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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE: KR'TNT ! 660 : KING HANNAH / WRECKLESS ERIC / DYLAN LEBLANC / DEREK MARTIN / SHINDIG ! / SNAW / BO DIDDLEY / JON VAYLA / HOUSE MUSIC - THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 660

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    10 / 10 / 2024    

      

    KING HANNAH /  WRECKLESS ERIC  

    DYLAN LEBLANC / DEREK MARTIN / SHINDIG !

        SNAW / BO DIDDLEY / JON VAYLA

    HOUSE MUSIC - THUMOS 

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 660

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock - Hannah thème

             De la même façon qu’Hannah et aussi loin qu’il s’en souvienne, l’avenir du rock a toujours adoré les sucettes à l’anis. Aujourd’hui encore, et peut-être plus qu’hier, il suce les sucettes à l’anis d’Hannah et les suce en chantant :

             — Lorsque le sucre d’orge/ Parfumé à l’anis/ Coule dans la gorge d’Hannah/ Elle est au paradis.

             Ah comme les rimes sont riches et comme la texture sent bon la luxure ! Quelles volutes de volupté ! Quel calice de calme ! Quelle Invitation Au Voyage baudelairien ! Pour quelques pennies, l’avenir du rock se vautre dans le luxe parfumé des baisers anisés d’Hannah. C’est un bonheur que de rouler les paradoxes dans le jus anisé du paradigme. Plus il suce les sucettes anisées d’Hannah, plus il jubile, au point d’atteindre une sorte d’extase mystique. Il voit alors en apparition une vierge sucer une sucette anisée avec ses grands yeux qui ont la couleur des jours heureux. L’avenir du rock éprouve tout ce qu’éprouve la nubile Hannah, le moindre feeling, la moindre pulsion de chair fraîche. Il chante avec une ferveur religieuse :

             — Et Lorsqu’il n’a sur la langue/ Que le petit bâton/ Il prend ses jambes à son corps/ Et retourne au drugstore...

             Et rien que de rimer ‘corps’ avec ‘drugstore’, ça le met en transe, ah merci Hannah de sucer si goulûment le petit bâton et d’avaler tout ce jus d’anis parfumé. Serait-ce la clé du paradis, celle que cherchent en vain les âmes en peine dans les églises ? Non la clé du paradis ne se trouve pas dans les églises, mais au drugstore, fais comme Hannah, achète-toi des sucettes à l’anis pour les sucer goulûment, car lorsque le sucre d’orge/ Parfumé à l’anis/ Coule dans la gorge d’Hannah/ Elle est au paradis.

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             L’avenir du rock chante bien sûr les louanges d’Hannah Merrick, cette liverpuldienne associée à Craig Whittle dans King Hannah, sans le moindre doute le meilleur duo qu’on ait entendu ici-bas depuis Mazzy Star. Hannah Merrick navigue au même niveau qu’Hope Sandoval, et Craig Whittle rivalise de démesure sonique avec David Roback.

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             Elle arrive en robe rouge sur scène, fabuleusement brune, et attaque avec «Somewhere Near El Paso» et sa mélodie suspendue dans le vide. Elle te fait à la fois du Nancy Sinatra, de l’Hope Sandoval en plus grave, du Nico en plus mélodique, sa robe rouge évoque la pochette du premier album des Tindersticks et l’ami Whittle gratte déjà des poux inspirés du Velvet, mais aussi de Yo La Tengo, ils ont un son terriblement américain.

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     C’est un peu comme s’ils te jetaient un sort, car te voilà envoûté - That was a bad decision/ That was a bad decision - Et puis plus loin dans le set t’as ce hit digne du Velvet et de tous les géants du lo-fi, «New York Let’s Do Nothing» - ‘Cause I feel good when I am in New York - Elle joue merveilleusement avec les finesses du lowdown de downhome, avec pour seul support des solaces d’excelsior de l’ami Whittle. Alors t’as aussi ce grand moment révérencieux, «John Prine On The Radio», une douce mélancolie country - I’ve been looking/ I can’t find an answer/ And I can’t concentrate on much these days - elle se laisse littéralement porter par sa mélancolie.

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    Ils se dirigent lentement vers la sortie de set avec l’effarant «Davey Says», puis «Lily Pad» ravagé par des lèpres de sonic trash et de Just floating along, elle s’abandonne littéralement, elle appartient désormais à cette légende qui remonte au Velvet et à Lee Hazlewood, et tout cela se termine avec «Crème Brûlée» tiré de leur premier EP.

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    En plein Tindersticks, mais féminisé. Percuté de plein fouet par l’And I need you/ So bad. En rappel, elle te balance un autre chef-d’œuvre de délicatesse, le morceau titre de Big Swimmer - ‘Cause I’m a big swimmer/ I’ll swim at anything - T’en profites à outrance, car tu sais que tu ne reverras pas une chanteuse aussi géniale de sitôt - Do you carry on swimming or/ Do you jump out and grab your towel - elle casse bien ses syllabes pour les faire swinguer, comme savait si bien le faire Lanegan - It feels ri/ iight to do so - Et quand tu lui demandes ce qu’elle écoute, Hannah te dit Silver Jews et Bill Callahan, alors tout devient prodigieusement clair.

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             Leur nouvel album Big Swimmer est un épouvantable must. Et quand on a dit ça, on n’a encore rien dit.

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    Big Swimmer grouille de puces. Hannah est très lowdown et le morceau titre dégage un horizon considérable. On attaque à peine l’album et nous voilà déjà dans la surenchère. Craig Whittle ramène dans cette Beautiful Song de bons gros accords d’electrack. Avec «New York Let’s Do Nothing», ils passent d’instinct au Velvet. Ils tapent en plein dans le mille. C’est violemment bon, power chords et voix sensuelle, en plein dans le mood de «The Gift». Cet  album sonne comme une révélation, te voilà hooké avec «The Mattress», cette fois, ils tapent dans la légende de Mazzy Star, tu assistes à une lente progression vers le sommet du son, Craig Whittle ramène de la volupté sonique, et Hannah, impassible, distille sa sensualité en suçant sa sucette. Les coups de génie se succèdent, impitoyablement, «Milk Boy (I Love You)», et «Suddenly Your Hand». Ils tapent «Somewhere Near El Paso» au harsh, à l’épique abrasif, Craig Whittle allume bien la gueule de ses cuts et les explose. Ils s’enfoncent dans des profondeurs surnuméraires avec «Lily Pad». Quel couple ! Ils auraient pu s’appeler Kings of Intensity, ou Kings des Sucettes à l’Hannah. Et l’autre fou n’en finit plus de partir en maraude. Ils terminent avec un hommage à John Prine : «John Prine On The Radio». Bizarrement, Swamp Doog rend aussi hommage à John Prine sur son nouvel album, Blackgrass. Que de géants sur cette terre !

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             Paru deux ans avant, I’m Not Sorry I Was Just Being Me n’est pas en reste. L’album met un peu de temps à décoller, mais il finit par devenir génial avec «Big Big Baby». Hannah fait sa Hope et Craig Whittle ramène de la clameur. Ils sont encore plus Mazzy Star que Mazzy Star avec «Foolius Caesar». Leur son traîne la savate. Craig Whittle n’en finit plus de gratter des poux magiques. On sent bien monter la marée. Sur «Go-Kart Kid (Hell Not)», il monte derrière elle (Hell) une belle apothéose. Avec «Rebenson», ils sonnent comme le Yo La Tengo d’Electropura. Même magie sonique. Et voilà la petite cerise sur le gâtö : «It’s Me & You Kid». Elle chante du coin du menton dans le coin du micro. C’est d’un bel effet, ah Hannah ! Et l’autre fou de Craig Whittle entre dans le cut au marteau pilon, on pourrait appeler ça un développement bardé de dommages collatéraux, alors Hannah et lui deviennent les rois du Tengo Mazzy, ils ré-explosent la vieille constellation et l’embrochent à la tourniquette de tournante étourdissante. Viva King Hannah ! 

    Signé : Cazengler, Hannahnas

    King Hannah. Le 106. Rouen (76). 21 septembre 2024

    King Hannah. I’m Not Sorry I Was Just Being Me. City Slang 2022

    King Hannah. Big Swimmer. City Slang 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Eric et rac

     (Part One)

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             On a longtemps hésité avant d’amener le pauvre Wreckless Eric dans cette rubrique. L’Eric est tellement riquiqui que les géants qui y folâtrent pourraient lui faire de l’ombre, ou pire encore, lui marcher dessus.

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             Essayons d’y voir plus clair. Riquiqui Eric est victime d’un préjugé qui remonte à 1977, quand son épouvantable «Whole Wide World» est sorti sur Stiff. On ne comprenait pas à l’époque que cette petite pop-song mijaurée et chantée du nez eusse pu provoquer un tel engouement. On mit aussitôt l’Eric dans le même sac que le binoclard Costello et l’autre endive de Joe Jackson. Les Damned et Larry Wallis te donnaient du grain à moudre, certainement pas ces trois demi-portions. Puis tout cela a évolué (et nous avec) à la va-comme-je-te-pousse. Riquiqui Eric est entré dans l’underground et c’est sans doute ce qui lui a sauvé la mise. Il aurait pu finir en Simple Mind.

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    ( Editions 2003)

             On entendait parler de lui de loin en loin, par un copain qui connaissait un copain qui connaissait un copain qui connaissait Riquiqui Eric, installé dans une ferme quelque part dans la France très profonde. Des cassettes circulaient. Écoute ça ! Bif baf bof. Rien à faire. On restait sur le vieux préjugé. Pas question de faire un effort. On préférait savourer le souvenir de Larry Wallis au Marquee Club avec les Pink Fairies. Le copain du copain du copain avait aussi une autobio d’Eric Goulden. Dans le civil, Riquiqui Eric s’appelle Goulden. Il s’agissait d’un hard-back toilé bleu. On l’a lu, bien sûr. Pas de souvenir particulier, si ce n’est l’anecdote du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band mono et, last but not least, un très beau sens de l’humour. Et puis, entre temps, il y a eu bien sûr les deux albums faramineux du Len Bright Combo, qui sont le vrai pot-aux-roses, le vrai point de départ. Mais livré corps et âme à d’autres priorités, on décida unilatéralement d’en rester là.

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             Et tout à coup, l’an passé, la presse anglaise s’est réveillée en sursaut ! À commencer par Uncut qui accordait une audience à Wreckless Eric ! Ah il est pas jojo sur la photo : bouffi, le poil blanc, l’air renfrogné, plus rien à voir avec le Riquiqui qui orne la pochette de l’album Rickenbacker. Uncut et Record Collector célèbrent en fait la parution de son dernier album, Leisureland. Chez les Anglais, c’est ce qu’on appelle un buzz. L’Eric et rac commence par évoquer sa near-death experience (near-fatal heart attack) d’un ton léger - It’s made me think about the whole business of dying and I was quite clam about it - On lui demande why Wreckless ? Il répond : «My behaviour was erratic.» Oh so British !

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             Nick Dalton lui accorde royalement 4 pages dans Record Collector. C’est un solide panoramique, spécialité de Record Collector. Dalton et l’Eric reviennent sur les premiers albums Stiff et glissent doucement sur mes projets foireux qui ont suivi, Captains of Industry et The Len Bright Combo. Foireux ? Oui, au plan commercial. Mais géniaux au plan musical. Il rappelle que le Len Bright Combo correspond à l’époque où il s’est installé in the Medway area of Kent. Il a récupéré la section rythmique des Milkshakes, Russ Wilkins & Bruce Brand - I just wanted to obliterate the songs with feedback - Et il conclut : «We made two albums. The first one is good, the second one is half as good.» Puis il débarque en France dans la ferme d’une copine et décroche un deal chez New Rose. Puis il déroule l’historique des projets, Le Beat Group Electrique, The Donovan Of Trash, Martin Stone, The Hitsville House Band, blah blah blah. On a l’impression de connaître tout ça par cœur. Dalton revient à la fin de l’article sur la fameuse question : «Why weren’t you as big as Nick Lowe or Elvis Costello ?». Il répond qu’il ne croyait pas assez en lui - I had low self-esteem. I could never handle it. But now, I’ve got a momentum

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             La grosse cerise sur le gâtö du buzz, c’est la réédition de l’autobio citée plus haut : A Dysfunctional Success. The Wreckless Eric Manual (Written By The Author). On laisse alors tomber la circonspection et les a-priori et on vote à l’unanimité le rapatriement. Ce book va-t-il percer le mystère du Len Bright Combo ? Le plus drôle dans toute cette histoire, c’est qu’en 20 ans (la première édition toilée bleue date de 2003), ton regard peut changer du tout au tout. Autant la première fois, t’es trop con pour lire ça correctement, autant la deuxième fois, t’es un tout petit peu moins con et tu lis ça plus que correctement : avec passion. Car c’est un book fabuleux. Fabuleux d’underground, fabuleux de modestie, fabuleux de bon goût, fabuleux d’auto-dérision, fabuleux de riquiquisme. Par contre, pas un mot sur Larry Wallis, avec lequel Riquiqui est pourtant parti en tournée. Et comme notre petit Riquiqui semble détester le frimeur Costello, alors on devient potes.

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             Il faut lire A Dysfunctional Success. Même en anglais. Ce book ne sera sans doute jamais traduit. Mais les fans du Riquiqui vont se régaler. Et rentrer dans sa vie. Car c’est bien de cela dont il s’agit : Riquiqui écrit tellement bien qu’il te fait entrer dans ce qui fut sa vie d’avant. Le book couvre une période qui va de sa naissance au Len Bright Combo, en 1986, lorsqu’il vient de s’installer à Chatham, Kent, au Sud-Est de Londres, et qu’il rencontre deux autres Wizards & True Stars, Russ Wilkins ET Bruce Brand. Pardonnez du peu. Avec le Len Bright Combo, t’es dans le dernier chapitre, et là, le book vibre entre tes mains, car notre petit Riquiqui te raconte l’histoire détaillée de trois héros embarqués dans une folle histoire.

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             Quand il quitte Londres pour s’installer dans ce qu’il appelle the Medway towns, Riquiqui Eric voit jouer les Milkshakes au Medway Indian Club, puis un jour, il entre chez un électricien sur Chapham Hight Steet, et sur qui qu’y tombe le Riquiqui ? Sur Russ - the bright young assistant derrière le comptoir - «the famed ex-Milkshakes bass player.» Eh oui, mon kiki, une histoire comme celle-ci ne s’invente pas. Et t’as le Russ qui lui dit : «Ere, you’re Wreckless Eric - you’ve seen us play at the MIC.» Et Riquiqui commence à souligner l’arrogance de Russ pour la saluer. Ils se découvrent ensuite une passion commune pour Dusty Springfield, puis le Russ montre à Riquiqui l’arrière-boutique où ont été masterminded plusieurs albums des Milkshakes. Le Russ lui balance en guise de petite cerise sur le gâtö qu’en cas de besoin d’un bass guitarist, «I should give him a shout.» Bon d’accord. Un mec propose à Riquiqui d’aller jouer gratos dans un festival à Edimbourg, et donc il give a shout au Russ qui dit oui - For no money whatsoever - Le Russ propose d’embarquer son pote Bruce Brand dans l’équipée. Ça tombe bien, Bruce vit dans la même rue que Riquiqui et donc il vient lui rendre visite pour lui demander un autographe. Toc toc toc. Voilà comment se forment les vrais groupes légendaires. T’auras pas ça dans Rock&Folk, amigo. Alors prends le temps de lire Riquiqui.

             Le trio n’a pas encore de nom. Ils répètent 6 cuts - It was a bit rough. It was primitive - Et il ajoute, la bouche en cœur : «Ça faisait des années que je n’avais pas entendu des mecs comme Russ et Bruce jouer comme ça. Je craignais que le son soit trop rough, c’est-à-dire trop brut.» Ils vont jouer à Edimbourg, mais comme Riquiqui picole encore beaucoup trop, c’est un désastre, ses doigts se coincent sous les cordes, il se casse la gueule sur scène et Bruce balance ses baguettes dans la gueule des gens qui les insultent. Le Russ reste de marbre, car il ne sait pas que Riquiqui et Bruce ont picolé toute la journée. Alors il fait des commentaires ironiques pour essayer de sauver les meubles. C’est admirablement bien écrit, tu te crois vraiment dans la salle. Puis le Russ laisse tomber et se met à descendre une bouteille de scotch. Et ça se termine en apothéose de Len Brigh - The set ended in a free-form free-for-all with everything turned up full. A blaring mess of feedback, me telling the whole (wide) world to fuck off - Le (wide) n’est pas dans le texte. On le rajoute histoire d’enterrer définitivement le quiproquo. Riquiqui ajoute qu’ils ont certainement outragé un tas de gens, «but I think some of them deserved it.» C’est comme de dire à une connasse : «Je suis un gros con, pardon. Mais j’adore être un gros con.» Maintenant Riquiqui sait qu’il ne faut jamais monter sur scène «in a paralytic drunk condition», ce qu’il a fait toute sa vie, jusque là, notamment sur le premier Stiff Tour.

