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rockabilly generation 10

  • CHRONIQUES DE POURPRE 436: KR'TNT ! 436 : ANDRE WILLIAMS / MICK HARVEY / ROCKABILLY GENERATION NEWS / AMN'ZIK / HOWLIN' JAWS / IDHAÏ ÔM / REDHOT TRIO / THE RED RIDING / THE RED RIDING

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 436

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    31 / 10 / 2019

     

    ANDRE WILLIAMS / MICK HARVEY

    ROCKABILLY GENERATION NEWS / AMN'ZIK

    HOWLIN' JAWS / IDHAÏ ÔM / REDHOT TRIO

    THE RED RIDING / TONY MARLOW

     

    Dédé la praline - Part Two

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    De tous les grands artistes noirs des Amériques, Andre Williams est l’un des rares qui ait su opérer ce qu’on pourrait appeler le cross-over. Il laisse à la postérité une œuvre complète qui couvre avec un égal bonheur le R&B, le doo-wop, la country, la Soul et le garage. Quelle que fut l’époque, Andre Williams sut rester hot et tous ceux qui eurent le privilège de le voir sur scène gardent de ses shows un souvenir lumineux. Il sut se montrer aussi charismatique que Screamin’ Jay Hawkins, aussi singulier que Captain Beefheart, aussi décisif que Mick Collins avec lequel il s’entendait d’ailleurs très bien.

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    Andre Williams parle très bien de lui dans un long texte intitulé «The true story of Andre Williams in his own words». Il explique par exemple que depuis sa plus tendre enfance, il a appris à se protéger du bullshit - I’ve always been clever and knew how to stay out of bullshit - Il est en partie élevé par son grand-père en Alabama puis il rejoint son père qui travaille dans une aciérie de Chicago. Pour éviter la maison de correction, il s’engage dans la Navy à 15 ans en se faisant passer pour son frère, et quand l’arnaque est découverte, il passe en cour martiale et se prend dans la barbe une pige de pénitencier. Il débarque ensuite à Detroit, invité par un copain de la Navy et tombe par hasard sur un Talent Show. Il s’inscrit et gagne le concours. C’est là qu’il devient Mr Rhythm et qu’il signe un contrat avec Fortune Records en 1955, à l’âge de 19 ans. Il enregistre son premier Fortune single, «Going Down To Tijuana», en hommage aux Coasters qu’il admire. Les patrons de Fortune aiment bien Dédé - They were always very good to me - Et puis bien sûr, il y a Nolan Strong - Nolan Strong was The Motherfucker, man - et il ajoute : «If there was no Nolan there wouldn’t be no Smokey Robinson, no basic Detroit sound.» Il dit qu’il aimerait bien pouvoir chanter «The Way You Dog Me Around», mais c’est trop haut. Il réussira quand même à la chanter sur son dernier album, Don’t Ever Give Up.

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    S’il fallait choisir un album dans sa discographie, ça pourrait bien être le fameux Silky enregistré en 1998 avec Mick Collins et Dan Kroha, un album qu’on appelle aussi l’album de la main au cul. Retournez la pochette et vous tomberez sur un Dédé la praline souriant, sapé comme un milord, et c’est ce mec qu’on prendrait pour un crooner qui va sonner les cloches du pauvre Detroit Sound qui ne demandait rien à personne, bing bong, et ce dès l’effarance métallique d’«Agile Mobile & Hostile». Mick Collins y taille des tortillettes dans la matière du groove, et tenez-vous bien, ce fabuleux drive est monté sur un simple riff garage. On reste l’effervescence maximaliste avec «I Wanna Be Your Favorite Pair Of Pajamas», tout aussi vivace et coriace, très toxique. On peut dire de Dédé et de Mick Collins que les deux font la paire. Le troisième coup de Jarnac silky se trouve en B : «Car With The Star». On croirait entendre les Gories, derrière ça joue un peu comme Chuck, à la grosse attaque. Quelle belle leçon de maintien ! Franchement Dédé ne saurait imaginer de meilleur backing-band. N’oublions pas l’excellent «Bring Me Back My Car Unstripped» quasi battu aux tambours du Bronx. Forcément, ça sonne encore comme un cut des Gories. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le fameux «Let Me Put It In» d’un niveau égal aux grandes heures de Screamin’ Jay Hawkins. Baby, baby ! Dédé met le paquet, il explose de désir orgasmique en mille morceaux.

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    L’autre grand album classique d’Andre Williams est bien sûr Black Godfather paru en l’an 2000. Quel album ! Il va tout seul sur l’île déserte. Toute la crème de la crème du gratin dauphinois s’est invitée sur cet album, à commencer par Jon Spencer qui fait l’intro et qui embraye sur le morceau titre - Andre Williams ! Godfather ! - Les trois JSBX scandent Godfather sur un énorme groove urbain et Jon Spencer passe un coup de vrille histoire de créer un peu d’hystérie. Mick Collins est aussi de la partie, cette fois avec les Dirtbombs. Véritable coup de génie que ce «Watcha Gonna Do» - I sure did love you - et soudain Mick Collins part en vrille de fuzz ultraïque. Les Dirtbombs resteront les rois de la clameur sonique jusqu’à la fin des temps. On assiste à une violente montée de fièvre, ce diable de Dédé sait rocker l’os du genou. On retrouve les Dirtbombs en B sur «You Got It And I Want It», un vieux hit du Dédé d’avant. Quelle pétaudière ! Pat Pantano bat ça comme plâtre. On peut dire qu’à Detroit ils savent battre. Et Dédé se jette dans la bataille avec un héroïsme surnaturel. L’autre hit du disk est le fameux «The Dealer The Peeler And The Stealer». Ce sont les Compulsive Gamblers qui accompagnent Dédé sur ce coup-là - Just take my money honey - Jack et Greg montent un coup de transe hypno qui va rester dans les annales. La quatrième équipe invitée sur cet album, ce sont les Countdowns de Brian Waters qui deviendront plus tard Flash Express. Ils accompagnent Dédé sur l’excellent «Freak Blues» joué à l’extrême intensité du beat palpitant, ça pulse au long cours et soudain ça explose avec un Dédé qui part comme une fusée, alors que Steve McKay passe un solo de free digne de «Fun House». Brian Waters monte aussi un coup extraordinaire de fast groove dans «Montana Slim» - Well here is a guy way down Montana - Dédé part en jive et le solo de Brian Waters sonne comme un solo de kazoo. Dédé finit son cut à la folie pure, au chat perché explosif. À l’époque, il a traumatisé pas mal de gens avec cet album.

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    Les deux autres albums d’Andre Williams absolument indispensables sont Red Dirt et Bait And Switch. Red Dirt, car c’est l’album d’une certaine ‘nostalgie’, celle d’un temps où Dédé bambin voyageait à bord du camion qui l’emmenait et qui le ramenait des champs. Gamin, il vivait en Alabama et travaillait aux champs, comme des centaines de milliers d’autres petits nègres de sa génération - I was born in Bessemer, Alabama, so I have never had it easy, but thanks to Hank Williams, Waylon Jennings, Patsy Cline, Hank Snow and other great recording artists, I was able to survive the hot sun. (...) I love country music and will always keep it in my heart - Il tape «Weapons Of Mass Destruction» sur un groove à la Dealer, mais dans un environnement country et finit au joli chat perché de la désaille. Sur cet album, il est accompagné par les excellents Sadies. «I’m An Old Man» sonne comme un gros shoot d’Americana joué dans une ambiance de saloon. Le «Psycho» qu’on trouve ici n’est pas celui des Sonics, mais un fantastique balladif d’ambiance Sady - Oh mama/ Why don’t you wkae up - Il termine avec l’excellent «My Sister Stole My Woman» et les Sadies chargent la barque, on peut leur faire confiance. C’est aussi sur cet album qu’on trouve une magistrale version de «Busted» popularisé par Ray Charles dans le monde et par Schmoll en France. Dédé lui administre un shoot de grosse intensité dramatique.

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    Bait And Switch, c’est le versant Norton d’Andre Williams, un label qui non seulement défendait ses artistes comme certains libraires défendent des auteurs, mais qui s’est aussi arrangé pour que ces albums - ceux d’Andre Williams comme ceux d’Hazil Adkins ou de Rudy Ray Moore - deviennent légendaires. L’album grouille littéralement d’énormités à commencer par le «Detroit Michigan» d’ouverture de bal. Matt Verta-Ray gratte sa gratte et derrière Dédé, les Four Dollars swinguent de doo du wop. Stupéfiant ! Il duette ensuite avec Rudy Ray Moore sur «I Ain’t Guilty». C’est le duo mythique de Norton. En B, on en trouve un autre : Dédé et Ronnie Spector qui swinguent le vieux «It’s Gonna Work Out Fine» d’Ike Turner. Hit idéal, et d’autant plus idéal qu’il est servi par deux des interprètes les plus âprement géniaux de leur temps. Tiens encore un duo d’enfer avec the Mighty Hannibal pour «Put That Skillet Away». Admirable balladif saxé de frais et joué avec la pire des nonchalances. C’est Marcus The Carcass, le bassman des A-Bones, qu’on entend chevaucher le dragon de «Sting It Bang It And Give It Cab Fare Home». Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car Robert Quine fait son apparition dans «Head First». Tous ces invités prestigieux finissent par donner à Bait And Switch un aspect surréaliste.

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    Norton avait déjà commencé à tenter le diable avec Greasy, l’album de la résurrection d’un Dédé qu’on croyait définitivement perdu, car il était à la rue. On tenait à l’époque cet album pour mythique, rien que par la présence de Dick Taylor. On l’entend riffer derrière Dédé dans «Daddy Rolling Stone». C’est un peu comme si on entendait deux mauvaises graines monter un coup. Le vieux Dick refait des siennes dans «Back To Tijuana». Il s’y fend d’un beau solo et gratte des accords à la tagada mexicana. Dédé renoue avec son vieux doo-wop dans «I’m So High». Les El Dorados swinguent bien le bop. En B, Dédé s’en va faire son Screamin’ Jay Hawkins avec «The Bells», ça se termine en mode doo-wop avec des cloches. En prime, Dédé chiale comme une madeleine. Il nous swingue ensuite un groove de comedy act intitulé «Mother Fuyer». Il chante ça du coin de la bouche avec une chaleur virile de vieux séducteur. Quel artiste ! Puis il passe naturellement au heavy blues saturé d’harmo avec «Put A Chain On It» et Dick Taylor rehausse le tout d’un très beau solo. On appelle ça une conjonction de talents. En fin de cut, Dédé s’énerve à coups de shit your mouth. Il n’a rien perdu de sa vigueur. D’ailleurs, on voit sur la photo de pochette qu’il rayonne de bonne santé.

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    L’autre grand label défendeur d’Andre Williams, c’est Bloodshot, basé à Chicago. Disons que Can You Deal With It ?, That’s All I Need, Hoods And Shades et I Wanna Go Back To Detroit City constituent la période ‘classique’ d’Andre Williams. Ces quatre albums correspondent en gros à la période où Dédé tournait pas mal en France. Des quatre, le Can You Deal With It ? enregistré à la Nouvelle Orleans est le plus dense. On y retrouve Monsieur Quintron à l’orgue. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, big Dédé pique l’une de ces belles crises de power surge dont il a le secret et une certaine Romana King envoie les yeah ! Il fait ensuite un joli duo avec elle et ça donne un très beau groove de la Nouvelle Orleans digne de Marie Lavaux. Avec «Pray For Your Daughter», Dédé nous propose un joli singalong de bon aloi graissé aux renvois de chœurs à la ramasse de la rascasse. Cet album est littéralement hanté par des riffs d’orgue. Nouveau coup de power surnaturel dans «If You Leave Me». En fin de B, deux autres grooves magiques guettent l’imprudent voyageur : «Your Woman» doté du pulsatif africain de la Cité de la Mort, et «Can’t Take ‘Em Off». Le groove magique lui va à ravir.

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    Les trois autres albums Bloodshot ont pour particularité d’être produits par Matthew Smith, le mec d’Outrageous Cherry qui produisit Nathaniel Mayer à la fin de sa vie. Sur That’s All I Need, on croise aussi des gens comme Dennis Coffey et Troy Gregory. Pas étonnant qu’un cut comme «America» sonne comme un classique du Detroit Sound. «Just Call Me» rappelle le «White Dress» de Nathaniel Mayer. Pas surprenant, car c’est un son typique de Matthew Smith. Excellent groove de Call me babe. Mais tous les cuts ne sont pas forcément renversants. Le morceau titre qui ouvre le bal de la B est une sorte de confession. Dédé avoue qu’il n’a pas besoin de grand chose, au fond - I don’t need much - Il lui suffit juste de garder la tête hors de l’eau - Just one step abve poverty/ Just enough to survive - C’est un album très intimiste, en vérité. On sent une sorte de proximité. Il fait un peu de funk avec «There Ain’t No Such Thing As Good Dope» et termine avec les confessions d’«Amends» - I love my gal ?/ No no no...

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    On retrouve quasiment le même son sur Hoods And Shades. Jim Diamond et Dennis Coffey jouent sur l’excellent «Dirt». Coffey passe un solo d’acou qui laisse coi. Ces deux grands guitaristes de Detroit que sont Coffey et Smith se partagent le gâteau. Derrière Dédé, ça joue plus que de raison. Sacré coup de funky business que cet «I’ve Got Money On My Mind» co-écrit par Dennis Coffey. On sent bien le vétéran de toutes les guerres à l’œuvre dans ces descentes de paliers superbes. On a même un morceau titre joué au groove d’acou, très ambiancier. En B, on trouve deux hommages : à Tony Joe White» avec «Mojo Hannah» et à Swamp Dogg avec «Swamp Dogg’s Hot Spot», mais rien n’est moins sûr, car Dédé nous rappe l’histoire d’un Swamp Dogg qui n’est pas forcément celui qu’on croit.

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    On note aussi que les albums Bloodshot sont beaucoup moins denses que ceux de la période Norton ou In The Red. Dan Kroha refait son apparition sur I Wanna Go Back To Detroit City. Sweet et Kroha tapent «Times» au slow groove de Detroit, sans fournir le moindre effort. Dédé fait son boogaloo avec «Meet Me At The Graveyard». Oui, ça sent un peu la fin. Cet album est en fait l’avant dernier de sa longue carrière. Le seul cut qui sort du lot est celui qui ouvre la B, «Detroit (I’m So Glad I Stayed)». Dédé screame à la voix blanche sur un admirable retour de stomp. Derrière, tout le monde fait les chœurs. On sent une grosse ambiance compatissante. C’est le dernier raout du vieux Dédé. Il règle ses comptes dans «Hall Of Fame» - I’ve spent time in jail/ I’ll never be invited in the Hall of Fame/ But still consider myself a winner - Et il ajoute le bouleversant «And this coming from the heart of Andre/ Kiss off !» On entend encore Dennis Coffey jouer de l’acou derrière Dédé dans «I Don’t Like You No More», et puis voilà, on peut ranger l’album.

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    Live ? Oui, il existe deux albums et on peut y aller les yeux fermés : Hot As Hell avec les Sadies et Live At The World Famous Vera Club avec Green Hornet. On y retrouve sensiblement les mêmes cuts, du style «Car With The Star». Avec les Sadies, ça tourne à la pointe de vitesse, et avec l’Hornet Olaf, ça vire un big mish-mash - I’m a bad motherfucker - Du style «Agile Mobile Hostile», joué au heavy beat garage avec les Sadies et gratté sec avec l’Hornet, mais on est loin de Mick Collins. Du style «I Wanna Be Your Favorite Pair Of Pajamas», embarqué au beat du diable par les Sadies et tapé au shuffle de garage apoplectique par l’Hornet.

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    Côté Sadies, on trouve une fantastique version de «She’s Alright». Les frères Good mettent le paquet, poussant la musicalité du backing dans les orties avec un violon. Côté Hornet, on trouve une excellente version de «You Got It And I Want It», du big Dédé Stuff travaillé au son sec. Ils terminent avec un «Hallelujah» qui frise le Dealer, car ça joue au claqué de riff raff et ça relance à la sévère, avec un big shuffle d’orgue à la Brian Auger, ah comme c’est bon !

    Côté albums ‘classiques’, on peut en citer encore trois, sortis sur les labels différents : Aphrodisiac, paru en 2006, Night And Day en 2012 et Life la même année.

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    Pas de hits sur Aphrodisiac, mais du son. On sent le souffle dès «Hold Up» - What’s my name ? et les chœurs font : Andre Williams ! - Les mecs s’amusent bien derrière Dédé. Il enchaîne avec «Do You remember», un groove joyeux emmené à l’orgue d’allure joviale. Ils tapent là dans une sorte de Samba pa ti. Dédé adore chalouper joue contre joue. C’est un album qui laissait indifférent à la première écoute et qui se réécoute avec un réel plaisir. «I’m Not Worthy» sonne comme un groove tentateur et ça sonne presque carribéen. Puis il tape son «Prove It To Me» au groove de forcené, oh I try, but you just don’t understand, les filles sont folles, show me what you got. Que d’énergie dans cet album ! Il chante de plus en plus à l’édentée, comme le montre «I Don’t Need Mary». Il shake son shook en profondeur avec la foi du charbonnier, il faut voir le cacochyme suprême de ses élans, il bouffe la pop et tout le saint-frusquin. Dans «Three Sisters», il se tape les trois sœurs en même temps. Il est comme Jimi Hendrix, il lui en faut plusieurs à la fois. Dédé s’amuse avec toutes les conneries. Il ne s’assagira jamais. Il termine cet album attachant avec «I Can See». Il sort son gros baryton et lance un baby retentissant - What you’ve done to me, font les chœurs de filles lascives, symboles de perdition. Dédé chante du haut de sa chaire de power viril maximaliste. Il chante à l’arrache de géant de l’Alabama.

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    Sur la pochette de Night And Day, Dédé semble un peu hilare. Il retrouve les Sadies et tout un tas de luminaries, du style Dan Kroha, Jon Spencer, Jon Langford et Matt Verta-Ray. L’album peine un peu à éclore, on sent une certaine fatigue dans la voix du vieil homme. Il nous sonne enfin les cloches avec «Bored» - I don’t do drugs no more/ But I will If I have to/ Don’t take anything from me/ Gimme some grease and rocks - Extraordinaire, Jon Spencer pousse des Oh comme au temps du Black Godfather. Puis Dédé règle ses comptes avec le Mississippi dans «Mississippi & Joliet» - Keep yout ass out of Mississippi/ And of a couple of places/ Where they don’t like niggers - Nouveau coup de génie en B avec «One Eyed Jack», fabuleux groove à la sauce Dealer monté sur un beat hypno de bad motherfucker et hanté à un moment par un violon. Ça sent bon les Sadies et donc ça ultra-joue avec le groove de big bad Dédé en couche supérieure. On entend plus loin une certaine Sally Timms duetter avec Dédé dans «That’s My Desire» et ça se termine en groove à la Tony Joe White avec «Me & My Dog» - And nobody here/ Just me and my dog/ She’s gone - Ça monte bien sûr très vite en température.

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    Belle pochette que celle de Life : Dédé le dandy s’adresse à vous directement. On retrouve sur cet album l’équipe de Detroit, Matthew Sweet et Jim Diamond. Sweet n’en finit plus de recréer ses ambiances à la Nathaniel Mayer. C’est exactement le même son. Dédé démarre son «But’n» comme «Pass The Biscuit» : «Scuse me please...» Il s’en prend à Obama dans «Blame It On Oboma» et se fend d’un joli coup de fétichisme avec «Heels» - Please walk mama - On se croirait dans Le Journal d’Une Femme de Chambre d’Octave Mirbeau. La perle se niche en B : une reprise musclée de son vieux «Shake A Tail Feather». Tout le Detroit Sound y monte à la surface. Avec «Ty The Fly», il nous fait une petite leçon de morale : «Ty ate so much that he was too fat to fly.» Avec la romantica éplorée d’«It’s Only You That I Love», il n’en finit plus de rappeler à quel point il aime les femmes et prévient ensuite la compagnie avec «Don’t Kick My Dog» - Lookah here, listen baby - Matthew Sweet installe un heavy groove et Dédé y va de bon cour : «You can kick my wife/ Kick my life/ Kick my car/ But don’t kick my dog.»

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    Si on aime le rap et Swamp Dogg, on peut aller écouter le premier album d’Andre Wiliams, Directly From The Streets, paru en 1990. Sur la pochette, Dédé a des faux airs de Joey Starr. Côté son, c’est du street rap of funky strut - Gimme that good ass - Dédé rime le cul avec le beat et ouvre la voie. Il existe aussi un split d’Andre Williams & The Goldstars avec King Salami. Les Goldstars sont des vieux compagnons de route de Dédé et dans «Nightclub», Nash Kato fait une apparition : il envoie ses chœurs de night & day avec une classe épouvantable. Dédé insiste pour entrer - Nightclub/ Let me in/ It’s cold outside - Il termine sa face avec «The Hard Way», un joli groove de Soul joué au classic American sound, bien soutenu aux chœurs.

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    L’autre gros secteur de l’œuvre d’Andre Williams, ce sont les compiles. Oui, car avant de devenir le Dédé qu’on connaît, il enregistrait sur l’un des plus anciens labels de Detroit, Fortune Records. Il produisait aussi pas mal de gens à droite et à gauche, pour Motown, Duke et d’autres. Les compilateurs s’en sont donc donné à cœur joie. Les quatre principales compiles sont les fameux Grease Soul Volume 1 & 2, Detroit Soul Volume 3 & 4. C’est là sur ces quatre albums que se niche l’antique génie foutraque d’Andre Williams. Les deux premiers sont 100% Fortune et tirés d’une vraie collection de singles rassemblée par l’un des plus anciens fans d’Andre Williams qui se trouve être un Français.

