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lou johnson

  • CHRONIQUES DE POURPRE 430 : KR'TNT ! 430 : LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE / COCKBOX / RAT'S EYES / DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN / ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO / ROCK'ROLL STORIES / JEAN-MICHEL ESPERET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 430

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 09 / 2019

     

    LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE

    COCKBOX / RAT'S EYES

    DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

    ROCK'N'ROLL STORIES / JEAN-MICHEL ESPERET

    T’en fais pas mon p’tit Lou

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    Contrairement à la plupart des Soul Brothers, Lou Johnson n’est pas né dans le deep South mais à New York. Donc pas de champ de coton pour lui ni d’horrible patron blanc. Et comme dans sa famille tout le monde chante et tout le monde joue d’un instrument, Lou n’a pas d’autre choix que de devenir Soul Brother. Pour une fois, le destin n’est pas trop cruel. Étant donné que Mum and Dad jouent du piano, Lou joue du piano. Le voilà keyboard player. Il commence par jouer du gospel dans les églises puis il se dirige naturellement vers les clubs, le voilà devenu a jazz-slash-gospel musician, comme il dit, a young whippersnaper. Entre 1962 et 1967, il enregistre quelques singles pour Johnny Bienstock, chez Hill &Range, une boîte de prod qui a fait son beurre avec Elvis et le Colonel. Les bureaux d’Hill & Range occupent deux étages au Brill Building et Burt en occupe un au rez-de-chaussée. C’est par l’entremise d’Hill & Range que Lou rencontre Burt - Me and Burt got on really well - Lou enregistre les démos que Burt destine à Dionne la lionne.

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    Et puis un jour, son label Big Top l’envoie enregistrer chez Allen Toussaint à la Nouvelle Orleans - Me and Allen got on really well - Dans la foulée, Johnny Bienstock met Lou en contact avec Jerry Wexler, alors le voilà sur Atlantic via Cotillon. Mais quand Lou découvre que son manager Richard Simpson l’arnaque, il lâche tout et va s’enterrer à Dallas. Il joue du piano au Green Parrot pendant huit ans. Ça brise sa carrière. Il n’empêche qu’en 1968 Jerry Wexler et Tom Dowd emmènent Lou enregistrer un album à Muscle Shoals. Lou est impressionné par le niveau du musicianship des petits culs blancs de Muscle Shoals : David Hood, Jimmy Johnson et le père Hawkins. L’album qu’il enregistre est le fameux Sweet Southern Soul. Attention, c’est un classique de la Soul. Lou entre directement dans le vif du sujet avec une fabuleuse version de «Rock Me Baby». On s’épate d’une telle assise. Lou Johnson chante comme un dieu. Il tape dans un vieux hit des Drifters, «This Magic Moment» pour le profiler sous l’horizon. Il shoote tout le feeling du monde dans cette merveille inexorable. Avec «Move And Groove», il passe au r’n’b de firmament, c’est swingué par la crème de la crème du sweet Southern Sound. Lou diffuse autant de magie que Freddie Scott ou William Bell. Il finit à la hurlette tumultueuse, sa voix éclate au pinacle de la Soul. Avec «Please Stay», Lou Johnson descend dans les soubassements de l’âme humaine. Ah il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie. En B, il shake le shook de «Tears Tears Tears» avec une aisance effarante. Sur cet album, tout est soigné au maximum de l’intensité, au pur Soul Sound System de haut vol, avec derrière des chœurs de rêve, ah on peut dire que les filles savent gueuler. D’ailleurs, personne n’a pensé à les créditer sur la pochette. Lou Johnson referme la marche avec le «Gypsy Woman» de Curtis Mayfield. C’est forcément une version de rêve, Lou la fait mousser et sa voix traverse les ténèbres du temps comme l’éclair du génie.

    Hélas, Jerry Wexler et Tom Dowd décident de concentrer leurs efforts sur Donny Hathaway et mettent Lou de côté. Entre 1968 et 1970, Lou passe à l’héro, puis il décide de décrocher et revient à New York se remettre au carré. Un jour qu’il se balade devant le building CBS, il tombe par hasard sur Allen Tousaint :

    — Lou how are you ?

    — I’m all right.

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    Allen lui explique qu’il a entendu dire ceci et cela sur Lou, des rumeurs d’héro et Lou lui répond que les rumeurs ne se trompaient pas et qu’il est passé à autre chose. Allen lui demande s’il est sur un label et Lou lui dit non. Alors Allen lui propose de faire un saut à la Nouvelle Orleans : «I’ve got some stuff I’d like you to do, I think you’d fit it just fine.» Lou descend passer trente jours avec Allen pour enregistrer cet album faramineux qu’est With You In Mind. Allen produit et Cosimo enregistre. Quand on a écouté ces deux coups de génie que sont «Frisco Here I Come» et «Wrong Number», on éprouve d’immenses difficultés à aller ailleurs. Lou peut rocker «Frisco Here I Come», il le fera à sa façon, avec une maestria du subterfuge et derrière, les filles arrivent, chaudes et plantureuses, alors la fête peut commencer, à coups de chœurs de gospel batch et on renoue avec l’extraordinaire dynamique du New Orleans Sound battu en brèche par un phraseur intriguant et des vagues d’orgue. Voilà un pur chef d’œuvre. Avec «Wrong Number», il tape une Soul de r’n’b classique, mais il la ramène à Broadway. S’il fallait qualifier la Soul de Lou Johnson, il faudrait parler de puissance dévastatrice. Il démarre pourtant cet album avec un «There Were Times» de charme, une sorte de pop éraillée, dotée d’un certain intimisme et en même temps staxy. Les filles envoient des rafales de chœurs déments et ça violonne doucement mais pas trop, voyez-vous. On sent les filles très proches et très discrètes. Il tape ensuite un long «Transition» de huit minutes, uns sorte de vertige à la Jimmy Webb, très orchestré, avec des zones pianotées et des accalmies océaniques. Forcément, avec un type comme Lou, on échappe aux cadres et aux formats. Il lui faut ces huit minutes pour afficher ses prétentions et accéder au trône de Soulland. Il faut l’entendre shooter sa Soul : il s’y donne corps et âme. Même chose avec «The Loving Way» : il traite la Soul à sa façon, d’une voix de feu fêlée, mais aussi à son rythme qui est atypique et d’une grande liberté. Il fait ce qu’il veut, il continue d’échapper aux cadres et aux formats. Cet homme incarne la liberté de ton, ce qui peut sembler ironique pour un descendant d’esclave. On se régale aussi de la belle Soul latérale de «Nearer» et du funky strut de «The Beat» qui évoque un peu Stevie Wonder. Il chante ça d’une voix presque blanche. Avec «Who Am I», il passe au piano bar de rêve. On est à la fête avec un Soulman comme Lou. Il propose ici une beautiful song admirable d’élégance louisianaise et on entend Allen Toussaint pianoter.

    Le problème est qu’Allen et Marshall Sehorn n’ont pas de réseau pour distribuer l’album, alors ils font appel à Stax, mais chez Stax, ils ne sont pas très doués pour la distro. En plus ce n’est pas du Memphis Sound et pour eux, c’est dur à vendre. C’est malheureusement le dernier album de Lou Johnson. Il quitte Dallas et s’installe à Portland dans l’Oregon en 1975, puis quelques années plus tard, il débarque en Californie pour aller jouer dans des clubs.