             Le trio n’a toujours pas de nom. Son groupe précédent, The Captains Of Industry, n’existe plus. Sur les affiches, c’est marqué : «The Mighty Wah with Eric Goulden underneath.» Riquiqui compose des cuts pour The Len Bright Combo Present The Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Ils enregistrent sur un Tascam 8 pistes, dans un «village hall», finissent dans sa salle de bain, et dans le grenier de Bruce, et comme le Russ vient de monter son label Empire, ça sort sur Empire - It was a complete DIY job and it cost eighty-six pounds to make, including hire of the village hall and artwork - T’as bien lu ? 86 livres. Ric et roc. Riquiqui rococo ! Et il ajoute, enflammé : «It was a perfect union. Between us we were rude, arrogant and eccentric. Aucun de nous ne voulait de rapport avec le music biz. Pendant un gig au 100Club, j’ai arrêté le groupe parce que j’ai reconnu un A&R d’EMI. I told him to fuck off. Il n’était pas question de redémarrer tant qu’il était encore là. Russ a dit : ‘We don’t need you, on a notre propre label et il a plus de lettres que le vôtre.’»

             C’est le moment ou jamais de re-saluer les deux albums du Len Bright Combo, déjà ovationnés dans l’hommage qu’on rendait ici-même à Russ Wilkins.

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             Len Bright Combo By The Len Bright Combo est l’album magique d’un trio magique, certainement ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre, avec Syd Barrett. T’as deux clins d’yeux à Syd : «Selina Through The Windshield» et «Lureland». Pour Selina, Riquiqui ramène un brillant panache de psyché, et il place un gros solo-trash de dérive abdominale. Pur jus de Piper, il explose The Gates Of Dawn. Fantastique résurgence ! «Lureland» est aussi très barré dans le Barrett, même complètement Barrett. Le coup de génie est le cut d’ouverture de balda : «You’re Gonna Screw My Head Off». Très British, éclatant, développé, surprenant, imparable. Une solace de psychout so far out. En B, tu vas tomber sur «Sophie (The Dream Of Edmund Hirondelle Barnes)». Il faut leur reconnaître une certaine grandeur, une belle affirmation, une volonté réelle d’éclater le Sénégal d’Angleterre. Que de son, my son ! «The Del Barnes Sound», nous dit-on au dos de la pochette. Tout aussi puissant, voici «The Golden Hour Of Farry Secombe», un cut qui va se fracasser dans le mur du son. Vroarrrr ! Et ce magnifique album magique s’achève avec «Shirt Without A Heart», un power de tous les instants monté sur une pure structure pop, Riquiqui bâtit son petit Wall of Sound avec une troublante efficacité. Il monte son cut en neige prodigieuse. Et du coup, il devient l’un de tes meilleurs potes. Ah mon p’tit Riquiqui !

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             Dans la red du deuxième album, Combo Time, Riquiqui documente bien l’histoire du Combo. Il évoque les tournées, le van et l’accident d’un ton guilleret, extrêmement agréable à lire. Dans son épilogue, il indique que Russ et Sexton Ming vont monter The Mind Readers, puis Russ va continuer avec the Seed Merchants, the Wildebeests et Lord Rochester. Riquiqui indique aussi que le Len Bright Combo s’est reformé en 1991 pour accompagner Phil May et Dick Taylor sur deux ou trois gigs. Bruce joue sur The Donovan Of Trash et Russ est remonté une fois sur scène en Belgique accompagner Riquiqui. Mais à part ça, pas d’autre occasion de retrouvailles - But who knows what the future might hold...?

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             Combo Time s’ouvre sur l’assez puissant «Comedy Time». Riquiqui charge bien sa barcasse de comedy time. Son «Pleasant Valley Wednesday» n’a rien à voir avec les Monkees, mais ça dérape dans la Méricourt de Big Russ. Comme on l’a vu sur le premier Combo, Riquiqui sait créer les conditions du grand foutoir psychédélique, c’est en tous les cas ce que montre une fois de plus «Swimming Against The Tide Of Reason». Il dispose d’une pente naturelle à l’esbrouffe, il sait cultiver l’apothéose. Il dispose bien sûr du personnel idéal pour ça : Big Russ et Bruce. «The House Burned Down» sonne comme un petit boogie décidé à en découdre. Alors il en découd. Une fois encore, nos trois amis bourrent bien la culasse et ça grimpe très vite en température. C’est vraiment excellent, toujours inspiré, soutenu aux chœurs de lads. T’en peux plus de bonheur. Comme si Syd avait mangé des épinards. En B, ils partent en mode «Lust For Life» pour «The Awakening Of Edmund Hirondelle Barnes». Assez gonflé. Pur Russ power ! Bruce Brand vole le show avec «Club 18-30», un petit ramshakle original, et l’album se termine en beauté avec «Ticking In My Corner», un heavy country blues de Medway, c’est brillant, joué au bord du fleuve. On exulte en écoutant le bright downhome blues du Combo. Méchante allure ! Riquiqui est un crack, un vrai boom-hu-hue. Il explose le country blues, il en fait une montagne de pâté de foi, et il y jette toute sa petite niaque.   

             C’est là, après l’épisode Len Bright Combo que Riquiqui stoppe la booze, «after twelve years of hard-drinking.» Au moment de cette réédition, ça fait 38 ans qu’il tient.

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             Revenons au point de départ : l’enfance d’un kid anglais né en 1954, et qui donc va tomber dans la marmite, comme Obélix. Point de départ évident avec les Beatles. En Angleterre, nous dit Riquiqui, tous les gosses se coiffent comme les Beatles. Puis il commence à lister les trucs qu’il entend à la radio, «Friday On My Mind» des Easybeats, il habite à Newhaven quand il ramasse sa copie d’«I Can See For Miles» des Who, puis il flashe sur le «Fire Brigade» des Move, «Tin Soldier» des Small Faces, «The Legend Of Xanadu» de Dave Dee Dozy Beaky Mick & Tich. Et ça continue avec «Lazy Sunday Afternoon» des Small Faces, «Baby Come Back» des Equals, «Fire» d’Arthur Brown, «This Wheels On Fire» de Jools, «With A Little Help From My Friends» de Joe Cocker et «the last ever Rolling Stones single with Brian Jones», «Jumping Jack Flash». Il cite ses héros qui comme lui ont tous été à l’art-school : Ray Davies, John Lennon et Pete Townshend. Puis il passe aux albums, comme tout le monde : Byrds (Sweetheart Of The Rodeo), The Piper At The Gates Of Dawn, A Saucerful Of Secrets, et les trois Jimi Hendrix Experience. C’est quand même dingue : on écoutait les mêmes disques ! Le premier groupe qu’il voit sur scène, ce sont les Pretties, à l’époque d’SF Sorrow - They were incredibly loud - Puis il voit le Floyd au Brighton Dome. Puis quand il quitte la maison familiale pour l’art school d’Hull, il voit des tas de groupes, Procol (au moins quatre fois car j’étais tombé amoureux du son de l’Hammond organ), Stone The Crows, Family en 1969, au moment où sort A Song For Me, précise Riquiqui, David Bowie acoustique avec une douze, Doctor John, Love Sculpture, Canned Heat, Wishbone Ash, il y en a des pages entières, et ça continue avec The Keef Hartley Band, Free et Edgar Broughton. Et puis Matching Mole, Humble Pie, John Mayall, «once with Peter green guesting on guitar», Juicy Lucy, Terry Reid, Long John Baldry, The Nice. C’est toute la différence entre un kid qui grandit en Angleterre et celui qui grandit en France. D’un côté t’as les Who, et de l’autre Johnny Hallyday. D’où le gros problème.

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             Puis Riquiqui passe aux choses sérieuses : Muddy, Wolf, Big Dix, Hooky, T-Bone Walker, Chucky Chuckah, Elmore James, et paf, Captain Beefheart - Strictly Personal, I found it in the bargain rack in Woolworths - Et puis The Art Of The Improvisers d’Ornette Coleman. Il voulait acheter l’Hot Buttered Soul du prophète Isaac, mais comme il était sold-out, alors il s’est payé l’Ornette - I started to understand something about freedom in music - Er paf, le «White Light White Heat» du Velvet, l’«Inner City Blues» de Marvin, le «Let’s Stay Together» d’Al Green et le «Gimme Gimme Good Lovin’» de The Crazy Elephant. On remonte plus haut dans le temps avec «Rock Your Baby» de George McCrae et le «Make Me Smile (Come Up & See Me)» de Cockney Rebel, mais il faut être né en Angleterre pour savoir apprécier ça. Il continue de flasher sur tous ces gens-là, T Rex, Slade, Kevin Coyne, Kevin Ayers, Kilburn & The High Roads et puis t’as aussi le fantastique Fully Qualified Survivor de Michael Chapman et l’imparable Aladin Sane de Bowie. Il admire surtout Kevin Ayers. Il rêve même d’écrire des chansons comme «Clarence In Wonderland», «Take Me To Tahiti» et «Caribbean Moon».

             C’est en voyant jouer Lee Miles, le bassman d’Ike & Tina Turner qui accompagnait Terry Reid, que Riquiqui décide de devenir bassman. Il trouve aussi qu’Andy Fraser a l’air cool sur scène. Alors il casse sa tirelire et se paye «the cheapest bass in the shop.» - It cost me fourteen pounds - Eric et rac. Les budgets sont toujours riquiqui chez Riquiqui. C’est sa force. Pas de blé, mais il fait quand même. Il adore la dope, il stoppe les joints et se goinfre d’amphètes. Il découvre aussi qu’en mélangeant ses antidépresseurs avec du cherry, il obtient des effets intéressants.

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             Puis il flashe sur Kilburn & The High Roads. C’est l’un des passages les plus palpitants du book, son amitié avec Ian Dury. Quand il voit Kilburn la première fois sur scène, il les compare à un sandwich dont la sauce se barre de tous les côtés. Mieux, il comprend qu’il n’a  pas besoin d’être un super musicien, Kilburn est un groupe dont le son menace de s’écrouler à chaque instant et il trouve ça très intéressant - Kilburn & The High Roads confirmaient qu’on avait pas besoin d’être américain pour jouer du rock. Je suis rentré à Hull, déterminé à tester une nouvelle approche - Il cherche à monter un groupe. Il passe une annonce. Un batteur se pointe. Riquiqui lui demande s’il a un kit et l’autre dit non, mais je peux en fabriquer un. Alors Riquiqui fait «Er, can you actually play the drums?», et l’autre fait «Shouldn’t be too difficult.» Il s’appelle Stuart Ross. Riquiqui fait une liste de covers : «Drive My Car» des Beatles, «Waiting For My Man» du Velvet, la version cajun de «Promised Land» par Johnny Allen, «Down Along The Cove» de Dylan, «Gimme That Harp Boy» de Captain Beefheart, «I Saw Her Standing There» des Beatles, «Ain’t Nothing But A Houseparty» du J Geils Band, «In The Midnight Hour» et «Six Days On The Road» de Dave Dudley en mode Velvet, pas moins. Stuart pense que Riquiqui est une pomme de terre et Riquiqui pense la même chose de Stuart - We became good friends - Le groupe s’appelle Addis & The Flip Tops. Comme ils n’arrivent pas à chanter proprement, ils font des instros et commencent par virer Drive My Car qui n’a aucun sens sans le chant. Riquiqui tente de chanter «Shaking All Over», alors Stuart se lance avec «I Saw Her Standing There» - Dans nos têtes on se voyait au croisement parfait de Doctor Feelgood et de Kilburn & The High Roads, mais sans chanteur - Ils grattent tous leurs cuts en mi jusqu’au moment où Stuart gueule «That’ll do» et c’est fini. Ils essayent un chanteur qui se prend pour Roger Daltrey, mais comme ils ne peuvent pas le supporter, ils se débarrassent de lui aussi sec. Alors Riquiqui prend le chant. Partout où ils passent, le public les hait, mais des kids commencent à le suivre. Riquiqui clame haut et fort son dégoût de Genesis, d’ELP, de Yes, de Gentle Giant, de Tangerine Dream, de Supertramp et de Barclay James Harvest. Puis il commence à composer. Il pense que ça va marcher car les compositeurs ne courent pas les rues d’Hull. Les concerts d’Adis sont vite complets. Il voit les Damned et décrit la mauvaise ambiance dans le concert, l’animosité réciproque entre le groupe et le public. C’est aussi l’époque où il vénère Richard Hell, parce qu’il a composé «Love Comes In Spurts» et «Blank Generation». Puis il flashe sur une photo des Ramones. C’est là qu’il compose le fameux «Whole Wide World».

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             Il va chez Stiff au flanc et laisse une K7. Dave Robinson le rappelle sur le téléphone mural. Nick Lowe va produire l’enregistrement de «Whole Wide Word» au studio Pathway, à Islington. C’est là que Riquiqui allume ce gros prétentieux ce Costello qui dit qu’y est et qu’y est pas - Clever chap, but he’s got that wrong - He wasn’t there - Riquiqui a une bonne mémoire. Costello est venu à Pathway à la séance suivante - He looked very pleased with himself and so did his spectacles - Petit règlement de comptes. Riquiqui ajoute : «He was almost unpleantsantly ambitious.» Il est question  d’un projet commun, Wreckless Eric Meets DP, DP étant le nom de Costello à l’époque - I don’t think I would have enjoyed the experience - Comme ça au moins, c’est réglé.

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             Riquiqui nous chante les louanges de Pathway, un minuscule studio qui appartient au manager d’Arthur Brown. Ce sont les profits de «Fire» qui l’ont financé. C’est aussi là que les Damned ont enregistré «New Rose». Riquiqui se marre : en 1968, il était dingue de «Fire» et il se retrouve 8 ans plus tard dans l’endroit où «Fire» fut enregistré. Il ajoute que Stiff loue Pathway parce que c’est pas cher. Pas cher parce que c’est un 8 pistes, alors qu’ailleurs tout est en 16 pistes et même en 24 pistes. Riquiqui adore le son de Pathway et des premiers singles Stiff. Pour lui, c’est la référence absolue. Il indique que Pathway est devenu the hippest studio in the country - It was like Muscle Shoals - a complete dump but everybody wanted to record there - Quand il demande à Nick Lowe comment ça se fait que «Whole Wide World» sonne si bien, Lowe lui dit qu’il applique la méthode Velvet - il ne fait rien, it’s all down to you - you sang it - Pour Riquiqui, ça prend tout son sens : le Velvet ! À sa grande surprise, «Whole Wide World» casse la baraque, même sur Radio One. Puis c’est le Stiff Tour, avec Nick Lowe, Larry Wallis, Costello et deux «congenital eccentrics», Ian Dury et Riquiqui. Ian Dury porte le manteau de sa mère et Riquiqui s’est fait faire le costume d’idiot du village qu’on voit sur le poster de promo. Signé sur Stiff, Riquiqui reçoit 50 £ par semaine. Il peut se payer des bouteilles de gin et de vodka - Quelque chose avait changé. Nous n’étions plus une petite entreprise familiale avec des fringues rococo et de la homemade music. Le music biz avait fait irruption là-dedans et dévasté ce qu’on appelait our good little bohemian thing.

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             Fantastique portrait de Ian Dury. Les deux font bien la paire. C’est le cœur battant du book. Quand Riquiqui est à l’hosto pour un big nervous breakdown, Ian Dury vient le voir - I loved Ian for that - Ian vient avec sa mère et le roadie géant Sulphate Strangler. Ils vont faire un tour tous les quatre dans le jardin de l’hosto et Ian dit à Riquiqui qu’il avait vu arriver le breakdown - ‘Je l’ai su quand j’ai vu que tu avais perdu l’estime que tu avais de toi’, a-t-il dit, ‘parce que c’est arrivé au moment où j’ai arrêté de m’aimer moi-même.’ Il m’a dit de veiller sur mon talent et mon talent veillerait alors sur moi. Je n’ai jamais oublié ce conseil. Il avait parfaitement raison. Ian avait toujours raison à la fin. Il me manque terriblement - Quand la tornade Stiff s’est arrêtée, Riquiqui s’est cassé en mille morceaux.

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             Riquiqui n’est pas tendre avec Stiff. Pour son deuxième album, Dave Robinson décide que Riquiqui ne sait ni composer ni jouer. Il fait appel à quelqu’un d’autre. Comme Riquiqui pense que ses cuts sont bons, il est surpris. Stiff ne raisonne qu’en termes de hit singles. Riquiqui est toujours salarié : 50 £ par semaine, mais zéro royalties. Les seuls chèques qu’il reçoit sont ceux des droits d’auteur. Dave Robinson fait appel au team Fairweather Page, des mecs qui écoutent Boz Scaggs et Steely Dan. Pas franchement le secteur de Riquiqui qui préfère aller boire des coups au pub. Puis il découvre que la presse anglaise ne le supporte plus, on le surnomme «Stiff’s loveable small person» et le NME le taxe de «belligerent alcoholic dwarf». À Noël, il reçoit un prix spécial : «the dead but won’t lie down award».

