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  • CHRONIQUES DE POURPRE 710 : KR'TNT ! 710 : RAMONES / WILD BILLY CHILDISH / CLARENCE EDWARDS / 5.6.7.8's / KELLY FINNIGAN / AEPHANEMER / FARYA FARAJI

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 710

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 11 / 2025

     

    RAMONES / WILD BILLY CHILDISH

    CLARENCE EDWARDS / 5.6.7.8’s.

    KELLY FINNIGAN  / AEPHANEMER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 710

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Les Ramones la ramènent

     (Part Two)

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             Oui, c’est sûr, t’avais quelque chose dans les Ramones. Kris Needs en fait douze pages dans Record Collector, avec en double d’ouverture une image qui dit tout des Ramones : wild on stage, perfectos, jeans éclatés aux genoux, out of their minds, cheveux au vent, punk new-yorkais, un modèle éternel. Toutes les images des Ramones disent le rock. Needs parle de suburban outcasts et d’une «chemical imbalance that helped catalyse a revolution.» Tout est dit, mais t’as encore dix pages à lire. Comme si la lecture s’accommodait mal du ventre-à-terre des Ramones. One two three four !

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             Needy Needs connaît bien son métier : il fait sortir les Brudders d’un ascenseur anglais en juillet 1976 : les Ramones sont à Londres pour deux concerts, Roundhouse et Dingwalls, «the UK punk movement first real show of strength», il parle même d’un «much copied (if ever equalled) blueprint». Et, magnanime, il ajoute ça : «Two gigs considered pivotal in lightning the fuse for UK punk». Comme c’est bien dit, Needy ! Il les décrit un par un au sortir de l’ascenseur, Dee Dee et son «New York street punk demeanour», Joey qui sort de la douche avec ses cheveux mouillés - This is my Bay City Rollers look! - Tommy, qui semble être «the most normal of the four Ramones», et Johnny, «dressed for work in black leather jacket».  

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             Needy Needs plonge dans les détails biographiques, avec l’Hongrie de Tommy qui débarque à Forest Hills en 1956, puis Needy passe le Johnny de Long Island au peigne fin, fils d’un «hard-drinking Irish father» et sa vie de petit délinquant change quand il voit les Stones sur scène en 1964 à New York. Johnny hait les hippies, mais il va voir les Doors dix fois sur scène. Il voit aussi Jimi Hendrix en 1967, nous dit Needy qui a lu Commando. Et en 1969, Johnny flashe sur les Stooges, au point de se coiffer comme eux - They looked tough - Ça tombe bien, son pote Dee Dee est lui aussi fan des Stooges. Dans Lobotomy: Surviving The Ramones, Dee Dee raconte sa saison en enfer, c’est-à-dire son adolescence - a catalogue of domestic hell, substance abuse and early addiction - C’est lui, le Dee Dee, qui découvre que McCartney se fait appeler Paul Ramon dans les hôtels, alors il décide de s’appeler Dee Dee Ramone. C’est lui la cheville ouvrière des Ramones, ne l’oublions pas. Puis il voit les Stones, les Who, les Kinks et les Troggs. Une pure éducation sentimentale ! Quand sa mère quitte l’hard-drinking Irish father et s’installe à Forest Hills, Dee Dee devient dealer d’hero pour financer sa conso perso. I’m living on Chinese Rocks ! Needy Needs qualifie Dee Dee de «commited teenage degenerate». Si on cherche les formules les plus rolling et les plus rocking, les formules qui ronflent sous le capot, c’est là, chez Needy Needs, the work-out king. Et si, dit-il, Dee Dee clique avec Johnny, Joey et Tommy, c’est parce qu’ils étaient «the obvious creeps of the neighbourhood». On se croirait dans une chanson des Ramones. Cet article est un exploit de mimétisme intrinsèque.

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             Et puis voilà Joey avec ses problèmes de santé dont on se contrefout, il y va le Needy, il donne tous les détails, par contre, il se rattrape en nous rappelant que Joey est fan des Who, des girl-groups de Totor et des Herman’s Hermits. Puis c’est le Love It To Death d’Alice Cooper qui va obséder notre Joey préféré, particulièrement «The Ballad Of Dwight Prye», ce qui le conduit tout naturellement dans les bras de Bowie et de «Rock’n’Roll Suicide» en particulier. Suite à ça, il va voir les Stooges sur scène à l’Electric Circus avec son nouveau poto Dee Dee. Les Stooges sont leur nouvelle obsession, de la même façon qu’elle devint la nôtre, la même année. 

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             Et voilà le grand déclic : les Dolls en 1972 au Mercer Arts Center. Les quatre futurs Ramones y ramènent leurs fraises. Lenny Kaye dit que les Dolls plaisaient beaucoup grâce à leur «bringing back to basics». Johnny nous dit Needy voit les Dolls vingt fois. Dee Dee commence à écrire des cuts, du genre «I Don’t Wanna Go Down To The Basement» et «Now I Wanna Sniff Some Glue» - Everything I write is autobiographical and very real - Dee Dee et Johnny s’achètent des guitares chez Manny’s Music shop on 48th Street : une Danelectro pour Dee Dee et Johnny claque 54 dollars dans une blue Mosrite Ventures II. Tommy incite Johnny à monter un groupe, et Johnny finit par accepter. Joey bat le beurre. L’idée du Dee Dee d’appeler le groupe Ramones plait beaucoup aux autres. Premier concert en mars 1974. Dee Dee chante et gratte ses poux, mais c’est compliqué pour lui de tout faire à la fois. Alors Tommy propose que Joey chante, car Joey a déjà chanté dans un groupe glam et il a une vraie voix. Ils cherchent un batteur, mais n’en trouvent pas. Alors Tommy dit fuck it et décide de battre le beurre. Craig Leon : «The whole Ramones things was very much like a conceptual art piece.» Tout sort du cerveau de Tommy, comme Roxy est sorti du cerveau de Ferry boat. Tommy dit aux autres ce qu’ils doivent faire. Leur look vient de Marlon Brando dans The Wild One, mais s’inspire aussi de celui des Dictators, déjà dans le circuit, de Brian Jones et des garage bands - We concocted a unique style and sound, se vante Joey qui a raison de se vanter - Puis c’est le premier set de 15 minutes au CBGB, en 1974, en première partie du pre-Blondie incarnation, Angel & The Snake. Ils laissent un mauvais souvenir au boss du CBGB, Hilly Kristal - They’d start and they’d stop, everything was screetching. They couldn’t get through a song, they were yelling at each other onstage - Les gens se foutent de leur gueule, surtout Alan Vega. Mais il les trouve géniaux et dit que c’est ce qu’il a vu de mieux sur scène depuis les Stooges. Kristal se montre charitable envers eux : «Nobody’s gonna like you guys so I’ll have you back.» Comme quoi, le destin d’un groupe tient vraiment à peu de choses. Les Ramones nous dit Needy jouent 24 fois au CBGB en 1974. Au début, ils jouent devant 5 personnes. Six mois plus tard, devant 30 personnes. Puis Lisa Robinson flashe sur eux. L’un de leurs premiers fans n’est autre qu’Arturo Vega, qui fera le light show des Ramones jusqu’à la fin. Needy Needs indique qu’Arturo a vu les Ramones 2263 fois sur scène en 22 ans. Ce sont des chiffres qui parlent. C’est Arturo qui dessine le logo des Ramones, basé sur le sceau présidentiel américain. 

             Tommy fait une démo de 15 titres et tente de la fourguer au former New York Dolls manager Marty Thau - who didn’t want to babysit another band - mais il donne un coup de main pour le premier single, «Judy Is A Punk».

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             Le modèle des Ramones s’impose. Pas de solos. Johnny : «The chords are doing everything.» Ils enchaînent tous les cuts - We don’t do any stopping - Un set ne doit pas durer plus de 30 minutes. Comme Craig Leon est l’A&R de Sire, il parvient à convaincre Seymour Stein de signer les Ramones. Coup de pot, son épouse Linda est une fan des Ramones. Danny Fields aussi. Il va même devenir leur manager. Il les qualifie de «perfect band». Pas mal pour un mec qui a signé les Stooges et le MC5 sur Elektra.

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             Les Ramones enregistrent leur premier album en 1974 - The studio bill was an astonishing $6,400 - Needy Needs se marre comme une baleine. Il ajoute que c’est enregistré live, chacun dans une pièce, «like early Beatles records». Et puis il y a la photo de Roberta Bayley sur la pochette, où ils sont like a gang gone punk. Quand l’album arrive en Angleterre, Nick Kent s’agenouille respectueusement : «If you love hard-ass retard rock, you’ll bathe in every groove.» John Peel flashe lui aussi sur le premier album : «The songs are all the same, but they’re all different, if you know what I mean.»

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             Et quand on écoutait ce premier album en 1976, on criait tous au loup ! Whoooo-ooooh ! Ramones est l’un des albums phares du siècle passé. T’es tout de suite frappé par la fraîcheur du bombing de «Blitzkrieg Pop», t’as aussitôt de wall de Johnny et le chant perçant de Joey qui traverse les blindages. Joey est le roi du oh yeah oh-oh, ça n’a pas l’air comme ça, mais c’est capital. Tu réécoutes cet album 50 ans plus tard, et ça n’a pas pris une seule ride ! «Judy Is A Punk» sonne comme l’archétype définitif du punk-rock new-yorkais. Ça éclate le firmament. «Chainsaw» est so fast de ventre-à-terre ! Et voilà Oh Daddy-o et «I Don’t Wanna Go To The Basement», c’est la Ramona pure et dure. Dee Dee te sous-tend ça à merveille. Ils créent encore un monde avec «Loudmouth». Offensive en règle. Et toujours le wall of sound. Encore de la pression avec «Havana Affair». Quand t’écoutais cet album à l’époque, tu sentais que c’était l’album de rock parfait. One two three four ! «Listen To My Heart». Tout y est : le drive de basse et le buzz. Refrain printanier dans «53rd & 3rd», avec une prod de génie bien à ras des pâquerettes. Et ça se termine en beauté avec «Today Your Love Tomorrow The World». Fantastique élan !

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             À ce stade des opérations, il paraît essentiel de se plonger dans la lecture de Commando, l’autobio de Johnny Ramone. La première de couve est à l’image du personnage : puissante. Johnny Ramone subit un traitement graphique innervé, strié dans la matière. Il implose et dégage des rayons. Le book, en tant qu’objet, est lui aussi puissant : l’éditeur Abrams a contrecollé deux plats de couve massifs (5 mil d’épaisseur) sur la une et la quatre de couve, et brutalement massicoté l’ensemble dans la fleur de l’âge, sans débord. T’as dans les pattes un bel objet d’art moderne, à l’image des Ramones. Quel joli coup ! Ces deux plats de couve enserrent les 180 pages du book comme deux serre-livres à socles de marbre. On ne pouvait pas rendre plus bel hommage à cette force de la nature réactionnaire que fut Johnny Ramone. On était presque fier de ramasser ce book chez Smith en 2012 : l’étiquette de prix W H Smith est encore collée au dos. EUR 27.20. Cadeau !

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             Sacré Johnny. Il avoue volontiers avoir frappé Dee Dee - I had to smack him a couple of time to get him into the van - Oui, Dee Dee n’en faisait qu’à sa tête, Johnny l’aimait bien, «but I think he just liked to be difficult». Et tu ne fais pas le difficult avec Johnny Ramone. Pour Johnny, le plan est simple : une fois que les Ramones sont sur les rails, ça doit tourner. Pas question de tout faire foirer. Il prévoit d’économiser assez de dollars pour pouvoir prendre sa retraite quand l’âge de monter sur scène sera passé. L’autre tête de turc des Ramones, c’est Joey. Johnny dit qu’il a essayé de l’apprécier, de lui parler, mais ça n’a pas marché - He was a fucking pain in the ass. So I gave up -  Johnny nous explique dans l’intro qu’il était entouré de «dysfunctional people, and I was the one who ran the business end, aside from our managers. Everybody else was a mess.» L’enfer, c’était le van. T’en avais toujours un qui voulait s’arrêter, et si on s’était arrêté toutes les dix minutes, nous dit Johnny, on ne serait jamais arrivés à destination. On voit bien le topo. Mais ça valait le coup : «The Ramones were fun, and the more intense the better.»

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             Il raconte son adolescence à Forest Hills en 1964. Il fait la connaissance de Tommy à l’école. Ils sont fans des Stooges. Johnny en pince aussi pour Grand Funk et se hâte de préciser que Mark Farner n’était pas un hippie - I hated the hippies and never liked that peace and love shit - Ado, il sombre dans la petite délinquance - I was just bad, every minute of the day - Sa mère trouve de l’hero dans le tiroir de sa table de nuit. Il arrache les sacs à main des grand-mères, il tabasse des gosses pour leur barboter du blé, puis un jour il décide d’arrêter les conneries.

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             Son premier concert ? Les Rolling Stones au Carnegie Hall en juin 1964. Puis il voit les Who, les Beatles au Shea Stadium, Black Sabbath sur leur première tournée américaine, il voit les Doors dix fois, les Amboy Dukes deux fois. Il adore le MC5. Il achète le premier album des Stooges sur la seule foi de la pochette - I just liked the way they looked: tough - Et la musique le rend dingue - I was crazy for it - Il voit les Stooges à l’Electric Circus on St. Marks Place. Il voit Ron Asheton avec son nazi stuff faire un discours en allemand. Mais ceux qui jouaient plus fort que tous les autres, c’était Grand Funk, at the Stony Brook University - That was probably the loudest show I ever saw - Il les revoit au Shea Stadium avec Humble Pie en première partie. D’où l’avantage d’être américain.

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             Et bam, on tombe fatalement sur les Dolls - The New York Dolls really did it for me - Il les voit over and over, twenty times in all, depuis le Mercer Arts Center en 1972 jusqu’au Conventry Club in Queens en 1974. Il indique qu’il notait tous ces détails in little notebooks. Il voit Kiss mais ne les trouve pas cool - Kiss wasn’t cool. The New York Dolls were cool - Il trouve aussi Wayne County «too perverse» - There was this uglyness to that - Il préfère la faune des Dolls, les filles sont jolies et Johnny Thunders looked good. Il aime bien les Dolls parce qu’ils sont comme les Ramones, assez limités, «but they knew what to do with what they had». C’est là que Johnny comprend que le rock’n’roll peut être une option - I can do this too, just as good - Mais il va lui falloir deux ans pour prendre la décision de monter les Ramones avec Dee Dee.

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             Il achète sa gratte en janvier 1974 chez Manny’s, on 48th Street and Broadway. Il paye sa Mosrite 50 dollars. Pourquoi une Mosrite ? Because of The Ventures et Fred Sonic Smith. Elle est bleue. Comme il n’a pas assez pour s’acheter un étui, il la met dans un sac en plastique. Dee Dee et lui démarrent le groupe en répétant dans son appart de Forest Hills. Ils grattent tous les deux leurs grattes. Joey bat le beurre et Dee Dee chante. Ils ont un pote nommé Richie à la basse mais Johnny le vire car ça ne va pas du tout. Dee Dee prend la basse et ça devient un trio. Mais Dee Dee ne peut pas jouer et chanter en même temps. Joey fait n’importe quoi au beurre. It was bad. Johnny veut virer Joey mais Tommy dit qu’il peut chanter. Comme Johnny a confiance en Tommy, il accepte. Alors ils auditionnent des batteurs. Finalement, c’est Tommy qui s’assoit derrière les fûts - He’d never played drums before, but it was working - Et ils se mettent à répéter sérieusement. Comme ils se savent limités, leurs cuts sont simples - They had to be simple - Ils jouent pour la première fois au CBGB en août 1974. Ils torchent 6 ou 7 cuts devant 10 personnes. Johnny est encore le seul des quatre à porter le perfecto. Puis ils reviennent jouer chaque semaine et font payer un dollar à l’entrée. Ils ont en moyenne une quinzaine de personnes.

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             Puis au, fil du temps, tout le monde vient les voir jouer, à commencer par Lou Reed. Johnny ne voit qu’un seul groupe concurrent : les Heartbreakers. Mais comme ce sont des junkies, Johnny sait qu’ils ne vont pas durer longtemps. Il voit Blondie comme un «lightweight pop band». Il voit aussi les Talking Heads comme something very different - It wasn’t really rock and roll, it was something else - Comme ça au moins, les choses sont claires. Il a même une petite altercation avec Debbie Harry, quand les Ramones jouent au Mothers avec Blondie en première partie. L’Harry veut un 50/50 split à l’entrée et Johnny la recadre : «‘No one is here to see you guys. Everyone is here to see us.’ We split the door 70-30 and she was mad. I never really got along with her.» Quand ils partent en tournée européenne en avril 1977, Johnny a deux raisons de flipper : les Talking Heads jouent en première partie, et l’Europe qu’il ne supporte pas - Europe was a horrible place. I hated the hotels - Pas de téléphones dans les chambres, rien à la télé, le bouffe toute pourrie - all this boiled shit or curry - Et t’as les Talking Heads qui sont des intellos qui s’écoutent parler - Tina Weymouth was unbereable - Quand Johnny dit à son roadie d’aller chercher sa guitare, elle interpelle Johnny lui dit d’aller la chercher lui-même. De quoi elle se mêle cette conne ? Johnny ne leur adresse pas la parole. Mais c’est en Europe que ça marche le mieux pour les Ramones, aussi reviennent-ils en tournée. Ils enregistrent It’s Alive le 31 décembre 1977 au Rainbow Theater de Londres - I think that’s our greatest moment as a band - C’est vrai que ce double live est une bombe atomique qui démarre en trombe avec «Rockaway Beach». Joey lance : «Hey we’re the Ramones!» et Dee Dee fait one two three four!, et c’est parti pour un set de folie Méricourt, «Blitzkrieg Bop», l’hymne du XXe siècle, avec «I Wanna Be Well»,  les Ramones deviennent le groupe de rock par excellence, Joey ramène tout son sucre magique, l’heavy beat d’«I Don’t Care» leur va comme un gant, «Sheena Is A Punk Rocker» sonne comme the perfect Ramona, «Havana Affair» déboule pour de vrai, ils expurgent «Surfin’ Bird», et en C, ça repart de plus belle avec «Listen To My Heart», puis «California Sun» explose, toute la vie du rock est là, «Chainsaw» sonne aussi comme un hymne, leur formule est terriblement au point. Cohérence ultime encore en D avec «Judy Is A Punk». Les Ramones sont un phénomène unique, «Let’s Dance» sonne wild as punk. Tu sors de là à quatre pattes.

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             London 1977, ça ne te rappelle rien ? Oui, les punks ! En décembre 1977, Johnny voit les Pistols sur scène et quand Johnny Rotten demande à Johnny Ramone ce qu’il pense des Pistols, le Ramone lui répond qu’ils puent - I told him I thought they stunk.

             Johnny fait régner la discipline : pas de booze avant le concert. Mais «Joey always had a drinking problem, he was hanging out with everybody. Tommy was fine, he had no vices except cigarettes. Dee Dee... whatever.»

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             Rocket To Russia sort en 1977. Johnny : «This was the best Ramones album, with the classics on it. That band had reached its peak both in the studio and live. This one has one great song after another.» «Cretin Hop» ouvre le bal et boom, beat inimitable, sucre inimitable, énergie inimitable, buzzsaw inimitable. C’est là qu’on trouve la version studio de «Rockaway Beach», one two three four!, Dee Dee fidèle au poste ! Et toujours ce Tom-Tom Tommy beat à la surface ! Il faut ensuite attendre «I Don’t Care» pour sauter en l’air. Fantastique buzzsaw, suivi de «Sheena Is A Punk Rocker» qui sonne comme un hit des Beach Boys. Ils déboulent sur la plage avec exactement le même power. Et en B ça repart en mode punch in the face avec «Teenage Lobotomy», belle flambée de violence ramonesque. Personne ne bat les Ramones à la course du Lobotomy. Nouvel hommage aux Beach Boys avec «Do You Wanna Dance» - Dee-Dee Dee/ Wanna dance - Ils grimpent au sommet de la power pop avec «I Wanna Be Well» et puis boom !, voilà la version studio de «Surfin’ Bird» - Well everybody saiz/ About the bird ! - Bel hommage aux Cramps.

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             Quand ils s’apprêtent à enregistrer Road To Ruin, Tommy jette l’éponge. Johnny embauche Marc Bell qui devient Marky Ramone. On a cité les  noms de Johnny Blitz (Dead Boys) et Paul Cook - We tried one drummer, Mark, and that was it - Marc jouait dans les Voidoids. Johnny ajoute que Marc pouvait manger n’importe quoi, des boîtes de dog food et des cafards. Johnny : «The production on this is the best of all of them.» Et plus loin, il ajoute : «This was the last of the great Ramones albums until Too Tough To Die.» C’est encore Stasium et Tommy qui co-produisent cet album bardé de Johnny power. Ils sonnent comme les Heartbreakers sur «I Just Want To Have Something To Do» et sur «I Don’t Want You». T’y retrouves la cisaille des Heartbreakers. «I’m Against It» et «Go Mental» sont du pur New York City Sound. Johnny sait chaque fois ce qu’il doit faire : riffer à la vie à la mort. Quel déballage ! Ils te noient «She’s The One» de son. Les Ramones sont une vraie machine. Ils claquent la plus reluisante des power-pop, montée sur l’incroyable cisaille de Johnny. Riffer, il n’y a que ça qui l’intéresse. Le coup de génie de l’album n’est autre qu’«I Wanna Be Sedated». Ramona classique, une vraie perfection de riffalama fa fa fa et de chant sucré. Joey titille bien ses petits refrains.

             Et crack : Johnny aborde l’épisode Totor. Quand ils jouent la première fois à Los Angeles, en 1977, Totor les voit et dit qu’il veut les produire. Il voulait produire Rocket To Russia et Road To Ruin mais Tommy produisait. Par contre, Johnny préfère cent fois Daniel Rey qui va produire le dernier album des Ramones, Adios Amigos

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    ( 1995 )

             Donc Totor leur court après, mais les Ramones n’en veulent pas. En même temps, ils savent qu’ils ont besoin d’un hit. Sire monte le coup avec Totor pour enregistrer End Of The Century. Johnny sent dès le départ que c’est pas bon - Right from the start, he was abusive to everybody around him, except us - Totor insulte les gens. En plus, il est très long. Hors de question pour Johnny de passer deux mois sur un album. Il voit Toror gueuler sur Larry Levine, l’ingé-son. Totor ne dort pas. Totor ne mange rien. Johnny le suspecte de tourner à la coke. Et il n’a pas une très haute opinion de ce «little guy with lifts in his shoes, a wig on his head, four guns - two in his boots and one each side of his chest - and two bodyguards.» Johnny pense que si Totor avait dû descendre l’un des Ramones, c’était forcément Dee Dee - Dee Dee drove him crazy and Dee Dee didn’t like Phil either - Quelle ambiance ! Johnny et Dee Dee finissent par se casser et Joey reste seul avec Totor pour enregistrer «Baby I Love You». Aucun autre Ramone ne joue sur cette cover. Puis Johnny évoque la pochette et l’absence des perfectos. Le photographe piège les Ramones en leur expliquant que ce serait bien de changer un peu, mais Johnny se doutait bien qu’il ne fallait pas poser sans les perfectos. Dee Dee et Joey votent pour la pochette sans perfectos. Johnny est baisé. La majorité l’empote. Puis Dee Dee et Joey prennent l’habitude de voter contre Johnny, ce qui le stresse - They were voting against me on everything artistic - Il pense que c’est la fin des Ramones, car les choix musicaux ne lui plaisent pas - I would never have put out something like a hit song just to have a hit if it wasn’t our style - Pour Johnny, la compromission est impossible. Il dit qu’il ne pourrait même pas se regarder dans un miroir. Plus loin, il explique que les Ramones n’étaient pas contre les gens, ils étaient contre ce que devenait le rock’n’roll - We wanted to save rock’n’roll - Il croyait que les Ramones, les Pistols et les Clash allaient devenir des major bands, comme le furent les Beatles et les Stones avant eux. Mais même avec Totor, ils ne passent toujours pas à la radio.  

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             Et l’album ? Une merveille. End Of The Century est l’un des très grands albums de cette époque. Coup de génie dès «Danny Says». Totor le développe doucement, Danny says we gotta go, et ça monte admirablement en neige, et soudain il pleut du son comme vache qui pisse. Voilà l’hit impérissable des Ramones. Puis on passe au mythe avec «Chinese Rock» : Heartbreakers + Ramones + Totor, tu vois un peu le travail ? Mythe encore en B avec le «Baby I Love You» des Ronettes somptueusement contrebalancé, Joey te chante ça jusqu’à l’oss de l’ass, et ce visionnaire de Totor fait littéralement swinguer les violons ! T’as jamais entendu ailleurs. Et t’en as qui vont cracher sur l’album ! Et pour finir la B, ça part en classic Ramona avec «This Ain’t Havana», puis «Rock’nRoll High School», Totor a bien compris la logique du beat serré des Ramones, et ça file encore ventre à terre avec «All The Way». Totor sublime les Ramones.

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             Quand Leave Home est sorti en 1977, nous fûmes tous frappés par la qualité du son de Stasium. Dès «Glad To See You Go», t’as le Wall of Sound, avec la voix de Joey qui résonne dans l’écho du temps. Et ça continue en mode Wall of Sound avec «Gimme Gimme Shock Treatment», avant de passer en mode power pop avec «I Remember You». Ils enfilent les hits comme des perles.  Joey arrache tous les cuts du sol. Dans «Oh Oh I Love Her So», on entend les chœurs des Dolls. C’est puissant, très new-yorkais. «Carbona Not Glue» situe bien l’époque. On sait où on est. Quel punch ! C’est encore la foire à la saucisse du power avec «Suzy Is A Headbanger». Un vrai ras-de-marrée ! La formule est au point. Ils sont à cheval sur la candeur et le rouleau compresseur. Ils portent «Swallow My Pride» au sommet du rock américain. Tout est laminé par la machine Johnny/Dee Dee, et le beat de Tommy bat comme un cœur. Fantastique cover de «California Sun». Un vrai brasier ! Les Ramones ont un son unique, une méthode bien établie. Tu les connais par cœur et tu leur accordes tout le crédit du monde. Ils sont fabuleusement cousus de fil blanc, mais tu ne t’en lasses pas. Avec la red de Leave Home, t’as un Live au Roxy en 1976 : une vraie bombe atomique, parce que «Loudmouth», one two three four ! Dee Dee is on fire, parce que «Beat On The Brat», ooh yeah oh-oh, parce que «Blitzkrieg Pop», hey ho let’s go, parce que «Glad To See You Go», parce que le wild punk d’«Havana Affair», parce que le génie punk de «California Sun», parce que «Judy Is A Punk», parce que «Now I Wanna Sniff Some Glue». Ça n’arrête pas.

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             Côté collègues, Johnny a ses chouchous, comme Johnny Thunders. Il n’aime pas Tom Verlaine, il hait Mink DeVille. Il aime bien les Dictators, mais ne traîne pas avec eux. Il aime bien Richard Hell et les Dead Boys. Et puis les Cramps - I became friends with Lux and Ivy from the Cramps too. They’ve always stayed true to what they were doing. We’re still friends to this day - Il évoque rapidement l’épisode Richie Ramone, qui a quitté le groupe en pleine tournée. Plus jamais de nouvelles - Last I heard, he was a golf caddie - Quand Richie quitte le groupe, ils testent Clem Burke en remplacement. Il allait devenir Elvis Ramone. Il a duré deux shows, «and it was awful».

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             Puis Dee Dee en a marre de la basse. Il est crédité sur trois albums sur lesquels il ne joue pas. Il est en studio, mais il ne joue pas. Il laisse Daniel Rey et d’autres jouer à sa place - Dee Dee was getting crazier and crazier and it wasn’t just drugs - Il va quitter le groupe en 1989 pour faire du rap, «which was everything we hated». L’arrivée de C.J. en remplacement de Dee Dee rallonge la durée de vie des Ramones de 7 ans. En 1988, Johnny a déjà 200 000 dollars à la banque. Pour arrêter le groupe, il lui faut un million de dollars.

             Son point de vue sur le vie de rocker est passionnant : «Le rock’n’roll n’est pas un mode de vie très sain. On a trop de liberté. Pas de patron, on peut faire ce qu’on veut. You can play stoned. Personne ne peut avoir un real job stoned.» Il ajoute que les hauts et les bas sont tellement violents qu’on finit par se droguer pour les supporter. «I didn’t. I went back to my room with milk and cookies.» Et puis ça qui vaut son pesant d’or du Rhin : «I owe my personal success to hard work, intelligence and luck, as well as knowing how to handle that luck. There’s also a certain amount of talent that I’ve developed. But most of all, it’s the fans. The fans are the biggest reason for the band to stick together and play all those years. Tout ce que je possède, je le dois aux fans.» Johnny est un cake captivant.

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             Il atteint son objectif du million de dollars au début des années 90. En 1995, il propose aux autres d’enregistrer un dernier album et d’arrêter. «And there was no resistance. None.» Il ajoute ça qui est poilant : «I thought we were becoming dinosaurs, which is why you see the dinosaurs on the cover of Adios Amigos.» Les Ramones terminent leur dernier concert au Palace de Los Angles en 1996 avec une cover du Dave Clark Five, «Any Way You Want It» - I said nothing to the other guys. I just walked out - Fin des Ramones. I tried not to feel anything.

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             Dans son avant-dernier chapitre, il dit quand même avoir espéré une reformation - In my head it was never officially over until Joey died in april 2001. There was no more Ramones without Joey - Puis c’est Dee Dee qui casse sa pipe en bois en juin 2002 - Here’s the most influential punk rock bassist of all time - He could be a problem, but I was really thrown by his death - Johnny termine avec un chapitre sur son cancer.  

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             C’est peut-être le moment idéal de voir ou revoir End Of The Century - The Story Of The Ramones. C’est du double concentré d’émotion. Dee Dee nous rappelle vite fait qu’au départ, les Ramones sont fans des Stooges et des Dolls. Ça ancre bien un groupe. Le premier cut qu’ils pondent est «Judy Is A Punk» et Tommy trouve que c’est du brillant stuff. C’est même something completely new. One two three four ! Leur premier fan est Alan Vega. Hey daddy-o ! Puis Danny Fields devient leur manager. Les voilà qui débarquent en Angleterre en 1976. Les Clash les copient avec «White Riot». On est frappé par les plans scéniques et le dévolu de Johnny & Dee Dee : ils font de l’art total. Johnny voulait que les Ramones portent l’«uniforme», pas question de se fringuer comme les Heartbreakers ! Puis Tommy en a marre - I’m losing my mind - Alors Marc Bell devient Marky Ramone. Danny Fields va se faire virer après l’épisode Totor.

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             On en arrive aux histoires de cul : Johnny pique la copine de Joey, la fameuse Linda. C’est le split entre Joey et Johnny, mais Joey ne quitte pas le groupe. Ils restent ensemble mais ils se haïssent. D’où «The KKK Took My Baby Away». Quand Marky dit a Johnny qu’il a déconné en barbotant la poule de Joey, il se fait virer. Richie devient le nouveau batteur pour 5 ans, avant de se faire virer, pour une question de merch : Richie voulait sa part. Pas question ! Alors Marky qui a réussi à stopper la picole revient. Dee Dee veut faire du rap, alors il se barre et C.J. le remplace. C’est vrai que Joey aurait pu se barrer depuis longtemps, but he needed a fix, and the fix was the Ramones. Ils arrêtent les frais avec Adios Amigos - On a fait ça pendant 21 ans - Dernier concert en 1996 et Joey casse sa pipe en bois en 2001. Il n’a que 49 ans. Santé précaire, disent les proches. 

    Signé : Cazengler, Ramone sa fraise

    Ramones. Ramones. Sire 1976

    Ramones. Leave Home. Sire 1977

    Ramones. Rocket To Russia. Sire 1977

    Ramones. Road To Ruin. Sire 1978

    Ramones. End Of The Century. Sire 1979

    Ramones. It’s Alive. Sire 1979

    Kris Needs : The Forest Hills are alive! Record Collector # 572 - July 2025

    Commando: The Autobiography of Johnny Ramone. Abrams 2012

    End Of The Century - The Story Of The Ramones. DVD Rhino 2005

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Nine)

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             En plus des albums enregistrés avec Sexton Ming (salués bien bas la semaine dernière) et ceux enregistrés avec Russ Wilkins dans les Milkshakes (salués encore plus bas auparavant), t’as une belle ribambelle d’albums solos et au moins deux compiles rétrospectives qui valent cent fois tout l’Or du Rhin. Et même mille fois. Le panorama reste assez vertigineux.

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             Dans les années 90, tu ramassais tout ce qui portait le nom de Childish, à commencer par  I’ve Got Everything Indeed, son premier album solo. Pochette childishienne ornée de bois gravés et du punk Big Billy, et au dos, son état civil. On apprend qu’il est né à Chatham en 1953 et que l’album est produit par Stanley Arthur Jefferson, la cover signée Guy Hamper, et l’art direction est de William Loveday, autant de pseudos qu’il va réutiliser plus tard. C’est du fait-maison à 100%. Il enregistre déjà à Rochester et l’album sort sur son label Hangman, dont le logo est le bois gravé d’une potence. En 1986, tout l’univers est déjà là. Et puis t’as l’interview du Doctor X sur le côté. Big Billy commence par accuser Elvis Costello et Bowie de faire un dishonest buck avec de la fake culture. Alors pour échapper à ça, dit-il, tu fais ton art local, «qu’on appelle le punk rock», et quand le punk rock a été corrompu, «we moved on, not upwards but sideways, like a crab, to avoid it.» Puis il dit qu’il vend ses books à son comptoir, «that’s my bisniss (sic)» et il ajoute ça qui est terrible : «I put my money where my mouth is, I’m not Pete Townshend, I don’t weedle my way into Faber and Faber.» Quand Doctor X le branche sur Morrisey et Paul Weller, Big Billy se fout en pétard : «That Morrisey bloke, I’ve seen him on his videos crawling round on his ass singing to a bunch of flowers», et il ajoute plus loin : «The angry young man of modern rock?  He’s more interested in his haircut and clothes... the same goes for Paul Weller.» Il attaque l’album avec une cover primitive d’«Oh Yeah» qu’il gratte à coups d’acou. Puis il reprend le riff d’«Oh Yeah» pour gratter son «Troubled Thoughts (Resting On My Mind)». T’as vraiment intérêt à écouter Wild Billy Childish : il sait tout faire et fait tout bien. Il tape encore une version primitive de «Bright Lights Big City» avec des clap-hands. C’est enregistré dans la cuisine. En B, il gratte les accords de Bo sur «Strange Words» et passe au proto-punk avec «Get Out Of Here Pretty Girl». Il gratte son riff raff comme un démon. Plus loin, il claque un fast boogie blues primitif, «Coming Upside Your Head». Il est dans doute l’artiste le plus complet d’Angleterre. Et le plus fascinant.

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             Belle pochette hideuse pour I Remember, mais quel primitivisme ! Il gratte tout dans sa cabane de jardin à Chatham. On croise la première version de «Why Don’t You Try My Love» qu’on retrouvera plus tard dans les autres projets. Même le killer solo de «Come Love» est primitif. Tout sent bon la cabane branlante. En B, ils gratte son «Burn & Blind Me» à l’enroulée. C’est magnifique. Au dos de la pochette, il met la photo d’un homme qu’on pend dans la rue pendant la deuxième Guerre Mondiale.