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    Il existe dans le commerce une très belle compile intitulée Incomparable Soul Vocalist. C’est l’occasion de se convaincre - si ce n’est pas déjà fait - de l’absolue nécessité d’écouter Lou Johnson. D’autant que ça démarre sur deux compos de Burt, «Reach Out For Me» et «The Last One To Be Loved». On peut parler ici de choc de titans. Lou sait que Burt est l’homme clé. Il dit entendre son art - I hear his stuff - Et il ajoute : «I think the only person who could hear his stuff better than me was Luther (Vandross)». Alors Lou met le paquet. Il travaille tous ses cuts au corps. Il va droit au cœur du cut, avec une niaque interprétative hors normes. Il se bat comme James Carr. Avec «Unsatisfied», on note la véracité de son rang princier. Il explose littéralement le Broadway Sound System. Back to Burt avec «Magic Potion». C’est plus poppy mais gagné d’avance, car voilà que dégouline une belle dégelée de gelée royale. Lou trousse ça sec. Oh si sec, sister ! Il reste dans le giron de Burt avec l’énorme «(There’s) Always Something There To Remind Me», le hit sixties par excellence, paré de coups de trompettes. L’affaire est dans le sac, Lou l’explose, il chante à la voix blanche. On aura tout vu. Il tape aussi dans l’extraordinaire «Walk On By» et salue Sidney Bechet avec «A Time To Love A Time To Cry». Il s’agit en fait de «Petite Fleur» traduit en Anglais par Giant, Baum & Kaye, l’une des grosses équipes du Brill. Lou gère cet hommage avec une classe insolente. C’est même joué à la clarinette et Lou nous brosse ça dans le sens du poil. C’est beau comme un solstice d’été. On tombe plus loin sur «Thank You Anyway (Mr DJ)», un heavy balladif ultra-violonné à l’hollywoodienne, signé Giant, Baum & Kaye. C’est même un déluge d’orchestration qui s’abat sur le pauvre cut. Lou brille au firmament, c’est indéniablement indéniable, on en perd les mots tellement il nous compresse la cervelle, thank you, thank you anyway. Sacré géant. Encore du Broadway Sound System avec «Wouldn’t That Be Something» qu’il swingue à outrance. Avec «Any Time», il vire bar de nuit, avec des chœurs de filles magiques et la surprise vient de «Love Build A Fence», véritable power shakedown de gospel batch. Les filles derrière sont probablement les Sweet Inspirations. On a là exactement la même charge qu’avec l’Aretha d’Amazing Grace enregistrée dans l’église de Los Angeles.

    Et puis voilà, on apprend inopinément que Lou Johnson vient de casser sa pipe en bois. L’entrefilet paru dans Record Collector indique que la mauvaise nouvelle n’est pas de source sûre. Lou Johnson aura su rester discret tout sa vie, et jusque dans la mort. Chapeau bas.

    Singé : Cazengler, Lou garou

    Lou Johnson. Sweet Southern Soul. Cotillon 1969

    Lou Johnson. With You In Mind. Volt 1972

    Lou Johnson. Incomparable Soul Vocalist. Kent Soul 2010.

     

    Mavis serre la vis - Part One

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    Mavis Staple à Paris, voilà qui sonne joliment à l’oreille. Un peu comme on si on disait : ‘Aretha à Paris’. Inespéré ! C’est un gros pan d’histoire de la Soul qui débarque dans une capitale surchauffée par les ardeurs d’un soleil estival. Il ne s’agit plus de dire monte là-dessus et tu verras Montmartre, mais plutôt entre-là dedans et tu verras Mavis. La Cigale redevient le temps d’une soirée un bon gros théâtre de boulevard avec ses places assises et sa moyenne d’âge élevée. Cette vieille dame pétrie de légende arrive enfin sur scène. Elle n’est pas bien haute, les mauvaises langues diraient même ‘plus large que haute’, elle porte une longue chemise bariolée ouverte sur un ensemble noir et très vite, elle établit le contact avec un public convaincu d’avance.

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    Mavis maîtrise indiscutablement l’art de communier, elle a fait ça toute sa vie, c’est-à-dire pendant plus de soixante-dix ans, si l’on considère le fait qu’elle commença à chanter dans les églises toute petite. Elle s’entoure d’une équipe minimale composée d’un couple de choristes noirs et de trois musiciens blancs. Et c’est là où les choses deviennent extrêmement intéressantes, car avec cette formule qu’on pourrait presque qualifier de stripped down, Mavis va chauffer la Cigale comme une église. Ils sont cinq à chanter les chœurs avec Mavis et ça prend vite de sacrées proportions, pas au sens du gospel power, mais au sens du groove. Cette musique se glisse littéralement sous l’épiderme, notamment cette version de «Respect Yourself» démarré au baryton de charme chaud par l’excellentissime Donny Gerrard. Wow ! Il n’existe pas de meilleure manière d’entrer dans la légende. Ce vieux hit des sixties ramène à la surface Pops Staples, Yvonne, Cloetha, et même Sir Mac Rice, l’auteur de ce chef-d’œuvre absolu de Soul engagée. Il est essentiel de rappeler que Mavis et les siens ont milité toute leur vie pour l’égalité des races, dans un pays où les mentalités ne peuvent pas évoluer. Elle continue donc aujourd’hui, en montant sur scène et en chantant des textes qui sont à la fois des messages d’espoir et des incitations à continuer le combat, comme ce fabuleux «No Time For Crying» qui referme la marche. Elle dit tout simplement que ce n’est pas le moment de pleurer - People are dying/ Bullets are flying - Oui, on tue encore les nègres aux États-Unis comme on les tuait au début du XIXe siècle, par simple haine et Mavis lève le poing lorsqu’elle clame «We’ve got work to do !», c’est assez brutal au niveau émotionnel, car il semble que la rumeur chantante qui sous-tend le cut remonte à la nuit des temps, jusqu’aux racines de l’esclavage. Mavis semble aujourd’hui porter seule de destin d’un peuple traité pendant des siècles comme de la marchandise.

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    Les mecs qui l’accompagnent se montrent dignes de la situation. Jeff Tunes joue sur une basse blanche sanglée très bas sur les genoux, à la manière d’un punk-rocker. Stephen Hodges bat tranquillement le beurre et celui qui tire le mieux son épingle du jeu, c’est bien sûr Rick Holmstrom, un type un peu décharné qui ne vit que pour la virulence et le venin des incursions intestines. Mavis semble adorer ça, car elle l’encourage en lui donnant des petits coups de poing sur la poitrine. En jouant aussi viscéralement, Holmstrom injecte une violente dose de modernité dans le son de Mavis, comme il le fit jadis dans le son de RL Burnside. C’est très spectaculaire ! Il joue avec des gestes d’épouvantail habité par le diable et lâches des grappes de notes dignes de celles d’un autre grand guitariste hanté, Robert Quine. Mavis attaque le set avec «If You’re Ready (Come Go With Me)» tiré d’un vieil album des Staples, Be What You Are, paru en 1973, à l’âge d’or de Stax. Et elle enchaîne avec un «Take Us Back» plus récent. Elle va ensuite commencer à taper dans les cuts de son dernier album, We Get By, produit par Ben Harper qui, comme par hasard, se pointe sur scène. Mavis l’aime bien car elle l’annonce comme the greatest songwriter in the world. Harper débarque avec son chapeau et duette avec Mavis sur deux autres cuts tirés de We Get By, «Love And Trust» et le morceau titre.

