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juke joints band

  • CHRONIQUES DE POURPRE 609: KR'TNT 609 : SIXTO RODRIGUEZ / NICK KENT / HARLEM CULTURA FESTIVAL / GYASI / LINDA LEWIS / JUKE JOINTS BAND / JOHNNY HALLYDAY / ROCKERS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 609

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    31 / 08 / 2023

      

    SIXTO RODRIGUEZ / NICK KENT

    HARLEM CULTURAL FESTIVAL / GYASI

    LINDA LEWIS / JUKE JOINTS BAND

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKERS 

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 609

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Rodriguez as-tu du cœur ?

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             En cassant sa pipe en bois, Sixto Rodriguez devient enfin le personnage cornélien qu’il n’a jamais été. Cette disparition est le seul aspect tragique de son existence. Tout le reste est beau. Notamment ses deux albums, Cold Fact et Coming From Reality. Ils font complètement oublier le fait qu’il aurait dû devenir superstar. Même destin que celui de Nick Drake. Culte par la seule beauté des chansons.

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             À une époque, avec un peu de chance, on pouvait encore choper à un prix convenable un pressage original de Coming From Reality, sur Sussex, avec le gatefold découpé. Magnifique objet. Magnifique album. Aussi magnifique que Blonde On Blonde. Les deux faces s’entrechoquent de beauté, on est tout de suite frappé par la fabuleuse présence vocale de Rodriguez dans «Climb Up On My Music» - And from there jump off with me - Rien sur les musiciens, on sait juste que c’est enregistré à Londres, au studio Lansdowne, là où a débuté Joe Meek. Les cuts de Rodriguez sont très denses, aussi bien mélodiquement qu’au niveau des textes. Dans «A Most Disgusting Song», il balance ça : «While the Mafia provides you drugs/ Your Government will provide the shrugs/ And your National Guard will supply the slugs», c’est du protest à l’état le plus pur, et ça rime. Et puis tu tombes dans les bras du magicien avec «I Think Of You», un cut d’une pureté mélodique extrême emmené par un lead espagnolisant et un bassmatic rond et charnu. Et l’envoûtement se poursuit avec «Heikki’s Suburbia Bus Tour», un heavy groove dans la veine du «Season Of The Witch» de Stylish Stills. On a les mêmes retours de manivelle, c’est du génie sonique pur. Et ça continue en B avec «Sandrevan Lullaby Lifestyle» qu’il chante d’une voix aux textures riches, dont la suavité, l’éclat d’or pâle et la grâce sucrée auraient tant plu à des Esseintes. Tout est parfait sur cet album, la mélodie chant, le grain de voix, le bassmatic et les nappes de violons. Rodriguez te berce encore d’une langueur monotone avec «It Started Out So Nice» - Marble money tunes/ As pale earthly circles swooned - Il ne compose que des hits de rêve. Et il boucle avec «Cause», pur shoot de véracité dylanesque avec une Queen of Hearts who’s half a stone and likes to laugh alone, on  retrouve le balancement poétique de Bob Dylan, une espèce de grâce verlainienne, comme si la richesse de la mélodie rehaussait encore la richesse poétique des textes -So I set sail in a teardrop and escaped beneath the doorsill - et il termine avec une galipette de génie pur - Cause/ How many times can you wake up/ In this comic book and plant flowers?.

             C’est l’expat américain producteur Steve Rowland qui insiste pour que Rodriguez vienne enregistrer à Londres. Il monte le coup avec l’A&R de Buddah Records Neil Bogart qui est aussi fan de Rodriguez et qui est prêt à investir. Il faut savoir que Steve Rowland a produit les Pretty Things, P.J. Proby, The Herd et Dave Dee Dozy Beaky Mick and Tich, puis The Cure. Rowland est effaré par la qualité des nouvelles chansons de Rodriguez. C’est Kevin Howes qui donne tous les détails des sessions dans les liners de la red. C’est pour ça qu’il faut choper les reds des grands albums, on y trouve de la littérature, tout au moins des liners rédigées par des spécialistes. Dans le studio, tu as Chris Spedding et Tony Carr. Le prodigieux bassman s’appelle Gary Taylor.

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             En 2012, la parution du docu Searching For Sugarman provoqua un joli buzz. Le pauvre Rodriguez s’est même retrouvé dans Télérama. Forcément, on va voir le film quand on connaît les deux albums. Le film est tellement bien foutu qu’on le revoit ensuite sur DVD. Encore et encore. Malik Bendjelloul l’a semble-t-il réalisé avec peu de moyens et il a réussi un exploit assez rare : dire la grandeur d’un artiste sans jamais mordre le trait, c’est-à-dire en collant au plus près de la réalité. Bendjelloul a eu de la chance, car Rodriguez, qui artistiquement a la carrure d’une superstar, est un homme extrêmement simple. Sa modestie naturelle affecte même son élocution. 

             En gros, Rodriguez est un Chicano de Detroit qui ressemble à s’y méprendre à Question Mark. Il bosse dans des chantiers de démolition et de rénovation, et il écrit des chansons. Le week-end, il gratte ses poux dans un club enfumé de Detroit, The Sewer, et c’est là que le découvre Dennis Coffey. Coff le compare tout de suite à Dylan. Bien vu Coff ! Alors avec Coff dans les parages, ça tourne vite au conte de fées : Rodriguez rencontre Clarence Avant et enregistre Cold Fact sur le label d’Avant, Sussex. Sur Sussex, on trouve aussi Coffey, bien sûr, mais aussi Bill Withers. Et aussi curieux que cela puisse paraître, l’album ne se vend pas. Dans l’interview qu’il accorde à Malik Bendjelloul, Rodriguez sort cette explication fataliste : «It’s the music business. There is no garantee.» Il ira quand même enregistrer Coming From Reality à Londres l’année suivante et puis Sussex le laissera tomber. Alors Rodriguez retourne sur les chantiers, car il a quatre bouches à nourrir, sa femme, et aussi ses trois filles qu’on voit dans le docu.

             Malik Bendjelloul rend son docu passionnant car il le conçoit comme une intrigue. Contre toute attente, les petits culs blancs d’Afrique du Sud raffolent de Cold Fact. On est alors en plein Apartheid et ces blancs font partie de l’opposition blanche à l’Apartheid. Ils considèrent Rodriguez comme un chanteur engagé. Mais comme il n’y a aucune info sur lui, les mythes vont bon train. On raconte même qu’au terme d’un show qui se serait mal déroulé, Rodriguez se serait tiré une balle dans la tête sur scène. Donc pour les Afrikaners, Rodriguez est mort.

             Bendjelloul mène l’enquête. Il réussit à retrouver les deux producteurs de Rodriguez, l’américain Mike Theodore (associé de Coff) et l’anglais Steve Rowland. Ils se disent tous les deux sciés par le fait que Rodriguez n’ait pas percé. Rowland le qualifie même de sage (wise man) et de prophète, puis il passe «Cause» sur sa chaîne - Sad... Last song that Rodriguez ever recorded - C’est effectivement la dernière chanson de Coming From Reality - Nobody in America had ever heard it. Comment est-ce possible ? - C’est là où Zorro Bendjelloul sort de la nuit et court vers l’aventure au galop !

             Craig Bartholomew Strydom, journaliste sud-Africain, se demande s’il existe un «inspecteur en musicologie». Non ? Alors il se proclame inspecteur en musicologie. That’s me ! Il découvre que Cold Fact s’est vendu à 500 000 exemplaires en Afrique de Sud. Où va le blé ? Chez Sussex. C’est qui Sussex ? Clarence Avant ! Bendjelloul interviewe le vieux Clarence qui semble sortir d’un polar de Tarentino. Il est à peine aimable. Il dit que Rodriguez est dans le top five de ses artistes - It didn’t sell here - Il parle de six exemplaires. Mais il n’aime pas les questions de Bendjelloul. L’interview tourne en eau de boudin. Il faut savoir que Clarence Avant est un personnage politique considérable aux États-Unis. Il fait comprendre à Bendjelloul qu’il doit apprendre à faire son métier et commencer par poser les bonnes questions. Ironie du sort : Clarence Avant vient de casser sa pipe en bois, une semaine après Rodriguez. On apprend aussi en lisant les liners de Kevin Howes pour la red de Cold Fact que Rodriguez n’était pas disposé à jouer le fame game, c’est-à-dire la promo de l’album qui du coup n’est pas entré dans les charts. De son côté, l’inspecteur en musicologie appelle Mike Therodore et lui demande comment est mort Rodriguez - Rodriguez dead ? What do you mean ? He’s not dead. Sixto Rodriguez is alive and kicking and living in Detroit - Puis l’inspecteur entre en contact avec Eva, la fille de Rodriguez qui confirme que son père est vivant, qu’il bosse toujours sur les chantiers et qu’il a même fait un peu de politique pour l’élection à la mairie de Detroit. Et tout se termine par une tournée sud-africaine en 1998. Rodriguez joue dans un stade et la foule l’ovationne. Six concerts sold-out et, paraît-il, un troisième album inachevé.

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             On comprend que Cold Fact ait pu faire un carton en Afrique du Sud, car Rodriguez te subjugue dès «Sugar Man» - Silver magic ships/ You carry/ Jumpers coke sweet Mary Jane - Ça te cogne dans le coin du crâne, Rodriguez crée de la magie à coups de jumpers coke sweet Mary Jane, exactement de la même façon que le fit Dylan un peu avant lui. On croise à la suite deux chefs-d’œuvre purement dylanesques, «Crucify Your Mind» et «This Is Not A Song It’s An Outburst: Or The Establishment Blues». Il est poignant de véracité dylanesque - And you claim/ You got something going - même génie poético-mélodique d’as your tears go down your cheeks. Il enfonce ses clous d’or avec un talent stupéfiant - But all I heard was Establishment blues - Son protest est pur, car porté par un souffle. Cold Fact est un album émotionnel qui te saute à la gorge. Rodriguez tape son «Forget It» au big forever, il te cajole, il est trop doué, c’est à toi de t’adapter. Il chante pour toi alors montre-toi à la hauteur. Son Forget It te colle au mur. Et puis voilà le hit qui a fait basculer les Afrikaners : «I Wonder». C’est le real deal, avec la bassline de Bobby Babbit - How many times I had sex - Comme chez Dylan, les textes crèvent l’écran. Rodriguez est aussi bon que Dylan. Même power, même magie. On entend Coff faire des ravages dans «Gommorah (A Nursery Rhyme)» et Rodriguez termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec «Jane S. Piddy» - And you think I’m curious - Il jette tout son Dylanex dans la balance, au feeling insecure, sa voix résonne dans l’écho du temps, Rodriguez aurait pu devenir l’une des plus belles stars de son temps - You’re a loser/ A rebel without/ A cause - Mon pauvre ami, ta voix dans le bois de Boulogne...

    Signé : Cazengler, Sixto Merguez

    Sixto Rodriguez. Disparu le 8 août 2023

    Sixto Rodriguez. Cold Fact. Sussex 1970

    Sixto Rodriguez. Coming From Reality. Sussex 1971

    Malik Bendjelloul. Searching For Sugarman. DVD 2013

     

     

    Wizards & True Stars

    Il n’y a que Nick qui Kent (Part One)

     

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             Vue d’avion, la culture rock pourrait se résumer à trois noms : Yves Adrien, John Peel et Nick Kent. On s’est déjà longuement penché sur Yves Adrien et John Peel. Il est temps de se pencher sur Nick Kent. Si on lisait le NME dans les années soixante-dix, c’était essentiellement pour y dévorer les articles de Nick Kent. Les plus brillants sont rassemblés dans The Dark Stuff qui fut ici pendant vingt ou trente ans le principal livre de chevet d’ici, avec les trois précieux opuscules d’Yves Adrien. En complément, on peut aussi se taper l’excellent Apathy For The Devil, super fat book dans lequel Nick Kent narre son âge d’or, les années 70. Il fréquente alors la crème de la crème du gratin dauphinois : Iggy, les Stones, Chrissie Hynde, les Pistols. Il commence sa vie de Rouletabille du rock avec un parcours sans faute : MC5, Captain Beefheart, le Dead, Iggy, Led Zep et Bowie. Chaque page te fait tourner la tête - mon manège à moi c’est toi - Nick Kent est au rock anglais ce qu’Yves Adrien est à la littérature : un parangon aux pieds ailés. Il commence par créer un style, à seule fin d’asseoir sa vision, et finit tout naturellement par devenir l’arbitre des élégances. En quelque sorte le George Brummel du rock. Pas de culture rock digne de ce nom sans le trio Yves Adrien/John Peel/Nick Kent.

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             Si Apathy For The Devil monte si bien au cerveau, c’est sans doute à cause de ce capiteux cocktail de drogues, de style et de fréquentations. On retrouve les mêmes excès dans l’autobio de Kris Needs, le style en moins. En beaucoup moins. Avant d’être le Rouletabille du rock anglais, Nick Kent est un prodigieux écrivain. Quand il évoque les Beatles de 1962 et la naissance de la rock culture, il le fait de manière sublimement Kentish : «Ce sont eux et Dylan qui ont kicked open la porte qui jusqu’alors tenait enfermée la bohemian culture du XXe siècle in suffocatingly smoky nightclubs on the outskirts of town.» Ça sonne comme un long vers de Dylan. Lorsqu’il évoque les Allman Brothers, il le fait avec une pointe d’humour anglais. Il commence par expliquer qu’on avait obligé les Allman Brothers à entrer en rehab clinic avant de partir en tournée - This intervention didn’t prevent their guitarist Duane Allman from dying in a motorbike crash just a few months later whislt stoned out of his gourd - L’humour est une constante chez Nick Kent qui se voit comme le «Zeitgeist-surfing dark prince of seventies rock journalism». Il est aussi le «Count Dracula’s Limey stepchild» qui traîne dans un pub de Maida Vale, et soudain, un poivrot s’exclame en le voyant : «Fuck me, it’s that cunt from the Sandeman’s Port advert!». Hilarant ! On entend même la voix rauque du poivrot. Ailleurs, Nick Kent se définit plus sérieusement : «The folks over there just didn’t understand kamikaze journalism.» Il comprend très vite que pour se mettre au niveau des gens qu’il admire et qu’il interviewe, il faut rentrer dans les mêmes excès et se jeter tout entier dans la balance. Première étape. 

             Encore plus hilarant. Il évoque Paul Rogers en 1975 : «Ex-Free singer Paul Rogers - qui deviendra plus tard a rising star avec Bad Company - était le roitelet de cette faune hirsute et sérieuse. La légende dit qu’il était tellement viril qu’en attaquant son set rasé de frais, il le finissait avec une barbe ! Elle avait littéralement poussé sous les yeux du public. Mais cette aptitude à se faire pousser une barbe en public ne compensait l’absence totale d’innovation musicale qui les caractérisait, lui et ses collègues, dans le rock landscape des mid-seventies.» Encore plus poilant : il a des ennuis en 1976 avec les Bee Gees et notamment big brother Barry. Comme Big brother Barry menace de lui casser la gueule, il va chez un disquaire voir sur une pochette d’album à quoi il ressemble : «Il avait plus de poils sur la poitrine qu’on en aurait vu derrière les médaillons en or at a New Jersey convention for mafia capos. If he and I ever crossed paths, I knew I was wheelchair-bound», oui Nick se serait fait niquer s’il avait croisé big brother Barry. Il était bon pour le fauteuil roulant. Au moins, il réussit à faire de cet épisode une histoire drôle.

             Il plante le décor des seventies ainsi : «Pour moi, all the seminal seventies stuff se tient sur une période de 6 ans entre la naissance de Ziggy Stardust et la mort des Sex Pistols. Ce qui advint après was really just a prelude to the eighties.»    

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             Comme Yves Adrien, Nick Kent plonge ses racines dans le XIXe, et notamment Thomas de Quincey, qu’il salue vers la fin d’Apathy : «De Quincey avait noué des relations avec les deux hommes qu’il admirait le plus, les poètes Wordsworth et Coleridge, à l’âge où je faisais la même chose avec Keith Richards et Iggy Pop. Comme moi, il avait cherché le salut dans la consommation d’hard drugs in his early twenties. Je fus un peu déçu de découvrir qu’il était plus petit que moi d’une bonne tête et que pendant la plus grande partie de sa carrière d’écrivain, il avait été une sorte de shameless hack (qu’on pourrait traduire par un écrivain à la petite semaine). Mais quand j’ai découvert ses combats acharnés avec ses débiteurs et la constipation chronique, j’ai senti qu’un  puissant lien mystique s’établissait entre lui et moi. À l’automne 1821, De Quincey écrivit pour The London Magazine un essai en deux parties, Confessions Of An English Opium Eater, basé sur sa vie et l’histoire de l’opium. L’essai eut un tel succès qu’on en fit un livre qui devint la seule contribution de l’auteur au monde de l’édition. En France, Baudelaire en fit la traduction, et de l’autre côté de l’Atlantique, le jeune Edgar Allan Poe tomba sous l’influence de cet auteur rebelle.» Joli clin d’œil à Damie Chad. Mais aussi à Jean-Yves qui me confiait quelques mois avant de quitter cette planète qu’il relisait Apathy For The Devil. Il arrive que certains livres prennent dans la vie une importance considérable.

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             Nick Kent maîtrise à merveille l’art de se situer : «Well-read, streetwise druggies with a vague work ethic were my kind of people, I was quicly discovering.» La phrase est parfaite, comme montée à l’envers, c’est-à-dire excentrique. Courte, elle dit tout un monde, le XIXe et les drogues, elle dit aussi cet élitisme qui flirte dangereusement avec l’élégance. Nick Kent pratique les drogues comme un exercice d’éveil - The drug had freed something in my cerebellum and offered me a more intense way of perceiving the world - Il fait de l’Henri Michaux, et dans un élan purement littéraire, il ajoute : «J’étais déterminé à essayer de nouveau à la première opportunité.» Il fait sa Connaissance Par Les Gouffres par le rock. En entrant chez Friendz, il creuse son tunnel vers ce qu’il appelle «the freak-flag-flying enclaves of the London underground». Toutes ces expressions qu’il forge à longueur de pages sont délicieusement musicales. Il écrit l’histoire du rock de London town dans une pure langue rock. Kentish tune. Rock swagger.

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             Il évoque le concert des Stooges au King’s Cross Cinema à l’été 72 pour mettre les points sur les zi et rappeler que tout le London punk vient de là : «Bon nombre de self-styled punk experts ont depuis rempli des tomes et des tomes, mais si vous ne faisiez pas partie des 200 personnes un brin nerveuses qui assistaient au seul concert européen des Stooges à l’été 72, vous n’assistiez pas au real beginning et donc, vous ne savez pas de quoi vous parlez. Fin du sermon.» Nick Kent indique que ce concert eut sur lui un impact majeur, il découvrait ce qu’il appelle «the new wild frontier of Western pop culture». Comme Yves Adrien, il définit une nouvelle cartographie, celle qui nous servira de référence. Il revient longuement sur le show du King’s Cross Cinema : les Stooges n’ont pas joué un seul cut des deux albums Elektra, et rien de ce qui va figurer sur Raw Power : rien qu’une «jolting succession of primitive works in progress» - Neanderthal jungle music that no one present had ever heard the likes of before this night - Nick Kent dit se souvenir de toutes les secondes de ce concert historique - His absolute fearlessness, his Nijinski-like body language and the mind-blogging way he seemed able to defy even the laws of gravity - John Lydon se disait présent et non impressionné par le show, ce que Nick Kent a du mal à croire, car dit-il, «ce qu’Iggy and co ont réussi a faire ce soir-là, c’est exactement que les Sex Pistols allaient essayer de faire trois ans et demi plus tard : short sharp shock rock that mesmerized tout en tétanisant le public.» Et Nick Kent assène son dernier coup de marteau sur le clou : «Iggy & the Stooges ont inventé le punk de la même façon que James Brown & the Famous Flames ont inventé le funk.»   

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             Iggy est l’un des personnages principaux de ce festin de roi qu’est Apathy. Nick Kent évoque son retour en 1977 avec Lust For Life, un coup de maître produit par Bowie, un album qui «pouvait transformer Iggy into a bona fide superstar». Bona fide Kentish Boy adore utiliser le bona fide. Manque de pot, nous dit Nick, Elvis casse sa pipe en bois au même moment - The curse of Osterberg was still in full effect. His career had been sidelined yet again, this time by a fat bloke dying on the toilet - Nick Kent rencontre Iggy pour la première fois en 1972, alors qu’il séjourne à Maida Vale. Mainman lui a refilé l’adresse. Alors il y va. Il imagine Iggy comme un «bull-in-a-china-shop kind of guy, a walking sea of turbulance», mais il tombe sur le contraire, c’est-à-dire  «the epitome of charm and well-mannered cordiality». Il ajoute que cette rencontre allait avoir «a cataclysmic effect on me personally.» Il revient longuement sur l’art d’Iggy, «a fervent purist intent on rechallenging the bedrock blues aesthetic - two or three chords and a hypnotic groove» et il balance plus loin ceci qui te sonne les cloches à la volée : «Put simply, Ziggy Stardust was ‘show business’ whilst the Stooges were ‘Soul business’.» Il développe en expliquant que Ziggy était glamourous et séduisant, alors que les Stooges étaient «moins attirants mais capables de te changer la vie.» Et c’est exactement ce qui s’est passé pour un tas de gens : Stooges & Velvet forever. Quand plus tard, Nick Kent revoit Iggy à Los Angeles, il est frappé par sa transformation : il est devenu «a snake-eyed, cold-hearted, abrasively arrogant trouble magnet.» Terminé l’«epitome of charm». Nick Kent note en outre qu’«he was back on the smack». Kent rapporte aussi un échange d’Iggy avec un journaliste de télé qui lui demande s’il est décadent, et Iggy lui répond que «la décadence, c’est la décomposition and I ain’t decomposing, I’m still here.» Le fucking journaliste insiste : «Are you morally degenarate?», et Iggy lui rétorque : «Oh I don’t have any morals». Prends ça dans la barbe, sucker ! Nick Kent remet Iggy encore plus haut sur son piédestal en le comparant avec Artaud, «comme étant le performer seulement capable d’atteindre la grandeur en mettant publiquement sa folie en scène.» C’est extrêmement bien vu, incroyablement juste. Artaud le Momo = Iggy le Popop.

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             Kentish Boy et Iggy se rendent à une party. Ils sont complètement défoncés. Un géant s’approche d’eux et s’exclame : «Old Kenty and Iggy fucking Pop. Look at that stare of you two cunts.» Et avant qu’Iggy ne lâche une répartie fatale du genre «who is this prick anyway?», Kentish Boy lui met la main sur la bouche pour le faire taire, car le géant, c’est Peter Grant. L’atrocement violent Peter Grant. Nick Kent évoque aussi la période berlinoise, lorsqu’Iggy vit et bosse avec Bowie. Iggy : «L’avoir comme producteur, it was a pain in the arse - megalomaniacal, loco! Mais il avait de bonnes idées. Le meilleur exemple est celui de ‘Funtime’ et il m’a dit : ‘Yeah the words are good. But don’t sing it like a rock guy. Sing it like Mae West.» Bien sûr, les fans des Stooges ne s’y retrouvaient pas, mais, nous explique Nick Kent, «Iggy and Bowie were just taking the whole dank vampiric vibe of the seventies to a further sonic and conceptual extremity.» Iggy reconnaît les qualités de Bowie : «Bowie’s a hell of fast guy. Very quick thinker, very quick action, very active person, very sharp.»

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             Bowie ! Nick Kent lui taille des costumes de mots sur mesure. Il qualifie ses mouvements de «studied poise (c’est-à-dire d’équilibre étudié) of a movie starlet from some bygone era just prior to the advent of Technicolor.» Il nous explique que Ziggy a permis à Bowie de devenir «an instant megastar et d’imposer sa personnalité dans les seventies, avec le même impact que celui des Beatles dans les sixties.» Avec Ziggy, Bowie est devenu «the era’s most adored teen idol, sex symbol, rock star and Dylanesque pop sage in one fell swoop.» Quand il le rencontre pour la première fois, Bowie dit à Nick : «So you’re Nick Kent. Aren’t you pretty!». Bowie, nous dit Nick, s’imaginait que tous les journalistes rock étaient laids. Nick dit aussi que la carrière de Bowie a duré longtemps parce qu’il était un «big thinker and a true professional.» Par contre, il n’a aucune pitié pour l’équipe du management américain de Bowie - They were some of the most sleaziest, most repugnant people I’ve ever had the misfortune to shake hands with - Il ne fallut pas longtemps nous dit Nick pour que Bowie fasse le même constat : il les a tous virés et a traîné Mainman en justice. Nick Kent avoue être fasciné par Bowie qui après avoir été «an alien transexual from the planet Outrageous» devint  «an emaciated hop-head straight out of a Damon Runyon novel set in the McCarthyite fifties.» Nick Kent danse en permanence avec les mots. Ses formules sont le light fandango du XXe siècle, l’arôme enivrant du Virginia Plain de heures blêmes, tu y greffes toute ta nostalgie des années de ta jeunesse enfuie, lorsque tu parcourais hagard des corridors interminables de cette bâtisse où se tenait une orgie et qu’au loin mouraient les vagues d’orgue de Matthew Fisher. La prose de Nick Kent cristallise à la folie l’essence de cette époque gorgée de drogues et de sexe.

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             Il raconte qu’il traîne dans Londres avec Brian Eno qui vient de se faire virer de Roxy, et de passage à New York, il assiste à une répète des Dolls qui bossent sur une nouvelle chanson, «Jet Boy». Il note au passage que certains Dolls ne savent pas accorder leur instrument, ce qui combiné à leur pente immodérée pour la dope, conduira à «leur undoing in the months to come». Dans le chapitre ‘1973’, il raconte sa romance avec Chrissie Hynde. Chez elle, les murs sont couverts de photos de Keith Richards et d’Iggy Pop - Right away, I could tell the woman was blessed with exquisite taste - Puis c’est le coup de Trafalgar - Elle me dit alors un truc qui m’a envoyé au tapis : l’une des raisons principales qui l’avait décidée à venir s’installer à Londres était un article sur Iggy Pop paru dans un canard anglais. Je lui ai alors demandé plus de détails et l’article en question était le mien - mon tout premier article dans le NME - Pas de meilleurs auspices pour démarrer une relation sentimentale. Puis la relation va commencer à se déliter - She wasn’t the easiest person to show emotional warmth to - Nick parle même d’une «authentically wild and abrasive side to her personality - a trash-talking biker-girl mindset.» Alors il y a des shootes. Puis Chrissie le trompe. Alors Nick veut la corriger à coups de ceinture. La scène qu’il décrit se passe dans la boutique de McLaren qui a tellement la trouille qu’il se planque sous une table. Un mec sort de l’arrière-boutique et met son poing dans la gueule du Nick qui vole à travers la boutique et qui se trouve sur le trottoir, avec la bouche qui pisse le sang - Pathetic and bleeding - Exit Chrissie. Rassurez-vous, ils se reverront en 2003. Nick la revoit dans le chapitre ‘Afterwards’. Ils redeviennent amis, mais il se demande si cette amitié résistera aux révélations que contient Apathy - Mind you, whether our friendship will be standing after she reads this book remains a matter of conjecture - La façon dont est montée cette phrase anodine relève du chef-d’œuvre d’équilibre. Il faudrait même parler de grâce syntaxique. Apathy For The Devil n’est que ça : un gros tas de grâce syntaxique. Il est des pages qui procurent tant de plaisir qu’on les relit plusieurs fois de suite. On vit les mêmes chocs esthétiques dans Les Souvenirs d’Egotisme de Stendhal, ou encore dans les deux tomes du Panégyrique de Guy Debord. Et bien sûr dans l’Heliogabale d’Artaud.

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             Par contre, ça se passe mal avec Lou Reed. Nick Kent l’interviewe et parle de «dead Peter Lorre eyes» et de «cold inhospitable manner». Il préfère nettement le MC5, «a truly phenomenal live act - the only white US band who could potentially upstage the Rolling Stones in a concert hall.» Il les voit jouer dans un «West End club called Bumpers». Il n’y a personne - quite litterally three men and a dog - mais mis à part l’absence de public, «the show was one of the most thrilling and memorable live showcases I’ve ever witnessed.» Nick Kent en pince aussi pour Captain Beefheart. Il résume le génie du bon Captain par cette formule d’anthologie : «Beefheart still did his Howlin’ Wolf-adbucted-by-aliens vocal routine and his band had somehow stuck out on a whole new musical hydrid: Delta blues in a surreal head-on collision with free jazz.» Personne ne peut battre Nick Kent à la course. Sa langue est si parfaite que ce serait l’abîmer que de vouloir la traduire. De la même façon qu’on ne traduit pas les paroles d’«I’m A King Bee» ou de «My Generation». S’ensuit l’interview et, nous dit Nick, dans les cinq premières minutes, Captain Beefheart lui dit «au moins deux fois qu’il est un génie». Nick le compare à Orson Welles, «part authentic creative visionnary, part outrageous bullshitter.» Ils s’entendent bien ensemble. Captain Beefheart apprécie les Anglais distingués : Nick Kent et John Peel, par exemple. Il emmène le jeune Nick en tournée. Le bon Captain se balade en Angleterre avec sa cape, les gens se retournent sur son passage. Sur scène, c’est chaque soir de la magie pure : «On n’avait encore jamais entendu ce genre de musique. Et depuis lors non plus. Le groupe jouait The Spotlight Kid et deux cuts tirés de The Trout Mask Replica, mais les cuts enregistrés en studio n’avaient rien à voir avec the mind-scrambling majesty of their live renditions.» Il compare Captain Beefheart à Thelonious Monk - He had a totally unique ‘out-there’ aesthetic sensibility - et il ajoute, en extase cérébrale : «None of us could believe we were hearing music this visceral and dementedly alive.» Si tu veux voir du «visceral and dementedly alive», alors chope le «Sure ‘Nuff Yes I Do» du Magic Band filmé au Modem, sur la plage de Cannes. Notre Kentish Boy extatique ajoute : «Vous pouviez littéralement voir l’électricité courir sur leurs instruments et savourer les glaires qui pétillaient dans le larynx de Beefheart. He wasn’t kidding when he called them the Magic Band.»

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             Kentish Boy voit les Stones sur scène pour la première fois quand il est ado. Il remarque que les jeunes femmes sont en état de «sexual psychosis», qu’elles «se touchent in appropriate places» et lâchent des «primeval howls». C’est là qu’il place l’une de ses formules définitives : «The Rolling Stones didn’t have forehead. Just hair, big lips and a collective aura of rampaging insolence.» Et puis il y a Brian Jones que les gens traitent de sadistic ou encore de pathetic. Kentish Boy l’a rencontré et Brian «was incredebly nice to me». «Soudain j’ai vu mon futur s’incarner devant moi. This was exactly the kind of person I was determined to grow up and become.» En 1967, il assiste au «Best bill I’ve ever witnessed, a special psychedelic package tour avec Jimi Hendrix Experience, Syd Barrett’s Pink Floyd, the mighty Move form the Black Country and prog-rock pioneers the Nice.» - Seeing Syd that night ignited something within me that I’ve been obsessed with all my adult life - Il parle du sens du mystère - His story - however it developped - was mine to tell - Il est aussi frappé par le «sexual bravado» de Jimi Hendrix. Qui ne le serait pas ?

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             Kentish Boy redit toute la grandeur du rock anglais des sixties et des early seventies. Après avoir chanté les louanges de Brian Jones, de Captain Beefheart, voilà qu’il chante celles de Rod The Mod, de «Maggie May» et de son «big-nosed cock-of-the walk charm and tight satin trousers». Dans son élan, il rappelle que Stewart, Bolan et Bowie avaient déjà tenté de devenir des superstars dans les sixties. Ils attendaient leur heure. Elle n’allait pas tarder. Rod The Mod va atteindre le «megasuperstardom» et il est le premier, nous dit Nick, à l’admettre : «the guy was one lucky son of a bitch». Et même quand il va se griller artistiquement avec ce qu’il appelle des «bland codswallop like ‘Sailing’ and ‘Do Ya Think I’m Sexy’», Nick Kent avoue qu’il garde toujours un faible pour le singer - To me, he’ll always remain a prince amongst men.

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             Le prestige du rock anglais passe aussi par Hawkwind et Dave Brock, que Kentish Boy évoque, rappelant que ses crises d’hémorroïdes faisaient bien marrer les autres membres du groupe. Dave Brock s’est vengé en virant tout le monde. Kentish Boy rend surtout hommage à Nik Turner dont le jeu de sax «n’allait pas priver Ornette Coleman de sommeil», il voit surtout en Nik du charisme, et lui rend l’hommage suprême en affirmant qu’il n’avait encore jamais vu un homme portant à la fois du mascara et une barbe «and still not look completely ridiculous». Nick qualifie aussi Robert Calvert de «bona fide nutcase», joli punch-up qu’il n’est nul besoin de traduire. Hommage enfin à la section rythmique Simon King/Lemmy Kilmister - hard, primitive, metronome-like - qui allait asseoir la réputation du groupe en Angleterre en tant que «purveyors of proto-stoner rock». Toutes les formules sont d’une justesse sidérante. Chaque mot semble à la fois étudié et spontané. Il faut avoir vécu toute une vie immergée dans la langue rock pour comprendre que celle de Nick Kent est l’absolu modèle du genre. La façon de formuler, c’est-à-dire le style, est la clé de tout. Il finit sur Hawkwind en affirmant qu’ils furent «more authentic ambassadors of Ladbroke Grove bohemian demographic than the Clash, qui, à la fin des seventies, utilisèrent le Westway comme un décor photo for their own further self-glorification.» Toujours la même histoire : choisis ton camp, camarade. Hawkwind ou les Clash ? Le choix est vire fait. Il passe naturellement d’Hawkwind à Can et trace un parallèle entre Miles Davis et Can - Can a su prendre the basic ingredients - a James Brown funk rhythm and plenty of spacey dissonance from the keyboards and electric guitar - and create something  gueninely awe-inspiring - Des Can qu’il situe loin des «paltry legacies», c’est à-dire des souvenirs dérisoires, «laissés par Jethro Tull et Yes, qui furent», ajoute-t-il «that era’s most popular paltinum-selling ‘cerebral-rock’ entities.» Pour Nick, Can «played a similar role in the early seventies to the one the Velvet Underground played in the late sixties.» Rien de plus vrai. Rien de plus exactly exact.

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             1972 est l’année du glam. Kentish Boy s’habille et se maquille - black eyeliner - en conséquence - I looked like a lanky girl - Puis il rencontre Roxy Music - a pretty haughty and self-posessed bunch, a sort of ex-art school Lord Snooty and his pals in lurex - Quand Nick Kent écrit ça, cette phrase si musicale, c’est comme s’il était Oscar Wilde accompagné par le Velvet. Il compare Brian Eno à Brian Jones, à cause de sa flamboyance et de son rôle limité dans le groupe - His arch hermaphrodic presence blended well with singer Bryan Ferry more conventional handsomeness in concert - Nick ne s’y trompe pas, la star de Roxy n’est pas celui qu’on croit. Il sait dire son faible pour Brian Eno, et à travers lui, son faible pour Brian Jones. Les deux vont se faire virer pour la même raison : trop Brian. Puis on envoie Kentish Boy interviewer Led Zep qui en 1972 est un groupe imbattable. Personne ne peut rivaliser avec eux, même pas les Who, nous dit Nick. En fin de concert, il les voit taper une cover de «Louie Louie» «that sounded like the four horsemen of the apocalypse inventing the concept of testosterone-driven punk rock.» On se souvient du «Communication Breakdown» filmé pour la télé française en noir et blanc, pur «testosterone-driven punk rock». Mais l’interview d’après concert de passe mal. Nick se fait traiter de wanker. Pas terrible. Le courant ne passe pas avec Jimmy Page. Kentish Boy évoque aussi la violence gratuite orchestrée par le duo Peter Grant/Richard Cole, un duo aussi nocif que «the entire Russian Mafia» - One evil look from either of them could provoke rank strangers to defecate on the spot - l’équivalent français serait «chier dans son froc», alors on garde l’Anglais, qui est plus élégant (defecate on the spot). Le seul qui n’approuve pas cette violence gratuite, c’est Robert Plant. Il faut aussi se souvenir de ce qu’en dit Bill Graham dans ses mémoires : Peter Grant, c’est l’horreur. 

             Nick Kent rappelle aussi qu’en 1973, Londres était la capitale du pub-rock, «the province of ugly blokes who dressed like roadies and played old Chuck Berry songs badly». Tout un monde encore une fois en une seule phrase.

             Bon, les superstars c’est bien gentil, mais il y a aussi et surtout le job. La clé du Kentish Boy. Le journalisme rock. Il y consacre les pages les plus passionnantes de son recueil de mémoires.

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             Kentish Boy explique que pour débuter, il a rédigé trois chroniques d’albums : Quicksilver (le premier album, pas très bon), Gonna Take A Miracle de Laura Nyro. Il dit avoir oublié quel était le troisième. Il apporte ses textes chez Friendz qui les publie. Baptême du feu - I was over the fucking moon - Il cherche à interviewer Bowie, mais à l’époque, c’est impossible. Puis le NME qui cherchait à se réinventer le recrute - They frantically began recruiting young music-driven writers from the London undergound - Il entre au NME juste après Charles Shaar Murray. C’est là qu’on l’envoie couvrir le Led Zep show. Puis il va rencontrer son idole Lester Bangs à Detroit - He looked like a rodeo clown without the make-up - Ces pages sur Lester Bangs sont une nouvelle divine aubaine - Lester ne ressemblait pas à la plupart des gens. He empathised with fuck-ups because he was often one himself - Bangs fait écouter au Kentish Boys l’acetate de Raw Power qu’il vient de recevoir. Ça se passe en 1973. Kentish Boy demande à Lester de l’aider à atteindre son «full writing potential». Lester répond : «Sure - OK then.» Nick Kent note aussi que Bangs est assez fier du rock américain, certainement pas du rock anglais, d’ailleurs il charrie Nick, «You goddam Limey fops!» et lui sort ça : «What’s so great about your fucked-up culture anyway? We produce great art like the Velvet Underground, the MC5 and the Stooges and you retaliate with David fucking Bowie and his Spiders from Mars. Whoopee! You’re just reselling us Herman Hermits for homos.» C’est vrai qu’au début, Ziggy n’était pas très bien perçu dans le Midwest. 

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             Nick Kent dit trouver sa «voice as a writer» en 1974. Avant ça, il s’inspirait de «Bangs, Capote, Wilde, Wolfe - Période d’apprentissage.» Il adopte une perspective complètement différente de celle de ses pairs, ses collègues du NME - My perspective was the polar opposite of theirs. I wasn’t wiritng about rock as an idea. I was writing about it as a full-blown flesh-and-blood reality - surreal people living surreal, action-packed lives. De tout ce que j’avais appris, l’écriture rock était fondamentalement un médium qui prenait vie quand l’auteur était au cœur de l’action et conservait en même temps assez de distance pour en comprendre les conséquences - Il invente l’action writing. Il vit les choses en direct pour les écrire. Il est à la fois le Cartier-Bersson et le Jackson Pollock du rock. Mais il ne s’arrête pas là : il pose un postulat qui est celui du style, un postulat qu’aurait pu édicter Yves Adrien : «La clé, cependant, est de savoir créer une prose fluide, avec sa propre musicalité. That’s what I finally hit on in ‘74: the right tone and the right groove.» Quand Nick Kent écrit, il groove. C’est pour ça qu’on lisait le NME en 1974. C’est aussi pour le groove d’Yves Adrien qu’on lisait R&F. Les autres journalistes de R&F ne groovaient pas. Quand il a perdu Adrien, ce canard a perdu son âme. D’autres ont tenté d’imiter Adrien. Ce fut une catastrophe.

