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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 94

  • CHRONIQUE DE POURPRE 267 : KR'TNT ! 387 : GENE VINCENT-MICK FARREN / DALE HAWKINS / ISAAC HAYES / THE CACTUS CANDIES / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT / THE CLASH / ROCKAMBOLESQUES ( 2 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 387

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 10 / 2018

    GENE VINCENT-MICK FARREN / DALE HAWKINS

    ISAAC HAYES / CACTUS CANDIES

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

    CLASH / ROCKAMBOLESQUES ( 2 )

     

    La mort solitaire de Gene Vincent

     

    Oh maman, maman

    Cette fois je m’en vais, c’est sûr

    Cette fois je vais en enfer

    Comme on me l’a toujours prédit

     

    Mon ulcère saigne

    Et ma jambe me fait mal

    Le whisky ne me soulage pas

    Et la morphine non plus

    Et dehors, autour de la caravane

    Il y a un monde que je ne comprends pas

     

    Ils ont changé les règles, maman

    Ils ont enlevé les ailerons de voitures

    Et Jim Morrison porte mes vieilles fringues

    On est en 1971, Maman, pas en 1957

    Be-Bop-A-Lula reçoit l’aide sociale, maman

    Elle a deux gosses horribles et une bouteille de sédatif

    Elle va se taper des chauffeurs routiers à la sortie de Bakersfield

    Dans la cabine d’un semi-remorque blanc

    Dix dollars la pipe

    Fais gaffe au levier de vitesse, ma poule

    Fais gaffe, entends-tu

     

    Il y a un gros nuage de fumée qui s’élève, maman

    Juste au-dessus de ma tête

    La fumée des Lucky Strike

    Avec leur vieux paquet rouge et blanc

    Les autres appellent, maman

    Ceux qui étaient là avant

    Hank Williams murmure

    Hank dit qu’il veut me payer un coup

    Et Eddie Cochran a écrit une nouvelle chanson

    Il veut me la jouer sur sa guitare noire

     

    Je vais m’en aller, maman

    Je m’en vais bientôt

     

    Il y a une femme qui attend

    Elle porte une robe rouge

    Cette ancienne Putain de Babylone

    Elle m’attend pour me mettre dans son lit

    Cette ancienne Putain de Babylone

    Elle m’attend pour m’emmener

     

    Je jure, maman

    Je jure devant Dieu

    Si j’en réchappe

    Je serai un homme meilleur

    Je suis foutu, maman

    Je ne vais pas passer à travers

    Je suis foutu, maman

    Je sens que mon ulcère saigne

    Je suis foutu, maman

    J’ai déjà du sang dans la bouche

    J’étais un roi, maman

    J’étais un roi

    Le Roi du Mal

    Le roi de la putain de jungle

    Et ils m’ont mis dans une cage

    Je me souviens très bien

    Ils disaient que j’étais saoul à «American Bandstand»

    Ils disaient que j’étais communiste

    J’ai été chassé par Dick Clark

    Et une bande de connards qui s’appelaient tous Bobby

     

    J’avais des Cadillacs, maman

    Tu as déjà entendu dire que les communistes avaient des Cadillacs ?

    Une Cadillac pour chaque jour de la semaine

    Et une Corvette blanche pour le dimanche

    Mais maintenant

    Il ne reste plus qu’une seule Cadillac

    Celle qui est noire et longue et en plastique

    Le corbillard, maman

    C’est la seule Cadillac pour mon avenir

    Le cimetière est tout près de la voie rapide, maman

    Un terrain qui serait désertique

    S’ils ne l’arrosaient pas

    Vingt-trois heures par jour

    Le cimetière est tout près de la voie rapide, maman

    On ne peut pas le rater

    Prends à gauche et suis l’odeur du diesel

    Continue le long de la 118

    Et tu entres dans le comté de Ventura

     

    Oh maman, maman, tu ne peux pas le rater

    C’est impossible que tu rates ce cimetière

     

    MICK FARREN

    Extrait de The Lonesome Death Of Gene Vincent... And 44 Others Poems And Lyrics

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    Écrit en 1992, publié pour la première fois en 1995

    Traduction de Patrick Cazengler

     

    Que dalle pour Dale

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    Billy Poore a très bien connu Dale Hawkins, ce crazy rockabilly cat originaire de Louisiane que Leonard Chess signa sur son label en 1957. Ce vieux renard de Leonard voyait Sam surfer sur Sun avec Elvis, alors il lui fallait vite un rockab et de fut Dale. Et hop, une petite quinzaine de 45 et un album vite fait. C’est avec «Susie Q» qu’il créa la sensation, comme chacun sait. James Burton qui allait plus tard rejoindre Ricky puis Elvis jouait sur ce classique indétrônable paru en 1957, ce qui ne nous rajeunit pas.

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    Pourtant, les historiens du rockab n’accordent jamais de chapitre à Dale. Que dalle pour Dale. On le cite pourtant à tire-larigot, Dale est toujours dans des packages à droite et à gauche, sur scène avec tous les moutons de Panurge de la vague rockab, tout le monde vante les vertus de «Susie Q», mais le seul à lui consacrer un quart de page, c’est Billy Poore, et encore, il apparaît sous le titre : Other Artists from the late fifties. Même pas de photo. Sans doute n’y a-t-il pas grand chose à raconter sur Dale, tout au moins pas autant de choses que sur Jerry Lee ou Elvis. Billy Poore insiste beaucoup sur la qualité de «Little Pig» et «See You Soon Baboon», mais ces vaillants hits rockab se noient dans la masse d’alors. Son cousin Ronnie Hawkins eut plus de chance.

    Dans une interview datant de 1986, Dale raconte qu’il traînait du côté de Shreveport en Louisiane quand il était gosse. Il bossait chez un disquaire - I was into a lot of blues - Eh oui, forcément, la Louisiane est le berceau de ce qu’on appelle le raw blues, celui de Slim Harpo et de Lightning Slim. Dale appréciait beaucoup le son de Scotty Moore, mais il avait déjà son son en Louisiane, that came from our heavy blues influence. Il avait même de riff de Susie Q en tête depuis un bon moment. Et puis un jour, il va l’enregistrer dans le studio d’une station de radio à Shreveport. Il envoie la bande à Leonard le renard. Il attend la réponse. Les semaines passent. Alors Dale envoie une copie de la bande à Jerry Wexler, chez Atlantic. Wexler voit immédiatement le hit potentiel, et fait savoir à Leonard le renard qu’il a intérêt à se magner le train - Chess had better do something or get off the pot - Voyant approcher les grosses pattes de Wexler, Leonard le renard se hâte de sortir le 45. Dale est très fier de son little record - Our little record, it sounded so much like Louisiana - Oui Dale dit sa fierté - The overall sound was our own, though, from our area of the country. Just a little bit of the blues, man.

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    «Suzie Q» fait l’ouverture du bal sur l’album Chess Oh Suzy-Q paru en 1958. Pur Chess Sound, admirabilité du beat et solos de rockab pur. Ce n’est pas l’album du siècle, mais Dale y joue la carte rockab. Il swingue son «Juanita» et le chante pointu, et derrière, ça boppe, pas comme à Memphis, mais ça boppe bien quand même. Dale pond encore un hit de juke avec «Little Pig» et en B, il fait son Tarzan dans «See You Soon Baboon», pur jus de comic strip. Il y fait tout rimer en oon - I says okay baboon/ I’m gotta find out soon - ce qui n’est pas facile. On a même droit à un solo de sax à la Lee Allen.

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    Un autre album Chess est paru en 1976, sous une pochette bordeaux. On y retrouve quasiment les mêmes cuts, «Susie Q», «See You Soon Baboon», «Little Pig», mais aussi des cuts marrants comme «Lulu» (joué au clair de son et au swing de clochettes, bien twisté du bilboquet), «First Love» (pur jus de diction rockab), et en B l’excellent «Wild Wild World» monté au format rock’n’roll classique d’it’s a one for the money. Il reprend aussi le «My Babe» de Big Dix, et comme il a le son Chess, il en profite.

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    Puisqu’on est dans les vieux trucs, on trouvait aussi autrefois dans le commerce un album Argo intitulé My Babe qui propose un choix de cuts déjà parus, comme le morceau titre, ou encore «Lulu», mais on y trouve un «La-Do-Dada» joliment allumé par des shoots de rockab. C’est un fascinant exercice de style d’apparence exotique, mais sacrément développé en interne. En B, il fait une solide reprise du «Ain’t That Lovin’ You baby» de Jimmy Reed. Oh bien sûr, ça ne vaut pas celle de Link Wray, mais ça vaut quand même le détour. Et puis il faut absolument écouter «Back To School Blues», un solide drive de rock d’une grande modernité. C’est peut-être là que Dale fait la différence, comme le fit Bo de son côté. Son drive de rock est infesté de luttes de guitares intestines, c’est extrêmement bien foutu et derrière, on a même des chœurs de filles délurées. Alors si la question est : faut-il écouter Dale Hawkins ?, la réponse est oui, mille fois oui.

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    Et en 1997, Norton s’est fendu d’une autre compile, Darevil. Sur la pochette, Dale gratte sa Gibson, comme d’ailleurs sur la pochette de son premier album Chess. Mais comme souvent chez Norton, ça sent le bric et le broc et les différences de niveaux ne pardonnent pas. On se régale cependant du morceau titre, Carl Adams y passe un killer solo. Il joue avec des doigts en moins et l’histoire de ce mec devient quasiment plus intéressante que celle de Dale qui a pour particularité de s’entourer des meilleurs guitaristes (James Burton et Roy Buchanan, par exemple). On retrouve d’ailleurs Buchanan sur «Superman» qui ouvre le bal de la B. Et qui bat le beurre ? DJ Fontana en personne.

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    Avec L.A. Memphis & Tyler, Texas paru sur Bell en 1969, on ré-ouvre le chapitre des albums mythiques. Comme on le voit sur la pochette, Dale change de look, il porte une petite frange, un pull blanc et un futal rayé. Comme à l’époque il traîne en Californie, ça s’explique. Attention, c’est un rassemblement de surdoués : James Burton, Ry Cooder et Taj Mahal jouent là-dessus. Dale commence par enregistrer ses basic tracks à L.A., puis il va tout remixer à Memphis, chez Ardent, avec Dan Penn et Spooner, et il apporte une touche finale dans un studio de Tyler au Texas, en compagnie de Mouse & the Traps et de Wayne Carson, le mec qui a composé «The Letter». D’où le morceau titre, «L.A. Memphis & Tyler, Texas» - I’d like to dedicate this song to the great cities where I’ve recorded - Et il attaque le fabuleux folk-rock de «Heavy On My Mind». Ry Cooder et James Burton y croisent le fer de leurs vélocités. Ça donne un groove de guitares clairvoyantes assez unique dans les annales. Dale tape une version d’«Hound Dog» au swamp-rock de classe supérieure. Il prend ça au pied levé, et ça effare, tellement c’est bon, rythmique infernale, très grosse intensité bayoutique, c’est joué en pure démarcation de ligne. Taj Mahal souffle dans son harmo. Trop de gens doués dans les parages, ça se sent. Et ça continue avec l’effarant «Back Street», amené au riff de boogie diabolo. Voilà un instro d’anticipation majeure, cuivré de frais par les Memphis Horns : hypno et beau, nocturne et bien profilé sous le vent du Sud. En B, il la-la-latte gaiement la pop de «La-La La-La», oh oui, il chante soir et matin, il chante sur son chemin, il va de ferme en château, il chante pour du pain et pour de l’eau. Il tape à la suite dans le «Candy Man» de Fred Neil. Ce choix l’honore. Chaque cut relève d’un choix tactile d’une finesse extrême. Bon, ça sonne cousu, mais Dale s’en bat l’œil, il adore le boogie de l’arrière pays et James Burton passe un solo flash. Dale est un bon. La preuve ? «Ruby (Don’t Take Your Love To Town)». Histoire atroce : le mec revient infirme de la guerre et comme il ne peut plus honorer sa femme, elle descend en ville se piquer la ruche et se faire limer. Le mec se dit qu’il est baisé - A fucked up song - Dale lui rend justice. C’est atrocement secoué du cocotier et lourd de conséquences. Il retape dans son vieux héros Jimmy Reed avec «Baby What You Want Me To Do». Dale le pulse à la mam-mam, goin’ up goin’ down, et il termine avec un joli coup de swamp funk, «Little Rain Cloud», co-écrit avec Dan Penn. Dale sort son meilleur falsetto, c’est alarmant de qualité boogy et les filles font aaah-aaah, on a là un pur drive d’intensité cabalistique, un véritable enfonceur de portes ouvertes. Dale adore faire le con.

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    C’est dans les mémoires de Don Nix que Dale refait surface. Don rencontre Dale au River Bluff hotel de Memphis et le trouve bien agité. En effet, Dale se goinfre d’amphètes. Au point qu’il ne supporte pas le moindre moment de calme - His worst enemy was a dull moment - Dale est à Memphis car il cherche des chansons destinées à Bruce Channel qu’il produit pour le compte de Bell Records et il sait que Don Nix compose. Don gratouille un truc et Dale saute en l’air : «That’s what we need ! Let’s go to Nasvillr and cut it !» Alors Don lui demande : «Quand part-on ?» Dale le regarde d’un air bizarre - Right now, man ! - Avec Dale, les choses ne traînent pas. Et Don raconte le voyage à Nashville - He had a brand new Cadillac Coupe de Ville and drove like a man possessed - Don n’avait encore jamais vu conduire un tel dingue. Le pied au plancher, en train de raconter des tas d’histoires, la bras en l’air. Il sortait des papiers de sa mallette alors que la Cadillac fonçait à 240 à l’heure. En arrivant à Nashville, Don se jure de ne plus jamais monter avec ce dingue et décide de rentrer à Memphis en bus. Ils s’installent pour la nuit dans un motel, mais pas question de dormir, car Dale ne dort pas. Il lit des trucs, en écrit, il marche inlassablement à travers la pièce. Don finit par croire que Dale a peur de s ‘endormir. Comme les gens qui ont peur de ne pas se réveiller, ou de rater un truc. Et le matin, ils entrent en studio à Nashville avec la crème de la crème du gratin dauphinois, dont DJ Fontana. Don se retrouve à produire les chansons d’un mec qui n’est même pas là. Ils enregistrent quatre titres. Quand Don veut savoir en quoi ça part, Dale lui dit que ça n’a pas d’importance, Bruce Channel peut tout chanter. Évidement, aucun des tracks enregistrés ce jour-là ne voient le jour. Puis Dale insiste pour rentrer à Memphis mais Don pose une condition : «I drive !». Okay then.

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    Quel album que ce Wildcat Tamer paru en 1999 ! On y trouve deux covers énormes, à commencer par l’«Irene» de LeadBelly. Dale revient à son vieux mode boogie de voix tranchante. Il fait une monstrueuse version de ce vieux classique éculé par tant d’abus. Et même une version complètement incendiaire, jouée au meilleur heavy beat d’époque. Il tape aussi dans le «Promised Land» de chickah Chuck. Il rend un somptueux hommage au vieux maître. Il chante à la glotte de tourneboule et joue le Southern boogie rap. Ce blanc chante comme un nègre, c’est dire s’il est bon. Cet album fourmille de merveilles, tiens comme le morceau titre qui ouvre le bal. Dale le prend au drive de rockab explosif. Il allume littéralement son Wildcat. Kenny Brown gratte derrière. Ces mecs sont complètement dingues ! Il revient au heavy blues pour «Going Down The Road». Dale sait de quoi il parle - Ain’t got no home/ But I’m gonna find a dollar bill - Retour à l’énormité avec «Change Game». Ça sonne comme du groove énervé de première nécessité. Ce diable de Dale développe de véritables sur-puissances et nous chante ça à la petite voix pointue. Il a le génie du son. Chaque cut sonne comme un hit. C’mon Kenny ! Alors voilà «Country Girl». Il rappelle Kenny Brown à l’ordre. Encore un slab de pur boogie swingué à la régalade. Kenny et lui tapent plus loin un «Take It Home» à l’énergie des vieux accords, et bien sûr, en vieux pro, Dale finit avec la cerise sur le gâteau, c’est-à-dire «Susie Q», mais une version plus heavy.

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    Avec Born In Louisiana, Dale nous fait le coup du 25 cm d’île déserte. Toute la B est énorme, emmenée tambour battant par un «Going Down The Road» joué au blues de cabane et claqué au petit coup d’essence mirifique. Dale fouette le delta blues de la Louisiane. Il faut le prendre très au sérieux car ce mélange de bottleneck et de stand-up monte directement au cerveau. On a là un pur chef-d’œuvre de sensibilité louisianaise. Il tape ensuite dans Leadbelly avec un somptueuse cover de «Goodnight Irene». C’est l’une des covers du Lead les plus inspirées qui se puisse imaginer ici bas. Dale lui donne de l’ampleur. Et ça continue avec «Summertime Down In South», pur jus de jigsaw puzzle down the good southern time. Il se pourrait qu’Hot Tuna vienne de là en direct. Ce cut est un enchantement. Avec le morceau titre, Dale frise le Tony Joe White, Il sait trousser un hit underground. Voilà encore une splendeur tendue et bien profilée. En A, on succombe assez facilement au charme de «Someday One Day» qui sonne comme un hit fougueux et immaculé. Dale a de sacrées dispositions. Il chante «Goodnight Sweetheart Goodnight» comme s’il entrait dans Rome en vainqueur, les bras chargés de bracelets. Encore un cut soigné avec «Women That’s What’s Happening». Il traite ça à la clarté de son et balance du bop à qui mieux-mieux. Quelle élégance sensorielle ! Sur ce petit album, tout est soigné au-delà du désirable.

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    Le dernier album en date de Dale s’appelle Back Down To Louisiana. Une cabane pourrie orne la pochette. À la première écoute, l’album peut paraître improbable, mais il finit par convaincre. On ira même jusqu’à s’exclamer : «Ça c’est du disque !» Dale opère un retour sidérant vers le rockab avec «Bang Bang». Quelle santé de bûcheron ! Dale fait son rockab by the bayou. Même chose avec «Word Song», claqué au boogie des seigneurs du bayou. C’est un nouveau slab de rockab net et sans bavure. Dommage qu’il n’y ait pas de slap. Le hit du disk pourrait bien être «Pretty Little Thing». Dale adore chevaucher son beat. Il sait se tailler un chemin dans la vie. Son boogie vaut vraiment tout l’or du monde. Good Lord, écoutez le gars Dale ! Avec le morceau titre, on reste dans le boogie blues des géants. «New Generation» sonne aussi comme une énorme dégelée de boogie motion. Dale joue ça à la petite distorse de Louisiane. Il a du répondant. Bon d’accord, c’est un son très classique mais pourquoi irait-il inventer la poudre ? Dans le booklet, on voit des photos incroyables : ses chats et deux flingots. On le voit aussi sur une Harley. Avec «Mighty Mississippi», il tape le blues du Missippe. Il connaît toutes les ficelles du Deep South Sound. Dale est l’un des blancs les plus crédibles du cheptel. Il va chercher son blues dans la terre de Louisiane. Il termine avec «Do The Thang», l’un des boogie-rocks dont il s’est fait une spécialité. Il chante ça à l’impavide. On ne croise pas tous les matins des artistes aussi doués que Dale.

    Signé : Cazengler, crève la dalle

    Dale Hawkins. Oh Suzy-Q. Chess 1958

    Dale Hawkins. L.A. Memphis & Tyler, Texas. Bell Records 1969

    Dale Hawkins. Dale Hawkins. Chess 1976

    Dale Hawkins. My Babe. Argo Records 1986

    Dale Hawkins. Daredevil. Norton Records 1997

    Dale Hawkins. Wildcat Tamer. Mystic Music & Entertainment 1999

    Dale Hawkins. Born In Louisiana. Goofin’ Records 1999

    Dale Hawkins. Back Down To Louisiana. Plumtone Music 2006

    Don Nix. Memphis Man. Road Stories & Recipes. Shirmer Trade Books 1997

    Billy Poore. Rockabilly. A Forty-Year Journey. Hal Leonard Corporation 1998

     

    Gousse d’Hayes

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    Quoi de plus juste que de qualifier Isaac Hayes de Spirit Of Memphis ? C’est en tous les cas ce que vient de faire Craft avec un coffret pas trop cher. L’objet se présente au format 45 tours, s’ouvre comme un livre et contient quatre disks encartés séparément dans des folders en carton extrêmement rigides. Collée sur la trois de ouvre, une petite pochette enserre un vrai 45 tours, la réplique d’un single rare. Sur la une, Isaac pose sous la devanture du fameux 926 McLemore Avenue, qui fut à l’origine un cinéma de quartier à l’ancienne. Un fronton proéminent surplombait la rue sur plusieurs mètres. Comme dans tous les lieux de spectacles aux États-Unis, on y composait les titres des films et les noms des artistes en grosses lettres rouges démontables. Au frontispice du 926 McLemore, on pouvait lire Soulsville U.S.A., et posé au dessus comme une statue, le mot STAX en très grosses lettres rouges qui s’éclairaient lorsque la nuit tombait sur la capitale mondiale du rock et de la Soul. Il était donc logique qu’Isaac y trônât.

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    Quand on tient ce coffret en main, on découvre qu’il vibre. Oui, c’est assez difficile à faire croire et pourtant, c’est vrai, il vibre. Tout ce qui touche à la personne d’Isaac Hayes relève du sacré. En voilà une nouvelle preuve. D’autant plus sacré que Robert Gordon signe le texte d’introduction. Les amateurs de Soul et tous les staxés notoires le savent : Isaac Hayes appartient à la lignée mythique de Memphis, au même titre que le King (Elvis) et the real King (Rufus). Mais Isaac eut plus de veine qu’Elvis, puisqu’il n’avait pas de fucking Colonel sur le dos, et plus de punch que Rufus puisqu’il inventa l’avenir de la Soul.

    Histoire prodigieuse que celle de ce messie : il part de rien, de triple zéro, orphelin élevé par ses grand-parents. Mickey Gregory : «In the beginning there was this little destitute kid that his grandmother referred to as Bubba Lee.» (Au commencement, il y avait ce gamin pauvre que sa grand-mère appelait Bubba Lee). Ses grand-parents étaient des sharecroppers, c’est-à-dire les métayers, ceux qui cultivaient la terre pour le compte des anciens esclavagistes et dont la mentalité vis-à-vis des nègres était restée intacte, malgré le treizième amendement qui avait aboli l’esclavage : les sharecroppers vivaient dans le même type de misère abjecte, sans autre horizon que de devoir travailler du matin au soir pour des prunes. Petit, Isaac rêvait de pouvoir entrer dans un lit bien chaud pour dormir, de pouvoir manger un vrai repas et de porter des habits décents. Et quand la «famille» s’installe à Memphis pour essayer de survivre un peu mieux, le petit Isaac dort la nuit dans des carcasses de bagnoles - I slept in junk cars in a garage - Puis la musique entra dans la vie d’Isaac comme l’air du printemps entre dans une maison. Il l’entendait lorsqu’il travaillait dans les champs, il l’entendait à l’église. Comme Aretha, comme Ray, comme Sam, comme Johnnie et comme tous les autres, Isaac chante à l’église et découvre le clavier. Comme nous tous, il entendit des choses à la radio qui allaient bouleverser sa vie. Comme Andre Williams qui grandissait en Alabama, Isaac entendait à la radio la musique des patrons blancs, le hillbilly - I was singing hillbilly before I was singing R&B -

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    Puis il entend Sister Rosetta Tharpe jouer de la guitare électrique. Coup de chance, car à cette époque, la seule musique noire programmée sur les radios était le gospel batch, mais en 1944, le gospel de Sister Tharpe était déjà du rock’n’roll. Isaac découvre ensuite la mythique station WDIA de Memphis, lancée en 1947 par deux blancs et qui devient grâce à Nat D. Williams la première radio destinée au public noir. Là, on ne rigole plus. En 1948, deux DJs de choc font leur entrée sur les ondes : B.B. King et Rufus. Tous les nègres qui vont devenir célèbres écoutent cette radio, de la même façon qu’on écoutait le hit-parade de SLC quand on était ados. Ces émissions ouvraient les portes donnant sur le fameux jardin magique auquel les adultes qui nous pourrissaient la vie avec leurs problèmes de cul et de fric n’avaient pas accès.

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    Isaac commence à chanter dans des concours et quand des gamines viennent le trouver pour lui demander un autographe, ça le fait bander. Il rêve d’en faire un métier, mais ce n’est pas si simple. Adulte, il se marie et se voit contraint de bosser dans un abattoir pour nourrir sa famille. Il vit l’horreur. Il ne dort plus la nuit - I walked in blood - En 1962, il réussit à entrer dans le petit studio de Chips Moman pour enregistrer avec son copain Sidney Kirk un premier single, «Laura We’re On Our Last Go-Round» qui est, vous l’avez deviné, celui qui est encarté sur la trois de couve du coffret vibrant. Mais à l’époque, Chips n’a pas de distributeur et le single disparaît sans laisser de trace. Isaac retourne bosser aux abattoirs. Back to the Killing Floor.

