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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE 616 : KR'TNT 616 : DAVID EUGENE EDWARS / LUKE HAINES / ANDREW LOOG OLDHAM / LAWRENCE / CHET IVEY / LES VAUTOURS / LES FANTÔMES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 616

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 10 / 2023

     

    DAVID EUGENE EDWARDS / LUKE HAINES

    ANDREW LOOG OLDHAM

    LAUWRENCE / CHET IVEY

    LES VAUTOURS / LES FANTÔMES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 616

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Be careful with that axe, Eugene

     - Part One

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    David Eugene Edwards arrive sur scène. Il ne s’agit pas d’une arrivée comme les autres. L’homme cumule pas mal d’attributs : prestance, prestige, prescience. Il n’a pas encore ouvert le bec qu’on sent déjà la prescience en lui, cette espèce de qualité divine propre aux êtres profondément spirituels.

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    Son port altier et ses pas légers indiquent l’éminence de sa prestance, l’imminence de sa condescendance, l’omniscience de sa transcendance. Il paraît sans âge. Ce blond mystérieux porte les cheveux longs et un foulard noué sous un chapeau noir incliné vers l’avant, ce qui pourrait passer pour une coquetterie, s’il nous prenait l’idée saugrenue de se moquer. Mais on ne se moque pas. Au mieux, on cède à la fascination, au pire, on s’intrigue. Le mystère qui entoure sa personne impose le plus profond respect. Cumulées à l’ombre du chapeau, ses lunettes à verres teintés achèvent de masquer son regard, ce qui épaissit encore son mystère. Il porte un blouson de jean, un jean moulant qui luit un peu et des boots argentées. Il est l’Homme aux Pieds d’Argent. Haut et sec, il se déplace comme Captain America, dans Easy Rider. Même esthétique de cosmic cowboy, même désarmante aisance à incarner un mythe. Le pas ailé, la stature, le foulard sous le chapeau, tout cela renvoie aussi à Arthur Lee, qui fit en 2004 le même genre d’apparition surnaturelle au Trabendo. Rien qu’à voir David Eugene Edwards arriver sur scène, le public comprend qu’il va vivre un moment hors du commun.

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    La scène ? C’est pas compliqué. Vide. D’un côté un poste de travail qu’occupe un side-man en casquette, et de l’autre côté, un pied de micro, un retour de scène et un ampli enveloppé dans le drapeau américain qu’on se plait à qualifier de génocidaire. Au milieu, un gigantesque écran sur lequel vont éclore des corolles emblématiques, une symbolique de l’au-delà et de l’éternelle beauté, aux antipodes des contraintes morales, par-delà le bien et le mal, on verra se succéder des reconstitutions numériques d’espaces intersidéraux et des choses plus organiques comme ce lit de roses noires où l’on voit bouger d’immenses pattes d’araignée,

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    ou encore ces mécanismes d’horlogerie prodigieusement graphiques, censés illustrer le décompte du temps qui passe et qui conduit inexorablement à la mort, et bien sûr, des crânes d’oiseaux plaqués d’or, véritables bijoux macabres, comme si le graphiste avait réussi à convertir Félicien Rops à la quadrichromie. Puisque David Eugene Edwards ne bouge pas, on regarde ces images qui finiront par donner le vertige.

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    Et pendant un peu plus d’une heure, David Eugene Edwards va plonger la salle dans ce qu’on appelle communément l’American Gothic, une série de complaintes extrêmement funèbres tirées pour la plupart de son nouvel album Hyacinth, et dont l’éclat lunaire finit par fasciner. Edwards s’enfonce dans son monde et enchaîne ses complaintes. Le contact avec le public se limite uniquement au chant. Les gens applaudissent à la fin de chaque complainte, mais Eugene se mure dans son silence. Il s’entoure de mystère, comme un poète enfermé dans sa tour d’ivoire. Il cultive ses climats, charge la barque de ses visions prophétiques. Il développe un sentiment d’extrême austérité que contredirait presque sa dégaine de cosmic cowboy. Il scande inlassablement. Il utilise parfois des langues inconnues, comme s’il était possédé. Il erre dans sa liturgie, il scande d’une voix forte le désir de rédemption impossible, il offre une suite au Prions Dieu que tous nous veuille absoudre de François Villon, mais l’Amérique étant beaucoup plus vaste que Montfaucon, alors la perdition d’Eugene est plus vaste, plus interminable, plus irrévocable.

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    Soudain on réalise qu’il fait de l’American Gothic purement littéraire, Eugene est l’Edgar Poe des temps modernes, l’Ambrose Bierce de la métempsychose contemporaine, on sort enfin de l’ère numérique et de tous ses pièges à cons pour retrouver le sel de la terre, c’est-à-dire une dimension artistique intimement liée à la mort, à la douleur du vivant et à la spiritualité. Il chante l’old time, il chante la Bible, il chante le Christ, il fait du gospel blanc qui est à l’exact opposé du gospel noir. Il prêche dans le désert et pourtant les gens boivent ses paroles. Enfin une poignée de gens. La salle n’est pas pleine. Le monde n’est pas peut-être pas prêt pour un artiste aussi métaphysique que David Eugene Edwards. On se plait à penser que si Jeffrey Lee Pierce était encore de ce monde, il proposerait exactement le même genre de récital.

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    Alors écouter Hyacinth dans ton fauteuil, c’est à tes risques et périls. Car tu n’as plus la présence d’Eugene. Tu dois te débrouiller tout seul avec les complaintes, et ça peut être long comme un jour sans rhum. Contrairement à ce qu’on a vu sur scène, son shamanisme est très orchestré. Dès «Seraph», il sonne comme Leonard Cohen et fait régner une tension énorme. C’est même du dark Cohen. Et puis, au fil des cuts, on replonge dans la démesure de ce récital, dans ce mélange de deep Atmospherix et d’éclatants mystères organiques. Avec «Celeste», il s’adresse non pas au Christ, mais à Demeter, la Mère de la Terre - Dweller in the dwelling - Eugene s’adresse aux dieux - Speak this way/ To all the gods - Le voilà paumé dans «Though The Lattice» - I have no question/ No question for anyone - il gratte sous le soleil d’un spot, l’ambiance reste très littéraire, très edwardienne. Il scande le dark comme le fait si bien Leonard Cohen, You are the real art of Mars Aries, clame-t-il dans «Apparition» et il ramène le Veil of Venus dans «Bright Boy». Il scande ses strophes mythologiques, il n’en finit plus d’offrir des offrandes aux dieux. Cet album est un temple. Il peut devenir wagnérien comme le montre le morceau titre, il navigue à bord d’un vessel sublime et scande son Perpetua Persephonea/ Pythic perfect, il exhale le Breath de fin. Tout semble lié sur cet album, il sacrifie son chant sur l’autel  de «Lionisis», psalmodiant Rose of Sharon Dragon/ thou shalt/ Rise hidden lion, et lâche dans un dernier souffle Earth born Orion, comme une ultime indication

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    Pour se remettre un peu dans le bain, on avait ressorti de l’étagère tous les albums de Sixteen Horsepower. Le premier date de 1984 et s’appelle Sackcmoth ‘N Ashes. Quarante ans, déjà ! Et pourtant, c’est un peu comme si c’était hier. C’est là qu’on trouve le gros hit d’Horsepower, «American Wheeze», tapé au riff de bandonéon - I’ve grown tired/ Of the moods of the single man - Il ramène son apothéose et envoie son Wheeze exploser au we’ll see/ We’ll see, et boom de Bring your blade and your gun/ And if I die by your hand/ I’ve gotta home in glory land. On comprend que les foules françaises se soient extasiées à l’époque. L’autre énormité, c’est «Harm’s Way», monté sur un beat bien ahané, réchauffé une fois encore au bandonéon. Les autres cuts sonnent comme des harangues patibulaires, Eugene fait parfois son Jeffrey Lee Pierce («Scrawled In Sap»), et il gratte son banjo à la pointe du progrès («Ruthie Lingle»). Il sait aussi cavaler ventre à terre («Heel On The Shovel») et chante «Prison Shoe Romp» à la desperate d’Ida done better from craddle to coffin. Il ultra-chante, c’est son fonds de commerce. Sa raison d’être. Il évoque le sang de l’agneau (the blood of the lamb) dans «Strong Man» et là, on ne rigole plus, car il s’agit de pendre un homme - Get a rope and make it quick.

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    On comparait jadis l’Horsepower au Gun Club. La preuve de cette allégation se trouve sur Low Estate. Eugene y tape une magistrale cover de «Fire Spirit». Voilà le vrai power de l’Horsepower. C’est en plein dans le mille, effarant de Spirit. Eugene sait rocker les colonnes du temple. Il fait un autre numéro de cirque avec «Sac Of Religion». Ce fantastique shouter sait chauffer son voodoo. Gratté au banjo, «Brimstone Rock» somme comme un mélopif sacrificiel d’here comes the father yeah. Eugene devient alors le roi du plaintif alambiqué. Il crée son créneau et n’en sortira plus. Il fait entrer un violon sur «My Narrow Mind», une façon comme une autre de cumuler les fonctions. Il impose un style. Il yodelle plus qu’il ne chante. On dit d’Eugene qu’il a la glotte agile. Le morceau titre sonne comme un gros boogaloo de cimetière blanc. Il peut devenir aussi funéraire et aussi pénible que Nick Cave. «For Heaven’s Sake» est plus rocky-mountain, car on y entend une belle guitare électrique, Eugene se positionne cette fois au rock de come along. Il revient vite à ses roots chéries avec «The Denver Grab». Ça sent bon la mine de cuivre en hiver et les doigts gelés.

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    Premier album live avec Hoarse en l’an 2000. Occasion rêvée de réviser ses leçons. Boom dès «American Wheeze». Pas de meilleure entrée en matière, une merveille. Sur scène, l’Horsepower développe une énergie considérable. Plus rien à voir avec les albums studio. Ils tapent une belle cover du «Bad Moon Risin’» de Fog. C’est bien plombé, bien lourd de conséquences, traîné devant l’autel pour le sacrifice. C’est dire le poids de ce Bad Moon Risin’. L’Horsepower se fait une spécialité de l’explosion sous le boisseau. Live, «For Heaven’s Sake» sonne comme un hit du Gun Club. Ça prend de sacrées tournures. Eugene et ses copains français sont capables d’apocalypses. Leur Heaven’s Sake prend une dimension shamanique, ils jouent avec un élan congénital, la tension dramatique est extrême, complètement Piercienne, et les vieilles cocotes fauchent comme la mort. Petit conseil d’ami : privilégiez les albums live aux albums studio de l’Horsepower. Ils tapent à la suite «Black Lung» au heavy banjo. Ils n’en ratent pas une. Ils creusent leur mine de cuivre à mains nues. On croirait entendre des mineurs primitifs envahis d’aspirations. Voilà encore un «South Pennsyvania Waltz» bien chargé de la barcasse, l’Eugene est emporté par les vagues, beat élastique, fantastique de get your boots on boy/ get out. L’Eugene est le roi du Big Atmospherix minier. Il attaque son «Brimstone Rock» au banjo blast. L’Horsepower ? Une affaire en or ! Eugene savait alors déclencher l’enfer sur la terre. La pluie de feu se calme et puis repart. Ils détiennent le pouvoir de Zeus.

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    Nouveau shoot de Gun Clubbing sur Secret South, paru lui aussi en l’an 2000 : «Clogger» pourrait figurer sur n’importe quel album du Gun Club. L’Eugene prêche plus qu’il ne chante. C’est heavy et bien hanté. L’autre point fort de l’album s’appelle «Cinder Alley», attaqué comme «American Wheeze» au riff de bandonéon. Le son s’étrangle et l’Eugene aussi. Puis l’album s’enlise. On dirait qu’Eugene s’écoute chanter, comme d’autres s’écoutent parler. Avec «Silver Saddle», on sent le trop dans-la-plaine, mais on s’ennuie. C’est long la plaine. Sur cet album, tout n’est pas bon, loin de là. Très loin de là. Trop de westerns de pacotille. «Just Like Birds» sonne comme une petite Americana à la ramasse de la rascasse. L’Eugene tente de sauver l’album avec la cover d’un outtake de Dylan, «Nobody ‘Cept You», mais ça reste litigieux. L’Eugene ne parvient pas à s’arracher du sol. Sa cover brille pourtant de mille feux, mais ce n’est pas vraiment le bon choix. Dans les pattes d’Eugene, ça devient banal.

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    Il s’enfonce encore plus profondément dans l’Americana avec le bien-nommé Folklore. Il tape dans la Cajun avec «La Robe A Parasol» - Va danser/ Va danser dans les bras d’ton gars/ Si t’as des hanches/ Ta robe un parasol - Wild country strut avec «Single Grit», heavy banjo bound de she’s goin’ dressed fine. Fantastique énergie ! Il attaque encore «Outlaw Song» au banjo. Logique, pas d’outlaw sans banjo. Un vrai western. Il est fait prisonnier et demande : «What do you want from me ?». Alors il tire - They were dead before they could move - Puis on s’ennuie avec «Blessed Persistance» et son you burned my bridges for me. Il repend l’«Alone & Forsaken» d’Hank Williams et se prend pour Nico avec «Horse Head Fiddle».

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    Tu vas trouver deux beaux hommages au Gun Club sur Olden : «Slow Guilt Trot» et «Dead Run». Il est en plein Pierce, tendu à se rompre, comme cavalé. L’Eugene sonne comme un vrai desperado, «Slow Guilt Trot» est bardé de booming, ça bat à la baratte folle. C’est encore pire avec «Dead Run». Il fait un gros fric-frac d’Americana avec «Heel On The Shovel» et part ventre à terre. L’album propose en fait trois sessions. La première est très plaintive, même inaugurée par l’«American Wheeze». L’Eugene se plaint tout le temps. Il a grandi dans une mine de cuivre. Avec lui, on sort les mouchoirs. Les Horsepower ont pourtant du son, mais «Prison Shoe Romp» reste très intrinsèque, très exacerbé écorché vif. On finit par sympathiser. Belle ambiance. C’est une autre époque. Avec la deuxième session, ils passent à autre chose, dès «South Pennsylvania Waltz». Toujours cette manie de traîner la savate en pleurnichant mais ça devient fascinant, avec le big bassmatic des profondeurs. On peut parler de profondeur abyssale. Le son change tout. Nouvelle version d’«American Wheeze» vite avalée par le beat. L’Eugene est encore très Piercien sur ce coup-là, ça tourne au hard blues d’Horsepower, ça monte comme la marée. Encore du wild Horsepower avec «Shametown». L’Eugene te dégage les bronches à coups de banjo. Puis il tape «Train Serenade» à la slide fantôme et le train se met en branle. Les deux cuts Gun Clubbish épinglés plus haut sortent de la troisième session.

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    Live March 2001 va tout seul sur l’île déserte. On y retrouve tous les hits avec un son énorme, à commencer par l’«American Wheeze» et son riff prométhéen de bandonéon, suivi du Gun-Clubbish «I Seen What I Saw», en plein prêche de Pierce, heavy comme pas deux - Thank you for clapping ! - Plus loin, tu as encore du pur jus de Gun Club avec «Clogger», power du diable, boom boom boom, c’est bombardé d’électrons. Ces mecs te démolissent toute la façade. Tu as aussi «Cinder Alley», monté comme American Wheeze sur un riff qui devient tentaculaire, et «Straw Foot», défoncé à coups de bassmatic et ramoné au gratté de banjo. Après tu as les textes. «Harm’s Way» ratiboise tout sur son passage et «Haw» sonne comme un coup de génie éclaté à coups de slide, bardé de tout le bim bam boom qui se puisse concevoir ici bas. Powerus inexorabilus !, s’écrie l’archiprêtre face à cette purge d’excellence totémique. Les Horsepower ne reculent devant aucun excès, comme le montre encore «Praying Arm Lane». Ils sont dans l’énergie shamanique de Jeffrey Lee Pierce. L’Eugene pousse très loin le bouchon du plaintif d’extrême onction. Ce festin se poursuit avec le disk 2 et «Splinterers», l’Eugene groove son va-pas-bien, ça monte comme la marée du siècle. Il s’en va au bord de la falaise gueuler «Phyllis Ruth» face à l’océan. Il adore prêcher dans le désert. Puis il tape «24 Hours» à la dure et déclenche l’enfer sur la terre. Une vraie machine ! Il fait le «Partisan» en anglais et referme la marche avec une version explosive de «Dead Run». L’Horsepower aura su marquer son époque. Les dégelées antédiluviennes n’ont aucun secret pour lui. L’Eugene sait se fâcher pour de vrai. C’est là, dans Dead Run, qu’il entre en osmose avec son héros Jeffrey Lee Pierce.

    Et puis tu as Wooven Hand. Pas ce soir. Un autre soir.

    Signé : Cazengler, Eugèle en hiver

    David Eugene Edwards. Le 106. Rouen (76). 28 septembre 2023

    16 Horsepower. Sackcmoth ‘N Ashes. A&M Records 1984

    16 Horsepower. Low Estate. A&M Records 1997

    16 Horsepower. Hoarse. Glitterhouse Records 2000

    16 Horsepower. Secret South. Glitterhouse Records 2000

    16 Horsepower. Folklore. Glitterhouse Records 2002

    16 Horsepower. Olden. Jestset records 2003

    16 Horsepower. Live March 2001. Glitterhouse Records 2008

    David Eugene Edwards. Hyacinth. Sargent House 2023

     

     

    Luke la main froide

    - Part Four

     

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    Dans l’une de ses columns, Luke la main froide rappelait tout le bien qu’il pensait d’Hawkwind. Il commence par déclarer qu’il existe quatre époques d’Hawkwind : «The early embryonic stoner busker phase, suivie du classic United Artist space-rock period, incorporating the twin towers of Lemmy as speed-freak-biker-talisman and Stacia as topless-acid-dancing-Dolly-Dorris-petrol-pump-attendant-gone-rogue. Puis il y a la troisième époque avec the ‘Wind led by Captains Dave Brock and Robert Calvert. Puis il y la quatrième époque qui démarre en 1980 avec Levitation : the trance, les donjons et les dragons, bad heavy metal period.» Selon la main froide, Robert Calvert est de toutes les époques même si, précise-t-il, il casse sa pipe en bois en 1988.

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    Un premier album sans titre d’Hawkwind paraît sur Liberty en 1971. C’est là-dessus que se trouve l’excellent «Hurry On Sundown», gratté à coups d’acou. C’est la première mouture d’Hawkwind avec, autour de Dave Brock, John Harrison (bass), Huw Lloyd-Langton (lead), Terry Ollis (beurre), Nik Turner et Dikmik. C’est Dave Brock qui balance les coups d’harp. Aw quel son ! Alors après, ça se gâte terriblement. Ils font un peu n’importe quoi, ça jamme dans tous les coins. Il faut attendre «Mirror Of Illusion» pour les voir renouer avec l’excellence et Dikmik envoie ses spoutniks. Il est essentiel de rappeler que Dick Taylor produit ce premier album.

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    Calvert devient pote avec Nik Turner et grenouille dans l’underground. Il est déjà all over In Search Of Space, mais il n’y chante pas. C’est sur cet album qu’on trouve l’énorme «Master Of The Universe». Dave Brock est l’un des grands rois du riff, c’est aussi solide que le «Silver Machine» à venir, même unité de l’unicité, même embolie de l’embellie, même solidité de la solidarité. L’autre bonne affaire de l’album est le «You Shouldn’t Do That» d’ouverture de balda, joué à la violence intentionnelle. Ah on peut dire que les Anglais savent battre la campagne du space-rock ! Ils proposent ici un bel élan d’hypno avec le sax tourbillonnaire de Nik Turner. N’oublions pas qu’ils font partie du fameux proto-punk britannique, ils créent leur monde à la force du poignet. Fantastique énergie d’équipe, avec un line-up qui a déjà commencé à changer : autour de Dave Brock, on trouve Dave Anderson (bass), Dikmik & Del Dettmar (spoutniks) et Terry Ollis (beurre).

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    L’année suivante paraît l’un des meilleurs albums d’Hawkwind, Doremi Fasol Latido. Lemmy est entré dans la bergerie et Simon King a remplacé Terry Ollis. On assiste à l’incroyable décollage de «Space is Deep», en plein cœur du cut. Luke la main froide devait se pâmer devant un tel phénomène. On entend aussi Lemmy jouer en solo dans «Lord Of Light». Il joue littéralement dans le cours du fleuve, son drive brouteur bouffe le Lord de l’intérieur. Il n’en finit plus de remonter à la surface du fleuve avec ses drives mécaniques. Encore une merveille avec «Time We Left This World Today», un cut frappé en plein cœur par un énorme break de basse signé Lemmy.  Ça vaut tous les breaks de Tim Bogert. Lemmy est un grand fracasseur, un titan du break, qu’on se le dise. Et ça repart de plus belle avec «Urban Guerilla». Comme ces mecs sont bons ! Ils bombardent comme des avions américains, avec cette basse sous-jacente qui avance comme une walking bass dans le chaos.

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    On trouve «Silver Machine» sur le Space Ritual Alive paru en 1973. C’est Calvert qui écrit les paroles de cet albatross of a summer hit. La main froide se marre car tout le monde croit qu’il s’agit d’un texte sur un vaisseau spatial alors qu’en fait Calvert raconte ses virées en mobylette à Margate, où il a grandi. Puis Calvert est promu Space Poët et se retrouve sur Space Ritual. La main froide a raison de dire que tout a été dit sur Space Ritual, mais à toutes les gloses, il préfère le slogan publicitaire qui accompagna la parution de l’album : «Ninety Minutes of Brain Damage». Voilà pourquoi Hawkwind et Luke la main froide nous sont si précieux. Sur ce fastueux album live, on retrouve tous les hits qui font déjà la réputation d’Hawkwind, à commencer par l’effarant «Master Of The Universe», proto-punk de bon aloi, fast tempo avec un bassmatic dévorant et des spoutniks. On retrouve aussi en D l’inestimable «Time We Left This World Today» qui cette fois repose sur les chœurs. Lemmy s’empresse de démolir ce cut infiniment totémique. Les coups de sax et les harangues sonnent comme des clameurs antiques. C’est très spectaculaire. Sur «Born To Go», Lemmy prend tout de suite la main avec son bassmatic mangeur de foie. Il met tout le cut sous tension. C’est extravagant ! En B, on l’entend encore chevroter dans «Lord Of The Light», survolé par le vampire Nik Turner. Ils jamment comme des dingues. C’est un album qui s’écoute et qui se réécoute sans modération. Un seul défaut : la guitare de Dave Brock se perd dans le mix. Lemmy et Nik Turner se partagent donc le festin. Ils se tapent une belle montée en température avec «Space Is Deep». Tous ces cuts sont parfaits, taillés pour la route. Ces punks d’avant le punk savent voyager dans l’espace. Nik Turner vient hanter «Orgone Accumulator» en B et on assiste à une pure Hawk Attack avec «Brainstorm». Grande allure, riff en avant toutes, heavy proto-push plein de poux et de spoutniks. Un riff que vont d’ailleurs pomper goulûment les Damned pour «Net Neat Neat».

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    Encore un big album l’année suivante avec Hall Of The Mountain Grill. Qu’est-ce qu’on a pu fantasmer à l’époque sur cet album et sur cette pochette ! Il faut bien dire qu’on était dingues d’Hawkwind comme de Third World War, d’Edgar Broughton et des Pink Fairies. Tous ces groupes relevaient du sacré et leurs albums ne décevaient guère. Sur Hall, se trouvent trois bombes, à commencer par «The Psychedelic Warlords (Disappear In Smoke)» : classic Hawk, bien riffé et superbement chanté, avec Dave Brock en tête de la meute. C’est un hit tentaculaire, assez tribal dans son essence, chanté à la clameur, avec une fantastique insistance de la persistance. Dave Brock nous plonge là dans un véritable lagon d’excelsior mélodique. Sur la réédition d’Hall Of The Mountain Grill parue en 2014, on trouve en D la version single de ce hit fantastique. La deuxième bombe est un autre gros précurseur proto-punk : «You’d Better Believe It», un cut directement inspiré du Velvet, avec le délire de Nik Turner embarqué par le tourbillon. La troisième bombe s’appelle «Lost Johnny». Dave Brock l’embarque et le chante à la revoyure. On se régale aussi de «Paradox» et de son indéniable présence. Ces mecs savent mettre en marche l’armée d’un cut. Dans les bonus de la red, on trouve «It’s So Easy» monté sur les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want». Fantastique résurgence !

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    Dernier album sur United Artists : Warrior On The Edge Of Time. Belle pochette mais compos plus proggy. Nik Turner joue de la flûte, ce n’est pas bon signe. Ça turbine pourtant bien derrière, avec Lemmy et deux batteurs, Simon King et Alan Powell. On voit Lemmy se balader sur le beat d’«Opa-Loka». Dave Brock sauve l’A avec «The Demented Man», un balladif d’un très haut niveau mélodique. La viande se trouve au bout de la B avec deux cuts, «Dying Seas» et «Kings Of Speed». Tout le power d’Hawk est de retour, ça joue heavy au pays d’Hawk. Surtout sur «Kings Of Speed», et son fantastique déballage. Dave Brock sait générer des chevaux vapeur, c’est un exubérant, il doit être la réincarnation d’une locomotive. On entend même un violon dans cette volée de bois vert.

    Luke la main froide consacrait sa sixième chronique aux Television Personalities, a sad story mais au cœur de laquelle se niche perhaps the great lost psychedelic album of the 80s : Mummy Your Not Watching Me. Selon la main froide, «If I Could Write Poetry» n’a d’égal que le «Pale Blues Eyes» du Velvet - I’m not kidding - En 1981, les Television Personalities sont trois : Dan Treacy, Ed Ball et le drummer Empire. La main froide raconte ensuite le tragique destin de Dan Treacy, booze & drugs, la rue et les vols. Il va trois fois au ballon pour vol. Il ne lui reste plus que sa légende de cult-hero, ce qui lui fait une belle jambe. Puis Dan se fait tabasser dans la rue, des coups à la tête et c’est le coma. La main froide n’a pas beaucoup de détails. Dan doit subir une opération pour virer un caillot de son cerveau. Aux dernières nouvelles, il serait en train de se retaper dans une maison de repos. Luke : «I hope he gets to make music again, of that’s what he wants. And I hope that the world is a little kinder next time to Dan Treacy.»

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    Elle a encore raison la main froide de mettre le paquet sur Mummy Your Not Watching Me. Quel album ! «Adventure Playground» sonne comme un hymne Mod, emmené par le féroce bassmatic d’Ed Ball. Dan chante à la manière de Syd Barrett et distille l’énergie des Who. Ça donne une vraie teigne de petit cut cockney. Puis voilà «Brian’s Magic Car», magnifique de décadence, tapé à la Mark E Smith. Dan nous gratte ça à aux puces d’arpège. Le cut est tellement barré qu’il semble se captiver pour sa propre captivation. Puis Dan tape dans l’une de ses prédilections, les chansons consacrées à des personnalités. «David Hockney Diaries» est une heavy pop davidienne, mais sans l’eau bleue des piscines - I want to fly around the world in my own private plane/ I want to party every night so I can sleep all day - Dan est drôle. Il s’autorise même quelques petites sorties à la Johnny Rotten. Il revient aux Who avec «Painting By Numbers» et la bonne grosse énergie foutraque. Il nous gratte ça au happy go lucky. Retour à la belle pop dégingandée avec «If I Could Write Poetry», petite merveille montée sur un bassmatic épique. Dan et Ed Ball sont effarants de prestance, ils jouent dans l’éclat d’un matin d’été à Chelsea. TV Dan est un garçon magique.

    Dans une autre column, la main froide salue Donovan qui vient de fêter ses 70 balais. Elle commence par fracasser l’autobio de Big Don d’un coup de hache - lui reprochant une certaine vantardise, with claims to have pretty much invented everything ftom the wheel, God, spoons and raga rock onwards - mais il devient plus charitable en insinuant que Donovan est l’un de ceux qui vieillit le mieux, mais il faut lire ça en anglais : «But it is my contention that Big Don’s 60s canon has aged remarkably better than that of many of his more revered contemporaries.» Les tournures d’un écrivain restent les tournures d’un écrivain. Inutile de tourner autour. L’écrivain est né pour être lu, puis cité. La main froide rappelle que Donovan a pris la route très tôt pour suivre ses Kerouac fantasies puis il s’est installé sur une plage à Torquay avec the excellently named Gipsy Dave - However far-out and kaftanned-up Don got, there was always something gloriously provincial about him he could never escape - La main froide salue ensuite Fairytale, un album qui va influencer des tas de gens, à commencer par Nick Drake qui, selon la main froide, va lui pomper sa voix quatre ans plus tard. Jamais en reste de pics, la main froide ajoute que McCartney devait être terrorisé. Eh oui, Donovan n’avait que 19 ans. Et boom, Mickie Most entre dans la danse pour enregistrer en 1965 the truly first psychedelic album, Sunshine Superman qui va se vendre à un million d’exemplaires aux États-Unis en 1966 - Don was now Pop Imperial - La main froide ajoute que «Mellow Yellow» ‘invented’ The Velvet Underground («electrical banana»). Puis Donovan invente le concept du box set avec A Gift From A Flower To A Garden, une boîte qui contient deux albums. La main froide espère bien être encore là dans dix ans pour fêter les 80 balais de Donovan.

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    En réalité, Fairytale n’est pas un très bon album. Trop folky folkah. La pochette psychédélique trompe sur la marchandise. Au mieux, Don revient à la pop par la bande («Circus Of Sour»), mais il s’égare avec cette pop ingénue sans direction, ni but dans la vie. Il revient au Dylanex avec deux Ballads en fin de B, celle du Crystal Man et celle de Geraldine, mais on s’ennuie. Pire encore : avec «Candy Man», Don se chante dessus, il joue la surenchère de coin du feu et arrose tout ça d’harmo. L’album est d’une faiblesse endémique. C’est là où Mickie Most intervient. Il emmène Don chez un tailleur hip de Londres. Il fout la casquette, les jeans et le rack d’harmo à la poubelle et transforme son poulain en dandy psychédélique. Ça tombe à pic, car Don vient de pondre un hit : «Sunshine Superman». Most est ravi. Un single suffirait mais Epic décide d’en faire un album qui paraît en 1966. «Sunshine Superman» entre dans la catégorie des hits éternels, ceux qui fonctionnent comme des machines à remonter le temps. Most propose de rallonger la sauce avec une version de «Season Of The Witch» bien étendue et fabuleusement inspirée. Don s’y montre fantastique, oh no ! Sa version est plus psyché que celle de Stephen Stills dans Supersession. Nouveau coup de Jarnac avec «The Trip», Don swingue la pop anglaise. On le sent parfaitement à l’aise dans les formats légers. Il va et vient comme une libellule psychédélique. Mais attention, tout n’est pas rose chez lui. Il arrive que sa psyché orientée nous endorme lentement mais sûrement, comme c’est le cas avec «Three King Fishers» et «Ferris Wheel». Si tous les cuts de Donovan étaient des hits, ça se saurait. Il boucle cet album mi-figue mi-raisin avec l’excellent «Celeste». Il chante à l’intimisme et c’est imparable car il réunit toutes les conditions idéales : voix, compo, mélodie. Ça file droit au firmament de la pop anglaise.

    Dans une autre column, la main froide se prosterne jusqu’à terre devant Soft Machine qu’il qualifie de «one of the most influential of the original British psychedelic groups - and psych as blazing hell they were.» La main froide ajoute qu’après avoir viré Robert Wyatt, «their, erm, jazzier recordings are a whole different trip - a weird, stiffy English and sometimes rather boring one.» Elle a raison la main froide, qualifiant même Fourth de totally jazz and totally not good. Retour à l’extase avec l’évocation des débuts du groupe à Canterbury with nous dit-elle (la main froide) «full-blown genius Daevid Allen, Kevin Ayers, Mike Ratledge and pagan rock god Robert Wyatt on wild drums», puis house-band de l’UFO de Joe Boyd, chouchous de Jimi Hendrix qui les emmène en tournée aux États-Unis, puis le premier album enregistré live avec «Kevin Ayers on lead bass, a free rock classic» et comme Daevid Allen avait quitté le groupe, «it was a guitar less, bass heavy, organ-led Dada racket. You should own it.» La main froide ajoute la bave aux lèvres qu’après «this huge artistic success», les Soft firent ce que font tous les grands groupes : splitter. Kevin Ayers se barre. «A whole another story» nous dit cette gourmande de main froide. C’est là que Robert et Ratledge se maquent avec l’all-purpose Open Uniniversity lecturer lookalike Hugh Hopper pour enregistrer Volume 2, que la main froide trouve encore meilleur que le premier, heavier on the Dada, post-moderne et avec plus de voix. The Voice. Mais les choses vont comme on sait mal tourner, puisque pour Third, Ratledge et Hopper décident de marginaliser The Voice en engageant the non-rock god Elton Dean. Bizarrement, la main froide qualifie Third de masterpiece.

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    Un point de vue qu’on ne partage pas : Third est un album privé de chansons, beaucoup trop jazz-rock. Il faut avoir du courage pour écouter ça. Sur sa face, Ratledge se montre tentaculaire. Il faut attendre «Moon In June» en C pour retrouver Robert et son joli son troublé de gouttes. Après un beau solo d’orgue syncopé, Robert reprend le chant d’une belle voix de nez et swingue son chat perché. On assiste à de belles descentes dans les tourbillons de fusion basse/cornet, comme dans le premier album. La voix de Robert vient se fondre dans la luxuriance d’un jazz de tourneboule. Au cœur de ce délire impénitent, ils créent du rêve harmonique. «Moon In June» est la seule raison d’écouter Third.

    La main froide consacre aussi une column à l’Airplane, qualifiant After Bathing At Baxter’s d’acid-as-life manifesto. Elle salue (la main froide) le brain-blitzingly audacious «White Rabbit» et le super-nasty «Somebody To Love», puis traite Grace Slick de big badass. Visiblement, la main froide a lu son autobio : Grace Slick n’est en effet pas avare de détails crapoteux. La main froide indique que Baxter est un nom de code pour LSD, que l’album aurait dû s’appeler We Are Absurdly High et qu’il ne doit rien au côté mou du genou de la counterculture hippie «because that album in particular is as hard as Henry Rollins’ personal trainer.» Le concert de louanges continue avec l’opener «The Ballad Of You & Me & Pooneil» qui sort d’un vent de feedback, avec «Grace and co-lead vocalist Marty Balin howling ‘I get high When I die’ over primal freak-beat.» La main froide n’en peut plus, elle voit le «Young Girl Sunday Blues» de Marty Balin comme une engueulade avec God. Man this album is relentless and at the heart of it is Grace’s Wild Thyme. Alors la main froide entre en transe : Up against the wall, muthafucker.

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    After Bathing At Baxter’s bénéficie en outre du prestige d’une pochette dessinée par Ron Cobb, illustrateur en vogue à l’époque. «The Ballad Of You & Me & The Pooneil» est en effet l’un des grands hits de l’Airplane. Pur jus de gaga-psyché d’antho à Toto, secoué par des rafales d’accords sévères. Portés par un drive puissant, Marty et Grace se partagent les tâches ménagères. Ils groovent magnifiquement. Ce chant insurrectionnel va devenir leur marque de fabrique. Des tocades de pasionaria et des petits coups de solos flash entrelardent le son. Jorma, c’est le bâton du berger. Il est taillé dans le bois d’olivier. Et puis on se régale bien sûr du walking bass sound de Jack Casady. Quelle énormité ! Groove encore avec «Young Girl Sunday Blues». Grace fait monter sa voix comme une salade retardataire de potager. Grâce à Grace, le son de l’Airplane est reconnaissable entre mille. Encore un chant d’assaut avec «Wild Tyme» - la main froide rajoute un h dans Tyme - mais des ponts ineptes brisent leur élan. Dans les albums suivants, les chansons de l’Airplane partiront souvent au combat, sur un beat tribal fait de basse massive et de vibrillons digressifs.

    Nouveau shoot de ferveur Lukinienne avec Swell Maps. Elle commence (la main froide) par ironiser sur l’historique de l’avant-gardisme domestique britannique : l’inutilisable reel-ro-reel tape machine permettant de faire des cut-ups à la William Burroughs, qui coûte cher et encore plus cher avec the heroin habit qui va avec. Puis vient le temps du built-in cassette recorder and condenser microphone qui permet de donner voix au Joe Meek qui dort en chacun de nous. Et pouf, la main froide cite en exemple l’astonishing Trip To Marineville paru en 1979. Elle leur rend hommage en affirmant que les frères Godfrey (Nikki Sudden et Epic Soundtracks) et leurs copains Jowe Head, Biggle Books et Phones Sportsman surent créer leur monde, dans le salon des parents. En enregistrant tout simplement sur leur tape-recorder de family music center. Pas de batterie ? Epic fait des bulles dans un seau d’eau. Pas de basse ? Jowe met l’aspirateur en route. C’est ce qu’on entend sur the Maps fabled debut. La main froide ajoute que les Maps n’avaient rien à voir avec le punk, ils sonnaient plutôt comme T.Rex, or Syd Barrett or just a cacophony.

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    Sur la pochette d’A Trip To Marineville, une baraque prend feu. Ils jouent en effet un punk-rock de front-room on fire, mais avec les moyens du bord. Ils sont dans le DIY de Spiral Scratch, comme le montre «Another Song». Swell Maps entre en osmose avec Buzzcocks. Et voilà le coup de génie pressenti : «Vertical Slum» - The weather ! The leather/ The weather ! The leather - Ce punk primitif vaut bien celui du Magic Band. Nous voilà au cœur du primitivisme, la sinécure de Buzzcocks. Retour à l’excelsior du Magic Band avec «Harmony In Your Bathroom», ils tapent dans l’irrévérence absolue, on entend les bubbles dont parle la main froide dans sa column. C’est dans «Midget Submarines», excellent cut de rock insidieux, qu’on entend l’aspirateur dont parle aussi la main froide. En B, ils rendent hommage à l’hypno de Faust avec «Full Moon In My Pocket» et visent le hit avec un «Blam» bien tendu, plein de small Swell, hanté par une basse intermittente et le vaillant Nikki monte sur la barricade - I don’t care/ I guess I’m nearly dead.

    Dans une column datée de Christmas 2021, la main froide raconte comment elle fut invitée par Jowe Head à participer au concert de reformation de Swell Maps, avec Phones Sportsman, Golden Cockrill (membres originaux), Lee McFadden et Jeff Bloom (des Television Personalities), Dave Callahan (des Wolfhounds) et Gina Birch (des Raincoats). La main froide dit ensuite tout le mal qu’il pense des reformations - I’m not keen - et pour se dédouaner, il explique que Swell Maps n’a quasiment pas joué en public, et donc ce n’est pas une reformation, puisque les gens n’ont pas vu le groupe sur scène, et d’autre part, il indique qu’il était trop jeune en 1979 pour jouer dans Swell Maps, «so rather than being involved in a band reformation, I see this escapade as me temporarily joining my favourite band ever.»

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    Franchement, on se demande vraiment ce que la main froide a pu trouver d’intéressant dans l’Anomie And Bonhomie de Scritti Politti. La violence de la pop ? Mais c’est une violence en plastique. Green Gartside pique sa petite crise. Il fait une petite pop de blanc à la mormoille. On perd complètement le côté Robert Wyatt qui illumine Songs To Remember. Pourquoi la main froide a-t-elle flashé sur cet album ? C’est un mystère. Et plus on avance dans l’album et plus ça se dégrade. Il fait du rap de blanc à la mormoille, une pop de mas-tu-vu, la new wave anglaise de 1999 dans toute son horreur. Par contre «Here Comes July» sauve les meubles, ça nous rappelle l’excellente pop des Wannadies.

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    La main froide rappelle quelque part qu’il fit partie des Servants de David Westlake. C’est d’ailleurs elle, la main froide, qui signe les liners de cette somptueuse réédition, un double album baptisé Small Time/ Hey Hey We’re The Manqués (habile clin d’œil aux Monkees) et paru en 2012. De sa belle plume, la main froide nous explique que cet album enregistré en 1991 s’appelait Small Time et qu’il n’est jamais sorti, d’où l’idée du Manqué. Elle qualifie The Servants de Middlesex’s more cerebral answer to the Monkees. Elle indique que le groupe voulait Steve Albini comme producteur, puis Kramer. Nope. Pour situer le son de cet album étrange, elle parle d’avant expressionnist angles dans les compos d’un David Westlake moins Bacharach qu’à ses débuts et more outisder in existential crisis. Comme Creation ne les suit pas, trop occupé avec Teenage Fanclub, le groupe se désagrège. Plus de batteur ni de bassiste. La main froide et Westlake se retrouvent à deux avec du petit mathos, deux quatre pistes et une boîte à rythme. Ils enregistrent les démos qu’on entend sur la red - The new songs are looser, more mysterious, strange and beautiful, transcending their influence and sounding... like nothing else really - Comme toujours, elle a raison la main froide. L’ambiance générale de Small Time est celle d’une petite pop orchestrée, très insidieuse et quasi-Dada, et pour tout dire, assez envoûtante. Comme c’est très spécial, ça passionne. «Complete Works» est même ultra-Dada, assez pur dans l’intention, processionnaire comme l’est la chenille du même nom. En B, on tombe sur «The Thrill Of It All» qui n’est pas celui de Roxy, mais un petit chef-d’œuvre de weird music. On pense à une petite pop odorante. Le «Word Around Town» qui ouvre la bal de la C s’inscrit dans une certaine forme de préciosité, cette petite pop ramassée paraît même assez imbue d’elle-même. La préciosité finit toujours par tuer Dada. C’est prouvé. Au fil de la C, on finit un peu par passer à travers la traviole. On s’arrête un moment devant «She Grew And She Grew», curieux cut filigrané, assez doux au toucher. «She’s Always Hiding» tombe à pic pour nous remercier de notre patience, oui car voilà une petite merveille délicate digne de «Pale Blue Eyes». On les sent prédestinés à de grandes œuvres. Le «Third Wheel» qu’on croise en D sent bon le Magic Band et «Big Future» renoue avec le weirdy weirdy petit bikini.

