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  • CHRONIQUES DE POURPRE 433 : KR'TNT ! 433 : GINGER BAKER / WAYNE KRAMER / WEIRD BRAINZ / TIGERLEECH / MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS / VOLK / LONG CHRIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 433

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    10 / 10 / 2019

     

    GINGER BAKER / WAYNE KRAMER

    WEIRD BRAINZ / TIGERLEECH

    MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS

    VOLK / LONG CHRIS

     

    Stup Baker - Part Two

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    Adieu Ginger Baker. Content d’avoir fait tout ce bout de chemin avec toi. Merci pour Cream et tous les autres grands disques. Merci pour la démesure et les drogues, pour le panache et les ruades. Qui est mieux placée que Nettie Baker pour lui rendre hommage ? Personne. Elle vient justement de consacrer un recueil de souvenirs à son père : Tales Of A Rock Star’s Daughter. Avec ce titre, on sait où on met les pied. L’ouvrage tombe à pic.

    Pour Nettie, c’est facile d’écrire un livre. Son père a défrayé la chronique pendant cinquante ans. Dans un Part One, on chantait les louanges de Ginger Baker, ce crazy cat auréolé de cheveux rouges. C’est à présent le tour de sa fille d’ajouter un chapitre à la geste du preux prince des batteurs junkoïdes britanniques, une lignée qui remonte à Phil Seaman, jazzman amateur de rythmes africains.

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    Mais cette chipie de Nettie aurait tendance à profiter du renom de son père pour parler d’elle et de ses aventures adolescentes. Si on attend de ce livre qu’il fourmille de détails sur la vie quotidienne de Ginger Baker, il faut le remettre tout de suite à sa place dans l’étagère du libraire. Nettie n’évoque son père que de temps en temps, juste pour nous rappeler qu’il est réellement le crazy hellraiser que l’on sait.

    Elle écrit dans un style très enroulé, très commère du quartier, assez franc du collier, une sorte de faconde teintée de ce brillant humour trash qui ne peut être que génétique. Comme tous les ados qui grandissent dans des milieux musicaux, elle se forge sa propre identité musicale. Elle va plus sur Elton John que sur Cream, qui pour elle est le son de ses parents. Elle ramène par exemple chez elle des albums de Neil Young. Son père qui entend ça dit que poor Neil Young sound pathetic and weedy, une formulation qu’on pourrait traduire par ‘branleur pathétique’. C’est vrai que c’est l’époque chèvre de Neil Young et Ginger avait d’autres chats à fouetter. Quand Nettie a des problèmes à l’école, Dad vient trouver la Headmistress pour la traiter de frustrated old lesbian. Nettie livre tout de même quelques anecdotes assez croustillantes, comme ce retour au bercail après une party un peu trop alcoolisée : en arrivant, Dad encastre sa Jensen dans la Range Rover garée devant la maison. Il ne fait jamais les choses à moitié. Il bousille deux bagnoles d’un coup. En réalité, Ginger Baker possède deux Jensen, il adore bombarder sur la route, flashing along at high speed. Il passe son temps à doubler ce qu’il appelle the ‘worms’, c’est-à-dire les files de bagnoles qui n’avancent pas. Nettie adore tout ce qu’adore son père : la vitesse, la boisson et le chaos.

    Pendant des vacances au Maroc en 1970, un riche marchand de Marrakech caresse les cheveux de Nettie et propose 600 chameaux à Ginger pour l’épouser, mais le batteur de Cream répond que ce n’est pas possible, car son jardin n’est pas assez grand pour contenir 600 chameaux. Par contre, il aurait certainement accepté 600 chevaux, car c’est avec sa passion pour le polo qu’il va ruiner la famille Baker. Et quand plus tard, Nettie vit avec un mec qu’elle appelle the Bell (la cloche), et qu’elle hésite à s’inscrire à l’aide publique (the dole), son père se met en pétard : «J’ai payé plus d’impôts que la plupart des gens en payent dans toute une vie, alors inscris-toi et récupère une partie de ce blé !»

    Ado, Nettie traîne dans un pub appelé The Towers of Flanagans. Elle s’amourache d’un nommé Johnny Gale qui porte du kohl autour des yeux, ce qui, à l’époque est encore extrêmement osé. C’est la finesse de certaines observations qui peut rendre ce récit passionnant. Nettie explique qu’on commence à voir des gens maquillés à Top of the Pops, the Sweet, en l’occurrence, mais c’est la télé. Dans la rue, c’est très perturbant. Elle parle d’un disturbingly androgynous effect. Elle cite aussi Roy Wood, Bowie et Marc Bolan, bien sûr, mais elle explique que ces maquillages les faisaient rire, elle ses copines, ‘nerveusement’. Elle cite aussi Rob Davis de Mud qui portait des boules de sapin de Noël accrochées aux oreilles. Pourquoi elle ses copines riaient-elles nerveusement ? Tout bêtement parce qu’elle ne comprenaient ce que cet androgynous effect pouvait signifier.

    Elle évoque aussi certaines de ces grandes fêtes auxquelles sa famille était conviée, notamment chez Clapton qui vivait alors avec l’ex de George Harrison, Pattie Boyd. Parmi les invités se trouvaient aussi Harrison et sa girlfriend, mais encore d’autres gens comme Elton John, Paul McCartney, Jeff Beck, Ringo Starr. Elle voit Jagger et le trouve sexy. Elle boit du Bacardi and coke. Ses parents la laissent tranquille. Elle a le droit de picoler tout ce qu’elle veut. Elle voit aussi la dope circuler, mais elle précise que c’est toujours in a clean and moneyed environment, quasiment au grand jour. Privilège aristocratique.

    Elle en déduit toutefois que la sainte trinité dope/infidélité/problèmes financiers a fini par avoir la peau du mariage de ses parents. Elle sait que son père prend de l’héro depuis qu’elle est née, mais c’est à l’adolescence qu’elle peut mesurer les dégâts que la dope opèrent sur Dad. Il l’emmène souvent manger au restau et il lui arrive de s’écrouler la gueule dans son assiette - He had nodded off into his soup and this was the very least embarrassing if nothing else - Elle trouve la situation ‘pour le moins’ embarrassante. Nettie raconte aussi que son père a toujours eu des poules à droite et à gauche, mais elle n’y voyait rien de mal. Ce qui n’était pas le cas de sa mère. Nettie a toujours vu ses parents se battre, s’envoyer des coups dans la gueule, avec une violence terrible. Un jour, elle voit son père sortir du sac sa tenue de polo et sur toute la hauteur du pantalon blanc est écrit le mot ‘CUNT’, c’est-à-dire gros con. Un jour, alors qu’ils sont tous les trois - le père, la mère et la fille - à bord de la silver Jensen en route pour une party, ils tombent en panne. Sa mère commence à gueuler : «Cette bagnole, c’est n’importe quoi ! Tu savais bien qu’elle déconnait !» et Ginger lui répond : «Shut the fuck up - Ferme ta gueule, you silly old bag or I’m going to kill you !»

    Les parents finissent par divorcer. Ginger Baker quitte sa femme et ses enfants pour vivre avec une gonzesse âgée de vingt ans que Nettie appelle ‘Number Two’. Nettie a un petit frère et une petite sœur et bien sûr leur mère interdit formellement à Ginger et à Number Two de les approcher. Mais Nettie les amène en cachette à son père, jusqu’au moment où sa mère l’apprend. Alors elle devient folle, débarque chez Ginger et saute sur Number Two pour l’étrangler. Ginger la décroche du cou de Number Two et la frappe. Résultat : deux côtes cassées. Quand Nettie appelle la police pour demander du secours, le flicard lui répond : «We don’t deal with domestics.»

    Comme une grande majorité d’ados britanniques, Nettie flirte avec les drogues. Elle en parle plutôt bien, avec une sorte de petite gouaille charmante. Dans une party, on lui tend une bouteille d’Amyl Nitrate. «Snif it hard», lui dit-on. Elle sniffe hard and my head flew off into outer space and I nearly had a heart attack (sa tête s’envole dans l’espace et elle frise la crise cardiaque). Plan classique. Ça amuse beaucoup ses copains. Un jour, Ginger récupère some extremely strong Nigerian grass, une herbe nigérienne particulièrement forte et Number Two en fait des cookies. Au bout de dix minutes, toute la famille devient complètement cinglée - We all became gigling maniacs after about ten minutes - Ginger sent qu’il faut calmer le jeu et il s’installe avec Number Two à Denham. L’idée est de s’éloigner un peu du circuit londonien des drogues. Ils font le choix d’un mode de vie au calme. Ginger débarque un jour dans la ferme voisine pour acheter des œufs et il tombe sur un hippie, qui est le fils du fermier : «Hello Ginger, fancy a toot ?» Il faut savoir qu’un toot est un snort d’héro. En fait, Ginger est tombé par inadvertance sur le plus gros trafiquant local d’héro - a veritable hive of smack heads.

    Dad finit par quitter l’Angleterre pour s’installer en Italie avec Number Two. Trop de problèmes, notamment avec le service des impôts britannique. Ginger Baker est ruiné. Il se fâche avec tout le monde, y compris Nettie qui reçoit une lettre contenant une pièce de cinq Lires, lettre dans laquelle il lui annonce qu’il la déshérite et qu’elle ferait mieux de retourner sous la pierre d’où elle est sortie. Ginger va ignorer sa fille pendant une éternité, ce qui, nous dit Nettie, lui permet de souffler un peu.

    Signé : Cazengler, Ginger Barquette

    Ginger Baker. Disparu le 6 octobre 2019

    Nettie Baker. Tales Of A Rock Star’s Daughter. Wymer Publishing 2018

     

    Kramer tune - Part Two

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    N’allez pas croire qu’après nous avoir servi la fulgurante triplette d’albums du MC5, Brother Wayne allait baisser les bras. Oh que non ! Très exactement vingt ans après High Time, il allait revenir aux affaires, soutenu par Mick Farren et Don Was, avec un album étonnant intitulé Death Tongue.

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    Il y tape une cover de «McArthur Park» digne de Syd Barrett et riffée à la Steve Jones. Il va chercher le recipe alors que le Park is melting in the dark et quand il explose ses again, ça devient très spectaculaire. Il en fait une version littéralement punkoïde et son génie se déploie lorsqu’il part en solo et que s’ouvrent les portes de l’enfer. Cette barbarie suprême en rappelle une autre, celle des Saints qui envoyèrent «River Deep Mountain High» rouler par mots et par vaux. Pendant ces quelques minutes, Brother Wayne redevient le roi du monde. Dans le morceau titre, Mick Farren ramone l’ambiance à coups de strange sensations in the danger zone et avec «Leather Skull» Brother Wayne donne sa version metallic KO du funk-rock. Il cherche des voies impénétrables pendant qu’une fille duette avec lui. Par contre, «Take Your Clothes Off» sonne comme de la pop de juke, mais avec beaucoup de swagger et des excavations de son qui évoquent le Spector Sound. S’il joue «Spike Heels», c’est à l’alerte rouge. Brother Wayne fouette sa crème au beurre dans le cake de Don Was.

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    Avec The Hard Stuff, Brother Wayne entre dans sa grosse période Epitaph, qu’on peut qualifier de Renaissance et même de temps des Lumières. Au moins quatre énormités là-dedans, à commencer par «Crack In The Universe». Le génie électrique de Brother Wayne s’y exprime dès les premières mesures. Non seulement il riffe comme un bâtisseur d’empire, mais il glisse en plus des tortillettes dignes de Michel-Ange. Il allie le muscle à l’ingéniosité. Aplomb d’acier. Voilà le véritable hit de the universe. Les coups d’harmo pleuvent sur le refrain. On le voit même prendre un solo de crabe à reculons. Il devient spécifique, il ne semble vivre que pour l’exaction. Suite du festin avec «Bad Seed», joué au pur maximalisme. Brother Wayne ne mégote pas sur la marchandise. Tu en as pour ton argent. Il devient même le riffeur le plus rapide de l’Ouest, il file comme l’éclair, descend des pentes vertigineuses et glisse un solo en douce sous le tapis, histoire de foutre le feu à la baraque. Le diable qui joue de la basse s’appelle Bradbury. Troisième coup de Jarnac avec «Realm Of Pirate Kings», pas loin d’All Along The Watchtower. Brother Wayne gratte ça aux mêmes accords et part en solax furax. Il chante sa soif de liberté et charge la barque à outrance. La quatrième raison de se réjouir s’appelle «Edge Of The Switchblade», un cut enflammé amené au riff de Motor City. C’est encore du grand Kramer, ses riffs rebondissent, c’est battu hard stuff. Son solo dégouline de mauvais jus. Il glougloute, il fait la pluie et le beau temps. Ce mec offre une sorte de spectacle, rien qu’en jouant. Il faut aussi l’entendre partir en solo dans «Pillar And Fire». Il est né pour ça. Il noie tout dans le son et s’y fore des passages. Encore de l’ultra-joué avec «Sharkskin Suit», descendu au riff malsain et battu sans remords. On a parfois l’impression qu’il joue tous les riffs du monde. Il tape «Poison» au heavy blues rock de Motor City. C’est tellement solide que ça rend les mots inutiles. Et cet enfoiré part en vrille à la première occasion. Si on aime la guitare électrique, c’est là que ça se passe.

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    Nouveau shoot de Detroit rock dans Dangerous Madness, et ce, dès le morceau titre. Brock Avery bat ça sec. Dès qu’il peut, Brother Wayne repart en vrille opiniâtre et lance des ponts somptueux. Tout aussi explosif, voilà un «Take Exit 97» qui gicle littéralement, c’est dégueulasse, tellement sexuel et pulsif as hell. Il passe d’un style à l’autre avec une aisance déconcertante, car après le heavy wah-wah riffing d’«It’s Never Enough», il part à l’aventure avec «Threats Of Illusion», mais au maximalus cubitus, rapide comme un requin blanc. Le hit de l’album s’appelle «Something Broken In The Promised Land», un balladif politique dans lequel Brother Wayne règle ses comptes avec le rêve américain - And Chuck Berry lied about the promised land - Il ramène pour l’occasion des chœurs explosifs.

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    Si on apprécie les coups de génie kramériens, alors il faut écouter Citizen Wayne. On en trouve trois, à commencer par «Stranger In The House». Brother Wayne attaque ça au pilon des forges. C’est révélateur d’un certain état d’esprit. Il profite de l’occasion pour nous rappeler qu’il est l’un des rois de la wah. Le deuxième s’appelle «Down On The Ground». Pur jus de MC5. Brother Wayne peut encore exploser le fion du rock quand il veut, il sort des tortillettes qui ravalent la façade des annales - I play my guitar/ And the beat comes down/ On a beautiful cosmic siren sound/ No one’s laughing there is no joy/ Down here on the ground - Il fait aussi du rap blanc dans «Back When Dogs Could Talk» et du funk avec «Dope For Democracy». Il tente de conjurer les sorts et joue à la circonvolution. En l’écoutant, on a l’impression de vivre un moment historique. Autre hit pharaonique : «Snatched Defeat». Brother Wayne raconte l’épouvantable débâcle de Gang War - While I was looking for life/ Trouble was looking for me - Il fait équipe avec Captain Jolly, Milky and Junkie the laughing clown. Et soudain, éclate l’un des plus beaux refrains de l’histoire du rock - We snatched defreat from the jaws of victory/ With holes in our arms for the whole wide world to see/ And the scandals would never end/ As the candle was burning at both ends - Huitième merveille du monde, car vécu jusqu’à la dernière goutte de son. Il raconte l’épisode du vol de la caisse du club où Gang War devait jouer et comme il était en liberté surveillée, il ne pouvait pas se permettre de repasser devant un juge pour vol - The last thing I needed/ Was a petty thieving case/ My whole life flashed before my eyes/ As I tried to flee that place. Sans doute est-ce là le cut qu’il faut retenir de la période solo du grand Wayne Kramer. Au moins aussi mythique que «Motor City’s Burning».