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    Il finit par décrocher un job de keyboardist dans le house-band d’un club. Ça lui permet d’aller traîner au 926 McLemore, car c’est là que se retrouvent les musiciens black de Memphis. Oh il n’entre pas encore au studio, mais juste à côté du studio, dans la boutique de disques de Miz Axton, la sœur du patron blanc Jim Stewart, un banquier reconverti dans le r’n’b.

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    Et c’est là où Isaac va basculer dans la vraie vie. Un certain Floyd Newman cherche un keyboardist. Vous ne connaissez pas Floyd Newman ? C’est logique. Il était ce qu’on pourrait appeler une star locale. Il jouait au Plantation Inn, de l’autre côté du fleuve, à West Memphis, en Arkansas. Le Plantation Inn joua exactement le même rôle que la radio WDIA : un rôle de catalyseur exceptionnel. Tous les pères fondateurs blancs du Memphis Sound passaient leurs nuits au Plantation Inn pour y apprendre la vie, le swing et la Soul. Steve Cropper, Dickinson, Packy Axton et Duck Dunn franchissaient le pont toutes les nuits pour aller s’encanailler et écouter la Soul primitive de Floyd Newman. Le disk 1 du coffret propose d’entendre «Sassy» qui est un modèle de shuffle en forme de wild ride in the Plantation Inn. Et Isaac s’immerge dans le monde magique de la musique : il veut devenir le nouveau Nat King Cole. Il s’en donne les moyens. Floyd Newman dit qu’Isaac connaissait tous les jazz tunes. Floyd dit aussi qu’Isaac a l’oreille absolue : s’il fait tomber une fourchette, il peut dire la note du cling. Floyd s’aperçoit aussi très vite qu’Isaac peut diriger un orchestre et distinguer le son de chaque instrument. Floyd finit par comprendre qu’Isaac est doué de pouvoirs surnaturels - Every note you heard on any of his music came outta his head, every note - Isaac peut dire aux autres musiciens ce qu’ils doivent jouer. Isaac entend la musique de l’univers.

    Quand Floyd Newman vient enregistrer «Sassy» chez Stax, Jim Stewart lui demande :

    — Dis donc, Floyd, ce mec qui joue du piano avec toi, tu crois que ça l’intéresserait de jouer sur quelques démos ?

    Oui, Jim Stewart cherchait quelqu’un pour remplacer Booker T. qui venait de quitter Memphis pour aller finir ses études dans l’Indiana. Ce que Jim Stewart ne savait pas, c’est qu’il venait de faire entrer la poule aux œufs d’or dans la bergerie.

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    Pour sa première session, Isaac doit accompagner Otis. Il a la trouille, car au fond, il n’est pas vraiment pianiste. Il n’a aucune formation. Il joue tout à l’oreille. Mais Otis est un mec dynamique et tout le monde adore bosser avec lui - It was like a party whenever Otis came to town - Isaac se sent comme dans une nouvelle famille. Pour la première fois de sa vie, il goûte au bonheur d’exister. Mais personne ne sait encore à quel point Isaac est doué. Seul Floyd Newman le sait.

    Jim Stewart voit les choses différemment : pour lui, Isaac est un nègre timide qui avance pas à pas et qui ne fait pas de vagues. Stewart va même jusqu’à imaginer qu’Isaac n’était pas conscient de son talent d’arrangeur et d’interprète. Son assistante black Deamie Parker analyse les choses un peu plus finement : pour elle, Isaac veut surtout échapper à la pauvreté - Serious poverty - Alors, oui, il évolue très vite, comme tous les gens pauvres et doués auxquels on donne une chance. Deamie rappelle qu’Isaac ne possédait que deux chemises et des chaussures bricolées qui ressemblaient à des bananes, qu’il avait une famille à nourrir et qu’il se battait pour survivre.

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    Isaac rencontre chez Stax David Porter, qui participait lui aussi aux concours de chant. Ils étaient même en compétition et ils se respectaient. David bosse chez Stax comme parolier et il cherche un collègue pour composer avec lui. Il lui fait une proposition qui ne se refuse pas : «Hey man, let’s hook up ! Devenons les Holland/Dozier/Holland, les Bacharach/David de Stax !». Et nos deux cocos se mettent à l’ouvrage, et quel ouvrage...

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    Ils allaient tout simplement composer des hits qui figurent parmi les plus grands hits du XXe siècle, ceux de Sam & Dave ou de Mable John. Et quand on enregistrait leurs chansons, ils dirigeaient les sessions, devenant ainsi producteurs. The Stax Sound, baby, c’est Isaac. Oh les MG’s bien sûr, mais le raw du raw, ce sont bien les hits de Sam & Dave qui l’incarnent. Rien n’est plus viscéralement staxy qu’«Hold On I’m Coming» ou «Soul Man». Pas de partitions, rien de prévu à l’avance. Isaac se mettait au piano et tout le monde commençait à jouer avec lui. C’est exactement ce qui fascina Jerry Wexler qui n’avait encore jamais vu des musiciens de studio jouer aussi librement avec des résultats aussi effarants. Évidemment, tous ces musiciens ne savaient pas lire une partition. Ils jouaient tous au feeling, y compris les cuivres, c’est-à-dire les mythiques Memphis Horns - Most Stax records were arranged as it happened, a spontaneous kind of atmosphere - Il n’y avait pas comme dans tous les autres studios de décompte du temps. C’est l’une des particularités de Memphis : priorité absolue au processus créatif, celui qui rend tout possible. C’est ce que rappelle Robert Gordon dans le texte qui présente un autre coffret, Keep An Eye On The Sky : la magie de Big Star ne fut possible que parce que John Fry ne comptait pas le temps.

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    Quand en été, le soleil tape dur, le studio Stax est irrespirable, comme d’ailleurs celui de Cosimo à la Nouvelle Orleans. Pour pouvoir continuer à travailler, Cosimo faisait venir un camion de glace pilée. Isaac et ses amis allaient au Lorraine Motel piquer une tête dans la piscine. L’endroit devint une sorte d’annexe de Stax. Bailey leur faisait griller des ailes de poulet et ils attendaient la fraîcheur du soir pour retourner au studio.

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    C’est là, au Lorraine, que Steve Cropper et Eddie Floyd composèrent «Knock On Wood». C’est le Lorraine qu’on voit sur la pochette du fameux Memphis Sol Today de Monsieur Jeffrey Evans et de son groupe, the Gibson Bros. C’est aussi là que Martin Luther King reçut une balle de gros calibre dans la gorge.

    Par contre, en hiver, ils se caillaient tous les miches chez Stax : il n’y avait qu’un seul radiateur pour toute cette grand pièce qui était comme on l’a dit une ancienne salle de cinéma. Tout le monde, nous dit Isaac, se regroupait autour du piano et de la batterie qu’on avait installés à côté du radiateur. Mais comme il régnait une bonne ambiance - family - ça ne posait aucun problème.

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    Lors d’une soirée d’annive, Al Bell, co-boss de Stax, chope Isaac qui est en train de vider une bouteille de champagne et lui dit :

    — Ike, let’s do an LP on you !

    — Hips !

    Pas de problème. Isaac embarque Duck et Al Johnson en studio, Al fait tourner la bande et ça donne Presenting Isaac Hayes. Pas de répète, rien que de l’impro et du feeling un soir de fête bien arrosé. Pur jus d’Isaac. Jazz and funk. Pas de gros succès, mais ça présageait de choses à venir. Et quand victime d’une magouille contractuelle d’Atlantic, Stax perd tout son catalogue, c’est-à-dire la propriété de tous les hits pondus par la family (Sam & Dave, Carla Thomas, Otis, MGs, Eddie Floyd, enfin tout, on imagine l’horreur), Al Bell décide de tout recommencer à zéro, partant du principe que ce qui a été fait une fois peut être refait, et mieux encore : les bloody yankees ont barboté le catalogue, mais pas le plus important, c’est-à-dire les talents. Al Bell décide de frapper un grand coup en faisant paraître 30 albums et trente singles d’un seul coup. Il veut faire de Stax la grosse Bertha de la Soul. Bien vu, Bell. Boom !

    Isaac demande s’il peut refaire un album pour faire partie des 30. Al lui dit of course.

    — Je peux le faire à mon idée ?

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    Al lui donne carte blanche. Et ça donne Hot Buttered Soul, le cœur battant du Memphis Sound, l’un des disques les plus révolutionnaires de tous les temps. Quatre cuts, dont une version longue du fabuleux «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb qui met en scène le génie visionnaire d’Isaac Hayes. Plutôt devrait-on parler de conjonction de deux génies, ceux d’Isaac et de Jimmy Webb. C’est d’une beauté qui pourrait échapper au langage. On y entend vraiment battre un cœur, un pendulaire extraordinaire et profond, d’où le vibrant du coffret - And she’ll probably stop at lunch just to give her/ her sweet good thing a call - L’histoire se déroule comme une splendeur visionnaire, Isaac y malaxe à merveille l’axe mélodique de mama-mama, il tient dans le chaud de sa voix toute l’Americana d’anticipation, il chante au sommet du groove le plus charnel qui soit et replonge à plusieurs reprises dans le pathos océanique de Jimmy Webb - I hate to leave you, baby/ Yes I do - et c’est d’une telle puissance que l’envoûtement dure encore. Il dure depuis bientôt cinquante ans. On écoutait et on ré-écoutait alors cette version jusqu’à la nausée. Elle produit aujourd’hui sur les sens le même effet de stupéfaction et d’émerveillement combinés. Isaac raconte que quand il entendit Phoenix pour la première fois, ce fut bien sûr la version de Glen Campbell et il se dit : «God, comme cet homme devait aimer cette femme !» En transposant ce désespoir dans sa vision du monde, Isaac atteignait à l’universalité.

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    Les quatre disks sont thématiques : le disk 1 compile des choses du Soul Songwriter, le disk 2 les grands singles Volt et Enterprise (sous-marques de Stax) et le disk 3 des reprises. Le disk 4 s’appelle Jam Masters, et curieusement, on passe a travers. Par contre, les trois autres disks se présentent comme des tables de festin royal. Rien qu’à lire les menus, on bave à grands filets. Sur le disk 1 (Soul Songwriter), on tombe très vite sur «Candy» des Astors, co-écrit avec Steve Cropper, une vraie pépite de good time music, gee whiz, les Astors swinguent leur petite pop magique. Ça flirte avec Motown mais ça reste raw dans le son. On repère ensuite très vite la présence de l’immense Johnnie Taylor, celui qui remplaça Sam Cooke dans les Soul Stirrers. Il tape dans le heavy blues avec «I Had A Dream» et rêve que sa baby l’a quitté, tout ça dans une apothéose de chœurs de cuivres. Isaac signe les arrangements. Et pouf, voilà Sam & Dave et leur fameux «Hold On I’m Coming», un hit d’origine triviale, puisque David Porter était parti chier un coup en pleine session et comme Isaac s’impatientait, David lui répondait ça du fond des gogues : Hold on I’m coming ! Comme quoi, parfois la vie...

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    On reste dans les choses très sérieuses avec Mable John, la grande sœur de Little Willie John, descendue à Memphis redémarrer sa carrière après avoir été l’assistante personnelle de Berry Gordy à Detroit. Isaac et David lui ont écrit «Your Good Thing» et Mable s’impose par une fabuleuse présence. C’est l’une des très grandes Soul Sisters d’Amérique. Avec elle Isaac fait du sur-mesure, on a là une compo démente enracinée dans un jazz de cuivres et d’une rare beauté. Avec Carla Thomas, c’est un peu plus compliqué. Elle chante trop sucré, trop Motown et souvent des balladifs insipides. Et pourtant, «B A B Y» sonne comme un vieux jerk de juke - I love to call you baby - On a tous dansé là-dessus au casino de Saint-Valéry ou d’ailleurs.

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    Avec William Bell, on passe à ce qu’il faut bien appeler l’aristocratie de la Soul. William Bell est l’un des piliers de l’early Stax et son «Never Like This Before» n’a jamais pris une seule ride, depuis cinquante ans. C’est un pur Staxy romp, soutenu par les vaillants MGs et notamment un wild drive de Duck. C’est lui qui emporte ce cut au firmament de la Soul. Et puis tout à coup, on tombe sur un single de Charlie Rich, et quel single, baby, puisqu’il s’agit de «When Something Is Wrong With My Baby». On peut bien parler de présence indéniable. Ce mec créait alors de la magie. Il arrivait même à nous faire bouffer de la country. Il transforme ce balladif staxy en pure merveille. On peut dire la même chose du B-side, «Love Is After Me», gros shoot de r’n’b enregistré chez Hi, le concurrent de Stax. Ce disk 1 n’en finit plus de vomir ses énormités, ça repart de plus belle avec cette bouffeuse de son qu’est Judy Clay («You Can’t Run Away From Your Heart»), suivi du «Soul Man» de Sam & Dave, the epitom of Soul. S’ensuivent les Charmels et leur groove énorme digne de Burt («As Long As I’ve Got You»). Encore une solide rasade de Sam & Dave avec cet «I Thank You» incroyablement excédé qui nous amène à l’apothéose du Stax Sound System, c’est à la fois intolérable et indomptable, raw as hell - But you did -

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    Qui se souvient du grand Billy Eckstine, ce Soul Brother qui chantait avec tellement d’autorité ? Ce disk 1 s’achève avec deux bombes qui retombent un peu à plat, vu tout ce qui précède, mais c’est pas grave, on peut quand même les écouter : le «Can’t See You When I Want To» de David Porter et l’effarant «Show Me How» des Emotions. David se répand, dans son cut. Voilà un slowah staxé jusqu’à l’os. Ce diable de David chante jusqu’au bout du bout, mais de façon excessivement inspirée - Cos your loving is so good to me - Il adore la baiser, évidemment. Il exprime l’amour d’une bite noire pour un petit pussy black et c’est très beau, en tous les cas, bien plus beau que les histoires de cul racontées par nos vieux chanteurs de variétés. Oh et puis les Emotions ! Ils se livrent à l’exercice d’une groove d’underworld d’une sensualité ineffable, comme sous-cutanée. Isaac s’associe avec la pulpe du génie sensuel de la blackitude, et même du sexe d’undergut et soudain ça explose de manière orgasmique. Pur jus d’Isaac. Tu ne trouveras jamais ça ailleurs. Inutile de chercher.

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    Normalement, quand on sort du disk 1, on est sevré pour un bon mois. Le temps de digérer, les réécoutes et accessoirement, les retours à certains des disques pointés par cette compile, comme par exemple l’indispensable Mable John paru chez Ace. Ou encore, les premiers albums de William Bell sur Stax. Mais bon attention, avec ces gens-là, on n’en finirait plus.

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    Le disk 2 est entièrement centré sur Isaac. Même si on connaît bien ses albums, on écoute cette compile avec un plaisir non feint. Car tout est bien. Isaac fait partie des grands irréprochables de l’histoire de l’humanité. Passé l’extase de Phoenix, on entre dans le lagon d’une œuvre. On peut le voir jouer avec le groove dans «The Mistletoe & Me», comme un géant du Péloponèse, barbe et crâne rasé. Il va chercher des choses extrêmement sophistiquées, il orchestre sa pop outrance, se croit à Broadway et impose sa présence. On se prosterne jusqu’à terre devant «I Stand Accused», il s’y adonne au nec plus ultra de la rêverie intercontinentale, telle qu’elle apparaît parfois dans certains films de Claude Lelouch, il shoote sa Soul à l’emphase de la démesure, il est à la fois loin et près, on sent son haleine chaude dans le cou, quelque chose d’infiniment spirituel se dégage de son art. Il tape dans Burt avec «The Look Of Love» et on réalise un peu mieux à quel point on entre dans un monde artistique vraiment sérieux. Plus rien à voir avec la petite pop. Même quand il fait de la diskö avec «You Can Say Goodbye», Isaac secoue ses chaînes en or et fait rouler ses muscles sous une peau luisante. Il règne sur la terre comme au ciel, il groove la diskö comme s’il enfilait une pouliche, il staxe le son et chante d’une voix rauque, purement sexuelle, c’est bardé d’émois vocaux et de chaleur humaine, il ultra-chante, il peut grimper là-haut comme Dion, Dionne et d’autres. Et quand arrive le fameux «Theme From Shaft», la fascination qu’il exerce monte encore d’un cran, comme si c’était possible. Comme avec Phoenix, il instaure l’intemporalité - Who’s the black guy - Nous voilà au cœur du Soul System, pas loin de Sly et de James Brown, parmi les géants de cette terre.

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    En général, on décroche après Shaft. Il est humainement impossible d’écouter 22 titres d’Isaac à la suite. C’est à la fois trop dense et trop qualitatif. Ce genre de compile peut assommer un bœuf. D’autant que ça repart de plus belle avec «Do Your Thing», groové par les Bar-Kays. Black is beautiful et grosses nappes de cuivres. Imbattable. Isaac bat tous les records de groovytude avec «Let’s Stay Together» et se paye une bonne tranche de r’n’b avec son pote David dans «Ain’t That Loving You». On les sent capables tous les deux d’éclater la gueule du firmament, rien que pour rigoler. Il nous embarque plus loin dans un groove qu’il faut bien qualifier de magique intitulé «Rolling Down A Mountainside». Forcément, depuis Phoenix, on reste à l’affût. Saura-t-il recréer le même émoi ? Oui, il devient l’espace d’un cut le génie du mountainside. Il ramène les horizons de Phoenix - And I’ll be alrite/ Yeah - Il porte son art au loin, à la syllabe pulsative et nous plonge dans le génie d’un groove harassant, celui du all nite long. Isaac n’en finit plus de faire bander sa Soul.

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    Et voilà «Joy» qui donne son titre à l’album du même nom, comme taillé dans la matière du groove. Il semble qu’une fenêtre s’ouvre sur son monde et qu’il nous y invite. C’est le triomphe du groove. Pas de meilleure manière de qualifier l’art suprême d’Isaac. Il enchaîne avec l’extraordinaire «Wonderful», you-you-you, il n’en finit plus de sécréter de la magie noire, alors ça devient de plus en plus fascinant, son «Wonderful» prend des allures de hit bombastique, mais à dimension universelle. Il nous instrumente ça à gogo, bien sûr. Tout cela finit par devenir définitivement déterminant, une sort d’art total qui s’auto-détermine, it’s wonderful, Isaac fait danser son propre mythe. On se demande si les Beatles sont allés jusque là. Une dernière merveille avec «Someone Made You For Me», une sorte de slowah extravagant de qualité, mais une qualité qui devient intrinsèque, vois-tu, comme filigranée dans la matière du son. C’est un slowah parfait, une sorte de vison unique du romantisme. Isaac se retrouve à la fois seul au monde et immensément puissant.

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    Dans le coffret, Sam Moore lui rend un hommage terrible en affirmant qu’Isaac fut son gourou et qu’il inventa le Memphis Soul Sound. Sam dit lui devoir tout. Sam dit qu’Isaac montrait tout aux musiciens, à Steve Cropper, aux Memphis Horns, il leur chantait les arrangements, tu-lu-lu-tu-tu et les autres lui obéissaient au doigt et à l’œil, fiers de travailler avec un génie pareil. Comme Sam et Isaac avaient le même surnom, Bubba, Isaac rebaptisa Sam Blessed, c’est-à-dire béni, puis à l’usage ça devient Bless. Sam dit avoir aujourd’hui 81 ans et I truly am blessed, oui il se croit vraiment béni de Dieu, comme le voulait son mentor Isaac. Il ajoute les larmes aux yeux que Bubba lui manque et il espère que tous ceux qui vont acheter ce coffret commémoratif vont découvrir the brillance and the genius of Isaac Lee Hayes.

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    Des trois disks, le 3 est certainement le plus fascinant. Sa version du «Walk On By» de Burt n’a pas pris une seule ride depuis sa parution en 1969, voici presque cinquante ans. Isaac travaille la matière de la Soul comme l’aurait fait Rodin, c’est quelque chose de très physique qui relève du corps à corps conceptuel. On entend une fois de plus battre le cœur de Stax, très lentement, comme dans Phoenix - If you ever see me walking down the street/ Walk on by - On a là douze minutes de groove magique et de peau noire, porté par des Bar-Kays qui jouent le plus heavy des beats de Stax. Isaac avait tout compris. Il serre la mélodie contre sa poitrine, il l’étreint et la magnifie, il l’humanise et l’universalise - Goodbye/ So please/ Walk on by - On est chez Stax et la Soul brille comme le soleil de l’Égypte ancienne. Il reste chez Burt avec «I Don’t Know What To Do With Myself». Isaac prend Burt dans ses bras et l’embarque dans son univers d’humanité profonde, in the depth of Stax, c’est-à-dire les profondeurs de l’âme noire. Isaac le sauveur sauve la Soul mais aussi Burt qui n’a pas besoin d’être sauvé. Pourtant, ce géant exceptionnel s’intéresse à lui, alors faut-il voir ça comme un signe ? Et ta mélodie, Burt, ne semble-t-elle pas jaillir du buisson ardent ? Isaac tape ensuite dans le mirifique «Man’s Temptation» de Curtis Mayfield. Ça staxe en profondeur et ça prend vite une ampleur sidérante. Nous voilà chez Stax au temps d’Isaac, c’est chargé de son, de chœurs et d’or du temps. C’est chargé de magie et Isaac sublime encore les choses à coups d’octaves mercuriales, il flaubertise son gumbo et sodomise Salambô sous des cascades de diamants soniques. Isaac se bat dans la cage de la beauté pure et arrache ses chaînes en or. Tout aussi exceptionnel voici «The Ten Commandments Of Love». Il entre dans la vulve du groove comme dans du beurre. C’est exactement l’image que renvoie la sensualité du groove et le voilà parti pour limer à longueur d’heures. On monte encore d’un cran dans l’extatique avec une version explosive de «Stormy Monday», ultime hommage à T-Bone Walker. Il chante à l’éclatement des chaînes de l’esclavage, il explose le concept du blues, l’esclave libéré resplendit dans l’éclat des accords de cuivres. C’est admirable d’élévation. Il fait monter le big-band dans l’éclat de sa blackitude. C’est là qu’on réalise pleinement à quel point la musique appartient aux blacks, car aucun blanc ne peut chanter comme Isaac, c’est-à-dire à bras le corps. Si on veut encore se payer un petit coup d’extase vite fait, alors voilà «If Loving You Is Wrong». Isaac sait dérailler quand il faut. Il bouscule sa Soul comme on bouscule la gueuse au printemps, il laisse tomber une chape sur le blues et son timbre de feuleur léonin couronne la cérémonie. Dans un final éblouissant, Isaac emmène son peuple hors d’Égypte.

    Signé : Cazengler, l’Isac à main

    Isaac Hayes. The Spirit Of Memphis. Box Craft Recordings 2017

    29 / 09 /2018 / TROYES

    BOP ROCKABILLY PARTY 5

    CACTUS CANDIES / EDDIE AND THE HEAD – STARTS

    JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

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    La guerre de Troyes a bien eu lieu. Pas plus tard que hier soir. Puisqu'il faut le nom du coupable je vous le refile : Billy. Un récidiviste. Cinquième fois qu'il remet le couvert. Avec expo de voitures et divers stands d'automne toute l'après-midi. Et puis le soir, concert trois groupes. Réussit son coup à chaque fois, le Billy. Vous transbahute la programmation, la mairie s'exécute, et le peuple du rock exulte.

    CACTUS CANDIES

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    Plung ! Plong ! Pling ! Sont trois mais l'on n'entend qu'elle. Une vieille Kay – OK, l'a dû s'en amarrer des bateaux sur son quai - un peu délabrée, genre j'ai passé douze ans dans la grange avec les termites qui m'ont rangé la couenne du dos mais je sonnerai à merveille le glas de votre enterrement, Max Genouel est à ses côtés, lui tire sur les cordes comme l'on tire sur son précepteur entre les deux yeux, sûr de ne pas le rater, la upright chante haut, vous perce les furoncles de l'âme un par un et vous aimez ses clous de bronze enflammés qui vous embrasent le sang encore plus violemment que l'extase sexuelle. Normalement vous n'avez plus besoin de rien, vous avez atteint à une plénitude musicale qui se suffit à elle-même. Mais de l'autre côté de la scène l'on a décidé de doubler la mise. Hillbilly de mes deux ! Les ploucs marchent toujours par deux, et Jull à la guitare conduit la charrue à double-soc. Commence par trois notes graves et mûres qui ronronnent à la manière des épis d'or que la brise berce voluptueusement, et ses doigts remontent le manche, z'avez l'impression qu'il étrangle des poulets, et leurs corps palpitent un instant dans la lumière du soleil, mais il est déjà redescendu dans la cave sombre des largeurs sonores. Un sacré guitariste, note par note, mais chacune à elle seule contient le monde en elle-même, plus une petite portion de vos rêves personnels. Les boys sont au top. Un régal. Deux, mais abattent le boulot de quinze. Mais que serait-il sans la fermière ! Les mains nues dans sa robe à ramages. Lui suffit qu'elle ouvre la bouche pour que les deux autres disparaissent, que vous oubliez qu'ils existent – c'est terriblement injuste car c'est eux qui emplissent la grange de richesses agrestes – Lil'lOu Horneker se joue de leurs bienfaits, sa voix cabriole, un poulain fou qui saute les barrières et galope dans les prés de luzerne, mais un pur-sang que rien n'effraie, une facilité déconcertante, à l'aise partout, les boys s'y mettent, Jull vous chante trois morceaux la voix encore plus nasillarde qu'un péquenot du South, et Max nous pousse une goualante à la Johnny Cash, le timbre encore plus sépulcral qu'un cimetière abandonné, mais Lil'lOu claironne plus fort qu'un micro de rodéo, chantonne plus doux qu'une ondée printanière, se moque de vous à la manière d'une lanière de fouet, et vous laisse sur votre faim, à tel point qu'entre les quinze secondes qui séparent deux morceaux, vous vous demandez comment elle pourra encore vous surprendre et vous séduire. Un rêve qui devient réalité à chaque fois.

