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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 91

  • CHRONIQUES DE POURPRE 376 : KR'TNT ! 396 : SHEL TALMY / DON BRYANT / LAZURITE / ACROSS THE DIVIDE / OUT OF MY EYES / REDEEM REVIVE / / ROCKAMBOLESQUES ( 10 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 396

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 12 / 2018

     

    SHEL TALMY / DON BRYANT / LAZURITE

    ACROSS THE DIVIDE / OUT OF MY EYES

    REEDEEM/REVIVE

     

    Talmy ça où ? - Part Two

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    Shel Talmy s’installe dans l’actualité et c’est tant mieux. Il vient d’autoriser l’accès à ses archives. C’est Alec Palao qui se charge de l’inventaire. Pauvre Alec ! Il vient tout simplement d’entrer dans la caverne d’Ali-Baba. Rien n’est plus dangereux pour l’équilibre mental d’un amateur de British beat. Dans Shindig, Alec Palao avoue qu’il est devenu fou. Mais vraiment fou. Il n’a pas l’air de plaisanter :

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    — Jamais vu ça de ma vie ! Jamais ! Vous n’imaginez pas ! Des inédits ! Des bombes ! C’est dingue ! Complètement diiiiiiingue ! Ahhhhhhh c’est diiiiiiiiiiiigue ! Arrrrrrhhhhhhhhhh !

    Et il se roule par terre. Il se redresse péniblement pour gueuler encore une fois :

    — C’est dingue ! Diiiiiiingue ! Complètement diiiiiiiiiiinnnngue !

    Et il replonge dans une crise d’extase carambolique.

    Voici quelques mois, on saluait dans ‘Talmy ça où - Part One’ la parution d’un premier shoot compilatoire intitulé Making Time. Cette fois Alec Palao nous annonce la parution de TROIS nouvelles compiles, covering the beat, the mod/R&B and girl genres. Diiiiiiiiiiiiiiiiingue !

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    Dans l’interview qui accompagne les éructations psychotiques d’Alec Palao, Shel Talmy rappelle qu’il ne comptait pas s’installer en Angleterre, en 1962. Il était en vacances pour quelques semaines. Et quand l’un des journalistes de Shindig fait allusion à son problème de vue, Shel Talmy lui rétorque poliment que ça ne le regarde pas - My eyesight problem is and has always been personal and would appreciate it remaining that way - On appelle ça recadrer poliment.

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    On l’amène forcément à revenir sur l’incident qui a mis fin à sa collaboration avec les Who qu’il avait pourtant lancés : «Lambert et Stamp ont tout simplement déchiré mon contrat. Ils ne savaient pas que j’avais financé les sessions des Who. On avait fait des hits ensemble. Je n’ai jamais eu de problèmes avec les musiciens. Les problèmes viennent toujours des managers.» Kit Lambert voulait produire les Who. Bon alors produis-les, mon gars. Même question concernant les Kinks. Shel Talmy fait à peu près le même genre de réponse : «C’est encore plus simple. Notre contrat arrivait à terme et Ray voulait produire.» Bon alors produis-toi, mon gars. Séparation amicale. Parmi les autres géants de cette terre qu’aida Shel Talmy, on trouve aussi Lemmy, au temps des Rockin’ Vickers : «Ils étaient fantastiques. Ils auraient dû avoir plus de succès.»

     

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    Shel Talmy fonde Planet Records, mais un mauvais arrangement avec Phillips l’oblige à fermer boutique en 1966. Ouf on l’a échappé belle, car on aurait vu pulluler sur nos étagères des milliers de disques supplémentaires. Merci Phillips d’avoir coulé Planet Records. Rusés comme des renards du désert, les journalistes de Shindig font ensuite remarquer à Shel Talmy qu’il était l’un de rares producteurs à laisser les groupes jouer fort en studio. Évidemment, leur répond l’intéressé, puisqu’il cherchait à capturer le feedback - I liked my records to be the most present (okay, loud !) when played - et il ajoute avec un petit sourire en coin : «Call it contained implosion.» (Vous pouvez appeler ça de l’implosion en boîte). Et parmi les loudest de ses clients, Shel Talmy cite les Who et les Creation. Quand il évoque les Easybeats, il raconte qu’ils débarquaient avec des tas de chansons - I didn’t hear a hit until Friday On My Mind - Eh oui, Shel Talmy bosse comme Sam Phillips : «Qu’as-tu à me proposer, mon gars ?» C’est Shel qui shait, pas le groupe. Et ça vaut aussi bien pour les Easybeats que pour Johnny Cash. En clair, ça veut dire que sans Shel Talmy et sans Sam Phillips, pas d’Easybeats ni de Johnny Cash ni de rien de tout.

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    Dans les années soixante-dix, Shel Talmy va aussi travailler avec des gens moins connus, comme Chris White, Fumble ou encore The Sensational Alex Harvey Band. Il garde aussi un bon souvenir des Damned dont il produit «Stretcher Case Baby» et de Rudi Protudi pour lequel il produit l’In Heat des Fuzztones. Il trouvait Rudi ‘interesting’. Quand on lui demande qui sont ses meilleures no-hit productions, Shel Talmy cite en vrac les noms de Chris White, Small Faces, Bowie et Goldie & The Gingerbreads. Et quand ces fins renards de Shindig lui demandent quels sont les hits dont il est le plus fier, il cite en vrac : «You Really Got Me», «My Generation», «Making Time», «Waterloo Sunset», «Friday On My Mind», «Sunny Afternoon», excusez du peu. Puis il ajoute «Summer Song» de Chad & Jeremy et «Light Flight» de Pentangle.

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    Planet Beat grouille aussi de merveilles inconnues. On comprend qu’Alec Palao soit devenu fou. Qui peut résister au killer solo flash que passe Little Jimmy Page dans le «Leave My Kitten Alone» de The First Gear ? Personne. En plus, c’est un first take qui date de 1964. Ce groupe de Doncaster est depuis longtemps retombé dans l’oubli, mais quel panache ! Par sécurité, Shel Talmy prévoyait toujours des pros pour jouer sur les démos destinées aux labels. Pour l’anecdote, le chanteur David Walton raconte que le jour de son arrivée dans le studio, trois musiciens qu’il ne connaissait pas étaient déjà installés : Bobby Graham (drums), Nicky Hopkins (keys) et Jimmy Page. On demanda au batteur et au guitariste de the First Gear de s’asseoir et de regarder. Inutile d’ajouter qu’ils faisaient la gueule. D’ailleurs, le groupe allait splitter peu de temps après. Mais Shel Talmy savait très bien ce qu’il faisait. Sans l’off-the-cuff guitar break de Jimmy Page, le single serait allé nulle part. On retrouve Jimmy Page sur le «Lucy» des Dennisons, une fantastique compo signée Pomus/Shuman. Quel son ! Personne ne se souvient des Dennisons, mais il est important de savoir qu’ils venaient de Liverpool. Tout aussi important : en 1963, Jimmy Page venait de s’acheter une fuzzbox et c’est elle qu’on entend dans le «See You Later Alligator» de Wayne Gibson. Fantastique chanteur que ce Gibson. Il est accompagné par le trio de choc Graham/Hopkins/Page, mais hélas, il ne parviendra pas à percer. Shel Talmy produisit deux singles des Zephyrs. Il chouchoutait ce groupe capable de jouer une pop urgente et pleine d’allant. Dans «There’s Somthing About You», on entend Mike Leave jouer un fantastique solo d’orgue. Avec l’«Everybody Knows» de Sean Buckley & the Breadcrumbs, on entre dans le territoire des grosses énormités poilues. Voilà un cut violent et mal famé, percé en plein cœur d’un killer solo flash de Jimmy Page, bien sûr. C’est du trash anglais à l’état le plus pur. Palao va loin dans le délire érudit, puisqu’il indique que cet «Everybody Knows» est une reprise d’un groupe de Nashville, the James Gang. On reste dans les virulentes énormités avec «I’m Leaving» by The Tribe, pur shoot de primitive r’n’b throwback. Un vrai coup de génie cracra. Comme Brian Jones, The Talismen venaient de Cheltenham et c’est encore Jimmy Page qui vient incendier le primitive beat de «Casting My Spell». Pure démence de la sentence. Par contre, ce n’est pas Jimmy Page qu’on entend jouer dans le «Black Eyes» des Hearts. Il s’agit du fingered Jim Duncombe, l’un des guitaristes les plus évolués de cette époque. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Quel son ! Le «Lonely Man» des Lancastrians est chaudement recommandé aux amateurs de pop miraculeuse, celle d’Ivy League et des Searchers : pur jus de dream pop à l’Anglaise, imbattable. Tiens, encore une belle énormité avec le «Talk To Me Baby» des Rising Sons, un groupe plein d’avenir qui allait devenir les mighty Unit 4+2. Autre groupe légendaire de l’underground Talmyque, voici The Untamed, avec «Kids Take Over», un fantastique slab de Mod jerk de cave joué sous le boisseau d’argent du big Shel. Ça groove encore plus que chez Alan Price, comme si c’était possible ! Le chanteur du groupe s’appelle Lindsay Muir et il faut l’entendre envoyer son anymore ! Anymore ! Tout ce qu’on aime sur cette terre.

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    Alors justement, on retrouve le gratin de Planet Beat sur Planet Mod : The Tribe et The Untamed. À commencer par deux coups du sort signés The Tribe : «Don’t Let It Be» et «The Gamma Goochie». Pur jus de Mod Sound, toute l’agressivité du teenage rampage accourt au rendez-vous. Sur «Don’t Let It Be», la basse dévore tout, crouch crouch, et avec le Goochie, ils sha-ma-la-mina-ouh-wah-ouh-wahtent la baraque à la glotte éraillée, c’est une d’une sauvagerie presque américaine, on croirait entendre les chicanos de Detroit, chikikkikichi ! Fameux ! Les Untamed attaquent leur triplette de Belleville avec «Daddy Longlegs», slab de Mod Sound sorti des soutes de Londonderry et relancé au petit riff acariâtre, ça colle bien à la peau, pas aussi explosif que les Who, mais pas loin. Que de son chez Shel ! Avec «I’m Leaving», les Untamed font le plein de Shel et Lindsay Muir mène le bal au singalong. Avec «I’m Going Out Tonight», on atteint le haut de gamme. Muir chante comme un dieu, yes I am now. C’est lui la star de Planet Mod, il sonne comme un Soul Brother, il swingue sa Soul à l’abattage. S’il faut suivre un groupe, c’est bien les Untamed. Le problème, c’est que tous les groupes qui débarquent chez Shel veulent sonner comme les Who, ce qui est aussi le cas de The New Breed. Ils grattent comme des cons et laissent planer le doute - God was on my side - c’est bien énervé, mais le chanteur n’est pas bon. Par contre, John Lee Hooker ne cherche pas à sonner comme les Who. Il n’est pas surprenant de voir Shel accueillir un géant comme Hooky. C’est du son gagné d’avance.

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    En réalité, l’arrivée d’Hooky en studio à Londres résulte d’un accord passé entre Don Arden et Shel. Don Arden supervisait les tournées des grands artistes américains en Angleterre et organisait parfois des sessions d’enregistrement. On voit bien qu’avec «Mai Lee», Hooky drive son truc. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. C’est sa vie et ça s’entend. Par contre, ce n’est pas Hooky qui chante «Over You Baby» avec John Lee’s Groundhogs, mais ‘John Lee’ Cruickshank, le frangin du bassman Pete. Les Groundhogs nous sortent là du pur jus de club craze, gratté à la spartiate par un Tony McPhee qui ne rêve que d’une chose : revenir au blues. On le retrouve dans «I’ll Never Fall In Love Again». Il y croit dur comme fer, il passe un fabuleux shake de solo en sous-main. On sent naître la légende. Tiens, voilà encore un single extraordinaire : «Take My Trip» de Kenny Miller. Non seulement c’est embarqué au groove de basse, mais en plus, ça sent bon le vieux club privé. Kenny Miller nous chante ça du coin des lèvres. Quelle bonne affaire ! On découvre là un admirable performer et un jive d’une considérable énergie. Autre surprise de taille et d’estoc, «Too Much Of A Woman» par les Corduroys. Très white niggers, énorme présence, pur jus de London Mod Mop de move avec un son de basse dément. Merchi Shel ! C’est lui qui est derrière toute cette modernité, toute cette acuité du son, tout ce punch sonique et tout cet écho blast. Avec «Goodbye Girl», les Preachers sonnent plus classiques mais ils swinguent leur shoot de shit à la vie à la mort, on a même un solo de sax et une bassline à la Chas Chandler, entreprenante et volubile. Un vrai festival ! Comme Shel devait se régaler, avec tous ces one-shots. Ce genre de compile vaut bien une caisse de dynamite. On trouve aussi l’un des combos phares de Shel, Goldie & The Gingerbreads. Mais Goldie ne chante pas sur cet heavy rumble qu’est «The Sky». On voit aussi The Thoughts reprendre le «Pretty Girls» des Easybeats, mais autant écouter les Easybeats. Si on retrouve Screamin’ Jay Hawkins sur Planet Mod, c’est aussi dû à un accord passé entre Shel et Don Arden. Mister Big avait organisé des sessions d’enregistrement à Abbey Road.

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    Ce sont les fameuses Planet Sessions que Shel va éditer un peu plus tard sur l’album The Night And Day Of Screamin’ Jay Hawkins. On y retrouve un Screamin’ Jay moins boogaloo qu’à son habitude, mais sa version de «Stone Crazy» est une pure merveille de Mod jazz. C’est littéralement bardé de son. L’autre grosse surprise de cette compile est le «Life’s Too Good To Waste» de Tony Christie & the Trackers. Une vraie voix. Présence extraordinaire, même si c’est un brin festif. Ce mec chante à la force de la majesté. Il sonne comme un Lord. C’est l’une des grandes gueules de la pop anglaise.

    Signé : Cazengler, Shel et poivre

    Planet Beat. From The Shel Talmy Vaults. Ace Records 2018

    Planet Mod. From The Shel Talmy Vaults. Ace Records 2018

    Anyway Anyhow Anywhere. Shindig # 67 - May 2017

    Brillant Bryant

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    L’impression de voir arriver sur scène une légende vivante ne trompe jamais. On sait peu de choses de Don Bryant mais on sait tout de suite qu’il va faire le show. Après l’instro d’intro des Bo-Keys, une ovation salue l’arrivée de ce vieux pépère noir à cheveux blancs.

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    Assez court sur pattes, il porte une veste à fleurs et lève les bras au ciel pour capter le souffle de l’ovation. Son visage se fend d’un immense sourire. Oh ce n’est pas n’importe quel sourire. Il s’agit du big grin de Soul Man du Deep South, celui qu’on voyait jadis éclater sur les visages ruisselants d’Otis ou d’Al Green.

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    Don Bryant attaque son set d’une voix extraordinairement intacte avec ce vieux hit torride d’O.V. Wright, «A Nickel & A Nail». Il tape ça à l’arrache des géants de la Soul. Comme Sharon Jones, il perpétue la tradition d’une hot Soul sixties, celle qui se danse des hanches et qui rend la vie si belle. Avec Don Bryant, la Soul reprend des couleurs. Le gospel batch remonte à la surface de ses échappées belles, comme chez Ray Charles, et il peut se montrer aussi hargneux que Sam & Dave lorsque le beat palpite sous la ceinture, comme c’est le cas avec «Something About You».

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    Et quel beat, baby ! Cette section rythmique de rêve renvoie forcément au team Al Jackson/Duck Dunn, la dynamo des MGs. Scott Bomar et un fantastique batteur black nommé David Mason drivent si bien le set qu’ils recréent la magie d’un groove qu’on croyait disparu. Avec leurs cuivres, Kirk Smothers et Mark Franklin renforcent encore l’illusion, eh oui, on croirait entendre Wayne Jackson & the Memphis Horns, ils jouent dans l’esprit de surchauffe staxy. C’est un véritable retour aux sources. Fantastique shoot de Soul que cet «One Ain’t Enough», and two two is better, Don Bryant descend dans les tréfonds du groove pour hipper son shake pendant que Scott Bomar digonne impassiblement ses doublettes, dressé comme une statue de sel.

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    Pour les amateurs de Memphis Soul, c’est le paradis sur terre. Don Bryant fait même passer un message avec «Don’t Give Up About Love». Il faut entendre Love au sens universel du terme, bien sûr. Il termine avec un enchaînement de classiques, «Everything’s Gonna Be Alright» et le fameux «Can’t Stand The Rain» d’Ann Peebles. Serrez-lui la main, surtout, il vous transmettra quelque chose d’assez puissant.

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    Pour le situer rapidement, Don Bryant fait partie des survivants de l’âge d’or du big Memphis Soul. Il a travaillé toute sa vie en tant qu’interprète, puis compositeur/producteur avec Willie Mitchell, chez Hi, le deuxième grand label Soul de Memphis, après Stax. Don n’a pas enregistré grand chose, juste deux albums (dont un l’an passé) et une poignée de singles qu’on trouve sur des compiles. Il est aussi le mari d’Ann Peebles, qui fit avec Al Green et Syl Johnson le prestige d’Hi Records.

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    Quand on retourne la pochette de l’album de Don Bryant paru en 2017, Don’t Give Up On Love, on tombe sur un beau portrait de Don Bryant, 76 ans. Il est un peu plus jeune qu’Eddie Floyd (81 ans). Il ressemble aussi beaucoup à Furry Lewis. Évidemment, c’est Robert Gordon qui rédige les liner notes. Aujourd’hui, qui d’autre que ce spécialiste d’Hi et d’Al Green pourrait le faire, maintenant que Dickinson a disparu ? Dans son hommage, Robert Gordon souligne deux choses fondamentales : un, Don chante le gospel dès l’âge de 5 ans au Memphis’ Carnegie Church Of God In Christ et deux, il va chanter plus tard avec Willie Mitchell au Danny’s Inn de West Memphis. Don fut à l’époque le lead du Willie Mitchell Orchestra, le fin du fin. Gordon va très loin dans son approche, puisqu’il indique que Don Bryant ralentit la Soul pour la rendre plus profonde. Il rappelle aussi que Don a lancé Ann Peebles chez Hi, qu’ils ont co-écrit ensemble le smash «Can’t Stand The Rain» en 1973 et qu’ils se sont mariés l’année suivante.

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    Comme le set, l’album Don’t Give Up On Love s’ouvre sur «A Nickel & A Nail», le vieux hit d’O.V. Wright. On comprend immédiatement que Don est un shooter issu du sérail des églises de gospel. Une effrayante machine Soul se met en route. Pur jus d’overdrive, avec une voix de shooter par dessus les toits - My friends Lord/ They just don’t know - Il chante à la vieille arrache. Il peut screamer et s’inscrire à la suite dans le groove. Il enchaîne avec un turbo-r’n’b qui s’appelle «Something About You». Il sonne comme James Brown, à coups d’aïie ! Il faut aller chercher «How Do I Get There» pour renouer avec l’émotion. C’est du gospel d’esclaves. Don enchaîne ça avec «One Ain’t Enough», une superbe dégelée de modern Soul, mais avec la patine du Hi Sound System. Il fait du neuf avec du vieux et ça tourne à l’énormité. Quand il fait de la Deep Southern Soul, il peut être aussi brillant, c’est le cas avec un «First You Cry» qui transperce le cœur du lapin blanc. Il y a quelque chose de l’ordre de la clameur dans sa voix. Il fait du church blast d’origine profane. Il repend aussi l’«I Got To Know» qu’il avait composé pour les Five Royales. Quel extraordinaire Soul man ! Avec «Can’t Hide The Hurt», le Memphis Sound is alive and well, ce grand mélange de Soul et de blues, de raw et de smooth. Il termine avec «What Kind Of Love», vieux coup de r’n’b chanté sous le boisseau. Don Bryant est effarant de présence. Il jerke sa Soul avec une énergie qui en dit long sur sa grandeur d’âme. Robert Gordon résume bien la situation : «It’s completely new with an old soul.» Et il ajoute pince sans rire : «Did you grab your boogie shoes or a handkerchief to wipe away the tears ?» Alors, tu danses ou tu chiales ?

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    Il existe quelques compiles Hi de ses débuts, comme par exemple ce Comin’ On Strong paru en 1992. Le petit conseil qu’on pourrait donner aux becs fins serait de se jeter dessus. C’est excellent. D’abord dix morceaux lents, puis dix hot shoots de r’n’b. Don est jeune quand il chante «I’ll Do The Rest». Il chante sur la pointe des pieds, comme Al Green. On est chez Willie Mitchell, et le son revêt un caractère très particulier. On peut parler d’une énergie du son. «The Lonely Soldier» est torride à souhait, hanté par une guitare fantôme. Don brame sa détresse. Il reste dans le heavy slow pour «The Call Of Distress» et son «I’ll Go Crazy» n’est pas celui de James Brown. On l’entend remonter le courant du slowah comme un saumon du Tennessee. Tout est superbement arrangé, et on imagine aisément que James Hunter a dû beaucoup écouter ce son si particulier. Et pouf, ça se met à chauffer avec «I Like It Like That», admirable pulsion d’Hi. Il enchaîne avec un «My Baby» râpeux et jouissif, gonflé de vie, un vrai jerk de fête foraine. Il tape l’«Everything Is Gonna Be Alright» qu’il reprend aujourd’hui sur scène au Shotgun de Jr Walker. Joli pompage. Puis avec «The Glory Of Love», il fait délibérément du Stax. On note son effarante classe dans «Coming On Strong», chef-d’œuvre de Soul psyché bardé de chœurs géniaux. C’est un son unique au monde. Don sait donner de sa personne comme on le voit avec «Can’t Hide The Hurt». Son r’n’b rampe sous le tapis, sur fond de groove algébrique. Il va de performance en performance. Pas moyen d’échapper à son emprise. Il fait un clin d’œil à Smokey avec une cover de «Shop Around», il la bouffe toute crue. Don finit par prendre le contrôle du Hi Sound System avec «What Are You Doing To My World». Que de puissance dans un seul petit bonhomme !

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    Precious Soul est un album de reprises qui date de 1969. Sur la pochette, Don Bryant ressemble à James Brown. Et tiens toi bien, il y sonne aussi comme James Brown, dont il reprend le «Try Me» - I say you tried James Brown - mais il sonne aussi comme Mr Dynamite sur «Expressway To Your Heart», qui fut un hit pour les Soul Survivors en 1967. Don Bryant y reprend les rênes de la Philly Soul de Gamble & Huff et y screame comme un beau diable. L’album est marrant car il se compose d’une B lente et d’une A dansante, comme les Formidable Rhythm & Blues d’Atlantic. Alors, si on se penche sur le cas de l’A, attention aux yeux ! Dès «She’s Looking Good», Don Bryant sonne les cloches avec une niaque qui vaut bien celle de Wilson Pickett ou encore Sam & Dave. Il est aussi hot and sharp que le bad bad boy Pickett - Looking good/ Just like I knew that you would - Il n’a pas non plus de problème pour retapisser «Soul Man». Il y rivalise d’ardeur pentatonique avec Sam & Dave, il swingue son Sam et il charcle son Dave d’un seul coup de dent, avec toute la niaque surnuméraire de Wicked Pickett. Tiens, puisqu’on parle de Wilson, voilà «Land Of 1000 Dances». Eh oui, Don Bryant tape dans l’intapable, aucun problème, mon gars, on va t’arranger ça, waoouuuuh ! Et Mabon Hodges nous gratte ça si sec. Autre surprise de choc avec une version spectaculaire de «Funky Broadway», une version ultra Hi. Don Bryant y met toute la retenue dont il est capable et ça change la donne. Autre belle reprise de taille : l’excellent «(You’re A) Wonderful One» de Marvin Gaye, monté sur une progression à la High Heel Sneakers. This is a Don Bryant special ! Et Mabon Hadges joue le riff avec l’appétit d’un carnassier. Pur jus d’Hi !