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    Grâce à lui, on peut entendre cet incroyable ramassis de singles, tiens à commencer par «Going Down To Tujuana», vieux mambo de doo-doo wahhh monté sur une orchestration rudimentaire, des chœurs de ouah-ouah et une petite guitare se glisse subrepticement dans le groove. On appelle ça un son. Et là, on est hooké. Dédé fait parfois intervenir un sax à la traînasse de la rascasse. Dans «Mozelle», il demande à Mozelle de revenir et ça swingue au meilleur mambo de Detroit City. Il fait sonner le «Bobbie Jean» de Chuck comme un mambo de bonne Fortune et quand on arrive en B, on tombe émerveillé sur «Baconfat» - When I was down in Tennessee/ Got a new dance they call Baconfat - Et là, ça swingue - Neh neh neh help yourslf - On le voit aussi taper dans le heavy groove de round midnite avec «Feel So Good» et revenir au mambo avec «Mean Jean», mais il le swingue à l’Africaine, avec des congas de Congo Square.

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    On monte encore d’un cran avec le Volume 2, et ce dès «The Greasy Chicken», pus jus de comedy act down in Mexico, il fait la poule de cot cot codec et rivalise d’ardeur avec les Coasters. «Pass The Biscuits Please» vaut pour un véritable coup de génie. Plus loin, un cut comme «Hey Country Girl» réveille de vieilles envies de danser dans des boums. En B, le «Mmm Andre Williams Is Mmmovin’» vaut pour un classic Dédé jive de bonne Fortune. «Georgia My Is Movin’» rendrait un juke heureux et l’excellent «I Wanna Know Why» sonne comme «Sometimes After A While». Ça se termine avec un «I Still Love You» digne de «Sea Cruise» et ce n’est pas peu dire !

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    Ça se corse terriblement avec les Detroit Soul Volume 3 & 4. Il commence par faire miauler Pussycat sur un fond de groove à la Junior Walker. On est à Detroit, baby, ne l’oublions pas. On tombe aussi sur de beaux instros, Dédé adore l’ambiancier. Et puis voilà l’un de ses premiers gros hits, «You Got It And I Want It». Il chauffe les pénates du R&B le plus raw qui soit. Puis avec «I Can’t Stop Cryin’», il fait son Screamin’ Jay. Il en a les moyens. On a là une admirable débinade de slow groove chauffé par des chœurs de filles intermittentes. Il revient au comedy act avec «Peal Time» : c’est un dialogue entre father and son, about a girl who’s a pearl/ Are you sure son ? Il passe au dancing groove fabuleusement orchestré avec «Humpin’ Bumpin’ & Thumpin’» et «The Stroke». C’est en B qu’apparaît l’énorme «Shake A Tail Feather», vieux classique de juke, franchement digne des Isley Brothers - Do the twist/ Do the swim/ C’mon - Avec «It’s Gonna Be Fine In 69», on passe au slow groove d’alligator shoes - You know what ? - Quelle classe ! Il raconte qu’il va se payer une bague. On voit enfin Johnny Sayles emmener «The Concentration» en enfer. Solide romp de r’n’b digne de Wilson Pickett, le mec est un bon, il ya-yate jusqu’au bout de la nuit.

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    Des quatre volumes, le quatrième est sans doute le plus intense. Dédé duette avec Jo Ann Garrett dans «A Rockin’ Good Way» et ça grimpe directement dans le très haut niveau. Andre Williams a le génie de l’orbite groovytale. Avec «Pig Snoots Pt 1», on a ce qu’on appelle la crème du Detroit groove, monté sur un drumbeat extrêmement tonique. Le Pt 2 est tout aussi imparable. Il faut aussi écouter absolument cet «Uhuru (African Twist)» tapé aux clap-hands avec du Eya Eya Hey en plein pot cadré serré. Et qui retrouve-t-on en B ? Sir Mack Rice, avec la première mouture de «Mustang Sally», avant que Wilson Pickett ne s’en empare. Sir Mack Rice swingue sa Sally avec une sorte de bringueballe de vieille boîte rouillée. C’est tout simplement admirable de nonchalance. Puis on passe à l’excellent «Inky Dinky Wang Dang Doo» des Dramatics, mené par une voix d’ange, comme chez les Tempts. On s’effare d’une telle élégance de la Soul. Nouveau coup de génie avec «Chicken Thighs» - Some folks like to eat the neck/ Some folks like to eat on the back - Il fait du culinaire - Yes come in here/ Serve it to me/ That’s what I like/ I’ll give my right arm for a thigh/ Cook it !/ Cook it ! - C’est absolument dément - Oooh serve it to me/ That’s what I like/ Chicken thighs ! - Jeannette Williams vient gueuler «Hound Dog» et passe en force avec «Stiff». On se régale aussi du «Funky Judge» de Bull & The Matadors. C’est excellent car ils adressent un gros clin d’œil à Shorty Long. C’est littéralement infesté de swing. Ah quelle leçon de funk !

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    Deux autres compiles complètent un peu le panorama des origines du Detroit Grease : Rib Tips & Pig Snoots paru en 2000 et Red Beans And Biscuits en 2004. «Rib Tips» sonne comme un hit de Junior Walker, nul doute, roudoudoute. On recroise inévitablement les beaux hits des quatre compiles françaises : «You Got It And I Want It», «Pearl Time» (Dad she can do the pearl !/ Sounds good son) et l’énorme «Chicken Thighs» - Cook it ! Cook it ! - On entend aussi des filles bien délurées sur «Pig Snoots» et une version superbe d’«I Heard It Through The Grapevine». Et avec des instros comme «Hard Hustling» et «Soul Party A Gogo», ça jazze dans la balance à Balmoral.

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    Sur Red Beans, on trouve l’excellent «I’m The Rock», heavy groove d’anticipation urbaine, monté sur un rif de basse traînard comme un soudard à deux sous. Quasi mythique. On trouve aussi une version instro du merveilleux «Pass The Biscuits ‘67», et un «Andre’s Thang» visité par l’esprit rageur de Junior Walker. Les Green Berets accompagnent Dédé sur «I Miss You So», solide romp de groove qui renvoie au heavy stuff des Tempts. Ça se termine avec l’excellent «Baby Baby Oh Baby», encore du big beat à la Dédé. Tout ce qu’il entreprend n’est que du roule ma poule, que du roulez bon temps.

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    C’est avec une certaine émotion qu’on met le dernier album d’Andre Williams sur la platine, histoire de lui dire adieu dans les formes. Sur la pochette de Don’t Ever Give Up paru en 2017, on voit qu’il a pris un sacré coup de vieux, mais il paraît encore solide sous son chapeau blanc. En tous les cas, son regard défie la mort. On ne trouve pas de hits sur cet album fatidique, seulement des grooves rampants comme «Dirty Mac Stinky Dog», avec des chœurs qui servent bien le mystère du groove, comme autrefois les vestales servaient les mystères de Delphes. Les trois filles font véritablement la grandeur du cut. Le morceau titre est un instro qu’on écoute en se régalant et Dédé termine l’A avec un vieux hit de Nolan Strong, «The Way You Dog Me Around». C’est pour lui une façon de revenir aux sources, c’est-à-dire au temps de Fortune Records et de Miss Devora Brown. Dédé nous chante ça aux petits oignons de l’émotion suprême. Le cut le plus émouvant est celui qui ouvre le bal fatal de la B : «Bury Me Deep» - When I die/ I want/ Six female/ And I want a pink hearse/ And twelve dead roses/ And 20 foot grave/ And a statue of Elvis Presley/ Two country & western singers/ And a flag of every enemy country - Et il rappelle son motto : «Bury me deep.» Il passe à l’intimisme le plus troublant avec «One Side Of The Bed». Cette brute n’en finira plus d’édifier les édifices. Il chante aussi l’une des ces comptines dont il a le secret, «Three Blind Mice» et le voyage terrestre d’Andre Williams s’achève avec «Through Your Uprights». Une certaine Meschiya Lake chante un gospel de fin de non-recevoir sur un joli shuffle d’orgue, hallelujah ! Hallelujah ! C’est swingué à la vie à la mort de la mortadelle et bien sûr, c’est, à l’image du grand Dédé Williams, solide comme un poncif.

    Signé : Cazengler, Dédé pipé

    Andre Williams. Directly From The Streets. SDEG Records 1990

    Andre Williams. Greasy. Norton Records 1996

    Andre Williams. Silky. In The Red Recordings 1998

    Andre Williams & The Sadies. Red Dirt. Sonic RendezVous 1999

    Andre Williams & The Sadies. Hot As Hell. Nest Of Vipers Records 1999

    Andre Williams. Black Godfather. In The Red Recordings 2000

    Andre Williams. Bait And Switch. Norton Records 2001

    Andre Williams & Green Hornet. Live At The World Famous Vera Club. Norton Records 2003

    Andre Williams & The Diplomats Of Solid Sound. Aphrodisiac. Vampi Soul 2006

    Andre Williams & The New Orleans Hellhounds. Can You Deal With It ? Bloodshot Records 2008

    Andre Williams. That’s All I Need. Bloodshot Records 2010

    Andre Williams. Hoods And Shades. Bloodshot Records 2012

    Andre Williams & The Sadies. Night And Day. Yep Roc Records 2012

    Andre Williams & The Goldstars. Be Fast Records 2012

    Andre Williams. Life. Alive Records 2012

    Andre Williams. I Wanna Go Back To Detroit City. Bloodshot Records 2016

    Andre Williams. Don’t Ever Give Up. Pravda Records 2017

    Andre Williams. Rib Tips & Pig Snoots. Soul-Tay-Shus Recordings 2000

    Andre Williams & The Out Of Sighters. Red Beans And Biscuits. Soul-Tay-Shus Recordings 2004

    Andre Williams. Grease Soul Volume 1.

    Andre Williams. Grease Soul Volume 2.

    Andre Williams. Detroit Soul Volume 3. Detroit 2002

    Andre Williams. Detroit Soul Volume 4. Detroit 2002

     

    Mick Harvey tout compris

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    Membre éminent des Bad Seeds, Mick Harvey s’est ingénié vingt ans durant à rallumer la flamme gainsbourrienne. Quatre albums extrêmement brûlants en témoignent. Cela faisant, il ne manque pas de rouvrir dans les cœurs flétris d’antiques blessures. Quand on a vécu aussi intimement avec l’onction gainsbourrienne, force est d’admettre qu’on marque le coup. Harvey ne sévit pas que sur disque, il sévit aussi sur scène et le voilà donc en Normandie pour chanter Gainsbourg, bien au chaud, dans la petite salle d’un club qui ne doit rien au Kangourou Club.

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    James Johnston de Gallon Drunk l’accompagne à l’orgue, ainsi que Xanthe Waite qu’on entend ici et là sur deux des quatre albums extrêmement brûlants. Derrière l’homme à la tête d’Harvey, une section rythmique à toute épreuve prend en charge les drives de jazz et les pompes de pop, et puis un délicieux quatuor de violons juvéniles vient par intermittence contribuer au ré-allumage d’anciennes magies de type «Initials BB» ou «69 Année Érotique».

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    Mick Harvey ne se soucie que de ceci : recréer sur scène la spectaculaire beauté de l’univers gainsbourrien. Le bougre se montre adroit car il démarre en tablatant son «Requiem Pour Un Con» et il enchaîne avec l’infamant pulsatif des «P’tits Trous», même s’il les chante en Anglais. La translation donne «The Ticket Puncher». Pour une fois l’élégance n’est pas dans le bon sens. L’homme à la tête d’Harvey estomaque par la véracité de sa foi viscérale. Il n’est bien sûr pas question de mettre son prodigieux aplomb en doute, même si l’on sait, au plus profond de soi, que personne ne chantera jamais aussi bien les chansons de Gainsbourg que Gainsbourg lui-même.

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    Le vieil Harvey reviendra plus tard du jive de jazz gainsbourrien avec «Couleur Café» («Coffee Colour») et «New York USA», avec des chœurs qui font si bien le so high, oh so high. À la lumière de ces exploits, on mesure encore mieux le génie de Serge Gainsbourg. Lui et Léo Ferré suffiraient amplement à remplir une vie. Alors pourquoi aller chercher midi à quatorze heures ?

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    Extrêmement désirable, Xanthe Waite incarne l’autre dimension du mythe gainsbourien : son goût pour les très belles femmes. Tous les antisémites de France devaient enrager de voir Gainsbarre se taper les plus belles femmes de son temps : Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Juliette Gréco ou encore France Gall. Xanthe Waite ne dépare pas dans cette galerie de portraits. C’est elle qui chante «Poupée De Cire Poupée de Son» («Puppet Of Wax») et même si elle ne dispose pas du sucré de la divine France Gall, elle sort une version pop extrêmement endiablée qu’on retrouve sur l’album Intoxicated Women. Frisson garanti. C’est elle aussi qui se tape «Harley Davidson» et qui duette avec le vieil Harvey sur «Bonnie & Clyde».

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    Ah quelle collection de hits suprêmes ! On peut dire qu’ils ont su marquer leur époque et enrichir les âmes, comme le font tous les grands hits pop, que ce soient ceux des Beatles ou des Beach Boys. Elle se sort pas trop mal des hits mineurs comme «Contact» ou «Don’t Say A Thing». Pendant le rappel, Mick Harvey aura l’élégance de proposer «La Javanaise» et de laisser le public chanter les fins de couplets - Ne vous déplaise/ En dansant la Javanaise/ Nous nous aimions/ Le temps d’une/ Chanson - et bien sûr, c’est le meilleur moyen de porter l’émotion à son comble, car il n’est pas de chanson plus belle, plus poétique, plus élégante et plus mordeuse de cœur que cette divine Javanaise. Gainsbourg nous broyait même l’âme avec cette chanson. Fallait-il qu’il aime Prévert pour écrire des choses aussi parfaites ! Vous le constaterez par vous-mêmes en ressortant n’importe quel recueil de poèmes de l’étagère, l’art de Jacques Prévert reste l’une des plus belles formes d’expression humaine.

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    Mick Harvey entame son chemin de croix en 1995 avec Intoxicated Man. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère puisqu’il démarre sur «69 Erotic Year», qu’il susurre d’une voix d’anis d’Annie qui aime les sucettes à l’anis. Du bout de la langue, il fait tinter l’écho du point G dans le gras du grave. Admirable chef-d’œuvre du succion. Il y croit comme une folle, sixty nine ! Il monte ensuite en puissance en vroomant «Harley Davidson». Il tape ça au puissant London heavy rock. Anita Lane vient faire sa B.B. C’est le hit suprême, comme dirait Joséphin Péladan. C’est une pluie de fureur fury et de justesse justy, I go ! Même le morceau titre se révèle inespéré de justesse pythagorienne. Mick Harvey a décidément tout compris. Il craque bien le crackle erotic avec «The Sun Directly Overhead». Bien vu Mick. Il chante ça à la sourdine aveugle de baryton baryté. Et on est loin d’avoir épuisé toutes les surprises de cet album indiciblement toxique. Il nous groove «The Barrel Of My 45» à la dégringolade, il pisse et il pète en descendant chez Kate, demented battage de back-up office avec du big bad blast. Anita Lane revient sucer la sucette de «Ford Mustang» et Mick rameute les congas de Congo Square pour un «New York USA» de petite fortune. Comme on attend encore des miracles, en voici un : «Bonnie & Clyde», juste et bon comme un roi carolingien, chargé de son à gogo, Mick Harvey chante au cœur de la mélodie et c’est léché aux violonades définitives. L’Harvey et la Lane rallument d’antiques brasiers. L’Harvey chante tout dans la matière, il y croit dur comme fer. Il gratte l’accord d’«I Have Come To Tell You I’m Going» et chante comme dans un rêve gainsbourrien. Il redore le blason de l’idéal romantique, avec du goodbye qui scintille et du yes I love you qui luit à la lune. On tombe en pâmoison - You remember the good times - Il termine avec un abominable shoot de power surge, au pire steel de Sheffield, avec «Initials BB», le hit anglophile par excellence. Quand on vous dit que Mick Harvey tout compris, c’est qu’il Harvey tout compris.

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    Le bougre récidive deux ans plus tard avec Pink Elephants. Coup de génie immédiat avec «Requiem» qu’il groove au London mood, c’est-à-dire au hot shit d’electro-blast. Pas de pitié pour les cons - Stupid cunt ! - C’est d’ailleurs l’objet du Requiem for a cunt. Il ose ensuite taper dans le nec plus ultra avec «The Javanese» qu’il délite avec soin - Javane/ Ze ! - C’est un bonheur que de l’entendre chanter ça. Mick Harvey en fait une espèce de magie insécable. Il travaille son Gainsbarre comme on travaille une escalope : il la pelote pour l’attendrir. Par contre, il se vautre avec «Comic Strip». Il ne se formalise pas pour autant et revient taper dans le plus difficile des cuts de l’âge d’or, «The Ticket Puncher», les p’tits trous, les p’tits trous, toujours des p’tits trous, l’intouchable par excellence. Il l’embarque ventre à terre, accompagné par un batteur dévoué. Plus loin, il groove «Scenic Railway» au crroak de belle voix d’étain blanc. Il crée de la légende sur le dos de Gainsbarre, ce qui n’est pas idiot, au fond. Globalement, il rend les meilleurs des hommages qui soient envisageables ici bas. Il entre dans le lagon définitif avec «I Love You Nor I Do» - Oh yes ! - Le sex ultime et l’Harvey se retient entre ses reins. La pauvre fille doit se plier aux lois du groove. C’est d’une épaisse puissance sexuelle, il charge ça de sex à ras bord, nor I do, il y va, I go I go et ça se termine comme ça doit se terminer, And I come. Dans un sursaut de lucidité sexuelle, il ajoute cette vérité gainsbourienne majeure : «Physical love is a dead end.» On reste dans le cœur du mythe avec «The Ballad Of Melody Nelson». Il chante ça au mieux du baryton d’Angleterre et tout explose avec «Who Is In Who Is Out», le London jerk par excellence, en tous les cas, l’un des plus grands jerks de l’âge d’or du jerk. L’Harvey le sabre à la hussarde.

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    Il semble que ce soit Bertrand Burgalat qui fasse la pluie et le beau temps sur Delirium Tremens, le troisième volume de voluptés gainsbourriennes, et ce dès «Deadly Tedium», c’est-à-dire «Ce Mortel Ennui», avec un drive de jazz qui avance step by step. Burg bourre le mou d’une nouvelle ambiance dédiée dans «Coffee Colour» en jouant son ass off au milieu des chœurs d’artichauts colorés. Et tiens donc, encore un énormité avec un «SS C’est Bon» noyé de son indus indiscutable, ahh que sera sera le big heavy sound. L’Harvey crée là la surprise destroy oh boy. Xanthe Waite fait une première apparition dans «A Day Like Any Other». Elle chante au sucre perverti des sucettes à l’anis d’Annie, c’est extrêmement orchestré, la la la, et voilà que l’Harvey embrasse le cul du cut d’une voix ingénue et trop mûre à la fois. Soyez bien certain que tout cela se situe véritablement au plus haut niveau. On l’entend aussi prendre «More And More Less And Less» au crépuscule du baryton et créer un tourbillon d’écrouvillon avec «Don’t Say A Thing». Mais c’est avec «The Decadence» qu’il va effarer durablement, car il chante dans l’apothéose d’une mélodie vertigineusement gainsbourrienne, il la prend au chaud extrême de la dimension humaine et c’est là où il se rapproche véritablement de Gainsbarre, car s’il est un Homme sur cette terre, c’est bien lui, l’âme de la beauté des laids, délai, délai. Katy Beale se fond dans sa moule, ils dégoulinent tous les deux de somptuosité onctueuse et que peut-on faire d’autre que de se prosterner jusqu’à terre pour saluer une telle exigence de véracité concupiscente ?

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    Paraît en 2016 le pendant féminin d’Intoxicated Man : Intoxicated Women. Comme le font les Mercury Rev avec leur hommage à Bobbie Gentry, Mick Harvey fait entrer dans l’album une belle palanquée de petits boudins, excellente occasion pour lui de transformer «Les Petits Boudins» en énormité : Xanthe Waite sucre sa voix comme une Poupée de Son et ça sonne comme un fabuleux hit de rock anglais infesté de relances de batterie rebondie. Le drumbeater s’appelle Hugo Cran. Cet authentique coup de génie pop dénote une intelligence du son. L’autre énormité, c’est justement «Poupée De Cire Poupée De Son». Xanthe Waite s’y montre toute aussi admirable. On a là le hit pop parfait. Merci Gainsbarre. On monte évidemment d’un sacré cran avec «Je T’Aime Moi Non Plus». Elle s’appelle Andrea Schroeder, oh yahhhh, fabuleuse poulette de sexe chaud. Bertrand Burgalat bassmatique comme un seigneur des annales et ce diable de Mick Harvey tout compris, la bite à la main baguée d’une topaze d’orient pâle, ahhhhh, elle soupire exactement comme ça, elle jouit dans son micro, ça va et ça vient entre ses reins, cette chanson de l’amour suprême à la Villiers de pomme d’Adam est si admirablement réintroduite dans la vulve du mythe. Celle qui chante «La Chanson De Prévert» s’appelle Jess Ribeiro et Shilo gratte sa gratte. Mick Harvey tout compris car il partage le chant avec la juvénile Jess, ils sont excellents dans le day after day, sacré Mick, il finit toujours par s’en sortir. En fait, non, ce n’est pas exact : il se vautre avec «Les Sucettes» qu’il croit bon de chanter. La voix d’homme fausse tout, on perd le côté kitschy kitschy petit bikini de la girl Gall. En plus, ça joue au heavy bass drum. Grosse incartade. On retrouve Andrea la fatale dans l’autre chef-d’œuvre intemporellement érotique de Gainsbarre : «Dieu Est Un Fumeur De Havanes». Andrea y fait sa Deneuve pendant que l’Harvey suce son cigare. Andrea aménage la profondeur dans la moiteur, c’est elle qui fait l’amour moi non plus, alors oui, yeahhhh. Elle aménage la troublante profondeur de chant du promised land, take my hand... Et puis voilà venu le tour de Burgalat d’exploser «Cargo Culte» au cul de basse fosse. Il fait le son en plein et en délié et on entre de plein fouet dans la mythologie du petit matin, à l’aube d’une histoire d’amour, lorsqu’une voix demande : «What’s your name ?» et elle répond, «Melody, Melody Nelson». S’ouvre alors un ciel. Nous vécûmes jadis exactement la même histoire et l’occasion est trop belle de saluer la genèse du poignard en plein cœur.