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             Quand l’Eric et rac va trouver Dave Robinson pour lui demander de rompre son contrat et de lui rendre sa liberté pour reprendre des études et devenir prof, Robinson ne le croit pas. En 4 ans, Riquiqui a reçu zéro royalties de Stiff et Robinson lui annonce qu’il doit 90 000 £ à Stiff - If you’d care to pop a cheque in the post - Voilà la violence du music biz. Même Stiff fonctionne comme ça. Riquiqui ne sait évidemment pas d’où sort cette dette. Tous ses enregistrements n’ont rien coûté, «the musicians were paid a pitance and I was paid fuck all.» Quand il remplissait les salles de concert, il n’a jamais vu l’ombre du moindre penny - I never even saw a contract - Tout à la confiance. Quelle erreur ! Riquiqui ne pensait qu’au fun, à ses pintes de bière, son couple of large gin & tonic, à choper un mec bossant pour une record company pour l’insulter, «avant d’aller vomir outside Dingwalls and walking home in the rain.» Dans un Melody Maker de 1977, Allan Jones avait comparé Riquiqui à Syd Barrett.

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             L’Eric et rac est aussi le roi de l’auto-dérision - J’étais assis là, petit et gras, overweight but otherwise unsignificant, getting slaughtered on five pints of Bass. I was the cunt in the Worthington E advert - only here for the beer - a fuckwit that wanted to be Jack the Lad and couldn’t make it, et c’était ma façon de me conformer à la norme - C’est assez déchirant de voir un mec se faire aussi peu de cadeaux. Il est ric et rac à un point qu’on a du mal à imaginer. Du coup, il devient incroyablement attachant. Quand il va mal, il va mal. En plus, il traverse l’époque la plus pourrie de tous les temps du rock : «Duran Duran était le nouveau gros truc. Dans le pop world tout n’était que jeunesse, vitalité, argent et succès, tout ce que je n’avais plus. Je commençais même à me sentir désolé pour moi-même.» Il frise le Ray Davies.

             Et puis un jour Billy Bragg lui passe un coup de fil. Il veut inviter l’Eric et rac sur scène. Le gig a du succès. Le NME chante les louanges de Riquiqui. Et c’est reparti mon Riquiqui ! - The spell was finally broken - Il décroche même un contrat sur Go Discs.

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             En 1985, il monte The Captains Of Industry avec Norman Watt-Roy et enregistre A Roomful Of Monkeys. Comme Watt-Roy est le bassman génial que l’on sait, pas étonnant que «The Lucky Ones» soit un petit chef-d’œuvre de bassmatic. Captain Watt-Roy amène tout le caoutchouc du monde dans le Roomful. Fabuleux voyageur du manche ! Il bassmatique dans l’espace ! L’autre gros cut de l’album se trouve en B : «Lady Of The Manor», presque glam, Riquiqui s’enflamme au coin du couplet, il peut aller glammer dans les étoiles, pas de problème. On saluera aussi la pop bien épaisse d’«Our Neck Of The Woods», avec un Watt-Roy émérite qui nage à contre-courant. Tant qu’on y est, saluons aussi «Julie», petit précipité de pop anglaise bien rembourré du popotin par un beurre sec et des nappes d’orgue. Le palpitant power-popper «Lifetime» qu’on trouve en B frise un peu le Simple Minds, ce qui n’est pas un compliment. Force est d’admettre que le «Playtime Is Over» qui boucle la B des cochons est une très belle tranche de power pop. Riquiqui a du répondant, il arrache la reconnaissance de haute lutte et finit par balayer tous les a priori.

             Hélas, l’album ne marche pas. Gros flop. Nobody liked it. Il voulait l’enregistrer à Pathway, mais le son imposé par Go Discs était trop sophistiqué. Puis Go Discs en a marre de Riquiqui, ça tombe bien, car Riquiqui en a marre de Go Discs. Allez, hop, on jerke ! - It was time to jack it all in and get a job.

             Et puis t’as cet humour anglais, le pire de tous. Petit, Riquiqui s’ennuie à l’école. «Les instituteurs dirent à mes parents que je les regardais sans les voir. Il était impossible de communiquer avec moi. Alors ils ont cru que j’avais la vue basse et ils m’ont emmené voir un ophtalmo. Ce fut mon pire cauchemar. Je devais porter des lunettes.» Et puis t’as tout le passage avec Grandma in Oldham qui vient parfois séjourner chez les Goulden. C’est assez hilarant. Du Dickens cosmique. Une nuit, Riquiqui rentre à la maison rond comme une queue de pelle et c’est Grandma from Oldham, qui, au moment où elle allait se coucher, vient ouvrir la porte - Elle a ouvert la bouche pour faire des remontrances à son petit-fils dissolu. I threw up all over the pac-a-mac. Pendant la fin de son séjour elle a gardé ses distances avec moi. I never saw Grandma from Oldham again - Fantastique !

    Signé : Cazengler, Wrecked Ethic

    Eric Goulden. A Dysfunctional Success. The Wreckless Eric Manual (Written By The Author). Do-Not Press Limited 2024

    Captains Of Industry. A Roomful Of Monkeys. Go! Discs 1985

    Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Empire Records 1986

    Len Bright Combo. Combo Time. Ambassador 1986

    An Audiance With Wreckless Eric. Uncut # 319 - December 2023

    Nick Dalton : Reic idol. Record Collector # 552 - Christmas 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - LeBlanc seing

             Chaque année, à l’automne, l’avenir du rock se rend à la foire au Dylanex qui se tient à la campagne, une sorte de foire aux bestiaux un peu plus évoluée, dirons-nous. Il s’en émoustille toujours d’avance. Il entre et tombe aussitôt sur le stand I’m Not There de Jack Rollins et Alice Fabian :

             — Oh mais je vous reconnais ! N’êtes-vous pas l’early Dylan de Greenwich Village, the troubadour of conscience ?

             Alors, Alice qui fait sa Baez, lance :

             — Ooouuh yeah ! Jack vient d’arrêter le protest, car il a compris qu’on ne pouvait pas changer le monde avec une chanson.

             Et Jack d’ajouter :

             — I’m not a poet ! Call me trapezist !

             L’avenir du rock ne peut résister à l’envie de contrepéter :

             — With a zest of zizist, izn’t it ?

             Ce qui ne les fait pas rire. Mais on n’est pas là pour rire. L’avenir du rock continue d’avancer dans les allées et il tombe soudain sur le stand d’un lookalike de Dylan 65, frisé de frais, portant une chemise psychédélique, une petite veste boléro de cosmic cowboy, et des santiags. Il vend son disk. Dessus, c’est marqué Lopez, et l’illustration de pochette est du pur Dylan psyché des posters de 1966.

             — You look like a lookalike ! Where you flom ?

             Le lookalike sort sa plus belle mine renfrognée et répond d’un ton peu aimable :

             — Tucson. Arizona. Scorpions.

             L’avenir du rock réalise qu’il a devant lui un joli prototype de portugais acariâtre, et qu’il ne pourra rien en tirer. Alors il lui dit, sur l’air de «Ballad Of A Thin Man» :

             — Something’s happening in there but/ You don’t know what it is/ Do you Mr Lopez ?

             Un peu échaudé par tous ces retours de manivelles, l’avenir du rock songe à prendre la fuite. Ça ne vole pas bien haut dans cette foire au Dylanex. En se rapprochant de la sortie, il tombe sur le stand de Dylan LeBlanc. Ce caballero chétif porte lui aussi une veste boléro de cosmic cowboy et un magnifique chapeau à larges bords. Des mèches de longs cheveux filasses encadrent un visage de métis indien mangé par la barbe. Son allure pickenpahienne plaît infiniment à l’avenir du rock qui, d’instinct, l’adopte sur le champ.

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             Dylan LeBlanc appartient à cette scène dite de la nouvelle Americana, un genre dont on croyait avoir fait le tour depuis longtemps. Son nom inspirait donc une légitime méfiance, jusqu’au moment où t’es tombé sur cette photo, celle d’une jeune LeBlanc assis avec sa gratte, l’air un peu indien, et comme tout droit sorti du Dead Man de Jim Jarmush.

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             Quand tu écoutes l’un de ses disks, Dylan LeBlanc semble tout timoré, il annone son Americana d’une voix chétive, et tu t’attends à chaque instant à ce que son petit biz s’écroule comme un château de cartes. Or, son petit biz ne s’écroule jamais. Chaque cut ne tient qu’à un fil, le vieux fil à la patte du caméléon. Prenons l’exemple de «Dust» sur Coyote : le petit Dylan y raffine un son très pur, il travaille en orfèvre, il crée soigneusement son monde, sans faire de vagues, et il finit par te transporter. Tu sentirais presque ton cœur battre, comme lorsque tu vis un moment de bonheur. Tu réédites plus loin l’expérience avec «Strange Things», un nouveau shoot d’heavy pop mélodique, et là tu goûtes à la vraie ampleur de la clameur, à la vraie préciosité de l’étai, au vrai diapason du filigrane.

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    Mais sur scène, «Dust» et «Strange Thing» sont comme démultipliés, démesurément développés, dévergondés, exportés, le petit Dylan donne des ailes à cette pop américaine qui du coup devient grandiose, à l’échelle d’un horizon en feu, il atteint ce power extrême qu’atteignirent avant lui les géants de l’Americana mélodique, Mercury Rev ou encore Gene Clark. On pense aussi bien sûr au «Brass Buttons» de Gram Parsons. Le petit Dylan se rassemble tout entier sous le micro et distille un fantastique miel d’Americana plaintive, la veine qu’a exploité Neil Young pendant toute sa vie.

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    L’art du Blanc seing prend vite des proportions qui, si on se laissait aller aux pentes habituelles, dépasseraient vite l’entendement, alors on laisse filer les choses et les idées, on laisse filer l’entendement et le dépassement, pour ne plus goûter que la pulpe de ce «Dust» qui semble exploser le firmament de l’instant.

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    Le petit Dylan est extrêmement bien accompagné. Au fond là-bas, le bassman qui ne ressemble à rien joue du doigt comme un crack du groove de jazz, de l’autre côté, tapi dans l’ombre, un petit mec en black shades pianote sur un organ riquiqui, et à côté de lui, un gros balèze en casquette et chemise à carreaux gratte sur sa SG les dentelles du diable, des accords majeurs dont il égrène savamment les notes,

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    il ornemente à l’infini l’extravagant miel d’Americana que distille le petit Dylan, et ça prend des proportions qui dépassent tellement l’entendement que celui-ci, vexé, se crispe, il se froisse comme un papier de soie offusqué, il se hérisse, oui, l’entendement peut se hérisser, pas de problème, comme un chat qu’on agresse, et pendant ce temps, pendant que se déroulent tous ces événements immatériaux, le petit Dylan cultive les minutes de sable mémorial et inscrit la beauté au palmarès de l’allégresse. Ils attaquent leur set avec l’infiniment délectable «Dark Waters» de Coyote et entrent aussitôt en ville conquise. Le son est plein comme un œuf, plus rien à voir avec le disk. En fin de set, ils tapent aussi une version explosive du morceau titre de Renegade, pour revenir en rappel avec une version acou d’«Honor Among Thieves» et finir avec l’éhonté «Cautionary Tale» tiré de l’album du même nom. Une façon comme une autre de jouer avec le feu.

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             La première chose que tu fais en rentrant au bercail est de ré-écouter Coyote. Une première écoute t’avait laissé rêveur. Seulement rêveur. Et comme te voilà transporté par la presta scénique, tu veux vérifier si cette coquine de première impression peut évoluer. Comparé au brouet scénique, l’album paraît chétif, timoré. Le «Coyote» d’ouverture de bal ne vaut pas celui de Joni Mitchell, LeBlanc seing groove comme un freluquet avec une approche tactile, très fine et délicate, très déliée, et on soupçonne un soupçon de power au fond de sa calebasse de caballero. En studio, «Dust» sonne comme une Beautiful Song, ce joli mid-tempo brille par son ambiance lumineuse et sa pureté mélodique, LeBlanc seing sait pousser des petites pointes adorables, il chante d’une voix innocente, et laisse une forte impression de déjà vu. Et quand arrive le solo pur, tu te sais conquis. Il réédite l’exploit avec «Strange Things», monté sur une mélodie foncièrement descendante. Tu sens le côté cut d’airain, le côté cachet antique, avec une vraie ampleur de la clameur, une vraie préciosité de l’étai, un vrai diapason du filigrane. Ils tape en plein Neil Young avec «Hate», il te sertit de joyau vite fait sur sa couronne. Cette épaisseur de ton finit par te fasciner. On retrouve la veine Neil Young dans «Closin’ In», même poids dans la balance, fantastique qualité du ressac, il nargue bien sa muse. Avec «Dark Waters», il se rapproche de Midlake. Le batteur vole le show sur «Forgotten Things», il te bat ça au fouette cocher. LeBlanc seing donne du vent dans ses voiles, il avance bien sur l’océan. «No Promises Broken» sonne comme l’un de ces gros mid-tempos américains taillés pour la scène, mais assez ordinaires en studio. Puis l’album va finir par s’étioler en frisant l’Hotel California, et ça va même devenir putassier avec «The Crowd Goes Wild». Attention, LeBlanc seing peut aussi jouer avec le feu. On devra donc le tenir à l’œil.

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             Tu pourrais croiser quelques belles énormités sur Renegade, si l’envie te prenait de l’écouter. T’en as au moins trois, «Bang Bang Bang», «I See It In Your Eyes» et «Damned». Son power reste indéniable, c’est un power merveilleux, traversé par des courants. Il crée un peu de magie dans le stone cold face/ High hearted laugh d’ouverture de «I See It In Your Eyes», comme s’il fondait la pop dans le son. Il déploie ses ailes avec un solo d’éclat majeur. Et on retrouve cette ampleur de la clameur dans «Damned». LeBlanc seing attaque toujours au petit chant d’invective, comme s’il voulait tutoyer les dieux du rock. Il a ce pouvoir, il a de l’élan et sait créer de la tension. Ce petit être lumineux aime bien les dégelées de clairette royale. Il s’affirme avec un talent certain. Ce que vient confirmer l’excellentissime «Lone Rider». Tu t’imbibes de Blanc seing.      

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             Le premier album du Blanc seing s’appelle Pauper’s Field. Tu ne vas pas te relever la nuit pour l’écouter. LeBlanc seing se contente de poser les bases de son système : il se montre élégiaque et travaille sa plainte, en déliant une orchestration délicate. Tu sens que c’est du grand art. Et tu attends l’étincelle. Ses jolis mid-tempos réclament ta confiance. Alors tu la leur accordes. Ce ne sont pas des hits, mais les ambiances te parlent. LeBlanc seing traîne dans un heavy mood, ce qu’on pourrait appeler une mélancolie de la frontière. On voit bien qu’il dort avec son six coups. La country d’«Emma Hartley» s’étend jusqu’à l’horizon. LeBlanc seing ne s’embarrasse pas avec les détails. Ça ne l’intéresse pas. Il peut t’arriver de perdre patience quand tu écoutes «Ain’t Too Good At Losing», c’est le risque que tu cours avec ce genre de son. LeBlanc seing cherche sa voie et il lui arrive de se perdre, alors tu perds ton temps. L’étincelle s’appelle «5th Avenue Bar», un country cut superbe troussé à la hussarde texane. Beau beat à l’air + banjo. Et puis t’as ce «Coyote Creek» bien traîné de la savate, très tex-mex, très El Paso, très écrasé de torpeur. Là, oui. 

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             Cast The Same Old Shadow est un album étrange. T’as du mal à entrer dedans. LeBlanc seing se traîne dans son son. T’aimes bien l’idée du métis indien, même s’il n’a rien d’un métis indien. Il attaque toujours ses cuts d’une petite voix faible. Une voix qui s’apparente à la flamme dansante et fragile d’une chandelle. Avec «Brother», il s’agite doucement. Il envoie des petites giclées d’ampleur et finit par monter son Brother en neige. LeBlanc seing est totalement ouvert sur le monde, comme le montre encore «Diamonds & Pearls». Il donne à sa country une dimension universaliste, il cultive une vraie dramaturgie de la frontière. Il maîtrise divinement bien les ambiances. «Chesapeake Lane» est aussi d’une grande élégance. Il cumule pas mal de pouvoirs : les compos, la présence, l’intensité, le goût de l’ampleur, comme le montre encore «The Ties That Bind». Avec «Comfort Me», il va chercher une pop perchée un peu tournoyante. Très belle originalité de ton. Le morceau titre est assez spacieux. Ça te prend un peu à la gorge. Mais pas trop. LeBlanc seing n’est pas homme à basculer dans l’outrance. Il opte pour une sorte de présence famélique. Il hante son «Lonesome Waltz» comme une âme en peine. C’est un Blanc seing évangélique à l’ancienne, l’un de ces prêcheur du bord de chemin, pas bien propre, jamais coiffé, abandonné à lui-même. 