    Sans concession. Les Cactus Candies se contentent d'un maigre territoire. A cheval dans l'entre-deux du hillbilly et du rockabilly. Lâchent les Appalaches pour mieux s'agripper aux collines. Tiennent la salle en haleine. Repoussent sans arrêt l'horizon des grandes plaines. Honky Tanks qui foncent et Honky Tonk qui plante la tente. Toutefois sont des sédentaires. Ils ont le country rural, de la même manière que l'on avait le blues dans le Delta. Trichent un peu, car aux instruments vous avez deux cadors aux doigts d'or, savent tricoter et encore plus fricoter ensemble, faut voir, l'on dirait qu'ils s'écrivent des lettres, tu me fais ça et moi je te fais ci, se donnent le temps de se répondre, ils aèrent, laissent du champ, à chaque note le temps de résonner car ils savent que c'est la meilleure manière de vous faire déraisonner. Et Lil'lOu crie au loup, de délicieux frissons vous parcourent la moelle épinière... Ont tenu l'auditoire en haleine, saluent sous une nuée d'applaudissements.

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    Même formule. Trio de choc. Contrebasse à droite. La même que celle qui servit aux Cactus Candies. Guitare à notre gauche. Eddie au milieu. Guitare rythmique sur le cœur, œil de velours, allure de caballero, sourire sur les lèvres. Méfiez-vous, commencent tout doux. A pas de puma des Rocky Mountains. Le rythme est comme en dessous. Un feu souterrain qui brûle mais qui ne fume pas. L'air de rien, ça cavale sec, mais ils sont encore dans la retenue, dans l'orthodoxie de ce qui se fait quand on veut s'amuser, sans délirer. Des charmeurs, promettent même de vous faire des bisous si vous achetez leurs disques. Des facétieux à l'air sérieux. Et patatrac, tout se détraque. Eddie commence par taper du talon, comme s'il écrasait un nid de serpents à sonnettes et rien ne va plus. En fait tout va très bien. D'une seconde à l'autre la guitare de Stéphane sonne différemment, il y a deux minutes elle était comme une guitare qui se respecte, sage comme une image, vous ourlait les licks sans un pli, comme Tante Agathe qui repasse vos chemises, brutalement la folie des grandeurs, sans avertissement se met à chanter comme un stradivarius, un orchestre symphonique à elle toute seule, c'est beau comme du Tchaikovsky, vous en met plein les oreilles, une mer infinie miroitante, en plus elle prend de la vitesse, le rythme s'accélère, à la contrebasse Thibaut vous cloue des étoiles dans le ciel, et Eddie s'envole, la voix qui monte et les pieds qui martèlent le sol, I Could Say, I wana Make Love, Speed Limit, la salle prend feu, le plancher brûle, et l'incendie des Head-Starts ravage tout ce qui bouge. Z'ont le rockab qui happe tout ce qui se risque à leur portée, la baleine blanche fonce sur vous, et vous admirez sa force, sa puissance, sa rapidité. Vous la suivriez en enfer et même plus loin encore. Cette voix d'Eddie, du piment enrobé de sucre, délectable et empoisonnée. Vous rend addict à la première bouchée, vous tue à la deuxième et vous ressuscite à la troisième. Un set qui passe trop vite. L'on aimerait arrêter le film, mais non sont pressés, vous emportent avec eux et quand c'est fini, que vous avez eu votre rappel, vous en auriez repris pour une heure de plus, mais non, vous êtes obligés de vous dire que la vie est trop longue et injuste. Une seule certitude consolatrice, tout l'auditoire pense comme vous.

    JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

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    Eddie and the Head-Starts ont salement échauffé les esprits, ambiance chaud-brûlant dès que le Red Hot prend la relève. Clameur et ferveur. Loison ne sort pas de l'oeuf, sait évaluer une ambiance au premier pas sur la scène. Lève les yeux au ciel et déclare que dans cette église il est temps que s'élève la folle et gospelle prière du rockabilly, celle qui serpente dans l'entremêlement de ses racines les plus noires, «  Oh ! Lord ! » hurle-t-il, la salle rugit férocement certaine que l'on ne marche pas sur la queue du serpent du blues impunément, et nous voici au milieu des bayous en train de nourrir les alligators affamés.

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    Le set commence par là où il finit habituellement. Dans la folie chaotique. Tout, tout de suite, et en même temps. Le Red Hot entre en incandescence à l'instant, Christophe Gillet n'est plus Christophe Gillet, l'est un somnambule qui dans une autre vie s'est appelé Christophe Gillet, n'est plus qu'un zombie en apnée qui passe les riffs à la vitesse de la lumière, de l'autre côté de la scène Guillaume Durrieux n'a pas plus de liberté, slappe sur sa basse spasmodiquement,

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    blanc comme un linceul, en insuffisance respiratoire avancée, sont partis pour un marathon, préfèreraient crever sur place que ralentir le tempo une demi-seconde, derrière Thierry Sellier bouscule ses battements, vous vide un tombereau de toms sur les pieds, puis immobilise tout, prend le temps de figer le désastre, ce quart de seconde qui sue l'angoisse entre deux catastrophes soniques,

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    et le monde s'écroule autour de vous, Jake n'est plus avec nous, l'est quelque part ailleurs, dans un tripot ou un clandé de la Nouvelle Orléans, retenu prisonnier volontaire en une bamboula vaudouïque, se nourrit de notre énergie, pour mieux nous la renvoyer.

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    Il chante, mais parfois la bête pousse son groin au travers de son gosier. Les filles sont devant la scène et couinent de plaisir à cet appel animal. L'a sorti son harmonica et nous déchire un blues en miettes. Tape du pied pour implorer l'esprit, et tout le monde hurle, à sa suite, dans un capharnaüm invraisemblable, et Dieu en personne descend sur scène. Même que sa Sainteté se saisit du micro solitaire, le fait tomber de son pied, et l'on entend distinctement qu'il reproduit, pour signaler sa présence spirituelle, exactement le même rythme que vient de marquer le talon calypséen. La salle hulule de joie, et à partir de ce moment-là, ce sont les chiens de la chienlit qui s'emparent des consciences. Car si la loi est la loi, les loas sont les loas.

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    Hervé entre en éruption, saute partout, se colle à Christophe, frères siamois accrochés à leur guitare, Guillaume extatique se plante devant la scène, sommes plusieurs à tambouriner sur sa big mama, Calypso aimerait bien fracasser sa guitare, mais il se retient, de dépit il jettera son harmonica en l'air, lui marchera ( exprès ) dessus lorsqu'il retombe, se roule par terre, rampe sur le dos, se jette la tête en avant sur le ciment de la salle, se relève d'un magnifique roulé-arrière sur scène, s'en va se perdre dans la foule avec l'harmo récupéré, on hurle et on trépigne tous ensemble, autour de lui, le blues n'est à l'origine qu'un cri de reconnaissance qui attend sa réponse, jeu de howler festif, sans fin.

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    A son invite une quinzaine de filles sont montées sur scène, s'empressent autour de lui, paradent toute fières, lascivement, le caressent, le tapotent, lui rentrent sa chemise dans son pantalon, vous le bichonnent comme un coq en pâte, l'en faudrait peu pour qu'elles le déchirent tel un moderne Orphée rockabillyen...

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Leur échappe de justesse, s'envole et se promène à bout de bras au travers de la foule, revient faire le poirier devant la grosse caisse et puis contre le cordier de la big mama qui s'aplatit comme crêpe dans la poêle à frire, lorsque Guillaume aura tant bien que mal réparé les dégâts, Jake tentera à nouveau l'aventure mais Damien enroule sa contrebasse autour de lui tel un torero qui se dérobe dans une véronique diabolique, transe totale, cinquante fois le Red Hot sonnera le final apocalyptique de la fin du set et cinquante fois Hervé reviendra à l'assaut, le chant collé à l'harmonica comme la bave aux lèvres des épileptiques... Il paraît que le set a pris fin, mais peut-être continue-t-il sans fin en une autre dimension.

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : NATHALIE GUNDALL / ERIC DUCHENE )

     

    THE CLASH

    LE BRUIT ET LA FUREUR

    STEPHANE LETOURNEUR

    ( OSLO Editions / 2012 )

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    Précisons-le, je ne suis pas un fan du Clash, je leur ai toujours préféré les Sex Pistols, que voulez-vous en France on a l'esprit dichotomique qui fonctionne un peu, non sur le principe du tiers inclus, mais sur celui beaucoup plus rudimentaire du binaire exclu : exemple : si vous aimez les Rolling Stones vous ne pouvez pas apprécier les Beatles, procédé fortement revendicativement identitaire mais un tantinet schismatique, dans les années soixante en notre doux pays il exista une guerre froide, parfois à crans d'arrêt tirés, entre les partisans de Johnny Hallyday et ceux d'Eddy Mitchell... une fois ceci posé je suis au regret d'apprendre aux amateurs du Clash que ce livre ne leur apportera rien mais que par contre, les natifs des dernières couvées entrant dans l'âge de fer pubère le liront avec intérêt.

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    Simple, clair, rapide, un petit chapitre ( très court ) sur le premier concert des Pistols, immédiatement suivis de quatre autres consacrés dans l'ordre à Mick Jones, Paul Simonon, Nicky Headon, Joe Strummer, assez bien faits, quatre parcours d'adolescents dans le Londres du début des années 70, l'analyse de quatre personnalités divergentes qui explique en partie les causes qui huit années plus tard présideront à l'éclatement du groupe en voie de convergence, une espèce de point focal du prochain futur inconnu ( le lecteur averti remarquera en l'expression précédente une espèce d'abstraction du concept du no future punk ).

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    Les trois chapitres suivants s'attardent sur la constitution du groupe, les répétitions, l'importance du manager Bernie Rhodes – ancien bras droit de Malcolm McLaren décidé à jouer sa propre carte – et la mise en place des fondamentaux idéologiques et musicaux du groupe. Révolte et culture noire en seront les deux tétines nourricières. Prédomine d'abord la dénonciation des coercitions sociétales et policières qui a pour conséquence la furieuse envie de kickouter la fourmilière de ce monde injuste, mais à cette exigence punk de refléter par un rock primaire et sans concession la laideur et la violence des conditions existentielles imposées par le système sera amalgamée l'espèce de philosophique indolence revendicative des musiques jamaïcaines des quartiers noirs de Londres, une sorte de blues à contretemps qui privilégie le mou au détriment du dur, la neige par rapport à la grêle – goûtez cette métaphore hivernale pour une musique tropicale - une radicalité qui préfère l'insinuation à la confrontation. L'on n'attaque pas la pierre à coups d'explosifs, ce sont les infiltrations d'eau dans les fissures naturelles qui la feront éclater lorsqu'elle se transformera en glace.

    Retour sur les Sex Pistols qui disent des gros mots à la télévision. Débute l'inénarrable épisode de l'Anarchy In the UK Tour – l'on y retrouve Johnny Thunders And The Heartbreakers - les municipalités outrées qui interdisent dix-huit des vingt-cinq concerts, un public pas toujours aussi déchaîné que la légende se plaît à le raconter, la tension qui couve au sein des Pistols qui virent Matlock et font entrer Sid Vicious... en quelques mots au milieu de ce capharnaüm, les Clash paraissent le groupe le plus stable...

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    The Clash sera le titre éponyme de leur premier album ( 1977 ), en vendront cent mille en import aux States, et flirteront avec le top ten des ventes in the Royal England. Le disque est bien reçu par la critique, la mécanique du succès se met en place. Mais lentement. Si la tournée White Riot qui suit est une réussite, le groupe n'a pas atteint sa stabilité économique, il a tenu à ce que le prix des places et des disques ne soient pas élevés et le contrat en trompe-l'œil de CBS, les obligera à une fuite en avant sempiternelle.

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    Give 'en Enough Rope, deuxième album ( 1978 ), cornaqué par Sandy Pearlman du Blue Öyster Cult qui parvient à préserver la rudesse de leur style tout en lui donnant un son plus ample aura en un premier temps moins de succès, les paroles se détachent des oripeaux gratuit de la violence punk mais les prestations scéniques qui gagnent en savoir-faire et en intensité coagulera une solide base de fans.

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    1979 sera l'année faste : le Pearl Harbour Tour sera leur conquête de l'Amérique. Leur triomphe est à mettre en regard avec le split des Sex Pistols qui s'y cassèrent les dents... Mais l'Histoire retiendra surtout la sortie de London Calling, un double album – vendu au prix d'un – qui restera leur titre de gloire. La pochette imitée d'Elvis Presley, le jungle-rythme d'Hateful emprunté à Bo Diddley - qui fit leurs premières partie aux USA – la reprise de Brand New Cadillac de Vince Taylor, est une manière d'afficher sans équivoque une filiation rock, l'aspect politique n'est pas marginalisé, Spanish Bomb évoque la Guerre d'Espagne au travers de la figure de Federico Garcia Lorca, et certains morceaux comme Wrong 'em Boyo présentent une obédience ska indiscutable...

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    Sandinista ! paraît en 1980. Ce triple album ( vendu au prix de deux ) équivaut au double-blanc de la discographie des Beatles. Un aspect fourre-tout, un parti-pris expérimental, une envie de suivre son inspiration sans vouloir faire du Clash à tout prix, chacun des membres y apporte ses petites pierres... mais l'on y trouve pas vraiment de diamants qui fassent la différence.

    Le double-blanc s'avèrera être le chant du cygne des Beatles – pour ma part je juge l'animal salement enroué... Sandinista ! qui se vend mal précipitera les tensions au sein du groupe, fatigues dues aux tournées incessantes pour combler les déficits, la dope n'a pas manqué, et les contradictions autour desquelles le groupe s'était culturellement et musicalement soudés deviennent de plus en plus déstructurantes, le succès gonfle l'affirmation des égos...

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    L'enregistrement du dernier album s'avèrera difficile. Glyn Jones qui a officié auprès des Stones de la grande période est appelé au secours, son intervention sauvera Combat Rock ( 1982 ) qui sera la meilleure vente du combo, mais c'est trop tard, après sa participation au US Festival organisé par Apple le groupe se désagrège...

    Rassurez-vous, le rock n'en est pas mort pour autant !

    Damie Chad.

    THE CLASH

    LA PUNK ATTITUDE

    NICK JOHNSTONE

    ( 2008 / Talents Publishing )

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    On prend les mêmes et on recommence ! Soyons juste, c'est ce bouquin-ci qui a dû servir de base de données pour le précédent. Le sous-titre est assez putassier, mais le livre est plus intéressant. Un format légèrement plus grand – c'est mieux pour les photos – mais à part les vingt premières pages d'introduction qui retracent l'ensemble de la carrière du groupe, le principe adopté pour les cent trente suivantes se révèle plus émotionnant. Chaque chapitre donne la parole aux protagonistes de la thématique traitée, une mosaïque de mini-témoignages tirés d'interviews accordées à différents médias, que ce soit durant l'épopée elle-même ou plus de vingt ans après, donnent l'impression d'être au cœur des évènements. Nos clashistes ne tirent pas la couverture à eux et ne cherchent pas à faire porter le chapeau au(x) copain(s), sont assez conscients de ce qui leur est arrivé. Ne sont pas dupes de leurs dérives. Ont commencé en groupe à clashs politiques de militants punks imbus de principes éthiques et ont fini par devenir par la force logique des nécessités un groupe à cash soumis aux impératifs financiers. Pas très longtemps, car ils se sont séparés avant que rien ne puisse plus arrêter la mécanique infernale. Strummer et Simonon avouent sans gêne que leur complicité s'est transformée peu à peu en compétition. Se la sont d'abord joués solidaires et puis solitaires. Le melon qui gonfle comme l'on dit à Cavaillon... Ensuite leur a fallu apprendre à vivre comme tout le monde, ont refusé d'être des hasbeens mais n'ont plus connu ce qu'ils avaient été. Plus difficile pour Strummer qui pour de sombres questions de contrats avec EPIC est resté sans pouvoir travailler dans la musique pendant onze ans. Se défend de toute amertume, prend la chose en philosophe. C'est du moins ce qu'il dit. Dans sa caboche je ne pense pas, on peut lire entre les mots que ce fut plus pénible qu'il ne s'en défend. Se sont réconciliés, et ont trouvé cela intelligent et humain... Mick Jones a fondé un autre groupe, Strummer est mort d'un arrêt cardiaque à cinquante ans, Paul Simonon est revenu à sa première passion : la peinture. Une autre vie, une autre mort...

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    Certes Clash a généré des milliers de groupes, l'on peut toutefois s'interroger sur les bienfaits de la généalogie lorsque U2 se réclame de votre héritage... Le punk hardcore n'aurait-il pas tiré de meilleures leçons de leur trajectoire... Maintenant se pose l'angoissante question : vaut-il mieux finir comme le Clash ou comme les Rolling Stones, trois petits tours et s'en vont à la trappe, ou la longue durée ? Pathos dans les deux cas ? Je vous laisse répondre à votre guise. Tous les chemins du monde ne mènent-ils pas au rock'n'roll !

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    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    EPISODE 2 : L'EPOPEE FUNEBRE

    ( Vivace Vivace )

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jacke Calypso and his Red Hot, The Clash,Rockambolesque 2,Isaac Hayes,

    Je n'ai même pas eu le temps de réveiller Cruchette que le Chef entrait, un paquet de croissants chauds à la main, le visage épanoui du sourire le plus jovial que je ne lui avais jamais vu arborer.

      • Debout là-dedans, bande de fainéants ! Oui Molossa tu peux manger la part de ton maître, je suis sûr que les nouvelles lui couperont l'appétit ! Agent Chad, je devrais vous limoger, chère Cruchette veuillez expliquer à notre cher collègue comment nous avons retrouvé sa trace !

      • C'est vous Chef qui avez préféré le prendre en filature depuis devant son domicile et non depuis Chez Popol, même que vous avez dit '' Avec cet olibrius, il vaut mieux se méfier''.

      • Bref, nous vous avons suivi du début à la fin de vos pérégrinations, nous avons toutefois momentanément suspendu notre action lorsque vous vous êtes arrêté avec votre espèce d'auto-stoppeuse sous le couvert de frondaisons touffues. Je ne tenais pas à ce que l'innocence de Cruchette soit pervertie par la désolante vision de vos agissements virilistes, je parierais douze boîtes de Coronados que selon vos déplorables habitudes vous lui glissâtes votre paluche dans la culotte, oseriez-vous prétendre que je me trompe, agent Chad ?

      • Non Chef, mais ce n'est pas ce que vous croyez, je...

      • Et ça, je ne vais pas le croire non plus !

    Et le Chef me lança un paquet de journaux tout frais imprimés, sentant encore l'encre, je n'eus même pas la peine de les ouvrir, la première page me suffisait amplement :

    DERNIERE MINUTE

    CRIME MONSTRUEUX A SAINT-MALO

    C'est en s'assurant que la lumière était bien éteinte dans les toilettes du Centre d'Art Municipal de Saint-Malo, que la concierge Mme Ginette S... avisa étendu sur le carrelage le corps sans vie d'une jeune femme, un couteau planté entre les deux omoplates. Appelé sur les lieux le commissaire Bertulle, eût tôt fait d'identifier la victime : Marie-Odile de Saint-Mirs âgée de 23 ans. Elle tenait encore dans sa main le récépissé de dépôt de l'œuvre qu'elle venait de déposer afin de participer au concours de la Biennale des Arts Conceptuels de Saint-Malo.

    L'enquête ne fait que commencer, mais déjà plusieurs témoins ont spontanément déclaré que lors de son arrivée, alors qu'elle se hâtait de descendre d'un véhicule qui l'avait emmenée, le chauffeur – genre petite frappe de banlieue affublée d'un blouson noir – lui aurait hurlé quelques brèves mais violentes menaces.

    Une édition spéciale du Matin-Malouin consacrée à cette affaire sera disponible dans les kiosques aux alentours de 12 heures.

     

      • Chef, c'est horrible, une si belle fille !

      • Mais non agent Chad, c'est fabuleux, nous ne pouvions pas rêver mieux, ce cadavre tombe à point, le Renard est sorti de son terrier. Pourquoi a-t-il frappé cette cette Marie-Odile, nous ne le savons pas. Mais il nous reste à le découvrir. Racontez-nous ce que vous avez fait hier soir.

      • Euh, rien Chef, Marie-Odile est arrivée à deux heures du matin, nous nous sommes couchés tout de suite, je me suis endormi direct, quand je me suis réveillé c'était Cruchette qui dormait à mes côtés.

      • Normal, nous sommes arrivés à cinq heures, tous les hôtels étaient pleins, vous ronfliez à poings fermés, vous étiez seul avec Molossa, j'ai laissé Cruchette s'étendre à côté de vous et je suis allé fumer quelques Coronados sur la plage...

      • Moi ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi Molossa n'a pas aboyé quand Marie-Odile est partie, s'exclama Cruchette.

      • Remarque pertinente, observa le Chef en tirant un Coronado de sa poche. Agent Chad, interdiction de sortir d'ici jusqu'à nouvel ordre, Cruchette allez acheter un costume à cet ostrogoth, ralliement ici à 12 heures, j'emmènerai l'édition spéciale du Malouin-Malin.

    EMOTION DU MIDI

    L'édition spéciale du Malouin-Matin n'apportait rien de nouveau. A part une déclaration du Président de la République, prononcée d'un ton ému – précisait-on – sur le perron de l'Elysée.

    ''La France, mère des arts, est touchée dans ce qu'elle a de plus profond, une de ses artistes les plus talentueuses, les plus prometteuses, est fauchée dans le printemps de son existence,lâchement assassinée, en tant que Président de la République Française je serai demain matin sur le parvis du Centre Communal d'Art de Saint-Malo, afin de lui rendre un dernier hommage.''

    - Il ne faudra pas rater cet événement décréta Cruchette, ça risque d'être aussi beau que le jubilé de la Reine d'Angleterre.

      • le Service Secret du Rock'n'roll ne saurait rester insensible à un tel drame, opina le Chef, venez Cruchette, une nouvelle robe pour assister à cet hommage me semble indispensable.