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    Si la curiosité fait bien son travail, on finit par se laisser aller à écouter un autre album de reprises, One Man’s Treasure, mais aucune reprise de Gainsbarre n’y figure. Mick Harvey tape dans Lee Hazlewood («First ST. Blues») et Nick Cave («Come Into My Sleep»). Le seul cut vraiment intéressant est cette reprise du «Come On Spring» d’Antenna, un groupe monté par Kim Salmon en 1998. C’est excellent et bien balancé. Sonne même comme un sommet non pas des Alpes mais des Hands. Il chante plus loin un «Man Without A Home» au baryton des bas fonds mais on bâille aux corneilles. Il revient sur la terre ferme avec le «Mother Earth» du Gun Club. Jeffrey Lee Pierce est bien gentil, mais on ne peut quand même pas le comparer à Gainsbarre.

    Signé : Cazengler, Mick larvé

    Mick Harvey. Le 106. Rouen (76). 20 octobre 2019

    Mick Harvey. Intoxicated Man. Mute 1995

    Mick Harvey. Pink Elephants. Mute 1997

    Mick Harvey. One Man’s Treasure. Mute 2005

    Mick Harvey. Intoxicated Women. Mute 2016

    Mick Harvey. Delirium Tremens. Mute 2016

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N°11

    OCTOBRE / NOVEMBRE / DECEMBRE / 2019

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    Sergio Kazh est en train de gagner son pari. Rattraper le retard que le magazine avait accumulé afin de pouvoir caler les numéros qui suivront sur les premiers jours des trimestres. Avec un peu de retard Rockabilly Generation était toujours bon à lire. Le dernier était bon, celui-ci est encore meilleur. Commence par une surprise, Louis Jordan enrégimenté dans les pionniers, je n'y avais jamais pensé, mais les frontières du rock'n'roll ont toujours été mouvantes et il n'existe pas de séparation bien nette avec le rhythm'n'blues noir. Lui-même n'étant qu'une excroissance sonore du blues. Si vous voulez rester identique à vous-même, ne cherchez pas vos racines, s'il est un endroit où le melting pot de la société américaine s'est réalisé, et encore cela a pris du temps, c'est bien dans la zigmuc. Louis Jordan a été un trait d'union indubitable entre le jump blues et le boogie woogie, nous explique Dominique Faraut.

    De même l'on peut se demander s'il existe vraiment une séparation entre les morts et les vivants, Mattéo Callegari, italien et guitariste des Rotten Records s'explique sur son parcours, éclatant malgré sa jeunesse. Marqué par les pionniers bien sûr, l'a commencé par AC / DC, comme quoi il existe mille chemins ouverts qui mènent au rock'n'roll. Mais son dada à lui c'est le country même s'il s'inscrit dans la grande tradition des Teds qui n'est pas spécialement nostalgique mais au contraire très vindicative. Sergio emmène la conversation sur le drapeau confédéré que Mattéo entrevoit comme un signe de ralliement entre fans de rock'n'roll dépourvu de revendication raciste. Il ne le dit pas, mais quel est le drapeau au monde qui n'a pas ses franges emplies de sang et de monstruosités. Il est certes plus simple de ne pas en avoir quant à en créer un, il n'échappera pas très vite à quelques reproches ! S'il existe un animal nuisible sur cette terre, c'est bien l'être humain.

    Une longue interview de Darrel Higham, à mon goût l'on n'en parle pas assez en douce France, c'est pourtant l'un des plus authentiques rockers, se confie calmement, il évoque sa fille et son chien, question musique, ses actes et ses disques parlent pour lui, il retrace sa carrière sans forfanterie, l'est davantage intéressé par ses projets que par ce qu'il a déjà réalisé, beaucoup de pudeur et de simplicité chez cet homme. Transmet son admiration et sa tendresse pour Eddie Cochran avec des mots qui font mal.

    Ensuite c'est la tournée des Festivals, la neuvième édition de La Chapelle-en-Serval, mention spéciale pour Dylan Kirk et ses Starlights, la jeune génération qui monte, et le dimanche soir, la palme est décernée à Al Willis & the New Swingters, notons que lorsque Red Dennis est sur scène c'est généralement bon signe pour prévoir les ouragans. L'on passe au Pouligan, huit concerts sur trois jours, Big Sandy un peu mou, mais les Houserockers ont salement remué la maison et le Strike Band venu d'Italie a fini par déterrer les fondations. Le 13 juillet c'est à Pencran qu'il fallait être au Rockin Breizh Club, ainsi nommé pour que les initiales ne fassent pas KKK ! Très drape jacket dans l'ensemble avec Rough Boys, Greased Lightning, et The Lincoln, vous ne connaissez pas les deux derniers : viennent respectivement de Suède et d'Autriche. Spuny Boys et Booze Bombs – on ne les présente plus – ont enthousiasmé le 3 Day's Vintage de Virolet ( en Charente Maritime pour ceux qui comme moi ne connaissent pas leur géographie ! ). Une dernière rasade pour l'anniversaire de Grand Dom à Beaulieu de Rieux ( en Bretagne pour ceux qui n'ont pas eu le temps de prendre des cours de rattrapage depuis la phrase précédente ) avec Black Raven, Jim and the Beams, Orville Nash et quelques autres cadors. Trois petites rubriques pour finir : la présentation des disques, un peu maigre, et le meilleur pour la fin, toutes les couves des dix précédents numéros pour passer commande. Quel boulot, quelle persévérance, et quelle beauté !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

    DES MAUX / AMN'ZIK

    ( 2017 )

    Nous les avions découverts à la Comedia – voir notre chronic in Kr'tnt 432 du 03 / 10 / 2019 – une prestation superbe mais pas de Cds qu'ils n'avaient pas pensés à prendre, ce sont de véritables rockers, pas des commerciaux ! – et voici dans la boîte à lettres cette petite enveloppe pour lesquels nous les remercions.

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    Pochette noire, juste un demi-visage, gueule ouverte, ne hurle pas des mots mais des maux parce que notre monde court à la déglingue, crier n'enraye peut-être pas l'inéluctable, mais il faut les entrevoir comme des oiseaux de proie qui volent haut au-travers des tourmentes, qui attendent leur heure. La pire. Les Amn'Zik ne sont pas des autruches qui enfoncent leur tête dans le sol pour ne plus avoir peur, ils font face, ils sont prêts.

    Assume : une tuerie bien campée sur les deux jambes du binaire déboule sur vous, ce n'est rien comparé à ce qui suit, musique sombre et compressée pour le tunnel de ton existence d'esclave salarié sans sortie, alors une seule solution, celle de faire exploser tes rêves et d'explorer tes désirs, sans quoi ton futur ne sera pas meilleur que ton présent, la batterie te plonge la tête dans l'eau, des coups de rames sur l'occiput pour t'expédier tout au fond, et le son larsène des coups de faux dignes de la grande faucheuse pour te faire comprendre combien ta situation est grave, le train du néant fonce sur toi, une guitare soloïse ton hymne funèbre et la motrice fonce sur ton corps ensommeillé sur la voie de garage, tu n'entends plus que son irréductible shuffle , les boogies se rapprochent, tu n'en as plus que pour quelques secondes mais le temps s'écoule lentement et une guitare brûle sans fin, quelques la-la-la ironiques et la voix t'intime l'ordre de prendre ton destin en main. On espère que tu l'as fait, car le convoi s'éloigne dans le lointain. Maintenant si vous écoutez ce morceau sachez que vous reprendrez illico un autre billet pour recommencer le trajet. Pourquoi ont-ils ? : un murmure cordique, une fuite mélodique, mais déjà la rythmique vient appuyer ses brodequins de fer sur votre tête, et une voix chantonne des réalités qui ne procurent aucun plaisir, une organisation économique délétère, ta vie stagne dans le grand marécage, la voix se creuse comme une tombe et la musique noircit ses effets, rien ne te sera donné à tel point que tout semble s'arrêter, une fausse illusion, l'horreur repart de plus belle, qu'importe Amn'zik s'est transformé en une gigantesque vortex, une bouche monstrueuse qui commence à dévorer le monde. Et un dernier bourdonnement qui s'étire, un vol de mouches vertes au-dessus d'un charnier. Le change : une intro bien balancée, une voix plus âpre, avez-vous déjà remarqué comme la fausse monnaie tinte plus gaillardement que la valeur qu'elle affiche, l'en est de même des existences qui ne savent plus ce qu'elles sont et ce qu'elles ne sont pas. Des rafales de chœurs qui trimballent davantage d'horreur que de bonheur, l'important c'est que le toc soit mastoc, alors des sortilèges de guitares s'enflamment, et le voile noir de l'orchestration vous engloutit, ne cherchez pas à fuir, de vous-même vous vous êtes enfermé dans votre propre piège. Geneviève : tremblements de cordes, cliquètement de cymbales, fortement les basses, les filles ont toujours eu le chic et le choc de poser des problématiques anxiogènes, avec elles vous êtes sûr que les situations se complexifient, la guitare s'écharde dans votre pelote de nerfs, Pat brisé de rage, Geneviève qui ne fait que passer, juste pour signifier que tout va mal, et Amn'zick vous souligne cela à l'encre d'un rouge sang indélébile. La métamorfaust : chatoiement de douceurs dans un monde brut, mélopée d'ombre et de lumière au fond d'un sarcophage, une montée insidieuse vers on ne sait encore quoi, une ballade que vous ne comprendrez pas si vous n'avez jamais fait l'amour dans un cercueil, jamais embrassé la gluance de la pourriture, déchirements cristalliques de guitare, flamboyances lyriques, un morceau dont vous ne ressortirez pas entier. Un chef d'œuvre.

    Un disque magnifique qui vous conduit des écorces mortes du monde externe aux profondeurs intimes de vos déraisons suprêmes. Amn'zik se joue de nous. Non seulement ils n'oublient rien mais ils se souviennent de tout, que le macrocosme et le microcosme échangent de réciproques reflets, que vous êtes aussi fautif, aussi faustif que tout le reste. N'accusez personne, assumez-vous.

    Damie Chad.

     

    VINCENNES / 23 - 10 – 2019

    HOWLIN' JAWS

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    Tout cela par la faute du Cat Zengler et son superbe article sur Mickie Most. Une petite lampe s'est allumée dans mon vaste cerveau : '' Tiens, Mickie Most, on en avait parlé avec les Howlin', juste avant qu'ils ne sortent leur disque, pas vus depuis longtemps, avec un peu de chance, seront dans le coin pour un petit concert ''. Tout droit sur leur FB, bingo ! les gogos, ils ne sont pas loin, un coup de téléphone, et hop place retenue pour mercredi soir. J'en vois certains tiquer, retenir son billet pour un concert de rockabilly, c'est étrange. Oui mais c'est plus compliqué que cela. Une histoire de famille, pour une fois le Cat Zengler est totalement innocent, n'était même pas né quand ça a commencé, vous non plus, moi itou, et les Howlin' Jaws idem. Comme quoi dans la vie, les ennuis vous tombent dessus alors que vous n'y êtes pour rien.

    UNE TERRIBLE HISTOIRE

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    Je gomme un peu le début, les Dieux demandent au roi Agamemnon de sacrifier sa fille Iphigénie pour que les vents qui doivent porter la flotte grecque jusqu'aux rivages de Troie consentent à se lever. Son épouse Clytemnestre n'est pas d'accord, on peut la comprendre, mais Iphigénie qui a un faible pour son papa chéri consent et est proprement exécutée. Agamemnon ne reviendra que dix ans plus tard, une fois la vile de Troie anéantie. Hélas! il ne profitera pas longtemps de sa victoire, à peine est-il rentré à la maison qu'il meurt assassiné dans sa baignoire par sa femme qui entre temps a pris un amant Egisthe, ainsi que le raconte Pindare dans une de ses Odes.

    Jusque-là tout va bien, si j'ose dire. Il reste encore les trois enfants d'Agamemnon et de Clytemnestre : Chrysotémis, Electre et Oreste qui en tant que seul garçon se doit de venger son père en tuant Egisthe et en assassinant sa propre mère...

    BIFFURCATIONS JAWIENNES

    Quel rapport avec les Howlin' ? L'est vrai que tout ne se passe pas aussi mal dans toutes les familles : un exemple pris au hasard, Simon Abkarian, le père de Djivan Abkarian est encore vivant, il exerce la noble profession d'acteur et de metteur en scène. Pour monter Electre des bas-fonds, une de ses propres pièces, il a fait appel, afin d'assurer l'accompagnement musical du spectacle, à la formation de son fils, les fameux Howlin' Jaws.

    Avis à la population : ce soir nous n'assisterons pas à un concert d'un groupe de rock'n'roll nommé les Howlin'Jaws, mais nous verrons les Howlin' Jaws bellement engagés, dans une nouvelle aventure, dans une rencontre d'un autre type.

    DANS UNE CONTINUITE

    Simon Abkarian n'est pas le premier à s'être penché sur l'histoire des Atrides, déjà au temps des grecs Eschyle, Sophocle et Euripide ont donné leur version de cette sanglante histoire. L'on ne compte plus les auteurs et les poëtes qui au fil des siècles ont présenté leur interprétation de ce mythe. Mais il ne faut pas croire que l'on explique un mythe, c'est au contraire le mythe qui permet à ceux qui l'interrogent d'apporter une lumière plus violente et plus crue sur l'état de leur époque. Question rock, je vous renvoie par exemple à notre précédente chronique sur Jim Morrison qui traite dans The end, de la violence que l'on est en droit d'exercer sur nos géniteurs, '' Father... Yes son... I want to kill you... Mother, I want to violate you …''

    Il ne nous reste que les textes de ce premier théâtre grec, en fait des reconstitutions compilatoires à partir de fragments divers qui par exemple servaient aux acteurs à apprendre leur rôle. Autant dire que nous ne possédons qu'un tiers de l'iceberg, les représentations de nos lointains ancêtres ressemblaient davantage à notre opéra moderne, certes l'auteur écrivait le texte mais composait aussi la musique, à part quelques notes rien ne nous est parvenu... Un, puis deux, puis trois acteurs, ce qui est peu, mais ils ne jouaient que les moment-clefs de l'action, le chœur composé d'une vingtaine de participants racontait les épisodes intermédiaire qui reliaient ces scènes cruciales : il évoluait sur scène, récitait, chantait et dansait. Nous ne possédons que peu d'informations sûres sur la place de '' l'orchestre'' qui accompagnait les spectacles. Les Howlin' Jaws sont relégués dans une pièce attenante au grand plateau.

    ELECTRE DES BAS-FONDS

    COMPAGNIE DES 5 ROUES

    Texte et mise en forme

    SIMON ABKARIAN

    ( 14 comédiennes-danseuses – 6 comédiens-danseurs )

    musique écrite et jouée par le trio

    HOWLIN' JAWS

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    C'est dans cette perspective originaire que Simon Abkarian a écrit et monté Electre des bas-fonds. D'abord une langue, riche et abrasive emmenée par un torrent de métaphores lyriques ensemencées d'images élémentales mais qui n'hésite pas à plonger dans les gouffres comédiques d'un grotesque néronien. C'est avant tout le discours qui porte la pièce, comparé à cette force, tout le reste est mise en scène d'une intransigeance superfétatoire. Un véritable cadeau pour les acteurs, nombreuses sont les tirades à déployer comme l'on hisse les voiles d'un navire afin de s'inscrire dans la haute course des vents porteurs.

    Mais il ne suffit pas d'emplir les oreilles des spectateurs, faut aussi infuser dans ses yeux des images chocs, ainsi dès le début, cet amas de danseuses dans leur tutu de petits rats froufroutant de gaze jaunie se regroupant afin d'entamer un ballet myrmidonesque des plus trompeurs, ce ne sont point d'innocentes petites filles réunies en un cours de danse mais putains de bordel au lever du jour qui se préparent à attendre le client. Elles sont les anciennes jeunes troyennes que les grecs ont emmené chez eux afin d'en user comme esclaves sexuelles.

    Nous sommes d'emblée au cœur du sujet de la pièce : pour le dire d'une manière policée et universitaire : celui de la place réservée aux femmes dans les société patriarcales. Au plus près des chairs outragées et flétries, Simon Abkarian nous plonge dans la béance des vies brisées, des jeunesses bafouées, des déchéances intimes, des rêves perdus, des viols, des cris et du sang. La haine reste l'apanage d'Electre, la vierge farouche, qui n'a jamais pardonné à sa mère l'assassinat de son père et qui sera condamnée à servir les prostituées du bordel.

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    Survient Oreste qui revient – hésitant – pour tuer sa mère... Mais il n'est pas le personnage le plus important, absent de la plus grande partie de la pièce, certes il accomplira sa tâche imposée par le Destin, surtout par la loi des hommes, mais il n'en entendra pas moins la longue plaidoirie de Clytemnestre qui revendique sa liberté de femme à avoir vengé sa fille... en sus elle dresse un portrait d'Agamemnon dont elle souligne la suffisance, l'insuffisance, la lâcheté, l'orgueil démesuré... La pièce se termine par la folie d'Oreste, l'esprit morcelé, incapable de supporter les contradictions qu'il est dans l'incapacité de résoudre et dont il n'est qu'un jouet impuissant.

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    Une pièce âpre qui nous parle de domination des femmes par les hommes, non pas sans répercussion sur celles des hommes, et celles des femmes entre elles et sur leur propre genre, surtout de la salissure des âmes et des vies qui en découlent. Des personnages – nous ne les avons pas tous évoqués - qui vont jusqu'au bout d'eux-même qui assument tout ce qu'il y de plus fragile, de plus implacable, de plus dérélictoire, de plus veule, de plus sacrificiel, de plus grand et de plus médiocre en leur intimité comme en leur implication existentielle soumise aux volontés d'autrui et aux circonstances extérieures désastreuses... Le spectateur s'invitera de lui-même à évoquer les différentes guerres actuelles, et les débats qui parcourent notre société. Ce spectacle est à voir, superbement mis en scène, jamais ennuyeux, ses tirades flamboyantes, ses dialogues antagoniques, ses ballets successifs, et sa musique.

    HOWLIN' JAWS

    Impeccablement de noir et de blanc vêtus, très straight, classieux, assis à l'instar des musiciens classiques sur le devant de leur réserve, sont aux ordres d'un drôle de chef d'orchestre qui n'est autre que le déroulement de la pièce elle-même, ils l'accompagnent ou le précèdent en le sens où il faut parfois souligner l'intensité de l'action avant même la mise en œuvre de son accomplissement, ils donnent alors l'air de présider à la naissance des différentes séquences comme s'ils étaient une équipe socratique au chevet d'une multitude de parturientes, car sur scène cela n'en finit pas de bouger. Il existe des passages faussement plus évidents que d'autres, ceux des ballets, il leur suffit de donner l'impression de se coller aux mouvements des danseurs alors qu'en réalité ce sont les Jaws qui mènent la danse, ils endossent alors en quelque sorte le rôle du Coryphée qui dans les arènes de l'antique Hellade dirigeaient les évolutions du chœur. On ne peut pas vraiment parler de danse au sens plein de ce mot en le sens où les danseurs ne cherchent pas à éblouir le spectateur grâce à leur virtuosité personnelle, au contraire il faut entendre ces étranges reptations rythmiques sacralisées en tant qu'action de groupe, des espèces de ritualisations orientalisantes, une gestuelle gradationnelle de poupées mécaniques qui n'est pas sans évoquer les propos d'Henri von Kleist sur Les marionnettes.

    Avant même que le spectacle ne débute, l'on se dit que Baptiste Léon retranché derrière sa batterie aura la tâche la plus facile, quelques forts coups de grosse caisse à la manière des bateleurs afin de marquer les rebondissements qui ne manqueront pas de ponctuer le cours de l'action et un tamponnement diversif pour les autres passages. Les Jaws ne sont pas tombés dans ce piège. Ne se sont pas transformés en producteurs d'effets sonores, il ont compris qu'à l'écriture du discours devait correspondre une écriture musicale et que ces deux langages devaient communiquer entre eux afin de parler au public, de lui faire entendre les mots d'une autre manière, de coller à leur sens une signifiance sonore qui en aggrave la portée. Plus le silence. Car ils savent se taire, ils laissent la voix nue des acteurs s'élever, ils ne sont pas là pour ajouter une bande-son en arrière-fond sur les paroles. Ne sont pas des faire-valoir, sont au même niveau que les acteurs, ils participent à part entière au progrès de l'action. Mais sur un autre plan.