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    L’album live LLMF paraît en 1998 et rassemble tous les gros hits des trois premiers albums, avec bien sûr, «Kick Out The Jams» en guise de cerise sur le gâteau. Live, des cuts comme «Bad Seed» ou «Crack Of The Universe» arrachent les chambranles. Brother Wayne multiplie les prouesses et part volontiers en solo. Dans cette orgie de riffs, on trinque à la santé de Sénèque. Très belle version de «Something Broken In The Promised Land». Brother Wyane gratte son pathos miraculeux aux accords rougeoyants. Il joue avec aménité, en vrai petit soldat du rock. Il cocote et il chatoie. Mais comment fait-il pour chatoyer autant ? On se posera encore la question dans deux mille ans. Il part en solo smooth et la transition se fait en douceur - And the shit is real here/ In the promised land/ And Chuck Berry lied ‘bout the promised land - Il chatoie jusqu’au bout des ongles. Il multiplie les retours de manivelle dans «Down On The Ground» et se montre encore plus démonstratif dans «Poison». Il descend les escaliers en roulant. Il se prend pour une boule de feu. Mais c’est bien sûr avec Kick Out qu’il bat tous les records d’explosivité. Il sort une version encore plus explosive qu’au temps béni du Grande Ballroom, comme si c’était possible. Cette façon qu’il a d’attraper le train au vol !

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    Invité à venir jouer à Londres en 1979 par Mick Farren, Brother Wayne donne un concert devenu légendaire au Dingwalls. Les Pink Fairies l’accompagnent, et on peut entendre tout ça sur l’A de Cocaine Blues, paru en l’an 2000. Deux versions sautent à la gueule, le «Heavy Music» de Bob Seger et bien sûr l’inévitable «Kick Out The Jams». Brother Wayne fout littéralement le feu à Bob. Entre Detroiters, c’est de bonne guerre, pas vrai ? Cette façon qu’il a d’enflammer le son est unique au monde - Down there/ We don’t talk/ We do the camel walk - Et son Kick Out est au moins aussi inflammatoire que l’original enregistré au Grande Ballroom. Brother Wayne le passe à la moulinette imputrescible, le riff sonne comme le souffle d’un gigantesque incendie et le départ en solo bat tous les records olympiques. En B se trouvent des démos de type «The Harder They Come» ou «Do You Love Me». Ça se termine avec le fameux «Ramblin’ Rose» qu’il prend à la hurlette exacerbée - Diamond rings & a Cadillac car - Puis Brother Wayne s’en va glou-glouter goulûment - I wanna fuck you darling - On trouve quelques cuts en plus sur le Live At Dingwalls 1979 paru la même année, comme cette belle reprise de «Some Kind Of Wonderful» de Goffin & King : accouplement parfait entre the London Underground & the Detroit Scene. Très bel hommage à Chickah Chuck avec «Back In The USA» et pour finir, Brother Wayne déclare : «I used to play in a band called the MC5.» Looking at you babe ! Pure démence ! On est au sommet du rock blanc. Il joue son solo légendaire - Doin’ alrite/ Doin’ alrite - et il part à la chasse. Il n’existe rien de plus mythique que cette version jouée à la vie à la mort- And remember, my name is Peter Frampton, and I will be back !

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    Fin de l’épisode Epitaph. Brother Wayne enregistre désormais sur son label MuscleTone et Adult World parait en 2002. Il maintient sa tradition de cuts très écrits avec l’excellent «Great Big Amp» qui en fait est une bombe atomique - I got a great big amp/ It’s got a great big sound - Avec son gros ampli, il rêve de ruler the world et de winner the girls - With my great big amp/ I will liquify/ And I will melt away/ And I will touch the sky/ I’ll be free at last/ I will rise above/ I will know the peace/ And find eternal love/ With my great big amp - Il atteint le cœur du mythe rock, l’ange déchu renaît dans la lumière, il a tout le son du monde, I’ll be alone, ça sonne comme la voix de Dieu. C’est un hit incommensurable, l’un des plus spectaculaires de l’histoire du rock, tous mots bien pesés. Avec «The Red Arrow», Brother Wayne devient fou. Il rend hommage à Red Rodney, un trompettiste de jazz qu’il a rencontré pendant qu’il était au trou à Lexington. C’est explosé d’intro. Il nous fait le coup du couplet calme, the red arrow could play anything, avant de basculer dans la folie kramerienne. L’explosion échappe à l’entendement. Brother Wayne est l’un des seuls à pouvoir générer un tel chaos - The Red Arrow’s blowing be-bop from New York to LA - et ça explose, mais il ne s’agit pas de n’importe quelle explosion, c’est un phénomène sous-cutané d’excellence mortifico-hendrixienne. Il va loin au-delà des frontières du réel. Wayne Kramer a du génie et le déluge de son continue jusqu’à la fin, et là, tu n’as plus que tes yeux pour pleurer - And to me he was a father/ A giant of a man - Quel hommage ! On a aussi du pur jus d’Hellacopters avec «Talkin’ Outta School» et du talking jive avec «Nelson Algreen Stepped By». Brother Wayne en profite pour passer au groove de jazz, solide mélange d’accords secrets et de rap de Detroit. Il renoue avec les énergies ancestrales, Dizzy Gillespie, Down here on the ground et il rend hommage au Castor - She’s a whore/ She’s not Simone de Beauvoir - Tout est extrêmement inspiré sur cet album inespéré. L’un des sommets du rock américain.

    On voyait assez régulièrement Wayne Kramer à une époque à Paris. En 2004, il proposait une espèce de reformation du MC5, le DTK MC5, à l’Élysée Montmartre : les survivors Michael Davis et Dennis Thompson l’accompagnaient, avec en plus Mark Arm au chant et Lisa Kekaula en renfort.

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    En novembre dernier, il revenait avec une autre équipe pour fêter les 50 ans de cet album qui a marqué tellement de gens, Kick Out The Jams, enregistré live en 1968 au Grande Ballroom de Detroit. On pourrait reprocher à Brother Wayne de vouloir encore monter sur scène après avoir passé l’âge. Soixante-dix balais, c’est un peu limite, non ? Seulement, Wayne Kramer sort vraiment de l’ordinaire. Il ne fait pas ses soixante-dix balais. Dans son cas, on peut dire que le rock et la dope conservent bien. C’est même un bonheur que de le voir sautiller sur scène. En claquant simplement un accord, il balaye toutes les critiques. Rien qu’en apparaissant, il affirme sa légitimité. Il est tout bêtement entré dans la légende et on est vraiment content qu’il soit encore en vie et qu’il vienne pousser sa vieille hurlette de «Ramblin’ Rose», même si sa voix a muté. Alors bien sûr, le son du groupe qui l’accompagne peut poser un problème. La section rythmique sonne un peu hardcore, ces deux mecs viennent d’une autre scène (Fugazi et Faith No More) et le mec qui remplace Fred Sonic Smith sort de Soundgarden. Ce n’est pas la même chose. L’ancrage dans le son du MC5 va se faire via l’afro de Marcus Durant qui fut on s’en souvient l’excellent frontman de Zen Guerilla, l’un des fleurons du revival garage des années quatre-vingt dix. Pour fêter dignement cet anniversaire,

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    Brother Wayne entreprend de jouer sur scène l’intégralité de l’album paru en 1969, et comme c’est un peu court, il complète avec des petits blasters tirés des deux albums suivants, du style «Call Me Animal» et «Looking At You». Inutile de dire qu’on en a pour son argent. Même si on connaît tout ça par cœur, l’émotion se fond dans l’osmose de la comatose. On a pu remarquer au fil des ans que le petit jeu des reformations ressemble à une loterie. Celle des Pistols nous fit bien rigoler, celle des Stooges en fit bander plus d’un et celle du MC5 méritait bien son coup de chapeau, encore fallait-il en porter un.

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    Grâce au recul que donne le privilège d’avoir découvert le MC5 en 1969, l’apparition de Wayne Kramer sur scène provoque un sentiment étrange. Disons qu’on voit se tourner une page d’histoire. Pas n’importe quelle histoire, celle d’un certain rock. En 1969, Wayne Kramer annonçait l’avènement d’un son apocalyptique qu’on allait surnommer le Detroit Sound. Il en fête à présent les 50 ans et l’intronise, en quelque sorte, dans une espèce de Hall of Flammes illusoire. Tout se déroule dans sa tête et dans la nôtre. On espère seulement qu’il réussira à mourir sur scène comme le fit son meilleur ami, Mick Farren. Tout ça sent bon la fin des haricots et ce sont des haricots qui sentent bon.

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    Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

    MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

    Wayne Kramer. Death Tongue. Progressive International 1991

    Wayne Kramer. The Hard Stuff. Epitaph 1995

    Wayne Kramer. Dangerous Madness. Epitaph 1996

    Wayne Kramer. Citizen Wayne. Epitaph 1997

    Wayne Kramer. LLMF. Epitaph 1998

    Wayne Kramer & The Pink Fairies. Cocaine Blues. Captain Trip Records 2000

    Wayne Kramer. Live At Dingwalls 1979. Captain Trip Records 2000

    Wayne Kramer. Adult World. MuscleTone Records 2002

    O4 / 10 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    WEIRD BRAINZ / TIGERLLECH

     

    L'on raconte que les filles ont parfois, vers deux heures du matin, des envies subites de fraises. On les excuse, parce qu'elles sont alors en des états que l'on dits intéressants. Moi ça m'a pris à 17 heures trente, dans une situation aussi innocente, je le jure, que la Sainte Vierge avant que le Saint-Esprit ne s'introduisît en elle. Non je n'ai eu envie ni de tagadas, ni de naturels tubercules roses estampillés bio, normal je suis un mec, me faut des émotions plus fortes, la dégustation des fragaria je laisse cela aux gamines, non simplement le subit et subtil besoin viril de caresser un tigre. Au zoo de Vincennes, ils ont décrété que j'étais toqué, c'est alors que je me suis souvenu que justement à la Comedia passait Tigerleech, je n'ignore pas que cela signifie la sangsue du tigre, mais j'ai pensé que la sangsue du tigre devait se trouver normalement sur le tigre.

    Arrivé à la Comedia, j'ai eu comme un doute, certes le tigre et sa sangsue étaient en train de faire leur balance, mais ce que j'entendais n'avait rien à voir avec la marche souple et féline du tigre royal du Bengale, capable de se couler au travers d'une forêt de bambous aussi serrés qu'un plant de persil, sans faire bouger une seule feuille. J'avais imaginé une musique svelte et légère, un peu folâtre comme le générique de la pink panther, mais non là, j'avais l'impression d'un lourd troupeau d'éléphants piétinants les récoltes du village d'indigènes promis à une future famine. Caresser le tigre serait-il une tâche moins facile que je ne le supposasse ? Je me suis promis d'attendre sagement leur set avant de réaliser mon projet et en attendant me suis préparé à écouter Weird Brainz.

    WEIRD BRAINZ

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    Sont jeunes et pleins d'avenir. Sofiane Omari, un garçon qui porte, sous ses cheveux en coupe afro-dreads, un T-shirt sur lequel Johnny Cash tend à nos figures de trous du cul son énorme doigt d'honneur, ne peut pas être entièrement mauvais, il nous en administre tout de suite la preuve en caressant sauvagement sa guitare sur l'ampli pour trois minutes de tonitruances bienvenues, il est évident que Weird Brainz entend livrer nos tristes méninges à un traitement de faveur, rien de tel qu'un bon électrochoc pour vous remettre les idées à l'envers, sans doute le meilleur moyen de porter un regard osmosique en accord avec notre monde avarié. Nous pouvons immédiatement apporter la preuve de ce dérèglement, ce soir Weird Brainz devait nous offrir tout chaud, tout brûlant, son premier EP, hélas les délais de livraison ne l'ont pas permis. Dommage, ce n'est que realease party remise, et en lot de consolation nous avons le groupe en chair bruiteuse et en os grondants devant nous. Léo, un air furieusement appliqué, penché sur sa batterie tel un élève sur sa version latine – n'a rejoint ce poste que depuis quatre jours - jette toute sa hargne sur la batterie qu'il maltraite fort joliment.

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    A la basse officie Martin Musy, un grand gars, un faux-calme, genre de guy à la mine innocente qui vous jette un bidon d'essence sur le camion des pompiers en train de tenter d'éteindre un incendie de forêt dévastateur qu'il a précédemment allumé. Pour compléter le tableau, nous rajouterons que Sofiane possède une belle voix, avec ce grain granuleux qui fait toute la différence, et qui vous gratouille agréablement le cortex. L'en profite pour nous interpeller Hey You, et nous intimer l'ordre de nous remuer, Jerk Yourself.

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    Rien de tel que la jeunesse pour vous filer un coup de pied sur votre auguste le postérieur. Sofiane ne ménage ni sa peine ni sa guitare. La pauvre enfant en a les plats-bords tout écorchés, pas besoin de vous faire un dessin, la jette violemment sur l'ampli, l'envoie par terre, où il la laisse vagir désespérément tel une baleine bistre échouée sur une plage inhospitalière, tourne les boutons de ses delays avec une minutie sadique la reprend pour vous écorcher de quelques riffs ninjas qu'à l'instant Martin soutient sans faille et le long manche de sa basse dépasse de la scène comme l'encolure de ces chevaux qui tentent de s'enfuir du camion qui les conduit à l'abattoir. Sur ce Léo se voûte sur les drums pour les taper encore plus fort, manière d'emmener sa quote-part au tumulte ambiant. Vous pouvez respirer entre les morceaux, car Sofiane se doit de réaccorder son instrument à chaque fois, avec cette sollicitude d'un père de famille qui offre un carambar à son enfant qu'il vient de défenestrer du troisième étage pour lui apprendre que la vie n'est pas facile et qu'il faut s'endurcir. Puis il nous fait le coup, qui marche toujours, de l'annonce du slow, immédiatement suivi d'une avalanche sonore sans précédent. Guilty, Diprozone, Energizer, Bloody Molly déboulent et se ressemblent à la manière de ces taureaux furieux qui lâchés dans l'arène vous encornent fort salement les toreros sur les planches et vous les laissent palpitants dans leur habit de lumière éteinte à la manière de ces papillons épinglés sur leur planchette qui agitent spasmodiquement une dernière fois leurs ailes diaprées de souffrance et de mort. Le pire c'est que le public de la Comedia apprécie hautement ces outrances sonores.

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    Des connaisseurs enthousiastes qui jerkent sans rémission et se tamponnent allègrement, se livrant à un brainztorming des plus jubilatoires. Finissent par deux coups d'éclats un Ghost Town à vous faire frémir d'horreur et un kicked out apocalyptique où la guitare de Sofiane abandonnée à son triste sort agonise sans fin sur les lattes de la scène, l'est sûr que ces jeunes gens ont toutes les qualités requises pour dans les années qui viennent alimenter notre provision de cauchemar tentaculaires.

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    TIGERLEECH

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    Le tigre nous a sautés dessus dès la première seconde, personne n'a eu le temps de tenter de le caresser, l'a commencé par nous balafrer d'une méchante escarre à l'image de l'écriture escarpée de son nom, puis il a déchiré notre cervelle en petits morceaux et les a jetés dans la poubelle comme de vulgaires confettis. Des sauvages. Sont comme les quatre pattes du tigre, il n'y en pas une qui puisse sortir ses griffes, toute seule dans son coin. Sont salement coordonnées. Toutes ensemble. Tâchons toutefois d'y voir un peu plus clair. Vous entrent sans férir dans le lard et c'est difficile de distinguer qui fait quoi. Commençons par Sheby, il est au chant, enfin plutôt aux chiens, la meute entière, avez-vous déjà entendu une cinquantaine de hound dogs sur les jarrets d'un pauvre cerf, certes c'est cruel, mais quelle musique délicieuse, vous êtes dans une quadriphonie de jappements infinie, aucun sorcier du son n'est parvenu à traduire cette onctuosité de cruauté ensauvagée dans aucun de leurs enregistrements, et ça n'en finit pas jusqu'à la fin, Sheby l'est comme cela, une voix féroce, le gars vous attrape le vocal et y plante ses crocs dedans, n'en démordra plus, on ne l'arrête plus. L'a toujours un grondement de fin du monde à ajouter, tire sur ses cordes vocales comme sur les chaînes d'un puits sans fond, ramenant à chaque traction un seau d'or liquide en fusion qu'il vous crache à la gueule sans plus de façon.

