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jean-michel esperet

  • CHRONIQUES DE POURPRE 452 : KR'TNT ! 452: HILLBILLY MOON EXPLOSION / TIMMY'S ORGANISM / NICK TOSHES / JEAN-MICHEL ESPERET / BLOOD AXIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 452

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    20 / 02 / 2020

     

    HILLBILLY MOON EXPLOSION / TIMMY'S ORGANISM

    NICK TOSHES / JEAN-MICHEL ESPERET

    BLOOD AXIS

     

    Rock on the Moon Explosion

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    Les Hillbilly Moon Explosion ne facilitent pas les choses. Ils restent assis le cul entre cinq chaises : rockabilly, pop, fado, blue beat et western spaghetti à la sauce tomate. Ça tombe bien, vu qu’ils se réclament du melting pot. Ils passent d’un genre à l’autre sans coup férir et ne s’en sortent que parce qu’ils tiennent la dragée haute à la versatilité des choses.

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    Le fan de rockab se régale sur deux ou trois prestigieuses flambées, et même les deux big boogie blasts qu’Oliver Baroni prend au chant, mais ce même fan fait la grimace quand Emanuela attaque la cover d’un hit pop à la mormoille, du style «Call Me» de Blondie. Elle use et abuse du petit sucré de sa voix et frôle la catastrophe quand elle va chercher le chat perché de l’archiduchesse archi-chèche.

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    Par contre, elle met l’assemblée à genoux avec une brillante reprise du «Baby I Love You» des Ronettes. Elle s’y révèle spectaculairement juste. Elle tape en plein dans le mille et recrée la magie de ce vieux hit jadis imaginé par Phil Spector. Elle y passe en plus un mini-solo de scuzz fuzz sur sa mini-guitare customisée à paillettes. C’est sa façon d’en boucher un coin à tous les mauvais coucheurs.

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    Dommage que l’Anglais Duncan James ne chante pas plus souvent. On le voit faire son cirque au fond de la scène, avec ses faux airs de Christopher Lee. De la même façon que les Cramps se voulaient a eight-legged bopping machine et les Wildhearts a seven-legged rocking beast, les Moon Explosion se veulent the eight-legged melting pot aux roses. Les poins forts du set sont l’excellent «Live The Life» monté sur le riff de «Please Don’t Touch», chargé de rockab comme une mule, et «The Long Way Down», capiteux mélange de fado et de beat rockab. Ils tapent dans le garage avec «Down On Your Knees» et le heavy rumble de rockab avec «You Miss Something You Never Had». Et puis bien sûr les hot shouts d’Hooky Lee Baroni, «Heartbreak Boogie» et «Love You Better».

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    C’est avec leur rappel qu’ils finissent d’enfoncer le clou de leur melting pot et qu’ils emportent la partie haut la main. Et même très haut la main. Après «Baby I Love You», ils nous emmènent à la fête foraine pour un petit tour d’«Enola Gay» et Emanuela conclut avec une rengaine portugaise d’une infinie mélancolie. Alors on dit : «Chapeau !». Force est de s’incliner jusqu’à terre devant la manifestation d’un tel panache. C’est un peu comme s’ils effaçaient le souvenir des toutes ces premières parties qui nous parurent jadis si peu convaincantes.

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    Alors du coup, on ressort les albums de l’étagère, histoire de bien remettre les pendules à l’heure. Le tout est de savoir si on commence par les pires ou par les meilleurs.Tiens, les pires. On en dénombre deux : Damn Right Honey et French Kiss. Des deux, le moins pire est sans doute le premier.

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    Leur version de «Perfidia» sauve les meubles. C’est le hit d’exotica le plus exotique de l’histoire de l’exotica. Par contre, les photos du livret ruinent tout. Ils se prennent tous les trois pour des rock stars hollywoodiennes et le côté dérisoire de la démarche passe complètement à la trappe. Dommage, car ils attaquaient avec «Drive This Truck No More», big cocktail de heavy beat rockab et de voix sucrée. C’est un cocktail qui présente l’immense avantage d’être unique au monde. Alors ils en profitent. Ils adorent leur formule. Ils la peaufinent. Ils lui donnent les atours d’une princesse et font même entrer des cuivres sur le tard. Avec «Cool String Breeze», ils partent en mode cajun. Ils bouffent à tous les râteliers et pensent même à ramener des violons. Il n’y a pas de train dans leur «Westbound Train». C’est un pétard mouillé, une fausse alerte, avec cette voix qui refroidit au lieu de réchauffer. C’est leur problème numéro un. Elle peut glacer les sangs. On ne devrait pas dire ça, mais c’est une réalité. On claque des dents dès qu’elle arrive. C’est Oliver Baroni qui réchauffe l’album avec ses petits exercices de style en mode rockab. Puis on les voit se vautrer avec une reprise d’«I Hear You Knocking». Ils auraient mieux fait d’éviter de toucher à ce truc là. Il appartient à Dave Edmunds. Ils le massacrent, ils jouent la carte d’un mauvais son alors que Dave Edmunds y faisait au contraire des miracles. On atteint le comble le l’horreur avec «Motorhead Girl». C’est grotesque. Elle n’a aucune crédibilité. Ils sont à dix mille années lumières de Motörhead, même si sur scène elle porte un T-shirt Motörhead. Leur pop fait insulte à la mémoire de Lemmy. Heureusement, Sparky de Demented Are Go vole à leur secours avec «Northern Crown». Il les sauve du naufrage à coups de yeah yeah. Il surgit hors de la nuit pour zébrer d’un Z qui veut dire Zorro un album affreusement putassier. Sparky chante son gut out, c’est lui qui redore le blason de la Suisse, du chocolat blanc et des horloges en bois. Fabuleux Sparky ! Vas-y mon gars !

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    Et tout s’écroule avec French Kiss, qu’ils ont enregistré en collaboration avec Arielle Dombasle. Ça commence assez mal, avec un «Walk Italian» chanté à deux voix sur un beat rockab arrosé de trompettes blue beat. Certain disent : «Quel drôle de mélange !», et d’autres : «N’importe quoi !». Puis ça se gâte atrocement avec «My Love For Evermore». Les Hillbilly y coulent une réputation durement acquise. Les amateurs de rockab ne leur pardonneront jamais cette tarte à la crème. On descend encore dans l’horreur avec «Johnny Are You Gay». Rien qu’avec le titre, on frise l’indisposition. Ils ne se rendent plus compte de rien. L’appât du gain ? Allez savoir. Il faut surmonter une sorte de nausée pour continuer à écouter ce truc là. Jamais Jake Calypso ne se serait prêté à une telle mascarade. Au passage, ils réussissent même à massacrer le «Chick Habit» de Gainsbarre et se vautrent dans la médiocrité avec «Westbound Train». Tout sens artistique semble avoir disparu. Ils font même de la diskö avec «I’m Gonna Dry My Eye». Mettez-vous à la place des fans de rockab qui écoutent ça. Il y a de quoi sortir le fusil de chasse pour tirer dans le disk à bout portant. Baroni essaye de sauver l’album avec «Maniac Lover», et c’est tout à son honneur.

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    Après le musée des horreurs, voici venu le temps des splendeurs, avec notamment l’effarant Sparky Sessions paru l’an passé. Oui, Zorro Sparky déjà venu à leur secours au temps des calamités et qui avec cet album redore le blason du rockab contemporain. L’album est une bombe. Il faut aller directement sur «Stumble Through The Darkness», monté sur un riff de hard boogie et ce démon de Sparky rôde à la surface en poussant des yeah yeah yeah. On assiste à une fabuleuse descente de slap dans le boogie. Pure genius ! Ils font du deep throat slappé dans l’âme. L’autre coup de génie s’appelle «Can’t Take My Eyes Off You». C’est un vieux hit rococo de l’âge d’or - You’re just too good to be true - Ils rendent un bel hommage à cette merveille - I love you baby - C’est demented are go à gogo ! Ils remontent aux sources des Four Seasons et des Supremes, et ce démon de Sparky explose les sources. Ils terminent cette stupéfiante cover en mode apocalyptique. Autre reprise de taille : le «Baby I Love You» qu’Emanuela chantait en rappel, sur scène. C’est là où les Athéniens ooh-oohtèrent, elle rentre dedans comme dans du beurre et Sparky fait l’ogre au coin du bois. Ah comme c’est powerful ! Elle fait Baby I love you et Sparky fait c’mon baby. Il rentre dans le lard du couplet 2 avec une grosse voix d’Hulk atroce, mais quelle grandeur ! Tiens, encore une reprise spectaculaire : «Jackson». Pas un hasard, Balthazar, si Mr. G l’a programmé dans son mighty Dig It radio show. C’est une cover de premier choix, l’une de celles qu’on oublie pas. Belle version un peu blue beat, avec un Sparky éclaté au chant derrière Emanuela, le tout servi sur une solide pulsion rockab. À noter aussi un excellent «Broken Love» d’ouverture de bal et un beau hit rockab, «Teddy Boy Flick Knife Rock ‘N’ Roll». Sparky donne la réplique à Oliver Baroni, aw c’mon et Duncan James circoncit bien son solo jazz.

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    Très bel album que ce Buy Beg Or Steal paru en 2011, ne serait-ce que pour «She Kicked Me To The Curb», gorgé de tout le power rockab. C’est le boogie d’Oliver Baroni. Ce mec est excellent, il slappe son boogie jusqu’à l’os de l’ass et il manie bien les ding-a-ding-a-ding-a-ding de relance rockab. Autre énormité : «Goin’ To Milano». Ce slappeur né qu’est Baroni veille au bon grain de l’ivresse. C’est chanté à l’arrache, celle qui décolle le cut du sol. Magnifique élan digne de Tav Falco. Même genre de kitsch, avec ce mélange sucré salé qui fait la spécificité des Moon Explosion. Duncan James passe même un solo gras, histoire de. Emanuela finit par devenir érotique. Avec «Natascia», elle nous replonge dans un kitsch de tango à la Tav Falco et Duncan James illumine le tout d’un solo jazz. L’autre coup de bluff de l’album, c’est le fameux «Enola Gay» d’Orchestral Manœuvres In The Dark joué aussi en rappel sur scène. Ils nous emmènent à la fête foraine. C’est jumpé dans l’ass de la radio et ça dégage autant qu’un hit des Ventures, bien claqué par Christopher Lee. Oh on trouve d’autres bons cuts sur cet album, tiens par exemple le morceau titre d’ouverture de bal, monté sur une impeccable rythmique rockab. On peut dire la même chose de «Trouble & Strife». Ils sont toujours dessus et elle est toujours devant. Sparky vient faire le con dans «My Love For Evermore» et Emanuela finit par emporter la partie avec ses élans nubiles dans «Imagine A World». C’est terrifiant de présence humide. Elle drive aussi avec tact «Touch Me» et porte le kitsch nubile au délire, bien aidée par la coulée jazz de Duncan James. Il fait aussi un carton avec «Chalk Farm Breakdown», monté sur une sorte de big Memphis beat, avec un slap qui prédomine effrontément.

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    Autre album de poids : With Monsters & Gods, paru en 2016. On y dénombre pas moins de cinq pures merveilles, à commencer par «Depression», bien slappé derrière les oreilles. Ils virent ensuite garage avec «Down On Your Knees». Ils savent allumer la gueule d’un cut, même à la voix sucrée. Pas de problème. Ils nous sortent ici un vrai hit de juke. Retour au big rockab avec «Desperation». Baroni nous claque ça sec et net et sans bavure. Ils restent dans l’énergie du son pour «Love You Better». Baroni adore rocker le boogie dans l’os. Bel hommage à Hooky, the king of it all. Retour au big romp de rockab avec «You Miss Something You Never Had», une sorte de clin d’œil à Eddie Cochran monté sur un heavy drive rockab. On trouve aussi sur cet album la reprise de «Jackson» chantée en duo avec Sparky. «In Space» fait aussi dresser l’oreille car l’ambiance rappelle un peu celle du beat monster de Carter USM. Il faut cependant faire gaffe à ne pas trop glorifier Emanuela sur ce coup-là, car ça ne lui rendrait pas service. D’ailleurs, elle exaspère un peu sur «Temptation». Elle sucre un peu trop les fraises du Hillbilly. C’est à la fois ravissant et insupportable. Plutôt que de choisir Emanuela, les Moon Explosion auraient dû choisir Dusty Springfield ou Cilla Black. Le problème d’Emanuela, c’est qu’elle a parfois tendance à se prendre pour une femme fatale, une sorte de Diana Ross, mais si nos souvenirs sont exacts, ce n’est pas Diana Ross qui fit la grandeur des Supremes, mais Florence Ballard. Avec «Midnight Blues», ils jouent la carte Moon Martin, et le morceau titre nous renvoie aux délices du thé dansant. Retour fracassant au boogie avec «Heartbreak Boogie» et c’est hélas sur cet album qu’on croise la reprise de «Call Me» qui nous fit horreur lors du concert. Mais l’un dans l’autre, c’est un excellent album.

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    Tout aussi excellent, voici All Grown Up qui date de 2007. On peut y aller les yeux fermés. Dès «Need You To Stay», on sent l’omniprésence du blue beat, cette espèce de beat précipité qui finit par devenir captivant. On retrouve aussi le «Live The Life» qu’ils jouent sur scène, monté sur le riff de «Please Don’t Touch» et embarqué à la belle ferveur rockab avec des cuivres à gogo. Ils restent aux frontières du blue beat. Autre cut interprété sur scène : «The Long Way Down», un mélange de fado et de beat rockab. Elle chante ça à la langueur monotone et c’est excellent. Ils doivent être les seuls à savoir servir un tel cocktail. Il faut dire que d’album en album, Emanuela grandit et finit par impressionner. Ils jouaient aussi «Brow-Eyed Boy» sur scène. Elle drive cette merveilleuse petite pop à la plaintive convaincue. En réalité, les Moon Explosion sont un groupe très ambitieux et ils savent se donner les moyens de leurs ambitions. Après Eddie Cochran et Johnny Kidd, ils rendent aussi un superbe hommage à Buddy Holly avec «Tornado». En B, elle se couronne impératrice de l’exotica avec «Bamboo». Elle sait tirer ses s de fins de syllabes et chalouper des hanches sur un air de cha cha cha. Encore une belle aventure de beat rockab avec le morceau titre de l’album. Voilà leur formule gagnante : heavy beat rockab zurichois nappé du sucre d’Emanuela.

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    La pochette de leur premier album, Introducing The Hillbilly Moon Explosion, est assez bizarre : le logo est monté derrière le cul d’Emanuela. On dirait qu’elle est en train de péter. Mais elle reprend vite le contrôle de la situation avec le «Chick Habit» de Gainsbarre, jadis repris par April March et encore avant sanctifié par France Gall. Il s’agit bien sûr du hit yéyé «Laisse Tomber Les Filles». Alors Emanuela nappe de sucre le heavy beat rockab d’Oliver Baroni. Pur jus de petite greluche sucrée, c’est en plein dans l’esprit bien frais des bonbons à l’anis, et même assez pointu dans le suggestif. Et puis Oliver Baroni revient tout démolir avec ce qu’il faut bien appeler un hit rockab : l’implacable «Maniac Lover». Ce mec est assez authentique, il sait driver son truc. On peut même le taxer de slappeur fou, ça ne lui fera pas ombrage. Il sait amener son Lover. Admirable bravado. Côté reprises, on a une autre bonne surprise : le «Remember (Walking In The Sand)» des Shangri-Las. On entend même les mouettes. Les Moon Explosion soignent bien les détails. Ils savent charger la mule du pathos. Emanuela fait sa Mary Weiss et bizarrement elle bouffe le cut tout cru. Ils montrent qu’il savent faire du swing avec un «Raw Deal» bien paradoxé dans l’os du crotch. Oliver Baroni dispose de réserves naturelles aussi importantes que celles de Brian Setzer. Rien n’est plus difficile à réussir que les coups de swing. Ils repartent en mode Emanuela avec «I’m Gonna Dry My Eyes». Elle gère ça au petit sucré des fraises de sa jeunesse. Elle peut vite devenir pop, au sens de l’égérie. Puis ils nous resservent l’horrible «Johnny Are You Gay» qui sonne comme une vieille freluquette de Richard Anthony, une espèce de vieux twist bizarre monté sur le beat de Moon habituel. On se croirait dans une surboom des early sixties. Ils savent aussi manier le groove, comme le montre «All She Wants». C’est même une merveille de slop de slap. Back to the big ferveur avec «All I Can Do Is Cry» : mélange habituel de beat explosif et de sucre. Comme si Emanuela montait un taureau pour essayer de le dompter. Ah elle est bonne à ce petit jeu là. On garde le meilleur pour la fin : «Clarksdale Boogie». Oliver Baroni nous fait du Hooky pur et dur. Il a compris que le rockab et le boogie puisaient dans la même énergie, mais le boogie peut être encore plus hot, all nite long ! Voilà le pur jus de Baroni. Comme Jake Calypso, il connaît tous les secrets de la Mirandole. Il amène ça doucement à l’autel. Tu veux communier ? C’est là - Everybody boogie all nite long - Bien vu, Lord Baroni !