    Certes parfois on oublie de regarder leur présence latérale, le plateau central obnubile les yeux, mais la musique est tout de même sur la scène, elle accentue sans qu'on y prenne garde la cruauté ou la bouffonnerie des situations. Djivan et les ondes noires de sa basse électrique, elles se meuvent comme les reptiles en liberté dans le sanctuaire d'Asclépios, car toute théâtralité bien comprise est comme un acte opératoire, une libération aristotélicienne, la crevaison d'une tumeur dont l'écoulement du pus précipite aussi bien la délivrance que la mort ou le naufrage dans la perte de soi. Rappelez-vous ces serpents qui sifflent sur vos têtes chez Racine lorsque Oreste bascule dans la folie. Djivan colle à l'action comme l'angoisse étreint l'esprit. Le mal court disait Audiberti, mais ici il s'étale et se résout en marécage, un cloaque létal, dans lequel s'enfoncent les pas incertains, mais tendus selon une suprême volonté, des âmes impures, ce bruit de succion insupportable, cette aspiration infinie vers l'inéluctable c'est Djivan qui en est chargé, vous n'êtes plus dans le labyrinthe, vous êtes déjà os broyés dans la gueule sanglante du Minotaure.

    A la guitare de Lucas Humbert est dévolu le rôle de la lumière, non pas la clarté franche, lumineuse et célestiale de l'Empyrée mais celle goethéenne dont l'ombre se teinte de nuances bleuâtres et verdâtres, ce n'est pas le combat du bien contre le mal, mais celui du mal contre le pire. Qui l'emporte au final. Chaque accord de Lucas comme flamme vive qui ne détruit pas les ténèbres mais en révèle et en aggrave les profondeurs insondables. Djivan vous étouffe, vous croyez que Lucas vous permet de respirer, erreur fatale, juste une goulée apnéique pour descendre vers le fond sans fond de la noirceur humaine. Et Baptiste plane là-dessus, un Zeus ex-machina tonnant qui ponctue les avancées des destinées, c'est lui qui porte les coups plus cruels, use de ses tambours comme des poinçonnages de poignards portés de face mais qui finissent toujours par se planter dans votre dos.

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    Nos Jaws nous livrent une partition funèbre. Sont trois comme les Parques, ils filent du mauvais coton et le fil est appelé à se casser. Mais voici qu'ils quittent leur espace, ils semblaient des témoins, et les voici acteurs, sont désormais les musiciens chargés mettre de l'ambiance à cette fête de l'inversion des valeurs au cours de laquelle les esclaves font semblant de devenir les maîtres et à la fin de laquelle Egisthe et Clytemnestre seront sacrifiés, sont fascinants dans leurs costumes noirs, Lucas nous la joue à l'espagnole sur sa petite guitare, Baptiste s'est muni d'une acoustique, Djivan parle basse, la scène n'est pas sans évoquer l'ultimité commanditoire de Don Juan, mais nous ne sommes pas dans ce bordel à l'orée d'une orgie de sexe mais de sang. Maintenant tous les fantômes des morts et tous les fantoches vivants sont convoqués pour cette aubade méphistophélesque au désastre annoncé. Et le trio nous a prévenus de ces sarabandes orientalisantes. Seule la non-vie peut donner rendez-vous à la vie.

    Bref des Howlin' Jaws magistraux. Qui ont su s'oublier eux-mêmes pour s'impliquer dans un projet de haute tenue culturelle et démontrer que le rock'n'roll est aussi un chemin d'accès à ce que Rilke nommait l'Ouvert.

    Damie Chad.

    MONTREUIL / 24 - 10 - 2019

    LA COMEDIA

    IDHAÏ ÔM / REDHOT TRIO

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    Faut la jouer fine. Journée du 25 occupée à des tâches peu rock'n'rolliennes, je ne pourrais pas être au 3 B pour le RedHot Trio, un scandale insurmontable, mais dans leur clémence augustéenne les Dieux ne sont pas intraitables, le RedHot Trio passe la veille à La Comedia. J'eusse préféré les regarder dans une ambiance plus spécifiquement rockabilly, mais l'essentiel c'est surtout de ne pas les rater. Un seul bémol, ce soir une assistance trop clairsemée pour une prestation d'une magnifique virulence.

    IDHAÏ ÔM

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    A sa place je m'inquièterais. Pas lui. Prend la chose avec philosophie. Ses deux musiciens absents, retenus par des impondérables, ça ne l'émeut pas plus que cela. L'a ses dreads, ses claquettes aux pieds et sa guitare, que voulez-vous de plus ! S'installe pour faire sa balance tout seul. Gratte un peu, très folk-blues, et puis il commence à chanter et pas de problème, il vous sort une belle voix bluesy du meilleur tonneau de moonshine. L'arrête après quatre ou cinq morceaux et décide d'enchaîner sans plus de façon sur son set. Et le miracle se produit, un copain qui surgit, s'appelle Arthur qui est venu pour l'écouter et qui trimballe un étui, qui ne contient pas une mitraillette mais quel bonheur une guitare ! L'Arthur il est doué, lui faut une seule impro pour se mettre au diapason, et hop c'est parti. Idhaï change de répertoire, bye-bye le blues, voici une espèce de neo-folk très personnel, l'a gardé sa belle voix et durant une demi-heure, il va tenir l'assistance sous son charme, et comme Arthur prend de plus en plus d'assurance, ils vont nous servir de superbes potages, à chaque fois un peu plus épicés. Se complètent à merveille l'électrique d'Arthur qui broute de plus en plus vite, et l'acoustique d'Idhaï qui ne se laisse pas démonter. Z'auraient pu rester davantage, mais non ils laissent la place. Cet Idhaï si cool je me jure qu'à la première occasion j'irai le voir avec son groupe. Trop court. Trop bon.

    REDHOT TRIO

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    Cavalcade de chevaux en furie. Claquements secs et d'une violence inouïe sur le granit des étendues sauvages. Batterie à gauche, batterie au centre, batterie à droite. Non ce n'est pas une expérience à la Slim Jim Phantom et sa série de double-batteurs qui n'a pas vraiment convaincu. Vous avez bien, la formation, minimale et absolue du rockabilly, contrebasse, drums et guitare, mais le RedHot Trio en use avec une véloce férocité. La big mama de Scotty n'a pas un embonpoint excessif, ses épaules ne sont pas des plus larges, l'on pourrait la qualifier de maigrichonne, mais quel son ! Pas une tamponnade qui vous étouffe sur l'heure, un son mat et en même temps vibrant, qui explore toutes les basses harmonies sonores tout en culminant sur une strette, je ne dirais pas aigüe mais claire. Scotty n'a pas la main scotchée sur le cordier, elle frappe et rebondit sans fin, elle impulse une folle énergie qui ne faiblira jamais.

    Vous filez dès le deuxième morceau dans la Cadillac de Vince Taylor. Vous comprenez mieux pourquoi la poupée n'est jamais revenue. Conduisait comme une folle, et le véhicule en accélération constante ne possédait pas de pédale de frein. Pas de regret à la fin du morceau elle doit tourner sur les anneaux de Saturne. De quoi permettre à Ricky de montrer ce qu'il sait faire. Le RedHot Trio possède une feuille de mission ultra simple, tout morceau qui dépasse les trois minutes est interdit. Difficile pour un guitariste de se perdre en de longues et savantes démonstrations d'autant plus qu'il lui faut aussi se tenir au diapason de la rythmique de Scotty. Vous frappe les cordes à un rythme de madurle, prend juste de temps en temps moins de dix secondes pour ce que l'on ne peut pas appeler un solo, plutôt une intervention commando, s'agit d'annihiler l'ennemi en son cœur de vous le cryogéniser en trois coups d'éclairs sonores aussi aveuglant que la lumière condensée dégagée par une frappe atomique. Inventif le jeune gars, ne vous laisse jamais les neurones en repos, vous offre de l'inattendu, des vibrations auditives aussi racées que le fil d'un rasoir, vous enfonce des chevilles dans le cerveau à la manière de ces coins dont on use pour éclater le tronc des chênes séculaires.

    Kane est le mec le plus heureux qui soit sur sa bécane drumique, les autres montent les cols à toute vitesse, lui il se contente de suivre, ne se poste brutalement en avant que pour les changements de direction, les routes goudronnées il n'aime pas trop, préfère les sentiers escarpés qui vous coupent le souffle ou les descentes vertigineuses qui vous enfouissent au fond d'un abîme duquel vous croyez que le groupe ne ressortira jamais, mais Scotty sur son pédalier infatigable vous refile en continu l'énergie nécessaire, et la voix de Ricky vous arracherait de n'importe quelle ornière. Avec sa gretsch cochranique et ses cheveux blonds couleur banane curieusement hérissée, il a une coupe imparable, et son vocal incisif se colle à toutes les bifurcations rythmiques, de haute ascendance ou de chute irrémédiable, un jeu précis et infernal.

    Sont marqués par les Stray Cats certes, et outre leurs propres morceaux ils revisitent tous les vieux classiques indépassables, aucun respect, vous les traitent à la dure, z'ont intérêt à se manier l'arrière-train et à ne pas être mous du genou, le Trio vous fait comprendre que dans la vie rien n'est acquis, et qu'il ne faut pas vivre sur sa réputation, vous époussette le répertoire au bazooka. Vous le ripoline au vitriol. Le rock'n'roll ne se fait pas de cadeau, ou vous êtes vivant, ou vous êtes mort. Lève-toi et cours plus vite, camarade-rocker le vieux monde du rock est derrière toi ! Rouge brûlant, chaud bouillant et la trionité du rock'n'roll sera accomplie.

    Question méthodocité, c'est simple : deux minutes vingt secondes d'enfer sur terre, puis Ricky se tourne vers son ampli, vous dit merci, vous pensez que c'est terminé, vous maintiennent sur le grill depuis deux heures, mais il se retourne et c'est reparti pour la guerre des étoiles et trente-six chandelles. Vers la fin, ils esquisseront quelques slows sixties, en fait des maelströms d'orang-outan en colère ou de gorilles enragés qui vous convainquent définitivement de la haute nocivité rock'n'rolesque de la formation. L'on sent qu'ils ont du mal à arrêter, alors ils vous chaloupent deux Cochran titaniques, un Johnny B. Goode qui ressemble davantage à une invocation au mal absolu qu'au bien relatif, et pour le coup de l'étrier un petit Chat Rayé afin de vous griffer au visage une dernière fois, une cicatrice purulente en formation pour que jamais vous ne puissiez oublier cette soirée démonique. Ce qui tombe bien puisqu'il n'en était pas question.

    Damie Chad.

    MONTREUIL / 26 – 10 - 2019

    L'ARMONY

    THE RED RIDING / TONY MARLOW

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    Attention ce soir une soirée genrée, que des mecs, je ne parle que des musiciens, Alicia F qui a pris l'habitude de s'immiscer pour trois genialissimibus morceaux dans les sets de Tony Marlow est absente. Rien de grave, ou plutôt du très-grave, la demoiselle se prépare pour sa première apparition publique sous son nom, avec son propre band, ce sera au Quartier Général le samedi 2 novembre qu'elle lancera son offensive. Réservez votre soirée. Vous vous en voudriez tout le reste de votre existence – désormais déplorable – si vous ratiez l'évènement.

    THE RED RIDING

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    Accoudé au comptoir ne leur ai pas porté une attention manifeste pendant qu'ils s'installaient. Cinq sur scène, un véritable big band pour la petite surface sur laquelle ils s'activaient ferme. Pantalon noir, chemise extra-blanche rehaussée par la présence d'une fine cravate noire, peut-être pour cela en ai-je déduit avec un certain dédain qu'ils étaient un groupe de jazz, j'en ai même conclu que puisqu'ils étaient deux chanteurs nous allions avoir droit à d'interminables roucoulades onomatopico-scatiques.

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    Si un seul rayon de soleil éclaircit les nuages, les deux premiers coups de batterie m'ont fait me retourner dare-dare, jamais au grand jamais un combo-jazz ne débuterait par une entrée en matière si rock'n'roll. Il est des chemins sur lesquels reculer équivaudrait à se fourvoyer. Au premier fuzz de guitare il faut s'amender, nom de Zeus, The Red Riding nous a transportés dans le son typique des garage-bands américains des années soixante. Et sur ce, nos deux chanteurs se mettent à corner tels Sam and Dave. Et encore sur les deux premiers morceaux, ils se sont bien tenus, se sont contentés de se hurler dessus chacun leur tour, à croire qu'ils se disputaient pour savoir à qui reviendrait la dernière chips écrasée au fond du paquet égaré dans la poubelle publique, juste à côté du plastique entrouvert qui laisse entrevoir la crotte d'un chien galeux nourri aux croquettes anti-urinaires. A ce niveau-là, l'assistance a compris que l'on n'était pas en présence de ceux qui avaient inventé l'eau tiède, que le Seigneur recrache en signe de dégoût nous a enseigné la Bible.

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    L'affaire s'est totalement éclaircie lorsqu'ils ont changé de continent. Se sont parachutés dans les heures glorieuses de la perfide Albion, ont carrément sauté dans la gueule du volcan. My Generation des Who, rien de mieux pour marquer son identité, certes ils n'étaient pas nés en ces temps heureux, mais ils s'inscrivent dans cette mouvance inter-générationnelle qui a trouvé son graal dans cette renaissance historialo-européenne du rock. Question vocal, c'est le gueuloir flaubertien, quel plaisir, quelle faconde de bredouiller le ge-ge-ge initial, de le redoubler, de le quadrupler, de le quintupler, de le proliférer et de le disséminer, et de le déchiqueter afin d'en répandre les morceaux sur le public comme une ondée d'arsenic mortelle.

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    C'est le morceau idéal pour s'intéresser au bassiste, un vicieux notoire, non il ne regarde pas sous les jupes des filles, il fait pire. Pendant que Seb vous engraisse le riff, Yoann – si je ne me trompe point – fait son boulot de bassiste, rajoute du gras au gras double, il ne mérite aucun reproche, mais là où il faut lui voter une couronne de laurier, c'est à l'instant exact où Seb a terminé de vous écorcher avec son riff et qu'il se prépare à envoyer le suivant, Yoann lui rattache une suite, une espèce de grincement de poulie rouillée oubliée au haut d'un palan un soir brumeux sur le quai des bateaux fantômes dans un port perdu. Une horreur dantesque qui vous fait froid dans le dos et vous brûle les génitoires. Quant au batteur doit se prendre pour le tambour d'Arcole, vous bat le rappel des troupes sous la mitraille sans faillir.

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    N'est pas encore minuit mais le divine Gloria s'en vient rouler des ses hanches dévastatrices ce qui plonge nos deux cantaors en une fureur terrifique, le plus jeune en pique une crise d'épilepsie sur le devant de la scène, l'a les muscles tétanisés agités d'étranges soubresauts sans doute vaudrait-il mieux l'achever tout de suite surtout que son compagnon pousse des rugissements de triomphe comme le lion du cirque Pinder qui au sortir d'une longue crise psychanalytique a enfin surmonté son complexe de castrateur et a tranché net d'un seul coup de mâchoire le tête que le dompteur avait imprudemment aventuré dans sa gueule. Du coup notre auto-chamanisé empli d'une bestiale fureur incompressible s'en va hurler dans l'assistance, vraisemblablement à la recherche d'une autre victime propitiatoire.

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    Un tintouin de tous les diables. A leurs actes ils joignent la parole. Font des reprises mais ont aussi leurs propres morceaux. En français. Ne donnent pas dans le consensuel médiatique. Pas possible de les confondre avec les commentateurs patentés de la télé ou de la radio. Annoncent clairement la couleur, au rouge critique et au noir de rage, ils rajoutent le gilet jaune. Vif, genre soleil resplendissant. Des gars généreux qui n'hésitent pas adresser des mercis compassionnels aux bienfaiteurs de l'humanité que sont les banquiers et saint Medef Gattaz.

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    Dans la salle c'est le délirium pas très mince du tout. Ça jerke dur, une espèce de marée humaine montante et mouvante qui n'arrête pas de crier de plaisir. On les aurait bien cocoonner encore un peu nos bébés braillards, vagissants et vindicatifs, mais il se fait tard. Hélas, pourquoi les instants de bonheur ont-ils tous toujours une fin. Tout compte-fait je me demande si ce n'est pas la faute du Medef.

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    TONY MARLOW

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    L'on ne change pas une ambiance qui gagne. Vous avez eu le rock, et voici le rock'n'roll. The Red Riding ont allumé le feu, Tony Marlow et ses deux acolytes vont vous rajouter quelques bidons d'essence. Triche un peu le Marlou, l'a trois briquets magiques, Amine Leroy à la contrebasse, Fred Kolinski à la batterie, et sa guitare. Une duo Gretsch. Avec celle-ci vous iriez au bout du monde. Utile précision, il faut savoir s'en servir. Pas donné à tout le monde, mais à Marlow. Si. Sur le morceau d'introduction, RDV à l'Ace Café l'on a noté une migration de masse vers la scène, mais dès Around and Around, l'on a senti que l'on changeait de dimension. Plus un centimètre carré de libre, Thierry Lerendu à qui vous devez les photos qui accompagnent cette chronique a été obligé d'élire pratiquement domicile fixe sur l'estrade pour avoir la possibilité de prendre ses clichés, ailleurs la houle des corps l'empêchaient d'officier.

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    Amine est Leroy de la Big mama. Vous lui file de ces gifles pour qu'elle marche droit que seriez prêt à porter plainte. Mais vous réfrénez votre indignation car vous retirez un tel plaisir de cette redondance sonore que vous ne voudriez pas vous en priver. Par contre lui, Amine il est incapable de rester droit, l'est emporté par des rages subites de remuements frénétiques, un peu comme si la grande horloge du salon devenait folle et que vous voyiez son pendule osciller à tout rompre dans le seul but de presser le temps et de hâter votre mort. Vivre vite et mourir jeune a dit James Dean, l'on n'est pas obligé de suivre ce prétexte, il y a encore tant de merveilles à admirer dans le monde maudit du rock.

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    Les doigts de Tony. De véritables accapareurs, de regards, il y a du sadisme chez Marlow, cette façon de vous poser son instrument sous les yeux et de vous prouver qu'il joue cartes sur table, sans filet, tout à portée de la main, et ce léger recul du corps, ou cette légère voussure de sa haute stature aussitôt rehaussée tandis qu'une luisance de contentement traverse fugitivement son regard d'aigle. Et le public exulte de cette moirée de notes qui vous assaillent et vous cisaillent l'âme. Ce soir c'est la fête du rock'n'roll, le bal des ardents pionniers, les débridées si adroitement chaloupées du grand Chuck, et deux magnifique hommages à Gene Vincent qui poussent l'extase de la foule à son comble, un fabuleux Going home recouvert de clameurs et le Quand Cliff Galoppe dans lequel Tony nous donne une démonstration de la naissance de la guitare rock'n'roll, cette façon sans pareille que Cliff a eu de marier la rythmique country aux dégradés éblouissants de Django Reinhart, le marlou vous explique l'inexprimable, vous conte la magie de cette fusion originaire d'une manière si exemplaire qu'il vous semble être présent aux côtés de Cliff chez Capitol en 1956.

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    Une troisième maître, je ne parle pas de Buddy Holly représenté par son Blue day, black night aux contours trop doucereux à mon avis, mais à l'autre pionnier, bien de chez nous, Tony le Marlou qui depuis quarante ans s'est attaqué à une relecture transcriptive de l'earlier rock'n'roll, mid fifties, mid sixties, et à son oeuvre originale, ces nouveaux classiques que sont R'n'R Princess, Miss Brighton, Le garage, et quelques autres qu'il n'aura pas le temps d présenter ce soir, et que là il a interprétés avec une munificence orchestrale – je précise qu'ils ne sont que trois instrumentistes – sans précédent. Fred Kolinski impérial dans sa façon de distribuer le passage entre guitare et contrebasse, s'est carrément placé à la croisée du chemin, dans la cabine d'aiguillage, et l'on a entendu le moutonnement de la guitare, comme lorsque le troupeau se trouve subitement arrêté et que les brebis se tassent, s'entassent, se pressent, montent et culminent les unes sur les autres et que la contrebasse pousse les jappements des chiens qui remettent de l'ordre dans ce basculement effarant. Fred a cette frappe qui se retranche d'elle-même pour mettre en avant le travail de ses acolytes, sans lui il n'y aurait ni harmonisation synthétisante, ni ces brusques coulées de lave dévastatrice selon qu'il ferme ou ouvre le passage, qu'il marie les deux courants ou les sépare par la cadence sourcilleuse de sa pulsation, il voit le problème et il le résout. Vigilance, esprit de décision et vitesse de réaction sont les trois mamelles de l'induction kolinskienne.

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    Tony invite Pascal à monter sur scène pour présenter sa cigar box et donner une petite démonstration en duo, un son un peu plus grêle que la Jet de Tony mais idéale pour les parties de slide, z'avez l'impression qu'il agite de fines feuilles flexibles de métal. S'adonnent tout deux à un blues balancé de Jimmy Reed et Pascal outre sa virtuosité démontre qu'il possède une belle voix rauque qui convient parfaitement à ce genre de morceau.

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    La lumière clignote, personne ne tente de comprendre la clarté pas du tout intermittente du message. Il est près de minuit et l'extinction des feux était prévue pour vingt-trois heures. Rachid vient rappeler la rude loi municipale, mais tout le monde implore un dernier morceau. Ce sera Get Crazy, un pousse-au-crime, que Tony fera durer un bon quart d'heure, avec des hauts et des bas, des houles et des contre-houles, l'assistance frise la folie collective, et il faut reconnaître que c'est une chance de n'avoir pas été tous en groupe embarqués pour Sainte Anne.