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    L'a une excuse. Derrière lui Olivier est partie pour une chevauchée fantastique sur sa batterie. Le même fonctionnement de base, 1 : je tape sans arrêt, 2 : je n'arrête jamais, de la folie brute, les bras qui tournent en ailes de moulins affrontés à une tornade. Don Quichotte peut aller se rhabiller, ici les géants sont les branches d'Olivier.

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    Cabor est à la basse. La confond certainement avec un baril de pétrole, l'en extrait une espèce de matière noire, une gluance noirâtre sans nom qui s'infiltre partout, à la vitesse de la marée du Mont Saint Michel, inutile de courir, elle vous submerge et vous oléagine en moins de deux, flexible comme un mamba noir, et tordue comme des pattes de mygales empoisonnées. Faite attention ça rampe par terre et puis ça vous ligote sans que vous ayez eu le temps de crier.

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    Vous étiez trop occupés à vous régaler des riffs nitroglycérites de Fabien. Fabien fait mal. L'a la guitare qui grogne et fuzze, vous creuse des galeries dans le magma granitique vomi par ses camarades, l'est la taupe dinosaure qui remonte à la surface de la terre pour procéder à l'extinction finale de sa propre espèce.

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    Ce qu'il y a de terrible avec Tigerleech, c'est qu'ils font pour ainsi dire leurs coups en douce. Pas un pour jouer plus fort que l'autre, mais vous êtes emportés dans un torrent sonologique dragonesque. Une machine à tuer. Un moteur d'une puissance prodigieuse, pas une ratée, pas un temps mort, pas une reprise asthmatique, pas un seul cafouillement malencontreux, un bulldozer lancé à toute vitesse qui vous aplanit les pus gros rochers avec la même facilité que l'éponge que vous passez sur la nappe cirée pour retirer les miettes. Vous alignent les titres comme des ogives nucléaires, et vous les font exploser à l'intérieur In my vein, Sexe dur, Burn Inside, ou au dehors Sandstorm, Acid Gang, Decline, vous font vivre une Experience que vous n'oublierez pas. Stoner hardcore, qu'ils disent, s'ils veulent pourquoi pas, ce qui est important c'est cet étrange délire collectif qu'ils sécrètent et qui s'empare de vous, vous enferme dans une bulle qui possède une dimension quasi-mystique par laquelle ils vous hypnotisent pour que vous puissiez libérer vos refoulement culturels et venir avec eux dans une Jungle Punk en folie jodorowskienne. Je préfère ne pas vous décrire l'état de l'assistance, en transe décalquée d'elle-même. Lorsqu'ils ont fini, l'on redemande une petite faveur. Nous font deux minutes un truc rapide, une queue de comète et puis arrêtent tout. Ils ont raison, ils ont déjà tout donné et l'on a déjà tout pris. Ils sont le tigre et nous la sangsue.

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    Damie Chad.

    ( Photos : Mélisa Benarda  : on FB  : Shoots and Drafts  + FB des artistes )

    O4 / 10 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS

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    C'est bête mais l'on retourne toujours à la Comedia dès que l''envie vous prend d'écouter de la musique un peu sauvage. Et puis nous qui avons tant aimé The December's Children des Rolling Stones pourquoi ne pas essayer, puisque moi j'aime l'émoi des mois, les Missiles of October, un nom qui équivaut à une douce promesse de menace, et de toutes les manière après il y a les Critters, donc fouette Teuf Teuf et c'est reparti, car contrairement à ce que conseille les Evangiles, à la bonne herbe les rockers préfèrent l'ivresse de l'ivraie givrée.

    WHO'll STOP THE RAIN

    Je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais depuis quelques temps il pleut de plus en plus de missiles sur notre terre. Je ne parle pas ici des scuds que sont les disques de Missiles of October, mais des vrais qui s'abattent en rafales sur des pays pas très éloignés du nôtre, de l'autre côté de la Méditerranée en Syrie, par exemple. Les mauvais esprits n'en finissent pas de maugréer, Premièrement affirment-ils ces bestioles ont la mauvaise habitude de viser principalement les civils, les enfants, les hôpitaux. Quelle terrible malchance ! Deuxièmement, vu le prix exorbitant de ces engins l'on pourrait à leur place construire des dispensaires, des écoles, des universités et des Comedia un peu partout pour que les gens vivent mieux. Dans les années soixante, nos glorieuses sixties, le rock s'élevait bruyamment contre la guerre au Vietnam, aujourd'hui c'est moins évident, l'état du monde a empiré, mais le rock parle moins fort aux oreilles de nos concitoyens. Peut-être parce qu'il ne crie pas assez fort. Heureusement ce soir nous avons les Missiles Of October.

    MISSILES OF OCTOBER

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    Avalanche bruitiste. Comment trois gars à eux seuls peuvent-ils déclencher un tel armagueddon sonore. Et surtout avec cette précision instrumentale. Pouvez suivre à l'oreille le moindre déplacement d'un doigt sur une corde, avec cette netteté du chant de l'alouette dans le radieux silence d'une aube nouvelle. Ils possèdent le sens de l'humour noir, commencent par Do you hear that noise ? Évidemment vous êtes submergé par le déluge sonore, mais il n'est de pires sourds que ceux qui ne veulent pas voir que cette musique n'est que le reflet de notre monde. Bob Seytor est au rotor. Terrible force de frappe. Les bras tourmentent la vitesse de Sleipnir la monture à huit pattes folles d'Odin qui vous emporte sur les terres brumeuses de Hel, la patrie des morts. Avec cette légère différence, que de nos jours l'enfer a pris résidence sur la terre. Bob nous distribue un fameux be-bob, nous martèle les drums dans le crâne, nous entatoue la peau à l'encre indélébile. Rouge sang giclant et noir de mort. De part et d'autre Lionel Beyet à la basse, et Mathias Salas à la lead. De véritables statues hurlantes. Pas de chant. Ils crient, ils screament, ils criment et châtiments, ouvrent le gosier comme des fournaises ardentes, s'en échappent des flammes, évoquez le Dieu Baal, sa gueule quémandeuse, grand-ouverte, béante fournaise, dans laquelle les carthaginois jetaient les nouveaux-nés en offrandes votives.

    Evidemment une telle masse sonique se suffit à elle-même, les musicos ne sont pas ici pour se faire voir et quêter votre approbation en se livrant leurs plus jolis soli. Pas de démonstration artistique et solitaire. Les morceaux sont constitués de courtes séquences rapidement enchaînées. Se suivent et ne se ressemblent pas. Des peintres qui déposent de larges aplats au couteau, et s'en vont tout de suite chercher sur leurs palettes un brou de noir encore plus sombre, un bleu métal d'un acier encore plus tranchant, un rubis encore plus sanguinolent. Faut voir Lionel et Mathias arquer leurs corps, leurs phalanges répétitives crispées sur un accord juste pour marquer leur désaccord avec le monde. Mais l'ennemi est plus fort qu'eux, il enfonce la porte contre laquelle ils se pressaient dans le but d'en empêcher la brisure, et celle-ci réalisée, nos guerriers de l'impossible et du rêve se replient aussitôt derrière un autre portail, mais l'on pressent que les chaînes de fer qu'ils entrecroisent seront à leur tour emportées comme des fétus de paille.

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    Tout de suite alors, Bob le stentor opère un break drumique, une espèce de chute, de salto-arrière avec rétablissement immédiat, You know, there is something strange, something dirt, et contre cela l'établissement d'une nouvelle ligne de défense, une muraille d'acier, Not a good idea, I'm nauseous, Dead bodies, une cause perdue d'avance, un rempart mouvant qu'il faudra sans cesse rebâtir et ériger, car le roseau pensant qu'est l'être humain plie mais n'abandonne jamais la lutte, surtout lorsqu'elle est désespérée et paraît inutile. Ne s'agit pas de jouer à la colibri-rock, mais de crier sans fin son dégoût du monde actuel, d'organiser le tumulte afin de l'anéantir sous le tumulus de sa stupide inanité.

    Colossal ! Missiles of October quittent la scène sans mot dire. Pas de rappel, inutile, après une telle démonstration le public a compris d'instinct n'y a rien à demander, rien à ajouter.

    CRITTERS

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    Tels qu'en eux-mêmes. Tranquilles comme Baptiste. Passer après Missiles of October ne doit pas être facile augurez-vous. Même pas peur. Sont des adeptes du trash punk, ils en ont vu d'autres. Se regardent tous les matins dans la glace, et ils ont beau insister ils n'arrivent pas à rougir d'eux-mêmes. Possèdent eux-aussi une philosophie de la vie. Jugeront la formule trop prétentieuse mais leurs lyrics, ils chantent en français, ne trompent pas. Portent un regard sans illusion - La mort en marche, Hybride TV-Net - sur la réalité sociale de notre vécu. Celui des human beings mais aussi des animals tout aussi beings que nous. Notre organisation sociale n'est point tendre, ni avec les uns, ni avec les autres.

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    Ne sont pas bêtes, mettent le plus fort devant. Un corps de rêve. Les filles, calmez-vous. Une musculature impressionnante. L'arrive même à arborer un modèle d'iroquoise qui n'appartient qu'à lui. Certes il est tout calme mais s'il vous allonge sa basse sur la tête vous êtes mort. En retrait, ils ont disposé les deux guitaristes, le brun sur notre gauche, le blond à droite. Ne pensez pas à des plantes grasses devant les portes de réception des hôtels, une fois que vous les aurez entendus étendre leurs doigts sur leur cordage, vous comprendrez qu'ils en usent des riffs comme ces cacte qui lancent leurs dards empoisonnés sur toute personne qui passe un peu trop près de leur zone de protection. En plus ils doivent être davantage trash que punk puisqu'ils arborent de conséquentes chevelures. Ne doivent pas aimer leur batteur parce qu'ils font bien attention à le cacher à nos regards en se mettant systématiquement devant lui. Doivent juger qu'il fait trop de bruit. Ce qui est vrai mais c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité.

    Car quand ils commencent que vous apercevez que vous avez intérêt à être Sans Illusion. Sont des gars qui ne ménagent pas vos tympans. Oh ! C'est bien fait, n'économisent pas leurs peines pour vous faire tomber dans leur piège. Vous transforment en ces fines guêpes qui foncent droit dedans vers ces récipients remplis de liquide confituré, une fois dedans impossible d'en ressortir. Z'ont aménagé leur musique en bel appartement, meublé avec goût et avec soin. Vous vous sentez chez vous, mais très vite vous comprenez que vous vous êtes fait avoir. Ce n'est pas qu'ils vous empêchent de quitter les lieux, laissent la porte grande-ouverte, mais vous vous apercevez que vous avez élu domicile dans un T 5 de luxe hélas totalement kaotique. La structure des pièces ne cessent de changer. Vous vous installez dans un fauteuil, plank ! une cloison s'abat sur vous, vous vous allongez sur le lit, blink ! le plafond s'abaisse brutalement avec la manifeste intention de vous écraser, vous êtes dans de beaux draps, vous vous mettez à l'abri dans la salle de bain, plunk ! plunk ! le pommeau de la douche vous prend pour un punching ball, en désespoir de cause vous vous réfugiez dans le frigidaire, krinchk ! il se transforme en grille-pain. Tout ce qui se précède pour vous faire entendre comment fonctionne la musique des Critters. Au début tout semble carré, un monde ordonné et efficace, mais c'est un faux-semblant, sont les adeptes des glissements de terrains sans préavis, des bombes explosent sous vos pas, des jungles luxuriantes envahissent les jardins, les soirs de Pleine lune vous vous métamorphosez en loup-garou, le lotissement se mue en labyrinthe, vous êtes perdu, vous craignez pour votre vie. Mais le pire c'est que vous y prenez goût, que cela vous change de votre train-train mortuaire, les Critters vous permettent enfin de vivre intensément.

    Les Critters réalisent ce miracle de vous engluer en un long générique de film anamorphosant, à partir d'une musique des plus primaires – rock'n'roll punk – ils vous jettent dans un monde d'effrayante complexité. De quoi nous laisser perplexe. Une musique aussi compacte qu'un iceberg mais qui dessine sur vos verreries intérieures des friselis aussi subtils que les cristaux de givre sur les carreaux des fenêtres en hiver. Oui mais comme ces gars-là sont aussi des responsables par leurs sets surchauffés du réchauffement climatique, notre automne s'avère de braises brûlantes. Pas étonnant qu'après leur prestation l'assistance était trempée de sueur.

    Damie Chad.

     

    BETTER DAYS

    MISSILES OF OCTOBER

    ( Pogo Records 075 / 2016 )

     

    Lionel Beyet : bass & scream / Bob Seytor : drums / Mathias Salas : guitar & scream.

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    Artwork : Sisca Locca. C'est elle qui se charge d'illustrer les couvertures des disques de Missiles of October. Si pour le premier album Don't Panic elle a opté pour une image choc, un fusil mitrailleur qui vous tire carrément dans les yeux, ici si vous apercevez ce Better Days dans un présentoir quelconque, vous risquez de le confondre avec un album de chansons pour enfants. Ces trois têtes de chats qui semblent jouer du pipeau – regardez de plus près, il s'agit de bombe – n'est pas sans évoquer le matou-vu Hercule, plus bête que méchant mais somme toute sympathique, qui sert de faire valoir à Pif Le Chien dans la célèbre bande dessinée de José Cabrero Arnal. Le fond jaune pâle du motif ne dément en rien l'impression première. C'est un peu une constante chez de nombreux dessinateurs issus de la mouvance punk de privilégier le rire grinçant et le comique sardonique pour mettre en images notre réalité. En tout cas la pochette cartonnée à trois volets est une belle réussite acidulée. Vous retrouvez Sisca Locca sur son FB, ensuite laissez-vous guider.

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    State of crisis : le sound quelque peu domestiqué si l'on pense au concert. Play loud, dirty and angry, svp. Par contre le vocal est mis en avant comme si le message primait sur son enveloppe ce qui change la perspective d'écoute. Mais pas d'inquiétude le turbo-sound est là, vous ratiboise vos illusions sans encombre pour les décombres. Compressé et arasif. Gigantesque hachoir mécanique. No brain, no headache : le début explose, les fusées de guitare giclent de tous côtés, un délire metallique qui réussit le défi de ressembler à un début d'émission de TV américaine qui vous vante les bienfaits du dernier médicament à la mode. Bientôt vous sombrez dans un informe cliquetis avant d'être écrasé par le rouleau-compresseur sonique. Abattage de bûcheron final. Satisfaction in nothing : rythme pimpant pour voix mortuaire, des clous de guitare, des trombes de batterie, they can't get no satisfaction eux aussi, mais ce coup-ci la révolte est totale et métaphysique, l'on n'est pas dans un petit malaise existentiel de bobo dépressif, le morceau finit par agoniser comme un python privé de son maître qui préfère se laisser crever que ramper dans les tuyaux du cloaque humain. Better days : il y a des jours où l'on hait le monde entier, sans doute sont-ce les meilleurs car l'on peut hurler à foison, foncer à 180 /km sur ses guitares et frapper de toutes vos forces sur le couvercle du pot de confiture où vous renfermez les cervelles de vos voisins. Ce violent morceau s'arrête trop tôt, c'est normal les horreurs les plus courtes en paraissent encore plus horribles. Everyday : lourdeur désespérée de votre quotidien, le morceau se traîne comme le serpent du blues, ces écailles cliquettent comme des cymbales, hurlement de ceux qui l'aperçoivent, mais comme dans les tragédies grecques, vous n'échapperez pas à votre destin et il ne vous reste plus qu'à implorer la mort de se porter à votre secours. Vous n'auriez pas dû, vous ressemblez à ces cochons que l'on égorgeait dans les cours de ferme. Couinements infernaux. Final pompéïen, le volcan explose, la lave brûlante vous engloutit. Sale bête, vous mettez du temps à crever, faut vous achever à la barre à mine. Loser : ( + guitar : Ralf Jock ) : les guitares relancent le moteur cacochyme les premières secondes, mais après ça tourne comme un moteur d'hydravion qui ne trouve ni fleuve, ni mer, ni lac, pour se poser. Ce n'est pas de votre faute, ni de votre gloire, vous êtes un perdant pas du tout magnifique. C'est clair le monde entier et cette guitare maintenant guillerette se moquent de vous. Chainsaw : dans la série je vous découpe à la tronçonneuse parce j'en ai assez, tout ce qui bouge subira le même sort. Zut je me suis tranché la tête, le morceau s'arrête plus vite que prévu, j'étais un peu trop énervé. Problems : les problèmes vous prennent la tête. Inutile de courir, c'est dans votre cerveau qu'ils klaxonnent, même docteur Freud ne s'y retrouvera pas dans ce nœud de serpents complexés, alors galopez comme si le diable était à vos trousses. Pas de panique il y a déjà longtemps qu'il squatte votre cervelle. Blah Blah Blah : le rythme s'accélère encore, font vraiment beaucoup de bruit pour ce rien qui tourne en boucle dans votre esprit volatile. A la batterie Bob casse du baobab alors Lionel et Mathias vrombissent comme s'ils avaient des ailes de fer aux talons. Effort inutile, ils ne tarderont pas à s'écraser. Two feet in sludge : rythmique pesante et collante, vous pataugez dans la boue de votre existence, la musique comme une ventouse de marécage qui vous attire inexorablement vers le fond vaseux. Ailleurs l'herbe des cercueils n'est pas plus verte. Enfoncez-vous les clous de la boite funèbre dans votre tête. Musique et voix s'affolent. Et puis s'arrêtent. Vérifiez si vous êtes encore vivant.