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    Encore un big album avec Bourgeois Baby qui date de 15 ans déjà, puisque paru en 2004. C’est même un album qui déborde d’énormités, à commencer par l’infernal «XKE», avec une Emanuela à dada sur le heavy beat rockab habituel. Elle finit par t’enlasser la cervelle. Le sucre se marie bien au beat et c’est même assez demented, comme dirait Sparky. Elle finit en vocalises de foolish girl. Le mélange du sucre et du bop fonctionne ici à merveille. On voit aussi qu’avec le morceau titre, Oliver Baroni sait pulser son train-train. Il passe ensuite au boogie à la Hooky avec «Dead Cat Boogie». Emanuela a raison de chanter qu’elle est une real kool kitty dans «Real Kool Kitty», car c’est vrai, et puis on prend en pleine gueule une grosse giclée de rockab avec «Get High Get Low». Hard beat on the run, comme dirait McCartney. C’est le Baroni de l’An Mil qui bat le beat pur et dur. Il est dans l’énergie du bop de base, il sait ravaler une façade, aw baby let’s get high. Excellent, pulsé au meilleur beat de rockab moderne. Puis ils passent au groove de round midnite avec «How Can You». Ces gens-là savent tout faire. Elle sait entrer dans le chant avec le meilleur tranchant possible. On la voit plus loin driver le mambo italiano de «Mambo Italiano». Elle y shoote toute sa gouaille de demented craze. Encore un fabuleux shoot de boogie rockab avec «Holy Coochie Coo». Il y mettent tout leur gut d’undergut et c’est peut-être là qu’ils se distinguent le plus, sur le boogie rockab qu’Oliver Baroni joue à l’exacerbée. Ils n’ont aucun problème. Ils sont très forts, il faudrait les féliciter. One two three four ! Et voilà «Boy In Blue», une virée à perdre haleine, nouveau shoot de rockab craze avec une Emanuela qui entre au ralenti dans le bop du moon. C’est très réussi. Et ça finit comme ça doit finir, avec un «Many Years Ago» en forme de groove de jazz de round midnite. Elle est juste, incroyablement juste.

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    L’air de rien, By Popular Demand figure parmi les bons artefacts de l’Explosion, rien que par la présence de ce «Spiderman» monté sur un vrai beat roackab et joué à la tension maximaliste - Look out/ Here comes Spiderman ! - Emanula fait son retour aux affaires dans «Nobody’s Babies», une samba rockab qui s’étend jusqu’à l’horizon. On comprend que le suave aigu de sa voix puisse ne pas laisser indifférent : soit on adore, soit on déteste. Ils retapent dans Gainsbarre avec «Pouppée (sic) De Cire Pouppée (sic) De Son». Ils savent parfaitement shaker les genres dans leur shaker d’argent : beat + rose bonbon, sucre + organdi. Elle fait bien sa France Gall. Ils claquent un «Won’t Somebody Love Me» au banjo punk et drivent «Bad Motorcycle» au bah-bah-bah ventre à terre. C’est très spectaculaire. Ils rendent aussi hommage à George Harrison avec un «Holy Hoochie Coo» qu’ils sous-titrent «1961 George Version». Si ces Moon Explosion n’existaient pas, il faudrait les inventer.

    Signé : Cazengler, Morve explosion

    Hillbilly Moon Explosion. Le 106. Rouen (76). 17 janvier 2020

    Hillbilly Moon Explosion. Introducing The Hillbilly Moon Explosion. Crazy Love Records 2002

    Hillbilly Moon Explosion. Bourgeois Baby. Crazy Love Records 2004

    Hillbilly Moon Explosion. By Popular Demand. Crazy Love Records 2005

    Hillbilly Moon Explosion. All Grown Up. Not On label 2007

    Hillbilly Moon Explosion. Buy Beg Or Steal. Jungle Records 2011

    Hillbilly Moon Explosion. Damn Right Honey. Goldtop Recordings 2013

    Hillbilly Moon Explosion. French Kiss. Mercury 2015

    Hillbilly Moon Explosion. With Monsters & Gods. Jungle Records 2016

    Hillbilly Moon Explosion. The Sparky Sessions. Jungle Records 2019

    Lampinen ne lampine pas

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    Timmy Lampinen ne traîne pas en chemin. On le sait depuis le temps des mighty Clone Defects, dont les deux albums ont sonné quelques cloches à la volée. Le bordel a commencé avec Shapes Of Venus, paru sur In The Red Recordings. Il fut un temps où on ramassait systématiquement tout ce qui sortait sur In The Red. On faisait aveuglément confiance à Larry Hardy, mais en 2002, il rompit le contrat de confiance en sortant l’album pourri des Piranahs, Electric Grit Movies. Après il fallut trier. Shapes Of Venus sortit vainqueur du tri.

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    Avant même d’avoir commencer à jouer, Tim Lampinen a tout bon : il vit à Detroit. Et pour entériner l’affaire, Shapes Of Venus sent bon la stoogerie. Les Clone enchaînent trois cuts qui pourraient sortir de Raw Power : «Stray Boy», «Still Poor» et «Fill My Fridge» - I’m a stray boy looking for you - On croit entendre le fameux walking cheetah with a heart full of napalm de «Search And Destroy». Tim martèle bien sa stoogerie. Et ça continue avec «Ain’t No New Buzz», un cut qu’Iggy aurait pu enregistrer à l’âge d’or. Avec «Rabid Animal Detector», l’indicible Tim passe au heavy blues de blues rock psyché-psycho, celui du Michigan, le plus chargé du monde. En B, les Clones vont plus sur la pop. Ils semblent s’intéresser à un pan considérable de la pop culture. Avec «Calm You Down», ils sonnent comme les Heartbreakers : même énergie, même sens du low-down. S’ensuit un «I Rock I Ran» battu comme plâtre, gorgé d’énergie, énorme shout de blasting brew. Quel album !

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    Ce n’est qu’un peu plus tard qu’on a découvert l’existence d’un autre album des Clone Defects, Blood On Jupiter, qui est antérieur à Venus. Et là, attention ! C’est du Detroit Sound gicleur ! On voit dès le morceau titre qui ouvre les hostilités que c’est battu à la sévère. Timmy et ses sbires sont des brutes ignobles. Ils attaquent à la manière du MC5, mais avec encore plus de sauvagerie. Ce Lampinen est un fou dangereux. Il faudrait que quelqu’un téléphone là-bas à Detroit pour demander à le faire enfermer. Il fabrique une sorte de frichti de garage épouvantable. Aucun barrage ne peut endiguer sa purée, même pas celui de Marguerite Duras. Il sort une purée à la fois fluctuante et complètement défenestrée. Il prend plus loin «Don’t Care If You Come» au pire boogie blast de Detroit. Il ne recule devant aucune crise d’épilepsie. Cet enfoiré joue aussi du piano dégénéré, comme on le constate à l’écoute d’«Eyeballs Poppin’». Il va trop loin dans la surenchère. Oh il tâte aussi du glam, comme on le voit avec «Little Ms Lori» et «Deep End». On croirait entendre des glamsters britanniques. On s’extasie de l’incroyable insistance du riff et du clap-handing. Toute l’artillerie du glam se pointe au rendez-vous - I need your love/ I want your love - C’mon ! Ce mec peut se comporter comme un démon, c’est en tous les cas ce que prouve «Tropically Hot». Il nous fait ici le coup du garage de Detroit, avec les clameurs stoogiennes. On est convaincu d’avance. Il trébuche même sur des pieds d’alexandrins. Cet ignoble Timmy est un sacré scavenger des bas-fonds de Detroit. Il existe un dicton populaire dans le Michigan qui dit : «Rien n’est pire ni plus atroce qu’un Lampinen». Alors faites gaffe...

    Il se fait aussi appeler Timmy Vulgar. Ça veut bien dire ce que ça veut dire.

    Après l’expérience Clone Defects, ce monstre monte un power trio avec Blake Hill et Jeff Fournier et se lance dans une nouvelle aventure baptisée Timmy’s Organism. On entend le gargouillement d’organes avant même d’avoir commencé à écouter les albums. Et comme ce monstre se veut multi-cartes et qu’il peint, il barbouille ses pochettes d’albums d’art trash, certainement le trash le plus dégueulasse qu’on ait vu depuis les horreurs peintes par David Lynch ou les monstrueuses exactions scatologiques de Paul McCarthy.

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    La pochette d’Heartless Heathen paru en 2015 choque par son chaos de bleu et d’organes charcutées à vif, sans anesthésie. Quant à la musique, berk, c’est encore pire. «Get Up Get Out» sonne comme un vieux coup de mayo de mayem. Ça flirte avec l’incongru. Le batteur qui joue là-dedans est un vrai dingue. Jamais un mec n’a frappé ses fûts avec une telle violence. Ils jouent le morceau titre au gras du bulbe, ils visent l’extrême du garage qui tâche et ça cisaille à tout va. Cette immonde crapule de Lampinen achève son cut à coups de solo trash. Ah la vache ! Ils noient ce heavy blues de blues-rock qu’est «Mental Boy» dans du gras de distorse infecte et le wahtent jusqu’à l’os de l’ass. Tout est complètement saturé de son, ici. Ils attaquent «Wicked Man» à la frenzy d’accords des seventies, c’est encore une fois noyé de gras et joué au solo suspensif de génie pur. Ils n’en finissent plus de revenir au gut du bœuf. Ils tapent leur «Back To The Dungeon» à la sale distorse de petit délinquant qui pue le tabac et le sperme - Mixing up the potion/ Way down in the dungeon - Ils disposent des atouts majeurs : le son, la crasse, le gras, la braguette ouverte et les mauvaises intentions. L’atroce Lampinen profite de notre crédulité pour repasser un solo de gras double. Il travaille ses riffs au corps. Ce glam-stomp qu’est «Weather Woman» ne respecte rien ni personne et se situe au-delà de toutes les normes - Oh weather woman/ The sun is out - Ils jouent le garage de Detroit dans toute sa splendeur caviardée - Caught a cold/ Got da flu/ Pneumonia/ I’m sick and blue - Non seulement c’est claqué du beignet de crevette, mais c’est aussi suivi au filet de bave et ça donne une sorte de merveille apoplectique. Le solo sonne encore une fois comme une stoogerie définitive, un truc à se damner pour l’éternité. Lorsqu’ils attaquent «Hey Eddie», ils sont à bout d’énergie, mais ils se lancent tout de même dans une cavalcade insensée. Tim salue Eddie qui a choisi de quitter cette vie comme the antumn leaves that fall. Il redore le blason du Detroit Sound et se paye le luxe d’un shuffle sur le tard. Voilà encore un cut dynamité. Ça se termine avec «Wanted White Dove», amené au heavy groove, en mode gras double. On sent chez eux une prédilection pour la providence déliquescente. Tim Lampinen a le génie du gras, celui qui fait du bien par où ça passe. Il raconte dans la chanson qu’il soigne une mouette blessée et il la soigne si bien qu’elle lui sourit, et un jour elle devient son amante - Heal those ugly blues/ Hold your head up/ Save your love and truth - Il est extrêmement rare de voir autant de frénésie exacerbée sur un seul disque. Si vous n’y croyez pas, allez jeter un œil.

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    Paru en 2010, le premier album de Timmy’s Organism s’appelle Rise Of The Green Gorilla. La pochette est heureusement un peu moins agressive. L’atroce Lampinen parvient une fois de plus à proposer un album fascinant, ne serait-ce que par l’impact d’un cut comme «Gorilla Golden Pt 1», cut d’attaque frontale joué au son de destruction massive et saturé de menace sonique. Il fait même entrer les congas de Congo Square dans la danse. Avec «Ugly Dream», il pousse tout dans les orties. Lampinen ne fait pas dans la dentelle de Calais, il faut le savoir. C’est un Detroiter extrémiste, un vénérable pousseur de bouchon, une sale graine de violence, il adore faire craquer son jack et rire comme le diable, ha ha ha sweet dreams ! Avec «Pretty Stare», il se veut plus pop, mais solidement charpenté. Lampinen sait ramener de la viande dans sa caverne, même si sa viande n’est pas toujours très fraîche. On le voit descendre dans son gosier pour produire quelques effets déflagratoires. Retour de la grande violence percussive dans «Oafeus Clods». Oui, on croit entendre les tambours du Bronx. Il sait générer des éruptions soniques dignes du Krakatoa. On l’entend aussi répandre des couches de son infectueux dans «Building The Friend Ship». Comme d’autres aventuriers, il crée son monde. Parti de rien, comme Alexandre le Grand, il bâtit un empire à travers tout le Moyen Orient. Il tâte un peu d’electro dans «Give It To Me Babe», il sature tellement sa soupe qu’elle manque d’air, du coup. Méfions-nous de Lampinen. Même quand il fait joujou avec les instrus et les spoutnicks, il sature l’air. Il sature tout, même son empire. Il boucle cet album pugnace avec «The Traveler». Pour bien brouiller les pistes, il va chercher la beauté mélodique. Il ne veut pas qu’on le prenne pour un débile stoogien. Sa quête du hit vaut bien celle du Graal.

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    Quelques bonnes surprises guettent l’imprudent voyageur sur Raw Sewage Roq, le deuxième album de Timmy’s Organism. À commencer par «Cats On The Moon». De l’idée, que de l’idée ! Voilà un superbe panache de détritus de boogie-rock de bons potes. Ça bombe du torse, ça nivelle par le bas et ça chante au fond du studio. Quel impact ! Le coup de génie se niche en B : «Low Cut Surgery», encore un heavy romp de Roq saturé de guitare. Tim rebondit sur le beat bondissant. Extraordinaire approche ! Il adore partir en solo vers le néant et mine de rien, il sort la meilleure distorse du Michigan. Il faut aussi écouter l’excellent «Mind Over Matter» lancé aux clameurs d’Elseneur. On croirait entendre des Dolls du Michigan - My car radio baby/ It speaks to me - C’est un hit. L’idée est là. Avec «Bouncing Boobies», Tim fait l’apologie des seins - I took her to the movies/ Nipples like rugbys - Bien sûr, il chante ça à l’insidieuse, sur un beat impérieux comme une bite au printemps. Dans «Monster Walk», il balance un killer solo flash yeah yeah. Tim ne mégote pas avec le flesh du flash - Give the monster/ Somethint to eat - Et il revient à son cher heavy blues avec «Drunken Man». Il en profite pour couler un bronze de son atrocement beau et fumant, toujours dans la démesure du Michigan. Avec «Take The Castle», il semble faire un clin d’œil à Bevis Frond, car il s’embarque dans une histoire épique d’assaut.

    Et comme si tout cela ne suffisait pas, il monte une nouvelle équipe de space-punk avec Brad Hales, Colin Simon et Johnny LZR qu’il baptise Human Eye. Quatre albums au compteur, avec des pochettes de graphiste fou. Tim sévit sur tous les fronts : son, image.

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    Leur premier tir sobrement intitulé Human Eye est complètement foiré. C’est pourtant sorti sur In The Red. Comme dirait l’autre, l’habit ne fait pas le moine. Si on voulait se montrer charitable, on pourrait parler d’album Dada, à cause d’une fâcheuse tendance à l’expérimentation. Tim cultive ses choux et ne cherche pas à plaire aux ménagères. Mais il se montre beaucoup trop aventureux. C’est un vrai bordel. On va fouiner en B mais quand on écoute «Sly Glass Foam», on baisse les bras. C’est sans espoir. Pas de son, pas de rien. On croit parfois entendre du mauvais Devo. «Chew Raw Meat» est à peu près le seul cut décent de l’album. S’ensuit un «Kill Pop Culture» bien subversif et bardé de clameurs d’accords de braseros.