    Signé : Cazengler, Don Brillantine

    Don Bryant. Le 106. Rouen (76). 29 novembre 2018

    Don Bryant. Precious Soul. London Records 1969

    Don Bryant. Comin’ On Strong. Hi Records 1992

    Don Bryant. Don’t Give Up On Love. Fat Possum Records 2017

    02 / 12 / 2018LE MEE-SUR-SEINE

    LE CHAUDRON

    LAZURITE / ACROSS THE DIVIDE

    OUT OF MY EYES / REDEEM/REVIVE

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    Erreur fatale ce jeudi. M. S. T. à Fontainebleau. Je ne connais point, mais l'ami Jean-Jacques est formel : avec un nom comme ça, ce sont sûrement des punks. Je ne lui donne pas tort. Me suis trompé sur toute la ligne et beaucoup plus grave de ligne. Le shoot de Maladie Sexuellement Transmissible c'était le 21, pas le 29. Ce soir-là, c'était le Trio Celtic Band. Davantage une bande – z'étaient six au coin de la cheminée – qu'un trio, sympathiques avec un joueur de pipeau infatigable, et un organiste pour étoffer le son, j'ai poliment écouté le premier set et j'ai dégagé en râlant. Je l'avoue bêtement, j'ai des préventions folk, je le trouve trop bavard. Le reste de la semaine coincé par d'autres convulsions à voir trente six mille étoiles, plus une, située à la perpendiculaire parisienne. Bref pas de concert, cette semaine. Une malédiction, les dieux allaient-ils m'abandonner ! Dix neuf heures, Hermès le messager me prévient, le metalcore remet la marmite à vingt heures au Chaudron. Je saute illico dans la teuf-teuf bolide qui bondit comme Jolly Jumper. Rien à dire, je suis lucky.

    Trois groupes plus une exposition photos. De quoi rendre un rocker heureux.

    ART'CORE / LAZURITE

    ( Exposition photographique )

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    Lazurite, les kr'tntreaders connaissent. Souvent elle nous a permis d'illustrer nos chroniques de ces photos, nous les créditons alors sous l'appellation ( de son facebook ) de Mlle Lazurite. Il est facile de rencontrer Mlle Lazurite, vous ne pouvez manquer sa longue chevelure blonde et son appareil photo et la grâce avec laquelle elle virevolte autour des groupes de metalcore qui transitent dans le sud de la Seine & Marne. Elle voltige de tous bords, devant la scène et backstage, elle n'est pas du genre à mitrailler à tout-va, elfe intrépide et bondissant elle sait choisir ses angles d'attaque. Elle donne l'impression de pressentir l'instant décisif où le cliché ne sera pas une simple vue mais l'expression essentialisée de ce moment magique où la chose représentée n'apparaît plus en tant que simple description d'elle-même, mais en tant qu'image-signe qui vous interpelle et vous révèle la profondeur d'une réalité qui vous force à darder votre regard au-delà de la frivolité des apparences.

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    ( photo : Jordan Darey )

    Mlle Lazurite ne prétend à rien. '' Je fais de la photo par passion uniquement, je ne suis pas photographe'' ose-telle dire dans sa présentation. Dans la même optique elle se contente de photographier les groupes qui partagent ou traversent les cantonnements géographiques de son propre lieu de résidence. Dans la série I support my local scene, il est difficile de faire mieux. Les groupes de par ici ne sont pas fous, savent qu'ils ne trouveront jamais meilleure représentation d'eux-mêmes, ils lui demandent souvent de couvrir leurs concerts. Autant la prier de chevaucher le tigre. Il y a une violence et une démesure dans l'esthétique du hardcore. N'importe qui peut prendre une photo – la plupart ne s'en privent pas – mais si vous désirez que les grands fauves en liberté sur leur terrain de chasse s'en viennent manger dans votre main, l'appareil ne suffit pas. Mlle Lazurite possède l'œil orphique, capable de capturer la beauté sauvage du rock'n'roll en pleine liberté.

    L'exposition se compose de vingt-quatre photographies, toutes prises dans différents concerts au Chaudron, ces deux dernières années. Nous-mêmes y avons parfois assisté et les avons-nous chroniqués. Vous en connaissez quelques uns : Anvil, Pogo Car Crash Control, Nakht, FRCTD, Aqme, Beast, Atlantis Chronicle...

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    ( Betraying The Martyrs )

    Il existe au travers du monde des milliers de photographies de concerts de rock. Pour la plupart elles souffrent d'un gros défaut. L'on n'entend pas la musique. Laissons de côté les milliers de vidéos qui dans quatre-vingt dix-neuf pour cent des cas ont une épaisseur sonore indigente. Il ne s'agit pas ici de jouer sur les paradoxes. C'est un vieux problème. Le lecteur curieux se rapportera aux écrits et déclarations théoriques de Stéphane Mallarmé sur la supériorité sonique de la poésie par rapport à l'intumescence orchestrale wagnérienne. De toutes les manières l'on ne peut qualifier une chose que par ce qu'elle n'est pas. Mlle Lazurite excelle en cet art. Le rock est musique, mais le rock est avant tout une attitude. Un art de vivre. De haute flamboyance.

    A première vue et en caricaturant il n'y a que des hommes et des guitares sur ces clichés. Mais cela est pratiquement superfétatoire. Avant tout il y a des postures et des positions. Des postures physiques et des positions métaphysiques. Mlle Lazurite est une fée objectivisante, elle fixe le mouvement dans son surpassement. L'image n'est que le point d'une asymptote proliférante de par son immobilité même dont la prégnance lazuritienne vous permet d'entrevoir l'idéalité de la courbure qui vous mène d'ici à l'ailleurs.

    Je n'en décrirai qu'une. Je ne l'ai pas choisie. Le sort et la fortune en ont décidé ainsi. Tombola à un euro, j'ai hérité de la photographie de Charlotte Aqme, bassiste du groupe Aqme. Qu'y voit-on ? Rien, qu'une guitare et une fille. Deux objets ( dans l'acception philosophique du terme ), cela est amplement suffisant pour susciter le désir de musique et de fusion, le don et l'appel. Représentation d'une bassiste, par sa basse, la table en guise de bouclier protectif et l'effilé du manche en harpon prêt à attaquer le monde. Le metalcore est avant tout une musique agressive. L'on ne voit pas le visage de Charlotte obstrué par ses cheveux, elle n'est plus Charlotte mais Diane Chasseresse, Artémis souveraine, armée de sa guitare carquois, de sa basse flèche. Ses doigts retenus sur le cordier indiquent la précision et la préciosité de la visée. L'image rejoint le mythe, cher à Platon. Reste que la féminité de Charlotte n'en est pas moins affirmée par le bombement de ses seins qui suscite la courbe idéelle de l'arc de sa chair. Mlle Lazurite vous profile l'âme, l'arme et l'acmé de Charlotte et du metalcore par la simple exposition de détails symboliques que son œil a su saisir, et disposer, afin de figurer la signifiance du réel.

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    Autre particularité des photographies de Mlle Lazurite. D'autant plus perceptible dans l'exposition qu'elle permet d'entrevoir beaucoup de clichés en grande dimension en même temps. De fait il n'y a aucune différence de perception entre le traitement du blanc & noir et de la couleur. Cette dernière n'ajoute aucune clinquance. Elle n'aguiche pas le regard, elle refuse de vous sourire. Tout comme son blanc & noir dédaigne de se la jouer dans le genre prétentieux. L'artiste ne cligne pas de l'œil, elle montre le monstre, et cela lui suffit. A vous de savoir voir. Et pourtant, il y a chez Mlle Lazurite des bistres démentiels et des mauves somptuaires. Pratique un filtrage alchimique de haut lignage dont elle garde le secret tout en l'exposant à la vue de tous. Tant pis pour les aveugles.

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    ( Across the divide )

    L'art de Mlle Lazurite procède d'une terrible exigence, celle de révéler la beauté convulsive du rock'n'roll et du metalcore à ceux qui sont dignes de la recevoir. Les photos de Mlle Lazurite palpitent à la manière des bleus intenses et profonds que sont les lapis lazuli qui irradient secrètement au plus fort de la nuit chaotique du monde.

    Damie Chad.

    N.B. : des centaines de photographies sur le FB : Mlle Lazurite. Plus qu'un témoignage, un regard.

    ACROSS THE DIVIDE

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    Sont tous les cinq figés en des poses hiératiques. Maxime Weber, les bras étendus en ailes de palmipède éployées, les jambes écartées de Régis Sainte-Rose dessinent un vaste arc-en-ciel hémisphérique, un sampler lyrico-tonitruant inonde la salle d'une profonde noirceur. Les deux guitaristes Jonathan Lefevre et Axel Biodore sont sur leur piédestal immobiles comme des statues de sel noir. Alexandre Lheritier se saisit de son micro et brutalement la voûte du ciel se fend en deux.

    Emporté, c'est le terme, vous êtes assailli d'une matière noire qui se referme sur vous. Une glue d'une extraordinaire densité dans laquelle vous devez vous frayer un passage. Across The Divide fore le tunnel. Vous n'avez que la voix stentorique d'Alexandre pour vous guider. Aux guitares Jonathan Lefèvre et Axel Biodore répandent de l'opacité mentale qui s'interpénètre en vous et étrangement cette musique brutale à angles droits et coupants devient intellectuelle. Une intelligence autre s'est emparée de votre cerveau et vous avez l'impression que vous pensez mieux, plus vite et plus juste que d'habitude. Une sorte de cocaïne à la puissance mille démultiplie l'acuité de votre perception, vous n'êtes plus vous, petit à petit vous éprouvez cette étrange sensation que vous devenez matière musicale que vous vous amalgamez à ce mur qui vous entoure et vous protège. Mystérieuse schizophrénie qui coagule en une seule coulée de lave sonore ce que vous êtes et ce que vous n'êtes pas.

    Et ces moments de repos, la musique tourne autour de vous comme des pales d'hélicoptères qui chercheraient à vous décapiter, vous aspirez à vous endormir dans ce vrombissement incessant... mais la donne change déjà, la pâte sonore se froisse comme un papier argenté de bonbon empoisonné. Vous n'êtes plus que concassage et marécage. Vous parvenez à vous extraire de vous-même et vos yeux sont happés par la scène, sont là tous les cinq dans leur assourdissance prophétique, le silence règne, ce n'est qu'une illusion, mais le bras de Régis en arrondi au-dessus du manche de sa basse, est-ce Sainte Cécile jouant de la harpe sur l'aile d'un ange ou l'aile blessée d'un albatros que le gouffre amer de la mer tempétueuse se prépare à avaler ? Across The Divide est une invitation aux voyages dans les pays du rêve et des cauchemars.

    Across The Divide déploie les tentures de l'angoisse du minuit. Ce cœur de l'obscurité, cet instant fatidique pendant lequel la nuit qui agonise laisse place à une autre nuitée encore plus longue. Peut-être existe-t-il un interstice, une jointure signe de brisure entre ces deux dalles funèbres, Across The Divide le laisse entendre mais vous pousse en avant, vous indique le passage mais vous interdit de faire halte afin d'en démasquer le système secret d'ouverture. Le son s'enserre autour de vous et s'insère en vous comme un poème funéraire, enfermé dans votre cercueil, il vous faut du temps pour comprendre et encore plus pour admettre que vous êtes en train d'entendre le requiem de vos obsèques. Lorsque la musique s'achève – le set a été somptueusement long – vous vous apercevez que vous êtes vivant. Tout juste si vous ne le regrettez pas. Troisième fois que j'entends le groupe, il a gagné en intensité et en cohésion. Des trois sets, il est celui qui s'est approché le plus d'une certaine idée liturgique de la beauté.

    OUT OF MY EYES

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    Sont tout contents. Viennent en remplacement de Resolve qui s'est désisté. Un batteur, deux guitares et un chanteur. Trois costauds et un petit. Mais dès qu'il a porté le micro à ses lèvres tout le monde a compris qu'il aboyait plus fort que le tonnerre. Pourtant derrière ils en font du bruit, remuent la tourmente bellement, tempête dans le désert et océan en furie. Mais ce n'est rien. Pas pour rien que leur dernier morceau s'appelle Anubis. Corentin Graveiro glapit entre les pyramides et des murailles de pierres s'écroulent sur vous. Même pas le temps de vous en rendre compte, c'est déjà fini. Un extraordinaire show-man qui se fout du spectacle. N'est pas là pour se faire valoir. L'est ici pour emmener le son à son plus haut point d'incandescence. Court partout. Difficile à suivre des yeux et tout à coup sans prévenir, il lui suffit d'un geste pour que tout s'arrête au dixième de seconde près. Ce n'est pas le silence, car les samplers règnent en bruit de fond, mais la rupture est là. Franche, nette sans bavure. Les morceaux ne sont jamais très longs mais quand ils stoppent c'est alors que l'impact déboule sur vous. Jusques à lors vous ne ressentiez que l'onde et maintenant le choc vous démantibule les neurones. Un trente-huit tonnes, freins serrés à mort et roues ancrées dans le goudron, mais que l'énergie cinétique de sa seule masse projette en avant. Un peu comme si l'irradiation atomique de votre volonté s'arrachait de vous et s'enfuyait par vos yeux.

    Corentin vous surprend toujours, jamais là où l'on l'attend mais d'une présence absolue. Porte le blouson et la hargne du rocker prêt à vous enfoncer encore la lame de métal de son cran d'arrêt dans votre moelle épinière pour mieux vous faire comprendre que la vie est une épine empoisonnée dont vous devriez vous méfier. Enchaîne les titres sans perte de temps, Og Gold, Renegade, Addictions, Ritual, laisse le temps à ses acolytes de tisser leur trame de fer. La batterie jouée comme à l'envers, comme s'il s'agissait non pas de sortir le son mais au contraire de l'enterrer, de l'effondrer dans des abysses souterraines sans fond. Le son capté selon une chute tonitruante, le bruit de l'engloutissement de la maison d'Usher à la fin du conte d'Edgar Poe, Out Of My Eyes joue sur l'ampleur focalisatrice du ressassement sonore sur lui-même, le serpent maléfique qui s'enroule sur ses propres anneaux, et Corentin le farfadet à haute voix qui s'en vient tuer le monstre. Le saisit à peines mains et l'étrangle avec le lacet de ses cordes vocales. Ce sont les cruelles meutes perverses d'Hécate qui hurlent au fond de son gosier.

    Rien ne dépasse. Une boule de feu noire refermée sur elle-même. Qui brûle sans flamme apparente. Combustion intérieure. L'ovni venu de nulle part qui se pose dans un champ de marguerites et stérilise la terre entière. Les guitares cisaillent les racines de la vie et aspirent l'oxygène que vous tentez encore d'inhaler, mais il est trop tard, Out Of My Eyes referme ses yeux et la couleur du monde disparaît.

    Un set relativement court, mais ô combien percutant. Genre de groupe qui s'impose par l'estime. Rien à reprocher. Vous laisse muets d'étonnement. Une démonstration. De ce qu'il faut faire si vous voulez parvenir à un maximal de cohérence et de reconnaissance. Séduisant et percutant. Boxe française.

    REDEEM/REVIVE

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    Proviennent de Californie. Une véritable migration, six sur scène. Un drummer, deux chanteurs et trois guitares. Bien sûr qu'il y a un bassiste parmi elles, mais ça ne se voit pas et ça ne s'entend pas. Vous avez trois guitares, un point c'est tout. Qui jouent ensemble et pas à côté l'une de l'autre. C'est la différence de culture entre les amerloques et les frenchies. Ont des racines rock'n'roll que nos métalleux ne connaissent plus, nos formations se contentant de bâtir leur empire sonore sur les groupes préexistant à leur génération. Parfois de très peu de temps. La différence est éclatante ce soir, les ricains puisent aux racines, n'ont peut-être aucun mérite car ils en sont imbibés depuis leur enfance, et les grenouilles s'en tirent comme elles peuvent. Pas si mal que cela. N'ont pas reçu la substantifique moelle nourricière, alors ils la remplacent d'instinct par un certain esthétisme sonore. Sont en cela fidèle à leur provenance culturelle européenne. Suffit d'écouter le rock anglais pour s'apercevoir que les britihs quoique en partie épargnés grâce à leur transmission folklorique populaire ont engendré une pléthore d'artistes qui de Led Zeppelin à Bowie ont été longuement obnubilés par le traitement esthétique des formes musicales venues d'ailleurs qu'ils essayaient de s'approprier.

    Mais revenons à nos californiens en tournée en Europe. N'ont pas quitté la salle durant les passages des deux groupes précédents, visiblement intéressés et se lançant entre eux dans de longs commentaires que leur impossible accent rendait parfaitement inaudibles. Dommage, c'était le moment de se livrer à de l'espionnage industriel. Z'ont deux shouters, l'un blond, l'autre brun, l'un jeune affublé d'une tunique marquée en grosses lettres de l'inscription punkitozoïdale '' I hate everyone'', le senior d'une stature avantageuse qui hurle de toute sa voix. Se partagent les lyrics, le blondinet hélas mal desservi par un micro défectueux. Pas possible d'apprécier à leur juste valeur les jeux d'impédance de leurs deux timbres, la rugosité de l'un mise en valeur ( pour le peu qui fut audible ) par la blancheur déstructurante de l'autre. Embêtant certes, mais le reste de la formation tricote si bien que cela en devient quasi secondaire. Un maillage serré, nous tissent un superbe background d'une terrible efficacité. Un bel exemple d'adaptabilité aux circonstances. Quand le vent emporte la mâture, ce n'est pas bien grave, l'on sort les rames et personne ne verra la différence. Une belle leçon à méditer. Malgré les défaillances techniques, un set superbe.

    Damie Chad.

    ENCOUNTERS / ACROSS THE DIVIDE

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    Enigmatique pochette. Un ciel terrestre, couleur croûte, seule une lueur orange éclaire quelque peu un profil de montagne, sur un mamelon se dessine une solitaire silhouette trop grande peut-être pour être humaine, au dos de ce double feuillet qui sert de livret intérieur, un paysage de même type s'offre à notre vue, la voûte non étoilée présente toujours la même couleur brune si ce n'est qu'un trait jaune et blanc semble la dernière marque d'un soleil en train de s'effondrer. Le dos du boîtier semble plus rassurant, un paysage se dévoile, est-ce un fleuve ou une piste d'atterrissage, dans le ciel marron est tracée une étrange constellation qui semble représenter un pantin en marche, maladroit dessin tracé à la règle par un enfant géométrique. Le CD et le fond sur lequel il repose évoque un kaotique paysage lunaire.

    Intro / Forgive me ( Fear and Fallen Part 1 ) / A tale / The mirror / Sail away / Defenseless / Carry on / Lies / Succeeders ( Fear and Fallen Part 2 ) / Repent / Dull / Unfalling grace / My last dawn : treize titres à entrevoir comme un seul oratorio crépusculaire. Avec cette incertitude que le crépuscule du matin vous libère de la nuit et celui du soir vous y emmène. La musique d'Across the Divide oscille entre ces deux postulations, celle de l'éveil et celle de la menace. L'intro résonne comme un coup de trompette mécanique qui ne laisse présager rien de bon, et rien de mauvais. Il y a deux voix – et peut-être deux voies – celle qui grogne, le loup dans sa tanière, le sanglier dans sa bauge, la brute en vous, et l'autre plus fine, celle du chien qui s'efforce à ressembler à l'homme que nous portons en nous. Une alternance, le noir charbonneux et des éclairs de lumière. Across The Divide a mis la machine en marche, celle qui émiette l'aube et qui en même temps fragmente la nuit. Rythme rapide et intraitable, parfois vous avez l'impression que l'on allège le son pour prendre de la hauteur, mais très vite on remplit les cales de lest pour mieux toucher le fond. Deux voix et pas vraiment un dialogue, l'impression d'une solitude tour à tour insupportable et festive. Se répondent comme l'écho qui se répercute mais qui revient au même, se mirent en elles-mêmes comme si la traversée du miroir était une parallèle infinie. C'est pourtant l'opposition de ces deux timbres, l'un clair de lune, et l'autre face cachée, qui imposent le tempo. Accélérations de vomissures, et dégueulis de yaourt sonore pour l'une, et réminiscence d'une certaine sérénité perdue, mais pas oubliée, pour l'autre. Peut-être parce qu'il est plus difficile de se rencontrer soi-même que de croiser ses congénères. Une musique pour ainsi dire sérielle qui se perd dans le mouvement infini de ses notes bâties comme une succession d'alvéoles solitaires. Across The Divide sonne le glas – froid et glissant – de la partition individuelle. Difficile de recoller ses propres morceaux et de s'en aller tout guilleret gambader sur la voie lactée. Nous sommes un puzzle de sauvageries inouïes et de fragilités innocentes. Parfois la musique d'Across The Divide s'abandonne sur des plages de pur lyrisme et parfois elle s'engouffre dans des cul-de-sacs labyrinthiques. Mais nous savons où elle nous mène. Au bout de nous-mêmes. Peut-être pas le meilleur endroit où il fasse bon vivre. C'est à vous d'en juger. Une superbe réussite.

    Bonus Tracks : The mirror ( Trap version ) / Worthless : ( Rose Thaler remix ) : il semblerait qu'Across The Divide, ait voulu nous quitter sur une note plus sereine. Un peu comme s'ils voulaient se faire pardonner la transparente noirceur de leur vision existentielle qu'ils viennent de nous exposer. Ces deux versions sont rassurantes certes, mais l'attirance des gouffres intérieurs, quoique dangereuse, est autrement plus fascinante.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    EPISODE 10 : LE BOUT DU CHEMIN

    ( adagio angoissono )

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    Au même instant je perçus un léger tapotement amical sur mon épaule droite, je me retournai et me trouvai illico face à face avec Alfred. L'était suivi par une splendide jeune fille qui portait un stylo bille, ma secrétaire dit-il, et tout de suite il exhiba le numéro Spécial-Catastrophe-Roissy de Match. Nous l'avions oublié, mais Alfred avait vraiment fait du super boulot. En une, une fantastique photo de Darky, de tout son long, les pieds sur le tableau de bord, de là votre regard remontait sur son jean déchiré à l'entre-cuisse, l'on quittait à regret cet endroit paradisiaque pour l'horreur de son T-shirt taché de sang, et l'on frissonnait d'horreur et de pitié devant son visage exsangue, ses cheveux aussi emmêlés que les huit pattes d'une tarentule, la photo choc éros et chic abîmal. L'article relatait comment deux berlines noires et officielles du gouvernement français avaient imprudemment traversé les pistes de l'aéroport causant la plus terrible des catastrophes aériennes et le dévouement exemplaire du brigadier Lechef, brillamment secondé par la gendarmette Kruchet et l'agent Chad, ils s'étaient élancés « ils n'étaient pas en service et dégustaient innocemment après une dure journée de travail un petit verre de Moonshine Polonais à la terrasse d'un café de l'aérogare » n'écoutant que leur courage et leur esprit d'initiative ils avaient récupéré une camionnette de police dont les membres étaient descendus pour coller une contravention et quelques baffes bien appliquées au jeune conducteur d'un scooter, manifestement en état d'ivresse, puisque noir de la tête au pied, bref ils s'étaient approchés d'un avion en flammes, et n'avaient pas hésité à pénétrer dans la carlingue en feu dont ils avaient réussi à extraire le corps pantelant et inanimé d'une pure jeune fille, qui leur devait la vie... La suite de l'article était beaucoup plus politique et soulevait des questions embarrassantes, que venait donc faire les deux berlines noires officielles, quelle était leur mission, et pourquoi le gouvernement avait-il organisé le black-out sur cet événement ?

      • L'on en a vendu cinq cent mille exemplaires dans tout l'hexagone, une idée de marketing géniale, des voitures arrêtées sur les ronds-points avec des vendeurs revêtus d'un gilet jaune, une pagaille monstre sur tout le territoire, des milliers de tricheurs revêtant leur gilet fluorescent dans l'espoir d'en grapiller un gratuit ! Ah ! Damie le pays est en ébullition, depuis le début de la journée mon salaire a déjà été doublé six fois, et ce soir c'est le summun ! Darky est en concert, j'ai déjà commencé à dicter le Spécial numéro 2 à Lisette, ma secrétaire, quelle chance extraordinaire, notre jeune fille romantique transformée en meneuse de revue rock'n'roll, un truc à décoiffer la France, faut que je m'approche de la scène pour les photos.

