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michel embareck

  • CHRONIQUES DE POURPRE 508 : KR'TNT ! 508 : BADFINGER / COBRA VERDE / LOVE AS LAUGHTER / RITA JONES / LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE / MICHEL EMBARECK/ ERIC BURDON/ ROCKAMBOLESQUES XXXI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 508

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    29 / 04 / 2021

     

    BADFINGER / COBRA VERDE

    LOVE AS LAUGHTER / RITA ROSE

    LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE

    MICHEL EMBARECK / ERIC BURDON

    ROCKAMBOLESQUE XXXI

    Badfinger in the nose

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    Tout le monde s’accorde à dire que l’histoire de Badfinger est une histoire tragique. En effet, deux pendus, ça vous plombe une histoire. C’est un peu comme si on passait brutalement du jardin magique (la musique) aux poubelles (les faits divers). La vie souriait pourtant à Badfinger. Elle lui souriait de ses trente-deux dents. Son avenir semblait assuré. Ces quatre surdoués savaient composer et les Beatles les chouchoutaient, au point de les signer sur Apple en 1970. Ils en imposaient sur les photos : ouvrez le gatefold de No Dice et vous les verrez rayonner tous les quatre dans la lumière orangée d’un crépuscule gallois. Le grand, derrière, c’est Pete Ham, ou si vous préférez Pete Jambon, dressé comme un phare dans la nuit et principal compositeur du groupe. Le petit rastaquouère, devant, c’est Tom Evans. Une vraie petite gueule de berger calabrais. Il joue de la basse et compose lui aussi pas mal de trucs. À gauche, le mec qui ne ressemble pas à grand chose, c’est Mike Gibbins, le batteur. Et de l’autre côté, la petite gueule de rock star évaporée appartient à Joey Molland, le guitariste et second phare dans la nuit de Badfinger. Alors qui sont les deux pendus ? Pete Jambon et le berger calabrais. On les a retrouvé tous deux pendus, le premier dans son garage, l’autre à un arbre parce qu’il n’avait pas de garage. Que s’est-il passé ? L’histoire classique du groupe à succès qui se fait arnaquer en bonne et due forme par un intermédiaire véreux. Homme d’affaires new-yorkais Stan Polley prend les Anglais sous contrat et ça donne le résultat suivant : une tournée américaine en 1971 rapporte environ 25 000 $ aux quatre musiciens et 75 000 $ à Stan. Ça, c’est du business ! Les plus malins diront : Ah, si les musiciens sont assez cons pour accepter ça, tant pis pour eux ! Mais dans la réalité, les choses ne sont jamais aussi simples qu’on le croit. Déjà, pour commencer, les musiciens ne voyaient pas la paperasse. Ils faisaient confiance. On fait toujours confiance à un spécialiste. On fait même confiance à un comptable.

    Le résultat ne se fait pas attendre : les quatre Badfinger n’ont pas un rond alors qu’ils voient leurs singles parader en tête des charts. Pete Jambon se demande comment il va pouvoir rembourser l’emprunt qu’il a contracté pour s’acheter sa baraque. Il finit par se convaincre qu’il n’y parviendra pas. Il flippe tellement qu’il se pend. Dans sa lettre d’adieu, Pete Jambon traite Polley de bâtard. Le berger calabrais finira lui aussi par craquer, huit ans plus tard, suite à une engueulade téléphonique avec Joey.

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    Dans un récent numéro de Record Collector, Bill Kopp rend hommage à ce groupe décimé par le destin. Kopp rappelle que le nom du groupe provient du working title d’un célèbre cut des Beatles : «With A Little Help From My Friends» s’appelait au début «Badfinger Boogie». C’est McCartney qui leur compose leur premier hit («Come And Get It»), mais très vite Pete Jambon montre qu’il sait lui aussi pondre des œufs. Les quatre Badfinger sont tellement potes avec les Beatles qu’ils sont invités à jouer sur les albums solo de Ringo, de John Lennon (Imagine) et de George Harrison (All Things Must Pass).

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    Les interviews de Joey Molland menés par Michael Cimino et rassemblés dans Badfinger And Beyond apportent un bel éclairage sur l’histoire de ce groupe qui faillit bien devenir énorme. Indépendamment du fait que George Harrison les avait à la bonne au point de les signer sur Apple, il est important de savoir que Pete Jambon et le berger calabrais étaient gallois, alors que Joey Molland venait de Liverpool et qu’à l’époque où il rejoignit Badfinger, il pouvait déjà se targuer d’un joli parcours. Eh oui, Joey avait connu la mythique Cavern - The Cavern was probably the best Rock club there ever was - Il évoque Rory Storm, Gerry & the Pacemakers et bien sûr les Beatles - The sound was punchy and hard - Il évoque aussi The Big Three, avec le batteur Johnny Hutchinson au chant, Johnny Gustafson à la basse et Brian Griffith à la guitare. Joey était tellement fasciné par Grif qu’il se rendit chez lui, tapa à la porte et lui demanda de lui apprendre à jouer de la guitare, mais Grif lui dit non. Pourquoi ? «Parce que je ne sais pas jouer de la guitare !». On raconte pourtant que Grif a formé George Harrison. Joey raconte aussi son enfance à Liverpool. Chez lui, il y avait un piano, comme dit-il dans toutes les maisons à l’époque. Il rend hommage à son père qui lui enseigna la patience et qui l’autorisa à commettre des erreurs pour apprendre. Il rappelle aussi que le Liverpool de son enfance était une ville très dure, il fallait apprendre à courir vite. Les gangs régnaient dans les quartiers et on se battait à coups de marteau. Et puis on découvre au fil des pages que Joey est un mec charmant. Richard DiLello dit de lui qu’il était toujours de bonne humeur - a Liverpudlian rocker who never seemed to have a bad day - On voit à sa bouille qu’il est à part. Joey fit aussi partie d’un groupe mythique, Gary Walker & The Rain. C’est Gary Leeds, alias Gary Walker, qui lui enseigne le cool - Gary was a very cool guy and he wanted the people around him to be cool. To look cool and to be cool - Le groupe s’installe à Chelsea et Joey n’en revient pas de vivre avec une giant rock star. C’est là dans les clubs du Swinging London qu’il commence à fréquenter la crème de la crème du gratin dauphinois. En 1967, il a vingt ans. Tout le monde portait des futals en mohair et des pulls à col roulé. Le moindre détail avait son importance. Il rappelle que les Londoniens voulaient tous aller en Allemagne, car c’est là qu’on trouvait les meilleures écharpes et les plus beaux cols roulés.

    L’histoire de Badfinger remonte au temps où les Beatles cherchaient de nouveaux talents pour leur label Apple. George Harrison avait déjà ramené chez Apple Jackie Lomax, lui aussi de Liverpool, Doris Troy et le clavier de Little Richard, Billy Preston. C’est Mal Evans qui déniche the Iveys, le groupe qui accompagne David Garrick. C’est dans ce groupe que se trouvent les trois autres Badfinger. Avec Joey en complément, le groupe trouve un son. Chez Apple, Joey voit bien sûr Allen Klein et ne l’aime pas beaucoup. Il garde par contre des bons souvenirs de l’enregistrement d’All Things Must Pass, auquel George Harrison leur demande de participer. Parmi les stars qui traînaient au studio 3 d’Abbey Road, il y avait Ringo, Klaus Voorman, Bobby Whitlock, Carl Radle, Leon Russell et bien sûr Phil Spector.

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    Alors, la réputation de Badfinger est-elle surfaite ? Pour répondre à la question, le mieux est d’écouter les albums. Ce n’est pas une expérience désagréable. Au temps de leur parution, ces albums ne laissaient pas indifférent, même si pour les gueules à fuel le son paraissait un peu trop poppy. Par contre, les obsédés sexuels pouvaient se branler sur la pochette de No Dice. Une fois dépliée, on y voyait une splendide créature au regard torve s’exhiber dans un costume de courtisane orientale. Elle dégageait cet érotisme littéraire à la Pierre Louÿs qui au temps jadis réveillait aisément les bas instincts. S’il l’avait aperçu en vitrine, Baudelaire aurait de toute évidence acheté l’album rien que pour la pochette. Sans doute l’aurait-il ensuite écouté. Sans doute aurait-il succombé au charme de «Love Me Do», cette solide machination inspirée de «The Ballad Of John And Yoko».

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    Sans doute aurait-il salivé à l’écoute de «No Matter What», cette pièce scintillante et pleine de vie, en qui tout est, comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieux. Sans doute se serait-il réjoui d’apprendre que Pete Jambon jouait sur la Gibson SG utilisée pour «Paperback Writer», une guitare que lui avait offert George Harrison, et Joey Molland sur sa Firebird de débutant, tous les deux branchés sur des Vox AC30. Sans doute se serait-il agacé de ce «Without You» connu comme l’albatros, cette mélopée torride et bêtement romantique qui, bien que popularisée par Nilsson, ne pouvait plaire qu’aux Belges et à Mariah Carey. Sans doute aurait-il levé un sourcil à l’écoute du jeu byzantin de Joey Molland dans «Better Days», sans doute se serait-il rapproché pour mieux entendre couler cette rivière de diamants dans la texture même du son. Ah, mais ne nous méprenons pas, Baudelaire n’est pas Des Esseintes, il n’ira pas jusqu’à l’évanouissement. Intrigué par tant d’allure, il aura sans doute poursuivi l’examen et découvert que Joey Molland hantait à nouveau un autre château d’Écosse, «Watford John». Comment pouvait-on résister à ce succédané d’élévation spirituelle, à cette touche démiurgicale d’éclat lunaire ? Baudelaire en convenait, c’était impossible. Agité d’une fièvre de curiosité, il aura sans doute poussé jusqu’à «Believe Me», étrangeté chantée d’une petite voix funeste, mais gonflée comme une voile de démesure ancillaire. On ne saura jamais ce que Baudelaire aurait pensé de tout ceci, mais il plaît aux esprits fantasques de l’imaginer.

    Dans le cours de ses interviews avec l’ami Cimino, Joey Molland rappelle que No Dice fut enregistré sur du temps libre de studio à Abbey Road, à raison de trois heures par jour, au moment où le groupe qui louait le studio allait déjeuner. Une chanson par jour pendant dix ou douze jours.

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    La pochette de Magic Christian Music paru sur Apple Records en 1970 nous renvoie tous non pas au vestiaire, mais chez Giorgio De Chirico, ce peintre des architectures somnolentes annexé par les Surréalistes dans les années vingt. Mais nos amis de Badfinger n’ont rien de particulièrement surréaliste. Ils optent pour une petite pop inoffensive et relativement bien intentionnée, au plan des harmonies vocales. Le cut qui sort du lot s’appelle «Dear Angie», un groove de Beatlemania dûment violonné, doux et brillant, admirablement travaillé au corps. Et puis au fil des cuts, une certaine forme de solidité s’impose, digne du meilleur cru albionnesque. On s’effare même du très beau niveau composital de «Beautiful And Blue». C’est une pop qui se tient, une matière chamarrée, nappée de violons et anoblie par l’ampleur des harmonies vocales. Ils frisent la Slademania avec les mah-mah de «Rock Of All Ages». Encore de jolies choses en B, notamment «I’m In Love», un bel exercice de style tapé au drive de basse bondissant. Voilà un cut à la fois convaincu et convaincant, qui flirte avec les progressions de jazz. On est à Liverpool, ne l’oublions pas. Pete Jambon nous chante «Walk Out In The Rain» au fil ténu de sa sensiblerie et «Knocking Down Our Home» flirte avec l’esprit de «Martha My Dear», un esprit généreux et légèrement rétro. C’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.

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    On les voit tous les quatre poser pour la pochette de Straight Up paru un an plus tard. Ce sont les coiffures rococo de l’époque. Le seul des quatre qui sache rester intemporel est Joey Molland, à gauche. Pete Jambon affiche l’air perplexe d’une tête de broc et Tom Evans celle d’une tête de coiffeur pour dames. Todd Rundgren produit quelques cuts et George Harrison d’autres. Deux des cut produits par Todd Rundgren vont éclater au grand jour : «Flying» et «Sometimes» qui est en B. On le sait, Rundgren est un fan des Beatles et comme les quatre Fingers jouent comme des dieux, ça prend une tournure captivante. Les deux cuts sonnent littéralement comme des hits des Beatles. C’est aussi simple que ça. George Harrison passe un solo sur «Day After Day». On note aussi la présence de Leon Russell - Little piano fill. That’s how great those people are, nous dit Joey Molland dans l’une de ses interviews. Tiens, encore un hit digne des Beatles : «Suitcase», doté d’une fantastique émotivité - Pusher pusher/ All alone - Avec «Baby Blue», ils proposent un hit de power-pop et Joey Molland se tape une fois encore la part du lion en déliant un solo magistral. Mais il précise qu’il n’aime pas Todd Rundgren. Pourquoi ? Parce qu’en studio, Rundgren les insulte et leur dit qu’ils ne savent pas jouer - He was openly rude - Il n’a accepté de produire cet album que pour ramasser du blé. Ça se passe mieux avec George Harrison. C’est lui qui joue le Strat stuff sur «I Die Babe» - You make me loving like crazy/ You make my daisy grow high - On entend Nicky Hopkins sur «Name Of The Game». C’est assez puissant car la musicalité est celle d’All Things Must Pass.

    Comme ce fut le cas pour la plupart des groupes qui commençaient à marcher à cette époque, le business leur mettait la pression : «Make a hit record !». Ça devint une obsession pour le berger calabrais et Pete Jambon. Ça les rendait fous - Tommy drove himself crazy trying to make a hit record, absolutely crazy - Pete Jambon n’a jamais réussi à écrire un hit, ça le rendait fou, lui aussi. Plus on lui mettait la pression, plus il devenait fou. Il finira par détruire sa guitare préférée.

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    La carotte qu’on voit sur la pochette d’Ass est une idée du berger calabrais. C’est la fameuse carotte de Magritte (Ceci N’est Pas Une Carotte) qu’on utilisait jadis pour symboliser la motivation, lorsqu’on menait une opération de communication interne dans une grande entreprise. Ass pourrait aussi vouloir dire : tu l’as dans le cul. Il y avait du ressentiment dans les rangs de Badfinger. Ceci dit, Ass reste un très bel album de pop anglaise. Cette pop d’Apple qui jadis nous faisait tant baver. Dès «Apple Of My Eyes», on se retrouve au cœur du Apple Sound System : admirable facture mélodique et Chris Thomas produit, alors, ça fait encore plus la différence. Le hit du disk ouvre le bal de la B et s’appelle «Constitution». Ils sonnent là-dessus comme les Beatles du White Album. Joey Molland signe cette imparable resucée beatlemaniaque. «Icicles» sonne comme un hit de George Harrison, avec un fabuleux son de guitare océanique. Quel cachet ! On trouve aussi sur Ass deux cuts produits par Todd Rundgren et tirés des sessions de l’album précédent, à commencer par «The Winner», qui se veut plus rocky, avec une belle approche du son carré. Alors là, on peut dire qu’ils savent monter un œuf de pop en neige du Kilimandjaro ! Joey Molland explique que sa chanson concerne John Lennon qui passait à son temps à se plaindre de tout. Et quand on écoute «Blind Owl», on se dit qu’on n’en attendait pas moins de Badfinger. Pete Jambon nous entortille ça au riff de guitare virtuose et on voit ces quatre mecs s’auto-émerveiller par tant de brio. Ils éclatent tellement au grand jour que ce spectacle fait plaisir à voir. L’autre cut produit par Rundgren s’appelle «I Can Love You», un immense balladif à prétention romantico-universaliste. Ils savent s’en donner les moyens, c’est vraiment le moins qu’on puisse en dire. Ils savent mailler les moyeux et mouiller les maillets. Au fond, la présence de Rundgren dans les parages n’étonnera personne quand on sait à quel point il vénère lui aussi les Beatles. Il suffit d’écouter les trois albums de Nazz. Et puis nos vaillants héros tragiques bouclent l’Ass avec un «Timeless» extrêmement joué à la guitare. Joey Molland joue au gras tout au long de ce balladif typiquement britannique, il sort ce bon gras spécifique de la panacée, il fait vraiment le show et son solo compte parmi les merveilles du rock anglais. On le voit revenir par vagues, inlassablement, pareil à l’océan hugolien - Ces enfers et ces paradis de l’immensité éternellement émue.

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    Jolie pochette que celle de ce Badfinger paru en 1974 sur Warner Bros. Eh oui, l’empire Apple s’est écroulé et le vieux label américain, flairant la bonne affaire, les accueille à son bord. Nos héros tragiques ne prennent pas de risques, puisque Chris Thomas veille au grain. «Love Is Easy» sonne comme un hit. On y va les yeux fermés. Ils ramènent tout le bon son dont ils sont capables, d’autant que ça bat bien au devant du mix. Et bien sûr, Joey Molland fait à nouveau des merveilles. En B, on se régalera du r’n’b Mod pop action de «Matted Spam», et plus loin de «Lonely You», une belle pop anglaise soutenue par des harmonies vocales de premier choix et un jeu de guitare bien tempéré. Mais le hit de l’album pourrait bien être «Give It Up», un jaillissement de belle pop immaculée dûment monté en apothéose. Une vraie réussite, tant au plan atmosphérique qu’affectif, parsemée de très beaux éclats de guitare. Nos quatre héros tragiques portent le poids du monde sur leurs épaules et se montrent capables de sacrés coups de Jarnac.

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    Il semble que le soufflé retombe un peu avec Wish You Were Here paru la même année. Deux cuts sauvent l’album, à commencer par l’excellent «Just A Chance», nouveau coup de pop de grande ampleur, cuivré et chanté à pleine voix. On sent la patte des vieux briscards de la pop. Mais on sent aussi chez eux une tendance à s’endormir sur leurs lauriers, car cette pop devient souvent très pépère. «Know One Knows» se laisse consommer tranquillement. On appelle ça de la petite pop sans histoires. Le «Love Time» qui se planque de l’autre côté sonnerait presque comme un hit, car ce balladif se prévaut d’une élégance suprême. On croirait presque entendre «Across The Universe». Mais il faut attendre «Meanwhile Back At The Ranch» pour enfin trouver chaussure à son pied. Voilà encore de la belle pop à la Lennon, on sent frémir le son d’une belle détermination. Ce cut visité par l’esprit du White Album, indéniablement. Avec les Buffalo Killers et Ty Segall, ils sont sans doute les seuls capables de jouer à ce petit jeu-là.

    Joey quitte le groupe en 1974, complètement ruiné. Il perd sa maison à Londres et se retrouve dans un minuscule appart à Golden Green, Lyons avenue. Pete Jambon est mort et Joey se rend à ses funérailles au pays de Galles. Sa famille dit-il était détruite. Ils le croyaient à l’abri du besoin, comme n’importe quelle rock star et ne savaient pas qu’il en bavait et que la dépression due à sa pauvreté allait le pousser à finir pendu comme un paysan ardéchois.

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    Les voilà sur Elektra pour l’album Airwaves qui sort en 1979. Sur la pochette, on ne voit plus que Joey Molland et Tom Evans, les survivants. Tom Evans compose et chante énormément, mais il ne crée pas forcément la sensation. Joey pense que «Love Is Gonna Come At Last» est une great song et avoue que le riff est difficile à jouer. Mais si on veut de la viande, il faut aller la chercher en B, et ce dès «The Winner» et son festin d’harmonies vocales. Ça joue dans les règles de l’art fingerien et ce n’est pas Joey qui se tape la partie de lead, mais Joe Tansin. D’ailleurs Joey dit de Joe qu’il sait vraiment bien jouer. On retrouve Tansin au lead dans «The Dreamer». Joey dit que ça sonne comme une Ringo song, doesn’t it ? Les voix se fondent dans l’excellence des arrangements orchestraux. Quel fieffé mélodiste que ce Tansin. «Come Down Hard» sonne comme un hit d’entrée de jeu. Joe Tansin rôde dans les parages et perpétue bien l’esprit in the nose de Badfinger.