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             Il apparaît en compagnie de sa poule Tracey Enim que la pochette de The 1982 Cassettes. Et au dos, il te prévient : «You most likely won’t like this record». Il colle en plus une photo de lui avec les dents pourries et un sourire de psychopathe. Il reste dans l’ultra-primitif avec «Col’ Col’ Chillen» et il accentue bien ses accents primitifs. Il déclare au bas d’un texte tapé à la machine : «no alls ain’t gonna sit down for an hour and listen to something that’s gonna burn your soul.» Cet album est l’artefact du primitivisme. Avec «Monkey Bisniss», il tape la cover la plus primitive du Monkey Biz. En B, il fait un peu l’Hasil à l’asile avec «Todays Menu» et il trashe complètement sa cover de «Little Queenie».

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             Rien de plus punkish que la pochette de 50 Albums Great. Il a peint son costard. Il sort un son cru et on l’entend cracher dans son micro. C’est sur cet album qu’on trouve les premières versions fabuleusement raw d’«I Don’ Like The Man I Am» et «Rusty Hook» qu’il reprendra beaucoup plus tard avec The William Loveday Intention. Il s’amuse aussi avec «Miss Ludella Black» - Miss Black/ Miss Black/ I’m in love with you girl - Au dos, il explique que cet album «is something like my 50th, it is a celebration of never having a producer», et signe Jack Ketch, un pseudo qu’il reprendra sur un seul album.  

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             Joli bois gravé pour la pochette de The Sudden Fart Of Larfter. Tu ramasses ça croyant que c’est un album de garage primitif, mais c’est encore mieux : Big Billy lit ses poèmes - I’m a desperate man/ With desperate hands/ And bad teeth - Au dos, on trouve la première partie de sa bibliographie : 30 books en 10 ans, de 1981 à 1992. En plus des albums. 

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             C’est Little Billy qu’on voit sur la pochette de Made With A Passion. Il a 14 ans. Au dos, il explique qu’il enregistre des démos dans sa cuisine, «as a memory device». Il rappelle qu’il a déjà fait «80 LPs without a producer», mais ajoute-t-il, il y a toujours une manipulation going on, «a dressing up (or dressing down) of the sound, to make it more live, more raw and exciting, or as is more often the case with contemporary studios, more dull...» Il conclut en expliquant que cet album «is a personal notebook that was never intended for release, so it sets out to please no one.» Effectivement, l’album est un peu austère. Mais Sympathy For The Record Industry n’a pas hésité un seul instant à le publier.

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             Et puis t’as ce duo de rêve, Billy Childish & Holly Golightly qui enregistre en 1999 un album de rêve : In Blood. Pochette de rêve et au dos, liners de rêve. Sous le couvert de l’Hangman Bureau of Enquiry, Big Billy déclare : «Three chords are a problem. There’s just too much diversity and choice.» Il s’en explique plus loin : «This album uses one chord and it’s simple and dumb, but really it’s sophisticated beyond the wildest dreams of the poor professional.» Il vole dans les plumes de la Brit-pop et clame que le futur appartient aux glorieux amateurs - One chord, one song, one sound! - Pour illustrer ce brillant slogan, ils tapent un fabuleux boogie down, «Step Out», bien stompé au Billy Boot, avec John Gibbs à la stand-up et Bruce Brand au beurre. En écho à ce fulgurant coup de génie, tu trouves au bout de la B un autre big boogie down de Billy Boot, «Hold Me». Ils roulent-ma-poule à belle allure, bien pulsés par le bop de Gibbs. C’est quasi rockab. Avec le morceau titre, Big Billy reste sur son accord avec derrière un beurre du diable signé Bruce. Ça vire hypno avec «Let Me Know You». C’est ce qu’on appelle une volonté clairement affichée. «Let Me Know You» tape en plein dans l’œil du cyclope, avec les coups d’harp de Johnny Johnson. Et avec son tacatac incessant, Bruce vole le show sur «You Got That Thing». Ils tapent tout «Demolition Girl» sur un riff de destruction massive, pas loin de celui de «Cold Turkey». Ils reviennent aux sources du British Beat avec «You Move Me», en ouverture du bal de B, et la stand-up ramène un brin de rockab dans «It’s A Natural Fact». Early British Beat encore avec «I’m The Robber», Big Billy n’en démord pas, c’est monté sur le groove du «Mama Keep Your Big Mouth Shut» des Pretties. On se régale encore de «Move On Up». Bruce Brand est plus dans le swing, comme Charlie Watts, alors que Wolf, l’autre batteur de prédilection de Big Billy, est plus dans Moonie. Big Billy a toujours eu les meilleurs batteurs d’Angleterre.

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             Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur les rétrospectives de Big Billy. 25 Years Of Being Childish va te clouer vite fait à la porte de l’église. Cette compile est un peu le royaume du proto : Milkshakes et «Pretty Baby», puis «Please Don’t Tell Me Baby» (wild as proto-fuck, il n’existe pas d’autre mot possible), Mighty Caesars et «You Make Me Die» et «Lie Detector» (proto du diable et killer solo flash convulsif), puis Thee Headcoats et «Smile Now» (Big Billy ramène toute la morve de la fuzz), sans oublier l’enfer sur la terre, c’est-à-dire la cover de «Watcha Gonna Do About It» des Pop Rivets. Ils font passer les Small Faces dans leur laminoir. Le déluge se poursuit sur le disk 2, avec une ribambelle d’hommages : à Jimi Hendrix (Buff Medways et «Fire» claqué direct au uhhhh), hommage encore à Bo (Thee Headcoat Sect et «Deer Stalking Man», Downliners ruckus, incomparable !), hommage aux Pistols (The Blackhands et «Anarchy In The UK» tapé en mode balloche), clin d’œil aux Buzzcocks aussi (Billy Childish with Armitage Shanks et «Shirts Off»), et pur jus Dylanesque (Billy Childish et «Ballad Of Nettie Brown»). Puis t’as cette avalanche de coups de génie : Thee Headcoatees avec «Wild Man» et «Davey Crockett» (Kyra y va à l’oum pah pah oum yeah !, puis ça repart sur Farmer John, what you got in your pocket), et plus loin t’as Thee Headcoats et «The Hurtin’» (fantastique dégelée aérodynamique), Thee Headcoatees et «Hurt Me» (pur génie de montée en température, summum orgasmique), puis retour des Headcoats avec «The Same Tree» (early Stonesy), et t’as une belle cerise sur le gâtö : les Buff Medways avec «Archive From 1959» et «Troubled Mind» (tu retrouves le power des Who dans les Buff, c’est in the face, tout y est : la hargne et la hargne, le chien et la chienne).

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             From Fossilised Cretaceous Seams: A Short History Of His Song And Dance Groups vient de paraître et se présente sous la forme d’un double album bien dodu avec un very early Big Billy en maillot de bain. C’est une sorte de résumé de tout ce qui fait le génie du rock anglais : les Who (Spartan Dreggs et «Headlong Fly The Archaeans», en plein dans l’œil de la cocarde), les Pistols (Musicians Of The British Empire et «Christmas 1979», Big Billy fait son Johnny Rotten avec la scansion d’Anarchy, merry fucking Christmas to you’ll), et Wild Billy Childish himself (CTMF et «Last Punk Standing», heavy proto-punk à rebours de déclaration de pâté de foi). Bon, t’as aussi les Mighty Caesars, les Buff Medways, les Milkshakes, The William Loveday Intention, Thee Headcoats, les Singing Loins, le Guy Hamper Trio avec James Taylor et son Hammond organ, et bien sûr les Delmonas qui chantent «I Feel Like Giving In» en français - J’espère que tu comprends - Et ça continue sur le disque 2, c’est un vrai manège-à-moi-c’est-toi qui te fait tourner la tête Tu retrouves un hommage aux Who avec les Spartan Dreggs et «A Shopshire Lad» (encore plus Whoish que les Who, comme si c’était possible), un hommage à Bob Dylan avec CTMF et «Failure Not Success» (quel souffle !), du Pure Brit Art avec Buff Medways et «Medway Wheelers» (belle basse pouet pouet), du proto-punk avec Thee Headcoats et «The Same Tree» (C’est le son des Pretties, on est en plein protozozo), de la politique avec The Musicians Of The British Empire et «Thatcher’s Children» (The winner can’t win/ Save your own skin/ Everyone’s a loser), et des coups de génie comme s’il en pleuvait : Thee Headcoatees et «Hurt Me» (belle montée féminine), CTMF et «A Song For Kylie Milogue» (People think they know me/ But they don’t know me/ People think they know me but what do they know?) et The Musicians Of The British Empire avec «Joe Strummer’s Grave» (le power de Big Billy n’a jamais été aussi extravagant - Cool Britannia Jesus saves/ Rupert Murdoch rules the waves/ Richard Branson doesn’t shave/ And Joe Strummer’s lying in his grave).

    Signé : Cazengler, débilly

    Billy Childish. I’ve Got Everything Indeed. Hangman Records 1987

    Billy Childish. I Remember. Hangman Records 1988

    Billy Childish. The 1982 Cassettes. Hangman Records 1988

    Billy Childish. 50 Albums Great. Hangman Records 1991  

    Billy Childish. The Sudden Fart Of Larfter. Dog Meat 1992

    Billy Childish. Made With A Passion. Sympathy For The Record Industry 1996

    Billy Childish & Holly Golightly. In Blood. Wabana One Limited 1999

    Billy Childish. 25 Years Of Being Childish. Damaged Goods 2002

    Wild Billy Childish. From Fossilised Cretaceous Seams: A Short History Of His Song And Dance Groups. Damaged Goods 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - La prestance de Clarence

             Tu t’enorgueillissais de fréquenter Édouard Clairon. T’avais là un homme fier de ses racines bretonnes, il en avait le bleu de la mer plein les yeux et du celticisme plein la verve. Il se dressait comme un dolmen. Il jonglait avec les prophéties comme d’autres jonglent avec des quilles au cirque. Il offrait l’hallucinant spectacle du prophète en la matière, de messie des data-bases, d’oracle des mutations irrémédiables, on voyait en lui le Grand Prêtre d’un Ra techno, le prédicateur des apocalypses digitales, l’augure d’outrances galvanisantes, la Bernadette Soubirou du Blue Tooth, le canonisateur des souris sans fil, le cartomancien des cartes mères, le devin de la dématérialisation, le visionnaire d’écrans 27 pouces, le vaticinateur du raccourci-clavier vicinal, l’extrapologue de la mémoire cache, l’empêcheur de tourner en rond, le fulmineur du fire-wire, l’annonceur des futures annonces, l’instigateur d’un nouveau domaine de la lutte, le ratificateur du rut numérique, t’en finissais plus de boire les paroles lénifiantes d’Édouard Clairon, son discours coulait en toi comme une rivière de miel, mais dans les abeilles. Alors imagine-toi un instant un tout petit plus primitif que tu ne l’es déjà : nul doute que tu lui aurais léché les bottes, ou bien les Nike, pour être plus précis, mais tu te l’interdisais, car il fallait conserver un minimum de dignité, même si tu soupçonnais Édouard Clairon de n’attendre que ça, qu’on lui lèche les Nike. C’est dire la considération qu’on avait tous pour lui. Et plus il parlait, plus cette considération fermentait dans les cervelles. Comme tous les pronostiqueurs du futur, il exerçait sur les esprits faibles une fascination indiscutable. Il nous rendait vraiment fiers de nos limites.

     

             Édouard Clairon et Clarence Edwards font exactement la même chose : ils te gavent comme une oie. L’un va te gaver de vent, et l’autre de blues. Et quel blues, my friend !

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             Tony Burke raconte que Clarence a appris à gratter le blues à 12 ans, en écoutant des 78 tours de Charley Patton. Clarence a démarré tôt dans les années 50/60, puis il est tombé dans l’oubli. C’est un Anglais, un certain Steve Coleridge, qui l’a redécouvert en 1989. Coleridge s’était installé à Baton Rouge pour bosser sur Slim Harpo. C’est lui qui va sortir Swamps The Word. Coleridge qui est aussi bassman va même accompagner Clarence en tournée. Burke situe Clarence ainsi : «One of the last of the great swamp blues artists in the style of Lonesome Sundown or Lightnin’ Slim.»  

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             Swamps The Word grouille de puces, à commencer par la plus mythique des covers : «The Things I Used To Do» de Guitar Slim. Hommage dément, avec tout le poids du spirit, le drive est pur - I’m gonna send you back to your mother - Il enquille à la suite une cover aussi hot d’«Hi Heel Sneakers». Hot as hell, sur les traces de Jerry Lee. On trouve aussi un hommage fabuleux à Muddy : «Hoochie Coochie Man», la racine du rock. Son of a gun ! Pas aussi raw que Muddy, mais Clarence prend l’Hoochie Coochie à la bonne. Il a tout : le black cat bone et le mojo too. Il prend tous ses cuts d’une voix de black dude des bas-fonds. Il n’en finit plus de charger sa barcasse. Coup de génie avec avec «Rocky Mountains». Il re-sort son énergie du diable pour «Chewing Gum». Il faut le voir swinguer son swagger ! Il reste maître du jeu de gimme some. Avec «I’m Your Slave», il balaye d’un coup tout le british Blues. Laisse tomber les blancs, c’est Clarence qu’il te faut. Il fait une cover démente de «Walking The Dog». Clarence est un punk black, le plus féroce d’entre tous. Il sait encore rocker le blues comme le montre «Still A Fool», sure ‘nuff it is ! Et il plonge dans les abîmes de l’heavy blues avec l’incomparable «Lonesome Bedroom Blues». Rien d’aussi balèze ici-bas, c’est gorgé d’écho. Fantastique justesse du ton ! Encore du panache à gogo avec «Done Got Over It». Et quand t’écoutes «Let Me Love You Baby», tu comprends que le blues et le rock, ça appartient aux blackos. T’as cet incroyable balancement basse/beurre, le black swing. Et t’as la pure diction du swamp rock. Clarence est rompu à tous les lards. Sur cet album, chaque cut est un petit chef-d’œuvre de perfection. Encore de l’heavy blues de rêve avec «Born With The Blues». Clarence mouille bien ses syllabes, il chante à l’accent pur. Il passe au pur piano blues de juke-joint pour taper un sidérant «Coal Black Mare». Bravo Clarence !

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             Tu peux prendre n’importe quel album de Clarence, c’est toujours bien. Et si tu en pinces pour l’Heartbreaking Blues, alors écoute Swampin’. Il attaque avec l’heavy blues cajun de génie, «Lonely Lonely Nights», puis il va enfiler ses heavy blues comme des perles : «Tried So Hard», «Cry Like A Baby» (fantastique balancement, on est là au max des possibilités de l’heavy blues), «Born With The Blues» (I got all them down in my shoes, et ça commence early in the morning/ Sure nff to write down some), «Long Distance Call» (Please call me on the phone/ Sometime, il est infernal, Yes my phone keeps ringing/ Sounds like a long distance call) et «Rocky Mountain» (heavy as hell. Clarence est un géant - That’s a place I like to see). Et puis t’as cette version de «Spoonful» ! C’est pas celle des petits culs blancs comme Cream. C’est le vrai Spoonful joué au beat tape-dur. Il se montre digne de Muddy avec «She Moves Me». Même attaque - She moves me man ! - Et il tape une autre cover mythique, «Will The Circle Be Unbroken». Il sort du cut en vainqueur, avec les accords de la modernité.  

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             Dans le 4 pages de Louisiana Swamp Blues, t’as une fantastique petite interview de Clarence. Il dit avec vécu à Alsen, en Louisiane puis à Thomas Scrap, où il a fait du farmwork. S’il a connu Robert Pete Williams ? Oui, «he used to bring scrap there in his truck, and Slim Harpo too.» Pour une raison X, Clarence n’a jamais enregistré pour Jay Miller «in the heyday of the Crowley blues recordings.» Sur ce fantastique Louisiana Swamp Blues, tu retrouves l’heavy «Cold Black Mare». On a écrit «cold» sur le track listing, alors qu’il s’agir de «coal». Clarence shakes down une belle cover d’«Hi Heel Sneakers» et se montre d’une rare crudité avec «Don’t Play With My Mistakes». Il est à l’aise dans le limon du boogie, il chante à l’accent déviant, c’est un bonheur que d’écouter ce blackos. Nouveau coup de Jarnac avec «Free Will». Ses riffs ne trompent pas. Il est encore extrêmement primitif avec «Up’s & Down’s». Clarence est un artiste complet. Tu peux y aller les yeux fermés.

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             Juste un petit conseil comme ça, en passant : ne fais pas l’impasse sur I Looked Down That Railroad (Till My Eyes Got Red And Sore). Clarence est vieux, mais il n’a jamais été aussi bon. Il tape une heavy cover d’«Highway 61» - I give her all my money - et enchaîne avec un autre Heartbreaking Blues de choc, «Trouble Don’t Last». Il est le prince de l’heavy blues - My father was a preacher And my mother prayed for me everyday day - Il tape dans le mille à chaque fois. Encore un fantastique heavy blues de many many years avec «I’m Your Slave». L’heavy boogie blues d’«I Walked All Night Long» est imbattable - She started screaming murder - et il tape à la suite un autre coup de génie, l’«I Just Wanna Make Love To You» de Big Dix - Love to you ! - C’est balèze et bien gras. Il tape «I Miss You So» au power vocal pur et rend un bel hommage à Fatsy avec la cover du diable : «Blue Monday». Back to the wild boogie avec «When The Weather Gets Cloudy». Clarence rôde dans le beat. Ces mecs jouent en rase-motte incendiaire. Et puis t’as encore un clin d’œil à Bo avec une cover d’«I’m A Man». Clarence t’estomaque.

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             Il attaque Baton Rouge Downhome Blues au pur raw to the bone, avec «Every Night About This Time». T’as le pur gras double de Baton Rouge. Et ça continue avec «Dealin’ From The Bottom Of The Deck», pur crack du boum, et ça solote dans le limon. Il tape ensuite dans la véracité de l’heavy blues avec une sidérante cover de «Crawling King Snake». Clarence Edwards est stupéfiant de power. Il explose l’«All You Love» de Muddy à coups de proto-Baton. Il ne dépasse pas les bornes, il les explose. Il monte sur tous les coups du blues. Tu seras scié par la classe du gimmicking dans «Well I Done Got Over It». Grand retour à l’heavy blues avec «Still A Fool». C’est un heavy blues d’une profondeur extraordinaire. Il bat Wolf et Muddy à la course. Il y va au aw aw sure ‘nuff I’ll do. On reste dans les coups de génie surnaturels avec «Rocky Mountain Blues» - These rocky mountains/ That’s the place I love to see - Il ne fonctionne qu’au pouvoir absolu. Clarence ramène des clameurs froutraques qui n’existent pas dans le Chicago Blues. Il tient encore sa fournaise en laisse dans «Don’t Make Me Pay For His Mistakes». Il tape ensuite un cover ahurissante d’«Hoochie Coochie Man», il y va au ha ha have mercy, et gratte des notes à contre-courant. On n’avait encore jamais vu ça. Il reste au sommet de l’Ararat avec cet «Everybody Has Those Ups & Downs» glorieux comme pas deux. Il n’existe rien de plus heavy sur cette terre. Il passe au mythe pur avec une cover du «Things I Used To Do» de Guitar Slim. Nouvelle descente au barbu avec «Highway 61 Blues». Clarence est le roi de l’heavy doom. Il te claque un beignet vite fait - I gave all my money - Toujours la même histoire. Clarence Edwards a tout le power de Baton Rouge. Il rocke mille fois plus que les blancs, c’est important de le dire. Il cultive une sorte de power intrinsèque, un downhome des enfers.

    Signé : Cazengler, rance tout court

    Clarence Edwards. Swamps The Word. Sidetrack Records 1988

    Clarence Edwards. Swampin’. Fan Club 1991  

    Clarence Edwards. Louisiana Swamp Blues. Wolf Records 1993     

    Clarence Edwards. I Looked Down That Railroad (Till My Eyes Got Red And Sore). Last Call Records 1996 

    Clarence Edwards. Baton Rouge Downhome Blues. Wolf Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Le take five des 5.6.7.8’s

     

             L’avenir du rock ne s’attendait pas à croiser Dee Dee Ramone dans le désert. Ah ça, pour une surprise, c’est une surprise !

             — Dis donc Dee Dee, qu’est-ce tu fous là ?

             — One two three four ! I don’t wanna go down to the basement !

             — T’en fais donc pas Dee Dee, ya pas d’basement dans l’désert !

             Interloqué, Dee Dee reste muet quelques secondes, puis il lance d’une voix rauque :

             — One two three four ! I wanna be sédentaire !

             Agacé par le niveau zéro de la répartie, l’avenir du rock reste de marbre un moment puis il finit par marmonner d’un ton grinçant :

             — Ah bah dis Dee Dee, t’es en pleine surchauffe pondérale !

             Dee Dee encaisse l’insulte et lance d’une voix de fouine délinquante :

             — One two three four ! The KKK took my barda away !

             L’avenir du rock lève les bras au ciel :

             — Te fais donc pas d’bile Dee Dee, t’as pas besoin d’barda ici ! Regarde-moi, Ducon la joie, est-ce que j’ai un barda ?

             Ça laisse Dee Dee interdit. Mais créatif comme pas deux, il repart de plus belle :

             — One two three four ! Judy is a baseball bat !

             L’avenir du rock ne sait plus quoi dire. Il se sent dépassé. Pire encore, il sent qu’il perd son temps. Il déteste pisser dans un violon. Pendant ce temps, l’autre continue :

             — One two three four ! I wanna be your gaufrette !

             — Dis donc mon con joli Dee Dee, ça t’écorcherait la gueule de changer d’disque ?

             — Five six seven eight !

             — Ah bravo, c’est beaucoup mieux...

     

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             The 5.6.7.8’s est un trio de petites Japonaises qui date de Mathusalem. On les voit en effet dans Kill Bill 1 et leur premier album date de 1988, donc on peut faire le compte. Le problème c’est qu’elles sont tellement kitsch qu’on a jamais réussi à les prendre au sérieux. Grave erreur !

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             L’occasion nous est donnée de les voir sur scène en première partie de Gyasi. On arrive avec un a-priori, on renâcle, on rechigne, on renaude, on se souvient d’un son inabouti, d’un girl-group amateur, et puis dès le premier cut, «Hanky Panky», elles raflent la mise. Pourquoi ? Parce qu’elles n’ont aucune prétention. Elles jouent toutes les trois dispersées dans l’immense espace de la grande scène, ce qui équivaut à une sorte de dénuement, alors elles passent en force. Elles s’attaquent à un genre difficile qui est le gaga-kitsch, et seules des Japonaises peuvent réussir un coup pareil. Ronnie Fujiyama gratte ses poux sur une gratte vintage et sort le son clair des

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    origines du gaga-surf. Et derrière elle, t’as l’une des plus belles sections rythmiques de l’underground : Akiko qui swingue ses basslines avec une effarante maestria, et une fabuleuse batteuse de rockabilly, Sachiko, qu’on surnomme Geisha Girl Salad et qui pourrait très bien accompagner Charlie Feathers. Elles tapent à trois un set d’une heure qui ne cède rien ni à l’ennui ni à la médiocrité, c’est tout le contraire, elles subliment ce genre forcément difficile qu’on croit réservé aux dieux du stade, elles se l’approprient pour en faire du pur 5.6.7.8’s sound. Elles enfilent leurs vieux

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    hits comme des perles, «Godzilla», «Woo Hoo», Ronnie Fujuyama envoie parfois un coup de fuzz dans sa dentelle, et c’est du meilleur effet, elle est extraordinairement concentrée. Elle a ce côté vétérante de toutes les guerres qui assoit bien sa légende. Et tu vois cette diablesse d’Akiko tricoter ses lignes de basse athlétiques avec un sourire chargé de mystère. Franchement t’en reviens pas de voir un groupe défier les lois de la physique avec une telle retenue. Plus leur son paraît austère et plus tu les admires, car elles jettent toute leur énergie dans la balance et t’es rudement content d’être là, quasiment prosterné à leurs pieds.  

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             Pour entrer dans le monde magique des 5.6.7.8’s, l’idéal serait d’écouter Bomb The Rocks: Early Days Singles 1989-1996, une compile bourrée à craquer de bombes atomiques. Boom dès «Bomb The Twist», trash-punk de proto-punk, c’est même au-delà de tout proto, elles se jettent dans la bataille avec une vraie sauvagerie. Avais-tu

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    déjà vu un truc pareil ? Non. Elles tapent ensuite dans l’univers des Cramps avec «Jane In The Jungle», paradis de la reverb & du wild raunch.  Elles font encore les Cramps plus loin avec un «Jet Coaster» monté sur le modèle de «Fever». Tu veux de la délinquance juvénile ? Alors écoute «Guitar Date». Ronnie Fujiyama gratte sec. C’est une trash-punk. Elles foncent dans le mur du rock avec «Woo Hoo». Quelle bande de folles ! Leur cœur de métier est le trash, comme le montre «Continental Hop», fabuleusement arraché, ou leur version de «Long Tall Sally», trashée jusqu’à l’oss de l’ass, ou encore «Scream», allumé au scream de dingue, un summum d’insanité. Leur «Boyfriend From Outerspace» défonce les barrages et elles te cisaillent «She Was A MAu MAu» à la base : wild fuzz guitar ! Ronnie Fujiyama devient complètement dingue, elle bat tous les records de sauvagerie vocale. Elles savent aussi dealer du kitsch comme le montre «Bond Girl», elles tapent le thème de James Bond et ça sonne ! Joli shoot de gaga Jap avec «Fruit Bubble Love» et elles envoient un gros clin d’œil aux Shangri-Las avec «Motor City Go Go Go». Extraordinaire power délinquant ! Ronnie Fujiyama gratte des poux de dingue dans «The 5.6.7.8’s», un instro magnifico et tout rebascule dans le génie avec «Edie Is A Sweet Candy» qu’elles tapent à l’énergie fondamentale. Ronnie chante encore comme un monstre à la bouche gluante dans «I Was A Teenage Cave Woman», non seulement c’est hanté, mais t’entends des poux demented, t’as tout, le scream, la Jap, la démesure. Et ça repart dans le trash-bop avec «Ah-So», et du coup elles deviennent tes wild chouchoutes.

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             On retrouve la version originale de «Scream» sur le premier album sans titre des 5.6.7.8’s.  Ça hurle dans les couloirs du château d’Écosse. Whoooooh ! C’est excellent, soutenu par un gratté de poux génial, quasi rockab dans l’essence. Un vrai coup de génie, pour l’époque. Elles deviennent aussi les reines du trash avec «Oriental Rock», qu’elles trash-boom-huent, elles sont aussi pures que les Monsters, et leur version de «Long Tall Sally» en B bat tous les records de trash. Ronnie Fujiyama t’iconoclaste Sally en beauté. Elle sort ensuite sa plus belle fuzz pour «Cat Fight Run», et derrière, ça tatapoume de plus belle. Elles passent au kitschy kitschy petit bikini avec «Highschool Witch». Elles tapent ça à la finesse extrême, avec un beurre rockab. Elles font aussi deux belles covers jap : l’«Arkansas Twist» de Bobby Lee Trammell et elles allument «Tallahassie Lassie» aussi bien que les Groovies.

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             On retrouve le fameux «Scream» sur le Live At Third Man Records paru en 2013, c’mon scream yeah !, et elles tapent une version ultra-wild de «Teenage Mojo Workout». Elles sont tellement énergiques dans la dépenaille que ça devient génial. Par contre, le reste du Live n’est pas si bon. Le son est trop dépouillé, trop fête foraine. C’est même assez aléatoire. On perd la ferveur des early singles. Ça ne fonctionne pas. Elles tentent de sauver le Live avec «Bomb The Twist» et «Barracuda», mais ça se solde par un gros chou blanc.

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             On va donc se remonter le moral avec un album extraordinaire, le Teenage Mojo Workout paru en 2002. Elles te noient dans le trash dès «(I’m Sorry Mama) I’m A Wild One». Elles te jettent dans la friteuse, t’as tout, la folie, le beat, la démesure, le trash pur ! Et ça continue avec un «I’m Blue» stupéfiant de trashitude. Elles rendent un fantastique hommage à Bo avec «Road Runner». Fuzz-out ! Explosif ! Elles foncent dans la nuit avec «Typhoon Girl», un instro en forme d’incroyable déboulade pulsée par le beurre du diable. Et là tu vas tomber sur la triplette de Belleville, trois covers mythiques : «Hanky Panky» (attaqué à la fuzz, terrific), «Harlem Shuffle (elles tapent dans Bob & Earl de plein fouet, à l’arrache japonaise, elles sont héroïques, imbattables, elles atteignent leur sommet) et «Green Onions», amené à la Jap demented, elles le saturent de fuzz. Et puis voilà le morceau titre, d’une rare violence, wild as fuck, monté sur un drive de dingue, l’un des hits gaga du siècle, claqué aux pires accords Jap. Elles atteignent ensuite les somment du boogaloo-trash avec «Let’s Go Boogaloo». Elles te l’explosent dans la stratosphère.

    Signé : Cazengler, 9.10.11.12.13.14.15.16.17.18.19

    The 5.6.7.8’s. The 5.6.7.8’s. Time Bomb Records 1985        

    The 5.6.7.8’s. Live At Third Man Records. Time Bomb Records 2013   

    The 5.6.7.8’s. Teenage Mojo Workout. Time Bomb Records 2002

    The 5.6.7.8’s. Bomb The Rocks: Early Days Singles 1989-1996. Time Bomb Records 2003

     

     

    L’avenir du rock

    - Finnigan’s wake

     (Part Three)

             L’avenir du rock est fier d’appartenir au Cercle des Pouets Disparus. Il retrouve chaque mardi ces fiers barons de l’érudition rock dans un appartement de la rue de Rome dont nous tairons ne numéro pour éviter toute interférence mallarméenne. Le thème de la soirée est le Mono.

             Nick Cunt caresse son jabot et lance d’une voix cristalline de gazelle effilée :

             — Qui Monoterais-tu au radiateur, avenir du rock ?

             — Monoman, sans la moindre hésitation.

             Une rumeur admirative caresse les chevelures des convives.

             Charles Shaar d’Assaut s’écrie du haut de sa supériorité numérique :

             — Tu as toujours eu la glotte habile, avenir du rock. Ébahis-nous une fois encore : sur quel canasson Monomiseras-tu ton petit kopeck ?

             — Monochrome Set, comme je l’ai toujours fait depuis 40 ans ! Et toi Mick Tamère, quel est donc la nature de ton Monopole ?

             — Monoparental. Ma femme s’est barrée. Wouah quelle salope !

             Un vent glacial caresse les chevelures des convives.

             Philippe Panier-Garni s’élance fort héroïquement au secours de la situation :

             — Qui sauvera l’honneur du Cercle des Pouets Disparus ?

             — Il n’existe qu’un seul moyen !, s’écrie magnanimement l’avenir du rock.

             Médusée, la petite assistance attend la suite. Alors l’avenir du rock se hisse sur la table basse et lance du haut de son registre :

             — Back to Mono !

             Une rumeur de stupeur parcourt la petite assemblée. Alors pour river son clou, l’avenir du rock ajoute :

             — Back to Monophonics, bien sûr !

             — Ooooouuuhhhhhh....

     

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             Quand on voit Kelly Finnigan arriver sur scène, c’est un peu comme si on voyait revenir un vieux copain. Il ne va pas se passer grand-chose sur scène, car, fidèle à son habitude, Kelly reste assis derrière ses claviers, se contentant de pousser la chansonnette et de pointer du doigt, pour appuyer ses injonctions le plus souvent d’essence sentimentales. Il met aussi régulièrement la main sur le cœur pour nous assurer de sa bonne foi. On a presque envie de lui dire qu’on n’oserait pas la mettre en doute, mais ce sont des choses qu’on ne dit pas.

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             Alors forcément, cette Soul blanche te colle autant à la peau qu’au premier jour. Kelly est l’un des très grands chanteurs de son époque et il fait le choix de l’underground pour cultiver sa Soul en toute tranquillité, bien peinard sur la grand-mare des canards. Pas question d’aller promener son cul sur les remparts de Varsovie. Il tient trop à son intégrité. Il préfère ne vendre qu’une poignée d’albums à une poignée de fervents amateurs plutôt que d’aller faire la pute dans les émissions de télé à la mode. Et c’est pour ça qu’on le respecte. Avec Dan Penn, Kelly Finnigan est à peu près le seul Soul Brother blanc. On pourrait aussi remonter jusqu’à Eddie Hinton, Mitch Ryder, George Soule, Bobby Hatfield, et parmi les contemporains, épingler l’excellent Nick Waterhouse, ou encore Marcus King, mais Kelly se distingue des autres White Niggers par la qualité et la puissance de sa voix qu’on peut qualifier de grasse et colorée à la fois, de volatile et fruitée. Il est aussi perçant que Percy Sledge et hot qu’Otis. Il communique bien avec le public et n’a qu’un seul mot à la bouche : love. Alors love par ci et love par là. Tu sais pour l’avoir déjà vu à l’œuvre que rien ne va se passer et que tout se passe dans ta perception de la Soul,

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    dans ce que tu en attends. Il faut se souvenir de ce que Dave Godin disait de la Soul, il fallait qu’elle soit (pour lui) slow and fervent. Et passé le premier écueil, tu entrais alors dans le lagon d’argent de la Deep Soul. Kelly Finnigan ne fait que ça, de la Deep Soul slow and fervent, qui peut sembler atrocement austère au premier abord, mais qui est d’une rare qualité artistique. Une Soul d’une extrême pureté. On pourrait parler d’une Soul raffinée à l’extrême, comme ce «Promises», une Soul malade d’elle-même, une Soul huysmanienne, une Soul aux accents dépravés qui achèvent d’irriter ta cervelle ébranlée, une Soul de jazzmatose de la comatose, une Soul belle à pleurer dans ton verre de bière, une Soul fabuleusement privée de dessert, une Soul d’imprécations sur-oxygénées, comme le montre «Say You Love Me», une Soul qui brille parfois de l’éclat de topazes brûlées, la Soul d’une race à bout de sang, une Soul que Kelly colle comme un parement sur de féeriques apothéoses, une Soul charnue et molle qui sent parfois le fauve, comme ce «Warpaint» qu’on croyait pourtant bien connaître, et qui en concert, prend une autre allure. Il semble que sa voix hisse vers la cime de l’art de douloureuses imprécations aux lueurs vitreuses. Il martèle une Soul singulière et incantatoire, comme s’il cultivait le délicieux sortilège de la note rare. «Sage Motel» finit par sonner comme une Soul chimérique. La vague de Finnigan’s wake t’éveille.

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    Signé : Cazengler, Kelly Finigland

    Monophonics. Le 106. Rouen (76). 24 octobre 2025   

       

    *

     Dans notre livraison  705 du 09 / 10 / 2025, nous avons chroniqué les deux premiers titres parus en avant-première de l’album Utopie d’Aephanemer qui vient de sortir.

