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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 88

  • CHRONIQUES DE POURPRE 385 : KR'TNT ! 405 :JP BIMENI & THE BLACK BELTS / STEVE WYNN / NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE/ ALL THIS MESS / BLUE VOID / UNDERVOID / PSYCHOÏD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 405

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 02 / 2019

     

    JP BIMENI & THE BLACK BELTS / STEVE WYNN

    NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE

    ALL THIS MESS / BLUE VOID

    UNDERVOID / PSYCHOÏD

    The Bimeni beat

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    La légende du programmateur raconte que JP Bimemi vient du Burundi. C’est bien, parce que ça rime. Voici deux ans, Mudibu officiait au sein de l’Otis Show, un groupe de reprises d’Otis basé à Londres. Aujourd’hui, il devient JP Bimemi et se glisse dans les Nuits de l’Alligator accompagné de Black Belts espagnols. JP Bimeni est l’un de ces showmen capables de redonner à la Soul une vie nouvelle, l’un des Soul Brothers capables de réchauffer le petit peuple en hiver, il danse sa Soul avec une grâce infinie, comme s’il jerkait avec des pieds ailés, si l’on se réfère aux mythologies de la Grèce antique.

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    Contrairement à Charles Bradley et Lee Fields, JP Bimeni est encore assez jeune, mais il semble disposer de tous les apanages de la vétérance de toutes les guerres, il shoote et bamalate exactement comme Otis, avec une insistance dégoulinante de cette sueur qui fit jadis étinceler des rivières de gouttes sous les projecteurs des plus grandes salles du monde, oui, JP Bimeni dispose de cette bravado qui lui permet de shaker le Shake de Sam et de Cooker le cake de Soul, de fouler le Pitiful au sol de la Soul et d’imposer le vieux Respect de l’Otisserie de la Reine Pédauque.

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    Il nous fafafate et nous Turn You Loose comme des crêpes, il fait des kilomètres sur scène et nourrit une relation gourmande avec un public conquis d’avance. Il faut le voir nous dévorer des yeux. Cet homme ne résiste pas à l’envie de montrer son bonheur d’être sur scène pour chanter sa Soul, et forcément, sa Soul est bien meilleure sur scène que sur l’album qu’on trouve dans le commerce, Free Me. Et même mille fois meilleure. C’est comme de comparer le costume en vitrine et le costume porté. Rien à voir. JP Bimeni incarne son art avec une élégance qui laisse coi, mais qui fait bouger les hanches.

     

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    Il a cette chance extraordinaire d’être accompagné par un backing-band irréprochable, on voit bien que ces mecs ne vivent que pour ça, car ils swinguent, mais pas aussi spectaculairement que les Anglais qu’on avait vu au Vintage Weekender de Roubaix. Ils swinguent d’une autre façon, disons pour faire simple plus groovy. Les latins ont cet avantage sur les Anglo-saxons qu’ils savent aller et venir entre tes reins. Le mec qui joue de la basse est un modèle de statisme décontracté. Sur le manche, sa main gauche ne bouge quasiment pas et il joue toutes les grosses gammes de la Soul avec une fabuleuse précision. Il ne bouge que ses jambes, et les nôtres avec.

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    La grande différence entre les Anglais et les spanish Black Belts, c’est l’orgue. L’Anglais jouait sur un orgue Hammond et pulsait ce son qui depuis Jimmy Smith est l’incarnation du groove. Le keyboard man des Black Belts joue sur un petit piano électrique, mais God, il faut le voir jouer ! Ce petit mec à lunettes swingue comme Georgie Fame et joue quasiment avec tout son corps. Il est d’autant plus exposé en vitrine qu’il est installé au devant de la scène, à deux pas du public entassé au pied de la scène.

     

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    JP Bimeni n’en finit plus de virevolter d’Est en Ouest, il improvise des pas de danse, il nijinskitte sa Soul, il lui donne des allures de grandeur, sa chemise blanche et ses bretelles noires le renvoient incidemment à Montand, JP Bimeni fait sa bête de scène avec tact, il ne bascule jamais dans la démesure, l’homme sait rester léger et prodigieusement accessible. Ce contact permanent avec le public le rend décidément humain, trop humain. C’est l’avantage qu’ont les Soul Brothers sur les groupes de rock, ils savent transformer un show en une espèce de communion, oh pas celle des églises, celle qui remonte au temps d’avant les dogmes à la mormoille et qui établissait des liens invisibles entre les esprits. Comme on ne savait pas comment interpréter ce phénomène, on qualifiait ça de magie. JP Bimeni n’a même pas besoin de hits pour chauffer sa Soul aux vermicelles, il lui suffit d’établir le contact avec les gens, à la fois par l’esprit et par les hanches. Il fait une seule reprise, le «Keep On Running» du Spencer Davis Group qui n’est même pas sur l’album. Belle version espagnole, mais pas forcément bien adaptée à ce genre de contexte. On sent trop le rock de blancs, même si Stevie Winwood chantait comme un noir en culottes courtes.

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    Comme sur l’album, c’est le morceau titre qui tape vraiment dans le mille, ce n’est pas qu’il sonne comme un hit, mais il s’impose, grâce à son petit shuffle d’orgue relancé aux cuivres - Forget what I say - JP Bimeni veut la liberté absolue, c’est le vieux rêve du grand peuple noir. Il tape son Free Me à l’insistance considérable. Il fait aussi pas mal de balladifs éplorés, comme ce «Moonset», un peu passe partout, mais ce type de slowah va combler la grande majorité des amateurs de Soul moderne, car tout y est : le collant, les mains baladeuses, la grandeur d’âme qui va avec, la connaissance par les gouffres et l’art de la Soul qui n’appartient qu’au seul peuple noir. Joli coup d’épée dans l’eau traversé par une bassline de rêve. Alors, oui, bien sûr, tous ceux qui n’auront pas la chance de voir JP Bimeni sur scène vont pouvoir essayer de se consoler avec l’album, dont la pochette vraiment réussie donne envie. Le seul canard qui l’a chroniqué, c’est Shinding. Ailleurs, que dalle. Le pauvre JP Bimeni va devoir tourner pour se faire connaître. D’autant que la Soul semble intéresser beaucoup moins de monde que le metal ou l’electro. Ainsi vont les choses. Il ne faut guère s’étonner de ces mutations. Les temps modernes n’ont absolument rien de moderne.

    JP Bimeni attaque l’album avec «Honesty Is A Luxury» et une authentique ferveur de Soul motion. Il chanterait presque avec la voix éteinte d’un vieux requin. Que ne fait-on pas comme miracles en studio de nos jours ! On sent chez lui une réelle pureté d’intention. Comme Sharon Jones, il cherche à rallumer le brasier de la Soul sixties, et «Same Man» en fournit la preuve. Il faut le voir ramoner la cheminée de sa Soul, on se croirait au temps béni de Stax et de Hi, quand la Soul hantait toutes les radios du monde. Même s’il est encore difficile d’écouter JP Bimeni après Sam & Dave et Syl Johnson, sa pugnacité l’impose. Mais pour être tout à fait franc, l’album semble souffrir d’un petit problème de production. C’est toute la différence avec ce qui sort sur Daptone. La Soul produite en Espagne refuse obstinément d’exploser. On a le même problème avec les trois albums des Excitments. La Soul espagnole n’est pas Mustang Sally, elle serait plutôt Rossinante. Même si tous ces mecs jouent comme des cracks, la prod fait salement défaut.

    Sur «Don’t Fade Away», ça groove adroitement, mais ça n’emporte pas la décision. JP Bimeni travaille sa Soul à l’insistance caractérielle et se livre à un admirable travail de sape. Il enchaîne les slowahs comme d’autres enfilent les perles, «Stupid» et «I Miss You» valent pour des cuts de Soul classiques et sans défaut. En lisant la pochette, on voit qu’ils sont composés par les Espagnols, et c’est toute la différence avec la Soul du team Isaac Hayes/David Porter. Avec «Better Place», ils passent au heavy groove de Soul et ça donne un cut beaucoup plus aérien. On voit JP Bimeni naviguer à la surface. Bon, c’est vrai, on a là une Soul un peu âpre qui refuse de décliner son identité, et c’est peut-être avec ce type d’écart que JP Bimeni peut faire la différence. Comme d’ailleurs dans le «Madelaine» qui suit, joué au gratté paradisiaque de la Jamaïque. JP Bimeni va sur les îles et il a bien raison.

    Signé : Cazengler, Bimenu

    JP Bimeni & The Black Belts. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 2 février 2019

    JP Bimeni & The Black Belts. Free Me. Tucxone Records 2018

     

    Syndicate d’initiatives - 
Part Four

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    C’est avec Static Transmission paru en 2003 qu’arrive Jason Victor, plus connu sous le nom de Jason le démon. Quand on commence à écouter cet album, on ne se méfie pas. «What Comes After» sonne comme un petit balladif. Le problème, c’est que ça sonne vite comme un hit. Steve le Wynner gagne à tous les coups. Avec un nom comme le sien, c’est facile.

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    La fête se poursuit avec «Candy Machine». Ce heavy rock sonne comme un coup de génie et Jason le démon commence à tripoter sa wha-wha - Check out Candy Machine - Pur jus de rock boy oh boy. Au moins, avec «The Ambassador of Soul», les intentions sont claires. Steve Wynn descend ses paliers à coups de yeah. Il fait du rock éclairé de l’intérieur - Yeah I know/ So many things bring you down - C’est spectaculairement bon. Il chante du coin de la bouche - You want it so bad/ You can almost taste it - C’est très palpable. Quel fuckin’ genius et Jason le démon passe un fabuleux solo de flamenco, mais à contre-courant. Tout cela dépasse largement les bornes de l’intensité. Et ça repart de plus belle avec «Keep It Clean». Ah il faut voir comme il fait claquer son keep it clean. C’est balayé par des vents de guitare. Hallucinant ! Et il revient au chant comme si de rien n’était. Ce mec a véritablement du génie, il est bon de le rappeler - I’m doing my best to keep it clean - et ça monte, gloup gloup, ah quel entremetteur ! Dommage que ça s’arrête car ça méritait une resucée. On croit qu’il va se calmer. Non, car voilà un «Amphetamine» ravagé dès l’intro par des guitares vinaigrées. C’est joué à l’agressivité optimale. Steve Wynn jette tout son freak-out dans la balance, l’acide des guitares dévore l’acier de la morale. Tout cela relève soit de la démonologie, soit de la physique nucléaire. Il faut suivre Steve Wynn à la trace, car il fait partie des géants du rock américain. Les solos déments de Jason le démon valent bien ceux du Velvet, c’est intense et carbonisé dans la matière même du white heat. Jason le démon claque des arpèges des enfers et lance de fantastiques aventures. Il part et repart dans les vétilles de la véracité punkoïde de non retour. C’est à la fois violent et délicieux. On peut dire de ce cut qu’il est monté au pire beat de l’univers. Steve Wynn revient au chant comme le faisait Lou Reed au temps du Velvet, avec une mâle assurance - You gotta watch your step/ Or you’re gonna lose your way - Steve Wynn nous prévient, oh yeah ! - I’m gonna live/ Until the day I die - et tout bascule dans une fin d’apocalypse. Rien d’aussi dément sur cette terre que cette fin-ci - Until the day I die - Ni Polnareff (Lorsque sonnera l’heure de ma mort), ni John Brannon des Laughing Hyenas («Each Dawn I Die») n’ont jamais atteint ce degré d’exaction. Encore un coup de génie avec «California Style» qui voudrait sonner comme de la pop modèle mais on sent tout de suite le retour des ambiances suprêmes. Les chœurs suivent en cortège et font «California style». C’est la preuve de l’existence d’un dieu des chœurs. Tout est incroyablement judicieux sur cet album. S’ensuit un «One Less Shining Star» claqué aux vieux accords de heavy balladif légendaire. Arrivé à ce stade, il ne faut plus s’étonner de rien. C’est Steve Wynn qu’on doit suivre, alors on le suit. Il a les meilleurs plans. Il chante dans un brouet d’accords en trémolo et se hisse au sommet de la rock culture. C’est d’une démence qui nous dépasse - The environment had to connect - C’est bardé de son, mais au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Jason le démon envoie des véritables giclées de son. On se croirait dans une tempête, une fois de plus, avec des paquets de mer soniques - Fading from the public eye/ One less shining star in the sky - Pure démence de la partance ! Ouf, ça se calme avec «Maybe Tomorrow» et on prie pour le maintien du calme quand arrive «Hollywood». Il y sonne comme Iggy et Jason le démon balance des solos d’invective. Au moins, le message est clair. Fin de non-recevoir avec «A Fond Farewell». Ambiance à la Velvet - So I wish you a fond/ Farewell - et les filles sont ouh ouh. Steve Wynn chante ça sous son bon vieux boisseau. C’est fascinant. Il aménage dans un cut un fantastique espace de chœurs de ouh ouh. Cet enfoiré en profite bien - So I wish you a fond/ Farewell - Quel admirable héros ! Il y a un disque de bonus, mais c’est l’overdose garantie. Ne l’approchez pas.

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    Un piment orne la pochette de Tick Tick Tick paru en 2005. Dès «Wired», on comprend ce que ça signifie : Steve Wynn descend ses aw de rock’n’roll à l’admirabilité des choses - Wired this way - Tout est violemment claqué du bigorneau et pulsé au beat de Linda Pitmon. On se régalera aussi de «Freak Star», mid-tempo très électrique, emmené au timbre chaud. Et paf, l’affaire se corse avec «Killing Me», fabuleux déballage de rockalama fa fa fa. Ils y vont de bon cœur et visent la démesure apocalyptique. Oh ils en ont les moyens. Steve Wynn enfile les hits comme des perles, et «Turning The Tide» n’échappe pas à la règle, puisque visité par les vents d’Ouest, une pure diablerie ! C’est géré à la mélodie écarlate et vrillé à la wah-wah. Rien d’aussi catégorique. Voilà un cut de power-pop du haut Nil, «Bruises», avec une fin qui part encore une fois en vrille. On savourera aussi «Your Secret», groove de classe zébré de délices planants et on assiste impuissant au retour de la violence avec «Wild Mercury», une stoogerie zébrée d’éclairs. Steve Wynn fait son Iggy. Il jette toute sa passion stoogy dans la balance qui s’écroule. Il reste encore un gros cut sur cet album : «All The Squares Go Home». C’est du claqué d’arrière-boutique. Jason le démon solote à l’édentée pharaonique et Steve Wynn chante si sale que c’en est douloureusement bon.

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    Allez, tiens, encore un énorme album des Miracle 3 : Northern Aggression. Au point où on en est ! Là-dessus, le coup de génie s’appelle «Colored Lights». C’est joué à foison et c’est là que ça se passe. Cette power-pop fonctionne à la pulsion pulmonaire. Encore une fois, c’est noyé de son et brillant. On dirait du psyché tremblé à l’or fin, mais avec de l’épais répondant - I don’t know why - Steve Wynn maîtrise l’art des retombées. Autre cut spectaculaire : «On The Mend», attaqué aux accords sévères et joué à l’avenant du big sound. Steve Wynn entre au chant sur le tard et déclenche des dynamiques d’apocalypse. C’est visité par la rage du rock. Steve Wynn pousse toujours son bouchon très loin. On retrouve ce fabuleux chanteur dans «Ribbons And Chains». Tout est bien, chez lui. Il fait des hits quand il veut. Avec le «Resolution» d’ouverture de bal, il tape dans l’hypno de Can. C’est visité et visiteur à la fois - When I fly/ I fly - On le croit sur parole. Il chante sale, mais à la bonne franquette. Il a du son, c’est bien claqué au bassmatic, poussé dans les orties, salutaire et démâteur à la fois. Même les cuts plus banals comme «No One Ever Drowns» passent bien car la voix de Steve Wynn porte au loin. Il cherche sa voie et son timbre d’étain déteint dans l’étang. Il use et abuse de son accent tranchant dans «Consider The Source». Ce bel oiseau sait jouer de la traînarderie. Jason le démon passe un solo de petite concasserie invétérée. Nous voilà encore avec un heavy balladif de tradition sourde. Pas mal aussi cet «Other Side» amené aux accords de clairvoyance. Sous son chapeau étoilé, Merlin Wynn enchante la pop. C’est balayé aux accords de psyché parabolique. Et puis tant qu’on y est, on peut aussi écouter la belle power-pop de «Cloud Splitter». Il bat littéralement tous les records d’intentionnalité. Sa pop n’en finit plus de s’éclairer de l’intérieur.

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    Pas question de faire l’impasse sur Live At Big Mama. Ce serait du masochisme. Steve Wynn et ses Miracle 3 y font des ravages avec notamment une énorme reprise d’«Halloween». Linda Pitmon bat ça si sec ! Et Jason le démon rôde tout de suite dans les parages, il grimpe déjà dans les accords intermédiaires. Voilà une version pour le moins explosive ! Ils biaisent tous les climats et nous plongent dans les affres d’une mad psyché secouée de violents retours harmoniques. Quel gang ! Alors que les vagues submergent la terre, Steve Wynn se dresse pour chanter de plus belle. Ils nous claquent ensuite un «Something To Remember Me By» au sing-along de mad psyché itinérante. Jason le démon joue tout à la virulence, il surcharge le son de vibrillons d’exacerbation invétérée. On le voit aussi soloter dans le pâté de foie de «Good And Bad». Il est libre, il va où il veut. On le voit aussi truffer «Smash Myself To Bits» de vagues orientalistes de la pire espèce. Voilà un vertige psyché-psycho qui vaut largement celui de «White Light White Heat», oui, car puissant et battu comme plâtre. Jason le démon joue ça jusqu’au vertige. En fin de cut, Steve Wynn le présente au public italien : «On guitar, the king of Queens !» Oui, car Jason vit dans le Queens. Nouvelle flambée de violence avec «Whatered And Torn». Ces gens-là ne font pas dans la dentelle, comme on dit à Calais. C’est ultra-joué, ultra-chanté et porté à bouts de bras. Encore du heavy beat des familles avec «Southern California Line». Ces gens-là ne s’embarrassent pas avec les détails, il stompent à gogo comme des gagas et Jason le démon ne rate pas une seule occasion d’exploser tous les records. Cette folle de Linda emmène «Crawling Misanthropic Blues» ventre à terre. Eh oui, Steve Wynn a réussi l’exploit de s’acoquiner avec une batteuse extraordinaire. Il faut la voir déployer des trésors de relances à l’infini. Et ça n’en finit plus de monter en température avec «Death Valley Rain», cette folle stompe le beat indie, dommage qu’il soit si typé. Jason déploie ses ailes mais le beat l’enraye. Elle tatapoume, c’est dommage. Le Cacavas nous nappe «There Will Come A Day» d’orgue. Il se prend pour Al Kooper au temps de Dylan. Et ils terminent avec le cut fatal, «The Days Of Wine And Roses». Jason le prend à l’alerte rouge et cette folle de Linda psychote le beat, il sont dessus et ça prend une tournure absolument effarante, c’est un hit de tension maximaliste qui ne prend pas une seule ride. Jason le démon arrose l’oriflamme de fiel fumant, il joue du note à note inflammatoire, comme au concert du FGO Barbara. Ces gens sont tout simplement incommensurables.

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    Nouveau side-project avec Gutterball. Steve Wynn monte l’opération avec Bryan Harvey et Johnny Hott. Un premier album sobrement titré Gutterball sort en 1993. Ça n’a l’air de rien, comme ça au premier abord, mais un side-project de Steve Wynn ne peut réserver que des bonnes surprises. Ce que vient immédiatement confirmer «Trial Separation Blues». Ça sonne toujours aussi bien. Steve Wynn reste très dylanesque dans le nasal, dans la classe et dans cette façon de passer des tas d’accords rock’n’roll. Quel condottière ! Il fait claquer un riff en l’air et un mec part en glou-glou de wah-wah, alors ça prend vite de sacrées tournures, mon cher Tournesol. D’autant que Steve Wynn se prend vraiment pour Dylan. Il reste dans le Dylanex avec «Top Of The Hill». Forcément bien vu. Il sait doser ses effets. Par contre, il tape «Lester Young» au rock indie. C’est sa façon de rendre hommage au vieux Lester. On assiste en direct à l’adaptation d’un mythe black par des petits blancs. Retour du brouet d’accords cinglants avec «When You Make Up Your Mind». C’est véritablement joué à la foison d’accords psyché et claqué au Dylanex. Steve Wynn se veut seigneurial, tout est joué aux glissandos de moutarde, au bouquet suprême. On tombe plus loin sur l’effarant «Falling From The Sky», garage pop de haut vol, énorme et insistant. Ça sonne comme un hit. Un de plus. Voilà encore une merveille Wynnique : «The Preacher And The Prostitute», oui car c’est joué aux accords magnifiques. Voilà du psyché de mec qui s’y connaît en arpèges du diable. Et il chante si bien. Il n’existe rien d’aussi définitif qu’une bonne chanson de Steve Wynn. Il faut voir comme il y va, c’est effarant. Il sort même des trucs dignes des Beatles. Steve Wynn joue au clair de l’éclair avec un génie de la descente et tout résonne au firmament. Il s’agit là de l’un des hits du siècle. C’est ramoné à la basse et chargé de chœurs de dingues. Et ça continue avec «Patent Leather Shoes». Le problème avec Steve Wynn, c’est qu’il est bon de A à Z. Inutile de le soumettre aux tests. Il est superbe. Il explose tout ce qu’il entreprend.

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    Un deuxième album intitulé Weasel sort deux ans plus tard, avec un chien rigolo sur la pochette. Une fois de plus, c’est un album énorme. On serait presque tenté d’ajouter hélas. On trouve au bas mot trois coups de génie là-dessus, à commencer par «Transparency». Anyway, ce mec est dingue. Tout est irrémédiablement claqué aux accords de rock US. On voit même des marées de son se chevaucher et il revient chanter au timbre revanchard de transparancy. Quel incroyable phénomène ! Pure fantasia de sonic hell dylanesque ! Tout aussi puissant, voici «Hesitation», avec sa belle explosion d’oh yeah. Cette pop reste un modèle du genre - So many ways to leave before dawn/ It only takes one if you feel you can’t go on - Le redémarrage de fin de couplet est une merveille d’anticipation dynamique. Ce mec a du génie, il faut le rappeler, il sait envoyer ses giclées et revient calmer le jeu d’une voix caverneuse. On se régale aussi du heavy riffing de petite incidence de «Maria». Steve Wynn chante dans la profondeur épidermique. C’est une voix de proximité. Les guitares s’entrecroisent et fabriquent du heavy drone psychédélique et un killer solo n’en finit plus d’agoniser - I said Maria/ When are you coming back - Il se situe en amont de l’excellence, avec des killer solos de desperado. Son «Angelene» est tout aussi déterminant. C’est même une vraie bénédiction. Et voilà «Everything» infesté de guitares intestines. Quel festin de roi ! Avec Steve Wynn, on est servi comme des princes, alors qu’on vient du petit peuple. Il règne en maître sur l’empire du psyché définitif. Les solos coulent comme l’or des mines du roi Salomon et on frise l’extase collatérale. S’ensuit un «Over 40» tellement intense que les bras nous en tombent. Steve Wynn reste dans le move du heavy rock jusqu’au bout du bout. On peine à suivre une telle force de la nature. «Your Best Friends» vaut aussi pour un rock balayé par les vents d’Ouest. Il semble expédier les affaires courantes. Il percute l’occiput du rock bien né. Il refait du Dylanex avec «Is There Something I Should Know». Il s’y croit et il a raison de s’y croire, il éclot dans d’extraordinaires bouquets d’accords et avant qu’elle ne parte, il demande s’il y a quelque chose qu’il devrait savoir, il se fond dans l’osmose du cosmos dylanesque, ça fait illusion, en tous les cas. C’est tout simplement stupéfiant. Encore une merveille avec «Sugarfix», joué à la fantastique énergie de pop-rock psychédélique dans une immense clameur.

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    N’allez pas croire que Turnyor Hedinkov échappe à la règle : au minimum deux violentes énormités sur chaque album enregistré par Steve Wynn. Ici, elles s’appellent «Turn Down The Heat» et «Jimmy The Weasel». Heat vaut tous les plus beaux heavy boogies du monde. Le sien est même ravagé par des ouragans soniques de guitares émulsives. Heavy as hell ! Quand à Weasel, ce n’est pas «Little Johnny Jewel» mais c’est tout comme - Give my best of the family - Même genre de groove, joué au beat invariable, ce diable de Wynner joue la carte du groove délétère, hey Johnny, bye bye. Il prend «The Fire That Burns Both Ways» au demeurant de bas de voix et c’est absolument bardé de son. Il nous replonge une fois encore dans la réalité de son rock et ça tourne à la mad psyché. Même un balladif de circonstance comme «Cheaper By The Pound» sonne comme un hit incommensurable. L’empire du Wynner s’étend à l’infini. Il fait sonner le moindre cut comme un chart-topper. Chez lui, tout bascule dans l’excès de qualité. Ce mec est un surdoué du song-writing. Il profite de «Top Of The Hill» pour venir se plaindre - All alone at the top of the hill/ Ain’t got no dollar bill - et pouf voilà de vieux coups de guitare d’écho mortel, comme s’il y avait un bayou au sommet de la colline, ce qui semble pour le moins incongru.

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    Nouveau side-project, cette fois en forme de super-groupe, avec The Baseball Project. Peter Buck fait partie de l’aventure, ainsi que Linda Pitmon, transfuge des Miracle 3, et Scott McCaughey, qui a joué dans les Longshots de Roy Loney. Question contenu, ces disques nous échappent un peu car Steve Wynn et ses amis racontent des histoires de joueurs de baseball, mais musicalement, ces trois volumes sont des bombes.