    L'INSOUTENABLE CEREMONIE

    '' Oui nous reprenons l'antenne, pour de bien pénibles moments, nos équipes ont travaillé toute la nuit afin que nos caméras vous permettent d'assister à cet hommage national à Marie-Odile de Saint-Mirs, cette jeune artiste ignominieusement assassinée en sa pleine jeunesse, chers télé-spectateurs, à l'instant une note de media-métrie m'apprend que vous êtes plus de vingt-cinq millions à suivre ce douloureux événement, les Malouins eux non plus n'ont pas manqué ce rendez-vous funèbre, près de trois mille personnes se sont tassées sur la petite place devant le Centre Municipal de Saint-Malo, c'est vraiment toute la population de la ville, au premier plan assis auprès de leurs instituteurs à même la chaussée vous remarquez les enfants des écoles, nos charmantes têtes blondes, l'avenir de la nation, et derrière eux c'est tout le peuple de France dans sa diversité qui se presse dans un silence oppressant, tous les âges sont là, nos anciens comme tout à gauche de votre écran cette vieille dame dans sa robe noire qui tient, l'on devine son ultime compagnon de misère, son pauvre chien en laisse d'une main tout en s'appuyant de l'autre sur sa canne blanche, mais la cité a aussi délégué ses équipages de marin-pêcheurs, des hommes rudes et virils, le visage taillé à la serpe par les embruns, admirez au centre de l'écran ce boucanier, une tête de forban, un cigare au bec, et cette larme silencieuse qui coule sur son visage, par contre la jeunesse n'a pas renoncé à sa fantaisie, ce jeune homme, un peu efféminé dans son costume framboise, à moitié caché derrière son immense carton à dessin, un artiste sûrement, mais voici que les portes du Centre s'ouvrent... la foule retient son souffle, apparaît le cercueil de Marie-Odile de Cinq-Mirs porté par quatre agents municipaux, l'on entend les gémissements de la mère soutenue par son mari et les pleurs de ses deux petites sœurs, quel insoutenable spectacle, ô combien je préfèrerais commenté un match de rugby, mais non la dure réalité est là, le directeur et le jury entier du la Biennale d'Art Conceptuel de Saint-Malo déposent religieusement le dernier chef-d'œuvre de Marie-Odile de Saint-Mars sur un piédestal de verre, un oh d'émerveillement s'élève de la foule qui ne peut retenir la déférence de ses applaudissements, le Président de la République entouré de ses agents de protection en profite pour se glisser devant le micro, une chape de chuchotements respectueux s'abat sur l'assistance : '' Mes chers concitoyens, je ne puis retenir mon émotion, et ma colère, votre présence me rassure, vous avez tous compris qu'en s'attaquant lâchement à une des artistes les plus douées de sa génération promise à une gloire nationale c'est à la France que l'on s'en prend. Mais permettez-moi d'abord, au nom de tous les français de m'adresser d'abord à cette famille éplorée, cette maman qui...'' Mais que se passe-t-il, mon dieu, c'est incroyable, le forban de tout à l'heure s'est rué sur le piédestal, il a déjà l'objet en main, c'est la panique, les enfants pleurent et crient partout, la foule s'éparpille dans tous les sens, mais les hommes de mains du président se précipitent sur lui, il jette en avant l'objet, à l'autre bout de la place le jeune homme au costume framboise le récupère, le forban ne se laisse pas faire, en trois prises de jiu-jitsu il se débarrasse de ses assaillants qu'il envoie rouler à terre, l'enfonce son cigare dans l'œil gauche de son dernier adversaire qui n'y voit plus rien et bat pathétiquement l'air de ses bras impuissants, désordre indescriptible, les gens hurlent, courent, se couchent sur le macadam, le forban a rejoint le jeune homme au costume framboise, ils n'iront pas loin, une voiture de gendarmerie leur coupe la route, un gendarme fait feu sur le jeune homme, son carton à dessin est un véritable bouclier de protection anti-balles, il s'agit bien d'un coup minutieusement monté, vraisemblablement de la mouvance islamiste, des citoyens se précipitent sur le président pour lui faire un rempart de leur corps, mais non il se défend, il n'entend pas fuir au moment du danger, il gesticule, il hurle, traite les policiers d'incapables, pris d'une fureur sacrée, il tape à coups de pieds sur le cercueil, un deuxième véhicule de police bouche l'issue, horreur ! les deux terroristes s'emparent de la vieille dame qui essayait de s'enfuir de toute la vitesse de ses maigres jambes, un policier en civil, regardez son brassard, se précipite, mais le chien bondit sur lui et le mord violemment aux couil..euh... au bas du ventre, il s'écroule sur la chaussée, le forban pose un pistolet sur la tempe de la vielle dame, elle est leur otage, ces bandits ne respectent rien, même pas une handicapée, les policiers désemparés reculent, le jeune homme s'installe au volant de la voiture de police la plus proche, le pirate force la vieille dame à monter, ils s'éloignent à toute vitesse, quel tumulte, quelle horreur, quel scandale, mais il me faut rendre l'antenne pour une coupure publicitaire...''

    SOIREE PIZZA

    Nous voici revenus dans notre QG. Dans la cuisine Cruchette enfourne quatre pizzas dans le micro-onde... Elle est enchantée de sa participation au grand-jeu de rôle de Saint-Malo. Le Chef examine le chef-d'œuvre de Marie-Odile, à sa mine de béotien dégoûté et au marteau qu'il tient en main, le lecteur comprendra qu'il ne goûte guère les subtilités de l'art conceptuel. Crac ! Le verre cassé, les feuilles arrachées, il s'empare du bristol bleu, le soupèse rêveusement, allume un Coronado, et glisse une lame de cutter dans l'épaisseur du mince carton, bingo, ce sont bien deux feuilles collées l'une sur l'autre, tenez agent Chad, cette gamine a écrit quelque chose dessus, à l'encre bleu-pâle, déchiffrez-moi ces pattes de mouche illisibles. Je lis non sans quelque mal, je pâlis et d'une voix blanche, j'annonce :

    AU SECOURS ! ROCK'N'ROLL !

      • Enfin nous voici au cœur du problème – le chef aspire longuement une bouffée de son Coronado – il ne m'étonnerait pas que nous ayons sous peu de la visite.

      • A table ! Les pizzas sont prêtes, triomphe Cruchette dans sa cuisine, je les emmène !

    C'est juste à ce moment-là que l'on frappa à la porte.

    ( A suivre )

  • CHRONIQUE DE POURPRE 266 : KR'TNT ! 386 : Mr AIRPLANE MAN / THEE HYPNOTICS / JOHNNY THUNDERS / SANDRO / ROCKAMBOLESQUES ( 1 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 386

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    27 / 09 / 2018

     

    Mr AIRPLANE MAN / THEE HYPNOTICS

    JOHNNY THUNDERS / SANDRO

    ROCKAMBOLESQUES ( 1 )

    Hey Mr Airplane Man play a song for me - Part Three

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    Mr Airplane Man, ça commence déjà à ressembler à une vieille histoire. Pas seulement parce qu’il s’agit du Part Three de l’accompagnement chronico-K-R-T-N-terrien, mais aussi parce que leur premier album Red Lite date de 2001. Faites le compte. Cela veut dire en clair une multitude de concerts en France et une série de six albums irréprochables. Irréprochables, oui, à condition bien sûr d’aimer ce blues-rock nourri au nec-plus-ultra, c’est-à-dire Wolf, Monsieur Jeffrey Evans, Junior Kimbrough, Don Howland et quelques autres. Elles sont en quelque sorte devenues les porteuses du flambeau de ce son, puisque les Bassholes, le ‘68 Comeback, RL Burnisde, Junior Kimbrough, T Model Ford, les Immortal Lee County Killers de Cheetah Weise, DM Bob & the Deficits ou encore Cedell Davis ont soit cassé leur pipe en bois, soit cessé toute activité. Oh bien sûr, parmi les autres porteurs du flambeau de ce son, on peut citer Left Lane Cruiser, The North Mississippi Allstars, Little Victor et les mighty Excellos, artistes et formations brillants, enferrés jusqu’au cou dans leur passion pour le blues vitupérant, celui qui va loin au-delà des clichés. Ici pas de crossroad at midnight à la con ni de moonshine à trois croix, mais plutôt du Wolf de big foot Chester et du hardware de cordes rouillées. Et là où les deux oies blanches de Mr Airplane Man font la différence, c’est avec cette énorme dose d’extrême délicatesse qui semble vouloir distinguer leur strong blend de blues. On a même l’impression qu’elles s’améliorent à chaque concert. Sans doute l’ambiance iodée de Binic favorise-t-elle ce genre de délire contemplatif, toujours est-il qu’elles rockent the beach avec infiniment plus d’impact que la plupart des autres groupes, souvent de féroces garage-bands déterminés à grimper sur le trône de l’underground binicais.

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    Aw so good to be in Binic et pouf Margaret envoie ses accords sixties, oh baby, so good, comme le fit Van the man jadis, «Red Light», pas de problème, ça rocke dans l’aw my God et elles basculent comme deux atroces couleuvres dans l’aouuh de Wolf, she gave me gazo/ line, pas sympa la copine de Wolf, Margaret rattrape toute la souffrance de Big Foot au vol, aohhhh. Tara ne tarit pas car elle joue un riff d’orgue d’une main et tatapoume de l’autre, voilà «Hang Out», ça lancine dans l’air breton. S’ensuit un «Not Living At All» assez hypnotique. Elles rockent et quand Tara place ses chœurs, elle shoote au cul du cut une violente dose de féminité, et ça mon gars, ça vaut tout l’or du monde, car à cet instant précis, Tara devient Ellie Greenwich, elle swingue son chœur dégingandé et chaloupe des épaules, avec un sens du feel ahurissant. Et Margaret joue le jeu, avec une aisance épouvantable, elle accompagne ses montées de fièvre en ployant les genoux, c’est d’une efficacité redoutable, elle chante son trash-blues à la vie à la mort et elle capte toutes les ondes d’un public conquis, pareille à ce fameux trou noir qui engloutit des myriades étoiles. Version endiablée d’«Up In Her Room». Margaret et Tara tapent leur set avec une fantastique économie de moyens et une maîtrise des relances qu’il faut bien qualifier d’ahurissante. Par les temps qui courent, le zéro frime a quelque chose de rassurant. C’est peut-être cet aspect-là qui forge les admirations. On les sent toutes les deux vouées à leur blues-art, comme deux Carmélites du XVIIIe siècle. Leur blues-art sent bon l’éthique passionnelle. Elles semblent même parfois appartenir à une autre époque. Le temps n’est malheureusement plus aux puristes, l’épidémie de m’as-tu-vu gagne à chaque seconde des centimètres et finira par tout dévorer, sauf Mr Airplane Man et quelques autres artistes intouchables. Elles sont au blues-art ce que Marcel Duchamp fut à l’art, peut-être pas des Jansénistes assainies assez ascétiques, mais des refuseuses de compromission, uniquement préoccupées de blues, comme Duchamp l’était de modernité. Et comme chacun sait, la raison d’être de la modernité est d’échapper à l’art. Elles n’iront pas comme Duchamp jusqu’à démanteler le sens pour parvenir à leurs fins, mais on détecte parfois chez elles quelques petites velléités de déconstructivisme latent. Bref, tout ce pompeux parallèle n’a d’autre but que d’affirmer l’ineffable modernité de Mr Airplane Man. Oui, le blues est l’âme de la modernité. Leadbelly vous en donnera la preuve. Les gens auraient tendance à considérer le blues et le rockab comme des genres périmés, des espèces de vieux trucs poussiéreux, mais non, c’est un malentendu. Pourquoi ? Eh bien parce qu’il y a plus d’énergie et de classe dans le blues, Horatio, que n’en rêve ta pauvre philosophie.

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    Leur nouvel album s’appelle Jacaranda Blue et dès «I’m In Love», le souffle du shuffle vient nous caresser la nuque. Il vaut mieux que ça soit la nuque plutôt qu’autre chose, n’est-ce pas ? Dans la vie, il faut toujours essayer de rester correct. Elles savent rendre un boogie-blues fantômatique et sans doute est-ce là ce qui fait tout leur charme discret, comme dirait Buñuel. Elles se coulent dans le mood du groove et nous avec. On sent l’inaliénable emprise. Elles jouent toutes les deux dans les règles du grand art et montent leurs cuts sur des petits riffs à la fois classiques et aventureux. Tara bat toujours bien large, pour créer l’espace nécessaire à sa copine. Les deux font bien la paire. Elles écrèment la crème de la crème, avec une pugnacité qui les honore (chacun sait qu’il vaut mieux être honoré que déshonoré). Margaret claque «Deep Blue» à la revoyure. Elles sont toutes les deux immensément douées, il faut voir l’entrain de ce son. Margaret hyper-joue, comme d’autres hyper-ventilent, elle le fait avec de l’esprit en veux-tu en voilà. Elle chante «Sweet Like A» sous un certain boisseau d’intérêt limité et la vie reprend tout son sens avec «Blue As I Can Be». Elles reviennent enfin dans le giron de Junior Kimbrough et roulent leur bosse dans le North Mississippi Hill Country Blues. C’est pompé, oui bien sûr, mais en hommage, ça va de soi. Elles nous y tartinent une vieille couche de transe hypno de sweet baby. Avec «Good Time», elles reviennent au rocky road avec un son plus claqué. On note la présence d’un gros shoot de bassmatic. Tara chante «Believe» et ce n’est plus la même chose. Les voilà dans le barrellhouse de cabane branlante, ça donne du cachet, c’est bombardé de cartes de France et de coups d’ahoowaah ! La baraque finit par s’écrouler dans la mare aux canards. C’est atrocement génial et explosé de son. Elles montent à la suite «You Do Something» sur un riff des Yardbirds. Elles tapent ça au suspense anglais. Elles redoublent encore d’à-propos avec «Never Break», espèce de garage d’Airplane, fusillé à la slide. Margaret y va à coups de bottleneck et à la pulsion extrême. Elles terminent ce brillant album avec «No Place To Go», tapé au riff de heavy blues, comme si elles voulaient rendre hommage à Wolf. Une marée superbe emporte Margaret dans le néant.

    Signé : Cazengler, Mr. planplan man

    Mr Airplane Man. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

    Mr Airplane Man. Jacaranda Blue. Beast Records 2018.

     

    Hip hip hip notics ! - Part Two

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    Les voies de l’underground sont parfois impénétrables. On pourrait aussi dire que toutes les voies mènent aux Hypnotics, surtout celles qui sont impénétrables. Tout compte fait, on est bien content de se retrouver un soir de septembre dans un petit club orléaniste face à ce phénomène totalement inespéré qu’est le come-back des Hypnotics sur scène. Ce qui fut underground à une autre époque l’est sans doute mille fois plus aujourd’hui. On croise des milliers d’étudiants dans les rues de cette petite ville jadis chère à Jeanne d’Arc, mais ces milliers d’étudiants ne descendront pas au club pourtant situé à deux pas pour voir le concert d’un groupe dont ils n’ont jamais entendu parler.

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    Le problème n’est pas de savoir si les Hypnotics et tous les groupes de cette génération sont des has-been et d’en conclure que leur temps est révolu. Non, il faut raisonner complètement à l’envers et savoir apprécier la chance qu’on a de revoir jouer un groupe aussi brillant. Et du coup, ce groupe qui à l’époque avait une dimension réelle l’a aujourd’hui mille fois plus, car s’ils jouent comme ils jouent, c’est qu’ils savent - deep in their hearts - qu’ils sont bons. Qu’ils restent d’une brûlante actualité.

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    Et même doublement brûlante. Leur son n’a jamais été aussi tentaculaire, ils développent à quatre une espèce d’immense pieuvre stoogyco-psychédélique longue d’une heure et batailleuse, enveloppeuse, invulnérable, agitée de spasmes terribles, c’est une musique dont on sent la fibre et la chaleur, et la pieuvre ne te lâchera plus jusqu’à la fin.

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    Pour corser l’affaire, la pieuvre est bicéphale : Ray Hanson et Jim Jones se partagent le rond du projecteur. Ils sont au rock anglais ce qu’Iggy et Ron Asheton étaient au rock américain, les artisans d’un chaos salvateur, les sonneurs de tocsin, les réinventeurs de l’apothéose, ils sont dans la même énergie, dans la même croyance en des jours meilleurs, dans une quête insensée du Graal sonique, mais à la différence des pauvres chevaliers de la Table Ronde, ces mecs-là trouvent leur Graal. Oh, il ne dure qu’une heure, mais quel Graal ! Les Hypnotics groovent, et ça fait toute la différence. Comme le rappelait Don Was à propos des Stooges et du MC5, le groove et le feeling sont les deux éléments déterminants. S’il en manque un des deux, c’est cuit. Mais si les deux président aux destinées du son, alors ça peut devenir légendaire. Comme dans le cas des Hypnotics.

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    Ray Hanson est une sorte de groover supérieur. Il joue sur une SG qui sent bon le vieux vécu. L’homme est de petite corpulence, tout vêtu de noir, il porte quelques bijoux, un rideau de cheveux bruns filtre le réel autour de lui, et ses snakeskin boots sont aussi explosées que celles de Keith Richards, dans la fameuse scène filmée à Muscle Shoals. Oui, Ray Hanson est un hot condensé de rock star à l’Anglaise, il perpétue brillamment la tradition, il ne pourrait en être autrement, on sent chez lui la vocation qui remonte au plus jeune âge. Qu’aurait-il pu faire d’autre que de jouer de la guitare dans un groupe de rock ?

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    Et comme lors de leur premier come-back à Trouville, en juillet dernier, ils attaquent avec un flamboyant «Soul Trader», histoire d’indiquer la voie impénétrable, celle qui nous intéresse. Le rock des Hypnotics reste un rock classique, mais joué avec le feu sacré, une sorte de pulsion organique, quelque chose de viscéral. Jim Jones tisonne et hante son son, il en harcèle l’avant-garde et l’arrière-garde, il cultive l’art du relentless et on assiste à une sorte de belle montée de fièvre, c’est très palpable, très contagieux, admirablement bien orchestré. Ils enchaînent avec ce stormer patenté qu’est l’«Heavy Liquid» tiré de leur dernier album, The Very Cristal Speed Machine, groové jusqu’à l’os de la mortadelle, imparable, quasi-cosmicoïdal, ça puzzle dans le kaléidoscope paraplégique, ils vont loin dans le haze de la daze et ça retombe dans l’inconnu avec «Nine Times», un cut qui ne figure même pas sur les albums, c’est un obscur b-side comme seuls savent les bricoler les Hypnotics. La pieuvre flotte dans l’air et comme toujours dans ces cas-là, on échappe au temps. Comme si les Hypnotics reprenaient la main sur le sentiment de vivre. Comme s’ils déroulaient un nouveau mode de fonctionnement. «Come Down Heavy» est le morceau titre de leur deuxième album et comme l’indique le titre, on descend avec eux très bas dans les ténèbres d’une heroic-fantasy hypnotique, sans doute-est-ce là qu’ils veulent le plus stooger leur bigorneau, comme le montrait à l’époque la pochette de l’album, une sorte de fac-similé de Funhouse, bien dans les tons orangés et les mines de merlans frits. On trouvait même à l’époque qu’ils en faisaient trop, mais en y réfléchissant bien, en fait-on jamais assez ? Bien sûr que non. Ce qui semble trop n’est jamais trop, et si on raisonne à l’inverse, le pas assez n’en finit plus de n’être pas assez. En général, le pas assez s’épuise le premier. Alors que le trop semble vouloir résister plus longtemps. Toujours est-il que Ray Hanson change de guitare pour jouer «All Nite Long». Il récupère sa Mosrite bleue et n’en finit plus de bâtir des architectures soniques d’une rare complexité, mais il veille à rester dans le heavy groove qui caractérise si bien le son des Hypnotics. D’ailleurs, il est utile de préciser qu’en Angleterre, ils étaient les seuls à sonner ainsi. Mis à part les Primal Scream de Robert Young et les early Damned, les groupes anglais n’ont jamais raffolé de stoogeries. Sans doute était-ce un son trop américain pour les Anglais.

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    Puis nous verrons défiler ces vieux standards efflanqués que sont «Coast To Coast», «Shakedown» et «Justice In Freedom», nous verrons Jim Jones et Ray Hanson se jeter à quatre pattes pour se livrer à un numéro d’incantation voodoo et puis après un rappel bien sonneur de cloches, ce sera la fin d’un set forcément trop court, tu sais, le genre de moment plaisant qu’on ne voudrait jamais voir s’arrêter.

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    PS. Un canard rock anglais signalait récemment la parution d’un docu consacré aux Hypnotics. Heureuse coïncidence, le DVD trônait tout seul sur la petite table du mersh (le reste était sold-out). Il s’intitule Soul Trading et le réalisateur n’est autre que Phil Smith, le batteur du groupe. Le docu raconte l’histoire d’un groupe aussi poissard que les Dolls : un accident de la route qui flingue une tournée américaine alors que le groupe tourne à plein régime, et qui laisse Phil Smith avec les hanches broyées, puis la mort de Craig Pike, le bassman, des suites d’une overdose à Londres. Forcément, le docu tire sur le sombre. Jim Jones, Ray Hanson et Phil Smith racontent leur histoire. On note aussi la présence de prestigieux invités, notamment Tav Falco qui fait l’intro du docu à sa façon : il rappelle que les Hypnotics ont joué pour la première fois au Dingwalls en première partie des Panther Burns. Il les voyait comme des stepping razors et les qualifie de shambolic, destructive & soulful. Rat Scabies rend lui aussi un sacré hommage à ce groupe dans lequel il a joué quand Phil Smith était en convalescence - Ray plays the guitar from the sensation of volume - On trouve à la suite du docu les vidéos officielles du groupe, et voilà le travail.

    Signé : Cazengler, l’hypno à nœud-nœud

    Thee Hypnotics. The Blue Devils. Orléans (45). 20 septembre 2018

    Phil Smith. Thee Hypnotics. Soul Trading. DVD 2018

     

    24 / 09 / 2018 – LA COMEDIA

    SANDRO / FISURA

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    Soutien aux peintres qui ont réalisé les fresques – façade coin de rue et intérieure – de la Comedia. Par la même occasion soutien à la Comedia. Pas mal de monde. Beaucoup d'hispanophones. Logique, les géniteurs de cette explosion picturale sont d'origine chiliennes. Vous en reparlerai plus longuement dans une prochaine kronic. Ici m'intéresserai à la partie musicale de la soirée. M'attendais à un groupe punk, erreur fatale, sont sympathiques, au début sont cinq sur scène, guitares, électrique et sèche – contrebasse, cajon, percussions, puis au fur et à mesure tout un escadron de guitaristes et de chanteurs qui s'agglutinent, morceaux longs, mid-tempo, très loin de la feria gitana y del cante jondo, pas tout à fait ma tasse de jack, m'éclipse dans la cour fumoir, dans lequel se retrouvent les amateurs d'agitation musicale plus musclée... Partirai d'un commun accord avec le copain avant la fin de la soirée tandis que retentit Commandante Che Guevara...

    SANDRO

    Débute la soirée. L'est tout seul avec son ordi, ses percus et ses saxophones. Se livre à un genre dangereux : musique expérimentale live. S'en sort bien. Joue du soprano sur un sampler, écorchures de cuivre et ruissellement sonique, l'a du souffle et de l'imagination, l'on est près du jazz mais d'un jazz totalement libéré de ses patterns, juste le plaisir de produire du son, quitte à poser l'embouchure sur le dessus d'une boite de conserve, façon de tordre le cou à la musique à la manière de Tribulat Bonhomet de Villiers de l'Isle Adam qui noyait les cygnes dans les bassins pour jouir de leur dernier chant. Cherche un rythme sur ses tablas, l'enregistre pour au morceau suivant soloïser dessus, l'art imite la nature, rien ne perd tout se recycle. Le plus beau moment de la soirée. Artiste solitaire. N'a besoin de personne pour exister. Souffle continu. Se suffit à lui-même. Peu y parviennent. Rares ceux qui l'envient. Cela demande trop d'exigence, vis-à-vis de soi-même.

    Damie Chad.

     

    LA FRANCE &

    JOHNNY THUNDERS

    DANS L'OMBRE DE LA CROIX

    THIERRY SALTET

    ( Julie Editions / Septembre 2008 )

     

    Les Julie Editions méritent le détour, trois books ( hélas épuisés ) sur les Kinks, les Cramps et les Flamin Groovies d'Alain Feydri, plus le grand format de Thierry Saltet : Punk Rock Festival Mont-de-Marsan 1976 et 1977. Le massacre des bébés skaï, chroniqué in KR'TNT ! 177 du 20 / 02 / 2014, et maintenant ce seul livre, rédigé en français, entièrement consacré à Johnny Thunders, à se procurer d'urgence par exemple à julieprod@worldonline.fr

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    Certains se gaussent de la France. Certes comparée à la grande Amérique et à la perfide Albion, elle n'a produit que très peu de rockers, mais elle sut accueillir et recueillir quelques unes des légendes les plus noires du rock'n'roll, Gene Vincent, Vince Taylor, Johnny Thunders, pour ne citer que les plus emblématiques. Notre pays a peut-être plus que tout autre aimé et mythifié le rock, sous forme de minuscules chapelles ardentes, mais d'une flamme obstinée. Le livre se termine d'ailleurs sur cette sombre méditation, la mèche ne serait-elle pas prête à s'éteindre faute d'huile. Tout cela ne serait-il pas un simple phénomène générationnel qui bientôt sera enfoui avec les corps morts des protagonistes dans la glaise des cimetières, ou envolé dans les fumées des crématoriums... Sombres perspectives, à laquelle il n'est qu'une échappatoire : le retour aux origines.