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             Tu ne feras pas tes choux gras de Cautionary Tale. LeBlanc seing continue de se montrer insistant et propose une petite série de tartes à la crème, dont la plus réussie s’appelle «Beyond The Veil». Tout est assez intense, bien senti, mais pas d’hit. Comment veux-tu qu’il s’en sorte s’il n’a pas d’hits ? Il finit par te captiver à force d’intensité. Il y va à la plaintive aggravée. LeBlanc seing est en quelque sorte le Neil Young des temps modernes. Il reste fidèle à son éthique. 

    Signé : Cazengler, LeBlanc bec

    Dylan LeBlanc. Le 106. Rouen (76). 12 septembre 2024

    Dylan LeBlanc. Pauper’s Field. Rough Trade 2010 

    Dylan LeBlanc. Cast The Same Old Shadow. Rough Trade 2012 

    Dylan LeBlanc. Cautionary Tale. Single Lock Records 2016

    Dylan LeBlanc. Renegade. ATO Records 2019  

    Dylan LeBlanc. Coyote. ATO Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Retransmis en Derek

             Il parlait avec un fort accent. Massif, pas très beau, voix grave, avec parfois des intonations de psychopathe slave. Derek était polonais. Il bricolait en France sur les chantiers, comme des tas de Polonais. Il valait mieux ne pas traîner dans ses parages lorsqu’il buvait un coup de trop, ce qui lui arrivait chaque jour, et pire encore les jours de paye. Il s’offrait une bouteille de Vodka et la descendait cul sec au goulot. Puis il rotait et explosait d’un rire gras qui faisait trembler les vitres des fenêtres. Rahhh-ha ha ha ! Il balançait une vanne en polonais, et ça ne devait pas être glorieux pour ses hôtes. Derek faisait partie de ce qu’on appelle les survivants. Il n’avait pas le choix. Dès l’aube, il était sur le chantier, avec ses grandes bottes en caoutchouc et un bleu de travail passé par-dessus son jean. «Cleuser là ?» Alors okay, il creusait. «Monter mul ?» Alors okay, il te montait les parpaings. «Glimper béton ?» Alors okay, il te grimpait les seaux de béton pour couler la chape. Derek était increvable, il chargeait ses seaux au maximum et les montait à l’échelle comme s’il montait des paniers de fruits, il arrivait au premier niveau, les vidait dans le coffrage et redescendait tranquillement en charger d’autres qu’il remontait, «glimper béton, ha ha ha», puis il entrait dans la grosse mare de béton liquide, floc floc, pour lisser la surface, il avait du béton jusqu’à mi-tibias, et il reculait en lissant, veillant à façonner une faible pente avec son grand lissoir. «Poser callelage ?» Alors okay, il posait tout le carrelage couleur chocolat, avec une précision stupéfiante, Derek savait tout faire, le gros œuvre, la plomberie, le carrelage, la charpente, «appli tout pétit», il avait grandi sur les chantiers polonais, à 5 ans, il montait des murs, c’était un bonheur que de le voir bosser, d’autant plus un bonheur qu’il était payé à coups de lance-pierres, comme tous les esclaves modernes. Le soir, il descendait son litre de pinard et allait coucher au panier. Il ne traînait pas avec les «poutains dé Flançais.» Comme il dormait dans le couloir juste à côté de la pièce commune, on l’entendait ronfler cinq minutes plus tard. Il ronflait du nez, rrrrraaa-pfffff, rrrrraaa-pfffff. Ça devait être le seul moment de son existence où il retrouvait la paix.

             On ne savait pas comment s’appelait Derek, vu qu’il ne bossait qu’au black, mais on sait comment s’appelle l’autre Derek, Derek Martin, qui lui aussi est une force de la nature. Il ne monte pas des parpaings, mais des hits de r’n’b. Dans les deux cas, c’est du solide.

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             Derek Martin est un habitué des bonnes compiles Northern Soul. Si tu flashes sur l’un de ses hits, alors tu peux rapatrier une caisse de dynamite qui s’appelle Take Me Like I Am. The Roulette Recordings, parue en 2007. Craque une allumette et boom !

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             Pour David Cole et Bob Fisher, Derek Martin est resté, malgré la qualité de ses hits, «a largely undocumented figure». Né à Detroit, il se retrouve dans la même classe que Little Willie John. Il chante dans un gospel choir avec Marvin Gaye, Dave Baby Cortez et des futurs Tempts.  Mais c’est à New York qu’il va faire carrière dans les early sixties, au seins des Pearls, puis des Top Notes. Comme Doc Pomus, il se retrouve sur scène avec Mickey Baker et King Curtis, et comme Doc, Derek fréquente Totor qui le prend à la bonne. Derek n’a que des bons souvenirs de Totor : «Il payait les hamburgers.» Ils enregistrent une première mouture de «Twist & Shout», mais ce sont les Isley Brothers qui vont rafler la mise avec leur version «plus directe». Derek est un peu sur Atlantic, puis il rencontre Teddy Randazzo  qui va devenir son producteur et son mentor. Randazzo est aussi le protecteur de Little Anthony & The Imperials, et là, on ne rigole plus. C’est là que commence la période Roulette Records.

             Et puis quand Derek en a eu marre du music biz, il est allé vivre au Canada, ensuite au Maroc, et il fini par s’installer en Suisse. Il reste Derek Martin, c’est-à-dire qu’il chante. Il indique dans les liners qu’il bosse sur trois projets : un album de gospel, un album de jazz et un album de Soul & funk. Mais il semble que les projets soient restés à l’état de projets.

             Tu entres dans cette compile comme dans le fameux lagon d’argent. Derek Martin chante d’une voix bien posée. Quelle classe ! Tu devine très vite qu’il va pleuvoir des hits ! Il fait des gros balladifs bien crémeux («I Won’t Cry Anymore», «Don’t Resist»), il chante d’une voix de crooner d’exception, mais il sait aussi taper le gros r’n’b orchestré, il y va au gotta dans «Breakaway», quel fabuleux pusher, il sait pousser à la roue ! Ce mec a le pouvoir de t’éclater le Sénégal. Ça commence à sentir bon le coup de génie avec «Baby What Changed Your Mind», il y va avec une merveilleuse sensation pop, il frétille du cul, il vaut tout Motown. Encore du power à gogo avec «We Have Lived Before», il chante face à l’océan, il y a une dimension hugolienne dans sa stature. Encore plus explosif : «What Greater Love», monté en neige par la prod. Invraisemblable ! Et ça continue avec «On A Magic Carpet Ride», il y va doucement, au ah ah, il chante du coin du menton et c’est assez dément. Il faut le voir à l’œuvre ! Encore un immense hit de heavy r’n’b avec «Grow Grow Grow», Derek est une bête, il remonte sa Soul au one more time, c’est un géant, il n’existe pas de r’n’b plus heavy que celui-là, allez, tant qu’on y est, n’ayons pas peur des grands mots : Derek Martin est un dieu du r’n’b, «Flashback» en est la preuve. Il drive encore «Hold Up» au power pur. Tout est bien sur cette compile. Il fait encore un malheur avec «When There’s Smoke, There’s Fire». Derek le crack te tartine encore un slowah des familles, «You Blew It Baby». Heavy et beau comme un cœur. On le voit plus loin danser avec sa Soul dans «Your Love Made A Man Out Of Me», il y va au til I found out. Fucking genius, dirait un commentateur en panne de vocabulaire.  

    Signé : Cazengler, l’âne Martin

    Derek Martin. Take Me Like I Am. The Roulette Recordings. Stateside 2007

     

     

    Nuits de Shin(dig!)

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             Quand tu t’assois dans ton fauteuil pour feuilleter le Shindig! # 150, tu entres tout simplement au paradis de l’enfer. L’enfer, car les Shindigers rappellent des tas d’albums à ton bon souvenir, et le paradis, car ce ne sont que des albums qui valent cent fois le rapatriement. Alors tu rapatries comme un bête ceux qui ne sont pas déjà installés dans ton étagère.

             Les Shindigers voulaient célébrer dignement leur # 150. On peut bien dire que c’est une réussite. Encore pire que le Shindig! # 50 qui fut historique à bien des égards. Cette fois, ils proposent un choix de 30 albums sur 30 ans, un par an, alors, en comité restreint, on en a choisi dix pour en parler.

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             L’album qu’ils ont retenu de l’an 1995 est le Bargain des Aardvarks - London’s Prime purveyors of ‘60s Freakbeat/psych pop - Rien de plus anglais que le son de cet album. Tiens, prends «Girl On A Bike» et te voilà dans le big time de la perfide Albion. Puissant, délicat et oh so British. Mod & Syd ! Incroyable qualité de la pureté. Pareil avec «Merry Go Round», en plein dans l’heavy psych-out des Small Faces. Ça craque bien sous la dent. Ils te claquent un hymne Mod avec «Fly My Plane», Off you go ! Heavy riffing Moddish. Quelle trempe ! Là, t’as les Who et les Small Faces. Tu retrouves les chœurs des Who dans «Office N° 1». Chant Carnaby, baby. Nouveau coup de génie Brit avec «When The Morning Comes», solo liquide pris dans l’étau des Brit chords. Et puisqu’on parle du loup, le voilà : «50 Hertz Man», tapé avec l’énergie des Who. C’est explosif, ça joue au bouchon, mastoc as hell. Ils ont tous les plans whoish : éclats de réverb, chœurs bouchés, et wild-as-fuck outrancier.

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             Pour 1996, Jon Mojo Mills et Andy Morten retiennent This Is… The Mystreated - ‘60s garage folk-rock and psych - un mini-album enregistré chez Liam Watson à Toe Rag, qui démarre sur un «Be In Control (Or Being Controlled)» digne des Small Faces. Même clameur d’Universal Face et solo flash, killer comme pas deux. En B, ils tapent une belle pop anglaise de freakout avec «Scene & Herd», battue à la diable par Mole, qu’on va retrouver plus tard dans Galileo 7, et puis voilà «Until Tomorrow», bien secoué du cocotier, full blown de big British freakout !

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             En 1997, ils choisissent les Cybermen et leur album Strange And Cruel. Bref rappel pour indiquer que ces Cybermen ont été élevés au son des Medway bands - ‘60s beat à la early Beatles and Kinks - ça se sent en effet dès «If You’re Ever Gonna Say Goodbye», on croit entendre les Beatles au Star Club d’Hambourg ! Fantastique énergie. On la retrouve dans «She’s Having A Baby», on se régale de la bassline. Ils sont aussi capables de Mod craze comme le montre l’impavide «(You Say) I Want You». Ils dégagent de la vapeur Mod ! Puis ils sonnent comme les Who avec «Snake Eyed Suzy». C’est dévastateur et même mille fois pire que les Who. Quel power trio ! «Back Again Tomorrow» grouille de killer guitars, et même si la B est un peu plus faible, on se repaît encore de «Weston Rhyn», wild as super fuck, et de «The Man With A Troubled Mind», qui n’est pas le Troubled Mind de Billy Childish, mais c’est pas loin. Quelle disto !

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             En 1998, ils retiennent l’album sans titre de Bronco Bullfrog dont on a dit le plus grand  bien quelque part Inside The Goldmine, et nous voilà donc en 1999 avec The Greenhornes et Gun For You, devenu introuvable. Alors va pour l’album sans titre qui suit, The Greenhornes. Le groupe de Brian Olive basé dans l’Ohio s’est taillé une belle réputation gaga-Midwest, en se rapprochant notamment des Animals. Pour preuve, leur version d’«Inside Looking Out», ils sont dessus, ooouh baby, ils savent faire monter la marée et faire le Burdon, my reaper ! My reaper yeah ! Ils ont en plus un cut qui est le sosie d’«Inside Looking Out» : «Shame & Misery», même attaque avec la petite montée en température, exactement le même plan, avec le refrain sur les accords de «Gloria». Tiens, puisqu’on parle de Gloria, t’as le «Can’t Stand It» d’ouverture de bal qui est une sorte de Gloria en Amérique. C’est du gros bétail. Quel barouf ! C’est aussi révolutionnaire que le fut Gloria en son temps, la voix en moins, bien sûr. Power toujours avec «Shadow Of Grief». Ces Greenhornes sont bien décidés à en découdre. L’autre cover de choc est l’«High Time Baby» du Spencer Davis Group. Fantastique hommage à l’un des fleurons du British Beat, et le petit gros passe un solo d’orgue assez exemplaire. Ils sortent la fuzz pour «Lies» et t’explosent le gaga vite fait. Ils restent dans l’heavy gaga Soul sixties avec «Nobody Loves You». Ils n’en démordront pas. Ils sonnent comme Mitch Ryder, c’est très noyé d’orgue.

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             Alors on saute en l’an 2000 avec The Strollers et Captain of My Ship - Mathias Lilja undoubtly one of the genre’s all time great vocalists. Fact - Morten & Mills en pincent pour les Suédois et ils ont raison car la messe est dite dès «There Aint’ No Cheatin’». Ils tapent ça au son de no way out, il flirtent avec le protozozo à coups d’I told you baby ! C’est à la fois les Stooges et Blue Cheer, monté en neige au max du mix, avec un final wild as super fuck à la Pretties. Et ça continue avec «Tears In My Eyes». Ils ratiboisent tout le rock. Tu te demandes comment t’as fait pour passer à côté des Strollers. Bon, ils font aussi du petit gaga d’orgua et ça baisse de niveau. Il faut attendre la belle intro classique de «Don’t Try To Change Me», pour re-frétiller. Ah ils savent te monter un heavy sludge en neige. C’est du raw to the bone pur, sans pitié. Final grandiose. Mathias Lilja est un crack. Leur «Fire» n’est pas celui d’Hendrix. Le dernier coup de génie de l’album s’appelle «Never Coming Back». Grosse intro, bien amené aux petits accords et battu comme plâtre. Ils te stompent ça dans le crâne. Ils te pulsent l’I’m never coming back à l’ultimate. Ils terminent avec un «Captain Of My Ship» gorgé d’orgue et très Music Machine.

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             C’est l’excellent Behind The Music des Soundtrack Of Our Lives qui est retenu pour 2001, déjà célébré ici même, puis on saute à 2004 avec The Uncle Devil Show et A Terrible Beauty. La pochette est un remake de celle des Strangeloves. Morten & Wills nous révèlent que The Uncle Devil Show est monté par Justin Currie de Del Amitri. Il s’agit bien sûr d’un chef-d’œuvre pop, et ça démarre avec l’affolant «Leonardo’s Bicycle». Ces trois mecs, Justin Currie, Jim et Kevin McDermoth sont des Écossais : prod extraordinaire. Morten dit que l’album grouille de profanities. Ils tapent «Plus Ça Change» en français - Plus ça change/ Plus c’est la même chose - On se croirait sur un album des Byrds. Nouveau coup de génie avec le miel pop d’«Angie Baby» et ils sonnent comme Teenage Fanclub avec «She Cuts Her Own Fringe». On croirait entendre chanter John Lennon dans «Sidelong Glances Of A Pigeon Kicker», même enchantement, mêmes accents tranchants, on est en plein dans Revolver. Encore de la pop de résonance inter-galactique avec «When Raymond Comes Around». C’est étincelant de qualité, les vagues de chœurs sont même alarmantes. Et ça se termine avec «I Had A Drink About You Last Night». Franchement, tu n’en reviens pas d’écouter un album de cette qualité - But today I just mind - Le cut s’accroche à toi comme la moule à son rocher. C’est une pop de puissance pénultième, le chant perce un tunnel sous le Mont Blanc, ses ooohhh sont tellement puissants. Il n’en finit plus de répéter I never lost a fight/ But today I just mind

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             Le lauréat de 2005 est l’album sans titre de The Eighteenth Day Of May. Malgré une ferveur certaine et un soleil intérieur, malgré une immense musicalité et un son glandulaire, ça reste du hippie sound. La chanteuse s’appelle Alison Brice, on fait des efforts pour la supporter. Ces gens-là ont tellement de son ! Mais ça reste du folk anglais. Du folk généreux, celui qui te court assez vite sur l’haricot. Mais on comprend que ça puisse plaire aux Shindigers. Sur «Deed I Do», elle est assez Mazzy Star. Elle sait imiter quand il le faut. Elle est encore bonne sur «Cold Early Morning». Mais le reste bascule dans la folkette de folkah. Elle chante encore comme l’Airplane sur «The Waterman’s Song To His Daughter», ce qui nous fait une belle jambe.