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    Mavis revient ensuite dans le très haut de gamme avec une reprise du big «Can You Get To That» de Funkadelic, et emporte pas mal de suffrages avec une autre reprise, celle de «The Weight» du Band, qui semble beaucoup plaire au public. Elle va heureusement revenir à ce qui est avec Respect Yourself l’un des meilleurs albums des Staple Singers, Be What You Are et cette chanson d’espoir intitulée «Touch A Hand Make A Friend».

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    Les malheureux qui ont raté ce concert peuvent se consoler avec l’album Live In London qui vaut son pesant d’or. Les Londoniens claquent des mains, ça veut dire ce que ça veut dire. La set-list diffère de celle du concert parisien qui est plus axé sur We Get By. Mavis crochète son «Love & Trust» à la vieille arrache de Chicago. On la voit travailler ses cuts sous le boisseau, elle fait du Wolf avec «Who Told You That» et Rick Holmstrom joue si sec ! Hank you ! Elle fait un duo d’enfer avec Donny Gerrard dans «Slippey People», qui est une reprise des Talking Heads. Mavis est déchaînée, ils shakent à deux tout le shook du monde. La température monte encore plus violemment avec «Take Us Back». Quand Mavis fait de la Soul, c’est de la Soul extraordinaire. Elle se jette toute entière dans la bataille. Ella atteint au génie avec «No Time For Crying». Elle retrouve sa fantastique énergie primitive. Les Londoniens stompent le beat - No time for tears/ We’ve got work to do - C’est l’appel au réveil, le grand message de Pops. Message d’autant plus beau qu’il est politiquement très engagé. Elle monte la transe au maximum - All over the world/ It’s a mean old world we’re living in - On reste dans le génie interprétatif avec «Can You Get To That», ce vieux hit de Funkadelic. Mavis nous habitue au confort du heavy doom. À sa façon, elle démonte la gueule du groove, comme savait si bien le faire Isaac le Prophète. Quel sens du punch ! Donny Gerrard fait le wanna know de baryton. Puis Mavis se coule sous la peau du groove pour interpréter «Let’s Do it Again», un cut qui ne fait pas partie du set parisien. Elle devient littéralement magique, sometimes it rains, elle groove à gogo - Let’s do it in the morning/ Sweet lovin’ - Le baryton vient fureter entre les cuisses du groove et ça devient spectaculaire. Elle explose littéralement la notion de live. À la fin, elle se marre - I feel like a butter finger - C’est une reine et la salle explose de plus belle. Elle rend hommage à Curtis Mayfield avec une sweet cover de «Dedicated». Elle sait de quoi elle parle. Elle monte là-haut comme Aretha dans «We’re Gonna Make It», mais en plus guttural. Power suprême ! Elle devient folle à la fin du set avec «Happy Birthday» et «Touch A Hand» - Make some noise ! - Elle allume comme une dingue. Make some noise ! Trop tard. Personne ne plus rien pour elle.

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    Dans la vraie vie, on écoute aussi ce fameux dernier album produit par Ben Harper, We Get By. Album d’autant plus ravissant qu’on y retrouve l’excellent Rick Holmstrom. Il fait des siennes dès «Change» qu’il gratte sec au boogie down. Il part même en solo d’exaction excavatoire. Il sonne vraiment juste, il sort un son de blanc noirci par la passion. Le cut le plus émouvant de l’album pourrait bien être «Heavy On My Mind», car Mavis le chante à l’intimisme extravagant, on l’entend mouiller ses papilles pour alimenter le groove du capella. C’est une chanteuse accomplie. Elle revient à ses basics avec «Sometime», fabuleux shoot de full time gospel joy. Quelle ferveur, les amis ! C’est excellent, comme pouvaient l’être les albums des Staple Singers sur Riverside. La réverb fait toute la magie du son. Mavis retrouve ses marques et chauffe son gospel batch à gogo. On retrouve l’autre Mavis, la Mavis excitée, dans «Stronger», épaulée par la pétarade de Jeff Turmes. Ça continue avec «Chance On Me», monté aussi sur le pouet pouet de cet incroyable bassman qu’est Jeff Turmes. Il tonitrue son bassmatic. Il nous fait du stipped down r’n’b et c’est fameux. Ce qui frappe le plus sur cet album, comme d’ailleurs sur scène, c’est la complicité qui règne entre Mavis et ses amis blancs. Cette complicité saute aux yeux à l’écoute de «Hard To Leave», car ce big cat de Rick Holmstrom ne fait que souligner le chant de Mavis, et c’est toute la différence avec un Jeff Tweedy qui avait une malencontreuse tendance à se mettre en valeur, comme tous les gens qui se payent du crédit sur le dos des autres. Holmstrom a compris que la qualité principale de Mavis était l’intimisme. Cette attachante vieille peau nous embarque quand elle veut, c’est en tous les cas ce que démontre une fois de plus «One More Change». Elle semble y atteindre l’apogée de sa proximité. On parle ici d’une qualité de proximité unique au monde.

    Signé : Cazengler, Mavicelard

    Mavis Staple. La Cigale. Paris XVIIIe. 5 juillet 2019

    Mavis Staple. Live In London. Anti- 2019

    Mavis Staples. We Get By. Anti- 2019

    15 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COEMDIA

    COCKBOX / RAT'S EYES

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    Pas la foule des grands jours ce soir à la Comedia. Bizarre, tous ces gens qui se privent de groupes rares, le premier vient d'Helsinki, et le deuxième de Moscou, peu de chance de les revoir de sitôt par chez nous. Remarquez que cela vous donne l'impression d'être de joyeux élus de la confrérie des maudits. Une pensée émue et reconnaissante tout de même pour ces honnêtes citoyens qui se couchent tôt le dimanche soir afin que leur force de travail soit prête à subir dès le lundi matin l'esclavage social. Les temps de soumission frénétiques vont-ils encore durer longtemps ? En tout cas, l'European Tour 2019 des Cockbox et des Rat'Eyes s'intitule : Peace = Death to the system. L'est sûr qu'il faut savoir prendre le taureau par les cornes si l'on veut tuer le Minotaure.

    COCKBOX

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    Du punk comme on n'en fait plus par chez nous. Bille en tête. Trente secondes de balance, pas davantage et c'est parti. Ce grand gaillard blond aux drums c'est Llari, pour le moment il officie avec componction, bat le beat ( évident quand on s'appelle Boite à Bite ) avec lenteur. Rasmus l'accompagne sur une seule corde répétitive de sa basse, l'on admire sa crête échevelée, l'on imagine facilement que lors de leurs raids meurtriers les crinières des poneys huniques devaient arborer cette flamboyance désordonnée. Elle s'était tenue un peu à l'écart et voici que Vee s'empare du micro. Que cette fille est belle dans sa blondeur sauvage et son cuir noir, sa cartouchière qui lui ceint les reins, ses pieds nus sous la résille de ses bas déchirés, la blancheur diaphane de sa peau et son visage de prêtresse qui s'apprête à lancer à la face du monde ses anathèmes destructeurs. Derrière les guys ne varient pas leur rythmique d'un millimètre, c'est sa voix rauque qui marque les brisures nécessaires. Une mélopée funeste, un son fruste, un timbre rude, la fascination du serpent, une interprétation de Siouxsie et des Banshees qui n'est pas sans rappeler le premier disque des Stooges, un étau minimaliste qui vous prend à la gorge, une coulée d'angoisse pure, une amphore de poison qui s'écoule au fond de vous et fore fort le phosphore des membranes reptiliennes de votre cerveau. Assistance subjuguée par cette entrée en matière.