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    Damie Chad.

    ( Rendons à Thierry Lerendu le crédit de ses superbes clichés,

    plein d'autres sur son FB )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 429 : KR'TNT ! 429 : DAVE BARTHOLEMEW / JAKE CALYPSO / ROCKABILLY GENERATION / JUKE JOINTS BAND / BARON CRÂNE / ZARBOTH / LE CORE ET L'ESPRIT / D. J. FONTANA + TONY MARLOW

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 429

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    12 / 09 / 2019

     

    DAVE BARTHOLEMEW / JAKE CALYPSO

    ROCKABILLY GENERATION / JUKE JOINTS BAND

    BARON CRÂNE / ZARBOTH / LE CORE ET L'ESPRIT

    D.J. FONTANA + TONY MARLOW

     

    Un Bartho en cale sèche

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    Le vieux Bartho vient de casser sa pipe en bois alors qu’il devenait centenaire. De la même façon qu’on qualifie Iggy de Godfather of punk, Dave Batholomew se voit affublé du grade de Grandfather of rock’n’roll songwriting. Il rendit populaire le fameux up-tempo R&B qu’on appelle aussi le Big Beat, via des pointures célestes comme Fats Domino, Shirley & Lee et Smiley Lewis. Dans le remarquable Blue Monday - Fats Domino And The Lost Dawn Of Rock ’n’ Roll, Rick Coleman rappelle que le big beat de la Nouvelle Orleans a précédé l’émergence du rock’n’roll. Durant cette fameuse aube du rock’n’roll, Dave Bartholomew n’en finissait plus de composer et de produire des hits tous plus somptueux les uns que les autres.

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    Au commencement, Bartho joue de la trompette, chaperonné par Peter Davis, l’homme qui a formé Louis Armstrong. À l’âge de vingt ans, Bartho se retrouve avec sa trompette dans des big bands. En 1947, il enregistre son premier single sur DeLuxe, un label new-yorkais qui fouine à la Nouvelle Orleans à la recherche de nouveaux talents, comme le feront un peu plus tard les gens d’Atlantic, d’Imperial et de Specialty.

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    Justement, c’est en jouant un soir à Houston que Bartho rencontre Lew Chudd, le boss d’Imperial, un gros label indépendant basé à Los Angeles. Chudd qui s’intéresse aussi bien à la musique mexicaine qu’au hillbilly commence à prospecter dans le R&B. Il est frappé par les qualités des Bartho, pas seulement celles du trompettiste, mais aussi celles du chanteur et du band leader. Bartho chante du Louis Jordan, qui est alors très populaire. Comme Chudd cherche à s’implanter dans le marché naissant du R&B et que Bartho est encore sous contrat avec DeLuxe, il lui demande de prospecter pour Imperial à la Nouvelle Orleans. Bartho lui ramène Mary Jewel King qui rocke the joint at the Hideaway, puis Fats Domino qui rocke aussi le joint, au même endroit.

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    C’est là qu’on entre dans la légende. Chudd signe Fatsy. Vite un disque ! Bartho monte l’orchestre qui accompagne Fatsy : Earl Palmer (drums), Frank Fields (bass), Ernest McLaren (guitar), et une horn section composée d’Alvin Red Taylor, Herb Hardesty, Joe Harris et Bartho himself. Tout le mode s’entasse dans le petit studio de Cosimo Matassa, sur Rampart. Ils démarrent avec une reprise du «Junker’s Blues» de Champion Jack Dupree, en virent toutes les connotations liées à la dope et en font le fameux «The Fat Man» - They call me the fat man/ Cause I weight two hundred pounds - En 1950, Bartho et Fats entament avec ce hit leur carrière de duo infernal. Chudd donne carte blanche à Bartho qui ramène chez Imperial des tas de nouvelles poules aux œufs d’or, du genre Smiley Lewis. Jusqu’au moment où Bartho et Chudd se brouillent. Bartho signe avec un autre blanc entreprenant, Syd Nathan, boss de King Records. Puis en 1952, il bosse pour Art Rupe, boss de Specialty, un autre gros label indépendant de Los Angeles. Lloyd Price enrengistre «Lawdy Miss Clawdy» avec le Batholomew Band. Fats est au piano. C’est un hit. En 1953, Bartho produit l’irrésistible «I’m Gone» de Shirley & Lee. Voyant ces succès, Chudd propose une belle augmentation à Bartho qui revient bosser pour lui. Entre 1953 et 1962, Bartho bosse d’arrache-pied pour Imperial. «Any talent I saw I could record.» Aucune restriction de budget. Bartho ramène Roy Brown, Earl King, Bobby Mitchell, Chris Kenner, Ford Snooks Eaglin et des tas d’autres. Mais son poulain favori reste bien sûr Fatsy qu’il produit avec un zèle religieux. Les hits de Fatsy sont des million-sellers. Le duo de compères fonctionne comme une horloge - Fats and I just played - Bartho enregistre aussi ses trucs et le seul hit qu’il décroche, c’est le fameux «The Monkey» qui devient un classique du New Orleans Sound des années 50. Et puis en 1962, Chudd revend son label à Liberty Records.

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    Dès le début des années 60, le nouveau Bartho s’appelle Allen Toussaint. Il joue d’ailleurs du piano pour Fatsy qui a trop de boulot. Pas le temps de jouer en session. Allen Toussaint va faire le même travail de découvreur de talents que Bartho : il ramène chez Minit Aaron Neville, Irma Thomas, Ernie K-Doe et Benny Spellman. Quand Chudd revend Imperial, Fatsy est en fin de contrat. Il signe avec ABC et va enregistrer à Nashville. Bartho se retrouve donc seul à la Nouvelle Orleans et monte son label, Trumpet. Les deux compères finissent quand même par se retrouver en 1967 et Bartho devient le maître de cérémonie et le band leader de Fatsy sur scène. Lorsque Fatsy décide d’arrêter la scène, Bartho prend sa retraite. Il a quand même 70 balais !

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    Encore une fois, Ace fait bien les choses : The Big Beat - The Dave Bartholomew Songbook vaut tout l’or du monde. C’est une nouvelle compile de rêve, du genre de celles dont Ace nous gave depuis des années. En choisissant les meilleurs interprètes du Bartho Songbook, Ace l’élève au rang de compositeur modèle. Si on est pressé, on peut commencer par la fin, avec le vieux hit de Smiley Lewis, «I Hear You Knocking», repris en 1970 par Dave Edmunds. On s’en souvient, ce fut un hit surnaturel, à l’époque où la radio le diffusait. Il relevait tout simplement de l’imparabilité des choses. Autre coup de Trafalgar : Jerry Lee qui nous glousse un petit coup d’«Hello Josephine». Pur génie vocal, avec tout le fruité de timbre et tout le shaking qu’on puisse espérer, Jerry Lee nails it down, il interprète le vieux hit de Fatsy au maximum des possibilités, oh-oh yeah ! Tiens puisqu’on parle de Fatsy, c’est lui qui ouvre le bal de cette compile avec l’effarant «The Fat Man» et toutes les pétoires de la préhistoire. Fats chante ça à l’immaculée conception. C’est le barrelhouse des origines, le lit du fleuve qu’on appelle le boogie woogie. Si on est friand de coups de génie, alors on est copieusement servi car voilà Shirley & Lee avec «I’m Gone», un hit enregistré en 1952. Lee est un cadeau des dieux, mais Shirley, c’est la crème de la crème, elle chante au perçant définitif. Tu ne trouveras jamais rien de plus exotique que Shirley & Lee, ce fabuleux duo de shouters délicieusement juvéniles. Rien ne vaut leur plainte combinée. On trouve plus loin une effarante version de «Let The Four Winds Blow» par Roy Brown, qui est lui aussi à la racine de tout. Roy n’y va pas par quatre chemins. Il shoute direct. C’est un vrai shouter, un boxeur. Roy is the king of blows. Version superbe aussi d’«Every Night About This Time» par The World Famous Upsetters. Tout le monde sait qui sont les Upsetters : le backing band de Little Richard. Il n’est donc pas surprenant de l’entendre chanter cette pure merveille de heavy groove. L’autre grosse poissecaille de cette compile, c’est Tami Lynn, qui n’est hélas pas très connue. Elle nous tape le très hot «A Night Of Sin» avec une extraordinaire sensibilité jazzy. Elle swingue ça à l’ancienne, un peu à la manière de LaVern Baker ou de Billie Holiday. C’est imbattable. Il faut bien garder présent à l’esprit que Bartho signe tous ces hits. Et ce n’est pas fini. Annie Laurie shake le vieux shook de «3x7=21» au gospel swing de la Nouvelle Orleans. Elle chante dans des harmonies de trompettes de jazz. Bartho souffle comme un dieu. On parlait de Smiley Lewis tout à l’heure : le voici la gueule enfarinée avec «Down The Road» - I’m done no more - Il faut l’entendre embarquer le groove dans le moove. C’est vraiment l’apanage du barrelhouse, avec un solo de Bartho dans la carcasse de la rascasse. Contrairement à ce qu’on croit, «My Ding-A-Ling» n’est pas un hit de Chickah Chuck. Pas du tout. Bartho le signe et l’enregistre en 1952 sur King Records. Sur cette compile on entend aussi pas mal de pionniers qui ont tous tapé dans le stock de Bartho, à commencer par le Johnny Burnette Trio avec «All By Myself», pur jus de Memphis Beat enregistré à Nashville. En arrivant en ville pour enregistrer leur album, Johnny, Dorsey et Paul n’avaient pas assez de morceaux. Alors, ils sont allés chez un disquaire local et on acheté deux singles de Fatsy, dont «All By Myself». Ils en ont fait l’un des cuts les plus excitants de l’histoire du rockab. On croise aussi l’ami Buddy avec «Valley Of Tears» et Elvis avec une admirable cover de «Witchcraft». C’est même à se damner tellement c’est bien chanté. La petite Brenda Lee se charge de «Walking To New Orleans», avec sa voix sucrée et puissante, idéale pour maintenir en vie la magie des sixties. Un géant nommé Georgie Fame se charge de «Blue Monday» et le bouffe tout cru. Ne prends pas Georgie à la légère. Ce serait une grave erreur. Et l’injustement méconnu Bobby Charles nous éclaire de sa présence avec «Grow Too Old», accompagné par The Band. Il faut savoir que le petit blanc Bobby Charles composait avec Bartho et Fatsy («Walking To New Orleans») et qu’il est l’auteur de «See You Later Alligator», une formule que tout le monde emploie pour dire au revoir à une copine. Ce n’est pas Ricky Nelson, mais Larry Storch qui se charge d’«I’m Walking». Le hit de rêve, comme chacun sait et que Ricky joua devant son père Ozzy au bord de la piscine pour le convaincre de le laisser démarrer une carrière de rocker.

    Signé : Cazengler, complètement Bateau

    Dave Bartholomew. Disparu le 23 juin 2019

    The Big Beat. The Dave Bartholomew Songbook. Ace Records 2011

    Hit the road Jake - Part One

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    Pour chauffer un beffroi et les milliers gens qui y battent le pavé, rien de mieux que les Hot Chickens. S’il existe sur cette terre un allumeur de Sainte-Barbe, c’est bien Jake Calypso. Ah t’as voulu voir Vesoul ? Et t’as vu Béthune !

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    Ce démon de Jake Calpypso met le feu aux poudres aussi bien que Blackbeard le pirate qui montait à l’abordage en allumant des mèches sous son chapeau. Jake prend la ville en quelques minutes, épaulé par ses deux fidèles Hot Chickens.

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    C’est un pulsif, une bête de slap, il fait corps avec la matière du roll over, jette sa stand-up en l’air plusieurs fois de suite, se roule par terre avec elle et n’arrête pas de haranguer le public, alors est-ce que ça va Bethune ?

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    Jake Calypso est le roi des entertainers, le pusher boy du Honey Hush. Il est là pour célébrer les dieux du rock’n’roll, alors uh-uh honey ! Il envoie le souffle du bop et la foule ondule comme l’herbe des hautes plaines sous le vent, on voit rarement des phénomènes aussi spectaculaires dans les concerts. Ce mec est là pour électriser un public et il en a largement les moyens. On en est d’autant plus convaincu lorsqu’on connaît ses disques. Comme Don Cavalli, il dispose de la meilleure des crédibilités, celle des intouchables. Le samedi soir, la grande scène du Rétro est traditionnellement réservée aux stars, cette année Jake nous donne en plus du spectacle. Oui, il dispose de cette envergure, comme Jerry Lee, c’est le même genre de hell raiser, même besoin d’envoyer son rock’n’roll percuter la postérité. Il célèbre les vingt ans des Hot Chickens et après avoir commencé à chauffer la foule, avec notamment une version incendiaire de «Keep A Knocking» en hommage à Little Richard, il se met à saluer tous ses compagnons de route et fait monter des invités sur scène.

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    Pour célébrer le temps des Mystery Train, deux bikeuses arrivent sur scène au guidon d’une Harley pétaradante, le temps d’un «Motorcycle Girl» hot on heels, puis c’est Tony Marlow qui vient rendre hommage à Johnny Kidd avec une version bien sentie de «Please Don’t Touch».

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    Ils tapent ensuite dans les Cramps avec «Goo Goo Muck» et portent des masques de carnaval, pour faire bonne mesure. On profite de cette concession au clownage pour décrocher, car l’heure du set de Don Cavalli arrive et il faut cavaler jusqu’à la place du 73e. Cette année, la programmation fait très fort en mettant les deux têtes d’affiche dans un mouchoir de poche : Hot Chickens 22 h, Don Cavalli 23 h. Ça oblige à faire des choix cornéliens. On ne souhaite à personne d’avoir à faire des choix pareils.

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    Revenons à Little Richard. Jake et ses Hot Chickens lui rendaient hommage en 2007 avec Speed King. Il faut être gonflé pour taper dans Little Richard. Pas de problème pour Jake. Question gonflage, Jake a tout ce qu’il faut. Il attaque avec un «Keep A Knocking» hurlé au guttural de bonne guerre et ça passe, car au fond on sent bien le fan instinctif. Les deux coups les plus intéressants sont «Reddy Teddy» et «The Girl Can’t Help It», car Jake et ses amis les tapent au wild rockab, ils sifflent et déversent dans le ramdam transitoire des tombereaux de hot slap. Quelle violence ! Il savent pulser un vieux hit.

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    Jake mord dans le lard des cuts. Oui, il y plante ses crocs. Il ramène tout ce qui fait la démesure du rockab, cette sourde pulsion déterminante. Il continue de voler dans les plumes du mythe avec «Jenny Jenny», même folie cavalée. Les Hot Chickens ont tout compris, ils font une sacrée OPA sur Little Richard ! Ils tapent un «Rip It Up» aux clap-hands et dans la transition, les démons du rockab reprennent la main. Admirable ! Jake chante les vieux hits de Little Richard comme un dieu, chaque départ en solo occasionne une poussée de fièvre rockab, du type de celles qu’on entend chez Johnny Burnette. Jake ramène toute sa folie dans «Long Tall Sally». C’est tellement wild que c’en est inespéré. Ils bouffent tout cru «Tutti Frutti» avec tout le push du monde, Jake ne lâche rien et à la première occasion, il part en vrille de slap. Et voilà qu’il se met à sonner comme Elvis pour entonner «Send Me Some Lovin’». Stunning ! Il profile son chant sous le boisseau du meilleur accent local de downhome cat. Il termine en touillant la fournaise suprême, «Ooh My Soul». Même si on sait que la version de Little Richard est intouchable, force est d’admettre que Jake s’en sort avec les honneurs.

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    Après Little Richard, Jake va aussi rendre hommage à Gene Vincent, Elvis et Buddy Holly, et chaque fois, il va taper en plein de mille. Tiens on commence par l’excellent Hot Chickens Plays Gene réédité en 2017 (et on va voir pourquoi cette réédition est capitale). Disons-le tout net : c’est certainement le meilleur hommage jamais rendu à ce crack entre les cracks que fut Gene Vincent. Jake procède de la même façon qu’avec Little Richard : il shoote la meilleure pulsion rockab dans la ferveur du rock’n’roll. Sa version de «Race With The Devil» devient vite puissante, pulsive et donc knock-outante. Il chante «Say Mama» à la narine palpitante, il rentre dans le lard du mythe comme dans du beurre et soudain, il nous emmène au paradis gégénique avec «I Flipped», groove de jazz affolé et accroché à la crinière d’un drive de basse. Ce diable de Jake se prend tellement au jeu qu’il sort une version bien meilleure que la version originale. Eh oui, ce sont des choses qui arrivent. Mais il ne faut pas s’en formaliser. Et ce n’est pas fini ! Voilà que la fièvre l’emporte et il dépote une version encore plus spectaculaire d’«Hold Me Hug Me Rock Me», et là, ça va très loin car figurez-vous que ça dégénère. Jamais Gene n’aurait osé aller jusque là. Jake explose Gene ! C’est slappé jusqu’à l’os du son et chanté au gant de cuir noir. Effarant phénomène d’osmose dévastatrice ! Jake fait partie de ceux qui ont tout pigé en matière de Gégénétique. Avec ce genre de mec, il faut rester sur ses gardes, il est capable de coups de folie, cet album en est la preuve. Il tape à la suite le «Teenage Partner» au slap de rockab, au gone gone gone d’only seventeen. Les départs en vrille sont de véritables modèles du genre. Il récidive avec «Blue Jean Bop», balayant d’un coup de folie la version originale. Il boppe ça si sec. Quelle classe ! Jake outrepasse la permissivité des choses haut la main, il ramène encore une fois le wild beat du rockab dans le rock de Gene. Avec «Crazy Legs», il ravive le bop des fifties d’Amérique, il secoue les colonnes du temple Capitol. Gene serait vraiment content d’entendre tout ce bordel, c’est pulsé au meilleur beat de l’univers, n’ayons pas peur des mots. Le bassmatic prédomine dans l’action et traverse le cut comme un puissant courant sous-marin. Fin de l’album ? Pas du tout. Voilà pourquoi la réédition de 2017 est primordiale : elle met à jour les des morceaux cachés du premier tir et propose des bonus explosifs. On prend en pleine poire l’«Ain’t That Too Much», véritable horreur pulmonaire, ça bat comme un poumon d’acier, ou pire encore, comme un emboutisseur, avec en prime des coups d’harmo et un chant de tous les diables. Et puis on arrive au cœur du mythe de Gene Vincent : «Bird Doggin’». The real deal. Certainement le plus bel EP de l’histoire du rock, le London EP où Gene fume sa clope devant un mur de briques. Intouchable. Mais Jake a décidé de le toucher et il est dessus, il rampe dans le génie de Gene comme un énorme serpent - All these sleepless nights I’m so tired/ Of - Il a tout compris, il retrouve l’éclat fondamental - Bird doggin’/ Yeahhhh/ Bird doggin’ - Les coups d’harmo sont en plein dans le mille, par contre le solo est moins teigneux que celui de Dave Burgess, le guitar hero des Champs qui tenta d’aider Gene à redémarrer sa carrière. Non, la virulence exacerbée qui fait la grandeur du solo de Burgess n’y est pas. Mais ce n’est grave. Jake does it right. Il descend ensuite le rocky road de «Rocky Road Blues» à toute blinde. Que de génie dans son fanatisme ! Il ne laisse rien en reste. Tout le power de Gene est rallumé. Les Hot Chickens jouent à l’énergie pure. Même avec «I’ve Got My Eyes On You», Jake fait illusion. Il sait rester merveilleusement juste dans l’excellence.

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    Après Little Richard et Gene Vincent, voici Elvis. Jake lui rend hommage avec 100 Miles. C’est d’autant plus gonflé qu’il n’a pas la voix pour ça. Il tape en plus dans les balladifs, le côté sentimental d’Elvis, le moins évident. Il raconte dans les notes de pochette qu’il s’est mis à chialer sur la tombe d’Elvis, à Graceland. Il chante tous ses cuts à la mélancolie instinctive. On sent une fantastique investiture dans «Tomorrow & Forever». Il finit par nous entraîner dans son rêve, c’est dire s’il est fort. Ça devient très poignant, une sorte de beauté s’élève du cut. Il chante à la perfection. Jake est un grand sentimental. Il sait dire son attachement à Elvis. Avec «Milky White Way», il va droit sur le gospel. Il devient une sorte d’Elvis français, sans même s’en douter. Son gospel redonne vie au mythe d’Elvis. Il faut écouter cet album car c’est celui d’un fan réellement dedicated. Il y croit si fort que les chœurs sonnent comme la voix de la révélation.