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             The Magnificent Brotherhood décroche la palme de 2008 avec son album sans titre. Morten et Mills les qualifient de garage-psych et comparent ces Berlinois à Quicksilver. Merci Shindig! pour cette découverte, car quel album ! Il faut entendre la fin de «Better Hurry» et ce wild killer solo flash à rallonges du guitar God Kiryl Drewinski ! Ce mec a du génie et un son d’une clarté absolue. Dès «Cracker», on se croirait sur Nuggets. Pur jus de Silver Sixties. «Gun On Run» crépite de bassmatic à dos rond : il s’appelle Jan Rohrbach et il prend le lead du Gun. Mais le roi du brotherhood, c’est Kiryl Drewinski. Il claque son premier killer solo flash dans «Lifetime». Ces Berlinois sont d’épouvantables cakes. «Mindgarage» sonne comme une danse du ventre gaga. Ça balance vite fait. Ils savent amener un  hit. Tu assistes à une séquence de clap-hands avec un solo d’intermezzo qui te laisse coi, Kiryl Drewinski dégouline de génie, et derrière lui, le bassmatic se barre en vrille d’excelsior épileptique. Quelle classe et quelle brioche ! Ils bourrent leur génie de panache. Sans les mecs de Shindig!, t’as aucune chance de choper cet album. Encore une merveille : «Old Tattoo». Totally wired out. Ils font les Sonics. Impact fondamental. Extrême blow out ! Ces mecs ont des poumons d’acier. Garage-psych sauvage. Un vrai carnage !

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             2009 voit la consécration Shindigienne de White Denim avec Fits. Pour Morten & Mills, ce trio d’Austin va plus loin que le gaga - Borrowing from funk, jazz, hardcore, psychedelic, prog, heavy rock... you name it - Les compères de Shindig! parlent d’incendiary stuff. Alors on écoute. C’est vrai qu’ils attaquent au rentre-dedans, avec une gosse basse métallique. Les poux arrivent par derrière. C’est très bordélique, voire avant-gardiste de zyva et reviens pas. Avec «All Consolation», zyvont à la clameur dévastatrice. Comme ça au moins, pas besoin de discuter. Puis ils passent à l’assaut post-punk frontal dans «Say What You Want», avec de la cocote anglaise à John Du Cann, mais sans l’Atomic. L’ensemble reste cependant trop foutraque. Au fil des cut, ils perdent un peu les pédales, ils basculent dans le gros n’importe quoi d’étalon fou, ça vire prog texan sans queue ni tête. Il faut attendre «Mirrored & Reverse» pour renouer avec le fast groove déterminé à vaincre. Ils savent rôder dans l’ombre. C’est très anglais, quasi-Soft Machine. Même énergie ! Puis l’album décolle enfin avec un «Paint Yourself» gratté à coups d’acou, et ça vire groove de jazz. Là t’applaudis des deux mains. «I’d Hate It’s Just The Way We Were» ? Foutraque mais beau, c’est même très challengé, très tourneboulé par un chant à la Midlake. Il règne aussi sur «Everybody Somebody» un violent parfum de modernité, et derrière le chant, t’as un sidérant guitar slinging et un bassmatic héroïque. Et ça continue de patauger dans la modernité avec «Regina Holding Hands». C’est flamboyant. Ils se fondent dans la Bossa d’une Nova texane. Stupéfiante aventure ! Ils bouclent avec «Syncn», très Midlake dans l’esprit. Ces mecs sont des démons. Ils explorent la pop par tous les orifices. Après Midlake, les White Denim sont la nouvelle force du Texas. 

             Puis c’est le bal des têtes connues, toutes célébrées ici même : Admiral Sir Cloudesly Shovell (lauréat 2012 avec Don’t Hear It Feat It), Hidden Masters (lauréat 2013 avec Of This And Other Words), Temples (lauréat 2014 avec l’excellent Sun Structures), GospelbeacH (lauréat 2017 avec Another Summer Of Love), Drugdealer (lauréat 2019 avec Raw Honey), The Soundcarriers (lauréat 2022 avec Wilds) et les Lemon Twigs (lauréat 2023 avec Everything Harmony).

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             Pour 2021, le lauréat est un duo nommé Kit Sebastian, avec Melodi. Morten et Mills sont bien d’accord : avec Melodi, on s’éloigne dangereusement du garage et du psych des années 90 et on s’enfonce dans quelque chose de plus ésotérique, et comme c’est un duo anglo-turc, ça donne de l’«Anatolian avec des éclairs de French chanson et jazzy ‘60 s pop». Le problème, c’est que l’album n’est pas bon. Pas de quoi casser le patati du patata. L’Anatoliennne est même assez pénible. Tout le monde n’est pas Tracyanne Campbell. Le duo cherche un passage vers la grandeur pop. Ils risquent de chercher longtemps. Cette pop est beaucoup trop sophistiquée. Le seul cut qu’on sauve s’appelle «Elegy For Love», un cut d’anticipation urbaine. C’est la voix qui pose problème. Ils essayent de faire du Gainsbarre orientalisant avec «Ahenk», et elle finit par ramener une sorte de petit sucre impénitent dans «Please Don’t Take This Badly».

    Signé : Cazengler, Shinglé

    The Aadvarks. Bargain. Delirium Records 1995

    The Mystreated. This Is… The Mystreated. Twist Records 1996

    The Cybermen. Strange And Cruel. Alopecia Records 1997

    The Greenhornes. The Greenhornes. Telstar Records 2001

    The Strollers. Captain of My Ship. Low Impact Records 2000 

    The Uncle Devil Show. A Terrible Beauty. Compass Records 2004

    The Eighteenth Day Of May. The Eighteenth Day Of May. Hannibal Records 2005

    The Magnificent Brotherhood. The Magnificent Brotherhood.  Magnificent Music 2008

    White Denim. Fits. Full Time Hobby 2009 

    Kit Sebastian. Melodi. Mr Bongo 2021

      

    *

    Un chroniqueur revient-il toujours sur les lieux de sa chronique comme l’assassin sur celui de son crime. Nous aurions dû écrire ‘’ A Suivre’’ à la fin de notre recension du premier opus The Light Scalping de Snaw paru en août 2024 dans notre livraison 659 de la semaine dernière, car le deuxième opus de Snaw est paru à peine trois semaines plus tard au mois de septembre. Cette concomitance éditoriale nous interroge. Voici donc, en quelque sorte la suite de notre chronique précédente.

    THE SKIN DANCER

    SNAW

    (YT – BC / Septembre 2024)

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    Je devais être un peu parano, en tout cas plein de déception, j’avais beaucoup aimé la couverture du premier album, mais la vue de la couve m’avait porté un coup au cœur, quoi après l’Old Crocken une représentation du Christ, le titre de l’album m’a rassuré, le post qui accompagnait la photo sur l’Instagram de Marc Potts m’a réconcilié avec l’Humanité. Un point technique pour commencer, acrylique sur panneau de bois, tout de suite mis en relation avec la peinture rupestre de nos lointains ancêtres, mieux encore la volonté magique de ces œuvres paléolithiques censées avoir une efficience sur le monde physique… Une espèce d’entrée propitiatoire avec le règne animal via la préhension et le don du sang versé tel un pacte cynégétique entre l’Homme et le Monde. Non pas une entente, mais une limite confinatoire à respecter et à transgresser. Enfin une dernière phrase, tempérée par une fausse désinvolture, qui regrette que notre époque ait remplacé l’érection de tout acte définitivement solitaire et hautement revendiqué, Mallarmé emploierait l’expression ‘’un coup de dés’’, par la duplication technologique…

    Martin Heidegger aborde ces thématiques, notamment celle du sens de nos actes dans ses écrits sur Hölderlin, mais ne nous éloignons point trop de Snaw, revenons-y par une formule lapidaire : sous la peau le sang et le sens. Rappelons toutefois que le dernier poème de Mallarmé est une scène de danse et de sang nuptial.

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    Une note de Snaw nous indique que le groupe s’inspire autant de sombres mythologies que des scènes d’horreur et de désolation inspirées par Cormac McCarthy.  Est-ce parce qu’il est né en 1933 à Providence, patrie providentielle de Lovecraft, que les premiers romans de McCarthy s’inscrivent dans une veine gothique. Rappelons que le rock’n’roll n’est qu’un énième musical et existentiel surgeon de la littérature gothique née en Grande-Bretagne. Veine que McCarthy délaissera plus tard pour se rapprocher d’une inspiration nettement plus américaine. Une Amérique toutefois mythique, celle du western. La modernité, McCarthy l’évoquera à sa manière dans son livre le plus connu, La Route roman postapocalyptique. Dans ces trois univers historialement différents, l’auteur développe une semblable vision très noire de la condition humaine. Violences, viols et crimes sont présentés comme les vecteurs de la communication humaine, à laquelle il faut rajouter un incoercible désir de vengeance. Un univers primal, dominations triviales, cruautés gratuites, engrenages sans but, les combats cessent faute de combattants mais nous sommes très loin des glorieux héros de Corneille. Rajoutons que les westerns de notre auteur sont à cheval sur la poreuse frontière qui sépare les Etats-Unis du Mexique. Il existe plusieurs sortes de frontières, celles aléatoires qui séparent deux territoires et celles opératoires qui détachent nos gestes de notre corps… Notre pensée de nos actes.

    Symboliquement nous mettons en correspondance le précédent paragraphe avec la haute figure de l’Apache Géronimo, ses actes de résistance et de combat perpétrées des deux côtés de la frontière mexico-états-unisiniennes. A croire que la littérature n’est qu’une face, voire une interface, exemplaire de la réalité du conjointement d’une chose à une autre. De la mythologie avec l’existence par exemple.

    Regardons la pochette, en arrière-plan, cette file de figures pariétales, d’animaux, devant le danseur, pourquoi pas une danseuse, tête inclinée, le crâne dégarni de cheveux, tout comme le sexe semble  dépourvu de pilosité, mais marqué d’une fente totémique, reprise tout le long de la poitrine jusqu’au bas du ventre, l’idée surgit d’une entaille scarificatrice effectuée à dessein pour lui arracher la peau, une espèce de symbolisation mimétique du traitement des bêtes dépouillées, les bras écartés redoublés par des branchages qui seraient comme imitation des bois de cerfs, au bas de l’œuvre des saillies de rouge, une espèce de feu de broussailles qui court, à moins que ce ne soit l’effigie bondissante du sang du sacrifice. Sur l’Instagram vous trouverez plusieurs œuvres de la même veine. Chacune exigerait un commentaire…

    Jon Vayla : guitar, synths, Bass, vocals (1-7) / Andrew Trevenen :
    vocals / Robin Stone : drums.

    Sand : un bruit qui vient de loin, une fuite intemporelle un grondement martelé par un Robinson au fer forgé, une espèce de grognement et la voix de Vayla, qui vient d’on ne sait où, de ses entrailles ou de celles du danseur, du sacrificateur qui se sacrifie lui-même pour parvenir à une connaissance inatteignable pour ceux nombreux qui ne sauront jamais. A slaved stalker : entrée monumentale batterie hachoir qui prend le relais, très vite partie dans une course éperdue, lourdes tentures synthétiques, essaient-elles de voiler en vain  les clameurs de Trevenem, ralentissement lourds, le temps de reprendre souffle et pensée, de se mettre en liaison avec Stalker, le film de Tarkovski, ce guide qui vous mène dans le lieu de tous les désirs par lequel vous pourriez effectuer un retour immémorial vers les origines préhistoriales, à moins que ne soit à la semblance du  blogue Stalker de Juan Asensio une espèce de dissection du cadavre de l’Homme ou de la Musique, d’où cette descente impavide, cet enfoncement obligatoire dans la matière sonique, Robinson frappe de toutes ses forces pour nous rappeler que dans  le vecteur d’une chose ce qui est important ce n’est pas la chose mais le vecteur en lui-même, qu’il vaut mieux s’attarder sur le doigt qui montre la lune noire que sur l’astre pallide de Pallas, l’épaisseur phonique s’opacifie, c’est désormais elle qui nous guide et le guide est davantage opératif que le lieu où il nous mène.

    The black plains : étendue déserte, nous sommes au terme du retour, le bruissement originel s’intensifie dans nos oreilles, Robinson marque nos pas dans cet espace illimité qui n’est peut-être pas l’espace mais juste l’espace conceptuel de l’espace, sommes-nous à l’intérieur ou à l’extérieur de nos même, vociférations exagérantes de Trevenen, veut-il nous avertir de quelque chose de grave, par exemple que nous sommes dans la zone d’une frontière inconnue. Que nous connaissons très bien. La musique est une drache qui dégouline sur nous comme si elle avait l’intention de nous laver de nos soupçons. The Bolling sea : tourbillons grondeurs, régularité de la sinuosité orbique du plus grand des vortex, des chœurs flottent sur les écumes supérieure, l’on perçoit des milliers de voix, comme si elles voulaient, chacune d’entre elles, nous adresser un message, au bout d’un crescendo wagnérien, nous pénétrons en une totalité inhabituelle, une espèce de calme luxuriant dans le concert concret de l’assourdissance de vagues qui s’abattent sur nous pour réaliser une fusion entre nous et la puissance de la nature élémentale. The skin dancer : frôlements, grincements, houles sonores tumultueuses, les hordes de Gengis Khan au galop dans les plaines incommensurables, mais il faut aller plus loin, descendre encore plus bas dans les déchirures au fond du monde, notre danse épouse le sens giratoire des invasions déclinatoire jusqu’au tréfonds des tribus et puis des groupes obscurs, nous remontons la pente au fur et à mesure que nous la descendons. La danse est notre offrande, notre manière à nous de saisir la rotondité du monde dans nos bras, de l’encercler pour en prendre possession, pour nous en rendre maître.  Juste la capture de ce qui a été pour que ce qui n’est pas encore naisse de notre embrassement. Solitaire de nous-même au travers de nous-même. Columns of smoke : tant couru, tant descendu, que nous sommes au plus loin indicible, clameur écarlate sans fin, voici l’heure terrifiante du   doute, que tenons-nous entre nos mains, seraient-ce les fantômes phantasmatiques de nos désirs, Robinson cogne partout sur ces murailles de fumée obstinées, des cris inhumains en le sens où ils sont proférés par des gosiers qui ne sont pas ou qui sont au plus près de notre hominienne nature sauvage, de ces époques où nos paroles ne transmettaient aucun message car les signes symboliques de notre présence au fond des avens sans fin étaient notre seule façon de marquer notre originéité. Que nous ignorions. The low trail : tâtonnements expectatifs, serions-nous au plus bas de notre course, comme un chant de remerciements et de victoires s’élèvent, pas vraiment des chœurs célestes barytoniens, mais ils marquent une certaine satisfaction, un contentement de soi, assez étonnants. Friselis de verroteries, un rideau cliquetant que l’on écarte de la main. The Black plains II : des oiseaux noirs encombrent le ciel, leurs ailes immenses nous cachent le soleil intérieur. Celui de notre intelligence. Ils passent et ils repassent, ils planent indifférents. C’est pourtant le même endroit, nous ne les avions pas vus. Nous sommes en des âges terrifiques, des bruits indistincts, aussi puissants mais beaucoup plus calamiteux que les moteurs de notre modernité, le temps de réaliser que nous ne sommes pas bien loin, jute les pieds nus sur les plages sacrées des terreurs des horreurs humaines, à l’intérieur de notre peau, et nous dansons toujours sur les mêmes pulsions qui nous habitent, qui nous construisent, qui ne sont que l’argile liquide de notre sang que nous apprêtons à verser. Que nous soyons le sacrifié ou le sacrificateur. Deux ombres identiques.

    Damie Chad.

     

    *

    Même pas besoin de lire la quatrième de couverture, le titre suffit à motiver l’achat immédiat, le nom d’un des plus grands pionniers du rock’n’roll et l’auteur, il n’y a pas si longtemps nous avons chroniqué un de ses livres dans lequel il portait un témoignage déchirant sur Vince Taylor. Cerise magnanime sur le gâteau pour reprendre une expression du Cat Zengler, je l’emporte, au grand soulagement de la brocanteuse souriante pour un misérable euro. Dans un pays normalement civilisé l’on aurait dû être une trentaine d’individus à se disputer le bouquin à la manière des mendiants au banquet relaté par Homère dans l’Odyssée se bagarrant pour un os de poulet jeté à terre par les prétendants de Pénélope.

    LA GUITARE DE BO DIDDLEY

    MARC VILLARD

    (RIVAGES-NOIR / Avril 2003)

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             L’on ne présente pas Marc Villard, une bibliographie aussi longue que la liste des saints  de deux calendriers, des centaines de nouvelles, des romans, des recueils de poésie, des Bandes Dessinées, fictions et autofictions s’entremêlent en cette œuvre, toutefois rien de moins fictive que son écriture, elle reflète à merveille la réalité sordide de notre société, si vous aimez le jazz, le rock, les romans policiers, vous ne serez pas déçus. L’est né en 1948, n’a pas encore eu la mauvaise idée de passer  l’arme à gauche, l’est donc un contemporain capital de cette génération qui a pris l’explosion du rock’n’roll en pleine gueule.

    Oh, Damie c’est quoi ton livre que tu tiens à la main ? Un truc sur Bo Diddley ! C’est quoi, C’est qui ? Non je ne connais pas. Bref obligé une bonne dizaine de fois d’exécuter uno petito topo do Bo pour combattro l’ignoranço provinoisote. Alors, lorsque chez vous, vous ouvrez le bouquin, because you can’t judge a book by the cover, comme le dit fort justement le précepte diddléen, vous buvez du petit lait. Vous voici dans un univers paradisiaque, la moitié des personnages, un sur deux, cinquante pour cent, connaissent le nom de Bo Diddley et souvent peuvent vous en causer à satiété. 

