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michel embareck

  • CHRONIQUES DE POURPRE 680 : KR'TNT ! 680 : ANDREW GABBARD / JERRON PAXTON / DIRTY DEEP / ROBYN HITCHCOCK / TOMMY TATE / MICHEL EMBARECK / POGO CAR CRASH CONTROL / HECATE'S BREATH / WINTERHAWK

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 680

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 03 / 2025

     

    ANDREW GABBARD / JERRON PAXTON

    DIRTY DEEP / ROBYN HITCHCOCK

    TOMMY TATE / MICHEL EMBARECK

      POGO CAR CRASH CONTROL

     HECATE’S BREATH / WINTERHAWK

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 680

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

    - Quand Gabbard dîne

    (Part Two)

             L’avenir du rock ronflait à poings fermés, quand soudain, un flot de lumière l’arracha à l’ombilic des limbes. Il se redressa dans son lit et se frotta les yeux.

             — C’est quoi c’bordel ?

             Le flot de lumière éclairait violemment la chambre. On se serait cru en plein jour. Le phénomène était d’autant plus bizarre qu’il s’accompagnait d’une sorte de sifflement pernicieux, comme un ultra son. L’avenir du rock ajusta son bonnet de nuit, enfila sa robe de chambre et chaussa ses mules. Il déverrouilla la porte d’entrée et sortit dans le jardin.

             — Arghhhhhh !

             Il dut rentrer en hâte, car la lumière l’aveuglait. Il mit ses lunettes de soleil et refit une tentative. Au bout d’un moment, il finit par distinguer une forme.

             — Ah bah ça alors !

             Il était tétanisé : une soucoupe volante stationnait dans son jardin ! Elle émettait une lumière blanche extrêmement crue. L’engin ressemblait à ces soucoupes rondes qu’on voit dans les films de science-fiction, avec des loupiotes qui clignotent tout autour. Mais il était tout petit. Il s’agissait sans doute d’un mono-space. Un martien en descendit par une petite échelle et trottina vers lui. L’avenir du rock n’avait encore jamais rencontré de martien, alors il ne savait pas quoi penser. Celui-ci n’avait pas l’air méchant, au contraire. Il était petit, gros, calvitié, avec une bonne bouille, des gros yeux clairs et des bonnes joues. Il portait une combinaison argentée trop serrée et tenait son casque en plexiglas sous le bras. Il tendit la main à l’avenir du rock qui la serra mécaniquement. Alors le martien lança d’une voix atrocement stridente :

             — Gabba Gabba Hey !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua :

             — Non ! Gabbard Gabbard Hey !

     

             Le martien n’a pas l’air de connaître Andrew Gabbard, mais ce n’est pas grave, l’avenir du rock va arranger ça.

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             En réalité, ce Part Two est la suite de ‘Buffalo Bile Part One’, dont l’avenir du rock a déjà fait ses choux gras. Il est essentiel de rattacher l’actu d’Andrew Gabbard à ses racines, c’est-à-dire Buffalo Killers et Thee Shams, si on veut comprendre à quel point il est devenu l’un des movers & shakers prédominants de notre époque, au même titre de Daniel Romano et Kelley Stoltz.

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             Un nouvel album vient de paraître : Rumble & Rave On. Comme il y a un petit buzz autour de Terry Cole et son label Colemine dans Shindig!, alors on profite de l’occase pour en rajouter une petite louche et dire, que oui, ça buzze pour de bon, car l’album est vraiment excellent. Dès «Just Like Magic», Gab ramène du gras double. Il est assez in the face. Gab a du génie, qu’on se le dise ! Il perpétue le spirit du White Album. Il a encore du son à gogo avec «If I Could Show You», il ramène une pop épaisse et lumineuse, c’est une merveille, il chante comme une folle évaporée et impose un power mélodique absolu. Plus loin, il sonne comme Midlake avec «I’m Bound To Ride». Il ressuscite le génie mélodique de Tim Smith, pas de doute. Il fait aussi du glam avec «Mulberry Rock», il se prend pour Marc Bolan, il gratte son gras double d’heavy boogie rock. Gab est un mec qui cisèle des joyaux au milieu de nulle part. Franchement, t’en reviens pas d’entendre un mec aussi brillant. Il tape dans les registres de Brian Wilson, Todd Rundgren et John Lennon. Il revient à l’heavy boobie blues avec «Barstool Blues», puis avec «Again Again», il bascule dans le Gabbarding, c’est-à-dire dans l’élégance d’un riff magique. Encore une ouverture sur l’horizon avec «Donna Lou». Gab est un enchanteur, il faut le voir filer sa laine de lumière sur Donna Lou, il ne produit aucun effort, ça lui vient naturellement. On se laisse couler avec lui dans le bain de jouvence d’une Americana subtilement ragaillardie, Donna Lou ouuuh ouuuh ouuuh !  

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             Les Buffalo Killers sont de retour dans le rond de l’actu avec un album de lost cuts, Stay Tuff: Lost Cuts. C’est vraiment la meilleure des bonnes nouvelles. Les frères Gabbard sont sans doute les plus beaux héritiers des Beatles. La preuve ? «Don’t You Ever Think I Cry», ça semble sortir tout droit du White Album, même poids sociologique, même bourde atmosphérique de génie évanescent, ça monte dans l’excellence de Let It Be, on entend même les poux du roi George. Tu en as un autre au bout de la B, «So Close In Your Mind». Tout droit sorti du White Album. Deux autres merveilles : «Stand Back & Take A Good Look» et «Chicken Head Man». Avec le premier, les Gab brothers montrent qu’ils sont capables de la meilleure heavyness d’Amérique. Quant au Chicken Head Man, il est électrocuté à coups de power chords. Demented are go à gogo, et chanté du coin du menton. En B, ils font aussi de l’heavy groove à la Season Of The Witch avec «Heavy Makes You Happy (Sha Na Boom Boom Yeah)».       

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             Les racines des frères Gabbard remontent aux Shams, dont le premier album, Take Off, parut en 2001. En réalité, le seul Gabbard des Shams, c’est Zach. Bizarre que cet excellent album soit passé à l’ass, car il est d’une rare densité. Take Off propose de sacrés clins d’yeux, notamment aux Pretties et au proto-punk. Eh oui, les Shams ont cette envergure. L’hommage aux Pretties s’appelle «Get Out Of My Life Woman», cut d’Allen Toussaint tapé à l’Americana proto-punk. Zach se prend littéralement pour les Pretties, il est au cœur de la révolte et il ramène avec ses trois copains toutes les virevoltes du British Beat. Deux autres cuts trempent dans le proto-punk : «Rock’n’Roll» et ««Not Right Now». Pas de problème, les Shams n’ont pas honte de gratter leurs poux, ils font du vieux proto de babeyh à coups d’accords sourds. Deux cuts sales et définitifs, dignes des Tell-Tale Hearts et des Master’s Apprentices. Coup de génie avec «Scream My Name», wild gaga demented, tournicoté au sommet de la toupie. Les Shams disposent d’extraordinaires réserves de ressources naturelles. Zach fait encore des étincelles avec «I Get High» et «Walkaway». Quel shouter ! Il ramène un chant d’acier à la Van Morrison. Avec «In The City», ils sonnent comme Creedence, ce démon de Zach titille le génie de Fog, il agite les mêmes dynamiques. Cet album est monstrueux. Ah si Gildas pouvait entendre ça ! Quel hommage ! Et le Zach y va au in the city yeah !  Ils trempent vraiment dans tous les complots : voilà qu’ils rendent hommage à Bo avec «Don’t Cry For Me».

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             The Shams deviennent Thee Shams trois ans plus tard avec l’excellent Please Yourself et sa pochette coquine. Andrew rejoint son frère Zach dans cette fière équipe. Encore un album qui grouille de puces. Il y pleut des coups de génie comme vache qui pisse. Boom dès «On My Mind». On se croirait en Angleterre chez les early Who. C’est du big freakout d’Attack croisé avec les Them. Ils réinventent même le freakout des Creation et le beurre fou de Moonie, avec en guise de cerise sur le gâtö des chœurs déments. Et tout l’album va rester à ce niveau d’excellence. Tiens, encore un coup du sort : «Can’t Fight It», heavy descente au barbu, ils s’arrangent pour contourner les règles et là, ça dégueule admirablement, repris au vol par un killer solo flash vampirique digne de Murnau. Ils attaquent «You Want It» au relentless gaga. Stupéfiant ! C’est noyé de son et de wild raunch, un mélange de tout ce qu’on aime, embarqué au so you wake up in the morning. Toujours aussi wild, voilà «You’re So Cold», ils ne s’en sortiront pas, le gaga les poursuit et ça y va avec des solos lancés au yeah yeah! Ils virent psychotronic avec «Please Yourself», ils sont une sorte de downhome Them, du pur power d’explosion nucléaire, l’ultime démonstration de force. Le solo a l’air de percer un tunnel sous le Mont Blanc. Avec «She’s Been Around», ils sont comme les Manfred Mann d’Eel Pie Island. Encore une preuve de leur écrasant power : «If You Gotta Go», cover de Dylan, gorgée du chien de leur chienne, noyé d’harp et d’hargne, émulsé au supra-gratté de poux. Ils font des chœurs de fantômes dans «Come Down Again», c’est encore une fois plein comme un œuf et inspiré. Ils retapissent toute l’histoire du rock. Les voilà sur les traces des Beatles avec «Love Me All The Time». Ils ont la même approche de l’immaculée conception. On croit aussi entendre Oasis à l’âge d’or des stades vibrants. Pire encore : ils font très bien les Yardbirds, comme le montre «Want You So Bad», avec les coups d’harp et tout le bataclan, c’est exactement le même son, avec les frères Gabbard en prime. C’est Zach qui chante «Never Did Nothing». Il chante au big raw de gut, il est sûr de lui. Il ramone toutes les cheminées de l’Olympe.    

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             Dernier spasme de Thee Shams l’année suivante avec Sign The Line. L’album s’inscrit dans la veine des deux précédents. T’as vraiment intérêt à écouter «Not Gonna Make It», l’une des pires descentes au barbu d’Amérique, grattée à la maladive et gutsy a gogo. Invraisemblable ! Ils te plombent l’heavy rock. Quelle précocité ! À peine sautés du nid, les frères Gabbard avaient déjà du génie. Et ça continue avec «Something Happening» tapé au fantastique swagger des Gabbard Brothers, ils rockent l’Amérique à la pire spice, ils flirtent dangereusement avec la Stonesy. Et pour couronner cette triplette de Belleville, voilà «Everflowing Tune», ils plongent la mad psyché des Byrds dans l’huile bouillante et te claquent un beignet du rock genius. Leur son est imprégné jusqu’à l’os d’influences : Beatles, Byrds et tout ce qu’on aime. «Lonely One» pourrait très bien être du John Lennon époque Some Time In New York City, hard-nosed rock. «How I Feel» sonne comme la meilleure fournaise d’Amérique. C’est un déluge de son qui s’abat sur toi. Ils tapent en plein dans les Beatles avec «1-2-3-4». C’est incroyable comme ils ont su capter la magie Beatlemaniaque. Ils sont beaucoup trop pointus pour l’Amérique. En Europe, ils seraient considérés comme des dieux. «No Trust Fund Blues» est un petit chef-d’œuvre de seventies rock, ils y vont au this is my life, c’est assez poignant. Merveilleuse présence des frères Gabbard ! Ils seront toujours là pour toi, tu peux leur demander n’importe quoi. Tout tourne toujours à leur avantage, comme le montre encore «Love Grows and Grow». Ils combinent jusqu’au délire le power et le raffinement. Leurs retours de manivelle sont sublimes, et l’attaque de solo à l’encontre du rythme est un chef-d’œuvre d’étrangeté baudelairienne. Les Gabbard Brothers sont décidément trop brillants pour un pays de beaufs comme l’Amérique. Ils bourrent leur heavy rock d’influences britanniques.  

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             Andrew s’appelle Andy pour enregistrer son premier album solo en 2015, l’excellent Fluff. De toute façon, avec les Gabbard, c’est toujours excellent. Il donne le ton dès l’envoi : weird psychedelia anglaise. Il a le timbre qu’il faut pour ça : l’intrinsèque. C’est un album qui monte doucement mais sûrement, comme la marée. Andy gratte «Side B» à la foison de la ferveur, il moissonne les accords. Spectacle magnifique ! Tout est bringuebalé dans la carlingue de babord à tribord. Puis il passe à l’heavy boogie down avec «Home Suite», il replonge dans sa Beatlemania chérie, mais avec une optique américaine, c’est très «Glass Onion», bien tortillé du cul au chant, avec un gratté de poux affolant de nervosité. Avec Sam Coones et Robert Pollard, Andy Gabbard incarne la modernité du rock US. On reste dans l’énormité de la marée montante avec «Supernational», ce mec a la grâce pop des pieds ailés, il survole le monde comme le Todd of the pop, avec des éclairs de lubricité. Il se fond littéralement dans l’idée de la Beatlemania, dans le spirit du White Album. Il en est imprégné. C’est un bonheur que de l’entendre, une suprême dereliction. La marée monte encore avec «Lonely Girl» et un fabuleux vent d’accords lève les vagues, cette fois on entend des échos du Teenage Fanclub, c’est claqué d’accords de beignets, ça trempe dans la meilleure mélasse du paradis, Andy est un dieu du stade. Il enchaîne avec l’encore pire «LYSM», acronyme de Love You So Much, il reprend aux accords tranchants, il est le Gladiator du rock, le Russell Crowe de l’imparabilité des choses de la vie, il brille et il scintille, et là tu bénéficies du privilège d’entendre des accords biseautés, t’as le vrai truc, l’absolu du rock moderne, Andy connaît tous les secrets de la niaque profonde, il te fond dans son moule de bouchot, il fait une œuvre d’art à coups de retours de manivelle. Ah il faut entendre ce mic mac extravagant ! Il tape encore dans sa chapelle avec «Dreams I Can’t Remember», il gratte les accords de la pire ramasse. Big power pop de Fluff ! Tout est drivé au flow de flux sur ce Fluff. Il termine avec «ODS», un absolute beginner de fast pop trash. On a des bonus à la suite, quatre cuts enregistrés sur scène.  Live, c’est encore pire. Il oscille au bord du gouffre de Padirac. On note chez lui un goût certain pour la purée de non-retour. Il reprend son «Side B» et l’excellent «Home Suite», il y va le bougre, il te monte ça en neige de Todd, il vise le destroy oh boy. Andy Gabbard règne sur la terre comme au ciel.              

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              En 2021, il débarque sur Karma Chief, la filiale rock de Colemine, et enregistre l’excellent Homemade. Excellent toujours, excellent encore. Associer ‘Gabbard’ et ‘excellent’ finit par ressembler à un pléonasme. Cet album superbe est un redoutable hommage aux Beatles. Coup d’envoi avec un «Wake Up Brother» qui sonne comme un hit de George Harrison. Andrew t’embarque ça aussitôt à l’heavy Gabbard avec le gratté du roi George. Quelle fantastique assise ! Andrew est un homme qui sait honorer ses dieux. Il est en plein dans l’Harrison ! Tout aussi beatlemaniaque, voilà «Gettin High» - I just don’t feel wise/ Getting high - et avec «Mrs Fitz», tu te croirais sur Revolver. Pertinence et ambivalence sont les deux mamelles d’Andrew. C’est littéralement saturé d’intention, il reste dans l’extrême Beatlemania américanisée. T’as là le meilleur album des Beatles depuis Revolver, comme le montre encore l’heavy and melodic «Brand New Cut». Pour faire bonne mesure, voici un coup de génie : «Cherry Sun». Il chante ça du nez à l’extrême pointe de la Beatlemania, sa sunshine pop est délicieusement juste. Il a même un côté Ziggy dans «Grin Song», mais il se réchauffe très vite au feu de la Beatlemania. Il n’en finit plus d’épouser sa muse et chante «Red Bear» avec la voix de John Lennon. Il reste incroyablement proche de la vérité avec «Our Dream», qu’il chante à l’anglaise évaporée. Écouter cet album, c’est d’une certaine façon toucher Dieu du doigt. Quand il ne fait pas de Beatlemania, il fait de la Gabbardmania («Hot Routine») et il boucle avec un «Promises I’ve Made» purement beatlemaniaque. Il n’en démord pas. Il revient toujours au point de départ du rock moderne, les Beatles. C’est très spectaculaire, très coloré, très impliqué. 

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             L’année suivante, Andrew passe à la country avec Cedar City Sweetheart. Cette fois, il s’entiche de Gene Clark. La preuve ? «Lonesome Psychedelic Cowboy». Vraiment explicite ! Il se prend vraiment pour Geno. Andrew sonne exactement comme les Byrds. Il y va en confiance. L’énormité de l’album s’appelle «Surfboard City», il chante ça à la petite ramasse. Il tape la fast country flash avec «Redwood». Et ça passe comme une lettre à la poste. Il condense les clichés. Avec «Cloud Of Smoke», il sonne comme le Roi George, mais avec des grattes country. Andrew reste un sacré chanteur, comme le montre encore «Take Me Away From You». Il strutte sa country et l’illumine à coups de slide. Comme d’habitude, tout sur cet album est visité par la grâce. Il fait de la country comme s’il avait fait ça toute sa vie ! Il reste au sommet du lard avec «The Move» - You got to be real - Cet album sent bon la bonne franquette, la bonne ambiance avec de bons copains. Andrew joue encore le jeu country à fond avec «Cool Ranch». Comme sur la pochette, avec le stetson et les lunettes noires. C’est tout de même dingue ce passage des Beatles à Nashville, mais il garde l’esprit de la Beatlemania dans le chant, comme le fit d’ailleurs Geno avant lui. Alors il fait de la country dynamique, du Gram Parsons sous amphètes. Il termine avec un «Your Time’ll Come» qu’il tape sec et net. Pas de problème avec Andrew, il t’assène ça comme l’Arsène Lupin de la country d’Etretat et sort en beauté à coups de Stonesy.

    Signé : Cazengler, Andrew Gabardine

    The Shams. Take Off. Orange Recordings 2001

    Thee Shams. Please Yourself. Shake It Records 2004  

    Thee Shams. Sign The Line. Licorice Tree Records 2005

    Buffalo Killers. Stay Tuff: Lost Cuts. Alive Records 2022

    Andy Gabbard. Fluff. Alive Records 2015             

    Andrew Gabbard. Homemade. Karma Chief Records 2021

    Andrew Gabbard. Cedar City Sweetheart. Karma Chief Records 2022

    Andrew Gabbard. Rumble & Rave On. Karma Chief Records 2024

     

     

    Jerron n’est pas carré

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             Jerron Paxton incarne l’antithèse de Kingfish Ingram et du Chicago Blues. Il tape dans un registre beaucoup plus austère qui est celui du country-blues, c’est-à-dire d’un story-telling à l’ancienne, l’une des composantes essentielles de ce que les musicologues appellent l’Americana. Jerron Paxton chante des cuts vieux comme le monde black et s’accompagne tantôt d’une acou, tantôt d’un banjo, tantôt d’un petit piano électrique.

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    Dire que c’est un virtuose ne correspond pas à la réalité. Il est au-delà de la virtuosité, il est dans la passion gourmande d’une culture qui lui vient de ses aïeux, si tant est qu’on puisse qualifier les anciens esclaves d’aïeux. Les blancs ont fait en sorte que les esclaves noirs ne soient rien, alors quand on est rien, on n’a pas d’aïeux, on ne peut pas employer les mots qu’emploient les honnêtes descendants d’esclavagistes et de colons racistes, tous ces rednecks fiers de leurs photos anciennes, et de toutes ces belles propriétés qui jadis ont prospéré grâce au travail gratuit de plusieurs générations d’esclaves. Fuck it ! C’est important d’enfoncer le clou de temps en temps dans la gueule de tous ces rats blancs. Non seulement ils faisaient bosser les nègres à l’œil, mais en plus, ils les haïssaient au point de les fouetter et d’en pendre un de temps en temps, histoire de se payer un petit shoot d’adrénaline. Ce court rappel des réalités illustre le cauchemar américain. À l’opposé de tout ce merdier, Jerron Paxton incarne la grâce américaine. La seule et unique grâce américaine qui vaille.

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             On vite frappé par la qualité de sa présence, subjugué par l’éclat de ses trilles de rire, on est vite fasciné par ses coups d’onglet, ses gammes rustiques, son ramdam vieux comme Mathusalem et l’extraordinaire gourmandise avec laquelle chante, il module chaque syllabe comme Rodin modulait ses pâtés d’argile, il transforme le country-blues en matière organique, et sa diction est tellement bonne qu’on comprend quasiment tout. Quand il évoque l’Arkansas, il chauffe le mot, c’est-à-dire qu’il ne le prononce pas comme on le ferait - Arkansasss - non il le prononce Arkansô et indique au passage que c’est le pire endroit du monde, comme l’a fait avant lui J.B. Lenoir, avec le Mississippi. Jerron Paxton est un homme assez jeune, assez haut, on pourrait même le qualifier de force de la nature. Il semble doté d’un talent naturel qui lui permet de dérouler un set extrêmement dense sans jamais produire le moindre effort. Il dit s’inscrire dans la lignée de Mississippi John Hurt et d’ailleurs il raconte une belle anecdote : «There was noboy who didn’t love Mississippi John Hurt.» Il insiste beaucoup là-dessus : on l’aimait pour sa musique, mais aussi et surtout en tant qu’homme. Il raconte qu’ensuite on a transformé la pauvre cabane où il vivait en museum. Jerron fait bien claquer le mot museum. Objet de fierté. Et sur le même ton, sans le moindre accent tragique, il explique que «some redneck has burnt it down.» Et voilà le travail. Fin du museum. Et il attaque une chanson, car ainsi va la vie. Ces mecs-là ont chanté pour survivre. Comme d’autres avant lui, Jerron est un homme qui aime jouer pour les autres. Il fait de vrais numéros de cirque avec son harmo, comme d’autres avant lui dans les plantations. Et comme d’autres avant lui, il s’accorde à l’oreille.

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    Comme d’autres avant lui, il cherche des osselets dans son sac pour s’accompagner. Il redonne vie à une culture menacée d’extinction, il arrache le country-blues à l’oubli, il ressemble à une île perdue au beau milieu d’un océan de médiocrité, tu te demandes combien de temps vont tenir de tels artistes, car de toute évidence, son disk ne se vend pas. Jerron Paxton, c’est pas Indochine ou Brouce Springsteen ou Stong. Au merch, il en a peut-être vendu 5, et encore. Il paraît que c’est gratuit sur Amazon. Alors les gens n’achètent pas de disks. Les gens se croient malins. Tandis que pour un mec comme Jarron, un billet de vingt, c’est important. Il n’a vraiment pas l’air de rouler sur l’or. Mais tu perdrais ton temps à expliquer tout ça. Toute cette culture et ce qu’elle représente ne tient plus qu’à un fil. T’as l’impression très claire que tout se fait désormais à l’envers. Et que les gens n’entravent plus rien. Bon bref, tu vas trouver ce black à la fin et tu le remercies pour son power.   

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             Son album s’appelle Things Done Changed. Tu vas y retrouver son gros claqué de cordes et ses fabuleux coups d’harp. Tout y est bien sûr, mais ça n’a rien à voir avec le set en live. Il tape son «Little Zydeco» à coups d’harp et on l’entend taper du pied. Il est à l’aise dans tous les genres : country-blues, country-blues et country-blues. Il fouille l’harangue de «What’s Gonne Become Of Me» à outrance et gratte son banjo, tout est joué avec un tact fruité, il y a de la modernité dans sa tradition. Et bien sûr, tu as partout la passion gourmande. Il chante avec une diction ronde et chaude, à l’accent vivant et coloré. Fantastique artiste !

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             Dans sa grande magnanimité, Soul Bag lui consacre une petite double et lui tire un joli coup de chapô, affirmant que Jerron est «un artiste qui redonne ses lettres de noblesse au country blues.» Rien de plus juste. Dans le cas de Jerron, le mot ‘noblesse’ prend tout son sens. On apprend qu’il est né en 1989, ce qui nous évite la corvée de wiki. Donc, 35 ans, ça correspond bien à ce qu’on a vu. Par contre l’article le dit né à Los Angeles, alors que sur scène il parlait de la Louisiane. Il évoquait bien  sûr ses grands-parents. Comme on s’en doute, il est déjà surdoué tout petit, il joue de tout. Il a donc grandi à South Central, la banlieue black de Los Angeles. Il a 16 ans quand il est considéré comme aveugle, alors qu’il voit très bien. Il sait jouer de la gratte, du banjo, du violon, de l’harmo, mais ça ne lui suffit pas, il veut aussi apprendre l’ukulélé, l’accordéon, le piano, les osselets qu’on appelle aussi the bones. S’il avait plus de bras, il pourrait jouer de plusieurs instruments en même temps. Au piano, il fait du Fats Waller, nous dit Bill Steber. Quand il gratte ses poux, Jerron fait du Blind Lemon Jefferson, et quand il attrape son banjo, c’est pour nous faire de l’Uncle Dave Macon. Steber est sacrément bien documenté. Mais Jerron ne s’adresse pas qu’aux spécialistes. Il s’adresse à tous les autres. Jerron, nous dit Soul Bag, puise dans la culture black des années 20 et 30, principalement dans celle des minstrel shows, une tradition d’où vient aussi Rufus Thomas. Soul Bag cite un autre extrait d’interview de Jerron : «Vous savez pourquoi je n’aime pas le politiquement correct ? Parce que ça insulte l’intelligence de la personne.»

    Signé : Cazengler, Jerron comme une queue de pelle

    Jerron Paxton. Le 106. Rouen (76). 12 février 2025

    Jerron Paxton. Things Done Changed. Smithsonian Folkways Recordings 2024

    Jerron Paxton. Passeur de tradition. Soul Bag n°257 - Janvier février mars 2025

     

     

    Dirty Deep Water

     

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             Il avait l’air content l’autre soir, Victor Sbrovazzo, qu’on fasse tous main basse sur son petit book. On l’avait vu chauffer la salle avec Dirty Deep pour Kingfish Ingram et comme on était tous sortis avant la fin du set de Kingfish, on est allés papoter avec le petit Dirty Deep qui poireautait au merch.

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             Le book s’intitule A Wheel In The Grave. Ce petit format à l’italienne est en fait un carnet de route. Victor et son pote photographe ont traversé la France en moto, de Strasbourg à la Corse. C’est un trip à la Kerouac. On The Road again. 300 pages. Chaque double est montée avec une image en page de droite, et en face un texte léger d’allure désabusée. Le ton est juste, l’objet plaisant. Tu passes réellement un bon moment à le feuilleter. Zéro prétention. En exergue, Victor propose l’on the road again de Willie Nelson.

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             Comme il est devenu au fil du temps un vieux routier du circuit underground, et notamment Binic, il n’est pas surprenant de le voir citer les noms des bars dans lesquels il a joué en compagnie de James Leg et de Left Lane Cruiser. Sur scène, il fait d’ailleurs du pur Left Lane Cruiser. Il en a largement les moyens. Au détour d’une page, il vante les charmes du bar de l’U à Besançon, et du Swmap Fest qui a lieu à Thise. Joli nom, Thise. On voit l’image d’ici.

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    ( Jim Jones )

             Chaque étape du roadtrip est bien  documentée. Victor est un ancien one-man band, alors il sort sa gratte et son harp pour animer les apéros. Pas mal d’images charbonnent à cause du choix de papier. Le bouffant n’est guère propice aux ambiances lourdement chargées, et des images sont souvent illisibles. En plus ça a l’air d’être du numérique, un process qui n’est pas vraiment réputé pour sa finesse en matière de piqué d’image.

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             Et puis, encarté en trois de couve, il y a un EP 6 titres avec des copains et pas n’importe lesquels : Scott H. Biram, Left Lane Cruiser, James Leg (qui a vécu un peu à Strasbourg chez Victor), et puis Jim Jones, un vieux collègue des Nuits de l’Alligator. C’est d’ailleurs Jim Jones qui supervise Tillandsia, nous dit Victor. Et puis il y aussi Mark Porkshop qu’on avait un peu oublié, un vétéran de Binic, puisque ça remonte à 2011. Victor indique qu’il a tourné avec lui aux États-Unis en 2018.

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             On trouve de sacrées covers sur l’EP, à commencer par l’intouchable «Circumstances» de Captain Beefheart. Porkshop le touche, il tape en plein dans le mille du wooow yeahh, il te tape ça en mode Magic Band, Pork est un pur. Bifarx me sir ! Cet EP est une bombe, car à la suite, t’entends Jim Jones ex-plo-ser «Inside Looking Out», Jim Jones te monte ça au sommet de l’Ararat du scream définitif, Jim Jones est capable d’érupter comme le Krakatoa, il monte là-haut comme le fit jadis l’immense Eric Burdon et ça devient hallucinant de grandeur marmoréenne. Alors la foule ovationne Jim Jones : «Jim ! Jones ! Jim ! Jones ! Jim ! Jones !». Avec Left Lane Cruiser, Victor fait du Left Lane Cruiser. Il cruise tout ce qu’il peut dans le Left Lane avec un shoot de Muddy, un fast headed «Hearted Jealous Man» qui ne traîne pas en chemin. Avec Scott H Biram, Victor fracasse le «You’re Gonna Miss Me» de Roky. Ça joue aux braises ardentes, you didn’t realize, c’est littéralement stupéfiant d’énergie brute et de fournaise. Et ça monte encore d’un cran avec un «Catfish Blues Remix» heavy as hell, pus jus de deep blue sea, toute la mythologie du rock est là et en prime, ça rappe. Mais le summum de cet explosif EP est le «Going Down» de Freddy King, jadis explosé par Jeff Beck et Bobby Tench. Cette fois, c’est James Leg qui te fout le souk dans la médina. Le chant prend feu. Peu de diables savent ainsi cramer leur chant. Et derrière coule un déluge de going down. Pas de pire diable sur cette terre que James Leg, on l’a déjà vu à l’œuvre, mais là, il chante par-dessus la jambe. Leg est un leg. Stupéfiant !

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             Sur scène, les Dirty Deep assurent bien. Ils jouent en formation serrée, c’est-à-dire en power trio, et sont capables de chauffer une salle vite fait bien fait. Leur atout est le fast boogie blues de type Left Lane Cruiser, et le petit Victor, chapeauté de frais, mène bien le bal à coups d’harp et de poux cinglants. Deux cuts te claquent le beignet : bing !, «Black Coffee» (qu’on ne trouve hélas sur aucun album) et re-bing!, l’imbattable «Leave Me Alone», qu’ils envoient rouler juste avant la fin du set et qu’on retrouve sur l’album What’s Flowing In My Veins. Et là, tu prends ta carte au parti. Mine de rien, ils volent le show. Ils tapent le Cruiser boogie blues avec une véracité crue qui les honore et qui les fait entrer dans la cour des grands. Tu croyais ce domaine réservé aux Américains qui sortent des bois, eh bien, voilà les héritiers.

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    Le petit Victor et ses deux copains descendent en droite ligne d’Hasil Adkins et de tous ces fracass-kings d’American Psycho. C’est un bonheur que de les voir jouer sur scène. Avec Muddy Gurdy, ils font partie des rares Français à porter la bonne parole du real deal et du deep blue sea. Leur seul petit défaut serait de vouloir faire trop de participatif en cherchant à galvaniser le public comme on galvanise des troupes. La harangue est mauvaise conseillère, et en même temps, elle est de bonne guerre. Ils ont suffisamment de bons cuts pour ne pas être obligés d’avoir recours à l’harangue.

