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larry wallis

  • CHRONIQUES DE POURPRE 683 : KR'TNT ! 683 : DON NIX / MAIDA VALE / LARRY WALLIS / LINDA JONES / FONTAINES DC / THE COOPERS / ASHEN / NIGHTSTALKER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 683

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 03 / 2025

     

    DON NIX / MAIDA VALE

      LARRY WALLIS / LINDA JONES  

    FONTAINES DC /THE COOPERS

     ASHEN / NIGHTSTALKER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 683

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Superso-Nix

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             Par miracle, le fameux Road Stories And Recipes de Don Nix reparaît sous le titre Living High Laying Low. Non seulement il permet de se replonger dans les souvenirs passionnants de l’un des pères fondateurs du Memphis Sound, mais il permet aussi d’admirer l’une des plus belles photos de signature de contrat qu’on ait pu voir ici-bas : Don change la roue arrière d’une Cadillac tout en signant son contrat posé à terre. Assis par terre devant lui et adossé contre la bagnole, Denny Cordell, boss de Shelter Records, lit un journal et pointe un flingue sur Don. Et debout derrière Don se tient l’un de plus fabuleux dandys de la scène américaine, mister Tonton Leon en personne, en lunettes noires, cigare au bec et vêtu d’un costard croisé à rayures. Wow ! Voilà ce qu’on appelle une image ! Et elle donne bien le ton du livre.

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             Don Nix vient de casser la pipe en bois, aussi recueillons-nous au bord du trou pour un ultime hommage.

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             Comme Robert Gordon et Jim Dickinson, Don Nix fut un touche-à-tout de la scène de Memphis : il a démarré dans les Mar-Keys avec Packy Axton, Steve Cropper et Dickinson, puis il est devenu pote avec John Fry d’Ardent, Jim Stewart de Stax, Furry Lewis du blues et Leon Russell du Wrecking Crew - John Fry was the grandfather of Memphis music. Il y a trois personnages importants dans ma vie, en matière de music business : Leon Russell, John Fry et Jim Stewart. Leon m’a appris à produire, John Fry m’a donné la clé de son studio, de sorte que je pouvais aller y travailler quand je voulais. Jim Stewart m’a engagé comme producteur et compositeur et a fait paraître quatre des albums que j’ai produits - C’est sans doute Jerry Wexler qui donne la meilleure définition du Nix : «A pioneer mover-and-shaker (and one of the finest of the breed) [Nix] came out of the Memphis/Muscle Shoals matrix along with compeers like Steve Cropper, Packy Axton and Jimmy Johnson - These country-friend originals who took the left turn to the blues. And who left their incredible mark on American root music.» Voilà ce qui s’appelle un hommage. Don Nix peut être fier de ce coup de chapeau. Il évoque d’ailleurs le Memphis Sound à sa manière : «C’est un son qu’on ne pouvait pas mettre en boîte pour l’emmener à L.A. ou New York. Ce n’était pas seulement un son. C’était surtout des gens - les écrivains et les musiciens de Memphis - qui l’incarnaient.» Il cite alors les noms de Sam Phillips, Dewey Phillips, Jim Stewart, Estelle Axton et Willie Mitchell - C’est un son qui a explosé à la face du monde, mais dans les années soixante-dix, il était en train de mourir. Si vous me posez la question, je vous répondrai qu’il fut mortellement blessé le jour où Martin Luther King se fit descendre et depuis, le Memphis Sound n’en finit plus d’agoniser - Don raconte qu’après l’attentat qui coûta la vie au Dr King, les rapports de voisinage avec la population noire devinrent compliqués.

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             Il avait aussi d’autres amis, et d’ailleurs, c’est là-dessus qu’il termine son livre : «Mes meilleurs amis sont tous morts - George Harrison, Joe Cocker, Duck Dunn. Et la liste s’allonge. La musique a été toute ma vie. C’est que j’ai le plus aimé. J’ai eu le privilège de jouer avec le Stax band, le Wrecking Crew, avec mes amis à Muscle Shoals et tous les mecs d’Apple. Personne n’a eu une vie meilleure que la mienne. J’aurais pu mourir voici quinze ans, content d’avoir vécu tout cela.» Mais Don vit encore et on trouve son portait dans l’excellent Memphis Soul de Thom Gilbert. Il est même plutôt bien conservé.

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             À la différence de Jim Dickinson, Don Nix n’est pas un écrivain. Mais il fait des photos. Il dispose en outre d’une bonne mémoire et d’un caractère bien trempé : il décide en effet très tôt qu’il fera ce qu’il veut de sa vie et qu’il ne recevra d’ordres de personne. Il traîne avec Packy, Duck Dunn et Steve Cropper et monte sur scène pour la première fois en 1958. Il précise aussi que sa mère avait du sang indien dans les veines et son arrière-grand-père était un métis Cherokee qui servit dans le 5e de Cavalerie de Caroline du Sud pendant la Guerre de Sécession.

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             Il consacre des pages émouvantes aux derniers jours de Dewey Phillips, à Furry Lewis dont il fut particulièrement proche, à Joe Cocker qu’il côtoya pendant des mois, à John Mayall dont il fait un portrait sidérant, celui d’un homme de la Renaissance qui construisit sa maison de Laurel Canyon de ses propres mains. Mayall n’est pas seulement musicien : il est aussi tailleur de pierre, charpentier, il coud lui-même ses vêtements et adolescent, il vécut dans une maison en bois qu’il avait aussi construite de ses propres mains. Dans sa maison de Laurel Canyon se baladaient des filles nues. Comme Tonton Leon et David Crosby, Mayall pratiquait l’hédonisme, un mode de vie dont raffolait aussi Don. Un autre portrait sidérant, celui de Jeff Beck dont il fait la connaissance à l’époque de Beck Bogert Appice. Il ne supporte pas les deux Yankeees et il demande à Jeff comment il fait pour les supporter. Jeff lui répond que c’est une décision de son management, et même s’il n’est pas très content de se projet, il se dit décidé à jouer le jeu. Mais Don remarque que Jeff est un homme infiniment triste. Il paraît déprimé la plupart du temps, sauf quand il joue.

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             Comme Don a commencé par écumer les États-Unis d’Amérique avec les Mar-Keys, il regorge d’anecdotes et de road stories, comme par exemple ce souvenir de Lee Dorsey sur scène qui était tellement bourré qu’il fallait le faire asseoir pour qu’il chante quatre ou cinq chansons. Mais même soûl comme un Polonais, Lee chantait encore mieux que les autres. Les Mar-Keys ont aussi la chance d’accompagner Chuck Berry qui les prend à la bonne, sans jamais leur adresser la moindre parole. Don voit donc la naissance de Stax à Memphis, avec des nouvelles têtes qui traînent dans les parages, un jeune étudiant nommé Booker T. Jones, et un certain Isaac Hayes qui travaille à l’usine d’emballage de viande. C’est aussi l’époque ou Furry Lewis est balayeur municipal. Son parcours va de South Main à Beale Street, il pousse sa poubelle à roulettes et trimbale une guitare. À l’époque où Don réussit à le convaincre de venir enregistrer en Californie, Furry a 73 ans, une patte en moins, il fume à la chaîne et boit comme un trou.

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             Don fait aussi un bout de chemin avec Dale Hawkins qui ne dort jamais et qui ne peut pas rester en place plus de deux minutes. Trop d’amphètes - Il avait une Cadillac Coupe deVille et conduisait comme un dingue. Je n’avais jamais rien vu de tel. Il racontait des histoires et agitait les bras comme un pasteur - Pages fantastiques aussi consacrées à ce vieux Tonton Leon, l’un des producteurs les plus courus d’Hollywood, qui travailla avec Frank Sinatra et les Beach Boys. Don voit germer l’idée de Mad Dogs & Englishmen. Il voit même Tonton Leon voler le show à Joe Cocker qui au départ devait tourner avec le Grease Band, ceux qu’on voit dans Woodstock, mais comme Henry McCulloch et les deux autres n’ont pas pu obtenir leurs visas, Denny Cordell qui manageait Joe demanda à Tonton Leon de monter vite fait un groupe pour la tournée prévue. Pour Don, the Shelter People fut l’un des meilleurs groupes d’Amérique - It was without a doubt the best band west of the Mississippi.

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             Don eut aussi l’immense privilège de produire Albert King. Il ne fallait pas importuner Big Albert, car il écartait le revers de son veston pour montrer qu’il portait un calibre 45. C’était sa façon de dire que la discussion s’arrêtait là. Big Albert ne savait ni lire ni écrire, mais Don réussit à le mettre à l’aise avec ça, d’autant que Big Albert ne voulait pas que ça se sache. Quand Isaac Hayes lui colla les paroles d’une chanson qu’il venait d’écrire sous le nez, Big Albert quitta le studio. Il fallait donc ruser pour travailler avec lui. Un soir, Don lui dit : «Albert, je sais que tu ne sais ni lire ni écrire, mais si je savais jouer de la guitare comme toi, je m’en foutrais de ne pas savoir lire ou écrire.» Big Albert l’observa un moment et Don pensait qu’il allait sortir son flingue pour le descendre. Mais un grand sourire éclaira son visage : «I like you, Don. You all right.» Et Don ajoute : «Je n’oublierai jamais cet instant.» Eh oui, il venait de gagner la confiance de Big Albert, et pour le mettre à l’aise en studio, il se cachait derrière une banquette pour lui souffler les paroles des chansons. Quand Jim Stewart vit ça, il lança : «On aura tout vu !» (Now I’ve seen everything). Big Albert raffolait tellement du stratagème qu’il demanda à Don de mettre les paroles des chansons bien évidence dans la cabine de chant, de sorte que tout le monde pût croire qu’il savait lire, et Don bien sûr continuait de lui souffler les paroles en cachette. L’album de Big Albert que produisit Don Nix et pour lequel il écrivit huit chansons est le fameux Lovejoy. Il existe un autre album de Big Albert enregistré à Muscle Shoals et produit par Don qui n’est jamais sorti. Comme d’ailleurs un album des Swampers aussi produit par Don, et dont il avait l’air d’être fier.

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             Don rappelle qu’il adorait Muscle Shoals, qui se trouvait à trois heures de route de Memphis. Il a aussi la chance de travailler avec l’un de ses héros, Freddie King, a big man with a smile to match that immediately put us at ease.

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             Puis il monte les Alabama State Troupers avec Tarp Tarrant, le batteur qui a joué 13 ans pour Jerry Lee, Clayton Ivey aux keyboards, Wayne Perkins et Tippy Armstrong aux guitares. Il ajoute un deuxième batteur, Fred Prouty, qui jouait chez Rick Hall, et Brenda Patterson aux backing vocals - It was a hell of a band - Pour la photo, ils posent tous devant une église baptiste. Comme l’écriteau indiquait «The Mount Zion Middle Baptist Church», il baptisa son groupe the Alabama State Troupers with the Mount Zion Band And Choir. Le double album The Alabama State Troupers paraît sur Elektra en 1972. Attention, ce n’est pas un album facile. Don Nix propose en effet un capiteux mélange de country blues et de gospel, qui sont pour lui les racines du Memphis Sound. On entend donc Furry Lewis sur une face entière. Ce vétéran du Beale Street Sound joue fin et claque des petits coups de bottleneck. On l’ovationne. L’homme est d’une extraordinaire gentillesse - Hank you - Il chante le blues traditionnel des années vingt - And I went to the gypsy/ To get my hambone done - et il se moque gentiment des racistes dans «I’m Black» - Some people don’t like that colour/ But I sure like mine - On se régale de cette leçon de country-blues et de cette diction à l’ancienne. En D, on tombe sur une série de boogies ‘sudistes’. On y entend ce démon de Tarp battre le beurre et Brenda Patterson chante dans les chœurs de Zion. C’est du gros boogie rock seventies surchargé de chœurs de Zion. On se croirait chez Tonton Leon. Par contre, Don Nix commet une erreur : il met en avant Jeanie Greene pour chanter le gospel rock de «My Father’s House» et ça ne marche pas du tout, mais alors pas du tout. On sent les limites de la voix blanche. Jeanie n’a pas l’allant d’une Mavis. On trouve encore du gospel en B, notamment ce vieux classique repris par les Staples, «Will The Circle Be Unbroken». Don Nix respecte bien les fondamentaux du Memphis Sound System, malheureusement, c’est lui qui chante et pour chanter le gospel batch, il vaut mieux disposer d’une vraie voix et avoir la peau noire. Et quand Jeanie Greene reprend le lead dans «Mighty Time», même chose, elle se vautre. Il lui manque deux choses essentielles : le groove et la Soul. Brenda est un peu plus wild, comme on le constate à l’écoute de «Jesus On The Main Line». Elle s’énerve toute seule et cherche à incendier la plaine, mais tout le monde n’est pas Bonnie Bramlett. Voilà enfin un hit en B : «Yes I Do Understand», un gospel batch poppy joliment amené par la joyeuse assemblée. Excellent ! Et puis en C, Don Nix s’en va chevaucher dans la Sierra. S’ensuit un peu plus loin «Heavy Makes You Happy», un boogie-rock encore une fois digne de Tonton Leon. Ça sent bon la grosse équipe, le surnombre et les vétérans de toutes les guerres. Don Nix termine avec «Iuka», un gros boogie blues dans l’esprit de ce que faisait Johnny Winter. Il y va au guttural. On se croirait presque sur Johnny Winter And Live.

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             Il existe un autre album de Don Nix sur Elektra : l’extraordinaire Living By The Days paru en 1971. Tout est bien, là-dessus, ce qui semble logique étant donné que les Swampers accompagnent le vieux Don qui d’ailleurs dit d’eux : «The best backing-band at the point, maybe the best ever.» Par contre, on se demande pourquoi il porte un uniforme yankee sur la pochette. C’est une véritable insulte aux Rebs. Pur chef-d’œuvre que cet «Olena» qui sonne comme un vieux rock’n’roll, mais Claudia Linnear (sic) et Kathi McDonald font des chœurs de folles. Comme dans Mad Dogs & Englishmen, elles amènent une énergie hors normes. Il faut bien reconnaître que les Alabama State Troupers sont formatés sur Mad Dogs & Englishmen. On assiste à l’envol des guitares de Wayne Perkins et Jimmy Johnson. Un vrai festival ! Et ça continue avec l’«I Saw The Light» de Furry Lewis, fantastique partie de gospel batch avec les Mount Zion Singers derrière. Pure énormité que cette sinner prayer d’Hank Williams. S’ensuit un balladif de rêve intitulé «She Don’t Want A Lover», so solid stuff à l’Américaine, ultra-joué et harcelé par une guitare en embuscade. Quelle ampleur ! Cet album semble relever de l’indéniabilité des choses. Nix ressort le «Going Back To Iuka» qu’il avait composé pour Albert King, c’est joué au wild beat de Muscle Shoals. Ces mecs sonnent comme des punks et David Hood va même jusqu’à doubler dans les virages. Ils partent carrément en mode Stax de killer Stax - I’m going back to Iuka/ Back to where I belong - Ils repassent en mode gospel pour «Three Angels», encore une pure énormité. Les Mount Zion Singers, c’est quand même autre chose que le gospel choir des Stones dans «You Can’t Always Get What You Want» ! Mais ce sont les Stones qui ont décroché la timbale. On tombe ensuite sur un rock de mountain man des Appalaches, «Mary Louise», suis-moi, pilgrim, je vais te montrer le grizzly, pur jus d’Americana à la Nix. On retrouve les filles dans «My Train’s Done Come And Gone». Claudia et Kathi ! C’est du heavy balladif de Lord knows I’ve been gone way too long when I was weak/ She helped to make me strong, avec du solo de slide américain, Nix nique tout et derrière les filles t’explosent la rondelle des annales.

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             Paraît aussi en 1971 sur Shelter Records - le label de Denny Cordell et Tonton Leon - le premier album de Don Nix, In God We Trust. Il pose déguisé en cowboy sur une pochette traitée dans le design du billet vert. Au moins, on sait qu’on est en Amérique. Ce disque très orienté gospel ne pouvait que dérouter les amateurs de rock. Mais il vaut le détour, car Don Nix y réussit un sacré tour de passe-passe, avec le morceau titre qui fait l’ouverture du balda. On a là un vieux coup de country rock joué au violon de saloon. Attention, Don Nix joue avec les mecs de Muscle Shoals : Barry Beckett, Eddie Hinton, David Hood, ils sont tous là. Don Nix sait entretenir la flamme d’un cut, pas de problème. Il dispose de cette puissance intrinsèque. On entend bien David Hood bassliner sur «Golden Mansions» et derrière, les filles de Mount Zion sont superbes. Grâce à ces musiciens exceptionnels, Don Nix trouve l’élan du gospel. «I’ll Fly Away» est sans doute l’hit de l’album. «He Never Lived A Day Without Jesus» sonnerait presque comme du Neil Young, mais en moins pleurnichard. C’est une fois de plus un parti-pris de gospel church chic. On retrouve «Iuka» sur cet album. David Hood y enroule bien sa gamme.     

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                         Paru sur le sous-label de Stax Enterprise, Hobos Heroes And Street Corner Clowns date de 1973. À cette époque, Don Nix voyage à travers le monde et il enregistre un peu partout, à Londres, à Memphis et à Muscle Shoals. Avec cet album, il va plus sur le balladif. Mais il n’hésite pas à taper dans l’heavy blues avec «Black Cat Moan». Sur ce genre de chose, il est extrêmement crédible. Il chante avec un joli sens du raunch. Le coup de génie de l’’album est une version de «When I Lay My Burden Down» qu’il dédie à Fred McDowell. Il propose tout simplement un raccourci du Memphis Sound et même de l’Americana du Deep South. Il démarre en blues de cabane branlante et finit en gospel batch, et comme Claudia Lennear traîne dans les parages, eh bien ça explose. Fantastique exercice de style ! Il faut aussi écouter «Look What The Years Have Done», un balladif très impressionnant. Cet homme sait écrire des chansons, c’est indéniable. Voilà un balladif parfait au plan mélodique et bien saxé sur le pourtour.

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             En 1976, Gone Too Long paraît sur Cream Records, le label d’Al Bennet qui a racheté Hi Records. Attention, c’est un très bel album. Il s’y niche ce qu’on appelle des Beautiful Songs, à commencer par «Goin’ Thru Another Chance» qu’il chante d’une voix de vétéran du Memphis Sound. Il s’arroge toutes les prérogatives. Sa pop ne peut que plaire. Don Nix semble cultiver un goût pour l’envol. Il sait donner de la voile. Il fait partie des grands prêtres de l’Americana, dans ce qu’elle présente de plus rootsy. George Harrison traîne dans les parages et ça s’entend. Autre merveille : «Forgotten Town», un balladif visité par la grâce. Il chante avec brio. La basse enrichit considérablement le backing, avec une excellente enfilade thématique. Le mec joue en continu, avec un sens aigu de l’a-priori. Et puis, Don Nix finit l’album avec l’excellent «A Demain». Il duette avec une Française. Nix explore l’empire du slowah et la fille n’en finit plus d’allumer la romantica - Et puis un beau matin/ Tu recevras ces mots/ Je t’aime, je t’attends, viens - C’est à la fois infernal et somptueux, et elle ajoute - Nous oublierons alors que le temps a passé. Par contre, il se vautre avec une reprise trop empesée du «Feel A Whole Lot Better» des Byrds. Il en fait une sorte de gospel pop avec des chœurs vengeurs. Curieux parti-pris. Il tape aussi dans le «Backstreet Girl» des Stones. Il en fait du gospel avec une basse bien montée dans le mix. Sacré Don, il ne rate pas une seule occasion de se faire remarquer.

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             Skyrider parut en 1979 sur Cream, le label d’Al Bennett. On y retrouve bien sûr l’habituel mélange des genres nixien. Le morceau titre sonne comme un gros boogie-rock richement drapé d’orchestrations et des chœurs southerny. Don chante toujours avec un bel aplomb. On le voit ensuite taper dans la grande prétention poppy avec «Nobody Else». On voit aussi l’idéaliste poindre sous le cuir du desperado buriné par les années de vie sauvage sur la frontière. Et bien sûr, il règne ici un léger parfum de gospel batch. Dans «Maverick Woman Blues», Don évoque la Nouvelle Orleans. Il y rocke son shake et lâche du bon set me free. Disons que ça reste bon esprit, même s’il pompe le riff de «Get Ready». Même chose avec «Do It Again» : le riff est connu comme le loup blanc des steppes, mais on ne s’étonne plus de rien. Don propose ce qu’il a de meilleur en magasin, un funk rock sudiste un peu hybride et intéressant. On y retrouve d’ailleurs les Memphis Horns et tout le tralala. Don joue un petit coup de sax, histoire de nixer le mix. En B, il revient avec «I’ll Be In Your Dreams» à son vieux dada : le slowah de printemps, bien aéré et judicieusement orchestré. Il monte «All For The Love Of A Woman» sur le modèle de «Let’s Work Together», mais il y met une telle énergie qu’on lui donne l’absolution. Don Nix te nique ça bien, c’est un vieux routier, il avait déjà écumé toute l’Amérique au temps des Mar-Kays. Le guitariste est un bon, il s’appelle Rob Kendrick. Guitariste idéal pour un gaillard comme Don qui n’est pas né de la dernière pluie.       