    THE SWARTS

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    Darky fut splendide, s'enroulait autour du micro comme un boa autour de la plus haute branche d'un baobab, et puis crac elle se laissait tomber sur la foule qui se saisissait d'elle, la pétrissait de mille mains avides, la prédatrice se transformait en proie, laissait échapper des miaulements de panthère coïtée par le membre viril d'un mâle en furie, se laissait porter en triomphe à bout de bras, dans la pose languissante de Cléopâtre sur son lit de mort – le lecteur curieux se rapportera au tableau de Jean-André Rixens – pendant ce temps les Eric produisaient une espèce de bouillie sonore que l'on ne pourrait comparer qu'au buisson d'épines ardent par lequel Dieu est censé se manifester aux esprits désormais éclairés par sa présence. Les fournaises du Diable en surchauffe... Le concert dura deux heures. Il en existe une vidéo-pirate que vous pouvez acquérir à prix d'or, certains ont revendu leur maison pour entre en sa possession, couchent sous les ponts depuis, mais ne l'ont jamais regretté. Toutefois je ne suis pas ici en train de rédiger une kronic pour KR'TNT, aussi passerai-je au plus vite à la suite des évènements que le Chef – je vous le rappelle, chers alzheimériens – avait qualifié de la nuit la plus longue...

    VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT ( 1 )

    Svarty faisait ses au revoirs à public – aussi émouvants que l'abdication de Napoléon dans la cour des Adieux de Fontainebleau '' Hey ! Fuckin'girls and fuckin boys, bye-bye ! Keep rockin' till next time !'' Lorsque deux fusées rouges s'élevèrent des deux bouts de la rue. Je ne vous l'ai pas dit pour ne pas vous gâcher la soirée mais ce que le Chef m'avait demandé de regarder, c'étaient ces centaines de CRS et de gardes-mobiles qui barraient les deux entrées... Il y eut un grésillement et une voix s'éleva – je reconnus sans peine celle du Président : '' Ne bougez plus, vous êtes tous en état d'arrestation, nos valeureux policiers vont venir vous chercher pour vous faire monter dans les fourgons qui vous conduiront en prison ! Désormais le rock'n'roll est interdit sur tout le territoire français ! ''. Sur ce les fenêtres de nombreuses fenêtres s'ouvrirent – elles avaient été investies à notre insu par les jardins de derrière dont sont pourvues de nombreuses maisons provisoires - et apparurent des policiers munis de teasers et de lance-grenades. Jubilatoire la voix reprit : '' Rendez-vous, vous êtes cernés, toute fuite est impossible''.

    Hélas, impossible n'est pas rocker. Il n'y eut même pas un demi-dixième de seconde de stupéfaction, le Président avait tout prévu dans son plan diabolique d'éradication du rock'n'roll, sauf que les réactions du rocker de base échauffé depuis des heures par le Moonshine Polonais sont imprévisibles. En un même mouvement la foule se précipita sur les milliers de cadavres de Moonshine qui traînaient partout, n'y avait qu'à se baisser... Une pluie de bouteilles s'écrasa sur les pauvres pandores envoyés au casse-pipe. Pensèrent se protéger derrière leurs boucliers de plastique transparents. Ce fut encore pire, arrêtèrent bien les premiers lancés mais le verre fracassé volait en éclat et tailladait leurs costumes de Ninja. Ne tardèrent pas à reculer et à déserter les fenêtres, mais il y a toujours des petits futés, certains s'aperçurent qu'il suffisait de mettre la flamme de leur briquet devant une bouteille de Mooshine pour la transformer en cocktail molotov, les fourgons et les camions à eau en firent la triste expérience...

    Le guet-à-pan se transforma en désastre. Durant des heures la ville se transforma en chasse à courre. Au petit matin les derniers groupes de sécurité républicaine et sociale s'enfuyait dans les champs de betteraves poursuivis par des hordes de rockers vindicatifs animés par un l'esprit de vengeance fortement déçus et furieux de n'avoir pas eu le temps de recueillir un autographe de Darky...

    VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT ( 2 )

    Pendant ce temps pour nous remettre de nos émotions, nous savourions à petites lampées gustatives, un Moonshine de derrière les fagots, la cuvée spéciale du patron, l'orgueil de Popol, dont il entreprit pendant que nous devisions sereinement de transvaser le contenu de quinze bouteilles dans son nabuchonodosor, devant nos yeux étonnés, il se contenta de marmonner :

      • Non d'une pipe, il n'y a pas de raison !

    Nous aurions bien aimé en savoir plus, mais les déclarations de Cruchettes nous empêchèrent de poser les questions adéquates :

      • C'est décidé Chef, à la fin du mois je rends mon tablier, je vous file ma démission, fini le ménage et la cuisine, je fais comme Darky, je deviens chanteuse de rock'n'roll, j'ai enfin trouvé ma voie !

      • Mais avez-vous une voix, tenta d'implorer le Chef, je vous avoue que penser que je devrais désormais me priver de vos pizzas, me navre, j'en suis tout désarçonné, agent Chad passez-moi vite un Coronado, et avez-vous réfléchi à ce qu'en aurait dit votre père ?

      • Chef, mon père, c'est de l'histoire ancienne, il est mort, et avec lui, c'est la noire époque du patriarcat qui a été enterrée. Ma décision est prise, elle est irrévocable, désormais je ne porterai plus jamais de culotte, et je suis le futur du rock'n'roll !

    Les applaudissements approbateurs des Eric furent brusquement recouverts par un énorme grondement de moteurs. Nous n'eûmes pas à attendre longtemps pour savoir de quoi il en retournait. Décidément le Président était un teigneux. Cherchait la guerre. L'avait fait appel à l'armée. A vingt mètres de la devanture trois énormes chars d'assaut s'en vinrent pointer leur canons droit sur nous.

      • Mazette, murmura le Chef, j'ai intérêt à allumer un nouveau Coronado.

    Mais ce n'était pas fini, un vaste cordon de commandos de marines, se déploya en un vaste arc de cercles, la plupart étaient porteurs de lance-roquettes des plus prometteurs. J'ai la l'honneur et la tristesse d'avoir à rendre compte pour la vérité historique de deux faits des plus importants. L'un glorieux. Kruchette n'hésita pas une seconde, elle sortit, tourna le dos aux militaires et souleva sa jupe. '' Et mon cul, ce n'est pas du poulet !'' hurla-telle, Alfred et le réflexe d'immortaliser cet instant historial où l'on put découvrir que Kruchette fidèle à sa parole ne portait plus de dessous. L'on peut dire que c'est la première déculottée qui fut infligée à l'ennemi.

    Il me faut en venir maintenant à ce que j'aurais aimé n'avoir jamais à relater. La désertion de l'un des nôtres. Une souillure sans nom. Une tache que nul sang expiatoire ne saurait lavé. Qui me touche particulièrement. J'eusse même préféré que ce fût moi qui eus commis cet acte ignoble. Mais non, il était écrit que je porterai une croix plus lourde que celle du petit Jésus. La prunelle de mes yeux, l'amour de ma vie, ma raison de vivre, s'enfuit au galop. Non je n'accepterais aucune circonstance atténuante, il est vrai que Popol lui avait versé une grosse rasade de sa cuvée spéciale, mais ce n'est pas une excuse. J'eus l'impression que mon coeur se déchirait en deux, au début je crus être victime d'une vapeur cauchemardesque hallucinatoitre, mais non, je dus admettre la terrible vérité, Molossa, ma Molossa, la divine Molossa, s'enfuyait à la vitesse de ses quatre pattes, les oreilles baissées, la queue entre les jambes, elle disparaissait déjà derrière les blindés quand la voix du Président s'éleva :

      • J'ai horreur que l'on abuse de ma patience, je vous donne une heure pour vous rendre, juste pour permettre aux médias du monde entier de venir filmer en direct la destruction d'une entreprise terroriste du rock'n'roll qui depuis des années mine sournoisement le moral de notre saine jeunesse. Quand je pense à la déplorable exposition voici à peine quelques minutes de cette délurée...

      • Je m'appelle Cuchette et je t'emmerde !

    Rien à dire Kruchette avait du répondant et une belle voix ! En plus elle l'avait réussi à vexer le Président '' Puisque vous le prenez comme cela, je me tais, tant pis pour vous, il vous reste cinquante-neuf minutes à vivre, au revoir''

    J'ai le regret de le dire mais nous n'étions pas fiers, la situation était désespérée, le Chef avait beau fumé un dernier Coronado avec son flegme habituel, cela ne nous rassurait que moyennement. Par les vitres nous aperçûmes les caméras du monde entier qui commençaient à s'installer fébrilement, un peu partout, de partout du Japon et des USA, de Tanzanie au Portugal... Le temps s'écoulait lentement et très vite... '' Plus que deux minutes'' susurra Popol, en débouchant une dernière bouteille de Moonshine, Elisabeth voulut m'embrasser, le hasard voulut que mes yeux se portassent à l'extrême gauche de la ligne des commandos, le soldat qui était appuyé sur le mur d'une maison, s'écarta d'un geste agacé, je pensais que c'était le dernier détail insignifiant que mon cerveau enregistrerait. La voix du Président s'éleva : « cinquante-huit, cinquante sept, cinquan...''

    ( A suivre )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 375 : KR'TNT ! 395 : GARY MOORE / SPIRITUALIZED / THE HILLBILLIES / JALLIES / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 7 ) / ROCKAMBOLESQUES ( 9 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 395

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    29 / 11 / 2018

     

    GARY MOORE / SPIRITUALIZED / HILLBILLIES /

    JALLIES / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 7 )

    ROCKAMBOLESQUES ( 9 )

     

    Gare à Gary Moore

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    Dans trois mille ans, les Égyptologues s’interrogeront en découvrant l’album de BBM, Around The Next Dream : qui fait la grandeur de l’album ? Ginger Baker, Jack Bruce ou Gary Moore ? En fait, ils seront obligés de raisonner en termes de Cream et de se dire : finalement, ça ne tient que parce qu’ils jouent ensemble. Jack ne tient que par Ginger et Gary Moore ne tient que parce qu’il se prend pour Clapton, même s’il apporte un son plus riche. Dès «Waiting In The Wings», Jack met le brouet en coupe réglée. Il lie la sauce, alors Gary Moore peut partir en virée wah wah. Il devient viral, mais trop viral. Comme on le remarquait déjà dans Cream, le son semble séparé en trois. C’est la partition, comme au temps de la création du Pakistan.

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    L’un des hits de l’album s’appelle «What In The World», heavy balladif à consonance magique et chanté à l’océanique. Jack et Gary Moore trouvent de bons compromis et ne se préoccupent que de puissance imprescriptible. Allez, tiens on passe directement au coup de génie : «Glory Days». Ils se rapprochent ici de l’époque Disraeli. Jack tremble son chant et sa bassline triomphe. Lui et Gary Moore se partagent les tâches ménagères. Tout va bien lorsque soudain, les colonnes des enfers se forment et Jack plombe l’extraordinaire pathos en donnant une suite métabolique à «Brave Ulysses», au son des trompettes. C’est là que s’ouvre la Mer Rouge pour livrer passage aux chars de Gary Moore. Épopée spectaculaire ! Jack explose le cinémascope en technicolor. On assiste à un fantastique shoot d’extrême rock pulsé par deux démons échappés des bréviaires. On se croirait encore sur Disraeli avec «Why Does Love (Have To Go Away)».

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    Rien d’aussi beau, pur jus de We’re going wrong. Jack chante à l’octave menacée, il crée des mondes à n’en plus finir, il élève des tours de Babel par dessus les toits, il joue la carte des relances infinitésimales, il trempe dans l’horreur de la rédemption absolutiste, Jack chante avec une force indescriptible, tout bascule dans l’envers du décors, tout est saturé de ce génie sonique qui caractérise si bien les Cream de Disraeli, et ça prend de l’ampleur à ce point précis, si précis, oh Lord, alors forcément, ce diable de Gary Moore a une veine de pendu, il peut jouer avec des Jack et des Ginger qui sont les membres fondateurs de l’ORB, c’est-à-dire l’Ordre du Rock Britannique - Set yourself free ! - On découvre ici l’intériorité du rock anglais. Avec un mec comme Jack, tu es en sécurité, il va te créer un monde où tu sera heureux. Tu peux te mette à l’aise, Ginger bat aussi pour toi et Gary Moore amène son avoine pour avoir du son et là c’est vrai qu’il outrepasse Clapton, il le dépasse à plates coutures, il joue des milliards de notes pulvérulentes, il fait pleuvoir des déluges pharaoniques, il fait rissoler la rivière Kwai, il ouvre les vannes du barrage contre le Pacifique, il trashboume uh-uh des myriades de dégoulinades et plie le déluge de Dieu à sa volonté. Il faut savoir que les apocalypses orchestrées par Jack se terminent toujours bien.

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    Ils enchaînent avec «Naked Flame», un extraordinaire balladif léthal que Jack chante au crépuscule des dieux. Ils tapent «I Wonder Why ( You Are So Mean To Me)» d’Albert King au british beat des origines. Jack fait chevroter sa basse, comme au temps de Graham Bond. Ils savent rester effarants de véracité. Ils ne relâchent jamais la pression. «City Of Gold» se rapproche de l’esprit Cream. Jack y prend le taureau par les cornes et Ginger bat au débotté. C’est Gary Moore qui chante, mais avec une voix de petite bite, et là, il ne fait rien pour se rendre sympathique, pendant que la basse de Jack pilonne la zone. Ils enchaînent deux heavy blues à la suite, «Can’t Fool The Blues» et «High Cost Of Living». Gary Moore joue au gras double de Leslie West et passe en force. Ses solos coulent comme l’Or du Rhin dans une lumière à la Murnau, loin là-bas à travers la Forêt Noire. Il joue le sur-jeu jusqu’à la nausée d’ad-vitam eternam ad nauseum sanctus, amen. Son Cost of Living sent le cousu-main de maître, il sur-joue une fois de plus à la dégoulinade prodigieuse. Mais Gary Moore n’est pas et ne sera jamais Thomas Moore. Jack chante à fendre le cœur - Oh the more I have to pay - Gary Moore rajoute des couches par-dessus les couches, il sur-navigue et épitomise le solo de blues, il joue à n’en plus finir. On reste dans le heavy blues-rock avec «Danger Zone» - It’s a shame I don’t know which way to go - Solide et beau, gras et heavy, Gary Moore joue à la régalade. Forcément, avec des mecs comme Jack et Ginger derrière, ce genre de cut frise la perfection, d’autant que Jack et Ginger ne le sur-jouent pas, car ce sont des gentlemen. Gary Moore repart sans fin dans les méandres de ses désidératas, il joue à l’éberluante consommée dans une débâcle de vagues de boue sonique, il joue vraiment à la vie à la mort et ça finit par impressionner. On finit même par comprendre pourquoi des mecs comme Jack et Ginger voulaient jouer avec lui. Gary Moore monte sur les barricades et offre sa poitrine au feu des ennemis de la République. Mais personne ne lui tire dessus, tellement il est bon. Ils reviennent au heavy british blues avec «The World Keeps On Turnin’» signé Peter Green. Alors prosternez-vous mes frères, car c’est chanté à la nobody knows the way I feel, ils sont dans le vieux moule, Gary Moore fait son virulent et Jack le suit à la trace dans le courant du fleuve en crue. Suprême et ultra-joué. Ils tapent à la suite leur vieux «Sitting On Top Of The World». Jack le prend par les cornes. On est au cœur du mythe, d’autant plus au cœur que Jack le chante avec passion. Il soutient les effluves de Gary Moore aux pouets de basse et nous plonge dans la stupéfaction. Et toute cette belle aventure s’achève avec l’«I Wonder Why», d’Albert King, fantastique coup de shuffle. Jack et Ginger shakent le shook comme personne, on est dans l’énergie de Big Albert et on assiste là à une virée de tous les diables.

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    Harry Shapiro rappelle dans un très bel article de Classic Rock que de rejoindre Jack Bruce et Ginger Baker fut pour Gary Moore inespéré - A dream come true - Mais le rêve n’allait pas durer longtemps - It was over almost as soon as it began - Comme un rêve. Déjà fini alors que ça vient juste de commencer. Pfffuiittt, plus rien. Back to reality.

    En 1993, Jack Bruce lui passe un coup de fil :

    — I’m in trouble, Gary. Mon guitariste Blues Saraceno vient de me lâcher pour aller jouer avec Poison, et j’ai des dates bookées à Esslingen, en Allemagne. Steve Topping peut jouer le premier soir, mais pas le deuxième. Ça t’intéresse ?

    — Oh oui Jack !

    Le concert d’Esslingen se passe si bien que Gary pose la question fatale à Jack :

    — Je vais enregistrer mon prochain album solo. Ça te dirait Jack de composer des trucs avec moi ?

    — Oh oui Gary !

    Puis Jack fête ses 50 ans sur scène à Cologne et il invite tous ses vieux potes, Dick Heckstall-Smith, Pete Brown, Clem Clempson, Gary Husband et Ginger Baker.

    — Si tu veux venir, tu es le bienvenu, Gary.

    — Oh merci Jack !

    Et il se retrouve dans les godasses d’Eric Clapton à jouer «NSU» sur scène avec Ginger et Jack. Ils enchaînent avec «Sitting On Top Of The World», «Politician», «Spoonful» et «White Room», la crème de la Cream. Boostés par ce concert, Jack et Gary composent d’arrache-pied : «City of Gold», «I’m In The Wings» et «Can’t Fool The Blues». Quand Jack suggère à Gary de faire appel à Ginger pour enregistrer les nouveaux cuts, Gary avale son thé de travers :

    — T’es vraiment sûr, Jack ?

    — Oh oui, Gary !

    Le monde entier connaît la relation d’amour/haine qu’entretiennent Jack et Ginger. Les voir tous les deux monter sur scène un soir, ça passe encore, mais de là à rester plusieurs jours de suite dans un studio, c’est une autre histoire. On ne peut donc plus parler d’album solo de Gary Moore, avec Jack et Ginger dans les parages. Ça devient le projet d’un groupe à part entière, il faut donc un contrat. On peut même parler de super-groupe. Alors, il faut aussi un nom. Ils sortent des trucs comme Rocking Horse, Mega Bite, Herbal Remedy, Piece Of Cake, Thrilled To Bits et Expanding Universe. Ça se termine avec BBM.

    Et curieusement, l’enregistrement se passe bien. Tout le monde trouve ça louche. Quoi ? Pas d’engueulades entre Jack et Ginger ? Comme Gary est un maniaque du timing, il demande à Ginger de jouer avec un click-clack et Ginger l’envoie chier. No way ! Par contre, Ginger se prête sans problème au petit jeu de l’ange, pour la pochette. L’album paraît en 1994 et le groupe part en tournée. Les gens à l’époque considèrent qu’il s’agit d’une reformation de Cream. «Il n’ont pas pu récupérer Clapton, alors ils ont pris Gary.» Des critiques vont même jusqu’à dire que Gary a out-Gibsonned et out-Marshalled Clapton. Et c’est là, en tournée, que les Athéniens vont s’atteignir.

    Premier set au Marquee et Gary n’amène qu’un Marshall 50 W. Jack fait installer ses trois bass rigs et bham ! It nealy blew me from the stage, s’épouvante Gary. On n’entend plus que la basse ! Après le concert, Gary chope Jack pour lui parler. Mais il tombe sur un os.

    — Je n’aime pas parler après les concerts, I have a rule, t’as pigé Gary ?

    — Oh oui Jack !

    Gary tombe ensuite sur Ginger qui fume sa clope sur le trottoir et qui lui sort, d’un ton acerbe :

    — Tu vois Gary, c’est ça qui a ruiné Cream. Jack joue trop fort.

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    Le groupe tourne en Europe et les meilleurs concerts sont ceux donnés en Espagne. Pour Gary, BBM est un magical band. On évoque dans la foulée la possibilité d’une tournée américaine, mais soudain, Gary se plaint d’avoir mal aux oreilles. Ça ne plait pas du tout à Ginger qui a vu Gary mettre son ampli à fond. Quoi ? Il vient ensuite se plaindre d’avoir mal aux oreilles ? Mais c’est n’importe quoi ! Ginger a raison, c’est n’importe quoi. Mais il n’est pas au bout de ses surprises. Voilà que Gary annule le concert du Zénith à Paris car il s’est blessé le doigt avec une agrafe. Ginger est obligé de se marrer. Il est trop con, ce Gary ! Même s’il se marre, Ginger est à cran. Toutes ces conneries lui tapent sur les nerfs. L’épisode suivant est celui du concert de Brixton : Gary veut répéter, mais Ginger ne veut pas. No way ! Ginger se met en pétard. Il rend Jack responsable de tout le bordel : «I’m gonna kill that Jack Bruce.» C’est là que le magical band BBM disparaît sans laisser de trace.

    Signé : Cazengler, Gary Morve

    BBM. Around The Next Dream. Virgin 1994

    Harry Shapiro. The Impossible Dream. Classic Rock # 243. December 2017

    La voie Spiritualized

    Jason Pierce et Sonic Boom occupèrent dans l’underground des années 80-90 sensiblement le même rang que le Gun Club, Gallon Drunk, les Cramps, The Make Up et les Saints, le rang réservé aux groupes influents. On parle bien sûr d’une influence toxique, d’un impact comato-critico cryptique.

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    Après s’être séparé de son compagnon Sonic Boom, Jason Spaceman mit le cap sur une nouvelle orbite, celle du gospel-trash-boom psychout so far out et il allait s’y consacrer corps et âme, avec Spiritualized. Mais il ne parvint jamais à stabiliser le line-up du groupe, pas plus qu’il ne parvint à stabiliser son hépatite. On ne sait pas combien de fois il a échappé à la mort, mais on sait que sa vie ne tient plus qu’à un fil.

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    S’il existait un hit-parade des albums soporifiques, Lazer Guided Melodies arrivait probablement en tête du classement. C’est d’un lymphatique qui dépasse largement les bornes. Notre pauvre Jason s’y traîne comme une larve. Le temps des Argonautes est révolu ! Le seul cut sauvable de l’album s’appelle «I Want You», car Jason y pique une belle crise de Stonesy. On sent chez lui un goût certain pour le groove fuselé, tu sais, celui qui file dans l’espace psychédélique des perversions chimériques. Il concocte aussi un petit spasme intitulé «Run» avec des petits blurps de Run Run Run pompés dans le Velvet. Dans un souci constant de velouter son son, bien sûr. Ah l’ouate ! Que serions-nous devenus sans l’ouate !

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    S’ensuit un Fucked Up Inside live paru en 1993. Très belle pochette. On y voit les pédales d’effets de Jason Spaceman dans un univers de couleurs saturées (Pomme U dans Psd). Comme on le constate à l’écoute de «Take Good Care Of It», ils sont longs à démarrer. On entend même Charles Bronson jouer de l’harmo. C’est vrai, on attend très longtemps l’entrée de la basse. Par contre, les bassistes se régaleront avec la belle version d’«I Want You». On y entend une bonne ligne de basse anglaise classique, jouée aux notes bien rondes sur de jolis escaliers de gammes de manche, plus quelques enroulés adroits et élégants glissés dans le feu de l’action. Et Jason nous rajoute un coup de sax de fusion au cul du cut. Excellent. Il manie avec brio le jeu des ralentissements et des relances de beat flappy. Dans «Medication», on retrouve les zones de torpeur et les molles poussées de fièvre qui lui sont si chères. C’est révélateur d’un état d’esprit et d’une pente fatale à la facilité. Mais les hauts sont beaux et bien tourmentés, car très bossus et bien gras du bulbe. Jason tape dans un vieux coucou des Spacemen 3, «Walking With Jesus», une pop d’allant maximaliste. On a là une très belle psyché bardée de treble de guitare de tripot de tripe de trappe avec un orgue qui sonne comme un appel au calme entre deux giclées de crème anglaise. De l’autre côté, il tape dans «Shine A Light» mais c’est trop long. Il faut être un hippie pour écouter des cuts aussi interminables. L’aventure se termine avec «Smiles». Jason reste bel et bien le roi des poussées de fièvre. Il connaît bien les ressources de la grimpette. Il fait doubler la batterie et envoie l’orgue se fourvoyer chez les nones, c’est-à-dire les cuivres. Il ne lui reste plus alors qu’à se glisser dans la faille. On assiste à une belle escapade dans le flux du son avec un sax de fusion aussi expiatoire que l’écartèlement de Ravaillac.