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    Tom Evans est encore vivant quand Badfinger enregistre Say No More en 1981. En bons vétérans de toutes les guerres, lui et Joey Molland s’adonnent aux joies du rock’n’roll dès «I Get You». C’est un très anglais et presque trop parfait. Leur «Come On» sonne comme du boogie rock à dents blanches. Le pire, c’est que cet album tient bien la route, même si Pete Jambon n’est plus là. «Hold On» s’orne d’un fil mélodique à l’or fin et «Because I Love You» renoue avec l’ampleur du souffle pop d’antan. C’est exactement ce qu’on attend de Badfinger : une pop cousue de fil d’or. On s’extasie aussi devant la belle tenue de «Rock’nRoll Contact», même si ça chante au guttural. Les retours au calme y fonctionnent comme des havres de paix et Joey Molland gratifie son cut d’un éblouissant final guitaristique. L’un dans l’autre, c’est un beau brin d’A. Il faut bien comprendre que ces mecs ne font pas n’importe quoi. Le «Passin’ Time» qui ouvre le bal de la B sonne incroyablement juste. C’est encore une pop très entreprenante, avec des parties chant gonflées d’énergie - I couldn’t believe it/ Oh no - Et ça accroche terriblement. Idem pour «Too Hung Up On You», chanté à l’Anglaise, c’est-à-dire à l’inspirette carabinée, dans le pur esprit pop, avec tout le répondant du palpité de glotte. Tout est incroyablement solide et bardé de son. Badfinger fait vraiment partie des élus de Palestine. Ils terminent cet album tonique avec «No More», une pop qui comble bien les vides, qui captive et qui nourrit bien son homme. Belle ambiance progressiste et même assez envoûtante. Joey Molland et le berger calabrais ultra-jouent leur va-tout en permanence.

    La fin du groupe est moins glorieuse. Joey et le berger calabrais attendent une avance promise par le management. Comme l’argent ne vient pas, Joey refuse de commencer à travailler sur le prochain album. Il quitte le studio et annonce qu’il ne reviendra que si le blé est là. Puis il apprend que le berger calabrais et Tony Kaye continuent tous les deux en tant que Badfinger, annonçant à qui veut bien l’entendre que Joey a quitté le groupe. What ? Joey tente de joindre ses amis, mais personne ne prend ses appels. En désespoir de cause, Joey finit par former un autre Badfinger aux États-Unis. On a donc deux Badfinger en circulation qui finissent par enterrer la légende. C’est une fin d’histoire assez pitoyable.

    La nuit où le berger calabrais va se pendre, il appelle Joey pour lui raconter ses déboires financiers. Il avait signé un contrat avec un certain John Cass et comme il n’avait pas honoré ce contrat, Cass lui collait un procès au cul pour plusieurs millions de dollars. Il se savait donc fait comme un rat. Au téléphone, il semblait nous dit Joey très détendu, mais il annonçait tout de même qu’il allait se foutre en l’air. Bien sûr, Joey n’en croyait pas un mot.

    Signé : Cazengler, badfinger dans le cul

    Badfinger. No Dice. Apple Records 1970

    Badfinger. Magic Christian Music. Apple Records 1970

    Badfinger. Straight Up. Apple Records 1971

    Badfinger. Ass. Apple Records 1973

    Badfinger. Badfinger. Warner Bros. Records 1974

    Badfinger. Wish You Were Here. Warner Bros. Records 1974

    Badfinger. Airwaves. Elektra 1979

    Badfinger. Say No More. Radio Records 1981

    Michael A. Cimino. Badfinger And Beyond. CreateSpace Independant Publishing 2011

    Bill Kopp. Maybe Tomorrow. Record Collector #487 - Christmas 2018

     

    La morsure du Cobra

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    Cobra Verbe et son chanteur John Petkovic sont probablement l’un des secrets les mieux gardés d’Amérique. Quand on parle de la scène de Cleveland, on mentionne généralement les Dead Boys et Pere Ubu, mais on oublie hélas Cobra Verde. Ce n’est pas la même époque, bien sûr, mais au niveau prestige, Cobra Verde vaut mille fois les Dead Boys. Six albums sont là pour le prouver. À commencer par l’excellent Viva La Muerte paru en 1994. C’est là que se niche «Montenegro» - Montenegro/ In your mountains of my worthlessness - Fabuleux balladif infectueux, hit en forme de puissant sortilège. Petko mène bien sa barque vers l’autre rive du Styx de l’underground. On trouve plus loin «Debt» qui sonne un peu pareil, avec un bel aperçu sur les abysses - She’s a suicide/ And I’m a cyanide/ Look at us die/ She cries I’m blind - Effarant ! Toutes les puissances des ténèbres se pressent dans le corridor - So in debt/ The days I’ve blown away - John Petkovic est l’un des grands auteurs américains. Même trempe que Mark Lanegan ou Greg Dulli. «Despair» sonne comme une vraie stoogerie clevelandaise. Tout est là, même les clap-hands. Son Awite est stoogy en diable et c’est claqué aux accords de Detroit. Petko jette de l’huile sur le feu, il chante son all the way to the bank à l’arrache impétueuse. Attention aussi au «Was It Good» d’ouverture de bal, car ça joue au funk clevelandais, avec de grosses dynamiques et une basse métallique, invendable mais si présentable. Cet album spectaculairement artistique se termine avec une sacrée doublette : «I Thought You Knew (What Pleasure Was)» et «Cease To Exist». Le premier reste très Velvet d’aspect. Petko vise l’explosion du bouquet final - Don’t make me wait - C’est exemplaire. Il va au bout du wait - I don’t wanna wait in the valley of kings - Puis il taille son Cease dans une matière d’apothéose, c’est très écrit, pulsé à l’ultraïque - I am the richess/ You are the pain/ I’ll never see you ever again - Voilà ce que les historiens appelleront dans 150 ans un classic album.

    C’est dans la presse rock américaine de type Spin que paraissaient les rares articles sur Cobra Verde, des textes plutôt bien foutus qui bien sûr mettaient l’eau à la bouche. Le journaliste qui les suivait en faisait une sorte de légende underground et Viva La Muerte répondit bien aux attentes. Cobra Verde devint comme les Saints l’un des groupes à suivre de près.

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    On retrouve les big atmospherix petkoviens sur Egomania (Love Songs) paru trois ans plus tard. Dès «Everything To You», on retrouve le charme toxique de «Montenegro». Beaucoup d’allure et gros impact - What else could I do but leave everything to you ? - Il lui laisse tout. Pekto a cette générosité, celle du big atmospherix, du larger than life, c’est tellement bardé de son, my son, il va même jusqu’à exploser les annales de sa rafale. S’ensuit un «A Story I Can Sell» battu à la vie à la mort et tout aussi dévastateur - I lost my pride/ I lost myself - On note l’indéniable power du Cobra Sound. Il s’adresse à des chicks from Babylon. Il chante tous ses cuts à la pire intensité de l’incandescence. Avec «Leather», Petko s’énerve - Born in different dreams/ Every stranger is an enemy - Il taille son rock dans la falaise, porté par un gros drive de basse - Same bed/ Different dreams - Ce mec est atrocement doué. Tiens, encore deux passages obligés : «Blood On The Moon» et «For My Woman». Avec Blood, il tape dans le heavy balladif captivant, atmospherix en diable, sacrément bien senti, bien foutu, bien ficelé, bien gaulé, tout tient par la présence de cette voix ultraïque. Même chose avec Woman, Petko fait son cro-magnon - I need to be your man - Quelle clameur ! - Yeah I’m gonna understand - Solide, punkoïde as the fuck of hell, solo de rêve, rond et flashy - You know I love you woman/ More than the world - C’est la réponse du Cobra au défi du love affair de deep end.

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    Backseat, champagne et poules pour la pochette du Nightlife paru en 1999. Une fois de plus, on se retrouve avec un très gros album dans les pattes. On le sent dès cette puissante démiurgerie clevelandaise qu’est «One Step Away From Myself». Ils nous bardent ça de son, nous cisaillent tout au riffing et il faut voir comme ça descend sur le manche de basse. En gros, ça dégueule de son. Il semble que Cobra Verde crée la sensation sans même le vouloir. Ils sortent un «Conflict» travaillé au corps défendant, bâti par des charpentiers de marine. Et puis soudain, on tombe sur le furieux et glorieux «Crashing In A Plane» - Baby I’m a detour - Petko ressort son meilleur guttural montenegrain - Baby I’m the dustbin - Il envoie ça à l’outrance princière, avec toute la bravado dont il est capable et le sax s’en vient rallumer les brasiers du Shotgun de Junior Walker. Véritable coup de génie que ce «Don’t Let Me Love You», véritable hit d’insistance parabolique - My baby’s desperation/ Is driving me insane - Il faut le voir touiller sa fournaise, c’est absolument faramineux de menace sous-jacente, effarant d’inventivité du glauque. Il n’en finit plus d’allumer les plus bas instincts du rock, il chante à la voix d’orfraie, porté par un sax de free en perdition mentale. Il reste encore une énormité sur cet album : «Don’t Burden Me With Dreams» qui sonne comme une délivrance catatonique, Petko charge en tête du Cobra, il chante à la vie à la mort avec toutes les foisons du monde. Il tape aussi «Casino» aux gros climats d’extrême violence, il s’en va laper du sang dans le creux des mains. Bel exploit aussi que cet «Heaven In The Gutter» tapé à la basse métallique. Ces mecs n’offrent que des solutions extravagantes, il faut le savoir. Joli coup aussi que ce «Back To Venus», ça joue au heavy groove de guitar slinger. Encore un cut que les Stones auraient sans doute rêvé de jouer.

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    Après cette fantastique triplette, trois membres originaux disparaissent : Don Depew, Dave Swanson et Goug Gillard. Frank Vazzano (guitar), Mark Klein (drums) et Ed Sotelo (bass) les remplacent pour enregistrer cet album effarant qu’est Easy Listening. Trop de son, sans doute. Trop écrit. Trop chanté. Comme le furent les grands albums des Pixies et des Saints. Un cut comme «Whores» frappe par la violence du volontariat. Petko explose la comète - I don’t care cause I got away - Ça explose des deux côtés, par le chant et par le son. Même chose pour «Terrosist» amené aux riffs de non-retour, Petko chante à la glotte en fer, c’est sa force. Back to the big atmospherix avec «The Speed Of Dreams». On a l’impression de voir cette merveille s’écrouler dans la mer comme une falaise de marbre. Ça tombe dans la bascule de l’énormité rien qu’au son du chant - I can’t remember how it is/ You disappeared - Avec «Riot Industry», il fait du rentre-dedans clevelandais. Ça se situe vraiment un cran au dessus du reste. Petko fait régner la terreur de son génie sur le rock américain. Il emmène très vite «Til Sunrise» dans l’enfer clevelandais et jette des lyrics de «Hosanna To Your Pretty Face» au ciel. On trouve un peu de Bowie en Petko, justement dans cette façon de jeter au ciel. Même genre de puissance. Cobra Verde est une vraie usine à tubes. Ils jouent «My Name Is Nobody» au surjeu et traînent leur «Mortified Frankenstein» dans un anglicisme à la Led Zep. Fantastique energy of surgery, fantastique shake up de yeah yeah yeah. Avec «Throw It Away», Petko retrouve son titre de champion du monde du Big Atmospherix - Raise a glass to the dead and gone - Et back to the big Cobra Sound avec «Here Comes Nothing», bardé de relents de Montenegro et forcément ça vire à l’énormité, wow, cette façon qu’il a de swinger et de crawler sous le boisseau du Cleveland Sound of steel, il embarque tout au chant comme dans «Debt».

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    Nouveau point commun entre Petko et Bowie : l’album de reprises réussi. Oui, car Copycat Killers est aussi brillant, aussi viscéralement bon que Pinups. Petko tape un peu dans les silver sixties, comme Bowie, avec l’«I Want You» des Troggs, qu’il transfigure au stomp de Cleveland, c’est l’une des plus belles versions jamais enregistrées, alone on my own. Quel fantastique écraseur de mégots que ce Petko, il fait son Reg du midwest, c’est punk jusqu’à l’os et il faut voir le départ en solo clevelandais, la torchère devient folle et éclaire la nuit comme un phare breton. Son prophétique, apocalypse démesurée, le solo place le Cobra au panthéon des crève-cœurs. Ils tapent aussi dans le «Play With Fire» des Stones. On s’étonnera toujours de la fascination des Américains pour la Stonesy de série B. Jolie reprise du «Yesterday’s Numbers» des Groovies. Petko veille à chanter à la Roy Loney. Eh oui. Ça donne une petite merveille d’absolutisme absolu. On les voit aussi taper dans un cut de New Order qui s’appelle «Temptation», qu’ils transforment en bête de somme. Petko tord le bras à la new wave pour lui faire pleurer des larmes de sang. Même traitement infligé à Donna Summer et à son hit diskö «I Feel Love». Petko et ses amis transforment ça en shoot de furie clevelandaise. Ah il faut voir le travail ! Quelle admirable incursion dans la pétaudière du dance-floor ! Autre coup de Jarnac : le fameux «Urban Guelilla» d’Hawkwind, ce hit qui rendit Lemmy tellement furieux car il fut censuré sur la BBC. Le Cobra nous claque ça à la volée, ils redonnent vie au vieux coucou d’Hawk, ils le gavent de toute la niaque du monde et développent une puissance de marteau-pilon. C’est embouti à la vapeur. Ils vont loin, bien au-delà du Cap de Bonne Expectation. Encore un hommage de taille avec the «Dice Man», hommage au géant de ‘Chester, Mark E. Smith, via le Diddley Beat, push push, les Clevelandais retroussent les manches, ce n’est pas si simple, et puis voilà le clin d’œil à Mott avec «Rock And Roll Queen», ils sautent au paf, avec de quoi ridiculiser cette vieille moute de Mott. On le sait, Cleveland est une ville infiniment rock. Comme à Detroit, le son, rien que le son. Belle cerise sur le gâteau : un «Teenage Kicks» amené à la baravado, c’est tout de suite over the rainbow, Petko le chante à l’urgence de la démence, c’est déjà un hit monstrueusement beau, alors tu imagines ça dans les pattes de ces mecs-là ! Ils ramènent les clap-hands, ils jouent comme d’habitude à la vie à la mort, c’est d’une profonde véracité fanatique. On sort de là à quatre pattes.

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    Paru en 2008, Haven’t Slept All Year est encore un album à tomber par terre. L’urgence du beat qu’on trouve dans «World Can’t Have Her» est sans équivalent. On voit ce diable de Petko entrer dans la danse et ça cisaille dans les parages. C’est bien lui, le beat clevelandais, assez ultime, ultra-chargé, d’une terrifiante puissance, c’est même battu au stomp des forges avec des breaks exacerbés et ce diable de Petko hurle dans la fournaise alors que coule l’acier liquide des riffs à la Zep. S’ensuit un «Wildweed» embarqué au meilleur rock de bonne constance. Allez-y les gars, c’est gagné d’avance. Pour ceux qui auraient raté un épisode, les Cobra Verde sont l’un des fleurons du rock américain. Ils font tout beaucoup mieux que les grands groupes, avec une énergie convaincante. C’est ultra-électrique, joué à fond de train, avec un roaring Petko au sommet de son art - I won’t let you go now - Un vrai modèle d’exemplarité concurrentielle. Petko renoue avec la magie des grands balladifs dès «Home In The Highrise». Véritable consécration eucharistique, c’est même un éclair dans le ciel de la pop, une Beautiful Song maximaliste, une merveille assez rare. Petko sait éveiller l’instinct d’un album à des fins mélodiques, cousues de fil blanc, certes, mais quel souffle ! On pourrait dire la même chose du «Haunted Hyena» qui referme la marche, d’autant qu’un killer solo flash lui en transperce le cœur. Ces mecs grouillent de coups de génie comme d’autres grouillent de puces. On trouve aussi un bel exercice de style intitulé «Wasted Again», tapé au groove de jump, assez risqué et pire encore : inutile. Même si les trompettes de Miles viennent saluer la confrérie. Autre cut intriguant : «Something About The Bedroom». Il s’agit là d’une puissante pop sous le boisseau, ou si tu préfères, un puissant boisseau sous la pop. Oui, le Cobra peut aussi sonner pop, presque anglais, même s’ils frappent la pop derrière les oreilles de la pop, et elle n’est pas contente. Elle devra s’arranger avec le batteur. Figure-toi qu’ils se montrent aussi capables d’Americana de haut vol avec «Free Ride» - Bye bye West coast - Quelle équipe ! Et quel album !

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    L’ère post-Cobra Verde porte le doux nom de Sweet Apple. Petko s’y acoquine avec J Mascis. Les journalistes appellent ça une rencontre au sommet. Leur premier album, Love & Desperation, paraît en 2009. La pochette est un délicieux pastiche de celle du quatrième album de Roxy Music, Country Life : deux belles poules s’y pavanent en petite tenue. Comme le Roxy, on ne l’achète que pour la pochette. Mais on est bien récompensé, car voilà le vieux stomp d’«Hold Me I’m Dying». Petko adore les grandes mesures. Encore de la viande en B, avec «Blindfold». Petko joue la carte du plomb, c’est-à-dire celle du heavy doom suspensif, hanté par les envolées cosmiques du vieux J, la sorcière du Massachusetts. «Somebody’s Else Problem» sonne comme un hit et J y fait carrément des chœurs de Dolls. On assiste là à une véritable débauche cobra-verdesque, une pavane de carrure extravagante. Tiens, tu as encore du heavy rock de Cobra avec «Crawling Over Bodies». Petko le coco revient à l’attaque avec des effets dévastateurs. Ce cut semble sortir tout droit de l’un des grands albums de Cobra Verde. Et ça continue avec «Never Came», fantastique et sur-puissant. Ah ces mecs-là savent ficeler un cut de rock ! C’est le filon du Cleveland rock, les mêmes racines que celles de Rocket From The Tombs. Ils bouclent ce disque ahurissant avec «Goodnight», solide et bien élancé. Avec un J en contrefort, ça donne de la power-pop moderne et riante.

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    Cinq ans plus tard paraît The Golden Age Of Glitter. On y trouve des invités de marque : Mark Lanegan et Robert Pollard, la fine fleur de l’underground américain. Avec Petko, on entre au royaume de la power-pop par la grande porte, et ce dès «Wish You Could Stay (A Little Longer)». Derrière, J ne chôme pas. Avec des mecs comme J et Petko, on a toujours l’impression de passer aux choses sérieuses. J bat le beurre sur «Reunion» et nos amis flirtent avec le Cheap Trick sound. «Boys In Her Fanclub» sonne comme l’absolu d’Absalon. Laissez tomber Paul Collins et écoutez ça, car on parle ici de haute voltige, d’une power-pop explosive et fraîche comme l’eau d’un torrent d’Écosse. Petko renoue avec son cher stomp de glam dans «Another Dent Skyline». Tous les vieux fans de Cobra Verde sont ravis de retrouver Petko le coco. Et en B ça dégénère avec «I Surrender». Ça s’envole littéralement. Quelle tenue et quelle ampleur ! Il faut voir avec quelle classe Petko manage ses syllabes dans le feu de l’action. J repasse à la guitare pour «Troubled Sleep» et il ramène sa violence proverbiale. En Amérique, il doit bien être le seul à savoir jouer comme ça, sans vergogne, avec un son épais, saturé, infesté de départs de solos apocalyptiques. Il rivalise de démesure avec Bob Mould. Lanegan vient chanter «You Made A Fool Out Of Me», un vieux heavy blues de circonstance. Et ils terminent cet album exceptionnel avec un nouvel hymne planétaire, «Under The Liquor Sing». Ils se situent immédiatement à la croisée des Raspberries et de Brian Wilson. Petko n’en finit plus d’exploser la coque de la power-pop pour en faire jaillir le lait jusqu’au ciel. C’est un homme libre qui chante à l’envie pure. Il réinvente le paradis et la clameur des anges.