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             Voilà trois bonnes raisons de rapatrier Back To The Well paru en 1993 : la première s’appelle «Out On The Road Again», un vieux boogie blues qui part sur un fantastique dady’s gone fishing. Don is back on the chain gang, il claque le beignet de la caillasse du meilleur son, comme il l’a toujours fait. Ce démon sait déverser un jus de boogie et l’autre démon qui gratte ses poux s’appelle Billy Crain. On a là l’un des meilleurs sons du Deep South. La deuxième raison s’appelle «Waiting For The Help». Don revient à son cher gospel batch, c’est un enragé, un mordu de la racine. Plus elle est sèche et ardue, plus il exulte. C’est ultra-joué. Derrière, les filles gueulent sweet Jesus et ça riffe au cul de slide. La troisième raison s’appelle «Fool’s Paradise», un extraordinaire slowah océanique. Don est à ses heures perdues un charpentier du songwriting, il connaît l’art des mortaises et il sait poser des toits de chœurs, et là, dans ce cas particulier, quel toit ! Encore du son dans «Dance Chaney Dance». Nix nique tout à dix kilomètres à la ronde. Il embarque son monde dans le tout venant, ce qui le rend héroïque et donc sacré. Avec «Plastic Flowers», il avertit : Don’t put plastic flowers on my grave ! Il se met en colère. Il sait aussi taper le vieux coup d’r’n’b, comme le montre «Cruise Control» - You better slow down - Et il termine avec l’excellent «Addicted To You». Il tape ça au vieux jus de nixitude - I don’t drink/ I don’t smoke - mais il a un problème avec le groove de cette fille, surtout son sweet love. Don Nix ne prend pas les choses à la légère, il joue ça au funk de groove de blues.   

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             Paru en 2002, Going Down. Songs of Don Nix est un classique indispensable. Pourquoi ? parce qu’il s’y niche des duos exceptionnels, notamment avec Bonnie Bramlett. Elle commence par venir exploser «Right Where You Want Me». Elle ramène toute son énergie criante de vie. Elle part à l’assaut du groove d’une voix pincée de reine du rodéo. C’est monté sur des accords de Stonesy. Quel fantastique exercice de style ! Elle revient groover le blues de «Same Old Blues». Steve Cropper sort sa plus belle Tele et Dan Penn radine sa fraise. Quel festin de rois ! Tout est allumé de l’intérieur. Steve Cropper joue au clair de lune pendant que Bonnie mouille sa syllabe et l’écrase dans le gras du menton. Elle s’arrache les ovaires et sonne comme une mama black, yeah, elle racle tout dans la salive, elle est bien la pire de toutes, la plus grande chanteuse blanche du monde. Elle revient illuminer «Like A Road Ready Home». Il faut voir comme elle shake son shook. Elle chante ça au meilleur chaud du South, elle chante pour de vrai et Steve Cropper joue comme un dieu grec. Autre duo des enfers avec Dan Penn dans «Palace Of The King». Un black nommé Audley Freed joue lead, il joue à l’exacerbette de la belette. Dan rocke son going down to Dallas. Il sait le faire, mais à la mode black, de l’intérieur du menton, il fait de l’hot de hutte - Going back to Dallas/ Living In The Palace of the King - Leslie West vient jouer le fameux «Going Down» avec Brian May. En fait, ils sont quatre leads sur cette reprise éculée. Bonnie est au fourneau et Max Middleton au piano. Ça tourne au vertige guitaristique, les leads coulent ensemble comme des vieux claquos oubliés. Dommage que Don n’ait pas la voix. Les leads vont se repaître de la charogne de Going Down pendant six minutes. Tous les solos sont gorgés de sève. Sur «Going Back To Iuka», Tony Joe White joue lead et Mayall claque des coups d’harp. Le pompon, c’est Billy Lee Riley. Don a de sacrés potes ! - You know the train that I ride/ I ride it all nite long - Fantastique Billy ! Il amène une autre profondeur. On retrouve Leslie West dans «Lying On The Highway» (il n’a rien perdu de sa grosse niaque), et Billy le héros dans «Everybody Wants To Go To Heaven».  

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             Sur la pochette d’I Don’t Want No Trouble paru en 2006, Don Nix est assis en salopette dans son jardin avec son dalmatien. Il semble posséder une belle petite maison à deux étages équipée du porch traditionnel, cette fameuse avancée qu’on retrouve à tous les coins de rue dans les chansons du Deep South. C’est là que se grattent les jolies mélodies au clair de la lune. Don nous refait le coup de l’heavy blues gospellisé avec «Hurt Somebody». Il ne risque pas de se faire une entorse à la cervelle. Nix n’est pas homme à forcer le destin. Il ramène tout le gospel batch qu’il peut dans son heavy blues et franchement, c’est très bien vu. Il fallait y penser. Il reste encore plus traditionnel dans les autres cuts, comme par exemple «Memphis Man» qu’il tape au vieux boogie de r’n’b rock’n’roll. Il ne risque pas l’embolie. Mais c’est bardé de son. L’animal s’y connaît, en la matière. Boogie rock toujours avec un «Snack Dab» bardé de chœurs de filles. Il est vrai qu’à son âge, Don ne va pas s’amuser à réinventer la poudre et encore moins le fil à couper le beurre. Il faut le voir tartiner son «Hole In The Sky». Ça sonne comme n’importe quel rock de vieux renard sur le retour. C’est même sur-produit. Nix y gueule comme un veau qu’on amène chez le boucher. En écoutant «One Step Ahead», on voit bien qu’il connaît toutes les ficelles du son. Le cut dégouline de son moderne, mais certainement pas de modernité. C’est ultra-joué au bottleneck d’heavy dude. Don y va de bon cœur. C’est ce qui fait sa force. On pourrait même ajouter que ça nous dépasse. Ils se prend aussi parfois pour un pionnier («Just About Had It»), et là ça devient compliqué. Il s’amuse aussi à jouer des boogies qui ne servent strictement à rien («Subject To Change»). On le voit même faire son vieux renard de charme («Crazy From The Heart»). Une fille chante ça avec lui, mais elle se révèle bien meilleure que lui. Il est encore capable de taper du très gros son, comme on le constate à l’écoute d’«Addicted To You» qu’il prend en mode gospel batch. C’est sa came.

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             On trouve aussi dans le commerce un album intitulé Passing Through. Don qui ne se refuse rien l’a enregistré chez Malaco. Il adore butiner toutes les mythologies régionales. Il démarre l’album avec un solide balladif, «Sit Down On Your love». Don a toujours de l’avenant. Il n’a aucun problème ni avec les impôts, ni avec la santé et ni avec Dieu. Il y va du tac au tac. Don est un amateur de big sound et d’horizons. Il adore aller loin vers l’Ouest, là où les montagnes lèchent le cul du ciel. Comme l’hydravion d’Howard Hugues, le cut met du temps à décoller, mais il finit vraiment par s’arracher de la surface du lac. Don tape dans le devenir de l’Americana. Il ne vit que pour l’ampleur, personne ne pourra jamais lui enlever ça. Ses cuts fondent bien en bouche. Comme la plupart de ses chansons, «She’s My Rock» sonne bien, même terriblement bien. Chaque fois, Don frise le Nix universaliste. Sa pop convainc. Et puis voilà «Roads». Il faut comprendre qu’avec Don Nix, on est dans le très gros truc. Une sorte de perfection. Son balladif prend la gorge et on tousse d’aise. C’est une sorte de délire technologique du groove sentimental. Fuck, comme ce mec est bon, même son solo de flûte passe comme une lettre à la poste. On ne peut pas dégommer Don Nix. L’homme est puissamment bon. Il amène le morceau titre au gospel batch. On y sent le poids d’un pathos énorme. Il tape un instro superbe avec l’«I Don’t Know Why I Care About You» joué au Grand Jeu de Malaco. Puis il renoue avec l’art de la grosse compo en s’interrogeant : «Where’s The Problem». Don a un don, indéniablement. Donc, ça semble logique qu’il s’appelle Don. Il boucle avec «I Belong To My Songs». Il y explique qu’il appartient à ses chansons et s’éclipse dans les fumerolles d’un balladif édifiant.

    Signé : Cazengler, Nix ta mère

    Don Nix. Disparu le 31 décembre 2024

    Don Nix. In God We Trust. Shelter Records 1971  

    Don Nix. Living By The Days. Elektra 1971                      

    Don Nix. The Alabama State Troupers. Elektra 1972

    Don Nix. Hobos Heroes And Street Corner Clowns. Enterprise 1973

    Don Nix. Gone Too Long. Cream records 1976

    Don Nix. Skyrider. Cream Records 1979        

    Don Nix. Back To The Well. Appaloosa 1993    

    Don Nix. Going Down. Songs of Don Nix. Evidence 2002   

    Don Nix. I Don’t Want No Trouble. Section Eight Productions 2006

    Don Nix. Passing Trough. Section Eight Productions 2008

    Don Nix. Memphis Man. Living High Laying Low. Mojo Triangle Books 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - MaidaVale live in style in Maida Vale

     (Part Two)

             Lorsqu’ils voient arriver l’avenir du rock, les habitués du bar interrompent leur conversation. La ramasse de ce vieux schnock leur fait presque pitié. L’avenir du rock commande son double jaune sans glaçons, le siffle cul sec et en commande un deuxième aussi sec. Il adore faire jaser les cons. Et ça marche à tous les coups. En voici qui s’approche :

             — Dis donc, avenir du rock, dans ton état de décrépitude avancée, tu crois vraiment qu’c’est raisonnable de siffler des jaunes comme ça ?

             L’avenir du rock rote, et en commande un troisième.

             — C’est pas passe que t’es l’avenir du rock qu’y faut mépriser l’peuple !

             L’avenir du rock fait signe au patron :

             — Hep ! Patron ! Chuis à marée basse !

             Un autre habitué vole au secours du premier :

             — Pourquoi qu’tu causes encore à c’te vieux pédé ? Tu vois donc pas qu’il est bon pour la déchetterie ?

             — Non mais r’garde-moi comment qu’il est attifé avec ses godillots et son pal’tot ! C’est-y pas une honte de voir des vieux chtars pareils !

             — Y paraît qu’y va encore aux putes !

             — Arrhhhhh ! Sont pas dégoûtées les putes !

             — Y paraît même qu’y va encore voir des concerts de rock !

             Et là, l’avenir du rock se tourne vers les deux cons et leur balance, histoire de leur clouer le bec :

             — Vale que Vale !

     

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             Lorsqu’il se trouve coincé dans un plan délicat, l’avenir du rock parvient toujours à tirer son épingle du jeu. Et plus c’est délicat, meilleur c’est. MaidaVale, c’est exactement ça : le Vale que Vale du rock. 

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             C’est quand même pas mal de revoir les quatre petites Stockholm girls de MaidaVale dans un endroit plus ramassé, au fond d’une cave. Ça leur donne encore plus de power. Au Club, c’était bien, mais dans la cave, c’est mille fois mieux. Tu retrouves cette section rythmique infernale, directement inspirée de celle de Can, même dynamiques, même goût pour l’hypno explosif, la grande brune sur la Ricken s’appelle Linn, et la fille spirituelle de Jaki Liebezeit au beurre s’appelle Johanna. Rien qu’avec ça, t’as de quoi t’occuper. Johanna bat un beurre à la fois fin et puissant, elle fait parfois des petites grimaces animales, des rictus carnassiers, comme si elle laissait monter en elle un torrent d’adrénaline. T’en finis plus de la voir battre le beurre du diable. Et là-bas au fond, Linn mouline un bassmatic de rêve en secouant quasiment tout le temps les cheveux. Et là, tu sais que t’assistes à un vrai concert de rock. Ça joue ! Pour leurs deux copines, c’est du gâtö, la petite Sofia gratte des poux bien psyché sur sa Strato immaculée, elle tourne comme un manège, tricote des gammes gorgées d’écho et revient sur des power chords de la pire espèce, comme si elle enfonçait son clou dans la paume du beat. Dans le feu de l’action, elle reste incroyablement présente, car c’est bien d’un feu de l’action dont il s’agit avec MaidaVale, elles savent kicker les jams. Le son ricoche bien sous la voûte en briques

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    de la vieille cave. Et puis t’as Matilda au chant, elle montre un goût particulier pour les crises de Méricourt et les coups de tambourin. Tu lui donnerais le bon dieu sans confession, tellement elle est dans le coup, tellement elle rocke le boat, tellement elle shake le souk de la médina, c’est une rockeuse hors normes, elle chante de tout son corps, et là mon gars, ça rocke, t’es plus en face d’un groupe de branleurs à la mode. MaidaVale c’est le real deal, mais pour le savoir, il faut les voir sur scène.

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             Elles tapent bien sûr dans leur dernier album, l’excellent Sun Dog et attaquent avec «Give Me Your Attention» qui n’est peut-être pas le meilleur choix. Sur scène, ça ne marche pas, mais sur l’album, tu les vois foncer en rase-motte. Elles aménagent de grands ponts hantés par la space guitar. Tu n’en finis plus d’admirer la section rythmique. Elles enchaînent sur scène avec un «Control» plus Kraut, et même assez caverneux, Kraut de nez et d’esprit, avec une couche de keyboard par dessus. On sent poindre l’ambition. C’est avec «Wide Smile All Is Fine» que Linn commence à voler le show avec un beau thème de basse. T’as du mal à frémir avec «Daybreak». Elles cherchent la lumière avec «Pretty Places». Elles développent toujours une certaine richesse instrumentale, une réelle prégnance de la pertinence qu’on peut aussi qualifier de latence de l’essence. Voilà pourquoi il faut les prendre très au sérieux. Matilda chante «Faces (Where is Life)» d’une petite voix pointue et enchaîne comme sur l’album avec «Fools», beaucoup trop proggy. Elles visent le Big Atmospherix, mais on préfère quand ça prend feu. Elles finissent leur set avec des cuts de Madness Is Too Pure, «Transe» et «Gold Mind» et un «Perplexity» qui n’est pas sur le CD, uniquement sur l’LP. Bizarrement, elles ne jouent pas «Vultures», le dernier cut de l’album. Dommage, car la ligne de basse est un régal. Linn est la star du groupe, elle nourrit le son sur sa Ricken, elle laboure le Kraut en profondeur. Elle est la Millet du Kraut.

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    Signé : Cazengler, Maida Vain

    MaidaVale. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 mars 2025

    Concert Braincrushing

    MaidaVale. Sun Dog. Silver Dagger 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Wallis the question ?

     (Part Two)

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             Quand en décembre 2019 Larry Wallis a cassé sa pipe en bois, nous lui avons rendu ici même un hommage en forme de tournée des grands ducs : Pink Fairies, Motörhead, Mick Farren, Deviants, Shagrat et solo. C’était bien le moins qu’on pût faire.

             Étant donné que vient de paraître une compile Cleopatra aussi gorgée de richesses qu’un galion espagnol en mer des Caraïbes au XVIIIe siècle, nous allons récidiver, car écouter la bombe qu’est Police Car/ The Anthology, ça équivaut à écouter Larry Wallis pour la première fois. Et pour rester dans la facilité des métaphores : attachons nos ceintures.

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             Tiens on va commencer par pondre un nouvel adage : Larry, ça tombe sous le sens. T’as le son d’entrée de jeu, avec le morceau titre et Larry qui feule dans le sonic storm «I’m a police car». Diable, comme on avait adoré le single Stiff à l’époque. D’ailleurs, Cleopatra a repris quasiment le même visuel pour sa pochette, la strato en moins. Dans ses liners, Roger Morton qualifie Lazza de true gentleman - He was one of the last true gentlemen in rock’n’roll - Morton s’échauffe lorsqu’il évoque l’arrivée de Lazza dans les Pink Fairies - Playing one of the most electrifying rock’n’roll guitar of the era, fast, loud and filthy as fuck - Rien de plus vrai. Cette compile ne te laissera pas respirer, car voilà qu’arrive «Leather Forever» qui sonne comme l’hymne du rock anglais, monté sur un glorieux bassmatic. Ça stompe dans toutes les backs alleys de London town. Non seulement Lazza est un crack du boom-hue, mais il compose des hits à la queue-leu-leu. Son «Meatman» en est l’un des exemples les plus frappants, il cisaille son heavy boogaloo à la base, il le fait danser au sommet d’un balancement d’heavy dude. Quel exploit ! Et ça dégénère, ça vire cro-magnon et ça s’envenime salement. Il pose sa wah comme une cerise sur le gâtö. Tout ce qu’il touche, il le transforme en or du rock : il fait d’«Old Enuff To Know Better» un fantastique shoot d’old enuff. C’est vraiment l’Enuff qu’on a envie d’écouter. Il gratte son «Crying All Night» à l’oss de l’ass de Ladbroke Grove. Quelle fantastique démesure underground ! Il s’emballe avec «I Think It’s Coming Back Again» et bat Motörhead à la course avec «Story Of My Life». Il y déboule avec une ferveur spectaculaire ! Ça dépote en permanence, chez Lazza, il sait aussi faire du Saints, mais sans la voix de Chris Bailey («I Can’t See What It’s Got To Do With Me»). Il refait son Pink Fairy dévastateur avec «Don’t Fuck With Dimitri» et fout le feu à la ville avec «Mrs Hippy Burning». Tout prend feu, avec lui. Feu encore avec «When The Freaks Hang Out». Il taillade son «I Love You So You’re Mine» à la scie sauteuse. Wild Lazza joue à la vie à la mort, et cette façon qu’il a de se rattraper au vol ! Son truc, c’est vraiment se cisailler à la base. Il pond une petite stoogerie ici et là («Downtown Jury») et rend un bel hommage aux Stones avec un cover de «Street Fighting Man». La compile s’achève avec un cut de Shagrat (pas le meilleur Shagrat) et un UFO, dont on se serait bien passé. Morton annonce d’autres volumes à paraître. Wait and see.  

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             Dans l’actu, tu retrouves aussi une belle compile Cleopatra de Motörhead, Lemmy & Larry Wallis : The Boys Of Ladbroke Grove. Tu peux te jeter dessus sans problème, car elle grouille de puces. Et des grosses ! T’en vois pas d’aussi grosses tous les jours. À commencer par cette version live at the Roundhouse d’«On Parole», c’est Motörhead à son sommet, avec Phast Eddie et Philthy Animal, c’est l’un des blasts les plus géniaux de l’ère fumante du blasting, et Philthy te bat ça si sec, franchement t’en reviens pas de cet over-power, tu comprends mieux pourquoi Motörhead fait partie des cracks du boom-hue. C’est bien sûr Lemmy qui se tape la part du lion dans cette compile explosive. Il fait une version de «Twist & Shout» qui bat toutes les autres à la course, accompagné cette fois par Scott Ian et Gregg Bissonette. Sans doute a-t-on là l’une des plus grosses covers du siècle passé, et t’as en plus des chœurs de candy avarié ! Stupéfiant ! Avec Mick Green et les Upsetters, Lemmy tape ensuite dans «Blue Suede Shoes», et oh boy, ça joue à la pure Méricourt, Lem is on fire ! Sans doute la plus belle cover de «Blue Suede Shoes», infernale, bien rentre-dedans. Lem fout encore le souk dans la médina avec «Paradise». Mick Green monte au braquo du Paradise. S’ensuit un «Keep Us On The Road», c’est le Motörhead de l’âge d’or, avec Fast Eddie et Philthy, Lem fout le feu au souk de la médina. Live 78, t’as pas idée ! Lem tient la dragée haute au blast. T’as bien sûr ta dose de proto-London punk avec le «Lone Wolf» des Pink Fairies, ce ne sont pas ceux de Lazza, mais ceux de Paul Rudolph, avec Alan Davey et Lucas Fox. Et Lazza dans tout ça ?, demande Jacques Chancel. Lazza arrive avec son «Police Car». Classique intemporel, mais face à Lem, il fait un peu pâle figure. On le retrouve plus loin avec George Butler et Andy Colquhoun pour «Crying All Night», et c’est bien bardé de barda. Bon, t’as deux versions de «Leather Forever», avec la grande clameur invulnérable. Lazza a encore du son à gogo, mais vraiment à gogo, sur «I Think It’s Coming» et plus loin «Seeing Double». Il n’en finit plus de foncer dans le tas. Il brûle de tous ses feux, et cut après cut, il entre dans la légende. Viva Lazza ! 