    Je ne voudrais pas induire le lecteur en erreur, car ce petit coin de paradis que je semble vous promettre risque surtout de vous conduire en horreur. Désolé c’est en France le doux pays de l’insouciance, Paris-banlieue, je ne file pas les adresses exactes car je ne voudrais pas vexer les lecteurs qui par hasard crècheraient aux alentours. Une terre de misère et de crasse. La misère c’est dans les porte-monnaie, la crasse dans la tête. J’allais dire que la plupart des marionnettes de ce théâtre d’ombre tirent le diable par la queue, mais c’est souvent l’inverse, c’est  le diable qui les tire par la queue, bref le sexe est-là. Les passes ne sont pas chères, et les jambes s’ouvrent facilement. Une seule règle. Survivre. Jusqu’à la prochaine dose. Les amants de passage ne sont pas de preux chevaliers blancs.

    Environnement glauque. La commune humanité. Un milieu assez noir. D’ailleurs il y a, immigration oblige, beaucoup de noirs. Une belle couleur, celle de Bo Diddley, représentant émérite de ce peuple qui inventa le rock’n’roll. Mais pour le moment Bo n’est pas là. C’est sa guitare qui est l’héroïne du roman. Une véritable légende. Est-elle seulement à lui, quand elle lui a été livrée il ne l’a pas voulu, la couleur bleu-hawaïen ne lui a pas plu. Peut-être lui rappelait-elle trop le blues. Plus tard elle est passée dans les mains de Clapton, et puis elle a disparu… Et la voici sur la banquette arrière d’une belle bagnole stationnée dans la Cité des Glycines. Pourraves. Arsène n'est pas un gentleman-cambrioleur, juste un gamin de Paris que son père a foutu à la porte pour lui apprendre à vivre, oui c’est un malheureux il ne sait même pas qui est Bo Diddley, il vous tire la gratte sans problème…  Et la ronde infernale commence.

    Qu’est-ce qu’une guitare ? Un simple objet d’échange. Un objet de convoitise parfois. Les choses n’ont que l’importance qu’on leur accorde (de guitare). C’est la loi du marché. Certains s’en foutent, d’autres savent. Bref la guitare va passer de main en main. Un peu de sociologie (même si certains n’ont pas de logis) ne peut pas faire de mal, l’on voit du monde, l’on voyage dans tous les milieux, surtout ceux qui ne sont pas beaux, prostituées à la petite semaine, flics pourris, dealers tout aussi avariés, drogués aux abonnés absents, musiciens à la ramasse, population pour qui la fin du mois commence le un, ceux qui se battent (très rares) ceux qui se débattent ( plus nombreux), ceux qui combattent ( loi de la jungle), ceux qui portent des flingues, ceux qui tuent… Du beau monde.

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    Y a du sexe, oui mais il y a aussi son corollaire la mort, et puis enfin il y a Bo Diddley. On l’attend depuis le début. On a récolté des tas de renseignements sur sa vie, sur sa personnalité, la situation des nègres aux Etats-Unis, les paroles de ses chansons, mais le voici en chair et en os. Pour un concert, tous les pantins de l’histoire, enfin ceux qui ne sont pas morts, sont réunis dans la salle. Le Bo est accompagné par un groupe de jeunes inconnus, les Stray Cats si je me souviens bien. L’Histoire se finit bien. Le beau Bo récupère sa guitare. L’Histoire se finit mal, Bo se révèle à la hauteur. De ce monde de misère, de poisse et de crasse. Si les gens se sont reconnus dans le rock’n’roll c’est parce qu’il leur ressemblait, qu’il sortait de la misère, de la poisse, de la crasse, et que les idoles poisseuses, crasseuses et misérables en connaissaient autant qu’eux sur le sujet.

    Bo est-il beau ? Bo a-t-il été récupéré par les bobos ? Bo est-il le dernier des hobos ? Angoissante question, Marc Villard ne la pose pas, même s’il y répond à sa manière. L’est sympa, vous refile un lot de consolation. Une denrée rare. Par les temps qui courent. Oui mais ils courent depuis toujours. Vous ne voyez pas ? Voici le Bo aux roses : n’exagérons rien, ce n’est pas l’amour, tout au plus un désir authentique.

    La fin est incroyable, du coup je vais m’écouter pour me remettre un petit coup de Bo Diddley.

    Damie Chad.

     

    *

             Nous repartons dare-dare au pays des kangourous. Nous avons voulu en savoir davantage sur Snaw. Une piste s’est offerte à nous. Nous nous y engagions séance tenante.

    FLOAT BENEATH THE SUN

    JON VAYLA

    (YT – BC / 2018)

    Jon Vayla a produit cet opus en 2018. D’après les quelques lignes de son Banncamp nous pouvons déduire que Vayla a commencé sa carrière en produisant des œuvres de musique classique. Celui-ci a été composé comme une musique de film. Paul Robien, nous avons présenté la semaine dernière la vidéo-film qu’il a composée pour illustrer le titre The Crossing du premier opus de Snaw. Sur YT Jon Vayla propose un extrait de quatre minutes du film de Paul Robien consacré à Float Beneath the Sun. Apparemment pas une vidéo plaquée sur un morceau de musique, le morceau a été écrit sous forme de musique de film.

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    Float Benath the sun : extrait de quatre minutes sur YT : les premières images démentent le titre, apparemment personne ou aucune chose ne flotte, mais pour le soleil faudra attendre, nuit noire, nous serions plutôt dans les abysses avec de mystérieux points rouges qui clignotent, un truc blanc se discerne, trop inconsistant pour qu’on lui prête une concrétude quelconque, à la réflexion cela n’épouserait-il pas la forme d’une statue de plâtre,  on parierait pour un être féminin vu le semblant de draperies dont elle serait vêtue, et toujours ces petits pois rouges qui n’arrêtent pas de scintiller, un visage apparaît, un peu décevante, une figure de cheval, c’est animal possède une noblesse, mais soyons francs plutôt la tête arrondie, peu érotique, d’une tortue aux yeux brillants, les points rouges se concentrent sur un pli de la robe… qui dévoile comme un trou, un cratère, tiens le soleil, pas lui, mais sa lumière mordorée qui teinte maintenant l’espèce de chiffon orangé qu’est devenu notre objet d’observation,  notre statue ne serait-elle pas à l’arrière-plan bleutée, elle se tiendrait en apesanteur au-dessus de ce que maintenant nous supposons figurer l’épave abricotéé d’un bateau coulé depuis quelques siècles, sur lequel balbutient les petits points rouges comme des feux de Saint-Elme, l’objet bleu-blanc se métamorphose en amoncellement de roches et notre épave oronge adopte la forme d’un hibou, puis peut-être la gueule ouverte d’un serpent de mer, je ne peux vous en dire plus la vidéo n’en montre pas davantage.

             Vous avez eu l’image, il est temps de passer au son.

    Float beneath the sun : donc pas un morceau de rock, mais un générique de film… lent, pesant et sombre, à ce stade la bande pourrait se retrouver au générique de n’importe quel film. L’on attend la suite de quelque chose qui n’a pas encore commencé, une tragédie si possible, l’orchestration lente et noire n’incite pas à l’optimisme – ici l’on a dépassé la vidéo de Paul William Robien – c’est-là que l’on se rend compte de l’importance signifiante des images, si mystérieuses et incompréhensibles soient-elles, oui il survient, comme une accentuation de l’indicible, l’on sent une gradation, une scène d’angoisse, un nuage sombre qui point à l’horizon, nous sommes dans un manoir perché sur la colline maudite, sifflements à nos oreilles, la chose se rapproche-t-elle, l’on dirait que la bande-son baisse le ton pour mieux percevoir ce qui est en route, vers nous, pour nous, car à être dans un film autant en être le héros, derrière la porte, il n’y a qu’à ouvrir, pousser les deux battants de l’huis, rien, le son n’est plus qu’un murmure inaudible…

             Nos oreilles restent un peu sur leur faim. Nous aurions préféré que la vidéo durât douze minutes.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne suis pas sectaire, la preuve je n’aime que le rock. Mais ce soir pour vous montrer la largesse de mon esprit nous allons causer de house-music. Non Damie ne devient pas fou, souvenez-vous de ce qu’Heidegger disait des sentiers, non pas des chemins qui ne mènent nulle part, parce que tout le monde sait très bien que tous les chemins mènent à Rockme, mais des lacets de montagne qui tournent sur la gauche dans la direction de l’ouest et qui brusquement sans vous avertir et sans raison apparente s’infléchissent sur leur droite, vers l’est, en totale opposition rhumbique, au moment où l’on s’y attend  le moins. Bref, cette intro pour vous rassurer, j’ai besoin dans cette chronique d’évoquer la house music afin que vous compreniez mieux la chronique suivante. Moi-même si je n’avais pas effectué ce détour je n’aurais rien compris à ce dont je m’apprêtais à vous entretenir, j’aurais fait une fausse route.

    Au début, vers le milieu des années 80 l’on nous a vendu la house comme un mouvement venu d’en bas, une démarche anarchisante, des ados américains qui en avaient  marre d’écouter la musique que l’on fabriquait exprès pour eux, ils pensaient avec juste raison que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, une excroissance du DIY en quelque sorte, que l’on fabriquait dans sa chambre avec l’aide du synthétiseur paternel et d’une boîte à rythmes.  Une démarche.

    Oui mais cela c’était le fond de l’iceberg. Les gamins eux ils visaient la gloire, le sommet, la pointe étincelante illuminée par les rayons du soleil. Bref ils enregistraient leur chef-d’œuvre sur une K7 qu’ils envoyaient par la poste, ou qu’ils portaient eux-mêmes pour les plus courageux à l’adresse des boîtes où ils allaient s’éclater le samedi soir. La house compte la discö dans ses ancêtres. Nous sommes au deuxième étage de la fusée, celui des disc-jockeys à l’affût des idées nouvelles, ils permirent à la house une audience bientôt internationale…

    Dans les nineties je mène une émission hebdomadaire et littéraire sur Radio-Médiaval à Provins. Non, je ne sème pas de la house dans mon pré carré, d’autres s’en chargent, juste avant moi, sont là tous les jours ouvrables de  la semaine. Des passionnés, des novateurs, passent leurs propres disques et se rancardent régulièrement à Paris pour dénicher les dernières nouveautés venues des States. Ils en connaissent un max sur le sujet, même si vous n’aimez pas la house vous adorez les entendre causer, de vrais passionnés, l’anecdote qui tue et la verve incandescente de l’intransigeance, une attitude très rock en somme, même si leur musique scron-gneu-gneu… vous savez parfois l’ivresse provient du design de la bouteille et pas de l’alcool frelaté qu’elle contient. Ce n’est pas une émission de radio, vous avez l’impression d’une confrérie secrète qui prépare une révolution culturelle. Ils ont le bon créneau, 17 heures-19 heures, la sortie des lycées et l’heure des ‘’devoirs’’, ils touchent du monde, les lycéens très vite rejoints par les collégiens, z’ont un public en croissance exponentielle. Rien ne les arrêtera. Eh bien si, au bout de trois mois, sont en train de dévoyer l’audimat, l’on ne parle plus que de leur émission. Son audience surclasse toutes les autres. Au standard le téléphone ne sonne que pour eux. Presque des stars. Ils sont virés, du jour au lendemain, le venin de la jalousie est bien plus mortel que celui des vipères…

    Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, j’ai oublié leurs prénoms, Jean-Philippe me semble-t-il pour l’un, mais je tenais à leur rendre hommage pour ces heures de fan et de feu. A l’origine cette chronique ne leur était pas destinée, le souvenir a surgi tout seul, abordons maintenant le véritable motif de cette kronic, qui je vous le répète, comme les trains, en cache une autre. S’il vous plaît, ne risquez pas votre vie.

    C’est pourtant ce que font des centaines de jeunes italiens au début des nineties. Attention, ceci est une histoire triste, elle est sans doute exagérée, mais vous savez entre une histoire vraie et une légende, le devoir des chroniqueurs, des gros niqueurs diront ceux qui ne les aiment pas, est de vous proposer la légende.

    Le gouvernement italien s’en émeut : trop de jeunes meurent le samedi soir, enfin c’est plutôt le dimanche matin, très tôt. Ils rentrent de boîte. Ils ont dansé toute la nuit. Ils ont pris quelques pilules. Ils se sont démenés, livrés à fond, ils ont tout donné… Ils sont lessivés, exténués, crevés… Ce troisième participe passé s’avère prophétique, puisqu’ils vont l’être dans les minutes qui suivent. Il y a ceux qui s’endorment au volant et s’éclatent dans les décors, il y a ceux, je ne pense pas qu’ils connaissent James Dean mais ils vont partager un destin identique, ils ont le corps qui speede et le sang qui bouillonne, ils accélèrent à fond. Dans les deux cas le résultat des courses (à la mort) est du pareil au même. Sont ramenés chez eux dans leur cercueil.

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    Attention c’est ici que commence la légende. Des parents touchés par la disparition de leurs enfants, viennent parler aux disc-jockeys. Voici notre héros, il est le seul qui fera quelque chose. Pour calmer l’excitation des danseurs, pour leur permettre de souffler un peu, il décide en fin de nuitée de terminer par un morceau beaucoup plus lent. Il s’appelle Roberto Concina (1969 – 2017), il met sur sa platine un morceau qu’il a composé lui-même. L’a-t-il enregistré exprès pour le dernier instant de ses prestations, il dira que ce sont des photos d’enfants rapportées par son père de la guerre de Yougoslavie qui l’avaient ému.  Quoi qu’il en soit, il le nommera Children.

    Children ouvre un sous-genre de la house music, nommé dream trance ou dream house.

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    Il en vendra cinq millions d’exemplaires, sous son nom de de scène, Robert Miles Je suis désolé nous sommes obligés de l’écouter.  Il en existe sur le net une quantité assez impressionnante de versions notamment en public. J’ai écouté la Version Audio : quelques notes de piano du synthé et une boîte à rythmes, pas mal en son genre, je précise tout de suite que ce n’est pas le mien, j’ai trouvé le son un peu maigrelet, alors j’ai regardé la Dream Version, plus étoffée, plus lente, moins mécanique, du velouté. Sur la fin, un peu trop répétitive. Si vous voulez y passer la soirée, vous finirez, le choix est vaste, par dénicher celle que Concini a concoctée exprès pour vous…

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    Il existe une Music Vidéoréalisée par Matt Amos qui nous montre des images du monde qui défilent au-travers de la vitre d’une voiture dans laquelle se trouve une petite fille qui regarde, ou qui ne prête aucune attention à ce spectacle, elle dort, elle lit, elle sourit… C’est tout. C’est surtout cette vidéo qui nous intéresse particulièrement…

    Il est temps de passer aux choses sérieuses.

    *

    Or voici que Thumos vient de publier un single intitulé Children avec en bas de page de leur bandcamp la courte mention : ‘’ Originally from Robert Miles’’ d’où ma chronique précédente, car j’ignorais tout de Robert Miles. Surprenant, Thumos nous a habitué à traiter de sujets liés à l’Antiquité et à la philosophie. Dans leur Instagram, l’œuvre de Roberto Miles est qualifiée de chef d’œuvre. Je n’aurais jamais employé ce mot ultra-laudateur pour décrire ce morceau… La vie nous met souvent en face de nos contradictions. Quelle surprise, quel étrange choc  que de constater que Thumos groupe post-metal se réfère à un morceau de dream music. Rocker dans l’âme si je prononce le mot instrumental, les noms de Charlie Christian, de Link Wray, de Duane Eddie, d’Hank Marvin et d’une pléthore de guitaristes surgissent dans ma tête. A chacun son itinéraire. Parfois nous nous rejoignons avec quelques autres, cela nous réjouit, nous pensons que nous avons suivi des chemins parallèles, ce n’est pas obligatoire. Heidegger nous a prévenus, nos chemins de pensée partent d’un certain point qui nous est proprement individuel sans savoir au juste où ils nous mèneront… C’est peut-être pour cela qu’il ajoute que l’origine ne se situe pas obligatoirement au début d’un phénomène.