             Lorsque Kentish Boy plonge dans l’hero, il a du mal à maintenir sa réputation de «NME’s resident hit man.» Il avoue que son «writing talent had been on the rise from ‘72 to mid ‘75 - It reached its peak with the Wilson investigation - After that it went into free fall.» Puis il sent qu’il va se faire broyer par la presse qui est surtout une grosse machine à faire du fric - Travailler pour les médias, c’est un peu la même chose que d’être employé comme charmeur de serpent. Un jour ou l’autre, le serpent va te mordre - Il va se faire virer et se retrouver à la rue. Il dresse un auto-bilan qui n’est pas terrible. Il ne peut que s’en prendre qu’à lui-même. Il faut lire ces pages qui sont d’une virulence introspective hallucinante. En 1987, Nick Logan qui a quitté le NME pour diriger The Face fait signe à Nick. Il lui demande s’il a un texte. Nick lui propose un hommage à Miles Davis, un texte sur lequel il a bossé pendant six mois.

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             Oh et puis la dope. Les pages d’Apathy en sont pleines. La première fois qu’il touche à l’hero, il dit être entré «into a world of hurt». Mais plus loin, il en fait une Kentish apologie - Total palpable bliss - Il cite Charlie Parker qui appelait ça ‘the cool world’. Il évoque plus loin Johnny Thunders - Mais étais-je meilleur que lui ? Junkies are junkies, after all. Sordid people leading sordid lives - Et là, il cite l’exemple d’une photo prise fin 1976 : «John Lydon ricane triomphalement next to a high-spirited Brian James, et je me tiens à leur gauche looking like I’ve just been liberated from Dachau concentration camp.» Encore une fois, la formulation est un chef-d’œuvre de fluidité imagée. Puis il rentre chez ses parents dans le Lancashire - Ma mère éclata en larmes lorsqu’elle ouvrit la porte et vit dans quel état j’étais.

             Il passe à la méthadone - I liked methadone. A lot - Il revit - I was now getting high daily on a drug that was both legal and free. That was my definition back then of heaven on earth - Il fait des économies et ne risque plus sa vie à traîner dans des endroits dangereux pour acheter sa dose. Il a ensuite l’idée saugrenue de mélanger le valium à la méthadone et du coup, il ne sort plus du lit. Alors il lui faut des uppers. Une ligne de coke, quand il en a les moyens, sinon le speed, qui ne coûte rien - And you’ll understand that I was now addicted not just to one vampire drug but to four separate extremely potent rogue chemicals - Puis il décrit son «typical day». Fabuleuse extension du domaine de la lutte finale. À lire impérativement. C’est vers la fin (page 353, pour être exact). Un chef d’œuvre de regardez-comment-ça-se-danse. C’est dans ces pages qu’il faut voir comme une apologie de la désaille qu’il groove le plus, et en même temps, c’est là qu’il est le plus vulnérable.

             Lorsque sa relation avec Chrissie Hynde tourne en eau de boudin, Nick Kent sort cette phrase extraordinaire, digne d’un aphorisme de Leon Bloy : «There’s ultimately not that much difference between being a hopeless romantic and a feckless sap», qu’on pourrait traduire, ouille ouille ouille, par «Il n’y a pas grande différence entre un indécrottable romantique et une andouille invétérée.»

             Un autre aphorisme Kentish, encore plus fascinant : il assiste à l’éclosion de la scène punk à Londres et balance ceci qui vaut son pesant de livres sterling : «Le mouvement séditieux qui avait commencé avec James Dean dans les années 50 s’était terminé en une tempête de crachats, d’épingles à nourrices et de speed-poudre à récurer : from Rebels Without a Cause to rebels without a clue.» Ça évoque le fameux cri d’alarme de Bourdieu : «Brûler des bagnoles, oui, mais avec un objectif !»

             Quand il fait référence à des autobios, Kentish Boy tape dans le haut du panier : Bill Graham et Ian McLagan.

             En 1974, Nick Kent entend de la musique qui ne lui plaît pas : «Il y avait soudain trop de white guys tentant de jouer du funk et se vautrant misérablement. Le glam thing was now dead on its legs. Et la nouvelle tendance à l’horizon, la diskö, semblait fade et inconséquente, si on la comparait au great black rhythm and blues des sixties. Je savais que je devenais blasé et ça ne me convenait pas. I was still only twenty-two for God’s sake.»

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             C’est dans The Dark Stuff qu’on trouve le plus beau texte jamais écrit sur Brian Wilson. Nick Kent y revient le temps d’une phrase délicieusement musicale : «Il n’est pas étonnant que Brian Wilson se soit retiré dans sa chambre et soit devenu obèse et improductif. He just wasn’t made for these times.» On croise encore une foule de gens fascinants dans cet épais bréviaire de la déréliction supérieure. Nick Kent défend Jagger, affirmant que sans lui, les Stones auraient capoté après Let It Bleed - Chaque fois qu’on nous raconte l’histoire des Stones, Jagger est le vilain de l’histoire, le control freak, l’animal à sang froid, le cupide rusé et sans cœur. It’s become one big fairy story - the Rolling Stones vus par les médias, avec Jagger dans le rôle du lutin maléfique - Selon Nick, le seul mec que Jagger craignait en tant que rival fut Bowie - Vous lui mentionnez les noms de Lou Reed et Marc Bolan et il se pâmait de rire (he’d dissolve in laughter) - Kentish Boy a aussi un formule tordante pour Dr. Feelgood : «The singer had all the physical grace of an homicidal plumber», il n’est pas non plus très charitable avec Wilko, «a bizarre black-suited blur», et il réserve le coup du lapin pour la section rythmique, qui «resembled a couple of small-time penny-arcade pimps.» Les formules de Nick Kent sont presque meilleures que les groupes qu’il épingle. Il rend hommage à Neil Young pour ses albums «Tonight’s The Night, Zuma, and a slew of brillant records culminating in 1979’s Rust Never Sleeps», il va même jusqu’à le comparer à Bowie pour son «insatiable need to push ahead». Et puis Syd Barrett, bien sûr - In 1967, the impis eyed Barrett had been the world’s most beautiful man - the golden boy of psychedelia. By 1974, he’d become a scary-eyed balding recluse whom former acquaintances couldn’t even recognise any more - L’any more de fin de phrase est ce qui permet de lester la formule, on entend presque le ton monocorde de ce fantastique story-teller aussi passionné par ses sujets que par l’alchimie du verbe. Il passe son temps à transformer le plomb de la langue anglais en or du Rhinck, exactement de la même façon que l’a fait Yves Adrien avec la langue française. Adrien a d’autant plus de mérite que la langue française n’a jamais été une langue rock, oh la la pas du tout, mais il a fait l’effort d’inventer une langue pour pouvoir formuler ses émotions et éventuellement en communiquer les saveurs. On a simplement eu la chance d’être là au bon moment : Nick Kent dans le NME et Yves Adrien dans R&F. Kentish Boy rend aussi hommage à Nico - She was a fascinating individual and a quintessential bohemian free spirit - Il la voit comme un mélange de gamine, «naïve et incrédule», et de créature «impitoyable et égocentrique, ce qui lui a permis de survivre» - She saw herself quite rightly as a guenine artist - Et la chute vaut le déplacement : «You don’t fall in love with Nico: it’s like trying to bottle a lightning bolt.» À bon entendeur, salut.

             Nick Kent cite aussi la source de son titre. Dylan voit les Stones sur scène dans les mid-seventies et quand Ian Hunter lui demande ce qu’il pense, le Bob qui n’est pas non plus avare d’aphorismes lui répond : «Apathy for the devil.»

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             Kentish Boy est bien sûr pote avec Mick Farren qui écrit lui aussi au NME, et qui se fait péter la gueule par Tony Parsons, le mec de Julie Burchill avec laquelle Farren a eu la mauvaise idée de se fritter. Kentish Boy n’aime pas les Slits qu’il traite de «bunch of talentless exhibitionists». Il dit même que de les voir sur scène équivalait à se rendre «chez un dentiste incompétent». L’humour rôde partout dans la langue du Kentish Boy, comme un requin dans le lagon.

             Il croise aussi Marc Bolan et Gloria Jones chez un dealer, un Bolan qui est en chute libre et qui grossit - In short, he was free-falling from grace at the speed of light and was unsure how to rectify the situation - Nick Kent découvre lors de la conversation que Bolan est obsédé par Syd Barrett et bien sûr, il a lu «The Cracked Ballad Of Syd Barrett» dans le NME.

             Parmi les missions que lui a confié le NME, l’une des pires fut d’assister à un concert de Jethro Tull aux États-Unis : «It was bad taste, pure and simple. On dit que le bon goût est éternel. Mais le mauvais goût a lui aussi toujours été là and is invariably more lucrative.» Il reste dans le mauvais goût avec l’évocation des Eagles : «Leurs disques ressemblaient à ces jeans délavés tellement en vogue à l’époque : fades, inauthentiques mais ultra-présents (impossible to escape). Ils proposaient ce que l’Amérique voulait entendre dans les mid-seventies.»

             Il rend un tout petit hommage à Marc Zermati, «the only punk-related person to have his own independant record label», eh oui, Kentish Boy ramène à Marc le fameux master-tape d’un gig in Michigan que lui a confié Williamson et dont Marc va faire Metallic KO.

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             Tiens, puisqu’on parle de Skydog : tu vas trouver deux cuts de Nick Kent sur une petite compile Skydog parue en 1990, Punks From The Underground : «Switch-Hitter Dub» et «Chinese Shadow». Comme l’indique son nom, le premier est un heavy dub. Nick nique ses accords et s’en va exploser les vapors du heavy dub. C’est un tour de force digne de Keith Hudson. Dans les Subterraneans qui l’accompagnent sur «Chinese Shadow», tu retrouves tous les Only Ones (Peter Perrett, Mike Kellie et John Perry) + Tony James. Tu as là le London groove extrême. Tu peux aussi écouter les autres titres, comme par exemple le «Too Much Junkie Business» des faux Heartbreakers (Billy Rath, Henri-Paul et Steve Nicol) ou encore le Speedball de Sean Tyla avec «Speedball Jive». Là tu as de la substance, comme toujours avec le vieux Sean.

             En marge de ses writing duties, Kentish Boy flirte avec des projets de groupes. En 1972, il propose ses services de guitariste à Iggy - Thankfully he rejected my offer pretty much on the spot - La même année, les Groovies lui proposent de jouer des keyboards avec eux, mais il décline l’offre, ne voulant pas aller s’installer à San Francisco. C’est Michael Karoli de Can qui lui vend sa première gratte - a flashy looking Plexiglas affair - et plus tard il fait l’acquisition d’une Fender volée par Steve Jones. Puis McLaren lui propose de monter un groupe, avec Chrissie au chant, lui, Kent à la gratte, Mick Jones - then only known as ‘Brady’ - à la basse, et un «kid from Croydon called Chris Miller would be the drummer.» McLaren voulait appeler le groupe The Masters of the Backside. Kentish Boy va passer aux choses plus sérieuses avec the Subterraneans, un nom qu’il tire d’un roman de Jack Kerouac. Sur scène, il est accompagné par les Damned encore en formation.

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             Il n’existe qu’un seul single des Subterraneans : My Flamingo, paru sur Demon Records en 1980. «My Flamingo» est un hit à la fois certain et incertain, ténébreux au sens underground du terme, et lumineux au sens de l’universalisme Kentish. On peut parler d’un gorgeous cut, doté d’un vrai son, Nick Kent chante à sa revoyure, il est puissant, mais à sa façon, il a des cœurs de lads derrière, ça sonne presque comme un hit, avec cet entrain quasi-américain. On sent bien le poids de la légende. Puissant et léger à la fois, c’est très curieux, avec un solo d’arpèges. Il peut aller chercher le raw, mais c’est un raw de dandy. On sent la présence d’un léger parfum d’Only Ones dans le son. Le «Veiled Woman» qui est en B-side est beaucoup plus sophistiqué. Nick Kent va chercher un chat perché encore plus incertain, mais il sait rester juste, comme un junkie perdu dans la nuit du côté de King’s Cross.

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             D’autres gens encore. Bel hommage à Richard Hell - Hell’s whole appearance was too radical to make an impact on torpid mid-seventies American culture - Trop en avance sur son temps, mais ça n’échappe pas à McLaren, «qui se contentait de voler les idées des autres, les considérations morales never seemed to invade McLaren’s devious mindset.» Et il ajoute : «Richard Hell voyait McLaren comme un petit escroc inoffensif. Personne à New York n’aurait pu imaginer que ce petit mec nerveux aux cheveux rouges qui avait convaincu les Dolls de se faire passer pour des sympatisants marxistes - une idée qui allait d’ailleurs torpiller leur carrière - allait en fait leur voler toutes leurs idées.» Prodigieux portraits encore de John Lydon à l’époque de PIL, des pages qu’il faut lire car elles couronnent des carrières - He and his cohorts were looking to invent a new musical hybrid post-punk art rock, do-it-yourself prog with reggae bass lines and krautrock in place of virtuoso noodling and ever-changing time signatures - Il se moque aussi de Strummer - Che Guevara with an electric guitar - et dit qu’il «suait autant sur scène que James Brown et Jackie Wilson». Il descend Sham 69 en flammes : «Pursey was a big noise in 1978 - a big, hectoring, double-ugly noise that drew punk’s dimmest adherents to him like flies to excrement.» Et il jette encore de l’huile sur le feu : «La vue du public de Sham 69 glaçait les sangs - des skinheads géants couverts de tatouages de prison avec aux pieds des Doc Martins couvertes de sang - et Pursey les galvanisait like T.S. Eliot’s ape-necked  Sweeney reinvented as a punk Mussolini.» Et pour conclure il assène ceci : «Il incarnait tout ce que je détestais à la fin des années 70, le véritable misérable opportunisme qui prétendait être la voix des opprimés.» Il se dit aussi très peu concerné par Joy Division, «car quand on a vu les Doors et les Stooges live», c’est compliqué de prendre Joy au sérieux. Il préfère nettement Mark E. Smith and the Fall - Because of his take-no-prisoners mega-truculent personality - Et il lui rend l’hommage suprême, celui qui te rend fier de lire un tel book : «He really was the closest thing England has ever spat out to compare with American hard-boiled rock’n’roll cranks like Jerry Lee Lewis, and I’ve spent quality time with both men.» Hommage encore plus spectaculaire à John Lennon qui, dit-il, «eut à se battre en justice contre des money-hungry vampires comme Allen Klein, eut à bosser avec des egomaniacal nutcases comme Phil Spector et dut vivre avec l’impression constante d’être surveillé par des agents du gouvernement américain à la solde de Richard Nixon. Tout ça combiné ensemble aurait envoyé n’importe qui d’autre au tapis.» Pour Nick Kent, la mort atroce de John Lennon fut la vraie fin des sixties, «or at least the final nail in the coffin of the spirit of that now long-gone era of marmalade skies and endless possibilities.»

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             Encore du haut de gamme avec Keef. Kentish Boy réussit le prodige de rencontrer quasiment tous les gens les plus intéressants de sa génération. Il commence par voir Keef porter «a pair of giant human bug’ op-art sunglasses», et le qualifie de «wastedly elegant». Quand on lui propose de suivre la tournée des Stones en 1973, son rêve devient réalité - my wildest teenage dream becoming reality - Keef est alors «the coolest-looking dude in the known hemisphere.» Et il balance cette phrase démente plus loin : «Lately he had reached the point where he’s begun to resemble a cross between a human blackened spoon and Count Dracula.» Ce book finit par devenir une véritable foire à la saucisse : chaque page réserve son choc esthétique. Kentish Boy est le roi incontestable de la rock formula, ces tournures dont on aime à se souvenir, comme certaines paroles de chansons. L’«a cross between a blackened spoon and Count Dracula» vaut bien «I’m a king Bee Baby/ I can buzz better when your man is gone». Kentish Boy raconte comment il partage des rails démesurés avec Keef - a six-inch line of heroin and cocaine mixed together - Il n’est que 7 h du mat et pour Kentish Boy c’est encore un peu tôt, mais il ne se fait pas prier et sniffe «the whole thing back without further thought. Hey when in Rome...» Puis il monte dans la Dino Ferrari à la place du mort - Keith drove like a man transfixed - C’est la manière élégante qu’a trouvée Kentish Boy pour dire que Keef roulait vite en ville - Heeding caution was strictly for sissies - Il découvre aussi que Keef ne peut pas schmoquer ni le glam ni Bowie. Il ne supporte pas les «soft lads trying to make their bones in the medium of rock’n’roll.» Des pages à lire en priorité, comme toutes les autres pages de ce fat book.

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             On garde le plus gros morceau pour la fin : McLaren et les Pistols. Kentish Boy commence par expliquer que les gourous de Malcolm étaient «the Tin Pan Alley chicken hawks qui contrôlaient the late fifties UK rock marketplace», en l’occurrence Larry Parnes qui, dit-il, écumait les chantiers de bâtiment à la recherche de beaux gosses pour les transformer en rock stars. Puis c’est «the likes of Don Arden» qui prennent le contrôle du marketplace dans les early sixties - Arden ne cherchait pas à baiser ses jeunes coqs, il était trop occupé à les plumer et à casser les jambes de ceux qui se mettaient en travers de son chemin - Kentish Boy fréquente la boutique de McLaren au bout de King’s Road. Ils ont des conversations musicales orageuses. Kentish Boy défend le bout de gras de Dylan et McLaren celui de Johnny Kidd. Son «ultimate musical reference point» est Gene Vincent - the sweet-voiced hillbilly psychopath - Gene incarnait pour McLaren sa vision du rock qui devait rester sauvage et séditieux. Kentish Boy se dit attiré par lui, «par sa passion, son intelligence et son audace» - He was always thinking outside the box - McLaren ne sait pas qui est Jimi Hendrix alors Kentish Boy le force à venir voir le docu de Joe Boyd sur Hendrix. McLaren en sort émerveillé. Puis c’est la rencontre avec Steve Jones et Paul Cook - a pair of eighteen years-old likely-lads law-breakers - McLaren est fasciné par leur délinquance. Steve Jones a déjà barboté «13 expansive electric guitars, une par une», chez des marchands de Denmark Street. Alors que Dr. Feelgood ramasse tous les suffrages, Jones and co restent de marbre, nous dit Nick - We could do better than those Southend cunts - Voilà, le mot est lâché. Et dans les faits, ils vont vraiment faire better, dix mille fois better. McLaren demande à Nick Kent son avis sur la première mouture des Pistols. Il assiste à une répète, c’est Jones qui chante. Pas terrible. Mais Kentish Boy pense que McLaren est sur un gros coup. Soudain McLaren vire Wally Nightingale parce qu’il porte des lunettes et bombarde Nick guitariste des Pistols, sans même lui demander son avis. Ça va tenir deux mois, juillet/août 1975. Comme il n’y a toujours pas de chanteur, Kentish Boy essaye d’appeler Iggy à Los Angeles pour lui proposer le job, mais Iggy vient d’entrer à l’HP. Durant la même période, Nick fait écouter à Matlock une cassette que lui a filé John Cale, celle d’un groupe de Boston qu’il vient d’enregistrer, les Modern Lovers. Matlock flashe sur «Pablo Picasso» et «Roadrunner». Décidément, on n’en sort pas, ce sont toujours les mêmes qu’on croise au coin du bois ! Kentish Boy insiste aussi pour que le groupe reprenne «No Fun» - That was my contribution to their musical development really : virer all the retro silliness et leur indiquer la voie du futur -  Kentish Boy commet l’erreur de considérer McLaren comme un ami - I’d been wrong. The guy was just another control-seeking snake in the grass - Il est vite viré du groupe, mais ça ne va pas s’arrêter là. McLaren devient brièvement le chanteur des Pistols et doit arrêter aussi sec lorsqu’il propose de reprendre une chanson de Syd Barrett.

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             John Lydon entre en lice. Jones, Cook et Matlock ne posaient pas de questions. Avec Lydon, c’est une autre histoire. Il tient tête à McLaren dès le début, from the get-go - Unlike the other three, Lydon - though still a teenager - had a mind of his own - et ce que Kentish Boy assène ici est fondamental : «Ce n’était pas un esprit forcément attractif et bien ordonné - the guy was often on acid - mais il en était certainement le seul occupant de son crâne et il n’allait pas laisser some King’s Road fashion ponce le squatter pour lui laver le cerveau et le plonger into a state of pop-star servility.» Kentish Boy rappelle que McLaren prenait comme modèle les Bay City Rollers, l’apanage de la «pop-star servility». Nick voit John Lydon comme un gosse fragile and strangely sexless. Il vomissait toutes les stars du rock anglais ou américain et prenait Neu! comme modèle. C’est lui qui va transformer les Pistols en «bona fide cultural phenomenon». Puis le jour où il voit sa bobine en première page d’un canard, il change - He was never the same again. His ego suddenly exploded to sky-rocket proportions, as did his sense of personal power -  Quand les Pistols commencent à devenir célèbres à Londres, McLaren invente une nouveau jeu : «Désigner des membres du public for a bloody beating.» Il envoie des psychopathes en mission. Kentish Boy est au 100 Club, en 1976, et Sid, piloté par McLaren, arrive avec une chaîne de moto «and immediately went to work» - Un mec des Hot Rods tenta de s’interposer et se fit lacérer la gueule. Pendant que tout ça se produisait, le complice de Vicious Jah Woble apparut devant moi. Il tenait un cran d’arrêt et en approchait la pointe à quelques centimètres de mes yeux. Il y avait du sang séché sur la lame et dans ses yeux de porc dansait une telle lueur de plaisir sadique qu’on aurait pu croire qu’il allait éjaculer sur le champ - Kentish Boy a raison de ne pas faire de cadeaux à ces ordures. On ne parle plus de rock, ici, on parle d’autre chose. Quand Bill Graham dénonça les violences commises par Peter Grant aux États-Unis, il le traita de «Nazi Germany». Avec le contorsium McLaren/Vicious/Wobble, on est dans le même cadre. L’horreur va continuer, lorsque McLaren vire Matlock pour le remplacer par celui que Kentish Boy qualifie d’«authentic sociopath», Vicious - Bringing Sid into their mix was like adding fire to a leaking pool of gasoline - Un communiqué parut disant que la principale raison pour laquelle Sid avait été recruté «was because he gave Nick Kent just what he deserved at the 100 Club». Et notre incorrigible mover shaker ajoute : «Lire ça dans le NME et partout ailleurs certainly jolted me out of my junkie stupor for at last five minutes.» Mais dans le book, Nick se fâche, car il ne supporte pas bien d’être traîné dans la boue par des gens qu’il considérait comme des amis, alors il les traite de «vampiric morally bankrupt preening scumsuckery backstabbers», ce qui est la pire insulte jamais imaginée par un esprit britannique hautement distingué.

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             Pour finir, Nick Kent scelle brillamment le destin des Pistols qui réussirent à conquérir l’Angleterre, comme l’avaient fait les Beatles avant eux - Take the nation completely by storm - Et il ajoute : «Iggy Pop was too old and the Ramones n’avaient pas vraiment la personnalité adéquate pour le job. The only logical candidates were the Sex Pislols.» Puis vient la fin, avec la tournée américaine. Kentish Boy n’a aucune pitié pour eux : «L’Amérique a pour habitude de décimer tous les groupes anglais venus visiter la colonie la première fois. Ce fut donc le cas pour the Shepherd’s Bush’s finest. In the end they had the bollocks but lacked the stamina. If the New York Dolls were too much too soon, the Pistols were too little too fast.» Sa façon sans doute de les traiter de petites bites. Mais bon, quel album que le Bollocks des Pistols ! Et quel book ! Tu en sors épuisé mais émerveillé.

             Et comme à tout gâtö il faut une cerise, tu trouves à la fin du fat book les vingt pages du ‘Soundtrack for the seventies’, une sélection de cuts et d’albums dûment commentée. Goûtons une bouchée de la cerise au hasard, tiens, 1970, avec dix choix : Kentish Boy s’enivre tout spécialement du «Chesnut Mare» des Byrds, d’If I Could Only Remember My Name de Croz et du Fun House des Stooges. Pages impératives, il n’oublie rien de ce qui est essentiel, tu peux te caler sur sa sélection et t’assurer que tu n’as pas raté le coche ici ou là. En 1977, il cible dix trucs dont Marquee Moon et le «Bodies» des Pistols, et il nous quitte en ciblant encore dix trucs pour 1978/1979, dont le «Tropical Hot Dog Night» de Captain Beefheart - very own King of Weird - le «Domino» des Cramps, et le «Kid» de sa «old flame Chrissie Hynde» qui dit-il, était devenue «a songwiter of consequence».

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             Dans un premier temps on peut lire ce chef-d’œuvre. Et le relire dans un deuxième temps, ce qu’on finit par faire. Car tout y est. Il paraît même que l’ouvrage est traduit de l’Anglais. Mais attention, on perd la langue. C’est comme d’écouter «Anarchy In The UK» traduit de l’Anglais. Il paraît que ça existe.

    Signé : Cazengler, niqué

    Nick Kent. Apathy For The Devil. Faber & Faber 2010

    The Subterraneans. My Flamingo. Demon Records 1980      

    Nick Kent. Punks From The Underground. Skydog 1990

     

     

    Black summer in the city

     

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             Personne ou presque ne connaissait l’existence du Woodstock noir. Un Woodstock noir ? Oui, l’Harlem Cultural Festival, étalé sur six semaines, en juillet-août 1969. Woodstock, qui n’est pas très loin d’Harlem, eut lieu du 15 au 18 août, le même été. Tout le monde connaît le Woodstock blanc, mais pas le Woodstock noir. Hal Tulchin, le mec qui l’a filmé en 1969, avait essayé de le vendre, à l’époque. En vain. 50 ans après la bataille, le Woodstock noir refait enfin surface sur DVD.

             Ce fabuleux docu d’Ahmir Questlove Thompson s’appelle Summer Of Soul et donne toutes les réponses aux questions qu’on peut se poser. Pourquoi un «Cultural Festival» à Harlem en 1969 ? Parce que le pouvoir craignait toujours des émeutes, un an après l’élimination de Martin Luther King. Rien de tel qu’un bon festival pour calmer les esprits. Pourquoi le docu ne dure que deux heures, alors que l’Harlem Cultural Festival a duré six semaines ? Écroulé de rire, Ahmir Questlove Thompson répond qu’il a dû faire court pour les besoins de la production. Il existe en réalité 40 heures de tournage. 40 heures ? Oui, 40 heures. Et ce ne sont pas des petites heures à la mormoille : Staple Singers, Sly & The Family Stone, Nina Simone et tous les autres qui vont arriver avec le fleuve qui suit. Pourquoi ce film tourné en 1969 ne sort que maintenant ? Pris d’une nouvelle crise de rire, Ahmir Questlove Thompson se roule par terre et répond que «ça n’intéressait PERSONNE». Les 47 bobines ont moisi dans une cave pendant 50 ans ! Alors pour Questlove, c’est devenu une quête : faire restaurer tout ça, image par image, monter le docu, bien le politiser pour re-situer le contexte social de l’époque et, petite cerise sur le gâtö, faire court. T’as compris, Questlove, faire court ! Oui missié, faire court. Oui missié, cueillir coton. Oui missié, écraser banane. Pauv’ nègre faire court.

             — Ferme ta gueule et fais court !

             Descendue du ciel, Nina Simone vole au secours de Questlove :

             — Are you ready to kill ?

             — Yeah ! fait la foule.

             — Are you ready to smash everything white ?

             — Yeah ! fait le peuple noir.

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             Et Nina danse pour la foule, reine africaine en robe jaune, elle danse l’appel à l’émeute symbolique, Nina prophétesse prépondérante, Nina conscience ondulante de l’ombilic noir, Nina colère noire, Nina nie l’oppression, Nina nique ta mère white, Nina no no no, Nina nec plus ultraïque, Nina ain’t got no home, Nina ain’t got no shoes, Nina ain’t got no money, Nina ain’t got no mother, Nina ain’t got no father, Nina ain’t got no brother, Nina ain’t got no life, Nina lâche le Backlash Blues - Mister Backlash sent my only son to Vietnam - Nina’s voice between hope and mourning, Nina sculpturale, Nina fight the power, Nina en guerre, Nina X comme Malcolm, Nina reine de toutes les lubies de Nubie et de tous les ébats de Saba, Nina sabbatique de sémantique émotive, et puis t’as Sly, Sly in the sky, Gonna Take You Higher, avec Sister Rose en perruque blanche qui jerke du cul et des seins, Sainte Marie mère de Rose pleine de sexe, et Cynthia Robinson qui sonne la charge d’un coup de clairon, encore plus wild qu’au Woodstock blanc, et tu as Brother Freddie qui gratte ses poux seigneuriaux tout de jaune vêtu, Higher !, clament les blacks, Higher clamait jadis le messie - mais si - Yves Sweet Punk Adrien, heaven black and white hell, prodigieuse inversion des critères, tu as tout ça dans le Woodstock noir, et bien plus encore. C’est un jaillissement contant d’émotion, de grandeur, de combat, d’intelligence et de légendarité. Ça n’arrête pas.

             Roger Gilbert Questlove sort le Grand Jeu : défilés de Black Panthers, courtes séquences, shoots de shootes, et puis toujours les mêmes images de chiens fous lâchés sur les manifestants noirs dans la rue, le même images des Strange Fruit qu’on voit aussi dans le docu sur Billie Holiday, nègres pendus devant un parterre de spectateurs blancs fiers de leur racisme homicide, et puis tu as cette scène mirifique tournée dans une école noire : la maîtresse brandit un très grand portrait et demande aux petits :

             — Who is this ?

             Les gosses braillent :

             — Huey Newton !

             — Where is he ?

             — In prison !

             — Who put him there ?

             — Pigs !

             La clameur des voix d’enfants transcende tout le discours sur le racisme. Pigs ! Les porcs. C’est toujours d’actualité. D’un côté la lutte (perdue d’avance), et de l’autre côté l’art (gagné d’avance). Sonny Sharrock en costard jaune vif, Max Roach et son beurre du diable, Max Roach et sa poule Abbey Lincoln, beautiful and dynamic - Black is beautiful - Mille fois gagné d’avance, Hugh Masekala qui a fui l’Apartheid, Grazing In The Grass, la trompette d’Hugh lutte contre l’Apartheid, mais c’est Nelson Mandela qui va remporter cette bataille perdue d’avance, rien ne pourra jamais vaincre le pire fléau de l’histoire de l’humanité, le racisme et ses trois mamelles, l’esclavage, le colonialisme et la solution finale. Hugh, Nina, Max, Sly ont l’art, les racistes ont le pouvoir, alors Questlove lutte à sa façon. Il utilise la dialectique de Trotsky face au despotisme blanc. Comme l’homme vient tout juste d’atterrir sur la lune et que l’Amérique blanche trouve ça génial, Questlove tend son micro à quelques super-blackos. Il leur demande ce qu’ils pensent de cette histoire d’homme qui a marché sur la lune. Un premier blackos en colère et plein de bon sens s’écrie : «What’s up on the moon? Nothing!». Il a raison, il n’y a que dalle sur la lune. Un autre surenchérit : «Blé gaspillé. Feed the poor black people». Ils ont raison tous ces super-blackos, l’expédition sur la lune coûte des millions de dollars et des gens crèvent de faim en Amérique. Un autre blackos dit les choses différemment : «C’est génial for certain people, but not for the black men in America.» Voilà, les choses sont dites. Rien à cirer de leur fucking premiers pas sur la lune. Un autre en rigole : «Black men want to go to Africa. White men want to go on the moon. I’ll stay in Harlem with the Portoricans and have me some fun.» Et il tire une grande bouffée sur son pétard. La classe ! Et puis tu as un mec très sérieux qui fait face à la caméra et qui déclare : «What the shoot on the moon proves is what America hasn’t got is Soul.»

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             Summer Of Soul est un film dédié au Black Power - 1969 was the year when the negro died and the Black man was born - Stevie Wonder bat le beurre du diable et down from Mississippi, les Chambers Brothers groovent le Mount Morris Park, c’est une infernale succession de superstars, B.B. King costard bleu et gimmicking de la bloblotte, ah il faut voir ce port altier, et ça jerke à la suite avec The 5th Dimension, les trois mecs au milieu encadrés par les deux blackettes, Let The Sunshine In, Marylin McCoo et Florence LaRue, les plus bandantes de toutes les blackettes du Summer, hipshake de taille basse, elles font monter des black teenagers pour jerker avec elles, c’est inespéré de voir des artistes de cette qualité dans leur contexte, et ça monte encore d’un cran avec les Edwin Hawkins Singers - When Jesus wash’d/ Oooh when Jesus wash’d - et boom ça explose en plein ciel, he wash’d all my sins away, tu ne battras jamais l’«Oh Happy Day» à la course, c’est l’emprise du Black Power sur la terre, la victoire totale de l’art, et tu vois la foule, des centaines de milliers de blacks taper des mains, alors tu comprends que l’art tue la mort, que l’art tue les racistes, mais tu n’es pas arrivé au bout de tes émotions, car les Staples Singers radinent leur fraise, les trois frangines groovent le big gospel batch de Pops ! Papa pride ! Mavis commente les images - Papa you play the blues on the guitah ! - On voit grimper sur scène d’autres groupes de gospel encore plus demented, Clara Walker & The Gospel Redeemers, la transe, la pure transe ancestrale, et puis voilà la reine du genre, Mahalia Jackson. Un blackos commente : «Quand on souffrait à cause de la tension, on n’allait pas voir de psy, mais on savait tous qui était Mahalia Jackson». Et là ça reprend une prodigieuse tournure politique, avec le Révérend Jesse Jackson et sa guerre perdue d’avance. Il demande à Mahalia Jackson de chanter «Precious Lord», la chanson préférée du Doctor King, exécuté un an avant. Jesse Jackson relate la scène qui s’est déroulée en avril 1968 à Memphis : «Le Dr King a demandé à Ben Branch de jouer Precious Lord, il s’est levé et bang !» Jesse entre dans les détails macabres : «Épine dorsale sectionnée et moitié du visage emportée». Alors Mahalia claque des dents et entre en transe, elle se coince la glotte sur l’I-I-I-I-I-I-I et Mavis vole à son secours à coups de guttural. Elles sont bestiales toutes les deux, divinement bestiales. Mavis commente les images pour Questlove et déclare : «That was the time of my life», c’est-à-dire le moment le plus important de sa vie. «Ce fut un honneur que de partager le micro avec Mahalia Jackson. She’s the greatest !». Voilà encore un greatest : Motown débarque à Harlem avec David Ruffin - He’s a tall dark superstar - Et David attaque au I’ve got sunshine on a cloudy day - Les blackos dans la foule se marrent de bonheur. Tu en vois même un grimpé très haut dans un arbre, David le voit danser là-haut, alors il se marre - It’s my girl - Et il yodelle un océan de classe. Arrivent à la suite Gladys Knight & The Pips. Pareil, il faut avoir vu ce plan si on ne veut pas mourir idiot : les Pips te jerkent Harlem à l’ancienne, dans leurs costards crème, c’est le jerk des princes de la rue, et la foule danse, tu ne verras ça qu’à Harlem, une foule danser le jerk. Gladys tape ça au raw, elle a des grosses cuisses, mais c’est Gladys superstar, after all, l’autre Queen of Soul. S’ensuivent Sly avec «Everyday People», Mongo Santamaria, un chouchou de Jean-Yves (hello Jean-Yves), et Ray Baretto qu’il faudrait écouter davantage.

    Signé : Cazengler, Summer of soulard

    Ahmir Questlove Thompson. Summer Of Soul. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock   

    Easy Gyasi

     

             Chaque année, l’avenir du rock et Pollux se retrouvent dans un petit restaurant cosy de la côte d’opale.

             — Nous célébrons aujourd’hui les cinquante ans de notre rencontre, mon cher Pollux.

             — Ainsi Va Va Va Voom, avenir chéri !

             — Ah Pollux, comme il était bon le temps où tu me servais des curaçaos bleus...

             Pollux était barman dans une boîte un peu spéciale, située elle aussi sur la côte d’opale. L’avenir du rock y traînait parfois le vendredi soir. L’endroit était essentiellement un cabaret où se produisaient des traves extrêmement brillants, et un disc-jockey assurait les intermittences avec un choix extrêmement pointu de disques glam, allant de Brett Smiley à Kevin Ayers, en passant par «Blockbuster», «Get It On» et «All The Madmen». Pollux était l’incarnation de la générosité. Quand l’avenir du rock lui demandait un verre, Pollux le lui offrait.

             — Wham bam thank you mam !

             Pollux était alors un homme d’âge mûr, au regard à la fois tendre et rieur, il émanait de lui un charme métaphysique, il portait le cheveu court et frisé, et son début d’embonpoint lui donnait un faux air napoléonien.

             — Diable comme ton parfum sentait bon.

             — Habanita de Molinard...

             — C’est drôle, tu acceptais rarement de danser.

             — Je veillais tout simplement à la salubrité de mon pauvre cœur déjà mille fois brisé, avenir chéri. C’est pourquoi je préfère les invitations à dîner, car la table permet de tenir ses distances.

             — Ce que j’apprécie le plus chez toi, Pollux, c’est ta légèreté. Tu ne prends jamais rien au sérieux.

             — Sauf le menu, avenir chéri. As-tu déjà fait ton choix ?

             — Oh oui... Salade de Gyasi !

     

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             Lui, il a tout compris. Gyasi, il ne vit que pour ça, c’est-à-dire le glam. Il est l’incarnation de l’éternel retour, il est le serpent qui se mord la queue, il s’auto-transmute et transmute en même temps le plomb de Binic en or glam. Il semble tomber du ciel dans cette prog australienne, il est la dernière tête d’affiche d’une vieille lignée, c’est même inespéré de voir arriver ce mec sur scène, au sound check, vêtu d’un déshabillé noir transparent et d’un pantalon pattes d’eph en satin noir. Il gratte une Les Paul, il est maquillé et, bien sûr, il porte du rouge à lèvres.

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    Il va revenir le soir serré dans un jumpsuit glitter, les paupières et les lèvres peintes en rouge, avec aux pieds des platform boots rouges dont les talons sont encore plus hauts que ceux de Pete Overend Watts. Comme si c’était possible ! Bim bam boom, wham bam thank you mam, c’est parti pour une heure de glam, une heure de fraîcheur dans cette prog de bourre-et-bourre et ratatam.

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    Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, disait une pub qu’on voyait à une époque au cinéma. Le glam fut un monde magique parce qu’éphémère, aussi éphémère que Brian Jones et les Pistols.

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             Alors Gyasi, dont personne ne sait prononcer correctement le nom, vient d’Amérique pour ressusciter le glam le temps d’un concert, et là, tu dis oui, car il le fait parfaitement bien. Easy Gyasi, il collectionne tous les clichés de ce genre éculé par tant d’abus. Il rend hommage à ses pairs, à Ziggy et à Marc Bolan, on le sent complètement investi, il a étudié le glam au microscope, c’est Mick Ronson qu’on a sous les yeux, alors pour tous les fans de Ronno et du temps des Spiders From Mars, c’est le paradis. C’est une sorte d’apothéose de l’apoplexie maniérée, c’est le full bloom du Blockbuster, on oublie le temps d’un set le cauchemar des mauvais groupes punk qu’il a fallu supporter la veille et l’avant-veille, pour renouer avec ce qui fut autrefois la tradition «du Binic», comme disent les gens, c’est-à-dire la tradition des vraies têtes d’affiche. Remember Kid Congo, les Sonics ou encore les Oblivians.

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    Gyasi porte cette responsabilité et il la porte bien. Il fait le show. Tu en as pour tes vingt zeuros, comme dit la Miche. T’es content d’être là, une fois de plus. L’air vibre. Ça grouille de vibes. Binic reprend enfin son allure de fête païenne. Retour au temps des communions. Gyasi n’a pas la voix de Bowie, il se contente juste de faire le Ronno. Rappelle-toi, Ronno grattait une Les Paul. Gyasi tente d’imposer sa vision du glam. Il ne manque pas grand-chose. Manque d’exubérance ? Non, il n’est pas assez anglais. Trop américain. Les seuls glamsters américains furent les Sparks d’A Woofer In Tweeter’s Clothing. La décadence reste le privilège des Britanniques. Ziggy Stardust est impossible en Amérique. Peter Perrett itou. Mais bon, Gyasi tente le coup. Il doit fournir deux fois plus d’efforts pour asseoir sa crédibilité et il le fait sans que ça apparaisse. Il impose une sorte de respect. Il joue le jeu artistique. Et ça marche, tout au moins pour un soir. Et quel beau soir. Avec Cash Savage, il sauve le festival. La seule reprise qu’il fait est une espèce de medley farci de «Waiting For The Man».  