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             Tu retrouves «Leave Me Alone» sur What’s Flowing In My Veins. C’est en plein dans le mille de la Cruise. Quel blast ! Victor se jette à corps perdu dans la bataille et screame comme mille démons. C’est tellement wild que tu le réécoutes plusieurs fois d’affilée. Il a tout compris. On se croirait d’ailleurs sur un album de Left Lane Cruiser : même beat, même son, mêmes coups d’harp, mêmes paroles, même bottleneck, même volonté d’en découdre. Il ne manque rien. Ils font une belle cover de «Goin’ Down South», déjà entendue mille fois. Tout y est, les poux sont merveilleux. Le petit Victor a une bonne énergie. Ils attaquent «How I Ride» au bassmatic de combat, et ça joue tellement heavy qu’on se croirait chez Blue Cheer. Nouvelle rasade de raw avec «You Don’t Know». Sur cet album, tout est très carré, bien attaqué, bardé de barda. Le petit Victor chante à la régalade du raw, l’heavy boogie blues n’a aucun secret pour lui. Il regagne la sortie avec un real deal de Big Atmospherix, «Shine». Il sait se montrer intense et forcer sa voix. Pas de problème, son «Shine» passe comme une lettre à la poste.        

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             Comme Shotgun Wedding est un Beast de one-man band, tu restes un peu sur ta faim. T’as déjà entendu tous ces cuts mille et mille fois. Le Mr. E qui chante sur «Midnight Blues» est sans doute l’E de Left Lane. On salue au passage le «Let It Ride» attaqué au Dust My Blues, c’est de très bonne guerre, et en B, t’as le «John The Revelator» de Son House gratté en mode heavy vazy. Il gratte aussi son «She’s A Devil Inside» au gras double, ça percute bien, et il boucle son petit one-man bouclard avec un «When The Sun Comes Up» bien écrasé du champignon. 

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             T’es vite surpris par la qualité de Tillandsia, un Deaf Rock de 2018. Et ce dès «Sunday Church» : ils sont délicieusement sur-saturés de gras double. Ça s’étrangle dans la purée. Là, t’as du pur génie de sonic trash. Le petit Victor est le grand spécialiste du boogie du diable. Nouveau coup de génie avec «Strawberry Lips», boosté dès le deuxième tiers par un beat sourd de stand-up. Rien de tel qu’une stand-up pour pulser entre les reins du beat. Ce «Strawberry Lips» dévore bien le foie du real deal. Et c’est pas fini ! Ils nous refont le coup du power trio avec «Wild Animal». Ils font exploser le rock ! T’en reviens pas de voir dégringoler toute cette dégelée royale. Ils ont la même puissance dans le slowah («You’ve Got To Learn») et le petit Victor tape en plein dans la véracité avec les coups d’harp d’«Hipbreak». Il a tout l’écho de Little Walter. D’ailleurs, on devrait l’appeler Little Victor, ce serait un hommage. Les voilà qui tapent «Hangin’ On An Oak Tree» au hard beat de bass-drum. Ces trois deepy Deep sont des démons. Leur heavy blues-rock renvoie droit sur Blue Cheer. Nouveau coup de Trafalgar avec la jam totale de «By The River» et sa belle attaque de bassmatic, vite reprise par le beat du vieux «Fast Line Rider» de Johnny Winter, et ça se développe de manière ahurissante pour basculer dans l’enfer d’une jam nucléaire, avec un sax et un bassmatic de destruction massive. Du son comme s’il en pleuvait.    

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             Foreshots est un album beaucoup plus calme que les autres. On s’y régale de deux petites merveilles : «Downtown Train», doucement psychédélique, assez délicat, raffiné, orné à l’or fin violonique. Et puis en B, tu vas tomber sur «Pour Some Whiskey On My Heart», un paisible petit country blues qui sent bon la campagne. Rien qu’avec ces deux merveilles, Little Victor se hisse dans la cour des grands. La qualité de ses cuts n’en finit plus de t’impressionner. 

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             Trompe L’Œil est un album très diversifié. T’as du blast («Shoot First», ils explosent en plein vol, Little Victor défonce bien la rondelle des annales), t’as de l’énormité («Juke Joint Preaching», bien chargé de la barcasse, avec du guitarring à gogo) et t’as du simili Rachid Taha («Donoma», attaqué à la deep psychedelia orientalisante). Ils redeviennent le fantastique power trio que l’on sait avec «Hold On Me». Ah ils savent allumer la gueule d’un cut ! Leur «Broken Bones» d’ouverture de bal (et de set) tombe dans la marmite de l’heavy heavy, c’est noyé de son et d’harp. «Hipbreak III» vaut pour une petite tentative de swing. Ils se dispersent un peu, mais ce n’est pas si grave. Ils jouent leur «Never Too Late» au gras double, comme au temps du British Blues et de Savoy Brown. Et ils descendent au bord du fleuve pour gratter «Waiting For The Train». Très curieux paradoxe. Il godille et perd des plumes. C’est trop carte postale.

    Signé : Cazengler, dirty old man

    Dirty Deep. Le 106. Rouen (76). 1er février 2025  

    Dirty Deep. Shotgun Wedding. Beast Records 2014 

    Dirty Deep. What’s Flowing In My Veins. Beast Records 2016

    Dirty Deep. Tillandsia. Deaf Rock Records 2018  

    Dirty Deep. Foreshots. Deaf Rock Records 2020  

    Dirty Deep. Trompe L’Œil. Junk Food Records 2023

    Victor Sbrovazzo & Arnaud Diemer. A Wheel In The Grave. Mediapop Éditions 2021

     

     

    Robyn des bois

     - Part One

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             Robyn Hitchcock publie son autobio : 1967 - How I Got There And Why I Never Left - A Memoir. Enfin autobio, c’est vite dit. Il s’agit en fait de l’autobio de son année 1967. Il va peut-être publier les autobios des années suivantes. On ne fera pas partie de ceux qui vont cracher dessus, parce qu’on l’aime bien, Robyn des bois. On le suit depuis des lustres, depuis les Soft Boys, même s’il a une discographie à roulettes, de celles qui présentent un danger pour ton porte-monnaie. Et puis on l’a vu, Robyn des bois, dans un documentaire consacré à Syd Barrett, assis dans son jardin, chanter et gratter «Dominoes» à coups d’acou, donc pas de problème. Il est des nôtres. Comme le font tous ceux qui ont de la suite dans les idées, il sort en même temps le pendant musical de son book, un album de reprises : 1967: Variations In The Past. L’album illustre musicalement le book, et inversement, le book illustre littérairement l’album. C’est habile.

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             Le book n’est pas bien épais, mais remarquablement bien écrit. Choix typo, cabochons et main de papier remarquables. Côté style, Robyn des bois fait le choix de l’absolue non-volubilité. Il opte pour une forme de parcimonie bien tempérée. En 1967, il a 14 ans et se retrouve pensionnaire au Winchester College, dans le Sud de l’Angleterre.

             On ne va pas tourner longtemps autour du pot : quatre noms jaillissent du récit : Dylan, Beatles, Hendrix et Syd Barrett, des noms qu’on retrouve sur l’album, sauf Dylan.

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             Première rencontre avec Dylan via Highway 61 Revisited - La pochette me montre Dylan pour la première fois, assis, vêtu d’une chemise bleue, looking enigmatically out at life. He looks calmly furious, beneath a lacquer of indifference - Robyn des bois est fasciné par cette image - He looks wise. Wise and dangerous - L’album dit-il démarre with the song that has become my breakfast-time mantra, «Like A Rolling Stone» - Pour le jeune Robyn des bois en herbe, c’est l’Holy Grail. On a dû vivre exactement le même genre de révélation. La première approche de Dylan relevait alors d’un certain mysticisme. Puis quand Dylan disparaît de la circulation après son accident de moto, Robyn des bois se demande où il est passé, «where in the universe is Bob Dylan, l’homme qui a tout inventé ? Je ne le connais que depuis 18 mois, mais tout ce que j’écoute est lié à lui : Jimi Hendrix, David Bowie, Pink Floyd, et les groupes pop utilisent désormais les mots pareils aux siens, it’s all his doing. Et il a disparu.» Robyn des bois se demande s’il est encore en vie et ce qu’il fabrique. Et il ajoute ça, qui est confondant : «Il est clair à mes yeux que si quelqu’un connaît le sens de la vie, c’est bien Dylan. He has momentum, direction, intuition - wisdom.» Il est tellement fasciné par Dylan qu’il affirme, vers la fin, qu’il est désormais «50 per cent Winchester College, and 50 per cent Bob Dylan». C’est exactement ce qu’on ressentait à l’époque. Une sorte d’admiration qui flirtait avec la dévotion. Robyn des bois décide alors de devenir songwriter - «Like A Rolling Stone» hooks me, «Desolation Row» pulls me in, and «Visions Of Johanna»... more subtle, more engulfing, it becomes me.

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             Arrivent enfin des nouvelles de Dylan avec John Wesley Harding. Fin 1967, quatre pages avant la fin du book. Mais Robyn des bois n’est pas très content. Il trouve l’album «plat, beige and no much fun to listen to.» Il trouve les chansons trop courtes, «what’s going on? The exhilaration was gone, he was older and wiser.» Dylan se laisse pousser une petite barbe, il a épousé sa true love. Nobody nous dit Robyn des bois, n’osait dire qu’il n’aimait pas l’album, mais «John Wesley Harding didn’t spend half the time on the record player that Highway 61 or Blonde On Blonde did, and still do.» Voilà pour Dylan en 1967.

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             La même année, il découvre «Strawberry Fields Forever», let me take you down, il observe que les Beatles se développent très vite, nothing is real, et parce que ses copains d’école et lui se développent aussi rapidement, alors tout semble naturel. Mais il préfère reprendre «A Day In The Life» sur l’album. Oh boy ! Il tombe en plein John Lennon et c’est là qu’éclate le génie de John Lennon, l’un des géants du XXe siècle.

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             Pour saluer l’avènement d’Hendrix en 1967, Robyn des bois se souvient du bruit à la radio : «SKONK-SKREEK-SKRONK-SKREEK: WHA-DA-DA-FANG, DA-DA-DA-FANG, (sic) Purple Haze all in my brain/ lately things they don’t seem the same - Il se souvient d’avoir perdu ses esprits - I am a teenager on fire - Oh holy fuck, this is music to levitate to... - Sur 1967: Variations In The Past, il opte plutôt pour «The Burning Of The Midnight Lamp». C’est gratté sur deux acous et ça tombe bien sous le pli. Pur génie interprétatif. L’absence de wah ne choque pas.

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             Dans la collection de disques de son cousin, il est attiré par un 45 tours d’un groupe nommé Pink Floyd : «Arnold Layne», l’histoire d’un mec qui vole des fringues sur une corde à linge au clair de la lune et qui se retrouve au ballon pour ça. Comme le chanteur cite «Baby blue» dans ce cut étrange, Robyn des bois est intrigué. Le chanteur connaît sûrement Dylan. Puis il découvre que le chanteur s’appelle Syd Barrett et qu’il joue le guitar solo on the bottom string - I can identify with him - À l’automne de cette année-là, le premier album de Pink Floyd is in heavy rotation on the House Gramophone. L’époque veut ça. Les kids n’en finissent d’écouter des bons albums. Il en sort tous les jours.

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    Sur 1967: Variations In The Past, Robyn des bois reprend «See Emily Play». Cette fois, c’est pas Oh Boy, mais Oh Syd ! Rien de plus British que cette attaque. Il en fait une version opiniâtre, gonflée d’écho du temps, il te gratte ça à la Méricourt, il entre en osmose avec le vif argent de Syd. Cover lumineuse. On a là l’un des meilleurs hommages jamais rendus à Syd Barrett.

             Comme beaucoup de kids jetés vivants dans le tourbillon des sixties, Robyn des bois va identifier ses deux ennemis : le coiffeur et le policier - The barber is the natural enemy of freedom. Soon I will learn the same thing about the police force - Il n’est pas tendre non plus avec le système éducatif anglais, et plus particulièrement les pensionnats dont la principale fonction est selon lui de retarder les kids émotionnellement et de les lâcher ensuite dans la nature. Il porte aussi un jugement terrible sur l’infirmière Miss Duplock, une femme résignée, «lower-middle-class English; life has avoided her.» Pour les pensionnaires, elle n’a jamais été aimée - a meal that nobody wanted to eat - Ce qui l’amène bien sûr sur le terrain du sexe - Your cock is your motor - et comme il n’y a pas de gonzesses au collège,  alors il faut se débrouiller tout seul, il le dit avec des mots d’une pudeur extrême - To experiment with ourselves, and with each other - et rappelle que l’homosexualité est légalisée en Angleterre cette année-là.

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             Robyn des bois flashe aussi sur Incredible String Band - The cover alone of this new record, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion, sums up everything I love about how 1967 is going so far. The saturated joy of it, the intricacy. Plus on observe cette pochette et plus tout semble se transformer en autre chose, ce qui pour moi définit la psychedelia - Il rend un bel hommage au Heron et à son copain Robin Williamson, «like Dylan, they seem to sense how sadness is the shadow of beauty.» Il note aussi la présence du nom de Joe Boyd sur la pochette - Whoever Joe Boyd is, he has to be a high-level groover - Il pense que l’Heron et Williamson sont comme Dylan, qu’ils comprennent le meaning of life. Il écoute The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion chaque jour. Sur 1967: Variations In The Past, il reprend «Way Back In The 1960s». C’est pas le meilleur choix. L’album se casse un peu la gueule avec ce Way Back.

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             Il aime bien aussi le «Daydream Believer» des Monkeees, même s’il découvre qu’ils ne sont pas hip - They are tennybopper pop fodder for the meatheads - Pour Robyn des bois, les gens qui n’écrivent pas leurs chansons ne sont pas intéressants. Il vise les Monkees, mais aussi Elvis et Sinatra, they’re just supper-club singers, music for uncles. Aussi se prive-t-il d’admirer les Monkees - So I can’t let myself enjoy them too much - Il est marrant, mais on est tous pareils, on fonctionne selon des gros a priori, et on s’interdit bien des choses. Donc pas de Monkees sur l’album.

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             D’autres bonnes surprises, comme par exemple ces trois covers géniales : «A Whiter Shade Of Pale», «Itchycoo Park» et «Waterloo Sunset». Avec le Procol, il remplit bien le spectre sonore. Il gratte le thème à coups d’acou, c’est magnifique de skip the light fandango, il dépose avec une grâce infinie le Whiter dans l’écrin de sa légende. Le fait de reprendre le thème d’orgue de Matthew Fisher à coups d’acou relève de la performance surnaturelle, Robyn des bois réactualise cette ancienne magie, cette maudite chanson qui nous fit tourner la tête alors qu’on hantait des corridors. Il te remet ce hit intemporel en perspective. C’est encore pire avec «Itchycoo Park». Quel démon ! Il te prend ça au chant de lumière à coups d’it’s all toooo beautiful, il en fait jaillir le suc, il te dépouille l’Itchycoo et l’enlumine ! Et puis il gratte le «Waterloo Sunset» à l’ongle sec, c’est pourri de feeling. Il envoie des coups de sha la la comme on en voit plus, il cristallise toute l’innocence des sixties. Il tape aussi des covers d’«I Can Hear The Grass Grow» et de «San Francisco (Be Sure To Wear Flowers In Your Hair)». C’est vrai que tous ces hits étaient imparables. Par contre, il se vautre avec «My White Bicycle» et le «No Face No Name No Number» de Traffic. Ces deux trucs n’ont jamais été des hits. Dommage. 

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             Dans l’épilogue, Robyn des bois réfléchit à l’évolution du rock anglais, voyant d’un mauvais œil les gatefold album sleeves masquer le fait que la musique devient de plus en plus médiocre et quand il commence à aller voir des groupes sur scène, il constate que les cheveux longs et les interminables solos de guitare are no substitute for inspiration. Pour lui, c’est la fin de la psychedelia expérimentale. Il partira plus tard s’installer à Cambridge et monter les Soft Boys. Il affirme être resté bloqué en 1967 - country rock, glam, funk, disco, reggae, and punk more or less passed me by  - et il conclut sur ça, qui vaut tout l’Or du Rhin : «Regardless, I’m grateful that the stopped clock of 1967 ticks on in me - it’s given me a job for life.»

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             Une petite rafale d’articles salue la parution du book, oh pas grand-chose, une page par ci, une page par là. Dans Uncut, Tom Pinnock parle de l’adolescence dans les sixties comme d’une «psychedelic transition», ce qui n’est pas idiot. À quoi Robyn des bois ajoute : «I happend to be feeling intense when Dylan went electric, and extremely intense when Revolver came out, and then I supernova’d along with Are You Experienced.» Robyn des bois est alors un pensionnaire de 14 ans au prestigieux Winchester College, Hampshire. Il dit pourquoi il est resté bloqué dans son collège en 1967 : «Je ne me suis jamais ajusté à la vie après ça. Winchester m’a ajusté à Winchester, et 1967 m’a ajusté à 1967. Pour moi, rien ne vaut la musique d’alors et rien n’a jamais égalé l’intensité de la vie dans ce collège et dans ce weird Gothic universe. Je vis à Londres aujourd’hui, mais je suis resté là-bas.»

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             Pour saluer la parution de 1967, Shindig! ne se casse pas la nénette et publie un extrait du book. Dans l’encadré qui accompagne l’extrait, Robyn des bois salue trois merveilles : «Waterloo Sunset» des Kinks («This song surges my heart to breaking point whenever I hear it or sing it.»), «See Emily Play» de Syd Barrett («He managed to distil the exhilaration of 1967 and some of that year’s melancholy awareness of how brief its eternal moment would be.»), et bien sûr «Are You Experienced» («This piece of music will rip you up your cardboard problems and set you free, baby»).

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             Pour saluer la parution de Shufflemania!, Tom Pinnock revient à la charge dans un vieil Uncut pour qualifier Robyn des bois de «singular psych folk troubadour». Mais l’audience with Robyn Hitchcock n’a pas grand intérêt, car il parle de ses chemises et de sa fascination pour Bryan Ferry. Une question porte sur Winchester College et il redit sa passion pour cette époque. Il cite l’exemple du gatefold de Trout Mask Replica, il dit que sa vie se résumait aux disques et à leurs pochettes, allant jusqu’à mémoriser le timing de l’album - Ant Man Bee 2:42 - Et il ajoute ça qui est déterminant : «I come out of a long line of gatefold sleeves, so yeah, it made me.» Une question porte bien sûr sur Syd qu’il n’a jamais rencontré, mais les chansons, dit-il ‘have a miraculous life of their own that nobody can replicate.»     

    Signé : Cazengler, Robynet

    Bobyn Hitchcock. 1967 - How I Got There And Why I Never Left - A Memoir. Constable 2024

    Robyn Hitchcock. 1967: Vartiations In The Past. Tiny Ghost Records 2024   

    An audience with Robyn Hitchcok. Uncut # 307 - December 2022

    The shadow of beauty. Shindig! # 153 - July 2024

    Tom Pinnock : The spirit of  ‘67. Uncut # 327 - July 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Tate gallery

             Impossible de ne pas admirer Thomas Pote. Il incarnait l’un de ces conglomérats qui te marquent à vie. Un conglomérat ? Eh bien oui, un conglomérat ! Mais de quoi ? Un conglomérat de qualités. Quelles qualités ? On pourrait presque dire toutes les qualités. Ça ne veut rien dire ! Bon d’accord. Quand tu rencontres Thomas Pote pour la première fois, t’es frappé par sa beauté physique. Brun, assez haut, sourire carnassier, franc parler, bras tatoués, mais pas du tattoo de tarlouze, du vrai tattoo d’HLM. Une sorte de rocker de banlieue, un rayonnant, un creveur d’écran, un bouffeur d’espace, un déplaceur d’air, un félin, une force de la nature, un voyou doté d’une effarante élégance naturelle. Puis si t’as la chance de passer une nuit blanche à sa table en sifflant des packs de Kro, tu vas entrer de plain-pied dans l’immense surface de sa personnalité, il va te raconter des histoires de toutes sortes, des braquos et des voyages, des rencontres extraordinaires et des projets de groupes, des fêtes et des histoires de cul, il farcit chaque récit de références musicales ou cinématographiques, il te cite Sam Phillips et Martin Scorsese, il t’explique qu’il apprend à jouer du sax à cause des solos de Lee Allen sur les 45 tours de Little Richard, et pour financer l’achat de son sax, il te raconte qu’il a piqué une BM, qu’il l’a maquillée dans son garage et qu’il l’a revendue à son fourgue habituel. Tu veux voir le garage ? Alors il t’emmène le visiter, juste derrière la baraque, il ouvre les deux grands battants et te montre sa faramineuse collection d’outils accrochés aux murs, comme autant de trophées, puis il t’emmène dans le local voisin qui est le local de répète où viennent jouer tous les groupes locaux, il branche un générateur et lance une boîte à rythme, il se met torse nu, embouche son sax, et se met à jouer un cut hypno pendant dix minutes, «tu connais ?», fuck, il te fait du James White & The Blacks, il danse au milieu de la petite pièce, il fait son James Brown, et tu vois son torse et son dos couverts de tatouages baveux. Soudain, tu réalises que se trémousse devant toi l’une des plus grandes rockstars du monde moderne. Personne n’est au courant.

             

             Thomas Pote et Tommy Tate ont un point commun : la grâce naturelle. C’est la raison pour laquelle ils se croisent au coin d’un tunnel, inside the goldmine.

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             C’est grâce à Carl Davis que tu fais la connaissance de Tommy Tate. Carl Davis n’a fréquenté que des cakes, alors forcément t’es pas surpris quand tu mets le nez dans I’m So Satisfied. The Complete KoKo Recordings And More, un compile Kent parue en 2007. Tu reprends même ton souffle avant de plonger dans ce lagon d’argent. D’autant plus que Tony Rounce signe les liners.

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    ( Johnny Baylor )

             Tiens, te dis-tu, d’où sort ce Ko Ko Recordings ? Rounce te dit tout. Ko Ko est le label monté par Johnny Baylor, un heavy black dude embauché par Stax pour assurer la sécurité et s’occuper des débiteurs qui ont du mal à payer. Dans son Stax book, Robert Gordon brosse un portrait terrifiant de Baylor. Brrrrrrrrr. Good Fella en black. Baylor bosse pour Stax, mais il monte Ko Ko et n’a qu’un seul artiste sur son roster : Luther Ingram. Avec Tommy Tate, ça fait deux. Rounce compare Baylor à Don Robey (Duke/Peacock) et Morris Levy (Roulette). Tommy Tate indique pour sa part qu’avec Johnny Baylor, tu ne discutes pas les ordres - With Johnny, you just dit it, or else... - Rounce indique aussi que Tommy Tate et Luther Ingram ont participé à Wattstax. Mais les enregistrements des trois cuts de Tate sont tout pourris et apparemment, c’est perdu. Rounce aurait bien aimé les mettre sur sa compile.  

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             C’est assez bête à dire, mais cette compile grouille de puces. Tu connais une compile Kent qui ne grouille pas de puces ? Celle-ci est peut-être même un peu plus pire que les autres. Tommy Tate a une voix ET des compos, et t’es hooké aussitôt «School Of Life». Tu ne t’attends pas à une Soul d’une telle qualité. C’est une Soul extraordinairement développée. Pas compliqué : sur les 20 cuts, t’as 10 bombes. Tommy Tate propose une Soul libre, légère, d’une fantastique allure. Sur «I Remember», il sonne comme Wilson Pickett. Il est accompagné nous dit Rounce par The Movement, c’est-à-dire le backing-band d’Isaac le prophète. Et avec «If You Got To Love Somebody», il passe au big time de good time. Il travaille sa Soul au corps. Ici, tout est beau, tout est absolument parfait. Encore un hit pulvérisé avec «I’m So Satisfied». Tommy Tate est un chanteur incommensurable. Sa Soul te colle au train. Il fait du Stax avec «Revelations» et la basse sonne comme une corne de brume. Nouveau coup de Jarnac avec «I Ain’t Gonna Worry» gratté à l’angle biseauté. Tu croises rarement des black dudes aussi doués. Son scream est pur comme l’eau de roche. «More Power To You» sonne comme le slowah fatal. C’est d’une rare puissance. Encore de la modernité avec «If You Ain’t Man Enough». Ni Motown, ni Stax, c’est du black rock avec du big sound, et t’as la guitare de rêve en plus de la Soul parfaite. Il fait encore corps avec sa Soul dans «It’s A Bad Situation». Son heavy groove est ahurissant de classe. Il passe au hard funk avec «Hardtimes SOS». Il te rocke le funk. Il est bon dans tous les râteliers. Il mène rondement l’heavy r’n’b d’«It Ain’t No Laughing Matter», qu’il a co-écrit avec son pote Sir Mack Rice. Incroyable qualité d’ensemble, son et chant ! Il refait son Wilson Pickett dans «Just A Little Overcome» et boucle avec «I Don’t Want To Be Like My Daddy», un slowah de perdition explosive. On n’avait encore jamais vu ça. Effarant, éclatant et épuisant.

             Quand Stax a disparu, Baylor est revenu s’installer à New York. Mais Ko Ko a fini par couler et Tommy Tate est rentré chez lui à Jackson, Mississippi. Il n’a jamais cessé de composer et d’enregistrer. Rounce nous met bien l’eau à la bouche en révélant qu’il existe un stock de démos tellement énorme qu’on pourrait en faire 30 albums ! Mais rien n’est encore sorti. Te voilà encore avec une incroyable histoire sur les bras.

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             Hold On est un beau Malaco de 1979. Aw my Gawd, quel album ! Avec «Little Boy» et «All A Part Of Growing Up», Tommy Boy reste le Prince de la Good Time Music, car ces cuts sont frais, orientés sur l’avenir. Little Boy bénéficie du petit stomp de Malaco et Tommy Boy l’emmène au paradis. Le Growing Up est réellement du big time de Good Time, Tommy Boy est un meneur, il arrache son Growing Up du sol ! Et puis t’as tous ces coups de génie, tiens à commencer par «I’ve Been Inspired To Love You», il amène ça en mode fast r’n’b, mais Tommy Boy va vers le côté joyeux du r’n’b et il sait groover comme un dingue. Franchement t’en reviens pas de l’entendre groover son Growing Up à gogo. Encore un coup du sort avec «I Can’t Do Enough For You Baby», ce prince balance bien des hanches. Même chose avec «A Thousand Things To Say», cut de Soul merveilleusement allègre et moderne. Quelle tenue et quelle qualité, Oh Boy ! Le festival se poursuit avec «Hold On (To What You’ve Got)», horriblement groovy, et «Do You Think There’s A Chance», ce cut si subtil qui ne tient qu’à un fil, et qui résumerait bien l’art chantant de Tommy Boy : une Soul fine et racée. C’est tellement bien balancé que tu cries au loup. Tommy Boy aligne ses hits comme des planètes, pour le seul bonheur des becs fins. Il fait de la Soul de haute voltige. 

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             L’album sans titre de Tommy Tate sort en 1981 sur Juana, le label de Frederick Knight. Encore un album qui grouille de puces, notamment «Listen To The Children», Tommy Boy sait poser sa voix sur l’heavy Soul de Malaco. C’est excellent, profond et sincère, il monte son we got to listen au jazz de pah pah. C’est tout simplement génial. Pas loin de Marvin, avec un joli break de coups d’acou. En B, il tape le «This Train» de Frederick Knight, cut assez mystique qui sonne un peu comme le thème du Soul Train mythique de Don Cornelius. Tommy Boy groove son hard r’n’b et fait autorité. Quel fantastique shouter ! Power to the max ! Encore une petite merveille avec «On The Real Side». Il tartine merveilleusement sa heavy Soul. Tommy Boy est un puissant seigneur. On le voit aussi s’éloigner dans «I Just Don’t Know», il tape dans la Soul latérale d’I’m so lonely.

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             Sur Love Me Now, Tommy Boy tape une belle compo de Mack Rice, «Slow Rain (Fast Train)». Avec Mack Rice, ça groove toujours dans la couenne du lard. Tommy Boy est en quelque sorte le prince de la Good Time Music, comme le montrent «Midnight Holiday» (bien balancé et contrebalancé avec des chœurs de rêve de window pane) et ce «Tear This House Down» signé George Jackson, et Tommy Boy y va de bon cœur au tear this house down tonight.

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             Pas de chance pour Tommy Boy : All Or Nothing est plombé par le son années 80. Il se fait baiser par la prod. Il perd la Soul. Ce son est une calamité. Ça vire diskö-pop et ça devient vite imbuvable. Que vas-tu sauver là-dessus ? Rien. Il ne s’en sortira pas, même avec tout le feeling du monde. T’écoute car t’espère, mais ce sera en vain. Il fait une tentative de boogie avec «Walking Away». En vain. Un petit parfum d’exotica plane sur «This One’s». On accorde une dernière chance au disk raté du pauvre Tommy Boy. Quel gâchis !

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             Par contre, la compile Hold On - The Jackson Sessions Rare & Unreleased grouille de puces. T’as au moins dix coups de génie au cm2. Boom dès «Friend Of Mine». Tommy Boy fait son big Soul Brother, c’est solide. «Little Boy» sonne comme de la pop Soul d’élan vital. Toutes les compos sont ambitieuses. Tommy Boy sonne déjà comme une superstar. On se régale de sa grosse présence vocale sans «All A Part Of Growing Up», qu’on trouve sur Hold On. Puis arrivent d’autres coups de Jarnac, «I Can’t Do Enough For You Baby», tiré aussi d’Hold On, il a des chœurs de rêve pour ce slowah profond et humide, merveilleusement travaillé aux harmonies vocales, il part ensuite en mode gros popotin avec «A Thousand Things To Say». C’est d’une qualité hors du commun, il module à l’infini. Tommy Boy superstar ! Il peut faire son Wilson Pickett («Something To Believe In») et taper une hard Soul de rock gorgée d’excellence («You’re Not To Blame»). Sur «So Hard To Let A Good Thing Go», il est dans l’hard r’n’b, avec du bassmatic à gogo. Il te tient vraiment en haleine. Tout est très chanté, ultra chanté. Il finit en mode gospel avec «Something Good Going On». Tommy Boy est un crack, il tient bien son époque en main. Tous ces cuts sont effarants de qualité et derrière, t’as ce mec qui joue des espagnolades électriques. Reggie Young ?

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             Tu ne peux décemment pas te lasser de Tommy Tate. Dès qu’une nouvelle compile pointe le museau, tu sautes dessus. When Hearts Grow Old - Twenty previously Unissued Recordings From The Malaco Vaults date de 2008. On est en plein Malaco. Tommy Boy y fait de la Soul évolutive. Il t’installe dans le confort de la Soul. Avec «You’re Making My Dreams Come True», il va plus sur Barry White. Il se bat pied à pied avec tous ses cuts. Il a une belle dégelée royale de poux sur «Feel The Love» et il refait son Barry White avec «Lonely Lady». Il fait résonner la fibre White et ça te fend le cœur. Tu te régales de ce gros groove d’exception qu’est «Ain’t No Love For Sale». Il revient à son cher Barry White system avec «Lay Love Inside» et puis t’as ce «That’s Just A Woman’s Way» un peu dans la veine de «MacArthur Park», même dramaturgie mélodique. Il est encore fantastique sur «I Feel So Close To You», il enjolive cette Soul new wave, il la nourrit, il la chérit, dommage qu’elle soit si années 80. Mais Tommy does it right. 