    Le livre raconte la vie de Johnny Thunders, du début à la fin, la relation est sans arrêt coupée par l'insertion d'extraits d'interviews, de témoignages ou de réflexions des principaux protagonistes qui de près ou de loin ont participé aux coups successifs de notre tonnerre préféré et aux orages avortés que fut l'existence de Johnny Thunders. Les racines françaises et américaines sont les mêmes, l'insatisfaction des kids devant le piètre état du rock'n'roll au début des seventies. Le rock triomphe, le roll est mort. L'est devenu une musique adipeuse, une éponge à virtuosité, de la clinquance boursoufflée, bref on s'ennuie. L'on n'attend plus que les gars qui donneront du pied dans la fourmilière. La tsunami se produira à New York. Normal, c'est aux USA qu'est né le rock'n'roll, il est logique qu'il y refleurisse une deuxième fois. Ne fallait pas attendre grand-chose des mangeurs de grenouilles, le bouquin s'ouvre sur nos Variations – notre premier grand groupe électrique de la deuxième génération - le public les soutiendra mais faute d'intérêt de la part des médias et des maisons de disques ils finiront par immigrer aux States. Nul n'est prophète en son pays ! Marc Zermati propose une analyse sociologique non dénuée d'intérêt, la première vague française des groupes des années soixante comportaient en leur sein un pourcentage non négligeable de jeunes pieds-noirs beaucoup moins inféodés aux idéologiques courants anti-américains qui sévissaient dans la plus grande partie de la population métropolitaine, de surcroît il voit dans les origines italiennes de Johnny Thunders une explication à l'acclimatation de Johnny Thunders en la France de culture latine. S'il est un destin – nous employons ce terme dans son sens heideggerien - lié aux individus, le fait que Johnny Thunders soit mort à la Nouvelle Orleans peut être porté à l'actif de ce genre d'argumentaire. Jeux complexes des hasards du vécu et des nécessités symboliques.

    JOHNNY THUNDERS AVANT JOHNNY THUNDERS ALONE

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    Johnny Thunders fut le guitariste fulgurant des New York Dolls. L'histoire débute à New York – méfions-nous le ver est souvent dans les grosses pommes - cinq jeunes kids qui décident de former un groupe de rock, ce seront les New York Dolls. Une idée toute simple, revenir à un rock'n'roll de haute énergie. Ils ne sont pas les seuls à l'époque, tout près d'eux Kiss et Aerosmith sont agités d'un même désir. Mais chez nos poupées de New York, c'est un peu différent. Ce n'est pas qu'ils soient les meilleurs du monde, la fougue supplée souvent à une véritable maîtrise instrumentale, même s'ils ne sont pas manchots, même s'ils délivrent des sets qui enthousiasment leur public. Les Poupées foncent droit devant, ont l'insolence de porter ce rêve fou de devenir les Rolling Stones américains. Faudrait pour cela un plan de campagne mûrement préparé et une major décidée à mettre le paquet ( de dollars ). Ils ne l'auront pas. Foncent droit devant, surfent sur l'écume du scandale, s'habillent en filles – étonnamment les partisans des théories du genre qui aujourd'hui font florès dans nos universités ne citent guère nos héros comme signes avant-coureurs de leurs analyses, il est vrai qu'entre les hégémoniques théorisations abstraites et le désordre existentiels des actes transgressifs il existe une différence essentielle. Celle qui sépare la fureur de vivre de la momification universitaire.

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    Rock'n'roll dévastateur, phantasmatasie sexuelle, les Poupées ne manqueront pas d'oublier le troisième terme de la trilogie. La dope sera présente dès le premier jour. Mais il est des serpents qui sont plus difficiles que d'autres à amadouer. Suffit qu'ils vous piquent pour que vous deveniez leurs esclaves. L'héroïne se révèlera incapacitante... Jusqu'aux Poupées le schéma de la réussite rock était simple : primo, vous étiez anglais et votre groupe perçait à un niveau national, deuxio vous cherchiez et trouviez la consécration aux USA. Les Poupées feront le chemin inverse. Ils partiront d'Amérique, dans laquelle ils n'ont obtenu qu'un relatif succès d'estime que les ventes de disques ne confirmeront pas, pour apporter la bonne parole en Angleterre. Y perdront leurs batteurs, Billy Murcia mort d'overdose, mais il y a pire, ils rateront leurs apparitions censées enthousiasmer les foules... Autant dire que la mort du groupe est désormais programmée. La déplorable tentative de Malcolm McLaren venu d'Angleterre pour prendre en mains les destinées de nos poupons n'y changera rien.

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    En 1975, Johnny Thunders et Jerry Nolan qui ont démissionné des Dolls forment the Heartbreakers. Ils recruteront notamment Richard Hell qui ne restera pas, plus tard il sera le leader de Television. Hell est une figure essentielle du mouvement punk new yorkais, mais l'osmose ne se fera pas, l'est trop intello pour Johnny et Jerry qui vivent le rock en quelque sorte à l'arrache sauvage. Les portes se referment devant le combo avec une telle régularité – la réputation dollique s'avère toxique – que le départ in the great-britain devient obligatoire. Le parallèle avec Gene Vincent et Eddie Cochran quittant quinze ans plus tôt l'Amérique pour l'Angleterre est des plus instructifs. Sur le sol britannique les Heartbreakers menés par Johnny Thunders font la différence. Les concerts de nos ricains apportent la preuve de leur supériorité rock'n'rollique. La route vers la gloire semble toute tracée. L'enregistrement de leur album LAMF en 1977 précipitera leur chute. Une malédiction absolue. Un chef-d'œuvre à placer tout en haut à côté de Fun House des Stooges et du Kick Out The Jams du MC5, un des grands albums du rock'n'roll, dont les géniteurs sont les premiers à être mécontents, le mixage ne les satisfait pas, il n'est pas à la hauteur de l'énergie que dégage le groupe, à tel point qu'il en existe de nos jours trois mixages différents – sur la préférence desquels les fans se disputent encore... pour la petite histoire la même mésaventure est arrivée au Raw Power des Stooges... Le mieux est parfois l'ennemi du bien... Les Heartbreakers se séparent en 1978... Non sans être passé d'abord par Paris. Nous retrouvons dans leur sillage une figure bien connue chez KR'TNT ! Patrick Renassia, actuellement patron de la boutique de disques et du label Rock Paradise. Lorsque le lézard du rock'n'roll vous a mordu, soyez sûr que le venin ne se dissipe pas de sitôt.

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    JOHNNY THUNDERS ET LA FRANCE

    C'est ici que commence non pas le livre mais le sujet du livre. Ne surtout pas croire que Johnny Thunders soit un inconnu par chez nous. La vie et la dissolution des Dolls et des Heartbreakers ne se sont pas passées en pays lointains et en terres inconnues. Toute une partie de la jeunesse a suivi leurs chaotiques aventures depuis le commencement. Une minorité certes, mais active. De celles qui ont l'intuition de remettre les pendules du panthéon rock à l'heure. A la seconde près. Leurs disques ont été achetés, écoutés des milliers de foi, l'on connaît leurs faits et leurs gestes, et même dans les plus profondes provinces sont parvenues les échos des fastueuses parties qui ont suivi les concerts des New York Dolls à Paris. Un traumatisme. Durant une petite semaine la sensation que le phénix brûlant du rock'n'roll avait enfin daigné se poser de par chez nous. De la légende en train de se tisser sous nos yeux. Emerveillante car ce n'est pas un phénomène isolé, l'incendie du punk qui éclate en Angleterre avec les Sex Pistols cornaqués par Malcolm ''Coucou Me Revoilà'' McLaren, les brûlots qui proviennent des USA, tout le monde est conscient que l'on est en train de vivre des temps historiques. ( En plus l'Histoire nous donnera raison. ). Johnny Thunders bénéficiera jusqu'à la fin de cette aura. Quoi qu'il fasse, il restera pour beaucoup un héros. Malgré tous ses errements lui seront collés à jamais l'image et le rôle du survivant, et de l'initiateur de cette apocalypse heureuse et triomphale dont il aura été un des chevaliers blancs ( lisez un des démons les plus noirs ) essentiels.

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    Beaucoup trop de dope, pour Johnny. Où qu'il aille dans n'importe quel coin du Royaume-Uni les dealers l'attendent – voire le précèdent – chères tentations dont il ne peut se déprendre. Paris apparaît comme une terre d'asile qui lui procurera quelques mois de répit. Mais la loi du commerce est d'airain, le besoin appelle l'offre, et quand c'est la dépendance qui devient nécessité, les épiceries vous sont toujours ouvertes. Les courtiers sont à votre service. Vos désirs sont des ordres. Attention le crédit n'est pas illimité. Mais à Paris, question métier, Johnny trouve l'impossible que l'Angleterre refusait. Un noyau de fans et d'activistes qui lui resteront fidèles jusqu'au bout. Nous n'en nommerons que quelques uns. Marc Zermati, on ne présente plus le tenancier émérite d'Open Market et le créateur fou du label Skydog, qui eut pour premiers faits d'armes le courage de publier par exemple le Metallic KO de Iggy & The Stooges sur lequel personne n'aurait misé une demi-moitié de caramel mou avarié. Pour faire vite disons que Zermati à lui tout seul, grâce à son flair, ses connaissances, son esprit d'entreprise, et sa loyauté, c'est la moitié du rock'n'roll français. Sans compter toutes les mains tendues aux perdants magnifiques du rock américain... Avoir une maison de disques à ses côtés c'est bien, en avoir deux c'est mieux. La deuxième fleur du bouquet se nomme New Rose, de Patrick Mathé qui réussira le prodige d'éditer plus d'un millier de disques, alternatifs français et groupes cultes d'outre-Manche et d'outre-Atlantique, les Cramps et les Gories pour n'en citer que deux dument chroniqués par notre Cat Zenler kr'tntique... La vie eût été beaucoup plus difficile pour Johnny Thunders si les frères Taïeb ne lui avaient ouvert très régulièrement les portes du Gibus. Une affaire gagnant-gagnant, Thunders possède un public d'inconditionnels qui remplit la salle, et pour Thunders c'est la certitude d'une espèce de salaire fixe quasi mensuel, qu'il s'empresse de dilapider, sous forme de poudre blanche.

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    Johnny est accro, le public des tournées ( France, Pays-bas, Suède... ) le sait, et petit à petit s'instaure un jeu pervers et morbide, l'on ne vient plus écouter le guitariste prestigieux, mais l'artiste talentueux qui perd les pédales, qui est incapable de finir un morceau, qui se barre au bout de vingt minutes. Tout juste si vous ne demandez pas à être remboursé si vous avez droit à un Johnny en pleine forme. Johnny n'est pas un abruti. Des proches peuvent en témoigner, dix minutes avant de monter sur scène Johnny est clair comme de l'eau de roche, et sur les tréteaux il n'est plus qu'un canasson qui ne se rappelle plus de quel côté part la course. Vous voulez un camé, le voici. En parfait entertainer ( n'est pas américain pour rien ) Johnny endosse le rôle qu'on aime lui voir tenir... Un pro.

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    Ce n'est pas toujours le cas. Souvent il est vraiment parti pour de bon et parfois il le paiera très cher, son épouse lassée le quittera et lui interdira de voir ses enfants... L'on peut tout de même entrevoir au cours de ces treize années chaotiques se dessiner une tendance à se préserver. Il délaissera l'héroïne ce qui éloignera les dealers pour un traitement médical à la méthadone, et vers la fin il acceptera enfin un sevrage total. Nous sommes en 1990, ses amis sourient, Johnny est plein de projets, son prochain disque sera enregistré à la Nouvelle Orléans. Un étrange phénomène se passe, il va mieux mais son aspect physique se délabre, il a replongé mais ce n'est plus la poudre qui est responsable de ce teint cadavérique, blanchâtre, verdâtre, depuis combien de temps se trimballe-t-il cet empoisonnement du sang et pour appeler un chat un cat, cette leucémie... Il part seul, débarque à la Nouvelle Orléans, prend une chambre d'hôtel, dépose ses affaires, ressort, rentre tard dans la nuit en compagnie d'on ne sait qui. Font un beau potin. Et puis plus rien, le lendemain on le retrouve mort, sa guitare en morceaux... on n'en saura jamais plus. Le dernier gumbo.

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    Reste le guitariste. Johnny Thunders n'est pas un virtuose, n'est pas Hendrix qui veut, d'ailleurs il ne veut pas. Son style ce n'est pas l'éparpillement de milliers de notes, reste modeste, joue sur le pré carré de deux ou trois accords, son style évoluera d'ailleurs vers le blues, certes il sait jouer rapide, faire crépiter l'électricité, mais il sait aussi composer des ballades, et est aussi bon à l'acoustique. Son génie, réside en son toucher, l'a son son, reconnaissable entre tous, une façon de sortir son âme, quel que soit l'instrument sur lequel il joue, il le retrouve, immédiatement, sans effort ce qui exige une gymnastique mentale extraordinaire. Celui qui n'a jamais entendu écoutera d'abord So Alone ( électrique 1978 ) et Hurt Me ( acoustique 1984 ), et puis Que Sera Sera ( 1987 ) pour avoir une idée des voies divergentes que Thunders entreprit d'explorer.

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    En cette brève chronique, le projecteur n'a pas quitté Johnny. C'est profondément injuste. Thierry Saltet – l'écrit bien l'animal, l'a des passages qui sont de véritables poèmes en prose - évoque ( et donne la parole ) à de multiples personnages, notamment les musiciens d'ici qui l'ont accompagné. Les témoignages concordent, nous présentent un être attentif aux autres, aussi écorché vif que ses licks de Gibson, mais qui a construit ses propres murailles de défense. Orgueil, solitude et roublardise. Un artiste culte - au dix-neuvième siècle l'on parlait de poëtes maudits – un euphémisme pour dire que le succès n'était pas au rendez-vous. L'a pourtant tutoyé par deux fois. Mais son inconséquence ne lui a pas permis de le garder. Dans son dos, l'on ne se gênera pas pour le traiter de l'infamante expression d'hasbeen. Il ne s'est pas épargné lui-même, mais on ne l'a pas épargné non plus. Qu'importe, il reste un héros mythique du rock'n'roll au même titre que Gene Vincent, que Vince Taylor, un chemin de ronces et d'épines, l'a choisi de porter sa croix sans rechigner, sans jamais exiger de quelqu'un d'autre qu'il l'aide à porter son fardeau.

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    Le livre possède une autre qualité, en filigrane on peut y lire une histoire du rock'n'roll français, ce n'est pas le sujet mais le contexte s'y prête. Thierry Saltet ne mâche pas ses mots, dresse la liste des trahisons, des renoncements, des fausses excuses, ceux qui remisent le rêve dans leur poche et rajoutent un mouchoir par dessus pour qu'il ne s'échappe pas, une attitude peu rock'n'roll en totale contradiction avec la trajectoire de Johnny Thunders.

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    Nous terminerons sur le témoignage d'un fan, pas n'importe lequel, l'a déjà écrit dans Kr'tnt !, l'est une haute figure du tout Paris rock'n'roll, me disait avant-hier qu'il n'avait raté que deux concerts de Johnny au Gibus, Hubert Bonnard, qui raconte sa rencontre avec le roi Thunders lors du tournage de Mona et Moi de Patrick Grandperret sorti en 1989. Un instant de cocasserie émouvante, le pire c'est que cela ne nous est jamais arrivé. Ne nous arrivera jamais. Qu'emporterons-nous donc avec nous lorsque notre tombe sera creusée !

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    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

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    EPISODE 1 : LA CHASSE AU RENARD

    ( Vivace Mysterioso )

     

    CONSEIL DE GUERRE

    Pendant que le Chef réfléchissait et que Cruchette soulevait des tonnes de poussière dignes des Dust Bowls de l'Oklaoma, ne sachant trop que faire je saisis l'occasion de ce moment de repos pour commencer à réaliser un de mes vieux projets qui m'obsède depuis pratiquement le premier jour de ma naissance : laisser à l'Humanité un ouvrage destiné à traverser les siècles futurs afin que le souvenir impérissable de ma modeste personne ne soit jamais effacé de la mémoire des Hommes, c'est pourquoi en cette fin d'après-midi automnale j'entrepris la rédaction de mes Mémoires. Hélas, je n'en avais pas terminé la première ligne que le Chef convoqua toute affaire cessante une réunion de travail.

      • Mes amis, l'heure est grave – sur le champ Molossa cessa de mordiller son os, s'assit sur son séant et dressa ses oreilles – je résume la situation : le SSR se trouve en une position périlleuse, reconstitué par la volonté expresse du président de la République, il n'a étrangement reçu aucune directive, aucune lettre de cadrage. Situation étonnante qui nous indique que c'est à nous de mettre au point notre propre stratégie.

      • Chef, nous ne connaissons même pas l'ennemi que nous avons à combattre !

      • Agent Chad, ne soyez pas si impétueusement dérouté. Pendant que vous gribouilliez je ne sais quoi sur votre cahier d'écolier, j'ai élaboré, le plan d'attaque qui nous permettra de le débusquer. Désormais nous le désignerons sous son nom de code La Chasse au Renard, autant dire que nous allons jouer serré.

      • Superbe j'adore les jeux de société ! Tous les soirs avec Papa nous jouions aux petits chevaux !

      • Un jeu d'une pertinence infinie, Cruchette, voici les règles de celui-ci. Elles sont simples. Deux équipes : la A formée de l'agent Chad et de Molossa, tous les deux nous constituerons l'équipe B. Mais maintenant écoutez attentivement : voici le déroulement de la partie : le but du jeu consiste à faire sortir le renard de son terrier afin que puissions l'identifier et le neutraliser. L'équipe A sert d'appât. Voici pourquoi dans deux jours, mercredi matin à six heures exactement, l'agent Chad monte dans sa voiture et se rend chez Popol prendre son petit déjeuner. Celui-ci achevé, il reprend son véhicule et s'en va par monts et par vaux, se fiant à sa fantaisie et à son caprice. Il n'est pas seul, vous et moi, Cruchette, nous l'attendions à proximité de chez Popol, nous le suivons de loin, une filature discrète. Si mes déductions sont justes, le Renard viendra s'intercaler entre nos deux véhicules. Le repérer et le mettre hors-jeu ne devrait pas être très difficile. La partie sera gagnée !

    LA CHASSE AU RENARD

    Top chrono. Six heures pile. Molossa et moi nous nous engouffrons dans la teuf-teuf. Mon bol de Jack m'attend et Molossa salive en pensant à son steak tartare amoureusement préparé par Popol. A quoi tient la vie. L'impondérable évènementiel s'en vient parfois bousculer les plans les plus machiavéliques. Mais qu'est-ce que cette gerce, faut qu'elle traverse juste au moment où je brûle le seul feu rouge de Provins, je freine à mort, la teuf-teuf en crabe au milieu du passage-piéton, et la nana pas gênée qui ouvre la portière, qui s'empare du siège, déplie ses longues jambes et s'installe comme si elle partait en croisière. N'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle se met à jacter :

      • C'est gentil de vous être arrêté, vous tombez bien, je suis pressée. Pouah quelle horreur, ça sent le rat musqué, ah oui je vois un chien pouilleux qui ronfle sur la banquette arrière, et vous par Sainte Suzanne, un rocker, qui se croit beau parce qu'il porte un vieux Perfecto dont je ne voudrais pas pour essuyer le pot d'échappement de ma voiture en panne. Démarrez donc espèce d'abruti, et tournez immédiatement à droite !

      • Désolé, pour moi c'est à gauche. Mon dèje m'attend chez Popol !

      • Ah ! Parce que vous fréquentez cet antre de dévoyés, ce nid de rebuts de la société, cela ne m'étonne pas de vous, en plus j'aimerais bien savoir quel autre établissement permettrait à la carpette qui pète placidement derrière nous de rentrer dans ses murs !

    Elle commence à m'énerver salement la damoiselle. Elle a déjà de la chance que Molossa, d'habitude très susceptible, ne l'ait pas égorgée, je sens que je vais la virer illico de l'habitacle. Je la regarde une dernière fois avant de l'éjecter, mais diantre, elle a du style, grande, mince effilée, une moue de bourgette aguichante, une brunette à cheveux courts, genre intellectuelle dédaigneuse, un charme fou, pas mal du tout, et lorsqu'elle s'exclame d'une voix stridente, espèce de dégénéré, vous vous dépêchez de tourner à droite, je ne sais pourquoi je m'exécute sans tergiverser.

      • Direction Paris. On va à Saint-Malo, arrêtez tout de suite cette musique de sauvage, j'ai besoin de méditer moi si vous savez ce que verbe signifie, surtout ne m'adressez la parole qu'en cas d'urgence absolue.

    Me suis concentré sur ma conduite. Derrière Molossa ne bougeait pas. De temps en temps je jetai un regard sur ma voisine. Mais elle s'était recroquevillée pour mieux me tourner le dos et faisait semblant de dormir. Ce n'est qu'une fois que nous filions sur l'autoroute de Normandie que je m'aperçus qu'en fait elle avait adopté cette position pour regarder dans le rétroviseur. Quarante minutes plus tard elle se tourna vers moi :

      • Cher rocker de pacotille, je me permets de vous annoncer que depuis une demi-heure nous sommes suivis de loin par une grosse voiture noire beaucoup plus rapide que votre tacot brinqueballant, évidemment, vous ne vous en étiez pas aperçu, que me proposez-vous ?

    Je ne répondis pas. Elle n'avait même pas remarqué qu'une identique grosse limousine noire nous précédait depuis un bon moment. Nous étions en vue d'une bretelle de sortie, j'accélérai comme un fou, Molossa émit un bref aboiement approbateur, la teuf-teuf pulvérisa la barrière de paiement, trois cents mètres d'avance sur la grosse noire, c'était jouable, mais elle s'accrochait, au premier carrefour j'empruntai une petite route que mon instinct subodora sinueuse, des montées, des descentes, des tournants incessants, tout ce qu'il me fallait, je ne ratais pas l'occasion, un sentier caillouteux qui s'offrit à la sortie d'un double virage, invisible aux yeux de mes poursuivants, rétablissement à quatre-vingt dix degrés, moteur arrêté sur son élan la teuf-teuf emportée par son élan glissa sur la légère pente caillouteuse qui nous mena sous un bosquet d'arbres aux branches tombantes. Par la lunette arrière j'aperçus en une seconde la grosse limousine noire qui poursuivait imperturbablement sa route.

    SUR LA ROUTE DE SAINT-MALO

    Pas de temps à perdre, je braquais mon Glock sur la tempe de ma passagère :

      • Il serait temps de dévoiler tes batteries, d'abord ton nom, ensuite je veux tout savoir, pourquoi Saint-Malo, je t'avertis que quand Molossa a faim, elle fait disparaître un cadavre en moins de deux heures, ne laisse même pas les vêtements

      • Wouaf ! approuva Molossa en se léchant les babines.

      • Je m'appelle Marie-Odile de Saint-Mirs – sa voix ne tremblait pas et je reconnus le nom d'une honorable famille de la Cité Provinoise - mais enlevez ce joujou, vous risquez de vous faire mal. Je suis une artiste. C'est aujourd'hui le dernier jour où les concurrents qui participent à la Biennale des Arts Conceptuels de Saint-Malo, peuvent déposer leur œuvre. Le jury se prononce demain. Le premier prix est d'un million de dollars. Je suis sûre que la voiture qui nous suivait était celle d'un concurrent qui voulait m'éliminer. La compétition est féroce. Cette nuit l'on a crevé les quatre pneus de ma voiture. Voilà pourquoi je vous ai demandé si gentiment de m'emmener à Saint-Malo.

      • Mon nom à moi c'est Damie, mais arrête tes salades Marie-Odile, je ne vois aucun paquet susceptible de contenir ton projet artistique auprès de toi !

      • Damie, vous êtes pire que Saint Thomas qui ne croyait qu'à ce qu'il pouvait toucher. Si vous voulez-voir mon chef d'œuvre vous n'avez qu'à glisser votre main dans ma culotte.

    Genre d'invitation que je ne me fais pas répéter deux fois ! Et hop je fourrai ma menotte droite dans son jean. Guili-guili en passant sur le nombril avec mon petit doigt et descente en plongée vertigineuse vers les portes du paradis. C'est à ce moment-là que mon index heurta une masse cylindrique, une belle barre, triple Jack ! ma passagère était donc un travesti brésilien...

      • Oui vous y êtes, saisissez-le, tirez doucement et remontez-le à la surface, lentement pas comme une brute de rocker.

    Me suis retrouvé avec une espèce d'étui à lunette que Marie-Odile m'incita à ouvrir précautionneusement, avec délicatesse. A vue d'œil un parallélépipède en verre sur le fond bleu duquel étaient collées deux petites feuilles d'arbre effilées.

      • Evidemment, obtus comme vous l'êtes vous ne pouvez pas comprendre, Vikings est le thème du concours. Le bleu représente la mer infinie, et les feuilles la fragilité des esquifs de ces hardis marins qui n'hésitèrent pas à traverser l'océan sur ces coquilles de noix. Mais nous avons perdu trop de temps, reprenons la route.

    A cinq heures moins dix, la teuf-teuf s'arrêtait devant le Centre d'Art de Saint-Malo. Une Marie-Odile radieuse en descendit alors qu'une meute de photographes se précipitaient vers elle :

      • Vous pouvez dégager Damie, je n'ai plus besoin de vous, et elle claqua la portière.

      • Je descends à l'hôtel des Dockers, là au bout de la rue, au cas où vous auriez besoin de moi ! à peine ai-je eu la présence d'esprit de lui crier par la vitre abaissée.