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             Le deuxième album de Gyasi s’appelle Pronounced Jah-See. Au moins comme ça, on saura comment ça se prononce. À Binic, personne ne savait dire son nom.

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    L’album sort sur l’excellent label de Patrick Boissel, Alive Naturalsound. On y trouve un coup de génie, «Feed Your Face». Il plombe son power extrême à coups d’ohh ahh ahh. C’est monstrueux. Ce mec a tout compris, il rocke son ohh ahh ahh qui est l’essence même du glam et le torpille d’un coup de killer solo flash déflagrateur. Gyasi est un magnifique rock’n’roll animal qui cavale à la surface du glam, un mythe déjà ancien. Et s’il lui prenait l’envie de ressusciter Ziggy Stardust ? C’est à portée de main, même s’il n’a pas la voix de Ziggy. Mais il opte pour le parti-pris explosif. Il ramène tout le ramdam dans son glam, comme le montre le «Burn it Down» d’ouverture de bal. Il en pince pour les bombes atomiques. Il ressort le veux glam stomp pour honorer non pas Honorama, mais «Tongue Tied». Il fait du glam américain, qui n’a pas la flavour anglaise. Le stomp est là, mais c’est tout. «Androgyne» pourrait bien être le cut le plus intéressant de l’album. Car il dispose d’une réelle dimension artistique. Gyasi semble claquer sa pop sur la couverture des magazines, le solo de slide trouble la surface du glam. N’oublions pas que Gyasi vit à Nashville. Il ramène des cuivres dans «Blackstrap» et il repart en mode wild rockalama avec «All Messed Up». Il y va au full throttle, avec des accents glam, et c’est magnifique, tout au moins pour l’amateur de glam. Avec «Little Tramp», il se croit sur Hunky Dory et avec «Walk On», il fait du faux Velvet à coups d’acou. Ce magnifique artiste te claque ça encore une fois à la surface. Il fait un mix de «Lust For Life» et de «Get It On» dans «Fast Love». Superbe effet de Perlimpinpin. S’ensuit un retour stupéfiant au glamming glam avec «Kiss Kiss», the thundering stuttin’ glamin’ glamour, il le rocke sous la jupe de la légende, Gyasi est un artiste parfaitement au point, il a des réflexes glam flamboyants, et comme cerise sur le gâtö, il choisit cette fois le solo de sax. Il termine avec le fameux «Sword Fight» qu’il mimait sur scène dans l’espoir d’imiter Ziggy. Il sort le sabre du fourreau dorsal pour combattre la chimère. C’est du big buzz.

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Binic Folk Blues Festival (22). 30 juillet 2023

    Gyasi. Pronounced Jah-See. Alive Naturalsound Records 2002

     

     

    Inside the goldmine

     Shaking with Linda (Part One)

     

             Baby Lisette ne payait pas de mine. Un long nez en trompette semblait partager son maigre visage en deux parties qu’aplatissaient encore deux lourds paquets de cheveux longs d’une couleur incertaine. Elle coiffait ses cheveux plats comme toutes ces adolescentes incapables de se mettre en valeur. Elle parlait si peu qu’on pouvait la croire demeurée. Elle n’avait pas non plus de couleur d’yeux. Elle n’avait globalement aucune saveur. Mais elle était déjà formée. Elle était l’aînée des trois, suivie d’un frère et d’une petite sœur. La famille recomposée vivait dans une grande baraque. Après le dîner, tout le monde regardait la télé au salon, puis les plus petits allaient se coucher, suivis par le couple d’adultes qui allait forniquer. Et nous nous retrouvions tous les deux au salon avec Baby Lisette, ce qui ne l’effrayait nullement. On restait là jusqu’à la fin des programmes, car à cette époque, la télé s’arrêtait à une certaine heure. Il fallait bien sûr baisser le son pour laisser les autres dormir. Ces fins de soirées à deux devinrent une sorte d’habitude bizarre. Baby Lisette semblait fort bien s’en accommoder. Deux canapés occupaient l’angle du salon, et les premiers soirs, nous en occupions un chacun. Nous gardions nos distances. Puis nous rentrâmes progressivement dans l’ère des possibilités, et elle ne fit aucune objection à une demande en bonne et due forme de rapprochement : «Ça t’embête pas Baby Lisette si je m’assois à côté de toi ?». Elle fit «non non» d’une voix blanche. Il fallait comprendre à travers cette acceptation qu’elle n’attendait que ça. La première pelle ne se fit pas attendre. Elle semblait complètement inévitable. Elle dura une éternité. S’ensuivirent les inspections classiques, auxquelles elle n’opposa pas l’ombre d’une résistance, bien au contraire. On allait de surprise en surprise, Baby Lisette fut sans le moindre doute la plus offerte de toutes ces Asies Mineures de l’adolescence. Elle semblait en outre parfaitement bien connaître les attentes des mâles et savait manipuler un caoutchouc avec dextérité. Elle n’avait plus rien à apprendre. Alors, la curiosité fut la plus forte. Elle répondit aux questions en chuchotant. Oui elle connaissait les hommes. Enfin, un homme... Elle raconta que son père l’avait violée plusieurs fois, mais elle voulut se montrer rassurante en ajoutant qu’elle n’était pas traumatisée, ce qui mit fin aussitôt à votre mésaventure.

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             À l’époque où Baby Lisette se faisait limer par son père, Linda Lewis enregistrait à Londres. Ce n’est pas exactement le même destin. Mais bon, le fait que Baby Lisette ne soit pas traumatisée, c’est une bonne chose, par contre, Linda Lewis peut être traumatisante, au bon sens du terme.

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             Le petit label londonien Troubadour (filiale d’Easy Action) a pris en 2017 une curieuse initiative : consacrer une ravissante petite box à Linda Lewis, Funky Bubbles, pour célébrer 50 ans de carrière. Linda quitta l’école à l’été 1967 pour chanter, le jour où parut Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Comme son nom l’indique, Funky Bubbles est une box qui pétille de vie. Signalons au passage que Troubadour propose un catalogue hanté par des fantômes légendaires, de Dave Kusworth à Nikki Sudden, en passant par Judee Sill. Il n’est pas étonnant d’y retrouver Linda Lewis qui vient hélas de casser sa pipe en bois.

             Linda fait partie des artistes qui gagnent grandement à être connues. Comme elle s’appelle Linda Fredericks, on lui demande de prendre un pseudo, alors elle choisit Linda Lewis, en hommage à Barbara Lewis. En 1967, Don Arden la manage, donc elle n’est pas née de la dernière pluie. Elle commence par enregistrer des singles qui vont devenir des classiques de la Northern Soul («You Turned My Bitter Into Sweet»). Puis elle va rejoindre Ferris Wheel, en remplacement de Marsha Hunt. On y revient dans un Part Two.

             Elle va poursuivre son petit bonhomme de chemin solo. On la voit dans le Jackie Lomax Band, puis en studio pour des chœurs sur Aladdin Sane. Dans les années soixante-dix, elle tourne aux États-Unis, seule avec sa gratte et ses chansons.

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             Le disk 5 de la box s’intitule Little Diamonds et propose un concert enregistré au Pall Mall à Boston en 1973. Les cuts sont tirés de ses trois premiers albums, Say No More, Lark et Fathoms Deep. Elle travaille au filet de chat perché sans filet. C’est son apanage. Elle joue des accords de Brazil pur sur un «Spring Song» tiré de Lark, elle semble s’élever au-dessus de la ville. Elle attaque «It’s The Frame» tiré du même album au petit arpège intrinsèque. Linda est une fine guêpe, il ne faut pas la prendre pour une buse. Ce qu’elle propose est extrêmement beau. Elle gratte tout, elle devient attachante, sa pop Soul de sucre candy colle bien au papier. Et puis voilà «Funky Kitchen» tiré de son premier album, Say No More - It’s my contribution to rock’n’roll - Elle gratte les accords de «Proud Mary». Elle recrée l’événement avec «Little Indians», c’est très emblématique, elle semble faire du work in progress. Il faut attendre «Old Smokey» pour revoir ses naseaux frémir, car voilà un puissant groove de jazz liquide. Un mec l’accompagne, sans doute Jim Cregan. Elle termine avec «On The Stage» tiré de Fathoms Deep. Elle t’y éclate l’exotica au paradis du chat perché. Tout est dans la locution : paradis et chat perché. Ça te permet de comprendre que Linda a du génie.

             Dans l’interview qu’elle donne à la box, Linda rappelle qu’elle fut influencée très tôt par Laura Nyro et Joni Mitchell, et qu’elle fut la première black en Angleterre à monter seule sur scène avec une gratte, bien avant Joan Armatrading. Linda commence à écumer les gros festivals de l’époque, Glastonbury et Knebworth. Ça la fait marrer de côtoyer les gros mastodontes comme Sabbath et Deep Purple.

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             Le disk 4 s’intitule First And Last Borne et propose des rarities. On y trouve le fameux premier single, «You Turned My Bitter Into Sweet», pur jus de r’n’b lindaïque, quasi Motown, pur joyau de female are’n’beeee. Il faut aussi la voir tenir le groove à distance dans «When The Lights Go Down», à la seule force du chant. Quelle magnifique artiste, aw comme elle est bonne, bien chaude, là, juste sous le boisseau. Elle est encore en plein Motown avec «Do You Believe In Love». Quel incroyable swagger ! Elle est un tout petit peu plus molle que sur «You Turned My Bitter Into Sweet», mais son chat perché te fend le cœur. La voilà avec Ferris Wheel pour «I Know You Well», une petite bulle pop très curieuse qu’elle achève au chat perché supersonique. Sacrée Linda, elle doit se faire mal à la glotte ! «Don’t Stop Now» date aussi du temps de Ferris Wheel, elle se la coule douce dans l’exotica. Toujours Ferris Wheel pour «Little Indians», elle entre sur le sentier de la guerre à pas feutrés. Dans tous les cas de figure, Linda reste d’une fraîcheur à toute épreuve. Elle gratte ses poux sur «Wise Eye» et fait sa Richie Havens, et avec «It’s The Frame», elle  tape un frame d’arpèges à l’Anglaise. C’est très préraphaélite, elle se montre extrêmement bienveillante, comme si elle grattait les arpèges de la paix sur la terre. Son «What Are You Looking For» est tiré d’une session TV - And it goes like this - La voilà suspendue à un fil. Fantastique Linda ! Elle termine ce brillant disk 4 avec «Light Years Away». Quand elle gratte ses poux, elle devient passionnante. Elle chante au sucre supérieur avec des coups d’acou inflammatoires. Elle s’offre totalement. Alors tu la prends.

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             Le disk 1 s’appelle Latin Quarters et grouille de puces, notamment «Whatever», une merveille de wild exotica. La grande force de Linda, c’est l’élan. Tu vas encore te régaler avec «Our Day Will Come» et «Love Inside», elle s’y fait sa Demoiselle de Rochefort, mais en plus Brazil, c’est dire l’éclat de son génie. Quelle incroyable option ! Elle est pure et dure. Linda n’est pas du tout la Soul Sister qu’on croit, elle en pince pour l’exotica et s’y parfaitement à l’aise, elle propose un mélange ahurissant de Brazil, de jazz et de chat perché juvénile. Un accordéon l’accompagne sur «In The Heat», et «Love Plateau» sonne comme la Soul d’exotica des jours heureux. Tout aussi stupéfiant, voilà un «Born Performer» gorgé d’échos Brazil, elle s’appuie sur une tranquille assurance cornélienne et une incroyable fraîcheur de ton. Aucun pathos chez Linda, elle ne vise aucun sommet, ni Nina Simome ni Aretha, elle est libre comme l’air. Linda, c’est encore autre chose, une forme de génie féminin particulier, son Day Will Come sonne comme un bénédiction dotée d’aura divine, elle tape sa Soul de good time au la la la, c’est assez heartbreaking. Elle se montre aussi très ingénue avec «So Sixties», qu’elle tape au petite sucre impénitent. Elle drive son «Sweet To Do Nothing» au hoo hat !, et son «What’s All This About» est très aérien. Elle a de l’apanage dans les huniers.

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             Le disk 2 va plus sur le funk, et s’appelle donc Funk-eh. Dès «For Love Sake», elle ramène le sucre du paradis. Te voilà propulsé dans une vraie réalité. Tu la vois en équilibre sur un fil, et tu la suis des yeux. Tu ne la perds jamais de vue. Elle tape une pop plus banale, elle cherche sa voie. Elle tâte le terrain du reggae avec «Too Good To Be True», et son beat se charge de grâce. Elle se montre encore une fois infiniment crédible. Elle installe une sorte de real deal avec «He’s A Diamond». Le beat ponctue son génie artistique. Voilà le coup de génie tant attendu : «More Than Enough», elle rôde dans le lagon avec du sucre et des coups d’acou, alors ça reste raw et beau, ça sonne comme du jazz définitif. Puis elle s’en va groover son «Wearing Wings» au paradis. Il n’y a que le paradis qui l’intéresse. Linda a ça en commun avec Joni Mitchell et Laura Nyro. Elle chouchoute son cut à la voix chaude. Elle devient une artiste inexorable, ce mélange de sucre et de groove est assez rare. Elle reste la reine du groove avec «Darlin’ (Groove)». Fascinante blackette. Chaque fois, elle ramène son joli sucre candy. Elle passe enfin au funk avec «Last Call». Si tu mets le nez dans cette box du diable, tu ne pourras plus lui échapper. Ah il faut la voir groover sa chique !

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             Les mecs d’Easy Action ont eu bien raison de sortir cette box, c’est la meilleure des introductions à l’œuvre de Linda Lewis. On sort enchanté du disk 2 et on plonge de plus belle dans le disk 3 qui s’appelle Bubbles. Elle commence par un tour de passe-passe, avec «Sideway Shuffle», heu nah nah ! Elle y va au sucre pur et elle récupère le groove tout en haut, au chat super-perché. Quelle artiste ! Et tu as en prime un gros solo de gratte. Le coup de génie du disk 3 s’appelle «Doin’ The Right Thing». Elle y redevient africaine. Elle te décline carrément le groove avec des incidences vocales ahurissantes. Elle semble dominer le monde. On retrouve à la suite «He’s A Diamond», mais elle le prend plus calypso. L’autre gros shoot d’exotica est l’excellent «(You Are An) Angry Young Man», où elle renoue avec le Brazil. Elle te gratte ça sec. Elle te tape encore «Like I Dance» au petit sucre, elle y va au ouh ouh ouh, accompagnée par un bassmatic et les percus-à-Lulu. Elle dégage un violent parfum de génie exotique. Elle charge son chat perché de sucre et ça devient magique. Elle fais sa Princesse des Sables dans «Mr. Respectable», un gros groove de funk des années de braise, et elle embarque son monde avec «Don’t Come Crying». Elle te chauffe bien ses coups d’acou et ça devient tétanique. Elle t’envahit, et bien sûr, tu adores ça. Linda Lewis aura passé sa vie à taper un petit folk de black Lady au sucre préraphaélite. C’est très spécial, car elle crée de l’émotion en permanence, elle a vu des horizons et a su rester d’une modernité à toute épreuve. 

    Signé : Cazengler, Lindo Music

    Linda Lewis. Disparue le 3 mai 2023

    Linda Lewis. Funky Bubbles. Troubadour/Easy Action 2017

     

    *

    Cinquante ans que je n’ai mis les pieds en cet endroit. Eté 1968, précision pour ceux qui aimeraient poser une plaque pour commémorer cet évènement. Rien n’a changé. Toujours la même rangée de platanes aux larges troncs. Z’à l’époque les pouvoirs publics n’avaient pas encore pris la stupide directive d’émonder leurs vastes houppiers protecteurs, dégarnis de leur chef nos géant paraissent un tantinet ridicules, n’ont gardé que leurs branches maîtresses surmontées de maigres pompons de feuilles, ressemblent ainsi à des bonnets de marins, l’ombre des ramures imposantes n’existe plus… Par contre le kiosque rudimentaire destiné à recevoir les orchestres de balloche n’a pas bougé – oui lors de cette soixante-huittarde soirée oubliable de la fête du village je fus victime de nombreux râteaux, la gent féminine est parfois rétive aux propositions les plus désintéressées - aucun musicos ne l’occupe aujourd’hui, je suis pourtant venu là pour écouter toute la musique que j’aime.

    JUKE JOINTS BAND

    RIEUX DE PELLEPORT ( 09 )

    ( 23 / 07 / 2022 )

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    Pas du tout un hasard, cette rencontre inopinée de la veille avec Chris Papin qui nous informe qu’il joue le lendemain à 12 Heures 30 pour le Comité des Fêtes de Rieux De Pelleport. Les conjonctions astrales sont formelles je ne saurais villégiaturer en Ariège ne serait-ce que quelques jours sans assister à un concert du Juke Joints Band. Les fidèles Kr’tnt readers seront heureux de savoir que malgré le Covid et la vente de la maison familiale nous renouons avec cette heureuse tradition.

    Public choisi, pratiquement que les membres de l’Association,  ambiance familiale et sympathique, le repas sera généreusement offert à tous, la prestation de l’année précédente du  JJB ayant satisfait les amateurs, le groupe a été de nouveau choisi pour apporter sa touche musicale à cette festive après-midi. Le premier set, ne tarde pas à débuter. La chaleur est horrible,  sous le large barnum, protégé du soleil et rafraichi par un courant d’air nous sommes les rois.

    Pour cette fois-ci nous avons droit à la formation fondatrice du JJB, si mes souvenirs ne m’égarent lors du dernier concert que nous avons relaté, voici plus de deux c’était le JJB Quartet, donc ce coup-ci le duo, uniquement Ben  Jacobacci  et Chris Papin. Guitare et chant. L’essence du blues.

    Ben juché sur son perchoir, n’importe qui aurait du mal a garder son équilibre sur ce fragile et inconfortable quadrupède de bois, mais lui l’est aussi à l’aise que Jules César sur sa chaise curule, non il n’est pas engoncé dans une toge, se contente d’arborer un T-shirt Led Zeppelin, l’a posé son électro-acoustique sur le giron de son jean, et puis c’est tout. Ne bouge plus. L’on sent qu’il est capable de rester comme cela durant des mois. L’est dans son élément. L’a atteint son nirvana, n’a plus besoin de rien, très logiquement il ne fait rien. Enfin presque. L’est trahi par ses doigts. Sont atteints d’une terrible bougeotte. Très vite vous ne voyez qu’eux. S’activent salement. Non sur sa quenouille il ne file pas la note bleue, ne la tisse pas lentement durant des minutes, il ne la fait pas éclore au dernier moment pour vous l’exhiber fièrement alors que vous ne croyiez plus à sa venue et que vos oreilles la regardent avec l’étonnement d’une poule qui ne sait plus si elle n’est pas sortie de l’œuf qu’elle vient de pondre. Non, Ben a la note bleue luxuriante, vous en jette des centaines par poignées, mais d’où les sort-il, l’est infatigable, pire que Radio-Andorre,  quand il n’y en a plus il en a encore, elles se bousculent sous ses doigts, elles s’échappent, des rivières qui débordent et emportent toute votre adhésion sur leurs passages. Elles ne prennent pas la peine de ralentir lorsque sur certaines cascades virevoltantes, elles suscitent des applaudissements. Faut avoir une sacrée maîtrise mentale pour ne pas perdre le riff dans ce torrent impétueux.

    Avec un tel musicien à vos côtés pas besoin de tenir des maracas ou tout autre babiole sonore dans ses mains pour vous donner une contenance ou faire du bruit pour combler les interstices. Chris Papin ne semble pas atteint d’angoisses métaphysiques, genre le gars pénardos qui se trouve là parce qu’il a poussé la porte et qui ne semble pas du tout étonné de ce qui lui arrive. L’est vrai qu’il possède une arme secrète. Lui suffit d’ouvrir la bouche pour vaincre sans combattre. N’a pas terminé son premier couplet que des exclamations fusent pour saluer ce vocal qui vous passe les esgourdes à la toile émeri (  émérite aussi ). C’est une grande injustice, c’est quoi le blues ? C’est la voix de Chris. Le timbre de celui qui a beaucoup vécu, qui a tout connu, qui a tout surmonté, cinq pour cent de souffrance, cinq pour cent d’amertume et quatre-vingt-dix pour cent de courage de vivre, malgré tout, envers et contre tout. Le mec ne vous dit pas que la vie est belle, vous rappelle qu’elle vous cabosse sans pitié avec en prime ce fond de gorge goguenarde qui vous pousse à en redemander, car si rien n’est plus atroce que cette salope, rien n’est aussi bandant non plus.

    Vous ai montré le premier, vous avez vu le deuxième, reste à vous croquer le troisième. Oui un duo est composé de deux personnes, mais il ne s’agit pas d’oublier la troisième. La plus importante. Meilleure que Ben, supérieure à Chris. C’est l’ensemble, la complicité qui les unit et les réunit. Chacun sait où l’autre veut aller, échangent un coup d’œil et c’est parti, ou Ben se lance non pas dans un solo mais dans un multiplex de trilles éblouissantes ou Chris éructe la rouille de son larynx dans les synapses de votre cerveau et s’amuse à jouer au Monsieur Déloyal qui fait exprès de laisser échapper le serpent du blues de la corbeille de son histoire pour que sentiez les anneaux froids du reptile bleu enserrer votre corps. Une morsure dont vous porterez la cicatrice jusqu’à la fin de votre existence.

    JJB, la magie bleue, vous a encore joué un tour à sa façon.

    Damie Chad

     

    *

    J’ai l’habitude de partir tout nu en vacances et de me nourrir des occasions qui s’offrent à moi, jeunes filles ne rêvez pas, je veux simplement dire que je n’emporte aucun livre avec moi, me contentant de récupérer de-ci de-là dans les brocantes ou les librairies les ouvrages que le hasard facétieux glisse sous mes yeux avides.

    JOHNNY, LE REBELLE AMOUREUX

    BERNARD VIOLET

    ( J’ai Lu / 2003 )

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                Pas étonnant que je dégote un bouquin de Johnny, sa disparition a occasionné une montagne d’écrits divers. Premier livre qui me tombe sous la main au premier jour de mes pérégrinations, plus de cinq cents pages, de quoi étancher ma soif de lecture nocturne. Bernard Violet journaliste de profession a publié une vingtaine de biographies consacrées à des sommités nationales bien aimées du public, de L’abbé Pierre à Mylène Farmer… Une petite préférence pour Johnny puisqu’il a aussi signé un Johnny Hallyday, Pour les nuits en 2012 et Johnny et Sylvie en 2008.

             Première impression d’ensemble, l’on parle peu de Johnny dans toutes ces pages. Entendons-nous, le projecteur braqué sur l’idole ne le quitte pas d’une seconde, toutefois les amateurs de musique restent sur leur faim, si tous les enregistrements, tous les spectacles sont fidèlement répertoriés et évoqués le but de Bernard Violet n’est pas d’analyser l’évolution musicale de Johnny, il y aurait par exemple tant à dire ne serait-ce que sur le choix de ses adaptations, notre biographe tend plutôt à décrire la tornade existentielle hallydéenne, à entraîner le lecteur dans une course contre la montre et contre la mort.

             C’est Mao Tsé Toung qui disait que lorsque la révolution n’avance pas, elle recule. Ce parti-pris synergique qui emprunte beaucoup aux principes thermodynamiques de Carnot semble avoir été établi pour comprendre comment Hallyday s’est lancé à corps perdu dans une surenchère spectaculaire basée sur une idée simple : faire à chaque fois, plus fort, plus grand, plus étonnant.  Johnny ne sait pas faire dans le petit, même ses échecs devaient être magistraux, la critique l’a éreinté, souvent avec raison, notamment pour ses premiers films, il a survécu, l’est passé sous les pluies de balles assassines, l’en a acquis le titre de survivant, de phénix indestructible, de rafiot insubmersible. Il arrive un moment où l’image prime sur la réalité des choses et le mythe sur le monde.

             La première partie du livre est la plus passionnante, celle qui raconte l’enfance de Johnny, le père, la mère, Desta, Lee, tout cela est connu, mais Violet sait la conter avec minutie, Johnny revient… de loin. Enfant de la balle et vaches enragées, tournées incessantes, numéros de music-hall, comme ces années cinquante nous paraissent sombres et glauques… vies d’artistes sans paillettes.

             Johnny amoureux ? Johnny fut-il un grand amoureux ? Le succès venant les filles se succèdent à vitesse grand V, survient l’imbroglio Johnny-Sylvie, si subtilement analysé dans  SylvieJohnny LoveStory de Marie Desjardins ( Voir notre livraison 442 du 12 / 12 / 2019) sans doute ne faut-il pas confondre le mythe chrétien de l’Amour Absolu avec la Multiplicité du Désir païen… Sans conteste Johnny fut un grand désirant ! La deuxième moitié du livre se perd un peu trop dans le catalogue des nombreuses conquêtes de l’idole, serait-ce la jalousie qui me pousse à employer le terme de monotonie !

             Johnny rebelle ? Le vocable est séduisant. A l’origine le mot rebelle désignait celui qui entrait en guerre contre un pouvoir quelconque. Soyons plus précis : qui prenait les armes. Le rock’n’roll est une musique rebelle. Oui, mais ma guitare n’est pas un fusil. Le rebelle d’aujourd’hui se munit d’armes moins létales. Il critique, il adopte une attitude qui montre haut et fort que l’on est en total désaccord avec le système dans lequel on vit. Au mieux il retourne le fusil qu’il n’a pas contre lui-même, au pire il sert de soupape de sécurité au système coercitif… dans le premier cas l’on est victime de son propre nihilisme, dans le deuxième d’une manipulation dont on essaie, avec plus ou moins de réussite, de ne pas prendre conscience, oscillant ainsi entre cynisme et (fausse) naïveté.

             Si le succès fulgurant de Johnny au début des années soixante fut le révélateur des appétits vitaux d’une jeunesse écrasée sous le boisseau des convenances sociales, le temps venant (très vite) il fallut à notre idole rentrer dans le rang, porter un costume sur scène et faire son armée comme tout le monde. Puis s’adapter à l’évolution musicale d’outre-Manche et Atlantique… C’était cela ou disparaître. Le rebelle fit des compromissions. En tant que rocker il avait la caution morale d’Elvis… Ne jetons pas la pierre à Johnny, nous sommes tous des rebelles compromis. A des degrés divers peut-être, être un perdant magnifique n’est pas donné à tout un à chacun, justement parce que souvent l’on a rien à perdre. Rien à défendre.    

              Pour écrire son livre, qui n’est pas une biographie autorisée, Bernard Violet a à plusieurs reprises discuté avec Johnny, notamment sur ses prises de position politique. Qu’il ait été utilisé Johnny n’en est pas dupe, il le reconnaît sans détours, il fait la différence entre ce qu’il a fait par estime envers certains, notamment Chirac, et ce qui ressort de raisons davantage opportunistes…   

             Ce qui est étrange à la lecture de ce livre composé en 2002, c’est que nous le lisons avec cette impression de savoir la fin de l’histoire que Bernard Violet n’était pas en mesure évidemment de connaître, nous pouvons dire qu’elle s’inscrit dans le droit fil de la trajectoire racontée par Violet, ce qui prouve que l’auteur a tracé un portrait assez fidèle du personnage Hallyday. La morale de cette fable existentielle s’avère facile à comprendre : jusqu’à la fin Johnny a su rester fidèle à Hallyday.

             Essayez d’en faire autant jusqu’à votre mort. Après l’on en discutera.

    Damie Chad.

     

                                                     *     

               Pour le second ouvrage nous changeons de crèmerie. Ici pas d’étalage à même le trottoir, une véritable boutique, la seule librairie digne de ce nom de Pamiers, ma ville natale, ancienne capitale de la tribu gauloise des Tectosages, elle fut fondée voici une quarantaine d’années par Jean-Phi un de mes amis, elle porte un nom qui fleure bon les seventies, Le Bleu du Ciel en l’honneur de Georges Bataille. Preuve symbolique qu’il existe une guerre littéraire. Elle a changé plusieurs fois de mains, la population appaméenne, comme partout ailleurs, lit de moins en moins, signe et résultat de la grande occultarisation voulue depuis des lustres par nos dirigeants aux ordres des industriels de la diversification standardisée des produits de consommation dite culturelle…

              Nouveau propriétaire, nouvelle librairie. Certains la trouveront engagée, je lui attribuerais plutôt le titre d’orientée. Un choix de livres qui incite à réfléchir et à développer son esprit critique. Aucune complaisance envers l’idéologie libérale. Ce n’est donc pas un hasard si ma main s’est figée sur le titre suivant.

    ROCKERS

    MIRIANA MISLOVTHIERRY GUITARD

    ( Les Fondeurs de Briques / Mai 2023 )

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               C’est une chose de savoir qu’un livre existe, c’en est une autre que de le tenir entre ses mains. J’avais reçu sur la boîte postale l’avis de parution du book. Intéressant, tentant, mais il existe tellement de bons livres que je n’ai pas encore lus, l’est comme les filles qui enfilent leur plus belle robe pour vous séduire, de la belle ouvrage, comment résister au bleu céruléen de la couverture et à l’épaisseur de cette couvrante, au moins cinq millimètres qui appellent à la caresse et à la possession. Ou à la soumission.  

              Et ce titre, oriflamme rougeoyante, manifestement choisi pour me faire réagir, Rockers, un mot qui ne veut rien dire et qui exprime le tout de ce que l’on ne peut définir en sa totalité, tout comme le terme océan semble un écran jeté à la surface de la mer (toujours recommencée) pour nous faire oublier les gouffres abyssaux des profondeurs qu’il cèle et recèle.

               Se sont mis à deux. La première a tenu la plume, le second a peint selon les empennages réalisés. Un livre de compagnonnage, ne se quittent plus depuis des années, elle écrit, il dessine. Les amateurs de rock le connaissent il a illustré des dizaines de livres d’esprit ‘’ rock’’ au sens large du terme, de Philippe Manœuvre à Jack London, dessiné des pochettes de disques, Liminanas et Parabellum par exemple, publié dans Rock’n’Folk… il écrit aussi. Mon ordinateur, le grand surveillant Big Brother, m’indique que j’ai déjà voici plusieurs années cherché des renseignements sur Miriana, je suis incapable de me remémorer pourquoi. Peut-être sur le fanzine La Pieuvre qu’elle a fondée avec Thierry Guitard. D’origine yougoslave elle a dénoncé la guerre qui a démembré ce pays et semble s’être spécialisée dans l’écriture de scénarii pour bande-dessinées et cinéma.

               Il y a rockers et rockers, fans ou artistes, il faut choisir. Le livre est sans équivoque. Uniquement musiciens et chanteurs. Des deux sexes. Peut-être même du troisième et du quatrième. Voire le cinquième.  Bref cent soixante-dix pages de textes, beaucoup moins si l’on retranche les nombreuses illustrations sur lesquelles nous reviendrons.

               Cent cinquante pages pour raconter l’histoire du rock de ses débuts à aujourd’hui, le pari serait insensé, Miriana Mislov ne s’est pas aventurée dans une telle gageure, ce qu’elle raconte par l’entremise de titres paraboliques c’est une certaine histoire du rock ‘n’ roll, celle qui lui tient à cœur, sa vision idéale du rock ‘n’ roll en quelque sorte. Si vous voulez effacer ce qui vous déplaît il suffit de n’en point jacter. Ne jetez pas la pierre à Miriana, nous fonctionnons tous comme elle. Tout comme Saint John Perse, avec moins de talents, nous tressons en guise de couronnes de lauriers des Eloges, pas nécessairement funèbres, en hommage à ceux que nous élisons car ils nous décrivent en creux ou en ronde-cabossée bien mieux que les autoportraits maladroits que nous pourrions tracer de nous-mêmes. De nous-m’aime.

              Il faut un début à tout. Ce sera donc Ruth Brown. Désolé ce n’est pas Elvis. Non seulement Ruth apparaît en tête de file mais elle bénéficie du plus grand nombre de pages dévolues à n’importe quel autre artiste. Il est vrai que Miriana ne cache pas qu’elle s’appuie sur une large documentation, la biographie de la chanteuse rédigée par Lorie Silke. Le choix est aussi idéologique. Le rock ‘n’roll n’est pas une création de petits blancs, il a été inventé, initié serait plus juste, par les noirs. Muddy Waters expliquera plus tard que l’on a fait dans le dos un bâtard au rhythm and blues que l’on a appelé le rock ‘n’roll.  Féminisme ambiant oblige, c’est tout un symbole de mettre une femme en tête de l’ouvrage, d’autant plus que la pauvre Ruth a été victime du machisme de ses maris. Noirs ou blancs les hommes seraient-ils donc égaux ! En tout cas, question royalties les noirs mâles ou femelles ont été traitées à égalité.

               L’on n’attendait pas le deuxième de la liste. Lonnie Donegan, le roi du British Skiffle. L’est vrai que Rock Island Line est sorti en 1954, que Donegan est né quatre ans avant Elvis, qu’il inspira bien des apprentis musiciens boutonneux de Grande-Bretagne et que l’on peut lui décerner sans conteste le titre de Grand-père du British Blues et du British Rock, mais n’est-ce pas aussi l’arbre qui cache la forêt, d’abord parce que la moitié de la chronique est consacrée à Leadbelly qui enregistra ce morceau en premier et surtout l’impasse sur les grands groupes de rock anglais, des Beatles à Led Zeppelin, même s’il est certain qu’il est inutile de rajouter quelques feuillets à leur gloire. La suite le prouve, nous retournons au rock ‘n’ roll des pionniers américains. Little Richard et Esquerita, il est dommage que l’on n’ait pas rajouté Larry Williams, si le temps vous est compté qu’il ne vous reste plus que trois minutes à vivre lisez de préférence Esquerita, un des portraits les plus réussis du livre. Sont suivis par Leiber et Stoller, le Cat Zengler nous a déjà profilé ces deux zigotos-kings avec le brio que l’on connaît.

              Suit un oublié inoubliable Sanford Clark, l’on commence à comprendre comment fonctionne le bouquin, The fool de Sandford est aussi l’occasion d’évoquer le guitariste Al Casey et le producteur Lee Hazlewood, tout comme le duo Leiber et Stoller nous a fait entrevoir Big Mama Thorton, Elvis Presley, Martha and The Vandellas les Shangri-las. Destins croisés du rock’n’roll.

              Attention retour au rock blanc et pas des moindres, deux héros au destin brisé, Vince Taylor et Eddie Cochran. J’en profite pour ronchonner, s’il y a un grand absent dans ce book, c’est Gene Vincent, cité à plusieurs reprises mais pas honoré d’un chapitre entier. Le livre semble vouloir faire la part belle aux feux de paille du rock’n’roll, aux seconds voire troisième couteaux du rock’n’roll, s’il est un suprême canard boiteux du rock’n’roll, plus que tout autre Gene mérite la première place. Que les américains lui ont déniée. Que l’Europe lui a reconnue.

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              John Leyton fut acteur et chanteur, son Johnny Remember Me sonne davantage country que rock ‘n’roll il est surtout pour Miriana l’occasion de revenir sur le producteur Joe Meek et sa fin particulièrement sanglante. L’est précédé d’un titre légendaire et déjanté, le Love Me de The Phamton. Le véritable fantôme d’un opéra-rock qui n’alla pas plus loin que la scène 1 d’un premier acte inachevé.

             Un autre personnage de légende qui n’est pas encore morte, Jackie De Shannon elle fut amie avec Sharon Sheeley la copine d’Eddie Cochran, le rock ‘n’roll est un labyrinthe dont les galeries s’entrecroisent et s’entrecoupent sans fin, est-ce une surprise si nous trouvons à ses côtés le mirocktaure appelé les Beatles.

               Retour à la case de départ, les malheureuses amours de Ronnie Spector victime de la folie paranoïaque de son vilain mari, le génial producteur qui lui donna pas mal de Phil à retordre.

              Attention une page sur You Really Got me des Kinks, c’est un peu comme si l’on réduisait William Butler Yeats à son poème The Wild Swans at Coole… Voici les Who, une tendresse particulière pour Keith Moon u batteur fracassant néanmoins un être fragile et sensible… Suivent deux groupes qui à leur manière étaient trop : The Sonics et The Monks. Ils encadrent le plus fou des enrages, à moins que ce ne soit le plus enragé des plus fous, sa majesté Asil Hadkins. Le rock serait-il une musique déviante ?

              Deux jokers imbattables pour les deux chapitres suivants : MC5 et The Stooges. Rock politique et métaphysique. Les deux serpents de mer du rock ‘n’ roll qui ont vraiment existé. Que voulez-vous, si vous vous ne croyez pas aux malédictions ou aux fléaux de Dieu lancés sur la terre pour perturber les esprits des jeunes générations, nous ne pouvons rien pour vous.

              Nous arrivons dans les dernières pages de cette violente saga, un chapitre pour détricoter les rapports extrêmement fricotés de Dee Dee Ramone et Johnny Thunders. Thunders que l’on retrouve plus loin avec la foudroyance langoureuse de Patti Palladin.

              Comment terminer après de telles pointures, les Buzzcocks on veut bien, The Clash l’on n’en veut guère, heureusement que l’on en profite pour entrevoir les Pistols.

             Dans l’avant-dernière livraison, c’est un peu comme sur la fin des marchés quand on liquide un cageot de dix kilos d’abricots pour le prix de trois. Understones, Stiff Little Finger, The Outcasts, le deal est plus qu’intéressant.

             L’on termine avec un groupe apparu voici depuis plus de vingt ans, à croire que le rock n’aurait pas survécu à l’arrivée du troisième millénaire. A l’origine groupe familial, le père, la mère et les trois enfants, viennent de Londres, cette formation simili bluegrass qui se produit souvent en acoustique est un peu comme le serpent qui se mord la queue jamais nommée le long du livre, celle des roots, du country, du folk de tout ce que vous voulez, un retour aux sources, au commencement…

               Miriana vous tire la langue. Celle du serpent du rock ‘n’roll qui vous fascine, bien entendu. Il existe de grandes accointances entre le contenu de ce livre et le contenu de notre blogue. Son format nécessairement réduit ne saurait être comparé aux milliers de pages de nos 609 livraisons, mais tout comme chez nous dans Rockers s’exprime une certaine idée du rock’n’roll. Pas nécessairement la même mais un dessein.  Et aussi des dessins, Thierry Guitard et notre Cat Zengler ont des points communs, la ligne claire zenglerienne est davantage fidèle à la représentation des objets et des attitudes, pochettes de disques, photographies, celle guitardienne vise parfois à une plus grande stylisation expressive qui se transforme souvent grâce à un fond uniformisateur en une image qui aurait été retirée d’une bande dessinée. Il lui manque en quelque sorte la suite que l’on imagine dans une des cases proximales d’une bande-dessinée inachevée. Le lecteur se rapportera à la planche sur le célèbre Fever mi-docu-mi-BD pour mieux comprendre ce que j’essaie de signifier. Thierry Guitard use d’une palette plus sombre qui dramatise son sujet. Ses œuvres paraissent comme en un mouvement suspendu dont on attend la suite, et donc non terminées. Les couleurs vives et lumineuses de Patrick Cazengler fixent les personnages, les idéalisant en une posture hiératique. Aristote affirmait que la vitesse à laquelle se déplacent les Dieux est d’une extrême lenteur qui confine à une immobilité non-humaine. Pour ma part je pense qu’il en est de même des Dieux du rock.