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    Vol 1. Frozen Ropes And Dying Quails paraît en 2008. Trois énormités s’y nichent, à commencer par «Jackie’s Lament». C’est explosivement bon, certainement l’un des plus beaux mid-tempos de tous les temps. Le génie du Wynner éclate une fois de plus au grand jour. On peut dire la même chose de «The Death Of Big Ed Delahanty». C’est tapé au vieux shuffle d’underground de white heat et gratté aux accords dévorants, comme du hot garage californien. Il faut aussi écouter «The Closer» car c’est un cut littéralement infesté de guitares contrevenantes. La vision de Steve Wynn est celle d’un rock supra-énergétique unique en Amérique. Il n’existe pas de pire énormité qu’un cut comme the Closer. Tout l’album est bon, d’ailleurs on est fixé dès le «Past Time» d’ouverture du bal, car voilà une belle dégelée de power-pop cristalline chantée à l’insistance bavaroise. C’est stupéfiant de mise en place et de verdeur maximaliste. Et avec «Ted Fucking Williams», ils passent au heavy glam. Ils s’autorisent toutes sortes de flagorneries. Dans «Gratitude» règne une grosse ambiance de chœurs évangéliques. C’est très envoûtant. Steve Wynn plaque bien ses accords. Ces gens-là sont des maniaques de la qualité. On sait que Steve Wynn adore Bob, alors personne ne sera surpris d’entendre «Satchel Paige Said». C’est chanté à la pince à linge, avec de grands coups d’harmo par derrière.

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    Vol 2. High And Inside s’inscrit dans le même registre hautement qualitatif. Steve Wynn et ses amis attaquent avec «1976», un balladif d’une classe épouvantable. Ce mec atteint à une dimension classique infernale, comme le fit jadis Frank Black. Son rock résonne dans les couloirs de l’intellect. La classe parle toujours. Voilà encore un hit : «Don’t Call Them Twinkies». C’est puissant car balayé à la wah-wah. Le génie balladif de Steve Wynn vaut bien celui de Dylan. Il a vraiment de l’aplomb. On a là un cut d’une puissance ravageuse. Chez le Wynner, il y a toujours du son. Il chante «Chin Music» au Dylanex des bas-fonds. Il tape dans une espèce d’Americana chargée d’orgue de barbarie et hantée de chœurs déments. Il faut vraiment écouter cet album. Tiens voilà encore un hit : «Tony (Boston’s Chosen Son)». Steve Wynn chante ça avec fermeté, au gras du timbre. Il émane de ce cut un vieux relent à la Kurt Weil. Encore une énormité avec «Twilight Of My Career». Steve Wynn croasse au sommet de son art. C’est encore une fois un balladif imparable.

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    Impossible de faire l’impasse sur The Broadside Ballads, un album paru sur Yep Rock Records en 2011. Pourquoi ? À cause d’un cut nommé «The Way It’s Gonna Be», un cut extrêmement énervé, that’s the way, emmené à l’énergie psychotique, ils sont complètement dingues, Steve Wynn embarque ça au speed-talking de wall of sound. «All Future And No past» sonne comme un hit dylanesque. Steve Wynn n’en finit plus d’enfoncer son clou. Il passe à la fantastique pop de cake avec «Clubs 2010». Ça tient si bien la route qu’il n’est pas utile de tenir le volant. Ah qui saura dire l’extraordinaire aisance du Project ? Steve Wynn traite «30 Dec» au petit trot, il ne traîne pas en chemin, oh yeah, il se conduit en vrai maître chanteur capable de speeder le talking blues comme son mentor Bob. Ses oh yeah tombent comme des cascades de bonheur dans la vallée enchantée. Oh il faut entendre ce «(Do The) Triple Crown» joué au heavy shuffle de juke. Ces mecs sont incapables de se calmer. Bizarre que personne n’ait pensé à faire interner ce fou génial de Steve Wynn. Il nous fait le coup du Triple Crown au coin du juke, lalala et c’est trashé jusqu’à l’os du fion par un solo délétère, évidemment. On se régale aussi de l’excellent «The Grants Win The Prennants», un heavy balladif of it all. Ce Wynner de tous les diables gère la heavyness avec tout le tact et la délicatesse d’un véritable entrepreneur.

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    Paru en 2014, 3rd est le meilleur des trois volumes. On se demande vraiment comment fait Steve Wynn pour monter chaque fois d’un cran. Ça grimpe en température dès «Slats» et ça explose avec «From Nails To Thumbtacks». Voilà un son qui dégage le ciel. Quel souffle d’hydratation événementielle ! On retrouve dans ce cut toutes les composantes du meilleur power-poppisme. Et ça continue avec «Hola America», slab de rock américain complètement dévastateur. Steve Wynn lâche des not around dignes des Stooges. Les dynamiques sont spectaculaires et c’est monté au beat ultra-balancé. Nouvelle énormité avec «The Day Dock Went Hunting Heads» : ça frise le glam de rockalama. Le son est si beau qu’il semble organique. Steve Wynn fait son Ziggy. Il crée le même genre de magie. On retrouve là tout le karma du glam, avec de l’émotion et une histoire bien racontée. Dommage qu’ils parlent de baseball. On aurait préféré Weird and Gilli. Ils restent dans le haut de gamme power-poppy avec un «To The Veteran Committee» saturé d’incursions intestines et joué à la pure décoxion guitaristique. Le problème avec Steve Wynn, c’est que toutes ses chansons sont bonnes. Tout est inspiré par les trous de nez. Ce mec est doué au-delà du raisonnable. «They Don’t Know Henry» sonne comme de la vieille pop intentionnelle et «The Babe» se montre d’une tenue exemplaire. Steve Wynn baigne son balladif d’une grande aura boréale. On y assiste à un retour en force de la beauté. Quel album ! Chaque cut compte. Chaque cut claque. Un solo d’anticipation transversale transperce «They Are The Oakland A’s» de part en part. Tout est joué à l’extrême onction. Nouvelle énormité avec «Pascual On The Perimeter». Steve Wynn survole l’univers du rock avec une grâce certaine. Ce serait une erreur que de le considérer comme un rocker indie sur le retour. On trouve dans ses cuts des départs en solo foudroyants et des licks de psyché irradiants. Cet album est une véritable foire à la saucisse. «The Baseball Card Song» sonne comme une bénédiction, un refuge pour les pauvres. Les voilà barrés en mode country. Ils renouent avec le solide romp dans «A Boy Named Cy», et un solo de guitare fantôme vient hanter les coursives. Back to the big Americana avec «They Played Baseball». Ce diable de Steve Wynn bat Lou Reed à plates coutures. Il dynamise son heavy rock d’harmo à gogo. Voilà encore un cut incroyablement présent, vrai chef d’œuvre de boogie-rock entreprenant. Ils finissent ce brillant album avec «Take Me Out To The Ball Game», un cut effarant monté au tatapoum de fin de non-recevoir. La bassline y ronfle comme un moteur débridé. Et c’est peu dire.

    Signé : Cazengler, Steve ouin ouin

    Steve Wynn & Miracle 3. Live At Big Mama. Mucchio Extra 2002

    Steve Wynn & Miracle 3. Static Transmission. Blue Rose Records 2003

    Steve Wynn & Miracle 3. Tick Tick Tick. Blue Rose Records 2005

    Steve Wynn & Miracle 3. Northern Aggression. Blue Rose Records 2010

    Gutterball. Gutterball. Brake Out Records 1993

    Gutterball. Weasel. Brake Out Records 1995

    Gutterball. Turnyor Hedinkov. Return To Sender 1995

    Baseball Project. Vol 1. Frozen Ropes And Dying Quails. Yep Rock Records 2008

    Baseball Project. Vol 2. High And Inside. Yep Rock Records 2011

    Baseball Project. The Broadside Ballads. Yep Rock Records 2011

    Baseball Project. 3rd. Yep Rock Records 2014

    28 - 01 – 2019 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE

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    Entrée libre et petite fleur dessinée sur le poignet, à la Comedia on cultive l'humour, la programmation louche plutôt côté punk que hippie. En plus, Tony Marlow accoudé au comptoir, je m'y attendais ( je ne l'ai jamais dit, mais je possède un cerveau qui me permet de visualiser l'avenir ) puisque Amine Leroy qui officie dans Nausea Bomb tient aussi la contrebasse dans son combo, l'on parle ( au hasard ) de rock'n'roll, de rock'n'roll français notamment des Variations ( kronic du bouquin de Julien Deléglise dans la livraison 404 ), Tony ado les a vus à l'époque en Corse, du coup il est devenu chanteur de rock. Faudra penser à inculper les Variations pour avoir corrompu la saine jeunesse française. Ce crime ne saurait être pardonné. Quand on pense à l'influence dégradante du rock'n'roll sur les esprits encore aujourd'hui. Je n'exagère rien, en voici deux parfaits exemples.

    NAUSEA BOMB

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    Une bombe ce n'est dangereux qu'au moment précis où elle explose. Pendant que la mèche brûle, tout va bien. Pendant que le cordon peu ombilical se consume vous pouvez échanger de doctes impressions avec vos voisins. Pour être tout à fait franc durant les dix premières secondes personne ne s'attendait à ce que Nausea Bomb soit un ensemble de musique de chambre. Je vous rassure, ce ne fut pas le cas. Mais ils nous ont pris par surprise. Ne faut jamais s'arrêter aux images : batterie, une guitare très électrique, et une contrebasse, 99, 99999999% de chance que ce soit un groupe de punkabilly foutraque de plus. En plus ils ont Marion. Même pas sur la scène. Se pavane devant en toute innocence. Ressemble à une gamine qui se casse en lousdé du collège pour faire l'école buissonnière. L'a le look de l'élève de sixième qui s'en va vérifier, la mine épanouie, si le monde ressemble à ce qui est écrit dans son livre de lecture. A s'y tromper, avec sa sa queue de cheval, son T-shirt sage et ses collants noirs, elle a douze ans montés en graine. Un seul détail qui cloche, sa jupe droite bien trop courte, qui remonte bien trop haut, en pleine crise de croissance, ses parents n'ont pas eu le temps ( ou l'argent ) pour lui refaire sa garde-robe. Non, non, pas du tout, notre grande jeune fille a déjà dépassé la terminale. L'habite son personnage naturel avec aisance, l'air émerveillé, sourire faussement béat, et esprit futé. Entre deux morceaux, elle se saisit de la set-list, jette un coup d'œil, suivi d'une moue irrésistible, chipote, oui, non, pas celui-ci, vous croyez, et bien ce sera, elle remue la feuille, vous vous croyez chez Mac-plein-le dos à choisir voluptueusement entre le big au steack charolais charançonné ou la salade aux limaces special-vegan, -et hop elle pique au hasard le premier titre qui lui tombe sous les yeux. Je vous laisse méditer sur le contenu idéologique de quelques textes : Jardin Charnier, Procrastination, Pussy Cat Vampire, Burqa Poil... Les guys derrière, bien sûr au souhait de leur écolière, ils obtempèrent. Dare-dare. Ce n'est pas qu'ils obéissent, c'est qu'ils tissent des sons qui anéantissent. Sans préavis.

    Attention beau tissage. Haute-lisse. Démarrent au quart de tour, et c'est parti. Pour l'incroyable. Un sprint punk, tous ensemble, groupés, vous commencez à avoir des doutes au premier, puis au second, puis au troisième obstacle, bye-bye la piste cendrée toute droite, nous voici dans un parcours de steeple-chase équin, avec des murs de trois mètres de haut, et hop ils vous enjambent les parpaings avec une facilité déconcertante, lèvent tous la jambe au même moment et hop, on fonce vers le suivant, la musique ressemble à une tôle ondulée, rainure, montée, rainure, montée, rainure, ne s'appellent pas Nauséa pour rien, avec sa Nausée Jean-Paul Sartre peut aller se rhabiller, z'avez l'estomac au bord des lèvres et puis qui pendouille sur votre torse au bout de l'œsophage. Ce n'est que le début, ils continuent le combat. Ont décidé de vous donner tort à tout moment. La grande glisse, vous pensez que ça va tourner à gauche, pas de chance virage à droite et à angle droit, vous font le coup à chaque fois, en plus ils accélèrent. C'est à cet instant que vous réalisez que ce n'est pas le pire. Rattrapez-vous aux petites branches, des groupes qui speedent vous avez déjà connus, mais là une fois la vitesse de la lumière atteinte, ils rajoutent un petit truc à eux, très simple, ils complexifient, vous en perdez le latin ( et le grec ) que votre misérable caboche n'a jamais pu retenir, vous êtes bien devant un groupe de krockabilly, oui certes, et même qu'il cartonne méchamment et joliment, oui mais sans le savoir le don d'ubiquité lui a été octroyé, punkabilly à tête de mort pirate sur votre gauche, et sur votre droite tout ce que le dodécaphonisme et ses dérivés situationnistes ont inventé depuis quatre-vingt ans. La Bomb des Nausea j'essaie de vous la définir : ils ont mis au point la structure flottante, le cadre éparpillé, le pattern incontrôlable, l'a fallu dépenser des milliards et réunir des milliers de savants pour construire le synchrotron dans le seul but d'observer le parcours d'une particule élémentaire, que d'argent public sottement dépensé, un gaspillage insensé, les Nausea Bomb, eux ils connaissent, le parcours capricieux et illimité d'un atome entre l'Être du vide et le Néant de la présence, ils contrôlent. Vous le récitent par cœur comme la table de multiplication de 2. D'ailleurs à chaque morceau, ils rajoutent quelques chiffres, 2 multiplié par 2 = 4, mais dites-moi 13598276 multiplié par 13598276, en deux secondes combien ça fait ? Et in abrupto ils vous refilent le résultat sonore et l'évidence de la preuve par neuf vous tombe sous le sens. Nous ont sidérés, une assemblée de punks la bouche ouverte d'admiration, et à chaque fin de morceau des ovations d'applaudissements fervents. Dans l'inter-set Tony évoquera la nécessité d'un nouveau genre : le punkabilly-prog, la folie et la virtuosité réunies en un serpent à deux têtes. Sa blessure est doublement mortelle mais vous ne savez jamais par quel angle sa reptation bifide l'emmènera à vous infliger la terrible blessure scrofuleuse dont on ne guérit jamais. Même une fois mort. L'extase funèbre. C'est sur cela que Marion rajoute ses ritournelles de cour de récréation. Dépose ses joyeuses comptines sur cette musique métaphysique sans complexe. Nausea Bomb c'est un peu le Grand-Verre de Duchamp, dans la réalisation duquel le hasard aurait été radié. A moins que ce ne soit irradié.

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    Pour Nausea Adrien guitar-hero joue à saute-alligator, totalement speedé, inutile de s'acharner à le suivre, est irrémédiablement devant, et vous benoîtement stupides à le regarder s'évanouir dans le lointain. Question Bomb, la section ( d'assaut ) rythmique, je n'insiste pas sur les excès de vitesse, Amine ne joue pas de la big mama, l'est tellement penché sur elle qu'il semble être entré dedans, à fond la caisse de bois, lui arrache sauvagement les boyaux qui comme le foie de Prométhée, sous le bec du vautour, renaissent instantanément. Et la big mama mugit les tripes à l'air sur le champ de bataille. A ses côtés Xav. Ecoutez l'incroyable histoire, doit être doué d'un cerveau à synapses rotatives, vient d'arriver dans le groupe, troisième concert – ce soir sans répétition – l'a déjà en mémoire la trame complexe de cette musique folle, qui flamboie avec la violence d'un incendie de forêt californienne. Un prodige. Ce n'est pas que la musique repose sur lui, c'est qu'il est le vecteur de cette ébullition éruptive.

    Nausea a bien fait éclater sa Bomb. Etrangement, vu l'empressement admiratif personne n'a eu la nausée, tout le monde était d'accord pour dire que c'était de la bombe. A neutrons indociles.

    ANTI-CLOCKWISE

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    Mini-balance, expédiée de main de maître, rien qu'à entendre ces cris gorgonesques de Gordon, comme dans les années cinquante quand le voisin de gauche tuait sa femme et que celui de droite violait le cochon, l'on a compris qu'avec Anti-Clockwise la pendule du rock serait encore une fois ( mais depuis Bill Haley on en a l'habitude ) un peu déréglée. Avant de s'écouter Anti-Clockwise se regarde. Votre cœur se serre. Une mésange bleue s'est posée par mégarde dans un nœud de serpents, un ange blond égarée au milieu d'un équipage de forbans. Pas de panique, Paola n'a pas besoin de vous, l'a sa basse avec elle, et cela lui suffit amplement, non pas pour se défendre mais pour prendre vos esgourdes à l'abordage. De fait c'est elle qui tient la barre, sans faiblir d'une seconde, maintient le cap sur l'ennemi tandis que le reste de l'équipage mitraille à tout berzingue. Lorsqu'ils reprennent souffle, vous entendez le vrombissement de ses lignes de basse imperturbables qui filent à la vitesse de torpilles enragées. C'est sa voix qui dévoile Paola, se charge aussi des chœurs – elle y met du cœur – un organe de bronze, une chienne plutonienne, chaque fois qu'elle s'approche du micro, il vous semble qu'on vous ramone les intestins avec un hérisson de fil de fer barbelé, Mary Read devait produire un semblable grondement lorsqu'elle ordonnait de pendre, sans rémission, haut et court - une vingtaines de pleutres à la grande vergue. Voilà c'était notre instant de douceur blondinette et de tendresse féminine. Il y a déjà une vingtaine de minutes que le devant de la scène s'est transformé en piste d'auto-scooters, un pogo d'enfer, avec en prime la possibilité de vous faire promener dans toute la Comedia à bout de bras pagailleux et biceps incertains, lorsque Fred, el cantaor, annonce qu'il est temps de passer à des morceaux qui remuent tout de même un peu. A cette bonne nouvelle – la meilleure depuis J. C. - une clameur de joie ébranle les murs et, n'y tenant plus, un volontaire tente à lui tout seul un suicide collectif, au saut de l'ange sans élastique, depuis le haut du comptoir, l'est rattrapé in extrémis par un géant indulgent qui le fourre sous son bras avec le geste auguste et débonnaire du nageur qui saisit sa serviette de bain pour rejoindre le bassin de la piscine municipale. N'en quittez pas pour autant Fred du regard, à sa place vous auriez envoyé votre lettre de démission. C'est qu'Anti-Clockwise, ils ont un peu cette mentalité des blousons noirs qui adaptaient des mégaphones, des bruitophones pétaradeurs, sur leur Gitane Testi dans le seul but ( regrettable ) de se faire remarquer. Bref dans l'onde sonore produite par le groupe, un vol de canards sauvages ne trouverait pas l'interstice qui lui permettrait de passer au travers afin de poursuivre sa migration hivernale. Le Fred, ne se fatigue pas, passe carrément au-dessus, il serait faux de dire que l'on n'entend que lui, mais sa voix plane au-dessus comme l'aigle au-dessus des nuées ( de grêles ). Un chanteur ( de bel, pardon) moche-canto, le timbre oblitéré d'enrouements de suppliciés et d'éructations hallebardiques, chargé de remugles anarchiques. Possèdent deux guitaristes. Profondément antithétiques. Un vicieux, et un franco-de-port. Evidemment c'est le vicelard qui est le plus jeune et le plus beau. Des cheveux mi-longs lui donnent cet air romantique qui plaît aux demoiselles. Ne s'en préoccupe pas. Une seule chose compte pour lui. L'est penché sur sa guitare, à croire qu'elle est en or. L'en extrait de l'ordure, de ces espèces de mélopées de chats longuement écorchés qui vous traversent à la manière des baïonnettes que l'on vous enfonce dans le dos, en prenant bien soin d'opérer le mouvement de zig-zag cruellique qui métamorphose toute blessure fatale en mortelle agonie interminable. Pour les dames friandes d'émotion fortes, un vieux grenadier, pas un pelut sur le caillou, mais le crâne tatoué – ce doit être la carte au trésor du Capitaine Flint, en tout cas il y a des traces de sang dignes d'un trépané - des anneaux et des cicatrices partout, une tête brûlée qui n'est heureuse que lorsqu'elle charge en première ligne, ne sait plus où donner de la tête et du riff, une véritable machine à tuer. Ne peut plus s'arrêter. Quand c'est terminé, alors que les autres quittent leurs instruments, il en jette quelques uns, incendiaires qui raniment la flamme, grâce à lui on aura trois rappels. Si on l'avait écouté, on y serait encore. Ne raccrochez pas, il en reste un, un bel éphèbe torse nu qui pilonne la batterie. Le piston qui fait marcher la machine infernale. Un tel enchevêtrement musical de voix et de guitares que vous n'y feriez pas gaffe, mais l'est un peu comme le moteur atomique qui meut le sous-marin d'attaque dont la photo ne trahit que la silhouette menaçante. Vous casse les atomes sur les toms, car il sûr que l'on ne fait pas une omelette rock sans détruire les ovaires frémissants de la lâcheté humaine qui ne demandaient qu'à vivre. Maintenant n'allez pas croire qu'Anti-Clockwise sont de sombres brutes bas du cerveau, professent une saine philosophie dont leurs morceaux sont les professions de foi, ne faites que ce que vous voulez, ne vous laissez pas faire, brisez toutes les barrières, vivez vos désirs, ne soyez dupes de personne, pas même de vous. Qui dit mieux ? Je ne sais pas. Qui le dit aussi rock'n'punk ! Nous attendrons vos réponses. Le cachet de la poste prouvera que vous les aurez envoyés juste après la fin du monde. Sinon s'abstenir.

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    Damie Chad.

    Une déception toutefois dans cette soirée, ne me suis pas précipité à temps vers la table pour le 33 de Nausea Bomb, la prochaine fois je n'y manquerai pas, j'allais me faire hara-kiri de désespoir, lorsque Xavier a brusquement surgi une boîte parallélépipédique entre ses mains. Ce n'était pas les disques de Nausea, mais ceux de son autre groupe, avec un tel batteur j'ai pris d'office. Belle pochette de SuperToto and Yan, esthétique un peu métallifère, mais le verso ne trompe guère, l'on est bien dans du punk-rock ultraïque. Vous qui croyez que le wonderland est le pays où l'on n'arrive jamais, Alicia la merveilleuse est là. Une grrrl comme l'on n'en fera plus jamais. Nous en avions tenté dans la livraison 360 du 08 / 02 / 2018 lors d'un concert à la Comedia avec Blue Void, une description, pâle reflet de la réalité astartique, suprême incarnation du désir déchiré.

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    La photo est de Sue Rynski, pour saisir l'incandescente apparence d'une de ces princesses d'ivoire et d'ivresse, chères à Jean Lorrain – relisez les redoutables pâmoisons empoisonnées de ses Pall-Mall - il ne fallait pas moins que la pupille féline de la photographe du punk et de Destroy All Monsters...

    ATM

    ALL THIS MESS

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    Lead Vocal : Alicia / Guitars : Jérôme / Bass : Yan / Drums : Xavier.

    Phobia : murs de schiste gris, les guitares construisent le labyrinthe de la folie interminable, la voix d'Alice se débat dans les entrelacs des serpent paranoïaques de l'angoisse du monde. La batterie enfonce les clous des piloris de la perte de soi, Alicia vous pousse de ces piaillements d'idiote, vous devenez poussin d'innocence autistiques pris dans le faisceau fascinant des yeux de la vipère intérieure qui niche dans les méandres de notre cerveau. Urgence et reptation, vous sortirez vivant du cercueil de la mort. Juste pour rentrer dans un nouveau cercle de l'enfer. Prayer : prière espagnole murmurée à Santa Maria sous les sirènes d'alarme des guitares, explosion musicale, Jérôme joue les inquisiteurs en backin vocal, mais Alicia ne se rend pas, n'aime ni dieu ni église, hurle qu'elle n'a peur de personne même pas du diable que l'existence heureuse est la vallée du péché librement consenti, le background musical se fait grandiose et auguste, et puis menace de feu brûlant infernal, mais la flamme vocale de la vie libre n'en continue pas moins son chemin dans dans le brasier inextinguible de la bêtise humaine. Bruises : musique pogoïque forte et violente, des rafales de guitares vous arrivent comme grêlons d'horions et la batterie défonce les chairs, revendications féminines, les filles ont droit au pogo, que les garçons arrêtent de se prendre sur un ring de catch. Vous apprécierez au début ces modulations de sirènes insinuants, et puis la voix d'Alicia claque comme baffes distribuées à l'orgueil des mâles qui font mal. Gender Weirdness : tambourinade suivi d'un ouragan de guitares, deuxième revendication féministe, celle du genre, dénonciation des mots trop étroits qui vous enferment dans les carcans sociaux de la chair monotypée, la masse sonore glisse comme si elle hésitait entre deux chemins trop étroits. Alicia crache son mépris des idées toutes faites à la gueule des rétrogrades, le combo en rajoute une couche. L'ensemble fait mouche entre les jambes. Lives to blow : déclaration de guerre, la musique roule sur vous à la manière d'une division blindée, haïssez cet enrôlement dans la violence du monde, les guitares lancent des scuds et l'herbe de la vie repousse partout où la voix d'Alicia déclare la guerre à la guerre. Tant pis : les temps sont à la confusion intérieure, la musique gronde mais la voix d'Alicia est devant, comme s'il n'y avait rien de plus important que de se tirer des ses propres contradictions, le ton monte telle une sonnette d'alarme que l'on tire en vain. Morceau bien trop court. Tant pire pour vous. Tant pis pour moi. Tant pisse pour le monde entier. Brièveté roborative. Screen head : Pluie de guitare, voix endeuillée, comme de l'ouate entre vous et vous, cela ne durera pas, Alicia devient vindicative, dénonce la pomme pourrie dans les cerveaux, manipulation des écrans, nous ne sommes plus nous, mais les figurines d'un jeu généralisé qu'elle se refuse à jouer. La voix hache comme ces haches d'abordage qui s'abattent sur les écrans de surveillance extérieure et d'auto-régulalion intérieure. Elle n'est qu'une fille de chair et de sang. Peut-être le plus beau morceau de l'album, mais comment choisir dans ce collier de perles noires. Come on, Ellen : l'histoire de son propre miroir que l'on tend aux autres mais qui ne révèle qu'une fausse image. Réflexion sur le statut iconique d'Alice en belle et cruelle Ellen distante de ses propres pièges. La musique survient de partout comme éclats de miroir brisé. Suis-je moi ou l'autre que je ne suis pas, que je ne sais pas. Il n'est de couteau plus cruel que celui qui déchire des images de papier. All This Mess appuie et cumule là où la plaie purule. Mess : vivre vite, musique de fête qui déboule dans la traboule de l'existence, toute la vie devant soi et tous les regrets assumés de n'avoir pas pris un autre chemin, tout et maintenant, le combo flonflonne et court après la jeunesse du monde. La joie déborde des toilettes de la vie. La chasse d'eau n'arrête pas de couler. The way they go : le même binz, en moins coloré, en plus dramatique, the thrill is gone, Alicia crie devant le cadavre de sa jeunesse comme les pleureuses s'arrachaient les cheveux, belle cavalcade de Xavier, froncements tuméfiants de guitares, la voix décolle comme ces chatons à qui vous arrachez la queue. Mais où allons-nous ?