    NUIT MALOUINE

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    Suis parti m'incliner sur la tombe de Chateaubriand – le plus grand des mémorialistes français – et suis monté dans ma chambre à l'Hôtel des Dockers. Molossa s'allongea au milieu du lit, et moi continuai à rédiger mes Mémoires. A deux heures du matin la porte s'ouvrit brutalement :

      • Vous ai enfin trouvé, quel boui-boui infâme, mais tous les autres hôtels sont bondés, je vous fais l'aumône de squatter votre niche.

    Et Marie-Odile s'allongea toute habillée à côté de Molossa.

      • Ne faites pas ses yeux en ronds de frite Damie, il reste encore une place, sur le flanc gauche de votre bâtarde. Eteignez la lumière, et bonne nuit. Que sainte Ursule protège notre sommeil.

    La nuit fut paisible certes. Je dormis comme un enfant de chœur, mais lorsque à neuf heures je m'éveillai, Marie-Odile avait disparu, c'était Cruchette qui dormait profondément à sa place.

    A suivre

  • CHRONIQUE DE POURPRE 265 : KR'TNT ! 385 : ROBERT GORDON / THAT'LL FLAT GIT IT / ANSIAX / BETTER OF DEAD / SABOTAJE / NUEVA GENERACION / ROBERT CRUMB / ROCKAMBOLESQUES 0

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 385

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    20 / 09 / 2018

     

     ROBERT GORDON / THAT'LL FLAT GIT IT

    ANSIAX / BETTER OFF DEAD / SABOTAJE

    NUEVA GENERACION / ROBERT CRUMB

    ROCKAMBOLESQUES ( 0 )

    Le Gordon ombilical

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    Les Anglais appellent ça keeping the flame alive. Porter le flambeau, alimenter la flamme, on peut traduire comme on veut, l’image seule importe. Il semble que keeper the flame alive soit la raison d’être de Robert Gordon. C’est en tous les cas ce qu’il indique à Mark McStea dans l’une de ses trop rares interviews. Rare, oui, car il semble que Robert Gordon soit prématurément tombé dans l’oubli.

    Il fit partie du fameux rockabilly revival et réussit à traverser les modes et les décades grâce à deux choses essentielles : sa voix et son authenticité. Il se voulait the real thing. À part lui, personne sur cette terre ne peut prétendre chanter comme Elvis. D’autant plus real thing qu’il s’acoquina un temps avec une autre légende à deux pattes, Link Wray. Puis avec Danny Gatton. Puis Chris Spedding.

    Il démarre dans les Tuff Darts, un groupe punk new-yorkais qu’on peut entendre sur le fameux Live At CBGB, mais il quitte rapidement le groupe car le punk-rock ne l’intéresse pas du tout - Negative type of thing, and the lyrics were stupid - Et il ajoute plus lion : «I wanted to sing real rock’n’roll.» Et c’est là que Link Wray entre dans la danse. Robert : «J’ai vu Link Wray sur scène pour la première fois en 1962, dans une patinoire à Washington DC. J’avais adoré ‘Rumble’. La férocité de son style m’avait bluffé. Quinze ans après, j’ai dit à mon producteur Richard Gottehrer que je voulais travailler avec Link. Richard l’a trouvé à San Francisco et lui a envoyé un billet d’avion pour New York. Je n’oublierai jamais les premières sessions à Plazza Sound. Link jouait si fort qu’on a dû l’isoler pour l’enregistrer.»

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    Ils enregistrent un premier album en 1977, année pas érotique. L’album s’appelle Robert Gordon With Link Wray. Belle pochette, avec un gros plan du jeune Robert, pure icône rockab. Il démarre sur des chapeaux de roues avec un «Red Hot» bien boppé et monté au slap comme au temps de Billy Lee Riley. Et ce diable de Link vient linker. Le temps d’un cut, Robert renoue avec l’énergie du rockab des origines. On a là un artefact d’une rare perfection. Richard Gottehrer produit, alors ça change du tout au tout. L’autre cut de choix se trouve en B : «Flyin’ Saucers Rock’n’roll», bardé de chœurs parfaits - rrrrrawkkk - et Link part en killer solo flash de flesh. Ses deux solos sont des modèles éponymes d’épitome de chèvre. Le reste de l’album est beaucoup moins spectaculaire. Robert respecte bien l’esprit d’Eddie dans «Summertime Blues». Il ramène sa petite fraise de marcel boy, mais le côté pop de la prod lisse un peu trop les choses. On perd l’aspect outcast et l’éraillé qui caractérisent le Cochran side. Dommage. Même problème avec «Boppin’ The Blues» : le bop n’est pas slappé, ça pue la Fender bass et la prod sape l’esprit de Seltz. Robert tape aussi dans Lee Hazlewood avec «The Fool», et Link nous claque ça sévèrement. Il le fait à l’insistance cabalistique. Personne ne doute de l’aplomb du grand Link Wray. On se souviendra de l’album pour l’impeccable retake de «Red Hot».

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    Ils récidivent avec Fresh Fish Special. On y trouve deux stupéfiantes covers : «The Way I Walk» et «Lonesome Train». La version de Walk compte parmi les versions définitives. Les Jordanaires veillent au grain du choo bee doo bee doo bee doo wahhh et Link cisalle bien la mortadelle. En B, «Lonesome Train» sonne comme le meilleur des hommages à Elvis. C’est une cover de choc, absolument parfaite. On note aussi la présence du trop parfait «Red Cadillac And A Black Moustache» et de «Sea Cruise», mais hélas, Robert ne fait pas le poids face à Frankie Ford. Il est trop posé, trop new-yorkais. Link vrille bien dans son coin, mais il nous manque l’essentiel : la folie et le son de la Nouvelle Orleans. Robert se taille la part du lion avec un «I Want To Be Free» admirablement bien chanté - I want to be free/ Like a bird in a tree - Pas de doute, il est l’un des très grands chanteurs américains. Et puis, on se goinfrera aussi de «Five Days Five Days», joli groove de doo-wop d’anticipation, véritable hit de juke du New Jersey.

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    Robert quitte alors le label de Blondie pour aller chez RCA Victor, le label de son père spirituel Elvis. Il se sépare aussi de Link Wray. Pourquoi ? «On sentait tous les deux qu’on ne pouvait pas aller plus loin. Link m’a dit qu’il avait adoré jouer avec moi, mais il voulait redevenir Link Wray. It was an amical split.»

    Dans l’interview, Robert Gordon balaie la rumeur d’une association avec les Stray Cats : «Faux ! Je n’ai jamais vraiment aimé les Stray Cats. Je les trouvais trop cartoonish, tu sais, une sorte de parodie du genre. Tu dois savoir que j’étais alors un puriste et à mon goût, ils sonnaient trop comme les Sha-Na-Na du rockabilly.» Robert précise toutefois qu’il a été amené à les rencontrer et qu’il les tient en haute estime.

    C’est là que Chris Spedding entre dans la danse.

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    Ils enregistrent Rock Billie Boogie, sans doute l’un des meilleurs albums de Robert. On le sent motivé dès le morceau titre qui ouvre le bal. C’est du classique Burnette bash boom et Spedding ramène toute sa niaque british. On reste chez les Burnette brothers avec «I Just Found Out», sacrément bien balancé et hanté par l’envoûtant Tahiti Sound de Chris Spedding. Ça dégouline de kitsch. Robert tape aussi dans Fatsy avec «All By Myself», mais il chante comme Elvis. Quelle lampée de jive ! Dommage qu’il manque le slap. Robert boucle l’A avec un fantastique hommage à Gene Vincent : «The Catman». Voilà enfin le slap tant attendu. Robert nous chante ça comme un dieu - Gene Vincent/ Sure I miss you - Il nous manque à nous aussi. Par contre, la B retombe comme un soufflé. On sauve «Am I Blue», car Chris Spedding y passe des solos effarants d’inventivité.

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    On trouve quelques belles choses sur Bad Boy. À commencer par «Sweet Love On My Mind», slappé et hanté par Spedding. Excellent car inspiré. Sur les cuts suivants, Robert chante avec une belle autorité. Il impose un style. Il est avec Elvis le grand stentor du rock’n’roll. Il recroise bien certains accents d’Elvis, notamment dans «A Picture Of You». Chris Spedding fait des merveilles dans «Torture» (qui reste le cut préféré de Robert) et on passe à la rockab madness avec «Crazy Man Crazy» de Bill Haley. That’ll slap git it oh boy ! Le son tient bien le pulsif de base. C’est joué dans les règles de l’art et Spedding fait son tahitien. Le «Born To Lose» qui ouvre le bal de la B pourrait sonner, mais la prod de Gottehrer le poppyse et ça devient insupportable. Même chose avec «Nervous», plus pop que bop.

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    Ça n’empêche pas Spedding de multiplier les interventions succédanées. Il surjoue franchement la qualité d’intervention et parvient à sauver les cuts. Quel guitariste fascinant ! On le revoit à l’œuvre dans «Is It Wrong (For Loving You)». En fait Spedding fait autant le show que Robert. Ils naviguent tous les deux au même niveau d’excellence.

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    Le duo se sépare juste avant l’enregistrement du cinquième album, Are You Gonna Be The One, qui paraît 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Cette fois, Robert s’associe avec Danny Gatton, guitariste injustement méconnu - More of a cult figure than a mainstream name - L’album est très spécial : l’A est complètement foireuse, quasiment new wave, par contre, la B est une merveille. Un vroom de grosse bécane lance «Too Fast To Live Too Young To Die» et ça part en sur-tension de beat sévère, joliment travaillé au corps par Danny Gatton - Tight blue jeans/ Big black boots - et Robert fit son Elvis. Une vraie merveille ! La fête continue avec «Lover Boy», alerte et bien enlevé, chanté encore une fois à la Elvis, avec cette morgue suprême de stentor camionneur. Le slap arrive enfin dans «Drivin’ Wheel», mais c’est du très gros slap sourd et bien élastique. Terrific ! Absolument royal ! C’est le son d’une époque de rêve. On reste dans le son de slap de classe A pour «Take Me Back», tapé à la fantastique énergie du jive. Ce mec chante comme un dieu, il est bon de le répéter encore et encore. Quelle face d’album ! Et ça se termine avec «But But», qui sonne comme la fête au village. Robert bredouille bien son but but, il fait l’amoureux éconduit et s’infiltre dans la légende du New Jersey.

    Quand Mark McStea lui demande s’il conserve des enregistrements inédits avec tous ces grands guitaristes, Robert Gordon pousse un long soupir : «Dans les années 80 et 90, je me défonçais au crack. J’étais complètement démoli. Je stockais tous mes trucs dans un storage room, des master tapes, des choses inédites, des enregistrements live. Mais j’ai oublié de payer le loyer et au bout de quelques mois, ils ont vidé la pièce et tout mis à la benne. À l’époque, je m’en foutais, mais tu dois bien te douter qu’aujourd’hui je regrette. Il y avait des tas de trucs dans ce storage room, des enregistrements inédits. Il ne reste plus rien.»

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    Heureusement, certains enregistrements live ont survécu. Paru sur New Rose en 1991, Greetings From New York City est tout simplement de la dynamite. Boum dès «Heartful Of Soul», grâce à la fantastique présence de Sped. Il joue plus gras que d’usage et passe ici et là des solos de lightning flash. Robert Gordon et Sped sont parfaitement à l’aise dans ce vieux hit de Graham Gouldman. Ils tapent à la suite dans Big Dix avec «My Babe». Sped the crack accompagne l’un des grands stentors de l’histoire du rock. Avec «Undecided», ils tapent dans les Burnette Bros avec un fort parfum d’Elvis. Sped fait un festival de gammes grimpantes et une fois encore, Robert Gordon se montre d’une grandeur incommensurable. Sur l’album, on croise deux cuts où joue Dany Gatton, et ce n’est pas du tout la même présence, mais alors pas du tout. Robert Gordon annonce «A Wilson Pickett song for ya» et c’est parti pour un shoot de «Three Time Loser», un hit signé Don Covay. Robert Gordon fait son Soul Brother en marcel sur la moto. Ça lui va comme un gant. Puis avec «Love You So», il s’amuse avec les jukes du New Jersey. Il les fait twister dans les vagues de l’océan. Ce démon de Sped prend le cut à reculons, il sur-joue à la mandoline invétérée. Puis il monte «Linda Lu» à dada sur le riff de Susie Q, il le gratte à sec et se fond bien dans le move et soudain, le voilà parti en killer solo flash. Quel énergumène ! Il se passe toujours des choses extraordinaires quand Sped joue. On attaque ensuite un set encore plus explosif, le Live At The Lone Star qui démarre avec «The Way I Walk». Sped l’attaque à la bonne fortune incendiaire. Il joue ça à la fantastique déflagration orgasmique. Et ça continue avec «Train A Riding», gros bop de train arrive, Robert Gordon fait son Elvis et Sped joue comme un dingue, il fait le train comme les géants blacks du delta électrique. C’est absolument miraculeux. On a là l’un des disques les plus explosifs de l’histoire du rock, ce que vient encore prouver «Remember To Forget». Le duo Sped/Robert Gordon vaut largement les autres, Elvis/Scotty Moore, Bob Luman/James Burton, Burnette/Burlinson, ou encore Jagger/Richards. Sped joue ses ponts au traîne-savate de génie, en accords ramassés. Ils tapent «Rockabilly Boogie» à la fantastique énergie de rockab madness. Sped amène toute la folie du monde dans les pattes d’un Robert Gordon qui hiccuppe comme un coq en pâte, et ça part en vrille de combat aérien, Sped joue tout à l’énergie du désespoir. L’un dans l’autre, ça tourne au coup de génie. Joli take on Eddie avec «Twenty Flight Rock». Sped nous jazze ça dans le jive, il repart en vrille de Red Baron, dans ces vrilles innommables qui font la grandeur de l’art électrique. Il joue comme s’il avait carte blanche. On n’avait encore jamais entendu un tel ramdam. Il repart en vadrouille chez Johnny Cash avec «There You Go». Sped gratte le mechanic des Perkins, il le gratte à merveille et avec «Lonesome Train», on renoue avec l’âme du rockab, on est au cœur du real deal, au cœur du rockab craze. Sped devient dingue. Retour sur le territoire du géant Robert Gordon avec «It’s Only The Make Believe», mais Sped ne peut s’empêcher de venir incendier le Reichstag. Robert Gordon profite de «Black Slacks» pour piquer sa crise de mad rockab et derrière lui, Sped s’échine à devenir fou. Il part encore en vrille d’extermination. Sped King, comme dirait Ian Gillian. Et dans «Red Hot», il explose bien sûr en plein vol.

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    Quand McStea demande à Robert Gordon quel guitariste il aurait aimé voir jouer avec lui, la réponse est nette : Cliff Gallup. Il ajoute que ce fut une chance pour Gene Vincent d’avoir ce mec derrière lui. «After he left and Johnny Meek took over, it just wasn’t the same anymore.»

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    Le duo Robert Gordon/Sped fait encore des étincelles sur All For The Love Of Rock’N’Roll. Ces album restera dans les annales pour au moins trois cuts, à commencer par «I Need You Girl». Sped y taille un costard de son incroyablement tendu et précis. Il gratte dans l’ombre et part soudain en petite vrille d’apoplexie. Il claque son solo à la claquemure punkoïdale et Robert Gordon revient au mieux de son Elvis mood, avec des sixties roots de pure magie. Dans «Movin’ Too Slow», Sped fait un festival, il claque des accords qui fondent comme beurre en broche. Il explose le spirit du 56 Memphis Sound. Mais curieusement, Sped ne joue pas sur tous les cuts de l’album. Un nommé Jeff Salen joue sur «Attacked Sedduced & Abandonned», une affaire qui tourne mal, car ça sonne comme du heavy metal de MTV. L’étrange registre interloque l’humble loque. Il faut attendre «Prove It» et l’arrivée providentielle de Sped pour retrouver la terre ferme. On sent immédiatement la différence. On se demande pourquoi un génie comme Sped colle aux basques de Robert Gordon. La réponse est dans la question : Robert Gordon est un géant. Alors Sped lui déroule une sorte de tapis rouge. Et là, ça devient excellent. So powerful ! Sped taille un costard de son sur mesure pour Robert Gordon, ce géant qui chante comme Elvis et qui domine si bien la situation. «Prove It» est un chef-d’œuvre de conviction. Sped y crée un monde et on peut bien dire que Robert Gordon lui doit une fière chandelle. Sped revient jouer sur «Slash». Il gratte bien en tension et ouvre des horizons. Ça sonne presque glam. Puis il taille la route de «Beside You» forever.

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    Robert Gordon se paye une bonne illusse pour la pochette du Robert Gordon paru en 1997. Album extrêmement intéressant. Le guitariste s’appelle Quentin Jones, il joue sec et net, très fifty fifty, sans attraction, encore plus sharp que le Shark Sped. Et ce diable de Robert Gordon fait sacrément autorité. Il tape «Lonely Blue Boy» au kitschy kitschy petit bikini et va même le pousser dans les orties. Ça sonne comme un hit de juke du New Jersey. On tombe plus loin sur un «Ten Cats Down» swinguy en diable, pur jus de rockab. Pas vraiment de bop, mais un drumbeat exemplaire. Le beurreman s’appelle Aaron Walker, il frappe sec et net. Robert Gordon s’entoure toujours de musiciens extraordinaires. Ce cut restera forcément dans les annales. Comme l’indique le titre, «Season Of My Heart» dégouline de kitsch, d’autant que Quentin Jones joue au Tahiti mood et bat bien des records de Shark Sped. En matière de kitsch, Robert Gordon dépasse toujours les bornes. D’ailleurs avec «Hello Walls», il salue ses murs. La grandeur de Robert Gordon est de savoir chanter à la cantonade avec une pêche de Georgie parfaite. Il est the real stentor of it all. Il explose même le concept du stentorisme et vise l’intelligence suprême du rock. Il tape ensuite une version superbe de «Bertha Lou», l’hit de Johnny Burnette que reprenait aussi Tav Falco. La rockab madness roule sous le boisseau comme un muscle sous la peau, c’est joué dans une ambiance à la Johnny Kidd. Attention, les classiques revus et corrigés par Robert Gordon donnent souvent du cryptic effarant. Il chante son «Butterfly» au coin d’un juke du New Jersey. Pas de meilleur rocker du coin de la rue. Il termine avec le «Train Of Love» de Johnny Cash, ça joue au tagadac et il ramène toute la profondeur de son respect pour the man in black. Ah quel fantastique hommage !

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    Le guitariste qui joue sur Satisfied Mind s’appelle Eddie Angel. Une fois encore, Robert Gordon s’impose comme l’une des très grandes voix du rock. Il le fait superbement. L’une des trois raisons d’écouter cet album s’appelle «Ain’t Gonna Take It No More», solidement battu comme plâtre et emmené à l’énergie pulsatrice. C’est fouetté au cul du slap et même assez extravagant de pulsasivité. Le puissant seigneur Robert Gordon règne sur la terre comme au ciel. La deuxième raison s’appelle «When I Found You», joué on the rockab madness beat. Ça fonce comme une locomotive dans la nuit. Pur jus de big boss Gordon. Il a même l’air complètement paumé dans le vent de la madness. La troisième raison est une reprise de «These Boots Are Made For Walking». Robert Gordon tape dans Lee et chante ce vieux hit à merveille. Son baryton amène du cachet et magnifie ce cut déjà magnifié. Robert Gordon chante de toute son âme et franchement c’est un beau spectacle. On l’admire aussi dans «Little Boy Sad» qu’il croone comme une bête, avec une chaleur de ton incomparable. Il fuite son croon. Voilà ce qu’on appelle une vraie voix. Lui et Elvis, définitivement. Elvis et lui, comme dirait Jimmy Webb. Il passe au doo-wop avec «Sea Of Heartbreak», il tape ça au pompompom et chante haut les chœurs, il grimpe avec une aisance déconcertante dans les arcanes du pompompom du jardin d’Eden. Et dans «Turn Me Loose», un kiss le retourne comme une crêpe - This is the first time/ I felt this way - Cette confession vient d’un vrai mec, un roi du rock’n’roll. Doc Pomus signe ce bijou romantico. Robert Gordon enchaîne avec un «Queen Of The Hop» joué au vrai boogie de bopping bop. Il n’en finit plus d’étaler ses conquêtes au grand jour. Il chante aussi son «Do You Love Me» jusqu’à l’os. Pas de meilleur stentor que Robert Gordon pour taper dans ce registre.

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    Le gros avantage de Rocking The Paradiso est qu’on voit Robert Gordon & Chris Spedding jouer tout le concert. Le disk se double en effet d’un DVD, et quand on apprécie le jeu de Spedding, alors on se régale. C’est un guitariste qui intervient toujours à très bon escient. Quant à Robert Gordon, c’est du tout cuit. Gros pépère. Présence immédiate. Profondeur de champ à la Johnny Cash. En comparaison, Spedding fait plus affûté. Il joue sec et acéré. Comme s’il restait aux aguets, la lèvre inférieure en avant. Il ne joue que du sur-mesure. Il ne fait que doubler le chant de Robert Gordon. C’est un fabuleux oiseau de proie. Il est dessus, comme l’aigle sur la belette. Il fait le spectacle en mitoyen. Robert Gordon chante et Sped lui taille un costard sur mesure, the shape of things to come. Admirable duo de géants. Fascinant spectacle.

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    Robert Gordon & Chris Spedding enregistrent It’s Now Or Never en 2007. C’est l’un des très grands albums de l’histoire du rock, tous mots bien pesés. Il n’existe rien de plus jouissif que cette reprise du «Mess Of Blues» de Doc Pomus, emmenée par le roucouleur suprême. Lui & Elvis, Elvis & lui. Cet album impressionne car sur certains cuts, Robert Gordon chante vraiment comme Elvis. On retrouve toute la puissance du King dans «Don’t Leave Me Now», tartinée au miel des Jordanaires. Robert Gordon va chercher d’extraordinaires subtilités dans le fruité du chant. Il est sur Elvis comme l’aigle impérial sur l’Europe, don’t close your eyes. Il chante à l’Elvis pur. Il va en chercher la substantifique moelle dans «Peace In The Valley». Le voici rendu au cœur du Deep South spirit - There won’t be peace in the valley for me - Les Jordanaires y vont de leur plus beau pathos. C’est du gospel de blancs. Puis il tape dans «Don’t Be Cruel». Tous ces gens jouent avec le feu, mais ils le font magnifiquement. C’est de l’artefact. Les Jordanaires hoquettent, avec un Robert Gordon vibrillonnant. Il est dessus, mais de manière effarante. Sped et lui tapent «Lawdy Miss Clawdy» au ramshakle. Ils constituent tous les deux le plus gros équipage du rock moderne. Ils aplatissent tout sur leur passage. Sped s’y tape un fabuleux départ en solo et Robert Gordon joue avec le bye bye baby comme le chat avec la souris - Goodbye little darling - C’est bardé de son et de bye bye baby. Normalement, personne n’oserait toucher à «My Baby Left Me». Sauf Robert Gordon. Il claque les accents d’Elvis, never said a word, et lance Sped comme Elvis lançait Scotty. Même folie. Même magie. C’est d’une rare véracité. «Trying To Get To You» est le cut qui fascinait tant Frank Black. Sped joue ça merveilleusement, comme s’il entrait dans la légende. Robert Gordon fait son Elvis pendant que Sped joue à l’ultra-tendinite catapultive. Encore du Elvis shaking avec «(You’re So Sure) Baby I Don’t Care». Robert Gordon a les moyens d’Elvis, alors il joue son va-tout. Sped joue en sous-main et ça devient vite stupéfiant de jus et d’influx. Ces deux-là sont littéralement hantés par l’Elvis de 56. Sped gratte vraiment comme un con. Personne ne pourrait le calmer. Leur version du morceau titre est une infection, remuée par les vagues clapotantes des Jordanaires. C’est l’un des meilleurs hommages au King de tous les temps. On reste dans le pur jus avec «It Feels So Right», mais c’est joué avec un sens éhonté de l’énormité. Ça prend des proportions extravagantes. Voilà encore un album indispensable, dès lors qu’on se préoccupe de primauté.

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    Curieusement, l’I’m Coming Home paru en 2014 n’est pas très bon. Les guitaristes s’appellent Quentin Jones, Rob Stoner et Marshall Creenshaw. C’est sûrement de là que vient le problème. Robert Gordon démarre pourtant très fort avec une reprise du «Coming Home» de Johnny Horton. Sur «Walk Hard», Robert Gordon sort son meilleur baryton, mais ça ne suffit pas à sauver le cut. Le problème est qu’avec «Honky Tonk Man», les choses virent à la caricature. Dommage, car Robert Gordon reste un big sound cat. Il faut tout de même bien avouer que l’ensemble manque de Sped. Ça crève les yeux. Robert Gordon tente de sauver sa réputation, mais le son est trop pauvre. Et ça s’aggrave de cut en cut. On ne cherche même plus à savoir qui joue quoi. L’album s’enterre tout seul. Sans Sped, Robert Gordon est foutu. Ils réussissent même à massacrer «Lucille». Ce dernier album est un four.