    Signé : Cazengler, Larry WC

    Larry Wallis. Police Car/ The Anthology. Cleopatra 2024

    Motörhead Lemmy Larry Wallis. The Boys Of Ladbroke Grove. Cleopatra 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Lindanaïde

             Comment s’appelait-elle, déjà ? Ah oui, Baby Jam. On la surnommait la reine de la nuit. Pas très grande, très brune, elle parlait d’une voix un peu rauque et les connaisseurs la qualifiaient de brune sensuelle. Elle était pourtant casée et mère de famille, mais elle aimait trop la vie pour rester tranquille à la maison et regarder des conneries à la télé. Baby Jam couchait les gosses, puis elle annonçait à son mec qu’elle sortait faire un tour avec une copine. Pas de problème. Il était du genre conciliant. Il l’aimait assez pour comprendre qu’elle avait besoin de vivre selon ses besoins. C’était pour lui le seul moyen de ne pas la perdre. Elle prenait l’ascenseur et retrouvait sa copine au pied de l’immeuble. Puis elles partaient toutes les deux en vadrouille. Elles adoraient ça, l’aventure, le hasard des rencontres, la fréquentation des oiseaux de nuit. Personne n’a jamais vu Baby Jam dans les bras d’un autre mec. Les rumeurs allaient bon train, les gens racontaient qu’elle baisait avec n’importe qui, mais il n’existait absolument aucune preuve. Sa copine et elle faisaient une sorte de tournée des grands ducs, retrouvant dans les bars de nuit des copains et des copines, et tout ce petit monde finissait au Gibier de Potence, une sorte de cabaret perché sur la colline qui dominait la ville. Le Gibier fermait à quatre heures du matin et on y buvait du rhum arrangé à volonté. Chacun s’arrangeait avec la vie et profitait de la nuit. Baby Jam trônait au bar et se faisait payer des verres. On l’entendait rire, elle parlait de tout et de rien. Parfois un mec la draguait, ça l’amusait beaucoup, elle laissait faire jusqu’à un certain point, puis pour le calmer, elle lui expliquait gentiment que sa gueule ne lui plaisait pas, alors tout rentrait dans l’ordre. Tout ce cirque a duré quarante ou cinquante ans. Aujourd’hui, Baby Jam a pris un sacré coup de vieux, elle porte des lunettes à monture écaille et du rouge à lèvres. Elle tire ses cheveux bruns vers l’arrière pour se donner un petit air d’assistante de direction, mais sa gouaille est intacte. Tu la trouveras au bar du Gibier en train de siffler des verres de rhum tiède jusqu’à la fermeture. Elle attendra, comme elle l’a fait toute sa vie, qu’une bonne âme veuille bien la prendre en charge pour la déposer chez elle.

     

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             Pendant que Baby Jam savourait sa liberté, Linda Jones tentait de faire carrière. L’accomplissement d’un côté, l’abrègement de l’autre. Destin enviable d’un côté, destin tragique de l’autre.

             Contrairement aux Danaïdes, Linda Jones ne fut pas condamnée à remplir un tonneau percé. Elle fut condamnée à autre chose : l’obscurité. Lorsqu’elle cassa sa pipe en bois en 1972, elle n’avait que 28 balais. Elle était quasiment inconnue aux États-Unis. Seuls les Anglais la vénéraient. C’est la raison pour laquelle on la retrouve sur l’une des meilleures compiles de Northern Soul, celle de Rhino. David Godin parle d’une «enigmatic quality».

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             Son premier album s’appelle Hypnotized, un fat Loma de 1967. Tu donnerais ton père et ta mère en échange de «You Can’t Take It», un heavy r’n’b qu’elle fait décoller à coups d’you can’t take, elle te chante ça à l’efflanquée miraculeuse. Elle est encore très raw sur «I Can’t Stop Loving My Baby», elle est aussi directive que l’Aretha de l’âge d’or. Et en B, tu tombes sur une autre perle noire en forme de Beautiful Song, «If Only (We Had Met Sooner)», une Soul soûlante qui te donne le tournis.

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             Elle sort deux albums en 1972 :  Your Precious Love et Let It Be Me. Le premier est de toute évidence son meilleur album. Il grouille de puces. Elle attaque son morceau titre en ouverture de balda avec une stupéfiante énergie. Linda est la reine de la hurlette de Hurlevent. Elle chante encore «Don’t Go (I Can’t Bear To Be Alone)» au sommet de la Soul, avec une indicible audace. Elle brûle d’authenticité. Elle brasille de Soul, son «Stay With Me Forever» est extravagant d’intensité. Elle brasille à sa façon, ni comme Aretha, ni comme Brenda, c’est encore autre chose. Alors attention, car tout explose en B : si tu veux écouter l’un des plus beaux albums de Soul, c’est là, dès «Not On The Outside». Elle se veut océanique, avec des flux et des nappes d’orchestration, alors elle le devient. Elle tape un beau «Dancing In The Street» et boom, elle te roule le «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud dans sa farine. Elle le travaille au corps de manière spectaculaire. Elle te transforme encore la Soul avec «I Can’t Make It Alone», elle en fait un tir de barrage, elle te la plombe en or, elle te la pétrit à Petra, elle te l’élève dans la hiérarchie, bref, elle sait tout faire. Elle se dirige vers la sortie en faisant son Aretha dans «Doggin’ Me Around», mais pas avec le même fruité de glotte, Linda est plus sèche, plus âpre, et plus violente dans sa hurlette. Elle ne laisse aucune chance au hasard, elle pousse à la roue, elle défonce la rondelle des annales, elle a du cran. Logique car c’est une crack. 

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             Et donc sur Let It Be Me, on retrouve fatalement le «Let It Be Me» de l’album précédent. Elle est sans doute la seule à savoir monter au ciel from scratch, c’est-à-dire sans élan. On ne reconnaît pas l’hit de Bécaud. Elle en fait de la Soul. Fantastique présence encore avec «Fugitive From Love». Such impact dit Diamond Jim Sears au dos de la pochette. Eh oui, que peut-on dire de plus ?  Le coup de génie de l’album se planque en B : «I’m So Glad I Found You», un fantastique shoot de Soul des jours heureux, elle rivalise de good timing avec Brenda Holloway, elle ajoute sa tripe au walking beat. Encore jamais vu un truc pareil. Linda forever !

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             Malgré les liners de David Godin et de Tony Rounce, Never Mind The Quality… Feel The Soul n’est pas un très bon album. C’est enregistré dans l’Ohio en 1970. Elle tape un vieux coup d’«If I Had A Hammer» qu’elle attribue à Sam Cooke, alors que c’est signé Pete Seeger. Elle aime bien son Hammer, on sent la vieille Soul Sister pleine de réflexes et pleine de jus. Puis elle fait son éplorée avec «That’s When I’ll Stop Loving You» - my latest recording - Elle gueule dans son micro, c’est la règle du jeu, mais ça devient pénible. Elle reste en mode heavy froti avec «For Your Precious Love». Elle s’y connaît en bosses dans les pantalons serrés, comme Carla quand elle chantait avec un Otis en rut dans la chaleur de Memphis. Elle rappe un peu et déroule son écheveau de lemme tell something I can’t say. Puis elle rend hommage aux Falcons avec une cover d’«You’re So Fine», mais elle est essoufflée. Sa cover ne vaut pas tripette, comparée à celle d’Ike & Tina. Elle finit avec un gros clin d’œil à Wicked Pickett et «I Found A Love».

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             La compile que concocte Kent avec Precious - The Anthology 1963-72 ressemble à un passage obligé. Tony Rounce te sert Linda sur un plateau d’argent - Black American music has never had a singer with the extraordinary vocal power of Linda Jones - Te voilà prévenu. Rounce parle même de full-on fire. Il dit aussi que certains voient Linda comme, «simply, the greatest female soul singer of all time.» Il ajoute qu’on peut la mettre au même niveau qu’Aretha, Gladys Knight, Irma Thomas and others of similar calibre. Parcours classique, gospel dans les églises, puis petits boulots ineptes dans des usines avant de rencontrer George Kerr, un doo-woper new-yorkais qui fit partie des Serenaders. Kerr l’entend chanter et comprend aussitôt qu’elle a du talent. Il rassemble la crème de la crème new-yorkaise pour accompagner Linda en studio, notamment Cornell Dupree au bassmatic et Bernard Pretty Purdie au beurre. En 2014, Rounce demande à Purdie s’il se souvient de Linda - Yeah, Linda Jones. Big gal. Very good. Very loud - Après un premier single sur Atlantic, Linda se retrouve sur Red Bird, en bonne compagnie, puisqu’il s’agit de Leiber & Stoller. Kerr sort l’effarant «You Hit Me Like TNT» sur Red Bird, mais Leiber & Stoller déclarent forfait, à cause des embrouilles de leur associé George Goldner qui joue aux courses et qui doit beaucoup trop d’argent à la mafia. Kerr fait alors la tournée des labels new-yorkais. Il va taper à la porte de Brunswick, mais on lui dit qu’ils sont délocalisés à Chicago et trop occupés à lancer Barbara Acklin. Le mec de Brunswick est gentil, il donne à Kerr l’adresse de Ron Mosseley chez Warner Bros. Kerr fait écouter «Hypnitozed» à Mosseley, et Jerry Ragovoy qui passait dans le couloir entend ça et dit : «That’s a hit!». «Hypnotized» sort sur Loma, un R&B subsidiary de Warner Bros.   

             Dès l’«Hypnotized» d’ouverture de bal, cette coquine de Linda fait vibrer sa glotte effrontément. On trouve hélas à la suite quelques singles de peu d’intérêt, Linda propose une espèce de Soul de MJC mal foutue, elle braille dans son micro. Elle y va de bon cœur. On ne peut pas lui enlever ça. Elle se bat pied à pied avec une Soul de débutante et boom, ça explose enfin avec le fameux «You Hit Me Like TNT» sorti sur Red Bird, un stupéfiant hit de juke, et là on dresse l’oreille. Il faut la voir ponctuer son texte sur le beat. Et voilà que s’ouvre un formidable festin de Soul, avec à la suite du TNT l’effarant «Give My Love A Try». C’est le début de la période Loma qui dure deux ans. Avec «Give My Love A Try», Linda explose autant que Lorraine Ellison ! Elle déborde encore de répondant et de super jus avec «A Last Minute Miracle», un fast r’n’b porté par des chœurs puissants. Elle le porte à la force de la glotte. Elle replonge ensuite dans l’heavy Soul de circonstance avec «What’ve I Done (To Make You Mad)». Elle se bat avec une énergie extraordinaire. Elle chauffe encore son «My Heart Needs A Break» avec un aplomb extraordinaire. Cut après cut, elle se révèle imbattable. C’est avec ce hit que prend fin la période Loma. En 1968, Warners vend plus d’albums que de singles et décide de fermer Loma. Linda est virée avec tous les autres. Kerr reprend son bâton de pèlerin. Il enregistre Linda et vend les cuts à des petits labels. La voilà encore par-delà la Soul avec «I’ll Be Sweeter Tomorrow», sorti sur Neptune, un label monté par Chess avec Gamble & Huff. Elle incarne tout le ruckus du Soul System, elle est dévorante, complètement all over. Elle monte encore à l’apogée de sa clameur avec «That’s When I’ll Stop Loving You», qui est en B-side du single Neptune, elle le porte à l’extrême pointe de la Soul. Elle semble dominer le monde. Pas de chance, Gamble & Huff ferment Neptune pour lancer leur prestigieux Philadelphia International.

             Elle finit par enregistrer sur Turbo, un petit label du New Jersey. On arrive dans le terrain miné des coups de génie avec «Can You Blame Me?», wild Linda y va au yeah yeah, elle ne lâche rien, elle n’en finit plus de remonter le courant, et elle te retombe dessus à bras raccourcis avec «I Do», elle hurle ça dans la plaine, Soul Sister pure et dure, ah il faut l’entendre hurler à la lune. Encore un cut gorgé de son avec «I Can’t Make It Alone» signé Goffin & King, et ça monte encore d’un sacré cran avec «Not On The Outside», elle a cette faculté de s’élever à la force de la glotte, elle se pâme dans un excelsior inexorable, Linda Jones est une géante. Et puis t’as encore cet «I’m So Glad I Found You» extraordinairement groovy, elle y va la cocotte, elle défonce les portes d’airain du palais de la Soul, elle fait la fête à elle toute seule et chante à la folie. Encore une compile dont tu sors rincé. Vraiment rincé.

    Signé : Cazengler, Lindabîmé

    Linda Jones. Hypnotized. Loma 1967

    Linda Jones. Your Precious Love. Turbo Records 1972

    Linda Jones. Let It Be Me. Turbo Records 1972  

    Linda Jones. Never Mind The Quality… Feel The Soul. Sequel Records 1997

    Linda Jones. Precious. The Anthology 1963-72. Kent 2016

     

    L’avenir du rock

     - Fontaines de jouvence

     (Part Two)

             Tous les témoignages concordent. Tous, sans exception. Lawrence d’Arabie, Stanley et Livingstone, Sylvain Tintin, Richard Francis Burton ont tous croisé l’avenir du rock dans le désert et sont catégoriques : il est complètement givré. Irrécupérable. À force de marcher pendant des mois et des années sous un soleil de plomb, il a fini par perdre la boule, ce qui paraît logique.  Tous ont essayé de converser avec lui, de lui redonner le goût des échanges courtois, le goût des petits commérages, tous ont essayé de lui apporter un peu de réconfort moral, de lui redonner foi en lui, foi en l’avenir, foi en Dieu, foi en l’être humain, foi en la gauche républicaine, foi en la science, et quand il répondait qu’il préférait le pâté de foi, nul ne s’en offusquait, car, par 60 degrés à l’ombre, une boutade se dessèche et meurt aussitôt. Tous sont unanimes pour dire qu’il vaut mieux le laisser errer dans son coin, tous affirment que de vouloir lui porter secours ne servirait plus à rien. Les témoins vont même plus loin, affirmant que ça lui rend service de le laisser errer dans le désert, que ça lui donne un certain cachet, car sa peau se parchemine. Son visage est tellement hâlé, disent certain, que ses yeux de fouine paraissent délavés, comme s’ils étaient clairs, ce qui n’est évidemment pas le cas. Cette errance lui permet en outre de conserver sa ligne, au moins il ne risque pas de ventripoter comme la plupart des mâles de son âge, tous ces lascars qui se plaignent de grossir alors qu’ils bouffent comme des vaches, de toute façon, ce n’est pas l’avenir du rock qui ira critiquer les gros lards, car il rate jamais une occasion, même dans le désert, de rappeler que les gros sont les meilleurs, notamment le gros Black et Leslie West. Le pire, c’est qu’il ne parle plus que de Fontaines, dans une région où elles n’existent pas. Bref, tout le monde le croit foutu. Si l’avenir du rock entendait tous ces cons, il serait mort de rire.

     

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             Les Fontaines dont il parle sont bien sûr les Irlandais de Fontaines D.C. Il n’est pas le seul à prêcher dans le désert : Stephen Troussé en tartine six pages dans Uncut. C’est pas rien. Il commence par qualifier leur quatrième album Romance d’astoshing, et parle même  d’«apocalyptic sci-fi stadium rock». Ah ces journalistes ! Ce qui rend les Fontaines éminemment sympathiques, c’est leur trouille de la gloire. Le chanteur Grian Chatten prévient tout de suite : «I’m not mad keen to get that big.» Et il ajoute, haletant : «I really, really don’t want us to turn into dickheads.» On ne sait pas qui il vise à travers ça, mais il vise, c’est sûr. Chacun mettra les noms qu’il voudra. Mais il sait que la gloire arrive. Pourquoi ? «Because we’re really good.» Troussé parle d’un «winning charm and modesty», même s’il frôle l’absurdité.  

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             Quatre albums en cinq ans, ça va vite. Troussé parle d’une «volicity that puts their peers to shame» et de «quantum leap». Il a du vocabulaire, l’ami Troussé, puisqu’il qualifie Dogrel d’«astonoshing rush-and-push debut», A Hero’s Death d’«assured consolidation», puis Skinty de «staggering, surreal letter of love and poison». Mais Troussé se surpasse en qualifiant «Starburster» d’«huge rambling panic attack that sounded like Korn covering Happy Mondays’ ‘Wrote For Luck’». Il qualifie aussi Carlos O’Cornell de «flame-haired guitarist and conceptualist» des Fontaines. Dans son élan, Troussé se met à sortir les comparaisons oiseuses : il compare Romance à l’Ocean Rain des Bunnymen, au Disintegration des Cure, à l’OK Computer de Radiohead, et d’autres qu’on ne va pas citer pour éviter de gaspiller de la place. Il se dit encore frappé par le «Technicolor» des cuts de Romance. Il parle enfin d’un album cinematic.  

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             Il a raison, Romance est vite bardé ! Les DC sont les rois du barda. Comme ils visent la démesure, les Fontaines s’en donnent les moyens. Mais les premiers cuts manquent de magie. Ils labourent la bouillasse d’une pop épaisse. Et puis tout à coup, ça swingue dans les voiles : le mec chante son «Here’s The Thing» au doux tordu et ça percute. Voilà l’Irish power, Grian Chatten chante à la déconnade et ça explose de grandeur. Oh yeah, il chante à l’évaporée dévastatrice et mine de rien, il rentre dans le chou d’un lard très fumant, ça groove dans l’épidermic, ça rocke le booty, aw quel fantastique racket d’Irish finish ! S’ensuit une belle montée en neige nommée «Desire». Ça redevient sérieux, tu commences à te prosterner. T’as pourtant déjà entendu cette surenchère de la démesure chez Adorable, mais les Fontaines plongent très loin au fond du Desire, ils battent tous les records du Grand Bleu. T’es estomaqué. On les voit encore chercher leur voie avec «Big». Grian Chatten appuie bien son chant, il a le bon timbre, pas de problème, un timbre pas trop oblitéré. Il ne manque aucune dent au timbre. Irish power pop ! Ils font les Pixies avec «Death Kink» et tout re-bascule dans l’excès qualitatif avec «Favourite» qui sonne comme un vieux hit insistant. Ah comme Grian Chatten chante bien ! Cette pop ne pardonne pas. Il chante à l’accent tranchant. Pur genius !

             C’est vrai que l’album sonne comme une grande aventure. Conor Curley raconte plus loin dans Uncut qu’il tire son énergie du cinéma, un art qu’il juge plus puissant que le rock et la littérature. Chatten dit aussi qu’il est «bored of talking about music, bored of talking about books.» Il dit chercher une nouvelle voie et se dit obsédé par Mickey Rourke dans Rumble Fish.

             Les Fontaines sont aussi partis en tournée américaine avec Artic Monkeys. C’est drôle comme leurs références ne sont pas bonnes. Chatten dit avoir flashé sur Blur à Wembley. Au moins avec Dean Wareham, on parle des vrais trucs, c’est-à-dire Lou Reed et le Velvet. Là on est dans autre chose. Il s’agit sans doute d’un problème générationnel.

             C’est O’Connell qui sauve les meubles en avouant qu’il a produit le nouvel album de Peter Perrett, The Cleansing. Et Perrett se dit fasciné par la voix de Grian Chatten - They’re lucky to have a singer with such an iconic voice. A Voice is everything - Peter Pan sait de quoi il parle. O’Connell devient rudement intéressant lorsqu’il aborde la question de la culture irlandaise : «Il y a beaucoup plus dans notre histoire que les prêtres et les curés. The weirdness of pagan Ireland.» Puis il fait l’éloge des groupes de sa génération, «us, Gilla Band, Lankrum», et de «something very irish about dissonance as a concept.» Et bien évidemment, l’article finit par se casser la gueule avec l’irruption des Spice Girls et de U2. C’est là que Chatten sort son fameux prêche contre les dickheads. Il se sent devenir narcissique, talking about myself, et bien sûr il sent que c’est le problème.  

