – 1921031119 : parade, qui procède de loin, des confins de la grandiloquence des espaces infinis qui se rétrécissent et prennent la forme impitoyable du pas saccadé des hordes de l'ordre du malheur en marche à l'assaut de nos frêles forteresses. Die alone : hurlements de prisonniers derrière les grilles, mordent les barreaux et piquent crises de folie impuissantes, chœur de voix dans le lointain comme prières de moines geôliers, convulsion de musique en écrasement de pulpe d'âme dans un presse purée mental, rythmique sardonique, la mort se réduirait-elle au sourire du squelette ? Party out of control : le grand ordinateur vous parle, prêche dans les sables stériles de votre cerveau, des bottes martèlent vos neurones, l'on tire à la kalachnikov dans les coins, voix d'hôtesse de l'air de l'ère ordinatique qui mesure l'ampleur du désastre, le rythme de votre cœur s'accélère, toute panne se résorbe d'elle-même car elle est le message de sa présence. Drugs are for idiots : inutile de vous enfuir dans les paradis artificiels Big brother vous le répète, les drogues sont à l'usage exclusifs des idiots qui verrouillent eux-mêmes leur camisole de force. J'emmerde : proclamation à la face du monde, Moravagine disait qu'il avait marché sur la moitié de la face de Dieu lorsqu'il posait le pied sur un étron. Aujourd'hui Dieu est mort mais la pègre du pouvoir l'a remplacé. Un monde à détruire, en français dans le texte pour que vous compreniez mieux. Unstable : klaxons de mastodontes routiers percent votre vide mental comme trompettes annonciatrices de catastrophe finale. Le monde est instable. L'oeuf de l'univers flotte à la surface de l'océan du chaos. Furry wall : piétinements de voix compressées, urgence rythmique, une criaillerie de foule se bouscule sur les frontières des finitudes, béton des murs et des mots qui se heurtent en eux-mêmes. Satellite de la conscience en perdition. Dunrk Im fell beterr : vous ne maîtrisez plus rien, rythmique aussi lourde et pesante que pied d'éléphant sur votre nuque, une voix a pris le commandement comme une vapeur qui s'exhale d'un marais délétère. Get the fuck outta my way : ne reste plus qu'à chasser le papillon du désastre qui volette sur les décombres de votre moi intérieur. Ses ailes de fer grincent désagréablement sur vos synapses délabrées. Moteurs qui refusent de se mettre en marche. I hate you so much right now : le mixeur de la haine sera votre arme favorite. Mais contre qui le diriger ? Off the grid : Horrible travail, arc à souder cacophonique et étincelles sonores qui ne devraient pas atteindre vos oreilles. Silence total. La délivrance ne serait-elle qu'une déclinaison de l'angoisse existentielle ? I know everything about loneliness : et maintenant si seul dans le vaste monde ! A croire que le tumulte de votre emprisonnement était préférable à cet état de désolation. Postures shakespeariennes, vous mimez et infatuez votre détresse, la dramatisez en coït masturbatoire avec le néant de l'autre. The fright : miaulements de trop de voix qui s'engouffrent en vous comme train noir dans un tunnel fou. That belong to me : est-ce donc cela le lot du monde que les titans du tumulte m'ont imparti, cette frénésie intérieure qui me porte aux extrémités de la puissance des folies autodestructrices, je défie et je crache ma fierté à la face du monde creux comme l'éponge de mon âme qui aspire toute la saleté extérieure. Voix et musiques prennent d'assaut le kaos et submergent les continents. Another song about you : piste ordalique de clairons de merle moqueur, la voix se tait car comment adresser la parole à ce fantôme en face de moi qui me ressemble trop pour ne pas être. Empilement sonore extatique. Demons under my skin : sous-bois inquiétants, jungles menaçantes, j'erre en moi-même et traverse mes propres autoroutes, convois cliquetant de wagons plombés qui entrent dans les gares de triage sous la pluie qui ruisselle. A moins que je ne sois en train de tirer la chasse de ma merde humaine et de sortir les poubelles orgiaques de mes rêves sur le trottoir. Je reste seul en moi-même. Face à mes démons. Démons-tration du moi qui s'applique à tout un chacun.