             La beauté est toujours énigmatique. Elle est un fruit qui ne s’offre pas de lui-même. A portée de main. Mais comme refusé. Il ne faut pas le cueillir, mais le recueillir, comme le logos heideggerien moissonne les mots, les actes, et les intentions. Ces trois attitudes, ces trois altitudes exigent une grande patience. Déjà, que signifie le nom de ce groupe : serait-ce un mot valise qui marierait l’éphémère mouvance porteuse de la grâce fanée des choses qui passent, ou alors selon une étymologie plus subtile, l’air qui resplendit lorsqu’il devient eau, en d’autres termes le symbole, le jeu incessant des métamorphoses élémentales, ailes d’un moulin qu’un vent subtilement éthernel instille dans la concrétude mouvante des choses. Des choses divines, pour reprendre le titre d’un essai aventureux de Paul Valéry.

    UTOPIE

    AEPHANEMER

    (Napalm Records / 31 Octobre 2025)

    La couve est due à Niklas Sundin, guitariste metal et graphiste, auteur de multiples pochettes metal. Il officie dans Dark Tranquility et Laethora. Le non du premier de ces deux groupes définit à merveille son monde intérieur.  Dans son Traité des Couleurs, le grand Goethe, créateur de Méphistophélès, n’explique-t-il pas que tout autant que la lumière, l’obscurité est au fondement de la couleur. Il s’agit de savoir voir.

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    A première vue la pochette de l’album n’offense pas le regard. Un orange lumineux et un vert clair, pas celui de la verte prairie, plutôt l’amandine de la peau de nos lézards qui se chauffent au soleil sur le mur de nos maisons. Peut-être existe-t-il au premier plan des traces de civilisations davantage rugueuses que cette tour élancée, à l‘assaut du ciel, dont nous subodorons qu’elle symbolise, la ville utopique de nos fierté hominiennes. L’illustration se poursuit sur le CD, même ambiance sereine, toutefois la tour semble s’être éloignée et sur notre droite n’est-ce pas un effrayant vortex dans lequel il vaudrait mieux ne pas s’engager…

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    Marion Bascoul : vocal, lyrics / Martin Hamiche : bass, guitars, orchestrations / Mickael Bonnevialle : Drums.

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     Echos d’un monde perdu : comme un point de tristesse qui fond du fond de l’espace-temps, il se déploie symphoniquement jusqu’à embrasser l’embrasure d’une plénitude surprenante, roulement, écroulement,  silence, s’élève alors l’écho perdu d’un monde disparu, une vague lointaine et cristalline, comme une plainte qui s’évanouit et disparaît, semble-t-il à tout jamais. Le cimetière marin : un voile qui se déploie, ce ne sont pas les civilisations qui sont mortelles, ce sont les hommes enfouis sous sous les sols qui les emportent avec eux, la voix de Marion Lascoul fouille la terre arable du songe des morts qui poursuivent leurs chemins intérieurs, égorgera-t-on une brebis noire sur leur tombe pour qu’ils reviennent à eux-mêmes se gorger de leurs souvenirs reviviscents, ne nous égarons pas, ce n’est pas parce que la musique l’emporte par amples stases mouvantes sur le vocal qu’il ne faille point tenter de vivre, si la bouche d’un mort s’accroche à l’humus, la morsure des combats qui nous guettent nous presse de vivre. Que seraient les morts si les poëtes ne les inscrivaient pas dans le marbre de leurs vers épars.  La règle du jeu : le vocal embrase l’élan

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    musical, c’est la vie qui se débat avec les morts dont nous sommes les héritiers, les vivants dont nous sommes les commensaux, même si souvent nous renversons la table, une basse funèbre, n’oublions pas que ce mot se partage entre le ‘’fun’’ de de la vie et les ténèbres tapies dans l’ombre mentale qui nous envahissent, ne soyons pas joyeux, sachons en rire, les lumières de la vie ne sont-elles pas un théâtre de décombres, décors et désordres de nos existences entremêlées. Tout cela a-t-il un sens, ou seulement une importance… Par-delà le mur des siècles : une introduction d’une légèreté quasi mozartienne, pour évoquer la vie au-delà de tout destin individuel, de tout hasard personnel, la voix ne chante plus, elle vitupère, se mêlant à l’orchestration comme le venin à la brûlure de la vipère. Que fais-tu de la Hache majuscule de l’Histoire, le spectre sanglant du progrès ne se cache-t-il pas derrière le fer dégoulinant. La batterie taille du petit bois pour le feu du matin suivant, presque un menuet en intermède, même si la flamme sombre d’une guitare nous rappelle que tout drame n’est peut-être qu’une comédie qui tourne, malgré toutes ses arabesques enivrantes, en farce grotesque. Parfois vous avez l’impression que la musique rigole

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    ( Photo : Daniela Adelfinger )

    en douce. Chimère : celle-ci n’est point nervalienne, elle ne traverse qu’une fois l’Achéron car le voyage s’avère sans retour, la trame rythmique est comme concassée, ce sont les remous de l’Histoire qui clapotent sans trop de bruit dans le marais des illusions perdues, la leçon est sans appel, la guerre même victorieuse n’est qu’une défaite, tout rêve de grandeur s’avèrera équivoque voire univoque, il court à sa perte et est appelé à basculer dans le néant informe.  Contrepoint : à quoi ? Au nihilisme du morceau précédent qui nous dit que tout se vaut et que rien ne vaut rien, nous voici place Maubert à Paris en 1646 sur laquelle fut exécuté sur ordre inquisitorial, l’imprimeur et écrivain, jamais nommé, Etienne Dolet, qui fut grand lecteur et intercesseur de Cicéron, le canal romain par qui fut transmis en France le vocabulaire de la philosophie grecque, le morceau pétille, parfois il semble se fondre dans la noirceur des cendres mais il reprend vie et force, une plainte noire émerge, mais elle est comme l’étamine de la pensée libre. La rivière souterraine : long flamboiement instrumental, ce n’est pas un moment de repos, mais la course sans fin

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    ( Photo : Polypycture Vanessa Housieaux )

     de l’Histoire qui coule au travers des siècles… au milieu du morceau s’élève le thème introductif de l’écho du monde perdu qui n’est peut-être pas aussi perdu que l’on pourrait l’accroire, il semblerait qu’en cette rivière se distingue un courant d’eau  plus pure que le limon habituel qu’elle charrie… une cascade pianotique de notes terminales nous laisse entendre que quelque chose fait sens. Utopie (Partie 1) : tristesse absolue de l’orchestration qui prend de l’ampleur telle la voile d’un navire que le vent enfle, le voyage n’est pas sans danger, la musique se ralentit dans les immondes sargasses de l’impuissance… lorsque enfin surgit non pas un allant triomphateur mais la sensation que le navire n’est pas livré au hasard, certes les écueils sont nombreux, les naufrages à tout instant à portée de coques, mais l’on discerne un ruisseau obstiné qui subsiste au milieu des tourbillons, qui se fraie un chemin, par deux fois la piste ténue du son semble s’arrêter, mais la marche reprend, doucement hésitante, la voix de Marion Bascoul grimpe dans la mâture, elle prend alors le commandement, elle discerne et édicte  le chemin parmi les obstacles accumulés, tout semble se terminer sur un beau générique de fin / Solitude, récif, étoile / A n’importe ce qui valut / Le blanc souci de notre toile / dixit le grand Mallarmé, car les eaux du rêve se mêlent à l’hideuse réalité. Utopie (Partie 2) : c’est alors qu’apparaît au loin le mirage de la cité d’or, la merde humaine repose dans les pots de chambre auréifiés, le voyage n'est pas terminé, l’Atlantide des songes s’éloigne au fur et à mesure que l’on s’en approche, toutefois, la musique se fait alors conquérante, le vent qui se lève cingle les voiles, tout paraît si proche que l’enthousiasme nous emporte, ce qui n’empêche point les retombées mortuaires, les eaux mortes qui nous attirent, les mains des morts étreignent la coque et tentent de nous ramener à eux. La voix de Marion Bascoul nous arrache au marasme, à ces infâmes reptilations, elle ne  cache rien, elle crache nos découragements, elle  se marie si bien au rythme porteur de cette rivière clandestine qui ne s’arrête que pour mieux aller de l’avant, désormais nous avons pour guide inaltérable cette aiguille fine et altière qui s’est implantée dans la membrane de notre idée fixe, de minuscules notes pures nous font signe, nous ne craignons ni tempêtes, ni naufrages.

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    ( Photo : Polypycture Vanessa Houseaux )

             This the end beautiful friends. Pas du tout. Pas encore. Tout recommence Aephanemer nous offre la suite orchestrale de son opus.  Etrange démarche murmureront certains. Les neuf pistes d’Utopie se suffisent à elles-mêmes. Le groupe n’a pas voulu retrancher, il a simplement dissocié la poésie de la musique. Etrange démarche orphique. Songeons à Valéry qui s’était opposé à une lecture d’Un Coup De Dés Jamais N’abolira Le Hasard accompagnée de musique. Toutefois Valéry donnera un Amphion, que nous qualifierons de drame lyrique, avec un récitant, le texte n’est pas chanté, chœurs et orchestre. La partition est d’Arthur Honegger… L’œuvre restera ce que l’on appelle une curiosité. L’idée initiale de Valéry était une œuvre totale (chant, danse, décors, musique) inspirée de Wagner. Elle ne sera écrite et réalisée que quarante ans plus tard. Toutes ces références pour montrer que les radicelles de la démarche aephanérienne possède des racines beaucoup plus profondes qu’il n’y paraîtrait de prime abord. Ne surtout pas la prendre comme un caprice surdimensionné d’Amin Hamiche qui est le compositeur de l’album.

    UTOPIE / AEPHANEMER

    Echos  d’un monde perdu, Le cimetière marin, La règle du jeu, Par-delà le mur des siècles, Chimère, Contrepoint, Utopie (Partie 1), Utopie (Partie 2

    Certes l’aspect rugueux du chant de Marion a disparu, il était un parfait contrepoint à la longue suite mélodique qui par un retournement logique pouvait en être perçu comme le contre-chant. Le sens véhiculé par les paroles, rappelons qu’elles sont en français, est-il lui aussi supprimé ? N’écoute-t-on pas Tristan et Isolde de Wagner sans comprendre le livret. N’en est-il pas de même pour le Tommy des Who. Nous avons toutefois des points d’appuis plus ou moins flous, des connaissances fragmentaires ‘’ du quoi que ça cause’’ qui permettent de se frayer un chemin. Pensons aussi à Mallarmé mécontent d’apprendre que Debussy s’est attelé à un poème musical inspiré par son poème  L’après-midi d’un faune. Je croyais déjà l’avoir mis en musique laissera-t-il échapper. Les méditations sont ouvertes.

    Ce qui est sûr c’est que cette suite orchestrale n’est pas ennuyeuse, l’on se laisse facilement emporter. J’en ai même oublié le motif de l’œuvre, me perdant en d’autres thèmes. Bizarrement l’orchestration de La Rivière souterraine m’a paru beaucoup plus rock que lors de la version chantée…

    Si je devais résumer mon écoute en un seul mot, ce n’est ni le thème de la mort ni celui de l’utopie qui me viendrait à l’esprit. C’est le terme de ‘’romantique’’. Ce qui n’est pas étonnant, la musique rock sous ces différentes et multiples formes m’a toujours paru être le dernier avatar du mouvement romantique né à la fin du dix-huitième siècle en Europe.

     Si cet opus d’Aephanemer était seulement un bon disque ce serait déjà très bien. Mais il y a la qualité sans égale  des textes de Marion Bascoul qui puisent aux grandes orgues de la lyrique française sans en être prisonnière. Et puis cet album peut être qualifié de projet. (Au sens Joycien) de ce mot. De projection d’une borne référentielle. En le sens où il me semble être un point de bascule dans la production metal française. Un point de ralliement ou de rejet, il y aura certainement un avant et un après Utopie.

    Damie Chad.

    A DREAM OF WIIDERNESS

    AEPHANEMER

    (Napalm Records / 2021)

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    La pochette de Niklas Sundin est un pur chef d’oeuvre. Non pas par l’habileté du dessin qu’elle a nécessitée, mais parce que par la seule force d’un seul dessin l’artiste est parvenu à rendre une idée. L’on parle du mythe de la caverne de Platon, l’on emploie aussi l’expression ‘’l’image de la caverne’’. L’on pourrait gloser à l’infini sur la signification du mythe platonicien de la caverne, mais une autre tâche tout aussi difficile nous attend : que signifie le terme ‘’ Dream of wilderness’’. Un rêve de sauvagerie tendrait à signifier que l’Homme se doit d’être brutal, sauvage, cruel, rétif à toute pitié, à toute faiblesse… Struggle for life, tout est permis pourvu que l’on survive. Pour ma part par la vitre d’un train j’ai eu la terrible  vision d’une scène lamentable : un cercle d’une vingtaine de chasseurs le fusil pointé sur un sanglier. S’est imposé à moi la célèbre scène de l’Odyssée où la vieille nourrice reconnaît en l’étranger Ulysse grâce à l’ancienne blessure à la jambe causée par la défense d’un sanglier… Les Grecs connaissaient la force brute de la bête. Mais l’homme se devait de l’affronter seul à seul. Un épieu à la main. Niklas Sundin nous raconte cela : la bête dans toute sa puissance mais encadrée de chaque côté par les silhouettes des deux arbres. Destruction et protection entremêlées.  Jeremiah Johnson de Sydney Pollack nous conte la même histoire. A sa manière, selon une autre mythologie, avec des images mouvantes d’une autre époque. Ne nous faisons aucune illusion : nous sommes pétris de cette sauvagerie sans limite, nous sommes des êtres de démesure, l’hybris est consubstantielle à notre sang, mais c’est parce que nous sommes imprégnés de cette force kaotique et élémentale, que nous savons que tout comme le sanglier dans sa bauge protectrice, nous  sommes partie prenante de cette nature naturante en constant devenir, sans cesse remis en cause et mus par le rêve d’une certaine équité que nous qualifions d’olympienne. Car nous sommes les fils de nos propres pensées plus grandes que nous. Qui en même temps préservent notre rêve, et nous recyclent ad infinitum. Durabilité grecque. Sauvagerine et ballerine.

    Marion Bascoul : vocal, lyrics / Martin Hamiche : bass, guitars, orchestrations / Mickael Bonnevialle : Drums / Lucie Woaye Hune : bass.

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     Land of hope : prélude et crépuscules, celui matutinal, celui entre chiens et loups, aurore ou entrée dans la nuit, heures claires ou heures sombres, soleil rayonnant ou lune blafarde, intense gravité et lueur d’espoir.  Antigone : surprenant changement de ton, avec l’intro précédente mais surtout avec ce à quoi l’auditeur s’attend, cris et désespoirs, drames sanglants, le drame d’Antigone est porteur de redoutables noirceurs, rythme enjoué, Maion Bascoul prodigieuse dans son vocal, elle vous hache le parmentier de la situation tragique avec un tel allant, une telle morgue d’analyste méthodique sans âme que l’on est surpris, le rouge pourpre sang des Atrides se teinte de rose printanier enjoué, el la musique se dandine dans cette joyeuse danse des morts, d’autant plus forte que rehaussée d’envolées violoniques et de chœurs féminins virevoltant, ne nous trompons pas ce n’est pas la mort d’une âme pure que l’on pleure, c’est l’acte de refus et de résistance d’une jeune fille que l’on fête, la mort peut-être un pied de nez exemplaire à la barbarie des lois. Ce morceau à rebrousse-poil de souventes lectures pleurnichardes est prodigieux. Un véritable appel à l’insurrection individuelle.  Of volition : les philosophies de la volonté sont souvent employées pour promulguer l’injustice politique coercitive. Le siècle précédent en est un parfait exemple. Celui dans lequel nous vivons fera-t-il mieux ? Une intro d’une gravité dramatique qui jure avec la fin du précédent, la batterie se charge de nous remettre les idées en place, c’est parti pour une charge à la cosaque, Marion Bascoul ne fait pas de prisonniers, elle mène le train à la tête de son vocal à la hussarde, c’est d’autant plus méritoire que le texte qu’elle énonce au grand galop s’apparente à une démonstration philosophique maîtrisée, en trois points : position : notre action  sur le monde ne serait-elle pas guidée par nos passions : ante-position : ne vaudrait-il pas mieux nous abstenir d’agir pour ne pas déclencher par notre native impétuosité éléphantesque un désordre encore plus grand que celui que nous comptions juguler : déposition : aucune possibilité de réaliser une synthèse, heureusement les sophistes nous ont aidé à entrevoir une manière d’agir, il s’agit de compter sur ses propres forces individuelles garantes de notre liberté mais aussi de la situation politique collective en développant notre action au bon moment, ce qui demande une juste analyse des situations. Cette méthode peut aussi être utilisée par nos ennemis mais c’est à nous à être plus adroits qu’eux, de chevaucher la tempête pour atteindre nos buts.  Le radeau de la Méduse : changerions-nous d’époque, non l’homme est de toutes les époques, toujours aussi lâche et égoïste, nous voici embarqués sur le radeau de Méduse, franchement nous n’échangerions notre place avec personne, c’est trop fort, trop puissant, trop excitant, trop rock’n’roll, Marion se transforme en grande prêtresse menant des milliers de fidèles à une mort honnie, le reste se de l’équipage se déchaîne et souque ferme, ce morceau est une épopée hugolienne, nous sommes embarqués pour le pire, mer tempétueuses, bassesses éhontées, fringale de cannibale, rien ne nous est épargnée même pas une salvation miraculeuse. A vous faire annuler vote dernière croisière sur paquebot de loisir touristique déniché sur un prospectus alléchant. Crudité humaine au menu. Roots and leaves : magnifique entrée oratorienne, si vous pensez vous reposer des émotions précédentes pas de chance Aephanemer ne vous procure jamais plus que trente secondes de repos, c’est reparti comme en quatorze, nous voici emportés dans un tourbillon. Modérez votre impatience, certes ça tangue violemment mais nous voici plongés non pas au cœur de l’action mais dans un maelström de réflexion, moins théorique que celles de Of volitions, disons que le groupe vous jette dans la concrétude des situations. Autrement dit les infames compromissions avec les réalités. Les conséquences de nos actes nous dépassent. Nous pensons bien faire, nous produisons une catastrophe. Et si nous réussissons, si dans l’humus des feuilles mortes, petite 

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     graine sans défense nous devenons un arbre majestueux, le pouvoir ne nous transformera-t-il pas en tyran prodigieux. Pensée terriblement incapacitante. A tel point qu’Aephanemer nous ménage une pause belle comme un oratorio classique, mais le ver vainqueur de la réflexion s’attelle à notre détresse et nous incite à l’humilité, perce même le désir d’une vie terne et sans éclat en accord avec la sagesse chrétienne…  Vague à l’âme : instant de rémission, serait-ce un interlude, hélas un manteau de tristesse nous tombe sur les épaules, nous n’en avons pas encore fini avec le poids de nos pensées et la déréliction de notre existence. Strider : lente entrée comme une bête de somme, cheval fourbu n’avance point à la halte, Marion Bascoul conte une histoire exemplaire non pas parce qu’elle est exemplaire et servira de modèle à tout un chacun, mais parce que tout un chacun s’y reconnaîtra, le vocal ne court pas, il galope lourdement surchargé de trop de souffrance, un intermède qui s’abat à terre, certes le vent ondoie la crinière, le conte reprend, celui qui se croyait libre n’est qu’un esclave soumis à une volonté qui n’est pas la sienne, même mort son corps ne lui appartiendra pas davantage, ses atomes seront dissociés et dispersés dans le renouvellement inconscient du recyclage naturel… Ainsi toute vie court à son terme.  Terrible loi du destin existentiel.  Panta Rhei : quel que soit notre destin individuel nous sommes tous voués à la même mort, la voix pourrait se transformer en morne complainte mais la musique est vive et le chant reste impétueux, comment se défaire du carcan de notre disparition, nous ne sommes pas loin de l’hymne à la joie, la solution est individuelle, chacun progresse à pas de pas grand-chose dans sa conscience, mais les petits ruisseaux forment les grandes rivières qui se fondront dans le grand fleuve de la vie, en le champ de l’espèce humaine dont chacun de nous n’est qu’une infime parcelle, mais aussi une cellule agissante. A plusieurs reprises le chant se tait pour nous permettre d’accéder à cette vision qui nous transcende. A dream of wilderness : Et maintenant ? comment répondre à cette question d’une façon positive, Marion Bascoul prend le vocal comme un cheval fou s’empare de son mors, elle résume l’Histoire depuis le début, la symbiose entre les hommes et les Dieux, l’émerveillement devant l’opulence de la nature offerte, le savoir fut le couteau des lois qui divisèrent le monde des hommes en maîtres et serviteurs, maîtres et esclaves, de la justice naquit l’injustice, la religion divisa hommes plus qu’elle ne les relia, c’est alors que certains commencèrent à se séparer des institutions humaines, ils s’en retournèrent, du moins dans leur tête, à l’état de nature, une marche en avant certes mais qui débouche sur des rêveries en totale contradiction avec le monde réel. L’heure est grave, retroussez vos manches, par deux fois le monde a débouché sur des échecs, mais si tout ce qui fut perdu est perdu à jamais, le moment d’exigence d’un nouveau chemin à parcourir est devant nous.

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             Ce dernier morceau est la conclusion de la problématique traitée dans l’album. Qui n’est pas tout à fait terminé. Pour deux raisons. La première est constituée de deux titres. En A nous avons : Old french song : ( Pyotr Ilych Tchaikovsky cover) : toutefois il s’inscrit si bien dans la structure de :  A  dream of Wilderness qu’il pourrait  être considéré comme  le final orchestral de l’album. Pour le compositeur russe il s’agissait d’une œuvre spécialement écrite pour de jeunes pianistes. Tchaikovsky n’a jamais caché qu’en cette démarche propédeutique il s’inscrivait dans la suite initiée par Robert Schumann. La filiation rockmantique d’Aephanemer se confirme. En B : version française de : Le radeau de la Méduse : par patriotisme éhonté je dirais que je préfère la version française, maintenant ce que je retrouve remarquable c’est que Marion Bascoul se débrouille aussi bien en français qu’en anglais, quelle facilité, quelle aisance, quelle chanteuse !

    WILDERNESS / PISTE MUSICALE

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    Antigone, Of volition, Le radeau de la Méduse, Roots and leaves, Strider, Panta Rhei, A dream of widderness :

             C’est donc une volonté affirmée d’Aephanemer d’attirer l’attention sur la partie instrumentale de leur création. Presque une inspiration cubiste du groupe de présenter une même œuvre selon deux aspects différents. La différence entre les deux pistes me paraît ici nettement plus marquée que pour Utopie.  Elle semble dans cet opus davantage légère, plus entraînante, l’on aurait envie de dire plus brillante, davantage virtuose. Davantage détachée du thème de l’album. Pour Utopie nous avons évoqué le rapport poésie et musique, entre chant et musique. Ici, ce n’est pas que la poésie en soit absente, c’est que le discours philosophique se taille la part du lion. Les rapports entre philosophie  et musique de prime abord sont moins évidents, c’est oublier qu’un des textes fondateurs de la philosophie grecque reste le Poème de Parménide. A l’autre bout du spectre l’on pensera à Nietzsche et à son rapport à la notion d’art, qualifions-le de wagnérien pour faire vite, et aux commentaires d’Heidegger sur les poèmes d’Hölderlin par exemple…

             N’empêche qu’avec A Dream of  Wilderness, Aephanemer semble s’assurer une des premières, si ce n’est la première, places dans la une nouvelle catégorie de rock que nous pourrions qualifier de philosophique. Si cet adjectif vous semble trop pompeux employons l’expression méditative, selon l’acception cartésienne de ce mot.

             A l’écoute de cet album nous comprenons mieux Utopie. Aephanemer poursuit une route musicale comme beaucoup de groupes, mais sa démarche épouse aussi un chemin de pensée.

             Un grand groupe.

    Damie Chad.

     

     

     *

    Me faudrait pas grand-chose. Juste un petit truc. Trois fois rien. Non je ne suis pas énervé. Je suis déçu. Cent soixante kilomètres pour voir le plus mauvais concert de ma vie. Oui je suis en rogne. Oui je grogne. Tout à l’heure en rentrant à la maison j’ai cru avoir trouvé la solution. L’était trois heures du mat, j’ai ouvert la fenêtre, et me suis emparé de mon Rafalos. L’idée était simple. J’abats sans sommation tout individu, à peine une douzaine, qui passera sur le trottoir d’en face. Des innocents, pour démontrer à la face du monde que je n’ai rien contre d’inoffensifs passants. Et puis, vous pouvez me croire, ça soulage. Manque de chance : personne. Pas un chat, même pas celui du voisin. Au bout d’une heure, totalement gelé j’ai refermé la fenêtre.

    Je me suis assis sur le divan et me suis perdu en amères réflexions. J’avais tout prévu. Je rentre du concert, j’écris la chro et le matin je poste la 610. C’était réglé comme sur du papier à musique. Oui mais comment infliger à nos lecteurs chéris le récit d’un tel désastre !  Les idées noires ont envahi mon cerveau. Ah, si seulement j’étais un homme pouvoir, il m’aurait suffi d’un bouton pour détruire la moitié de l’Humanité !

    Bon n’exagérons rien, tiens par exemple si seulement j’avais la puissance d’un Empereur Romain, un simple mot à un serviteur fidèle et hop  je n’y penserais plus. Hélas je ne suis pas un Romanus Imperator !

    C’est alors qu’une petite voix, celle de la conscience, a parlé :

    _ Voyons Damie reprends-toi !

    _ J’aimerais te voir à ma place, qu’est-ce que tu ferais toi !

    _ Moi je ferais comme l’Empereur Auguste, tout simplement !

    _ Et qu’est-ce qu’il ferait l’Empereur Auguste à ma place ?

    _ Il enverrait une légion traiter le problème !

    _ Oui mais moi je n’ai pas de légion romaine à disposition !

    _ Damie, si j’étais toi, au lieu de faire la tête, je réfléchirais un peu. Pense à Aristote qui a dit que quand on avait un problème c’est que l’on possédait nécessairement la solution, seulement on l’a oubliée.

    Alors, j’ai réfléchi et je me suis souvenu. Bien sûr tout comme Auguste j’avais une légion. Et l’idée d’une nouvelle chronique !

    LEGIO 5 MACEDONICA

    EPIC ROMAN MUSIC

    FARYA  FARAJI

    (Bandcamp / YT / 2025)

             Farya Faraji d’origine persane vit actuellement à Laval près de Montreal. Quebec. Il est passionné de musique antique et compose des musiques inspirées de l’Antiquité. De l’orbe méditerranéen, sans exclusive, ni époque précise. Grèce, Empire Romain, Byzance, il se joue des siècles et tout comme Alexandre le Grand il pousse jusqu’à l’Inde et comme Alix il ne dédaigne pas la Chine… Sa démarche semblera à certains un tantinet bâtarde, il restitue, il s’inspire, il compose, bref il crée. Il connaît plusieurs langues et manie de nombreux instruments traditionnels.

             Sur le morceau qui nous préoccupe le multi-instrumentiste grec Dimitrios Dallas, résidant à Chicago, joue de la mantoura, flûte grecque assez proche de l’aulos antique. Tambours, cymbales, lyre complètent l’orchestration. Stefanos Krasopoulis, sur lequel je n’ai réussi qu’à récupérer que de très maigres renseignements est un compositeur de musique lui aussi multi-instrumentiste.

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             La cinquième Macedonica participa aux guerres civiles menées par Auguste, elle fut cantonnée fut d’abord en Macédoine, patrie d’Alexandre le Grand. Elle bénéficie donc d’une appellation prestigieuse. Elle servit tout le long du limes romain. Elle fut notamment employée par Trajan en Dacie   et permit à Aurélien de raffermir l’Empire en luttant contre les troupes de Zénobie.  A la fin de l’Empire romain d’Occident elle fut versée dans l’Armée de l’Empire d’Orient. L’on dit qu’elle combattait encore lors des invasions musulmanes…

             Legio 5 Macedonica se présente comme l’hymne de cette légion. Le texte chanté est composé en latin par Guiseppe Regimbeau. L’écoute est surprenante, on aurait tendance à l’accuser de manquer de virilité. Le ton n’est guère martial, le chant passe en revue les campagnes accumulées durant des siècles. Aucun triomphalisme, aucune exaltation guerrière. Faut écouter à plusieurs reprises pour percevoir les variations orchestrales et rythmiques. Aucun instrument ne prend vraiment le dessus sur les autres, nous avons droit à une subtile combinaison d’éléments qui se fondent les uns dans les autres. On a plutôt l’impression d’un chant de marche martelé sans rapidité, mais l’on sent, gare aux centurions, qu’il n’est pas question de lambiner.

             Farya Faraji s’est aussi intéressé aux : Legio 6 Ferrata / Legio 12 Fulminata / Legio 15 Apollinaris. Enfin il a composé un titre générique Hymn  Of The Legio avec utilisation de cuivres qui confèrent à ce morceau l’aspect d’un générique de péplum des années cinquante.  Quand on regarde l’ensemble des morceaux de Faraji, on s’aperçoit qu’il n’a rien d’un idéologue ou d’un va-t-en-guerre. L’étude, extrêmement complexe des légions romaines, est un des chemins les plus instructifs et des plus éloquents pour comprendre le comment (hasard) et le pourquoi (nécessité) de la construction de l’Imperium…

             _ Damie, ce n’est pas tout à fait rock ta cinquième légion !

             _ En effet, mais c’est du folk !

             _ Vu sous cet angle lointain, en effet…

             _ En musique, comme en tout, la question des origines est primordiale, en plus j’ai ma légion, quoique, entre nous soit dit, je préfère la Legio I Adjutrix !

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 678 : KR'TNT ! 678 : KELLY FINNIGAN / ANDY PALEY / STEVE DIGGLE / GARY CLARK / HAROLD BURRAGE / BANDSHEE / CARACH ANGREN / RIVER SCHOOK

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 678

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 02 / 2025 

     

    KELLY FINNIGAN / ANDY PALEY

    STEVE DIGGLE / GARY CLARK

    HAROLD BURRAGE / BANDSHEE 

    CARACH ANGREN / RIVER SCHOOK

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 678

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Finnigan’s wake

     (Part Two)

             Bon, soyons clair. L’avenir du rock se fout complètement du sort du Général Mitchoum, ce vieux crabe qui se planque depuis 80 ans derrière un bloc en béton, qui croit que la guerre continue et que les boches tiennent toujours le blockhaus, en haut de la dune, juste au-dessus. Quand il est en panne d’idée pour introduire sa modeste chronique hebdomadaire, l’avenir du rock prend sa petite automobile et file droit sur la plage du débarquement où se planque toujours le vieux Général Mitchoum. Au moins, il sert encore à ça. Ah le vieux crabe n’est pas beau à voir : plus de dents, une barbe d’un blanc très sale et une gueule de pruneau ridé sous le casque rouillé. Et l’odeur ! Une vraie odeur de putois, celle des clochards. Il reste planqué derrière son bloc de béton. Comme il chie partout, le coin ressemble plus au jardin municipal du Blanc-Mesnil qu’à une plage du Calvados. On entend plus les mouches voler que les balles siffler. L’avenir du rock a l’impression de traverser un champ de mines. Il arrive près du Général et le trouve secoué de hoquets.

             — Ma parole, vous êtes en train de chialer, mon Général ? Le moral est enfin en baisse ?

             — Bouh-ouh-ouh ! Bouh-ouh-ouh !

             Puis il s’approche de l’oreille de l’avenir du rock et murmure :

             — Je fais semblant, dickhead, je mène la guerre psychologique... Quand les boches vont se pointer pour me réconforter, je vais les descendre à coups de bazookaka !

             — Quel bazookaka ?

             — C’ui-là, t’es miraud ou quoi ?, le bazookaka !, murmure-t-il en montrant ses crottes.

             — Zêtes complètement givré, mon Général.

             Il rechiale de plus belle :

             — Bouh-ouh-ouh ! Bouh-ouh-ouh !

             Puis il s’approche de l’oreille de l’avenir du rock et murmure :

             — Y me croient fini, ces fuckers...

             — Non, pas fini, vieux crabe, Finnigan !

      

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             C’est vrai qu’avec Finnigan, on n’en finit plus, et c’est tant mieux. On passe de la plage du débarquement à la Maroquinerie. Il est là, le vieux Kelly, sous sa casquette d’hustler de Chicago, assis derrière ses deux claviers superposés.

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    Pendant 90 minutes, il va distiller cette Soul blanche qui fait groover les Parisiens. Il a son public, la salle est bien remplie. Il établit facilement le contact avec les gens, il parle comme un artiste Américain, c’est-à-dire qu’il vante les mérites de l’amour et ce genre de conneries que les gens aiment bien entendre. Il a derrière lui Jimmy James, un vieux routier de la scène funky de Seattle, deux choristes, un black au beurre qui ressemble à s’y méprendre à Willie Mitchell, un bassman très jeune et très dansant, et deux braves mecs aux cuivres. C’est quasiment la revue. Tout le monde danse d’un pied sur l’autre, y compris les gens dans la fosse.

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    Kelly Finnigan claque ses hits à la régalade, «His Love Ain’t Real», «Every Time It Rains», il pleut de la Soul blanche comme vache qui pisse, et t’as ce «Count Me Out» tiré d’A Lover Was Born, son dernier album. Finnigan’s Wake a pris du poids depuis la dernière fois, non pas qu’il ait doublé de volume, mais il a perdu sa ligne de jeune premier irlando-californien. En 2020, on était resté sur l’idée d’un concert magique. Celui-ci ne produit pas le même effet, ni d’ailleurs son dernier album. Tout le monde n’est pas Al Green. Rien n’est plus difficile que de rester au sommet d’une genre.

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             Soul Bag qualifie A Lover Was Born de «petit bijou de soul éruptive». C’est vrai qu’on y croise trois coups de génie, «Get A Hold Of Yourself», «Love (Your Pain Goes Deep)» et «Chosen Few». Surtout le fast groove de «Chosen Few», Finnigan’s Wake t’arrache ça du sol ! Quelle belle niaque d’attaque frontale ! Il reste en suspension avec «Love (Your Pain Goes Deep)». Il sait claquer un beignet ! Pur genius de développement unilatéral. «Get A Hold Of Yourself» est plus dansant. On voit bien qu’il ne vit que pour la chauffe, il a des chœurs de filles et les descentes sont démentes, alors il fait sa panthère noire. Finnigan’s Wake chante comme un dieu, il crève bien l’écran à l’accent perçant. Il fait une fantastique Soul de crucifixion divine avec «Be Your Own Shelter». Il te cloue ça au pilori. Mais tu te demandes si ça peut tenir en concert. En studio, il fait du Finnigan’s Wake urbain et intense, mais en concert, ça ne peut pas marcher. Il est en permanence dans l’éplorée congénitale. Tu te poses vraiment la question : que va-t-il se passer ? Rien. Il ne fait que de l’heavy Soul chauffée à blanc. Le satin jaune, c’est sa came. «Count Me Out» incarne bien cette Soul qui danse d’un pied sur l’autre, comme quand tu danses un slowah et que tu sens palpiter un ventre contre le tien.  

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             Dans l’interview qu’il accorde à Soul Bag, Finnigan’s Wake explique qu’A Lover Was Born est orienté gospel, que le titre de l’album est emprunté à Lee Dorsey, et qu’il a été enregistré avec Sergio Rios, et les musiciens qu’on a vus sur scène, Jimmy James et le jeune bassman Max Ramey. La seule cover de l’album est le «Love (Your Pain Goes Deep)» de William Jackson. Côté références, il cite James Brown et Kool & The Gang, «notamment leur premier album». Il ajoute dans la foulée le nom d’Isaac le Prophète et cite ces bombes que sont Hot Buttered Soul et Black Moses.     