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    Fragments Of The Universe Nurse vaut le rapatriement pour au moins une raison : «Gorilla Garden». Voilà du grand Lampinen gorgé de son et de wah, battu à la sauvage et joué au meilleur déboîtage de méthodologie. Une fois encore, il enfreint les règles et se donne libre cours. Il part en solo de gras double sous le boisseau. Il ne vit que dans l’excès, il n’en finit plus de créer son sale petit monde, il laborantine le tintouin, il organism son labour of love. Il nous sert une autre rasade d’énormité sonique avec «Rare Little Creature». Ce mec va là où bon lui chante. Oh et puis ce «Slot Culture» d’ouverture du bal d’A. Tim joue tout à l’idée conquérante. Il multiplie les effets de style et fourre le croupion de sa dinde de tortillette psychédélique. Il tape «Two Headed Woman» à la vieille mélasse. Ils sont quatre à touiller cette soupe du diable. Ils nous hantent, avec ce son épicé, pointu, bordélique, un peu rouillé et si spécial. Tim adore le psyché organique, comme on le constate à l’écoute de «Lightning In Her Eyes». Grâce à son imaginaire tentaculaire, il crée des mondes à chaque coin de rue, il invente même ce psychout liquide qui coule sur les doigts. Il faut entendre les phrasés de fournaise d’orgue dans «Dinosaur Bones». Infernal ! Pur jus de Detroit Sound.

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    Un drôle de vagin psychédélique orne la pochette de They Came From The Sky. Attention, cet album pue l’urgence sonique. Ça démarre avec «Alien Creeps», un heavy psych complètement irresponsable et visité par l’âme du diable, c’est-à-dire la guitare électrique de Timmy. Non seulement c’est balayé par de forts vents d’Oust, mais les rafales atteignent des proportions anormales. Et ça continue avec «Brain Zip», lancé au popotin lampinien. Le drummer bat le train et la machine fonce dans la nuit industrielle avec un panache clochardisé extrêmement séduisant. Tim joue son va-tout glou-glou habituel - Won’t you heal my pain/ Shine your light - Puis il revient à son cher génie avec «Impregnate The Martian Queen», pur stomp cocasse et industriel. Welcome in Vulgarland, le meilleur parc d’attraction des temps modernes. Le cut avance à marche forcée, stomping all over the world. Tim raconte qu’on lui a pris son sperme pour engrosser la reine et quand il revient sur terre, ses copains ne le croient pas - The Marian Queen/ She has a kid - Tim n’en finit plus de créer son sale petit monde avec du son, du texte, des idées et de la cocasserie juvénile. «Junkyard Heart» se montre digne de l’early Hawkwind, c’est en effet un spectaculaire brasero de tourmente sonique. Tim règne sans partage sur son empire de création purulente. Il s’élève jusqu’au ciel, dressé sur un piton noir. C’est joué à l’atmo foutraque d’une Arletty des bas-fonds d’Amérique. Terrific ! C’est littéralement bombardé de son. En B, on tombe sur «The Movie Was Real», un vrai chef-d’œuvre de boisseau ondoyé, une menace intrinsèque, un mauvais plan latent, une senteur mortifère. Tim sait ménager la chèvre de son chou. Il revient au heavy blues de blues-rock avec «Serpent Shadow». Il pèse de tout son poids dans la balance, il ne déçoit pas, il incarne le sonic trash du Miche, il annonce que Dieu descendra combattre the beast - Cast this creature in the lake of fire/ That he breathes - Solo d’étranglement pulsatif à la clé de sol par là-dessus. Avec un titre comme «They Came From The Sky», le cut est forcément épique et il passe un solo de trash pur en guise de cerise sur le gâteau.

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    Le dernier album en date de Human Eye est sorti sur Goner. Il s’appelle 4: Into Unknown. On a du son immédiatement, dès «Gettin’ Man». C’est la grande différence avec les disques prétendument garage qu’on croise ici et là dans les bacs. Tim Lampinen va chercher le meilleur gras double de l’univers connu - The worls is bad/ And it only gets worse - Il va droit au but, c’est inspiré et terriblement rockalama fa fa fa. Rien qu’avec cet amuse-gueule, l’album s’annonce comme un festin de roi. Voilà un «Immortal Soldier» surchargé de son, et du meilleur - I see in the sky/ See all the suns that have died - Et selon Tim, les anges ne restent pas longtemps sur terre. C’est encore une chanson d’adieu, à la mémoire d’un certain Tim Van Esley. «Buzzin’ Flies» goutte de jus - All these flies/ All these flies - Quelle horreur de trash punk ! Tim saccage tout. Trois belles pièces lampiniennes se planquent en B, à commencer par «Juicy Jaw», envoyé au punch de cave - You make stick out - complètement dévasté de la ciboulette avec un solo de congestion abdominale, évidemment. Back to the true heavyness avec «Faces In The Shadows», admirable heavy-blues préhistorique de faces in the dark. C’est l’archétype du genre, joué au meilleur gras-double de charcutier d’Auvergne. Dans «Outlaw Lone Wolf», Tim raconte l’histoire d’une vengeance. Après le massacre des habitants de son village, Lone Wolf part à la recherche du Blacksmith - Hell bent killing every man - Solo de jachère dégueulasse et Wolf coince le Blacksmith qui essaye de se faire passer pour son père. Mais Wolf l’abat comme un chien. Les histoires sont chaque fois fantastiques !

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    Back to Timmy’s Organism avec Eating Colors. Trois violentes sirènes guettent Ulysse. Alors attache-toi au mât, mon gars ! Un, «Lick Up Your Town». Detroit Sound de base et de rigueur, morve de guitare verte et beat serré. Ça bat sec et dru et Timmy chante à la petite stoogerie. Il enroule ses boucles. Il a de la suite dans les idées et pelote le cul rebondi de la bonne franquette. Deux, «Crawling Through The Future» : on croirait entendre Blue Cheer. Timmy connaît toutes les ficelles de la sainte trinité du gras double. La troisième bombe se trouve en B : «Revolution Eyes» - I see revolution/ In your diamond eyes - Lyrics de rêve, comme au temps des Stooges, fantastique attaque de ramalama comme au temps du MC5 - Get down on my knees yeah - Quel coup de bravado ! S’ensuit un «Wolfman Running» embarqué aux power chords de Detroiter - Skin/ Start/ To rip - Timmy crée bien son monde, comme d’autres avant lui. Ses départs en solo sont des petites merveilles d’anticipation malovélante. Il se montre bon même avec de la pop, comme on le constate à l’écoute de «Four Leaf Clover» : voilà un cut gratté à coups d’acou, joyeux et enlevé. Il boucle ce bel album jaune avec «Chemical Make Up», une sorte de long cut médicalement assisté. Timmy joue de beaux solos de congestion orbitale, il ne cherche pas à défrayer la chronique, elle se défraie toute seule, il agrège les gréements et appareille les continents, et il repart en solo alors que tout le monde a quitté la salle, et c’est là qu’il va jouer son meilleur solo de trash guitahhh. C’est tout Tim.

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    Ah tiens, en voilà encore un ! Il s’appelle Survival Of The Fiendish. Tout est là dès «Guzzle Gazoline» : la bécane, la brutalité du Detroit blitz et la guitare saturée à l’extrême. Ce démon de Tim Vulgar laboure ses champs comme mille charrues en folie. Il ressort ses vieilles recettes de fudge, ça coule de partout comme s’il branlait son rock. Avec ce genre de dingoïde patenté, on est obligé de métaphorer plus que de coutume, il faut incendier les mots au phosphore, car c’est exactement ce qu’il induit dans le conduit. Ses alright sont d’une véracité troublante, il ne rigole pas avec l’authenticité. Cet homme ne vit que pour la purée, c’est évident. Avec «Green Grass», il nous plonge dans sa vision des seventies, avec un son aussi ambitieux que peut l’être un clerc de notaire provincial. Il délire bien - Now I can live in peace/ Filled my turtle belly with a feast - Il attaque violemment sa B avec «Selfish Little Queen» - You’re a catastrophe of greed/ I ain’t blind to see/ Ya see ? - S’il monte un psychodrame, c’est uniquement pour l’exploser par la panse - I ain’t your king ! - C’est du Shakespeare de Detroit. Fantastique ! Il passe à la heavy melancholia de bitter pill don’t cha kill avec «Bitter Pill». Il se demande pourquoi la pill ne kill pas et il part la gueule au vent comme s’il chevauchait en tête de brigade sous le feu des artilleurs russes. Quelle bravado ! - Now I’m a zombie standing in line at the pharmacy - Solo surperbe - Lobotomize the poor/ Keep em down forever more - Sa guitare sature tellement qu’elle s’étrangle dans les poussées de fièvre. Il crée une confusion extrême avec «The God Of Comedy» et au beau milieu de cette confusion, il part en solo de wah-wah et explose le cortex du contexte. Il surjoue sa purée et déblatère à terre, les quatre fers en l’air. C’est très spectaculaire, il développe la même énergie que Pat Schizo. Les Timmys jouent tous les trois chacun dans leur coin comme Cream, et comme s’ils avaient chacun dix bras comme Khali. Les voix et les fumées évoquent le premier album de Black Sabbath. Tim Vulgar termine avec «Missunderstood». Il se plaint qu’elle le considère mal - In your eyes I’ve never done good - Et pour cause, Tim est un outcast - I will never change/ This is how I will stay/ I’m an outcast - Et c’est tant mieux.

    Signé : Cazengler, Clown défèque

    Clone Defects. Blood On Jupiter. Superior Sounds 2001

    Clone Defects. Shapes Of Venus. In The Red Recordings 2003

    Timmy’s Organism. Rise Of The Green Gorilla. Sacred Bones Records 2010

    Timmy’s Organism. Raw Sewage Roq. In The Red Recordings 2012

    Timmy’s Organism. Heartless Heathen. Third Man Records 2015

    Human Eye. Human Eye. In The Red Recordings 2005

    Human Eye. Fragments Of The Universe Nurse. Hook Or Crook Records 2008

    Human Eye. They Came From The Sky. Sacred Bones Records 2011

    Human Eye. 4: Into Unknown. Goner Records 2011

    Timmy’s Organism. Eating Colors. Detroit Magnetic Tape Co 2017

    Timmy’s Organism. Survival Of The Fiendish. Burger Records 2018

    RESERVE TA DERNIERE DANSE

    POUR SATAN

    NICK TOSHES

    ( Allia / 2012 )

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    PART ONEGENERALITES

     

    Le bon vieux temps du rock ‘n’ roll ! C’était quand au juste ? Les débuts d’Elvis en 1954 ? Vous ne connaissez donc pas l’histoire des quatre-vingt-dix pour cent de l’iceberg ? Pas de chance pour vous, 1954 c’est juste le début de la fin. Sans vouloir remonter aux calendes grecques, officiellement cela vient au monde en 1945, oui l’on pourrait descendre jusqu’aux belles années du Delta, mais soyons sérieux, 1945 est une belle date, historique et musicale. Inutile de vous faire un cours d’histoire par contre aux lendemains de la guerre le jazz se trouve à la croisée du chemin. Vous avez ceux qui vont le dynamiter de l’intérieur et ce sera l’éclosion avec Charlie Parker et la génération Be Bop. Et puis les autres. Les hauts sommets c’est comme la peinture à l’huile c’est bien plus difficile. La peinture à l’eau c’est nettement moins beau mais c’est plus démocratique. Entendons-nous sur ce gros mot adoré des politiciens, essayons de le traduire en termes plus simples : n’importe quel bon à rien est capable de vous torcher une chansonnette sur un bout de trottoir ou de comptoir. C’est que l’on appelle du brut de brut. Faut obligatoirement passer par les industries de transformation pour la suite.

    Si vous pensez vous retrouver en studio avec ingénieurs du son inventifs et musiciens de génie, vous faites fausse route, c’est un problème quasi-secondaire, tout le monde est capable de brailler dans un micro et les musiciens prêt à vous torcher un simili-arrangement entre deux sandwichs ce n’est pas ce qui manque.

    Pensez aux choses sérieuses, une chanson n’existe que parce qu’elle passe à la radio. Vous avez donc vos entrées chez les disc-jockeys. Certes c’est eux qui drivent, mais vous leur fournissez le canasson. Qui lui vous appartient. L’est enregistré sous votre nom. Pas de méprise, aucune allusion au gars qui aurait composé le morceau. Vous avez sauté un étage. Celui des éditeurs, ceux qui détiennent les droits. Ceux qui empocheront le pactole.

    Etrange comme au bout de la chaîne vous trouvez le fric ! Le pire c’est que généralement à l’autre bout de la chaîne se tient - ne soyez pas idéaliste, ne proposez pas l’Artiste - le fisc. Un monstre qui a encore les dents plus longues que vous. Bonheur inouï, pendant longtemps les agents patentés de l’Administration ne se sont guère préoccupés des chansonnettes. Personne ne venait fourrer son nez dans le marigot. Les crocodiles se débrouillaient très bien entre eux. Ce n’était pas non plus l’amour fou entre nos amphibiens, y avait de terribles bagarres et de sacrés coups bas pour les terrains de chasse, on lavait son linge sale - voire carrément crasseux - en famille… Hélas, sur notre terre le bonheur ne dure jamais longtemps. La réussite attise les jalousies. Au début des années soixante éclate le scandale de la payola, une méchante paella.

    Mais reprenons au début. Le Be Bop d’un côté et le Rock ‘n’ Roll de l’autre. Du Rhythm ’n’ Blues si vous préférez. Les rescapés de l’aventure auprès de qui Nick Toshes mène l’enquête ne sont guère tatillons sur l’emploi des termes, vous pensez peut-être pureté R ‘n’ R ou authenticité R ‘n’ B, mais eux derrière ces deux appellations incontrôlées ils ne voient que l’argent qu’elles génèrent. Dès la fin du dix-neuvième siècle les affairistes blancs traditionnels ont manqué sinon de flair du moins de prospective. Ont laissé aux juifs et aux noirs le bizness de la chansonnette. Les juifs avaient le fric et les noirs une créativité stylistique différentes des patterns issus musicaux issus de la vieille Europe. Avec le Brill les juifs ont jeté les bases du modèle économique. Détenaient l’édition des morceaux et alimentaient les grosses majors de disques telle RCA Victor et Columbia qui proposaient au grand public de la musique sentimentale… Comme l’on ne gagne jamais assez une partie du catalogue était aussi dévolue à la musique des noirs. Pas bêtes pour trois sous, les noirs ont compris la combine. Se sont mis à créer leurs labels et surtout leurs maisons d’éditions.

    Ensuite ça été la chasse aux titres et enfin aux disc-jokeys. Imaginez un aquarium remplis de requins. Tous les coups sont permis. Menaces, chantages, passages à tabacs, combines de haut vol… Pour ceux qui ont besoin d’appui financiers ou de porte-flingues opératifs, en dernier recours vous avez la mafia. Entre gens de bons sentiments l’on arrive toujours à trouver un arrangement. C’est-ce que Nick Toshes appelle les temps d’innocence du rock ’n’ roll. Tout le monde y trouve son compte, le gamin qui enregistre son disque, le D. J. qui le programme dans son émission moyennant une petite ( tout est relatif ) commission. Les patrons récoltent les droits. Tout baigne dans l’huile. Tout le monde a des goûts simples : de l’alcool, du tabac et des putes. Que voulez-vous de plus. Aujourd’hui vous collectionnez les labels mythiques qui se sont montés à l’époque : King, Vee-jay ( qui se sont adjugés les Beatles pour leurs premiers pas en Amérique ) ,Aladin, Sparks…

    La jalousie est la rançon su succès. Des petits blancs aux idées larges se posent les bonnes questions : pourquoi est-ce que les blancs ne pourraient pas chanter eux aussi du rock ‘n’ roll ? Un gars futé, un certain Sam Phillips décroche le jackpot avec Elvis. Sur ce les gros cachalots radinent leurs fraises et RCA lance une OPA fracassante sur Presley. Le King ne tarde pas à engranger son premier million de dollars. Beaucoup de maille pour des chansonnettes. Le FBI, la politique et les impôts s’en mêlent… Le rock ‘n’ roll a perdu son innocence.