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    Changement de ton. Vee a pris sa guitare et les villes en flammes s'embrasent. Llari enchaîne les plans sur la batterie, rapide comme le renard insaisissable qui se joue de la chasse à courre. Ne peut s'empêcher de sourire sous ses cheveux blonds, frappe imaginative, roulements incessants, difficile de suivre ses poings refermés sur les baguettes, cavale et cavalcade, il pulse, impulse, il propulse, et offre cette terrible dualité d'un feu roulant inextinguible qui ne se permet aucun bavardage. Une extrême efficacité, il pousse le morceau de ses basfonds les plus sordides aux bastons les plus éructants. Rasmus n'en semble pas ému. Il aime cette émulation, comme souvent Vee repose sa guitare et se consacre au sacre du chant, sa basse est obligée de bosser pour deux, il ne tolère pas de hiatus, il prend en charge le rôle de la lead et il gronde à l'image du lion que vous venez embêter dans sa tanière. Etonnant contraste entre son visage d'une fine délicatesse et son jeu rude et brutal. Vee aime mêler sa voix à ce tumulte, elle la lie à ces rafales de haine pour sonner l'hallali des mondes à détruire, et lorsqu'elle reprend son instrument c'est pour quelques riffs de feu qui vous fusillent sans rémission.

    Le set se termine trop vite. L'on aurait voulu davantage, mais peut-être ne le méritions-nous pas. Une dague qui s'enfonce dans votre cœur et que vous n'êtes pas prêt à laisser ressortir.

    RAT'S EYES

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    Pas l'œil du tigre, mais les yeux du rat. Cet animal que l'on dit plus intelligent que l'homme – - immonde créature destructrice – qui nous accompagne, et nous suit de près, par en-dessous, depuis les égouts et nos décombres, qui nous espionne et nous talonne, n'attendant que notre faiblesse pour prendre le dessus. Superbe métaphore de ce que Jack London nommait le peuple des abîmes, dont les hordes punk de nos jours sont les derniers guerriers. Les autres ont abandonné l'art de la révolte, et pactisé avec les maîtres pour quelques miettes édulcorées. Sont quatre, le ton tout de suite plus étoffé, ce qui ne veut pas dire plus rutilant. Le fond du son est noir. Magnifié par un chanteur. L'est collé au micro. N'en bouge pas. Le bouffe au plus près. Penché dessus, vous ne voyez que ses boucles brunes emmêlées. Chante pour lui-même comme l'animal blessé qui lèche ses plaies intérieures. Il ne claironne pas. Il n'invective pas. Sans doute vous rabroue-t-il de son étrange brouet vocal, vous abasourdit mais du dedans, sa voix forte vous chuchote à l'oreille que vous êtes une chochotte effrayée de tout, vous ne songez pas à le contredire, parce qu'il a raison, parce qu'il n'omet pas de préciser qu'il est comme vous, pas mieux mais aussi pire, vous déconstruit vos tares sans retards, vous décortique vos torts sans repos, bilan attentatoire qui vous met d'autant plus mal à l'aise qu'il est auto-accusatoire.

    Derrière lui, vous avez son exacte antithèse. Ne se cache pas derrière sa batterie. L'a une casquette rouge pour être sûr qu'on le remarque, qu'on ne peut faire semblant de l'ignorer. Obligation de se confronter à lui. Droit devant, face à l'ennemi. Vous démontre comment l'on doit frapper. Directement et sans atermoiement. Pas de posture fuyante, pas d'éclipse de trois quart, du face à face. Les bras largement écartés, et les baguettes de guingois comme s'il voulait que ses bras empoignent un vaste espace. Brasse le vent de la colère. Ne cherche pas le rythme, il l'abat, forgeron rivé à son enclume, le fer fume et il vous semble qu'il va le saisir à pleines mains, le mordre et le réduire en poudre. Pas un batteur. Un rabatteur, un abatteur. Il forge à pleine gorge. Se rengorge de fureur, et la vomit en un halètement monstrueux de locomotive déraisonnable.

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    Avec ces deux-là – sont-ils les deux yeux du rat – vous en oubliez de regarder guitariste et bassiste. Vous noircissent la sauce au sang sans rémission. Sans eux vous n'auriez pas ce fond touffu, ce background de béton qui vous mure toute possibilité de fuite. Ce qui est sûr c'est que êtes dans le faisceau des yeux du rat, qu'il vous observe, peut-être vous assimile-t-il à son rêve, vous amalgame-t-il au marasme du monde, mais vous sentez la froide réalité de votre vie vous transpercer jusqu'aux os.

    Encore un set trop court. Une musique qui se dirige sur vous, telle une caméra de surveillance et vous comprenez que désormais il faudra vivre avec. Que vous devrez augmenter le degré de vos ruses pour donner le change. La partie sera plus difficile que vous l'espérez. Maintenant vous le savez. Il est inutile de pleurer. Gros applaudissements.

    Damie Chad

    ( Photos : FB des artistes )

    CAROUSEL / COCKBOX

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    Bass : Rasmus / Vocals, guitar : Vergi / Drums : Jesse

    Carousel ( tiens quel hasard un titre de Siouxsie & The Banshees ), super 45 tours, pochette recto blanc et noir. Pas de figure, juste un pied de table et deux autres, de Vergi. N'insistez pas, son visage est hors-champ, le corps, et surtout la montée selon la ligne blanche des jambes vers le lieu du désir. Pa de chance rectangle noir pour le buste, à peine la naissance laiteuse des bras. Mallarmé nous a prévenus, mieux vaut suggérer l'absence d'une chose charnelle que d'en décrire la présence. Vous retrouvez le groupe en entier, bien propre sur lui, sagement rangé sur un canapé, au recto, filtre violet, dévoilé, violé ?

    Cute little doll : jolie petite poupée, pas du tout brisée, sait ce qu'elle veut, l'a la voix qui ordonne, et la musique derrière est comme elle, péremptoire, un mur de pierres sèches qui s'écraseraient sur vous si vous tentez de résister à la damoiselle, un solo de guitare comme un lancer de poignards, la batterie ponctue la leçon, il est inutile d'insister. Notre jolie poupée est un être libre. Suit son désir n'obéit pas au vôtre. Shot by jokers : elle vous le dit sur tous les tons, vous n'y échapperez pas, derrière la musique inéluctable le confirme, la batterie renvoie la balle, les guitares écrasent les insectes qui essaient de se faufiler. Dans votre tête, téléguidés par les media. Tout se passe dans la caboche, Cockbox se sert de sa musique comme d'une muraille infranchissable. Méfiez-vous les lézards s'introduiront dans la moindre des fissures. Fun vacations : anti-titre, les Cockbox ont l'humour pistolien. Vous dénoncent la triste réalité. Vous n'êtes que des esclaves de la technologie. Toutes les injustices du monde vous tombent dessus. Les Cockbox vous réinventent la lutte des classes, le couple dominé-dominant, et l'horreur du capitalisme sans employer un seul de ces vocables. Une voix tranchante qui claironne comme un jour de gloire. Ironie froide des guitares et batterie imperturbable, un longue traversée instrumentale pour vous signifier que ce n'est pas prêt d'être terminé, et un dernier vocal pour enfoncer les clous dans le cercueil de vos illusions. Le monde est d'une laideur repoussante. Leech : n'oublions pas que c'est une demoiselle qui chantonne, enfin qui criaille, l'a envie de se débarrasser de celui qui lui colle de trop près. Si sa voix était un fusil il y aurait longtemps qu'il y aurait du sang sur les murs. Les guys derrière se la jouent à massacre à la tronçonneuse, tapent et cisaillent sur tout ce qui ne veut pas bouger.