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             Que ce soit avec les avec les Monophonics, les Destruments ou en solo, Kelly Finnigan n’a enregistré que des albums extraordinaires. Voici deux ans, il enregistrait pour Colemine un Christmas album, A Joyful Sound. On la dit, mais on va le répéter : Finnigan’s Wake chante comme un dieu, dès «Heartbreak For Christmas», il est dans le full power d’I wonder why. Il n’a aucun respect pour cette pauvre Soul : il l’explose. Il se fond dans l’excellence, il n’existe pas de pire fondeur de fondu que cet homme-là. Ce qu’il te tartine est exceptionnel. Il tape «Just One Kiss» au sommet du lard fumant, sa Soul semble pouvoir balayer le souvenir de Motown, c’est dire son pouvoir. Finnigan’s Wake est un héros mythologique, au sens où l’entend James Joyce, comme le fut Marvin Gaye avant lui. Ou bien encore Al Green. Il est du même niveau. Encore un miracle de Colemine avec «The Miracle Is Here». Et puis on a la meilleure Soul blanche d’Amérique avec «The Only Present Is Me», il développe des volutes de génie vocal, il remet chaque fois sa couronne en jeu. Il rapatrie la grandeur du gospel batch dans «Santa’s Watching You» et en fait une voodoo Christmas song. Puis il se fond comme beurre en broche dans «Merry Christmas To You». Magie pure.

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              La même année, il enregistre It’s Only Us avec les Monophonics. Le hit de cet énorme album s’appelle «Last One Standing». Les Monophonics fondent littéralement dans l’excellence du son. Ils fonctionnent avec de la pureté d’intention, des nappes de violons et un Kelly qui accourt à la rescousse de la secousse. Ce mec a beaucoup d’à-propos. Le cut est battu en brèche au heavy beat de Soul et ce démon de Va-doucement-Kelly l’explose plutôt deux fois qu’une. Personne ne peut battre les Monophonics à la course à l’échalote. Va-doucement-Kelly en rajoute des couches à l’infini et cette énormité prend des allures aventureuses. Tous les cuts de l’album sont exceptionnels. Il faut le voir plomber sa Soul dans «Day By Day». Il drive une heavy Soul intempestive, c’est une Soul qui ne baisse jamais les bras. Dans «All In The Family», il se conduit comme le roi des magiciens, il chante sa Soul au coin du bois, comme s’il cherchait une alternative. Rien ne peut l’arrêter dans son élan. Il fait même une sorte de Soul vengeresse. D’ailleurs, dès le «Chances» d’ouverture de bal, on comprend que c’est un big album. Kelly Finnigan se fond dans le mood au sucré de voix. C’est tendu à se rompre. Il est partout dans le son, il hante sa Soul d’écho. Il fait de l’océanique avec «Tunnel Vision» et s’en va se fondre dans l’heavy Soul musculeuse d’«It’s Only Us». Quel titanesque tartineur ! Il connaît tous les secrets de l’élasticité. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire serait une légère tendance à se répéter. «Run For Your Life» est monté sur un heavy drive de basse et bénéficie d’un son qui renvoie au prog anglais. C’est osé car ratatiné, sur-dosé, et la mule ne dit rien, chargée comme elle est.

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             On finit par s’user à chanter les louanges d’artistes aussi brillants que Kelly Finnigan. Au point qu’on se demande parfois si les mots sont dignes de ces artistes. Peut-être faut-il tout reprendre à zéro et réapprendre à exprimer ce qu’on éprouve en écoutant des gens pareils ? Peut-être faut-il se contenter de les écouter et en rester là ?

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    En attendant, les Monophonics refont surface avec Sage Motel. Arrghhh, quel album ! Kelly Finnigan tape dans le dur dès le morceau titre, il est encore plus Green qu’Al Green, plus black que Black is Black, il entourloupe l’absolutisme, son ampleur va vite à te dépasser, c’est du locked in de haute constitution, un véritable tour de magie. Et quand t’as dit ça, t’as rien dit. Il chante aux abois supérieurs, il te dicte sa loi de la Soul, il chante au petit haché, mais attention, pas n’importe quel petit haché : un petit haché unique au monde. Il danse le tango du vertige avec sa Soul, il la serre dans ses bras et la cambre au bord du gouffre, il accompagne «Let That Sink In» au chant d’interrogation, exactement comme le fait Jonathan Donahue dans Mercury Rev, au même doux d’excellence surnaturelle, Kelly Finnigan se transforme en Merlin l’enchanteur, il chante «The Shape Of My Teardrops» à la chaleur de la nuit, à la pointe de sa glotte rose et humide, il reste incredibly crédible jusqu’au bout des ongles, il emprunte les voies impénétrables de la Soul du diable, et là mon gars, tu entres dans le domaine du fantastique. Puis tu verras cet artiste tomber à bras raccourcis sur le râble de «Broken Boundaries», il y laboure son pré carré, il en fait une piste aux étoiles pour y accueillir «Love You Better», il y révèle le génie de l’homme blanc qui aimait trop les noirs, il est atteint du même mal viscéral que Dan Penn, il ne vit que pour la fièvre jaune de la Soul blanche, il affirme encore son emprise avec «Never Stop Saying These Words», il se veut impitoyablement bon, il chante au geste large, comme Hugo face à l’océan, il est de la même trempe, celle d’un Guernesey sous les paquets de mer, il connaît le secret alchimique de l’ampleur catégorielle, il déverse des grâces considérables, tu cherchais un héros ? Tiens, en voilà un ! Il se peint le visage pour «Warpaints» et repart à l’assaut du ciel, en tant que fantastique artiste, il se montre capable de colères de Zeus, il mélange les vagues d’assaut aux belles avances, il va là où le vent sème la Soul, il touille sa petite Soul blanche à la pointe du tisonnier, sa glotte est en effervescence, on la voit rayonner dans la nuit, on croyait acheter l’album d’un Soul Brother à la peau blanche, mais il faut déchanter car c’est l’album d’un dieu, alors on se prosterne à ses pieds.  

    Signé : Cazengler, Kelly Finigland

    Kelly Finnigan. La Maroquinerie. Paris XXe. 4 février 2025

    Monophonics. It’s Only Us. Colemine Records 2020

    Kelly Finnigan. A Joyful Sound. Colemine Records 2020

    Monophonics. Sage Motel. Colemine Records 2022

    Kelly Finnigan. A Lover Was Born. Colemine Records 2024

    Kelly Finnigan forge, affûte et cisèle. Soul Bag n°257 - Janvier février mars 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Paley royal

    (Part Two)

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             Andy Paley ? On l’a déjà croisé ici, inside the goldmine, quelque part en 2022. Et tous ceux qui ont eu dans les pattes le Young Blood de Jerry Lee savent qui est Andy Paley. Les fans de Brian Wilson aussi. Et puis on a tous acheté l’album des Sidewinders en 1972, fascinés que nous étions par cette pochette du groupe photographié dans le grand hall du Chelsea Hotel, avec bien sûr Andy Paley au premier plan. Et puis il y a les albums des Paley Brothers dont on a dit inside the goldmine tout le bien qu’il fallait en penser.

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             Andy Paley vient de nous fausser compagnie, mais on peut le retrouver grâce à un article bien dodu de Stephen B. Armstrong, dans l’Ugly Things paru quelques mois avant son cassage de pipe en bois. C’est le texte définitif sur la légende des Paley Brothers, celui qu’il faut lire. Extrêmement bien documenté, comme d’ailleurs tout ce qui paraît dans Ugly Things.

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             La légende des Paley Brothers prend racine dans le Boston et le New York des seventies. Lenny Kaye qui les voit sur scène au Max’s Kansas City les qualifie de «perfect pop group». Jonathan est le cadet, et Andy l’aîné de trois ans. Le premier groupe d’Andy s’appelle Catfish Black, vite rebaptisé Sidewinders, et Lenny Kaye qui bosse comme A&R pour Elektra demande à son boss Jac Holzman de les signer. Mais c’est RCA qui les signe. Lenny Kaye les produit. Hélas l’album des Sidewinders ne se vend pas et le groupe part en sucette. Le buzz de Creem n’aura pas fait long feu.

             Puis Jonathan et Andy se payent une virée à Los Angeles, et par chance, ils rencontrent Brian Wilson et les autres Beach Boys. Un Brian Wilson qui est dans une mauvaise passe. Brian et Andy se retrouveront vingt ans plus tard pour enregistrer ensemble. Les Paley Brothers rentrent à New York. Jonathan auditionne pour les Heartbreakers, mais Jerry Nolan ne veut pas de lui. Fin de l’audition. 

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             Les Paley Brothers enregistrent des démos et envoient des cassettes à droite et à gauche. Seymour Stein flashe sur la qualité des démos et les signe sur Sire. Il les branche sur le producteur Jimmy Iovine, qui avait été l’assistant de Totor sur l’enregistrement du Rock’nRoll de John Lennon. Ils enregistrent leur premier single sur Sire, «Ecstasy». On reste dans l’ambiance légendaire avec l’enregistrement de leur premier album. Ils envisagent de faire appel à Jack Nitzsche, mais ça n’aboutit pas. Alors ils se tournent vers Earle Mankey qui vient de produire le 15 Big Ones des Beach Boys. Team de rêve ! Ils s’entendent bien tous les trois, Earle, Andy et Jonathan. Earle a installé son studio chez lui, un studio que connaît très bien Pat Todd, d’ailleurs. Ils enregistrent en novembre 1977. Ils font une cover du «Come On Let’s Go» de Ritchie Valens avec les Ramones qui sont à ce moment-là à Los Angeles. Hélas, The Paley Bothers ne se vend pas. Trop pop ? Va-t-en savoir.

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             Puis Totor prend contact avec eux. Il passe un coup de fil à 3 heures du mat. Andy croit que c’est une blague de Lenny Kaye. Mais non, c’est bien Totor : il a entendu le premier single des Paley Brothers et il aimerait bosser avec eux. Totor leur demande de bosser une compo à lui et Jeff Barry, «Baby Let’s Stick Together», que Dion a déjà enregistrée sur Born To Be With You. Andy et Jonathan répètent le cut chez Totor, on la Collina Drive in Beverley Hills. Ils répètent pendant des heures. Un jour, Darlene Love vient faire des chœurs. Assis derrière son Lowery organ, Totor teste des variations et des tempos différents. Puis ils vont enregistrer chez Gold Star avec le Wrecking Crew. Mais tous ces cuts ne verront pas le jour. Stein est trop occupé avec ses Talking Heads, ses Pretenders, ses Ramones et sa Madonna. Il n’avait d’ailleurs peut-être pas l’intention de sortir un deuxième album des Paley Brothers. À ce niveau de no way out, ça s’appelle la guigne.

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             Andy fait le bouche-trou chez Patti Smith, dans les Real Kids et chez Jonathan Richman, pardonnez du peu. De son côté, Jonathan joue dans les Nervous Eaters, puis part naviguer à travers le monde. En 1988, Stein signe Brian Wilson sur Sire. Il demande à Andy de superviser ce premier album solo sans titre. Alors Andy compose avec Brian. Non seulement il co-écrit, mais il co-produit, il co-joue et il co-chante. Andy et Jonathan sont tellement proches de Brian qu’ils sont invités à son deuxième mariage en 1995. Andy continue de produire des groupes dans les années 90 : Mighty Lemon Drops, et NRBQ. 

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             La légende des Paley Brothers connaît un dernier spasme en 2013 quand paraît The Paley Brothers: The Complete Recordings. Comme son nom l’indique, The Complete Recordings rassemble tout, y compris des cuts enregistrés par Totor. Jonathan bosse aussi sur le biopic de Brian Wilson, Love & Mercy. Mais comme on sait, ce biopic pourri ne rend pas hommage au rôle qu’a joué Andy dans le redémarrage de Brian Wilson. Et pour conclure ce vaillant article, Jonathan affirme qu’il reste des tonnes d’inédits. Alors on attend en bavant.           

    Signé : Cazengler, Andy palette

    Andy Paley. Disparu le 20 novembre 2024

    Stephen B. Armstrong : Magic power - A history of the Paley Brothers. Ugly Things # 65 - Spring 2024

     

     

    Diggle it, Steve ?

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             Steve Diggle vient de re-publier son autobio. Après The Buzzcocks: Harmony In My Head - Steve Diggle’s Rock’n’Roll Odyssey publié en 2017, il revient à la charge avec Autonomy: Portrait Of A Buzzcock, un bon book, troussé à la hussarde comme un hit des Buzzcocks, un book vibrant de franc parler et de slang mancunien. Encore une fois, c’est un bonheur que d’échapper à la traduction, car c’est le Diggy Boy qui te parle en direct, avec ses vrais mots, et non de vagues interprétations, qui estropient trop souvent l’essence d’une langue rock. Tu ne traduis pas les paroles d’un cut des Stooges, et encore moins celles d’un cut de Bob Dylan. Pareil pour les rock books. Pas touche. T’apprends bien à nager pour ne pas couler. Alors tu peux apprendre à lire l’anglais pour nager comme les dauphins savent nager (dixit David Bowie dans «Heroes»). Just for one day.

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             Tiens on va prendre un exemple. Diggy Boy dit : «It was just friends talking down the pub.» Tu vas le traduire facilement dans ta tête, tu vois bien l’image. Mais si on te paye pour le traduire par écrit, tu fait quoi ? «C’était juste des copains causant au pub.» Tu vois bien que ça ne sonne pas pareil. Down the pub, ça sonne comme le down in the street des Stooges, t’as l’image immédiatement, il y a du rock dans la formulation. Plus loin Diggy Boy dit: «Just a bunch of lads out having a laugh», que tu traduirais par : «Juste une bande de mecs de sortie qui se marrent bien.» Mais ce n’est pas le même son. C’est plus pauvre. Il y a tout le rock anglais dans la formulation «bunch of lads out». C’est un régal que de lire Diggy Boy. Quand il décide de rejoindre un groupe, il le dit à sa façon : «If I was going to be in a band, I needed to start getting serious about the guitar. Which meant I had to learn to play one properly.» C’est le kid devenu adulte qui parle, avec sa logique de kid. Alors à l’époque, il connaît un «hippie named Lance». Pour le situer physiquement, Diggy Boy ajoute qu’il s’habillait comme s’il partait pour - ou s’il revenait - de Woodstock, «the kafkan, the droopy moustache, the whole ‘hey man’ bit.» Diggy Boy swingue sa langue. T’as un vrai rock book dans les pattes. Il se fout d’être écrivain, il rocke le book. Il te re-raconte l’histoire des Buzzcocks que tu connais par cœur, mais cette fois, il te la raconte de l’intérieur : la vraie histoire, par le cofondateur, avec les vrais mots. Et Diggy Boy n’est pas un frimeur. Quand il n’aime pas les gens, notamment les punks qui viennent foutre le souk dans les concerts, il les traite de «farm animals». Quand il va boire une pinte au pub round the corner, il utilise cette formule : «Neck a few pints.» Quand il parle des danseuses du Moulin Rouge, il parle de «can can girls flashing their bloomers.» Et ça qui vaut tout l’or du monde : «Working class but doing OK». Il parle de sa famille working-class qui s’en sort plutôt bien. Ça flashe à toutes les pages. 

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             Comme Jim & William Reid et tous les autres cracks du boom-hue, Diggy Boy a des roots impeccables : flash sur «Love Me Do» à 7 ans, via la radio - Talk about being born in the right place at the right time -  Page suivante, il ajoute ça : «I got bitten by rock’n’roll and became Steve Diggle.» Son premier amour, ce sont les Beatles - Mam bought me my first record from the market, their Twist And Shout EP with the cover of them jumping up in the air - Puis il a un autre musical shock treatment avec le «dah-nah-nah nah-nah» d’«You Really Got Me», puis c’est le grand «KA-BOOOM!» comme il dit, avec «My Generation» - It was like Hiroshima going off between my ears - Ado, il vire Mod - I had the music. I had the clothes, but most important of all I had the scooter - Il démarre avec un Lambretta TV 175, puis, il passe au LI 150, celui de Jimmy dans Quadrophenia.

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             Bien sûr, les Buzzcocks sont le sujet principal du book. Diggy Boy annonce la couleur dès la page 2 : «It was always me and Pete.» Pendant 42 ans. Aussi, quand Pete disparaît, il est désemparé. Son chagrin est immense - We could laugh like Laurel  & Hardy, argue like Steptoe & Son et drink like a couple of Oliver Reeds - Always me and Pete. Il l’écrit trois fois dans la même page. Il raconte qu’il apprend la mort de Pete par téléphone - Pete’s dead. One phone call, two words, one second. BANG! Et tout ce qui avait fait ma vie depuis 42 ans est parti en fumée - Et comme tous les gens qui se retrouvent soudainement seuls, il se dit : «What the fuck am I going to do now?».

             Puis il replonge dans le passé et attaque superbement son premier chapitre ainsi : «If Jesus was born in Bethlehem, punk was born in Manchester.» Et plus loin, il en rajoute une couche : «My generation, the punk generation, was the chosen one.» Plus loin dans le récit, il évoque «the holy trinity of UK punk rock» : Pistols, Clash, Buzzcocks. Et voilà, la messe est presque dite.

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             Diggy Boy raconte un épisode marrant : fin 1976, les Buzzcocks emmènent McLaren, Steve Jones et Joe Strummer dans un pub working-class de Manchester qui s’appelle Tommy Ducks , «which blew their minds» : les tables sont des cercueils et des culottes de femmes jaunies par la fumée des cigarettes sont clouées au plafond - The Pistols, Clash and Buzzcocks sat together, pints on the coffin lid, under all these dirty panties.

             Nous voilà donc entrés dans l’histoire des Buzzcocks, l’une des histoires de groupes anglais les plus intéressantes. Diggy Boy dit à son dad qu’il aimerait bien avoir une gratte et son père qui conduit des poids lourds lui en ramène une. Oh mais c’est une basse ! Pas grave. Diggy Boy apprend à gratter la basse. Puis il commence par le commencement, il répond à une annonce dans le Manchester Evening News : «Bassist wanted». Il appelle aussi sec le numéro et dit au mec qu’il a composé des chansons et qu’il aimerait faire un groupe dans le genre des Who - short, sharp three-minute shocks and then smash our guitars - Le mec rigole et Diggy Boy lui file un rencart le soir même, «half seven outside the Free Trade Hall.» - My date was my destiny. Friday, 4 june 1976 - Il a raison, Diggy Boy, d’évoquer le destin.

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             Il arrive à l’heure au rencart et commence à poireauter. Le mec n’arrive pas. «Ils sont à l’intérieur !». La voix vient de derrière. Diggy Boy se retourne et voit arriver un branleur aux cheveux rouges entièrement vêtu de cuir noir. Diggy Boy ne pige pas : «Sorry?». Alors le branleur lui dit : «The Sex Pistols. They’re in there.» Diggy Boy lui dit qu’il est bassiste et qu’il attend this bloke to start a band. Et le branleur lui répond que son rencart est déjà là. Ah bon ? Ils entrent tous les deux. Ils arrivent au petit desk où il faut payer fifty pence pour assister au concert. Et le branleur dit au caissier : «Je l’ai trouvé dehors. C’est ton new bass player.»

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             Évidemment, le caissier n’est pas le rencart de Diggy Boy. C’est Pete Shelley, et le branleur en cuir noir, c’est McLaren. Pete Shelley cherche un bassman, alors le hasard fait bien les choses et McLaren lui en trouve un dans la rue. Diggy Boy est entré dans les Buzzcocks comme ça, grâce à un curieux concours de circonstances. Bien sûr, Diggy Boy n’a jamais vu le mec avec lequel il avait rencart. Ensuite, il découvre les Pistols sur scène et fait la connaissance de l’autre cheville ouvrière des Buzzcocks, Howard Devoto. Pete et Devoto partagent alors une passion commune pour le Velvet, Bowie, Captain Beefheart et Roxy Music. Ils ont décidé d’appeler leur groupe Buzzcocks. Le nom plaît à Diggy Boy  - It’s the buzz, cock! - Dans la salle du Free Trade Hall, Mark E Smith, Peter Hook et Morrisey sont là pour voir jouer les Pistols - From the moment they slouched on stage, they were seismic.

             Puis les Buzzcocks commencent à répéter dans la piaule de Devoto, à Salford. Ils se branchent tous les trois sur un ampli - Pretty fucking awful, if I’m honest. And yet there was something there - C’est encore une fois le moment magique de l’histoire d’un groupe : sa formation et ses balbutiements. Diggy Boy : «A chemistry, an energy, an urgency.» En trois mots, il résume tout l’art des Buzzcocks. 

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             Puis il apprend à connaître ses nouveaux amis - Howard was both a conspicious intellectual and a bit of a wry Noël Coward - Il a plus d’affinités avec Pete - he was more pub like I was - En plus, Pete a de l’humour, «whereas I’m not sure Howard did.» Diggy Boy lui reproche de prendre la vie top au sérieux. Howard cogite trop - There was a lot going on upstairs, but maybe too much, like he’s read one Samuel Beckett play too many - Diggy Boy s’amuse bien avec son anglais à l’emporte-pièce de Manchester. C’est brillant, vivant, imagé, chaque fois en plein dans le mille. C’est Pete le real deal, un Pete qui écoute le Velvet, Bowie, Eno, «the artsy set» et qui, à la différence de Diggy Boy, ne s’intéresse pas trop aux Stones et à Led Zep. Pete est un scientifique. C’est là que Diggy Boy tente un parallèle bizarre avec le couple Ingres/Delacroix. Il fait son Raymond la science : «Ingres était le grand artiste, le golden boy que tout le monde adorait, alors que Delacroix était le bad lad qui s’attirait des ennuis en voulant être trop expressif. So Pete was Ingres and I was Delacroix. He had the refinement, I had the feeling.»

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             Puis il leur faut un batteur. Ce sera l’«incredible John Maher». «The best ever to come out of Manchester.» - The perfect drummer for Buzzcocks - Il a 16 ans. Et puis un jour, en répète, Pete jette sa gratte au sol. Elle se casse en deux, juste au-dessus des micros. Proprement, comme le top off a boiled egg, dit Diggy Boy - It looked very punk rock - Et Pete va jouer sur sa demi-gratte.

             Diggy Boy découvre encore un truc : Pete est bi. Il explique à Diggy Boy incrédule : «I enjoy the best of both worlds.» Diggy Boy voit son pote Pete comme un typical Bowie kid, pas comme un gay. Et puis il s’en fout. Pete est aussi un mec assez réservé - He wasn’t an easy person to work out - Alors Diggy Boy aborde la question que tout le monde se pose : a-t-il essayé de poser la main sur mon genou ? - Which he did, once or twice - Et il ajoute ça qui en dit long sur la qualité de leur relation : «I never took it seriously, and I’m not sure he did either. My attitude, as I told him, was I knew I was straight, so not for me, thanks, but you do what makes you happy.» Alors Pete le titille en lui demandant comment il sait que ce n’est pas pour lui s’il n’a pas essayé, à quoi Diggy Boy répond du haut de sa masculinité : «Well I’ve not jumped off a cliff either.» Donc la chose est dite. On en reste là. «Our friendship was too important.» Eh oui, 42 ans, c’est pas rien. Tous les ceusses qui ont la chance de vivre  des expériences de groupes aussi longues savent à quel point le friendship est la clé de tout. Monter un groupe n’est pas chose facile. Le malheur vient souvent du fait que t’accordes ta confiance à de funestes tocards, d’incroyables branleurs. Pete et Diggy Boy ont eu beaucoup de chance. Ce sont deux mecs intelligents. C’est toute la différence. L’intelligence compte pour beaucoup dans une rock story.

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             Voilà une nouvelle preuve de cette intelligence : «Buzzcocks has somethning else because we didn’t have a model. You can hear it. We were trying to find ourselves, using our limitations to our advantage and creating something new.» Voilà le power des Buzzcocks. Il parle de la «beautiful simplicity to those early songs.» Eh oui, «Boredom» et l’EP Spiral Scratch sont arrivés comme une révélation en janvier 1977. Pete joue sur sa «cheap broken guitar from Woolies» et passe un solo sur deux notes. Punk rock ! La messe est dite. Diggy Boy en profite pour faire l’éloge de la simplicité et citer Tchekhov et Rothko. Il dit aussi que Joy Division vient tout droit de «Time’s Up» - the minimal guitar, the root note bass, the rolling drums, the urgent vocals, it’s all there - Il rappelle un peu plus loin que Joy Division a tout pompé sur Buzzcocks - Not only dit Joy Division nick their sound off early Buzzcocks, they also nicked our bloody rehearsal place - Diggy Boy est ravi des lyrics d’Howard - Shocking and funny at the same time. Buzzcocks had not only the best songs, but the best jokes.

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    ( Paul Verlaine et la fée verte)

             Et c’est parti. Diggy Boy évoque la dope - So cheap speed was our drug, Me as Pete’s, as well as the odd pill - et paf !, il refait son Raymond la Science : «Like the French existentialists getting high on absinthe and writing poetry, we’d get wired on speed, then go and play our version of poetry. B’dum b’dum!» Sauf que ce ne sont pas les existentialistes qui se shootaient la cafetière à l’absinthe, mais la bande d’avant.

             Aussitôt après la parution de Spiral Scratch, Howard annonce qu’il quitte le groupe. Quoi ? EH? - Utter disbelief - Pete répond immédiatement qu’il continue - OK we’ll carry on - Diggy Boy est d’accord. Il avoue qu’il l’aurait bien «kissed Pete Shelley» sur ce coup-là. Buzzcocks mk1 a duré 6 mois. Seulement 10 gigs. Pete met une annonce chez Virgin Records : «Wanted: bass player». Et voilà Garth. C’est un géant. Il aime siffler une pinte - Garth loved a drink - Même trop. Diggy Boy picole avec lui - The object of the evening was total mental annihilation, and me and Garth were spectacularly good at it - Mais le problème de Garth c’est qu’il devient très agressif quand il en a un coup dans la gueule. Pire encore : «The drunk Pete Shelley could be an absolute nightmare.» Drunk Garth + drunk Pete : Diggy Boy parle d’une bombe à retardement. Garth et Pete papotent et soudain, ils roulent tous les deux à terre et échangent des coups.

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             Andrew Lauder signe les Buzzcocks à l’été 1977 sur United Artist. Elvis vient de casser sa pipe en bois. Diggy Boy : «The King is dead - long live Buzzcocks.» Le groupe tourne, le label paye l’hôtel et la bouffe, mais ils n’ont pas un rond en poche - You’re still cash poor - On leur paye aussi du matos. Diggy Boy s’offre une 1959 Gibson Les Paul Junior, bright yellow. Le mec qui la lui vend at the Orange shop on Shaftesbury Avenue lui dit qu’elle appartenait à Tony Hicks des Hollies. Le label ne leur file pas un rond mais prend en charge tous les frais, alors Pete et Diggy Boy se découvrent une passion pour le champagne, mais pas n’importe quel champ’ : le Moët & Chandon. C’est pour eux une façon de coûter cher en tournée, aux frais d’United Artists. Quand on leur présente un champ’ d’une autre marque, ils le refusent, ils en font un jeu : «Listen mate. No Moët - no show-ay. No Chandon - no band on.» C’est leur slogan. Four bottles each. Ils en descendent une avant de jouer, et ils en emmènent une autre une scène. Ils descendent les autres après le set avec leurs invités - Fancy some champagne, darling? - En France, un tourneur leur amène du Taittinger. No way. Le tourneur n’en revient pas. «Are you serious ?». Diggy Boy rétorque : «Fucking deadly. No Chandon - no band on.» Ah la gueule du tourneur ! Ah la rigolade !

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             Puis ils changent de bassman. Arrive Steve Garvey. Mais Pete et Diggy Boy sont toujours l’âme du groupe. C’est là qu’ils enregistrent «What Do I Get». Diggy Boy appelle ça Buzzcocks’ New Testament. The Gospel according to Pete Shelley - «Time’s Up», Spiral Scratch, even «Orgasm Addict» was strictly Old Testament - Le groupe se met à tourner intensivement - We both embraced hedonism and instensity of the lifestyle full-on, straight from the pages of Hammer of Gods - Ils sniffent comme des brutes - The same when it came to sex - Ils baisent tout ce qui passe à leur portée. Mais ce que Diggy Boy apprécie plus encore than any sex and drugs, c’est d’être «in the back of a cab, on my way to a recording studio.» «That defined the freedom of rock’n’roll.»   

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             Bon après t’as les trois albums. On en pense ce qu’on veut. Les Buzzcocks sont surtout un groupe de singles. Dans les concerts, le public repend l’oh oh de «What Do I Get». Puis Pete commence à faire la gueule. Il n’est pas heureux. Il évoque sa relation compliquée avec un certain Francis dans «Ever Fallen In Love (With Someone You Shouldn’t)». Et puis il y a la pression des tournées et des albums. Too much too soon. Pour Diggy Boy, la meilleure compo de Pete est «ESP» - For me, «ESP» is Buzzcocks defined. Melody meets avant-garde - Et puis ça commence à changer en 1978 : Pete se retrouve seul en couve des magazines. Diggy Boy voit ça d’un mauvais œil - We were a band, but he was the star. God help him, he was famous - Il dit même son chagrin pour Pete, car il ne pouvait rien lui arriver de pire. Pete n’était pas fait pour la gloriole. Il était le mec le plus mal habillé de Londres - The cleverer you are, the worse fame is - C’est pour ça que Dylan et Lou Reed haïssaient les journalistes. La gloriole convient bien aux mal dégrossis que Diggy Boy appelle «thick people» - But if you’re the sensitive Pete Shelley, it (fame) fucks you with your entire sense of self - Et il ajoute ça qui est d’une extrême perspicacité : «Pete was in danger of being smashed on the rocks.» Diggy Boy dit mieux s’en sortir - I took the rough with the smooth. The rough, when it came, being pretty fucking rough at the best of times - C’est merveilleusement bien dit.

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             Les groupes qui ont survécu au punk - us included - ont évolué musicalement, mais, nous dit Diggy Boy, pas le public. C’est l’apogée du pogo et du glaviotage. Puis Pete compose «Everybody’s Happy Nowadays» - just a few chords with his hight vocal melody on top - Eh oui, c’est une façon de définir le grand art de Pete Shelley. Encore un hit intemporel. Cinquante ans plus tard, «Everybody’s Happy Nowadays» te fout encore des frissons.

             Puis Pete se referme comme une huître - He didn’t enjoy it anymore - Diggy Boy parle de «negative frame of mind». C’est l’époque du troisième album, que Diggy Boy appelle the yellow album et qu’il déteste. C’est vrai que l’album est tout pourri. «Cold and brutal», dit Diggy Boy. Il parle aussi de «dismal sobs from the psychiatrist couch».

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             De la même façon que le Wynner nous racontait le cauchemar de l’enregistrement de Medecine Show (le deuxième Dream Syndicate), Diggy Boy nous raconte l’enregistrement du troisième Buzzcocks avec Martin Hammett, un Hammett qu’ils connaissent bien, car c’est lui qui a produit Spiral Scratch. Et là, Diggy Boy se régale avec la notion d’alchemist - Hammett really could be an alchemist. But he was first and foremost a chemist. As in the kind who cooks up crystal meth - En fait Hammett prend de tout à longueur de temps, breakfast, lunch and dinner - Si on croyait vraiment qu’on avait pris trop de drogues pendant la tournée américaine, it was nothing compared to a month in the studio with Hammett - Diggy Boy se marre comme un bossu : «My take on it was, naïvely perhaps, that we’d entered some new Sgt. Pepper phase.» On faisait entrer les drogues dans le studio, nous dit Diggy Boy, ça a marché pour les Beatles, alors pourquoi pas nous ? - Maybe our own «I Am The Walrus» was just around the corner? - Big mistake. Il donne l’explication  : «La différence était que les Beatles pouvaient se défoncer autant qu’ils voulaient parce qu’ils avaient le sobre George Martin derrière la console to sort them out. We had the actual fucking Eggman.» Diggy Boy ne se souvient plus combien de semaines a duré ce cirque. It felt like years. Tout ce dont il se souvient, c’est qu’ils sont allés dans quatre studios différents pour enregistrer seulement six cuts. Chaque fois la même routine. Un dealer livre l’herbe. Il ne se passe rien. Puis un autre livre la coke. Il ne se passe toujours rien. Puis un troisième livre l’acide. Rien. Pete et Diggy Boy sont tellement défoncés qu’ils se mettent à chanter le «Sun Arise» de Rolf Harris. Sur «Are Everything», ils s’amusent à chanter avec des voix de canards. Ils trouvent très bien, à l’époque. Puis Pete arrête de venir au studio. Diggy Boy se retrouve seul - It was just me, Hammett, drugs, porn and peanut butter.

             C’est là que Pete splitte le groupe. L’avocat de Pete envoie à Diggy Boy et aux deux autres une lettre officielle. Terminarès. Diggy Boy est en colère : «Spineless cunt.» Il reproche à Pete sa lâcheté - To not have the bottle to tell us to our faces - Avec le recul, sa colère se transforme en tristesse. L’aventure n’a pas duré 5 ans. Il a rencontré Pete en juin 1976 et il reçoit la fucking letter en mars 1981 - Juste au moment où the Thatcher government annonce les chiffres en hausse du chômage : 2 400 000 out of work - Et Diggy Boy ajoute ça  : «Make that 2,400,001.» Un de plus.

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             Diggy Boy est un mec éminemment sympathique. On le sent quand il arrive sur scène, il fait signe aux gens et leur sourit - Je parle à tout le monde. I live in Real Street, not in Fame Street. Je prends encore le bus et le métro. Après le concert avec Iggy Pop au Crystal Palace en 2023, je suis rentré en Overground. I’ve never been a member of the Groucho Club or any ot that elitist bollocks, because it is exactly that. Bollocks. I am a pub man and always have been - Sur scène, il a toujours été sur le côté, jamais au centre. Il n’a jamais été celui que les journalistes interviewent.

             Après le split des Buzzcocks, il monte Flag Of Convenience. Il aime bien le nom : aucune appartenance. Pavillon de complaisance - The F.O.C. blueprint was somewhere between early Roxy Music and the Plastic Ono Band, quite arty, quite heavy.   

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             Northwest Skyline, le premier Flag, est son préféré. Mais ce n’est pas un très bon album. Tu sauves deux cuts, le morceau titre (monté sur des accords gaga, belle tension, mais trop éparpillé), et «Should I Ever Go Deaf», plus rebondi, avec des chœurs des Dolls. Le cut est frais comme un gardon de Manchester. Diggy Boy taille sa petite route et fait claquer son pavillon de convenience. Mais le reste des cuts ne paye pas de mine, c’est parfois linéaire («The Destructor») et parfois new wave («The Greatest Sin», petite concession à la mode, dommage).   

             Comme chacun sait, il y aura une reformation des Buzzcocks. Pete débarque sur un radio show et Andy Kershaw lui demande si les rumeurs de reformation sont fondées. Alors Pete répond : «There’s rumours about the Beatles too. We’re just waiting for Steve to get shot.» Et Diggy Boy d’ajouter : «Not one of his better jokes.»