     

    Bande sonore filmique. Les morceaux s'enchaînent sur une rythmique d'enfer. S'écoute du début à la fin. Cercle vicieux et vicié dont on ne s'échappe pas. Critique de la déraison pure du sujet placé en des conditions optimales de survie aléatoire. Si vous n'appréciez pas, c'est que vous vivez les yeux fermés. N'est pas plus insupportable que votre propre cécité. Insensé qui crois que ton computer neuronal n'est pas le nôtre, aurait écrit Hugo en préface à ses Dévastations.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION N° 2.

    ( Août / Septembre / Octobre 2017 )

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    Sergio Kazh et son équipe sont en train de gagner leur pari : une revue de Rockabilly qui donne sens au mouvement. Le numéro 1 était une promesse, ce numéro 2 est une réussite. Menée avec intelligence. La galaxie Rockabilly est gigantesque. Légendes du passé et nouvelles pousses du futur s'entrecroisent en une espèce d'éternel présent sans fin. Rockabilly Generation qui entend défendre les groupes d'aujourd'hui a compris qu'il faut aussi fouiller dans les braises chaudes et germinatives des générations précédentes tout en évitant de tomber dans un passéisme désuet. Si les premières pages sont consacrées, cinquantenaire oblige, à Elvis Presley dont la carrière est retracée en son entier, l'on passe vite à l'actualité des plus brûlantes avec le compte-rendu du Festival Viva Poulingue'n'roll qui culmine avec les prestations de Barny and The Rhythm All Stars et les WiseGuys. WiseGuys que nous retrouvons pour une longue interview des plus instructives, suivie par un entretien avec The Hoodoo Tones le groupe du Nord qui monte. Kévin qui faisait partie de la première mouture des Spunyboys partage en commun avec Chris des WiseGuys cet esprit d'ouverture musicale qui envisage le rockabilly comme une musique en évolution. Ne s'agit pas de s'enfermer dans une perpétuelle redite de la déclinaison d'un répertoire figé mille fois recommencée mais d'explorer des voies nouvelles pour exacerber les possibilités latentes des éléments primitifs incontournables. Un délicat chemin entre perpétuation et création. Groupes qui montent et groupes qui entrent en hibernation : dernier concert des Noisy Boys et évocation des Capitols, dont il souhaite le retour, par Didier Delcour. Discographie, Agenda des concerts et Courrier des lecteurs closent ce numéro qui comporte déjà quatre pages de plus que le précédent. Un bon signe. Articles plus étoffés, somptueuses photographies couleur de Sergio Kazh. Generation Rockabilly s'inscrit d'ores et déjà comme la revue maîtresse du mouvement rockabilly de par chez nous.

     

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    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 3, 50 Euros + 3, 40 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, abonnement 4 numéros : 25 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues...

    ( Photo Sergio Kazh / 3B / WiseGuys + Maryse Lecoultre + Brayan Kazh )

    Damie Chad.

    *

    Grave erreur que de ne pas se tenir informé ! Suis pris au dépourvu ! Pourtant les faits sont là, le nouveau gouvernement que j'abhorre sur tous les bords a dû promulguer en vitesse et en catimini un décret d'urgence, indubitable, façon de couper l'herbe sous les pieds des cathos coincés du bec et des babas exacerbés. Politiquement je n'y crois pas mais à vingt-cinq mètres de distance la réalité me déchire les yeux. Et déjà dans un fouillada ! Et pas qu'un peu, une demi-palette entreposée de la façon la plus innocente, impossible de faire semblant de ne pas les voir, à peu près deux cents briquettes à vue de nez un gros kilos, un emballage d'un jaune étincelant et écrit en énormes lettres vertes - pour une fois l'on a eu pité des mal-voyants - agrémentées d'un point d'exclamation, et le prix sur le panneau victorieusement planté au-dessus, 3 euros, SHIT ! Merde alors ! je me précipite ! Profonde déconvenue, mauvais cinéma, ce n'est qu'un bouquin, un énième scripto de plus sur le canabis, je passe dédaigneusement mais le nom de l'auteur clignote dans ma tête, Bruno Blum, le gonzoman qui au dernier siècle a envoyé le premier papier sur les Sex Pistols à Best, cela mérite le respect. Sûr l'a mal tourné, le révélateur punk s'est transformé en chanvre, pardon en chantre du reggae, mais enfin, ce n'est tout de même pas un zéro absolu, et puis n'oublions pas Sex, Drugs and rock'n'roll !