    Pas de logo sur la rondelle. Blanche de colère.

    Damie Chad.

    RAT'S EYES

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    Peu d'indications sur la pochette. Si ce n'est la mention : Futurepunk sound against fucking politics & fucking police from Moscow. Etrange de penser qu'à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous, à l'autre bout de la terre, tout le monde aussi déteste la police. Quelle surprise !

    IN30.19 : sifflements, tapotements rythmiques, des voix obstruées qui s'en viennent et qui s'en vont, des robinets sonores qui fuient. Serions nous en 3019, en tous cas ce que nous entendons pas n'est guère jouissif, l'avenir s'annonce sombre. The rats VS. The scum : ( le seul morceau en anglais, certes pour les autres comme pour celui-ci ils vous refilent les lyrics mais en russe... ) nous ne nous trompions pas, ce morceau n'est que la suite du précédent et ce qui se profile n'incite pas à l'optimisme. Le son se resserre davantage, les guitares se joignent à la rythmique, l'urgence de la voix explose, de nombreuses coupures mais tout se termine en un obscur pugilat dont nous comprenons que nous n'en sortirons pas vainqueurs. Nous luttons à armes inégales. Digital priority : toujours le même son, mais plus violent, plus oppressant, la voix gronde et devient carnivore, elle essaie de mordre sur l'environnement netivore qui nous englobe dans le système matriciel contre lequel nous luttons en vain. Ne serions nous pas prisonniers de nos priorités, il est des luttes qui sont des jeux de dupes, l'insecte qui se débat ne s'englue-t-il pas davantage dans la toile de l'aragne mortifère. La batterie mène la charge. Et peut-être bien la retraite. No future : le titre est suivi d'un point d'interrogation sur le feuillet des lyrics. La question est à débattre. Une voix qui s'égosille, des guitares qui prennent de l'ampleur, la batterie qui cesse son tapotement irritant pour se métamorphoser en torrent impétueux. Un cri final orgiaque. Mais qu'a fait la police ? En tout cas le son rampe sur la bande-son qui ne bande plus du tout. Effritement terminal. Raving idiots ( the templars ) : un délire d'idiots pour couronner le tout. L'on croyait avoir touché le fond, mais c'était une erreur. Un flot d'invectives vous éclabousse, ça commence grandiosement comme un générique de film d'action et vous entrez dans une cavalcade punk terrorisante, et puis tout change, tout se calme – relativement – une espèce de valse gondolée avec des vomissements peu ragoûtants par-dessus. Certes il y a mieux mais vous ne trouverez pas pire. Un disque étonnamment bien construit. Les Rat's Eyes vous racontent une histoire, une seule, certes ils vous l'offrent en tranches pré-découpées genre barquette de salami à sale mine, mais cela forme un tout, vous avez des motifs instrumentaux qui reviennent et un traitement de la voix des plus intéressants. Un petit bijou de pierre volcanique en éruption soigneusement agencé.

    A se procurer le plus vite possible. En plus ils le balancent à deux euros avec deux autocollants dans le package. Les individus capables d'égaliser leurs actes et leurs idées sont rares par les temps mercantiles qui courent.

    Damie Chad.

     

    VICDESSOS / 10 - 08 - 2019

    BLUES IN SEM

    DAISY PICKERS / PEACHES STATEN

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

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    Dix-huitième Blues in Sem. Avec toujours cette paranoïa organisationnelle qui fait que les portes sont ouvertes à dix-huit heures et non à dix-sept heures cinquante-neuf. Tant pis pour les amateurs qui aimeraient assister aux balances. A croire que certains ont oublié que le blues est à l’origine l’expression populaire d’une révolte métaphysique et d’une convivialité existentielle contre les rigidités sociétales répressives. En ce début de troisième millénaire le serpent de l’efficacité finira par tuer l’aigle de l’esprit.

    DAISY PICKERS

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    Le monde est peuplé d’injustices. Deux sont assis, mais Stéphane Barral reste debout au milieu, bénéficie d’une superbe compensation, une présence féminine. Une belle big mama de bois vernis. Se tient à ses côtés et ne manque pas de lui prodiguer des leçons de bonne tenue, ne lui passe rien, ne se gêne pas pour la reprendre sans arrêt, qu’elle se campe bien droite, et pour être sûr que rien ne dépasse il lui distribue force claques sur le cordier. Une éducation sévère, mais qui porte ses fruits. Normalement avec les deux ostrogoths sur les bas-côtés on ne devrait pas plus l’entendre que le tic-tac d’un réveil au fond de l‘armoire. Oui, mais il fait sonner l’angélus du matin et l’angélus du soir de belle façon. Un métronome implacablement fou qui serait devenu amoureux de la nuance. Je sais bien que l’on ne juge pas le talent d’un artiste à l’applaudimètre mais à plusieurs reprises, en cours de morceaux, il fomentera moult vives réactions appréciatives dans le public. Et ce n’est pas évident car il n’est pas entouré d’une colonie de manchots réfrigérés sur la banquise. A sa gauche à la guitare Matt Bo Weavil, Daniel Giraud à mes côtés me glisse dans l’oreille qu’il l’a remarqué voici près de trente ( ou vingt ) ans avec sa guitare dans les rues du festival de Cahors, bref un cador on the blues trail depuis des lustres. Et cela se sent et s’entend, l’en a dans les doigts et dans la voix. Petit bémol, s’est un peu trop contenté d’un groove rythmique sympathique mais peu imaginatif dans la deuxième moitié du set. L’est pourtant doué et il possède un bel organe sonore qui colle au blues comme la mort aux objets mortels que nous sommes. A sa décharge, il n’est pas tout seul, sur la gauche de Stéphane qui taille sa route à la manière d’un bulldozer qui éventre une montagne, vous avez Vincent Pollet Vilar.

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    Encore un qui n’est pas venu les mains dans les poches, lui fait ses tours de magie sur son piano. Pumpin’ mais pas pompant. L’a l’esprit inventif, le gars qui a toujours une arabesque de feston de rabe à rajouter à la fresque sonore. Vous surprend toujours, imaginez la fougueuse charge d’Alexandre quand il jette son cheval dans les rangs serrés des hoplites thébains qui plient, se rompent et s'éparpillent, vous mène un train d’enfer d’un bout à l’autre de chaque morceau - pour les titres vous demandez à Daniel Giraud qui me les crie dans l’oreille à la première note - vous renouvelle l’interprétation des classiques, tellement pressé d’en finir qu’il les rallonge pour le plaisir de les enluminer à foison. L’assassin qui prolonge la vie de sa victime rien que pour le plaisir de le voir jouir de ses raffinements sanguinaires. En plus il chante, un petit grain de Ray Charles dans le timbre, se repassent le bébé vocal avec Matt Bo, deux ou trois titres et puis à toi companero, et le Barral qui vous verse un baril de solo big mamaïque pour pimenter le ragoût manifestement au goût de l’assistance. Vont jouer longtemps sans provoquer une seconde d'ennui, même que sur une intro Vincent se prend pour Rachmaninov manière de briser la monotonie anatolienne, en résumé une belle première partie qui met la foule sur les genoux. Acclamations, rappel, vous entrevoyez sans peine le tableau.