    Signé : Cazengler, Tommy Tarte

    Tommy Tate. Hold On. Malaco Records 1979  

    Tommy Tate. Tommy Tate. Juana 1981

    Tommy Tate. Love Me Now. Urgent 1990 

    Tommy Tate. All Or Nothing. P-Vine Records 1992  

    Tommy Tate. I’m So Satisfied. The Complete KoKo Recordings And More. Kent Soul 2007 

    Tommy Tate. Hold On - The Jackson Sessions Rare & Unreleased. Soulscape Records 2008

    Tommy Tate. When Hearts Grow Old - Twenty Previously Unissued Recordings From The Malaco Vaults. Soulscape Records 2008

     

     

    *

    ROCK EN VRAC

    RENCONTRES AVEC DES CAÏDS DU ROCK

    ET DU ROMAN NOIR

    MICHEL EMBARECK

    (Les Editions Relatives / Février 2025)

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             Ne dites pas Embareck, dites Embarock. D’abord une préface. Pour mettre les chrockse au point. Il y a rock et rock. Le rock d’avant et le rock d’aujourd’hui. Celui d’aujourd’hui, il s’est dinosaurisé. Surtout en notre pays. L’est devenu un plantigrade balourd dont tout le monde se détourne. S’est transformé en une espèce en voie d’extinction. Survit dans les zoos, les enfants ont le droit de leur jeter des cacahuètes. De braves bêtes inoffensives, châtrées dès la naissance.  Elevées aux hormones qui annihilent leur métabolisme de prédateurs. Parfois surgissent par miracle, par génération spontanée, quelques méchants tyrannosaurus aux dents longues à vous croquer la planète. Sont circonscrits en d’étroites réserves, seuls de rares amateurs tentent de les remettre en liberté, mais les institutions médiatiques veillent…

             Méfiez-vous de l’expression rock en vrac. L’est sûr que vous avez l’impression que Michel Embareck vous embarrasse avec ces trois cents pages remplies jusqu’à la gueule qu’il décharge au tractrock-pelle sans préavis dans votre cervelle trop étroite  pour accueillir tant d’informations. Je vous rassure, elles sont dûment classées par ordre chronologique. Surtout au début. Je vous laisse sur votre faim pour la fin.

             Vite submergé. Ne le plaignez pas. Il l’a voulu. Une simple lettre et le voici dans la gueule du monstre. Dans la rédaction du magazine rock : Best. L’ennemi héréditaire de Rock & Folk. De fait les amateurs achetaient les deux. Nous présente la rédaction de l’intérieur. Une belle équipe. Un patron, Patrice Boutin, pas d’accord avec la ligne, mais qui laisse faire puisque l’affaire tourne et rapporte… Lorsqu’il aura  en 1983 la désagréable idée de mourir au volant de sa Ferrari, Christian Lebrun sera nommé rédacteur en chef… Embareck arrive pour les belles années, celle du dernier mouvement rock d’importance le Punk. Un mouvement parti de rien mais dont la renommée essaimera sur tous les continents… C’est le moment de retrouver Marc Zermati, il est aussi présent sur la toute dernière photo de la denière page, photographié en compagnie de Michel Embareck.

             Notre auteur est à Londres en 1977, et à Kingston en 1978. Ces pages jamaïcaines sont à lire. Vous pouvez me croire, je ne suis pas un grand fan du reggae. Chapitre suivant, soirée chez Gainsbourg qui vient d’enregistrer Aux Armes et Caetera…

             Certes Embareck a eu la chance de traverser ces années folles mais tous ces faits sont tellement connus que l’on aurait tendance à dire que parfois les hommes sont modelés par les évènements et que les individus se contentent de suivre le mouvement. Même si par advertance circonstantielle  ils interviennent tant soit peu sur leur déroulement. Pour moi le livre commence vraiment avec le chapitre sur Alberta Hunter. Née en 1895, morte en 1984. Nous ne sommes plus dans le rock en train de se faire, l’on quitte le serpent qui déplie ses derniers anneaux pour remonter dans la matrice originelle. Oui nous sommes loin du rock. Alberta est une chanteuse de jazz. Une légende. Vous trouverez facilement sur le net enregistrements et éléments biographiques. Embareck lui consacre trois pages, mais c’est un tournant essentiel dans l’ouvrage. Non, il ne fera que citer de temps à autre quelques grands noms du jazz. Mais là n’est pas le sujet. Il s’intéresse à plus profond. C’est là où il se révèle.

             Si je vous dis que le chapitre suivant est un hommage à Little Bob, vous risquez de ne pas trop comprendre, quel rapport avec Alberta et Little Bob. Entre le jazz et le rock français. Aucun. A première vue. Ni au second coup d’œil. Par contre si vous utilisez le troisième hypophysical tout s’éclaire : le blues, en le sens où le blues est un certain engagement pour la vie, pour le blues, pour le rock’n’roll, car tout se rejoint souterrainement dans la grande mouture du rhythm ‘n’blues.

             Voici AC / DC, les enregistrements certes, avant tout des gars accessibles au service de leur musique. Du coq à l’âne. Voici quelques pages consacrées à Lavilliers. Pas spécialement au chanteur. Au voyageur celui qui va au Brésil. Du coup Embareck se barre, il prend la route. Rennes avec Bo Diddley et sa guitare. Bourges (anecdotique). Memphis : le circuit Elvis mais surtout l’emplacement du studio Stax détruit. Nous voici dans le Rythm & Blues. Mais faut encore descendre dans la terre d’élection.

             Nouvelle-Orleans, c’est là qu’il touche à ce que l’on pourrait appeler l’essence impalpable du blues dans la présence de certaines rencontres… La musique certes mais aussi la musique des mots, remontée vers le Montana pour rencontrer la littérature, l’américaine, celle de James Crumley, celle de Solomon Lee Burke, de Jim Harrison… toutefois la littérature n’est-elle pas une mythification, ces écrivains américains ne sont-ils pas considérés en leur pays comme des secondes gâchettes, voire des troisièmes couteaux… Suivez la pensée filigrane, notre attachement au rok’n’roll ne serait-il pas une mythification personnelle ?

             Toute question mérite réflexion. Et surtout une réponse. Embareck n’est pas homme à se prendre la tête. Ne va pas nous pondre un essai de cent pages. Va quand même nous en filer quatre-vingt. A la manière de ces maîtres Zen qui vous envoie une grosse baffe en travers de la gueule pour répondre à votre à question : ‘’ Maître, qu’est-ce que la violence ?’’  L’est moins cruel, il vous offre une douzaine de petites nouvelles.

             Elles sont à lire. Sont comme les gaufres, se dévorent sans faim. De la littérature française qui parle de rock, de blues, d’Amérique et surtout d’êtres humains qui se coltinent dans leurs existences ces invariants. Ces phares baudelairiens. Ces filtres du vécu qui permettent de mieux vivre.  Ces forces de régénération qui ont disposé la Nouvelle-Orleans à survivre à tous les Kaltrina… Pour la petite histoire celle que je préfère : Le rock comme arme d’instruction massive. Normal le nom sacré de Gene Vincent y figure.

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             L’Embareck est un stratège, l’a gardé le meilleur pour la fin. De la même veine que les nouvelles. Mais en plus court. Douze chroniques parues dans le magazine Rolling Stones. Chacune consacrée à un artiste. Ne vous y trompez pas. Lisez-les comme douze autoportraits de Michel Embareck. Douze mythifications tel qu’en lui-même il se change.

             En plus ça fonctionne un peu comme les arcanes du tarot, chacun y trouvera la carte de son destin. Pour moi celle de Wayne Hancok, n’est-il pas qualifié de Fantôme de Gene. Craddock.

    Essayez à votre tour, si vous lisez ce livre de Michel Embareck, les amateurs de rock y découvriront toujours une image qui les représente. C’est ce que l’on appelle le grand Art.

    Damie Chad.

     

    *

             Dernièrement, voir notre livraison 670 du 19 / 12 / 2024, nous avions chroniqué le dernier clip de P3C, une première rafale avant la sortie de l’album Negative Skills mais voici un deuxième coup de semonce ce mois de février :

    SHALLOW TIME

    POGO CAR CRASH CONTROL

             Ce coup-ci pas de vidéo, en lot de consolation vous avez un Reels, moi qui suis le premier à m’éblouir et à rester en contemplation sur le moindre fragment de poterie mésopotamienne, j’avoue que ces vidéos minimalistes tiktokiennes me laissent assez froid. En plus les Pogo sont diablement à l’étroit dans ce  format cigarettes mentholées, même pas ultra-longues, qui se vendaient dans les années soixante.

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             Bref une image fixe et du son, ration de combat minimaliste. Si l’on rajoute que le Shallow Time ne bénéficie que d’un timing de même pas deux minutes et demie, l’on a l’impression d’être dans ces restaurants où le garçon se sent obligé de vous renseigner que le steack est juste sous la frite.

    Certes c’est bien balancé mais l’on n’a pas le temps de voir passer, du déchiré mélodique, l’on s’envole mais après on reste un peu au repos en apesanteur, en orbite stationnaire un peu trop près de la terre, remarquez c’est un peu le thème abordé, besoin d’un peu de calme avant de reprendre l’ascension, on a l’impression que ça tient grâce au vocal delirium tremens d’Olivier.

    Les Pogo se sont adjugés quelques mois pour souffler l’année dernière, z’étaient sur le speed depuis plusieurs années, semblent avoir choisi d’essayer d’autres rhumbs de tangage, l’on sent que ce n’est plus comme avant, mais l’on aimerait avoir l’album in integro pour voir si ce n’est plus comme après.

    Il y a toutefois une justice immanente sur cette terre, puisque samedi dernier (22 février) ils étaient en première partie de Jack White au Trianon.

    Vous avez une vidéo sur YT qui ne vaut pas le déplacement, le son est mauvais, un rythme un peu lourd, une salle peu réceptive.

    Damie Chad.

     

    *

             Certaines choses vous attirent plus que d’autres. Par exemple le rock’n’roll. Pour moi j’ajouterai deux forces d’aimantation irrésistibles, la poésie et la mythologie. Gréco-romaine de préférence, or voici que jetant un œil distrait sur les nouveautés rock de la semaine, deux noms s’inscrivent en lettres d’or dans mes pupilles aiguisées, une déesse et une poëtesse. En plus pas  des moindres !

    INNOCENCES

    HECATE’S BREATH

    ( Chaîne YT : Hecate’s Breath / Janvier 2025 )

    Les rockers aiment Hécate. N’est-elle pas la déesse de des Carrefours. Robert Johnson pourrait vous en parler. Il ne l’a pas reconnue lorsqu’elle s’est présentée à lui, il  l’a prise pour le Diable, peut-être avait-elle emprunté cette apparence satanique pour qu’il comprenne que désormais il jouerait de la guitare comme un Dieu… Vous connaissez le destin de Robert Johnson. On a tendance à qualifier les dieux grecs de bons ou de méchants. Ce qui est particulièrement stupide. Les Dieux ne sont ni bons ni méchants. Ce sont justes des concepts opératoires qui ne se définissent point selon nos chétives catégories humaines.

    Hécate s’inscrit dans la lignée de Nyx, engendrée par Kaos. Le Kaos est une énergie dévastatrice qui sort d’une fente, elle perd de sa force au fur et à mesure qu’elle se déploie dans le vide, les premiers êtres qui sont sculptés par cette déperdition sont de terribles entités incommensurables, Nyx est la première fille l’aînée de tous ceux et celles qui suivront. Cette énergie finit par se stabiliser en les cinq matières élémentales. Les Dieux olympiens sont les rejetons des éléments.

    Pour ceux qui s’étonneraient de cette introduction, je précise que Le Souffle d’Hécate nous avertit en trois mots  de sa vision du monde : Humanity is obsolete. Court mais éloquemment significatif. Le groupe a aussi défini sa musique comme ‘’desincarnate doom’’.

    Pour ce qui suit je ne saurais que vous renvoyez au film de Terence Davies, A Quiet Passion. Qui raconte la vie d’Emily Dickinson (1830 – 1886) qui vécut chez elle, entourée de sa famille, volontairement recluse en sa chambre, une expérience poétique à mettre en relation avec celle de Joe Bousquet (1897 – 1950). Sinon lire les poésies d’Emily Dickinson, près de deux mille poèmes, dont vous trouvez un parfait exemple sous la vidéo :

    Ah, Necromancy Sweet !

    Ah, Wizard Erudite !

    Teach me the Skill,

    That I instil the Pain

    Surgeons assuage in Vain

    Nor Herb of all the Plain

    Can Heal !

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    (Ah, Nécromancie douce ! Ah, Sorcier Erudit ! Enseigne-moi l'habileté, Pour que j'instille la douleur Que les chirurgiens apaisent en vain Aucune herbe de toute la plaine ne / peut guérir !)

             Vous aimeriez en savoir plus : voici la réponse que  Hecate’s Breath adresse à une auditrice : Au risque de vous décevoir, nous préférons rester à l'abri de la lumière. Ici, sinon ailleurs. Anonymat. Pas de profit. Juste de la musique. Et quelques lignes vocales enregistrées sur un Samsung dans une bergerie. Jusqu'à ce que l'inspiration s'estompe.

             Je vous laisse faire les relations induites par la proximité d’Hécate et Emily Dickinson. Un dernier indice : elles ont déjà produit ce que je n’ose appeler un album au titre évocateur : Danse Macabre.

    Elrika : vocals, guitars / S. : vocals, noise, guitars, acoustic guitars  / TJ : vocals, cello / B. : vocals / Mélinoé : noise.

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    L’instinct du rocker : j’ai vu ces noms de fleurs, j’ai flashé sur deux : Aster, en Grèce Asteras, qui désigne la voûte étoilée, est la mère directe d’Hécate, puis sur Iris. J’ai tout de suite pensé à L’Iris de Suse qui est le titre du tout dernier roman de Jean Giono, un de ses meilleurs, une histoire d’amour fou, mais une folie gionienne, je suis certain, les voix, les images que c’est un groupe filles qui se cache derrière cet anonymat. Avec Giono je fais fausse route mais quand je croise Aster et Iris, le net apporte d’étranges lumières. Je tombe sur la critique d’un roman paru en 2022 dont je n’ai jamais entendu parler, de Sarai Walker, il s’intitule The Sherry Robbers, vous pouvez le lire dans sa version française, 624 pages chez Totem, tilt pour le titre : Les voleurs d’Innocence. Voici le thème : Belinda a eu six filles, Aster, Rosalinde, Daphné, Hazel, Calla, Iris, elle leur a prédit qu’elles mourront si elles se marient, elles meurent chacune à leur tour, enfin presque… Je ne voudrais pas déflorer le sujet… Sur une critique j’apprends que c’est un bouquin sur la résilience des femmes, la bêtise de mes contemporaines m’effraie, ailleurs on me le présente comme un roman goth, ce qui est sûr c’est que Innocences de Hecate’s Breath  s’inspire de Sarai Walker.

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    B’s Visions : question subsidiaire est-ce le B de Belinda ou le B de celle qui participe au vocal dans le groupe ! : fonctionnement de la vidéo, chacun des neuf morceaux bénéficient d’une image fixe : un souffle, un murmure très doux, des notes éparses, une impression de mystère magnifiée par cette robe de mariée retenue sur un cintre par les pans du voile, la proéminence du corsage ne fait qu’accentuer l’absence de toute chair féminine. Lumière blanche de la fenêtre surexposée, chambre obscure de l’appartement.

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    Aster : ma seule étoile est-elle morte, en tout cas il y a du verre cassé partout sur le plancher, ces hurlements, ces cris de terreurs, crise exacerbée, pur roman gothique, la musique devient-elle bruit parce que la vie devient morte, funestes résonances, ici c’est l’Hécate lunaire qui brille de sa pâleur mortelle… La vie serait-elle aussi factice que cette fleur de tissu dont la tige plonge dans un bocal sans eau.

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    Rosalind : donner à une héroïne le prénom Shakespearien de Rosalinde ne laisse augurer rien de bon… pièce délabrée mais relativement propre, une belle rose posée sur la table de bois vous offre ses piquants et sa corolle que l’on imagine de pourpre, presque des sonorités trompétueuses, la batterie s’emballe, le vocal est-il interpellation intempestive, règlement de compte ou crise d’hystérie, baisse d’intensité, serait-ce le coït après l’explosion du désir, ce coup-ci Rosalind tonne comme si elle était un homme, un orlandien, venu des terres dangereuses du désir. Presque un miroir interchangeable.

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    Daphne : serait-ce le portrait de Dorian Gray fixé par des chaines et des clous pour qu’il ne vieillisse plus et reste en vie, ou une métaphore de la métamorphose de la nymphe Daphné en laurier pour échapper à l’amoureuse poursuite d’Apollon, ou alors faut-il croire que les coups de marteaux que l’on entend ne sont pas pour le Christ que l’on cloue sur la croix mais destinés à représenter le sacrifice des jeunes filles vouées à recevoir le clou du désir dans leur vagin. Grands coups de merlin, exaspération prédatrice du mâle en érection, jusqu’à l’éclosion finale, sous les coups de boutoir les vantaux cèdent, l’ennemi tel un serpent, se faufile dans la brèche.

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    The Headless Bride : sur la photo elle a sa robe de mariée mais elle a perdu sa tête, autour d’elle les yeux nombreux de ceux qui tournent leurs regards vers cette apparition fantomatique, la musique tremble sur elle-même, est-ce une allégorie du sort réservés aux épouses de Barbe-Bleue, des voix de revenantes maudissent-elles leurs sorts funestes, ou alors serait-ce la vision prophétique et symbolique  du sort réservé à ses filles qui accaparent la tête de Bélinda. Vacillements, klaxons.

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    Hazel : des clous d’acier et des branches comme en rapportent à la maison les enfants qui ont joué dehors. Des cris, des exclamations, tout ce qui a eu lieu et qui maintenant est terminé, la noisette est perforée et brisée par le casse-noisette, musique forte et lente pour spécifier que l’inéluctable a eu lieu. L’on n’échappe pas à son destin. Rien ne sert de tourner dans sa tête ce souvenir prégnant.

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    Calla : peu usité en France ce prénom signifie Fleur. Cette fleurette ne refleurira pas au printemps prochain. La musique est assez pesante pour que l’on comprenne le genre de désagréments qu’elle a subis, tout ce qu’elle a enduré, sur la table les clous sont toujours là, quant à la pomme du désir elle semble à avoir été dure à avaler.

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    Iris : on n’ira pas jusqu’à dire en voyant cette pièce bien rangée, bien propre, qu’ici tout n’est que calme luxe et volupté, tout au plus un havre de paix, un refuge, l’a fallu qu’Iris se batte très fort pour échapper à l’emprise de son destin, elle a fui, poursuivi par une horde de désirs non contenus, elle s’est battue, elle a vaincu, elle a tiré son épingle du jeu piégé, elle est partie, elle a fui sa famille, pour qu’une prophétie ne se réalise pas, ne suffit-il pas de refuser de l’entendre quand on la prononce à votre encontre, celle qui la recevra sera votre absence, un véritable chaos dans la tête lorsque vous vous échappez.

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    Wounded : toutes les portes de l’appartement sont ouvertes, une forme blanche se profile au fond du couloir, est-ce Iris qui revient pour s’affronter à son destin, le regarder dans les yeux, elle a changé d’identité, elle s’appelle Sylvia, de longues années ont passé mais l’histoire que vous avez fuie vous rattrape toujours, elle veut s’incarner en vous, n’est-elle pas vous, n’est-elle pas votre essence même, paroxysme, hurlements de terreur, l’horrible court après vous et s’accroche à votre robe, pensez-vous que vous échapperez à vous-même. Même si vous persistez à être vous-même selon votre volonté, n’êtes-vous pas blessée. A mort.

             Le souffle d’Hécate est particulièrement violent. Malgré la nudité vous êtes en présence d’un groupe de black metal. Particulièrement brutal.

    Charnellement éprouvant.

    Damie Chad.

     

    *

    Les guerres indiennes ne sont pas encore terminées. Il reste juste, une fois que les temps de la survie seront terminés, à remporter la victoire. L’épisode que nous allons suivre remonte à loin. Il aurait pu être oublié. Il s’en est fallu de peu. C’est en farfouillant dans une boutique de disques qu’en 2010 Joe Steinhardt fondateur du label Don Giovanni Records tombe sur le premier opus de Winterhawk qu’i trouve remarquable. En 2021 il rééditera les deux albums que le groupe avait enregistrés.

    ELECTRIC WARRIORS

    WINTERHAWK

    (Don Giovanni Records / Octobre 2021)

    (Mother Earth Records / 1979)

    Le groupe fut formé en Californie par  Nik Alexander, un activiste Creek qui voulait former un groupe de hard rock  indien. Il fut rejoint par Alfonso Kolb originaire du Rincon Indian Reservation près de San Diego. Il emmena aussi son cousin Frankie Joe

    Ils ne sont pas le premier groupe indien de rock, Redbone le plus connu de tous par chez nous se forma en 1969… Par contre le groupe Winterhawk qui sortit l’album Revival n’a rien à voir avec eux et sont originaires de Chicago.

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    Belle pochette, nos quatre silhouettes d’indiens se détachent pratiquement au sommet d’une crête - serait-ce une allusion à la grande masse de la cavalerie des lakotas qui  à Little Big Horn surgirent de derrière une colline à la grande surprise de Custer – elles donnent au premier regard l’illusion de guerriers armés de fusil, non ils ne brandissent que des guitares. Inoffensives ?

    Nik Alexander : lead vocals, lead and rhythm guitar, lyrics / Frankie Joe : rhythm guitar / Frank J. Diaz de Leon : bass guitar, backing vocals / Alfonso Kolb : drums.

    Prayer : comme un crépitement d’oiseau qui fouille du bec en ses propres plumes ébouriffées, en dessous une percussion indienne un peu sourde mais point trop, la voix fragile de Nick Kent élève une prière vers le ciel, l’envol majestueux vers le soleil dans l’embrasement des guitares, demande d’aide, le peuple rouge a oublié la voie guerrière de l’aigle et de l’esprit, après l’élan le rythme impassible des tambours se tait. Got To Save It :  la terre et l’eau t’int été données pour être préservées, la voix s’élève presque tremblante, mais la colère prend le dessus, les guitares s’envolent comme des remparts de flèches, appel à la guerre, l’homme blanc n’est pas nommé, mais ses machines éventrent la mère originelle, une ronde de hargne, une charge  de poneys, un appel, un constat, un devoir de retour à l’équilibre des forces naturelles, le morceau déboule comme une mer de bisons qui déferle sur l’immensité des plaines. Black Whiskey : presque une berceuse, une guitare pleure à gros flocons, Nik a pris sa voix tremblante, l’orchestration s’intensifie, l’histoire d’une des plus cruelles blessures du peuple indien, l’eau de feu qui embrume l’esprit, qui enserre l’individu dans ses serres d’acier. Le poison irradie le sang, une seule solution rentrer à la maison, se retrouver chez soi, dans sa pureté natale, dans sa fierté d’homme, libre de sa camisole de force dont il est le seul responsable. Dark Skin Lady : un son qui n’est pas loin de Steppenwolf, Nik hache ses mots comme s’il lançait des poignards, après l’appel à la spiritualité, après une revendication que notre modernité nomme écologique, après une dénonciation de l’alcool, Nik aborde une problématique différente, celle de l’engagement de l’individu en ses propres désirs charnels, un sujet délicat, le sexe en tant qu’acte de perdition indienne, l’attrait de la ville, les filles faciles, la réserve comme un lieu de protection, de resserrement du peuple indien sur son propre sang. Préserver la force de l’esprit, mais préserver aussi le sang rouge. The Wind : ce n’est pas la réponse qui se trouve dans le vent selon Hugues Aufray, la beauté sous-jacente des chantonnements féminins ne doit pas nous détourner, écoutez plutôt l’éventration des guitares, la réponse est en toi, en ta responsabilité, si tu vis dans ce monde de folie, c’est parce que tu l’as accepté, n’écoute pas les anges blancs, prête l’oreille à l’esprit rouge. Dépêche-toi, fais le bon choix, ne t’endette pas pour toujours.   Restaurant : drôle de titre, si peu indien, on aurait préféré pemmicam ! Que voulez-vous la chair est chaude et l’homme si faible, le morceau roule comme le torrent du désir dévale des montagnes, la guitare aigüe se roule dans le stupre, les squaws se donnent ou se refusent comme elles veulent. Que peuvent les grands principes généraux quand ils sont confrontés à la singularité des individus. Selfish Man : ce n’est pas un hasard si les guitares froissent le son comme une feuille de papier que l’on jette dans le feu pour qu’elle brûle, parfois le vocal avance à pas menus comme s’il marchait sur le sentier de la guerre, le morceau n’est pas une réflexion éthique sue l’égoïsme congénital de l’espèce humain, le selfish man est l’homme blanc, une manière de le dénoncer sans le nommer, de le nier, de ne pas reconnaître sa présence,   ils ont commencé par prendre les terres et ils finissent par la grande menace, celle de l’énergie nucléaire, qui finira par stériliser la Terre Mère.

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    Custer's Dyin' : un titre pour lever toute ambiguïté, d’ailleurs il commence par rouler la grosse pierre arrasante du hard rock, il faut bien proclamer la seule et grande bataille significative remportée par l’homme rouge sur le l’homme blanc, sur ce diable de Custer qui brûlait les villages de toile, et massacrait les femmes et les enfants quand les guerriers n’étaient pas là pour les défendre, bien sûr il finit par ces espèces de criailleries de bandes de sauvages qui le soir tournent autour du feu pour fêter leur victoire. Fight : la dernière charge, la voix du chef  qui résonne dans toutes les poitrines de l’homme rouge, récitatif guerrier de tous les combats menés, de toutes les défaites subies, de tous les désastres, mais ce n’est pas fini , le chant s’élève au cœur des collines perdues, ils arrivent parmi les cris, ils mènent la dernière charge, tous derrière Crazy Horse et Sitting Bull, le peuple rouge est encore là.

             Cet Electric Warrior est à écouter sans fin, tient bien son rang parmi les centaines d’albums de hard rock parus en son époque. Il n’a pas eu le succès qu’il méritait, vu son contenu l’on se doute qu’il n’a pas eu le privilège d’être placé en tête de liste de diffusion des radios américaines, un peu de rose pâle oui, beaucoup de rouge sang, non !

             Quelle résonance a-t-il eue dans les réserves et la population indiennes, je n’en sais rien, il ne mâche pas ses mots quant à la responsabilité de tout un chacun… Nous n’avons que le gouvernement que nous méritons…

    DOG SOLDIER

     WINTERHAWK

    (Don Giovanni Records / Octobre 2021)

    (Mother Earth Records / 1980)

            Une couve bien moins réussie que la précédente. Est-elle tirée d’une bande dessinée. Si non, elle en est tout de même fortement inspirée. La pose de l’indien courageux qui s’offre aux fusils est certes courageuse mais le sacrifice n’est peut-être pas la meilleure façon de continuer le combat…

    Nik Alexander : lead vocals, lead and rhythm guitar, lyrics / Doug Love : bass guitar, backing vocals / Jon Gibson : drums, backing vocals / Gordon Campbell : bells.

             De la formation originale ne reste que le leader Nik Alexander. Le groupe a joué en première partie de Johnny Winter et de Metallica, mais Alfonso Kolb raconte que les concerts qu’il a préférés sont les prestations données auprès des enfants des écoles dans les réserves.

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    Our Love Will Last : un son davantage rentre dedans, il semble que pour ce deuxième opus l’on ait cherché l’ouverture vers un public moins militant, ce premier morceau est un beau brûlot, une belle déclaration d’amour enflammée, pas typiquement indienne, pas teepeequement rouge, vu la couve l’on s’attendait à quelque chose de de plus, si j’ose dire, rentre-dedans.  Honey Lady : chœurs féminins en entrée, l’on ne lésine pas pour attirer l’attention, attention c’est sérieux déclaration de mariage en bonne et due forme, enlevé, mais du tout-venant sans originalité, décevant quand on compare à l’enregistrement précédent. Crazy : l’amour rend fou, c’est connu, permettez-moi de ne pas partager cette folie collective, c’est agréable, ça vous caresse les oreilles dans le sens du poil, mais vous vous dites que c’est totalement inutile, vous faites une prière au grand esprit pour que la suite ne soit pas si fleur bleue. Davantage rouge ce serait beaucoup mieux. Loser :  si j’en crois le titre le Wanka Tanka m’a entendu, l’a mis du bon ordre, pas tout à fait comme je l’aurais voulu, le gars est parti… dans un groupe de rock, cela n’est pas pour me déplaire, oui quand le chat n’est pas là les souris dansent, elle ne l’a pas attendue, elle a changé de crèmerie, maintenant il regrette, il pleure, il crie, la guitare perce son cœur, franchement je ne peux rien faire pour lui, je suis content que le morceau soit terminé. Lady Blue : une introduction qui sonne Beatles, bref le gars pleurniche, file à la niche mon vieux, maintenant l’on se croirait chez Cat Stevens au coin du feu en compagnie de Lady d’Arbanville, je ne savais pas que les Indiens avaient traversé l’Atlantique et étaient venus visiter nos châteaux. Custer, au secours, reviens vite remettre de l’ordre ! We're Still Here :  je dois avoir un sacré ticket avec Wanka Tanka, l’a envoyé mille charriots bâchés dans les réserves, Winterhawk est un phénix qui renaît de ses cendres, il reprend son histoire là où il l’avait arrêtée, nous sommes encore là, entre temps la situation ne s’est pas améliorée, l’alcool coule à flot dans le gosier des guerriers avachis, le peuple rouge ne boit pas, il se suicide. Réveil brutal à la gueule de bois. Warrior's Road :  n’en a pas laissé tomber son acoustique pour autant, l’est vrai que le bruit et la fureur ne sont pas de mise, voici l’histoire des défaites amères, le sang a coulé, le courage n’a pas suffi, la route du guerrier est longue et triste, les bisons sont morts depuis longtemps, il ne reste plus qu’un goût amer dans la bouche… We Are The People : le même chant triste, et la même colère, la même fierté d’être le peuple qui n’a pas renié ses promesses qui a accueilli sans haine ceux qui venaient de loin, en butte aux persécutions religieuses dans leur pays, ils se sont installés et ont apporté la guerre, les guitares lancent du feu, mais le dieu d’amour et de vérité dont ils se vantaient tant, ils l’ont trahi. Le peuple rouge ne porte pas de paroles fallacieuses. I Will Remember : chant indien, tambour profonds, voix étranglée, chant tribal, maintenant la voix sussurante, la promesse sacrée, pour les femmes et les enfants, ceux qui ne sont plus et ceux qui viendront, celle de se battre pour le peuple rouge, le crier bien fort, rafales de guitares cinglantes. Je pense qu’à l’origine le disque devait, aurait dû, s’arrêter là. Rock And Roll Soldier : le morceau un peu tarte à la crème, pas mauvais en lui-même, un peu facile, vite entendu, vite oublié, pas plus mauvais que des dizaines d’autres mais pas meilleurs non plus. l’est vrai qu’il fait l’effet d’une mouche velue posée sur un nappé de chantilly. Indubitablement il existe un rapport avec Loser, mais il semble qu’après la révolte indienne, une seule solution, non ce n’est pas la révolution, ni la lutte armée, voici l’échappatoire, un bon vieux rock’n’roll et tous les problèmes sont résolus.