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    Troisième set de Sweet Apple avec Sing The Night In Sorrow. La pochette montre le très gros plan d’une bouche nubile qui fume sa clope, sans doute en écho au délicieux Green Mind de Dinosaur. J Mascis joue essentiellement de la batterie sur l’album et laisse Tim Parmin s’exprimer sur «World I’m Gonna Leave You». John Petkovic cultive toujours ses idées suicidaires et ne souhaite qu’une chose : quitter ce monde cruel. On tombe très vite sur un hit avec «You Don’t Belong To Me». Quelle fantastique élévation power-poppy ! C’est la force du grand Petko que de savoir donner le l’élan. J Mascis revient à sa chère lead guitar sur «She Wants To Run». Voilà encore un hit inter-galactique, chanté à la puissance Byrdsy, mais en power mode heavy. En vérité, on pense plus au Teenage Fanclub, car cette pop roule joliment ses muscles sous la peau. Et J l’honore d’un solo exemplaire. En B, il reste en lead pour l’effarant «Candles In The Sun». On a là une sorte de heavy blues à la Screaming Trees. Admirable, beau et wild. J rôde dans le fond du cut comme un aigle en maraude, il joue loin là-bas dans l’écho du canyon, il plane sur le rock comme l’Empereur sur le pays des aigles, c’est-à-dire l’Albanie. Le tour de force se poursuit avec «Thank You». C’est littéralement bardé du meilleur son d’Amérique, voilà de l’heureuse pop de heavy rock et Pekto la mène au combat, il chante à l’énergie pure, avec toute la grâce et toute la bravado du pur rock’n’roll animal clevelandais. C’est bourré à craquer de stomp et J graisse sa disto à outrance. C’est le genre d’album qui marque la mémoire au fer rouge.

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    Quant à l’ère pré-Cobra Verde, elle porte le non moins doux nom de Death Of Samantha. Doug Gillard fait partie de cette aventure qui démarre en 1985 avec Strungout On Jargon. Sans doute leur meilleur album, mais à l’époque, on ne le sait pas. Cet album fourmille de hits, à commencer par le «Coca Cola & Liquorice» d’ouverture de bal. Petko chante ça comme un Beefheart de Cleveland, à l’incantatoire, avec un aplomb qui en dit long sur ses intentions. Quelle fabuleuse lutte intestine ! Quel brouet déterminant ! C’est joué au bactériel agressif, à la hargne du Midwest, celle des gens qui liquorisent en lice et qui poussent si loin le bouchon qu’on ne le voit même plus. Avec sa merveilleuse aisance ambulatoire, «Simple As That» renvoie directement au Velvet, car ils jouent ça la dépouille de Lou Reed. Petko scie plus d’un tronc et descend les vallées de son immense Jargon. Ça se corse encore en B avec «Grapeland (I’m Getting Sick)», violemment gratté à l’énergie du MC5. Petko et ses amis renouent avec l’énergie du Grande Ballroom, ils sortent la meilleure des attaques, ils vont vite et bien et Doug Gillard part en virée psyché en pleine cavalcade, alors forcément, ça sidère. Dans «Sexual Dreaming» Petko déclare : «I got to stop/ Sexual Dreaming». Le grand Doug Gillard nous infecte ça à coups de virées intestines. Petko étale ses whaooouh à la surface du groove, un peu dans le style de ce que fait John Lennon dans «Cold Turkey». Ils bouclent cet album captivant avec «Couldn’t Forget ‘Bout That (One Item)», un very big atmospherix. Dans ses moments de rage, Petko sonne comme Jim Morrison, il s’envole dans le taffetas des riffs du bout de la nuit. On a là un thème mélodique imparable doublé d’une atmosphère grandiose qui rappelle Adorable, ne serait-ce que par le côté brillant du dépôt de voix sur l’aile du désir. Là où Petko fait la différence, c’est quand il emmène sa chanson loin dans la démesure. Il la ravive et l’anime indéfiniment, And I got up to there.

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    Paraît l’année suivante un sacré beau brin de mini-album, Laughing In The Face Of A Dead Man. Pourquoi ce groupe n’a pas explosé comme un pétard dans la bouche d’un crapaud, on ne le saura jamais. On a là un rock extrêmement agité, bardé de son, avec de jolis échos de stonesy, joué au panache clevelandais, très désordonné, littéralement emmené à la force du poignet : bref, tout ce qu’on peut aimer dans le rock. Dans «Blood & Shaving Cream», on a tout le dépenaillé de braguette ouverte qu’on peut espérer. On retrouve en B l’énorme présence vocale de Petko dès «The Set Up (Of Madame Sosostris)». Ces mecs n’en finissent plus d’éclairer l’underground. Ils ont du répondant à revendre. Même chose avec «Yellow Fever», Petko n’en finit plus de ramener sa petite niaque clevelandaise - I’m so/ Sick sick sick.

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    Ils reviennent avec un nom d’album à coucher dehors : Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Ça saute à la gueule dès «Harlequin Tragedy». Petko en impose dès le git go. Il ramène sa fraise épique et bien enlevée et sort du cut vainqueur, avec un éblouissant final d’exaction mercuriale. Imbattable. Avec «Good Friday», ils sonnent presque comme les Damned - C’mon round ! - L’autre énormité de cet album se niche au bout de la B : «Blood Creek» : en voilà encore un chargé de son comme une mule, dira le voisin à sa fenêtre - We are/ Going to/ Blood Creek/ baby ! - C’est du rock décidé et sans compromission, une belle viande lardée d’intrusions, les deux guitares surjouent à la mortadelle du cheval blanc d’Henri IV, pas de tergiverse sur le Pont des Arts, ça swingue et ça avance. Petko chauffe son rock avec toute l’énergie clevelandaise - Blood Creek/ Put your hands/ Into the wa/ Ter ! - Dire que tout est bon sur cet album serait un euphémisme. On ne se lasse pas de la présence d’un tel son ni du panache d’un tel Petko. «Lucky Day (Lost My Pride)» sonne si américain. C’est extrêmement travaillé au corps. Avec «Monkey Face», ils trempent dans le Detroit Sound malevolent - You’re so evil - Comme Jagger qui ne supportait pas the man on the radio, Pekto ne supporte pas qu’on vienne lui raconter n’importe quoi on the TV et justement, il part en sucette jaggerienne d’I’m a monkey, et on assiste médusé à une fabuleuse sortie de route - Evil monkey/ Monkey evil ! - Et ça repart de plus belle en B avec «Savior City». Qui aurait pu se douter que l’album était aussi bon ? Petko pose encore une fois sa voix sur un admirable slab de rock, il cale bien son wording sur le beat d’acier bleu du midwest - No one seems to really care/ Baby/ What you’re talking about - Et ça continue avec «Start Through It Now» - We’re gonna have some fun tonite - Il faut dire que Doug Gillard joue comme un dieu. Il reste en effervescence permanente.

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    Pour leur ultime album, Petko et ses amis vont s’amuser à sonner comme les Dolls. Come All Ye Faithless va tout seul sur l’île déserte. En effet, trois cuts sonnent too much too soon, à commencer par «Geisha Girl» - Geisha Girl get in my Chevrolet/ We’ll make love the American way - Spectaculaire beau et sexy, comme les hits des Dolls. Tout y est, l’énergie du déroulé, les coups de cuivres et le bouquet final digne de Johansen. Même chose avec «Looking For A Face», fantastique déballage de rock samanthy - And we both know/ We’re looking for a face - Ce n’est pas le Looking for a kiss des Dolls, mais tout juste, car flamboyant et comme emporté. Ils remettent ça en B avec un «Machine Language» magnifiquement riffé. Doug et Petko se livrent à une sorte de carnage guitaristique de la pire espèce et on a toujours ce chant héroïque monté au dessus de la mêlée. Petko repart ensuite dans l’un de ces immenses balladifs crépusculaires dont il a le secret, «Oh Laughter». Ça s’étend à l’infini. Il est d’ailleurs l’un des grands specialistes de ce genre d’évasion. Avec «New Soldier/New Sailor», il raconte une nouvelle histoire d’amour, mais il ne traite jamais ça deux fois de la même façon, il trouve chaque fois un nouvel angle - You know and I say/ That we’re both big nothings - Et voilà qu’avec «Come To Me», il sonne exactement comme le Jim Morrison de «When The Music’s Over». Il chante à la supplique de la vint-cinquième heure. Ce mec reste tendu de bout en bout. Quel chantre de la désespérance relationnelle ! Il clame tout à la clameur de la chandeleur.

    Signé : Cazengler, cobra cassé

    Cobra Verde. Viva La Muerte. Scat Records 1994

    Cobra Verde. Egomania (Love Songs). Scat Records 1997

    Cobra Verde. Nightlife. Motel Records 1999

    Cobra Verde. Easy Listening. Muscle Tone Records 2003

    Cobra Verde. Copycat Killers. Scat Records 2005

    Cobra Verde. Haven’t Slept All Year. Scat Records 2008

    Sweet Apple. Love & Desperation. Tee Pee Records 2009

    Sweet Apple. The Golden Age Of Glitter. Tee Pee Records 2014

    Sweet Apple. Sing The Night In Sorrow. Tee Pee Records 2017

    Death Of Samantha. Strungout On Jargon. Homestead Records 1985

    Death Of Samantha. Laughing In The Face Of A Dead Man. Homestead Records 1986

    Death Of Samantha. Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Homestead Records 1988

    Death Of Samantha. Come All Ye Faithless. Homestead Records 1989

     

    Laughter ne rigole plus

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    Perdu dans l’océan des groupes garagindés américains, il y avait ce groupe au nom rêveur, Love As Laughter. Remember ? Spin qui fut dans les années 90 le canard référentiel en la matière disait le plus grand bien de ce groupe et donc on suivait les recommandations de Spin.

    Love As Laughter se distinguait des autres groupes garagindés par un côté expérimentateur qui n’était pas sans rappeler l’early Sonic Youth. Bon, ça pouvait engendrer quelques malentendus, mais au fond, ce n’était pas si grave. Comme beaucoup d’autres pêcheurs, Sam Jayne et ses amis cherchaient le chemin de la rédemption. Il se peut d’ailleurs que Sam Jayne l’ait trouvé, car en cassant sa pipe en bois, il est monté tout droit au paradis.

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    Il ne nous reste pas que nos yeux pour pleureur. Sam Jayne laisse aussi cinq albums extrêmement intéressants qui au temps de leur parution furent toujours salués dans une certaine presse. Avec son air de ne vouloir toucher à rien et sa chemise à carreaux, Sam Jayne était capable de coups de génie. On en trouvait deux sur ce premier album si difficile à trouver à l’époque, The Greks Bring Gifts. À commencer par l’incroyable «Singing Sores Make Perfect Swords», cette heavy oh so heavy Beautiful Song tartinée au riff de plomb, cette rengaine d’une beauté béatifiante plongée dans le meilleur vinaigre d’Amérique, ces mecs développaient un climax mélodique digne des grandes heures du Duc de Mercury Rev. C’est un Sores qu’il faut saluer. L’autre merveille de cet album s’appelle «Half Assed». Sam Jayne chante à l’anglaise, maybe I’m half to be, mais il le fait de manière seigneuriale, comme s’il avait grandi en Franche-Comté en 1210. Et voilà qu’il part à dada avec «Eeyore Crush It». En sortant son dada flush, il frise l’excellence inversée, il va loin dans le cat cat cat, il a du dada plein la disette, c’est fabuleux de non-sens. Du coup, il devient éminemment sympathique. Et ce n’est pas fini, il dispose de ressources insoupçonnables, comme le montre encore «If I Ever Need Someone Like You». Il va là où le vent le porte. Il nous fait le coup du balladif d’arpèges magiques, tu veux du by one ? Il est là. Sers-toi. Les LAL, comme les appellent les journalistes, cultivent aussi la démesure, comme le montre l’«It’s Only Lena» d’ouverture de bal. C’est sur-saturé de son et Sam Jayne chante en plein cœur de tout ce bordel. Par contre, ils ont pas mal de cuts invertébrés qui n’avaient aucune chance d’atteindre le rivage. Le rock indé introverti était insupportable. Les marchands classaient Love As Laughter dans le bac du garagindé, alors qu’ils n’avaient rien à voir avec ça. Ils s’apparentaient plus à une sorte de mouvance dada paumée, enfin disons qu’ils affichaient clairement leur mépris des conventions. Comment pouvait-on écouter des trucs comme «Uninvited Trumpets» ou «Next Time You Fall Apart» à l’époque ? Ces cuts invertébrés n’avaient aucune chance. Mais on s’extasiait encore de «High Noon». Sam Jayne devenait une sorte de fabuleux essayiste, il testait des idées de son à mains nues avec de l’harmo et du gratté d’acou, alors on lui accordait du temps.

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    Deux ans plus tard, les LAL réapparaissaient avec #1 USA, un album dramatiquement privé d’information. Le packaging du CD est réduit à sa plus simple expression. Merci K. Ça veut dire en clair : débrouille-toi avec les chansons. Il faut attendre «Fever» pour retrouver la heavy disto de Sores. Et en plus Sam Jayne chante ça à la dégueulante maximaliste. Il est capable d’excès terribles, il faut entendre ses hoquets de dégueulade et cette guitare qui s’étrangle dans le prurit. Sur cet album, il rend deux hommages superbes : le premier aux Stones avec «Pudget Sound Station», un rumble de Stonesy drivé d’une main de fer, le deuxième au Velvet avec «I Am A Bee», gratté au no way out, et là il explose littéralement le fantôme du Velvet, il drive ça de main de maître. Il fait aussi un heartbreaking Blues avec «Slow Blues Fever». Sam Jayne sait allumer la gueule d’un heavy blues, pas de problème. Il propose aussi un «California Dreaming» ravagé par les vinaigres. C’est violent et sans espoir. Ces mecs jouent dans une sorte de dimension supérieure. Le «Old Gold» d’ouverture de bal est assez révélateur. Ils drivent ça comme on drivait les choses à l’époque, au riffing féroce. D’ailleurs, ils grattent pas mal de cuts sans peur et sans reproche. Ils étaient les chevaliers Bayard des années 90.

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    Ils débarquent sur Sub Pop en 1999 pour Destination 2000. C’est leur album le plus connu et sans doute celui qui s’est le mieux vendu. Dès le «Stay Out Of Jail», on sent les chevaux vapeur, comme dirait Lavoisier. Mais il faut attendre «On The Run» pour retrouver l’ampleur compositale de Sam Jayne. Il nous sort là les power-chords de la romantica et retrouve sa couronne de roi des Beautiful Songs. Puis il passe à son autre marotte, qui est celle des énormités, avec le morceau titre, joué à la ferveur du chaos, un cut bardé de tout le barda du régiment, il gave ses cuts de son et développe des puissances incontrôlables, et boom, voilà que ça explose dans un final dément avec du piano et des cascades du Niagara dans les sous-couches. C’est stupéfiant ! Sam et son gang repartent à l’assaut du ciel avec «Stakes Avenue», ils deviennent passionnants, ils créent leur monde à coups de douches froides et montrent d’excellentes dispositions au power. En prime, Sam Jayne screame son ass out. Nouveau shoot de Stonesy avec «Statuette». Ils ont du répondant à revendre et ils savent lester un cut de plomb. Quel power ! Nouveau prodige avec «Freedom Cop». Sam Jayne arrose son délire de délire, il n’en finit de montrer des dispositions à tout, il fait même du distodada. Quelle singulière aventure que cet album ! Voilà un nouvel épisode avec «Demon Contacts», un mélopif de type Sister Morphine. C’est exactement la même ambiance - Are you sick of fucking your life - Même délire que When are you coming round, Sam the charm jette tout son pathos dans la balance et pour ça, cet enfoiré a la main lourde. Quel stupéfiant power de la mainmise ! Il explose tout. Les tenants fondent dans la graisse des aboutissants. Merci de ne pas prendre Sam Jayne pour un branleur. Il termine son album avec le big surge de «Body Double», au no way out. C’est le côté Sam de Sam, il peut lui exploser la gueule si l’envie lui en prend. En attendant, c’est bardé de gaga à gogo. Il faut aussi le voir amener son «Margaritas» au run down de mec qui va tomber à la renverse. Belle potée aux choux. Ça sonnerait presque comme un hit tellement c’est parfait.

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    On reste dans les gros disks énergétiques de Sub Pop avec Sea To Shining Sea paru en 2001. On y va de bon cœur car comme Nash Kato dans Urge Overkill ou encore Greg Dulli dans Afghan Whigs, ce mec Jayne a un truc. Son «Coast To Coast» d’ouverture de bal est dévastateur. On comprend qu’ils aient pu se bâtir une grosse réputation. En plus, ça sent bon les drogues. Sam Jayne chante son «Temptation Island» à la petite précipitation. Il cherche le train wreck et chante comme une folle échappée de l’asile. Il entre dans le territoire des énormités avec «Sam Jayne = Dead», un cut terriblement précurseur. Il sonne exactement comme Neil Young dans le Gold Rush - Shoot me in the hand man - Il demande à l’autre de lui faire un shoot dans la pogne alors bienvenue dans le délire de LAL, dans ce fabuleux shake de druggy motion. Monstrueuse dérive ! Il revient à l’experiment avec «Put It Together» et 8 minutes de blast all over, il colle tous les morceaux au plafond d’un rock acrobatique. C’est le rock de Jayne, Sam, mais en même temps il faut suivre. Et puis avec «Miss Direction», il bascule dans le Dylanex. Il est le boss du disk. Et voilà revenu le temps des cerises avec «Druggachusetts». Wow, ça sent bon la titube. Il mise sur sa connaissance des gouffres et ça passe par des excès, il sature ça de solos clairs et nous entraîne dans sa misère psychologique. C’est explosif et beau à la fois, mais d’une beauté plombée comme peut l’être celle de Syd Barrett. Il fait une fois de plus exploser son cut en lui enfonçant un pétard dans le cul. Et ça continue avec «French Heroin», explosif d’entrée de jeu, allumé aux accords de white heat, incroyable renversement des réacteurs abdominaux, le cut explose dans l’œuf du serpent, c’est violent, vraiment digne du Velvet. Sam Jayne a du génie, qu’on se le dise. Il faut le voir allumer sans fin son «French Heroin», il vise la fin des limites qu’on appelle aussi l’infinitude et chante à la clameur fatale de la vingt-cinquième heure. Ses morceaux longs ne tiennent que par l’intensité de la fournaise, comme ceux de Lou Reed au temps du Velvet. Il faut le voir se jeter dans le combat. Beautiful loser.