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

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    A l’impossible tout le monde est tenu. Toutefois pour certains c’est plus facile que pour d’autres. En plus ils n’engagent que la moitié de l’effectif. Pour le moment contrebasse et batterie se la coulent douce, en arrière plan mais légèrement décalés ce qui permet une vision panoramique des quatre pèlerins. Donc Arnaud Fradin et Thomas Troussier en première ligne. Débutent par deux morceaux qui seront le moment le plus fort de la soirée. Arnaud tout seul à la guitare sèche, et Thomas qui murmure si bas à l’harmonica qu’il faut du temps pour se rendre compte de son action.

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    Les cordes qui geignent, le blues le plus pur, le plus rural, que personne de maintenant n’a jamais entendu car à l’époque les séances d’enregistrement n’existaient pas encore. Ne me demandez pas comment je peux l’affirmer puisque je n’y étais pas, tout simplement parce que je le sais, un point c’est tout. Un moment de grâce suspendue au-dessus du monde, cette guitare qui pleure si profond à la manière des chats écorchés dont on retire les intestins alors qu’ils sont encore vivants. Chuintements et suintements, la souffrance à l’état idéal. Et les deux spadassins derrière qui effleurent tout doucement aux endroits qui ne font pas mal. Du blues pur et la meilleure leçon de compréhension de rockabilly que je n’ai jamais reçue, cela peut paraître bizarre, mais en fait dès que

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    Thomas hausse le ton et s’immisce dans les interstices de la friction moanique de la guitare il devient évident que les déchirures rythmiques de Cliff Gallup se glissent et se superposent à la longue plainte échevelée de l’harmonica, ceci pour ceux qui n’auraient pas compris les séminales origines noires de la musique des petits blancs. Après ces deux morceaux d’éblouissante splendeur Vincent se saisit de sa guitare à résonateur. Slide festival et bottle neck en souplesse, derrière l’on appuie le tempo mais jamais le volume sonore, le train prend de la vitesse et vous emporte de plus en plus vite. L’harmonica brûle la bouche de Vincent, siffle dans le lointain à la manière des locomotives fantômes, surgit devant vous pour s’éloigner aussitôt dans de mystérieux horizons. Richard Housset jamais brute mais plus incisif sur ses percussions et Igor Pichon maître des cordes tirées d’un doigt, mais plus franchement et plus répétées, se révèlent enfin, à peine davantage de bruit mais une présence qui n’en finira pas de s’accentuer durant tout le reste du set. La voix mâle d’Arnaud écoule tous les classiques? de Muddy Waters à Nathan James, n’hésite pas à se risquer dans le répertoire de Dylan, et à aider à la résurgence des racines africaines avec Ali Farka Touré, le blues est partout. Les radicelles viennent de loin et leurs prolongements sont sans fin.

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    Un set assez court - du moins m’a-t-il paru - même si l’on rajoute le rappel, mais du diamant bleu d’un éclat absolu, tel que je n’en n’avais jamais vu et entendu sur une scène. Longue ovation respectueuse et frénétique qui en dit plus long que n’importe quelle autre phrase.

    FAYE PEACHES STATEN

    Qui oserait s’aventurer sur scène après ce qui précède. Ce sera Mister Chang. Se fait attendre un petit peu. Le temps que ses trois accompagnateurs habituels préparent le passage en force. Au fond Pompon, un doux nom de chaton innocent, un colosse sapé comme un maquereau, ne riez pas, dans une autre vie avec sa cravate voyante, sa veste impeccable, son chapeau qui lui mange les yeux et son visage de boxeur, il devait être le garde du corps d’Al Capone, certes il a remplacé la mitraillette par une basse, mais il envoie sans discontinuer des pruneaux à défoncer les murs de béton. Ça ne détonne pas vraiment parce que du haut de son piédestal Julien a décidé d’écraser le monde sous sa batterie, un tintamarre de camion poubelle qui passe dans votre rue à quatre heures du mat, en faisant rugir son moteur surpuissant. Encore un nuisible sur votre gauche, Victor Puertas se plie en deux et virevolte sur lui-même, l’a un harmonica chignole entre les dents, l’a décidé de vous vriller les tympans, et il réussit parfaitement. Sur ce Mister Chang se radine, guitare en main, vous voulez du bruit, permettez que j’en rajoute et il éparpille des dégelées de notes à la louche.

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    Trois morceaux, tout juste si dans cette tonitruance généralisée l’on perçoit l’annonce de Mister Chang, et Peaches Staten entre sur scène. Certes toute la salle l’applaudit mais le bruit de nos claquements de mains est totalement recouvert par nos quatre sbires tapageurs. Apparemment cela ne suffit pas, Puertas se déleste de son harmonica et se jette sur l’orgue, question d’ajouter au vacarme orchestral.

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    L’on tremble pour Peaches Staten, que va-telle pourvoir faire dans ce cataclysme. Pas plus que vous et moi. A part qu’elle, elle sourit, secoue les serpents emmêlés de sa chevelure, s’avance vers le micro dans sa tunique triangulaire qui dessine comme la représentation d’un sexe stylisé géant, et tout simplement elle ouvre la bouche. Désormais l’on saura que dans le rhythm’n’blues c’est comme dans les livres de Bourdieu, il y a les instruments dominés et la voix dominante. Evidence sans bavure. C’en est franchement vexant pour la commune humanité. Elle ne chante pas, elle arrache. Elle stentorise. Sans effort, sans problème, avec une efficacité démoniaque. Vous pourriez mettre les potentiomètres sur 22, que ce serait aussi frustrant. Elle a du coffre. Trésors et merveilles. Un vocal qui emporte tout, à vous déplacer la grande pyramide, à faire toucher le sol au sommet de la Tour Eiffel. Avec humour en plus. Dans Sometimes elle demande à Mister Chang de traduire les lyrics, ligne après ligne, dès qu’elle en a énoncé une, et puis elle se lance toute seule dans une grande tempête wagnérienne-soul cataclysmique. Infatigable, increvable. De l’énergie à revendre elle galvanise le combo qui n’en avait pas besoin. Julien tape plus fort, Pompon dépasse les carillons, Puertas égosille son instrument, Chang vous invente toutes les trente secondes des fioritures de notes étincelantes qui ne servent qu’a rehausser le vocal de la diva. La voici qui se munit d’un frottoir, ce qui lui donne l’apparence d’un chevalier du moyen-âge en armure, et se sert de cette moderne washboard pour rajouter au vacarme ambiant le crépitement caractéristique d’une grêle cuillerique…

     

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    Peaches a la pêche. Met le feu à la salle. Finira par descendre faire le tour de l’assistance suivie par Mister Chang transformé en chevalier servant, revenue au bercail elle distribue tambourins, frottoir, et autres ustensiles aux danseurs lancés dans une sarabande gargantuesque et finit par les inviter à monter sur scène poursuivre le carnaval diabolique. Vous n’avez pas voulu aller à la Nouvelle Orléans, pas de problème la Nouvelle Orléans vient à vous. C’est la fête, il y a même un vieux monsieur à la barbe blanche qui profite du capharnaüm pour lui poser des bisous dans le cou et sur les joues, pas vu, pas pris. L’a du courage parce que si Peaches vous passe un bras autour du col, vous pouvez dire bonsoir à vos vertèbres. Diva soul à la facilité déconcertante. Le set s’arrête parce qu’il le faut bien mais elle est aussi fraîche qu’une rose ruisselante de rosée. Ovation debout d’une salle en délire.