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             Avant de conclure, il est bon de rappeler que Skinty Fia est un album raté. Ils font illusion le temps d’un «Big Shot» très Radiohead, mais les compos ne sont pas au rendez-vous. Il ne reste que la voix de Grian Chatten, cette voix intéressante au timbre profond, avec de jolis effets de baryton sur le so cold d’«How Cold Love Is». Mais globalement, rien n’accroche. Ils sont dans le manque à gagner, dans le laissé pour compte, dans le solde de tout compte, ils tentent encore de viser l’horizon avec «Roman Holiday», mais l’album devient un radeau de la Méduse. C’est la damnation du cerf, ils n’ont absolument aucune compo. Rien. Que dalle. C’est le l’arty-gros foutage de gueule et ça ne reprend vie à la fin qu’avec «Nabokov» qui est bien écrasé de son. Quelle tragédie. Cet album a dû traumatiser leur destin. 

    Signé : Cazengler, Fonteigne d’ici

    Fontaines D.C. Skinty Fia. Partisan Records 2021

    Fontaines D.C. Romance. Xl Recordings 2024

    Stephen Troussé : Last of the new romantics. Uncut # 330 - October 2024

     

    *

             La teuf-teuf fonce à donf. Pourquoi donc ? Parce qu’elle emprunte la 619 qui vous emmène à Troyes. Dont on peut dire qu’en France elle est l’équivalente rock de la mythique road 66. Un don des Dieux ! Moins longue que Le Don Paisible de Mikhaïl Cholokov mais au bout de la route, comme à la bataille navale, la case Trois B s’avère gagnante à tous les coups. Comment cela se fait-il, je n’en sais rien, faudrait demander à Béatrice la patronne par quel stratagème elle se débrouille pour ramener systématiquement  de bons groupes. Peut-être a-t-elle la main verte, mais sûrement the main feeling rockabilly.

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             Remarquez ce coup-ci elle avait deux bonnes cartes dans son jeu. Luky Will est déjà venu 3 B...   Le deuxième as depique elle ne le tenait pas dans sa menotte toute mignonnette, elle nichait dans la poigne la plus féroce du rocker le plus intrépide, vous avez reconnu Jerry Lou, le pianiste fou, une photographie sur laquelle l’indomptable Jerry Lee Lewis arborait fièrement le premier CD de Luky Will.

             Autant dire que je ne m’attendais pas une douce veillée de colonie de vacances, mes prédictions ont été comblées au-delà de toute espérance. L’est vrai que 3 B recevait la visite  d’un sacré groupe de coupeurs de têtes.

    THE COOPERS

    3B

    (Troyes / 21 – 03 – 2025)

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                Suis surpris dès mon entrée au 3 B. Peu de monde. La moitié des tables désertes. Une demi-heure plus tard je suis effaré. D’où sort cette foule ! Jamais vu autant, une marée humaine, tellement de presse que l’accès au bar sera interdit pendant tout le concert à ceux qui squattent les places près des musiciens, debout, chaises, et même assis par terre ! Ce n’est tout de même pas une soirée folk qui est prévue.

             Z’arrivent sourire aux lèvres, s’installent sans se presser, la pression monte, profitons du premier instrumental, un Chicago Blues mid tempo, un tantinet funky, ce n’est pas la tornade que l’on attend, mais non de Zeus, pas besoin de sortir de Polytechnique pour se rendre compte que l’on est devant de sacrés musiciens. Tout au fond Kevin, à l’affût derrière ses fûts, frappe mollement, mais quelle étrange décontraction, l’est toujours prompt à ouvrir ou clôturer n’importe quelle séquence, à sa droite c’est plus grave, je ne parle pas du bassiste, l’a une moustache terriblement sympathique, mais chaque fois qu’un de ses doigts touche une corde de sa basse, non, ce n’est pas une upright, plutôt une upsound, vous avez un son profond et moelleux, du chocolat fondu, est-ce pour cela qu’il est surnommé Pepito, juste devant lui, sous son chapeau, Lucky et sa Gretsch rouge-sang, tout ce que l’on peut dire c’est qu’il maîtrise salement sa bécane sanglante. Enfin à droite, Bruno aligné contre le mur, enfoncé dans le recoin vous pouvez ne pas le voir, mais pour l’entendre pas de problème, paisiblement assis sous sa casquette, ses doigts n’arrêtent pas de ricaner, chaque fois qu’il les pose sur son clavier, c’est comme s’il instillait un brin de folie foutraque dans l’ambiance qui ne parle pas à tourner à l’orage dès le deuxième morceau.

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             Faut comprendre, l’amateur très moyen de rockabilly connaît la plupart des morceaux, mais ils ont une manière très spécifique de les interpréter. Ne vous filent pas les titres à tire-larigot à la queue-leu-leu, bonjour-bonsoir voilà le boulot, non ils ne récitent pas leur leçon, ils interviennent à chaque instant, vous les reconstruisent, vous les dégobillent sans retard, mais vous les ressortent totalement métamorphosés. C’est qu’ils possèdent une arme invincible mais souterraine, ils swinguent comme aucun autre groupe de rockabilly, z’ont la pulsation primitive, mais ils ne le montrent pas, partent du principe que chaque morceau doit être mené comme un round de boxe, mais avec quatre boxeurs qui chacun à leur tour sort son uppercut dévastateur.         

     Lucky, il joue la surprise attendue, suspend son jeu, tourne la tête à droite eut à gauche comme s’il ne se rappelait plus de ce qu’il lui faut faire, mais quand il envoie le riff vous supputez dans votre pauvre cervelle la seconde exacte où il va le relâcher, pas maintenant, ni après, ni avant, à l’instant précis où il veut ( ne s’appelle pas Will pour rien), sur son Folsom Prison Blues vous donne une sacrée leçon sur la notion de la liberté de l’artiste, quand il veut, où il veut, il vous pose le bibelot à l’endroit exact où vous n’aurez jamais escompté qu’il soit là. Avec lui chaque écoute d’un seul morceau devient une aventure sonique.

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    Autre tactique. Celle de Kevin. Il tapote dans son coin. Vous pensez qu’il joue à la belote avec un comparse imaginaire. Le gars loin de tout, retranché dans son quant à soi. Ses camarades se retournent vers lui. Qu’est-ce que tu fous Kevin, on ne voudrait pas te déranger mais si tu faisais un petit truc ça nous aiderait bien, alors il leur adresse un petit sourire, le même que Napoléon avait jeté à Murat pour lui signifier qu’il pouvait mener la charge de ses douze mille cavaliers contre l’infanterie russe à Eylau, mais Kevin c’est la décharge, la canonnade en quinze secondes il vous jette le morceau par terre, l’emporte tout sur son élan,  rasé rasibus, et hop il vous refigure le building qui sort de terre transfiguré de pied en cap, vous impose sa vision du monde, et vous convenez qu’elle est beaucoup plus efficace que la vôtre. Ensuite mine de rien, il joue l’élève innocent qui n’a rien fait, ni vu, ni pris, l’œil aux aguets, prêt à repartir en guerre dès que nécessaire.

    Bruno, sur son piano Yamaha, l’est comme vous qui de temps en temps parsemez du parmesan sur votre plat de pâtes, distribue quelques notes pour accompagner, c’est sans préavis qu’il lance la galopade effrénée sur son clavier, ce qui ne l’empêche pas parfois, un doigt à demi replié de s’obstiner sans trêve sur une note qu’il doit avoir envie de détruire l’on ne sait pas trop pourquoi, c’est un peu comme l’étincelle, chère au président Mao Tsé Toung, qui était censée mettre le feu à toute la plaine, en tout cas avec lui, ça marche à tous les coups, le morceau accélère comme une fusée interplanétaire, z’avez l’impression qu’il penche d’un côté et que dans la seconde qui suit tout va s’effondrer happé par cette maudite descente vertigineuse, d’autant plus que l’air de rien Kevin tout en continuant à battre son beurre, attrape le clavier d’une main et le soulève pour accentuer la pente fatale, genre de facétie qui n’empêche pas Bruno de  continuer sa dégringolade de notes infinies.

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    Pépito met le paquet, à sa façon. N’attaque jamais de face. L’est comme ces motards qui se positionnent au cul de votre voiture et vous poussent à accélérer sans fin. Choisit un de ses camarades, et hop il se colle à lui, en toute innocence, un véritable boutefeu, vous avez l’impression qu’il suit la cadence, il l’englobe d’une sonorité voluptueuse, il suscite le désir d’une course éperdue et c’est parti jusqu’au bout de l’avenue, quand l’autre s’arrête il stoppe aussi sec pour mieux rappuyer sur l’accélérateur, l’a une préférence pour les Gretsch de Lucky, il passe à l’orange et la rouge ne l’arrête pas. 

    Le cercle se referme. Will ne se contente pas de sa guitare. Il mène le jeu. Au vocal, faut l’entendre débouler Good Golly Miss Molly, l’a le gosier de fer et de foudre, parfait pour  arracher les dégringolades sublimes, descendre les torrents foudroyants de Blue Suede Shoes et éparpiller  les éclats de grenade de Great Balls of Fire aux quatre coins du monde. En plus un véritable entertainer, en trois réparties il dope la salle qui n’en finit plus de hurler. D’un geste souverain il arrête la furie générale pour la catapulter un quart de seconde plus tard dans un grandiose tumulte.

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    Trois sets de feu. Etourdissants. Effervescents. Excaliburants. L’ordonne à tous de se lever et de danser. Et tout le monde obéit Dinguerie absolue le You Never Can tell de Chuck Berry avec Bruno et son piano bordel-line…. Béatrice la Patronne indique que l’heure… il est temps d’arrêter l’émeute. Les instruments sont posés à terre. Lucky s’empare du micro court se réfugier dans la densité du public, s’empare du micro et pratiquement a cappella il entonne I Saw The Light le gospel sacrilège d’Hank Williams que nous reprenons tous en chœur… c’est reparti pour trois classiques, l’on termine comme dans les années 70 avec un petit Johnny B. (very) Goode

    C’était la fin. Pas du tout, maintenant l’on passe aux riffs les plus célèbres, genre l’on fait feu de tout bois de Téléphone à Smoke on the Water

    Je m’arrête ici, pour que vous ne soyez pas jaloux. Merci à Béatrice et  aux Coopers. Ce n’était pas une soirée inoubliable mais un rock-choc immémorial.

    Damie Chad.

     

    *

    Ashen continue sa route. Profitent du printemps pour déposer un œuf dinosaurien dans nos pupilles, une nouvelle vidéo explosive. On ne les compte plus, sans compter Smell like Teen Spirit, ce fut Sapiens, Hidden, Outler, Nowhere, Angel, Chimera, Desire, toujours pas d’album, mais une stratégie qui porte ses fruits, Outler, commis par un groupe français, vient d’être crédité d’un million de vues sur Spotify. Voici donc le dernier opus, le dernier obus :

    CRYSTAL TEARS

    ASHEN

    (Official Music Video / Mars 2025)

    OUT OF LINE MUSIC

    Bastien Sablé a dirigé la vidéo qu’il a scénarisée en compagnie d’Ashen. Le site de Bastien Sablé est à visiter. Il a réalisé de multiples clips pour de nombreux (et nombreuses) artistes de la nouvelle variété française. De mirifiques décors, des mises en scène inspirées, dommage, selon mes goûts de rocker endurci, que les musiques ne soient pas souvent à la hauteur images qui les accompagnent.

    Mais pour celle-ci, la transcription mouvante de la  beauté formelle des hallucinations cryptiques échevelées est si parfaitement adaptée à l’univers spirituel darkside et à la violence fragmentale de la musique du groupe, que l’ensemble symbiotique s’inscrit sur les murs charbonneux de  notre nuit mentale en traits de feu sanglants significativement aussi éphémères qu’éternels…

    Où sommes-nous ? Dans une des sombres galeries des Indes Noires de Jules Verne, ou en un endroit encore plus dangereux, à ras-de-terre et de cendres des Champs Phlégréens, juste à la l’orée du porche de la caverne qui selon les Anciens conduisaient aux Enfers, au Royaume de la Mort, à moins que cette ombre noire qui chemine précautionneusement, son bras levé supportant un flambeau de lumière indistincte, ne soit un être humain vivant déjà mort. Cette ombre animale que l’on entraperçoit une demi-seconde ne serait-elle pas celle de Cerbère, le chien obturateur rendant impossible toute remontée.

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    Devant une muraille de schiste noir, le groupe joue, se démène, se trémousse assène la musique sous forme de lingots de plomb noircis, il crie, il hurle, il clame, il geint, il gesticule, il joue… son rôle de chambre noire de Chenonceau, Clem, l’Orphée mythique, n’est déjà plus qu’une âme, les vestiges remuants de ce qui a eu lieu, le vertige rampant de ce qui n’est plus, la dague est plantée dans le sol, en éclat de quartz, un éclair blanc de robe de reine morte, l’épée où se jeter et se percer le cœur, le groupe en transe paroxystique, et Clem qui s’approche précautionneusement, de la fleur de lys, de l’incisive géante d’un monstre antédiluvien, la forme blanche de la lance du Graal, folie noire, fantôme de pierre, albâtre qui grandit démesurément, le toucher, la toucher, est-ce lui, est-ce elle, cette Excalibur proéminente dont la lame froide arde et illumine, mais avant se reposer, se concentrer en soi, se poser les bonnes questions, faut-il s’adresser à lui, à elle, à soi-même, à cette énigme translucide, alors que l’on dit que la Mort est blanche, et ce menhir illuminatif, qui est-il ? Pourquoi ne serait-il pas moi. Serait-il l’autre. De l’autre côté du miroir. N’aurait-il pas la forme d’un cœur. Immortel puisqu’il ne bat plus. Confrontation avec l’autre de soi-même. Gerçure et brûlure à la jointure. L’orchestre exorcise sa fureur. Bersek de lui-même. Hurlement. Qui meurt là, qui tombe et s’affale sur la pierre druidique, qui titube et s’appuie sur le pilier christique. Communion. Extrême-onction sacrificielle. Le groupe massacre-t-il de désespoir sa musique noisique. Plus personne. Ne reste plus, sublime, immarcessible, que l’épée blanche qui semble s’élever vers le ciel. Serait-elle la représentation de l’aile d’un ange rilkéen. Celui élémental qui descend.

    Damie Chad.

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    Nota-Bene : L’œuvre au noir, la forme blanche n’évoque-telle pas la forme oblongue d’un cercueil, peut-elle être éblouissance. En quoi le tout se résorbe-t-il ! La forme blanche est-elle l’épée de la séparation ? De cet autre côté de nous-même que nous sommes et ne sommes point. Notre somme additionnelle n’est-elle égale qu’à la silhouette du 1 maladroitement tracée, cette frontière qui ne délimite qu’un même et unique royaume. Toute la douleur existentielle de cette dichotomie de nous-même qu’aucun scalpel de pierre ne parviendra jamais à séparer de nous-même car notre vie s’apparente si bien à notre mort que nous sommes tout aussi bien que nous ne sommes pas, ce tout que l’on voudrait ne pas être ou ce rien que l’on voudrait être.

    Une lecture plus simple, l’adieu à l’androgynie que l’on a été, que l’on a cru être et que l’on n’est plus. Cette coupure de l’autre qui n’est que la coupure de soi-même d’avec l’autre. Vouloir être dans une unique solitude et n’être plus que la solitude de soi-même. Un moins Un égale toujours Un. L’illusion posthume du 2. Le Un est toujours seul, séparé de sa propre multiplicité.

    Pour aider à réparer la fracture, Platon disait que l’on ne pouvait passer du Un au Deux, sans quoi le Un reste seul. L’a préconisé le principe de la dyade qui n’est autre que la reconnaissance du Deux, non pas en son unité, mais en sa dépendance à l’autre qui reste l’Un, ce qui de fait de la dyade le principe de la reconnaissance de la multiplicité infinie, qui n’est autre que le ravalement du Un, non pas en sa Unicité, mais en simple fraction élémentale de la répétition du Même.

    Le Même n’étant que la négation de l’unicité du Un. Or un Un qui n’est pas unique nous oblige à vivre  l’équivoque relationnel avec tout autre. A nous atomiser avec le n’importe quoi. Une espèce de suicide collectif métaphysique en quelque sorte. Commis par un seul.

    Damie Chad.

     

    *

    Vous avez des mots et des titres qui vous attirent plus que d’autres. J’avoue avoir pas mal barjoté sur le Midnight Rambler des Stones mais là je suis servi : un groupe qui se nomme Nightstalker, mais qui très vite aggrave son cas, ils sont grecs, d’Athènes, sont cités dans la mouvance de Rotting Christ, quant au titre de l’album jugez-en par vous-même,

    RETURN FROM THE POINT OF NO RETURN

    NIGHTSTALKER

    (Heavy Psych Sounds Sounds Records / Mars 2025)

             En langue anglaise ‘’starlker’’ désigne un rôdeur dont il vaut mieux se méfier, l’on ne sait ce qu’il manigance mais vous êtes sûr qu’il ne travaille pas au bonheur de l’humanité, il désigne aussi un chasseur lancé sur une piste qui n’appartient qu’à lui. Stalker c’est aussi le film du réalisateur soviétique – il eut quelques ennuis avec le régime – Andréi Tarkowski. Une étrange histoire d’un stalker mystérieux qui guide au travers d’une zone désolée et interdite deux voyageurs, un écrivain et un professeur, vers une mystérieuse cellule où vous atteindriez l’horizon zénithal de  l’absolu de vos désirs profonds… Le film est sorti en 1979, il a trouvé une étrange résonnance dans la zone interdite située autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosée en 1986 dans laquelle certaines espèces animales semblent avoir développé une espèce d’armure biologique contre les radiations atomiques… Si vous partez du principe que l’Homme n’est qu’une espèce animale parmi tant d’autres, toutes les cogitations vous sont permises… Stalker est aussi le nom du blogue littéraire de Juan Asensio adonné à la dissection du cadavre de la littérature…  

             Le retour au point de non-retour doit-il être considéré comme une régression ou une avancée. Une deuxième chance ou la peur de s’enfoncer dans la logique d’un cheminement. De toutes les manières l’idée du retour n’implique pas-t-elle la notion de l’origine quel que soit le sens de votre marche qui, même si vous revenez sur vos pas, en reposant systématiquement chacun de vos pas dans vos propres empreintes vous oblige à dessiner l’idéelle figure d’un cercle nietzschéen…

             La pochette vaut le détour. Cette espèce de ville endômée, endoomée par une calotte humaine protectrice et emblématique – appréciez au-dessous l’espèce de péristyle morcelé, ces colonnes qui furent la fierté des cités grecques antiques et par-dessus le capillaire village rural  exhaussé sur les déclivités crâniennes du crâne, poussé tel un rêve, qui ne veut pas mourir et s’accroche désespérément aux superstructures de cet exo- squelette tombal et génital.   

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    Cette couve est d’Alexander Von Wieding, un illustrateur qui a beaucoup travaillé en  packaging et notices diverses en relation avec la production industrielle, amateur de blues depuis 2006 il s’est spécialisé pour la production de pochettes d’albums. Son Instagram regorge de photos de couves pour des groupes et des chanteurs dont j’ignorais l’existence. Idéal pour mesurer le gouffre de votre ignorance, car l’intérêt pour les images vous empêche de vous attrister sur vos manques de connaissances.

    Nightwalker fut fondé en 1989. Ce disque est leur septième album, ( + deux lives et quelques simples),

    Andreas Lagios : bass / Dinos Roulos : drums, percussions / Tolis Motsios : guitares / Argy : vocal, lyrycs, percussions.

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    Dust : si vous vous  attendez à une sereine méditation sur la poussière que vous êtes et sur la poussière que vous deviendrez, c’est râpé, la batterie bouscule vos synapses, des tourbillons sonores précipitent vos circuits cérébraux en une espèce de surdopéisation de vos neurones préférés.  Plus de chair  vous êtes comme sur la couve réduit à l’os de vos prétentions, comme quoi tout se passe dans votre tête, au-dehors tout se rétrécit, Argy vous prévient, tout a une fin, même ces jours que vous avez longtemps crus heureux. En quatre courtes strophes il vous indique le début de la catastrophe. Une seule consolation la guitare de Tolis, toujours ça de pris sur l’ennemi. Heavy Trippin’ : dur, dur docteur Arthur, un peu de méditation, la basse de d’Andreas vous y invite, mais les camarades haussent le niveau sonore, l’introspection silencieuse c’est terminé, pratiquement une confession publique obligatoire, modulée d’un vieux fond bluesy salement malmené, c’est beau comme du Verlaine mais ça remue comme Le Bateau Ivre de Rimbaud, vous avez vécu dans un rêve, du toc de chez toc-toc qui refuse la réalité, qui oublie le malheur de ses congénères, qui ne pense qu’à sa petite quiétude personnelle, c’est fou comme le temps s’allonge indéfiniment lorsque l’on tourne et retourne en soi-même, alors qu’autour de vous tout se désagrège à une vitesse supersonique. Il est temps de prendre les décisions qui s’imposent. Pour vous consoler les quinze dernières secondes du morceau sont superbes. Jamais entendu une semblable coda à décoder.