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    Un beau disque. Disponible sur bandcamp mais préférez le vinyl, mieux approprié. Les deux faces vous font ressortir les deux aspects de l'album, la première de rage vindicative, la seconde qui s'infléchit telle la courbe d'un yatagan introspectif, un retournement de chemin heideggerien qui vous mène au plus près de l'Être. Pour une fois que nous avons un disque de rock avec des textes incisifs qui refusent de signifier le consensus mou des idées toute faites et des poses attractives attendues, ne vous en privez pas. Une musique à la netteté de ces entailles souveraines d'onyx noir dans lequel s'inscrit la voix de diamant pur d'Alicia. Un grondement de tonnerre, les boules de feux des orages cataclysmiques et les diatribes glacées de la déesse qui vous annoncent que l'avenir aura désormais la noirceur des anarchies intérieures. Ne pleurez pas, ne vous lamentez pas. C'est inutile. Vous ne pouvez que vous en prendre à vous. Puisque vous êtes responsables de vos propres malheurs. N'est-ce pas vous qui avez barré – par une sotte inadvertance – le sentier qui mène à l'Île des Bienheureux.

    Damie Chad.

    Du coup je n'ai pas résisté à vous remettre la kro du concert de Blue Void ( + celle de leur disque ) du concert du 04 / 02 / 2018 à La Comedia.

    BLUE VOID

    L'ai remarquée dès que je suis entré. Mais je ne savais pas. N'étaient que trois garçons sur la scène à installer le matos et à peaufiner les derniers réglages. Et quand à la sono, le signal de départ a été donné, j'ai été tout surpris de la voir sauter sur l'estrade et se saisir du micro. Les gars ont embrayé tout de suite. Pas des charlots, parfaitement en place à la première seconde, vous ont concocté un de ces backgrounds de rêve, un de ces profilés de braise pour les soirs d'ordalie, et encore je les soupçonne de savoir faire mieux, car là ils ne jouaient pas pour eux, mais pour elle. Aux petits soins, aux petits oignons. De ceux qui vous font pleurer des larmes de joie. Ensuite ce fut le pays des merveilles. Le pays d'Alice. Toute mince, les jambes fuselées en futal noir négligemment ouvert aux genoux, une taille de guêpe, toute longue, surmontée d'un brouillard de blondeur, les bras nus, un bustier à rendre jalouse Astarté, le haut du sein gauche scotché d'une croix noire, le bras droit tatouage-maori, et puis la voix qui gomme tout ce qui précède. Haute et claire. Derrière ils affutent le raffut, mais elle plane au-dessus. Une facilité déconcertante. Une aisance à vous transformer en malade mental. L'a débuté par un avertissement un tantinet mensonger : «  L'on fait du post-punk mélodique », post-punk, je n'ose pas contrarier mais pour la mélodie, elle est envoyée à la fronde. Ou alors ce qu'elle appelle mélodie c'est sa facilité à surfer sur les octaves. This Bomb is Mine décrète-t-elle d'entrée, vous le martèle d'une voix claire comme de l'eau de roche et haute comme la tour Eiffel, mais trois morceaux plus tard sur Junk set elle growle comme une mécréante. Mais ce n'est pas tout. Car non seulement elle envoie sec, mais elle nuance à la mitraillette, elle cisèle à la hache d'abordage, elle époussette au marteau-pilon. Les guys la suivent, lui cueillent des jonquilles, lui ramassent des violettes et lui coupent des roses, à toute vitesse, Marc ne passe pas les riffs, il n'en a qu'un par morceau mais vous le fait miroiter, étinceler et chatoyer, sous tous les côtés vous l'allonge et vous le rétrécit à volonté, idem pour Julo qui élastise sa basse, jamais au-dessus, jamais au-dessous du ton de la demoiselle et quant à Léonard devint marteau à laminer l'électricité cordique il racate à la hâte. You and the Hole, Volcano Girl, Waste Virgin Clothes – titres aux lyrics prometteurs mais pour le moment on n'écoute que cette voix de démone imprécative. C'est du dur vocal, du pur palatal, du sûr apical, de l'envoûtement subliminal, de la folie animale. L'a mis le feu à la salle, les filles dansent devant elle comme sorcières au soir de grand sabbat. La salle acclame, brame de joie et clame sa ferveur. Un set mené sans interruption, un incendie qui brûle tout sur son passage. Seront obligés de refaire This Bomb is mine en rappel parce que le rock'n'roll est une musique qui ne supporte pas la frustration.

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    ( Polaroids :  Ana Hyena )

    THIS BOMB IS MINE / BLUE VOID

    ( BV02 )

    Guitare : Marc / Voix : Alice / Bass : Julo / Drums : Léo.

    This Bomb is mine : affirmation féminine, la voix minaude toute seule haut perchée mais les guitares et la batterie la poussent dans ses retranchements et c'est la grande explication, celle qui déchire, transperce les tympans, attise la colère, s'hystérise, ne s'arrête plus jusqu'à la fin brutale comme un couperet. Nom de Zeus quelle chanteuse ! Overlead : on a compris, n'y a plus qu'à se laisser entraîner, emporter par la fougue de la demoiselle. Les gars entament une partie de tennis à trois et la balle n'en finit pas de rebondir jusqu'au bout du rock'n'roll. Elle, elle continue comme si de rien n'était. L'en a la voix qui miaule et puis qui s'enfonce dans votre cerveau comme la lame d'une serial killer. Volcano Girl : les boys partent en douceur vibrionnante, aucune inquiétude, la zamzelle vous développe une éruption grandeur nature, chaque fois qu'elle dit '' Oh'' vous perdez votre raison. Vous en ressortez sous une pluie de cendres. Pompéi girl ! Chichek : c'est la reine lézarde qui run, run, run après sa liberté. Ne vous inquiétez pas les boys accélèrent le mouvement, c'est que l'on appelle une cause gagnée.

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    Cette trombe is mine. Blue Void passe le balai sur les araignées qui encombrent le rock muséal. Un son à eux, une voix à elle, un groupe soudé comme les quatre éléments qui composent l'univers du rock : le feu de l'arrogance, le vent des colères, l'eau des désirs, les terres brûlées. Si vous tenez à laisser un témoignage de vos égarements à vos petits enfants, ce disque est pour vous.

    Damie Chad.

    MONTREUIL / 02 – 02 – 2019

    LA COMEDIA

    UNDERVOID / PSYCHOÏD

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    La Teuf-teuf broute les kilomètres à la vitesse lumière de l'Etalon Noir de Walter Farley, le rond ronronnement régulier du moteur me conduit, je ne saurais dire pourquoi, à la radieuse souvenance de ma lecture de Les Béatitudes Bestiales de Balthazar B que Donleavy fit paraître en 1968 – ah ! ces douces années tumultueuses – mais me voici déjà devant l'entrée de La Comedia qui s'entrouvre tel un chaud cocon protecteur, douce chaleur prémonitoire de l'incandescence des deux groupes au programme.

    UNDERVOID

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    Quatre sur scène. Trio plus chanteur. La formation idéale, à chacun son job, pas de d'embardée possible dans le champ du voisin. Evidemment faut une certaine virtuosité – pour ne pas dire une virtuosité certaine – surtout lorsque comme Undervoid, l'on décide de pratiquer la musique éruptive de la fournaise du Diable. Rock'n'roll et rien d'autre. Coupe pleine d'un vin épais et sans eau pour la libation suprême. Vite pigé. La première dégringolade des baguettes d'Alexandre Paris sur les peaux suffit à vous mettre dans l'ambiance, une impression de digue crevée et une masse d'eau qui emporte les poids-lourds de l'autoroute comme des balles de ping-pong. Plombées, font des ricochets sur l'assistance qui a l'air d'apprécier ce traitement brutal mais terriblement efficace. Avec un tel déluge, il est impératif de posséder un guitariste qui ne se contente pas d'arroser les petits pois une fois par semaine. Justement vous avez un gretschiste sur votre gauche. Marc Berg a dû sortir du ventre de sa mère les doigts coincés dans le cordier de l'orangeade, l'affûte sec, l'en rajoute toutes les trois secondes, n'a pas son pareil pour la parélie riffique, incapable de jouer un riff sans le tordre de mille manières, n'est jamais satisfait de lui, alors il file un petit coup de bigsby, style je rajoute un kilogramme de poudre à canon dans la cheminée pour donner du tonus à la flamme. Un artiste, vous étire les notes à l'infini si vite que vous n'avez pas le temps de les entendre passer. Avec ces deux-là, vous avez votre ration pour la semaine. Mais c'est loin d'être fini. Bill Otomo est à la basse comme d'autres vont au bassthon, vous la saisit entre ses deux paluches, lorsqu'il joue, une main en haut du manche et l'autre qui dégringole tout en bas en des profondeurs inexplorées, il vous semble qu'il cherche à la rallonger, lui écrase les cordes de ses gros doigts et vous l'entendez feuler sourdement d'aise, telle une panthère qui descend de son arbre en quête de meurtre et de gibier innocent. L'air de tout, il avance invincible et invisible, pose les poutres maîtresses, le plancher fabuleux sur lequel les deux autres bâtissent leur empire sonore, ce n'est que lorsqu'il il sololisera que l'on comprendra à sa juste valeur l'ampleur élastique de son jeu. Les travailleurs de l'ombre sont les plus infatigables.

    Devant ce mur de son cyclopéen, Arnaud est tout seul. Espèce de catogan par derrière et micro par devant. Personne n'aimerait être à sa place. Pas du tout intimidé. Il ose tout. Sait se faire entendre. Et pour mieux se faire comprendre, ne se planque pas dans un pot de faux yaourt anglais. Chante en français. Attention cela ne signifie pas uniquement que les paroles sont écrites en langue voltairienne, les profère en une diction qui ne cherche point à imiter les intonations d'outre-Manche, ne les monosyllabilise pas, ne les jacte pas à l'arrache, suit les inflexions naturelles, rallonge les nasales, ne scalpe pas les fins de mots, ne les crache pas, les restitue dans leur fluidité naturelle. De la belle ouvrage au service des textes. Qui véhiculent la dure réalité spongieuse de notre époque. Le Noir se Fait, Perdu pour Perdu, Alea Jacta Est, La Machine, Un Dernier Geste, rien qu'à l'énumération des titres vous intuitez en filigrane ces appels à se lever contre la noirceur de plus en plus profonde de notre monde et l'urgence de se lever et de faire face au monstre qui cherche à nous broyer dans son immense gueule. Un rock de rage rouge et de révolte noire. Un rock qui ne batifole pas dans les prairies de l'insouciance mais qui bâtit follement les nécessités des combats à venir. Le public se sent des fourmis carnassières ( rouges et noires ) dans les jambes, chacun se brinqueballe vers l'autre, des silex qui se cognent pour faire jaillir le feu sacré des communions intempestives, le combo-étincelle roule comme un feu de prairie inextinguible... Grosse impression, grosse commotion.

    ( Viennent de Strasbourg. Ci-dessous chronique d'un de leur quatre EP ).

    OX / UNDERVOID

    EP / 2018 / Prix libre

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    Perdu pour perdu : fond de train, la batterie qui court après son ombre, les guitares cisaillent et piaillent, les paroles sont sans appel, le dos au mur c'est là qu'on est le mieux pour cracher ses actes à la face du monde. Uppercut, un seul suffit. Se termine très vite. Tout est dit. Inutile d'épiloguer. On part au loin : ruissellement de notes et soudain le vieux monde klaxonne après toi, l'échappée belle, tout est bon pour s'enfuir des affres de la vie, les petits bonheurs et les lobotomies cervicales, la musique écrase vos petits arrangements, ailleurs ce n'est guère mieux mais l'on s'arrache quand même, long tunnel de guitares qui poinçonnent et arraisonnent, toujours cette batterie en apnée et la flamme infinie d'un solo de guitare, pour repartir encore une fois, mais tu t'avances dans l'écroulement des choses qui viennent et t'enseveliront. A ta santé : un tire-langue musical à la bretonne, narquois leitmotive qui te poursuit de sa ronde infernale, ce n'est plus un chant mais une diatribe qui te lapide sur place, prends garde à l'ironie des postures, situations biaisées ne te sauveront ni de la vie ni de toi-même. Si tu ne le crois pas, écoute la musique qui tape et se moque de toi. Ricanement insidieux final. Qu'à cela ne tienne : blues soutenu, tempo lent mais musique en cavalcade lancinante, le riff zepplinien avance telle une vague et se fracasse sur le rivage de l'existence. Eclats de guitares, flammes qui courent et la batterie qui remballe la marchandise, la voix se traîne et jette du sel sur toutes les blessures, pas de problème, tous tes échecs n'ont aucune importance, nihilisme absolu. A tes dépens : pistons de guitares, voix instrumentalisée mène le bal, constat sans appel, hurlement et guitares rhinocériques, le combo te passe au tabac des réalités, le rat bloqué dans le labyrinthe, quoi que tu fasses tu es la cible touchée en plein cœur. Tant pis pour toi.

     

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    Belle pochette intérieure. Image éclatée, dominante rouge de sang de bœuf conduit à l'abattoir. Le zéro sur lequel on mettra bientôt une croix dessus. On regrette l'absence d'un feuillet pour les textes. Sont totalement constitutifs de la matière brutale qui se greffe autour. Un disque chaud de braise qui exige écoute et réécoute. Undervoid cloue les mots au pilori des guitares et la batterie les roue de coups. En sortent plus vindicatifs, car ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Violent et intelligent.

    Damie Chad.

    PSYCHOÏD

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    Rien qu'à la découpe des guitares l'on n'est pas assailli par un doute pyrrhonien sur le style musical du quatuor. D'ailleurs ils le proclament haut et fort, psychoïdes certes, mais trash metal et nous ajouterons trash cash, pour le metal, ils revendiquent plutôt le fuselage des supersoniques de combat que la lourdeur de titane absorbande et obérante. N'avez pas le temps de les visualiser, sinon la guitare de Thomas, un zig-zag d'éclair jaune qui foudroie le regard, que la machine est lancée. Ne s'arrêtera plus. Une trombe. Pas le temps de s'attarder. Même les morceaux sont courts, à croire qu'ils sont pressés de terminer le suivant. Avalanche sonique, rien ne leur résiste. Le public comédique s'est tout de suite senti à l'aise, transe collective, ça remue comme des pois sauteurs atteints de la tournante du mouton enragé. L'est manifeste que Psychoïd est de ces groupes qui ont inventé la poudre et qu'ils savent la faire détonner. Une recette simple, ce sont les meilleures, Thomas respire deux fois ( pas une de plus ) très fort, fait mine de toucher son engin mirifique, trop tard, Amaury tape à mort sur ses tom, vous catapulte sur la grosse caisse, et la tornade vous emporte à l'autre bout du rock'n'roll. Rémi joue le gros nounours à la basse, tout sourire, interjection goguenarde, vous aimeriez presque qu'il vienne vous border le soir dans votre lit pour vous souhaiter une bonne nuit avec rêve doré. De fait dès qu'il touche son instrument vous comprenez qu'il est habité par la force impavide du guerrier berserk et qu'il est hanté par la fureur de l'ours polaire affamé sur la banquise dépeuplée. Ne s'appesantit pas, ses lignes de basse filent à la vitesse des drakkars qui glissent dans la tempête sur la houle déchaînée. Kiko ne desserre pas les dents, par contre il serre de près sa guitare, lui fait cracher tout ce qu'elle sait faire, l'on a même l'impression qu'elle étale aussi tout ce qu'elle rêverait de réaliser, et ma foi, elle y réussit parfaitement. Kiko nous permet de comprendre pourquoi un kiko de plomb pèse davantage qu'un kiko de plumes de sinornitosaurus s'il est riffé à la vitesse de la lumière. Derrière ces deux ostrogoths, Amaury redouble d'intensité activiste. Etrange ce que je veux dire, c'est la première fois qu'il me semble qu'un batteur se sert de ses deux bras, tellement il les manipule et les gesticule, pas de virgule entre les plans, et pas de renoncule pour vous conter fleurette. Thomas tire le premier, lâche le riff comme l'on tend les cordes d'un ring pour le combat du siècle. Se charge ( de cavalerie ) du vocal, cheval fou qui hennit follement et se rue dans une course sans fin. Se cabre brutalement en un cri qui tue à vous fendre l'âme que vous avez perdue depuis longtemps. Et tout s'arrête, tiens donc il existe un truc bizarre que dans d'autres civilisations l'on appelait le silence ! Vous désireriez vérifier l'existence de cet incroyable phénomène dans une encyclopédie, trop tard, sont déjà à la moitié du morceau suivant. Veulent nous quitter sur l'hymne des Corsaires qu'ils ont composé pour l'équipe de hockey de Nantes, une démence remplie d'abordages et de galions bourrés d'or enlevés haut la main aux plus cruels des pirates. Une excuse pour s'adonner à leur sport favori, le rock trash à trois cents kilomètres heures. Z'aimeraient nous abandonner sur une île déserte pour voguer à leur guise vers d'autres ouragans, mais non, nous ne les laisserons partir qu'après deux rappels apocalyptiques. Sans doute avons nous été trop bons, on aurait dû en exiger une douzaine. La prochaine fois, on n'oubliera pas.

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    Viennent de Melun. N'ont pas le melon. Nous ont montré la lune.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 384 : KR'TNT ! 404 : DURAND JONES / CANNIBALS / VARIATIONS / LUCILLE BOGAN / DEAD GROLL / MURCIA TROPIKAL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 404

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    31 / 01 / 2019

    DURAND JONES / CANNIBALS

    VARIATIONS / LUCILLE BOGAN

    DEAD GROLL / MURCIA TROPIKAL

    Le péril Jones

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    Curieusement, Durand Jones ne fait qu’une seule date en France. Étrange, car depuis la disparition de Sharon Jones et de Charles Bradley, il bénéficie d’un big buzz. Il règne dans l’air comme une immense soif de Soul, aussi s’est-on mis à compter sur Durand Jones et son collègue Lee Fields.

    Oui, on compte sur lui comme on compte sur l’arrivée des renforts du septième de cavalerie, alors que les Mescaleros nous encerclent dans un canyon du Nouveau Mexique. On compte sur lui comme on compte sur l’arrivée des secours quand le paquebot vient de couler en mer du Nord et qu’on grelotte à s’en briser les dents dans l’eau glacée. On compte sur lui comme on compte sur la providence quand le petit avion qui nous emmenait à Saül vient de s’écraser et qu’on se retrouve seul au cœur de la jungle guyanaise. Et chacun sait qu’il ne faut jamais compter sur la providence. Ce serait trop facile.

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    On s’attend donc à un set énorme, d’autant que la Maroquiqui est pleine comme un œuf de tortue. Et pourquoi le set de Durand Jones serait-il énorme ? Parce que l’album est excellent. Si on prend le soin de l’écouter avant le concert, on s’attend forcément à un gros set de Soul, comme il en existait encore du temps de Sharon Jones, the tiny voodoo queen. Il démarre son album avec un fabuleux shout de Soul évangélique intitulé «Make A Change». Il colle bien à l’esprit des profondeurs de la deep Soul - You/ Got/ To/ Make/ A change - oui, il lui demande de changer et ça vire en vrille de solo de sax, avec toute la bravado rythmique qu’on puisse espérer. La plupart des cuts de l’album sont des balladifs énamourés, et soudain, réveil en fanfare avec un «Groovy Babe» tapé au heavy groove de guitare. Durand Jones fait Sam & Dave à lui tout seul, il renoue avec le Stax Sound, mais en pire. C’est d’une rare puissance. Il tape aussi son «Tuck N’ Roll» de fin de course au gros beat. Mais le chef-d’œuvre de l’album pourrait bien être «Giving Up». Durand Jones y conduit sa Soul comme une messe, à la manière d’Al Green. Il se fond dans le lit de la river. Il devient alors un Soul Brother liquide d’exception, il fait de la Soul nuptiale, un pur jus de déréliction rampante nappée d’orgue. Ah tu veux danser, baby ? Alors voilà «Smile» - Ask me what you want to do - Ce diable de Durand swingue sa Soul avec un tact de tacticien, dans toute l’épaisseur du coming back. C’est une abomination fabuleuse, on a là un pur chef-d’œuvre de heavy Soul. Durand Jones swingue son art avec une infinie délicatesse.

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    Bizarrement, le set n’est pas au niveau de l’album. Première contrariété : les musiciens qui accompagnent Durand Jones sont des blancs. Le bassiste aurait pu jouer dans Genesis ou Deep Purple, il en a le look. Durand Jones arrive dans une chemisette à grands carreaux bleus et blancs et attaque avec l’excellent «Make A Change» - Tell me baby what’s going on - Il bouge sur scène avec une belle sensualité languide, mais un petit quelque chose dans son look tranche nettement avec le fort parfum de deep Soul que dégage son album. Le son semble plus commercial, plus à la surface des choses. Sans doute est-ce sa façon de danser qui intrigue. On se croirait dans l’une de ces discothèques où régnaient au temps d’avant les rois de la sape zaïrois venus draguer des blondes. Puis Durand Jones bascule dans une sorte de calypso - What am I supposed to do - En fait, on le voit essayer de faire du Marvin, mais ça ne marche pas, car le backing est un peu trop insipide. L’absence de cuivres ne pardonne pas, now I just can’t let you go, clame-t-il dans la plus parfaite indifférence. Sa Soul scénique paraît même parfois laborieuse. Il chante des morceaux du prochain album, notamment un «Strange Circles» assez transparent. Il tente désespérément le cross-over sur Marvin, oooh baby, mais le groove refuse absolument d’obtempérer. On souffre de le voir ainsi souffrir, de la même manière qu’on devait souffrir voici deux siècles de voir le Christ cloué sur sa croix, ruinant ainsi l’avenir de la chrétienté, comme le rappelle Houellebecq dans son apologie de l’Islam. Tout ça pour dire que le pauvre Durand Jones inspire par endroits un mysticisme de carton-pâte. Puis on découvre au fil du set qu’il ne chante pas l’un des meilleurs titres de son album, «Is It Any Wonder». L’effet est assez désastreux. On entend une voix de Soul brother et Durand Jones ne chante pas ! Mais alors qui chante ? Un ange ? Non, il s’agit du batteur, un certain Aaron Frazer. On peut aller jusqu’à dire que ce jeune blanc-bec est assez doué, il dispose d’un beau petit chat perché, mais un chat perché de blanc. Par contre son jeu de batterie contrarie énormément : il frappe un peu fort. Oh il y croit, c’est évident, mais on rêve d’un drumbeat à la Al Jackson, quelque chose d’un peu plus distingué, à la fois dans l’être et dans le paraître. C’est d’ailleurs lui qui présente cette chanson politique, «Morning In America», qui décrit le politic mess des États-Unis et qui évoque les 70% d’Américains qui vivent du paycheck au paycheck, quasiment au jour le jour.

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    Et puis à un moment et de façon assez inespérée, ça se met à chauffer avec un gros solo de wah-wah. Durand Jones se met à danser comme un soufi, il tournoie et valdingue, et il enchaîne avec un groove à la Sam & Dave, le fameux «Groovy Babe» et là la Soul reprend des couleurs, Durand Jones jerke sa Soul avec une classe carnassière, il se fait félin de service, il tombe à genoux, il jette toute la foi du pâté de foie dans la balance et ça devient enfin sérieux. Il se met à danser comme un guerrier zoulou d’un pied sur l’autre et screame comme James Brown. Excellent ! Il sauve son set. Il enchaîne avec l’excellent «Can’t Keep My Cool», un fantastique slow groove enchanté de l’intérieur, qu’il interrompt avec des moments de silence que le public est incapable de respecter - And I don’t know what I’m supposed to do - Une merveille. Il finit au sol, comme terrassé par la beauté qu’il génère. On imagine cette merveille dans un contexte musical plus adapté, comme celui de l’album, notamment. C’est sans doute avec «Don’t You Know» qu’on songe à décrocher, car cette Soul refuse d’obtempérer, trop co-chantée avec cet excellent blanc-bec d’Aaron. C’est d’une préciosité qui ne convient pas à un Durand Jones qu’on sait capable de miracles. On passe complètement à travers «Long Way Home» et «True Love». Ça groove sans groover, ça excède autant que le spectacle d’un volcan éteint. On préfère voir les volcans en éruption. En concert, les longs passages à vide ne pardonnent pas. Comme si après le Christ Durand Jones voulait rater sa conquête spirituelle du monde.