             Doit exister une différence ontologique entre les warriors même électriques et les chiens soldats… Dog Soldiers est le disque de trop. Trop éloigné du premier. Totalement décousu. La moitié des titres semblent hors-circuit. L’on a épuisé les fonds de tiroir. Une disparité dommageable. Une espèce de reniement…

             Nik Alexander, a continué son combat, les habitudes générationnelles changent, les jeunes sont moins attirées par l’alcool, se tournent vers les nouveaux produits… Dans Rock’n’roll soldier il clame la supériorité du pure rock ‘n’ roll sur le punk. Il rejoindra pourtant le mouvement Straight Edge issu du punk qui s’est démarqué du punk hardcore et refuse tous produits, tabac, alcool, drogues diverses… Le coup du balancier, tout mouvement appuyé suscite des réactions contraires. Nous entrons en sociologie, nous nous éloignons des indiens…

             La hache de guerre n’est pas encore déterrée…

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 508 : KR'TNT ! 508 : BADFINGER / COBRA VERDE / LOVE AS LAUGHTER / RITA JONES / LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE / MICHEL EMBARECK/ ERIC BURDON/ ROCKAMBOLESQUES XXXI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 508

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    29 / 04 / 2021

     

    BADFINGER / COBRA VERDE

    LOVE AS LAUGHTER / RITA ROSE

    LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE

    MICHEL EMBARECK / ERIC BURDON

    ROCKAMBOLESQUE XXXI

    Badfinger in the nose

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    Tout le monde s’accorde à dire que l’histoire de Badfinger est une histoire tragique. En effet, deux pendus, ça vous plombe une histoire. C’est un peu comme si on passait brutalement du jardin magique (la musique) aux poubelles (les faits divers). La vie souriait pourtant à Badfinger. Elle lui souriait de ses trente-deux dents. Son avenir semblait assuré. Ces quatre surdoués savaient composer et les Beatles les chouchoutaient, au point de les signer sur Apple en 1970. Ils en imposaient sur les photos : ouvrez le gatefold de No Dice et vous les verrez rayonner tous les quatre dans la lumière orangée d’un crépuscule gallois. Le grand, derrière, c’est Pete Ham, ou si vous préférez Pete Jambon, dressé comme un phare dans la nuit et principal compositeur du groupe. Le petit rastaquouère, devant, c’est Tom Evans. Une vraie petite gueule de berger calabrais. Il joue de la basse et compose lui aussi pas mal de trucs. À gauche, le mec qui ne ressemble pas à grand chose, c’est Mike Gibbins, le batteur. Et de l’autre côté, la petite gueule de rock star évaporée appartient à Joey Molland, le guitariste et second phare dans la nuit de Badfinger. Alors qui sont les deux pendus ? Pete Jambon et le berger calabrais. On les a retrouvé tous deux pendus, le premier dans son garage, l’autre à un arbre parce qu’il n’avait pas de garage. Que s’est-il passé ? L’histoire classique du groupe à succès qui se fait arnaquer en bonne et due forme par un intermédiaire véreux. Homme d’affaires new-yorkais Stan Polley prend les Anglais sous contrat et ça donne le résultat suivant : une tournée américaine en 1971 rapporte environ 25 000 $ aux quatre musiciens et 75 000 $ à Stan. Ça, c’est du business ! Les plus malins diront : Ah, si les musiciens sont assez cons pour accepter ça, tant pis pour eux ! Mais dans la réalité, les choses ne sont jamais aussi simples qu’on le croit. Déjà, pour commencer, les musiciens ne voyaient pas la paperasse. Ils faisaient confiance. On fait toujours confiance à un spécialiste. On fait même confiance à un comptable.

    Le résultat ne se fait pas attendre : les quatre Badfinger n’ont pas un rond alors qu’ils voient leurs singles parader en tête des charts. Pete Jambon se demande comment il va pouvoir rembourser l’emprunt qu’il a contracté pour s’acheter sa baraque. Il finit par se convaincre qu’il n’y parviendra pas. Il flippe tellement qu’il se pend. Dans sa lettre d’adieu, Pete Jambon traite Polley de bâtard. Le berger calabrais finira lui aussi par craquer, huit ans plus tard, suite à une engueulade téléphonique avec Joey.

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    Dans un récent numéro de Record Collector, Bill Kopp rend hommage à ce groupe décimé par le destin. Kopp rappelle que le nom du groupe provient du working title d’un célèbre cut des Beatles : «With A Little Help From My Friends» s’appelait au début «Badfinger Boogie». C’est McCartney qui leur compose leur premier hit («Come And Get It»), mais très vite Pete Jambon montre qu’il sait lui aussi pondre des œufs. Les quatre Badfinger sont tellement potes avec les Beatles qu’ils sont invités à jouer sur les albums solo de Ringo, de John Lennon (Imagine) et de George Harrison (All Things Must Pass).

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    Les interviews de Joey Molland menés par Michael Cimino et rassemblés dans Badfinger And Beyond apportent un bel éclairage sur l’histoire de ce groupe qui faillit bien devenir énorme. Indépendamment du fait que George Harrison les avait à la bonne au point de les signer sur Apple, il est important de savoir que Pete Jambon et le berger calabrais étaient gallois, alors que Joey Molland venait de Liverpool et qu’à l’époque où il rejoignit Badfinger, il pouvait déjà se targuer d’un joli parcours. Eh oui, Joey avait connu la mythique Cavern - The Cavern was probably the best Rock club there ever was - Il évoque Rory Storm, Gerry & the Pacemakers et bien sûr les Beatles - The sound was punchy and hard - Il évoque aussi The Big Three, avec le batteur Johnny Hutchinson au chant, Johnny Gustafson à la basse et Brian Griffith à la guitare. Joey était tellement fasciné par Grif qu’il se rendit chez lui, tapa à la porte et lui demanda de lui apprendre à jouer de la guitare, mais Grif lui dit non. Pourquoi ? «Parce que je ne sais pas jouer de la guitare !». On raconte pourtant que Grif a formé George Harrison. Joey raconte aussi son enfance à Liverpool. Chez lui, il y avait un piano, comme dit-il dans toutes les maisons à l’époque. Il rend hommage à son père qui lui enseigna la patience et qui l’autorisa à commettre des erreurs pour apprendre. Il rappelle aussi que le Liverpool de son enfance était une ville très dure, il fallait apprendre à courir vite. Les gangs régnaient dans les quartiers et on se battait à coups de marteau. Et puis on découvre au fil des pages que Joey est un mec charmant. Richard DiLello dit de lui qu’il était toujours de bonne humeur - a Liverpudlian rocker who never seemed to have a bad day - On voit à sa bouille qu’il est à part. Joey fit aussi partie d’un groupe mythique, Gary Walker & The Rain. C’est Gary Leeds, alias Gary Walker, qui lui enseigne le cool - Gary was a very cool guy and he wanted the people around him to be cool. To look cool and to be cool - Le groupe s’installe à Chelsea et Joey n’en revient pas de vivre avec une giant rock star. C’est là dans les clubs du Swinging London qu’il commence à fréquenter la crème de la crème du gratin dauphinois. En 1967, il a vingt ans. Tout le monde portait des futals en mohair et des pulls à col roulé. Le moindre détail avait son importance. Il rappelle que les Londoniens voulaient tous aller en Allemagne, car c’est là qu’on trouvait les meilleures écharpes et les plus beaux cols roulés.

    L’histoire de Badfinger remonte au temps où les Beatles cherchaient de nouveaux talents pour leur label Apple. George Harrison avait déjà ramené chez Apple Jackie Lomax, lui aussi de Liverpool, Doris Troy et le clavier de Little Richard, Billy Preston. C’est Mal Evans qui déniche the Iveys, le groupe qui accompagne David Garrick. C’est dans ce groupe que se trouvent les trois autres Badfinger. Avec Joey en complément, le groupe trouve un son. Chez Apple, Joey voit bien sûr Allen Klein et ne l’aime pas beaucoup. Il garde par contre des bons souvenirs de l’enregistrement d’All Things Must Pass, auquel George Harrison leur demande de participer. Parmi les stars qui traînaient au studio 3 d’Abbey Road, il y avait Ringo, Klaus Voorman, Bobby Whitlock, Carl Radle, Leon Russell et bien sûr Phil Spector.

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    Alors, la réputation de Badfinger est-elle surfaite ? Pour répondre à la question, le mieux est d’écouter les albums. Ce n’est pas une expérience désagréable. Au temps de leur parution, ces albums ne laissaient pas indifférent, même si pour les gueules à fuel le son paraissait un peu trop poppy. Par contre, les obsédés sexuels pouvaient se branler sur la pochette de No Dice. Une fois dépliée, on y voyait une splendide créature au regard torve s’exhiber dans un costume de courtisane orientale. Elle dégageait cet érotisme littéraire à la Pierre Louÿs qui au temps jadis réveillait aisément les bas instincts. S’il l’avait aperçu en vitrine, Baudelaire aurait de toute évidence acheté l’album rien que pour la pochette. Sans doute l’aurait-il ensuite écouté. Sans doute aurait-il succombé au charme de «Love Me Do», cette solide machination inspirée de «The Ballad Of John And Yoko».

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    Sans doute aurait-il salivé à l’écoute de «No Matter What», cette pièce scintillante et pleine de vie, en qui tout est, comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieux. Sans doute se serait-il réjoui d’apprendre que Pete Jambon jouait sur la Gibson SG utilisée pour «Paperback Writer», une guitare que lui avait offert George Harrison, et Joey Molland sur sa Firebird de débutant, tous les deux branchés sur des Vox AC30. Sans doute se serait-il agacé de ce «Without You» connu comme l’albatros, cette mélopée torride et bêtement romantique qui, bien que popularisée par Nilsson, ne pouvait plaire qu’aux Belges et à Mariah Carey. Sans doute aurait-il levé un sourcil à l’écoute du jeu byzantin de Joey Molland dans «Better Days», sans doute se serait-il rapproché pour mieux entendre couler cette rivière de diamants dans la texture même du son. Ah, mais ne nous méprenons pas, Baudelaire n’est pas Des Esseintes, il n’ira pas jusqu’à l’évanouissement. Intrigué par tant d’allure, il aura sans doute poursuivi l’examen et découvert que Joey Molland hantait à nouveau un autre château d’Écosse, «Watford John». Comment pouvait-on résister à ce succédané d’élévation spirituelle, à cette touche démiurgicale d’éclat lunaire ? Baudelaire en convenait, c’était impossible. Agité d’une fièvre de curiosité, il aura sans doute poussé jusqu’à «Believe Me», étrangeté chantée d’une petite voix funeste, mais gonflée comme une voile de démesure ancillaire. On ne saura jamais ce que Baudelaire aurait pensé de tout ceci, mais il plaît aux esprits fantasques de l’imaginer.

    Dans le cours de ses interviews avec l’ami Cimino, Joey Molland rappelle que No Dice fut enregistré sur du temps libre de studio à Abbey Road, à raison de trois heures par jour, au moment où le groupe qui louait le studio allait déjeuner. Une chanson par jour pendant dix ou douze jours.

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    La pochette de Magic Christian Music paru sur Apple Records en 1970 nous renvoie tous non pas au vestiaire, mais chez Giorgio De Chirico, ce peintre des architectures somnolentes annexé par les Surréalistes dans les années vingt. Mais nos amis de Badfinger n’ont rien de particulièrement surréaliste. Ils optent pour une petite pop inoffensive et relativement bien intentionnée, au plan des harmonies vocales. Le cut qui sort du lot s’appelle «Dear Angie», un groove de Beatlemania dûment violonné, doux et brillant, admirablement travaillé au corps. Et puis au fil des cuts, une certaine forme de solidité s’impose, digne du meilleur cru albionnesque. On s’effare même du très beau niveau composital de «Beautiful And Blue». C’est une pop qui se tient, une matière chamarrée, nappée de violons et anoblie par l’ampleur des harmonies vocales. Ils frisent la Slademania avec les mah-mah de «Rock Of All Ages». Encore de jolies choses en B, notamment «I’m In Love», un bel exercice de style tapé au drive de basse bondissant. Voilà un cut à la fois convaincu et convaincant, qui flirte avec les progressions de jazz. On est à Liverpool, ne l’oublions pas. Pete Jambon nous chante «Walk Out In The Rain» au fil ténu de sa sensiblerie et «Knocking Down Our Home» flirte avec l’esprit de «Martha My Dear», un esprit généreux et légèrement rétro. C’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.

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    On les voit tous les quatre poser pour la pochette de Straight Up paru un an plus tard. Ce sont les coiffures rococo de l’époque. Le seul des quatre qui sache rester intemporel est Joey Molland, à gauche. Pete Jambon affiche l’air perplexe d’une tête de broc et Tom Evans celle d’une tête de coiffeur pour dames. Todd Rundgren produit quelques cuts et George Harrison d’autres. Deux des cut produits par Todd Rundgren vont éclater au grand jour : «Flying» et «Sometimes» qui est en B. On le sait, Rundgren est un fan des Beatles et comme les quatre Fingers jouent comme des dieux, ça prend une tournure captivante. Les deux cuts sonnent littéralement comme des hits des Beatles. C’est aussi simple que ça. George Harrison passe un solo sur «Day After Day». On note aussi la présence de Leon Russell - Little piano fill. That’s how great those people are, nous dit Joey Molland dans l’une de ses interviews. Tiens, encore un hit digne des Beatles : «Suitcase», doté d’une fantastique émotivité - Pusher pusher/ All alone - Avec «Baby Blue», ils proposent un hit de power-pop et Joey Molland se tape une fois encore la part du lion en déliant un solo magistral. Mais il précise qu’il n’aime pas Todd Rundgren. Pourquoi ? Parce qu’en studio, Rundgren les insulte et leur dit qu’ils ne savent pas jouer - He was openly rude - Il n’a accepté de produire cet album que pour ramasser du blé. Ça se passe mieux avec George Harrison. C’est lui qui joue le Strat stuff sur «I Die Babe» - You make me loving like crazy/ You make my daisy grow high - On entend Nicky Hopkins sur «Name Of The Game». C’est assez puissant car la musicalité est celle d’All Things Must Pass.

    Comme ce fut le cas pour la plupart des groupes qui commençaient à marcher à cette époque, le business leur mettait la pression : «Make a hit record !». Ça devint une obsession pour le berger calabrais et Pete Jambon. Ça les rendait fous - Tommy drove himself crazy trying to make a hit record, absolutely crazy - Pete Jambon n’a jamais réussi à écrire un hit, ça le rendait fou, lui aussi. Plus on lui mettait la pression, plus il devenait fou. Il finira par détruire sa guitare préférée.

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    La carotte qu’on voit sur la pochette d’Ass est une idée du berger calabrais. C’est la fameuse carotte de Magritte (Ceci N’est Pas Une Carotte) qu’on utilisait jadis pour symboliser la motivation, lorsqu’on menait une opération de communication interne dans une grande entreprise. Ass pourrait aussi vouloir dire : tu l’as dans le cul. Il y avait du ressentiment dans les rangs de Badfinger. Ceci dit, Ass reste un très bel album de pop anglaise. Cette pop d’Apple qui jadis nous faisait tant baver. Dès «Apple Of My Eyes», on se retrouve au cœur du Apple Sound System : admirable facture mélodique et Chris Thomas produit, alors, ça fait encore plus la différence. Le hit du disk ouvre le bal de la B et s’appelle «Constitution». Ils sonnent là-dessus comme les Beatles du White Album. Joey Molland signe cette imparable resucée beatlemaniaque. «Icicles» sonne comme un hit de George Harrison, avec un fabuleux son de guitare océanique. Quel cachet ! On trouve aussi sur Ass deux cuts produits par Todd Rundgren et tirés des sessions de l’album précédent, à commencer par «The Winner», qui se veut plus rocky, avec une belle approche du son carré. Alors là, on peut dire qu’ils savent monter un œuf de pop en neige du Kilimandjaro ! Joey Molland explique que sa chanson concerne John Lennon qui passait à son temps à se plaindre de tout. Et quand on écoute «Blind Owl», on se dit qu’on n’en attendait pas moins de Badfinger. Pete Jambon nous entortille ça au riff de guitare virtuose et on voit ces quatre mecs s’auto-émerveiller par tant de brio. Ils éclatent tellement au grand jour que ce spectacle fait plaisir à voir. L’autre cut produit par Rundgren s’appelle «I Can Love You», un immense balladif à prétention romantico-universaliste. Ils savent s’en donner les moyens, c’est vraiment le moins qu’on puisse en dire. Ils savent mailler les moyeux et mouiller les maillets. Au fond, la présence de Rundgren dans les parages n’étonnera personne quand on sait à quel point il vénère lui aussi les Beatles. Il suffit d’écouter les trois albums de Nazz. Et puis nos vaillants héros tragiques bouclent l’Ass avec un «Timeless» extrêmement joué à la guitare. Joey Molland joue au gras tout au long de ce balladif typiquement britannique, il sort ce bon gras spécifique de la panacée, il fait vraiment le show et son solo compte parmi les merveilles du rock anglais. On le voit revenir par vagues, inlassablement, pareil à l’océan hugolien - Ces enfers et ces paradis de l’immensité éternellement émue.

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    Jolie pochette que celle de ce Badfinger paru en 1974 sur Warner Bros. Eh oui, l’empire Apple s’est écroulé et le vieux label américain, flairant la bonne affaire, les accueille à son bord. Nos héros tragiques ne prennent pas de risques, puisque Chris Thomas veille au grain. «Love Is Easy» sonne comme un hit. On y va les yeux fermés. Ils ramènent tout le bon son dont ils sont capables, d’autant que ça bat bien au devant du mix. Et bien sûr, Joey Molland fait à nouveau des merveilles. En B, on se régalera du r’n’b Mod pop action de «Matted Spam», et plus loin de «Lonely You», une belle pop anglaise soutenue par des harmonies vocales de premier choix et un jeu de guitare bien tempéré. Mais le hit de l’album pourrait bien être «Give It Up», un jaillissement de belle pop immaculée dûment monté en apothéose. Une vraie réussite, tant au plan atmosphérique qu’affectif, parsemée de très beaux éclats de guitare. Nos quatre héros tragiques portent le poids du monde sur leurs épaules et se montrent capables de sacrés coups de Jarnac.

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    Il semble que le soufflé retombe un peu avec Wish You Were Here paru la même année. Deux cuts sauvent l’album, à commencer par l’excellent «Just A Chance», nouveau coup de pop de grande ampleur, cuivré et chanté à pleine voix. On sent la patte des vieux briscards de la pop. Mais on sent aussi chez eux une tendance à s’endormir sur leurs lauriers, car cette pop devient souvent très pépère. «Know One Knows» se laisse consommer tranquillement. On appelle ça de la petite pop sans histoires. Le «Love Time» qui se planque de l’autre côté sonnerait presque comme un hit, car ce balladif se prévaut d’une élégance suprême. On croirait presque entendre «Across The Universe». Mais il faut attendre «Meanwhile Back At The Ranch» pour enfin trouver chaussure à son pied. Voilà encore de la belle pop à la Lennon, on sent frémir le son d’une belle détermination. Ce cut visité par l’esprit du White Album, indéniablement. Avec les Buffalo Killers et Ty Segall, ils sont sans doute les seuls capables de jouer à ce petit jeu-là.

    Joey quitte le groupe en 1974, complètement ruiné. Il perd sa maison à Londres et se retrouve dans un minuscule appart à Golden Green, Lyons avenue. Pete Jambon est mort et Joey se rend à ses funérailles au pays de Galles. Sa famille dit-il était détruite. Ils le croyaient à l’abri du besoin, comme n’importe quelle rock star et ne savaient pas qu’il en bavait et que la dépression due à sa pauvreté allait le pousser à finir pendu comme un paysan ardéchois.

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    Les voilà sur Elektra pour l’album Airwaves qui sort en 1979. Sur la pochette, on ne voit plus que Joey Molland et Tom Evans, les survivants. Tom Evans compose et chante énormément, mais il ne crée pas forcément la sensation. Joey pense que «Love Is Gonna Come At Last» est une great song et avoue que le riff est difficile à jouer. Mais si on veut de la viande, il faut aller la chercher en B, et ce dès «The Winner» et son festin d’harmonies vocales. Ça joue dans les règles de l’art fingerien et ce n’est pas Joey qui se tape la partie de lead, mais Joe Tansin. D’ailleurs Joey dit de Joe qu’il sait vraiment bien jouer. On retrouve Tansin au lead dans «The Dreamer». Joey dit que ça sonne comme une Ringo song, doesn’t it ? Les voix se fondent dans l’excellence des arrangements orchestraux. Quel fieffé mélodiste que ce Tansin. «Come Down Hard» sonne comme un hit d’entrée de jeu. Joe Tansin rôde dans les parages et perpétue bien l’esprit in the nose de Badfinger.

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    Tom Evans est encore vivant quand Badfinger enregistre Say No More en 1981. En bons vétérans de toutes les guerres, lui et Joey Molland s’adonnent aux joies du rock’n’roll dès «I Get You». C’est un très anglais et presque trop parfait. Leur «Come On» sonne comme du boogie rock à dents blanches. Le pire, c’est que cet album tient bien la route, même si Pete Jambon n’est plus là. «Hold On» s’orne d’un fil mélodique à l’or fin et «Because I Love You» renoue avec l’ampleur du souffle pop d’antan. C’est exactement ce qu’on attend de Badfinger : une pop cousue de fil d’or. On s’extasie aussi devant la belle tenue de «Rock’nRoll Contact», même si ça chante au guttural. Les retours au calme y fonctionnent comme des havres de paix et Joey Molland gratifie son cut d’un éblouissant final guitaristique. L’un dans l’autre, c’est un beau brin d’A. Il faut bien comprendre que ces mecs ne font pas n’importe quoi. Le «Passin’ Time» qui ouvre le bal de la B sonne incroyablement juste. C’est encore une pop très entreprenante, avec des parties chant gonflées d’énergie - I couldn’t believe it/ Oh no - Et ça accroche terriblement. Idem pour «Too Hung Up On You», chanté à l’Anglaise, c’est-à-dire à l’inspirette carabinée, dans le pur esprit pop, avec tout le répondant du palpité de glotte. Tout est incroyablement solide et bardé de son. Badfinger fait vraiment partie des élus de Palestine. Ils terminent cet album tonique avec «No More», une pop qui comble bien les vides, qui captive et qui nourrit bien son homme. Belle ambiance progressiste et même assez envoûtante. Joey Molland et le berger calabrais ultra-jouent leur va-tout en permanence.

    La fin du groupe est moins glorieuse. Joey et le berger calabrais attendent une avance promise par le management. Comme l’argent ne vient pas, Joey refuse de commencer à travailler sur le prochain album. Il quitte le studio et annonce qu’il ne reviendra que si le blé est là. Puis il apprend que le berger calabrais et Tony Kaye continuent tous les deux en tant que Badfinger, annonçant à qui veut bien l’entendre que Joey a quitté le groupe. What ? Joey tente de joindre ses amis, mais personne ne prend ses appels. En désespoir de cause, Joey finit par former un autre Badfinger aux États-Unis. On a donc deux Badfinger en circulation qui finissent par enterrer la légende. C’est une fin d’histoire assez pitoyable.

    La nuit où le berger calabrais va se pendre, il appelle Joey pour lui raconter ses déboires financiers. Il avait signé un contrat avec un certain John Cass et comme il n’avait pas honoré ce contrat, Cass lui collait un procès au cul pour plusieurs millions de dollars. Il se savait donc fait comme un rat. Au téléphone, il semblait nous dit Joey très détendu, mais il annonçait tout de même qu’il allait se foutre en l’air. Bien sûr, Joey n’en croyait pas un mot.

    Signé : Cazengler, badfinger dans le cul

    Badfinger. No Dice. Apple Records 1970

    Badfinger. Magic Christian Music. Apple Records 1970

    Badfinger. Straight Up. Apple Records 1971

    Badfinger. Ass. Apple Records 1973

    Badfinger. Badfinger. Warner Bros. Records 1974

    Badfinger. Wish You Were Here. Warner Bros. Records 1974

    Badfinger. Airwaves. Elektra 1979

    Badfinger. Say No More. Radio Records 1981

    Michael A. Cimino. Badfinger And Beyond. CreateSpace Independant Publishing 2011

    Bill Kopp. Maybe Tomorrow. Record Collector #487 - Christmas 2018

     

    La morsure du Cobra

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    Cobra Verbe et son chanteur John Petkovic sont probablement l’un des secrets les mieux gardés d’Amérique. Quand on parle de la scène de Cleveland, on mentionne généralement les Dead Boys et Pere Ubu, mais on oublie hélas Cobra Verde. Ce n’est pas la même époque, bien sûr, mais au niveau prestige, Cobra Verde vaut mille fois les Dead Boys. Six albums sont là pour le prouver. À commencer par l’excellent Viva La Muerte paru en 1994. C’est là que se niche «Montenegro» - Montenegro/ In your mountains of my worthlessness - Fabuleux balladif infectueux, hit en forme de puissant sortilège. Petko mène bien sa barque vers l’autre rive du Styx de l’underground. On trouve plus loin «Debt» qui sonne un peu pareil, avec un bel aperçu sur les abysses - She’s a suicide/ And I’m a cyanide/ Look at us die/ She cries I’m blind - Effarant ! Toutes les puissances des ténèbres se pressent dans le corridor - So in debt/ The days I’ve blown away - John Petkovic est l’un des grands auteurs américains. Même trempe que Mark Lanegan ou Greg Dulli. «Despair» sonne comme une vraie stoogerie clevelandaise. Tout est là, même les clap-hands. Son Awite est stoogy en diable et c’est claqué aux accords de Detroit. Petko jette de l’huile sur le feu, il chante son all the way to the bank à l’arrache impétueuse. Attention aussi au «Was It Good» d’ouverture de bal, car ça joue au funk clevelandais, avec de grosses dynamiques et une basse métallique, invendable mais si présentable. Cet album spectaculairement artistique se termine avec une sacrée doublette : «I Thought You Knew (What Pleasure Was)» et «Cease To Exist». Le premier reste très Velvet d’aspect. Petko vise l’explosion du bouquet final - Don’t make me wait - C’est exemplaire. Il va au bout du wait - I don’t wanna wait in the valley of kings - Puis il taille son Cease dans une matière d’apothéose, c’est très écrit, pulsé à l’ultraïque - I am the richess/ You are the pain/ I’ll never see you ever again - Voilà ce que les historiens appelleront dans 150 ans un classic album.

    C’est dans la presse rock américaine de type Spin que paraissaient les rares articles sur Cobra Verde, des textes plutôt bien foutus qui bien sûr mettaient l’eau à la bouche. Le journaliste qui les suivait en faisait une sorte de légende underground et Viva La Muerte répondit bien aux attentes. Cobra Verde devint comme les Saints l’un des groupes à suivre de près.

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    On retrouve les big atmospherix petkoviens sur Egomania (Love Songs) paru trois ans plus tard. Dès «Everything To You», on retrouve le charme toxique de «Montenegro». Beaucoup d’allure et gros impact - What else could I do but leave everything to you ? - Il lui laisse tout. Pekto a cette générosité, celle du big atmospherix, du larger than life, c’est tellement bardé de son, my son, il va même jusqu’à exploser les annales de sa rafale. S’ensuit un «A Story I Can Sell» battu à la vie à la mort et tout aussi dévastateur - I lost my pride/ I lost myself - On note l’indéniable power du Cobra Sound. Il s’adresse à des chicks from Babylon. Il chante tous ses cuts à la pire intensité de l’incandescence. Avec «Leather», Petko s’énerve - Born in different dreams/ Every stranger is an enemy - Il taille son rock dans la falaise, porté par un gros drive de basse - Same bed/ Different dreams - Ce mec est atrocement doué. Tiens, encore deux passages obligés : «Blood On The Moon» et «For My Woman». Avec Blood, il tape dans le heavy balladif captivant, atmospherix en diable, sacrément bien senti, bien foutu, bien ficelé, bien gaulé, tout tient par la présence de cette voix ultraïque. Même chose avec Woman, Petko fait son cro-magnon - I need to be your man - Quelle clameur ! - Yeah I’m gonna understand - Solide, punkoïde as the fuck of hell, solo de rêve, rond et flashy - You know I love you woman/ More than the world - C’est la réponse du Cobra au défi du love affair de deep end.

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    Backseat, champagne et poules pour la pochette du Nightlife paru en 1999. Une fois de plus, on se retrouve avec un très gros album dans les pattes. On le sent dès cette puissante démiurgerie clevelandaise qu’est «One Step Away From Myself». Ils nous bardent ça de son, nous cisaillent tout au riffing et il faut voir comme ça descend sur le manche de basse. En gros, ça dégueule de son. Il semble que Cobra Verde crée la sensation sans même le vouloir. Ils sortent un «Conflict» travaillé au corps défendant, bâti par des charpentiers de marine. Et puis soudain, on tombe sur le furieux et glorieux «Crashing In A Plane» - Baby I’m a detour - Petko ressort son meilleur guttural montenegrain - Baby I’m the dustbin - Il envoie ça à l’outrance princière, avec toute la bravado dont il est capable et le sax s’en vient rallumer les brasiers du Shotgun de Junior Walker. Véritable coup de génie que ce «Don’t Let Me Love You», véritable hit d’insistance parabolique - My baby’s desperation/ Is driving me insane - Il faut le voir touiller sa fournaise, c’est absolument faramineux de menace sous-jacente, effarant d’inventivité du glauque. Il n’en finit plus d’allumer les plus bas instincts du rock, il chante à la voix d’orfraie, porté par un sax de free en perdition mentale. Il reste encore une énormité sur cet album : «Don’t Burden Me With Dreams» qui sonne comme une délivrance catatonique, Petko charge en tête du Cobra, il chante à la vie à la mort avec toutes les foisons du monde. Il tape aussi «Casino» aux gros climats d’extrême violence, il s’en va laper du sang dans le creux des mains. Bel exploit aussi que cet «Heaven In The Gutter» tapé à la basse métallique. Ces mecs n’offrent que des solutions extravagantes, il faut le savoir. Joli coup aussi que ce «Back To Venus», ça joue au heavy groove de guitar slinger. Encore un cut que les Stones auraient sans doute rêvé de jouer.

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    Après cette fantastique triplette, trois membres originaux disparaissent : Don Depew, Dave Swanson et Goug Gillard. Frank Vazzano (guitar), Mark Klein (drums) et Ed Sotelo (bass) les remplacent pour enregistrer cet album effarant qu’est Easy Listening. Trop de son, sans doute. Trop écrit. Trop chanté. Comme le furent les grands albums des Pixies et des Saints. Un cut comme «Whores» frappe par la violence du volontariat. Petko explose la comète - I don’t care cause I got away - Ça explose des deux côtés, par le chant et par le son. Même chose pour «Terrosist» amené aux riffs de non-retour, Petko chante à la glotte en fer, c’est sa force. Back to the big atmospherix avec «The Speed Of Dreams». On a l’impression de voir cette merveille s’écrouler dans la mer comme une falaise de marbre. Ça tombe dans la bascule de l’énormité rien qu’au son du chant - I can’t remember how it is/ You disappeared - Avec «Riot Industry», il fait du rentre-dedans clevelandais. Ça se situe vraiment un cran au dessus du reste. Petko fait régner la terreur de son génie sur le rock américain. Il emmène très vite «Til Sunrise» dans l’enfer clevelandais et jette des lyrics de «Hosanna To Your Pretty Face» au ciel. On trouve un peu de Bowie en Petko, justement dans cette façon de jeter au ciel. Même genre de puissance. Cobra Verde est une vraie usine à tubes. Ils jouent «My Name Is Nobody» au surjeu et traînent leur «Mortified Frankenstein» dans un anglicisme à la Led Zep. Fantastique energy of surgery, fantastique shake up de yeah yeah yeah. Avec «Throw It Away», Petko retrouve son titre de champion du monde du Big Atmospherix - Raise a glass to the dead and gone - Et back to the big Cobra Sound avec «Here Comes Nothing», bardé de relents de Montenegro et forcément ça vire à l’énormité, wow, cette façon qu’il a de swinger et de crawler sous le boisseau du Cleveland Sound of steel, il embarque tout au chant comme dans «Debt».