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    Uncut : je vous rassure, ils ne sont pas tombés dans un trip à l’acoustique, l’électricité ronronne à fond, à gros flocons, si vous ne me croyez pas vous avez une vidéo, en studio et sur scène, de vrais rockers ils jouent au billard à trois boules, pas à l’amerlok, toute la différence entre un traité d’Aristote et un roman naturaliste, ce dernier est bien plus simple mais nécessite moins d’aptitude intellectuelle, s’amusent aussi au flipper et z’ont des groupies à foison. Ce qui est un peu à contre-courant du scénario aujourd’hui fortement  conseillé parce qu’après qu’Andras nous a appris ce que l’on peut faire avec une basse, l’Argy, ce n’est pas de l’argile, l’est dur comme du granit, vous congédie sa copine sans fioriture, le temps des simagrées et des faux-semblants c’est terminé, pour les féministes concentrez-vous sur la machine de guerre de ce groupe, ils n’ont peut-être pas inventé le lait en poudre, mais c’est si puissant et si beau que dans vos cerveaux ils font pousser l’herbe qui nourrit les vaches.  Return from the Point of No Return : encore une vidéo, vous voyez l’Argy se livrer à ses petites activités matinales un peu de sport, un peu de bourbon, finit par se rouler un joint aussi gros qu’un bâton de maréchal, vous voyez le groupe jouer et

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    surtout vous entendez la mayonnaise, elle vous emporte sur le haut sommet de l’Empyrée, le Dinos, l’a la frappe dinosaurienne, vous berce dans les roulements incessants de ses toms, ne cédez pas à l’hypnose musicale, Argy est en train de mettre de l’ordre dans son existence, confond un peu son balai avec un char d’assaut, mais faut ce qu’il faut, ou vous êtes capable de retourner au point de non-retour ou vous ne l’êtes pas. Sachez repérer les cris en sourdine. L’art du hurlement souterrain n’est pas donné à tout le monde. Un morceau qui fait place nette. Shipwecked Powder Monkey : attention de l’eau dans les écoutilles, sont comme fatigués d’écoper, se reprennent vite, z’ont intérêt maintenant à se magner car ça entre par gros paquets, voici les temps de l’incertitude le moment où l’on s’aperçoit de l’équivalence de nos actes, que l’on fasse ceci ou cela, le résultat est identique, maintenant le groupe fonce en piqué et en escadrille, les choses t’échappent, vous filent les derniers enseignements, tu n’y peux rien, l’existe un point où l’avant devient l’après, à moins que ça ne soit juste le contraire, tu te dois avancer, mais c’est le temps qui te rattrape et te dépasse.  Guitare en chappe de plomb te percent les oreilles, te bercent dans ton incomplétude, dans ton impuissance programmée. Shallow Grave : cette basse trop grave, plus basse que la terre que tu as creusée pour enfouir tes rêves et ta volition,  voici donc le slow des grandes glaciations, la musique dodeline, au bout de la mort une renaissance, un rite de passage, les tisons de la guitare te réchauffent la musiquen se redressent tel un serpent prêt à se battre, fais le tour de tes anneaux mémoriels, ne te laisse pas enfermer dans le cercle vicieux de tes habitudes. Reviens à toi. Extrais-toi de ta propre tombe. Falling Inside : le retour en soi, une pierre qui dévale la colline, qui tombe, qui n’en finit pas de tomber, de plus en plus vite, le rythme s’accélère, il est trop impétueux pour que tu aies le temps d’avoir peur, le groupe explose littéralement, un élan dévastateur, créateur, tout au fond tu trouves ce que tu cherchais en vain depuis longtemps. En toi-même. Te voici redevenu toi-même. Tout voyage est intérieur. Tu es le retour et tu es en même temps le non-retour pour ne pas stagner. Flying Mode : le son est lourd, il ne trébuche pas, il s’amplifie, le tout est de ne pas s’appesantir en soi, de ne pas se confiner en une morale étriquée du bien et du mal, la zique prend son envol, faut savoir s’envoler, le chant devient encombré de parcelles de gai savoir, vivre ses rêves c’est déjà vivre, le cheval fou de la batterie trottine allègrement, bientôt il galope ardemment, rejoint par le reste de la horde, crinières pâmoisantes de guitares, toujours de l’avant, cris de joie, de victoire et de triomphe. Si vous restez à les écouter vous ne les rattraperez jamais.

             Enthousiasmant. A écouter attentivement, peuplé d’idées musicales inédites. Un groupe au sommet de son art. Testamentaire en le sens où les héritiers viendront boire. Source vive.

             Tellement bon que j’ai voulu en écouter davantage, j’ai choisi un titre choc :

    DEAD ROCK COMMANDOS

    (Small Stone Records / 2012)

    Pas tout à fait au hasard, d’abord une pochette d’Alexander Von Wieding qui n’est pas sans préfigurer un demi-quart de siècle à l’avance celle de Return from the point of no return, un peu moins réussie toutefois, quel sens donner à ce trognon de pomme déposé entre les mâchoires de cet animal monstrueux aux dents hyper développées de tyrannosaure, si ce n’est celle d’une éthique rock qui consiste à croquer la vie à pleines incisives mais en privilégiant uniquement les  meilleurs morceaux. N’est-ce pas normal que Kr(tnt ! qui vous propose chaque semaine les aventures de l’Avenir du Rock dans le désert d’Egypte se penchât aussi sur ces commandos du rock décédé, un titre d’autant plus énigmatique que si l’on en croit nos oreilles le cadavre en pleine forme s’agite beaucoup pour un moribond. 

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    Go get some : choc de zinc dézinguant, z’en remettent une couche et c’est parti pour le rock’n’roll, le vocal qui klaxonne comme une trompe pour vous avertir que l’avalanche déboule sur vous, trop tard vous êtes déjà enseveli dans les neiges éternelles, une guitare non décarbonée signale l’endroit de votre passage, de l’autre côté de la montagne noire. N’ayez crainte seulement une métaphore afin de vous inculquer la rudesse de l’art tonitruant de vivre rock’n’roll. Pas difficile vous cherchez à crever la gueule ouverte mais vous recracher les pépins de la mort pour ceux qui les ramasseront et s’en nourriront. Codicille de dernière importance : ou le rock ou le néant. La vie appartient aux excités. Soma : nouvelle somation. Vous la lancent à la balle dum-dum.  Très agréable, musicalement parlant si vous aimez le rentre-dedans, délectable aussi si vous suivez les conseils, pardon les ordres. Un combat au corps à corps, jouissance sexuelle tous azimuts, une guitare qui hennit de plaisir et le reste e la bande qui enfonce le clou dans les cercueils de chair. Dead Rock

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    Commandos : vous avez une vidéo pour vous aider à comprendre, le printemps qui s’éveille, la nature presque frémissante, déboulent en courant, tous habillés de noir, un moment pour comprendre qu’ils sont poursuivis, qu’ils sont vont être rattrapés, on se saisit d’eux, on leur recouvre la tête d’un voile blanc, sont emmenés sur les lieux de leur exécution, brutalement on les libère et on les place derrière leurs instruments, morale de l’Histoire, il y a commandos et commandos, les uns détruisent la planète et lobotomisent les populations et les autres se servent de leur musique pour se défendre et survivre. Riffs noirs et sombres à grandes enjambées vous assomment, eux aussi sont des commandos, les commandos du rock. Ceux qui cherchent à tuer le rock, ceux qui se battent pour qu’il survive. Le texte est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît. One million broken promises : pompent plus vite et plus énergiquement que les shadocks, normal ce sont des shadrock, n’en profitent pas pour rejeter la faute exclusive sur le reste du monde, reconnaissent leurs torts, ils boivent, ils se droguent, reconnaissent qu’ils ont peur, qu’ils se dépatouillent mal, parce l’ombre de la mort les terrorise et que l’on meurt toujours seul. Rarement entendu une si grande probité intellectuelle chez les groupes heavy et metalleux. En plus ils vous l’assènent sans ambages et surtout sans repentir ni fausse honte.

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    Children of the sun : la vidéo vous évitera de croire qu’après une crise mystique subite le groupe se soit converti à l’idéologie hippie. Musique franche et directe assénée à pleines bouches, à pleins instruments, vidéo superbement mise en scène, toute simple mais pétillante d’intelligence, rock bien sûr mais avant tout une superbe pantomime des relations humaines, une traduction de cette complicité entre les individus qui les relie tels qu’ils sont avec toutes leurs différences. Les petites ironies de la vie, pour reprendre un titre de Thomas Hardy. Suffit de ne pas croire en la petite fleur bleue. Back to dirt : face B. Une lettre de bienvenue à un nouveau-né, elle n’est pas rédigée par Madame de Sévigné, la batterie vous met les points sur les i, la basse froisse le papier, le vocal bien fort pour que l’on n’ait pas besoin de le lui répéter quand il aura grandi, la guitare lui scie les planches pour son futur concert, on ne lui cache rien au petitou, il sort du trou de sa mère, il finira dans un trou de la terre, pour le reste débrouille-toi comme tu veux, un conseil fais-toi tout petit, et essaie de vivre jusqu’au jour de ta mort. Tu y passeras comme nous tous. Une tendresse en fer forgé. Keystone : une seule clef de voûte pour tenir une vie à peu près droite : le rock’n’roll. Qui balance pas mal avec des appuyés au forceps. Parce que t’es rock, t’en prends plein la gueule, tu t’en fous tu as toujours un temps d’avance sur les autres, mais surtout sur toi-même. C’est ainsi que je ne suis plus moi-même puisque je suis devenu moi-même. Me reste encore à apprendre à aimer. Rockaine : une guitare torturée, elle a dû écouter Jimi Hendrix, quel kaos dans sa tête, le moment du doute, tu t’es sorti de l’enfer pour entrer dans un autre, la batterie joue à l’éléphant dans le magasin de porcelaine, la basse repeint les murs en noir, obstination d’un pachyderme dans la toundra glacée qui essaie de trouver en lui-même un pâturage d’herbe fraîche, l’est pas près de brouter tout à son aise. The boogie man plan : mauvais plan. Encore plus violent que le précédent. Fait le point, l’a peur de tout, du quotidien et de l’exceptionnel. Un coup de projecteur sur Dead Rock Commando, encore une fois le groupe se démarque des autres, certes les instrus vous baladent dans un hachis parmentier saignant, vous aurez du mal à reconnaître vos oreilles embringuées dans ce vortex, mais au contraire de tous les groupes, il ne se cache pas derrière les mots, l’a la trouille de lui-même et encore plus des talibans. Talibang, le mot résonne, un défi civilisationnel, la déjante du rock’n’roll  face à la laideur du monothéisme sociétal. The underdog : entrée en fanfare, accueillez le héros, l’outsider que plus personne n’attendait plus, le voici, le voilà, il revient du vingt-quatrième dessous, faut entendre comme la batterie tape des mains, la guitare exulte, la basse monte haut, attention, les acclamations se voilent, l’outsider vous donne sa propre leçon de survie, vivez cachés, faites-vous oublier, rentrer dans un trou de souris, de toutes les manières pour les jeunes générations c’est trop tard. Affirmatif . Cinq sur cinq. Elles ne survivront pas.

             Musicalement, très brut de décoffrage. Du solide. Du résistant. Du béton armé. Peu d’imagination, mais c’est avec des pierres unidimensionnelles que l’on a bâti les pyramides. Question moral, il va descendre plus bas que les talons de vos santiags. Noir de chez noir. Ne vous reste plus rien à vous mettre sous la dent. Ah ! si un vieux trognon de pomme fossilisé. N’espérez rien. Claque rock. C’est que l’on appelle l’énergie du rock’n’roll ! A vous injecter en intraveineuse chaque soir, même dose au petit matin. Vous aurez de quoi opposer au cauchemar qui se profile à l’horizon. Médicamentation rock’n’roll du bon docteur :

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 431 : KR'TNT ! 431 : CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS / TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK / JIMM / FISHING WITH GUNS / KERYDA / COMPAGNIE R2 / ROCK'N'ROLL STORIES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 431

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    26 / 09 / 2019

     

    CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS

    TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

    JIMM / FISHING WITH GUNS

    KERYDA / COMPAGNIE R2

    ROCK'N'ROLL STORIES

     

    Le choc de Bradychok

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    Coincé entre rien et rien, en plein cagnard béthunien, offert sur la grande scène en pâture au petit peuple venu musarder en masse, le pauvre Carl avait bien du mérite à jouer. D’autant plus de mérite qu’on ne parvenait pas à mémoriser son nom : hein ? Brady qui ? Bradychuck ? Un Américain de Detroit accompagné par des Français, les qui ? Les Monkey Makers ? Ce Brady qui ne devait rien au cinéma de Mocky allait devoir l’emporter à la force du poignet et c’est exactement ce qu’il fit.

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    Ce petit bonhomme sorti de nulle part semblait ravi de jouer sur cette scène offerte aux quatre vents. Il imposa très vite un son et pas n’importe quel son : le Detroit Sound qui même dans le rockab peut faire la différence. Carl Bradychok joue très électrique, c’est un furioso de la six cordes, il tartine ses interventions avec une âpreté au grain qui n’appartient qu’aux guitaristes de Motor City. Par grain, il faut bien sûr entendre le bon grain, celui qu’on sépare de l’ivraie, le grain qui donne le frisson.

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    Ce fut un plaisir jamais feint que de le voir prendre des killer solos flash et doubler son chant au gimmicking sonnant et trébuchant. Il s’illustra particulièrement par une magistrale reprise du «Please Give Me Something» de Lee Allen, l’un des chevaux de bataille de Tav Falco, et certainement l’un des classiques rockab les plus mythiques. Carl Bradychok en fit la plus menaçante, la plus inspirée, la plus heavy des versions, la chargeant comme une mule de Detroit Sound, au point que ça en devenait complètement inespéré de véracité rampante, et plutôt que ce conclure bêtement, il ajouta en queue de cut une petite progression de power chords hendrixiens, un peu dans l’esprit de ce que fit El Vez à une époque, quand il finissait «That’s Alright Mama» sur des accords du «Walk On The Wild Side» de Lou Reed. Fantastique présence d’esprit.

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    Le set prit alors une sorte de tournure purement révélatoire. D’où sortait ce démon de Chok ? Il évoqua un peu plus tard la mémoire de Jack Scott, histoire de rappeler que le vieux Jack venait lui aussi de Detroit. Pour le saluer, il reprit son premier single, «Two Timin’ Woman». Mais il fit vraiment sensation avec des cuts plus construits et beaucoup plus mélodiques, comme cette reprise du «Just Tell Her Jim Said Hello» d’Elvis, car il y shootait un gusto qui rappelait celui de Frank Black.

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    Ce mec imposait un style très puissant, du haut d’une vraie voix, il affirmait une forte personnalité musicale et un goût immodéré pour les grosses compos. Il termina avec une reprise stupéfiante de «Love Me». Depuis celle des Cramps, on n’avait pas entendu de version aussi déterminée, aussi flamboyante, aussi démâtée que celle-ci. Carl Bradychok fut la découverte du Rétro 2019.

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    Ses disques ne courent pas les rues. Pour se les procurer, il faut aller cliquer sur carlbradychok.net. Quand on commence à les écouter, on se félicite d’avoir cliqué car les disques sont excellents. Vraiment excellents, bien au delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. En plus d’Elvis et de Jack Scott, Carl chouchoute une autre idole du siècle dernier : Carl Perkins. Son dernier album est un tribute à Carl Perkins et s’appelle Carl Plays Carl. Tous les fans de Carl Perkins devraient écouter ce tribute, car Carl ramène du son dans Carl, pas n’importe quel son, le Detroit Sound.

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    Il faut le voir remonter les bretelles de «Movie Magg» et passer un solo complètement de traviole avec ce son clairvoyant qu’on va retrouver partout. Carl chante Carl d’un accent sec et tranchant. Idéal pour un cat comme Carl. Avec «Matchbox», Carl décrète l’enfer sur la terre. Il le prend à la bonne mesure, sauvage et sourde. Version bien meilleure que celle de Jerry Lee qui joue Matchbox trop boogie. Autre belle bombe : «Say When». Carl va vite et bien, il embarque ça au jeu liquide et scintillant. Il joue vraiment comme un dieu et n’est pas avare de virulence. Voilà un «Say When» éclaté au shuffle de guitare folle. Comme le fait Jake Calypso, Carl ramène tellement de panache qu’il aurait parfois tendance à effacer les versions originales. L’autre belle bombe est le «One More Shot» qu’on trouve vers la fin. C’est même assez violent. Souvenez-vous de ce que disait Wayne Kramer du Detroit Sound : «What you get is very honest.» On entend un slap de rêve en sourdine totale et un guitariste déterminé à vaincre. Que pourrait-on demander de plus ? Carl ne fait qu’une bouchée de «Put Your Cat Clothes On», avec son pote Roof qui part au quart de tour d’upright. Ah il faut voir Carl enluminer le cut d’un killer solo flash éclair ! Ça vaut vraiment le détour. Il tape aussi une version très country de «When The Rio De Rosa Flows», mais l’écouter jouer est un pur régal, il ramène un son tellement juteux, high on tone, un son de demi-caisse Gibson de jazz agressif et fluide. Fabuleuse version aussi que celle de «Because You’re Mine». Carl y claque tout ce qu’il peut et chante au piqué de because. On voit encore le fan à l’œuvre dans «Honey Cause I Love You» et il joue «Big Bad Blues» comme s’il encerclait la caravane. Quand il lance l’assaut, il part en vrille. Très spectaculaire.

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    Son premier album s’appelle Children At Play et date de 2004. Quand on retourne le boîtier, on voit Carl ado poupin avec sa belle Gibson rouge. Il profite de cet album pour saluer l’autre grande légende du rockab local : Johnny Powers. Eh oui, tous les fans de rockab connaissent «Long Blond Hair». Carl en propose une version incroyablement inspirée, avec le tiguili d’intro et la fournaise immédiate - I love you once/ I love you twice - Il le boppe dans l’œuf. Terrific ! Il tape en plein dans le mille et passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Souvenons-nous que Johnny Powers réussit à se faire connaître à Detroit avec un seul hit et qu’il alla ensuite enregistrer un autre single chez Sun. Il est toujours en circulation.

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    Autre clin d’œil de poids : «That’s All Right». Carl n’a pas froid aux yeux, il le softe bien, il le touille à la pa-patte, comme le chat avec la souris. Vas-y Carl, on est avec toi ! - Anyway you doooooo - Carl claque les trucs de Scotty, il soigne son hommage. Carl n’est pas un beauf, il fait ça bien, anyway you doooo. Il rend aussi hommage à la clameur avec une fameuse cover de «Lawdy Miss Clawdy». Tout est dans la clameur, Carl en saisit la grandeur, because I give all of my money. Son solo à la ramasse est un beau spécimen de génie humain. Il joue juste ce qu’il faut. Ses interventions devraient théoriquement entrer dans la légende. Il sait claquer une note à la revoyure. Bradychok, quel choc ! So bye bye baby, bye bye darling. Autre clin d’œil révélateur : celui qu’il adresse à Link Wray avec une fantastique reprise de «Rawhide». Bill Alton claque des mains. Carl n’a que onze ans. Vas-y Carl, claque-nous le beignet de Link. Ah il y va le Carl, c’est un polisson. On le voit s’énerver avec «House is Rocking» qu’il chante au petit nasal. Carl est déjà un viscéral, il ne lâche pas prise. Son départ en solo pue l’enthousiasme. Oh, il sait de quoi il parle, ain’t got nothing to lose ! Big stuff. On a là du vrai raw. Et tout explose avec «Shim Sham Shimmy», Carl nous plonge au cœur du rockab de Detroit, c’est claqué au slap avec un solo à l’arrache-dent. Il part tout seul, comme un desperado précoce. Il rend aussi hommage à Creedence avec «Bad Moon Risin’» et diabolise le «Viberate» de Conway Twitty. En 2004, Carl sortait donc frais émoulu du moulin.

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    Quand on va sur son site, on voit qu’il en pince pour Elvis. Deux tribute albums ! Le premier étant sold out, on peut se consoler en écoutant le volume 2, Let Yourself Go, paru en 2017.