    La main froide fait aussi grand cas des Go-Betweens, mais nous en ferons grand cas un peu plus tard, car c’est un gros chapitre à part entière.

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    Elle a raison, cette bonne main froide, d’insister sur les premiers albums des Status Quo, car avant qu’ils ne deviennent les champions du mindless boogie, les Quo enregistraient des albums de boogie-rock anglais très pertinents, notamment Ma Kelly’s Greasy Spoon, du pur Pye de 1970. Le «Spinning Wheel Blues» d’ouverture de balda est assez imparable. On comprend ce que la jeune main froide dut éprouver au fond de sa culotte en entendant ça pour la première fois. Well done, Quo ! Et comment résister à cette pochette, à cette dame tellement anglaise accoudée au bar avec ce mégot au coin des lèvres. On s’épate encore de l’«April Spring Summer And Wednesdays» de bout d’A, cut superbe et insidieux, bien amené à la traînarde et groové sous le boisseau. La B est un peu plus dense, avec son boogie-blues à la Fleetwood Mac («Junior’s Wailing»), même démarche, même son, même spirit. Toutes les structures du Quo sont des structures de blues, ils montent leur petite entreprise au twelve bar blues boom. D’ailleurs ils reprennent le «Lazy Poker Blues» de Peter Green, comme ça, au moins, les choses sont claires. Ils bouclent leur bouclard avec un boogie aventureux de 9 minutes, «Is It Really Me? Gotta Go Home», ils envoient ça vite fait ad patres, c’est bien claqué derrière les oreilles, ça ne reste pas en sommeil, c’est du quick Quo qui kicke.

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    On reste dans le gros boogie cousu de fil blanc avec le Dog Of The Two Head paru l’année suivante. Toujours du pur Pye avec un vrai boogie anglais en ouverture de balda, l’aussi imparable «Umleitung». Leur formule est parfaite, ce boogie taille sa route à travers les décennies. Quand on le réécoute quarante ans plus tard, il n’a rien perdu de sa vigueur emblématique. Les Quo savent faire durer le plaisir et cette fois ils sonnent vraiment comme Chicken Shack. Classic boogie, sans bavure et sans histoire. Quand ils passent en mode fast boogie avec «Mean Girl», ça Telecaste dans les brancards. L’autre point fort du Dog est le «Railroad» qui se planque sur la face cachée. Ce boogie est un modèle du genre. Pour qui aime les choses carrées, «Railroad» est le cut idéal. C’est chanté à la petite traînasse de la rascasse, et ils passent en mode heavy blues en plein milieu. Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut dire du Dog.

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    Elle a encore raison, la main froide, de se prosterner devant les six premiers albums Vertigo de Sabbath - Without doubt some of the greatest rock’n’roll ever made. These records fucking swing, man - Ils font partie des albums fondateurs de l’empire du rock anglais. Tony Iommi est l’un des grands guitaristes classiques du rock anglais, il fait partie de ceux qui ont tout inventé. Ah comme on pu adorer le premier album sans titre paru en 1970 ! Chaque fois qu’on le réécoute, il fonctionne comme une machine à remonter le temps. Tous les cuts de l’album sonnent comme des classiques, cette belle et étrange musicalité s’installe avec «Behind The Wall Of Sleep». Rien à voir avec le hard rock, c’est de la belle heavy pop avec une mélodie chant d’une indicible qualité. Le génie riffeur de Tony Iommi prend forme avec «NIB» et l’Ozzy entre dans l’histoire avec son fameux Oh yeah ! Fabuleuse énergie ! Très beaux longings de Tony Io, il est fabuleux d’à-propos. Ils ouvrent leur bal de B avec «Evil Woman Don’t Play Your Games With Me», monté sur un riff classique bien contrebalancé par le bassmatic de Geezer Butler. Ces quatre Brummies fabriquent du rock classique, et cette fois c’est le Geezer qui vole le show. Ils finissent en beauté avec «Warning» et l’Ozzy revient au chant après une longue absence, une si longue absence.

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    Paranoid paraît la même année. On imagine l’ado Luke dans sa cave en train d’écouter «War Pigs» en secouant ses petits cheveux blonds. Heavy, baby ! Voilà d’où vient toute cette culture heavy. Ils jouent à la respiration interrompue, c’est un peu emprunté, mais c’est Sab, alors respect. Ils réussissent l’exploit de créer un monde à partir d’un riff puis ça part en virée seventies. Voici venu le temps des classiques avec «Paranoid» et «Iron Man». Le riff de Parano est tellement classique qu’on dirait du Led Zep. Bravo Tony Io ! Stop to fuck my brain, gueule Ozzy et pendant ce temps, Geezer Butler fait un carnage. «Iron Man» est aussi monté sur un riff classique, et Tony Io le ralentit pour l’alourdir. Tout le heavy métal vient de là, de l’Iron. Et cette manie qu’ils ont de partir en virée ! En B, on trouve deux autres belles pièces palpitantes : «Electric Funeral», d’abord, plus tarabiscoté, même si c’est monté sur un riff funéraire du grand Tony, un riff d’une portée universelle, c’est dire la grandeur de sa hauteur. Puis voilà «Fairies Wear Boots», un titre qui a dû beaucoup plaire à la main froide, mais ça se présente comme une jam, with no direction home, perdu dans la pampa, avec une succession de thèmes impies, et l’Ozzy entre dans la danse à l’impromptu, il s’installe dans l’ambiance du power Sab, c’est très fairy witchy, il raconte son histoire d’une voix étrangement pointue.

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    Paru l’année suivante, Master Of Reality a dû mettre la jeune main froide sur la paille. On retrouve notre cher heavy Sab dès «Sweet Leaf». Tony Io joue du gras double, ils sont dans leur élément, c’est saturé d’heavyness ralentie, mais après un moment, ça barre en courgette de vrille prog, et ils reviennent on ne sait comment en mode rouleau compresseur. Le Geezer fait vrombir sa basse. Sur toute l’A, le Sab se montre bien déterminé, il fait même du boogie rock anglais avec «Children Of The Grave». Pas de hit sur cet album, mais une constance sabbatique, comme le montre encore «Lord Of The World», ils restent dans leur formule, pas de surprise, Tony Io se place en embuscade et malgré les apparences, le son reste très linéaire. Ils reviennent au big sound avec «Into The Void». Chez Sab, ce n’est pas le gros popotin, mais le gros patapouf qui a le vent en poupe. Il est tellement gros, le patapouf, qu’il a du mal à respirer... Si on cherche des aventures, il faut aller voir ailleurs. Les kids adorent le gros patapouf de Tony Io.

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    La jeune main froide a dû beaucoup admirer la pochette du Black Sabbath Vol. 4. Quel rocking artwork ! Et hop ça démarre avec du classic Sab monté sur une nouvelle trouvaille du vieux Tony Io. Pas question de s’énerver, il joue son riff en retenue et miraculeusement, on échappe cette fois au petit développement prog de mi-parcours. Tous les cuts de Sab sont montés sur un riff de Tony Io. Alors pour l’Ozzy, c’est du gâtö. Il peut enfourcher son canasson et chanter «Tomorrow’s Dream» au chat perché. Tony Io remplit le son à ras-bord. Il lui donne de l’ampleur. «Changes» pourrait être un balladif de Croz, car c’est assez océanique. Peut-être s’agit-il du meilleur sob de Sab. Pour boucler l’A, Tony Io charge la barque de «Supernaut». Il est l’un des plus gros démolisseurs d’Angleterre et l’Ozzy s’élance comme un loup à l’assaut de l’homme, ça joue pour de vrai. Tony Io a plus de son qu’avant, on voit qu’ils enregistrent à Los Angeles. La B se tient bien elle aussi, «Snowblind» reste du classic Sab. L’Ozzy ne change rien à sa méthode, il va droit sur son petit chat perché. Tony Io boucle ce valeureux Snowblind à l’embrasée de Birmingham. «Laguna Sunrise» montre qu’ils sont capables de climat lumineux et d’espagnolades, et ce gros mélange de riffing et d’orientalisme qu’est «St Vitus Dance» montre qu’ils adorent danser la danse de Saint-Guy. Cet album surprenant s’achève avec «Under The Sun», classic package de Sab monté comme un millefeuille, bien bourré de crème au beurre et concassé à tous les instants comme le corps d’un hérétique soumis au supplice de la roue.

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    Paru en 1973, Sabbath Bloody Sabbath n’est pas le meilleur Sab. C’est du classic Sab, bourré de climats, de cocotes et de chat perché. L’Oz se veut criard, mais il n’est pas toujours juste. Ils amènent l’«A National Acrobat» au heavy Sab, mais ça vire troubled troubadour un peu proggy.  Tony Io a du mal à renouveler le cheptel. Ses compos peinent à jouir. C’est encore dans la délicatesse diaphane qu’il excelle le mieux («Fluff»). Il revient à son pré-carré et à ses vieilles racines de mandragore avec «Sabbra Cadabra», on se croirait sur le premier Sab, tellement c’est bien foutu. C’est même le hit de ce bloody album. Le «Killing Yourself To Live» qui ouvre le bal de la B semble lui aussi sortir du premier Sab. Merci Tony Io de ce retour aux sources. L’Oz s’en donne à cœur joie. Ils font de la petite pop bien intentionnée avec «Looking For Today» et pour «Spiral Architect», Tony Io pompe les accords des Who dans Tommy. Cette fois, ils tombent dans le n’importe quoi, et ça finit par devenir trop poli pour être honnête.

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    La jeune main froide n’en finissait plus de loucher sur la pochette de Sabotage, «the most psychologically damaged record (just look at the sleeve)». Et il ajoute, emporté par son élan : «Le Midland death trip d’Ozzy culmine en 1975 avec l’album Sabotage qui depuis la pochette jusqu’au contenu est l’un des albums de rock les plus étranges jamais enregistrés. Les paroles sont pour la plupart signées by Brummie shaman Terry ‘Geezer’ Butler.» C’est l’album chouchou des fans de Sab, à cause de cette énormité qu’est «Hole In The Sky», un nouveau modèle riff anglais sorti du cerveau de Tony Io. Il fabrique du Sab en permanence, et quand Ozzy ramène son chat perché, ça fait l’identité de Sab, avec en plus derrière les deux cavemen qui frappent sec. C’est dans «Symptom Of The Universe» qu’on entend cracher les haut-fourneaux de Birmingham. Dommage que les petits épisodes prog viennent perturber le bel équilibre. Il semble que Tony Io ne gratte que des séquences mythiques, comme ces espagnolades de fin de parcours. Et puis avec «Megalomania», ils se rapprochent du premier album, ils sont si heavy et si présents ! Ils disposent d’une science inégalée en matière de redémarrage en côte et se payent en plus le luxe d’un final épouvantable aux lueurs du génie sabbatique. L’autre hit de Sabotage est le dernier cut de la B, «The Writ», un heavy blues chanté au chat perché d’Ozzy, sans doute le perché le plus perçant de tous. Ils ont du panache, le monde entier le sait, on ne fait pas l’impasse sur le Sab, on les connaît par cœur, ces beaux cuts de Sabotage, sans doute les a-t-on trop écoutés. Avec «Am I Going Insane», ils sonnent comme Syd Barrett. Tout est beau et puissant sur cet album. Tony Io fait exploser des bouquets fatals sur «The Thrill Of It All», il soigne ses fins de loup. «Supertzar» est le cut qui a dû impressionner le plus la main froide, car on y entend des voix surgies du passé. On se croirait dans un film d’Eisenstein, c’est la même ampleur catégorielle.

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    En novembre 2021, la main froide rendait hommage aux Groundhogs avec une column titrée Getting high on a Hog. L’avantage avec un chroniqueur comme la main froide, c’est qu’il ne parle que de bon rock anglais. Il salue en particulier the mightier-than-God Two Sides Of Tony (TS) McPhee, mais aussi le post-psych bummed-out down-in-the-gutter Ladbroke Grove masterpiece Thank Christ For The Bomb, et puis bien sûr Split, an anti-stoner guitar suite that everyone owned and loved - Imagine if Hendrix had joined Television and they’d relocated to New Cross. That’s Split - Après avoir énuméré tous ces coups d’éclat, la main froide replonge dans Two Sides : «Side 1 is the heaviest gutbucket blues this side of Charlie Patton and Hound Dog Taylor.» Comme ça au moins les choses sont claires. Puis il affirme qu’à l’instar de Beefheart, McPhee peut chanter le Dada blues. Il reprend ensuite sa respiration pour attaquer la B, «The Hunt», qu’il qualifie de demented fuckery - It sounds not unlike a dying fox, which is probably the point - La main froide se régale avec cette insanité qu’est «The Hunt», insinuant qu’on ne sait qui de l’auditeur ou de McPhee a perdu la tête. Typical main froide.

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    Et pour conclure, une mauvaise nouvelle : la main froide a cessé de faire paraître sa column dans Record Colector. En juillet 2023, il consacrait son ultime column à Jerry Lee (Live At The Star Club), Larry Williams, et à son idole ultime, Gene Vincent, sous un très bau titre : Britain’s favourite rock’n’roll bad boy. Il revenait sur the 1969 ITC documentary ‘Gene Vincent  - Rock And Roll Singer’, the tragic tale of Gene Vincent’s disastrous UK tour of 1969, qui avait déjà fait l’objet d’une column, et donc d’un écho vibrant sur KRTNT. Pendant cette disastrous tournée, Gene Vincent fut accompagné par «The Wild Angels, Gene’s best group since the original Blue Caps. There was some heavy juju going on between those American bad boys and those English lads in the 60s.» La classe de la main froide va nous manquer. Elle et Damie Chad étaient les derniers grands prêtres du culte de Gene Vincent.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Hawkwind. Hawkwind. Liberty 1971

    Hawkwind. In Search Of Space. United Artists 1971

    Hawkwind. Doremi Fasol Latido. United Artists 1972

    Hawkwind. Space Ritual Alive. United Artists 1973

    Hawkwind. Hall Of The Mountain Grill. United Artists 1974

    Hawkwind. Warrior On The Edge Of Time. United Artists 1975

    Television Personalities. Mummy Your Not Watching Me. Whaam! Records 1982

    Soft Machine. Third. CBS 1970

    Jefferson Airplane. After Bathing At Baxter’s. RCA Victor 1967

    Swell Maps. A Trip To Marineville. Rough Trade 1979

    Scritti Politti. Anomie And Bonhomie. Virgin 1999

    The Servants. Small Time/ Hey hey We’re The Manqués. Cherry Red 2012

    Status Quo. Ma Kelly’s Greasy Spoon. Pye Records 1970

    Status Quo. Dog Of The Two Head. Pye Records 1971

    Black Sabbath. Black Sabbath. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Paranoid. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Master Of Reality. Vertigo 1971

    Black Sabbath. Vol 4. Vertigo 1972

    Black Sabbath. Sabbath Bloody Sabbath. Vertigo 1973

    Black Sabbath. Sabotage. Vertigo 1975

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    Luke Haines. Britain’s favourite rock’n’roll bad boy. Record Collector #546 - July 2023

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le Loog des steppes

    (Part One)

     

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    Ah bah tiens ! Encore un styliste ! Andrew Loog Oldham ! Une chose est sûre : il aurait tapé dans l’œil de Léautaud, si ce grand amateur de stylistes avait vécu à notre époque. Le Loog s’est imposé dans un premier temps avec une autobio en deux parties, Stoned et 2Stoned, sur laquelle nous allons revenir incessamment, et puis voilà la suite, Stone Free, qui se présente comme une collection de portraits d’imprésarios, à la manière des Contemporains Pittoresques d’Apollinaire. En gros, le Loog navigue au même niveau que Nick Kent, il «bénéficie» des mêmes privilèges, dirons-nous : un souffle, un style unique et des fréquentations de premier ordre. Attention, une telle lecture se mérite : 400 pages, dans une typo variable, minimale et affreusement mal interlignée, un fer à gauche déplaisant, c’est pas loin du book à compte d’auteur, puisque c’est de l’Amazonzon, mais le choix d’illustrations lui donne en quelque sorte l’absolution. On rouspète à l’attaque du périple, car on aurait préféré le confort de lecture d’une bonne édition britannique, on aurait tant voulu se vautrer dans l’excellence combinée d’un chaud bouffant et d’un choix typo affirmé, mais à la sortie, même si les yeux piquent, on tremble de fièvre extatique. Car quelle galerie de portraits !

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    De la même manière que Nick Kent, le Loog jongle avec les tournures infernales. Il puise dans la même virtuosité et affine parfois ses tournures en les voilant de mystère, contraignant le lecteur à relire, ce qui n’est jamais du temps de perdu. Prenons un exemple, tiré du premier portrait de la galerie, celui de Serge de Diaghilev, impresario de Nijinski et directeur des Ballets Russes : «Soumis à la pression terrible d’un stardom sans précédent, Elvis a succombé, et la médiocrité s’est emparée de lui. Loué soit Keith Richards qui n’a jamais utilisé la drug addiction comme une excuse pour les mauvais albums. Mais imaginez un instant qu’Elvis ait pu être a rockin’ Nijinski to a rollin’ Diaghilev.» Ce qui à la première passe-passe pour une louange est en fait un constat loogien à double tranchant. Quatre personnages clés dans la même pirouette, deux dégommés d’une pichenette, et les deux autres sont magnifiés, les deux Russes. Honte au responsable de la déchéance d’Elvis, le Colonel Parker, et aux Stones post-Oldham. Le Loog nous dit à sa façon que seuls les deux Russes sont restés purs.

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    Diaghilev est donc le premier portrait de cette galerie extraordinaire. Ça fait du bien de retrouver Diaghilev qui fut l’un des acteurs clés de l’avant-garde parisienne des années folles. Diaghilev commande un ballet à Cocteau et lui lance : «Jean, étonne-moi !». Ce sera Parade, un ballet cubiste, Cocteau signe le livret, Erik Satie la musique et Picasso les costumes et le rideau. Apollinaire qualifie le spectacle de ‘sur-réaliste’. Il invente le mot, l’occasion est trop belle. Nous voilà au Châtelet en 1917, la première de Parade fait scandale. Dans l’orchestre, il y a une machine à écrire, une sirène et un pistolet. Un critique étrille le ballet, et Satie, outragé, lui envoie un mot : «Monsieur, vous n’êtes qu’un cul, mais un cul sans musique.» C’est quand même autre chose que Las Vegas, non ?

    Ici, on aime bien l’idée que le Loog soit associé à des géants comme Diaghilev, Satie, Cocteau et Picasso. Il descend de la même lignée. Il passe ensuite à Larry Parnes qui fut dans les early sixties, l’imprésario le plus puissant d’Angleterre, et dont on a en quelque sorte chanté les louanges ici l’an passé, via le bon book de Darryl W. Bullock, The Velvet Mafia - The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. Le Loog est obligé de rappeler ce qu’était l’ambiance musicale en Angleterre à cette époque, et il n’y va pas de main morte : «La British pop était une petite chose rabougrie en ce temps-là. L’industrie musicale britannique jouait les seconds couteaux et avalait tout ce que les Américains envoyaient ‘over there’, du ragtime au swing, en passant par les banjo-paying minstrels aux visages noircis et en canotiers, et les bobbysoxers. Puis il y eut le rock’n’roll, et Parnes, qui avait plus de goût pour les chanteurs que pour les chansons, n’avait aucune raison de ne pas croire en son avenir. Mieux encore : à partir du moment où il a ‘découvert’ les objets de son désir, il a vécu et couché avec eux, jusqu’à ce que le public découvre autre chose.» Dans ce portrait, on trouve à la fois du sarcasme et de l’admiration. Le Loog rend hommage à l’imprésario qui pour réussir, est allé jusqu’au bout de ses rêves, et puis en même temps, il se moque un peu, car il manque à Parnes l’essentiel : la vision. Raison pour laquelle Parnes a été balayé.

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    Il ne jurait que par les artistes solo, il ne croyait pas en l’avenir des groupes. Il s’est planté en rejetant les Silver Beatles et les Tornados de Joe Meek. Fatale erreur. Mais c’est vrai qu’il est difficile de coucher avec quatre mecs en même temps. Le Loog enfonce sa rapière plus loin encore dans le cœur du mythe Parnassien : «Parnes n’avait pas de formule magique, just a good brain for names, un goût prononcé pour les jeans serrés et les pretty faces, et un talent de marchand de fringues for schmoozing in the showroom.» En 1967, nous dit le Loog, Parnes annonce qu’il a fait le tour de la pop et qu’il va se consacrer au théâtre. C’est un portrait à l’anglaise, viscéralement juste et sans complaisance. Le Loog, comme d’ailleurs la plupart des Anglais, ne tourne jamais autour au pot. Il dit les choses. Que ça plaise ou non. Si t’es pas content, c’est pareil.

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    Il passe ensuite à Albert Grossman, le mentor/imprésario de Bob Dylan. Le Loog le présente comme un homme «silencieux et puissant, qui avait sous son aile l’un des plus grands talents du XXe siècle, et qui savait tenir à distance les escrocs de l’industrie, tout en les manipulant.» Son «industry of crooks» peut être lu dans les deux sens, celui proposé ici (escrocs de l’industrie), et celui d’un entourage volumineux. Le Loog semble nous laisser le choix. Chacun décrypte comme il peut. C’est pour le Loog une façon de laisser planer un léger voile de mystère et donc de laisser une certaine liberté d’interprétation. C’est extrêmement intéressant. Au point qu’on finit par ne chercher que les formules mystérieuses. Elles fascinent autant que les portes dérobées ou les meubles à tiroirs cachés. Le Loog est un prodigieux mystificateur. Mais ce qui l’intéresse, dans le destin d’Albert Grossman, c’est la façon dont il a réinventé avec Dylan le métier d’imprésario : «Entre l’aspect trop commercial de Peter Paul & Mary et le chaos de la carrière solo de Janis Joplin, Bob et Albert ont bâti une relation en forme d’ordination qui a permis à chacun d’eux de monter en puissance, mais dans des proportions historiques.» Cette fois, le Loog trouve la vision et donc il rend hommage : il met Grossman au même niveau que Dylan. Pas de Dylan sans Grossman, et inversement, de la même façon que pas de Stones sans le Loog. C’est là où il veut en venir. Mais dans la cas de Dylan & Grossman, la relation s’est épanouie, alors qu’avec les Stones ça s’est terminé en eau de boudin. Le Loog n’ose pas dire que c’est un problème pur d’intelligence ou de manque d’intelligence. On sent même que cette relation entre l’artiste et son imprésario lui fait envie : «Pendant la semaine qu’ils ont passé à Londres, Dylan et Grossman étaient inséparables et avaient des airs de conspirateurs, un exemple extrêmement rare à cette époque où le management était un mariage de convenance entre un mac et sa pute.» D.A. Pennebacker rappelle que pendant ce même séjour à Londres, Dylan traînait avec les Beatles, mais Brian Epstein était absent, alors que Grossman était là en permanence : «Dylan really liked that. Grossman was kind of a father.» Voilà, le mot est lâché. Father. Le Loog rend plus loin hommage à l’artiste extraordinaire que fut le Dylan des sixties : «Pendant ces années, Dylan a joué bien des rôles : le vagabond acolyte de Woody Guthrie, le rival et amant de Joan Baez, l’homme-enfant love-sick, the stoned visionary hipster, the absurdist pop star, le Judas haï, the motorcycle martyr.» Il ajoute que Bringing It All Back Home  a été autant inspiré par les Beatles que les Beatles ont été inspirés par cet album. Le portrait de Grossman est vibrant de qualité et d’humanité. Bien sûr, le Loog connaissait Grossman, car il a séjourné à Bearsville en 1978. Pour lui, Grossman est le fin du fin, «the man who had once dedicated his life to letting Bob be Bob.» Chute en forme de parole d’évangile. Letting Bob be Bob.

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    Brian Epstein, bien sûr. Le Loog tient à rappeler une chose fondamentale : Epstein n’a pas «fait» les Beatles tout seul : «George Martin, Norman Smith et Ron Richards furent rejoints par Richard Lester and PR hustling man extraordinaire, Derek Taylor.» Quand Epstein et Taylor se sont frittés, Epstein a perdu son collaborateur le plus important - It is perhaps our greatest loss that Derek was no longer available to set the record straight - Le Loog dit our, car il bossait à l’époque comme PR (agent de presse) pour Epstein à Londres. Derek Taylor est allé en Californie travailler pour les Byrds.

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    L’un des portraits les plus conséquents est celui du duo Kit Lambert/Chris Stamp, l’imprésario à deux têtes des Who et accessoirement double-boss de Track Records. Pour récupérer les Who, le duo a dû se débarrasser de Peter Maeden, l’une des idoles d’Eddie Piller, puis de Shel Talmy, et là, ce fut plus difficile, car c’est Shel qui a «fait» les Who, et accessoirement les Kinks. Encore une fois, le Loog n’y va pas de main morte : «Le dégoût qu’éprouvait Shel pour Kit Lambert était très prononcé. Ce Yank habituellement silencieux qualifiait l’homosexualité très British de Kit de ‘nasty’ - Il était le genre de pédé qui me dégoûtait. Je ne pouvais pas le supporter. Le voir draguer les jeunes garçons me dégoûtait. Il ne pensait qu’à ça. Il s’en prenait au groupe.» Quand Lambert & Stamp commencent à lui arracher les Who via les tribunaux, Shel résiste - C’est lui qui avait financé les enregistrements, after all, pas Lambert & Stamp. Pendant six mois, le temps de la procédure, il a dû attendre pour faire paraître «Substitute», une éternité à cette époque où les choses évoluaient très vite. Shel a gagné la bataille, mais il a perdu la guerre. Il n’a jamais revu les Who - Bel hommage à l’un des géants des sixties. Le Loog finit par raconter comment Lambert & Stamp perdent les Who, à cause de coups portés par «un certain nombre de gens et d’événements. David Platz, Allen Klein, Bill Curbishley, Pete Rudge, Pete Kameron, qui vous voulez, même le mec qui lave la bagnole, si ça vous arrange. Et bien sûr, Kit et Chris eux-mêmes. Ils furent considérés comme ingérables par leurs clients. Une nouvelle version de cette histoire finit toujours par sortir, toujours pour les mêmes raisons. Albert and Bob, Brian and the Beatles, myself and the Stones.» Et il rend l’hommage définitif : «Parmi mes contemporains, il est difficile de trouver un management partnership that had the successes, thrills and spills that Kit and Chris had.» Kit Lambert n’a pas fait long feu, mais Chris Stamp a duré plus longtemps. Le Loog insère à la fin du chapitre Lambert & Stamp un divin portrait de Chris Stamp. Beau comme un dieu.

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    Alors, c’est l’occasion ou jamais de revoir ce fantastique docu de James D. Cooper, Lambert And Stamp. Ça démarre très fort sur du ramdam contextuel de situatons of outright rebellion, c’est-à-dire les racines des Who. Middle class and working class. On voit très vite Chris Stamp paraître à l’écran, vieux mais classe. Il rappelle qu’en 1961, il est dissatisfied et il décide de devenir cinéaste - That’s the game - Il parle d’un ton sec, c’est une East-Ender. Il rencontre Kit Lambert dans un coffee shop et ils décident d’écrire ensemble un scénario. Chris dit à son frère l’acteur Terrence Stamp qu’il est interested in girls.

    — What kind of girls ?

    — Dancing girls.

    Il parle bien sûr des danseuses de ballet. On reste dans la mythologie des Ballets Russes. Kit & Chris en bavent. Ils ne parviennent pas à devenir réalisateurs, alors ils cherchent un groupe pour le manager et tourner un docu rock - Finding the group, working the band, making records, becoming successful - C’est exactement ce qu’ils vont faire. Ils cherchent pendant des mois et pouf, Kit débarque au Railway Hotel et flashe sur un groupe very loud, plein de feedback : les High Numbers. Kit & Chris shootent leur movie, c’est pour ça qu’on a ces images extraordinaires des early Who en noir et blanc. Très Nouvelle Vague - They saw the potential - Ils signent les Who pour 20 £ par semaine - A guaranteed salary - Terrence demande à son frère si les Who sont mignons, comme les Beatles.

    — Oh yeah !

    Quand il voit une photo du groupe, il pousse un cri d’horreur. The guys are ugly !

    Mais bon, c’est parti. Kit & Chris vendent des idées aux Who qui prennent tout. De toute façon, ils s’en foutent, Townshend est le premier à croire que la pop ne va pas dure plus de 18 mois, alors... Les Who jouent la carte des sharp dressed people, ils figurent parmi The Hundred Faces. Puis vient l’épisode Shel Talmy qui est rejeté car considéré comme un outsider. Il n’a pas la vision du groupe, seulement celle du son. Alors Kit & Chris s’improvisent producteurs. C’est vrai que les Who sont des surdoués. Dans une interview de l’époque, Townshend leur rend hommage à grand renfort de louanges. «My Generation» devient l’hymne des London Mods - My Generation as a kind blocked up on pills with a stutter - Tellement vrai, on bégaye vite sous speed - Not a gimmick at all. On pills, the kids stutter, on French Blues, and Black Bombers & Drinamyl - Une journaliste demande à Townshend : «Are you actually blocked up when you’re on stage Pete ?» et le Pete répond :

    — No, we’re blocked up all the time you know.

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    Kit & Chris montent leur label Track Records expressément pour Jimi Hendrix qu’ils viennent de rencontrer à Londres. Puis ça s’emballe. Townshend produit Thunderclap Newman et d’autres # 1 arrivent : Jimi Hendrix, Arthur Brown, John’s Children, et Marsha Hunt at # 4. Puis les Who perdent de la vitesse, bad songs, juste avant Tommy - Just prior to Tommy, we were finished - C’est avec Tommy qu’ils deviennent riches. Townshend devient «a composer, not a songwriter», et c’est vite la fin des haricots pour Kit qui sombre dans un chaos de dope. Les images ne sont pas terribles. On voit Chris à la fin du docu, toujours aussi magnifique. Un docu à voir impérativement.

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    Puis le Loog nous emmène dans les parages moins connus de Jerry Brandt et d’Adrian Millar. Brandt restera dans l’histoire du rock pour Jobriath qui n’a pas marché, et Millar pour les Babys qui n’ont pas marché non plus. Mais ces deux portraits sont sans doute les plus touchants de la galerie. Brandt a bossé longtemps chez le tourneur américain le plus important de cette époque, the William Morris Agency, il a fait tourner Sam Cooke, Sonny & Cher et les Stones, puis a tenté de lancer Jobriath - I see Jobriath as a combination Wagner, Tchaikovsky, Nureyev, Dietrich, Marceau and astronaut - Mais la presse rock rigole quand l’album de Jobriath sort sur Elektra. Jac Holzman reconnaît qu’il a fait une erreur en investissant dans Jobriath - It was an awful album. The music seemed secondary to everything else. C’était trop et trop tôt et ça ne collait pas avec le label. Pas à cause du côté gay, ça manquait juste de réalisme. Ce fut une hantise et elle restée en moi longtemps - Il n’empêche qu’Elektra a sorti un deuxième album qui a disparu sans laisser de trace. Le Loog ajoute qu’Elektra était très content de se débarrasser du latter day would-be Nijinsky, et Brandt a fini lui aussi par laisser tomber, en pleine tournée. Les Américains considéraient Jobriath comme un mauvais gag. «En parfait hustler, Brandt refusa d’admettre qu’il s’était planté, alors que la terre entière lui disait le contraire.» C’est la formule que tourne le Loog pour saluer le courage artistique de Jerry Brandt.

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    On reste dans les moins connus avec Pete Kameron, l’expat américain installé à Londres  dans les early sixties, boss de la branche européenne d’Essex Music et co-fondateur de Track Records, que le Loog qualifie de «Zen hustler». Le Loog brosse aussi un rapide portrait de Jean-Luc Young, le boss de Charly Records qu’il rencontre à Paris et qu’il apprécie pour son street spirit et pour ses connections avec la mafia corse et l’acteur Alain Delon. Il se dit même fasciné par ces connections - I could loathe the mob in England and love it in France - Il ajoute ceci qui est très mystérieux, donc très loogien : «Giorgio Gomelski a aussi bossé avec Jean-Luc pendant des années et quand on parlait de ‘Kid Cash’, comme on le surnommait, Giorgio te mettait en garde : ‘Beware the collector’.» Avant d’être le label sur lequel sortent ces belles compiles Northern Soul qu’adorait Jean-Yves, Charly est essentiellement un biz. Giorgio cite encore aussi Kid Cash disant : «Je suis celui qui fait tout le boulot et qui sort les disques. Pourquoi devrais-je payer des royalties ?». Biz. Alors après on rentre dans une sombre histoire de procédure judiciaire : le Loog attaque Kid Cash en justice pour tenter de récupérer son catalogue Immediate, mais il perd le procès, enfin bref, il en fait au moins dix pages et comme c’est bien écrit, ça met la cervelle en ébullition. Les esprits procéduriers devraient se régaler.

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    Le Loog salue aussi l’un des acteurs clés de la grande époque : Mickie Most - Pour moi, Mickie Most reste le producteur anglais le plus prolifique et le plus talentueux de tous les temps. George Martin et moi dépendions des compos de nos artistes respectifs (once I’d persuaded mine to write). Mickie avait seulement besoin de ses oreilles - Il disposait nous rappelle le Loog d’un «incredibly diverse roster : The Jeff Beck Group, Hot Chocolate, Suzi Quatro, Kim Wilde et Mud.» Il rappelle aussi pour les ceusses qui ne seraient pas au courant que sans ses deux auteurs-maison, Nicky Chinn et Mike Chapman - Chinn & Chap - le glam n’aurait pas existé.

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    Le Loog brosse aussi un portrait de McLaren, le seul hustler qu’il n’ait pas rencontré. Pour ouvrir ce redoutable chapitre, il cite Steve Jones : «Malcolm était le Brian Epstein of punk. Sans lui, le punk ne serait jamais devenu ce que c’était. J’adorais ce mec. Pour mes 21 ans, il m’a offert un beau cadeau d’anniversaire : une seringue et un peu d’hero.» Le Loog excelle dans l’art de l’entrée en matière. Il explique ensuite pourquoi ils ne se sont jamais rencontrés : «Le parallèle évident entre ses Sex Pistols et mes Rolling Stones, dont on disait qu’ils avaient les uns comme les autres découvert la Pierre de Rosette du rock’n’roll outrage, était une raison suffisante pour qu’on s’évite.» Le Loog ironise pas mal sur ce coup-là, avouant quand même qu’il se trouve pas mal de points communs avec McLaren, et qu’il se sentait plus lié spirituellement avec lui qu’ils ne l’étaient l’un et l’autre avec les groupes qu’ils avaient menés à la gloire - En rédigeant ce book qui est en fait l’hustler’s hall of fame, je ne pouvais pas faire l’impasse sur Malcolm McLaren, même s’il est le seul contemporain avec lequel je n’étais pas personnellement lié - Et pouf, il revient par la bande à Diaghilev, mais de façon hilarante : «Étant donné que McLaren s’enthousiasmait de la même manière que Diaghilev pour une vision politique et sociale de l’Art, je me demande s’il ne considérait pas Sid Vicious comme son Nijinsky.» Et là normalement, tu te roules par terre. L’humour anglais, lorsqu’il est manié avec une telle dextérité, est le pire de tous. Fatal ! Tout le monde a bien compris qu’avec cette raillerie, le Loog exécute McLaren. Mais ce n’est pas fini. Il revient un moment sur Sid Nijinsky pour dire qu’il était bon, lorsqu’il tapait sa cover d’Eddie Cochran - La plupart des gens étaient amusés ou horrifiés, mais j’ai vu en Sid le spirit de l’une de mes premières idoles, Jet Harris, et je l’ai trouvé excellent - Et il enfonce son clou dans la paume du mythe en affirmant que Sid était the only true Sex Pistol - Les autres, y compris Lydon, étaient des versions de Glen Matlock un peu plus brutes de fonderie - C’est toujours une bonne chose que d’avoir l’avis d’un Loog sur un sujet aussi brûlant que celui des Pistols et la controverse qui continue de courir.

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    Il passe ensuite au plus corsé de la bande, Don Arden, et là, on attache sa ceinture. C’est Don Arden qui organise la première tournée anglaise de Gene Vincent. Puis il fait venir Sam Cooke. Don Arden s’extasie : «Le seul artiste supérieur à Gene Vincent, c’est Sam Cooke.» Par contre, il s’entend mal avec Chucky Chuckah. Ce n’est pas une question de racisme, affirme le Loog - Don avait lui-même subi pas mal de discrimination dans sa vie, alors la couleur de peau n’était pas un problème. Il adorait John Lee Hooker et l’a vu dans la rue céder le passage à des blancs, ce qui l’a frappé - Le Loog indique aussi que Don Arden garde un mauvais souvenir de Peter Grant, qu’il avait embauché comme chauffeur de Gene Vincent et qu’il a dû virer parce qu’il tapait dans la caisse. Puis arrive l’inévitable épisode Stigwood que Don va trouver dans son bureau parce qu’il entend dire qu’il louche sur les Small Faces. Les gorilles qui l’accompagnent attrapent Stigwood pour le suspendre dans le vide à la fenêtre du 24e étage. Stigwood chie dans son froc. Alors que Stigwood est suspendu dans le vide, Don demande aux gorilles ce qu’il faut faire : pardonner à cette lope ou le lâcher, et les gorilles répondent à l’unisson : «Drop him», c’est-à-dire le lâcher. Et tu as le Stigwood qui hurle comme un porc qu’on égorge. Le Loog se régale de cet épisode, il en fait une page entière, avec tous les détails. Puis quand Don va passer aux choses sérieuses avec ELO aux États-Unis, il va devoir, nous dit le Loog, bosser avec des lascars du calibre de Walter Yetnikoff et Morris Levy. Le Loog évoque aussi la guerre entre Don et sa fille Sharon. Elle commence par lui piquer le management d’Ozzy - Don était pétrifié. Cet acte de traîtrise avait pris des proportions shakespeariennes. Elle tenta une réconciliation mais Don lâcha les chiens et Sharon fit une fausse couche - Au même moment, la justice tombe sur Don Arden et son fils David. Trop de magouilles. David va au trou et Don est acquitté. Pas terrible.  Le fils prend pour le père. Vingt ans après leur première dispute, nous dit le Loog, Sharon est toujours enragée contre Don : «Mon père n’a jamais vu aucun de mes trois gosses et il ne les verra jamais.» Elle dit ça du haut des remparts d’Elseneur, un soir de tempête. JAMAIS ! Don et le Loog se connaissent depuis longtemps. Le Loog lui avait racheté les Small Faces. Don Arden le considère comme un allié. Il lui demande de l’aider à écrire ses mémoires. Le Loog a déjà un titre en tête : Once Upon A Time In Showbiz, pour faire écho au Once Upon A Time In America de Sergio Leone. Mais c’est Mick Wall qui aidera Don à écrire ses mémoires, l’excellent Mr Big: The Autobiography of Don Arden - the Al Capone of Rock. Le Loog achève ce brillant portait en shakespearisant de plus belle : «Don ressemblait plus à Lear qu’à Richard III. Comme Grossman, il avait vécu assez longtemps pour survivre à la plupart de ses ennemis, mais à la différence d’Albert, il n’a jamais songé à prendre sa retraite.»