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    Sur Pure Phase paru en 1995 se niche une pure merveille intitulée «The Blues». Voilà un cut bien balancé au beat de chemises à fleurs et généreusement arrosé de wah-wah. Pur jus de mad psychedelia. On y retrouve le Jason qu’on admire, Jason le tenace. Il embarque son cut aux guitares de la mélasse et des souffleurs de cuivres injectent de grosses nappes de fusion. Admirable ! En Angleterre, personne n’ose s’aventurer dans ces régions avant-gardistes qui mélangent tous les genres. L’autre perle de cet album trop calme s’intitule «Lay Back In The Sun». Jason nous propose là une belle pop anglaise traitée à la sensibilité et pimpante d’accents chantants. Mais c’est la box du CD qui emporte tous les suffrages : on a là un objet véritable objet, un boîtier en ivoire mat poli et à couvercle coulissant, serti de part et d’autre de pastilles de titre argentées.

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    C’est avec Ladies And Gentlemen We Are Floating In Space que Spiritualized décolle. En format CD, l’album se présente sous la forme d’une boîte de médicament : boîtage en carton et à l’intérieur, le moule plastique. Il faut décoller la membrane alu pour accéder au CD-médicament. Le tout bien sûr accompagné de l’inévitable notice laborantine indiquant les effets secondaires. Concept graphique génial. Ce n’est pas tout : on ne trouve pas moins de deux authentiques coups de génie lysergique sur ce disque, à commencer par «Electricity», heavy dose de violence sonique à la Spacemen 3, véritable attaque mortelle de la mortadelle. Ce sacré Jason sait faire exploser le concept du so far out. Tout y est : l’Angleterre, le son, l’attente, les épousailles, l’impossible, les descentes de basse imputrescibles et les relances de roller coaster, toute la grande jute du meilleur rock anglais avec les rebondissements apocalyptiques de basses élastiques, oh yeah, tout est yeah, la folie, l’empattement et le psyché dévolu. L’autre effroyable coup de génie s’intitule «Cool Waves», une énormité qui se met en place dans l’espace d’un bruitisme conséquent. Ça monte par vagues, comme la marée, et ça devient vite excessivement stupéfiant. Toute l’énergie du gospel vient fracasser le psyché des druggies d’Angleterre. Jason fait intervenir des chœurs de cités antiques et des trompettes en or massif. Et puis il y a cette horreur nommée «Cop Shoot Cop» amenée sur un petit groove inoffensif et que Jason Spaceman vient fracasser à coups de rafales de guitare, provoquant des désordres purement hallucinatoires. D’autres cuts comme «Come Together» frappent aussi l’imaginaire, car on sent poindre une réelle violence intentionnelle - C’mon come together - Jason cherche des noises à la noise et attaque au gospel de psychout so far out there. Il embarque aussi «All Of My Thought» dans une tempête qui se calme avant de se réveiller. Jason Spaceman joue avec le feu des tempêtes incongrues. Il va même jusqu’à les zébrer de piano bleu. Il fait donner de la trompette dans «No God Only Religion» pour rendre le son ultra-présent et il chante la beauté du crépuscule des dieux dans «Broken Heart». Ce mec a du génie pour dix.

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    Let It Come Down paraît quatre ans plus tard. Cet album est encore plus spectaculaire que son prédécesseur. On dit que ce malade de la perfection qu’est Jason Spaceman a fait jouer plus de cent musiciens sur cet album. Comme Phil Spector, il passe au rang de culte vivant. Jason attaque avec «On Fire» qui n’est autre qu’une charge frontale de power sludge, une vague d’assaut constituée du beat et de tous les instruments du monde. Il procède par jets salement bienveillants. Il est l’homme des idées brillantes et de la poudre aux yeux. S’ensuit «Do It All Over Again», une pop pleine de jus et baignée d’une incroyable lumière, digne des celle des Zombies de bonus. Jason joue une pop dense et merveilleusement fruitée. Eh oui, ce mec a un saint don d’ouverture. Il va bien plus loin que Belle And Sebastian ou Mansun. Encore de la belle pop insistante avec «Don’t Just Do Something», une pop si éblouissante qu’elle paraît se répandre sur la terre entière. Qui saura dire le génie de Jason l’Argonaute visionnaire ? Il est dans l’orthodoxie des moines grecs et dans l’aube du monde. Il échappe à tout. Avec «Out Of Sight», il invente un nouveau genre musical : l’évanescence panoramique. C’est exceptionnel de son et de vision. Jason travaille ses mélodies à l’extrême brillance de l’idée. On sent l’absolution du monde moderne et la création du delta du Nil, à l’ère des êtres nus. C’est bardé de gerbes d’instrus, noyé de brume électrique et cerclé d’exigence philharmonique. Il revient à un son plus musclé pour «The Twelve Steps» et il redevient terrible, mais à l’Anglaise. Il est digne de ses pairs les plus violents, tous Stones et Pretty Things confondus. Il fait en réalité de la pure Stonesy expéditive. Le son est tellement plein qu’il fait sauter toutes les cambuses une par une et il noie tout ça d’harmonica sauvage. C’est vraiment pulsé à la folie. Sur ce disque, tout est merveilleusement bien amené, comme on le constate à l’écoute d’«I Didn’t Mean To Hurt You». Il chante ça au petit accent cassé - I’m broken down and lonely - et il finit par relancer ses grandes vagues philharmoniques. Il engage aussi «Stop Your Crying’» à l’orchestration fataliste. C’est terrible de puissance. On ne résiste pas à l’assaut d’un hit aussi mélodique. Jason Spaceman serait donc le seigneur le plus puissant d’Angleterre ? Mais oui, car ce qu’il propose dépasse de loin ce que les autres proposent. Jason ne vit que pour la démesure de la beauté formelle. «Anything More» confirme que cet album est visité par la grandeur.

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    Amazing Grace fait aussi partie des très grandes heures de Jason Spaceman. Il met le feu aux poudres dès «This Little Life Of Mine», car voilà une extraordinaire stoogerie. Il baigne toujours dans ses antiques fascinations. Il est avec Sonic Boom le mec le plus stoogien d’Angleterre. Il passe au garage avec «She Kissed Me (It Felt Like A Hit)», mais on retrouve de vieux relents stoogy dans les mess around. Il passe une attaque de solo dévastateur, histoire de rester dans l’esprit éruptif des Stooges. Il ne s’en est jamais vraiment éloigné. Il envoie de sacrées tannées, des grosses nappes de son excuriatrices montées sur un beat têtu comme une mule. Toutes ces révolutions intrinsèques roulent comme les vagues au large du Cap Horn. Encore plus fascinant, voilà «Oh Baby», joué à l’atmosphérique. Jason semble travailler l’océan au corps. Il atteint au grandiose d’exception expatriarcale. La mélodie filtre la clameur d’un au-delà phosphorescent. En fait, ce qu’on entend là, c’est la musique du silence de la mort, la traversée du tunnel de lumière blanche. Nouveau coup de génie avec «Never Goin’ Back», une sorte de vieux garage déversé, gratté à la sévère et suivi à la cloche. Pur garage d’antho, avec tout le son du monde au rendez-vous et un solo en surtension. C’est à la fois lymphatique et rampant, infecté et râpeux, terrifiant et délicieux. Jason ramène ses trompettes en or massif pour «The Power And The Glory» : il y salue le diable et les quatre Cavaliers de l’Apocalypse. Avec «Cheapster», il rend un hommage terrible à Dylan, celui du speed sous expansion acide. C’est du «Maggie’s Farm» sous tempérance dévolue, une horreur, un contre-courant artérien, une folie subliminale, un rejet de greffe terminoïdal. Jason peut faire sauter le pavot de rats beiges et le pavé des rues borgnes. Il finit avec «Lay It Down Slow», un joli balladif qu’il explose à coups de guitare exterminatrice. Il gratte ses notes comme la bête de Gévaudan et chante avec les anges du paradis.

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    Quand Songs In A&E paraît en 2008, Jason Spaceman vient tout juste d’échapper à la mort. La pneumonie a bien failli avoir sa peau. On trouve sur l’album un bel hommage à Dylan intitulé «Yeah Yeah». C’est pulsé à la purulence du Maggie’s farm no more et puissant comme un hit des Dirtbombs. D’ailleurs, ce sont les Dirtbombs qui font les chœurs (Mick Collins, Troy Gregory et Ko Melina). L’autre coup de génie de l’album s’intitule «Soul On Fire», un fantastique balladif chargé de son et finement teinté de Stonesy, celle de «Wild Horses», mais le son de Jason est dix mille fois plus puissant - I got a hurricane inside my veins - Fantastique coup de maître piercien. Si on aime le macabre, alors on se régalera de «Death Take Your Fiddle», car Jason Spaceman demande à la Mort de prendre son violon and to play a song pour lui - I think I’ll drink myself in a coma - Mais il est plus vif que mort, car il enchaîne ça avec «I Gotta Fire», un cut qui sonne un peu comme «Gimme Shelter». Il retrouve sa veine mélodique avec «Baby I’m Just A Fool» et le dote d’un final éblouissant car complètement explosé de fusion cabalistique. Il retrouve aussi son cher gospel pour «The Waves Crash In». Jason y crée les conditions du gospel de la mort. C’est vraiment le son de l’au-delà, il sait de quoi il parle, il est déjà dans l’excellence de la partance, et il ne fait que traduire sa vision, comme le font tous ceux qui sont revenus de la mort.

    Eh oui, Jason Spacemen est un miraculé. D’abord une chimio expérimentale pour traiter l’hépatite - It did work - puis une double pneumonie, avec les deux poumons remplis d’eau, le cœur qui s’arrête deux fois et les agents des pompes funèbres qui défilent dans sa chambre. On le croyait mort. Et Jason Spaceman se voit navré d’apprendre que cette épreuve ne l’a pas beaucoup transformé, comme on le dit généralement - I was the same disappointing person I was when I went in - Il n’est pas sorti grandi de cet épisode.

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    Sweet Heart Sweet Light date de 2012. Jason Spaceman est alors sous traitement pour soigner l’hépatite. En réalité, l’album devait s’appeler Huh?, en écho aux effets du traitement. Jason Spaceman dédie l’album à Jim Dickinson, pas moins. Ça semble logique vu qu’on est avec cet album sur Fat Possum. Jason Spaceman tape «Hey Jane» dans l’esprit de Lou Reed - Get no breaks for your rotten life/ hey when you gonna die ? - C’est d’un lugubre sans nom. On le voit revenir après une fausse sortie. C’est un spécialiste des effets de manche - Sweet Jane on the radio - Il parvient à monter une chantilly extraordinaire. S’ensuit la pop envenimée de «Little Girl» - Sometimes I wish that I was dead/ Cos only the living can feel the pain - et ça s’envole vers le soleil des anciens Égyptiens. Jason Spaceman fond sa voix dans l’aveuglante lumière blanche d’un mysticisme inverti. On retrouve plus loin une belle lampée de psyché avec «Headin’ For The Top Now». Une fantastique ligne de basse traverse la chose - We should be headin’ for the top now little girl/ But I’ve been rotting here for years - Jason évoque certainement sa condition de star condamnée à l’underground. Il sort pour l’occasion une pièce de psyché dansante chargée de belle basse bourdonnante et crée l’une de ces fantastiques ambiances dont il a le secret. En C, on tombe sur «I Am What I Am», co-écrit avec Dr John - I’m the tide that pulls the moon/ I’m the planet that lights the sun - C’est chanté au fantastique groove de gospel de la Nouvelle Orleans - I am what I am/ Get it in my hand/ Hear what I say/ See what I am/ You understand - Groove terrible et presque chamanique hanté par chœurs fantastiques. Les deux ultimes merveilles de Jason le moribond se trouvent sur la dernière face, à commencer par «Life Is A Problem», lugubre à souhait. Franchement, on ne peut pas espérer plus glauque - Jesus please drive me away from my sin - Il fait l’apologie du désir de mort - And I won’t get to heaven/ Won’t be coming home/ Will not see my mother again/ Cos I’m lost and I’m gone/ This life is too long/ And my willpower was never too strong - En fait, c’est une confession d’une intensité exceptionnellement dramatique. Jason avoue tout simplement qu’il n’est pas fait pour vivre aussi longtemps. Il poursuit dans la même veine avec «So Long You Pretty Thing» - Help me Lord/ It’s getting harder cos I made a mess of myself - Et il nous sort un final héroïque - And all your dreams of diamond rings/And all that rock and roll/ Can bring you/ Sail on/ So long - Quelle stupéfiante manière de faire ses adieux après avoir régné sans partage sur l’underground britannique.

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    Au cours d’un papotage avec Piers Martin, Jason Spaceman annonce que son nouvel album And Nothing Hurts pourrait bien être le dernier. Avec un humour typiquement britannique, il ajoute qu’il espérait bien voir la maladie interrompre le processus d’enregistrement de cet album - Only to give me a break - Il est en effet tellement perfectionniste que ça n’en finit jamais. Il lui faut un an pour mixer un album. Il indique que pour lui, un album entier représente trop d’investissement. Et dans un terrible éclair de lucidité, il ajoute : «I don’t know if people want music like that anymore.» Eh oui, qui écoute encore ce genre d’album aujourd’hui ? Puis Piers Martin attaque l’exégèse des lieux communs : Pure Phase serait le résultat du montage de deux mixages différents, péniblement assemblés à la main, mesure par mesure. Vrai, répond Jason Spaceman. 155 musiciens auraient joué sur Let It Come Down. Faux. «Too many I think. There are rules for these things.» Tout le groupe viré après Ladies And Gentlemen. Vrai. «Their demands just became kind of... weird.» Il explique aussi qu’il passe énormément de temps sur son ordi à bricoler ses démos. Il avoue avoir utilisé les 260 pistes de Pro-Tools, mais ça finissait par tourner en rond - It was pathetic.

    Jason Spaceman raconte aussi qu’il avait demandé de l’aide à John Cale et à Tony Visconti pour finir Sweet Heart Sweet Light. Cale pas disponible et Visconti trop cher. Puis il s’est tourné vers Youth, mais ça a tourné au vinaigre. Jason Spaceman ne comprenait pas la méthode de Youth qui consistait à enregistrer des bouts et à les recoller. Stop ! On arrête tout ! Mais pour récupérer les bandes, il fallait payer les sessions. Le cirque dura huit mois. Finalement, Jason Spaceman préféra renoncer à tout. La seule idée de devoir retoucher à ces enregistrements l’indisposait.

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    Évidemment, la conversation bifurque et va droit sur Spaceman 3. On célèbre actuellement le trentième anniversaire de Playing With Fire. Piers Martin raconte qu’on a proposé deux millions de livres à Jason Spaceman pour reformer le groupe. Non. Pourquoi ? Parce que ça n’a pas de sens : «Pourquoi aller faire un truc inférieur à Spiritualized ?»

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    Dans Record Collector, Mark Beaumont revient lui aussi sur Spacemen 3, mais de façon plus travaillée, car il branche Jason Spacemen sur ses racines, alors on entre dans la caverne d’Ali-Baba. Mr. Spaceman achète son premier album chez Rugby’s Boots : Raw Power. Uniquement au vu de la pochette. Il ne savait rien des Stooges. Il voit Iggy in his silver pants et la photo du wild cat au dos. Et quand il écoute l’album, c’est le coup de foudre. Il rencontre ensuite une équipe de like-minded sonic adventurers au Rugby Art College, Pete Kember, Pete Bain, Narry Brooker et ils partagent leur monde fait de Cramps, de Gun Club, de Suicide, de Tav Falco, de T. Rex, de Troggs, de Monks, de Captain Beefheart, de Nuggets et de Staple Singers. Ils creusent encore vers Big Star, le MC5, Sun Ra et les Thirteen Floor Elevators. Ils finissent par monter leur groupe en 1982 - We were born of inhability. Nobody wanted to be better on guitar, nobody wanted to learn how to play faster riffs - Comme les Cramps, ils font une force de leurs carences techniques. Pas question d’apprendre à bien jouer. C’est là que Jason Spaceman prend feu : «Quand tu passes la bandoulière de ta guitare électrique sur ton épaule, elle joue déjà, avant même que tu aies plaqué un accord, et quand tu le plaques et que tu le joues assez longtemps, le son que tu sors devient le truc le plus important du monde.» C’est l’évidence. Le principe de base. Le cœur du mythe. C’est bien que ce soit un vétéran des drogues et du drone qui le dise. Il est l’un des mieux placé pour parler de ça.

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    Avec Spacemen 3, Pete Sonic Boom et Jason Spaceman se positionnent tout de suite en marge des modes de l’époque, comme les Mary Chain, d’ailleurs. Ils enregistrent la série d’hypnotic modern psychedelic albums que l’on sait et jouent des anti-gigs un peu partout en Angleterre, le dos souvent tourné au public. Leur cote monte jusqu’au moment où une shoote éclate entre Jason et Sonic à propos des droits d’auteur et de Kate Radley. Sonic trouve qu’elle influence trop le travail de Jason. Fin des haricots. Ils enregistrent le dernier album Recurring chacun de leur côté, chacun une face. En splittant, les Spaceman 3 rataient ce que les concessionnaires appellent une occasion en or : un label américain leur proposait un contrat de plusieurs millions de dollars. Jason Spaceman rappelle qu’il ne mange pas de ce pain-là - I’ve never made music for a financial gain - On appelle ça l’intégrité. Mais il paye ça cher, car il n’a pas de blé.

    Quand en 1991, il voit les Spacemen 3 se désintégrer, il se voit contraint de monter Spiritualized - I didn’t want to - Je n’ai pas confiance en moi. J’étais bien dans ce groupe car Pete avait de la confiance pour deux. Évidemment, Mark Beaumont veut savoir si Jason Spaceman a stoppé the hedonistic life. No more drugs ? Jason Spaceman répond à l’Anglaise. Il explique qu’à l’époque de la parution de Let It Come Down, il tombait du lit chaque nuit, et sa copine menaçait de le foutre à la porte s’il ne trouvait pas une solution pour arrêter ça. Alors il est allé acheter un matelas pour le mettre au pied du lit. Il se souvient aussi d’avoir oublié une bagnole pendant quatre ans à Abbey Road - I forgot about it. I left it at Abbey Road for the recording of that album for four years because I just wasn’t in a fit state to get it home - Oui, Jason Spaceman n’était absolument pas en état de ramener une bagnole à la maison. Il préférait le spaceship. Il ajoute qu’il a en perdu une autre du côté du studio Strongroom.

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    Et puis voilà que Jason Spaceman débarque à Paris. Inespéré. Pas de première partie. Deux heures de poireautage à l’ancienne, avec le cirque des techniciens qui n’en finissent plus d’accorder des guitares déjà accordées. On a beau se trouver dans l’ambiance magique du Cabaret Sauvage, ce cirque est insupportable. Et soudain, il arrive. Grand, maigre, lunettes noires, T-shirt blanc, jean et silver sneakers. Oh, pas tout seul, trois petites choristes black, deux guitaristes, une brillante section rythmique basse/batterie et un petit mec aux claviers dans un coin. Jason Spaceman s’assoit sur un siège haut face à son micro et attrape une Tele rouge à ouies. Présence immédiate. Derrière lui trône l’ampli marqué Mars (la moitié du logo plastique Marshall). Il attaque avec «Hold On», tiré d’Amazing Grace - The gospel according to Mr. Spaceman. On entre de plain pied dans quelque chose d’immédiatement grandiose qui nous dépasse tous autant que nous sommes, on sent quelque chose d’incroyablement puissant se construire couche par couche, les trois guitares se fondent dans les harmonies vocales. Il semble que Jason Spaceman atteigne à cette idée de l’apothéose jadis imaginée par Alexandre Scriabine, la fameuse mystique de l’extase. Jason Spaceman recrée exactement sur scène ce que Phil Spector créait au Gold Star, un mur du son, quelque chose d’extrêmement spectaculaire et beau à la fois. Il règne dans cette charge musicale une intensité de TOUTES les secondes. Chaque morceau semble construit sur le modèle d’une lente montée d’éléments soniques purement sensoriels destinés à fleurir pour se répandre dans le volume du chapiteau. C’est le principe même du gospel, art mystique par excellence. Jason Spaceman n’invente rien, sauf qu’il injecte dans son art tout le rock’n’roll dont il est capable, et un cut comme «Come Together» n’a jamais aussi bien sonné qu’à cet instant précis. On se sent littéralement convié à partager un moment exceptionnel. Ça va très loin. Une sorte de privilège. On croit même vivre un épisode unique et tellement parfait qu’il semble insurpassable. Il joue tous les cuts du nouvel album, il attaque chaque fois sur des phases de chant mélodique imparables, la beauté se confond dans le doux chaos du space-rock spacemanien. N’allez pas croire que cette énergie soit si différente de celle des Stooges. C’est exactement la même chose, le même genre de power viscéral, mais administré autrement. «Shine A Light» monte au cerveau de la même façon qu’un hit des Stooges ou de Sam Cooke. Bon, c’est vrai, ça prend un tout petit peu plus de temps, mais ça atomise les sens de la même manière, ça awsomise et ça trailblaze, ça wonderfulise et ça strike, si on avait la place pour le faire, on irait même jusqu’à se prosterner jusqu’à terre devant un tel shouter de gospel batch psychédélique.

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    Il ressort même le «Soul On Fire» de Songs In A&E, on peut jurer sur la bible que l’«On The Sunshine» tiré du dernier album compte parmi les plus grands hits de l’histoire du rock, mais celui qu’on retrouve sur l’album n’est rien, strictement rien en comparaison de ce qui se passe sur scène au moment où cette merveille sort de la bouche de Jason Spaceman pour se fondre dans l’apothéose sonique de l’avant-rock spacemanien. Tout est spectaculairement hors normes, il joue tous les cuts d’And Nothing Hurt dans l’ordre à partir d’«A Perfect Miracle» jusqu’à «Sail On Thought» et nous fait chaque fois grimper un échelon dans l’extasy cabalistique. Il revient pour un rappel avec «So Long You Pretty Thing» tiré d’Huh et une version faramineuse de l’intouchable «Oh Happy Day» des Edwin Hawkins Singer. S’il en est un qui peut se permettre ce luxe, c’est bien Jason Spaceman. Sans doute est-il le seul au monde.

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    On retrouve toutes ces merveilles sur vinyle. And Nothing Hurt entre dans la catégorie des très grands albums de rock anglais, ne serait-ce que pour ces deux Beautiful Songs que sont «Here It Comes (The Road) Let’s Go» et «The Prize». La première sonne comme un classique d’Americana délié aux triolettes de guitare - Here comes/ The road let’s go/ The radio/ As far as we can go - Cette façon qu’il a de placer son radio dans le creux de sa diction argentée ! On retrouve un fil mélodique à l’état pur dans «The Prize», qui s’apparente à une véritable atteinte aux mœurs, un coup de génie languissant - And I don’t know/ If love is the prize - Belle apothéose aussi, à la fin d’«On The Sunshine». Jason Spaceman et Sonic Boom ont toujours adoré le grand rock américain, il faut s’en souvenir. Il chante ses around comme Iggy, voilà un slab digne de l’âge d’or des Spacemen 3, foncièrement psychédélique, d’une grande violence - Celebrate your finst/ And the music of the spheres - Ça s’achève dans un tourbillon apocalyptique de chœurs de cathédrale et de chorus de sax. Même chose pour «The Morning After», monté sur un tempo plus soutenu et embarqué vers un final d’exaction cathartique de vibrillons de sax et de matière fusionnelle, un pur jus orgasmique d’élévation pentatonique, le cut n’en finit plus de vomir ce son d’anticipation, c’est un retour aux grandes heures de Ladies And Gentlemen, une fantastique excavation d’évacuation d’urgence. Avec «Damaged» qui ouvre le bal de la B, Jason Spaceman se rapproche de Lou Reed, il s’y montre mélodiquement pur, les syllabes s’écrasent mollement dans le time du temps - Darling I’m lost/ And damaged/ Over you - Vraiment digne de «Pale Blue Eyes». Il shoote une petite dose de Ronnie Lane dans «A Perfect Miracle» et enchante son refrain avec des gratouillis dignes de «Mandoline Wind». Puis il prend «I’m Your Man» au timbre fêlé. Il suffit de voir sa tête sur la pochette intérieure : oh la la, ça va mal ! Il porte avec Dan Penn et Ronnie Barron tout le poids de la Soul blanche sur ses épaules.