    CHILDREN

    THUMOS

    (BC – YT / Septembre 2024)

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             Aucun enfant sur la couve choisie par Thumos. N’est-ce pas bizarre ! Seulement deux adultes assis sur la margelle d’un bassin. Un couple : lui plus âgé, d’après son intentionnelle  ressemblance quasi-parodique avec Socrate nous le définirons comme un philosophe, nous ne proposerons aucun nom pour le deuxième personnage, disons une épouse. Couple + épouse, il ne manque que la progéniture… Que font-ils, leurs regards sont braqués sur l’eau du bassin, sont-ils perdus dans la vision de leur propre reflet. Reflet = réflexion. A quoi, à qui pensent-ils… Plonge-t-on deux fois notre regard dans la même eau, qu’elle soit vive ou stagnante. Quand l’eau ne bouge pas, les deux chevaux de notre esprit ne galopent-ils pas… Le blanc nous désigne-t-il l’idéalité du monde, et le noir infléchit-il la courbe de notre pensée vers les zones sombres de l’existence…

    Children : l’on est tout de suite surpris par l’épaisseur sonore, elle restera égale tout le long du disque, une introduction beaucoup plus sombre, presque cauchemardesque, elle fait presque peur, un tintement grinçant qui glace le sang, insensiblement l’on semble se diriger vers autre chose, l’on ne sait quoi, une rafale battériale, l’on est parti pour une ambiance pratiquement festive, plus tard comme une hésitation un retour vers la noirceur, mais l’on repart encore plus vite, encore davantage rythmée, une poussée de vent, l’instrumentation flageole sur elle-même.

             Deuxième hommage rendu à Robert Miles, Thumos offre lui aussi une version imagée de sa version.

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    Children : cette version porte comme en exergue l’image fixe qui accompagnait la version dream originale de l’album Dream Land , une paire d’yeux entourée de nuages blancs et de ciel bleu, mais les yeux se métamorphosent en taches noires et laissent place à des images de vieux films, sans préavis l’on plonge dans la misère noire, une petite fille nue devant une cabane en planches délabrées, la suite est l’avenant, nous devons être en Amérique du Sud parmi les couches les plus misérables de la population, images qui serrent le cœur… des enfants dans une cour d’école et des images d’une espèce de carnaval pitoyable, costume traditionnel, danses, musiciens, ça sent la misère à plein tube, l’on a envie d’affubler la caméra du terme d’ethnologique, regardez comme la misère est joyeuse, et tout le monde part en procession, cavaliers lancés au galop, femmes et enfants assis dans la poussière, enfin arrivent les enfants en rang, en habits uniformisés, en ordre, l’ordre règne… pas de souci à se faire. Les pauvres ne se révolteront pas.

             Une vidéo qui pousse à la réflexion.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 659 : KR'TNT ! 659 : BUDDY GUY / LEMON TWIGS / PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE RECORDS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN / GREAT GAIA / SNAV

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 659

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    03 / 10 / 2024 

     

    BUDDY GUY / LEMON TWIGS

    PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN

    GREAT GAIA  / SNAW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 659

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Holy Buddy

    (Part One)

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             L’idéal dans la vie serait d’écouter Buddy Guy. L’encore plus idéal serait de lire son autobio, co-écrite avec David Ritz : When I Left Home - My Story, un bon vieux book paru en 2012. Car quel book, Bob ! Des guys comme Buddy Guy, t’en croiseras pas des tonnes. Buddy est un gentil black de la Louisiane. On voit dès la photo de couve qu’il déborde de gentillesse. Quel sourire ! C’est un artiste complet : gentil et brillant. Il reste avec quelques autres cracks blacks l’incarnation parfaite du blues électrique. Andrew Lauder le qualifie à juste raison de chaînon entre Guitar Slim et Jimi Hendrix.

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             Quand il écrit son autobio, Buddy a 75 balais. Il vient jouer tous les ans à l’Olympia et tous les ans on se dit qu’on DOIT aller le voir, même chose avec George Clinton, et puis on n’y va pas. Parce que c’est limite. C’était limite d’aller voir Chucky Chuckah à la Villette, ce vieux schnoque génial sous sa casquette de yatchman, mais en même temps tu avais clairement l’impression d’arriver après la bataille. Tu préférais rester sur les délicieux souvenirs de son concert ruiné par Jerry Lee à la Fête de l’Huma, en 1973.   

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             Ton copain Buddy commence par le commencement : il a 9 ans et il commence à cueillir le coton avec son père et sa mère, et là, Buddy se met à parler dans sa fabuleuse langue de bluesman - I stood next to my daddy, who showed me how to do the job right - ça sonne comme un vers de blues, tu ne traduis pas : tu écoutes, ça groove. Qui aurait l’idée d’aller traduire les paroles d’un blues ? Dans les années 40, les blacks récupèrent un peu d’électricité, oh pas trop, juste de quoi alimenter une mauvaise ampoule et un vieux phonographe tout pourri. Ces rats de blancs dégénérés gardent toute l’électricité pour leurs sales frigidaires et leur sale bouffe de porcs racistes. Mais Daddy Guy ne dit rien, il est gentil, comme son fils. Tais-toi Buddy et cueille le coton du patron blanc. Sur le vieux gramophone tout pourri, il y a un 78 tours d’Hooky. Buddy est hooké, c’est-à-dire baisé : «Boogie Chillen». Tout part de là - That’s the record that dit it - Pour Ted Carroll, ce fut Bill Haley. Pour Buddy, ce sera Hooky. Puis à l’épicerie du village pourri, Buddy découvre le juke-box, et mieux encore : Muddy Waters et «Rollin’ Stone». Buddy bave. Il demande à l’épicier Artigo où vit Muddy. L’épicier Artigo lui répond «Chicago». Alors Buddy demande si c’est loin, Chicago et l’épicier Artigo lui répond «Real far».

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             Bon, Muddy et Hooky c’est bien gentil, mais les petites gonzesses du village, c’est encore mieux. Buddy est en rut et il t’explique qu’en Louisiane, le sol est tellement humide qu’il faut apprendre à baiser debout - That ain’t easy, but baby, when there’s a will, there’s a way - Il a 15 ans et il adore voir sa little honey lever la patte pour qu’il puisse l’enfiler délicieusement. Il explique plus loin que le blues et l’amour «sont gravés dans le même bois», que c’est la même chose, il est pareillement hanté par le blues et le sexe. Il a cette incroyable intelligence de reconnaître qu’il n’était pas très expérimenté - In the country, boys didn’t learn how to love so good - Buddy raconte aussi une anecdote épicée : un copain à lui baise une blackette dans la boue et au lieu de l’enfiler, il enfile la boue. La blackette lui dit qu’il n’y est pas, alors elle le nettoie et le fait entrer, mais le copain débande. What’s the matter honey? Ain’t it good to you?, et le mec répond que c’est meilleur dans la boue. Le chapitre s’intitule d’ailleurs ‘Love in the mud’.

             Daddy Guy passe aux choses sérieuses. Il sait que son fils rêve d’une gratte, alors il lui en paye une. Voilà le miracle. Dans cette pauvreté abjecte, Daddy Guy accomplit un miracle. Il rachète la gratte de Coot, un chanteur itinérant qui va dans les cabanes gratter quelques chansons pour une pièce ou un verre d’alcool. Coot ne vaut pas laisser sa gratte à moins de 5 dollars. Daddy Guy n’a pas les 5 dollars. Il n’en a que 4. Alors Coot accepte : «Four dollars and a little change might do it.» Alors Daddy Guy réussit à retrouver une pièce dans sa poche. Coot en veut une autre - I got a dime to go with it - Le destin de Buddy Guy vaut alors 4 dollars et 35 cents.

             Le vrai héros du book c’est peut-être Daddy Guy. Quand Buddy lui dit qu’il aimerait partir s’installer à Chicago, Daddy Guy lui donne sa bénédiction. C’est le passage le plus booleversant du book : «Son, if you wanna go, go. Tu ne dois pas te faire de souci pour nous. Je t’ai déjà dit que ta mama et moi n’allions pas mourir tant que tous nos enfants ne seraient pas bien installés and doing good. Quand tu seras à Chicago, you gonna find pretty woman who gonna wanna marry you. Marie-toi avec qui tu veux. Makes no difference to me. Marie-toi avec un éléphant si tu veux, c’est toi qui vas dormir avec. Quant à ton travail, rappelle-toi ceci : je ne veux pas que tu sois le meilleur en ville. I want you to be the best till the best comes around. You hear me, son?».

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             Et le vrai héros de Buddy, c’est Guitar Slim. Il flashe comme un dingue sur Guitar Slim - Slim had a record out, «The Things I Used To Do» that, after «Boogie Chillen» became the biggest record of my life - Buddy ne fait pas les choses à moitié. Il découvre Guitar Slim au Masonic Temple à Baton Rouge - dressed to kill - flaming red suit, flaming red shoes, flaming red-dyed hair - Il le décrit à l’œuvre dans le Temple, avec sa «beat-up Strat» qu’il joue bas, «low on his hip like a gunslinger», avec une bandoulière en fil à pêche et un jack de 100 m de long. Guitar Slim nous dit Buddy ne s’assoit jamais, il gratte ses poux derrière sa tête, gratte le dos au sol, gratte en sautant de la scène, gratte accroché dans les poutres. Il ajoute que Slim ne connaît pas les accords - Slim didn’t know no chords. He was single pickin’ with only two fingers, but those two fingers were causing a riot - Et wham bam : «I wanted to be Guitar Slim.»

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             Buddy donne sa définition du blues à plusieurs reprises. Comme déjà dit, le blues et le sexe pour lui sont une seule et même chose. Plus tard, il parlera du blues avec Muddy qui lui dit qu’il est bien obligé d’enregistrer des hit records, comme «Mannish Boy», «Still A Fool», il ne se plaint pas, pour lui l’essentiel est de maintenir le blues en vie - Just saying that these blues that you and me took from the plantation... man, I just don’t want them blues to die - Mais Buddy lui dit que lui non plus, il ne veut pas voir them blues crever. Et Muddy le visionnaire reprend : «It’s just something we gotta remember. The world might wanna forget about ‘em, but we can’t. We owe ‘em our lives. Wasn’t for them, we still be smelling mule shit.»

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             Plus tard, quand Buddy tourne en Europe avec the American Folk Blues Festival, il se fait huer parce qu’il est jeune et bien coiffé. Les Allemands pensaient, nous dit Buddy, que tous les bluesmen étaient en haillons, vieux et bourrés. Muddy avait été lui aussi déconcerté par la réaction des Européens qui ne voulaient que du blues pur, alors que ça n’existe pas - Blues ain’t no pedigree, it’s a mutt, c’est-à-dire un bâtard, et il ajoute avec un grand sourire : «As far as I’m concerned, mutts are beautiful.»

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    ( Leonard le renard)

             Qui dit Chicago dit Chess. Alors on y retourne, pas de gaieté de cœur, mais bon, sans Chess pas de Muddy, pas de Chucky Chuckah, pas de rien. Buddy commence par faire des sessions pour le compte de Chess. Mais il a du mal à rencontrer Leonard le renard. Le voilà en studio pour remplacer Hubert Sumlin et accompagner Wolf. Buddy a la trouille de Wolf. Il dit que s’il joue des fausses notes, Wolf va le frapper. Alors Willie Dixon (qui organise la session) lui dit que ça n’arrivera pas : la session va durer une heure et tu vas empocher 10 dollars. Buddy entre en studio et s’installe, et c’est là qu’il se fait traiter de motherfucker, pas par Leonard le renard qui le grand spécialiste des insultes, mais par Wolf. Buddy lui répond qu’il ne s’appelle pas motherfucker mais Buddy, alors Wolf dit que tout le monde chez Chess s’appelle motherfucker. Bonjour l’ambiance. Buddy voit qu’on a posé une bouteille de whisky sur le piano, il demande pourquoi à Big Dix qui lui dit que Leonard est rusé comme un renard - Leonard ain’t dumb. Il sait que les records qui ont le son du club se vendent bien, alors il veut le booze on the record. He wants to feel the fire that the folks get to feeling in the club - Puis Buddy découvre peu à peu la réalité matérielle des géants du blues de Chicago. Mis à part Muddy qui a une baraque au 4339 South Lake Park, les autres vivent ric et rac dans des petites piaules, et là, boom, il allume la gueule de Leonard le renard : «Je ne sais pas combien de disques vendait Chess et je ne connais pas les comptes. Par contre, je sais que Chess wasn’t big in sharing the profits.» Tout pour sa pomme, rien pour les motherfuckers nègres. Chaque fois qu’on tombe sur cette histoire, c’est la même chose : crise d’urticaire. Ce rat de Chess s’en foutait plein les poches, et nous on était tous là comme des cons à chanter les louanges du légendaire label Chess. Fuck it ! Et l’enculerie continue avec Chucky Chuckah, puis avec Bo Diddley qui font tous les deux danser les kids d’Amérique - Leonard made big money of Bo - Un Bo qui a fini dans la misère, obligé de vendre ses droits d’auteur pour financer les études de sa fille, tu vois un peu le travail ? Et boom, rebelotte avec Etta James. Buddy se marre : «Je ne dis pas que Leonard n’aime pas le blues, il l’aime, mais il aime encore plus l’argent. S’il pouvait faire du blé avec la polka, il enregistrerait de la polka.»

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             Puis un jour Big Dix dit à Buddy qu’il va enregistrer «First Time I Met The Blues», son premier single sur Chess. Chouette ! Buddy dit qu’il va casser la baraque, mais Big Dix lui répond qu’il n’en est pas question - Leonard likes his records a certain way. You can’t get all wild like you do on stage. Can’t play too crazy. Can’t fuck up the sound none like I seen you do in the clubs. Leonard likes his blues clean - Et voilà le travail. En plus de se faire arnaquer, Buddy se fait museler. Pire encore : Leonard veut que Buddy change de nom. C’est pas qu’il n’aime pas ton nom, lui dit Big Dix, il veut que tu sois un King - Buddy King or King Guy, something like that - Buddy ne veut pas, à cause de la confusion avec B.B. King et Freddie King. Big Dix argumente, disant que c’est précisément la confusion que recherche Leonard le renard - King is associated with strong-selling blues - Alors Buddy lui dit que Muddy don’t got no king in his name et Big Dix rétorque que Muddy est arrivé avant the kings. Mais Buddy refuse de changer de nom, car sa famille à Baton Rouge ne va pas savoir que c’est lui sur le single. Leonard le renard n’est pas jouasse, mais Buddy tient bon. Bien sûr, Leonard le renard fait main basse sur les droits. Mais à l’époque, Buddy s’en branle - I just wanted to make it - Buddy s’est marié et il montre fièrement son single à son beau-père qui éclate de rire : «Ils t’ont donné le disque à la place de l’argent ?». Buddy ne comprend pas. Le beau-père lui pose la question autrement : «Ils t’ont pas payé pour enregistrer ce disque ?». Buddy répond qu’il a signé un contrat et que si ça se vend bien, il touchera des royalties. Alors le beau-père explose de rire : «Son, when those royalties come in, dogs gonna be fucking pigs.» Oui, les poules auront des dents. Et Buddy de conclure : «The man was right». Nada.

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             Buddy fait aussi de très belles pages sur Chicago, la deuxième ville qu’il découvre après Baton Rouge. Il commence par évoquer les grands froids qu’il ne connaissait pas en Louisiane, puis les clubs, dont le fameux Bucket of Blood - I was playing my guitar when one cat drove an ice pick deep into another cat’s neck - Il fait aussi l’apologie de Theresa’s, l’un des clubs les plus légendaires du South Side. Il décrit la taulière comme «a mean-looking lady portant un tablier sale avec deux poches. Dans l’une se trouvait un flingot et dans l’autre une matraque. Theresa was no one to fuck with.» Il joue chez elle et attaque avec une cover du «Further On Up The Road» de Bobby Blue Bland. Buddy explique aussi qu’il démarre son set dans la rue et qu’il entre dans le club en jouant. Il a un jack de 100 m, comme son idole Guitar Slim.

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             Alors il en pleut des idoles à Chicago. Buddy les fréquente tous, Otis Rush, Earl Hooker. L’Otis qu’il décrit est celui des débuts - His guitar was on fire, man, he was something else - Comme tous les autres guitaristes de l’époque à Chicago, Otis Rush joue assis. Buddy monte sur scène avec lui, et Otis lui demande ce qu’il veut jouer - What you wanna play boy? - Buddy répond «Guitar Slim». Et il fout le feu, Otis le laisse jouer. Alors Buddy sort le grand jeu, comme Guitar Slim, gratte dans le dos et la foule adore ça - The more I did it, the louder the crowd - Buddy voit Earl Hooker comme un guitariste d’un niveau supérieur au sien - No way I could compete with the guitarists of the day. I’m talkin’ ‘bout Earl Hooker, the greatest slide man in the history of slides - Il cite dans la foulée Otis Rush, Magic Sam et Freddie King - They was masters, they was monsters, they was killers - De la part d’un killer comme Buddy, c’est quelque chose d’entendre ça. Il rencontre aussi Ike Turner en studio. Ike joue sur une Strat et Buddy se dit qu’il a choisi la bonne gratte. Ike dit aussi qu’il took up guitar because of Earl Hooker. Ike lui demande s’il connaît Earl, Buddy dit «I do» et Ike ajoute : «He got his shit from Robert Nighthawk. You heard him?», et Buddy dit «not yet. I wanna.» Ike lui recommande aussi très chaudement Gatemouth.