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    Le Loog ne consacre qu’un seul chapitre à Immediate - Immediate was always, howerver, two parts romance to one part capitalism. Je ne crois pas que les gens aient bien compris à quel point j’étais l’angel investor du label, injectant le blé que j’avais gagné avec les Rolling Stones dans des projets parfois rentables et le plus souvent excentriques - Il rappelle avoir démarré avec «Hang On Sloopy» et «the only bright spark of year one», c’était Chris Farlowe - En 1966, j’ai investi £40,000 dans deux albums, à une époque où avec cette somme on pouvait s’offrir une troïka de Rolls Royces ‘nicely equipped’, comme on dit in the States. Les albums de Twice As Much et de Chris Farlowe représentent l’alpha et l’omega of my Immediate dreams, et le commencement et la fin de ma lune de miel avec les Rolling Stones - Il ajoute que Twice As Much «était un folk rock duo dans la veine de Peter & Gordon ou Chad & Jeremy. David Skirner et Andrew Rose était ravis de porter mes Brian Wilson-inspired aspirations.» Les pressages Immediate de Twice As Much et de Billy Nicholls font aujourd’hui partie des albums les plus chers et les plus recherchés. Ce n’est pas un hasard. Le Loog est en quelque sorte le Michel-Ange du rock anglais. On a tendance à ne vouloir voir en lui que l’imprésario des Rolling Stones, mais non, c’est une erreur, il a joué avec Immediate un rôle crucial dans l’épanouissement artistique de la scène anglaise du Swingin’ London, le rôle d’un mécène italien au temps de la Renaissance, ou si tu préfères, le rôle d’un Diaghilev au temps des Ballets Russes... Le Loog est un puissant seigneur. Il roulait déjà dans les rues de Florence au XVe siècle, vautré à l’arrière de sa Rolls Silver Shadow. D’ailleurs, il précise ceci qui peut stupéfier : «Immediate had nothing to do with the real world and yet we did produce some great music.» Et pouf, il te sort les noms d’Humble Pie, de Fleetwood Mac et d’Amen Corner. Il pense que l’album de Chris Farlowe produit par Jagger «was Immediate’s finest hour». Il plonge encore plus profondément dans les délices du mystère lorsqu’il affirme que l’«Immediate dream was over before it began, et quand je dis que le label m’a aidé à perdre les Rolling Stones, c’est exactement ce que ça veut dire.» ll dit avoir rêvé d’un «mini Motown d’un pre-Apple vast empire présidé par the three of us, Mick, Keith and I. That was Imediate. Je les ai aidés à faire émerger leur talent de compositeurs, je voulais les aider à faire d’eux des producteurs.» Le Loog avoue avoir fini sur les rotules : «Entre mes 19 ans, l’âge où j’ai rencontré  les Stones, et mes 25 ans, l’âge où j’ai perdu Immediate, j’ai vécu plusieurs vies et je ne se savais plus trop laquelle je souhaitais vivre.» Plus tard, lors d’un procès, le Loog entend Jerry Shirley témoigner, et se dit frappé par son incapacité à dire la vérité. Pour avoir lu les mémoires de Shirley, on sait en effet qu’il y a un sérieux problème. On voit aussi Shirley se moquer de Syd Barrett dans le docu de la BBC consacré à Syd. Pauvre cloche.

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    On a gardé les deux gros morceaux pour la fin : Allen Klein et Totor, c’est-à-dire le racheteur du Loog et l’idole du Loog. Deux portraits absolument magistraux. Qui mieux que le Loog peut rendre hommage à ces deux monstres sacrés ? Pour survivre économiquement, le Loog a revendu ses recording rights à Klein en 1969 et ses publishing interests en 1972. C’est Klein qui nourrit la famille et le pif du Loog. Puis le Loog bosse pour Klein et produit des artistes, notamment Bobby Womack qui en studio «waved guns and did drugs». Le Loog devient caustique, extrêmement caustique : «Étant donné ma dépendance matérielle envers Allen, je ne saurais dire s’il me traitait comme une merde ou si c’est moi qui me faisais des idées. J’ai réalisé que dans tous les cas, Allen wanted the best for me, which was nice since he’s already had the best of me.» Le Loog va loin dans cette histoire puisqu’il parle de Stockholm Syndrom - Quand je me regardais dans un miroir, je n’aimais pas trop me retrouver en face de Patty Hearst - Il démarre d’ailleurs ce portrait par la fin, c’est-à-dire par l’enterrement de Klein, en 2009. Le Loog fait les comptes, cette relation a duré 44 ans, «presque un demi-siècle marqué par la rapacité, la générosité et cet incroyable instinct qu’il avait pour déceler les faiblesses des gens avec lesquels il était en affaires. Dire que je suis ambivalent est une façon de sous-estimer la complexité de mes sentiments envers Allen qui avait réussi à complètement altérer ma relation avec les Rolling Stones, et ce dès le jour de notre rencontre. Ce jour-là, j’aurais dû me casser une jambe.» Et il ajoute, en proie à l’amertume : «Si j’avais été soûl et qu’on m’avait dit que j’allais partager un karma avec Allen Klein pendant le restant de mes jours, ça m’aurait aussitôt dessoûlé.» Le Loog évoque aussi la position de Keef qui n’en veut pas tant que ça à Klein - He’s an operator, man - un Keef qui fataliste comme pas deux, ajoute : «The Stones got the silver, and Klein got the gold.» Comme on l’a longuement rappelé ici, quelque part en 2020, via le book de Fred Goodman, Allen Klein - The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll, Klein s’est fait une réputation d’éplucheur de comptes des gros labels au profit des artistes, et le Loog évoque bien sûr le cas de Sam Cooke. Klein commence par lui récupérer 150 000 $ de royalties, puis lui renégocie son contrat chez RCA, récupérant une avance de 450 000 $. Il monte ensuite une structure, et signe Sam Cooke, une structure dont bien sûr Cooke «n’a jamais été propriétaire une seule seconde» - La nouvelle entité portait le nom de la fille de Sam, Tracey. Pourquoi l’artiste aurait-il dû croire que cette entité lui appartenait ? - Le Loog se mare avec cette histoire, ajoutant que la structure appartenait en fait à Klein, et quand Sam est mort, Klein a déchargé sa veuve et le reste de la famille de toute responsabilité, devenant ainsi l’unique propriétaire des chansons du grand Sam Cooke. Et ça ne s’arrête pas là : le Loog entre dans le mystère qui entoure la mort de Sam, un mystère jamais élucidé. Sam allait virer Klein. Pire encore : le corps de Sam était dans un sale état, alors qu’officiellement il avait juste reçu une balle dans la poitrine. Etta James a dit que Sam avait les mains écrasées et que sa tête avait tellement pris de coups qu’elle se détachait de son corps. Pas de preuves. Pas de rien. Et le Loog conclut ainsi cette horrible histoire : «Eventually, the rights to Cooke’s entire legacy were firmly in Allen’s grasp.» Un jour Klein demande au Loog s’il sait pourquoi il ne lui a pas tout pris. Le Loog se méfie de la brutalité de Klein et il lui dit non, il ne sait pas. Alors Klein lui balance ça : «Because, Oldham, if I had taken everything, then I would have had to support you.» Quand Klein prend le pouvoir chez les Stones, il vire tous les comptables et tous les avocats et les remplace par des gens à lui - Du jour au lendemain, on est devenus entièrement dépendants d’Allen en matière de conseils «objectifs» - Et voilà le coup du lapin loogien : «Ironiquement, seul Bill Wyman, le troisième en partant du bas dans la hiérarchie aussitôt après Ian Stewart et Brian Jones, disait qu’il fallait protester. Le reste des Stones, moi y compris, lui a dit de fermer sa gueule and not rock the boat.» Selon le Loog, le seul qui a su résister à Klein, c’est Dave Clark. Klein veut le Dave Clark Five et propose deux millions de dollars. Dave Clark lui répond : «No thanks. I’s rather sleep at night.» Le Loog est formel : Dave Clark est le seul qui ait réussi cet exploit d’échapper à Klein. Mickie Most est tombé dans ses filets, et pour en sortir, il a dû lâcher ses masters des Animals et des Herman Hermits avec lesquels Klein et sa boîte ABKCO se sont prodigieusement enrichis. Le Loog évoque aussi la séance de signature des Stones avec Klein à New York et l’incroyable paperasserie - the most complex paperwork imaginable - séance supervisée par Marty Marchat, «the instruments of both our enrichment and destruction» - The Stones had got what we all thought we wanted and the train had left the station - Et comme dans le cas de Sam Cooke, Klein monte une entité du nom de Nanker Phelge - Soon enough «Nanker Phelge» would become a pseudonym for «Allen Klein and Co» and we would learn the true price of success - Au comble de l’ironie, le Loog rapporte une remarque de Marianne Faithfull : «Tu ne trouves pas ça drôle Andrew que la record company d’Allen soit la seule à me verser de l’argent ?». Après Sam Cooke et les Stones, Klein veut les Kinks - Allen commençait par écrémer le sommet, puis il descendait - Le Who venaient de l’envoyer sur les roses, alors il louchait sur les Kinks. Mais ça n’a pas marché. Oh, il reste les Beatles. Klein attend son heure, comme le dit si bien le Loog. Brian Epstein casse sa pipe en bois en 1967. Le loup va pouvoir entrer dans la bergerie. En 1969, les Beatles sont out of control. Ils ont besoin de quelqu’un. Ils envisagent Lord Beeching, puis Lee Eastman, le beau-père de McCartney. Le Loog dit que le loup met le pied dans la porte via Derek Taylor. Tout le monde connaît la fin de l’histoire : le split des Beatles. Klein est la raison numéro 2 du split, aussitôt après Yoko Ono.

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    En 8 ans, résume le Loog, Klein a fait main basse sur tout le Monopoly du rock. Il a récupéré tout ce qui rapporte le plus de blé : «Sam Cooke, Mickie Most, Donovan, les Rolling Stones et les Beatles.» Comme il avait récupéré les meilleurs, les autres ne l’intéressaient pas. Et puis voilà l’épilogue, terriblement Oldhamnien : «La dernière fois que je l’ai vu, il était atteint d’Alzheimer. On a dîné tous les quatre, Allen, son fils Jody, Iris Keitel et moi - dans son appartement new-yorkais. Allen m’observait. ‘I like your haircut, looks good on you’, dit-il. Il savait encore comment me posséder, même s’il ne se souvenait plus de mon nom.» Le Loog pose sur ses contemporains pittoresques le regard d’un écrivain. La différence avec nous autres les amateurs, c’est que le Loog, comme Nick Kent, sont sujets à un vertige qui n’est pas celui que nous connaissons : le vertige combiné des fréquentations hors normes et du right time at the right place à l’échelle d’une vie. Si l’on cédait à la jalousie, on pourrait presque insinuer que c’est trop facile, dans ces conditions, d’écrire un book comme Stone Free. Et puis la raison reprendrait le dessus, car il est facile de comprendre que le souffle porte ce vertige, dans le cas de Nick Kent, comme dans celui du Loog, ou encore celui de Mick Farren. Ils font partie tous les trois de l’establishment littéraire britannique, au même titre qu’Oscar Wilde, Somerset Maugham ou encore Wyndham Lewis.

    Une telle désinvolture ne court pas les rues : «J’ai baratiné Brian (Epstein) pour qu’il me laisse représenter les Beatles à Londres. À cette époque, j’avais déjà fait un peu de presse et de radio, et grands dieux, à 19 ans et self-empoyed, I was cheap enough. À côté de ça, personne n’avait postulé pour ce job, ce qui prouvait une fois de plus la maxime de Woody Allen : ‘Eighty percent of success is showing up.’» Une telle ironie ne court pas non plus les rues  : «Les Beatles ont gagné tellement d’argent que les arnaques des foreigh song publishers et de leur propre record company n’ont jamais bosselé ni les ailes de leurs Rolls ni les portes de leurs manoirs.» Le Loog est aussi le roi de la pirouette malicieuse : «Je devrais préciser que la girlfriend en question était Linda Keith, la copine de Keith Richards à l’époque. Elle m’avait invité à aller voir jouer Jimi Hendrix, alors que Keith et les Stones n’étaient pas en ville. J’ai donc vu Hendrix, mais je ne pouvais pas envisager de m’y intéresser de plus près, parce que j’avais déjà les mains pleines avec les Stones, et Jimi semblait avoir les mains pleines de Linda.»

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    Et Totor dans tout ça ? Il est bon de rappeler que Totor incarnait aux yeux du Loog le modèle absolu. Le Loog commence par le commencement, c’est-à-dire citer Tom Wolfe dans The First Tycoon Of Teen. On a déjà sorti le Wolfe du bois, mais on va le ressortir : «Phil Spector is a bona-fide Genius of Teen. Dans chaque époque baroque émerge un génie qui incarne la plus glorieuse expression de son style de vie - à la fin de la Rome antique, l’empereur Commodus, durant la Renaissance italienne, Benvenuto Cellini, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, the Earl of Chesterfield, dans l’Angleterre victorienne, Dante Gabriel Rossetti, dans la late-fancy neo-Greek Amérique fédérale, Thomas Jefferson, and in Teen America, Phil Spector is the bona-fide Genius of Teen.» Le Loog a raison de déterrer cet os magnifique. Ça situe tout de suite le niveau. Mais en même temps, il en tempère les effets, rappelant que Totor est arrivé en même temps que d’autres bêtes de Gévaudan, comme Jerry Leiber & Mike Stoller, Doc Pomus et Ahmet Ertegun - L’essai de Wolfe lui a fait plus de tort que de bien dans ce petit cercle new-yorkais très fermé. À mes yeux, ni Ahmet, ni Jerry ou Mike ne lui ont jamais pardonné ce qui fut, after all, le péché original de Wolfe - Et là, le Loog sort sa botte de Nevers, l’hommage énigmatique : «Phil of course fut toujours un artiste, mais aussi un businessman car il aimait gagner et voir les autres perdre. Il aurait fait beaucoup mieux si les proportions avaient été inversées : Lou Adler, Albert Grossman et Shep Gordon furent capables d’avoir leur gâteau et de le manger, sans avoir à traverser le miroir.» C’est là où le Loog est plus fort que le roquefort : avec cette botte de Nevers, il dit simplement que Totor a transcendé son art en traversant le miroir. On peut trouver une autre interprétation, le Loog laisse le choix, mais celle-ci nous plait bien. Il dit plus loin qu’on peine à imaginer ce que des albums comme Let It Be, Imagine ou All Things Must Pass seraient devenus sans la patte de Totor. Le Loog le rencontre une dernière fois dans d’étranges circonstances, en 2008. C’est Seymour Stein qui l’emmène chez Totor à Alhambra. Totor est encore libre sous caution, mais pas pour longtemps, il va être condamné. Il est déjà reclus, le trou ne changera pas grand-chose. Il fait encore bonne figure et accueille ses invités. Dans ce chapitre, le Loog est à l’apogée de son art, il maîtrise la tension dramatique avec un talent sidérant. Il cite même Hitchcock à un moment, mais pour d’autres raisons («Je n’ai jamais dit que les acteurs étaient du bétail. J’ai dit qu’on devrait traiter tous les acteurs comme du bétail.» C’est l’analogie avec la façon dont Totor traitait les interprètes). Le Loog établit un parallèle fabuleux entre sa vie et celle de Totor - Il me connaissait quand je n’avais pas les moyens de quitter la maison de ma mère, il me connaissait quand ‘Satisfaction’ est devenu un hit dont il aurait lui-même pu être fier, et il me connaissait pendant mes longues traversées du désert, avec ces painful memories of past glories - Et boom, il amène la chute du Niagara : «To know him is still to love him. Sa musique m’a inspiré et son amitié m’a donné le courage d’entrer dans l’arène et de me battre pour mes rêves. Il m’a mis au défi d’enlever mes gants et de me battre à mains nues. And as for loving him, yes I do And I do And I do.» Il finit sur les Ronettes, comme une sorte de Scorsese de la mémoire du rock. Ou mieux encore, comme un Diaghilev du Swingin’ London. Power rock littéraire.

    Pour terminer, voici une perle en forme de petit chef-d’œuvre de dérision wildienne : «Le book que vous lisez aurait pu être écrit voici 30 ans, mais il m’a fallu tout ce temps pour apprendre à taper sur un clavier, et j’ai surtout voulu être assez smart pour vouloir l’écrire moi-même.»

    Signé : Cazengler, dirty old man

    Andrew Loog Oldham. Stone Free. Because Entertainment, Inc. 2014

    James D. Cooper. Lambert And Stamp. DVD Sony 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - Lawrence d’Arabie

    (Part One)

     

    Se perdre dans le désert, c’est une façon de ne pas s’en lasser. C’est aussi la seule parole de sagesse qu’a su pondre l’avenir du rock au bout de plusieurs mois d’errance. Pour se distraire, il inverse les tendances. Plutôt que de voir cette épreuve comme une infortune, il la voit comme une traversée du désert. Il sait qu’on doit en faire au moins une, dans sa vie. Ça permet, énonce-t-il, de tirer des enseignements de son bilan, ou plutôt de faire le bilan de ses enseignements. Avec la chaleur, ça devient confus. Jouer avec les mots, c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour tromper sa soif. S’il n’y avait pas la soif, tout irait très bien. Il a retrouvé une taille de guêpe, il est obligé de tenir son pantalon en marchant. Il ne s’est jamais senti aussi léger. La barbe lui va bien, elle ragaillardit l’aventurier qui sommeillait en lui. Et puis ce bronzage ! Il se sent aussi beau qu’Alain Delon dans La Piscine. Dommage que Romi ne traîne pas dans le coin, elle lui aurait sauté dessus. Il voit déjà ses petites mains potelées caresser son abdomen. Ah les blondes en maillot de lycra noir ! Du coup, ça lui donne une petite érection. Plop ! Il éclate d’un grand rire incertain : «Tiens, ma bite pointe vers le Nord, comme au bon vieux temps !». Comme il n’a pas souvent l’occasion de rigoler, il en rajoute. Ha ha ha ! Ha ha ha ! Il est en plein ha ha ha lorsque paraît à l’horizon la silhouette d’un dromadaire. L’avenir du rock lui fait signe, Ouh ouh ! Ouh ouh ! Le dromadaire se rapproche. Il est tout seul. Il a l’air en pleine forme, comme tous les dromadaires errant dans le désert. Il porte une casquette avec une visière bleue. L’avenir du rock se présente :

    — Je suis l’avenir du rock, pour vous servir, cher drodro de Madère.

    — Oui je sais. J’ai croisé récemment Lawrence d’Arabie qui m’a dit que vous étiez complètement siphonné.

    — Va-t-il rapetisser parricide ?

    — Non, il est parti aquaquer Aqaba avec Jean-Claude Ouin-ouin !

    — Ben dis donc ! Ça craint pour le crin-crin !

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    Après avoir aquaqué Aqaba, Lawrence d’Arabie refait surface dans Uncut en petite tenue, mais aussi dans les bacs, avec un nouvel album, le supra-classieux Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping. Lawrence d’Arabie est aussi supra-classieux que Peter O’Toole. Sam Richards l’interviewe pour le compte d’Uncut. Lawrence d’Arabie était déjà là dans les années 80 avec Felt, et quand on lui demande la raison de sa longévité, il répond sans ambage : «A desire to be famous, really. A desire to taste the richness of fame. Gosh, can you imagine?». Et il continue d’imaginer : «Ne pas être obligé de prendre le métro, juste monter dans un avion. Puis être attendu par une big limo et ne pas avoir à monter dans le van avec tout l’équipement. Parce que je pense que j’ai quelque chose. Je le savais déjà quand j’étais petit et ça n’est jamais parti. J’ai écrit mon premier poème à 8 ans. J’ai toujours voulu faire un truc avec, mais je n’ai pas recherché le succès. Quand j’ai sorti mon premier single tiré à 500 ex, je savais qu’il n’irait pas dans les charts, je le voyais comme une étape. Je voulais évoluer dans l’underground. J’y suis encore.» Jolie profession de foi. Plus loin, il avoue qu’il n’a jamais cherché à forcer le passage : «I’ll keep my integrity intact.» Pas question de reformer Felt. So it’s a lonely road. Mais pour lui, that’s the good thing to do. Et quand on lui demande s’il compte écrire son autobio, il répond qu’il a reçu «a couple of offers, but what I don’t want to do is ‘Granddad worked down the mine’. That history of the family thing is so boring.» Il dit à l’éditeur qu’il a une idée : «It’s written as you don’t know wether it’s true or not», et il cite le Beneath The Underdog de Charlie Mingus : «He writes as three different Minguses, there’s three of them inside him. It’s the most brillant autobiography.» L’éditeur a dit : «Avez-vous d’autres idées ?». Et quand on lui demande s’il existe un album dont il ne se lasse pas, il répond The Psychomodo de Cockney Rebel - It’s travelled so well. It’s almost like glam Dylan.

    Glam Dylan ? Il ne croit pas si bien dire. Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping grouille de glam Dylan, tiens, par exemple ce «Relative Poverty» qui dégage des relents de «Bebop A Lula» et de Bowie. C’est brillant d’impétuosité. Glam Dylan aussi parce que tu as les lyrics et un poster entier couvert de commentaires. Au fil des cuts, tu t’émerveilles de voir à quel point Lawrence est un artiste complet, mais ça, tout le monde le sait. Il se marre bien avec son «Poundland» - Nothing costs a grand - Il termine sur l’everybody is happy in Poundland. Il enchaîne ce topic avec «Four White Men In A Black Car», un fast heavy kraut de Law, il swingue son four white men avec des retours de wild guitar. Lawrence n’est jamais en panne d’idées. Il passe au heavy stomp avec «I Wanna Murder You». Le pire, c’est que son stomp est bon, bien dans la ligne du parti. Le stomp est d’ailleurs l’une de ses vieilles spécialités. Lawrence est aussi un sacré farceur, comme le montre «Pink And The Purple» - Oh oh look at the purple/ Oh oh look at the pink - Il est fabuleusement Monty Python. Puis il s’en va faire du Burt avec «Flanca For Mr. Flowers», il y va à coups de take a look around, c’est là que se dessine le génie de Lawrence d’Arabie, il navigue exactement au même niveau d’excellence que Burt. Il sait aussi traiter le désespoir, comme le montre «Honey» - Honey say you love me - Il passe à la fast pop-punk avec «Record Store Day» - John Peel/ Mark E. Smith/ Rough Trade - Il salue toute la bande à Bonnot et termine cet album réjouissant avec un joli doublon, le cha cha cha de «Doin’ The Brickwall Crawl» et la fast pop de «Before And After The Barcode», il s’y montre atrocement punk de corps plié sous les coups.

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Mozart Estate. Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping. West Midland Records 2023

    Sam Richards : An audience with Lawrence. Uncut # 309 - February 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Ivey César !

             Tout le monde dans le quartier connaissait Yvon. Certains le surnommaient la limace.  D’autres l’appelaient Tartine, on se savait pas pourquoi. Dans les deux cas, on sentait de la moquerie. Rien de surprenant, car Yvon ne faisait rien pour améliorer son image. Été comme hiver, il portait le même pull bleu marine, le même pantalon de bleu de travail et des chaussures noires récupérées aux Emmaüs. Il avait la peau très mate, les cheveux noirs coupés court, avec une petite frange sur le front, et le regard très noir empreint d’une mélancolie qui semblait naturelle. Il ne souriait jamais. Il semblait avoir été frappé par le destin. Personne ne savait rien de son histoire. Il vivait seul dans l’un des immeubles de la barre, on ne savait pas précisément où. Il donnait des coups de main au gardien, à sortir les poubelles ou à ramasser les chiens et les chats crevés que les loubards du quartier avaient traînés derrière leurs mobylettes pour se distraire. Yvon allait les enterrer à la lisière du bois, de l’autre côté de la ligne du RER. Lorsqu’ils le voyaient faire, les loubards le suivaient avec leurs mobylettes, ram-papapam, et lui promettaient qu’un jour c’est lui qu’ils traîneraient derrière eux. Yvon haussait les épaules. Il savait qu’il ne risquait rien. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il tatouait tout le monde dans le quartier, y compris les loubards en mobylettes. Yvon avait installé son «salon» dans une cave et c’est là qu’il tatouait. Il demandait des clopes ou des packs de bière en échange, il n’avait pas besoin d’argent. Il demandait aussi qu’on lui amène les dessins, car il ne savait pas très bien dessiner et il ne voulait plus d’ennuis à cause des tatouages ratés. On l’avait souvent vu à une époque avec les deux yeux au beurre noir. Il tatouait bien sûr à l’ancienne. Il versait un peu d’encre de Chine dans une petite casserole toute cabossée et taillait avec son cran d’arrêt un bout de son talon pour le faire fondre dans l’encre. Il portait son mélange à ébullition au-dessus d’un petit réchaud de camping. Il attachait deux grandes aiguilles ensemble avec du fil de fer et tatouait à la lueur d’une mauvaise lampe de poche. Il tatouait d’une seule traite, parfois pendant plusieurs heures. Une fois terminé, il rinçait le tatouage à la bière et indiquait à son «client» qu’il aurait sans doute de la fièvre, dans les jours à venir. Il donnait la consigne de ne pas s’inquiéter et d’attendre que ça cicatrise. «Si t’as du pus sous la croûte, tu rinces à la bière.» Effectivement, il y avait du pus.

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             Pauvre Yvon. Il aurait sans doute préféré vivre la vie d’Ivey aux États-Unis et faire du funk, plutôt que de tatouer les loubards de banlieue. Mais bon, comme le dit si bien le proverbe, on a la vie qu’on mérite, alors n’allons pas nous plaindre.     

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             Pour une fois, ce n’est pas directement Kent/Ace qui nous ramène Chet Ivey dans le rond du projecteur. C’est leur filiale BGP (Beat Goes Public) et la compile s’appelle A Dose Of Soul. The Sylvia Funk Recordings 1971-1975. Elle vaut sacrément le déplacement. Dean Rudland commence par t’expliquer qu’il n’existe quasiment pas d’infos sur Chet Poison Ivey, mais il en brosse tout de même un beau portrait, le basant à Washington DC, faisait de lui «the embodiment of a journeyman musician», et son job consistait à jouer dans les clubs, bars and lounges, avec un répertoire de «dance crazes, rewrites of 1960s pop hits, James Brown-style funkers, Sigma Sound-produced disco grooves and the electro funk found on his final 12-inch singles.» C’est un vétéran de toutes les guerres du jazz, Al Sears, qui produit le premier single d’Ivey. Lorsqu’Al Sears s’en va bosser pour Ray Charles et son label Tangerine à Los Angeles, le pauvre Ivey se retrouve le bec dans l’eau. Sa carrière redémarre en 1972 avec «Funky Chit Chat», paru sur le Sylvia label d’Al Sears. C’est avec le beau funk essoufflé du Chit Chat que Rudland démarre sa compile. Ivey est rauque, donc pur. Son funk paraît poussif, mais Ivey pousse à la roue. Hélas, le single ne marche pas. Ivey s’en va enregistrer «Get Down On The Geater» et «Bad On Bad» chez Sigma Sound, à Philadelphie, et là, c’est une autre paire de manches - You know what ? - C’est drivé à ras des pâquerettes, au wild funk, retenu à l’arrière, that’s bad on bad, c’est l’apanage du groove génial immobilisé. Ivey attaque son Geater au scream. C’est un seigneur - People are you ready - Il shoote son r’n’b à l’efflanquée. Il en fait le r’n’b des enfers - Hey babe looka here - Il en perd le souffle. Rudland ajoute, histoire de bien nous faire baver, qu’il a casé «He Say She Say» sur sa compile The Mighty Superfunk qu’on va bien sûr aller écouter. Mais il en case aussi une version ici, «He Say She Say» est un fantastique shoot de heavy Chet. Il chante comme si sa vie en dépendait, aw yeah. Et puis tiens, voilà une reprise des Fiestas, «So Fine», avec son distinctive clipped guitar riff, encore un funk de rêve, plein de répercussions, so fine yeah, ça roule sur les boules, Ivey nous pond là un funky r’n’b assez lointain avec du son sous le boisseau. Encore un classic funk d’attaque frontale avec «Movin’». Rudland fait cette fois référence à Sly Stone, à cause des cuivres. Il ajoute qu’Ivey joue du sax sur «Don’t Ever Change», un instro ravageur. Tout est drivé serré sur cette compile, pas de gras. «Dose Of Soul» est aussi enregistré chez Sigma Sound, il harangue tout de suite, hey hey people ! Rudland indique que le single est sorti sur le label d’Estelle Axton, Fretone, à Memphis. S’ensuit un «Party People» en deux parties, hommage évident à James Brown. Ivey le groove à la sourde, yeah yeah, ahhh-ahhhh get me down/ let’s do some mo’ - Ivey te groove ça sec au hey hey ahhh-ahhh. Pas de problème. Et quand la diskö envahit les clubs, les artistes comme Chet Poison Ivey sont vite dégommés. Alors il prend un boulot pour vivre et meurt assez vieux.   

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             On retrouve le mystérieux Chet Ivey sur une compile superbe, Mighty Superfunk. Rare 45s And Undiscoverd Masters 1967-1978 (Volume 6). Il se planque en C avec «He Say She Say» qu’il chante à l’essoufflée pantelante. On profite du voyage pour faire d’autres découvertes, comme le veut le principe des compiles, par exemple Eleonor Rigby avec «Queen Of Losers», un hit rampant du siècle dernier. Ces mecs t’aplatissent, ‘cause I’m the queen of losers ! Belle rencontre aussi que celle de Kim Tamanga avec «Groovy Baby», très staxé, superbe présence, elle est par dessus les toits ! Gloria Lucas fait sa Diana Ross avec «One Sweet Song» et The Phillips Brothers développent un sens aigu de la traînasserie avec «Who Stole My Cookie». En ouverture de bal de C, tu vas tomber sur 87th Off Broadwway et «Moving Woman», un énorme groove urbain, non seulement énorme mais complètement dévastateur ! Marie Franklin opte pour le hard funk avec «Bad Bad Woman Pt1», elle est fantastique de check it out. Ça bouillonne dans les veines du hard funk ! En D, un certain Julio Zavalla rend hommage à James Brown avec un «Cold Sweat» bien senti. Il est dessus, au micron près.

    Signé : Cazengler, Chet en bois

    Chet Ivey. A Dose Of Soul. The Sylvia Funk Recordings 1971-1975. BGP Records 2017

    Mighty Superfunk. Rare 45s And Undiscoverd Masters 1967-1978 (Volume 6). BGP Records 2008

     

    *

    Jean-Louis Rancurel avait si bien parlé des Vautours dans le numéro 27 de Rockabilly Generation News que j’avais promis dans ma chronique (livraison 614 du 05 / 10 / 2023) un petit topo sur ce groupe.

    LES VAUTOURS

    Ange Beltran : batteur / Christian Bois : bassiste / Pierre Klein : guitare solo / Vic Laurens : chanteur, guitariste.  

    Proviennent de Créteil, aujourd’hui Montreuil s’enorgueillit, avec raison, d’être la première cité rock de France mais au début des années soixante ce rôle était dévolu à Créteil. Les Chaussettes Noires étaient de Créteil, or le monde du rock à cette époque étant très petit Tony d’Arpa des Chaussettes était le frère de Laurent d’Arpa d’où son nom de scène de Vic Laurens.

    Le groupe formé en 1961 autour de Vic Laurens ne durera pas éternellement puisque fin 1962 il n’existera plus.

    1961

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    La pochette avec son fond rouge et ses silhouettes découpées risque de décevoir les amateurs de belles couves elle s’inscrit (en moins bien certes)  dans la grande tradition des premiers EP  français de Little Richard et de Bill Haley. Dommage que l’on n’ait pas employé un ton franchement criard.

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    Vautours ; instrumental, une bonne basse, une guitare un peu maigriotte, une autre davantage costaude, l’on ne s’ennuie pas, loin de là, carré en diable, une batterie qui tient et soutient son monde regroupé, une belle entrée en matière.  Betty et Jenny : l’influence du grand Schmoll sur le vocal et des Chaussettes sur l’accompagnement est évidente, le morceau est une parfaite réussite. Coule comme du champagne dans votre coupe, les bulles pétillent et vous en reprendrez bien une longue goulée à même la bouteille. Tu me donnes : une reprise de Gene Vincent, une belle réussite, Vic Laurens imite encore un peu Eddy Mitchell, qui s’en plaindrait, habituons-nous à cette guitare un peu grêle, surtout que l’autre par-dessus est beaucoup plus mégaphonique. La meilleure adaptation que l’on pouvait trouver sur le marché en ces temps archaïques. Claudine : on échappe au pire, on évite le slow qui claudique comme une vieille bique, un texte bêbête, z’y mettent du cœur et vous débitent la chansonnette en colis postal express. L’on est tout de même content quand c’est fini.

    FX 451277 M

    Le groupe en train de jouer, de poser pour être plus précis, l’idée n’est guère originale, je ne sais pas qui a eu l’idée de ces espèces de banderoles, mais cela vous transforme la pochette en petit chef d’œuvre qui rend parfaitement l’ambiance délurée de ces premières french sixties.

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    Tu peins ton visage : cette version est loin de surpasser celle des Chats sauvages beaucoup plus tumultueuse, l’on a l’impression qu’à part la batterie qui accomplit un énorme boulot, le reste de la bande a du mal à trouver sa place et l’inspiration pour se glisser dans la ronde. Ne me dis pas non : cette fois tous ensemble, on en profite pour décerner un vautour d’or aux cris plus près des hurlements de peaux rouges que des hoquets rockab dont Vic Laurens aime à parsemer ces fins de couplets, sont au zénith de leurs possibilités, vous entraînent à toute vitesse et quand ils finissent on n’aime pas. Oncle John : il fut un temps où Long Tall Sally était considéré comme l’un des plus grands morceaux de rock, l’a disparu l’on ne sait pourquoi des mémoires, Vic n’est pas Little Richard mais il se colle aux instrus qui décollent et s’y accroche sans se laisser submerger par la rafale instrumentale. Permettez-moi : vous leur filez un slow ils vous le transforment en blues, non ce n’est pas B. B. King, mais ils s’en tirent bien, surtout la guitare gracile qui n’a jamais été aussi judicieusement utilisée dans les morceaux précédents.

    1962

    FX 45 1281 M

    Cette fois la photo est prise en plongée, le même style de chemises que sur la précédente, ils vous adressent de tels joyeux sourires que vous avez envie de leur sourire en retour. La photo est de Ferembach le photographe attitré des disques Festival. L’on reconnaît le style.

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    Run around Sue : une reprise de Dion et des Chaussettes Noires, le titre est donné en anglais mais la chanson est chantée en français, de beaux roulements de batterie, un sax qui s’en vient aboyer, des chœurs qui scandent à fond de train, le vocal de Vic qui survole, que voulez-vous de plus ? Rien ! Jacky qu’as-tu fait de moi ? : ne faites pas comme l’imbécile qui regarde le doigt qui lui montre la lune, Jacky n’est pas la cause de ce morceau mais la conséquence, le coupable est un être tordu, vous avez reconnu le twist cet ersatz du rock que les groupes français adoreront, pour une fois l’on avait un sujet d’actualité pour les paroles. Ici vous adorerez les cinq dernières secondes.  Good luck charm : s’en sort bien le Vic, l’a fait des progrès, sa voix s’est arrondit et il en joue, reprendre ces petits bijoux de grâce exquise dans lequel Elvis a excellé lorsqu’il s’est laissé manœuvrer par RCA est un jeu périlleux autant pour le chanteur que pour les musiciens. Réalisent l’exploit de ne pas nous décevoir. Le jour de l’amour : heureusement que le sax vient cacher le bêlement du ‘’ je t’aime’’ de Vic il recommencera plus loin (juste un peu, le morceau dure 2 minutes et des poussières ) à faire la même chèvre sur ‘’ même’’ on a de la chance le loup revient déguisé en saxophone il bouffe la bique, le morceau n’en est pas moins dans les choux.

    FX 45 1288 M

    Ligne claire serais-je tenté de dire. Etalez une série de pochettes De ces années folles, celle-ci vous fera l’effet d’une trouée lumineuse. Ferembach toujours derrière l’objectif, est-ce lui qui a eu l’idée de cet arrière-plan bariolé qui pousse à son maximum les banderoles du deuxième 45 tours ? J’aurais aimé connaître le nom du designer pour employer un terme inconnu à l’époque.

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    Ya Ya twist : la plupart des twists commencent doucement pour démarrer en trombe au bout de quelques instants, ici il batifole à petites foulées légères, une basse qui fait des pointes, nouveauté la présence de chœurs féminins qui adoucissent les angles et rafraîchissent l’atmosphère. Le rock s’adapte doucement mais sûrement. Mon amour est trop grand : pas du tout larmoyant, une trottinette électrique qui zigzague sur les trottoirs entre les passants, la voix de Vic volette au-dessus des fleurettes, adjonction d’un piano qui frétille, voici un amour malheureux qui rend heureux l’auditeur. Le chemin de la joie : rien qu’au titre l’on comprend que le disque a été conçu pour vous rendre heureux de vivre, tout en douceur et en mollesse, même une espèce d’orchestration genre générique de film à l’eau de rose, pourquoi les rockers arborent-ils une moue dégoûtée, parce que les Vautours ne plus puent du croupion ! Hé ! tu me plais : une interjection bien venue, hélas l’on continue à patauger dans le fadasse, gentillet, les chœurs féminins soutiennent Vic, les guitares en sourdine, le piano qui sourit de toutes ses dents. L’ensemble n’est pas à la hauteur de la pochette.

    FX 45 1298 M

    Une photo différente, normal elle n’est pas de Ferembach mais de Gardé. Changement de décor, en extérieur, en pleine nature, n’exagérons rien plutôt un parc municipal. Horreur, sur le disque précédent on a eu droit à un simili rock, sur cette pochette nos quatre garçons dans le vent sont tous fagotés dans un costume noir. Respectabilité oblige.

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    Le coup du charme : bis repetita… serait-ce un titre porteur, ou un signe annonceur de la prochaine fin des haricots ou Festival qui presse les ultimes gouttes du citron… à la réécoute le titre me semble un peu pâle… Laissez-nous twister : la voix devant et le reste derrière, on les entend sur le long pont, ni pire, ni meilleur que les centaines de twists qui régnèrent en maître, la formule tend à s’épuiser, sur le dernier couplet cette main tendue aux anciennes générations est bien opportuniste. Ma Petite Angèle : l’intro angélique n’est pas mal du tout, ensuite l’on patauge dans la choucroute, une guitare cristalline, des voix éthérées de jeunes filles, cette ange ne vole pas haut. Qui te le dira : serait temps qu’ils se réveillent, la batterie lance l’assaut, Vic mâche un peu trop les mots, il y a tout pour un bon rock mais il faudrait un combo un peu moins cantonné dans l’attendu et un chanteur doué d’un timbre moins primesautier.

    FX 45 1315 M

    Au dos de la pochette précédente ce n’étaient pas Les Vautours mais les Vautours avec Vic Laurens. Sachez apprécier ou regretter la différence sur celle-ci, c’est Vic Laurent en gros et Les Vautours en gris. Pire les Vautours sont relégués sur la face B. Sur la A Vic est accompagné par Alain Gate et son orchestre. Bien sûr il y a des violons sirupeux. Comme quoi les vautours qui viennent manger les cadavres ne sont pas toujours où on pense…

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    Be Bop Boogie Boy : un morceau de Gene Vincent, l’adieu au rock des Vautours, un piano rock, un sax rôdeur, un vrai solo de guitare, moins de deux minutes, on regrette qu’ils ne se soient pas étendus davantage. Dancing party : les vacances sont terminées, ils promettent de continuer la fête, mais ils y vont mollo sur le rythme, le cœur n’y est pas.

              Voilà c’est fini. Non pas tout à fait. Il reste un titre sur un 25 centimètres. Pour la petite et honteuse histoire ce titre est d’abord sorti sur le 30 cm FLD 278 intitulé Twist et Tango. Festival était spécialisé dans les exoticas, typicas musicas espagnolitas. Mettre deux titres ‘Twist’’ sur cette compilation aidait à vendre des rythmes dont la jeunesse d’alors se détournait. Je vous mets la pochette car le ski nautique au même titre que le golf miniature et le karting étaient deux activités, sportives ou récréatives dont les jeunes raffolaient. 

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    FLD 285 STANDARD

    TWIST AVEC LES VAUTOURS

    Notons que c’est l’unique pochette assez bien réussie selon mon goût douteux sur laquelle se détache un spécimen de l’oiseau qui a donné son nom au groupe. La photo de la pochette sur la pochette doit être de Ferembach et le montage au charognard de Holmes-Lebel.

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    Ya Ya Twist / De t’aimer de t’aimer / Le jour de l’amour / Mon amour est trop grand / Run around Sue / Le chemin de la joie / Hé ! Jacky qu’as-tu fais de moi / Hey Little Angel.

    De t’aimer de t’aimer : un twist idéal pour danser, la voix trop joyeuse, des chœurs qui servent la moutarde, la batterie qui s’adjuge la part du lion et les guitares à corps perdu, le titre est un peu neuneu, mais vous ne pourrez vous empêcher de l’aimer, de l’aimer.

             J’ai parfois été un peu sévère, pas vraiment injuste, ils ont essuyé les plâtres du rock français et cela est respectable. Très râlant de se dire qu’ils étaient comme une fleur équatoriale dont la graine aurait été transportée en Alaska. Ils ont fait ce qu’ils ont pu et ce que l’on a voulu qu’ils fassent. Notre rock national est né hors sol, il n’y avait pas de directeurs artistiques et d’ingénieurs du son, pas de terreau culturel musical sur lequel s’appuyer. Ont imité les disques qu’ils avaient en leur possession. Comme à l’école quand on copiait sur la copie du voisin sans comprendre un traître mot de ce qu’il voulait dire. Risible et édifiant, mais éloquemment hommagial de mettre le titre original en langue anglaise pour faire plus rock !