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    Nouveau point commun entre Petko et Bowie : l’album de reprises réussi. Oui, car Copycat Killers est aussi brillant, aussi viscéralement bon que Pinups. Petko tape un peu dans les silver sixties, comme Bowie, avec l’«I Want You» des Troggs, qu’il transfigure au stomp de Cleveland, c’est l’une des plus belles versions jamais enregistrées, alone on my own. Quel fantastique écraseur de mégots que ce Petko, il fait son Reg du midwest, c’est punk jusqu’à l’os et il faut voir le départ en solo clevelandais, la torchère devient folle et éclaire la nuit comme un phare breton. Son prophétique, apocalypse démesurée, le solo place le Cobra au panthéon des crève-cœurs. Ils tapent aussi dans le «Play With Fire» des Stones. On s’étonnera toujours de la fascination des Américains pour la Stonesy de série B. Jolie reprise du «Yesterday’s Numbers» des Groovies. Petko veille à chanter à la Roy Loney. Eh oui. Ça donne une petite merveille d’absolutisme absolu. On les voit aussi taper dans un cut de New Order qui s’appelle «Temptation», qu’ils transforment en bête de somme. Petko tord le bras à la new wave pour lui faire pleurer des larmes de sang. Même traitement infligé à Donna Summer et à son hit diskö «I Feel Love». Petko et ses amis transforment ça en shoot de furie clevelandaise. Ah il faut voir le travail ! Quelle admirable incursion dans la pétaudière du dance-floor ! Autre coup de Jarnac : le fameux «Urban Guelilla» d’Hawkwind, ce hit qui rendit Lemmy tellement furieux car il fut censuré sur la BBC. Le Cobra nous claque ça à la volée, ils redonnent vie au vieux coucou d’Hawk, ils le gavent de toute la niaque du monde et développent une puissance de marteau-pilon. C’est embouti à la vapeur. Ils vont loin, bien au-delà du Cap de Bonne Expectation. Encore un hommage de taille avec the «Dice Man», hommage au géant de ‘Chester, Mark E. Smith, via le Diddley Beat, push push, les Clevelandais retroussent les manches, ce n’est pas si simple, et puis voilà le clin d’œil à Mott avec «Rock And Roll Queen», ils sautent au paf, avec de quoi ridiculiser cette vieille moute de Mott. On le sait, Cleveland est une ville infiniment rock. Comme à Detroit, le son, rien que le son. Belle cerise sur le gâteau : un «Teenage Kicks» amené à la baravado, c’est tout de suite over the rainbow, Petko le chante à l’urgence de la démence, c’est déjà un hit monstrueusement beau, alors tu imagines ça dans les pattes de ces mecs-là ! Ils ramènent les clap-hands, ils jouent comme d’habitude à la vie à la mort, c’est d’une profonde véracité fanatique. On sort de là à quatre pattes.

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    Paru en 2008, Haven’t Slept All Year est encore un album à tomber par terre. L’urgence du beat qu’on trouve dans «World Can’t Have Her» est sans équivalent. On voit ce diable de Petko entrer dans la danse et ça cisaille dans les parages. C’est bien lui, le beat clevelandais, assez ultime, ultra-chargé, d’une terrifiante puissance, c’est même battu au stomp des forges avec des breaks exacerbés et ce diable de Petko hurle dans la fournaise alors que coule l’acier liquide des riffs à la Zep. S’ensuit un «Wildweed» embarqué au meilleur rock de bonne constance. Allez-y les gars, c’est gagné d’avance. Pour ceux qui auraient raté un épisode, les Cobra Verde sont l’un des fleurons du rock américain. Ils font tout beaucoup mieux que les grands groupes, avec une énergie convaincante. C’est ultra-électrique, joué à fond de train, avec un roaring Petko au sommet de son art - I won’t let you go now - Un vrai modèle d’exemplarité concurrentielle. Petko renoue avec la magie des grands balladifs dès «Home In The Highrise». Véritable consécration eucharistique, c’est même un éclair dans le ciel de la pop, une Beautiful Song maximaliste, une merveille assez rare. Petko sait éveiller l’instinct d’un album à des fins mélodiques, cousues de fil blanc, certes, mais quel souffle ! On pourrait dire la même chose du «Haunted Hyena» qui referme la marche, d’autant qu’un killer solo flash lui en transperce le cœur. Ces mecs grouillent de coups de génie comme d’autres grouillent de puces. On trouve aussi un bel exercice de style intitulé «Wasted Again», tapé au groove de jump, assez risqué et pire encore : inutile. Même si les trompettes de Miles viennent saluer la confrérie. Autre cut intriguant : «Something About The Bedroom». Il s’agit là d’une puissante pop sous le boisseau, ou si tu préfères, un puissant boisseau sous la pop. Oui, le Cobra peut aussi sonner pop, presque anglais, même s’ils frappent la pop derrière les oreilles de la pop, et elle n’est pas contente. Elle devra s’arranger avec le batteur. Figure-toi qu’ils se montrent aussi capables d’Americana de haut vol avec «Free Ride» - Bye bye West coast - Quelle équipe ! Et quel album !

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    L’ère post-Cobra Verde porte le doux nom de Sweet Apple. Petko s’y acoquine avec J Mascis. Les journalistes appellent ça une rencontre au sommet. Leur premier album, Love & Desperation, paraît en 2009. La pochette est un délicieux pastiche de celle du quatrième album de Roxy Music, Country Life : deux belles poules s’y pavanent en petite tenue. Comme le Roxy, on ne l’achète que pour la pochette. Mais on est bien récompensé, car voilà le vieux stomp d’«Hold Me I’m Dying». Petko adore les grandes mesures. Encore de la viande en B, avec «Blindfold». Petko joue la carte du plomb, c’est-à-dire celle du heavy doom suspensif, hanté par les envolées cosmiques du vieux J, la sorcière du Massachusetts. «Somebody’s Else Problem» sonne comme un hit et J y fait carrément des chœurs de Dolls. On assiste là à une véritable débauche cobra-verdesque, une pavane de carrure extravagante. Tiens, tu as encore du heavy rock de Cobra avec «Crawling Over Bodies». Petko le coco revient à l’attaque avec des effets dévastateurs. Ce cut semble sortir tout droit de l’un des grands albums de Cobra Verde. Et ça continue avec «Never Came», fantastique et sur-puissant. Ah ces mecs-là savent ficeler un cut de rock ! C’est le filon du Cleveland rock, les mêmes racines que celles de Rocket From The Tombs. Ils bouclent ce disque ahurissant avec «Goodnight», solide et bien élancé. Avec un J en contrefort, ça donne de la power-pop moderne et riante.

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    Cinq ans plus tard paraît The Golden Age Of Glitter. On y trouve des invités de marque : Mark Lanegan et Robert Pollard, la fine fleur de l’underground américain. Avec Petko, on entre au royaume de la power-pop par la grande porte, et ce dès «Wish You Could Stay (A Little Longer)». Derrière, J ne chôme pas. Avec des mecs comme J et Petko, on a toujours l’impression de passer aux choses sérieuses. J bat le beurre sur «Reunion» et nos amis flirtent avec le Cheap Trick sound. «Boys In Her Fanclub» sonne comme l’absolu d’Absalon. Laissez tomber Paul Collins et écoutez ça, car on parle ici de haute voltige, d’une power-pop explosive et fraîche comme l’eau d’un torrent d’Écosse. Petko renoue avec son cher stomp de glam dans «Another Dent Skyline». Tous les vieux fans de Cobra Verde sont ravis de retrouver Petko le coco. Et en B ça dégénère avec «I Surrender». Ça s’envole littéralement. Quelle tenue et quelle ampleur ! Il faut voir avec quelle classe Petko manage ses syllabes dans le feu de l’action. J repasse à la guitare pour «Troubled Sleep» et il ramène sa violence proverbiale. En Amérique, il doit bien être le seul à savoir jouer comme ça, sans vergogne, avec un son épais, saturé, infesté de départs de solos apocalyptiques. Il rivalise de démesure avec Bob Mould. Lanegan vient chanter «You Made A Fool Out Of Me», un vieux heavy blues de circonstance. Et ils terminent cet album exceptionnel avec un nouvel hymne planétaire, «Under The Liquor Sing». Ils se situent immédiatement à la croisée des Raspberries et de Brian Wilson. Petko n’en finit plus d’exploser la coque de la power-pop pour en faire jaillir le lait jusqu’au ciel. C’est un homme libre qui chante à l’envie pure. Il réinvente le paradis et la clameur des anges.

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    Troisième set de Sweet Apple avec Sing The Night In Sorrow. La pochette montre le très gros plan d’une bouche nubile qui fume sa clope, sans doute en écho au délicieux Green Mind de Dinosaur. J Mascis joue essentiellement de la batterie sur l’album et laisse Tim Parmin s’exprimer sur «World I’m Gonna Leave You». John Petkovic cultive toujours ses idées suicidaires et ne souhaite qu’une chose : quitter ce monde cruel. On tombe très vite sur un hit avec «You Don’t Belong To Me». Quelle fantastique élévation power-poppy ! C’est la force du grand Petko que de savoir donner le l’élan. J Mascis revient à sa chère lead guitar sur «She Wants To Run». Voilà encore un hit inter-galactique, chanté à la puissance Byrdsy, mais en power mode heavy. En vérité, on pense plus au Teenage Fanclub, car cette pop roule joliment ses muscles sous la peau. Et J l’honore d’un solo exemplaire. En B, il reste en lead pour l’effarant «Candles In The Sun». On a là une sorte de heavy blues à la Screaming Trees. Admirable, beau et wild. J rôde dans le fond du cut comme un aigle en maraude, il joue loin là-bas dans l’écho du canyon, il plane sur le rock comme l’Empereur sur le pays des aigles, c’est-à-dire l’Albanie. Le tour de force se poursuit avec «Thank You». C’est littéralement bardé du meilleur son d’Amérique, voilà de l’heureuse pop de heavy rock et Pekto la mène au combat, il chante à l’énergie pure, avec toute la grâce et toute la bravado du pur rock’n’roll animal clevelandais. C’est bourré à craquer de stomp et J graisse sa disto à outrance. C’est le genre d’album qui marque la mémoire au fer rouge.

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    Quant à l’ère pré-Cobra Verde, elle porte le non moins doux nom de Death Of Samantha. Doug Gillard fait partie de cette aventure qui démarre en 1985 avec Strungout On Jargon. Sans doute leur meilleur album, mais à l’époque, on ne le sait pas. Cet album fourmille de hits, à commencer par le «Coca Cola & Liquorice» d’ouverture de bal. Petko chante ça comme un Beefheart de Cleveland, à l’incantatoire, avec un aplomb qui en dit long sur ses intentions. Quelle fabuleuse lutte intestine ! Quel brouet déterminant ! C’est joué au bactériel agressif, à la hargne du Midwest, celle des gens qui liquorisent en lice et qui poussent si loin le bouchon qu’on ne le voit même plus. Avec sa merveilleuse aisance ambulatoire, «Simple As That» renvoie directement au Velvet, car ils jouent ça la dépouille de Lou Reed. Petko scie plus d’un tronc et descend les vallées de son immense Jargon. Ça se corse encore en B avec «Grapeland (I’m Getting Sick)», violemment gratté à l’énergie du MC5. Petko et ses amis renouent avec l’énergie du Grande Ballroom, ils sortent la meilleure des attaques, ils vont vite et bien et Doug Gillard part en virée psyché en pleine cavalcade, alors forcément, ça sidère. Dans «Sexual Dreaming» Petko déclare : «I got to stop/ Sexual Dreaming». Le grand Doug Gillard nous infecte ça à coups de virées intestines. Petko étale ses whaooouh à la surface du groove, un peu dans le style de ce que fait John Lennon dans «Cold Turkey». Ils bouclent cet album captivant avec «Couldn’t Forget ‘Bout That (One Item)», un very big atmospherix. Dans ses moments de rage, Petko sonne comme Jim Morrison, il s’envole dans le taffetas des riffs du bout de la nuit. On a là un thème mélodique imparable doublé d’une atmosphère grandiose qui rappelle Adorable, ne serait-ce que par le côté brillant du dépôt de voix sur l’aile du désir. Là où Petko fait la différence, c’est quand il emmène sa chanson loin dans la démesure. Il la ravive et l’anime indéfiniment, And I got up to there.

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    Paraît l’année suivante un sacré beau brin de mini-album, Laughing In The Face Of A Dead Man. Pourquoi ce groupe n’a pas explosé comme un pétard dans la bouche d’un crapaud, on ne le saura jamais. On a là un rock extrêmement agité, bardé de son, avec de jolis échos de stonesy, joué au panache clevelandais, très désordonné, littéralement emmené à la force du poignet : bref, tout ce qu’on peut aimer dans le rock. Dans «Blood & Shaving Cream», on a tout le dépenaillé de braguette ouverte qu’on peut espérer. On retrouve en B l’énorme présence vocale de Petko dès «The Set Up (Of Madame Sosostris)». Ces mecs n’en finissent plus d’éclairer l’underground. Ils ont du répondant à revendre. Même chose avec «Yellow Fever», Petko n’en finit plus de ramener sa petite niaque clevelandaise - I’m so/ Sick sick sick.

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    Ils reviennent avec un nom d’album à coucher dehors : Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Ça saute à la gueule dès «Harlequin Tragedy». Petko en impose dès le git go. Il ramène sa fraise épique et bien enlevée et sort du cut vainqueur, avec un éblouissant final d’exaction mercuriale. Imbattable. Avec «Good Friday», ils sonnent presque comme les Damned - C’mon round ! - L’autre énormité de cet album se niche au bout de la B : «Blood Creek» : en voilà encore un chargé de son comme une mule, dira le voisin à sa fenêtre - We are/ Going to/ Blood Creek/ baby ! - C’est du rock décidé et sans compromission, une belle viande lardée d’intrusions, les deux guitares surjouent à la mortadelle du cheval blanc d’Henri IV, pas de tergiverse sur le Pont des Arts, ça swingue et ça avance. Petko chauffe son rock avec toute l’énergie clevelandaise - Blood Creek/ Put your hands/ Into the wa/ Ter ! - Dire que tout est bon sur cet album serait un euphémisme. On ne se lasse pas de la présence d’un tel son ni du panache d’un tel Petko. «Lucky Day (Lost My Pride)» sonne si américain. C’est extrêmement travaillé au corps. Avec «Monkey Face», ils trempent dans le Detroit Sound malevolent - You’re so evil - Comme Jagger qui ne supportait pas the man on the radio, Pekto ne supporte pas qu’on vienne lui raconter n’importe quoi on the TV et justement, il part en sucette jaggerienne d’I’m a monkey, et on assiste médusé à une fabuleuse sortie de route - Evil monkey/ Monkey evil ! - Et ça repart de plus belle en B avec «Savior City». Qui aurait pu se douter que l’album était aussi bon ? Petko pose encore une fois sa voix sur un admirable slab de rock, il cale bien son wording sur le beat d’acier bleu du midwest - No one seems to really care/ Baby/ What you’re talking about - Et ça continue avec «Start Through It Now» - We’re gonna have some fun tonite - Il faut dire que Doug Gillard joue comme un dieu. Il reste en effervescence permanente.

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    Pour leur ultime album, Petko et ses amis vont s’amuser à sonner comme les Dolls. Come All Ye Faithless va tout seul sur l’île déserte. En effet, trois cuts sonnent too much too soon, à commencer par «Geisha Girl» - Geisha Girl get in my Chevrolet/ We’ll make love the American way - Spectaculaire beau et sexy, comme les hits des Dolls. Tout y est, l’énergie du déroulé, les coups de cuivres et le bouquet final digne de Johansen. Même chose avec «Looking For A Face», fantastique déballage de rock samanthy - And we both know/ We’re looking for a face - Ce n’est pas le Looking for a kiss des Dolls, mais tout juste, car flamboyant et comme emporté. Ils remettent ça en B avec un «Machine Language» magnifiquement riffé. Doug et Petko se livrent à une sorte de carnage guitaristique de la pire espèce et on a toujours ce chant héroïque monté au dessus de la mêlée. Petko repart ensuite dans l’un de ces immenses balladifs crépusculaires dont il a le secret, «Oh Laughter». Ça s’étend à l’infini. Il est d’ailleurs l’un des grands specialistes de ce genre d’évasion. Avec «New Soldier/New Sailor», il raconte une nouvelle histoire d’amour, mais il ne traite jamais ça deux fois de la même façon, il trouve chaque fois un nouvel angle - You know and I say/ That we’re both big nothings - Et voilà qu’avec «Come To Me», il sonne exactement comme le Jim Morrison de «When The Music’s Over». Il chante à la supplique de la vint-cinquième heure. Ce mec reste tendu de bout en bout. Quel chantre de la désespérance relationnelle ! Il clame tout à la clameur de la chandeleur.

    Signé : Cazengler, cobra cassé

    Cobra Verde. Viva La Muerte. Scat Records 1994

    Cobra Verde. Egomania (Love Songs). Scat Records 1997

    Cobra Verde. Nightlife. Motel Records 1999

    Cobra Verde. Easy Listening. Muscle Tone Records 2003

    Cobra Verde. Copycat Killers. Scat Records 2005

    Cobra Verde. Haven’t Slept All Year. Scat Records 2008

    Sweet Apple. Love & Desperation. Tee Pee Records 2009

    Sweet Apple. The Golden Age Of Glitter. Tee Pee Records 2014

    Sweet Apple. Sing The Night In Sorrow. Tee Pee Records 2017

    Death Of Samantha. Strungout On Jargon. Homestead Records 1985

    Death Of Samantha. Laughing In The Face Of A Dead Man. Homestead Records 1986

    Death Of Samantha. Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Homestead Records 1988

    Death Of Samantha. Come All Ye Faithless. Homestead Records 1989

     

    Laughter ne rigole plus

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    Perdu dans l’océan des groupes garagindés américains, il y avait ce groupe au nom rêveur, Love As Laughter. Remember ? Spin qui fut dans les années 90 le canard référentiel en la matière disait le plus grand bien de ce groupe et donc on suivait les recommandations de Spin.

    Love As Laughter se distinguait des autres groupes garagindés par un côté expérimentateur qui n’était pas sans rappeler l’early Sonic Youth. Bon, ça pouvait engendrer quelques malentendus, mais au fond, ce n’était pas si grave. Comme beaucoup d’autres pêcheurs, Sam Jayne et ses amis cherchaient le chemin de la rédemption. Il se peut d’ailleurs que Sam Jayne l’ait trouvé, car en cassant sa pipe en bois, il est monté tout droit au paradis.

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    Il ne nous reste pas que nos yeux pour pleureur. Sam Jayne laisse aussi cinq albums extrêmement intéressants qui au temps de leur parution furent toujours salués dans une certaine presse. Avec son air de ne vouloir toucher à rien et sa chemise à carreaux, Sam Jayne était capable de coups de génie. On en trouvait deux sur ce premier album si difficile à trouver à l’époque, The Greks Bring Gifts. À commencer par l’incroyable «Singing Sores Make Perfect Swords», cette heavy oh so heavy Beautiful Song tartinée au riff de plomb, cette rengaine d’une beauté béatifiante plongée dans le meilleur vinaigre d’Amérique, ces mecs développaient un climax mélodique digne des grandes heures du Duc de Mercury Rev. C’est un Sores qu’il faut saluer. L’autre merveille de cet album s’appelle «Half Assed». Sam Jayne chante à l’anglaise, maybe I’m half to be, mais il le fait de manière seigneuriale, comme s’il avait grandi en Franche-Comté en 1210. Et voilà qu’il part à dada avec «Eeyore Crush It». En sortant son dada flush, il frise l’excellence inversée, il va loin dans le cat cat cat, il a du dada plein la disette, c’est fabuleux de non-sens. Du coup, il devient éminemment sympathique. Et ce n’est pas fini, il dispose de ressources insoupçonnables, comme le montre encore «If I Ever Need Someone Like You». Il va là où le vent le porte. Il nous fait le coup du balladif d’arpèges magiques, tu veux du by one ? Il est là. Sers-toi. Les LAL, comme les appellent les journalistes, cultivent aussi la démesure, comme le montre l’«It’s Only Lena» d’ouverture de bal. C’est sur-saturé de son et Sam Jayne chante en plein cœur de tout ce bordel. Par contre, ils ont pas mal de cuts invertébrés qui n’avaient aucune chance d’atteindre le rivage. Le rock indé introverti était insupportable. Les marchands classaient Love As Laughter dans le bac du garagindé, alors qu’ils n’avaient rien à voir avec ça. Ils s’apparentaient plus à une sorte de mouvance dada paumée, enfin disons qu’ils affichaient clairement leur mépris des conventions. Comment pouvait-on écouter des trucs comme «Uninvited Trumpets» ou «Next Time You Fall Apart» à l’époque ? Ces cuts invertébrés n’avaient aucune chance. Mais on s’extasiait encore de «High Noon». Sam Jayne devenait une sorte de fabuleux essayiste, il testait des idées de son à mains nues avec de l’harmo et du gratté d’acou, alors on lui accordait du temps.

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    Deux ans plus tard, les LAL réapparaissaient avec #1 USA, un album dramatiquement privé d’information. Le packaging du CD est réduit à sa plus simple expression. Merci K. Ça veut dire en clair : débrouille-toi avec les chansons. Il faut attendre «Fever» pour retrouver la heavy disto de Sores. Et en plus Sam Jayne chante ça à la dégueulante maximaliste. Il est capable d’excès terribles, il faut entendre ses hoquets de dégueulade et cette guitare qui s’étrangle dans le prurit. Sur cet album, il rend deux hommages superbes : le premier aux Stones avec «Pudget Sound Station», un rumble de Stonesy drivé d’une main de fer, le deuxième au Velvet avec «I Am A Bee», gratté au no way out, et là il explose littéralement le fantôme du Velvet, il drive ça de main de maître. Il fait aussi un heartbreaking Blues avec «Slow Blues Fever». Sam Jayne sait allumer la gueule d’un heavy blues, pas de problème. Il propose aussi un «California Dreaming» ravagé par les vinaigres. C’est violent et sans espoir. Ces mecs jouent dans une sorte de dimension supérieure. Le «Old Gold» d’ouverture de bal est assez révélateur. Ils drivent ça comme on drivait les choses à l’époque, au riffing féroce. D’ailleurs, ils grattent pas mal de cuts sans peur et sans reproche. Ils étaient les chevaliers Bayard des années 90.

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    Ils débarquent sur Sub Pop en 1999 pour Destination 2000. C’est leur album le plus connu et sans doute celui qui s’est le mieux vendu. Dès le «Stay Out Of Jail», on sent les chevaux vapeur, comme dirait Lavoisier. Mais il faut attendre «On The Run» pour retrouver l’ampleur compositale de Sam Jayne. Il nous sort là les power-chords de la romantica et retrouve sa couronne de roi des Beautiful Songs. Puis il passe à son autre marotte, qui est celle des énormités, avec le morceau titre, joué à la ferveur du chaos, un cut bardé de tout le barda du régiment, il gave ses cuts de son et développe des puissances incontrôlables, et boom, voilà que ça explose dans un final dément avec du piano et des cascades du Niagara dans les sous-couches. C’est stupéfiant ! Sam et son gang repartent à l’assaut du ciel avec «Stakes Avenue», ils deviennent passionnants, ils créent leur monde à coups de douches froides et montrent d’excellentes dispositions au power. En prime, Sam Jayne screame son ass out. Nouveau shoot de Stonesy avec «Statuette». Ils ont du répondant à revendre et ils savent lester un cut de plomb. Quel power ! Nouveau prodige avec «Freedom Cop». Sam Jayne arrose son délire de délire, il n’en finit de montrer des dispositions à tout, il fait même du distodada. Quelle singulière aventure que cet album ! Voilà un nouvel épisode avec «Demon Contacts», un mélopif de type Sister Morphine. C’est exactement la même ambiance - Are you sick of fucking your life - Même délire que When are you coming round, Sam the charm jette tout son pathos dans la balance et pour ça, cet enfoiré a la main lourde. Quel stupéfiant power de la mainmise ! Il explose tout. Les tenants fondent dans la graisse des aboutissants. Merci de ne pas prendre Sam Jayne pour un branleur. Il termine son album avec le big surge de «Body Double», au no way out. C’est le côté Sam de Sam, il peut lui exploser la gueule si l’envie lui en prend. En attendant, c’est bardé de gaga à gogo. Il faut aussi le voir amener son «Margaritas» au run down de mec qui va tomber à la renverse. Belle potée aux choux. Ça sonnerait presque comme un hit tellement c’est parfait.

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    On reste dans les gros disks énergétiques de Sub Pop avec Sea To Shining Sea paru en 2001. On y va de bon cœur car comme Nash Kato dans Urge Overkill ou encore Greg Dulli dans Afghan Whigs, ce mec Jayne a un truc. Son «Coast To Coast» d’ouverture de bal est dévastateur. On comprend qu’ils aient pu se bâtir une grosse réputation. En plus, ça sent bon les drogues. Sam Jayne chante son «Temptation Island» à la petite précipitation. Il cherche le train wreck et chante comme une folle échappée de l’asile. Il entre dans le territoire des énormités avec «Sam Jayne = Dead», un cut terriblement précurseur. Il sonne exactement comme Neil Young dans le Gold Rush - Shoot me in the hand man - Il demande à l’autre de lui faire un shoot dans la pogne alors bienvenue dans le délire de LAL, dans ce fabuleux shake de druggy motion. Monstrueuse dérive ! Il revient à l’experiment avec «Put It Together» et 8 minutes de blast all over, il colle tous les morceaux au plafond d’un rock acrobatique. C’est le rock de Jayne, Sam, mais en même temps il faut suivre. Et puis avec «Miss Direction», il bascule dans le Dylanex. Il est le boss du disk. Et voilà revenu le temps des cerises avec «Druggachusetts». Wow, ça sent bon la titube. Il mise sur sa connaissance des gouffres et ça passe par des excès, il sature ça de solos clairs et nous entraîne dans sa misère psychologique. C’est explosif et beau à la fois, mais d’une beauté plombée comme peut l’être celle de Syd Barrett. Il fait une fois de plus exploser son cut en lui enfonçant un pétard dans le cul. Et ça continue avec «French Heroin», explosif d’entrée de jeu, allumé aux accords de white heat, incroyable renversement des réacteurs abdominaux, le cut explose dans l’œuf du serpent, c’est violent, vraiment digne du Velvet. Sam Jayne a du génie, qu’on se le dise. Il faut le voir allumer sans fin son «French Heroin», il vise la fin des limites qu’on appelle aussi l’infinitude et chante à la clameur fatale de la vingt-cinquième heure. Ses morceaux longs ne tiennent que par l’intensité de la fournaise, comme ceux de Lou Reed au temps du Velvet. Il faut le voir se jeter dans le combat. Beautiful loser.

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    Le dernier album de LAL date de 2005 et s’appelle Laughter’s Fifth. On y dénombre pas moins de trois coups de génie, pas mal pour un groupe underground, non ? Avec «Every Midnight Song», il repasse un contrat avec la heavyness. Son truc à trac, c’est le big atmospherix. Alors voilà une belle tempête de sonic trash demented. Sam Jayne redevient le temps d’un cut le prince des ténèbres et du débordement. Il se montre encore extrêmement passionnant avec «I’m A Ghost». Il a des idées de son et entre vite dans le vif du sujet. Il drive son power surge dans une madness de ponts audacieux comme pas deux et ça explose de bonheur, aw comme ce mec est doué. Il joue sur les alternances avec du fruit dans le son. Avec «Pulsar Radio», ils se prennent pour les Spacemen 3, puisque c’est amené à l’orgue des drogues. L’ambiance évoque une fois encore le Velvet, Sam Jayne hurle dans le chaos spongieux et là tu vois défiler toute l’histoire du rock, mêlée à son désespoir et à ses tempêtes. Sam Jayne bat bien des records de puissance. Il peut aussi faire son Neil Young comme le montre «An Amber» et tremper son biscuit dans le Crazy Horse, comme le montre «Survivors», mais quand il le faut, il sait ramener des paquets de mer. Il ramène même du Tonnerre de Brest dans «Fool Worship Fool Worship». il claque sa pop-rock sur une guitare rouillée et cultive l’effervescence.

    Signé : Cazengler, torve as laughter

    Sam Jayne. Disparu le 15 décembre 2020

    Love As Laughter. The Greks Bring Gifts. K 1996

    Love As Laughter. #1 USA. K 1998

    Love As Laughter. Destination 2000. Sub Pop 1999

    Love As Laughter. Sea To Shining Sea. Sub Pop 2001

    Love As Laughter. Laughter’s Fifth. Sub Pop 2005

     

    *

    Les temps ne sont pas roses pour les groupes. Une année épineuse pour tout le monde. Les avoir privés de concerts c'est comme leur avoir ôté leur raison d'être. En attendant la reprise chacun s'est organisé selon ses moyens. Certains ont sorti un disque, d'autres se sont rabattus sur les radios, on a tourné des clips, on a jammé entre copains, on a joué live devant un public absent calfeutré chez lui derrière l'écran de son ordinateur... bien sûr il y a eu des concerts sauvages de-ci de-là, mais il vaut mieux ne pas ébruiter... Big Brother is hearing you.

    Rita Rose est un groupe de reprises, AC / DC, Stones, Pixies, Steppenwolf, des gens que l'on imagine jeter leur dévolu plus facilement sur Guns N' Roses que Les Roses Blanches de Berthe Sylva. A défaut de scènes se sont réunis exactly au DGD Music Studio, et là l'idée leur est venue qu'au lieu de transplanter les boutures déjà existantes ils pourraient créer comme dans le roman d'Alexandre Dumas leur propre tulipe noire. N'ont pas l'âme commerciale, ils ne vendent rien et on ne les achète pas, donc ils l'ont laissé en accès libre et chacun peut la cueillir à sa guise.

    TOMORROW MAYBE

    RITA ROSE

    ( Clip / YT )

    Chant : Dénis / Guitare : Eric Coudrais / Guitare : Manu Doucy / Basse : Jean-Claude Aubry / Batterie : Michel Dutot.