    Félicitations à Ralf Jock et Guido Lucas qui ont présidé à l'enregistrement et au mixage. ( Sthor Sound Studio / Germany ). Rares sont les enregistrements de groupes de metal qui parviennent à une telle netteté, à un tel profil sonore.

    Damie Chad.

    VOLK

    AVERAGE AMERICAN BAND

    ( Romanus Recods / Novembre 2017 )

     

    Christopher Lowe : vocals, guitar / Eleot Reich : : vocals drums.

    Plus que temps de chroniquer ce sophomore – mot typiquement américain qui désigne les étudiants de deuxième année - EP de Volk qui avait estomaqué la Comedia, lors de leur concert du 23 septembre dernier ( voir KR'TNT ! 431 du 26 / 09 / 2019 ). Ah cette version de Summetime Blues qui tinte encore dans nos oreilles ! Depuis ils sont retourné aux Etats-Unis où ils enchaînent les dates..

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    Lorsque vous retirez le disque de son plastique, vous vous apercevez que la pochette papier rigide n'est fermée que sur un seul côté. L'or de l'initiale V – qui tranche joliment sur le fond noir – jure quelque peu avec la galette rose bonbon et son étiquette centrale blanche. C'est un peu la spécialité de Romanus Records les tirages qui vous arrachent l'œil ! Allez faire un tour sur leur FB. Vous remarquerez l'anamorphose du V de Volk qui se change en tête de vache ! Mais comme un disque se regarde aussi avec les oreilles, posons soigneusement le pink object sur la platine.

    Hat & boots : ça déchire aux premières notes, la guitare qui klaxonne – ce n'est pas une métaphore – la batterie qui fout un potin de tous les diables et la voix d'Eleot qui vous présente la garde-robe. J'ai bien peur qu'on ne l'embauche pas dans une boutique Chanel mais dans un groupe de rock c'est parfait, elle vous crie dans les oreilles comme une mégère désapprivoisée et vous a de ces trémolos terminatifs bouleversants. Rajoutez que par-dessous Christopher vous glisse sans avertissements quelques éclats de guitare aussi sympathiquement que s'il vous balafrait le visage avec un tesson de bouteille. La réserve personnelle du patron en plus. Land of toys : ah ces ricains, sortent d'une bagarre dans un bar pour entrer dans une église. Reprenez vos esprits en écoutant les doux sons de l'harmonium. Le Seigneur en personne doit avoir quelque chose contre nous, Eleot caquette comme trois cents poules qui viennent de s'apercevoir que le renard est entré dans le poulailler. Brave gars, Christopher se précipite pour rétablir la situation, se sert de ses riffs comme d'un balai géant pour écraser les malheureuses gallinacées qui du coup piaillent encore plus fort. Ça se termine bien, les jouets montent dans une fusée transplanétaire qui démarre aussi sec et une somptueuse musique de générique les emporte vers une nouvelle guerre des étoiles. Respirez le cauchemar est fini. January : Eleot minaude de sa voix pointue, elle n'en n'oublie pas pour autant de poinçonner des parpaings en béton précontraint sur sa batterie, le genre de passe-temps qui n'a pas l'air de plonger Christopher en dépression. Vous donne l'impression qu'il prend un plaisir fou à lui tirer des rafales de guitares à balles réelles. D'ailleurs le morceau est assez court. L'année commence mal, il a dû la tuer. Honey bee : ( + Chris Banta : vocals ) : à voir la manière dont ses cordes dansent une monstrueuse gigue de joie, Christopher doit être satisfait de ce ce qu'il a fait, mais non the gal is en pleine forme, il se prend le délire verbal en plein dans les esgourdes, en plus elle s'énerve salement sur sa caisse claire qu'elle pilonne avec des envies de meurtre, Christopher essaye de baisser le son, mais non ça ne sert à rien, elle en profite pour prendre toute la place, alors il remet les gaz et c'est reparti pour l'enfer. Elle vous hache à l'ultra-rapide la batterie à coups de batte de baseball, et lui s'envole avec sa guitare en imitant le bruit d'une fusée qui démarre sur Cap Canaveral. Ouf, le calme revient dans votre appartement. Vous avez survécu. Mais expliquez-moi pourquoi vous vous précipitez pour la dix-septième fois de suite pour le réécouter.

    Chez Romanus Records ils ne lésinent pas sur la qualité du vinyle, presque aussi épais qu'un porte-avions. C'est cela les américains question rock, ils savent faire.

    Damie Chad.

     

    LONG CHRIS PARLE

    DE JOHNNY HALLYDAY

    ( sur You tube / Radio-Web-Passion )

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    Un enregistrement émouvant. L'on pourrait s'attendre au pire. L'on connaît la brouille entre les deux hommes suite au mariage de Johnny avec la fille de Chris. Ne se sont plus jamais parlé. Chris opposant un digne silence aux questions oiseuses. Mais là il se livre. L'interview a été réalisée après la disparition du chanteur. Non Chris n'écoutera pas le disque posthume, il n'en a pas envie. Mais il avoue qu'il aurait aimé être de ceux qui portaient le cercueil sur leurs épaules à la Madeleine. On n'enterre pas une amitié quelles que furent les fâcheries qui lui ont mis fin.

    Et le vieux rocker replonge dans sa jeunesse. Les plus belles années de sa vie. La rencontre avec Johnny, le pacte de sang passé entre les deux adolescents, et nous voici au cœur de la légende, racontée non pas par un témoin mais par un de ses activistes. L'écorne quelque peu. Non la bande de la Trinité n'était pas formée de blousons noirs, une dizaine de jeunes gens en cravate qui buvaient du Coca et Johnny, accompagné de Chris et d'un ou deux copains sur un banc, qui proposait aux filles qui passaient de leur chanter une chanson...

    Johnny ne s'est pas fait tout seul. L'a absorbé ce que lui proposait son époque : les poses quasi-métaphysiques de James Dean, le charisme étincelant de Marlon Brando, et le rock'n'roll, les premiers disques de Presley, de Bill Haley, de Gene Vincent. N'étaient pas très nombreux sur Paris à s'intéresser à cette musique. Les bandes de blousons noirs de Bastille et de République certes, mais aussi une autre composante, une jeunesse plus proprette qui se réunissait pour danser en les rares endroits qui passaient ces rythmes nouveaux... Milieux populaires et petits-bourgeois...

    Mais il n'est pas que Johnny au monde. L'itinéraire de Long Chris est aussi des plus intéressants. S'est d'abord intéressé à la musique noire américaine, puis aux chansons de cowboys, pour finir par subir le choc d'Elvis... Long Chris et les Daltons fut le premier groupe '' country-rock'' français. Chris n'en garde guère un bon souvenir. On lui imposait des morceaux qu'il n'aimait pas. L'adversité n'est pas une mauvaise chose en soi, elle n'est que la face visible de la stimulation. Chris décide d'écrire ses propres paroles. L'est un intello, un autodidacte, mais il a lu – Balzac, Zola, Prévert - et lorsque Johnny le presse de composer ce qui deviendra La Génération Perdue, il ne sait pas qu'il est en train de jeter les bases culturelles du rock'n'roll français et par ricochet d'aider Johnny à incarner son propre personnage. Chris s'attarde sur la composition de Voyage au Pays des Vivants, qu'il qualifie d'écriture surréaliste. D'après moi, ce morceau relèverait plutôt d'une esthétique rimbaldienne, mais là n'est pas le sujet... L'on regrettera que le projet du disque sur l'adaptation des Chants de Maldoror ait été abandonné...

    Long Chris ne se contente pas d'écrire pour les amis, il enregistre en 1966 l'album culte Chansons Bizarres Pour Gens Etranges, une espèce d'ovni poético-beatnick égaré sur la planète France, réédité en 2016 chez Rock Paradise Records de Patrick Renassia ( in Kr'tnt ! 344 du 19 / 10 / 2017 ). Le temps passe Chris décroche du métier et devient antiquaire, féru de Napoléon et spécialiste des petits soldats de plomb... Mais les assassins retournent toujours à leur crime initial et Long Chris sort un tome 2 et puis un tome 3 de ces gens étranges. Tout fier d'atteindre les cinq cents exemplaires vendus.

    L'évocation de son livre – un des deux meilleurs sur le sujet - Johnny à la Cour du Roi – chroniqué dans KR'TNT ! 283 du 26 / 05 / 2016 – sera l'occasion de replonger dans les années les plus tumultueuses de la vie de Johnny... Ce Johnny qui n'est plus le rocker des débuts mais qui est devenu un très grand chanteur. Chris est fier d'avoir avec quelques autres contribué aux fondations de cette tour de guerre que fut Johnny. Johnny menteur, Johnny solitaire, Johnny fabuleux, Johnny tel qu'en lui-même il s'est édifié.

    L'ensemble avoisine une heure et demie, mais il aurait pu durer trois fois plus, souvent Chris effleure à peine des domaines sur lesquels on aurait aimé qu'il apporte des précisions, mais en fin de compte ce n'est pas le plus important. A la fin de l'interview l'on ressort bouleversé, par cette fidélité exprimée si simplement, il nous semble que Chris s'est réconcilié avec Johnny mais surtout avec lui-même. Les derniers mots, plus forts que la mort, sont d'une beauté incandescente.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 431 : KR'TNT ! 431 : CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS / TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK / JIMM / FISHING WITH GUNS / KERYDA / COMPAGNIE R2 / ROCK'N'ROLL STORIES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 431

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    26 / 09 / 2019

     

    CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS

    TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

    JIMM / FISHING WITH GUNS

    KERYDA / COMPAGNIE R2

    ROCK'N'ROLL STORIES

     

    Le choc de Bradychok

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    Coincé entre rien et rien, en plein cagnard béthunien, offert sur la grande scène en pâture au petit peuple venu musarder en masse, le pauvre Carl avait bien du mérite à jouer. D’autant plus de mérite qu’on ne parvenait pas à mémoriser son nom : hein ? Brady qui ? Bradychuck ? Un Américain de Detroit accompagné par des Français, les qui ? Les Monkey Makers ? Ce Brady qui ne devait rien au cinéma de Mocky allait devoir l’emporter à la force du poignet et c’est exactement ce qu’il fit.

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    Ce petit bonhomme sorti de nulle part semblait ravi de jouer sur cette scène offerte aux quatre vents. Il imposa très vite un son et pas n’importe quel son : le Detroit Sound qui même dans le rockab peut faire la différence. Carl Bradychok joue très électrique, c’est un furioso de la six cordes, il tartine ses interventions avec une âpreté au grain qui n’appartient qu’aux guitaristes de Motor City. Par grain, il faut bien sûr entendre le bon grain, celui qu’on sépare de l’ivraie, le grain qui donne le frisson.

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    Ce fut un plaisir jamais feint que de le voir prendre des killer solos flash et doubler son chant au gimmicking sonnant et trébuchant. Il s’illustra particulièrement par une magistrale reprise du «Please Give Me Something» de Lee Allen, l’un des chevaux de bataille de Tav Falco, et certainement l’un des classiques rockab les plus mythiques. Carl Bradychok en fit la plus menaçante, la plus inspirée, la plus heavy des versions, la chargeant comme une mule de Detroit Sound, au point que ça en devenait complètement inespéré de véracité rampante, et plutôt que ce conclure bêtement, il ajouta en queue de cut une petite progression de power chords hendrixiens, un peu dans l’esprit de ce que fit El Vez à une époque, quand il finissait «That’s Alright Mama» sur des accords du «Walk On The Wild Side» de Lou Reed. Fantastique présence d’esprit.

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    Le set prit alors une sorte de tournure purement révélatoire. D’où sortait ce démon de Chok ? Il évoqua un peu plus tard la mémoire de Jack Scott, histoire de rappeler que le vieux Jack venait lui aussi de Detroit. Pour le saluer, il reprit son premier single, «Two Timin’ Woman». Mais il fit vraiment sensation avec des cuts plus construits et beaucoup plus mélodiques, comme cette reprise du «Just Tell Her Jim Said Hello» d’Elvis, car il y shootait un gusto qui rappelait celui de Frank Black.

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    Ce mec imposait un style très puissant, du haut d’une vraie voix, il affirmait une forte personnalité musicale et un goût immodéré pour les grosses compos. Il termina avec une reprise stupéfiante de «Love Me». Depuis celle des Cramps, on n’avait pas entendu de version aussi déterminée, aussi flamboyante, aussi démâtée que celle-ci. Carl Bradychok fut la découverte du Rétro 2019.

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    Ses disques ne courent pas les rues. Pour se les procurer, il faut aller cliquer sur carlbradychok.net. Quand on commence à les écouter, on se félicite d’avoir cliqué car les disques sont excellents. Vraiment excellents, bien au delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. En plus d’Elvis et de Jack Scott, Carl chouchoute une autre idole du siècle dernier : Carl Perkins. Son dernier album est un tribute à Carl Perkins et s’appelle Carl Plays Carl. Tous les fans de Carl Perkins devraient écouter ce tribute, car Carl ramène du son dans Carl, pas n’importe quel son, le Detroit Sound.

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    Il faut le voir remonter les bretelles de «Movie Magg» et passer un solo complètement de traviole avec ce son clairvoyant qu’on va retrouver partout. Carl chante Carl d’un accent sec et tranchant. Idéal pour un cat comme Carl. Avec «Matchbox», Carl décrète l’enfer sur la terre. Il le prend à la bonne mesure, sauvage et sourde. Version bien meilleure que celle de Jerry Lee qui joue Matchbox trop boogie. Autre belle bombe : «Say When». Carl va vite et bien, il embarque ça au jeu liquide et scintillant. Il joue vraiment comme un dieu et n’est pas avare de virulence. Voilà un «Say When» éclaté au shuffle de guitare folle. Comme le fait Jake Calypso, Carl ramène tellement de panache qu’il aurait parfois tendance à effacer les versions originales. L’autre belle bombe est le «One More Shot» qu’on trouve vers la fin. C’est même assez violent. Souvenez-vous de ce que disait Wayne Kramer du Detroit Sound : «What you get is very honest.» On entend un slap de rêve en sourdine totale et un guitariste déterminé à vaincre. Que pourrait-on demander de plus ? Carl ne fait qu’une bouchée de «Put Your Cat Clothes On», avec son pote Roof qui part au quart de tour d’upright. Ah il faut voir Carl enluminer le cut d’un killer solo flash éclair ! Ça vaut vraiment le détour. Il tape aussi une version très country de «When The Rio De Rosa Flows», mais l’écouter jouer est un pur régal, il ramène un son tellement juteux, high on tone, un son de demi-caisse Gibson de jazz agressif et fluide. Fabuleuse version aussi que celle de «Because You’re Mine». Carl y claque tout ce qu’il peut et chante au piqué de because. On voit encore le fan à l’œuvre dans «Honey Cause I Love You» et il joue «Big Bad Blues» comme s’il encerclait la caravane. Quand il lance l’assaut, il part en vrille. Très spectaculaire.