             La rumeur se concrétise avec un concert de F.O.C. à Pigalle. Diggy Boy arrive devant la salle et tombe sur un gigantesque poster : BUZZCOCKS F.O.C. À quoi Diggy Boy ajoute, en saut de ligne et en ital : «Merde». Il demande des comptes au promoteur qui lui répond : «You’re Steve from ze Buzzcocks». Il fait comme William Reid dans son autobio, il se moque de l’accent des Français. Le pire, c’est que le promoteur avait raison : il y a la queue pour le concert. Puis c’est la reformation pour une tournée américaine. Après 8 ans de hiatus. Ils se retrouvent enfin. Pete : «Fancy a beer ?» Comme si rien n’avait changé. Et Diggy Boy de philosopher : «These days band reunions are big business because nostalgia is a big business.» Et d’ajouter ceci qui confirme nos propres soupçons : «Probably because today’s music is so useless everyone’s listening to the music of the past.» Et paf, en plein dans le mille. La daube contemporaine ! Diggy Boy ne rate pas une si belle occasion.

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             Du coup, Pete et Diggy Boy sont les vieux, ils ont trente balais, en pleine Britpop, au milieu des Stone Roses, de Nirvana et d’Oasis. Et en 1993, ils enregistrent leur quatrième album, Trade Test Transmissions, avec Tony Barber et Phil Barker, qui vont stabiliser le groupe pendant 10 ans. Ils vont tourner en première partie de Nirvana. Diggy Boy admire Nirvana - They had it all. Balls, attitude and killer tunes - Pete se marie avec une Japonaise, Miniko, qui met leur fils au monde. Mais Miniko n’aime pas Diggy Boy. Ni d’ailleurs la suivante et la dernière épouse de Pete, Greta. Puis quand Pete atteint les soixante balais, il commence à grossir et porte la barbe. Quant à lui, Diggy Boy se dit bien conservé. Il mange des betteraves, «my elixir of life».

             Puis il évoque les disparus, Martin Hammett, Joe Strummer, McLaren, Martin Rushent, Ian Curtis et Kurt Cobain - Yet here I was a daft old 68-year-old mourning about a broken rib, having miraculously outlived the lot of them. Fate really is a picky bastard.

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             Tu vas avoir une drôle de surprise si tu entres dans la discographie solo de Diggy Boy. Ses compos ne sont pas aussi brillantes que celles de Pete Shelley, mais elles restent d’un très bon niveau. La preuve se trouve déjà dans Some Reality, un album paru en l’an 2000. Boom dès le morceau titre, un vrai blow-out de blast. Diggy Boy groove l’heavyness de Manchester. Cut heavy, mélodique et prodigieusement inspiré. Il tape en plus un killer solo flash d’antho à Toto. Diggy Boy sonne comme une superstar ! De cut en cut, il va affermir sa présence et montrer sa constance. Il repart au fast on fire avec «Time Of Your Life». C’est l’une de ses vitesses de croisière. Et boom encore avec «Blowing Hot». Grosse intro. Puis il gère le beat à l’élastique. C’est d’une puissance assez rare, il passe un killer solo en suspension. Tu trouves tout chez Diggy Boy. Une vraie Samaritaine. Deux killer solos liquides ! L’album reste d’une tenue impeccable avec «Three Sheets To The Wind». Diggy Boy est une bête magnifique, ses solos claironnent. Même quand il redevient poppy poppah, tu ne te moques pas. Et quand il redevient classique avec «Something In Your Mind», il module sa voix et fait sonner son hey ! Il vire reggae de Manchester avec «Heavy Hammer». Il module bien ses make you right yeah ! Et ça continue avec un «All Around Your Face» bien gorgé de barcasse. Il bourre bien son mou, il a du power plein les pognes et il passe encore un killer solo trash de Manchester. Diggy Boy, c’est le même plan que Keef : second couteau mais capable de super coups de génie. Compos magnifiques et qualités subjuguantes d’interprétation. Diggy Boy est un artiste passionnant. Ce serait une grave erreur que de le prendre à la légère.

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             Il sort en 2005 un superbe album solo : Serious Contender. C’est vraiment du serious, Diggy Boy n’est pas homme à plaisanter. T’as vraiment intérêt à l’écouter, il jette tout son poids, toute sa hargne et toute son allure dans la balance. Quel beautiful power trio : Chris Remington on bass et Eamonn Sheely au beurre. Diggy Boy emmène son équipe à l’assaut du ciel, il tente bien le coup. Il ne sera jamais les Buzzcocks, alors il fait autre chose et ça sonne plutôt bien. «See Through You» sonne comme un hit intercontinental. Diggy Boy multiplie les dégelées de Mod rock et les envolées mélodiques, il sait tenir son rang de scooter boy. Il balance un nouveau monster blast avec «Round & Round» qui démarre comme «Search & Destroy». Il y va à l’upside down, Diggy Boy est capable des pires stoogeries. C’est très spectaculaire, surtout le wild killer solo flash. Il retape dans le dur plus loin avec «If I Never Get To Heaven». C’est son truc : le stomp de Manchester - If I never get to heaven/ I know it’s gonna be alright - Retour à la stoogerie avec «Jet Fighter». Il est encore en plein «Search & Destroy». Il arrive ensuite comme le messie avec l’intro bourrée de gras double de «Shake The System». Il développe de la grandeur à la seule force des gimmicks. C’est du Diggle pur ! Gras double extraordinaire !

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             Tu ne perds pas ton temps à écouter Inner Space Times, un album solo de Diggy Boy paru en 2016. «The Weatherman Said» sonne comme un hit, notre Diggy Boy y va à coups d’awite ! Ce sont les accords d’Anarchy et ça sonne comme du nec plus ultra. En B, t’as aussi le morceau titre qui flirte avec l’hypno. Ça passe parce que c’est Diggy Boy. Il aime bien les cuts hypno qui filent sous le vent. Le Kraut est aussi sa came de vieux Manc. Diggy Boy créée bien son monde et Chris Remington fourbit bien le bassmatic hypnotic. Le «Bang Apocalypse» qu’on croise dans le balda est assez plan-plan, mais comme on aime bien Diggy Boy, ça passe. Il se paye un bel up-tempo avec «Kaleidoscope Girl», il sait tailler sa route, ne te fais pas de souci pour lui. Il revient au big rock de Manchester avec «Bullet In Your Heart», monté sur le bassmatic élastique de Chris Remington. Excellent !   

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             En 2010, Diggy Boy revient dans l’actu sous le nom de Steve Diggle & The Revolution Of Sound avec un fantastique album : Air Conditioning. Fantastique oui car «Yeah Man Yeah». Il se fâche et ça monte tout de suite au niveau supérieur du rock anglais, Diggy Boy fout le feu avec ses solos urbains, il fait du Detroit in London, il en connaît un rayon. T’as encore la fantastique allure d’«Hey Maria» qu’il attaque au buzzsaw et il se joue dessus pendant le solo. Nouvelle énormité avec «Planet Star». Diggy Boy est en forme, il gratte tout ce qu’il peut, il gratte sec et c’est fameux. Il sait s’élancer à l’aventure, c’est la raison pour laquelle on l’adore. Et puis tu vas tomber sur l’excellent «Victory Road» - Down to Victory Road - C’est du real deal, un heavy balladif du plus bel effet. Diggy Boy tient bien son Victory Road en laisse. Magnifico ! Quel bel album ! Il a du son et de l’énergie. Il claque son beignet à tire-larigot. Il sort un son très anglais. Le «Changing Of Your Guard» n’est pas le «Changing Of The Guard» de Dylan qu’avait repris le gros Black au moment des Catholics. C’est du Diggy sound, oh-oh. Rien n’est plus British que Diggy Boy. Il claironne bien son killer solo flash in the flesh. Quel fabuleux power-rock ! Diggy Boy est un artiste classique.

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             Il existe un Best Of Steve Diggle & Flag of Convenience. Bizarrement, il ne fonctionne pas trop bien, car principalement axé sur la new wave. Diggy Boy fait sa petite new wave et c’est agaçant. On sauve cependant quatre cuts, à commencer par l’«Here Comes The Fire Brigade» qui sonne comme l’early punk des Buzzcocks. Il tape en plein dans l’archétype et c’est brillant. Quelle belle attaque ! On entend des chœurs lointains et de vagues accents à la Johnny Rotten. «Exiles» pourrait aussi sortir de la grande époque des Buzzcocks. Diggy Boy y va à coups d’I want you to take your chance. Avec «Who Is Innocent», il refait exactement le «Re-Make Re-Model» de Roxy, avec les coups de sax d’Andy McKay et les Oh Oh du Ferry boat. Il fait même les breaks d’instros. Diggy Boy sait claquer un hit pop, comme le montre «Can’t Stop The World». Le reste du Best Of n’a pas grand intérêt. Trop new wave, comme déjà dit. Dès que son pote Pete n’est pas là, ça peut devenir compliqué. Diggy Boy ramène un peu de jingle jangle dans «Pictures In My Mind», ça prouve qu’il a écouté les Byrds. 

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             Diggy Boy fait la une du # 109 de Vive Le Rock. C’est bien mérité. Il ne jure que par le groupe des cinq : Pistols, Clash, Damned, Jam and us, Buzzcocks. Forget le reste. Il re-raconte son enfance à Manchester et ses premiers émois musicaux, notamment «Love Me Do» des Beatles.  Puis ado, il devient un scooter boy car il louche sur le look, lots of mirrors, l’union jack painted dans le dos du parka et Tamla. Puis il raconte qu’à 20 ans il veut jouer un groupe et répond à la fameuse annonce qui l’amène devant le Free Trade Hall. Il attend son rendez-vous qui ne vient pas, et à sa place arrive McLaren qui organise le concert des Pistols. Quand Diggy Boy dit qu’il est bassiste, McLaren lui dit de le suivre et lui présente Pete Shelley qui justement cherche un bassiste. L’hasard qui fait bien les choses. Puis Pete Shelley lui présente Howard Devoto qui fait la lumière du concert, et patati et patata. Diggy Boy re-raconte toute l’histoire dans le détail, comme dans son autobio. Il revient sur Spiral Scratch et Devoto qui quitte le groupe - Howard was an odd bloke - et pouf, Buzzcocks passe à la vitesse supérieure. L’article est dodu, 8 pages, mais il est bien certain que la distance d’un book convient mieux à cette histoire qui est celle d’un groupe brillant.

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             Dans Uncut, il répond aux questions des fans, par exemple quelle fut sa première guitare ? «A Spanish guitar for five quid.» Il dit aussi qu’il prépare un nouvel album, Attitude Adjustment. Et quand un mec lui demande si Peter Shelley lui manque, Diggy Boy se met en pétard : «Que crois-tu que je vais répondre ? Que je m’en bats l’œil ? Alors, oui, il me manque. Mon père aussi me manque.» Alors Diggy Boy dit qu’il faut continuer. Move on.

    Signé : Cazengler, Diggueule (de travers)

    Flag Of Convenience. Northwest Skyline. M.C.M. Records 1987    

    Steve Diggle & Flag Of Convenience. The Best Of S D & Flag of Convenience. Anagram Records 1994

    Steve Diggle. Some Reality. 3.30 Records 2000

    Steve Diggle. Serious Contender. EMI 2005

    Steve Diggle & The Revolution Of Sound. Air Conditioning. 3 30 records 2010 

    Steve Diggle. Inner Space Times. 3 30 records 2016   

    Steve Diggle. Autonomy: Portrait of a Buzzcock. Omnibus Press 2024

    An audience with Steve Diggle. Uncut # 329 - September 2024

    Greg Cartwright : Get on your own. Vive Le Rock # 109 - 2024

     

     

    Gare à Gary Clark Jr !

     - Part Two

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             Deux ans avant le double album Live salué dans le Part One, Gary Clark Jr avait lancé sa curée avec Blak And Blu.

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    Ce double album est l’un des plus beaux disks de blues du XXIe siècle, tous mots bien pesés. Gary Guitar God commence par bigner «Ain’t Messin’ Round» au pilon des Ardennes. Il te tarpouille ça au compost biologique. Il cherche sa voie dans sa purée et tisonne les entrailles de son blues avec un solo infernal. Il use et abuse de la wah. Il te plonge dans son enfer. Son blues rock explose à l’aune d’un esprit visionnaire. Il voit forcément quelque chose, pour jouer comme ça. Il passe un solo de concasse effarant. Il fait ce qu’il veut de tes oreilles. Ses dégelées de notes te pétrifient l’âme. Il enchaîne avec «When My Train Pulls In», deuxième coup de Trafalgar de Blak And Blu. Heavy blues de rêve - Can’t take it no more - Génie indéniable. Sa purée tourne à la démence. Il joue le blues des temps modernes, mais avec un goût prononcé pour le vertige. Il solote à la folie et renoue avec la démesure hendrixienne. Autre coup de génie, «Numb», riffé à l’étranglée. Il le réveille, comme on réveille un mort dans la tranchée - Well I’m numb - C’est imbattable. Il passe un solo de désaille intoxiquée. «You Saved Me» sonne comme dégelée rebondie. Il tape ça en mode groove magique, et l’explose à coups de retours de manivelle. On n’avait jamais entendu un truc pareil. Bon c’est vrai, on ne connaît pas grand chose, en règle générale. T’as aussi «Glitter And Gold», cette belle rasade de stoner dévastateur. Gary fait son metal core et charge le son à l’échalote. Beaucoup trop puissant pour être honnête. Il rend un hommage beaucoup trop spectaculaire son maître Jimi Hendrix avec «Third Stone From The Sun/If You Love Me Like You Say». Il le gratte à la racine du code. Puissante hendrixification des choses ! Il claque ça aux accords de résonance de l’after-Swingin’. Il plonge dans le passé du son et cherche à renouer avec l’œil du cyclone hendrixien. C’mon ! L’If You Love Me sonne comme une récréation au beau milieu d’un ébat orgasmique d’essence cosmique, et Gary revient au thème hendrixien dans l’épaisseur du son. C’est encore un géant qu’on entend œuvrer dans «Please Come Home». Il gratte avec une puissance d’exaction extravagante et chante en mode Soul efféminée. Soudain, il explose sa mélasse avec un solo excuriateur, il lâche des colonnes infernales qui vont se noyer dans le son. Avec «Bright Lights», il grimpe au sommet de son Ararat. C’est un blues-rock de rêve, bien baveux, brûlant et caverneux, pulsé au meilleur beat du monde, et le solo s’écoule comme un fleuve de lave. Gary nettoie tout ça à la wah et retaille au glougloutage. Il n’existe rien de pire dans l’histoire du blues. Il hendrixifie jusqu’à l’oss de l’ass, il monte à la pointe du progrès et souligne son Gimme all along à coup de notes perchées. Foocking genius !

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             Tout a commencé avec The Bright Lights EP. Dès «Bright Lights», on est frappé par l’énormité du son. Gary va chercher une sorte d’au-delà du son. Il injecte du sonic blues dans le cul du cut. Ce mec pourrait bien être le dieu Pan du blues moderne. Il anéantit les frontières. Il invente une mélasse ultime. Il nettoie les artères et les oreilles, c’est un seigneur de l’Otrante, il pulvérise les bornes de la mormoille, il shoote son sonic blues avec une insolence digne de celle de Buddy Guy, il plonge dans des abîmes et resurgit comme un dauphin just for one day. Il tape «Don’t Owe You A Thang» en mode boogie et y passe un solo dévastateur. Il est fou à lier. Il tuméfie le blues, on finit par ne plus savoir quoi dire tellement Gary outrepasse les contingences, c’est un démon. Il ré-invente tout simplement le boogie blast d’Hound Dog Taylor. 

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             Encore un très bel album : The Story Of Sonny Boy Slim. Joli coup de génie que ce «Stay» qui se planque en B - Every time I see you/ I lose my mind - Le son est à la hauteur des intentions. Le refrain flotte - I lose my mind - C’est joué aux accords de corne de brume avec des queues de cerises soniques. Il fait aussi du gospel avec «Church». Il vise la communion - Gallon drunk/ And I’m stoned/ I’m all alone - Il faut aussi écouter attentivement «The Grinder», cette belle dramaturgie fouillée par un solo de gras double. Gary est un cathartique, un vaillant dévastateur. Il sait aussi s’efféminer pour taper un balladif. La preuve : «Our Love» - You’re the one I’m thinking of - Avec «Wings», en ouverture du bal de B, il sonne comme PM Down (dont le chanteur vient de disparaître). Et puis avec «Can’t Stop», il fait du funk à la Prince. Plus rien à voir avec le blues. C’est peut-être ça qui fait sa force. On voit se dessiner la carrure d’un grand aventurier, un Joseph Kessel/Corto Maltese du blues. Il finit avec un cut de Soul de très haut rang, «Down To Ride». Merveilleux artiste.

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             Encore un passage obligé : Live/ North America 2016. Dès le «Grinder» d’ouverture, ça grinde ! Gary joue en sur-saturation. Il réveille tous les vieux démons du limon et part en vrille d’échappée maximaliste. Il a derrière lui une équipe de stoner bhaam boys de choc, King Zapata, John Bradley et Jerry, le roi du beurre fou. Voilà le blues qu’on a envie d’entendre, gras et sourd. On a là la pire heavyness qui se puisse imaginer. Et ça continue avec «The Healing», complètement éclaté dans la purée de pois verts brûlante. Gary déverse ses vagues de son, tout est complètement noyé, ça vise en permanence le ralenti du doom fatal. Ça reste délicieusement hendrixien. Il chante «Our Love» aussi perché qu’Howard Tate. Il reste dans la Soul pour «Cold Blooded». Gary va à la Soul comme d’autres vont aux putes, le manche à la main. Fantastique Soul Brother ! Il revient au meilleur blues de l’univers avec «When My Train Pulls In». On n’avait rien entendu d’aussi pur et d’aussi puissant depuis «Red House». Ce Train est bardé de re-démarrages en côte. Gary Clark Jr va trop loin, beaucoup trop loin. «Down To Ride» renvoie aux beaux jours du Band Of Gypsys. Seul un black peut chauffer une scène aussi radicalement. Encore un cut béni des dieux : «You Saved Me». Le son remonte par les jambes du pantalon. Le solo te bouffe le foie. Gary Clark Jr joue toutes ses cartes avec un brio extraordinaire. Il tape une belle reprise de Jimmy Reed, «Honest I Do». Il gratte ses dégoulinades avec aménité. Il claque même des retours d’Elmore James. Il a de l’électricité plein les doigts. Il redonne de l’éclat au blues, il est terrifiant de prestance. «Numb» explose tout le système des attentes, on se noie dans cet océan de perfection, et on replonge dans les vagues avec ce nouveau roi de l’heavy blues. Il a tout, le son, la classe, la wah, les coups de cymbales, le gras double, c’est exceptionnel, infernal de véracité concupiscente, et, belle cerise sur le gâtö, il ramène dans son jeu tout l’éclat hendrixien.

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             Il revient aux affaires avec This Land, un album grouillant de surprises bien grasses. Il ne perd pas de temps et va tout de suite noyer «What About Us» dans le son, une espèce de mélange de gospel bathing et de déluge sonique. Gary Clark Jr fusionne les genres pour produire l’une des meilleurs heavyness des temps modernes. Il prend «Feed The Babies» avec un certain côté James Brown - Listen listen - et vire Marvin au chat perché doucéreux, c’est stupéfiant d’éclat vitrifié, une vraie bedaine d’aubaines, le mother est celui de Marvin, on a là un véritable shoot de blended Soul électrique. Il passe au heavy doom de grand cru avec «Pearl Cadillac». Il tombe des trombes de son. Gary Clark chante au chat perché d’aventura. Il entre dans la zone grasse de l’album avec un «When I’m Gone» travaillé dans la purée, il peut chanter au rauque comme un jeune James Brown, il s’immerge littéralement dans la légende du son. Voilà un slow groove admirable, explosé de catharsis sonique. «The Guitar Man» sonne comme une petite Soul de dragueur, mais bon, c’est superbe, pulsé dans la couenne du beat, joué à l’intrinsèque, il vise le suspensif et sort de l’ambiancier de rêve, le groove des jours heureux. Tout ça nous conduit naturellement au coup de génie : «Low Down Rolling Stone», il tape entre les yeux du blues, il vise l’heavy doom ultime du blues apoplectique. Il le frappe de plein fouet. Il claque ses accords au-dessus du vide, il sort un son qui te plie en deux, très hendrixien d’esprit mais pulsé à la Clarky motion. Ce mec a du génie, tant pis si on radote. C’est encore l’un des plus beaux albums du XXIe siècle. Plus loin, ils nous explose «Don’t Wait Till Tomorrow» au large, c’est bardé de son à tous les étages en montant chez Clark. Il peut jouer dans la pire des mélasses, pas de problème. D’autres cuts valent le détour, à commencer par «I Got My Eyes On You», gros patapouf sonique qui ne demande qu’à s’écrouler dans le lagon d’argent, histoire de bien horrifier Hosukai. «I Walk Alone» sonne comme l’avenir du son.Gary Clark charge sa barcasse au maximum des possibilités. Il sait aussi riffer comme le Led Zep de «Communication Breakdown», comme le montre «Gotta Get Into Something». Il y bat tous les records de vivacité et passe en mode demented. Good Lord !

    Signé : Cazengler, tête à Clark

    Gary Clark Jr. The Bright Light EP. Warner Bros. Records 2011

    Gary Clark Jr. Black And Blu. Warner Bros. Records 2012  

    Gary Clark Jr. The Story Of Sonny Boy Slim. Warner Bros. Records 2015

    Gary Clark Jr. Live/ North America 2016. Warner Bros 2017

    Gary Clark Jr. This Land. Warner Bros. Records 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Ô  Burrage Ô désespoir !

             Buro ne pouvait finir que dans un bureau. Il était ce qu’on appelle un prédestiné. C’est là, dans un bureau d’études que nous sommes devenus copains. Buro était un petit mec assez vif. Il avait le cheveu très noir, presque corbeau, un pif proéminent et des yeux en amande qui rattrapaient tout. Il aimait rigoler un bon coup, ce qui scella notre alliance. Il avait réussi à se payer une Simca toute neuve, et il vivait dans un appartement moderne. Il avait épousé une Portugaise et parlait plus de la nature fournie de sa toison que de ses qualités intellectuelles. «Ah la chatte d’Anita !», disait-il en soupirant d’aise. Il ne lésinait pas sur les détails. On s’occupait comme on pouvait au long des heures interminables que nous passions dans ce bureau d’études. 9 h-17 h avec une pause d’une demi-heure. Alors pour tromper l’ennui, Buro eut l’idée de «piéger» des collègues. La première victime était ce sosie de Bourvil qui bossait à la table voisine. Le plan consistait à le faire lever de son tabouret pendant une minute, le temps que Buro vide sous son cul un tube entier de super-glu. Pouf, Bourvil s’est rassis. Crack, il a senti un truc. Trop tard. Il a paniqué et a tenté d’arracher le tabouret de son cul. Il s’est alors mis à pousser des cris d’orfraie. Tout le monde dans le bureau s’est mis à rigoler : il marchait dans l’allée en traînant le tabouret derrière lui. Il sortit du bureau et alla se réfugier dans les gogues. Une autre fois, Buro eut une idée encore plus saugrenue : enfoncer une patate dans le pot d’échappement de Bourvil. Nous nous planquâmes dans un fourré pour assister à la scène. Bourvil tenta de faire démarrer sa bagnole, mais bien sûr, ça toussait et ça calait. Alors Buro eût une autre idée. Il sortit une longue mèche de la poche de sa veste et alla vers la bagnole de Bourvil à quatre pattes pour ne pas être vu. Il ouvrit le bouchon du réservoir à essence, y plongea la mèche et l’alluma avec un briquet. Il revint à quatre pattes et murmura :

             — Attends, tu vas voir...

             Soudain la bagnole explosa. Bourvil n’eut pas le temps de sortir. On était tous les deux pliés de rire.

     

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             Heureusement, Burrage n’était pas aussi retors que Buro. Pour avoir fréquenté les deux, disons que la préférence allait tout de même à Burrage. Recommandé par Jean-Yves dans l’un de ses ultimes SMS, Harold Burrage fait partie de ce qu’on appelle ici les «découvertes tardives». Burrage fut l’une des figures de proue de la Chicago Soul, avec un penchant très affirmé pour le black rock’n’roll.

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             Fantastique album que ce Pioneer Of Chicago Soul. Harold Burrage se montre à la hauteur de sa réputation avec «More Power To You», raw r’n’b de Chicago, suivi de «You Mean The World To Me», un heavy groove dégoulinant de classe et de cuivres. Il chante vraiment par-dessus les toits. Les coups de génie se planquent en B. Tu en as deux qui vont te faire lever la nuit pour les réécouter : «Got To Find A Way» et «How You Fix Your Mouth». Harold fait un festival. Il passe chaque fois en force. Son r’n’b n’est ni Motown, ni Stax, c’est du Chicago Soul. Toute la B est submergée de power. All over. Ces mecs jouent superbement et notre héros Harold tient bien la rampe. «How You Fix Your Mouth» sonne comme un hit tentaculaire, il t’éclate ça au hot hot ! Il reste puissant jusqu’au bout des ongles avec «You Make Me So Happy». Il laboure sa Soul en profondeur. Fabuleux artiste !

             Comme c’est un P-Vine japonais, l’album est bien documenté : Otis Clay raconte ses souvenirs d’Harold Burrage au début des sixties : «Harold was kind of a father figure to all of us down there in those days.» Otis Clay le rencontre une première fois en 1962, puis en 1964, il le voit chaque jour au One/Der/Ful, un studio de Chicago où tout le monde se connaît et s’apprécie. Clay insiste beaucoup là-dessus. Il dit aussi que le son de Chicago - a mix of R&B and blues - a pu influencer Memphis. Pour lui, Harold Burrage était respecté par tous, y compris les jazz cats, mais aussi «les Du-Tones, Johnny Sayles, Tyrone Davis and myself.»

             «Harold really knew how to get into a song», ajoute Clay - He was a pretty good piano player - Andre Williams fait aussi partie des beaux jours de One/Der/Ful. Clay révèle qu’Harold a cassé sa pipe en bois en 1966, et qu’à partir de là, tout s’est écroulé, surtout One/Der/Ful - Je me dis souvent que s’il avait vécu, si Sam Cooke avait vécu, si Otis Redding avait vécu, ce music business ne serait pas aussi pourri qu’il l’est aujourd’hui

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             Label aussi pointu que P-Vine, Westside semble s’être fait une spécialité de la Soul de Chicago, comme le montre sa passion pour Walter Jackson et Carl Davis. Westside propose aussi une belle compile d’Harold Burrage : Messed Up! The Cobra Recordings 1956-58. Le vieil Harold affiche clairement une prédilection pour le jump de petite vertu, ce qui explique le fait qu’il n’ait jamais vu la lumière du jour et qu’il soit resté dans les ténèbres de l’underground. Comme des centaines d’autres, il a tenté sa chance. Coiffé, costard blanc, il tente le coup de rock’n’roll et son «Hot Dog & A Bottle Of Pop» est plutôt bon. Magic Sam y gratte ses poux et Big Dix y malaxe son bassmatix. Ça swingue à la Méricourt. Il passe aux choses sérieuses avec un «Messed Up» signé Big Dix, il prend le rock’n’roll à la black et le fait au talent innervé de messed up/ Cause I’m losing my mind, et boom, tu as un solo de sax d’Harold Ashby dans la foulée. Jody Williams gratte ses poux sur ce stormer. Il enchaîne avec un autre heavy jump, il chevauche le beat à travers la plaine. Il reste dans le black rock avec des petits accents rockab sur «Betty Jean» et devient un real wild black cat avec «I Don’t Care Who Knows», encore un cut signé Big Dix. Excellent et joliment balancé ! 

    Signé : Cazengler, Harold Fourrage

    Harold Burrage. Pioneer Of Chicago Soul. P-Vine Special 1979

    Harold Burrage. Messed Up! The Cobra Recordings 1956-58. Westside 2001

     

    *

             Dans notre livraison 624 du 14 / 12 / 2023 nous présentions l’album Bandshee III. Notre curiosité avait été attirée par la couve de l’opus largement inspirée du Led Zeppelin III . Remontant dans la discographie du groupe nous n’avions pas été étonné par l’aspect folkly de son précédent album Curse of the Bandshee, Led Zeppe n’a jamais été très éloigné de Fairport Convention... Même si deux premiers disques semblaient appartenir à un monde musical très différent, qu’en sera-t-il de la nouvelle production de Bandshee ?

    THE LONG ROAD

    BANDSHEE

    (Janvier 2025)

             Avant de commencer expliquons le changement musical de la formation. Souvent femme varie nous dit le proverbe, au détour d’une conversation Romana avoue qu’elle ne connaissait pas Black Sabbath. Inutile de se moquer d’elle, tout un chacun est un puits d’ignorances s’il compare son maigre bagage à la multiplicité de l’univers. Sur l’injonction de ses camarades, curieuse elle écoute et découvre ainsi une nouvelle zone d’investigation sonore. La voici conquise. Le troisième opus du groupe se teintera ainsi de sonorités plus heavy…

             Le projet de ce qui deviendra The Long Road date de 2021. L’idée était de réaliser un album inspiré du Seigneur des Anneaux et du Zeppelin IV. Pas original mais pas stupiditos non plus. Z’ont déjà composé des tas de morceaux remplis d’elfes et de licornes, un peu fleur bleue quand on y pense.

    Est-ce le sombre univers de Black Sabbath qui les force à ouvrir les yeux sur le monde qui les entoure. Il est sûr que dans nos entourages l’on ne rencontre pas tous les jours des ladies qui veulent s’acheter des escalators qui les conduiraient tout droit au paradis. Changement de préoccupation, la longue route les conduit tout droit dans la réalité sociale de notre époque. Qui n’est pas belle…

             Le groupe est basé à Louisville, grande cité sur l’Ohio qui sépare le Kentucky de l’Indiana.

    Romana Bereneth : lead vocals, guitar, bass clarinet, wizard staff /  Stephen K. Phillips : guitar, bastard sword / Mac McCammon : electric bass, upright bass, backing vocals, battle axe / Chris Miller : drums, war hammer.

             La couve est de Cody Campbell and Paige Campbell. Sur l’Instagram de Cody vous pouvez visiter sa collection de costumes. Pas vraiment BCBG, sortent tout droit de l’imagination de Cody et des âges obscurs. Tels qu’on les rêve et les cauchemarde. Nos quatre musiciens dans leurs accoutrements partent en guerre contre notre monde cruel, souhaitons-leur une prompte victoire. Et du courage ! L’imagerie est très folkly, très fantasy, presque donchiquotesque, un peu étonnante pour un groupe heavy, preuve que Bandshee ne renonce pas à ses origines.

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    Two Timer : la voix de Romana s’élève, bourdonnement riffique immédiat, l’influence zeplinienne vous saute aux oreilles, n’empêche qu’ils parviennent à se tirer du buisson d’épines de l’imitation, vraisemblablement grâce à la batterie qui en bonne âme s’écarte de Bonham, dans les sous-sols la basse se fraie un chemin souterrain qu’il convient de ne pas négliger. Romana règle ses comptes, ceux des habitants du globe terrestre qui jouent la vie en tandem, tout un chacun essayant de pédaler à rebours de son coéquipier, comment voulez-vous que la planète aille bien s’il est impossible de jouer franc-jeu entre deux partenaires. Il est des moments remarquables ceux où Romana vous prend un ton insidieux qui la rend perversement délicieuse. Doom and gloom : n’ayez pas peur même si de nombreux groupes de doom ont un titre similaire dans leur discographie, comment ne pas résister à la conjonction phonique et poétique de ces deux vocables, très vite l’on tombe dans le concours du riff le plus lourd du monde, Bandshee ont relevé le défi de l’originalité, nous offrent le doom solaire, celui qui éclaire la nuit pour vous montrer combien elle est sombre, certes Romana vous jette du sel sur les plaies de la folie et du fric-roi, mais nos quatre mousquetaires s’aventurent dans une œuvre d’intervention musicale inventive, bien sûr au début vous êtes au chaud dans la confortable doudoune du doom, mais bientôt tout s’effrite, se délite, se dynamite, et vous vous retrouvez perdu en train d’errer dans une rôtissoire infernale, sûr que ça ne tourne pas rond, que les guitares s’aiguisent et agonisent, que la batterie se bat contre elle-même, que la basse vacille sur ses bases, gloome gluant dont vous aurez du mal à vos dépêtrer tellement sa gangue de goudron vous  protège de l’horreur du monde. 19 Lashes : retour au blues fondamental, mais un blues de haine et de colère. Romana ne met pas des gants blancs sur son larynx, elle miaule comme un lynx enragé, et les boys derrière vous foutent le feu au riff, sont méchants, violents, impitoyables me font penser à la colonne infernale de Quantrill dans Blueberry, c’est que l’on ne s’oppose pas au tigre du capitalisme avec des armes de papier, quel ramdam mes amis ce n’est pas un hasard si cet album se classe parmi les meilleures nouveautés du mois de janvier. Peut-être pas assez novateur pour renverser le monde de de la musique, mais assez malin pour glisser un pied dans la porte, ils sont en train de  réinventer la poudre. The Long Road : une autre manière de dire le blues, le vieux, l’innommable, le primal, l’originel, des mots pour dire et ne pas dire, simplement suggérer, n’oubliez pas que le Diable vous attend à tous les carrefours par lesquels vous omettez de passer, c’est ainsi que le blues devient rock pour mieux se faire entendre et venir révéler à vos oreilles vos inconséquences, il est des choses qui se chuchotent, qui se transmettent ainsi aux générations futures, la longue route est celle du phénix brûlé qui renaît infiniment de ses cendres porteur d’un feu destructeur. S’unir. Se battre. Superbe morceau. Heavy on Main : la suite du précédent, en plus désespéré, mais à utiliser comme un levier pour faire rouler la grosse pierre – cette métaphore pour vous inviter à écouter Street Fighting Man  des Rolling Stones, musicalement pas grand-chose à voir, mais vous pousser à méditer sur l’injonction séminale du blues et la société du spectacle du rock’n’roll – un blues poisseux, une reptation de serpent qui s’approche de l’Ennemi,  un blues pour vous réveiller le matin, pas pour vous tirer du sommeil mais vous faire comprendre que le rêve dans lequel vous vivez est un cauchemar, aucune pirouette intellectuelle ne vous aidera lorsque l’on vous tirera dessus quand vous manifesterez. Confrontation directe obligatoire. Un appel aux armes. Disque ô combien courageux !

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    Witch Wizard : apparemment l’on quitte le blues pour la magie ensorceleuse de l’instrumentation rock. Romana hurle, elle en appelle au pouvoir magique des sorciers.  Veut-elle se réfugier dans les fantasmagories mythiques du Seigneur des Anneaux, elle ne dit rien, elle ne chante plus, elle utilise sa langue de vipère pour susurrer à vos oreilles qu’il ne faut pas se fier aux fausses solutions, certes sur la couve elle porte un magnifique galurin de sorcière mais aussi un bâton de mort. Encore un morceau courageux qui se démarque de la plupart des groupes de doom. Shadow : Nick Teale : guest vocal : une chanson douce pour des réalités dures. Mais peut-être est-il inutile de crier, il suffit de raconter, presque une ballade pour endormir les petits enfants. Pas de chance, un coup violent ébranle la porte des maisons, l’Ombre s’approche, elle porte des noms charmants sans équivoque : guerres, crimes, répressions, massacres, je vous laisse continuer la suite, comme quoi les sorciers n’ont pas pu arrêter la terrible réalité, n’empêche que sur la fin du morceau Romana se transforme en pythonisse, elle suggère fortement, elle prédit, elle assure que toute tentative de révolte contre l’ordre mondial établi vous conduira inéluctablement à la mort. Avalanche : écoutez cette chanson sans connaître le reste du disque, risque de vous faire accroire que le sujet porte sur les dangers du ski hors-piste. Les esprits finauds se douteront de son aspect métaphorique. Après la catastrophe, après la défaite. Avertissement. N’attendez pas plus longtemps, sinon vous serez surpris et emportés par la tourmente de la répression. Il règne sur le début de ce morceau une voix crépusculaire, l’esprit de la révolte qui survit sur les pics glacés de la défaite. L’éruption de colère sur la fin n’est pas obligatoirement un signe de renouveau. Tout ne serait-il pas déjà définitivement perdu… Bonus Track : 19 Lashes for Deluxe Mother Truckers : même morceau que plus haut.

