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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE 655 : KR'TNT ! 655 : JAMES CHANCE / JIMMY JAMES / ESTIVALERIES / BLACK CROWES / JOHN CALE / DEMON & ELEVEN CHILDREN / CERBERE / EDGAR POE / TWO RUNNER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 655

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 09 / 2024

     

    JAMES CHANCE / JIMMY JAMES

    ESTIVALERIES / BLACK CROWES / JOHN CALE

    DEMON & ELEVEN CHILDREN / CERBERE

    EDGAR POE / TWO RUNNER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 655

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Pas de chance pour James Chance

     

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             James Chance vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous nous recueillir devant sa dépouille pour honorer sa mémoire. James Chance est un cas unique dans l’histoire du rock américain. Il s’est distingué en shootant du free dans le cul de son idole James Brown, une familiarité paraît-il assez courante entre géants.

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             Côté littérature, pas grand-chose. Tu peux éventuellement rapatrier le mini-book d’Erwin Paul, James Chance & The Invention Of Punk-Funk, publié à compte d’auteur. 60 pages. T’avale ça en une heure. Tu ne risques pas te choper une entorse à la cervelle. Peut-être qu’au fond, il n’y a pas grand-chose à dire. Peut-être que James Chance se résume à trois mots : agression, funk et free. Rien dans le book, hormis quelques formules ronflantes qui célèbrent la No Wave, «un genre qui défiait les catégories et qui remettait en cause les bases mêmes du punk-rock». La No Wave fut un rejet de tout ce qui existait. On se souvient que Kim Gordon dans son autobio avait flashé sur la No Wave.

             Comme le jeune James veut du raw, il joue du sax. Il entre à l’université du Michigan. La musique est sa passion. Il s’en prend aussitôt aux conventions. Il débarque à New York et devient l’un des pionniers de la No Wave. Il joue avec Lydia Lunch dans Teenage Jesus & The Jerks. Puis il met au point son mix de «punk aggression, funky grooves and free jazz improvisation», il cultive «the dissonant energy». Et puis on découvre que Thurston Moore battait le beurre dans les Contortions. Sur scène, James Chance se contorsionne, pour illustrer graphiquement le son des Contortions. Il est en colère, il cherche à repousser les frontières - pushing the boundaries of what a rock concert could be - Il fait exactement ce que fait Alan Vega à la même époque, il provoque le public, descend dans la fosse et frappe. Les Contortions explosent en 1979, ce qui semble logique. Un groupe extrême n’est pas fait pour durer.

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             C’est l’occasion ou jamais de déterrer le Beirut Slump - Shut Up And Bleed de Teenage Jesus & The Jerks. Pas question d’emmener ce machin-là sur l’île déserte. C’est juste un document anthropologique sur la No Wave. Un son qui n’est pas fait pour les disks, car c’est une agression. «Orphans» pourrait passer pour de l’art moderne. Lydia Lunch gueule dans le néant. Elle chante atrocement mal. James Chance arrive avec son sax à la main dans «The Closet». Il fout le feu dans le brasier de destruction massive. Il injecte du hot free dans le cul de «Less Of Me». Diable comme elle chante mal. Comment fait-elle pour être aussi énervée ? C’est lui qui chante dans le chaos total de «Sidewalk», enfin chanter, c’est une façon de parler. Aucun espoir. Beirut Slump est un document anthropologique, pas du rock.

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             Il est très bien le petit coffret Tiger Style paru en 2003 : Irresistible Impulse. Parce qu’il rassemble des choses comme Buy The Contortions, Sax Maniac, mais aussi The Flaming Demonics et surtout un booklet signé Glenn O’Brien. L’O’Brien revient sur la fameuse No Wave et indique que la plupart des no-wavers auraient été d’accord avec Jean-Luc Godard qui affirmait (en parlant de la Nouvelle Vague) : «Il n’existe pas de nouvelles vagues. Il n’y a que l’océan.» Tout est dit. Il salue à la suite Eno et son No New York, prétexte à une apologie du no - It was about what it wasn’t. It wasn’t for the masses, it wasn’t stupid, and it wasn’t negotiable. it wasn’t categorizable - O’Brien parle d’un son nouveau, celui des Contortions - The James Brown funk format is whitened and tightened up a notch, to the edge of frantic, with Pat Place’s oblique guitar exploding in tangents, Adele Bertel’s organ lurching in flat minor counterpoints, and James Chance’s alto sax outbursts levitating above the fray like snake charming gone terribly wrong - L’O’Brien cite un passage du Bird de Clint Eastwood où Charlie Whitaker loses his cool. Et à propos des Contortions, il ajoute, éperdu de véracité : «The whole enterprise was infused with a perfect air of insolent, cooly aggressive, vindictive existentialism.» Aux yeux de James Chance, le jazz avait perdu «its sexuality and its funk». Alors James haïssait les gens venus le voir jouer, «so he sang, he danced, he blew his horn, and if that wasn’t enough, he punched them in the face or pulled their hair.» Et là, il te balance une première théorie : «James Chance était un visionnaire qui savait que pour créer un nouveau son, il fallait brûler le vieux.» Alors pour créer un son, il ramène du deep groove, des «sophisticated post bop chops with pop art hyper-jaded lyricism that transformed existential dread into a party.» Et l’O’Brien pensait à l’époque que James Chance «should be the greatest star in the world.» On pensait tout ça en écoutant Buy The Contortions. Mais peu de gens l’ont compris. Only the very few. Pour lui, «James Chance was the most exciting man in art and show business.» Il a assommé la copine de Robert Christgau en concert, d’un coup de pied de micro, and never missed a beat. James Chance : «Si les gens viennent me voir jouer, ils vont devoir payer. And not just in money.» James hait les New-yorkais - New York people are such assholes, so cool and blasé - Alors il les frappe.

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             Puis il flashe sur la diskö, parce que ça dégoûte les rockers - The Contortions was the first  death fashion pop art band since the Velvet Underground, and it sounded better than if Iggy had gone to Julliard - James devient «the wildest dude on the block coming up as jazz saxophonist.» Black and white - He knew how to hit a note in a way that was so white it was black - Et pour achever d’écraser la métaphore au fond du cendrier, l’O’Brian ajoute : «He knew that his attitude and his humour were so black they were white.» James White & The Blacks ! Tout est dans «Almost Black». James se prend pour un black, et la blackette l’envoie bouler - You ain’t no roots - Pour l’O’Brien, James bat le Jag et le Lou à la course avec sa «combination of Mose Allison on Methadone jazz vocalization and an evil mind control guru.», le tout saupoudré de «disco-self-destruction» - Why don’t you trying being stupid instead of smart? - Et James de créer «an extraordinary experience, musical, ritual, social, artistic, and of course, anti-social (a better world for political).» L’O’Brien affirme que la modernité de James reste «still unsurpassed» - It’s the veritable razor’s edge, so hard yet funky, so nasty but so cool, it’s beyond the valley of Miles’ ‘On The Corner’ or Beeafheart at his best.

             L’O’Brien rappelle aussi que James a toujours monté des équipes triées sur le volet, «that mixed tight black funk session players, hipster elite jaszzmen, and flamboyant eccentric art world personalities.» Dans James White & The Blacks, les Blacks sont black. On les voit brièvement dans Downtown 81.

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             Alors tu écoutes James Chance & The Flaming Demonics, boom dès «The Devil Made Me Do It». Le hasard des écoutes fait qu’on écoute ça après le Blasé d’Archie Shepp, et là mon gars, t’es pas dépaysé. C’est la même énergie ! Ça pétarade. James ne veut pas se calmer. Il gargouille et claque des rush de free. Il mène ensuite son «Boulevard Of Broken Dreams» de main de maître - Along the boulevard of broken dreams/ Where gigolos and gigolettes take a kiss/ They will regret - Puis il opère un retour fracassant au free funk avec «Rantin’ and Ravin’», le bassmatic pétarade dans la soie, ça peut exploser à tout instant, pouet pouet, et le sax frise le free, mais comment font ces Demonics pour tenir le son en laisse ? James Chance ne cherche jamais à s’assagir, comme le montre encore «The Native Are Restless». Il adresse un gros clin d’œil à Duke avec le medley «Caravan/I Don’t Mean A Thing/Melt Yourself Down» et boucle avec l’heavy boogaloo d’«I Danced With A Zombie», vite rattrapé par l’unisson du saucisson des cuivres. Fantastique melting pot de potes de cuivres ! À la suite, on tombe sur une version explosive de «White Meat», avec des grooves toniques de qualité supérieure et des screams impunis. L’animal sait screamer son ass off. 

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             James Chance & The Contortions sortent Buy en 1979. «Design To Kill» ? Hard attack ! C’est pas du rock, coco, c’est de la Contorsion. Un peu de James Brown mais surtout de la Contorsion, c’est-à-dire de l’ultra-modernité. James Chance est en colère - Aoouh ! The design to kill ! - Il reste dans l’avant-gardisme avec «My Infatuation». Très en avance sur tout le punk et l’avant-trash new-yorkais. Étourdissant de casse-noisette. Postulé du postulat. Tu ne bats pas ça à la course. Tout l’album est bon. Avec «I Don’t Want To Be Happy», le free craque la coque du pop. C’est monté sur un hard drive de funk avec un sax free comme l’air. Il chante comme un white nigger excédé. Il travaille la quinconce du crabe dans «Anesthetic» et devient wild as superfuck avec «Contort Yourself». Il fait du James Brown blanc - Contort yourself two times/ Three times/ Four times aooouaaahhh - Et il te screame le JB encore plus que JB lui-même. Il reste dans l’axe du mal qui fait du bien avec «Throw Me Away» et «Roving Eye». Ses screams sont surnaturels. Et il te couronne «Bedroom Athlete» d’un final d’explosion free.

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             Rien de nouveau sous le soleil de Soul Exorcism, un bon vieux ROIR de 1991 : on retrouve la grosse densité rythmique à laquelle il nous a habitués, il attaque son «Don’t Stop Til You Get Enough» au free pur, il fait aussitôt son JeeBee et devient agressif. Il a vraiment tout ce qu’il faut en magasin : beurre, wah, trompette de Jéricho, bassmatic. James Chance est un homme comblé. Le Zombie qu’il évoque dans «I Danced With A Zombie» n’est pas celui de Roky, c’est un Zombie new-yorkais, bien free. «Exorcise The Funk» aurait pu entrer dans la BO de The Exorcist, il l’attaque de front en mode free et son «Disposable You» est un heavy groove anaconda qui t’avale goulûment. Le revers de la médaille c’est que tout ça peut tourner en rond. Une fois qu’il a fait son numéro, on s’ennuie. Il n’est peut-être pas utile de tout écouter. Les frissons appartiennent au passé. Il reste pourtant dans la bataille du hard-funk, mais aujourd’hui, il est tout seul. Personne n’écoute ses disks, 30 ans après la No Wave, même si son funk est bon. Ça tourne en rond, mais c’est bon. Voilà le paradoxe. On connaît son «Melt Yourself» par cœur, ainsi que son «King Heroin». Il frôle l’insanité avec «Put Me Back In My Cage» et finit en mode wild as fucking fuck. Désolé, il n’y a vraiment pas d’autre mot possible. Surtout pas de mots français. S’il est une langue qui s’accommode mal du free, c’est bien le français.

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             Lost Chance propose un live in Chicago qui date de 1981, l’année que l’on sait. Ce ROIR est intéressant, car on y entend le wild sax free de James Chance en liberté. Il attaque avec une cover du «Super Bad» de James Brown. Il y va au gotta move - Ahhh ‘caus I’m super bad ! - Il shoote du free dans Jeebee, c’est assez violent. Puis il prend son «Sex Maniac» au va-pas-bien, il gerbe ses couplets et la basse mord le sax. James Chance ramène là-dedans tout le free du monde. Ça monte encore d’un cran avec «Almost Black», il éructe «I don’t talk trash» et Cherie Marilyn lui répond «you ain’t got no roots», elle lui dit aussi «you ain’t got no Soul», alors il se met en colère et passe un solo de sax free sur un beat d’hard funk. Ça joue à l’excédée catégorielle, la pire qui soit, et il te crache ça à la figure : «I’m almost black/ Make it alright yeah !». Ce mec chante à s’en arracher les ovaires. Il campe sur ses positions et ne démissionnera jamais. Encore un hommage à James Brown avec «I Got You (I Feel Fine)» et il attaque «Melt Yourself Down» au beat excédé. Il ne supporte rien. Zéro patience. À cran. L’orgue, le sax, tout est à cran. La basse rote et Cherie Marilyn fait «you melt yourself down.» Tout est solide dans ce live, James Chance drive son beat à coups de klaxon («Hell On Earth») et passe des pointes de vitesse sur le «King Heroin» de son idole James Brown.

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             Tiens, on pourrait presque dire que Molotov Cocktail Lounge est son meilleur album. On est convaincu d’avance dès «Intro/Designed To Kill» - The furror of the fuming funk ! And this man is show-business - Il attaque à la hussarde blanche, baby, et en plus t’as le solo de gratte congestionné, et le screeeeeeam ! Tu veux de la modernité ? Voilà «White Meat», attaqué au riff de trompette. Hard funk, baby ! On reste dans le wild & furious avec «(I Wasn’t A) Bedroom Athlete» : colérique et mélangé de free sauvage. Tout est très déterminant chez le Chance, tout est remonté des bretelles. Tu t’extasies en permanence. Homme à Johnny Ray avec «Whiskey & Gin», «who was as big as Elvis». C’est un heavy groove de Chance tellement supérieur que c’en est indécent. Il tape même un heavy blues rock avec «Love Life & Money». Incredible de qualité. Et des poux terrifiques ! Voilà la triplette de Belleville : «Treat Her Right» (plus r’n’b, chauffé au hey hey hey), «Why Try To Change Me Now» (We’re going to mellow now, il parle comme un aristo des bas-fonds, Jazze me James !), et «Cold Sweat» (Wow James ! Rien de plus puissant que cette régurgitation challengée au sax !). Il termine avec un fabuleux «Don’t Take Your Love From Me», un heavy groove de jazz nappé d’orgue.

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             On va trouver deux énormités sur Incorrigible qui date de 2011 : «Dislocation» et le morceau titre. «Dislocation» est assez heavy, et même destructeur, tapé sur le crâne, bass-boom et mal à respirer. James Chance règne comme un animal sur le trash new-yorkais et part en maraude de sax grave. Quand il chante, il chante à l’accent brise-glace et se perd dans son Arctique. Il attaque sauvagement son morceau titre, le Chance tente sa chance à coups de vagues dans la falaise de marbre. Il ramone la cheminée de sa requête. Le bassmatiqueur s’appelle Jacques Auvergne. Par contre, c’est James Chance qui joue l’orgue de Méricourt dans «OZ». Ce mec est complètement dingue. Le bassmatic dévore «Do The Splurge» de l’intérieur, c’est encore du pur James Chance, bien syncopé du beat turgescent, bien fracassé sur l’écueil. Funk blanc imparable. Il ne sort pas de sa veine, il continue de ramoner l’hard funk new-yorkais, avec un bon bassmatic bien gras du bide et aléatoire. Force est de reconnaître que James Chance est un diable. Il groove son «Terminal City» en profondeur. Ce New York kid sait de quoi il parle. 

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             Il se pourrait bien que The Flesh Is Weak soit encore l’un des meilleurs albums de James Chance. On retrouve le vieux «Melt Yourself Down». Down the drain et scream de Gévaudan. Sur «The Splurge», Thomas Doncker passe un killer solo, mais vraiment killer. Retour au heavy roundabout avec «Disciplinary Action». Ça stompe sur ton crâne, c’est le heavy beat de New York City, ça navigue aux confins de free et ça flirte avec l’ultra-violence. Puis James Chance chante «That’s Life» en mode Broadway punk. Ça se termine avec le wild beat Nitzschéen de «Snap It Back Strip It Down», ça explose en bouquets de cuivres au sommet du lard total. Tu vas droit au tapis.

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             Et puis en 1979, il se rebaptise James White & The Blacks, sans doute pour des raisons esthétiques. On retrouve «Contort Yourself» sur Off White. Avec James Chance ça ne traîne pas. Funky but chic de choc. Il est extrême, même dans le funk. C’est un bassmatic déviant qui amène «Stained Sheets». Avec son sax free, il ramène du sex dans les draps tachés. «(Tropical) Hot Wave» évoque bien sûr le Magic Band et il revient à James Brown avec «Almost Black Pt 1». Coups de sax viscéral sur l’hard funk des Blacks. Pur New York City Sound encore avec «White Savages», ça sonne un peu comme la vision de Wayne Kramer qui rêvait de mixer le free avec le rock. On reste dans le mix de bassmatic funk et de sax free avec «Off Back» et il attaque l’«Almost Black Pt 2» en mode fast & furious. Ça finit par exploser comme une poche de pus, à la wah malodorante. Il te concasse le balthazar, il t’aplatit la misaine. Fast & free, voilà comment tu pourrais qualifier le génie concupiscent de James Chance, l’un des grands tenants de l’aboutissant américain.

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             T’as vraiment intérêt à écouter et ré-écouter Sax Maniac, car c’est l’un des albums les plus modernes du XXe siècle. «Irresistible Impulse» en est la preuve irréfutable, si tu veux entendre un sax s’étrangler, c’est là. James White groove latéralement, c’est très black au niveau des intentions, surtout les aouuuh. T’as du funk et du free à profusion. James White veille à la profusion, il ne prend pas les gens pour des cons. Il met une pression terrible sur «Disco Jaded», derrière, ça cisaille à la modernité new-yorkaise, c’est-à-dire la modernité sans pareille. Même les chœurs sont renversants de modernité («Money To Burn»). Ça ploie bien dans l’élan. Quelle incidence sur l’avenir ! Ces gens-là étaient alors très en avance sur leur époque. Le free prend le pouvoir du Money To Burn. Free trash ! Les sax sont au rendez-vous du morceau titre, en B, toujours free dans l’âme, et derrière ça bat le jazz tagada avec une basse pouet pouet. Tout est tortillé dans un brouet extrême de modernité. Il ramène Albert Ayler dans son funk. Et puis t’as «The Twitch», un joli shoot d’hard funk blanc. Ça pulse l’impulse.

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             Il rend encore hommage à James Brown sur Melt Yourself Down, avec un beau shoot de «Super Bad», mené au pas de danse et au sax free. Serpent et beat des reins. On retrouve aussi tous les vieux coucous, «Almost Black», «King Heroin». Avec le morceau titre, il joue le funk de la modernité. Il danse et chante, et puis il saxe. Une certaine Wendy Whitelaw ramène son petit sucre sur «Hot Voodoo» et retour à James Brown avec «Cold Sweat». L’énergie est au rendez-vous, solo de sax sur le fil, il joue à la note perdue, avec un bel esprit d’à-propos. Il tape «These Foolish Things» au jazz entreprenant, il chante dans la concasse du déconstructivisme et te saxe tout ça à la moindre mesure. Nouveau shoot de wild funk avec «Hell On Earth», big shoot de funk blanc, syncopé en diable, avec des chœurs de femmes lascives. Ça frise l’extra-génie en permanence, il screame de temps en temps et te saxe les cloches.

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             Oh et puis t’as Downtown 81, un film sur New York et Basquiat, un Basquiat qui joue de la clarinette et qui se fait virer de son appart par le landlord Giorgio Gomelski. Down in the street - In this town everything is possible - Il descend dans un club de funk - Jean-Michel is in the house - Et vers la fin, tu vois Kid Creole, puis James Chance sur scène, bien hot. Solo free, pieds tordus. Tout est là. No place to stay that night. Alors il va au Mudd Club. Des gens viennent s’asseoir à côté de lui, dont Tav Falco. Le trip se finit en conte de fée avec Debbie Harry, il rachète une caisse et roule dans les rues sur «Cherie Cherie». Suicide. Right through the night. Assez pur.

    Signé : Cazengler, James Chancre

    James Chance. Disparu le 18 juin 2024

    Teenage Jesus & The Jerks. Beirut Slump - Shut Up And Bleed. Cherry Red 2008

    James Chance. Irresistible Impulse. Tiger Style 2003

    James Chance & The Contortions. Buy. ZE Records 1979

    James Chance & The Contortions. Soul Exorcism. ROIR 1991

    James Chance & The Contortions. Lost Chance. ROIR 1995

    James Chance & The Contortions. Molotov Cocktail Lounge. Enemy Records 1996

    James Chance & The Contortions. Incorrigible. LADTK 2011 

    James Chance & The Contortions. The Flesh Is Weak. Super Secret Records 2016

    James White & The Blacks. Off White. ZE Records 1979 

    James White & The Blacks. Sax Maniac. Animal Records 1982  

    James White & The Blacks. Melt Yourself Down. Selfish Records 1986

    Erwin Paul. James Chance & The Invention Of Punk-Funk. Independently published 2024

    Edo Bertoglio. Downtown 81 (New York Beat Movie). DVD 2001

     

    Inside the goldmine

     - Le vagabondage de Jimmy James

             Jamé ne parlait pas. Du coup, personne n’osait l’approcher pour lui proposer de boire un verre ou de faire une partie de cartes. Il semblait vouloir rester dans son coin. Petit, le cheveu brun, la peau mate, vêtu comme un vagabond, avec une ficelle en guise de ceinture, il n’inspirait ni peur ni attirance. Personne ne savait d’où il venait. Il traînait dans les parages. Certains pensaient qu’il venait pour régler un compte, mais à l’usage, on voyait bien qu’il était pacifique. Incapable de la moindre violence. Il traînait un peu dans la journée et rentrait dans sa piaule lorsque le nuit tombait. Comme un petit animal. L’absence de prise sur Jamé finit par en agacer certains. Toujours les mêmes, ceux qui sont incapables d’accepter qu’un être soit différent. Voire insaisissable. Durant les parties de cartes, les cervelles s’échauffaient. «Il est peut-être en cavale...» Un autre murmurait : «Il cache quelque chose, c’est sûr... On devrait lui faire cracher le morceau...» Il fallait vite calmer le jeu, car les insinuations devenaient malsaines. «Foutez-lui la paix ! S’il est venu ici, c’est qu’il a besoin d’être peinard !». Ce qui nous paraissait évident ne l’était pas pour les autres qui continuaient à essayer de percer le mystère de Jamé. Alors qu’il suffisait peut-être simplement de lui poser la question. Personne n’avait essayé. Personne n’avait encore entendu le son de sa voix. Les deux gros bras du gang tentèrent un jour de le capturer au filet pour le faire parler. Jamé parvint à déchirer le filet et s’enfuit en poussant des cris d’animal. Quand ces deux gros cons nous racontèrent l’épisode, le mystère s’épaissit encore un peu plus. «Mais vous pouvez pas lui foutre la paix ?». C’était trop leur demander. Le lendemain, on retrouva le corps de Jamé étranglé dans un piège à collet. Les gros cons en avaient déduit que Jamé était un petit animal et qu’ils allaient le faire rôtir à la broche.

     

             Jimmy et Jamé ont tous les deux été rappelés par Dieu, mais heureusement pour Jimmy, sa fin a été moins barbare que celle de Jamé. Personne ne sait quel était le nom de famille de Jamé, par contre, tout le monde connaît Jimmy James. Tout le monde ou presque.

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             Comme Geno Washington & the Ram Jam Band, Jimmy James & the Vagabonds firent danser le Swingin’ London. D’ailleurs les deux groupes étaient sur Pye, le label des Kinks, et Peter Maeden, premier manager des Who, s’occupait du gros Jimmy et sa clique de Vagabonds. Jamaïcain, le gros Jimmy préféra se consacrer à la Soul plutôt qu’au reggae, qui de toute façon, n’avait pas encore le vent en poupe. On était en 1966, et Londres voulait de la Soul. Rien que de la Soul.

             Comme le gros Jimmy a cassé sa pipe en bois au printemps, nous allons bricoler vite fait un petit hommage funèbre, puisqu’apparemment personne n’a pensé à le faire, ce qui quand même n’est pas terrible, était donné que Jimmy James comptait parmi les figures légendaires de la Mod scene du Swingin’ London.

             Jimmy James & the Vagabonds comptent parmi les seigneurs de la Soul anglaise. La concurrence y est moins rude que dans la Soul américaine. Ce qui ne veut pas dire que la Soul du gros Jimmy soit inférieure. Au contraire. Les quelques albums de l’âge d’or méritent de trôner dans n’importe quelle étagère digne de ce nom.

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             À commencer par The New Religion, paru en 1966 et qui reparaîtra deux ans plus tard sous un autre titre, Come To Me Softly. On a là un album bourré de groove de charme, avec des cuts comme «The Entertainer» ou «It’s Growing» qui illuminent la B. Le gros ne cherche pas à crever le plafond, il préfère se prélasser dans la classe. Il joue la carte de la Soul pure - The show must go on - Quand les grands interprètes tapent dans les grosses compos, un disque devient magique. Sur Growing, on voit bien que Jimmy a la glotte agile. Il swingue son cut à la miraculeuse - Hey hey hey - Il fait carrément du Smokey Robinson. Encore un groove de charme avec «Ain’t No Big Thing». Ce sont les choristes qui l’amènent sur un tapis rouge. Elles sont divines, et comme d’usage, non créditées. Et puis «This Heart Of Mine» sonne comme un hit Tamla. Normal, puisque c’est signé Barrett Strong. On tombe plus loin sur un hit signé Lamont Dozier : «Gotta Dance To Keep From Cryin’». Merveilleuse Soul Tamla, battue bien sec. Le gros est parfait sur ce genre d’hit. Il  fait aussi une cover du «People Get Ready» de Curtis qui passe forcément comme une lettre à la poste.  

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             Deux groupes de l’écurie Pye figurent sur London Swings At The Marquee Club paru en 1966 : Jimmy James et Alan Bown Set. Le gros tape directement dans «Ain’t Too Proud To Beg», un hit signé Holland/Whitfield. Les Londoniens ont de la veine, ils dansent sur du pur jus Tamla. Le gros enchaîne avec une version surchauffée d’«I Can’t Turn You Loose» d’Otis. Plus loin, il tape dans l’intapable avec «You Don’t Know Like I Know», oui, le hit gros popotin de Sam & Dave. Le gros le chante à la féroce et il enchaîne avec l’énorme «That Driving Beat» que traverse un solo de sax jazzé à outrance. Quelle tension et quelle allure ! C’est bardé de relents de «Satisfaction», pas celui des Stones, mais celui d’Otis.

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             Toujours sur Pye, voilà Open Up Your Soul qui date encore de l’âge d’or, c’est-à-dire de 1968, avec une belle pochette en casse de typo, comme on savait les faire à l’époque. Le gros attaque son bel album avec «Wear It On Your Face», une pop de Soul à la Tom Jones, typique du temps d’alors, avec ses orchestrations de comédie. Le gros s’y amuse comme un fou. Il devait y croire à pleins poumons. Il chante plus loin «Courage Ain’t Strenght» à la glotte fêlée. Ah on peut dire qu’il sait charmer l’oie blanche. Sacré Jimmy ! Il fait aussi une fantastique reprise de «Cry Like A Baby» des Box Tops. Les Vagabonds amènent un son fabuleusement profond. Il attaque le bal de B avec une cover languide de «Good Day Sunshine». Et paf, on tombe à la suite sur le fameux «Open Up Your Soul» de Bert Berns et Jerry Goffin, un pur classique de Soul. Jimmy l’emmène directement au paradis. Il le travaille au corps. C’est chanté avec tout le feeling de la blackitude d’Angleterre. Il tape dans la meilleure des clameurs. Encore un hit, cette fois signé William Bell/Booker T. Jones, «Everybody Loves A Winner». Pur slowy slowah à la Bell, l’un des rois du genre. Et Jimmy referme la marche avec «If You’re Gonna Love Me», une belle pop de Soul pleine de vie, de basses, de violons et d’énergie. Il tape une fois encore dans le mille. Il peut se montrer considérable, et au passage, on apprécie la production à l’Anglaise.        

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             Joli gros plan de Jimmy sur la pochette de This Is Jimmy James & The Vagabonds qui date aussi de 1968. Ce disque est une sorte de Best Of, on ne sait pas trop. En tous les cas, on y retrouve «Come To Me Softly» déjà sorti sur The New Religion. On se régale d’«I Can’t Get Back Home To My Baby», joliment pop et même ambitieux. On sent chez le gros un goût prononcé pour les grosses compos. Il enchaîne avec l’immense «Ain’t Love Good Ain’t Love Proud», lancé comme un appel à l’émeute - Everybody clap your hands - Il embarque ça au gospel batch et les chœurs de filles font des ravages. C’est hallucinant de puissance ponctuée. En B, le gros tape avec «Never Like This Before» dans le heavy groove de soul très haut de gamme. C’est même du grand art. Il n’a aucun problème puisqu’il a du coffre. Une énorme lame de basse embarque le cut en plein milieu, c’est un effet à la Dickinson qui du coup rend le cut mythique. Il peut aussi se montrer étonnamment pop, comme on le constate à l’écoute de «No Good To Cry». On a là un mélange étonnant de pop anglaise et de vraie voix. Il boucle son bouclard avec un «Hi Diddley Dee Dum Dum» de grande ampleur. On se régale de la compagnie du gros Jimmy. Il adore donner du plaisir.

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             En 1975, le gros Jimmy est toujours sur Pye et il sort l’un de ses meilleurs albums, You Don’t Stand A Chance If You Can’t Dance. Il attaque avec le morceau titre qui est une pure merveille de funky motion à la James Brown, bien sèche et fruitée. Pour l’occasion, le gros sort son meilleur punch funk, il bouge son butt avec une aisance hallucinante, comme Aretha dans la séquence du restau des Blues Brothers. Le gros relance la mécanique des guitares funk avec des petits cris d’orfraie. Il tape ensuite dans une impressionnante pop de Soul intitulée «Let’s Have Fun». Quelle verdeur rythmique ! On se croirait chez les Tempts ! Voilà encore du groove haut de gamme avec «Hey Girl». Comme toujours chez Jimmy James, on assiste à un véritable numéro de charme, mais avec une vraie identité vagabonde. Oui, voilà qu’arrivent par dessus les toits les violons longs de l’automne - Et je pleure - Les amateurs de danse se régaleront de «Suspicious Love», une sorte de diskö de charme jouée à la basse rock, épaisse, baveuse et aux abois. On tombe plus loin sur un hit secret, «Chains Of Love», encore de la pop de Soul terriblement dansante, over-orchestrée et soutenue aux chœurs. Si ce n’est pas de la classe, alors qu’est-ce c’est ? En B, le gros revient à la funky motion avec l’excellent «I Am Somebody», bien gratté aux guitares funk et soutenue au meilleur beat de l’univers. On y assiste à de fantastiques redémarrages en côte après des plages de groove placide et soudain un solo de trompette insulaire éclate - I am/ Somebody/ Say it ! - Quelle énergie ! Il revient pour finir à son fameux «You Don’t Stand A Chance», ce merveilleux groove de funk - Do it !

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             Dernier album sur Pye avec Now en 1976. Le gros démarre avec de la diskö, histoire de se tirer une balle dans le pied. Il faut attendre «Stay With Me» en B pour retrouver la terre ferme. Le gros s’y paye un délire à la Marvin et des filles volent à son secours avec des chœurs de rêve. On note l’approche assez fine du groove. Mais il est évident qu’à l’époque il cherchait le hit diskö, c’est ce qu’on est obligé de conclure à l’écoute de «Your Love Keeps Haunting Me». Il se prête à la comédie d’une grosse cavalcade.

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             L’album Life ne fait que confirmer les craintes. Une jolie blackette danse sur la pochette, et le gros nous embarque dans un délire de diskö pop assez plaisant, ce qui semble logique vu que l’album sort du Casablanca, le label de Donna Summer et de Kiss. L’hit du disk s’appelle «Whatever Happened To The Love We Knew». Voilà une sacrée pièce de diskö mélodique en diable et on y retrouve le grand Jimmy qu’on admirait tant dix ans auparavant. Le temps d’un cut, il redevient le roi du dance floor. En B, il reprend le «Disco Fever» de l’album précédent, ainsi que le «Stay With Me» à la Marvin, lui aussi tiré de l’album précédent.

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             Et pour finir en beauté, vient de paraître quasiment à l’instant un petit coffret : The Best Of - Now Is The Time - Live. C’est un concert enregistré au Club Tropicana, à Skegness, une petite station balnéaire du Lincolnshire, UK, en octobre 2004. En fait, c’est une belle arnaque, car dans la boiboîte t’as deux CDs et le DVD du concert : les 18 cuts du set sont répartis sur les deux CDs audio, qui du coup ne servent à rien, puisque tu vas visionner le DVD - Showtime at the Tropicana ! - Jimmy James arrive et te swingue la Soul des Mods, c’est déjà un vieux black, mais il bouge, il dégouline de feeling, de sueur et d’Ain’t No Stopping Us Now, et les Mods dansent au pied de la scène ! Jimmy James annonce a song I did a long time ago, «A Man Like Me», c’est extraordinairement émouvant de voir danser les Mods et les vieilles Modettes aux pieds de ce vieux géant black. Il attaque ensuite un gros medley «Stand By Me/Under The Boardwalk/Save The Last Dance For Me/Half Way To Paradise», t’as des mecs de la Northern en marcel noir qui dansent ! La foule reprend en cœur Under The Boardwalk et ça repart en plein How Sweet It Is/ To be loved by you, c’est là qu’il présente ses fantastiques Vagabonds. Il entre ensuite d’un coup de Sunshine in a rainy day dans le chou de Smokey, il claque l’Hey Hey hey le plus célèbre de l’histoire de la Soul, fantastique version de «My Girl», il rayonne d’I need no money, puis il attaque son «Dock Of The Bay» aux clap-hands de vétéran de toutes les guerres. Il embraye aussi sec avec «Knock On Wood». Il groove le Tropicana vite fait au mama let me knock/ On wood. Il rend un bel hommage au génie d’Eddie Floyd, puis à celui de Sir Mac Rice avec «Mustang Sally». Il replonge dans son passé avec «Now Is The Time» - 1976, dit-il, a long time ago - Big hit de Soul urbaine - Now is the time/ To see the light - Un vrai coup de génie de Mathusalem. Et en rappel, il tape le «Love Train» de Gamble & Huff - People of the world/ Join hands/ Start a love train/ Love train - Alors les Mods et les Modettes joignent les mains et dansent le Love Train.

    Signé : Cazengler, Jimmy jauré

    Jimmy James. Disparu le 14 mai 2024

    Jimmy James & The Vagabonds. The New Religion. Piccadilly 1966     

    Jimmy James & The Vagabonds. London Swings At The Marquee Club. Pye Records 1966

    Jimmy James & The Vagabonds. Open Up Your Soul. Pye Records 1968       

    Jimmy James & The Vagabonds. This Is Jimmy James & The Vagabonds. Marble Arch Records 1968

    Jimmy James & The Vagabonds. Come To Me Softly. Atco Records 1968 (= New Religion)

    Jimmy James & The Vagabonds. You Don’t Stand A Chance If You Can’t Dance. Pye Records 1975

    Jimmy James & The Vagabonds. Now. Pye Records 1976

    Jimmy James & The Vagabonds. Life. Casablanca Records 1977

    Jimmy James & The Vagabonds. The Best Of - Now Is The Time - Live. Secret Records Limited 2024

     

     

    Estivaleries 2024

     (Dion, Bury, Ben, Pablo et les autres)

     - Part Two

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             Pas mal de grosses poissecailles cette année dans le marigot de Binic. Et comme t’es déjà assez bouffi comme ça, tu veilles à rester sélectif. T’as deux grilles de sélection : la tienne et celle des copains. Si on te dit de manière insistante : «faut qu’t’ailles voir ça», alors tu vas voir ça. La subjectivité des autres est parfois un bon indicateur. Et dans certains cas, c’est aussi l’indicateur de ce qu’il faut soigneusement éviter.

             Donc tu entres et tu vas à la pêche. Tout le monde remplit sa besace de photos, de vidéos et de souvenirs. Tu vas aussi à Binic pour croiser des fantômes. Hello Lorenzo ! Hello Gildas ! Si tu choisis d’entrer dans le bal des considérations, tu peux très bien commencer par broder sur le thème des fantômes. Tu viens surtout pour les retrouver. Les souvenirs sont très vifs, surtout à Binic. La précision des ombres t’émerveille. Fugaces et magnifiques. Quand t’as vécu ta vie entière dans un train fantôme, les fantômes comptent plus encore que les vivants. Tu en arriverais presque à conclure que les fantômes (et les considérations) sont plus importants que les groupes. Plus tu y réfléchis et plus tu sais que tu approches de la vérité.

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             Prenons un exemple : Dion Lunadon. Un blaster new-yorkais accompagné sur scène par le fantôme de Dominique Laboubée. Bon, c’est bien, c’est même très au-dessus de la moyenne binicaise, mais il manque l’aura fantômale, l’éclat mystérieux, la présence de l’au-delà, ce puissant appel d’un être qui te dit, comme Dickinson, «I’m just dead I’m not gone», et tu sais qu’il est là, fabuleusement là, au moment même où Dion Lunadon gratte ses poux et au moment où le fantôme de Dominique Laboubée renverse son corps gainé de cuir noir vers l’arrière, en t’adressant à travers ses lunettes noires un regard qui te trouble. Puis comme ça sonne vraiment bien, te voilà capté par le set. Les New-Yorkais tapent dans un son stoogy qui t’intéresse, qui te ramène dans le temps présent, qui redit clairement la règle d’or du rock : vis-moi ! Alors tu le vis, tu ne le vivotes pas, tu le vis, il te vivifie le tabernacle, le rock de Dion te rehausse les haubans, te hisse les drisses, te palpe le bifton, tu entres tellement bien dans son jeu et lui dans le tien que tu commences à délirer sur des thèmes mormoilleux du genre Ô Dion le père, et il y va de bon cœur, il ne lésine pas sur les poux, il gratte férocement sa SG blanche, il sait blaster une grande scène, tu rentres dans son jeu, te voilà devenu Asie Mineure, bienvenue Alexandre le Grand Lunadon, envahis-nous, prends-nous, civilise-nous, asservis-nous, élève-nous jusqu’à ton ciel, et dans sa grandeur magnanime, que fait Dion le père ? Il te civilise, t’enchriste, t’enclave, t’embarque, t’enstooge, il te fait goûter à sa modernité, il n’est pas joli, mais qu’est-ce qu’il est bon le Lunadon ! Comme il plait aux fermes ! Comme il comble tes combles ! Il ramène à Binic cette dimension stoogienne qu’on croyait disparue à jamais, recouverte par le limon infect des mauvais groupes de bars de Melbourne. Cette année, l’honneur de sauver Binic reviendra aux New-Yorkais. Dion le père, et puis ses anciens collègues d’A Place To Bury Strangers, en tête d’affiche le dimanche soir. On garde les Bury pour le dessert.

             Tiens, on va faire un break avec les trois albums de Dion le père. Et ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, si Dion Lunadon est sur In The Red. 