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    SHIT !

    TOUT SUR LE CANABIS

    BRUNO BLUM

    ( First Editions / 2013 )

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    Shit ! Chut ! Chat en berne ! Sujet sensible. Même chez First éditions qui aime les gros coups médiatiques qui font le ramdam. Z'ont pris un spécialiste. Quelqu'un qui sait de quoi il parle. Commence d'ailleurs par se présenter lui-même : Bruno Blum, oui il a été un accro au shit-à-mort. Ne se présente pas sous ses meilleurs jours. Tout jeune déjà voleur ! Honte sur lui ! S'attaquer à la propriété privée ! Ne faut pas y toucher. Extrêmement périlleux. Pierre-Joseph Proudhon nous a résumé le danger en une formule lapidaire : la propriété, c'est le vol. Y porter la main, c'est insérer ses doigts dans un engrenage fatal. Certes il a volé, mais des disques. C'est déjà mieux. De rock'n'roll ! Faute avouée, crime aux trois-quarts pardonné. Surtout qu'il a une théorie qu'il applique aussi bien à la récupération vinylique qu'au shit ou tout autre condiment qui peut faire votre délice, que ce soit l'ingurgitation infinie de crêpes au chocolat ou l'acquisition forcenée de crédences Louis XV. Ce n'est pas l'objet ou le produit qui produit l'addiction, mais votre tendance compulsive individuelle à l'addiction qui se focalise sur un point sensible du réel. Très souvent cela ne va plus loin que les innocentes collections de porte-clefs ou de cartes postales. Parfois la moindre des passions s'empare de vous, vous dévore, vous dépensez des sommes colossales pour l'achat irrépressible d'un tire-bouchon à la mode dans les années trente, la Dass vous confisque les mioches dont vous n'arrivez plus à vous occuper depuis que votre femme découche avec le voisin du-dessus... Bruno Blum a fumé, par plaisir, par manie, par vice, par choix, cochez toutes les cases. Envers et contre tout. Des crises de tachycardie à effondrer un éléphant, les copines qui se barrent, le rédac chef qui le vire, l'impossibilité de continuer à tenir la basse dans son groupe punk, les loyers impayés, le retour honteux chez sa maman... Jusqu'au jour où une nana lui met le contrat clef en mains. L'arrête en trois semaines. Trouve tout de suite d'autres centres d'intérêt, n'est pas spécialement addictif au cannabis, reprend sa vie en main, ses bouquins, ses disques, ses enregistrements... Extrait la morale de l'histoire : s'en est beaucoup mieux tiré que beaucoup de ses copains – paix à leurs âmes, accros à l'héroïne et autre produits farceurs dont on se détache beaucoup moins facilement, osons le mot : addictifs... L'en tire une ( heureuse ! ) conclusion, le cannabis n'est pas addictif. Ne se contente pas de cette assertion définitive. C'est que dans les sociétés modernes cette évidence n'est guère partagée.

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    Deuxième chapitre assez ennuyeux. Voyage dans le temps et l'espace géographique. Remonte au néolithique, explore toute trace cannabique – exemple : les chamans qui s'enfilent des joints aussi épais que les troncs des chênes centenaires pour entrer en contact avec l'esprit de leurs totémiques bestioles – et puis il passe continents et pays un par un, cultures chanvrique, à tout bout de champs, consommé sous diverses forme, fumé, inhalé, cuisiné, l'on se sert de la fibre pour confectionner des vêtements et tresser des cordes pour la marine, et aspect non négligeable est le remède universel de la pharmacopée des temps anciens et modernes... Ne m'attarderai que sur l'introduction du délit en France. Les plus grands esprits, François Rabelais, Charles Baudelaire, Honoré de Balzac, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, enthousiasmés par les nouvelles sensations perpétrées par les joies de la fumette, des textes dont les écrits relatifs aux visions oniriques générées par le LSD in the sixties semblent être à un siècle de distance une décalcomanie fidèle...