             Si j’ai un conseil à vous donner c’est de vous procurer l’Intégrale de Magic Records mais de ne pas faire comme moi à écouter tous les titres à la suite, deux ou trois en même temps et laissez reposer avant de reprendre, ils se sont améliorés sur ces deux années mais ils n’ont pas significativement progressé, ne sont pas parvenus à bâtir une vision-rock de leur entreprise qui leur aurait permis d’évoluer. Ce n’est pas pour rien si cette première flambée rock - elle fut dévastatrice si l’on pense à tous les artistes installés et consacrés qui furent refoulés par cette première vague arrogante du jour au lendemain dans des oubliettes dont ils ne ressortirent jamais– ne dura guère. L’énergie initiale ne persista point, faute de matériaux propres les groupes ne bâtirent rien. Ne les oublions pas. Ce serait les tuer une deuxième fois.

    Damie Chad.

     

    *

    Inutile de résister à la nostalgie des époques résolues, voici donc :

     

    LES FANTÔMES

    Dean Noton : guitare lead /  Dany Maranne : basse / Jacky Pasut : guitare rythmique / Charles Benaroch : batterie /

    Z’ont du culot, sur tous leurs disques ils font suivre leurs noms de la mention : et leurs ‘’ Big Sound’’ guitares, ils ont raison comparez par exemple avec la mention ‘’ guitare aigrelette’’ avec laquelle je qualifie dans la chronique précédente le son des Vautours, les Fantômes sonnent électrique. Sont pris en main par les disques Vogue, maison de disques qui vient de perdre, au profit de Phillips, Johnny Hallyday.

    1962

    EPL 7918

    Pour cette première pochette je vous laisse chercher l’anomalie. Une activité qui fleure bon les années soixante, fallait découvrir les trucs bizarres dans les vitrines des commerçants, pour recevoir un cadeau. Mon aveu me coûte : je n’ai jamais rien gagné.

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    Le diable en personne : ne se refusent rien, attaquent bille en tête avec une version d’un des deux grands classiques du rock anglais, le Shakin’ All over de Johnny Kidd, Dany est au vocal, pose sa voix sans essayer de prendre des inflexions à l’américaine, derrière lui l’accompagnement est au plus près une superbe réussite. Un détail capital qui ne trompe pas Tony Marlow reprendra cette version française sur les deux disques qu’il a consacrés à Johnny Kidd et ses Pirates. Golden earrings : instrumental, Danny Maranne ayant signé un contrat en tant que chanteur avec les disques Barclay, les Fantômes continueront avec lui, se présentant comme un groupe instrumental, une reprise des Hunters groupe anglais émule des Shadows, en offrent une version plus policée que leurs homologues britanniques qui passent en force. Fort Chabrol : avec un tel titre l’on s’attend à une tuerie - l’est coécrit par Dean Noton, sera pendant de nombreuses années guitariste d’Eddy Mitchell,  et Jacques Dutronc, notons que si Dutronc fut le guitariste d’El Toro et Les Cyclones, Charles Benaroch est l’ancien batteur des Cyclones – l’on a droit à une belle ballade des plus harmonieuses, Françoise Hardy la reprendra sous le titre Le temps des Copains, certes l’on aurait préféré un envol tumultueux, mais faute de grive l’on mange des merles et tout compte-fait ce n’est pas mauvais. C’est même bon. Original twist : deuxième composition Noton-Dutronc, en quoi ce twist est-il original se demandera le lecteur curieux, parce qu’il évite la tarte à la crème des riffs à grosses cordes remplacés par de légers et subtils doigtés de guitares sans parler des effleurements battériaux des plus voluptueux.

    EPL 7945

    Belle pochette, seriez-vous aussi perspicace que moi, sans vous faire languir j’attire sur votre attention sur le fait que tout comme sur le disque précédent, le batteur n’est pas sur la couve. Je ne suis pas cruel, deuxième chance : au dos de la pochette il est affirmé que parmi nos quatre fantômes se cachent un véritable fantôme écossais. Cherchez l’intru !

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    Shazam : crédité à un certain Eddy ( Mitchell  ). Une intro magique, y a de temps en temps quelques brefs passages qui fleurent la facilité, toutefois une brillante démonstration de ce que le groupe peut faire. Pas de problème, la solution c’est qu’ils peuvent tout. Cafard : composition de Dany Maranne. Comme par hasard la basse pleure à grosses larmes, ce n’est pas un blues, mais c’est triste, non pas comme la mort mais comme la vie. Les fantômes se débrouillent pour avoir une petite idée originale ou un gimmick de génie pour chacun de leurs titres. Train fantôme : attribué à Thomas Davidson, inutile de feuilleter votre Encyclopédie du rock en soixante-quatre volumes, vous le connaissez c’est le véritable nom du fantôme écossais Dean Noton qui nous vient comme il se doit d’Ecosse. Ferait un parfait générique pour un superbe film empli à ras-bord de fantômes.  De temps en temps vous avez des traces d’Apache des Shadows, pensez à Geronimo et vous serez heureux. S’-inspirent mais ne copient pas. Méfie-toi : faut toujours se méfier, je n’aurais jamais imputé ce titre triste comme un jour sans cigare à Dutronc. Entre noux, un peu faiblard et un peu facile. N’ont pas forcé leur talent. Trop attendu, même pas peur.

    EPL 7965

    Sont bien quatre sur la pochette ! Par contre ce vert glabre en fond de pochette, ce n’est pas la fête. Pour une fois ils ne sourient pas, ont l’air de s’interroger sur la manière de jouer. Sont sérieux. Est-ce pour cela qu’ils ont rajouté ‘’ Twist’’ et ‘’ Special danse’’. Quatre nuances de twist : successivement : twist, madison twist, marche twist, slowtwist !

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    Twist 33 : pourquoi 33, nous sommes sur un 45 tours ! un twist comme tous les autres twists mais joué sans effet-bœuf, un beau solo de Benaroch au milieu juste pour avertir les esprits distraits, écoutez les gars on sait jouer, des guitares sans emphase mais pile-poil, elles ne grattent pas les oreilles, elles ne font que passer, dans leur rapidité elles vous séduisent mais disparaissent si vite que vous les regrettez aussitôt qu’elles s’éloignent. Pour le 33 j’ai  une semi-réponse à intervalles réguliers une voix énonce 33. Walk don’t run : enfin un madison qui n’est pas pour les handicapés, z’avez intérêt à ne pas vous emmêler les chaussures orthopédiques si vous désirez suivre le quadrillage masidonien, une guitare hors-bord vole au-dessus de l’eau, Benaroch devrait s’appeler Benarock. Marche twist : ce n’est pas le blue- rondo à la turk mais ça défile rondement, sur la fin le morceau ils se libèrent des entraves rythmiques et la guitare nous fait le vol du papillon qui déclenche une catastrophe dans vos oreilles à l’autre bout du monde. Je ne veux pas t’aimer : Clopin-galopant, je vous mets au défi de danser un slow sur ce rythme, pour les étreintes langoureuses vous repasserez, en toute logique puisqu’ils ne veulent pas l’aimer. Le premier et le troisième titre sont des compos du groupe.

    EPL 8013

    La grosse caisse au premier plan, les Fender derrière, sont alignés comme des représentants de commerce, impeccablement serrés dans leurs costumes sombres.

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    Watch your step : un twist parfait pour de petits rats d’opéras affolés en tutus roses qui courent partout sur leurs pointes, étrange ils parviennent à ne pas rendre le twist ennuyant. Un beau chassé-croisé de guitares. Si vous jouez à chat, croyez-vous que vous réussirez à les rattraper. No man’s land : drôle de titre pour un slow, ce coup-ci, ils nous le font à la besame mucho, c’est beau, c’est lent, n’exagérons bien, ils s’appliquent comme des forts en math qui résolvent une équation, c’est parfait pour ennuyer les rockers. The mexican : pourvu que ce ne soit pas de l’exotico de pacotille, notre souhait est réalisé mais c’est pour les scènes d’amour dans un western mexicain, à la fin ils sortent leurs guitares comme s’ils dégainaient un colt, hélass aucun yankee ne se précite sous les balles. Manque un peu d’hémoglobine. Mustang : il suffisait d’attendre, la charge indienne fonce sur vous et la vie se teinte de toutes les couleurs, un petit parfum Apache, normal c’est aussi composé par Jerry Lordan, reprennent la version des Shadows mais se permettent une petite ruse de peaux-rouges sur le sentier de la guerre, ils ne copient pas, ils ne s’inspirent plus, ils innovent.   

    V 45 986

    Jamin’ the twist : Part 1 : morceau de Dean  Noton, puisqu’ils disent que c’est un twist on les croit, plutôt un morceau hors-norme où ils se laissent la bride sur le cou, c’est fabuleux à entendre, se donnent à fond, sont loin des cadresors, un morceau pour les juke-boxes, Fantômes en liberté. Jamin’ the twist : part 2 : quand c’est fini on recommence, on eût aimé que Vogue ait eu l’audace de leur filer non pas l’espace d’un 45 tours deux titres mais les deux faces d’un trente centimètres.

    L’année 62 s’achève : sortiront encore une ribambelle de 45 Tours deux titres pour les Juke-boxes déjà parus et un 33 tours :

    LD 580

    TÊTE-A-TÊTE AVEC LES FANTÖMES

    Une photo désastreuse : sont alignés comme des boites de petits pois sur l’étagère d’une épicerie.

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    La Schlap / Je ne veux pas t’aimer / Walk don’t run / Cafard / Marche twist / Train fantôme / Shazam / Shazam / Méfie-toi / Golden earrings / Fort Chabrol.

    La schlap : dire qu’à l’époque fallait racheter ce 25 centimètres pour ce seul morceau qui ne figurait pas sur les 45 tours. Un de leurs meilleurs titres, une autoroute sans limitation de vitesse pour Benaroch !

    1963

    EPL 8055

    Un peu ridicules, en rang d’oignons dans leurs costumes marron et leur nœuds papillons noirs. Quel manque criant d’imagination !

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    Archimède : un grand esprit dans une conversation change la donne, n’ont jamais sonné ainsi nos Fantômes préférés, en font peut-être un peu trop pour que l’on ne s’ennuie pas, démonstration réussie, l’originalité déconcerte mais finit par l’emporter. C’est un principe. Reflexion : devaient être dans une période d’incubation intellectuelle, c’est que l’on doit appeler de la science molle, un slow escargot, la compo est de Dean Noton. Suis sûr que votre cavalière a dû s’ennuyer. Nous aussi. Le grand départ : ils ont bien fait de partir, chaque fois que Dany écrit une compo il pose sa basse au premier plan du début à la fin, alors les copains sont bien obligés de se pousser dans leurs derniers retranchements pour se faire entendre. Résultat, sans être grandiose, ce n’est pas mal du tout. Lover’s guitar : en traduction éloignée ils l’ont surnommée : Je t’aime tant. La guitare se la joue à l’italienne, gaie et entraînante, pas très finaude… par contre les dernières vingt secondes exigent une écoute attentionnée. L’on retrouve parmi les signataires du morceau la ravissante Eileen qui enregistra Love is strange avec Mickey Baker.

             Zut Pasut est parti à l’armée il est remplacé à la rythmique par Jean-Claude Chane ancien chanteur des Champions. L’armée et la guerre d’Algérie ont été deux grands facteurs de destruction des groupes rock de la première génération… Re-zut, Pasut finira cadre-sup chez Total !

    EPL 8075

    Fond gris pour la pochette qui offre leur plus grand succès.

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    Loop de loop : j’en avais gardé un autre souvenir, magnifié par la beauté sonore du titre, ils cherchent à se renouveler, une démarche similaire à celle des Vautours, introduction de chœurs féminins et masculins qui occultent par leurs incessantes jacasseries les guitares.  L’on entend très distinctement les filles articuler Yé-Yé-Yé. Décevant. Pas raté, loopé. Marche des aigles : batterie et guitare cristalline, z’ont attrapé le son des Vautours. Un plom-plom de basse, l’on pense que c’est terminé mais non, nous n’en sommes qu’à la moitié. Ce n’est pas qu’ils se cherchent, c’est qu’ils ne se trouvent pas. Partisans : sont allés jusqu’en Russie ce qui nous vaut un morceau tonique, drivé par une batterie folle, sur laquelle les guitares brodent à satiété. Une réussite. Bastic : Dean se rattrape de sa Marche des aigles qui volaient trop bas, dans la continuité du précédent, tambours en avant-garde, cordes lugubres, de temps en temps graciles, juste ce qu’il faut pour rehausser la profondeur nocturne de l’atmosphère.

    EPL 8105

    Une pochette qui tranche sur toutes les autres, pleines têtes, préfiguration ou influence des premiers 45 tours français des Beatles…

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    Hully bach : la connexion via Eileen avec Mickey Baker n’était pas due au hasard, voici une reprise du Maître. Les Fantômes tels qu’on les aime, très électrique avec de chœurs qui ont quitté l’air nounouille qu’ils avaient sur Loop de Loop. Moulin Rouge : typically french, un sous-entendu de valse, les guitares flottent dessus comme des cigognes qui bâtissent leurs nids sur les cheminées. Que ton cœur me soit fidèle : un titre de Barbara Lynn, chanteuse et guitariste américaine. Introduction d’un orgue et de chœurs féminins qui accaparent toute la place et changent totalement le son de notre quatuor. Tolhrac : ne me demandez pas ce que signifie, pour ce titre il faut remplacer leur ‘’ big sound’’ guitare par ‘’enormous sound drummin’’. Explosif ! Un des meilleurs titres du groupe. Benaroch éblouissant.

    LD 61 130

    LES FANTÔMES

    Une pochette sympathique bien supérieure à leur premier 25 cm.

    Loop de loop / Black bird / Marche des aigles / Moulin Rouge / Que ton cœur me soit fidèle / Partisans / Summertime / Tolhac / Archimède / Bastic.

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    Black bird : une sucette à la fraise, toute douce, toute sucrée, parfaite pour un slow d’été, vous l’écoutez une fois et vous l’oubliez, des chœurs en pagaille, mais ce qui manque en fait c’est un chanteur pour faire passer la pilule. Summertime : dommage qu’il y ait ces chœurs qui n’apportent rien, les guitares dramatisent, la basse enfunèbre, la batterie imperturbablise. Une belle version tout de même.

    1964

    EPL 8205

    Belle couve d’André Nisak, trois guitares pour quatre garçons. Dans la continuité du 45 tours précédents.

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    Les yeux noirs : attention cette vieille romance tsigane a été magnifiée par Django Reinhardt, l’existe une vidéo sur YT, au bord de la mer, où nos boys fantomatiques l’interprètent à toute vitesse, pas fous qui oserait rivaliser avec les nuances de Django, ces yeux noirs pétillent de malice et ne sont voilés d’aucune nostalgie. Caravane : ne doutent de rien, après Django, Ellington ? La vérité c’es que depuis quelques mois ils se sentent à l’étroit dans cette formule instrumentale… Cet EP sera le dernier disque des Fantômes… Ne vous la ménagent pas cette vieille caravane, l’ont attelée et elle cahote méchamment sur une route non goudronnée, Michel Gaucher (Chaussettes Noires puis Eddy Mitchell ) est venu avec son saxophone, l’est capable de faire à lui tout seul autant de bruit que la section cuivrée de l’orchestre du Duke.  Elle est bien bonne : guitares bruyantes et rires caverneux, même pas une minute trente, plutôt un gimmick qu’un morceau. S’écoute avec plaisir.

    Stone city : dernier titre, le rideau tombe, la nostalgie nous étreint déjà…

     

    Dean Noton a disparu en 2020. Dany Maranne rattrapé par son passé de mauvais garçon sera abattu de sept balles devant chez lui à Alfortville, le 16 juin 1988… Le 16 décembre 2006 les Fantômes organiseront en hommage à Danny Marranne un ultime concert à Alfortville.

    Les Fantômes furent et de loin le meilleur groupe de rock instrumental français. Ils accompagnèrent beaucoup d’artistes et notamment Gene Vincent.

    Nous croyions être désormais tranquille mais :

    2022

    ANTHOLOGIE

    LES FANTÖMES

    ( Williamsong Music )

    Fort Chabrol / Walk don’t run / Loop de loop / Bastic / Hully Batch / Tolhrac / Cafard / Les Yeux noirs + 7 inédits

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    No Stalgie : ( Charles Benarrach ) :bien sûr c’est nostalgique en diable, en plus cela dure presque quatre minutes, le temps de pleurer dans son mouchoir et de se demander si ces bandes retrouvées par Pasut et Benaroch remises en état par Joël Atlan n’ont pas été rallongées pour les besoins de la cause. Alabama song : ( Gérard Kawczynski ) : rien à voir avec les Doors, l’auteur du titre était-il présent le jour de l’enregistrement, le son ne correspond pas vraiment à celui des Fantômes. Le jeu de guitare me semble plus moderne. Agréable. Blue Sky : ( Gérard Kawczynski ) : même son et même tempo que No Stalgie. Trop long, trop différent. Twist 33 : ( Pasut – Marranne ) : n’a pas le brillant de l’original, manque de peps, et les soli de la guitare ne sont pas identiques. J’ai eu trente ans : ( Gérard Kawczynski / Maxime Le Forestier ) : ça pue la chansonnette, un son bien trop moderne, chronologiquement ça ne tient pas la route. Speedy : ( Gérard Kawczynski ) : dans la facture, ce morceau est celui qui se rapproche le plus des Fantômes, mais le son de la guitare et la manière d’en jouer ne correspondent pas. Marie Claire : ( Jean-Claude Shane ) : l’a une belle voix Jacky Shane, se remémore les belles virées sur la vieille Vespa vieux scooter de ses vingt ans, ce n’est pas mal mais rien dans l’orchestration ne rappelle Les Fantômes.

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             Sur une vidéo YT de Music TV Box le producteur Hervé Williamson - il a notamment produit Les Socquettes Blanches - nous révèle la clé du mystère, ce sont des bandes enregistrées par les Fantômes en 1984, ce qui explique la sonorité très moderne. Davantage que des inédits ce sont donc des documents qui possèdent une certaine authenticité mais qui n’ont plus trop rien à voir avec les années soixante…

             Dernières curiosités : un scopitone Loop de Loop les Fantômes qui n’est pas un chef-d’œuvre impérissable du cinéma… Beaucoup plus intéressant un extrait d’une émission de variété, on les voit interpréter Walk don’t run.

               Comme dans les tire-lires il reste toujours deux ou trois pièces qui ne veulent pas sortir, il reste encore quelques pépites fantomatiques pour une prochaine chronique.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 615 : KR'TNT 615 : CYNTHIA WEIL /MUDDY GORDY / CHUCK BERRY / LUKE HAINES / WILLIE TEE / TORONTO ROCK'N'ROLL FESTIVAL / HERETOIR / THE CASTELLOWS / LIPSTICK VIBRATORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 615

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 10 / 2023

     

    CYNTHIA WEIL / MUDDY GURDY / CHUCK BERRY

      LUKE HAINES / WILLIE TEE

    TORONTO ROCK ‘N’ ROLL FESTIVAL

    HERETOIR / THE CASTELLOWS

    LIPSTICK VIBRATORS

                                                                                                                                                                                                                                               

    Sur ce site : livraisons 318 – 615

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    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Weil que Weil

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             Goffin & King, Barry & Greenwich, et Mann & Weil furent les trois dream teams de choc du Brill, en tous les cas les plus connus. Ils sont entrés dans la légende du rock avec un tas de hits intemporels, certains co-écrits avec Totor qui n’était pas manchot quand il s’agissait de créer de la magie. «River Deep Mountain High» reste le meilleur exemple de collaboration entre Totor et Ellie Greenwich. Disons que les hits composés par Ellie Greenwich étaient les plus évidents. Ceux composé par le team Mann & Weil étaient beaucoup plus sophistiqués. Étant donné que Cynthia Weil vient de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage avec, comme d’usage, les moyens du bord, c’est-à-dire deux bonnes vieilles compiles Ace.

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             La première s’appelle Glitter And Gold (Words And Music By Barry Mann And Cynthia Weil). Elle date de 2009. Treize ans déjà ! Chaque mois, dans Record Collector, la page de pub d’Ali Bab-Ace annonce les nouveautés et on saute systématiquement sur toutes ces compiles. C’est même une ligne de budget prioritaire. Ace d’abord, pour le reste on verra.

             Mick Patrick signe les liners de ce premier tome. On apprend qu’avant de collaborer avec Barry Mann, Cynthia bossait avec Carole King, à la demande de Don Kirshner. Puis comme elle avait flashé sur Barry qu’elle trouvait mignon (cute), elle a réussi à l’approcher pour bosser avec lui et pouf, ils se sont mariés dans la foulée. Mick Patrick dit qu’ils sont restés toute leur vie ensemble, avec, comme le font les gens intelligents, des coupures pour aller respirer un autre air. Changer de crémerie, comme on dit. Barry composait la musique et Cynthia écrivait les paroles. Voilà ce qu’on appelle un dream team. À la ville comme à la scène. Tous les ceusses qui ont vécu l’expérience du dream team dans le business créatif savent à quel point c’est une expérience irremplaçable. Monter une boîte avec une âme sœur et en vivre grassement, c’est l’expérience ultime. Après, c’est très compliqué de vivre des relations sentimentales classiques. On s’y ennuie comme un rat mort. Dans leur grande majorité, les gens n’ont aucune idée de ce qu’est une conduite de projet. Un projet est à l’image de la vie : ça se conçoit, dans l’optique d’un développement et accessoirement d’une réussite. Et c’est généralement beaucoup moins compliqué qu’on ne l’imagine. Bien sûr, il faut quelques dispositions on va dire culturelles, et une certaine vision des choses, qui inclut bien sûr un goût du risque. Il faut surtout éviter de vouloir gérer. Le rationalisme économique et l’élan créatif n’ont jamais fait bon ménage. Chacun sait qu’un bon gestionnaire peut être le pire des beaufs. Le beauf tue tout dans l’œuf. Dès qu’un mec commence à te parler de tableaux Excel, il faut se méfier.

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             Le premier gros hit de Mann & Weil est l’«On Broadway» des Drifters. À la place d’«On Broadway», on peut entendre «In The Park» sur cette compile et constater une fois encore que les Drifters chantent comme des dieux. Cynthia et Barry considèrent Don Kirshner comme leur père, même s’il n’est pas beaucoup plus vieux qu’eux. En 1964, Donnie revend sa boîte Aldon à Screen Gems-Columbia et il quitte le Brill pour s’installer dans les luxueux locaux de Columbia.

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    Ça casse un peu leur relation, mais bon, ils continuent de composer et boom, ils collaborent avec Totor et pondent le «Walking In The Rain» pour les Ronettes, et l’inexorable «You’ve Lost That Loving Feeling» pour les Righteous Brothers. C’est là que Cynthia et Barry entrent dans la légende, par la grande porte. Bien sûr, ces deux hits ne sont pas sur cette compile. Mick Patrick a préféré choisir «See That Girl», qu’il qualifie d’hidden gem. Cynthia et Barry composent aussi «Kicks» et «Hungry» pour Paul Revere & The Raiders. «Hungry» est là, extrêmement sophistiqué, et c’est Del Shannon qui tape le «Kicks» avec du power à revendre. Autre hit considérable, «I Just Can’t Help Believing» pour B.J. Thomas, le chouchou de Chips. Il fait du Fred Neil, quel fantastique chanteur ! Le premier coup de génie de la compile, c’est Bill Medley avec «Brown Eyed Woman», il a le power du diable, le même genre de power que Lanegan, il va loin dans les profondeurs, et il a des chœurs de cathédrale. Barry Mann reprendra «Brown Eyed Woman» sur Barry Mann, l’un de ses albums solo. Deuxième coup de génie avec Bruce & Terry et «Girl It’s Happening Right Now» : c’est l’apothéose de Bruce Johnston, futur Beach Boy, et de Terry Melcher, le producteur des early Byrds.

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    Le Patrick en profite pour nous rappeler que ce génie purulent de Bruce Johnston a produit l’album Survivor de Barry Mann, paru sur le label Equinox de Terry Melcher. N’en jetez plus, monsieur Patrick, la coupe est pleine ! Coup de génie encore avec The 2 Of Clubs et «Let Me Walk With You», deux filles magiques de Cincinnati qui ont beaucoup de goût (great taste) et qui font un festival. Et puis bien sûr Dion avec «Make The Woman Love Me», produit par Totor, pour bien enfoncer le clou. Le Patrick va même jusqu’à dire que Born To Be With You, dont est tirée cette merveille, is one of the best albums ever made. Ça n’engage que lui, mais il n’a pas tout à fait tort. On trouve aussi la grande Joanie Sommers avec un «I’d Be So Good For You» magnifique de sucre suprême. Elle reste l’une des reines des Sixties.

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    Magie pure encore avec Arthur Alexander et ««Where Have You Been (All My Life)», et surtout les Cinderellas et un «Please Don’t Wake Me», très Spectorish. Les Cinderellas sont aussi les Cookies, avec Margaret Ross on lead, à la place d’Earl-Jean McCrea. Ah les Tokens ! Toujours intéressants, même si «It’s A Happening World» est un peu poppy poppah. Petite révélation avec le «Chico’s Girl» des Girls, un girl-group dans la veine des Shangri-Las. Ces sales petites chipies tapent dans l’écho du temps, le temps de deux singles et puis s’en vont. Ambiance à la Righteous Brothers pour le «Magic Town» des Vogues. Donna Lauren bénéficie d’un petit Wall Of Sound pour «That’s The Boy». Elle est blanche mais elle sonne comme les Ronettes. Le Patrick indique que ce «Magic Town» est resté inédit et qu’il en existe une version par Lesley Gore. Pour «The Coldest Night Of The Year», Nino tempo et April Stevens y vont au beau chant du cygne. Sylvia Shemwell prend le lead des Sweet Inspirations sur «It’s Not Easy». Il injecte tout le gospel d’église en bois dont elle est capable. 

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             Sur la pochette de Born To Be Together - The Songs Of Barry Mann & Cynthia Weil, Cynthia et Barry forment un joli couple. Leur musique est à leur image, the Dream Team Sound. «Barry Mann and Cynthia Weil are songwriting royalty», nous dit Mick Patrick. Ils sont en effet servis par les plus grands interprètes de leur temps. Ceux qu’on épingle en premier sont Clyde McPhatter et Bobby Hebb.

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    Ce géant qu’est McPhatter descend comme une ombre sur l’«On Broadway». On se régale de sa fantastique présence vocale, de son timbre profond et tranchant. Bobby Hebb est l’un des rois du groove comme le montre «Good Good Lovin’». Fabuleux crooner de baby d’all I need. Ce sont les Ronettes qui ouvrent le bal avec le morceau titre. Magie d’époque. Ce «Born To Be Together» est beaucoup plus sophistiqué que «Be My Baby». S’ensuit l’«Angelica» de Scott Walker. C’est digne de Burt : puissant et raffiné.

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    Ace a la main lourde cette fois : voilà «You’ve Lost That Loving Feeling» des Righteous Brothers, le hit parfait et même définitif. Merci Totor. Merci Barry. Merci Cynthia. Absolue perfection de la pop de Brill. Le Patrick nous en conte la genèse : Barry et Cynthia viennent à Los Angeles pour bosser avec Brian Wilson, mais ils commencent à bosser ensemble dans leur chambre d’hôtel, inspirés par l’«I Need Your Loving» des Four Tops. Barry pond l’intro, «You never close your eyes anymore when I kiss your lips» et le premier couplet. Une heure plus tard, il a deux couplets et un titre provisoire, «You’ve Lost That Loving Feeling», qu’il compte remplacer plus tard. Le lendemain, ils vont chez Totor pour compléter la compo. Totor pianote une idée de pont sur le lick d’«Hang On Sloopy», et Cynthia miaule : «Baby I get down on my knees for you !». Ils ont le hit ! Quelques jours plus tard, Barry et Totor chantent la compo aux Righteous Brothers qui restent de marbre. Bill Medley dit : «Sounds good», et ajoute «for the Everly Brothers.» Totor leur demande d’essayer. Il dit à Bill de chanter le couplet et à Bobby Hatfield d’entrer dans le refrain. Bobby n’est pas content. Il ronchonne : «Qu’est-ce que je fais pendant que le big guy chante ?», et Totor lui balance : «You can go to the bank !». Quelques semaines plus tard, Totor a fini d’enregistrer le hit et il le fait écouter à Barry qui gueule : «Phil, you’ve got it on the wrong speed !». Bobby l’avait composé three ticks faster and a tone and a half higher. Of course, Totor savait ce qu’il faisait. Méchante histoire ! Mick Patrick conclut en indiquant que «You’ve Lost That Loving Feeling» a été le hit le plus diffusé du XXe siècle. Il ajoute que Barry et Cynthia n’ont par contre jamais composé avec Brian Wilson.  

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             On reste dans les monstres sacrés avec Dusty chérie et «I Wanna Make You Happy». elle se faufile dans la pop de Soul, elle s’adapte bien à la sophistication du couple. Nouveau coup de tonnerre avec les Animals et «We’ve Gotta Get Out Of This Place», emmené par un beau drive de Chas. Eric Burdon t’explose vite la carlingue du Gotta. Pur genius de Max la menace. On salue bien bas cette merveilleuse combinaison : Newcastle cats + Brill. Panache & power. Par contre, Barry et Cynthia détestent la version des Animals. Ils avaient composé «We’ve Gotta Get Out Of This Place» pour les Righteous Brothers, mais Barry avait montré la compo à Allen Klein qui l’a aussitôt refilée à Mickie Mort, le producteur des Animals. Barry et Cynthia étaient furieux, car Mickie Most avait charclé la moitié des textes pour en faire autre chose. Barry a réussi à enregistrer la bonne version en l’an 2000 sur son album Soul & Inspiration.

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             D’autres épouvantables merveilles arrivent à la suite : B.J. Thomas et «Rock And Roll Lullaby». Ces compiles soignées permettent de revisiter une partie de l’histoire du rock moderne à travers un choix d’interprètes somptueux. B.J. est un fabuleux crooner d’espérance, il chante de toute son âme. Pire encore : Carmen McRae With The Dixie Flyers et «Just A Little Lovin’ (Early In The Mornin’)». On se retrouve au plafond de l’étage supérieur du rock américain. Cet album fait dans doute partie des plus beaux albums de rock de tous les temps, tous mots bien pesés. Dikinson nous expliquait que Carmen avait accepté de faire un disque pop. Cette diva du jazz te déplace des montagnes, elle te balance le Little Lovin’ par-dessus les toits. Même si c’est violonné à outrance, on entend le beurre sec de Sammy Creason et le bassmatic demented de Tommy McClure, sans oublier les nappes d’orgue de Dickinson. Carmen tape dans le sommet du jazz de pop. C’est à Bill Medley qu’échoit l’honneur de refermer la marche avec «This Is A Love Song». Righteous Bill est le roi du baryton. Il sculpte le son comme Rodin l’argile. Il fait monter sa purée jusqu’en haut de l’Ararat où l’attend Moïse éberlué par le spectacle. Bill est une machine, il a dix bombes atomiques dans la poitrine, il tartine toute la pop à coups de pâté de foi, c’est un vrai charcutier, il travaille sa saucisse à pleines mains, il a vraiment des gros doigts. Vazy Bill !

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    On s’intéresse encore de près à Len Barry avec «You Baby». Ce mec est bon, même s’il est blanc. Belle pression pop. Classic New York stuff avec les Crystals et «Uptown», pur juju de silver sixties avec les castagnettes de Totor. Une belle transe d’exotica avec Rubi & The Romantics et «We’ll Love Again». Les alizés te caressent les cheveux alors que tu sirotes ton mojito. Attention à Doris Day avec «Love Him» : la mère de Terry Melcher vibre de toute sa glotte hollywoodienne. Elle a de la grâce et s’en va feuler au paradis. On croise aussi les pre-fame Slade managés par Chas, avec une version de «Shape Of Things To Come». Noddy Holder ramène tout le gras des Midlands dans la perfection pop de Mann & Weil. Tu croises aussi les Monkees avec «Love Is Only Sleeping», pur jus de Monkees, mais ce n’est pas aussi magistral que les compos de Boyce & Hart. Mama Cass Elliot a des chevaux sous le capot, comme le montre «New World Coming», mais aussi de la délicatesse. Par contre, Mariane Faithfull plonge son «Something Better» dans une belle désaille. C’est très spécial. On sent la vieille Anglaise merveilleusement anticonformiste.

    Singé : Cazengler, Weil peau

    Cynthia Weil. Disparue le 1er juin 2023

    Glitter And Gold (Words And Music By Barry Mann And Cynthia Weil). Ace Records 2009

    Born To Be Together. The Songs Of Barry Mann & Cynthia Weil. Ace Records 2013

     

     

    Muddy Gurdy manne

     - Part Two

     

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             Toujours une sorte de joie dionysiaque que de retrouver Muddy Gurdy sur scène. Tia te tient par la barbichette, avec sa sulfureuse mixture de North Mississippi Hill Country Blues, de vielle moyen-âgeuse, de boogie des champs de Millet, de vierges noires, de chants de laboureurs et bourrées auvergnates.

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    Elle propose tout simplement un art unique au monde, mais visiblement ça n’intéresse pas grand monde. Elle porte ce soir-là un délicieux taille basse et un haut très haut qui nous permet de loucher sur un ventre parfait. Elle reste en mode trio et l’homme à la vielle qui s’appelle Gilles Chabenat veille aux climats et drive le meilleur des bassmatics, celui qui a le dos rond et qui rôde dans l’ombre.

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    Sur scène, Tia invite tous les géants de la terre, Sam Cooke, J.B. Lenoir, R.L. Burnside, Fred McDowell, et pour faire bonne mesure, deux géantes, Jessie Mae Hemphill et Billie Holiday. Sa cover de «Strange Fruit» est fracassante de véracité. Tia jette dans la balance toute sa vénération pour Billie. Elle parvient à remoduler ces intonations à la perfection. C’est le meilleur hommage à Billie Holiday qu’on ait pu entendre jusqu’alors. Hommage d’autant plus marquant qu’il émane d’une blanche.

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    Un «Strange Fruit» qu’on retrouve aussi sur son dernier album, Homecoming. Même chose pour le «Chain Gang» de Sam Cooke, l’«You Gotta Move» de Fred McDowell, le «Down In Mississippi» de J.B. Lenoir et le «Tell Me You Love Me» de Jessie Mae Hemphill. Toutes les covers sont admirablement drivées et interprétées, elle est dans son monde magique et en fait profiter les gens. Elle a laissé tomber les Junior Kimbrough et le «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill de la première époque. Mais elle garde quand même un vieux shoot de R.L. avec «Way Down South» dont elle restitue tout l’éclat.

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    Elle indique en présentant le cut qu’il est un peu devenu un hymne là-bas, dans le Mississippi. Elle termine ce fabuleux set avec un «Skinny Man» qui n’est sur aucun album, solide boogie blues monté sur un bassmatic de vielle dévorant. Et puis en rappel, ils proposent le vieux Gotta Move de Mississippi Fred McDowell qu’ont tapé les Stones en leur temps.

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             Homecoming est donc un album qui grouille de puces. Tu vas te gratter pendant une heure, mais tu vas adorer ça. Tia Gouttebel commence par taper dans Jessie Mae Hemphill avec «Lord Help The Poor & Needy». Avec la vielle, ça prend vite des tours historiques, au sens du moyen-âge, mais Tia contrôle bien la situation. Il y a plus d’esprit dans ce cut que de cheveux sur la tête à Mathieu. Avec la sauvagerie du beat moyen-âgeux, The Poor & Needy te monte vite au cerveau. Elle tape ensuite dans le «Chain Gang» de Sam Cooke, elle shake sa chique au ouh ah, elle rend un bel hommage aux forçats. On reste chez les géants avec J.B. Lenoir dont elle reprend le fabuleux «Down In Mississippi». Wow, Tia ! Elle y va au jeebee, elle plonge profondément dans le down, cet hommage est l’un des plus beaux du genre. Elle revient à son cher North Mississippi Hill Country Blues avec «MG’s Boogie», le boogie de Muddy Gurdy. Elle cavale à travers la plaine avec un brio stupéfiant. Elle attaque son «Land’s Song» au going down to the river. Tia est une pure et dure, comme on l’a déjà dit. On croise plus loin deux autres coups de Jarnac mythiques : une reprise de «Strange Fruit» (joli clin d’œil à Billie Holiday, avec le vent et la corde qui craque, elle est en plein dans le génie macabre du poplar tree) et puis elle tape aussi une version d’«You Gotta Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Elle balaye les Stones. C’est sa cover qui fait foi. Elle chante du ventre. Avec un son qui monte. C’est mille fois plus movin’ que la version des Stones. On entend des coups sauvages de slide dans «Another Man Done Gone» et elle gratte l’«Afro Briolage» au fast trash punk-blues. C’est battu au beurre sauvage. Le mec qui chante s’appelle Maxence Latrémolière. Avec «Black Madonna», Tia se tape un beau deep gospel blues. Elle ramène son Moyen-âge chéri dans le gospel. Quelle merveilleuse artiste ! Elle finit avec sa chouchoute Jessie Mae Hemphill et «Tell Me You Love Me». Tia tape toujours dans le mille.

    Signé : Cazengler, Muddy Gourdin

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    Muddy Gurdy. Le 106. Rouen (76). 3 octobre 2023

    Muddy Gurdy. Homecoming. L’Autre Distribution 2021

     

     

    Wizards & True Stars

    - Chuck chose en son temps

    (Part Two)

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             S’il fallait établir le hit-parade des plus gros délinquants de l’histoire du rock, Chuck Berry paraderait en tête, talonné par Steve Jones. Tous les deux ont ce qu’on appelle le diable au corps, mais c’est à une autre échelle que celle du petit roman de Raymond Radiguet qui fut, t’en souvient-il, le poulain de Jean Cocteau. Mais ici, c’est la notion de diable qui nous intéresse, pas l’histoire littéraire, bien que les deux soient intimement liées. Si l’on considère le rock comme l’œuvre du diable, alors il n’est d’accès possible au diable que par la littérature, et donc par l’histoire littéraire. En cas d’absence de culture littéraire, ça donne ce que les Anglais appellent du blank. Dans la vie, tu as le choix : soit tu regardes le journal télévisé midi et soir pour cultiver ta beaufitude, soit tu lis Cocteau, et éventuellement Radiguet, et tu écoutes Chucky Chuckah, qui en plus d’être l’un des génies du XXe siècle, avait pour singulière particularité de vivre selon la loi de sa bite, une version américaine du fameux Jean-Foutre La Bite d’Aragon. Une façon comme une autre de dire que cet homme a vécu sa vie à outrance. Le lien avec le Marquis de Sade paraît assez évident. Tant qu’on y est, on peut encore se fendre d’un joli parallèle : ces deux oiseaux ont bâti une œuvre à partir de l’overdrive libidinal, c’est-à-dire l’obsession sexuelle. Nadine, c’est Justine. 

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             Alors que tu feuillettes le dernier numéro de Record Collector, voilà que tu tombes sur la chro d’une nouvelle bio de Chucky Chuckah. Tu te dis : «Oh la la, encore une, on connaît toute l’histoire pat cœur, alors à quoi bon ?». C’est là où tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Tu crois connaître et tu ne connais pas grand-chose. Quand cesseras-tu enfin d’être si prétentieux ? Hâte-toi de te débarrasser de ton orgueil avant qu’il ne soit trop tard et qu’on t’enterre avec. Ceux que Barbey D’Aurevilly qualifiait de diaboliques acceptent aisément l’idée d’être enterrés avec leurs péchés, oui, mais certainement pas avec des tares.

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             Le book s’appelle Chuck Berry: An American Life et l’auteur RJ Smith. Jamais entendu parler du Smith en question, mais tu passes des heures extrêmement denses en sa compagnie. Il réussit l’exploit de réinstaller Chucky Chuckah sur le trône de roi du rock’n’roll, un trône qu’il partage bien sûr avec Elvis, Little Richard, Jerry Lee, Fatsy et Gene Vincent. Il faut à Smith 400 pages pour réussir cet exploit qui n’en est pas un, puisque tout le monde connaît l’histoire du trône. Mais Smith fouille dans la vie de ce co-roi et dissèque tellement les deux faces du personnage - l’obsédé sexuel et l’artiste superstar - qu’il finit par extraire l’homme de la gangue du mythe pour le rendre accessible, le temps d’un book. D’autres ont essayé, comme Peter Guralnick, avec Elvis, mais Elvis n’avait pas le même type de rapport avec le diable. Grâce ou à cause de Guralnick, Elvis est resté pris dans la gangue de son mythe. Grâce ou à cause de Smith, Chucky Chuckah en est sorti pour redevenir un homme en proie à ses démons. Humain, trop humain, comme dirait l’autre.