             Quelle surprise que ce disque ! Patauge un peu des pataugas dans les bassins endormis du  blues et du rock. Quel courage de l’ouvrir tout grand comme cela. Presque de l’effronterie. Sans concession. Quand on pense que sur leur tout premier album Diamonds, Bandshee reprenait La vie en rose ! Faut dire qu’avec sa voix Romana peut tout se permettre sans être jamais ridicule.

             Long is the Road nous réconcilie avec la vision d’un rock’n’roll vecteur de lucidités orageuses et d’encouragements à de sauvages sécessions.  Très mauvais ferments, assureront ceux qui nous tiennent en esclavage.

    Damie Chad.

            

    *

             Si vous aimez les vidéo-danse de Michael Jackson je regrette de vous signaler que la chronique qui suit n’est pas pour vous. Par contre si vous êtes prêts à ouvrir en grand votre fenêtre au corbeau qui s’en vient tapoter à la vitre, je vous préviens que s’il se pose sur le buste pallide de Pallas relégué au sommet de votre armoire, vous avez toutes les chances de le retrouver dégoulinant de sang.

    THIS IS NO FAIRYTALE

    CARACH ANGREN

    (Season of Mist / 2015)

             Je n’ai jamais rencontré de Néerlandais qui m’ait mordu, toutefois ceux-ci se prénomment Mâchoires d’Acier, les prochaines fois je ferai attention.

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             De loin la couve représente deux mains qui se rejoignent, ce n’est pas la Chapelle Sixtine mais s’insinue en vous l’idée d’une certaine fraternité entre les hommes, un peu étonnant pour un groupe de metal, lorsque l’on chausse ses lorgnons votre erreur d’interprétation vous saute aux yeux. Un détail d’importance, ce ne sont pas deux mains d’adultes, l’une est manifestement celle d’un enfant. Celle de la grande personne semble pleine de bonbons, ajustez votre regard, le contenu n’est guère enthousiasmant, ne distingue-t-on pas comme d’inquiétants vers dans cette paume ouverte aux ongles longs comme une serres d’aigles…

    Namtar : drums, percussion / Seregor : guitars, vocals / Ardck : keyboards, orchestration, violin (3).

    Chapitre 1 : Once upon a Time : prélude, on se croirait à l’opéra, musique classique, violons, dès que le poivre noir du violoncelle versé à larges rasades monopolise la bande-son l’on  intuite que l’on se dirige vers un drame, sur la fin du morceau l’envolée de voix féminines ne vous rassurent pas, l’optimisme n’est pas de mise.

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    Chapitre 2 : There’s no place like home : ce coup-ci c’est l’orchestre symphonique qui ouvre la séance, sur lequel se greffent des charges de guitares effarantes, l’orchestra ne se laisse pas intimider malgré les roulements des tambours de Namtar, il ne consentira à mettre la sourdine dans la boîte que lorsque Seregor à la voix de stentor survient, ne chante pas en canon, l’est pourtant rempli jusqu’à la gueule, Namtar nous offre la charge d’un régiment de cosaques, la musique classique se rajoute sur le charivari, à croire que ça ne plait pas à Seregor, le vocal explose, tous aux abris, il hurle comme un démon, la folie gîte sur ses cordes vocales, l’orchestrum se croit à bataille de Borodino, quand c’est fini vous recomptez vos oreilles. Pour la cervelle inutile, elle est réduite en poudre. Vous avez eu le son, en prime nous vous offrons l’image, la vidéo sortie par Season of Mist en avant-première pour avertir les fans de l’imminence de l’album : elle est signée, illustration, animation and visual par concept  par Costin Chioreanu, je vous engage à la regarder, une BD mouvante que je qualifierais de style réalisro-soviétique abstracto-expressionniste, elle vaut le déplacement oculaire. Ne quittez pas, Kr’tnt vous en donne plus : après la musique, après le son, voici le texte. Ne nous remerciez pas nous aurions préféré ne pas savoir lire. Changement d’étage : l’intro annonçait le drame, nous sombrons dans le mélodrame. Margot devra sortir non pas son mouchoir pour pleurer dans sa chaumière mais son drap de lit + sa housse de couette. Tous les poncifs de la sensiblerie moderne : le père violent, la mère droguée, les enfants innocents, plus le piment du viol et de la pédophilie… Les images, que vous appréciez ou pas, sont fortes, le texte prête à rire. Trop c’est trop. Dommage : phoniquement c’est réussi. Un peu boursoufflé, totalement baroque, monstrueux même, hélas la montagne accouche d’une souris verte.

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    Chapitre 3 : When Crows Tich on Windows : musicalement c’est une splendeur, orchestration classique, groupe de rock et l’égrégore vocal de Seregor, vous ne trouverez rien de plus beau, une réussite parfaite tous les groupes de Black Metal peuvent aller se rhabiller. Mais ce n’est rien comparé à la vidéo. Vous avez le droit de préférer les cours collectifs de dancing-gymnastic de Michael Jackson, ce genre de tectonic du riche ne déplace pas les plaques, par contre si vous désirez une leçon d’écriture cinématographique, celle-ci touche au génie, si vous voulez tout savoir sur comment on raconte une histoire, mirez et admirez, suis tombé dessus par hasard, le ballet hyper expressionniste du début, ensuite il n’y a plus qu’à suivre, le nom du réalisateur n’est pas donné, mais question mise en scène et montage ( il vaudrait mieux dire démontage) c’est un maître, lui il ne raconte pas, il suggère, vous transcrit le récit larmoyant ( la mère frappée sauvagement, les enfants s’enfuient, le père les rattrape) en une espèce de capharnaüm labyrinthique qui n’a plus besoin du sens des paroles, juste les vociférations ouïques seregoriennes se suffisent, Valéry  jouait du sens et du son, ici l’on joue avec l’image et le sens, quant à la prestation de Seregor elle tient autant de Byron que du Monsieur loyal du Cirque. Nous sommes ici face à une recomposition orphique d’un texte d’une très grande pauvreté d’imagination et d’une énorme maladresse d’écriture. Une transcendance. Hyperbole, dirait Mallarmé.

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    Chapitre 4 : Two Flies flew into a Black Sugar Coweb : de fait la partition, quel autre terme employer, développe toute son orchestration, fascinante quand on essaie de suivre la reprise tant musicale qu’instrumentale de l’agencement des thèmes, ce disque s’avère être une espèce de tentative d’œuvre totale, dommage que le livret soit si détestable, voici dix ans l’opus a été mal accueilli par la critique qui n’a pas compris la portée du projet. Ainsi dans ce quatrième morceau apparaît la reprise du Conte Hansel et Gretel – la mère s’est suicidée, les enfants se sont enfuis dans les bois, ils s’endorment dans une ancienne aire de jeux pour bambins, apparition  d’un clown maléfique sorti tout droit de Ça le roman de Stephen King. Nous sommes sur une route parallèle à celle de Wagner, la mythologie nordique est remplacée par le trésor des contes populaires de l’enfance conjugué avec l’attrait de notre modernité pour l’horrible et le fantastique. Mais que serait Wagner sans les mises en scène de ses opéras, Season of Mist ne possède pas les moyens du prince Ludwig de Bavière qui finança le théâtre de Bayreuth, autres temps, autres mœurs, Carach Angren a tenté de remplacer les dispendieuses représentations par des arts de notre époque relativement économiques, le clip, ici à cheval entre art cinématographique et bande dessinée. C’est ainsi que nous voyons réapparaître Costin Chioreanu et sa mise en image des épisodes racontés dans ce quatrième morceau, un peu moins réaliste socialiste que dans le premier et surtout avec de très belles idées de mise en scène des cheminements du récit qui ne cherche pas tant à illustrer qu’à faire comprendre aux spectateurs ce que ressentent les enfants.  Je me demande si Costin Chioreanu, musicien metalleux par lui-même, graphiste-producteur qui a beaucoup travaillé avec des groupes metal, n’a pas participé à ce projet justement par la possibilité d’une œuvre d’envergure trans-art qu’il offrait. Chapitre 5 : Dreamin a Nightmare in Eden : Seregor se serre la gorge, il raconte l’histoire, elle commence comme celle du Petit Poucet pour se terminer par celle d’Hansel et Gretel mais pour des enfants d’aujourd’hui qui sont habitués à suivre des séries de tueurs en série sur la télé des parents, oui Seregor est gore, quant à la musique elle grince, elle joue avec le bois du violon, elle imite des bruits inquiétants, elle crée une atmosphère de terreur et de suspense, Seregor y va très fort. Quand sa voix devient douce, le pire est à craindre. Chapitre 6 : Possessed by a Craft of Witchery : ce n’est pas l’histoire des trois petits cochons qui finissent tout cuits tout rôtis dans la marmite dans laquelle le loup les a plongés mais pire. Quel tintamarre musical, ce n’est pas le basson qui imite la voix du Grand-père dans Pierre et le Loup de Prokofiev raconté par David Bowie de sa voix précieuse, c’est le rock qui martèle, bye-bye la musique classique ici c’est la musique chaotique, la musique cloatique, pauvre piano d’Ardek, n’a pas dû résister à la séance, Eregor grogne et rogne, quelle histoire conte-t-il au juste, celle du sacrifice d’Hansel, ou celle de nos propres dédoublements car nous inventons toujours des explications pour nous disculper de nos errements, comme ce clown qui se croit commandé par une sorcière, dans le morceau précédent l’oiseau blanc ne s’est-il pas transformé en oiseau noir, un peu le contraire de nous qui sommes noirs et pervers au-dehors et tout blanc au-dedans… Ne souffrons-nous pas, ne nous réjouissons-pas, n’abuse-t-on pas de cette dichotomique duplicité, de cette double schizophrénie, commençons-nous à comprendre enfin le sens symbolique de ce texte… Chapitre 7 : Killed and Saved by the Devil : violents violons, le comble de l’horrible, Hansel découpé en morceaux, sa soeur obligée de creuser sa fosse funéraire, d’éponger le sang, et de dévorer son cœur, d’ailleurs la musique vous a de ces hauts de cœurs à vous donner envie de dégobiller, Seregor dans les serres du texte, se transforme-t-il lui-même en bourreau, est-il habité par l’esprit du clown qui manipule son cerveau comme un marionnettiste qui tirerait sur ses cordes vocales, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi, ne serait-il pas l’exutoire de nos rêves que nous n’avons jamais osé accomplir, un révélateur de notre propre ADN par ses crimes perpétrés pour nous, à moins que ce ne soit par nous, car chose pensée n’est-elle pas de fait accomplie, le désir de l’acte n’est-il pas égal à l’acte réalisé. Tous criminels. Tous clowns heureux de nos turpitudes.  Chapitre 8 : The With perished in flames : belle intro classique vite balayée par l’irruption de Seregor, serions-nous à un instant crucial, tout dans l’orchestration nous pousse à le croire, comme une attente, un suspense entre les lyrics, l’on se croirait dans un film quand l’action surgit lorsque le prédateur se laisse tomber sur sa proie, tout se précipite, c’est la proie qui se révolte, qui renverse la situation, l’est aidée par la brutalité du clown qui renverse la lampe à pétrole et périt dans les flammes, Gretel s’enfuit en courant, affolée elle fonce droit sur un arbre.  Chapitre 9 : Tragedy Ever After : Qui cache la forêt du rêve. Le précédent morceau aurait pu être un magnifique final, il n’en est rien, la course échevelée de Gretel se poursuit. Pourquoi d’après vous sous les mains tendues l’une vers l’autre sur la couve, ô cette poignée de main prédatrice, n’avons-nous pas remarqué le contour d’un cercle  auquel nous n’avons accordé aucune attention, n’est-ce pas la preuve circulaire que le malheur ne finit jamais que l’être humain est enfermé dans la circularité éternelle de chaque instant, Greta se réveille dans son lit, tout ce qui a précédé n’était qu’un cauchemar, enfin presque, le père referme la porte, le rythme s’alentit, cruel retour à la réalité, est-ce la première fois, revient-il systématiquement toutes les nuits, sommes-nous dans de la psychanalyse de bas-étage pérorante qui enseignerait que l’inconscient s’empare du rêve pour signifier l’immondicité du vécu, ou au contraire le groupe veut-il témoigner de ce que l’inconscient n’est qu’un leurre théorique, une espèce de pansement médicamenteux faussement explicatif, un pseudo- voilement pudique guéritif de ce qui a eu lieu. Pour toujours. Dans l’éternité de l’instant. Bref que l’inconscient n’existe pas. Il n’est que l’autre mot du désir. Sempiternellement coercitif. Le squatteur de la maison de l’être dirait Heidegger. Nous quittons alors les circonstances de l’opérativité sociale pour la démesure mythificatrice de la solitude humaine. Le morceau ne s’arrête pas. Pour des raisons économiques et par confort d’écoute, le son est baissé et finit par s’évanouir. Mais il n’y a pas de véritable fin, il marche sereinement vers une fin qui n’arrivera jamais puisqu’il suit le tracé de son propre cercle.

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             Je crains que le quatrième opus de Carach Angren n’ait été mal compris lors de son initiale réception. C’est un peu de leur faute. Le texte s’englue un peu trop vite dans une rédaction genre ‘’ vous ne trouverez pas de version du conte d’Hansel et Gretel plus horrible que chez nous’’ occultant ainsi le questionnement métaphysique qui le sous-tend. Il est sûr qu’il touche à des thématiques brûlantes, au siècle précédent l’on aurait parlé de phénoménologie du meurtre, de phénoménologie du viol, de phénoménologie de l’horreur… une espèce d’objectivisation radicale de ces phénomènes  insupportables à la majorité des citoyens. Edgar Poe lui-même n’a pas osé, il a abordé tous ces sujets mais les a précautionneusement rangés sous le vocable de ‘’contes’’. En affirmant qu’il n’y a pas de conte heureux Carach Angren s’est engagé dans une voie dangereuse. Ils ont emprunté les gros sabots de l’écriture. Poe est davantage subtil. Il laisse apparaître l’arrière-plan métaphysique de ses réflexions. Il offre deux chemins d’accès à ses contes. Lorsque l’un (ou l’autre) devient trop insupportable à son lecteur, de lui-même il emprunte le deuxième tracé d’accès, qui sert ainsi de voie de dégagement, voire d’issue de secours.

             Ce que Carach Angren a totalement raté dans les lyrics, il l’a totalement réussi dans sa virtuosité à mêler passage ‘’metal’’ et passage ‘’classique’’. Certes ils ne sont pas les premiers : le black metal symphonique est un courant à part entière illustré par de nombreux groupes. Mais ils sont parvenus à produire le premier album de metalphysique, les corbeaux ne viennent pas par hasard frapper aux fenêtres fermées du songe et de la réalité.

             Essayez de ne pas rester dehors devant les lourds vantaux obstinément clos.

             Les contes ne sont pas toujours des histoires à dormir debout. Imitez Poucet, n’oubliez pas les petits cailloux, une fois dedans il n’est pas facile d’en sortir.

    Damie Chad.

     

    *

     J’ai pas choisi, j’ai pas fait exprès, mais il y a des filles qui vous attirent au-delà de tout. J’ai cliqué sur Western AF  pour voir les dernières vidéos. Y en a une qui s’est présentée immédiatement. J’ai regardé distraitement, un gars avec une voiture et une guitare. Le grain de la voix m’a attiré.  J’ai daigné poser mes yeux, pauvre Damie, la mort te guette si tu n’arrives pas à faire la différence entre une fille et un garçon, en plus j’ai saisi quelques mots des paroles, fallait que j’aille voir.

    NIGHTINGALE

    RIVER SHOOK

    (Western AF / 11 / 02 – 2025)

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             Le choc. Cette voix. Cette manière de jouer la guitare sans donner l’impression d’y toucher. La forêt, le pick up, la chaise, la guitare, la fille, facile à identifier. Mais il y a autre chose. Une connaissance de la vie, une sagesse expérimentale, une fatigue, une désillusion de quelqu’un qui a beaucoup vécu, qui ne renonce pas non plus. Je suis son balancement, je suis serpent fasciné par sa proie, l’évidence me déchire en un éclair, j’ai employé le terme de connaissance, pas n’importe laquelle, une connaissance poétique du monde et de l’expérience. Je me précipite sur les lyrics. Une terrible solitude. Je remarque la boucle d’oreille en croix renversée, et ces affreux tatouages verdâtres sur ses avant-bras, typiques des filles américaines. Je reviens à elle, à cette tristesse désabusée qu’elle utilise à la manière d’un cheval de guerre pour parcourir ces chemins intérieurs et ceux du monde qui ne mènent à rien, sinon à des rencontres authentiquement illusoires.

             Me faut en savoir davantage. Sur son Instagram je retombe sur Mike des Western AF qui présente un fragment du même morceau. Je remarque que Paige Anderson de Two Runner a liké. Il ne saurait y avoir de hasard. Seulement des points de recoupement dans le désert.

    Damie Chad.

             J’ai cherché à savoir. River Shcook n’est pas une inconnue. Elle a fondé voici dix ans un groupe Sarah Schook and The Disarmers qui compte aujourd’hui quatre albums mais je ne m’attarderai pas sur cette première époque (en fait c’est la deuxième, je vous expliquerai) mais à ce nouveau projet River Shook. Ne doutez pas de ma santé mentale puisque je commence par une vidéo de Sarah Shook and the Disarmers.

    GOOD AS GOLD

    SARAH SCHOOK AND THE DISARMERS   

    (Lyric Video / Avril 2018)

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             Franchement je ne me relèverai pas cette nuit pour aller visionner cette vidéo une nouvelle fois. Certes l’on n’y voit pas plus Sarah Schook que River Shook, mais les images qui l’accompagnent, tirées d’un vieux film des années cinquante, si elles correspondent relativement bien avec le sujet de la chanson, ont beaucoup vieilli. Par contre musicalement ça ne correspond en rien à la manière de chanter de River. Surtout que je viens de lire que Sarah et ses Désamours sont un groupe un peu country-rock, un peu outlaw. Disons que là c’est du country pas beaucoup borderline. L’est vrai que si les images vieillottes ne se prêtent pas aux subtilités, les lyrics si on les écoute avec soin, malgré leur entrain de cowboy d’opérette sont des plus ambigus, mais je l’ai remarqué parce qu’avant j’avais regardé la vidéo suivante. Enfin la suivante de la suivante.

    GOOD AS GOLD

    SARAH SCHOOK AND THE DISARMERS 

    (Audiotree Live / Chicago)

            Audiotree est une chaîne qui présente de jeunes groupes mais aussi des moins jeunes, captés dans l’intimité d’une salle dépourvue de public. Le groupe, rien que le groupe.

             Je ne résiste pas à vous traduire le bandeau de présentation sous la vidéo, difficile de faire mieux en peu de mots : Sarah Shook & the Disarmers est un groupe country-punk qui a signé chez Bloodshot Records en 2017. Leurs airs narquois et sans apologie racontent les expériences de Shook avec des relations merdiques, des nuits passées à s'abîmer à la fermeture des bars et des dialogues intra-personnels auto-dérisoires.

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             Country-punk je veux bien, ne vous attendez pas à des coupes à l’iroquois, disons que pour un large public country conservateur  les cheveux longs mal peignés de Sarah doivent choquer. Contrebasse, pedal Steel, batterie, guitare, je fais vite nous reviendrons sur cette série de six morceaux. Cette version débarrassée des images est bien plus roots, je n’ai pas dit raw, que la précédente. Cette fille a du chien. Entre chien fou et chien perdu sans collier. Le chant est relativement doux, elle ne force pas sa voix, les musicos lui construisent un joli coffret de bois précieux, mais l’on sent que quelque part elle s’en fout, elle est avec eux, mais aussi ailleurs toute seule en elle-même, elle se retient d’aboyer, peut-être pense-t-elle que certains pourraient l’interpréter comme une faiblesse. Toutefois inabordable.

             Sur sa chaîne personnelle il n’y a que trois vidéos. Vous avez déjà deviné le titre que nous allons écouter, le premier posté il y a tout juste un mois.

    GOOD AS GOLD

    RIVER SHOOK

             Ne ratez pas le début, elle ne chante même pas quarante secondes, toute belle, toute fragile, de magnifiques yeux bleus, un seul couplet, mais tout est dit, cette nudité de la voix et ce hoquet répété, presque rien, une montagne d’effets, un yodel ultra minimaliste qui trahit en même temps toute l’incertitude humaine et la persistance farouche à vouloir être tant mal que bien.  

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             Ensuite elle vous regarde. Ce n’est pas fini. Non elle ne chantera plus. Sur France Culture l’on baptise tout ce qui suit d’une pompeuse expression : une master-class ! River Shhook se livre. Rien de bien croustillant. Une personne qu’elle a aimée. Celle-là ou une autre, est-ce vraiment important… Ce qui est vécu est vécu. L’important c’est ce que l’on en fait. Comment on l’amalgame en soi, ne serait-ce que pour tirer un trait définitif dessus. Certains diront, il vaut mieux ne plus trop s’y intéresser et laisser faire le temps. Il est une autre façon d’agir. S’affronter à la chose non pas celle qui a été vécue mais celle que l’on va soumettre au travail poétique. Un porche, une guitare, un stylo, un calepin, le but n’est pas de magnifier  ou de cracher. Il ne s’agit pas non plus de créer le musée de ses émois intimes. La poésie ne transforme pas ce qui a été vécu, elle vous permet à vous métamorphoser. L’on n’écrit pas pour se recueillir en soi-même mais pour devenir davantage soi-même. Tout ce que dit Rilke dans ses Lettres à un Jeune Poète, River le redit, avec ses mots à elle, très simples, ses sourires, ses mimiques, ses émotions... pour approfondir le cours de la rivière sauvage qu’elle est, et qui coule déjà plus loin.

    Damie Chad.

      

  • CHRONIQUES DE POURPRE 458 : KR'TNT ! 458 : KELLY FINNIGAN / 13 TH FLOOR ELEVATORS / BOBBY VEE / TENDRESSE DECHIRANTE / MANUEL MARTINEZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 458

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    02 / 04 / 2020

     

    KELLY FINNIGAN / 13 TH FLOOR ELEVATOR

    BOBBY VEE / TENDRESSE DECHIRANTE

    MANUEL MARTINEZ

    Finnigan’s wake

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    Pas de méprise : Kelly Finnigan ne sort pas d’un roman de Joyce. Il sort d’un univers aussi riche que celui de Joyce qu’on appelle la Soul blanche. Quand on lui demande qui sont ses Soul Brothers préférés, il prend un air extraordinairement déconfit :

    — Oooh, there’s too many...

    Il y en a trop... C’est vrai, il ne faut pas être bien malin pour lui poser une question pareille. Puis avec un sourire chargé de compassion, il commence à égrener les noms magiques :

    — I’ll say... O.V. Wright, Marvin Gaye... and Al Green...

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    Eh oui, il suffit de le voir chanter «Catch Me I’m Falling» sur scène pour comprendre que cet Américain de San Francisco n’écoute que des bons disques. Du trié sur le volet. Aw catch me ! C’est certainement le cut le plus émouvant d’un set d’une rare densité. Il chante ça au cœur de babe de sucre de Soul blanche. Il va chercher les accents les plus déterminants de la Soul. Il les réinvente et ça devient littéralement énorme. À part Todd Rundgren, aucun blanc ne chante la Soul aussi bien. Kelly is the king. Il travaille au sommet de l’art. Par moments, il sonnerait presque comme Esther Phillips. Il chante dans l’éternité de l’instant. Même chose avec «Since I Don’t Have You Anymore». Il chante au sucre suprême et génère une excroissance de véracité à la surface du mythe.

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    C’est un coup de génie fluctuant franchement digne des géants de la petite glotte. Son Since I est dément de feeling. Assis derrière son Korg, il chante au micheton maximaliste, il palpe la pulpe de la Soul avec ce sourire de compassion qui ferait presque de lui un saint, il fêle sa Soul et la swingue de ses mains de cordonnier, comme dirait Léo Ferré. Il nous entraîne dans des registres inconnus et rejoint par la magnificence de sa mélodie chant les firmaments jadis atteints par Jonathan Donahue avec Mercury Rev. On parle ici d’une magie fertile, d’un monde aveuglant de beauté mirifique.

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    Sur scène, Kelly Finnigan est bien accompagné : une solide section de cuivres (trompette et sax), une section rythmique rompue à tous les combats, si tant est qu’on puisse parler de combat, un guitariste vibrillonnant de Soul et deux petites choristes investies d’une mission sacrée qui est de doo-wopper en permanence cet infernal Soul System. Kelly Finnigan chante assis et joue de l’orgue comme son père, le légendaire Mike Finnigan. Encore une fois, on se dit qu’on a beaucoup de chance de pouvoir assister à un tel spectacle.

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    Avec «I Don’t Wanna Wait», Kelly Finnigan se prend pour Percy Sledge. Il ne veut pas attendre pour vivre son amour et il halète. Il veut en découdre avec les rigueurs de la Soul et s’en donne les moyens. S’il prête le flanc, c’est en parfaite connaissance de cause. Il y a du Saint-Sebastien en lui, son visage exprime à merveille l’infinie douleur de la Soul. Il communique énormément avec le public et annonce une chanson sur les simple pleasures, c’est-à-dire les petits plaisirs : «Smoking And Drinking» - It’s so hard to fly away from the good things - Les chœurs de rêve tombent du ciel. Les deux choristes sont rigolotes et très frétillantes. Il revient aux sentiments avec «I’ll Never Love Again», nouvelle pièce de hot Soul de rêve, bien travaillée au corps. Quand sa Soul veut se barrer, il la retient par la manche. Ce mec provoque de l’émotion en permanence. On ne peut plus le quitter des yeux. Même quand il se lance dans le heavy rumble de hot raw, comme par exemple avec «I Called You Back», il est excellent. Dans le public, toutes les gonzesses dansent. Il réussit à faire du Tamla, c’est quand même extraordinaire, non ? Quand il s’agit de driver la Soul à train d’enfer, on peut vraiment compter sur lui. Non seulement Kelly Finnigan est un Saint, mais il est aussi un mec extrêmement fiable.

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    Il va chercher la Soul au cœur de l’intrinsèque, comme on le voit avec «Can’t Let Him Down». Il chante à la pointe du progrès de la glotte et commence à sérieusement transpirer. Il touille sa Soul en profondeur et bat bien des records d’intensité. Il s’érige en parfait white nigger et rejoint Marvin Gaye par ses sister/sister. Demented ! On le voit parfois fondre dans la Soul, mais ne vous inquiétez pas pour lui, c’est sa façon d’entrer en osmose avec son cosmos.

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    Kelly Finnigan ne tombe pas du ciel. Avant d’entamer sa carrière solo, il jouait dans des groupes de Soul blanche devenus légèrement cultes. Ceux qui vont faire l’effort de rapatrier les albums des Monophonics ne seront pas déçus.

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    Tiens, par exemple In Your Brain, paru en 2012 dans un joli boîtage arty. Kelly et ses amis y proposent une belle reprise de Sonny & Cher, «Bang Bang». Ah il faut le voir se frotter au Beng Beng, il le fait bien, il percute bien sa gâchette, beng ben, my baby shot me down ! Ils reprennent aussi le «Thinking Back» d’Ike Turner et le tapent à la big energy, à la grosse patate germée d’instro, ces mecs ont toute la vie devant eux. On peut même dire que l’avenir leur appartient. D’ailleurs, il proposent pas mal d’instros sur cet album, notamment le morceau titre, qui dispose de tous les atours du Black Power. Kelly Finnigan chante aussi un «There’s A Riot Going On» en hommage à Sly Stone. Il charge son funk comme une mule et le dote d’une présence vocale inexorable. Il chante aussi la Soul de «Sure Is Funky» à la bonne aventure et c’est avec «Deception» que tout devient évident. Il chante au pointu imprécatoire, il vise la puissance de la heavy Soul, il tartine à bras raccourcis, ce mec est un fervent défenseur de l’Ordre des Templiers de la Soul, il accroche à belles dents. Nouvelle secousse avec «All Together», où il duette avec Fanny Franklin. Cette gonzesse chauffe comme Merry Clayton dans «Gimme Shelter», c’est exactement le même genre de souffle, c’est violent, et même virevoltant, all together, et ça joue à la pire wah de Black Power. S’ensuit un «So You Love Me» où Kelly se concentre sur son groove, doux et serré, il est dessus, très balèze, il est parfait et même astronomique de power. On le sent considérablement investi. Il shoute sa Soul comme un vieux pro, il est à cran, tout le temps à cran. Et puis voilà «Foolish Love», un cut idéal pour un shouter comme Kelly. Il descend dans l’arène comme s’il était dans l’«I’m Losing You» des Tempts, c’est le même genre de combat de titans, il en fait 8 minutes, mais c’est assez facile à digérer. Kelly ne le lâche, pas, il le shake jusqu’au bout du bout.

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    Par contre, il n’apparaît pas sur les deux premiers albums des Monophonics, Playin & Simple, paru en 2007, et Into The Infrasounds, paru en 2010. Avec son éléphant, Into The Infrasounds met une belle série d’instros en coupe réglée. Question power, les Monophonics sont bien lotis. On sent les mecs convaincus d’avance. Ils savent se servir d’un sax dans la nuit et d’une wah («Simon’s Song»). Un nommé Marcus Smith vient chanter le bout de gras dans «I’m Done», mais sa heavy Soul nous éloigne des finesses de Kelly. On admire le bassmatic demented de Myles O’Mahoney dans «Low Blow», c’est vrai que ces mecs sont excellents, dans le genre instro de big soul funk. Ils jouent «Grappa» au crépuscule du son. C’est très vivant, bardé de cuivres, de flûte et de nappes d’orgue. Chaque instro est très dirigé, et gagne très vite son autonomie. Dommage que Kelly ne soit pas là. Les Monophonics savent orchestrer un groove et dans «Rotten Ribs», on entend un mec au trombone s’élever dans le ciel. Le mec au sax qu’on entend dans «Loose Nules» s’appelle Nic Gillette. Ça ne s’invente pas. Cet album pourrait presque ressembler à un épouvantable must, même sans Kelly.

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    Playin & Simple est aussi un album d’instros assez confondant, à condition bien sûr d’aimer l’instro confondant. Sinon, ce n’est pas la peine de l’écouter. Tout est bien là dessus, on entend un solo de sax demented dans la cave de jazz de bas étage de «Lumberjack», d’autant plus énorme qu’il est doublé d’un solo de trompette, comme dans Mo Better Blues de Spike Lee. Ils duettent tous les deux comme des dingues ! Ces mecs foncent en roue libre, ils ravalent la façade du nouveau continent et s’en viennent même mêler leurs baves à un certain moment. On se croirait chez Roland Kirk, oui, c’est de ce niveau et de cette échevelure ! Wow ! Ça swingue atrocement bien, jazz power in the flesh. On comprend que Kelly Finnigan se soit rapproché de cette équipe de surdoués. L’autre big bang de l’album s’appelle «Baobab Tree», afrobeat de très haut rang. C’est gagné d’avance. Idéal pour les fans d’afrobeat. L’album se révèle passionnant à mesure qu’on avance dans les cuts. Les Monophonics jouent cartes sur table, avec tout le gut de l’undergut du jazz funk de Soul aux vermicelles. Ils jouent à la Kirk et battent bien des records d’inventivité. On a là un fabuleux groove d’africanité latente, avec un jezz de jazz qui semble remonter le courant. Le mec à la guitare joue comme un dieu. On note aussi une belle échappée de sax dans «Stardust». «Silver Peso» est encore un intro qui gagne à être connu. On écoute les Monophonics avec une attention telle qu’elle confine au recueillement.

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    Bon ben voilà encore un big album : Q-Sound Of Sinning, le dernier album des Monophonics paru en 2015. Big et même super big, notamment grâce à «Holding Back Your Love», une belle énormité amenée au heavy beat diskö, mais avec l’énergie des Tempts. Oui, ce démon peut déclencher ce genre de truc. Ça s’emballe tout seul. Kelly ne lâche pas prise, un vrai pit de cité, you keep holding on, il est dessus, en vrai carnassier de la Soul et c’est un hit. Avec «Find My Way Back Home», il entre à la furie de blanc dans le funk de noir, il tâte de la résistance des matériaux et c’est bon. Ce mec ne déçoit pas, tu peux le laisser entrer chez toi, pas de problème. C’est l’un des nôtres, un vrai white nigger. Encore un shoot de pulsion de raw avec «Hanging On», Kelly ramène les cuivres, vas doucement Kelly, c’est tout bon. He drives it wild, il pilote sa Soul comme un champion, c’est excellent, goody good ! L’autre hit de l’album s’appelle «Promises». Kelly taille dans la masse avec un bassmatic des enfers. Kelly is on the run, hot as hell, il chante comme un cake, il chauffe les zones érogènes de la Soul blanche. C’est admirable - I keep making promises - Il est infernal et c’est vraiment balèze. Big white Soul ! Le cut d’ouverture de bal s’appelle «Lying Eyes», c’est de la big heavy Soul de groove monophonique. On sent la présence d’un immense chanteur. S’ensuit le morceau titre qui sonne comme un groove de gosses de riches. Bienvenu et puissant, bien drivé à la voix. On le voit aussi chanter son gut out dans «Strange Love», une espèce de petit miroir aux alouettes. Il partage aussi au cut avec Ben l’Oncle Soul, «Too Long» et forcément, c’est pourri de feeling. Ils sonnent tous les deux comme des Smokey Robinson décolorés.

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    L’ami Kelly jouait aussi dans un groupe nommé The Destruments. Les amateurs de Soul jazz se régaleront de cet album paru en 2009 et pas très facile à choper, Shaped By The Sound. On voit les trois Destruments sur la pochette, avec des looks de hip-hoppers, mais ils jouent essentiellement ce groove gourmand qui est l’apanage des très grands musiciens. On entend un mec nommé Sean Wilson jouer de la basse comme un dieu dans «Feel It Like It Is». Tout un art du toutim. Kelly Finnigan chante sur «Take A Closer Look» et il se fond dans le groove, se montre admirable de lousdé doucereux et sort un son soft comme la caresse d’un vent d’été. Ils font aussi pas mal d’easy listening et l’amateur du genre se régalera de ce «Sippin On Blue Juice» monté sur une interjection du «Girl Blue» de Stevie Wonder. Ça se laisse convaincre tout seul. Ils font leur sauce dans leur coin, chacun est libre de venir y tremper son poireau. Kelly Finnigan repart en roue libre sur «OOlong». Côté son, ça reste une sorte de bloc soviétique du groove, avec son côté impénétrable et majestueux à la fois. Le bassmatic mène à nouveau le bal sur «Sun Bunn (Downpour)» et les voilà de nouveau plongés dans l’étude au long cours d’un heavy groove urbain processionnaire. Le hit du disk s’appelle «Searching», Kelly y chante ce groove de Soul à la glotte tiède. «Tometo O Dejeto» sonne aussi comme une merveille de réussite, car joué sous un certain boisseau. Le batteur fait son cirque parmi les surdoués dans «NASA» et ils reviennent à l’exotica avec «Bitchyo Self Togetha». Tout est bien sur cet album, à condition de savoir prendre le temps de savourer un Pina Colada sur la plage de Copa Cobana.