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    Son premier album s’appelle Children At Play et date de 2004. Quand on retourne le boîtier, on voit Carl ado poupin avec sa belle Gibson rouge. Il profite de cet album pour saluer l’autre grande légende du rockab local : Johnny Powers. Eh oui, tous les fans de rockab connaissent «Long Blond Hair». Carl en propose une version incroyablement inspirée, avec le tiguili d’intro et la fournaise immédiate - I love you once/ I love you twice - Il le boppe dans l’œuf. Terrific ! Il tape en plein dans le mille et passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Souvenons-nous que Johnny Powers réussit à se faire connaître à Detroit avec un seul hit et qu’il alla ensuite enregistrer un autre single chez Sun. Il est toujours en circulation.

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    Autre clin d’œil de poids : «That’s All Right». Carl n’a pas froid aux yeux, il le softe bien, il le touille à la pa-patte, comme le chat avec la souris. Vas-y Carl, on est avec toi ! - Anyway you doooooo - Carl claque les trucs de Scotty, il soigne son hommage. Carl n’est pas un beauf, il fait ça bien, anyway you doooo. Il rend aussi hommage à la clameur avec une fameuse cover de «Lawdy Miss Clawdy». Tout est dans la clameur, Carl en saisit la grandeur, because I give all of my money. Son solo à la ramasse est un beau spécimen de génie humain. Il joue juste ce qu’il faut. Ses interventions devraient théoriquement entrer dans la légende. Il sait claquer une note à la revoyure. Bradychok, quel choc ! So bye bye baby, bye bye darling. Autre clin d’œil révélateur : celui qu’il adresse à Link Wray avec une fantastique reprise de «Rawhide». Bill Alton claque des mains. Carl n’a que onze ans. Vas-y Carl, claque-nous le beignet de Link. Ah il y va le Carl, c’est un polisson. On le voit s’énerver avec «House is Rocking» qu’il chante au petit nasal. Carl est déjà un viscéral, il ne lâche pas prise. Son départ en solo pue l’enthousiasme. Oh, il sait de quoi il parle, ain’t got nothing to lose ! Big stuff. On a là du vrai raw. Et tout explose avec «Shim Sham Shimmy», Carl nous plonge au cœur du rockab de Detroit, c’est claqué au slap avec un solo à l’arrache-dent. Il part tout seul, comme un desperado précoce. Il rend aussi hommage à Creedence avec «Bad Moon Risin’» et diabolise le «Viberate» de Conway Twitty. En 2004, Carl sortait donc frais émoulu du moulin.

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    Quand on va sur son site, on voit qu’il en pince pour Elvis. Deux tribute albums ! Le premier étant sold out, on peut se consoler en écoutant le volume 2, Let Yourself Go, paru en 2017.

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    C’est là qu’on trouve sa puissante version de «Just Tell Her Jim Said Hello». Il l’explose littéralement et en fait un véritable chef-d’œuvre interprétatif. Oui, c’est tellement bon qu’on pourrait en tomber de sa chaise. Strong melody. C’est avec cette version qu’il emporta la partie au Rétro. Mais le reste de l’album vaut aussi le détour, à commencer par le morceau titre, embarqué au heavy groove. Il est au faîte de son système, il explose son Let Youself Go dans l’œuf. On enrage à l’idée de penser que cet album va rester inconnu du grand public. Il embarque son «Shake Rattle And Roll» à 300 à l’heure. Carl et ses amis jouent comme des diables, au powerus maximalus. Carl sait très bien fabriquer un grand disque. Toutes ses reprises fument. Tiens, rien qu’avec le «Trouble» d’ouverture de bal, la partie est gagnée. Carl explose le groove anaconda d’Elvis. Mais il va encore beaucoup plus loin dans le serpentinage d’écailles moussues. Il le chante à la pure écroulade de falaise, where I’m evil. Le son est bon, bien au-delà de ce que pourraient en dire les commentés du cyberboulot, Carl joue son va-tout au Detroit Sound, avec du power plein les mains. Encore du power à gogo dans «I’m Coming Home». Il joue au gras de jambon et chante comme un dieu rococo. Tout le rock du Middle West est là. The voice ! Ah il peut taper dans Elvis, il en a les moyens. Il suffit d’écouter «Fame & Fortune» pour comprendre qu’il colle au train d’Elvis avec sa glue. Admirable album ! Et la valse des niaques détroitiques continue avec «Money Honey» et il sort son meilleur shake pour «I Need Your Love Tonight». Il le fait pour de vrai. Sa justesse de ton en dit long sur sa passion pour Elvis. Si on sait apprécier le feeling, alors Carl est un must.

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    Et puis voilà un autre album paru en 2015, sans titre ni label. Carl Bradychok tout court. Rien que le son. Juste un disque destiné aux amateurs. Il pose debout avec sa guitare, tout vêtu de noir et cravaté de blanc. Il repend le vieux «Do Me No Wrong» de Pat Cupp et des trucs beaucoup plus calmes comme «Your Cheatin’ Heart». Il sait se donner les moyens d’une certaine ampleur vocale, comme le fait Jerry Lee, sur ce type de vieux coucou d’Hank Williams. Mais Carl ne s’arrête pas en si bon chemin : on le voit aussi taper brillamment dans Waylon Jennings avec «You Ask Me To». Back to Detroit avec Jack Scott et une cover de poids : «The Way I Walk». Classique parmi les classiques, saint des saints. Carl opte pour le swing. Pas de raunch comme dans la version des Cramps. Carl veille à respecter l’esprit original, avec du solo à gogo. C’est là qu’on trouve sa version de «Please Give Me Something». Il sait bien faire monter la sauce dans l’écho et restituer la zizanie solotique de la version originale. Mais pas de fin en progression d’accords. Dommage. Son coup de Jarnac au Rétro flattait bien les bas instincts. On adore quand ça flatte les bas instincts. La surprise vient de «End Of The World», un hit pas très connu de Skeeter Davis, fabuleusement bien emmené et chanté par dessus les toits.

    Signé : Cazengler, (a)brutichok

    Carl Bradychok. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

    Carl Bradychok. Children At Play. King Drifter Productions 2004

    Carl Bradychok. ST. Not On Label 2015

    Carl Bradychok. Let Yourself Go. Tribute To Elvis Volume 2. Not On Label 2017

    Carl Bradychok. Carl Plays Carl. Not On Label 2018

     

    Wallis the question ?

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    Voici deux ans, on rééditait Death In The Guitarafternoon, l’unique album solo de Larry Wallis. À cette occasion, Vive le Rock consacrait (enfin) une double page à notre héros. L’interview commençait mal. Le mec lui demandait ce qu’il avait fabriqué dans les derniers temps, et Larry lui répondait : Not up to much at all mate. Pas grand chose, mon pote. Il expliquait à la suite qu’il avait perdu l’usage de sa main gauche, puis de sa main droite. Il se trouvait sur une liste d’attente pour se faire opérer. À la question : ‘Pourquoi les Pink Fairies ne sont jamais devenus énormes ?’, Larry répondait : a couple of crap managers, agents that stunk out loud, and a crap record company. Voilà, pour Larry, le crap suffit à ruiner la carrière d’un groupe. En France, on appelait ça des imprésarios véreux.

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    Oui, cette légende à deux pattes qu’est Larry Wallis joua avec les meilleurs rockers de son temps, Wayne Kramer, Lemmy, Steve Peregrin Took et Mick Farren. Lemmy ? - Not a fantastic bass player but the best Lemmy ever. A complete one-off ! - Il sait aussi reconnaître le talent d’écrivain de Mick Farren - but for many years a crap singer - jusqu’à ce que Larry s’occupe de lui et en fasse un vrai singer sur l’album Vampires Stole My Lunch Money (clin d’œil aux arnaqueurs des maisons de disques). Happé par des tas d’autres occupations, Mick Farren avait disparu de la scène musicale pendant des lustres. À la fin des seventies, il revint avec cet album bourré de chansons à boire, du style «Drunk In The Morning» et l’impavide «I Want A Drink», grosse bouillasse boogie posée sur une bassline frénétique à la «What’d I Say». Aucune originalité, mais quelle classe dans la désaille ! Son coup de génie consistait à reprendre un morceau de Zappa, «Trouble Coming Every Day» pour le transformer en bombe garage, l’une des plus atomiques du siècle, tous mots bien pesés. Mick Farren s’y arrachait la glotte, avec une belle soif d’anarchie ! Il renouait avec son vieil instinct de rebelle. Kick out the jams motherfuckers et Zo d’Axa, même combat ! Mick Farren brandissait le flambeau et il allait le brandir jusqu’à la fin. Cet album est superbe pour une simple et bonne raison : Larry Wallis le produit. «Bela Lugosi» valait aussi le détour. Bien plus intéressant que Bauhaus ! Mick Farren se prêtait merveilleusement au jeu. On avait là un Farren magnifique de prestance boogaloo. Des folles envoyaient des chœurs de vierges effarouchées et Farren psalmodiait comme un ogre amphétaminé. «Son Of A Millionaire» sonnait comme un classique des New York Dolls - Oui, oui, tout ça sur le même album, tu ne rêves pas - Mick Farren harponnait ce boogie dollsy d’une voix bien rauque. Avec «People Call You Crazy», il envoyait sa voix basculer par dessus bord et se rapprochait de Screamin’ Jay Hawkins et des grands prêtres voodoo. Vampires va tout seul sur l’île déserte.

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    Et pourtant, ce n’était pas gagné. Il suffit d’écouter l’On Parole de Motörhead paru en 1979 pour voir que Lemmy a frôlé la catastrophe en s’acoquinant avec Larry Wallis qui était pourtant le leader des Pink Fairies. Ils font une bonne version de «Motörhead», infestée d’intrusions vénéneuses et Larry tente de couler un bronze de légende, comme il a su le faire en reprenant les Pink Fairies sous son aile. Mais les autres cuts de l’album sont un peu mous du genou. Même la version de «City Kids» qu’on trouve sur Kings Of Oblivion manque de panache. On comprend que Lemmy ait opté pour une autre formule. Il voulait quelque chose de plus hargneux. La version de «Leaving Here» qui se trouve sur cet album semble complètement retenue. On ne sent aucun abandon. Et Lemmy chante «Lost Johnny» à l’appliquée, accompagné par Larry à l’acou. N’importe quoi !

    Le grand décollage de Larry Wallis se fit quelques années plus tôt, en 1973, au moment où Paul Rudolph quittait les Pink Fairies. Tout le monde connaît l’anecdote : fraîchement embauché par Duncan Sanderson et Russell Hunter, Larry demande :

    — Alors les gars, on enregistre quoi ?

    Les deux autres lui répondent qu’ils n’ont pas de chansons. Et ils ajoutent :

    — T’as qu’à en composer !

    Larry panique :

    — Mais je n’ai jamais composé de chansons !

    — Do it !

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    Alors il do it et ça donne un album quasi-mythique : Kings Of Oblivion. Le titre est tiré de «The Bewlay Brothers» qu’on trouve sur Hunky Dory. Selon Luke Haines, tous les cuts de Larry Wallis sont punk as fuck - The Lazza-Russ ‘n’ Sandy Fairies line-up was a power trio supreme - Oui, c’est exactement ça, un power-trio suprême, c’est ce qu’on vit au Marquee à l’époque. Quand on avait vu les Fairies sur scène, il n’était plus possible de prendre les groupes français au sérieux. Les Fairies incarnaient l’essence même du rock, the real ragged power et dans le cas particulier des Fairies, the no sell out, qu’on pourrait traduire en français par une intégrité qui a les moyens de son intégrité. «City Kids» sonne comme un classique entre les classiques, monté sur l’extraordinaire beat russellien, heavy à souhait, bardé de relances, il fonctionne exactement comme une loco, il fonce à travers la nuit. À la limite, c’est lui Russell Hunter qui fait le show. Il double-gutte d’undergut. Alors Larry Wallis peut partir en maraude. Ah qui dira la grandeur décadente d’un Russell Hunter qu’on voit - sur le triptyque glissé dans la pochette - sous perfusion de bénédictine, avec un visage peint en vert. Cette photo en fit alors fantasmer plus d’un. Encore un hit avec «I Wish I Was A Girl». Cette fois, Sandy fait le show sur son manche de basse, il voyage en mélodie dans la trame d’un cut bâti pour durer. Ils partent à trois comme s’ils partaient à l’aventure et le Wallis part en Futana de solo gargouille. En B, les cuts auraient tendance à retomber comme des soufflés et il faut attendre «Chambermaid» pour renouer avec le cosmic boogie, et «Street Urchin’» pour renouer avec le classicisme, au sens où entend ce mot dans les musées. On y retrouve l’esprit de «City Kids», le beat avantageux et l’éclat puissant du glam. Fantastique ! Ils sonnent comme d’admirables glamsters de baraque foraine. L’album nous mit à l’époque dans un état de transe proche de la religiosité mystique.

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    Au cœur du mouvement punk londonien, Larry Wallis fit des étincelles chez Stiff avec deux singles, «Police Car» et surtout «Screwed Up» avec Mick Farren.

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    Larry y screwe le beat à sa façon et le précipite dans le gouffre béant du néant psychédélique. Autre petite merveille fatidique : «Spoiling For A Fight», véritable furiosa del sol, c’est la b-side du single «Between The Lines». On a là du pur jus de combativité boogie. Wow, les Faires cherchent la cogne - Fight ! - Et Larry part en killer solo flash !

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    Avec le Live At The Roundhouse 1975 paru en 1982, on tient certainement l’un des meilleurs albums live de tous les temps. Double batterie, Twink et Russell Hunter, Sandy sur Rickenbacker et deux killer flash-masters devant, Paul Rudolph et Larry Wallis. En fait, c’est la dernière fois que Paul Rudolph joue dans les Fairies. Et comme Larry Wallis commençait à jouer avec Motörhead, ça sentait la fin des haricots - If the Fairies were going to bow out, they were planning to do it in style (les Fairies comptaient bien finir en beauté) - Ils roulèrent des centaines de spliffs pour les jeter à la foule. Larry rappelle aussi dans une interview que Sandy, Russell et lui se sont goinfrés de pefedrine avant de monter sur scène - It makes you go mad. So Sandy, Russell and I took as much of that as we could get our hands on (la pefedrine peut rendre cinglé aussi en ont-ils avalé autant qu’ils ont pu) - Quant à Paul Rudolph, il était arrivé à la Roundhouse en vélo avec une thermos de thé. Ce live saute à la gueule dès «City Kids» que Larry avait composé pour Kings Of Oblivion. Hello alright ? Si on aime le rock anglais, c’est là que ça se passe. Tu prends tout le proto-punk en pleine poire. Tu as là tout l’underground délinquant de Londres. Larry chante et Sandy fait du scooter sur son manche de basse. Ils enchaînent avec une version de «Waiting For The Man» de la pire espèce, claquée par les deux meilleurs trash-punksters d’Angleterre, Larry et Paul. Ils rendent un hommage dément au Velvet. Les Fairies développent une énergie qui leur est propre. Ils sont de toute évidence complètement défoncés. Voilà la preuve par neuf qu’il faut jouer défoncé, c’est la clé du rock. S’ils étaient à jeun, ils ne développeraient pas une telle puissance. Ils jouent leur Velvet à outrance, ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est saturé de son, au-delà du descriptible. Ils bouclent avec une reprise du «Going Down» de Don Nix, et en font une version heavy qui dépasse toute la démesure du monde. Ça prend des proportions terribles.