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    Le dernier album de LAL date de 2005 et s’appelle Laughter’s Fifth. On y dénombre pas moins de trois coups de génie, pas mal pour un groupe underground, non ? Avec «Every Midnight Song», il repasse un contrat avec la heavyness. Son truc à trac, c’est le big atmospherix. Alors voilà une belle tempête de sonic trash demented. Sam Jayne redevient le temps d’un cut le prince des ténèbres et du débordement. Il se montre encore extrêmement passionnant avec «I’m A Ghost». Il a des idées de son et entre vite dans le vif du sujet. Il drive son power surge dans une madness de ponts audacieux comme pas deux et ça explose de bonheur, aw comme ce mec est doué. Il joue sur les alternances avec du fruit dans le son. Avec «Pulsar Radio», ils se prennent pour les Spacemen 3, puisque c’est amené à l’orgue des drogues. L’ambiance évoque une fois encore le Velvet, Sam Jayne hurle dans le chaos spongieux et là tu vois défiler toute l’histoire du rock, mêlée à son désespoir et à ses tempêtes. Sam Jayne bat bien des records de puissance. Il peut aussi faire son Neil Young comme le montre «An Amber» et tremper son biscuit dans le Crazy Horse, comme le montre «Survivors», mais quand il le faut, il sait ramener des paquets de mer. Il ramène même du Tonnerre de Brest dans «Fool Worship Fool Worship». il claque sa pop-rock sur une guitare rouillée et cultive l’effervescence.

    Signé : Cazengler, torve as laughter

    Sam Jayne. Disparu le 15 décembre 2020

    Love As Laughter. The Greks Bring Gifts. K 1996

    Love As Laughter. #1 USA. K 1998

    Love As Laughter. Destination 2000. Sub Pop 1999

    Love As Laughter. Sea To Shining Sea. Sub Pop 2001

    Love As Laughter. Laughter’s Fifth. Sub Pop 2005

     

    *

    Les temps ne sont pas roses pour les groupes. Une année épineuse pour tout le monde. Les avoir privés de concerts c'est comme leur avoir ôté leur raison d'être. En attendant la reprise chacun s'est organisé selon ses moyens. Certains ont sorti un disque, d'autres se sont rabattus sur les radios, on a tourné des clips, on a jammé entre copains, on a joué live devant un public absent calfeutré chez lui derrière l'écran de son ordinateur... bien sûr il y a eu des concerts sauvages de-ci de-là, mais il vaut mieux ne pas ébruiter... Big Brother is hearing you.

    Rita Rose est un groupe de reprises, AC / DC, Stones, Pixies, Steppenwolf, des gens que l'on imagine jeter leur dévolu plus facilement sur Guns N' Roses que Les Roses Blanches de Berthe Sylva. A défaut de scènes se sont réunis exactly au DGD Music Studio, et là l'idée leur est venue qu'au lieu de transplanter les boutures déjà existantes ils pourraient créer comme dans le roman d'Alexandre Dumas leur propre tulipe noire. N'ont pas l'âme commerciale, ils ne vendent rien et on ne les achète pas, donc ils l'ont laissé en accès libre et chacun peut la cueillir à sa guise.

    TOMORROW MAYBE

    RITA ROSE

    ( Clip / YT )

    Chant : Dénis / Guitare : Eric Coudrais / Guitare : Manu Doucy / Basse : Jean-Claude Aubry / Batterie : Michel Dutot.

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    Quand on a lu dans le paragraphe précédent leur goût pour les reprises hot, l'on est sûr qu'ils vont extirper triomphalement de leur hotte une espèce de hot-rod brûlant dégoulinant de bruit et de fureur, pas du tout, z'ont opté pour la douceur et la nostalgie, une ballade électrique, qui vous emmène doucement en balade, vous prend par la main et vous entraîne sur un sentier tapissé de pétales de roses. Malheureux vous marchez les yeux fermés sur la sente des vipères. Ce Dénis, quel enchanteur, une voix qui coule comme de l'eau pure. N'y buvez pas elle est empoisonnée. Ensorcelante, cascade comme du kaolin sur le verre de vos artères, vous mène par le bout des oreilles, vous emplit le cœur de mélancolie, vous phagocyte la mémoire de souvenirs beaux comme hier, les guitares glissent et la batterie vous attire plus qu'elle ne vous pousse, demain le monde sera plus beau et la nuit s'évapore et l'aube se lève, Rita vous passe exactement le film que vous vous tournez dans votre tête, méfiez-vous des magiciens, ils pétrissent à votre guise la gangue de vos émotions, vous emportent sur les tapis volants des rêves vertigineux d'innocence, et vous suivez la route que l'on vous trace, plus vous avancez plus vous retournez vers le néant du passé et vous vous croyez en partance pour un futur radieux, mais c'est la fin, un susurrement de langue d'aspic et le doute s'installe en vous pour toujours. Seriez-vous cette abeille enivrée dans le calice refermée d'une rose carnivore. Peut-être.

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    Maintenant que vous avez rouvert les yeux, vous vous apercevez qu'ils sont plus cruels que vous ne l'imaginiez, le clip est empli d'images muettes et remuantes des concerts d'avant...

    Damie Chad.

     

    LEE O' NELL BLUES GANG

     

    Bien avant le temps de la prohibition les vieux bluesmen ne voyageaient pas de ville en ville les mains dans les poches, bien sûr se dépatouillaient pour porter leur guitare, mais la plupart n'oubliaient jamais de se munir de leur assurance tous risques, rien de mieux qu'un calibre en état de marche pour faire son chemin dans la vie. Les temps étaient durs, il était nécessaire de savoir se défendre contre les aigrefins de toutes espèces avec des arguments convaincants. L'association des mots blues et gang s'avère historialement correcte, reste encore à savoir qui se cache derrière cette redoutable association.

    Sont français. Cette précision ne relève d'aucun chauvinisme, simplement le fait que l'on peut être amené à les rencontrer au hasard de nos pérégrinations. Respirons, ne sont que deux. Pas beaucoup, mais pensons au gang Barrow plus connus sous le nom de Bonnie and Clyde, justement, sont bâtis sur le même modèle, un couple, aussi venimeux qu'une paire de crotales qui auraient élu domicile dans une de vos bottes ( voir la Mine de l'allemand perdue de Blue Berry ), donc un gars Lionel Wernert et une gerce Gipsy Bacuet. Pas des tendrons de la dernière couvée, citer la liste des mauvais coups auxquels au sein de diverses formations ils se sont livrés, soit séparément, soit ensemble, serait trop long. Ils ont fini par se faire repérer, l'agence Bluekerton de la revue Soul Bag les tient à l'œil. En ces temps covidiques ils ont réussi un gros coup, ils ont sorti en décembre 2020 un album Shades of Love, en cette occasion a éclaté au grand jour les ramifications secrètes de leur influence occulte, notamment leur amitié avec Fred Chapelier, une sommité du blues ( blanc rouge ).

    WALKING BY MYSELF ( YT )

    Vocal : Gipsy Bacuet, Leadfoot Rivet, Fred Chapelier, Neal Walden Black / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Slide : Neal Walden Black /  Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Walking by myself because Jimmy Rogers a longtemps été dans l'orchestre de Muddy Waters, vous le chante d'ailleurs assez gentiment sur une rythmique qui musarde doucettement, notre gang le commence comme finissaient les morceaux de musique dans l'antiquité, tous les instruments ensemble en une espèce d'apocalypse sonore, puristes du blues ne criez pas au scandale, le balancement de gondole vénitienne particulier à la zique bleue, il arrive très vite, prenez cette expression au pied de la lettre, sur une espèce d'aircraft électrisé qui fonce droit devant sans se poser de question sur la métaphysique du blues, la Gipsy elle n'aime pas que les gars se reposent, vous envoie le vocal à la batte de baseball et chacun essaie ( et réussit ) de rester sur le même diapason, deux solo de corrida et des lyrics à la rasetta entre les cornes du taureau impulsif. C'est du rapide et ça se déguste, donc il faut réécouter septante sep fois. Avis personnel : ne vous laissez pas happer par les photos réalisées lors de l'enregistrement, elles mangent votre attention et vous empêchent de vous plonger dans la musique, qui vous attend gueule ouverte style les dents de la mer.

    ALONE ( YT )

    ( Official Music Video )

    Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Tout ce que vous n'avez pas eu le temps de goûter à sa juste valeur dans le morceau précédent, Alone vous le permet, les images bistres suivent les musiciens de près, les doigts sur les guitares et le bonheur dans la prise. Ne chôment pas pour autant, mais Gipsy a dosé un entrefilet de jazz dans sa manière distinguée de dispatcher les syllabes, elle n'essaie pas d'arriver la première, elle pousse vers le haut, du coup les guitares prennent de l'altitude et deviennent aériennes. Ici la rythmique ne joue pas à la terre brûlée, rapide et relax en même temps, Lionel et Fred se tirent la bourre de la fraternité, montrent ce qu' ils savent faire, mais sans esbroufe, pas à la m'as-tu-vu-je-te-tue, ils distillent leur style félin flexible sur les fusibles, un régal.

    DIFFERENT SHADES OF LOVE ( YT )

    ( Live / La Scène / Sens / Octobre 2020 )

    ( Organisé par l'association Red & Blue 606 )

    Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Blues, soul, rock, tout ce que vous voulez, les gars ont une chanteuse avec eux, alors ils la servent, la gâtent, sont à ses petits soins, pas un qui essaie de tirer la couverture à soi, mais sans cesse un petit yoyo à lui refiler sous chaque intonation, l'air de rien, sans démonstration, juste de temps en temps un petit sourire satisfait car tout baigne, z'auraient d'ailleurs tort d'essayer de se pousser devant, car Gipsy elle survole, l'épeire qui danse dans le soleil de l'aurore sur la toile perlée de rosée, une équilibriste, une funambule, n'a pas le vocal bancal, elle hausse à peine le ton et le monde change de couleur, n'en fait jamais trop, une simplicité renversante, vous donne l'impression qu'elle lit à mi-voix la liste des commissions, mais avec une aisance, un tact et une classe infinis. Le tout sans la froideur de la perfection, sans ostentation, infiniment naturelle.

    Damie Chad.

     

    BURRIED MEMORIES

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Clip / YT / 04 – 04 -2021 )

     

    Dans notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 nous présentions Disaray le dernier CD de Across The Divide, nous en avions profité pour évoquer certaines vidéos reprenant certains titres de l'album. Au début du mois est parue une nouvelle vidéo de Regan MacGowan illustrant le deuxième titre de cet opus, que nous avons beaucoup apprécié, un artefact soigné tant au niveau esthétique que musical.

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    Le clip est à l'image de Across The Divide, un objet fini qui se suffit à lui-même qui de surcroit est facile à appréhender puisqu'il est loin d'atteindre les cinq minutes. De belles prises de vue, un bon son, d'une lecture agréable et facile. Apparemment une situation idyllique, le groupe en pleine nature interprétant une de ses dernières œuvres. La face claire des phénomènes. Cette dernière phrase induit qu'elle coexiste avec une face plus sombre.

    Nous n'en dirons pas plus ne voulant pas davantage effleurer le contenu de cette chose. La chose diffère de l'objet, si l'objet relève du mental, la chose participe du mystère de sa propre présence. L'esprit ne l'a pas scannée. Elle fait encore partie de l'informe, du mystérieux, du menaçant, ce n'est pas qu'elle serait non humaine, c'est qu'elle est a-humaine. D'une nature autre. A vous de regarder ce clip. Pas uniquement du début à la fin. De d'avant le début à après la fin. Sachez voir. Ensuite vous êtes libre de l'interprétation. Quand on raconte une histoire, l'on n'est pas obligé de tout dire, à vous d'interpréter les indices. De monter votre propre scénario. A partir de vos malaises et de vos angoisses, et de la réalité dans laquelle vous évoluez.

    Ce clip est une merveilleuse réussite, une clef qui s'adapte à de nombreuses serrures. Choisissez la porte qui vous correspond. Celle d'ivoire ou celle d'ébène.

    Damie Chad.

     

    TROIS CARTOUCHES POUR

    LA SAINT-INNOCENT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / Mars 2021 )

     

    Fût-il aristocrate Michel Embareck pourrait se vanter d'avoir des ancêtres qui auraient participé à la première croisade, ceci pour vous dire que notre homme possède ses quartiers de noblesse rock, n'était-il pas une des plumes des plus talentueuses qui en des temps anciens s'illustrèrent dans la revue Best. Si le nom de ce magazine ne vous dit rien c'est que vous êtes jeunes, ce qui n'est pas, je vous rassure, une tare rédhibitoire... Depuis Michel Embareck a publié une bonne trentaine d'ouvrages, nous avons déjà chroniqué en ce blog-rock Jim Morrison et le diable boîteux ( livraison 322 du 29 / 03 / 17 ) et Bob Dylan et le rôdeur de minuit ( livraison 361 du 15 / 02 18 ), le voici qui revient parmi nous avec un roman, qualifié selon sa couverture, de noir. Evitez les raccourcis dangereux, noir ne signifie pas policier.

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    Certes vous avez un cadavre en ouverture, dès le premier chapitre, mais ce n'est pas le bon, celui-là s'apparente à un cadeau Bonux, circulez il n'y a rien à voir, très vite nous tenons l'assassin, une femme ( elles sont dangereuses ), inutile d'endosser votre chapeau à la Sherlock et de vous munir d'une loupe pour les indices. L'Embareck ne vous laisse pas dans l'embarras, nous refile son nom et nous signale qu'elle a depuis longtemps été jugée et qu'elle a purgé sa peine. Ce n'est pas non plus une serial killer qui aurait avoué un meurtre pour mieux faire silence sur les soixante autres bonshommes qu'elle aurait précédemment occis sans que nul ne la soupçonne. Bref le livre commence alors que l'histoire est terminée, je n'ose pas écrire morte et enterrée.

    La victime est aussi au fond du trou. Un gars sympa, un blouson noir – chez Kr'tnt cela équivaut à un certificat de bonne conduite - un bosseur, certes il tapait peut-être sur sa femme – c'est elle qui le dit – mais qui en ce bas-monde n'a pas ses petits défauts... Elle devait bien aimer ça puisqu'elle s'était mariée avec lui.

    Donc Michel Embareck rouvre l'enquête. Pourquoi pas. Toutefois quelques détails nous interpellent quant à cette démarche. Premièrement, il ne fait pas cela au grand jour, se déguise en journaliste, pour brouiller les pistes, pour qu'on ne le reconnaisse pas, lui l'amateur émérite de rock'n'roll, il s'adjuge le nom d'un musicien classique : Wagner. Deuxièmement : il nous tend un piège, file au lecteur un détail foireux à se mettre sous la dent. Dans quel ordre ont été tirées les trois bastos qui ont envoyé l'innocent trucidé ad patres ? Non il n' y a pas de troisièmement. Notre perspicacité nous permet dès maintenant de vous filer la véritable identité du meurtrier. Ne poussez pas des oh de stupéfaction ou d'indignation en l'apprenant. Nous fournirons les preuves et les terribles révélations qui marchent avec, dès la fin de ce paragraphe. Tiens, il est fini.

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    Le criminel c'est... Michel Embareck ! Mais enfin Damie tu dérailles, n'est-ce pas Jeanne Moreau – pas l'actrice, l'autre – qui s'est dénoncée elle-même à la gendarmerie, z'oui âme naïve, mais c'est Michel Embareck qui a créé le personnage de Jeanne et l'assassinat de son mari. Il en est donc pleinement responsable. L'auteur du crime, c'est lui. Mais ce n'est pas tout. Ce n'est qu'un début. Assez médiocre quand on connaît la suite. Ne jetons pas la pierre sur Michel Embareck, ce n'est pas de sa faute, l'a sans doute été atteint du terrible syndrome du tigre altéré de sang. Mangeur d'hommes. Et de femmes. ( Soyons respectueux de la parité ).

    Un peu la problématique de la carabine. Si elle ne tire qu'un coup et si vous attrapez un coup de sang, vous ne tuez qu'une seule personne. A répétition, c'est le carnage. L'aurait dû intituler son book, ''Midnight rambler sur piste sanglante'', au long de son enquête l'Embareck wagnérien, il ne s'économise pas, vous offre la tétralogie in extenso, Crépuscule des Dieux compris avec embrasement final terminator. Méfiez-vous si vous ouvrez le bouquin, attention aux balles perdues, parce que l'Embareck en colère ne respecte personne, l'est prêt à abattre son lecteur ( et même sa lectrice ) sans sommation si sa figure ne lui revient pas. Non, n'ayez pas peur, il ne dum-dumise pas au fusil à cinq balles mais à symboles. Plus il avance dans son enquête plus notre confiance en nos institutions s'estompe. N'épargne aucune de nos vaches sacrées. Remonte le troupeau jusqu'au vacher en chef. Un crime peut en cacher un autre.

    Attention dear kr'tntreaders, ne vous précipitez pas sur une courageuse lettre anonyme pour dénoncer aux autorités la malfaisance anarchisante de cet ignoble individu qui répond au nom de Michel Embareck, c'est que pour le moment nous n'avons traité que le roman. L'intrigue romanesque si vous préférez. Le plus dur reste à venir. On vous a avertis, c'est noir. Très noir. Non, pas tout à fait le noir anarchie. Plutôt le noir opaque. L'est comme cela l'Embareck vous raconte une petite histoire de rien du tout. Une bonne femme qui se débarrasse de son mari. Ça ne va pas chercher loin. Vingt ans maximum. ( Vingt ans pour avoir tué un blouson noir, perso je lui en aurais filé quarante et l'on n'en parlait plus. ) Le malheur c'est qu'à partir de ce fait divers, Michel Embareck vous fait visiter les sept cercles de l'Enfer de Dante.

    Depuis la Divine Comédie les choses ont bien changé, l'Enfer n'est plus en Enfer, s'est déplacé, l'est partout, ses tentacules ont envahi le Purgatoire et le Paradis. Ce ne sont plus les morts qui occupent l'Enfer mais les vivants comme vous et moi qui y résidons. Vous pensez que j'exagère, que je dépeins l'existence terrestre sous une couleur un peu trop sombre. Vous avez totalement raison. C'est plus que sombre, c'est noir. ( Cf la couverture ).

    Michel Embareck se gausse tel un gosse, il laisse traîner le fil de l'intrigue et vous vous amusez à le tirer. C'est idiot parce que c'était le cordon du bâton de dynamite qui vous explose à la figure. Ah ! vous croyiez être dans un livre policier, erreur sur toutes les lignes, Embareck vous a embarqué dans un essai politique. Philosophiquement parlant traduisons par : Marx a remis la dialectique de Hegel sur ses pieds. Les crimes ne sont que le miroir de notre société. Si vous inversez la phrase cela donne : notre société est criminelle.

    Imaginons que vous soyez de bonne composition. D'accord Damie, Michel Embareck n'a pas tout à fait tort, plus on monte dans la pyramide, moins c'est beau. Vous vous rendez à la raison, oui dear lector avec Embareck l'on part de la mésentente d'un couple pour se retrouver tout en haut, nous l'avons déjà dit, mais en reconnaissant cela vous n'aurez fait que la petite moitié du chemin. En fait vous vous débrouillez pour ressortir de cette histoire ( noire ) blanc ou blanche comme neige, ce n'est pas moi, c'est les autres. Ben non ! vous démontre Embareck que vous aussi ( pas tous, beaucoup d'élus mais peu qui refusent de céder à l'appel trompeur ) vous marchez dans les entourloupes, pardon vous y courez, vous y galopez ventre à terre, car vous êtes totalement manipulés par les instances politiques, médiatiques et marchandiques, elles ont bien compris que vous ne croyez plus en leur combine, alors elles vous préparent et vous proposent la contre-combine, voire l'anti-combine, pour soi-disant esquiver la première, mais qui dans les faits se révèlent encore plus piégeuses. Ce n'est pas de votre faute, c'est que vous êtes bêtes.