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    Paru la même année sur le même label, voici Bridge Through Time avec sa belle pochette en fish-eye. Cet album est un monster. Ces mecs jouent le groove de funk comme des blacks et on comprend que ce groupe soit devenu culte. On sent chez eux un don inébranlable pour la beauté latérale et Kelly entre en scène dès «What You Won’t Do For Love». Encore une fois, il se fond dans le groove et le son explose comme un bouquet de senteurs dans la bouche. Ils se spécialisent dans l’interlude qualitatif. Retour aux affaires avec «Rain Dance», pur jus de Destrumental Sound System, violemment bon, nappé de cuivre frais, c’est un heavy groove de Soul funk d’une tenue impeccable. Belle énergie du son, classe du solo de sax et surtout des solos d’orgue, aussi bons que ceux de Brian Auger, et ce n’est pas peu dire. Une nommé Viveca Hawkins chante sur «I Can’t Help It». Elle se montre très impliquée, c’est une vainqueuse et derrière elle joue un groupe doué d’un sens suraigu du groove. Nouveau coup de Jarnac avec «Bridge Through Time», monté sur une bassline plantureuse. Cet instro de groove colle au palais, on ne s’en lasse pas facilement, d’autant qu’il est épaulé par des nappes de violons. Les Destruments ont du son à revendre. Ces mecs savent distiller leur moonshine. Elle s’appelle Keniece Ford et elle chante sur «Keep On Walking». Cette petite poulette dégouline de feeling. Elle chante comme une reine de Nubie avec de faux accents d’Esther Phillips. L’album est une merveille de son abouti et d’inspiration. Cette petite démone de Keniece Ford rafle la mise, elle s’introduit dans le son avec une classe insensée. C’est Jacob Slim qui fait Shuggie Otis dans «Ant Uh Mi Hed» et Jess Imme chante le groove magique. Oui, on est bien obligé de parler de magie avec ces gens-là. C’est quasi Brazil.

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    Un autre album des Destruments paraît en 2011 : Surpassing All Others. C’est un album de hip-hop très hip, et hop, c’est fini.

    Signé : Cazengler, Kelly finissant

    Kelly Finnigan. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 11 février 2020

    Kelly Finnigan. The Tales People Tell. Colemine Records 2019

    Monophonics. Playin & Simple. Monophonics Music 2007

    Monophonics. Into The Infrasounds. Ageless Records 2010

    Monophonics. In Your Brain. Ubiquity 2012

    Monophonics. Q-Sound Of Sinning. Transistor Sound 2015

    Destruments. Shaped By The Sound. Ivory Soul 2009

    Destruments. Bridge Through Time. Ivory Soul 2009

    Destruments. Surpassing All Others. Creative Juices Music 2011

    Roky le roquet - Part Two

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    Ha ha ha ha ha ! John Ike Walton se souvient de sa première rencontre avec Tommy Hall : «On a commencé par siffler une bouteille de Romilar (un sirop à base de codéine) puis on a fumé de l’Acapulco Gold, et là, mec, j’hallucinais, je voyais les maisons devenir des monstres et partir à travers champs.» Ils ne s’appellent pas encore les 13th Floor Elevators, mais ils se marrent bien. John Ike, Tommy et Stacy Suntherland sont des mecs d’Austin, au Texas. Drug-curious, amateurs d’effets spéciaux, ils prennent du peyote, un cactus aux vertus hallucinogènes qu’il suffit d’avaler. Au début, ça rend malade. Selon les Indiens, vomir est une façon de se purifier en chassant les mauvais esprits de son corps, alors ils vomissent. Bleuuurghhh ! Le peyote est tellement raide qu’on ne peut pas en prendre tous les jours. L’organisme ne pourrait pas le supporter. Pour John Ike, Tommy et Stacy, c’est un gros inconvénient. Alors quand le LSD arrive à Austin en 1965, ils optent pour le confort moderne. Rien de tel que la chimie ! Each and every day ! John Ike, Tommy et Stacy ne sont pas les seuls à apprécier le confort moderne : quand Dylan vient jouer à Austin en septembre 1965, il n’en revient pas : alors que partout ailleurs on le hue parce qu’il vient de passer électrique, les kids d’Austin ne le huent pas. Au contraire. Ils sont en adoration. Pourquoi ? Parce qu’ils sont tous sous acide. The whole underground scene tripping on acid !

    Dans le trio, Tommy Hall joue le rôle du bon Samaritain. Il veille à ce que les expériences hallucinogènes soient bénéfiques. Quand ils trippent ensemble, Tommy veille à ce que ses amis atteignent ce que Stacy appelle «the clear state, you know what I mean ?», demande-t-il. «C’est comme si on était libres, complètement libres.» John Ike est le seul de la bande qui éprouve des difficultés à tripper comme un âne. Il voit les murs bouger quand il bat le beurre et ça ne lui plaît pas trop. John Ike fait un peu de musique avec Tommy, Stacy et un bassiste nommé Benny. Leur groupe s’appelle les Lingsmen. Ils cultivent déjà un goût prononcé pour l’expérimentation. De la même façon qu’Henri Michaux, ils se voient comme des laboratoires à deux pattes. Alors que Michaux se contentait de distiller sa prose, les Lingsmen préfèrent s’auto-distiller.

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    La rigolade ne va pas durer pas longtemps. Au début, le LSD est légal mais la loi l’interdit très vite et les flicards locaux se frottent les mains. Hé hé hé... Dans ce Deep South dont fait partie le Texas, leurs deux hobbies favoris consistent à casser du nègre et du hippie. Hé hé hé...

    Bon et Roky dans tout ça ? Ah le voilà ! Tommy l’a repéré dans un club : «Hey les mecs, allons voir jouer Roky Erickson & the Spades ! Vous allez voir ! Quel fabuleux chanteur !» À la fin du set des Spades, Tommy invite Roky à venir jammer avec les Lingsmen. Wanna jam ? Okeh ! Roky apprécie très vite ses nouveaux amis : John Ike est son special drumming style, Benny et son upfront bass, tout cet écho dans le son, wouaaah, l’outer space guitar de Stacy et les jazz runs de Tommy dans sa cruche électrique, wouaaah ! Le son est déjà là, Roky n’est que la cerise sur le gâteau. Sur le space cake, devrait-on plutôt dire.

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    ( Red Krayola )

    Enfant prodige, Roky faisait l’école buissonnière pour aller s’entraîner au scream avec son copain Kinney. Wouaaaaaaahhhhhh ! Il en crachait du sang. Il vénérait Little Richard, Buddy Holly et commençait à écrire des petites chansons du style «You’re Gonna Miss Me». La découverte de la marijuana et de l’«Empty Heart» des Stones en 1964 le propulsèrent directement dans le cosmos. Wouaaaaaaahhhhhh ! Mentor de Red Krayola, l’autre groupe phare de l’underground local, Mayo Thompson trouvait Roky extrêmement intéressant, mais déjà un brin out there in some ways. Il ajoute que Roky fait partie des gens qui n’ont absolument aucun doute sur les choix qu’ils font. Trait de caractère fondamental. L’anti-girouette.

    Une fois Roky intégré, ils se baptisent les 13th Floor Elevators. Si Tommy est le cerveau de la bande et Stacy l’architecte du son, Roky en est l’âme. Ou comme le dit Paul Drummond, Tommy est le visionnaire du groupe, Stacy le son et Roky the face and the voice.

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    La Gestapo locale salue à sa manière l’éclosion des 13th Floor, avec une première descente chez Tommy, en janvier 1966. Ils sont sous mescaline quand la police défonce la porte. John Ike veut filer par derrière mais le canon d’un 45 se colle à son museau, alors il opte pour la prudence et fait marche arrière. Too much of a trip, marmonne Stacy qui plane sec, alors que les flics fouillent la baraque. Miraculeusement, ce bust se termine bien, mais il marque le début d’une longue partie de cache-cache avec les flics locaux. La brutalité répressive des juges texans terrorise les freaks et à partir de là, Tommy et ses amis entrent en semi-clandestinité : plus de domicile fixe. Sécurité maximale. Un peu comme s’ils étaient en cavale. Ils reproduisent sans le savoir le mode de vie des pilleurs de trains du siècle précédent. Même état d’esprit, la violence en moins. C’est le statut d’outlaw bien assumé - Paranoid and nomadic existence - Les 13th Floor n’accepteront jamais de changer de mode de vie, et ça ils vont le payer au prix fort, en devenant des martyrs psychédéliques.

    Le plus drôle, c’est que ce statut de martyrs leur va comme un gant. Tommy qui ne fait pas dans la dentelle établit un parallèle entre les 13th Floor et les disciples du Christ qui subissaient en leur temps une pression policière énorme. Mais ils parvenaient quand même à développer et enseigner leur philosophie. Pour lui, c’est exactement ce que font les 13th Floor. Tommy soutient mordicus que les drogues psychédéliques permettent d’atteindre les niveaux supérieurs de la connaissance. Il voit le LSD comme un learning tool, un moyen d’évoluer. Il contribue au courant de pensée développé par Timothy Leary et qu’on considère à juste titre comme la dernière utopie du monde moderne : le rôle bénéfique que pourraient jouer les drogues hallucinogènes sur cette société moderne rongée par le profit, la bêtise et la haine. De la même manière que Leary, Tommy imagine les flics et les beaufs sous LSD et ça le fait bander. Comme si le fameux ‘monde meilleur’ devenait possible.

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    Le problème, c’est que les 13th Floor n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Ils mettent autant d’énergie à se défoncer qu’à jouer «Roller Coaster». Tommy prône la dose d’acide quotidienne, et pour soutenir le rythme financièrement, il est obligé de dealer à grande échelle. Il va s’approvisionner en Californie où sont installés les chimistes de renom.

    Dans le cas des 13th Floor comme dans celui de Syd Barrett et des Spacemen 3, musique et drogues sont indissociables. Mayo Thompson qui n’est pas un enfant de chœur trouve que les 13th Floor vont un peu trop loin : «Prendre de l’acide tous les jours, c’est un peu extrême !» Et c’est précisément parce qu’ils sont allés très loin dans l’expérimentation que leur musique est restée un modèle absolu. En matière de mad psychedelia, personne n’a pu challenger les 13th Floor. C’est en les écoutant qu’on comprend mieux le concept de Tommy Hall : expérimenter les drogues hallucinogènes pour repousser les limites de l’énergie créative et le diable sait si dans ce domaine, les drogues prévalent. Il suffit simplement d’écouter «Roller Coaster» pour comprendre ce que signifie la formulation ‘mad psychedelia’. Dans ce big brawl digne de Syd Barrett, les guitares déchirent le ciel. On assiste tout au long de la lente montée du trip de track à une implosion d’organes fluorescents, aw c’mon, et la cruche dada glougloute dans l’écho du temps. Ce cut fonde le genre, avec une rare combinaison d’énergie visionnaire et de real big power.

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    C’est en 1966 que paraît The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators. En France, il faudra attendre la parution de Nuggets pour découvrir l’existence des 13th Floor et courir chez Music Action, au carrefour de l’Odéon, avec l’espoir de trouver une copie de ce premier album. Les gros cartonnés US valaient déjà à l’époque la peau des fesses, mais on arrêtait de se plaindre dès qu’on mettait l’album sur la platine : aussitôt les premières mesures, «You’re Gonna Miss Me» sonnait comme l’un des plus gros hits de tous les temps. Wouaaaaaaahhhhhh ! On a là l’apanage du Texas beat, avec sa belle progression d’accords et la cruche électrique ! Pure folie. Les screams de Roky Erickson font partie des plus passionnés de l’histoire du rock américain. Se niche plus loin l’excellent «Reverberation», chef-d’œuvre de fragrance cérébrale atomisée, comme molletonné par la fantastique surdité du beat psyché texan. Les Stones de «2000 Light Years From Here» sonnent à l’identique, c’est heavy à l’extrême et même assez perturbant. Billy Gibbons et ses Zizis en feront une cover spectaculaire sur le tribute aux 13th Floor, Where The Pyramid Meets The Eye. Retourne The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators et tu vas tomber sur «Fire Engine», et là pareil, Wouaaaaaaahhhhhh ! Adieu veaux vaches cochons ! Roky et ses amis envoient leur giclée de Texas hell à la revoyure de freak-out. Le glouglou de la cruche hante la paillasse du mix. Les chœurs fantômes rendent le cut tellement louche qu’ils sonnent l’hallali du binarisme. Rien de plus nécessaire à la vie que cette gelée royale. S’ensuit un «Thru The Rhythm» en forme de haute voltige et d’ode à la cloche. Ces mecs jouent leur va-tout en permanence. Le bassmatic maraude dans le son avec une liberté alarmante. La messe est dite depuis 1966. Le raw Texas freak show est entré dans la postérité.

    Dans le docu de Keven McAlester (You’re Gonna Miss Me), Billy Gibbons raconte que lorsqu’il entendit pour la première fois les 13th Floor à Houston, il s’exclama : «Well, that’s it.» Pour lui, Roky est le meilleur chanteur américain avec Little Richard et Jerry Lee. Et il termine en se prosternant jusqu’à terre : «The Elevators were the big heroes, they were the guys.»

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    Au moment où les 13th Floor inventaient le rock psychédélique, il existait quelques signes avant-coureurs aux États-Unis, notamment du côté des Holy Moundal Rounders qui enregistrèrent en 1964 «Hesitation Blues». En 1965, Kim Fowley parlait de psychédélisme pour la promo de «The Trip». La même année, les Charlatans mixaient eux aussi rock et LSD. Ils jouaient sous acide au Red Dog Saloon de Virginia City, dans le désert du Nevada, un coin bizarre et comme figé dans le temps, où les gens étaient tous armés.

    Pour la promo de leur premier album, les 13th Floor vont s’installer quelques temps en Californie. La petite communauté texane les accueille à bras ouverts. Chet Helms qui a déjà fait venir Janis Joplin programme les 13th Floor à l’Avalon Ballroom. Quant à Doug Sahm il a décidé de quitter définitivement le Texas. Lui aussi victime de la brutalité policière, il n’avait pas apprécié qu’on l’attrape par les cheveux pour lui cogner plusieurs fois la gueule sur le capot de sa voiture. D’ailleurs, il recommande aux 13th Floor de rester en Californie, mais Stacy et les autres ont tellement le mal du pays qu’ils retourneront se jeter dans la gueule du loup.

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    Ils jouent énormément en Californie. Pour eux, l’Avalon Ballroom de San Francisco est une sorte de paradis, car on distribue gratuitement de l’acide à l’entrée. Le raga-rock sound de la cruche électrique intimide le public. Sur scène, les 13th Floor dégagent une énergie considérable - the agressive amphetamine beat of the British Mod scene - D’ailleurs sur scène, ils tapent des versions explosives d’«Empty Heart», de «You Really Got Me» et de «Gloria». Stacy se spécialise dans les déraillements, pas ceux des trains, mais ceux du freak-out. Sur scène, ils montent un mur du son autour des hurlements de Roky. Selon Billy Gibbons, les 13th Floor occasionnent un sérieux bouleversement en Californie - When the Elevators showed up, things changed real quick ! - Mais le public californien les juge trop frénétiques. Il est habitué à un autre genre de psychédélisme, celui de l’Airplane ou du Dead. Alors, les 13th Floor se referment comme des huîtres. Ils ne se mêlent pas aux autres musiciens et passent leur temps à se goinfrer d’acide. Paul Drummond parle d’extrem amount of acid. En bon alchimiste, Tommy veille à perpétuer le cycle sacré : le groupe génère du blé qui permet d’acheter des drogues qui permettent de faire de la musique, et ainsi de suite. Son Grand Œuvre s’appelle The 13th Floor Elevators. Tommy raisonne en termes de pierre philosophale. L’or ne l’intéresse que par son symbolisme initiatique. N’a de valeur que le parcours.

    Personnage fascinant que ce Tommy Hall. Le duo Tommy/Roky, c’est exactement la même chose que le duo Ron Asheton/Iggy Pop. L’un n’est pas possible sans l’autre. Tommy combine sa passion pour la musique avec la spiritualité. Les pochettes des albums du 13th Floor ne sont pas des gadgets de hippie. Si Tommy invente la cruche électrique, c’est tout simplement parce que les pédales d’effets n’existent pas encore. Il invente the psychedelic sound effects. Pourquoi ? Parce qu’il écoute Miles Davis, Trane, Charlie Parker et Mingus. Alors il tente de transférer sa passion des jazz runs dans la cruche, à l’instinct.

    Il prend aussi la manie de rassembler les gens pour leur expliquer des choses, comme le faisaient autrefois les prophètes. Dressé devant ses ouailles, Tommy déclare :

    — Ce groupe n’est pas un moyen de gagner de l’argent, mais un mode de vie !

    Côté drogues, il se veut extrêmement sélectif. Pas question de toucher au speed. Il juge cette came tout juste bonne pour les Stones. Il menace même de virer Stacy du groupe parce qu’il prend du speed. Tommy essaye de gérer l’ingérabilité des choses du 13th Floor. Il écrit aussi les paroles des chansons. Comment ? On lui glisse sous le nez une grande feuille de papier alors que le groupe joue et il écrit. Il intensifie tellement l’acte d’écriture qu’il lui arrive d’en pleurer.

    Ce n’est pas tout. Avant chaque concert, il impose un rituel : il réunit les 13th Floor et leur fait prendre du LSD trois heures avant de monter sur scène. Puis il préconise une heure de prêche, histoire de développer sa théorie :

    — God is LSD !

    Il joue vraiment avec le feu. C’est très dangereux de déconner avec God dans un coin comme le Texas. Les gens y sont extrêmement intolérants. Mais Tommy a étudié la Gnose, il sait exactement de quoi il parle. Avant le Christianisme, la Gnose reposait sur un concept très simple : chaque être humain porte en lui une part de divinité. Il repart de là, il n’invente rien. Il s’appuie donc sur la Gnose et sur William Blake pour décréter que Houston est la nouvelle Jerusalem. C’est au cœur de ce chaos subliminal que les 13th Floor enregistrent Easter Everywhere.

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    Ce deuxième album est considéré comme l’un des sommets du rock psychédélique. Nous irons jusqu’à dire qu’Easter est l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps. Démarrage en trombe avec «Slip Inside This House», pulsé au big bassmatic de Dan Galindo, le remplaçant de Ronnie Leatherman. C’est l’un des grooves les plus rampants de l’histoire du groove rampant, un groove foncièrement nocif et en même temps magnifique de poignance psyché. Il se perche sur l’épaule lorsque la lumière s’éteint. Plus fluide, «She Lives In A Time Of Her Own» se montre digne des Byrds. On pourrait même parler d’une œuvre marmoréenne, comme on le dirait de ces falaises sculptées qu’on peut admirer au Moyen-Orient. La cruche se déchaîne. Tiens, encore un fantastique shock de rock avec «Nobody To Love», bardé d’accords solides et fidèles. De l’autre côté se niche l’effarant «Earthquake», porté par un heavy shuffle de big bassmatic, oh oh, dirait Merlin, on entend le dragon gronder juste sous la surface de la terre. Même chose avec «Levitation». Les 13th Floor sonnent comme des Beatles texans, c’est dire s’ils sont bons. Et puis voilà «Postures» qui s’auto-fascine, mais ils savent ramener du son, même dans une longue dérive abdominale - Leave your body behind !

    Hormis le LSD, Tommy ne jure que par le Romilar qu’il boit au goulot - comme le fait d’ailleurs Lester Bangs - Stacy préfère les downers et le speed. Jusqu’au moment où ils découvrent le DMT, qui fut comme le LSD mis au point par Sandoz. C’est pour vanter les mérites du DMT que Tommy et Roky composent «Fire Engine». Sous DMT, ils ont l’impression de foncer à bord d’une voiture de pompiers. Pin-pon ! Pin-pon ! De son côté, Benny découvre que les amphétamines permettent de contrôler les effets du LSD sur scène. Ils testent absolument toutes les combinaisons, toutes les manières de se schtroumpher. Les mecs qui organisent les concerts éprouvent d’énormes difficultés à entrer en communication avec les 13th Floor. Trop hagards. Comme Tommy veille à ce que tout le monde soit défoncé avant de monter sur scène, la partie est gagnée d’avance. Les 13th Floor sont extrêmement populaires auprès des kids texans venus recevoir le message psychédélique. Comme la magie du mythe opère, Roky, Tommy et Stacy entrent en lévitation. Ils défient les lois de la physique. Roky chante une chanson, il en gratte une autre sur sa gratte et les autres en jouent encore une autre. Chaos subliminal. Tout va bien car toute la troupe trippe, y compris le public.

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    Un jour qu’il est en studio, Stacy se met dans le cornet ce qu’il appelle un large hit of Sandoz acid : «Soudain, j’ai perdu le contrôle de mon corps, je suis tombé au sol, j’ai relevé la tête et j’ai vu de mes yeux vu Tommy et Roky se transformer en loups, avec les poils et les dents, oui, mec, en loups ! Wouaaaaaaahhhhhh ! » Stacy est intarissable sur son trip, il en fait deux pages dans le book de Paul Drummond. Bon courage ! Autre épisode assez poilant : un soir, alors que les 13th Floor sont sur scène, un flic vient arrêter Stacy en plein milieu de «Fire Engine». Il dégaine sons arme pour se frayer un passage à travers un public hostile et traîne Stacy jusqu’à sa bagnole.

    — Je vais t’emmener à la sortie de la ville et te buter, sale punk !

    Stacy est sous acide, alors forcément ça prend de drôles de proportions dans sa tête. Le flic en remet une couche :

    — Et je leur dirai que t’as essayé de me piquer mon flingue, putain de punk !

    Stacy voit la bagnole prendre la voie rapide qui sort de Houston. Il flippe pour de bon :

    — Hey attends une minute, mec, est-ce qu’on pourrait pas se calmer un peu ?

    Le flic roule encore un bon moment puis fait demi-tour pour ramener Stacy au commissariat. Il voulait juste lui flanquer la trouille de sa vie. Stacy avoue qu’il n’a jamais été aussi content de voir un commissariat.

    Une autre fois, les flics lui donnent ce qu’ils appellent une leçon de natation - Swimming lesson - C’est d’usage courant dans le coin : ils emmènent le candidat sur le pont qui surplombe le Buffalo Bayou et le balancent dans l’eau. Plouf ! Dix mètres de haut. Ça va. On en meurt pas.

    Ne supportant plus de voir les 13th Floor en liberté, les flics mettent la pression. Roky et ses amis se terrent dans des chambres de motels et jettent tout leur stash dans les gogues dès qu’on frappe à la porte. Pour eux, le véritable acid test est celui d’une nuit au trou sous acide. Quand le groupe enregistre, la session démarre à minuit et tout le monde est sous LSD.

    Roky revoit de temps en temps son copain d’enfance Kinney. Ils vont casser une petite graine ensemble et Kinney observe de drôles de changements chez Roky. À table, Roky n’en finit plus de s’extasier : «Oh my GOD ! Qu’est-ce que c’est bon ! Oh my GOD ! Wouaaaaaaahhhhhh !» Il s’extasie à chaque bouchée. Sur scène, il commence à oublier les paroles, alors ils s’enferme dans un mur de feedback. Il lui arrive même d’aller se planquer derrière son ampli. Il se met aussi à porter un bandeau sur le front pour masquer son troisième œil. L’hyper-lucidité l’épuise. Sacré Roky, on n’en finirait pas avec lui. Souvent les 13th Floor montent sur scène sans lui, parce qu’il a oublié le concert et qu’il est parti en virée ailleurs, avec son copain Charlie Powell, un Vietnam Vet bien esquinté avec lequel il communique sans parler - Spacial communication.

    Et c’est là que ce fantastique château de cartes qu’est le 13th Floor commence à s’écrouler. En voulant redéfinir la source du divin et inventer une nouvelle réalité, la réalité psychédélique, le groupe s’est épuisé. Comme Artaud et Henri Michaux, les 13th Floor ont cherché la source d’une créativité humaine inconnue, celle générée par the altered states of reality. Résultat, Tommy s’enfonce dans la Gnose, Roky perd un peu la boule et Stacy vient de passer à l’héro. On voit Roky tout de blanc vêtu arpenter les rues pieds nus alors qu’il fait un froid de canard. Sur scène, il devient une sorte de fantôme d’Abraham Lincoln, avec sa barbe, ses cheveux tirés vers l’arrière et son haut de forme.

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    Pour se faire un peu de blé sur le dos des 13th Floor, International Artists sort en 1968 un faux album live intitulé Live. Il s’agit d’une collection de chutes de studio agrémentée de faux applaudissements. Il faut cependant l’écouter, ne serait-ce que par acquis de conscience. Ça part en freakbeat texan avec une belle reprise bip-bip de Bo, «Before You Accuse Me». Tommy Hall cruchotte sec. Il bourre «Tried To Hide» de cruche jusqu’à l’os du crotch. Omniprésente, la cruche finit par tout dévorer. En créant sa transe chamanique, Tommy ramenait dans le son une véritable sauvagerie primitive, un côté indien psychotique. En B, ils tapent dans l’hypno avec «(I’ve Got) Levitation». Roky sème le vent et récolte la tempête. Quand on écoute le «Roller Coaster» qui suit, on mesure l’écart qui sépare les 13th Floor des Doors. Malgré une forte tendance au chamanisme, les Doors n’ont jamais pu atteindre un tel degré d’implication. Le boogie rentre dans le lard du freakout, doublé par la cruche folle de Tommy, et la basse vient swinguer tout ce carnage. Aucun doute : «Roller Coaster» secouera les paillasses pendant au moins mille générations. Le son des 13th Floor vaut tous les rituels du monde. D’ailleurs, les c’mon de Roky sonnent comme des invocations.

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    Le dernier album des 13th Floor s’appelle Bull Of The Woods. C’est l’album de la désintégration, parfaitement à l’image du groupe. Roky ne joue que sur quatre morceaux, dont l’excellent «Livin’ On». Ce n’est pas qu’il soit allumé, non c’est autre chose : ce mec a le génie du son. Il chante aussi un «Never Another» joliment congestionné. Pur jus d’acid trip. On le retrouve en B sur «Dr Doom», nouveau clin d’œil aux Byrds, une vraie sinécure, bien portée par le fat bassmatic de Duke Davis. Mais le mec qui tire vraiment son épingle du jeu est l’autre bassman des 13th Floor, Ronnie Leatherman, qui est de retour. Son bassmatic remonte à la surface sur «Barnyard Blues». S’il faut écouter la version vinyle de l’album, c’est parce que les basses sont beaucoup plus généreuses. Rien à voir avec le son numérique. Le jour et la nuit. Encore une bassline de rêve sur «Scarlet And Gold» qui ouvre le bal de la B. Elle groove sous le boisseau. Les Texans dotent leur pop insidieuse de grands chœurs matrimoniaux. Ce cut brille comme une pépite dans l’ombilic des limbes. Ronnie Leatherman se fait extraordinairement pressant, épaulé par des hoquets de relances invraisemblables. Stacy chante cette merveille. Au moment où ils enregistrent Scarlet, les 13th Floor ne sont plus que trois. On retrouve des accointances avec les Byrds dans «Till Then», que chante aussi Stacy, l’ultime survivant des 13th Floor. Le trio joue aussi «Street Song» à l’ambiance frite et entre en surchauffe quand on ne s’y attend plus. Si l’album finit par voir le jour, c’est grâce à l’obstination de Stacy. La référence au Bull n’est rien d’autre qu’un hommage à sa détermination.

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    Les 13th Floor auraient pu disparaître tranquillement, mais non, la Gestapo va en décider autrement. Tommy, Roky et Stacy vont devoir endosser leurs chasubles de martyrs psychédéliques pour de bon. Entre 1968 et 1972, Tommy disparaît de la circulation. Il se fait poirer à Seattle avec des substances illicites et va moisir quatre piges au trou. Pas cher payé, vu son niveau. En 1970, Stacy est envoyé au trou pour deux ans, et pas n’importe quel trou : Huntsville, l’enfer sur la terre, la taule qui terrorise Roky. Justement, pour éviter ça, Roky fait la même erreur que Jack Nicholson dans Vol Au Dessus D’un Nid De Coucous, il plaide la folie et pouf, on l’envoie à Rusk, une taule psychiatrique qui reçoit les psychopathes les plus dangereux d’Amérique. Mais il ne sait pas que c’est encore pire qu’Huntsville. Globalement, Roky dit que le régime d’internement de Rusk était beaucoup trop sévère. Il raconte par exemple qu’au début, il avait rangé ses fringues sous son lit et un infirmier était venu le rouer de coups en hurlant : «Ne remets jamais tes fringues sous le lit !». Pour le désintoxiquer, on lui fait prendre du Thiothixene : il sent sa langue grimper jusqu’au fond de son crâne et ses yeux se révulsent. Comme cette drogue le raidit comme un piquet, on lui en donne une autre pour le ramollir. Son frère Mikel qui vient lui rendre visite à Rusk trouve que Roky marche comme un zombie. Ça deviendra d’ailleurs une chanson. Comme tous les autres pensionnaires, Roky est obligé de faire son ménage. Si l’infirmier trouve le moindre grain de poussière, c’est la punition : debout toute la nuit face au mur. En cas d’assoupissement, c’est la raclée. Ils s’y mettent à trois, à coups de matraques. Bing ! Bang ! Mikel trouve que les conditions d’internement sont un peu trop dures pour un mec comme Roky, qui n’est au fond qu’un simple musicien. Pauvre Roky ! Il comprend cependant qu’il joue sa survie et qu’il doit développer une stratégie pour sortir indemne de cet enfer. Il sent que les drogues qu’on l’oblige à prendre l’abîment pour de bon. Ce sont les drogues officielles fabriquées par des laboratoires cotés en bourse. Le LSD des beaufs, si vous préférez. Roky prend soin de bien fermer sa gueule car il comprend qu’à chaque écart de langage, on lui rajoute un an de Rusk. Alors il fait le canard et finit par avoir la paix. Il commence à écrire des chansons et des livres. Son copain d’enfance Kinney réussit à sortir un manuscrit dans ses bottes. Openers paraît en 1972. Roky se met aussi à lire la Bible et devient une sorte de révérend, the Right Reverend Roger Roky Kynard Erickson. Il dit la messe et chante des psaumes à la chapelle. Il s’accompagne à la guitare. Entre 1973 et 1975, il écrit énormément de chansons. On en estime le nombre à 400. Il survit à l’horreur de Rusk en inventant un nouveau genre : the Horror Rock. Il recycle sa vieille fascination pour les films d’horreur dans ses nouvelles chansons : «I Walked With A Zombie» n’est autre que le Thorazine shuffle, «Night Of The Demon» est un hommage à l’enfer de Rusk et «Creature With The Atom Brain» évoque les délicieuses séances d’électrochocs. Il recrée tout un monde en repartant de zéro. Et ça va loin. Quand en 1975, il perd tous ses manuscrits dans un incendie, il parvient à réécrire toutes ses chansons une par une. Cette année-là, il demande à une avocate de lui taper un document officiel certifiant qu’il n’est pas humain, mais martien. C’est sa manière de dire que les persécutions de Rusk n’ont pu l’atteindre : «J’espère que ce document prouvera à l’homme qui m’a fait subir des électrochocs que je suis un alien.» À sa sortie de Rusk, Doug Sahm vole à son secours et l’aide à redémarrer. Grâce à Doug, Roky enregistre «Starry Eyes», un nouveau hit intercontinental composé en l’honneur de Dana, sa poule. C’est la plus éclatante des victoires.

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    Les choses ne sont jamais aussi simples qu’on l’imagine. Figurez-vous qu’on trouve dans le commerce deux portraits à charge de Roky, le docu de Keven McAlester évoqué en amont et le chapitre que lui consacre Nick Kent dans The Dark Stuff. Pour essayer de tirer le meilleur parti du docu qu’a tourné McAlester, utilisons le principe des deux colonnes, avantages, inconvénients. Les inconvénients grouillent comme la vérole sur le bas clergé : McAlester nous montre un Roky clochardisé, cet enfoiré essaye même de faire des gros plans sur sa dentition, il passe un temps fou à filmer le capharnaüm qu’entasse un Roky rôti dans son appartement, la télé allumée en même temps que tout le reste. Si on veut rendre service à quelqu’un, on ne s’y prend pas ainsi. On commence par respecter son intimité et non par en faire l’étalage, sous prétexte de légendarité rock. Ce déviationnisme documentaire est typiquement américain. Ces pseudo-cinéastes recherchent la sensation en remuant du groin le fumier de la réalité. On trouve exactement les mêmes travers dans le film supposément tourné en hommage à Ginger Baker. Résultat : les gens ne retiennent de Ginger Baker qu’une seule chose : la violence, et de Roky, la clochardisation. Ce fucking docu est donc idéal pour ceux qui se complaisent dans le malaise. Plus globalement, on sent bien qu’on atteint avec ce film les limites d’un genre qu’on appelle aujourd’hui le rockumentaire. Dans le cas très précis de Roky, tout est déjà dit dans la musique. Le film est DANS la musique. Et le côté avantages ? McAlester nous montre pas mal d’acteurs de la saga Erickson, à commencer par Paul Drummond, l’auteur du 13th book, un mec assez jeune, d’apparence très psychédélique, mais aussi les quatre frères de Roky, Don, Mikel, Ben et le plus important, Sumner le sauveur qui a su aider Roky à se remettre en condition physique et à remonter sur scène. On croise aussi Clementine Hall, John Ike Walton et une Dana ‘Starry Eyes’, assez bien conservée. McAlester filme aussi les couloirs de Rusk, mais il ne sait pas quoi en faire. Tout le monde ne s’appelle pas Milos Forman. Mais le pot aux roses, c’est Evelyn Erickson, la mère, que Drummond accuse plus ou moins d’amour incestueux. Elle est tellement fracassée qu’on comprend tout. Ce docu se termine sur une scène déchirante : Sumner prend soin de son frère et lui prépare ses affaires pour la journée, alors l’émotion monte tellement qu’on enrage à l’idée que des gens aient pu se croire autorisés à se faire du blé sur le dos d’un mec aussi pur que Roky Erickson.