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             Son premier In The Red s’appelle Beyond Everything et date de 2022. Il se tape une belle stoogerie avec «It’s The Truth». Ça sent bon la poudre et le yes I need you, il chante comme une mijaurée ajournée, et sa cocote est lourde de conséquences, il n’en finit plus d’affiner sa vérité. Il enchaîne avec «Screw Diver». Le Diver en question n’est pas le driver que l’on croit. Lui aussi aime bien les petits jeux de mots à la mormoille. Il s’offre ici une belle dégelée d’ultra saturation épileptique : très puissant et très In The Red. On voit bien qu’il se débat dans les limbes de son ombilic. C’est très intéressant à observer. Il bassmatique son «Elastic Diagnostic» par devant et gratte des poux excédés par derrière. Tu approches une allumette de «Glass Doll» et ça explose aussitôt. Pur blast lunadien ! C’est beau, ça fume ! Spectaculaire ! Comme le montre «Nothing But My Skull», il aime bien le Skull. Il donne de la profondeur de champ à son champignon. Il attaque son «Pink X» à la basse Bury. Il a gardé des séquelles. Il monte ça en neige de trash total. Bravo ! Il termine avec «Living & Dying With You», un wild blast qu’il embarque pour Cythère. Sous des allures barbares, Dion le père est un sentimental. Mais qu’il n’aille tout de même pas s’imaginer que tout est bon dans son thon. 

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             Sur la pochette de Systems Edge, Dion le père ressort la chaîne qu’il exhibait sur scène l’autre jour. Il devrait éviter. Ça ruine un peu tous ses efforts. L’album est excellent, on flashe notamment sur «I Don’t Mind», un cut pompé entièrement sur le «Next Big Thing» des Dictators. Exactement les mêmes accords. On se fout qu’il pompe, ça n’est pas le problème. Ce qui importe, c’est qu’il écoute les bons albums. Dictators d’un côté, et Eno, de l’autre, un Eno qu’on retrouve dans «Secrets» : c’est quasiment «Needles In Camel’s Eyes». Il est aussi intéressant de noter que Dion le père joue en one-man band, avec un batteur. Joli coup Lunadique avec l’hypno de «Nikki». Il adore balancer le beat d’un pied sur l’autre. Mais pour un In The Red, le son est plutôt tenu en laisse. Dion le père fait bien l’excédé dans «I Walk Away». C’est un vieux loup de mer, il s’arrache bien les ovaires à coups d’Aw walk away ! Il attaque sa B avec «Shockwave» monté sur un beat de beurre imbattable, et même imbarattable, une horreur de beat précipité. Il se dirige vers la sortie avec «Room With No View». Dion le père connaît bien les ficelles de caleçon de l’heavyness et de l’éplorée congénitale. Il ne lésine pas sur le pâté de gras double, c’est de bonne guerre, personne n’oserait lui en faire le reproche, after all.

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             Tiens, on va même pousser le vice jusqu’à écouter son premier album sans titre paru sur un label agité en 2017. Dion Lunadon. Agitated est tellement agité que les rondelles des labels des deux faces sont sans doute volontairement inversées, et donc, t’as vraiment intérêt à écouter les paroles. Tu cries au loup pour quatre raisons : un, «Insurence Rent & Taxes» sonne comme un cut des Saints, c’est un heavy slab qui court plus vite que son ombre. Deux, «Reduction Agent» se montre digne de Blue Cheer. On sent qu’il a été à bonne école. Il a développé un sens aigu du chaos. Trois, «Howl». Sa niaque n’est pas feinte, il vise clairement le trône de l’insanity. Et quatre, «White Fence», un cut ultra décidé à en découdre, avec un thème en écho. Dion le père sait bourrer un mou. Il sait aussi imiter les sirènes de police dans la nuit. Il sait encore boucher un ciel, tout bousiller, et écraser des syllabes au fond d’un cendrier. Un goût certain pour l’enfer sur la terre. Digne fils de Bury.

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             Et donc tu pérégrines d’une scène à l’autre. Comme Queneau qui devient liseron en lisant, tu deviens binicais en biniquant. Tu deviens le répliquant biniquant. Tu te crois devenu fin gourmet, tu goûtes à ceci et puis à cela, alors qu’en vérité Binic te gave, non pas par le gosier, mais par les oreilles et par les yeux. Comme chaque année, tu auras ton petit épisode révélatoire. Face à Pablo X, par exemple. Tu redeviens Bernadette Soubirou pour une heure. Notez bien ce nom, Pablo X, l’ex-batteur de Weird Omen, sur scène en short noir, homme tattooo, touche-à-too de génie, ancien meilleur batteur de France, aujourd’hui groover patenté, fabuleux architecte de ponts soniques, petit prince de l’hypno herculéenne, il assoit son art terrifique sur une section rythmique monolithique et bam ! il part en vrille linéaire, c’est d’une puissance qui te plaît infiniment. Il t’ouvre comme une huître. Avec son économie de moyens, il a tout compris. Il te voit, tu le vois, il te montre son monde, il descend d’une longue lignée qui remonte au Velvet, tu n’en reviens pas de voir un mec aussi jeune et aussi bon sur scène, après tous ces milliers de concerts, t’en reviens à l’émotion pure de la découverte, et là tu dis bravo. Tu applaudis des pieds et des mains, tu caquètes de joie dionysiaque, tu t’ébroues, tu t’allumes, tu cherches des mots, tu fais ta Bernadette, tu fais aw my Gawd, et puis tu t’en fous, vis-moi alors tu vis ça, tu t’accouples avec le temps, tu te fonds dans l’idée du temps, et Pablo X n’en finit plus de riffer son thème, il tient l’accord et t’as vraiment l’impression de foncer sur l’autoroute dans une sorte d’éternité de l’instant. Power pur ! Pure fornication sonique. Tu touches la perfection du doigt. Après Dion le père, voilà Pablo X-file.

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             Une seul album pour l’heure : Pablo X. Pas de titre. Avec sa bobine sur la pochette. Pas de surprise, ça sort sur Beast. Album assez Weird Omen dans l’esprit, monté sur un beau heartbeat clinique («Let It Blow»). Pablo X bosse ses climax, il cherche des noises à la noise, son «Mad Dog» est tellement ambiancier et filigrané de killer flash insidieux qu’il te flatte l’intellect. Il semble jouer «Harder We Fall» en équilibre instable au bord du gouffre des enfers. Il chante juste au dessus de la fournaise, bien pulsé par un beat tribal. Des nappes délétères visitent «Drift Along». C’est l’hit de l’album, avec une mélodie chant descendante et des carillons maléfiques. En B, il tape dans l’œil du cyclope avec «Living Hell». C’est brillant, il drive bien l’hypno, il laisse courir un solo gluant sur deux notes. Et puis voilà la cerise sur le gâtö, le grand cut hypno de Binic : «Better Off Alone». C’est aussitôt brillant, lourd de conséquences, chargé de mystère, ça lancine bien en chemin, monté sur une belle progression d’accords, il vise l’anticipation des enfers, il va chercher des notes délétères dans la fournaise de son imaginaire, ça vire hypno mais avec du poids, avec du sens, avec du spirit. C’est très Velvet d’esprit. Il overdose ad nauseam jusqu’à la fin du bal de B. Power pur ! 

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             Tous ces événements se diluent dans le temps. Tu ne sais plus si tu arpentes le vendredi, le samedi, par contre, tu reconnais le dimanche, car ça sent la fin des haricots. Un dimanche plein de redites. Tu ne retournes pas voir Clamm que t’as vu la veille, et dont t’as apprécié l’énergie primitive. Il faut savoir occuper une grande scène. Tout repose sur les épaules du Clamm, alors il clame son innocence et on l’absout de tous ses péchés, pas de problème, mon pépère, ce que tu fais est bien, tu rockes le boat et ce petit mec mérite vraiment qu’on se souvienne de lui, il mérite largement sa place dans les annales et une phototte dans les Chroniques de Pourpre. Mais que ce soit bien clair : ça reste du scénique pur. Du scénique biniquais. Il ne viendrait à personne l’idée de chercher s’il existe un album de Clamm et encore moins de l’écouter. Tu n’apprendrais rien de plus que ce que tu sais déjà. 

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             Le même jour, tu vois Goutlaw. Gros buzz autour de Goutlaw. Goutlaw qui te dit goûte-moi. Goûte l’eau du bain et le baby qui va tavec. T’y peux rien, c’est comme ça. Laisse les mots se débrouiller. Parfois, ça leur fait du bien. Ils aiment ça. Ils aimaient surtout ça au temps de Dada, et comme t’es ravagé par des lèpres de nostalgie, alors tu lâches ta laisse. Goutlaw. Du lac. Tattoo boy encore. Un peu plus christique que Pablo X. Mais si Pablo X est un génie visionnaire, Goutlaw n’est qu’un groupe australien. On nous dit que le concert de la veille était nettement meilleur que le concert d’aujourd’hui. On en tire ses conclusions. Tu n’écouteras Goutlaw sur disk que parce que Goutlaw t’intrigue sur scène. Le tattoo boy christique focalise bien l’attention, pas seulement celle du public, mais aussi celles du soleil et des mouettes. Il ne se contente pas de focaliser, il se casse aussi la gueule. C’est tellement bien fait que ça ne peut pas être volontaire. Paf, la gueule dans la batterie. Il se relève, comme un boxeur. Et il refait son cirque. On les entendait jouer, la veille, alors qu’on mangeait des moules arrachées à leur rocher, et ça sonnait bien. Fuck s’est-on exclamé, on a raté un gros truc ! Bizarrement, le set du lendemain ne sonne pas aussi bien que celui des moules. Il faut dire qu’on avait tout misé sur Goutlaw. Tous les copains n’avaient que ce mot à la bouche : Goutlaw. Goutlaw. Mais au bout d’une heure de set, tu restes sur ta faim. Légèrement déçu. T’essayeS d’être honnête avec toi-même, pour une fois. Manque un truc. Goutlow. Low Yo Yo Stuff. Mais tu veux en avoir le cœur net. Alors tu rapatries.

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             Le Goutlaw va rester dans les annales pour deux raisons éminemment stoogiennes : «Colt 45» et «Liquor Store Comedown». Ils sont en plein dans la démesure des Stooges. Ce mec Marcelo chante à la pure Méricourt. Il a tous les réflexes d’Iggy Stooge. Il plonge dans le fleuve de lave de Goutlaw, down down, c’est criant de véracité et son copain Jimmie McGarry fait l’Asheton à coups de wah, pendant que Joe Orton fait le Dave Alexander. Ah comme ils sont bons ! Ils renouent avec les dynamiques de «Down In The Street» : même souffle inflammatoire. «Lay My Head Down» sonne aussi comme un haut-lieu du Binic show. Retour au blast furnace avec «Baby Drives A Truck». Ils ont un truc, c’est évident, même si Marcelo chante toujours au bord de la gerbe. Encore de la démesure dans «Outlaw Blues». Il adore la hurlette de Hurlevent. On se souviendra de Goutlaw, sans doute meilleur sur disque que sur scène.

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             L’autre cerise sur le gâtö binicais, c’est bien sûr Gentle Ben. À part les binicais, personne n’a jamais entendu parler de ce mec-là. Mais quelle réputation ! Il figure parmi les rois de l’underground le plus ténébreux, celui des fanzines et de petits radio shows. Son groupe s’appelle Gentle Ben & His Shimmering Hands. Avant, ça s’appelait Gentle Ben & His Sensitive Side. Tout le monde parle de Ben Corbett. On ne parle que de Ben Corbett. Et de Goutlaw. Binic est un village, ne l’oublions pas. Grande scène et plein soleil pour Gentle Ben Corbett. Grand artiste. Des chansons. Avec lui, on passe à autre chose. Autre format. Performance. Brisbane art. Brisbane brise-glace. Brisbane dude massif. Brisburn baby burn. Hanté par le Brisbane Sound. Davy Corbett, Brisbye bye baby, il déroule l’écheveau et t’en savoures toutes les secondes, Brisbane dude aux pieds ailés, il donne corps à son art, il rodinise Brisbane, il anoblit Binic, il redore le blason du limon australien, il balaye tous tes a-prioris. Tout à coup, Binic reprend du sens, mais uniquement sur un plan artistique. Il ramène tout son power, il est l’anti-star, à part les big tattoos sur les bras, pas de frime, pas de surenchère binicaise, Gentle Ben Corbett est comme un poisson dans l’eau, mais il choisit son eau, il ambitionne, comme le firent en leur temps Nick Cave & Birthday Party, mais c’est un mauvais exemple, autant Nick Cave ennuie, autant Gentle Ben Corbett passionne, il est dense et intense, il danse avec les loops, il scénarise son rock, il te capture et te captive, là oui, tu sens la différence, tu sens le niveau composital, tu sens la présence, tu adhères au parti, tu te dis des trucs du genre : «c’est pas normal un mec aussi brillant», alors pour relativiser, tu reviens sur le Brisbane dude, une réalité qui t’échappe, comme t’échappait celles des Saints en 1977. Bisbane dudes. Alors ça t’arrange que ça t’échappe. Lâche la laisse. Laisse courir. Vis-moi. Vide-moi, Brisbane dude, étripe-moi. Vire-moi le bâbord du tribord. Mine de rien, t’a lâché le mot-clé : la tripe. Alors tu fais quoi ? Tu vérifies. Toujours cette histoire de cœur net, image pas nette, comme tout ce qui touche au cœur, qui, faut-il le rappeler, n’est qu’un muscle même pas photogénique. Aussi faut-il se méfier des ceusses qui ont recours à la fameuse «main sur le cœur». Pire encore : «le cœur en or». Quelle mauvaise symbolique ! Comment font les gens pour parler de ce qu’ils ne connaissent pas ?

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             L’idéal serait de commencer par le dernier album paru de Gentle Ben & His Shimmering Hands : Brut. Encore un Beast. Toujours le petit biz. T’étais frappé sur scène par la dimension artistique de Gentle Ben. Il se passe exactement la même chose avec « De Bliksem» : assez Nick Cave dans l’esprit, mais Nick Cave excédé. Bien écrasé au fond du cendrier. Extrêmement bien interprété. Il tremble de toute son âme. Le coup de génie de l’album s’appelle «Tactical Empathy». Il y va au talk to me, le cut est même beaucoup trop puissant pour un label régional comme Beast. Gentle Ben sort du cadre. Il s’impose. Il évoque d’autres géants, comme Greg Dulli. «Five Stars» est une autre merveille, lost in the milky way. Il chante tout au sommet de son art. C’est un artiste fascinant, il propose une œuvre foisonnante. Ses cuts s’élancent vers l’avenir. Dans «Cover To Cover (Dear Dolly)», il fouille bien son crush for you. On assiste à une fantastique résurgence de la résilience. 

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             Du coup, on va tester les albums précédents, du temps où ça s’appelait Gentle Ben & His Sensitive Side. The Sober Light Of Day date de 2005. Ce n’est pas le même niveau que Brut. C’est un album de petite pop excédée, avec une pointe de dramaturgie. On ne sauve qu’un seul cut, «The Dogs Of Valparaiso», un rock très challengé, non seulement au niveau son, mais aussi aux niveaux chant et compo. Ce fantastique interprète va au bord de l’edge. Tout est travaillé à l’excès sur cet album, Gentle Ben ne s’accommode guère de la simplicité. Sur «Excecution Day», il batifole et soudain, il se fâche pour devenir aussi rentre-dedans qu’Henri Rollins. Son univers riche, coloré, voire chamarré, reste toujours en mouvement.  

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             Tiens, allez, tant qu’on y est, testons un autre album de Gentle Ben & His Sensitive Side : Magnetic Island, plus récent. On s’aperçoit très vite que la track-list imprimée au dos n’est pas fiable : faces inversées et cuts déplacés. Alors écoute bien les paroles. La tendance cette fois est plus post-punk. On peut parler de post-punk ambitieux, mais c’est l’ambition de Melbourne. Le seul cut intéressant de l’album s’appelle «Really Around», élevé dans l’air par les harmonies vocales. Le «Blur The Lines» qui devait figurer en ouverture de balda se retrouve par le plus grand des hasards au bout de la B des cochons - I’ve been waiting all my life for a chance/ To blur the lines - Cette fois, c’est réussi.

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             Le dessert. Binic te le sert le dimanche soir. L’an passé c’était Gyasi. Cette année, ce sera A Place To Bury Strangers, un trio new-yorkais qui cherche des noises à la noise, pas forcément ta came. Un mec a remplacé Dion Lunadon au bassamatic et un autre mec a remplacé la petite gonzesse qui battait le beurre. Seul survivant : Oliver Ackermann. Il détruit une première gratte au deuxième morceau, crack boom hue ! T’en reviens tellement pas que t’en oublies de faire ta photo de branleur. Glups ! L’Ackermann devient soudain le grand-prêtre du chaos. Il sort des ténèbres, il chante et gratte des poux infâmes dans des tourbillons de fumées âcres. Te voilà face au chanoine Docre du rock, face à l’Arthur Brown d’Hellfire, tu fais appel à tous tes souvenirs de démons pour essayer de situer celui-là, mais c’est impossible. Tu assistes à la destruction du rock. Avec Shoah, Claude Lanzmann signait l’arrêt de mort du cinéma, Ackermann fait la même chose avec le rock. Il le sacrifie sur l’autel de Binic. Quand il a fini de détruire des grattes, il s’en va se jeter dans la foule, et ses deux comparses en font de même. Alors tu as une bande son qui les remplace sur la scène vide. Un son tribal, très Killing Joke. La foule engloutit les trois Bury avant de les recracher comme des noyaux une demi-heure plus tard. Ils reprennent alors leur œuvre de destruction totale, Ackermann jette sa gratte derrière lui, par-dessus la tête, même Pete Townshend n’aurait jamais osé aller jusque-là, et le voilà qui s’empare d’une autre gratte de récup et qu’il la détruit avec un stroboscope, il télescope ses notes, il détruit la disto, il cherche tous les moyens d’aller plus loin dans la destruction, il attrape son ampli pour le jeter dans la foule, mais il ne le jette pas, il le traîne un peu et il entreprend alors de le détruire. On comprend qu’ils jouent en dernier. Qui oserait monter sur scène après ce set de destruction massive ?  

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             Intrigué, tu testes un album de Bury, histoire de voir s’il peut aussi détruire tes oreilles. Et là c’est la grande surprise : See Through You est un chef-d’œuvre de sonic trash pur, qui repart des Mary Chain. T’as au moins trois cuts qui poussent le bouchon des Mary Chain : «I’m Hurt», «So Low» et «Hold On Tight». C’est l’absolue Marychiennerie, mais avec le New York Sound en plus. Il balaye toute la terre à coups de vagues soniques. Pur génie outlandish ! L’Ackermann explose les frontières. Il te brise les reins. Il pousse le génie pulsatif des Mary Chain encore plus loin, il crée une sorte d’apanage Mary Chain/Ministry/Bur/New York City, tu t’abreuves à sa source. Ce mec atteint un au-delà du rock, il crée un monde chaos/Bury, t’auras ça nulle part ailleurs, c’est une démesure d’outrance sonique extrême. Tu ne t’attendais pas à un truc d’une telle portée. Dès le «Nice Of You To Be There For Me», il crée de l’espace. C’est à la fois spectaculaire et engageant. Il plombe la terre. Il écrase tout sous ses semelles de plomb. Il fait de pop d’apocalypse avec «Anyone But You». Il est encore plus dégourdi que Killing Joke. Il reprend le concept pop des Mary Chain et le monte à un niveau apocalyptique. Il a une vison et en même temps, il sait qu’il doit tout détruire sur scène. Oliver Ackermann a du génie. Qu’on se le dise !

    Signé : Cazengler, estivalie de la société

    Dion Lunadon. Binic Folks Blues Festival. (22). 26/27/28 juillet 2024

    Dion Lunadon. Dion Lunadon. Agitated Records 2017

    Dion Lunadon. Beyond Everything. In The Red Recordings 2022 

    Dion Lunadon. Systems Edge. In The Red Recordings 2023

    Pablo X. Binic Folks Blues Festival. (22). 26/27/28 juillet 2024

    Pablo X. Pablo X. Beast Records 2023

    Gentle Ben & His Shimmering Hands. Binic Folks Blues Festival. (22). 26/27/28 juillet 2024

    Gentle Ben & His Sensitive Side. The Sober Light Of Day. Spooky Records 2005 

    Gentle Ben & His Sensitive Side. Magnetic Island. Spooky Records 2011

    Gentle Ben & His Shimmering Hands. Brut. Beast Records 2024

    Goutlaw. Binic Folks Blues Festival. (22). 26/27/28 juillet 2024

    Goutlaw. Goutlaw. Beast Records 2023

    Clamm. Binic Folks Blues Festival. (22). 26/27/28 juillet 2024

    A Place To Bury Strangers. Binic Folks Blues Festival. (22). 26/27/28 juillet 2024

    A Place To Bury Strangers. See Through You. DedStrange 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - Ice cream for Crowes (Part One)

             Encore lui ! L’avenir du rock n’en peut plus :

             — Écoutez-moi bien, Jeremiah Johnson, je commence à en avoir marre de vous croiser tout le temps dans cette rubrique ! Je ne l’ai pas créée pour vous ! Bon d’accord, vous avez connu votre heure de gloire, mais à présent, vous êtes complètement éculé, mon pauvre ami, non mais regardez-vous ! Votre cheval et vous êtes criblés de flèches ! Franchement ça n’a plus aucun sens ! Vous étiez légendaire et vous voilà devenu grotesque ! Suis même certain que les Indiens qui vous en voulaient... comment s’appellent-ils déjà ?

             — Les Crows...

             — Oui, c’est ça, les Crows, eh bien figurez-vous qu’on les a déplacés depuis belle lurette dans une réserve, là-bas, en Arizona !

             — Ah bon ?

             — Vous le saviez pas ?

             — Eh bé non...

             Comme frappé par un coup du sort, le visage de Jeremiah Johnson s’éteint. Il éperonne doucement son cheval criblé de flèches et repart de son côté. Ouf, se dit l’avenir du rock, me voilà enfin débarrassé de cette pomme de terre. Il talonne doucement le flanc de son cheval et repart dans l’autre sens. Il traverse une vallée enneigée et sent soudain l’odeur d’un gibier rôti.

             — Alors lui, je sais qui c’est ! Le vieux Bear Claw Chris Lapp, forcément !

             L’avenir du rock suit l’odeur et arrive à l’orée d’un petit bois. Soudain, une voix claironne dans l’écho de la vallée :

             — Bienvenue Pilgrim ! Tu tombes à pic, le rabbit est à point !

             L’avenir du rock descend de cheval et s’assoit en face du vieux trappeur qui fait tourner sa petite broche sur le feu.

             — Ça tombe bien, mon vieux Bear Claw, j’avais les Crowes !

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             C’est pas compliqué, les Black Crowes auraient dû appeler leur nouvel album Dégelée Royale et non Happiness Bastards.

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    C’est un album qui te saute à la gueule dès «Bedside Manners», un cut littéralement saturé de power. Les Crowes te sidèrent et le Robinson chante comme le dieu du get down on my knees, ça t’explose le Sénégal, ça te laisse à court de mots. Et avec le «Rats & Clowns» qui suit, tu comprends que les Crowes figurent parmi les plus grosses poissecailles d’Amérique. Ils te grattent ce Rats à ras la motte de l’heavy boogie. C’est bourré à craquer de son. Les Stones feraient bien de venir prendre des notes. Là, t’as le real deal. Ils ralentissent leur «Cross Your Fingers» mais le bourrent d’énergie voodoo, avec des relents de «Walking On Guilded Splinters». Puis il repartent en mode heavy boogie avec «Wanting & Waiting», encore une majestueuse démonstration de force. L’énergie des débuts est intacte, comme le montre encore «Dirty Cold Sun». Ils ont toujours le diable au corps. C’est d’une rare violence. Tu ne peux décemment pas espérer mieux. Tu te régales de ce background surchargé d’harp et de slide. Et comme le montre «Flesh Wound», les Crowes sont bien plus puissants que ne l’ont jamais été les Faces. Ces mecs tapent dur. Leur Wound est faramineux. Cet Happiness Bastards bat tous les autres albums à la course. Cet album écaillé saute comme un saumon dans la rivière du printemps. L’intro de «Follow The Moon» ne déplairait ni à Taste ni à Cactus. Les Crowes naviguent très haut dans les suffrages. Ils terminent en mode balladif avec un «Kindred Friend» serti d’un solo liquide gaufré de coups d’harp. C’est tout de même incroyable d’entendre en 2024 un album aussi plein de son. C’est même totalement inespéré. Mais si on y réfléchit bien, en n’en attendait pas moins du Robinson. Il a toujours su faire sauter la Sainte-Barbe, et là, il est encore plus énervé qu’avant. Sa voix traverse toujours le chaos sonique, cette voix unique de white scorcher chapeauté de frais. Le Robinson shake son moneymaker hard & dry. Il est l’un des grands héros de la conquête de l’Ouest du rock.

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             Grand retour aussi dans Mojo, sous la plume de Mark Blake. Les deux frères disent avoir enterré la hache de guerre et claironnent leur retour vainqueur avec «a new album and a new attitude» - In order to do this properly, we had to not be dicks - C’est tellement plus rock en langue anglaise. Vazy, essaye de dire ça en français, tu vas voir, c’est pas terrible. Alors que là, ça sonne - to not be dicks - tu en claques presque des doigts.

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             Et hop on remonte dans le temps, jusqu’aux débuts du groupe à Atlanta, un groupe qui s’appelait encore Mr Crowe Garden. Puis les frères Robinson découvrent les Cramps, les dB’s et les Dead Kennedys. Ils découvrent ensuite Led Zep, les Stones et Humble Pie chez George Drakoulias. Ils se forgent très vite une identité - The Black Crowes are guilty of never kissing annybody’s motherfuckin’ ass - Zéro compromission. Crazy times. Ils n’ont que 19 ans quand tout explose avec Shake Your Money Maker. Ils flashent surtout sur les Stones, et sur les Faces pour les écharpes en soie, pas pour le son. Et bam, ils enchaînent avec Southern Harmony And Musical Companion - Shake Your Money Maker is the big one, but Southern Harmony is the best one - On va y revenir, car ce sont des albums exceptionnels, sans doute ce qui s’est fait de mieux aux États-Unis à l’époque. Puis la tension entre les deux frères va monter, comme elle montait chez les frères Davies ou les frères Gallagher. Le groupe est à deux doigts de splitter au moment d’Amorica. La pochette fait scandale - What’s wrong with being sexy ? - La grande hantise des Crowes c’est de tomber dans les clichés, mais ils sont devenus un cliché : hard drugs et guerre des frères, comme chez les Kinks et les Everlys. Encore quelques albums, et en 2015, ils annoncent le split officiel. Raison pourrie : Chris aurait demandé à son frère et à Steve Gorman de lui céder leurs parts du groupe. Gorman a écrit Hard To Handle pour en parler.

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             Les frères Robinson ont fini par se réconcilier pour enregistrer Happiness Bastards qui n’est autre qu’un grand retour au point de départ. Dans Uncut, Stephen Deusner salue la red de The Southern Harmony & Musical Companion - Triumphant sophomore album - Eh oui, rien de plus sophomore que The Southern Harmony ! Arguably their best album, exulte le Deusner. Un Deusner qui cite Otis Redding, les Stones et les Swampers comme influences, et qui brasse «wiry grooves, massives riffs and psychedelic poetry» pour définir leur son. Et il y va à coups de «Chris Robinson sings like he’s making up kaleidoscopic verses on the spot», il le voit plus comme un Soul shouter que comme un rock singer. Et dans l’interview qui suit, Rich Robinson rappelle que les vraies influences des Crowes étaient, en dehors des Stones, Mississippi Fred McDowell, Muddy et Wolf.  Il avoue aussi un petit faible pour REM, car sur scène, ils tapaient des covers du Velvet et de Big Star.

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             Dans Classic Rock, Dave Everly affirmait que The Southern Harmony And Musical Companion était le meilleur album de rock des années 90. Album composé en un week-end, enregistré en une semaine. S’ils ont autant de son, c’est grâce à George Drakoulias. La meilleure illustration du génie productiviste de Drakoulias est «My Morning Song». Heavy power pur ! Les Crowes ont tout bon : le chant, le son, la heavyness, le bottleneck, tout est grandiose. Real deal des Crowes, une absolue régalade, un son mouvementé, parsemé d’envols et de retours, avec en guise de cerise sur le gâtö un stupéfiant finish. Chris Robinson dit de «My Morning Song» : «That’s our sound. The Stones would never do that.» Quand on écoute «Sting Me», on croirait entendre les Faces ou Free. C’est bardé de barda, ça passe comme une lettre à la poste. Même les solos veulent en découdre. Les Crowes jouent dans la cour des grands, avec des départs en chien d’arrêt et des fulgurances. Il faut entendre les poules qui font des chœurs «Remedy» - Baby baby why you dye your hair - Quel souffle ! Quel swagger ! Quelle ampleur ! Elles reviennent à la fin pour ensorceler le cut et nous avec. Les Crowes passent au heavy blues avec «Bad Luck Blue Eyes Goodbye». Passionnant ! Retour au heavy sludge avec «Sometimes Salvation». Les falaises de marbre s’écroulent dans le lagon d’argent, Chris Robinson chante sa pop de Soul jusqu’au bout de la nuit. Ces mecs ont de l’allure et du solo rapiécé à revendre - Worn out jeans & hats, here we come - Chris Robinson peut aussi screamer, il s’investit dans sa mission. Il est d’une justesse infaillible. «Hotel Illness» sonne encore comme une fantastique aventure. Ils ont un truc que n’ont jamais eu les Faces, un swagger robinsonien. Les Crowes secouent les colonnes du temple avec une fabuleuse niaque. Il faut voir comme ça tangue ! Les Crowes sont encore plus royalistes que les Anglais. Ils traînent «Black Moon Creeping» sous le boisseau. Southern Harmony a une âme et elle s’appelle Chris Robinson. Les Crowes reviennent au heavy blues-rock incendiaire avec «No Speak No Slave», c’est magnifique car racé au no no no et ce démon de Chris Robinson embrase le rock US. On voit rarement des sons aussi pugnaces, aussi avérés, ils sont dans leur vérité avec un chanteur qui n’en finit plus de fasciner. Southern Harmony fait partie des albums dont on peut pas se lasser.

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             Tant qu’on y est, autant sortir Shake Your Money Maker de l’étagère. C’est un album qu’il faut saluer bien bas, ne serait-ce que pour la belle pochette et le cut d’ouverture de bal, «Twice As Hard», balancé avec the best Southern blasting d’Atlanta. Ils proposent un son qui favorise à la fois le chant et les power-chords, avec du spirit à gogo. On retrouve chez les Crowes le fandango de Delaney & Bonnie. C’est la slide qui fait le ramage du plumage, et donc la grandeur de l’entreprise. Chris Robinson ne chante qu’à la pointe de sa glotte et il s’accroche à son pied de micro car ça tangue sérieusement. Retour aux heavy chords avec «Could I’ve Been So Blind». Robinson sait tomber sur le râble d’un cut, c’est un champion, il chante au suave impérieux un peu bourbeux et du coup ça sonne comme du heavy boogie anglais. Les Crowes singent à merveille l’esthétique du Brit rock. Comme ils portent des pattes d’eph et des petits blousons en simili-cuir, ça les aide à transposer. Mais en réalité, ils sont plus vrais que nature : on croirait entendre Free avec une autre voix. «Jealous Again» sonne comme du heavy Southern rock labouré à l’aube. Chris Robinson place de splendides ooh yeah. Comme Aerosmith, ils font aussi pas mal de balladifs ridicules. Mais dès qu’ils se fâchent, ça redevient intéressant, comme le montre le big rumble d’«Hard To Handle», brillante cover d’Otis. Ils ramènent encore un peu de bravado dans «Struttin’ Blues», avec un chant perché au sommet de l’arbre. Ils jouent la carte Led Zep/Stonesy. Mais ils sont tellement bons et tellement impliqués qu’ils finissent par imposer leur non-style. Disons qu’ils font de l’anglo-american rock d’Atlanta. L’album se vend à des millions d’exemplaires - Once you pop on that road there’s no getting off. Dans Hard To Handle, le batteur Steve Gorman indique que l’album s’est vendu à 5 millions d’exemplaires - It was probably the worst thing that could happen - Veut-il dire que les Crowes avaient chopé la grosse tête ?     

    Signé : Cazengler, Black Creuvard

    Black Crowes. Happiness Bastards. Silver Arrow Records 2024

    Black Crowes. Shake Your Money Maker. Def American 1990

    Black Crowes. The Southern Harmony And Musical Companion. Def American 1992

    Stephen Deusner : The Black Crowes. Uncut # 320 - December 2023

    Mark Blake : Sometimes salvation. Mojo # 364 - March 2024

    Dave Everley : The bitter fall & joyous rise of the Black Crowes. Classic Rock # 272 - March 2020

     

    Cale aurifère

     - Part Four

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                Calimero refait la une de l’actu avec la parution d’un nouvel album, POPtical Illusion, et six pages d’interview dans Uncut, ce qui n’est pas de la gnognote, quand on sait qu’il n’est pas homme à mâcher ses mots. Confronté au syndrome des 82 balais, il balance : «Things are getting worse faster. But I’m really going to fight my way through it, anyway.» Parle-t-il de la détérioration de sa condition ou de celle du monde ? Pour le savoir, il suffit simplement de boire ses paroles et d’écouter l’Illusion.

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             Interview de rêve. Pas surprenant, pour un homme qui écrivit jadis un book de rêve (What’s Welsh For Zen) et qui a passé sa longue vie à enregistrer des albums de rêve. Dans le micro de Damien Love, il commence par expliquer «Shark Shark» - It’s about making a noise. Making a noise and getting your feet wet - C’est tout simplement le souffle du Velvet, de l’hypno type «Sister Ray». Avec le Lou, Calimero est le seul homme capable de provoquer ce type d’enfer sur la terre. John Cale, c’est Sister Ray. Les bras t’en tombent ! Tout ce power ! Shark Shark/ take me down ! 

             Il t’explique que POPtical Illusion et Mercy sont contigus. Période fertile. Un tas de trucs qu’il n’avait pas testés avant. «Different styles of writing. Just went for it.» Comme il a son studio, il a des idées tous les jours, même à 82 balais. Shark Shark/ take me down ! Tu le feras pas coucher au panier, le Calimero. Il dit avoir 82 chansons. Love lui demande s’il a déjà connu un tel creative surge. No, tranche Calimero. Keep going. Il nourrit ses cuts comme des animaux. Just get going. «J’ai tout fait tout seul, writing, playing and singing.» Keep going. 82 balais. Marche ou crève. Il sait de quoi il parle. No slowing down. Pas question d’aller coucher au panier. Shark Shark/ take me down ! Trop d’idées ?, lui demande Love. I tried not to double ideas. Calimero fait le tri, it’s basically themes. Chaque chanson est différente. «New ideas that come and populate an album.» - I was chasing kind of a hip-hop energy - Love établit un lien entre «Davies And Wales» et «Child’s Christmas In Wales». Unashamedly yeah, répond Calimero. Ce retour à la vieille pop d’Island sent bon la grande intensité de Paris 1919.

             Love demande à Calimero si c’est pas trop dur de re-vivre à Los Angeles après avoir tellement détesté cette ville. Il répond en expliquant qu’il y avait des gens très intéressants à LA, notamment Captain Beefheart. Et puis il trouvait New York trop confortable. Il lui fallait «the stone in my shoe» et ce fut LA. Il se rend chaque jour à son studio, après une heure de gym. Il arrive vers 11 h et bosse jusqu’à 19 h. Il donne pas mal de détails, explique qu’il aime bien se créer des obstacles, bricoler des logiciels et puis se montrer antipathique - Is getting under people’s skins a constant goal for me? Yes.

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             C’est vrai qu’il adore faire joujou avec ses boutons sur POPtical. Il construit des tapis de machines et y pose sa vieille voix reconnaissable entre toutes. Son «Calling You Out» est très sargassien, très Calé. Et quand on dit Calé, ça veut dire ce que ça veut dire : intrinsèquement wild dans le weird. Il passe son temps à saturer l’horizon, il reste haletant, comme possédé, plein comme un œuf et Calé à outrance, parmi les bris mélodiques. Pas vraiment d’hit en perspective. Il teste des idées, les orchestre puis les lâche dans la nature. Vont-elles survivre ? Il dit refuser toute idée de confort - It’s that idea of comfort: don’t stay long enough to get comfortable - What’s Welsh for Zen ? Et Love revient sur le fameux «things are getting worse faster». Il s’agit bien du monde - No joy there, sorry - Il parle de l’avenir du monde - It’s just a mess - Et puis avec «Company Commander», il fait du heavy Cale, une marche de guerre, il sait attaquer une rotonde, il sait chausser les semelles de plomb - Yeah that’s my favourite. Just the noise - Il fait aussi des heavy grooves sans objet, comme «Setting Fires», mais tu fermes ta gueule et tu écoutes. C’est lui le boss, surtout pas toi. Il a encore la main lourde avec «All To The Good» et passe au heavy melopif chargé de limon avec «Laughing In My Sleep». Qui le suit dans son désert, à part toi ?

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             Dans Shindig!, Sarah Gregory opte pour un petit panorama. Un de plus. Six pages aussi. On ne va pas cracher dessus. Elle commence par dire que Calimero est beaucoup plus qu’un ex-Velvet, ça on le savait déjà. Puis elle nous rappelle qu’il a produit la fine fleur de la fine fleur du New York underground (Nico, Stooges, Modern Lovers et Patti Smith) et qu’il est devenu un solo songwriter distingué. Elle résiste difficilement à l’envie de taper dans la période Velvet, et pour couper court à toute velléité, elle cite Calimero : «Alright yes, The Velvet Underground... good, next!». L’occasion rêvée pour elle de rappeler que Calimero ne s’intéresse qu’à l’avenir - Because you really do new stuff anyway to keep your sanity - Elle ajoute que son passé d’avant-gardiste lui instillait un constant besoin de subversion et d’aventure - L’une des salvatrices maladies de l’avant-garde vous apprend une chose : don’t do anything that even resembles what anyone else does - Se distinguer des autres par tous les moyens. Calimero ajoute qu’il ne faut même pas y réfléchir, au risque de se faire foutre de sa gueule - Don’t even think of it! You’ll be laughed out of the club - Alors il faut transgresser, oui, transgresser en permanence. On l’a vu hurler sur une usine pour la faire crever, puis démolir une table à coups de hache lors d’un récital. Calimero est capable d’accès de rage et de mélodies confondantes. Il va rester au croisement de ses aspirations symphoniques et d’un goût certain pour la pop. Visage masqué d’un bas nylon pour l’album pop Vintage Violence. Voilà qui illustre bien la dichotomie calimérienne. Puis il s’acoquine avec Terry Riley pour renouer avec sa chère avant-garde : Church Of Antrax - Cale can manipulate moods of space, horror, irony, with a delicate precision, and then put a melodic line in, dit Geoffrey Cannon - Un critique qualifie The Academy In Peril de schizophrenic. Schizophrenic ta mère !