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    Quand on a lu dans le paragraphe précédent leur goût pour les reprises hot, l'on est sûr qu'ils vont extirper triomphalement de leur hotte une espèce de hot-rod brûlant dégoulinant de bruit et de fureur, pas du tout, z'ont opté pour la douceur et la nostalgie, une ballade électrique, qui vous emmène doucement en balade, vous prend par la main et vous entraîne sur un sentier tapissé de pétales de roses. Malheureux vous marchez les yeux fermés sur la sente des vipères. Ce Dénis, quel enchanteur, une voix qui coule comme de l'eau pure. N'y buvez pas elle est empoisonnée. Ensorcelante, cascade comme du kaolin sur le verre de vos artères, vous mène par le bout des oreilles, vous emplit le cœur de mélancolie, vous phagocyte la mémoire de souvenirs beaux comme hier, les guitares glissent et la batterie vous attire plus qu'elle ne vous pousse, demain le monde sera plus beau et la nuit s'évapore et l'aube se lève, Rita vous passe exactement le film que vous vous tournez dans votre tête, méfiez-vous des magiciens, ils pétrissent à votre guise la gangue de vos émotions, vous emportent sur les tapis volants des rêves vertigineux d'innocence, et vous suivez la route que l'on vous trace, plus vous avancez plus vous retournez vers le néant du passé et vous vous croyez en partance pour un futur radieux, mais c'est la fin, un susurrement de langue d'aspic et le doute s'installe en vous pour toujours. Seriez-vous cette abeille enivrée dans le calice refermée d'une rose carnivore. Peut-être.

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    Maintenant que vous avez rouvert les yeux, vous vous apercevez qu'ils sont plus cruels que vous ne l'imaginiez, le clip est empli d'images muettes et remuantes des concerts d'avant...

    Damie Chad.

     

    LEE O' NELL BLUES GANG

     

    Bien avant le temps de la prohibition les vieux bluesmen ne voyageaient pas de ville en ville les mains dans les poches, bien sûr se dépatouillaient pour porter leur guitare, mais la plupart n'oubliaient jamais de se munir de leur assurance tous risques, rien de mieux qu'un calibre en état de marche pour faire son chemin dans la vie. Les temps étaient durs, il était nécessaire de savoir se défendre contre les aigrefins de toutes espèces avec des arguments convaincants. L'association des mots blues et gang s'avère historialement correcte, reste encore à savoir qui se cache derrière cette redoutable association.

    Sont français. Cette précision ne relève d'aucun chauvinisme, simplement le fait que l'on peut être amené à les rencontrer au hasard de nos pérégrinations. Respirons, ne sont que deux. Pas beaucoup, mais pensons au gang Barrow plus connus sous le nom de Bonnie and Clyde, justement, sont bâtis sur le même modèle, un couple, aussi venimeux qu'une paire de crotales qui auraient élu domicile dans une de vos bottes ( voir la Mine de l'allemand perdue de Blue Berry ), donc un gars Lionel Wernert et une gerce Gipsy Bacuet. Pas des tendrons de la dernière couvée, citer la liste des mauvais coups auxquels au sein de diverses formations ils se sont livrés, soit séparément, soit ensemble, serait trop long. Ils ont fini par se faire repérer, l'agence Bluekerton de la revue Soul Bag les tient à l'œil. En ces temps covidiques ils ont réussi un gros coup, ils ont sorti en décembre 2020 un album Shades of Love, en cette occasion a éclaté au grand jour les ramifications secrètes de leur influence occulte, notamment leur amitié avec Fred Chapelier, une sommité du blues ( blanc rouge ).

    WALKING BY MYSELF ( YT )

    Vocal : Gipsy Bacuet, Leadfoot Rivet, Fred Chapelier, Neal Walden Black / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Slide : Neal Walden Black /  Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Walking by myself because Jimmy Rogers a longtemps été dans l'orchestre de Muddy Waters, vous le chante d'ailleurs assez gentiment sur une rythmique qui musarde doucettement, notre gang le commence comme finissaient les morceaux de musique dans l'antiquité, tous les instruments ensemble en une espèce d'apocalypse sonore, puristes du blues ne criez pas au scandale, le balancement de gondole vénitienne particulier à la zique bleue, il arrive très vite, prenez cette expression au pied de la lettre, sur une espèce d'aircraft électrisé qui fonce droit devant sans se poser de question sur la métaphysique du blues, la Gipsy elle n'aime pas que les gars se reposent, vous envoie le vocal à la batte de baseball et chacun essaie ( et réussit ) de rester sur le même diapason, deux solo de corrida et des lyrics à la rasetta entre les cornes du taureau impulsif. C'est du rapide et ça se déguste, donc il faut réécouter septante sep fois. Avis personnel : ne vous laissez pas happer par les photos réalisées lors de l'enregistrement, elles mangent votre attention et vous empêchent de vous plonger dans la musique, qui vous attend gueule ouverte style les dents de la mer.

    ALONE ( YT )

    ( Official Music Video )

    Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Tout ce que vous n'avez pas eu le temps de goûter à sa juste valeur dans le morceau précédent, Alone vous le permet, les images bistres suivent les musiciens de près, les doigts sur les guitares et le bonheur dans la prise. Ne chôment pas pour autant, mais Gipsy a dosé un entrefilet de jazz dans sa manière distinguée de dispatcher les syllabes, elle n'essaie pas d'arriver la première, elle pousse vers le haut, du coup les guitares prennent de l'altitude et deviennent aériennes. Ici la rythmique ne joue pas à la terre brûlée, rapide et relax en même temps, Lionel et Fred se tirent la bourre de la fraternité, montrent ce qu' ils savent faire, mais sans esbroufe, pas à la m'as-tu-vu-je-te-tue, ils distillent leur style félin flexible sur les fusibles, un régal.

    DIFFERENT SHADES OF LOVE ( YT )

    ( Live / La Scène / Sens / Octobre 2020 )

    ( Organisé par l'association Red & Blue 606 )

    Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Blues, soul, rock, tout ce que vous voulez, les gars ont une chanteuse avec eux, alors ils la servent, la gâtent, sont à ses petits soins, pas un qui essaie de tirer la couverture à soi, mais sans cesse un petit yoyo à lui refiler sous chaque intonation, l'air de rien, sans démonstration, juste de temps en temps un petit sourire satisfait car tout baigne, z'auraient d'ailleurs tort d'essayer de se pousser devant, car Gipsy elle survole, l'épeire qui danse dans le soleil de l'aurore sur la toile perlée de rosée, une équilibriste, une funambule, n'a pas le vocal bancal, elle hausse à peine le ton et le monde change de couleur, n'en fait jamais trop, une simplicité renversante, vous donne l'impression qu'elle lit à mi-voix la liste des commissions, mais avec une aisance, un tact et une classe infinis. Le tout sans la froideur de la perfection, sans ostentation, infiniment naturelle.

    Damie Chad.

     

    BURRIED MEMORIES

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Clip / YT / 04 – 04 -2021 )

     

    Dans notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 nous présentions Disaray le dernier CD de Across The Divide, nous en avions profité pour évoquer certaines vidéos reprenant certains titres de l'album. Au début du mois est parue une nouvelle vidéo de Regan MacGowan illustrant le deuxième titre de cet opus, que nous avons beaucoup apprécié, un artefact soigné tant au niveau esthétique que musical.

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    Le clip est à l'image de Across The Divide, un objet fini qui se suffit à lui-même qui de surcroit est facile à appréhender puisqu'il est loin d'atteindre les cinq minutes. De belles prises de vue, un bon son, d'une lecture agréable et facile. Apparemment une situation idyllique, le groupe en pleine nature interprétant une de ses dernières œuvres. La face claire des phénomènes. Cette dernière phrase induit qu'elle coexiste avec une face plus sombre.

    Nous n'en dirons pas plus ne voulant pas davantage effleurer le contenu de cette chose. La chose diffère de l'objet, si l'objet relève du mental, la chose participe du mystère de sa propre présence. L'esprit ne l'a pas scannée. Elle fait encore partie de l'informe, du mystérieux, du menaçant, ce n'est pas qu'elle serait non humaine, c'est qu'elle est a-humaine. D'une nature autre. A vous de regarder ce clip. Pas uniquement du début à la fin. De d'avant le début à après la fin. Sachez voir. Ensuite vous êtes libre de l'interprétation. Quand on raconte une histoire, l'on n'est pas obligé de tout dire, à vous d'interpréter les indices. De monter votre propre scénario. A partir de vos malaises et de vos angoisses, et de la réalité dans laquelle vous évoluez.

    Ce clip est une merveilleuse réussite, une clef qui s'adapte à de nombreuses serrures. Choisissez la porte qui vous correspond. Celle d'ivoire ou celle d'ébène.

    Damie Chad.

     

    TROIS CARTOUCHES POUR

    LA SAINT-INNOCENT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / Mars 2021 )

     

    Fût-il aristocrate Michel Embareck pourrait se vanter d'avoir des ancêtres qui auraient participé à la première croisade, ceci pour vous dire que notre homme possède ses quartiers de noblesse rock, n'était-il pas une des plumes des plus talentueuses qui en des temps anciens s'illustrèrent dans la revue Best. Si le nom de ce magazine ne vous dit rien c'est que vous êtes jeunes, ce qui n'est pas, je vous rassure, une tare rédhibitoire... Depuis Michel Embareck a publié une bonne trentaine d'ouvrages, nous avons déjà chroniqué en ce blog-rock Jim Morrison et le diable boîteux ( livraison 322 du 29 / 03 / 17 ) et Bob Dylan et le rôdeur de minuit ( livraison 361 du 15 / 02 18 ), le voici qui revient parmi nous avec un roman, qualifié selon sa couverture, de noir. Evitez les raccourcis dangereux, noir ne signifie pas policier.

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    Certes vous avez un cadavre en ouverture, dès le premier chapitre, mais ce n'est pas le bon, celui-là s'apparente à un cadeau Bonux, circulez il n'y a rien à voir, très vite nous tenons l'assassin, une femme ( elles sont dangereuses ), inutile d'endosser votre chapeau à la Sherlock et de vous munir d'une loupe pour les indices. L'Embareck ne vous laisse pas dans l'embarras, nous refile son nom et nous signale qu'elle a depuis longtemps été jugée et qu'elle a purgé sa peine. Ce n'est pas non plus une serial killer qui aurait avoué un meurtre pour mieux faire silence sur les soixante autres bonshommes qu'elle aurait précédemment occis sans que nul ne la soupçonne. Bref le livre commence alors que l'histoire est terminée, je n'ose pas écrire morte et enterrée.

    La victime est aussi au fond du trou. Un gars sympa, un blouson noir – chez Kr'tnt cela équivaut à un certificat de bonne conduite - un bosseur, certes il tapait peut-être sur sa femme – c'est elle qui le dit – mais qui en ce bas-monde n'a pas ses petits défauts... Elle devait bien aimer ça puisqu'elle s'était mariée avec lui.

    Donc Michel Embareck rouvre l'enquête. Pourquoi pas. Toutefois quelques détails nous interpellent quant à cette démarche. Premièrement, il ne fait pas cela au grand jour, se déguise en journaliste, pour brouiller les pistes, pour qu'on ne le reconnaisse pas, lui l'amateur émérite de rock'n'roll, il s'adjuge le nom d'un musicien classique : Wagner. Deuxièmement : il nous tend un piège, file au lecteur un détail foireux à se mettre sous la dent. Dans quel ordre ont été tirées les trois bastos qui ont envoyé l'innocent trucidé ad patres ? Non il n' y a pas de troisièmement. Notre perspicacité nous permet dès maintenant de vous filer la véritable identité du meurtrier. Ne poussez pas des oh de stupéfaction ou d'indignation en l'apprenant. Nous fournirons les preuves et les terribles révélations qui marchent avec, dès la fin de ce paragraphe. Tiens, il est fini.

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    Le criminel c'est... Michel Embareck ! Mais enfin Damie tu dérailles, n'est-ce pas Jeanne Moreau – pas l'actrice, l'autre – qui s'est dénoncée elle-même à la gendarmerie, z'oui âme naïve, mais c'est Michel Embareck qui a créé le personnage de Jeanne et l'assassinat de son mari. Il en est donc pleinement responsable. L'auteur du crime, c'est lui. Mais ce n'est pas tout. Ce n'est qu'un début. Assez médiocre quand on connaît la suite. Ne jetons pas la pierre sur Michel Embareck, ce n'est pas de sa faute, l'a sans doute été atteint du terrible syndrome du tigre altéré de sang. Mangeur d'hommes. Et de femmes. ( Soyons respectueux de la parité ).

    Un peu la problématique de la carabine. Si elle ne tire qu'un coup et si vous attrapez un coup de sang, vous ne tuez qu'une seule personne. A répétition, c'est le carnage. L'aurait dû intituler son book, ''Midnight rambler sur piste sanglante'', au long de son enquête l'Embareck wagnérien, il ne s'économise pas, vous offre la tétralogie in extenso, Crépuscule des Dieux compris avec embrasement final terminator. Méfiez-vous si vous ouvrez le bouquin, attention aux balles perdues, parce que l'Embareck en colère ne respecte personne, l'est prêt à abattre son lecteur ( et même sa lectrice ) sans sommation si sa figure ne lui revient pas. Non, n'ayez pas peur, il ne dum-dumise pas au fusil à cinq balles mais à symboles. Plus il avance dans son enquête plus notre confiance en nos institutions s'estompe. N'épargne aucune de nos vaches sacrées. Remonte le troupeau jusqu'au vacher en chef. Un crime peut en cacher un autre.

    Attention dear kr'tntreaders, ne vous précipitez pas sur une courageuse lettre anonyme pour dénoncer aux autorités la malfaisance anarchisante de cet ignoble individu qui répond au nom de Michel Embareck, c'est que pour le moment nous n'avons traité que le roman. L'intrigue romanesque si vous préférez. Le plus dur reste à venir. On vous a avertis, c'est noir. Très noir. Non, pas tout à fait le noir anarchie. Plutôt le noir opaque. L'est comme cela l'Embareck vous raconte une petite histoire de rien du tout. Une bonne femme qui se débarrasse de son mari. Ça ne va pas chercher loin. Vingt ans maximum. ( Vingt ans pour avoir tué un blouson noir, perso je lui en aurais filé quarante et l'on n'en parlait plus. ) Le malheur c'est qu'à partir de ce fait divers, Michel Embareck vous fait visiter les sept cercles de l'Enfer de Dante.

    Depuis la Divine Comédie les choses ont bien changé, l'Enfer n'est plus en Enfer, s'est déplacé, l'est partout, ses tentacules ont envahi le Purgatoire et le Paradis. Ce ne sont plus les morts qui occupent l'Enfer mais les vivants comme vous et moi qui y résidons. Vous pensez que j'exagère, que je dépeins l'existence terrestre sous une couleur un peu trop sombre. Vous avez totalement raison. C'est plus que sombre, c'est noir. ( Cf la couverture ).

    Michel Embareck se gausse tel un gosse, il laisse traîner le fil de l'intrigue et vous vous amusez à le tirer. C'est idiot parce que c'était le cordon du bâton de dynamite qui vous explose à la figure. Ah ! vous croyiez être dans un livre policier, erreur sur toutes les lignes, Embareck vous a embarqué dans un essai politique. Philosophiquement parlant traduisons par : Marx a remis la dialectique de Hegel sur ses pieds. Les crimes ne sont que le miroir de notre société. Si vous inversez la phrase cela donne : notre société est criminelle.

    Imaginons que vous soyez de bonne composition. D'accord Damie, Michel Embareck n'a pas tout à fait tort, plus on monte dans la pyramide, moins c'est beau. Vous vous rendez à la raison, oui dear lector avec Embareck l'on part de la mésentente d'un couple pour se retrouver tout en haut, nous l'avons déjà dit, mais en reconnaissant cela vous n'aurez fait que la petite moitié du chemin. En fait vous vous débrouillez pour ressortir de cette histoire ( noire ) blanc ou blanche comme neige, ce n'est pas moi, c'est les autres. Ben non ! vous démontre Embareck que vous aussi ( pas tous, beaucoup d'élus mais peu qui refusent de céder à l'appel trompeur ) vous marchez dans les entourloupes, pardon vous y courez, vous y galopez ventre à terre, car vous êtes totalement manipulés par les instances politiques, médiatiques et marchandiques, elles ont bien compris que vous ne croyez plus en leur combine, alors elles vous préparent et vous proposent la contre-combine, voire l'anti-combine, pour soi-disant esquiver la première, mais qui dans les faits se révèlent encore plus piégeuses. Ce n'est pas de votre faute, c'est que vous êtes bêtes.

    Pas moi ! Pas moi ! tout ça c'est de la théorie de l'emberlificotage, vous écriez-vous, alors Michel Embareck qui est très gentil, vous plonge le nez dans votre caca, au moins vous n'êtes pas dépaysé, vous parle du quotidien dans lequel vous tracez votre route, et c'est-là qu'il décanille sec, vous ouvre les yeux, vous révèle ce que Balzac nommait l'envers de l'histoire contemporaine, vous n'êtes que des marionnettes qui récitez le texte que l'on attend de vous. Vous sciez en toute stupide bonne foi la branche sur laquelle vous êtes assis, vous vous attaquez à ceux qui vous ressemblent mais qui gardent une vision claire de la situation que vous n'êtes plus capable d'appréhender...

    Ce n'est pas un livre optimiste. Michel Embareck ne se gêne pas pour crever les baudruches des idées nouvelles qui embrasent les fausses colères des révoltes auto-immunes. Talentueux et jouissif, surtout quand il porte direct la main au saint du sein.

    Aux lecteurs innocents, la cervelle pleine ! Distribution gratuite de coups de pied au cul pour les autres. Ce dernier mot s'entend aussi au féminin.

    Damie Chad.

     

    SURVIVOR

    ERIC BURDON

    ( 1977 )

     

    Lead vocals : Eric Burdon / Keyboards : Zoot Money – John Bundrick – Jürgen Fritz / Guitar : Alexis Korner – Frank Diez – Colin Pincott – Geoff Whitehorn – Ken Paris + vocals / Bass : Dave Dover – Steffi Stefan / Drums : Alvin Taylor / Backing vocals : Maggie Bell – P. P. Arnold – Vicky Brown

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    Une belle pochette due à Jim Newport. Un disque à la croisée des chemins pour Burdon. Ne sait plus trop où il en est. L'aventure War est terminée depuis longtemps mais en 1976 est sorti un album de vieilles bandes, il remonte la pente avec la création d'Eric Burdon Band, les Animals datent de la préhistoire pourtant quelques mois après la sortie de ce Survivor sortira le disque de la re-formation originale et cette aventure parallèle durera pratiquement jusqu'au milieu des eigthies, et il faudra attendre 1980 pour un nouveau disque d'Eric Burdon, preuve que le Survivant n'a pas trop bien survécu son titre fait froid dans le dos : Darkness, darkness... Survivor est enregistré en Angleterre, dans la flopée des musiciens l'on remarque un ami de la première heure Alexis Korner pionnier du blues anglais, mais aussi Alvin Taylor qui participa à Sun Secrets et surtout Zoot Money qui depuis la fin des Animals croise sans cesse la route de Burdon et qui co-signe avec lui huit titres sur dix de l'album Si l'on regarde Survivor avec le recul nécessaire, l'on se rend compte que cet album qui n'a jamais été réédité est bien meilleur que les deux derniers disques des Animals reformés, Ark et Greatest Hits Live, qui de fait apparaissent comme de pâles copies, de tristes tentatives avortées. La comparaison est d'autant plus significative que Zoot Money a participé à l'aventure de ces deux disques animaliers.

    Rocky : l'on peut partir d'un principe d'équivalence simple c'est que si Eric Burdon n'est pas au mieux de sa forme, c'est que le rock'n'roll a perdu son innocence, certains lecteurs tiqueront, en 77 le punk lui file un sacré coup de pied au fesse au vieux rocky des familles, c'est une époque explosive et séminale, certes mais quand on y réfléchit le Burdon est devenu un has been, la jeune génération n'a pas besoin de lui, ne l'attend pas, alors il va leur montrer comment on manie la dynamite, vous empoigne le vocal et ne vous le lâche pas d'un millimètre et derrière ça déménage un max, on dirait que tous les crédités sont présents sur cette séance et ça tourbillonne dans tous les sens, un bon vieux rock'n'roll comme l'en n'en fait plus et Burdon vous le chevauche comme s'il drivait les chevaux de Poseidon dans la tempête et se sert de sa voix comme du trident neptunien pour ébranler les consciences. Sur ce coup vous fout K.O. Au premier round. Woman of the rings : changement d'atmosphère, vous avez eu le rock, voici le blues. Mais un blues comme vous n'en avez jamais entendu. Comme le Led Zeppe n'a jamais eu l'idée, des guitares qui jouent comme des chats écorchés et un clavier qui roucoule comme la colombe poignardée d'Apollinaire, pas besoin de plus, là-dessus Burdon pose ses phrases sans emphase à tel point que les nanas se chargent de craquer l'allumette et l'orchestre s'engage dans le maelström, et c'est à cet instant que vous réalisez, maintenant qu'il se tait, l'art de Burdon, le mec qui fait semblant de chanter à moins qu'il ne fasse semblant de parler, funambule sur la ligne de crête.

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    The kid : un sale gamin qui brouille la piste et qui ne se laisse pas écouter. Tomb of the unknown singer : malheureux vous entendez les premiers arpèges et vous pensez être parti pour une ballade de toute coolitude d'un chanteur qui se meurt d'amour, et puis le Burdon l'on dirait qu'il a emprunté la voix écorchée de Dylan, good trip en perspective, d'ailleurs le titre se retrouve sur la compil Good Times, certes mais alors éloignez-vous tout au fond du jardin et écoutez le ramage des petits oiseaux … pour vous donner une idée de comparaison c'est le même scénario que Le chanteur abandonné de Johnny Hallyday mais avec Burdon le loup est entré dans la bergerie, l'a bouffé le Berger, l'a égorgé tous les agneaux et puis s'en est allé pousser sa plainte lugubre à la lune hécatienne, un iceberg de solitude vous tombe dessus, vous ressentez l'incomplétude humaine, ce titre est une invitation baudelairienne au suicide, une pente fatale qui vous happera sans pitié si par hasard vous ne vous sentez pas au mieux de votre forme, un faire-part de la mort qui vous spécifie l'heure de votre rendez-vous au cimetière. Glaçant. Toutes mes condoléances. Famous flames : réchauffons-nous, rythmique guillerette à conter le guilledou à Magie Bell et ses copines, Alvin Taylor bat le beurre mais ce n'est pas du bio, heureusement qu'il y en a qui se défoncent à la guitare, le Burdon rigole tout seul, mais vous avez du mal à participer à la fête, je vous le dis mais le répétez pas, les flammes ne sont pas aussi fameuses que promises, un peu longuet et la gueule du dragon cracheur de feu n'est pas au rendez-vous à l'autre bout de la queue. Hollywood woman : Burdon nous fait son cinéma country : au début ce n'est pas mal, à la suite aussi, c'est dans les refrains qu'il sourit un peu trop fort pour plaire au grand public, les musicos se la donnent, des petites trouvailles de partout, on en oublie le Burdon qui chante un peu trop dans le registre de l'attendu. C'est vrai que l'on ne peut pas être tout le temps Johnny Cash. Surtout si l'on part du principe que c'est une cause perdue. Hook of Holland : un morceau qui accroche qui arrive à point nommé après les deux relâchements précédents, dans la droite ligne du morceau introductif, un feu de bois qui pétille dans la cheminée et qui met le feu à la maison, Burdon est parfait en pyromane, les filles crient pour qu'il vienne les délivrer, mais non, il faut du combustible pour alimenter le feu de joie. Une guitare incendiaire et des chœurs de pompiers heureux du beau brasier qui s'offre à eux. Chaud. Très chaud. I was born to live the blues : le Burdon l'est comme les aristocrates, se souvient qu'il a le sang bleu, voix nue et une guitare dont les cordes sont en boyaux de chat, le vieux classique de Brownie McGhee qui se permettait de le chanter de sa face joviale et épanouie, le vieux renard qui en a trop vu pour ne pas sourire à la vie, le Burdon lui il emmêle ses tripes dans ses cordes vocales de tigre, la dureté de la vie vous cisaille sans pitié, chante comme une lame de guillotine qui tombe sur les condamnés à mort que nous sommes.

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    Highway dealer : rien qu'au titre l'on sent que l'on aime déjà et quand on écoute l'on est subjugué, non ce n'est pas pied au plancher en sens inverse sur l'autoroute ( si un peu quand même ) une ambiance proche de The man sur Stop, avec des guitares qui pètent les mégaphones à la Roadrunner du grand et du beau Bo Diddley, tout le début pue le soufre et l'enfer, le Burdon barrit comme une éléphante dont un car de touristes vient de buter son petit, bref un carnage. Quant au band derrière et devant il déploie plus d'inventivité et de nuances que le Deutches Symphonie-Orchester Berlin quand il était mené par Wilhelm Furtwangler. P. O. Box 500 : poste restante. Pas à perpétuité mais récidiviste. Rien de plus terrible que d'être mis en boîte par un ami ! Burdon en faux-jeton gagnant ! K. O. Boxe. Cinq sens éteints.

    Damie Chad.

     

    XXXI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

    Suite à notre trentième livraison, nous avons reçu des centaines de lettres de la part des adhérents de la Société Protectrice des Animaux ulcérés nous reprochant l'absence de Molossa et de Molossito dans les évènements dramatiques relatés. Certains nous accusent même d'avoir falsifié notre document. Jamais, affirment-ils nous n'aurions pu sortir vivants de cette aventure sans leur aide précieuse. C'est la vérité vraie, mais les reproches qui nous sont adressés sont particulièrement injustes, ils méconnaissent surtout le génie stratégique du Chef. Il est évident que sans nos canidés nous aurions perdu la partie, mais il ne faut jamais oublier que dans toute attaque il convient d'assurer la protection de la base de repli. Cette besogne souvent ingrate mais nécessaire échut à nos quadrupèdes aguerris. Connaissez-vous quelque chose de plus féroce qu'un chien de garde ? Sinon deux chiens de garde.

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    Nous nous retrouvâmes tous dans la cuisine où nous avaient précédé Vince et Ludovic. Ce dernier avait repris des couleurs, des timbales fumantes de café extra-fort nous attendaient, nous en avions besoin pour nous remettre de nos émotions. Les filles auraient bien croqué un petit gâteau sec, mais le Chef s'y opposa :

      • Nous n'en avons pas le temps, nous repartons dans une minute, le temps que l'agent Chad récupère les chiens, et hop tout le monde dans le SUV !

    Molossa était sagement assise devant la porte, je remarquai immédiatement l'absence de Molossito, le museau de Molossa se posa comme par inadvertance sur mon jarret gauche, je la fis rentrer avec moi.

      • Chef, sûrement un problème, l'on doit nous épier, et Molossito n'est pas là !

      • Léger changement de programme dit le Chef, Vince, Ludovic, les filles, vous sortez en papotant comme si de rien n'était, vous ne risquez rien, s'ils ne sont pas intervenus c'est qu'ils attendent les ordres, Vince au volant, moteur allumé vous attendez que l'on revienne, l'Agent Chad et moi-même nous allons récupérer Molossito, Charlotte tu prends Molossa dans tes bras quand tu es devant le Suv tu fais semblant de la poser sur le siège arrière mais tu la relâches discrètement, les autres et les portières grande-ouvertes te faciliteront la manœuvre, que notre comité de surveillance ne s'aperçoive de rien, exécution immédiate !

    En passant derrière le tronc de l'ormeau, le Chef et moi nous nous engouffrâmes dans une zone d'ombre, Molossa nous rejoignit très vite et nous guida rapidement vers un bosquet, une longue voiture noire stationnait tout feu éteint. Nous nous accroupîmes sans bruit, le Chef alluma un Coronado en faisant attention qu'aucune flamme ne trahisse notre présence.

      • A toi de jouer Molossa !

    Elle ne se le fit pas dire deux fois. Trois secondes plus tard elle était sur le capot, grognant, aboyant de toutes ses forces, l'on s'agita dans la voiture, mais des piaillements aigus nous cisaillèrent les oreilles, l'otage Molossito donnait de la voix, la réaction ne se fit pas attendre, une vitre s'abaissa et Molossito fut rapidement éjecté sans ménagement.

      • Cassez-vous les cabots, vous allez nous faire repérer, proféra une voix sourde,

    Nous étions tout près je récupérai Molossito au vol, d'un geste vif le Chef balança son Coronado par l'entrebâillement de la vitre, la grosse limousine explosa illico !

    Trente secondes plus tard nous plongions dans le SUV que Vince arracha de son immobilité de main de maître. Le Chef nous conseillait d'avoir toujours un Coronado série El dynamitero dans sa poche, ça peut toujours servir, ajoutait-il.

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    Vince connaissait la région, il roulait à tombeau ouvert n'hésitant pas à éteindre régulièrement les phares, et changeant systématiquement de direction à chaque croisement. Malgré toutes ces précautions nous ne tardâmes pas à être repérés par un hélicoptère, qui bientôt nous prit carrément en chasse.

      • Décidément l'homme à deux mains n'aime vraiment pas le rock'n'roll soupirai-je !

      • Il n'a pas que deux mains bougonna Vince, il a aussi les moyens !

      • Hum-hum, le Chef toussota, si nous étions d'un optimisme béat nous pourrions dire que ce déploiement de moyens permet de l'identifier à coup sûr, mais comme nous sommes des pessimistes actifs, nous en déduirons que s'il se montre ainsi à visage découvert c'est qu'il est sûr que nous ne profiterons pas longtemps du renseignement qu'il nous a révélé.

      • Ce qui veut dire ? s'enquit Ludovic que l'on sentait dépassé par la cascades d'évènements qui avaient si abruptement bouleversé sa vie...

      • Vous pensez que bientôt nous allons donner du museau en plein dans un barrage proposa Brunette

      • Non, cela ne correspond pas au personnage, le Chef allumait un nouveau Coronado je suppose qu'il emploiera les grands moyens, il reste à deviner lesquels avant qu'il ne se présente

      • Vous avez-vu, ils ont changé d'hélicoptère, celui-ci il porte un long-tube sous lui !

      • Ce n'est pas un long-tube charmante Charline, mais un missile air-sol, à tête chercheuse, Vince arrête-toi tout de suite, sans vouloir t'offenser l'agent Chad s'est déjà trouvé dans de telles circonstances, ce n'est pas qu'il soit meilleur conducteur que toi, mais il connaît les procédures à suivre en de tels cas, que nous pourrions qualifier de dramatiques.

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    Je me mis à zigzaguer sur la chaussée, piètre échappatoire, essayant de me rabattre juste devant les rares voitures que je doublais les obligeant à me coller au cul, ralentissant si elles ralentissaient, accélérant si elles accéléraient de telle manière que nous ne formions qu'un seul véhicule et qu'avec un peu de chance le missile s'abattrait sur l'autre conducteur, mais le gars préférait piler net et s'arrêter sur place, je repartais donc à la recherche d'une tête brûlée qui trouverait ce jeu stupide intéressant. Hélas la nationale n'était visitée que par des pleutres. Ces velléités avaient dû inquiéter, car un deuxième hélicoptère vint se ranger à côté du premier, que je sois sur la voie de droite ou de gauche, j'étais toujours dans le viseur de l'un ou de l'autre.

      • Agent Chad nous avons affaire à des coriaces, sans doute auriez-vous intérêt à adopter une autre stratégie !

    Comme toujours le Chef avait raison. Ce fut le déclic qui me permit de prendre les bonnes décisions. Pour être risqué, c'était risqué, mais si je réussissais quel magnifique chapitre à ajouter aux Mémoires d'un Génie Supérieur de l'Humanité. Maintenant que nous connaissions l'identité de l'homme à deux mains il aurait été stupide d'échouer si près du but.

      • Chef je vais utiliser une tactique vieille comme le monde, mais qui au cours de l'Histoire a fait ses preuves.