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    Troisième chapitre : de loin le plus passionnant, musique et cannabis. L'on file tout droit dans les lieux de perdition de la Nouvelle-Orléans, musiciens, filles et clients s'adonnent aux joies du Tiger ( je ne traduis pas ). Passionnant ça vous ouvre le cerveau et les orifices naturels comme pas un, le jazz est issu de ces clandés, les musicos sont des adeptes de ce revitalisant miracle qui vous file un coup de fouet salvateur... Gros plan sur Louis Armstrong et Mezz Mezzrow – ce blanc qui vit comme un noir parmi les noirs ( voir KR'TNT ! 106 du 12 / 07 / 2012 ) – de grands consommateurs, qui ont nettement contribué à ce que le jazz entre dans les oreilles des blancs. Et voici que bientôt la jeunesse caucasienne adopte les déplorables manières des vilains nègres, se contorsionnent comme des sous-civilisés en de sauvages danses et dégradantes contorsions frénétiques dont sont coutumières les sous-races non évoluées... Heureusement le Ku Klux Klan, le FBI, et la presse à scandale de Hearst veillent au grain de folie qui est en train de dégrader cette saine jeunesse en voie de dégénérescence. Hystérie fascisante qui se traduira par l'interdiction absolue du hash en 1937. Prohibitio quod corumpet juventus.

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    L'on quitte à regret le monde des reefers et des vipers pour aborder la partie plus militante du volume. La prohibition américaine qui s'étend très vite au reste du monde fait vite sentir ses méfaits. La pègre et la mafia organisent le trafic. Les prisons sont engorgées tandis qu'au dehors la criminalisation gangrène les quartiers... L'interdiction n'arrête en rien la consommation... Mais délaissons la lointaine démocratie étatsunienne pour aborder nos douces campagnes françaises actuelles. Prisons et tribunaux engorgés par des milliers de petits trafiquants, économie parallèle dans les cités qui aboutirait à une révolte généralisée si elle était de force stoppée net. Les principes du capitalisme s'appliquent aussi à ces réseaux : l'on propose des produits frelatés à la clientèle qui n'est pas satisfaite. Mais l'on a ce qu'il leur faut : toute une gamme de produits qui vous procurent des sensations bien plus fortes, bien sûr c'est plus cher, goûtez-y une fois et vous vous y reviendrez. Toxicité addictive garantie.

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    Face à cette inflation des plus dangereuses, une seule solution, ce n'est pas la révolution, mais la dépénalisation. Bruno Blum nous joint les réponses de ses demandes adressées aux principaux partis politiques. On ne s'empresse pas pour répondre et chacun est dans son rôle. A droite un non franc direct, à gauche une compréhension du problème...

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    Argument massue que l'auteur explore longuement. Pensez ce que vous voulez de la consommation de la drogue, mais quid du cannabis entrevu au point de vue médical ? Vous embrume peut-être la tête mais beaucoup de malades témoignent : ne parlent pas de remède miracle mais d'un anesthésiant des douleurs qui souvent efface les souffrances que provoquent les médicaments qui combattent cancers, sida, maladie de Parkinson, de Crohn et autres saletés du même acabit. Joue petit : propose que dans un premier temps la recherche pharmaceutique pousse ses études... Attention lobbies: sommes colossales en jeu...

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    Le livre s'arrête là. Le débat est vieux comme L'Appel du 18 Joint 1976 lancé par le CIRC ( Centre d'Information et de Recherche Cannabique ) dont la parution dans les pages de Libération avait causé quelques émois dans le Landerneau politicien à l'époque... N'avance que lentement malgré études et apports expérimentaux de certains chercheurs... Perso je pense que c'est un sous-problème à un changement beaucoup plus radical de l'organisation politico-économique auquel il faut s'atteler. Reprendre sa vie en main. Créer des espaces mentaux de redéploiements idéologiques et révolutionnaires. Vaste programme.