             Calimero bosse comme A&R pour Warners et fréquente du beau monde, notamment Joe Boyd, ce qui explique qu’on le retrouve sur le Bryter Layter de Nick Drake. On apprend au passage que le premier album des Stooges n’est pas produit par Calimero, mais par Iggy et Jac Holzman. Calimero s’est contenté d’emmener le groupe en studio et de torcher ça vite fait, comme on le fait avec un groupe punk. Mais apparemment, Calimero n’est pas de tout repos, en studio. Nico parle de bagarres. Fights. Patti Smith aussi.

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             Puis c’est le passage obligé par Paris 1919 et les clins d’yeux à Dylan Thomas, Segovia, Graham Greene et Enoch Powell. Paris 1919 produit par Chris Thomas. Puis vient le temps des tournées avec le masque de hockey, le sang de poulet et l’out of control, suivi de la période Island, with a new level of anger and vitriol, dû de toute évidence à une sur-consommation d’alcool et de coke. Sur Fear, Calimero récupère deux Roxy, Eno et Manza. Eno : «L’éventail de ses références est tellement large. Ça peut être parfois difficile de le suivre, parce qu’il peut devenir très sérieux et soudain, il va faire référence à La Horde Sauvage, pour illustrer son propos.» Calimero et Eno s’entendent bien, car comme le dit Eno, «Cale is one of the few people who’s relating himself to what goes on outside music.» Puis, sur Slow Dazzle, Calimero rend hommage à Brian Wilson avec «Mr Wilson». Il est fasciné par «the harmonic bliss and production brillance» de Brian Wilson - It’s the harmony, it’s so full blooded and sweet - Tout tourne ensuite en eau de boudin avec Helen Of Troy, qu’Island sort sans l’assentiment de Calimero, pendant qu’il est en tournée - Ça aurait pu être un grand album. Le problème, c’est qu’Island avait sa propre idée de ce que devait être l’album. Ils ont voulu inclure des chansons que je n’aimais pas. Mais c’était aussi très présomptueux de ma part de penser qu’à l’époque j’étais capable de me manager - Et Sarah Gregory d’ajouter : «After all, a Cale album never fails to produce at least a few musical gems.»

             Puis il va plonger dans le chaos des tournées avec les Boys et Generation X, pour enfin se calmer avec la naissance de sa fille - when satsumas and squash became his drugs of choice - C’est à Calimero que revient le mot de la fin : «Si vous essayez de devenir Dylan Thomas, alors vous n’avez pas besoin de trouver du sens aux choses à tout instant. Mais le bruit va vous avoir de toute façon. A lot of thunder.»     

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. POPtical Illusion. Domino 2024

    Damien Love : John Cale Interview. Uncut # 327 - July 2024

    Sarah Gregory : Blaming it up to you. Shindig! # 153 - July 2024

     

    *

             Je tiens à m’insurger contre toutes les mauvaises langues qui insinueraient que j’ai choisi ce groupe uniquement pour la pochette. J’admets que j’ai jeté mon dévolu sur cet opus sans avoir jamais avoir ouï le moindre quart de note de leur production, seules de strictes considérations géographiques ont attisé ma curiosité, j’ai même dû sortir mon atlas pour vérifications, ce n’est pas que son pays soit une minuscule principauté perdue l’on ne sait où, non il est même un des plus grands du monde, l’on en parle souvent dans les actualités, certes ils est plus petit que les USA, en toute bonne foi je me dois d’avouer que des conditions géopolitiques ne sont pas étrangères à ma décision. Jugez-en par vous-même, il aura fallu attendre notre six-cent-cinquante-cinquième livraison pour chroniquer un groupe  Chinois !

    DEMONIC FASCINATION

    DEMON & ELEVEN CHILDREN

    (Piste Numérique / Bandcamp / Août 2024)

             Viennent de Gouanzhou, ne paniquez pas vous connaissez mieux sous le nom de Canton, située tout en bas du sud-est de la Chine à plus de cinq cents kilomètres au-dessus de Hong Kong la ville compte plus de quinze millions d’habitants… Ne bombez pas le torse en décrétant que notre Tour Eiffel de Paris dépasse les 320 mètres de hauteur sans compter les antennes pour les transmissions, Canton possède une tour qui culmine à six cent mètres… Inquiétons-nous, si la Chine prenait la décision de devenir la plus grande nation rock’n’roll de la planète, n’aurait-elle pas la capacité de dépasser, que dire, de surpasser le rockccidental…   

              Kenkou : bass /  Renny : drums / Sentakuki : guitars / Akinoshi : vocals.

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    Le nom du groupe est tiré du titre deuxième album paru en 1971 du groupe japonais Blues Creation en collaboration avec la chanteuse Carmen Maki, d’origine nippone par sa mère mais américaine par son père, elle débuta comme chanteuse de jazz mais très vite elle se tourna vers le rock… elle fut sans doute une source d’inspiration pour Akinoshi qui comme son prénom ne l’indique pas à nos oreilles françaises exerce la noble profession de chanteuse. Très vite Blues Creation jivaroïsera son nom en Creation. Que les fidèles lecteurs de Kr’tnt connaissent bien, nous ne faisons pas ici allusion à The Creation groupe anglais des sixties dument et bellement présenté à plusieurs reprises par notre Cat Zengler national car c’est à croire que le monde du rock est plus petit qu’on ne l’imagine  puisque l’on retrouve Creation sur trois albums : Felix Pappaladri & Creation, Travellin’ in the dark ( live)  et Live at Budokan produits par Pappalardi. Dans notre livraison 469 du 18 / 06 / 2020 vous retrouverez la chronique de Demon & Eleven Children de Creation et plus si affinités…

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    Reste la pochette problématique. Que de chinoiseries ! Commençons par ce qui n’est pas la pochette, enfin celle qui est présentée sur YT, dont la partie inférieure sert de bandeau sur bandcamp. Rien de très original, une jeune fille, épaules nues et yeux levés vers le ciel (expression mal venue), au-dessous vue plongeante sur un cimetière. Ethnologiquement vous vous demandez à quoi peut bien ressembler un cimetière chinois. Vous n’aurez pas la réponse. Nous voici à un cimetière irrémédiablement européen envahi de tombeaux surmontés de très chrétiennes croix. Z’ont dû piquer une vue du Père Lachaise. Surprenant, l’on aurait pu penser que la Chine possédât ses propres démons, culturellement le groupe reste fidèle à toute l’iconographie véhiculée par la plupart des groupes occidentaux.

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    Je ne vous souhaite pas de tomber comme moi sur une version japonaise de Bandcamp présentant Demonic Fascination, c’est exactement la même que celle que vous voyez en France, à part la couve de l’opus qu’ils ont remplacée par une vue de La Girafe en Feu de Salvador Dali, pas tout le tableau, exit la girafe, z’ont gardé le personnage féminin, une espèce de Vénus à tiroirs, erreur sur toute la ligne c’est bien la même pochette que sur le Bandcamp français, ce que j’avais pris en un premier temps pour des tiroirs ne sont que des caches de diverses couleurs destinés à cacher le corps entièrement dénudé de la jeune femme. Remarquez l’image française avec ses deux seins étoilés et sa feuille de vigne tarabiscotée à l’endroit adéquat fait preuve quand on y pense d’une similaire hypocrisie…

    The shiver of the vampires : (Hail Jean Rollin) : pour la petite histoire Jean Rollin, sa mère sortit avec George Bataille, le prince, un peu surfait à mon goût, de l’érotisme littéraire, est surtout connu pour ses films de vampires, notamment Le Viol du Vampire (1968) décidément nos jeunes chinois sont très européanisés : tout de suite dans l’ambiance, cloche lugubre, gravier crissant d’une allée de cimetière, grille grinçante, vent mauvais et un riff qui vous tombe sur les épaules comme le froid de la mort, une batterie qui roule comme les mauvais sentiments qui tournent dans votre tête, la batterie qui tape comme un remords obsédant, question voix c’est raté, elle est superbe, elle vient de loin, du fond d’une crypte, imaginez une jeune nonne échappée de son couvent, elle a ôté sa robe de mariée, elle est nue, le diable officie et la vampirise, elle tremble et dans sa voix vous ressentez la peur et le plaisir dont elle jouit durant cette étreinte vampirique. Lorsque entrée dans un silence coïtal elle se tait, vous attendez avec impatience le morceau suivant pour l’entendre de nouveau. Vertigo : rien à voir avec le film d’Alfred Hitchcocks : bruits inquiétants de sortie de crypte, la musique en rajoute un peu, elle parle plus qu’elle ne chante, elle se plaint mais la plainte prend son envol, vous êtes prêt à vous laisse bercer par cette mélopée chaloupée, elle danse dans la nuit, elle tourne sur elle-même, vous ne voyez qu’une ombre blanche, est-elle nue ou porte-t-elle encore sa robe souillée de sang virginal, elle se tait, guitares de plus en plus violentes, il faut bien remplacer cette voix qui s’est tue, vous entraîner dans la danse solitaire de cette bacchante qui tourne sans fin sur elle-même jusqu’à ce que son vertige intérieur l’entraîne à s’écrouler dans les bras de son amant diabolique, toute damnation n’est-elle pas une donation.

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    Demonic-Fascination : piétinements, soirée de gala, des ombres en nombre se pressent, tant de bruit, fanfare fanfaronne et triomphante, guitare échevelée, poison narcotique de la basse, la batterie ballotte entre les murs du manoir, elle se fait attendre, vous n’entendez qu’une espèce de miaulement, est-ce un rêve, une hallucination, ou une ivresse, c’est elle qui ouvre la cérémonie, elle joue le rôle de l’échanson de Satan, elle psalmodie, une voix qui vient de loin, du plus profond dedans d’elle-même ou de quelque part, d’un point situé à l’extérieur d’elle-même, une ronde folle très lente, elle est en même temps hors d’elle et en elle-même, elle est partout et nulle part, dans les bras de son amant et dans la cage aux barreaux brisés de sa virginité. Derrière les trois boys mènent un ramdam de tous les diables. Seraient-ils seulement des phantasmes qui viennent se brûler à la flamme morte de sa vive volonté. Stabbled by illusion : sifflements, le riff s’incruste en vous, elle tente de vous faire passer le message, même si la musique recouvre sa voix, ne sentez-vous pas que la réalité n’existe pas, que vous vivez dans le coton de l’illusion, ouvrez les yeux, laissez-vous glisser derrière les apparences, tout repose sur du vide, le monde n’est qu’une peinture posée sur le néant. Mais le band continue de fonctionner, très bien, très fort, si rien n’existe, vous ne devriez rien entendre. Quelle étrange schizophrénie qui ne possède point d’autre alternative qu’elle-même. Une stéréo qui n’offre qu’un seul canal d’écoulement. Pot girl blues : plus de musique, juste un dialogue, une dispute, une scène de ménage, incompréhension mutuelle, tout bascule dans le blues de la fille qui se croit comme une plante rare isolée dans un pot de fleur que l’on a oublié d’arroser. Voix criarde et guitare discordue, elle est ailleurs : la preuve elle a besoin d’un ailleurs.  Don’ t burry my coffin until you high : ce morceau n’en forme qu’un avec le précédent, elle chante encore une fois en retrait, sa voix parvient tout de même à être perçante, n’arrête plus de jacter, l’enfant qui casse ses jouets, la batterie essaie de couvrir ces éclats de colère, rien n’y fait, aucun instrument ne saurait celer cette vérité, ce qu’elle veut c’est passer de l’autre  côté, qui m’aime me suive, le vieux monde s’écroule, nous roulons de chaos en kaos, quelle jubilation, c’est mortel ! Drown in Hell : une fusée qui fonce dans l’abîme, elle en miaule de plaisir, anatole pousse son blues comme Sizyphe son rocher, let’s go pour un petit solo, tout est permis puisque rien n’est interdit, elle miaule encore comme la chatte sur le toit glacé de la mort, elle veut encore plus, comme les passagers du Titanic, plus près de toi mon Diable, au plus profond de ton royaume, au cœur de ta capitale, tout mon sang virginal pour une luxure sans fin, elle clame ses mots sans fin, elle pense être au plus profond de ses désirs inavouables, les boys font durer le plaisir, les vaches n’en finissent pas de brouter l’herbe plus verte de cet ailleurs, elle n’a jamais autant chanté, toujours dans l’absence de sa voix, et tout s’arrête, elle n’est pas bien loin, juste de l’autre côté du miroir où se reflètent les rayons du soleil honnis par les vampires.

             Je vous souhaite une bonne nuit.

    Damie Chad.

     

    *

    Les assassins reviennent toujours sur les lieux de leurs crimes. Moi comme les autres. Au début je n’ai pas reconnu immédiatement les lieux du carnage. Pourtant ces deux sombres parois, au milieu cette vallée noire, un truc à vous glacer le sens, heureusement qu’il y a ces trois paires d’yeux ouverts qui vous guettent, cela vous rassérène, vous pensiez vous être aventuré par mégarde dans les couloirs de la mort, c’est rassurant au moins il existe encore un peu de vie dans ce lieu sinistre. Tournez le dos, décampez au plus vite, ne faites pas comme moi, ne prenez pas du plaisir à entendre les funèbres modulations de ces jappements morbides, vous êtes juste devant la porte de l’Enfer et ce sont les féroces jappements de Cerbère  qui vous accueillent… Bref j’ai passé deux bonnes heures à écouter la méchante bestiole, je n’en suis reparti que parce que la nuit s’avançait. J’en ai rêvé, l’illumination est venue au petit matin, pas besoin de faire la chro, je l’ai déjà rédigée, voici deux ou trois ans, je vérifie, oui exactement dans la livraison 545 du 10 / 03 / 2022.

    Z’oui mais depuis il a coulé de l’eau sous les ponts de Paris, en janvier 2023 ils ont sorti leur premier album, sur Chien Noir, nous reparlerons bientôt de ce label, porte un beau nom, Chien Noir est un héros (malheureux) de L’Île au trésor de Stevenson, est-ce vraiment là l’origine de cette appellation, cela a-t-il toutefois de l’importance, d’autant plus que le nom de l’initiateur de cette entreprise discographique me plonge dans une étrange rêverie. Sont-ce ses parents qui  ont accolé à leur patronyme familial le prénom qu’ils avaient choisi par goût, peut-être ont-ils voulu intentionnellement  influer sur son destin, ou alors est-ce le pseudonyme que devenu grand leur fils s’est octroyé... Quoi qu’il en soit porter comme nom le titre d’un des plus mystérieux des romans d’Honoré de Balzac, même à votre insu, cela vous honore certes mais doit soumettre votre cortex à de bien sombres irradiations. Publié en 1832 Louis Lambert peut être considéré comme un roman prophétique, au travers du personnage éponyme le lecteur verra s’inscrire en filigrane renoncements, effondrements et survivances d’un  Rimbaud, d’un Nietzsche, d’un Grothendiek… On ne lit pas Louis Lambert, on passe le restant de son existence à essayer d’oublier sa lecture.

    CENDRE

    CERBERE

    (CD / Chien Noir / 2023)

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    Baptiste P. : guitare, vocals / Thom Dezelus : bass / Baptiste Reig : drums.

    L’artwork est de Thom Dezelus. Comment qualifier une telle pochette, nous dirons que c’est un autoportrait, pas nécessairement d’un individu, plutôt d’un concept, un autoportrait autophage, une image pleine à ras bord, prête à se vomir elle-même, et qui produit un étrange sentiment d’incomplétude, quand c’est trop vous avez besoin de moins, vous savez toutefois que cette omission d’une partie du tout ne comblera ni votre dégoût ni votre angoisse. A l’intérieur de soi ne trouve-t-on que soi. Mise en abyme ou poupée gigogne. Bien plus inquiétant au fond  à l’affleurement gestatif de vous que l’Alien de Ridley Scott. La dernière personne à qui l’on n’échappe pas, n’est-ce pas soi-même… Un autoportrait tout craché.

    Thom Dezelus a aussi réalisé une vidéo d’accompagnement du premier titre. L’a abandonné le noir, l’a opté pour la couleur, de l’aquarelle glauque, du criard éteint, des images thématisées, les trois têtes de Cerbère, la croix inversée des satanistes, des espèces de cerisiers japonais sans fleurs, des êtres humains en troupeaux, des paysages informes, tout ce vous n’avez pas besoin de voir, tout est là pour justifier les couleur, du rose édredon au vert pomme flétrie, une manière de vous avertir que derrière les formes fixes et identifiables de l’univers, il existe une autre réalité, une espèce d’éther indiscernable que l’on est obligé de coloriser, à la manière des clichés vaginaux, pour le faire apparaître, en pure perte car la plupart des spectateurs ne voient pas du noir mais des couleurs, cela les rassure.

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    Cendre : un truc qui point à l’horizon sonore, noir, lent, zone drone, des cris, des mots, des maux, pas besoin de phrases, au-delà du dire, juste la clameur de la souffrance de vivre, la batterie qui avance imperturbable telle la faux qui tranche les tiges du blé, que l’on entasse en gerbes non pour les emporter dans les granges et les greniers du vouloir vive mais pour y mettre le feu, pour que l’on assiste à sa longue combustion, à sa dissolution dans ses propres cendres car le feu de tout désir de vivre s’éteint sous son propre poids, il semble que tout soit terminé, que le morceau va finir ainsi, il continue, il agonise, il n’éprouve plus aucune émotion, un sursaut de guitare vite réprimé par lui-même, tout court à sa perte, il est inutile de le déclamer, même si l’inutilité de toute chose est tout de même la tragédie de sa propre insignifiance et que ce phénomène peut aussi s’entendre comme une fête, qui brille d’un dernier éclat, avant de s’interrompre. Sale chien : il est inutile de s’en prendre à soi-même alors l’on insulte le chien que l’on est, autocritique, l’art suprême de la concupiscence du désir de proférer quelque chose qui ait encore un sens quelconque, une eau noire qui coule sans se déverser autre part qu’en elle-même, le son va de l’avant pour mieux se répéter ne pas marquer le rythme juste la présence du temps, celui qui passe le même que celui qui ne passe pas, des jurons sludgés pour jurer que l’on ne se reprendra plus à soi-même, prisonnier dans la nasse de notre propre désintégrité, il est vain d’hurler alors on hurle pour rien et la musique bascule sur elle-même, elle explore ses propres ruines noisiques même si dans un dernier effort elle semble se souvenir qu’autrefois on disait que c’était du rock. Les tours de Set : démarrage en trombe, normal nous venons de patauger en l’impuissance de nous-mêmes alors on change de film, désormais l’on se voit, l’on se veut en techno-couleur (noire tout de même, il ne faut pas exagérer) hurlements plantureux, que chacun incarne le personnage de ses propres mythologies, dans ce monde l’on n’est rien, mais au-dedans de soi l’on est le super-héros que l’on désire, soyons sauvage, soyons libre, soyons sans pitié, dans un monde en feu devenons la cendre de nos rêves, voltigeons sur les cimes les plus hautes, laissons-nous glisser dans les plus profonds abîmes, accordons-nous de douces résonnances dans les bras des plus belles, endormons-nous sur les seins les plus fermes, même quand nous dormons nous rêvons d’épopées sanglantes et victorieuses, dans toutes les strates du monde, des plus réelles aux plus évanescentes nous serons le plus fort,  les tigres viennent boire dans nos mains, les peuples dressent des arcades de feuillages pour nous vénérer, laissons nos songes vagabonder en d’étranges parfums sonores, le monde s’immobilise en nous-même, nous sommes le centre du vortex qui ramène tous les éléments à soi, serions-nous même comme ces caravanes qui se perdent dans le désert incapable de retrouver nos propres traces, tout semble se précipiter, sommes-nous sur la plus haute tour d’Arthur Rimbaud ou sur le donjon de notre folie, le monde semble se froisser, comme un poing qui se referme, un papier enflammé qui se racornit, qui s’autodétruit en une longue agonie, qui brûle ? : le papier, notre histoire, ou nous-même, l’incendie s’attaque à notre chair et nous disperse aux quatre vents du néant, nous ne sommes déjà plus que poignée de poussière qui s’écoule lentement d’un poing fermé, ou alors une pluie d’étoiles qui tombe, une multitude d’atomes en chute libre dans le vide, attendant le moment opportun, le déclic, la clef du rêve qui entre dans la serrure et qui réordonne l’univers à notre envie, n’avons-nous pas gagné, que laisserons-nous comme victoires possibles à nos héritiers…

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             Noir de chez doom. Performance sonore. A écouter les yeux fermés, pour ne pas être confronté à l’inanité du monde.

    Damie Chad.

     

    *

    1

             Je ne suis pas un garçon parfait, j’ai quelques défauts, pas des montagnes non plus, n’exagérons rien, mais je me dois d’avouer que parfois j’ourdis de sombres complots contre la race humaine. Pour ne pas me faire haïr je m’abstiendrai d’en énumérer la longue liste. Je me contenterai d’en évoquer un seul. Il n’est pas tout à fait de ma faute, les lecteurs du blogue KR’TNT ! en partagent aussi la lourde responsabilité.   

             Voici quelques années j’ai entrepris de rendre régulièrement compte au fil des livraisons de disques de Black Metal. N’y voyez aucune malignité, juste le désir d’informer des nouveautés du genre, voire pour varier les déplaisirs, d’opus datant de quelques années. Or voici qu’une de ces dernières nuits, il est connu que la nuit est peuplée de cauchemars hideux ou qu’alors c’est aux heures les plus noires que se dessinent dans les consciences éveillées les idées les plus folles… Une funeste interrogation s’est fait nuit dans ma tête, une question toute simple, toute bête : Damie que vas-tu faire de toutes ces chroniques Black Metal qui émaillent tes livraisons, tu ne sais même pas combien tu en as, cent, deux cents, trois cents ?

             Mon fidèle cerveau ne m’a pas trahi, il m’a fourni tout de suite une réponse : facile Damie, tu les relis, tu choisis les meilleures, et hop tu en tires un bouquin, tu vois tu as la solution, cesse de tourner et de retourner dans ton lit, tu m’empêches de me reposer, bonsoir, à demain matin.

             J’aurais dû l’écouter, fermer les yeux et me glisser dans les bras de Morphée. Non, j’ai essayé de visualiser le volume, un truc de trois cent pages, un bon titre et j’en vends au bas mot un minimum de trois cent mille exemplaires. Tout allait bien, j’étais content de moi, lorsque subitement, sans prévenir, le ver du doute s’est immiscé en moi. Il m’a tenu un long discours déstabilisateur : Damie, tu te contentes de peu, pas du tout originale ta super idée, des bouquins sur le Metal, il en existe des centaines, dans toutes les langues, si tu t’obstines tu as intérêt à améliorer ton projet !

             Il avait raison, j’ai turbiné toute la nuit, au petit matin j’avais trouvé, même pas besoin comme Archimède d’une baignoire pour pousser mon Euréka !

    2

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             Normalement, vous avez compris. Toutefois pour les lecteurs à l’esprit obtus, je refile un indice : ne pensez pas Archimède, mais à Edgar Poe, lui non plus il ne s’est pas plongé dans sa baignoire, n’empêche qu’il a composé un ouvrage sobrement intitulé Euréka.

    3

             J’explicite, ne serait-ce pas une idée géniale, de temps en temps, disons toutes les vingt pages, d’intercaler une chronique littéraire évocatoire de l’ambiance Black Metal, consacrée à texte d’un grand poëte, une de ces rêveries sédimentées  d’encre noire sorties tout droit de l’imagination d’un Edgar Poe, ou d’un Lovecraft… Je ne nomme que ces deux-là souvent explicitement revendiqués par de nombreux groupes de Metal… Comptez sur moi pour dévoiler d’autres figures. De temps en temps, je livrerai quelques chroniques de cet acabit, je promets d’arrêter si une vague de suicides décimait le lectorat.

             Autant commencer tout de suite : voici la première de ces évocations, à tout seigneur tout honneur, la place introductive ne saurait échapper à Edgar Poe.

    *

    Question tarte à la crème : le Black Metal est-il une musique rebelle ? Ne vous prenez pas la tête : sans conteste la réponse est non. N’essayez pas d’ergoter, d’argumenter, de couper les cheveux en quatre. C’est non et non, en point c’est tout. Ne m’accusez pas d’être expéditif, de refuser le débat, d’imposer mon opinion. D’ailleurs ce n’est pas la mienne, c’est celle d’Edgar Allan Poe.

    Certains objecteront qu’au temps de l’auteur du Corbeau, le Black Metal n’existait pas. Ils ont raison, par contre question rébellion Edgar Poe en connaissait plus que nous. Il est des connaissances qui englobent ce qui a été, ce qui est, ce qui sera, et ce qui n’existe pas. Ce genre d’assertion peut paraître difficile à admettre, pour vous aider à assimiler de tels prolégomènes je vous montre une belle image, elle n’est pas de moi mais de Magritte. Prenez le temps de la regarder.

    LE DOMAINE D’ARNHEIM

    MAGRITTE

    (1962)

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    Il en existe plusieurs versions. J’ai choisi celle de la carte postale qui longtemps est restée sur mon bureau. Etrange image, que cette montagne dont la cime affecte la tête d’un aigle gigantesque dont les ailes éployées se confondent avec les replis vertigineux des rocs glacés. Tout en bas sur un muret un nid dans lequel reposent deux œufs. Le tableau se refuse à toute interprétation, sinon une impression écrasante de grandeur majestueuse. L’on élude la signification de cet engramme en le qualifiant de tableau surréaliste.

    LE DOMAINE D’ARNHEIM

    EDGAR POE

    (1847)

    Magritte s’est contenté de reprendre le titre d’un des contes les plus mystérieux d’Edgar Poe. A première lecture, le texte ne casse pas trois pattes à un canard. D’ailleurs Poe n’a-t-il pas publié en un journal  la moitié de cette histoire sous le titre peu aguichant de Le jardin – Paysage.  Le lecteur remarquera que le terme de paysage ne pouvait qu’attirer l’attention d’un peintre tel Magritte.  

    Dans les premières pages le Narrateur nous présente un de ses amis. Un homme comblé par la vie, celle-ci a déposé tous les œufs dans son panier : la beauté, lui-même est très beau et sa femme admirable, l’argent : déjà riche il hérite d’une fortune pharaonique. Il ne sera pas un bienfaiteur de l’Humanité, il n’éprouve qu’une estime modérée envers l’engeance humaine, très logiquement il ne professe aucune ambition sociale, la politique ne l’intéresse pas.

    Il ne saurait non plus se contenter d’une vie retirée et tranquille dans une belle demeure. Ses qualités intellectuelles et artistiques lui permettraient de devenir écrivain, peintre, sculpteur, à plus amer vont ses désirs diraient Saint-John Perse, il vise un art supérieur et suprême, il sera poëte, n’entendez point qu’il écrira des vers, il se contentera d’être créateur : il sera paysagiste. Non il n’est pas comme nos écologistes modernes  qui se parent du titre de jardinier parce qu’ils ont réussi à faire pousser dix pieds de tomates dans le jardin de leur pavillon.

    Ellison, ainsi se nomme notre milliardaire, se met en quête d’un terrain. L’a les moyens pour s’offrir un immense et merveilleux espace naturel. Vous vous en contenteriez aisément. Pas lui. L’a un autre projet. Il tient à l’améliorer. Ne croyez pas qu’il ordonnera de planter deux ou trois rangées d’arbres supplémentaires. Ellison veut faire mieux. Mieux que Dieu. Il tient à démontrer que Dieu fut un mauvais paysagiste, il se targue d’améliorer l’œuvre de Dieu. Il fera mieux. La dernière partie du texte consiste à la visite (en bateau) de cette nouvelle création à laquelle ne sera pas refusée l’adjectif de paradisiaque.

             Toute une partie du Black Metal se réclame de Satan, l’Adversaire par excellence. Les groupes se veulent rebelles et réfractaires. Enfantillages répondrait Ellison, il ne s’agit pas de dépasser Dieu, même pas de l’égaler mais de le devancer, de le faire tomber de son piédestal, non pas de le combattre, mais de le déclarer hors course, d’être un plus grand créateur que lui.  

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             Ce texte se trouve facilement dans le volume Histoires Grotesques et Sérieuses réunies et traduites par Charles Baudelaire. Le sonnet Correspondances de l’auteur des Fleurs du Mal s’allumera d’étranges lueurs après lecture du conte d’Edgar Allan Poe

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             Ceux qui ont lu nos chroniques se souviennent peut-être de la série de tableaux The Course of Empire peints par Thomas Cole dont Thumos groupe metal instrumental s’est inspiré pour leur album éponyme. Cole fut l’exact contemporain de Poe, les nombreux paysages de rivières et de lacs ne sont pas sans parenté avec le conte de Poe.

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             Pour en revenir à Magritte, il est évident que les flancs verglacés de la montagne de son Domaine d’Arnheim sont à mettre en relation avec Le Voyageur Contemplant une Mer de Nuages de Caspar David Friedrich… Quant à l’Aigle, pour nous il évoque Zeus, éliminez Dieu et les anciens dieux réapparaissent comme par magie, preuve que celui qui se prétend unique n’est que la négativité de l’êtralité de ceux qui lui furent antérieurs. Pour les deux œufs, ce sont ceux pondus par Léda, engrossée par le subterfuge empruntée par Zeus pour la séduire, la cygnature du maître de l’Olympe, n’oublions pas que cette altier sommet est une montagne, n’est pas difficile à déchiffrer, de leurs coquilles cassées sortiront Hélène, Clytemnestre, Castor et Pollux, l’écheveau sanglant de la guerre de Troie commence à se dévider…

             Non, le Black Metal n’est pas une musique ontologiquement rebelle. CQFD ! Merci Edgar !

    Damie Chad.

     

    *

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    Deux jolies filles pour terminer. Nous les suivons depuis longtemps mais nous n’avons pas donné de leurs nouvelles depuis la sortie de Modern Cowboy leur premier album en 2023, elles vont bien, elles n’ont pas arrêté de tourner. Le 13 septembre elles sortent un nouveau 45 tours, elles sont plus que sympathiques, voici deux jours, elles offrent en avant-première un premier titre que nous nous empressons d’écouter. Une version live et puis la version studio.

    LITTLE ONES (Live)

    TWO RUNNER

    (Vidéo YT / Gar Hole Records / Août 2024)

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             C’est leur habitude. Ne peuvent pas enregistrer un morceau sans qu’elles n’en proposent pratiquement illico une version, parfois plusieurs, live à l’extérieur.  Pour elles c’est une manière de rester symboliquement au plus près de leurs racines, down to yer roots, n’écrivent-elles pas en exergue de leur FB… Toutes deux, filles du Nevada, assises en pleine nature, comme posées dans les ramures des arbres, scène romantique, l’on se croirait dans un des poèmes du Prélude de William Wordsworth, Emilie fidèle à son fiddle, arrimée à sa jupe amarante, Paige en futal noir dans ses bottes à lacets, la courbe de sa guitare épousant sa jambe droite. Changement de plan, typiquement américain, nous avons alors droit à la typique cabane en planche, pas celle de la petite prairie, celle de la nostalgie amerloque d’un  rêve si infini qu’il semble irréalisable...  

    LITTLE ONES

    TWO RUNNER

    (Bandcamp / YT /  Gar Hole Records / Août 2024)

    Paige Anderson : vocal, guitar / Emilie Rose : fiddle, vocal / Ben Eaton : contrebasse.

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    Une balade. Fermez les yeux. Laissez-vous emporter. Laissez-vous envoûter. Le velours de l’upright de Ben, la langueur du violon, une eau de Rose à la senteur irréfragable, les notes éparses de la guitare de Paige. Une balade. De combat. Réveillez-vous. Sans quoi, sans savoir pourquoi, vous vous engloutirez dans un océan de tristesse. Pourtant, les paroles de Paige, sont un hymne à la vie, un encouragement à vivre sa vie et ses désirs sans peur et sans reproche, nul besoin d’avoir peur, tout le monde est passé par là, vous survivrez comme tous les autres. Oui, mais la musique ne ment pas, Paige ne chante pas, elle susurre, pourtant chacune de ses syllabes claque comme un coup de revolver, elle appuie un tout petit peu, à peine un effleurement, elle étire d’un dixième de seconde les vocables et vous avez l’impression d’un cercueil, le vôtre, qui passe la porte du cimetière, c’est la grande nostalgie américaine, le bonheur est déjà passé, l’enfance est terminée, il vous reste juste à vivre, je vous souhaite beaucoup de tendresse pour ces jours qui ne reviendront pas. Réveillez-vous, l’aile du malheur vient de vous frôler, et vous ne le savez pas. Two Runner atteint au sublime.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 654 : KR'TNT ! 654 : NOW FREETURE / GORIES / LITTLE BOB / MENGERS / JIM JONES / MELVIN DAVIS / SUGAR MAMA'S REVENGE / CONVERGE / BILL CRANE / FUERZAS EXTRANAS/ /

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 654

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 08 / 2024

     

    NOW FREETURE / GORIES / LITTLE BOB

    MENGERS / JIM JONES / MELVIN DAVIS

    SUGAR MAMA’S REVENGE / CONVERGE

    BILL CRANE  / FUERZAS EXTRANAS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 654

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Le jazz et la java

             Les retombées de l’île de Groix ont parfois du bon. Après le chagrin vient non pas la pitié mais disons la piété. Signe de Groix. Piété quasi-agenouillée pour un cut de jazz écouté au Mojo sur un smart. Ça ne s’invente pas. Got my Mojo working. Le Mojo est l’un des bars du débarcadère de Groix, et le smart celui de Fred : son mec fait du jazz. Elle te passe son smart. ‘Coute ça. T’écoute ça au Mojo, alors que flotte dans l’air chaud le fantôme de Jean-Yves. Ça te plaît, comme ça plaisait à Jean-Yves. Fred te l’a dit. Il s’entendait bien avec le mec de Fred qui joue le jazz que t’écoute au Mojo sur son smart. Elle te dit : «Tu veux le disk ? Ça t’intéresse ?». T’opine. Et tu reçois le disk quelques jours plus tard.

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             Disk mojo. Le mec de Fred fait un groupe qui s’appelle Now Freeture, un nom à consonance pistolienne. Petit objet considérable. Tu l’examines avant de le soumettre au rite de l’écoute.  Titre et design dada : L’épingle du je, sans majuscule, et une femme cerf sérigraphiée en blanc sur le doux carton brun du petit digi édité par le Petit Label. Oh mais t’as déjà vu la femme cerf ! Oui, tatouée sur le bras de Fred. Le doux carton brun t’apprend que L’épingle du je tire à 100 exemplaires. Le tien est le numéro 90. Donc précieux. ‘Coute ça.

             T’y connais rien en jazz, donc t’y vas à la sauvage. Tu t’enfonces dans la jungle comme le cheval d’Aguirre débarqué sur la berge du fleuve. «Notes De Craie». Consortium. Corne de brume. Craie comme blanc sur tableau noir. Très Cocteau. Jazz littéraire. Déchirant. Arraché au silence et soudain beau. Trompette et sax mêlent leurs baves comme au temps du Charlie Parker Quintet. T’as du beau suspensif. Celui de Babylone. La trompette perd les pédales et le sax va chercher Jacques Rigaut. Le sax souffle comme un phoque. On attend le suicide de Rigaut qui ne vient pas. Enfant terrible. Ça vire ambiancier intriguant. Mystère de la chambre verte en noir et blanc. Sérigraphie. Dada jazz. Alors, le jazz rejoint le rock, même sauvagerie, Sun Ra, MC5, c’est du pareil au même, Archie Shepp et le Funhouse de Steven McKay, oh ça bascule dans l’Ayler du diable. Ça frit dans le free. Jazz de tire-bouchon devenu fou, trompette B-52. Pilonnage. Mais d’où sortent ces barbares littéraires ? Sortent pas du bois, mais de Basse Normandie. 

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             «Margot». Comme la reine ? Vaut mieux pas. Plus suspensif que la Saint-Barthélemy. Soufflé avec subtilité. Quasi Miles. Tu te passionnes. Consortium toujours. Accord de cuivres ponctué par un cling cling de keys. Gros paquet de jazz en suspension. C’est l’image. Noir et blanc, toujours. Comment ça tient en l’air ? Va-t-en savoir. Imagine une bouse de jazz collégiale en suspension. Le jazz te donne du temps. Gros avantage. Tu peux te laisser bercer. Mezz Mezzrow te l’avait déjà expliqué. Martin Rev aussi. Tu glisses doucement vers «Buccal», plus classique et sonné des cloches aux trompettes de Jéricho. Tu entres dans le Grand Jeu. Tu comptes sur Gilbert-Lecomte. Ça fourrage dans la fougère, effet tonique, presque théâtre d’avant-garde, quasi Barba, trompette essoufflée et beurre décomplexé, fabuleusement aléatoire, du meilleur goût. Traîne dans un entre-deux d’entre-deux mers, pas besoin de prendre une décision, le jazz sait très bien en rester là. Quoi qu’il fasse, le jazz reste un phénomène littéraire. C’est sa force et le salut de son âme.

             «Elmo», c’est le jazz qui t’attend au coin du bois. Il te guette comme le fait un animal sauvage hirsute et plein d’énergie. Bass boy gratte des notes dans la nuit du jazz. Même sans paroles, le jazz te raconte des histoires extraordinaires. Surtout ce solo de sax cacochyme. Il crache ses poumons avec élégance. On va le retrouver noyé dans l’Hudson River, mais il s’en fout, il se hâte de souffler son liquid flow à la Bird. Délicieusement volatile. Ça te vole bien dans les plumes. Il te tourne autour du pot. C’est l’apanage des Birds. Et la grandeur du genre. Ils te troussent ensuite «Milord» à la hussarde. Jazz excédé qui saute sur place. Claqué sur une caisse claire bien montée dans le mix. Les trompettes de Jéricho se lancent à l’assaut des murailles. Te voilà dans Salammbô. T’as pas besoin de te forcer pour entendre les barrissements des éléphants de combat. S’ils n’y sont pas, tu les rajoutes. T’invente ta polymorphie. Puis le jazz entre dans la «Rose» sur la pointe des pieds. Avec tout le mystère du monde. Le son se lève comme une aube radieuse, d’une rare intensité, pour aller atteindre non pas l’inaccessible étoile, mais l’unisson du saucisson. On se dirige vers la sortie avec «Petit Jesus». Ils t’attaquent ça au free de combat. À l’Ayler. Flingué d’entrée de jeu. Ultra-violence ! Outch ! Tu fais outch, des shrapnels te hachent, tu sautes sur des mines, ils t’embarquent ça au Mo Better Blues avec une niaque de garagistes, c’est l’assaut de Denzel Washington, avec en guise de cerise sur le gâtö l’invincible élégance du freeing. Love Supreme.