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    C’est là qu’on trouve sa puissante version de «Just Tell Her Jim Said Hello». Il l’explose littéralement et en fait un véritable chef-d’œuvre interprétatif. Oui, c’est tellement bon qu’on pourrait en tomber de sa chaise. Strong melody. C’est avec cette version qu’il emporta la partie au Rétro. Mais le reste de l’album vaut aussi le détour, à commencer par le morceau titre, embarqué au heavy groove. Il est au faîte de son système, il explose son Let Youself Go dans l’œuf. On enrage à l’idée de penser que cet album va rester inconnu du grand public. Il embarque son «Shake Rattle And Roll» à 300 à l’heure. Carl et ses amis jouent comme des diables, au powerus maximalus. Carl sait très bien fabriquer un grand disque. Toutes ses reprises fument. Tiens, rien qu’avec le «Trouble» d’ouverture de bal, la partie est gagnée. Carl explose le groove anaconda d’Elvis. Mais il va encore beaucoup plus loin dans le serpentinage d’écailles moussues. Il le chante à la pure écroulade de falaise, where I’m evil. Le son est bon, bien au-delà de ce que pourraient en dire les commentés du cyberboulot, Carl joue son va-tout au Detroit Sound, avec du power plein les mains. Encore du power à gogo dans «I’m Coming Home». Il joue au gras de jambon et chante comme un dieu rococo. Tout le rock du Middle West est là. The voice ! Ah il peut taper dans Elvis, il en a les moyens. Il suffit d’écouter «Fame & Fortune» pour comprendre qu’il colle au train d’Elvis avec sa glue. Admirable album ! Et la valse des niaques détroitiques continue avec «Money Honey» et il sort son meilleur shake pour «I Need Your Love Tonight». Il le fait pour de vrai. Sa justesse de ton en dit long sur sa passion pour Elvis. Si on sait apprécier le feeling, alors Carl est un must.

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    Et puis voilà un autre album paru en 2015, sans titre ni label. Carl Bradychok tout court. Rien que le son. Juste un disque destiné aux amateurs. Il pose debout avec sa guitare, tout vêtu de noir et cravaté de blanc. Il repend le vieux «Do Me No Wrong» de Pat Cupp et des trucs beaucoup plus calmes comme «Your Cheatin’ Heart». Il sait se donner les moyens d’une certaine ampleur vocale, comme le fait Jerry Lee, sur ce type de vieux coucou d’Hank Williams. Mais Carl ne s’arrête pas en si bon chemin : on le voit aussi taper brillamment dans Waylon Jennings avec «You Ask Me To». Back to Detroit avec Jack Scott et une cover de poids : «The Way I Walk». Classique parmi les classiques, saint des saints. Carl opte pour le swing. Pas de raunch comme dans la version des Cramps. Carl veille à respecter l’esprit original, avec du solo à gogo. C’est là qu’on trouve sa version de «Please Give Me Something». Il sait bien faire monter la sauce dans l’écho et restituer la zizanie solotique de la version originale. Mais pas de fin en progression d’accords. Dommage. Son coup de Jarnac au Rétro flattait bien les bas instincts. On adore quand ça flatte les bas instincts. La surprise vient de «End Of The World», un hit pas très connu de Skeeter Davis, fabuleusement bien emmené et chanté par dessus les toits.

    Signé : Cazengler, (a)brutichok

    Carl Bradychok. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

    Carl Bradychok. Children At Play. King Drifter Productions 2004

    Carl Bradychok. ST. Not On Label 2015

    Carl Bradychok. Let Yourself Go. Tribute To Elvis Volume 2. Not On Label 2017

    Carl Bradychok. Carl Plays Carl. Not On Label 2018

     

    Wallis the question ?

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    Voici deux ans, on rééditait Death In The Guitarafternoon, l’unique album solo de Larry Wallis. À cette occasion, Vive le Rock consacrait (enfin) une double page à notre héros. L’interview commençait mal. Le mec lui demandait ce qu’il avait fabriqué dans les derniers temps, et Larry lui répondait : Not up to much at all mate. Pas grand chose, mon pote. Il expliquait à la suite qu’il avait perdu l’usage de sa main gauche, puis de sa main droite. Il se trouvait sur une liste d’attente pour se faire opérer. À la question : ‘Pourquoi les Pink Fairies ne sont jamais devenus énormes ?’, Larry répondait : a couple of crap managers, agents that stunk out loud, and a crap record company. Voilà, pour Larry, le crap suffit à ruiner la carrière d’un groupe. En France, on appelait ça des imprésarios véreux.

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    Oui, cette légende à deux pattes qu’est Larry Wallis joua avec les meilleurs rockers de son temps, Wayne Kramer, Lemmy, Steve Peregrin Took et Mick Farren. Lemmy ? - Not a fantastic bass player but the best Lemmy ever. A complete one-off ! - Il sait aussi reconnaître le talent d’écrivain de Mick Farren - but for many years a crap singer - jusqu’à ce que Larry s’occupe de lui et en fasse un vrai singer sur l’album Vampires Stole My Lunch Money (clin d’œil aux arnaqueurs des maisons de disques). Happé par des tas d’autres occupations, Mick Farren avait disparu de la scène musicale pendant des lustres. À la fin des seventies, il revint avec cet album bourré de chansons à boire, du style «Drunk In The Morning» et l’impavide «I Want A Drink», grosse bouillasse boogie posée sur une bassline frénétique à la «What’d I Say». Aucune originalité, mais quelle classe dans la désaille ! Son coup de génie consistait à reprendre un morceau de Zappa, «Trouble Coming Every Day» pour le transformer en bombe garage, l’une des plus atomiques du siècle, tous mots bien pesés. Mick Farren s’y arrachait la glotte, avec une belle soif d’anarchie ! Il renouait avec son vieil instinct de rebelle. Kick out the jams motherfuckers et Zo d’Axa, même combat ! Mick Farren brandissait le flambeau et il allait le brandir jusqu’à la fin. Cet album est superbe pour une simple et bonne raison : Larry Wallis le produit. «Bela Lugosi» valait aussi le détour. Bien plus intéressant que Bauhaus ! Mick Farren se prêtait merveilleusement au jeu. On avait là un Farren magnifique de prestance boogaloo. Des folles envoyaient des chœurs de vierges effarouchées et Farren psalmodiait comme un ogre amphétaminé. «Son Of A Millionaire» sonnait comme un classique des New York Dolls - Oui, oui, tout ça sur le même album, tu ne rêves pas - Mick Farren harponnait ce boogie dollsy d’une voix bien rauque. Avec «People Call You Crazy», il envoyait sa voix basculer par dessus bord et se rapprochait de Screamin’ Jay Hawkins et des grands prêtres voodoo. Vampires va tout seul sur l’île déserte.

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    Et pourtant, ce n’était pas gagné. Il suffit d’écouter l’On Parole de Motörhead paru en 1979 pour voir que Lemmy a frôlé la catastrophe en s’acoquinant avec Larry Wallis qui était pourtant le leader des Pink Fairies. Ils font une bonne version de «Motörhead», infestée d’intrusions vénéneuses et Larry tente de couler un bronze de légende, comme il a su le faire en reprenant les Pink Fairies sous son aile. Mais les autres cuts de l’album sont un peu mous du genou. Même la version de «City Kids» qu’on trouve sur Kings Of Oblivion manque de panache. On comprend que Lemmy ait opté pour une autre formule. Il voulait quelque chose de plus hargneux. La version de «Leaving Here» qui se trouve sur cet album semble complètement retenue. On ne sent aucun abandon. Et Lemmy chante «Lost Johnny» à l’appliquée, accompagné par Larry à l’acou. N’importe quoi !

    Le grand décollage de Larry Wallis se fit quelques années plus tôt, en 1973, au moment où Paul Rudolph quittait les Pink Fairies. Tout le monde connaît l’anecdote : fraîchement embauché par Duncan Sanderson et Russell Hunter, Larry demande :

    — Alors les gars, on enregistre quoi ?

    Les deux autres lui répondent qu’ils n’ont pas de chansons. Et ils ajoutent :

    — T’as qu’à en composer !

    Larry panique :

    — Mais je n’ai jamais composé de chansons !

    — Do it !

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    Alors il do it et ça donne un album quasi-mythique : Kings Of Oblivion. Le titre est tiré de «The Bewlay Brothers» qu’on trouve sur Hunky Dory. Selon Luke Haines, tous les cuts de Larry Wallis sont punk as fuck - The Lazza-Russ ‘n’ Sandy Fairies line-up was a power trio supreme - Oui, c’est exactement ça, un power-trio suprême, c’est ce qu’on vit au Marquee à l’époque. Quand on avait vu les Fairies sur scène, il n’était plus possible de prendre les groupes français au sérieux. Les Fairies incarnaient l’essence même du rock, the real ragged power et dans le cas particulier des Fairies, the no sell out, qu’on pourrait traduire en français par une intégrité qui a les moyens de son intégrité. «City Kids» sonne comme un classique entre les classiques, monté sur l’extraordinaire beat russellien, heavy à souhait, bardé de relances, il fonctionne exactement comme une loco, il fonce à travers la nuit. À la limite, c’est lui Russell Hunter qui fait le show. Il double-gutte d’undergut. Alors Larry Wallis peut partir en maraude. Ah qui dira la grandeur décadente d’un Russell Hunter qu’on voit - sur le triptyque glissé dans la pochette - sous perfusion de bénédictine, avec un visage peint en vert. Cette photo en fit alors fantasmer plus d’un. Encore un hit avec «I Wish I Was A Girl». Cette fois, Sandy fait le show sur son manche de basse, il voyage en mélodie dans la trame d’un cut bâti pour durer. Ils partent à trois comme s’ils partaient à l’aventure et le Wallis part en Futana de solo gargouille. En B, les cuts auraient tendance à retomber comme des soufflés et il faut attendre «Chambermaid» pour renouer avec le cosmic boogie, et «Street Urchin’» pour renouer avec le classicisme, au sens où entend ce mot dans les musées. On y retrouve l’esprit de «City Kids», le beat avantageux et l’éclat puissant du glam. Fantastique ! Ils sonnent comme d’admirables glamsters de baraque foraine. L’album nous mit à l’époque dans un état de transe proche de la religiosité mystique.

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    Au cœur du mouvement punk londonien, Larry Wallis fit des étincelles chez Stiff avec deux singles, «Police Car» et surtout «Screwed Up» avec Mick Farren.

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    Larry y screwe le beat à sa façon et le précipite dans le gouffre béant du néant psychédélique. Autre petite merveille fatidique : «Spoiling For A Fight», véritable furiosa del sol, c’est la b-side du single «Between The Lines». On a là du pur jus de combativité boogie. Wow, les Faires cherchent la cogne - Fight ! - Et Larry part en killer solo flash !

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    Avec le Live At The Roundhouse 1975 paru en 1982, on tient certainement l’un des meilleurs albums live de tous les temps. Double batterie, Twink et Russell Hunter, Sandy sur Rickenbacker et deux killer flash-masters devant, Paul Rudolph et Larry Wallis. En fait, c’est la dernière fois que Paul Rudolph joue dans les Fairies. Et comme Larry Wallis commençait à jouer avec Motörhead, ça sentait la fin des haricots - If the Fairies were going to bow out, they were planning to do it in style (les Fairies comptaient bien finir en beauté) - Ils roulèrent des centaines de spliffs pour les jeter à la foule. Larry rappelle aussi dans une interview que Sandy, Russell et lui se sont goinfrés de pefedrine avant de monter sur scène - It makes you go mad. So Sandy, Russell and I took as much of that as we could get our hands on (la pefedrine peut rendre cinglé aussi en ont-ils avalé autant qu’ils ont pu) - Quant à Paul Rudolph, il était arrivé à la Roundhouse en vélo avec une thermos de thé. Ce live saute à la gueule dès «City Kids» que Larry avait composé pour Kings Of Oblivion. Hello alright ? Si on aime le rock anglais, c’est là que ça se passe. Tu prends tout le proto-punk en pleine poire. Tu as là tout l’underground délinquant de Londres. Larry chante et Sandy fait du scooter sur son manche de basse. Ils enchaînent avec une version de «Waiting For The Man» de la pire espèce, claquée par les deux meilleurs trash-punksters d’Angleterre, Larry et Paul. Ils rendent un hommage dément au Velvet. Les Fairies développent une énergie qui leur est propre. Ils sont de toute évidence complètement défoncés. Voilà la preuve par neuf qu’il faut jouer défoncé, c’est la clé du rock. S’ils étaient à jeun, ils ne développeraient pas une telle puissance. Ils jouent leur Velvet à outrance, ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est saturé de son, au-delà du descriptible. Ils bouclent avec une reprise du «Going Down» de Don Nix, et en font une version heavy qui dépasse toute la démesure du monde. Ça prend des proportions terribles.

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    Comme Larry Wallis partageait son temps entre la reformation des Fairies et Motörhead, il se gavait d’amphètes : «I think the longest I ever stayed awake in my life was eleven days at Rockfield, and when you think about it now... God !» Onze jours sans dormir à Rockfield ! Et comme il ne mangeait pas, il avait un sacré look - I looked fantastic, my mother nearly had a nervous breakdown when she got to see me - En le voyant si joliment émacié, sa mère faillit bien tomber dans les pommes. N’oublions pas que Larry est l’un des mecs les plus drôles d’Angleterre. Give The Anarchist A Cigarette grouille d’anecdotes hilarantes. L’écrivain Farren y célèbre le génie trash de Larry Wallis : «Larry avait des pythons, des cobras et même un rattlesnake dans des gros aquariums, tout ça dans un appart minuscule. Il élevait des rats pour nourrir ses serpents. C’était un fucking nightmare. Quand il était rôti, il jouait avec ses serpents et on était sûrs qu’il allait se faire mordre et y laisser sa peau.»

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    Big Beat fit paraître en 1984 l’excellent Previously Unreleased, une série de cuts inédits enregistrés par Larry, Sandy et George Butler. On retrouve la niaque épouvantable des Fairies dès «As Long As The Price Is Right». Pas de pire powerhouse que celle-ci. Larry vrille comme un beau diable. Ils restent dans le drive des enfers avec «Waiting For The Lightning To Strike». Ils jouent comme des démons cornus et poilus. Il n’est humainement pas possible de faire l’impasse sur cet album. On entend clairement les puissances des ténèbres sur ce «No Second Chance» battu si fort que les coups rebondissent. Il faut bien dire que c’est extraordinairement bien mixé. Quand on écoute «Talk Of The Devil», on sait les Fairies capables de miracles.

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    Si on veut entendre Larry Wallis et Wayne Kramer jouer ensemble, alors il faut écouter cet album des Deviants, Human Garbage. Ils y accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Sur «Outrageous Contagious», Wayne Kramer passe un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte, n’est-il pas vrai ? On retrouve l’énorme bassmatic de Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif dans l’effarance de la lancinance. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick Farren, certainement le plus punk des singles punk d’alors, visité en profondeur par un solo admirable. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux clin d’œil de Larry aux alchimistes du moyen âge, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste brûlant d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des guitares et tout le brouté de basse qu’on peut imaginer. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec l’inexplicable «Trouble Coming Every Day» de Zappa. Pourquoi inexplicable ? Parce que garage, alors que les Mothers n’avaient rien d’un groupe garage. N’oublions pas que Mick Farren admirait Frank Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

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    On a longtemps pris Kill ‘Em and Eat ‘Em paru en 1987 pour un mauvais album, et chaque fois qu’on le réécoute, ça reste un mauvais album. On y retrouve pourtant la fine fleur de la fine équipe : Larry, Andy Colquhoun, Sandy, Russell et Twink. Sur la pochette, Larry fait le con avec un masque de singe barbu et sa strato rouge. Dans les notes de pochette, Mick Farren raconte qu’un matin de gueule de bois, il est réveillé par un coup de fil qui lui annonce la reformation des Fairies. Oui c’est ça, et Attila revient avec les Huns, hein ? - Yeah and Attila is getting his Huns back together, répond-il - You gotta be kidding - Tu plaisantes, j’espère - And then I remembered, in rock’n’roll, anything is possible - Oui, Mick avait bien raison de dire que tout est possible dans le monde du rock. Et pouf, ils démarrent avec «Broken Statue», un vieux boogie composé par Mick. Larry le joue à la folie et c’est battu comme plâtre par la doublette mythique de Ladbroke Grove. Toute la niaque des Fairies re-surgit de l’eau du lac comme l’épée d’Excalibur. Mais sur cet album, les cuts restent bien ancrés dans le boogie. Larry fait pas mal de ravages, mais il manque l’étincelle qui met le feu aux poudres. «Undercover Of Confusion» sonne comme de la viande de reformation. «Taking LSD» sonne comme un vieux boogie des Status Quo, ou pire encore, de Dire Straits. Pas plus putassier que ce boogie-là. Ils font même un «White Girls On Amphetamines» insupportable de médiocrité et de non-présence. On croirait entendre les mauvais groupes français. Larry tente de sauver l’album avec «Seing Double». Il ressort des grosses ficelles, mais au fond, on ne lui demande pas de réinventer la poudre. Il faut rendre à Cesar Wallis ce qui appartient à Cesar Wallis. «Seing Double» est à peu près le seul cut sérieux de cet album.

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    La compile des Deviants intitulée Fragments Of Broken Probes sortie sur le label japonais Captain Trip propose des cuts qu’on ne trouve pas ailleurs. Mick Farren chante «Outrageaous Contagious» à la manière de Beefheart, en ruminant ses syllabes. Il fait son cro-magnon. Larry Wallis et Paul Rudolph participent à cette sauterie. Mick Farren adore forcer cette voix qu’il n’a pas. Il tape aussi dans Phil Spector avec une reprise de «To Know Him Is To Love Him» : épouvantable. Mick Farren hurle comme le capitaine d’une frégate brisée par la tempête. Version superbe de «Broken Statue». Derrière Mick Farren, ça joue. On retrouve cette ambiance d’émeute urbaine, avec les clameurs et les gros accords. Ce qui la force des albums de Mick Farren, c’est la vision du son. S’il est bien un mec sur cette terre qui sait ce que veut dire le mot power, c’est lui. On trouve à la suite une version live de «Half Price Drinks» extrêmement plombée. Ça s’écoute avec un plaisir renouvelé à chaque verre.

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    Autre album des Deviants indispensable : The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve les deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ils démarrent avec un «Aztec Calendar» brûlé à l’énergie des réacteurs. Son terrible, Andy joue dans l’interstellaire, il se répand dans la modernité farrenienne comme un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Bob Dylan qui nous envoie tous au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. La dévotion d’Andy pour Mick Farren n’a d’égale que celle de Phil Campbell pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, fournit un solide bassmatic à l’Anglaise. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon des enfers - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Retour à la légende : ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

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    Autre passage obligé : Shagrat que Larry monte avec Steve Peregrin Took en 1975. Mais ils préféraient se défoncer tous les deux dans le studio plutôt que de travailler. Pour la sortie de Lone Star en 2001, Larry écrivit une fantastique hommage à son pote Took : «Steve a eu et a toujours une prodigieuse influence sur ma vie, depuis ma consommation massive de LSD jusqu’à la façon dont je compose. Une influence magique. Dave Bidwell qu’on appelait Biddy, était aussi un original. Lui et Steve étaient semblables, et même beaucoup trop semblables. Ces deux-là aimaient bien pousser à l’extrême leurs expériences avec les drogues, ce qui, comme chacun le sait, finit en général assez mal. Si je parle des drogues, c’est parce qu’à l’époque on ne vivait que pour explorer des planètes inconnues, et les vaisseaux spatiaux qui permettaient d’y accéder, c’était justement les drogues. Took était le capitaine de notre vaisseau. Dans les années précédentes, Took avait été salement désavoué. Il avait pourtant joué un rôle aussi important que celui de Bolan dans Tyrannosurus Rex, un groupe qui sortait de nulle part, et il semble que ce soit Mickey Finn qui en ait tiré les marrons du feu. J’imagine qu’il n’est pas responsable de cette erreur d’appréciation. Alors, il ne vous reste plus qu’à savourer les virées cosmiques de Took, comme il les appelait. J’ajoute que ces chansons dissipent un malentendu voulant apparenter Took et Bolan au monde des lutins de la forêt. C’est entièrement faux. Tout ce qui intéressait Steve était ce qu’il appelait lui-même le kerflicker-kerflash, une sorte de rock’n’roll super-trippant et cosmique, du neon sex fun.» Comme dans le cas d’Hendrix, on se demande ce que Took aurait pu produire s’il avait vécu. Son sex fun serait-il devenu complètement incontrôlable ? C’est bien du cosmic neon sex fun qu’on entend dans «Boo! I Said Freeze», véritable carnage de druggy dub de freeze joué à l’énergie ralentie. Larry balaye tout à la guitare et il redevient l’un des trublions les plus virulents d’Angleterre. Il déploie sa furia del sol dans les méandres du sex fun de la titube. On se serait damné à l’époque pour un disque pareil. On encore cette mad psychedelia qui hante «Steel Abortion», c’est joué au Wallis of sound, couru comme le furet, répandu comme l’ampleur galvanique, explosé du cortex, projeté au-delà de la raison. Larry fait le show, il va là où bon lui semble. L’autre énormité de cet album miraculé s’appelle «Peppermint Flickstick», un cut digne de Syd Barrett, complètement barré, druggy at the junction, nous voilà plongés au cœur de la pire mad psychedelia qui soit ici bas et l’aimable Larry profite de l’embellie pour se barrer en sucette de solo gras. Ah quelles effluves de dérives molles ! Les Américains prétendument férus de psychédélisme feraient bien d’écouter ça et de prendre des notes.