              Que cette oiseuse divergence métaphysico-esthétique ne vous dissuade pas de lire et de regarder cet ouvrage. Un beau livre consacré au rock’n’roll. Merci à Miriana Mislov et à Thierry Guitard.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !                                             

    EPISODE 33 ( Locatif  ) :

    185

    Alice ou Ecila, Ecila ou Oecila, j’ai l’impression que les synapses de mon cerveau grésillent, court-circuit ou explosion, peut-être ai-je parlé tout haut sans m’en apercevoir car la voix du Chef résonne à mes oreilles :

              _ Agent Chad, à vous entendre cogiter tout fort depuis un quart d’heure je commence à me dire que vous êtes pire qu’Hamlet, lui ne possédait que deux options, être ou ne pas être, vous savez comment il a fini, je vous conseille d’essayer de saisir par les cornes, non pas du taureau mais de la vache folle, l’irréalité de la problématique qui vous obsède, votre esprit tourne comme l’aiguille d’une boussole qui ne sait sur quel azimut se fixer, si je puis vous donner un conseil ce serait d’aborder cette insupportable énigme par son côté le plus simple, soyez davantage pragmatique je vous en prie ! Prenez exemple sur nos deux cabots, parfois la sagesse animale dépasse la folie humaine.

    Avant d’allumer un Coronado, d’un geste ample le Chef désigne les deux chiens vautrés sur un canapé :

              _ Regardez, ils ont partagé avec nous l’ensemble des épisodes de cette terrible aventure depuis le début, ils en ont connu tous les dangers, et les voici endormis sans se prendre la tête, n’est-ce pas là le signe d’une sapience supérieure ?

    186

    Je ne sais si nos lecteurs auront pris le temps de méditer les doctes paroles du Chef, j’espère que cette profonde philosophie les aura marqués et que désormais dans toutes les actions de leur vie quotidienne ils se seront efforcés de les mettre en pratique. Pour ma part je n’y ai pas manqué. Les résultats ne se sont pas faits attendre. Il est vain de courir après une montagne, il suffit d’attendre qu’elle vienne à vous. Puisque les chiens avaient choisi de passer la journée couchés sur un canapé je résolus de les imiter et me glissai entre eux deux pour un somme réparateur.

    Ce fut Molissito qui s’en vint me lécher le bout du nez m’arrachant, à mon vif mécontentement, des bras de Morphée. La voix du Chef me réveilla illico :

             _ Agent Chad, arrêtez de dormir, je n’aime guère que vous utilisiez le numéro du service pour vos affaires personnelles, mais la voix féminine qui vous réclame à corps et à cris insiste tellement, j’ai raccroché sept fois, mais à la huitième j’ai fini par céder, il est d’ailleurs temps que je me préoccupe d’allumer un Coronado !

    187

    Encore ensommeillé, j’appliquai le combiné à mon oreille :

    • Molossa et Molossito vont bien ?
    • Euh… oui…
    • Ah ! c’est bien, je suis contente, Papa lui ne l’est pas du tout !
    • Euh… à cause de Molossa et Molossito !
    • Mais non, vous êtes bête, à cause du vol !
    • Mais Molossito et Molossa n’ont pas été volés, ils sont à côté de moi !
    • C’est la sœur de Maman qui a été volée !

    J’ai failli répondre que ma mère n’avait pas de sœur, je n’en ai pas eu le temps :

              _ Oecila, elle était enterrée au Père Lachaise et le corps n’est plus dans la tombe, c’est la police qui a appelé Papa ce matin, il a crié que c’était un scandale, il m’a dit de ne pas sortir de l’appartement, que je l’attende, qu’il revenait, et puis il a ajouté que c’était de votre faute à vous trois et à vos deux corniauds, que l’on allait s’occuper de vous, moi je ne veux pas qu’ils fassent du mal à Molossa et à Molossito, alors je vous avertis, j’entends du bruit, c’est peut-être Papa qui rentre, au revoir !

    188

    L’on est en planque depuis plusieurs heures dans une vieille estafette pourrave. Pour une fois Carlos est défaitiste :

              _ C’est insensé, il est impossible que ça marche, avec un enfant de trois ans peut-être, j’en doute quand même, il nous faudrait un truc beaucoup plus chiadé, là franchement on joue aux pieds nickelés !

    Le Chef allume un Coronado :

              _ Vous avez raison cher Carlos, c’est notre unique chance, si vous avez une idée meilleure je suis preneur !

    Carlos se contente de secouer la tête et de lever les yeux aux cieux. Le Chef me regarde :

              _ Agent Chad, lâchez les fauves !

    J’entrouvre très légèrement les portes arrière de la camionnette. Deux secondes suffisent à Molossa et Molossito pour sauter sur l’asphalte. Il se fait tard, dans la nuit qui tombe leurs silhouettes noires sont presque invisibles.

    189

    L’homme suit le trottoir, il marche rapidement, la rue est déserte, il sursaute, il a entendu un petit bruit. Trop faible pour provoquer la peur, assez particulier pour attirer l’attention. L’homme presse le pas, le bruit recommence. C’est illogique, il a déjà parcouru une dizaine de mètres et le bruit s’est répété avec la même intensité. L’homme s’est retourné, il ne remarque rien, il repart, maintenant il pense au miaulement d’un chat qui le suivrait depuis un petit moment, il s’arrête, regarde en arrière. Il n’a rien vu, trois pas rapides et une brusque volte-face, la bête se traîne vers lui, il se penche la caresse, et l’abandonne. Il ralentit, elle est là, il s’accroupit, il réfléchit, sa décision est prise, il s’empare de la petite bête qui geint encore, et se carre dans ses deux paumes, l’homme sourit, il vient de faire une bonne action. Il ne remarque même pas la camionnette pourrave garée le long du trottoir. Il s’éloigne. Tout heureux.

    190

              _ Agent Chad, ouvrez les portes, nos deux héros reviennent !

    Je m’exécute promptement d’un bond léger Molossa et Molossito se faufilent à l’intérieur. Carlos se saisit d’eux et les embrasse vivement :

              _ J’en ai vu des choses dans ma chienne de vie, des très moches et quelques unes très belles, et maintenant une scène extraordinaire, je n’en reviens pas je n’aurais jamais cru que des bêtes puissent être si intelligentes, Damie je m’excuse, ton plan me paraissait si farfelu ! Il a réussi pourtant, incroyable ! Jen pleurerais de joie ! Quel suspense ! Quelle émotion !

    Carlos aimerait s’épancher encore un bon moment, le Chef coupe court aux effusions sentimentales de l’ancien légionnaire :

              _Carlos, c’est à toi de jouer, attention de la finesse et du doigté !

    191

    L’homme marche d’un bond pas. Le chaton s’est endormi dans ses bras. Il le regarde avec tendresse. Encore deux ou trois rues et il arrivera chez lui. L’ombre géante du bâtiment l’avale. Il soupire d’aise, il ne lui reste plus qu’à sortir la clef de sa poche, la porte de l’ascenseur brille du vague reflet de la chiche lumière du hall plongée dans une demi-pénombre. Il appuie sur le bouton d’appel, il n’attendra pas longtemps, l’appareil est stationné au premier étage. La porte s’ouvre.

              _ Bonjour ! 

    L’homme sursaute. Le gars n’a pas l’air commode, un gros dur, une armoire à glace comme l’on n’en voit que dans les films.

              _ Je vous en prie Monsieur, passez, je vois que vous sortez !

              _ Pas du tout, je vous attendais !

              _ Moi, vous faites erreur je ne vous connais pas !         

              _ Ne racontez pas n’importe quoi, je désire simplement récupérer mon petit chat que vous venez de voler.

              _ N’importe quoi, voici un quart d’heure je l’ai trouvé, miaulant de détresse, transi de froid, j’ai eu pitié, j’ai décidé de l’adopter !

              _ Peut-être, mais il est à moi, rendez-le moi tout de suite, sinon je sens que je vais m’énerver et quand je m’énerve en règle générale ça saigne, je vous explique tout cela parce que vous n’avez pas l’air de comprendre que si dans trente secondes je ne rentre pas en possession de mon chat, vous et le chat je vous transforme en steak haché !

             _ Enfin c’est insensé, vous voulez votre chat et vous êtes prêt à le tuer dans la demi-minute qui suit !

              _ Et alors, ça vous dérange ?

             _ Sachez Monsieur que je le défendrais jusqu’à ma mort !

    Le malabar éclate d’un rire sinistre, il enfile des gants noirs :

             _ Juste pour ne pas me salir les mains en vous étranglant !

    A suivre…

             

  • CHRONIQUES DE POURPRE 550 : KR'TNT 550 : JOEL SELVIN / MARAH / DELGRES / GOLDIE & THE GINGERBREADS/ JUKE JOINTS BAND / BOB DYLAN / MOUNT SATURN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 550

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 04 / 2022

     

     JOEL SELVIN / MARAH / DELGRES

    GOLDIE & THE GINGERBREADS

    JUKE JOINTS BAND / BOB DYLAN

     MOUNT SATURN

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 550

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Selvin est tiré, il faut le boire

     

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             Avec Endless Summer, Joel Selvin entre dans le club des grands rock writers d’Amérique. Il serait peut-être plus honnête de rappeler qu’il en faisait déjà partie, grâce à une passionnante bio de Bert Berns, Here Comes The Night - The Dark Soul Of Bert Berns And The Dirty Business Of Rhythm & Blues. Le problème, c’est qu’avec Bert Berns, Selvin ne s’adressait qu’aux afficionados, alors qu’avec Endless Summer, il s’adresse au monde entier.

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             Il y raconte la genèse de la scène californienne des early sixties. C’est un récit qui surpasse largement les grands rock books californiens, ceux consacrés à Gene Clark, aux Byrds, aux Beach Boys, même les superbes autobios de Croz, de P.F. Sloan ou encore de John Phillips. Selvin fait marcher tous ses personnages en même temps et montre avec un art consommé comment tous ces gens interagissent dans la période qui commence en 1959 avec le «Baby Talk» de Jan & Dean et qui s’achève six ans plus tard avec «Good Vibrations». Comme dans un film de reconstitution historique, Selvin reconstitue les faits en faisant entrer en scène tous les principaux acteurs : Jan Berry, Dean Torrence, Lou Adler, Kim Fowley, Terry Melcher, Bruce Johnston, Phil Spector, Brian Wilson, Gary Paxton, Nick Venet, Kip Tyler, Gary Usher, Nancy Sinatra - et donc Lee Hazlewood - et puis Johnny Rivers.

             L’acteur principal n’est autre que Jan Berry. Selvin en fait un portait plus vrai que nature, un Jan Berry qui ne recule aucun obstacle, prédisposé à la délinquance, passionné de voitures de sport et de son. Il commence par transformer le garage de ses parents en studio avec les deux Ampex que son père a récupéré chez son patron, le mythique milliardaire Howard Hughes. Selvin nous donne tout le détail de la genèse de Jan & Dean, qui commence au collège, sous la douche après un match de foot, quand Jan vient chanter doo-bee-doo-wah à l’oreille de  Dean Torrence.

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             Jan Berry roule en Corvette Stingray et adore prendre le highway en direction de San Francisco pour rouler à 250 à l’heure. Il adore faire la course avec Dean. Vroarrrrr ! - They were wild, fearless drivers - On le voit aussi foncer sur Sunset jusqu’à la plage. Ils ont quelques accrochages et quand Dean se plaint, Jan lui répond : «T’es pas encore mort, alors ça va !». Et puis un jour sur la route, Jan met la radio pour entendre les hits du jour et boum ! - Bomp Bomp dit di dip - C’est leur «Baby Talk» qui passe à la radio ! - Surfing is the only life/ The only way for me - Oui, car Jan & Dean sont les rois de la surf craze. Quand en 1963, ils montent sur scène au Hermosa Beach High School, on leur présente leur backing band, a group called the Beach Boys. Le grand, c’est Brian Wilson, big grin and bass, son petit frère Carl joue de la guitare, et le middle brother Dennis bat le beurre. Le cousin Mike Love sings lead et un gamin de 13 ans, David Marks qui habite dans la même rue qu’eux, gratte la rythmique. Ils portent tous des chemises Pendleton et sont fiers d’accompagner Jan & Dean au high school hop in the neighborhood. On est là aux racines du mythe.

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             Selvin aurait pu se contenter d’un portait de Jan Berry, mais un autre délinquant entre en scène : Kim Fowley. Au collège, on le considère déjà comme un misfit, c’est-à-dire un désaxé : il est trop grand et porte encore les stigmates d’une polio qu’il a chopé tout petit - His face looked like a squashed muffin - Rien à voir avec tous ces beaux gosses athlétiques aux cheveux blonds et aux dents blanches qui peuplent les collèges californiens. Kim commence par faire ce que font tous les délinquants juvéniles : dans les fêtes, il se glisse la pièce qui sert de vestiaire pour faire les poches et les sacs à main. Selvin adore épingler les petits travers de ses personnages. Puis Kim s’improvise booker en bookant le seul groupe qui existe à University High, où il est inscrit : the Sleepwalkers, groupe dans lequel jouent Bruce Johnston, le fameux Sandy Nelson - qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - et un guitariste débutant nommé Phil Spector qui lui est inscrit à Fairfax High et qui a pour habitude de jouer trop fort. Quand quelqu’un vient se plaindre du bruit qu’il fait sur scène, Totor lui dit : «Reviens te plaindre encore une fois et je t’enfile cette guitare dans le cul.»  

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             Avant de jouer dans les Sleepwalkers, Bruce Johnston jouait dans les Flips de Kip Tyler, un Kip Tyler qu’il n’aimait pas, car trop imbu de sa personne - He could tell Kip Tyler was a creep - En 1958, Kip Tyler & the Flips enregistrent le mythique «She’s A Witch». Bruce est au piano et Dave Shostac au sax - Kip Tyler & the Flips where at the absolute center of Los Angeles rock and roll in the summer of 1958 - Selvin ajoute que Tyler was a hulking barbarian, a hustler and a self-promoter, a real Hollywood king of guy. Originaire de Miami, cet ancien chauffeur de taxi a des faux airs de Kirk Douglas. Il pensait faire carrière au cinéma, mais il se retrouve dans le rôle du greasy rock and roll wild man in black leather. On a tous fantasmé sur Kip Tyler & the Flips.

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             Kim et Bruce sympathisent. Bruce est alors un gamin de 15 ans extrêmement doué qui finira par devenir membre des Beach Boys. Il sait chanter, il compose et il est plutôt beau - he looked like a choirboy - Kim et Bruce commencent à composer ensemble. Ils montent un projet qui s’appelle Modern Age Enterprises. Mais leur petit biz périclite au moment où Kim se fait serrer : il barbotait du pinard pour le revendre dans des fêtes à des mineurs. Comme Kim a 18 ans, le juge lui offre une belle alternative : soit aller au trou, soit s’engager dans la Garde Nationale. Kim opte pour la Garde. Il ne finira donc pas ses études à Uni High : il est envoyé au camp d’entraînement de Fort Ord à Monterey. Pendant que Kim ronge son frein au fucking camp, Bruce entre en studio pour enregistrer «Take This Pearl» avec les Flips, mais comme le nom appartient à Kip, Bruce doit trouver un autre nom. Ce sera Bruce & Jerry. Loyal envers Kim, il lui envoie par courrier un compte-rendu signé «Bruce Johnston, President Modern Age Entreprises Inc.» Selvin reproduit l’intégralité du doc dans son book. On se régale à lire ce brillant témoignage de loyauté.

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             Quand Kim revient du camp, son père accepte de le reprendre à condition qu’il suive des études de comptabilité. Puis son père part pour quelques mois sur un tournage au Brésil et laisse des instructions très claires à Kim : «Pas de fêtes à la maison, n’utilise ni mes fringues, ni ma voiture.» Selvin le magicien retrousse ses manches et recrée pour nous une scène qu’il faut bien qualifier d’historique : il nous emmène faire un tour avec Kim, par un beau matin de février 1959. Le ciel est d’un bleu immaculé. Sur le chemin du lycée, Kim chantonne, pom pom pom, et soudain il rencontre une petite gonzesse qui pleurniche. Snif snif ! Kim s’arrête et lui demande ce qui se passe. Entre deux filets de morve, elle répond qu’ils sont morts tous les trois. Qui ? Ben Buddy Holly, Ritchie Valens et the Big Bopper ! What ? Kim prend la nouvelle en pleine gueule. Boom ! - His rock’n’roll heroes had died - Flash ! C’est là, à cet instant précis, qu’il décide de consacrer sa vie au rock’n’roll. Il commence par jeter ses bouquins de classe dans la première poubelle, puis il rentre chez lui barboter des fringues et le poste de télévision de son père, met tout ça dans la bagnole qu’il barbote dans la foulée. Barbotons peu mais barbotons bien ! Il roule ensuite en direction du Gold Star Studio où Eddie Cochran a enregistré «Summertime Blues» et les Champs «Tequila», like he was heading for church. Il rencontre les Champs sur le parking du studio et les baratine en leur expliquant qu’il est journaliste et qu’il voudrait bien consacrer un article à l’enregistrement d’un disque, alors les Champs acceptent de le faire entrer en studio avec eux. Dave Burgess n’est pas là, mais Tommy et Dorsey Burnette rappliquent avec leurs grattes.  C’est là que Kim apprend le B-A-BA de l’enregistrement en studio. Le lendemain, il croise dans la rue un super mec qui se balade avec une guitare - Who looked for all of the world like a real rock and roll cat - Kim le chope pour lui demander son nom. Who are you ? C’est Nick Venet, un autre personnage légendaire, futur producteur chez Capitol. Venet écrit alors des chansons et Kim le baratine en lui proposant de devenir son agent et de partager les profits. Kif kif bourricot ! Puis il emmène Venet faire les sacs à main dans les fêtes. Ça rapporte plus que d’écrire des chansons.

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             Le troisième personnage clé de cette California Saga, c’est bien sûr le Gold Star. Totor y passe un temps fou, au moment de l’enregistrement de «To Know Him Is To Love Him» avec les Teddy Bears. Un peu plus tard, en 1962, il revient y enregistrer l’«He’s A Rebel» des Crystals. Sans les Crystals, comme chacun sait. Lester Sill met Totor sur le coup des Blossoms et c’est la lead du trio, Darlene Wright, rebaptisée Love, qui chante «He’s A Rebel» à la place des Crystals. À cette occasion, Totor fait aussi la connaissance d’un arrangeur binoclard qui bosse avec l’associé de Lester Sill, Lee Hazlewood. L’arrangeur binoclard, c’est bien sûr Jack Nitzsche. Lors de cette session qu’il faut bien aussi qualifier d’historique, Totor se montre exagérément maniaque. Il cherche un son et ça va durer jusqu’au moment où il va le trouver. Il fait rejouer les guitaristes over and over. Les doigts saignent. Une fois que le backing lui convient, Totor fait chanter Darlene Love. La session nous dit Selvin bascule soudain dans un transcendent level where nobody in the room had been before. They were making a number one hit - But it was beyond that. Selvin veut dire en gros que personne n’avait encore atteint ce niveau de perfection. Ça allait bien au-delà du hit. À l’instar des grands romanciers, Selvin est tellement émoustillé par son personnage qu’il se fend de l’une de ses plus belles fins de paragraphes : «With guidance and direction from a handful of ecstatic visionaries, these mucisians were going to reshape American popular music.» Et si Totor a choisi la West Coast, ce n’est pas un hasard, Balthazar - The West Coast was were the action was and Spector knew it - Toute son œuvre sort du Gold Star Studio, on Santa Monica Boulevard.

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             C’est Venet qui présente Kim à Lou Adler. Alors Lou Adler... On se souvient que P.F. Sloan n’en faisait pas un portrait très gratifiant dans son autobio, l’excellent What’s Exactly The Matter With Me. Issu d’un milieu juif relativement pauvre, Adler démarre sa carrière de producteur avec Sam Cooke et il s’associe avec Herb Alpert. Ils bossent régulièrement pour Bumps Blackwell mais pas de hits à l’horizon. Adler attend son heure. Son heure la voilà : Kim lui amène Jan & Dean sur un plateau. Quand Adler lui demande comment ils sonnent, Kim répond : «High school kids that looked like the Everlys but sounded black.» Humpff humpff... Adler flaire le jackpot. Il va trouver les deux jeunes coqs, les prend sous son aile et commence par les refringuer pour en faire des superstars californiennes, blonds, bronzés, à l’opposé des ritals qu’on voit dans American Bandstand, avec leurs tignasses noires gominées et leurs costards cravates. Puis Adler et Alpert leur taillent un hit sur mesure : «Baby Talk». Et boom ! Ça se passe pendant que Kim est envoyé en stage dans un camp de l’armée en Idaho. Quand il revient à Los Angeles, «Baby Talk» est sur routes les radios. Kim apprend que Jan & Dean se produisent au Rainbow Roller Rink à Van Nuys. Il est encore en uniforme. Il se met sur le passage de ses anciens copains d’école Jan & Dean. Mais ils ne s’arrêtent même pas pour le saluer. Ils sont suivi de Lou Adler qui ne s’arrête pas non plus et qui lance à Kim (à qui il doit tout) : «I’m Lou Adler, manager of Jan & Dean. Is there a problem?». Kim en reste bouche bée. Il espérait un peu de reconnaissance de la part d’Adler à qui il a servi Jan & Dean sur un plateau, comme déjà dit. Rien. Même pas merci. Alors Kim rentre chez lui en stop et va se coucher nous dit Selvin in tears of rage. Le fond de cette histoire, c’est qu’Adler hait Kim. Et ce ne sera pas la dernière fois qu’il va lui faire du mal. Un autre épisode aussi pourri est à venir. Bien sûr, cette haine devient réciproque. Adler devient même une obsession pour Kim. Il a besoin d’ennemis pour se fortifier, alors Adler fit the bill, comme dit Selvin.

             On croit tous que la légende de la West Coast est un film de Walt Disney, avec la plage, le soleil, les jolies blondes et les mecs sympathiques. Les haines y sont les mêmes qu’ailleurs et les instigateurs de cette haine sont, comme l’a montré Sloan, certainement plus féroces qu’ailleurs, comme si le soleil attisait la cruauté. Ce n’est pas un hasard si Los Angeles devient le berceau du fameux Californian Hell.

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             C’est Sandy Nelson, le batteur des Sleepwalkers qui présente Gary S. Paxton à Kim - The tormented hillbilly genius who was going to change his life - Paxton avait vécu en Arizona et avait décidé comme Kim de consacrer sa vie au rock’n’roll. Il a commencé par monter un groupe, The Pledges, avec Clyde Battin, qui deviendra par la suite le célèbre Skip Battin des Byrds. Kim propose à Paxton de le prendre sous son aile et le présente à Marty Melcher, boss d’Arwin Records, mari de Doris Day et père de Terry Melcher. Paxton est impressionné par les relations d’un Kim qui ajoute qu’il a appris à raisonner comme un Juif - Fowley knew how Hollywood worked - Kim et Paxton montent a music publishing company called Maverik Music et font imprimer des cartes sur lesquelles figure le numéro de téléphone de la cabine qui se trouve au coin de la rue. Paxton s’habille en noir, il possède plusieurs hot rods garés devant chez lui et descend un litron de Jack par jour. C’est lui qui lance the Hollywood Argyles.

             Kim et Paxton finissent par se fâcher en 1961. Kim en a ras-le-bol de n’être que le business man alors que Paxton est vu comme le génie. Kim veut être lui aussi le génie, nous dit Selvin. Il n’aura pas de mal à le devenir. Paxton rachète les parts de Kim dans Maverik Music pour 500 $, lui demande de ramasser ses affaires et de dégager.

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             Kim reprend son petit bonhomme de chemin, il connaît tout le monde à Los Angeles. Il découvre les Rivingtons en 1962 et les dirige sur Liberty. Tout le monde connaît «Papa-Oom-Mow-Mow». Un jour qu’il fait du stop, il est ramassé par un jeune musicien nommé David Gates. Kim voit une guitare sur le siège arrière et Gates confirme qu’il est musicien. Alors Kim lui dit qu’il est record producer. Gates lui demande pourquoi il fait du stop s’il est producteur et Kim lui répond : «I’m eccentric». À l’époque, Gates vit avec sa femme et ses enfants dans une bicoque de Canyon Drive, une bicoque qu’il partage avec un certain Russell Bridges, qui va se faire connaître en tant qu’arrangeur et pianiste sous le nom de Leon Russell. Gates et lui viennent d’une high school de Tulsa, Oklahoma. Ah comme le monde est petit, à Los Angeles. Kim flashe sur une  chanson de Gates, «Popsicles and Icicles» et monte un coup : il lance les Murmaids comme the First All-Girl Surf band. Et ce sont elles qui jouent de leurs instruments, même plan que Goldie & the Gingerbreads sur la côte Est. «Popsicles and Icicles» explose en 1963 et ne sera détrôné l’année suivante que par l’«I Want To Hold Your Hand» des Beatles. Les Beatles ? Humpfff humpff... Kim flaire aussitôt le jackpot. Il jette quelques affaires dans une valise et prend un aller simple pour Londres.

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             Jan Berry évolue très vite, il devient un crack du son et de la prod - Nobody was making records any better in town - Il bosse d’ailleurs avec Brian Wilson et compose avec lui l’excellent «Drag City». Jan et Brian passent pas mal de temps ensemble en studio. C’est Jan qui conseille à Brian d’utiliser des musiciens de session plutôt que les Beach Boys, un mode de fonctionnement que Totor va aussi reprendre à son compte. Et au même endroit : alors qu’il a encore son bureau à Manhattan, Totor enregistre tous ses hits au Gold Star à Los Angeles avec le wrecking crew. Selvin nous dit que ça permettait à tous ces producteurs de pousser leur bouchon plus loin, «into new more sophisticated shapes sans sacrifier le drive du rock’n’roll» - They were creating the new West Coast pop sound - Brian admire le take-no-shit attitude de Jan, un Jan qui nous dit Selvin utilise Brian à son profit - With Jan there wre always wheels within wheels - Comme il est sous contrat avec Sreen Gems - comme les Monkees - Jan doit soumettre tous ses projets pour acceptation. C’est une contrainte qu’il n’accepte pas. Alors il dit au président de Columbia Pictures (la maison mère) d’aller se faire mettre, to fuck himself. In those words. Dans Jan & Dean, c’est Jan le boss. Jan & Dean s’entendent bien, mais ils ne sont pas amis. Jan est une locomotive, alors que Dean est le classic Californian kid qui planque ses sentiments derrière des petites blagues and smart-ass banter. Le mec sympa et souriant. Il peut tout encaisser sans moufter. Jan continue de faire le con en bagnole, la nuit il roule à 250 à l’heure en ville et brûle les feux. Sa copine Jill Gibson ne veut plus monter en bagnole avec lui. Jan & Dean deviennent tellement célèbres qu’on leur propose de jouer dans un film. On est à Hollywood, ne l’oublions pas. Mais un accident survient sur le tournage et une locomotive écrase la jambe de Jan. Ça met fin temporairement à sa carrière. Jan s’assombrit, déjà qu’il n’est pas très lumineux. Il en veut à la terre entière et même à Dean. Ils finissent par s’engueuler en studio et Dean sort en claquant la porte. Dans le studio voisin, les Beach Boys enregistrent l’album Party et ils s’amusent bien. Dean se joint à eux. Tout le monde est bourré. Puis en avril 1966, Jan est convoqué au draft, c’est-à-dire au bureau de recrutement, pour le service militaire. Il ne veut pas partir à l’armée, mais le draft n’est pas du même avis. Jan n’est pas du genre à accepter les contrariétés - he was not accustomed to not having his way - Il a toujours su adapter les règles à son profit, alors ce ne sont pas ces abrutis de militaires qui vont stopper sa carrière. Jan entend faire exactement ce qui lui plaît et sans en payer le prix. On lui dit qu’il sera convoqué dans les 90 jours. Il sort furieux du bureau et écrase le champignon de sa Stingray.

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    Ce jour là, il descend une rue déserte et se paye un camion en stationnement. Boom ! Comme si on y était. On se croirait dans la scène finale de No Country For Old Men des frères Cohen, quand Javier Barden se fait percuter. Grâce à cet accident qui va lui briser le crâne, Jan échappera à l’armée. Il ne retrouvera l’usage de la parole et une partie de son autonomie que beaucoup plus tard, dans les années 70. Sacré Jan, il finit toujours par obtenir ce qu’il veut. Cette fois, en en payant le prix.

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             Pendant que Jan Berry percute son destin de plein fouet avec «Dead Man Curve», Adler continue de grenouiller dans le marigot du music biz californien. Il flaire encore le jackpot avec Johnny Rivers, un mec qui fait un tabac chez Gazzari’s. Hupff humpff... Il arrive à le convaincre de faire un album live et il file ensuite à New York présenter le résultat à Don Kirshner pour le compte duquel il travaille. Mais Kirshner vient de vendre Aldon à Screen Gems, la branche musicale de Columbia Pictures. Avec le rachat, des gens sont virés et Adler en fait partie. Quand il revient à Los Angeles, des gens occupent déjà son bureau. Adler s’en bat l’œil. Il a déjà gagné pas mal de blé. Son pote Elmer Valentine, ancien flic corrompu de Chicago, vient lui demander conseil : il revient d’un voyage en Europe où il a découvert les discothèques. Alors il demande à Adler si c’est une bonne idée d’ouvrir un Whisky A Go-Go sur Sunset. Adler saute sur l’occasion - It was the right idea at the right time - En janvier 1964, le Whisky A Go-Go ouvre sur Sunset avec devinez qui à l’affiche ? Johnny Rivers, bien sûr ! Le Whisky devient très vite la boîte hip de Los Angeles - The place caught fire almost immediately - Jane Mansfield et Steve Queen sont des habitués. Lors de leur première visite à Los Angles, les Beatles débarquent au Whisky et bien sûr la première chose que fait John Lennon, c’est devinez quoi ? Il demande à Jane Mansfield de se pencher pour lui monter ses seins, car comme chacun sait, Jane Mansfield a les plus beaux seins du monde. Il suffit de voir cette photo célèbre qui orne la couverture du fameux Hollywood Babylone de Kenneth Anger.

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             Adler n’en finit plus de grenouiller nous dit Selvin. Il se débarrasse de sa première épouse pour se maquer avec l’actrice Ann-Margret, dont l’agent s’appelle Peter Cossette. Adler et Cossette montent Dunhill Records avec Bobby Roberts, un ancien danseur de claquettes. Ça ne s’invente pas. Cossette et Roberts salarient Adler et lui payent une Cadillac. Roule ma poule. Chez Dunhill, Adler continue de superviser la carrière de Jan & Dean et il embauche deux auteurs compositeurs, Steve Barri et P.F. Sloan. Sloan nous dit Selvin est un autre enfant terrible de Fairfax High, comme Totor.

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             C’est Terry Melcher qui file an advance copy du nouvel album de Dylan à Adler qui fait le moue et qui le refile à Slaon qui lui tombe en pâmoison - «Like a Rolling Stone» changed his life - Sloan s’habille aussitôt comme Dylan, avec la casquette de pêcheur et les boots. Il devient un nouvel homme et compose «Eve Of Destruction». C’est Barry McGuire qui va l’enregistrer. La chanson ne plait pas du tout à Barri qui barrit - Stick to pop, not polemics

             Alors justement voilà Terry Melcher, l’un des autres acteurs clés de cette California Saga. Il est A&R pour Columbia quand il signe Bruce Johnston pour enregistrer «Do The Surfer Stomp». Melcher et Johnston travaillent avec la crème de la crème, Hal Blaine, Tommy Tedesco, Glen Campbell et d’autres luminaries. Melcher est considéré comme un jeune aristocrate. Sa fiancée s’appelle Candice Bergen. Ils se séparent lorsque Melcher commence à fréquenter Jackie DeShannon, qui a 22 ans à l’époque et qu’on considère comme l’une des reines d’Hollywood. Melcher et Bruce montent pas mal de projets ensemble, dont les Rip Chords. Ils développent en même temps que les Beach Boys une nouvelle tendance purement américaine : the cars songs. Brian Wilson vient de composer avec Gary Usher le fameux «409». Brian et Gary se connaissent bien car l’oncle de Gary vit à côté de chez les Wilson, à Hawthorne. Melcher et Bruce prennent l’habitude de chanter ensemble et ils enregistrent sous le nom de Bruce & Terry. Lors d’une tournée à Hawaï, Melcher conduit une bagnole de location. Bruce est assis à l’avant à côté de lui et sur la banquette arrière se trouvent Jan & Dean et Jill. Melcher roule trop vite et sort dans un virage pour se retrouver dans un champ de canne à sucre avec les pneus crevés - These were bad boys from Beverley Hills.

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             Puis en 1965, Columbia demande à Melcher de produire un groupe fraîchement signé : les Byrds. McGuinn, Croz et Gene Clark débarquent dans le grand studio A. Ils ne sont signés que pour un seul single et n’ont pas le droit de jouer de leurs instruments. Ils doivent se contenter de chanter les harmonies vocales de «Mr Tambourine Man». Les musiciens sont déjà là : Hal Blaine, Jerry Cole, Larry Knechtel et Russell Bridges, c’est-à-dire Tonton Leon. Glen Campbell devait venir gratter sa douze mais finalement on autorise McGuinn à gratter la sienne. Il oriente son chant quelque part entre Dylan et Lennon, Croz et Gene Clark fournissent les harmonies vocales. Mais Melcher n’accroche pas. Il fait rejouer le cut 22 fois. Puis comme le raconte si bien Sloan dans son autobio, Melcher et lui s’enferment dans le studio pour mettre de la triple réverb sur toutes les pistes. Ils virent le piano de Tonton Leon et la voix de Gene Clark. Le résultat on le connaît, c’est le single magique qu’on peut entendre aujourd’hui. Comme Totor, Melcher cherchait un son. Du coup les Byrds deviennent les nouvelles stars du Sunset, on fait la queue au Ciro’s où ils jouent tous les soirs. On voit Peter Fonda danser avec Odetta et Kim fraîchement revenu d’Angleterre jerker comme un diable - Twisting his long bent frame into compulsive dance moves - On voit aussi Sonny & Cher, Buffy Sainte-Marie, Little Richard, et Dylan monte sur scène pour un ou deux cuts avec ses amis les Byrds.

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             Dick Dale et Sandy Nelson font de courtes apparitions dans cette Saga. Selvin nous dit que Leo Fender travaillait pour Dick Dale et développait pour lui la fameuse Stratocaster et le Fender Showman - Leo Fender baptisa l’ampli Showman car c’est ainsi qu’il voyait Dale, comme un showman - Quant à Sandy Nelson, Selvin en fait the first star drummer of rock and roll. Mais le pauvre Sandy n’aura pas de bol, puisqu’il va passer sous la roue d’un autobus et de faire couper une patte. Oh mais ce n’est pas ça qui l’empêchera de redémarrer, une fois qu’on lui aura installé une jambe de bois, comme dans la flibuste. Hardi moussaillon !

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             Selvin passe aussi un temps fou avec Nancy Sinatra, son père, et donc Lee Hazlewood, un autre personnage clé de toute cette histoire. Ce vétéran de la guerre de Corée qui fut DJ à Phoenix sortit de l’anonymat en produisant Duane Eddy. C’est à cette époque qu’il débarque à Los Angeles. Selvin le voit comme «un cranky Hollywood cowboy qui a du blé, qui adore rester assis au bord de sa piscine avec une bouteille de Chivas et qui dit au record biz d’aller se faire cuire un œuf.» Quand un nommé Bowen vient trouver Lee pour lui parler de Nancy Sinatra dont la carrière est en panne, Lee lui répond qu’il se bat l’œil de Nancy Sinatra, mais bon, il n’est pas contre une rencontre. Chez Nancy, Lee gratte plusieurs cuts, dont «These Boots Are made For Walking» et c’est le père Frank qui repère la chanson. Lee dit que ce n’est pas une chanson de gonzesse. Mais il accepte néanmoins de la filer à Nancy. Avec son sourire en coin, Selvin nous dit que Lee n’est pas impressionné par Frank Sinatra. Il en a tout simplement rien à foutre.  

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             Adler a aussi repéré les Beach Boys. Il connaît Brian. Il flaire la poule aux œufs d’or. Humpff humpff... Il l’emmène un jour à New York rencontrer Don Kirshner. Le but est de lui faire signer un contrat chez Aldon en tant qu’auteur/compositeur. Brian vient d’écrire «Surfin Safari». Kirshner lui propose 50 $ par semaine. Brian tente de formuler une objection et Kirshner lui demande aussi sec de la fermer : «Don’t come on like Tarzan with me.» Quand Brian ramène le contrat chez lui pour le montrer à son père Murry qui est encore le manager du groupe, le vieux pique une crise de rage. Il veut que les Beach Boys restent a family affair, il ne veut rien avoir à faire avec des clampins comme Adler. Alors Brian ramène le contrat non signé à Adler. Pour contourner l’autorité du père, Adler encourage Brian à bosser avec Jan, mais clandestinement, à cause des contrats. Brian et Jan composent ensemble «Surf City». Alors évidemment, quand Murry Wilson voit arriver «Surf City» en tête des charts, il s’explose la rate de rage, d’autant plus que le hit est crédité Screen Gems, ça veut dire que ça tombe dans la poche d’Adler et de Jan. Murry Wilson s’en prend à Jan qu’il traite de «song pirate» et il interdit à Brian de continuer à fréquenter cette crapule. Roger Christian et Dean Torrence qui ont aussi bossé sur «Surf City» ne sont pas non plus crédités, mais ils ferment leur gueule, sachant que ça ne sert à rien de la ramener, Jan Berry fait très exactement ce qu’il a envie de faire et il n’est pas possible de le faire changer d’avis. Si t’es pas content, la porte c’est par là.

             Puis Brian va commencer à subir des pressions terribles. Il se met à fumer de l’herbe et à prendre du LSD. Pendant qu’il est sorti, sa femme fouille la baraque pour trouver le LSD et avec l’aide de la famille, elle lui ordonne d’arrêter ses conneries. Brian t’es là pour composer des tubes, pas pour te défoncer ! Quand Brian refuse de repartir en tournée, c’est d’abord Glen Campbell qui le remplace, puis c’est au tour de Bruce Johnston. Bruce est fasciné par Brian. Pour la première fois, il est invité à une session d’enregistrement des Beach Boys. Il est encore plus fasciné de les voir enregistrer leurs harmonies vocales. Il voit Brian coacher Mike Love sur «California Girls», Brian’s greatest piece of music yet.  

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             Comme chacun sait, Brian cause du souci aux autres Beach Boys, notamment à Mike Love, all money and business. Love dit à Brian : «Don’t fuck with the formula», la formula étant la pop qui les a rendus célèbres. Al Jardine et Carl Wilson sont aussi inquiets de la tournure que prennent les choses dans la cervelle bien rose de Brian. Dennis Wilson n’est pas souvent dans les parages. Bruce Johnston n’est là que depuis quelques mois, mais quand il débarque dans une session à Western Recorders et qu’il entend «God Only Knows», son cœur s’arrête de battre. Bruce sait mieux que les autres ce que Brian fait en expérimentant : il cherche à évoluer - The Beach Boys became an obsession for Johnston - C’est bien sûr l’époque de l’enregistrement de Pet Sounds, certainement la période la plus glorieuse et la plus pénible de Brian Wilson. Car à part Bruce Johnston, personne ne le soutient dans ce projet. Brian est d’autant plus affecté qu’il connaît le sort réservé à son idole Totor et à «River Deep Mountain High» : le flop. Brian songe même à arrêter le projet, mais un jour il rencontre Van Dyke Parks lors d’une party chez Terry Melcher à Cielo Drive. Selvin nous présente Parks comme un gnome érudit originaire du Sud, qui utilise un vocabulaire imagé et qui adore les jeux de mots. Parks se déplace sur une petite moto Yamaha. Il est très pauvre et Brian le dépanne aussitôt. Ensemble, ils se mettent à bosser et ça donne «Heroes and Villains».

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             À Londres, Kim fréquente la crème de la crème. Avec Andrew Loog Oldham, il réécrit «House Of The Rising Sun» pour en faire «The Rise Of The Brighton Surf», en l’honneur des combats entre Mods et Rockers à Brighton. Lors de ce premier séjour à Londres, il atterrit chez P.J. Proby, un épisode largement documenté par Kim himself dans un vieux numéro d’Ugly Things. En fait c’est une partouze continuelle, en compagnie de criminal masterminds and rock’n’roll geniuses. Kim fréquente Judy Garland, Vivian Prince, les Pretty Things, Vince Taylor, découvre un new rock band called the Yardbirds. Il s’invente des personnalités excentriques, il adore l’Angleterre mais quand arrive l’hiver, il décide d’aller retrouver le soleil en Californie.