      • Agent Chad, je n'en attendais pas moins de vous !

      • C'est simple Chef, quand l'ennemi est plus fort que vous il convient de l'attaquer sur son point le plus faible !

      • Agent Chad, cela me paraît d'une grande sagesse, je vous laisse faire, pendant que vous vous emploierez à nous défaire de nos ennemis, si cela ne vous dérange pas, je me permettrai, en toute sérénité de fumer un Coronado. Que le rock'n'roll soit avec nous !

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 241 : KR'TNT ! 361 : FAST EDDIE CLARKE / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN / MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH /DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 361

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 02 / 2018

     

    FAST EDDIE CLARKE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN

    MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH

    DANIEL GIRAUD

     

    Fast Eddie fastes

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    En février 1976, Lemmy décida qu’il y aurait en plus de Larry Wallis un second guitariste dans Motörhead. Alors, Philthy lui présenta l’un de ses potes, Eddie Clarke. Eddie et lui travaillaient ensemble à la rénovation d’une vieille péniche. Une date fut prévue pour l’audition d’Eddie. Il devait juste épauler Larry. Mais Larry prit mal le fait de devoir jouer avec un autre guitariste et il quitta le groupe pour rejoindre les Pink Fairies. Eddie se retrouva dans un trio. Le départ de Larry scia Lemmy qui grommela : «Grumble... Grumble... Le plus drôle de l’histoire, autant que je me souvienne, c’est que c’était l’idée de Larry d’embaucher un second guitariste.»

    Le nouveau trio fonctionnait à merveille. Même s’il s’appelait Fast Eddie, Eddie était le mec tranquille du trio. Il avait de chaque côté de lui deux personnalités agitées, Lemmy et Philthy. S’il avait été aussi incontrôlable que les deux autres, le trio n’aurait certainement pas fait long feu. Par chance, Eddie Clarke connaissait bien la vie de groupe. Il avait commencé à 15 ans. Il fut le guitariste de Zeus, un groupe qui accompagnait l’Américain Curtis Knight. Il avait même composé pour lui, comme on le constate en inspectant la pochette de The Second Coming.

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    Paru en 1974, The Second Coming est un album pour le moins surprenant. Curtis Knight et Zeus ouvrent le bal avec «Zeus» et filent ventre à terre dans la bonne jachère des seventies. Fast Eddie part aussitôt en solo, mais il ne joue pas n’importe quoi, uniquement des solos inflammatoires. Il déblaye tout ! Quelle énergie ! Les petits blancs en marcels qui accompagnent ce diable de Curtis Knight jouent à l’hendrixienne et multiplient les retours de manivelle. La grande force de Curtis Knight a toujours été le son. La fréquentation de Jimi Hendrix a laissé des traces. Avec «Mysterious Lady», Curtis et Zeus passent au heavy garage absolutiste. Par contre, «Road Song» se joue au boogie-rock speed et au solo démonstratif. Ce démon de Curtis Knight fait presque du glam black. Avec «People Places And Things», il n’en finit plus de piétiner les plate-bandes du rock blanc. Il sort son meilleur seventies sound avec «Cloud», groové à la vie à la mort par le déjà immense Fast Eddie. Eh oui, Curtis Knight ne voulait que les meilleurs, alors après Jimi Hendrix, ça ne pouvait être que Fast Eddie. Nouveau festival avec «End Of A Child». Eddie fait pleuvoir de véritables déluges, il allume tout au ciboulot des ciboulettes, il fait la pluie et le beau temps. Encore un joli slab de heavy rock avec «The Confesssion». Pour Fast Eddie, cet album est un champ d’expérimentation. Il fait exactement ce qu’il a envie de faire. On tombe une fois de plus sur un loup : c’est l’album de Fast Eddie Clarke, pas de doute. Le pauvre Curtis Knight sert de caution à tous ces héros que sont Jimi et Eddie. Eddie rôde encore dans le rainbow rock d’«Oh Rainbow» et il donne le coup de grâce avec «The Devil Made Me Do It», un fantastique groove knightien, heavy et funky en diable. Curtis Knight chante ça à l’arrache des clubs miteux. Il y va de bon cœur et Fast Eddie rentre là-dedans comme dans du beurre, alors ça gicle dans tous les coins. Quelle énergie !

    Eddie quitta Zeus pour former Continuous Performance avec Charlie Tumahai, le bassiste de Be-Bop Deluxe, puis Blue Goose. Ces groupes ne durèrent que le temps de premiers albums qui sombrèrent dans l’oubli aussitôt après leur parution. Alors Eddie arrêta de jouer. D’où son job de restaurateur de péniches.

    Eddie Clarke pense que le succès de Motörhead reposait sur la façon dont lui et Lemmy se comprenaient : «Quand j’étais jeune, j’ai vu les Yardbirds, John Mayall, Cream et Jimi Hendrix. Ce sont des groupes qui frappent l’imagination. Je pense que c’est rentré pour une bonne part dans l’alchimie de Motörhead. Lemmy et moi on aimait la même musique, et ça a compté énormément dans le succès du groupe.» Et comme Eddie devait jouer de la rythmique, il ne s’attendait pas à monter aussi vite en grade : «Quand on s’est retrouvés à trois, le son de Lemmy a tout changé. Il jouait sur un ampli Marshall et une Rickenbacker, il foutait les aigus à fond, il coupait les basses, alors tu peux imaginer le son ! C’était plus une guitare rythmique qu’une basse !» Comme Lemmy montait un mur du son avec sa basse, Eddie Clarke avait une latitude considérable pour jouer à la fois en solo et en rythmique, mais c’était tellement nouveau qu’il devait tout reconsidérer. «Quand j’ai commencé à jouer dans Motörhead, j’ai dû me débarrasser de tout ce que je savais. Je devais complètement réapprendre à jouer de la guitare. C’était la même chose pour Phil. Motörhead, c’était comme trois îles à l’intérieur du groupe. Au début, on avait un mal fou à jouer ensemble, à se caler. C’était comme jouer dans un groupe sans basse, alors quand je partais en solo, je me calais sur la grosse caisse, tu vois ce que je veux dire ?»

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    C’est parti ! Motörhead sort sur Chiswick en 1977. Lemmy doit une fière chandelle à Ted Carroll et à Marc Zermati. Le morceau titre ouvre le bal des vampires. C’est du pur jus d’Hawkwind, bien emmené au pumping et Fast Eddie place un solo d’antho à Toto. C’est là, avec ce cut qu’ils fondent le mythe. Mick Farren co-écrit «Lost Johnny» avec Lemmy, un cut solide comme l’enfer et riffé par cette brute infecte de Fast Eddie. On sent au fil des morceaux qu’il déploie des ailes de grand guitariste. En B, il plante un décor de grosse cocote pour un «Keepers On The Road» signé Mick Farren.

    Fast Eddie se marre : «Au départ, c’était juste une question d’attitude. Si t’aimes pas Motörhead, dégage ! On a eu pas mal d’ennuis avec les gens du business. On leur foutait les foies. Ces cons crevaient de trouille. Mais les fans appréciaient notre droiture et se fiaient à notre attitude. On était exactement comme eux. Sans nos fans, on serait allés nulle part. Pour tous les Anglais, les années soixante-dix ont été une sale période. Tous les groupes s’étaient barrés aux États-Unis. En Angleterre, il ne restait plus que les groupes punk et Motörhead. Partout dans le pays, les kids étaient contents d’avoir un groupe auquel ils pouvaient se fier. Heureusement, on s’entendait bien tous les trois.Les problèmes venaient surtout de l’extérieur, mais on tenait bon. Les planètes devaient nous être favorables et on a fini par avoir un peu de chance. Mais c’est toi qui te fabriques ta chance. On se l’est fabriquée en restant groupés tous les trois et en bouffant de la vache maigre. Et tu peux me croire, on en a bouffé.»

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    Et pouf, Bomber tombe du ciel. Voilà certainement l’un des meilleurs albums studio de Motörhead, en tous les cas, il incarne bien l’âge d’or du groupe car on y entend Fast Eddie faire pas mal de ravages. À commencer par «Stone Dead Forever» qui démarre comme le «Love Song» des Damned. Fantastique prestation ! Rien qu’avec ça, Fast Eddie restera l’un des plus grands guitaristes de rock anglais. Les cuts qui font la force de cet album sont les prodigieux heavy-blues de type «Lawman». Difficile de faire mieux dans le genre. «Sweet Revenge» est encore plus heavy, comme si cela était encore possible. Dans Motörhad, on retrouve tout ce qu’on aime : le cacochyme, les grosses guitares de Fast Eddie, la foi et le pâté de foie, le jusqu’au-boutisme des tournées, la pure incarnation du rock’n’roll, la provocation nazillarde, le fun trash, les pipes à la chaîne, le m’as-tu-vu des rues - street tough - et l’héroïsme des briques rouges. C’est magnifique. On peut écouter les vingt-deux albums studio de Motörhead sans jamais s’ennuyer une seule seconde. Incroyable mais vrai ! Retour au blues-rock des enfers avec «Step Down». On y retrouve Fast Eddie le génie, le roi du festival, l’heavy Eddie God sans personne au-dessus. Eddie prend le cut au chant et fait wooow ! C’est à se prosterner, tellement il en impose. Et bien sûr le morceau titre vaut tout l’or du monde, car on a là du punk pur digne des Damned et du MC5, monté sur un fabuleux riff d’Eddie. On pourrait même parler d’une forme de génie apocalyptique. Le riffage de Fast Eddie fonctionne comme le velours de l’estomac, c’est une bénédiction. Sans Fast Eddie, Motörhead ne pouvait pas décoller. En tous les cas, ça ne fonctionnait pas avec Larry Wallis.

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    La même année sort Overkill. Le groupe a trouvé son son. Ils attaquent avec le sur-puissant morceau titre, idéal et extrême à la fois, digne du MC5, doté de la même énergie, tendu à se rompre, puissant et noble. Voilà ce qu’il faut bien appeler du rock de cartouchière. C’est chanté à la limite de l’épuisement. Fast Eddie joue comme un héros. Il sort des riffs soniqués du ciboulot et les pousse à l’extrême olympien. Ils sont dans l’orgie et restent imbattables à la course. Ils sont chromés et impérieux. Ils se payent le luxe de deux faux départs. Hallucinant ! C’est sur cet album que se niche l’immense «Capricorn», une pièce de trash rock d’épouvante, saturée d’humidité. On écrit ça un peu à la manière d’Henri Michaux, fasciné par les effets, affamé d’incongruité, perdu dans les limbes des équinoxes. Ce fringuant power-trio nous sort là un véritable fumet d’outre-tombe, et c’est à tomber. Lemmy mâche sa morve et il crache des horreurs. «No Class» est aussi monté sur un riff du MC5. Fast Eddie joue le rock de Detroit. Lemmy hurle comme le petit dernier de la famille des damnés de la terre. Ses verrues tremblent. La sueur ruisselle dans son sillon velu. Et Fast Eddie arrose tout au napalm. S’ensuit l’heavy romp de «Damage Case», un vrai stomp poivré au pilonnage intensif. C’est à la fois fabuleux, pointu et pompé. Ils ont vraiment de la puissance à revendre. Aucune chance de s’endormir en écoutant ça. Retour au big heavy sound des enfers avec «Metropolis». Voilà encore un monument de heavyness, suivi d’un autre classique hirsute, «Limb From Limb» ou Fast Eddie joue une fois de plus comme un dieu radieux.

    Eddie est intarissable : «À cette époque, on jouait très fort parce que c’était la classe.Mais ce n’est pas douloureux, ça te donne juste un coup dans la poitrine. Un soir, au Marquee, on avait joué vraiment très très fort. Je suis rentré chez moi et j’ai mis Blow By Blow de Jeff Beck sur la platine. Je n’entendais pas la guitare. J’entendais uniquement la basse et la batterie, et pas les aigus !»

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    Ace Of Spades paraît en 1980. Ils attaquent avec un morceau échevelé, monté sur un riff d’Eddie le pyromane. Lemmy en profite pour avancer son meilleur guttural. Mais c’est Eddie qui fait le show, une fois de plus. Il est partout. Absolument partout. On admire ce qu’il fait dans «Love Me Like A Reptile». Il nous barde ça de riffs de toutes les couleurs, de petits retours retors, de tortillettes infectueuses. Il n’a que deux bras et pourtant il joue comme dix. Il fait aussi des siennes dans cette fabuleuse tranche de heavy blues qu’est «Shoot You In The Back». lls finissent l’A avec un fantastique hommage à Vulcain, le dieu des enclumes : «(We Are) The Road Crew». C’est stompé à la vie à la mort. De l’autre côté, nos trois amis développent la puissance d’une division de Panzers avec «Fire Fire». Motörhead invente là le son de l’avance inexorable, du mur de flammes, de l’enfoncement de la ligne Maginot et Eddie danse dans les flammes, il claque ses riffs fatals - Big black smoke/ Ain’t no joke ! - Autre merveille de heavyness, «The Chase Is Better Than The Catch». Ils stompent comme des brutes et ils bouclent avec «The Hammer» qui sonne comme «Ace Of Spades». Lemmy dérape dans le gras de sa voix chargée et relance des dynamiques épouvantables.

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    N’ayons pas peur des mots : No Sleep Till Hammersmith est probablement l’un des plus grands albums live de l’histoire du rock. Dès «Ace Of Spades», c’est l’enfer sur la terre. Littéralement. On entend arriver la cavalerie de la mort barbare, avec Fast Eddie en tête. Dire qu’on adore Motörhead n’a rien d’exagéré. Ces gens-là ont une simili-dimension divine, ne serait-ce que par l’insolence de leur puissance magnanime. Sur cet album, tout est spectaculairement bon. «Metropolis» est heavy à souhait. Même chose pour «The Hammer», monté sur un beat enfonceur de portes ouvertes. Lemmy s’y arrache la glotte au sang. Quelle dégelée, ça claque et ça fouette, ça pète et ça pisse en montant chez Kate, ça dégage et ça dégueule, ça pétarade et ça bombaste, ça tout ce qu’on veut. Ça casse la baraque, ça fout le feu aux poudres et ça défonce des mâchoires. Ça ne recule devant rien, ça déblaie les barricades et ça débouche les chiottes. Ça écroule les immeubles et ça tue les cloportes. Même chose avec «Iron Horse», une chanson en hommage aux Hell’s Angels - It’s called iron horse/ Born to lose - Puis on retrouve le fameux «No Class» et son riff du MC5. Cavalcade effrénée. On tombe avec grand-mère dans les orties. C’est hallucinant de véracité ergonomique. Et pouf, ils enchaînent avec «Overkill», qui est une véritable abomination. Rien au-dessus de ça. Rien. Voilà le cut intense, carbonisé et tendu à mort par excellence. Insurpassable. Aucun power-trio ne peut rivaliser avec Motörhead. Ils sont foncièrement déstructurants. Ils cognent les neurones comme des boules de billard. Ils tournent à l’énergie rock ultime. Toi la limace, ne viens pas baver sur Motörhead. On trouve à la suite d’autres monstruosités du type «(We Are) The Road Crew», un cut hanté par les hurlements de Lautréamont, version dévastatrice et belle tranche de génie britannique. Ils enchaînent avec «Capricorn» et voilà «Bomber», gros tas d’accords brûlés, ultime et désarçonnant, une chose qui file à toute blinde et qui rougit comme la braise sur laquelle on souffle.

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    Iron Fist se présente comme un album sans surprise, rempli de grosses cavalcades, de guttural et de coups de suspensif signés Fast Eddie. Avec «Heart Of Stone», on a un pur blast de fournaise - Leave me alone/ Get off the phone/ I’ve got a heart of stone - Lemmy dédie «Go To Hell» à ceux qui le dénigrent et il en rajoute avec «Loser» - I’m a loser/ That’s what they said - Lemmy adore régler ses comptes avec les cons - Now I got their women in my bed - On a là un classique du rock anglais. De l’autre côté, il évoque ses souvenirs du Canada et de cristal meth dans «America» - Lemmy et Mick Farren ont ça en commun : ils se sont fait virer de leurs groupes respectifs, Hawkwind et les Deviants, à la frontière du Canada - Et Fast Eddie continue d’enluminer les morceaux de lueurs incendiaires, comme c’est le cas dans «Shut It Down».

    La relation entre Lemmy et Fast Eddie avait commencé à se détériorer. Eddie ne supportait plus les frasques d’un Lemmy qui s’évanouissait sur scène. Eddie : «Il est resté éveillé pendant trois jours et trois nuits en buvant de la vodka. Les groupies l’ont sucé toute la journée. Et puis on est monté sur scène. Il y avait 12.000 gosses entassés là-dedans pour nous voir. Toute la journée, des mecs m’ont proposé des lignes de coke et tout un tas de trucs et je n’ai bu qu’une putain de Heineken, parce que je voulais garder la tête froide. On jouait depuis quarante-cinq minutes, et paf, Lemmy s’est évanoui. Phil et moi on était furieux. On a gueulé et il nous a dit : ‘Ça n’a rien à voir avec le fait que je suis debout depuis trois jours et trois nuits !’ Il nous prenait vraiment pour des cons : pas dormir pendant 72 heures et se faire tailler des pipes à longueur de journée, ça n’a rien à voir avec l’évanouissement, bien sûr que non !»

    Le coup de grâce survint lorsque Lemmy accepta d’enregistrer «Stand By Your Man» de de Tammy Wynette avec Wendy Williams & the Plasmatics. Tout le monde se souvient que la pauvre Wendy avait des beaux nibards, mais elle chantait comme une casserole. Lemmy demanda à Eddie Clarke de jouer sur le single. Il refusa et quitta le groupe. Lemmy : «C’était juste pour rigoler, mais ça s’est transformé en galère à cause d’Eddie... Eddie et ses problèmes... C’est impossible d’être bien avec tout le monde. De toute façon, les choses devenaient compliquées. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Ce n’était pas uniquement ce single. Eddie n’est pas un mec joyeux et ça devait mal finir. On pensait qu’il allait jouer sur le single, puis tout à coup, il a voulu le produire et il s’est barré. C’était bizarre. Il aurait pu partir à un moment plus favorable, avant ou après la tournée. On avait fait les deux premiers concerts de cette tournée, et il se barre. C’est dur, hein ?» Il ajoute : «Tous les trois mois, Eddie quittait le groupe. Ça a duré tout le temps qu’il était dans le groupe. Il menaçait tout le temps de se barrer et cette fois, Phil et moi on lui a dit : ‘Dégage connard, on ne te parle plus !’ Et il est parti.» Comme dans toute séparation, on a des sons de cloches différents. Voici celui de Philthy : «On savait tous que ‘Stand By Your Man’ était un single pour la rigolade.On avait enregistré les parties instrumentales, et dès que Wendy a commencé à chanter, Eddie s’est levé et a dit : ‘Je sors pour aller manger un morceau !’ Et il n’est jamais revenu. Il a dit : ‘Si ce putain de single sort, je ne veux pas que mon nom y soit associé !’» Eh oui, Fast Eddie avait bien raison de ne pas vouloir être associé à cette fumisterie.

    Vingt ans plus tard, Eddie revenait sur la cause de son départ : «Je suis parti pour sauver ma peau. Lemmy est un putain de surhomme, franchement. Il n’arrête jamais de travailler, sauf quand il s’écroule et doit récupérer. Il atteint la cinquantaine, à présent, et il ne s’est jamais arrêté. Moi, je suis cuit, et j’ai fait un break ! Lemmy a toujours continué au même rythme. Chaque fois que je le vois, j’éprouve un certain bonheur à le voir en bonne santé.»

    Lorsqu’il monte Fastway, Eddie constate qu’avec Motörhead, il a régressé en tant que musicien : «Quand j’ai commencé à répéter avec Pete Way, le bassiste d’UFO, je me suis dit : ‘Putain, ma guitare sonne vraiment bien !’ C’est parce qu’il y avait une basse derrière. En jouant avec lui, j’ai compris que le son dépendait des autres. Si tu joues avec un beau son de basse, tu peux jouer plus léger sur ta guitare. Avec le son de Motörhead, tu ne peux pas te détendre. Tu restes en alerte et tu fonces. Je pense que les drogues entraient en ligne de compte, mais je ne suis pas sûr. Je ne veux pas entrer dans un délire philosophique.Il faut voir dans quel état on était à l’époque !»

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    Fastway paraît en 1983, soit un an après Iron Fist. Pete Way n’est pas resté dans le groupe. Topper Headon devait y battre le bon beurre, mais c’est l’ex-Humble Pie Jerry Shirley qui récupère le job. Avec son nouveau groupe, Fast Eddie change complètement de son : Dave King, le chanteur qu’il a embauché, sonne exactement comme Robert Plant. On ne trouve pas vraiment de hits sur ce premier album de Fastway. Fast Eddie joue la carte du son pulpeux et le groupe flirte avec le glam dans «Easy Livin’» puis revient au boogie-blues avec «Feel Me Touch Me». Mais avec «All I Need Is Your Love», tout devient clair : c’est du pur Led Zep. Fast Eddie joue la carte du rock anglais, mais de façon admirable et volontaire. «All I Need Is Your Love» pourrait très bien figurer sur le mighty Led Zep 1. Ils restent dans ce son avec «Another Day». Eddie rôde bien dans les parages, pas de demi-mesure, need somebody, Dave King chante ça avec une parfaite abnégation, il fait l’apprenti Plant bien intentionné. Ces gens-là savent vraiment se déterminer et Fast Eddie multiplie les incursions intestines, alors tout va bien, il lutte dans le gras du glas qui sonne pour qui sonne le glas, il titille ses petites notes féroces qui s’en vont se perdre dans la nuit comme des feux follets. «Heft» s’inscrit dans la meilleure tradition du heavy rock blues anglais, Dave King est dessus. Fast Eddie savait très bien ce qu’il faisait en l’embauchant. Et il ne rate pas une seule occasion d’aller briller au firmament des guitar slingers, il joue tout ce qu’il peut dans «Say What You Will». Il adore partir en vrille. Il assure la victoire avec «You Got Me Runnin’», il multiplie les vrilles judicieuses, il soigne ses intestines et redore le blason du cursif exacerbé. Fabuleux bretteur.

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    L’année suivante paraît All Fired Up. On y trouve deux très belles énormités : «Misunderstood» et «Station». Fast Eddie attaque le premier au riff tordu et Planty King fonce dans le tas. Ah il faut entendre ce guitariste génial placer ses riffs alarmistes et ses dégringolades de gammes. Quand il part en solo flash, c’est superbe. Il semble arroser toute la planète. Back to the heavy sludge avec «Station». Admirable car gratté aux millions de notes fast-eddiques fatidiques. Il en rajoute encore à chaque tour. Il part en solo comme dans un rêve et joue même tout le cut au long. Nouveau festival avec «Hurtin’ Me», idéal pour un géant du heavy blues comme Eddie. Il le joue même au suspensif. Dave King continue de faire son Plant et il est plutôt bon à ce petit jeu. Eddie joue le heavy blues en filigrane dans «Tell Me» et passe au heavy glam avec «Hung Up On Love». On est dans le meilleur du rock anglais des seventies, ils mélangent Led Zep et les Stones. On sent bien que ces quatre mecs en veulent. Sur cet album, tout est joué au maximum overdrive de Fast Eddie. Il amène une énergie spéciale et travaille tous ses cuts en sape. Il réserve ses meilleurs heavy chords pour «Telephone». Planty King se positionne face au vent, et ça part en mode heavy blues à la Free, mais attention, Eddie rôde comme un vautour dans les parages. C’est un sacré vénéneux.

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    Avec Waiting For The Roar, les choses commencent à se gâter. Fast Eddie et ses amis vont sur une sorte de hard-rock symphonique à la vieille mormoille purulente, ce hard dégénéré et atrocement commercial qui fit tant de dégâts dans les années quatre-vingt. Dave King chante de plus en plus mal. Il a perdu le plan du Plant. En entendant ça, Lemmy devait bien rigoler. Au moins, Motörhead n’est jamais tombé dans ce panneau. Fastway fait une cover du «Move Over» de Janis, mais bon, allez plutôt écouter Janis. Ils tentent un retour à Led Zep en B avec «Rock On» et Fast Eddie y fait son numéro de cirque à la Jimmy Page. On le sent fasciné par le vieux son du premier Led Zep de 68. Mais ça déraille assez vite, car ils se mettent à sonner comme Queen. Ils font un stomp à la petite semaine dans le morceau titre et ça redevient horriblement putassier. Ils devaient avoir pour consigne de faire rentrer les sous. Ils terminent avec un «Back Door Man» qui n’est ni celui de Wolf, ni celui des Doors. Ne rêvons pas.

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    Nouveau changement de personnel pour les deux albums suivants, On Target et Bad Bad Girls. Fast Eddie est le seul membre originel. Le voilà entouré d’une véritable caricature de groupe. Les pauvres, on les voit s’enfoncer dans le bad taste et la mauvaise hurlette. On ne parle même pas de la qualité des compos. Alors forcément, on pense à Lemmy qui en écoutant ça a dû tomber de sa chaise pour se gondoler de rire. Il a même dû s’en coincer la mâchoire, comme quand on bâille trop fort.

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    Dix ans après, Fast Eddie retrouve la raison et reworke ses cuts dans On Target Reworked. L’album vaut le détour, rien que pour l’extraordinaire dégelée de furiosa del sol d’«Easy Livin’», un cut tiré du premier album et parfaitement digne du Led Zep 1. S’ensuit un heavy «Show Some Emotion» qu’Eddie joue en profondeur et on se retrouve une fois encore avec une incroyable dégelée de bonne prestance. Fast Eddie embarque «Say What You Will» au heavy beat et renoue d’une certaine façon avec Motörhead. Même genre de fournaise, c’est battu comme plâtre. Toute la fantastique énergie d’Eddie accourt au rendez-vous. Sur cet album, on trouve aussi le fameux «Trick Or Treat» tiré d’une bande-son. C’est du beau rock anglais joué à la Fast. Ce démon d’Eddie adore les grands accords triangulaires. Très british, très stompé du stamp. Eddie revient à son cher cocotage dans «The Answer Is You». Heavy Fastway baby. Il joue sur le pourtour des accords, il voyage bien dans ses gammes, il agit en sonic-boomer patenté. Sorti du blasting de Motörhead, il semble respirer à pleins poumons. Encore plus colossal, voici «These Dreams». L’intérêt d’un guitariste comme Fast Eddie, c’est qu’il joue tout ce qu’il peut, alors on tend l’oreille. On retrouve aussi le fameux «Station» tiré du deuxième album et voilà «Change Of Heart», certainement la plus grosse rockalama du disk. C’est excellent car visité de part en part. «Two Hearts» regorge aussi de puissance. Eddie n’en finit plus d’allumer la gueule de ses cuts, il les remplit de son à ras-bord. Ça reste excellent, même avec un son daté. Eddie est à la fête, il voltige dans ses cuts et bat tous les records de présence. Encore un extraordinaire déploiement de forces dans «She Is Danger», et puis voilà.

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    Fast Eddie enregistre un dernier album en 2011 : Eat Dog Eat. C’est un gros pépère bourré de son. «Lovin’ Fool» emporte tous les suffrages : incroyablement bien structuré, plutôt seyant, pur farniente, Eddie fait ses adieux au rock en beauté et part en vrille de Master Faster. L’autre gros coup, c’est «Love I Need» - I’ve been riding/ Riding for so long - Eddie est un géant, alors il s’amuse avec les petites choses de la terre. Il joue tout en filigrane, fastin’ it all, à sa manière, inventive et haletée, volubile et volage, et il finit par s’écrouler dans le brasier d’un empire en flammes. Le «Deliver Me» d’intro sonne comme un heavy sludge chanté au heavy slab de Sabbath. Back to the old British pathos, babe. Les Anglais adorent ce son pourléché et bien plombé. Fast Eddie semble survoler son cut comme un vampire. On le voit aussi claquer ses accords dans l’écho du temps avec «Fade Out». C’est tellement bourré de son que le commentaire devient inutile. Dommage que le chanteur Toby Jepson ne soit pas si bon. Il fait ce qu’il peut, mais au fond ce n’est pas si grave, car on est là pour Eddie. D’ailleurs, il remet les bouchées doubles avec «Leave The Light On». Oui Eddie joue comme un crack, il wha-whate ses vieilles dégoulinades de génie. On le voit aussi attaquer «Sick As A Dog» au riff demented. Pas de porte de sortie, c’est du riff pur, Eddie nous embarque dans son sick sick sick et profite de l’occasion pour placer un solo en flammes. On est là pour ça, ne l’oublions pas. Quand on aime les solos en flammes, c’est lui ou Wayne Kramer qu’il faut aller voir. Avec «Who Do You Believe», Eddie veille au grain. Heavy as hell. Le seventies sound, c’est leur domaine. Believe est probablement le hit du disk, ne serait-ce que pour le petit coup de vrille en back door man. Il boucle l’album avec «On And On», joué au vieux tombé d’accords seventies. Quelle incroyable sévérité de la fidélité ! - I’m sorry/ There is nothing more - The Fast of it all, ce démon d’Eddie n’en finit plus d’entrer dans le lard du cut à coups de solos répétitifs et allumés.

    Et voilà qu’on apprend sa disparition. Motörhead et les Ramones ont un joli point commun : plus de survivants. On craint surtout que la démesure disparaisse avec tous ces géants. Le grand livre du rock n’en finit plus de se refermer. Bientôt l’âge d’or du rock ne sera plus qu’un pâle souvenir.

     

    Signé : Cazengler, Fesse Eddie tête à Clarkes

    Fast Eddie Clarke. Disparu le 10 janvier 2018

    Curtis Knight Zeus. The Second Coming. Dawn 1974

    Motörhead. Motörhead. Chiswick Records 1977

    Motörhead. Bomber. Bronze Records 1979

    Motörhead. Overkill. Bronze Records 1979

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

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    ( sans la participation d'Eddie Clarke )

    Motörhead. Ace Of Spades. Bronze Records 1980

    Motörhead. No Sleep Till Hammersmith. Bronze Records 1981

    Motörhead. Iron Fist. Bronze Records 1982

    Fastway. Fastway. CBS 1983

    Fastway. All Fired Up. Columbia 1984

    Fastway. Waiting For The Roar. Columbia 1985

    Fastway. On Target. GWR Records 1988

    Fastway. Bad Bad Girls. Enigma Records 1990

    Fastway. On Target Reworked. Receiver Records Limited 1998

    Fastway. Eat Dog Eat. Steamhammer 2011

    *

    Quelle était la couleur de la couleur tombée du ciel ? Ne voudrais pas avoir l'air de me vanter mais à moi tout seul j'ai résolu la grand mystère littéraire du vingtième siècle. Beaucoup se sont cassés les dents sur cette énigme posée par la nouvelle de Lovecraft. Je sens que certains vont en être verts de rage, rouges de honte, bleus de stupeur, noirs de colère, z'auront beau rire jaune en prétendant qu'ils le savaient mais que seule leur modestie les a empêchés de proclamer la vérité. Bernique ! Nique ! Nique ! Nique ! Vive les seins de Sainte Dominique !