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    Il finit cependant avec son très beau «Smile» - Try to give up/ Just for a while - chanté dans la joie et la bonne humeur contagieuse - Hang on my smile - «Smile» sonne comme un morceau fétiche, un morceau sauveur d’humanité. Il finit toujours avec. Et c’est là où commence la vie de l’âme, ce qu’on appelle la Soul.

    Signé : Cazengler, Duranci Jaune

    Durand Jones & The Indications. La Maroquinerie. Paris XXe. 23 janvier 2019

    Durand Jones & The Indications. Coleman Records 2016

     

    Le festin des Cannibals

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    L’âme des Cannibals porte un nom : Mike Spenser. Un expat, comme on dit là-bas. L’un de ces Américains de Brooklyn débarqués en Angleterre au début des années soixane-dix pour y porter la bonne parole.

    Il entre gamin dans le rock par la grande porte, grâce aux Stones et Chuck Berry, Jimmy Reed et Bo Diddley, Otis et les Temptations. En 1966, le jour de ses 19 ans, il la chance de voir les Stones à Forest Hill. Et comme la guerre du Vietnam fait rage à cette époque, Mike Spenser est baisé. On l’appelle sous les drapeaux. What ? Aller se battre dans cette guerre qui ne sert à rien ? Il s’embarque à bord d’un bateau en partance pour les Indes, mais il rentre au bercail pour finir ses études. Au début des années soixante-dix, il traîne avec les Miamis, un groupe qu’on retrouve sur la compile du CBGB. Comme les Miamis sont des copains des Dolls, Mike Spenser finit par faire le roadie pour les Dolls. Il fréquente aussi les Stilettos qui vont devenir Blondie. Et comme il lit le Melody Maker, l’idée germe dans son esprit d’aller s’installer à Londres. C’est aussi bête que ça.

    Le groupe qui l’intéresse dans le Melody Maker, c’est Dr Feelgood. Il va traîner au Soho Square Market, derrière the Leceister Square tube station, où Roger Armstrong tient le Rock On Stall. Quand il entend «Confessin’ The Blues» des Stones, Mike Spenser sort son harmo et jour sur le cut. Roger Armstrong lui demande s’il joue dans un groupe, et voilà, c’est parti. Mike Spenser se retrouve sur Chiswick avec les Count Bishops. C’est là que paraît Speedball. McLaren repère Spenser sur scène avec les Count Bishop sur scène, mais Roger Armstrong lui dit de dégager, vu que Spenser est signé sur Chiswick. Au fond, Mike Spenser n’aime pas le punk. Il ne supporte pas ce son privé de mélodie et de substance. Par contre, il adore les Undertones et bien sûr les Heartbreakers, deux groupes qui, on le sait, n’ont rien à voir avec le punk-rock.

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    Le B-side de son premier single avec les Cannibals qui s’appelle «Nothing Takes The Place Of You» figure parmi les all-time faves de John Peel, cette fameuse box de single avec lequel il est enterré. Quand avec ces copains cannibales, ils essaient de définir leur son, ils conviennent qu’ils ne sont pas plus punk que rock - So let’s call ourselves a trash band and start a trash movement (On va s’appeler un trash band et on va démarrer un mouvement) - Voilà comment naît une réputation dans l’underground.

    Il rencontre Greg Shaw en 1980 et ils deviennent amis au point que Greg vient s’installer chez Mike. Six mois à Brixton ! Mike est très organisé : il gère un club où viennent jouer les groupes de tous les genres. Il dispose aussi d’un atelier d’imprimerie et de pressage de disques et c’est là qu’il commence à fabriquer avec Greg Shaw la suite des Pebbles. C’est le fameux Pebbles Box Set, suivi de trois volumes de Best Of Pebbles. En plus, Greg ramène le meilleur acide et les meilleures sulphates d’amphétamines du monde, alors, Mike s’amuse bien. Et quand il faut évoquer l’avenir du rock, Mike Spenser saute de joie : il le voit dans les Cavemen, King Salami, Daddy Longlegs, les Parkinsons et des groupes assez inconnus par ici comme Oh Gunquit. Pour lui, ce qui est important, c’est que l’étique DIY existe encore - The DIY ethos is still alive and kicking.

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    On trouve un paquet de bonnes choses sur Bone To Pick paru en 1982, notamment un cut très Dollsy dans l’esprit intitulé «To The Rage». Ça n’est pas surprenant, vu que Mike Spenser traînait avec la bande à Johnny Thunders, lorsqu’il vivait encore à New York - Here come Charlie Brown/ Walking down the street - Admirable, avec une ambiance digne des Coasters. Le hit du disk pourrait bien être «The Dreaded Lurgy», chef-d’œuvre de weirdness joué à la cocotte suprême. Mike Spenser y ramène toute la démesure du boogaloo new-yorkais. Avec «Superstar», il rend hommage à Bo Diddley. Globalement, on note la bonne santé du son des Cannibals. Ils jouent en mode alerte vive et font un stupéfiant déballage d’accords vitaux dans «I’m Not Stupid». Avec «Mumbo Jumbo», ils vont plus vers le garage, avec un fort parfum d’américanité. Mike Spenser ramène toute son énergie dans le son canibalistique. Nouvelle sensation en B avec un «Screaming Abdabs» emmené sabre au clair. Quelle énergie ! Et pour corser l’affaire, on entend un solo déconstruit joué au dodécaphonisme de Kentish Town. Ce n’est pas compliqué, tout est bien foutu sur cet album. Mike Spenser prend «Big Fat Mama» à l’énergie cavalante. Le solo killer flash qui traverse le cut vaut aussi pour modèle. «Kiss & Tell» va plus sur la petite pop et «Taking The Piss» renoue avec le pub-rock cher aux Count Bishops.

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    Un certain Bal a dessiné la pochette de Please Do Not Feed The Cannibals à la main. Il semble s’être inspiré des œuvres de Rudi Protrudi. Au moins, les intentions sont claires : les Cannibals sont là pour bouffer du garage. Ils bouffent le «Psycho» des Sonics tout cru et Mike Spenser trashe la dépouille fumante d’un joli coup de killer solo. L’autre grande reprise de l’album est celle du «Barracuda» des Standells. Ah quel clin d’œil ! C’est beuglé à la Dodd et c’est le moins qu’ils puissent faire, en tous les cas - I need ya babe ! - Voilà une cover inspirée, portée par les meilleurs chœurs d’anthropophages. Les Cannibals ne tirent pas seulement leur force de leurs mâchoires. Ils la tirent surtout de leur son et d’un sens aigu de l’écho. Ils tapent un «Can’t Get Away from You» digne des Seeds. Ils y shootent une belle dose d’acid freak-out et passent au boogaloo avec «Rumble In The Jungle». Ils frisent le cliché, mais le font d’une manière infiniment crédible. Ils tapent aussi une reprise de «Too Much To Dream» des Prunes, mais pour des prunes. L’autre point fort de l’album est cette version de «Good Times» ultra-chargée de freak-out. On sent chez eux une sorte de niaque bon enfant. Quand ils chantent à l’énergie délétère, on les sent affamés de chair humaine.

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    Encore une pochette dessinée à la main pour Hot Stuff. On y trouve l’une des plus belles reprises du «Garbage Man» des Cramps. Les Cannibals y font démarrer une mobylette puis un gros drumbeat. Autre cover crampsy avec «Primitive». Ce vieux coucou leur va comme un gant. Cousu, mais joué avec une authentique ferveur. Jolie bassline. Ces deux hommages aux Cramps sont de pures merveilles. Ils rendent aussi hommage aux Moving Sidewalk avec «99th Floor», mais ils sonnent trop garage bon chic bon genre. Leur version d’«Action Woman» tient sacrément bien la route et Mike Spenser y claque un solo d’échappatoire sous le tapis de son. Mais c’est avec «Sour Grapes» qu’ils décrochent la timbale. Garage sixties en plein, mais avec une petite niaque de bon aloi. On note l’excellent struggling de guitare garage. Mike Spenser sait de quoi il parle. Encore une compo de Spenser : «Human Race». Ce sont ses cuts qui comptent et qui captent. Ce mec se révèle extrêmement talentueux. On le retrouve à l’œuvre dans «Going All The Way». Il continue d’y édifier les édifices. Il ne démord pas de sa proie. Il est dans l’essor fatal, dans l’énergie du timbre, dans la couleur du ton. Il est d’une incroyable justesse de bon ton. Il va encore créer l’événement avec un «You Drive Me Mental» ultra joué sur le riff de «You Really Got Me». Il sort pour l’occasion un fabuleux son de trash boom-hue-hue. Ça joue à la fuzz en sous-main, Spenser s’en donne à cœur joie.

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    Sur Trash For Cash, on retrouve pas mal de cuts de Hot Stuff, notamment «Garbage Man», «Skelettons In The Closet», «You Drive Me Mental» et l’excellent «Going All The Way» des Squires. À quoi s’ajoutent d’autres reprises exceptionnelles comme «Sticks & Stones», classique garage imparable. Les Cannibals font figure de modèles. Ils sont impressionnants d’aisance et de véracité carnivore. On trouve en B un excellent «Monkey See Monkey Do» joué à l’insistance bourrue. Wow, ils montent ça sur un beat haletant, un tempo altier qui permet toutes les indélicatesses. Et puis voilà qu’ils tapent dans le Chocolat avec une reprise stupéfiante de «Let’s Talk Abou Girls», l’une des plus belles versions du hit chocolaté. Ils sont dessus, parce que le chanteur est américain. Spenser ultra-chante et s’en sort avec les honneurs.

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    Attention, le dernier album des Cannibals est une sorte de passage obligé. And The Lord Said Let There Be Trash vaut vraiment son pesant de côtelettes. On y trouve au minimum trois hits sur chaque face, à commencer par «City Of People», fantastique slab de garage fuzz. Ces bons vieux Cannibals savent tenir un garage en laisse, yeah yeah. Ils gueulent à la revoyure, baby don’t mess with me - Et ça continue avec «Your Sister», hit garage hanté par un voile d’orgue et Mike Spenser s’amuse avec your beautiful sister. Tous les cuts sont bardés de son et ultra-joués, ça fuzze dans la meilleure des traditions. Encore de la heavyness riffique avec «Paralytic Confusion», c’est quasiment hendrixien, dans l’esprit de «Who Knows». Et ils fracassent leur fin d’A avec «We’re Pretty Sick». Hey doctor ! Ils développent ici une rare puissance, ils envoient des oh yeah qui sonnent comme des modèles du genre. Ça joue ventre à terre, c’est flamboyant, on croirait parfois entendre des Shadows of Knight amphétaminés. La B est encore pire, avec «Your Selfish Ways», tapé au mid-tempo amélioré, un brin hanté par une belle distorse. Mike Spenser occupe bien le devant de la scène. Il chante comme l’Ig de l’âge d’or dans «I Want Trash», voilà encore du très gros fretin, les Cannibals semblent incapables de fourbir un mauvais album. Encore du garage haut de gamme avec «Not Wanted Here», extrêmement alerte et vif, joué ventre à terre, ouh come there/ Not wanted here/ Not wanted here - Mike Spenser tape ensuite dans le dark bahm boom pour imposer «Animal Love». Les Cannibals ne font pas de cadeaux, ils ne prennent pas de gants. Pas de chichis chez ches mecs-là, ils trashent leur garage avec un appétit démesuré. On trouve un cut surprise en fin de B, un superbe rave-up de Bristish Beat surchauffé à l’harmo, digne des early Stones ou des Pretties, mais en plus raw, Ron.

    Signé : Cazengler, Canniballetringue

    Cannibals. Bone To Pick. Hit Records 1982

    Cannibals. Trash For Cash. Hit Records 1985

    Cannibals. Please Do Not Feed The Cannibals. Scarface 1987

    Cannibals. Hot Stuff. Hit Records 1987

    Cannibals. And The Lord Said Let There Be Trash. Hit Records 1991

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    Jon Mojo Mills : It’s Trash. Shindig #76 - February 2018

     

    LA FASCINANTE HISTOIRE DES VARIATIONS

    MARC TOBALY & JULIEN DELéGLISE

    ( Camon Blanc / Septembre 2018 )

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    Scène bucolico-country. Je pousse doucettement la balançoire de la petite sœur du copain allongé sur la pelouse devant la maison, le transistor à ses côtés. Le monde est presque parfait, nous sommes en 1969. L'éternité est devant nous. Et brusquement la nuisance absolue s'abat sur nous comme l'épervier plonge sur sa proie. Come Along nous traverse à la manière de la foudre sur le héros dans le chapitre de Que Ma Joie Demeure que Giono n'a pas osé rajouter à la fin de son roman. Pas le temps de reprendre nos esprits que le speaker prononce la bourde de sa vie. Les Variations, avec le copain, on rigole, l'a besoin de réviser son anglais, un élève de sixième aurait correctement ânonné The Va-rii-ac-chions, l'on a dû entendre nos cruelles moqueries sur Europe 1, car la précision qui tue déboule sur nous, '' un groupe français''. Le répète deux fois, pas d'erreur possible, ce sont des français. Ce n'est pas que nous soyons particulièrement chauvins ou nationalistes, mais une évidence s'impose : la France entre dans une nouvelle ère. L'on possède enfin un groupe qui sonne à égalité avec ce qui nous vient de l'autre côté de la Manche.

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    Une consolation en ouvrant ce livre. N'avons pas été les seuls à subir cette commotion et à prétendre à cette révélation. Et à partager une identique incompréhension finale. Un demi-siècle plus tard les Variations ont disparu de la mémoire collective. Même ceux qui n'ont jamais entendu un seul des morceaux des Chaussettes Noires les situent dans l'histoire du rock des grenouilles sans hésitation, mais pour les Variations, c'est le gros blanc, l'ignorance complète. Les quoi ? Les qui ? Et pourtant les Variations ont été les premiers. Pas chronologiquement bien sûr, mais ils ne font pas non plus exactement partie de la deuxième génération. En sont les précurseurs. Et entre parenthèses sont d'une autre trempe que ces tristes clowns de Martin Circus ( qui se sont écrasés au Sénégal ) et de Triangle dont les trois angles ne sont jamais parvenus à atteindre les 180 degrés réglementaires. Les Variations eux ont le son. The sound. The true and veridic and magic sound. Anglais. Le vrai, le seul, l'inimitable. N'ont pas la guitare maigrelette comme tous les autres. Et derrière ça gronde comme un ouragan.

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    Longtemps que les fans attendaient ce livre. Certes l'on pouvait reconstituer l'épopée fragment par fragment en fouinant sur Internet et les sites spécialisés et en relisant les anciennes revues, mais là tout a été réuni et propose en une seule fois une vue d'ensemble sur une carrière qui n'a pas été sans brisures. En plus Julien Deléglise a bénéficié de l'apport de Marc Tobaly qui fut à l'origine du groupe et a contribué à tirer les leçons de l'échec final. N'élude aucunement la responsabilité du groupe mais n'en oblitère pas pour autant les obstacles qu'il rencontra. Pour sa part Julien Deléglise ne cache jamais son admiration pour le groupe et la plupart des lecteurs risquent d'être surpris par la place majeure qu'il accorde à ce combo aujourd'hui pratiquement oublié dans l'histoire constitutionnelle du heavy-rock. Les Variations n'ont pas démérité. Ont fait preuve d'intuitions fulgurantes, l'on rêve de ce qu'ils auraient pu faire s'ils avaient eu la chance de bénéficier d'un appui logistique et musical qui était monnaie courante en Angleterre. Si mal reçus en France qu'ils trouvèrent refuge et compréhension aux States. Un comble pour un groupe français !

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    Une histoire qui débute au Maroc, Marc Tobaly y naît en 1950, une dizaine d'années plus tard l'odeur des Chaussettes sales s'insinue jusquà Fès et avec deux camarades du collège les frères Costa, ils s'essaient à reproduire Dactylo Rock et Wha'd I Say de Ray Charles. Forment les P'tits Loups, tournent un peu partout à Casablanca Marc rencontre un certain Jo Philippe Leb avec lequel dans le garage du père il tape le bœuf sur les morceaux des Roling Stones. Toujours à Casablanca – décidément une mine d'or il croise le batteur des Jets qui assurent la première partie des Shadows, un certain Jacky Bitton...

    En 1966, Marc et son frère Alain jouent les Rastignac du rock. A Paris, comme il se doit, ce qui ne les empêche pas de traverser le Chanel pour humer l'air anglais, en ébullition. Alain s'inscrit à la fac, et Marc découvre qu'à part Hallyday, Long Chris et Ronnie Bird, la scène française apathique offre peu de débouchés comparée pour quelqu'un qui a vu ( et entendu ) de près les merveilles du rock'n'graal britannique... Trouve tout de même un guitariste – Jacques Micheli – et un bassiste – Guy de Baer – et puis le destin s'en mêle par un pur hasard objectif il rencontre coup sur coup Jacky Bitton et Jo Leb. Doit y avoir une bonne étoile car si Jacques et Guy un peu déroutés par la fougue des trois amis quittent le navire, survient, encore un coup de dés du sort, le quatrième cavalier de l'apocalypse : le bassiste Jacques Grande passé à la notoriété sous le sobriquet de Petit Pois. Ne vous méprenez c'était un poids lourd. Y aura même un cinquième appelé, qui fera un petit tour et puis s'en ira mettre le feu chez Johnny, Rolling ! Avec qui Hallyday enregistrera ses plus belles faces. Mais ceci est une autre histoire.

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    Les Variations ne tardent pas à mettre le ramdam dans les boîtes où ils passent. A tel point qu'ils sont connus de tout le monde, z'ont la réputation d'un combo de tueurs mais le métier s'en fiche, et comme Paris et sa banlieue ne sont pas plus gros qu'un microcosme, le groupe a l'impression de tourner en rond. Ce sera le premier exil, décidé par Alain qui tient le rôle de manager, Allemagne, Danemark, Suisse, passent au Star Club, rencontrent les Small Faces, Hendrix, Vanilla Fudge, des grosses pointures, certes ils admirent mais ils reçoivent en contre-partie le respect. Enregistrent un simple : Spicks and Specks / Mustang Sally sur le label Triola à Copenhague.

    C'est bien beau, mais la campagne de France n'est pas gagnée, tournent en province, soulèvent l'enthousiasme partout où ils passent, les fans sont là, mais le showbiz les ignore. Ce coup-ci ce n'est pas le hasard qui s'en mêle, mais le destin. La date elle-même est fatidique. La télé prépare une soirée spéciale, Fleetwood Mac, Small Faces, Jeff Beck Group, et les Who sont au programme. Pas les Variations, s'y rendent tout de même au cas où, et les voici sommés de remplacer Traffic qui a des ennuis avec la douane, avec un tel nom on provoque un peu les soupçons... Lorsque l'émission est diffusée les Who et les Small Faces ont droit à un titre, les Variations à sept.

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    Tout de suite c'est l'engrenage. Signent chez Pathé-Marconi. Deux singles sortent la même année et début 1970 le premier album : Nador. Il faut comprendre que les Variations ne sont pas des suiveurs qui arrivent après la bataille. Durant leur virée hors-hexagone, ils ont côtoyé les groupes anglais et vécu dans le creuset de braise où le british-blues est en train de magnifier le vieux blues américain en monstre incandescent. Nador en quelque sorte improvisé, le groupe se débrouille seul en studio et les boys qui se contentaient de jouer des reprises sue scène se mettent à composer, se révèle être le fils parfait et l'enfant sauvage de son époque gorgée de fureur et d'énergie. Me suis amusé à me rafraîchir la mémoire en parcourant les 123 Albums essentiels du rock français ( présenté par Philippe Manœuvre paru en 2010 ), oui il y a de la bonne came, de la super bonne variété, mais d'aussi rock'n'roll que Nador, pas plus de cinq...

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    L'histoire des Variations jusqu'à maintenant s'est déroulée comme un rêve de môme, ils sont jeunes, ils sont beaux, en osmose parfaite avec leur époque, arborent des tenues à faire pâlir  Eudeline, vivent en communauté ( rien à voir avec les sinistres co-locs sous-économiques d'aujourd'hui ), jouent comme des Dieux, ont du flouze, et ramassent les plus belles filles. De quoi exciter les envieux de tout bords. Ce n'est pas le cauchemar qui déboule, plutôt des insomnies qui empêchent le songe d'étendre ses ailes cristallines.

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    La presse se déchaîne, on leur reproche tout et n'importe quoi, le set raté devant Steppenwolf, de ne pas chanter en français et puis ces années 70 sont marquées par l'apparition d'un public petit-bourgeois qui se pique de rock'n'roll, à condition qu'il ne soit pas trop violent et sale. Trop populaire, pour prononcer le mot non honteux qui hante le cerveau des snobinards, pas assez culturel – lisez progressif. C'est l'époque où il est de bon ton de se gausser de tout ce qui est français, il ne faut jamais oublier qu'entre 1970 et 1975, l'on achète par chez nous surtout des disques du Pink Floyd, de Yes, d'Emerson Lake & Palmer, de Genesis...

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    Mais si l'on est souvent trahi par les autres, les plus grandes trahisons viennent de vous-même. En septembre 1971, Jo Leb annonce par voie de presse qu'il quitte les Variations. Parfois le fromage vous monte à la tête plus sûrement que la fièvre à El Paso. N'est-il pas un merveilleux showman, une bête de scène extravagante, ne mérite-t-il pas les ponts d'or qui ne manqueront pas... L'est déjà de retour en février 1972. David Chevalier qui le remplaçait depuis octobre 71 lui laisse la place sans problème, les Variations étaient trop rock'n'roll pour lui... Mais le groupe est en roue libre.

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    Appliquera la solution qui avait si bien marché en 1967, l'exil. Attention pas le Danemark, les States, rien de moins, le pays où naquit le rock'n'roll. Le pire, c'est que ça marche. Le groupe tourne et s'attire les bonnes critiques. Rend raison à l'adage selon lequel nul n'est prophète en son pays. L'est qualifié de High Energy Group. De retour en France, les flagorneries de circonstances ne font point défaut. Ils sont une nouvelle fois les rois de la fête. Ils en profitent pour sortir le simple Je Suis Juste Un Rock'n'Roller - Enregistré aux Etats-Unis, marqué en gros sur la pochette.

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    Retour aux Etats-Unis pour enregistrer sous la houlette de Don Nix – notamment chez Stax – en avril 1973, leur deuxième album, Take It, Or Leave It. Nador embaumait le rock anglais, Take It sonne résolument américain. Quelle différence demanderont les esprits curieux. Les amerloques prennent le rock beaucoup plus naturellement que les Rosbeef. C'est un truc qui sort de chez eux. Un peu comme le bal musette de par chez nous. Ou le camembert si vous préférez. Les englishes dès qu'ils y touchent ( je parle du rock pas du claquos ), ils en rajoutent, un bidule qui se remarque tout de suite, du genre hé ! les bouseux, les soit-disant spécialistes vous n'y avez pas pensé... certes vous avez les mines de glaise les plus qualiteuses, mais les plus beaux vases c'est nous qui les façonnons de nos petites mains fragiles et expertes, tout juste s'ils ne rajoutent pas, de génies surdoués. Moins agressif que Nador, l'on trouve dans Take it, une assurance et une maturité que le premier album ne connaissait pas. Paru sur Buddah l'album auréolé de louangeuses chroniques ne se vendra que très mollement. Les Variations sont repartis aux USA, ils rencontrent notamment les New York Dolls in the Big Apple, mais auraient mieux fait de tourner en France pour pousser les ventes...

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    Les Variations repartent aux States dés le début 74, ils tournent avec Aerosmith, Kiss, Peter Frampton, quelques sessions à Atlanta mais le gros du troisième album sera enregistré à Paris. La perfide Albion avait inspiré le premier, et le pays de Tom Saywers le deuxième, pour le numéro trois, le groupe se replie sur ses racines. Not the french touch, le Maroc. Morocan Roll surprend les fans français. Du rock'n'roll certes mais mâtiné d'arabesques venues d'ailleurs. Led Zeppelin lui aussi ira chercher de nouvelles sonorités, mais si l'on pardonnera tout au Dirigeable, l'on fait la moue devant ces petits français qui collent trop bien à leur époque. D'ailleurs, le disque précipitera le départ de Jo Leb qui ne se reconnaît pas dans ces labyrinthes orientalisants... les Variations étaient un peu trop en avance.

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    Jo Leb sera remplacé par Robert Fitoussi ( qui deviendra célèbre sous le nom de FR David ). Le groupe enchaîne sur son quatrième album. Café de Paris, ce n'est plus du rock pur et dur, l'on frôle le fusion-funk , encore une fois Variations regarde plus loin que ceux qui ont le nez dans le guidon du boogie. Voit aussi plus loin que lui-même. Le départ de Jo Leb tourne la page et termine le livre. Ça doit tanguer salement à l'intérieur du combo, le 25 mai 1975, alors qu'il passe en première partie d'Aerosmith, c'est le split final...