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    L’on soulève le lièvre. Pas besoin de le chercher bien loin. Tout le monde est au courant de la combine, sous la pression des commissions d’enquête les D. J. tombent dans le piège, ils reconnaissent, en toute bonne foi pour les plus naïfs, recevoir de la money pour passer les records… Alan Freed sera la victime expiatoire. Tout le monde se détourne du mouton noir. Crèvera tout seul chez lui en attendant son procès. Pas dans un deux-pièces-cuisine, non dans son ranch de… 700 hectares. Ce qui change un peu les perspectives. Pourquoi lui ? Parce que avec ses shows qui mélangeaient artistes noirs et blancs il dérangeait un peu, parce qu’il était un peu trop sûr de lui, un peu trop provocant, ne savait pas tout à fait la fermer quand il vaut mieux ne pas l‘ouvrir, l’a un petit peu cherché… Les perdants n’attirent pas la pitié.

    Certains moralistes prétendront que l’expression innocence du rock ‘n’roll, s’avère toutefois un tantinet exagérée. Certes nos héros de l’ombre dont l’histoire a oublié les noms - Nick Toshes leur donne la parole - n’étaient pas des anges, parfois ce ne sont pas les bons musiciens qui sont crédités sur les pochettes, idem pour les chanteuses, et la photo ne correspond pas. Bien entendu personne - ceux qui étaient présents comme ceux qui n’y étaient pas - n’a touché le moindre dollar pour le titre qui s’est vendu à des centaines de milliers d’exemplaires. C’est la vie.

    Si vous croyez que les profiteurs se sont arrêtés de travailler au milieu des années soixante, l’on peut citer les noms d’un tel qui s’est occupé de Madona, et d’un autre de Prince… Mieux vaut arrêter la liste. Et la payola continue sous d’autres formes… Tel groupe possède tel label, telle radio, telle TV… L’échelle a changé. Les principes restent les mêmes, les pratiques se sont en quelque sorte affinées et standardisées, l’on ne parle plus de dessous de table mais de promotion, de publicité, de contrats, d’accords mis au point par des bataillons d’avocats.

    Question d’innocence, vaudrait mieux fermer les yeux. Dans les années cinquante, les petits labels ne quittaient pas le quartier qui les avait vu naître. Tout le monde se connaissait et se tenait à la culotte de l’autre. Vous pouviez faire un coup foireux, mais le boomerang vous revenait en pleine gueule, tôt ou tard. Cela permettait à chacun de s’y retrouver à condition d’y mettre un peu du sien. Il n’est pas de meilleure pédagogie que l’expérience. Les petits gars et les petites garces qui entraient dans la marmite étaient surveillés par les vieux brigands. L’on faisait attention à ce qu’ils ne se brûlent pas du premier coup les ailes. L’école de la vie, mais avec de bons maîtres soucieux de votre survie… Aujourd’hui c’est David contre Goliath revêtu d’une armure anti-fronde.

    C’est du moins ainsi que Nick Toshes le raconte. Répète avec une certaine complaisance les propos des principaux activistes de l’époque. Ça sonne vrai de vrai. Vous avez envie d’y croire. Mais la croyance n’a rien à voir avec la pensée, assuraient les philosophes grecs. Ce qui est sûr c’est que ça se lit comme un roman. Avec victimes innocentes et malandrins au grand cœur. Pour tout dire il y a même un D. J. honnête.

    Damie Chad.

     

    *

    Un rocker n’a jamais peur. Mais là, j’avoue avoir fait un pas arrière. Vous ne devinerez jamais ce qu’il y avait dans ma boîte à lettres : une enveloppe ! Ne vous gaussez point, pas une misérable pelure de moins que rien, non un véritable monstre, hors-norme. Le facteur avait dû se donner du mal, l’avait lovée amoureusement, à la manière d’un boa constrictor imperator, il en avait capitonné tout le pourtour intérieur de mon coffre à messages, en prenant bien soin de ne pas en fragmenter le contenu. En plus, ça pesait un max. Un bon kilogramme. Rien à voir avec les minimales vingt grammes réglementaires. En montant l’escalier je supputais le pire, une lettre d’insultes et de menaces envoyée par un ennemi enragé, je subodorais néanmoins le meilleur, une missive d’amour postée par une admiratrice inconnue qui me déclarait sa flamme et son impatience passionnée. M’a fallu débarrasser le bureau pour pouvoir la poser. J’ai jeté un regard suspicieux sur les timbres, cela venait de Suisse, sans doute un banquier qui me faisait don d’un fond de lourde valise de billets de cinq cents dollars - au poids, plus d’un million - mais mes hypothèses se sont effondrées lorsque au dos de l’envoi j’ai lu le nom de l’expéditeur.

    Pas n’importe qui. Jean-Michel Esperet. Un bienfaiteur de l’humanité-rock qui nous a légué une superbe biographie de Vince Taylor. Jean-Michel Esperet est un esprit curieux, n’a-t-il pas organisé dans un autre de ses livres une rencontre improbable entre Vince Taylor et Jean-Paul Sartre, ne nous a-t-il pas aussi fait part en deux de ses ouvrages de ses idées critiques un tantinet diaboliques sur notre monde et sa modernité. Tout cela, nous l’avons soigneusement répertorié dans nos chroniques. Jusque-là Jean-Michel Esperet était resté dans ce qu’il faudrait se résoudre à appeler le littérairement correct. Mais là, manifestement, rien qu’aux sidérantes dimensions de l’enveloppe je compris qu’il avait entrepris de dépasser les bornes de la démesure humaine. J’ai donc extrait de sa gangue enveloppeuse l’objet de ma curiosité, long comme trois cent soixante-six jours sans pain. Ceci n’est pas une comparaison, jugez-en par vous-mêmes, c’était un… calendrier.

    HAPPY LEGS YEARS 2020

    ¨Literary ¨ Edition

    ZIOLELE FEAT JAMIE

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    Les esprits primesautiers hausseront les épaules, un calendrier au moins c’est vite vu, vite lu. Certes ils n’ont pas tort, mais il y a calendrier et calendrier. Celui-ci s’apparenterait plutôt au Double assassinat de la rue Morgue d’Edgar Poe, entre la mort et l'amour la distance à enjamber n'est jamais grande, mais ici il s’agit non d'un double mais de douze assassinats. Considérés comme un des beaux-arts ajouterait Thomas de Quincey.

    Chacun se distrait comme il peut. Nous avons tous nos marottes innocentes. Le passe-temps de Jean-Michel Esperet ici reconnaissable sous le pseudonyme de Jamie consiste à doctement deviser sur des morceaux de femmes. Sereinement découpées en deux parties que je m’abstiendrai de qualifier, n’étant pas mathématicien, d’égales. En tout cas ne nous est présenté ici que l` inférieure. Cet adjectif avant tout géographique se doit d’être dépouillé de toute nuance péjorative. Cette activité ludique n’est pas sans rappeler ces numéros de cirque durant lesquels une femme ( de préférence jeune et jolie ) allongée dans une caisse de bois se voit proprement sciée en deux par un magicien généralement secondé par son aide non moins jolie et charmante que la sanglante victime. En homme galant Jamie a préféré laisser à sa demoiselle d’apparat la noble tâche d’accomplir l’irrémissible et toutefois jouissif forfait de la double séparation, c’est donc elle qui s’est chargée du soin de manier la scie séparative, en l’occurrence ici un appareil photographique. Cette artiste de la découpe dénommée ZioLele est qualifiée dans une courte présentation d’Anne-Emmmanuelle de Bonaval de ¨ feminist photographer ¨.

    Sans doute est-il temps de se pencher sur les legs-d’œuvres de l’artiste. Bottines, escarpins, talons aiguilles, bas résilles. J’oubliais les jambes. Fines. Elégantes. Souvent cachées ou recouvertes. Seul le mois de juillet vous offrira en coin de photo un prélassement de jambes dénudées échappées d’un fessier même pas nu. Beaucoup de jambes conquérantes qui s’éloignent, paires de ciseaux qui s’amusent à couper le désir qu’elles suscitent. Celle d’avril est pointue comme une tête d’aspic menaçante et celle pommelée de décembre évoque les dessins d’une mue de boa qui s’écarte de sa victime, l’on n'aperçoit qu’une main d’amant mortuaire qui gît dans les draps blancs d’un lit désormais inutile.

    Point d’affriolance ou de frivolité dans les photos de ZioLele. Pas des vues saisies au viol hasardeux de la beauté. Des mises en scène froides dénudées de tout sentimentalisme. Chez ZioLele la femme ne cherche pas à vous taper pas dans l’œil, si elle pouvait vous le crever d’un coup de talon elle ne s’en priverait pas. Au mois de mai, le large coutelas irradiant de lumière qu’elle tient d’une main ferme vous incite à ne pas lui laisser faire ce qui lui plaît. Sans doute aimeriez-vous remonter vers la source chaude du sexe, mais par ses prises de vues ZioLele vous incite à baisser les yeux, votre désir s’incline vers le sol, l’amazone est impitoyable, elle dévoile davantage d’asphalte, de goudron, de carrelage que de chair. Peut-être parce que la rareté multiplie la demande et crée la cherté de l’absence. Le fruit fuit. Ou alors il parlemente mais donne l'impression qu'il ment beaucoup plus qu'il ne parle. Aucun pied invisible ne régule l'offre et la demande.

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    Nous sommes loin de ces calendriers que les sympathiques routiers étalent dans la cabine de leur camion. Les amateurs de pom-pom girls risquent d’être déçus. Il y a une explication à tant de froideur, à tant de refus. Anne-Emmanuelle de Bonaval nous la fournit en sa courte présentation. Si la photographer is feminist c’est parce que le writer qui légendifie les photos est misogynist. Artistes antagonistes. Attention l’on sent qu’ils se sont amusés, qu’ils se sont affrontés, un peu comme quand on est enfant on joue à bataille fermée, chacun pose sa carte en espérant qu’elle sera la plus forte. Ni le chat, ni la souris ne veulent perdre la face. L’enjeu est clair : pas de chatte mais le sourire. Il semblerait que Jamie-Esperet parte perdant. Il n’a que quelques mots à opposer aux grands espaces occupées par les photos. Mais ZioLele n’a pas abusé de l’exubérant chromatisme des teintures. Etrangement chez elle la couleur tend vers le blanc comme si elle voulait que se détache avant tout le compas des jambes dressées comme les mystérieux jambages de quelques lettres isolées victorieusement calligraphiées.

    Les trois Horace furent opposés aux trois Curiace. Le combat était à armes égales, mais à ces aigres-douces paires de gambettes agitées comme des sabres d’abordage Jamie-Esperet n’a que la dague pointue de sa langue à opposer. A l’amour qui se refuse il oppose l’humour qui fuse. Je vous laisse découvrir ces petits dialogues, encore plus courts que celui des Mimes des Courtisanes de Lucien. Rédigés en anglais, l’idiome de la perfide Albion qui frise le non-sense et la cruauté sadique. Car le sexe est cru et cruel. L’amante et l’amant, auprès du lit - avant, pendant, après - il n’y a pas d’heure pour ne pas taire les vacheries. Bien sûr c’est Elle qui attaque, et Lui qui répond. Mais ce n’est pas un long duel. Il sait que c’est à la première répartie que l’on cloue le bec de la lutteuse, au premier coup que l’on embroche - symboliquement - l’ennemie. Joue fair-play, il reconnaît ses défaites, même les plus piteuses. Mais il a l’art de les présenter de telle manière qu’Elle en soit en partie responsable. N’est-ce pas Aristote qui a dit que toute chose possède une cause.

    Le problème empédocléen c’est que au-delà de toutes les différences les sexes s’attirent autant qu’ils se repoussent. Et ici, tous deux sont décidés de rester sur leur quant à soi. Mais ces ¨ je te hais, moi non plus ¨ font partie d’une parade dans lequel les deux protagonistes cherchent à garder le premier rôle. Ces réparties de jambes-en-l’air orales auxquelles nous invite Jamie-Esperet nous aident à croire qu’elles nous éloignent de notre part animale, qu’elles nous rendent davantage humains en nous permettant de goûter le sel de notre intelligence, puisque nous sommes capables de rire de nous-mêmes.

    Damie Chad.

     

    BLOOD AXIS

    DAY OF BLOOD

    MAX RIBARIC

    ( Camion Noir / Septembre 2012 )

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    Non il ne s’agit pas d’une erreur adjectivale. Noir c’est noir comme l’affirmait Johnny Hallyday, ce camion n’est pas blanc même si nous avons à plusieurs reprises chroniqué en notre blogue plusieurs livres de la Collection Camion Blanc, même que notre Cazengler à nous s’est chargé de la traduction de plusieurs ouvrages, notamment le There’s one in every town de Mike Farren consacré à Gene Vincent, et dirigé avec maestria Le Petit Abécédaire de la Crampologie, tout ce que vous n’auriez jamais aimé savoir sur les Cramps, toutes ces choses vénéneuses que vous ne pouvez vous empêcher de feuilleter chaque soir avant de vous coucher afin de cauchemarder toute la nuit. Peut-être avez-vous éprouvez le même étonnement que mon immodeste personne le jour où un exemplaire de la collection Camion Blanc, vous est passé pour la première fois entre les mains, mais pourquoi cette couleur blanche bien trop innocente pour qualifier les turpitudes du rock ‘n’ roll. Le noir ne serait-il pas mieux approprié !

    Simplement parce qu’il existe une collection parallèle qui porte ce titre. Camion Noir parce que certainement certaines propensions humaines ne méritent aucune lumière. Chez Camion Noir vous trouvez par exemples maints volumes sur les serial killers, des documents, des lettres, des récits qui pourraient déclencher chez vous de fautifs désirs. L’on a aussi pensé aux rares parmi vous qui auraient des prétentions intellectuelles, des reproductions de vieux grimoires alchimistes des siècles passés qui vous demanderont des années d’étude juste pour comprendre la signification du titre. Autre sujet d’expériences diverses, la magie. Surtout la noire. Moins la blanche. La rouge uniquement si elle a la couleur du sang. Camion Noir s’intéresse aussi aux mouvements ésotériques, par exemple aux sociétés secrètes qui ont proliféré durant la période nazie. Thèmes marécageux par excellence. Les livres de Camion Noir sont réservés aux esprits avertis. Sont à manipuler avec précaution.

    Camion Noir propose aussi quelques titres dévolus à des groupes de rock extrême. Musicalement et politiquement. Pour le premier adverbe pas de problème, pour le second c’est là où le bât blesse, comme disent les ânes. Que le rock soit fun ou hard ne choque que les oreilles fragiles. Mais que le rock s’aventure en politique, beaucoup préfèrent faire semblant de ne pas voir. Il est des itinéraires qui empruntent des chemins d’une orthodoxie radicale que la majorité réprouve.

    Michael Jenkins Moynihan est né en 1969 à Boston. L’est un des enfants aimés de cette middle class américaine sans histoire. Un avenir anonyme tracé d’avance s’offre à lui. Mais il est des individus qui ne sont pas comme les autres. L’on ne sait pour quelles raisons. Le monde dans lequel il vit, lui semble fade et mensonger. Gamin, deux films impressionnent fortement son imagination, Orange Mécanique et Rosemary’s baby… enfin des personnages qui haïssent le monde embourgeoisé dans lequel ils vivent et qui professent des idées en accord avec leurs actes. A douze ans il devient fan de punk et de hardcore, mais l’anarchisme de ces groupes lui apparaît très vite comme une façade, une pause, qui n’est pas vraiment vécue de l’intérieur et qui ne débouche sur aucun acte de révolte significative. L’adolescent sèche les cours, s’enferme chez lui, lit beaucoup, est fasciné par tout texte qui aborde des thématiques violentes notamment le personnage de Charles Manson, le satanisme, et l’histoire des fascismes européens…

    COUP DE GRÂCE

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    Ce sera le nom de son premier projet. Pour le nommer il ouvrira un dictionnaire au hasard, cette manière de faire est étrangement similaire à celle qui prévalut pour le baptême de Dada. Avec Coup de Grâce Mickael Moynihan met au point et adopte sa méthode ( comprendre ce vocable en le sens où Paul Valéry l’emploie pour signifier le génie de Léonard de Vinci ) dont il ne se départira jamais. Il n’a que quatorze ans mais il détient les clés de la conquête ( propagande ) et le Graal ( expérimentation ). Dans son garage, il produit du son, il bidouille, il traficote, à partir de ces vrombissements glougloutiques que l’on entendait en faisant défiler le curseur d’un poste de radio sur les ondes courtes, et qu’il passe sur de vieux magnétos sur-enregistrés en décalé, auxquels il ajoute des notes de guitare acoustique et de ces synthétiseurs pour gamin que tout le monde possédait. Ces premières créations seront diffusées sous cassettes. Mais la musique ne suffit pas. Il faut travailler l’esthétique de la pochette. Et bientôt s’impose la nécessité d’un livret. Son but n’est pas de donner des explications mais d’accrocher d’hypothétiques auditeurs, de leur donner l’envie d’entrer en contact avec lui. Le texte est une chose, mais la façon dont il est présenté est peut-être encore plus importante, plus décisive. Les couleurs rouge, noire et blanches seront privilégiées, ce sont celles de l’alchimie et aussi de l’iconographie nazie. Recherches graphiques expressionnistes, utilisation de symboles archétypaux empruntés aux propagandes fascistes et aux vieux engrammes païens.