    Pas moi ! Pas moi ! tout ça c'est de la théorie de l'emberlificotage, vous écriez-vous, alors Michel Embareck qui est très gentil, vous plonge le nez dans votre caca, au moins vous n'êtes pas dépaysé, vous parle du quotidien dans lequel vous tracez votre route, et c'est-là qu'il décanille sec, vous ouvre les yeux, vous révèle ce que Balzac nommait l'envers de l'histoire contemporaine, vous n'êtes que des marionnettes qui récitez le texte que l'on attend de vous. Vous sciez en toute stupide bonne foi la branche sur laquelle vous êtes assis, vous vous attaquez à ceux qui vous ressemblent mais qui gardent une vision claire de la situation que vous n'êtes plus capable d'appréhender...

    Ce n'est pas un livre optimiste. Michel Embareck ne se gêne pas pour crever les baudruches des idées nouvelles qui embrasent les fausses colères des révoltes auto-immunes. Talentueux et jouissif, surtout quand il porte direct la main au saint du sein.

    Aux lecteurs innocents, la cervelle pleine ! Distribution gratuite de coups de pied au cul pour les autres. Ce dernier mot s'entend aussi au féminin.

    Damie Chad.

     

    SURVIVOR

    ERIC BURDON

    ( 1977 )

     

    Lead vocals : Eric Burdon / Keyboards : Zoot Money – John Bundrick – Jürgen Fritz / Guitar : Alexis Korner – Frank Diez – Colin Pincott – Geoff Whitehorn – Ken Paris + vocals / Bass : Dave Dover – Steffi Stefan / Drums : Alvin Taylor / Backing vocals : Maggie Bell – P. P. Arnold – Vicky Brown

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    Une belle pochette due à Jim Newport. Un disque à la croisée des chemins pour Burdon. Ne sait plus trop où il en est. L'aventure War est terminée depuis longtemps mais en 1976 est sorti un album de vieilles bandes, il remonte la pente avec la création d'Eric Burdon Band, les Animals datent de la préhistoire pourtant quelques mois après la sortie de ce Survivor sortira le disque de la re-formation originale et cette aventure parallèle durera pratiquement jusqu'au milieu des eigthies, et il faudra attendre 1980 pour un nouveau disque d'Eric Burdon, preuve que le Survivant n'a pas trop bien survécu son titre fait froid dans le dos : Darkness, darkness... Survivor est enregistré en Angleterre, dans la flopée des musiciens l'on remarque un ami de la première heure Alexis Korner pionnier du blues anglais, mais aussi Alvin Taylor qui participa à Sun Secrets et surtout Zoot Money qui depuis la fin des Animals croise sans cesse la route de Burdon et qui co-signe avec lui huit titres sur dix de l'album Si l'on regarde Survivor avec le recul nécessaire, l'on se rend compte que cet album qui n'a jamais été réédité est bien meilleur que les deux derniers disques des Animals reformés, Ark et Greatest Hits Live, qui de fait apparaissent comme de pâles copies, de tristes tentatives avortées. La comparaison est d'autant plus significative que Zoot Money a participé à l'aventure de ces deux disques animaliers.

    Rocky : l'on peut partir d'un principe d'équivalence simple c'est que si Eric Burdon n'est pas au mieux de sa forme, c'est que le rock'n'roll a perdu son innocence, certains lecteurs tiqueront, en 77 le punk lui file un sacré coup de pied au fesse au vieux rocky des familles, c'est une époque explosive et séminale, certes mais quand on y réfléchit le Burdon est devenu un has been, la jeune génération n'a pas besoin de lui, ne l'attend pas, alors il va leur montrer comment on manie la dynamite, vous empoigne le vocal et ne vous le lâche pas d'un millimètre et derrière ça déménage un max, on dirait que tous les crédités sont présents sur cette séance et ça tourbillonne dans tous les sens, un bon vieux rock'n'roll comme l'en n'en fait plus et Burdon vous le chevauche comme s'il drivait les chevaux de Poseidon dans la tempête et se sert de sa voix comme du trident neptunien pour ébranler les consciences. Sur ce coup vous fout K.O. Au premier round. Woman of the rings : changement d'atmosphère, vous avez eu le rock, voici le blues. Mais un blues comme vous n'en avez jamais entendu. Comme le Led Zeppe n'a jamais eu l'idée, des guitares qui jouent comme des chats écorchés et un clavier qui roucoule comme la colombe poignardée d'Apollinaire, pas besoin de plus, là-dessus Burdon pose ses phrases sans emphase à tel point que les nanas se chargent de craquer l'allumette et l'orchestre s'engage dans le maelström, et c'est à cet instant que vous réalisez, maintenant qu'il se tait, l'art de Burdon, le mec qui fait semblant de chanter à moins qu'il ne fasse semblant de parler, funambule sur la ligne de crête.

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    The kid : un sale gamin qui brouille la piste et qui ne se laisse pas écouter. Tomb of the unknown singer : malheureux vous entendez les premiers arpèges et vous pensez être parti pour une ballade de toute coolitude d'un chanteur qui se meurt d'amour, et puis le Burdon l'on dirait qu'il a emprunté la voix écorchée de Dylan, good trip en perspective, d'ailleurs le titre se retrouve sur la compil Good Times, certes mais alors éloignez-vous tout au fond du jardin et écoutez le ramage des petits oiseaux … pour vous donner une idée de comparaison c'est le même scénario que Le chanteur abandonné de Johnny Hallyday mais avec Burdon le loup est entré dans la bergerie, l'a bouffé le Berger, l'a égorgé tous les agneaux et puis s'en est allé pousser sa plainte lugubre à la lune hécatienne, un iceberg de solitude vous tombe dessus, vous ressentez l'incomplétude humaine, ce titre est une invitation baudelairienne au suicide, une pente fatale qui vous happera sans pitié si par hasard vous ne vous sentez pas au mieux de votre forme, un faire-part de la mort qui vous spécifie l'heure de votre rendez-vous au cimetière. Glaçant. Toutes mes condoléances. Famous flames : réchauffons-nous, rythmique guillerette à conter le guilledou à Magie Bell et ses copines, Alvin Taylor bat le beurre mais ce n'est pas du bio, heureusement qu'il y en a qui se défoncent à la guitare, le Burdon rigole tout seul, mais vous avez du mal à participer à la fête, je vous le dis mais le répétez pas, les flammes ne sont pas aussi fameuses que promises, un peu longuet et la gueule du dragon cracheur de feu n'est pas au rendez-vous à l'autre bout de la queue. Hollywood woman : Burdon nous fait son cinéma country : au début ce n'est pas mal, à la suite aussi, c'est dans les refrains qu'il sourit un peu trop fort pour plaire au grand public, les musicos se la donnent, des petites trouvailles de partout, on en oublie le Burdon qui chante un peu trop dans le registre de l'attendu. C'est vrai que l'on ne peut pas être tout le temps Johnny Cash. Surtout si l'on part du principe que c'est une cause perdue. Hook of Holland : un morceau qui accroche qui arrive à point nommé après les deux relâchements précédents, dans la droite ligne du morceau introductif, un feu de bois qui pétille dans la cheminée et qui met le feu à la maison, Burdon est parfait en pyromane, les filles crient pour qu'il vienne les délivrer, mais non, il faut du combustible pour alimenter le feu de joie. Une guitare incendiaire et des chœurs de pompiers heureux du beau brasier qui s'offre à eux. Chaud. Très chaud. I was born to live the blues : le Burdon l'est comme les aristocrates, se souvient qu'il a le sang bleu, voix nue et une guitare dont les cordes sont en boyaux de chat, le vieux classique de Brownie McGhee qui se permettait de le chanter de sa face joviale et épanouie, le vieux renard qui en a trop vu pour ne pas sourire à la vie, le Burdon lui il emmêle ses tripes dans ses cordes vocales de tigre, la dureté de la vie vous cisaille sans pitié, chante comme une lame de guillotine qui tombe sur les condamnés à mort que nous sommes.

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    Highway dealer : rien qu'au titre l'on sent que l'on aime déjà et quand on écoute l'on est subjugué, non ce n'est pas pied au plancher en sens inverse sur l'autoroute ( si un peu quand même ) une ambiance proche de The man sur Stop, avec des guitares qui pètent les mégaphones à la Roadrunner du grand et du beau Bo Diddley, tout le début pue le soufre et l'enfer, le Burdon barrit comme une éléphante dont un car de touristes vient de buter son petit, bref un carnage. Quant au band derrière et devant il déploie plus d'inventivité et de nuances que le Deutches Symphonie-Orchester Berlin quand il était mené par Wilhelm Furtwangler. P. O. Box 500 : poste restante. Pas à perpétuité mais récidiviste. Rien de plus terrible que d'être mis en boîte par un ami ! Burdon en faux-jeton gagnant ! K. O. Boxe. Cinq sens éteints.

    Damie Chad.

     

    XXXI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

    Suite à notre trentième livraison, nous avons reçu des centaines de lettres de la part des adhérents de la Société Protectrice des Animaux ulcérés nous reprochant l'absence de Molossa et de Molossito dans les évènements dramatiques relatés. Certains nous accusent même d'avoir falsifié notre document. Jamais, affirment-ils nous n'aurions pu sortir vivants de cette aventure sans leur aide précieuse. C'est la vérité vraie, mais les reproches qui nous sont adressés sont particulièrement injustes, ils méconnaissent surtout le génie stratégique du Chef. Il est évident que sans nos canidés nous aurions perdu la partie, mais il ne faut jamais oublier que dans toute attaque il convient d'assurer la protection de la base de repli. Cette besogne souvent ingrate mais nécessaire échut à nos quadrupèdes aguerris. Connaissez-vous quelque chose de plus féroce qu'un chien de garde ? Sinon deux chiens de garde.

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    Nous nous retrouvâmes tous dans la cuisine où nous avaient précédé Vince et Ludovic. Ce dernier avait repris des couleurs, des timbales fumantes de café extra-fort nous attendaient, nous en avions besoin pour nous remettre de nos émotions. Les filles auraient bien croqué un petit gâteau sec, mais le Chef s'y opposa :

      • Nous n'en avons pas le temps, nous repartons dans une minute, le temps que l'agent Chad récupère les chiens, et hop tout le monde dans le SUV !

    Molossa était sagement assise devant la porte, je remarquai immédiatement l'absence de Molossito, le museau de Molossa se posa comme par inadvertance sur mon jarret gauche, je la fis rentrer avec moi.

      • Chef, sûrement un problème, l'on doit nous épier, et Molossito n'est pas là !

      • Léger changement de programme dit le Chef, Vince, Ludovic, les filles, vous sortez en papotant comme si de rien n'était, vous ne risquez rien, s'ils ne sont pas intervenus c'est qu'ils attendent les ordres, Vince au volant, moteur allumé vous attendez que l'on revienne, l'Agent Chad et moi-même nous allons récupérer Molossito, Charlotte tu prends Molossa dans tes bras quand tu es devant le Suv tu fais semblant de la poser sur le siège arrière mais tu la relâches discrètement, les autres et les portières grande-ouvertes te faciliteront la manœuvre, que notre comité de surveillance ne s'aperçoive de rien, exécution immédiate !

    En passant derrière le tronc de l'ormeau, le Chef et moi nous nous engouffrâmes dans une zone d'ombre, Molossa nous rejoignit très vite et nous guida rapidement vers un bosquet, une longue voiture noire stationnait tout feu éteint. Nous nous accroupîmes sans bruit, le Chef alluma un Coronado en faisant attention qu'aucune flamme ne trahisse notre présence.

      • A toi de jouer Molossa !

    Elle ne se le fit pas dire deux fois. Trois secondes plus tard elle était sur le capot, grognant, aboyant de toutes ses forces, l'on s'agita dans la voiture, mais des piaillements aigus nous cisaillèrent les oreilles, l'otage Molossito donnait de la voix, la réaction ne se fit pas attendre, une vitre s'abaissa et Molossito fut rapidement éjecté sans ménagement.

      • Cassez-vous les cabots, vous allez nous faire repérer, proféra une voix sourde,

    Nous étions tout près je récupérai Molossito au vol, d'un geste vif le Chef balança son Coronado par l'entrebâillement de la vitre, la grosse limousine explosa illico !

    Trente secondes plus tard nous plongions dans le SUV que Vince arracha de son immobilité de main de maître. Le Chef nous conseillait d'avoir toujours un Coronado série El dynamitero dans sa poche, ça peut toujours servir, ajoutait-il.

    127

    Vince connaissait la région, il roulait à tombeau ouvert n'hésitant pas à éteindre régulièrement les phares, et changeant systématiquement de direction à chaque croisement. Malgré toutes ces précautions nous ne tardâmes pas à être repérés par un hélicoptère, qui bientôt nous prit carrément en chasse.

      • Décidément l'homme à deux mains n'aime vraiment pas le rock'n'roll soupirai-je !

      • Il n'a pas que deux mains bougonna Vince, il a aussi les moyens !

      • Hum-hum, le Chef toussota, si nous étions d'un optimisme béat nous pourrions dire que ce déploiement de moyens permet de l'identifier à coup sûr, mais comme nous sommes des pessimistes actifs, nous en déduirons que s'il se montre ainsi à visage découvert c'est qu'il est sûr que nous ne profiterons pas longtemps du renseignement qu'il nous a révélé.

      • Ce qui veut dire ? s'enquit Ludovic que l'on sentait dépassé par la cascades d'évènements qui avaient si abruptement bouleversé sa vie...

      • Vous pensez que bientôt nous allons donner du museau en plein dans un barrage proposa Brunette

      • Non, cela ne correspond pas au personnage, le Chef allumait un nouveau Coronado je suppose qu'il emploiera les grands moyens, il reste à deviner lesquels avant qu'il ne se présente

      • Vous avez-vu, ils ont changé d'hélicoptère, celui-ci il porte un long-tube sous lui !

      • Ce n'est pas un long-tube charmante Charline, mais un missile air-sol, à tête chercheuse, Vince arrête-toi tout de suite, sans vouloir t'offenser l'agent Chad s'est déjà trouvé dans de telles circonstances, ce n'est pas qu'il soit meilleur conducteur que toi, mais il connaît les procédures à suivre en de tels cas, que nous pourrions qualifier de dramatiques.

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    Je me mis à zigzaguer sur la chaussée, piètre échappatoire, essayant de me rabattre juste devant les rares voitures que je doublais les obligeant à me coller au cul, ralentissant si elles ralentissaient, accélérant si elles accéléraient de telle manière que nous ne formions qu'un seul véhicule et qu'avec un peu de chance le missile s'abattrait sur l'autre conducteur, mais le gars préférait piler net et s'arrêter sur place, je repartais donc à la recherche d'une tête brûlée qui trouverait ce jeu stupide intéressant. Hélas la nationale n'était visitée que par des pleutres. Ces velléités avaient dû inquiéter, car un deuxième hélicoptère vint se ranger à côté du premier, que je sois sur la voie de droite ou de gauche, j'étais toujours dans le viseur de l'un ou de l'autre.

      • Agent Chad nous avons affaire à des coriaces, sans doute auriez-vous intérêt à adopter une autre stratégie !

    Comme toujours le Chef avait raison. Ce fut le déclic qui me permit de prendre les bonnes décisions. Pour être risqué, c'était risqué, mais si je réussissais quel magnifique chapitre à ajouter aux Mémoires d'un Génie Supérieur de l'Humanité. Maintenant que nous connaissions l'identité de l'homme à deux mains il aurait été stupide d'échouer si près du but.

      • Chef je vais utiliser une tactique vieille comme le monde, mais qui au cours de l'Histoire a fait ses preuves.

      • Agent Chad, je n'en attendais pas moins de vous !

      • C'est simple Chef, quand l'ennemi est plus fort que vous il convient de l'attaquer sur son point le plus faible !

      • Agent Chad, cela me paraît d'une grande sagesse, je vous laisse faire, pendant que vous vous emploierez à nous défaire de nos ennemis, si cela ne vous dérange pas, je me permettrai, en toute sérénité de fumer un Coronado. Que le rock'n'roll soit avec nous !

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 241 : KR'TNT ! 361 : FAST EDDIE CLARKE / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN / MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH /DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 361

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 02 / 2018

     

    FAST EDDIE CLARKE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN

    MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH

    DANIEL GIRAUD

     

    Fast Eddie fastes

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    En février 1976, Lemmy décida qu’il y aurait en plus de Larry Wallis un second guitariste dans Motörhead. Alors, Philthy lui présenta l’un de ses potes, Eddie Clarke. Eddie et lui travaillaient ensemble à la rénovation d’une vieille péniche. Une date fut prévue pour l’audition d’Eddie. Il devait juste épauler Larry. Mais Larry prit mal le fait de devoir jouer avec un autre guitariste et il quitta le groupe pour rejoindre les Pink Fairies. Eddie se retrouva dans un trio. Le départ de Larry scia Lemmy qui grommela : «Grumble... Grumble... Le plus drôle de l’histoire, autant que je me souvienne, c’est que c’était l’idée de Larry d’embaucher un second guitariste.»

    Le nouveau trio fonctionnait à merveille. Même s’il s’appelait Fast Eddie, Eddie était le mec tranquille du trio. Il avait de chaque côté de lui deux personnalités agitées, Lemmy et Philthy. S’il avait été aussi incontrôlable que les deux autres, le trio n’aurait certainement pas fait long feu. Par chance, Eddie Clarke connaissait bien la vie de groupe. Il avait commencé à 15 ans. Il fut le guitariste de Zeus, un groupe qui accompagnait l’Américain Curtis Knight. Il avait même composé pour lui, comme on le constate en inspectant la pochette de The Second Coming.

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    Paru en 1974, The Second Coming est un album pour le moins surprenant. Curtis Knight et Zeus ouvrent le bal avec «Zeus» et filent ventre à terre dans la bonne jachère des seventies. Fast Eddie part aussitôt en solo, mais il ne joue pas n’importe quoi, uniquement des solos inflammatoires. Il déblaye tout ! Quelle énergie ! Les petits blancs en marcels qui accompagnent ce diable de Curtis Knight jouent à l’hendrixienne et multiplient les retours de manivelle. La grande force de Curtis Knight a toujours été le son. La fréquentation de Jimi Hendrix a laissé des traces. Avec «Mysterious Lady», Curtis et Zeus passent au heavy garage absolutiste. Par contre, «Road Song» se joue au boogie-rock speed et au solo démonstratif. Ce démon de Curtis Knight fait presque du glam black. Avec «People Places And Things», il n’en finit plus de piétiner les plate-bandes du rock blanc. Il sort son meilleur seventies sound avec «Cloud», groové à la vie à la mort par le déjà immense Fast Eddie. Eh oui, Curtis Knight ne voulait que les meilleurs, alors après Jimi Hendrix, ça ne pouvait être que Fast Eddie. Nouveau festival avec «End Of A Child». Eddie fait pleuvoir de véritables déluges, il allume tout au ciboulot des ciboulettes, il fait la pluie et le beau temps. Encore un joli slab de heavy rock avec «The Confesssion». Pour Fast Eddie, cet album est un champ d’expérimentation. Il fait exactement ce qu’il a envie de faire. On tombe une fois de plus sur un loup : c’est l’album de Fast Eddie Clarke, pas de doute. Le pauvre Curtis Knight sert de caution à tous ces héros que sont Jimi et Eddie. Eddie rôde encore dans le rainbow rock d’«Oh Rainbow» et il donne le coup de grâce avec «The Devil Made Me Do It», un fantastique groove knightien, heavy et funky en diable. Curtis Knight chante ça à l’arrache des clubs miteux. Il y va de bon cœur et Fast Eddie rentre là-dedans comme dans du beurre, alors ça gicle dans tous les coins. Quelle énergie !