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    Quand McStea lui demande s’il a des regrets, Robert hausse les épaules. «Jeune, j’étais plus cocky. Il ne fallait pas me raconter de conneries. Je n’ai jamais fait de compromis. J’aurais pu avoir plus de succès si j’avais été plus souple. Mais ce qui est passé appartient au passé. C’est comme ça.» Il ajoute qu’il a été content de retrouver Chris Spedding en 2005 pour une tournée européenne. Ce fut pour nous l’occasion de le revoir sur scène à la Traverse. Big fat show ! Il annonce aussi la parution de deux disques d’inédits avec Link Wray, The First Nationwide Tour et The Last Tour - I think a lot of people are going to enjoy this stuff. It’s really good - Repartir en tournée ? Pas impossible, la santé va mieux, Robert dit avoir perdu du poids depuis qu’il a quitté le drinking, comme il dit. Et McStea se met à rêver pour Robert d’une fin à la Johnny Cash, dans les pattes de l’affreux Rick Rubin.

    Signé : Cazengler, Gordonne-moi cent balles

    Robert Gordon With Link Wray. Private Stock 1977

    Robert Gordon With Link Wray. Fresh Fish Special. Private Stock 1978

    Robert Gordon. Rock Billie Boogie. RCA Victor 1978

    Robert Gordon. Bad Boy. RCA Victor 1980

    Robert Gordon. Are You Gonna Be The One. RCA Victor 1981

    Robert Gordon. Greetings From New York City. New Rose Records 1991

    Robert Gordon. All For The Love Of Rock’N’Roll. Viceroy Music 1994

    Robert Gordon. Robert Gordon. Llist Records 1997

    Robert Gordon. Satisfied Mind. Jungle Records 2004

    Robert Gordon & Chris Spedding. Rocking The Paradiso. Last Call Records 2006

    Robert Gordon & Chris Spedding. It’s Now Or Never. Rykodisc 2007

    Robert Gordon. I’m Coming Home. Lanark Records 2014

    Mark McStea : All for the love of rock’n’roll. Vive Le Rock # 53 - 2018

     

    Got the Git It ?

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    Bear Family continue de soigner ses petits poussins, c’est-à-dire les amateurs éclairés de rockab. Les volumes 28 et 29 de la légendaire série That’ll Flat Git It sont disponibles sur le marché. Oui on peut bien parler de légendarité dans le cas de cette série qui, souvenez-vous, s’annonça en 1993 avec un Vol. 1 tiré des Vaults de RCA et qui grouillait de Joe Cay, de Janis Martin et de Tommy Blake, pour n’en citer que trois. Il faut bien dire que ces compiles légendaires épuisent plus le mâle qu’une nympho experte. Avant d’entrer dans les Vaults de Warner, rappelons que l’expression qui donne son titre à la série vient du jiver suprême Dewey Phillips et qu’elle ne veut rien dire en particulier. Dewey Phillips swinguait ses harangues et envoyait rouler sur les ondes les meilleurs cuts de son temps, notamment ceux d’un débutant nommé Elvis Presley.

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    Les stars du That’ll Flat Git It. Vol. 28 sont Bob Luman et Johnny Carroll. Warner rivalisait de rockab madness avec les tenants du titre, Meteor et Sun. On tombe dans le panneau dès que Johnny Carroll apparaît avec «The Swing», fabuleux sloop John biz de groove infectueux. Il faut se souvenir que Johnny lost his mind sur ses premiers cuts. Il ne vivait que pour la rockab frenzy.

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    Mais c’est un autre Texas boy, Bob Luman, qui vole le show avec «Buttercup». On y entend l’admirable Roy Buchanan prendre un solo touchy. What a merveilleuse alliance ! Et quel chanteur ! On le retrouve aux commandes de «The Fool», vieux hit signé Lee Hazlewood. C’est extrêmement chanté, Bob travaille la couenne de ses cuts en douceur et en profondeur, il est l’un des très grands chanteurs du temps d’avant. Un coffret Bear en apporte la preuve, si par hasard on en doutait. On l’entend plus loin taper «Loretta» à la pure frénésie. Le gros intérêt des compiles Flat est qu’on y croise des big surprises. En voilà une de taille : «Monster Movie Ball» par Spike Jones & His Sicknicks. Un vrai petit chef-d’œuvre de sci-fi rock digne de Joe Meek, avec un chant en place et un swing infernal. En 1962, ces gens-là avaient du son, comme on le voit aussi avec le «Monster Twist» de Tyrone A Saurus & His Cro-Magnons. Mais c’est le vieux Bill Haley qui rafle la mise avec ses Comets et «Let The Good Times Roll». Il est au maximum des possibilités du swing. Il est au swing blanc ce qu’Erroll Garner est au swing black. Bill Haley reste l’un des héros méconnus des early sixties. Si vous écoutez la compile des classiques garage proposée par Rudi Protrudi, le fameux Songs We Taught The Fuzztones, vous verrez que le meilleur cut de ce double album est le «13 Women» de Bill Haley. Le meilleur, et de loin, même si l’album fourmille de big bad ones. On croise aussi Charlie Gracie sur le Vol. 28, mais il est trop putassier. Son «Cool Baby» se prend trop au sérieux. Par contre, Johnny Sardo réveillerait les morts au Chemin des Dames avec l’«I Wanna Rock». Ce mec a le diable dans le corps. C’est une horreur, un classique rockab ultime, tendu à se rompre, visité par un solo de sax, une pure merveille de crazyness. On recroise la piste de Johnny Carroll avec un «Sugar» assez psychédélique et atrocement hors de propos.

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    Il vaut mieux passer du temps en compagnie de Troyce Key et de sa version surchauffée de «Baby Please Don’t Go». Version d’autant plus hot qu’Eddie Cochran y joue la partie de wild slash boom bam. On le sait, les Everly Brothers peuvent parfois rocker et ils en administrent ici la preuve avec un fantastique coup de «Temptation». Ils rockent comme des diables à l’osmose des voix, c’est très spectaculaire. On sort de cette compile ravi, pour la vingt-huitième fois.

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    Avec son Vol. 29, That’ll Flat Git It tape dans les vaults de Crest, un label californien basé à Hollywood. C’est une scène moins sauvage que celles du Texas ou de Memphis, mais elle propose des gens du calibre d’Eddie Cochran qui comme par hasard ouvre le bal du Vol. 29 avec son fantastique «Skinny Jim», pur jus de romp rockab, chanté avec un gusto exemplaire, a bebop a lula skinny Jim. Eddie rocks it hard et sort un stupéfiant groovalong de singalong. À part Eddie, les autres figures de proue du label sont peu ou pas connus, ce qui permet une fois encore de partir à la pêche aux découvertes.

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    Par exemple Bo Davis avec son «Let’s Coast Awhile». Il y sort un son à la Bill Haley, mais avec un son de slap métallique. C’est extravagant d’allant pathogène. Bo est un wild cowboy rockab, n’en doutons pas. Plus loin, Tom Hall & His Tom Kats nous sortent avec «Stack-A-Records» un superbe shake de LA bop, avec une science incomparable du son. Les guitares y frappent comme des éclairs. Vers la fin du volume, ils reviennent avec l’excellent «Mary Jo», boppé au meilleur slap angelino. Que de son, my son ! Ils jouent avec une spectaculaire vitalité métabolique. Voilà, c’est tout le côté génial des compiles. Au temps d’avant le web, elles étaient le seul moyen de découvrir les grands artistes inconnus, notamment ces compiles rockab sur vinyle dont plus personne ne veut aujourd’hui dans les salons. Bo Davis et Tom Hall font donc partie de ces grands artistes inconnus. Par contre, Crest bouffe à tous râteliers, comme on le constate à l’écoute du «Do I» de Bill Great Dane with the Ragtime Rascals. C’est du jump qui n’a plus rien à voir avec le son des Flat. On bouffe aussi pas mal de country dans ce Vol. 29, avec par exemple Don Thompson ou Hank Sanders. On n’est pas là pour ça. Bill Skidmore III remet les pendules à l’heure avec «Date Bait», un hit digne des jukes du New Jersey, ça saxe dans tous les coins. Il revient plus loin avec un jump de blanc qu’il chante avec autorité.

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    La perle de ce volume est le «Bailin’ Keen» de Bobby and Terry Caraway, pur romp de solid rockab madness joué à la furiosa del sol, vraie plongée dans l’inferno du bopping hell. Franchement spectaculaire ! S’il faut emmener un cut de ce volume sur l’île déserte, c’est forcément «Bailin’ Keen». Tommy Law yeah-yeahte all over the place dans son «Cool Juice». C’est du rock’n’roll, mais d’époque et bien foutu. L’autre cut qu’on peut emmener sur l’île au trésor est le «Lovin’ Loren» de Glen Garrison & the Note Kings, un hit explosif tapé au jump hardcore. C’est d’une rare énergie, l’un des gros coups de Crest. On retrouve Glen Garrison en fin de compile avec l’extraordinaire «You’re My Darling». Quel chanteur ! On peut aussi emmener le «Can’t Walk» de Marty Cooper car c’est un bop à la Carl Perkins absolument parfait, un chef-d’œuvre inconnu chanté au pur jus d’excellence. On sent le vécu de la glotte - Blues on day/ Blues on night - On croise aussi pas mal de jump sur ce volume. Rappelons que le jump est l’une des spécialités de la scène de Los Angeles. Johnny Down & the Jazz Rockers jouent à la full blown energy, et plus loin, Buddy Lowe fait ses petits ravages avec «Ummm Kiss Me Goodnight». I like the way you rock’n’roll mais il préfère quand elle écarte les cuisses, car c’est là que ça se passe. Vas-y Bobby, baise-la bien. On l’entend même claquer ses bizous. Nouvelle révélation de fin de volume avec Dick Bills et sa hot patate rockab intitulée «Rockin’ And A Rollin’». C’est le raw du wild, un hallucinant réveil en fanfare, le hit caché du volume, gratté au sec avec esprit, véritable coup de génie rockab, arrosé de chœurs de yeah man. On sort du volume 29 à quatre pattes.

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    Mais ça ne sera hélas pas le cas avec le volume 31, qui passe en revue Colonial Records, un label basé à Chapell Hill, en Caroline du Nord. Le seul mec qui sort du lot colonial s’appelle E.C. Beaty, avec deux énormes cuts, «Ski King» et «The Great Society». Solide présence, le mec a du coffre, il sort là un fabuleux shoot de pink Cadillac. Son Great Society est bien jivé dans le dos. Daddio sait y faire. Beaty est une bête. Il tape aussi un «Let Her Go Daddieo» à la force du poignet. Avec sa grosse glotte grasse, il ramone plus que les Ramones. On trouve trois autres cuts de Beaty la bête sur le 31, «I’m A Lucky Man», «Ugh Ugh Ugh» et «Tarzan», mais c’est un peu moins spectaculaire.

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    L’autre star du label n’est autre que Johnny Dee, c’est-à-dire John D. Loudermilk, disparu il y a peu de temps et que personne n’a salué (ne pas confondre ce Johnny Dee avec le Johnny Dee anglais qui fut le road manager des Fairies et qui pondit «Don’t Bring Me Down» pour les Pretties). On entend donc le Johnny Dee américain swinguer son «Somebody Sweet» comme un démon. N’oublions pas que ce fabuleux sucreur de fraises a composé des hits pour des tas de gens connus, comme Eddie Cochran, les Everly Brothers et Johnny Cash. C’est à lui qu’on doit notamment «Tobacco Road». On l’entend aussi doo-wopper au western swing son fameux «Sitting In The Balcony», repris par Eddie Cochran. Mais avec ses autres singles, il sonne comme un moule à gaufres. Tout ça pour dire que chez Colonial on n’est pas très rockab. George Hamilton IV, Doug Harrell et Ebe Sneezer font du hillbilly à roulettes, Bill Craddock fait un «Birdoggin’» qui n’est pas celui de Gene, Allan & the Flames, les Franklin Brothers et Henry Wilson & the Bluenotes font du rock’n’roll cousu de fil blanc - il y a du son, pour sûr, mais aucune trace d’originalité - et les Bluenotes font de la petite variette à trois sous. L’excellent E.C. Beaty referme la cortège avec un solide «Ole Joe», très bop dans l’esprit. Ce mec était sur la piste du real deal. Il pouvait devenir génial, avec un bon coup de bop de slap derrière les oreilles. Ah si seulement on lui avait confié des bonnes chansons.

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    Quant au volume 30, il est coincé dans le tuyau à cause d’une histoire de copyright. Tant mieux, on a économisé un billet de vingt.

    Signé : Cazengler, That fat pig

    That’ll Flat Git It. Vol. 28. From The Vaults Of Warner Brothers & Reprise. Bear Family 2017

    That’ll Flat Git It. Vol. 29. From The Vaults Of Crest Records. Bear Family 2018

    That’ll Flat Git It. Vol. 31. From The Vaults Of Colonial Records. Bear Family 2018

     

    16 / 09 / 2018 _ MONTREUIL

    LA COMEDIA

    ANSIAX / BETTER OFF DEAD

    SABOTAJE  / NUEVA GENERACION 

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    Retour à la Comedia depuis la grande invasion mongole des autorités de police et autres services de pressurisation des citoyens, le 19 juin 2018 dernier. Décidément le pouvoir n'aime guère les ZAD fussent-elles musicales. La meilleure défense s'avérant être l'attaque, La Comedia n'a pas choisi de rentrer dans un trou de souris mais au contraire d'arborer fièrement sa différence. Elle affiche cette dernière dès la façade, recouverte d'une immense fresque – nous pensons aux archéologues des siècles futurs chargés de l'exhumer pour les futures journées du patrimoine – qui claironne haut et fort qu'ici nous sommes en territoire zombie de survivance, n'en déplaise au monde entier. Au cas où vous l'auriez oublié une fois réfugiés à l'intérieur l'antre de survie, un autre panneau charivaresque – a work in progress comme disait Joyce – s'est déjà accaparé un des murs... Il est à craindre que cette lèpre contagieuse ne s'étende un peu partout et ne colonisât de ses entremêlements vertigineux vos plus horribles – ceux que vous préférez – cauchemars lovecraftiens. Au cas où vous voudriez en sonoriser les images, La Comedia a de quoi alimenter votre bande-son. Rien que ce soir, quatre groupes dont deux venus du fond de l'Espagne, de Murcia pour les esprits pointilleux qui aiment les localisations précises, car la pieuvre punk – cette bête infâme - pousse ses tentacules sur l'ensemble du globe terrestre.

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    ANSIAX

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    Ils viennent de Paris, même si leurs textes se drapent dans la langue de Quevedo. Ne sont que trois. Batteur, basse, batterie. Esteban Mesa, drummer fou, crawle des bras à croire qu'il est poursuivi par un banc de squales affamés. Dresse des éboulements de cathédrales sonores en perpétuelle renaissance. Ivan Kaballero la basse et Esteban Mesa à la guitare, ne chôment pas non plus sur les toits de chaume. N'ont pas le temps. Sont des adeptes de la mèche courte. Un bon explosif n'est bon que s'il explose vite. On s'en aperçoit dès les trois premiers morceaux, Cultura Transgenica, Hipocrita Moral, vous prennent de court, se finissent que avez eu à peine le temps de vous rendre compte qu'ils ont commencé, quant à Miseria, ils tombent encore plus vite la misère ne se jette sur les pauvres. C'est dire s'ils sont pressés que ça change. C'est le bassiste qui vous expédie le tout à la fronde vocale, il crache comme une vipère énervée, mai ce n'est pas fini, les trois morceaux suivants se teintent de réflexion philosophique, disons hainosophique, Basura Humana, Indetenible Decadencia, Falsos Intereses, je ne vous traduis pas, vous vous y reconnaîtriez trop, vous les dégoupillent à la torpille, au vocal scalp. Du coup l'ampli Marshall n'en peut plus, fait un AVC, pas d'inquiétude quand il n'y en a plus y-a-en encore, les copains de Better Off Dead leur passent leur tête, et c'est reparti pour la guerre des étoiles. Filantes. Tema Nuevo, et Programados s'achèvent en feux d'artifices, encore plus vite, encore plus fort – ils ont du temps perdu à rattraper - malgré les supplications il n'y aura pas d'extraballe. C'était leur deuxième concert, certes on peut leur reprocher la trop grande monotonie des morceaux mais ils ont l'essentiel, l'énergie d'un feu de ni dieu ni maître. Nous ne sommes pas anxieux pour leur avenir.

    BETTER OFF DEAD

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    Du monde pour aider à débarrasser le matériel mais au final, ne sont plus qu'une. Il y a deux gars qui font du bon boulot à la basse et à la batterie, mais ils pourraient être mille que l'on ne s'en apercevrait pas. Car c'est une fille qui se colle à la lead guitar. On aura tout vu. L'aurait dû rester à la maison faire le ménage. Le problème c'est que le grand nettoyage elle va nous l'accomplir sur scène. Une guitare tonitruante en entrée ( en sortie aussi ) du genre à épousseter la poussière à la dynamite. Mais ce n'est pas le plus important. Son truc à elle, c'est le micro, une fois qu'elle s'y collée dessus, elle n'en bouge pas. Pas du genre à chanter un couplet et puis je respire un bon coup, un long moment, en faisant semblant de passer des riffs difficiles sur les cordes. Déjà elle joue d'une manière différente de tous les autres, ne bouge pratiquement pas les doigts, toute l'impulsion vient du poignet, c'est lui qui remue la main, dégomme et manivelle sec, vous crache de longues et serpentaires flammes riffiques et venimeuses qui balaient tout sur leur passage, mais revenons-en à son vocal, a peine a-t-elle ouvert la bouche que c'est parti pour ne pas s'arrêter, l'est aux lyrics et n'en sort plus, le texte devient incantation, se transforme en imprécation, se métamorphose en addiction, déboule comme une grande houle de tempête folle, un phrasé comminatoire qui vous fouaille les neurones et s'installe en vous comme les fibromes de la colère et du désespoir. Une Furie sous l'orange sanguine de sa chevelure, une Erynnie échappée de l'Île des Bienheureux où les dieux fourbissent leurs armes pour préparer le retour des grandes colères et des incendies monstrueux destinés à réduire notre monde déplorable en cendres fumeuses. Se surnomme Kroquette. Empoisonnée. La révélation subjuguante de la soirée. Elle porte le tatouage du corbeau noir sur son bras. Ceux qui ont lu Edgar Poe comprendront. Magnifique. Plus forte que la mort.

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    SABOTAJE

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    Encore une fille. Vanessa, à la batterie. Les filles sont partout, elles squattent le rock comme si elles étaient chez elles. En plus elles se défendent bien. Même que souvent elles attaquent. N'est pas toute seule, un garçon, Pau, avec elle, à la guitare. Ne sont pas là pour se chamailler mais pour faire du bruit. Une philosophie que tout le monde ne comprend pas. Il est pourtant facile d'entendre qu'il s'agit là d'une manière pas plus bête qu'une autre puisque les murailles du vieux monde ne se sont pas encore écroulées malgré des assauts de toutes sortes, alors pourquoi ne pas essayer avec les coups de boutoir des puissances sonores du rock and punk. Pau nous gave de clinquances électriques à faire sonner les oreilles et c'est dans ces plaques métalliques tintantes que Vanessa introduit la subtilité contrapuntique de sa frappe, à la technique du bélier qui fonce droit devant sans réfléchir elle préfère celle du levier qui s'introduit par-dessous, soulève et désarticule. Art du sabotage qui consiste à produire un maximum de nuisances avec des moyens minimaux. Dialoguent souvent des yeux, chantent tour à tour, Destruye, Infierno, Anarquia Circular, les titres s'enchaînent en une ronde infernale, il n'y a pas de point de fuite – No Hay Afuera – en ce bas monde, alors Vanessa tape sur ses toms comme vous vous frappez la tête contre les murs les jours de grande colère, cela fait mal mais cela soulage, et sur votre face contusionnée Pau passe la herse de sa guitare aux crocs de fer. Détruisez, détruisez, il en restera toujours quelque chose. Au moins un grand instant de plaisir.

    NUEVA GENERACION

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    Les mêmes que les précédents. Je parle de l'état d'esprit. En plus adultes. Un tout petit peu plus âgés. Mais l'expérience vous procure une solidité évidente. Des quatre groupes de la soirée, ce sont les plus au point. Une grande cohésion. N'essaient pas de se précipiter pour passer la porte en premier. Tous ensemble, jouent collectif, ce qui est mieux pour des anarchistes revendiqués. Une fille au milieu à la basse posée là comme l'œil de l'ouragan. Un batteur qui galope tout devant, passe les obstacles sans ralentir le train, dégage la route pour faciliter l'assaut des copains. Je les ai adorés durant le sound-check. Imaginez une guitare méchante sur votre gauche. Violente. Brutale. Un hachoir, un couperet de guillotine. Le gars qui déteste qu'on lui raconte des histoires. Se contente de placer les explosifs méthodiquement. L'est pour les mise à feu efficaces. De l'autre côté, c'est tout différent, un son d'une splendeur inouïe, l'est pour l'emphase sonore, la beauté du geste compte pour lui tout autant que l'efficacité pour son alter ego. L'énergie domestiquée et l'ouragan romantique. L'union des contraires, me suis pris à rêver à ces nappes de feu à la New York Dolls. Ben non, une fois le groupe lancé, ils n'ont pas su réaliser l'alchimie prodigieuse, l'utilitarisme énergétique a pris le dessus, sûr que ça carbure sec et sans anicroche, rendement économique maximum. Mais z'ont oublié la beauté du geste, le plus esthétique qui sépare l'hominien de la bête, nous ont livré une machine de guerre impeccable, avec un moteur à explosion hydrogénique irremplaçable, une horloge d'une précision folle, un système de mise à feu à retardements et avancées modulables, mais le résultat n'a pas été pour moi à la hauteur du rêve qu'ils m'avaient fait entrevoir... Le public a adoré. Moi aussi, mais cette fois j'avais décidé de faire le difficile et l'enfant gâté.

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    Damie Chad.

     

    HEROS DU BLUES

    DU JAZZ ET DE LA COUNTRY

    ROBERT CRUMB

     

    ( La Martinière / 2008 )

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    C'est dans le mensuel Actuel qu'au début des années soixante-dix toute une génération a découvert Robert Crumb. Il fut l'artiste de la Contre-Culture, qu'en France on préférait nommer Underground. Aujourd'hui par chez nous son œuvre la plus connue reste la pochette du premier disque de Janis Joplin avec Big Brother and the Holding Company, le fabuleux Cheap Thrills. Mais ce sont les aventures de la bande dessinée Fritz The Cat qui assirent en ces temps lointains sa renommée. Fit un peu comme La Fontaine : pour décrire les travers de l'homme il dessina des animaux. Mais il n'était pas un moraliste. Se contentait de décrire le milieu dans lequel il vivait : celui du mouvement hippie de San-Francisco, autant dire que l'univers du matou cynique était empli de sexe, de rock, et de drogue. Beaucoup de sexe, à tel point que les ligues féministes ne manquèrent pas de dénoncer à plusieurs reprises son idéologie disons cynico-utilitaristo-copulatoire de la gent femelle.

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    Le dessin n'est pas la seule passion de Robert Crumb. Il est un collectionneur émérite de disques. Pas n'importe lesquels. L'éprouve une passion inextinguible pour tout 78 tours des années vingt et trente, sa prédilection le porte vers le blues et les formations à cordes country. L'a même formé un orchestre dans le but de jouer old style en prenant soin que les instruments soient mal accordés... A l'origine les dessins réunis dans ce livre étaient destinés à être glissés dans les disques de Nick Perls qui s'était donné pour tache de rééditer des compilations de vieux disques de blues sur son label Yazou Records. Ils finirent par former trois séries de 36 Trading Carts vendues séparément, dédiées au blues, au jazz et à la country des commencements.

    Les voici réunies en ce volume. A droite la reproduction couleur de la carte, sur la page de gauche une courte présentation des musiciens. Notons que les commentaires de la série Blues de Stephen Calt sont des plus sommaires, ceux de David Jasen consacrés au jazz sont plus importants, mais les plus instructifs ( et de loin ) sont dus à Richard Nevins qui s'est chargé de la country.

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    Pour les dessins je vous laisse juger par vous-mêmes, la première chose qui me choqua ce furent les magnifiques cravates - de véritables plumages de cacatoès – dont il a affublé les bluesmen, l'a dessiné à partir de photographies et divers documents d'époque, cela leur donne un air de faux-riches qui ne parviennent en rien à donner le change, mais le pire ce sont nos countrymen, leurs costumes du dimanche, même pas élimés aux manches comme le conseille Eddy Mitchell, ne font que souligner leurs airs de péquenots pouilleux qui sentent le purin et la bouse de vache. Les jazzmen sont les seuls à porter beau. Des frimeurs de la ville. Trop propres sur eux, un brin bravaches et arborant cette jovialité sérieuse des macs qui veillent avant tout sur leurs respectabilité morale.