    Coup de grâce se terminera en 1989. Moynihan entre dans sa vingtième année. Ce qui pourrait apparaître comme un jeu d’adolescent attardé, une espèce de fourre-tout idéologique de bas étage et une création artistique de bric et de broc lui a permis d’atteindre ses objectifs. Il n’est plus isolé. Il a reçu du courrier, il a rencontré des frères d’armes, il possède une certaine expérience musicale non négligeable, il a donné quelques concerts, il a voyagé, il a tissé un réseau commercial de vente par correspondance qui lui a appris la corrélation qui existe entre la force de persuasion d’un objet ( phonique ou imprimé ) et sa charge esthétique. En plus de tout cela, il n’a cessé de lire ( philosophie, religions, poésie, histoire ), de découvrir, de compiler des documents, de traduire, de se questionner, d’apporter des réponses…

    BLOOD AXIS ( I )

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    Dès 1990, le nouveau projet nommé Blood Axix est sur les rails. Ce sera celui de la maturité. Coup de Grâce trahissait en son titre le nihilisme et l’arrogance de l’adolescence. Il s’agissait d’en finir définitivement avec le vieux monde. Ou tu changes, ou je te tue. Rien n’a changé et la société est encore vivante. Michael Moynihan a compris que le refus solitaire de l’individu ne suffit pas. Que l’on n’en viendra à bout qu’en proposant un véritable projet. Pas un nouveau contrat social mais une philosophie qui permette de se tenir debout. De ne plus subir. Chacun se doit de devenir un axe de sang, l’axe vital par excellence, que c’est seulement ainsi que l’on réunira une élite chargée de l’œuvre sacrée de destruction. L’on est en plein romantisme fasciste. Les photos de Moynihan ne sont pas sans évoquer l’outrecuidance martiale des jeunesses mussoliniennes et nazies. Ce sont des soldats. Prêts à se battre. A mourir, mais surtout à vaincre. Blood Axis possède son emblème, la croix potencée des croisés à mi-chemin imaginal et symbolique entre l’emblème nazi, la croix de Malte et le logo du groupe Occident. La Kruckenkreuz.

    A proprement parler Blood Axis ne produira qu’un seul véritable album The Gospel of Inhumanity ( 1996 ) mais qui reste un des piliers fondamentaux de la musique industrielle. Un disque se rage et de destruction. Qui marquera les esprits. Peut-être parce que dans le kaos sonore délivré se décèle un chemin vers un autre pays, un pays qui a toujours existé, qui n’est plus, mais dont on a la prescience de son existence.

    Le groupe participera aussi à plusieurs anthologies composées de formations de mêmes types, rares sont celles capables de rivaliser avec lui… Ces disques ( CD, DVD, CD-Rom, vinyles ) très souvent édités par Blood Axix sont agrémentés de luxueux fascicules et tirés à petit nombre d’exemplaires… De même seront offerts des Lives enregistrés lors de tournées européennes et américaines. Parfois les concerts sont annulés ou précédés de manifestations organisées par des groupes antifas.

    BLOOD AXIX ( II )

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    Le groupe évolue. Des musiciens vont et viennent. Mais la musique change. La réflexion de Michael Moynihan s’est approfondie. Son aspect physique n’est plus le même. Certes il a pris de l’âge. On sent un apaisement. Il n’est plus le va-t-en guerre du début, le soldat intraitable s‘est métamorphosé, le militant idéologique a mûri. Il n’a rien renié mais la nostalgie des groupes fascistes de l’entre-deux guerres, n’est plus de mise. La donne n’est plus la même. L’Allemagne et l’Italie des années 20, ne sont plus des exemples, l’Europe a été la première victime des deux guerres mondiales, une véritable guerre civile dans laquelle elle s’est coupée de ses racines les plus profondes. Le pays, le grand pays, reste celui des anciens Dieux, nordiques, grecs, et même peut-être certains aspects de la spiritualité chrétienne… Mickael Moynihan tient des discours de philosophe. Des propos empreints d‘une sagesse éruptive… Peut-être la venue d’Annabel Lee y est-elle pour quelque chose. Elle lui donnera un fils, et apportera au groupe une véritable connaissance de la musique classique. Elle joue du violon, et de l’accordéon. Il ne faut pas parler d’influence mais de conjonction. Le bruitisme culturo-phonique de la musique industrielle cède le pas à un néo-folk industriel qui aux avalanches sonores préfère désormais des morceaux plus traditionnels. L’on ne mixe plus des discours idéologiques, l’on exalte de préférence des poèmes… Une musique qui se donne pour mission de rétablir une ouverture avec le vieux fond du paganisme européen originel.

    Le livre s’achève en 2007. Son auteur italien Max Ribaric a pu puiser directement aux archives accumulées par Mickael Moynihan. Une véritable somme iconographique et textuelle. Par contre les lyrics du groupe qu’ils soient en anglais ou en allemand ne sont pas traduits. Certains lecteurs penseront qu’il s’agit d’un ouvrage de propagande ( pré-pro-post-) fasciste... Sa lecture s’en révèlerait alors d’autant plus nécessaire.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 430 : KR'TNT ! 430 : LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE / COCKBOX / RAT'S EYES / DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN / ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO / ROCK'ROLL STORIES / JEAN-MICHEL ESPERET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 430

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 09 / 2019

     

    LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE

    COCKBOX / RAT'S EYES

    DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

    ROCK'N'ROLL STORIES / JEAN-MICHEL ESPERET

    T’en fais pas mon p’tit Lou

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    Contrairement à la plupart des Soul Brothers, Lou Johnson n’est pas né dans le deep South mais à New York. Donc pas de champ de coton pour lui ni d’horrible patron blanc. Et comme dans sa famille tout le monde chante et tout le monde joue d’un instrument, Lou n’a pas d’autre choix que de devenir Soul Brother. Pour une fois, le destin n’est pas trop cruel. Étant donné que Mum and Dad jouent du piano, Lou joue du piano. Le voilà keyboard player. Il commence par jouer du gospel dans les églises puis il se dirige naturellement vers les clubs, le voilà devenu a jazz-slash-gospel musician, comme il dit, a young whippersnaper. Entre 1962 et 1967, il enregistre quelques singles pour Johnny Bienstock, chez Hill &Range, une boîte de prod qui a fait son beurre avec Elvis et le Colonel. Les bureaux d’Hill & Range occupent deux étages au Brill Building et Burt en occupe un au rez-de-chaussée. C’est par l’entremise d’Hill & Range que Lou rencontre Burt - Me and Burt got on really well - Lou enregistre les démos que Burt destine à Dionne la lionne.

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    Et puis un jour, son label Big Top l’envoie enregistrer chez Allen Toussaint à la Nouvelle Orleans - Me and Allen got on really well - Dans la foulée, Johnny Bienstock met Lou en contact avec Jerry Wexler, alors le voilà sur Atlantic via Cotillon. Mais quand Lou découvre que son manager Richard Simpson l’arnaque, il lâche tout et va s’enterrer à Dallas. Il joue du piano au Green Parrot pendant huit ans. Ça brise sa carrière. Il n’empêche qu’en 1968 Jerry Wexler et Tom Dowd emmènent Lou enregistrer un album à Muscle Shoals. Lou est impressionné par le niveau du musicianship des petits culs blancs de Muscle Shoals : David Hood, Jimmy Johnson et le père Hawkins. L’album qu’il enregistre est le fameux Sweet Southern Soul. Attention, c’est un classique de la Soul. Lou entre directement dans le vif du sujet avec une fabuleuse version de «Rock Me Baby». On s’épate d’une telle assise. Lou Johnson chante comme un dieu. Il tape dans un vieux hit des Drifters, «This Magic Moment» pour le profiler sous l’horizon. Il shoote tout le feeling du monde dans cette merveille inexorable. Avec «Move And Groove», il passe au r’n’b de firmament, c’est swingué par la crème de la crème du sweet Southern Sound. Lou diffuse autant de magie que Freddie Scott ou William Bell. Il finit à la hurlette tumultueuse, sa voix éclate au pinacle de la Soul. Avec «Please Stay», Lou Johnson descend dans les soubassements de l’âme humaine. Ah il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie. En B, il shake le shook de «Tears Tears Tears» avec une aisance effarante. Sur cet album, tout est soigné au maximum de l’intensité, au pur Soul Sound System de haut vol, avec derrière des chœurs de rêve, ah on peut dire que les filles savent gueuler. D’ailleurs, personne n’a pensé à les créditer sur la pochette. Lou Johnson referme la marche avec le «Gypsy Woman» de Curtis Mayfield. C’est forcément une version de rêve, Lou la fait mousser et sa voix traverse les ténèbres du temps comme l’éclair du génie.

    Hélas, Jerry Wexler et Tom Dowd décident de concentrer leurs efforts sur Donny Hathaway et mettent Lou de côté. Entre 1968 et 1970, Lou passe à l’héro, puis il décide de décrocher et revient à New York se remettre au carré. Un jour qu’il se balade devant le building CBS, il tombe par hasard sur Allen Tousaint :

    — Lou how are you ?

    — I’m all right.

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    Allen lui explique qu’il a entendu dire ceci et cela sur Lou, des rumeurs d’héro et Lou lui répond que les rumeurs ne se trompaient pas et qu’il est passé à autre chose. Allen lui demande s’il est sur un label et Lou lui dit non. Alors Allen lui propose de faire un saut à la Nouvelle Orleans : «I’ve got some stuff I’d like you to do, I think you’d fit it just fine.» Lou descend passer trente jours avec Allen pour enregistrer cet album faramineux qu’est With You In Mind. Allen produit et Cosimo enregistre. Quand on a écouté ces deux coups de génie que sont «Frisco Here I Come» et «Wrong Number», on éprouve d’immenses difficultés à aller ailleurs. Lou peut rocker «Frisco Here I Come», il le fera à sa façon, avec une maestria du subterfuge et derrière, les filles arrivent, chaudes et plantureuses, alors la fête peut commencer, à coups de chœurs de gospel batch et on renoue avec l’extraordinaire dynamique du New Orleans Sound battu en brèche par un phraseur intriguant et des vagues d’orgue. Voilà un pur chef d’œuvre. Avec «Wrong Number», il tape une Soul de r’n’b classique, mais il la ramène à Broadway. S’il fallait qualifier la Soul de Lou Johnson, il faudrait parler de puissance dévastatrice. Il démarre pourtant cet album avec un «There Were Times» de charme, une sorte de pop éraillée, dotée d’un certain intimisme et en même temps staxy. Les filles envoient des rafales de chœurs déments et ça violonne doucement mais pas trop, voyez-vous. On sent les filles très proches et très discrètes. Il tape ensuite un long «Transition» de huit minutes, uns sorte de vertige à la Jimmy Webb, très orchestré, avec des zones pianotées et des accalmies océaniques. Forcément, avec un type comme Lou, on échappe aux cadres et aux formats. Il lui faut ces huit minutes pour afficher ses prétentions et accéder au trône de Soulland. Il faut l’entendre shooter sa Soul : il s’y donne corps et âme. Même chose avec «The Loving Way» : il traite la Soul à sa façon, d’une voix de feu fêlée, mais aussi à son rythme qui est atypique et d’une grande liberté. Il fait ce qu’il veut, il continue d’échapper aux cadres et aux formats. Cet homme incarne la liberté de ton, ce qui peut sembler ironique pour un descendant d’esclave. On se régale aussi de la belle Soul latérale de «Nearer» et du funky strut de «The Beat» qui évoque un peu Stevie Wonder. Il chante ça d’une voix presque blanche. Avec «Who Am I», il passe au piano bar de rêve. On est à la fête avec un Soulman comme Lou. Il propose ici une beautiful song admirable d’élégance louisianaise et on entend Allen Toussaint pianoter.

    Le problème est qu’Allen et Marshall Sehorn n’ont pas de réseau pour distribuer l’album, alors ils font appel à Stax, mais chez Stax, ils ne sont pas très doués pour la distro. En plus ce n’est pas du Memphis Sound et pour eux, c’est dur à vendre. C’est malheureusement le dernier album de Lou Johnson. Il quitte Dallas et s’installe à Portland dans l’Oregon en 1975, puis quelques années plus tard, il débarque en Californie pour aller jouer dans des clubs.

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    Il existe dans le commerce une très belle compile intitulée Incomparable Soul Vocalist. C’est l’occasion de se convaincre - si ce n’est pas déjà fait - de l’absolue nécessité d’écouter Lou Johnson. D’autant que ça démarre sur deux compos de Burt, «Reach Out For Me» et «The Last One To Be Loved». On peut parler ici de choc de titans. Lou sait que Burt est l’homme clé. Il dit entendre son art - I hear his stuff - Et il ajoute : «I think the only person who could hear his stuff better than me was Luther (Vandross)». Alors Lou met le paquet. Il travaille tous ses cuts au corps. Il va droit au cœur du cut, avec une niaque interprétative hors normes. Il se bat comme James Carr. Avec «Unsatisfied», on note la véracité de son rang princier. Il explose littéralement le Broadway Sound System. Back to Burt avec «Magic Potion». C’est plus poppy mais gagné d’avance, car voilà que dégouline une belle dégelée de gelée royale. Lou trousse ça sec. Oh si sec, sister ! Il reste dans le giron de Burt avec l’énorme «(There’s) Always Something There To Remind Me», le hit sixties par excellence, paré de coups de trompettes. L’affaire est dans le sac, Lou l’explose, il chante à la voix blanche. On aura tout vu. Il tape aussi dans l’extraordinaire «Walk On By» et salue Sidney Bechet avec «A Time To Love A Time To Cry». Il s’agit en fait de «Petite Fleur» traduit en Anglais par Giant, Baum & Kaye, l’une des grosses équipes du Brill. Lou gère cet hommage avec une classe insolente. C’est même joué à la clarinette et Lou nous brosse ça dans le sens du poil. C’est beau comme un solstice d’été. On tombe plus loin sur «Thank You Anyway (Mr DJ)», un heavy balladif ultra-violonné à l’hollywoodienne, signé Giant, Baum & Kaye. C’est même un déluge d’orchestration qui s’abat sur le pauvre cut. Lou brille au firmament, c’est indéniablement indéniable, on en perd les mots tellement il nous compresse la cervelle, thank you, thank you anyway. Sacré géant. Encore du Broadway Sound System avec «Wouldn’t That Be Something» qu’il swingue à outrance. Avec «Any Time», il vire bar de nuit, avec des chœurs de filles magiques et la surprise vient de «Love Build A Fence», véritable power shakedown de gospel batch. Les filles derrière sont probablement les Sweet Inspirations. On a là exactement la même charge qu’avec l’Aretha d’Amazing Grace enregistrée dans l’église de Los Angeles.

    Et puis voilà, on apprend inopinément que Lou Johnson vient de casser sa pipe en bois. L’entrefilet paru dans Record Collector indique que la mauvaise nouvelle n’est pas de source sûre. Lou Johnson aura su rester discret tout sa vie, et jusque dans la mort. Chapeau bas.