    Eddie quitta Zeus pour former Continuous Performance avec Charlie Tumahai, le bassiste de Be-Bop Deluxe, puis Blue Goose. Ces groupes ne durèrent que le temps de premiers albums qui sombrèrent dans l’oubli aussitôt après leur parution. Alors Eddie arrêta de jouer. D’où son job de restaurateur de péniches.

    Eddie Clarke pense que le succès de Motörhead reposait sur la façon dont lui et Lemmy se comprenaient : «Quand j’étais jeune, j’ai vu les Yardbirds, John Mayall, Cream et Jimi Hendrix. Ce sont des groupes qui frappent l’imagination. Je pense que c’est rentré pour une bonne part dans l’alchimie de Motörhead. Lemmy et moi on aimait la même musique, et ça a compté énormément dans le succès du groupe.» Et comme Eddie devait jouer de la rythmique, il ne s’attendait pas à monter aussi vite en grade : «Quand on s’est retrouvés à trois, le son de Lemmy a tout changé. Il jouait sur un ampli Marshall et une Rickenbacker, il foutait les aigus à fond, il coupait les basses, alors tu peux imaginer le son ! C’était plus une guitare rythmique qu’une basse !» Comme Lemmy montait un mur du son avec sa basse, Eddie Clarke avait une latitude considérable pour jouer à la fois en solo et en rythmique, mais c’était tellement nouveau qu’il devait tout reconsidérer. «Quand j’ai commencé à jouer dans Motörhead, j’ai dû me débarrasser de tout ce que je savais. Je devais complètement réapprendre à jouer de la guitare. C’était la même chose pour Phil. Motörhead, c’était comme trois îles à l’intérieur du groupe. Au début, on avait un mal fou à jouer ensemble, à se caler. C’était comme jouer dans un groupe sans basse, alors quand je partais en solo, je me calais sur la grosse caisse, tu vois ce que je veux dire ?»

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    C’est parti ! Motörhead sort sur Chiswick en 1977. Lemmy doit une fière chandelle à Ted Carroll et à Marc Zermati. Le morceau titre ouvre le bal des vampires. C’est du pur jus d’Hawkwind, bien emmené au pumping et Fast Eddie place un solo d’antho à Toto. C’est là, avec ce cut qu’ils fondent le mythe. Mick Farren co-écrit «Lost Johnny» avec Lemmy, un cut solide comme l’enfer et riffé par cette brute infecte de Fast Eddie. On sent au fil des morceaux qu’il déploie des ailes de grand guitariste. En B, il plante un décor de grosse cocote pour un «Keepers On The Road» signé Mick Farren.

    Fast Eddie se marre : «Au départ, c’était juste une question d’attitude. Si t’aimes pas Motörhead, dégage ! On a eu pas mal d’ennuis avec les gens du business. On leur foutait les foies. Ces cons crevaient de trouille. Mais les fans appréciaient notre droiture et se fiaient à notre attitude. On était exactement comme eux. Sans nos fans, on serait allés nulle part. Pour tous les Anglais, les années soixante-dix ont été une sale période. Tous les groupes s’étaient barrés aux États-Unis. En Angleterre, il ne restait plus que les groupes punk et Motörhead. Partout dans le pays, les kids étaient contents d’avoir un groupe auquel ils pouvaient se fier. Heureusement, on s’entendait bien tous les trois.Les problèmes venaient surtout de l’extérieur, mais on tenait bon. Les planètes devaient nous être favorables et on a fini par avoir un peu de chance. Mais c’est toi qui te fabriques ta chance. On se l’est fabriquée en restant groupés tous les trois et en bouffant de la vache maigre. Et tu peux me croire, on en a bouffé.»

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    Et pouf, Bomber tombe du ciel. Voilà certainement l’un des meilleurs albums studio de Motörhead, en tous les cas, il incarne bien l’âge d’or du groupe car on y entend Fast Eddie faire pas mal de ravages. À commencer par «Stone Dead Forever» qui démarre comme le «Love Song» des Damned. Fantastique prestation ! Rien qu’avec ça, Fast Eddie restera l’un des plus grands guitaristes de rock anglais. Les cuts qui font la force de cet album sont les prodigieux heavy-blues de type «Lawman». Difficile de faire mieux dans le genre. «Sweet Revenge» est encore plus heavy, comme si cela était encore possible. Dans Motörhad, on retrouve tout ce qu’on aime : le cacochyme, les grosses guitares de Fast Eddie, la foi et le pâté de foie, le jusqu’au-boutisme des tournées, la pure incarnation du rock’n’roll, la provocation nazillarde, le fun trash, les pipes à la chaîne, le m’as-tu-vu des rues - street tough - et l’héroïsme des briques rouges. C’est magnifique. On peut écouter les vingt-deux albums studio de Motörhead sans jamais s’ennuyer une seule seconde. Incroyable mais vrai ! Retour au blues-rock des enfers avec «Step Down». On y retrouve Fast Eddie le génie, le roi du festival, l’heavy Eddie God sans personne au-dessus. Eddie prend le cut au chant et fait wooow ! C’est à se prosterner, tellement il en impose. Et bien sûr le morceau titre vaut tout l’or du monde, car on a là du punk pur digne des Damned et du MC5, monté sur un fabuleux riff d’Eddie. On pourrait même parler d’une forme de génie apocalyptique. Le riffage de Fast Eddie fonctionne comme le velours de l’estomac, c’est une bénédiction. Sans Fast Eddie, Motörhead ne pouvait pas décoller. En tous les cas, ça ne fonctionnait pas avec Larry Wallis.

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    La même année sort Overkill. Le groupe a trouvé son son. Ils attaquent avec le sur-puissant morceau titre, idéal et extrême à la fois, digne du MC5, doté de la même énergie, tendu à se rompre, puissant et noble. Voilà ce qu’il faut bien appeler du rock de cartouchière. C’est chanté à la limite de l’épuisement. Fast Eddie joue comme un héros. Il sort des riffs soniqués du ciboulot et les pousse à l’extrême olympien. Ils sont dans l’orgie et restent imbattables à la course. Ils sont chromés et impérieux. Ils se payent le luxe de deux faux départs. Hallucinant ! C’est sur cet album que se niche l’immense «Capricorn», une pièce de trash rock d’épouvante, saturée d’humidité. On écrit ça un peu à la manière d’Henri Michaux, fasciné par les effets, affamé d’incongruité, perdu dans les limbes des équinoxes. Ce fringuant power-trio nous sort là un véritable fumet d’outre-tombe, et c’est à tomber. Lemmy mâche sa morve et il crache des horreurs. «No Class» est aussi monté sur un riff du MC5. Fast Eddie joue le rock de Detroit. Lemmy hurle comme le petit dernier de la famille des damnés de la terre. Ses verrues tremblent. La sueur ruisselle dans son sillon velu. Et Fast Eddie arrose tout au napalm. S’ensuit l’heavy romp de «Damage Case», un vrai stomp poivré au pilonnage intensif. C’est à la fois fabuleux, pointu et pompé. Ils ont vraiment de la puissance à revendre. Aucune chance de s’endormir en écoutant ça. Retour au big heavy sound des enfers avec «Metropolis». Voilà encore un monument de heavyness, suivi d’un autre classique hirsute, «Limb From Limb» ou Fast Eddie joue une fois de plus comme un dieu radieux.

    Eddie est intarissable : «À cette époque, on jouait très fort parce que c’était la classe.Mais ce n’est pas douloureux, ça te donne juste un coup dans la poitrine. Un soir, au Marquee, on avait joué vraiment très très fort. Je suis rentré chez moi et j’ai mis Blow By Blow de Jeff Beck sur la platine. Je n’entendais pas la guitare. J’entendais uniquement la basse et la batterie, et pas les aigus !»

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    Ace Of Spades paraît en 1980. Ils attaquent avec un morceau échevelé, monté sur un riff d’Eddie le pyromane. Lemmy en profite pour avancer son meilleur guttural. Mais c’est Eddie qui fait le show, une fois de plus. Il est partout. Absolument partout. On admire ce qu’il fait dans «Love Me Like A Reptile». Il nous barde ça de riffs de toutes les couleurs, de petits retours retors, de tortillettes infectueuses. Il n’a que deux bras et pourtant il joue comme dix. Il fait aussi des siennes dans cette fabuleuse tranche de heavy blues qu’est «Shoot You In The Back». lls finissent l’A avec un fantastique hommage à Vulcain, le dieu des enclumes : «(We Are) The Road Crew». C’est stompé à la vie à la mort. De l’autre côté, nos trois amis développent la puissance d’une division de Panzers avec «Fire Fire». Motörhead invente là le son de l’avance inexorable, du mur de flammes, de l’enfoncement de la ligne Maginot et Eddie danse dans les flammes, il claque ses riffs fatals - Big black smoke/ Ain’t no joke ! - Autre merveille de heavyness, «The Chase Is Better Than The Catch». Ils stompent comme des brutes et ils bouclent avec «The Hammer» qui sonne comme «Ace Of Spades». Lemmy dérape dans le gras de sa voix chargée et relance des dynamiques épouvantables.

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    N’ayons pas peur des mots : No Sleep Till Hammersmith est probablement l’un des plus grands albums live de l’histoire du rock. Dès «Ace Of Spades», c’est l’enfer sur la terre. Littéralement. On entend arriver la cavalerie de la mort barbare, avec Fast Eddie en tête. Dire qu’on adore Motörhead n’a rien d’exagéré. Ces gens-là ont une simili-dimension divine, ne serait-ce que par l’insolence de leur puissance magnanime. Sur cet album, tout est spectaculairement bon. «Metropolis» est heavy à souhait. Même chose pour «The Hammer», monté sur un beat enfonceur de portes ouvertes. Lemmy s’y arrache la glotte au sang. Quelle dégelée, ça claque et ça fouette, ça pète et ça pisse en montant chez Kate, ça dégage et ça dégueule, ça pétarade et ça bombaste, ça tout ce qu’on veut. Ça casse la baraque, ça fout le feu aux poudres et ça défonce des mâchoires. Ça ne recule devant rien, ça déblaie les barricades et ça débouche les chiottes. Ça écroule les immeubles et ça tue les cloportes. Même chose avec «Iron Horse», une chanson en hommage aux Hell’s Angels - It’s called iron horse/ Born to lose - Puis on retrouve le fameux «No Class» et son riff du MC5. Cavalcade effrénée. On tombe avec grand-mère dans les orties. C’est hallucinant de véracité ergonomique. Et pouf, ils enchaînent avec «Overkill», qui est une véritable abomination. Rien au-dessus de ça. Rien. Voilà le cut intense, carbonisé et tendu à mort par excellence. Insurpassable. Aucun power-trio ne peut rivaliser avec Motörhead. Ils sont foncièrement déstructurants. Ils cognent les neurones comme des boules de billard. Ils tournent à l’énergie rock ultime. Toi la limace, ne viens pas baver sur Motörhead. On trouve à la suite d’autres monstruosités du type «(We Are) The Road Crew», un cut hanté par les hurlements de Lautréamont, version dévastatrice et belle tranche de génie britannique. Ils enchaînent avec «Capricorn» et voilà «Bomber», gros tas d’accords brûlés, ultime et désarçonnant, une chose qui file à toute blinde et qui rougit comme la braise sur laquelle on souffle.

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    Iron Fist se présente comme un album sans surprise, rempli de grosses cavalcades, de guttural et de coups de suspensif signés Fast Eddie. Avec «Heart Of Stone», on a un pur blast de fournaise - Leave me alone/ Get off the phone/ I’ve got a heart of stone - Lemmy dédie «Go To Hell» à ceux qui le dénigrent et il en rajoute avec «Loser» - I’m a loser/ That’s what they said - Lemmy adore régler ses comptes avec les cons - Now I got their women in my bed - On a là un classique du rock anglais. De l’autre côté, il évoque ses souvenirs du Canada et de cristal meth dans «America» - Lemmy et Mick Farren ont ça en commun : ils se sont fait virer de leurs groupes respectifs, Hawkwind et les Deviants, à la frontière du Canada - Et Fast Eddie continue d’enluminer les morceaux de lueurs incendiaires, comme c’est le cas dans «Shut It Down».

    La relation entre Lemmy et Fast Eddie avait commencé à se détériorer. Eddie ne supportait plus les frasques d’un Lemmy qui s’évanouissait sur scène. Eddie : «Il est resté éveillé pendant trois jours et trois nuits en buvant de la vodka. Les groupies l’ont sucé toute la journée. Et puis on est monté sur scène. Il y avait 12.000 gosses entassés là-dedans pour nous voir. Toute la journée, des mecs m’ont proposé des lignes de coke et tout un tas de trucs et je n’ai bu qu’une putain de Heineken, parce que je voulais garder la tête froide. On jouait depuis quarante-cinq minutes, et paf, Lemmy s’est évanoui. Phil et moi on était furieux. On a gueulé et il nous a dit : ‘Ça n’a rien à voir avec le fait que je suis debout depuis trois jours et trois nuits !’ Il nous prenait vraiment pour des cons : pas dormir pendant 72 heures et se faire tailler des pipes à longueur de journée, ça n’a rien à voir avec l’évanouissement, bien sûr que non !»

    Le coup de grâce survint lorsque Lemmy accepta d’enregistrer «Stand By Your Man» de de Tammy Wynette avec Wendy Williams & the Plasmatics. Tout le monde se souvient que la pauvre Wendy avait des beaux nibards, mais elle chantait comme une casserole. Lemmy demanda à Eddie Clarke de jouer sur le single. Il refusa et quitta le groupe. Lemmy : «C’était juste pour rigoler, mais ça s’est transformé en galère à cause d’Eddie... Eddie et ses problèmes... C’est impossible d’être bien avec tout le monde. De toute façon, les choses devenaient compliquées. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Ce n’était pas uniquement ce single. Eddie n’est pas un mec joyeux et ça devait mal finir. On pensait qu’il allait jouer sur le single, puis tout à coup, il a voulu le produire et il s’est barré. C’était bizarre. Il aurait pu partir à un moment plus favorable, avant ou après la tournée. On avait fait les deux premiers concerts de cette tournée, et il se barre. C’est dur, hein ?» Il ajoute : «Tous les trois mois, Eddie quittait le groupe. Ça a duré tout le temps qu’il était dans le groupe. Il menaçait tout le temps de se barrer et cette fois, Phil et moi on lui a dit : ‘Dégage connard, on ne te parle plus !’ Et il est parti.» Comme dans toute séparation, on a des sons de cloches différents. Voici celui de Philthy : «On savait tous que ‘Stand By Your Man’ était un single pour la rigolade.On avait enregistré les parties instrumentales, et dès que Wendy a commencé à chanter, Eddie s’est levé et a dit : ‘Je sors pour aller manger un morceau !’ Et il n’est jamais revenu. Il a dit : ‘Si ce putain de single sort, je ne veux pas que mon nom y soit associé !’» Eh oui, Fast Eddie avait bien raison de ne pas vouloir être associé à cette fumisterie.

    Vingt ans plus tard, Eddie revenait sur la cause de son départ : «Je suis parti pour sauver ma peau. Lemmy est un putain de surhomme, franchement. Il n’arrête jamais de travailler, sauf quand il s’écroule et doit récupérer. Il atteint la cinquantaine, à présent, et il ne s’est jamais arrêté. Moi, je suis cuit, et j’ai fait un break ! Lemmy a toujours continué au même rythme. Chaque fois que je le vois, j’éprouve un certain bonheur à le voir en bonne santé.»

    Lorsqu’il monte Fastway, Eddie constate qu’avec Motörhead, il a régressé en tant que musicien : «Quand j’ai commencé à répéter avec Pete Way, le bassiste d’UFO, je me suis dit : ‘Putain, ma guitare sonne vraiment bien !’ C’est parce qu’il y avait une basse derrière. En jouant avec lui, j’ai compris que le son dépendait des autres. Si tu joues avec un beau son de basse, tu peux jouer plus léger sur ta guitare. Avec le son de Motörhead, tu ne peux pas te détendre. Tu restes en alerte et tu fonces. Je pense que les drogues entraient en ligne de compte, mais je ne suis pas sûr. Je ne veux pas entrer dans un délire philosophique.Il faut voir dans quel état on était à l’époque !»

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    Fastway paraît en 1983, soit un an après Iron Fist. Pete Way n’est pas resté dans le groupe. Topper Headon devait y battre le bon beurre, mais c’est l’ex-Humble Pie Jerry Shirley qui récupère le job. Avec son nouveau groupe, Fast Eddie change complètement de son : Dave King, le chanteur qu’il a embauché, sonne exactement comme Robert Plant. On ne trouve pas vraiment de hits sur ce premier album de Fastway. Fast Eddie joue la carte du son pulpeux et le groupe flirte avec le glam dans «Easy Livin’» puis revient au boogie-blues avec «Feel Me Touch Me». Mais avec «All I Need Is Your Love», tout devient clair : c’est du pur Led Zep. Fast Eddie joue la carte du rock anglais, mais de façon admirable et volontaire. «All I Need Is Your Love» pourrait très bien figurer sur le mighty Led Zep 1. Ils restent dans ce son avec «Another Day». Eddie rôde bien dans les parages, pas de demi-mesure, need somebody, Dave King chante ça avec une parfaite abnégation, il fait l’apprenti Plant bien intentionné. Ces gens-là savent vraiment se déterminer et Fast Eddie multiplie les incursions intestines, alors tout va bien, il lutte dans le gras du glas qui sonne pour qui sonne le glas, il titille ses petites notes féroces qui s’en vont se perdre dans la nuit comme des feux follets. «Heft» s’inscrit dans la meilleure tradition du heavy rock blues anglais, Dave King est dessus. Fast Eddie savait très bien ce qu’il faisait en l’embauchant. Et il ne rate pas une seule occasion d’aller briller au firmament des guitar slingers, il joue tout ce qu’il peut dans «Say What You Will». Il adore partir en vrille. Il assure la victoire avec «You Got Me Runnin’», il multiplie les vrilles judicieuses, il soigne ses intestines et redore le blason du cursif exacerbé. Fabuleux bretteur.

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    L’année suivante paraît All Fired Up. On y trouve deux très belles énormités : «Misunderstood» et «Station». Fast Eddie attaque le premier au riff tordu et Planty King fonce dans le tas. Ah il faut entendre ce guitariste génial placer ses riffs alarmistes et ses dégringolades de gammes. Quand il part en solo flash, c’est superbe. Il semble arroser toute la planète. Back to the heavy sludge avec «Station». Admirable car gratté aux millions de notes fast-eddiques fatidiques. Il en rajoute encore à chaque tour. Il part en solo comme dans un rêve et joue même tout le cut au long. Nouveau festival avec «Hurtin’ Me», idéal pour un géant du heavy blues comme Eddie. Il le joue même au suspensif. Dave King continue de faire son Plant et il est plutôt bon à ce petit jeu. Eddie joue le heavy blues en filigrane dans «Tell Me» et passe au heavy glam avec «Hung Up On Love». On est dans le meilleur du rock anglais des seventies, ils mélangent Led Zep et les Stones. On sent bien que ces quatre mecs en veulent. Sur cet album, tout est joué au maximum overdrive de Fast Eddie. Il amène une énergie spéciale et travaille tous ses cuts en sape. Il réserve ses meilleurs heavy chords pour «Telephone». Planty King se positionne face au vent, et ça part en mode heavy blues à la Free, mais attention, Eddie rôde comme un vautour dans les parages. C’est un sacré vénéneux.