             Si tu es fan de Chucky Chuckah, ou plus simplement fan d’histoires de vie extra-ordinaires, alors il faut entrer dans ce fat book. Smith ne t’épargne aucun détail, ni sur les procès, ni sur les chefs d’accusation, Chucky Chuckah a poussé le bouchon assez loin, queuttard pathologique, voyeur, il a collectionné toutes les déviances, rien ne pouvait assouvir sa faim de petites chattes blanches. Mais en même temps, il écrivait des chansons, ce qui le distinguait d’Elvis, de Little Richard et de Gene Vincent. Chucky Chuckah baisait des blanches tout en créant un monde. Smith le qualifie même d’«one of the great makers of the twentielth century». Smith ajoute que c’est à partir de «Maybellene» que les Américains ont commencé à utiliser couramment l’expression «rock’n’roll».  

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             Jamais en panne d’idées, Smith propose très vite un autre parallèle, cette fois avec Ike Turner. À leurs débuts, Chucky Chuckah et Ike sont en concurrence, et les autres sont loin derrière - We was the biggest shit around, dit Chucky Chuckah - Les deux sont confrontés au racisme, alors que le père d’Ike est lynché par un gang de blancs de Mississippi, Chucky Chuckah est confronté à un racisme urbain plus «fluide». Ike reste concentré sur le blues, mais Chucky Chuckah écoute la radio. Et c’est là où Smith fait son entrée triomphale dans l’art de bio : il explique à longueur de récit que Chucky Chuckah observe et écoute. Il se nourrit de diverses influences. Il se nourrit littéralement de l’Amérique pour lui offrir en échange des chansons aussi intemporelles que celles de Charles Trenet, c’est-à-dire des chansons poétiques, mélodiques et tout simplement magiques. Il travaille sa diction, il cherche à intégrer «a country feel» - so that it was harder and whiter - il met du poids dans ses mots, et s’arrange pour qu’ils tombent pile sur le beat. Chucky Chuckah : «When I went into writing ‘Maybellene’, I had a desire or intention to say the words real clear. Nat Cole taught me that. Nat Cole had a diction that was just superb.» Il travaille en même temps sa technique de gratte - In 1954 he was playing full choruses without repeating things - Ça n’a l’air de rien comme ça, mais on voit très peu de guitaristes capables de se réinventer à chaque solo. Dick Taylor est un autre exemple : jamais deux fois le même solo. Puis Chucky Chuckah flashe sur le pouvoir de l’automobile. Maybellene adore les automobiles, surtout les V8 Fords. Les automobiles, c’est pratique pour baiser des blanches en chaleur. Surtout la Cadillac. Et baiser des blanches en chaleur, pour un blackos, c’est une façon de défier l’Amérique des racistes blancs - Ridin’ along in my automobile/ My baby beside me at the wheel - Chucky Chuckah va toutes les baiser. Smith le voit comme un «astronaute afro-américain en mission pour violer toutes les pratiques contractuelles, culturelles, sociales et légales.» Chucky Chuckah va surtout violer les lois, comme on va le voir.

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             Avec «Thirty Days», il fait du hillbilly boogie : il rentre chez les blancs par la grande porte, c’est-à-dire la radio. Avec «School Days», il invente la modernité - Hail hail rock’n’roll/ Deliver me from the days of old - Il fait même coup double, selon Smith : il sort «the first protest song of rock’n’roll, a protest against boredom.» - Long live rock and roll/ The beat of the drum is loud and bold/ Rock rock rock and roll/ The feelin’ is there/ Body and soul - Il ne se limite pas à écrire des chansons intemporelles. Il énonce aussi des postulats. Un journaliste lui demande si l’on peut établir un lien entre le rock et le boogie woogie, la country et le blues, alors Chucky Chuckah lui susurre ceci : «No, you can’t draw any lines like that. Vous ne pouvez pas établir un lien entre la science et la religion, man ! Même le fil d’une lame de rasoir est rond, si vous le regardez de près. C’est comme une ombre sur le mur - no sharp edges.» Et voilà comment Smith réussit à nous inoculer le poison toxique de la pensée Chucky-Chuckienne. Il y a le contenant et le contenu, le deepy deep du contenu et la diction malaxée du contenant. Cet homme extrêmement intelligent swingue sa diction. En citant la réponse de Chucky Chuckah, Smith passe l’any d’any lines like that en ital, pour marquer l’emphase orale. Smith écoute la voix de son maître. Quand un journaliste demande : «This music, called the Big Beat, do you think it’s here for a few more months or a few more years?», Chucky Chuckah lui répond avec délectation : «It’s been  here.» Il insiste et répète comme s’il chantait, «It’s been here. No it’s been here for a long while. As long as music will be here. It’s rhythm and Soul put together, that’s this big beat that you speak of. No it isn’t new - it’s new to a lot of people, believe me. But it’s not new. Beeeeeen around a long tiiiime, just being introduced under a new name.» Pareil Chucky Chuckah met le poids sur l’here d’it’s been here. Et pour que sa phrase prenne encore du poids, il ne dit pas for a long time, mais for a long while, parce que ça sonne mieux. Chucky Chuckah fait bien sûr référence à Congo Square qu’il est allé voir lorsqu’il se produisait à la Nouvelle Orleans. Been here for a long while, c’est quatre siècles d’esclavage. Chucky Chuckah est l’un de ceux qui a su le mieux régler ses comptes avec l’Amérique blanche esclavagiste.

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    ( Newport 1958 )

             Il s’y est pris différemment. Alors que Little Richard (et Jerry Lee) incarnaient Shiva the Destroyer, Chucky Chuckah bâtissait son œuvre et s’assurait que les fondations allaient tenir. Smith ajoute : «Little Richard was religion, or if you want, oblivion. Chuck was pure fun.» Et il est passé comme une lettre à la poste. L’un de ceux qui a le mieux compris l’emprise de Chucky Chuckah sur son temps, c’est Jim Dickinson qui a rassemblé tous ses talents sous un seul patronyme : Chuckabilly. Quand Chucky Chuckah va jouer au Newport Festival, il s’y rend au volant de sa Cadillac rouge, décorée d’une rangée de klaxons sur l’aile, avec des stores vénitiens sur les vitres arrière et une queue de raton laveur accrochée au pot d’échappement - It was like the Sex Pistols pulling into a megachurch - Et Smith pousse le bouchon encore plus loin : «Jack Johnson. Sugar Ray Robinson. Chuck Berry. African American grandeur. Ce n’était pas l’affirmation collective du talent qu’incarnaient les géants du jazz qui régnaient à Newport, this was stick-your-neck-out star power. It was style and fire, condensed like the Hope Diamond», c’est-à-dire le plus gros diamant d’Amérique. Quand Chucky Chuckah tourne en Angleterre, il rivalise d’élégance avec les British groups, le voilà en «bespoke suits, brass buttons, leather shoes, ties monogrammed», «a towering Black dandy confounding assumptions about the wild man of beat music». Smith rappelle un autre élément fondamental : «Rien ne pouvait garantir que la musique allait prévaloir. Même chose pour l’égalité raciale, qui n’est toujours pas acquise. The originators were different from us. Operating in chaos, they acted like they had already won.» 

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    ( Wembley 1972 )

             Et puis Chucky Chuckah continue de faire ce qu’il a toujours fait, always thinking, always listening. Il garde deux books à portée de main, un dico, et un dictionnaire des synonymes et des antonymes. Il fume des Kool menthol. Il passe partout, surtout au festival de Wembley où Little richard se fait huer et le MC5 sortir à coups de canettes pleines - lucky to be alive - Creem : «Only Chuck Berry was wonderful as ever.» Tous ceux qui l’ont vu sur scène le savent, ce mec est une épouvantable machine, un juke-box à deux pattes, sans doute l’artiste le plus complet qu’on ait pu voir à l’époque sur scène. Tout au long de sa vie, Chucky Chuckah n’a compté que sur lui-même, d’ailleurs il s’en explique merveilleusement bien : «The religion that I have is yourself. You gotta depend on yourself. In the end, it’s really up to you.» Pas d’ami. Pas confiance. Et il ajoute : «God gave man free will and he’s infinite. His possibilities are infinite and the only person who can evolve is you.» C’est clair comme de l’eau de roche, mais ça l’est encore plus dit par Chucky Chuckah.

             Il arrive seul au concert, il repart seul. Pas de répètes, pas de set-list, peu d’instructions, juste «watch my foot». Smith sort aussi un épisode extrêmement significatif : la scène se déroule en 1979 à Palo Alto. Chucky Chuckah joue dans un bar et un jeune blanc barbu s’est permis de jouer de l’harmo pendant son set. Alors Chucky Chuckah le fait monter sur scène, passe son bras autour de ses épaules et déclare au public, mais aussi à l’univers tout entier : «Voici cent ans, il était mon maître. Maintenant, il est mon fils. Come on up here, son, and blow your harmonica. Only when I’m pointing to you.» Il met l’emphase sur deux mots : son et l’Only d’Only when I’m pointing to you. Et Smith ajoute ceci qui semble fondamental : «Chaque soir, entre 1955 et l’an 2000, les shows de Chuck Berry sont devenus a portable Civil War memorendum. Somebody had to pay and Chuck was all about getting paid, right down to extracting reparations from ramdom harmonica players.» Il est le seul à avoir réussi cet exploit. Ni Martin Luther King, ni Malcolm X, ni Spike Lee n’ont réussi à faire payer les blancs. Le seul qui a su le faire, c’est Chucky Chuckah. Cash. C’est la raison pour laquelle cet homme est un héros des temps modernes. Avec ses chansons, il a redéfini les règles, «the letter of the law», celles qu’on avait utilisé contre lui, alors il les a démontées pour en faire d’autres, les siennes - If the law was the American way, space would be found in it for him. Here too he would be explaining America to Americans, night after night - Il réclame du cash, toujours plus de cash. Comme la salle est pleine et que le public le réclame, il tient bon.

             Il garde miraculeusement les idées claires : «I never looked for recognition. I just wanted to see how far a person could go if he applied himself.» Il rappelle qu’il a toujours adoré inventer. Son père bricolait un système de mouvement perpétuel, comme le fit ici Tinguely - I like to make things and go to places - Il récite un poème de Tennyson, Break Break Break, scande ses strophes à propos du temps et de la mort, le travail des mains, le mouvement perpétuel, la poésie qui a toujours été autour de lui - So we put it on the music, actually - Mais c’est une poésie typiquement américaine, Smith s’en gargarise, «the candy store, the soda fountain, the grill, the dinner» et il tire l’overdrive : «Pop’s Chock’lit Shoppe, Arnold’s Drive-in, Bob’s Big Boy», tout cette teen culture swingue toute seule, Chucky Chuckah l’observe pour la faire couler dans ses hits.

             Et puis voilà le délinquant. En 1944, Chucky Chuckah et ses deux potes siphonnent des réservoirs, fracturent des portières, volent dans les magasins et se collent aux fenêtres des salles de bain pour reluquer des grosses femmes blanches à poil. Un beau jour, ils montent tous les trois à bord de l’oldsmobile et décident d’aller à Los Angeles. Au bout d’une heure de route, ils s’arrêtent pour casser la graine au Southern Air, à Wentzville, mais on refuse de les servir à table. Les nègres doivent aller commander derrière, à la porte de la cuisine - Quarante ans plus tard, Chucky Chuckah rachètera ce restaurant, histoire de laver l’affront - Ils roulent, puis le copain Skip va braquer une boulangerie : 62 $. Le lendemain, ils arrivent à Kansas City et Chucky Chuckah va braquer un coiffeur avec son broken pistol : 32 $. Le cinquième jour, ils braquent un magasin de fringues : 51 $. Bien sûr, ils se font poirer, direction le trou. Le père de Chucky Chuckah réussit à trouver un avocat pour 125 $. Le jugement dure 20 minutes et ils se prennent tous les trois dix piges dans la barbe. Chucky Chuckah est envoyé à l’Algoa Intermediate Reformary for Young Men. Il va y moisir trois piges. C’est le premier épisode de sa carrière de délinquant. En 1959, il est à nouveau condamné pour violation du Mann Act (traverser une frontière d’état en compagnie d’une mineure blanche) et port d’arme illégal. 5 piges pour le port d’armes, et 5 pour le Mann Act. Comme dans le premier cas, Chucky Chuckah est victime de l’effroyable brutalité des juges blancs. Il fait appel et un juge finit par le condamner à 3 piges et à 5 000 $ d’amende. Il est obligé de fermer son club, le Bandstand, «a business run by a flamboyant Black man.» Smith rappelle qu’Edgar Hoover est obsédé par les affaires de sexe inter-racial, et donc l’idée du Bandstand ne passait pas : un club où les Blacks et les blanches peuvent danser ensemble, non ! Chucky Chuckah aimait rouler dans sa Cadillac rose, il aimait baiser à l’arrière avec une blanche, pendant que Johnnie Johnson conduisait - He was a target, a victim and victimizer.   

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             La deuxième fois qu’on l’envoie au trou, il atterrit à Springfied, Missouri. Là il apprend à jouer aux échecs et à taper à la machine. Il prend des cours de compta et de business management, et passe un diplôme. Il récupère une guitare et écrit des chansons qui vont figurer parmi les plus importantes de sa carrière : «Nadine», «No Particular Place To Go», «Promised Land», «Tulane» et «You Never Can Tell». C’est drôle, chaque fois qu’on tape ces titres, on les entend dans la tête, surtout «You Never Can Tell» - C’est la vie/ Say the old folks/ It goes to show you never can tell - encore un hit magique. On est chaque fois frappé par l’élégance mélodique et rythmique de ces vieux hits, et par leur modernité. Par contre, la versions des Stones vieillissent mal. Quand il sort du trou, Chucky Chuckah est assez content : «Quand je suis rentré chez moi, je savais ce qu’était une société. Je connaissais la comptabilité. Plus, it’s easy to count my blessings as well as my misfortunes and I did. And I weighted them. I came back in a better position to handle life.» Les blancs racistes n’ont pas réussi à le briser. Chucky Chuckah revient dans le circuit, plus solide que jamais. 

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             Côté influences, il en reconnaît deux : Charlie Christian - The greatest guitar player that ever was - et Carl Hogan, le guitariste de Louis Jordan - Most of my guitar licks came from Carl Hogan and Charlie Christian, lâche Chucky Chuckah dans un soupir. Smith apporte des précisions qui nous éclairent sur le style de Chucky Chuckah : «Hogan payed on the top of the beat, which was fresh, and he put his weight on the second and fourth beat in the measure, and these two things rendered him sly, together, casually commanding. Never playing too much.» Tout le chuckle de Chucky Chuckah vient de là. Le ding-a-ling.

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             C’est en 1955 qu’il débarque à Chicago, the blues town. C’est là que se trouve Muddy Waters. Chucky Chuckah veut le rencontrer. Il le chope au Drew Drop Lounge. Muddy lui donne l’adresse de Chess et lui dit que le bureau ouvre à 9 h et que Leonard le renard arrive à 10 h - Dis à Leonard que tu viens de ma part - Chucky Chuckah le chope le lendemain matin, Leonard l’écoute et lui dit de revenir avec une démo. Chucky Chuckah se magne de rentrer à Saint-Louis enregistrer sa démo avec Ebbie Hardy et Johnnie Johnson. C’est un fast hillbilly cut, «Ida Mae», pompé sur «Ida Red». Il ramène la démo à Leonard le renard. Et en mai 1955, Chucky Chuckah enregistre chez Chess. Il observe attentivement, voit que Phil n’est qu’un sous-fifre, le big kingpin, c’est Leonard le renard. Il voit aussi que le kingpin ne connaît qu’un seul mot : motherfucker. «Il le dit quand il est contrarié, quand il est excité ou quand il ne sait pas quoi dire.» Motherfucker ! Dans le studio se trouve Willie Dixon, the centerpiece of the Chicago blues scene. Ils rebaptisent «Ida Mae» «Maybellene». Chucky Chuckah dit que c’est lui qui rebaptise, Johnnie Johnson dit que c’est Leonard, enfin bref, on s’en fout, «Maybellene» est un cut révolutionnaire pour l’époque. Phil Chess : «This was an entirely different kind of music.» 36 prises. Chucky Chuckah entre dans la cour des grands, un an après Elvis («That’s Alright Mama»), quelques mois avant Little Richard («Tutti Frutti») et un an avant Gene Vincent («Be-Bop A Lula»). Mais il est vite confronté aux méthodes brutales de Leonard le renard. Quand il reçoit son premier chèque de song-writing royalties, il voit les noms de deux co-writers associés au sien : Russ Fratto et Alan Freed. Dans cette affaire, Chucky Chuckah n’est pas le seul délinquant. Leonard le renard est encore plus roublard. Il monte une boîte, ABC, qui lui permet de ne pas verser de royalties sur les ventes aux artistes, même s’il s’agit de 2 cents par disque vendu. Au lieu de lui rentrer dans la gueule, Chucky Chuckah va en prendre de la graine.

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             Il va faire du biz à sa façon. Il devient son propre Colonel Parker. Il part en tournée et gère tous le biz à SA façon. Le book de Smith regorge de biz, c’est un bonheur que de lire ces pages. La première chose que Chucky Chuckah fait quand il part en tournée, c’est charger son flingue. Avant son deuxième séjour au Club Med, son cachet s’élevait à 1 200 $, et à sa sortie, il est passé à 2 000 $. Pendant une tournée anglaise organisée par Don Arden, Chucky Chuckah leur fait le coup du supplément : il doit monter sur scène à L’Hammersmith Odeon et s’enferme dans sa loge. Il réclame 1 000 $ supplémentaires. C’est Eric Burdon qui observe la scène, hilare : il voit le gangster Arden et son gorille Peter Grant à quatre pattes glisser du cash sous la porte et supplier Chucky Chuckah de sortir. De l’autre côté de la porte, il en rajoute : «Nah, it’s still another 500 bucks till I come out.» Il pousse le bouchon, il a raison. Et dans la salle, les rockers s’impatientent et menacent de tout casser.

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    ( Toronto 1969 )

             En 1966, Chucky Chuckah quitte Chess pour Mercury qui lui propose le pactole : 60 000 $. Leonard le renard lui serre la main et lui souhaite bonne chance, ajoutant qu’il sera de retour dans trois ans. No bad feelings. Just a buiness deal, dit Chucky Chuckah. John Phillips, qui organise le festival de Monterey, l’invite : il lui explique au téléphone qu’il va devoir jouer à l’œil, car c’est un concert de charité, et Chucky Chuckah lui répond : «Chuck Berry has only one charity and that’s Chuck Berry. $2.000.» Cette cloche de Phillips conclut en disant qu’il ne pouvait pas faire une exception et c’est non. Un autre témoin voit Chucky Chuckah «négocier» avec un promoteur, juste avant un concert. Chucky Chuckah compte ses billets et dit au blanc : «This is short.» Puis il monte sur scène, accorde sa guitare et dit au public que les amplis ne correspondent pas à ce qui est écrit sur le contrat, alors il sort de scène. Il retourne voir le promoteur avec sa mallette, l’ouvre et le mec y rajoute du cash. Et puis il y a ce concert à Paris avec Jerry Lee. Un premier mai. Shoote habituelle avec Jerry Lee pour la tête d’affiche. Chucky Chuckah accepte de passer avant Jerry Lee for a little more cash. Mais quand il voit le stade plein comme un œuf, il se dit qu’il n’a pas demandé assez. Il demande un très gros supplément. Les Français expliquent que c’est une fête socialiste - Mr Berry, you do not understand. We are socialists - Chucky Chuckah : «Fuck socialism. I want my money.» Et puis il y a l’épisode le plus célèbre, celui du film Hail Hail Rock’n’Roll. La réalisatrice estime que Chucky Chuckah a «extorqué» 800 000 $ à la production. «Ils veulent le faire répéter ? Ça coûte tant. Utiliser ses amplis pour le film ? 500 $ cash. Aller chercher Linda Ronstadt à l’aéroport ? 500 $ pour utiliser la bagnole.» Keef qui observe tout ça éprouve de l’empathie pour cet homme qui se bat avec ses moyens. Le concert final qui doit être filmé a lieu au Fox Theatre et Chucky Chuckah demande du cash en plus pour le premier soir et 25 000 $ supplémentaires, cash, pour le concert final. Stephanie Bennett réussit à rassembler le cash, le fourre dans une enveloppe en papier brun, frappe à la porte de la loge, et balance l’enveloppe dans la gueule de Chucky Chuckah - It hit him in the head - Tous ces détails sont importants, ça permet de situer les choses. Inutile de préciser que Bennett est blanche. Dernière chose à propos de ce film : c’est Steve Jordan qui a assemblé le backing band. Il fallait bien sûr faire venir Johnnie Johnson qui à l’époque conduisait un bus pour vivre. Il a accepté de venir, à condition qu’on lui paye des dents neuves, ce que Bennett a fait.

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             Chucky Chuckah a fréquenté pas mal de gens intéressants, à commencer par Bo Diddley. Ils ont démarré exactement en même temps et ils s’entendaient bien. Deke Dickerson : «These early fifties rock’n’roll guys, they were all insane. And Chuck Berry is sort of famous for being a complete nut.» Smith explique ça très bien : «Pushed to the margins, they made the margins seem like an incredible place to be.» Smith analyse finement les choses. Il prend chaque fois un angle original. Et puis il y a Jerry Lee, l’habituelle compétition, mais les témoins de l’époque sont formels : Chucky Chuckah sort toujours vainqueur. John Sinclair : «Jerry Lee Lewis is a bad motherfucker, and Chuck mopped the floor with him. Chuck came out and fucking murdered. I will never forget that.»

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    Avec les Stones, la relation a toujours été compliquée. Les Stones tapent dans ses hits, mais Chucky Chuckah n’a aucune envie de les fréquenter. Pas facile de fricoter avec un blackos de 38 balais déjà plusieurs fois condamné. Keef est le plus dévoué, au point de vouloir faire un film. Lors de sa dernière rencontre avec Chucky Chuckah, il l’attendait dans sa loge. Il a vu la guitare, et alors qu’il s’en emparait pour gratter un peu, Chucky Chuckah est arrivé. Boom, son poing dans la gueule. Keef a admis plus tard qu’il avait commis une erreur. La guitare c’est sacré. Surtout celle de Chucky Chuckah. C’est elle qui a rendu les Stones possibles. 

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             L’autre grosse pointure qui apparaît dans la vie de Chucky Chuckah, c’est Bill Graham. Graham le veut au Fillmore. Chucky Chuckah lui répond : «The Fillmore, man? I don’t know.» Alors Graham vient le trouver chez lui à Wentzville. Chucky Chuckah l’écoute. Il fera la première partie du Dead. Mars 1967. 800 $ par concert. Le soir du premier concert, Chucky Chuckah arrive en retard. Graham le lui dit - You’re a little late - Chucky Chuckah pose sa mallette entre eux sans rien dire. Graham reçoit le message. Il veut être payé avant de jouer. Chèque ou cash ? Graham lui signe un chèque de 800 et le fait glisser sur le bureau vers Chucky Chuckah qui le signe au dos et qui le refait glisser vers Graham. Alors Graham sort le cash et Chucky Chuckah compte tranquillement les billets. Puis il lui tend la main. The deal is done. Et Chucky Chuckah miaule : «Mellow.» En 1965, Doug Sahm commet la même erreur que Keef : dans un studio de télé, il aperçoit la guitare de Chucky Chuckah. The Holy Grail, il la prend et à ce moment-là Chucky Chuckah arrive : «Hey white boy, get your hands off my guitar!». Doug a du pot, il ne s’est pas ramassé un tas comme Keef.  

             Oh et puis le sexe. Chucky Chuckah profite des tournées pour limer tout ce qu’il peut. Dès 1956, il fait partie d’un package tour avec Carl Perkins, les Spaniels, Illinois Jacquet et Shirley & Lee. Sur cette tournée, il devient pote avec Bobby Charles qui à l’époque est sur Chess. À Houston, il traîne dans le balcon réservé aux blanches et le road manager parvient à le tirer de ce guêpier juste à temps : un flic arrivait pour lui passer les menottes. À Little Rock, Arkansas, on voit Chucky Chuckah rouler une pelle à une blanche. Hyper dangereux. Le bus arrive à Mobile, Alabama et passe devant un panneau : «Welcome to the Home of the Ku Klux Klan». Bien sûr, Chucky Chuckah se fait choper sur la banquette arrière d’une bagnole avec une jeune blanche. On voit aussi régulièrement des femmes blanches sortir de sa loge - Sweet little sixteen - Il joue avec les tabous, ce qu’il appelle lui-même le «Southern hospitaboo», la collision d’hospitality, c’est-à-dire les femmes blanches affamées de bites noires, et le taboo, c’est-à-dire le danger que ça représente pour un noir dans les années 50. Pour lui, le sexe qu’il recherche et le racisme vont de pair. Baiser des blanches, il voit ça comme des représailles. Puis il fait des photos et filme ses propres parties de cul. Diane qui sera sa compagne pendant un temps fait pas mal de révélations. Au pieu, Chucky Chuckah est très inventif. C’est encore une bonne raison de lire ce fat book. Smith ne nous épargne aucun détail. Attention, ça va loin.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

    RJ Smith. Chuck Berry: An American Life. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Luke la main froide

    (Part Three)

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             Pas facile de porter du blanc, qu’on soit un homme ou une femme. L’avenir du rock a toujours eu beaucoup d’admiration pour John Cale : pas une seule tâche sur le costard blanc cassé qu’il portait au temps de Paris 1919. La classe du Cale ! Le blanc permet surtout d’afficher sa crasse. Au temps des Colonies, le blanc permettait aux colonisateurs d’afficher leur crasse intellectuelle, leur mélange de racisme et de cupidité. Le blanc douteux des costumes, étoilé d’auréoles de transpiration, illustrait superbement l’infamie des mentalités. On voit ça dans tous les films qui documentent l’horreur de la colonisation. Par contre, lorsque la crasse rock s’affiche sur du blanc, c’est une merveille, une sorte de fuck off bien tempéré. Lee Brillaux n’a jamais fait laver sa veste blanche, il avait bien compris que le destin du blanc était d’être sale. Il la portait sur scène pour se rouler sur les planches, il transpirait abondamment et personne n’aurait pu dire si les taches jaunes sur les manches étaient des tâches de bière ou de vomi. L’avenir du rock aimait bien voir David Johansen en smoking blanc, il dégageait une odeur de sexe qui depuis n’a jamais été égalée. Chaque fois que l’avenir du rock porte du blanc, il s’arrange pour manger un sandwich au thon gorgé de sauce. Soit ça coule dans sa manche, soit ça goutte sur ses cuisses. Il savoure ce pur moment de débauche rock’n’roll. Il adore aussi aller se faire tailler une pipe derrière les Maréchaux. Il demande à la pute de ne pas avaler et il porte ses tâches comme des trophées, lorsqu’il va ensuite boire un verre dans un bar gay du côté de la place Dauphine. Et comme sa bagnole est une poubelle jonchée de peaux de saucisson, de mégots et de kleenex usés, il sait qu’il se trimballe avec le dos et le cul pas très nets. L’avenir du rock part du principe que l’immaculé est réservé aux dieux, et non aux mortels. En bonne Main Froide, Luke Haines part sans doute lui aussi du même principe. Pas question de faire semblant et de jouer les immaculés. Il ne fait aucun effort pour dissimuler la crasse coloniale de son costard fripé. 

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             Luke la Main Froide et Peter Buck resignent leur pacte de non-agression avec un nouvel album, All The Kids Are Super Bummed Out, qui est en fait un double CD. Comme les Beatles, Jimi Hendrix et tant d’autres avant eux, ils ont donc beaucoup de choses à dire. D’une certaine manière, ils sont tous les deux des artistes accomplis et leur coalition se présente sous les meilleurs auspices. Dans tous les cas, le voyage promet d’être intéressant. Après un mauvais départ et un ridiculous «British Army On LSD» chanté à la suspicion méticuleuse, la Main Froide se reprend avec «The Skies Are Full Of Insane Machines», et comme il veut du son, alors il a du son. Il s’acharne tellement à vouloir remonter la pente que ça finit par devenir vraiment énorme. Il est l’un des rockers anglais les plus opiniâtres. Il tourne autour de ses compos comme un crabe autour d’un trou d’eau. Il paraît même parfois un peu paumé («Sunstroke»). Il se croit le roi et il n’est rien, il faut juste rester patient en attendant Godot, c’est-à-dire les miracles. Ils finissent par se produire, avec notamment «45 Revolutions», ils y vont cette fois au heavy modernisme. Dès qu’ils passent en mode heavy, ils deviennent captivants. Avec «Won’t Ever Get Out Of Bed», la Main Froide retrouve sa veine d’Auteur, elle a du mal à sortir du lit et c’est excellent. Voilà un heavy groove de Main Froide. On reste dans les énormités avec «Psychedelic Sitar Casual», Buck sort son meilleur guitarring, c’est violent, sick & fast. S’ensuit le gros clin d’œil au glam tant attendu, «Subterranean Earth Angel», la Main Froide rentre bien dans le chou du lard, elle s’englue dans le glam jusqu’au cou. Mais quand on connaît bien la Main Froide, on comprend qu’il s’agit surtout d’un pied de nez aux Subterraneans de Nick Kent. Elle ramène aussi tous les clichés de Carter & The Unstoppable Sex Machine, elle recherche le même effet, le superstardom stadium stomp. En réalité, elle tourne tout en dérision. La Main Froide vieillit et ventripote. Elle amène la menace des Commies dans «The Commies Are Coming», ça s’infecte très vite, Buck joue dans la boue du flux, c’est assez balèze, côté idées, ils envoient même des vents dans le beat. À ce niveau de no-happening, il est essentiel de saluer le génie glacé de la Main Froide. La voilà qui gratte sa gratte sur «When I Met God». Gros lard dégueulasse et ridicule, gros plein de soupe, avec le Buck derrière à la vrille, on sent bien qu’ils s’amusent dans leur bac à sable plein de crottes de chiens.   

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             La Main Froide continue de tartiner placidement sa pop glacée sur le disk 2. Il reproduit son vieux modèle et entraîne le Buck dans son délire stérile. On sait bien que les musiciens américains sont friands de popstars anglaises. Ils font tous les deux une sorte de glue-pop subjuguée.  Dans le morceau titre, la Main Froide fait du left over de wild & spaced out, elle lâche les ballons avec un redémarrage à 3 minutes. La Main Froide se croit décidément tout permis. Elle ramène ses kids au bummed out, fait la jungle et bat tous les records de ridiculous. Sous sa jupe, c’est pas terrible. Tu claques des dents, à la vue de ce spectacle. Et voilà qu’elle se prend pour un pacha avec «You’re My Kind Of Guru». So ridiculous ! Elle revient susurrer ses vieux airs d’Auteur à l’haleine rance. La Main Froide est par définition le personnage littéraire du rock, au sens où l’entendit Alfred Jarry avec Ubu. «You’re My Kind Of Guru» est un cut réellement odieux ! Mais comment osent-ils ? C’est tellement atroce qu’on perd patience, pour aller écouter «Flying People». Retour en mode fast rock. La Main Froide porte une mini-jupe et fait sa trash. Ça tient le temps que ça tient, elle frétille de la quéquette, comme un vieux teenager. Cette prodigieuse Main Froide s’enfonce encore dans l’auto-dérision avec «Diary Of A Crap Artist». Grimée en Léon Bloy et dansant dans les fumées, la Main Froide fait de la belle pop et perd son âme. 

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             Dans un Record Collector paru l’an passé, notre Main Froide préférée revient sur ses frasques. Ah chère Main Froide ! Que deviendrait-on sans elle ? Elle raconte qu’un interviewer lui demande s’il va reformer les Auteurs et la Main Froide se fend d’un beau «nope». Il ajoute dans l’éclat d’un rictus carnassier : «Besides I’m in a band with Peter Buck now. Why on earth would I get the Auteurs back together?». Il annonce qu’il s’embarque avec Peter Buck dans une tournée qui a été reportée quatre fois grâce à cette canaille de Pandemic. Il profite de sa colonne infernale pour revenir sur son histoire et narrer d’une manière comme toujours hilarante son tout premier concert en première partie des Lurkers : «À peine avait-on joué un cut qu’on fut bombardés de verres à bière par the 200-strong crowd of skins and anarcho punx, whose only distraction from killing us was killing each other. ‘This is what I want to do in my life’, I thought.» Puis il raconte sa première tournée au sein des Servants, en première partie des Weather Prophets et des Happy Mondays - Thirty-five years later I’m still friends with everyone on that tour - Puis il évoque ses trois tournées avec Suede au temps des Auteurs. Il le fait à la Main Froide, c’est-à-dire avec une classe épouvantable : «This was supercharged amyl nitrate glam Performance (the movie) chic. And it sold. Fifteen-years old girls and boys came out in their thousands from the suburbs, in the Suede St Vitus mania.» Et chaque fois, la Main Froide rappelle qu’en tant que support act, il touchait £50 per show. Et comme il repart en tournée avec Peter Buck, il se marre car il annonce qu’il dispose à présent d’un road manager, d’un «nice bus, work permits and a really big guitar rack to put all our electric guitars in.» La dernière tournée ? «Who knows.» «Une chose est sûre, conclut froidement la Main Froide, c’est que les support bands for Luke Haines et Peter Buck are being paid £50 per show.»

    Signé : Lancelot du Luke

    Luke Haines & Peter Buck. All The Kids Are Super Bummed Out. Cherry Red 2022

    Luke Haines : Back on the road, again. Record Collector # 532 - June 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Tee veux ou Tee veux pas ? 

             Tito envisageait de devenir rock star. Il était d’ailleurs bien le seul à l’envisager. Ni sa femme ni ses amis n’auraient parié le moindre kopeck sur ses chances de réussir. Tito qui était loin d’être bête prenait tout ça en compte, mais ça n’entamait en rien sa détermination. Bien au contraire, ça la renforçait. Il était même très sûr de lui, il disait disposer d’atouts qu’il qualifiait de majeurs : une voix et une gueule. Et il ajoutait avec un franc sourire : «C’est la base, non ?». Il n’avait pas tout à fait tort : on ne croisait pas souvent des mecs au physique aussi impressionnant. Il avait ce qu’on appelle les pommettes hautes, les cheveux noirs mi-longs coiffés en épis, le menton carré et un regard clair qui plaisait aux femmes. Petit, mais présent. Intensément présent. Il pouvait chanter au chat perché et avait su travailler son anglais pour peaufiner sa diction. Il voulait une diction à l’anglaise. Il ne jurait que par Steve Marriott. Stevie, disait-il. Ne lui manquait plus que l’essentiel : un groupe, un son et des chansons. Il passa des années à chercher. Il chercha partout, dans tous les bars de la ville, dans les concerts, dans les locaux de répète, il mit des annonces dans tous les journaux locaux, et bien sûr dans les canards spécialisés. Le texte disait : «Superstar cherche trois rockers pour monter the French Small Faces.» Il rencontra quelques musiciens qui furent tellement impressionnés par sa classe qu’ils disparurent à la première occasion. Après les premières vagues d’allégresse, il traversa une phase de désenchantement. Il se mit à boire comme un trou, il démarrait le matin au blanc sec et finissait le soir au blanc sec, ce qui le rendait méchant et agressif. Alors il se battait. Il eut bientôt les deux yeux au beurre noir et le nez cassé. Il perdit bien sûr pas mal de dents. Il se mit aussi à grossir et craqua son jean plusieurs fois en public, alors qu’il se baissait pour ramasser un mégot. Sa femme le jeta dehors. Il dormait à la belle étoile en été, et dans un foyer pour clochards en hiver. Il n’était pas encore décidé à mourir. Il savait pour avoir étudié la vie de ses idoles qu’on passait facilement du stade de superstar à celui de légende vivante. Ça faisait, disait-il, «partie du boulot». Au fond de lui, Tito éprouvait un immense chagrin à voir flamme s’éteindre.      

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             Pendant que Tito brûle sa chandelle par les deux bouts, Tee tangue au gré du groove. Magnifique pianiste et groover de renom, Willie Tee fit surface à l’époque sur une compile Ace consacré à l’AFO de la Nouvelle Orleans, Gumbo Stew. Oh, il n’a pas enregistré grand chose, deux albums, mais quels albums !

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             Le premier date de 1970 et s’appelle I’m Only A Man. Il est devenu culte, pas seulement parce qu’il est produit par H.P. Barnum. Willie Tee signe la plupart de ses cuts sous son vrai nom, Earl Turbinton. On commence à frémir avec le morceau titre, un très beau groove de Soul, mais c’est un groove de Soul underground, extraordinairement pur. Il tape soudain dans le «Reach Out For Me» de Burt et ça bascule dans le génie. Willie Tee te groove le Burt à l’oss de l’ass, c’est puissant, infiltré, serré, mené à la poigne, darling reach out for me, et là tu as la clameur des Edwin Hawkins Singers. Il atteint ce qu’on appelle une rare dimension. Il balance entre les reins du Reach out et les filles claquent les chœurs comme si elles se faisaient trousser à la hussarde, wah-oouh wah-oouh. Il fait une Soul de timpani heavy jusqu’au délire avec «Walk Tall (Baby That’s What I Need)» et en B, il tape une cover de «By The Time I Get To Phoenix». Comme Isaac, il l’attaque au groove mystère, c’est-à-dire au groove black, et ça devient génial, les covers de Willie Tee sont des huitièmes merveilles du monde, il croise Jimmy Webb avec Fred Neil dans la black, sa cover te broie le cœur, ce mec te détruit et tu l’admires. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de la B avec «Take Your Time», Willie Tee s’impose comme un roi du groove de génie, et puis voilà «I’m Related To You», groové au round midnite du coin du bar, il pianote comme un démon, il est si vivant. Il explose l’«I’m Related To You», il l’envenime, et voilà que coule un solo de gratte envenimé lui aussi, presque liquide. Tu écouterais Willie Tee jusqu’au bout de la nuit. C’est un magnifique artiste. Ses ambiances démentes l’ont rendu culte.     

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             Paru en 1976 et malgré une pochette fantastique, Anticipation n’a pas marché. Willie Tee a beau avoir de l’ampleur, Anticipation n’anticipe rien. Willie fait une Soul des jours heureux et du soft groove à forte valeur ajoutée. «Do What You Want» sonne comme un classic jive, sans distinction particulière. Il passe au heavy groove de Bogalusa avec «Liberty Belle». Il est bon le Tee, mais pas révolutionnaire. D’où le peu d’albums. Il attaque sa B avec le morceau titre et fait comme Marvin, il prône l’amour avec des nappes de violons. C’est admirable. La B est nettement plus convaincante que l’A. Willie Tee nage dans le bonheur. Avec «Let’s Live», il tape en plein dans le Marvin de What’s Going On, il a les même accents que le Marvin de «Save The Children».  

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                Les amateurs de jazz se régaleront de Brothers For Life, l’album qu’a enregistré Willie Tee avec son frangin Earl Turbinton. Willie pianote comme un crack, mais c’est un album de jazz instro.    

    Signé : Cazengler, Tee-nette

    Willie Tee. I’m Only A Man. Capitol Records 1970   

    Willie Tee. Anticipation. United Artists Records 1976   

    Earl Turbinton Featuring Willie Tee. Brothers For Life. Rounder Records 1988

     

    *

    A peine cinquante longues années d’impatience. Les rockers ne désespèrent jamais. Et ce soir dès que je me pointe sur YT une vidéo s’offre à mes regards hagards et éblouis :

    TORONTO ROCK ‘N’ ROLL REVIVAL

    13 SEPTEMBRE 1969

    (You Tube / Arte)

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    Non ce n’est pas le film Sweet Toronto / Keep on Rocking sorti en 1969 de D.  A. Pennebaker mais un documentaire de Ron Chapman diffusé à la TV canadienne. A l’inverse de Woodstock le Toronto Rock ‘n’ roll Festival n’a pas laissé auprès du grand public un souvenir impérissable… 

    La sortie du film de Pennebaker déçut une grande partie des fans de rock’n’roll non par ce qu’il montrait mais par une séquence qui n’avait pas été retenue au montage final. Pas plus tard que ce mois d’août j’en discutions encore avec Eric Calassou.

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    Toronto a failli être annulé. A peine 2000 billets vendus ! L’affiche était pourtant alléchante, Jerry Lee Lewis, Bo Diddley, Chuck Berry, Gene Vincent, Little Richard, plus une vingtaine de groupes d’époque comme Steppenwolf, même en rajoutant les Doors in extrémis pour friandiser la sauce la mayonnaise ne prenait pas. C’était pourtant une occasion inespérée de voir les Doors, tous leurs concerts venaient d’être annulés après leur tumultueuse prestation à Miami.  Pour bouger ces maudits canadiens fallait une énorme vedette, une figure tutélaire, encore plus fort qu’Elvis.