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    Avec Fool’s Paradise, le dernier album en date des Hot Chickens, Jake rend un hommage pour le moins stupéfiant à Buddy Holly. Ne vous attendez pas à de la pop un peu sucrée, non Jake a décidé de rentrer dans le chou du Buddy, comme il a su le faire avec Gene Vincent et Little Richard. On l’attendait au virage avec «Reminiscing» qui fait aussi partie des disques auxquels on s’attache pour la vie, surtout le EP français paru en 66 avec la belle veste bleue et «Rock A Bye Rock» de l’autre côté. Diable comme on a pu vénérer ce son, alors on imagine ce qui a dû se passer dans la tête de Jake quand il a croisé «Reminiscing» au coin du bois ! Il le tape à sa manière, dans l’excellence, mais sans le sax. Sa tournure d’I’m lonely au retour de l’accord est pure, et son thinking of sonne incroyablement juste. Et dès l’attaque avec «Tell Me How», il est dessus. Tapé direct. Il ne rigole pas. On ne trouve pas moins de trois coups de génie sur ce tribute au binoclard, à commencer par «Whishing». Il va chercher son Buddy dans les fondements du mythe. Terrific ! Il chante sa pop de rock à la déchirade, il fouille vraiment les tréfonds du mythe, il faut vraiment adorer Buddy Holly pour arriver à chanter comme ça. C’est là où on comprend ce que veut vraiment dire le mot fan. Jake ne fait pas semblant. Plus loin, il explose littéralement «It’s So Easy». Il le bouffe tout cru ! C’est pas beau à voir. Crouch crouch ! Quel carnage ! Et un tourbillon de guitare vient couronner la scène. Les Hot Chickens donnent le tournis. Troisième coup de génie avec «Maybe Baby». Jake l’allume au chant, bien soutenu par le riffing de Christophe Gillet. Que de son ! C’est inespéré. Du son à gogo qui rend gaga. Avec «Lonely Tears», il boit à la source des larmes d’Holly. Nouvel hommage stupéfiant au génie du binoclard. Il lui shake bien le shook. Jake fout la gomme en permanence. Encore du pur jus de Buddy craze avec «Love’s Made A Fool Of You». En plein dans le mille une fois de plus, avec un son destroy, oh boy ! Il cherche à rallumer la gueule du cut en permanence. L’une des covers les plus fines est certainement «What To Do» et puis ça rebascule dans la folie douce avec «Rave On». Il tape en plein dans l’envergure astronomique de Buddy Holly. Il le chante comme s’il avait été son pote pendant vingt ans. Encore une fois, Jake joue avec le feu, car sa version challenge assez violemment la version originale. Cet album effare par sa justesse de ton.

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    Pour terminer (provisoirement) le panorama des hommages, voici celui que Jake et Michel Brasseur (qu’on voit sur la pochette à côté Jake) rendent hommage à Hank Williams avec les Rambling Men. L’album s’appelle Move It On Over et le petit conseil qu’on peut donner aux fans d’Hank Williams, c’est de se jeter dessus vite fait. Pour au moins une raison, et quelle raison ! Elle s’appelle «Rockin’ Chair Money». Attention, Michel Brasseur s’entoure de deux fous : Jam Jam on drums et Gus au slap. Duo de choc. Il faut les voir tailler la route ! Ils sonnent comme une révélation, comme la section rythmique de rêve. Oui il faut entendre Jam Jam et Gus rouler le bop dans leur farine ! Ils ont une façon très particulière de faire monter la sauce. C’est aussi Michel Brasseur qui chante l’excellente version de «Hey Good Lookin’». Il est écœurant d’assurance, il ramène une sorte de grandeur interprétative dans l’essence d’Hank, avec une niaque magistrale. Du coup, ça devient hot. Avec «Love Sick Blues», Jake fait la pluie et le beau temps. On y entend les guitares de Tahiti. Ils dégomment plus loin «When The Book Of Life Is Read» au boost de bluegrass de bastringue, avec un vrai gutso de gugusse. C’est Christophe Gillet qui signe le numéro de virtuose. S’ensuivent des versions assez affolantes de «My Sweet Love Ain’t Around» et de «Kaw-Liga». Jake fournit les effets dévastateurs et il en a largement les moyens, puisqu’il est une sorte de Rothschild du bluegrass. Que de bop dans le beat, Bob ! Michel Brasseur revient casser la baraque avec «Ramblin’ Man», et comme Jam Jam et Gus l’accompagnent, alors la baraque s’écroule vite fait. Jam Jam tape sec et le cut saute en l’air. C’est Jake qui se dévoue pour se jeter dans l’océan de yodell d’«I’m So Lonesome I Could Cry». Il tape à la suite «Your Cheatin’ Heart» au heavy rumble, comme Jerry Lee, avec une sorte de grâce sous-cutanée. Jake bouffe le Heart tout cru, il n’en fait qu’une bouchée. Ils terminent cet album faramineux avec un «Move It On Over» qui sonne comme un hit de Bill Haley, boppé au big beat !

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    Après Little Richard, Elvis, Gene Vincent et Hank Williams, voici sans doute le meilleur, Jake Calypso. Commencez par Grandaddy’s Grease paru en 2010. Sur la pochette, Jake a déjà un faux air de Sam Phillips, mais il faut l’entendre chanter «My Baby Rocks». Jake est le plus américain des kids d’ici. Let’s bop ! Il est effarant de véracité congénitale, il fait son Charlie avec le meilleur drive de deep des temps modernes. Il enchaîne avec un «Rock’n’Roll Girl» parfait, doté d’un pacing de bop supérieur. Jake est le Robin des Bois du monde moderne, il redistribue les richesses des rois du bop. Et puis voilà qu’il cite les noms des gares dans «Rock’n’Roll Train» - Memphis, Nashville, Knoxville, Kentucky - Il connaît les secrets du choo-choo, bien épaulé par ses potes de bop. Quelle élégance ! Il chante le nez dans le menton et accentue ses effets à coups de yeah-eh-eh. Il passe sans transition au Cajun stomp avec un «C’est Ça Qu’est Bon» drivé au beau beat de bop. Tout l’apanage est là, il tape en plein dans le mille du mill. Il hiccuppe son «Boppin’ Day» à gogo et sort le meilleur bop-ah-bop du coin. Il nous calypsotte ensuite un «Cinderella» plus rock’n’roll et réussit l’exploit de groover son bop avec une grâce infinie. Christian Gillet passe un solo d’une élégance qui laisse baba et derrière rôde la fabuleuse pulsion sourde du rockab. Ils boppent comme des bêtes. On les voit aussi tailler leur route en père peinard sur la grand-mare des canards avec «Black Moon». Il faut les voir lancer le cut au slap ! C’est assez stupéfiant. Jake gagne de la crédibilité à chaque instant. C’est à ça qu’on reconnaît les très grands artistes. Il monte son «Tell Me Lou» sur une carcasse à la Long Tall Sally, mais avec la pulsion rockab en sous-main et des éclats de solo étincelants. Ce mec sait rester passionnant jusqu’au bout des ongles. Jake s’amuse comme un gosse avec ses vieux démons.

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    Il excelle aussi au petit jeu des side-projects, histoire d’aller aller taper dans le blues. Il monte le Wild Boogie Combo en 2012 avec Terry Reilles et enregistre Blues, sans doute l’un de ses meilleurs albums. Quel son ! Jake est devenu un expert du raw to the bone, c’est en tous les cas ce que tend à révéler «Country Blues In My Bag». C’est le son du fleuve, il tape ça au kazoo de vieux black qui a sifflé trop de moonshine. Jake chante par en-dessous et il est bon à ce petit jeu. Ultra bon. In the flesh. Son country blues tape dans le mille du bag. Comme Charlie Feathers, il a compris que l’énergie du rockab et celle du blues coulent de la même source : le son. Tout l’album est bon. Il part en mode heavy boogie avec «I Believe In You». C’est l’un des boogies les plus speedés du cheptel. Son «Yesterday I Talked To My Bottle Baby» sent bon la cruche en clay, il chante du menton, il tackle ses notes dans les tibias, take takes it down. S’ensuit un «Bad Son Good Mother» embarqué à vive allure, ça pulse à la folie. Jake pulse le son des géants et rentre plus loin dans la gueule du gospel avec «Oh Lord» et un banjo. Il bat tous les records d’insistance. Il connaît le secret du beat hypno, I said to Lord et il y va de bon cœur. Il gagne encore en crédibilité avec «She Breaks Me Down», il allume là l’un des pires boogies de l’univers, uhh uhhh she breaks me down, c’est assez définitif et sa façon de revenir à l’économie époustoufle. Il tape son «Save Your Soul» aux violons Cajuns et crée aussitôt les conditions de la curée. Tout ce qu’il fait sonne juste, chaque cut tape dans le mille. Il chante «Rats In Town» à l’estropiée et part la fleur au fusil chanter l’hypno Cajun de «Hard Love Ways». Il semble obsédé par ce son. Il sort là un fabuleux shake de jive hypno et le noie d’harmo. Il reste chez les Cajuns avec «They Call Me Earth Boy». Il prend ça à la désaille, c’est gorgé de son, ça sonne comme un paradis. Ce mec a vraiment tout compris.

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    Il enregistre Father & Sons avec ses Red Hot en 2013. Dès «Call Me Baby», il redistribue les cartes : son rustique, bop de rêve, yodell et pah pah pah des Appalaches. Eh oui, il a le son, alors ça roule tout seul. Il fait tout simplement de l’Americana. Il enchaîne avec un torride shake de fat sound titré «Torrid Love». Durieux le slappeur l’embarque pour Cythère et Jake hiccuppe à la vie à la mort. C’est peut-être sur cet album qu’il fait le plus de fantaisies vocales. Il yodelle «Cassie Magikal» à la lune. C’est un véritable festin de swing de chat perché. Se dresse à la suite un monument de bop fever intitulé «I’m Fed Up», emmené tambour battant par cette bête de beurre qu’est Thierry Sellier. Ils sautent en B sur le râble de «Cause You’re My Baby», une sorte de hot jump de barrelhouse, mais avec le son de la Nouvelle Orleans, avec du piano et des cuivres. Ils savent tout faire, même restituer ce son que Mac Rebennack disait unique au monde. On se croirait chez Cosimo. Côté chant, c’est pas loin de Bunker Hill.

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    Sur Downtown Memphis, Jake rend deux beaux hommages à Elvis avec «Blue Moon Over Kentucky» et «That’s Alright». Il a le son et il a le talent. Il a le swagger et il a le feeling. Il a tout. Il règne sur son monde. Il tape son «That’s Alright» bien sec, il le prend à l’oblique avec un sens aigu du dark de 706. Il le chante du coin du nez, comme s’il sniffait la coke d’Elvis. Il rentre dans la mythologie comme dans du beurre. Il charlite son Elvis, il cruduppe son Alright et hiccuppe sur la colline. Le Vatican devrait canoniser ce démon, il est trop pur. Il revient au pur rockab avec «Turn Me Loose». On est chez Sun, les gars. C’est dans la poche, pocket boy ! Turn me Loose, c’est une sinécure, un vrai retour aux sources. Tout aussi demented, voici le morceau titre, joué au heavy dump de downtown, bourré de bon esprit, avec un solo de piano. On sent le fan de Sun. Ils jouent plus loin «I’m A Real Cool Cat» à l’insistance du Tennessee, la pire de toutes les insistances, le slap boppe le cul du cut, Jake hiccuppe comme Charlie. Oh le poids du slap ! Joli drive aussi que celui de «When The Pretty Girl Bop». Pur Cochran drive - Yeah she bop yeah ! - Il a de la suite dans les idées. Jake boppe son swing au big beat, il est atrocement doué. Il propose aussi un «Babe Babe Baby» bien saqué des socks. On n’en finirait plus avec un tel démon.

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    On avait salué sur KRTNT l’excellent Vance Mississippi, que Jake est allé enregistrer en 2016 avec Archie Lee Hooker qui est le neveu de John Lee Hooker. Jake et Archie Lee y atomisent le boogie blues. Comme son oncle, Archie Lee chante d’une voix d’outre tombe. Sur le morceau titre, ils duettent à l’ancienne, dans une ambiance de basse-cour. Si on aime l’hypno de tonton Hooky, on est servi. C’est l’endroit exact où le blues et le rockab se rejoignent, un endroit que connaît bien Charlie Feathers, puisqu’il vient de là, d’Obie Patterson. Rebelotte et dix de der avec «Juke House Man». Comme son oncle, le vieux impose une grosse présence, celle de l’immédiateté. Ça explose dans la seconde. Boom boom boom boom. Jake tape ensuite «Louise Blues» à la trade. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais il impose le fucking respect. Aussitôt après le vieux refout le feu au lac avec un «Blues Inside Me» tapé au vieux beat sauvage. Derrière lui, ça bat avec toute la rage du raw. Tout le blues primitif est là, dans le creux de sa main, un blues aussi vénéneux et fatal qu’une morsure de rattlesnake. «Blues In My Bones» sonne comme un heavy blues machiavélique, bien ancré dans l’esprit de tonton Hooky - I was born with the blues in my bones - Le vieux fait résonner tous ses B de manière sidérante. Et voilà que Jake se tape la part du lion avec «Hey Barber Barber», qu’il tartine au yodell sur un rythme effréné, et ça donne un boogie cajun têtu comme une bourrique et soûlé d’harmo. Hot as hell ! Jake revient faire sensation avec «Rain Rain Rain», un heavy sludge joué à la syncope de fife & drums, ceux d’Otha Turner, bien sûr. Décidément, l’ami Jake multiplie les coups de Jarnac du Mississippi. Il parvient même à chanter au guttural des backwoods. L’album s’achève dans la pétaudière du limon avec «My Shoes», gros shoot de boogie diabolo, dans une extravagante débauche de raw.

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    Attention ! Le Boogie In The Shack des Nut Jumpers figure (lui aussi) parmi les grands albums des temps modernes, car il est bourré à craquer de son, de guitare, de beat et d’énergie tellurique. On sent cette énergie aussitôt ce «Woah Oh Oh» embarqué au shaking de shack, ça sent bon la cabane branlante, elle tangue car ils y font la fête et une guitare s’étrangle de plaisir sauvage. C’est la guitare d’Helen Shadow. Nous voilà au cœur du plus ancien mythe de la rock culture : le bastringue. Ils enchaînent avec un «Set Me Free» digne des early Kinks, ceux du temps de Shel Talmy et continuent leur course folle avec «Love Truck» drivé dans le gras du bide, bien riffé dans la panse du gut. Et tout explose avec «Boogie In The Shack», c’mon shake at the shack. Fantastique force de frappe, Jake n’en finit plus d’écrouler la gueule du raw, il swingue son beat à coups d’harp, c’est vraiment énorme, digne de Jerry Boogie McCain. Helen Shadow fait un véritable carnage sur tout l’album. Jake secoue la paillasse de «C’mon C’mon» - Let’s move around ! - C’est monté sur le plus fier des Diddley beats. Tiens encore un coup de Jarnac avec «Blow Your Top» : après une intro kill kill kill, ils lâchent tous les démons des enfers. C’est là que Ricky Lee Brown bat comme un diable. Puis Helen Shadow bat la campagne sur «Catholic Boy» avec sa vieille gratte moisie. Que de son ! C’est battu sec et net, pas de meilleur tapeur de tapas que Ricky Lee Brown. Ce mec lève une tempête chaque fois que l’occasion se présente. Ils inventent ensuite le gospel de cabane avec «Gonna Stand My Ground» et reviennent à du Creedence rock bien descendu dans l’esprit des guitares avec «No Good No Good». Helen Shadow does it right. Elle joue avec une niaque à peine croyable. Elle sonne littéralement comme le jeune Dave Davies, elle sort des notes carnivores, oui, elle joue au croc de note, gnac gnac ! Fantastique ! Ils reviennent au Memphis Beat avec «Keep A Little Place», avec une Helen paradisiaque et un Jake un peu Fea thers. C’est une équipe de rêve. Et ça se termine avec «Nut Jump» et là on bascule dans une folie à la Hasil Adkins. Ils vont même plus loin, avec du jump jump jump ! On n’imagine pas à quel point Jake et ses amis sonnent juste.

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    Vient de paraître My Foreign Love, le nouvel album de Jake & His Red Hot. Il attaque «Don’t Miss The Train Man» comme d’habitude, au big mumbling avec un son de rêve. Puis avec le morceau titre, il nous embarque pour Tahiti avec une espèce de classe dédouanée. C’est en fin de parcours que se trouvent les hits, à commencer par «Come Back To Me». Jake y joue le séducteur sous le boisseau du Tahiti groove. C’est visité par les alizés et bourré de notes virulées. Comme Elvis, il pique sa petite crise d’exotica. Et c’est avec «Gimme Your Love» que tout explose. On croirait entendre le Spencer Davis Group. Chœurs magiques et stomp de rêve. Il échappe aux genres avec une aisance déconcertante. Son «Gimme Your Love» sonne comme un hit énorme. Il rend hommage aux Coasters avec «Addiction Baby» et revient à la magie de Buddy Holly avec «You’re My Wonderful Love». Bien sucré, chanté du coin de la lunette à monture d’écaille, fruité et coconut, big Texas bound. Sa Buddy pop n’en finit plus de forcer l’admiration. Il claque ensuite «When I Was 15» aux accords garage. Jake fait ce qu’il veut, quand il veut et comme il veut. Il évoque dans son texte les motorcycles et les rockabilly rebels. Tiens voilà le «Fairy Tale» qu’on a entendu au Rétro. Il y fait un petit coup de hein-hein-hein à la Charlie. Idéal pour faire chanter une foule en chœur. Il termine l’album avec «The Queen Of The Road». Jake convoque les foudres du garage. On sent le souffle du bop dans le dos. Chaque fois que c’est possible, il tente le tout pour le tout, comme le fait dans son coin Jack Rabbit Slim. Mais ça ne marche pas à tous les coups.

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    Au mersh de Jake, on tombe sur une étrange pochette orange : on y voit un fakir méditer, confortablement allongé sur son tapis de clous. Le fakir s’appelle Maharadjah Pee Wee Jones et son album s’intitule Spring In Almeria. En sous-titre, on peut lire : Trance - Ethnic - Voodoo Blues. Ça ressemble à un truc de hippie.

    — C’est un copain à Jake ?

    — Non pas du tout ! C’est un projet parallèle !

    Pour faire le malin, on glousse de rire. Mais on l’achète. Avec des gens comme Jake, il faut savoir rester curieux. De retour au bercail, on ouvre le digipack. On y voit Jake déguisé en freak psychédélique. Thierry Sellier fait aussi partie de l’aventure, ainsi qu’un certain Serge Bouzouki. Tout cela semble très mystérieux. Le mystère ne plane pas longtemps, car dès qu’on commence à écouter l’album, on tombe de sa chaise. Aïe ! On peut parier que tous les malheureux qui ont écouté cet album sont aussi tombés de leur chaise. Pourquoi ? Parce que cet étrange Spring In Almeria compte parmi les meilleurs albums de Jake. Il commence par donner le change avec «Ulan Bator», il part de l’autre côté, en Orient mais il ramène du banjo dans son Bator. Il sculpte sa falaise à mains nues, il façonne un son qu’il faut bien qualifier de fascinant. Attention c’est très sérieux, le twing du twang défonce le heavy groove et on entend même des violons cajuns. Ses aw aw aw de corbeau valent bien ceux de Captain Beefheart. C’est tout bêtement de l’abattage de grand visionnaire, il se poste au carrefour de toutes les cultures, celles d’Orient et du Deep South et crée le boogie de la démesure. Il exsude la matière du son, fabrique une espèce de heavy psychout de downhome beat gorgé de banjo, oh boy ! Et quand on écoute le «Fame» qui suit, on voit qu’il ne peut pas s’empêcher de revenir au bord du fleuve, c’est plus fort que lui, même déguisé en fakir. Il purifie son son à l’extrême, il le fait pour de vrai, comme Don Cavalli. Avec «You’re Gonna Take Me», il quitte son tapis de braises pour allumer les braises du meilleur boogie d’insistance congénitale. Ah si seulement les gens pouvaient entendre cette réinvention de la montée en puissance ! Comme Lou Reed, Jake crée des miracles avec deux fois rien. Et vlan, voilà «I’m Glad», prétexte à inventer une nouvelle sauce. Il overwhelme son album sans prévenir, c’est une manie. Il amène son «Big Wise Healing» à l’orientale pour en faire un French hop de bayou craouette, bien craignos. C’est vrai que les Cajuns sonnent parfois comme les shamans de Mongolie, la racine magique est la même. Jake patauge dans cette soupe de mandragore. Flip flop and fly ! Il invente le shamanisme du delta. Et ça devient stupéfiant de primitivisme. Il attaque ensuite son «Get Along» comme une folle, oooh ooh ! Quelle désinvolture ! S’il voulait nous impressionner, c’est réussi. Il va beaucoup plus loin qu’on ne l’imagine. Qui va aller acheter l’album d’un fakir ? Et pourtant, c’est son album le plus libre, le plus percuté de la gâchette, il chante avec toute la folie des rois du rumble américain. Il dégage ensuite le maharadjah pour revenir au heavy sound de «Chicken Shack». C’est bombardé de son. Rockab pur ! Hey man hey ! I call you baby ! Il gratte ça au long cours. Il pousse des yah sur fond de sitar et ça donne l’un des albums les plus génialement déjantés de l’histoire du rock. Cette fois, on sent qu’il est complètement barré. Il chante son «Hey Man» par en dessous, accompagné par des violons. Il se permet désormais toutes les fantaisies. Les gens qui sont allés aussi loin ne sont pas légion. Jake découvre de nouveaux horizons et derrière lui ça gratte à la vieille cavalcade de mountain men, il chante son truc en lousdé, il rôde littéralement dans le son. S’ensuit un effarant clin d’œil à LeadBelly avec «Black Betty». Mais ce diable de Jake décide de le jouer à sa façon. Ce mec est un vrai punk, au sens où l’entendaient les Américains avant que les médias ne s’emparent du mot pour en faire ce que l’on sait. Punk, ça veut dire qu’il faut s’attendre à tout et c’est exactement ce qui se passe avec ce démon de Jake. Cet album est vendu comme un «projet expérimental», mais il est mille fois plus viandu et innovant que toutes les nouveautés à la mormoille. Jake taille une magnifique croupière à Black Betty. Il la travaille à la glaire de kid énamouré, il n’existe rien d’aussi explosé ni d’aussi viscéral ici bas. Il l’achève en allant hurler par dessus les toits. Avec «Almeria», il pique une petite crise d’espagnolade, mais ça explose vite fait dans des tourmentes. Ce mec nous épuise la cervelle avec son énergie inventive. «Almeria» sonne comme du Manitas Dr Plata, mais avec des coups de punk de Jake dans les tibias. Impossible d’échapper à l’emprise d’un tel coup de génie. Il ressort ses vieux accords du delta pour «You Don’t Know». Il gratte ça face au fleuve. Il s’enfonce dans la vase tellement c’est primitif - You don’t have - Il ne sait plus quoi dire, alors il en perd ses dents tellement il s’exacerbe. Il joue violent et juste, à coups répétés. Il offre ici une authentique approche du blues des origines. C’est d’une véracité qui en dit long sur son attachement pour cette culture. Il claque comme un dingue, comme s’il éprouvait la rage d’un nègre réduit en esclavage par un sale con de blanc dégénéré. Il devient alors très spectaculaire, et de plus en plus vrai, il cogne sa gratte. Captain Beefheart n’est jamais allé jusque là. Ni personne d’ailleurs. Le seul qui ait osé, c’est Jake Calypso.