    Signé : Cazengler, huile de friture 

    Now Freeture. L’Épingle du je. Petit Label 2016

     

     

    Wizards & True Stars

     - FantasmaGories

    (Part Three)

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             Gories à Paris. Inespéré. Formation originale. Dan, Peg & Mick. Maximum Detroit R&B. Overblast garanti. Les mêmes. «Thunderbird ESQ». Ric & raw. Deux grattes. Deux toms. Deux dieux : Hooky & Bo. Covers in the face. «Boogie Chillen’» et «You Don’t Love Me».

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    Mais si, on t’aime. Giant Mick. Hendrix power. Grosse corpulence. Born to rock the Crypt. L’égal de Ray Charles et de l’ami Jimi. L’exact égal. Toujours là. Increvable. Oh c’est quoi ces accords ? Gros doigts sur le manche. Trois gros doigts qui traversent le manche. Patte hendrixienne. Strato caca d’oie. Le rock qui te parle. Trois gros doigts qui dépassent du manche. Te font loucher. T-shirt Check Check. Tu ne regardes même pas Dan. À peine Peg. Juste Mick. J’irai siffler là-haut sur la Collins. Vraie rock star. On lui a dit. S’en fout. S’en bat l’œil. Pas intéressé. Hausse les épaules. Underground baby. T’as tien compris. Rock star quand même. C’est pas ton avis qui compte. C’est le sien. T’insistes. Rock star. Fuck off ! T-shirt Le Club. Check Check.

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    Barbichette blanchie. Lunettes Ray Charles. Genius itou. «Leaving Here». Dépoté. Fracas. Lemmy prends des notes. Cover qui roule à fond sur des nids de poule. Bling blang ! Michigan trash. Spécialité locale. Géant Mick fait le show. Géant Mick vole le show. Tout le show. Sale voleur ! Dan ? On sait pas. Aucun intérêt. Petit cul blanc.

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    Strato. Jean. Rien. On passe à travers. Rien à voir avec le géant Mick. Le Rodin black du rock. Le rondin du rack. Mais pas le radin du riff. Il gratte tout. Trois doigts qui dépassent. À chaque seconde. Gratte sa gratte ! Il reprend son souffle. «I Think I’ve Had It». Toi aussi, tu l’as eu. T’en prends plein la terrine. Trois doigts qui dépassent. T’en louche. Trop de classe. L’est trop grand pour un géant. Parisiens largués. Complètement largués. Même les pointus. Back to 1990. «Baby Say Uh!». Toujours vénéré cette approche. Pas de chichis. Pas des chochottes. Detroit gaga-punk. Real deal. Undergut.

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    Peg fait sa Velvet au fond. Pas le cul entre deux chaises, mais entre deux toms. Tu reviens aux trois doigts qui dépassent. Tu reviens à cette barbichette qui vibre de sauvagerie. Wild as fucking fuck. Pour de vrai. Pas pour de faux. L’aveugle te voit. Tu vois l’aveugle comme au temps jadis. Jamais décroché des Gories. Impossible. Trop raw. Trop parfait. Trio idéal. Seuls héritiers d’Hound Dog Taylor. L’à ras des pâquerettes. Le pur jus. Barbichette de prophète. Un petit côté Isaac. Detroit Moses. Diable, ce sont les blacks qui ont tout inventé. Nouvelle preuve.

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    Giant Mick. Juste deux pédales au pied. Zéro frime. Impossible. Underground. Trois doigts qui dépassent. Ça suffit pour rocker Paris. Pas besoin d’en rajouter. L’a toujours su s’arrêter à temps. «Ghost Rider». Pouce qui traverse le manche. Le même qu’Hendrix. Exactement le même. T’en reviens pas de voir cette main qui barre le rock. Extravagant. Raw ! So raw ! In a row. Pas calmé. L’âge ? S’en fout. Underground. Gories. Petit doigt plié. Pas d’accords. Rien que du raw. Faut voir comme ça sonne ! Comme ça sharkle. Comme ça désosse. Thunderbird. Grand écart pour finir. Show off. «Nitroglycerine». Boom !

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             Pas vraiment de littérature sur les Gories, excepté un chapitre explosif dans We Never Learn - The Gunk Punk Undergut 1988-2001, l’excellent florilège Gunk Punk d’Eric Davidson. Un Davidson qui te chante les louanges des Gories en termes de «destruction of what was left of the carcass of garage rock.» Oui, c’est bien de cela dont il s’agit. Avec leurs trois albums Crypt, les Gories ont pulvérisé la charogne de Baudelaire. Pulvériser la charogne du rock comme un concept. Mick le prophète déclarait alors : «All those things - the Stooges, MC5, Creem magazine, Motown, Fortune Records - they’re just signifiers now. We rejected all of that - except for the soul music part. I picked up the guitar with the sole reason of killing classic rock.» Il ajoute qu’il haïssait les groupes des seventies. Hate ! Puis il s’en prend au revival garage : «Il y avait ces magazines qui chroniquaient ces disques et qui les qualifiaient de wild and primitive, alors je les achetais et c’était du jangly folk-rock and that would just piss me off. Alors on s’est dit qu’on allait être vraiment wild and primitive, comme ils disaient. Notre mission était d’être un groupe tellement wild and primitive que ça allait transformer leurs définitions de ces deux mots.»

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             Ils écoutent les compiles Back From The Grave, et ajoute Mick, «the Scum of The Earth comp too». Il sait qu’ils peuvent être aussi bons que tous ces groupes. Il était prêt à se contenter d’un single. Alors ils commencent à jouer ensemble. Comme Fred n’est pas là pour battre le beurre, ils prennent Peg qui traîne dans la pièce. Elle n’a jamais battu. Pas grave. Mick prend la basse, mais il ne sait pas jouer, et Dan ne connaît que deux accords - Then we had our first rehearsal; january 6, 1986 -  Au début, ils se limitent à des chansons simples - If a song had more than 6 notes in it, the Gories wouldn’t play it - Ils cherchent vraiment à sonner comme les groupes qui sont sur Back From The Grave. Comme ils savent qu’ils ne sont pas aussi bons que ces vieux groupes, ils «work out some kind of formula.» Voilà le truc. Some kind of formula. Exactement ce qu’a fait le Velvet en son temps. Ils savent très bien qu’ils ne savent pas jouer et ils finissent par laisser tomber la basse. Dan est mieux sur les barrés et Mick se sent plus à l’aise sur les «single-note runs». Ils finissent à deux grattes pour des raisons pratiques. Puis ils désossent la carcasse des cuts pour ne garder que le rythme et les paroles. Mick ne se souvient pas très bien du premier gig des Gories - Peg was on mushrooms and I drank a whole bottle of Thunderbird ESG before we went on stage - Puis ils vont commencer à jouer tous les week-ends. Le couple Peg/Dan splitte en juillet 86. Ils découvrent ensuite le Velvet «whose influence added a drone underneath the Gories’ garage rattle.» Ils flashent aussi sur l’Ides Of March des Mighty Caesars. Last but not least, flash sur les Cramps. Mick : «I will make an admission. I didn’t hear the Cramps until 1984. I did finally hear Smell of Female while in college in 1984, which I still think is their best record.» Mick dit qu’au fond, il n’était pas si fan que ça. Les Gories en pinçaient plus pour le r’n’b, alors que les Cramps en pinçaient pour le rockab.  Mick conclut en avouant qu’il ne savait pas que les Cramps jouaient aussi à deux grattes.

             Et bien sûr, Mick évoque le premier album des Gories sur Crypt, enregistré chez Tim Warren sur un 4 pistes. Dan n’aime pas Tim : «Oh he was just a maniac. A fuckin’ toothpaste-eating nutcase.» Underground.

    Signé : Cazengler, Goret

    Gories. La Maroquinerie. Paris XXe. 4 juillet 2024

    Eric Davidson. We Never Learn. The Gunk Punk Undergut 1988-2001. Backbeat Books 2010

     

     

    Estivaleries 2024

     (Sandy, Jerry, Bob, Duke et les autres)

     - Part One

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             Comme c’est l’été, on dresse des tentes dans les rues. Les spectacles sont gratuits. Tiens, voilà Little Bob ! Ça ne te rajeunit pas. Longue histoire. Petit bonhomme. Les Normands l’aiment bien. L’appellent Ti Bob. On le voyait assez régulièrement au temps jadis. Tout le monde a ses souvenirs de «Bob». Des souvenirs qui n’ont le plus souvent aucun intérêt. Comme ceux des ceusses qui te racontent leur chat en long et en large, ou leurs vacances en Thaïlande. Bif baf bof. Pour rester dans le bif baf bof, voici une anecdote : voici 20 ou 30 ans, un copain t’appelait pour t’annoncer un «concert secret» des Pretties à la Villette. T’es sûr ? Bah ouais ! Bon d’accord. On y est allés. En réalité, il s’agissait d’un concert de Little Bob, avec Phil May en guest star : il était juste venu pour le rappel faire des chœurs sur UN seul cut de Little Bob. C’est ce qu’on appelle le niveau zéro des choses de la vie.

             Voilà donc Little Bob sur scène avec son guitariste, un stand-up man et un troisième bras droit au beurre. Une voix, ça c’est certain. Qui oserait dire le contraire ? Personne ! Il cultive une vieille passion pour le boogie-rock, ça on le sait depuis 50 ans. Bif baf bof. Un certain professionnalisme. Un talent réel. Et pas mal de fans dans le public. Connaissent les paroles des boogies. Quelques covers, «Daddy Put The Bomp (Rock and Roll)» des Ducks Deluxe, un «Kick Out The Jams» à la soupe aux choux (tout le monde n’est pas Wayne Kramer, amigo), et un fantastique «All Or Nothing», et puis des cuts à lui que t’aurais presque envie de réécouter tellement c’est bien foutu, et bien chanté. Mais il est peut-être trop tard pour entreprendre ce genre de besogne.

             Trop tard, tel est le mot. Little Bob incarne mieux que quiconque la fin d’une époque, l’éphémérité des choses. L’époque est révolue et pourtant il est sur scène, gentil, souriant. Regard noir. Tu ne vois pas ses yeux. Petit bonhomme fané. On se demande comment il arrive encore à tenir 1 h 30 sur scène. Un peu abîmé. 80 balais l’an prochain. Tout ce chapitre va se refermer avec lui, puis avec toi. This is the end, beautiful friend. Little Bob se raccroche une dernière fois au temps présent. «Riot In Toulouse» comme au temps de la salle Sainte-Croix des Pelletiers. Tout cela n’a de sens que parce que vécu dans l’impitoyable éphémérité de l’instant. Dans une sorte de bif baf bof de l’à quoi bon. Aussitôt après le concert, il n’y aura plus rien, sinon la mort, suivie de l’oubli. De toute évidence, Little Bob ne se pose pas tant de questions. Il sourit. Fait des coucous aux gentils rouennais. «Lucille» ? Alors «Lucille». Rien n’a changé depuis 50 ans. Boogie baby. Il a une technique très simple pour lutter contre l’impitoyable éphémérité de l’instant : le prochain album. Il en parle d’une voix éteinte. Le fameux morceau du prochain album. On se demande bien à quoi ça rime. Mais ses fans sont contents. Ils iront l’acheter à la FNAC comme ils l’ont fait toute leur vie. Et puis, la vie n’est pas faite pour durer éternellement, alors on ne va pas en faire un fromage. À un moment donné, dans pas si longtemps, il faudra dégager, et ce sera très bien. 

             En attendant ton tour, t’en vois d’autres partir. Petite rafale estivalière de départs : Jerry Miller, John Mayall, Sandy Posey, Duke Fakir, quatre en l’espace de deux jours. Pas bif baf bof, cette fois, mais bim bam boom. Une internationale de la mort : San Francisco, Londres, Memphis et Detroit. Que va-t-il rester de tout ça ? Les disks ? Oui, rien que les disks. Un peu de wiki pour les ceusses qui ne savent pas trop d’où sort un vieux bouc comme Mayall. Un peu de wiki pour les ceusses qui ne savent pas que Duke Fakir appartenait aux Four Tops. Pour les gens d’un certain âge, Mayall et les Four Tops furent des héros, Mayall en 1967 avec deux albums, A Hard Road (avec Peter Green) et Crusade (avec Mick Taylor). Tu voyais les belles pochettes dans la vitrine de Buis et tu poussais la porte du temple pour entrer les acheter. Par contre, les Four Tops, c’était moins cérémonieux : il s’agissait d’EPs que tu pouvais barboter au Monoprix : plus petits et plus escamotables. Tu n’en finissais plus d’écouter et de réécouter «Reach Out I’ll Be There» et «Bernadette», tu t’injectais des shoots de magie pure. Dans ta petite tête de rat d’égout, tu t’imaginais qu’il n’existait alors rien de plus puissant que Motown et les Four Tops et les Temptations et Martha & the  Vandellas et Smokey Robinson, tu plongeais et tu replongeais dans la fontaine de jouvence à t’en évanouir de jouissance, car c’est exactement de cela dont il s’agissait. Et puis, ils sont tous partis, les Toppers : Levi Stubbs, Obie, Lawrence Peyton. Duke Fakir est celui qui a duré le plus longtemps, il a même écrit ses mémoires, tiens justement, faudrait qu’on en reparle, il est dans la pile de la Tour de Pise, pas le bouquin du siècle, mais diable, il s’agit quand même de Duke Fakir, membre émérite de ce qu’il faut bien appeler une institution. Little Bob est aussi une institution, mais pas au même niveau. En attendant, on va saluer les 5 premiers albums (faramineux et planétaires) des Toppers.

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             Dès leur premier album sans titre paru en 1964, les Toppers allumaient leurs cuts aux cœurs d’artiche et réchauffaient leur Soul de mille éclats joyeux. Ils groovaient «Without The One You Love» et chantaient «Where Did You Go» à la glotte folle. On trouvait en B un fantastique jerk de pantalon moulant intitulé «Don’t Turn Away». On adorait jerker sur ce showdance craze. Les Toppers savaient aussi miauler à la lune, comme le montrait «Call On Me». On était aussi alors à l’aube de l’ère Holland/Dozier/Holland, ce trio de surdoués qui allaient bourrer cette grosse dinde qu’on appelle l’Amérique. 

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             Et ça commence à monter en régime avec le Second Album. Ils ouvrent le balda avec «Can’t Help Myself» qu’il faut bien qualifier de hit intemporel. Le trio Holland/Dozier/Holland tourne alors à plein régime. Comme Isaac le prophète à Memphis, ils fabriquent du gros popotin. On est là à l’âge d’or du r’n’b, au cœur du hot. Pur génie, tout est là, le beat, les voix, les chœurs, les arrangements et le bassmatic de James Jamerson. On se régale aussi d’«Is There Anything That I Can Do», car ce petit groove Tamla d’apparence innocente menace parfois d’exploser, tellement la mélodie sous-jacente palpite sous le boisseau. T’as encore deux autres hits faramineux, «Something About You», et surtout «It’s The Same Old Story», connu comme le loup blanc des steppes. Il faut savoir que Berry Gordy concevait Tamla comme une usine de montage à la chaîne : il ne fabriquait pas des voitures, mais des hits planétaires. De leur vivant, les Toppers se résumaient en deux mots : faramineux et planétaire.

             Il faut aussi absolument écouter le Live paru en 1966. Ça donne une toute petite idée de l’énergie des Toppers sur scène. Levi Stubbs n’a aucun problème à reprendre l’«It’s Not Unusual» de Tom Jones. Ils font aussi une version dévastatrice de «Reach Out I’ll Be There», l’un des plus grands hits des temps modernes. Et c’est battu à la diable. Ils tapent dans les Supremes avec une version d’«You Can’t Hurry Love» - I need love love love/ To ease my mind - et en B, ils virent Brazil pour une savoureuse version de «The Girl From Ipanema». Ils terminent cet album (faramineux) avec un «I Can’t Help Myself» (planétaire). 

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             Comme un empereur en ville conquise, ils entrent dans l’âge d’or avec l’album On Top. Attention, les hits se planquent en B et ça démarre avec «Matchmaker» qu’ils jazzent à Broadway. Eh oui, les Toppers sont capables de tels prodiges. Voilà la preuve que Dieu est noir. Ils adressent un fabuleux clin d’œil aux Beatles avec une reprise de «Michelle» qu’ils chantent en français. Back to Broadway avec un «In The Still Of The Night» dégoulinant d’élégance. Ils luisent dans la nuit américaine. Avec «Bluesette», ils sonnent comme des magiciens du softah. Back to Brazil avec «Quiet Nights Of Quiet Stars», histoire de saluer bien bas l’immense Carlos Jobim.

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             Et voilà l’Ararat des Toppers : Reach Out. Album bardé de barda, cœur battant de l’empire Motown, génie du peuple noir, clé du système Gordy. «Reach Out I’ll Be There» fascine par son élégance et son énergie. Quadrature du cercle de la Soul. Gros shoot de magie noire dans le cul du monde blanc. Bassline en dadadadh. James Jamerson ! On ne le découvrit que beaucoup plus tard, en voyant le film sur les Funk Brothers. Avec Reach Out, les Toppers sont devenus les rois du monde, c’est-à-dire qu’ils régnaient sans partage sur toutes les boums. Ils passaient à la Soul torride avec «7 Realms Of Gloom». Levi Stubbs chantait à la force du poignet, un peu comme Edwin Starr. Ils tapaient plus loin dans les Monkees avec «Last Train To Clarksville» et en B avec «I’m A Believer», qu’ils transformaient en pop de Soul sauvage. Ne confiez pas un hit sixties aux Toppers, ils vont le bouffer tout cru ! Et voilà le jerk le plus sauvage de l’histoire des jerks sauvages : «Standing In The Shadow Of Love». Plus puissant que Reach Out. Ils montent encore d’un cran dans l’exaction métabolique avec l’effarant «Bernadette». (Faramineux et planétaire). Ah quelle chance elle a, Bernadette, les Toppers la pelotent et ramènent tout le swing du monde entre ses cuisses, Jamerson pulse ses triplettes de Belleville, on monte au paradis avec les chœurs qui montent au ciel. Il n’existe rien d’aussi parfait sur cette terre.

             Mayall est aussi une institution, mais on l’aime pas beaucoup, le vieux bouc, trop despotique, trop vieux pour les Bluesbreakers qui l’entouraient. Dans les conversations, t’avais toujours les ceusses qui encensaient Mayall et il fallait vite corriger le tir et dire non : certainement pas Mayall. Peter Green ! Sans Peter Green pas d’Hard Road.

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             Mayall chante «A Hard Road» au chat perché, mais avec « The Stumble », Peter Green éclate au grand jour. Dans cet instro du diable, il se permet toutes les audaces. C’est lui qui va sauver l’Hard Road. D’abord avec cette version magistrale de « Dust My Blues » qui ouvre la B. C’est l’une des incarnations de l’élégance. Et il sera encore meilleur dans le Mister Wonderful de Fleetwood Mac. « The Super Natural » préfigure « Albatross ». Toucher de note unique au monde. Ce fut une révélation. On ne savait plus s’il fallait croire en Dieu ou en Peter Green. Ça devenait compliqué. « Someday After A While » est l’un des blues les plus poignants de l’histoire des poignées. Oh les phrasés stridents de Peter Green au fond du son ! Pour une fois, Mayall chante bien. Le solo est d’une beauté surnaturelle, Peter Green atteint l’harmonie subliminale. Il est Peter Pan, le héros du pays imaginaire du blues - my baby blue but I don’t mind - la puissance effective, voilà ce qu’est l’immense Peter Green.

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             Comme Clapton annonce son retour dans les Bluesbreakers, Peter Green est viré. Mais Clapton ne vient pas, parce que Ginger Baker monte Cream. Alors Mayall embauche Mick Taylor pour enregistrer Crusade. Mick Taylor est encore un blanc bec, mais il a déjà un son. « My Time After Awhile » est un blues pleurnichard. Mayall le prend au chat perché et Mick Taylor gratte un solo classique. Depuis le départ de Peter Green, la panache brille par son absence. Il faut attendre « Tears In My Eyes », ce beau blues d’orgue, pour trouver de la viande. C’est chanté avec la main sur le cœur. Mick Taylor gratte des poux aigus et ronds qui courent au fond du son. Il va les chercher au bas du manche. Il tisse un fil mélodique d’une justesse ultime et le constelle de perles de lumière. En B, « The Death Of JB Lenoir » impose le respect. Mayall rend un hommage déchirant, puissant, sincère et royal au géant Jeebee. N’oublions pas que Wim Wenders part de là pour raconter l’histoire de Jeebee dans The Soul Of A Man. Ils font ensuite une reprise d’« I Can Quit You Baby » de Big Dix, que Jimmy Page va revisiter sur le Led Zep 1. Ils bouclent ce vaillant bouclard en mode boogie-blues avec « Checkin’ Up On My Baby », le genre d’haut de gamme qui caractérisait si bien les productions de Mike Vernon.

             Après, t’as d’autres albums, mais ce soir, on va en rester là.

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             Jerry Miller ? Oui, bien sûr, Moby Grape ! L’un des guitaristes californiens les plus lumineux de son temps, un géant du même acabit que John Cipollina et Jorma Kaukonen. Encore une grosse actualité, car Cam Cobb publie à tours de bras, What’s Big And Purple And Lives In The Ocean?: The Moby Grape Story, et plus récemment, Weighted Down: The Complicated Life Of Skip Spence, alors on va y revenir, c’est prévu au programme. Les deux Cam Cobb sont déjà là, dans la pile de la Tour de Pise. Jerry Miller, quel héros !, au même titre que Skip Spence, Bob Mosley, Peter Lewis et Don Stevenson, un vrai ramassis de surdoués, il n’y avait d’ailleurs que des ramassis de surdoués à cette époque, on s’épuisait la cervelle à vouloir suivre cette actualité, et maintenant, tous ces géants disparaissent, alors pareil, on va s’épuiser la cervelle à vouloir honorer tout ce bouillonnement inversé, pas de problème, une cervelle ça sert surtout à ça. Vazy vieille cocote !

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             Le premier album sans titre de Moby Grape paraît comme par hasard en 1967, la même année que le Reach Out des Four Tops, Sandy Posey Featuring I Take It Back et A Hard Road & Crusade des Bluesbreakers. Gros classique de la scène de San Francisco. On y trouve trois hits intemporels qui n’ont toujours pas pris une seule ride : «Hey Grandma», «Omaha» et «Changes». C’est le son vif argent, l’étalon or du rock US, des hits qui éclairent les annales pour mieux les défoncer. Skip Spence signe «Omaha», chef-d’œuvre d’acid rock précipité. Puis t’as ce «Fall On You» noyé d’harmonies vocales, visité par un lead incisif signé Jerry Miller. Sur «Changes», Bob Mosley fait le show sur sa basse, suivi par Don Stevenson et son petit beurre sec et salé. Skip Spence referme la marche avec l’airplainien «Indifférence», un airplainien qui ne décolle pas ici, mais qu’on verra décoller plus tard dans une version live.  

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             Wow sort l’année suivante, mais déçoit, malgré sa belle pochette surréaliste. On ne sauve que deux titres, «Murder In My Head For The Judge» et «Can’t Be So Bad». Murder a pour particularité de sonner comme un hit de Soul psyché, suivi par les meilleures parties de guitare de la côte Ouest. Jerry Miller ! Tellement décontracté du gland ! Avec «Can’t Be So Bad», on retrouve le son des hits du premier album, ce petit rock échevelé et lumineux, fulgurant d’ébulliance de la prestance. On les sent prodigieusement extravertis et délibérés. Mais le reste de l’album ne vole pas bien haut. Dans «Motorcycle Irene», Skip dit d’Irene qu’elle est sale sur sa moto, mais que ses ongles sont propres, et bien sûr, «Motorcycle Irene» se termine par un accident. Bob Mosley compose des balladifs qui ne fonctionnent pas («Bitter Wind» et «Rose Colored Eyes») et Jerry Miller propose un blues intitulé «Miller’s Blues» qui n’a vraiment rien d’original. Mais comme Miller est un guitariste fabuleux, on écoute son blues jusqu’à la dernière goutte.

             Sandy Posey, c’est un peu plus compliqué. Pour établir le contact avec elle, il faut passer par Chips Moman, car elle fut, avec Merrilee Rush, sa chouchoute. C’est Sandy Posey qui va surnommer Chips the Steve McQueen of the music business - He was good looking in that rugged Southern way, charismatic, drove a sports car and had his own airplane - Si tu veux l’écouter chanter, il faut passer par les albums MGM et les commander aux États-Unis.

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             Le premier s’appelle Single Girl, elle l’attaque avec l’«Hey Mister» de Dan Penn. On note la belle présence lofi de l’house-band de Chips. «A Place In The Sun» permet de vérifier que tout est toujours somptueusement orchestré chez Chips. Sandy chante «The Last Day Of Love» au petit sucre sixties. On comprend que Chips ait craqué pour sa voix. C’est une merveille de délicatesse féminine. Elle fait bien sûr une fantastique cover d’«I’m Your Puppet». Le Penn, toujours. Globalement, elle sonne très anglais. Elle a ce côté sucré qui fit la renommée des Pye babies du Swingin’ London. On la voit résister à des attouchements dans «Don’t Touch Me» - Don’t touch me/ If you don’t love me/ Sweetheart - Elle a raison, les mecs ne pensent qu’à ça, au cul.    

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            En 1967, elle enregistre Sandy Posey Featuring I Take It Back. Le morceau titre est une belle pop de Chips qu’elle chante au petit sucre d’I’m sorry, mais on va en rester là. C’est très pop pour Memphis, mais si c’est du goût de Chips, alors on s’incline. Encore de la vraie pop US de sucre candy avec «The Big Hurt», ça résonne bien dans l’écho du temps. Sandy incarnerait presque l’insoutenable légèreté de l’être. Elle repart de plus belle en B avec «It’s Wonderful To Be In Love». Elle mène bien sa sarabande poppy, elle a la voix idéale pour traîner son becau-ause dans une poussière d’étoiles. Elle enchaîne deux cuts quasiment parfaits, «Love Of The Common People» et «Halfway To Paradise», un classique signé Goffin & King, idéal pour les jukes. Elle termine avec l’excellent «Come Softly To Me», frais et doux comme le baiser d’une fiancée. C’est dingue que Chips ait craqué pour cette merveille de doo bee doo reprise en France par Henri Salvador.

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             Le dernier album de Sandy enregistré en 1968 chez Chips s’appelle Looking At You. On y retrouve les composantes du duo : le sucre et la prod. Mine de rien, Chips propose une solide Americana de Memphis. Sandy sait percher sa pop, elle se montre encore très anglaise avec «Just You Just Me». Sa version d’«It’s Not Easy» de Mann & Weil est très Walker Brothers. On sent bien les chops de Chips. Et si t’aimes la belle pop, c’est là : «Silly Girl Silly Boy». En plus, c’est une compo à elle. Elle ouvre son bal de B avec une «Something I’ll Remember» forcément beau puisque produit par Chips. Encore du Mann & Weil avec «Shades Of Gray». Ça reste du haut niveau d’équation voice + prod + song, tout est là, Sandy fout sa petite gomme et franchement on l’admire. Son sucre brille au soleil du Brill. Elle tape aussi dans le «Will You Love Me Tomorrow» de Goffin & King. Imparable. Le Brill à Memphis, l’eusse-tu cru ? Ah c’est quelque chose.

    Signé : Cazengler, estivalie de la terre

    Little Bob. Terrasses du Jeudi. Place Saint-Marc. Rouen (76). 18 juillet 2024

    Sandy Posey. Disparue le 20 juillet 2024

    Sandy Posey. Single Girl. MGM Records 1966            

    Sandy Posey. Sandy Posey Featuring I Take It Back. MGM Records 1967

    Sandy Posey. Looking At You. MGM Records 1968 

    Jerry Miller. Disparu le 20 juillet 2024

    Moby Grape. Moby Grape. Columbia 1967

    Moby Grape. Wow. Columbia 1968 

    Duke Fakir. Disparu le 22 juillet 2024

    Four Tops. Four Tops. Motown 1964

    Four Tops. Second Album. Motown 1965

    Four Tops. Four Tops Live. Motown 1966

    Four Tops. Four Tops On Top. Motown 1966

    Four Tops. Reach Out. Motown 1967

    John Mayall. Disparu le 22 juillet 2024

    John Mayall & the Bluesbreakers. Crusade. Decca 1967

    John Mayall & the Bluesbreakers. A Hard Road. Decca 1967

     

     

    L’avenir du rock

     - Mengers des boutons

             — Chères téléspectatrices, chers téléspectateurs, bonsoir. Nous voici en direct de Cognac-Jay pour les Mardis de l’Histoire, votre rendez-vous hebdomadaire avec l’histoire. Cette semaine, j’ai le plaisir de recevoir parmi nous quatre éminents polémologistes. À ma gauche, Mister Ian Fraser Kilmister, diplômé de la chaire d’Hammersmith et polémologiste speedo-cartésien de renommée internationale, collectionneur de dagues, de casquettes et de culottes SS, la Seconde Guerre Mondiale n’a aucun secret pour vous. C’est bien cela, Mister Kilmister ?

             — Uh !

             Puis Pierre Desgrappes se tourne vers son second invité, installé à sa droite :

             — Nous recevons aussi ce soir Mister Christopher Farlowe, atomiseur d’Atomic Rooster et colosse patenté de Colosseum. Vous êtes surtout antiquaire spécialisé en objets militaires allemands de la Seconde Guerre Mondiale, installé à Islington et expert reconnu dans le monde entier. Vous avez tenu à nous présenter ce soir un bombardier allemand, l’une des plus belles pièces exposées dans votre magasin qui, si mes renseignements sont exacts, s’appelle Call To Arms. C’est bien cela, Mister Farlowe ?

             — Uh !

             Pierre Desgrappes pose sa pipe et se tourne vers le troisième invité :

             — Mister Ronald Asheton, professeur en sciences proto-punkoïdales de l’université d’Ann Arbor et membre honoraire des Psychedelic Stooges. Vous êtes dit-on le grand spécialiste mondial du napalm, est-ce bien exact ?

             — Uh !

             Pierre Desgrappes reprend sa pipe, soufflote un coup dans le tuyau, et se tourne vers le quatrième invité :

             — Avenir du rock, grand départageur du bien et du mal, grand séparateur du bon grain et de l’ivraie, sans vouloir écorcher votre légendaire modestie, vous vous considérez comme le dernier rempart, vous livrez un combat sans merci à celle que vous nommez vous-même l’adversité, c’est-à-dire l’hydre de la médiocrité, ce qui fait de vous le grand spécialiste des guerres intestines, est-ce bien exact ?

             — Non !

             — Auriez-vous l’obligeance d’éclairer nos téléspectatrices et nos téléspectateurs ?

             — Il ne s’agit pas de guerres intestines, mon cher Pierre Desgrappes, mais de Mengers des boutons !          

     

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             L’avenir du rock ne pouvait pas rater une occasion pareille : vanter la grandeur des Mengers en direct, devant des millions de téléspectateurs ! Quel coup fumant ! Vraiment digne de Clausewitz ! Coup d’autant plus fumant que les Mengers arrivent tout droit de Mexico : trois fils de Moctezuma, et leur producteur, sur scène, pour l’une des meilleures dégelées de psycho-psyché qu’on ait vue depuis belle lurette.

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             Tu les crois timides et gentils comme les péons d’un western de Sergio Leone ! Por favor, señor, ouais c’est ça. Grave erreur, Balthazar ! Sous de faux airs dociles et inoffensifs, ils te balaient d’un coup toute la vague de groupes psyché en circulation, ils font du Can mâtiné d’Hawkwind, mais à la puissance mille, propulsés par Pablo, un gigantesque batteur obèse, et il faut entendre gigantesque à tous les sens du terme. Pablo qui doit peser 150 kg te bat le beurre du diable, tu vois rarement un mec taper aussi fort et aussi bien sur ses fûts, il joue la caisse entre les cuisses et c’est un miracle qu’il ne casse pas ses baguettes. Ramalama, c’est lui ! Ces trois vaillants Mexicanos foncent dans la nuit, accompagnés sur scène par celui qu’on imagine être leur protecteur et leur producteur, un homme plus âgé et surmonté d’un chignon. Pendant que Pablo bat la chamade et bat la campagne tout en fascinant la compagnie, les copains Carlos et Mauricio font pas mal de ravages, surtout le Mauricio qui gratte une petite basse fuzz, le visage recouvert de cheveux, il te harponne le psyché au riff délétère. Lui, il a tout compris, il a découvert les vertus de la basse fuzz, alors il arrose, et ça devient apocalyptique, combiné au wild beurre de Pablo assis juste derrière, un Pablo complètement barré dans son délire, le loco de la loco. Quelle fabuleuse leçon de section rythmique !

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    Ils sont même capables de montées en température, alors que le son est déjà au max du mix, et là-dessus Mauricio vient concasser des télescopages de riffalama biseautés, l’effet est sidérant. Tu vois ça et tu dis Mengers forever ! No problemo ! Comme les Fomies, ces petits mecs sortent de nulle part et créent la sensation sur le pouce, dès leur premier cut, tu sens le souffle, tu sais qu’ils vont te ramener en plein dans le mille, dans l’œil du cyclope, à l’origine des abscisses et des ordonnées, là où commence le rock, enfin le rock qui s’élève, le seul qui vaille tripette. Tu t’agenouilles et tu dis à Dieu : donne-moi les Mengers et garde tous les autres, toute ta soupe de Kills et de Black Keys. Whamos bhamos thank you Chicanos !

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             Un seul album au merch : Mengers Vs. Progreso Nacional. La peau des fesses en plus. Tirage confidentiel. Pablo nous explique dans un anglais exotique que c’est un album expérimental. On tente le coup car on espère bien retrouver la transe du set. Y a-t-il des cuts du set dessus ? Yesss, two, qu’il dit. Alors banco de la banca. Il avait raison, c’est un LP expérimental qui se joue en 45 tours et dont on peut aisément se passer. Impossible d’identifier l’A de la B, et les cuts sont numérotés en chiffres romains. On sent qu’ils ont des idées, sur l’une des deux faces, ils font de la psychette aztèque suivi d’un sacré clin d’œil à Can, dans lequel Pablo fait son Jaki Liebezeit. Puis ils tapent un cut plus pop, vraiment digne des Beatles du White Album. Le grand insert glissé dans la pochette nous montre leur petit studio. L’image inspire l’humilité.  

     Signé : Cazengler, Menglaire

    Mengers. Le Trois Pièces. Rouen (76). 24 mai 2024

    Concert Braincrushing

    Mengers Vs. Progreso Nacional. 2023

     

     

    Le péril Jones

     - Part Six

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             Tu crois t’en tirer comme ça, avec deux concerts de Jim Jones ?

             Deux concerts, c’est bien gentil, mais six pages dans Shindig!, c’est autre chose. Et pas des petites pages à la mormoille. Le boss Mills tend son micro à l’Hypnotic et titre ‘Gimme The Grease’ (comme le cut du même nom). Quand Jon Mojo Mills tend son micro, il tend son micro ! Mills chapôte en rappelant que ça fait quarante ans que ce «cool and collected singer» donne des coups de collier - I was a bit of a misfit - Pour que ça soit bien clair, l’Hypnotic dit qu’il ne s’intéresse pas exactement aux mêmes trucs que les autres.

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             Si on prend le temps de se pencher sur cette interview, c’est qu’elle sort de l’ordinaire, comme le font systématiquement celles de Keef et de John Lydon. Même acabit, ici. Sur scène, il est bon, on l’a dit et rabâché, mais en interview, il est encore meilleur. Mills commence par le prendre par les sentiments en lui demandant quel disk l’a moved out quand il était petit. Et là, Jim Jones raconte sa chance d’avoir eu des parents qui ont un jour décidé d’installer un «music center» dans la baraque, et donc ils ont refilé leur ‘dansette’ et leur box de vieux 78 tours et 45 tours aux gosses. Là-dedans, le petit Jim trouve «Great Balls Of Fire», Little Richard, Larry Williams, some Elvis. Mills embraye aussi sec sur les Hypnotics. Pas trop marginalisés, à l’époque de C86 ? - We were very much out on a limb - Position inconfortable, évidemment. Il en profite pour rappeler le rôle crucial des disquaires anglais, à cette époque. L’un d’eux entend que Jim aime bien Hendrix, alors il lui recommande Blue Cheer. Jim se souvient aussi du premier Dolls. Puis les Stooges et le MC5. C’est encore l’époque du bouche à oreille. Quand les Hypnotics commencent à jouer, c’est avec les Spacemen 3. À cette époque, les gens se lookaient, dit Jim, on savait qui écoutait les 13th Floor - Ce n’est plus comme maintenant, les gens ne sont plus que des touristes culturels - Et voilà que les Hypnotics signent sur Sub Pop, grâce à Marc Arm, de Mudhoney. Arm est un fan de la première heure qui a flashé sur le premier single des Hypnotics. Comme Mudhoney était sur Sub Pop, les Hypnotics se retrouvent sur Sub Pop pour les USA, avec la bénédiction de leur label anglais, Beggars Banquet.

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             On croit connaître par cœur l’histoire des Hypnotics, mais re-racontée ainsi, ça redevient palpitant. Come Down Heavy sort en 1990, produit par Dick Taylor, avec Phil May dans le studio de Mark St John, et Dave Garland, l’ingé-son de Slade. Pour Jim ça devient irréel de se retrouver en studio avec ses idoles les Pretties et un mec qui a bossé avec Chas Chandler. Jim insiste énormément sur le côté irréel de cette situation.

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             S’il existe une telle différence de ton entre Come Down Heavy et Soul Glitter And Sin, c’est dû à leur deuxième tournée américaine. Ils ont eu un accident de bagnole et le drummer Phil s’est retrouvé plusieurs mois à l’hosto. Retour à Londres, concerts avec Rat Scabies au beurre, et puis ça commence à se déliter - I think by the end of the tour everyone - ecstasy was on the scene - was splintering off and drifting more into drugs. Well not maybe. Definitely - Ses points de repère à l’époque sont le Third de Big Star et les Scientists, qui jouaient en première partie d’Alex Chilton au Mean Fiddler. Et puis il voit Blue Velvet «on a mushroom trip» et réalise que Thee Hypnotics pouvaient être «beaucoup plus qu’un groupe qui sonnait comme Blue Cheer et les Stooges.» Dont acte. Puis c’est l’épisode Craig Pike, un bassman entré dans le groupe, qui overdose dans l’appart à Londres - And I found him dead.  

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             On monte encore d’un cran dans les fréquentations avec The Very Crystal Speed Machine produit par Chris Robinson. Rick Rubin est aussi dans les parages. Ils enregistrent l’album aux États-Unis - Chris was in full rock star mode. There were uppers and downers and everything in between... celebrities visiting, whiskey bars and all that - Jim Jones dit les choses et les dit bien - It’s a weird time capsule - Et bam, Mills embraye sur Black Moses et l’«old school friend» Greame Flynn. Sans doute la période préférée des fans de Jim Jones - Black Moses were great - Ils adoraient les Meters, Sly & The Family Stone. Mais Alan McGee leur fait des promesses qu’il ne tient pas. Dommage. On a dit jadis, dans un Part One, la grandeur des deux albums de Black Moses. On reviendra sous peu sur Greame Flynn et Penthouse.