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    Il est grand temps de revenir à la réédition de Death In The Guitarafternoon. Fantastique album ! (Encore un !). Si on aime la guitare électrique, alors il faut écouter Larry Wallis jouer ses arpèges d’allure martiale dans «Are We Having Fun Yet». Il tape dans le western spaghetti de haut vol et ramène cette vieille niaque qui date du temps béni des Fairies. Au fond, il est très proche de Jeff Beck. Il vise la véritable aubaine d’exaction parégorique. Il peut se montrer très prog dans l’esprit de seltz, mais avec une effarante énergie combustible. Il enchaîne ça avec «Crying All Night», une belle pop de Futana. Larry tient son rang de légende irrémédiable. Tout sur cet album reste allègre et hautement énergétique. Il prend ensuite un vieil instro de fête foraine intitulé «Dead Man Riding». George Webley y fait des merveilles sur sa basse. On note aussi la présence de Mickey Farren en tant que parolier dans «Downtown Jury», un cut typique de l’époque des Social Deviants et hanté par des solos qui s’en vont errer comme des hyènes dans l’écho de temps. Hallucinant ! Et voilà qu’il enchaîne trois cuts encore plus fantasques : «Where The Freak Hang Out», «Don’t Mess With Dimitri» et «Meatman». Larry qualifie «Where The Freak Hang Out» de full flying tribal song. Il est vrai que ça dégage bien les bronches. Un peu long, mais Larry n’est pas homme à mégoter. Il sort un son exceptionnel noyé de réverb maximaliste. Quel album ! Mickey Farren signe aussi ce «Don’t Mess With Dimitri» monté sur une bassline insistante. Larry claque ses vieux accords au loin et ça explose dans la lumière réverbérée de Ladbroke Grove at midnite. Il faut voir ces gens comme une extraordinaire équipe d’aventuriers du son. Avec «Meatman», Larry fait du Tom Waits. Il n’y croit pas un seul instant, mais quelle rigolade ! - Yeah I’m the meatman - Il tape aussi dans son vieux hit, «I’m A Police Car» et l’allonge avec des tonnes de guitar tricks. Larry fait ce qu’il veut quand il veut. On ne craint pas l’ennui, même s’il lui arrive de tirer sur la corde. Il chante d’une voix de mec usé par les conneries. Il termine cet album faramineux avec «Screw It», une fois de plus joué à la vie à la mort. Larry ne lâche rien, il faut s’en souvenir. L’album reste intense de bout en bout - About a pain in my ass/ C’mon let’s do it.

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    Un label psychédélique nommé Purple Pyramid vient de faire paraître un conglomérat de bric et broc intitulé The Sound Of Speed. L’intéressant de cette affaire, c’est que Larry commente ses brics et ses brocs, et ça vaut toutes les revoyures du mondo bizarro. Le bal d’A s’ouvre sur le flamboyant «Leather Forever», un single de 1986. Larry se souvient vaguement des gens qui l’accompagnaient : Andy Colquhoun, Sandy ‘Basso Profundo’ et George Bawbees Butler, Scottish drums. Ah wooow ! comme dirait Wolf. Il aligne ensuite des cuts tirés du lost Stiff, à commencer par «I Think It’s Coming Back Again». Deke Leonard et George Webley l’accompagnent. On note au passage la fantastique énergie du son. En même temps, c’est très anglais, typique du temps de Stiff. Le mec des Attractions bat «I Can’t See What It’s Got To Do With Me» si sec. Larry rend hommage à ce cet excellent drummer nommé Pete Miles O’Hampton Thomas : «Nobody does it better.» En B, il nous sort un «Old Enough To Know Better» qui devait figurer sur le Death album. C’est excellent, entièrement joué sous le boisseau, avec une basse aussi perverse qu’une cousine consanguine. Il tape à la suite un «Story Of My Life» dans le plus pur Fairy style et Deke Leonard passe de fabuleux coups de slide. On sent l’équipe de surdoués. Il faut entendre battre Peter Thomas derrière. On reste dans le Fairy groove avec l’excellent «I Love You So You’re Mine», gratté aux accords de Gloria. Larry y va de bon cœur. C’est fabuleusement embarqué. Il indique au passage qu’il destinait le cut aux Feelgoods. Il termine avec «Meatman». Il dit ne pas se souvenir de l’avoir enregistré. Le Line-up ? Bof... Avant de nous dire au-revoir, il écrit en bas de ses notes lapidaires : «Well I did say I wouldn’t be able to give much away folks, but I did my best. Hope you enjoy my noise and let’s be careful out there, ok ? OK.» (Je vous disais que je ne serais peut-être pas capable d’en dire très long, mais j’ai fait de mon mieux. J’espère que vous allez apprécier ma soupe et faites gaffe à vous les mecs, d’accord ? Bon d’accord). Et il signe Lazza.

    Signé : Cazengler, Larry Varice

    Larry Lazza Wallis. Disparu le 19 septembre 2019

    Pink Fairies. Kings Of Oblivion. Polydor 1973

    Larry Wallis. Police Car. Stiff Records 1977

    Mick Farren And The Deviants. Screwed Up. Stiff Records 1977

    Mick Farren. Vampires Stole My Lunch Money. Logo Records 1978

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

    Pink Fairies. Live At The Roundhouse 1975. Big Beat Records 1982

    Pink Fairies. Previously Unreleased. Big Beat Records 1991

    Deviants. Human Garbage. Psycho Records 1984

    Pink Fairies. Kill ‘Em And Eat ‘Em. Demon Records 1987

    Deviants. Fragments Of Broken Probes. Captain Trip Records 1996

    Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Captain Trip Records 1999

    Shagrat. Lone Star. Captain Trip Records 2001

    Larry Wallis. Death In The Guitarafternoon. Ribbed Records 2001

    23 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

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    Il y a des soirs où il vaut mieux se laisser faire. Surtout quand on vous veut du bien. Je vous laisse juges. Plateaux de melons, tartines de fromages et de pâtés gracieusement offerts par la Comedia, avec Tony Marlow, Alicia F, et des américains venus de Nashville, c'est ce qui s'appelle être gâtés, ou je ne m'y connais pas, d'autant plus que ce lundi soir ce n'est pas la foule énorme mais l'on ne compte pas les amis au mètre carré, comme s'il en pleuvait.

    TONY MARLOW

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    Et sa guitare. Car ce soir Tony ne l'a pas ménagée. Dorée avec d'étranges reflets sépia lorsqu'elle entre en collision avec un rai de lumière. Quelle classe le Tony ! Prestance et port altier. Juste quelques mots de bienvenue et déjà il nous emporte à l'Ace Cafe, une chevauchée à toute blinde qui sera immédiatement suivie d'un petit – minusculité affective – Chuck Berry. Around and Around, fascinant de voir l'emprise digitale du Marlou sur les riffs, l'orfèvre les cisèle, les précise, les incise, une habileté diabolique, j'essaie de mémoriser les plans pour les revendre à une puissance étrangère, mais je n'y parviens pas, car il n'y a pas que les doigts de dextre et de senestre qui courent et accourent, z'avez aussi le son qui monte et descend, ce cristal adamantin qui coule et ricoche dans les oreilles, l'essence du rock'n'roll, qui vous raconte l'épopée magique de la jeunesse du monde.

    Mais une guitare ne suffit pas. Faut un forgeron pour forger l'anneau d'or. Un sorcier des alliages secrets, Fred Kolinski, longs cheveux blancs, sourire énigmatique, ferait un superbe Merlin dans une filmique saga brocéliandesque, détient les clefs du tonnerre derrière sa batterie. Pas un batteur fou, mais le maître de la résonance, la guitare joue et les tambours éclatent, prolongent les effets, et les stoppent définitivement, en une ampleur sonore sans équivalence. Fred finit les séquences, il retourne le sablier du temps pour ouvrir une nouvelle ère riffique.

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    Noire est la big mama d'Amine le fatidique. Il est le temps qui presse la vie, la pousse et l'envoie bouler dans la corbeille à papier. Sans pitié. Ce qui est derrière nous ne reviendra jamais, alors, grand seigneur, Amine Leroy nous console en boutant le feu à notre présent. Sa contrebasse fulmine à la manière des mitrailleuses, les balles traçantes passent au-dessus de vos têtes, et vous comprenez l'urgence du rock'n'roll, la loi du mouvement imperturbable, cette impavide propulsion en avant, qui fait qu'un morceau à peine commencé se hâte vers le delta de sa fin, car vous désirez toujours plus vivre davantage intensément. Alors Amine se déchaîne, devient épileptique, tressaute sur lui-même, se lance dans une frénétique danse du scalp autour de son instrument et parfois il s'engouffre dans des soli de foudre et de poudre qui claquent et cavalent, giclent en rafales d'énergies, emportent tout sur leur passage. Ne vous laissent que les yeux pour rire d'un bonheur effréné.

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    Effarant de voir comment en une vingtaine de titres Tony vous offre sa carrière, quarante ans d'histoire du rock'n'roll français -enté et hanté d'Amérique – et ment partiellement quand il déclare que Rockabilly Troubadour et Le cuir et le baston résument toute sa vie, car sa voix exprime plus qu'une expérience personnelle, elle a ce velouté incisif, ce nostalgique tranchant, qui fait que chacun se reconnaît dans les bribes de son existence, et peut se donner l'illusion bienfaitrice d'en recoller les morceaux épars en une radieuse unité. Tony le musicien n'ignore rien des charmes ensorcelants et des larmes retenues des poëtes.

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    Faudrait disséquer tous les titres un par un, Tony et ses marlous étaient en grande forme, nous retiendrons un de ses tous premiers titres, Western, magnifique, beau comme une chevauchée fantastique, l'émouvant et hommagial I'm Going Home de Gene Vincent, et les trombes cordiques de The Missing Link, car une fois le set terminé, il vous semble qu'il vous manque l'élément essentiel du rock'n'roll, la présence active de Tony Marlow.

    ALICIA F.

    N'a fait qu'une courte apparition dans le set de Tony. Deux malheureux morceaux. Si ce n'est pas un scandale. Mais elle se réserve, bientôt elle sera sur scène en tant qu'elle-même, en vedette, patientez jusqu'au deux novembre.

    Se glisse sur scène en toute simplicité. Ce soir elle nous montre une autre facette de son talent. Nous connaissions l'aguicheuse, celle qui jouait sur la profonde ambiguïté qui relie le rock au sexe, et le roll au désir, mais la voici toute seule dans son charme vénéneux et son espiègle beauté, moulée dans ses tatouages, son legging noir taché de motifs blancs et son T-shirt auréolé de la couronne d'opale de la naissance de ses seins, ses yeux verts d'émeraudes serpentines, et ses cheveux carrés aux bouts teintés d'un soupçon de rouge-sang-séché.

    Marlou et ses sbires enchaînent aussi sec, I Need a Man et I Fought The Law, ce sera tout, une bourrasque qui arrache le toit de la maison et déracine le châtaigner centenaire dans la cour, et dans cette trombe Alicia F, toute droite, mais le moindre déplacement imperceptible de ses bras vous a de ses grâces inquiétantes de panthère, une pose de prêtresse hiératique, elle récite les lyrics démoniaques avec une impassibilité impossible, transformant les mots en brandons de feu, et cette force inquiétante du cobra qui se dresse lentement devant vous, cette immobilité tranquille, que quand elle se retire de la scène, vous avez compris qu'elle vient de vous mordre l'âme, mais que c'est trop tard, que vous êtes mortellement touché, que l'aconit du rock'n'roll vous étreint de son cercle de feu.

    Alicia F. Alicia Fulminante.

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    VOLK

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    Ne sont que deux. Un garçon et une fille. Gal and Guy. Mais le set pourrait être sous-titré, la leçon venue d'Amérique. Ça commence doucement. Eagle Eye ne vous transcende pas. Le temps pour Chris Lowe de vérifier sa planche à effets multiples et à Eléot Reich de chauffer sa voix. Mais après vous comprenez que vous avez posé vos pieds sur le sentier de la guerre et que vous avez peu de chance d'en sortir vivant. Donc Eléot est à la batterie. Mensonge éhonté. Elle ne joue pas de la batterie. Mais de la tambourinade. Un roulement incessant, une transe rythmique impitoyable, vous comprendrez mieux à l'énoncé des titres, Atlanta Dog, Snake Farm, Honey Bee, I fed Animals, ni plus ni moins qu'une séance chamanique, vous ne vous méfiez pas, avec sa chevelure noire et sa robe rouge d'un lamé brillant vous croyez qu'elle va vous jouer le numéro de l'entertaineuse américaine type, vous n'y êtes pas du tout, à la manière dont elle enserre la caisse claire dans la blancheur de ses cuisses, et cette position voûtée, vous vous dîtes qu'il y a de la puissance vaudou en elle, qu'émane de son corps un magnétisme tellurique, et qu'elle transmet et transmute, qu'elle infuse et diffuse une force inconnue que l'on pourrait nommer l'esprit de la terre.

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    De prime abord Chris est moins inquiétant. Un grand gaillard solide, une tête bien faite d'étudiant attentif. Une grosse Gretsch blanche dans ses mains qui barre son épaisse redingote, un large éventail de delays électroniques à ses pieds, simple rythme binaire pour débuter, chante aussi. Faut attendre un peu pour intuiter ses dons de sorcier. Mine de rien, l'a des doigtés étranges. Vous semble qu'il rajoute de temps en temps des pincées de sel dans la tambouille qui cuit paisiblement sur le feu. Plutôt de la poudre à canon. Dissuasive. Little Games et Revelator's Bottleneck, ne riffe pas, il rajoute du son au son, fait des interventions, joue à la manière des joueurs d'échecs, ce n'est que cinq coups après que vous réalisez la raison irraisonnable pour laquelle il a poussé tel pion dans cette case inopérante. En moins de deux il contourne votre défense, force vos muraille et vous met à mal, à mat et vous mate à mort. Une démonstration. In vivo.

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    Fascinant. Eléot ne fait pas que tricoter ses baguettes. Elle chante aussi, une voix qui monte dans les aigus, qui s'assombrit et s'intempestive, et qui au morceau suivant devient douce et suave, un roucoulement de gâteau au miel, sucrée comme un apple pie. Souvent elle double celle beaucoup plus virile de Chris, elle lui apporte une profondeur et une discrète résonnance qui l'amplifie souverainement. Notamment lors du rappel, une très belle balade country de Jack Bruce, qui vient un peu en contrechant à l'inexorable montée progressive du set selon une sourde violence fascinante qui contraindra toute l'assistance à se masser devant la scène.

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    Je terminerai sur cette divine surprise, cette version sublimissime, subluesmissime, de Sumertime Blues d'Eddie Cochran, qui n'a pas entendu le martellement d'Eléot et sa voix d'outre-tombe – elle endosse le rôle de Jerry Capehart – n'a jamais rien entendu, et Chris qui abrupte le riff si sourdement qu'il devient le tourment de votre vie, et son vocal qui flirte avec la raucité d'Eddie sans jamais l'imiter...

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    Un régal ! Tony Marlow résumera la situation : une révélation. Du country roll comme l'on n'en n'avait jamais ouï de ce côté-ci de l'Atlantique. De surcroît un garçon et une fille très gentils, ne connaissent pas un mot de français mais la sympathique complicité qu'ils dégagent ne trompent pas. Une soirée comediane à marquer d'une pierre blanche.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Costa David )

     

    20 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    JIMM / FISHING WITH GUNS

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    Suis arrivé à la Comedia sans trop savoir qui j'allais voir, m'étant quelque peu embrouillé dans les dates. Mais l'instinct du rocker ne se trompe jamais, une soirée explosive m'attendait. Mais je n'étais pas le seul à subir la déflagration!

    JIMM

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    Parfois il vaut mieux être trois que mal accompagné. Cet adage populaire vieux de trois millénaires que je viens d'inventer mérite un codicille précisif : trois cadors. Car comment peut-on produire une telle mayonnaise avec si peu de personnel. L'est vrai que Xavier avec sa taille de géant peut facilement compter pour deux, avec sa chevelure de boucles barbares et sa basse il ne se fait pourtant guère remarquer, à peine s'il vient de temps en temps pousser un cri de guerre ou hurler une rapide interjection au micro. Mais mine de rien, il assure grave. Le grondement de base, c'est lui le fautif, ce roulement de galets entrechoqués emportés par la furie d'un torrent c'est lui le responsable. N'est pas non plus le seul coupable, serait anormal qu'un seul écope de toutes les malédictions. A la batterie, Billy n'est pas innocent. L'a les mains pleines de baguettes. Les lève bien haut, les fait tournoyer entre ses doigts, et puis c'est fini. Le bonheur est désormais personna non grata sur notre misérable planète. L'apocalypse est commencée et rien ne l'arrêtera. L'a compris qu'il est là pour taper, alors il tape, l'a le pied meurtrier sur la grosse caisse et des menottes d'étrangleurs en série. Ne sait pas s'arrêter, un jusqu'au-boutiste, quand il n'y en a plus, il en a encore, l'as de la logistique distributive, des coups pour tous les tambours de la terre, une canonnade d'escadres ennemies, Xavier la tempête, Billy se charge de la métamorphoser en ouragan. Libère les vents de l'outre d'Eole. Bref, vous filez à cent-vingt neuf nœuds secondes et déjà se pose en vous la question fatidique, dans tout ce brouhaha comment un guitariste arrivera-t-il à survivre?

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    Jimm a deux manières de répondre à votre interrogation métaphysique. D'abord : par le chant. S'approche du micro, et non il ne chante pas. Se débrouille – je ne sais comment – pour que sa voix devienne un quatrième instrument, une coloration nouvelle, qui se fond au magma sonore, s'y installe naturellement comme l'oiseau se construit un nid dans le couvert des épaisses frondaisons de l'arbre. De plus en français, n'en tirez aucune gloire nationaliste, car ce serait in english que vous n'entendriez point la différence, l'a sa manière à lui d'appuyer sur les syllabes, et par ce fait même de les détacher si fortement que vous comprenez très vite en ce langage universel qui se nomme l'idiome rock.

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    Ensuite : il joue de la guitare. Au bout de deux minutes vous vous dites, c'est un très bon guitariste. Mais bientôt vous devez réviser votre jugement. L'a un truc spécial, n'est pas un vulgaire pousseur de riffs, son pied à lui c'est de surnager au-dessus du tumulte, comme dans les orchestres symphoniques menées à fond de train par Toscanini quand brusquement au-dessus de la monstrueuse masse sonore s'élève la plainte virevoltante du violon solo et vous n'entendez plus que cela, le Jimm il est pareil, l'a les soli de guitare qui brillent, qui scintillent, tels une rivière de diamants qui vous éclabousse de mille rayons de soleils réfractés. Cette scie sauteuse qui vous dentellise les tympans est le nectar des Dieux.

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    En plus ils vont jouer longtemps, enchaînent les titres, Prêt à penser, Ton blues dans la peau, Jamais vieillir, et devant la scène ça remue salement, pas tous les jours que le rock déboule sur vous avec une telle intensité. Un triomphe.