    La solution m'est apparue le matin en ouvrant la fenêtre. Un paysage apocalyptique. Sibérien. Méconnaissable. Le truc qu'on gère pas. Cette couleur maléfique lovecraftienne, ourdie par les sombres agissements de Cthuhlu pour étendre sa domination sur le monde entier, n'est autre que celle du fameux cheval d'Henri IV, le blanc, si blanc que pour un peu vous le prendriez pour de la neige. D'une nocivité extraordinaire, une espèce de poulpe poudreux qui s'attachait aux roues de la Teut-Teuf et l'immobilisait ad vitam aeternam. Même pas pu aller à la Comédia à Montreuil vendredi soir. Aux grands maux les grands remèdes. Samedi matin, ne me suis pas dégonflé, suis sorti en pyjama sur le bord de route, la traduction par Phillipe Pissier de Magick en mains, et ai prononcé le Rituel Sacré de la Toute Puissance d'Aleister Crowley, et vous pouvez m'en croire, le soir même la route de Troyes était complètement dégagée, libre de toute teinte cthulhuéenne, j'en hulule encore de joie.

    Connaîtriez-vous une force maléfique capable d'empêcher irrémédiablement un rocker d'assister à un concert !

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    10 / 02 / 2018TROYES

    LE 3B

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    ( Journaliste avec lunettes )

    D'autant plus que ce soir nous avons atteint l'immortalité. Enfin presque. Programmée pour 2019 – 2020. La radio es là. Venue explorer le monde turbulent des rockers. Journaliste sympathique – je ne voudrais pas donner dans l'identitaire départemental mais nous partageons la même origine ariégeoise - qui ouvre son micro et nous interviewe à tour de rôle – l'a du courage, la sono de Fab, la meute des assoiffés qui se pressent autour du bar et se compressent dans les coins, mais l'est tout content, l'enregistre tout ce qu'il lui faut, tout le rock'n'roll en vrac, du rockabilly au métal, des tatouages aux blousons, des voitures à la rebelle attitude, Hank Williams, Gene Vincent, Kr'tnt, Jean-Jacques, Alec, Billy, Christophe, l'a tout en lambeaux, ne lui reste plus qu'à remettre en ordre, n'a même pas oublié d'enregistrer Eddie and The Head-Start. Les voici.

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( SANS EUX )

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    N'ont pas casé le batteur tout au fond comme tous les autres groupes. Ce n'est pas qu'ils cherchent l'originalité. Eux ce serait plutôt l'authenticité. Pour la simple et bonne raison qu'ils n'en ont pas. A Troyes – et partout ailleurs - ne sont que trois. Guit acous, contrebasse, lead électrique. Pas plus, ni moins. Ne faites pas l'étonné, rappelez-vous qu'en ses débuts Elvis ne possédait pas de batteur. L'a ajouté quand le monde a commencé à affluer aux concerts et qu'il fallait un certain volume pour se démarquer du bruit de l'assistance. C'était du temps où il a gagné son surnom d'Hillbilly Cat. Le puma des Ardennes en français approximatif. Le Hillbilly est un genre à part en soi. L'art des garçons de ferme. Les rustauds qui ne peuvent voir une meule de foin sans y coucher la première fille qui passe sur le chemin, pas des intellos, des ploucs à la comprenette dure. Méfiez-vous sont plus malins qu'il n'y paraît, l'esprit des coyotes habite l'âme des chats efflanqués des collines. Le hillbilly ça sent le bal du samedi soir, le purin, et le bousin de long horn. Bouchez-vous le nez mais ouvrez vos narines toute grandes. Se métamorphosent lorsque l'exode rural les pousse à la ville. Se payent de belles chemises, roulent en mécaniques rutilantes, et bye-bye les aigres-douces chansons nostalgiques, donnez leur un micro, s'en servent comme d'un cocktail molotov, le hillbilly s'enflamme et devient rockabilly. Une mutation. Si Darwin avait vécu assez longtemps, s'en serait servi pour expliquer les sauts qualicatifs qui ont présidé la longue marche des espèces qui depuis la disparition des dinosaures a permis à l'homme de s'améliorer sans fin. Certains mêmes affirment que le hillbilly man et le rockabilly man sont les stades suprêmes de l'évolution humaine, que depuis la race hominienne régresse, dégénère, et court à sa perte. Mais quittons ces vues philosophiques pour regarder :

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( AVEC EUX )

    Eddie Gazel. Fils ne vous gardez point à droite, le reître Thibaud Choppin s'en charge. Fils ne vous inquiétez pas de gauche, le soudard Stéphane Beaussart y veille. Le vrai père, Thierry Gazel, n'est pas loin, viendra plus tard ramoner la big mama de Thibaud, mais n'anticipons pas. Avec de tels arrières latéraux, l'est tranquille Eddie, guitare en main et bouche au micro. A trois défendent le pont-levis du hillbilly. Si vous voulez forcer le passage, passez devant. Qui s'y frotte s'y pique. Ça n'a l'air de rien mais il faut les qualités requises indispensables, du swing percutant, du contrapuntique contraignant, et un vocal de crotale.

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    Pour le swing, vous avez Thibaud Choppin. Posté de guingois, à l'affût derrière sa big mama, vous lance un regard de chef-indien là-haut sur son piton rocheux qui examine le convoi des charriots qui s'approche du défilé de la mort certaine. Qui dit swing ne dit pas jazz. Pensez à pulsation. Agonique et précipité. Le Choppin quand il vous choppe sa contrebasse ce n'est pas pour éplucher le bulletin météo. Avec lui, c'est tempête et tremblement de terre force huit. Ne descend jamais au-dessous. Crève le plafond de temps en temps. Joue un peu à la manière de Jessie James quand il rackettait les banques. Mais avec le sourire en coin et l'ironie mordante qui fuse de ses lèvres dès qu'il peut en lâche une. S'amuse, avec une main, avec deux, avec trois, avec quatre, pas le temps de vous demander d'où il les sort, et même sans aucune.

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    A Stéphane Beaussart échoit la tâche la plus difficile. Le hillbilly ressemble davantage à trois coups de poings bien appliqués qu'à une stratégie à la Napoléon. Un seul mot d'ordre. Vite fait et bien fait. Le nez en sang et l'on passe au suivant. Beaucoup plus jumpin' que gallupin'. Pas la possibilité de se livrer à de grandes galopées. Pour les envolées lyriques vous repasserez. Faut être présent à tous les instants, plantez le clou au millimètre près. Juste entre deux hennissement de la big mama et conclure juste après la voix, un jeu, un question-réponse, un dialogue à trois, ni oui ni non, mais un mot chacun, monosyllabique, placé le plus vite possible sans empiéter sur celui qui vous précède et en laissant le moins d'espace possible à celui qui prend la suite. De la haute école. Exercice collectif des plus difficiles. S'en tirent comme des rois avec l'impertinence des bouffons. S'amusent comme des fous, complicité souriante, émulation rieuse.

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    Je vous refile les dates – en comptant très large, 52 – 57. L'ère du déploiement du hillbilly, certains compressent entre 54 – 56, l'instant de la pliure, du passage du hillbilly au rockabilly en s'abstenant de franchir le col du rock'n'roll. Certes nos trois cavaliers reprennent du Little Richard et du Gene Vincent, mais ce que moqueusement l'on nommera les slows, le Send Me Some Lovin du petit Richard qui sent encore la vase du bayou et le clapotis des alligators, et le Peg O' My Heart de l'idole noire, de la chanson populaire parce que pour embarquer les gerces c'est quant même plus voluptueux qu'une course en hot-rod avec le diable. De toutes les manières, ce qui compte, c'est l'art et la manière de présenter la bagatelle. Faut savoir être tendre sans passer pour un benêt, le hillbilly est une musique perverse. Tenez-vous le pour dit.

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    Eddie Gazel parfait dans le rôle. L'a tout pour lui. La jeunesse et la beauté. L'oeil de velours et le regard assassin. Et puis la voix. Flexible comme un queue de crocodile. Capable de se lamenter sans nous faire pleurer. Malmène sa guitare comme un chien gratte ses puces. Force rythmique d'appoint et d'assaut. Siffle comme un serpent dérangé dans sa sieste, l'a tous les articles en magasin, à l'aise dans tous les registres : nostalgie country, rupestre campagnard, boogie électrique, un répertoire qui court de la ruralité cajunique d'Al Ferrier au baryton épineux de l'Elvis de chez Sun, du pizzicato de Johnny Burnette à la ballade pseudo-romantique. Lève la guitare vers le ciel et profile un jeu de hanche des plus terrestrement lascifs.

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    Trois sets, le premier à dominante hillbilly, le deuxième davantage rockabilly, le troisième pas rock'n'roll mais presque. Beaucoup d'aisance et de facilité. Thibaud Choppin délaisse sa big mama pour se mettre l'assistance dans sa poche avec sa belle voix grave, Stéphane Beaussard se permettant un instrumental très surfin' manière de montrer que sa monture pâture aussi en d'autres lieux, son voilier tatoué sur son avant-bras comme signe de recherche et d'aventure. Eddie en meneur de jeu. Sait instaurer une communication des plus directes et des plus primesautières avec le public qui adore. Faut un sacré tallent à Eddie pour que dès le premier morceau tout le monde se masse devant les Head-Starts et adhèrent à cette musique chargée d'anciennes rurales fragrances qui ne correspondent plus à notre monde urbanisé. Une musique moins chargée d'impédence électrique que le groupe a su rendre sans effort, actuelle. Rarement – et pourtant les Dieux savent combien le public du Bar de Béatrice Berlot est chaud et réceptif – un groupe aura reçu une telle écoute et suscité une telle ferveur.

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    TOM ROISIN

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    ( Trouvez Tom ! )

    Entre deux sets, Tom Roisin nous interprète trois titres d'Hank Williams, Jambalaya, Honky-Tonky, I Saw the Light et un dernier Folsom Prison Blues de Johnny Cash. Belle allure sous son stetson immaculé et dans son costume impeccable. Autodidacte et passionné de country Tom Roisin, persévère. S'accroche à son rêve et commence à tenir le chat du diable par la queue. A suivre. Bon Gumbo.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    MY NAME IS EDDIE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    Rhythm Bomb Records. RBR 45 – 29.

     

    My name is Eddie : racatement de basse, le jeune Eddie vous prend la voix traînante d'un vieux vacher des Appalaches, Beaussart pointille comme un pic-vert, Choppin tamponne comme un wagon, dépaysement garanti. Pas le temps de voir passer, que déjà ils expédient la fin dans les règles de l'art, ça tressaute comme un cul à cru sur un cheval bondissant. Blues stop knocking : croisements d'autoroutes, celle de la ballade country avec la séminalité sous-terraine du country blues. Sur le refrain l'ensemble s'envole vers les grands espaces, mais sur le solo Beaussart tire du côté d'Arthur Crudup, Eddie vous emprunte les échangeurs sans jamais se tromper, goudronnage et tenue de route assurée par la maison Choppin. Playmate : Beaussart et Choppin vous mènent un quadrille d'enfer, et la gazelle Eddie vous fait de ces piqués de voix à vous faire voir des éléphants roses. I wanna make love : tout ce qu'il faut faire, je parle de l'union physique de l'instrumental avec le vocal. Chacun à son tour par-dessus et puis par dessous. Plus les petites spécialités individuelles. Bref ça balance et roule vers le rock'n'roll de bien jolie façon. S'éclatent comme des bêtes vicieuses. Un prix d'originalité sera décerné à Stéphane Beaussart pour son solo.

     

    Old style never dies !

     

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN ET LE RÔDEUR DE MINUIT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / 2018 )

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    Roman. C'est écrit sur la couverture. Déduction logique : tout ce qui est écrit est faux, sorti tout droit de l'imagination fertile de Michel Embareck. A part que tout ce qu'il raconte est totalement vrai. Même si vous n'avez jamais porté la moindre créance au concept de vérité – pure et intangible – du sieur Platon. N'avez qu'à lire pour vous en être persuadés. Très simple, cet embrouilleur d'Embareck nous fait le coup du bonneteau littéraire. Z'êtes sûr que sous le godet du milieu se trouve un roman, erreur sur toutes les lignes, c'est votre vie qui est mise en scène en deux cent cinquante pages. La vôtre, la nôtre, la mienne. Inutile de bomber le torse, l'est retors l'Embareck, non, ce n'est pas le roman dont vous êtes le héros. Pas de place pour vous. N'en a déjà mis que deux sur le titre, Dylan et le Rôdeur de minuit, mais c'est un fusil à trois coups, le troisième est habillé tout en noir. Pas besoin de pousser la description plus loin, quel faquin ne reconnaîtrait pas Johnny Cash, the man in black, en cette sombre silhouette ?

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    Pas de problème l'histoire vous connaissez : la bio ( et de broc ) de Dylan et de Johnny Cash. Pourriez la réciter par cœur, l'est finaud l'Embarech, ne fait pas dans le détail, la révélation minuscule que personne ne connaît. En gros, vous n'apprendrez rien. De toutes les manières tout est faux. Etabli sur des faits certifiés conformes, rien de plus facile pour vérifier : presse d'époque, témoignages assermentés, vidéos, livres, disques. Ne manque pas un biscuit dans la cambuse. D'ailleurs l'Embareck se dépêche de les refiler aux rats, lui le maitre-coq vaudou, il travaille avec le vent qui bouscule la mâture. Blowin' in the wind, comme dirait l'autre.

    Commençons par nous débarrasser de l'assassin. N'ayez pas peur, pour un criminel, il n'est pas dangereux, le gars qui ne tue même pas une mouche de tout le roman. C'est peut-être pour cela qu'il vous ressemble. Un mec plutôt sympathique. Toutefois, tout ce qu'il a fait de bien dans sa vie, ce n'est pas de sa faute. Aucune médaille à lui décerner. L'Ici et Maintenant des philosophes. Hasard et circonstances. Son seul mérite c'est d'être sorti du ventre de sa maman au bon moment. Pile-poil à l'heure pour devenir disc-jockey au début des années soixante à Shrevreport. En Louisiane, l'état marécageux des States où les alligators dans leur barbote ont inventé des horreurs sans nom qui ont pour nom : jazz, blues, rhythm'n'blues, rock'n'roll. Bref notre animateur radiophonique l'a tout vu et tout entendu. Les Beatles, les Stones et, ce qui tombe super pour le bouquin, rencontré Dylan et Cash. Evidemment sur une carte de visite, ça en impose. De quoi être jaloux. D'ailleurs à la fin du film de sa vie, l'Université – avec un grand U comme Urinoir - vient l'interviewer. Si cela vous arrive, dites-vous que votre cercueil se rapproche de vous, vitesse grand V. Pas Victoire, genre Vanité des Vanités...

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    Je sens votre impatience. Le lectorat kr'tntique n'a qu'un mot à la bouche : Cash ! Cash : Cash ! Etrange de voir comment le country man a été adopté par les rockers depuis une vingtaine d'années par chez nous, encore plus que Jerry Lee Lewis – le grand absent de ce livre d'ailleurs, mais peut-être qu'Embareck se réserve-t-il le Killer pour parfaire une trilogie commencée avec Jim Morrison et Le Diable Boîteux . Donc Cash. Honneur à la dame de cœur. Très beau portrait de June Carter. June, le trublion de la Carter Family. La fofolle de service. La gamine irrésistible. Instinct et joie de vivre. Tout ce que Johnny n'est pas. In his mind. Un coincé de la tête. Parce que selon son corps, c'est davantage borderline. Z'oui mais la pieuvre du puritanisme, pouvez lui couper les tentacules par centaines elles repoussent toujours. C'est cela la malédiction d'être né pauvre. Non seulement vous n'avez pas d'argent et vous bouffez tout juste ( vraiment juste ) à votre faim, mais pour la largesse d'esprit c'est vache maigre et chambre d'étudiant au dix-huitième étage sans escaliers et les chiottes sur le pallier. Tout le reste est squatté par la peur des sept péchés capiteux et l'observance des dix commandements. Mes très chères sœurs et mes très chers frères, nous avons le regret d'avoir à condamner notre idole, Johnny trompe sa femme, boit comme un trou et gobe les pilules comme certains les patenôtres. Nous lui pardonnerons, son métier, la fatigue, la route, les tournées, les filles qui s'offrent, le diable a mille perversités dans son escarcelle...

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    Voici Dylan. Une autre problématique. Lui le danger n'est pas dans sa cabosse. Vient de l'extérieur. Des autres. Bien entendu de ceux qui l'aiment le plus. Le public, les fans. Au début le Bobby, faut pas grand chose pour le rendre heureux, une guitare, une gratte, une sèche, une acoustique, un harmo pourrave, et le répertoire folk qu'il a emmagasiné dans sa tête. Encore un qui arrive comme la soupe sous le cheveu. Ne pouvait pas mieux tomber avec sa voix de chat écorché. En plein dans la vague contestataire. Combat pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam. Bien sûr qu'il partage ces idéaux, par contre ne se sent pas très à l'aise dans la bonne ouate de gauche, l'impression de se faire manipuler, d'entrer dans de nouveaux carcans, idéologiques. L'autre face de la bonne conscience se nomme nouvelle morale. Alors il commet l'outrage suprême. L'ignoble trahison. Il électrifie le folk. S'en va enregistrer chez les ploucs de Nashville. S'éloigne de sa vie de star, se marie, fait des enfants. Devient un bon père de famille. Bref à partager la vie de tout le monde, il finit par faire comme tout le monde, il s'ennuie. Le Diable possède une tentation adaptée à chacun.

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    Dylan reprend la route que Cash n'a jamais quittée. L'un pour s'éloigner du peuple de gauche et l'autre pour se rapprocher du peuple de droite. Les rebelles ne sont pas de purs chevaliers blancs irréprochables, ne sont jamais là où on voudrait les voir. Y en a tout un tas qui croupissent en prison. Cash prend son bâton de pèlerin et s'en va chanter à Folsom. Du côté de la mauvaise graine. Des voyous, des tueurs, des violeurs, de la sale engeance. Même Jésus Christ n'avait pas osé y penser. Avec les réprouvés de la société. Les enfants perdus de la misère. Sans illusion, car s'il n'avait pas eu son baryton de croque-mort il aurait peut-être fini là, lui aussi. Poussera même la roue un peu plus loin. Ira chanter pour les boys. Au Vietnam. Est viscéralement contre la guerre, mais il se doit de réconforter les guys dans le bourbier. Chante pour eux et visite les hôpitaux de campagne. Voie étroite et récupérable que Dylan ne lui pardonnera pas. Notons que Joan Baez, son ancienne compagne se rendra au Vietnam, elle aussi, mais de l'autre côté, au Nord, sous les bombes américaines...

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    Dylan et Cash, deux facettes de l'Amérique. Encore aujourd'hui beaucoup de ceux qui écoutent Johnny Cash ne prêtent qu'une médiocre attention à Dylan. La réciproque est un peu moins vraie, les méandres de sa carrière ont quelque peu altéré l'admiration béate que lui a longtemps portée son public, et le vieux Cash a bénéficié de sa longue fidélité à son propre style, n'a jamais donné l'impression de s'être renié. Embareck balaie tout cela d'un trait de plume. Cash, Dylan, même combat, tous deux chantres de l'Amérique populaire. Pas celle du massacre des indiens, du capitalisme triomphant, de la ségrégation, des mentalités de beauf en boîte, mais celle de ceux qui essaient de survivre tant bien que mal, de tracer ou d'imaginer d'autres routes. Des outlaws modernes. Une Amérique qui vient de loin, dont Cash et Dylan, Embareck nous les présentent en frères d'armes, ont tenu à garder intacte la mémoire. Se sont sentis obligés de perpétuer au travers de leurs répertoires le souvenir et la présence de ces millions d'existences anonymes, les vaincus, les misérables, les laissés-pour-compte, n'en reste rien aujourd'hui si ce n'est quelques os épars au fond des cimetières.

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    Lecteurs, je vous sens un déçus, vous avais affirmé dans le premier paragraphe que l'Embareck parlait de vous. Nous y arrivons. Vous a filé un surnom. L'a piqué aux Stones. Le Midnight Rambler, c'est vous. Vous espère un peu moins décatis que lui, parce qu'à la fin du livre il a dépassé ses quatre-vingt printemps. L'est rentré dans l'hiver. Fait un dernier point. Avant de débarrasser le plancher. Place aux jeunes. Ne s'apitoie guère sur lui-même. Comme vous, comme moi. Des hauts et des bas. Des erreurs. Je n'insiste pas. Lui non plus. Parle avant tout des autres, de l'état du monde. Le même constat que vous. Un minimum de mieux. Un maximum de pire. Ne s'est pas amélioré depuis le siècle dernier.

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    Rusé l'Embarek, s'y entend pour filer le sucre qui fait remuer la queue des chiens. Dylan, Cash, - bonjour les attrape-nigauds, pour ceux qui hésitent il rajoute Alice Cooper et Merle Kilgore, et spécialement pour moi Gene Vincent – et puis il vous balance la boule de strychnine. Des artistes comme Dylan et Cash, vous en raffolez, vous les adorez. Mais soyez justes, ils n'ont pas changé le monde. Et derrière eux c'est la faillite de toute génération qui se profile. Pardon, qui déboule. L'arrache le voile des illusions l'Embareck, devrait être condamné pour cruauté mentale, vous laisse plus nus que la vérité, et ne croyez pas que vous vous en tirerez en vous fondant dans le nombre, pousse l'ignominie jusqu'au bout – page 245 – dresse la liste de tous les noms, n'oublie personne, j'ai vérifié vous y êtes. Pourrait accomplir sa délation en utilisant une écriture neutre, mais non, l'a du brio, du brillant, de l'entourloupe, dès la première ligne vous êtes pris, ferrés jusqu'au bout. Ça bouge, ça cogne, ça vit. Vous n'y faites pas gaffe, vous distille le poison de l'échec. Triple dose, au début ça vous file un pêchon extraordinaire, mieux que l'héroïne, et puis c'est votre déchéance spirituelle qui vous azimute. Sans lot de consolation. Une bourrasque d'Embareck et toutes vos fausses raisons de vivre tombent à l'eau. Regardez-vous et enfuyez-vous en courant.

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    En fait – j'ai oublié de le préciser – le rôdeur de minuit finit bien par tuer quelqu'un. Mais quel est donc ce couteau planté dans votre dos ?

    Le rock m'a tuer.

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN

    Le personnage / Sa musique / Son guide

    NIGEL WILLIAMSON

    ( Editions de Tournon : Rough Guides / 2009 )

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    A parler de Bob Dylan autant descendre au garage voir ce que j'ai sur lui. J'en remonte avec ce beau format quasi-carré, pas très grand mais de 325 pages composées en tout petits caractères. Le livre s'arrête au moment où paraît le premier tome de ses mémoires Chroniques ( I ). Près de dix ans se sont écoulées depuis et voici deux années Dylan s'est vu remettre le Prix Nobel. Le book m'apprend dans un petit entrefilet rose qu'en 1996, un groupe d'intellectuels et d'admirateurs avaient officiellement bataillé pour la candidature du chanteur à ce prix. L'attribution du Nobel de Littérature à Bob Dylan en 2016 n'a pas été une divine surprise comme les médias l'ont présentée. Mais le fruit d'une longue et obstinée candidature sur laquelle Dylan, selon son habitude, ne s'est apparemment jamais exprimé.

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    Nigel Williamson emploie la technique dite des tirs-croisés ou des labourages quadrillés. Revient plusieurs fois sur le même sujet. La moitié du bouquin purement biographique nous raconte la vie de Bob Dylan. Assez fouillée, non exempte de réflexions critiques, tenant compte de tous les aspects de l'existence du chanteur : familiale, privée, sociale, publique, et bien entendu musicale et artistique. Le livre pourrait s'arrêter-là, mais non, Nigel est un maniaque, ou alors peut-être prend-il ses lecteurs pour des cerveaux lents, car il passe une deuxième couche : passage en revue en long et en large de tous les albums – disco officielle et survol des pirates – rajoute un troisième glacis protecteur : analyse des cinquante meilleures chansons, sans oublier de fignoler les finitions : les films, les livres, les fans, les continuateurs...

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    N'empêche que l'ensemble est agréable à lire et peu répétitif. Fourmille d'anecdotes surprenantes : je ne vous en cite qu'une, marrante, celle de A. J. Weberman qui avait pris l'habitude de fouiller les poubelles de Dylan, afin d'en retirer la substantifique moelle documentaire qui l'aidait à conforter ses vues personnelles sur la personnalité du chanteur. Le début de l'histoire du fondateur de la nouvelle science qu'il baptisa déchétologie est connue. J'en ignorais la fin. Weberman eut ses adeptes. Pas ceux qu'il aurait souhaités. Les agents du FBI mirent le nez dans ses propres poubelles. Après avoir retrouvé de suspects sachets ( vides ), ils en conclurent que Weberman était à la tête d'un trafic de livraison de marijuana à domicile et, à vous dégoûter de rendre service à vos concitoyens, l'envoyèrent séjourner en prison...

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    Une autre pour mon plaisir personnel : y avais toujours cru mais n'en avais aucune preuve : Dylan l'a confirmé lui-même : a bien pensé ( pas uniquement ) à Baby Blue de Gene Vincent pour l'écriture d'It's All Over Now, Baby Blue.

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    N'ai jamais été un fan transi de Dylan. Attention, durant dix ans le bonhomme a fait ses preuves. Prolifiquement doué. Vous tortillait une galette de vinyl comme une grand-mère bretonne une crêpe au sarrasin. L'avait la qualité essentielle du rocker : devenait méchant dès qu'il apercevait un micro dans un studio. Ne se forçait pas, arrivait les mains dans les poches, se saisissait d'une feuille de papier et il vous dégorgeait du venin comme une vipère qui n'a rien eu à se mettre sous le crochet depuis trois ans. Parfois, l'improvisait directement et les ingénieurs couraient vers la cabine pour mettre le bouton sur le ''on''. Mauvais caractère en plus, tête de lard et de cochon. Ne filait pas d'indications aux musicos. Ou ils pigeaient illico, ou ils retournaient à la maison. Un génie !

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    Reconnu comme tel. Porté par la vague des fans. Du jour au lendemain, la figure de proue du mouvement contestataire. Exactement le contraire des New Yok Dolls qui eurent trop peu pour si peu de temps, le Bobby lui ce fut trop beaucoup immédiatement. Dépassé en quelques mois par l'enchaînement et le déchaînement du succès. S'en est sorti. Parce qu'il était un cabochard. Par la petite porte. N'aimait pas qu'on lui dicte le chemin. Suze sa muse ne l'amuse plus depuis qu'il baez avec Joan de laquelle il baisse dans l'estime depuis qu'il s'en va avec Sara ça ira, pareil avec les copains, beaucoup de jaloux et lui qui ne sait pas mettre les formes pour se tirer du guêpier. Le piège ne s'est pas refermé sur lui, mais par la suite, ce ne sera plus jamais pareil.

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    L'était une idole adulée, devient une rockstar acidulée sur le tard. Vit sur son aura, sur sa réputation. S'ennuie un peu avec lui-même. L'a encore ses moments de génie, mais ils s'amenuiseront petit à petit. Il s'en fout et il en crève. Pousse le vice de la contradiction et le vide des contrariétés à se déclarer chrétien, pur beauf born again, détenteur de la vérité et sermoneur de service. Les fans de la première heure le renient, il vend ses morceaux les plus symboliques pour des pubs, ses ventes de disques s'effondrent, son divorce le met sur la paille ( relative ) alors il met au point le Never Ending Tour, une moyenne d'un concert tous les trois jours depuis vingt ans, catastrophiques ou géniaux, c'est selon.

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    Je décris, je ne juge pas. Facile de badigeonner la moraline lorsque vous n'êtes pas dans le caca. Même si l'étron est de vous. L'a transformé le rock'n'roll, l'a fait descendre de la banquette arrière des Cadillacs, et vous l'a planté au milieu de la route sous la pluie. Bye bye baby et bonjour tristesse, les ennuis commencent. Depuis il a pris ses cliques et beaucoup de claques...

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    Dylan contestataire : non. Dylan roi du folk-rock : non. Dylan rocker : encore non. Le classerai plutôt dans le country blues. N'est pas né dans le delta, n'est pas un nègre. Mais il chante et compose des chroniques sur son quotidien et celui de l'Amérique. L'a simplement élargi l'orbe des bluettes. Pour bien s'en rendre compte il suffit de comparer l'autre '' grande voix'' de l'Amérique : Bruce Springteen, sympathique mais un peu boy-scout. Lui manque le cynisme, la cruauté, la méchanceté, trop de bons sentiments. La face noire du rock'n'roll.

    Damie Chad.

     

    OUAILLE !

    DANIEL GIRAUD

    ( Clapas / 2012 )

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    De Daniel Giraud nous avons déjà chroniqué disques et différents recueils de poèmes. En voici un autre édité aux Editions Clapas. Même pas un petit éditeur, un groupe d'activistes fous qui ont durant plus de dix ans donné la parole à plus de deux cents poëtes, faites un tour sur leur site ( clapassos.pageperso-orange.fr ), semblent en sommeil depuis quelques années, mais si les ours parviennent à sortir de leur hibernation...

    Joli petit format qui s'étire et se pelotonne entre vos mains, couverture chromo, et même un dos carré pour un ensemble de 24 pages. C'est dedans que ça se gâte. Un seul poème aussi long et mince qu'une queue de marsupilami bleu. De cette couleur vous n'en trouvez pas chez Franquin. Ailleurs non plus. Foutre le Ouaï ! Attardez-vous sur le titre. Parce qu'après c'est toute la misère humaine qui se colle à vous. Pas la noire. Non celle-là, c'est facile de la chasser, ouvrez les infos et un spécialiste viendra vous expliquez que tout va bien, qu'il faut se méfier de vos ressentis. Non la bleue, la bleu-blême, celle qui se colle à votre âme et vous la teint jusqu'au jour de votre enterrement. Daniel Giraud vous raconte sa vie. Je vous rassure, aussi moche que la vôtre. Quelques pépites, mais des tonnes de scories. En plus le Giraud l'habite dans la cambrousse, à 15 kilomètres non carrossables, porte le ravitaillement dans le sac-à-dos, surtout que des fois il revient de loin, des States ou du Maroc, alors les souvenirs déboulent et s'entremêlent. L'esprit on the road again et l'âge qui encroûte les artères. Derrière la porte, c'est quitte ou double, la copine qui s'est tirée ou les copains qui attendent avec les guitares pour taper le blues, fumer et boire. Et puis les chats qui viennent vous aider à vivre et qui s'en vont à la mort. Version inaccoutumée de la théorie du ruissellement. Le malheur du monde tombe sur le poëte, super-chouette, l'occasion rêvée de se transformer en samouraï-philosophe. Vous sépare l'être du néant, la pelure de la réalité de l'orange creuse du vide, vous envoie valser dans le nirvana pour mieux vous catapulter dans les emmerdements du quotidien. '' Sans avoir de présent / comment avoir un avenir'' demande-t-il comme il vient de nous affirmer que le passé n'est plus ce qu'il était, vous voyez ce qu'il vous reste à vivre. Philosophie hippie et nihilisme punk se rejoignent en un étonnant optimisme désespéré. Mélange détonnant. Ça pète et vous éclatez. De rire. Ni humour noir, ni humour jaune. Humour-blues. Parfois à la terrasse d'un café, Daniel Giraud sort sa guitare de son étui et un recueil de sa poche et vogue la galère c'est parti pour une heure de blues-métaphysique, et les passants s'attroupent autour de lui, comme les mouches sur la merde – plus poli Cendrars employait l'expression la moitié de la face de Dieu pour désigner cette matière si fécale - comme les avares sur leur or. Les deux postulations humaines, ceux qui aiment ce qui leur ressemble et ceux qui s'accroupissent devant leur propre petitesse. Le blues, ça vous décape jusqu'à l'os.

    Damie Chad.