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             En 2007, Jim Jones monte the Jim Jones Revue et renoue avec le rock’n’roll de son enfance, Little Richard et Jerry Lee - My main starting point was Little Richard, particularly this song called ‘Hey Hey hey’. It gelled and it all felt good and off we went. It took off really fast. It really did - C’est vrai qu’on était tous très impressionnés à l’époque qu’un petit cul blanc puisse claquer aussi brillamment ce vieux hit de Little Richard enregistré à la Nouvelle Orleans. Puis c’est le meteoric rise to near fame. Puis ça continue avec les Righteous Mind et les All Stars - All the main arteries have come together from Thee Hypnotics, the Revue and the soul grooves of Black Moses, but the All Stars has got its own flavour - Quand Mills lui demande quelles sont les plus grosses influences en matière de compo et de lyrics, il cite aussitôt Marc Bolan - Des gens qui peuvent raconter n’importe quoi, mais un n’importe quoi rythmiquement parfait - Pour lui, c’est le critère principal, ce qu’il appelle the touchstone. Il cite Le Voyage Au Bout de La Nuit de Céline, comme modèle. Il dit aussi en pincer pour Walt Whitman et Emily Dickinson - La façon dont ces «Modern American Poets» assemblent leurs vers me coupe le souffle - Il cite aussi Jimbo qui a ramené la poésie dans le rock - And no one is going to beat Dylan. The Beatles and the Stones - Et puis vient la chute finale, Mills cite Bobby Gillespie - Rock is dead - Et Jim Jomes répond : «It depends where your’re standing.» «Pour moi, le rock, c’est la terre sur laquelle je marche, c’est l’air que je respire.» Et il précise pour les ceusses qui n’auraient rien pigé : «If you’re alive, so is rock’n’roll.» Il cite les New York Dolls et balance en guise de chant du cygne : «Rock’n’roll lives on!».    

    Signé : Cazengler, Jim Jaune

    Jon Mojo Mills : Gimme the grease. Shindig! # 153 - July 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Carat Melvin

             Petit, chauve, ça allait encore. Melchior se faisait tailler gentiment. Rien de méchant, les petites vannes habituelles, du genre «Ça-va-ty crâne d’œuf ?», ou encore plus subtil, «Oh mince t’es si petit que j’ai failli pas te voir !». Comme tout le monde, Melchior faisait ses courses au marché du village. Il s’arrêtait et papotait avec les commerçants qui voulaient bien de sa conversation, en plus de ses pièces d’argent. Outre sa petitesse et sa calvitie, Melchior avait un autre défaut : l’érudition, un défaut que les gens du village ne lui pardonnaient pas. Mais chez lui, c’était maladif, il ne pouvait pas s’empêcher de transmettre son savoir. Il s’arrêtait devant le marchand de tissus précieux et lui récitait la discographie de Lou Reed, depuis le premier album du Velvet jusqu’à son dernier album, Lulu, il datait chaque album, il ânonnait le regard fixe. Puis il s’arrêtait devant le marchand d’huile d’olive et lui déroulait la discographie de Leonard Cohen, album après album, méthodiquement, épinglant au passage les collaborations, ce dont se foutait éperdument le marchand d’huile d’olive. Melchior ne se rendait pas compte que son érudition aggravait son cas et lui valait les pires inimitiés. Il ne voyait pas les gens du village ramasser des pierres derrière lui, il n’entendait pas le brouhaha des aigreurs et de la jalousie et de la bêtise et de la haine, il ne sentait pas venir l’orage, il continuait de réciter, il continuait de dater, imperturbablement. Il reçut une première pierre dans le dos, il se retourna et fut surpris de trouver les gens du village rassemblés à quelques mètres autour de lui, et avant qu’il n’eût pu dire un autre mot, les pierres volèrent dans sa direction. Il se protégea le visage comme il put, mais il flageolait sous la violence des chocs, il tomba à genoux, les gens hurlaient, tiens prends ça dans ta gueule ! Melchior pleurait et criait, «Arrêtez ! Je vous en supplie, arrêtez !», mais les gens continuaient. Melchior eut le crâne en sang, il sanglotait, et quand une énorme caillasse l’atteignit au front et lui brisa le crâne, il s’écroula inanimé.  

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             Si Melvin Davis avait chanté du r’n’b sur le marché d’un village en Alabama, il aurait très certainement subi le même sort que Melchior, mais heureusement pour lui, Melvin était plus malin que Melchior, car il ne lui serait jamais venu à l’idée d’aller traîner dans un coin où on hait les nègres.

             Ce Soul Brother de Detroit a une sacrée particularité : il va plus sur le garage que sur Motown. Il est à la fois chanteur, compositeur, bandleader et a bossé avec tous les cracks locaux, depuis Smokey Robinson jusqu’à David Ruffin, en passant par Dennis Coffey et Wayne Kramer.

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             C’est la raison pour laquelle il faut écouter cette prodigieuse compile, Detroit Soul Ambassador, un Vampi Soul paru en 2010. Dès «About Love», tu craques, car le beat des Caraïbes remonte jusqu’à Detroit. Les coups de génie pullulent sur ce Vampi Soul : «I Must Love You», raw comme ce n’est pas permis, il te démonte la logique Motown en plein cœur de Detroit, c’est âpre et sans appel. Pareil pour «Still In My Heart», pointu et demented, il chauffe sa Soul aux charbons ardents, Melvin est un dieu, c’est éclaté à coups de trombone. Tu tombes ensuite sur «Chains Of Love», bing encore du heavy doom de Soul, et ça continue avec «I’m The One Who Loves You», bien tartiné aux violons, Melvin ramène son âpreté divine, c’est vite plié et vite génial. Il a une façon unique de plier le heavy groove. Il faut voir aussi le heavy splash d’«I Won’t Love You And Leave You», c’est battu à plates coutures, dans une ambiance impayable. La plastique de Melvin Davis est parfaite. Il est fabuleux dans chacun de ses cuts, avec lui, tu touches au but. Detroit Soul underground, oui, à la vie à la mort ! Tu te prosternes encore devant «Playboy (Don’t You Play In School», wild as fucking fuck, chargé d’harmonies vocales et explosé au beurre des enfers. Dans tous les cuts, tu as un mec derrière qui frappe au rata-sec. Melvin chante, mais son beurreman lui vole bien la vedette. Encore plus wildy wild que le roi : ««This Ain’t The Way» : Melvin ramène toute l’énergie du peuple noir au sommet du Detroit lard.

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             Un tardif de Melvin Davis ? Tu peux y aller les yeux fermés, Double Or Nothing est un album parfaitement demented. Ça grouille de puces, à commence par «Somethang’s (I Just Don’t Do)» qu’il attaque au heavy rap, il chante au biseau du stay, il plie les genoux, il a gardé tous ses réflexes de superstar. Ah il faut le voir à l’intérieur du digi, Melvin est extrêmement bien conservé. Tu lui donnes tout de suite le bon dieu sans confession. Encore un coup de génie : «WCTP», Detroit funk ! Explosif !  - We Come To Party/ WCTP ! - Stupéfiante présence, il te sort le real deal du real Detroit funk, et derrière, c’est repris à la clameur. Là t’as tout. Encore du hard funk avec «Why Can’t We Communicate». Avec Melvin, ça ne traîne pas. C’mon ! C’est enfoncé du clou. Fabuleuse énergie. Melvin t’indique la voie. Il est le leader, sous sa casquette blanche. Fantastique ! Impliqué ! Black ! Avec cet album, il est dans un son plus contemporain, mais, hey, c’est Melvin, after all. Il ne fait jamais les choses à moitié : l’heavy groove de «No More Water In This Well» traîne bien la savate, mais chez lui, quand ça traîne la savate, c’est pour de vrai. Il attaque son «Power Glory Fortune Fame» en mode Santana, c’est dire son power. Ça joue à la déboulade. Son morceau titre est un fantastique balladif de Soul bardé de gratte. Dans le digi, il délivre un message de paix : «Thank you for allowing me to share my soul vision with you. I can only hope that you will pass on the positivity so that we can make this world a better place. What better starting point than the soul.» Et c’est signé : Detroit Soul Ambassador, Melvin Davis. 

    Signé : Cazengler, Melvin Avide

    Melvin Davis. Double Or Nothing. Rock Mill Records

    Melvin Davis. Detroit Soul Ambassador. Vampi Soul 2010

     

     

    *

             Toujours prêt à porter secours à une jeune orpheline en détresse, vous me connaissez, doublement prêt puisqu’elles sont deux, Béatrice la patronne m’a averti, non elles ne sont pas orphelines, elles se débrouillent très bien toutes seules, elles n’ont pas expressément besoin de toi pour survivre, tant pis, je n’écoute  plus, le moteur de la teuf-teuf rugit comme Le Félin Géant  de Joseph Henry Rosny aîné, normal dès que vous prononcez le mot rockabilly, la guerre du feu commence. Hot Fire Raw’n’Roll !

    SUGAR MAMA’S REVENGE

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    (Troyes / 20 - 07 - 2024)

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             Elles n’occupent pas toute la place mais l’on ne voit qu’elles, plantureuses dans leurs marinières, sur notre gauche Sugar Brica moulée dans les rayures de sa robe longue qui l’encercle de toutes parts, à son côté Sugar Annie, toute droite presque une écolière modèle dans sa jupe noire, le pire c’est que dès qu’elles chantent vous oubliez tout, peut-être pas le monde entier, mais au moins les gars qui les accompagnent.

    Mais revenons au début du commencement. Bien avant le début du premier set- il y en aura trois – il fait si chaud que toute l’assistance est restée sur la terrasse. En quête d’un peu de fraîcheur. On l’aura, mais agrémentée d’un violent orage, d’où le reflux général vers le dedans. Oui mais avant : il y a ce grand gars, debout, une touche incroyable, une aura romantique, s’appuie sue une canne à bec d’argent, ce doit être, ce ne peut être que Lord Byron, sa démarche légèrement claudicante quand il se réfugie dans le café, whouah ! quel style, Don Juan en personne échappé du poème du même nom, œuvre ultime, miroir dans lequel Byron a tracé son inquiétante silhouette, comme un dernier signe d’adieu à la race humaine…

    C’est-là que l’on s’aperçoit, ni Annie ni Brica, que le musicos arque-bouté sur sa big mama, non ce n’est pas Lord Byron, mais c’est Brandon Ashington, entre nous c’est mieux car je ne pense pas que Byron aurait su taper aussi fort, terrible, première fois que j’entends un slap si dévastateur, l’impression de deux carènes de voiliers qui se fracassent l’une contre l’autre un soir de tempête d’équinoxe. Réparons une injustice, c’est que les filles monopolisent les regards et que Brandon un peu éclipsé par la demi-pénombre d’une paroi n’est pas très visible, mais on l’entend. L’on serait presque tenté de dire que l’on entend que lui. A tel point que pendant un moment j’ai cru que le groupe n’avait pas de batteur. Les filles forment un écran total, elles l’occultent.

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    Mais si, il y en a un, de temps en temps, bonnes princesses les gerces laissent la gent masculine nous tatouer les esgourdes, ainsi j’ai pu observer Rockin Bende, de tous les batteurs que j’ai examinés c’est le plus vicieux, un pousse-au-crime,  un de ces molosses malfaisants qui quelle que soit l’allure que vous adoptez vous rattrapent et plantent leurs crocs dans le gras de vos fesses, vous avez beau courir, ralentir, sauter, stopper, démarrer en côte, cabrioler, l’est toujours là, les canines dans votre postérieur, ne lâche pas, suit votre rythme mais sa seule présence insistance vous oblige à accélérer. Bref Brandon met le feu et Rockin ne fait pas Bende à part. Une rythmique de fadurles.

    Je sais vous attendez les divas, mais il reste encore un homme, le troisième. The last but not the least. Lucky Steve est guitariste. Essayez de comprendre, il ne joue pas de la guitare. Non, pas du tout, il se contente d’intervenir. Tout seul, comme un grand. Enfin comme un génie. Vous avez les filles qui imitent les cornes de brume et les deux rhythmbreakers qui vous poussent la chaudière de la loco à fond. Lucky se charge des aiguillages. Ce n'est rien, vous jette trois ou quatre notes, l’air de ne pas y toucher, comment se fait-il que subitement l’on n’écoute plus qu’elles, le Lucky vous change en un tour de doigts la  trajectoire d’un morceau, l’est sûr qu’il n’est pas sécure, vous oblige les copains et les copines à emprunter les courbes à angle droit, ou à cavaler des descentes exponentielles, arrêts intempestifs, grand-huit,  train de la mort et train-fantôme. Vous avez droit à tout. A la surenchère.

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    Avec ces trois pètent-la-mort, l’est évident que nos mama’s ne sont pas des mijaurées. Z’ont pas attendu Me Too pour prendre leur revanche. Sur quoi au juste, la vie, la mort, le monde, tout ce que vous voulez. Et même tout ce que vous ne voulez pas. Entre nous, l’appellation Sugar : si vous y tenez, perso je trouve que nitroglycérine serait plus appropriée. Admettons que le morceau c’est le taureau alors Annie c’est le toréador, pour les passes et les esquives, vous oubliez, elle marche sur la bestiole tout droit, de face un coup de poing sur la nuque et pour le deuxième couplet elles tressent un scoubidou avec la queue du pauvre animal qui s’enfuit au galop, manque de pot survient Brica qui lui bricole deux ou trois banderilles directement plantée dans le cerveau.

    Essayez de ne plus penser à tout ce que vous venez de lire. Je suis sûr que vous l’interprétez mal, vous croyez que vous avez affaire à une bande de brutes sombres et épaisses. Des tueurs dans un abattoir. Que nenni, nos cinq ostrogoths venus de Germanie, travaillent dans la finesse, l’équilibre et la grâce. Le rockabilly est un art difficile. Sans violence pas de rockabilly. Sans justesse, sans maîtrise pas de rockabilly non plus. Faut l’antithèse et la thèse pour subsumer le tout dans la synthèse alchimique, impossible, incroyable, inimaginable. D’un autre monde. Dans lequel nos Sugar Mama’s Revenge nous ont transportés, sans un temps mort, durant les trois sets.

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    Non je ne me dédie pas, mais il y a eu un temps mort. Jusques là tout allait bien, dehors il pleuvait, dedans la foudre tombait de tous les côtés. Mais après, ça a été encore mieux. Au milieu de la tourmente du deuxième set, celui avec un petit côté sixties, Annie a déclaré qu’ils allaient interpréter un slow. Elle n’aurait pas dû. Le public était déjà plus que chaud, ça remuait dans tous les sens, le slow a mis le feu aux poudres, ambiance survoltée, et ce démon de Brandon qui vous roucoulait de perfides glissades bigbangiques sous ses doigts, assistance survoltée, nuit rockab vésuvienne à Pompéi… l’on en est sorti tous vivants, l’on ne sait pas pourquoi, ni comment, une de ces nuitées rock, de feu, d’énergie et de beauté  dont on se souviendra longtemps… Et ce moment de folie ou Brandon s’est métamorphosé en King Kong, moulinant des deux bras, tel un gorille survolté escaladant le manche-gratte-ciel de sa contrebasse  pour nous ouvrir en grand les portes du paradis rockabillyen…

    Béatrice la patronne avait raison, elles n’ont besoin de personne, chez nos deux Sugar Mamma’ la vengeance est un plat qui se mange very hot !

    Damie Chad.

     

    *

    Le mec qui a farfouillé dans la rangée metal n’a pas été capable de remettre le CD à l’endroit, ah ! mes bonnes lectrices, tout se perd en ce bas-monde, non en fait elle est dans le bon sens, n’empêche que c’est étrange, j’essaie de trouver à quoi ressemble cette image, mes connaissances du linéaire B mycénien ne me sont d’aucun secours, à tout hasard je retourne la pochette : tout s’éclaire : hardcore !

    Du coup je comprends le dessin, jusqu’à lors j’entrevoyais surtout une rotondité qui me connectait directement avec la silhouette de la machine à coudre Singer de ma grand-mère, c’est juste un gars assis un tabouret affectant une pose de guitariste rock, un peu déjanté certes, au recto la photo vous met sur la bonne voie, une scène bordélique et viriliste typique des concerts  hardcore américain, ni dépourvue d’un certain érotisme, ni exempt d’une violence joyeusement assumée.

    Je n’ai pas réussi à déchiffrer le nom du groupe, l’intensité lumineuse du soleil caniculaire empêche la lecture des lettres dorées, j’achète, le flair du rocker est infaillible, le vendeur est content, n’arrivait pas à s’en débarrasser depuis plusieurs années. Ce qui me paraît incompréhensible.

    PETITIONING THE EMPTY SKY

    CONVERGE

    (Equal Vision Records / 40 / 1998)

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    La couve est de Jeff Bannon fondateur et frontman du groupe. Son instagram vous présente les multiples pochettes qu’il a réalisés pour de nombreuses formations, un art brutal qui s’impose à vous comme un coup de poing ou une muraille de bronze, ce n’est pas un hasard puisqu’il est amateur d’arts martiaux. Un activiste hardcore qui a su se partager entre plusieurs combos, et créé son propre label. Converge est né en 1990, dans la bonne ville de Salem, serait-ce un hasard maléfique, l’a d’abord produit un EP quatre titres suivi d’un premier album en 1994, en 1996 survient un deuxième EP, qui augmenté de titres plus anciens est considéré par les fans comme son deuxième album. Converge a produit dix albums, et tournait encore l’année dernière.

    Jacob Bannon : vocal / Kurt Ballou : guitare piste 1 / Aaron Dalbec : guitare / Jeff Feinburg : basse / Stephen Brodsky : basse piste 12  / Damon Bellorado : batterie.

    The saddest day : le jour le plus triste pour des auditeurs non-avertis qui tomberaient par hasard sur ce morceau, un coup de trompette pour débuter, rien de grave, le bruit crissant de ces jouets sonores que l’on vous vend dans les fêtes foraines, le problème c’est que début ne dure que quatre secondes, ensuite le capharnaüm auditif vous tombe dessus, style tôles coupantes qui glissent du toit pour vous décapiter sans préavis, ce n’est pas tout une batterie incapable de tenir une rythmique au-delà de trois coups de suite, une boucherie labyrinthique qui défie la loi de l’invariance généralisée censée maintenir le monde en lui-même, bref le chaos total et vocal, une espèce de grincement dislocatoire qui vous assaille sans trêve, une guitare à l’unisson, ne dites pas qu’elle fait n’importe quoi car elle est sciemment destinée à ulcérer vos tympans, jusque-là tout va mal, c’est ensuite que vous entendez des voix souterraines et chutes de courtines médiévales destinées à vous écraser sous les décombres, vous voici projetés dans les postillons nocifs d’une coqueluche abrasive, ne fuyez pas, au bout de trois auditions vous ne pourrez plus vous passer de cet infâme tourbillon, même que bientôt vous apercevrez  que cette symphonie ulcérante ne raconte pas n’importe quoi, niveau parole l’on est plus près du récit de la chute de l’Ange, non pas le diable, arrêtez avec ces sornettes pour classes de maternelles, ni celle de l’Ange rilkéen, mais la vôtre, car depuis le premier jour de votre naissance vous dégringolez dans la mort. Certes ce n’est peut-être pas grave si l’on s’en tient à votre cas personnel, mais comment vous serait-il possible de tisser une relation davantage intimiste avec un autre ange qui plongerait dans l’abîme en même temps que vous, bref vous êtes au cœur du piège de la solitude humaine… vous comprenez maintenant les ruptures fractales de cette musique, l’harmonie romantique est un leurre, le hardcore vous renvoie à votre situation désespérée. Aucune rémission possible. Forsaken : abandonné à votre triste sort. Ce second morceau n’apporte aucune consolation.   Certes il est plus fort et plus violent, genre nous vous enfonçons ça dans la tête à coup de manches de pioches, ah ! ah ! vous avez cru aux balivernes de la communication érotique, ne serait-ce que pour une courte période, enterrez vos souvenirs dans une boîte au pied de l’Yggdrasil de la tendresse, ou même mieux foutez-vous vous-même dans la tombe, ou alors ensevelissez votre partenaire, dans les deux cas cela reviendra au même. Deux minutes d’horreurs, que voulez-vous les chants les plus cruels sont les plus désespérés.

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    Albatross : (la couve de la réédition de 2006 aide à comprendre le dessin qui nous a paru si mystérieux à l’achat, en effet la silhouette blanche du musicien s’est métamorphosée en albatros baudelairien, non pas le prince des nuées mais l’oiseau maladroit posé sur le pont du navire, devenu la risée de l’équipage, empêché par l’étroitesse du bâtiment de déployer   l’envergure de ses ailes  et de s’envoler, parfait symbole de l’Artiste exilé parmi les hommes… mais tout individu ne se sculpte-t-il pas lui-même). Le chant de l’albatros n’est pas des plus mélodieux, par contre musicalement vous avez droit à la tempête, avec le piqué en vrille dans les eaux glacées, un chœur d’enfants clôt le sinistre finale comme une couronne funéraire jetée au rebut. Les Pistols n’ont jamais réussi à produire une telle horreur. Peut-être avez-vous connu plusieurs essais d’une vie heureuse, que vous n’avez pas réussi à conserver. Ne vous en prenez qu’à vous. Dead : oui, la vie est triste, une guitare vous refile deux mesures de blues, mais ils retombent vite dans leur folie colérique et meurtrière. Règlement de comptes. Hurlements hystériques. Compost musical triomphal, au lieu de m’aimer tu ferais mieux de me tuer, mais serais-tu capable de m’aimer une fois mort. La question est un peu métaphysique, mais notre cadavre est bruyant à souhait. L’est sûr que la police a dû intervenir pour faire cesser le tapage nocturne. Shingles : zona obscurus. L’on reprend l’histoire au début. Durant la chute de l’ange, vous avez-vu l’autre ange tout mignonitou, vous trouverez sans aucun doute qu’ils auraient pu fignoler un arrangement empreint d’un minimum de sérénité, c’est parce que vous ne connaissez pas la fin, le gars se remémore les instants mensongers, en fait il se remetmort car il enfouit le canon de son pistolet dans sa bouche. Buried but breathing : oui le morceau est très court, mi-figue mi-raisin, un peu moins violent ; vous allez comprendre, il tord le cou au romantisme, ils n’ont pas eu l’instinct de jouer à Juliette et Roméo, z’ont sûrement raté l’occasion comme des idiots, sont au trente-sixième dessous, bien enterrés, mais ils vivent encore. Farewell note to this city : légers tapotements, le poinçonnage prend de l’ampleur sans se presser, le vocal est en haut, la musique par-dessous, moment d’introspection, bilan d’une vie, insatisfaite, moment d’incertitude, tout est consommé, on n’y croit plus du tout, reste tout de même une lueur d’espoir. Reprise des tapotements initiaux, des points pointillés qui traduisent une certaine indécision, alors que s’attendrait à un point terminal définitif. Color me blood red : tiens la trompette qui ouvrait le premier morceau, serait-ce une remise des compteurs à zéro, l’est sûr que le gars est un peu torturé, on ne le reconnaît plus, il implore, il hurle, il ne veut pas qu’elle parte, il vous fait la grande scène du troisième acte, les musicos au diapason dramatique, il casse la vaisselle et bazarde les cadeaux du mariage par la fenêtre, il se calme un peu, il pleure, il suffoque, il agonise, il n’y croit plus, il ne sait plus quoi faire, alors il se la joue à la Jim Morrison, this is the end clame-t-il bien sûr il n’y a pas de beautifull friends sur le quai pour un dernier aurevoir et encore moins de bus bleu pour l’emmener, la fin est abrupte. For you : (live) : il est difficile de sortir du nihilisme, quand vous ne croyez plus en rien, il vous reste à croire en vous, encore une histoire d’amour qui se termine mal, pas mal troussée à la nitro d’ailleurs, le combo gonflé à bloc, pour le vocal Bannon donne tout ce qu’il peut, par moments vous l’entendez hululer comme une chèvre, c’est vrai que le message n’est pas facile à faire passer, il vient sauver sa petite amie, s’est adjugé les rôles les plus importants celui de Dieu et celui de Jésus, le pire c’est que l’on arrive (presque) à le croire tellement il y met du cœur. Un remake de la Passion.  Savoir-faire américain. 

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    Antithesis : (live) : la suite du précédent, le retournement, vous m’avez cru, voici l’antithèse antichristique, Je suis froid comme la mort, je ne suis pas de votre monde, je ne garde pas non plus les portes du Paradis, apothéose criarde. Homesong : (live) : retour à la maison, à condition d’y faire le vide, de virer bobonne, pas trop loin et pas tout à fait non plus, remue-ménage et remue-méninges, mettre les idées et les choses en place, un moment de folie, à tel point que le morceau se fracasse sur lui-même avant de repartir. Love as asrson : (Alternate take) : folie meurtrière, l’a trouvé la solution, si vous ne voulez pas être l’ange qui tombe du ciel soyez le phénix qui renaît de ses cendres, quand l’une sera tombée, l’autre la ramènera à l’empyrée des brûlures de l’extase, le morceau est comme une incroyable fulmination, un incendie que personne n’arrêtera jamais, et qui se termine sur un brasier vocalique incandescent.

             L’on ne sort pas indemne d’un tel disque. Pas vraiment un album, car trop disparate, des morceaux issus de différents moments, pas temporels mais mentaux. Hardcore certes, violent et brutal, mais des textes intelligents, au final s’en dégage une épouvantable beauté.

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a wild et wild. Les rockers impénitents ont l’habitude d’associer ce mot en des expressions comme wild rock’n’roll, ou raw and wild rock’n’roll, toutefois il faut se souvenir que le titre original du roman de Jack London traduit en français par L’Appel de la Forêt s’avère être The call of the wild.

    Pour les américains   ce mot   évoque les étendues mythiques plus ou moins explorées de leur immense continent peuplé de bêtes dangereuses et de féroces tribus indiennes assoiffées de sang… Bien plus tard, au début des seventies du siècle dernier, le film Jeremiah Johnson marqua la nostalgie du retour à cette nature dure mais innocente perdue à tout jamais… En 1979 Mountain Men, traduit en notre langue par La fureur sauvage de Richard Lang corrige quelque peu l’idéalisme du film de Sydney Pollack. En 2007 Sean Penn propose son Into the Wild, plus pessimiste, l’histoire d’un jeune étudiant qui tente l’impossible retour vers les solitudes originelles, the dream is over…

    Cette histoire nous pouvons l’entendre aussi dans la musique populaire américaine, le country and western peut être écouté comme le contre-chant de l’électrification des campagnes et des consciences, un refuge musical traditionaliste pour certains, l’ère mythique d’un arrière-pays, une issue de secours imaginale, une bouée de sauvetage qui permet de reprendre souffle avant de replonger dans notre société actuelle pour de nouveaux électro-chocs…

             Juste avant les vacances dans notre dernière livraison 652 du 04 / 07 / 2024 nous chroniquions Crackin’ up le dernier opus sonore d’Eric Calassou, précédemment, précédemment nous nous penchions sur  Covers, mais avant celui-ci il y avait eu Into the wild que nous n’avions pas visité. Hâtons-nous de parer à ce manquement dommageable !

    INTO THE WILD

    BILL CRANE

    (YT / Avril 2024)

             L’on ne se débarrasse pas aussi facilement de la modernité si l’on en croit la pochette, de l’herbe certes, pas folle, rase, encombrée de pneus usés, et de bandes caoutchouteuses, est-ce pour nous inciter à quitter au plus vite notre environnement quotidien ou pour nous signifier qu’il est déjà trop tard, que partout où nous porterons nos pas nous ne trouverons que des déchets, que notre planète est devenue une poubelle géante…

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    Crazy child : soyons subtil, qu’est-ce qui différencie ce premier morceau de tous les précédents de Bill Crane que nous avons antérieurement écoutés, même s’il vaudrait mieux d’abord évoquer les similarités : la boîte à rythmes, la guitare et le chant. Rappelons qu’exilé volontaire en Thaïlande Eric Calassou travaille en solitaire et ne bénéficie d’aucun groupe d’accompagnement. S’il fallait définir juste en quelques mots les  compositions antérieures à Into the Wild, je dirais qu’elles sont toutes marquées d’une indéfinissable nostalgie. Non pas celui du pays quitté volontairement, mais l’autre, du plus réel, de celui dans lequel l’on n’arrive jamais pour la simple raison qu’il participe de nos rêves, dans nos errances existentielles nous ne risquons pas de le rattraper puisque nous courons en vain sans fin après lui. Nous le suivons car il est le guide que nous avons élu. Chacun possède sa boussole intime, pour Eric Calassou elle indique le rock’n’roll, non pas le lieu à rejoindre, mais l’originaire celui selon lequel au travers de l’enfance et de l’adolescence, la mythologie fondatrice sur laquelle l’on a édifié sa propre personnalité. La nostalgie rock’n’roll de Bill Crane nous la retrouvons dans ses autres opus, dans ces paroles évanescentes qui semblent se perdre dans le non-dit, dans les sentes de ces vocaux, dans ces traces de caravanes qui disparaissent mystérieusement en plein désert… le vide n’est jamais nommé, mais un mot de plus et l’on y tomberait dedans… Engloutis pour l’éternité. Mais cette fois-ci Bill Crane ne cherche pas le rock’n’roll, se tourne non plus vers sa propre origine, mais vers celle du rock’n’roll, il tente de remonter à l’origine de l’origine. Un pari fou, plein d’espérance, ne part pas seul, l’emmène avec lui une enfant aussi folle que lui, les chevaux trottent vivement vers l’horizon, il chante, il appelle, il hèle, il termine ses phrases, les mots se bousculent dans sa bouche, il respire à pleins poumons, il pousse les youpies des cowboys primordiaux, le monde est grand et ouvre devant eux un horizon illimité… My little baby : la même scène que la précédente, tout à l’heure ils étaient deux à galoper dans l’extérieur de l’univers, mais cette fois-ci vue de l’intérieur de notre cowboy, l’est ébloui par ce compagnonnage amoureux, la guitare rutile de mille feux, elle est belle, elle est mignonne, elle se réveille chaque matin à ses côtés (when I awoke this morning… humez le vent du blues) tout va bien, sinon que le monde s’est coupé en deux, nous n’en avons plus qu’une seule moitié, rien de grave une partie du tout participe tout aussi bien du tout. Il est seul, mais à l’écouter vous avez deux chemins, l’un exubérant et joyeux et l’autre teinté d’une brume de mélancolie. Sur laquelle pariez-vous. My wild love : aucune des deux, il ouvre une autre porte, celle des Doors, celle que Jim Morrison a forcée, une reprise oui, sachez faire la différence, ce n’est plus l’enfant folle mais mon amour sauvage. De deux l’on régresse à un. Lorsque la réalité se fendille, l’on passe au stade supérieur, entre la vérité et la légende imprime la légende, dans le domaine du mythe, Morrison n’était pas fou, simplement il voyait un cobra à sa droite et un léopard à sa gauche, si vous ne les voyez pas, restez au ras du plancher et ne venez pas vous plaindre. Une belle reprise, elle ne surpasse pas celle du Roi Lézard mais elle se tient. Debout comme un cobra à votre gauche et un léopard à votre droite. Evitez de vous faire mordre. Bill Crane n’a peur de rien passe entre les deux sans ciller en  émettant un de ces sifflotements de jem’enfoutiste sûr de lui qui a le don de vous énerver.  On the road : après Jim que voulez-vous dire de plus, Bill Crane ne pipe mot, un instrumental, entre nous soit dit l’on a envie de rajouter ‘’again’’ au titre pour montrer que l’on connaît ses classiques, l’est vrai que Canned Heat nous conte l’histoire d’un solitaire, d’ailleurs n’est-on pas toujours seul lorsque l’on se retrouve face à la montagne du mythe, alors Bill Crane crâne un minimum, fait joliment flirter sa guitare, si bellement que si l’on avait été lui l’on aurait coupé le sifflet de la boîte à rythmes… Going up the country : évidemment l’on pense encore à la chaleur en boîte, oui mais au-delà de cette attribution originairement douteuse l’on se rattache aux petites herbes (de la prairie), ne serait-on pas en train de quitter le country pour le blues, mais dénomme-t-on pas aussi le blues : country blues. Plus on remonte aux racines, plus elles se rejoignent… Ce qu’il y a de sûr c’est que Bill Crane fait une deuxième tentative. Nouveau départ. Propose le pari à une nouvelle petite amie, le rythme ne sautille plus, se prolonge dans les échos des résonnances cordiques, la voix devient plus grave, plus insistante, la partie n’est pas encore perdue, il devient clair qu’elle n’est pas gagnée non plus, sur la fin la proposition prend des allures de prières pas très fières… nous sommes obligés d’employer un mot fâcheux, celui de nostalgie. Les confins verdoyants du paysage country ressemblent-ils un peu trop aux pré-alpes rocheuses du rock’n’roll. Quelle surprise nous réserve le prochain titre ? Honey hush : soyons honnête Big Joe Williams n’est en rien un chanteur de country, il vaudrait mieux le cataloguer dans le blues et le jazz, nul n’étant parfait notre géant ne s’est pas contenté de folâtrer dans les musiques reconnues parce que dotées d’un certain cachet d’authenticité octroyé par les blancs, dans les années cinquante l’a planté ses gros panards dans le Rhythm And Blues et crime suprême dans le rock’n’roll, Bill Haley récupèrera son Shake Rattle and rock que se hâtera de reprendre Elvis Presley, l’est un devancier pour ne pas dire un précurseur du rock’n’roll, n’a-t-il pas travaillé avec Wynonie Harris… Cette fois-ci Bill Crane saute le pas. Nous pond une super reprise du hit du Big Joe, pas question de mâchonner les syllabes, les assène avec la même force que l’idole de Kansas City, un bel hommage à la sauvagerie noire.

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    ( Bill Crane in Paris)

    Dance to R&R : les mauvais exemples excitent la jeunesse, Bill Crane franchit allègrement le Rockbicon, en prime nous avons droit à sa recette du pâté d’alouette, une alouette pour la rythmique mélancolique de ses rocks antérieurs et un cheval de phrasé rock, terriblement explicite, le galapiat il prend un plaisir jouissif à mouvoir le corps de sa petite amie, ce n’est plus la base du désir qui suinte de ses lèvres mais un flot spermatique… Into the wild : dans votre naïveté sans doute avez-vous pensé qu’il officiait sur un gazon sauvage, près d’une rivière, pas du tout, les petites fleurs bleues ce n’est pas son kif il vous révèle la terrible réalité, l’a mis le dictaphone de sa boîte à rythmes en marche et il cause par-dessus, jamais vous n’auriez imaginé qu’il fût doté d’un tel organe (vocal) une véritable déclaration de guerre, un manifeste politique, il crie sa haine de l’espèce humaine, met Dieu sur le même plan, ne votez jamais pour lui il détruirait toutes les villes du pays, son mot d’ordre ‘’into the wild’’ ne correspond pas exactement avec l’idéologie des hippies… Down on me : n’a pas renoncé à son projet, genre we we gotta get out of this city, presque un talkin’blues, un peu chaloupé, un peu lancinant, tout cela pour persuader (c’est le titre le plus long) sa baby de partir avec lui. J’ai le regret de vous apprendre qu’il n’est nullement motivé par la louable intention de s’adonner à la permaculture ou de réduire son empreinte carbone en vivant comme un ascète, non ses intentions sont claires, l’a des goûts simples, veut simplement rock ‘n’ roller avec sa girl-friend, pour ceux qui ne comprendraient pas le sous-entendu de ce verbe je vous donne un équivalent traductif, il veut la piquer et la niquer sans arrêt. Slow boogie : évidemment il n’a rien à ajouter à un tel programme, alors il n’ajoute pas un mot à son deuxième instrumental, l’apprivoise par un début slow-sixty avec son frottis-frottas doucement balancé… Shake it : non je n’ai pas oublié de traiter la deuxième partie du titre précédent. Nous file le slow, mais pour le boogie, il n’en souffle mot, il ne bouscule même pas sa guitare, disons que le slow est le moyen d’atteindre le boogie. En fait le boogie vous le trouvez dans ce morceau final, surtout pas dans la musique, vous balance sa rythmique habituelle, mais ça n’a rien à voir avec Rock’n’roll  sauvage de Led Zeppelin, tout est dans l’assurance entraînante et affirmée du vocal.

             Non, Into the wild n’est pas un plaidoyer écologiste. Bill  Crane nous apporte la recette du bon médicament. Si vous êtes atteint de la terrible maladie de la nostalgie du rock’n’roll, le seul remède consiste en s’en défaire en vivant le rock’n’roll au plus près de ses brûlures.

             Bill Crane, pas plus qu’aucun autre, n’échappe au rock’n’roll. Inutile d’aller le chercher ailleurs. Il est en vous.

    Damie Chad.

     

    *

             Vous cherchez et vous trouvez. Peut-être pas ce que vous cherchiez. Je voulais un groupe qui corresponde à ce que mes critères définissent comme ‘’ original’’ ou ‘’intéressant’’ et dont a priori je ne saurais rien. A postériori il s’est avéré qu’une fois ma recherche terminée je n’en sais guère davantage que presque rien.

             Des argentins de Cordoba. La deuxième ville la plus peuplée du pays me souffle Wikipédia, je veux bien le croire, elle possède même la plus vieille église de l’Argentine, détail qui ne m’incite à aucune appréhension positive. Apparemment depuis le temps l’état d’esprit de la population a progressé puisque la cité possède de nos jours au moins un groupe de rock. Qui ne lésine pas sur les moyens : pour se faire connaître au monde entier ils ont décidé de frapper un grand coup, carrément un essai atomique !

    ENSAYO ATOMICO

    FUERZAS EXTRANAS

    (Official Music Video  / YT / Juillet 2024)

    Manu Montoya : guitare / Gabi Diaz : bass / Zequi Ciscar : drums.

    Attention ceci n’est pas leur premier morceau, juste une jam enregistrée live, une espèce de footing sonore pour débuter leurs répétitions. Cette mise en bouche se retrouvera-t-elle plus tard sur leur premier EP voire sur un album ? Je n’en sais rien, en tout cas sur leur band camp ils ont déjà une couve en attente. Un dessin un tantinet étrange, qu’est-ce que cet œil descendu de l’espace qui pleure si fort que le flot de larmes qui s’en échappe alimente un lac à lui tout seul. Ambiance lugubre. Serait-ce un avertissement écologique, seules des Forces Etrangères venues de la plus lointaine voûte stellaire seront-elles capables de rendre vie à notre planète désolée… L’image est signée Deliriavision, un tour sur son Instagram, vu le nombre de pochettes réalisées pour des groupes sud-américains, vous comprendrez que l’artiste doit être recherché. Sa vision du monde n’est pas des affriolantes. Un regard dur et froid, mat et sans concession. Nous reconnaissons la pochette de l’album Primigenian de Black Star Giant que nous avons chroniquée en 2023.