    Signé : Cazengler, despiritualized

    Spiritualized. Le Cabaret Sauvage. Paris XIXe. 23 septembre 2018

    Spiritualized. Lazer Guided Melodies. Dedicated 1992

    Spiritualized. Fucked Up Inside. Dedicated 1993

    Spiritualized. Pure Phase. Dedicated 1995

    Spiritualized. Ladies And Gentlemen We Are Floating In Space. Dedicated 1997

    Spiritualized. Let It Come Down. Arista 2001

    Spiritualized. Amazing Grace. Sanctuary Records 2003

    Spiritualized. Songs In A&E. Cooperative Music. 2008

    Spiritualized. Sweet Heart Sweet Light. Fat Possum Records 2012

    Spiritualized. And Nothing Hurt. Bella Union 2018

    Piers Martin. The Man Who Fell To Earth. Uncut #257 - October 2018

    Mark Beaumont. Hey Mr. Spaceman. Record Collector #484 - October 2018

    23 / 11 / 2018 – TROYES

    LE 3 B

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    Sale crachin breton sur le pare-brise, des milliers de gouttelettes qui diffractent la lumière des autos que l'on croise à l'aveuglette. Un temps de chien à retourner chez soi, mais l'appel du rock'n'roll triomphe toujours. Pas question de rater le dernier concert de l'année au 3 B, de surcroît les Hillbillies ont une sacrée réputation de jeunes tueurs, alors la teuf-teuf fonce à dans la bouillie de pois-cassés, saluée par les gilets jaunes regroupés depuis huit jours sans faillir sur un terre-plein de Romilly-sur-Seine, petite ville sinistrée de l'Aube...

    THE HILLBILLIES

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    Ne proviennent pas des Appalaches mais de Dijon. La moutarde du rock'n'roll leur monte rapidement dans le nez. N'ont pas commencé depuis quinze secondes que déjà vous avez le son qui tue qui déferle sur vous, le rayon extatique de la petite mort. Ne sont que trois pour se livrer en toute impunité à leurs exactions musicales. Alex, ses favoris en as de carreau lui mangent le visage, est à la contrebasse impeccablement cirée, Dim officie au chant et à la gretsch, d'un vert palmolive inamovible, au fond Maggio derrière sa batterie, l'a un regard d'aigle et d'acier qu'il darde sans arrêt sur ses deux comparses. Les guette à la manière des guerriers Apaches surveillant une troupe de pillards mexicains s'approchant de leur territoire. L'a intérêt à faire gaffe parce que devant ça remue salement.

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    Méfiez-vous des appellations incontrôlées, elles sont souvent trompeuses, les Hillbillies ne font pas spécialement du hillbilly. Pour les senteurs agrestes et campagnardes vous vous adresserez ailleurs. Pur jus rockabilly. Du sauvage, du concentré. Ce qu'il y a d'étonnant et de détonnant avec nos trois moutardiers c'est qu'ils jouent ensemble mais que vous avez l'impression que chacun tout seul se suffit amplement à lui-même. Et qu'à la limite deux sur trois absents l'on ne s'en apercevrait pas. Par contre la sourdine, ils ne connaissent pas, en trois sets, en comptant large, vous avez deux minutes trente durant lesquelles, la big mama et la batterie se sont tapés un petit solo, du genre nous aussi on sait le faire mais c'est encore mieux quand l'on fonce tous ensemble, tous ensemble, tous ensemble...

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    Dim gretsche comme pas un. L'a trouvé un truc qui vous scotche sec. Ne bouge pas les doigts, vous secoue le son comme pas un. Pas de pose à l'artiste inspiré, vous entendez mais vous ne voyez rien. Vous file la preuve avant l'épreuve. Une efficacité de toute éblouissance. L'air de rien, je m'occupe de chanter moi, la guitare c'est une affaire entendue, réglée depuis belle lurette. Pas besoin de convoquer un symposium pour décider de la note qu'il faut jouer. Et vous prenez de ces dégelées dans les oreilles à vous rendre fou. Pas le temps de s'ennuyer, vous plaque les unes après les autres de minuscules séquences sonores qui se succèdent à toute vitesse. Une habileté démoniaque, le gars qui vous croque une fresque de vingt-cinq mètres de long en moins de trois minutes. N'y a que sur le Peggy Sue de Buddy Holly qu'il condescendra à vous répéter l'espèce d'invraisemblable entassement rythmique si particulier du morceau. Sinon, il stride dur. Vous décoche des notes à la façon des carreaux d'arbalète, une dans la pomme posée sur votre tête, l'autre directement dans votre cervelle, parce que le rockabilly est une musique qui s'apprécie avant tout quand elle vous fait du mal.

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    Personne n'aimerait être à la place de Fredo, face à cet énergumène qui trille des oiseaux carnivores de sa guitare toutes les trois secondes, vous diriez qu'il n'y a rien à faire, qu'il se suffit amplement à lui-même, que vous feriez mieux de rédiger votre lettre de démission. Pas Fredo, le genre de mec que vous jetez à la porte de chez vous qu'il est déjà et encore à vos côtés comme s'il n'était jamais sorti. Une sangsue, une ventouse. L'a la big mama imposante. Tchic et tchic et tchac, bisque, bisque, rage, l'est là comme le python articulé de neuf mètres qui s'est enroulé autour de vous et qui vous mord à l'épaule pour vous rappeler qu'il est là tout contre vous au cas ( improbable ) où vous l'auriez oublié. C'est simple se sert de sa double bass comme d'une double batterie. L'est là et n'a aucune envie de décamper. La pustule du rockabilly, il la propulse, vous la catapulte à la manière des fleurs de cactus. En terme plus trivial nous dirions qu'il pousse au cul. Détient une partie du secret énergétique des Hillbillies, le temps perdu se rattrape toujours, suffit de ne jamais le perdre.

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    Donc à la troisième batterie Maggio. Maintenant vous comprenez pourquoi il scrute les deux mescaléros sortis de leur réserve devant lui. Les tambours de guerre c'est justement sa spécialité. La survenue aveuglante de l'éclair et l'ébranlement du tonnerre. S'est institué le point de jonction des deux dératés. Les poursuit, les suit, l'essuie les distance, les dépasse, les devance, tout cela en même temps, faut voir, la prestance impériale dont il se lève brutalement pour clore la charge de chevaux fous, et retenir d'une main une cymbale afin de la murer définitivement dans un silence cyclopéen.

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    Mine de rien Maggio est le chef d'orchestre occulte de ce combo soleil sans pareil. Z'ont trouvé l'épure du rockabilly, z'ont banni le gras, n'ont gardé que le miel, le ciel et le fiel de l'essentiel, sa nervosité, son agilité, sa rapidité. Sa force de frappe, son punch déstabilisateur qui vous envoie valser dans les étoiles. Plus le chant. Le rockabilly n'est pas un film muet. L'est comme les trois mousquetaires, réduit à la portion congrue du rock'n'roll trio, mais agrémenté de l'arme fatale. La flamme sans laquelle le bâton de dynamite n'est qu'une poignée sans valise. Se regardent tous les trois, échangent un sourire complice, Dim le crazy jette un coup d'oeil distrait sur la set list – de Joe Clay à Buddy Holly, de Slim Harpo à Johnny Cash en passant par Carl Perkins et Sonny Burgess – et hop il se jette dans le grand bain depuis le troisième étage du grand plongeoir et dans le temps intemporel de cette chute de l'ange vous avez droit à toutes les figures attendues, les interruptions brusques, les reprises hoquetantes, les inflexions croquignolesques, les exaltations pâmoisantes, les uppercuts glottiques, les inflexions menaçantes, toute la grammaire articulatoire du rockabilly déclinée à folle allure.

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    Les Hillbillies ont enfoncé les convictions. La complicité entre jeunes trentenaires au sommet de leur art et public de connaisseurs s'est installée naturellement. Invitent Alex, puits de science rockabillyenne et habitué du 3 B d'origine dijonnaise, à tenir la basse durant le rappel. S'en acquitte magnifiquement. Terminent sur un de leurs morceaux un blues qui aboie à la manière dont Howlin Wolf hululait les nuits de loup-garou.

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    La saison 2018 du 3 B se termine sur un coup d'éclat. Merci à Fabien pour ses splendides concoctations sonores, et à Béatrice la patronne sans qui rien ne serait possible et qui prépare quelques surprises pour l'année qui vient.

    Damie Chad.

     ( Photos : Béatrice Berlot )

     

    THE HILLBILLIES

    ( Old Rusty Dime Records / 2018 )

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    Crazy Dim : guitar & vocal / Alex Terror : double bass / Maggio : drums / Batman : saxophone.

    Pochette papier classe, glissée dans une pochette plastique transparente : fond noir et lettrage rouge pour le dos agrémenté d'une citation de Jimmie Rodgers, mais le meilleur c'est la couve, un dessin de Ludo, les Hillbillies sur une voie de chemin de fer, ce qui explique la présence de Jimmie Rodgers...

    Satan's train : l'on s'attend à un convoi funèbre qui fonce vers la mort à toute blinde, c'est beaucoup plus rusé que cela. Le Diable vous surprend toujours, n'est pas uniquement le grand cornu dégoûtant, sait avoir la classe, la veste cintrée et le style. Les Hillbillies sont sur les rails, s'ébranlent lentement et soudain le vocal mord le basalte des remblais, la guitare de Dim ne s'arrête jamais dans les gares sinon pour les catastrophes ferroviaires, la big mama de Fredo vous fait le grand écart sur le toit des wagons à l'intérieur des tunnels, la batterie de Maggio se contente de battre le rappel du rock'n'roll. Sober man blues : ( + Flo : chorus / Jimmy : rhythm guitar ) : une promesse d'ivrogne. En tient une bonne couche. Pour le blues vous repasserez. C'est du rockab obstiné qui vous arrive direct sur la gueule comme le crotale qui surgit enfin de la bouteille de Jack dans lequel il était enfermé depuis dix ans. Le pauvre gars l'a avalé tout droit, étonnez-vous ensuite s'il hoquette dans ses socquettes jusqu'à la fin du morceau. Luisant comme ces renards dans lesquels vous pataugiez à la fin d'un bal honky tonk. No title : rumble-surf avec le sax qui s'égosille sans fin. A la fin Dim hurle comme si on lui clouait les arpions sur le plancher. Un truc qui s'écoute tout seul et qui s'écroule comme un tsunami sur votre misérable existence. Roboratif et rotor hâtif.

    Damie Chad.

    TUKA / JALLIES

    ( Tuka-TheJallies-2017 )

    Céline : chant / guitare / caisse claire / percussions / kazoo

    Kross : contrebasse / chant

    Leslie : chant / guitare / caisse claire / percussions

    Thomas : guitra / percussions / chant

    Vanessa : chant / guitare / caisse claire / percussions

    Drame cornélien dans les chaumières. Que choisir ! Vers lequel des deux artefacts se portera votre cœur ! Le vinyle, ou le CD ? Au premier abord une reproduction à l'identique mais miniaturisée. Le premier possède l'avantage de la pochette, le second offre un petit livret en plus. Une seule solution s'impose : les deux. Pas un de plus ( quoique si vous n'avez pas eu la primeur premier CD, vous pouvez vous mettre en chasse car il est détestable de passer pour le blaireau de service ), pas un de moins ( mais un moins qui est un must ).

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    Donc la pochette. Surprise. Z'ont les trois plus belles filles du 77, et pas une sur la couve. Même pas les deux garçons. Par contre, une réussite graphique comme l'on n'en voit peu. Sur fond gris le J majuscule à forme stylisée de fibule romaine avec ce rose princesses aux petits pois blancs. Sur le linéaire du bas, le chat poète qui regarde les étoiles ( les amateurs de Fantômette apprécieront ) plus haut le tampon officiel the Jallies swing'n'roll band, le stigmate distinctif que tous les adorateurs du groupe ont pris l'habitude de se tatouer sur le front à l'encre sympathique en signe de reconnaissance et d'affiliation à une association secrète destinée à dominer le monde, et puis le coup de génie : les lyrics de Turtle Blues de Janis Joplin, car les filles ne sont pas des broutilles, elles ont la langue et la vie bien pendues aussi tranchantes qu'une faucille.

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    Tuka : z'ont des voix qui papillonnent nos princesses, glissent comme emportées par une brise printanière, prennent un peu d'altitude mais pas trop, ont tout de même envie de ne pas s'échapper, elles aiment le risque, sur ce la guitare de Tom se met à miauler comme si elle donnait des coups de pattes, alors faut les entendre avec leurs voix satinées de mijaurées aguichantes, du coup Céline joue du kazoo pour se moquer de vous, et elles vous font enrager toutes en chœur parce que leur cœur à elles il virevolte au soleil. I love you ( but I've chosen rock'n'roll ) : grondements et grincements de guitares, il y a des choses plus importantes que l'amour dans la vie, le rock'n'roll par ( unique ) exemple, Vanessa déclare sa flamme au rock'n'roll et les sœurettes vous font des harmonies pour film emphatiques de série B. Faut l'avouer sur ce morceau les guys vous montrent un peu ce que c'est que le rock. Les gals ont accepté, une fois n'est pas coutume, le rôle d'admiratrices. Elles s'en tirent très bien d'ailleurs. Groupies un jour, Jallies toujours. Du rouge à nos lèvres : rien à voir avec une pub pour les rouges à lèvres, un hymne à Dionysos, tout est vain sauf le vin – remarquez les ronds de verre en filigrane sur la pochette – sont prêtes à tout pour une nuit avec lui, et une fois qu'il a pénétré dans la nacre de leur chair, elles s'animent les pomponnettes un peu pompettes, le kazoo se prend pour une trompette et le tout éclate en une symphonie vocale, mais elles se reprennent toute douces comme si elles soufflaient la chandelle de l'ivresse pour des nuits rouges de désir encore plus longues. Vous avez la permission de rêver. Cry baby : vous n'aurez pas le temps de pleurer. S'amusent comme des petites folles, jusqu'à Kross qui vous tresse des choubidou-scoubidou à grosse voix d'ogre, un véritable dessin animé, le kazoo qui aboie comme un saxophone enragé, la guitare de Tom qui vous enluminure des chinoiseries, et les délurées qui vous font des claquettes sur la caisse claire, et leurs voix entremêlées qui montent et descendent les escaliers de l'impertinence. La vie en rose : au début cela ressemble à une chansonnette d'amour sur des gouttes de contrebasse mais derrière la guitare de Tom se tortille à la Django – normal quand les poulettes au croupion énamouré sont au poulailler le Reinhart n'est pas loin – et en avant la fiesta, le chant s'anime et le monde vous prend des teintes du plus beau rose et les copines joignent leurs timbres les plus suaves, c'est parti pour le bal qui batifole. Paris night : une virée à Paris, attention messieurs nos demoiselles sont des buveuses d'âme. Un véritable drame. Les goules sont de sortie, tant pis pour vous. Parce que pour l'auditeur c'est un régal, une harmonie sans égale entre l'accompagnement et les voix, ensorcelantes, un flot de beauté et de liqueur rouge sang. Rockin' Cats : se la jouent rockeuses, partent à la chasse aux chats. Elles sont la proie et les chasseresses. S'amusent comme des folles, elles ont des voix d'adolescentes perverses, et sourient sans vous regarder. Vous les suivrez jusqu'au bout de la nuit sans avoir à le regretter. Blue drag : une intro de guitare angoissante suivi d'un intermède au kazoo aussi long qu'un gazoduc, les Jallies nous montrent tout ce qu'elles et ce qu'ils peuvent faire, ça défile à toute vitesse, à chacun, à chacune son tour de piste, une démonstration de sport de combat, sans temps mort, en trois minutes un condensé de Jallies le plus pur. Gars efficients, filles scintillantes. Vous ne trouverez pas mieux. Chianteuses attachiantes : autoportrait avec filles. En français pour être sûres que vous comprenez. Se mirent dans les yeux des gars, et puis leur tirent la langue. L'art de la mise en boîte ( aux petits pois ). Un petit air country d'insupportables gamines à la June Carter du temps de ses quatorze ans. Une réussite. Le chat : encore un autoportrait mais déguisé, et avec chat. Les manzelles vous font mille chatteries pour vous annoncer qu'elles vous mènent par le bout du nez, où elles veulent, comme elles veulent, quand elles veulent. A les écouter vous ronronnez de plaisir. Oui, c'est bien chat. The Jallies : on n'est jamais mieux servi que par soir même. Après le dithyrambe à Dionysos, le péan aux trois déesses. L'hymne officiel du Jalliesland. Vous ne pouvez vous empêcher de taper du pied et de le fredonner tout en remplissant votre demande de naturalisation. Les fillettes tirent un feu d'artifice vocal en leur honneur et vous applaudissez à en mourir.

    Non ce n'est pas fini, une dernière pépite. Un dernier verre de rouge pour la route. Le coup de l'étrier. Attention c'est du sérieux. Du lourd. Du grave. Les boys se sont conduits en gentlemen, z'ont mis les filles à l'abri, elles se chargeront des chœurs. Elles font ça très bien ( comme la cuisine et le ménage ). Kross se lancent dans un Tutti Frutti des mieux venus. Avec un solo de dix secondes de Tom pointu comme une aiguille à tricoter qui s'enfonce dans votre œil. Derrière les oiselles piaillent et s'envolent comme si leur vie en dépendait. Revenez-vous vite les tourterelles, sinon l'on va s'ennuyer !

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    Du swing à gogo. Brillance et pétillance. Le groupe arrive à une maturité confondante. Conjugue l'aisance et la joie de vivre. Vigne folle et vendange enivrante. Les Jallies en elles-mêmes telles que nous les aimons. Ce deuxième disque est une rose carnivore qui dévorera votre âme.

    Damie Chad.

    ROCKABILLY GENERATION N° 7

    ( OCTOBRE / NOVEMBRE / DECembre / 2018 )

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    Ils ont osé, ils ont mis une fille en couve. ( Philippe Manoeuvre raconte qu'une gerce en tête de Rock & Folk équivaut à trente pour cent de ventes en moins ). Y en avait déjà une sur le numéro 3, mais ça ne compte qu'à moitié puisqu'elle était avec son boyfriend. Oui mais à voir la plantureuse assurance d'Annie Leopardo, vous comprenez qu'elle n'a besoin de personne pour survivre dans la jungle. Rien qu'à la voir vous zieutez que c'est une bombe à manipuler avec précaution. L'est d'ailleurs la proue chantante des Booze Bombs. Se raconte sans chichi, d'origine sicilienne, née en Allemagne, possède l'assurance tranquille des gens qui ont réussi à faire ce dont ils rêvaient tout petits, pour elle c'était chanteuse. Vous trouverez dans la 352 ième livraison de KR'TNT ! du 14 / 12 / 2017 le compte-rendu du concert explosif de la dame au 3 B...

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    Hommage aux pionniers, cette fois Greg Cattez évoque Buddy Holly. Mort trop tôt. ( Ce qui est déjà mieux que de mourir trop tard. ) Que serait devenu Buddy Holly, comment sa carrière aurait-elle évoluée ? L'eut de grands admirateurs, notamment les Beatles... Buddy portait-il le futur du rock'n'roll ou avait-il simplement une carrière à gérer... n'empêche qu'il avait un son de guitare fabuleux et que son rock relève d'une esthétique très personnelle.

    Suivent un panorama photos, Cavan se taille la part du lion, du Festival Rock a Billy de La Chapelle Serval du mois de juin, un article sur la reformation des Scamps, groupe français des années 80, le gros dossier sur Annie Leopardo, et petit nouveau dans la basse-cour, Dylan Kirk, dix-huit ans, une renommée internationale, et un jeu de pumpin' piano à la Jerry Lou qui accroche les amateurs...

    Page 29, Marlow le marlou, égrène ses souvenirs et se raconte. Pas besoin de poser des questions, n'y a qu'à l'écouter. L'a commencé comme beaucoup par Hendrix et Rolling Stones, mais la commotion c'est Elvis en 1968 – année éruptive – à douze ans d'intervalle le King aura initié deux générations au rock'n'roll, je ne vois pas qui a pu faire mieux ( et même autant )... l'histoire continue avec les Stray Cats en 1981 et la naissance des Rockin'Rebels... Pour ceux qui ne connaîtraient pas, Tony vient de sortir une Anthologie : 1978 – 2018. Je plains les malheureux qui n'ont pas cette merveille dans leur besace.

    Petit détour par la Bretagne, Bourgneuf en Retz début août, 18 ième concentration US & Rock'n'roll Culture avec les Booze Bombs, les Hillbillies ( coucou les revoilou ) et les Naughty Boppers que je n'ai pas encore vus, ce qui est un véritable scandale... Le numéro se termine sur des photos du Béthune Retro.

    Nouvelle maquette plus aérée, le numéro évolue, Sergio Kazh prépare deux nouvelles rubriques pour le 8. En attendant lisez le 7, ne ratez pas l'aventure quand elle est en train de se dérouler. Vous le regretteriez plus tard.

    Damie Chad.

    ( Photo : FB : Sergio Kazh )

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4 Euros + 3,60 de frais de port soit 7, 60 pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 30, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Attention N° 1 et N° 2 et N° 3 épuisés.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

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    EPISODE 9 : PREPARATIFS HÂTIFS

    ( Preparato Estudioso )

    L'on est arrivé au petit matin chez Popol, mais   le Chef et moi  sommes repartis aussitôt accomplir une dernière formalité, me in the teuf-teuf, le Chef dans le fourgon que nous avons jeté dans une gravière de Nogent. Y eut un gros glouglou et puis plus rien, les gravières de Nogent ne rendent jamais leurs carcasses. Durant le retour nous avons quelque peu philosophé :

      • Chef, nous avons les trois cassettes mais nous n'en sommes pas plus avancés, que donc l'Elysée voulait-il en faire ?

      • Agent Chad, votre impatience dénote une personnalité insatisfaite, vous ne savez pas profiter de l'instant présent, apprenez à ne pas vous projeter dans le futur, le sage chinois l'a maintes fois réaffirmé, un Coronado non fumé a autant d'insignifiance qu'un Coronado déjà fumé, mais ce qui est pure jouissance et présence métaphysique de l'Être est le Coronado que l'on est en train de savourer.

    CONSEIL DE GUERRE

    Popol nous offrit un plein verre de moonshine polonais qui nous fit si grand bien que nous en reprîmes quatre ou cinq d'affilée. Assises à une table Darky et Claudine échangeaient des souvenirs, à l'autre bout du comptoir Cruchette et les quatre musiciens – nous les appellerons désormais Eric 1, Eric 2, Eric 3, Eric 4, pour mieux les distinguer, leur prénom danois à consonance gutturale étant difficilement prononçables pour des palais civilisés – s'amusaient follement :

      • Chef, ils sont fous ces nordiques, ils me versent du Moonshine dans la culotte, cela me fait tout drôle !

    Mais nous n'y prenions pas garde, l'heure était aux plus graves décision.

      • Combien de spectateurs avez-vous prévu pour le set de Darky ce soir, s'enquit le Chef.