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    Comme Larry Wallis partageait son temps entre la reformation des Fairies et Motörhead, il se gavait d’amphètes : «I think the longest I ever stayed awake in my life was eleven days at Rockfield, and when you think about it now... God !» Onze jours sans dormir à Rockfield ! Et comme il ne mangeait pas, il avait un sacré look - I looked fantastic, my mother nearly had a nervous breakdown when she got to see me - En le voyant si joliment émacié, sa mère faillit bien tomber dans les pommes. N’oublions pas que Larry est l’un des mecs les plus drôles d’Angleterre. Give The Anarchist A Cigarette grouille d’anecdotes hilarantes. L’écrivain Farren y célèbre le génie trash de Larry Wallis : «Larry avait des pythons, des cobras et même un rattlesnake dans des gros aquariums, tout ça dans un appart minuscule. Il élevait des rats pour nourrir ses serpents. C’était un fucking nightmare. Quand il était rôti, il jouait avec ses serpents et on était sûrs qu’il allait se faire mordre et y laisser sa peau.»

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    Big Beat fit paraître en 1984 l’excellent Previously Unreleased, une série de cuts inédits enregistrés par Larry, Sandy et George Butler. On retrouve la niaque épouvantable des Fairies dès «As Long As The Price Is Right». Pas de pire powerhouse que celle-ci. Larry vrille comme un beau diable. Ils restent dans le drive des enfers avec «Waiting For The Lightning To Strike». Ils jouent comme des démons cornus et poilus. Il n’est humainement pas possible de faire l’impasse sur cet album. On entend clairement les puissances des ténèbres sur ce «No Second Chance» battu si fort que les coups rebondissent. Il faut bien dire que c’est extraordinairement bien mixé. Quand on écoute «Talk Of The Devil», on sait les Fairies capables de miracles.

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    Si on veut entendre Larry Wallis et Wayne Kramer jouer ensemble, alors il faut écouter cet album des Deviants, Human Garbage. Ils y accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Sur «Outrageous Contagious», Wayne Kramer passe un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte, n’est-il pas vrai ? On retrouve l’énorme bassmatic de Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif dans l’effarance de la lancinance. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick Farren, certainement le plus punk des singles punk d’alors, visité en profondeur par un solo admirable. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux clin d’œil de Larry aux alchimistes du moyen âge, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste brûlant d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des guitares et tout le brouté de basse qu’on peut imaginer. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec l’inexplicable «Trouble Coming Every Day» de Zappa. Pourquoi inexplicable ? Parce que garage, alors que les Mothers n’avaient rien d’un groupe garage. N’oublions pas que Mick Farren admirait Frank Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

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    On a longtemps pris Kill ‘Em and Eat ‘Em paru en 1987 pour un mauvais album, et chaque fois qu’on le réécoute, ça reste un mauvais album. On y retrouve pourtant la fine fleur de la fine équipe : Larry, Andy Colquhoun, Sandy, Russell et Twink. Sur la pochette, Larry fait le con avec un masque de singe barbu et sa strato rouge. Dans les notes de pochette, Mick Farren raconte qu’un matin de gueule de bois, il est réveillé par un coup de fil qui lui annonce la reformation des Fairies. Oui c’est ça, et Attila revient avec les Huns, hein ? - Yeah and Attila is getting his Huns back together, répond-il - You gotta be kidding - Tu plaisantes, j’espère - And then I remembered, in rock’n’roll, anything is possible - Oui, Mick avait bien raison de dire que tout est possible dans le monde du rock. Et pouf, ils démarrent avec «Broken Statue», un vieux boogie composé par Mick. Larry le joue à la folie et c’est battu comme plâtre par la doublette mythique de Ladbroke Grove. Toute la niaque des Fairies re-surgit de l’eau du lac comme l’épée d’Excalibur. Mais sur cet album, les cuts restent bien ancrés dans le boogie. Larry fait pas mal de ravages, mais il manque l’étincelle qui met le feu aux poudres. «Undercover Of Confusion» sonne comme de la viande de reformation. «Taking LSD» sonne comme un vieux boogie des Status Quo, ou pire encore, de Dire Straits. Pas plus putassier que ce boogie-là. Ils font même un «White Girls On Amphetamines» insupportable de médiocrité et de non-présence. On croirait entendre les mauvais groupes français. Larry tente de sauver l’album avec «Seing Double». Il ressort des grosses ficelles, mais au fond, on ne lui demande pas de réinventer la poudre. Il faut rendre à Cesar Wallis ce qui appartient à Cesar Wallis. «Seing Double» est à peu près le seul cut sérieux de cet album.

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    La compile des Deviants intitulée Fragments Of Broken Probes sortie sur le label japonais Captain Trip propose des cuts qu’on ne trouve pas ailleurs. Mick Farren chante «Outrageaous Contagious» à la manière de Beefheart, en ruminant ses syllabes. Il fait son cro-magnon. Larry Wallis et Paul Rudolph participent à cette sauterie. Mick Farren adore forcer cette voix qu’il n’a pas. Il tape aussi dans Phil Spector avec une reprise de «To Know Him Is To Love Him» : épouvantable. Mick Farren hurle comme le capitaine d’une frégate brisée par la tempête. Version superbe de «Broken Statue». Derrière Mick Farren, ça joue. On retrouve cette ambiance d’émeute urbaine, avec les clameurs et les gros accords. Ce qui la force des albums de Mick Farren, c’est la vision du son. S’il est bien un mec sur cette terre qui sait ce que veut dire le mot power, c’est lui. On trouve à la suite une version live de «Half Price Drinks» extrêmement plombée. Ça s’écoute avec un plaisir renouvelé à chaque verre.

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    Autre album des Deviants indispensable : The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve les deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ils démarrent avec un «Aztec Calendar» brûlé à l’énergie des réacteurs. Son terrible, Andy joue dans l’interstellaire, il se répand dans la modernité farrenienne comme un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Bob Dylan qui nous envoie tous au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. La dévotion d’Andy pour Mick Farren n’a d’égale que celle de Phil Campbell pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, fournit un solide bassmatic à l’Anglaise. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon des enfers - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Retour à la légende : ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

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    Autre passage obligé : Shagrat que Larry monte avec Steve Peregrin Took en 1975. Mais ils préféraient se défoncer tous les deux dans le studio plutôt que de travailler. Pour la sortie de Lone Star en 2001, Larry écrivit une fantastique hommage à son pote Took : «Steve a eu et a toujours une prodigieuse influence sur ma vie, depuis ma consommation massive de LSD jusqu’à la façon dont je compose. Une influence magique. Dave Bidwell qu’on appelait Biddy, était aussi un original. Lui et Steve étaient semblables, et même beaucoup trop semblables. Ces deux-là aimaient bien pousser à l’extrême leurs expériences avec les drogues, ce qui, comme chacun le sait, finit en général assez mal. Si je parle des drogues, c’est parce qu’à l’époque on ne vivait que pour explorer des planètes inconnues, et les vaisseaux spatiaux qui permettaient d’y accéder, c’était justement les drogues. Took était le capitaine de notre vaisseau. Dans les années précédentes, Took avait été salement désavoué. Il avait pourtant joué un rôle aussi important que celui de Bolan dans Tyrannosurus Rex, un groupe qui sortait de nulle part, et il semble que ce soit Mickey Finn qui en ait tiré les marrons du feu. J’imagine qu’il n’est pas responsable de cette erreur d’appréciation. Alors, il ne vous reste plus qu’à savourer les virées cosmiques de Took, comme il les appelait. J’ajoute que ces chansons dissipent un malentendu voulant apparenter Took et Bolan au monde des lutins de la forêt. C’est entièrement faux. Tout ce qui intéressait Steve était ce qu’il appelait lui-même le kerflicker-kerflash, une sorte de rock’n’roll super-trippant et cosmique, du neon sex fun.» Comme dans le cas d’Hendrix, on se demande ce que Took aurait pu produire s’il avait vécu. Son sex fun serait-il devenu complètement incontrôlable ? C’est bien du cosmic neon sex fun qu’on entend dans «Boo! I Said Freeze», véritable carnage de druggy dub de freeze joué à l’énergie ralentie. Larry balaye tout à la guitare et il redevient l’un des trublions les plus virulents d’Angleterre. Il déploie sa furia del sol dans les méandres du sex fun de la titube. On se serait damné à l’époque pour un disque pareil. On encore cette mad psychedelia qui hante «Steel Abortion», c’est joué au Wallis of sound, couru comme le furet, répandu comme l’ampleur galvanique, explosé du cortex, projeté au-delà de la raison. Larry fait le show, il va là où bon lui semble. L’autre énormité de cet album miraculé s’appelle «Peppermint Flickstick», un cut digne de Syd Barrett, complètement barré, druggy at the junction, nous voilà plongés au cœur de la pire mad psychedelia qui soit ici bas et l’aimable Larry profite de l’embellie pour se barrer en sucette de solo gras. Ah quelles effluves de dérives molles ! Les Américains prétendument férus de psychédélisme feraient bien d’écouter ça et de prendre des notes.

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    Il est grand temps de revenir à la réédition de Death In The Guitarafternoon. Fantastique album ! (Encore un !). Si on aime la guitare électrique, alors il faut écouter Larry Wallis jouer ses arpèges d’allure martiale dans «Are We Having Fun Yet». Il tape dans le western spaghetti de haut vol et ramène cette vieille niaque qui date du temps béni des Fairies. Au fond, il est très proche de Jeff Beck. Il vise la véritable aubaine d’exaction parégorique. Il peut se montrer très prog dans l’esprit de seltz, mais avec une effarante énergie combustible. Il enchaîne ça avec «Crying All Night», une belle pop de Futana. Larry tient son rang de légende irrémédiable. Tout sur cet album reste allègre et hautement énergétique. Il prend ensuite un vieil instro de fête foraine intitulé «Dead Man Riding». George Webley y fait des merveilles sur sa basse. On note aussi la présence de Mickey Farren en tant que parolier dans «Downtown Jury», un cut typique de l’époque des Social Deviants et hanté par des solos qui s’en vont errer comme des hyènes dans l’écho de temps. Hallucinant ! Et voilà qu’il enchaîne trois cuts encore plus fantasques : «Where The Freak Hang Out», «Don’t Mess With Dimitri» et «Meatman». Larry qualifie «Where The Freak Hang Out» de full flying tribal song. Il est vrai que ça dégage bien les bronches. Un peu long, mais Larry n’est pas homme à mégoter. Il sort un son exceptionnel noyé de réverb maximaliste. Quel album ! Mickey Farren signe aussi ce «Don’t Mess With Dimitri» monté sur une bassline insistante. Larry claque ses vieux accords au loin et ça explose dans la lumière réverbérée de Ladbroke Grove at midnite. Il faut voir ces gens comme une extraordinaire équipe d’aventuriers du son. Avec «Meatman», Larry fait du Tom Waits. Il n’y croit pas un seul instant, mais quelle rigolade ! - Yeah I’m the meatman - Il tape aussi dans son vieux hit, «I’m A Police Car» et l’allonge avec des tonnes de guitar tricks. Larry fait ce qu’il veut quand il veut. On ne craint pas l’ennui, même s’il lui arrive de tirer sur la corde. Il chante d’une voix de mec usé par les conneries. Il termine cet album faramineux avec «Screw It», une fois de plus joué à la vie à la mort. Larry ne lâche rien, il faut s’en souvenir. L’album reste intense de bout en bout - About a pain in my ass/ C’mon let’s do it.

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    Un label psychédélique nommé Purple Pyramid vient de faire paraître un conglomérat de bric et broc intitulé The Sound Of Speed. L’intéressant de cette affaire, c’est que Larry commente ses brics et ses brocs, et ça vaut toutes les revoyures du mondo bizarro. Le bal d’A s’ouvre sur le flamboyant «Leather Forever», un single de 1986. Larry se souvient vaguement des gens qui l’accompagnaient : Andy Colquhoun, Sandy ‘Basso Profundo’ et George Bawbees Butler, Scottish drums. Ah wooow ! comme dirait Wolf. Il aligne ensuite des cuts tirés du lost Stiff, à commencer par «I Think It’s Coming Back Again». Deke Leonard et George Webley l’accompagnent. On note au passage la fantastique énergie du son. En même temps, c’est très anglais, typique du temps de Stiff. Le mec des Attractions bat «I Can’t See What It’s Got To Do With Me» si sec. Larry rend hommage à ce cet excellent drummer nommé Pete Miles O’Hampton Thomas : «Nobody does it better.» En B, il nous sort un «Old Enough To Know Better» qui devait figurer sur le Death album. C’est excellent, entièrement joué sous le boisseau, avec une basse aussi perverse qu’une cousine consanguine. Il tape à la suite un «Story Of My Life» dans le plus pur Fairy style et Deke Leonard passe de fabuleux coups de slide. On sent l’équipe de surdoués. Il faut entendre battre Peter Thomas derrière. On reste dans le Fairy groove avec l’excellent «I Love You So You’re Mine», gratté aux accords de Gloria. Larry y va de bon cœur. C’est fabuleusement embarqué. Il indique au passage qu’il destinait le cut aux Feelgoods. Il termine avec «Meatman». Il dit ne pas se souvenir de l’avoir enregistré. Le Line-up ? Bof... Avant de nous dire au-revoir, il écrit en bas de ses notes lapidaires : «Well I did say I wouldn’t be able to give much away folks, but I did my best. Hope you enjoy my noise and let’s be careful out there, ok ? OK.» (Je vous disais que je ne serais peut-être pas capable d’en dire très long, mais j’ai fait de mon mieux. J’espère que vous allez apprécier ma soupe et faites gaffe à vous les mecs, d’accord ? Bon d’accord). Et il signe Lazza.

    Signé : Cazengler, Larry Varice

    Larry Lazza Wallis. Disparu le 19 septembre 2019

    Pink Fairies. Kings Of Oblivion. Polydor 1973

    Larry Wallis. Police Car. Stiff Records 1977

    Mick Farren And The Deviants. Screwed Up. Stiff Records 1977

    Mick Farren. Vampires Stole My Lunch Money. Logo Records 1978

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

    Pink Fairies. Live At The Roundhouse 1975. Big Beat Records 1982

    Pink Fairies. Previously Unreleased. Big Beat Records 1991

    Deviants. Human Garbage. Psycho Records 1984

    Pink Fairies. Kill ‘Em And Eat ‘Em. Demon Records 1987

    Deviants. Fragments Of Broken Probes. Captain Trip Records 1996

    Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Captain Trip Records 1999

    Shagrat. Lone Star. Captain Trip Records 2001

    Larry Wallis. Death In The Guitarafternoon. Ribbed Records 2001

    23 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

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    Il y a des soirs où il vaut mieux se laisser faire. Surtout quand on vous veut du bien. Je vous laisse juges. Plateaux de melons, tartines de fromages et de pâtés gracieusement offerts par la Comedia, avec Tony Marlow, Alicia F, et des américains venus de Nashville, c'est ce qui s'appelle être gâtés, ou je ne m'y connais pas, d'autant plus que ce lundi soir ce n'est pas la foule énorme mais l'on ne compte pas les amis au mètre carré, comme s'il en pleuvait.

    TONY MARLOW

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    Et sa guitare. Car ce soir Tony ne l'a pas ménagée. Dorée avec d'étranges reflets sépia lorsqu'elle entre en collision avec un rai de lumière. Quelle classe le Tony ! Prestance et port altier. Juste quelques mots de bienvenue et déjà il nous emporte à l'Ace Cafe, une chevauchée à toute blinde qui sera immédiatement suivie d'un petit – minusculité affective – Chuck Berry. Around and Around, fascinant de voir l'emprise digitale du Marlou sur les riffs, l'orfèvre les cisèle, les précise, les incise, une habileté diabolique, j'essaie de mémoriser les plans pour les revendre à une puissance étrangère, mais je n'y parviens pas, car il n'y a pas que les doigts de dextre et de senestre qui courent et accourent, z'avez aussi le son qui monte et descend, ce cristal adamantin qui coule et ricoche dans les oreilles, l'essence du rock'n'roll, qui vous raconte l'épopée magique de la jeunesse du monde.

    Mais une guitare ne suffit pas. Faut un forgeron pour forger l'anneau d'or. Un sorcier des alliages secrets, Fred Kolinski, longs cheveux blancs, sourire énigmatique, ferait un superbe Merlin dans une filmique saga brocéliandesque, détient les clefs du tonnerre derrière sa batterie. Pas un batteur fou, mais le maître de la résonance, la guitare joue et les tambours éclatent, prolongent les effets, et les stoppent définitivement, en une ampleur sonore sans équivalence. Fred finit les séquences, il retourne le sablier du temps pour ouvrir une nouvelle ère riffique.