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    Ensayo Atomico : un instrumental de sept minutes trente. Les images n’ont rien d’exceptionnels, rien de neuf, vos les avez déjà vues cent fois à la télé, quant à la musique elle n’innove en rien. Ne dites pas ce n’est pas la peine que j’écoute et que je regarde. Moi j’ai d’abord visionné la vidéo sans le son, et puis j’ai mis le son sans regarder les images. Dans les deux cas je n’en suis guère sorti convaincu. Oui, mais quand j’ai zieuté et écouté des deux ensemble j’ai été surpris. Une congruence parfaite entre le sens et le son. Sans aucune exagération. Exemple 1 : un essai atomique : vous vous foutez les potards à 192, et vous noisez l’outrance sonore à mort, bref vous émettez un bruit que personne n’entendra jamais, puisque devenu sourd à la première seconde. Exemple 2 : un essai atomique : les images sont invisibles, vous apercevez l’ombre de la lumière, bref vous n’y voyez que du translucide pelliculaire.  Non nos Forces Etrangères ne donnent pas dans les facilités azimutales. L’explosion ne les intéresse pas. Ce qu’ils veulent vous montrer : c’est l’inéluctabilité du phénomène. Pas de panique, ils ne vous envoient pas un gars bardé de diplômes es Physique en blouse blanche pour vous exposer avec des schémas explicatifs les étapes des réactions en chaîne des neutrons qui vont vous libérer l’énergie. Simplement ils nous filment des sites, des camions, des hélicos, des trains, des sous-marins, des villes dont on pressent que bientôt il ne restera rien, pour les zonés à dévaster des barbouillages, des coloriages maladroits de vos bambins qui se prennent pour Picasso sous prétexte qu’ils ont des feutres de toutes les couleurs… Attention, on ne fait pas exploser une bombe atomique avec des soldats et des engins militaires, avant faut avant toute une organisation, des banques, des capitaux, Wall Street, des politiciens, regardez bien, parce que parfois le montage est serré, la bombe atomique n’est que le fruit de toute une stratégie économique et politique… Musique, pas de crescendo, un peu de dramaturgie théâtrale sonore au début, mais après ça se calme, vous font le coup du rythme implacable et fascinatoire, le regard du cobra que vous ne quittez plus, vous le regardez tellement fort, que lorsque vous réalisez qu’il vous a attaqué c’est que vous êtes déjà mort. Tant pis pour vous. Las Fuerza Extranas vous avaient prévenu, ne venez pas vous plaindre. Coalescence totale entre le son et sens. Attention, artefact musical parfait. Une véritable bombe atomique à retardement.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 653 : KR'TNT ! 653 : BILLY VERA / MONONEON / JIM JONES / BCUC / KING FLOYD / THUMOS + SPACESEER / WITH MALICE / PERFECITIZEN / MONOVOTH

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , billy vera, mononeon, jim jones, bcuc, king floyd, thumos + spaceseer, with malice, perfecitizen,  monovoth

    LIVRAISON 653

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 07 / 2024

     

    BILLY VERA / MONONEON

    JIM JONES / BCUC / KING FLOYD

    THUMOS + SPACESEER / WITH MALICE

      PERFECITIZEN / MONOVOTH

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 653

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    TERRIBLE NOUVELLE

    POUR LES LECTEURS DE KR’TNT

    LE CAT ZENGLER ET L’AGENT CHAD

    PROFITENT DE L’ETE

    POUR VOIR

    SI AILLEURS LES FILLES SONT PLUS BELLES

    ET LE ROCK’N’ROLL DAVANTAGE DESTROY

    *

    SUPERBE MEDECINE

    POUR L’HUMANITE EPLOREE :

    ILS SERONT DE RETOUR

    POUR LA LIVRAISON 654

    LE MERCREDI 28 AOÛT 2024

    KEEP ROCKIN’ TIL  NEXT TIME !

    *

    CA FAIT QUINZE ANS QUE CELA DURE

    LE ROCK’N’ROLL A LA VIE DURE !

     

     

    Wizards & True Stars

     - Monte là dessus et tu Vera Billy

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             C’est par Chip Taylor que tu entres chez Billy Vera. Mais tu peux aussi y entrer par une belle autobio, Harlem To Hollywood. Un book à l’image du p’tit Billy sur la couve : rayonnant. Un p’tit Billy qui te raconte l’histoire d’un rock américain que t’aimes bien, c’est-à-dire le rock américain de qualité.

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             Ça veut dire quoi le rock américain de qualité ?

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             Le Billy book te donne la réponse. Il a 11 ans quand il écoute Alan Freed à la radio en 1955. Il se souvient vaguement d’avoir flashé sur l’«I Feel Good» de Shirley & Lee et sur Frankie Lymon & the Teenagers - I was hooked - Hooked par la musique noire. Dans une salle de spectacle du Bronx, il voit The Motown Revue, c’est-à-dire les Supremes, les Temptations, Smokey Robinson & the Miracles, Little Stevie Wonder qui a 12 ans, ET Kim Weston, qui, dit-il, n’a jamais été vraiment reconnue à sa juste valeur. Le p’tit Billy est ultra-hooked. Avec son argent de poche et les sous qu’il gagne en tondant des pelouses, il se paye ses trois premiers singles : «Blueberry Hill» de Fatsy, l’«Honky Tonk» de Bill Dogett et «Priscilla» d’Eddie Cooley & The Dimples. Le p’tit Billy s’empresse d’ajouter qu’Eddie Cooley compose en 1956 un hit qui va le rendre riche : «Fever». Puis il se paye l’«Oh What A Nite» des Dells, de Chicago. Il reprendra d’ailleurs ce titre pour l’un de ses albums avec les Beaters. Tu vois un peu le niveau du p’tit Billy ? Il a 11 ans et il craque pour les Dells, ces géants du Chi Sound que personne ne connaît ! Et tu n’en es qu’aux premières pages. Autant te dire que tu ne lâches plus le p’tit Billy book. Tu le lis même en claquant des doigts, wow, p’tit Billy, snap, p’tit Billy, snap-o-snap ! Et pour que tu comprennes bien dans quoi tu mets les pieds, il t’avoue ceci, avec un petit sourire en coin : «Étant né en 1944, j’appartiens à une génération pour laquelle le debonnair black style and black ‘cool’ était extrêmement influent. Il fallait s’habiller, danser, parler et même marcher comme the hip older black guys.» Pour illustrer le propos du p’tit Billy, t’as deux exemples : la façon dont marche Forest Whitaker dans Bird et dans Ghost Dog. La classe de la démarche ! Une classe qu’illustre aussi fort bien Spike Lee dans Malcolm X, lorsqu’il arpente les rues en compagnie de Denzell Washington : the way you walk. C’est l’image. La classe de l’image. Ahmet Ertegun fut lui aussi fasciné par l’allure des black cats. Comme Mezz Mezzrow, il passait ses nuits dans les clubs de Harlem.

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             Puis le p’tit Billy voit Chucky Chuckah à la télé. Nouveau coup d’hook - Once I saw Chuck, I wanted to be him - Alors il retond des pelouses pour se payer une gratte électrique, «a black and white Silvertone solid body.» Pas de sous pour l’ampli ? Pas grave, il se branche dans la radio de Mum et il apprend à gratter les Chuck’s licks, comme Keef en Angleterre à la même époque - B-b-b-b-b-b slacks make a cool daddy-o !

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             Puis il monte un groupe, The Knight Riders, qui accompagne toutes les stars locales, notamment les Isley Brothers, qui prennent le p’tit Billy à la bonne et qui lui refilent l’adresse de leur tailleur, on the Bowery in lower Manhattan - That cat Sol fait 300 costards par an pour Fats Domino - Le p’tit Billy évoque aussi Goldie & The Gingerbreads, la mafia et quelques mystérieuses démos, mais il garde ses distances. The Knight Riders accompagnent aussi Patti LaBelle & The Bluebells, sur scène, puis Little Anthony & The Imperials - Two acts with pretty difficult music - Le p’tit Billy sympathise avec les Bluebells et notamment avec Nona Hendryx, dont il admire la voix. Il lui propose d’enregistrer en duo. Ils réussiront à faire un album beaucoup plus tard, en 1992 : You Have To Cry Sometime.

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             C’est peut-être là qu’il est le plus à l’aise, en duo avec une black. Départ sur des chapeaux de roues avec le très beau hit des Isleys, «It’s Your Thing», cette Soul Sister de choc le prend à l’accent fêlé en mode diskö. En fait, ils alternent sur pas mal de cuts. Nona tape «All The Way To Heaven» toute seule, elle y va au power Soul, avec une belle rythmique bien grasse. Ils duettent enfin sur le «Storybook Children» des débuts - Why can’t we be like sorybook children in the wonderland - C’est une merveille définitive. Puis Billy prend le «Got To Get You Off My Mind» de Solomon Burke à la bonne, il n’a pas froid aux yeux. Nona claque ensuite l’admirable «Ain’t That Peculiar» composé par Smokey pour Marvin, et repris par Fanny. Elle le gère au mieux de ses possibilités et le rocke à la Soul Sistermania. Elle claque ensuite à la clameur le «Don’t You Know You’d Have To Cry Sometime» d’Ashford & Simpson, une heavy Soul de choc. On se retrouve une fois de plus avec un big album dans les pattes. Billy tape ensuite le «Three Minute Thing» qu’il a co-écrit avec Chip, il y fait son Elvis, c’est carré, très Sun d’alright mama. Il reduette enfin avec Nona sur «I Can’t Stand It», Billy est devant, alors comme elle doit s’imposer, elle rocke sa chique. C’est excellent.

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             Il a 20 ans quand il entre comme apprenti-songwriter chez April-Blackwood Music. Il en profite pour rappeler que le Brill est au 1619 Broadway, qu’April-Blackwood Music est au 1650, et qu’il existe un troisième Brill au 1697, au-dessus de l’Ed Sullivan Theater. Dans les trois Brill, on retrouve le même business : «music publishers, independant record companies, and various publicists, booking agents, voice coaches and other fringe characters.» Le p’tit Billy préfère le 1650, «the cooler one». C’est là qu’il rencontre Chip Taylor. Chip a son bureau en tant que «staff writer and executive». Il a quatre ans de plus que le p’tit Billy et déjà une grosse expérience, mais il est jaloux du p’tit Billy qui a déjà composé un hit pour Ricky Nelson. Aux yeux du p’tit Billy, «Chip is one of the great songwriters». Ils bossent ensemble et Chip forme le p’tit Billy au métier de songwriter. Chip lui apprend par exemple qu’une chanson est avant toute chose une histoire courte, avec un début, un middle et une fin. L’autre truc fondamental que lui apprend Chip : ne cherche pas à composer une chanson à la mode, mais plutôt une chanson que chanteront les gens dans 20 ans. Le premier hit qu’ils composent ensemble est «Make Me Belong To You» pour Barbara Lewis. Van McCoy qui bosse aussi au 1650 avait déjà composé «Baby I’m Yours» pour elle. Puis Chip et le p’tit Billy composent «Storybook Children». Ils prennent rendez-vous chez Jerry Wexler. Le Wex écoute la démo et donne un épouvantable coup de poing sur la table : «This is a fucking smash !». Il décide de sortir ça sur Atlantic. Il vient de signer Judy Clay, une cousine de Dionne la lionne et propose au p’tit Billy de duetter avec elle. Quand elle arrive dans le bureau de Chip, elle fait mauvaise impression : elle vient du gospel et elle doit s’imposer dans la secular music.

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             Et boom, ça donne l’un des grands albums classiques Atlantic. Le Storybook Children de Billy Vera & Judy Clay est ce qu’on appelle un album parfait, contenu comme contenant. Duo parfait, la black et le p’tit cul blanc, chansons parfaites, aussitôt le morceau titre d’ouverture de balda, Billy rejoint Judy là-haut, dans les harmonies vocales. Ils flirtent avec la magie. Chip & Billy co-écrivent une autre merveille, l’«Ever Since» qu’on trouve au bout de la B, et Judy y mène le bal. Billy et Vera tapent aussi quelques covers de choc comme le «Soul Man» d’Isaac le prophète, ils s’en sortent avec les honneurs, et en B, le «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke. Solid cooking ! Avec Judy, ça jerke. Encore un shoot de r’n’b avec «Really Together», on se croirait chez Stax, mais Stax à Detroit, c’est du raw avec un sax à la Jr. Walker. Big Billy ! Il te tartine aussi «Good Morning Blues» au croon de cake. C’est là qu’on mesure la grandeur de Billy Vera. Il tape aussi le «We’re In Love» de Bobby Womack, qui n’est pas loin du «What Is Soul» de Ben E. King. 

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             Le p’tit Billy donne dans son book tous les détails de l’enregistrement de ce fantastique album. King Curtis et Paul Griffin jouent dessus. Puis le p’tit Billy et Judy montent sur scène à l’Apollo d’Harlem. Pour lui, le public black est le meilleur - There is no audience like a black audience - Le p’tit Billy est dans le public quand James Brown enregistre son fameux Live At The Apollo - It was the most exciting show I ever saw - Il ajoute que James Brown est celui qui a fait le plus de hits dans l’histoire de la black music, et qu’il a vendu des millions de disques que la grande majorité des blancs ne connaissaient pas, alors que Jimi Hendrix a vendu des millions de disques aux blancs, mais on se moquait de lui à Harlem. Tu veux savoir pourquoi ? «You couldn’t dance to a Hendrix song», nous dit le p’tit Billy.

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             Et très vite, tout Harlem parle du «white boy who was singing with the black woman at the Apollo.» Attention, il y a d’autres stars à la même affiche : Tommy Hunt, the Radiants, la pauvre Linda Jones disparue trop tôt, et Mable John, la sœur de Little Willie John - Mable était dans notre loge quand on lui a dit que son frère était mort en prison - Tu vois un peu le travail ? Puis quand le contrat entre Stax et Atlantic expire, Wexler annonce au p’tit Billy qu’il ne peut plus chanter avec Judy Clay, qui est chez Stax. Judy a un sale caractère, même Steve Cropper ne la supporte plus, alors Stax la lâche et elle revient chez Atlantic, dit Wexler, «la queue entre les jambes.» Toujours élégant, le Wex. Le p’tit Billy va essayer de relancer le duo, mais Judy a un sale caractère et elle refuse de revenir à l’Apollo si on n’augmente pas son cachet. Alors Atlantic la vire. Elle reste en contact avec le p’tit Billy : «Hey Billy we ought to do something». Mais le grand retour n’aura pas lieu. Fin d’histoire affreusement triste. Sur la pochette de Storybook Children, on voit dans le regard de Judy Clay toute la mélancolie du monde.

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             Et voilà l’un des plus gros scoops du book : le p’tit Billy compose «Don’t Look Back» pour Chuck Jackson, mais Chuck ne l’enregistre pas. Ce sont bien sûr les Remains qui vont l’enregistrer. Mais ce ne fut pas un hit à l’époque, contrairement à ce que tout le monde croit, même si les Remains ont tourné en première partie des Beatles. Le p’tit Billy ajoute qu’en 2012, on a tourné un docu sur les Remains et Barry Tashian l’a invité à Los Angeles pour assister à la projection du docu.

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    ( Neil Macaethur alias Colin Blunstone)

             Sur scène, le p’tit Billy accompagne aussi Clyde McPhatter. Il évoque Wilson Pickett qui redoute de jouer après les Knight Riders qu’il trouve trop bons. Le p’tit Billy les connaît bien tous ces mecs-là, il les croise dans les backstages. Ce book fourmille d’infos extraordinaires. Tiens par exemple la fin de carrière de Clyde McPhatter : il est sur scène et reçoit une bouteille en pleine tête. Il perd sa perruque et sort de scène, la gueule en sang. Fin de carrière. Tiens, et Wilson Pickett qui frappe son batteur en pleine gueule sur scène ! Et ça dégénère quand il passe à la coke, «which made him really nuts and really mean.» Le p’tit Billy fait aussi des démos pour Elvis, et raconte que le Colonel paye les musiciens avec des chèques à l’effigie d’Elvis qu’ils ne vont évidemment pas encaisser pour les garder en souvenir, sauf le p’tit Billy qui a grand besoin de ces 35 $. Il accompagne aussi P.J. Proby, et puis Colin Blunstone qui enregistre l’une de ses compos, «Don’t Try To Explain». Il accompagne encore les Coasters qui font les clowns sur scène. Il salue aussi au passage Evie Sands qui n’a pas eu de chance, car ses hits composés par Chip et Al Gorgoni n’ont rien donné pour elle, mais ont été des smash pour le Vanilla Fudge («Take Me For A Little While») et les Hollies («I Can’t Let Go»). Côté cul, le p’tit Billy ne s’embête pas : il vit pendant un an et demi avec l’une des Chiffons, Barbara Lee, et bien sûr accompagne les Chiffons sur scène, comme il accompagnera plus tard les Shirelles - The Shirelles being the top of the girl-group heap - Il les accompagne même en tournée. Le seul autre mâle sur la tournée est un gay back nommé Ronnie Evans qui suit les filles depuis 15 ans. Le passage grouille de détails faramineux.

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             Alors qu’il bosse pour les Shirelles, Ronnie Spector l’approche et lui demande de bosser pour elle - She’d heard I was the best conductor in New York - Ils vont dîner ensemble et traînent en ville jusqu’à l’aube. Et comme le p’tit Billy dit à Ronnie qu’il en pince pour sa frangine Estelle, alors, par esprit de compétition, elle décide qu’elle le veut. Et elle aura les deux pour le prix d’un : le boyfriend et le conductor - Vous devez savoir que pour ma génération de New York boys, the Ronettes were the number one sex symbols of their time, avec Marilyn Monroe, Sophia Loren et les autres - Et le p’tit Billy de s’exclamer : «Aussi, être le boyfriend de Ronnie après qu’elle ait quitté son mari, c’était un BFD, a Big Fucking Deal !» Mais c’est compliqué avec Ronnie : elle picole et se gave de tranquillisants. Alors elle dysfonctionne. Sur scène, elle s’endort. Le propriétaire d’un club de Boston qui appartient à la mafia dit au p’tit Billy : «T’as du pot que je te connaisse et que je t’aie à la bonne. Autrement, on aurait déjà pété les deux genoux de ta pute. Rentre à l’hôtel et trouve-moi un artiste potable pour finir la semaine. Et arrange-toi pour que cette pute quitte Boston demain matin.» En Floride, Ronnie s’écroule sur scène. Alors le p’tit Billy laisse tomber et file à Memphis enregistrer chez Steve Cropper qui vient de monter son label. Mais l’album ne sortira pas. Il évoque aussi le grand Bobby Robinson et ses labels mythiques, Fire, Fury et Red Robin.

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             Et puis, au cœur de ce tourbillon, le p’tit Billy lâche un nouveau scoop : sa frangine Kathy a enregistré en 1970 un album devenu culte, Kathy McCord, et réédité en 2010 par Ace/Big Beat : New Jersey To Woodstock. C’est un double CD qui a deux belles particularités : un, le p’tit Billy signe les liners, et deux, le disk 2 propose 16 inédits, parmi lesquels se trouvent des cuts figurant sur le deuxième album de Kathy hélas devenu tellement culte qu’il est inabordable. Autre info de poids : Harvey Brooks fait partie du casting. Alors le p’tit Billy y va, rappelant qu’il a grandi dans une famille de chanteurs (sa mère bossait pour le Perry Como Show) et sa baby sister s’intéressa très vite à la crème de la crème (c’est lui qui cite) : Van Morrison, Tim Hardin, Bonnie Bramlett, Taj Mahal, Dr. John, Mavis Staples and the Band, oh la la, pardonnez du peu. Quand le p’tit Billy bosse comme staff songwriter pour April-Blackwood, the music publishing arm of CBS, il présente sa baby sister qui est encore au lycée à Chip Taylor, son collègue d’April. Chip lui fait chanter «Angel Of The Morning», mais, nous dit le p’tit Billy, le collègue Al Gorgoni veut que ce soit Evie Sands qui l’enregistre. On nage ici au cœur de la super crème du Brill. Tous ces noms font un peu tourner la tête : Chip, Evie, Al... Du coup, Chip file deux cuts à Kat : ««I’ll Give My Heart To You» et «I’ll Never Be Alone Again». C’est un single sorti sur le label de Chip, Rainy Day Records, et qui a coulé à pic. Ces deux cuts sont par miracle en bonus sur le disk 1 : magnifique pop tranquille et romantique, surtout «I’ll Never Be Alone Again» qui est monté comme le Whiter Shade Of Pale et Kat la crack s’appuie bien dessus. C’est tout bonnement renversant de qualité. Quand t’es dans les pattes de Chip, t’es dans les pattes d’un dieu. Puis le producteur de jazz Creed Taylor prend le p’tit Billy et sa frangine Kat sous son aile et rassemble la crème de la crème pour l’enregistrement du premier album de Kat, en 1969. Le mec qui gratte ses poux là-dessus s’appelle John Hall. Il fait la pluie et le beau temps sur «Rainbow Ride» avec un fastueux solo d’acid psych qui vaut largement tous ceux de Jorma Kaukonen. Puis elle tape une cover des Beatles «I’m Leaving Home (She’s Leaving Home)», c’est du bon doux & tendu, elle épouse cette magie anglaise à la perfe inexorable. Maintenant tu sais pourquoi cet album est devenu culte. Kat est pure comme de l’eau de roche. Nouveau coup de Jarnac avec «Candle Waxing», un balladif gratté aux poux d’acou de lapin blanc, te voilà chez Lewis Carroll, et ça se termine en délire de poux d’acou et de flûte hippie. Baby Kat coule de source, comme Joni Mitchell. Tu ne perds pas ton temps à écouter son album. Elle se laisse porter par «New York Good Sugar/Love Lyric #7» et tu entends ce fou de John Hall derrière. «Jennipher» aurait dû être un hit, et elle reste dans la magie avec «Take Away This Pain», elle monte la passion en neige à coups d’I know you babe/ C’mon make me smile again. Puis Kat s’installe à Woodstock et fréquente la crème du coin, les mecs de The Band, Butter, Maria Muldaur et Bobby Charles, nous dit le p’tit Billy. C’est là qu’elle enregistre les 16 cuts du disk 2, dont certains qu’elle réengistrera pour le fameux deuxième album qui coûte la peau des fesses. Ces cuts sont d’une qualité impressionnante, à commencer par «New Horizon» (touchez ma bossa, monseigneur, elle groove à Copacabana), donc il n’est pas étonnant de la retrouver ensuite à «Acapulco», et elle y va au petit chien de sa chienne exotique. Elle propose une pop qui accroche sans parcimonie, une pop noyée de soleil, fascinante de qualité, comme ce «That’s A Love That’s Real» bien balancé, elle y va au come together, suivi d’un «No Need To Wait» plein de vie, elle y va au whoo-oh-oh. Les voies de la grande pop US restent décidément impénétrables. Et puis voilà qu’arrivent les coups de génie, comme ce «I’ll Be Loving You Forever», puissant r’n’b, une vraie merveille exécutive, et ce «Madman» bien descendu au barbu, elle est partout dans le son, elle te finit ça à la hurlette bien tempérée, c’est du Bach de Hurlevent. Encore un pur shoot de r’n’b avec «Keep Peace In The Family», elle s’y montre digne de Clarence Carter, tu vois un peu le travail ? Elle se positionne encore avec «You’d Convince The Devil», elle est en pleine possession de ses moyens, comme Jim Ford à la même époque, elle se situe au dessus du lot, t’en reviens pas de tant de qualité. Tu comprends soudain pourquoi un bec aussi fin que Tony Rounce ait flashé sur elle. Elle se montre encore fantastiquement intrinsèque avec «Who’s Been Fooling You», elle chante à l’accent vrai, elle est véracitaire jusqu’au bout des ongles. Elle adore s’engager dans le r’n’b, comme le montre encore «Don’t Go Talkin’ To Strangers», encore une compo à elle, comme les autres 15 cuts. Fantastique ! Elle est tellement fiable qu’on y va les yeux fermés. Nouveau coup de tonnerre avec le big heavy US rock d’«I Wanna Know Why» et elle boucle cette poursuite infernale avec «Shine On», encore un cut en pleine santé, plein aux as, cuivré de frais, elle chante dans la cuisse de Jupiter, elle effare dans la nuit, elle colle bien au papier, elle t’y sort une niaque de chienne, elle a du répondant, la baby sister du p’tit Billy, ah il peut être fier de sa frangine.

             Le p’tit Billy va quitter New York pour s’installer à Los Angeles. Et malheureusement pour lui, il croise le chemin de Lou Adler, un Adler qui lui promet monts et merveilles et qui ne tient pas parole. Alors Billy qui est devenu grand déprime. Il voit sa vie et sa carrière ruinées.

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             On ne perd pas son temps à écouter la poignée d’albums qu’il a enregistrés après Storybook Chidren. With Pen In Hand est son deuxième et dernier album sur Atlantic. Il n’est hélas pas aussi bon que Storybook Chidren. La viande est au bout de la B, avec une redite, «Good Morning Blues», dont on a déjà dit le plus grand bien. S’ensuit «Are You Coming To The Party», le hit de l’album, co-écrit par Chip & Billy, magnifique de party baby, très chippy, avec le Billy en cerise sur le gâtö. On s’émeut bien sûr à l’écoute du morceau titre qui est en ouverture de balda, compo de Bobby Goldsboro, superbe balladif, rayonnant de classe. Le «(You Keep Me) Hanging On» n’est pas celui des Supremes, mais ça reste de qualité, d’autant que Billy croone comme un cake. Il fait aussi une belle cover d’«I’ve Been Loving You Too Long». Il bouffe l’Otis tout cru. Pareil avec les Bee Gees et «To Love Somebody». Crounch crounch.

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             C’est sur Out Of The Darkness, paru en 1977, qu’on croise pour le première fois «Private Clown», un hit des jours heureux qu’on va retrouver par la suite sur d’autres albums. Il reprend aussi son vieux «Storybook Children», ce balladif d’envergure certaine qu’il composa jadis avec Chip Taylor. Billy embrasse l’horizon, c’est une merveille océanique. Au dos de la pochette, on peut lire : «Special thanks to Bob Crewe.» Il n’est donc pas étonnant de voir arriver une belle pop de joie de vivre signée Crewe/Vera, «Something Like Nothing Before». Billy sait créer l’événement avec cette pop élégante et attachante. Tout est beau sur cet album, et même stupéfiant de qualité. «Nouveau Riche» est encore une très grosse compo grouillante de vie et d’épisodes époustouflants. En B, il tape un gros clin d’œil à Fatsy, son amour de jeunesse, avec une cover de «My Girl Josephine». Il est bon, le Billy, pour la Nouvelle Orleans. Encore de l’ampleur à gogo avec l’océanique «I’ve Had Enough», et il termine avec un «Big Chief» digne de Dr. John, Big chief holler/ Second line follow/ See my queen now.  

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             C’est Jerry Wexler qui produit l’album sans titre paru en 1982, avec un Billy Vera en caoutchouc sur la pochette. C’est enregistré à Muscle Shoals. On y retrouve bien sûr «Private Clown», classieux comme pas deux. Billy chante vraiment comme Tonton Leon, c’est très beau, très soigné, avec un solo de sax et des oh oh oh. On croit entendre Tonton Leon sur «Oooh». Billy groove ça au nasal, mais avec talent. Un talent fou, dirons-nous. Il reste en plein Tonton Leon avec «Down» et une grosse flavour New Orleans. En B, on  doit se contenter de deux cuts : «I Don’t Want Her» signé Billy & Chip, mid-tempo très écrit et très classique, et puis «Peanut Butter», un heavy groove de New Orleans dans lequel Billy se jette à corps perdu.        

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             Malgré sa très belle pochette, The Mystic Sound Of Billy Vera n’est pas l’album du siècle. Billy sort des compos compliquées et ambitieuses à la Elton John («Behind The Wall») et on s’ennuie. Ça ne marche pas. En B, il adresse un gros clin d’œil à Huey avec «Rockin’ Pneumonia» et il faut attendre «Dance Til Your Draws Fall Down» pour trouver un peu de viande, car oui, ça rocke à la Mad Dogs & Englishmen, avec un piano honky tonk de type Tonton Leon et un chant vraiment Tonton. Il boucle cet album un peu décevant avec un brin d’exotica, «Sock It To Yourself». Il est bon dans l’exotica.

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             On ne se relève pas non plus la nuit pour écouter The Hollywood Sessions. Il fait son big easy, les deux doigts dans le nez avec «Fast Freight», pas de problème. Il est comme Chip : il assure sans faire la révolution. Il propose une pop classique, mais les miracles brillent par leur absence. «She’s Not So Young Anymore» est un balladif aussi poignant qu’une poignée, et c’est pas peu  dire. Il enchaîne avec «Billy Meet Your Son», un boogie rock classique. Pas de quoi s’en faire la gorge chaude, et encore moins des choux gras. Il revient à son cher Huey avec une nouvelle mouture de «Rockin’ Pneumonia». Il connaît bien son Huey. Mais globalement, tout est ordinaire sur ces Sessions. 

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             Curieusement, The Billy Vera Album paru en 1987 pourrait bien être son meilleur album. Il l’attaque d’ailleurs avec le vieux «Private Clown». Toujours ce sens aigu des jours heureux. Avec Billy Vera, on a toujours l’impression d’explorer un continent. Parfois c’est bien, parfois moins bien. Il est très Tonton Leon sur «Run & Tell The People». En B, il ressort des vieux coucous comme la cover de «My Girl Josephine», jouée au menton carré et au pas ferme, et le vieux «Something Like Nothing Before» jadis composé avec Bob Crewe. Il reste dans le haut de gamme des vieux coucous avec «Nouveau Riche», et finit avec le vieux «Big Chief» d’envergure apostolique, il fait l’Iko Iko comme Dr John, c’est en plein dans le mille, avec les congas de Congo Square.

             Voilà pour la partie solo. En 1980, il monte un nouveau projet, Billy & The Beaters - We were a hit, the hottest band in town - Ça repart de plus belle, après les années fastes de l’Apollo et d’Atlantic. Des gens comme l’ex-Doobie et l’ex-Steely Dan Jeff Skunk Baxter veulent jouer dans les Beaters.

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             Billy fait appel à Jerry Wexler pour enregistrer un album et Wex l’envoie à Muscle Shoals retrouver toute la bande Tommy Cogbill/Barry Beckett/Jimmy Johnson/Gene Chrisman. At This Moment sort en 1981. Pour Billy, le hit c’est «Hopeless Romantic», un cut d’essence très Fred Neil dans la délicatesse - I’m a believer/ Much more than anything/ I believe in you - Pour Wex, cet album est l’un des 5 meilleurs qu’il ait enregistrés. At This Moment fait un peu double emploi avec l’album sans titre de Billy & The Beaters paru la même année. Le morceau titre est une pure Beautiful Song d’une beauté déchirante. Le vrai power de Billy, c’est cette pop d’ampleur considérable. Avec «I Can Take Care Of Myself», il sonne assez Steely Dan, doux et ferme, ce qui vaut pour un compliment. Et puis au bout de la B des anges, t’as cette merveille intitulée «Here Comes The Dawn Again». Il est en plein dans Eric Carmen.  Mais à la réécoute, Billy trouve l’album trop poli.

             C’est là que Steve Binder entre un contact avec Billy. Binder ? Mais oui, le fameux producteur du T.A.M.I Show et du ‘68 Comeback Special. Binder voit Billy comme un «rock’n’roll Willie Nelson». Mais il n’a pas le temps de s’occuper de Billy, et le confie à une certaine Katie Wasserman. Billy rencontre un peu plus tard Johnny Otis qui comme Billy a vécu avec des blackettes, et qui comme Billy, sent qu’il fait partie de la communauté black.

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             Un album sans titre de Billy & The Beaters sort en 1981. Billy se contente de groover sa pop. C’est du sans surprise. Presque bon chic bon genre. Sur «Millie, Make Some Chilli», il sonne presque comme Elvis, et derrière lui, un mec fait le James Burton country : il s’appelle George Marinelli Jr. Un nom à retenir. En B, Billy tape une belle cover du «Strange Things Happen» de Percy Mayfield. Solide comme un heavy blues de big band. S’ensuit «Here Comes The Dawn Again», un puissant balladif à base de chagrin d’amour. Billy y rivalise de grandeur marmoréenne avec Eric Carmen.    

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             Quelques années plus tard, Billy & The Beaters enregistrent Retro Nuovo. On y trouve l’une de ces Beautiful Songs dont il a le secret, «If I Were A Magician». Il sait créer la sensation. Et il faut le voir groover son «Ronnie’s Song» - You play the fingers/ And I play the guitar - Superbe ! Il a encore du swing plein le chant dans l’«I Got My Eye On You» d’ouverture de bal de B. Billy est un artiste accompli, il ne cherche pas à faire le white nigger. Il fait du Billy. La surprise vient de «Poor Boys» qui est monté sur le beat de «The Beat Goes On». Son poor boys got a way with each other vaut bien le Drums keep pounding/ A rhythm to the brain/ La dee da dee dee, la dee da dee da de Sonny Bono. Try to get over !    

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             En 1987, Billy participe à un James Brown tribute à Detroit. Pourquoi Detroit ? Parce qu’Aretha refuse de monter dans un avion. Les autres invités nous dit Billy sont Wilson Pickett, Robert Palmer et Joe Cocker. Puis il joue en première partie de Chucky Chuckah au Caesar’s Palace de Las Vegas. Il voit Chucky sortir de l’aéroport en chemise rouge et fute pattes d’eph jaune, avec son étui de guitare à la main. Billy lui demande où il a trouvé ses fringues et Chucky lui dit : «At the Goodwill, man! Three dollars for the shirt and six for the pants!». Billy est scié d’entendre ça. Chucky Chuckah gagne des millions de dollars et il s’habille à l’armée du salut. Billy rappelle ensuite que Chucky ne répète jamais. Son contrat stipule qu’il doit avoir deux Fender Dual Showman sur scène avec TOUS les potards tournés à fond, que le backing band connaisse ses chansons et bien sûr, qu’il soit payé en cash et à l’avance. Billy se souvient de l’avoir accompagné plusieurs fois sur scène, et c’est l’enfer pour un backing-band, car Chucky Chuckah n’annonce jamais le cut qui vient, ni sur quel accord il le joue. Il démarre et les autres suivent comme ils peuvent. Pour corser l’affaire, si un cut est en La un soir, le lendemain, il le joue en Sol. Mais quand il voit que Billy suit bien, Chucky lui adresse un franc sourire et arrête de faire le con. Chucky teste les gens. Comme partout, t’as les cons et ceux qui ont oublié de l’être. Une autre fois, à Broadway, Billy demande à l’organisateur si Chucky veut bien répéter. Le mec lui dit que Chucky vient d’écrire 5 nouvelles chansons dans l’avion et qu’il veut les jouer. Billy lui dit que c’est un truc de dingue. «Pourtant il est stipulé dans son contrat qu’il doit jouer ses 3 plus gros hits», ajoute Billy. Alors le mec met fin au débat : «Yes but you know Chuck; he’s out of his mind.»

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             Billy décroche aussi un petit rôle dans le film d’Oliver Stone sur les Doors. Il joue le rôle du promoteur du concert de Miami. La fabuleuse scène du Miami show fut filmée à l’Olympic Auditorium d’Hollywood, avec 2 000 figurants, principalement des zonards locaux. Après la tournage, le sol était jonché de capotes et de seringues. This is the end, beautiful friend.

             Billy commence à s’en sortir financièrement avec les Beaters. Il fait aussi un Radio Show et reçoit des gens comme Frankie Valli, Merle Haggard et Dion DiMucci. Il réussit même à inviter Lou Rawls.

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             En 1992, Billy produit un album de blues de Lou Rawls sur Blue Note, Portrait Of The Blues. C’est vrai que Lou Rawls mérite toute l’attention de Billy, mais il a un gros défaut : il chante d’une voix trop blanche. Junior Wells passe des coups d’harp sur «I Just Want To Make Love To You» et «Baby What You Want Me To Do», et Buddy Guy gratte ses poux sur «My Babe», un autre classique de Big Dix. Pas de vague, mais bien vu. Joli coup de swing avec «Saturday Night Fish Fry» et Lionel Hampton. Et classic drive de dandy saxé dans l’angle pour «Person To Person». On retrouve le dandy sur «Suffering The Blues» - Sometime someway/ I did someone wrong/ And now I’m suffering with  the blues - Il passe à Percy Mayfield avec «Hide Nor Hair» mais il chante comme une tête à claque sur «Sweet Slumber».

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             Trois ans auparavant, Billy avait produit un autre album de Lou Rawls, It’s Supposed To Be Fun. Ce Lou-là a une particularité embêtante : il chante vraiment comme un blanc. Des fois ça passe, des fois ça coince. Exemple avec le morceau titre d’ouverture de bal : ça passe, car belle Soul de crooner. Ce Lou-là groove aux frontières du jazz. Il navigue entre Marvin et une Soul plus ferme, avec une classe élastique de black dandy. Nouvel exemple avec deux compos de Billy, «Good Morning Blues» et «One More Time» : ça passe encore, car ça se présente comme du Burt, tellement c’est beau. On note au passage la puissance compositale de Billy. Son «One More Time» est vraiment du grand art. «Moonglows» est aussi une compo de Billy, un brin exotique. Face à tant de beauté, tu clignes des yeux. C’est l’apanage des Beautiful Songs. Et puis tu as ce coup de génie, vers la fin, «Goodbye My Love». Ce Lou-là fait le dandy crooner et se montre exemplaire. C’est du croon de cake. Il tape aussi le vieux «Don’t Let Me Be Misunderstood», mais il n’a pas la niaque d’Eric Burdon, donc ça coince. Il en fait un cut dramatique. Par contre, sur «All Around The World», il se montre écœurant de jazz class et d’I know you babe - All around the world/ I got blisters on my feet - Il est marrant, avec ses ampoules aux pieds. Il tape plus loin l’«Any Day Now» de Burt. Alors comme c’est du Burt, on l’écoute jusqu’au bout. Mais ailleurs, il croone trop comme un blanc. Ça coince. Il termine avec «The Last Night Of The World» qu’il prend d’une voix trop blanche, ça le trahit et ça l’éloigne de Sam Cooke.