    Singé : Cazengler, Lou garou

    Lou Johnson. Sweet Southern Soul. Cotillon 1969

    Lou Johnson. With You In Mind. Volt 1972

    Lou Johnson. Incomparable Soul Vocalist. Kent Soul 2010.

     

    Mavis serre la vis - Part One

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    Mavis Staple à Paris, voilà qui sonne joliment à l’oreille. Un peu comme on si on disait : ‘Aretha à Paris’. Inespéré ! C’est un gros pan d’histoire de la Soul qui débarque dans une capitale surchauffée par les ardeurs d’un soleil estival. Il ne s’agit plus de dire monte là-dessus et tu verras Montmartre, mais plutôt entre-là dedans et tu verras Mavis. La Cigale redevient le temps d’une soirée un bon gros théâtre de boulevard avec ses places assises et sa moyenne d’âge élevée. Cette vieille dame pétrie de légende arrive enfin sur scène. Elle n’est pas bien haute, les mauvaises langues diraient même ‘plus large que haute’, elle porte une longue chemise bariolée ouverte sur un ensemble noir et très vite, elle établit le contact avec un public convaincu d’avance.

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    Mavis maîtrise indiscutablement l’art de communier, elle a fait ça toute sa vie, c’est-à-dire pendant plus de soixante-dix ans, si l’on considère le fait qu’elle commença à chanter dans les églises toute petite. Elle s’entoure d’une équipe minimale composée d’un couple de choristes noirs et de trois musiciens blancs. Et c’est là où les choses deviennent extrêmement intéressantes, car avec cette formule qu’on pourrait presque qualifier de stripped down, Mavis va chauffer la Cigale comme une église. Ils sont cinq à chanter les chœurs avec Mavis et ça prend vite de sacrées proportions, pas au sens du gospel power, mais au sens du groove. Cette musique se glisse littéralement sous l’épiderme, notamment cette version de «Respect Yourself» démarré au baryton de charme chaud par l’excellentissime Donny Gerrard. Wow ! Il n’existe pas de meilleure manière d’entrer dans la légende. Ce vieux hit des sixties ramène à la surface Pops Staples, Yvonne, Cloetha, et même Sir Mac Rice, l’auteur de ce chef-d’œuvre absolu de Soul engagée. Il est essentiel de rappeler que Mavis et les siens ont milité toute leur vie pour l’égalité des races, dans un pays où les mentalités ne peuvent pas évoluer. Elle continue donc aujourd’hui, en montant sur scène et en chantant des textes qui sont à la fois des messages d’espoir et des incitations à continuer le combat, comme ce fabuleux «No Time For Crying» qui referme la marche. Elle dit tout simplement que ce n’est pas le moment de pleurer - People are dying/ Bullets are flying - Oui, on tue encore les nègres aux États-Unis comme on les tuait au début du XIXe siècle, par simple haine et Mavis lève le poing lorsqu’elle clame «We’ve got work to do !», c’est assez brutal au niveau émotionnel, car il semble que la rumeur chantante qui sous-tend le cut remonte à la nuit des temps, jusqu’aux racines de l’esclavage. Mavis semble aujourd’hui porter seule de destin d’un peuple traité pendant des siècles comme de la marchandise.

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    Les mecs qui l’accompagnent se montrent dignes de la situation. Jeff Tunes joue sur une basse blanche sanglée très bas sur les genoux, à la manière d’un punk-rocker. Stephen Hodges bat tranquillement le beurre et celui qui tire le mieux son épingle du jeu, c’est bien sûr Rick Holmstrom, un type un peu décharné qui ne vit que pour la virulence et le venin des incursions intestines. Mavis semble adorer ça, car elle l’encourage en lui donnant des petits coups de poing sur la poitrine. En jouant aussi viscéralement, Holmstrom injecte une violente dose de modernité dans le son de Mavis, comme il le fit jadis dans le son de RL Burnside. C’est très spectaculaire ! Il joue avec des gestes d’épouvantail habité par le diable et lâches des grappes de notes dignes de celles d’un autre grand guitariste hanté, Robert Quine. Mavis attaque le set avec «If You’re Ready (Come Go With Me)» tiré d’un vieil album des Staples, Be What You Are, paru en 1973, à l’âge d’or de Stax. Et elle enchaîne avec un «Take Us Back» plus récent. Elle va ensuite commencer à taper dans les cuts de son dernier album, We Get By, produit par Ben Harper qui, comme par hasard, se pointe sur scène. Mavis l’aime bien car elle l’annonce comme the greatest songwriter in the world. Harper débarque avec son chapeau et duette avec Mavis sur deux autres cuts tirés de We Get By, «Love And Trust» et le morceau titre.

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    Mavis revient ensuite dans le très haut de gamme avec une reprise du big «Can You Get To That» de Funkadelic, et emporte pas mal de suffrages avec une autre reprise, celle de «The Weight» du Band, qui semble beaucoup plaire au public. Elle va heureusement revenir à ce qui est avec Respect Yourself l’un des meilleurs albums des Staple Singers, Be What You Are et cette chanson d’espoir intitulée «Touch A Hand Make A Friend».

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    Les malheureux qui ont raté ce concert peuvent se consoler avec l’album Live In London qui vaut son pesant d’or. Les Londoniens claquent des mains, ça veut dire ce que ça veut dire. La set-list diffère de celle du concert parisien qui est plus axé sur We Get By. Mavis crochète son «Love & Trust» à la vieille arrache de Chicago. On la voit travailler ses cuts sous le boisseau, elle fait du Wolf avec «Who Told You That» et Rick Holmstrom joue si sec ! Hank you ! Elle fait un duo d’enfer avec Donny Gerrard dans «Slippey People», qui est une reprise des Talking Heads. Mavis est déchaînée, ils shakent à deux tout le shook du monde. La température monte encore plus violemment avec «Take Us Back». Quand Mavis fait de la Soul, c’est de la Soul extraordinaire. Elle se jette toute entière dans la bataille. Ella atteint au génie avec «No Time For Crying». Elle retrouve sa fantastique énergie primitive. Les Londoniens stompent le beat - No time for tears/ We’ve got work to do - C’est l’appel au réveil, le grand message de Pops. Message d’autant plus beau qu’il est politiquement très engagé. Elle monte la transe au maximum - All over the world/ It’s a mean old world we’re living in - On reste dans le génie interprétatif avec «Can You Get To That», ce vieux hit de Funkadelic. Mavis nous habitue au confort du heavy doom. À sa façon, elle démonte la gueule du groove, comme savait si bien le faire Isaac le Prophète. Quel sens du punch ! Donny Gerrard fait le wanna know de baryton. Puis Mavis se coule sous la peau du groove pour interpréter «Let’s Do it Again», un cut qui ne fait pas partie du set parisien. Elle devient littéralement magique, sometimes it rains, elle groove à gogo - Let’s do it in the morning/ Sweet lovin’ - Le baryton vient fureter entre les cuisses du groove et ça devient spectaculaire. Elle explose littéralement la notion de live. À la fin, elle se marre - I feel like a butter finger - C’est une reine et la salle explose de plus belle. Elle rend hommage à Curtis Mayfield avec une sweet cover de «Dedicated». Elle sait de quoi elle parle. Elle monte là-haut comme Aretha dans «We’re Gonna Make It», mais en plus guttural. Power suprême ! Elle devient folle à la fin du set avec «Happy Birthday» et «Touch A Hand» - Make some noise ! - Elle allume comme une dingue. Make some noise ! Trop tard. Personne ne plus rien pour elle.

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    Dans la vraie vie, on écoute aussi ce fameux dernier album produit par Ben Harper, We Get By. Album d’autant plus ravissant qu’on y retrouve l’excellent Rick Holmstrom. Il fait des siennes dès «Change» qu’il gratte sec au boogie down. Il part même en solo d’exaction excavatoire. Il sonne vraiment juste, il sort un son de blanc noirci par la passion. Le cut le plus émouvant de l’album pourrait bien être «Heavy On My Mind», car Mavis le chante à l’intimisme extravagant, on l’entend mouiller ses papilles pour alimenter le groove du capella. C’est une chanteuse accomplie. Elle revient à ses basics avec «Sometime», fabuleux shoot de full time gospel joy. Quelle ferveur, les amis ! C’est excellent, comme pouvaient l’être les albums des Staple Singers sur Riverside. La réverb fait toute la magie du son. Mavis retrouve ses marques et chauffe son gospel batch à gogo. On retrouve l’autre Mavis, la Mavis excitée, dans «Stronger», épaulée par la pétarade de Jeff Turmes. Ça continue avec «Chance On Me», monté aussi sur le pouet pouet de cet incroyable bassman qu’est Jeff Turmes. Il tonitrue son bassmatic. Il nous fait du stipped down r’n’b et c’est fameux. Ce qui frappe le plus sur cet album, comme d’ailleurs sur scène, c’est la complicité qui règne entre Mavis et ses amis blancs. Cette complicité saute aux yeux à l’écoute de «Hard To Leave», car ce big cat de Rick Holmstrom ne fait que souligner le chant de Mavis, et c’est toute la différence avec un Jeff Tweedy qui avait une malencontreuse tendance à se mettre en valeur, comme tous les gens qui se payent du crédit sur le dos des autres. Holmstrom a compris que la qualité principale de Mavis était l’intimisme. Cette attachante vieille peau nous embarque quand elle veut, c’est en tous les cas ce que démontre une fois de plus «One More Change». Elle semble y atteindre l’apogée de sa proximité. On parle ici d’une qualité de proximité unique au monde.

    Signé : Cazengler, Mavicelard

    Mavis Staple. La Cigale. Paris XVIIIe. 5 juillet 2019

    Mavis Staple. Live In London. Anti- 2019

    Mavis Staples. We Get By. Anti- 2019

    15 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COEMDIA

    COCKBOX / RAT'S EYES

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    Pas la foule des grands jours ce soir à la Comedia. Bizarre, tous ces gens qui se privent de groupes rares, le premier vient d'Helsinki, et le deuxième de Moscou, peu de chance de les revoir de sitôt par chez nous. Remarquez que cela vous donne l'impression d'être de joyeux élus de la confrérie des maudits. Une pensée émue et reconnaissante tout de même pour ces honnêtes citoyens qui se couchent tôt le dimanche soir afin que leur force de travail soit prête à subir dès le lundi matin l'esclavage social. Les temps de soumission frénétiques vont-ils encore durer longtemps ? En tout cas, l'European Tour 2019 des Cockbox et des Rat'Eyes s'intitule : Peace = Death to the system. L'est sûr qu'il faut savoir prendre le taureau par les cornes si l'on veut tuer le Minotaure.

    COCKBOX

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    Du punk comme on n'en fait plus par chez nous. Bille en tête. Trente secondes de balance, pas davantage et c'est parti. Ce grand gaillard blond aux drums c'est Llari, pour le moment il officie avec componction, bat le beat ( évident quand on s'appelle Boite à Bite ) avec lenteur. Rasmus l'accompagne sur une seule corde répétitive de sa basse, l'on admire sa crête échevelée, l'on imagine facilement que lors de leurs raids meurtriers les crinières des poneys huniques devaient arborer cette flamboyance désordonnée. Elle s'était tenue un peu à l'écart et voici que Vee s'empare du micro. Que cette fille est belle dans sa blondeur sauvage et son cuir noir, sa cartouchière qui lui ceint les reins, ses pieds nus sous la résille de ses bas déchirés, la blancheur diaphane de sa peau et son visage de prêtresse qui s'apprête à lancer à la face du monde ses anathèmes destructeurs. Derrière les guys ne varient pas leur rythmique d'un millimètre, c'est sa voix rauque qui marque les brisures nécessaires. Une mélopée funeste, un son fruste, un timbre rude, la fascination du serpent, une interprétation de Siouxsie et des Banshees qui n'est pas sans rappeler le premier disque des Stooges, un étau minimaliste qui vous prend à la gorge, une coulée d'angoisse pure, une amphore de poison qui s'écoule au fond de vous et fore fort le phosphore des membranes reptiliennes de votre cerveau. Assistance subjuguée par cette entrée en matière.

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    Changement de ton. Vee a pris sa guitare et les villes en flammes s'embrasent. Llari enchaîne les plans sur la batterie, rapide comme le renard insaisissable qui se joue de la chasse à courre. Ne peut s'empêcher de sourire sous ses cheveux blonds, frappe imaginative, roulements incessants, difficile de suivre ses poings refermés sur les baguettes, cavale et cavalcade, il pulse, impulse, il propulse, et offre cette terrible dualité d'un feu roulant inextinguible qui ne se permet aucun bavardage. Une extrême efficacité, il pousse le morceau de ses basfonds les plus sordides aux bastons les plus éructants. Rasmus n'en semble pas ému. Il aime cette émulation, comme souvent Vee repose sa guitare et se consacre au sacre du chant, sa basse est obligée de bosser pour deux, il ne tolère pas de hiatus, il prend en charge le rôle de la lead et il gronde à l'image du lion que vous venez embêter dans sa tanière. Etonnant contraste entre son visage d'une fine délicatesse et son jeu rude et brutal. Vee aime mêler sa voix à ce tumulte, elle la lie à ces rafales de haine pour sonner l'hallali des mondes à détruire, et lorsqu'elle reprend son instrument c'est pour quelques riffs de feu qui vous fusillent sans rémission.

    Le set se termine trop vite. L'on aurait voulu davantage, mais peut-être ne le méritions-nous pas. Une dague qui s'enfonce dans votre cœur et que vous n'êtes pas prêt à laisser ressortir.

    RAT'S EYES

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    Pas l'œil du tigre, mais les yeux du rat. Cet animal que l'on dit plus intelligent que l'homme – - immonde créature destructrice – qui nous accompagne, et nous suit de près, par en-dessous, depuis les égouts et nos décombres, qui nous espionne et nous talonne, n'attendant que notre faiblesse pour prendre le dessus. Superbe métaphore de ce que Jack London nommait le peuple des abîmes, dont les hordes punk de nos jours sont les derniers guerriers. Les autres ont abandonné l'art de la révolte, et pactisé avec les maîtres pour quelques miettes édulcorées. Sont quatre, le ton tout de suite plus étoffé, ce qui ne veut pas dire plus rutilant. Le fond du son est noir. Magnifié par un chanteur. L'est collé au micro. N'en bouge pas. Le bouffe au plus près. Penché dessus, vous ne voyez que ses boucles brunes emmêlées. Chante pour lui-même comme l'animal blessé qui lèche ses plaies intérieures. Il ne claironne pas. Il n'invective pas. Sans doute vous rabroue-t-il de son étrange brouet vocal, vous abasourdit mais du dedans, sa voix forte vous chuchote à l'oreille que vous êtes une chochotte effrayée de tout, vous ne songez pas à le contredire, parce qu'il a raison, parce qu'il n'omet pas de préciser qu'il est comme vous, pas mieux mais aussi pire, vous déconstruit vos tares sans retards, vous décortique vos torts sans repos, bilan attentatoire qui vous met d'autant plus mal à l'aise qu'il est auto-accusatoire.

    Derrière lui, vous avez son exacte antithèse. Ne se cache pas derrière sa batterie. L'a une casquette rouge pour être sûr qu'on le remarque, qu'on ne peut faire semblant de l'ignorer. Obligation de se confronter à lui. Droit devant, face à l'ennemi. Vous démontre comment l'on doit frapper. Directement et sans atermoiement. Pas de posture fuyante, pas d'éclipse de trois quart, du face à face. Les bras largement écartés, et les baguettes de guingois comme s'il voulait que ses bras empoignent un vaste espace. Brasse le vent de la colère. Ne cherche pas le rythme, il l'abat, forgeron rivé à son enclume, le fer fume et il vous semble qu'il va le saisir à pleines mains, le mordre et le réduire en poudre. Pas un batteur. Un rabatteur, un abatteur. Il forge à pleine gorge. Se rengorge de fureur, et la vomit en un halètement monstrueux de locomotive déraisonnable.

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    Avec ces deux-là – sont-ils les deux yeux du rat – vous en oubliez de regarder guitariste et bassiste. Vous noircissent la sauce au sang sans rémission. Sans eux vous n'auriez pas ce fond touffu, ce background de béton qui vous mure toute possibilité de fuite. Ce qui est sûr c'est que êtes dans le faisceau des yeux du rat, qu'il vous observe, peut-être vous assimile-t-il à son rêve, vous amalgame-t-il au marasme du monde, mais vous sentez la froide réalité de votre vie vous transpercer jusqu'aux os.