    Ce qui suivra offre peu d'intérêt. Reportez-vous au bouquin. Marc Tobaly nous offre la consolation du pauvre. Tout compte fait, ce n'est pas si mal que cela, l'a pu se retrouver, fonder et s'occuper de sa famille, se recueillir sur sa foi... redevenir un homme simple, le succès, la réussite, une vie de rock star pourrie de dope et de fric l'auraient écarté des vrais valeurs...

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    Les Variations sont venus trop tôt. Ou plutôt à la bonne heure, mais dans un monde de froggies qui n'était pas préparé pour les recevoir. Rien n'était prêt, ni le circuit de tournage, ni la presse, ni le public. Sont passés comme des météorites. Une traînée de feu étincelante, suivie d'une désintégration finale. Quant à leur évolution musicale, elle me semble éclairer et préfigurer les diverses mutations des groupes metal. Mais celles-ci se sont déroulées sur quatre décennies. L'on se prend à rêver à ce qu'ils auraient pu devenir s'ils avaient bénéficié d'un véritable management. Mais avec des Si l'on mettrait Café de Paris en bouteille...

    Les Variations sont nos Rolling Stones à nous. A la française, certes. Mais du toupet et du panache. Julien Deléglise nous dit que sans eux il n'y aurait jamais eu de Trust et de Téléphone. Perso, je préfère les mettre à côté de Magma. En tout cas le livre s'ouvre sur le plus bel hommage jamais adressé à un groupe de rock. De Nono de Trust. S'il est un groupe qui pourrait prétendre au titre du deuxième album des New York Dolls, In Too Much Too Soon, ce sont les Variations. Et nul autre.

    Un livre à lire et à méditer. Très rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    BLUES, FEMINISME ET SOCIETE

    LE CAS LUCILLE BOGAN

    CHRISTIAN BETHUNE

    ( Camion Blanc / Septembre 2018 )

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    Nous ne savons rien de Lucille Bogan. Née en 1897, ayant vécu à Birmigham. Morte à Los Angeles où elle résidait depuis deux mois à l'âge de cinquante et un ans. Son fils interviewé à la fin des années soixante n'est guère disert. C'est le moins que l'on puisse dire. Se contente de nous révéler qu'elle fut chanteuse de blues, et qu'elle travaillait l'écriture de ses morceaux à la maison. Circulez, vous n'en saurez pas une once de plus. Cherche-t-il à cacher quelque secret de famille ou simplement exprime-t-il le mépris d'un musicien de jazz pour cette forme musicale rudimentaire qu'est le blues ? Nous ne connaissons d'elle qu'une soixantaine d'enregistrements – une quarantaine semblent être définitivement perdus. Christian Béthune parvient tout de même à rédiger un volume de trois cents cinquante pages sur cette mystérieuse figure.

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    L'on a l'habitude de diviser l'histoire du blues américain en trois grandes étapes. Le blues féminin, le blues rural du Delta, le blues électrifié de Chicago. Laissons de côté ce dernier, amplement documenté. Intéressons-nous aux deux précédents. L'on a longtemps admis que le vrai blues, the real blues, le blues authentique fut celui du Sud profond. Le blues féminin serait une forme édulcorée et bâtarde du blues, un produit hybride, un infect mélange de chansons issues des minstrels et du vaudeville, lancé par les compagnies de disques du Nord. Un blues de seconde zone qui durant longtemps aurait occulté le véritable blues qui par miracle se serait perpétué durant des décennies dans l'enclave territoriale mississippienne. Et ce depuis un temps mythique indéterminé. Lorsque Alan Lomax dans les années trente s'enquiert de ce blues perdu et oublié, il n'enregistrera que des hommes.

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    Objection votre honneur ! L'idée que le blues fut le patrimoine sacré des anciens esclaves miraculeusement préservé par un confinement géographique va en prendre un sacré coup dans ce paragraphe. Première remarque, le mot blues pour désigner un style musical n'apparaît qu'après 1910, faut se faire une raison, avant cette date le blues n'existe pas. Deuxième démarque : le Sud et le Nord des Etats-Unis sont reliés par un dense réseau de chemins de fer. Certes les noirs n'ont pas l'argent qui leur permettrait de faire du tourisme. Mais les casquettes rouges ne s'en privent pas, y sont même obligés. Ces couvre-chefs rutilants sont ceux des employés noirs qui travaillent sur les trains. Se livrent à d'innocents trafics pour augmenter leur misérable salaire : achètent pour pratiquement rien des disques dans le Nord pour les revendre dans le Sud. La musique circule plus qu'il n'y paraît. Dans le Delta comme ailleurs. Les vieux bluesmen de nos images d'Epinal qui gratouillent leurs guitares sur la terrasse de leurs baraquements en connaissent beaucoup plus qu'ils n'y paraissent. Très étrangement lorsque les Compagnies viendront les enregistrer in-situ, ils alignent tous des morceaux ( de blues ) qui n'excèdent pas les trois minutes réglementaires que pouvait contenir la face d'un 78 tours.

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    Si les Compagnies se déplacent ce n'est pas qu'elles aient subitement reçu une révélation ethnographique et qu'elles aient décidé de sauver un genre musical en perdition. Juste des considérations économiques : le prix de revient d'un enregistrement effectué dans une chambre d'hôtel est des plus bas. Pas besoin de monopoliser un studio et des musiciens. Et encore mieux, pas de droit de suite. Les péquins sont heureux comme des papes d'avoir pu enregistrer quelques morceaux, ne négocient pas des contrats juteux, ignorent jusqu'à l'existence des royalties. Rien à voir avec ces poulettes du nord qui font monter ( très relativement ) les enchères...

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    Ne suffit pas d'avoir un enregistrement, faut le vendre et pour cela le transformer en produit. Certes la demande fait le marché mais l'offre peut aussi l'orienter. Pour ces chanteurs l'on crée un nouveau style, sera étiqueté blues. Qu'on se le dise, on recherche des chanteurs de blues, pas d'autres choses. Les témoignages concordent, nos chanteurs de blues patentés et révérés, comme Charley Patton par exemple, ne chantaient pas que du blues, connaissaient des tas d'autres styles, chansons, airs de vaudeville, et notamment se défendaient très bien en hillbilly. Vous leur ouvriez un micro, ils vous auraient chanté tous les styles, écoute coco, l'on veut du blues, que du blues, rien que de blues, si tu veux tes dix dollars t'a intérêt à sortir tes meilleurs lapis-lazuli... Système à double détente. Le blues était réservé aux noirs, et l'on spécialisait le hillbilly pour les blancs. Deux étiquettes, deux publics, deux marchés. En plus la musique se pliait aux patterns ségrégatifs de la société américaine.

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    Lucille Bogan est une des premières chanteuses de blues. Elle n'atteindra jamais à la célébrité de Bessie Smith, ou de Ma Rainey, ou même d'Ida Cox, mais il semblerait que c'était-là le moindre de ses soucis. Aucun document n'atteste qu'elle ait chanté en public. Certes elle a enregistré pour Okeh ( 1923 ), pour Paramount ( 1927 ), pour Brunswick ( 1928 – 1930 ), pour ARC ( 1933 – 1935 ), s'étant déplacée pour cela à Chcago et New York, mais tout laisse supposer qu'elle travaillait chez elle, demandant à quelque pianiste de blues de Birmingham de venir l'aider à répéter ses morceaux. Christian Béthune les analyse un par un. Un peu musicalement – faisant notamment appel à un musicologue qui lui refile des analyses difficilement compréhensibles pour quelqu'un qui ne sait pas lire la musique – s'intéresse avant tout aux lyrics. Lucille Bogan les écrivait elle-même, son fils témoigne qu'elle en fignolait l'écriture longuement. Aujourd'hui les compositeurs-interprètes sont monnaie courante, au début du vingtième siècle qu'une femme noire issue du peuple écrivît ses propres textes et les interprétât est une denrée rare. Bessie Smith et plus tard Billie Holiday subirent d'énormes pressions de leurs maisons de disques quant aux choix de leurs morceaux...

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    Mais ce n'est pas tout. Lucille Bogan soignait ses textes, certes mais elle ne les expurgeait pas. Très symboliquement elle est la première à enregistrer un morceau comportant le mot '' fuck''. Pensez aux critiques qui assaillirent Michel Polnareff en 1966 lorsque en notre pays, pourtant réputé pour sa gauloiserie légendaire, parut son titre Je veux Faire l'Amour Avec Toi... Alors imaginez une femme dans les années vingt qui proclame d'une manière des plus explicites qu'elle veut se faire baiser par-devant et enculer par derrière, vous jugerez de la catastrophe. La tartufferie de la société aussi. Pour juguler la crise de 29, l'on pouvait trouver les mêmes morceaux sur des disques vendus à 20 cents et sur d'autres à 1 dollar. Sans doute existait-il encore un circuit parallèle à très bas prix pour les œuvres salaces et grivoises... Deux de ces morceaux survécurent miraculeusement et furent accessibles dans les années 70. Christian Béthune nous présente Lucille Bogan comme une précurseuse des rappers modernes qui usent d'un vocabulaire fleuri et bourgeonnant, une modernité dans la droite ligne de la tradition des dirty dozens que l'on se lançait à la figure entre voisins dans les quartiers noirs.

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    Réjouissons-nous, à l'époque ces morceaux ne furent pas édités, la morale est sauve, ce qui ne règle en rien le problème Bogan, car sur l'ensemble de ses textes, la petite Lucille ne mâche pas ses mots. L'appelle un chat un chat et une chatte une chatte. Mais ce n'est pas le pire. Ce sont les histoires qu'elle raconte qui vous hérissent les poils du pubis. Rien de bien extraordinaire, un mec quitte sa nana ou la nana quitte le mec. Jusqu'ici, vous connaissez. Mais elle a des façons de décrire ces situations communes avec des mots qui n'emberlifigotent point la réalité. C'est du cul crû. Pas du tout cucul la fleurette. La réalité à ras les draps sales. Lucille fait preuve d'une sereine impudeur. Dévoile tout, ne cache rien. Christian Béthune se sent obligé de se munir du bouclier de la pensée d'Aristote pour faire passer le message. Non seulement Lucille Bogan aime le sexe et l'alcool, mais elle aime la dépendance au sexe et à l'alcool. Comme si ça ne suffisait pas elle ramène un troisième larron. Non ce n'est pas le rock'n'roll, n'existait pas encore à l'époque, même pas le blues, le blues c'est ce qu'elle fuit, et pour cela elle ne connaît dans cette vie de merde du prolétariat noir que l'alcool, le sexe et le fric. Et oui, the money, cette crotte de Dieu disent les hindous. Et le fric et le sexe s'interpénètrent tellement dans les textes de Lucille Bogan que l'amour, le désir et la prostitution copulent joyeusement entre eux.

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    Lucille Bogan n'a ni lu Marx ni poursuivi des études poussées dans une prestigieuse université américaine, mais elle avait tout compris du fonctionnement capitalisme et de l'entregent libertarien, les rapports humains sont dominés par les rapports économiques, dans notre société vous ne pouvez vivre que de l'échange de ce que vous avez – votre corps – contre ce que vous n'avez pas – le fric. C'est ainsi, vous pouvez dire que c'est bien ou que c'est mal, ce genre de problématique ne devait probablement pas effleurer l'esprit de Lucille Bogan. Pour elle c'était un bon deal, la transaction était agréable, en prime elle procurait le plaisir. Que voulez-vous le sexe rend l'âme juteuse.

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    Et en plus, cet agréable commerce, produisait à la femme noire un avantage collatéral des plus jouissifs. Ne dépendait plus des hommes, devenait indépendante, n'était plus obligée de s'embaucher comme domestique, menait sa vie – avec ses hauts et ses bas – comme elle voulait. Elle assumait. N'était plus l'inférieure de l'homme, adieu le patriarcat, devenait son égale. Tout cela Lucille Bogan ne le théorise pas, elle l'irradie. Un message qui n'est pas tombé dans l'oreille des sourdes. Si Lucille Bogan devient à la mode, c'est que le féminisme s'est emparé de son personnage. Elle s'y prête, chants lesbiens et revendication de son corps chocolat noir à grosses fesses et ventre bouffi. Angela Davis l'évoque dans son livre Blues et Féminisme ( paru en 2017 aux Editions Libertalia, kro-niqué dans notre recension 346 du 02 / 11 / 2017 ), dans son introduction Christian Béthune précise que son livre était déjà terminé à la parution de l'opus d'Angela Davis. De surcroît son ouvrage possède un immense avantage, il ne se sent pas obligé de répéter à toutes les pages que la femme noire pauvre est asservie en tant que femme, en tant que noire, et en tant que pauvre. Et que de toute manière, quelle que soit sa classe sociale la femme est asservie en tant que femme. Ce genre de sempiternelle antienne ( mêlée au catéchisme revendicatif de la théorie du genre) alourdit la lecture du book d'Angela Davis. Dépourvus de cette gangue de discours idéologique, les textes de Lucille Bogan n'en paraissent que plus percutants.

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    Entre ce vous écrivez et ce que vous êtes, parfois la différence est énorme. Certains biographes n'ont pas hésité à conclure que Lucille Bogan exerça la noble profession de péripatéticienne. Une pute alcoolique c'est beaucoup plus vendeur qu'une épouse ménagère. Rien ne le prouve, et le peu que nous savons d'elle nous la présente doté d'un caractère casanier. Ses blues participent-ils d'une expression lyrique d'expériences personnelles ? Christian Béthune se contente de rappeler que dans le blues, l'emploi du pronom personnel '' je'' n'implique pas obligatoirement le vécu de l'auteur. Sert plutôt à rendre plus accessible, à faire partager beaucoup plus émotionnellement, le thème que l'on a choisi de traiter. Un '' je'' impersonnel à vocation universelle.

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    Toutefois si l'on veut pressurer les textes pour en tirer quelques éléments en relation avec l'existence de son auteur, rien ne l'interdit. Attention, les blues sont remplis de trains qui partent. La country music aussi. Au début du vingtième siècle, le train était pour les humbles le seul moyen de locomotion accessible quand on avait de longues distances à parcourir. Que l'on paye son billet ou que l'on joue le passager clandestin... Or il se trouve que le mari de Lucille Bogan occupait un emploi dans une société de chemin de fer de Birmingham. Peut-être est-ce la principale raison qui attacha Lucille à cette ville. C'est avec son second mari – plus jeune qu'elle de vingt ans – ne vous privez pas de méditer sur ce détail - qu'elle partit pour la Californie. Profitons-en pour noter que Birmimgham, surnommée par les autorités municipale, The Magic City – était un nœud ferroviaire et un centre industriel qui attira de nombreux jeunes hommes noirs à la recherche d'un travail. Ce qui provoqua la venue de milliers de prostituées chassées des zones portuaires où les ligues vertu obtenaient la fermeture des quartiers chauds. Pourtant située en Alabama, Birmimgham n'était pas très attirante, elle était la ville la plus ségrégée des States et la moyenne des salaires -ouvriers étaient de vingt pour cent moins élevé que partout ailleurs... Très logiquement Christian Béthune analyse donc les six blues de Lucille Bogan qui évoquent le train ainsi que quelques notations adjacentes dans d'autres textes. Son étude – il y consacre un chapitre entier – n'apporte rien de plus au sens général des paroles, par contre il démontre que Lucille Bogan s'y connaissait un maximum question railroad. Ne fait pas d'erreurs, ni sur les lignes, ni sur les types de locomotives. A partir de quelques mots à signification peu ferroviaire, mais replacés dans leur époque, il se livre à des déductions qui raviront les abonnés de La Vie du Rail ( créée en 1938 ). Cela n'a l'air de rien, mais l'on connaît si peu de la vie de Lucille Bogan, que nous souhaitons qu'un jour des chercheurs obstinés parviennent à partir d'un détail anodin à nous révéler des pans entiers de son existence.

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    Ce livre est indispensable à tous les amateurs de blues. Les points d'attaque de Christian Béthune sont très personnels ( jazz, rap, philosophie ) donc très précieux car il est de ceux qui ne passent pas leur temps à répéter ses devanciers. Un véritable chercheur.

    Damie Chad.

    N. B. : une deuxième cronik sera consacrée aux enregistrements parus sous son nom et le pseudonyme de Bessie Jackson.

     

    DEAD GROLL # 8

    ( Février 2018 )

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    Fanzine. Papier. A prix libre. L'ai trouvé cet été dans la boutique toulousaine Croc Vinyl. Attention 60 pages, du texte et des photos en noir et blanc. Mise en page tout ce qu'il y a de plus classique à part le dernier topo de Franky Stein sur la saga des Outcasts qui utilise une police ( tout le monde la déteste ) un peu plus torturée. Des sudistes, l'ère d'action de cette ultra-sympathique revue s'étend de Périgueux à Toulouse. Beaucoup d'interviews de groupes : The Curse, The Devil Bishop, Not Right, Crumble Factory, Neue Kinder Von Damas – dans celle-ci nous retrouvons un dessin de Sylvain Cnude – vous l'avez compris chez Dead Groll l'on aime le rock qui remue, mais l'on n'est pas dépourvu d'oreilles puisque la dernière est consacré à un groupe de jazz érotico expérimental In Love With. Mais il n'y a pas que des groupes de rock dans la vie, sont aussi passés à la moulinette à questions : le Blog qui organise concerts et évènements à Toulouse et Iggy Stoner Booking parce que voyez-vous les groupes qui n'ont pas de concerts... En tout cas, ces interviews sont passionnantes, connaissent leur sujet et ne posent pas des questions bateaux touchés-coulés. Des chroniques de disques évidemment, notamment Johnny Thunders et Sex Pistols, et puis surprise cette petite kro sur Heartbreaker des Badass Mother Fuzzers, une petite musique qui teinte à mes oreilles, non pas celle des BAMF, celle d'une écriture, que dis-je d'un style, qui ne m'est pas inconnu, en plus c'est signé Loser, notre Cat Zengler à nous ! Quand je vous disais que c'était une bonne revue...

    Damie Chad.

    PS : la revue posède son FB : Dead Groll

    MURCIA TROPIKAL # 3

    ( Juin 2018 )

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    Non, il ne s'agit pas d'un disque de Nino de Murcia mais d'un fanzine ramassé sur la table de La Comedia. Une revue qui donne la parole aux adeptes du DIY dans la bonne ville de Murcia, la huerta de Espana, le jardin de l'Espagne. Evidemment c'est écrit en espagnol mais Kr'tnt ! ne recule devant rien pour satisfaire l'insatiable curiosité de ses lecteurs. Une interview d'Irena créatrice du fanzine Vulva Estelar ( Vulve Etoilée ) revue féministe, participante à un club de lecture féministe, et réalisatrice de podcasts féministes sur la radio Ruda FM. Semble y avoir un lot d'activistes multi-cartes en Murcia, voici Victor qui lui aussi produit son émission de radio Timpanos y Luciérnagas ( Tympans et Lucioles ) qui présente des groupes aux noms évocateurs : Sudores de Muerte ( Sueurs de Mort ), Crudo Pimento ( Piment cru ), Alien Tango ou Galleta Piluda, je laisse votre imagination effectuer ces deux dernières traductions, l'est aussi à l'origine du label Grabaciones a Montones ( enregistrements à foison ), qui produit des EP pour des groupes peu connus. Enfin Santini qui sur son blog Piso 28 ( appartement 28 ), rend gonzoaïquement compte de la vie musicale de la région, il est aussi l'auteur du livre Sabado De Despirorre En La Ciudad ( Samedi matin à la gueule de bois ), passe de la musique dans son émission El Plan sur la radio murciane Rom et joue de la guitare dans le duo Llueve, Capullo ! ( il pleut, crapule ) ... Enfin Mati, qui a fondé Casa Chiribiri un atelier de création artistique, la foire aux fanzines Fritanca y Fosquitos, célèbre pour sa carte de la ville, ne s'agit pas d'un simple plan de la ciudad, les rues sont rehaussées d'illustrations de toutes sortes ( édifices, voitures, passages cloutées... ). Pour avoir paru voici une vingtaine d'années huit jours dans cette cité qui m'avait semblé passablement endormie et hors du temps, je ne peux que me réjouir de cette cocotte minute culturelle underground !

    Damie Chad .

    PS : la revue possède son FB : Murcia Tropikal

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 383 : KR'TNT ! 403 : JOHN ENTWISTLE / REGGIE YOUNG / COUDASSE / GRANDMA' ASHES / ABSTRACT MINDED /PHIL COLLINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 403

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    24 / 01 / 2019

     

    JOHN ENTWISTLE / REFGGIE YOUNG

    COUDASSE / GRANDMA' ASHES

    ABSTRACT MINDED / PHIL COLLINS

     

    L’Ox interior

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    Enfin un article sur John Entwistle, dit l’Ox. Nous avions des textes et même des bouquins sur Moony, sur Pete Townshend, sur Daltrey, mais que dalle sur l’Ox. Dans Classic Rock, Paul Rees répare enfin cette injustice. Il précise très vite qu’on surnommait John The Ox à cause de sa solide constitution. Pour jouer dans les Who, il valait mieux être solide, en effet. Pour bien le situer, Rees le décrit planté comme un piquet à droite de la scène, seul élément stable dans un groupe à tendance particulièrement volatile. Le seul truc qui bougeait dans l’Ox : ses mains, like demented spiders (comme des araignées devenues folles).

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    On tient l’Ox pour l’un des géants britanniques du bassmatic. Non seulement il joue fort, mais il joue vite. Très vite. Des milliards de notes. Quand on observe ses mains demented, on voit qu’il joue des huit doigts. Quatre et quatre. Pour tous les bassmen du monde, l’Ox est le modèle absolu et l’un des premiers trucs qu’on apprend à jouer sur une basse, c’est le solo en quatre phases demented qu’il place dans «My Generation». L’Ox ne cachait pas son goût pour le volume - I just wanted to be louder than anyone else - Et il ajoute qui si quelqu’un d’autre s’avisait de jouer plus fort que lui, ça le foutait en rogne. Et quand Daltrey lui ordonnait de baisser le volume, l’OX le fixait dans le blanc des yeux et augmentait le volume. Question style, l’Ox veillait à jouer steadfast but unpredictable, c’est-à-dire de manière ferme et imprévisible, ce qui est, nous dit Rees, une façon de le définir, en tant qu’homme.

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    L’Ox a en plus sur les autres l’avantage d’avoir reçu une formation classique. Son père Herbert jouait de la trompette et sa mère Queenie Maud du piano. À l’âge se sept ans, sa mère lui fait prendre des leçons de piano. Adulte, l’Ox joue de plusieurs instruments à vent et peut écrire des arrangements. Non seulement des arrangements, mais aussi des chansons. On en trouve une signée Entwistle sur tous les albums des Who. La plus connue est sans doute «Boris The Spider», c’est-à-dire Boris l’araignée - Encore une ! - L’idée vient d’une soirée de beuverie avec Bill Wyman. Ils parlaient d’araignées et s’interrogeaient de savoir pourquoi les gens en avaient peur. Mais la plus fameuse compo de l’Ox se trouve sur Who’s Next : «My Wife». Il fut aussi le premier à porter la veste Union Jack. Puis au fil des ans, on le vit toujours sapé à sa façon, c’est-à-dire tiré à quatre épingles. Il veillait à se distinguer des autres.

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    C’est à l’Acton County Grammar School que l’Ox rencontre Pete Townshend et son nez proéminent. Pete joue du banjo et ils montent tous les deux The Confederates. Ils se produisent en public à l’Acton Grammar School en 1958. C’est là qu’arrive le rock’n’roll et l’Ox passe à la guitare. Mais il a les doigts trop gros pour le manche d’une guitare. Alors il passe à la basse. Mais pas n’importe quelle basse : il doit en fabriquer une, vu qu’il n’a pas les sous pour l’acheter. Il récupère une grosse planche de contre-plaqué, trouve un menuisier pour y découper la forme d’un Fender et fixe lui même le manche sur le body. Puis il croise Daltrey dans la rue, Big bad Roger, un branleur qui a déjà une sale réputation, qui s’est fait jeter du lycée et qui bosse sur les chantiers. Daltrey a déjà un groupe, les Detours et il embauche l’Ox qui dans la foulée fait venir Townshend. Très vite, les Detours jouent tous les soirs. Soudain, un éclair frappe l’Angleterre : le premier single des Beatles, «Love Me Do», en 1962. L’Angleterre passe alors du noir et blanc à la couleur. C’est l’époque où Jim Marshall commence à travailler sur des amplis et l’Ox devient l’un de ses premiers clients. Ça ne plait pas à Townshend : «John already very loud was now too loud.» Alors Townshend s’achète une deuxième enceinte et une tête d’ampli Fender. Évidemment, l’Ox rajoute une enceinte à la sienne. Townshend rajoute une deuxième tête d’ampli et c’est comme ça que les Who sont devenus les Who. The loudest band on earth. On se souvient du set des Who à la fête de l’Huma, en 71 ou 72 : ils attaquent «Baba O Riley» et jouent si fort que tout le monde recule d’au moins cent mètres. Intenable !