             À son retour, il rencontre trois hippies dépenaillés : John Phillips, sa femme Michelle et Dennis Doherty. Ils lui chantent trois de leurs compos - «California Dreamin’», «Monday Monday» et «Straight Shooter» - Kim qui flaire le jackpot. Humpff humpff... Il appelle aussi sec Nick Venet qui n’est plus chez Capitol, mais qui a le vent en poupe avec les Leaves. Venet accepte de recevoir les trois hippies. C’est Cass Elliot qui conduit la bagnole. En les voyant, Venet a un coup de cœur. Il demande à Cass si elle chante aussi. Elle dit oui, alors Venet lui dit qu’elle fait partie du groupe, alors que John Phillips n’y tenait pas trop. Venet leur propose un rendez-vous le lendemain chez Mira Records. 15 heures, ça vous va ? Parfait, fait Phillips qui en profite pour demander du blé. Venet lui donne ce qu’il a dans la poche, 150 $. Quand les trois hippies rentrent chez le mec qui les héberge, un nommé Hendricks, un copain de Greenwich Village est là : Barry McGuire. McGuire est devenu riche depuis «Eve Of Destruction», il s’est payé une Royal Enfield et il parade dans les rues. Il leur propose de les emmener le lendemain matin rencontrer son producteur Lou Adler. Lorsqu’ils entrent en studio, Phillips gratte sa douze et chante «California Dreamin’». Adler se penche vers l’oreille de McGuire et demande : «De qui est la chanson and who’s fucking the blonde ?». Adler pense que la chanson peut être le prochain single de McGuire. Il demande à Phillips s’il a déjà pris des contacts. Quand il dit à Adler qu’il a rendrez-vous avec Venet l’après-midi même et qu’il cite le nom de Kim, Adler crache son venin : «Je vous donne tout ce que vous voulez. N’allez voir personne d’autre.» Plus tard dans l’après-midi, Venet appelle Kim pour lui dire que les hippies ne sont pas venus au rendez-vous. Kim s’est encore fait baiser en beauté par son ennemi juré. Ah comme la vie de personnage légendaire peut être dure !

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             Bon on connaît la suite de l’histoire des Mamas & The Papas : superstardom, sex & drugs & rock’n’roll. Quand Papa John s’aperçoit que Mama Michelle fricote avec un autre mec, il la vire. Pour la remplacer, Adler propose Jill Gibson, l’ex-copine de Jan Berry, avec laquelle il a bien sûr une histoire de cul qu’il tient secrète car il encore marié dans sa belle résidence de Bel Air. En fait, Selvin nous explique que Jill et Adler se sont rapprochés au chevet de Jan Berry qui était encore dans le coma. Partager de la souffrance pour un ami commun, ça rapproche. Selvin s’amuse bien avec ces histoires. Ce sont les petits travers qui font les grandes rivières. On peut en déduire sans risque qu’à l’instar de Sloan, Selvin n’apprécie pas trop Adler. Donc Jill entre en studio avec les Mamas & The Papas et bien sûr Mama Michelle fait son retour, non seulement dans le groupe, mais aussi dans le lit de son mari Papa John. Du coup, Jill comprend qu’elle est baisée. Elle dit à son amant Adler qu’elle veut juste récupérer ses royalties, car elle chante sur l’album à paraître. Avec son air protecteur, Adler la conduit au bureau de Bobby Roberts qui lui explique que si elle veut récupérer ses royalties, elle doit traîner Papa John en justice. Alors tout ce qu’elle peut espérer récupérer, c’est l’avance qu’on lui a promise quand elle a remplacé Mama Michelle, mais qu’on ne lui a bien sûr jamais versée - She believed him - Cette pauvre Jill avale tous les bobards de ces gens-là. Sloan ne parle que de ça dans son autobio. De la façon dont Dunhill a détruit les gens.

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             Totor est fasciné par the Ike & Tina Turner Revue qu’il voit sur scène au Galaxy, un club situé tout près du Whisky, sur Sunset. Quand Totor entre dans la loge pour proposer l’enregistrement d’un single, Tina ne sait même pas qui il est. Ike accepte la proposition et Totor pose une condition : pas d’Ike en studio. Juste Tina. Pourtant Ike assistera à la session de Tina, en restant dans un coin. Et ce qu’il entend, c’est-à-dire la musique de «River Deep Mountain High» le laisse sans voix, pour la première fois de sa vie, nous dit Selvin. Totor fait chanter Tina again and again. Les heures passent et au cœur de la nuit, Tina demande qu’on baisse les lumières et elle enlève son chemiser pour se mettre à l’aise, elle dégouline de sueur. Quand épuisée, elle quitte le studio, elle ne sait pas nous dit Selvin qu’elle a donné à Totor ce qu’il désirait. Selvin ajoute que Totor a dépensé pour cet enregistrement an astronomical $20,000. À la fin de l’enregistrement, Totor et Jack Nitzsche se regardent et sourient - They knew they had wrung the greatest possible glory out of the sound they had been chasing. Ça avait été une quête extraordinaire. Mais après ça, ils savaient tous les deux that there was nowhere left to go - On ne pouvait pas aller plus loin. «River Deep Mountain High» est en effet l’un des sommets de la pop américaine.

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             En 1966, Kim revient à Londres. Derek Taylor, l’ex agent de presse des Beatles qui s’est installé en Californie s’occupe désormais des Beach Boys. Il envoie Bruce Johnston à Londres avec deux acetates de Pet Sounds. Il nomme Bruce ambassadeur et le charge de faire écouter Pet Sounds aux Beatles. Kim vient voir Bruce à son hôtel. Ils sont restés très proches, Kim n’a jamais essayer de le baiser. Bruce sait parfaitement qui est Kim - Johnston knew the real guy - Il est d’ailleurs l’un des seuls à l’apprécier. Kim ramène des tas de gens dans la suite du Waldorf pour écouter Pet Sounds : Dave Clark, Marianne Faithfull et Keith Moon qui est un fan de surf craze. Andrew Loog Oldham amène Jagger qui dit à Bruce : «You’re the one who goes ‘Do-wah’» et Bruce lui répond : «No. I’m the one who goes ‘Wah-do’». Tu parles à Bruce Johnston, mon gars, alors baisse d’un ton.

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             Selvin referme cette California Saga avec «Good Vibrations». L’enregistrement a duré sept mois, 22 sessions et a coûté an astronomical $50,000. À la fin de la dernière session, Bruce Johnston s’exclame : «Soit on aura le plus grand hit du monde, soit c’est la fin des Beach Boys.» Il y eut entre six et dix versions finales, avant que Brian ne décide quelle était la bonne. En 1966, «Good Vibrations» se vend à 100 000 exemplaires par jour. C’est le plus gros hit des Beach Boys. Brian rêvait d’un chef d’œuvre, et son rêve devenait réalité.

    Signé : Cazengler, Joël Selfi

    Joel Selvin. Hollywood Eden. House Of Anansi Press Inc. 2021

     

     

    Le marasme de Marah

     

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             On les croyait disparus et voilà qu’ils réapparaissent. Oh pas grand chose, juste une petite interview logée dans les dernières pages d’un récent numéro de Classic Rock.

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             Paru en l’an 2000, un album intitulé Kids In Philly avait établi la légende de Marah. Les frères Bielanko entraient alors dans la cour des grands. Quand Serge Bielanko quitta le groupe en 2008, ce fut la fin des haricots. Mais heureusement, les deux frères viennent de reformer le groupe. C’est à peu près la seule info qui ressort de cette interview. On appelle ça un marasme.

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             Leur premier album date de 1998 et s’appelle Let’s Cut The Crap And Hook Up Later On Tonight. C’est un big one. Ces petits mecs originaires de la Nouvelle Orleans dégagent une énergie de tous les diables, avec un son tellement plein, ils ont même les trompettes de la Nouvelle Orleans dans «Fever». Il semble que ces mecs aient toute l’artistry chevillée au corps. «Formula Cola Dollar Draft» rafle bien la mise, avec les coups d’harp de Serge Bielanko et dans «Phantom Eyes», ils développent du steam power à base de big pounding et de banjo, c’est un cocktail explosif. Back to the Stonsey avec «Firecracker». Ils tapent la meilleure Stonesy de la Nouvelle Orleans, ils sont en plein dans ce son, par les accents, les accords, le swagger, ça sent bon le Keef. «Head On» n’est pas celui des Mary Chain, c’est plus New Orleans, un vrai bordel, bien pulsé du cul, les coups d’harp foutent le feu. Ils tapent leur «Boat» au gospel batch, avec des filles qui arrivent sur le tard et qui gueulent tout ce qu’elles peuvent. Ce bel album s’achève avec un «Limb» attaqué au banjo. Ces petits mecs n’ont plus rien à prouver, l’album devient un must of the crust, c’est plein d’à-valoir, avec ce banjo dans l’oss de l’ass, le power de Marah confine aux affres d’une Stonesy new-orleanique de rêve, d’autant que pour finir, ils sortent les cornemuses, ce que les Stones n’ont jamais osé faire.     

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             C’est en l’an 2000 que paraît l’inestimable Kids In Philly. Inestimable ? Eh oui ! C’est là qu’on trouve «The History Of Where Someone Has Been Killed». Marah sort de sa baignoire et fout une pression terrible, c’est amené au furtif killer call de guitare et ça devient une sorte de gumbo de Stonesy hérissé de power chords de la vieille garde qui ne se rend pas, ça explose comme à Nellcote, Marah claque son beignet avec une classe indécente et un solo d’harp plonge dans la fournaise terminale, just out of it et là tu montes encore d’un cran dans l’extase, ça te swingue l’estomac, ils t’embarquent dans le vacuum de l’astronef, on voit rarement des cuts aussi éblouissants, d’aussi prodigieux suppositoires, Méliès en plein dans l’œil, et ils n’en finissent pas de monter en pression, et puis ça bascule, il faut le savoir, mais ça bascule dans l’extrême power du Valhalla et bien sûr, ça prend feu. Le reste de l’album sent bon la Nouvelle Orleans, avec un son très Southern Breeze de rock («Point Breeze») et un bel hommage au Jackie Wilson de Reet Petite («Christian St») : ils passent en mode heavy Soul et c’est énorme. Ces mecs creusent bien leur terrier, ils chantent à l’accent cassé, leur truc tient la route car bien défini, les flambées sont réelles. Avec «The Catfisherman», ils passent en mode downtown de heavy souche et embarquent à la suite «Round Eye Blues» à l’énergie des movers shakers de la Nouvelle Orleans, alors ça donne un balladif en forme de fantastique énormité. Ils font un gros clin d’œil aux Faces avec «Barstool Boys», on se croirait sur le premier album des Faces, pur jus de fake English, ils sont capables de réveiller les vieux démons de «Mandoline Wind». C’est incroyable comme on se sent bien dans cet album.

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             Alors on navigue d’album en album avec Marah, ce révolutionnaire dont le peuple attend des miracles. Paru en 2002, Float Away With The Friday Night Gods est un album un peu moins spectaculaire que son prédécesseur, mais bon, on en fait ses choux gras. Marah passe par le glam pour imposer sa «Revolution», mais c’est un glam de la Nouvelle Orleans qui sent un peu le cramé. Après le glam voici la power pop avec deux cuts à la queue leuleu, «4 All We Know We’re Dreaming» et «What 2 Bring», mais c’est une power pop en forme de rouleau compresseur, chantée au gusto exemplaire. À ce niveau d’intensité, ça frise le génie. Marah travaille sa pop dans l’épaisseur du lard. Bombardé de burst agressif, le morceau titre sonne comme du Primal Scream et ça donne une espèce de heavy pop confinée dans son contexte. Tout est bardé de son sur cet album, ils visent l’ultimate de l’ultimatum, alors il ne faut pas les embêter. C’est gorgé, trop gorgé. Ça dégorge. Marah tape dans la surenchère révolutionnaire et ça pourrait bien lui coûter la vie. Un peu plus loin, il se grille avec de l’electro, dans sa baignoire, comme Cloclo. Pas malin. Il se grille encore une fois avec «Crying On An Airplane», cette fois avec de la pop FM. Terrible destin pour un orateur aussi doué. Méfie-toi des baignoires. Marah revient aux choses sérieuses dès le deuxième couplet de «Leaving», il revient à ce qu’il sait faire de mieux, le deep inside, chanté à la perpendiculaire d’un big boom bien envoyé, mais pas aussi déterminant que l’History de Kids In Philly. Dans l’interview de Classic Rock, David Bielenko rappelle qu’ils sont allés enregistrer cet album au Pays de Galles avec Owen Morris et qu’ils ont changé de son et pris dit-il trop d’ecstasy.   Par contre, il se dit fier du morceau titre, qu’il présente comme l’une de leurs meilleurs compos.

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             La Seine coule sous le Pont Mirabeau et deux ans plus tard paraît 20,000 Streets Under The Sky. C’est avec cet excellent album qu’il démarre sa période Yep Roc Records, qui, souviens-toi, fut un label de pointe dans les années 2000, avec Alejandro Escovedo, Chuck Prophet, Robyn Hitchcock, The Legendary Shack Shakers, Heavy Trash, John Doe, Dave Alvin et Bob Mould, pour n’en citer que quelques-uns. Trois cuts frappent l’imagination : «Going Thru The Motions», «Tame The Tiger» et «Pigeon Heart». On y retrouve le power de Marah, le beau beat bien épais et le refrain qui monte en mélodie. «Tame The Tiger» pourrait d’ailleurs figurer sur le White Album, car puissant et déterminé à vaincre. Tous les départs de Marah sont solides, sa musicalité reste à toute épreuve, inspirée de la Stonesy et du good time strutting de la Nouvelle Orleans. C’est même assez stupéfiant car développé au hey hey, joué à la clameur, c’est fondu dans le son, comme cuisiné à la poêle. Marah attaque son «Pizzeria» comme Graham Parker, alors ce côté Graham Parker va indisposer beaucoup de gens, mais il faut faire avec. Marah chante ça au larynx râpeux. Il reste dans une vraie démarche, c’est toujours ça de gagné. Avec l’«East» d’ouverture de bal, il fait aussi du Graham Parker. C’est le même son. Il développe encore de fabuleux chevaux vapeur avec «Feather Boa» et reste ancré dans le bon beat parkerisé avec «Sure Thing». L’aventure se termine avec le morceau titre joué à la guitare du paradis. Marah vise la félicité, alors il taille sa route vers le paradis au petit gratté d’ukulélé et aux échos de voix lumineux. Marah tape cette fois dans l’excelsior, il vise la chaleur de la clameur pastorale, dans l’esprit de ce que fit Frank Black avec «Heaven». Bien vu, Marah !

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             Ils sortent deux albums en 2005 : If You Didn’t Laugh, You’d Cry et A Christmas Kind Of Town. Le premier veut le déplacement pour deux raisons : un, «Fat Boy», tapé à l’épaisseur maximaliste, Marah joue à l’énergie pure et le cut décolle, c’est même un vrai raz-de-marée de son et d’harmo. Deux, «Walt Whitman Bridge», car quasi-dylanex, chanté au chuss, avec des gros coups de douze. Le reste de l’album peine à jouir, peut-être trop classique. Marah s’enfonce dans le rock américain des années 2000 avec «The Hustle» et ça pue le MTV. Il ne parvient plus à trancher, ça frise le Costello, pouah, quelle horreur ! Dommage, car les guitares sont belles. Avec ses relents cajuns, «Sooner Or Later» fait dresser l’oreille et «The Dishwater’s Dream» t’envoie rouler dans l’Americana de barrelhouse, good time de tatapoum et d’harmo.

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    Par contre, son Christmas album ne laissera pas de grands souvenirs. On sauve le powerful «Christmas With The Snow». Marah chante le «Silver Bells» à outrance, comme s’il se branlait du Christmas. 

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             L’album de Marah qu’on peut emmener sur l’île déserte est le fameux Sooner Or Later In Spain paru en 2006. Yep Roc propose un mini-album et un gigantesque DVD : Marah sur scène en Espagne pour un show interminable et fascinant. Bon le seul petit reproche qu’on peut faire à David Bielanko est de sonner un peu trop comme Graham Parker. Il est donc préférable de voir le concert. On y assiste à la spectaculaire attaque des trois guitares, c’est-à-dire les deux frères Bielanko et le jeune Adam Garbinski, cette espèce de Gavroche qui joue en embuscade sur la droite. Il gratte une demi-caisse Gibson noire assez bas sur les cuisses et il allume tous les cuts un par un avec des incursions intestines dignes de celles de Johnny Thunders. C’est vraiment dommage que David Bielkanko force son chant et donc sa présence. Ils amènent «Pigeon Heart» au gratté sauvage d’acou avec un Serge à l’harp et c’est excellent. Première alerte à la bombe avec l’énorme «Round Eye Blues» et ses coups d’harp à la Dylan. C’est le Marah Power en plein, avec cette capacité qu’ils ont de monter là-haut sur la montagne ! Ils récidivent plus loin avec une fantastique version de «Sooner Or Later», un cut de Stonesy amené par le petit Gavroche fouteur de feu. En plus, il est toujours en train de se marrer, il est tellement content de jouer dans ce groupe ! Ces mecs ont le son et les chansons. On voit aussi avec «Pizzeria» qu’ils ont une façon extraordinaire de retomber chaque fois dans une sorte de Stonesy à leur sauce. L’une de leurs rares covers est l’«On The Road Again» de Willie Nelson que Dave qualifie de the greatest song I heard in my life. Ils font encore des merveilles avec «Point Breeze» et «The Hustle» et nouveau point chaud avec «Reservation Girl», attaqué aux trois guitares. Ils terminent avec la pure Stonesy d’«History Where Someone As Been Killed» et les coups d’harp de Serge, c’est cisaillé au beat de Charlie et aux cocotes à la Keef. Dans les bonus, ils tapent en plus une fascinante cover du «Debris» de Plonk Lane. 

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              Marah opère un gigantesque retour aux affaires révolutionnaires avec Angels Of Destruction. Boom et même trois fois boom dès le «Coughing Up Blood» d’ouverture de bal - I’m a coming/ I’m a flesh - les guitares slinguent dans l’épaisseur du lard et ça grouille de clameurs viscérales, c’est même incendié aux guitares de blues, ça cavale par dessus les toits. Ouf, le grand Marah est enfin de retour. Ça continue sur la même lancée avec «Old Time Tickin’ Away», bien up-tempé au chant d’attaque frontale, Marah maximalise à nouveau, il rue non pas dans les brancards mais dans sa baignoire. Demented ! Il génère une sorte de power demented, et ce, bien avant l’arrivée de Charlotte Corday. Il attaque «Angels On A Passing Train» aux guitares du désert, alors on se prosterne. Même chose devant «Wild West Love Song», Marah le prend au wild singing, et derrière un fou bat le beurre. Il bourre son album comme une dinde, son «Santos De Madera» sonne très Hold Steady, il chante en poupe, très débridé, un brin raw, une vraie voix, mais il faut que ça plaise, il chante son la la la la à la bonne franquette et un accordéon se faufile dans le son. On retrouve le big bass drum de la Nouvelle Orleans dans le morceau titre. Marah charge sa chaudière, awite, il fait du story-telling de love you so much, un heavy mid-tempo infesté de relents de Stonesy, et rehaussé d’un final explosif zébré de petites griffures de slide. C’est tellement bien foutu qu’on en bave. Et ça continue avec l’excellent «Can’t Take It With You», Marah se fond dans le groove du shadow, avec toute la démesure de la Nouvelle Orleans, ses trompettes et un son chargé d’histoire, les voilà de retour dans leur univers magique avec du piano et du good timing, effarant ! Et cette voix qui flûte à la surface du voile à pleine clos ! Et ces trompettes qui sonnent dans tous les coins. Extase garantie. 

             C’est juste après cet album que Marah splitte.

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             David Bielanko renaît de ses cendres en 2010 pour enregistrer un fantastique album solo, Life Is A Problem. Il attaque ça à la Stonesy, il est en plein dans l’esprit des heavy balladifs de Keef, avec ses yeux de poisson frit, oui, c’est exactement la même ampleur. On se régale aussi du morceau titre. Quelle épaisseur de son ! Ce mec se donne les moyens de la grosse prod avec des infra-basses dans les descentes de couplets. On entend même les castagnettes de Totor dans l’écho du temps, c’est très spectaculaire. Il vise l’over the rainbow et il a raison. Et petite cerise sur le gâtö, il ramène une énorme guitare en pleine apothéose. Ce petit mec a tout compris. Par contre, la B retombe comme un soufflé. Le seul cut qui ne laisse pas indifférent s’appelle «Tramp Art», sans doute à cause de son côté très lennonien.

    Signé : Cazengler, Marat d’égout

    Marah. Let’s Cut The Crap And Hook Up Later On Tonight. Black Dog Records 1998

    Marah. Kids In Philly. E-Squared 2000

    Marah. Float Away With The Friday Night Gods. E-Squared 2002

    Marah. 20,000 Streets Under The Sky. Yep Roc Records 2004

    Marah. If You Didn’t Laugh, You’d Cry. Yep Roc Records 2005

    Marah. A Christmas Kind Of Town. Yep Roc Records 2005

    Marah. Sooner Or Later In Spain. Yep Roc Records 2006    

    Marah. Angels Of Destruction. Yep Roc Records 2008   

    Marah. Life Is A Problem. Valley Farm Songs 2010

    Interview dans Classic Rock #236 - June 2017

     

     

    L’avenir du rock - Delgrès, ça dégraisse

     

             L’avenir du rock tourne en rond dans le désert depuis des mois, peut-être même des années. Il a croisé Lawrence d’Arabie plusieurs fois, toujours drapé de blanc et élégamment perché sur son dromadaire. Il a même vu passer au loin quatre nègres athlétiques transportant au petit trot un homme blanc sur un brancard. Sans doute Rimbaud, mais l’avenir du rock ne se sentait pas le courage de leur courir après pour réclamer un autographe. La situation était déjà bien assez incongrue, il n’était donc pas souhaitable d’en rajouter. Plus par nécessité que par goût, il a appris à se nourrir de petits cailloux, ce qui lui permet de pondre des œufs qu’il fait cuire dans le casque viking que lui a offert Richard Burton. Dans ce genre de situation, on devient extrêmement créatif. L’avenir du rock se dit souvent que s’il était roi, il donnerait son royaume en échange d’une paire de lunettes de soleil. Mais il doit bien se rendre à l’évidence. Pas de plus beau symbole de l’évidence que ce désert. Il a perdu depuis longtemps tout espoir de rejoindre la civilisation. Pour retourner la situation à son avantage, il se dit qu’il se passe très bien de cette fucking civilisation. Et comme il sent que par la force des choses, il devient philosophe et même diogéniste, il en profite pour étayer sa vieille haine du matérialisme. N’importe qui à sa place en ferait autant, mais il n’existe rien de tel que les situations extrêmes pour passer à l’acte. Il éprouve donc une sorte d’immense fierté à errer dans le désert sans carte bleue, sans smartphone, sans compte en banque, sans bagnole, sans piscine, sans grosse épouse. Ému aux larmes, il pense à Peter Green et à Peter Tork qui, de leur vivant, distribuèrent aux pauvres tout ce qu’ils possédaient. Son délire l’entraîne toujours plus loin. Sous le casque Viking, sa cervelle entre en ébullition. Il pousse encore plus loin la logique du dénuement. Voilà qu’il se met à rêver de devenir esclave ! C’est à ses yeux le dénuement ultime. Il ne reste rien, même pas la liberté. Avec un peu de chance, il va croiser une caravane de trafiquants d’esclaves, on l’enchaînera, on le jettera dans la soute d’un navire en partance pour la Guadeloupe et Louis Delgrès viendra le délivrer. 

     

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             D’un Delgrès l’autre dirait Céline en parlant de châteaux. Grâce au trio Delgrès, on apprend qui est Louis Delgrès, l’abolitionniste du XVIIIe siècle qui, comme Toussaint Louverture, fut ratatiné par Napoléon. Tu trouveras tout le détail de ces deux abominables affaires sur wiki. C’est un nom qui revient dans l’actualité, grâce au guadeloupéen Pascal Danaë qui a baptisé son trio de blues moderne du nom de Delgrès, histoire de saluer la mémoire de cet héroïque militant de l’abolitionnisme. Jusques là tout va bien.

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             Et comme toujours, les petits concours de circonstances font les grandes rivières. Première chose : privé de concerts depuis deux ans, on finit par céder à la tentation d’aller voir n’importe quoi. Deuxième chose, le programmateur compare Delgrès à John Lee Hooker, ce qui semble complètement grotesque, mais sait-on jamais ? Et troisième chose, un bon ami qui est aussi excellent bluesman annonce qu’il va les voir en concert. Dernière chose, on jette un œil sur Discogs qui nous dit : «French creole blues band». Curieux mélange. Hooky créole ? Cas d’école. C’est donc avec une certaine appréhension qu’on y va. Et pour couronner le tout, le concert est prévu dans la grande salle, lieu de toutes les dérives festives, ce qui n’est pas bon signe. On y a vu Lee Fields couler son show en voulant faire chanter la salle. Il n’avait pas compris que les salles de spectacles normandes ne sont pas des églises en bois du Mississippi.

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             Sur scène, ils sont trois : le déjà cité Pascal Danaë (chant et guitare), Rafgee (Sousaphone) et Baptiste Brondy (beurre). Fantastiquement présent, Pascal Danaë affiche un look de Black Panther, béret, lunettes noires et le poing souvent levé, ce qui le rend éminemment sympathique. Ce genre de mec nous manque, en cette époque de désengagement politique. On respirait mieux au temps des radicaux et de la lutte des classes. En plus, il a les chansons qui vont avec. Le militantisme de Delgrès n’est pas de la frime, même si, comme on va le voir, il bascule parfois dans la grosse daube festive. Il a de la matière et il n’hésite pas à rappeler que les choses n’ont pas trop changé depuis le temps où on réduisait les nègres en esclavage. Il veut dire bien sûr que le racisme est resté exactement le même. Le blanc dégénéré n’a pas évolué d’un seul millimètre. C’est même étonnant que Pascal Danaë ait du succès avec un look pareil et des textes aussi revanchards. Il ne tombe pas dans le panneau des rappers américains et du Kill the cops, il s’arrange pour que ses messages passent, et ça a l’air de marcher, car les gens connaissent les textes de ses chansons.

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             Il est plutôt bien accompagné. Le mec au sousaphone fait un boulot énorme. Au Méridien, Vigon avait lui aussi opté pour un sousaphone à la place de la basse. Ça donne des basses très primitives mais d’une puissance folle. Un son très New Orleans. Par contre, le mec au beurre frappe comme un sourd. Il amène de la vitalité, mais peut-être un peu trop, car Pascal Danaë flirte parfois avec le groove des Caraïbes, qui nécessiterait plus un fouetté léger de peaux des fesses qu’un drumbeat à la Bonham. Oui car le bonhomme sait Bonhamer au boum badaboum, comme le montre son édifiant solo de batterie.

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             Et le blues dans tout ça ? Oh pas grand chose, Pascal Danaë tape un ou deux cuts de blues dans la première partie du set, notamment «4 Ed Maten», c’est bien foutu, il joue avec les doigts, pas de médiator, et il n’hésite pas à sortir le bottleneck pour claquer des notes bien senties. Comme la frappe est lourde, le blues vire au stomp. Mais on sent parfois chez lui des velléités à vouloir sonner comme Junior Kimbrough. C’est dans sa diction, le côté créole remonte dans le chant et donne à ses cuts un violent parfum d’exotisme. 

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             Mais quand il veut faire du participatif et lancer une bacchanale en demandant à la foule de chanter à sa place, ça dégénère, ça tourne à la fête populaire, le blues n’est pas fait pour ça. On se retrouve soudain dans une fucking émission de variété à la télé. Artistiquement, c’est d’une nullité crasse. Tout ce qui faisait le charme du trio vole en éclat. Mais heureusement, ils vont revenir à de meilleurs sentiments. Il faut dire que Pascal Danaë est un fabuleux showman.   

             Et puis il y a ces stormers mirifiques que sont «L’école» (propulsé par le sousaphone) et «Lanme la» monté sur un beau beat rockab créolisé et infiniment crédible. Ils sont capables de miracles. Pascal Danaë ramène dans son set toute l’Africanité du blues.

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             On retrouve «L’école» sur le deuxième album du groupe, 4 Ed Maten, c’est-à-dire quatre heures du matin. La version studio de «L’école» n’a pas du tout le même power que la version live, mais ça reste un véritable coup de génie. Il chante ça en créole - Ma maman di mwen fo ou travayé lékol/ Ma maman di mwen fo ou respecté lékol - S’il faut rapatrier l’album, c’est surtout pour se goinfrer de cette merveille. Et sur scène, le sousaphone fait virevolter les relances de ce groove du diable. C’est le real deal, un blast exotique qui te réconcilie avec la vie d’une part, et qui t’ouvre au monde d’autre part. Il a aussi des chansons d’esclaves assez extraordinaires, comme ce «Libere Mwen Chorale», ou encore «Lese Mwen Ale», c’est-à-dire laisse-moi aller, et il en profite pour passer un killer solo flash, car de ce côté-là, il n’est pas manchot. La plus belle chanson d’esclave est «La Penn», il évoque les chaînes du port de la Rochelle, on ne peut pas imaginer tout ce que ces pauvres nègres ont pu endurer à cette époque - Dans le port de la Rochelle/ J’ai brisé mes chaînes/ Cent jours de mer/ Et je ne sais plus très bien/ Cent jours de mer/ Et je ne comprends plus rien - Pascal Danaë adresse un gros clin d’œil aux familles d’armateurs qui à l’époque se sont enrichies grâce à la traite des noirs. Tout le blues de l’album se trouve rassemblé dans le morceau titre d’ouverture de bal. Pascal Danaë l’amène au heavy doom d’Hooky mais c’est vite stompé par big Baptiste. Pascal Danaë ramène du créole dans le maelström. Dommage qu’on entende moins le sousaphone. Il est un peu éloigné dans le son. Puis ça va commencer à se dégrader avec des cuts comme «Aleas» et «Se Mo La», plus putassiers. «Assez Assez» flirte avec la calypso. Si tu ne piges pas le créole, t’es baisé. On perd le blues et le sousaphone. «Lundi Mardi Mercredi» est amené au stomp, mais c’est un stomp qui ne fait pas rêver. «Just Vote For Me» est tellement saturé de son qu’on perd le chant.

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             Leur premier album s’appelle Mo Jodi et donne à peu près le même résultat, c’est-à-dire un mix de cuts géniaux et de choses beaucoup plus faibles. Sur la pochette, Pascal Danaë affiche clairement son look Black Panther et il attaque avec «Respecte Nou», un heavy boogie revanchard - Fo sa sésé - Il a raison, faut qu’ça cesse, fuck les coloniaux. Son slogan est porté par le meilleur boogie blast de métropole. L’autre énormité de l’album s’appelle «Can’t Let You Go». Il l’amène au blues créole et renoue avec l’Africanité du blues et là tu entends le sousaphone pouetter dans le gut du groove. Dommage qu’ils ne remplissent pas leurs albums de cuts de cet acabit d’Aqaba, comme dirait Lawrence d’Arabie, que vient de voir passer encore une fois l’avenir du rock. Pascal Danaë ramène encore des tonnes de groove dans «Anko», oh no, il développe avec ses deux amis une fantastique énergie.  Sa musique te redonne du cœur au ventre. Retour à la chanson d’esclave avec «Ramene Mwen», il demande simplement à ce qu’on le ramène chez lui en Afrique. Pascal Danaë truffe encore son morceau titre d’éléments de la lutte, ça te donne une espèce de groove surnaturel noyé dans les clameurs de la révolte. Mais pas de blues dans cet album. C’est autre chose. John Lee Hooker ? Tintin. 

             Ce texte est pour Karim qui, à la différence du programmateur, sait qui est John Lee Hooker.

    Signé : Cazengler, Delgras du bide

    Delgrès. Le 106. Rouen (76). 25 mars 2022

    Delgrès. Mo Jodi. Pias 2018

    Delgrès. 4 Ed Maten. Pias 2021

     

     

    Inside the goldmine

     - Go Goldie go ! (Part One)

     

             Toutes celles et ceux qui fréquentèrent jadis Monsieur Goldy, alias Monsieur la Saucisse, en conservent un excellent souvenir. Bonne pâte, il se prêtait à toutes les configurations sociétales pourvu qu’on respectât scrupuleusement sa liberté d’agir et de s’exprimer. De ce point de vue, il savait se montrer intraitable et créait chaque fois une unanimité sans appel. Bon nombre de ceux qui le connurent de son vivant jalousaient sa force de caractère, et plus encore sa fantaisie. On aurait juré qu’il n’existait pas sur cette terre de créature plus lunatique que Monsieur Goldy. Il avait dans le regard cet éclat mélancolique qui rappelait Buster Keaton, il se coiffait comme Tintin et l’analogie allait loin car sa principale admiratrice disait de lui qu’il portait des culottes de golf. Mais il ne prêtait guère l’oreille aux commentaires, seule l’intéressait la découverte de l’univers, il en était insatiable, sa curiosité dépassait l’entendement. Il s’intéressait à tout, au moindre chemin de forêt, à la moindre ruelle de faubourg, aux déserts comme aux montagnes, il sillonnait les brousses comme les plages immenses, il traversait des fleuves à la nage en plein hiver, il sautait du haut des falaises sans jamais craindre de se tordre les pieds, il prenait tellement de risques qu’il fallait parfois voler à son secours, comme le jour où tombé dans la retenue d’une écluse, il s’englua dans un amoncellement de détritus flottants et faillit bien s’y noyer. Il fallut le repêcher, et n’importe qui à sa place aurait eu honte, pas lui, surtout pas lui. La fierté mal placée ? Laissez-nous rire ! Et puis un jour, alors que nous arpentions une berge sauvage, Monsieur Goldy mit les bouts. Il fila à la poursuite d’une poule et jamais ne reparût. On fit des recherches qui ne donnèrent aucun résultat. Depuis, le mystère s’est épaissi car les habitants de cette région maudite racontent que certaines nuits de pleine lune, une silhouette étrange traverse le petit pont de pierre qui enjambe la source. Il s’agit disent-ils d’une sorte de Tintin à quatre pattes en culottes de golf.

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             Pendant que le fantôme de Monsieur Goldy traverse le petit pont de pierre, Goldie traverse les décennies. Ace et Shindig! braquent enfin le projecteur sur Goldie & The Gingerbreads, avec une compile atomique d’un côté (Thinking About The Good Times. Complete Recordings 1961-1966), et six pages de l’autre.

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             D’un côté, Goldie raconte toute l’histoire à Alec Palao, et de l’autre, elle la re-raconte à Jeff Penczak. D’origine polonaise, Genyusha Zelkowicz tire son surnom Goldie de Goldilocks & the Three Bears. Lors d’un concert de Mickey Lee Lane dans un club new-yorkais elle fait une sacrée découverte : c’est une petite gonzesse qui accompagne Mickey à la batterie ! Elle s’appelle Virginia Gingerbread Panebianco. Sa famille italienne la voyait mariée avec des gosses. Pas question, fuck it, Virginia les a envoyés sur les roses et elle s’est barrée. En fugue ! On the run ! Entre Goldie et Virginia, c’est le coup de foudre : let’s start a band ! Le nom est tout trouvé : Goldie & the Gingerbreads. Elles repèrent Margo Croccito qui joue de l’Hammond B3 dans un cocktail lounge. Woah, c’est le coup de foudre ! Aussitôt embauchée ! La grande force du gang de Goldie, c’est qu’elles jouent de leurs instruments, elles sont les premières à se débrouiller seules - We were punks who played sleazy bars - Elles jouent dans les bars new-yorkais des early sixties qui appartiennent à la mafia et Sonny Franzese devient leur manager - They owed everything, honey, they were the mob - En juillet 63, Franzese les colle à l’affiche du Copa Room, au Sands Hotel de Las Vegas tenu par Robert de Niro. Elles passent en première partie de Paul Anka. Comme Margo est une crack et qu’elle joue les lignes de basse sur l’orgue, elles n’ont pas besoin de bassiste. Elles finissent par trouver enfin la guitariste de leurs rêves, Carol MacDonald, qui accompagnait Herbert Khaury, c’est-à-dire le futur Tiny Tim. Woah ! C’est le coup de foudre ! Elles tournent en Europe avec Chubby Checker et se payent des black leather suits en Allemagne. Elles signent leur premier contrat avec Florence Greenberg, la boss de Scepter, label des Shirelles et de Dionne Warwick. Elles sortent un remake du «Skinny Mimmie» de Bill Haley produit par Stan, le fils de Florence. On trouve bien sûr ce «Skinny Vinnie» sur la compile.

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             Les Animals sont à New York en 1964 et un soir, Eric Burdon, Hilton Valentine et Chas Chandler se baladent. En passant devant un club, ils entendent le son d’un groupe. Woah ! Ils entrent et croyant voir des blacks, ils tombent sur Goldie & the Gingerbreads - White chicks ! - Coup de foudre ! Leur manager Mike Jeffery vient ensuite proposer aux filles une tournée en Angleterre et un contrat chez Decca. Et ça continue de s’emballer : Ahmet Ertegun les veut sur Atlantic, Bob Crewe les fait jouer dans une soirée privée. C’est là que Keith Richards les découvre à son tour. Woah ! Coup de foudre ! Elles partent en Angleterre et c’est Alan Price qui est supposé les produire, mais Goldie dit que non (en studio, il y avait Eric Burdon et Chas Chandler). Quand Jeffery leur impose d’enregistrer «Can’t You Hear My Heartbeat», Goldie l’envoie promener. Mais l’autre insiste. Et quand Chas dit à Goldie qu’elle doit chanter ça au sucre comme les Supremes, Goldie l’envoie aussi promener - You think about the Supremes. I’m thinking about Ray Charles ! - Seulement, Jeffery a raison, «Can’t You Hear My Heartbeat» est un hit en Angleterre, même si le cut n’est pas représentatif de leur style. Mais aux États-Unis, elles se font baiser par les Herman’s Hermits qui en sortent leur version. Goldie est furieuse de voir ces branleurs la doubler. Comme elles ont du caractère, les Gingerbreads finissent par enregistrer les covers de leur choix : «What Kind Of Man Are You» de Ray Charles, «Sailor Boy» de Gerry Goffin et «Look For My Baby» de Ray Davies. Pour Goldie, c’est l’occasion de bosser avec Shel Talmy qui à ce moment-là produisait les Kinks. On retrouve ces trois merveilles sur la compile Ace. Elles font de «What Kind Of Man Are You» un groove extraordinaire de let you go, monté sur un shuffle d’orgue à l’anglaise et Goldie le chante à la revancharde. Le «Sailor Boy» est monté aux clap-hands et Goldie le chante au sucre candy. Ah comme elle est bonne ! Elles groovent aussi le «Look For My Baby» de façon admirable. Elles sont diaboliques.

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             On trouve d’autres cuts produits par Shel Talmy, comme «Please Please», un fast boogie emmené ventre à terre. Elles sont dessus, c’est violent et beau à la fois. Ou encore «I See You’ve Come Again» que Goldie chante à la force du poignet. Et puis «Sporting Life», ce fantastique slow-groove repris en France par Ronnie Bird - Ma vie s’enfuit ! - Goldie et Ronnie même combat ! C’est aussi définitif que le «Stay With Me» de Sharon Tandy. Shel Talmy produit aussi «Margo’s Groove», un fantastique shuffle d’orgue du Swingin’ London. Elles sont aussi balèzes que le Graham Bond ORGANization. On reste en studio avec Shel Talmy pour «85 Westbourne Terrace» (l’adresse de leur appart à Londres) que Margo embarque à l’orgue et là tu as tout : Margo, son shuffle, et Ginger Bianco qui bat le beurre. Avec «That’s Why I Love You», elles sont en concurrence directe avec les Shangri-Las. Voilà pour le power stuff des Talmy sessions.