      • Entre quinze cents et deux mille, pour Darky j'ai fait un effort, ce soir ce sera une soirée open bar, Moonshine Polonais en libre service !

      • Mais Popol, le bar ne contiendra jamais une telle foule, et tu as compté le nombre de bouteilles de Moonshine nécessaires !

    Mais Popol avait tout prévu. L'avait passé un accord – il tenait à en garder pour l'instant les clauses secrètes – avec le cirque ZAVATIPAS qui campait fort opinément à l'entrée de la ville sur un terrain vague. L'arrivée pétaradante de deux gros camions rouges nous convainquit aisément des capacités organisationnelles de Popol. Déjà une équipe de gros bras commençaient à décharger dans la rue de gros madriers qu'ils soulevaient comme des fétus de paille et devant nos yeux émerveillés en trois demi-heures ils eurent tôt fait de monter une longue estrade avec sono et projos... Pendant ce temps, le second poids-lourd cul contre l'entrée du café déchargeait des dizaines de caisses de Moonshine, Popol nous avait demandé de sortir car soutint-il les gars avaient besoin de ne pas être gênés dans leur mouvements pour les entreposer dans la cave...

    A dix heures du matin, tout était prêt. Il n'y avait plus qu'à attendre les réactions des autorités.

    PREMIERE ESCARMOUCHE

    Elles ne se firent pas attendre, quatre gendarmes descendirent d'une estafette et se dirigèrent vers Popol :

      • Monsieur - l'officier avait cette arrogance obséquieuse des fonctionnaires sûr de leur mauvais droit – nous ne doutons pas que vous ayez une autorisation pour installer une estrade aussi extravagante, toutefois la Municipalité nous a fait savoir qu'elle n'en avait délivré aucune.

    Popol sourit avec cet air bête que les commerçants arborent lorsqu'ils présentent une note arnaqueuse au client pigeonné, se contenta de tirer de la poche arrière de son jean une feuille pliée en quatre qu'il tendit au Capitaine. Celui-ci la déplia, entreprit d'y jeter un coup d'œil distrait et désapprobateur, mais eut tout de suite un haut-le-corps, sa face s'empourpra telle une pivoine écarlate, sa main se leva pour un bref salut militaire et d'un pas rapide, suivi par ses sous-fifres silencieux il rejoignit son véhicule réglementaire qui démarra sur les chapeaux de roue. Popol replia soigneusement la feuille et nous sourit :

      • Autorisation préfectorale, mes amis, croyez-vous que je fournisse gratuitement en Moonshine Polonais la préfecture pour les parties fines de ces messieurs censés veiller à la dégradation des mœurs de leurs concitoyens, sans contre-partie ?

    UN REVENANT

    Les amis des animaux trouveront que Molossa ne s'est pas trop montrée depuis deux épisodes, qu'ils ne s'inquiètent point, elle est sous le comptoir devant un grand bol de Moonshine que Popol lui a amoureusement préparé... La vérité historique des faits m'obligent à rapporter qu'elle en a bu de vaste lampées et qu'elle est dans un état semi-comateux. C'est pourtant elle qui poussa le wouaf d'alerte ! Le danger s'approchait, par la glace du café nous ne voyions rien, toutefois au bout de trois minutes, nous entendîmes un léger toc-toc à peine inaudible mais qui allait s'amplifiant... Molossa grogna... il était indubitable que l'ennemi approchait...

    Nous n'en crûmes pas nos yeux, dans l'embrasure de la porte apparut la maigrichonne silhouette de L'Inspecteur Divisionnaire des Douanes, il brandit fièrement sa canne, sa face de cul s'illumina d'un sourire d'extrême jubilation :

      • N'ayez crainte Monsieur Popol, je ne viens pas vous embêter pour quatre malheureuses bouteilles de Moonshine Polonais, une vieille affaire, sur laquelle l'administration des Douanes dans une incompréhensible mansuétude a décidé de passer l'éponge. Toutefois, selon un coup de téléphone d'un informateur secret, en témoignage d'amitié je me permettrai de vous apprendre qu'il s'agit de notre valeureux capitaine de gendarmerie, il paraîtrait qu'un gros camion rouge du cirque ZAVATIPAS – nous nous intéressons depuis quelque temps à ces forains qui se livrent à un étrange va-et-vient de semi-remorques entre la charmante cité de Provins et la lointaine Pologne, mais je m'égare, pourquoi vous livré-je les informations confidentielles de nos services, bref si cela ne vous dérange pas trop Monsieur Popol, j'aimerais visiter, un simple coup d'œil, votre cave, j'espère que vous n'y voyez aucun empêchement ?

    Popol se précipita. Je ne l'avais jamais vu aussi obséquieux, des Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire à lécher l'anus d'un bouc dans une cérémonie diabolique, des prévenances à n'en plus finir, des ''je vous ouvre la trappe'' serviles, des ''je vous allume la lumière'' d'une voix chevrotante, des ''attention à la quatrième marche un peu usée'', un esclave qui court chercher le fouet avec lequel le maître lui arrachera la peau du dos... Je ne sais si au dernier moment l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes hésita mais lorsqu'il sentit la truffe chaude de Molossa sur son mollet gauche, il descendit prestement les marches, l'on entendit toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc et puis plus rien. Au bout du comptoir le Chef alluma un Coronado et Popol se mit à essuyer ses verres en compagnie de Cruchette...

    Une heure s'écoula dans un silence relatif, quatre douaniers en uniforme surgirent brutalement.

      • Nous cherchons Monsieur l'Inspecteur divisionnaire, l'avez-vous vu ?

      • Bien sûr, il est descendu à la cave, il doit y être encore ! Popol était tout sourire...

      • Toutefois il me semble l'avoir vu remonté, j'étais en train d'allumer un Coronado, mais il me semble qu'il est ressorti, laissa échapper le Chef.

    Revenus de leur vérification les quatre uniformes semblaient intrigués :

      • Il n'était pas là, mais nous reviendrons regarder d'un peu plus près ce qui se trouve exactement dans ces centaines de cartons, là nous n'avons pas le temps, mais dès que nous aurons récupéré Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire, nous nous livrerons à une visite méthodique.

    Popol leur proposa une tournée mais ils refusèrent, d'un ton rogue, arguant qu'ils étaient en service commandé. A peine étaient-ils sortis qu'il farfouilla dans un placard pour en extraire un vieux Nabuchodonosor vide – je me permets de rappeler au lecteur peu versé en champagne qu'il s'agit d'une bouteille de quinze litres - qu'il entreprit consciencieusement de remplir en y versant quinze litres de Moonshine. Souriait de toutes ses dents le Popol, il rangeait la dive bouteille dans le placard, lorsque Cruchette s'exclama :

      • Vous avez vu dehors !

    L'AVANT-CONCERT

    N'était même pas midi et la rue était déjà noire de monde. Des hordes de punks aux crêtes démentes pactisaient avec des bikers bardés de cuir, toute la faune rock, cats, goths, métalleux, fifties, skins, de la région parisienne s'était donné rendez-vous devant chez Popol. Popol trouva vite de l'aide, dix grands gaillards descendirent avec lui dans la cave et formèrent une chaîne sous les applaudissements déchaînés des assoiffés. Sur la chaussée s'élevaient des pyramides qui atteignaient les étages supérieurs des maisons. L'on avait beau se précipiter pour sortir les bouteilles, il en venait toujours. Popol fut porté en triomphe, les filles se l'arrachaient, l'était couvert de rouge à lèvres des pieds à la tête, faisait le modeste '' Ce n'est rien, un en-cas, j'ai prévu cinquante mille bouteilles, non ce n'est pas beaucoup, je compte sur deux mille participants, un petit Hellffest, une misérable soirée ! Pour ceux qui auraient une petite faim, dans une demi-heure un camion ZAVATIPAS dix tonnes de sandwichs et cinq tonnes de chips !'' Mais il n'était pas seul à connaître la gloire. Lorsque les Eric eurent expliqué en mauvais anglais qu'au Danemark le truc le plus fun consistait à remplir les culottes des filles de tout ce qui vous tombait sous la main, la foule – y avait maintenant près de cinq mille pèlerins - se sentit l'âme danoise, je préfère ne pas vous raconter les scènes de folie érotique qui s'en suivirent, l'on se sentait transporté, dans le Jardin des Délices de Jérôme Bosch, Molossa reçut mille caresses, chacun voulait son selfie avec elle, l'on se disputait pour lui offrir le saucisson des sandwichs, en bonne chienne sage et bien élevée, ne voulant peiner personne, elle s'empiffrait à éclater. L'apparition de Darky provoqua un moment de stupeur. L'on n'avait jamais vu une fille lookée comme cela. Tout de suite elle eut des imitatrices, des filles retiraient leur tampon hygiénique pour décorer leur T-Shirt... une après-midi de rêve. A neuf heures pile les Svart Butterflies montèrent sur scène. L'on comptait déjà quatre ou cinq fan-clubs, devant l'estrade, ils n'avaient pas encore joué une note que c'était une cohue indescriptible, Les Eric ( 1, 2 , 3 ) accordaient leurs guitares, le 4 tapotait doucement la grosse caisse de la fanfare du cirque ZAVATIPAS... C'est à ce moment-là que le Chef me fit signe :

      • Agent Chad, cette nuit va être la plus longue de votre vie !

      • Oui Chef, un concert extraordinaire, la légende du rock'n'roll ! Plus tard, dans les siècles à venir, les lecteurs se précipiteront sur mes Mémoires pour lire un témoignage écrit par un témoin de l'évènement !

      • Agent Chad, ne soyez pas stupide, heureusement que je veille, regardez aux extrémités des deux rues et derrière les vitres des fenêtres des maisons !

    Je jetais un coup d'oeil aux endroits indiqués par le Chef. Mon sang se glaça.

      • Euh ! Chef , si j'étais vous j'allumerai un Coronado !

      • Que croyez-vous que je sois en train de faire, agent Chad !

    ( A suivre ).

  • CHRONIQUES DE POURPRE 374 : KR'TNT ! 394 : ENDLESS BOOGIE / LITTLE BARRIE / BILL CRANE / NO HIT MAKERS / CARLA BLEY /ROCKAMBOLESQUES (8 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 394

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    22 / 11 / 2018

     ENDLESS BOOGIE / LITTLE BARRIE

    BILL CRANE / NO HIT MAKERS / CARLA BLEY

    ROCKAMBOLESQUES ( 8 )

    On ne tient pas les Endless Boogie en laisse - Part Three

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    Visiblement, Paul Major et son Endless Boogie ne font pas l’unanimité, chez les festivaliers binicais. Certains leur volaient même dans les plumes, ici et là. C’est vrai que ces New-Yorkais échappent un peu aux normes. Quatre morceaux en une heure, c’est d’un rapport qualité/prix qu’on pourrait qualifier de mauvais, si le concert n’était pas gratuit. Mais si on réfléchit une minute, le vrai problème qui se pose est de savoir si l’endless boogie peut se saucissonner en chapelets de deux minutes. Pas évident ! Même John Lee Hooker qu’on disait expert en la matière ne savait pas le faire. Par définition, l’endless boogie ne devrait jamais s’arrêter et quand Paul Major décide de couper court pour respecter les conventions de Genève, on sent bien qu’il le fait à contre-cœur, car c’est un non-sens. On pourrait même aller jusqu’à le soupçonner d’avoir reçu un pot de vin pour accepter de jouer quatre morceaux en une heure, au lieu d’un seul morceau en trois heures.

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    Au pays de Descartes, la notion d’endless boogie ne correspond à rien de connu. L’endless boogie n’est ni référencé aux Arts & Métiers, ni considéré comme étalonnable par l’ISO, l’Organisation Internationale de Normalisation. Encore moins susceptible d’entrer dans un programme de recherche à des fins normatives, car il faudrait alors doper les cervelles des chercheurs, comme on dope celles des cyclistes professionnels. Examiner l’endless boogie de bout en bout équivaudrait en gros à grimper un col des Alpes en échappée solitaire. On mesure d’ici l’effort à fournir. Et les conséquences judiciaires en cas de contrôle médical. Risque auquel se plaît à échapper Paul Major, car vu qu’on fout la paix à son endless boogie, il peut s’allumer la lanterne à l’acide en toute impunité.

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    C’est ce qui fait sa grandeur. Paul Major est l’acid-Fantomas, le shaman psychédélique par excellence, la résurrection de l’acid-freak mythique des seventies, le prince du blow out patenté. La seule chose qu’on pourrait lui reprocher serait de ne pas partager. Il part en voyage avant même d’avoir lancé son endless boogie, et il faut en moyenne une demi-heure à trois-quarts d’heure au festivalier à jeûn pour commencer à tripper, d’où sa colère légitime. C’est comme une poule qui prend son pied sans vous. Ce décalage est extrêmement désagréable. Contraire au principe d’harmonie universelle et aux règles intrinsèques du romantisme.

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    Si Paul Major se doutait des conséquences de sa passion pour l’endless boogie, ça le rendrait immanquablement triste, car de toute évidence, il prêche pour la concorde psychédélique. Sa naïveté frise le génie. Il fait un peu penser à Gandhi qui aimait tellement les hommes qu’à aucun moment il n’aurait imaginé qu’on allait lui tirer dessus à bout portant. D’aucuns diront que la naïveté fait bon ménage avec l’irresponsabilité et qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard, mais ce n’est pas une raison pour condamner l’endless boogie, l’une des dernières valeurs refuges des temps modernes, l’endless boogie refuse les notions de croissance et de rentabilité, de respectabilité et d’autorité, l’endless boogie adresse des pieds de nez au Monde Diplomatique et à toutes les petites menaces que nous cuisinent quotidiennement nos chers médias, l’endless boogie s’amuse bien dans son bac à sable pendant que les autres essaient désespérément de trouver du sens à la vie dans des réseaux sociaux, l’endless boogie prend son temps quand d’autres vont pointer pour des clopinettes, la chevelure de Paul Major flotte dans le vent breton comme l’étendard d’une Table Ronde contente d’avoir trouvé son Graal, l’endless boogie, précisément. Plus besoin d’aller errer au-delà des frontières du Nord, plus besoin d’aller affronter le chevalier noir au pont du Bec Hélouin, on joue l’accord et Paul Major part en vrille, au propre comme au figuré, tissant sur le manche de sa Les Paul d’infinies variations névralgiques, histoire de tonifier l’endless boogie et de le voir prendre son envol dans l’éclat subsonique d’un crépuscule des dieux.

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    Inespéré, Paul Major et ses amis font halte en Normandie pour distribuer une fois encore les mannes de leur endlessy endless boogie so far out. Ce qui frappe le plus dans leur attitude, c’est bien leur absence totale de frime. Ils se branchent, s’accordent et jouent. Et Paul Major attaque avec cette histoire mirobolante de Kiss on stage at the kite festival, un concours de cerfs-volants doublé d’un festival pop auquel il se rendit avec ses amis en 1974 à Saint-Louis pour voir a new band called Kiss. On aurait tendance à croire que le far out ne concerne que la musique de Paul Major, mais tous ceux qui ont lu son livre et ses notes de pochette savent que le far out concerne aussi les textes. Il manie les deux extrêmes stylistiques avec un brio stupéfiant, l’aphorisme comme la prose au long cours - I didn’t have kites of my own/ I didn’t want anybody ele’s kites either/ I wanted to see Kiss - Chez lui fond et forme ne font qu’un, il développe ses climats, y installe des images et gronde au coin du bois comme Captain Beefheart - I saw John Zorn put ice-cream into a trumpet/ But I saw Kiss at a kite contest - tout sonne irrémédiablement, tout indique que nous atteignons le maximum des possibilités du genre. Avec ce mec-là, nous ne sommes plus dans l’approximatif, nous sommes dans ce qu’il faut bien appeler l’impact orgasmique, celui que pratiquaient de leur vivant des gens comme Lou Reed, Captain Beefheart ou Mick Farren. En d’autres termes, il s’agit d’un art bâti sur l’expérience d’une vie de transgression, où dope et culture musicale jouent le rôle principal - We make our way up to the stage/ Right up front and the acid’s kicking in - Paul Major nous invite à partager des moments ordinaires qu’il transforme en moments d’exception. Et si vous voulez savoir si les gens de Kiss avaient des cerfs-volants, il saura vite vous rassurer, car non, Kiss did not bring their own kites/ They were kiteless/ Carefree/ It was either spring or fall/ Kiteless - Kiteless at a kite festival, ça résume bien Kiss. Était-ce le printemps ou l’automne, en tous les cas, ils n’avaient pas de cerfs-volants. Par contre des mecs qui étudiaient le théâtre au collège s’étaient rasé les sourcils because of David Bowie et Paul Major fut blessé : en se retournant pour observer attentivement les langues dans les bouches des gens, il reçut une bouteille en pleine poire.

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    Comme à Binic, le set se déroule paisiblement, au rythme de quatre cuts à l’heure, en de lentes montées de libre arbitre patiemment élaborées et émaillées de violentes poussées de fièvre, moments tellement intenses qu’on croit entendre des chœurs alors que personne ne chante. Comme John Lee Hooker avant eux, les New-Yorkais travaillent la matière du climax et montent leur rock en neiges du Kilimanjaro. Chacun sait qu’il faut laisser du temps au temps pour gagner l’état de transe. Par certains côtés, le Dropout Boogie de Paul Major rejoint le Babaluma de Can ou la Ray du cul du Velvet. «I couldn’t hit sideways» et «I saw Kiss at a Kite festival» même combat. Prodigieuse extension du domaine de la lutte intestine. Toute la problématique du rock scénique se situe là, très précisément : comment sort-on de l’ordinaire ? Comment marque-t-on les imaginaires au fer rouge ?

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    Paul Major vient de faire paraître Feel The Music Vol. 1, une compile de cuts qu’il aime bien, tirés d’albums inconnus au bataillon et souvent d’une qualité acid-folk stupéfiante, à commencer par «The Travesty Of My Life» de Tim Lonergan & Buddy Kelly, cut qu’on dirait hanté par le vent des plaines - Nearly all human beings endure certains moments of bleak clarity leading them to believe their entire existence is a hopeless disaster (presque tous les êtres humains connaissent des moments de lucidité qui leur font croire que leur vie entière est un désastre) - C’est bien le son de la désespérance - Few have captured it - Bravo Paul Major ! C’est une énormité jouée au psyché de cabane en bois. L’autre grosse bombe de l’album s’appelle «Let It All Hang Out» par The Yays & Nays. Absolument dément ! C’mon fevah ! Ils grattent ça à la folie pure. Explosif ! Chanté au gras du menton, on a là une vraie sensation de génie sonique en gestation. Cette musicalité frise la folie. Paul Major enchaîne ça avec «Ruby» de Merkin - Impossibly rare LP. Music From Merkin Manor, the sort of house where you can’t quite tell if strange things are really happening or it’s just your mind playing tricks on you (Le genre de maison où des phénomènes étranges se produisent. Vous ne savez pas s’ils se produisent réellement ou si c’est votre cerveau qui vous joue des tours) - Joli shoot de rumble psyché chanté à deux voix. Ahhh Ruby Ruby Ruby, c’est à la fois soft et musculeux, chargé de son comme une mule, bien troussé du beat, avec un départ en solo claironnant. Voilà encore un grand rock US complètement inconnu au bataillon. On peut dire la même chose du «Run» de Ray Harlowe & Gyp Fox, une ballade rongée par la fuzz. Tout est fascinant sur cette compile et ça continue avec «Behold» de Justyn Rees - Death is mere illusion and Justyn has the ethereal psychedelic sound to make a believer out of you. Works quite well while you are still alive (la mort est une pure illusion et grâce à son pouvoir psychédélique, Justyn peut vous en convaincre. Ça marche mieux si vous êtes vivant) - C’est une sorte de psychedelia définitive, une horreur lysergique. On la suivrait jusqu’en enfer. Ce cut dégage un fort parfum de mort psychédélique. Les notes de Paul Major sont une aubaine pour l’intellect en manque d’aubaines. Elles sonnent comme des aphorismes. Pour le «Passages» de Sebastian, il écrit : «When 10 000 weeds are smiling and talking to you, the acid has definitely kicked in.» (Quand 10 000 brins d’herbe vous sourient et commencent à vous parler, ça veut dire que l’acide commence à faire son effet). Paul Major présente Sebastian comme the Canadian king of dried hair psychedelia. Avec le «Saturday Thought» de Bob Edmund, Paul Major recommande d’appeler de l’aide, une aide qui n’arrivera jamais because your system only exist in the past or future, not now. Paul Major s’exprime dans une langue prophétique. Le garage psyché de Bob Edmund vaut largement celui de Byrds, no no no no ! Par contre, Jerry Solomon se prend pour Donovan avec un «Denied» qui sonne comme «Hurdy Gurdy Man». Spécial et spectral. Chanté au trembling électronique. On note l’extraordinaire portée de Dave Porter et de son «Where Do Clouds Go» - Asking the question in such a melancholy world weary way that the question becomes the answer (Dans un monde aussi mélancolique que le notre, on aurait tendance à penser que la réponse est dans la question). Paul Major se demande qui est la mystérieuse fille qui chante avec Marcus dans «Captain Zolla Queen». Et il termine cette émouvante compile avec un autre empereur assyrien, Darius et son «I Feel The Need To Carry On», absolument dégoulinant de psychédélia verdâtre. Ode à la morve.

    Signé : Cazengler, endless raboogri

    Endless Boogie. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

    Endless Boogie. Le 106. Rouen (76). 3 novembre 2018

    Paul Major. Feel The Music Vol. 1. Anthology Recordings 2017

    Il est cinq heures, Barrie s’éveille

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    Il s’appelle Barrie Cadogan et rêve de freakbeat. Alors il fait Little Barrie. Dans Shindig, il dit à Paul Osborne qu’il essaye de faire something different avec les vieux sons qu’il adore. Il cite par exemple les Silver Apples et les weird sci-fi/electronic sounds. Il cite aussi Can qui avait un rock’n’roll gear et qui a trouvé un moyen de faire quelque chose de différent.

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    Little Barrie vient de sortir un nouvel album, Death Express. Barrie Cadogan y évoque des sujets aussi réjouissants que la surveillance policière («Copter»), la peur savamment entretenue par les médias («New Disease») et le vent de folie qui souffle actuellement sur le monde («Golden Age») - Things are definitively not good now - ajoute Barrie Cadogan. Little Barrie est en fait un trio dans lequel joue aussi le fils de Steve Howe, on devrait plutôt dire jouait, car il vient de mourir. Death Express est salué dans la presse anglaise par une sorte de buzz, mais ce n’est pas non plus l’album du siècle, pas d’affolement. Les compos sont parfois terriblement faibles, comme justement le «Copter» auquel Cadogan fait allusion dans l’article. Le groove de «Golden Age» et connu comme le loup blanc, puisqu’il s’agit de celui de «Little Johnny Jewel». Exactement le même. Little Barrie est un trio de groovers. Ils jouent pas mal de heavy-rock revanchard sans aucun intérêt. Par contre «You Can’t Stop Us» vaut le détour, c’est un vrai dévergondage, joué par vagues assez violentes et ultra-remué par la basse. Le bassman tient bien son rang. Il s’impose dans certains cuts comme «Count To Ten». Encore un cut intéressant, «Love Or Love», joué au maximum overdrive. Terrific, digne des Seeds et de tout les garages de banlieue. Ces trois-là sont des surdoués de la voltige, ils sonnent comme les Seeds, mais en plus musculeux. Cadogan sur-joue «Molotovcop» à la guitare, il claque ses notes à la Clapton sixties, on se croirait chez John Mayall, c’est un son qui ne trompe pas. Virgil Howe sur-joue lui aussi, mais il est vrai que dans un trio, il faut ce qu’il faut. Peut-être sont-ils trop doués, comme pouvait l’être la première mouture de Lizzy avec Eric Bell. Question guitare, Cadogan en connaît un rayon, comme on le voit avec «Produkt». Il vient toujours se positionner sur le spot du guitar hero. Il en a les moyens, il adore s’exprimer sur fonds bien syncopés, mais ça tourne au ridicule, sans doute à cause du jeu trop tarabiscoté de Virgil Howe. Par contre, «Ultraviolet Blues» redevient intéressant, avec le chant perdu dans le fond du studio. Mais Virgil Howe est beaucoup trop présent dans le mix. Il n’empêche que ce cut est bardé de son, c’est l’un des hauts faits des riches heures du duc de Barrie. Ça repart de plus belle avec le morceau titre et son brouet d’electro. La guitare sonne comme un synthé. C’est dire s’ils bouffent à tous les râteliers. L’album est long, vingt cuts, ça ne s’écoute pas en cinq minutes. On fatigue un peu. Heureusement, «Shoulders Up» réveille en sursaut, car c’est très hot et joué au gras double. Mais la section rythmique finit par agacer. Trop présente. Elle ruine un peu l’album par sa technicité.