    Il n’y en avait qu’une : c’était John Lennon. L’idée provient de Kim Fowley qui se révèlera être un merveilleux aboyeur pour présenter et pulser l’énergie des groupes sur scène. L’incroyable se produisit, Lennon accepta de venir. Le docu vous explique tout cela en long et en large. L’est même centré sur sa personne (et celle de Yoko collée à lui comme le timbre sur l’enveloppe). Ce sera la première apparition du Plastic Ono Band sur scène. Public mitigé. Perso j’aime bien les glapissements de Yoko, très préfiguratifs de la moise-music et non sans accointances avec la musique expérimento-classique de l’époque dans la suite généaologique de L’Art des bruits de Luigi Russolo. Remarquons que sur le premier disque de Chicago Transit Authority, présent à Toronto, un titre de ce double-album était composé de stridences et de grondements larséniques et disharmoniques au possible, en avance de quelques années sur le Metal Machine Music de Lou Reed. De toutes les manières déjà le free-jazz était parvenu à cette idée praxistique de saturation phonique…  Un nouveau départ pour John qui signe la fin des Beatles, si l’on croit le docu, Toronto fut pour cette raison un évènement historique. Les fans de Lennon ont intérêt à regarder cette vidéo.

    Evidemment la parole est donnée aux organisateurs de ce festival. Le montage n’a gardé que l’essentiel de leurs interviewes, ce qui un demi-siècle plus tard oblitère la désagréable impression de vieux combattants un peu ennuyeux que l’on retrouve trop souvent dans les documentaires rock. Venons-en au nerf de la guerre : les concerts ne sont pas retransmis en entier, plusieurs heures seraient nécessaires, hormis les pionniers Alice Cooper et Chicago Transit Authority, et Plastic Ono Band sont privilégiés.

    Pour la petite histoire Alice Cooper qui servit aussi de backing group à Gene Vincent donna un concert mirifique qui lui conféra du jour au lendemain une réputation épouvantable, de celles à laquelle soit on ne survit point, soit on en tire un extraordinaire profit.

    La réunion de nos cinq pionniers du rock n’avait pas occasionné une ruée sur les billets. Ils font déjà partie d’une génération passée, le public rock s’est constamment renouvelé, pour chacun d’eux c’est une occasion inespérée de refaire surface. Ils vont saisir leur chance avec brio, ils surprennent et ravissent une grande partie de l’assistance qui n’était pas spécialement venue pour eux. Les séquences qui leur sont dévolues sont relativement brèves, elles doivent provenir du film ou des rushes de D. A. Pennebaker, mais pour la première fois depuis cinquante ans que les rockers en rêvaient l’on a enfin accès à quelques instants de la prestation de Gene Vincent. Cette tardive exhumation comblera tous les fans de Gene.

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    Trois ans plus tard, au mois d’août 1972, aura lieu au stade de Wembley le London Rock ‘n’ Roll Show qui inaugurera en Europe le véritable revival du rock’n’roll ‘’ old style’’ – une des racines les plus importantes du mouvement rockabilly français – l’on y retrouvera : Jerry Lee Lewis, Little Richard, Bo Diddley, Chuck Berry et Bill Haley avec ses comètes. Vous remarquez l’absence de Gene Vincent. Décédé au mois d’octobre 1971.

    Trop tôt. Trop tard.

    Damie Chad.

     

    *

    Les allemands sont réputés pour leur sensibilité écologique. Le metal aime  à se vautrer dans les sujets apocalyptiques. Beaucoup de groupes explorent les mythologies antiques, radios, télés, réseaux sociaux nous abreuvent toutes les heures de la proximale catastrophe climatologique qui se rapproche de nous à vitesse grand V… Puisque le pire s’essuie les pieds sur le paillasson de notre seuil à coups de tornades, de pluies diluviennes, et de sécheresses dévastatrices, la tentation est grande pour certains groupes d’utiliser ce cataclysme annoncé comme thématique principale. En préparation à la parution en ce mois d’octobre de Nightmare, leur troisième album, le groupe allemand Heretoir a posté sur YT une nouvelle vidéo.

    CLACIERHEART

    HERETOIR

     ( from Nigthmare / PN / Oct 2023)

     Eklatanz : vocals, guitars / Nathanael : bass, backing vocals / Max F : guitars / Nils Groth : drum / Kevin Storm : guitars.

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    Glacierheart : ( vocal : Nikita Kamprad de Der Weg einer Freihei = Le chemin de la liberté ) visuellement ils cherchent la difficulté, il ne se passe pas grand-chose sur cette vidéo de plus de dix minutes, pourtant on ne la quitte pas des yeux. L’est sûr que cette splendeur mélodique post-metal vous rive au paysage. Cimes de sapins ombreux en intro, vite subjuguées par le déferlement hymnique des guitares et la spectrale apparitions de ces troncs élancés serrés les uns contre les autres, vous avez l’impression d’être propulsé dans le bois perdu où nul être vivant n’oserait poser le pied. Pour tout compagnon de survie vous n’aurez que les gothiques lettres blanches des lyrics qui s’affichent sur l’émeraude crépusculaire envahissante dans laquelle sont englobées les formes noires des paysages.  Rase-mottes au-dessus de l’innombrable foret, la voix s’élève en même temps qu’un vol lourd de corbeaux, vite remplacé par l’éparpillement de rares flocons de neige dont la maigreur ajoute à la désolation ambiante. Un vocal surchargé de brouillard ne vous rassure pas, des arbres aux fûts gelés flambent, rémission, une guitare chantonne doucement, la caméra vole plus haut et dévoile de contraignants massifs montagneux aux flancs enneigés. Un homme, capuchon noir, silhouette erratique, marche dans ces vastitudes dépourvues d’âme, les paroles nous renseignent et nous enseignent, il cherche non pas un refuge mais au milieu de ces solitudes stériles le lieu où il pourra entendre l’esprit de la nature, des brumes l’ensorcèlent, d’infranchissables aiguilles rocheuses l’ensorcèlent, la batterie se déchaîne au moment où le lyric devient poésie où le dire délire, il chevauche les loups, il transporte les bois du dernier des Cerfs blancs, tout s’accélère, il cherche les paroles émises par les glaciers en train de fondre, la glace relâche des perles d’eau, clepsydre dont la dernière goutte sera l’heure de votre mort, musique et chants se transforment en une longue symphonie, la batterie roule comme la pierre dévale la pente du déclin, elle rebondit en derniers soubresauts, plus qu’une guitare et une prière, un adieu de désespérance, la bouche d’ombre des glaciers s’est tue, il est trop tard, en bas dans les plaines et les villes les machines broient les derniers arbres, une dernière tornade de colère et de haine contre ce monde technologique qui a secrété la mort de l’humanité. Nuages noirs et tempête sonore de grésil blanc nous recouvre.

    Beauté et puissance. Cette magnificence noire nous a donné envie d’en voir davantage. Voici le premier titre de leur avant-dernier ouvrage : Wastelands, tout comme le précédent sur YT l’Oficial Music Video avec lyrics.

    ANIMA

    HERETOIR

    ( from Wastelands / Supreme Chaos Records / Mai 2023)

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    Dans la même veine que le précédent. On l’attendait davantage expressionniste. Nuages noirs. Sombres bosquets hivernaux. Une intro qui surgit à la manière d’une longue rafale de vent que l’on pressent infinie, une tête s’affiche en transparence, une tête surmontée de bandage et deux mains agrippées sur les yeux, peut-être pour les arracher, peut-être pour ne pas voir, la caméra s’engouffre dans un paysage désertique pour déboucher sur un paysage incertain, terrestre ou maritime, la tête apparaît alors que sur sa droite déferle une eau de mer, une barre rocheuse  surmontée d’un village cèle  celles des vagues qui s’en viennent mourir sur les rivages, longue plage sableuse, le vocal démarre sur une l’image symbolique d’un arbre printanier entourée d’énormes  bougies pour souligner cette merveille, qui ne tarde pas à perdre ses feuilles et à se transformer en un tronc solitaire dont les branches semblent lancer un ultime appel au secours que ne sauraient entendre les bâtiments de la ville tassée sur elle-même au fond du paysage, le visage s’incruste sur l’écran, le corps de l’homme s’agite en vain devant nous, il lève les yeux vers le ciel, comme un ange qui regarde le paradis perdu, il tord ses membres, il demande à être entendu, ou plutôt à entendre quelque chose qui viendrait de lui, qui proviendrait de la partie animale de son âme, cette anima qui nous relie à tout ce qui n’est pas nous, à l’autre et à l’univers, sans quoi il va mourir pour rien, il a pris la place de l’arbre mort, au milieu d’un cercle de lanternes sourdes, il s’agite, il se tord, il supplie, sa silhouette s’inscrit en filigrane sur un vaste paysage, son désarroi atteint à une dimension planétaire et pratiquement universelle car pour l’humanité la terre est sa seule origine, en vain, il ne veut pas être comme nombre de ses semblables qui sont morts à l’intérieur d’eux-mêmes, il cherche une porte à l’intérieur de lui, ses doigts se referment spasmodiquement sur son totem, un bois de cert blanc, peut-être du dernier mâle de la harde qui vient de mourir, agenouillé ses ongles griffent la terre, léger arrêt de la musique, une infinitésimale coupure, tout est-il si vain, la mer se déchaîne indifférente à ses angoisses, mais le plus terrible reste le silence de son âme d’où rien ne sourd, stérile, il se voile la face, il clame qu’une porte est en lui, qu’elle s’ouvrira, la caméra inspecte la terre sans herbe, sans fleur, seules quelques jonchées de bois mort éparpillées, il a beau hurler la mort psychique se rapproche, l’anima figée au fond de lui ne répond pas. Aussi désespéré qu’un rapport du Giec !

    Comparée à la précédente cette vidéo très esthétique nous semble pour reprendre une célèbre parole de Nietzsche, humaine, trop humaine. L’espoir, fût-il insensé, fait vivre. Le lecteur aura remarqué la concordance des thèmes.

    En voici une autre tirée du même opus qu’ Anima et qui aborde un thème que nous avons à peine effleuré en chroniquant Glacierheart. Chronologiquement il indique la cause du désarroi, tant au niveau de la nature que de l’humanité, mis en scène dans les deux premiers clips.

    TWILIGHT OF THE MACHINE

    HERETOIR

    ( from Wastelands / Supreme Chaos Records / Octobre 2023)

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    D’un genre tout à fait différent que les deux précédentes. Une musique vite  mastédonienne, pesante, lourde et lente dès que disparaît de l’écran cette silhouette féminine dont la robe de mariée s’effeuille au vent  et des images bleutées, pas le bleu céleste ouranien mais le bleu sombre du blues, alternent alors les vues des musiciens, est-ce un hasard si le batteur forgeron apparaît en premier, avec ce visage d’ouvrier attaché à son boulot, guidant à l’aide d’une chaîne un lourd palan au crochet monstrueux, dur labeur qui capte sans rémission son esprit et son attention, hurlement du chanteur grande gueule ouverte, un peu comme s’il magnifiait toute la tension contenue dans les gestes du prolo, auquel bientôt vient s’adjoindre un deuxième  ouvrier qui porte en équilibre sur son épaule une lourde poutre, le lecteur français ne pourra s’empêcher d’évoquer le roman L’homme de la Scierie d’André Dhôtel, flashes des membres du groupe en train de battre le metal tant qu’il est brûlant contrastant avec ces travailleurs écrasés de fatigue regardant l’heure qui stagne au cadran de leur montre-gousset, sans doute est-ce le moment de se remémorer les textes de Marx sur l’aliénation au travail, et de réfléchir pourquoi il n’y a pas dans le titre de ‘’ s’’ à machine. Vraisemblablement parce qu’il faut entrevoir l’usine comme un lieu empli de machines qui rivent l’homme à un travail pénible et fastidieux mais surtout concevoir la machine en tant que matrice de la société moderne qui dans toute entreprise emprisonne l’ensemble des travailleurs quels que soient leurs métiers ou leurs grades dans le carcan d’une existence artificielle et peu épanouissante. Confirmation de cette analyse par les images suivantes, un homme déambulant dans un sentier de montagne, il suit un lacet qui le ramène dans la direction opposée à celle par laquelle il se dirigeait, l’on ne peut s’empêcher de penser à l’image poétique par laquelle la pensée humaine doit, selon Heidegger, se mouvoir en dehors du trajet rectiligne de l’emprise technologique en empruntant cette khere, ces tournements et retournements nécessaires à la lente et capricieuse élaboration d’une approche en route vers la nature de l’être humain que nous sommes en tant qu’Être, les uns sont attelés à des tâches ingrates et répétitives, l’un assis au bord d’un ruisseau griffonne un dessin sur un bout de papier, les musiciens jouent, notre voyageur torse nu dans une vaste rivière, retour à l’état primitif dans un vaste paysage coloré dont il n’est plus qu’une parcelle libre dénouée de toute obligation, la musique semble se désagréger pour reprendre par un martelage appuyé, notre vagabond nimbé d’un orange solaire se retrouve dans un atelier  à la pelle, sale, hirsute, soumis à une cadence accélérée, le doux rêve s’est métamorphosé en la dure réalité. Point de soleil, mais la fournaise des fours, notre héros fatigue, le vocal devient de plus en plus violent, un réquisitoire implacable contre cette société esclavagiste, le compagnon titube, il aperçoit notre mariée du début, serait-ce le symbole de cette nature dont le travail lui a fait perdre le contact, il s’approche, elle lui prend la montre, elle le libère du temps, le voici couché en pleine nature, belles visions de cartes postales du bonheur, n’ayez crainte ce n’est qu’un mirage, un antidote à l’écrasement du travail, à cette torture déshumanisante, il marche en pleine campagne, le groupe est là pour lui rappeler que le temps perdu ne se rattrape jamais. La musique s’assombrit, elle ralentit, il marchait dans la forêt, vues funèbres de l’atelier, endroit d’annihilation, son cadavre repose auprès de l’établi. Nous songions au crépuscule de la machine. C’était juste le crépuscule de l’Homme.

             Vidéo sans concession produite par Oliver König & Klara Bachmair.

    Rien à rajouter si ce n’est la nécessité de la révolte.

    Damie Chad.

     

    *

    Je venais juste de finir sur YT une des neuf émissions d’Arte sur Country Music : une histoire populaire des Etats-Unis, série didactique emplie d’archives que je recommande, sans que je fasse un seul clic s’affiche sur l’écran une nouvelle vidéo inconnue. Rien qu’à l’étendue profilée d’un champ de blé, je suppute, avec ce flair de rocker qui ne me quitte et ne me trompe jamais, que c’est un clip country. Je clique et évidemment mon instinct ne m’a point fourvoyé. Les mauvaises langues diront que c’est surtout ces trois jolies filles assises au premier plan, ah ! la blondeur de ces trois chevelures qui éclipse celle du blé, qui auraient motivé mon intérêt profond, je m’inscris en faux contre ces assertions venimeuses, juste ma sensibilité heideggerienne à la problématique de l’origine. Jugez-en par vous-même grâce au titre :

    THE CASTELLOWS : THE BEGINNING

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     Toute la mythologie américaine synthétisée en deux minutes. Sans une seconde supplémentaire. Premières images idylliques : trois petites filles, tour à tour devant un piano, chantant ou jouant, à la maison, devant leurs camarades de classe, lors d’une représentation de ce que je qualifierais, pour trouver un équivalant en notre langue, un spectacle de centre aéré. C’est mignon, c’est charmant. L’enfance ne dure jamais assez longtemps. Sur les images suivantes elles ont grandi, elles se présentent, LILY : lead singer / ELLIE : soprano, lead guitar / POWELL : alto, banjo / ensuite en de très courtes séquences, on les voit dans la ferme familiale poser devant un tracteur, monter à cheval, pagayer dans un canoé, jouer au cowgirl, pratiquer le tir à l’arc, chanter ensemble, caresser un chien… sur la fin de la pellicule la couleur disparaît, quelques images fugitive en un noir et blanc pas du tout contrasté et un peu évanescent, sans doute pour induire l’idée que le bon vieux temps n’est jamais tout à fait disparu. Sur leur site ne s’inscrit-il pas qu’elles produisent un country néo-traditionnel.

             C’est bien fait, du beau boulot, un bon travail promotionnel, j’aimerais en savoir davantage.  

             Nos sisters sont originaires de Georgetown (Georgie). Leur enfance se déroula dans la ferme parentale, elles ont été scolarisées à la maison ce qui leur permit d’apprendre plusieurs instruments… Notons que Eleanor ( Ellie ) et Powel sont jumelles, soyons précis elles ne forment pas avec leur frère Henry les triplettes de Belleville mais les triplés de la famille Balkom, Lily est leur cadette. La suite est des plus classique : en grandissant elles ont commencé à jouer un peu partout dans leur ville natale, église, écoles et festivités privées…  elles ont acquis une petite célébrité locale  qui leur a permis de monter sur scène dans avec des vedettes régionales Mill Jam et Elie Cain…

             Leur site nous apprend que depuis quelques mois elles résident à Nashville et qu’elles ont été remarquées (faudrait-être aveugle pour ne pas les voir) par les milieux musicaux… jusqu’à ce jour aucun album en vue… Elles présentent sur leur site et sur YT une série de vidéos intitulées Silo Sessions. Il existe à Nashville un immense bâtiment nommé Silo Studios dans lequel vous pouvez louer des espaces pour organiser toutes sortes d’évènements. J’ignore si ces Silo Sessions ont été enregistrées en cet endroit qui apparemment ne possède aucun studio d’enregistrement. A moins que ce soit un enregistrement au bas d’un silo de la ferme familiale.

             C’est Ellie qui compose les morceaux et écrit les paroles. D’après ce que j’ai compris elle exerce un certain ascendant sur ses sœurs.

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    Sophie and Buddy : toutes les trois, toute belles, poussez un peu les volumes pour mieux entendre les harmonies vocales, quelques accords de guitare et Lily qui vous fixe de ses yeux bleus, ne fermez pas les vôtres et admirez les trois grâces, la Lily elle vous mènerait au bout du monde, alors si vous ne comprenez pas grand-chose à l’anglais chanté, je vous en prie, restez-en là, elles sont si mignonnes avec leurs petites minauderies, charmantes, vous êtes sur un nuage rose, si une curiosité malsaine vous pousse à lire les lyrics sous la vidéo, vous ne dormirez pas de la nuit, votre nuage rose va se teinter de sang, comment peut-on raconter de telles horreurs avec cette voix toute gentillette que vous prenez pour lire Petit Ours Brun à votre gamin pelotonné contre vous. C’est un peu comme Frankie and Johnny mais en plus sordide. Un fait divers qui vous glace le sang. Traditional sure, but very gore.

    State-line living : le même décor, toutes trois devant un fond gris, vous remarquez que Powell fait un peu la moue, mais quand les notes de son banjo se superposent à la guitare d’Ellie vous l’entendez, une espèce de ballade, innocente avez-vous pensé, les paroles vous tournebouleront, toutes simples et parfaitement incompréhensibles, une solitude et une mélancolie qui vous est étrangère puisque vous ne savez pas quelle expérience précise elle relate, la tristesse, le malaise d’habiter à la frontière de l’Alabama et de la Georgie et de cette coupure que cela induit entre les êtres et à l’intérieur de soi..

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    Southeast past of home : guitare et banjo, on a du faire un signe à Powell parce que son visage s’épanouit d’un large sourire, le manche de la guitare d’Ellie semble vouloir percer l’écran de l’ordi, après tout ce sont ses paroles, sa sensibilité que Lily exprime avec autant d’émotion retenue, un truc vieux comme le monde, je suis mieux chez moi que partout ailleurs, mais si bien ancrée dans les paroles que vous sentez qu’en dehors du Sud-est de la Georgie rien ne vaut la peine, la chanson dépasse à peine les deux minutes, pas une seconde de répit pour Lily, une véritable épreuve vocale, avec cette manière particulière de détacher tous les mots qui vous offre une sensation d’éternité.

    Cowgirl blues : elles y mettent tout leur cœur, elles sourient, elles rient, l’on sent que le sujet les concerne, normal il parle des garçons, de l’incompréhension que leurs comportement suscitent, elles échangent des regards pleins de sous-entendus, elles savent très bien ce qu’elles veulent, et pas très bien ce qu’elles ne veulent pas, je crois que les mouvements féministes de par ici renâcleraient quelque peu, mais elles expriment des incertitudes et des volontés qui ne sont qu’à elles et l’on sent qu’elles n’en démordront pas.

    Bring a little home with you : accord total, very traditional, emmène toujours un peu de toi partout où tu iras, le chemin te ramènera à la maison, l’on sent qu’elles expriment leur être profond, peut-être pour cela que la voix monte plus haut, et que les harmonies se posent plus fortement, là où ça fait mal. Là où ça fait du bien.

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    Sticks without stones : on aperçoit davantage les instruments, Lily gratte un peu une guitare, une ballade davantage appuyée qui prend le contrepied de la précédente, les filles sont pleines de contradictions, je ne saurais rester avec toi si tu n’acceptes pas ma liberté. Un régal de les regarder chanter et s’exprimer par d’infimes mouvements, la voix de Lily est ensorcelante, elle ne la force jamais, mais elle détache les mots comme des perles qui se détachent d’un collier et que vous ne retrouverez jamais plus. Vous les regretterez tout le restant de votre vie.

    Date country : le banjo de Powell mange le coin gauche du bas de l’écran, Lily s’est coiffée d’une casquette, Elie arbore un visage plus romantique que sur les vidéos précédentes, Powell ferme les yeux, les filles chantent leur idéal amoureux, il faut qu’il soit avant tout épris du lieu où lui et sa famille ont vécu depuis longtemps. Le lieu et la formule dixit Rimbaud.

    A cette série est ajouté : I see fire : une cover d’Ed Sheeran ( chanteur et guitariste anglais ) : elles ne l’interprètent pas au hasard, elle évoque un incendie sur une montagne qui menace les habitations… : nous ne sommes plus au même endroit, vraisemblablement sur la véranda d’une ferme américaine, toutes les trois debout, on les croirait sur scène avec le noir de la nuit derrière elle, elles commencent à chanter et à jouer, le plus important ce sont les regards inquiets qu’elles échangent, des éclairs illuminent le ciel, la vidéo se coupe brutalement.

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             Sur leur chaîne You tube vous trouverez une douzaine de reels de moins d’une minute, ces courts extraits ont été vus des milliers de fois et ont dû drainer des milliers d’admirateurs sur YT .

             Je ne sais ce qu’elles deviendront, elles poursuivent leurs études, Powell suit une école d’agriculture pour reprendre la ferme de ses parents.

             Elles commencent à tourner…

    Damie Chad.

     

    *

     Une erreur peut se révéler bénéfique. Une image qui défile à toute vitesse, oh ! on aurait dit une vue du Golf Drouot, retour en arrière, non rien à voir, où avais-je la tête ! Tiens un groupe dont j’ignore tout. Une belle dégaine en tout cas. En piste et en chasse !

    LIPSTICK VIBRATORS

    Un truc qui vibre sur des lèvres, je vous laisse choisir lesquelles, cela interpelle. Pas de chance z’ont l’air de ne plus avoir fait grand-chose depuis 2014, se sont formés en 2006, mais sur le site Pirate-Punk j’apprends qu’ils se sont reformés en 2019 avec un nouveau line-up. Feu de paille ? Leur FB est aux abonnés absents. Je n’en sais rien. Il ne me semble pas avoir aperçu leur nom de-ci de-là ces dernières années. Quelques minutes se sont écoulées depuis la fin de la dernière phrase, une tournée voici une année et un concert à l’International ces dernières semaines. Plus un lien efficient vers leur FB ; Ils sévissent encore ! J’adore remonter les pistes, j’ai l’impression d’être le héros de James Olivier Curwood dans Le piège d’or. En attendant d’en savoir plus penchons-nous sur un des méfaits accomplis par cette horde barbare : ne se définissent-ils pas sur leur bandcamp comme un pure savage rock’n’roll band !

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    Une pochette qui vous met l’eau à la bouche. Blanche et noire. Toute la tragédie burlesque de la vie, malgré cela derrière leurs lunettes noires les guerriers du rock’n’roll résistent.

    Dandy Pumpkin : vocal / Cox Tornado : basse / Tom Idle : guitar, voval / Matt Crusher : drums, vocal

    LOW WINTER BLUES

    (CD : Altitude Records / 2014 / Smap Records / 2022 )

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    ( Pochette 2014 )

    To the outsiders : dès les premiers horribles grincements vous comprenez que ces gars-là ne sont pas des menteurs, tiennent leurs promesses, souveraine sauvagerie ! C’est si rapide que vous ne savez pas par quoi commencer. Pour moi c’est le batteur, Crusher vous a une de ces frappes élastiques, je cherche dans mes souvenirs, non je n’ai jamais un beat aussi rebondissant, un ressort, une balle de squash qui tamponne les murs avec une précision diabolique, puis il y a  le vocal, fondu dans le background, un peu comme ces bonbons qui collent si bien au papier que vous êtes obligé de l’avaler aussi et ça vous donne un petit goût acidulé d’imprimerie, car nous sommes en présence d’un gosier qui imprime fort, les mots jaillissent de sa bouche et vous cisaillent  le visage comme les pinces du homard que vous avalez vivant, elles dépassent de votre bouche, le crustacé règle ses comptes avec vous. Enfin les guitares, trois Triumphs qui se tirent la bourre sur le Circuit Carole et laissent échapper deux soli dantesques. Deux minutes, un hymne aux outsiders qui ne savent acquiescer à la laideur du monde. This side of brightness : une intro un peu en dérapage incontrôlée, de beaux reflets sur une carrosserie. Noire. Nous sommes bien de l’autre côté de la lumière sur le versant sombre des cauchemars qui peuplent les nuits de ceux qui passent leur vie à ne pas la vivre. Revendication de la marge. Batterie psychopathe, basse endémique, guitares froissées, vocal en cri de haine d’indiens sur le sentier de la guerre. Un shoot de rage et de révolte, qu’aucun bâillon ne saurait contenir. Retarded loser : celui-là on ne l’attendait pas, la balle qui arrive si vite sur vous et vous tue avant que la détonation n’ait eu le temps de vous avertir du danger, au milieu ce hennissement instrumentalisé d’un cheval édenté qui perd ses dents alors qu’il galope, l’ai peut-être remis vingt fois avant de passer au suivant. Un bijou, une œuvre d’art à part entière. ( I feel like) the dayy of my birth : un démarrage clopin-clopant, faut bien qu’ils reprennent leur souffle, bien sûr il y a cette guitare qui s’amuse à jouer du kazou, la basse qui trombonise, mais la batterie et le vocal ne l’entendent pas ainsi, jouent au klaxon qui arrivent sur les lieux du désastre avant l’ambulance. L’est vrai que le bébé est né avant de naître. Vous concevrez qu’il soit tout à fait normal que ce morceau revête une apparence de folie surréaliste. Jessica : martèlement des guitares, c’est reparti pour Cythère. Tarifé. A fond de train. Cette fois vous avez un refrain dans le morceau. Le chanteur se métamorphose en chateur, il miaule de toute son âme. Chaque miaulement comme un jet de sperme brûlant dans le vagin de Jessica qui l’ouvre à tous. Un véritable bordel ce morceau. Suis sûr que vous allez faire la queue pour l’écouter. Ne riez pas. C’est le destin qui vous choisit et pas le contraire. She’s living in fear : sujet délicat. Morceau brûlant. Qui oserait l’écrire de nos jours. Vous admirerez cette fausse fin sifflante qui siffle sur nos têtes, suivie de ce final monstrueux. Splendide. Magnifique. Cent pour cent rock ‘n’ roll. Irremplaçable. Something about a gun : une fusillade, ici on admire en esthète, le fuselage racé de ces guitares qui vous court dans les oreilles, cette batterie qui vous entraîne sur les mauvais chemins, ce chant qui fait la course en tête, un bel objet rock ‘n’ roll comme l’on n’en fait plus. Maîtrisé de la première note à la dernière, un cadeau à l’Humanité. I’m coming back to you : je n’en dirai pas plus, terminent l’opus comme ils l’ont commencé et continué tout du long. Pas un titre qui dépare dans cet album. Huit missiles à longue portée qui touchent leur but, vous détruisent et du même coup vous ressuscitent. D’une beauté noire et incandescente.  Sans concession. Rock ‘n’ roll.

             Les galons d’or du rock français. Qui a osé faire mieux par ici ? La classe internationale.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 614 : KR'TNT 614 : ELVIS PRESLEY / JOE MEEK / ANTON NEWCOMBE / LULLIES / RACHEL STAMP / ROCKABILLY GENERATION NEWS 27 / MYKOSTERION / OLLA VIA / HOWLIN' JAWS / ROLLING STONES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISONS 614

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 10 / 2023

     

    ELVIS PRESLEY / JOE MEEK

    ANTON NEWCOMBE / LULLIES / RACHEL STAMP

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    MYKOSTERION / OLLA VIA

    HOWLIN' JAWS / ROLLING STONES

     

     

    Elvis et la vertu

     - Part Four

     

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             Victime de sa notoriété, Peter Guralnick revient deux fois cette année dans le rond le l’actu : avec The Birth Of Rock ‘n’ Roll: The Illustrated Story Of Sun Records And The 70 Recordings That Changed The World (qu’il co-signe avec l’excellent Colin Escott) et Elvis 1956. On dépiautera The Birth Of Rock ‘n’ Roll une prochaine fois. Cette semaine, on va se contenter d’examiner les entrailles d’Elvis 1956. Et accessoirement d’y lire des oracles.

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             Elvis 1956 est une sorte de petit coup de maître. Si tu veux apprendre à écrire, lis Guralnick. En matière de rock-writing, c’est un modèle. Rock au sens large. Guralnick écrit aussi sur le blues, la country et surtout l’intelligence des gens. Guralnick ne s’intéresse qu’à ça, à l’intelligence. Donc il nourrit son lecteur. Il fait partie des auteurs qui te mettent en sécurité. Guralnick ? Les belluaires et porchers n’y vont pas.  

             Pour l’Elvis 1956, l’éditeur aurait pu très bien choisir comme sous-titre «La Rançon De La Gloire». Eh oui, Guralnick a déjà fait deux fois le tour d’Elvis avec Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley. La messe était dite, et bien dite, et même redite avec le Sam Phillips de 700 pages. Mais l’idée de redire tout le bien qu’il faut penser du premier album d’Elvis est une idée géniale. Le premier album sans titre d’Elvis est en quelque sorte un point de départ. LE point de départ. Pas de discothèque crédible sans cet album. Un album qui fait honneur à l’île déserte. Même s’il est sorti sur RCA. Et pourtant, comme nous l’explique Guralnick, c’est encore du Sun, puisque Bill Black et Scotty Moore sont dans le studio. Donc ça rocke. Et c’est qui qui t’emmène dans le studio ? Guralnick !

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             Avant d’entrer dans le studio RCA de Nashville, jetons un petit coup d’œil sur l’objet. Pas trop cher, l’Elvis 1956 se présente sous la forme d’un petit book coquet, de la taille d’un livre de poche, mais avec une couve en dur, car le CD de l’album est encastré dans la troisième de couve. Petit aussi par la pagination : 80 pages. Tu l’as bien en main. Superbe équilibre : grand artiste, grand auteur, grand disque, petit book, belle langue, peut-on rêver mieux ? La réponse est non. Le book est farci d’images d’Elvis en studio, alors pour l’œil, c’est du gâtö. On se lasse beaucoup moins des photos d’Elvis Presley que de celles d’Elvis Costello.  

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    ( Steve and Elvis ! )

             En vieux loup de mer, Guralnick commence par planter son décor. Le mec qui a racheté le contrat d’Elvis n’est pas le Colonel comme le pensent le belluaires, mais Steve Sholes, un A&R d’RCA. Il porte la responsabilité du rachat, une somme astronomique pour l’époque. RCA veut donc un retour sur investissement. Sholes a pour mission de commercialiser ce petit trou du cul d’hillbilly dont personne, excepté dans le Sud, ne sait rien. Sholes a donc choisi des chansons commerciales du genre «Wham Bam Zigetty Zam» pour la première session prévue à Nashville en janvier 1956. Il faut séduire le vaste public des rombières réactionnaires qui regardent chaque jour midi et soir le journal télévisé.

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             Le petit trou du cul d’hillbilly n’a que 21 ans. Il n’a même pas écouté les conneries que lui a fait passer Sholes. Fuck Sholes ! À 14 h, il se pointe au studio en pantalon rose et bam ! Il claque «I Got A Woman». Pas prévu au programme. Sholes, nous dit Guralnick, est consterné. Le petit trou du cul d’hillbilly fout le souk dans la médina d’RCA ! Il shake son Got comme s’il était sur la chaise électrique. Il rocke son Got devant un public qui n’existe pas. Guralnick manque de mots pour dire sa fascination. Alors il se tourne vers Chet Atkins qui assiste à la séance - A phlegmatic man qui avoue ne pas être un big fan of the new music - mais, ajoute Guralnick, Chet Atkins est tellement frappé par la singularité de la performance qu’il va passer un coup de fil à sa femme pour lui dire de venir tout de suite au studio pour voir ça - I told her she’d never see anything like this again, it was just so damn exciting.

             Eh oui, le petit trou du cul d’hillbilly est déjà une superstar. Il rocke Nashville. Il rocke les esprits, même les esprits conservateurs. Il rocke Chet. Il ne rocke pas encore Sholes - Sholes for his part was more perplexed than excited - mais on s’en fout. Sholes comprendra plus tard, quand il verra les ventes de l’album s’envoler. Oui, car quel album ! Guralnick fait deux pages sur la première séance, le petit trou du cul d’hillbilly enregistre «I Got A Woman», «Heartbreak Hotel» et «Money Honey».

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             C’est Elvis qui a choisi «Heartbreak Hotel». Il a flashé sur ce «gloom-laden eight-bar blues». Au même moment, Sun sort le «Blue Suede Shoes» de Carl Perkins. You can do anything ! Boom ! Directement au sommet des charts. Affolé, Sholes appelle Sam Phillips pour lui demander s’il s’est gouré en signant the wrong act. C’est Carl le pot aux roses ? Uncle Sam éclate de rire. Il rassure Sholes et ajoute cette phrase historique : «Just don’t try to make Elvis what he’s not.» Ne pas essayer de faire d’Elvis ce qu’il n’est pas. Guralnick en rajoute une petite couche : «Un conseil que Steve Sholes, a loyal company man, était probablement incapable de suivre.» Le troisième cut qu’Elvis enregistre lors de cette première session est le «Money Honey» de Clyde McPhatter - He possessed the kind of pure, ethereal tenor that Elvis sought all his life to emulate.

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             Ça tombe bien, tu les as tous les trois sous la main. C’est «I Got A Woman» qui ouvre le bal du CD encastré. Elvis prend la Woman sous les aisselles et la fait danser, hop hop oh yeah ! C’est la classe dé-fi-ni-tive. Il y met toute sa fougue. «Heartbreak Hotel» réveille de vieux souvenirs d’odeurs de malabars et de camors. On se délecte de la profondeur démente du gratté de Scotty et du slap de Bill Black. Et boom, voilà «Money Honey», assez rockab dans l’esprit, slappé au cœur du mythe et Scotty s’en va une fois de plus briller au firmament avec son chorus clair comme de l’eau de roche. Chaque fois que tu l’écoutes, tu frémis comme un gardon intrépide.

             C’est là où Guralnick est très fort : il nous montre comment ce petit trou du cul d’hillbilly, pris dans l’étau Colonel Parker/RCA, a réussi pendant un an à survivre artistiquement, c’est-à-dire rester fidèle à sa passion pour la musique noire. Attaquer sans prévenir avec Ray Charles et les Drifters, c’est tout de même extraordinaire. N’importe quel autre petit trou du cul d’hillbilly aurait accepté de chanter «Wham Bam Zigetty Zam» pour devenir tout de suite riche et célèbre. Elvis a su garder son intégrité, le temps d’un premier album. Il se fera bouffer un peu plus tard, et le Colonel finira par lui couper les deux jambes en virant Scotty et Bill Black. Ces mecs étaient capables de tout pour faire du blé, surtout de détruire mécaniquement un artiste aussi unique qu’Elvis.

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             Le petit trou du cul d’hillbilly renouvelle l’exploit de Nashville lors d’une session à New York fin janvier. Il ignore complètement les suggestions d’RCA Sholes et tape une cover de Roy Hamilton, l’un de ses «musical heroes», «I’m Gonna Sit Right Down And Cry (Over You)». Elvis situe Roy Hamilton au même niveau que Jake Hess, Clyde McPhatter et Bill Kenny des Ink Spots - each one a virtuosic singer in his own right - Elvis n’en finira plus de dire qu’il n’est pas aussi bon qu’eux et son entourage n’en finira plus de tenter de le convaincre du contraire. Elvis n’est pas dupe. Ne prends pas un hillbilly pour une bille, Billy. Guralnick qui est merveilleusement bien documenté, indique qu’Elvis finit par rencontrer Roy Hamilton en 1969 à l’American Studio de Chips Moman, et lui fait cadeau d’une des chansons qu’il prévoyait d’enregistrer, «Unchained Melody». L’autre hit qu’Elvis claque à la session de New York est le «Tutti Frutti» de Little Richard. Le petit trou du cul d’hillbilly reste dans le black sound. Elvis vénère Little Richard, Chucky Chuckah et Fatsy. Comme Elvis et Ray Charles, Little Richard vient du gospel, avec le whoooping en plus. Jamais en panne de précisions, Guralnick ajoute que Little Richard s’inspire essentiellement de Marion Williams, «with a dash of Sister Rosetta Tharpe thrown in for good mesure.» Little Richard, poursuit Guralnick, n’a jamais remis en cause la sincérité des hommages que lui rendit Elvis.

             Sa version d’«I’m Gonna Sit Right Down And Cry (Over You)» sonne comme le fast jive d’un King. Ces mecs étaient vraiment les rois du swing. Par contre, Elvis n’est pas crédible avec son «Tutti Frutti». C’est le territoire de Little Richard, oh rudie !

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             Toujours à New York, le petit trou du cul d’hillbilly rend hommage aux cracks de la Nouvelle Orleans avec «Lawdy Miss Clawdy». Infernal, Guralnick déterre le pot aux roses. Elvis vénère Smiley Lewis et «One Night (Of Sin)» «became one of his all-time favorites, qu’il va enregistrer un an plus tard sous le titre «One Night With You». Dans les conférences de presse, Elvis ne rate jamais l’occasion de rappeler que Fats is the real king of rock’n’roll.» Fats joue d’ailleurs sur le «Lawdy Miss Clawdy» de Lloyd Price, enregistré en 1952, chez Cosimo. On voit à quel point ces blackos étaient en avance. Ils rockaient déjà l’Amérique. Elvis va claquer «One Night With You» et «Lawdy Miss Clawdy» lors de son spectaculaire ‘68 Comeback. Le même jour, à New York, il enregistre une cover de «Shake Rattle And Roll» du grand Big Joe Turner. Ces deux cuts vont figurer sur le deuxième album.

             Quelle merveille que cette mouture de «Lawdy Miss Clawdy» ! Elvis est sans doute le seul blanc à sonner aussi black sur ce coup-là. Il y croit dur comme fer et derrière, Scotty charge bien sa barcasse.       

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              On trouve aussi des «Sun Sides» sur l’album, c’est-à-dire des cuts enregistrés à Memphis chez Uncle Sam, comme par exemple «Tryin’ To Get To You», un Tryin’ qui, selon Guralnick, aurait pu être l’«Elvis’ finest Sun moment», s’il était resté à Memphis quelques mois de plus. Elvis enregistre Tryin’ lors sa dernière session Sun, durant l’été 1955, et, précise l’infernal Guralnick, le cut sort d’un «obscure Eagles’ single (no, not THOSE Eagles, this was a Washington D.C.-based r&b group that recorded for Mercury) which was a hit only in Memphis.» Guralnick n’en finit plus de jeter tout son dévolu dans la balance. Chaque page de ce petit book est passionnante. Guralnick fait partie des auteurs qui savent faire vibrer un petit book. Il ajoute plus loin que «Tryin’ To Get To You» aurait dû être le sixième single Sun d’Elvis. Toujours selon lui, si Uncle Sam avait pu retravailler le Tryin’ en studio, «il aurait sans doute ralenti le beat d’un chouilla (slowed the beat down a hair) et aurait oublié le piano» qu’on entend sur l’RCA - But «Tryin’ To Get To You» still stand as one of Elvis’ most remarkable recordings, even as a work-in-progress.

             «Tryin’ To Get To You» est un heavy groove de Memphis illuminé par Scotty Moore. Ici, tu as tout : le plus grand chanteur américain de tous les temps, et le pur sonic genius de Scotty Moore. On salue cet extraordinaire équilibre et cette modernité. Aucun groupe de rock n’a jamais égalé le «Tryin’ To Get To You» d’Elvis & Scotty Moore. Vraiment aucun. Avec Trying, on est au sommet de ce que l’art du rock peut offrir.

             À New York, Elvis enregistre aussi sa mouture de «Blue Suede Shoes» avec Scotty et Bill Black. Guralnick indique qu’ils font 13 takes sans jamais parvenir à égaler Carl Perkins - They were never going to do it better than Carl - Mais Elvis ne lâchera jamais l’affaire, il continuera de le claquer sur scène avec le même enthousiasme, au risque de passer pour un gros has-been. Sa cover de «Blue Suede Shoes» est tout de même puissante, Elvis jette tout son poids dans la balance, il fout le feu à Carl et Scotty passe un wild killer solo flash. Carl devait être fier d’entendre cet hommage.