             Et puis le coup de génie de Goldie & The Gingerbreads est le «Think About The Good Times» qui donne son titre à la compile. Elles ont le feu au cul. Elles sonnent comme des blacks, Goldie jive comme une reine du Bronx. Le «Little Boy» que produisent les Animals est un aussi un smash in the face, elle y va la Goldie, elle se lance dans la bataille à coups de no no no, elle écrase ses no no du talon et elle resurgit dans le son comme un saumon de l’Hudson river.

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             Palao revient longuement sur ce qui fait la spécificité des Gingerbreads : Ginger Bianco fourbit le solid beat, Margo fourbit le groove, «peppering it with jazz & R&B licks, both sophisticated and visceral». Carol «sat perfectly in the pocket» et il parle enfin de Goldie Zelkowitz (encore une autre orthographe) en termes de «no-nonsense self-styled broad» et de «raw and guenine soul». Palao les qualifie de «great and versatile combo», pouvant passer de l’«intimate gossip of the classic NYC girl groups» au «R&B punch of the British Mod scene». Il parle d’un éventail extrêmement large. Il dit aussi - et il a raison - qu’il n’existe pas beaucoup de groupes aussi fascinants que Goldie & The Gingerbreads. Après une courte introduction, Palao donne la parole aux filles qui racontent leur histoire, au long des 40 pages du booklet. Goldie redevient Genya et raconte comment elle a grandi en écoutant les blacks : LaVern Baker, Little Richard et Bo Diddley. Elle trouvait Elvis trop blanc.

             Elles tournent pas mal en Europe, jouent bien sûr au Star Club de Hambourg et en première partie des Animals à l’Olympia. Elles participent à toutes les grandes tournées anglaises, au package tour des Stones, puis des Kinks et des Yardbirds, puis des Walker Brothers et des Hollies. Aux États-Unis, Ahmet Ertegun distribue leurs singles et «What Kind Of Man Are You» fait des ravages.

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             Manque de pot, Goldie fait un abcès et le groupe s’arrête bêtement. Goldie part de son côté et les trois autres du leur. Ginger reste inconsolable : «J’ai essayé de me réconcilier avec cette histoire pendant longtemps. Goldie arrivant de Pologne, moi la petite fugueuse italienne, et notre rencontre at Trude Heller’s... Ça ferait un sacré film. À cette époque, on pouvait se permettre de rêver, même avec tous les problèmes qu’on se tapait, c’était stimulant. Chaque jour, quelque chose pouvait se produire.» Genya ajoute : «I had the best learning in the world, being on the road with my girls.» 

             Goldie va devenir Genya Ravan et connaître son heure de gloire avec Ten Wheel Drive. Un bon gros Part Two te donnera tous les détails de cette fascinante histoire.

    Signé : Cazengler, Goldmichet

    Goldie & The Gingerbreads. Thinking About The Good Times. Complete Recordings 1961-1966. Ace Records 2021

    Jeff Penczak : Good Time Girls. Shindig! # 117 - July 2021

     

    *

    Voici près de dix ans l’était trop tard, pas pour le Juke Joints Band, hélas pour moi, le concert qu’annonçait l’affiche collée sur la vitrine d’un commerçant était passé depuis une semaine. Dessus y avait ce gars le dos affessé ( ne lisez pas affaissé ) sur son tabouret de pythie delphique et  l’autre décalé sur l’image, debout les bras levés à la manière des officiants du vaudou, bref cette affichette puait à pleine vue le blues. Depuis Big Mama Thornton dans tout rocker, sommeille un fameux hound dog, certes un sacré bâtard, mais quand il pose le museau sur une piste il ne la lâche plus… quelques semaines plus tard dans un troquet perdu de l’Ariège je retrouvais mes deux lascars en l’occurrence Ben Jaccobacci et Chris Papin…

    Depuis les kr’tntreaders ont ainsi pu lire la relation d’une dizaine de concerts du Juke Joints Band ainsi que la chronique de leurs trop rares enregistrements. A eux deux Chris Papin et Ben Jaccobacci forment le noyau originel du JJB, depuis deux ans la formation s’est étoffée, z’ont ‘’profité’’ de la période confinatoire pour enregistrer un nouveau CD, une petite merveille bleue.

    BACK ON THE STREET

    JUKE JOINTS BAND

    ( Disponible sur Bandcamp)

    Michel Teulet : basse / Rosendo Frances : batterie / Chris Papin : chant / Ben Jaccobacci : guitare.

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     Back on the street : remettez dix fois l’intro pour y croire, le Rosendo l’a une frappe proustienne, un côté de chez Swann et un côté des Guermantes, je traduis, un côté lourd qui plombe , un côté léger presque volatile, un appui rhythm and blues, et un arrière-goût jazz, la basse qui swingue et la guitare qui râpe, normalement cela suffit pour être heureux mais voici que s’infiltre la voix de Chris, une peau de serpent que l’on greffe sur un grand brûlé, ça pique un peu c’est Ben qui appuie sur la sonnette du crotale, mais la compresse ouatée de la basse de Michel vous requinquerait un mort, très fort, un shuffle qui dandine fort joliment, maintenant Ben vous pousse dans les orties d’un solo urticant, à la reprise le vocal de Chris évoque l’aisance de la  démarche  d’Arsène Lupin se dirigeant vers les lingots d’un coffre-fort ouvert. Un gros défaut, ce morceau est trop court. Si on s’écoutait l’on n’écouterait pas les suivants. Broke : ce qui serait une erreur. Un frère jumeau. Pas identique toutefois, pas un monozygote, pourtant il gigote méchamment. L’est sûr que lorsqu’un groupe a le son, il vaut mieux qu’il le garde. Toujours ce shuffle mais ce coup-ci, il boite un peu du côté gauche, l’a la démarche de Lord Byron, Rosendo vous imite d’un tapement sec le pied bot de l’auteur du Don Juan, on l’attend toujours et quand il tombe il se permet de vous surprendre, un peu de la faute de la basse de Michel Teulet qui vous nappe l’asymétrie rythmique d’une rondeur sucrée qui détourne votre attention. La guitare de Ben klaxonne de belle manière, en douce, elle creuse sa tranchée dans vos synapses sans que vous y fassiez gaffe, oui mais si vous n’entendez pas le break de Rosendo et le salmigondis de la guitare qui suit, c’est que vous êtes mort. Pas d’inquiétude la vocal de Chris vous réveillera, ce n’est pas qu’il crie, au contraire se fond dans l’instrumentation des trois mousquetaires, en épouse toutes les formes, le pinceau qui suit les volutes de fer forgé de la grille d’entrée et les recouvre d’or pur. Guts of the city : attention, l’on change de style, si sur les deux premiers morceaux on ne pouvait s’empêcher de penser à  cette marmelade des Stones de la grand époque si parfaite, refermée sur elle-même comme une pierre précieuse pelotonnée en sa perfection, indétrônable en sa beauté, ici le son est plus âpre, la voix de Chris coupante comme une bagarre au couteau dans un bouge du Delta, alors derrière lui ça groove et poinçonne un max, le Teulet l’air de rien touine la basse en sourdine, médite le coup fatal, Rosendo distribue les horions, le Ben se sert de sa cafetière électrique comme d’un bowie-kniffe et vous étire les entrailles du solo hors du bide sur le plancher,  pas de quoi s’affoler, continuent encore à se battre, doivent y prendre du plaisir. Nous aussi. You’re good for nothing but love : le genre de titre qui doit enchanter les ligues féministes, nous on adore, la guitare de Ben fait le gros dos comme un chat qui se réveille, après quoi elle miaule tout azimut comme un chien de chasse qui jappe car il a senti une caille dans les parages. Le Chris prend son pied, et les trois camarades le soutiennent de toutes leurs forces et ne boudent pas leur plaisir. Un joyeux boxon généralisé. Un truc érectile à vous faire monter la moutarde spermatique jusqu’au plafond. En plus ils font durer le plaisir. Qu’y s’en plaindrait ? Jouissif. Burning love blues : remettent le couvert sous les couvertures. C’est parti pour le good trip. Tous ensemble. Un blues épais comme de la crème. Rosendo : pour maintenir le package par-dessous, Ben : dont la guitare joue à l’épine dorsale par-dessus. Entre ces deux morceaux de pain au levain la basse de Michel barate le beurre à s’en enduire la rate, et le Chris vous rajoute le blues de poulet, chacun y mord dedans à pleine bouchée, directement des producteurs aux consommateurs, le blues en auto-suffisance, pourrait durer toute la nuit et le jour d’après, z’ont dû le concocter pour le live, le morceau qui emporte le public et le fait tanguer en pleine mer à la manière des moutons de Panurge. Hey hey hey hey : le morceau précédent c’était du tout cuit, le riff ensorcelant, le long Kaa qui tout petit vous fascinait, alors maintenant c’est du tout cru. La même chose avec des arêtes. De poison. Un départ pratiquement en douceur, ça rebondit à la manière d’un ballon de basket, le Rosendo rondement, gardez une oreille sur les cordes, la basse qui vous étire la guimauve si collante que vous ne pouvez pas vous en défaire, mais il y a la lead sur l’autre piste, au début elle ne se fait pas remarquer, c’est après qu’arrivent les lancettes, un cactus qui joue à la sarbacane avec ses piquants, vous transforme en porc-épic le temps d’un solo, sur ce le Teulet vous appuie dessus avec le dos de la cuillère pour que vous sentiez encore plus la morsure du blues. C’est lorsque Chris s’arrête de chanter à la fin, que vous prenez conscience de son rôle délétère. S’est joué de vous. Vous a mené en plein dans le piège. L’apparaît de plus en plus dans ce carré d’as qu’il n’y en a pas un pour relever les autres. Unis comme les doigts de la main, mais ce sont les quatre interstices les plus dangereux. Such a mess : un chef-d’œuvre à part entière. La guitare de Ben qui traîne à terre telle un varan des Galapagos, la section rythmique en contre-point et la voix de Chris qui fout le feu partout elle passe, quand elle se tait le Ben en profite pour groover à mort, l’est vite rattrapé par le Chris et c’est la crise, le vocal s’emmêle à la lead en fil de fer barbelé, un duel fratricide en toute amitié, chacun essayant de marcher sur l’autre, une façon de faire mousser le blues à la Howlin, pour vous dire combien c’est prodigieux. Cold cell : les trois derniers morceaux issus d’une séance antérieure.  Une guitare davantage pointue qui pose ses notes comme des points-virgules, puis qui étrille la bouteille du solo avec le goupillon des enterrements, Chris un ton plus bas, un peu à la Ray Charles  graveline le blues à ras de terre, Rosendo qui vous encercle dans la rosace du  rythme, la basse qui se fait la gardienne du temple, et chacun y va de ses variations sur le canevas imposé, une espèce de quadrille maîtrisé à la perfection, comme quoi le blues peut atteindre à la subtilité du jeu de go. Mais les jetons tournés et retournés sont toujours bleus. Trampoline man : z’ont mis de la gazoline dans les instrus, ça ronronne rond sur le circuit, seule la voix de Chris s’amuse à rebondir sur le macadam élastique, pendant ce temps les copains jouent à ralentir le rythme, le maître chanteur est obligé de précipiter un tant soit peu les vocalises pour que l’ensemble garde sa vitesse de croisière. Un jeu dangereux, casse-gueule, dont ils se tirent comme des chefs, nécessite d’incroyables douceurs de toucher sur les cordes. Ici c’est soigné aux petits oignons, ces bulbes bleus qui font couler des larmes de jalousie aux amateurs qui auraient envie d’essayer ces froissés insidieux de dentelles acérées. S’agit de tambouriner non pas les notes mais les espaces qui les séparent. Leave the ground : même style que le précédent. Tout est dans la nuance. Un peu comme ces films dans lesquels il ne se passe rien parce que vous vous focalisez sur les images qui ressemblent à vos mortuaires tendances à l’inertie. Prenez le temps d’écouter, c’est du frisottis, de la barre fixe au-dessus de l’abîme du silence. Du grand art. Du blues qui rampe. Un crocodile qui glisse silencieusement vers vous, seule sa tête affleure, mais c’est un vicieux car il a fermé les yeux. Pour mieux vous dévorer. Les contes bleus de l’alligator perché sont dangereux.

             Si vous aimez le blues ce disque est pour vous. Si vous reprochez au blues actuel de parfois s’éloigner de ses racines ce disque est pour vous. Si vous aimez la modernité inventive, ce disque est pour vous. Si vous préférez le rock, et que vous vous lamentez sur son avenir, ce disque est pour vous. Le Juke Joints Band vient de frapper un grand coup. Retournez la pochette - sur le recto le JJB est fidèle à son image, ne se mettent pas sur la photo – maintenant vous savez comment le blues arrive, sans bruit, sur des boots en peau de serpent…

    Damie Chad.

     

     AUTRE REGARD SUR BOB DYLAN

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    Certaines pochettes de Bob Dylan reproduisent une œuvre peinte de Bob Dylan. Notamment dans la série l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même des self-portraits issus de son pinceau. J’avoue que je n’ai pas ressenti de chocs esthétiques particulièrement violents en les examinant. Ne voulant pas rester sur une impression mitigée, j’ai eu envie d’en voir et d’en savoir plus. Voici quelques éléments récoltés de-ci de-là qui n’entendent en rien épuiser le sujet.

    PREMIERE PÊCHE

    Dès que vous tapez peintures de Bob Dylan sur le net deux sortes d’occurrences vous sautent aux yeux. La première est plutôt flatteuse. Dylan expose depuis des années un peu partout. De Miami à Shangaï. De Londres  à Milan. Jusqu’à deux cents tableaux à la fois. Nous en sommes heureux pour lui. La deuxième est moins sympathique. L’est accusé de plagiat. Diantre que lui reproche-t-on au juste. Recopierait-il la Joconde en faisant croire qu’il s’agit du tableau original dont Vinci se serait inspiré pour son soi-disant chef-d’œuvre. Non c’est pire que cela. Rassurez-vous j’exempte Dylan des accusations qui sont portées à son encontre. Par contre ses détracteurs me semblent n’avoir rien compris à Bob Dylan.

    Ainsi d’aucuns accusent Bobby de se contenter de reproduire sur ses toiles, en format géant, des cartes postales en vente dans le commerce. D’autres lui reprochent d’avoir commis des tableaux qui ne sont que des reproductions de photographies ‘’ artistiques ‘’ qu’ils auraient prises. Résumons, Dylan serait un vulgaire copieur, un pilleur malotru. Dylan ne répond pas, ne se disculpe pas, ne discutaille pas. Le venin de la vipère ne saurait salir la blancheur immaculée de la fourrure du blanc léopard.  Peut-être pense-t-il moins poétiquement, dans sa tête il doit se dire, cause toujours je vais finir par en parler à mes avocats. La vieille et éprouvée technique du pot de fer contre le pot de terre.

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    Même en écoutant les raisons de ses plaignants, je leur donne tort. Dylan agit en peinture comme il agit en musique. Ne s’en est jamais caché. L’a proclamé haut et fort et en public. Ses chansons ne sont pas sorties ex-nihilo de sa tête. Sont très souvent inspirées tant pour  paroles et  musiques que pour les sujets traités, parfois jusqu’aux arrangements, de vieux morceaux de blues, d’antiques country, de séculaires gospels, de folk-songs oubliés depuis des lustres qu’il a retrouvés en fouillant les bibliothèques. Leur apporte sa touche personnelle, se définit comme un passeur, un continuateur. L’a puisé dans le pot commun de la musique populaire américaine. Fait feu de tout bois, un exemple parmi tant d’autres, l’a incorporé le titre Baby blue de Gene Vincent dans le titre de It’s all over now baby blues, un morceau qui chante la fin de l’amour alors que Gene clamait juste le contraire, Well I’ve got a brand new lover… en plus les paroles de Dylan sont bien plus fortes que la bluette de Gene Vincent ce qui ne l’empêche pas d’être un chef-d’œuvre à part entière…

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    L’art, musical et pictural, est un éternel recommencement. On n’apprend pas à dessiner un arbre en se plantant en pleine forêt devant un chêne ou un orme mais en regardant dans un musée comment les devanciers l’ont fait. Ensuite chacun apporte, ou n’apporte pas, sa touche personnelle. Les artistes s’inspirent les uns des autres, de leurs prédécesseurs, de leurs contemporains… Avec plus ou moins de talent. Avec plus ou moins de génie.

    CLASSIFICATION PRIMAIRE

    Avant tout une première constatation. Si l’on peut affirmer que Dylan a dynamité la chanson américaine il n’a pas révolutionné l’art pictural. L’évidence vous saute aux yeux, se classe dans la grande famille des figuratifs. Dans certains milieux d’avant-garde cette expression est équivalente à celle très méprisante de peintres du dimanche. N’est pas un formaliste, ne tend pas vers l’abstraction, n’a pas cherché à élaborer un langage qui lui soit propre, Dylan reproduit comme tant d’autres plus ou moins platement la réalité ce qui ne l’empêche pas d’atteindre à une certaine expressivité. Ce dernier mot est un sauf-conduit à toute épreuve, quand une œuvre dégage une certaine force sans être transcendante, ou lorsque l’on ne sait pas quoi dire et que l’on ne veut pas vexer l’artiste on s’en tire en décrétant d’un air entendu : ‘’ très expressif’’ ça ne mange pas de pain et ne vous engage à rien. Attention, François Coppée et Apollinaire sont deux poëtes réalistes. Mais entre les dizains du premier et les Calligrammes du second il y a une sacrée différence d’appréhension du réel. Il est donc nécessaire d’affiner notre analyse.

    CLASSIFICATION STYLISTIQUE

    Ne faut pas être spécialiste de la peinture américaine pour déceler la principale influence de Dylan peintre. Celle d’Edward Hopper. Cela n’est pas étonnant. Il convient de regarder l’extrémité effilé d’une simple épingle pour s’apercevoir qu’elle se termine, toute proportion gardée, comme le bout de la corne d’un rhinocéros. Le lien entre une épingle et un rhinocéros est certes ténu, cependant personne ne peut s’opposer à cette solidarité entre ces deux objets. Procédons de même avec Hopper et Dylan. L’on connaît l’admiration de Dylan pour Arthur Rimbaud, Hopper n’a jamais caché sa passion pour Paul Verlaine. Pour ceux que cette affiliation poétique entre nos deux ostrogoths picturaux semblerait trop lointaine rappelons que Hopper est classé comme un des maitres de la peinture réaliste américaine. Autre collatéralité, tous deux sont américains. Sont plusieurs centaines de millions à partager cette particularité certes, mais tous deux sont peintres et ont avant tout peint les paysages américains et des américains.

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             Nous donnons ici l’œuvre la plus célèbre d’Edward Hopper immédiatement suivi d’un tableau de Dylan. Il est inutile d’épiloguer sur l’influence du premier et l’inspiration du dernier.

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    Des scènes d’une banalité écoeurante, si fidèle à la réalité que l’on n’est pas sans ressentir une curiosité insatisfaite ou un malaise inidentifiable, bref la peinture ne nous satisfait plus totalement, l’on cherche derrière ce qui n’est déjà plus un tableau mais que nous interprétons comme l’image énigmatique d’une réalité cachée.

    CONFLUENCES

    Le cheminement de l’art ne s’arrête jamais. Tout comme le blues a eu un bâtard que l’on a appelé le rock ‘n’roll, le réalisme a lui aussi engendré son gamin illégitime : l’hyperréalisme. L’hyperréalisme consiste à reproduire la réalité avec tant de précision que la scène représentée ressemble à une carte postale. Le lecteur fera de lui-même la corrélation avec le premier reproche adressé à Dylan, celui de reproduire des cartes postales. L’on ne doit pas toutefois classer la peinture de Dylan comme hyperréaliste, elle n’en a pas le léché de la finition. Toutefois Dylan croise la route de l’hyperréalisme. Parce que l’hyperréalisme américain représente la réalité américaine, hors Dylan s’attache à représenter la réalité américaine. L’hyperréalisme provient du croisement incertain de l’expressionisme abstrait, peinture non figurative mais qui insiste sue la volonté du peintre à donner à son œuvre une certaine expressivité qui traduise son sentiment ( joie, tristesse, peur, etc…) d’appréhension du réel, avec le pop art qui ne cherche pas à représenter le réel d’une façon originale, mais au contraire de choisir le plus fidèlement possible les objets de consommation de masse connus de tout le monde, exemple une bouteille de coca-cola.

    C’est le moment d’introduire deux noms d’artistes connu des amateurs de rock : Andy Warhol, pape du pop art américain, dont la Factory est intimement lié à l’émergence du Velvet Underground et Guy Peellaert dont tous les rockers ont feuilleté son Rock Dreams (1973 ), qui dresse les portraits des principales stars du rock sous forme d’icônes hyperréalistes dont la beauté glaçante exerce une fascination mythificatrice… Pour ceux qui ne connaissent pas, se remémorer la pochette de It’s only rock’n’roll des Rolling Stones…   

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    Dylan ne peut être classé parmi les hyperréalistes mais il s’en rapproche, sa peinture privilégie l’expressivité au détriment du fignolage de la finition, n’oublions pas que beaucoup de ses morceaux ont été enregistrés en très peu de prises, mais par ses thématiques picturales principales explorant la réalité américaine, il touche au mythe. Un peu comme le western avec ses sheriffs, ses hors-la-loi, ses indiens, ses règlements de comptes, ses paysages, ses cowboys réussit à donner une image mythique des valeurs idéologiques américaines.

    PEINTURE D’ EPOQUE ET D’ ESPACE

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    La première dimension de l’Amérique reste son immensité. On peut l’appréhender par le célèbre titre du roman de Kerouac. Sur la route. De très nombreuses toiles de Dylan représentent des highways – non revisitées – qui s’étendent à l’infini. Je ne peux voir celle-ci sans penser à Johnny Cash qui dans son autobiographie déclare qu’il a lors de ses tournées tellement sillonné du nord au sud et de l’est à l’ouest les Etats-Unis qu’il ne pouvait jeter un coup d’œil sur le paysage sans savoir exactement à quel endroit de l’Amérique il se trouvait…

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    Même thème traité non plus d’après la mythologie de la route, mais d’après celle du rail, l’on ne compte plus chez Dylan ces voies ferrées sans wagon ni locomotive qui s’enfoncent dans le vide.

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    Un des tableaux de Dylan le plus souvent reproduit. L’on se croirait devant une image de film ou une case de bande dessinée. Le problème avec ces trois tableaux, ce n’est pas qu’ils soient intrinsèquement mauvais mais qu’on les juge d’après ce qu’ils représentent et non d’après le travail du peintre. L’on peut les trouver beaux ou quelconques. Au fond on les regarde parce qu’ils sont signée Bob Dylan.

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     Nous adresserons le même reproche à la suivante. Nous quittons les grands espaces pour un paysage urbain. Typiquement américain.

    Dylan ne peint pas que les Etats-Unis. Ses tournées incessantes sont pour lui l’occasion de visiter nombre de pays. S’inspire alors de ses rencontres et de scènes qui l’ont marqué. Victor Hugo qualifiait l’équivalent littéraire de ses instants marquants de Choses vues. Nous avons choisi deux œuvres issues pour la première de la série Asie, et la deuxième de la Série Brésil.

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    Je ne sais pourquoi – en fait je le sais très bien – cette jeune femme m’évoque irrésistiblement Janis Joplin. Une œuvre assez troublante, entre mort et plaisir.

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    Une scène quotidienne qui aurait pu se passer aux quatre coins du monde. Notons que grâce à ces personnes, des gens pour employer un terme encore plus général, les toiles de Dylan acquièrent une épaisseur que je n’ose pas qualifier d’humaine. L’on entre dans une histoire, elles forment comme le couplet d’une de ses chansons. L’on a l’impression que ce n’est plus le peintre qui tient le pinceau et qu’il a cédé la place à l’aède du rock ‘n’ roll.

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    Pour ces deux suivantes l’on a envie d’écrire sur un panonceau, à la manière d’un catalogue publicitaire : existe aussi en jaune. Ce qui est la stricte vérité ! Pas vraiment des tableaux, ce que l’on appelle des études, des variations si l’on veut être plus gentil. C’est sur ces images que l’on peut voir le travail, les tâtonnements du peintre.

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    Même réflexion pour les deux dernières. Et comme pour les deux précédentes, une sensation qui saute aux yeux, nous sommes loin de l’Amérique, nous nous trouvons en pays connu, dans la peinture française, du moins européenne, au tournant du dix-neuvième et du vingtième, quelque part entre Van Gogh pour la crudité des tons et Toulouse-Lautrec pour l'impact des silhouettes.

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             Cette chronique n’est qu’une première approche. Elle demande à être approfondie. Une évidence s’impose. Dylan n’est pas aussi à l’aise en peinture qu’au chant et qu’en composition. A beaucoup travaillé, a beaucoup cherché, n’a pas encore trouvé le graal.

    Damie Chad.

     

    *

    J’avoue que j’ai flashé sur eux sans en avoir entendu la moindre note. Vous ferez de même lorsque vous aurez vu la couve de leur deuxième EP sorti le 23 (chiffre de l’Eris) Mars (mois de l’Ares dieu de la guerre). Elle me rappelle les dernières planches (les dessins des premiers épisodes étaient d’une mièvre naïveté) de la bande dessinée Yves le Loup qui paraissait dans Vaillant, l’ancêtre de Pif Gadget. Autre atout, un groupe qui se revendique de Saturne a droit à toute ma sympathie. Présidait aux temps heureux de l’Âge d’Or, et aux Saturnales romaines ces périodes de fêtes d’outrances anarchisantes très rock ‘n’ roll.

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    La pochette est de Asep Yasin Abdhulah, l’est doué, un tour sur son instagram s’impose, l’a réalisé pas mal de couves pour des disques.  

    Viennent de Bellingham, ville située à 17 kilomètres du Canada, pas très loin de Seatle, état de Washington.

    Cody Barton : bass / Ray Blum : guitar / Josh Rudolf : drums / Violet Vasquez : chant.

    Rappelons que l’expression Mont de Saturne est utilisée en chiromancie pour désigner l’intervention du destin dans une vie humaine. Si démocratiquement parlant tout vécu peut être assimilé à une destinée, seuls quelques rares individus, les héros, ceux qui approchent de trop près la nature des Dieux, peuvent être soumis à la terrible force du destin tels que l’appréhendaient les grecs.

    0, GREAT MOON

    MOUNT SATURN

    ( YT / Bandcamp)

    Astraya : ode à l’astre sélénéen, les chiens sauvages d’Hécate hurlent au carrefour, musique lourde, épaisse, zébrée d’éclairs noirs de guitares, ensemencée de chapelets stériles de glaviots de basse,  quelque chose de maudit et de mauvais s’avance, éclaircie halotique de quelques secondes, la voix profonde de Violet Vazquez s’élève en sombre incantation, cadences battériales, le vocal de Violet englobe l’hémisphère supérieur de la voûte céleste, des frottis de basse s’accélèrent, Josh toujours imperturbable et la guitare de Ray trace des chemltrails dans l’empyrée. Violet vous aspire, le rythme a beau s’accélérer, vous n’entendez qu’elle. Lorsque le morceau s’arrête vous croyiez qu’il durerait l’éternité. Sword first : magnifique entrée de Josh Rudolf, écrase le monde sur ses peaux pompeuses, surnage comme si de rien n’était dans le déluge des guitares, transperce la purée de poix de la basse assourdissante, ne baisse pas d’un pouce lorsque Violet élève la voix, cette manière à elle de surmonter le mur du son telle une nuée d’orage porteuse des hydres de la destruction, elle ne crie pas, ce sont les doigts de Tosh sur ses cordes triturée qui se chargent de cette tâche, la basse interlude  laisse planer quelques écailles arrachées à des monstres marins, et le chant reprend en plus puissant, encore plus submergeant malgré les musiciens qui font tout ce qu’ils peuvent pour passer par-dessus mais qui n’y parviennent pas. Monstrueux. Une épée dressée à la face du monde par un dieu maléfique.

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    Sandcrosser : une guitare presque claire, mais trop vibrante pour être honnête, la basse vous pousse des mugissements de sirènes de bateaux, et Josh martèle la forge de Vulcain, Violet vient de loin, pour une fois le son est plus fort que sa voix, ce n’était qu’une ruse, les boys ont forcé la donne, Violet prend de l’amplitude et les écrase, la musique franchit des dunes de sable hautes comme des empires, lorsqu’ils parviennent au sommet, il semblerait qu’ils soufflent, mais non, ils dégringolent encore plus vite et attaquent le versant suivant avec encore plus de hargne, répit, ne pas reprendre souffle, seulement prendre la mesure de l’immensité de la tâche et repartir encore plus fort, laisser dans le sable des traces qui seront encore visibles dans des milliers d’années. Sans hâte et sans colère, ils s’éloignent vers l’infini mais on les entend autant. The knowing : que serait la force sans le savoir. Départ vrombissant, puis rai de lumière dans la nuit de l’ignorance, Violet chante à mi-voix, un scalde qui énonce les runes que personne ne doit connaître, l’orchestration   danse telle une flamme purifiante, de temps en temps elle est en proie à d’étonnants soubresauts, une montagne que des plissements hercyniens exhausse jusqu’au firmament. Le message est dévoilé haut et fort, la plupart des hommes se boucheront les oreilles pour ne pas savoir. Fin tumultueuse. Oasis. Haunt ( me ) : tuiles de guitare volant au vent que la batterie se hâte de clouer aux solives de la réalité, une voix résonne, venue du côté de l’ombre, en soubassement, même quand elle reste dans les zones de faible puissance elle surplombe l’étendue intergalactique, rythme de guitare échevelée, qu’importe Violet pousse le brame de l’om originel du désir de la création à éclore hors des miasmes du néant pour parvenir à l’être. 

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    Croocked bones : fracas rudolphiques, échevèlements fous de basse psykoïdes, Violet surgit du fond de la mer ou du ciel, une folie sonore empuantit le monde, plus de retenue, transes sauvages de guitares, martèlements sabotiques, Violet mène le train, le morceau explose en mille éclats plus coupants les uns que les autres, la vague vous emporte, elle ne vous rejettera sur aucun rivage. Extase.

    Monstrueux. Si l’on peut reprocher au doom d’être parfois un peu crépusculaire, avec Mount Saturn, ne craignez rien. La puissance du son et du chant s’allie avec la volupté de l’écoute.

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    Pour ceux qui en veulent plus. Un clip de Sword First est disponible sur You tube. Beau début avec ce corbeau digne d’Edgar Poe posé sur un poteau de grillage, et cette vue de l’immensité stellaire dans lequel resplendit la maléfique planète Saturne, mais après l’impact de ces premières images se dilue. Pa vraiment un clip, un montage vidéo de différentes séquences empruntées vraisemblablement à des documentaires. Images d’animaux, monstruosités d’arachnides vues en gros plans, chouettes, aigles, cheval, musaraigne, vues de microscope, entrecoupées de séquences de vagues s’écrasant sur des récifs et de cratères en feu. C’est d’ailleurs la lave bouillonnante de cette éruption qui prédomine à la fin du clip. Le message n’est pas des plus clairs. Que veut-il signifier, que la beauté de la Nature est menacée par la brutalité de la Nature elle-même, que toute la beauté animalière et les réalisations humaines sont des fétus de paille prêts à être balayées par ce qui les a engendrées. Toutefois, cette vidéo permet de mieux entendre l’aspect mélodique, quasi symphonique et la dimension lyrique de cette musique qui de prime abord séduit de par son riffage heavy rock ‘n’ rollesque davantage que  par son emprise cyclopéenne.

    KISS THE RING

    ( Janvier 2019 / YT / Bandcamp ) 

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    L’artwork de Lamie Lawson est sans surprise. Massif montagnard d’où se détache sous un ciel crépusculaire un sommet enneigé, plus loin plus haut, plus loin, Saturne et son anneau… Quelle relation faut-il établir entre l’astre et cette montagne, à chacun de rêver…

    Dwell : cymbales et petits bruits inhabituels inquiétants, gisements indistincts de basse, clairons de guitares, le roulement drummique arrive mais dominé par le scintillement crash and ride, l’ensemble de plus en plus fort, jusqu’à ce que la voix de Victoria résonne comme un appel, la guitare verse de l’huile sur le feu sans s’arrêter en grandes lampées de flammes brillantes comme la nuit, étrange composition un peu répétitive même si l’on ne sait jamais ce qui va suivre. Le groupe semble faire la revue de ses troupes avant de se lancer à l’assaut. Sur la deuxième partie du morceau s’imposent la profondeur du vocal, les cris de la guitare et le souffle puissant de la rythmique, chaque pointe du triangle entrant en lice l’une après l’autre. Etrangement cela rappelle les écrits heideggeriens sur la notion de demeurance de l’homme sur la terre face à des puissances, ici astrales. Idol hands : attaque brutale, le groupe déployé selon tous ses azimuts instrumentaux, très vite surgit la voix de Victoria, impérieuse, elle hache les mots comme autant d’ordres, fluantes décharges battériales, emballements de guitares, Victoria maintenant s’attarde sur les mots, les prolonge, leur donne un poids inaccoutumé, clic-clic électronique aussi ténu qu’un grincement de grillon déclenchant une hausse sonore de l’ensemble si bien intégrée dans le continuum sonique que l’on se demande comment ils ont procédé,  l’on change de niveau, tout est plus ample, plus violent, et culmine sur un tsunami vocal impressionnant.

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    Salt : toujours cette guitare irradiante, crinière d’étalon fou, qui domine le fracas rythmique, il y a de la subtilité à équaliser l’amplitude de ces deux entités sonores, intimement liées, et en même temps totalement indépendantes l’une de l’autre, avec par-dessus la voix phosphorescente de Violet qui domine sans écraser, qui influe davantage de vigueur au magma sonore qui roule et dévale telle une coulée de feu échappée d’un cratère strombolique. Flamboiement d’un solo de guitare long comme un cri d’agonie, et la voix de Violet qui plane très haut tel un monstre antédiluvien dont la masse inquiétante voile le soleil et menace la terre. Epoustouflant. Kiss the ring : longue intro caractéristique de Mount Saturne, en quatre morceaux le groupe a déjà acquis un style reconnaissable entre tous, la voix de Victoria un semblant plus claire, mais toujours cet envol lourd – révoltant de facilité – qui plane à des altitudes inimaginables, l’est sûr que cette voix est capable de baiser l’anneau de glace et d’effroi de Saturne. L’on n’écoute plus, l’on se laisse bercer par l’Innommable. Effrayant de densité.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 429 : KR'TNT ! 429 : DAVE BARTHOLEMEW / JAKE CALYPSO / ROCKABILLY GENERATION / JUKE JOINTS BAND / BARON CRÂNE / ZARBOTH / LE CORE ET L'ESPRIT / D. J. FONTANA + TONY MARLOW

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 429

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    12 / 09 / 2019

     

    DAVE BARTHOLEMEW / JAKE CALYPSO

    ROCKABILLY GENERATION / JUKE JOINTS BAND

    BARON CRÂNE / ZARBOTH / LE CORE ET L'ESPRIT

    D.J. FONTANA + TONY MARLOW

     

    Un Bartho en cale sèche

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    Le vieux Bartho vient de casser sa pipe en bois alors qu’il devenait centenaire. De la même façon qu’on qualifie Iggy de Godfather of punk, Dave Batholomew se voit affublé du grade de Grandfather of rock’n’roll songwriting. Il rendit populaire le fameux up-tempo R&B qu’on appelle aussi le Big Beat, via des pointures célestes comme Fats Domino, Shirley & Lee et Smiley Lewis. Dans le remarquable Blue Monday - Fats Domino And The Lost Dawn Of Rock ’n’ Roll, Rick Coleman rappelle que le big beat de la Nouvelle Orleans a précédé l’émergence du rock’n’roll. Durant cette fameuse aube du rock’n’roll, Dave Bartholomew n’en finissait plus de composer et de produire des hits tous plus somptueux les uns que les autres.

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    Au commencement, Bartho joue de la trompette, chaperonné par Peter Davis, l’homme qui a formé Louis Armstrong. À l’âge de vingt ans, Bartho se retrouve avec sa trompette dans des big bands. En 1947, il enregistre son premier single sur DeLuxe, un label new-yorkais qui fouine à la Nouvelle Orleans à la recherche de nouveaux talents, comme le feront un peu plus tard les gens d’Atlantic, d’Imperial et de Specialty.

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    Justement, c’est en jouant un soir à Houston que Bartho rencontre Lew Chudd, le boss d’Imperial, un gros label indépendant basé à Los Angeles. Chudd qui s’intéresse aussi bien à la musique mexicaine qu’au hillbilly commence à prospecter dans le R&B. Il est frappé par les qualités des Bartho, pas seulement celles du trompettiste, mais aussi celles du chanteur et du band leader. Bartho chante du Louis Jordan, qui est alors très populaire. Comme Chudd cherche à s’implanter dans le marché naissant du R&B et que Bartho est encore sous contrat avec DeLuxe, il lui demande de prospecter pour Imperial à la Nouvelle Orleans. Bartho lui ramène Mary Jewel King qui rocke the joint at the Hideaway, puis Fats Domino qui rocke aussi le joint, au même endroit.

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    C’est là qu’on entre dans la légende. Chudd signe Fatsy. Vite un disque ! Bartho monte l’orchestre qui accompagne Fatsy : Earl Palmer (drums), Frank Fields (bass), Ernest McLaren (guitar), et une horn section composée d’Alvin Red Taylor, Herb Hardesty, Joe Harris et Bartho himself. Tout le mode s’entasse dans le petit studio de Cosimo Matassa, sur Rampart. Ils démarrent avec une reprise du «Junker’s Blues» de Champion Jack Dupree, en virent toutes les connotations liées à la dope et en font le fameux «The Fat Man» - They call me the fat man/ Cause I weight two hundred pounds - En 1950, Bartho et Fats entament avec ce hit leur carrière de duo infernal. Chudd donne carte blanche à Bartho qui ramène chez Imperial des tas de nouvelles poules aux œufs d’or, du genre Smiley Lewis. Jusqu’au moment où Bartho et Chudd se brouillent. Bartho signe avec un autre blanc entreprenant, Syd Nathan, boss de King Records. Puis en 1952, il bosse pour Art Rupe, boss de Specialty, un autre gros label indépendant de Los Angeles. Lloyd Price enrengistre «Lawdy Miss Clawdy» avec le Batholomew Band. Fats est au piano. C’est un hit. En 1953, Bartho produit l’irrésistible «I’m Gone» de Shirley & Lee. Voyant ces succès, Chudd propose une belle augmentation à Bartho qui revient bosser pour lui. Entre 1953 et 1962, Bartho bosse d’arrache-pied pour Imperial. «Any talent I saw I could record.» Aucune restriction de budget. Bartho ramène Roy Brown, Earl King, Bobby Mitchell, Chris Kenner, Ford Snooks Eaglin et des tas d’autres. Mais son poulain favori reste bien sûr Fatsy qu’il produit avec un zèle religieux. Les hits de Fatsy sont des million-sellers. Le duo de compères fonctionne comme une horloge - Fats and I just played - Bartho enregistre aussi ses trucs et le seul hit qu’il décroche, c’est le fameux «The Monkey» qui devient un classique du New Orleans Sound des années 50. Et puis en 1962, Chudd revend son label à Liberty Records.

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    Dès le début des années 60, le nouveau Bartho s’appelle Allen Toussaint. Il joue d’ailleurs du piano pour Fatsy qui a trop de boulot. Pas le temps de jouer en session. Allen Toussaint va faire le même travail de découvreur de talents que Bartho : il ramène chez Minit Aaron Neville, Irma Thomas, Ernie K-Doe et Benny Spellman. Quand Chudd revend Imperial, Fatsy est en fin de contrat. Il signe avec ABC et va enregistrer à Nashville. Bartho se retrouve donc seul à la Nouvelle Orleans et monte son label, Trumpet. Les deux compères finissent quand même par se retrouver en 1967 et Bartho devient le maître de cérémonie et le band leader de Fatsy sur scène. Lorsque Fatsy décide d’arrêter la scène, Bartho prend sa retraite. Il a quand même 70 balais !