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    Quand on lit l’article de Paul Osborne, on éprouve un immense respect pour ces journalistes qui parviennent à remplir une page avec rien. Ce pauvre Barrie Cadogan n’a hélas pas grand chose à raconter. Il faut donc se contenter des albums, Death Express étant le cinquième.

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    Le premier date de 2005 et s’appelle We Are Little Barrie. Avec la pochette rouge, ils tentent de renouer avec l’esprit des grandes pochettes rouges de l’histoire du rock, celles de Slade Alive et de Grand Funk. L’album est excellent et plutôt chaudement recommandé. Cadogan attaque «Free Salute» au heavy groove. Il sonne comme un mec qui cherche un son et qui le trouve, et qui en plus le farcit de tortillettes de notes claires. C’est ultra-convaincu d’avance. Il chante avec l’haleine puante d’une hyène. Quel merveilleux mélange de volonté d’en découdre et de son instinctif. Cadogan chante en demi-lune et claque de choses à la cantonade. C’est tellement bon que ça dépasse toutes les attentes. Il impressionne encore avec «Burned Out». Cadogan chante avec un petit ton bien perverti. Il est bon d’emblée. Il sonne bien. Avec le glouglou de la basse, on croirait entendre de la Soul. Il chante aussi «Greener Pastures» avec une petite insistance merveilleuse. Il est frénétique dans son pantalon, il shake son shook avec de la rémona, on se croirait presque à Muscle Shoals, mais en plus jazzy. Il joue de l’acou jazz comme un démon, du coup, on prend ce mec très au sérieux. Ces trois-là sont des surdoués, on le voit bien avec «Be The One». Il jouent le groove à l’anti-groove, ils ultra-jouent et installent une sacrée ambiance. On le voit aussi chanter «Well And Truly Done» d’une petite voix judicieuse et compressée. Cadogan invente un système. Il se mêle de Soul. Il claque des accords de white Soul et multiplie les incursions vénales, alors ça prend une tournure prodigieusement intéressante, ça vire white niggah, il fait ses yeah yeah yeah à la bonne franquette de black joint. Quelle belle énormité ! Encore du groove avec «Stone Throw». Cadogan renoue avec le feeling du vieux swinging London. Il se sent concerné par le London groove. C’est assez fascinant. On le voit revenir à l’esprit Savoy Brown/Ten Years After avec «Long Hair». On se croirait à Londres en 1967. C’est sa came, et c’est bien shaké du coconut, avec un solo d’intraveineuse. Comme c’est bien foutu ! Ce mec est fiable, et dans «Thinking On The Mind», il soigne son petit accent pervers à la Aubrey Beardsley et joue des notes claires comme l’eau du lac. Et puis il prend son temps avec «Move So Easy». Il adore les cuts de cinq minutes. Ça lui permet de s’exprimer. Il n’y va pas par quatre chemins. Le groove d’abord. Pour le reste, on verra. Une folle vient faire les chœurs. Elle n’est même pas créditée, mais ce n’est pas si grave. L’important c’est de participer.

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    Changement de registre avec Stand To Your Ground paru deux ans plus tard. Cet album est beaucoup moins intense que le premier, même si on retrouve ces parti-pris de beat sophistiqués et de groove salé et poivré. On a l’impression que Virgil Howe fait tout le boulot. Cadogan joue sec, lui aussi, mais pas autant que Virgil. Le point fort de l’album s’appelle «Cash In». Pas facile d’entrer dans cet album, ils tentent des choses, mais ça reste d’un conformisme beaucoup trop épais, même lorsque Cadogan chante à la glotte folle. «Cash In» sonne pourtant comme un hit. On se croirait sur le premier album des Ten Years After. C’est un son incroyablement anglais. On trouve aussi un beau degré d’intentionalité dans «Love You». Mais avec «Pin That Badge», ça tourne en rond. Ils s’engluent dans leur modèle groovytal et on finit par s’ennuyer comme des rats morts. «Green Eyed Fool» agace un peu, car c’est du garage convenu, chargé de son, c’est vrai, mais bon. On passe à travers. On sent bien qu’on se fait rouler. Encore du groove systématique avec «Just Wanna Play», et pourtant on a là un bassmatic inventif. Mais la viande fait cruellement défaut. Il faut tout de même reconnaître que Barrie Cadogan dispose d’un don particulier pour revenir à des formats anciens. Il est dans le son de 1968, avec un goût acéré pour la modernité commerciale. Il termine avec un «Pay To Join» assez solide. Mais le côté petit chant d’accent avarié ne passe pas. Ce mec et ses deux bras droits tentent toujours le tout pour le tout.

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    Belle pochette de Polaroids pour King Of The Waves. L’imagerie se veut très sixties, très soignée. Virgil Howe joue «How Come» au stomp, il faut voir comme c’est envoyé. Quelle belle énergie de groove anglais. On sent qu’ils sont là pour de vrai dès «Surf Hell». Les voilà de retour avec leurs petits bras et leurs idées de pacotille, mais que de ferveur ! Edwyn Collins les produit. «Does The Halo Rust» est beaucoup moins réjouissant. On ne gagne pas à tous les coups, mais le final peut hanter un château d’Écosse. Avec «Precious Pressure», on voit que le rock de Barrie Cadogan peut passer par des phases laborieuses. Pas facile d’avoir toujours des bonnes idées. Parfois, il arrive qu’on n’en trouve pas, même pas sous le sabot d’un cheval. De cut en cut, on réalise que l’album est cousu de fil blanc. On sait bien qu’ils cherchent à percer. Barrie Cadogan joue avec tout ce qu’il a dans le ventre, et des deux bras droits aussi, mais visiblement ça ne suffit pas. Leur système ne mène nulle part. Alors ils cherchent des idées au hasard, comme avec «Dream To Live». Edwyn Collins vielle au grain, mais ça ne résout pas le problème du manque de viande. Heureusement, quand barrie Cadogan barre en couille, on retrouve la terre ferme. Dommage qu’il ne se laisse pas aller plus souvent. Ils ramène son petit timbre d’Oliver Twist dans «I Can’t Wait», mais c’est Vrirgil Howe qui fait tout le boulot, une fois de plus. Ils sont marrants, ils se prennent pour les rois du monde. Petit sursaut avec «New Diamond Love», ils chargent toutes les dynamiques à fond de train et reviennent au heavy beat de syncope avec «Money In Paper». Ces mecs-là ont un sens du beat qui défie toute concurrence. Pendant que Virgil Howe fait tout le boulot, Cadogan vire sa cutie et ça tourne à la foire à la saucisse.

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    On trouve une belle énormité sur Shadow : «Pauline». Enfin un hit ! Cadogan y claque de violents accords de storm. Il tente de sauver son album. Voilà une Pauline qui vaut tout l’or du monde. Mais pour le reste, il faut vraiment se forcer. «It Don’t Count» sonne vraiment comme un vieux groove usé et on s’ennuie un peu. Ils jouent leur va-tout sur «Everything You Want Will Be Yours Tonight», un groove de bass/drum assez intéressant, mais ils constatent une fois de plus qu’il est difficile de percer. Ils s’enlisent dans un manque de perspectives. Ils tentent le coup du raout funky avec «Realise», ils y croient dur comme fer, mais c’est du funk anglais. Et c’est vrai, dès le «Bonneville Ride» d’ouverture de bal, on sent qu’on sera privé de surprises, comme d’autres sont privés de dessert. Ce pauvre Barrie Cadogan s’épuise à vouloir créer la sensation. Il n’a jamais su retrouver la niaque de son premier album. La vie est parfois cruelle. Le pire est qu’on attend des miracles de ces gens-là, mais quand on écoute «Sworn In», tout espoir s’envole. Ils y deviennent laborieux et même ridicules. Ils retapent dans leur vieux groove pour «Stop or Die» et il faut attendre «Eyes Were Yound» pour retrouver la terre ferme. Gros groove seventies, mais pas de surprise. Barrie Cadogan n’invente ni le fil à couper le beurre, ni la poudre, ni la roue. C’est un honnête ouvrier du rock, un mec qui s’efforce de bien faire son boulot du matin au soir. Tout cela se termine avec le morceau titre en forme de fin de non-recevoir, un peu absurde de la part d’un mec capable de pondre des hits comme «Pauline», mais il veut se montrer attachant jusqu’au bout de la nuit, alors on le suit sans moufter.

    Signé : Cazengler, Little Barrique

    Little Barrie. We Are Little Barrie. Guenine 2005

    Little Barrie. Stand To Your Ground. Guenine 2007

    Little Barrie. King Of The Waves. Bumpman Records 2010

    Little Barrie. Shadow. Tummy Touch Records 2013

    Little Barrie. Death Express. Hotless Entertainment Unlimited 2017

    Paul Osborne. First Class Return. Shindig #69 - July 2017

    MONTREUIL-SOUS-BOIS

    17 / 11 / 2018 / L'ARMONY

    BILL CRANE / NO HIT MAKERS

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    Les gens sont méchants. Ne supportent pas que chaque semaine j'aille en concert, sont jaloux. Ce weed-end ils ont inventé un jeu, se sont mobilisés par centaines de milliers pour m'empêcher de chercher ma ration de décibels. Comme ils ne savaient pas où je me rendais exactement, ils ont occupé pas moins de deux mille axes de circulation sur tout le territoire national. Je trouve cela particulièrement stupide, il existe bien d'autres raisons hautement plus essentielles pour bloquer le pays, je cite en vrac, les salaires minuscules, les taxes majuscules, la misère qui monte, la mal-bouffe,... mais non se sont focalisés sur le fait de me barrer le chemin. Un truc à devenir parano. C'était un pari perdu d'avance, comment empêcher un rocker d'assister à un concert ! Autant s'acharner à vider les océans à la petite cuillère. Imaginez un vampire à qui l'on refuserait son bol de sang frais au petit déjeuner du matin. S'en est fallu de peu pour qu'ils réussissent, deux barrages successifs sur la N4, le dernier au rond-point stratégique et les forces du désordre qui nous ont rejetés dans un labyrinthe sans fin... Bref a contrario de Bobby Fuller IV, la teuf-teuf et moi, on a gagné, avec une demi-heure d'avance sur le début des festivités. Pas question de rater deux de mes groupes préférés ! Surtout que les deux sets ont été fastueux !

    BILL CRANE

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    Se cherchent des yeux, Bobo au fond, dans sa marinière, un vieux loup de mer qui a navigué sur tous les océans et essuyé toutes les tempêtes, fidèle à son poste, Eric devant, au centre, avec sa Fender toute pourrave, style radeau de la Méduse qui flotte l'on ne sait comment, mais totalement insubmersible, Gwen le gabier prêt à aux acrobaties les plus dangereuses sur les cordes de sa basse, à l'autre extrémité Patrice, tient entre ses mains une lourde couleuvrine, son arme fétiche pour les abordages de haut vol. Bref un équipage de pirates qui s'apprête à hisser les voiles.

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    Dès Move It en ouverture, l'on sent que le vent cogne dans la voilure et que c'est parti pour l'aventure. Patrice use de son sax baryton comme d'un troupeau de mammouths antédiluviens dans un magasin de porcelaines de saxe. L'a le souffle qui carbure au grabuge. L'emporte tout sur son passage et les autres se coulent dans la trouée comme le Mississippi dans la digue renversée. Ne vous étonnez pas si quelques bestioles peu engageantes nagent à vos côtés. Dans l'aquarium du rock'n'roll surnagent toujours quelques alligators. Dans l'équipage Bill Crane vous avez deux bordées. A tribord Eric et Gwen. A bâbord Bobo et Patrice. Eric mène la barque et Gwen souque ferme. L'a intérêt à ne pas quitter le Ric des yeux, car le Ric à la guitare, il est du genre cascadeur sans filet, se rattrape au bout du riff à la dernière seconde, l'on ne sait pas comment, mais il vous réalise les miracles à la chaîne, joue à la déglingue, se réclame d'une éthique peu commune, pour lui il n'y a pas de rock'n'roll sans danger, commence par abattre les arbres à la tronçonneuse et coupe les branches à la hache, sa guitare miaule comme un tigre qui a faim, à ses côtés Gwen essaie de le rassurer, sa basse est une voix grave apaisante, lourde et ronde, qui essaie de caresser le fauve dans le sens de la fourrure, mais l'animal est si agité que l'ensemble sonne à la manière d'un tourbillon frénétique infini, qui se transforme en le combat du Yin contre le Yang. Imaginez que vous ayez à accompagner ce nœud de serpents entremêlés, que feriez-vous, sinon donner votre démission ? Eric n'entrevoit pas le rock comme un long fleuve tranquille, plutôt comme une ultra-rapide glissade reptatrice expérimentale. Mais il la fomente bourrée d'énergie pure, et vous la refile en morceaux saignants, un peu comme ces serpents vivants que l'on vous découpe en tranche sur les marchés en Inde et que vous déchirez à pleines dents tout crus, une bouchée de chair sanguinolente, une bouchée gorgée de venin. Le cassoulet d'Eric Calassou est un peu sauvage.

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    Vous n'avez pas répondu à la question, bandes d'ignorants. Heureusement que Bobo et Patrice, sont des gars solides qui savent orchestrer les réponses satisfaisantes. Deux solistes qui marchent ensemble. Pour Patrice, c'est clair et net. Fonce sans se perdre dans d'abstruses interrogations métaphysiques. N'arrête pratiquement jamais de souffler. L'Eric ne peut pas envoyer une giclée de barrés totalement barrés sans que le sax ne se jette dessus et ne vous les enveloppe de barrissements monstrueux. Le Pat vous sature l'ossature des morceaux. Vous rature la tessiture. Bombarde d'abord. Bombarde ensuite. Bombarde encore. Devant un tel déluge Eric et Gwen ne peuvent qu'accélérer la rythmique. C'est en ces moments qu'intervient Bobo. Non il ne fait pas dodo. Il veille, en stéréo. Ce zigue il a les deux lobes du cerveau qui fonctionnent en même temps. L'a un coup d'avance sur les trois-quarts de l'humanité. Se la donne à mort, mais avec cette attitude olympienne du mec peu émotif pas pressé pour un empire et qui vient de sauver le monde en un tournemain parce que vous avez beaucoup insisté alors qu'il aurait eu mieux à faire chez lui. D'abord d'un coup de baguette lourd comme un paquebot et fuselé comme un air-craft il rétablit l'équilibre avec les deux zozos qui courent vers le zoo, ensuite il s'occupe de l'autre zèbre au sax à fond. Entre en dialogue avec lui, vous froisse le rythme pour mieux l'accompagner dans ces interminables souffleries de trompes tibétaines, et du coup se mettent à dialoguer comme s'ils prenaient le thé chez Mme de Récamier. Mais en plus brutal, en plus pressé, interjectent des plus précipitamment, et évidemment Gwen et Eric se mêlent à la conversation. Une partie carrée, l'un ramène sa fraise et l'autre le pot de confiture, ça fuse de tous les côtés, ça jacte et ça déblatère sans fin. Tous ensemble, mais chacun à sa place, le combo se fait quatuor, l'on dézingue à fond la caisse, mais les réparties sont fignolées au millimètre. En plein rock, avec des relents de traitements de sons à la free-jazz. Rien que ces manières sur les fins de morceaux de faire crisser le bout de la baguette sur la baguette de la cymbale, et ces chorus sandwichés de sax et de batterie...

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    L'ensemble balance et roule à la perfection. Sonne garage et rappelle le son du Velvet Underground en ses plus beaux moments. Inutile de vous la péter à l'objection votre honneur, le Velvet sans la voix ouatée du grand méchant Lou... justement mes agneaux, j'ai gardé le meilleur pour la fin. Le Calassou sonne fort. Certes le rock instrumental c'est bien, avec le vocal en plus c'est mieux. L'a la voix comme la truffe du chien, toujours devant, en éveil, le fouet à lanières coutes qui vous galvanise, le coutelas qui pique la couenne et vous tranche la chair. C'est elle qui fouette les chevaux et rameute le public devant la scène. Faudrait énumérer tous les morceaux, les reprises et les originaux, toutes mixées selon une interprétation d'enfer. L'assistance enfiévrée, vont nous allonger dix-huit titres qui mettent le public au bord de la dépression nerveuse. Un set roc'n'roll éblouissant !

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    ( Photos : Arthur Sabrié )

    NO HIT MAKERS

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    Bitter Taste en introduction. Orange amère si vous voulez, mais quelle merveilleuse potion. Le goût de l'ambroisie que goûtaient les Bienheureux sur le Mont-Olympe. On les connaît les No Hit Makers, mais nous refont le coup à chaque set. C'est comme la charge héroïque, une fois qu'elle est lancée, vous ne l'arrêtez plus, de la première seconde au dernier rappel. Vous n'y échappez plus. Néo Rockabilly si vous le désirez, c'est inscrit sur le flyer, mais avant tout c'est de toute beauté, une grande flamboyance qui vous scotche et qui ne vous lâche plus. Fascinatoire, l'assistance sous le charme – entendez ce mot en le sens de rite incapacitant qui vous immobilise et vous submerge de l'intérieur. Vous avez l'impression que l'on allume une lumière dans les organes vitaux de votre corps. La musique se mélange à la lymphe de vos rêves et vous pénétrez en des royaumes qui gisent tapis en de secrètes et mystérieuses parties de vous-mêmes dont vous ignoriez jusques à lors l'existence.

    Quatre à s'insinuer en vous, à entrer sans frapper, et à vous baigner d'extasies musicales. Forment un tout indissociable, les grains d'une grenade fermée comme le poing que vous ne sauriez dissocier. Eric est au centre, guitare à ouïe de serpent orange, casquette plate et barbichette pointue, fin sourire malicieux et voix qui coule sans fin comme le vent caresse les épis de blés et les emporte en une vague à l'autre bout du monde. Une rythmique incessante, une flamme qui se propage parmi les herbes. Larbi collé à la tranche de sa big mama, la tricote sans fin, l'on entend le tac-tac des aiguilles qui se cognent et se pressent, le même bruit que les écailles du crotale qui s'en vient imperturbablement sonner à votre porte l'heure de votre mort. Ces deux-là pour le mécanisme de fond, fournissent et fourbissent la musique du film, celle qui court du générique aux séquences palpitantes, celle qui cliquette dans votre tête même si vous ne savez pas que vous êtes en train de l'écouter. Celle qui déroule d'inquiétantes images sur les vitraux de votre âme.

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    Derrière, pratiquement caché par le mur mouvant des trois camarades, Jérôme. Comme les autres le balancier de la pendule devenu fou. Fait partie de cette famille des batteurs qui ne bougent pratiquement pas les bras. Ce sont ses poignets qui s'activent, une frénésie articulatoire démoniaque, une espèce de robotique délirante qui parcourt le champ des toms à la vitesse d'un cheval en fuite. Une cavalcade en accélération constante, la production d'une poussée phénoménale, un moteur à plein régime qui ne sait pas s'arrêter.

    A côté, c'est le mot, un peu en aparté, Vincent, ce n'est pas qu'il ne joue pas avec les autres, c'est qu'il se permet l'accélération des particules des tuyères adjacentes de la fusée. Alors que le trio file droit à la façon d'une charge de cavalerie, il infléchit le sens de la course, prend les devants et délivre du bout des doigts des ruissellements de tonitruance, sa Gretsch crache la foudre et explose, ou alors il s'enfonce tout seul dans des dédales rythmiques labyrinthiques qui éclatent comme autant de broderies de feu, dont il ressort vainqueur, immanquablement en tête.

    No Hit Makers, aux réactions du public, on s'aperçoit qu'ils ont malgré ce qu'ils affichent et proclament quelques hits, Soldier of Peace ou The Doors of Heaven par exemple pour n'en citer que deux. Au fur et à mesure que les titres défilent la tension monte, les exclamations fusent et certains se laissent emporter par le rythme. Maintiennent la pression, et tout s'accélère. Larby ne s'appartient plus, sa longue silhouette saccadée semble vouloir pénétrer et se fondre en sa big mama, existe-t-il meilleure métamorphose pour un musicien que se transformer en son propre instrument, sa tête roule comme si elle ne demandait qu'à se détacher, le bouchon que l'on dévisse pour sortir de soi et se fondre et peut-être même se dissoudre dans le reste de l'univers.

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    Le groupe atteint à un certain vertige psychédélique. Les pieds dans le rockab mais l'esprit beaucoup plus haut. Le chant d'Eric porte l'empreinte d'une certaine emphase hypnotique, ouvre des portes ignorées vous catapulte en des hauteurs inconnues. Le timbre est doux, mais puissant, vous dépose vous ne savez trop où en orbite de vous-même. Il semble murmurer au micro, mais les paroles bruissent de mille affects et éclatent dans vos tympans comme mandragores au pied des gibets.

    Si Jérôme agit comme un pusher, un intensificateur des battements d'ailes astrales, un pulsar métronomique infatigable, Vincent, les doigts dans la réalité des cordes, reste le pieu planté dans le cœur du rock'n'roll, pour qu'il ne s'échappe point, pour qu'il ne quitte pas la boue originelle du delta et la terre gestatrice des Appalaches. Il est le point d'ancrage, le cordon d'or qui accompagne tous les envols et assure le retour dans les fondrières du rock. Faut le voir, courbé, attentif, précis, incisif, découpe les séquences, les délimite, ouvre et ferme les grilles, assure et règle la circulation sanguine de la musique du Diable. Ne vous y trompez pas, c'est bien le pouls de la bête hideuse qui bat dans la fragrance safranée des No Hit Makers. Si vous clignez des yeux sans doute arriverez-vous à entrevoir son regard d'eau glauque dans lequel vous aurez envie de vous noyer.

    Une espèce de transe a saisi l'assistance. Un envoûtement collectif. Lorsque le concert s'arrête, le public s'ébroue, la chute dans la réalité est trot abrupte, insupportablement brutale. L'exigence minimale d'un rappel se fait entendre. Il y en aura trois. Depuis nous sommes en manque.

    Damie Chad.

    ( Photos : Bill Crane )

    CARLA BLEY L'INATTENDU-E

    LUDOVIC FLORIN / JEAN – MICHEL COURT

    ALEX DUTHIL / JEAN-FRANCOIS MONDOT

    ( Naïve Livres / 2013 )

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    Longtemps que Carla Bley ne s'était imposée à mon esprit. C'était aux heures glorieuses de Rock & Folk. En ces temps-là on ne dormait plus de la nuit ( gros mensonge ) l'on se demandait ce qu'allait faire Mick Taylor après avoir quitté les Rolling Stones et voilà que l'on nous apprenait qu'il s'acoquinait avec Jack Bruce, le bassiste de Cream ( et plus tard de West Bruce & Laing ) et... Carla Bley... pendant d'autres nuitées on a attendu en vain une véritable concrétisation... et puis plus rien, une bulle de savon éclatée et perdue à jamais dans le vol transparent d'un cygne éblouissant qui n'a pas fui, pour singer Mallarmé.