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              Billy bosse aussi pour Rhino, il rédige des liners pour The R&B Box et Genius And Soul: The Ray Charles 50th Anniversary Set. Ça paraît logique qu’il s’entende bien avec un cake comme Harold Bronson. Il fait aussi des compiles pour Specialty, ce label mythique auquel il a consacré un book dont on a parlé ici-même (Rip It Up: The Specialty Records Story). Il fait une box 5 CD sur Specialty de 1945 à 1958, date à laquelle Art Rupe s’est retiré. Pour lui, Specialty est avec Chess, Sun et Atlantic l’un des plus importants labels dans l’histoire du rock. Il a fait une cinquantaine de compiles pour le compte de Specialty, il a pris en charge le catalogue Vee-Jay, puis a fait The Capitol Blues Collection pour Capitol. Il va aussi bosser pour Ace et Bear Family. «J’ai aussi eu le privilège de bosser sur des artistes comme Sam Cooke, Duke Ellington, Count Basie, Louis Jordan, Louis Prima, Etta James, T-Bone Walker, Allen Toussaint, and so many more.» Quand il rencontre Dylan, celui-ci lui dit qu’il a adoré les trois CDs qu’il a produits de Percy Mayfield. Billy n’en finit plus de nager dans l’excellence. Il rencontre aussi Totor qui le serre dans ses bras et qui lui dit son admiration. Billy se demande alors s’il sait qu’il a baisé sa femme, Ronnie. Billy rencontre aussi Joel Dorn, the hippest cat in the room. Cet amateur de jazz a pris la suite de Nesuhi Ertegun chez Atlantic et a envoyé le label into the future en produisant Roberta Flack et Les McCann. Billy avait avec Dorn ce qu’il appelle the deep musical conversation.  

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             Billy participe à un tribute à Jerry Wexler au LA House of the Blues, en compagnie d’Etta James, Solomon Burke et Doug Sahm. Pour Billy c’est un honneur que de faire partie de cette caste et de rendre hommage à son mentor Wex. Billy en profite pour ajouter que Wex fut aussi un mentor littéraire et le premier book qu’il lui refile est le fameux Gospel Singer d’Harry Crews. Un book dont l’adaptation au cinéma eût été idéale pour Elvis, mais comme le dit si bien Billy, le Colonel préférait lui faire tourner des gros navets et encaisser les sous des «lousy songs they could publish.»

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             Billy demande d’ailleurs à Wex de rédiger des notes pour Creole Kings Of New Orleans, une compile de tous les diables sortie sur Ace. Les notes de Wex sont véritablement celles d’un fan qui connaît bien la chanson de la Nouvelle Orleans. Ça grouille évidemment de coups de génie là-dedans, à commencer par Percy Mayfield et «Lousiana», ah il faut le voir groover son loui-sah-nah/ Gonna settle down, et plus loin Guitar Slim avec «The Things That I Used To Do», il y va au heavy used to doo, c’est tout simplement incomparable, t’as le raw de la voix et le gumbo de cuivres. Plus loin, nouveau shoot d’hot as hell avec Li’L Millet & His Creoles et «Rich Woman»,  encore pire que le «Ya Ya» de Lee Dorsey, ce mec est le parfait délinquant créole. Quatre singles, et puis plus rien. Nouveau coup de génie avec Art Neville et «Cha Dooky-Doo», solo de purée gumbo, puis Larry Williams avec «Bad Boy/Junior Behave Yourself», complètement imparable ! Rien qu’avec tout ça, t’es déjà calé. Mais ça continue avec Jerry Liggins & The Honeydrippers et «Going Back To New Orleans» (heavy jump et sax des enfers), Lloyd Price et «Frog Legs» - I’m your frog legs man ! - Puis Alberta Hall et «Oh Now I Need Your Love», joli sucre juvénile, elle dégouline de sucre, un seul single et puis plus rien. Et ça continue avec Big Boy Myles & The Sha-Weez et «Who’s Been Fooling You», pur jus de jump NO. Et bien d’autres choses encore, dont deux cuts de Professor Longhair. Encore une compile digne de toutes les bonnes étagères.  

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             Oh What A Nite: Billy Vera & The Beaters Live est enregistré au Crazy Horse Saloon, Santa Ana, Californie, en 1995. Cet excellent album donne bien la mesure du grand Billy Vera. Il présente «Room With A View» : «This is one I wrote with a master of the blues, Lowell Fulsom.» Et il y va au I got a roooooom/ I got a room with a view. Oh l’excellence du round midnite ! Billy a du power. Il sonne comme un géant. Il ressort son «Poor Boys»/Beat Goes On, drivé par le bassmatic de Chuck Fiore. Il est en plein dans le chasing girls. Il tartine encore de l’heavy Soul de haut vol avec «Wrong When I’m Right» et rend hommage à la nite avec le morceau titre, il chante sa lovely nite à pleine gueule. Et puis tu as tout le power du big band derrière, qui écrase bien le champignon d’«I Got My Eye On You». Plus tu avances dans l’écoute et plus tu te passionnes pour Billy, son «Ronnie’s Song» est fabuleux d’à-propos, il y frise le Dr. John, you play fingers/ I play guitar. Son «La La For What’s Her Name» sonne très Doc Pomus, la la la la la, pas loin du gros hit d’Elvis, c’est mélodiquement pur et taillé pour la route doucéreuse. Billy est un puissant seigneur, il fait encore autorité sur Spanish Harlem dans «Let You Get Away».   

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             En 2013, paraît un big album live de Lowell Fulson With Billy Vera  & The Beaters : Live 1983. T’y vas les yeux fermés. C’est un mélange explosif de big boogie blast et d’Heartbreaking Blues de la meilleure espèce. Tout est classique sur cet album, mais quelle énergie ! «You Talk Too Much» et «Stop Down Baby» t’emportent bien la bouche, c’est drivé de main de maître. Lowell Fulsom ressort son plus gros hit, «Reconsider Baby», l’un des heavy blues de référence et il y gratte les poux de Dieu. Ils sonne à la fois sec et gras. Encore plus heartbreaking : «Black Nights». Lowell Fulsom est un démon, ça on le savait, mais ici, il bat tous les records de démonologie. On note au passage le fantastique entrain des Beaters et du grand Billy Vera. Ça jive dans le groove. Lowell Fulsom tombe encore du ciel avec «Do The Things You Do». Il est le roi du heavy blues, mais le vrai heavy blues, avec le gras de la glotte. Son «Guitar Shuffle» est wild as fuck. Ça part à l’hyper-hard drive d’one two three. On hésite entre deux adjectifs : explosif et dévastateur. Encore un super boogie blast avec «Your Daddy Wanna Rock», complètement sidérant de sax power. Lowell Fulsom drive encore l’heavy blues de «Sinner’s Prayer» dans la vulve du son et te travaille ça à la folie incendiaire, puis pour achever le travail de tétanisation, il ressort son vieux «Tramp», un hit aussi mythique que «Red Bird». L’impact sur l’inconscient est celui d’un boulet ramé dans un mât espagnol. Il te défonce la mémoire collective avec du killer solo flash, il déverse ici de la grandeur immémoriale. 

             Merci p’tit Billy. On aura passé un sacré bon moment en ta compagnie.

             Signé : Cazengler, Billy Véreux

    Billy Vera & Judy Clay. Storybook Children. Atlantic 1968 

    Billy Vera. With Pen In Hand. Atlantic 1968 

    Billy Vera. Out Of The Darkness. Midsong International 1977 

    Billy Vera. Billy Vera. Alfa 1982              

    Billy Vera. The Mystic Sound Of Billy Vera. Mystic Records 1983   

    Billy Vera. The Hollywood Sessions. Thunder Records 1987   

    Billy Vera. The Billy Vera Album. Macola Record Co 1987 

    Nona Hendryx & Billy Vera. You Have To Cry Sometime. Shanachie 1992

    Billy Vera & The Beaters. At This Moment. RCA Victor 1981

    Billy & The Beaters. Billy & The Beaters. Alfa 1981   

    Billy & The Beaters. Retro Nuovo. Capitol Records 1988    

    Billy & The Beaters. Oh What A Nite: Billy Vera & The Beaters Live. Pool Party Records 1996    

    Lowell Fulson With Billy Vera  & The Beaters. Live 1983. Rockbeat Records 2013

    Lou Rawls. It’s Supposed To Be Fun. Blue Note 1990

    Lou Rawls. Portrait Of The Blues. Manhattan Records 1993

    Kathy McCord. New Jersey To Woodstock. Big Beat Records 2010

    Creole Kings Of New Orleans. Ace Records 1992

    Billy Vera. From Harlem To Hollywood. Backbeat Books 2017

     

     

    L’avenir du rock

     - La stéréo de MonoNeon

             En bon monomaniaque, l’avenir du rock s’intéresse de près au Mono. Il a racheté à prix d’or le monocle que portait Tristan Tzara le jour de 1919 où il arriva chez Germaine Everling et Francis Picabia, rue Émile-Augier. L’avenir du rock donnerait tout ce qu’il possède pour jouer au Monopoly avec Polly Harvey. Soucieux du moindre détail, il n’hésite pas un seul instant à monologuer pour entretenir sa monomanie. Toutes ses chemises portent son monogramme AdR, et il veille scrupuleusement à garder le monopole de sa monovalence. Il possède bien sûr un monospace, mais refuse de se plier à l’infecte monotonie de la monogamie. Fuck it ! Il porte comme on s’en doutait un badge rouge ‘Back To Mono’ en l’honneur de Totor, l’une de ses principales idoles, et il ne tarit pas non plus d’éloges sur Monoman, l’extravagant chantre des Lyres et de DMZ. S’il est bien luné, il ajoutera volontiers un petit couplet sur les Mono Men de l’excellent Dave Crider. Soit dit en passant, c’est une âpre besogne que d’arracher des gens comme Momoman et les Mono Men à l’oubli, mais l’avenir du rock ne désespère pas. Il sait qu’il existe encore des gens intéressants qui s’intéressent aux gens intéressants. Il se souvient aussi d’un passage bizarre dans l’autobio d’Eric Goulden, plus connu sous le nom de Wreckless Eric, passage qui vantait les mérites de la version mono de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. L’avenir du rock se demande encore s’il s’agissait d’un canular. Et puis il se dit qu’il serait temps de collectionner les parutions du plus beau label underground français, Mono-Tone Records. L’avenir du rock n’hésite pas non plus à se prosterner devant l’effarant Back To Mono des Courettes, l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Totor, et devant les Monophonics, l’un des groupes du grand Kelly Finnigan. Il déroule encore le tapis rouge au Monochrome Set dont le dandy Bid rivalise de classe avec Tristan Tzara. Et puis, s’il t’a à la bonne, l’avenir du rock te servira le joyau de sa monomanie sur un plateau d’argent : MonoNeon. 

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             C’est un extra-terrestre Dada qui arrive sur scène. Pas de visage. Des lunettes de ski démodées et une tête moulée par une cagoule blanche tricotée à la main. Le corps enveloppé dans un ensemble matelassé multicolore (alors qu’il fait une chaleur à crever) et les pieds chaussés de grosses godasses de ski, et sur lesquelles sont collées des grandes pancartes ‘MonoNeon’. Car il s’appelle MonoNeon.

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    Corpulence à la Spike Lee. La cagoule renvoie à la pochette du Dirty des Sonic Youth. Pendant le set, on ira même penser : corpulence ET génie à la Spike Lee. Il a des doigts extrêmement fins. Sur la main gauche, il porte bien sûr un tatouage ‘MonoNeon’. Ah, n’oublions pas le principal : la basse, une cinq cordes de gaucher avec les cordes graves en bas (tout à l’envers). Le haut du manche est enveloppé dans une grande chaussette de Bécassine.

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    Le tablier de la basse est bardé d’étiquettes ‘MonoNeon’. On n’avait encore jamais vu un Mono-délire pareil. Comme quoi, des fois, ça vaut la peine de continuer à vivre. Rien que pour voir NonoNeon arriver sur scène, par exemple. Et surtout pour voir MonoNeon arrêter le temps en jouant. Si on peut appeler ça jouer. En réalité, MonoNeon va bien au-delà du jeu. Il télescope de plein fouet toutes tes pauvres petites notions étriquées. Il barbouille le cosmos, il troue le cul des annales, il te mouline le Moulinsart, il débusque des cailles, il permute les pôles, il persiste et signe, il claque des pétarades extravagantes, il bourre et bourre son ratatam, il multiplie les sorties, il emballe des bulles, il perfore l’espace-temps mécaniquement, il arrête dans le beefsteak, il déjoue toutes les attentes sans exception, il flirte en permanence avec l’indescriptible, il est sans l’ombre d’un doute le plus grand bassman de son époque.

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    Il gratte des six doigts (4 +2) et sa main gauche marque les temps morts, c’est très spectaculaire, il hoche aussi le beat de la tête, tu as sous les yeux un corps fondamental, un corps qui s’auto-transporte tout en balançant de vastes giclées de dégelée royale, de vraies rafales de télescopage, il organise sa propre quadrature du cercle, il injecte toute l’énergie du jazz dans son funk. MonoNeon prend la suite de Funkadelic et de Bootsy Collins, sa façon de stopper net dans une descente au barbu en plaquant un accord de barbouille rappelle aussi Jeff Beck, MonoNeon joue avec les conventions comme le chat avec la souris, il se veut libre, donc il casse les règles, et si tu en pinces pour la modernité, te voilà servi. Et même gavé. Te voilà oie. Oie d’un soir. Fier comme un paon d’être une oie. Vazy MonoNeon, bourre-moi la dinde ! Ces mecs-là ont le droit de tout faire, de te ravager l’imaginaire, de t’empapaouter le percolateur, de te ripoliner la ribambelle, de te scarifier les scrofules, de t’alambiquer les calanques, de t’abolir le hasard, de te remettre l’équerre au carré, de te rendre ta liberté. Il souffle sur cette scène un vent extraordinaire de liberté.

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             Ils sont trois autour de cet extra-terrestre Dada-funk, à commencer par un black au beurre qui passe son temps à rire tellement il est heureux de battre son beurre, il drive tous les tempos, toutes les accélérations, tous les virages à la corde, il finit torse nu, libre, lui aussi, fabuleusement libre. Et puis de l’autre côté, t’as encore un jeune black aux keys qui groove comme un démon et qui s’amuse à passer des intermèdes dentelliers qui en disent long sur l’inhérence métabolique de son classicisme. Et puis, last but not least, t’as un petit cul blanc à la gratte, derrière, sur une Tele, un moujik massif et enveloppé d’une tunique russe qui lui donne cet air russe, et tu prends ta carte au parti quand ce petit cul prend la main : il passe ici et là un solo sidérant et même sidéral de jazz fusion digne de ce que grattait John McLaughlin à la grande époque, c’est-à-dire celle de Mile Davis, eh oui, t’as ça, tout ça, mais à un point tel qu’il te faudrait au moins deux yeux en plus pour tout bien voir, une cervelle en plus pour tout comprendre, et un corps en plus pour bien vibrer, car en plus de la liberté, MonoNeon et ses trois amis t’offrent les vibes, c’est-à-dire ce qu’il existe de plus précieux et de plus rare sur cette terre, les vibes, plus précieuses encore que l’or du Rhin des Nibelungen. Te voilà donc complètement Nibelungué. T’as une veine de pendu.

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             D’où sort cet extra-terrestre Dada-funk ? De Memphis. Discographie à roulettes. Il en pond un tous les ans depuis 20 ans. Albums intouchables. Hors de prix. Si tu veux briller en société, tu peux ajouter qu’il fut le dernier bassman de Prince. Le reste est sur Wiki, mon kiki.

             Alors tu cries au loup quand t’as vu cet extra-terrestre Dada-funk sur scène ? Retrouve-t-on cette urgence Dada-funk sur les disks ? Le seul moyen de le savoir est d’en rapatrier un, allez tiens, le Basquiat...

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             Le Basquiat & Skittles Album date de 2022 et répond à toutes les attentes. Tu y retrouves le morceau titre qu’il tapait sur scène : hommage d’un géant à un autre géant, en mode slow groove. Il fait du Funkadelic avec «I Got A Gold Chain With A Bad Name», mais il l’africanise. C’est insensé de qualité, et si tu fermes les yeux, tu revois MonoNeon hocher la tête sur le beat.  Attention au «Life Is A Glittery Fuckery» : groovy funk-out de Git it ! C’est le funk moderne, dans la suite de Funka. Et tu entends son divin bassmatic sur «Love Me As You Need», un son bien rond et bien dodu. Et comme le montre «It Was Never A Struggle It Was A Delicacy», MonoNeon pourrait bien être le nouveau roi du groove moderne. C’est une Beautiful Song de charme. 

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             Oh et puis tiens, le Jelly Belly Dirty Somebody, histoire d’en avoir le cœur net. Tu commences à écouter «I Drink My Bear & I Talk To God» et tu ne sais pas si c’est du 33 ou du 45, tellement le groove fond au soleil. Finalement, ça passe mieux en 45. Et tu régales de «Surfing In My Brain», car c’est un groove liquide d’une extravagante modernité. MonoNeon navigue à contre-courant dans le groove liquide. Il est complètement dans Prince. Il faut l’entendre malaxer son bassmatic dans le morceau titre en B. Il tape dans l’organique. Il reste dans le spongieux semi-liquide pendant toute la B et avec «The Answer Is In The Pyramid (Turn It Upside Down)», le groove se noie dans les brimes. Fascinant ! 

    Signé : Cazengler, MonoNéant

    MonoNeon. Le 106. Rouen (76). 27 juin 2024

    MonoNeon. Basquiat & Skittles Album. Not On Label 2022

    MonoNeon. Jelly Belly Dirty Somebody. Not On Label 2023

     

    Le péril Jones

    - Part Five

     

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             Thee Hypnotics ? Jim Jones & The Righteous Mind ? Jim Jones Revue ? Jim Jones All Stars ? Tu l’as déjà vu sur scène des tonnes de fois, mais bizarrement, et comme tu te crois futé, tu restes à l’affût. Pour l’indicible raison suivante : tu sais - deep inside your heart - que t’auras pas mieux sur scène, tu sais que Jim Jones est plus fort que le roquefort.

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    T’en mettrais ta main à couper, comme on dit quand on ne sait pas de quoi on parle. Tu sais qu’il roule le roll du rock dans sa farine, comme d’autres roulent leur caisse, tu sais d’avance qu’il va te claquer le beignet, qu’il va pousser le push et plumer le pull, tu sais tout d’avance, t’as même pas besoin d’aller le voir s’exciter sur scène, tu connais la moindre de ses exactions, le moindre outch et cette façon qu’il a de tressauter des deux pieds avec sa guitare pour faire le guerrier du rock à l’assaut de la postérité. Et tu sais aussi que malgré tout ce bataclan de fer blanc, il n’est jamais ridicule, jamais pris en défaut de fake, Jim c’est Jack the lad, Jook le crack, le boom hu-hue du jerk, the English jiver, le jolly jumper des jukes.

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    Il outche le rock et tape le raw du roll, mais pas n’importe quel raw, le raw to the bone, il déploie des trésors d’authenticité, tu ne peux pas en douter une seule seconde, c’est impossible. Il est plein comme un œuf, plus vrai que nature. Il est aussi pur qu’Iggy, Mick Collins et Wild Billy Childish. Tu veux voir un vrai de vrai à l’œuvre du Grand Œuvre ? L’apanage du Grand Jeu ? Le Gilbert-Lecomte du rock moderne ? Le Paracelse de la foire à la saucisse ? Vois et revois Jim Jones sur scène. Au temps de la Piste Aux Étoiles, Jean Nohain aurait adoré cet artiste. 

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             En plus de te rincer l’œil avec un beau mec bien conservé, tu vas faire une découverte de taille : de set en set, il est better and better, hotter and hotter, around and around, de plus en plus Jonesy, de plus en plus sharp, de plus en plus radical, et, c’est là où les bras t’en tombent, de plus en plus stoogy. Eh oui, amigo, il te ramène les Stooges sur un plateau d’argent, à travers son vieux «Shakedown», il te colle le museau dans l’imparabilité des choses, il est sans doute le dernier sur cette terre à honorer le spirit des Stooges sur scène, il boucle la boucle à sa façon, qui est royale, et tu roules avec lui dans les abîmes Hypnotiques.

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    Sa version de «Parchman Farm» monte aussi droit au cerveau, elle n’est pas aussi exacerbée que celle de Georgie Fame, mais il faut voir le jus qu’il y injecte, il la groove, et pour lui, c’est du gâtö que de groover ce vieux Parchman, car il a derrière lui l’un des meilleurs backing-bands du monde, et notamment Carlton Mouncher, le fantastique croque-mort sur la voodoo guitar. Les All Stars explosent littéralement avec le «Shoot First» tiré de Burning Your House Down. Ce cut voodoo plane comme un vampire sur la Normandie. Tu peux aller te cacher sous ton lit, il va te trouver. «Shoot First» sonne comme l’apogée des All Stars.

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    Côté covers, Jim Jones n’en finit plus de barboter dans l’excellence, il te balance un «Run Run Run» vite fait, pris comme une saucisse entre deux tranches de pain, ils en font hélas une version trop anglaise, tu perds la disto de Sterling Morrison, mais c’est pas si grave au fond, Jim Jones prend soin de ses racines, comme le montre encore sa cover d’«Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey» des Beatles, il y va au here we go, et un coup de Beatlemania n’a jamais fait de mal à personne, surtout quand ça sort du White Album. Plus loin, l’imparabilité des choses revient en force avec la fameuse cover de «Troglodyte» du Jimmy Castor Bunch qui fait danser la Saint-Guy aux amigos agglutinés au pied de la scène. Et puis bien sûr, cette cover de «Big Star» en rappel, qui te cloue comme une chouette à la porte de l’église. Cui couic ! 

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             Et tu as encore en plus de tous ces oldies but goodies les cuts d’Ain’t No Peril. Comme par exemple ce «Gimme The Grease» qu’ils tapent dans le début de set, un cut monté sur une belle tension de Carlton Mouncher et un solo de sax, avec en plus de l’Outch et du gros beurre syncopé. Jim Jones fait aussi son white nigger sur «I Want U (Anyway I Can)», il arrive à sonner comme Wilson Pickett, alors t’as qu’à voir. Avec un mec comme lui, il ne faut plus s’étonner de rien. Et en ouverture de la B des cochons, tu retombes sur «Troglodyte», sans doute l’une des covers du siècle. Fantastique ! Son Troglo est même encore meilleur sur l’album, car il le prend à la Cro-magnon, back in the times, et ça bombarde dans la caverne - She said/ Ride on ! - Il tape aussi sur scène «It’s Your Voodoo Working» et fait carrément de la Nouvelle Orleans. Sur l’album, c’est Nikki Hill qui duette avec lui. Nikki est une bonne, on l’a déjà vue sur scène. Par contre, il ne reprend pas le morceau titre, sur scène. Sans doute trop dangereux pour la glotte, car sur l’album, il chante ce heavy groove à dominante voodoo à la grosse arrache sanguinolante. Il y sort son plus beau voodoo turgescent. Jim Jones est en rut.    

    Signé : Cazengler, Jim Jaune

    Jim Jones’ All Stars. Le 106. Rouen (76). 25 mai 2024

    Jim Jones’ All Stars. Ain’t No Peril. Ako-lite 2023

     

     

    Baby come BCUC

    - Part Two

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             Pour parler franchement, t’es content de revoir BCUC. Même sous la pluie. La fucking pluie. In the rain, mais pas celle de l’Edgar Brouhgton Band ou même de Fred Astaire, non, la fucking rain de Rouen, la Rouen-rain, la rain de Saba-pas du tout, the rain de rien, the rain de l’or du Rhingard, tu t’amuses comme tu peux, en attendant, tu t’abrites comme tu peux sous un fucking tree pour essayer de voir un peu de ce fucking concert, et comme de bien entendu, tu vois que dalle, alors tu entends, oh tu vois un peu, tu pourrais disserter pendant des plombes sur le «peu que tu vois», qui en fait correspond au peu que tu sais, et du coup la petite fucking rain devient sympathique car tu te mets à relativiser, comme lorsque tu voudrais bien mourir, quand tu te dis, oh finalement, la vie ce n’est pas si important. Pourquoi lui attacher plus d’importance qu’elle n’en a ? Si on se pose correctement la question, après ça va très vite, à condition bien sûr d’avoir un flingue dans le tiroir de la table de nuit. Pas toujours évident (d’avoir un flingue dans le tiroir de la table de nuit). Vaut peut-être mieux relativiser sur le blé, par exemple, ça fait du bien, pffffff, l’argent c’est pas si important, pareil, tu mets en pratique, tu payes des coups, tu te sens plus léger, à défaut de te sentir moins con, mais bon, c’est toujours ça de gagné, on fait comme on peut, avec ses petits bras et ses petites jambes, remettez-nous une tournée, s’il vous plait, elle te remet une tournée de pintes, pschhhhhh, et c’est drôle comme, dans les élans de générosité relativiste, les gens sont sympas avec toi, tu en as même qui veulent trinquer, alors tu trinques de bon cœur, ça fait du bien de trinquer, cling cling, ça pourrait même donner du sens à la vie, alors qu’en fait tu ne demandes rien de spécial, disons que c’est une façon de voir les choses, mais bien évidemment, tu te reprends, vite, très vite, tu sais bien que la vie n’a aucun sens, et paf, te voilà remonté dans ton train fantôme, chhhh-chhhh, ça doit bien faire soixante ans que tu fais des tours de train fantôme et tu sais très bien qu’il va arriver ce moment où tu en auras vraiment marre du train fantôme. En attendant, il te reste encore deux ou trois trucs à relativiser et comme toujours, à mettre en pratique. Par contre, l’arbre ne relativise pas. Les feuilles semblent céder une par une sous le poids de la fucking Rouen-rain. Le problème n’est pas le fait qu’elle te ruine ta mise en pli, non, le problème c’est qu’elle ruine le concert de ce fan-tas-tique groupe Sud-Africain. Et voilà que le destin fait contre mauvaise fortune bon cœur : le public se met à danser sous la fucking Rouen-rain ! C’est complètement inespéré, et même, pourrait-on dire, historique. Encore jamais vu un truc pareil dans cette ville abandonnée des dieux.

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    Sur scène, tu as toujours les deux rangs, avec à l’arrière, les deux grosses caisses montées à la verticale, la percu du diable et le bassmatic voodoo originel, et devant, ces trois superstars faramineuses, les deux blacks incompressibles et l’extraordinaire petite reine de Nubie qui DANSE tout le temps et qui apporte les contrepoints au chant, et là, tu as toute la musique, toute la transe, toute la magie dont tu as besoin pour vivre, pour peu que tu aimes vivre. Il rejouent grosso-modo les cuts qu’ils jouaient au 106 en 2022 et on retrouve les hits politiques, il y va fort le BCUCman, il salue l’Ukraine, la Palestine, Nelson Mandela, bien sûr, tout cela, c’est le même combat, honte aux oppresseurs, c’est un black qui scande ça le poing levé et soudain, tout reprend du sens, tu as ce concert ruiné par la fucking Rouen-rain et ce mec qui lutte contre l’oppression à sa façon, avec rien, juste un public génial qui danse sous la pluie et qui l’acclame.

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    Ça n’aurait pas été mieux avec 10 000 personnes. Même les rares copains qui ont fait l’effort de venir sont stupéfaits par la classe de ce groupe Sud-Africain. L’un d’eux a même eu la faiblesse de venir me glisser ceci dans l’oreille : «Mais ils debandent jamais ?». Il aurait fallu avoir la présence d’esprit de lui répondre un truc du genre «ce sont les blancs qui débandent, jamais les blacks», mais il était déjà reparti danser. Et puis ce poing levé. Tu ne voyais plus que ça. Fuck l’oppression & la fucking Rouen-rain. 

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             Leur nouvel album s’appelle Millions Of Us. Il est bourré à craquer d’Africana et de bassmatic anaconda. «Thonga Lami» te saute à la gorge ! Voilà un cut ambitieux comme ce n’est pas permis, le bassmatic y dicte sa loi et tu retrouves la petite reine de Nubie, là-bas, au fond du son.  Quelle équipe ! Tu as toute l’Africana dans le son, tout le hard beat africain, tout l’inimitable, le pulsatif des origines, le son des tambours et les voix qui scandent. C’est que qu’on appelle la classe primitive, c’est-à-dire l’art moderne. C’est exactement ce qu’avaient compris Dubuffet et surtout Apollinaire, lorsqu’il observait la statue forgée du dieu Gou au Musée de l’Homme, au Trocadéro. En fin d’album, tu retrouves une version de «Thonga Lami», amenée au bassmatic et reprise à la cassure de rythme.  Ça sonne tout de suite comme un coup de génie primitif et la petite reine arrive pour monter le cut à l’étage divin, les percus te groovent l’oss de l’ass, c’est la troisième dimension de l’art africain, tellement puissant. Le monde devra désormais compter avec BCUC. Et tu retrouves les tambours dans «Millions Of Us 1 2 3», c’est le jungle beat, mais le vrai, celui des forêts inexplorées. Tout ici est pulsé au beat des origines de l’humanité. Si tu veux entendre comme sonnait l’arrière-arrière grand-père de l’arrière-arrière grand-père de ton arrière-arrière grand-père, écoute ça. Tout vient de là, surtout le rock. Les gens de BCUC enfoncent le clou du beat dans la paume de l’inconscient collectif. 

    Signé : Cazengler, vieux BOUC

    BCUC. Festival Rush. Campus Université Mont-Saint-Aignan (76). 13 juin 2024

    BCUC. Millions Of Us. On The Corner Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - King’s road

             La plupart des habitués méprisaient Rol Boy. Pourquoi ? Mais parce qu’il ramassait les disques dont personne ne voulait. Dans le jargon des marchands, on appelle ce genre de mec un éboueur. Celui qui vient racler les fonds des bacs. Pour aggraver son cas, il demandait en plus des remises sur des prix cassés. Et comme Rol Boy était aussi ce qu’on appelle un bon vivant, il ne ratait jamais l’apéro. Le rituel démarrait en général une demi-heure avant la fermeture du bouclard et ceux qui tenaient encore débout au bout d’une heure allaient poursuivre les festivités dans l’un des restaurants du quartier. Comme Rol Boy ne tenait pas l’alcool, il était le premier à rouler sous la table. S’il fallait monter à l’étage pour aller manger, il fallait que quelqu’un se dévoue pour l’aider à monter, et surtout à redescendre. Assez haut et bien bâti, Rol Boy pesait son poids. Il avait aussi conservé un physique de jeune loup, avec de longs cheveux blonds, mais sa myopie trahissait son âge. Comme il était ivre-mort, il passait tout le temps du repas la gueule dans son assiette et comme on lui remplissait régulièrement son verre de pinard, il revenait épisodiquement à la vie pour le vider. Il n’en finissait plus de surprendre tous ces gens qui croyaient pourtant bien le connaître. Ce soir-là, nous réussîmes à redescendre de l’étage sans dommage, mais avec d’infinies précautions, et Rol Boy alla s’affaler dans l’une des chaises en fer de la terrasse. Le spectacle qu’il offrait avec ses lunettes de traviole et ses bras ballants provoqua l’hilarité générale. Il n’existait pas dans nos souvenirs de meilleure caricature d’ivrogne. Il marmonna à un moment qu’il voulait rentrer chez lui. L’un de nous devait donc se dévouer. La ramener à pied était impossible. On réussit à l’enfourner dans une bagnole. Comme il n’y avait pas de place devant sa porte, il fallut aller se garer un peu plus loin. Évidemment, Rol Boy s’écroula sur le trottoir en sortant de la bagnole. Le relever pour le mettre sur ses pattes fut une autre histoire. Ça paraissait impossible. Il retombait. La solution consistait à le traîner près du mur pour qu’il s’y tienne. Il nous fallut près d’une heure pour parcourir les deux cents mètres. Il tombait, il voulait dormir sur place, allons Rol Boy, fais un effort, t’es presque arrivé, il repartait sur deux mètres avant de s’écrouler à nouveau. Nous atteignîmes enfin la porte. Coup de sonnette. Pour éviter les insultes de l’épouse, le mieux était de disparaître. Rol Boy était debout contre la porte. Quand elle s’ouvrit, il disparut en poussant un hurlement. Nous apprîmes consternés quelques jours plus tard que Rol Boy s’était tué bêtement cette nuit-là. Derrière sa porte d’entrée, se trouvait une volée de marches. Sa maison se situait à deux mètres en dessous du niveau de la rue et donc pour entrer, il fallait descendre quelques marches. Un vrai piège à cons.

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             Ces petites paraboles n’ont d’autre objet que de matérialiser l’écart qui peut exister entre des êtres aussi différents de Rol Boy et King Floyd. Chacun d’eux se situe à l’exact opposé de l’autre, sur l’échantillonnage des caractères humains : d’un côté le pauvre bougre abruti d’alcool, et de l’autre, un petit black d’une infinie délicatesse. Ils n’ont de commun que leur humanité, car malgré ses travers, Rol Boy était un chic type. De son côté, King Floyd aurait dû devenir une superstar. Ils furent l’un comme l’autre tragiquement privés d’avenir.

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             King Floyd est un artiste qu’il faut approcher avec d’infinies précautions. Il chante à l’étrange petit sucre, c’est en tous les cas ce que nous montre son premier album, A Man In Love, paru en 1969. Son timbre est unique, presque pré-pubère. King est un petit Soul kid. Il sait jerker le r’n’b comme le montre «Heartaches», ou encore le «Groove-A-Lin» qui se trouve au bout de la B : fantastique shoot de r’n’b monté sur le meilleur bassmatic du coin, King prêche le Groove-A-Lin, Louisiana up to Alabama, le bassmatic fend le groove comme l’aileron d’un requin fend la mer, Groove-A-Lin me ! Yeah yeah ! Soul-A-Lin me ! Il y va le King ! Il faut bien avouer qu’on s’attache à son étrange petit sucre, il faut le voir le swinguer au coin du couplet («You’ve Been Good To Me Thank You»). Tout est remarquable sur cet album. On note bien sûr la présence d’Harold Battiste. «Love Ain’t What It Used To Be» est quasi Motown dans l’esprit, monté sur un sacré bassmatic sous-jacent. C’est excellent, si black.  

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             C’est sur le Cotillon sans titre paru en 1971 qu’on trouve le «Groove Me» qui a lancé le King dans la stratosphère de la Soul. Comme son nom l’indique, «Groove Me» te groove, c’est du très très gros popotin, avec Vernie Robbins on bass et Wardell Quezergue on keys. King Floyd reste un singulier mélange d’énorme présence et de douceur. Mais attention, le King sait aussi faire son James Brown sous le boisseau, comme le montre «Baby Let Me Kiss You», il y va au ouh! et au euh !, c’est-à-dire à l’uppercut de funk. Il attaque sa B avec un «It’s Wonderful» plus poppy-poppy petit bikini, mais il n’y a pas de mal à ça. Il sait aussi taper le slowah intense, comme le montre «Don’t Leave Me Lonely», mais il va te le carboniser au final en sortant le scream des screams. Il termine avec «What Out Love Needs», un excellent groove de bonne mesure. King règne sur son empire du groove avec des airs magnanimes et une réelle bonté, comme le montre son portrait sur la pochette. Dans sa voix passent des accents de reggae, de Ben E. King, et de lointaines flavours de calypso.

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             Lorsqu’on croise la pochette de Think About It pour la première fois, on s’exclame : «Quelle gueule de star !». Il démarre d’ailleurs cet album de star avec «My Girl», le hit d’une autre star, Smokey. Fantastique version ! Wardell Quezergue signe les arrangements, yeah yeah yeah. Puis le King passe en mode r’n’b avec «Here It Is», il frise le rampant d’Hi, il chante à l’insidieuse. Et la température continue de grimper avec «Do Your Feeling». Il renoue avec sa fascination pour James Brown. C’est immensément bon, say it baby say it, il insiste, do it baby do it, il creuse le dig de do you feel it, il tape ça en crabe. C’est rare qu’un crabe soit aussi beau dans le funk. Il enchaîne avec un solide shoot de Malaco r’n’b, «It’s Not What You Say». King est bel est bien le roi de Jackson, Mississippi. Et puis en B, il tape dans l’Otis avec une cover magistrale d’«Hard To Handle», il y fait son Wilson Pickett, avec une fabuleuse niaque royale de King. C’est du pur Southern Soul de power maximal, le King sait claquer son mama I’m sure to handle it !

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             Well Done sort en 1971 sur Chimneyville Records, le label créé par Tommy Couch & Wolf Stephenson, les futurs boss de Malaco, qui en avaient marre de voir Wexler rejeter leurs enregistrements. Mais Atlantic va quand même distribuer Chimneyville. Tiens pourquoi un nom comme Chimneyville ? Dans le gros Malaco Story book, Wolf Stephenson explique que la ville de Jackson dans le Mississippi fut détruite en représailles par les Nordistes pendant la Guerre de Sécession, et comme il ne restait plus que des cheminées dressées dans cet océan de ruines, l’infortunée bourgade fut rebaptisée Chimneyville. Le King attaque son Well Done avec un groove digne d’Hi, «Movin’ On Strong». Fabuleux ! Il fait encore un peu de Soul d’Hi plus loin avec «Can’t Give It Up» et boucle son balda avec «I Feel Like Dynamite», mais il ne passe pas en force, il passe au smooth, il fait du James Brown en douceur et ses petits cris sont adorablement wild.  On passe hélas à travers la B, et il faut attendre «Very Well» pour frémir un peu. Le King renoue avec le groove de charme et il devient vite envahissant, il chante comme une superstar, il est all over the very well, doux et tendre comme un agneau, superbe d’ahhhhahahh et derrière, les filles se pâment dans l’ouate du satin royal. 

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             On retrouve Wardell Quezergue dans le studio Malaco pour Body English, un Chimneyville paru en 1977. Donc ça groove énormément, ce que montre d’ailleurs «I Really Do Love You». On finit par être habitué à ce groove royal. L’album est gorgé de son, les gens du Malaco rhythm section ne sont pas des manchots, mais les hits se font rares. Le King revient à son cher hard funk en B avec «Stop Look & Listen». Il y excelle. Puis il repasse en mode groovy pour «Doing That No More» et «So True». Encore une fois, c’est un son à part, ni Hi, ni Stax, ni New Orleans, c’est le son Malaco, coco, ponctué par un beau so true, pôt pôt pôt, comme joué au sousaphone. Un énorme bassmatic porte «We Gotta Hang On In There» - Hang on in there/ Don’t leave me baby - King Floyd aurait pu devenir King. On salue bien bas l’excellente qualité de sa Soul, et dans les backing vocals de «Can She Dot It Like She Dances», on retrouve Dorothy Moore et Jewell Bass.  

    Signé : Cazengler, King Kon

    King Floyd. A Man In Love. Pulsar Records 1969 

    King Floyd. King Floyd. Cotillon 1971

    King Floyd. Think About It. ATCO Records 1973 

    King Floyd. Well Done. Chimneyville Records 1971 

    King Floyd. Body English. Chimneyville Records 1977 

     

    *

    J’étais content, j’étais heureux. Vendredi 05 juillet, je tapais les deux derniers mots, les deux plus beaux de la langue française ‘’Damie’’ et ‘’Chad’’, de la dernière chronique de la dernière livraison de la saison, j’étais en vacances. J’avais oublié que le 04 juillet est le jour de la Déclaration d’Indépendance des Etats Unis, et que Thumos, j’aurais dû me méfier, a quelque peu l’habitude de faire paraître un de ses opus à cette date. Manière de rappeler qu’un pays se doit d’essayer d’atteindre à l’idéal platonicien d’une République qui œuvrerait à rendre ses citoyens heureux plutôt que de les asservir. Toute allusion aux dérives actuelles (et passées) de la grande Amérique ne saurait être le fait du hasard.