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    Encore une fois, Ace fait bien les choses : The Big Beat - The Dave Bartholomew Songbook vaut tout l’or du monde. C’est une nouvelle compile de rêve, du genre de celles dont Ace nous gave depuis des années. En choisissant les meilleurs interprètes du Bartho Songbook, Ace l’élève au rang de compositeur modèle. Si on est pressé, on peut commencer par la fin, avec le vieux hit de Smiley Lewis, «I Hear You Knocking», repris en 1970 par Dave Edmunds. On s’en souvient, ce fut un hit surnaturel, à l’époque où la radio le diffusait. Il relevait tout simplement de l’imparabilité des choses. Autre coup de Trafalgar : Jerry Lee qui nous glousse un petit coup d’«Hello Josephine». Pur génie vocal, avec tout le fruité de timbre et tout le shaking qu’on puisse espérer, Jerry Lee nails it down, il interprète le vieux hit de Fatsy au maximum des possibilités, oh-oh yeah ! Tiens puisqu’on parle de Fatsy, c’est lui qui ouvre le bal de cette compile avec l’effarant «The Fat Man» et toutes les pétoires de la préhistoire. Fats chante ça à l’immaculée conception. C’est le barrelhouse des origines, le lit du fleuve qu’on appelle le boogie woogie. Si on est friand de coups de génie, alors on est copieusement servi car voilà Shirley & Lee avec «I’m Gone», un hit enregistré en 1952. Lee est un cadeau des dieux, mais Shirley, c’est la crème de la crème, elle chante au perçant définitif. Tu ne trouveras jamais rien de plus exotique que Shirley & Lee, ce fabuleux duo de shouters délicieusement juvéniles. Rien ne vaut leur plainte combinée. On trouve plus loin une effarante version de «Let The Four Winds Blow» par Roy Brown, qui est lui aussi à la racine de tout. Roy n’y va pas par quatre chemins. Il shoute direct. C’est un vrai shouter, un boxeur. Roy is the king of blows. Version superbe aussi d’«Every Night About This Time» par The World Famous Upsetters. Tout le monde sait qui sont les Upsetters : le backing band de Little Richard. Il n’est donc pas surprenant de l’entendre chanter cette pure merveille de heavy groove. L’autre grosse poissecaille de cette compile, c’est Tami Lynn, qui n’est hélas pas très connue. Elle nous tape le très hot «A Night Of Sin» avec une extraordinaire sensibilité jazzy. Elle swingue ça à l’ancienne, un peu à la manière de LaVern Baker ou de Billie Holiday. C’est imbattable. Il faut bien garder présent à l’esprit que Bartho signe tous ces hits. Et ce n’est pas fini. Annie Laurie shake le vieux shook de «3x7=21» au gospel swing de la Nouvelle Orleans. Elle chante dans des harmonies de trompettes de jazz. Bartho souffle comme un dieu. On parlait de Smiley Lewis tout à l’heure : le voici la gueule enfarinée avec «Down The Road» - I’m done no more - Il faut l’entendre embarquer le groove dans le moove. C’est vraiment l’apanage du barrelhouse, avec un solo de Bartho dans la carcasse de la rascasse. Contrairement à ce qu’on croit, «My Ding-A-Ling» n’est pas un hit de Chickah Chuck. Pas du tout. Bartho le signe et l’enregistre en 1952 sur King Records. Sur cette compile on entend aussi pas mal de pionniers qui ont tous tapé dans le stock de Bartho, à commencer par le Johnny Burnette Trio avec «All By Myself», pur jus de Memphis Beat enregistré à Nashville. En arrivant en ville pour enregistrer leur album, Johnny, Dorsey et Paul n’avaient pas assez de morceaux. Alors, ils sont allés chez un disquaire local et on acheté deux singles de Fatsy, dont «All By Myself». Ils en ont fait l’un des cuts les plus excitants de l’histoire du rockab. On croise aussi l’ami Buddy avec «Valley Of Tears» et Elvis avec une admirable cover de «Witchcraft». C’est même à se damner tellement c’est bien chanté. La petite Brenda Lee se charge de «Walking To New Orleans», avec sa voix sucrée et puissante, idéale pour maintenir en vie la magie des sixties. Un géant nommé Georgie Fame se charge de «Blue Monday» et le bouffe tout cru. Ne prends pas Georgie à la légère. Ce serait une grave erreur. Et l’injustement méconnu Bobby Charles nous éclaire de sa présence avec «Grow Too Old», accompagné par The Band. Il faut savoir que le petit blanc Bobby Charles composait avec Bartho et Fatsy («Walking To New Orleans») et qu’il est l’auteur de «See You Later Alligator», une formule que tout le monde emploie pour dire au revoir à une copine. Ce n’est pas Ricky Nelson, mais Larry Storch qui se charge d’«I’m Walking». Le hit de rêve, comme chacun sait et que Ricky joua devant son père Ozzy au bord de la piscine pour le convaincre de le laisser démarrer une carrière de rocker.

    Signé : Cazengler, complètement Bateau

    Dave Bartholomew. Disparu le 23 juin 2019

    The Big Beat. The Dave Bartholomew Songbook. Ace Records 2011

    Hit the road Jake - Part One

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    Pour chauffer un beffroi et les milliers gens qui y battent le pavé, rien de mieux que les Hot Chickens. S’il existe sur cette terre un allumeur de Sainte-Barbe, c’est bien Jake Calypso. Ah t’as voulu voir Vesoul ? Et t’as vu Béthune !

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    Ce démon de Jake Calpypso met le feu aux poudres aussi bien que Blackbeard le pirate qui montait à l’abordage en allumant des mèches sous son chapeau. Jake prend la ville en quelques minutes, épaulé par ses deux fidèles Hot Chickens.

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    C’est un pulsif, une bête de slap, il fait corps avec la matière du roll over, jette sa stand-up en l’air plusieurs fois de suite, se roule par terre avec elle et n’arrête pas de haranguer le public, alors est-ce que ça va Bethune ?

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    Jake Calypso est le roi des entertainers, le pusher boy du Honey Hush. Il est là pour célébrer les dieux du rock’n’roll, alors uh-uh honey ! Il envoie le souffle du bop et la foule ondule comme l’herbe des hautes plaines sous le vent, on voit rarement des phénomènes aussi spectaculaires dans les concerts. Ce mec est là pour électriser un public et il en a largement les moyens. On en est d’autant plus convaincu lorsqu’on connaît ses disques. Comme Don Cavalli, il dispose de la meilleure des crédibilités, celle des intouchables. Le samedi soir, la grande scène du Rétro est traditionnellement réservée aux stars, cette année Jake nous donne en plus du spectacle. Oui, il dispose de cette envergure, comme Jerry Lee, c’est le même genre de hell raiser, même besoin d’envoyer son rock’n’roll percuter la postérité. Il célèbre les vingt ans des Hot Chickens et après avoir commencé à chauffer la foule, avec notamment une version incendiaire de «Keep A Knocking» en hommage à Little Richard, il se met à saluer tous ses compagnons de route et fait monter des invités sur scène.

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    Pour célébrer le temps des Mystery Train, deux bikeuses arrivent sur scène au guidon d’une Harley pétaradante, le temps d’un «Motorcycle Girl» hot on heels, puis c’est Tony Marlow qui vient rendre hommage à Johnny Kidd avec une version bien sentie de «Please Don’t Touch».

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    Ils tapent ensuite dans les Cramps avec «Goo Goo Muck» et portent des masques de carnaval, pour faire bonne mesure. On profite de cette concession au clownage pour décrocher, car l’heure du set de Don Cavalli arrive et il faut cavaler jusqu’à la place du 73e. Cette année, la programmation fait très fort en mettant les deux têtes d’affiche dans un mouchoir de poche : Hot Chickens 22 h, Don Cavalli 23 h. Ça oblige à faire des choix cornéliens. On ne souhaite à personne d’avoir à faire des choix pareils.

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    Revenons à Little Richard. Jake et ses Hot Chickens lui rendaient hommage en 2007 avec Speed King. Il faut être gonflé pour taper dans Little Richard. Pas de problème pour Jake. Question gonflage, Jake a tout ce qu’il faut. Il attaque avec un «Keep A Knocking» hurlé au guttural de bonne guerre et ça passe, car au fond on sent bien le fan instinctif. Les deux coups les plus intéressants sont «Reddy Teddy» et «The Girl Can’t Help It», car Jake et ses amis les tapent au wild rockab, ils sifflent et déversent dans le ramdam transitoire des tombereaux de hot slap. Quelle violence ! Il savent pulser un vieux hit.

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    Jake mord dans le lard des cuts. Oui, il y plante ses crocs. Il ramène tout ce qui fait la démesure du rockab, cette sourde pulsion déterminante. Il continue de voler dans les plumes du mythe avec «Jenny Jenny», même folie cavalée. Les Hot Chickens ont tout compris, ils font une sacrée OPA sur Little Richard ! Ils tapent un «Rip It Up» aux clap-hands et dans la transition, les démons du rockab reprennent la main. Admirable ! Jake chante les vieux hits de Little Richard comme un dieu, chaque départ en solo occasionne une poussée de fièvre rockab, du type de celles qu’on entend chez Johnny Burnette. Jake ramène toute sa folie dans «Long Tall Sally». C’est tellement wild que c’en est inespéré. Ils bouffent tout cru «Tutti Frutti» avec tout le push du monde, Jake ne lâche rien et à la première occasion, il part en vrille de slap. Et voilà qu’il se met à sonner comme Elvis pour entonner «Send Me Some Lovin’». Stunning ! Il profile son chant sous le boisseau du meilleur accent local de downhome cat. Il termine en touillant la fournaise suprême, «Ooh My Soul». Même si on sait que la version de Little Richard est intouchable, force est d’admettre que Jake s’en sort avec les honneurs.

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    Après Little Richard, Jake va aussi rendre hommage à Gene Vincent, Elvis et Buddy Holly, et chaque fois, il va taper en plein de mille. Tiens on commence par l’excellent Hot Chickens Plays Gene réédité en 2017 (et on va voir pourquoi cette réédition est capitale). Disons-le tout net : c’est certainement le meilleur hommage jamais rendu à ce crack entre les cracks que fut Gene Vincent. Jake procède de la même façon qu’avec Little Richard : il shoote la meilleure pulsion rockab dans la ferveur du rock’n’roll. Sa version de «Race With The Devil» devient vite puissante, pulsive et donc knock-outante. Il chante «Say Mama» à la narine palpitante, il rentre dans le lard du mythe comme dans du beurre et soudain, il nous emmène au paradis gégénique avec «I Flipped», groove de jazz affolé et accroché à la crinière d’un drive de basse. Ce diable de Jake se prend tellement au jeu qu’il sort une version bien meilleure que la version originale. Eh oui, ce sont des choses qui arrivent. Mais il ne faut pas s’en formaliser. Et ce n’est pas fini ! Voilà que la fièvre l’emporte et il dépote une version encore plus spectaculaire d’«Hold Me Hug Me Rock Me», et là, ça va très loin car figurez-vous que ça dégénère. Jamais Gene n’aurait osé aller jusque là. Jake explose Gene ! C’est slappé jusqu’à l’os du son et chanté au gant de cuir noir. Effarant phénomène d’osmose dévastatrice ! Jake fait partie de ceux qui ont tout pigé en matière de Gégénétique. Avec ce genre de mec, il faut rester sur ses gardes, il est capable de coups de folie, cet album en est la preuve. Il tape à la suite le «Teenage Partner» au slap de rockab, au gone gone gone d’only seventeen. Les départs en vrille sont de véritables modèles du genre. Il récidive avec «Blue Jean Bop», balayant d’un coup de folie la version originale. Il boppe ça si sec. Quelle classe ! Jake outrepasse la permissivité des choses haut la main, il ramène encore une fois le wild beat du rockab dans le rock de Gene. Avec «Crazy Legs», il ravive le bop des fifties d’Amérique, il secoue les colonnes du temple Capitol. Gene serait vraiment content d’entendre tout ce bordel, c’est pulsé au meilleur beat de l’univers, n’ayons pas peur des mots. Le bassmatic prédomine dans l’action et traverse le cut comme un puissant courant sous-marin. Fin de l’album ? Pas du tout. Voilà pourquoi la réédition de 2017 est primordiale : elle met à jour les des morceaux cachés du premier tir et propose des bonus explosifs. On prend en pleine poire l’«Ain’t That Too Much», véritable horreur pulmonaire, ça bat comme un poumon d’acier, ou pire encore, comme un emboutisseur, avec en prime des coups d’harmo et un chant de tous les diables. Et puis on arrive au cœur du mythe de Gene Vincent : «Bird Doggin’». The real deal. Certainement le plus bel EP de l’histoire du rock, le London EP où Gene fume sa clope devant un mur de briques. Intouchable. Mais Jake a décidé de le toucher et il est dessus, il rampe dans le génie de Gene comme un énorme serpent - All these sleepless nights I’m so tired/ Of - Il a tout compris, il retrouve l’éclat fondamental - Bird doggin’/ Yeahhhh/ Bird doggin’ - Les coups d’harmo sont en plein dans le mille, par contre le solo est moins teigneux que celui de Dave Burgess, le guitar hero des Champs qui tenta d’aider Gene à redémarrer sa carrière. Non, la virulence exacerbée qui fait la grandeur du solo de Burgess n’y est pas. Mais ce n’est grave. Jake does it right. Il descend ensuite le rocky road de «Rocky Road Blues» à toute blinde. Que de génie dans son fanatisme ! Il ne laisse rien en reste. Tout le power de Gene est rallumé. Les Hot Chickens jouent à l’énergie pure. Même avec «I’ve Got My Eyes On You», Jake fait illusion. Il sait rester merveilleusement juste dans l’excellence.

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    Après Little Richard et Gene Vincent, voici Elvis. Jake lui rend hommage avec 100 Miles. C’est d’autant plus gonflé qu’il n’a pas la voix pour ça. Il tape en plus dans les balladifs, le côté sentimental d’Elvis, le moins évident. Il raconte dans les notes de pochette qu’il s’est mis à chialer sur la tombe d’Elvis, à Graceland. Il chante tous ses cuts à la mélancolie instinctive. On sent une fantastique investiture dans «Tomorrow & Forever». Il finit par nous entraîner dans son rêve, c’est dire s’il est fort. Ça devient très poignant, une sorte de beauté s’élève du cut. Il chante à la perfection. Jake est un grand sentimental. Il sait dire son attachement à Elvis. Avec «Milky White Way», il va droit sur le gospel. Il devient une sorte d’Elvis français, sans même s’en douter. Son gospel redonne vie au mythe d’Elvis. Il faut écouter cet album car c’est celui d’un fan réellement dedicated. Il y croit si fort que les chœurs sonnent comme la voix de la révélation.

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    Avec Fool’s Paradise, le dernier album en date des Hot Chickens, Jake rend un hommage pour le moins stupéfiant à Buddy Holly. Ne vous attendez pas à de la pop un peu sucrée, non Jake a décidé de rentrer dans le chou du Buddy, comme il a su le faire avec Gene Vincent et Little Richard. On l’attendait au virage avec «Reminiscing» qui fait aussi partie des disques auxquels on s’attache pour la vie, surtout le EP français paru en 66 avec la belle veste bleue et «Rock A Bye Rock» de l’autre côté. Diable comme on a pu vénérer ce son, alors on imagine ce qui a dû se passer dans la tête de Jake quand il a croisé «Reminiscing» au coin du bois ! Il le tape à sa manière, dans l’excellence, mais sans le sax. Sa tournure d’I’m lonely au retour de l’accord est pure, et son thinking of sonne incroyablement juste. Et dès l’attaque avec «Tell Me How», il est dessus. Tapé direct. Il ne rigole pas. On ne trouve pas moins de trois coups de génie sur ce tribute au binoclard, à commencer par «Whishing». Il va chercher son Buddy dans les fondements du mythe. Terrific ! Il chante sa pop de rock à la déchirade, il fouille vraiment les tréfonds du mythe, il faut vraiment adorer Buddy Holly pour arriver à chanter comme ça. C’est là où on comprend ce que veut vraiment dire le mot fan. Jake ne fait pas semblant. Plus loin, il explose littéralement «It’s So Easy». Il le bouffe tout cru ! C’est pas beau à voir. Crouch crouch ! Quel carnage ! Et un tourbillon de guitare vient couronner la scène. Les Hot Chickens donnent le tournis. Troisième coup de génie avec «Maybe Baby». Jake l’allume au chant, bien soutenu par le riffing de Christophe Gillet. Que de son ! C’est inespéré. Du son à gogo qui rend gaga. Avec «Lonely Tears», il boit à la source des larmes d’Holly. Nouvel hommage stupéfiant au génie du binoclard. Il lui shake bien le shook. Jake fout la gomme en permanence. Encore du pur jus de Buddy craze avec «Love’s Made A Fool Of You». En plein dans le mille une fois de plus, avec un son destroy, oh boy ! Il cherche à rallumer la gueule du cut en permanence. L’une des covers les plus fines est certainement «What To Do» et puis ça rebascule dans la folie douce avec «Rave On». Il tape en plein dans l’envergure astronomique de Buddy Holly. Il le chante comme s’il avait été son pote pendant vingt ans. Encore une fois, Jake joue avec le feu, car sa version challenge assez violemment la version originale. Cet album effare par sa justesse de ton.

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    Pour terminer (provisoirement) le panorama des hommages, voici celui que Jake et Michel Brasseur (qu’on voit sur la pochette à côté Jake) rendent hommage à Hank Williams avec les Rambling Men. L’album s’appelle Move It On Over et le petit conseil qu’on peut donner aux fans d’Hank Williams, c’est de se jeter dessus vite fait. Pour au moins une raison, et quelle raison ! Elle s’appelle «Rockin’ Chair Money». Attention, Michel Brasseur s’entoure de deux fous : Jam Jam on drums et Gus au slap. Duo de choc. Il faut les voir tailler la route ! Ils sonnent comme une révélation, comme la section rythmique de rêve. Oui il faut entendre Jam Jam et Gus rouler le bop dans leur farine ! Ils ont une façon très particulière de faire monter la sauce. C’est aussi Michel Brasseur qui chante l’excellente version de «Hey Good Lookin’». Il est écœurant d’assurance, il ramène une sorte de grandeur interprétative dans l’essence d’Hank, avec une niaque magistrale. Du coup, ça devient hot. Avec «Love Sick Blues», Jake fait la pluie et le beau temps. On y entend les guitares de Tahiti. Ils dégomment plus loin «When The Book Of Life Is Read» au boost de bluegrass de bastringue, avec un vrai gutso de gugusse. C’est Christophe Gillet qui signe le numéro de virtuose. S’ensuivent des versions assez affolantes de «My Sweet Love Ain’t Around» et de «Kaw-Liga». Jake fournit les effets dévastateurs et il en a largement les moyens, puisqu’il est une sorte de Rothschild du bluegrass. Que de bop dans le beat, Bob ! Michel Brasseur revient casser la baraque avec «Ramblin’ Man», et comme Jam Jam et Gus l’accompagnent, alors la baraque s’écroule vite fait. Jam Jam tape sec et le cut saute en l’air. C’est Jake qui se dévoue pour se jeter dans l’océan de yodell d’«I’m So Lonesome I Could Cry». Il tape à la suite «Your Cheatin’ Heart» au heavy rumble, comme Jerry Lee, avec une sorte de grâce sous-cutanée. Jake bouffe le Heart tout cru, il n’en fait qu’une bouchée. Ils terminent cet album faramineux avec un «Move It On Over» qui sonne comme un hit de Bill Haley, boppé au big beat !

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    Après Little Richard, Elvis, Gene Vincent et Hank Williams, voici sans doute le meilleur, Jake Calypso. Commencez par Grandaddy’s Grease paru en 2010. Sur la pochette, Jake a déjà un faux air de Sam Phillips, mais il faut l’entendre chanter «My Baby Rocks». Jake est le plus américain des kids d’ici. Let’s bop ! Il est effarant de véracité congénitale, il fait son Charlie avec le meilleur drive de deep des temps modernes. Il enchaîne avec un «Rock’n’Roll Girl» parfait, doté d’un pacing de bop supérieur. Jake est le Robin des Bois du monde moderne, il redistribue les richesses des rois du bop. Et puis voilà qu’il cite les noms des gares dans «Rock’n’Roll Train» - Memphis, Nashville, Knoxville, Kentucky - Il connaît les secrets du choo-choo, bien épaulé par ses potes de bop. Quelle élégance ! Il chante le nez dans le menton et accentue ses effets à coups de yeah-eh-eh. Il passe sans transition au Cajun stomp avec un «C’est Ça Qu’est Bon» drivé au beau beat de bop. Tout l’apanage est là, il tape en plein dans le mille du mill. Il hiccuppe son «Boppin’ Day» à gogo et sort le meilleur bop-ah-bop du coin. Il nous calypsotte ensuite un «Cinderella» plus rock’n’roll et réussit l’exploit de groover son bop avec une grâce infinie. Christian Gillet passe un solo d’une élégance qui laisse baba et derrière rôde la fabuleuse pulsion sourde du rockab. Ils boppent comme des bêtes. On les voit aussi tailler leur route en père peinard sur la grand-mare des canards avec «Black Moon». Il faut les voir lancer le cut au slap ! C’est assez stupéfiant. Jake gagne de la crédibilité à chaque instant. C’est à ça qu’on reconnaît les très grands artistes. Il monte son «Tell Me Lou» sur une carcasse à la Long Tall Sally, mais avec la pulsion rockab en sous-main et des éclats de solo étincelants. Ce mec sait rester passionnant jusqu’au bout des ongles. Jake s’amuse comme un gosse avec ses vieux démons.

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    Il excelle aussi au petit jeu des side-projects, histoire d’aller aller taper dans le blues. Il monte le Wild Boogie Combo en 2012 avec Terry Reilles et enregistre Blues, sans doute l’un de ses meilleurs albums. Quel son ! Jake est devenu un expert du raw to the bone, c’est en tous les cas ce que tend à révéler «Country Blues In My Bag». C’est le son du fleuve, il tape ça au kazoo de vieux black qui a sifflé trop de moonshine. Jake chante par en-dessous et il est bon à ce petit jeu. Ultra bon. In the flesh. Son country blues tape dans le mille du bag. Comme Charlie Feathers, il a compris que l’énergie du rockab et celle du blues coulent de la même source : le son. Tout l’album est bon. Il part en mode heavy boogie avec «I Believe In You». C’est l’un des boogies les plus speedés du cheptel. Son «Yesterday I Talked To My Bottle Baby» sent bon la cruche en clay, il chante du menton, il tackle ses notes dans les tibias, take takes it down. S’ensuit un «Bad Son Good Mother» embarqué à vive allure, ça pulse à la folie. Jake pulse le son des géants et rentre plus loin dans la gueule du gospel avec «Oh Lord» et un banjo. Il bat tous les records d’insistance. Il connaît le secret du beat hypno, I said to Lord et il y va de bon cœur. Il gagne encore en crédibilité avec «She Breaks Me Down», il allume là l’un des pires boogies de l’univers, uhh uhhh she breaks me down, c’est assez définitif et sa façon de revenir à l’économie époustoufle. Il tape son «Save Your Soul» aux violons Cajuns et crée aussitôt les conditions de la curée. Tout ce qu’il fait sonne juste, chaque cut tape dans le mille. Il chante «Rats In Town» à l’estropiée et part la fleur au fusil chanter l’hypno Cajun de «Hard Love Ways». Il semble obsédé par ce son. Il sort là un fabuleux shake de jive hypno et le noie d’harmo. Il reste chez les Cajuns avec «They Call Me Earth Boy». Il prend ça à la désaille, c’est gorgé de son, ça sonne comme un paradis. Ce mec a vraiment tout compris.

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    Il enregistre Father & Sons avec ses Red Hot en 2013. Dès «Call Me Baby», il redistribue les cartes : son rustique, bop de rêve, yodell et pah pah pah des Appalaches. Eh oui, il a le son, alors ça roule tout seul. Il fait tout simplement de l’Americana. Il enchaîne avec un torride shake de fat sound titré «Torrid Love». Durieux le slappeur l’embarque pour Cythère et Jake hiccuppe à la vie à la mort. C’est peut-être sur cet album qu’il fait le plus de fantaisies vocales. Il yodelle «Cassie Magikal» à la lune. C’est un véritable festin de swing de chat perché. Se dresse à la suite un monument de bop fever intitulé «I’m Fed Up», emmené tambour battant par cette bête de beurre qu’est Thierry Sellier. Ils sautent en B sur le râble de «Cause You’re My Baby», une sorte de hot jump de barrelhouse, mais avec le son de la Nouvelle Orleans, avec du piano et des cuivres. Ils savent tout faire, même restituer ce son que Mac Rebennack disait unique au monde. On se croirait chez Cosimo. Côté chant, c’est pas loin de Bunker Hill.

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    Sur Downtown Memphis, Jake rend deux beaux hommages à Elvis avec «Blue Moon Over Kentucky» et «That’s Alright». Il a le son et il a le talent. Il a le swagger et il a le feeling. Il a tout. Il règne sur son monde. Il tape son «That’s Alright» bien sec, il le prend à l’oblique avec un sens aigu du dark de 706. Il le chante du coin du nez, comme s’il sniffait la coke d’Elvis. Il rentre dans la mythologie comme dans du beurre. Il charlite son Elvis, il cruduppe son Alright et hiccuppe sur la colline. Le Vatican devrait canoniser ce démon, il est trop pur. Il revient au pur rockab avec «Turn Me Loose». On est chez Sun, les gars. C’est dans la poche, pocket boy ! Turn me Loose, c’est une sinécure, un vrai retour aux sources. Tout aussi demented, voici le morceau titre, joué au heavy dump de downtown, bourré de bon esprit, avec un solo de piano. On sent le fan de Sun. Ils jouent plus loin «I’m A Real Cool Cat» à l’insistance du Tennessee, la pire de toutes les insistances, le slap boppe le cul du cut, Jake hiccuppe comme Charlie. Oh le poids du slap ! Joli drive aussi que celui de «When The Pretty Girl Bop». Pur Cochran drive - Yeah she bop yeah ! - Il a de la suite dans les idées. Jake boppe son swing au big beat, il est atrocement doué. Il propose aussi un «Babe Babe Baby» bien saqué des socks. On n’en finirait plus avec un tel démon.

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    On avait salué sur KRTNT l’excellent Vance Mississippi, que Jake est allé enregistrer en 2016 avec Archie Lee Hooker qui est le neveu de John Lee Hooker. Jake et Archie Lee y atomisent le boogie blues. Comme son oncle, Archie Lee chante d’une voix d’outre tombe. Sur le morceau titre, ils duettent à l’ancienne, dans une ambiance de basse-cour. Si on aime l’hypno de tonton Hooky, on est servi. C’est l’endroit exact où le blues et le rockab se rejoignent, un endroit que connaît bien Charlie Feathers, puisqu’il vient de là, d’Obie Patterson. Rebelotte et dix de der avec «Juke House Man». Comme son oncle, le vieux impose une grosse présence, celle de l’immédiateté. Ça explose dans la seconde. Boom boom boom boom. Jake tape ensuite «Louise Blues» à la trade. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais il impose le fucking respect. Aussitôt après le vieux refout le feu au lac avec un «Blues Inside Me» tapé au vieux beat sauvage. Derrière lui, ça bat avec toute la rage du raw. Tout le blues primitif est là, dans le creux de sa main, un blues aussi vénéneux et fatal qu’une morsure de rattlesnake. «Blues In My Bones» sonne comme un heavy blues machiavélique, bien ancré dans l’esprit de tonton Hooky - I was born with the blues in my bones - Le vieux fait résonner tous ses B de manière sidérante. Et voilà que Jake se tape la part du lion avec «Hey Barber Barber», qu’il tartine au yodell sur un rythme effréné, et ça donne un boogie cajun têtu comme une bourrique et soûlé d’harmo. Hot as hell ! Jake revient faire sensation avec «Rain Rain Rain», un heavy sludge joué à la syncope de fife & drums, ceux d’Otha Turner, bien sûr. Décidément, l’ami Jake multiplie les coups de Jarnac du Mississippi. Il parvient même à chanter au guttural des backwoods. L’album s’achève dans la pétaudière du limon avec «My Shoes», gros shoot de boogie diabolo, dans une extravagante débauche de raw.

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    Attention ! Le Boogie In The Shack des Nut Jumpers figure (lui aussi) parmi les grands albums des temps modernes, car il est bourré à craquer de son, de guitare, de beat et d’énergie tellurique. On sent cette énergie aussitôt ce «Woah Oh Oh» embarqué au shaking de shack, ça sent bon la cabane branlante, elle tangue car ils y font la fête et une guitare s’étrangle de plaisir sauvage. C’est la guitare d’Helen Shadow. Nous voilà au cœur du plus ancien mythe de la rock culture : le bastringue. Ils enchaînent avec un «Set Me Free» digne des early Kinks, ceux du temps de Shel Talmy et continuent leur course folle avec «Love Truck» drivé dans le gras du bide, bien riffé dans la panse du gut. Et tout explose avec «Boogie In The Shack», c’mon shake at the shack. Fantastique force de frappe, Jake n’en finit plus d’écrouler la gueule du raw, il swingue son beat à coups d’harp, c’est vraiment énorme, digne de Jerry Boogie McCain. Helen Shadow fait un véritable carnage sur tout l’album. Jake secoue la paillasse de «C’mon C’mon» - Let’s move around ! - C’est monté sur le plus fier des Diddley beats. Tiens encore un coup de Jarnac avec «Blow Your Top» : après une intro kill kill kill, ils lâchent tous les démons des enfers. C’est là que Ricky Lee Brown bat comme un diable. Puis Helen Shadow bat la campagne sur «Catholic Boy» avec sa vieille gratte moisie. Que de son ! C’est battu sec et net, pas de meilleur tapeur de tapas que Ricky Lee Brown. Ce mec lève une tempête chaque fois que l’occasion se présente. Ils inventent ensuite le gospel de cabane avec «Gonna Stand My Ground» et reviennent à du Creedence rock bien descendu dans l’esprit des guitares avec «No Good No Good». Helen Shadow does it right. Elle joue avec une niaque à peine croyable. Elle sonne littéralement comme le jeune Dave Davies, elle sort des notes carnivores, oui, elle joue au croc de note, gnac gnac ! Fantastique ! Ils reviennent au Memphis Beat avec «Keep A Little Place», avec une Helen paradisiaque et un Jake un peu Fea thers. C’est une équipe de rêve. Et ça se termine avec «Nut Jump» et là on bascule dans une folie à la Hasil Adkins. Ils vont même plus loin, avec du jump jump jump ! On n’imagine pas à quel point Jake et ses amis sonnent juste.

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    Vient de paraître My Foreign Love, le nouvel album de Jake & His Red Hot. Il attaque «Don’t Miss The Train Man» comme d’habitude, au big mumbling avec un son de rêve. Puis avec le morceau titre, il nous embarque pour Tahiti avec une espèce de classe dédouanée. C’est en fin de parcours que se trouvent les hits, à commencer par «Come Back To Me». Jake y joue le séducteur sous le boisseau du Tahiti groove. C’est visité par les alizés et bourré de notes virulées. Comme Elvis, il pique sa petite crise d’exotica. Et c’est avec «Gimme Your Love» que tout explose. On croirait entendre le Spencer Davis Group. Chœurs magiques et stomp de rêve. Il échappe aux genres avec une aisance déconcertante. Son «Gimme Your Love» sonne comme un hit énorme. Il rend hommage aux Coasters avec «Addiction Baby» et revient à la magie de Buddy Holly avec «You’re My Wonderful Love». Bien sucré, chanté du coin de la lunette à monture d’écaille, fruité et coconut, big Texas bound. Sa Buddy pop n’en finit plus de forcer l’admiration. Il claque ensuite «When I Was 15» aux accords garage. Jake fait ce qu’il veut, quand il veut et comme il veut. Il évoque dans son texte les motorcycles et les rockabilly rebels. Tiens voilà le «Fairy Tale» qu’on a entendu au Rétro. Il y fait un petit coup de hein-hein-hein à la Charlie. Idéal pour faire chanter une foule en chœur. Il termine l’album avec «The Queen Of The Road». Jake convoque les foudres du garage. On sent le souffle du bop dans le dos. Chaque fois que c’est possible, il tente le tout pour le tout, comme le fait dans son coin Jack Rabbit Slim. Mais ça ne marche pas à tous les coups.

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    Au mersh de Jake, on tombe sur une étrange pochette orange : on y voit un fakir méditer, confortablement allongé sur son tapis de clous. Le fakir s’appelle Maharadjah Pee Wee Jones et son album s’intitule Spring In Almeria. En sous-titre, on peut lire : Trance - Ethnic - Voodoo Blues. Ça ressemble à un truc de hippie.

    — C’est un copain à Jake ?

    — Non pas du tout ! C’est un projet parallèle !

    Pour faire le malin, on glousse de rire. Mais on l’achète. Avec des gens comme Jake, il faut savoir rester curieux. De retour au bercail, on ouvre le digipack. On y voit Jake déguisé en freak psychédélique. Thierry Sellier fait aussi partie de l’aventure, ainsi qu’un certain Serge Bouzouki. Tout cela semble très mystérieux. Le mystère ne plane pas longtemps, car dès qu’on commence à écouter l’album, on tombe de sa chaise. Aïe ! On peut parier que tous les malheureux qui ont écouté cet album sont aussi tombés de leur chaise. Pourquoi ? Parce que cet étrange Spring In Almeria compte parmi les meilleurs albums de Jake. Il commence par donner le change avec «Ulan Bator», il part de l’autre côté, en Orient mais il ramène du banjo dans son Bator. Il sculpte sa falaise à mains nues, il façonne un son qu’il faut bien qualifier de fascinant. Attention c’est très sérieux, le twing du twang défonce le heavy groove et on entend même des violons cajuns. Ses aw aw aw de corbeau valent bien ceux de Captain Beefheart. C’est tout bêtement de l’abattage de grand visionnaire, il se poste au carrefour de toutes les cultures, celles d’Orient et du Deep South et crée le boogie de la démesure. Il exsude la matière du son, fabrique une espèce de heavy psychout de downhome beat gorgé de banjo, oh boy ! Et quand on écoute le «Fame» qui suit, on voit qu’il ne peut pas s’empêcher de revenir au bord du fleuve, c’est plus fort que lui, même déguisé en fakir. Il purifie son son à l’extrême, il le fait pour de vrai, comme Don Cavalli. Avec «You’re Gonna Take Me», il quitte son tapis de braises pour allumer les braises du meilleur boogie d’insistance congénitale. Ah si seulement les gens pouvaient entendre cette réinvention de la montée en puissance ! Comme Lou Reed, Jake crée des miracles avec deux fois rien. Et vlan, voilà «I’m Glad», prétexte à inventer une nouvelle sauce. Il overwhelme son album sans prévenir, c’est une manie. Il amène son «Big Wise Healing» à l’orientale pour en faire un French hop de bayou craouette, bien craignos. C’est vrai que les Cajuns sonnent parfois comme les shamans de Mongolie, la racine magique est la même. Jake patauge dans cette soupe de mandragore. Flip flop and fly ! Il invente le shamanisme du delta. Et ça devient stupéfiant de primitivisme. Il attaque ensuite son «Get Along» comme une folle, oooh ooh ! Quelle désinvolture ! S’il voulait nous impressionner, c’est réussi. Il va beaucoup plus loin qu’on ne l’imagine. Qui va aller acheter l’album d’un fakir ? Et pourtant, c’est son album le plus libre, le plus percuté de la gâchette, il chante avec toute la folie des rois du rumble américain. Il dégage ensuite le maharadjah pour revenir au heavy sound de «Chicken Shack». C’est bombardé de son. Rockab pur ! Hey man hey ! I call you baby ! Il gratte ça au long cours. Il pousse des yah sur fond de sitar et ça donne l’un des albums les plus génialement déjantés de l’histoire du rock. Cette fois, on sent qu’il est complètement barré. Il chante son «Hey Man» par en dessous, accompagné par des violons. Il se permet désormais toutes les fantaisies. Les gens qui sont allés aussi loin ne sont pas légion. Jake découvre de nouveaux horizons et derrière lui ça gratte à la vieille cavalcade de mountain men, il chante son truc en lousdé, il rôde littéralement dans le son. S’ensuit un effarant clin d’œil à LeadBelly avec «Black Betty». Mais ce diable de Jake décide de le jouer à sa façon. Ce mec est un vrai punk, au sens où l’entendaient les Américains avant que les médias ne s’emparent du mot pour en faire ce que l’on sait. Punk, ça veut dire qu’il faut s’attendre à tout et c’est exactement ce qui se passe avec ce démon de Jake. Cet album est vendu comme un «projet expérimental», mais il est mille fois plus viandu et innovant que toutes les nouveautés à la mormoille. Jake taille une magnifique croupière à Black Betty. Il la travaille à la glaire de kid énamouré, il n’existe rien d’aussi explosé ni d’aussi viscéral ici bas. Il l’achève en allant hurler par dessus les toits. Avec «Almeria», il pique une petite crise d’espagnolade, mais ça explose vite fait dans des tourmentes. Ce mec nous épuise la cervelle avec son énergie inventive. «Almeria» sonne comme du Manitas Dr Plata, mais avec des coups de punk de Jake dans les tibias. Impossible d’échapper à l’emprise d’un tel coup de génie. Il ressort ses vieux accords du delta pour «You Don’t Know». Il gratte ça face au fleuve. Il s’enfonce dans la vase tellement c’est primitif - You don’t have - Il ne sait plus quoi dire, alors il en perd ses dents tellement il s’exacerbe. Il joue violent et juste, à coups répétés. Il offre ici une authentique approche du blues des origines. C’est d’une véracité qui en dit long sur son attachement pour cette culture. Il claque comme un dingue, comme s’il éprouvait la rage d’un nègre réduit en esclavage par un sale con de blanc dégénéré. Il devient alors très spectaculaire, et de plus en plus vrai, il cogne sa gratte. Captain Beefheart n’est jamais allé jusque là. Ni personne d’ailleurs. Le seul qui ait osé, c’est Jake Calypso.

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    Du coup l’album du Maharadjah Pee Wee Jones sert de leçon. Il existe un autre side-project de Jake qui est une compilation de ses cuts de blues préférés. On y va les yeux fermés. C’est du convaincu d’avance. La compile s’appelle Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. La cabane en bois qu’on voit sur la pochette est nous dit le mec du mersh celle où vit Jake. Cette compile rabat bien le caquet du spécialiste qu’on croit être. Jake Calypso joue son rôle de passeur à merveille : il nous fait découvrir des cracks qu’on ne connaissait pas, et quels cracks ! Tiens comme Hop Wilson & His Chickens, avec «Chicken Stuff». Eh bien c’est du rockab. Et même du rockab demented are go à gogo. Tout le bop de black est là dans l’épaisseur du son. Sur cette compile, tu vas découvrir du hot de hutte à la pelle. Willie Nix avec «Just Can’t Say» vaut toute l’hypno du monde. Grosse découverte avec Papa Ligthfoot et son «Mean Ol Train». Il met le heavy groove de jump en coupe réglée. Quel clinquant dans l’enfonçage de clous ! Ils font le train à l’énergie maximaliste. Le «We’re Gonna Boogie» de Lefty Dizz, c’est du punk-rock de nègres. Il gratte ça à la déraille de commando et ça vire hypno. Lefty veut groover comme Hooky et il tape la carte d’un fantastique boogie, il y met tout ce qu’il a dans le ventre. Parmi les gens connus, on trouve Lightnin’ Hopkins et son effarant «Had A Girl Called Sal». Encore un rockab amené au violent storm de slap. Lightnin’ boppe le blues avec une violence sourde. Vrai coup de génie. Autre géant du genre, Fred McDowell avec «Shake Em On Down». Carnassier. On entend les grenouilles de Quintron. Le fou qui joue de l’harmo ne peut être que Johnny Woods. Le «Country Boy Blues» de Pee Wee Hughes & The Delta Duo sonne comme un heavy boogie d’une absolue perfection. Pas de surprise avec John Lee Hooker qui nous plonge avec son «21 Boogie» dans le boogie des origines de l’humanité. Bo Diddley sonne comme un roi avec son «Bring It To Jerome», c’est probablement le beat le plus profond et le plus organique de l’histoire du beat. Doctor Ross nous ramène au temps des plantations avec «Chicago Breakdown». Purement africain. On croise plus loin l’infernal Frankie Lee Sims et sa guitare rouillée, l’affreusement sain Robert Petway et ce claqueur de beignet qu’est Lightnin’ Slim. Voilà qu’arrive ensuite un autre Slim de choc, Slim Harpo et sa fleur à la boutonnière, puis Rufus Thomas qu’on surnommait the Real King of Memphis, puis Frank Frost, dernier black enregistré par Uncle Sam et enfin le puissant Junior Parker qui tape au cahin-caha de voracité extrême son «Feelin’ Bad». On sort de cette compile à quatre pattes, complètement rincé.