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    Décidément l'on n'en a jamais fini avec son passé, vous mord aux mollets à la manière des chiens enragés de l'enfer. Tout de suite sur la jaquette intérieure, j'apprends que nos écrivains sont des passionnés de jazz - nul n'est parfait – que certains d'entre eux ont contribué à Jazz Hot, à Jazz Magazine, à Jazzman, je n'en suis guère surpris, par contre totalement stupéfait d'apprendre que deux d'entre eux sont Maîtres de Conférences à l'UTM. Moi aussi j'y ai traîné quelque peu mes guêtres en cette université à une époque très remuante, c'est-là qu'aux temps de mes chères études j'ai peaufiné mon sujet de maîtrise '' Défense et illustration du rock'n'roll français'' dans le sous-département, un peu à part, Musique et Littérature, on y étudiait Richard Wagner. Tout se transforme rien ne se perd dixunt Lavoisier et Anaxagore, l'UTM vous prépare maintenant à une Licence Jazz et Cultures Musicales, Jean-Michel Court et Ludovic Florin – ce sont eux les coupables – ont même imaginé de remettre à Carla Bley son diplôme Doctor Honoris Causa de l'Université Toulouse-Le Mirail. Et la Carla n'a pas hésité à venir chercher son diplôme...

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    Nombre de nos lecteurs qui ne possèdent pas sur leurs étagères sa discographie complète doivent se demander qui est cette Carla. Nous ne les laisserons pas en proie aux affres de l'ignorance.

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    Au début de sa vie Carla était une petite fille qui avait tout pour être heureuse et devenir une grande personne sage. Certes elle a grandi, mais n'a jamais fait preuve d'une exemplaire sagesse. L'était mignonnette la jeune Lovella May Borg, quand vous regardez les photos, avec sa petite gueule d'angelot vous la confondriez avec Boucle d'Or, l'héroïne du conte aux trois ours. Plus tard elle a changé sa coiffure, sur la couve du bouquin l'on dirait qu'elle pose pour une pub des balais O-Cédar tout juste sortis de l'eau sale... Et pourtant elle naquit dans une famille aimante, un papa pasteur, une maman pianiste. Des gens très bien qui écoutaient et jouaient de la musique classique. La Lovella s'est entichée du piano. Ses parents devaient la rêver en concertiste, se hâtèrent de lui infliger les rudiments et les bases de l'instrument roi. Mal leur en prit. Dans cette jeune âme, rôdaient des ferments d'anarchie et ce bout de chou ( né en 1938 ) se mit, bien avant qu'elle ne soit inventée ,à l'école de la pratique punk du Do It Yourself. L'a bouté les profs parentaux du clavier, l'a claironné qu'elle apprendrait toute seule, et elle n'en a pas démordu une seconde. Le paternel a essayé de rattraper la situation par la bande. Lui a montré que certes on jouait la musique mais que pour cela il fallait d'abord la lire. Et l'écrire. Vous pigez le sous-entendu, la musique ma chérie c'est beaucoup plus difficile que la peinture à l'huile, alors je vais te montrer. Inutile, s'exclama Lovella, et hop illico elle se saisit d'une feuille de cahier de musique vierge et s'employa à remplir les portées d'une foultitude de notes. Lorsque toute fière elle montra le résultat à son père, celui-ci ne put que laisser échapper cette phrase qui devait avoir de grandes conséquences pour l'avenir de la musique populaire américaine '' Mais il y a beaucoup trop de notes !''

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    Adolescente, elle n'échappe pas à l'american way of life, tient l'orgue à l'Eglise, s'adonne au skate, occupations bien innocentes mais le démon de la perversité la pousse à jouer du piano dans les bars et commence ainsi à entendre des pointures comme Chet Baker, Lionel Hampton, Dave Brubeck, mais le saxophoniste Teo Macero qui joue du saxophone et qui deviendra le producteur de Miles Davis, l'enjoint de se rendre à New York, là où tout se passe...

    L'AVENTURE FREE

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    Pas blaireaute la demoiselle Bley, s'introduit au cœur de la citadelle, vendra des cigarettes – à la manière des ouvreuses de cinéma qui les années cinquante offraient des bonbons et autres friandises pendant les entractes. Nous sommes en 1955, et le jazz arrive à sa plus grande effulgence, Carla se tait et écoute. Tous les grands ténors défilent dans ses oreilles. Sans doute dans sa tête se demande-t-elle, comment toute cette magnificence évoluera-t-elle ? Elle ne le sait pas encore, mais elle sera au centre du maelström sonore qui s'approche. La faute en revient à un certain Paul Bley, se rencontrent en 1956, se marient en 1959. Paul Bley est moins connu que Jerry Lou, mais peut-être son approche du piano est-elle beaucoup plus révolutionnaire. A la base il est un musicien classique, mais il a envie de pousser les murs, se rend bien compte qu'autour de lui ce sont les jazzmen qui font bouger les choses. Alors il rôde dans les clubs, il montre que question touches il touche un max. Un soir Charlie Parker lui demande de jouer avec lui, mais c'est Charlie Mingus qui le lance dans le grand bain, lui fait enregistrer son premier disque Introducing Paul Bley avec Mingus et Art Blakey.

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    Paul le surdoué et Carla l'autodidacte ! Le feu et l'eau se marièrent très bien. Carla se sent toute petite face au savoir de Paul, et Paul qui cherche toujours à casser les murs de la musique n'est pas insensible aux brisures du savoir amassé au hasard des découvertes par son épouse. Carla doute, et construit ses redoutes. Les évènements s'enchaînent Paul Bley compte désormais Don Cherry, Billy Higgins et Ornette Coleman dans son quintette... Mais le coup décisif et emblématique de cette nouvelle musique qui pointe à l'horizon sera porté par le Kind of Blue de Miles Davis. En 1960, Paul rencontre Steve Swallow qui deviendra l'ami et le confident de Carla. Plus tard son mari. Mais nous n'en sommes pas encore là. Carla a de plus en plus de boulot. Ce qui lui prend un peu le ciboulot. Elle ne se sent pas assez douée pour jouer en public, par contre elle compose à la maison, et écrit ses partitions. Le big problem, c'est que ses connaissances sont plutôt défaillantes, elle connaît la marche à suivre, un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout... Alors elle vous écrit des trucs minuscules – ça tient facilement sur deux portées - pas très précises. Justement le truc que recherche la nouvelle génération de musiciens en quête de choses nouvelles. Avec ses débris de partoche, Carla devient une des pierres angulaires de la New Thing. George Russel, Don Ellis, Albert Ayler, et bien d'autres interprètent ses compositions...

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    Carla possède une autre particularité, ses œuvres laissent une très grande liberté aux interprètes, chacun l'arrange à sa façon, l'accentue selon sa personnalité, la Bley c'est la copine imaginative capable de vous filer une idée follement originale et atypique pour votre rédaction, mais le gars à qui elle la souffle est très souvent un mec un peu génial... mais de surcroît elle est capable de la modifier pour l'adapter aux manières de jouer de deux musiciens aux styles diamétralement antithétiques. Le free-jazz est une musique extrémiste. Le public n'y adhère pas vraiment. Un peu de scandale au début, un peu de curiosité par la suite, mais au final les musiciens ont du mal à trouver des labels pour enregistrer. Le côté Diy de Carla ne manque pas de trouver une parade à cette situation exaspérante. En 1964, avec le trompettiste Bill Dixon, elle pousse à la fondation de Jazz Composers Guild Association, dont le but est de regrouper des musiciens pour interpréter les essais et créations d'auteurs qui ne parviennent pas à se faire connaître. Archie Shepp et Sun Ra apporteront leur soutient. Un certain Michael Mantler aussi. Ne tardera pas à remplacer Paul Bley dans la vie de Carla. Mantler travaille dans la même optique que Carla, européen il apporte un regard plus intellectuel que les américains sur leur musique. Il ne peut que pousser Carla à approfondir la désorganisation structurale de son écriture. Des albums comme Communication, Jazz Reality et Agenuine Tong Funeral dans lesquels on remarquera la présence de Steve Lacy, ne poussent plus les murs, ils les dynamitent.

    LE GRAND OEUVRE

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    Ils ont réussi leur coups. Ils ont cassé la maison. Z'y ont mis toute leur force. Mais pendant qu'ils s'acharnaient à réduire en poussière les gravats, d'autres s'activaient à la reconstruire. Ce ne sont pas des jazzmen, mais cette engeance maudite des rockers. Le parallèle avec le surréalisme poussant sur les ruines de Dada s'avère judicieux. Certes en 56 Presley avait une belle voix mais pour un amateur de jazz ce n'était que de la variété rythmée... Quinze ans plus tard, la désaffection du public emmène les puristes du jazz à reconsidérer le phénomène. Carla la première. D'abord elle sait faire amende honorable, oui il y a chez les rockers des instrumentistes doués par exemple ce Jack Bruce, et puis il lui faut reconnaître avoir subi la commotion Beatles. Voici des jeunes gens qui ont imposé au monde entier un album composé selon des idées qui ressemblent aux siennes, le Sergeant Pepper Lonely Heart Club Band propose une musique nouvelle, des chansons-collage, des sonorités-exploratoires, des couches musicales successives et entremêlées, ces blancs-becs ont retrouvé ( repris ? ) à leur manière la démarche du free-jazz... en plus ils vendent des disques par millions... Qui dit mieux ?

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    Carla s'y colle. Les Beatles ont produit un double-blanc, elle commettra un triple-mordoré. Lui file même un titre : Escalator Over The Hill. Me suis souvent demandé si le Stairway To Heaven de Led Zeppelin... je parle du titre, pas de la forme du morceau. Parce que l'Escalator de Carla, c'est plutôt un escalier branlant. A part qu'il vous mène au moins au sixième ciel. L'est fait avec des matériaux récupérés un peu partout. Des musiques de tous genres, d'occident et d'orient, un patchwork inimaginable qui retrace l'explosion musicale des années 68. L'a même recruté des musicos de vingt-cinquième zone pour que les cadors qui y participent ne se lancent pas dans la construction d'un double-escalier spiralé monumental en porphyre. Les morceaux sont écrits par Carla, mais l'enregistrement est improvisé. Aucune compagnie n'a voulu prendre la bête en charge, l'on grapille des heures de studio, un peu partout, au pied levé. Pas d'argent pour réunir les solistes, chacun enregistre sa partie chez lui, parfois à des milliers de kilomètres, miracles du re-recording... L'ensemble se présente comme une espèce d'opéra-jazz à partir de quelques textes plutôt énigmatiques du poète anglais Paul Haines, lorsque Carla ne sait plus quoi faire d'un personnage elle téléphone à Haines, qui réside en Inde, pour qu'il lui envoie une solution, lui refourgue quelques textes tout aussi mystérieux censés amener quelques éclaircissements... Lui faudra quatre ans pour mener l'entreprise à bien. Les amateurs de rock seront heureux de savoir que John McLaughin, Jack Bruce, Linda Ronstadt ont participé à ce monstre hybride... L'ensemble sonne comme un étrange mix entre L'Opéra des Quat'sous de Kurt Weil und Berthold Bretch et le Finnegans Wake de Joyce... Vous trouverez la bête sur Spotify et des extraits de la version live avec Jack Bruce et Mick Taylor sur You Tube. L'écoute n'est pas obligatoirement de tout repos...

    AFTER WORK

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    Après Escalator Over the Hill, Carla ne sera plus tout à fait la même. Se sent capable de monter sur scène et de jouer. Une tournée avec le Jack Bruce's Ochestra lui permettra de goûter à la grande vie, beaux hôtels et bons vins... Ses choix musicaux se diversifient, elle enregistre avec Jack Bruce mais travaille aussi avec Keith Jarrett, Nick Mason du Pink Floyd, Chris Spedding, Charlie Haden, slalomant entre rock-fusion, valse, latino-style, et Nino Rota... comme si elle recherchait à un niveau formel un déséquilibre perpétuel, elle délaisse peu à peu les parties chantées, se consacrant à l'aspect strictement sonore de la musique.

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    En 1991 devenue la compagne de Steve Swallow elle en subit quelque peu l'influence... Elle n'est plus une partisane convaincue des ruptures musicales, au contraire, ses nouvelles partitions, ses disques et son Big Band se présentent comme un retour décalé à l'histoire du jazz. Peut-être s'est-elle prise à son propre piège. La jeune compositrice un peu ignorante des arcanes de l'écriture musicale, après de longues années de travail, a acquis d'impressionnantes connaissances, elle a atteint le niveau de ces illustres devanciers contre lesquels elle s'était élevée... Le serpent du jazz se mord la queue...

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    Très beau livre. Très riche illustration. Avec interview de la dame. Pas de surprise, tous les gars qui sortent de l'UTM sont des GSH.

    Damie Chad.

    N. B. : GSH : Génie Supérieur de l'Humanité.

    ROCKAMBOLESQUE  ( S )

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

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    EPISODE 8 : ROCK'N'ROLL FOR EVER

    ( Fuego explosivo )

    Le Chef arrêta le fourgon à une quarantaine de mètres de l'Oslo Lines, juste en face de la porte. L'escalier de descente tardait à arriver. Régnait un semblant de panique dans l'aéroport, des camions de pompiers arrivaient de tous côtés, des flammes géantes de cinquante mètres de haut embrasaient la tour de contrôle, des gens affolés couraient en tous sens, à l'autre bout du tarmac l'Airbus s'ouvrit brutalement en deux, l'on vit des passagers qui s'enfuyaient de la carlingue éventrée, ils sautaient sur la piste, mais un sort funeste les attendait, les réservoirs crevés avaient laissé échapper des milliers de litres de kérosène qui s'enflammèrent soudainement, les malheureux furent instantanément transformés en torches vivantes qui s'éparpillaient comme des feux follets, on les entendait hurler de leurs toutes dernières forces !

      • Quelle horreur, s'exclama le Chef, ces idiots empuantent déjà la barbaque grillée, ils se prennent pour quoi ces sauvages, leurs relents de saucisses graisseuses, rissolant sur une grille de barbecue, altèrent jusqu'au délicat fumet de mon Coronado. Agent Chad, retenez bien ceci, nous sommes une poignée d'esthètes assiégés par des hordes de malappris qui ne savent pas quoi imaginer pour nous empêcher de nous adonner aux plaisirs les plus subtils et et les plus innocents.

      • Le pire ajouta Cruchette c'est les taches noirâtres qu'ils laissent, ne pensent même pas aux pauvres gars qui vont venir nettoyer, sûr qu'ils vont gratter dur !

    Pendant que nous devisions, un escalier roulant avait été poussé contre la porte de l'Oslo Line, les passagers commençaient à descendre, jetaient des yeux hagards sur le spectacle d'apocalypse qui s'offrait à leurs yeux. Ne s'attardaient pas galopaient ventre à terre vers les deux bus qui espéraient-ils les mèneraient hors de ce maelström, il en passa une centaine devant nous, les femmes se débarrassaient de leurs nourrissons qu'elles jetaient à terre sans ménagement, les pères les expédiaient au loin d'un coup de pied : '' C'est bien chérie, ne t'inquiète pas avec le fric des assurances, je pourrai t'en faire d'autres''. Se battirent méchamment pour squatter les places assises dans le bus qui déjà s'éloignaient. Claudine ne put retenir un cri d'angoisse :

      • Darky n'est pas là ! mais où sont les Svarts ?

    LES SVARTS

    Ils étaient là. Tous les cinq. Sur le haut de la passerelle. Quatre gars avec des mines de croque-morts déterrés de l'avant-veille. Tenaient leurs étuis de guitare avec le soin maniaque des tueurs de la mafia qui ne quittent jamais de leur œil torve leur flight-case à mitraillette. Paraissaient même soucieux de n'avoir encore eu personne à tuer. Cheveux blonds et perfectos noirs. Plus punk qu'eux tu meurs. Mais au milieu cette monture de diamants noirs resplendissait une opaline rouge sang. Une chevelure rousse écarlate retombait jusqu'au bas des fesses sur un pantalon en sky de très mauvaise qualité déchiré juste à l'endroit du sexe. Son téton gauche qui s'échappait de son t-shirt maculé au sang de ses dernières règles, s'agrémentait d'un piercing au bout duquel pendait un porte-clé '' Just fuck You'' Darky leva les bras au ciel et se lança d'une voix métallique à faire fuir les serpents à une invocation odinique : '' Odin dieu de la guerre et des catastrophes, tu as ravagé de tes flammes la Rome de Néron et maintenant tu fais honneur à ta prêtresse en lui offrant en holocauste Paris en feu, sois-en remercié''

      • Elle n'est pas un peu givrée, hasarda Cruchette

      • Pas du tout, répondit le Chef, c'est une parfaite allumeuse.

      • La bestialité rock'n'roll incarnée, me sentis-je obligé de préciser.

    Mais déjà Darky se jetait dans les bras de Claudine. Il y eut des cris, des embrassades, des pleurs, des rires, des effusions interminables jusqu'à l'instant où Darky abaissant jusqu'à son nombril l'encolure de son T-shirt retira d'entre ses deux seins d'airain une petit objet parallélépipédique qu'elle tendit fièrement à sa copine :

      • Tiens, la cassette que tu m'as demandée, tu vois que je ne l'avais pas perdue !

    Le Chef s'en saisit vivement et décréta avec un grand sourire :

      • C'est maintenant que les ennuis vont commencer !

    DANS LE FOURGON

    Nous extraire des abords de l'aérogare ne fut pas facile. Un embouteillage monstre, des centaines de véhicules de secours affluaient de partout, la circulation fut même longuement interrompue pour laisser passer un cortège de voitures noires escorté par des motards, comme nous avions accès aux ondes réservées à la police nationale nous apprîmes qu'il s'agissait du Président de la République et d'une ribambelle de ministres. Moi je buvais du petit lait, sur la banquette avant coincé entre Darky et Claudine. Toutefois je connaissais le Chef et à sa manière d'allumer un nouveau Coronado je compris qu'un détail le turlupinait. Aussi ne m'étonnai-je point lorsqu'il se permit d'interrompre le papotage émotionnel des deux anciennes collégiennes :

      • Charmante Darky – s'enquit-il – vous avez bien dit que Claudine vous avait contacté pour la cassette ?

      • Mais non, s'exclama Claudine, j'ignorais ce que tu étais devenue !

      • Tu m'as pourtant envoyé un E-mail ! Et le même jour j'ai reçu une offre d'un booker français qui me proposait de m'offrir un voyage gratuit en France, moi et les Svarts, afin de préparer une tournée, j'ai tout de suite téléphoné à Popol, un de mes anciens petits copains quand j'étais au lycée qui m'a proposé un premier concert dans son bar. Normalement nous aurions dû arriver hier en fin d'après-midi, mon booking-tour avait prévu que nous logerions dans à l'Hôtel du Papillon, mais on a raté l'avion, une calamité, je n'avais plus un T-shirt sale chez moi, que des propres, j'ai dû improviser, heureusement alors que je désespérais j'ai eu mes règles. J'ai perdu un peu de temps à réaliser une véritable œuvre d'art, bref l'avion a décollé sous notre nez, j'ai appelé Popol pour qu'il vienne nous chercher, et quel plaisir de retrouver Claudine, au lieu de Popol.

      • Ne vous inquiétez pas, Darky, on passe d'abord à la maison, j'ai quelques Coronados à récupérer et ensuite l'on fonce chez Popol.

    SUR LA ROUTE DU QG

    Nous nous étions enfin dégagé des encombrements. Darky s'était endormie les deux pieds sur le tableau de bord après avoir avalé une douzaine de pilules multicolores.

      • Agent Chad, ne m'avez-vous pas parlé d'un vieux copain de maternelle qui galère méchant, un certain Alfred ?

      • Oui Chef, il s'est improvisé reporter free-lance, mais aucun journal n'a encore voulu d'un seul de ses articles, et pourtant il touche un max, vous verriez ses photos, et en plus il a une sacrée belle plume, mais que voulez-vous il n'a aucune relation !

      • Parfait, appelez-le d'urgence, dites-lui de nous attendre devant le QG, nous allons lui offrir le scoop de sa vie. Il est bon d'encourager la jeunesse.

    A peine le fourgon s'était-il arrêté qu'Alfred bondit son Gamex à la main, et commença à mitrailler la camionnette sous tous les angles. Le Chef descendit prestement et lui adressa un salut militaire.

      • Brigadier Dupont, pour mon ami Chad sur sa demande et parce que par le plus grand des hasards il m'a permis de sauver une jeune innocente des flammes de l'enfer, nous revenons de Roissy, nous avons été un des tous premiers véhicules de secours sur place, je n'ai même pas eu le temps d'endosser ma tenue réglementaire...

      • De Roissy ! mais la zone est interdite même aux journalistes professionnels, les chaînes TV et la radio ont été refoulées, et une zone de brouillage électronique empêche le fonctionnement des portables des témoins qui voudraient envoyer des messages et des photos à leurs proches, tout ce que l'on sait c'est que le Président de la République est sur place, les rumeurs les plus folles courent, est-ce que vous me permettriez de vous poser quelques questions.

      • Certes, mais montez avec nous, je vous expliquerai en fumant un Coronado.

    L'on ne parvint pas à réveiller Darky, les boys durent la monter dans le QG, ils la jetèrent dans un canapé et coururent s'enfermer dans la cuisine avec Cruchette, manifestement ils avaient sympathisé durant le voyage. Cruchette referma la porte non sans avoir annoncé :

      • Ils ont faim, je vais leur préparer une purée mousseline !

    Alfred s'assit en face du Chef et prit consciencieusement des notes, quand il s'apprêta à nous quitter il avait des étoiles qui brillaient dans ses yeux !

      • Je vais le proposer à la République de Seine & Marne !

    Mais le Chef décrochait son téléphone :

      • Allo Paris-Match, ici le SSR, une édition spéciale – premier tirage à cinq-cent mille exemplaires, grand-format avec photos couleurs à l'appui, ça vous irait... oui je sais vous êtes un hebdomadaire, mais là c'est de première main sur les évènements de Roissy – nous entendîmes un rugissement au bout du fil – nous vous envoyons l'article dans vingt minutes par le net, faites chauffer vos rotatives et prévoyez une distribution par voitures particulières ! Non, non, c'est gratuit, par contre je vous recommande le jeune free-lance Alfred, c'est lui qui nous a apporté le document, mais comme nous ne savions pas quoi en faire, nous avons pensé à vous.

      • Agent Chad, empruntez son portable à Cruchette, elle a pris quelques photos des incidents de Roissy, aidez un peu Alfred à mettre sa copie au propre.

    Je dois le reconnaître je n'eus que quelques fautes d'orthographe à corriger, Alfred n'avait pas tout à fait assimilé les accords du participe passé, mais il était survolté, écrivait, dictait et montait la maquette en même temps, le Chef fumait placidement un Coronado, mais quand au bout d'un quart-d'heure nous lui présentâmes la maquette, il laissa échapper un petit sifflement d'admiration :

      • Bien, très bien, cher Alfred vous avez de l'imagination, du style et le sens de l'image, agent Chad vous devriez l'embaucher pour rédiger vos mémoires, votre demi-page que vous avez laissée traîner sur le bureau ne m'a guère convaincu... Maintenant cher Alfred, deux minutes qu'ils ont reçu votre prose, courez chez Paris-Match, je pense qu'ils doivent déjà être en train de préparer votre contrat d'embauche. N'oubliez pas d'exiger une secrétaire jeune et jolie, ce sont des vieux renards, si vous n'y faites pas gaffe, ils vont vous refiler une vieille bique ménopausée à trois ans de la retraite sous prétexte qu'elle a de l'expérience.

    Alors qu'Alfred descendait quatre à quatre son escalier, Cruchette ouvrait la porte de la cuisine :

      • Chef, ils sont marrants les copains de Darky, ils ont mis de la mousseline partout, sur les murs, jusqu'au plafond et même dans ma culotte, ça chatouille et ça fait une drôle d'impression, il ne me reste plus qu'à récater !

      • Vous nettoierez plus tard, quatre heures du matin, à cinq nous devons être chez Popol, réveillez Darky, mes enfants de grandes choses nous attendent, n'ayez crainte je vous mènerai à la victoire, mais sachez que ce sera dur, très dur, extrêmement dur ! N'oubliez jamais notre maxime : Rock'n'roll for ever !

        ( A suivre. )