    Le livre est accompagné d'un CD qui est une véritable invitation à redécouvrir la musique des années vingt. Bientôt un siècle, cela ne nous rajeunit pas.

    LES HEROS DU BLUES

    MEMPHIS JUG BAND : On the road again : musique de danse, guitare, kazoo, mandoline et chants étonnamment très proches d'un phrasé rock'n'roll sur cette piste, sur un rythme entraînant, que l'on ne se trompe pas le MJB n'a rien d'un orchestre symphonique, les jugs, ces fameuses cruches de terre dans lesquelles on soufflait ne sont pas sans évoquer les essoufflements d'un duo de tubas, cette musique reste celle des rassemblements festifs, de la prostitution, du monde interlope des nuits chaudes de Memphis. Will Shade dirigera le MJB, le personnel variera mais proviendra systématiquement des cadors des nombreux groupes de jugs si nombreux entre 1925 et 1935.

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    BLIND WILLIE McTELL : Dark Night Blues : c'est du tout doux, la guitare à douze cordes chantonne, la voix enrouée comme un chaton transi de froid, de la ruralité mais élégante, malgré quelques marmonnements souterrains. Willie fut chanteur de rue, un insaisissable pérégrin monomaniaque du blues, il enregistra sous plusieurs noms, trente pas en dehors du delta, ce n'est pas un hasard si Dylan écrira un morceau qui porte son nom en son honneur. Si les espèces qui survivent sont celles qui offrent le plus grand nombre d'individus déviants, l'on comprend mieux les différentes métamorphoses du blues à partir d'artistes aussi versatiles que Mc Tell. CANNON'S JUG STOMPERS : Minglewood Blues : moins réputé que le Memphis Jug Band mais un chaînon essentiel de la musique populaire américaine, le banjo de Jim Cannon – diabolique égrenage de notes qui pourrait rivaliser avec une batterie – n'y est pas pour rien, la guitare de Ashley Thompson Lewis non plus, mais nous retiendrons surtout Noah Lewis dont le jeu fonde l'harmonica moderne, tous les souffleurs qui suivent lui doivent beaucoup même si certains ignorent jusqu'à son nom. Le banjo sonne à la manière des grêlons sur un toit de tôle, un harmonica résolument moderne, étonnamment rythmique et mélancolique à la fois. Enregistré en 1927. SKIP JAMES : Hard Time Killin' Flour Blues : encore un navigateur des chemins terrestres qui a eu Memphis pour centre de gravité. Des accords de guitare cristallins mais sombres comme la mort avec par-dessus une voix de tête bousculée des émotions et des affres de la vie. Il sera redécouvert au début des années soixante notamment par Henry Vestine de Canned Heat. Son influence sur le british blues sera importante, la reprise de I'm so Glad par Cream en témoigne. Le rythme est lent, le vocal comme un poignard qu'un ennemi enfonce lentement dans votre dos, pour que vous sachiez que solitude et désespoir sont vos seuls compagnons. Enregistré en 1931.

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    JAYBIRD COLEMAN : I'm Gonna Cross the River Jordan Some of these Days : natif d'Alabama, mobilisé dès 1914 il restera stationné sur une grande base militaire en Alabama, il s'y fait surtout remarquer par son indocilité. A l'armée il préfère l'harmonica qu'il pratique depuis l'âge de douze ans. Il touche à tout, aux chansons traditionnelles, au blues et au gospel, et passe deux ans au Rabbit's Foot Minstrels, chaîne de théâtres noirs qui proposait un mélange de genres et de numéros fortement entachés de variété – une pépinière qui servit de lancement à beaucoup de vedettes noires notamment la grande Ma Rainey - où il rencontre Big Joe Williams. Une entrée d'harmonica qui vous vrille les tympans et la voix qui articule sourdement comme un prêche de pasteur. C'est bien beau de louer Jah mais s'en aller taper à la porte du paradis n'a pas l'air marrant. Mélopée funèbre pour veillée des morts. Enregistrée en 1927. CHARLEY PATTON : High Water Everywhere : on ne le présente plus. Il est la première blues-star de la première génération des bluesmen du Delta. Il a tout synthétisé, il a tout inventé, cette manière d'user de la guitare et de la voix comme si elles n'étaient qu'un seul instrument. Un des plus grands artistes de l'ensemble de la musique populaire américaine. Tous styles confondus. Un vocal torrentueux qui emporte tout et une guitare qui reste insensible à tous les malheurs de la terre. Un cri cru de crue et de cruauté. FRANK STOKES : I Got Mine : serait-ce lui qui jouait le premier blues qu'entendit alors qu'il attendait le train et dont s'inspira W.C. Handy pour composer Memphis Blues, le premier blues dument composé, la légende serait trop belle... Ce n'est pas un hasard si son image a été choisie pour couverture du bouquin. Frank Stokes écume Memphis et ses alentours dès avant 1920. Il influença notamment Gus Cannon qui est lui-même considéré comme un précurseur. Certains le font naître en 1870, mais on ne prête qu'aux riches. C'est lui qui établit la synthèse des chants ruraux du Delta avec la charpente rythmique des ragtimes et les chants traditionnels des songsters. Dans les années 20 on le retrouve lors de medecine shows en compagnie de Jimmie Rogers, folksongs, blues et country proviennent des mêmes racines. Le vocal revendicatif plus coupant que la guitare doucereuse de l'ouate fabriquée avec le coton des plantations. Enregistré en 1928. L'a eu l'honneur de la couverture du bouquin.

    LES PIONNIERS DE LA COUNTRY

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    '' DOCK'' BOGGS : Sugar Baby : il s'agit ici d'un des morceaux fondateurs du country blues et de la musique folk, enregistré en 1928. Le banjo court comme des pattes d'araignée et Dock chante imperturbablement comme s'il s'était mis une pince à linge sur le nez. Définitivement plouc du Kentucky. Un intraitable qui ne pactise jamais. SHELOR FAMILY : Big Bend Gal : le groupe est composé des membres des familles Shelor et Blackard ce qui explique que les quatre uniques morceaux aient été enregistrés en 1927 sous le nom de Dad Blackard's Moonschiners. Ce titre joyeux influença autant la country music que le blue grass. Musique de bal et de fête dans lequel on se plaira à entendre les racines les plus blanches de la racine populaire américaine, une oreille attentive décèlera sous l'entrain du violon la structure du menuet de la musique savante européenne. HAYES SHEPHERD : The Peddles and his wife : thème typiquement country que ne renierait pas Johnny Cash qui nous relate une pendaison dans le Comté d'Harlan qui se trouve dans le Kentucky comme personne ne l'ignore. Le banjo crépite à la manière d'un feu de joie. La voix vous relate cela avec une joviale imperturbabilité qui fait froid dans le dos. Hayes a aussi enregistré avec Dock Booggs et Gene Autry. CROCKETT'S KENTUCKY MOUNTAINEERS : Little Rabbit : Dad Crockett et ses cinq enfants ( banjo, guitares, violon ) n'ont pas enregistré cela au Kentucky mais en Californie. Musique pour danser, sarabande de cordes, samedi soir sur la terre. N'en demandez pas plus, vous êtes dans l'antichambre du paradis. Peut-être est-ce le diable qui tient le violon. BURNETT & RUTHERFORD : All Night Long Blues : la pince à vélo toujours sur le nez, pas très bluesy, le violon de Leonard trop guilleret pour cela, même si la voix nous conte la mélancolie du pauvre gars éloigné de chez lui. Nos deux compères ont écumé les salles de bal durant près de trente-cinq ans.

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    EAST TEXAS SERENADERS : Mineola Rag : n'ont enregistré que 28 morceaux, orchestre à cordes avec violoncelle. Ambiance très western, irrésistiblement m'évoquent je ( ne ) sais pourquoi les premiers films de John Wayne. Un savant mélange de valse et de rag. Le succès fut au rendez-vous de nos cinq cowboys. Dans le genre Allons guincher Colinda nos Serenaders et leurs airs de péquenots endimanchés qui jettent les bases du western swing remportent la palme. Aisément. WEEMS STRING BAND : Greenback Dollars : on ne prend pas les mêmes mais on recommence, jouent légèrement plus rapidement que les précédents, le banjo rajoute une goutte de sang noirs chez nos gaziers du Tennessee. Eux aussi ont un violoncelle mais en prime vous avez cette voix qui lance la danse au début, modulée comme un aboiement de chien. Dommage qu'elle rejoigne sa niche et qu'elle n'en sorte plus.

    LES GRANDS DU JAZZ

    BENNIE MOTEN'S KANSAS CITY ORCHESTRA : Kater Street Rag : enregistré en 1930, un des tout premiers grands orchestres, alliance subtile entre la musique de cirque et le charleston, un beau solo de trombone et Bennie Motten qui prend la relève au piano. Idéal pour accompagner les vieux films d'époque sautillants. Bennie aida beaucoup à développer l'idée de structures riffiques même si cela n'apparaît pas dans ce morceau où est privilégié la succession des différents chapitres de l'orchestre tout en douceur. Un sacré arrangeur Bennie. KING OLIVER'S CREOLE JAZZ BAND avec Louis Armstrong, Johnny Dodds, Lil Hardin : Sobbin' Blues : enregistré en 1922 à Chicago, nous sommes au tout début du jazz, qui est une affaire de passage de témoins et de succession, C'est Kid Ory, fabuleux tromboniste – nous lui avons consacré la présentation de deux CD - qui donna sa chance à Oliver, qui lui-même embaucha un jeune cornettiste nommé Louis Armstrong lequel plus tard épousa Lil Hardin dont l'œuvre est à redécouvrir... le Creole Jazz Band explosa dès 1924 pour dissensions musicales... King Oliver cré alors les Dixie Syncopators avec Kid Ory et Johnny Dodds à la clarinette. Par rapport au morceau précédent l'on remarque comme un assagissement, les solos s'étendent plus langoureusement laissant aux solistes l'occasion de peaufiner une expression davantage personnelle en rupture avec une virtuosité gratuite. Toutefois l'ambiance festive New Orleans domine encore. PARHAM-PICKETT APOLLO SYNCOPATORS avec Tiny Parham & Junie C. Cobb : Mojo Strut : Tiny Parham a travaillé en ses débuts à Kansas City avec Jack Scott pianiste émérite de ragtime. L'on trouve dans ses turbulents Syncopators Edmond Duff à la clarinette, J.D. Gray aux drums, Charles Lawson au trombone, Leroy Pickett au violon et Booker Winfield, musique un peu tonitruante qui s'amuse avec les effets de rupture et en oublie quelque peu les nuances. Pas étonnant si plus tard Tiny et son piano se spécialiseront dans l'accompagnement des films et des pièces de théâtre. Recherche l'effet et le soulignage. Cette formation n'a enregistré que deux titres en 1926. FRANKIE FRANKO & HIS LOUISIANIANS : avec Ernest Punch Miller : Somedy Stole my Gal : Encore uniquement deux titres enregistrés en 1930 par ce combo de François Moseley le fameux Frankie batteur et chef de groupe avec Leon Washington et Fred Howard aux sax, Bill Helcoid au tuba, Charles du Gaston au banjo, Zinky Cohn au piano, Ed Burke au trombone et Ernest Punch Miller au vocal. Une imitation de Cab Calloway un peu bâtarde qui louche vers la variété, gros défaut que l'on oublie vite car les musicos cartonnent. CLARENCE WILLIAM'S BLUE FIVE : avec Sidney Bechett : Wild Cat Blues : attribuée à Clarence Williams présent sur 21 des 28 morceaux enregistrés. En fait il s'agit de sessions regroupant les meilleurs musiciens du moment, Louis Armstrong et Fletcher Henderson y participèrent, mais ici c'est Sidney Bechet qui est mis en évidence. Un peu trop gentillet à mon avis, des relents de fox-trot. Le chat miaule mollement. Enregistré le 30 juillet 1923.

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    JELLY ROLL MORTON'S RED HOT PEPPERS : Kansas City Stomps : le pianiste fastueux originaire de la Nouvelle Orleans que l'on ne présente plus. C'est surtout d'après nous le trombone de Kid Ory qui domine ici, Jelly Roll se contentant d'interventions pianistiques en retrait par rapport à tous les autres instruments qui se la donnent gaiement, pourtant la modestie n'était pas son fort.

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    JIMMY NOONE : King Joe : on retrouve ce clarinettiste du début du jazz partout, aux côtés de Johnny Dodds, de Sidney Bechet, de Freddie Keppard, de King Oliver, d'Earl Hines et de Kid Ory... il est ici accompagné par son Apex Club Orchestra, l'Apex était un club de Chicago qui reçut en 1930 la visite des agents fédéraux chargés de la lutte contre la prohibition... King Joe fut enregistré le 25 Août 1928. Trompettiste et cornettiste de génie on retrouve Jimmy Noone partout, aux côtés de Johnny Dodds, de Sidney Bechett, de Freddie Keppard, de King Oliver d'Earl Hines et de Kid Ory. Qui d'autre que lui aurait pu métamorphoser cette bluette en feu incendiaire couvant sur la cendre. Incidemment vous n'irez pas cherché plus loin d'où Charles Trenet a sorti son phrasé personnel. Serait-ce Joe Poston qui chante ? Autre titre de gloire de Jimmy Noone, c'est sur une de ses improvisations que Ravel composa son célèbre Boléro. Entre la musique populaire et la musique savante, le fossé est-il si grand que cela ?

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    PREAMBULE O

    ( Scherzo Moderato )

    robert gordon,that'll flat git it,ansiax,better off dead,sabotaje,nueva generacion,robert crumb,rockambolesques 0

    CHEZ POPOL

    Six heures du matin. Molossa trottine à mes côtés. Lecteurs ne soyez pas étonnés de cette heure matinale, les rockers ne dorment jamais. Je me dirige vers chez Popol, le seul café digne de ce nom sur Provins. Pensez que le verre de Jack est à deux euros et que Popol ne mégote pas sur la quantité, vous en verse des godets de 33 cl sans ciller. Vous connaissez mon désintéressement légendaire, je ne saurais m'attarder à de matérielles considérations si bassement économiques. D'ailleurs chez Popol, pour moi, tout est gratuit, ce serait insulter Popol que j'osasse lui tendre un centime.

    FLASHBACK

    Ce jour-là personne ne mouftait. Profil bas sur toutes les tables. Même Popol tirait une gueule d'enterrement. L'était sûr de son coup, l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes. Vous connaissez, cette arrogance du fonctionnaire qui sait qu'il a le droit et la loi de son côté, le médiocre resplendissant, qui ne se sent plus pisser, qui pérore à n'en plus finir afin de savourer son triomphe. Il a le verbe haut et péremptoire :

      • Monsieur Popol, si vous me permettez je passerai de l'autre côté du bar, juste pour vérifier les étiquettes de vos bouteilles, n'ayez crainte, je suis absolument certain que vous êtes un honnête commerçant, je vous rassure, ce n'est-là qu'un contrôle de routine, que je pressens inutile, si ça ne tenait qu'à moi je m'en abstiendrai, mais un petit fonctionnaire comme moi ne peut qu'obéir aux ordres venus d'en haut, pardon, excusez-moi...

    Silence de mort dans le bistrot. Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes est maintenant de l'autre côté du comptoir. Il s'extasie devant l'étagère des verres propres :

      • Félicitations, Monsieur Popol, si j'étais inspecteur de l'hygiène je ne pourrais que vous signer une attestation ad hoc. Quelle brillance ! Quelle limpidité ! Quelle transparence ! Plus que de la méticulosité, de l'amour, oui de l'amour, Monsieur Popol vous êtes un poète de l'essuyage, je vous félicite, je m'incline... ah mais j'oubliais, je suis venu pour le Jack, quelle étrange bouteille Monsieur Popol, et ces caractères étranges, je n'en ai jamais vu de pareils... mais si, suis-je distrait ! Pas plus tard que hier soir, sur l'autoroute, le camion arrêté avec sa cargaison de... attendez le chauffeur prétendait qu'il transportait du Moonshine Polonais, je suis désolé Monsieur Popol, mais je crois qu'il va falloir que vous fermiez votre café tout de suite et que vous me suiviez sans rémission.

    Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes jubile. Il aperçoit déjà sur son bureau le message de félicitation envoyé par le Ministre avec l'annonce de la promotion et celle de la médaille. Il a bien mérité de la patrie. Il est sur un petit nuage rose. Et sur un petit truc noirâtre qui dépasse de sous le comptoir. Molossa déteste que l'on marche sur son appendice caudal, ce n'est qu'une brave bête, un animal aux mœurs primitives et aux réflexes impulsifs, ses dents déchirent le mollet de Monsieur L'Inspecteur Divisionnaire des Douanes, elle en arrache la chair et ses dents cisaillent le faisceau veineux et artériel du fonctionnaire, le sang gicle comme d'un tuyau d'arrosage, le malheureux s'enfuit en hurlant, sous les rires, les huées et les applaudissements de la clientèle. Popol offre une tournée générale de Moonshine Polonais, Molossa est caressée, fêtée, félicitée, papouillée, embrassée...

    Au bout de la rue les pompiers ramassent le corps pantelant de Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes, on ne le reverra plus chez Popol, quand par erreur il passe devant l'établissement, malgré sa prothèse et sa canne il s'enfuit en courant. Ne le plaignez pas, il a été contacté par Handi-Sport pour participer aux Jeux Olympiques.

    RETOUR A LA TERRIBLE REALITE

    Ne suis pas assis depuis deux minutes sur la terrasse qu'un autre client arrive. Une cliente pour être précis. Toute jeune certes, mais pas vraiment une beauté incandescente. Le plus terrible c'est son visage qui transpire la bêtise. Que voulez-vous, certaines personnes ne sont pas aidées par la vie, le monde est parfois cruel. Choisit la place juste à côté de la mienne. Son visage s'éclaircit dès qu'elle aperçoit Molossa qui roupille à mes pieds.

      • Quel joli chien-chien ! Qu'il est mimi ! Puis-je le caresser Monsieur ?

      • Sans problème, mais c'est une chienne, elle s'appelle Molossa

      • Quel nom charmant ! Moi c'est Cunégonde Kruchet, mon Papa m'a toujours dit que ceux qui aiment les chiens ne sont jamais méchants !

      • Votre père a raison, vous lui transmettrez mon salut dès que vous le reverrez, dites-lui que je loue fort sa sagesse...

      • Hélas, Monsieur, Papa est mort, voici à peine huit jours...

      • Je vous prie de m'excuser Mademoiselle, vous devez avoir bien du chagrin, vous et votre mère qui...

      • Non Monsieur, ma mère est décédée quand j'avais cinq ans... Désormais je suis seule au monde, et je suis venue à la ville pour chercher du travail...

      • Mademoiselle – c'est Popol qui surgit fort à propos le plateau à la main – je vous apporte un café comme hier matin, je me suis permis d'ajouter un croissant de la veille que je vous offre.

    Et Popol s'éloigne sans attendre de remerciement. C'est un pudique Popol, l'a le cœur aussi gros que le calibre qu'il dissimule sous son tablier. Le visage de Cunégonde Kruchet s'éclaire d'un large sourire, mais déjà Molossa s'est assise tout près d'elle et darde sur la jeune fille son regard suppliant d'ange ( exterminateur ), je connais la suite de l'histoire, peux vous en résumer le scénario, la Cunégonde sa viennoiserie elle va lui passer sous le nez, dans trois minutes elle sera bien au chaud dans le gouffre insatiable qu'est l'estomac de Molossa. Mais non, ça ne se passe pas comme prévu. La Cunégonde a beau lui fourrer la pointe du croissant sous le museau, Molossa est devenue de marbre, les yeux mi-clos et la truffe au vent. L'imminence d'un événement invisible est certaine. Tous mes sens sont aguets, je le sens l'heure est grave, décisive même, mais, mais, mais, je connais cette odeur, Molossa aussi, sa queue frétille de gauche à droite, non d'un triple Jack, c'est la fragrance caractéristique d'un Coronado 45 !

    ON THE ROAD AGAIN

    Trois ans que nous ne nous étions pas revus. Depuis l'affaire des Chroniques Vulveuses, nous tombons dans les bras l'un de l'autre, mais le Chef n'est pas un sentimental :

      • Agent Chad, hum, en galante compagnie à ce que je vois, va falloir surseoir à ce genre d'agissements grivois, vous reprenez du service immédiatement. Le SSR a besoin de vous.

      • Chef arrêtez vos plaisanteries, vous savez bien que le Service Secret du Rock'n'Roll a été démantibulé définitivement en de tragiques circonstances, mais quel plaisir de vous revoir et de parler du bon vieux temps, asseyez-vous, je vous présente Cunégonde Kruchet qui justement s'apprêtait à partager son croissant avec Molossa !

    Le chef s'est assis et me regarde avec commisération. Il tire longuement sur son cigare, exhale lentement un nuage de fumée noire à la manière des antiques locomotives à vapeur, rien qu'à la manière dont il tapote son Coronado 45, je sais que les minutes qui vont suivre seront lourdes de conséquences :

      • Agent Chad, peut-être ne le savez-vous pas, mais depuis l'année dernière le pays a changé de Président. Le nouveau venu s'est étonné de l'absence d'un SSR – les Amerloques, les Anglais, et même les Russes en ont un, mais pas la France... Bref après d'infinies tractations le service est reconstitué, avec des moyens ridiculement bas, mais ce n'est qu'un début, c'est à nous de faire nos preuves.

      • Chef, c'est merveilleux et incroyable !

      • Agent Chad, vous ne serez jamais un stratège de la plus haute métapolitique, si seulement vous pouviez avoir le tiers du quart de la finesse de votre chien, certes c'est incroyable, mais c'est surtout inquiétant... Mais nous en reparlerons. Je sors de l'Elysée, j'ai récupéré la clef des nouveaux locaux, nous partons immédiatement en prendre possession, il est temps de reconstituer le service.

      • Pardon Monsieur le Chef – c'est la voix mal assurée de Cunégonde qui s'élève - je n'ai rien compris à votre conversation, il me semble que vous recrutez du personnel, cela tombe bien, je cherche du travail et...

      • Mademoiselle Cunégonde Kruchet je ne doute pas que nos Services n'auront qu'à se féliciter de votre collaboration, à partir de cette minute, considérez-vous comme un agent en action du SSR. En piste !

    LES NOUVEAUX LOCAUX

    Le chef m'étonnera toujours. Pourquoi avoir embauché cette pauvre gourde de Cunégonde dans un service secret ? D'autant plus que pendant que je conduis, le Chef est tout miel tout sourire, se désole de la disparition de ses parents, lui attribue l'affectueux surnom de Cruchette, et lui vante les mérites du Coronado 45, le seul que Napoléon consentait à fumer avant de livrer ses grandes batailles, et le fait historique qu'à la veille de Waterloo, l'intendance n'avait pu lui en fournir à cause du blocus de ces satanés anglais...

    Vous comprendrez que pour raison de sécurité je ne vous dévoile pas l'endroit exact des nouveaux locaux. L'immeuble situé dans un quartier périphérique parisien n'est guère reluisant. Pas d'ascenseur pour parvenir au dix-septième étage. A première vue il est inhabité. Quand nous poussons la porte du grand meublé ( cinq pièces exigües ) pour famille nombreuse , Cruchette ne peut retenir un cri de détresse :

      • Quelle horreur, trois centimètres de poussière, personne n'est rentrée ici depuis au moins dix ans, je passe illico un coup de balai et je fais la poussière sur le champ !

    Pendant que Cruchette s'affaire, le Chef et moi, improvisons un bureau avec la table de la cuisine. Le chef paraît méditatif, mais une fois qu'il a débarrassé le tiroir de ses couteaux et de ses fourchettes pour y ranger sa provision de Coronados, il retrouve son allant, sort de sa poche un petit boîtier rouge qu'il branche à la prise du téléphone – la liaison directe avec l'Elysée m'indique-t-il – le chef se frotte les mains, la première réunion de travail peut commencer, mais il n'a pas fini d'allumer un Coronado 45 que Cruchette l'interrompt dans cette tâche qui exige concentration et subtilité :

      • C'est sale, mais au moins nous n'aurons pas de moustiques. Les derniers locataires avaient mis des pastilles partout, regardez j'en ai retrouvé une bonne trentaine, elles ne sentent plus, il faut les jeter, elles ne valent plus rien.

      • Certainement Cruchette, débarrassez-vous en dans le vide-ordure sur le pallier – Cruchette toute fière se hâte de remplir cette nouvelle mission, le Chef se tourne vers moi - des micros ultra-sensibles, Agent Chad, l'affaire s'avère beaucoup plus dangereuse que je ne le pensais, je vous le certifie, la survie du rock'n'roll n'a jamais été aussi compromise en notre pays. Nous sommes au centre d'une machination infernale, il est temps que j'allume un nouveau Coronado.

         

    ( A suivre. Episode 1 : Allegro Mysterioso )