    Damie Chad.

    ROSEE DES RÊVES / KERYDA

     

    Rêve / Amijig / Inis Oirr / Humours / Five Fingers / Si Bheag Si Mhor / Balkanik Rose / I Fell in Love with a Breeze / Freilach / Hargalden / Be Love.

    Harpe celtique : Sara Evans / Contrebasse : Damien Papin.

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    Pochette rose comme un rêve de petite fille. Un disque à voix nues si j'ose dire. Deux instruments harpe et contrebasse dans leur nudité. Deux tessiture effarouchées qui essaient de se conjuguer. Rien de plus, rien de moins que ces deux fragilités qui s'inclinent l'une vers l'autre et qui s'approchent, à se toucher, à se fondre l'une dans l'autre, mais de si grand écart sonore que toute étreinte est un voyage en des contrées dangereuses que l'on pressent merveilleuses. Un disque de douceur et de volupté.

     

    Rêve : gouttes de rosée et amplitude de contrebasse bruissante. Pluie de grâces et orage de gravité. Ondée matutinale sur terre desséchée. Ce n'est qu'un rêve. Sans doute est-il déjà trop tard. Que cela ne vous empêche pas d'y croire. Amijig : Main dans la main, corde dans la corde, l'une sautille et l'autre morigène sans gêne. Puis se tait. La vieillesse a beaucoup à apprendre de la jeunesse. Faut savoir, écouter, entre la vieille chatte automnale qui ronchonne au salon et le chaton allègre qui grimpe aux rideaux, le choix n'est pas à faire. Inis Oirr : lourde basse lugubre ne se taira point. Se rendique d'expérience mais gamineries de perles harpiques se mêlent à son vieux discours. Sans qu'elle le sache la gracilté de l'enfant espiègle s'insinue en son âme. Humours : la harpe ricoche et l'aïeule s'essaie à faire des pointes dans des chaussons rose de danse. Pas si difficile que l'on pourrait le croire. Se laisse entraîner s'achève en danses et virevoltes. Rires sous la charmille. Five Fingers : cinq doigts chacune, mais Mamy triche un peu, l'en possède un sixième qui lui sert à taper sur son bois, mais non c'est le coeur d'un poëte qui se cachait dans son cercueil, le voici qui s'extirpe de sa carapace et l'enfant blonde se mue par miracle en jeune fille. Si Bheag Si Mhor : une mélodie – imaginez une walk on the soft side, le big boy se la joue badly, imite les langueurs sales du saxophone et notre jeune première endosse le rôle de la super-guitar-héroïne. Leurs coeurs marchent à l'amble, ils s'amusent, rien ne sert de parler trop tôt. Balkanik Rose : Se dirigent à petits pas timides vers le jardin des roses. Leur parfum ennivrant se confond avec une rhapsodie arabe aussi douce et épineuse que des quatrains d'Omar Khayyam. I Fell in Love with a Breeze : heure exquise des aveux, maintenant le poëte-contrebasse s'amenuise à mi-voix, les résonnances de la demoiselle prennent le dessus, douces paroles deviennent ausi légères que pollens de fleurs que le vent emporte dans les hauteurs béantes du ciel. Freilach : des notes comme brises de printemps, ou fruits d'été, et feuilles d'automne, même flocons de neige, la rencontre de deux êtres contient tout l'univers en gestation. L'instant est grave. Promesse d'unisson résulte d'une partition originelle. Hargalaten : la prescience de l'acte factuel exige une certaine compoction cérémoniale, toute parade nuptiale est aussi le thrène nostalgique d'un passé que l'on va égorger. Noces sanglantes. Be Love : amplitude sonore, la mer du désir submerge toutes les appréhensions, l'appel insistant d'une flûte précède la vague de plénitude qui submerge le monde.

    Damie Chad.