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    Dans ce style flamboyant qui le rapproche d’Oscar Wilde, Nick Kent brosse dans son Dark Stuff un portrait impitoyable de Roky - Si on était dans les années 90, on taxerait Roky Erickson de rocker alternatif. Mais nous ne sommes qu’en 1980, et les gens le voient surtout comme un cult-hero. Ce qui veut dire qu’il ne vend pas beaucoup de disques. Il n’en fait pas beaucoup non plus. Mais ce sont les gens les plus influents qui achètent le peu de disques qu’il parvient à enregistrer. Inutile d’aller lui demander ce qu’il en pense - Pourquoi cette chute en forme de remarque acerbe ? Tout simplement parce que Roky ne répond pas aux questions que lui pose le plus célèbre journaliste anglais. L’interview a lieu au Portobello Hotel de Londres. Nick Kent est pourtant bien documenté : il n’a ni vu le docu de McAlester ni lu le book de Paul Drummond, mais il sait tout d’Evelyn, du fondamentalisme religieux du Bible Belt et des quatre frères. Nick Kent change de stratégie et branche Roky sur la musique. Roky ne sait pas quoi répondre au plus célèbre journaliste anglais, alors il sort de son pif une belle une crotte de nez. Nick Kent se venge en torchant trois lignes lapidaires sur les 13th Floor : «L’histoire brève des 13th Floor Elevators constitue le modèle parfait d’une bohème psychédélique instaurée en mode de vie, centrée autour de ces idéaux utopiques qu’ont réduit à néant les drogues qui en étaient à l’origine.» Comme la grande majorité des Britanniques, Nick Kent répugne à se compromettre avec le trash américain. Il va même jusqu’à insinuer que les 13th Floor n’étaient pas si bons que ça : «des paroles plutôt stupides, un curieux grab-bag de folk rock, de jug band et de rhythm’n’blues qui débouchait parfois sur un résultat intéressant mais qui restait lourdingue et complaisant.» Mais un peu plus loin, il évoque «Two-Headed Dog» pour rendre le plus powerful des hommages : «Comme celle de Syd Barrett, la musique de Roky Erickson exprime un état mental dangereusement en désaccord avec les conventions.» Puis il se fout royalement de la gueule de Richard Hell et de David Byrne qui s’épuisaient à bosser leur psychotisme alors que Roky le pratiquait naturellement. Et c’est là où on se réconcilie avec Nick Kent : l’humour anglais se love enfin dans le giron bien tiède du trash texan.

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    Comme dans le cas du Velvet et des Stooges, la notoriété des 13th Floor ne se mesure pas en termes de ventes d’albums, mais en termes d’influence. Ces trois groupes ont indiqué le chemin à des milliers de gens à travers le monde. Mais la grosse différence qui existe entre les 13th Floor d’un côté, et le Velvet et les Stooges de l’autre, c’est que les 13th Floor n’avaient personne pour les protéger. Ni Warhol, ni Bowie.

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    Grâce aux 13th Floor, la scène Texane connut un bref essor : on vit arriver les albums de Red Krayola sur le même label, International Artists. Puis Rod Prince monta Bubble Puppy, et d’autres groupes mineurs firent parler d’eux : The Conqueroo, The Golden Dawn, Shiva’s Headband et bien sûr les Moving Sidewalks de Billy Gibbons, des groupes devenus aujourd’hui de beaux objets de spéculation. Les vrais héritiers des 13th Floor sont évidemment les Spacemen 3 qui surent emmener «Roller Coaster» vers de nouvelles frontières.

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    Par miracle, on a pu voir Roky sur scène aux Trans de Rennes, en 2010. Il semblait un peu paniqué, mais la voix restait fabuleusement intacte. Les hits aussi. Voir Roky, c’est comme voir Arthur Lee en chair et en os : on comprend immédiatement tout ce qu’il faut comprendre. Depuis, on a vu des choses moins glorieuses, comme par exemple les fameux Black Angels qui proposaient un set d’une heure entièrement pompé sur les 13th Floor, accords et son. Comme ils ne rendirent jamais explicitement hommage aux 13th Floor, ça leur valut quelques insultes bien méritées. Quand on pompe, la moindre des choses c’est de dire merci.

    Signé : Cazengler, Riquiqui Erickson

    13th Floor Elevators. The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators. International Artists 1966

    13th Floor Elevators. Easter Everywhere. International Artists 1967

    13th Floor Elevators. Live. International Artists 1968

    13th Floor Elevators. Bull Of The Woods. International Artists 1969

    Paul Drummond. Eye Mind. The Saga Of Roky Erickson And The 13th Floor Elevators. Process Media 2007

    Keven McAlester. You’re Gonna Miss Me. DVD 2005

    Nick Kent. The Dark Stuff. Penguin Books 1994

    BOBBY VEE

    ROCK 'N' ROLL FOREVER

    ( Coffret / CD 20 / 2002 )

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    Bobby Vee est-il un vrai rocker ? Grave question à laquelle je n'oserais répondre ayant un sacré problème avec le concept de vérité. Le malheur des uns provoque le bonheur des autres. Le destin l'appela à remplacer au pied levé Buddy Holly emporté dans l'accident d'avion qui coûta aussi la vie à Ritchie Valens et au Big Bopper. Alors qu'il était déjà remarqué par Liberty Records grâce à son premier single Suzie Baby sur Soma Records, un appel de la Radio de Fargo qui cherchait un artiste pour remplacer Buddy Holly pour son concert de Moorhead qu'il ne pouvait plus assurer - les cimetières regorgent de gens irremplaçables - décida Bobby Vee à tenter sa chance avec The Shadows le groupe de copains qu'il vient de former, leur set se déroule mieux que prévu, la carrière de Vee est désormais lancée...

    Plus tard bien plus tard, Bob Dylan rendra dans ses Chroniques un hommage appuyé à Bobby Vee qu'il eut la chance de pouvoir accompagner à la guitare sur scène au tout début des années soixante, en ces temps-là Dylan n'était qu'une éponge qui savait écouter et regarder. C'était la première fois qu'il voyait du bon côté de la scène, un véritable professionnel en action. Travailler avec Bobby Vee pour Dylan, c'était aussi mettre ses pas dans les traces de Buddy Holly qu'il avait vu sur scène... Une autre version de cette histoire existe, Elston Gunn - pseudonyme du Zimmerman - n'ayant pas fait l'affaire, il n'arrivait à jouer correctement que sur une tonalité, aurait été remercié au plus vite...

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    Rubber ball : ( sorti en single en 1960 ) : tiens il y a Earl Palmer à la batterie, remarquez il n'a pas dû beaucoup se fatiguer pour remuer le bœuf en daube. Bobby Vee ce n'est pas un nerveux, une voix qui évoque immédiatement Buddy Holly, mais qui s'essouffle vite, pour le soutenir vous avez tout un chœur féminin aux voix pré-pubères, mais comme on ne lésine pas sur les moyens on lâche les violons aussi stridents que le crissement des cigales à l'heure de la sieste. Après le solo de guitare vous vous demandez si ce n'est pas le moment de sortir le chien. The night has a thousand eyes : ( sur l'album du même nom de 1963 ) : le premier titre vous a surpris, vous vous attendiez à mieux, celui-ci vous terrifie : un petit balancement à la Buddy Holly les quatre premières secondes, ensuite c'est la fin de l'épopée napoléonienne, Bérézina et Waterloo, version bubblegum, serait-ce le moment d'aller faire ses adieux à Bobby Vee dans la Cour des Honneurs de Fontainebleau. Nous sommes des rockers Damie, soyons stoïques, la garde meurt et ne rend pas. Devil or angel : 1960 : Bobby Vee sings your favorites, ils ont dû se tromper sur le titre de l'album, pas question que j'inscrive cette horreur dans mon harem musical. Ni ange, ni démon, un purgatoire, une purge, je vous l'échange les yeux fermés contre n'importe quelle bluette d'Elvis. Punish her : 1962 issu de l'album Golden Greats : n'est pas tout seul, l'est soutenu par les Johnny Mann Singers, on les retrouve sur certains enregistrements d'Eddie Cochran, des Crickets et de Johnny Burnette. Avec un tel soutien vocal derrière vous ne voilà-t-il pas que le beau Bobby, se met à parler, c'est encore pire que quand il chante. Ce qu'il ne manque pas de faire non plus. Punish him ! How many tears : ( 1961 ) : sur l'album Bobby Vee with Strings an Things. : mais pourquoi n'ont-ils pas crédité les chats qui miaulent atrocement en chœur à plusieurs reprises, n'ont pas eu leurs croquettes matinales et ça s'entend. Bobby a de temps en temps la mauvaise idée de les imiter. L'est pire qu'eux, et pourtant j'aime bien les chats ! Please don't ask about Barbara : ( 1962, sur le 33 tours A Bobby Vee Recording Session ) : accompagnement musical l'on se croirai dans un disque de Nana Mouskouri, au niveau rythmique c'est le générique Interlude Le Petit Train, pas très rapide donc, le malheur c'est que chaque fois qu'il s'arrête en gare, Bobby se hâte de rajouter un wagon. Restez sur le quai. More than I can say : ( 1960 ) : in Bobby Vee, écrit par Tony Allison et Sonny Curtis des Crickets. Un des plus grands succès de Bobby Vee. A l'eau de roses. Fanées. Après cette sucrerie, une cuillère de sirop d'érable vous paraîtra amère. Take good care of my baby : sur le même album que le précédent. C'est le meilleur de tous ceux que nous avons écoutés jusqu'à maintenant. Prenez soin toutefois d'éloigner le bocal de votre poisson rouge, il risquerait d'attraper une jaunisse. Come go with me : ( 1961 ) tiré de l'album Hits of the rockin 50's : l'est sûr que l'on ne doit pas avoir la même définition des rockin' fifties. De la musique rythmique épatante pour la surboum vintage de votre grand-mère. Heureusement qu'il y a un bon saxo et une belle voix grave dans les chœurs. Jetez le Bobby, gardez l'eau du bain. Earth angel : ( 1961 ) issu du même album que le précédent. Du rock, gentillet, douçâtre, propre sur lui, tout ce que vous ne voulez pas. Sixteen candles : ( 1961 ) idem pour la provenance : qu'elle souffle vite ses seize bougies, il y a vraiment des anniversaires où l'on s'ennuie à mourir ! Trop de sucre dans le gâteau et le jus d'orange tiédasse... restez poli, vomissez dans les pots de fleurs. Summertime blues : ( 1961 ) Hits of the rockin 50's : on n'y croit pas, chez Liberty ils détenaient le titre à leur catalogue... Tommy Allsup est à la guitare, ça s'entend, cette fois c'est du sérieux, même Bobby l'a compris, met sa voix dans les pas d'Eddie, le suit de près, et enfin nous avons le premier morceau rock'n'roll du CD. Ouf, il était temps ! Rock me baby : ( 1999 ) extrait de l'album Down the line qui regroupe des reprises de Buddy Holly par Bobby, encore un morceau qui se tient debout, un beau coulis de guitare, Bobby essaie d'imiter Buddy, mais manifestement il a mieux réussi avec Cochran. Susie Q : ( 1961 ) : tiens un corona virus échappé de Bobby Vee with Strings an Things : mais comment s'arrange-t-il ce pauvre Bobby pour nous changer la petite Suzie si frétillante chez tous les autres repreneurs en gamine nigaude et pataude ? Manque d'un minimum de sex-appeal. Butterfly : ( 1998 ) Fom the essential and collectable Bobby Vee. Qu'ai-je fait bon dieu tout puissant plein d'amour pour mériter un tel châtiment. Pardonnez-moi, je ne recommencerai jamais. Party doll : extrait de Rarities publié en 2010 : dieu m'a pardonné, pour me récompenser l'est allé me chercher un vieux truc de derrière les fagots : enfin une poupée que Bobby remue sans retenue, ne fait pas mieux que Buddy Knox mais ce n'est pas mal du tout. Sans doute le meilleur morceau de tout le CD. Bye bye love : Bobby Vee and the Shadows ( 1995 ) : encore une vieille bouteille. Certes les Everly Brothers c'étaient pas des sauvages, alors Bobby il se sent à l'aise, copie le modèle, fait des efforts, s'en tire pas si mal que ça, surtout qu'il joue à deux contre un. Maybe baby : ( 1963 ) from I remember Buddy Holly : chez Forever ils n'ont pas voulu que l'on se quitte sur une mauvaise impression. Bobby ne parvient pas à garder le tressautement vocal si particulier de Buddy mais ils se défend, d'autant plus que derrière la guitare électrique lui mord les jarrets à la façon d'un chien hargneux, et ne lui permet pas une semi-seconde au repos.

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    Je déconseille vivement à notre Cat Zengler d'emmener ce CD sur son île déserte, ne se sont pas fatigués chez Forever, toute la première partie est puisée dans les succès grand public de Bobby Vee. Etait-ce une bonne idée d'inclure Bobby Vee dans un coffret Rock'n'roll ? C'est quand même dix mille degrés au-dessous d'un Ricky Nelson, ou d'un Dion. avec ou sans Belmonts. L'aurait mieux valu taper avant tout parmi la disco de Bobby dans tout ce qui était en rapport avec Buddy Holly. Cela aurait eu au moins un intérêt documentaire.

    Maintenant je me demande ce que Bobby Vee a pu apprendre à Bob Dylan !

    Damie Chad.

    WHEEP

    TENDRESSE DECHIRANTE

    ( Vidéo-clip / You Tube )

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    Difficile en ces temps de confinement si vous êtes musicien d'un orchestre symphonique de répéter avec vos quatre-vingt-dix collègues dans votre deux-pièces cuisine. Pour Diane et Emilien qui partagent le même appartement et s'adonnent aux affinités électives et réciproques, le problème ne se pose pas. depuis quelques mois ils se sont imposés un petit jeu agréable. Ils ont formé le groupe Tendresse Déchirante. De temps en temps ils postent sur You Tube une vidéo d'un morceau qu'ils ont réalisée tous seuls, tous les deux, musique, parole, chant, enregistrement, tournage et montage. Wheep est leur quatrième opus. Reprise d'une improvisation qu'ils avaient concoctée lors d'un été pluvieux. Le proverbe est connu de tous les agriculteurs : quand on ne peut pas sortir les vaches dans les champs, on tape un bœuf à la maison.

    Diable sont deux, mais ils font autant de bruit que les grandes orgues de la basilique Saint-Sernin, bandes de mécréants c'est à Toulouse - je pressens que occupés par vos fesses vous n'allez pas à confesse toutes les semaines – au début vous voyez les mains d'Emilien sur le cadran du synthé, au plan suivant l'est prostré sur une chaise, l'air malheureux, quant à Diane l'est plantée toute droite comme un cierge funèbre sur la gauche de l'écran, à son visage fermé, l'on comprend que l'on n'est pas là pour rigoler. En plein drame, l'orgue s'avance à pas pesants et lugubres, Emilien se confie au micro, sa voix évoque un paysage crépusculaire qui ressemblerait à la pochette du premier album de Black Sabbath, l'a le phrasé de quelqu'un qui penserait à en finir avec la vie. Diane s'est saisie de sa basse et mêle ses arpèges frissonnants à ceux du clavier, se penche vers vous comme pour vous regarder dans les yeux et puis se recule. Remarquez son T-shirt à gueule de tigresse mangeuse d'hommes. Emilien a repris sa voix mouillée de chien noyé. Changement de plan, sont maintenant rapprochés mais tout aussi éloignés, dos à dos. Et tout change, lui devant et elle derrière, et tout à l'heure ce sera le contraire, mais au fond le lit semble obstinément fermé, Emilien s'agite, est-ce le souvenir des jours heureux ou une crise de folie qui commence, la séquence rythmique se termine par un hurlement d'aliéné privé du ciel bleu diaphané sur la basse de Diane. L'est serré contre elle, mais elle est plus attentive passer ses notes sur les fils tendus de son instrument. Longue séquence, elle vous regarde de ses yeux sans éclat, il respire le parfum de son corps elle semble y prêter quelque attention, mais non le voici seul à l'orgue. Un peu d'écho sur la voix, il a vu la lumière répète-t-il, a-t-il commis le geste fatal, elle se lève et quitte la pièce, l'on ne voit plus que la gueule royale de la féline sur le T-shirt, qui abandonne les restes de sa proie.

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    Ce coup-ci c'est la tendresse déchirante à pleines dents. Un esprit différent des trois clips précédents. Jouent un peu sur les clichés mélodramatiques du romantisme. Une musique davantage emphatique. Une espèce d'outrance lacédémonienne dans la mise en scène. Une perle un peu baroque ajoutée au collier. Un clip kitch and chic, qui attire et attise l'envie du désir enfui. Une frénésie pâle. Du clinquant mortuaire qui brille dans la nuit obscure. Une réussite.

    Damie Chad.

     

    *

    Manuel Martinez n'est pas un inconnu pour les kr'tnt-readers, nous les avions déjà emmenés visiter une de ses exposition à Versailles ( voir Kr'tnt ! 304 du 24 / 11 / 2016 ). Certaines des toiles que nous évoquons dans cette chronique étaient d'ailleurs présentes dans cette galerie. L'œuvre ( peinture et sculpture ) de Manuel Martinez est immense. Ce que vous apercevrez en consultant son FB ( Manuel Martinez Peintre ) est loin d'en représenter la totalité. Bien sûr il s'agit ici de peinture et pas de rock'n'roll, pour ceux qui auraient une vision du rock un peu étroite, nous nous contenterons d'ajouter que Manuel Martinez fut aussi le chanteur du groupe Les Maîtres du Monde, voir dans une de nos premières livraisons la chronique que nous leur avions consacrée.

    ANGELS IN DISGUISE

    MANUEL MARTINEZ

     

    Qui, si je criais m'entendrait, parmi les anges ?

    R. M. Rilke

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    Les anges ne sont plus ce qu'ils étaient. Surtout dans les tableaux de Manuel Martinez. Encore faut-il les reconnaître. Lui-même ne les attife que rarement de ce nom. Juste un motif. Récurent. Qui naît, se développe et s'absente. Pour mieux se métamorphoser. En d'autres signes. Des espèces d'évaporations diluviennes. Des semences idéennes qui poussent entre les formes envahissantes du monde, de la mauvaise herbe entre les dalles du jardin.

    1 / LE COLLOQUE DES ANGES

    ( 2016 - 230 / 140 )

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    Vous n'y croyiez pas. Les voici pourtant ces fameux anges. En plein ciel. Nous aimons les imaginer sur une des terrasses de l'Olympe. Quel est donc ce serpent noir qui ne siffle pas à leurs pieds. Chose étonnante ces anges ressemblent à de simples filles d'aujourd'hui qui se promèneraient sur les trottoirs du boulevard balnéaire qui longe la plage. Un premier indice : elles suivent la mode, ce qui les uniformise, oui mais l'irrésistible plaisir d'être habillée selon les modèles dessinées par le grand couturier Manuel Martinez n'a pas de prix, vous rend unique. L'on dit souvent que les filles sont des anges, mais là n'est pas la question. Il est bien plus important de savoir de quoi elles parlent. Serait-ce un colloque sentimental cher à Paul Verlaine. Comme si la rencontre avec la mort avait une importance quelconque pour des anges. Et puis l'amour vous savez aujourd'hui... Non elles abordent un sujet de moindre futilité. Même si elles n'ouvrent pas la bouche. Nul besoin de parler. Leur simple vision est un messange. Ce qui est en jeu en cette réunion au sommet n'est autre que le combat obstiné contre l'ange que la modernité mène contre le mythe.

    2 / LEO VALENTIN

    ( 201692 / 93 )

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    Celui-ci c'est un homme. Un homme mortel pour employer une figure pléonasmatique. Des sourcils se froncent, comment un ange mortel, quelle stupide incongruité en soi ! Sûrement mais n'est-ce pas Nietzsche qui déclarait dans Ainsi parlait Zarathoustra que l' '' on peut mourir d'être immortel''. Avec un tel nom, je crains qu'il ne devienne le chouchou des lectrices, ô Valentin, pour sa fête il nous offrira des fleurs et une parure de diamants. Non, ce n'était pas son style. C'était un dur, un vrai. Un qui avait los cojones bien accrochées. Lui, n'avait pas peur de voler avec les anges, faisait des sauts en parachute, montait à plus de sept mille mètres d'altitude et se laissait tomber. Pas comme une pierre. Valentin Léo aimait les hauts du ciel. S'était accroché des ailes qui lui permettaient de virevolter paisiblement. Un héros. Historique. S'est scratché à son sept cent et une unième saut...

    Une histoire splendide. A la place de Manuel Martinez vous en auriez barbouillé des sommités de ciel, vers le bas les vertes étendues illimitées du plancher à vaches folles. Vous n'avez jamais entendu parler d'économie de moyens. N'est pas croqué en plein vol vertigineux le Valentin, mais le coude appuyé à son bureau, un peu dans la position du penseur de Rodin, mais lui il se tient droit. Martinez connaît la tradition des portraits du grand siècle, juste quelques objets symboles de la profession du personnage représenté. Ici la tête d'aigle et les plumes. Tout est dit.

    Notez l'orange prédominant, couleur qui mêle l'or et l'ange, qui s'octroie toute la place. Ecorce amère. Pulpe intérieure sanguine.

    3 / ICARE

    ( 2016 – 70 / 80 )

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    Le même que le précédent. Le général en chef de tous les idéalistes. Car lui il a réussi. Certes lui-aussi s'est lamentablement écrasé, une figue trop mûre qui tombe de l'arbre. Mais lui vous n'avez pas besoin comme pour le précédent de vous renseigner dans la notice wikipédia. Tout le monde le connaît. Personne n'ignore son nom. Lui il est immortel. Il vit au-dedans de vous. Quand vous ne serez plus qu'une ombre lointaine, l'on parlera encore de lui. L'est tout en haut de la pyramide des anges. Archange en chef.

    Si ce n'était ses ailes qui dépassent de son dos, vous le prendriez pour n'importe qui. Une chemise pas tout-à-fait blanche et une veste mal fagotée. L'a toutefois une écharpe qui mêle toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Heureusement qu'il a un nom, ou plutôt heureusement que le tableau porte un titre. Vous êtes rassurés. Chez Manuel Martinez faut faire attention. Si  je vous passe un bâton avec une jolie flamme qui scintille au bout, quand vous déchiffrez la mention : dynamite, vous êtes nettement moins flambards. Le cartouche à côté du tableau, peut en orienter la lecture. Parfois, il vous désoriente totalement. Manuel Martinez cherche-t-il à vous élever ou à vous abattre en plein vol.

    4 / LE DOUTE DE NAUPACTE

    ( 201670 / 60 )

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    Demoiselle, belle comme un ange, peut-être les sublimes figures précédentes vous fatiguent-elles. Jamais vous ne les égalerez. Au combat de l'ange vous êtes sûre de perdre à tous les coups. Dans la bagarre vous ne risquez pas d'y laisser des plumes ! Avec un peu de chance, peut-être après l' échauffourée, en ramasserez-vous une, tombée de la ramure dorsale de votre ennemi intérieur. Inutile de le cacher, vous doutez de vous-même. Vous êtes la proie, mais pas l'oiseau, du doute métaphysique. Vous aimeriez sortir de votre chair physique et vous porter à la rencontre de l'ange qui se tient hors de vous. Mais vous avez peur. Le plateau de la balance reste en équilibre. Ne monte, ni d'un côté ni de l'autre. Seriez-vous en échec et Maât. Pourtant vous détenez votre cœur arrêté d'effroi sous le rose-petite-fille-sage de votre blouse. Et la plume qui se doit d'être plus légère que le froid de la tristesse bleue du monde qui vous cerne. La lancerez-vous.

    ( Nous sommes peu impacté par la figure mytho-historiale de Naupacté. )

    5 / DE TA PLUS BELLE PLUME

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    Tu as revêtu le casque guerrier de l'infante décidée. L'heure aquiline est claire. Le bec conquérant est avide d'une autre chair à dévorer toute crue. Il est temps de dessiner l'impérieuse parabole. Un œil vers le tracé exigé, et une pupille au loin qui vérifie l'horizon. L'instant de prendre ton envol est venu. L'oisillon se laissera choir de son nid. Saura-t-il voler de ses propres ailes, parviendra-t-il à freiner sa chute et à s'élever dans les airs ? Tu te recueilles en toi, en la nostalgie de ce que tu ne veux plus être. Le bleu glacial s'enfuit dans les bords du tableau. Désormais tu seras rose épanouie en ta robe, de communion avec l'ange que tu appelles. Et tu penses aux correspondances baudelairiennes.

    6 / BIEN A VOUS

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    Jeune homme tu parles comme un homme. Touché en pleine tête. Missive missile. Il ne te reste plus qu'à te débattre avec ton ange. Est-il en toi ? Est-il en elle ? Est-il un obstacle infranchissable entre vous deux, d'où la nécessité de cette flèche dédiée à l'oiseau charognard de Stymphale, afin de l'abattre, lancée par l'amazone. Te tiens-tu droit comme un I car tu t'appelles désormais Icare. Attention, parfois celui qui veut faire l'ange fait le bête. Tu réfléchis, peut-être l'aventure est-elle plus risquée que tu ne le penses. Cette main qui se tend vers toi, est-elle caresse ou déchirure. Ta cravate désigne-telle le cœur de cible. Pourquoi la palette du peintre est-elle si noire. Pourquoi la peinture a-t-elle besoin de vocables. Les mots d'un titre disent-ils davantage que la représentation figurative du dessin. Est-ce que cela te fait du bien à toi. Valentin. Va lointain.

    7 / UNE IDEE QUI VA SON CHEMIN

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    Est-ce l'idée qui trace son chemin ou l'attente. Les ailes sont-elles dans son dos comme un coup de poignard. Toute ramure angélique est-elle si dure à supporter que cela devient trop lourd pour de frêles épaules. Les jambes écartées et les mains sur le sexe. Parce que les anges n'en auraient pas. Avec quoi l'adolescence peut-elle jouer. Sinon avec elle-même. La vie est-elle en pointillés. Alternance du vide de la chair et du plein du cœur. Un terrible déséquilibre qui cloue à terre. Ces heures où le corps n'est d'aucun secours. Et si ces chemins ne menaient nulle part. Pas plus loin que toi-même. Moins loin que l'autre. Se perdaient quelque part dans le monde. La cible est-elle indicible.

    8 / BORDERLINE

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    Il a volé à sa rencontre. Il a quitté les langes chrysalidaires de la réflexion pour la statue mobile de l'ange. Est-ce le moment redouté de la chute de l'ange. Toute vie côtoie-telle l'abîme. Court-il sur le bord tranchant du désir. Pourquoi ne s'envole-t-il pas. Qu'est-ce que cette attraction déclinante d'équilibriste. Qu'est-ce que cette lourdeur accaparante qui le gêne dans sa course. A moins que ce ne soit la limite extrême du spectacle du monde où nous sommes conviés. La peinture ne dit-elle pas tout. Tait-elle le spectacle des anges entre eux pour ne pas nous faire honte de notre solitude humaine. Ce grand bec d'ibis d'échassier incapable de se tenir sur ses deux pattes. Ô vide. De quel côté Icare tombera-t-il. Chut !

    9 / FIN PRÊTS

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    Ce n'est pas ici que nous aurons la réponse. Parce que le combat n'est pas commencé. Parce que nous savons que ces deux athlètes sont des symboles de ce qui se joue, qui s'amuse, qui se bat de l'aile dans la peinture de Manuel Martinez. Peut-être une occupation de l'espace. L'issue de cette lutte est incertaine. Chacun des deux adversaires est sûr de son fait. On va voir ce qu'on va voir. En fait on ne verra que ce que le peintre nous montrera. Avant de nous passionner, qui sont-ils. Des formes en mouvement figées en leur immobilité. Des anges en colère. Portent leurs plumes comme des coiffes de chefs indiens. Peut-être une représentation formelle de l'une et de l'autre au plus prés de l'acte érotico-métaphysique. L'union du pinceau et de la toile. La signifiance entretenue entre le mot écrit et la chose peinte. Une simple figuration abstraitement libre de ce qui est en train d'advenir.

    10 / NO GO ZONE

    ( 2016100 / 100 )

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    Qui gît là dans ce pugilat. Sumo au summum. Obéissent-ils à la ronde du monde. L'un dessus, l'autre dessous, tour à tour. A moins que ce ne soit leur tournoiement qui le fasse girer. Est-ce un ange qui se bat contre l'autre. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas de sortie de secours. Pas de dégagement possible. Juste le lieu géométrique du combat et la toupie infernale de l'affrontement à la recherche de la cerclitude du carré. Les deux faces de Manuel Martinez, lui qui dans une première époque éclatait les cadres du tableau, lui qui depuis circonscrit le lieu, avec ce titre hors du tableau comme un ange échappé à la concentricité exemplaire de l'action figurée. Le sens de toute chose est-il séparé de la chose. Le couple alchimique efface-t-il les sexes. La peinture de Manuel Martinez casse-t-elle l'atome initial androgynique. Le dit de la littérature, et le monstre du représenté, en un face à face infini, réunis selon la fusion mentale de l'image suscitée, et par l'une et par l'autre, en une sempiternelle gestation séparative.

    11 / GRAVITE

    ( 2016 - 100 / 100 )

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    La situation était plus grave que l'on ne l'espérait. Retour à la solitude. La peinture revisite ses classiques. Ici le christ est redescendu tout seul de sa croix. L'a adopté l'attitude du boxeur groggy relégué dans les cordes du ring. L'ange a failli tout perdre. Encore heureux qu'il ait pu retenir de sa main droite une dernière poignée de plumes. L'on imagine son adversaire dansant la danse du scalp autour du carré de la scène. Le point de gravité est-il focal. Le monde de la peinture s'effondre-t-il dans le trou noir de la défaite. Qui a perdu. Qui a gagné. Le monde de l'homme ou l'homme du monde. Et si l'on veut élever le débat, le monde de l'ange ou l'ange du monde.

    12 / GABY

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    Gaby oh Gaby. L'effet de l'autre côté du miroir. Elle a gardé ses ailes. Etait-elle, aile, l'âme du monde. L'ange du monde tire une tronche pas possible. En fin de compte, en aussi mauvais état que son vis-à-vis. Que son vice-à-vice. Le match serait-il nul. Chacun renvoyé à lui-même. L'effusion ne s'est pas résolue en infusion. Dorure scythe. Serait-ce une icône de la peinture représentant la peinture. L'échec au pantalon troué. L'ange abattu en plein vol. Ramené à sa dimension la plus terre-à-terre. Dans la position éplorée de la vierge sans enfant et sans virginité. Déflorée par la seule pensée de l'acte de la peinture. Pinceau introductif du peintre.

    13 / IDEE RECUE

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    Soyez sans inquiétude la demoiselle a de la ressource. Parfois tout coule de source. Elle a reçu l'annonciation d'une idée qui fera son chemin, dans sa tête ailée, en premier lieu. Mad' moiselle-n'a-qu'un-œil, rêve. Elle se tourne ses propres films. Rien ne la dérange. Cent fois, mille fois, elle retourne la scène primordiale. Mais quelle est-elle au juste. La chute de l'ange parmi les hommes ou la chute de l'homme parmi les anges. Cela demande réflexion. N'est-ce pas une transgression. Un peu comme si la peinture entreprenait de flirter avec la littérature, à moins que ce ne soit la littérature qui interviendrait en peinture. Lorsque l'on regarde le résultat d'une chose, n'importe laquelle, par exemple une plume d'ange, est-ce l'ange qui est allé à la plume ou la plume qui a voleté jusqu'à l'ange. En tout cas, cela porte un nom, cela s'appelle poésie.

    14 / Pas de titre

    ( 2018 - 140 / 115 )

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    Quand on ne sait pas, il vaut mieux se taire. Que l'humain ne pipe mot, qu'il laisse parler les dieux. Voici le vol de l'aigle. Voici le viol de l'aigle. Le rapt des Sabines. La cueillaison d'un rêve. L'image d'un désir. L'aigle vole ce qu'on lui offre. Osiris s'empare d'Isis. Le dieu et la déesse. L'acte et le geste. Les anges ne sont pas des anges. Pas de titre. Peut-être une figure de l'Innommable. Peut-être le mot de l'Indescriptible. Serait-ce la poésie la plus pure. Serait-ce la poésie la plus pute. Mais la première trace du pinceau, le premier mot de la plume appelle le dénouement du geste, implore le dénuement de l'acte, impulse le dénudement de la poésie, désirée et désirante. Le voile tombe. La toile apparaît. Cette toile se nomme Ravissement.

    15 / DEMAIN DES L'AUBE

    ( 2019100 / 100 )

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    Je partirai. La toile se résout en poésie. Le sacrifice a eu lieu. Tout est consommé. Noce d'équinoxe. L'un égale l'autre, l'autre égale zéro absolu. L'étoile mortuaire de la nuit a perdu un de ses joyaux, qui brille dans le crépuscule auroral. Chambre froide du petit matin bleu. Le minotaure n'a jamais tort. Malgré les tortueux replis de l'esprit. Il ne perd jamais le nord. Il mord tout ce qui dépasse sur les bords. Du tableau. Et de la démesure humaine. Puissance noire de l'angélisme. Apis peut faire pis. Mithra est sorti de la fosse. Est-ce l'acte suprême ou un incident dont nul ne se soucie. Le peintre a dressé sa toile comme une offrande.

    16 / Pas de titre

    ( 201680 / 80 )

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    Manuel Martinez a toujours eu des chats chez lui. Nous laissons la parole à Glycéro : '' Ceux qui se prennent pour des maîtres sont fatigants. Mériterait des gnons. A toujours péter plus haut que leur troufignon. Pour moi c'est très simple, tout ce qui vole haut ou bas m'intéresse, quand j'en chope un dans le jardin, ange ou mésange, je le bouffe tout cru. Au moins ils n'auront pas à voler leur mort. Je n'ai pas un mot à ajouter, mes actes parlent pour moi. Ce n'est pas toujours facile de les pister. Parfois l'ange change. Puissance élevée au carré. Manuel Martinez. ''

    Damie Chad.

    NOTES

    Ceci n'est qu'un chemin parmi l'œuvre de Manuel Martinez. Il est à considérer comme une de ces coupes stratigraphiques auxquelles s'emploient les archéologues pour établir leurs futures fouilles et escompter leurs prochaines trouvailles. Encore que Manuel Martinez soit bien vivant et continue à peindre et à exposer.

    J'ai choisi un unique motif dans cette œuvre foisonnante. J'aurais pu en élire d'autres, je les nommerai par exemple, ''filles pensives'', ''les chats'', ''regards contempourris '', je m'arrête, vous êtes assez grands pour bâtir vos paddocks mentaux. Certaines des toiles commentées ici peuvent être incluses dans ces trois catégories ou bien d'autres. Cela fonctionne un peu comme la théorie mathématique des Ensembles. Chacun se crée ses propres périmètres totémiques.

    Lorsque vous parlez avec Manuel Martinez, il se hâte de vous expliquer la programmatique de ses couleurs. Vous expose cela comme une triangulation de complémentaires. Intéressant certes. Mais subsidiaire ai-je envie d'affirmer. Une stratégie d'évitement. Evoquer les moyens évite de déclarer ses intentions profondes. Celles qui courent sur les abîmes.

    Quatre points d'encrage et d'ancrage pour entrer dans cette œuvre : mythe / modernité / peinture / littérature. Quant aux anges rilkéens est-il nécessaire de préciser qu'ils ne participent en rien d'une vision christianologique du monde. Les mots répétés comme autant de coups de pinceaux alignés, sagement et follement, côte à côte. Dans le but inatteignable que l'acte d'écrire imite et figure celui du peintre.

    Les petites vignettes qui surplombent le texte ne témoignent pas de la force des tableaux tels qu'en eux-mêmes les visiteurs des galeries s'y confrontent.

    D. C.

    P. S. : Pour la petite histoire : José Martinez, nous avons présenté dans notre livraison 451 du 12 / 02 / 2020 une série de 24 de ses dessins, est le frère de Manuel Martinez.