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    Avec Waiting For The Roar, les choses commencent à se gâter. Fast Eddie et ses amis vont sur une sorte de hard-rock symphonique à la vieille mormoille purulente, ce hard dégénéré et atrocement commercial qui fit tant de dégâts dans les années quatre-vingt. Dave King chante de plus en plus mal. Il a perdu le plan du Plant. En entendant ça, Lemmy devait bien rigoler. Au moins, Motörhead n’est jamais tombé dans ce panneau. Fastway fait une cover du «Move Over» de Janis, mais bon, allez plutôt écouter Janis. Ils tentent un retour à Led Zep en B avec «Rock On» et Fast Eddie y fait son numéro de cirque à la Jimmy Page. On le sent fasciné par le vieux son du premier Led Zep de 68. Mais ça déraille assez vite, car ils se mettent à sonner comme Queen. Ils font un stomp à la petite semaine dans le morceau titre et ça redevient horriblement putassier. Ils devaient avoir pour consigne de faire rentrer les sous. Ils terminent avec un «Back Door Man» qui n’est ni celui de Wolf, ni celui des Doors. Ne rêvons pas.

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    Nouveau changement de personnel pour les deux albums suivants, On Target et Bad Bad Girls. Fast Eddie est le seul membre originel. Le voilà entouré d’une véritable caricature de groupe. Les pauvres, on les voit s’enfoncer dans le bad taste et la mauvaise hurlette. On ne parle même pas de la qualité des compos. Alors forcément, on pense à Lemmy qui en écoutant ça a dû tomber de sa chaise pour se gondoler de rire. Il a même dû s’en coincer la mâchoire, comme quand on bâille trop fort.

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    Dix ans après, Fast Eddie retrouve la raison et reworke ses cuts dans On Target Reworked. L’album vaut le détour, rien que pour l’extraordinaire dégelée de furiosa del sol d’«Easy Livin’», un cut tiré du premier album et parfaitement digne du Led Zep 1. S’ensuit un heavy «Show Some Emotion» qu’Eddie joue en profondeur et on se retrouve une fois encore avec une incroyable dégelée de bonne prestance. Fast Eddie embarque «Say What You Will» au heavy beat et renoue d’une certaine façon avec Motörhead. Même genre de fournaise, c’est battu comme plâtre. Toute la fantastique énergie d’Eddie accourt au rendez-vous. Sur cet album, on trouve aussi le fameux «Trick Or Treat» tiré d’une bande-son. C’est du beau rock anglais joué à la Fast. Ce démon d’Eddie adore les grands accords triangulaires. Très british, très stompé du stamp. Eddie revient à son cher cocotage dans «The Answer Is You». Heavy Fastway baby. Il joue sur le pourtour des accords, il voyage bien dans ses gammes, il agit en sonic-boomer patenté. Sorti du blasting de Motörhead, il semble respirer à pleins poumons. Encore plus colossal, voici «These Dreams». L’intérêt d’un guitariste comme Fast Eddie, c’est qu’il joue tout ce qu’il peut, alors on tend l’oreille. On retrouve aussi le fameux «Station» tiré du deuxième album et voilà «Change Of Heart», certainement la plus grosse rockalama du disk. C’est excellent car visité de part en part. «Two Hearts» regorge aussi de puissance. Eddie n’en finit plus d’allumer la gueule de ses cuts, il les remplit de son à ras-bord. Ça reste excellent, même avec un son daté. Eddie est à la fête, il voltige dans ses cuts et bat tous les records de présence. Encore un extraordinaire déploiement de forces dans «She Is Danger», et puis voilà.

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    Fast Eddie enregistre un dernier album en 2011 : Eat Dog Eat. C’est un gros pépère bourré de son. «Lovin’ Fool» emporte tous les suffrages : incroyablement bien structuré, plutôt seyant, pur farniente, Eddie fait ses adieux au rock en beauté et part en vrille de Master Faster. L’autre gros coup, c’est «Love I Need» - I’ve been riding/ Riding for so long - Eddie est un géant, alors il s’amuse avec les petites choses de la terre. Il joue tout en filigrane, fastin’ it all, à sa manière, inventive et haletée, volubile et volage, et il finit par s’écrouler dans le brasier d’un empire en flammes. Le «Deliver Me» d’intro sonne comme un heavy sludge chanté au heavy slab de Sabbath. Back to the old British pathos, babe. Les Anglais adorent ce son pourléché et bien plombé. Fast Eddie semble survoler son cut comme un vampire. On le voit aussi claquer ses accords dans l’écho du temps avec «Fade Out». C’est tellement bourré de son que le commentaire devient inutile. Dommage que le chanteur Toby Jepson ne soit pas si bon. Il fait ce qu’il peut, mais au fond ce n’est pas si grave, car on est là pour Eddie. D’ailleurs, il remet les bouchées doubles avec «Leave The Light On». Oui Eddie joue comme un crack, il wha-whate ses vieilles dégoulinades de génie. On le voit aussi attaquer «Sick As A Dog» au riff demented. Pas de porte de sortie, c’est du riff pur, Eddie nous embarque dans son sick sick sick et profite de l’occasion pour placer un solo en flammes. On est là pour ça, ne l’oublions pas. Quand on aime les solos en flammes, c’est lui ou Wayne Kramer qu’il faut aller voir. Avec «Who Do You Believe», Eddie veille au grain. Heavy as hell. Le seventies sound, c’est leur domaine. Believe est probablement le hit du disk, ne serait-ce que pour le petit coup de vrille en back door man. Il boucle l’album avec «On And On», joué au vieux tombé d’accords seventies. Quelle incroyable sévérité de la fidélité ! - I’m sorry/ There is nothing more - The Fast of it all, ce démon d’Eddie n’en finit plus d’entrer dans le lard du cut à coups de solos répétitifs et allumés.

    Et voilà qu’on apprend sa disparition. Motörhead et les Ramones ont un joli point commun : plus de survivants. On craint surtout que la démesure disparaisse avec tous ces géants. Le grand livre du rock n’en finit plus de se refermer. Bientôt l’âge d’or du rock ne sera plus qu’un pâle souvenir.

     

    Signé : Cazengler, Fesse Eddie tête à Clarkes

    Fast Eddie Clarke. Disparu le 10 janvier 2018

    Curtis Knight Zeus. The Second Coming. Dawn 1974

    Motörhead. Motörhead. Chiswick Records 1977

    Motörhead. Bomber. Bronze Records 1979

    Motörhead. Overkill. Bronze Records 1979

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

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    ( sans la participation d'Eddie Clarke )

    Motörhead. Ace Of Spades. Bronze Records 1980

    Motörhead. No Sleep Till Hammersmith. Bronze Records 1981

    Motörhead. Iron Fist. Bronze Records 1982

    Fastway. Fastway. CBS 1983

    Fastway. All Fired Up. Columbia 1984

    Fastway. Waiting For The Roar. Columbia 1985

    Fastway. On Target. GWR Records 1988

    Fastway. Bad Bad Girls. Enigma Records 1990

    Fastway. On Target Reworked. Receiver Records Limited 1998

    Fastway. Eat Dog Eat. Steamhammer 2011

    *

    Quelle était la couleur de la couleur tombée du ciel ? Ne voudrais pas avoir l'air de me vanter mais à moi tout seul j'ai résolu la grand mystère littéraire du vingtième siècle. Beaucoup se sont cassés les dents sur cette énigme posée par la nouvelle de Lovecraft. Je sens que certains vont en être verts de rage, rouges de honte, bleus de stupeur, noirs de colère, z'auront beau rire jaune en prétendant qu'ils le savaient mais que seule leur modestie les a empêchés de proclamer la vérité. Bernique ! Nique ! Nique ! Nique ! Vive les seins de Sainte Dominique !

    La solution m'est apparue le matin en ouvrant la fenêtre. Un paysage apocalyptique. Sibérien. Méconnaissable. Le truc qu'on gère pas. Cette couleur maléfique lovecraftienne, ourdie par les sombres agissements de Cthuhlu pour étendre sa domination sur le monde entier, n'est autre que celle du fameux cheval d'Henri IV, le blanc, si blanc que pour un peu vous le prendriez pour de la neige. D'une nocivité extraordinaire, une espèce de poulpe poudreux qui s'attachait aux roues de la Teut-Teuf et l'immobilisait ad vitam aeternam. Même pas pu aller à la Comédia à Montreuil vendredi soir. Aux grands maux les grands remèdes. Samedi matin, ne me suis pas dégonflé, suis sorti en pyjama sur le bord de route, la traduction par Phillipe Pissier de Magick en mains, et ai prononcé le Rituel Sacré de la Toute Puissance d'Aleister Crowley, et vous pouvez m'en croire, le soir même la route de Troyes était complètement dégagée, libre de toute teinte cthulhuéenne, j'en hulule encore de joie.

    Connaîtriez-vous une force maléfique capable d'empêcher irrémédiablement un rocker d'assister à un concert !

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    10 / 02 / 2018TROYES

    LE 3B

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    ( Journaliste avec lunettes )

    D'autant plus que ce soir nous avons atteint l'immortalité. Enfin presque. Programmée pour 2019 – 2020. La radio es là. Venue explorer le monde turbulent des rockers. Journaliste sympathique – je ne voudrais pas donner dans l'identitaire départemental mais nous partageons la même origine ariégeoise - qui ouvre son micro et nous interviewe à tour de rôle – l'a du courage, la sono de Fab, la meute des assoiffés qui se pressent autour du bar et se compressent dans les coins, mais l'est tout content, l'enregistre tout ce qu'il lui faut, tout le rock'n'roll en vrac, du rockabilly au métal, des tatouages aux blousons, des voitures à la rebelle attitude, Hank Williams, Gene Vincent, Kr'tnt, Jean-Jacques, Alec, Billy, Christophe, l'a tout en lambeaux, ne lui reste plus qu'à remettre en ordre, n'a même pas oublié d'enregistrer Eddie and The Head-Start. Les voici.

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( SANS EUX )

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    N'ont pas casé le batteur tout au fond comme tous les autres groupes. Ce n'est pas qu'ils cherchent l'originalité. Eux ce serait plutôt l'authenticité. Pour la simple et bonne raison qu'ils n'en ont pas. A Troyes – et partout ailleurs - ne sont que trois. Guit acous, contrebasse, lead électrique. Pas plus, ni moins. Ne faites pas l'étonné, rappelez-vous qu'en ses débuts Elvis ne possédait pas de batteur. L'a ajouté quand le monde a commencé à affluer aux concerts et qu'il fallait un certain volume pour se démarquer du bruit de l'assistance. C'était du temps où il a gagné son surnom d'Hillbilly Cat. Le puma des Ardennes en français approximatif. Le Hillbilly est un genre à part en soi. L'art des garçons de ferme. Les rustauds qui ne peuvent voir une meule de foin sans y coucher la première fille qui passe sur le chemin, pas des intellos, des ploucs à la comprenette dure. Méfiez-vous sont plus malins qu'il n'y paraît, l'esprit des coyotes habite l'âme des chats efflanqués des collines. Le hillbilly ça sent le bal du samedi soir, le purin, et le bousin de long horn. Bouchez-vous le nez mais ouvrez vos narines toute grandes. Se métamorphosent lorsque l'exode rural les pousse à la ville. Se payent de belles chemises, roulent en mécaniques rutilantes, et bye-bye les aigres-douces chansons nostalgiques, donnez leur un micro, s'en servent comme d'un cocktail molotov, le hillbilly s'enflamme et devient rockabilly. Une mutation. Si Darwin avait vécu assez longtemps, s'en serait servi pour expliquer les sauts qualicatifs qui ont présidé la longue marche des espèces qui depuis la disparition des dinosaures a permis à l'homme de s'améliorer sans fin. Certains mêmes affirment que le hillbilly man et le rockabilly man sont les stades suprêmes de l'évolution humaine, que depuis la race hominienne régresse, dégénère, et court à sa perte. Mais quittons ces vues philosophiques pour regarder :

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( AVEC EUX )

    Eddie Gazel. Fils ne vous gardez point à droite, le reître Thibaud Choppin s'en charge. Fils ne vous inquiétez pas de gauche, le soudard Stéphane Beaussart y veille. Le vrai père, Thierry Gazel, n'est pas loin, viendra plus tard ramoner la big mama de Thibaud, mais n'anticipons pas. Avec de tels arrières latéraux, l'est tranquille Eddie, guitare en main et bouche au micro. A trois défendent le pont-levis du hillbilly. Si vous voulez forcer le passage, passez devant. Qui s'y frotte s'y pique. Ça n'a l'air de rien mais il faut les qualités requises indispensables, du swing percutant, du contrapuntique contraignant, et un vocal de crotale.

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    Pour le swing, vous avez Thibaud Choppin. Posté de guingois, à l'affût derrière sa big mama, vous lance un regard de chef-indien là-haut sur son piton rocheux qui examine le convoi des charriots qui s'approche du défilé de la mort certaine. Qui dit swing ne dit pas jazz. Pensez à pulsation. Agonique et précipité. Le Choppin quand il vous choppe sa contrebasse ce n'est pas pour éplucher le bulletin météo. Avec lui, c'est tempête et tremblement de terre force huit. Ne descend jamais au-dessous. Crève le plafond de temps en temps. Joue un peu à la manière de Jessie James quand il rackettait les banques. Mais avec le sourire en coin et l'ironie mordante qui fuse de ses lèvres dès qu'il peut en lâche une. S'amuse, avec une main, avec deux, avec trois, avec quatre, pas le temps de vous demander d'où il les sort, et même sans aucune.

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    A Stéphane Beaussart échoit la tâche la plus difficile. Le hillbilly ressemble davantage à trois coups de poings bien appliqués qu'à une stratégie à la Napoléon. Un seul mot d'ordre. Vite fait et bien fait. Le nez en sang et l'on passe au suivant. Beaucoup plus jumpin' que gallupin'. Pas la possibilité de se livrer à de grandes galopées. Pour les envolées lyriques vous repasserez. Faut être présent à tous les instants, plantez le clou au millimètre près. Juste entre deux hennissement de la big mama et conclure juste après la voix, un jeu, un question-réponse, un dialogue à trois, ni oui ni non, mais un mot chacun, monosyllabique, placé le plus vite possible sans empiéter sur celui qui vous précède et en laissant le moins d'espace possible à celui qui prend la suite. De la haute école. Exercice collectif des plus difficiles. S'en tirent comme des rois avec l'impertinence des bouffons. S'amusent comme des fous, complicité souriante, émulation rieuse.

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    Je vous refile les dates – en comptant très large, 52 – 57. L'ère du déploiement du hillbilly, certains compressent entre 54 – 56, l'instant de la pliure, du passage du hillbilly au rockabilly en s'abstenant de franchir le col du rock'n'roll. Certes nos trois cavaliers reprennent du Little Richard et du Gene Vincent, mais ce que moqueusement l'on nommera les slows, le Send Me Some Lovin du petit Richard qui sent encore la vase du bayou et le clapotis des alligators, et le Peg O' My Heart de l'idole noire, de la chanson populaire parce que pour embarquer les gerces c'est quant même plus voluptueux qu'une course en hot-rod avec le diable. De toutes les manières, ce qui compte, c'est l'art et la manière de présenter la bagatelle. Faut savoir être tendre sans passer pour un benêt, le hillbilly est une musique perverse. Tenez-vous le pour dit.

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    Eddie Gazel parfait dans le rôle. L'a tout pour lui. La jeunesse et la beauté. L'oeil de velours et le regard assassin. Et puis la voix. Flexible comme un queue de crocodile. Capable de se lamenter sans nous faire pleurer. Malmène sa guitare comme un chien gratte ses puces. Force rythmique d'appoint et d'assaut. Siffle comme un serpent dérangé dans sa sieste, l'a tous les articles en magasin, à l'aise dans tous les registres : nostalgie country, rupestre campagnard, boogie électrique, un répertoire qui court de la ruralité cajunique d'Al Ferrier au baryton épineux de l'Elvis de chez Sun, du pizzicato de Johnny Burnette à la ballade pseudo-romantique. Lève la guitare vers le ciel et profile un jeu de hanche des plus terrestrement lascifs.

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    Trois sets, le premier à dominante hillbilly, le deuxième davantage rockabilly, le troisième pas rock'n'roll mais presque. Beaucoup d'aisance et de facilité. Thibaud Choppin délaisse sa big mama pour se mettre l'assistance dans sa poche avec sa belle voix grave, Stéphane Beaussard se permettant un instrumental très surfin' manière de montrer que sa monture pâture aussi en d'autres lieux, son voilier tatoué sur son avant-bras comme signe de recherche et d'aventure. Eddie en meneur de jeu. Sait instaurer une communication des plus directes et des plus primesautières avec le public qui adore. Faut un sacré tallent à Eddie pour que dès le premier morceau tout le monde se masse devant les Head-Starts et adhèrent à cette musique chargée d'anciennes rurales fragrances qui ne correspondent plus à notre monde urbanisé. Une musique moins chargée d'impédence électrique que le groupe a su rendre sans effort, actuelle. Rarement – et pourtant les Dieux savent combien le public du Bar de Béatrice Berlot est chaud et réceptif – un groupe aura reçu une telle écoute et suscité une telle ferveur.

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    TOM ROISIN

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    ( Trouvez Tom ! )

    Entre deux sets, Tom Roisin nous interprète trois titres d'Hank Williams, Jambalaya, Honky-Tonky, I Saw the Light et un dernier Folsom Prison Blues de Johnny Cash. Belle allure sous son stetson immaculé et dans son costume impeccable. Autodidacte et passionné de country Tom Roisin, persévère. S'accroche à son rêve et commence à tenir le chat du diable par la queue. A suivre. Bon Gumbo.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    MY NAME IS EDDIE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    Rhythm Bomb Records. RBR 45 – 29.

     

    My name is Eddie : racatement de basse, le jeune Eddie vous prend la voix traînante d'un vieux vacher des Appalaches, Beaussart pointille comme un pic-vert, Choppin tamponne comme un wagon, dépaysement garanti. Pas le temps de voir passer, que déjà ils expédient la fin dans les règles de l'art, ça tressaute comme un cul à cru sur un cheval bondissant. Blues stop knocking : croisements d'autoroutes, celle de la ballade country avec la séminalité sous-terraine du country blues. Sur le refrain l'ensemble s'envole vers les grands espaces, mais sur le solo Beaussart tire du côté d'Arthur Crudup, Eddie vous emprunte les échangeurs sans jamais se tromper, goudronnage et tenue de route assurée par la maison Choppin. Playmate : Beaussart et Choppin vous mènent un quadrille d'enfer, et la gazelle Eddie vous fait de ces piqués de voix à vous faire voir des éléphants roses. I wanna make love : tout ce qu'il faut faire, je parle de l'union physique de l'instrumental avec le vocal. Chacun à son tour par-dessus et puis par dessous. Plus les petites spécialités individuelles. Bref ça balance et roule vers le rock'n'roll de bien jolie façon. S'éclatent comme des bêtes vicieuses. Un prix d'originalité sera décerné à Stéphane Beaussart pour son solo.

     

    Old style never dies !

     

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN ET LE RÔDEUR DE MINUIT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / 2018 )

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    Roman. C'est écrit sur la couverture. Déduction logique : tout ce qui est écrit est faux, sorti tout droit de l'imagination fertile de Michel Embareck. A part que tout ce qu'il raconte est totalement vrai. Même si vous n'avez jamais porté la moindre créance au concept de vérité – pure et intangible – du sieur Platon. N'avez qu'à lire pour vous en être persuadés. Très simple, cet embrouilleur d'Embareck nous fait le coup du bonneteau littéraire. Z'êtes sûr que sous le godet du milieu se trouve un roman, erreur sur toutes les lignes, c'est votre vie qui est mise en scène en deux cent cinquante pages. La vôtre, la nôtre, la mienne. Inutile de bomber le torse, l'est retors l'Embareck, non, ce n'est pas le roman dont vous êtes le héros. Pas de place pour vous. N'en a déjà mis que deux sur le titre, Dylan et le Rôdeur de minuit, mais c'est un fusil à trois coups, le troisième est habillé tout en noir. Pas besoin de pousser la description plus loin, quel faquin ne reconnaîtrait pas Johnny Cash, the man in black, en cette sombre silhouette ?