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             L’autre grande idole d’Elvis, c’est bien sûr Arthur Big Boy Crudup. «My Baby Left Me» n’est pas sur le premier album, mais Guralnick l’a collé sur le CD. Il donne la parole à Elvis : «Down in Tupelo Mississippi, I used to hear old Arthur Crudup bang his box the way I do now, and I said if I ever got to the place where I could feel all old Arthur felt, I’d be a music man like nobody ever saw.» Elvis a vu sa prédiction se réaliser, bien au-delà de toute expectitude. C’est avec le «That’s All Right» d’old Arthur qu’il a inventé en 1954 le rockabilly. Il enregistre en plus le «So Glad You’re Mine» d’old Arthur, aussi inclus sur le CD par Guralnick, qui, jamais avare de précisions sonnantes et trébuchantes, indique que dix ans auparavant, le cut fut un «number 3 on the r&b charts.» Elvis a fait coup double : il a permis à old Arthur de récupérer un peu de blé et, nous dit Guralnick, il n’a pas copié l’original mais «créé an exhilarating hommage to one of his guenine heroes.»

             Version démente de «My Baby Left Me», battue sec et descendue par Bill Black. Elvis tape ça au never said a word. Rien de plus wild sur cette terre. La perfection absolue.

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             Le premier album sans titre d’Elvis sort en mars 1956, soit un mois après la dernière session de New York. Ça ne traîne pas chez RCA. Succès immédiat. Sholes n’en revient pas. Allez hop, deuxième album ! Et puis RCA sort des singles, «Hound Dog», et «Don’t Be Cruel». Guralnick : «Quand Sam Phillips a entendu ‘Don’t Be Cruel’ pour la première fois, il jure qu’il a failli perdre le contrôle de sa bagnole. Il avait craint qu’Elvis se fasse bouffer par le corporatisme d’RCA, mais il s’est écrié : ‘Glory Hallelujah, now there is a groove.’ Il a senti qu’Elvis avait trouvé sa voie. ‘It was the total spontaneity. And the rhythm was moving along just right - it [was] pushing him, [but] he... had command.» L’«Hound Dog» est superbe, sans doute le cut le plus wild, le plus tranchant d’Elvis, ça swingue au ain’t no friend of mine et aux clap-hands, c’est le hit absolu, Scotty part dans les graves et monte au ciel.

             Il faut aussi saluer «Just Because», plus rockab, slappé à la vie à la mort, et derrière ça percute aux percus. Scotty y passe un solo cubiste. Quant au reste des cuts, ça baigne dans la bluette à l’eau de rose. Quel gâchis !

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             Guralnick précise encore que la pochette de ce premier album fut prise sur scène à Tampa, Floride, par un nommé Red Robertson. Rigolard, Guralnick ajoute que le Colonel possédait les droits et qu’il a vendu l’image très cher à RCA. Que dalle pour Roberstson. Du coup, Steve Sholes s’est retrouvé avec un album classique (contenu comme contenant) à son actif. Il ne l’a pas fait exprès.

             À la fin de ce très beau texte, Guralnick fait parler des témoins des sessions, histoire de rappeler qu’Elvis était un être extrêmement pur. Le photographe Al Wertheimer témoigne : «Quand un musicien se plantait, Elvis chantait off-key. Le musicien comprenait et faisait gaffe. Elvis n’a jamais critiqué personne, ne s’est jamais plaint de personne à part de lui-même. He’d just say, ‘Okay fellas, I goofed.’» Les témoins soulignent aussi le sérieux d’Elvis. Même après 26 takes, il restait concentré - Sholes déclara qu’après 26 takes, il fallait arrêter. Elvis secoua la tête et demanda à en refaire 5. Quand ils réécoutèrent tous les playbacks, Elvis déclara sans la moindre hésitation que la toute dernière take était le master - Bienveillant et concentré. C’est tout ce qu’il faut retenir d’Elvis, en plus de sa beauté et de son talent. Guralnick finit avec une autre qualité d’Elvis : le flair. Il craque pour «Don’t Be Cruel» : «‘Don’t Be Cruel’ était d’une certaine façon une parfaite représentation du genre de musique qui l’intéressait : catchy, idiomatic, and effortlessly swinging, nécessitant un beat solide et cadencé, et faisant appel à un feeling tordu et désinvolte à la fois. C’était comme le disait Sam Phillips ‘a sad story with a happy beat’, différent des cuts enregistrés chez Sun, mais guidé par les mêmes attitudes et esthétique implicites.»   

    Signé : Cazengler, Elvicelard

    Peter Guralnick. Elvis 1956. 20th Century Masterworks 2022

     

     

    Meek mac

     - Part Two

     

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             Tu peux prendre le Meek mac par n’importe quel bout, tu seras toujours surpris par la qualité de son inventivité. Si tu chopes Bad Penny Blues - The Early Years, tu ne regretteras pas ton billet de vingt. Le côté sépia/jazzy de la pochette peut te rebuffer, alors passe outre la rebuffade, car après tu vas te régaler.

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    Meeky Meek se fait les dents sur le swing avec des tas d’artistes oubliés et quand tu vas tomber sur Edmund Hackridge, tu vas goûter au summum du kitsch («Young And Foolish»), ensuite une reine dansera dans tes bras : Shirley Bassey, la jazzeuse ultime de fantastique ampleur, avec «Burn My Candle», elle va te burner ta candle par les deux bouts, elle fait partie des géantes, et dans la foulée, elle aligne la version définitive de «Stormy Weather». Tu vas tomber plus loin sur l’un des artistes qu’admire tant Graham Dee, Dennis Lotis, qui tape une cover de «Sugaree». Lotis a tout : la voix et le swing. Plus loin t’attend une autre géante, Pauline Shepherd, avec «Treasure Of Love», elle tente le coup du big band et c’est excellent. Bien sûr, Pauline est blanche. Autre merveille inexpected, la version originale du «Green Door» des Cramps, par Frankie Vaughan. Quelle fantastique leçon de swing ! Quant à Lonnie Donegan, il est wild as fuck avec son «Don’t You Rock Me Daddy-O». Quelle incroyable partie de guitare ! On comprend que Meeky Meek ait bavé derrière sa vitre en voyant jouer le grand Lonnie. Chris Barber fait aussi partie de l’aventure, bien sûr, il tape dans Sidney Bechet avec «Petite Fleur». On entre avec une joie non feinte dans le lagon du disk 2 et boum, John Fraser te claque une belle cover du «Bye Bye Love» des Everlys. La grosse surprise vient de Jimmy Miller et de son «Sizzly Hot», un fast rockab anglais, ça souffle comme la tempête, Jimmy Miller développe une incroyable crazyness de rockab, ça fouette à la peau des fesses. Quant à Johnny Duncan, il fait de la fake Americana avec «Blue Blue Heartache» : western swing in London town ! Tu vois un peu la diversité des genres ? Le problème c’est qu’à chaque fois, c’est excellent. Tu te demandes où sont passés tous ces grands artistes. Tout aussi écœurants de véracité, voici Peggy Seeger, Guy Carawan & Isla Cameron avec «Bring A Little Water Sylvie», nouvelle giclée de fake Americana mue par une fantastique énergie. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’au milieu de tout ce tas de cuts (soixante en tout) qui frisent parfois l’indigence, Meeky Meek tape parfois dans le mille et fait merveille. Voilà Cleo Laine avec «Indian Summer». Cleo Laine est la chanteuse de jazz par excellence. Elle t’éclate ton Sénégal et ta copine de cheval dans la foulée. Elle navigue au même niveau que Nina Simone. Les deux wild cats sont de retour : Johnny Duncan avec «If You Love Me Baby» et Jimmy Miller avec «Jolly Bay». Quelle bande de wild cats ! C’est vraiment tout ce qu’on peut en dire. Johnny Duncan est le killer kat de Meeky Meek, il joue les deux doigts dans le nez, on sent bien l’Américain. Avec Jimmy Miller, tu descends dans l’early hot stuff britannique. Encore du full blown un peu plus loin avec Sonny Terry & Brownie McGhee qui heartbreakent leur «Key To The Highway», Heartbreaking Blues par excellence, chopé à l’harp ultime. Et puis tu as Otillie Patterson, la femme de Chris Barber, qui déboule avec «Georgia Grind», elle est bonne pour le Grind, la bourrique, elle chante comme une black, elle navigue au cap du jazz New Orleans, et derrière, Barber et ses boys sonnent comme Sidney Bechet, c’est assez explosif ! S’ensuit Acker Bilk avec «Travelling Blues», encore du pur jus de New Orleans, il rentre bien dans le casier de la compile, comme un gros homard qui se fait baiser. Et là on entre dans la légende de Meeky Meek avec The Mighty Terror et «TV Calypso», une exotica de rêve au bar de la plage. Encore du wild rockab anglais avec Joy & David et «Whoopee» : ils font de la variette sur un big shuffle de rockab, avec un son extraordinaire. Que de son ! Tu te régales, rien que du son.

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             Il existe un autre volume d’early years : The Joe Meek Story Vol 5 - The Early Years, paru en 1997. C’est la fameuse collection Sequel Records. Ce Vol 5 ne fait pas double emploi avec Bad Penny Blues, donc tu peux y aller les yeux fermés. Le seul cut présent sur les deux compiles est le «Sugaree» de Dennis Lotis. On retrouve aussi Peggy Seeger et Lonnie Donegan, mais avec des cuts différents. Le «Freight Train» de Peggy Seeger est un cut magique : voix de cristal et son de Meek. Quant à Lonnie Donegan, il tape le «Love Is Strange» de Mickey Baker. Yeah yeah, no no. Bon, faudrait savoir. C’est yeah yeah ou no no, pas les deux. En plus, la version n’est pas très skiffle. Il tape plus loin une version de «Mule Skinner Blues» au good morning captain, belle giclée de fake Americana. La surprise vient du «Weekend» de Red Price, un fantastique instro. Avec «Venus», Dickie Valentine atteint le summum du kitsch. Et puis il faut saluer Emile Ford & The Checkmates qui avec «What Do You Want To Make Those Eyes At Me For» décroche le pompon : fantastique profondeur de chant et prod géniale. 

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             Le vol 3 est un volume étrange : The Joe Meek Story Vol 3 - The Complete Houston Wells. Meeky Meek s’est attaché à des artistes intéressants mais disparus. L’Anglais Houston Wells a du coffre, mais il propose du kitsch de train fantôme. Il yodelle dans l’écho de Meeky Meek. Bon nombre de cuts sont insupportables. C’est de la variété anglaise. Pas étonnant qu’il ait disparu. Il siffle dans «Moon Watch Over My Baby», mais il y a du son derrière. Le volume donné aux basses relève du grand art. «I’ll Be Your Sweetheart» est un excellent fast drive. La prod met en avant une énorme énergie du son. Et soudain, tout s’emballe avec «We’re Gonna Go Fishin’», un heavy rockab chargé d’écho de saturday night. On sauvera un dernier cut : «I Wonder Who’s Kissing Her Now», une belle giclée de fake Americana gorgée de son.

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             Nouvelle tentative de lancement avec Michael Cox, un Anglais de Liverpool : The Joe Meek Story Vol 4 - The Best Of Michael Cox. Cox est beaucoup plus rocky road qu’Houston Wells. On entend un wild solo sur «Lonely Road». Mais il refait vite sa tête à claques avec «Teenage Love». On est dans le sérail de Meeky Meek, ceci expliquant cela. Et boom, tu tombes sur une énorme version de «Sweet Little Sixteen» ! Bardée d’all over ! Farcie de wild guitars. C’est une dégelée fondamentale. Seul Meeky Meek peut se permettre ça en Angleterre. Encore une belle dégelée avec «Honey Cause I Love You», wild rock in London town, Cox est génial. Meeky Meek crée la confusion avec «Stand Up» qui a le cul entre deux chaises : la pop et le rockab. «Gee What A Party», c’est du son pour du son, mais avec une bonne voix. Le Cox est bon. Cox a des guts, comme le montre encore «Say That Again». Puis il recasse la baraque avec une cover de «Rave On». Comme Totor, Meeky Meek sait choisir ses interprètes. «Just Say Hello» est encore du tout cuit. Meeky Meek ramène un son infernal dans cette petite pop. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que Meeky Meek est l’exact équivalent de Totor.

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             On garde le meilleur pour la fin : The Joe Meek Story. The Pye Years (Vol 1 Vol 2). Ah on peut dire merci à Sequel Records ! Cette compile est un double CD qui ne fait pas trop double emploi avec l’imparable Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down) épluché dans le Part One.  Les seuls doublons sont le «Little Baby» des Blue Rondos et le «Shake With Me» des Puppets, qui sont un peu les rois du proto-punk. Tout de même incroyable que les Puppets soient passés dans les pattes de Meeky Meek. Seulement trois singles sur Pye et puis plus rien. Grâce à Sequel, on peut écouter leur «Baby Don’t Cry», fast rock’n’roll d’Holloway Road, percé en plein cœur par un killer solo flash de cromagnon. Ah ils y vont au baby don’t ! Leur troisième cut s’appelle «Poison Ivy», un cut qui se trouve sans doute à la source de la légende des Cramps. C’est du lalala de Leiber & Stoller. L’autre énorme Pye band, ce sont les Blue Rondos. «I Don’t Need Your Loving No More» taille bien la route. Ils jouent leur pop le dos au mur, une vraie merveille. L’autre proto-punk de service s’appelle Andy Cavell. «Tel The Truth» est un authentique joyau, derrière, ça bassmatique et ça gratte les poux. Autre grosse équipe : Honeycombs avec «Have The Right» : incroyable power beat. Meeky Meek aurait-il inventé le glam ? Ils sont encore héroïques avec «Colour Side» et  magnifiques avec «That’s The Way», les basses roulent sur du velours. Rien de plus heavy que l’«I Can’t Stop», c’est du stomp avant l’heure. On reviendra sur les Honeycombs. On peut encore parler de coup de génie dans le cas de Tony Dangerfield & Thrills et «She’s Too Way Out», véritable épisode d’obscur wild rock anglais, et un démon passe un killer solo flash. Il faut savoir que Tony Dangerfield a fait partie du backing-band de Screamin Lord Sutch. On se régale aussi du «Theme From The Traitors», un bel instro des Packabeats. Toutes les hautes fidélités sont là. Quel univers fascinant que celui de Meeky Meek ! Il a aussi un groupe qui s’appelle les Saints, rien à voir avec Chris Bailey, c’est un groupe de surf qui tape dans les Surfaris avec «Wipeout». Meeky Meek soigne aussi le son de Judy Cannon sur «Hello Heartache». Il lui apporte des tonnes de son, du coup ça devient très sérieux. Le «Sunburst» des Flee-Rekkers est fabuleusement enregistré. Par contre, ça ne marche pas pour Riot Squad, trop poppy. Saluons aussi l’«Early In The Morning» de Chick, Ted Cameron Group & The DJs. C’est d’une qualité de prod qui t’envoie directement au tapis.

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             La fête continue avec The Joe Meek Story -The Pye Years Vol 2. On y retrouve le proto-punk des Blue Rondos et «Baby I Go For You». On fait du proto au 304 ! Le Freakbeat King s’appelle Roger Hall. Au niveau productiviste, deux merveilles de Meeky Meek : Peter London et «Baby I Like The Look Of You» (assez wild, bien documenté au shuffle de piano) et The Riot Squad avec «Try To Realise» (plus poppy mais avec tellement de son que ça devient de la heavy pop anglaise avant l’heure). Jess Conrad se tape un beau shoot de Diddley Beat avec «It Can Happen To You», c’est bardé de sax et de riffs délétères. Il y a un groupe à l’époque qui s’appelle The Saints et qui fait des instros géniaux («Happy Talk»). C’est la fête foraine au 304 ! Ils ne font d’ailleurs que des instros rigolos avec des effets. Meeky Meek fait claquer l’orage pour Iain Gregory dans «The Night You Told A Lie». Notre Meeky Meek préféré ramène même une trompette dans la mélasse. Tout est passionnant sur cette compile. Comme si chaque cut sonnait comme une aventure captivante. Meeky Meek file du son à Glenda Collins qui se prend pour Nico dans «Sing C’est la Vie». On se croirait chez Frank Alamo ! On retrouve les Blue Rondos avec «What Can I Do». Ce sont les wild guys du 304, ils n’en finissent plus de casser la baraque. Dommage qu’on n’apprenne rien sur eux dans le book de John Repsch. On finit en beauté avec une autre énormité : Carter Lewis & The Southerners et «Two Timing Baby». Tu vas droit au tapis avec trente-six chandelles. Merci Meeky Meek pour ce punch-up final. 

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             Une autre compile sonne comme un passage obligé : Joe Meek - Portrait Of A Genius. Rien que pour ré-entendre ces chefs-d’œuvre productivistes que sont le «Telstar» des Tornados (véritable machine à remonter le temps, c’est la magie de ton enfance) et le «Dear One» de Terry Victor, avec son bassmatic demented. Là tu peux crier au loup. Tu y retrouves aussi les hommages de Mike Berry à Buddy Holly («My Baby Doll» et «A Tribute To Buddy») : du real deal de Buddy, mais avec du son. Tu tombes aussi en arrêt devant le «Night Of The Vampire» des Moontrekkers, un bel instro soigné aux petits oignons par ce génie de Meeky Meek. Tu entends toutes les couches du son. Encore du son dans le «Stand Up» de Michael Cox, et Cliff Bennett fait l’Elvis dans «Hurtin’ Inside». Il en a les moyens

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             Et si tu as besoin d’une petite cerise sur le gâtö, tu peux aller sur YouTube visionner The Strange Story Of Joe Meek, un docu de la BBC relativement bien foutu. Avec la BBC, c’est toujours carré. On voit tous les acteurs principaux de la Strange Story, les deux frères de Meeky Meek, Arthur et Eric, plus Geoff Goddard et Patrick Pink, l’assistant de la dernière heure, puis d’autres acteurs clés comme John Leyton et Heinz. Comme c’est un docu, la BBC commence par raconter les débuts de Meeky Meek au Lansdowne Studio, il y enregistre Chris Barber et le «Green Door» de Frankie Vaughan, puis on passe très vite à Holloway Road, avec des plans sur la façade, montrant les trois étages au-dessus de la boutique A.H. Shenton. John Leyon raconte l’enregistrement de «Johnny Remember Me», avec «la section de violons dans les escaliers, les backing vocals packed in the loo, and the brass section underneath, à l’étage en dessous, quite bizââârre.» Mais c’est un hit. Geoff Goddard parle bien sûr d’inspiration «beyond the grave» pour son «Tribute To Buddy Holly», on voit même une séance de spiritisme : quatre mains font glisser un verre sur une table en verre, au centre d’une cercle de cartes. Merci à la BBC pour ce plan dément des Tornados avec Clem Cattini au beurre et Heinz à la basse. Heinz avoue qu’il a vécu trois ans à Holloway Road, «in the flat above the studio». Plan dément aussi des Honeycombs avec la batteuse Honey au centre et «Have I The Right». Ah il faut la voir battre à bras raccourcis. Ça devait chauffer chez Meeky Meek.

             Bon, c’est pas tout ça, mais l’heure est venue d’aller se coucher. On reviendra sur Meeky Meek dans un Part Three, car il reste encore des tas de choses à voir.    

    Signé : Cazengler, Jo la mite

    Joe Meek. Bad Penny Blues - The Early Years. Great Voices Of The Century 2009

    The Joe Meek Story - The Pye Years (Vol 1 Vol 2). Sequel Records 1991

    The Joe Meek Story - The Pye Years Vol 2. Sequel Records 1993

    The Joe Meek Story Vol 3 - The Complete Houston Wells. Sequel Records 1993

    The Joe Meek Story Vol 4 - The Best Of Michael Cox. Sequel Records 1993

    The Joe Meek Story Vol 5 - The Early Years. Sequel Records 1997

    Joe Meek. Portrait Of A Genius. Mr Suit Records 2013

    The Strange Story Of Joe Meek. BBC (YouTube

     

     

    Wizards & True Stars

    - Massacre à la ronronneuse (Part Two)

     

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             Que deviendrions-nous sans Anton Newcombe et son Brian Jonestown Massacre ? Pas grand-chose. Il continue de porter la bonne parole, après trente ans de bons et loyaux services. On ne perd pas son temps à suivre ce Last Dandy On Earth à la trace. D’autant qu’il vient de sortir coup sur coup deux nouveaux albums déterminants. Signalons au passage que la presse anglaise a boudé ces deux albums, on se demande bien pourquoi. Les critiques qui n’achètent pas leurs disques reprochent un peu à l’Anton de faire toujours le même album, reproche qu’ils adressaient jadis aux Cramps et aux Ramones, ce qui montrait déjà clairement qu’ils n’écoutaient pas les disques.

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             Par contre, les ceusses qui achètent leurs disques et qui suivent l’Anton à la trace savent ce qu’il faut savoir : l’Anton continue méthodiquement de bâtir une œuvre. Il s’agit d’une œuvre à l’échelle d’une vie. Il est un peu le Zola de la Psychedelia. Fire Doesn’t Grow On Trees est en quelque sorte le 23e tome des Rougon-Macquart de la Psychedelia. Les ceusses qui se sont frottés à la prodigieuse saga des Rougon-Macquart savent de quoi il en retourne. Aujourd’hui, l’Anton se détache du lot par sa seule dimension artistique. Avec Bevis Frond, l’Anton est l’un des derniers grands représentants de ce qu’on appelait autrefois la Mad Psychedelia. Il suffit d’écouter «Wait A Minute (2:30 To Be Exact)» sur Fire Doesn’t Grow On Trees pour s’en convaincre définitivement. C’est un déluge de Mad Psychedelia interstellaire. Même chose avec «You Think I’m Joking», il tape au cœur du mythe à la main lourde, il dévoile son dévolu, il en incombe au Newcombe. Et puis tu as cet «Ineffable Mindfuck», l’Anton se barre en heavy groove de loup des steppes, c’est l’expression la plus pure du génie Antonien, il te fait un rock pelé, gorgé d’essence, il fait sonner le rock comme il doit sonner, dangereux, juste sur le bord de l’edge. En matière de pression atmosphérique, c’est l’un des meilleurs cuts que tu pourras écouter au XXIe siècle. D’un seul coup, l’Anton t’aplatit toute l’actualité du rock, son solo s’est échappé de l’asile. L’Anton te sert le rock sur un plateau d’argent, un rock sous pression, transi de prestance, avec un foie explosé. Pour exprimer son génie visionnaire, il fait éclater un petit solo dans la fumée. Si tu écoutes ce cut plusieurs fois d’affilée, tu peux devenir fou. Pur havoc. Il part en fast ride de wild messie avec «It’s About Being Free Really», ici tout n’est que démesure, le rock en tombe sur le dos. L’Anton est le maître de cérémonie, il tape son «Silenced» au heavy groove d’everybody knows et te passe le solo dont tu as toujours rêvé. Chaque fois, c’est une purge. Quand il tape un balladif («Before And Afterland»), il chante comme un fantôme et sort de son cocon comme un papillon extraordinaire. Il entonne son «#1 Lucky Kitty» à la manière des Byrds, il se positionne une fois encore dans l’entre-deux du gratté de poux subliminal. Il te zèbre ton univers. Cet album puissant file par-dessus les toits.

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             Vient de paraître The Future Is Your Past. Un véritable blaster gorgé de génie sonique. Embarquement pour l’île déserte de Cythère dès «Do Rainbows Have Ends». L’Anton drive ses légions infernales, il a tellement de son que ça chevrote dans les tubulures, et il s’en va clouer son cut à la porte de l’église avec un solo destroy oh boy. Il reste branché sur l’heavy power avec «Nothing Can Stop The Sound», il fait du sonic Newcombic qui te colle au mur. Il force son passage au beat insistant à travers les nappes d’orgue. Il n’existe rien d’aussi pur et dur sous le soleil de Satan. Encore plus énervé, voilà «The Light Is About To Change». Une vraie charge de cavalerie. L’Anton règne sur le monde du rock, encore une fois le temps d’un cut en feu. Il fait du no way back, du sans partage, de l’inexpected, de l’intraitable, du Rougon bougon, du Macquart maqué. En ces temps de vaches maigres, c’est une bénédiction que de recevoir ce déluge sur la tête. Anton Newcombe est une fois de plus le sauveur, et son solo lance-flamme nettoie bien les tranchées. Oui, «The Light Is About To Change» est littéralement noyé d’hyper-son. Il reste dans la dimension de l’heavy sludge pour tartiner «Fudge», un ras de marée de Mad Psychedelia, il nous entraîne dans le cratère du Fudge, yeah ! Il ouvre des horizons, il fracasse des ciels, il t’offre le voyage, c’est gratuit. Chez lui, tout est à l’œil. Et ça repart un peu plus loin avec une nouvelle triplette de Belleville, à commencer par l’«As The Carousel Swings». Il affiche clairement ses intentions : tout doit voler en éclats, il claque le beignet du big time, Anton entonne, il te newcombe la Mad Psyché, c’est un psychopathe ! Nouveau déluge de feu avec «The Mother Of All Fuckers», il arrose la galaxie, il n’a jamais eu autant de son, sa voix tremble, c’est stupéfiant, complètement démoniaque, le cut prend feu sous tes yeux. Anton Newcombe est un démon, en voilà la preuve formelle. Il profite d’«All The Feels» pour recréer la magie des sixties, il ramène tout le son du monde et son sens aigu des grosses compos, il tartine le heavy balladif dont on a toujours rêvé, c’est à la fois glorieux et inébranlable, comme coulé dans l’airain, son balladif vaut tous ceux des Stones, c’est du haut niveau. Anton Newcombe est un conquérant, il envahit les cervelles, il fait partie des géants de notre époque. Il Zolate le rock moderne. Il accumule les classiques.

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             Par voie de presse, il nous dévoile deux de ses facettes : la facette «regardez comme j’ai bon goût» (dans Uncut), et la facette «regardez comme je sais digger le digging» (dans Shindig!). Il ne pouvait confier son digging qu’à Shindig!. Commençons si vous le voulez bien par la facette la moins obscure de ce Last Dandy On Earth, parue dans Uncut, et planquée à la fin, juste avant la troisième de couve. La rubrique s’appelle ‘My life in music’ et ce n’est pas pour des prunes. Il se définit en dix albums qu’il commente et là ça devient passionnant. C’est, comme on s’y attend, du trié sur le volet. Quelle page ! Le genre de page qui fait tout le prestige de la presse rock anglaise. Le genre de page qui te réconcilie avec l’époque Nick Kent et Mick Farren, au temps où tu ouvrais ton tabloïd. Tu sentais le souffle, dès l’aéroport. L’Anton ne lésine pas sur les classiques : Stones, Beatles, Jimi Hendrix, Love, Bowie. Rien qu’avec ça, tu comprends tout. L’Anton ne sort pas de la cuisse de Jupiter, il sort de l’écoute obsessionnelle de cette riche poignée d’albums. L’Hendrix qu’il choisit est l’Are You Experienced - It’s mainly on the strenghth of «The Wind Cries Mary» - that song kills me, this poetic beauty - Et il ajoute, le souffle court : «Nobedy’s ever really sounded like Jimi again. It’s straight up rock’n’roll.» Et quand un mec comme l’Anton te dit ça, il sait de quoi il parle. Il dit qu’il se fout de ce que Jeff Beck et Clapton ont fait - It doesn’t matter what those guys do, none of them can touch him - Il enfonce son clou, et il a raison, Jimi Hendrix est unique : «Nobody comes close. It’s fucking impossible to be that guy, and I love that.» Le Stones qu’il choisit est le Satanic Majesties Request - Brian Jones is important in my cosmology. He played the band like a fiddle, until they moved him to the back seat, then off the bus - L’Anton explique que cet album was dead as a doormail et Brian l’a ressuscité - He’s on cello, sitar, marimba, harmonica, slide guitar, he’s playing every instrument to make the song better - L’Anton ajoute dans son élan que les Stones «weren’t psychedelic at all. Brian was. This record is a document of his genius.» Il choisit le Revolver des Beatles car pour lui, Revolver va plus loin que Rubber Soul - simply because of «Tomorrow Never Knows» and the power that that song still has - Il se prosterne aussi devant Forever Changes. Il rappelle qu’il est «an LA guy born in ‘67», et qu’ado, chez ses copains, il écoutait les disques des parents, all that psych stuff. Forever était pour lui «so far ahead of its time» - And it’s a mixed race band - L’Anton dit rêver de faire un album comme Forever - it’s almost an unachievable goal but I think about Arthur Lee every day when I’m writing - Le Bowie qu’il choisit est le Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars - Bowie showed me it was Ok to be an individual - Car l’Anton avoue qu’il n’a jamais voulu ressembler à personne, ni même à ses parents. Il reconnaît aussi qu’il est difficile de choisir entre Ziggy et Hunky Dory. Il salue aussi le Metal Box de Public Image Imited - You get the pirate ship for Christmas but then you tear it part and build a spaceship.   

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             Pour Shindig!, l’Anton choisit 11 obscurités qui ont le pouvoir de faire du bien, sous le titre ‘The lone pilgrim’. Il dit utiliser la musique «as an alpha wave generator». L’obscurité la moins obscure du lot est un cut des Soundcarriers tiré de leur album Entropicalia - They are my favourite UK band, just lovely people, fantastic music... imagine taking the best of psych-pop-jazz-vocal, the best hits of Broadcast, Stereolab. EVERY FUCKING THING WE LIKE, and making it your own - Il s’enflamme. «This is not an emulation, this is the real deal. It retains form. Timeless and precious. Support them.» Les Soundcarriers peuvent dire merci à leur copain Anton. C’est un bel hommage. En plus, il a raison. Tous les ceusses qui ont écouté les cinq albums des Soundcarriers seront d’accord avec lui. Quant au reste, c’est plus compliqué. Il commence par saluer un Français, Sullivan. Il n’a pas d’info, il sait juste que Dutronc l’aurait soit-disant aidé. Le Pays des Merveilles est sorti sur Vogue en 1967. L’Anton flashe aussi sur un cut d’Alice Coltrane, «Krishna Krishna». Il dit que «the entire album is a must have» (Kirtan: Turya Sings, sur Impulse). Il recommande aussi le Manda Fat de Jackie Mittoo sur Studio One, et si on aime le folk, l’album sans titre d’Anne Briggs paru en 1970. Il recommande aussi Salvation Army et leur album sans titre de 1982, un groupe qui allait devenir The Three O’Clock, part of the Paisley Undergound - Their music combines Californian punk’s youthful energy and the best psych... Tell me I’m wrong.    

             This one is for Jean-Yves, grand fan d’Anton devant l’éternel.

    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. Fire Doesn’t Grow On Trees. A Records 2022

    Brian Jonestown Massacre. The Future Is Your Past. A Records 2023

    Anton Newcombe : The lone pilgrim. Shindig! # 136 - February 2023

    Anton Newcombe : My life in music. Uncut # 310 - March 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Psychedelic Lullies pop

    (Part Two)

     

             Craignant qu’on lui reproche de ne pas respecter l’étiquette sex & drugs & rock’n’roll, l’avenir du rock va aux putes. C’est un principe sur lequel il ne déroge pas, même s’il clame sur tous les toits que les principes sont tout juste bons pour les beaufs. D’où la nécessité d’aller aux putes. Le trash le lave de tous ses péchés. Au cœur de la nuit, il se fait un gros rail de speed, embarque quatre 8.6 Gold pour la route, monte dans sa bagnole et file sur les Maréchaux. Il arrive Porte d’Asnières et remonte toutes les portes une par une. Il sait que ça se passe Porte d’Aubervillers. Il y repère une magnifique Africaine aux seins exubérants. L’ivoire de son sourire brille dans la nuit. Il la fait monter à bord sans lui demander son tarif. Elle est presque trop grande pour la bagnole. Elle lui indique la direction d’une rue tranquille. L’avenir du rock se gare. Elle enlève son manteau et sa jupe de cuir, elle ne porte rien dessous. Se dégage d’elle un mélange capiteux de majesté royale et de sensualité exotique. Elle tend la main et l’avenir du rock y dépose les billets. Elle murmure «more», alors il en dépose un autre, «more» fait-elle encore, «yesss» soupire-t-il en proie au tourment d’un désir brûlant. Dans la pénombre, il voit briller ses yeux de vrai chat abyssin et la peau de ses seins, deux sphères, entre lesquelles il abandonne deux mois de salaire pour y rouler son pauvre joint, il ahane car que pourrait-il faire d’autre qu’ahaner comme un âne, puis dans son sexe cyclopéen il enfonce son pieu tel l’Ulysse d’Homère, il l’a raide plutôt amère, car c’est lui grands dieux qui n’y voit plus rien. Alors il lui fait le plein comme au Latécoère qui décolle en vibrant vers les cieux africains, et dans la moiteur de sa croupe d’airain, il peut voir éclore des renoncules par-derrière, et par devant un conifère lui rappelle un air jamaïcain. Secoué de tant d’extases sublimement tropicales, il lui demande d’une voix blanche :

             — Tu t’appelles comment ?

             — Melody...

             — Melody comment ?

             — Melody Nelson... 

     

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             L’avenir du rock ne rate jamais une occasion de saluer Gainsbarre, surtout à la suite d’un concert des Lullies qui finalement en imposent autant que Lola - Comment oses-tu me parler d’amour toi hein/ Toi qui n’as pas connu Lola Rastaquouère - Alors pour paraphraser Gainsbarre, on pourrait presque chanter sur le même air de reggae «Comment oses-tu me parler de punk-rock toi hein/ Toi qui n’as pas connu les quatre mousquetaires ?». Alors évidemment, ils n’ont pas de renoncules par derrière ni de sexe cyclopéen, mais une énergie qui vaut bien celle des tribus africaines.

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             Sur scène ils développent cette énergie héritée du White Light/White Heat et des Saints.  Chaque fois qu’on voit Roméo à l’œuvre, on pense immédiatement à l’early Chris Bailey, sans doute à cause du power et de la coiffure. Romeo chante le rock électrique, comme le disait si bien Eve Sweet Punk, propulsé par une section rythmique increvable, les Lullies ne sont pas là pour rigoler, mais pour foncer dans le tas, et c’est du bim bam boom d’à toute allure dès le premier accord gratté sans ménagement : un slash d’SG en disto et Shebam pow blop wizz ! C’est parti pour une cavalcade insensée à travers la plaine, avec de belles pointes de Méricourt.

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    Sur scène, les Lullies sont à la fois classiques et uniques, classiques au sens où ils sonnent comme tous les grands groupes gaga-punk qu’on voit depuis vingt ou trente ans, et uniques par leur mélange de candeur méridionale et d’héritage des Gardiens du Canigou. On a tendance à vouloir mettre tous les garagistes dans le même sac, mais ça ne marche pas. Le meilleur exemple est celui du trio japonais The Fadeaways qui parvenait à blaster son gaga-sixties avec une certaine forme d’originalité, avec une sorte de ton propre, ce qui pour le genre est un exploit.

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    Les Lullies c’est un peu la même chose, ils blastent le fast gaga-punk avec un ton propre, et pas seulement parce qu’ils chantent en français.  Leur set est short & sharp. Pas de morceaux lents à la mormoille. Un set qui coupe court à tout épilogue. No comment, comme dirait Gainsbarre.

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             Par contre, leur nouvel album porte bien son nom puisqu’il s’appelle Mauvaise Foi. C’est une façon comme une autre de dire qu’il n’est pas de bonne foi.

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    En écoutant le morceau titre, on croit entendre du speed Téléphone pas très glorieux. Dommage, car Roméo y répand de belles clameurs de solo. Au fil des cuts, on sent nettement la panne d’inspiration. Pas facile de faire du fast punk en français. Les Lullies ont l’air de perdre de la hauteur. Ils oscillent entre le speed Téléphone et le sous Téléphone. On attendait des merveilles des Grys-Grys, alors on attend forcément des merveilles des Lullies. Avec cet album, on s’attendait à un gros déménagement façon Saints, mais la première série de cuts reste invariablement téléphonique, le chant en français les colle au mur, comme s’ils allaient recevoir douze balles dans la peau pour trahison. Et puis soudain, l’énormité montre son museau sous la forme de «Ville Musée». Voilà le souffle ! C’est plein de son, plein de clameur, pur blast ! Et voilà qu’ils sonnent comme les Saints avec «Zéro Ambition», ils retombent en plein dans l’époque à coups d’ouh ouh ouh. C’est drôle comme parfois des albums se réveillent sans prévenir. On croit qu’on va s’endormir et soudain, on danse dans l’ascenseur. Ils amènent «Dernier Soir» au bassmatic. Alors pleins feux sur le Dernier Soir. Ils ont en eux cette fibre inflammable de la power pop, et là, le cut prend feu, ils développent une énergie stupéfiante. Puis ils rendent hommage à la belle Jackie avec une cover de «When You Walk In The Room». C’est un mélange d’hommage mythique et de vision punk, claqué aux accords de solace. Power absolu ! Il suffit parfois d’une bonne cover pour conquérir une ville. Puis ils repartent sur le chemin, ils chantent soir et matin leur punk 77, l’urgence de pas le temps, ils vont vite en besogne avec «Station Service», ils adorent le ventre à terre, ils ont le beurreman qu’il faut pour ça.

    Signé : Cazengler, Luli rastaquouère

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    Lullies. Le 106. Rouen (76). 24 septembre 2023

    Lullies. Mauvaise Foi. Slovenly Recordings 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Le stomp racé de Rachel Stamp

     

             On ne croise pas tous les jours des personnages aussi exotiques que Rachi. Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas d’un exotisme au sens où l’on l’entend généralement. Il s’habillait sobrement et se comportait normalement. C’est par son intelligence qu’il se distinguait du commun des mortels et qu’il devenait exotique. Il s’appuyait en permanence sur sa puissance de réflexion pour matérialiser des visions, qu’il s’ingéniait ensuite à commercialiser. C’est en bossant pour lui qu’on pouvait prendre la mesure de cet exotisme. Il voyait tout simplement ce que tous les autres ne pouvaient ni voir ni même imaginer. Plus il réfléchissait au futur des techniques pédagogiques d’avant-garde, plus il voyait clair, et ça ne passait pas forcément par la technique, non, il défrichait un domaine parallèle à celui de l’intelligence artificielle, un domaine qu’on pourrait qualifier d’intelligence instinctive, mais sourcée dans la chimie du cerveau. Rachi avait compris avant tout le monde qu’on possédait déjà ce type de ressources et il en faisait la démonstration, étape par étape. Bien sûr, il avançait lentement, car il ne disposait pas du support d’un service de R&D, mais ça lui permettait de comprendre une chose fondamentale : l’étude de l’intelligence instinctive se fait au rythme humain, qui est celui d’une compréhension évolutive, et ça le confortait dans ses convictions. Rachi n’avait pas besoin d’exposer ses théories sur un grand tableau, comme le font les mathématiciens célèbres dans les films américains, il préférait livrer les résultats de ses découvertes sous forme de petits objets interactifs qu’il mettait en ligne, dans un système d’abonnement payant. Il se situait résolument à l’opposé des réseaux sociaux qui n’ont de sociaux que le nom. Les gens qui le connaissaient pouvaient donc suivre l’évolution de sa pensée. Il constituait un réseau à taille humaine d’une extraordinaire qualité, et pour les initiés, c’était un privilège que de pouvoir suivre la lente éclosion de l’intelligence instinctive.

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             Pendant que Rachi bâtit son modeste empire digital, Rachel élève un autel aux dieux du stomp. À la même vitesse, celui d’une lente évolution des processus visionnaires. Contrairement aux apparences, Rachi n’est pas rachitique et Rachel n’est pas une femme, mais un groupe : Rachel Stamp, pour être plus précis. Rachel Stamp fit sensation le temps d’une photo dans un NME des années 90, puis pfffffttt, plus rien. Mais la photo tapa dans l’œil de certains zigotos. 

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             Alors, qu’est devenu Rachel Stamp ? Si tu te poses cette question, la réponse est dans un numéro de Vive Le Rock assez récent. Figure-toi que David Ryder Prangley annonce le retour du groupe. Inespéré ! Il rappelle qu’il s’est installé à Londres en 1994 et qu’il a trouvé le guitariste Will Crewdson via une petite annonce dans le Melody Maker. Il ajoute que Londres était une ville dangereuse pour les mecs qui avaient sa dégaine. On le mollardait et on l’insultait. Mais bon, le groupe jouait en première partie de Korn ou de Cheap Trick, donc, dit-il d’une voix chantante, ça marchait plutôt bien. Ils firent même une petite tournée américaine. David Ryder Prangley est persuadé qu’ils auraient pu être «aussi célèbres que Placebo ou Marilyn Manson», mais ils n’avaient ni le label ni le management qu’il leur fallait. Il ne décolère pas après les gens des maisons de disques qui, dans les années 90, se camaient encore plus que les musiciens. Pour conclure, il se dit fier de son groupe. Ils sont tous les quatre tellement tenaces qu’ils sont parvenus à survivre à toutes les avanies. D’ailleurs comme le rappelle notre héros Boby, Avanie et Framboise sont les mamelles du destin. 