     

    FISHING WITH GUNS

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    Avec un tel patronyme, l'on se doutait que ce n'étaient pas des joueurs de pipeaux. Passer après Jimm de prime abord ne semble pas être une sinécure. Mais première surprise, ne serait-ce pas Billy Albuquerque qui s'installe derrière les drums, exactly my dear, pas besoin d'être Sherlock Holmes pour comprendre que l'on n'est pas là pour cueillir des petits pois. Va toutefois falloir résoudre l'énigme Inigo. Quand ils se sont installés semblaient être quatre mais là sur scène maintenant que l'éruption volcanique a commencé – déjà rien qu'au trente secondes de secousses sismiques échappées de la guitare de Tof juste pour voir si tout était en place juste avant le début du set, l'on avait subodoré que les gaziers préféraient les bâtons de dynamite à la pêche au goujon -ils ne sont plus que trois.

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    Inigo, c'est un peu comme dans les albums Où est Charlie, faut lui mettre la main dessus, car il est perdu dans la foule. A peine si de temps en temps il s'octroie une brève station et remontera quelques secondes sur la scène. L'est dans le public agglutiné devant. Certes pour l'entendre vous l'entendez. Mais impossible de savoir où il est. Surgit à l'improviste devant vous, un peu comme le vaisseau fantôme entre deux plaques de brume. Mais quel cantaor ! La voix qui djente, pas trop, mais suffisamment pour vous mettre le feu à la moelle épinière. Et ces poses ! Le fil du micro haut levé, le visage tourné vers le cromi et cette poudrière vocale qui explose. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il en use avec parcimonie, n'en abuse jamais, laisse à l'orchestre le temps de poser les assises du riff, d'articuler la séquence, et quand tout est bien en place, il vocalise, tel le caïman qui sort du fourré juste pour venir vous couper une jambe, proprement d'un seul coup de dentition. Puis il se retire dans l'eau saumâtre de son propre silence tandis que ses congénères continuent leurs monstrueux tapages comme s'il était nécessaire à la survie de nos existences. Le pire c'est qu'il l'est indispensable. Motherfucking badass ! Reste du Blood on the ropes !

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    C'est que derrière les trois lascars ne vous laissent pas le temps de respirer jouent une espèce de mixture de stoner estampillé aux marteaux de Thor et émargé aux forges d'Héphaïstos, sur sa basse Bouif ramone la suie des cheminées de volcan, parfois son corps se réduit et se cambre à croire que l'électricité le traverse de part en part et des ondes noires s'échappent de son instruments comme des meuglements d'agonie de cachalots échoués sur les rives du désastre. Tof taffe à mort, l'a la guitare qui mord, le feu qui couve sur deux accords et puis qui tout à coup flamboie et se déploie dans l'univers tout entier, vous consume l'âme comme un mégot qui grésille dans le cendrier. Les Fishing vous fichent la trouille et la chtouille à jouer trop bien, trop fort, trop sauvage. Profitent d'un instant de répit pour distribuer à l'assistance leur dernier EP, le prochain est en préparation et ils nous régaleront de quelques aperçus. Et c'est reparti pour une charge à la baïonnette finale. Pas question, le peuple rock qui s'est salement secoué devant l'estrade refuse de les laisser partir, et nous avons droit à deux derniers feux d'artifice. Deux explosions nucléaires de soleils noirs !

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    Damie Chad.

    ( Photos : Chris on FB : Meteo Rock )

    BLOOD ON THE ROPES

    FISHING WITH GUNS

    ( Avril 2017 )

    Peu d'indications sur la pochette qui reste relativement mystérieuse. Recto brun dont le visage granitique de statue saignante émarge au verso et se dissout en une blancheur envahissante au bas de laquelle se profilent un revers montagneux et la silhouette automnale d'un arbre. Peut-être le sens est-il à décrypter dans l'image des deux lutteurs de pancrace opposés et entremêlés sur la sesterce blanche du CD. Serions-nous emplis d'une fureur incontrôlable qui, dans le temps même qu'elle nous donne force de vie, nous agonise.

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    Dodge and counter : lourd and loud, instrumental, une guitare qui sonne et résonne, des cymbales qui se glissent par dessous car lorsque la menace se précise, que vous entendez ces gros godillots qui avancent, vous êtes dans l'attente de la catastrophe vous êtes sensible aux plus petits détails, au craquement insidieux de la moindre brindille subsidiaire, mais l'emprise sonore devient obsédande, le rythme reste toujours lent, l'intensité sonore s'amplifie, la rupture... Motherfucking badass : ...déboule, une course folle sur une rythmique impitoyable, un trait de feu qui parcourt l'espace, rejoint par une voix qui amplifie le sentiment de l'inéluctable. Brut de noir à pas cadencés, le pendule de la mort qui descend vers vous imperturbablement se rapproche. Une voix de tuerie, des guitares de chienlit, des frayeurs pulsatives de batterie, hallali démiurgique, un dernier hurlement, et les ronronnements de guitares s'éloignent au loin. Un morceau merveilleusement structuré. Thirst for lust : éclats nerveux de guitares, crachats de voix sur la face de Dieu, semelles de plombs du drumming, le rythme se segmente pour se reconstituer en plus schismatique, en plus rapide, mais comme ralenti par la saturation hérésiarque des guitares. Froissements de ferrailles, la voix qui criaille en un festival d'ailerons de requins qui arrachent les chairs sanglantes de leurs victimes. Apothéose. King of the crossroads : guitares grondantes et hachoir vocal, collisions de carrefours, courses à mort, déconnections et reconnections, rien ne les arrêtera. Eclaboussures de tintements et moteurs en furies qui grondent. Reason to cry : pas une raison pour ralentir le rythme en tout cas, ni de pleurer honteusement dans son mouchoir. Une voix salement insidieuse. Forge drummique pressurisée en arrière-plan. Vocalises qui s'égosillent, guitares qui ripent sur du verre brisé, l'on entend les tintements cristallins du diable qui cogne à la fenêtre béante de l'esprit dévasté. Désormais les guitares tirebouchonnent dans les amplis, la voix se fraye un chemin dans les soubassements de l'obscurité et l'on refait un tour sur la bande de Möbius de la souffrance animale infinie. Qui finit par se rompre en un grandiose balancement.

    Damie Chad.

    CAMON ( 09 ) / 09 - 08 - 2019

    La Camonette

    KERYDA

     

    Jeudi, retour obligatoire à la Camonette, bouffe excellente mais totalement subsidiaire, la semaine dernière nous avons eu le père, Chris Papin-Jijibé, dans le jeu des sept familles des musiciens donnez-moi le fils, Damien. L’aurait pu mal tourner comme le père et s’adonner au démon du blues comme le prédestinait son prénom, mais non, est abonné à un tout autre genre. Difficile à définir : disons un folk curieux pour ceux qui ont besoin d’étiquette.

    KERYDA

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    Sont beaux et jeunes tous deux, prince courtois et princesse charmante échappés d’un conte de fées. Il a une vieille contrebasse toute sombre à ses côtés, et elle une harpe de bois clair d’Ariège posée sur un piédestal. Contrebasse + harpe, ensemble composite mais en même temps empreint d’une similarité sonore évidente même si la vieille dame s’adonne à de funèbres tonalités automnales et si de la damoiselle fièrement cambrée s’élancent de claires perlées de rires d’enfants cristallines. Alta et contralta. L’assemblée, au bas mots plus de cent cinquante convives, bruisse de bruits confus lorsque Damien se saisit de son archet. Qu’il délaisse aussitôt pour des doigtés de pizzicati virevoltants à la manière d’étincelles de jazz, et c’est sur ce tapis tressautant d’escarboucles que Sara Evans dépose de translucides feuillages brocéliandiques agités par une brise mutine. En un instant, elle installe un autre espace, plus subtil, plus fluide, de silence et de musique entremêlés, miroirs et reflets de miroirs. C’est cela Keryda, cette création d’une dimension à part, d’une intimité plus profonde avec le vertige des apparences. Ce premier morceau est suivi d’un deuxième qui sonne étrangement et orchestralement contemporain, sont-ce les sourds frappés de Damien sur le bois, ou cette savante rythmique entrecroisée de sons clairs et sombres mais l’instant s’avère magique et soulève les applaudissements. Et la musique de Keryda se fait plus lointaine, à croire qu’elle veuille nous entraîner dans les terres du songe en des contrées arachnéennes et infinitésimales. La big mama marmonne de profondes incantations et les notes de Sara profèrent des mélopées d’endormissement vaporeux. La nuit et le jour s’unissent en une couleur goethéenne ignorée des simples mortels, habitée par de malicieux farfadets invisibles dont on ne perçoit la présence que par l’évanouissement disparitif qu’ils laissent derrière eux. Instants de rêves indistincts suspendus sur le vide vertigineux des glaciers de la beauté.

    + FRIENDS

    Pour le troisième set, la scène est envahie d’invités. Le facteur et Zoé, la fille triangulaire. Il fabrique et tient entre ses mains un accordéon, elle toute blonde se contente d’un triangle isocèlement métallique. Il y a encore une violoniste, un guitariste et Julien aux percus. Changement d’ambiance, Damien s’est muni d’une basse électrique et il groove grave, un son concassé que le facteur se hâte par derrière d’étoffer. L’on dérive lentement vers un méli-mélo d’improvisations, au substrat argentin. C’est bien fait, agréable, sympathique, mais cela n’atteindra jamais à l’intemporalité de Keryda.

    Damie Chad.

    TARASCON ( 09 ) / 17 - 08 - 2019

    COMPAGNIE R2

     

    Damie tu pourrais m’amener à Tarascon, ce soir il y a de la danse contemporaine. Un truc de fille évidemment, palsambleu de la danse contemporaine ! tout être normal et évolué aurait repéré un groupe de rock obscur dans un bouge perdu, mais non de la danse contemporaine. Bref direction Tarascon ( con ! ). Evidemment, la grande esplanade festive est vide, faut arpenter les rues en pente de la vieille ville pour trouver La Placette.

    Un mouchoir de poche, le tatamis noir en occupe la plus grande largeur juste devant l’unique maison, déduction logique les habitants sont condamnés à rester chez eux durant la représentation, une trentaine de chaises sont entassées dans le triangle restant, mais des spectateurs peuvent se masser sur le côté de la rue qui monte rude et surplombe, à ne pas confondre avec celle de l’autre côté qui descend profond. Je précise que l’Ariège est peuplée de montagnes. Une hétéroclite collection de tableaux grand-format sont accrochés un peu partout aux murs de pierres ocres.

    PASSAGE

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    Sont tous les quatre en chaussettes blanches, se déchaussent de leurs sandales et vont se prostrer en silence sur quatre chaises de bois noir. Les deux filles vêtues de blanc, les deux garçons en jeans bleu-délavé et tunique blanche. Musique. Non ce n’est pas du rock. C’est du Pink Floyd ! Une bonne sono qui vous en met plein les oreilles. Dès les premiers mouvements esquissés, il apparaît que l’on affaire à de véritables professionnels. Vous scotchent sur place, suivent la musique de The Wall, pas de l’improvisation sauvage et hasardeuse au petit bonheur la chance, un véritable ballet, aux séquences ultra-réglées et codifiées. Pour le Pink dont la musique vous enveloppe, je m’aperçois - mais la gestuelle m’y pousse peut-être - qu’ils ont sacrément pompé sur le Tommy des Who, jusqu’à Waters qui essaie de retrouver la flexibilité vocale ( sans y arriver ) de Daltrey. En tout cas pour la thématique, il n’y a pas plus de lézard que d’horloge. L’enfermement est bien le sujet central des deux opéras.

    Les schizos ne freinent jamais. Sont tout à leur délire. Même leur moments d’abattement restent inquiétants. Sont à côté du monde, enfermés en eux-mêmes, n’ont besoin de rien d’autre, ils ont rapté au grand tout universel des hommes ce qu’ils ont de pire, la violence et la folie. Des guêpes folles recluses dans une bouteille qui tourbillonnent, se montent dessus ou se fuient, se laisse aller à des simulacres de sexe et de meurtre. Des tentatives d’amitié sans lendemain. La seule véritable absente de cet entremêlement de corps entassés ou distendus, c’est étrangement la Mort. L’est comme une valeur fiduciaire qui court entre les individus mais totalement invisible, reléguée hors du plateau et de l’esprit de la folie.

    Une esthétique manga. Sont-ce les tuniques blanches, le fait que le maître plus âgé danse avec ses trois jeunes élèves qui me poussent à une lecture nipponne de cette pièce créée en 1996, non plutôt ces arrachés de bras, ces mouvements subitement arrêtés en plein élan, ces tourbillons de contre-plongée, ces emprunts hip-hopiens comme des citations de mantras énergétiques, cette frénésie d’ailes de phalènes carnivores, subitement cloués en plein vol sur la noirceur d’une planchette par l’épingle froide d’un entomologiste insensible obnubilé par la poursuite vaine d’un rêve sans cœur ni raison. Une inversion de la théorie du papillon, le battement de l’âme d’un individu excédé de folie déclenche les pires tempêtes non pas à des milliers de kilomètres à l’autre bout du monde, mais un tsunami irrémédiable dans l’esprit même, phalène qui halète sans fin, prisonnier dans sa propre cellule intérieure, et le corps secoué de spasmes, cassé en deux, morcelé en fragmentations infinies, n’est que la résultante de cette force psychéïque retournée contre elle-même, à défaut d’un revolver salvateur. L’ensemble vous donne l’impression d’une stérile obstination à perpétrer un hara-kiri impossible puisque opéré avec l’arme émoussée de la chair incapable malgré tous ses remuements eschatologiques d’entamer les silex tranchants et nervaliens de votre psyché délirante. Car la folie tourne en rond en vous-même et vous broie pour vous empêcher de traverser le miroir des apparences. Tout cela dans ces saccades de gestes prompts, ces rafales de delirium tremens, ces abattements somptuaires et résignés qui à peine en repos se rallument comme flammes vives dans les pinèdes des songes inavoués. Et infinis. La danse comme équation mathématique à quatre corps inconnus qui ne sera jamais résolue, sinon sans l’arrêt de la musique qui mène le bal.

    Un triomphe. Pour ceux qui se demandent le pourquoi de cette chorégraphie incandescente sur la musique du Floyd, qu’ils se procurent la cassette vidéo du Pink Floyd Ballet en collaboration avec Roland Petit. La danse est un geste sans cesse recommencé mais toujours inachevé.

    Damie Chad.

    ROCK'N'ROLL STORIES

    BUDDY HOLLY

    RNRS : Série 2 / N° 6

    15 / 09 / 2019

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    Buddy Holly est mort à vingt-deux ans, mais si vous voulez vous pencher sur sa discographie, entreprenez plutôt la lecture du Tractacus Logicus de Wittgenstein, pas très rock'n'roll je vous l'assure, mais ô combien moins complexe. En fait le plus simple sera d'écouter ce sixième numéro de Rock'n'roll Story. Certes Buddy a enregistré un maximum de simples et je vous l'accorde ces pochettes de papier, souvent blanches, ne sont pas très vidéographiques, mais si vous êtes patients vous aurez droit aux belles images des 33 tours. De toutes les manières perso j'ai une préférence pour les EP français. Vous en verrez aussi. Je ne voudrais pas être rabat-joie mais Buddy n'avait pas tout à fait un physique de jeune premier.

    Les débuts de Buddy sont riches d'enseignements pour ceux qui s'intéressent à l'éclosion du rock'n'roll. Ça ressemble un peu à un vol d'albatros qui s'arrachent d'un océan mazouté, mais après c'est comme dans le poème de Baudelaire, cette satanée musique hante la tempête et se rit de l'archer. Enfin pas tout à fait, car il y aura de sacrées descentes en flammes, Buddy notamment abattu en plein vol. Par la main froide du destin.

    Une famille de musiciens – à croire qu'aux States il n'y avait que des gens qui savaient jouer de quelque chose – Buddy taquinera, la mandoline, le piano et grâce à son grand-frère Travis la guitare. En 1951, il formera le duo Buddy and Bob, Bob Mongomery, copain de collège, à la guitare et Buddy au banjo. Auparavant il avait déjà formé un duo avec Jack Neal, le futur bassiste des Blue Caps. Lorsque l'on lit les mémoires de Sharon Sheeley, la '' fiancée'' d'Eddie Cochran l'on s'aperçoit que le vaste monde du rock'n'roll américain devait être toutefois assez exigu car la plupart de ces artistes se connaissaient et n'arrêtaient pas de se croiser malgré l'immensité du territoire. Par contre s'il est un vivier inépuisable c'est celui des maisons de disques, des labels, des imprésarios, des organisateurs de tournées, des producteurs, le dessous grouillant de l'iceberg. Ne nous y trompons pas ces hommes de l'ombre empochaient les plus gros bénéfices. Un véritable panier de crabes. Ainsi entre Decca, Brunswick et Coral, Buddy aura du mal à tirer son épingle du jeu. Ses disques paraîtront sous diverses appellations, The Crickets ou Buddy Holly and The Crickets, Buddy Holly. Autre tare de ce système, les artistes ne sont pas les seuls à avoir droit de regard sur les titres. Beaucoup de démos seront ainsi refusées, elles feront plus tard la joie des rééditions.

    Pour le moment Buddy et ses compagnons – la formation des Crickets est pleine d'allées et venues – deviennent doucement des gloires locales. Peu de choses au regard de l'étendue du pays mais assez pour participer par trois fois à la première partie des trois spectacles qu'Elvis Presley donnera en 1955 – c'est à cette époque qu'il enregistrera Down the Line et Baby won't you play house with me ( ce dernier à mon goût supérieure à la version d'Elvis ) - et 1956, toujours à Lubbock. Sera aussi présent au concert de Bill Haley. Puis ce sera la rencontre de Norman Petty qui restera son producteur pratiquement jusqu'à la fin. Si après la mort de Buddy, Petty trafiquera quelque peu les bandes, il faut reconnaître que leur collaboration permettra à Holly de fixer son style. Imaginez un mix mélodieux et heurté d'un son qui allierait le flegme d'Hank Williams au jungle sound de Bo Diddley. Dans cet alliage, le plus important, ce ne sont ni les racines noires ni celles du western bop, mais cette idée de la création d'un son, Sam Phillips inventera en quelque sorte l'enregistrement, mais Buddy y ajoutera cette idée que l'on ne doit pas reconnaître la marque du studio, mais le son singulier de l'artiste. C'est en Angleterre que la leçon portera ses fruits, Beatles et Stones sauront écouter le message de Buddy et se forger leur propre marque sonore de reconnaissance totémique. Que serait devenu Buddy s'il n'avait pas disparu, tout ce que l'on peut dire c'est qu'il avait le projet de monter un label Prisme. Sans doute serait-il passé souvent derrière les manettes...

    Mais délaissez cette hâtive chronique, écoutez Rock'n'roll Stories, il est impossible de faire mieux et plus précis en trente minutes. ( Sur You Tube ou le FB )

    RNRS : Série 2 / N° 3

    EDDIE COCHRAN

    04 / 08 / 2019

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    Un destin similaire à celui de Buddy Holly. Fauché en pleine jeunesse. A vingt-et-un ans. Mais avec un goût d'inachevé que l'on ne retrouve pas chez Buddy. L'impression non pas d'une perte, mais d'un gâchis. La sensation qu'il est parti hier ou à peine depuis dix minutes, qu'il a laissé sa guitare pour aller fumer une clope et revenir. Buddy a laissé une œuvre. Eddie des semences. De celles qui permirent la renaissance de l'épeautre à partir des grains retrouvés dans les tombes des pharaons. Une dizaine de titres essentiels – sans oublier tout le reste - mais à partir de seule cette maigre poignée, ne subsisterait-il à la surface de la terre que cela, l'on pourrait reconstruire le rock'n'roll rien qu'à partir de ce coffre aux merveilles. Bien sûr tout est bon chez Eddie, un enseignement magistral à puiser du premier titre au dernier enregistrement. Mais cela ressemble à des brouillons d'enfant surgénial. D'une folle générosité. D'une immense précocité. D'une diabolique facilité. L'on ne peut s'empêcher de penser au destin d'un Evariste Galois fauché à vingt ans dans un duel, laissant en jachère des théories mathématiques qui furent reprises par bien des suiveurs. L'on aimerait savoir ce qu'il aurait fait par la suite. L'on se plaît à accroire que les routes du rock'n'roll auraient amorcé d'autres trajectoires, mais l'on n'en sait rien. En disparaissant Eddie Cochran ne nous a laissé sur quelques photographies que son sourire enfantin et triomphal pour essayer de déchiffrer une énigme qui nous dépasse.

    C'est pour cela que les remémorations de Rock'n'roll Stories nous sont précieuses, au-delà des faits elles ouvrent les perspectives infinies du rêve.

    Damie Chad.

    Sur FB : Rock'n'roll Stories ou sur You Tube.