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    Certes elle ne renouvelle en rien le rhythm’n’blues mais elle apporte la joie, l’énergie et la vie. C’est déjà beaucoup. Trop peut-être pour notre chétive et triste humanité.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Love Blues In Sem )

     

    STEADY ROLLIN’ MAN

    ARNAUD FRADIN

    AND HIS WILD COMBO

    ( BPCD17 001 / Mojo Hand Records / 2017 )

    Arnaud Fradin : vocals, guitars & backing vovals / Thomas Troussier : harps / Igor Pichon : double bass / Richard Housset : percussions / + special guest : Laurence Bacon ( 07 ) : backing vocal.

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    You can’t judge a CD just looking the cover, dixit Dixon, l’avait raison car à mirer les quatre employés de banque sur la pochette, rien de mirobolant ne vous tape dans l’œil. Heureusement qu’à l’intérieur ce n’est plus la même mouture.

    Steady Rollin’ man : à première oreille l’on eût peut-être aimé la guitare un peu plus en avant que la voix sur ce classique de Robert Johnson, nos rêves se trouvent réalisés par la longue suite instrumentale mais ce qui nous séduit, reste le travail percussif de tambourinade qui vous cisèle et renouvelle le morceau. Two trains running’ : l’harmonica en tête de convoi sur ce titre de Morganfield, et encore cette surprise de la prépondérance percussive qui s’en vient s’enrouler autour de l’harmo de Troussier tel le pampre de la vigne à l’ivresse du vin. If I get Lucky : la voix qui traîne sur l’instrumentation ambiance bleu-Lenoir JB, des éclairs tremblotants d’harmonica c’est le vocal qui mène la marche, un véritable pas de corbillard sans tambour ni trompette, la cadence seule du désespoir. Six minutes, le temps d’agoniser à votre aise, la traversée du pont qui mène aux Enfers est interminable mais vous aimeriez qu’elle ne finisse jamais. I can’t judge nobody : chantent tous en chœur comme pour se donner le courage de s’affirmer. Harmonica pointu sur rythmique fatiguée, le temps de s’étirer et de se tirer hors de ce sentiment de culpabilité dont les tentacules vous étreignent l’âme. Illinois blues : un petit Skip James pour s’envoyer dans les airs, l’harmo pèse un max et puis il s’élève pendant que derrière lui tout s’accélère. Beau vocal. Impeccable. Walk with your maker : la guitare mène le bal, elle éparpille les notes comme ces grains de raisins qui s’envolent lorsque vous agitez fortement la grappe. Le combo en fête, chacun se sert à satiété mais pas de doute c’est la guitare qui régale. Don’t leave me : guitare forte à la texane, mais qui s’adoucit comme l’on perd de la force, lorsque l’adversaire est en train de prendre l’avantage, une goutte supplémentaire de blues et vous êtes mort, voix sans timbre et en même temps sépulcrale, longues entailles d’harmonica comme des lacérations de couteaux dans le dos. Ne bougez plus, ce coup-ci vous êtes mortibus rasibus. La guitare égrène des pétales de fleurs sur votre cercueil. Cela vous fait une bonne jambe. Larmes de big mama pour couronner le tout. Même les crocodiles ont le droit de pleurer. Et tout cela pour une fille ! Franchement il y a de quoi rire. Big mama’s door : beaucoup plus joyeux, apparemment toutes les filles ne claquent pas la porte sur le museau des quémandeurs. Et apparemment le combo s’est décidé pour une entrée en force et groupée. Hot, very hot. Sont en pleine forme. Je ne vous dis pas de quoi. Cela pourrait vous donner des données. Hard time killin’ floor blues : encore un Skip James, beaucoup plus larmoyant que le premier, n’oubliez pas le mouchoir. L’ensemble claudique tristement, l’on se croirait à l’Eglise pour la cérémonie des adieux, tout le monde pleure et personne ne rit, même l’harmo ne se permet aucun ricanement déplacé, et Richard tape sans fin sur le gong du chagrin. Don’t think twice it’s all right : le prennent sur un tempo beaucoup moins rapide que sur scène. Du moins au début parce qu’après ils accélèrent en cachette, la voix et la rythmique qui trottinent et l’harmo qui tente de ralentir la cadence. L’est sûr que l’on n’est pas chez Hugues Aufray. Transparaît ici le vieux fond du roublardise des vieux bluesmen. Don’t let no body drag your spirit down ; retour au blues, tout dans le vocal qui monte et descend pendant que l’instrumentation poursuit un autre chemin, et s’en vient corner à chaque croisement. L’on se dirige vers la tragédie, mais l’on ne sait pas que l’on est déjà dans le dénouement, dans le dénuement le plus absolu, et l’harmo en rajoute une couche pour que vous n’y échappiez point. Good morning love : Troussier trille, souriez c’est du Luther Allison, nous n’avons pas dit polisson, mais c’est fou comment le blues vous annonce les meilleures nouvelles avec une gueule d’enterrement. Entre l’amour et le blues, l’on ne peut choisir que l’amour du blues. Et nos drôles batifolent avec l’insouciance des poulains qui ne savent pas que nous marchons tous, hommes et bêtes, vers l’abattoir final.

    Si vous n’avez pas ce disque chez vous, c’est parce que vous êtes parti pour l’acheter.

    Damie Chad.

    ROCK'ROLL STORIES

    Une émission You tube. Il y eut à partir de février 2018 une première série de 10 épisodes, aussi bien consacrés à un seul artiste qu'à un unique disque ou à la manière de se constituer une collection de disques fifties. C'est en juillet de cette année qu'une deuxième série a vu le jour. Tout cela est en accès libre et sur You Tube ou sur le FB : Rock'n'roll Stories. Rien de bien spectaculaire : plan fixe sur le speaker qui raconte et montre des pochettes de disques. Qu'il saisit un peu maladroitement d'ailleurs. Evidemment les mordus de rock'n'roll connaissent tout cela, mais c'est comme pour les petits enfants et l'histoire du Petit Chaperon Rouge, on ne s'en lasse pas, quand c'est fini on redemande la même ou à la rigueur une autre mais alors avec un méchant loup qui dévore les petits enfants, et le prédateur obsédant et adoré des rockers il s'appelle rock'n'roll ! Peut-être gît-il au fond de cela un brin de masochisme, ou un indécrottable parfum de nostalgie, voire la fabrication d'un monde idéal qui n'a jamais existé, en tout cas cela nous rend heureux et peut-être vaut-il mieux ne pas chercher plus loin que nos lignes d'horizons intérieures.

    Saison 2 / Episode 01

    GENE VINCENT

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    Trente minutes pour résumer la vie de Gene Vincent. Le fond sonore reste évanescent, seule la voix fait sens. Mais l'on se laisse emporter sans problème. Les néophytes seront vite submergées par une vague d'informations qu'ils ne possèdent pas. Mais il suffit de reculer pour saisir ce que l'on n'a pas intégré à la première jactance. Les faits et les gestes. Jeunesse, enrôlement dans la navy, accident, premiers enregistrements, sorties de disques, concerts, tournées en Australie et Japon, accueil du public. L'on ne nous cache rien, le succès éclatant du début, la désaffection du public américain, le renouveau anglais et européen, l'accident d'Eddie Cochran, et puis lentement et sûrement, la dégringolade, la mort. Mais cette assurance que Gene Vincent, à la voix si remarquable porteuse de son propre écho, reste le plus grand, si Elvis fut le roi du rock'n'roll, Gene Vincent en fut l'âme. De couteau.

    Damie Chad.