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    Pas de problème l'histoire vous connaissez : la bio ( et de broc ) de Dylan et de Johnny Cash. Pourriez la réciter par cœur, l'est finaud l'Embarech, ne fait pas dans le détail, la révélation minuscule que personne ne connaît. En gros, vous n'apprendrez rien. De toutes les manières tout est faux. Etabli sur des faits certifiés conformes, rien de plus facile pour vérifier : presse d'époque, témoignages assermentés, vidéos, livres, disques. Ne manque pas un biscuit dans la cambuse. D'ailleurs l'Embareck se dépêche de les refiler aux rats, lui le maitre-coq vaudou, il travaille avec le vent qui bouscule la mâture. Blowin' in the wind, comme dirait l'autre.

    Commençons par nous débarrasser de l'assassin. N'ayez pas peur, pour un criminel, il n'est pas dangereux, le gars qui ne tue même pas une mouche de tout le roman. C'est peut-être pour cela qu'il vous ressemble. Un mec plutôt sympathique. Toutefois, tout ce qu'il a fait de bien dans sa vie, ce n'est pas de sa faute. Aucune médaille à lui décerner. L'Ici et Maintenant des philosophes. Hasard et circonstances. Son seul mérite c'est d'être sorti du ventre de sa maman au bon moment. Pile-poil à l'heure pour devenir disc-jockey au début des années soixante à Shrevreport. En Louisiane, l'état marécageux des States où les alligators dans leur barbote ont inventé des horreurs sans nom qui ont pour nom : jazz, blues, rhythm'n'blues, rock'n'roll. Bref notre animateur radiophonique l'a tout vu et tout entendu. Les Beatles, les Stones et, ce qui tombe super pour le bouquin, rencontré Dylan et Cash. Evidemment sur une carte de visite, ça en impose. De quoi être jaloux. D'ailleurs à la fin du film de sa vie, l'Université – avec un grand U comme Urinoir - vient l'interviewer. Si cela vous arrive, dites-vous que votre cercueil se rapproche de vous, vitesse grand V. Pas Victoire, genre Vanité des Vanités...

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    Je sens votre impatience. Le lectorat kr'tntique n'a qu'un mot à la bouche : Cash ! Cash : Cash ! Etrange de voir comment le country man a été adopté par les rockers depuis une vingtaine d'années par chez nous, encore plus que Jerry Lee Lewis – le grand absent de ce livre d'ailleurs, mais peut-être qu'Embareck se réserve-t-il le Killer pour parfaire une trilogie commencée avec Jim Morrison et Le Diable Boîteux . Donc Cash. Honneur à la dame de cœur. Très beau portrait de June Carter. June, le trublion de la Carter Family. La fofolle de service. La gamine irrésistible. Instinct et joie de vivre. Tout ce que Johnny n'est pas. In his mind. Un coincé de la tête. Parce que selon son corps, c'est davantage borderline. Z'oui mais la pieuvre du puritanisme, pouvez lui couper les tentacules par centaines elles repoussent toujours. C'est cela la malédiction d'être né pauvre. Non seulement vous n'avez pas d'argent et vous bouffez tout juste ( vraiment juste ) à votre faim, mais pour la largesse d'esprit c'est vache maigre et chambre d'étudiant au dix-huitième étage sans escaliers et les chiottes sur le pallier. Tout le reste est squatté par la peur des sept péchés capiteux et l'observance des dix commandements. Mes très chères sœurs et mes très chers frères, nous avons le regret d'avoir à condamner notre idole, Johnny trompe sa femme, boit comme un trou et gobe les pilules comme certains les patenôtres. Nous lui pardonnerons, son métier, la fatigue, la route, les tournées, les filles qui s'offrent, le diable a mille perversités dans son escarcelle...

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    Voici Dylan. Une autre problématique. Lui le danger n'est pas dans sa cabosse. Vient de l'extérieur. Des autres. Bien entendu de ceux qui l'aiment le plus. Le public, les fans. Au début le Bobby, faut pas grand chose pour le rendre heureux, une guitare, une gratte, une sèche, une acoustique, un harmo pourrave, et le répertoire folk qu'il a emmagasiné dans sa tête. Encore un qui arrive comme la soupe sous le cheveu. Ne pouvait pas mieux tomber avec sa voix de chat écorché. En plein dans la vague contestataire. Combat pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam. Bien sûr qu'il partage ces idéaux, par contre ne se sent pas très à l'aise dans la bonne ouate de gauche, l'impression de se faire manipuler, d'entrer dans de nouveaux carcans, idéologiques. L'autre face de la bonne conscience se nomme nouvelle morale. Alors il commet l'outrage suprême. L'ignoble trahison. Il électrifie le folk. S'en va enregistrer chez les ploucs de Nashville. S'éloigne de sa vie de star, se marie, fait des enfants. Devient un bon père de famille. Bref à partager la vie de tout le monde, il finit par faire comme tout le monde, il s'ennuie. Le Diable possède une tentation adaptée à chacun.

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    Dylan reprend la route que Cash n'a jamais quittée. L'un pour s'éloigner du peuple de gauche et l'autre pour se rapprocher du peuple de droite. Les rebelles ne sont pas de purs chevaliers blancs irréprochables, ne sont jamais là où on voudrait les voir. Y en a tout un tas qui croupissent en prison. Cash prend son bâton de pèlerin et s'en va chanter à Folsom. Du côté de la mauvaise graine. Des voyous, des tueurs, des violeurs, de la sale engeance. Même Jésus Christ n'avait pas osé y penser. Avec les réprouvés de la société. Les enfants perdus de la misère. Sans illusion, car s'il n'avait pas eu son baryton de croque-mort il aurait peut-être fini là, lui aussi. Poussera même la roue un peu plus loin. Ira chanter pour les boys. Au Vietnam. Est viscéralement contre la guerre, mais il se doit de réconforter les guys dans le bourbier. Chante pour eux et visite les hôpitaux de campagne. Voie étroite et récupérable que Dylan ne lui pardonnera pas. Notons que Joan Baez, son ancienne compagne se rendra au Vietnam, elle aussi, mais de l'autre côté, au Nord, sous les bombes américaines...

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    Dylan et Cash, deux facettes de l'Amérique. Encore aujourd'hui beaucoup de ceux qui écoutent Johnny Cash ne prêtent qu'une médiocre attention à Dylan. La réciproque est un peu moins vraie, les méandres de sa carrière ont quelque peu altéré l'admiration béate que lui a longtemps portée son public, et le vieux Cash a bénéficié de sa longue fidélité à son propre style, n'a jamais donné l'impression de s'être renié. Embareck balaie tout cela d'un trait de plume. Cash, Dylan, même combat, tous deux chantres de l'Amérique populaire. Pas celle du massacre des indiens, du capitalisme triomphant, de la ségrégation, des mentalités de beauf en boîte, mais celle de ceux qui essaient de survivre tant bien que mal, de tracer ou d'imaginer d'autres routes. Des outlaws modernes. Une Amérique qui vient de loin, dont Cash et Dylan, Embareck nous les présentent en frères d'armes, ont tenu à garder intacte la mémoire. Se sont sentis obligés de perpétuer au travers de leurs répertoires le souvenir et la présence de ces millions d'existences anonymes, les vaincus, les misérables, les laissés-pour-compte, n'en reste rien aujourd'hui si ce n'est quelques os épars au fond des cimetières.

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    Lecteurs, je vous sens un déçus, vous avais affirmé dans le premier paragraphe que l'Embareck parlait de vous. Nous y arrivons. Vous a filé un surnom. L'a piqué aux Stones. Le Midnight Rambler, c'est vous. Vous espère un peu moins décatis que lui, parce qu'à la fin du livre il a dépassé ses quatre-vingt printemps. L'est rentré dans l'hiver. Fait un dernier point. Avant de débarrasser le plancher. Place aux jeunes. Ne s'apitoie guère sur lui-même. Comme vous, comme moi. Des hauts et des bas. Des erreurs. Je n'insiste pas. Lui non plus. Parle avant tout des autres, de l'état du monde. Le même constat que vous. Un minimum de mieux. Un maximum de pire. Ne s'est pas amélioré depuis le siècle dernier.

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    Rusé l'Embarek, s'y entend pour filer le sucre qui fait remuer la queue des chiens. Dylan, Cash, - bonjour les attrape-nigauds, pour ceux qui hésitent il rajoute Alice Cooper et Merle Kilgore, et spécialement pour moi Gene Vincent – et puis il vous balance la boule de strychnine. Des artistes comme Dylan et Cash, vous en raffolez, vous les adorez. Mais soyez justes, ils n'ont pas changé le monde. Et derrière eux c'est la faillite de toute génération qui se profile. Pardon, qui déboule. L'arrache le voile des illusions l'Embareck, devrait être condamné pour cruauté mentale, vous laisse plus nus que la vérité, et ne croyez pas que vous vous en tirerez en vous fondant dans le nombre, pousse l'ignominie jusqu'au bout – page 245 – dresse la liste de tous les noms, n'oublie personne, j'ai vérifié vous y êtes. Pourrait accomplir sa délation en utilisant une écriture neutre, mais non, l'a du brio, du brillant, de l'entourloupe, dès la première ligne vous êtes pris, ferrés jusqu'au bout. Ça bouge, ça cogne, ça vit. Vous n'y faites pas gaffe, vous distille le poison de l'échec. Triple dose, au début ça vous file un pêchon extraordinaire, mieux que l'héroïne, et puis c'est votre déchéance spirituelle qui vous azimute. Sans lot de consolation. Une bourrasque d'Embareck et toutes vos fausses raisons de vivre tombent à l'eau. Regardez-vous et enfuyez-vous en courant.

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    En fait – j'ai oublié de le préciser – le rôdeur de minuit finit bien par tuer quelqu'un. Mais quel est donc ce couteau planté dans votre dos ?

    Le rock m'a tuer.

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN

    Le personnage / Sa musique / Son guide

    NIGEL WILLIAMSON

    ( Editions de Tournon : Rough Guides / 2009 )

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    A parler de Bob Dylan autant descendre au garage voir ce que j'ai sur lui. J'en remonte avec ce beau format quasi-carré, pas très grand mais de 325 pages composées en tout petits caractères. Le livre s'arrête au moment où paraît le premier tome de ses mémoires Chroniques ( I ). Près de dix ans se sont écoulées depuis et voici deux années Dylan s'est vu remettre le Prix Nobel. Le book m'apprend dans un petit entrefilet rose qu'en 1996, un groupe d'intellectuels et d'admirateurs avaient officiellement bataillé pour la candidature du chanteur à ce prix. L'attribution du Nobel de Littérature à Bob Dylan en 2016 n'a pas été une divine surprise comme les médias l'ont présentée. Mais le fruit d'une longue et obstinée candidature sur laquelle Dylan, selon son habitude, ne s'est apparemment jamais exprimé.

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    Nigel Williamson emploie la technique dite des tirs-croisés ou des labourages quadrillés. Revient plusieurs fois sur le même sujet. La moitié du bouquin purement biographique nous raconte la vie de Bob Dylan. Assez fouillée, non exempte de réflexions critiques, tenant compte de tous les aspects de l'existence du chanteur : familiale, privée, sociale, publique, et bien entendu musicale et artistique. Le livre pourrait s'arrêter-là, mais non, Nigel est un maniaque, ou alors peut-être prend-il ses lecteurs pour des cerveaux lents, car il passe une deuxième couche : passage en revue en long et en large de tous les albums – disco officielle et survol des pirates – rajoute un troisième glacis protecteur : analyse des cinquante meilleures chansons, sans oublier de fignoler les finitions : les films, les livres, les fans, les continuateurs...

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    N'empêche que l'ensemble est agréable à lire et peu répétitif. Fourmille d'anecdotes surprenantes : je ne vous en cite qu'une, marrante, celle de A. J. Weberman qui avait pris l'habitude de fouiller les poubelles de Dylan, afin d'en retirer la substantifique moelle documentaire qui l'aidait à conforter ses vues personnelles sur la personnalité du chanteur. Le début de l'histoire du fondateur de la nouvelle science qu'il baptisa déchétologie est connue. J'en ignorais la fin. Weberman eut ses adeptes. Pas ceux qu'il aurait souhaités. Les agents du FBI mirent le nez dans ses propres poubelles. Après avoir retrouvé de suspects sachets ( vides ), ils en conclurent que Weberman était à la tête d'un trafic de livraison de marijuana à domicile et, à vous dégoûter de rendre service à vos concitoyens, l'envoyèrent séjourner en prison...

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    Une autre pour mon plaisir personnel : y avais toujours cru mais n'en avais aucune preuve : Dylan l'a confirmé lui-même : a bien pensé ( pas uniquement ) à Baby Blue de Gene Vincent pour l'écriture d'It's All Over Now, Baby Blue.

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    N'ai jamais été un fan transi de Dylan. Attention, durant dix ans le bonhomme a fait ses preuves. Prolifiquement doué. Vous tortillait une galette de vinyl comme une grand-mère bretonne une crêpe au sarrasin. L'avait la qualité essentielle du rocker : devenait méchant dès qu'il apercevait un micro dans un studio. Ne se forçait pas, arrivait les mains dans les poches, se saisissait d'une feuille de papier et il vous dégorgeait du venin comme une vipère qui n'a rien eu à se mettre sous le crochet depuis trois ans. Parfois, l'improvisait directement et les ingénieurs couraient vers la cabine pour mettre le bouton sur le ''on''. Mauvais caractère en plus, tête de lard et de cochon. Ne filait pas d'indications aux musicos. Ou ils pigeaient illico, ou ils retournaient à la maison. Un génie !

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    Reconnu comme tel. Porté par la vague des fans. Du jour au lendemain, la figure de proue du mouvement contestataire. Exactement le contraire des New Yok Dolls qui eurent trop peu pour si peu de temps, le Bobby lui ce fut trop beaucoup immédiatement. Dépassé en quelques mois par l'enchaînement et le déchaînement du succès. S'en est sorti. Parce qu'il était un cabochard. Par la petite porte. N'aimait pas qu'on lui dicte le chemin. Suze sa muse ne l'amuse plus depuis qu'il baez avec Joan de laquelle il baisse dans l'estime depuis qu'il s'en va avec Sara ça ira, pareil avec les copains, beaucoup de jaloux et lui qui ne sait pas mettre les formes pour se tirer du guêpier. Le piège ne s'est pas refermé sur lui, mais par la suite, ce ne sera plus jamais pareil.

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    L'était une idole adulée, devient une rockstar acidulée sur le tard. Vit sur son aura, sur sa réputation. S'ennuie un peu avec lui-même. L'a encore ses moments de génie, mais ils s'amenuiseront petit à petit. Il s'en fout et il en crève. Pousse le vice de la contradiction et le vide des contrariétés à se déclarer chrétien, pur beauf born again, détenteur de la vérité et sermoneur de service. Les fans de la première heure le renient, il vend ses morceaux les plus symboliques pour des pubs, ses ventes de disques s'effondrent, son divorce le met sur la paille ( relative ) alors il met au point le Never Ending Tour, une moyenne d'un concert tous les trois jours depuis vingt ans, catastrophiques ou géniaux, c'est selon.

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    Je décris, je ne juge pas. Facile de badigeonner la moraline lorsque vous n'êtes pas dans le caca. Même si l'étron est de vous. L'a transformé le rock'n'roll, l'a fait descendre de la banquette arrière des Cadillacs, et vous l'a planté au milieu de la route sous la pluie. Bye bye baby et bonjour tristesse, les ennuis commencent. Depuis il a pris ses cliques et beaucoup de claques...

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    Dylan contestataire : non. Dylan roi du folk-rock : non. Dylan rocker : encore non. Le classerai plutôt dans le country blues. N'est pas né dans le delta, n'est pas un nègre. Mais il chante et compose des chroniques sur son quotidien et celui de l'Amérique. L'a simplement élargi l'orbe des bluettes. Pour bien s'en rendre compte il suffit de comparer l'autre '' grande voix'' de l'Amérique : Bruce Springteen, sympathique mais un peu boy-scout. Lui manque le cynisme, la cruauté, la méchanceté, trop de bons sentiments. La face noire du rock'n'roll.

    Damie Chad.

     

    OUAILLE !

    DANIEL GIRAUD

    ( Clapas / 2012 )

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    De Daniel Giraud nous avons déjà chroniqué disques et différents recueils de poèmes. En voici un autre édité aux Editions Clapas. Même pas un petit éditeur, un groupe d'activistes fous qui ont durant plus de dix ans donné la parole à plus de deux cents poëtes, faites un tour sur leur site ( clapassos.pageperso-orange.fr ), semblent en sommeil depuis quelques années, mais si les ours parviennent à sortir de leur hibernation...

    Joli petit format qui s'étire et se pelotonne entre vos mains, couverture chromo, et même un dos carré pour un ensemble de 24 pages. C'est dedans que ça se gâte. Un seul poème aussi long et mince qu'une queue de marsupilami bleu. De cette couleur vous n'en trouvez pas chez Franquin. Ailleurs non plus. Foutre le Ouaï ! Attardez-vous sur le titre. Parce qu'après c'est toute la misère humaine qui se colle à vous. Pas la noire. Non celle-là, c'est facile de la chasser, ouvrez les infos et un spécialiste viendra vous expliquez que tout va bien, qu'il faut se méfier de vos ressentis. Non la bleue, la bleu-blême, celle qui se colle à votre âme et vous la teint jusqu'au jour de votre enterrement. Daniel Giraud vous raconte sa vie. Je vous rassure, aussi moche que la vôtre. Quelques pépites, mais des tonnes de scories. En plus le Giraud l'habite dans la cambrousse, à 15 kilomètres non carrossables, porte le ravitaillement dans le sac-à-dos, surtout que des fois il revient de loin, des States ou du Maroc, alors les souvenirs déboulent et s'entremêlent. L'esprit on the road again et l'âge qui encroûte les artères. Derrière la porte, c'est quitte ou double, la copine qui s'est tirée ou les copains qui attendent avec les guitares pour taper le blues, fumer et boire. Et puis les chats qui viennent vous aider à vivre et qui s'en vont à la mort. Version inaccoutumée de la théorie du ruissellement. Le malheur du monde tombe sur le poëte, super-chouette, l'occasion rêvée de se transformer en samouraï-philosophe. Vous sépare l'être du néant, la pelure de la réalité de l'orange creuse du vide, vous envoie valser dans le nirvana pour mieux vous catapulter dans les emmerdements du quotidien. '' Sans avoir de présent / comment avoir un avenir'' demande-t-il comme il vient de nous affirmer que le passé n'est plus ce qu'il était, vous voyez ce qu'il vous reste à vivre. Philosophie hippie et nihilisme punk se rejoignent en un étonnant optimisme désespéré. Mélange détonnant. Ça pète et vous éclatez. De rire. Ni humour noir, ni humour jaune. Humour-blues. Parfois à la terrasse d'un café, Daniel Giraud sort sa guitare de son étui et un recueil de sa poche et vogue la galère c'est parti pour une heure de blues-métaphysique, et les passants s'attroupent autour de lui, comme les mouches sur la merde – plus poli Cendrars employait l'expression la moitié de la face de Dieu pour désigner cette matière si fécale - comme les avares sur leur or. Les deux postulations humaines, ceux qui aiment ce qui leur ressemble et ceux qui s'accroupissent devant leur propre petitesse. Le blues, ça vous décape jusqu'à l'os.

    Damie Chad.