    Encore un set trop court. Une musique qui se dirige sur vous, telle une caméra de surveillance et vous comprenez que désormais il faudra vivre avec. Que vous devrez augmenter le degré de vos ruses pour donner le change. La partie sera plus difficile que vous l'espérez. Maintenant vous le savez. Il est inutile de pleurer. Gros applaudissements.

    Damie Chad

    ( Photos : FB des artistes )

    CAROUSEL / COCKBOX

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    Bass : Rasmus / Vocals, guitar : Vergi / Drums : Jesse

    Carousel ( tiens quel hasard un titre de Siouxsie & The Banshees ), super 45 tours, pochette recto blanc et noir. Pas de figure, juste un pied de table et deux autres, de Vergi. N'insistez pas, son visage est hors-champ, le corps, et surtout la montée selon la ligne blanche des jambes vers le lieu du désir. Pa de chance rectangle noir pour le buste, à peine la naissance laiteuse des bras. Mallarmé nous a prévenus, mieux vaut suggérer l'absence d'une chose charnelle que d'en décrire la présence. Vous retrouvez le groupe en entier, bien propre sur lui, sagement rangé sur un canapé, au recto, filtre violet, dévoilé, violé ?

    Cute little doll : jolie petite poupée, pas du tout brisée, sait ce qu'elle veut, l'a la voix qui ordonne, et la musique derrière est comme elle, péremptoire, un mur de pierres sèches qui s'écraseraient sur vous si vous tentez de résister à la damoiselle, un solo de guitare comme un lancer de poignards, la batterie ponctue la leçon, il est inutile d'insister. Notre jolie poupée est un être libre. Suit son désir n'obéit pas au vôtre. Shot by jokers : elle vous le dit sur tous les tons, vous n'y échapperez pas, derrière la musique inéluctable le confirme, la batterie renvoie la balle, les guitares écrasent les insectes qui essaient de se faufiler. Dans votre tête, téléguidés par les media. Tout se passe dans la caboche, Cockbox se sert de sa musique comme d'une muraille infranchissable. Méfiez-vous les lézards s'introduiront dans la moindre des fissures. Fun vacations : anti-titre, les Cockbox ont l'humour pistolien. Vous dénoncent la triste réalité. Vous n'êtes que des esclaves de la technologie. Toutes les injustices du monde vous tombent dessus. Les Cockbox vous réinventent la lutte des classes, le couple dominé-dominant, et l'horreur du capitalisme sans employer un seul de ces vocables. Une voix tranchante qui claironne comme un jour de gloire. Ironie froide des guitares et batterie imperturbable, un longue traversée instrumentale pour vous signifier que ce n'est pas prêt d'être terminé, et un dernier vocal pour enfoncer les clous dans le cercueil de vos illusions. Le monde est d'une laideur repoussante. Leech : n'oublions pas que c'est une demoiselle qui chantonne, enfin qui criaille, l'a envie de se débarrasser de celui qui lui colle de trop près. Si sa voix était un fusil il y aurait longtemps qu'il y aurait du sang sur les murs. Les guys derrière se la jouent à massacre à la tronçonneuse, tapent et cisaillent sur tout ce qui ne veut pas bouger.

    Pas de logo sur la rondelle. Blanche de colère.

    Damie Chad.

    RAT'S EYES

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    Peu d'indications sur la pochette. Si ce n'est la mention : Futurepunk sound against fucking politics & fucking police from Moscow. Etrange de penser qu'à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous, à l'autre bout de la terre, tout le monde aussi déteste la police. Quelle surprise !

    IN30.19 : sifflements, tapotements rythmiques, des voix obstruées qui s'en viennent et qui s'en vont, des robinets sonores qui fuient. Serions nous en 3019, en tous cas ce que nous entendons pas n'est guère jouissif, l'avenir s'annonce sombre. The rats VS. The scum : ( le seul morceau en anglais, certes pour les autres comme pour celui-ci ils vous refilent les lyrics mais en russe... ) nous ne nous trompions pas, ce morceau n'est que la suite du précédent et ce qui se profile n'incite pas à l'optimisme. Le son se resserre davantage, les guitares se joignent à la rythmique, l'urgence de la voix explose, de nombreuses coupures mais tout se termine en un obscur pugilat dont nous comprenons que nous n'en sortirons pas vainqueurs. Nous luttons à armes inégales. Digital priority : toujours le même son, mais plus violent, plus oppressant, la voix gronde et devient carnivore, elle essaie de mordre sur l'environnement netivore qui nous englobe dans le système matriciel contre lequel nous luttons en vain. Ne serions nous pas prisonniers de nos priorités, il est des luttes qui sont des jeux de dupes, l'insecte qui se débat ne s'englue-t-il pas davantage dans la toile de l'aragne mortifère. La batterie mène la charge. Et peut-être bien la retraite. No future : le titre est suivi d'un point d'interrogation sur le feuillet des lyrics. La question est à débattre. Une voix qui s'égosille, des guitares qui prennent de l'ampleur, la batterie qui cesse son tapotement irritant pour se métamorphoser en torrent impétueux. Un cri final orgiaque. Mais qu'a fait la police ? En tout cas le son rampe sur la bande-son qui ne bande plus du tout. Effritement terminal. Raving idiots ( the templars ) : un délire d'idiots pour couronner le tout. L'on croyait avoir touché le fond, mais c'était une erreur. Un flot d'invectives vous éclabousse, ça commence grandiosement comme un générique de film d'action et vous entrez dans une cavalcade punk terrorisante, et puis tout change, tout se calme – relativement – une espèce de valse gondolée avec des vomissements peu ragoûtants par-dessus. Certes il y a mieux mais vous ne trouverez pas pire. Un disque étonnamment bien construit. Les Rat's Eyes vous racontent une histoire, une seule, certes ils vous l'offrent en tranches pré-découpées genre barquette de salami à sale mine, mais cela forme un tout, vous avez des motifs instrumentaux qui reviennent et un traitement de la voix des plus intéressants. Un petit bijou de pierre volcanique en éruption soigneusement agencé.

    A se procurer le plus vite possible. En plus ils le balancent à deux euros avec deux autocollants dans le package. Les individus capables d'égaliser leurs actes et leurs idées sont rares par les temps mercantiles qui courent.

    Damie Chad.

     

    VICDESSOS / 10 - 08 - 2019

    BLUES IN SEM

    DAISY PICKERS / PEACHES STATEN

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

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    Dix-huitième Blues in Sem. Avec toujours cette paranoïa organisationnelle qui fait que les portes sont ouvertes à dix-huit heures et non à dix-sept heures cinquante-neuf. Tant pis pour les amateurs qui aimeraient assister aux balances. A croire que certains ont oublié que le blues est à l’origine l’expression populaire d’une révolte métaphysique et d’une convivialité existentielle contre les rigidités sociétales répressives. En ce début de troisième millénaire le serpent de l’efficacité finira par tuer l’aigle de l’esprit.

    DAISY PICKERS

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    Le monde est peuplé d’injustices. Deux sont assis, mais Stéphane Barral reste debout au milieu, bénéficie d’une superbe compensation, une présence féminine. Une belle big mama de bois vernis. Se tient à ses côtés et ne manque pas de lui prodiguer des leçons de bonne tenue, ne lui passe rien, ne se gêne pas pour la reprendre sans arrêt, qu’elle se campe bien droite, et pour être sûr que rien ne dépasse il lui distribue force claques sur le cordier. Une éducation sévère, mais qui porte ses fruits. Normalement avec les deux ostrogoths sur les bas-côtés on ne devrait pas plus l’entendre que le tic-tac d’un réveil au fond de l‘armoire. Oui, mais il fait sonner l’angélus du matin et l’angélus du soir de belle façon. Un métronome implacablement fou qui serait devenu amoureux de la nuance. Je sais bien que l’on ne juge pas le talent d’un artiste à l’applaudimètre mais à plusieurs reprises, en cours de morceaux, il fomentera moult vives réactions appréciatives dans le public. Et ce n’est pas évident car il n’est pas entouré d’une colonie de manchots réfrigérés sur la banquise. A sa gauche à la guitare Matt Bo Weavil, Daniel Giraud à mes côtés me glisse dans l’oreille qu’il l’a remarqué voici près de trente ( ou vingt ) ans avec sa guitare dans les rues du festival de Cahors, bref un cador on the blues trail depuis des lustres. Et cela se sent et s’entend, l’en a dans les doigts et dans la voix. Petit bémol, s’est un peu trop contenté d’un groove rythmique sympathique mais peu imaginatif dans la deuxième moitié du set. L’est pourtant doué et il possède un bel organe sonore qui colle au blues comme la mort aux objets mortels que nous sommes. A sa décharge, il n’est pas tout seul, sur la gauche de Stéphane qui taille sa route à la manière d’un bulldozer qui éventre une montagne, vous avez Vincent Pollet Vilar.

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    Encore un qui n’est pas venu les mains dans les poches, lui fait ses tours de magie sur son piano. Pumpin’ mais pas pompant. L’a l’esprit inventif, le gars qui a toujours une arabesque de feston de rabe à rajouter à la fresque sonore. Vous surprend toujours, imaginez la fougueuse charge d’Alexandre quand il jette son cheval dans les rangs serrés des hoplites thébains qui plient, se rompent et s'éparpillent, vous mène un train d’enfer d’un bout à l’autre de chaque morceau - pour les titres vous demandez à Daniel Giraud qui me les crie dans l’oreille à la première note - vous renouvelle l’interprétation des classiques, tellement pressé d’en finir qu’il les rallonge pour le plaisir de les enluminer à foison. L’assassin qui prolonge la vie de sa victime rien que pour le plaisir de le voir jouir de ses raffinements sanguinaires. En plus il chante, un petit grain de Ray Charles dans le timbre, se repassent le bébé vocal avec Matt Bo, deux ou trois titres et puis à toi companero, et le Barral qui vous verse un baril de solo big mamaïque pour pimenter le ragoût manifestement au goût de l’assistance. Vont jouer longtemps sans provoquer une seconde d'ennui, même que sur une intro Vincent se prend pour Rachmaninov manière de briser la monotonie anatolienne, en résumé une belle première partie qui met la foule sur les genoux. Acclamations, rappel, vous entrevoyez sans peine le tableau.

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

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    A l’impossible tout le monde est tenu. Toutefois pour certains c’est plus facile que pour d’autres. En plus ils n’engagent que la moitié de l’effectif. Pour le moment contrebasse et batterie se la coulent douce, en arrière plan mais légèrement décalés ce qui permet une vision panoramique des quatre pèlerins. Donc Arnaud Fradin et Thomas Troussier en première ligne. Débutent par deux morceaux qui seront le moment le plus fort de la soirée. Arnaud tout seul à la guitare sèche, et Thomas qui murmure si bas à l’harmonica qu’il faut du temps pour se rendre compte de son action.

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    Les cordes qui geignent, le blues le plus pur, le plus rural, que personne de maintenant n’a jamais entendu car à l’époque les séances d’enregistrement n’existaient pas encore. Ne me demandez pas comment je peux l’affirmer puisque je n’y étais pas, tout simplement parce que je le sais, un point c’est tout. Un moment de grâce suspendue au-dessus du monde, cette guitare qui pleure si profond à la manière des chats écorchés dont on retire les intestins alors qu’ils sont encore vivants. Chuintements et suintements, la souffrance à l’état idéal. Et les deux spadassins derrière qui effleurent tout doucement aux endroits qui ne font pas mal. Du blues pur et la meilleure leçon de compréhension de rockabilly que je n’ai jamais reçue, cela peut paraître bizarre, mais en fait dès que

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    Thomas hausse le ton et s’immisce dans les interstices de la friction moanique de la guitare il devient évident que les déchirures rythmiques de Cliff Gallup se glissent et se superposent à la longue plainte échevelée de l’harmonica, ceci pour ceux qui n’auraient pas compris les séminales origines noires de la musique des petits blancs. Après ces deux morceaux d’éblouissante splendeur Vincent se saisit de sa guitare à résonateur. Slide festival et bottle neck en souplesse, derrière l’on appuie le tempo mais jamais le volume sonore, le train prend de la vitesse et vous emporte de plus en plus vite. L’harmonica brûle la bouche de Vincent, siffle dans le lointain à la manière des locomotives fantômes, surgit devant vous pour s’éloigner aussitôt dans de mystérieux horizons. Richard Housset jamais brute mais plus incisif sur ses percussions et Igor Pichon maître des cordes tirées d’un doigt, mais plus franchement et plus répétées, se révèlent enfin, à peine davantage de bruit mais une présence qui n’en finira pas de s’accentuer durant tout le reste du set. La voix mâle d’Arnaud écoule tous les classiques? de Muddy Waters à Nathan James, n’hésite pas à se risquer dans le répertoire de Dylan, et à aider à la résurgence des racines africaines avec Ali Farka Touré, le blues est partout. Les radicelles viennent de loin et leurs prolongements sont sans fin.

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    Un set assez court - du moins m’a-t-il paru - même si l’on rajoute le rappel, mais du diamant bleu d’un éclat absolu, tel que je n’en n’avais jamais vu et entendu sur une scène. Longue ovation respectueuse et frénétique qui en dit plus long que n’importe quelle autre phrase.

    FAYE PEACHES STATEN

    Qui oserait s’aventurer sur scène après ce qui précède. Ce sera Mister Chang. Se fait attendre un petit peu. Le temps que ses trois accompagnateurs habituels préparent le passage en force. Au fond Pompon, un doux nom de chaton innocent, un colosse sapé comme un maquereau, ne riez pas, dans une autre vie avec sa cravate voyante, sa veste impeccable, son chapeau qui lui mange les yeux et son visage de boxeur, il devait être le garde du corps d’Al Capone, certes il a remplacé la mitraillette par une basse, mais il envoie sans discontinuer des pruneaux à défoncer les murs de béton. Ça ne détonne pas vraiment parce que du haut de son piédestal Julien a décidé d’écraser le monde sous sa batterie, un tintamarre de camion poubelle qui passe dans votre rue à quatre heures du mat, en faisant rugir son moteur surpuissant. Encore un nuisible sur votre gauche, Victor Puertas se plie en deux et virevolte sur lui-même, l’a un harmonica chignole entre les dents, l’a décidé de vous vriller les tympans, et il réussit parfaitement. Sur ce Mister Chang se radine, guitare en main, vous voulez du bruit, permettez que j’en rajoute et il éparpille des dégelées de notes à la louche.

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    Trois morceaux, tout juste si dans cette tonitruance généralisée l’on perçoit l’annonce de Mister Chang, et Peaches Staten entre sur scène. Certes toute la salle l’applaudit mais le bruit de nos claquements de mains est totalement recouvert par nos quatre sbires tapageurs. Apparemment cela ne suffit pas, Puertas se déleste de son harmonica et se jette sur l’orgue, question d’ajouter au vacarme orchestral.