    De Jean-Michel Esperet nous avons déjà chroniqué ses trois ouvrages consacrés à Vince Taylor. Il s'arrange d'ailleurs pour citer son nom dans ce dernier livre qui traite d'un tout autre sujet. De notre futur. Ou plutôt de notre no-future. Que voulez-vous, le jour où les guitares n'auront plus besoin de musiciens pour jouer n'est pas si loin !

    DIABOLUS IN FUTURO

    - ELEGIE -

    JEAN-MICHEL ESPERET

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    Diable, si Sheitan s'en mêle nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Que dis-je de la cuisine de l'auberge. Car c'est dans votre deux-pièces-cuisine que le livre commence. Rassurez-vous vous n'assisterez pas à une scène de ménage d'un couple déchiré en détresse. Ce serait un moindre mal. C'est le ménage lui-même qui se révolte. Non, rien à voir avec une quelconque revendication féministe de juste répartition des tâches. Sapristi ! Vivez avec votre temps. Ne reculez pas dans l'éculé, soyez résolument moderne ! Ce sont les ustensiles qui entrent en dissidence. Notons que c'était le titre du livre précédent de Jean-Michel Esperet, avec un s final, car sur cette terre les lignes de fractures sont nombreuses.

    J'entrevois les esprits forts s'exclamer, '' Ah ! Ah ! Un livre de science-fiction, c'est couru d'avance !'' J'aurais envie de leur répondre qu'ils ont tout à fait raison. Mais c'est moi qui aurais tort. Admettons un livre de science-no-fiction pour reprendre une expression venue d'Amérique. Certes cela ne se passe pas aujourd'hui à cinq heures du soir, mais vraisemblablement plutôt vers six heures trente. L'histoire racontée débute bientôt. A part le fait que ce n'est pas une histoire. Donc pas un roman, plutôt un essai à la Rochefoucauld. Respirez, Jean-Michel ne s'attarde pas à dénoncer vos turpitudes morales. Il sait très bien que vous les connaissez bien mieux que lui. De toutes les manières, vous êtes un homme. Une espèce qui n'existe plus. En voie de disparition, je corrige pour vous empêcher de récriminer, en voie d'extermination. Ne venez pas vous plaindre si vous ne vous en étiez pas aperçu, au moins à partir de cette lecture vous serez averti.

    Identifions donc l'ennemi. Un prédateur repéré est un prédateur à moitié mort. Cela tombe bien, vous êtes justement à moitié mort. Reste donc à isoler la partie vivante de votre corps. Elle est au-dehors de vous. Ne soulevez pas les coussins de votre canapé. Elle est déjà sur vous. Et pour vous éviter de fouiller votre appartement, je vous livre son nom : votre environnement. Ceci n'est pas une fable écologique, la pollution, le désert qui avance, le climat qui entre en surchauffe, tout ce que vous voulez, mais ce n'est là que la portion congrue.

    Je ne sais si je vous ai déjà rappelé l'anecdote de ce seigneur qui se fait construire un château-(très)-fort pour se défendre des assauts de ses voisins malintentionnés. Malencontreusement, avant que la moindre menace ne se manifeste, les murailles de l'épais donjon s'écroulent sur lui et l'envoient ad patres à mauvais escient. Ne dites pas que c'est la faute à pas-de-chance, vous êtes exactement dans le même cas.

    Je m'attarde quelque peu sur mon expression toute latine, c'est que voyez-vous c'est en langage césarien que Jean-Michel Esperet a composé ses titres de chapitres. N'ayez crainte, la traduction est en libre accès dans le glossaire final. Parce que, quoi qu'on en dise, en latin ça sonne plus fort. Pas besoin de sonnerie annonciatrice, dès les trois premières pages cela vous saute à la figure que tout va mal.

    Vous n'êtes pas comme le corbeau de la fable, ce n'est pas parce que le grille-pain vous a bombardé de tartines brûlantes que vous allez en faire tout un fromage. Objection votre honneur, ce n'est pas tout à fait ce que raconte Jean-Michel Esperet, son sujet c'est le transfert de technologie. Un genre d'activité qui tourne toujours au désavantage du généreux donateur. Quand vous semoncez votre gamin en édictant à voix haute '' Tu es un vilain'', il vous tire la langue et rétorque : '' C'est toi qui l'as dit, c'est toi qui l'es !'' Une machine? si vous la tapotez gentiment en vous exclamant : '' Comme je t'ai faite intelligente !'' elle répond '' C'est toi qui le dis, c'est toi qui ne l'es plus !''.

    Si votre vélo d'appartement ne vous a pas encore écrasé, n'en tirez aucune vanité, méfiez-vous de la voiture qui pourrait sortir de votre poste de télévision. Ne riez pas, la menace est plus prégnante que vous ne le croyez. Nos objets doués d'intelligence sont comme nous soumis aux pannes, ils s'usent et se dérèglent et peuvent provoquer des catastrophes. Votre frigidaire ne transformera peut-être pas votre maison en zone sibérienne, mais pensez à ces systèmes de missile atomiques braqués sur vous... Il suffirait d'une défaillance d'un programme informatique...

    Mais Jean-Michel Esperet use d'armes beaucoup plus insidieuses que les bombinettes à neutrons. Ne parle même pas de ces dernières. Imagine simplement des hypothèses de catastrophes intermédiaires. Pas celles auxquelles vous pensez. Le danger ce ne sont pas les bombes, mais la complicité que vous entretenez avec les réseaux d'aides et de facilitations existentielles qui s'emparent de plus en plus de notre quotidien. Le plus grand des périls réside entre l'osmose destinée à s'opérer entre les hommes et les machines. Tout transfert a vite fait de se transformer en échange. Vous donnez votre intelligence à un appareil, comment vous rendra-t-il la monnaie de votre pièce ?Les temps ne sont pas si lointains où vous le saurez.

    En attendant Jean-Michel n'endosse en rien le rôle d'une pythonisse échevelée, préfère l'anecdote amusante, l'humour doucereux, l'ironie décapante, le sourire amer, le rappel historique gênant, le rictus démoniaque. L'on sent qu'il est à deux doigts d'en appeler à Aristote, à ses strictes délimitations des hommes et des objets, mais non, se contente d'agiter, pour attirer l'attention et la réflexion des grands enfants que nous sommes, les deux grandes marionnettes du théâtre d'ombres des représentations homo-sapiensales, Dieu et le Diable. Ne croit pas plus à l'un qu'à l'autre, mais il exècre tellement le premier – plus exactement ses différents sectateurs - qu'il prête au second son humour.

    Dieu lui paraît n'être qu'un pauvre diable dont la valeur boursière dégringole de jour à jour, le Diable lui est davantage rigolo puisqu'il nous ressemble tant et que nous ne pouvons plus nous regarder dans une glace sans éclater de rire. Il serait plus logique d'en pleurer, ce n'est pas pour rien que Jean-Michel Esperet a sous-titré son recueil ''Elégie''. Le monde est triste. Hors contrôle, islamisme, communisme, libéralisme, agitent leurs tentacules destructeurs au travers de ce nouveau monstre transformiste encore en chrysalide qui bientôt les dépassera en nocivité.

    Moins de cent trente pages, vite lu, un délice aussi glacé qu'un poignard dont on vous transperce le dos. Jean-Michel Esperet vous tend une petite fiole de poison, malheur à vous il ne possède pas l'antidote, mais il faut savoir combattre le mal par le mal.

    Damie Chad. ( Septembre 2019. )