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    Comme un autre groupe s’appelle aussi les Detours, un pote à eux nommé Richard Barnes suggère les Who. Jusqu’au moment où Peter Maeden entre en scène. Ce pill-popping music-biz operator qui a déjà bossé pour les Stones devient leur manager. Il leur conseille de devenir des Mods, il les envoie se faire couper les cheveux et s’acheter des fringues à la mode pour devenir des Mod faces. Il les rebaptise the High Numbers et leur fait enregistrer leur premier single, «Zoot Suit» sur Fontana. Avec Meaden, les choses ne traînent pas. Mais comme le single n’entre pas dans les charts, les High Numbers reprennent leur liberté et redeviennent les Who. Puis c’est la rencontre avec Moony qui monte un soir sur scène avec eux pour jouer «Road Runner». C’est la naissance d’une section rythmique légendaire, avec l’étalon fou d’un côté et l’Ox solide comme un roc de l’autre. Ils allaient rendre tous les cuts des Who élastiques, indomptables. L’Ox est émerveillé de voir Moony chercher à frapper tous ses drums en même temps. Et il ajoute que pour jouer avec un mec comme lui, il faut jouer all over the place, toutes les notes en même temps. Moony et l’Ox deviennent très proches, et leurs épouses Alison et Kim s’entendent bien. C’est là que Kit Lambert et Chris Stamp entrent en scène. Ils deviennent les managers du groupe et font appel à Shel Talmy, un producteur américain installé à Londres qui a commencé à casser la baraque en produisant les Kinks. Et pouf, c’est parti avec «Can’t Explain», le premier d’une série de hits explosifs. Jimmy Page joue de la rythmique mais il est dégagé par le freight-train rumble de l’Ox. S’ensuit «Anyway Anyhow Anywhere» puis l’un des classiques les plus magistraux de l’histoire du rock anglais, «My Generation», véritable slab d’amphetmine rush. L’Ox joue son bassmatic sur une Danelectro. Mais l’atmosphère dans le groupe est explosive - It was like going to war every day - Ils ont tous les caractères très différents, voire opposés. Ça saute à la moindre étincelle. Mais cette explosivité devient leur fonds de commerce. Ils foutent la trouille à tout le monde. On parlait de l’incontrôlabilité des Dolls. Mais en comparaison des Who, les Dolls sont des enfants de chœur.

    Quand Jeff Beck et Jimmy page envisagent de passer à la vitesse supérieure en 1966, ils tentent de récupérer Moony et l’Ox. Lors d’une répète, Moony propose de baptiser le groupe Lead Zeppelin. Mais nos deux héros reviennent à la raison et décident de continuer avec les Who.

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    Puis les Who traversent l’Atlantique pour la première fois. Ils jouent dix jours à New York et vont partager l’affiche du Monterey Pop Festival avec Otis, Jimi, Janis et tous les autres. C’est aussi à cette occasion qu’ils font leur première télé américaine en direct : The Smothers Brothers Comedy Hour. À la fin de «My Generation», Moony fait sauter son drumkit à la dynamite. Des éclats de cymbales se plantent dans son bras. Pour ramener le calme, Tommy Smothers attrape sa guitare acoustique et commence à chanter devant la caméra. Townshend lui arrache la guitare des mains et la jette au sol et la crève d’un coup de talon. Mais celui qui tire le mieux les marrons du feu, c’est l’Ox, qui reste impassible dans un coin, affichant même un air d’ennui léger. Dans ce chaos total, le fait de paraître normal le rend unique.

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    Alors que Townshend travaille d’arrache pied sur la suite de Tommy, l’Ox enregistre son premier album solo. Le guitariste qui joue sur Smash Your Head Against The Wall s’appelle Dave Langston, inconnu au bataillon. Jerry Shirley bat le beurre. Avec l’Ox, ils forment tous les trois un redoutable power trio. Ils proposent un rock-pop seventies très solide. Dès «What Are You Doing There», on voit que l’Ox sait tailler la matière pop d’une mélodie. Il peut se montrer très ambitieux. Sa formation classique reprend le dessus. On l’admire pour son côté quiet. Fascinant personnage. Encore un joli slab de pop de rock dynamique avec «What Kind Of People Are They». L’Ox pose des questions et apporte de sacrées réponses. Il sait se montrer intéressant de bout en bout et d’une grande modernité. C’est Dave Langston qui embarque «Heaven And Hell» au développé de guitare. On a là une incroyable épopée d’approche prolifique, remplie de clameurs. L’Ox se lance à la découverte de nouveaux horizons, comme jadis Vasco de Gama. Il se montre placide et déterminé à la fois. Dave Langston produit une sorte de drone velouté sur sa guitare. C’est en B que culmine l’art de l’Ox avec bien sûr «N°29 (Eternal Youth)». Toute la bande de luminaries vient jouer des percus là-dessus : Moony, Viv Stanshall et Neil Innes. Ça donne une extraordinaire pièce pantelante digne de Who’s Next, noyée sous des trombes de trombone. L’Ox mène son bal. Ce pur jus de Pretties à la «Baron’s Saturday» tourne au mythe et l’Ox ravage la contrée au bassmatic. Hey ! Oh ! On nage là dans la légende du London rock de l’âge d’or. Toute la B est bonne, tiens, par exemple «Red End», très beatlemaniaque dans l’esprit, salué aux trompettes de la renommée. Le grand art de l’Ox. Sa pop mélancolique enterre les préjugés. L’Ox a des réflexes dignes de ceux des Beatles. Rest in peace ! «You’re Mine» pourrait aussi très bien figurer sur Who’s Next. C’est travaillé à l’os de l’Ox. Cette pop marque le visage de l’Angleterre au fer rouge. Les chœurs explosent et dans tout ce ramdam, l’Ox exulte puisque son bassmatic atteint des sommets. Il termine avec «I Believe In Everything», un extraordinaire shoot de présence pop. L’Ox s’ébroue dans la Beatlemania, le meilleur cru de tous les temps. Et ça se termine en chanson de pub. Admirable.

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    C’est à son retour dans les Who qu’il propose «My Wife» - I’ve been home since Friday night/ And now my wife is coming after me/ Gimme police protection - L’Ox manie l’humour à sa façon, à l’Anglaise. Quand Who’s Next paraît, l’argent coule à flots. L’Ox s’achète une belle baraque à Ealing et commence à collectionner les bagnoles, même s’il n’a pas le permis. Alison Entwistle s’inquiète un peu : «Nous n’avions pas d’argent et soudain, on en avait trop. C’est monté à la tête de John. Il dépensait sans compter. Il allait s’acheter une paire de chaussures et il en achetait douze.» Et elle ajoute : «On l’appelait the Quiet One, mais il pouvait être pire que Keith, ça dépendait de ce qu’il avait bu.»

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    Sa nouvelle maison lui donne des idées de cuts pour son nouvel album solo, Whistle Rymes qui paraît en 1972. Comme par exemple «Apron Strings». L’Ox est un homme qui chante énormément. Il bassmatique encore plus énormément. Il adore aussi jouer avec l’idée de la mort, comme on le constate à l’écoute de «Thinking It Over» Démarrer une nouvelle vie ? Prendre la bagnole et la moitié des meubles ? Non, ça n’a pas de sens - I decided to take my own life - Plutôt se foutre en l’air. Puis il revient sur sa décision - It’s too high a price to pay/ For an unfaithfull wife - Et dans «Who Care», on le voit faire un festival de bas de manche, avec tout le feu sacré des ‘Hoooo. La B laisse un peu sur sa faim. On sauve «Wonder», fantastique groove oxien. Il y donne même des coups de trompette. L’Ox remercie Mother Nature de faire les choses comme elle les fait, car il ne veut ni d’une mer rouge, ni d’une nuit blanche.

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    Excellent album que ce macabre Rigor Mortis Sets In. Oh, il n’a de macabre que le cercueil qui orne la pochette. On a là un album plein de vie, illuminé en B par la présence de «My Wife», le hit de Who’s Next. S’il faut une preuve de la grandeur de l’Ox, elle est là, dans ce hit de rock de pop et dans la façon qu’a l’Ox de claquer l’étendard de la pop anglaise dans l’azur immaculé. L’Ox règne sans partage sur son album et c’est pour ça qu’on l’admire. «My Wife» vaut pour un coup de génie pop. On pourrait presque dire la même chose de «Made In Japan» qui referme la marche de l’A. C’est de l’excellente pop whoish, digne de Who’s Next. Cette pop distinguée est certainement le genre qui convient le mieux à l’Ox. On trouve pas mal de rock’n’roll sur cet album, des reprises plus ou moins dispensables («Hound Dog» et «Lucille») et l’Ox se fend d’une bassline de rêve sur «Do The Dangle». Mais c’est dans «Peg Leg Peggy» qu’il donne la mesure de son talent d’Oxer, il bombarde son cut de notes de basse. On se régalera aussi de «Roller Skate Kate», pastiche superbe. L’Ox va faire un tour de skate sur le motorway et évidemment, ça se termine mal, une bagnole arrive, boom, she died in the ambulance et Kate finit in the sky. Brillant et drôle. Il termine ce brillant Rigor Mortis avec un «Big Black Cadillac» monté sur un solide bassmatic, c’est une sorte de promenade dominicale offerte par un roi du doigté.

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    Quoiqu’il fasse, John Entwistle réussit toujours à se rendre intéressant. Il suffit d’écouter Mad Dog paru en 1975. Il frise à nouveau le génie avec le morceau titre qui ouvre le bal de la B. Quel souffle ! Cette façon qu’il a d’écrire une histoire nous tient véritablement en haleine - He’s at the edge of town/ And he’s got a gun/ Better get out fast - Quelle fantastique aisance compositale - Cos he’s a mad dog/ Don’t get into a fight/ He’s a mad dog/ Better shoot on sight/ Before he tries to bite - C’est du niveau de «My Wife», impérieux et conquérant. Dans «Cell Number Seven», il raconte qu’il est réveillé un matin par six flicards et il se retrouve in cell number seven avec Moony. Tout ça est farci de private jokes. On peut savourer l’humour de l’Ox dans «You Can Be So Mean». Il parle d’une femme bien sûr et elle lui claque la porte sur les doigts - You slammed my fingers in the door - Et puis elle embarque les enfants, la voiture, la maison and left me a broken heart/ Baby you can be so mean. Avec «I’m So Scared», il tape dans l’un de ses prés carrés : le rock’n’roll saxé de frais - I ain’t never bin scared of dying/ Everybody has to go sometime - Mais il a peur d’elle et de son voodoo. Il termine avec «Drowning», un cut dégoulinant de kitsch et d’auto-dérision - This is my first love song/ And this is my last - et il ajoute - I’m geting too chocked up inside/ Better finish it fast.

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    Quand Daltrey demande un audit des comptes, il découvre que Kit Lambert et Chris Stamp se sont bien goinfrés. Virés. Bill Curbishley reprend les rênes et Townshend demande un coup de main à l’Ox pour écrire les horn parts de Quadrophenia. En 1978, l’Ox achète Quarwood, une bâtisse gothique de 55 pièces, entourée d’un parc de 16 hectares, dans ce qu’on appelle les Costwolds, à la gauche de Londres sur la carte et un peu au-dessus de Bristol. Il y installe des armures dans les couloirs, un squelette dans un fauteuil Régence, des perroquets dans la cuisine et un Quasimodo empaillé accroché à une cloche dans le grand hall. Puis un soir de 1978, Moony se met 32 pilules dans le cornet, va se coucher et ne se réveille pas. Fin du team de choc. L’Ox ne s’en remettra jamais. Dans la foulée, son mariage avec Alison coule à pic. L’Ox a rencontré une poule en Amérique.

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    Sur Too Late The Hero paru en 1981, il joue en trio avec Joe Walsh et Joe Vitale. Jolie mise en bouche avec «Try Me», car Joe Walsh fait des miracles sur sa bonne guitare. L’Ox se montre honnête avec les femmes : «I don’t promise to teach you to fly.» Puis avec «Talk Dirty», il passe à la cloche de bois et gratte sa basse à cornes. Pour lui, les gros mots du talk dirty sont heavy metal, too loud, top twenty et who cares. Chez l’Ox, tout est très écrit. Il ne mégote jamais sur la marchandise. Il boucle l’A avec un «I’m Coming Back» massif et conquérant. L’Ox adore le grand rock américain, I gotta warn ya, I’m coming back oui, il revient. Il chante ça à pleine voix et laboure ses terres à outrance. Quel fabuleux rocker ! Puis il se prête en B à un petit exercice de style, le funk métallique de «Dancin’ Master». L’Ox syncope comme un beau diable et Joe Walsh en profite pour noyer le poisson - Disco here/ Disco there/ Dance ! - Ce démon d’Ox swingue le diskö-funk. Et quand dans «Fallen Angel», il chante «Nobody cares but everyone stares/ As you stagger to the bar», on se doute bien qu’il pense au pauvre Moony.

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    Resté inédit pendant dix ans, The Rock finit par paraître en 1996. Le chanteur s’appelle Henry Small et Zak, le fils de Ringo, bat le beurre. Le hot cut de l’album s’appelle «Hurricane», belle compo du compère, joli boogie de classe supérieure. On sent l’Ox à l’aise dans ses compos, et ce dès «Stranger In A Strange Land». Il entre dans son cut comme chez lui. Bon, Henry Small dit qu’il se sent étranger dans ce monde, mais il dit avec appétit. L’Ox brode avec brio, il fout un peu le souk dans sa médina, mais n’oublions pas que son propos n’est pas de réinventer la poudre. Il réinstalle l’extraordinaire prévalence du rock anglais avec «Love Don’t Last». L’Ox joue sa carte compositale à la claquemure - But no school can teach you that game - L’Ox est un homme déterminé - You’re yourself/ To your heart - Le guitariste s’appelle Steve Block et on l’entend faire du bon boulot sur «Suzie». Il fourbit bien l’écot et Henry Small fait son Plant, mais c’est là où l’héroïsme devient inutile, puisqu’il chante comme un petit Plant de pacotille. On va retrouver le petit Plant dans d’autres cuts, mais tout cela n’apporte rien au moulin d’Alphonse Daudet. L’originalité de ton a disparu. C’est avec «Last Song» que l’Ox revient aux affaires. Voilà un rock épique, extrêmement bien foutu, this is the last song, qui laissera le souvenir d’un moment admirable et vibrant.

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    Boris The Spider est un album live. Aucune information sur les musiciens. Débrouille-toi, et si t’es pas content, c’est la même chose. Cet album présente un certain intérêt : on y entend l’Ox ramoner son bassmatic, et ce dès le morceau titre. Il joue au gras. L’Ox ne mégote pas sur la marchandise. On voit l’Ox s’élever de cut en cut dans les nues du rock anglais. Il est tout de même l’un des grands acteurs de cette scène musicale qui a changé le monde. Il faut voir la purée qu’il envoie dans «My Size». Son bassmatic rougeoie dans le brouet sonique. Il revient au chant avec toute la niaque du skeletton suit. Il atteint l’Oxmose avec «Who Cares», il travaille son cut au bassmatic de combat, on y retrouve le drive des Who. Il chante du nez. l’Ox bat la campagne sur sa basse. C’est stupéfiant, on se croirait dans les tranchées en 1916, l’Ox joue au saucissonnage extrémiste, il taille sa route à la manière d’une colonne de termites, il y va, c’est dingoïde, il fait du big Ox dévorant, il démolit tout sur son passage, il descend jusqu’au bas du manche pour provoquer les dieux, c’est un virtuose du baston d’Ox, ses descentes font frémir, ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il revient tout démolir avec «Not Fade Away», joué au pire british beat d’exacerbation. L’Ox ne rigole plus. Il veut de la sauvagerie et la voilà, il embarque ça au pataquès de surchauffe, il aménage des zones de bassmatic uniques dans l’histoire du rock, on le voit jaillir du courant avec ardeur et replonger dans l’écume des jours. Évidemment, c’est avec «My Wife» qu’il révèle son génie oxien, d’autant que le groupe joue ça ventre à terre. Il tricote du bassmatic à n’en plus finir. Dans un monde en mal de légende, l’Ox tombe à pic. Il aura passé sa vie à chasser les fantasmes du rock sur les terres du Docteur Moreau.

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    En l’an 2000 paraît Music For Van-Pires du John Entwistle’s Band. What an album ! Cette fois, on trouve les noms des musiciens sur la pochette : Steve Luongo bat le beurre et Geoffrey Townsend joue du synthé et de la guitare. Attention, l’album démarre en mode proggy et peut dérouter le badaud. Mais l’Ox of a man redresse vite sa pop contre vents et marées. Son «Sometimes» plein comme un œuf n’est pas facile d’accès, comme le sont les Anglais en général et soudain tout s’éclaire avec un «God & Evil» chanté au hard de metal core de heavvy sludge des enfers et arrosé de voix juvéniles. Quelle extraordinaire mélange ! L’Ox donne sa version de l’enfer et du paradis, c’est admirablement bien vu, les filles fascinent et par son côté mélodique, le brouet s’impose massivement. L’Ox foutrait presque la trouille avec «When You See The Light», tellement il chante dans l’ombre, mais avec «Back On The Road», il se prend pour Ronnie Lane, rien de moins ! Il claque ce balladif à la basse harmonique, ça donne une belle pop d’Ox. Il adore les good vibes, tout l’album en est rempli, il relance tout au gimmick de bassmatic. Il s’étale encore dans le pop biz avec «When The Sun Comes Up». Ça lui sied à ravir. Il se lance dans l’indolence, il y excelle. Sa manière de traiter la pop épate. Il dispose même d’une certaine facilité à sonner comme les Beatles. Il pétarade son «Rebel Without A Car» au bassmatic. Quel album ! On comprend que Boz le vende si cher sur Discogs ! L’Ox revient au heavy sludge avec «Don’t Be A Sucker». Il peut de fâcher et devenir tout rouge. Il peut mettre en œuvre l’Heavy Ox Sound System et te le shooter en intraveineuse. Wow, il s’énerve tout seul ! C’est joué à la meilleure heavyness d’Angleterre, l’Ox peut réveiller tous les bas instincts. Encore un solide shoot d’Ox avec «Endless Vacation», c’est le funk du château aux armures. L’Ox bat toujours le fer pendant qu’il est chaud. Mais là, c’est Luongo qui se tape la part du lion, au beurre. Le festin se poursuit avec un «I’ll Try Again Today» emmené ventre à terre, à la conquête de l’Asie mineure. L’Ox trimballe avec lui des guitares espagnoles et des trompettes mariachi. C’est absolument somptueux, digne du Salammbô de Flaubert. Il termine cet album spectaculaire avec un «Face The Fear» bien énervé, joué au meilleur beat rebondi d’Ox.

    Signé : Cazengler, Oxymoron

    John Entwistle. Smash Your Head Against The Wall. Track Record 1971

    John Entwistle. Whistle Rymes. Track Record 1972

    John Entwistle. Rigor Mortis Sets In. Track Record 1973

    John Entwistle’Ox. Mad Dog. Decca 1975

    John Entwistle. Too Late The Hero. Atco Records 1981

    John Entwistle. The Rock. Whistle Rhymes Ltd. 1996

    John Entwistle. Boris The Spider. Disky 2001

    John Entwistle’s Band. Music For Van-Pires. Pulsar Records 2000

    Paul Rees : The not so quiet one. Classic Rock #243 - December 2017

    Ci gît Reggie - Part One

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    Après un demi-siècle de bons et loyaux services, Reggie Young casse sa pipe en bois. Reggie Young ? Mais oui, tout le monde le connaît. C’est le mec qui joue de la guitare sur «The Letter» des Box Tops, sur «Suspicious Mind» d’Elvis et sur plus d’une centaine de hits inter-galactiques. Il est aussi légendaire que James Burton, Steve Cropper ou Jimmy Johnson. Mais son destin reste lié à celui de Chips Moman et d’American, le studio de Memphis qui vit défiler une énorme ribambelle de stars, de Dionne Warwick à Dusty chérie, en passant par Elvis et B.J. Thomas.

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    Tout ce qu’on souhaite savoir de Reggie Young se trouve dans Memphis Boys, l’ouvrage de Roben Jones qui, à Memphis, est le pendant de Robert Gordon. Plutôt devrait-on dire la pendante, car Roben Jones est une dame qui déborde d’énergie : elle nous trousse un Memphis Boys de 400 pages sur deux colonnes, et elle ne faiblit pas en cours de route. Elle nous raconte dans l’extrême détail, session par session, l’histoire de Chips Moman’s American Studios, endroit aussi mythique que le Sam Phillips Recording Service ou encore le studio Stax sur McLemore. Heureusement l’histoire ne dure que huit ans, de 1964 à 1972. Quelques années de plus et Roben Jones allait pouvoir rivaliser avec le pavé de mille pages que Peter Guralnick consacre à Sam Phillips.

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    Dans l’histoire de la littérature rock, c’est probablement l’un des ouvrages les plus poussés au niveau évocatif. Roben Jones donne la parole à TOUS les acteurs de cette saga, c’est-à-dire les musiciens (Tommy Cogbill, Spooner Oldham, Reggie Young, etc.), et à des personnages aussi iconiques que Chips Moman et Dan Penn. On ne s’ennuie pas un seul instant. Il faut simplement savoir donner du temps au temps pour venir à bout de cette bête de somme. Ce n’est pas tant que ce livre est gros que nous le lisons, c’est parce que nous le lisons qu’il devient gros. Autrement dit, on en a pour son argent.

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    Si on voulait résumer cette saga en quelques mots, on pourrait dire que le personnage clé s’appelle Chips Moman. Originaire de Georgie, il débarque à Memphis dans les early sixties et démarre Stax avec Jim Stewart. Jusqu’au moment où une shoote éclate entre eux et Chips doit dégager - I had twenty per cent I thought. They owed me my share of a million dollars they’d made that year, 61, 62 (Je devais avoir 20% dans la boîte. Ils me devaient donc 20% du million de dollars qu’ils avaient fait en 61 et 62) - Chips n’aime pas qu’on lui roule la gueule et Jim Stewart le met au défi de le prouver : «If I fucked you, prove it !» Furieux, Chips se barre en claquant la porte, grimpe dans sa TR-6 et vroom ! Adios amigos ! Chips est d’autant plus furieux qu’il s’est énormément investi dans le démarrage de Stax, mais Roben Jones indique qu’il y aurait eu incompatibilité de caractères entre Chips et Steve Cropper. Et bien sûr, Jim Stewart prend le parti de Steve Cropper. C’est là que Chips monte American. Il participe en outre à la fameuse première session d’Aretha à Muscle Shoals et devient l’un des chouchous de Jerry Wexler qui du coup va lui envoyer des gros clients et faire décoller American. Et quand plus tard Wexler installe son nouveau QG au Criteria de Miami, American doit se mettre à vivre d’expédients et Chips n’y trouve plus son compte, artistiquement parlant. C’est là qu’il prend la décision de fermer le studio de Memphis et de redémarrer à Atlanta.

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    Mais ça ne marche pas à Atlanta et six mois plus tard, il réinstalle American à Nashville. Il redémarre avec des country stars du calibre de Waylon Jennings et Willie Nelson, mais c’est une autre histoire. Roben Jones ne s’intéresse qu’à l’American de Memphis.

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    Le gros intérêt de cette somme est qu’on y côtoie Chips Moman de bout en bout. Oh rien de très profond, mais de témoignage en témoignage, on finit par bien choper Chips. Sandy Posey le résume un peu en disant qu’il ne cherchait ni un hit de r’n’b, ni un hit country, ni un hit pop, mais plutôt a great song. Oui, la religion de Chips est la grande chanson. D’où la qualité des artistes qu’il reçoit dans son studio, de B.J. Thomas à Dionne Warwick, en passant par Elvis. Chips : «Songs are the most important things, and then you have people who can interpret them.» (Le plus important, c’est la chanson. Après il faut trouver la personne capable de l’interpréter). C’est pendant la période Stax que Jerry Wexler chope Chips. Il aime tellement son style de guitare qu’il l’impose à Rick Hall pour les sessions de Wilson Pickett et d’Aretha qu’il organise à Muscle Shoals. Chips débarque donc chez FAME au volant d’une Jaguar XKE. David Hood : «He comes driving up one time in a XKE. He was a gambler, he played cards and stuff. He seemed like a real slick, sharp guy.» Oui, Chips est ce qu’on appelle un wild guy. On le surnomme the fifties rebel. Il est toujours armé, c’est un joueur professionnel, il collectionne les voitures de sport et les Harleys. C’est une sorte de Luke la Main Froide.

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    Et un vétéran de toutes les guerres : ce guitariste rockab dans l’âme a accompagné Johnny Horton, les frères Burnette et bien sûr Gene Vincent, des références qui plairont infiniment à notre ami Damie Chad.

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    Pour démarrer American, il a un plan : monter le meilleur house-band de Memphis et le rendre disponible 24h/24, sept jours sur sept. Il engage Tommy Cogbill (bass), Reggie Young (guitar), Gene Christman (drums), et d’autres musiciens moins connus comme Bobby Emmons et Bobby Wood. Puis Chips va rencontrer Dan Penn et là on entre dans la période magique d’American, car Chips et Dan composent pour des géants comme Aretha et James Carr. Quinton Claunch : «Chips was a great engineer for that kinda stuff. Man, he just smiled all over himself when that big voice came out of the speakers singing his song. He said : ‘We got one. We got the right man to sing this one’.» (Chips savait enregistrer un artiste. Quand il entendait la voix de James Carr dans les enceintes, il souriait. ‘Mec, on a trouvé le chanteur idéal pour cette chanson). Papa Don Schroeder qui amenait des artistes enregistrer chez Chips ne tarit pas d’éloges : «Chips was the best at what he wanted to do. Whooo ! Chips Moman, are you kidding ? Chips Moman... one of the greatest record men who ever lived. But he’s crazy, like all of us.» (Chips était le meilleur dans tout ce qu’il faisait. C’est l’un des meilleurs producteurs qui ait jamais existé, mais il est cinglé, comme nous tous). Chips aime tellement travailler en studio qu’il ne lésine pas sur le nombre de prises. Dan Penn dit que les sessions pouvaient durer jusqu’à 62 heures - That gang of boys right there, they wanted to make better records than Stax. They had an affinity with Chips. They fit him, he fit them. He was in with ‘em real thick and he never got ‘em mad. It was all a big party (Ces musiciens voulaient être meilleurs que ceux de Stax. Ils avaient des affinités avec Chips, ils se comprenaient et se complétaient parfaitement. Chips savait les pousser sans jamais les faire craquer. Les sessions étaient une fête) - C’est important ce que Dan dit là, car Chips fait la différence avec un Rick Hall qui avait un style beaucoup plus despotique. Chips veillait au côté buddy but serious, ce qui est le B-A-Ba du secret de polichinelle. Il respectait ses amis musiciens et attendait d’eux qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Ce type de comportement professionnel s’appelle l’intelligence artistique. Mais en même temps, il faut que le travail en studio reste fun - When eveything began to morph into a professionaly-run studio and sessions, that was when it stopped being fun for Chips (Lorsque le studio est devenu trop sérieux à cause du business, ça n’amusait plus Chips) - Chips est si bon dans sa manière de diriger un house-band que Roben Jones le compare à Duke Ellington - His productions captured the mood of the contemporary South in the same way Ellington’s music described 1920s and 1930s Harlem, or that of Strauss described nineteenth-century Vienna (Chips a su matérialiser le son du Sud comme l’avait fait Duke Ellington avec le son du Harlem des années 20 et 30, et Strauss encore avant avec le son de la Vienne du XIXe siècle).