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    Noire est la big mama d'Amine le fatidique. Il est le temps qui presse la vie, la pousse et l'envoie bouler dans la corbeille à papier. Sans pitié. Ce qui est derrière nous ne reviendra jamais, alors, grand seigneur, Amine Leroy nous console en boutant le feu à notre présent. Sa contrebasse fulmine à la manière des mitrailleuses, les balles traçantes passent au-dessus de vos têtes, et vous comprenez l'urgence du rock'n'roll, la loi du mouvement imperturbable, cette impavide propulsion en avant, qui fait qu'un morceau à peine commencé se hâte vers le delta de sa fin, car vous désirez toujours plus vivre davantage intensément. Alors Amine se déchaîne, devient épileptique, tressaute sur lui-même, se lance dans une frénétique danse du scalp autour de son instrument et parfois il s'engouffre dans des soli de foudre et de poudre qui claquent et cavalent, giclent en rafales d'énergies, emportent tout sur leur passage. Ne vous laissent que les yeux pour rire d'un bonheur effréné.

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    Effarant de voir comment en une vingtaine de titres Tony vous offre sa carrière, quarante ans d'histoire du rock'n'roll français -enté et hanté d'Amérique – et ment partiellement quand il déclare que Rockabilly Troubadour et Le cuir et le baston résument toute sa vie, car sa voix exprime plus qu'une expérience personnelle, elle a ce velouté incisif, ce nostalgique tranchant, qui fait que chacun se reconnaît dans les bribes de son existence, et peut se donner l'illusion bienfaitrice d'en recoller les morceaux épars en une radieuse unité. Tony le musicien n'ignore rien des charmes ensorcelants et des larmes retenues des poëtes.

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    Faudrait disséquer tous les titres un par un, Tony et ses marlous étaient en grande forme, nous retiendrons un de ses tous premiers titres, Western, magnifique, beau comme une chevauchée fantastique, l'émouvant et hommagial I'm Going Home de Gene Vincent, et les trombes cordiques de The Missing Link, car une fois le set terminé, il vous semble qu'il vous manque l'élément essentiel du rock'n'roll, la présence active de Tony Marlow.

    ALICIA F.

    N'a fait qu'une courte apparition dans le set de Tony. Deux malheureux morceaux. Si ce n'est pas un scandale. Mais elle se réserve, bientôt elle sera sur scène en tant qu'elle-même, en vedette, patientez jusqu'au deux novembre.

    Se glisse sur scène en toute simplicité. Ce soir elle nous montre une autre facette de son talent. Nous connaissions l'aguicheuse, celle qui jouait sur la profonde ambiguïté qui relie le rock au sexe, et le roll au désir, mais la voici toute seule dans son charme vénéneux et son espiègle beauté, moulée dans ses tatouages, son legging noir taché de motifs blancs et son T-shirt auréolé de la couronne d'opale de la naissance de ses seins, ses yeux verts d'émeraudes serpentines, et ses cheveux carrés aux bouts teintés d'un soupçon de rouge-sang-séché.

    Marlou et ses sbires enchaînent aussi sec, I Need a Man et I Fought The Law, ce sera tout, une bourrasque qui arrache le toit de la maison et déracine le châtaigner centenaire dans la cour, et dans cette trombe Alicia F, toute droite, mais le moindre déplacement imperceptible de ses bras vous a de ses grâces inquiétantes de panthère, une pose de prêtresse hiératique, elle récite les lyrics démoniaques avec une impassibilité impossible, transformant les mots en brandons de feu, et cette force inquiétante du cobra qui se dresse lentement devant vous, cette immobilité tranquille, que quand elle se retire de la scène, vous avez compris qu'elle vient de vous mordre l'âme, mais que c'est trop tard, que vous êtes mortellement touché, que l'aconit du rock'n'roll vous étreint de son cercle de feu.

    Alicia F. Alicia Fulminante.

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    VOLK

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    Ne sont que deux. Un garçon et une fille. Gal and Guy. Mais le set pourrait être sous-titré, la leçon venue d'Amérique. Ça commence doucement. Eagle Eye ne vous transcende pas. Le temps pour Chris Lowe de vérifier sa planche à effets multiples et à Eléot Reich de chauffer sa voix. Mais après vous comprenez que vous avez posé vos pieds sur le sentier de la guerre et que vous avez peu de chance d'en sortir vivant. Donc Eléot est à la batterie. Mensonge éhonté. Elle ne joue pas de la batterie. Mais de la tambourinade. Un roulement incessant, une transe rythmique impitoyable, vous comprendrez mieux à l'énoncé des titres, Atlanta Dog, Snake Farm, Honey Bee, I fed Animals, ni plus ni moins qu'une séance chamanique, vous ne vous méfiez pas, avec sa chevelure noire et sa robe rouge d'un lamé brillant vous croyez qu'elle va vous jouer le numéro de l'entertaineuse américaine type, vous n'y êtes pas du tout, à la manière dont elle enserre la caisse claire dans la blancheur de ses cuisses, et cette position voûtée, vous vous dîtes qu'il y a de la puissance vaudou en elle, qu'émane de son corps un magnétisme tellurique, et qu'elle transmet et transmute, qu'elle infuse et diffuse une force inconnue que l'on pourrait nommer l'esprit de la terre.

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    De prime abord Chris est moins inquiétant. Un grand gaillard solide, une tête bien faite d'étudiant attentif. Une grosse Gretsch blanche dans ses mains qui barre son épaisse redingote, un large éventail de delays électroniques à ses pieds, simple rythme binaire pour débuter, chante aussi. Faut attendre un peu pour intuiter ses dons de sorcier. Mine de rien, l'a des doigtés étranges. Vous semble qu'il rajoute de temps en temps des pincées de sel dans la tambouille qui cuit paisiblement sur le feu. Plutôt de la poudre à canon. Dissuasive. Little Games et Revelator's Bottleneck, ne riffe pas, il rajoute du son au son, fait des interventions, joue à la manière des joueurs d'échecs, ce n'est que cinq coups après que vous réalisez la raison irraisonnable pour laquelle il a poussé tel pion dans cette case inopérante. En moins de deux il contourne votre défense, force vos muraille et vous met à mal, à mat et vous mate à mort. Une démonstration. In vivo.

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    Fascinant. Eléot ne fait pas que tricoter ses baguettes. Elle chante aussi, une voix qui monte dans les aigus, qui s'assombrit et s'intempestive, et qui au morceau suivant devient douce et suave, un roucoulement de gâteau au miel, sucrée comme un apple pie. Souvent elle double celle beaucoup plus virile de Chris, elle lui apporte une profondeur et une discrète résonnance qui l'amplifie souverainement. Notamment lors du rappel, une très belle balade country de Jack Bruce, qui vient un peu en contrechant à l'inexorable montée progressive du set selon une sourde violence fascinante qui contraindra toute l'assistance à se masser devant la scène.

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    Je terminerai sur cette divine surprise, cette version sublimissime, subluesmissime, de Sumertime Blues d'Eddie Cochran, qui n'a pas entendu le martellement d'Eléot et sa voix d'outre-tombe – elle endosse le rôle de Jerry Capehart – n'a jamais rien entendu, et Chris qui abrupte le riff si sourdement qu'il devient le tourment de votre vie, et son vocal qui flirte avec la raucité d'Eddie sans jamais l'imiter...

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    Un régal ! Tony Marlow résumera la situation : une révélation. Du country roll comme l'on n'en n'avait jamais ouï de ce côté-ci de l'Atlantique. De surcroît un garçon et une fille très gentils, ne connaissent pas un mot de français mais la sympathique complicité qu'ils dégagent ne trompent pas. Une soirée comediane à marquer d'une pierre blanche.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Costa David )

     

    20 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    JIMM / FISHING WITH GUNS

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    Suis arrivé à la Comedia sans trop savoir qui j'allais voir, m'étant quelque peu embrouillé dans les dates. Mais l'instinct du rocker ne se trompe jamais, une soirée explosive m'attendait. Mais je n'étais pas le seul à subir la déflagration!

    JIMM

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    Parfois il vaut mieux être trois que mal accompagné. Cet adage populaire vieux de trois millénaires que je viens d'inventer mérite un codicille précisif : trois cadors. Car comment peut-on produire une telle mayonnaise avec si peu de personnel. L'est vrai que Xavier avec sa taille de géant peut facilement compter pour deux, avec sa chevelure de boucles barbares et sa basse il ne se fait pourtant guère remarquer, à peine s'il vient de temps en temps pousser un cri de guerre ou hurler une rapide interjection au micro. Mais mine de rien, il assure grave. Le grondement de base, c'est lui le fautif, ce roulement de galets entrechoqués emportés par la furie d'un torrent c'est lui le responsable. N'est pas non plus le seul coupable, serait anormal qu'un seul écope de toutes les malédictions. A la batterie, Billy n'est pas innocent. L'a les mains pleines de baguettes. Les lève bien haut, les fait tournoyer entre ses doigts, et puis c'est fini. Le bonheur est désormais personna non grata sur notre misérable planète. L'apocalypse est commencée et rien ne l'arrêtera. L'a compris qu'il est là pour taper, alors il tape, l'a le pied meurtrier sur la grosse caisse et des menottes d'étrangleurs en série. Ne sait pas s'arrêter, un jusqu'au-boutiste, quand il n'y en a plus, il en a encore, l'as de la logistique distributive, des coups pour tous les tambours de la terre, une canonnade d'escadres ennemies, Xavier la tempête, Billy se charge de la métamorphoser en ouragan. Libère les vents de l'outre d'Eole. Bref, vous filez à cent-vingt neuf nœuds secondes et déjà se pose en vous la question fatidique, dans tout ce brouhaha comment un guitariste arrivera-t-il à survivre?

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    Jimm a deux manières de répondre à votre interrogation métaphysique. D'abord : par le chant. S'approche du micro, et non il ne chante pas. Se débrouille – je ne sais comment – pour que sa voix devienne un quatrième instrument, une coloration nouvelle, qui se fond au magma sonore, s'y installe naturellement comme l'oiseau se construit un nid dans le couvert des épaisses frondaisons de l'arbre. De plus en français, n'en tirez aucune gloire nationaliste, car ce serait in english que vous n'entendriez point la différence, l'a sa manière à lui d'appuyer sur les syllabes, et par ce fait même de les détacher si fortement que vous comprenez très vite en ce langage universel qui se nomme l'idiome rock.

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    Ensuite : il joue de la guitare. Au bout de deux minutes vous vous dites, c'est un très bon guitariste. Mais bientôt vous devez réviser votre jugement. L'a un truc spécial, n'est pas un vulgaire pousseur de riffs, son pied à lui c'est de surnager au-dessus du tumulte, comme dans les orchestres symphoniques menées à fond de train par Toscanini quand brusquement au-dessus de la monstrueuse masse sonore s'élève la plainte virevoltante du violon solo et vous n'entendez plus que cela, le Jimm il est pareil, l'a les soli de guitare qui brillent, qui scintillent, tels une rivière de diamants qui vous éclabousse de mille rayons de soleils réfractés. Cette scie sauteuse qui vous dentellise les tympans est le nectar des Dieux.

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    En plus ils vont jouer longtemps, enchaînent les titres, Prêt à penser, Ton blues dans la peau, Jamais vieillir, et devant la scène ça remue salement, pas tous les jours que le rock déboule sur vous avec une telle intensité. Un triomphe.

     

    FISHING WITH GUNS

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    Avec un tel patronyme, l'on se doutait que ce n'étaient pas des joueurs de pipeaux. Passer après Jimm de prime abord ne semble pas être une sinécure. Mais première surprise, ne serait-ce pas Billy Albuquerque qui s'installe derrière les drums, exactly my dear, pas besoin d'être Sherlock Holmes pour comprendre que l'on n'est pas là pour cueillir des petits pois. Va toutefois falloir résoudre l'énigme Inigo. Quand ils se sont installés semblaient être quatre mais là sur scène maintenant que l'éruption volcanique a commencé – déjà rien qu'au trente secondes de secousses sismiques échappées de la guitare de Tof juste pour voir si tout était en place juste avant le début du set, l'on avait subodoré que les gaziers préféraient les bâtons de dynamite à la pêche au goujon -ils ne sont plus que trois.

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    Inigo, c'est un peu comme dans les albums Où est Charlie, faut lui mettre la main dessus, car il est perdu dans la foule. A peine si de temps en temps il s'octroie une brève station et remontera quelques secondes sur la scène. L'est dans le public agglutiné devant. Certes pour l'entendre vous l'entendez. Mais impossible de savoir où il est. Surgit à l'improviste devant vous, un peu comme le vaisseau fantôme entre deux plaques de brume. Mais quel cantaor ! La voix qui djente, pas trop, mais suffisamment pour vous mettre le feu à la moelle épinière. Et ces poses ! Le fil du micro haut levé, le visage tourné vers le cromi et cette poudrière vocale qui explose. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il en use avec parcimonie, n'en abuse jamais, laisse à l'orchestre le temps de poser les assises du riff, d'articuler la séquence, et quand tout est bien en place, il vocalise, tel le caïman qui sort du fourré juste pour venir vous couper une jambe, proprement d'un seul coup de dentition. Puis il se retire dans l'eau saumâtre de son propre silence tandis que ses congénères continuent leurs monstrueux tapages comme s'il était nécessaire à la survie de nos existences. Le pire c'est qu'il l'est indispensable. Motherfucking badass ! Reste du Blood on the ropes !

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    C'est que derrière les trois lascars ne vous laissent pas le temps de respirer jouent une espèce de mixture de stoner estampillé aux marteaux de Thor et émargé aux forges d'Héphaïstos, sur sa basse Bouif ramone la suie des cheminées de volcan, parfois son corps se réduit et se cambre à croire que l'électricité le traverse de part en part et des ondes noires s'échappent de son instruments comme des meuglements d'agonie de cachalots échoués sur les rives du désastre. Tof taffe à mort, l'a la guitare qui mord, le feu qui couve sur deux accords et puis qui tout à coup flamboie et se déploie dans l'univers tout entier, vous consume l'âme comme un mégot qui grésille dans le cendrier. Les Fishing vous fichent la trouille et la chtouille à jouer trop bien, trop fort, trop sauvage. Profitent d'un instant de répit pour distribuer à l'assistance leur dernier EP, le prochain est en préparation et ils nous régaleront de quelques aperçus. Et c'est reparti pour une charge à la baïonnette finale. Pas question, le peuple rock qui s'est salement secoué devant l'estrade refuse de les laisser partir, et nous avons droit à deux derniers feux d'artifice. Deux explosions nucléaires de soleils noirs !

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    Damie Chad.

    ( Photos : Chris on FB : Meteo Rock )

    BLOOD ON THE ROPES

    FISHING WITH GUNS

    ( Avril 2017 )

    Peu d'indications sur la pochette qui reste relativement mystérieuse. Recto brun dont le visage granitique de statue saignante émarge au verso et se dissout en une blancheur envahissante au bas de laquelle se profilent un revers montagneux et la silhouette automnale d'un arbre. Peut-être le sens est-il à décrypter dans l'image des deux lutteurs de pancrace opposés et entremêlés sur la sesterce blanche du CD. Serions-nous emplis d'une fureur incontrôlable qui, dans le temps même qu'elle nous donne force de vie, nous agonise.