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    Du coup l’album du Maharadjah Pee Wee Jones sert de leçon. Il existe un autre side-project de Jake qui est une compilation de ses cuts de blues préférés. On y va les yeux fermés. C’est du convaincu d’avance. La compile s’appelle Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. La cabane en bois qu’on voit sur la pochette est nous dit le mec du mersh celle où vit Jake. Cette compile rabat bien le caquet du spécialiste qu’on croit être. Jake Calypso joue son rôle de passeur à merveille : il nous fait découvrir des cracks qu’on ne connaissait pas, et quels cracks ! Tiens comme Hop Wilson & His Chickens, avec «Chicken Stuff». Eh bien c’est du rockab. Et même du rockab demented are go à gogo. Tout le bop de black est là dans l’épaisseur du son. Sur cette compile, tu vas découvrir du hot de hutte à la pelle. Willie Nix avec «Just Can’t Say» vaut toute l’hypno du monde. Grosse découverte avec Papa Ligthfoot et son «Mean Ol Train». Il met le heavy groove de jump en coupe réglée. Quel clinquant dans l’enfonçage de clous ! Ils font le train à l’énergie maximaliste. Le «We’re Gonna Boogie» de Lefty Dizz, c’est du punk-rock de nègres. Il gratte ça à la déraille de commando et ça vire hypno. Lefty veut groover comme Hooky et il tape la carte d’un fantastique boogie, il y met tout ce qu’il a dans le ventre. Parmi les gens connus, on trouve Lightnin’ Hopkins et son effarant «Had A Girl Called Sal». Encore un rockab amené au violent storm de slap. Lightnin’ boppe le blues avec une violence sourde. Vrai coup de génie. Autre géant du genre, Fred McDowell avec «Shake Em On Down». Carnassier. On entend les grenouilles de Quintron. Le fou qui joue de l’harmo ne peut être que Johnny Woods. Le «Country Boy Blues» de Pee Wee Hughes & The Delta Duo sonne comme un heavy boogie d’une absolue perfection. Pas de surprise avec John Lee Hooker qui nous plonge avec son «21 Boogie» dans le boogie des origines de l’humanité. Bo Diddley sonne comme un roi avec son «Bring It To Jerome», c’est probablement le beat le plus profond et le plus organique de l’histoire du beat. Doctor Ross nous ramène au temps des plantations avec «Chicago Breakdown». Purement africain. On croise plus loin l’infernal Frankie Lee Sims et sa guitare rouillée, l’affreusement sain Robert Petway et ce claqueur de beignet qu’est Lightnin’ Slim. Voilà qu’arrive ensuite un autre Slim de choc, Slim Harpo et sa fleur à la boutonnière, puis Rufus Thomas qu’on surnommait the Real King of Memphis, puis Frank Frost, dernier black enregistré par Uncle Sam et enfin le puissant Junior Parker qui tape au cahin-caha de voracité extrême son «Feelin’ Bad». On sort de cette compile à quatre pattes, complètement rincé.

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    En marge du très bel album que Jake Calypso et Archie Lee Hooker ont enregistré ensemble, il existe un album d’outtakes qui circule sous le manteau et dont il faudrait ne pas parler, mais il est tellement bon qu’on est obligé de l’évoquer. Il s’appelle The John Lee Hooker Day et propose huit morceaux enregistrés au Delta Blues Museum de Clarksdale, tous chantés par Archie Lee Hooker, avec Jake derrière à la guitare. Deux d’entre eux sont stupéfiants de primitivisme, «Water Boy» et «No Shoes». Le premier évoque bien sûr le gamin qui amène l’eau aux esclaves cueillant le coton en plein cagnard - The sun is breaking down/ Water/ Boy/ Bring water ‘round - Le deuxième remue encore plus la paillasse, car c’est le blues de l’extrême pauvreté, tel que l’a aussi chanté Wolf - No food on my table/ No shoes on my feet - Et puis tout explose avec «Bundle Up & Go», Mississippi shuffle tapé du pied. Bien dévoyé et sans retour possible. C’est du pulsatif primitif. Jake gratte sa gratte comme un crack.

    Signé : Cazengler, Hot shit

    Hot Chickens. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

    Hot Chickens. Speed King. Stax Records 2007

    Hot Chickens Play Gene. Chickens Records 2017

    Hot Chickens. Fool’s Paradise. Rock Paradise 2019

    Jake Calypso. 100 Miles. Chickens Records 2017

    Jake Calypso. Grandaddy’s Grease. Chickens Records 2010

    Wild Boogie Combo. Blues. Chickens Records 2012

    Jake Calypso & His Red Hot. Father & Sons. Chickens Records 2013

    Jake Calypso & His Red Hot. Downtown Memphis. Chickens Records 2016

    Jake Calypso & His Red Hot. My Foreign Love. Rock Paradise 2019

    Maharadjah Pee Wee Jones. Spring In Almeria. Trance Ethnic Voodoo Blues 2008

    The Rambling Men. Move It On Over. Chickens Records 2014

    Jake Calypso, Archie Lee Hooker & The Boogie Combo. Vance Mississippi. Chickens Records 2016

    Nut Jumpers. Boogie In The Shack. Rock Paradise 2018

    Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. Chicken & Yokatta Records 2019

    Jake Calypso, Archie Lee Hooker. The John Lee Hooker Day. Around The Shack Records

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N°10

    JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2019

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    Dans la série vaut mieux se servir soi-même pour avoir exactement ce que l'on veut, Sergio a pris les choses en main. L'a commencé par la chasse aux blancs. Je vous rassure, il n'a tué personne, par contre au niveau typographique il a éradiqué sec. Plus de lignes sautées entre deux paragraphes, idem pour les photos, ces belles demoiselles ne se pavanent plus en leur solitude en de vastes espaces nivéens. Résultat vous en avez plus pour la même surface. Esthétiquement l'a tout de même su éviter le pavillon concentrationnaire, la revue est plus agréable à lire.

    Une fille chez les pionniers. Ni Brenda Lee, ni Wanda Jackson, mais Janis Martin. Sa carrière commença sous une bonne étoile, le soleil le plus brillant, Elvis Presley en personne. Se terminera un peu en queue de comète puisque ses parents refuseront de la laisser dans les griffes du Colonel Parker. Suivra un gros trou... N'empêche que sur son premier disque, Chet Atkins et Grady Martin s'occupent des guitares. Difficile de trouver mieux dans les studios à l'époque. Des disques un peu trop sauvages qui hormis le premier ne trouveront pas le grand public. En contre-partie une belle légende du rock'n'roll. Les comebacks se suivent mais n'apportent guère le sujet escompté. Quelques mois avant sa mort, l'on trouvait sur le net une annonce d'une de ses amis pour récolter des fonds pour éditer son dernier album...

    La vie ne fait pas de cadeau. Les jeunes n'y pensent guère, voici The Accidents, Keri-Anne sourit de toutes ses dents sur la photo pleine-page, elle et ses deux frères n'ont qu'une envie : s'amuser, profiter de la vie high-voltage, s'éclater sur scène, prendre du bon temps. Une philosophie un peu à courte vue, toutefois très agréable, pourvu que ça dure disait la mère de Napoléon...

    Gros dossier sur les Stray Cats. Sergio retrace leur carrière, avant, pendant, après. Quarante ans ! Cela ne nous rajeunit guère, par contre le rockabilly leur doit une fière chandelle, lui ont infusé un sang neuf et une bonne dose d'énergie. Rappelons que sans les Teddies d'Angleterre l'histoire aurait pu se perdre dans les sables de l'incompréhension.

    Le Cochon à Plumes n'est pas un nom de groupe mais un bar-concert à Reims qui accueillit le mois de mars dernier un concert Wild Records avec trois groupes : les Mighty Tsar de chez nous, Los Killer Tones de Mexico, et Chuy & the Bobcats en vedette. Le compte-rendu vous fera regretter de l'avoir raté. Mais le plus intéressant vient après. Jesus – pas lui – l'autre de Wild Cat, beaucoup plus glamour, répond aux questions, un pédigrée à rendre un chien de concours malade, l'a notamment enregistré avec Darrell Higham, et surtout il a des tonnes de choses à raconter, l'a accumulé des expériences diverses, toute la différence entre l'insouciance des Accidents et le gars confronté à des situations enrichissantes...

    Un article sur Rock'n'roll Show de Samer ( Pas-de-Calais) avec entre autres lors de ces trois jours de mai les Black Raven, Long Black Jackets, Jake Calypso, Rough Boys et Spuny Boys, évidemment si vous ne prenez que des cadors... Les Spuny que l'on retrouve à Lille pour leur 1000 ° concert, la fête rock'n'roll de l'année. Si vous n'y étiez pas, Sergio vous refile ses plus belles photos. Un lot de consolation dont la beauté ravivera vos regrets.

    Chroniques habituelles sur les trois dernières pages, mais je m'aperçois, bande de malfrats, que vous avez sauté la présentation de Chukka-Boots Teddy Boys & Rock'n'Roll Club qui sévit dans la ville de Bourges et le Berry, des activistes rock de la meilleure volée. De tous les numéros de Rockabilly Generation celui-ci me paraît le meilleur, il atteint à une réelle densité rock.

    Damie Chad.

    P. S. : Si vous êtes un gros maladroit, en déchirant le plastique vous évitez de faire tomber le flyer pour la Rockin' Gone Party n) le 16 / 09 / 2019 à St Rambert d'Albon ( 26 140 ) dans la Drôme.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

     

    CAMON ( 09 ) / 02 - 08 - 2019

    La Camonette

    JUKE JOINTS BAND

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    Plus de camionnette garée sous les platanes. Que voulez-vous ma bonne dame tout se perd en ce bas monde. Certes mais il est inutile de tomber dans le nihilisme le plus désespéré. Car tout se recycle. La Camonette est morte, vive la Camonette, surtout que la nouvelle est désormais coachée par Christophe. Les plus anciens lecteurs de Kr’tnt ! connaissent. Drivait le groupe Number Nine voici quelques années, mais là il a ajouté un fusil à son épaule. L’est devenu ( entre autres ) restaurateur. L’a ouvert un enclos de vieux murs, dressé quelques tables, installé un coin culinaire et il vous sert de succulentes saucisses pimentées accompagnées des salades qu’il va cueillir tout droit dans son potager à quelques mètres, le mec question empreinte carbone minimale, vous ne trouverez pas mieux. Miam ! Miam ! Et tous les jeudis soirs il reprend la tradition des concerts hebdomadaires.

    Pour cette soirée est programmé le Juke Joints Band, la file d’attente ne désemplit pas. Plus de cent vingt personnes se sont déplacées, forte proportion d’anglais qui squattent la région sans vergogne. N’y a pas de miracle, depuis que le Juke parcourt les environs, il a désormais un public fidèle, près à le suivre dans tous les carrefours maudits.

    JUKE JOINTS BAND

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    Formule minimale ce soir. Ben Jacobacci à la guitare et Chris Papin au chant. Une guitare et une voix, pour le blues c’est amplement suffisant. Deux sets, une dizaine de morceaux pour accompagner l’apéritif, et un second plus tard pour sublimer la digestion. N’oubliez pas qu’en ses débuts le blues était la musique des crève-la-faim. Mais avant la poche gastrique vide ou après la peau bien tendue le Juke vous distille la même eau-de-vie, la même eau-de-mort, car le blues c’est comme le Mississippi, il vous charrie dans ses eaux tumultueuses autant de charognes que de poissons-chats indomptables. Dans les deux cas la friture vous restera en travers du gosier.

    Faudrait jouer à pile ou face pour savoir si le blues c’est d’abord la voix de Chris ou la guitare de Ben. Beaucoup des deux. Ce qui est sûr c’est qu’ils puisent leur répertoire en eaux troubles, autant chez Creedence que chez Keb Mo, autant chez Muddy Waters que chez les Stones, autant chez Otis Redding que chez Tony Joe White. Du Sonny Boy à Tina Turner. Large panel, blues, rhythm’n’blues, rock ‘n’ roll, s’en foutent, z’ont leur moulin à café à double engrenage.

    La guitare de Ben, un fouillis inextricable, filez-lui une six-cordes, en un tour de main elle sonne comme une deux fois douze cordes. Vous êtes perdu, vous vous demandez ce qui va bien pouvoir sortir de cette mouture. Un enchevêtrement sans fin. Un labyrinthe auditif. Vous éprouvez la nécessité de vous faire greffer une douzaine d’oreilles supplémentaires pour comprendre de quoi il en retourne au juste. Si vous avez le malheur de vous attarder sur Ben, vous n’entendez plus Chris, peut vous chanter la Carmagnole ou l’Ave Maria de Schubert, vous ne le remarquerez pas. Vous êtes confronté à cette étrange énigme : comment de tout ce marasme cordique peut-il naître une telle clarté riffique. Le Ben est un orchestre à lui tout seul, un nuage d’hirondelles qui s’envolent aux quatre vents de l’esprit pour en ramener le duvet nécessaire à la confection du couffin protecteur nécessaire à la voix de Chris.

    Car le Papin, quelle classe dans sa chasuble noire et ses gestes sobres, l’est le coucou qui s’en vient poser sans vergogne l’œuf germinal de son larynx brûlé dans la coque protectrice soigneusement tissée par Ben. L’en éclot un phénix de flammes fulminantes qui se calcine en cendres à chaque intonation. Vous fout le feu au blues comme le pyromane à la forêt. Gorge ardente. Là ou sa voix passe le blues repousse toujours, comme la lèpre sur les écrouelles. Aucun mérite, c’est naturel chez lui, n’a qu’à ouvrir sa bouche pour que le blues le plus pur coule à l’instar de ses rayons de miel d’abeilles sauvages qui débordent dans le creux de l‘arbre de vie. Le mojo entre les dents. Un alligator dans le cerveau. Quand il se tait et que Ben s’arrête de jouer, c’est la longue flopée des applaudissements approbateurs qui prennent le relai. Ces deux-là, tout le monde est d’accord ne faut pas les laisser s’échapper, pas de crainte, le Ben vautré à la renverse dans son tabouret est trop bien là où il est, ses mains se débrouillent toutes seules pour vous embrouiller la tête et le Chris est trop content de vous abasourdir entre deux morceaux de craques introductives destinées à vous faire douter de la réalité des légendes. Sourires complices de criminels en goguette, sûrs de commettre les pires méfaits hautement répréhensibles, des voleurs d’âmes, commencent par la charmer, et elle s’enfuit de vous sans que vous y preniez garde, vous la peinturlurent en bleue et vous la rendent habillée pour l’hiver. En plus Ben sort de temps en temps son arme secrète, l’a aussi une voix de baroudeur du blues, et nos deux lascars se permettent des résonances harmoniques à vous vriller la moelle épinière. Même que parfois l’on applaudit quand ils se taisent car l’on croit que le morceau est fini et enterré. Et hop il rebondit comme une balle de squash, la guitare de Ben tourbillonne comme un maelström et la voix de Chris résonne comme la trompette rouillée de l’apocalypse.

    Inutile de se plaindre, vous le saviez, le Diable ricane de toutes ses dents pourries au fond du blues. Faut ce qu’il Faust. La voiture de messieurs Ben et Chris est avancée. J’espère que vous avez reconnu le chauffeur qui conduit devant, s’appelle Robert Johnson. Ne réveillez jamais la bête endormie. Seigneur quelle soirée de rêve fantomatique avec nos deux saigneurs du blues !

    Damie Chad.

    J’ai eu droit à un cadeau, tant pis pour vous, vous n’aviez qu’à être là, un exemplaire de démonstration ( huit morceaux sur neuf ) du prochain CD.

    Devant de pochette noire qui n’est pas sans évoquer les deux disques précédents. Le logo du groupe et rien d’autre. C’est au dos que vous retrouvez les quatre mousquetaires en leurs œuvres vives, sur scène.

     

    HELP ME / JUKE JOINTS BAND

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    Ben Jacobacci : guitare, chœurs / Rosendo Frances : batterie, chœurs / Michel Teulet ; basse, chœurs / Chris Papin : homme sans chœurs mais au chant.

    One meat ball : me suis repassé quinze fois l’intro rien que pour le plaisir de savourer, on a beau dire et beau faire l’invention de l’électricité vous éclaire le monde d’une autre manière, le Ben a laissé l’acoustique au placard, ça change le son, le Juke a multiplié la puissance de feu, et pourtant ils n’en profitent pas, ne vous font pas le coup de la découpe au lance-flamme, non les trois compères se sont entendus pour un loop de loop douillet, le Rosendo survole ses caisses en douceur, Michel Teulet ne vous graphite pas au noir absolu les lignes de basse, reste sobre, et le Chris vous fait le coup du chat qui se promène sur le toit de l’église du village. Une aisance déconcertante, vous avez peur qu’il tombe, mais il se joue des difficultés, l’est sur l’arrête de la faitière centrale, et il vous semble qu’il folâtre au-dessus des clefs de voûte les yeux fermés. S’en va dénicher la ratignole qui niche sous les plus hautes ardoises du clocher. L’est sûr de lui. Vous sort le miaulement feutré du gentil minou qui vous le met quand même dans le trou de meat ball, tout en douceur. Undercover agent : en tant que membre émérite du Service Secret du Rock’n’roll, je peux le certifier, pas vu pas pris, laissez s’agiter les autres et agissez dans l’ombre. Plus vous déléguez, moins vous en faites, alors le Chris puisqu’il a trois pointures à son service, il leur laisse toute la place, pas un instrumental mais presque, faut entendre le Rosendo aligner les patins sur ses traces, et dès que Chris se tait, vous avez la basse et la guitare qui broutent avec délectation la même touffe d’herbe, et quand il reprend l’avantage c’est pour les diriger tout droit sur un final abrupt dans lequel ils se taillent la part du lion. Start it up : les guitares s’amusent, font des pointes comme les danseuses à l’opéra, et ensuite l’on balance la soupe, Chris tient la queue de la casserole et il distribue joliment la purée, alors les autres en joie ne tardent pas d’une seconde pour tapisser les murs du contenu de leurs assiettes, se déchaînent même salement, le Chris obligé de faire semblant de les freiner pour mieux envoyer la mousseline au plafond. Heart attack and vide : attention, là c’est du blues qui lave plus bleu que bleu, les guitares chancellent comme la flamme des chandelles sous la brise matinale, et le Chris il se surpasse, plus blues que lui tu trépasses, le Ben sonne les cloches, l’on est désormais plus proche de la mort que de la vie. L’est sûr que c’est dangereux mais chacun souque ferme pour se tirer de ce mauvais trépas, ceux qui sont remontés des Enfers sont plutôt rares, mais eux ils vous font la démonstration de leur savoir-faire. Un must. San Francisco Bay : une gratte qui banjoïse et la voix de Chris qui tinte comme des coupes de champagne. Un blues qui folkle et sifflote, faut de tout pour faire un blues, mais perso je l’aurais quand même tenu plus fortement sur la chaise électrique. Satisfaction : dans la série je fais de la planche à voile sur un skate pourri, nos quatre lascars ne doutent de rien, faut du culot pour s’attaquer à de tels monuments. Z’ont choisi la fausse copie conforme de la carte d’identité qui met la police de la pensée et des mœurs sur leurs dentitions plombées jusqu'à l'os, au début ils essaient de ne pas sortir des sentiers rebattus et puis ils s’approprient le truc comme si c’était à eux, tout juste qu’ils ne l’aient pas revendiqué dans les crédits, vous le font à la décontracte, je m’amuse à rester sérieux et à la fin le Ben il vous catapulte le rififi à cent à l’heure. Am I wrong : très mauvais, c’est le seul morceau qui ne soit pas sur ce disque ! Help Me : peuvent crier au secours tant qu’ils veulent, se dépatouillent très bien tout seuls, c’est du beau, c’est du bon, c’est du dur, le truc sans défaut qui emporte la conviction de vos ennemis les plus féroces. Un festival, vous laissez couler le robinet rien que pour le plaisir de voir l’inondation se répandre dans le monde entier. Et le cas échéant aller sauver la voisine du dessous toute nue dans sa baignoire. Ain’t superstitious : normalement avec le morceau précédent vous êtes rassasié, mais le Juke vous offre le petit dernier, le coup de l’étrier, il ne vous tuera pas mais il vous rendra plus fort. Prennent leur temps, fignolent le gâteau, posent la cerise explosive. Hey ! Hey !

    C’était juste un avant-goût, vous rechroniquerai le disque dès que j’aurai l’exemplaire définitif. Un record qu’il faudra avoir dans sa discothèque pour ne pas avoir l’air trop naze et être pris pour un bleu.