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    ( Wilson Pickett + Jerry Wexler )

    Grâce à Jerry Wexler, American devient une institution, Wexler y débarque accompagné d’Arif Mardin, de Tom Dowd et de King Curtis, et fait savoir au monde entier que c’est à Memphis que les choses se passent. C’est the new Southern base, aussitôt après Stax et avant Muscle Shoals. Chez Chips, Stax était l’ennemi ainsi que Nashville. Dan Penn : «They (in Nashville) cut in all that ol’ stupid thin country music. No funk, I always liked a little funk.» (À Nashville, ils enregistrent cette country inepte et vieillotte. Pas de funk. J’aime bien qu’il y ait un peu de funk). Il existait une rivalité entre Stax et American. La presse se focalisait sur Stax et ça ennuyait énormément Chips et ses amis. Dan Penn : «In Memphis all you heard was always Stax, Stax, Stax.» Les gens avaient plus de mal à situer American, qui était à cheval sur la Soul et la pop, alors qu’évidemment Stax ne l’était pas. Et la grande différence entre les mecs d’American et ceux de Muscle Shoals était que les premiers jouaient à l’intuition alors qu’à Shoals ils analysaient. Et selon Roben Jones, la grande différence tient dans la nature des caractères : ceux des mecs d’American étaient plus sombres, à l’image de Chips, alors qu’à Shoals, les gens étaient moins réservés. Mais il leur arrivait souvent de jouer ensemble et ils partageaient le même goût pour le relaxed sound.

    Avec des clients comme Joe Simon et Joe Tex, la clientèle d’American devient plus distinguée, et Atlantic leur envoie des nouveaux clients comme Ben E. King et Brook Benton. Ils tournent rapidement au rythme de quatre sessions par jour, alors qu’avant la moyenne à Memphis était plutôt de deux sessions par mois.

    Le grand tournant de l’histoire du Southern Sound, c’est bien sûr le killing de Martin Luther King en avril 1968. Partout aux États-Unis, les émeutes éclatent. Les blancs de Memphis ont peur. Chips et Tommy Cogbill se retranchent dans le studio avec des armes. Mais aucun black de touche ni à Stax, ni au studio de Chips. L’atmosphère devient si atroce à Memphis que Dan Penn quitte la ville et rentre chez lui en Alabama. Après cette tragédie, les choses ne seront plus jamais les mêmes.

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    C’est grâce à Marty Lacker qu’Elvis vient enregistrer chez Chips - One of the reasons I wanted Elvis to record there was so he could work his magic and the only way Chips works his magic is by being Chips (Je voulais qu’Elvis renoue avec la magie et le seul qui pouvait l’aider était Chips) - Et quand en studio Elvis se vautre, Chips n’hésite pas à l’interpeller sèchement : «Hey, this ain’t no fuckin’ movie soundtrack. You need to sing that song !» Hey, t’es pas là pour enregistrer une fucking BO ! On te demande de chanter ! Parle-t-on comme ça à un roi ? Oui, Chips est même le seul qui ose.

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    Pas d’American sans Dan Penn. Un Dan Penn dont la conversation mixe Southern inflections and good-ol’-boy aphorisms with sudden flashes of poetic elegance. (Un Dan Penn dont la conversation mêle le patois du Deep South et des aphorismes zébrés d’éclairs poétiques). Un Dan Penn qui admire Ray Charles - Ray Charles was the one who took all us white boys into the blues - Bobby Blue Bland est son autre héros - He was second in line behind Ray Charles and he’s awful close to it - Ce qui le conduit tout droit à son principe de base : l’affinité avec les blackos, via le r’n’b - I used to have an affinity for the black race, I really did - Dan Penn passe toute sa vie en quête de funk - My heroes all come from the funky side of the tracks, there wasn’t too much country music that seeped into my soul - Oui, Dan avoue ses affinités avec le peuple noir, sa passion pour Ray Charles et Bobby Blue Bland et redit son manque d’intérêt pour la country. À vingt ans, il est déjà membre actif de la Muscle Shoals recording scene. Il y reste six ans et il compose. Conway Twitty enregistre son «Is A Bluebird Blue». Dan ne cherche pas à se faire connaître. Il préfère rester en retrait - That’s what I’m gonna be, I’m gonna be a studio cat - Puis le studio cat rencontre Chips et c’est le coup de foudre. Reggie Young : «Dan and Chips were so much alike they could be twin brothers, they both have that little snarl, they could seat in a room for two hours, look at each other and never say a word.» (Dan et Chips sont comme deux frères jumeaux. Ils ont la même façon de ricaner et peuvent rester des heures entières face à face sans dire un seul mot).

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    Dan et Spooner composent «Cheater Man» pour Esther Phillips qui est la première artiste envoyée chez American par Atlantic. Dan sait que Chips veut l’aider : «Really what he was doin’ was tryin’ to get me started. I think he had me around because he liked me.» Chips admire Dan et c’est réciproque. Dan apprécie énormément le style de Chips qui est tellement différent du style directif de Rick Hall - He hardly ever told the musicians what to do - Chips ne donne quasiment pas d’indications aux musiciens. Pour situer l’équipe d’American, Dan parle d’un gang of boys. Il faut l’entendre définir le Memphis way, c’est quelque chose : «I call it the Memphis way, leave the band alone and have some great expectations. Stax, they were more kin (proches) to Alabama. They wouldn’t just sit and cut till the walls caved in. Stax was also the Memphis way, but it wasn’t my memphis way.» (J’appelle ça the Memphis way, laisse faire les musiciens et tu verras le résultat. Chez Stax, ils jouent comme à Muscle Shoals. Ils jouent jusqu’à ce que ça soit parfait. Stax est aussi the Memphis way, mais ce n’est pas mon Memphis way).

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    Dan vient en studio en bermuda, avec son paquet de clopes roulé dans la manche du T-shirt. Il prend aussi pas mal d’amphètes et Robert Gordon raconte qu’un jour Dan et Wayne Carson se lancèrent dans une session d’écriture jusqu’au-boutiste, assis face à face sur des chaises. Épuisé, Carson finit par s’écrouler et Dan le remit sur sa chaise, l’attacha avec sa ceinture et le força à continuer - You’re not quittin’ on me now ! - Les conséquences du killing de Martin Luther King eurent sur Dan d’énormes conséquences : il se mit à fumer de la marijuana pour alléger son profond désespoir et fut incapable de composer pendant deux ans, de 68 à 70 - It took me a pretty long time to get my feet back under me (il m’a fallu un sacré bout de temps pour retomber sur mes pieds) - Puis c’est la rupture avec Chips. Dan veut une part du gâteau - a piece of the company - et Chips lui dit : «If you want a piece of the company, start your own.» (Tu n’a qu’à monter ta boîte). C’est ce qu’il va faire. Dan veut travailler à sa façon et il commence à traîner avec Dickinson, qui était the center of Memphis bohemian life - In many ways, Dickinson had replaced Chips Moman and Spooner Oldham as the closest person to him - Dan s’acoquine avec Dickinson qui est au centre de la bohème de Memphis. Au plan social, Dan n’aime pas les hippies, ni leur musique ni leur accoutrement - As far as I’m concerned they are the ruin of this country - Et quand il côtoie Elvis lors des sessions d’American, il ne lui adresse pas trop la parole, car il estime qu’on doit lui foutre la paix. Et puis au fond, il n’aime pas trop les stars. Il est un peu comme Mark E. Smith, il préfère les gens normaux, the regular people. Et en fin de parcours, Roben Jones rend hommage à Dan & Spooner en les traitant de living relics of the long-forgotten era of soul music (légendes vivantes de cette vieille scène Soul que tout le monde a oublié). Joli, n’est-ce pas ?

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    L’histoire d’American commence aussi avec Reggie Young et le Bill Black Combo dont il était le guitariste. Le Combo se retrouve booké sur la première tournée américaine des Beatles en 1964. Reggie Young en prend plein la vue. D’autant que George Harrison demande : «Which one is the guitar player for Bill Black ?» George voulait savoir d’où Reggie tirait son son - I had this little tube Standell amp - C’est aussi lors de cette tournée que Reggie a une petite aventure sentimentale avec Jackie DeShannon qu’il reverra des années plus tard comme cliente d’American.

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    C’est lors d’une session Wilson Pickett à Muscle Shoals que Chips et Tommy Cogbill rencontrent Bobby Womack. Sa façon de jouer impressionne tant Chips qu’il lui propose de venir s’installer à Memphis. Les Memphis boys se mettent à l’adorer - He had a hollow-body electric, that old guitar was handmade in New York (Bobby jouait sur une demi-caisse électrique fabriquée par un luthier new-yorkais) - Après avoir vécu à Los Angeles, Bobby se sent beaucoup mieux à Memphis. Chips le salarie en tant que compositeur et second guitariste. Bobby retourne ensuite s’installer à LA, mais revient à Memphis enregistrer son premier album, Fly Me To The Moon. Ed Kollis le trouve changé. Eh oui, Bobby s’est mis à la coke, ce qui n’est pas du tout le genre de la maison American. Chips ne veut ni drogues ni alcool lors des sessions.

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    Si Dewey Lincoln Oldham Jr. s’appelle Spooner, c’est dû à un incident : enfant, il s’arracha un œil avec une cuillère, spoon en Anglais. D’où Spooner. Il rencontre Dan à Muscle Shoals et leur complémentarité fait merveille : Spooner’s contemplative temperament matched Dan’s sharper-edged one. C’est Sponner qui accompagne Percy Sledge à l’orgue sur «When A Man Loves A Woman», paru en 1966. C’est d’ailleurs ce hit qui va mettre Jerry Wexler sur la piste de Muscle Shoals. Spooner allait aussi devenir l’un des musiciens les plus respectés du circuit, pas seulement pour sa façon de jouer du piano, mais surtout pour ses qualités humaines. Mike Leech : «Spooner is one of the sweetest, non-assuming guys you will ever meet. I never heard him raise his voice or get angry.» (Spooner est l’un des mecs les plus doux qu’on puisse rencontrer. Je ne l’ai jamais vu élever la voix ou se mettre en colère).

    C’est Papa Don Schroeder qui amène James & Bobby Purify chez American, pour l’une des sessions les plus mémorables, «Shake A Tail Feather». Mais ce qui rend Papa Don encore plus mémorable, c’est sa botte secrète : il va finir tous ses enregistrements à New York - because I have Melba Moore, Doris Troy and Ellie Greenwich, they sing backups on all my records.

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    Parmi ses grands clients noirs, Chips eut le privilège d’avoir James Carr, puis le fils spirituel de Lloyd Price, Wilson Pickett, qui tapait du pied en chantant. Puis King Curtis qui impressionna fortement Reggie Young : «I had never worked with a musician who was as quick as he was.» (Je n’avais jamais travaillé avec un musicien aussi rapide que lui). On monte encore d’un cran avec les Sweet Inspirations que Tom Dowd amena à Memphis en 1967 pour enregistrer leur premier album. Ce trio de surdouées (Cissy Houston, Dee Dee Warwick et Judy Clay) remplaça les Cookies chez Atlantic comme backup singers. Les Cookies parties accompagner Ray Charles devinrent les Realettes. Chips disait de Cissy qu’elle avait l’une des plus belles voix du monde. Et pour Chips, B.J. Thomas était LE chanteur d’American - the man who embodied the integrity, craftmanship, versality, originality and refusal to be categorized that typified the American group. (L’homme qui incarnait l’intégrité, le savoir-faire, la versatilité, l’originalité et le refus d’entrer dans une catégorie qui caractérisaient si bien l’esprit des musiciens d’American).

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    Autre pierre blanche de la saga American, c’est bien sûr les Box Tops. Pas de Box Tops sans American et pas d’American sans Box Tops. Alex s’entend bien avec Dan et accepte que ce soient les gens d’American qui l’accompagnent, et non les membres de son groupe. C’est Dan qui fabrique Alex. On recroise dans l’ouvrage la fameuse anecdote concernant «Cry Like A Baby» : Dan et Spooner ont passé la nuit entière à chercher des idées de compos : chou blanc. En désespoir de cause, ils vont prendre leur petit déjeuner au Ranch House voisin et Spooner dit : «I’m so discouraged I could just lay my head on this table and cry like a baby.» Cry like a baby ? Wow ! C’est ça ! Dan saute en l’air. Ils retournent au studio en courant et pondent le hit que l’on sait en une demi-heure. Quand Alex veut reprendre «Wang Dang Doodle» de Big Dix, Dan s’y oppose : «Oh no, you can’t cut that, that’s about razor totin’ and carryin’ guns.» (Pas question de reprendre une chanson où on trimballe un rasoir et un calibre). Dan considère que les chansons doivent détendre les gens, pas les énerver. Le business des Box Tops ne va durer qu’un temps, car Alex n’aime ni les tournées ni les pratiques de Larry Uttal, le boss de Bell : il doit 100.000 $ aux Box Tops, mais il annonce qu’il ne les versera qu’en échange d’un prochain album. Ça ne plait pas non plus à Dan Penn qui se retire après le troisième album des Box Tops. Chips accepte de produire le dernier album pour rendre service à Alex et récupérer les royalties. Entre aussi en scène à une époque Joe South, recruté par Jerry Wexler pour accompagner Aretha. C’est lui qui joue l’intro de «Chain Of Fools», sur Lady Soul. Joe joue sur une orange cut-away Chet Atkins Gretsch model. Côté admirations, Dan en pince pour Eddie Hinton et Chips pour Joe Tex, l’un des grands clients d’American. Débarquent aussi un jour à Memphis Paul Revere, Mark Lindsay et Freddy Weller. Il y enregistrent le fameux Goin’ To Memphis avec les Memphis Boys. On ne chôme pas, chez Chips. Ils reçoivent alors la crème de la crème du gratin dauphinois.

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    L’âme du house-band d’American c’est bien sûr Tommy Cogbill, surnommé Cog, qu’on entend sur les cuts d’Aretha, de Dusty chérie et de Clarence Carter. Cog fut le modèle de David Hood : celui-ci aimait tellement le style de Cog qu’il abandonna le trombone pour se mettre à la basse. La bassline que joue Cog sur le «Preacher Man» de Dusty In Memphis est devenu une référence pour tous les bassmen, au même titre que les drives de James Jamerson chez Motown. David Hood : «At that time, the bass became a more busy instrument.» Hood rappelle aussi que Cog trempait ses doigts dans la vaseline pour avoir un son plus smooth.

    Neil Diamond fait aussi partie des gros clients d’American, mais selon Wayne Carson, ça coinçait un peu avec lui : «Neil Diamond never fit into that Memphis groove. He wanted to but he never could.» (Neil ne collait pas avec le Memphis groove. Il a essayé, sans résultat). Et Chips ne trouvait pas ses chansons très convaincantes. Par contre, il se mit en quatre quand il apprit qu’Elvis voulait enregistrer chez lui. Wayne Carson affirme que Chips réussit à obtenir le meilleur d’Elvis, et ça n’était plus arrivé depuis le temps de Sun avec Sam.

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    Lorsqu’Al Bell instaure le black power chez Stax, Steve Cropper, Carla Thomas et Booker T. s’en vont. Carla et Booker T. viennent traîner chez Chips qui les accueille à bras ouverts, en vieux Staxman qui se respecte. D’après Roben Jones, l’une des sessions de Chips les plus réputées est celle de Carla Thomas, en juin 1970. Arthur Alexander vient aussi enregistrer son deuxième album chez American, soutenu moralement par son vieil ami Donnie Fritts. Cog le produit. C’est sur cet album que se trouve l’immense «Rainbow Road» co-écrit par Donnie Fritts et Dan Penn. Donnie précise qu’il écrivit Rainbow spécialement pour Arthur, tellement il admirait sa voix. L’album ne devint légendaire que grâce au bouche à oreille. Par contre, Chips eut quelques problèmes avec le premier album de Billy Burnette fraîchement débarqué de Los Angeles pour se ressourcer à Memphis. Chips ne trouvait pas les chansons du petit Billy assez bonnes. Et Billy Lee Riley fut le tout dernier client d’American à Memphis. Hélas, mille fois hélas, Chips ne s’entendait pas avec Billy. Le gros des sessions est resté coincé au fond d’un placard. Ça finira par sortir un jour, comme tout le reste.

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    C’est semble-t-il avec les dames que Chips s’entend le mieux. Et quelles dames ! Dusty chérie, Dionne la lionne et Jackie DeShannon. Dusty in Memphis est considéré comme l’un des sommets d’American. Warren Zane a même consacré un ouvrage à cet album mythologique. Rappelons pour la petite histoire que Dusty chérie et les Sweet Inspirations enregistrèrent les vocaux à New York, sur les cuts qu’avait enregistré le house-band d’American à Memphis. On trouve aussi sur cet album le fameux «Breakfast In Bed» co-écrit par Eddie Hinton et Donnie Fritts qui avait la fritte à l’époque. Mais à Memphis, Dusty chérie ne se sentait pas bien. Savoir qu’avant elle, Joe Tex et Wilson Pickett avaient chanté au même endroit, ça lui coupait tout simplement la chique. Atlantic était descendu au grand complet : Arif Mardin, Tom Dowd et Jerry Wexler produisaient. Chips resta en dehors. Le fin mot de l’histoire est que Dusty chérie préférait travailler à sa façon : seule en studio et chanter avec la musique dans le casque. C’est ainsi que s’acheva l’épisode Dusty In Memphis. Par contre, ça se passa beaucoup mieux avec Dionne. Elle décida de venir enregistrer à Memphis parce qu’Aretha l’accusait de n’être pas assez soulful. Pas assez soulful ? Ah tu vas voir, ma vieille ! Elle enregistra justement Soulful, l’un de ses albums les plus dévastateurs. Comme il lui fallait des cuts, Chips lui proposa d’enregistrer «You’ve Lost That Loving Feeling» et évidemment, Dionne l’explosa. Pif ! Bang ! Pow ! Cog y fit un carnage à la basse.

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    Les cuts enregistrés à Memphis qui ne figurent pas sur Soulful se trouvent sur From Within, un double album paru aussi sur Scepter. Dionne fut tellement ravie de son séjour parmi les Memphis boys qu’elle leur fit envoyer à chacun des montres avec leurs noms gravés (comme l’avait fait Aretha avant elle) et elle demanda à Florence, la boss de Scepter, de payer une Rolls à Chips ! Sacré veinard ! Chips l’utilisa comme voiture de fonction pour American, lorsqu’il fallait aller cueillir des clients à l’aéroport. En fait il préférait piloter sa TR-6 ou sa Harley. Et puis Capitol envoya Jackie DeShannon enregistrer chez Chips. Roben Jones affirme que ces sessions comptent parmi les plus réussies de Chips. Mais les enregistrements ne plurent pas à Capitol et cet album jamais sorti finit par acquérir le statut de great lost album. Il vient tout juste de reparaître sous le titre Stone Cold Soul. Une pure merveille. On retrouve deux ou trois cuts tirés de cet album ré-enregistrés chez Capitol sur Songs, paru en 1971, mais ce n’est pas le son de Chips. Et voilà le travail.

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    Et comme dans toute grande aventure collective, on voit les défections se succéder : Dan Penn, Bobby Womack, Spooner Oldham, Ed Kollis et Glen Spreen quittent l’équipe d’American. D’autres comme Billy Burnette arrivent. Puis c’est au tour de Tommy Cogbill, Gene Chrisman et Bobby Wood de quitter American pour Nashville. Le problème est que Chips ne vient plus au studio et les musiciens tournent en rond. Et quand aux Memphis Music Awards, aucun musicien d’American n’est nominé, Chips prend ça comme une insulte - That’s what made me want to get the hell out of there (C’est là qu’il prend la décision de se barrer) - Dan Penn confirme que le manque de reconnaissance affecta profondément Chips et ses amis : «In America and Europe and all over the world, nobody ever gave these guys credit.» (Personne ne connaissait les noms des musiciens qui avaient joué sur autant de hits). C’est là que Chips quitte tout, même sa ferme de Raleigh et ses chevaux. Il ne met même pas le local d’American en location. Le bâtiment sera détruit en 1989. Même destin tragique que celui de Stax sur McLemore. Même genre de naufrage collectif et affectif. Memphis qui avait tout n’a plus rien.

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    S’il en est une à qui on peut serrer la pince, c’est bien Roben Jones. Chips, Reggie et les autres lui doivent une fière chandelle.

    Signé : Cazengler, Reggie Old

    Reggie Young. Disparu le 17 janvier 2019

    Roben Jones. Memphis Boys. The Story Of American Studios. University Press Of Mississippi 2010

    MONTREUIL / 18 – 01 – 2019

    LA COMEDIA

    COUDASSE / GRANDMA'ASHES

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    C'est comme l'inexorable montée des eaux due à l'extinction de la banquise, en huit jours la fresque s'est encore emparée d'un pan de mur. Le pire est désormais envisageable, le coup de la bobine, à chaque tour d'embobinage vous emmagasinez davantage de fil, une surmulltiplication exponentielle, si on laisse faire, dans deux ans la ville de Montreuil sera entièrement recouverte, des ramages lysergiques s'étendront sur toute les façades de la ville, les habitants chassés de chez eux, relogés dans des camps de réfugiés, et la ville livrée à l'invasion de centaines de milliers de touristes venus du monde entier se prendre en selfie devant les murs chatoyants de la nouvelle Pompéi moderne pendant que de doctes professeurs d'universités réunis en colloques internationaux se mettront d'accord pour décréter que cette prolifération sauvage aura été rendue possible par les émanations soniques délétères dont la bâtisse située au croisement maudit des rues Michelet et Edmond Vaillant se sera rendue coupable durant des années, et les gouvernements réunis en conclave se hâteront de statuer sur l'interdiction planétaire du rock'n'roll.

    Un véritable cauchemar, un seul remède pour endiguer cette catastrophe annoncée, combattons le mal par le mal, écoutons un peu de rock'n'roll.

    COUDASSE

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    Nous prennent par surprise, en traître, l'en manque un qui vaque à l'on ne sait quoi, l'on ne sait où, le guitariste à genoux devant ses delays a l'air de s'accorder, et le batteur de promener ses baguettes sur ses peaux en attendant que cela commence, le bassiste caresse une corde d'un air distrait. Et bien non ! Nous ont fait le coup du train qui démarre alors que le nôtre reste immobile alors qu'en vrai c'est notre tortillard qui met les bouts et le voisin qui reste immobile sur ses rails, c'est parti, sans tambour ni trompette, et il faudra trois minutes avant de s'apercevoir que l'on prend de la vitesse. Le coup de la coudasse. Z'avez l'impression qu'ils vous tendent la main pour vous emmener vous promener sur un sentier tout mignonitou dans une douce campagne ensoleillée, erreur funeste, la montée est si progressive en ses débuts que vous n'y faites pas gaffe, et brutalement tout s'accélère et vous voici projeté à toute vitesse vers l'horizon de cimes glacées qui recule sans cesse, et le public devient fou, se jette les uns sur les autres, s'entremêle en un tourbillon tapageur sans fin. Quand enfin le sommet est atteint, vous n'êtes qu'au début de vos ennuis, les guitares vous entraînent sur des pentes verglacées, vous glissez à une vitesse folle vers votre dernière heure. Mais ce n'est pas fini, car une fois que vous êtes morts, ils vous raniment illico et hop oï oï vous avez droit à un nouveau tour de montagne russe, encore plus hautes encore plus vertigineuses. Âmes sensibles s'abstenir. Coudasse décline toute responsabilité. A vos risques et périls.

    La Comedia doit être remplie de casse-cous et de risque-tout qui adorent les émotions fortes et les situations exaltantes. Coudasse se plaît à rajouter du sel de braise rouge sur les plaies et du poivre noir sur les bosses. Vocalisent à tour de rôle. Pas de vedettariat. Des voix de grêle graisseuse et de colère. Et puis la musique reprend son rôle prédominant de grande meneuse de revue de vos abattis réduits en charpie. Son bruit de cordes frottées soutenues par une batterie omniprésente et haletante aspire votre attention à la manière d'une ventouse qui débouche les WC de votre esprit pour vous libérer de toutes les données excrémentielles sociétales. Le grand nettoyage, par le vide.