    CYNICS

    THUMOS / SPACESEER

    (Piste numérique / Bandcamp / 04 - 07- 2024)

    La couve est la reproduction d’un tableau de Jules Bastien-Lepage (1848 – 1884)  sobrement intitulé Diogène. Œuvre qui tranche dans sa production habituelle avant tout constituée de scènes rurales que l’on pourrait qualifier de naturalistes. Ne fut-il pas l’ami d’Emile Zola. Peut-être vaudrait-il mieux le qualifier d’impressionniste de la pauvreté, ce n’est pas la diffraction de la lumière pour la lumière qui l’intéresse, il l’utilise pour auréoler ses personnages, souvent des humbles, d’une douce luminosité qui les projette sur le devant de la scène. Les amateurs de Victor Hugo gardent en mémoire son portrait de Juliette Drouet réalisé en 1883, année de sa disparition.

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    Le titre de l’EP, un split de quatre titres, barre en grosses lettres noires toute la couverture : Cynics, difficile de cacher le sujet choisi par Thumos.

    Spaceseer : The Stone Cut Out of the Mountain : dans notre livraison 568 du 29 / 02 / 2022 nous présentions Feral Moon de Spaceseer, musicien très proche de Thumos, il est aussi crédité  comme collaborateur à part entière The Course of Empire, une des œuvres majeures de Thumos qui parut, extraordinaire coïncidence le 04 juillet !  The Course of Empire, inspiré par une fameuse suite de cinq tableaux dus au peinte américain Thomas Cole, conte d’une manière symbolique la création et la mort d’un Empire. Faire paraître cet opus le jour de la fête nationale américaine se doit d’être interprété d’une manière symbolique et politique. Un avertissement critique adressée aux élites et au peuple des USA sur la mauvaise pente sur laquelle s’est engagé le pays…  Ronflements de moteur l’on pense à une machine, mais en relation avec le titre nous préférons entendre le roulement d’une pierre qui dévale une montagne, le noise n’est jamais gratuit, certains penseront à autre chose, un monument, un immeuble, en train d’être édifié, un chantier en pleine activité... Dans notre France voltairienne la relation au deuxième livre dans l’Ancien Testament   de Daniel ne sera pas automatique, et encore moins avec le Livre de Mormon… Tout au plus évoquera-t-on Sisyphe d’Albert Camus poussant son rocher vers le haut d’une montagne pour, arrivé au sommet, le voir retomber tout en bas dans la vallée… C’est pourtant plutôt de cette manière que ce morceau se doit d’être compris. Que peut faire le simple citoyen pour remettre son pays dans le droit chemin, pas grand-chose mais qu’il fasse son possible, il est peu probable que Dieu décroche un gros rocher à la montagne (ainsi qu’il est chanté dans de nombreux gospels) pour faire barrage à la catastrophe annoncée, mais chacun peut apporter sa petite pierre… Thumos : Antisthenes : notre philosophe est réputé pour avoir fondé, sinon inspiré, au travers de son disciple Diogène, l’Ecole Cynique, hormis quelques bribes il ne nous reste pratiquement rien de son œuvre, pour ma part je le considère comme ces îlots formés par l’entassement des graviers et des alluvions emmenés par la réunion de plusieurs rivières. Ayant vécu entre 440 et 362 il se trouve aux confluences de la sophistique et de la philosophie, sa pensée est aussi bien l’héritière de Gorgias que de Socrate. Il est difficile de trouver deux auteurs dont l’attitude devant l’existence soit aussi antithétique que Gorgias et Socrate. Gorgias le glorieux qui aime d’autant plus la beauté, la faconde, le style qu’il  nie l’essence de l’êtralité du monde et Socrate le gratteur qui cherche à dépouiller toute représentation superfétatoire pour ne garder que le squelette de la pensée en mouvement. Si Platon a annexé dans ses dialogues le personnage de Socrate, il n’en a pas moins rédigé son oeuvre  en tenant compte de l’exigence survivaliste et littéraire de l’écriture de Gorgias. Vu le titre de ce mini-album, il est clair que c’est la vision d’Antisthène fondateur de l’éthique Cynique que Thumos a privilégiée. Phoniquement la relation avec les deux participations de Spaceseer est évidente, vous vous en rendrez compte une fois l’écoute entière de l’opus terminée. Le son se fait plus fort, imaginez l’action du sel sur une blessure, l’on soigne le mal par le mal, quel besoin d’Antisthène lorsque l’on a la République idéelle de Platon, et quel besoin du disciple quand l’on a Socrate, parce qu’aux grands mots les grands remèdes, lorsque le fer est tordu il est nécessaire de le remettre droit, après la mort de son maître Antisthène n’a-t-il pas traîné en justice les accusateurs de Socrate, l’heure est grave tout comme la musique. Très beau morceau d’une infinitude majestueuse. Thumos : Diogènes : Diogène (413 – 423, il vécut assez longtemps pour être offusqué par le soleil d’Alexandre le Grand) est l’incarnation jusqu’à la carricature du Cynique. Le cynisme est une sorte de nihilisme intégral  qui vise avant tout toute fatuité humaine sans porter la moindre considération aux institutions les plus sacrées de ce parangon sociétal qu’était pour les Grecs la Cité. Le cynique ne pète pas plus haut que le cul d’un chien. Il bafoue tous les usages, toutes les coutumes, toutes les attitudes de la bienséance… Diogène méprise les hommes et ne professe pas une plus grande estime pour lui-même. Avec sa lanterne allumée en plein midi il recherchait un homme digne de ce nom… Nous remarquons qu’il ne prit même pas la peine de chercher un Dieu. Diogène fut le fabuleux histrion d’un théâtre d’ombres sociétal dans lequel les individus se disputent pour jouer les meilleurs rôles… Diogène enseignait, n’est-ce pas là un suprême orgueil, à ses concitoyens de ne pas être dupes, ni d’eux-mêmes, ni des autres. Pourquoi Diogène, avec Antisthène l’on a commencé à régler les comptes avec les instigateurs, qu’il fit comparaître en justice, de la mort de Socrate. Toutefois le mal était beaucoup plus profond, ce ne sont plus les commanditaires que le cynisme veut éliminer, il ne suffit pas de s’attaquer nommément  à des individus mais à la lèpre morale généralisée qui corrompt les citoyens, les gonfle de leur fausse importance et les métamorphose en ballons de baudruche, l’on a besoin du chien le plus cruel pour qu’il plante ses crocs dans ces poupées boursoufflées, la musique devient de plus en plus violente, elle décape l’esprit des hommes, Thumos utilise la bougie de la lanterne de Diogène pour calciner les saletés de leurs âmes, elle agit comme le feu sacré qu’alluma Téthys pour brûler les chairs mortellement  humaines d’Achille. Musique des sphères en colère. Spaceseer : Waxing Crescent : allusion aux cycles de la lune, précisément à ce que nous appelons chez nous le croissant de cire, l’idée est celle du recommencement d’un cycle, retour à l’Arcadie initiale de la Course de l’Empire, tapotements divers, bruits de fond, c’est encore du bruit mais l’on pressent une ordonnance musicale, ce n’est plus le chaos, ce n’est plus le désordre, quelque chose est en train de se mettre en place, l’impression de voir surgir une structure, elle ne ressemble encore à rien de défini et encore moins de définitif, une intuition nous prévient qu’une volonté coordonnée est à la base de ce projet, de lointains sifflements de flûte, non ce n’est pas Amphion, c’est le travail coordonné de milliers d’êtres, chacun sait ce qu’il a à faire et surtout à quelle œuvre il s’adonne, un bourdonnement, c’est celui que l’on doit entendre à l’intérieur d’une ruche, c’est ainsi que nous l’imaginons ne serait-ce que symboliquement, chaque abeille aux ailes fragiles participant à la préservation de la Cité miellique. Une note d’optimisme généralisé.

             Les chiens de Thumos et de Spaceseer aboient, réveillée de sa léthargie la caravane humaine reprend son chemin.

    Damie Chad.

     

    *

             J’ai toujours eu une grosse tendresse, depuis le jour lointain où j’ai eu connaissance de son nom, pour le Kraken. Une charmante bébête, certains textes la décrivent comme une île qui atteindrait seize kilomètres de long. Je ne pense pas qu’elle contiendrait dans votre aquarium. C’est un mot qui détruit les bases de la linguistique moderne selon laquelle il n’y a aucun rapport entre les sonorités d’un vocable et la chose qu’il désigne. Prononcez Kraken et vous entendez le monde qui craque entre ses féroces mandibules, avec en plus la dernière syllabe ‘’-ken’’ qui semble glisser interminablement au loin comme des tentacules géants qui s’enfuient jusqu’au bout des océans pour s’enrouler autour d’un porte-avions et l’entraîner inexorablement jusqu’aux fonds des abysses insondables…

             Non le groupe ne se nomme pas Kraken mais son unique album est un salut adressé au terrible monstre marin. Je l’ai repéré sur la chaîne You Tube de Daniel Banariba qui se complaît à collectionner les monstres soniques les plus répugnants qu’il traque sans discontinuer.

    WITH MALICE

             C’est le nom du groupe. Ne lui appliquez point le sens que notre langue française moderne a octroyé à ce mot. Rien à voir avec un enfant malicieux. Rendons-lui sa force médiévale de malveillance diabolique, de stratégie délibérée de vouloir faire le mal pour le mal.

             With Malice n’existe plus depuis 2016. Venaient d’Edmonton capitale de l’Alberta au Canada. Avant de livrer son unique album, il a d’abord proposé un EP sans titre. Que nous écouterons en dernier.

    HAIL KRAKEN

    WITH MALICE

    (CD – 2015)

    Jessy Leduc : Vocals / Alex McIntosh : Drums / Ryan Kippen : Guitar / Jonathan Schieman : Bass

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    Hail kraken : le début est magnifique, bruits de vagues, chants de cachalots, hordes vengeresse de Moby Dicks enragées, par la suite z’y vont sans malice et franco de port, ne sont pas là pour enfiler des perles, plutôt des carcasses d’épaves pour offrir un collier à Poseidon, vocal, batterie, guitares saccadées comme des chœurs de marins wagnériens, plus des grondements et des heurts apocalyptiques, non ce n’est pas un calamar géant inoffensif si j’ose dire, un véritable monstre surgi des abysses sans fond du temps  d’un roman de Lovecraft, Le sort du malheureux navire est vite fixé, en moins de quatre minutes l’est englouti et l’équipage bouffé jusqu’aux os. Hall of extinction : jusqu’à ce titre l’on était à peu près tranquilles, sûr l’on pense qu’ils s’énervent un peu, qu’ils vous brandissent des riffs de guitares comme s’ils agitaient le drapeau de la destruction à la tête des hordes mongoles, un bateau de plus ou de moins sur cette terre, pardon sur cette planète bleue, on ne va pas en faire un fromage, on s’en gondole, oui mais les lyrics nous détrompent, les japonais ont inventé Godzilla pour nous avertir des dangers de la bombe atomique, là vous pouvez rire jaune, ça n’a pas marché, nous sommes après le big bang, pas le premier, l’ultime, la race humaine a été réduite à l’état de fossiles, en tout cas ils nous fournissent une bande-son du génocide final particulièrement vraisemblable, prennent leur pied, on se demande, vu le plaisir sonore qu’ils y exposent si ce ne sont pas eux qui ont appuyé sur le bouton. Filth : pourquoi tant de haine, pourquoi accélèrent-ils encore le rythme, et pourquoi cette batterie branchée sur trois milliards de volts, et ce chanteur qui vomit tant de hargne, pas la peine de tant se fatiguer puisque nous sommes tous morts, l’humanité reléguée dans le tableau des espèces disparues. C’est qu’il y a pire que l’extinction généralisée. C’est qu’il existe une raison au suicide collectif de la race humaine, prenons un cas au hasard, tiens, toi le lecteur, sois franc, sans doute es-tu même passé à l’acte, n’as-tu jamais haï quelqu’un, un de tes proches par exemple, au point d’avoir envie de le tuer, de l’égorger comme un cochon, et de te réjouir de son agonie. Maintenant vous comprenez pourquoi  With Malice est si violent. Puisque tu es capable de tuer ton voisin, inutile de jouer les Cassandre, de nous avertir que nous l’Humanité courons à notre perte, les armes bla-bla, l’écologie bla-bla, le réchauffement bla-bla, oui tout cela nous menace car c’est fiché au fond de toi. Espèce d’immonde saleté. Tout arrive à cause de toi.  Vengeful maniacs : hi ! hi ! vous croyez être sain et sauf, With Malice a radié l’espèce humaine et votre foi en la grandeur de l’Homme qui n’est qu’un assassin, vous pensez que plus rien ne peut vous arriver, n’oubliez jamais que l’on peut trouver pire, pire que les horreurs terrestres, agent Chad vous exagérez ! Pas du tout il reste encore la zone sombre des cauchemars. Parfois ils sont insupportables et vous vous réveillez, il semble que With Malice s’est dépêché de terminer ce morceau, même pas trois minutes, à fond de train, le batteur a dû courir pour le rattraper et lorsqu’il est arrivé sur le quai la locomotive du vocal et le tender des guitares lui sont passés sur le corps, je vous résume la situation, le gars est tout heureux, se délecte du bon tour qu’il vient de jouer à une centaine de personnes, il les a enterrées vivantes, mais voilà qu’elles s’agitent sous la terre, se débarrassent de leur gangue glaiseuse et l’acculent dans un coin du cimetière. Ces gars-là font attention à notre santé mentale, ils ne nous disent pas comment l’histoire finit.

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    Necrotic soul : profitez-en c’est le quart d’heure philosophique, de Natura Humanis, de la nature humaine, bon les gars ne vous font pas un cours ennuyeux comme la mort sur la morale de Kant, ils appliquent la technique orientale, plus qu’un long discours rien ne vaut un bon exemple. C’est ce qui marque les esprits. La chair aussi. Parce que voyez-vous, notre âme nécrotique est d’instinct attiré par les âmes pures à qui elles font subir les derniers outrages, viol, torture, assassinat, si par hasard la victime en réchappe, elle n’a plus qu’une hâte, c’est sans doute pour cela que le morceau est si rapide, se venger au plus vite, aussi bien sur son bourreau que sur un innocent. La vérité est que notre âme est meurtrière, que nous nous délectons de la mort des autres. Ce doit être ce que l’on appelle une vision pessimiste. Writing assembly : pas de panique, si la philosophie ne nous apporte aucune aide salutaire, il nous reste le secours de la religion. A la violence avec laquelle le prédicateur fait son sermon, avec cette batterie qui frappe sans répit, sa basse knoutique, et sa guitare qui assène ses riffs comme des coups de trique vous comprenez que nos frères d’Avec Malice ne font aucunement confiance à la colombe du Saint-Esprit pour vous apaiser, le message ne passe pas, personne ne l’entend, personne ne l’écoute, pas plus le prédicateur que les ouailles. Et Dieu dans tout ça. Figurez-vous que personne n’y pense. Gnosis : enfin on va tout savoir ! Sont fair-play, nous expliquent pourquoi le message  de Dieu ne passe pas. Même qu’ils laissent un long espace instrumental pour nous permettre d’apprécier la subtilité de leurs propos. Ils n’accusent pas directement le Grand Manitou mais ils laissent entendre que le message n’est pas clair. D’un côté c’est l’amour, c’est bon, c’est bien, on a envie d’y croire mais de l’autre côté c’est la longue liste infernale des punitions qui vous attendent. Dieu vous refile le Bien et le Mal dans la même pochette-surprise. Comment voulez-vous que l’Individu se dépatouille avec ce cadeau empoisonné. L’Individu est un être faible, comment trancher le nœud de cette contradiction si ce n’est par la violence ! Carving : comment font-ils, ils ont encore de l’énergie. C’est vrai que pour le dernier morceau ils ont décidé de régler le problème définitivement, de le prendre à bras-le-corps, puisque Dieu ne répond pas, ils vont le chercher dans le seul endroit où il se trouve. Nous assistons donc à une dissection in vivo, le sujet pensant se saisit de son scalpel et décide de savoir ce qu’il a dans le ventre, je vous épargne les détails, par exemple les viscères qui rampent sur le plancher. Incroyable mais véridique, à part de l’hémoglobine qui coule de partout, il n’y a rien d’autre. Ah, si autre chose, j’allais oublier, ça fait mal, très mal – essayez si vous ne les croyez pas – la douleur si forte, si violente, si insupportable qu’elle est divine. S’arrêtent là ne prononcent pas un mot supplémentaire. Comme vous n’êtes pas idiot vous en tirez la conclusion qui s’impose. Si Dieu est douleur, faire du mal à autrui est de l’ordre du divin.

             Vous pouvez écouter With Malice en faisant la vaisselle (vous pouvez du coup quitter votre petite amie, mais cela vous regarde), bref vous n’êtes pas trop attentifs et vous dites : un bon groupe de hard, un peu bourrin, toujours à faire un max de bruit, des gars qui ne se posent pas de problèmes métaphysiques, vous êtes totalement à côté de la plaque, sont beaucoup plus finauds que vous ne le croyez, écoutez les lyrics, ils allient brutalité et subtilité, cerise le gäto Cat Zenglerien, ils vous exposent une problématique, la déroulent jusqu’au bout et vous laissent le droit d’en tirer les conclusions. Celles qui selon vous s’imposent !

             Mais il temps d’écouter le premier EP :

    WITH MALICE

    (Bandcamp : Octobre 2012)

    Davis Hay :  vocals / Alex McIntosh : drums / Brent Bell : guitar / Ryan Kippen : Guitar / Jonathan Schieman : bass.

             La couve n’est guère pharamineuse à mon humble avis…

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    Singular : le son n’est pas le même, longue introduction, guitare ramassée et fusante, la voix mixée devant, leur reste trois minutes, trois strophes et deux refrains pour raconter l’histoire de l’humanité, des anciens cultes à la société de consommation le film est toujours le même, tout est fait pour enfermer les esprits  libres et originaux en des croyances ou des comportements appropriés, soit par la force ou la séduction, l’ensemble sonore donne l’impression d’un serpent fuyant qui parvient toujours à ses fins, est-ce pour s’échapper ou prendre à revers ses futures proies. La guitare de Brent se redresse tel un cobra prêt à frapper. Pas d’échappatoire sinon en soi-même.

    Gnosis : (lyrics différents de ceux de l’album) : tout de suite la voix, noire, gorgée de grognements et l’instrumentation qui balaie derrière, le même batteur mais pas du tout la même manière de battre le beurre, moins de roulements, davantage de tapotements, ce qui était raconté depuis l’extérieur dans le premier morceau est maintenant exposé de l’intérieur. L’esprit, le jugement dirait-on en employant un vocabulaire philosophique, est en butte avec la réalité, vide et folie au-dedans, mais il est encore plus dangereux de regarder au-dehors, le spectacle n’est jamais neutre, la chose vue vous attaque, elle est-là pour vous détruire. Avec ses deux premiers titres l’on s’aperçoit que With Malice avait un projet des idées et un son. La fin du morceau tordue par un essorage guitarique et une explosion vocale est jouissive. Vengifull maniacs : (la dernière strophe est plus explicite, des précisions sont apportées sur la manière dont les enterrés vivants se vengent : ils aspergent d’essence leur tortionnaire et le brûlent vivant) : à monde cruel musique forte et chant teinté d’une ironie noire, qui nous oblige à interpréter le sens de ce morceau d’une manière différente, la guitare ânonne et se grippe, le final confirme notre intuition, l’esprit n’a pas résisté au spectacle du monde, il débloque totalement, crazy world ! Wasteland : terre en friche, notre terre gaste de Perceval, mais ici le Graal n’y est pour rien, le coupable est le feu nucléaire, l’on comprend maintenant pourquoi la vision de ce monde de désolation a rendu fou notre héros, comme des hélices d’avions qui tournent sur elles-mêmes sans faire avancer l’appareil, Davis parle plus qu’il ne chante, le spectacle est trop hallucinant, le background semble tourner sur lui-même, serpent qui essaie de se mordre la queue pour coïncider avec lui-même sans y réussir. Dans un dernier effort Davis nous apprend que la mort a triomphé.

             Ce premier EP était prometteur. Le chanteur et le guitariste partis, le reste du groupe a continué. Avec les deux nouveaux venus, ils ont repris le matériau de ce premier opus et en ont fait autre chose. Différent mais sans rien trahir, ni renier. Dommage qu’ils n’aient pas continué…

    Damie Chad.

     

    *

    C’est leur premier disque. Un truc zen. Faites-moi confiance, un grain de grind vous détendra, signez-moi un tchèque en blanc. Oui ils viennent de Prague. Comme Kafka, comme Rilke. Dès que j’ai vu la couve, avant même de les écouter j’ai voulu en savoir plus. Je suis arrivé après la bataille. Sur leur Face Book, le dernier post daté de 06 / 10 / 2022 indique qu’ils avaient décidé de se séparer.   Dommage, tant pis, on les écoute quand même, ces gars me ressemblent, ils sont parfaits.

    THROUGH

    PERFECITIZEN

    ( CD : L’Inphantile Collective / L’C 013 / 2013)

    J’en vois certains qui tiquent, ce collectif leur semble bizarre, c’est juste une maison de disques, sise à Prague, un experimental/grindcore/metal label comme elle se définit, je vous l’accorde à la réflexion il est des chances pour que ce soit davantage zinzin que zen. Par contre ils arborent un joli logo, une espèce de wagon-trolleybus qui répond au nom éminemment valéryen de Neonarcis.

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    Belle pochette qui vous explique le titre de l’album, une main qui tâtonne sur une paroi de verre. Serions-nous tous prisonniers d’une immense cage de Faraday sociétale, à moins que ce soit notre cerveau qui soit incapable de communiquer avec l’extérieur.

    Tomáš Mleziva : guitars, bass / Olda Kamenetski : vocals / Jarda Haž : drums / Hjalli : samples.

    Avant de commencer l’écoute deux courtes notules : eux-mêmes se définissent musicalement comme un groupe ‘’extreme blast core, death grind band’’. La deuxième est une question à laquelle nous ne répondrons pas : pourquoi en règle générale les groupes de Metal nous emmènent-ils souvent en des univers post-apocalyptiques dans lesquels la survie s’avère au mieux aléatoire, sur d’autres planètes où l’on doit se confronter à de redoutables monstres, voire en d’étranges fantaisies peuplées de créatures informes et infâmes. Parfois c’est le Diable en personne qui s’occupe de notre propre engeance, ou alors nous plongeons dans les époques les plus noires de notre civilisation…

    Genesis : épouvantables sonorités, hurlements et crépitements battériaux frénétiques, Olda donne de la voix, dans les années soixante on lui aurait offert une boîte de pastilles Valda pour soigner son cancer de la gorge, si vous cherchez une semblance mélodique vous ne trouverez pas, lignes brisées, montagnes russes, crêtes tranchantes, pentes verglacées, bruits divers entre siphons d’évier et ustensiles ménagers divers et égoïnesques, mais pourquoi tant de déglingueries sonores, vous ne me croirez pas, parce qu’il est heureux, oui il est content et satisfait : normal il est libre. Libéré ! De quoi, de qui, demanderont les esprits curieux. Mais de ce dont vous êtes restés prisonniers. De vous-mêmes. Oui, il est sorti de lui-même, par extraction, il est nu comme un ver, désormais il vous sera impossible de lui prendre la moindre chose. Non, aucune allusion à des costumes de soie ou à un épais portefeuille bourré de grosses coupures, soyez moins matérialistes, n’a plus rien, l’est fauché, son cerveau est totalement vide, même son âme s’est envolée l’on ne sait où. A poil, totalement dehors et dedans. Reset the chaos : rien que le titre fait peur, l’est sûr que pour vos oreilles ce sera difficile de supporter ce chant épileptique, ce tabassage battérial perpétuel et ces bruits de fond qui s’installent tout devant, qui vous empêchent de penser, à tel point que quand ça stoppe brutalement vous n’espérez plus qu’une chose, que ça reprenne illico, je vous rassure ça repart immédiatement, en pire, attention aux membranes de votre cervelet qui risquent de subir de fortes trépanations. Faut écouter ce kaos comme une préparation mentale, pour comprendre quelque chose, ses effets sur votre personnalité par exemple, il faut l’expérimenter. Exemple, en règle générale vous vous méfiez des serpents, mais voir un cobra de huit mètres de long dans votre salon c’est différent, ça change les perspectives, ici ce n’est pas un reptile qui sort de sous le fauteuil sur lequel vous étiez assis, non vous êtes convoqué à une séquence de décervelage. Oui mais c’est moins rigolo que dans Ubu, car dans cet extracteur géant il y de l’abus, tous vos désirs, tous vos espoirs ont été extirpés de votre tête, vous êtes devenu un citoyen perfectionné rivé à sa chaîne de travail, attention pas de charloteries, vous n’êtes pas dans un film, rentrez dans le rang de l’uniformité, soyez comme les trois singes, ne dites rien, ne voyez rien, n’écoutez rien (avec ce vacarme vous n’aurez pas de mal à suivre la troisième injonction !). Accordance : pressurisation phonique, on augmente le volume et le rythme, c’est pour votre bien, cela vous empêche d’être pris à partie par de mauvaises pensées, voire de leur entrouvrir la porte, le mieux est d’accepter, fais ton boulot, rejoins sans tergiverser le rang des esclaves, sois un rouage, que dis-je une pièce indistincte, encore mieux une vis uniforme de la machine qui te broie et que tu es devenu, le vocal, moulinette folle, te hache à la machette, transforme la moindre de tes envies en charpie sanglante. Le concassage faiblit quelques instants pour qu’on l’entende couler au fond de la fosse d’aisance. Souviens-toi, tu n’es plus toi. Tu n’es plus. Enfonce-toi cette vérité dans la tête qui ne t’appartient plus.  Electrification : merveilleuse fée électricité, on l’entend siffler dans les tuyaux qui alimentent la machine que l’on a branchée sur ton cerveau. Remue-ménage dans tes synapses, coupures, recrudescence d’influx, c’est ce que l’on appelle le courant-alternatif, tabassage vocal sur ton occiput, le résultat est superbe, l’on entend par deux fois trois secondes les inflexions d’une véritable guitare, tes pensées déviantes ont été remises dans le droit chemin, tu avais besoin d’une petite révision (à coups de marteau). Tout est bien qui finit mal. Assimilation : quelle douceur, quel calme, quelle paisible atmosphère, l’on est tellement bien qu’il faut tendre l’oreille pour entendre, enfin un peu de bruit, rien de chaotique, même si peu à peu ça redevient un tantinet agité  surviennent des plages de plénitude, tout compte fait l’on n’est pas si mal ici, suffit de s’y faire, d’entrevoir la réalité du bon côté, maintenant l’on me certifie que je suis un citoyen parfait, dans un monde lui aussi insurpassable, la coopération doit marcher des deux côtés, dommage pour ceux qui sont morts et qui n’ont pas eu la possibilité d’atteindre à cette communion de l’Unique avec la Globalité, la parfaite égalité, qui aurait pensé qu’elle pouvait être atteinte si rapidement, le bonheur communautaire à portée de main… Tu vois on a eu raison d’insister. Emballé, c’est pesé. Les bons prix à payer font les bons amis. Our place : ça ronronne, l’on est dedans, l’on est au chaud, l’on suit le rythme, c’est aussi l’occasion de faire le point, de visualiser la situation, l’on réside dans le système qui nous empêche d’être nous, attention des discordances clinquantes nous avertissent qu’il est des sentes dangereuses, les pieds de notre pensée nous y engagent, est-ce vraiment malgré nous, le bruit s’atténue, ce n’est pas que son ait baissé, c’est qu’on ne l’écoute plus, qu’on ne l’entend plus, c’est que notre pensée monopolise notre attention, elle résonne dans le vide, certes nous sommes prisonniers du système mais nous sommes aussi le système, nous sommes la cage et en même temps la clef de la cage.  Productivity : alerte rouge, alerte noire, tout le système est en état d’alerte, les ordres sont hurlés, heureusement tout est prévu, il se régule de lui-même à heures fixes, c’est le moment de la kommandatur, pas d’affolement suffit de serrer les boulons et de purger les circuits, même pas question de gravir un Everest sonique, pas d’affolement, on continue sur la lancée, merveilleux système qui s’auto-régule à la perfection. Une machine qui se répare toute seule. Aucun grain de sable ne saurait s’entremettre. Ça y est, tout est au point. Ça roule. Tout fonctionne. Dubitation : grondements intérieurs, le ver est dans le fruit, les mots se bousculent, il rampe à toute vitesse, de temps en temps les pensées exultent, de temps en temps l’élan retombe, alors la solution se présente, prendre les armes, détruire le système, bousculades dans la tête, le son résonne sur lui-même, barbotage musical, le cerveau et les pensées défilent à toute vitesse, que faire, comment faire, suis-je prêt à tout, suis-je sûr de moi-même, tout va trop vite, tout tourbillonne, le cerveau n’est-il pas lui aussi une machine que je ne peux arrêter, alors je pète un câble et je hurle. Through : une mélodie qui devient folle, un serpent que la batterie hache en milliers de tronçons, tout s’emmêle, tout s’entremêle, nous sommes hors de la machine puisque nous sommes dans la réalité de notre société, la machine est-elle en nous ou hors de nous, ou plutôt ne suis-je pas la machine à moi tout seul et toi aussi n’es-tu pas la machine à toi-tout seul, c’est à devenir fou, la solution est là, seul je n’arrêterai jamais la machine, mais à deux, mais à plusieurs, mais à tous, mais à nous, ne parviendrons-nous pas à la casser. Un dernier hurlement. Fin de la bande, la machine s’arrête. Oui mais l’autre ? Nous ne sommes pas encore de l’autre côté.

             Un peu éprouvant pour les tympans fragiles. Toutefois l’impact s’amoindrit tout de même lorsque l’espoir d’un arrêt de la machine apparaît. Deus ex humana machina ! Des tchèques certes, mais j’entrevois en eux des adeptes de la philosophie déconstructiviste française. Derrida et consorts. Beaucoup d’analyses, de démonstrations, de démontages, mais peu d’efficience dans la réalité. Une dés-analyse du système ne le détruit pas. La déconstruction n’est-elle qu’une reprise du machinisme cartésien, voire de Malebranche qui tenta de faire de Dieu le moteur de la machine animale. Ne sommes-nous pas dans une resucée incapacitante du nihilisme ?

             Perfeccitizen a encore commis deux disques : Corten (2015), Humanipulation (2002), je ne les ai écoutés qu’imparfaitement, trop rapidement. Il m’a semblé, j’aimerais faire erreur, qu’ils n’ont pas réussi à sortir du cercle de leur machine mentale et systémique, nous ne saurions leur en faire reproche, au moment de la naissance du capitalisme (un mot qu’ils remplacent par système) moderne, au début du dix-neuvième siècle en Angleterre, les ludistes, eux non plus n’ont pas réussi à arrêter son extension en cassant les métiers à tisser.

             La critique est facile, la révolution beaucoup plus difficile.

    Damie Chad.

     

    *

             Cette livraison kr’tntique se termine. Que choisir parmi les nouveautés. La plus terminale de toutes. Ce sera donc :

    PLEROMA MORTEM EST

    MONOVOTH

    (K7 – CD : Trepanation  Recording)

    N’est-on pas toujours seul lorsque l’on se confronte à la mort. L’on ne sera donc pas étonné de trouver un seul mnovothoring comme principal artifex : Lucas Wyssbrod : composition, guitars, bass. Martin Visconti :  mise en place des drums.

    La couve est d’Andrea Navarro, son instagram : Andreanavarroartista dévoile une artiste surprenante aux confluences de diverses sensibilités… Par quel miracle peut-on aborder autant de noirceur que de clarté… Elle est le Yin et le Yang.

    J’avoue avoir été attiré par le titre en latin. Facile à traduire : Mortel est le plérôme. Ce qui nous laisse perplexe et suscite un plein d’interrogations quant à l’interprétation de l’opus. De quelle plénitude s’agit-il : de celle de l’homme mortel ou de celle des éons immortels chers aux gnostiques. L’analyse de l’artwork ne nous aide guère : l’on ne peut s’empêcher aux figurines des jeux de cartes les plus simples (Roi, Reines, Valets) qui ne possèdent ni haut ni bas puisque tous deux sont interchangeables. Pourtant ici tout est différent, entre le gisant et le vertical, entre l’horizontal et l’accroché, dans tous les cas supposés :  l’impossibilité d’accéder au même cercle.

    Peu d’indices à notre disposition : l’opus est composé de six titre, six instrumentaux, qui dévoilent le noir et cèlent la clarté des mots. Il est présenté avec un texte qui nous indique les rayons d’impédance et d’action qui sous-tendent chacun des six morceaux. A vrai dire les références philosophiques explicatives nous semblent en contradiction avec le titre de l’album, n’ayons pas peur des mots : elles nous déçoivent franchement. Les argentins -  Monovox est argentin – seraient-ils en retard d’un demi-siècle dans leurs références philosophiques…

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    Grata Mors : guest  guitars : Sebastian Barrionuevo : voici donc une mort agréable, statistiquement parlant nous sommes prêts à parier que nos concitoyens ne la jugent pas de la même manière… ce qui est sûr c’est que nos lecteurs sans en avoir entendu une seule note ne pensent pas que cette œuvre soit un tantinet joyeuse, ils ont raison, dès la première assourdance funèbre, ces graves et grasses sons de basse, c’est le glas annonciateur de mort qui résonne, suivi d’une magnifique et lyrique amplification majestueuse qui nous projette déjà dans l’autre monde, drone music certes mais ce n’est jamais tout à fait le même motif qui revient, l’est magnifiquement assorti de résonnances nouvelles, lancinantes et changeante, un peu comme la peau d’un serpent sinueux qui à chacun de ses méandres varie de teinte par le seul fait qu’il ne forme pas le même angle avec le rayon du soleil (noir) qui se pose sur lui. Monovoth place ces instants fatidiques sous le signe de l’étreinte, est-ce la mort qui étreint le vivant ou le mourant qui est encore étreint par la vie. Au lieu du verbe étreindre irions-nous jusques à employer l’expression faire l’amour, si proche en notre langue de faire le mort. Comme dit le proverbe : chacun fait comme il peut. Ainsi peut-on traduire grata mors par la mort reconnaissante. The Air Between Gardens : feulements de tambours, de l’air qui passe entre les jardins, mais de quels jardins s’agit-il et que vient faire cet air, ce qui est certain c’est que le son dramatise la scène, jusqu’à ce que la crise éclate, les derniers moments, les dernières fibres sectionnées qui préfigurent l’arrachement, la séparation du monde des vivants, les proches penchés sur le cadavre encore chaud et le mort déjà dans l’au-delà, l’affliction d’un côté et le sourire du masque du sphinx immuable qui s’est posé sur le visage du décédé tel un masque, à moins que ce qui soit essentiel soit ce troisième élément, cet air subtil qui passe, parcourt et arrose l’entre-deux du jardin des morts et du jardin des vivants, un trait d’union séparatif, le garden n’est-il pas ce qui garde, le gardien de l’enclos, celui dont est chassé, celui vers lequel on se dirige. Un jardin à chaque bout du chemin. Clamor Resonat : synthés Federico Ramos : douceur sonore et résonnante, ce qui subsiste de nous après notre passage, ces ondes subtiles, ces battements d’ailes d’oiseau du cygne évanoui qui n’ont pas fui, qui sont restés, qui bruissent et qui parlent, cet inaudible qui dicte, qui affirme notre présence alors que nous ne sommes plus, peut-être le plus beau morceau de cet opus qui en compte six, avec dans sa seconde moitié, l’autre moitié de l’envol dont on ignore tout mais que l’on pressent symétrique comme les deux ailes du papillon mort, l’une bat encore de ces anciens mouvements et l’autre immobile qui remue dans une sphère inatteignable aux vivants, bientôt il est si loin que l’on ne l’entend plus alors que l’on ne l’a jamais entendu.

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    Somnia : sombreur ce qui reste sont nos rêves, des projections de nos désirs avec lesquelles nous peignons et repeignons sans cesse notre destin, nous le voulons aussi doux que cette mélodie aussi tendre que cette brise qui nous emporte de l’autre côté, la seule chose que nous emmenons est cette figurine de nous que nous appelons destin, la plénitude de notre destin ne décline-t-elle pas notre mort, est-ce ainsi que l’on doit entendre le titre, les rêves nous ont précipités en nous-même, en notre vie, et hors de nous-même en notre mort. Collisions of souls : la batterie frappe de plat et d’estoc dans un film de cape et d’épée passé au ralenti, quel grabuge, tout destin se forge dans le fracas des volontés vives qui s’entrechoquent, peut-être de l’autre côté en est-il de même, nous heurtons-nous à d’autres âmes n’est-ce pas notre destin le seul viatique que nous emportons avec nous, le drone insiste de plus en plus fort, le motif de notre vie n’est-il pas leitmotiv de notre mort.  Denique Mors : vocals  Linseay O’Connor : donc la mort, il faut bien en passer par-là, il faut bien en finir avec ça. Reprise du même thème, serait-il envisageable qu’un autre survienne, ne sommes-nous pas ensablés dans ce même motif depuis le début, un éclat de batterie tonitruant, des guitares qui fondent comme un aigle sur sa proie, serait-ce un éclat de révolte métaphysique, inutile et perverse dixit Mallarmé, l’on sort les grandes draperies noires, les épais rideaux funèbres, l’attirail majestueux, des sons qui claudiquent, des cordes qui grincent, quelque chose se déglingue, le moteur dronique ne tourne plus rond, il bat de l’aigle, il bat de l’aile, tel un avion obligé de se poser, non plus sur la terre de la mort mais  en lui-même sur les morts de la terre, il atterrit, il roule, il quitte la piste, il cahote sur un terrain irrégulier, il perd une aile sur un gros rocher, il va trop vite, l’on pressent la tragédie, on subodore, on prévoit, on voit, on connaît la fin, crash final, crash landing. Sur quelle terre, sur quel jardin au juste ?

             Si l’on s’en rapporte à la notice explicative qui est fournie, faut s’en tenir aux visions sartriennes et camusiennes. Vous voyagez sur cette terre avec pour seule valise votre mort, n’espérez rien de plus. Tout se passe dans l’aval de la mort. En amont, en amort, il n’y a rien. Ce qui est bizarre, ce n’est pas qu’il n’y ait rien, c’est tout le mal que Monovoth s’est donné durant tout son opus à nous parler de la mort puisqu’elle n’est rien.

    Damie Chad.