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    L’on tremble pour Peaches Staten, que va-telle pourvoir faire dans ce cataclysme. Pas plus que vous et moi. A part qu’elle, elle sourit, secoue les serpents emmêlés de sa chevelure, s’avance vers le micro dans sa tunique triangulaire qui dessine comme la représentation d’un sexe stylisé géant, et tout simplement elle ouvre la bouche. Désormais l’on saura que dans le rhythm’n’blues c’est comme dans les livres de Bourdieu, il y a les instruments dominés et la voix dominante. Evidence sans bavure. C’en est franchement vexant pour la commune humanité. Elle ne chante pas, elle arrache. Elle stentorise. Sans effort, sans problème, avec une efficacité démoniaque. Vous pourriez mettre les potentiomètres sur 22, que ce serait aussi frustrant. Elle a du coffre. Trésors et merveilles. Un vocal qui emporte tout, à vous déplacer la grande pyramide, à faire toucher le sol au sommet de la Tour Eiffel. Avec humour en plus. Dans Sometimes elle demande à Mister Chang de traduire les lyrics, ligne après ligne, dès qu’elle en a énoncé une, et puis elle se lance toute seule dans une grande tempête wagnérienne-soul cataclysmique. Infatigable, increvable. De l’énergie à revendre elle galvanise le combo qui n’en avait pas besoin. Julien tape plus fort, Pompon dépasse les carillons, Puertas égosille son instrument, Chang vous invente toutes les trente secondes des fioritures de notes étincelantes qui ne servent qu’a rehausser le vocal de la diva. La voici qui se munit d’un frottoir, ce qui lui donne l’apparence d’un chevalier du moyen-âge en armure, et se sert de cette moderne washboard pour rajouter au vacarme ambiant le crépitement caractéristique d’une grêle cuillerique…

     

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    Peaches a la pêche. Met le feu à la salle. Finira par descendre faire le tour de l’assistance suivie par Mister Chang transformé en chevalier servant, revenue au bercail elle distribue tambourins, frottoir, et autres ustensiles aux danseurs lancés dans une sarabande gargantuesque et finit par les inviter à monter sur scène poursuivre le carnaval diabolique. Vous n’avez pas voulu aller à la Nouvelle Orléans, pas de problème la Nouvelle Orléans vient à vous. C’est la fête, il y a même un vieux monsieur à la barbe blanche qui profite du capharnaüm pour lui poser des bisous dans le cou et sur les joues, pas vu, pas pris. L’a du courage parce que si Peaches vous passe un bras autour du col, vous pouvez dire bonsoir à vos vertèbres. Diva soul à la facilité déconcertante. Le set s’arrête parce qu’il le faut bien mais elle est aussi fraîche qu’une rose ruisselante de rosée. Ovation debout d’une salle en délire.

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    Certes elle ne renouvelle en rien le rhythm’n’blues mais elle apporte la joie, l’énergie et la vie. C’est déjà beaucoup. Trop peut-être pour notre chétive et triste humanité.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Love Blues In Sem )

     

    STEADY ROLLIN’ MAN

    ARNAUD FRADIN

    AND HIS WILD COMBO

    ( BPCD17 001 / Mojo Hand Records / 2017 )

    Arnaud Fradin : vocals, guitars & backing vovals / Thomas Troussier : harps / Igor Pichon : double bass / Richard Housset : percussions / + special guest : Laurence Bacon ( 07 ) : backing vocal.

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    You can’t judge a CD just looking the cover, dixit Dixon, l’avait raison car à mirer les quatre employés de banque sur la pochette, rien de mirobolant ne vous tape dans l’œil. Heureusement qu’à l’intérieur ce n’est plus la même mouture.

    Steady Rollin’ man : à première oreille l’on eût peut-être aimé la guitare un peu plus en avant que la voix sur ce classique de Robert Johnson, nos rêves se trouvent réalisés par la longue suite instrumentale mais ce qui nous séduit, reste le travail percussif de tambourinade qui vous cisèle et renouvelle le morceau. Two trains running’ : l’harmonica en tête de convoi sur ce titre de Morganfield, et encore cette surprise de la prépondérance percussive qui s’en vient s’enrouler autour de l’harmo de Troussier tel le pampre de la vigne à l’ivresse du vin. If I get Lucky : la voix qui traîne sur l’instrumentation ambiance bleu-Lenoir JB, des éclairs tremblotants d’harmonica c’est le vocal qui mène la marche, un véritable pas de corbillard sans tambour ni trompette, la cadence seule du désespoir. Six minutes, le temps d’agoniser à votre aise, la traversée du pont qui mène aux Enfers est interminable mais vous aimeriez qu’elle ne finisse jamais. I can’t judge nobody : chantent tous en chœur comme pour se donner le courage de s’affirmer. Harmonica pointu sur rythmique fatiguée, le temps de s’étirer et de se tirer hors de ce sentiment de culpabilité dont les tentacules vous étreignent l’âme. Illinois blues : un petit Skip James pour s’envoyer dans les airs, l’harmo pèse un max et puis il s’élève pendant que derrière lui tout s’accélère. Beau vocal. Impeccable. Walk with your maker : la guitare mène le bal, elle éparpille les notes comme ces grains de raisins qui s’envolent lorsque vous agitez fortement la grappe. Le combo en fête, chacun se sert à satiété mais pas de doute c’est la guitare qui régale. Don’t leave me : guitare forte à la texane, mais qui s’adoucit comme l’on perd de la force, lorsque l’adversaire est en train de prendre l’avantage, une goutte supplémentaire de blues et vous êtes mort, voix sans timbre et en même temps sépulcrale, longues entailles d’harmonica comme des lacérations de couteaux dans le dos. Ne bougez plus, ce coup-ci vous êtes mortibus rasibus. La guitare égrène des pétales de fleurs sur votre cercueil. Cela vous fait une bonne jambe. Larmes de big mama pour couronner le tout. Même les crocodiles ont le droit de pleurer. Et tout cela pour une fille ! Franchement il y a de quoi rire. Big mama’s door : beaucoup plus joyeux, apparemment toutes les filles ne claquent pas la porte sur le museau des quémandeurs. Et apparemment le combo s’est décidé pour une entrée en force et groupée. Hot, very hot. Sont en pleine forme. Je ne vous dis pas de quoi. Cela pourrait vous donner des données. Hard time killin’ floor blues : encore un Skip James, beaucoup plus larmoyant que le premier, n’oubliez pas le mouchoir. L’ensemble claudique tristement, l’on se croirait à l’Eglise pour la cérémonie des adieux, tout le monde pleure et personne ne rit, même l’harmo ne se permet aucun ricanement déplacé, et Richard tape sans fin sur le gong du chagrin. Don’t think twice it’s all right : le prennent sur un tempo beaucoup moins rapide que sur scène. Du moins au début parce qu’après ils accélèrent en cachette, la voix et la rythmique qui trottinent et l’harmo qui tente de ralentir la cadence. L’est sûr que l’on n’est pas chez Hugues Aufray. Transparaît ici le vieux fond du roublardise des vieux bluesmen. Don’t let no body drag your spirit down ; retour au blues, tout dans le vocal qui monte et descend pendant que l’instrumentation poursuit un autre chemin, et s’en vient corner à chaque croisement. L’on se dirige vers la tragédie, mais l’on ne sait pas que l’on est déjà dans le dénouement, dans le dénuement le plus absolu, et l’harmo en rajoute une couche pour que vous n’y échappiez point. Good morning love : Troussier trille, souriez c’est du Luther Allison, nous n’avons pas dit polisson, mais c’est fou comment le blues vous annonce les meilleures nouvelles avec une gueule d’enterrement. Entre l’amour et le blues, l’on ne peut choisir que l’amour du blues. Et nos drôles batifolent avec l’insouciance des poulains qui ne savent pas que nous marchons tous, hommes et bêtes, vers l’abattoir final.

    Si vous n’avez pas ce disque chez vous, c’est parce que vous êtes parti pour l’acheter.

    Damie Chad.

    ROCK'ROLL STORIES

    Une émission You tube. Il y eut à partir de février 2018 une première série de 10 épisodes, aussi bien consacrés à un seul artiste qu'à un unique disque ou à la manière de se constituer une collection de disques fifties. C'est en juillet de cette année qu'une deuxième série a vu le jour. Tout cela est en accès libre et sur You Tube ou sur le FB : Rock'n'roll Stories. Rien de bien spectaculaire : plan fixe sur le speaker qui raconte et montre des pochettes de disques. Qu'il saisit un peu maladroitement d'ailleurs. Evidemment les mordus de rock'n'roll connaissent tout cela, mais c'est comme pour les petits enfants et l'histoire du Petit Chaperon Rouge, on ne s'en lasse pas, quand c'est fini on redemande la même ou à la rigueur une autre mais alors avec un méchant loup qui dévore les petits enfants, et le prédateur obsédant et adoré des rockers il s'appelle rock'n'roll ! Peut-être gît-il au fond de cela un brin de masochisme, ou un indécrottable parfum de nostalgie, voire la fabrication d'un monde idéal qui n'a jamais existé, en tout cas cela nous rend heureux et peut-être vaut-il mieux ne pas chercher plus loin que nos lignes d'horizons intérieures.

    Saison 2 / Episode 01

    GENE VINCENT

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    Trente minutes pour résumer la vie de Gene Vincent. Le fond sonore reste évanescent, seule la voix fait sens. Mais l'on se laisse emporter sans problème. Les néophytes seront vite submergées par une vague d'informations qu'ils ne possèdent pas. Mais il suffit de reculer pour saisir ce que l'on n'a pas intégré à la première jactance. Les faits et les gestes. Jeunesse, enrôlement dans la navy, accident, premiers enregistrements, sorties de disques, concerts, tournées en Australie et Japon, accueil du public. L'on ne nous cache rien, le succès éclatant du début, la désaffection du public américain, le renouveau anglais et européen, l'accident d'Eddie Cochran, et puis lentement et sûrement, la dégringolade, la mort. Mais cette assurance que Gene Vincent, à la voix si remarquable porteuse de son propre écho, reste le plus grand, si Elvis fut le roi du rock'n'roll, Gene Vincent en fut l'âme. De couteau.

    Damie Chad.

    De Jean-Michel Esperet nous avons déjà chroniqué ses trois ouvrages consacrés à Vince Taylor. Il s'arrange d'ailleurs pour citer son nom dans ce dernier livre qui traite d'un tout autre sujet. De notre futur. Ou plutôt de notre no-future. Que voulez-vous, le jour où les guitares n'auront plus besoin de musiciens pour jouer n'est pas si loin !

    DIABOLUS IN FUTURO

    - ELEGIE -

    JEAN-MICHEL ESPERET

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    Diable, si Sheitan s'en mêle nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Que dis-je de la cuisine de l'auberge. Car c'est dans votre deux-pièces-cuisine que le livre commence. Rassurez-vous vous n'assisterez pas à une scène de ménage d'un couple déchiré en détresse. Ce serait un moindre mal. C'est le ménage lui-même qui se révolte. Non, rien à voir avec une quelconque revendication féministe de juste répartition des tâches. Sapristi ! Vivez avec votre temps. Ne reculez pas dans l'éculé, soyez résolument moderne ! Ce sont les ustensiles qui entrent en dissidence. Notons que c'était le titre du livre précédent de Jean-Michel Esperet, avec un s final, car sur cette terre les lignes de fractures sont nombreuses.

    J'entrevois les esprits forts s'exclamer, '' Ah ! Ah ! Un livre de science-fiction, c'est couru d'avance !'' J'aurais envie de leur répondre qu'ils ont tout à fait raison. Mais c'est moi qui aurais tort. Admettons un livre de science-no-fiction pour reprendre une expression venue d'Amérique. Certes cela ne se passe pas aujourd'hui à cinq heures du soir, mais vraisemblablement plutôt vers six heures trente. L'histoire racontée débute bientôt. A part le fait que ce n'est pas une histoire. Donc pas un roman, plutôt un essai à la Rochefoucauld. Respirez, Jean-Michel ne s'attarde pas à dénoncer vos turpitudes morales. Il sait très bien que vous les connaissez bien mieux que lui. De toutes les manières, vous êtes un homme. Une espèce qui n'existe plus. En voie de disparition, je corrige pour vous empêcher de récriminer, en voie d'extermination. Ne venez pas vous plaindre si vous ne vous en étiez pas aperçu, au moins à partir de cette lecture vous serez averti.

    Identifions donc l'ennemi. Un prédateur repéré est un prédateur à moitié mort. Cela tombe bien, vous êtes justement à moitié mort. Reste donc à isoler la partie vivante de votre corps. Elle est au-dehors de vous. Ne soulevez pas les coussins de votre canapé. Elle est déjà sur vous. Et pour vous éviter de fouiller votre appartement, je vous livre son nom : votre environnement. Ceci n'est pas une fable écologique, la pollution, le désert qui avance, le climat qui entre en surchauffe, tout ce que vous voulez, mais ce n'est là que la portion congrue.

    Je ne sais si je vous ai déjà rappelé l'anecdote de ce seigneur qui se fait construire un château-(très)-fort pour se défendre des assauts de ses voisins malintentionnés. Malencontreusement, avant que la moindre menace ne se manifeste, les murailles de l'épais donjon s'écroulent sur lui et l'envoient ad patres à mauvais escient. Ne dites pas que c'est la faute à pas-de-chance, vous êtes exactement dans le même cas.

    Je m'attarde quelque peu sur mon expression toute latine, c'est que voyez-vous c'est en langage césarien que Jean-Michel Esperet a composé ses titres de chapitres. N'ayez crainte, la traduction est en libre accès dans le glossaire final. Parce que, quoi qu'on en dise, en latin ça sonne plus fort. Pas besoin de sonnerie annonciatrice, dès les trois premières pages cela vous saute à la figure que tout va mal.

    Vous n'êtes pas comme le corbeau de la fable, ce n'est pas parce que le grille-pain vous a bombardé de tartines brûlantes que vous allez en faire tout un fromage. Objection votre honneur, ce n'est pas tout à fait ce que raconte Jean-Michel Esperet, son sujet c'est le transfert de technologie. Un genre d'activité qui tourne toujours au désavantage du généreux donateur. Quand vous semoncez votre gamin en édictant à voix haute '' Tu es un vilain'', il vous tire la langue et rétorque : '' C'est toi qui l'as dit, c'est toi qui l'es !'' Une machine? si vous la tapotez gentiment en vous exclamant : '' Comme je t'ai faite intelligente !'' elle répond '' C'est toi qui le dis, c'est toi qui ne l'es plus !''.

    Si votre vélo d'appartement ne vous a pas encore écrasé, n'en tirez aucune vanité, méfiez-vous de la voiture qui pourrait sortir de votre poste de télévision. Ne riez pas, la menace est plus prégnante que vous ne le croyez. Nos objets doués d'intelligence sont comme nous soumis aux pannes, ils s'usent et se dérèglent et peuvent provoquer des catastrophes. Votre frigidaire ne transformera peut-être pas votre maison en zone sibérienne, mais pensez à ces systèmes de missile atomiques braqués sur vous... Il suffirait d'une défaillance d'un programme informatique...

    Mais Jean-Michel Esperet use d'armes beaucoup plus insidieuses que les bombinettes à neutrons. Ne parle même pas de ces dernières. Imagine simplement des hypothèses de catastrophes intermédiaires. Pas celles auxquelles vous pensez. Le danger ce ne sont pas les bombes, mais la complicité que vous entretenez avec les réseaux d'aides et de facilitations existentielles qui s'emparent de plus en plus de notre quotidien. Le plus grand des périls réside entre l'osmose destinée à s'opérer entre les hommes et les machines. Tout transfert a vite fait de se transformer en échange. Vous donnez votre intelligence à un appareil, comment vous rendra-t-il la monnaie de votre pièce ?Les temps ne sont pas si lointains où vous le saurez.

    En attendant Jean-Michel n'endosse en rien le rôle d'une pythonisse échevelée, préfère l'anecdote amusante, l'humour doucereux, l'ironie décapante, le sourire amer, le rappel historique gênant, le rictus démoniaque. L'on sent qu'il est à deux doigts d'en appeler à Aristote, à ses strictes délimitations des hommes et des objets, mais non, se contente d'agiter, pour attirer l'attention et la réflexion des grands enfants que nous sommes, les deux grandes marionnettes du théâtre d'ombres des représentations homo-sapiensales, Dieu et le Diable. Ne croit pas plus à l'un qu'à l'autre, mais il exècre tellement le premier – plus exactement ses différents sectateurs - qu'il prête au second son humour.

    Dieu lui paraît n'être qu'un pauvre diable dont la valeur boursière dégringole de jour à jour, le Diable lui est davantage rigolo puisqu'il nous ressemble tant et que nous ne pouvons plus nous regarder dans une glace sans éclater de rire. Il serait plus logique d'en pleurer, ce n'est pas pour rien que Jean-Michel Esperet a sous-titré son recueil ''Elégie''. Le monde est triste. Hors contrôle, islamisme, communisme, libéralisme, agitent leurs tentacules destructeurs au travers de ce nouveau monstre transformiste encore en chrysalide qui bientôt les dépassera en nocivité.

    Moins de cent trente pages, vite lu, un délice aussi glacé qu'un poignard dont on vous transperce le dos. Jean-Michel Esperet vous tend une petite fiole de poison, malheur à vous il ne possède pas l'antidote, mais il faut savoir combattre le mal par le mal.

    Damie Chad. ( Septembre 2019. )