    Coudasse si vous voulez, mais au lieu de votre nez tuméfié par un coup de coude intempestif, imaginez plutôt votre visage sanguinolent défiguré par une profonde griffure d'un ours polaire en colère. Sortent de scène sous une pluie d'applaudissements admiratifs et respectueux. De la Coudasse, encore de la Coudasse, toujours de la Coudasse et le rock'n'roll sera sauvé.

    GRANDMA' ASHES

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    ( Photo : Victor Wilhelm )

    Goût de cendres dans la bouche. Pas celui des cookies dans lesquels, selon un rite barbare d'appropriation des forces obscures de votre ascendance, vous avez mêlé à la farine les cendres de votre grand-mère, celles de l'anneau de feu et de fièvre des folles chevauchées des walkyries. Ne sont que trois à monter sur scène, en short et bas résille, trois ballerines de l'extrême. Filles de la foudre de Zeus, et de la Nuit hideuse. Qui réconcilient le tonnerre et le stoner. Mais déchiffrons le grimoire de ces Moires. L'on n'échappe pas à son destin, aussi commencerons-nous par Edith-Atropos, l'Inévitable, tapie derrière sa batterie, longs cheveux noirs qui parfois voilent sa face car l'on ne regarde pas le feu de son visage péremptoire sans danger, c'est elle qui d'un geste coupe le fil, vous détache du cordon ombilical de la vie, en un dernier spasme tragique. A sa gauche, Myriam-Larkésis, l'ensorceleuse, est à la guitare, fine silhouette rehaussée d'une couronne astrale de cheveux d'ébène, elle dévide les riffs et les images de votre existence aux épisodes multiples, heureux et malheureux, miraculeux et marasmiques, se chevauchent à une vitesse folle. Enfin, Eva-Clotho, l'Originelle, qui donne naissance, vous arrache de sa basse de la base indistincte des éléments primordiaux, et sa voix est un chant de sirène qui ruisselle sous la rouille de sa crinière qui retombe sur son corps blanc et pulpeux de naïade.

    Trois filles et le furet sanguinaire du rock'n'roll qui court sans fin dans le cercle fatidique de leur ronde à seule fin de planter ses dents aigües dans vos veines et d'aspirer votre sang tumultueux et votre énergie vitale. Un set de toute éblouissance. Trois furies. Lancées à toute allure. Pas une once de repos, pas une seconde de temps mort. Edith mène la sarabande. Une frappe en accélération constante. Pas vraiment de break, des séquences qui se suivent en une rapidité inventive qui mêle netteté de la frappe et efficacité magistrale. Des coups de fouets sur la croupe d'un attelage qui a pris le mors aux dents et vous emporte en une course diabolique. Des rafales folles, exemptes de toute fanfaronnade, Edith mène le jeu, ne joue pas pour épater le public mais pour satisfaire à une espèce de mathématique intérieure destinée à réaliser l'équation de ce qu'elle tient pour une approche des plus aguerries de l'idée qu'elle se fait en elle-même de la perfection. Encore une solitaire, à ses côtés. Décidément, ces filles n'obéissent qu'à leurs pulsions intimes. Elles ne courent pas après la musique, la laissent sourdre d'elles telle la source qui sort de terre. Myriam a le riff incoercible, surgit du dedans et s'empare de sa guitare, ce sont des vagues qui déferlent sur vous, elle les émet comme des ondes vibratoires dont la force destructrice vous submerge sans rémission. Rêvez d'Eva à la voix envoûtante et incantatoire, par-dessous les soubassements de sa basse, non pas de longs meuglements monotones infinis, mais un kaos créatif de swing désordonné et culminatif, cratère de fusion volcanique et coulées de lave irradiantes. Parfois elle s'agite comme soulevée par une ondée de joie créatrice sans égale et dans l'échancrure de son T-shirt ses seins blancs palpitent comme ceux de la Louve Palatine qui transmit aux jumeaux sacrés la fureur resplendissante des Dieux afin que l'un d'eux fonde la Ville maudite destinée à asservir le monde.

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    Ces trois filles sont en train de forger l'orichalque interdit du rock'n'roll et le public averti n'en perd pas une miette. Elles nous emportent en un déluge de feu. Nous délivrent un stoner-rock qui remplit toutes les attentes. Elles atteignent d'emblée à l'élégance inné de ce style qui ne supporte ni redite ni ennui. Telles que je les ai décrites une par une, je crains de n'avoir pas insisté sur la cohésion du groupe, ces fillettes se connaissent sur le bout des doigts, sont unies par une longue complicité. Peuvent paraître, lors d'un regard primesautier, bosser chacune dans un des angles du triangle sans se soucier des sœurettes, mais les oreilles exercées ne s'y trompent guère. Le groupe fait preuve d'une grande cohérence harmonique qui permet à chacune de développer son espace de liberté. Elles ont acquis ce niveau d'automatisme qui sécrète une sûreté et une sécurité de base, une espèce de filet de protection invisible et inamovible, sans lequel toute prestation est une perpétuelle au mise au point de l'anxieuse recherche d'un équilibre des plus précaires. Une heure leur a suffi pour conquérir l'assistance – fortement et mystérieusement féminisée dès qu'elles eurent pris pied sur la scène – les applaudissements ne cessent de pleuvoir. On y décerne cet enthousiasme, cette émotion, et cette déférence qui fait toute la différence. Les filles sont-elles l'avenir du rock'n'roll ? Ce qui est sûr c'est que Grandma'Ashes a réduit nos coeurs en cendres. Tous nos suffrages dans cette urne cinéraire. La seule digne de leur rock incendiaire.

    Damie Chad.

    SEVEN

    ABSTRACT MINDED

    EP quatre titres, hélas pas encore artefacté, faute de moyens financiers, ce qui n'empêche pas quAbstract Minded soit un des groupes qui ait produit sur moi une des plus grandes impressions lors des deux passages live auxquels j'ai eu la chance d'assister. Une musique des plus violentes mais marquée d'une pure intellection. Du métal sauvage qui a abandonné la quincaillerie pour aborder la rive de sa propre abstraction.

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    Seven : Clip de Marlene Reichman : l'écoute restera indissociable de la vidéo qui l'accompagne. Seven comme les sept âges de la vie résumés en leurs deux extrémités, à condition que l'on considère comme des bornes infranchissables ces moments où l'on n'est pas encore et ceux-là où l'on n'est plus. Sans doute passe-t-on sa vie à chercher le point focal de son existence. Celui où nous sommes nous, où notre plus grande jeunesse rejoint notre plus grand âge, lorsque la promesse de ce que l'on n'est pas se confronte à ce que nous avons déserté de nous. Ce voyage intérieur le Clip le métaphorise en cette rencontre improbable de nous-même avec nous-même, de la petite fille et de la vieille dame sur le chemin de la vie qui conduit à la baudruche du néant. Ce ne sont que des images entrecoupées du groupe en action. Des vibrions de matière qui s'efforcent de réaliser l'impossible fusion du passé aboli avec le futur inaccompli. Le métal de cet alliage incertain est l'or du Rhin mythique de la musique d'Abstract Minded. Une voix qui hurle, des cymbales qui étincellent comme des gouttes d'or et le reste de l'orchestration qui n'est que magma dune noirceur inaccoutumée. Realease ! : cris de victoire émancipatrice sur le refrain, n'empêche que le chemin vers la libération de soi-même en devenant soi-même n'est guère facile. La voix creuse son terrier, et le chemin s'allonge démesurément. Guitares éruptives et basses continues, déglutis vocal lorsque la musique semble au bout d'elle-même, la batterie remet le couvert aux couteaux sanglants, ceux qu'il a fallu s'arracher de soi. Et le son devient moteur d'avion qui perd de l'altitude, la fin semble plus proche que jamais, mais en un dernier effort le combat contre les monstres incapacitants reprend, chacun se doit de retrouver la fureur totémique de la bête qui gît en soi, les dernières notes s'égrènent comme ces fleurs de pissenlits emportées par le vent...

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    Vishaal : grognements de loup. La bête est enfermée en moi-même et les autres sont les murs de ma prison. Nulle issue hormis moi-même et cette terrible solitude qui me mure en moi-même. L'échappée belle n'a été qu'un mirage, la rage m'habite et me brûle, musique cataclysmique, portes de plomb qui se referment sur moi. Requiem apocalyptique, le vocal cisaille le néant des apparences. Toute vision se referme sur le globe de l'œil crevé par les draperies funèbres du spectacle du monde. L'on ne va jamais plus loin que soi-même. Toute prison est un mantra de haine. Masochisme chamanique. Transcendez la nature, l'instinct de mort dominera. Les requins affamés se nourrissent de leurs propres entrailles. Greed : lâchez le monstre, je suis festin carnivore, j'avale la viande humaine des désirs et des rêves. Je suis une force qui détruit, rien ne saurait me résister, le ne suis qu'un gouffre vide, qu'une gousse de néant avide, je bouffe et je bâfre, rien ne saurait me résister, le chant devient proclamation excitée, grande menace, et les chœurs entonnent les dithyrambes d'adoration de la destruction. Le crime est le seul principe de regénération. Méfiez-vous, ma route croisera la vôtre comme elle a croisé la mienne. Tourbillon de gloutonnerie métaphysique. Behind the wall : ( Nous rajoutons en bonus la kronic de ce cinquième morceau datée du 28 / 09 / 2017, voir 341 ° livraison ). Un unique morceau construit sur le schéma des tétralogies grecques. Commence par un bourdonnement grondeur de voix qui buterait sur elle-même, une tétraplégique reptation de gorge issue des galeries les plus obscures d'une mine charbonnière, musique qui moutonne noir impassible, un fleuve de cendre volcanique qui progresse et arase les doux paysages des âmes choisies, coup de cymbales comme gong de bronze qui résonne dans les temples désertés par les dieux, colère vocale crispatique, et la marche processionnaire reprend, impassible, mais les mots s'écrasent plus longuement tels ces mouchoirs de papier emplis de morve, de sang et de sperme que vous jetez derrière vous afin de désobstruer vos méningiques cloisons fissurées, lézardes de rage sur le métal stridal, la voix qui bazooke les portes blindées de la sortie du labyrinthe, cris de triomphe afin de fêter l'issue catacombère, long soli lyriques de guitares explosives, émissions spharynxgicoïdales chantent victoire, arrêt brutal. Nous ne sommes qu'à l'orée du chemin de glaise noire. Le plus difficile c'est d'en sortir. Que vous soyez mort – sachez que cela vous arrive plus souvent que vous ne le pensez – étendu en votre léthargie ou simplement retenu en vous- même. Bref, faut s'extraire. Pas facile. Vous n'avez pas la bonne clef dans votre poche. Sinon vous seriez déjà dehors. Une seule solution : enfoncer la porte. Oui, ça fait du bruit. Vous ne croyiez tout de même pas que ça se passerait dans le silence absolu. Et puis il y a le gardien du seuil. La solution décisive serait de l'abattre. Ce n'est pas l'envie qui vous en manque. C'est qu'il vous ressemble tellement que vous vous apercevez qu'il n'est autre que vous-même. La partie s'avère plus compliquée que prévue. Remarquez c'est une histoire connue et rebattue. Le scénario remonte à l'antiquité. C'est expliqué dans les textes des gnostiques. L'avaient pompé sur les vers dorés de l'orphisme. Suffit de transformer le cercueil de votre chair, lui insuffler l'énergie alchimique de la vie. Parce que vous n'êtes que rarement vivant quand vous y réfléchissez. Voilà vous avez le fil de l'action. Un peu compliqué, je le concède. Abstrait, dites-vous ? Emission gutturale de la lettre A. L'aleph prodigieux du point d'inexistence qui contient l'univers.

    Alexis Godefroy : bass / Joey Baudier : lead vocal / Louis Guffond : guitar / Zivan Rasolofo : guitar / Jimmy Lavogiez : drums.

    Damie Chad.

    NOT DEAD YET

    PHIL COLLINS

    ( Michel Lafon / 2016 )

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      • Oh, les gars vous faites quoi cet aprum ? Passez à la maison, j'ai un super disque de rock à vous faire écouter !

      • Toi, tu écoutes du rock, jeune hippie !

      • Vous serez surpris, c'est une nouveauté, venez vous ne le regretterez pas.

    On n'aurait pas dû, mais à quatorze heures pile l'on tapait à la porte, et la copine exhibait triomphalement The Lamb Lies Down On Broadway, de la grosse pile posée à côté de l'électrophone.

      • Tu nous as fait venir pour Genesis, tu es totalement frappée !

      • Taisez-vous et écoutez, c'est le dernier, rien à voir avec ce qu'ils faisaient avant !

    Bref on s'est presque tu, et on s'est tapé la première galette de quand elle a voulu mettre la seconde on s'est éclipsé ( pas du tout discrètement ) en lui disant que le grand méchant loup des steppes du rock'n'roll réduirait de ses grosses dents pointues et cruelles en lambeaux cette misérable bestiole bêlante d'agneau new-yorkais sans regret ni remords.

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    Deux mauvaises nouvelles : 1 : depuis la copine n'a pas changé, elle écoute toujours de la mauvaise musique. Mais ce n'est pas le plus grave. 2 : la teuf-teuf immobilisée pour une heure et demie au garage, c'est alors que se pose la question léniniste par excellence : Que faire ? J'avise le fouillada voisin, farfouille dans toutes les étagères pour finalement ressortir avec le bouquin grand-format( tout neuf, tout beau, tout brillant, pour deux euros ) car vous savez en rock, faute de loup on bouffe de l'agneau.

    Au cas où vous auriez manqué à tous vos devoirs et omis la semaine dernière de lire la kro du Cat Zengler sur Ginger Baker, surtout ne réparez pas cette funeste erreur au plus vite, lisez d'abord celle-ci, car la vie de Collins risquerait de vous paraître un peu fade après celle de Ginger le rocker fou. Je résume : d'abord le purgatoire avec Phil, ensuite les enfers paradisiaques avec Baker.

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    Commence mal le Collins, pleure un torrent de larmes, s'est marié trois fois et a divorcé trois fois. A le croire, abondance de biens nuit gravement à la santé, a laissé ses épouses toute seules à la maison pendant qu'il vagabondait aux quatre coins de la planète et crime inexpiable il ne s'est pas occupé de ses enfants comme il aurait dû. Nous rassure toutefois, aujourd'hui ( 2016 ) tout va bien, s'entend à merveille avec ses quatre gaminettes et gaminos qui ont grandi, s'est remis avec la dernière des génitrices, et coule une vie de famille des plus sereines... Certes il n'est pas chrétien mais l'ensemble sonne ( le tocsin ) born again... Ensuite il nous raconte son histoire en suivant l'ordre chronologique, mais cette contrition préliminaire reste le leitmotive principal du bouquin.

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    Une mère artiste et un père un peu bourrin. Le résulta final n'est pas mauvais : une grande sœur danseuse de niveau international, un frère dessinateur renommé, la famille Collins n'a pas engendré que des tocards. Sa maman il la gardera très longtemps, elle mourra quasi-centenaire, mais c'est la figure paternelle qui le marquera le plus par le fait même de son absence. Elle reste en même temps une monstrueuse énigme et un parfait exemple comportemental, uniquement par ses mauvais côtés. Car des bons, aux yeux de l'enfant et du jeune homme qu'il sera au moment où il décèdera, il n'en avait pas. Un homme secret qui entretenait une maîtresse – irrémédiable lézarde dans la cellule familiale - et qui n'a jamais su témoigner le minimum de tendresse nécessaire à son fils dont il jugera les entreprises musicales peu digne d'intérêt. L'aurait préféré qu'il prenne comme lui un boulot convenable dans la Cité. Le beauf au boulot tous les jours avec sa fierté de bœuf sous le joug. Le fils finira par se reconnaître en cette figure peu souriante : s'il est devenu un artiste bourreau de travail qui accepte avec joie pléthore de propositions qui l'accaparent et l'éloignent de ses enfants, c'est pour faire comme son père – ce héros - qui tous les matins se levaient pour, à chaque fin de mois, ramener à la maison la paye nourricière. Toutes les excuses sont bonnes, le livre déborde ainsi d'une hypocrite naïveté confondante et auto-déculpabilisante, ne m'accusez pas, ce n'est pas de ma faute...

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    Depuis l'âge de cinq ans, le petit Philip tape sur tout se présente à lui, mais la musique n'est point sa ligne de mire. Voudrait être comédien, faire du théâtre, tourner des films... sa mère l'inscrit dans une école adéquate, l'ado est aux anges, l'est entouré de filles. Des projets pleins la tête mais peu de concrétisation, parvient à décrocher le premier rôle dans une comédie musicale, mais sa voix se brise lors d'une représentation, la mue tord en quelques minutes sa jolie voix de petit chanteur à la croix de bois... L'a de la chance, pas le temps de pleurer sur son sort, de grands bouleversements submergent Londres, les Beatles passent à la télévision et c'est la grande révélation. Collins est emporté par la vague. Assiste aux concerts des Yardbirds, des Rolling Stones et même à la première apparition de Led Zeppelin... Fonde un groupe avec des copains, puis un second, tient la batterie, se démène comme un diable pour percer, à dix-neuf ans la chance de sa vie. C'est ainsi qu'elle lui apparaît. L'est convoqué pour jouer des congas pour un titre de ce qui deviendra le premier album All Thing Must Past Past de George Harrisson. Séance avec Phil Spector dans la cabine. La déception de son existence, la piste ne sera pas retenue, et il n'est pas crédité sur la pochette. Lui faudra attendre trente ans la réédition pour que George fasse mention de sa présence...

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    Ce n'est que partie remise. Auditionne pour Genesis – déjà deux albums au compteur – s'en tire à son avantage. Nous abordons la partie la plus intéressante du livre, les rapports de hiérarchie dans un groupe. Les britishs pratiquent la guerre de classe feutrée. Les trois musiciens de Genesis qui l'accueillent font partie de l'upper-class, cottage campagnard plantureux avec piscine chauffée, politesse exquise, humour britannique, ambiance bourgeoise, suffit de lire pour comprendre que la musique de Genesis qui louche vers la transcendance classique n'est pas engendrée par des rock'n'rollers... Collins ne la ramène guère, se contente de sa place de batteur, lui faudra du temps pour apporter quelques idées à l'écriture des morceaux. Ce qui est un peu comique, c'est l'importance que prendra Peter Gabriel au fur et à mesure que la notoriété du groupe s'étend. Devient sans partage l'attraction scénique numéro 1 du groupe, une forte personnalité qui s'implique énormément ( et même autocratiquement ) dans l'écriture des lyrics. Collins affirme que tous deux seront complices mais il n'en est pas ainsi avec Tony Banks et Mike Rutherford. Certes on lui passe tout, ses costumes extravagants et ses postures scéniques sont incomparables attirent les foules, mais l'on sent une incompréhension quasi-métaphysique chez les autres. Cette débauche d'effets visuels, leur inconscient l'assimile à une espèce de déclassement de l'Artiste en Saltimbanque. Rien n'est dit, le combo sans arrêt sur la route pour capitaliser sur le succès enchaîne les disques emportés dans un tourbillon, The Lamb Lies Down On Broadway enregistré un peu trop à la va-vite, même s'il est un succès phénoménal, précipitera le départ de Peter Gabriel qui sent sa puissance créatrice bridée par ses compagnons.

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    L'absence de Peter Gabriel sera la preuve de l'adage nietzschéen selon lequel ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Genesis vient de perdre son image de marque, on ne remplace pas un showman de cet acabit au pied levé. Les auditions ne donnent rien. Ce sera la chance de Collins, puisqu'il n' y a rien de mieux sur les étalages marché, on se contentera des légumes de la maison. Phil Collins n'a pas une mauvaise voix, n'est-ce pas lui qui remplace Peter – en attendant de trouver la perle rare – lors des répétitions du prochain 33 tours ? C'est ainsi que l'acier fut fondu et que Collins deviendra le chanteur attitré de Genesis. Du coup il devra quitter la batterie et venir se planter devant le micro. L'anti-Peter Gabriel par excellence, n'ose pas bouger, lui faudra plusieurs mois pour esquisser quelques gestes, le micro en main. Genesis compensera l'absence de l'impact visuel de Gabriel grâce à un magnifique ligth-show. S'instaurera une course à l'échalotte entre les super-groupes poussés aussi à la surenchère par la nécessité de contenter un public si nombreux que l'on accueille désormais dans des stades. La course à la surmultiplication grandiose est lancée. Les groupes punk reviendront à des prestations nettement plus spartiates...

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    Phil Collins se sent pousser des ailes. Genesis n'a jamais eu autant de succès. Les fans de la première heure pensent peut-être tout bas qu'il a aussi perdu son unicité, mais les minorités silencieuses ne sont guère agissantes. Collins compose, ne refuse jamais un coup de main ou de batterie pour un copain, et en 1981, il franchit le cap, enregistre son propre album. Face Value sera un succès planétaire, In The Air Tonight lance la carrière internationale de Phil Collins. Désormais il n'a plus une minute à lui. Tant pis pour Andrea sa femme et ses deux enfants. Il en sera de même dans les années suivantes avec Jill et Orianne, l'a beau nous dire que tout est de sa faute, qu'il culpabilise à mort, qu'il regrette, qu'ils ne le fera plus, il est sans arrêt par monts et par vaux. Enchaîne des tournées de trois mois sur tous les continents. Vend des disques par millions et ses chansonnettes encombrent les ondes des rares radio FM que l'on peut capter sur Provins. Jugez de mon malheur.

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    L'est courtisé de partout. Devient un des chouchous des galas de bienfaisance de la famille royale. La liste des ses participations à divers enregistrements est aussi longue qu'un porte-avions. Tout le gratin du rock y passe. Eric Clapton – entre parenthèses vous en apprendrez plus sur la personnalité de Clapton que sur le bouquin de Margotin chroniqué dans la livraison 401 – et Robert Plant, pour n'en citer que deux. C'est Plant qui vient le chercher pour qu'il soit à la batterie sur son album Picture At Eleven en 1982. Collins Nous présente les deux aspects de Robert Plant, un type gentil, agréable, sympathique, tout ce que vous voulez. Oui, mais aussi un des membres de Led Zeppelin, et lorsque Collins assiste lors du Live Aid à la réunion avec Jimmy Page et John Paul Jones, la donne change, Robert est comme happé par l'influence maléfique de l'ancien Dirigeable, certes écrasé au sol depuis longtemps, mais dont les restes irradient d'une sourde énergie malfaisante. Don't panic, dear Phil, it's just rock'n'roll. Du coup la prestation de Collins sera honteuse. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est lui, même s'il rejette la faute sur les autres.

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    Lorsque Orianne s'en va, Phil Collins accuse le coup. Physiquement et moralement. Le corps ne suit plus, ne s'est pas ménagé durant quarante longues années, l'a un pied en compote, le dos en capilotade, une oreille intermittente et une épaule qui l'empêche de jouer de la batterie. Pas de quoi réjouir un médecin. Au début du siècle nouveau, le succès n'est plus le même, pas d'inquiétude financière à avoir, l'a vendu deux cents millions de disques, mais l'âge, la solitude, la sensation de ne plus être à la pointe de l'actualité musicale ça vous ronge un homme aussi facilement qu'une souris un morceau de gruyère. Phil n'est pas à bout de ressources. Trouve son remède miracle. Tout seul comme un grand. N'a besoin de personne. L'alcool est son meilleur ami. Quatre années d'enfer. Ne cache rien. Raconte tout. Lui n'a jamais bu devient un trou sans fin. Vous ingurgiterait la mer en entier si par bonheur elle était alcoolisée. Certes une dépression à la base. Même s'il n'en parle pas. L'inactivité lui pèse. Lui c'est à son entourage qu'il pèse. Ses essais de désintoxication font chou blanc. Faudra un jour qu'un toubib ( or not to be ) l'avertisse qu'il est plus près de la mort qu'il ne le pense pour qu'il prenne la bonne résolution.

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    Orianne est revenue, les enfants lui sont restés fidèles, l'âge de la retraite active peut commencer. Travaille avec Disney, pour une comédie musicale à Broadway qui n'a pas le succès escompté, mais ce n'est pas grave, l'a trouvé son point d'équilibre. Le livre s'arrête en 2016. Suis allé enquêter sur son site officiel. L'a entamé une nouvelle tournée, pas aussi marathonienne que celles de sa jeunesse, mais un bon dix mille mètres. Des dates de concert prévues jusqu'en juin 2019. Not Dead Yet, nous sommes prévenus.

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    N'en aime pas davantage Phil Collins, mais le bonhomme se révèle attachant. Un exemple parfait de candide bonne foi. Sa face sombre il ne la dévoile pas plus que l'astre lunaire. L'est comme nous, ne montre que ses bons aspects. Personne n'est dupe, mais l'on ne lui jettera pas la première pierre, il nous ressemble trop. Z'avons tous des scénarios tout préparés pour raconter nos pires turpitudes – nos grandes et belles actions aussi, mais elles sont infiniment plus rares – et les rendre croquignolesques. Ne donne pas cette impression d'insatisfaction comme Pete Twonshend dans ses mémoires de courir après lui-même, pour la petite histoire il regrette de ne pas avoir pu remplacer Keith Moon, ce qui me laisse rêveur, sa frappe que je qualifierais de fragmentée ne me semble guère appropriée à la bourrasque des Who. A la lecture du livre, vous apprécierez davantage l'homme que le musicien. Un gros de défaut tout de même, impardonnable, ne possède pas une âme de rocker.

    Damie Chad.

    P. S. : si vous zieutez ce post-scriptum c'est que vous n'êtes pas en train de lire la kro de Ginger Baker du Cat Zengler. Vous manquez à tous vos devoirs. De rocker.