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    En marge du très bel album que Jake Calypso et Archie Lee Hooker ont enregistré ensemble, il existe un album d’outtakes qui circule sous le manteau et dont il faudrait ne pas parler, mais il est tellement bon qu’on est obligé de l’évoquer. Il s’appelle The John Lee Hooker Day et propose huit morceaux enregistrés au Delta Blues Museum de Clarksdale, tous chantés par Archie Lee Hooker, avec Jake derrière à la guitare. Deux d’entre eux sont stupéfiants de primitivisme, «Water Boy» et «No Shoes». Le premier évoque bien sûr le gamin qui amène l’eau aux esclaves cueillant le coton en plein cagnard - The sun is breaking down/ Water/ Boy/ Bring water ‘round - Le deuxième remue encore plus la paillasse, car c’est le blues de l’extrême pauvreté, tel que l’a aussi chanté Wolf - No food on my table/ No shoes on my feet - Et puis tout explose avec «Bundle Up & Go», Mississippi shuffle tapé du pied. Bien dévoyé et sans retour possible. C’est du pulsatif primitif. Jake gratte sa gratte comme un crack.

    Signé : Cazengler, Hot shit

    Hot Chickens. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

    Hot Chickens. Speed King. Stax Records 2007

    Hot Chickens Play Gene. Chickens Records 2017

    Hot Chickens. Fool’s Paradise. Rock Paradise 2019

    Jake Calypso. 100 Miles. Chickens Records 2017

    Jake Calypso. Grandaddy’s Grease. Chickens Records 2010

    Wild Boogie Combo. Blues. Chickens Records 2012

    Jake Calypso & His Red Hot. Father & Sons. Chickens Records 2013

    Jake Calypso & His Red Hot. Downtown Memphis. Chickens Records 2016

    Jake Calypso & His Red Hot. My Foreign Love. Rock Paradise 2019

    Maharadjah Pee Wee Jones. Spring In Almeria. Trance Ethnic Voodoo Blues 2008

    The Rambling Men. Move It On Over. Chickens Records 2014

    Jake Calypso, Archie Lee Hooker & The Boogie Combo. Vance Mississippi. Chickens Records 2016

    Nut Jumpers. Boogie In The Shack. Rock Paradise 2018

    Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. Chicken & Yokatta Records 2019

    Jake Calypso, Archie Lee Hooker. The John Lee Hooker Day. Around The Shack Records

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N°10

    JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2019

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    Dans la série vaut mieux se servir soi-même pour avoir exactement ce que l'on veut, Sergio a pris les choses en main. L'a commencé par la chasse aux blancs. Je vous rassure, il n'a tué personne, par contre au niveau typographique il a éradiqué sec. Plus de lignes sautées entre deux paragraphes, idem pour les photos, ces belles demoiselles ne se pavanent plus en leur solitude en de vastes espaces nivéens. Résultat vous en avez plus pour la même surface. Esthétiquement l'a tout de même su éviter le pavillon concentrationnaire, la revue est plus agréable à lire.

    Une fille chez les pionniers. Ni Brenda Lee, ni Wanda Jackson, mais Janis Martin. Sa carrière commença sous une bonne étoile, le soleil le plus brillant, Elvis Presley en personne. Se terminera un peu en queue de comète puisque ses parents refuseront de la laisser dans les griffes du Colonel Parker. Suivra un gros trou... N'empêche que sur son premier disque, Chet Atkins et Grady Martin s'occupent des guitares. Difficile de trouver mieux dans les studios à l'époque. Des disques un peu trop sauvages qui hormis le premier ne trouveront pas le grand public. En contre-partie une belle légende du rock'n'roll. Les comebacks se suivent mais n'apportent guère le sujet escompté. Quelques mois avant sa mort, l'on trouvait sur le net une annonce d'une de ses amis pour récolter des fonds pour éditer son dernier album...

    La vie ne fait pas de cadeau. Les jeunes n'y pensent guère, voici The Accidents, Keri-Anne sourit de toutes ses dents sur la photo pleine-page, elle et ses deux frères n'ont qu'une envie : s'amuser, profiter de la vie high-voltage, s'éclater sur scène, prendre du bon temps. Une philosophie un peu à courte vue, toutefois très agréable, pourvu que ça dure disait la mère de Napoléon...

    Gros dossier sur les Stray Cats. Sergio retrace leur carrière, avant, pendant, après. Quarante ans ! Cela ne nous rajeunit guère, par contre le rockabilly leur doit une fière chandelle, lui ont infusé un sang neuf et une bonne dose d'énergie. Rappelons que sans les Teddies d'Angleterre l'histoire aurait pu se perdre dans les sables de l'incompréhension.

    Le Cochon à Plumes n'est pas un nom de groupe mais un bar-concert à Reims qui accueillit le mois de mars dernier un concert Wild Records avec trois groupes : les Mighty Tsar de chez nous, Los Killer Tones de Mexico, et Chuy & the Bobcats en vedette. Le compte-rendu vous fera regretter de l'avoir raté. Mais le plus intéressant vient après. Jesus – pas lui – l'autre de Wild Cat, beaucoup plus glamour, répond aux questions, un pédigrée à rendre un chien de concours malade, l'a notamment enregistré avec Darrell Higham, et surtout il a des tonnes de choses à raconter, l'a accumulé des expériences diverses, toute la différence entre l'insouciance des Accidents et le gars confronté à des situations enrichissantes...

    Un article sur Rock'n'roll Show de Samer ( Pas-de-Calais) avec entre autres lors de ces trois jours de mai les Black Raven, Long Black Jackets, Jake Calypso, Rough Boys et Spuny Boys, évidemment si vous ne prenez que des cadors... Les Spuny que l'on retrouve à Lille pour leur 1000 ° concert, la fête rock'n'roll de l'année. Si vous n'y étiez pas, Sergio vous refile ses plus belles photos. Un lot de consolation dont la beauté ravivera vos regrets.

    Chroniques habituelles sur les trois dernières pages, mais je m'aperçois, bande de malfrats, que vous avez sauté la présentation de Chukka-Boots Teddy Boys & Rock'n'Roll Club qui sévit dans la ville de Bourges et le Berry, des activistes rock de la meilleure volée. De tous les numéros de Rockabilly Generation celui-ci me paraît le meilleur, il atteint à une réelle densité rock.

    Damie Chad.

    P. S. : Si vous êtes un gros maladroit, en déchirant le plastique vous évitez de faire tomber le flyer pour la Rockin' Gone Party n) le 16 / 09 / 2019 à St Rambert d'Albon ( 26 140 ) dans la Drôme.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

     

    CAMON ( 09 ) / 02 - 08 - 2019

    La Camonette

    JUKE JOINTS BAND

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    Plus de camionnette garée sous les platanes. Que voulez-vous ma bonne dame tout se perd en ce bas monde. Certes mais il est inutile de tomber dans le nihilisme le plus désespéré. Car tout se recycle. La Camonette est morte, vive la Camonette, surtout que la nouvelle est désormais coachée par Christophe. Les plus anciens lecteurs de Kr’tnt ! connaissent. Drivait le groupe Number Nine voici quelques années, mais là il a ajouté un fusil à son épaule. L’est devenu ( entre autres ) restaurateur. L’a ouvert un enclos de vieux murs, dressé quelques tables, installé un coin culinaire et il vous sert de succulentes saucisses pimentées accompagnées des salades qu’il va cueillir tout droit dans son potager à quelques mètres, le mec question empreinte carbone minimale, vous ne trouverez pas mieux. Miam ! Miam ! Et tous les jeudis soirs il reprend la tradition des concerts hebdomadaires.

    Pour cette soirée est programmé le Juke Joints Band, la file d’attente ne désemplit pas. Plus de cent vingt personnes se sont déplacées, forte proportion d’anglais qui squattent la région sans vergogne. N’y a pas de miracle, depuis que le Juke parcourt les environs, il a désormais un public fidèle, près à le suivre dans tous les carrefours maudits.

    JUKE JOINTS BAND

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    Formule minimale ce soir. Ben Jacobacci à la guitare et Chris Papin au chant. Une guitare et une voix, pour le blues c’est amplement suffisant. Deux sets, une dizaine de morceaux pour accompagner l’apéritif, et un second plus tard pour sublimer la digestion. N’oubliez pas qu’en ses débuts le blues était la musique des crève-la-faim. Mais avant la poche gastrique vide ou après la peau bien tendue le Juke vous distille la même eau-de-vie, la même eau-de-mort, car le blues c’est comme le Mississippi, il vous charrie dans ses eaux tumultueuses autant de charognes que de poissons-chats indomptables. Dans les deux cas la friture vous restera en travers du gosier.

    Faudrait jouer à pile ou face pour savoir si le blues c’est d’abord la voix de Chris ou la guitare de Ben. Beaucoup des deux. Ce qui est sûr c’est qu’ils puisent leur répertoire en eaux troubles, autant chez Creedence que chez Keb Mo, autant chez Muddy Waters que chez les Stones, autant chez Otis Redding que chez Tony Joe White. Du Sonny Boy à Tina Turner. Large panel, blues, rhythm’n’blues, rock ‘n’ roll, s’en foutent, z’ont leur moulin à café à double engrenage.

    La guitare de Ben, un fouillis inextricable, filez-lui une six-cordes, en un tour de main elle sonne comme une deux fois douze cordes. Vous êtes perdu, vous vous demandez ce qui va bien pouvoir sortir de cette mouture. Un enchevêtrement sans fin. Un labyrinthe auditif. Vous éprouvez la nécessité de vous faire greffer une douzaine d’oreilles supplémentaires pour comprendre de quoi il en retourne au juste. Si vous avez le malheur de vous attarder sur Ben, vous n’entendez plus Chris, peut vous chanter la Carmagnole ou l’Ave Maria de Schubert, vous ne le remarquerez pas. Vous êtes confronté à cette étrange énigme : comment de tout ce marasme cordique peut-il naître une telle clarté riffique. Le Ben est un orchestre à lui tout seul, un nuage d’hirondelles qui s’envolent aux quatre vents de l’esprit pour en ramener le duvet nécessaire à la confection du couffin protecteur nécessaire à la voix de Chris.

    Car le Papin, quelle classe dans sa chasuble noire et ses gestes sobres, l’est le coucou qui s’en vient poser sans vergogne l’œuf germinal de son larynx brûlé dans la coque protectrice soigneusement tissée par Ben. L’en éclot un phénix de flammes fulminantes qui se calcine en cendres à chaque intonation. Vous fout le feu au blues comme le pyromane à la forêt. Gorge ardente. Là ou sa voix passe le blues repousse toujours, comme la lèpre sur les écrouelles. Aucun mérite, c’est naturel chez lui, n’a qu’à ouvrir sa bouche pour que le blues le plus pur coule à l’instar de ses rayons de miel d’abeilles sauvages qui débordent dans le creux de l‘arbre de vie. Le mojo entre les dents. Un alligator dans le cerveau. Quand il se tait et que Ben s’arrête de jouer, c’est la longue flopée des applaudissements approbateurs qui prennent le relai. Ces deux-là, tout le monde est d’accord ne faut pas les laisser s’échapper, pas de crainte, le Ben vautré à la renverse dans son tabouret est trop bien là où il est, ses mains se débrouillent toutes seules pour vous embrouiller la tête et le Chris est trop content de vous abasourdir entre deux morceaux de craques introductives destinées à vous faire douter de la réalité des légendes. Sourires complices de criminels en goguette, sûrs de commettre les pires méfaits hautement répréhensibles, des voleurs d’âmes, commencent par la charmer, et elle s’enfuit de vous sans que vous y preniez garde, vous la peinturlurent en bleue et vous la rendent habillée pour l’hiver. En plus Ben sort de temps en temps son arme secrète, l’a aussi une voix de baroudeur du blues, et nos deux lascars se permettent des résonances harmoniques à vous vriller la moelle épinière. Même que parfois l’on applaudit quand ils se taisent car l’on croit que le morceau est fini et enterré. Et hop il rebondit comme une balle de squash, la guitare de Ben tourbillonne comme un maelström et la voix de Chris résonne comme la trompette rouillée de l’apocalypse.

    Inutile de se plaindre, vous le saviez, le Diable ricane de toutes ses dents pourries au fond du blues. Faut ce qu’il Faust. La voiture de messieurs Ben et Chris est avancée. J’espère que vous avez reconnu le chauffeur qui conduit devant, s’appelle Robert Johnson. Ne réveillez jamais la bête endormie. Seigneur quelle soirée de rêve fantomatique avec nos deux saigneurs du blues !

    Damie Chad.

    J’ai eu droit à un cadeau, tant pis pour vous, vous n’aviez qu’à être là, un exemplaire de démonstration ( huit morceaux sur neuf ) du prochain CD.

    Devant de pochette noire qui n’est pas sans évoquer les deux disques précédents. Le logo du groupe et rien d’autre. C’est au dos que vous retrouvez les quatre mousquetaires en leurs œuvres vives, sur scène.

     

    HELP ME / JUKE JOINTS BAND

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    Ben Jacobacci : guitare, chœurs / Rosendo Frances : batterie, chœurs / Michel Teulet ; basse, chœurs / Chris Papin : homme sans chœurs mais au chant.

    One meat ball : me suis repassé quinze fois l’intro rien que pour le plaisir de savourer, on a beau dire et beau faire l’invention de l’électricité vous éclaire le monde d’une autre manière, le Ben a laissé l’acoustique au placard, ça change le son, le Juke a multiplié la puissance de feu, et pourtant ils n’en profitent pas, ne vous font pas le coup de la découpe au lance-flamme, non les trois compères se sont entendus pour un loop de loop douillet, le Rosendo survole ses caisses en douceur, Michel Teulet ne vous graphite pas au noir absolu les lignes de basse, reste sobre, et le Chris vous fait le coup du chat qui se promène sur le toit de l’église du village. Une aisance déconcertante, vous avez peur qu’il tombe, mais il se joue des difficultés, l’est sur l’arrête de la faitière centrale, et il vous semble qu’il folâtre au-dessus des clefs de voûte les yeux fermés. S’en va dénicher la ratignole qui niche sous les plus hautes ardoises du clocher. L’est sûr de lui. Vous sort le miaulement feutré du gentil minou qui vous le met quand même dans le trou de meat ball, tout en douceur. Undercover agent : en tant que membre émérite du Service Secret du Rock’n’roll, je peux le certifier, pas vu pas pris, laissez s’agiter les autres et agissez dans l’ombre. Plus vous déléguez, moins vous en faites, alors le Chris puisqu’il a trois pointures à son service, il leur laisse toute la place, pas un instrumental mais presque, faut entendre le Rosendo aligner les patins sur ses traces, et dès que Chris se tait, vous avez la basse et la guitare qui broutent avec délectation la même touffe d’herbe, et quand il reprend l’avantage c’est pour les diriger tout droit sur un final abrupt dans lequel ils se taillent la part du lion. Start it up : les guitares s’amusent, font des pointes comme les danseuses à l’opéra, et ensuite l’on balance la soupe, Chris tient la queue de la casserole et il distribue joliment la purée, alors les autres en joie ne tardent pas d’une seconde pour tapisser les murs du contenu de leurs assiettes, se déchaînent même salement, le Chris obligé de faire semblant de les freiner pour mieux envoyer la mousseline au plafond. Heart attack and vide : attention, là c’est du blues qui lave plus bleu que bleu, les guitares chancellent comme la flamme des chandelles sous la brise matinale, et le Chris il se surpasse, plus blues que lui tu trépasses, le Ben sonne les cloches, l’on est désormais plus proche de la mort que de la vie. L’est sûr que c’est dangereux mais chacun souque ferme pour se tirer de ce mauvais trépas, ceux qui sont remontés des Enfers sont plutôt rares, mais eux ils vous font la démonstration de leur savoir-faire. Un must. San Francisco Bay : une gratte qui banjoïse et la voix de Chris qui tinte comme des coupes de champagne. Un blues qui folkle et sifflote, faut de tout pour faire un blues, mais perso je l’aurais quand même tenu plus fortement sur la chaise électrique. Satisfaction : dans la série je fais de la planche à voile sur un skate pourri, nos quatre lascars ne doutent de rien, faut du culot pour s’attaquer à de tels monuments. Z’ont choisi la fausse copie conforme de la carte d’identité qui met la police de la pensée et des mœurs sur leurs dentitions plombées jusqu'à l'os, au début ils essaient de ne pas sortir des sentiers rebattus et puis ils s’approprient le truc comme si c’était à eux, tout juste qu’ils ne l’aient pas revendiqué dans les crédits, vous le font à la décontracte, je m’amuse à rester sérieux et à la fin le Ben il vous catapulte le rififi à cent à l’heure. Am I wrong : très mauvais, c’est le seul morceau qui ne soit pas sur ce disque ! Help Me : peuvent crier au secours tant qu’ils veulent, se dépatouillent très bien tout seuls, c’est du beau, c’est du bon, c’est du dur, le truc sans défaut qui emporte la conviction de vos ennemis les plus féroces. Un festival, vous laissez couler le robinet rien que pour le plaisir de voir l’inondation se répandre dans le monde entier. Et le cas échéant aller sauver la voisine du dessous toute nue dans sa baignoire. Ain’t superstitious : normalement avec le morceau précédent vous êtes rassasié, mais le Juke vous offre le petit dernier, le coup de l’étrier, il ne vous tuera pas mais il vous rendra plus fort. Prennent leur temps, fignolent le gâteau, posent la cerise explosive. Hey ! Hey !

    C’était juste un avant-goût, vous rechroniquerai le disque dès que j’aurai l’exemplaire définitif. Un record qu’il faudra avoir dans sa discothèque pour ne pas avoir l’air trop naze et être pris pour un bleu.

    Damie Chad.

    06 – 09 – 2019 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BARON CRÂNE / ZARBOTH

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    Retour à la Comedia après les vacances d'été. Ne suis pas à trente mètres de l'établissement que quelque chose a changé dans mon champ de vision. Non ce n'est pas moi, mais le mur. Serait-on face à un étrange phénomène digne d'une nouvelle de Lovecraft, la fresque de la façade a gagné en surface, elle s'est emparée de l'arrière du deuxième étage du bâtiment, aurions-nous affaire à la suspecte prolifération d'une nouvelle mutation d'un champignon des murailles hors de tout contrôle destinée à recouvrir toutes les maisons de Montreuil de son étonnante lèpre calligraphique, dans un avenir relativement proche la population de la ville sera-telle évacuée pour laisser place aux millions de touristes venus du monde entier visiter les rues bigarrées de cette nouvelle Pompéi moderne ? Je n'en sais rien, au moins aurais-je tiré la sonnette d'alarme pour prévenir les autorités. En tout cas j'ai réussi à identifier le bacille responsable de cette invasion graphique, il s'agit du Martinus Peronardus. Une virus proliférant venue d'Amérique du Sud particulièrement nocif. Il n'y a qu'à pénétrer dans le local pour s'apercevoir qu'elle s'attaque aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ne lui reste plus que deux plafonds à recouvrir, c'est d'autant plus inquiétant qu'à la Comedia l'on a bossé tout l'été, que le local a pris un coup de beau, et il faut bien le reconnaître désormais les groupes sur scène bénéficient d'un superbe décor, ah ! cette chaîne d'yeux disposées en hélice d'ADN qui vous scrute depuis les plafonnettes, c'est ainsi que du haut de l'empyrée les Dieux doivent regarder avec un dédain fatigué les vains agissements des humanoïdes ratés que nous sommes. Et ce soir ils ont dû être particulièrement édifiés, à quel étrange et déraisonnable culte les nombreux représentants de l'espèce humaine qui avaient envahi le local se sont--ils adonnés ? Certainement une cérémonie en l'honneur de Nyarlathotep, l'énergie noire du chaos rampant...

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    BARON CRÂNE

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    Je ne veux pas crâner, mais avec cette kronique je suis sûr d'avoir tout juste, de ne pas me tromper de case. C'est simple vous pouvez les cocher toutes, vous gagnerez toujours. Vous ne tomberez pas à côté. En plein dans le mille. Cœur de cible tous azimuts. Si vous n'avez jamais entendu une seule note de Baron Crâne, et que l'on vous demande de définir leur style, prenez l'air inspiré du monsieur-( ou de la madame ) je-sais-tout, et laissez tomber négligemment ces cinq mots : c'est du rock, voyons ! Vous êtes sûr de ne pas vous tromper, si votre langue fourche et que vous dites, c'est du jazz, ou c'est du surfin', ou c'est du prog, ou c'est du funk, ou tout ce vous voulez d'autre. A l'exception du biniou serbo-crate, vous aurez raison, parce que le Baron Crâne, c'est tout cela à la fois. Et en plus ils ne pourront même pas vous contredire, parce qu'ils sont muets comme des carpes, n'ouvrent pas la bouche, ne prononcent pas un mot, ils ne jouent que la musique, de l'instrumental pur, des bijoux vocaux de la Castafiore ils n'en offrent aucun en devanture.

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    Parce que le Baron Crâne, ils réussissent ce prodige de tout donner et de récurer la marmite jusqu'au fond, et pourtant ils ne sont que trois à réaliser ce miracle de vous emmêler les pinceaux pour vous peindre les fresques les plus magnifiques. Un trio de malfaisants décidés à réaliser les pires tours de passe-passe. Au fond, près de la batterie le cancrelat de la classe. S'appelle Léo Goizet. Fonctionne comme une machine à concasser le rythme. Avec lui votre oreille dégoise grave. Ne peut pas laisser ses camarades se dépatouiller en toute quiétude de leur instrument, l'est partisan des accélérations subites, l'a de ses rictus diaboliques quand il tape à la madurle sur sa caisse claire, il regarde ses acolytes du genre '' les gars ne lanternez pas sur le passage à niveau, le TGV arrive'', ou alors il est pris d'une aversion subite envers le public et durant trois minutes un incendie de cymbales carillonnent dans votre tête comme un camion de pompiers en feu. Pour la grosse caisse il lui refile des coups de pieds comme s'ils étaient quinze à latter une victime innocente dans la pénombre d'un cul-de-sac morbide. Moralement parlant Léo Pinon-Chaby ne vaut guère mieux. N'a pas une collection de toms lui, n'a que six cordes à sa guitare, alors s'est rattrapé sur le nombre des delays, en use et en abuse, un clic du pied par ci ou par là et la donne change du tout au tout, de l'escadrille d'avions au décollage, aux senteurs de pivoines fraîchement éclose au petit matin, est incapable de rester longtemps sur les mêmes mêmes sonorités, un borderline des pédales, il lui arrive même de temps en temps de délaisser sa guitare pour tomber à genoux et tourner quelques boutons. A première vue Olivier Pain est le plus normal, un faux semblant éhonté, se colle à sa basse comme la ventouse aux double-wc, comme le mont Ventoux à son sommet. L'essaie de s'en arracher, s'arc-boute de toutes ses forces, mais non, vlan ! il retombe dans un gravier de groove fou qu'il n'a jamais quitté, une espèce de motoculteur fantôme décidé à couper en deux de son soc sanglant la population terrestre des lombrics sauvages qu'apparemment il exècre sans trop savoir pourquoi.

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    Vous entrevoyez le tableau. Mais hélas vous n'entendez pas le son. Vous imaginez une toile dadaïste avec des barbouillages de maternelle qui dépassent de partout. Tout faux. Maîtrisent salement leur délire. Certes à eux trois ils font autant de bruit qu'un orchestre symphonique. Mais quelle classe ! Vous emmènent en promenade. Sur les montagnes russes, escalades de parois glacées, vertiges d'abîmes sans fond, houles océaniennes, longue plage de sables fins bordée de palmiers, torrents tempétueux, géographie musicale planétaire, une espèce de fouillis zappatiens, des espaces de beautés floydiens, des bidouillages critiques de contemporanéités ultraïques, toutes les trois minutes vous changez de scène, flogistique shakespearien, une aisance déconcertante, un regard complice échangé et les décors se métamorphosent.

    Une musique sans concession, c'est à vous de suivre, si vous perdez le fil vous êtes pommé, c'est comme à la corrida si vous lâchez le taureau et le torero du coin de l'œil, vous vous ne comprenez pas pourquoi c'est la bête ou l'homme qui agonise par terre, mais à la Comedia le public est formé de connaisseurs, pas question de lâcher une miette, les applaudissements ponctuent les passages acrobatiques à tel point que parfois ils se piquent au jeu et vous jouent des fausses fins de séquences des baissers de rideaux, rien que pour vous faire comprendre qu'ils ont toujours quelques décamètres d'avance sur vous. Une dizaine de morceaux, autant d'atmosphères irisées d'étranges couleurs, une musique puissante, coruscante, sinueuse, frontale, un vol d'engoulevents emportés dans un tourbillon cosmique, Baron Crâne a su fomenter la ferveur d'un auditoire qui aurait voulu les retenir toute la nuit.

    ZARBOTH

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    Zarbi, les Zarboth. Le début est une véritable calamité. D'abord ils ont un look dépareillé. Un grand gars à la moustache en arc de cercle qui tape un rythme boiteux sur la caisse claire sans trop de conviction, l'air de je serais vraiment mieux ailleurs qu'ici, pas très loin il y a une espèce de faux vrai indien – à moins que ce n'en soit un vrai indien faux - avec des tresses à la Sitting Bull mais beaucoup plus courtes, lui Phil Reptil, il essaie de tenir sur ses cordes la même cadence que le batteur sans trop y parvenir, et enfin au micro, un trompettiste, pas tout à fait un jeune premier, qui souffle hors de ton une espèce de pépiement d'oiseau horripilant. Z'ont tout faux. Et puis par miracle au bout de deux minutes ils ont tout juste. Du costaud. Macdara Smith vous profile de ces lampées cuivrées dignes de Miles Davis, et les deux acolytes vous percutent une espèce de noise-jazz du meilleur acabit. Mais voici que maintenant Etienne Gaillochet entonne un étrange gargarisme qui tient autant de la mélopée funèbre, que du chant grégorien, de l'haka rugbistique que des chœurs de carabins en goguette. Jaloux Macdara dépose son instrument à vent pour l'imiter. Dès le second morceau Phil Reptil ne résistera pas à se joindre à cette cacophonie délirante.

    Durant les vingt minutes suivantes, certains éléments inquiétants sont à relever, exemple le Gaillochet qui quitte ses tambours en plein morceau pour entamer une espèce de danse de l'ours dans le dos de son guitariste, du coup le Macdara délaisse le chant au profit d'un long hurlement de loup solitaire affamé dans les froideurs de la taïga sibérienne, mais bientôt tout rentre dans l'ordre, et l'épisode chamanique semble définitivement clos. Du free-jazz, l'on passe à une espèce de simili rap tortueux du meilleur effet, l'on en profite pour s'apercevoir que tous trois savent vraiment très bien jouer et qu'en plus Macdara n'est ni le deuxième ni le troisième couteau de la formation. Come et Lost passent comme des lettres à la poste, Stymied est un peu plus chaotique, mais à partir de Naked l'on entre dans une autre dimension.

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    Avec son inimitable accent américain, Macdara nous demande d'être bien en nous-mêmes et de trouver les gestes qui nous délivreront, bon prof, il nous donne un exemple, lève ses bras au-dessus de sa tête – chez une petite fille de quatre ans à son premier cours de danse vous ne saurez résister à la beauté de cette gracile élévation – mais chez notre quadragénaire au physique de guichetier de la poste, vous ne pouvez que sourire, erreur fatale nous ne savions pas ce qui nous attendait. Le morceau est-il à peine fini qu'il lance ses chaussures en l'air, une au plafond, l'autre qui retombe sur la caisse claire, puis dans un geste auguste et en même temps crampien il retire – avec une certaine difficulté due à la sueur – son T-shirt, puis son pantalon qui atterrit et s'entrecroise en plein dans les toms ce qui ne facilite pas le travail de Gaillochet. Malgré son calçon rouge qui souligne les rondeurs de ses attributs Macadara micro en main se lance dans une espèce de hip-rock déjanté qui met en valeur la dextérité de ses compagnons. Faut voir le Reptil, l'est enchanté d'être sur le sentier de la guerre, à chaque nouveau morceau il vous déterre des tomahawks de haine de plus en plus tranchants.

    Délire général. Les titres s'enchaînent, Putain Putain ( d'Arno ), Sperman, Clitoman, tous au dessous de la ceinture, politique et érotique, nos musicos se retrouvent tous les trois enlacés à chanter à capella puis regagnent leur instruments pour un groove de la mort à vous évader de la prison de votre chair. Certes l'esprit est là, celui de la folie, de la dérision, du cirque, du chahut et de la chasse au dahu au fond des bahuts. Devant la scène les corps s'enchevêtrent de plus en plus sauvagement. Il y a longtemps que nous n'avions tant ri.

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    Rappel homérique. Un groove tentaculaire plantureux, une espèce de rythmique géante euphorisante qui refuse de s'arrêter et qui durera plus de vingt minutes. Attention, sont tout sauf des rigolos. Des performers qui sont revenus de tout, surtout de leur performance, car cruauté bien ordonnée et incisive commence par soi-même. Si maintenant les rockers se lancent dans la philosophie. Où va le rock ? Et peut-être plus grave : où va la philosophie ?

    Damie Chad.

     

    PASSEUR / LE CORE ET L'ESPRIT

    ( Clip / Septembre 2019 )

    ( Réalisateur : NICOLAS ALLIOT )

    Orpheline : Ellyn / Orphelin : Liam / Passeur : Florent / Officier allemand : Marco.

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    L'album est sorti au mois de mars, nous les avions vu le 15 avril à la Comedia ( livraison 416 ), et voici le premier clip adapté du premier morceau du CD.

    Le Core et l'Esprit fait partie de ces groupes qui ne misent ni sur l'esbroufe ni sur l'air du temps pour gagner les cœurs. Une musique sauvage mais des lyrics en français. Quand on a quelque chose à dire autant le crier distinctement que le public le comprenne. Que voulez-vous, il reste encore des individus qui refusent de formater leur cervelle avec ces ersatz de recharge de pensées consensuelles vendus en boites dans tous les supermarchés.

    Passeur est une chanson hommage à tous ces passeurs anonymes qui dans la France occupée ont aidé à sauver ( entre autres ) les enfants juifs. Certes c'était il y a longtemps, mais les autres titres du disque vous soufflent fortement que la résistance à toutes formes d'oppression est des plus actuelles et des plus nécessaires.

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    La réalisation de Nicolas Alliot est remarquable. Dès les premières images vous êtes projeté dans ces films en noir et blanc qui ont fait la grandeur du cinéma français d'avant guerre. En cinéma gris, un choix esthétique, regardez une des photographies du tournage, et la correspondante extraite du clip, la différence parle d'elle-même, vous pouvez toucher du doigt, pardon de l'œil, ce qu'une démarche artistique ajoute à la simple reproduction du réel. Dans la première cas, la viride beauté de la nature campagnarde vous vrille la tête, dans la deuxième elle n'a pas disparu, loin de là, son impassibilité est même sublimée par l'angoisse de la situation. Les gamins sympathiques du tournage sont transformés en marionnettes du destin, ils perdent toute singularité pour devenir des symboles agissant de la peur et de l'espoir.

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    Le pré-générique est magnifique de justesse – c'est dans les tout petits détails que gisent la grandeur des choses et des actes, les billes de verre, le regard emmuré en-lui-même de la grande sœur, la fumée de la cigarette au bout des doigts, mais voici le groupe de rock dans une grange aux trous béants, la musique déboule mais les fuyards glissent sans bruit emportés comme dans un songe de liberté. L'on ne voit plus que le groupe, seulement par des intermittences des éclats gris de l'histoire évoquée, le regard réfléchi du Passeur, et l'officier allemand qui remonte la piste, revolver à la main, car les rêves virent souvent au cauchemar, et le vaste espace découvert à franchir en courant... les enfants courent au-devant de la vie et d'eux-même, superbe montage de Nicolas Alliot, qui vous stresse d'angoisse avec seulement quelques fragments d'images, la séquence est courte mais elle donne une impression d'infinie durée.

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    Et pourtant, question timing le groupe se taille la part du lion, belle prestation scénique de Léo d'une générosité très expressive, et les mains des musiciens sur cordes, avec en plus surtout ces effets de propulsion en avant qui ne sont pas gratuits, qui ne visent à aucun pittoresque, mais qui s'inscrivent dans le dénouement de l'écriture filmique. Un peu comme la rime finale d'un sonnet clôt sur lui-même l'artefact poétique dont elle est censée être le dernier mot, mais dont elle révèle le sens ultime.

    Le Core et l'Esprit est décidément un groupe à suivre. Ils font en sorte de s'intégrer dans une démarche signifiante, selon laquelle musiques, lyrics, images, forment un tout opératif dont les parties se répondent dans un dialogue porteur de sa seule raison d'être. Car de quel droit incongru peut-on s'adresser aux autres si le projet dont vous êtes porteur reste un brouillon illisible, ou sans conséquence notable sur le monde qui nous entoure. Qui a, hélas, souvent besoin de quelques mises au point. Au poing.

    Damie Chad.

    D.J. FONTANA

    BATTEUR HISTORIQUE D'ELVIS PRESLEY

    par TONY MARLOW

    ( in Jukebox 393 )

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    L'on se souvient avec émotion de la superbe série que Tony Marlow avait consacré aux guitaristes des pionniers. Pour ceux qui ont raté, pas de panique sont tous repris dans le Hors-série N° 37 d'avril 2017. Sait de quoi il cause le Marlou, l'est un de nos meilleurs guitaristes actuels, ce qui ne l'a pas empêché de débuter dans le métier en tant que batteur. Et voici donc qu'il nous présente cette fois-ci D. J. Fontana le batteur d'Elvis. Fut là pratiquement du tout début jusqu'à la fin, on le retrouve sur 460 morceaux du King. Jugez du peu !

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    L'a quatre ans de plus qu'Elvis qui le rencontrera lors de son première fois au Louisiana Hayride avec Scotty Moore et Bill Black. Certes il apporte sa batterie au trio, cet instrument qui nous semble aujourd'hui indispensable au rock'n'roll, mais aussi une science de l'instrument pas spécialement ancrée dans le rockabilly, d'ailleurs en totale gestation à l'époque. Son idole à lui c'est Buddy Rich batteur de jazz qui sur son lit de mort à l'infirmière préposée aux injections qui lui demandait s'il était allergique lui répondit : ''Oui, au country !'' . Comme quoi vos enfants spirituels sont parfois surprenants. Buddy Rich, était remarquablement doué, fit sa première apparition publique à l'âge de dix-huit mois, l'était un technicien hors-pair mais aussi le gars capable d'improviser et de s'adapter à toute situation. Il est à croire que c'est cette qualité calaméonienne de Buddy Rich que D. J. Fontana engrangea dans son subsconscient. A quinze ans il trouve le seul boulot pour lequel j'accepterais de travailler à l'œil, il accompagne les séances d'effeuillage de strip-teaseuses. Cela n'a l'air de rien mais entre Buddy Rich, les déshabillages de ces dames, et Elvis, il existe une logique souveraine.

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    L'on ne le répètera jamais assez, et Tony Marlow analyse le phénomène avec tout son savoir de praticien émérite, entre 1954 et 1958, le rock'n'roll était une musique à inventer. Ce furent des gamins somme toute bien inexpérimentés qui se chargeront de cette tâche. Un peu par la force des choses, et beaucoup par instinct. Les évènements vont vite et l'on n'a pas le temps de réfléchir. D'autant plus que le bagage théorique dont disposent la plupart de ces créateurs est bien maigre. Sur scène, notre jeune héros n'a pas le temps de feuilleter un traité d'instrumentation ou de composition ( d'autant plus qu'il ne sait pas lire la musique ), faut que ça pulse illico, tout en douceur exactement comme quand la main se rapproche de la bretelle du soutien-gorge, car le secret est de faire durer le plaisir, ralentir les feulements prometteurs du balai, mais au moment ultime de l'arrachage, z'avez intérêt à sonner toutes les cloches du beffroi de Bruges sur votre caisse claire si vous vous voulez être en accord avec la montée testostéronique du public, je ne vous parle pas quand on aborde le triangle des Bermudes situé un peu plus bas, c'est Elvis qui a de la chance, le Fontana il devine tout ce qui va se passer, connaît l'instant précis où le Pelvis va se déhancher, quand il est nécessaire de craquer les allumettes ou de refermer la boîte. Désormais sur scène l'Elvis sait qu'il peut improviser sa gestuelle à tout moment, fait confiance à son batteur pour trouver le tchac-a-poum-boom-boom qui tue. De leurs côtés Bill Black et Scotty Moore comprennent qu'ils n'ont qu'à innover dans le même sens. Et chacun y va de sa petite trouvaille. Le détail qui tue, le bouquet de fleurs rouges négligemment posé sur le guéridon vert, sans quoi même le palais de Buckingham vous prend une lamentable allure de chaumière délabrée.

    Lorsqu'ils arriveront en studio ce savoir deviendra décisif. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je possède un critère absolu pour juger d'une œuvre d'art ( plastique, écriture, peinture, musique, etc... ) : c'est simple ou je peux le faire et cela ne vaut pas tripette, ou je pourrais le faire. Exemple : si j'étais batteur je pourrais sans trop de difficulté – parfois je me vante - suivre le rythme de My Baby Left Me, mais il y a de certaines dégringolades dans ces premiers morceaux, de véritables descentes d'organes, je n'aurais pas pu. Totalement incapable. Physiquement et mentalement. Je m'incline, je m'avoue vaincu, j'adore, je deviens inconditionnel, quand j'en ai entendu une la première fois, j'ai cru que l'aiguille du phono avait attrapé une grosse poussière et avait lamentablement dérapé, mais non, après vérification, j'ai dû me rendre à l'évidence. A cette occasion je me suis vraiment aperçu que derrière le chanteur il y avait des musiciens tout aussi importants... Pour ce qui se passe en studio, vous suivez Tony Marlow les yeux fermés, car non seulement il peut le faire, mais en plus il sait écouter et décrypter. Z'allez être obligés de ressortir vos disques d'Elvis pour comprendre.

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    Lorsque Elvis sera en Allemagne, Fontana ne se retrouvera pas au chômage. Jouera notamment avec Gene Vincent et Lefty Frizzel, la liste est longue mais je cite mes deux chouchous. L'en sera de même après la disparition du King, ce coup-ci la liste est interminable, mais Tony le Marlou vous sort une incroyable quinte d'as de son bâton de maréchal du rock français. Sait de quoi il parle, l'était présent, ce 14 novembre 1993, en première partie avec Betty & The Bops, juste avant le show de D. J. Fontana et Scotty Moore, l'a échangé avec ces idoles du rock d'une fabuleuse simplicité, l'en parle lui-même avec modestie, consacre beaucoup plus de lignes à Lucky Blondo qui en 1977, enregistre un 33 tours hommagial ( en français ) avec D. J. Fontana à la batterie. D. J. enchanté du résultat sera aussi sur les deux suivants en 1978 et 1979...

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    L'article est à découper et à conserver précieusement dans un classeur.

    Damie Chad.