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    Dodge and counter : lourd and loud, instrumental, une guitare qui sonne et résonne, des cymbales qui se glissent par dessous car lorsque la menace se précise, que vous entendez ces gros godillots qui avancent, vous êtes dans l'attente de la catastrophe vous êtes sensible aux plus petits détails, au craquement insidieux de la moindre brindille subsidiaire, mais l'emprise sonore devient obsédande, le rythme reste toujours lent, l'intensité sonore s'amplifie, la rupture... Motherfucking badass : ...déboule, une course folle sur une rythmique impitoyable, un trait de feu qui parcourt l'espace, rejoint par une voix qui amplifie le sentiment de l'inéluctable. Brut de noir à pas cadencés, le pendule de la mort qui descend vers vous imperturbablement se rapproche. Une voix de tuerie, des guitares de chienlit, des frayeurs pulsatives de batterie, hallali démiurgique, un dernier hurlement, et les ronronnements de guitares s'éloignent au loin. Un morceau merveilleusement structuré. Thirst for lust : éclats nerveux de guitares, crachats de voix sur la face de Dieu, semelles de plombs du drumming, le rythme se segmente pour se reconstituer en plus schismatique, en plus rapide, mais comme ralenti par la saturation hérésiarque des guitares. Froissements de ferrailles, la voix qui criaille en un festival d'ailerons de requins qui arrachent les chairs sanglantes de leurs victimes. Apothéose. King of the crossroads : guitares grondantes et hachoir vocal, collisions de carrefours, courses à mort, déconnections et reconnections, rien ne les arrêtera. Eclaboussures de tintements et moteurs en furies qui grondent. Reason to cry : pas une raison pour ralentir le rythme en tout cas, ni de pleurer honteusement dans son mouchoir. Une voix salement insidieuse. Forge drummique pressurisée en arrière-plan. Vocalises qui s'égosillent, guitares qui ripent sur du verre brisé, l'on entend les tintements cristallins du diable qui cogne à la fenêtre béante de l'esprit dévasté. Désormais les guitares tirebouchonnent dans les amplis, la voix se fraye un chemin dans les soubassements de l'obscurité et l'on refait un tour sur la bande de Möbius de la souffrance animale infinie. Qui finit par se rompre en un grandiose balancement.

    Damie Chad.

    CAMON ( 09 ) / 09 - 08 - 2019

    La Camonette

    KERYDA

     

    Jeudi, retour obligatoire à la Camonette, bouffe excellente mais totalement subsidiaire, la semaine dernière nous avons eu le père, Chris Papin-Jijibé, dans le jeu des sept familles des musiciens donnez-moi le fils, Damien. L’aurait pu mal tourner comme le père et s’adonner au démon du blues comme le prédestinait son prénom, mais non, est abonné à un tout autre genre. Difficile à définir : disons un folk curieux pour ceux qui ont besoin d’étiquette.

    KERYDA

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    Sont beaux et jeunes tous deux, prince courtois et princesse charmante échappés d’un conte de fées. Il a une vieille contrebasse toute sombre à ses côtés, et elle une harpe de bois clair d’Ariège posée sur un piédestal. Contrebasse + harpe, ensemble composite mais en même temps empreint d’une similarité sonore évidente même si la vieille dame s’adonne à de funèbres tonalités automnales et si de la damoiselle fièrement cambrée s’élancent de claires perlées de rires d’enfants cristallines. Alta et contralta. L’assemblée, au bas mots plus de cent cinquante convives, bruisse de bruits confus lorsque Damien se saisit de son archet. Qu’il délaisse aussitôt pour des doigtés de pizzicati virevoltants à la manière d’étincelles de jazz, et c’est sur ce tapis tressautant d’escarboucles que Sara Evans dépose de translucides feuillages brocéliandiques agités par une brise mutine. En un instant, elle installe un autre espace, plus subtil, plus fluide, de silence et de musique entremêlés, miroirs et reflets de miroirs. C’est cela Keryda, cette création d’une dimension à part, d’une intimité plus profonde avec le vertige des apparences. Ce premier morceau est suivi d’un deuxième qui sonne étrangement et orchestralement contemporain, sont-ce les sourds frappés de Damien sur le bois, ou cette savante rythmique entrecroisée de sons clairs et sombres mais l’instant s’avère magique et soulève les applaudissements. Et la musique de Keryda se fait plus lointaine, à croire qu’elle veuille nous entraîner dans les terres du songe en des contrées arachnéennes et infinitésimales. La big mama marmonne de profondes incantations et les notes de Sara profèrent des mélopées d’endormissement vaporeux. La nuit et le jour s’unissent en une couleur goethéenne ignorée des simples mortels, habitée par de malicieux farfadets invisibles dont on ne perçoit la présence que par l’évanouissement disparitif qu’ils laissent derrière eux. Instants de rêves indistincts suspendus sur le vide vertigineux des glaciers de la beauté.

    + FRIENDS

    Pour le troisième set, la scène est envahie d’invités. Le facteur et Zoé, la fille triangulaire. Il fabrique et tient entre ses mains un accordéon, elle toute blonde se contente d’un triangle isocèlement métallique. Il y a encore une violoniste, un guitariste et Julien aux percus. Changement d’ambiance, Damien s’est muni d’une basse électrique et il groove grave, un son concassé que le facteur se hâte par derrière d’étoffer. L’on dérive lentement vers un méli-mélo d’improvisations, au substrat argentin. C’est bien fait, agréable, sympathique, mais cela n’atteindra jamais à l’intemporalité de Keryda.

    Damie Chad.

    TARASCON ( 09 ) / 17 - 08 - 2019

    COMPAGNIE R2

     

    Damie tu pourrais m’amener à Tarascon, ce soir il y a de la danse contemporaine. Un truc de fille évidemment, palsambleu de la danse contemporaine ! tout être normal et évolué aurait repéré un groupe de rock obscur dans un bouge perdu, mais non de la danse contemporaine. Bref direction Tarascon ( con ! ). Evidemment, la grande esplanade festive est vide, faut arpenter les rues en pente de la vieille ville pour trouver La Placette.

    Un mouchoir de poche, le tatamis noir en occupe la plus grande largeur juste devant l’unique maison, déduction logique les habitants sont condamnés à rester chez eux durant la représentation, une trentaine de chaises sont entassées dans le triangle restant, mais des spectateurs peuvent se masser sur le côté de la rue qui monte rude et surplombe, à ne pas confondre avec celle de l’autre côté qui descend profond. Je précise que l’Ariège est peuplée de montagnes. Une hétéroclite collection de tableaux grand-format sont accrochés un peu partout aux murs de pierres ocres.

    PASSAGE

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    Sont tous les quatre en chaussettes blanches, se déchaussent de leurs sandales et vont se prostrer en silence sur quatre chaises de bois noir. Les deux filles vêtues de blanc, les deux garçons en jeans bleu-délavé et tunique blanche. Musique. Non ce n’est pas du rock. C’est du Pink Floyd ! Une bonne sono qui vous en met plein les oreilles. Dès les premiers mouvements esquissés, il apparaît que l’on affaire à de véritables professionnels. Vous scotchent sur place, suivent la musique de The Wall, pas de l’improvisation sauvage et hasardeuse au petit bonheur la chance, un véritable ballet, aux séquences ultra-réglées et codifiées. Pour le Pink dont la musique vous enveloppe, je m’aperçois - mais la gestuelle m’y pousse peut-être - qu’ils ont sacrément pompé sur le Tommy des Who, jusqu’à Waters qui essaie de retrouver la flexibilité vocale ( sans y arriver ) de Daltrey. En tout cas pour la thématique, il n’y a pas plus de lézard que d’horloge. L’enfermement est bien le sujet central des deux opéras.

    Les schizos ne freinent jamais. Sont tout à leur délire. Même leur moments d’abattement restent inquiétants. Sont à côté du monde, enfermés en eux-mêmes, n’ont besoin de rien d’autre, ils ont rapté au grand tout universel des hommes ce qu’ils ont de pire, la violence et la folie. Des guêpes folles recluses dans une bouteille qui tourbillonnent, se montent dessus ou se fuient, se laisse aller à des simulacres de sexe et de meurtre. Des tentatives d’amitié sans lendemain. La seule véritable absente de cet entremêlement de corps entassés ou distendus, c’est étrangement la Mort. L’est comme une valeur fiduciaire qui court entre les individus mais totalement invisible, reléguée hors du plateau et de l’esprit de la folie.

    Une esthétique manga. Sont-ce les tuniques blanches, le fait que le maître plus âgé danse avec ses trois jeunes élèves qui me poussent à une lecture nipponne de cette pièce créée en 1996, non plutôt ces arrachés de bras, ces mouvements subitement arrêtés en plein élan, ces tourbillons de contre-plongée, ces emprunts hip-hopiens comme des citations de mantras énergétiques, cette frénésie d’ailes de phalènes carnivores, subitement cloués en plein vol sur la noirceur d’une planchette par l’épingle froide d’un entomologiste insensible obnubilé par la poursuite vaine d’un rêve sans cœur ni raison. Une inversion de la théorie du papillon, le battement de l’âme d’un individu excédé de folie déclenche les pires tempêtes non pas à des milliers de kilomètres à l’autre bout du monde, mais un tsunami irrémédiable dans l’esprit même, phalène qui halète sans fin, prisonnier dans sa propre cellule intérieure, et le corps secoué de spasmes, cassé en deux, morcelé en fragmentations infinies, n’est que la résultante de cette force psychéïque retournée contre elle-même, à défaut d’un revolver salvateur. L’ensemble vous donne l’impression d’une stérile obstination à perpétrer un hara-kiri impossible puisque opéré avec l’arme émoussée de la chair incapable malgré tous ses remuements eschatologiques d’entamer les silex tranchants et nervaliens de votre psyché délirante. Car la folie tourne en rond en vous-même et vous broie pour vous empêcher de traverser le miroir des apparences. Tout cela dans ces saccades de gestes prompts, ces rafales de delirium tremens, ces abattements somptuaires et résignés qui à peine en repos se rallument comme flammes vives dans les pinèdes des songes inavoués. Et infinis. La danse comme équation mathématique à quatre corps inconnus qui ne sera jamais résolue, sinon sans l’arrêt de la musique qui mène le bal.

    Un triomphe. Pour ceux qui se demandent le pourquoi de cette chorégraphie incandescente sur la musique du Floyd, qu’ils se procurent la cassette vidéo du Pink Floyd Ballet en collaboration avec Roland Petit. La danse est un geste sans cesse recommencé mais toujours inachevé.

    Damie Chad.

    ROCK'N'ROLL STORIES

    BUDDY HOLLY

    RNRS : Série 2 / N° 6

    15 / 09 / 2019

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    Buddy Holly est mort à vingt-deux ans, mais si vous voulez vous pencher sur sa discographie, entreprenez plutôt la lecture du Tractacus Logicus de Wittgenstein, pas très rock'n'roll je vous l'assure, mais ô combien moins complexe. En fait le plus simple sera d'écouter ce sixième numéro de Rock'n'roll Story. Certes Buddy a enregistré un maximum de simples et je vous l'accorde ces pochettes de papier, souvent blanches, ne sont pas très vidéographiques, mais si vous êtes patients vous aurez droit aux belles images des 33 tours. De toutes les manières perso j'ai une préférence pour les EP français. Vous en verrez aussi. Je ne voudrais pas être rabat-joie mais Buddy n'avait pas tout à fait un physique de jeune premier.

    Les débuts de Buddy sont riches d'enseignements pour ceux qui s'intéressent à l'éclosion du rock'n'roll. Ça ressemble un peu à un vol d'albatros qui s'arrachent d'un océan mazouté, mais après c'est comme dans le poème de Baudelaire, cette satanée musique hante la tempête et se rit de l'archer. Enfin pas tout à fait, car il y aura de sacrées descentes en flammes, Buddy notamment abattu en plein vol. Par la main froide du destin.

    Une famille de musiciens – à croire qu'aux States il n'y avait que des gens qui savaient jouer de quelque chose – Buddy taquinera, la mandoline, le piano et grâce à son grand-frère Travis la guitare. En 1951, il formera le duo Buddy and Bob, Bob Mongomery, copain de collège, à la guitare et Buddy au banjo. Auparavant il avait déjà formé un duo avec Jack Neal, le futur bassiste des Blue Caps. Lorsque l'on lit les mémoires de Sharon Sheeley, la '' fiancée'' d'Eddie Cochran l'on s'aperçoit que le vaste monde du rock'n'roll américain devait être toutefois assez exigu car la plupart de ces artistes se connaissaient et n'arrêtaient pas de se croiser malgré l'immensité du territoire. Par contre s'il est un vivier inépuisable c'est celui des maisons de disques, des labels, des imprésarios, des organisateurs de tournées, des producteurs, le dessous grouillant de l'iceberg. Ne nous y trompons pas ces hommes de l'ombre empochaient les plus gros bénéfices. Un véritable panier de crabes. Ainsi entre Decca, Brunswick et Coral, Buddy aura du mal à tirer son épingle du jeu. Ses disques paraîtront sous diverses appellations, The Crickets ou Buddy Holly and The Crickets, Buddy Holly. Autre tare de ce système, les artistes ne sont pas les seuls à avoir droit de regard sur les titres. Beaucoup de démos seront ainsi refusées, elles feront plus tard la joie des rééditions.

    Pour le moment Buddy et ses compagnons – la formation des Crickets est pleine d'allées et venues – deviennent doucement des gloires locales. Peu de choses au regard de l'étendue du pays mais assez pour participer par trois fois à la première partie des trois spectacles qu'Elvis Presley donnera en 1955 – c'est à cette époque qu'il enregistrera Down the Line et Baby won't you play house with me ( ce dernier à mon goût supérieure à la version d'Elvis ) - et 1956, toujours à Lubbock. Sera aussi présent au concert de Bill Haley. Puis ce sera la rencontre de Norman Petty qui restera son producteur pratiquement jusqu'à la fin. Si après la mort de Buddy, Petty trafiquera quelque peu les bandes, il faut reconnaître que leur collaboration permettra à Holly de fixer son style. Imaginez un mix mélodieux et heurté d'un son qui allierait le flegme d'Hank Williams au jungle sound de Bo Diddley. Dans cet alliage, le plus important, ce ne sont ni les racines noires ni celles du western bop, mais cette idée de la création d'un son, Sam Phillips inventera en quelque sorte l'enregistrement, mais Buddy y ajoutera cette idée que l'on ne doit pas reconnaître la marque du studio, mais le son singulier de l'artiste. C'est en Angleterre que la leçon portera ses fruits, Beatles et Stones sauront écouter le message de Buddy et se forger leur propre marque sonore de reconnaissance totémique. Que serait devenu Buddy s'il n'avait pas disparu, tout ce que l'on peut dire c'est qu'il avait le projet de monter un label Prisme. Sans doute serait-il passé souvent derrière les manettes...

    Mais délaissez cette hâtive chronique, écoutez Rock'n'roll Stories, il est impossible de faire mieux et plus précis en trente minutes. ( Sur You Tube ou le FB )

    RNRS : Série 2 / N° 3

    EDDIE COCHRAN

    04 / 08 / 2019

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    Un destin similaire à celui de Buddy Holly. Fauché en pleine jeunesse. A vingt-et-un ans. Mais avec un goût d'inachevé que l'on ne retrouve pas chez Buddy. L'impression non pas d'une perte, mais d'un gâchis. La sensation qu'il est parti hier ou à peine depuis dix minutes, qu'il a laissé sa guitare pour aller fumer une clope et revenir. Buddy a laissé une œuvre. Eddie des semences. De celles qui permirent la renaissance de l'épeautre à partir des grains retrouvés dans les tombes des pharaons. Une dizaine de titres essentiels – sans oublier tout le reste - mais à partir de seule cette maigre poignée, ne subsisterait-il à la surface de la terre que cela, l'on pourrait reconstruire le rock'n'roll rien qu'à partir de ce coffre aux merveilles. Bien sûr tout est bon chez Eddie, un enseignement magistral à puiser du premier titre au dernier enregistrement. Mais cela ressemble à des brouillons d'enfant surgénial. D'une folle générosité. D'une immense précocité. D'une diabolique facilité. L'on ne peut s'empêcher de penser au destin d'un Evariste Galois fauché à vingt ans dans un duel, laissant en jachère des théories mathématiques qui furent reprises par bien des suiveurs. L'on aimerait savoir ce qu'il aurait fait par la suite. L'on se plaît à accroire que les routes du rock'n'roll auraient amorcé d'autres trajectoires, mais l'on n'en sait rien. En disparaissant Eddie Cochran ne nous a laissé sur quelques photographies que son sourire enfantin et triomphal pour essayer de déchiffrer une énigme qui nous dépasse.

    C'est pour cela que les remémorations de Rock'n'roll Stories nous sont précieuses, au-delà des faits elles ouvrent les perspectives infinies du rêve.

    Damie Chad.

    Sur FB : Rock'n'roll Stories ou sur You Tube.