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             Le premier album de Rachel Stamp s’appelle Stampax. Tout un programme. Pochette superbe : guitar slinging. D’ailleurs tu l’entends Will Crewdson, dans «NAUSEA», ça joue ventre à terre, ils te claquent ça vite fait, ils jouent dans le feu de l’action, et ce démon de Will Crewdson survole cette fournaise comme un vampire de Murnau. En fait, ils montent au front dès «Brand New Toy», au chant d’attaque frontale, puis ils tapent «Dead Girl» à la cocotte moite, ils jouent live et tout explose avec la gigantesque intro de Will Crewdson sur «Tammy Machine», summum du Wild Stamp, rien de plus explosif que ces riffs d’intro et ce killer solo trash. Ils amènent plus loin «Queen Bee» au heavy stomp de Stamp, ils jouent au punch pur, droit dans l’estomac, on croit rêver tellement ils ont du son, ça niaque à l’extrême, ça gorge de gavage d’oie et Ryder Prangley finit en hurlette de got me. Révélation ! Et la fête se poursuit avec «Black Tambourine». Les Rachel sont les cracks of the universe, comme dirait Wayne Kramer. Will Crewdson y passe un solo liquide, shake your black tambourine ! Retour au heavy stomp pour «I Like Girlz». Ryder Prangley verrouille son stomp à coups d’I I I like girlz et Will Crewdson repique une crise de génie sonique. Ils finissent leur Girlz en mode Sabbath. «Hey Hey Michael You’re Really Fantastic» sonne comme une petite apothéose de glam power - Hey baby I can’t excuse myself/ Aw my Gawd/ Bless my soul - Ça vaut bien Ziggy, after all. 

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             Il existe deux raisons fondamentales d’écouter Hymns For Strange Children. La première s’appelle «Didn’t I Break My Heart Over You». Les solos sont d’une incroyable justesse. Ryder Prangley joue une descente de basse et croise le killer solo flash de Will Crewdson, rien qu’avec ce tour de passe-passe, ils font évoluer les mœurs. Ils ne jouent plus du glam, mais de l’apoplexie, tu montes tous les étages. C’est du génie pur, l’une des plus belles manifestations du glam power. La deuxième raison s’appelle «Take A Hold On Yourself». Ce démon de Ryder Prangley l’amène à la Bowie, mais il pousse le bouchon plus loin que ne le fit jamais Bowie. Les maniérismes sont magnifiés par un son dévastateur et des biais de baby qui défient toutes les lois, les bouquets d’I know it’s hard babeh ont une résonance interstellaire, Ryder Prangley emmène cette bombe au sommet du glam power, un glam power qu’il exacerbe comme on exacerbe le désir pour mieux régner sur les cœurs. Autre coup de génie : «I Got The Worm», amené à l’avance phénoménale d’un glam-punk anarchique. Comme tout le reste de l’album, le Worm est puissant et Ryder Prangley le finit à la Méricourt, il faut l’entendre hurler ! Les accords de Rachel dans «Spank» valent bien ceux de Ronno dans les Spiders. Ils tapent ça au heavy riff de bonne augure et comme tous les autre cuts, ça devient très vite inespéré. Ils sortent un son qui défie toutes les attentes. Avec «Monster Of The New Wave», Ryder Prangley monte le chant au plus haut niveau d’hallali et il attaque son «Brand New Toy» au heavy barrage d’accords destroy oh boy - I want a brand new toy - suivi d’un killer solo flash de flash no more, et là, tu as tout le Stamp de Rachel. Ryder Prangley chante «Ladies & Gents» au dirt d’everybody knows that girl got the devil et soudain, alors qu’on ne s’y attendait pas, Will Crewdson passe un solo à la Dolls. «Dirty Bone» nous permet d’assister à un fantastique développement éléphantesque, et cet album faraminé se termine avec «My Sweet Rose» qui démarre en douceur mais qui s’en va exploser vite fait. Ryder Prangley n’est pas le genre de mec à traîner en chemin.

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             Paru en 2002, Oceans Of Venus est encore un bel exemple de big album tombé dans l’oubli. C’est l’un des grands albums de power-glam qu’il faut rapprocher de ceux des Towers Of London, des DeRellas, du Silver Ginger Five, des Toilet Boys, de Zolar X et bien sûr des Hollywood Brats. Au moins trois coups de génie dans l’Ocean, à commencer par «Black Cherry», amené aux grosses guitares, monstrueusement bon, heavy motherfucker, ils recyclent tous les clichés du genre mais ils les subliment à coups d’accords sur-saturés, jamais on avait entendu un tel ramdam, sauf peut-être chez Queen Adreena. Tout ici est démesuré, même la frappe du batteur et ce Oh Black Cherry ! Même chose avec «Do Me In Once And I’ll Be Sad And Do Me In Twice And I’ll Know Better» amené aux accords de hit inter-galactique, ça joue à la cocotte lourde, c’est plein de jus, plein d’avenir et d’espoirs supérieurs, on a là une power-pop glammy emmenée au sommet du genre. Quelle clameur ! Tout aussi bardé de son, voilà «Twisted», cisallé par des tempêtes soniques. Ils jouent avec les nerfs et soudain ça éclate dans une apothéose de heavy glam, avec un David Ryder Prangley qui hurle tout ce qu’il peut en fin de parcours. Tu veux du glam ? Alors écoute «Witches Of Angelhölm». Ils tapent dans le real deal, c’est chanté à la gomme de glam arabique et gratté au gras double. Et puis tu as aussi le morceau titre que tu prends en pleine poire, tellement c’est agressif. David Ryder Prangley bat tous les records d’insanité avec sa hurlette. Plongée en enfer garantie. Ils restent au sommet du lard sur tout l’album, tout est saturé de son et chanté avec une sacrée dose de démesure. On observe encore une belle profondeur de stomp dans «Permanent Damage» et «The Loveless» se distingue aussi par un heavy stomp qui en fait un petit modèle de Big Atmospherix. David Ryder Prangley hurle par dessus les toits, il peut rivaliser d’indécence avec Jaz Coleman.

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             Finalement, le plus simple est peut-être de rapatrier un bon Best Of, Now I’m Nailed To Your Bedroom Wall I’ve Only Got Myself To Blame, plus facile à dénicher que les trois albums qui, pour une raison X, sont devenus des objets rares. Sur les 20 cuts du Best Of, tu as 12 bombes, voilà, le calcul est vite fait : «True Love» (qu’on voit monter en température, étuve cathartique, et qui orgasme au sonic trash d’out of my mind), «Twisted» (attaqué à la voix d’androgyne, chauffé aux accents délirants, David Ryder Prangley réussit là où Alice Cooper et d’autres ont échoué, il fait du flash in the flesh, joué et screamé au sommet du lard avec à la clé le pire killer solo flash de l’histoire du flash - si tu ne le crois pas, écoute «Twisted» et tu auras du son, plus que tu en as généralement à Noël. Ces mecs sont la dernière grande bénédiction d’Angleterre, il faut voir comme ça hurle dans la tempête de Shakespeare), «Pink Skabs» (gratté à la démesure, décadence & power absolu, ça coule de jus définitif, merci Rachel), «Witches Of Angelholm» (amené aux accords tordus, c’est du Grand Œuvre joué avec la volonté d’en découdre, ça t’hébète, stupeur face à ça, les accords se tordent de douleur, le riffing est unique au monde, pendant que David Ryder Prangley voit son visage in the mirror, Will Crewdson gratte des accords pervertis), «Didn’t I Break My Heart Over You» (Ces mecs savent créer les conditions d’un hit, ils négocient un passage vers les étoiles, avec une pureté d’intention dont personne aujourd’hui n’ose plus rêver. David Ryder Prangley connaît les secrets de l’amour, il sait comment incendier un cœur). En fait, Rachel Stamp pousse les dynamiques de Ziggy Stardust jusqu’au sommet des possibilités du genre. On l’a vu sur «Oceans Of Venus» : ils cultivent l’extrémisme sonique et le biseau de la folie («All The Madmen») pour aller chercher l’horreur des clameurs. Ils savent aussi battre le pilon des forges et la cocotte de la mort blanche («Black Cherry»). Ils savent aussi monter en neige de heavy glam panther définitif («Queen Of The Universe»), un glam de l’an 2000, puissant, cisaillé, gluant de jus. Ils pratiquent aussi avec succès l’explosion d’incentive («Dead Girl»). Ces mecs ont tout : le claqué de surface et l’intention sous la jupe, c’est-à-dire la grandeur et la décadence. Ils savent aussi noyer un cut dans l’apocalypse, comme le montre «Hey Hey Michael You’re Really Fantastic», un cut qu’ils introduisent dans la vulve de Vampirella, aw my Gawd ! Le heavy trash n’a aucun secret pour eux («My Sweet Rose») et on retrouve les excellents «I Got The Worm» et «Do Me In Once And I’ll Be Sad Do me In Twice And I’ll Know Better» qui sonnent comme des hot boom bangs.

    Signé : Cazengler, Romanichel Stamp

    Rachel Stamp. Stampax. Cruisin’ Records 2000

    Rachel Stamp. Hymns For Strange Children. Network Records Inc 2000

    Rachel Stamp. Oceans Of Venus. Pure String 2002

    Rachel Stamp. Now I’m Nailed To Your Bedroom Wall I’ve Only Got Myself To Blame. Cargo Records 2009

    Where Are They Now? Rachel Stamp. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 27

    OCTOBRE – NOVEMBRE – DECEMBRE ( 2023 )

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    Il est des numéros qui vous touchent directement en plein cœur, celui-ci particulièrement, Gene Vincent ouvre cette vingt-septième livraison de Rockabilly Generation, de quoi consoler ceux qui ont oublié de commander le Numéro Spécial Gene Vincent dont le tirage est épuisé et dont Sergio annonce sur le FB de la revue qu’il ne sera pas réédité. C’est ainsi, la vie est cruelle, un seul numéro de RGN vous manque et votre monde est dépeuplé.

    Jean-Louis Rancurel – tout le monde le connaît même si le nom n’évoque aucun souvenir – quelques uns des plus beaux clichés rock des années soixante sont de lui. Et justement nous sommes gâtés, Jean-Louis Rancurel livre les photos prises lors de la mémorable soirée du concert de Gene Vincent au Théâtre de l’Etoile en octobre 62, voici soixante-et-un ans !

    Regardons d’abord les deux photos de Jean-Louis Rancurel, prises nous supposons par Sergio le jour de l’interview, l’a une gueule de baroudeur et d’aventurier. Ah, ces années soixante, Rancurel a fait partie de ces gamins qui à partir de rien ont implanté le rock en France. Ne s’est pas posé comme tant d’autres derrière un micro mais derrière un appareil photographique, ensuite il a ouvert les portes qui étaient devant lui, l’a commencé à quinze ans, n’a pas encore terminé aujourd’hui. D’entrée il nous fait un beau cadeau, de superbes photos des Vautours, non pas les charognards qui se disputeront votre cadavre mais un des groupes phares de la génération des Chaussettes noires, tellement fortes que je me dis qu’un de ces jours faudra que les chronique dans Kr’tnt. Ensuite c’est le Graal ! les photos de Gene, des splendeurs, sur scène et dans les coulisses. Faut lire ce qu’il raconte, ensuite je vous laisse admirer. Chrétien de Troyes ne le savait pas, mais il y a deux graals, le deuxième pleine page 13, un portrait de Vince Taylor. Merci à Jean-Louis Rancurel.

             Retour au présent avec un article de fond sur Vince Mannino, sicilien, commet une énorme bêtise le jour de ses dix ans il achète un disque d’Elvis Presley. Ne soyons pas étonnés si quatre ans plus tard il fonde son premier groupe. Que voulez-vous quand on est piqué par le virus du rock’n’roll, c’est pour la vie. Comme un malheur ne vient jamais seul il est considéré comme le guitariste rockabilly de l’Italie. Sait allier l’utile à l’agréable, sa compagne Sandra le seconde à la guitare rythmique dans leur groupe : Vince and the Moon Boppers. Un homme qui ne se met jamais en avant dans ses réponses, l’est heureux lorsque le public fait la fête avec lui. La couverture du magazine lui revient de droit.

             La rubrique Les Racines est ma préférée, J. Bollinger nous emmène aux temps anciens quand le rock ‘n’ roll n’était pas encore là, tout en étant déjà présent. Ce coup-ci nous ne voyageons ni dans le Blues, ni dans le Rhythm And Blues, ni dans la Country mais dans une dimension originelle que l’on oublie souvent, le Gospel avec The Statemen. Si vous ne connaissez pas il y a un petit jeune qui les a fréquentés et admirés. Un certain Hillbilly Cat aussi connu sous le nom d’Elvis Presley… L’article est passionnant.

             Si Vince Mannino est né en 1964 Alain Power natif d’Irlande a tout juste vingt ans. S’est déjà fait un nom avec son groupe Alain Power and The Aftershocks, dans ses racines l’on retrouve… Elvis Presley ! L’interprète si magistralement qu’il a compris qu’il doit commencer à se séparer de ce modèle si prégnant et commence à écrire sa propre musique. L’emprunte la bonne piste.

             Dernière partie, les comptes-rendus des festivals, le Good Rockin’ Tonight de Bourg en Bresse (anciennement Attignat), le Rock is Life à Rennes, pour les deux, photos et quelques lignes sur les groupes, Jake Calypso sur le premier, les Spunyboys sur le second. Rock is Life bénéficie d’une interview des organisateurs. Honneur à ceux qui se battent pour le rock’n’roll.

             Nous finissons sur une belle chronique de Serge Sciboz sur le dernier disque de Viktor Huganet.

             Un superbe numéro. Merci à Sergio Katz. Et à son équipe.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !  

     

    *

    Voici, si je n’en oublie aucun, le quatrième groupe chroniqué dans KR’TNT ! qui s’intéresse aux Mystères d’Eleusis. En tant que passionné d’antiquité gréco-romaine je ne manque jamais de recenser les formations qui abordent cette période historiale fondatrice.

    THE LAST HIEROPHANT

    MYKOSTERION

    (Album numérique / Bancamp / 23 – 09 – 2023)

    Mykosterion n’est pas le nom du groupe mais le nom de guerre de Loke. Je ne sais rien de lui, sinon qu’il provient de Denver dans le Colorado. One-man doom metal ainsi se qualifie-t-il. La technologie musicale permet à n’importe quel artiste de créer en solitaire son univers, les réseaux sociaux lui donnent la possibilité d’entrer en contact avec des esprits sinon similaires au sien du moins préoccupés de mêmes centres d’intérêt.

    L’on ne crée jamais à partir de rien. Locke cite ses sources, trois écrivains américains : Rollo May, Terence McKenna, Gore Vidal. Nous signalerons lors de notre écoute leur influence sur les textes des morceaux.

    Rollo May : 1909 – 1994 : psychologue existentialiste. Rappelons que l’angoisse heideggerienne est la base de l’existentialisme philosophique et psychologique. Rollo May vouera sa vie à soulager la souffrance et le mal-être des individus à un niveau théorique par ses écrits, pratique par ses activités de psychothérapeute. Pour mieux comprendre le rapport de Rollo May à l’antiquité grecque il suffit de rappeler que Martin Heidegger se détournera de cette notion d’existentialisme pour étudier la pensée philosophique grecque.

    Terence McKenna : (1946 – 200) : moins connu en notre pays que Timothy Leary ou Williams Burroughs pour citer des noms qui feront tilt dans la tête des amateurs de rock. Son nom est lié à l’usage de la drogue, mais c’est-là regarder son œuvre par le petit bout de la lorgnette. Il développe une pensée historiale et sans doute vaudrait-il mieux employer le terme de pensée préhistoriale, en indiquant comment l’homme s’est distingué du singe par l’absorption aléatoire de champignons hallucinogènes. Exposée en si peu de mots sa pensée risque de provoquer la moquerie, toutefois sa proposition reste une analyse du comportement cérébral anthropologique des plus fertiles.

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    Gore Vidal : immense écrivain dont il est difficile en notre pays de mesurer l’ampleur, seulement un tiers de son œuvre est aujourd’hui traduite en notre langue. En relation étroite avec notre sujet je ne citerai que deux ouvrages en relation directe avec The Last Hierophant : En direct du Golgotha : l’évangile selon Gore Vidal : de tous les livres que j’ai lus contre le christianisme (et j’en ai lu beaucoup) c’est le plus violent, et le plus désopilant. Julien : une biographie de l’Empereur romain qui tenta l’impossible : renverser l’emprise du christianisme et activer le retour des anciens Dieux. Sa mort en 363 signe la fin politique de l’Imperium Romanum.

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    … To walk upon the Athenians plains : crissement d’une cigale esseulée, comme une flûte douce, ils sont des milliers à marcher, mais l’on n’entend que le bruit d’un seul pas, ce n’est pas une marche mais une démarche intérieure, qui progresse, le motif se mue en le fredonnement d’un riff de guitare, de plus en plus fort mais légèrement, s’y mêlent bientôt de claires notes  tympaniques,  soudaine ouverture percussique échoïfiée le chant s’élève, la formule ‘’à jeun j’ai bu le kykeon’’ répétée trois fois, la basse reprend l’antienne originelle sur un mode plus lourd. Rien de plus, rien de moins, le morceau dépasse à peine les deux minutes, l’essentiel est dit, l’abstinence purificatrice et l’évocation de cette mystérieuse boisson dont la composition n’a jamais été relevée, indispensable à la suite des mystères. Aucune rupture avec The call of Eleusis : attention dans ce appel d’Eleusis, il ne s’agit pas ici de recréer pas à pas le rituel (perdu) éleusien mais d’évoquer les phénomènes mentaux qui conduisent à la réalisation d’un désir d’immortalité, tout comme la connaissance de la philosophie ne peut être que le désir même de la philosophie,  l’initiation ne peut être que le désir de l’initiation, celui qui parle est un épopte, un initié qui est parvenu au plus haut grade de l’initiation, il emploie le pronom personnel ‘’ nous’’ pour signifier qu’il n’est plus un individu parmi tous les autres mais qu’il a acquis une connaissance qui lui donne accès à une idéénité supérieure dont maintenant il fait partie à part entière. Le riff amplifié et la batterie cogne et résonne dans des coins secrets, le vocal assez emphatique, c’est la descente triomphale vers les divinités, par palier, main -mise de la guitare, tout se passe dans la tête, dans les galeries du cerveau mais aussi dans celles du sanctuaire,  le kykéon décille les yeux, l’on aperçoit grâce aux symboles l’entité principielle Déméter-Perséphone, la guitare se fait poignard, ne croyez pas  que ce soit une partie de plaisir, le vocal devient ténébreux, la batterie claudique sans rémission, pas de retour possible, une voix off vous rappelle que l’âme, la vôtre souffre autant que celle des initiés, le chant murmure les ultimes conseils à vos oreilles  il rappelle qu’après de terribles épreuves à traverser vous parviendrez enfin à une lumière qui dévoilera une autre perception du réel, qui vous donnera accès à une dimension sacrée, la batterie improvise une sorte de danse hiératique, et tout se calme. The antechambers of eternity : bourdonnements d’élytres de la basse, la voix du hiérophante vous aide à comprendre que vous n’accédez pas à l’éternité puisque vous êtes mortels mais que la mort et la vie sont une seule et même chose, les guitares grondent et la batterie percute, le chant est moins abrupt, nous ne sommes plus dupes des apparences, vous savez voir ce que les autres ne voient pas,  vous êtes au-delà des apparences, lorsque vous serez passés de l’autre côté vous serez à même de comprendre que si vous n’êtes pas éternel vous êtes dans les antichambres de l’éternité, tout devient flou la voix et la musique, les cymbales tintent, vous accédez enfin au secret du Kykeon, une solution obtenue à base de champignons, régal des dieux, votre tête explose, vous ne resterez pas ici, vous retournerez dans le monde des hommes mortels mais à tous moments la divinité palpitera en vous, elle irradiera la réalité qui s’offrira à vous, vous saurez et vous verrez, vous serez une cellule d’éternité lâché dans le monde. Long développement musical. Peut-être n’avons-nous vécu que le rêve d’un rêve. The last hierophant : la vie heureuse, la guitare s’assombrit, il semblerait qu’elle déraille un peu, une voix nous avertit que le futur ne sera plus le retour du présent, le temps a passé, les temps changent, la musique se tristétise, la batterie résonne, le chant se traîne mélodramatiquement, le dernier hiérophante termine les derniers rites, le galliléen a vaincu, christianisme triomphal, la guitare se meut en un dernier solo éclatant, nous sommes maintenant dans la nuit noire, perdus, sans lumière pour nous guider, pensez aux Immémoriaux de Ségalen lorsque le prêtre ne se souvient plus de la généalogie des Dieux qu’il récite, ce trou dans la récitation rituelle marque le commencement de la fin de la civilisation maorie, une voix s’élève à la fin du morceau, c’est la fin du monde. Living death : basse funèbre maintenant que nous sommes perdus comment survivre. La musique rassemble ses forces, n’avons-nous pas déjà connu la mort lors de l’initiation et n’avions-nous pas trouvé la vraie vie au bout du chemin, suivons la leçon des grands ancêtres, ils nous ont donné la mort et l’on a eu la vie, la leçon est claire, lorsque nous aurons traversé cette nuit qui nous accable nous retrouverons notre lumière. Même pas une épreuve, une nouvelle initiation qui se joue dans le monde hors des murs et des profondeurs du sanctuaire. Le morceau le plus palpitant et le plus effulgent du disque. Une réussite. On the brink of nihil : sur les rives du néant, un chant s’élève, entre déception et surprise, ils n’ont pas encore traversé le monde mort, les rites ne parlent qu’imparfaitement, tout comme cette guitare seule qui accompagne cette balade, les anciens Dieux se sont tus, nous nous raccrochons à ceux qui descendent du Soleil, qu’ils se nomment Hélios, ou Mithra, le dieu taureau des Légions romaines qui ont failli emmener Julien à la victoire. Le monde est difficile mais nous forgeons de nouveaux rituels pour les nouveaux Dieux et les Anciens. Occult Ritual : grincements, sifflements, brouhaha, la partie est loin d’être gagnée, les siècles ont passé et la situation n’a guère évolué la nuit est à peine moins noire, à moins qu’elle ne le soit davantage, guitare siphon, batterie pilon, chœurs asthmatiques, la situation a empiré, le chaos empêche de voir le vide du néant, mais nulle cohorte de Dieux n’est parvenue à l’alchémiser en cosmos. Il semblera à certains que l’histoire se termine en queue de poisson christique, mais non car les nouveaux rituels encore secrets ne sont qu’un début, peut-être seront-ils opératoires en ce vingt-et unième siècle.

             L’opus est très original dans sa démarche. Locke n’a pas essayé d’exhumer pour une reconstitution historique les Mystères d’Eleusis il les a inscrits dans une tradition historiale païenne qui bon siècle mal siècle s’est perpétuée. Une véritable œuvre politique de combat. Comme nous les aimons.

    Damie Chad.

     

    *

    Je croyais en avoir fini pour cette livraison des Mystères d’Eleusis, mais ayant précédemment tapé le mot ‘’ nisteia’’ qui signifie ‘’ jeûne’’ et que l’on retrouve dans la formule ‘’ à jeun j’ai bu le kiskeon’’, l’ordi en flatteur de vices expérimenté me propose de lui-même un OSI (Objet Sonore Inconnu) qu’il a déniché tout seul comme un grand sur Bandcamp :

    NISTEIA

    OLLA VIA

    ( Psycho-Acoustic-Perspective)

    La pochette représente une main qui tend une écuelle, vraisemblablement un coquillage, à un individu dont on n’aperçoit qu’un bout de visage et de corps. L’objet semble vide, est-ce pour représenter le fait de jeuner ou parce que le kykeon que contenait l’objet vient d’être bu par l’adepte ?

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    Olla Via est le nom que Jiannis Papadakis – grec et athénien - emprunte pour présenter son œuvre solo. Vous le retrouverez aussi dans le duo Hau. Son FB ne révèle rien de lui sinon qu’il participe avec d’autres intervenants à de nombreuses prestations scéniques de musique électro-acoustique. Nisteia nous semble carrément proto-noise. Le lecteur curieux peut visiter son SoundCloud ou son site personnel qui proposent de nombreuses vidéos de ses spectacles scéniques. Il revendique le titre d’artiste visuel.

    Olla via pourrait être traduit par la voie du pot (au lait). Un long regard sur son site personnel nous a persuadé que le lait a une certaine importance pour Jiannis Papadakis, nous ignorons pourquoi, peut-être parce que le lait de la femme possède la même couleur que le sperme de l’homme. Le lecteur qui voudrait en savoir davantage se plongera dans les écrits de Grasset d’Orcet. Ces trois dernières lignes découlent d’une interprétation toute personnelle.

    Un petit texte accompagne Nisteia, je le transcris tel quel, ne me permettant aucun commentaire, les lecteurs sont assez grands : Nisteia est basé sur des faits historiques non-officiels qui ont eu lieu à Eleusina de la Grèce Antique. Il a été conçu pour sept artistes affamés, trois psalmistes et un porc sacré. Le but de Nisteia est de transmettre une écoute ‘’ expérentielle’’ plutôt qu’une simple ‘’ œuvre’’ mixte.’’

    Ecoutons : Nisteia : chœurs prégnants, une note s’étire, une voix proche des chants sioux disparait rapidement pour laisser place à une espèce de polyphonie parsemée, avec de temps en temps le retour de ce vocal de gorge amygdalien, bientôt l’on n’entend plus la percu qui rythmait le morceau elle est remplacée par une espèce de long délire phonétique dont les différents timbres se font écho, une tambourinade n’empêche pas les syllabes sonores de se prolonger comme elles avaient décidé d’aller sans fin au bout de l’infini. Deux voies : celle des voix et celle du tambour qui se tait lorsqu’apparaissent gémissements et semblances de bribes de paroles, le tambour revient et devient cascade frénétique, galop infatigable, la note vocale est toujours tenue toutefois submergée par ces incantations torturées de paroles incompréhensibles prononcées à toute vitesse, maintenant la cavalcade s’adjuge vraiment la première place, jusqu’à ce que le vocalisme l’interrompe pour de nouveau repasser à l’arrière-plan du décor, les trois pistes se rejoignent, elles unissent leurs effort, elles courent de concert, elle se précipitent vers le terme. Brutal.

    Une certaine beauté et même une beauté certaine se dégage de l’ensemble. Pour donner une image : imaginez une séquence de dix minutes de chant grégorien dont les trois moines-chanteurs seraient brutalement frappés d’une folie dionysiaque et se libèreraient de toute composition architecturale liturgique pour s’en aller batifoler chacun à sa guise dans des sentiers autonomes tout en restant au diapason. Il est sûr qu’Olla Via s’est essayé à une espèce de reconstitution expérimentale et imaginaire des pratiques rituelles d’Eleusis, mais si j’ai parlé de moines c’est que le résultat obtenu ne me semble pas si éloigné des chants liturgiques orthodoxes.

    Damie Chad.

     

    *

    Les ennemis surgissent à tout moment dans votre dos, pour les amis ces surprises sont plus rares, peut-être parce que l’on n’a davantage d’ennemis que d’amis mais ceci est un autre problème. Dimanche soir penché sur mon fourneau je m’activais à une œuvre de haute sapience culinaire, la cuisson peu alchimique d’une boîte de conserve, pour tout condiment récréatif je n’avais que la radio qui diffusait une émission de France Inter, pas vraiment le top, j’entendais que ça blablatait pour ne rien dire, je n’écoutais qu’une demi-oreille, lorsque l’animatrice a proposé une interruption musicale, j’ai tremblé, la play-list de la première radio de France s’avère souvent décevante pour les amateurs de rock’n’roll, mais surprise, un groupe en direct, le même qui a joué au début de l’émission, je n’étais pas là, je redoutais le pire, ce fut les :

    HOWLIN’ JAWS

    Les Howlin’ ! On les suit depuis leur tout début, dix ans déjà, on a chroniqué leurs disques, leurs concerts, leurs clips, la dernière fois c’était durant le confinement, une sale période, pour ceux qui ont aimé cette stupide réclusion générale n’ayez crainte, ça reviendra plus vite que vous ne l’espérez. En attendant réjouissons-nous avec les Jaws !

    LE GRAND DIMANCHE SOIR

    Etrange expérience que de voir ce que l’on a entendu. Le Replay est sur le site de France Inter mais si vous passez par le FB des Howlin’ la vidéo démarre à l’instant de leur premier passage. Première constatation étonnante, le son est nettement moins bon sur cette vidéo que sur la radio. Pourtant mon poste est loin d’être un engin sophistiqué, un premier prix tout ce qu’il y a de plus commun ! Deuxième confirmation désolante, sont huit autour de la table en demi-cercle, z’ont le papier à la main et lisent tout ce qu’ils disent. C’est ce que j’appelle du faux-direct.

    Lost songs : la prise de vue n’est pas excellente, vu l’exiguïté de l’espace les Howlin’ sont un peu à l’étroit. Le son ne vous écorchera pas les oreilles. Nous reparlons de ce morceau dans quelques lignes. Down Down : une reprise de Status Quo, les rois du boogie, cette fois le son est meilleur, et la prise de vue moins statique, si la première partie du morceau down down din dan down est un peu simpliste la deuxième plus technique permet aux Jaws de montrer leur savoir-faire. Le public ne tarde pas à les soutenir.

             Ce 29 septembre les Howlin’ sortiront leur deuxième album Half Asleep Half Awoke. Sur YT sont présent en avant-première les clips de deux titres.

    Baptiste Léon : drums, percussions, backing vocals / Lucas Humber : guitar, backing vocals / Djivan Abkarian : lead vocals, bass.

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    Lost songs : ( Official video ) : paysage country, soyons géographiquement plus précis, campagne française, champs de blé coupé, étroite route goudronnée, pilonnes géants pour lignes haute-tension, une petite touche suburbaine avec cette ruine peinturlurée, et puis une bagnole à  l’amerloque, vieux modèle mi-pourrave,  enfin les Jaws omni présents, en voiture, au milieu des champs, sur le toit de la chiotte en train de jouer, habile montages de courtes séquences qui s’entremêlent et que l’on regarde en souriant avec plaisir. L’ensemble fait penser aux anciennes émissions musicales de la télé des années soixante - ici vous avez la couleur en supplément gratuit – où tout passage de chanteurs était savamment mis en scène, voire chorégraphié pour les séances studio. L’ensemble dégage un sentiment de joie de vivre, d’insouciance, d’un monde ouvert à tous les possibles. Juste un faux hiatus. Une chanson triste. Sur l’impuissance. De l’amour, je vous rassure je ne parle pas de sexe, une amourette, les amours rets, une douce romance, pas sérieuse pour un (ancien) franc, une voix douce, une guitare sucrée.  Ne la réécoutez pas deux fois, car vous allez vous y poser dessus comme l’abeille sur le pot de miel, comme la mouche sur le ruban qui tue. Un slow à la mode des années soixante mais psyché aux hannetons. Une langueur astringente, un couteau qui ressort en douceur des lèvres de la plaie du plaisir.

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    Lost songs : ( Lyrics video ) :  on prend les mêmes et on recommence, en fait c’est le contraire, l’official est sorti voici peu, celle-ci l’a précédée de deux mois. Moins de moyens, donc une idée, toute simple mais sacrément intelligente. Une photo sur fond mauve-rose, mauve-bleu, mauve-orange, nos trois gaziers sont là, immobiles, Lucas accoudé sur son ampli, Baptiste assis sur celui de Djivan, Djivan couché à terre, tout devant sur ce divan improvisé. Il ne se passe rien, heureusement que les paroles s’inscrivent en grosses lettres sur le haut de l’écran. Attention ça bouge. Changement de place. Plan fixe. Tour à tour ils prennent leur instrument, puis se murent dans l’immobilité, sur la fin du morceau ils font semblant de jouer tous ensemble. Perso je préfère celle-ci à la précédente. Beaucoup plus subtile. Elle distille le poison de la mélancolie du vécu au goutte-à-goutte.

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    Mirror Mirror : ( Official Video ) : un clip psyché en diable, impossible de poser les yeux sur une image pour visualiser, télescopage incessant de plans, sur un fond de couleurs spatiales, tourbillons statiques d’étoiles, d’aurores aux doigts de rose ( merci Homère) et de cieux bleu-nuit ou clairs, nos trois compères semblent se disputer pour être les premiers à apparaître sur l’image, des trucages dus à Gaspard Royan les démultiplient à l’infini, quand on y réfléchit, l’occasion à ne pas rater pour fermer les yeux et écouter. Ne faites pas l’âne qui suivrait une carotte sonore et en oublierait de la croquer à petits bouts pour en déguster les mille saveurs. Mille parce que vous devrez vous y reprendre mille fois pour prendre pleinement ce fruit juteux dégoulinant de sucs vanillés. Le moindre gratté de guitare ne reproduit jamais un même son, vous êtes devant une cage de quarante mètres carrés dans laquelle on aurait fourré tous les animaux du zoo, à peine en avez-vous aperçu un qu’il est immédiatement renvoyé hors-champ par un autre qui cède sa place au suivant si rapidement que vous avez du mal à l’identifier. L’objet sonne très Howlin et en même temps très british, période 65-67, des sonorités à la toque qui vous rendent complètement gaga, les Howlin sont toujours un peu gaga-rage, mais là ils n’ont pas besoin de muselière, viennent vous manger la main sous le sucre, très agréable, vous saupoudrez votre main gauche pour qu’elle subisse le même sort, et puis surtout cet élan ininterrompu qui emporte le morceau, le fait miroiter à vos oreilles, et puis s’éclipse parce que les mirages scarabéens ne durent qu’un temps.

             N’y a plus qu’à découvrir l’album. Mais ce n’est pas tout. Si vous voulez les voir en direct sont à la Maroquinerie le 08 novembre, un peu partout en France aussi. Mais ce n’est pas fini : z’ont deux pages sur le numéro de septembre de RollingStone, au studio Toe Rag de Liam Watson pour l’enregistrement de Half Asleep Half Awoke.

    Damie Chad.

     

    *

    Avec Denis sur le marché, l’on parlait du dernier single des Stones, pas vraiment convaincus, comme c’est les Stones on se rattrape aux petites branches : ‘’ Faudra voir l’album’’. Denis ajoute : ‘’ Puisque l’on parle des Stones, voici pour toi’’ et il me tend :

    UN DEMOCRATE

    MICK JAGGER

    ( 1960 – 1969 )

    FRANCOIS BEGAUDEAU

    (Folio 5726 / Mars 2022)

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    A l’origine sorti chez Naïve en 2005. N’avais pas vu passer à l’époque. François Bégaudeau a été le chanteur du groupe punk Zabriskie Point, l’adaptation d’un de ses romans Entre les murs a été élu Palme d’or à Cannes (2008). Il est ce que l’on nomme un intellectuel de gauche, n’en a pas moins été qualifié de ‘’brun-rouge’’ suite à la sortie de son livre : Histoire de Ta bêtise. Apparemment beaucoup se sont sentis visés. Ce qui nous semble un bon signe.

    Sans ouvrir une page, le titre nous renseigne sur le projet de l’auteur. Les Rolling Stones, certes un grand groupe de rock, mais après 1969 ce n’est plus comme avant. Dans ces cas-là faut un responsable, ce sera Mick Jagger. Une thèse peu originale, nombre de fans la partagent à quelques détails près. Quant à qualifier Jagger de démocrate, il y a à boire et à manger. Le titre est ambigu, signifie-t-il que Jagger fut un démocrate durant la première partie des Stones ou qu’il est devenu démocrate dans la deuxième partie de sa carrière. Le mot démocrate a plusieurs sens faut-il le comprendre comme un compliment : notre époque se complaît à revendiquer les valeurs démocratiques comme le summum de l’organisation sociale politique : liberté de penser, de circulation des marchandises, de commercer en paix aux quatre coins du monde. La démocratie c’est le régime politique par excellence du libéralisme économique. Les anciens grecs pensaient à peu près la même chose mais pas tout à fait dans le même sens. La démocratie, régime des marchands, était accusée de libérer la cupidité des appétits humains et de favoriser la déliquescence de la société… Si François Begaudeau a dans son Histoire de Ta bêtise entrevu le libéralisme actuel selon cet angle démocratique, pas étonnant qu’une grêle de critiques acerbes se soit abattue sur lui !

    Il est temps de revenir à notre jardin où ne poussent que de chauds cailloux. Dans les premières pages Begaudeau fait son malin, oui Jagger est né en 1960, sur un quai de gare en même temps qu’un certain Keith. Et il est mort en 1969. Vous l’ignoriez, il va vous expliquer. N’ayez crainte il n’expliquera rien. Compte sur l’intelligence de son lecteur pour comprendre ce qu’il veut dire. 

    L’est comme l’homme qui creuse un trou et qui y tombe dedans. Lui c’est les pierres qu’il empile les unes sur les autres et elles finissent par s’écrouler et par l’emporter avec elles. Les Stones ce sont les Stones et entreprendre le récit de leur histoire c’est magique, les mots et les émotions arrivent tout seuls. Begaudeau est né en 1971, l’est venu au monde trop tard, il n’a pas connu l’époque, il ne s’appuie sur aucun souvenir personnel.

    Ne peut pas raconter ce qu’il a ressenti lorsqu’il a entendu The Last Time pour la première fois de sa vie à la radio, au niveau vécu personnel c’est la dèche, un véritable handicapé, le mec qui arrive après la bataille et qui vous la raconte. Peut-être bien mieux que la plupart de ceux qui y ont assisté. Car il écrit bien. En plus il a un joker dans sa manche. Attend un petit peu pour le sortir. Quand je dis un joker je devrais écrire des millions de jokers. Les Stones ne sont pas seuls. Derrière eux sont des millions de jeunes, toute une époque, les fameuses sixties, qui ne savent rien de leur existence, qui les attendent, qui les espèrent, qui les suscitent, comme la flamme du briquet attirée par le cocktail molotov, une décennie faste et créatrice, celles qui suivront ne la dépasseront pas.

    Le décor est planté. Tragédie grecque. Fond de toile : le peuple, le démos, les fans, bientôt ils passeront dans les gradins. Devant trois masques, trois personnes, trois acteurs. Eliminons le troisième, le petit blond solitaire dans le coin, Brian Jones, oui il est à l’origine du groupe, mais c’est un asthmatique, un souffreteux, un maladif, l’a voulu jouer dans la cour des grands qu’il a créée mais il n’a pas l’énergie nécessaire pour survivre au carnaval dantesque du succès. Begaudeau ne porte pas au Brillant Jones l’admiration que lui voue notre Cat Zengler ! L’adopte plutôt l’analyse struggle for life notre écrivain. Deuxième rôle. Keith ! Facile, ne parle pas beaucoup, l’est toujours d’accord avec Mick.

    Enfin Mick – c’est tout de même de lui qu’il s’agit ! – un chanteur oui, Begaudeau le qualifierait de danseur. Le gars sympa, donne envie de bouger à tout le monde. Non il n’a pas une voix exceptionnelle mais quel showman extraordinaire ! All Right ! et la foule entre en délire. Pas très profond, une tête froide. Pas un sentimental. Sait ce qu’il veut et veut ce qu’il sait. Avec lui tout est facile. S’adapte si facilement aux circonstances qu’il donne l’impression que ce sont les circonstances qui s’adaptent à lui. Un chat qui vous glisse entre les mains. Un jaguar bondissant.

    Question musique, le groupe n’est pas composé de virtuoses. Z’ont le rythme. Faut que ça bouge et que ça déménage. Pas des fignoleurs. Après tout ce n’est que du rock ‘n’ roll, et le rock c’est chaud brûlant devant et le feu au cul derrière. Ne faisons pas dire à Begaudeau ce qu’il est loin d’insinuer. A la manière dont il décortique les morceaux on sent qu’il les aime, à la façon dont il analyse les albums on sent qu’il les a médités. Les Stones du début c’est un peu comme le syndrome de Stockholm, si par malheur, par hasard, par miracle, vous passez under their thumbs, vous êtes cuits, vous les aimez.

    Bégaudeau accumule tout le long de ces cent-dix pages d’insignifiants détails contre Mick ce gendre idéal à qui votre sœur se donnerait sans vous demander la permission. Les Stones une fusée shootée à l’adrénaline des sixties, le ciel n’a pas de limite pour elle mais quand elle aborde les seventies, moins rock, davantage arty, elle se met sagement en orbite. Bégaudeau n’est pas le seul à l’énoncer. Perso à l’époque j’avais trouvé Altamont et sa cohue barbare génial, un truc très rock, je devais avoir tout faux car Jagger est le premier à tirer les marrons du feu. Le trucker lui a échappé, n’a pas su se rendre maître du mastodonte. Désormais tout va changer. Rien ne sera comme avant. Plus de concerts sauvages. Des shows millimétrés. Bref les Stones de maintenant. Un maintenant qui dure depuis cinquante ans. Les Stones de l’ère libérale. Le rock’n’roll est une marchandise comme une autre. Ce qui ne nous empêche pas de les aimer toujours. Les Stones comme une vieille maîtresse à la Barbey d’Aurevilly.

    Damie Chad.