    Damie Chad.

    06 – 09 – 2019 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BARON CRÂNE / ZARBOTH

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    Retour à la Comedia après les vacances d'été. Ne suis pas à trente mètres de l'établissement que quelque chose a changé dans mon champ de vision. Non ce n'est pas moi, mais le mur. Serait-on face à un étrange phénomène digne d'une nouvelle de Lovecraft, la fresque de la façade a gagné en surface, elle s'est emparée de l'arrière du deuxième étage du bâtiment, aurions-nous affaire à la suspecte prolifération d'une nouvelle mutation d'un champignon des murailles hors de tout contrôle destinée à recouvrir toutes les maisons de Montreuil de son étonnante lèpre calligraphique, dans un avenir relativement proche la population de la ville sera-telle évacuée pour laisser place aux millions de touristes venus du monde entier visiter les rues bigarrées de cette nouvelle Pompéi moderne ? Je n'en sais rien, au moins aurais-je tiré la sonnette d'alarme pour prévenir les autorités. En tout cas j'ai réussi à identifier le bacille responsable de cette invasion graphique, il s'agit du Martinus Peronardus. Une virus proliférant venue d'Amérique du Sud particulièrement nocif. Il n'y a qu'à pénétrer dans le local pour s'apercevoir qu'elle s'attaque aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ne lui reste plus que deux plafonds à recouvrir, c'est d'autant plus inquiétant qu'à la Comedia l'on a bossé tout l'été, que le local a pris un coup de beau, et il faut bien le reconnaître désormais les groupes sur scène bénéficient d'un superbe décor, ah ! cette chaîne d'yeux disposées en hélice d'ADN qui vous scrute depuis les plafonnettes, c'est ainsi que du haut de l'empyrée les Dieux doivent regarder avec un dédain fatigué les vains agissements des humanoïdes ratés que nous sommes. Et ce soir ils ont dû être particulièrement édifiés, à quel étrange et déraisonnable culte les nombreux représentants de l'espèce humaine qui avaient envahi le local se sont--ils adonnés ? Certainement une cérémonie en l'honneur de Nyarlathotep, l'énergie noire du chaos rampant...

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    BARON CRÂNE

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    Je ne veux pas crâner, mais avec cette kronique je suis sûr d'avoir tout juste, de ne pas me tromper de case. C'est simple vous pouvez les cocher toutes, vous gagnerez toujours. Vous ne tomberez pas à côté. En plein dans le mille. Cœur de cible tous azimuts. Si vous n'avez jamais entendu une seule note de Baron Crâne, et que l'on vous demande de définir leur style, prenez l'air inspiré du monsieur-( ou de la madame ) je-sais-tout, et laissez tomber négligemment ces cinq mots : c'est du rock, voyons ! Vous êtes sûr de ne pas vous tromper, si votre langue fourche et que vous dites, c'est du jazz, ou c'est du surfin', ou c'est du prog, ou c'est du funk, ou tout ce vous voulez d'autre. A l'exception du biniou serbo-crate, vous aurez raison, parce que le Baron Crâne, c'est tout cela à la fois. Et en plus ils ne pourront même pas vous contredire, parce qu'ils sont muets comme des carpes, n'ouvrent pas la bouche, ne prononcent pas un mot, ils ne jouent que la musique, de l'instrumental pur, des bijoux vocaux de la Castafiore ils n'en offrent aucun en devanture.

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    Parce que le Baron Crâne, ils réussissent ce prodige de tout donner et de récurer la marmite jusqu'au fond, et pourtant ils ne sont que trois à réaliser ce miracle de vous emmêler les pinceaux pour vous peindre les fresques les plus magnifiques. Un trio de malfaisants décidés à réaliser les pires tours de passe-passe. Au fond, près de la batterie le cancrelat de la classe. S'appelle Léo Goizet. Fonctionne comme une machine à concasser le rythme. Avec lui votre oreille dégoise grave. Ne peut pas laisser ses camarades se dépatouiller en toute quiétude de leur instrument, l'est partisan des accélérations subites, l'a de ses rictus diaboliques quand il tape à la madurle sur sa caisse claire, il regarde ses acolytes du genre '' les gars ne lanternez pas sur le passage à niveau, le TGV arrive'', ou alors il est pris d'une aversion subite envers le public et durant trois minutes un incendie de cymbales carillonnent dans votre tête comme un camion de pompiers en feu. Pour la grosse caisse il lui refile des coups de pieds comme s'ils étaient quinze à latter une victime innocente dans la pénombre d'un cul-de-sac morbide. Moralement parlant Léo Pinon-Chaby ne vaut guère mieux. N'a pas une collection de toms lui, n'a que six cordes à sa guitare, alors s'est rattrapé sur le nombre des delays, en use et en abuse, un clic du pied par ci ou par là et la donne change du tout au tout, de l'escadrille d'avions au décollage, aux senteurs de pivoines fraîchement éclose au petit matin, est incapable de rester longtemps sur les mêmes mêmes sonorités, un borderline des pédales, il lui arrive même de temps en temps de délaisser sa guitare pour tomber à genoux et tourner quelques boutons. A première vue Olivier Pain est le plus normal, un faux semblant éhonté, se colle à sa basse comme la ventouse aux double-wc, comme le mont Ventoux à son sommet. L'essaie de s'en arracher, s'arc-boute de toutes ses forces, mais non, vlan ! il retombe dans un gravier de groove fou qu'il n'a jamais quitté, une espèce de motoculteur fantôme décidé à couper en deux de son soc sanglant la population terrestre des lombrics sauvages qu'apparemment il exècre sans trop savoir pourquoi.

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    Vous entrevoyez le tableau. Mais hélas vous n'entendez pas le son. Vous imaginez une toile dadaïste avec des barbouillages de maternelle qui dépassent de partout. Tout faux. Maîtrisent salement leur délire. Certes à eux trois ils font autant de bruit qu'un orchestre symphonique. Mais quelle classe ! Vous emmènent en promenade. Sur les montagnes russes, escalades de parois glacées, vertiges d'abîmes sans fond, houles océaniennes, longue plage de sables fins bordée de palmiers, torrents tempétueux, géographie musicale planétaire, une espèce de fouillis zappatiens, des espaces de beautés floydiens, des bidouillages critiques de contemporanéités ultraïques, toutes les trois minutes vous changez de scène, flogistique shakespearien, une aisance déconcertante, un regard complice échangé et les décors se métamorphosent.

    Une musique sans concession, c'est à vous de suivre, si vous perdez le fil vous êtes pommé, c'est comme à la corrida si vous lâchez le taureau et le torero du coin de l'œil, vous vous ne comprenez pas pourquoi c'est la bête ou l'homme qui agonise par terre, mais à la Comedia le public est formé de connaisseurs, pas question de lâcher une miette, les applaudissements ponctuent les passages acrobatiques à tel point que parfois ils se piquent au jeu et vous jouent des fausses fins de séquences des baissers de rideaux, rien que pour vous faire comprendre qu'ils ont toujours quelques décamètres d'avance sur vous. Une dizaine de morceaux, autant d'atmosphères irisées d'étranges couleurs, une musique puissante, coruscante, sinueuse, frontale, un vol d'engoulevents emportés dans un tourbillon cosmique, Baron Crâne a su fomenter la ferveur d'un auditoire qui aurait voulu les retenir toute la nuit.

    ZARBOTH

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    Zarbi, les Zarboth. Le début est une véritable calamité. D'abord ils ont un look dépareillé. Un grand gars à la moustache en arc de cercle qui tape un rythme boiteux sur la caisse claire sans trop de conviction, l'air de je serais vraiment mieux ailleurs qu'ici, pas très loin il y a une espèce de faux vrai indien – à moins que ce n'en soit un vrai indien faux - avec des tresses à la Sitting Bull mais beaucoup plus courtes, lui Phil Reptil, il essaie de tenir sur ses cordes la même cadence que le batteur sans trop y parvenir, et enfin au micro, un trompettiste, pas tout à fait un jeune premier, qui souffle hors de ton une espèce de pépiement d'oiseau horripilant. Z'ont tout faux. Et puis par miracle au bout de deux minutes ils ont tout juste. Du costaud. Macdara Smith vous profile de ces lampées cuivrées dignes de Miles Davis, et les deux acolytes vous percutent une espèce de noise-jazz du meilleur acabit. Mais voici que maintenant Etienne Gaillochet entonne un étrange gargarisme qui tient autant de la mélopée funèbre, que du chant grégorien, de l'haka rugbistique que des chœurs de carabins en goguette. Jaloux Macdara dépose son instrument à vent pour l'imiter. Dès le second morceau Phil Reptil ne résistera pas à se joindre à cette cacophonie délirante.

    Durant les vingt minutes suivantes, certains éléments inquiétants sont à relever, exemple le Gaillochet qui quitte ses tambours en plein morceau pour entamer une espèce de danse de l'ours dans le dos de son guitariste, du coup le Macdara délaisse le chant au profit d'un long hurlement de loup solitaire affamé dans les froideurs de la taïga sibérienne, mais bientôt tout rentre dans l'ordre, et l'épisode chamanique semble définitivement clos. Du free-jazz, l'on passe à une espèce de simili rap tortueux du meilleur effet, l'on en profite pour s'apercevoir que tous trois savent vraiment très bien jouer et qu'en plus Macdara n'est ni le deuxième ni le troisième couteau de la formation. Come et Lost passent comme des lettres à la poste, Stymied est un peu plus chaotique, mais à partir de Naked l'on entre dans une autre dimension.

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    Avec son inimitable accent américain, Macdara nous demande d'être bien en nous-mêmes et de trouver les gestes qui nous délivreront, bon prof, il nous donne un exemple, lève ses bras au-dessus de sa tête – chez une petite fille de quatre ans à son premier cours de danse vous ne saurez résister à la beauté de cette gracile élévation – mais chez notre quadragénaire au physique de guichetier de la poste, vous ne pouvez que sourire, erreur fatale nous ne savions pas ce qui nous attendait. Le morceau est-il à peine fini qu'il lance ses chaussures en l'air, une au plafond, l'autre qui retombe sur la caisse claire, puis dans un geste auguste et en même temps crampien il retire – avec une certaine difficulté due à la sueur – son T-shirt, puis son pantalon qui atterrit et s'entrecroise en plein dans les toms ce qui ne facilite pas le travail de Gaillochet. Malgré son calçon rouge qui souligne les rondeurs de ses attributs Macadara micro en main se lance dans une espèce de hip-rock déjanté qui met en valeur la dextérité de ses compagnons. Faut voir le Reptil, l'est enchanté d'être sur le sentier de la guerre, à chaque nouveau morceau il vous déterre des tomahawks de haine de plus en plus tranchants.

    Délire général. Les titres s'enchaînent, Putain Putain ( d'Arno ), Sperman, Clitoman, tous au dessous de la ceinture, politique et érotique, nos musicos se retrouvent tous les trois enlacés à chanter à capella puis regagnent leur instruments pour un groove de la mort à vous évader de la prison de votre chair. Certes l'esprit est là, celui de la folie, de la dérision, du cirque, du chahut et de la chasse au dahu au fond des bahuts. Devant la scène les corps s'enchevêtrent de plus en plus sauvagement. Il y a longtemps que nous n'avions tant ri.

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    Rappel homérique. Un groove tentaculaire plantureux, une espèce de rythmique géante euphorisante qui refuse de s'arrêter et qui durera plus de vingt minutes. Attention, sont tout sauf des rigolos. Des performers qui sont revenus de tout, surtout de leur performance, car cruauté bien ordonnée et incisive commence par soi-même. Si maintenant les rockers se lancent dans la philosophie. Où va le rock ? Et peut-être plus grave : où va la philosophie ?

    Damie Chad.

     

    PASSEUR / LE CORE ET L'ESPRIT

    ( Clip / Septembre 2019 )

    ( Réalisateur : NICOLAS ALLIOT )

    Orpheline : Ellyn / Orphelin : Liam / Passeur : Florent / Officier allemand : Marco.

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    L'album est sorti au mois de mars, nous les avions vu le 15 avril à la Comedia ( livraison 416 ), et voici le premier clip adapté du premier morceau du CD.

    Le Core et l'Esprit fait partie de ces groupes qui ne misent ni sur l'esbroufe ni sur l'air du temps pour gagner les cœurs. Une musique sauvage mais des lyrics en français. Quand on a quelque chose à dire autant le crier distinctement que le public le comprenne. Que voulez-vous, il reste encore des individus qui refusent de formater leur cervelle avec ces ersatz de recharge de pensées consensuelles vendus en boites dans tous les supermarchés.

    Passeur est une chanson hommage à tous ces passeurs anonymes qui dans la France occupée ont aidé à sauver ( entre autres ) les enfants juifs. Certes c'était il y a longtemps, mais les autres titres du disque vous soufflent fortement que la résistance à toutes formes d'oppression est des plus actuelles et des plus nécessaires.

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    La réalisation de Nicolas Alliot est remarquable. Dès les premières images vous êtes projeté dans ces films en noir et blanc qui ont fait la grandeur du cinéma français d'avant guerre. En cinéma gris, un choix esthétique, regardez une des photographies du tournage, et la correspondante extraite du clip, la différence parle d'elle-même, vous pouvez toucher du doigt, pardon de l'œil, ce qu'une démarche artistique ajoute à la simple reproduction du réel. Dans la première cas, la viride beauté de la nature campagnarde vous vrille la tête, dans la deuxième elle n'a pas disparu, loin de là, son impassibilité est même sublimée par l'angoisse de la situation. Les gamins sympathiques du tournage sont transformés en marionnettes du destin, ils perdent toute singularité pour devenir des symboles agissant de la peur et de l'espoir.

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    Le pré-générique est magnifique de justesse – c'est dans les tout petits détails que gisent la grandeur des choses et des actes, les billes de verre, le regard emmuré en-lui-même de la grande sœur, la fumée de la cigarette au bout des doigts, mais voici le groupe de rock dans une grange aux trous béants, la musique déboule mais les fuyards glissent sans bruit emportés comme dans un songe de liberté. L'on ne voit plus que le groupe, seulement par des intermittences des éclats gris de l'histoire évoquée, le regard réfléchi du Passeur, et l'officier allemand qui remonte la piste, revolver à la main, car les rêves virent souvent au cauchemar, et le vaste espace découvert à franchir en courant... les enfants courent au-devant de la vie et d'eux-même, superbe montage de Nicolas Alliot, qui vous stresse d'angoisse avec seulement quelques fragments d'images, la séquence est courte mais elle donne une impression d'infinie durée.

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    Et pourtant, question timing le groupe se taille la part du lion, belle prestation scénique de Léo d'une générosité très expressive, et les mains des musiciens sur cordes, avec en plus surtout ces effets de propulsion en avant qui ne sont pas gratuits, qui ne visent à aucun pittoresque, mais qui s'inscrivent dans le dénouement de l'écriture filmique. Un peu comme la rime finale d'un sonnet clôt sur lui-même l'artefact poétique dont elle est censée être le dernier mot, mais dont elle révèle le sens ultime.

    Le Core et l'Esprit est décidément un groupe à suivre. Ils font en sorte de s'intégrer dans une démarche signifiante, selon laquelle musiques, lyrics, images, forment un tout opératif dont les parties se répondent dans un dialogue porteur de sa seule raison d'être. Car de quel droit incongru peut-on s'adresser aux autres si le projet dont vous êtes porteur reste un brouillon illisible, ou sans conséquence notable sur le monde qui nous entoure. Qui a, hélas, souvent besoin de quelques mises au point. Au poing.

    Damie Chad.

    D.J. FONTANA

    BATTEUR HISTORIQUE D'ELVIS PRESLEY

    par TONY MARLOW

    ( in Jukebox 393 )

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    L'on se souvient avec émotion de la superbe série que Tony Marlow avait consacré aux guitaristes des pionniers. Pour ceux qui ont raté, pas de panique sont tous repris dans le Hors-série N° 37 d'avril 2017. Sait de quoi il cause le Marlou, l'est un de nos meilleurs guitaristes actuels, ce qui ne l'a pas empêché de débuter dans le métier en tant que batteur. Et voici donc qu'il nous présente cette fois-ci D. J. Fontana le batteur d'Elvis. Fut là pratiquement du tout début jusqu'à la fin, on le retrouve sur 460 morceaux du King. Jugez du peu !

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    L'a quatre ans de plus qu'Elvis qui le rencontrera lors de son première fois au Louisiana Hayride avec Scotty Moore et Bill Black. Certes il apporte sa batterie au trio, cet instrument qui nous semble aujourd'hui indispensable au rock'n'roll, mais aussi une science de l'instrument pas spécialement ancrée dans le rockabilly, d'ailleurs en totale gestation à l'époque. Son idole à lui c'est Buddy Rich batteur de jazz qui sur son lit de mort à l'infirmière préposée aux injections qui lui demandait s'il était allergique lui répondit : ''Oui, au country !'' . Comme quoi vos enfants spirituels sont parfois surprenants. Buddy Rich, était remarquablement doué, fit sa première apparition publique à l'âge de dix-huit mois, l'était un technicien hors-pair mais aussi le gars capable d'improviser et de s'adapter à toute situation. Il est à croire que c'est cette qualité calaméonienne de Buddy Rich que D. J. Fontana engrangea dans son subsconscient. A quinze ans il trouve le seul boulot pour lequel j'accepterais de travailler à l'œil, il accompagne les séances d'effeuillage de strip-teaseuses. Cela n'a l'air de rien mais entre Buddy Rich, les déshabillages de ces dames, et Elvis, il existe une logique souveraine.

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    L'on ne le répètera jamais assez, et Tony Marlow analyse le phénomène avec tout son savoir de praticien émérite, entre 1954 et 1958, le rock'n'roll était une musique à inventer. Ce furent des gamins somme toute bien inexpérimentés qui se chargeront de cette tâche. Un peu par la force des choses, et beaucoup par instinct. Les évènements vont vite et l'on n'a pas le temps de réfléchir. D'autant plus que le bagage théorique dont disposent la plupart de ces créateurs est bien maigre. Sur scène, notre jeune héros n'a pas le temps de feuilleter un traité d'instrumentation ou de composition ( d'autant plus qu'il ne sait pas lire la musique ), faut que ça pulse illico, tout en douceur exactement comme quand la main se rapproche de la bretelle du soutien-gorge, car le secret est de faire durer le plaisir, ralentir les feulements prometteurs du balai, mais au moment ultime de l'arrachage, z'avez intérêt à sonner toutes les cloches du beffroi de Bruges sur votre caisse claire si vous vous voulez être en accord avec la montée testostéronique du public, je ne vous parle pas quand on aborde le triangle des Bermudes situé un peu plus bas, c'est Elvis qui a de la chance, le Fontana il devine tout ce qui va se passer, connaît l'instant précis où le Pelvis va se déhancher, quand il est nécessaire de craquer les allumettes ou de refermer la boîte. Désormais sur scène l'Elvis sait qu'il peut improviser sa gestuelle à tout moment, fait confiance à son batteur pour trouver le tchac-a-poum-boom-boom qui tue. De leurs côtés Bill Black et Scotty Moore comprennent qu'ils n'ont qu'à innover dans le même sens. Et chacun y va de sa petite trouvaille. Le détail qui tue, le bouquet de fleurs rouges négligemment posé sur le guéridon vert, sans quoi même le palais de Buckingham vous prend une lamentable allure de chaumière délabrée.

    Lorsqu'ils arriveront en studio ce savoir deviendra décisif. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je possède un critère absolu pour juger d'une œuvre d'art ( plastique, écriture, peinture, musique, etc... ) : c'est simple ou je peux le faire et cela ne vaut pas tripette, ou je pourrais le faire. Exemple : si j'étais batteur je pourrais sans trop de difficulté – parfois je me vante - suivre le rythme de My Baby Left Me, mais il y a de certaines dégringolades dans ces premiers morceaux, de véritables descentes d'organes, je n'aurais pas pu. Totalement incapable. Physiquement et mentalement. Je m'incline, je m'avoue vaincu, j'adore, je deviens inconditionnel, quand j'en ai entendu une la première fois, j'ai cru que l'aiguille du phono avait attrapé une grosse poussière et avait lamentablement dérapé, mais non, après vérification, j'ai dû me rendre à l'évidence. A cette occasion je me suis vraiment aperçu que derrière le chanteur il y avait des musiciens tout aussi importants... Pour ce qui se passe en studio, vous suivez Tony Marlow les yeux fermés, car non seulement il peut le faire, mais en plus il sait écouter et décrypter. Z'allez être obligés de ressortir vos disques d'Elvis pour comprendre.

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    Lorsque Elvis sera en Allemagne, Fontana ne se retrouvera pas au chômage. Jouera notamment avec Gene Vincent et Lefty Frizzel, la liste est longue mais je cite mes deux chouchous. L'en sera de même après la disparition du King, ce coup-ci la liste est interminable, mais Tony le Marlou vous sort une incroyable quinte d'as de son bâton de maréchal du rock français. Sait de quoi il parle, l'était présent, ce 14 novembre 1993, en première partie avec Betty & The Bops, juste avant le show de D. J. Fontana et Scotty Moore, l'a échangé avec ces idoles du rock d'une fabuleuse simplicité, l'en parle lui-même avec modestie, consacre beaucoup plus de lignes à Lucky Blondo qui en 1977, enregistre un 33 tours hommagial ( en français ) avec D. J. Fontana à la batterie. D. J. enchanté du résultat sera aussi sur les deux suivants en 1978 et 1979...

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    L'article est à découper et à conserver précieusement dans un classeur.

    Damie Chad.