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    (Sonny Boy Williamson)

             Buddy voit aussi Lightnin’ Hopkins débarquer chez Chess. Big Dix essaye de lui vendre l’idée des «future royalties» et Hopkins l’envoie sur les roses - Fuck future royalties. Fuck Leonard Chess and fuck you, Willie Dixon. Royalties don’t mean shit to me - Au moins les choses sont claires. Lightnin’ veut 100 $ pour enregistrer un cut - You give me a hundred I give you a song - Lightnin’ sait que dans tous les cas il va se faire baiser. Alors il fait comme le fera plus tard Chucky Chuckah : d’avance et cash. Buddy assiste à la scène. Big Dix insiste, Lightnin’ ne cède pas. 100 $ ou rien. Buddy se dit que Lightnin’ a du pot, car lui, le Buddy débutant, il ne reçoit que 10 $ pour jouer en session. Voilà où en est le blues électrique à l’époque. Oh et puis Little Walter qui s’embrouille avec tout le monde, y compris Junior Wells. Buddy fréquente aussi Sonny Boy Williamson qui au breakfast est déjà assis devant un gros verre de whisky, et qui lance à Buddy : «Morning, motherfucker.» Tout le monde le croit rincé par l’alcool, mais quand il saute sur scène pour attaquer «Don’t Start Me Talkin’», «he burns the house down», nous dit Buddy. Comme Gainsbarre le fera plus tard, Sonny Boy indique que les docteurs qui l’avaient condamné ont tous cassé leur pipe en bois. Sonny Boy se marre comme un bossu. Buddy fréquente aussi B.B. King et il salue son humilité, B.B. n’a jamais chopé la grosse tête, nous dit Buddy. Il fréquente encore Big Mama Thornton. Un soir où il l’accompagne sur scène, il voit Big Mama perdre son dentier en chantant. Elle le ramasse, le remet et continue à chanter. La classe ! Du coup, Buddy rêve d’avoir un dentier pour le perdre en jouant et faire comme Big Mama. Il raconte aussi  une tournée aux États-Unis : ils sont quatre dans la bagnole, le chauffeur, Buddy, Big Mama et Hooky. Hooky et elle ne s’entendent pas très bien - Elle était trop autoritaire pour lui et il était trop contrariant pour elle - Buddy ajoute qu’il a passé son temps à se marrer pendant des heures, à les voir se chamailler - Laughing my ass off - Quand il évoque Jimi Hendrix, il le situe dans la lignée des «spacey players comme Ike Turner, Earl Hooker and especially Johnny Guitar Watson, but Jimi had the balls to carry it into new territory.» Last but not least, voilà Albert King - he was something else - Buddy en brosse le portrait d’un géant - He was also big as a bear and could be twice as mean. Albert stung them strings hard, and ain’t no doubt that he was one of the best. Fixed up a stinging style all his own. Je suis bien content de ne pas avoir eu à bosser pour lui.

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    ( Buddy Guy : Cognac Blues Passion)

             Buddy se forge un style particulier. Il démarre toujours son set à l’extérieur du club. Il ne joue jamais assis. Il peut aussi aller gratter dans les gogues. Il va s’asseoir en jouant à la table des dames seules. Il peut sauter sur le bar et jouer au sol sur le dos. Il joue aussi avec les dents, il joue entre ses jambes, comme le fera Jimi Hendrix. Et par-dessus tout, il maîtrise ce qu’il appelle the big-city electricity - I learned to ride high on electricity - Feedback, disto, Strat commotion, il connaît tout ça par cœur. 

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    ( Artistic,label de Cobra)

             Quand Leonard le renard et Big Dix se sont fâchés, Big Dix est allé bosser pour Eli Toscano chez Cobra Records. C’est Magic Sam qui lui refile le tuyau. Buddy qui vient d’arriver à Chicago est tout excité, car sur Cobra on trouve aussi Otis Rush, Harold Burrage et Betty Everett. Toscano a une petite boutique de disques avec un garage à l’arrière. C’est là que se trouve le studio, comme chez Fortune Records à Detroit, et chez Cosimo le héros à la Nouvelle Orleans. C’est là que Buddy rencontre Big Dix pour la première fois - Willie was a big man. Vingt ans de plus que moi. Il devait bien peser dans les 150 kg, but it was mainly muscle, not fat - Buddy le voit dévorer le poulet, de la même façon qu’il allait dévorer les droits d’auteur. Pour l’accompagner sur son premier single Cobra, Buddy a Big Dix on bass, Otis Rush on back-up guitare, Odie Payne on drums, Harold Burrage on piano & McKinley Eaton on baritone sax. Pardonnez du peu. Puis Eli Toscano va disparaître. Plus de Cobra. Plus de rien.

             En fait, Buddy va démarrer sa carrière en 1959, avec «You Sure Can’t Do» et «This Is The End» d’Ike Turner, ce single sur Artistic, un sous-label de Cobra que Toscano crée pour lui, puis il va sortir une ribambelle de singles sur Chess avant d’arriver chez Vanguard en 1968 pour son premier album.

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             On peut écouter «You Sure Can’t Do» sur une ravissante compile japonaise, This Is The Beginning. Buddy va y chercher le Little Richard au chant. Il a cette ressource extraordinaire ! Et puis voilà l’heavy blues du beginning «Try To Quit You Baby», il te chante ça à pleine gueule. Wild & heavy ! Voilà les deux mamelles de son destin. Il coule encore comme du miel avec «This Is The End». Il a déjà ce génie de l’heavy blues jouissif. Tu n’en finirais plus avec un mec comme lui. Tu as tout qui coule, le chant, les poux, c’est un paradis. Puis il accompagne Jesse Fortune, un black qui chante comme un crack. Sur «God’s Gift To Man», Big Dix lui donne la réplique. C’est du gospel batch. Jesse Fortune fait encore des étincelles dans «Heavy Heart Beat». Il est hallucinant de qualité. Puis Buddy reprend le chant sur «Baby Don’t You Wanna Come Home». Il est déjà un hard hitter, bye bye ! Il passe au heavy blues de rêve avec «I Hope You Come Back Home». Dans son genre, il est le roi du Chicago Blues claqué à l’ongle sec.

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             Et si tu veux écouter les singles Chess, alors mets le grappin sur une autre bonne vieille compile, The Complete Chess Studio Recordings. Buddy est le roi de l’Heartbreaking Blues, comme le montrent au moins cinq modèles du genre, à commencer par «I Found A True Love» sur le disk 1. Il joue en finesse et croise un solo de jazz de round midnite, ‘caus my baby she takes her time. Sur le disk 2, tu tombes sur «My Time After Awhile», le big Buddy blues, chanté à l’éplorée congénitale, puis «Mother In Law Blues» - I’m in love with you babe/ But your mother she got the moooo - et puis «I Suffer With The Blues», où il joue en filigrane dans le chant. Magnifico ! Il te screame encore «Leave My Girl Alone» à la folie - You better leave/ You better leave my girl alone - Te voilà prévenu. La plupart des cuts sont cuivrés de frais, parfois ça vire r’n’b («Slop Around»), parfois good time music («Baby (Baby Baby Baby)»), ou encore groove de jazz («Buddy’s Boogie»). Tout reste d’un très haut niveau virtuosic, avec souvent des solos de sax demented. Les petites déboulades n’ont aucun secret pour lui («Let Me Love You Baby») et on retrouve bien sûr le black cat bone à tous les coins de rue. Il claque de fantastiques solos d’ongle sec («Watch Yourself» et «Stone Crazy») et son «Hard But It’s Fair» fait référence. Quel fantastique artiste ! Il faut le voir jouer dans l’épaisseur du groove de «Molic» - You are born to die - Il est criant de vérité.  Son «Worried Mind» balaye tout le British Blues. C’est complètement aérien, avec une basse et un piano dans la couenne du son - Please stick around with me/ Some time - Et puis il faut entendre ce fat bassmatic dans «Night Flight». Big Dix ? Il compresse bien le son du mambo de Chicago dans «Every Girl I See», et on le voit se battre pied à pied avec ses two many ways dans «Too Many Ways». Il s’implique énormément dans ses heavy blues, toujours à la limite de l’arrachement des ovaires. 

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             Comme d’usage, on garde les meilleurs pour la fin. Les meilleurs ? Muddy, Wolf et Junior Wells. Et là ça ne rigole plus. Buddy a fréquenté tous les cracks de son temps, et il évoque tous ces cracks avec une édifiante bonhomie, t’as pas idée. C’est la raison pour laquelle il faut se plonger dans cette autobio, car Buddy porte sur ses contemporains un regard extrêmement bienveillant. Quand Buddy rencontre Mud pour la première fois, il est frappé par son apparence, ses pommettes hautes et l’éclat de sa peau très noire - His dark skin had a glow - Buddy lit l’homme dans son regard - His big eyes sparkled and showed me his mood - C’est encore l’époque où Mud se coiffe d’une pompadour - His hair worked in a doo was shiny and piled high on his head. He was something to see - Les mots de Buddy sont précieux : ils sont justes et black. Lors de cette première rencontre, Mud demande à Bud s’il aime le salami. Il voit que Bud crève de faim. Mud lui demande d’où il vient. Louisiane - You a farm boy? - «Yes sir», répond Bud. C’est ce qu’on appelle dans une vie un moment magique. Mud et Bud sont tous les deux des farm boys. Bud a suivi exactement le même chemin que Mud, arrivé à Chicago dix ans plus tôt. Leonard le renard demande à Muddy d’enregistrer un album de blues acoustique - He wants it to sound like ol’ time delta - Okay dit Mud, et il impose Buddy comme back-up guitar. Leonard n’en veut pas. Mud tient bon. C’est ça ou rien. Mud lui balance ceci : «Vous voulez the old music ? Well, ce jeune homme la joue même en dormant. Si vous le virez de la session, je rentre chez moi.» Alors Leonard le renard écrase sa petite banane. La scène se déroule en 1963. Non seulement Mud laisse Bud gratter ses poux avec lui, mais il le laisse aussi chanter. Bud est émerveillé : «Quand on a enregistré, j’ai mis ma chaise près de la sienne et j’ai plongé mon regard dans le sien. Je n’ai jamais cessé de sourire. C’est dire si j’étais heureux.» Encore un moment magique dans la vie de Buddy Guy. Certaines pages crépitent de bonheur. On sent le book vibrer dans les mains. Fantastique Buddy Guy et fantastique David Ritz. À la fin de la session, Leonard est ravi, et avec toute l’élégance de rat qui le caractérise, il lance à Bud : «You can sound like an old fart, can’t you?» Pour les ceusses qui ne seraient pas au courant, un fart est un pet. Prout. Leonard aurait dû s’appeler Prout. Leonard Prout. Les blacks de Chess étaient mille fois plus élégants que ce malotru. Puis Bud retrouve Mud à son retour d’une tournée anglaise. «How was England?». «Shitty», lui répond Mud. «They booed me again». Il avait joué à coups d’acou et ça n’avait pas plus aux Anglais, alors que lors de la tournée précédente, on reprochait à Mud de jouer trop fort sur sa Tele électrifiée - They don’t want no quiet-ass folk singer. They want loud - Mud ne sait plus ce que veulent «those English motherfuckers». Il dit même qu’ils ont la tête dans le cul. Mud évoque aussi ces «boys from London they was calling The Rolling Stones, named after one of Muddy’s lines». Mud se marre : «Ils en savent plus sur moi que je n’en sais moi-même.» Buddy rappelle un truc essentiel : Muddy était un homme fier. Il n’aurait jamais accepté de porter une tenue de travail de peintre, comme l’ont affirmé les Stones. Il arrivait toujours sur son 31 chez Chess, coiffé et nickel, costard repassé, pompes cirées - Muddy Waters knew that in Chicago, Illinois, he was boss of the blues - Quand sa femme Geneva casse sa pipe en bois, Muddy est secoué. Et en même temps, le voilà libre. Alors il fait venir chez lui tous les gosses qu’il a faits ailleurs. Buddy affirme que Mud adorait sa femme, mais il menait en parallèle sa vie d’homme. Buddy raconte aussi un concert chez Antone’s, à Austin, Texas, où les bluesmen sont rois - Down there in Texas they was blues crazy - Muddy joue sur scène, et comme c’est son annive, Buddy et Junior Wells le rejoignent avec un gâtö en chantant «Happy Birthday». Alors Mud dit au public : «See these here boys? I know ‘em since they was kids. I raised ‘em.» Moment magique. Un de plus. Mud vient aussi d’enregistrer un nouvel album avec Johnny Winter. Il ne trouvait pas de titre, et comme à sa grande surprise il venait de se remettre à bander, il a opté pour Hard Again - What do you think? - Quelle rigolade ! Buddy n’en finit plus d’adorer cet homme : «I just love saying his name. I just love telling everyone that Muddy Waters was my friend, that Muddy Waters was the man.»

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             The man ! Alors en voilà un autre : Wolf. Un jour Bud demande à Mud pourquoi Hooky a quitté Chicago pour aller s’installer à Detroit. Et Mud lui dit : «Johnny didn’t wanna be around all these heavy-hitters.» Alors Bud dit qu’il ferait bien d’aller lui aussi à Detroit et Mud lui dit non, car Wolf le cherche. What ? Wolf ! Et Mud indique que Wolf joue chez Silvio’s tôt le matin, à 7 h, au moment où les équipes de nuit des abattoirs débrayent - That’s when the Wolf really starts to howl - Mud lui recommande encore de ne pas trop jouer s’il accompagne Wolf, car il n’aime pas qu’on l’éclipse. Si ça ne lui plait pas, il te colle un tas dans la gueule. Buddy va chez Sylvio’s à l’aube et c’est le grand choc de sa vie : «‘Smokestack Lightning’ got wild. Vous n’avez rien vécu tant que vous n’avez pas traîné dans un club de Chicago à l’aube avec tout le monde high on hard whiskey and heavy blues.» Et boom encore avec «Sitting On Top Of The World», «‘cause, baby, he sure is.» Puis Hubert Sumlin vient trouver Buddy pendant le break pour le mettre à l’aise : «Si Wolf veut t’emmener en tournée, pas de problème, je suis d’accord.» Buddy lui répond qu’il ne veut pas prendre sa place. Mais Hubert lui, dit qu’il en a marre du Wolf bourré et brutal - S’il estime que je joue faux, il va me frapper, comme il frappe ses gonzesses - A bon entendeur, salut ! Quand Wolf vient trouver Buddy chez Theresa’s pour lui proposer le job et la tournée, Buddy refuse.

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             Plus tard, après qu’on ait repêché Toscano dans le Lac Michigan et que Leonard le renard et Big Dix se soient réconciliés, on lui propose une session pour accompagner un crack. Qui ? Wolf ! Buddy répond une fois de plus que Wolf a Hubert, et donc il n’a besoin de personne d’autre. Mais Wolf et Hubert se sont bagarrés. Alors Buddy accepte d’accompagner Wolf pour 10 dollars.  

             Et bien sûr, le big buddy de Buddy, c’est Junior Wells. Buddy lui consacre un chapitre entier - Junior Wells gets his own chapter in my book - Il dit aussi qu’il est l’un des craziest characters qui aient traversé sa vie. Il ajoute encore que cette collaboration ne fut pas de tout repos. Buddy le remercie chaleureusement : «tous les deux on a fait une musique que je n’aurais jamais fait tout seul. He inspired me.»

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             En 1972, Buddy Guy & Junior Wells enregistrent Play The Blues au Criteria de Miami. Cet Atlantic un véritable chef-d’œuvre, contenu comme contenant. Pochette magique pour un album magique. Ils démarrent avec un gros r’n’b des faubourgs, « A Man Of Many Words ». Junior mise gros - Let me tell you - et derrière Buddy coule ses rivières de diamants. C’est d’un feeling à peine croyable, le jour et la nuit avec A Man And The Blues. Buddy et Junior inventent une sorte d’enfer - au sens de la température - Le génie du blues s’exprime à travers eux. Junior s’en va screamer de plus belle, alors Buddy coule de plus belle. Aucun blanc ne saurait provoquer un tel frisson. Il faut à Buddy un valeureux screamer comme Junior, voilà le secret. Ensemble, ils sont énormes. Et le riff du cut vaut tout l’or du monde. Ils font ensuite un bon boogie blues, « My Baby She Left Me » et reviennent au heavy blues haut de gamme avec « Come On In This House/Have Mercy Baby ». Junior le prend de l’intérieur du ventre et il fait perler ses eh-youuuuh. Ils ont le pouvoir. They got the power, comme dirait Public Enemy. Ils sont les rois du blues. Ils ont une classe folle. Et ils mettent la ville à sac - mercy mercy babe - avec le feeling du diable. Ils rendent un bel hommage à T-Bone Walker avec « T-Bone Shuffle » et vont droit dans le boogie voodoo avec « A Poor Man’s Plea » que Junior chante avec une hallucinante autorité divine. La perle noire se trouve en fin de B : « Honey Dripper ». Ils amènent ça avec une infinie délicatesse et ils se mettent à sonner comme des anges noirs.

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             Buddy et Junior furent enregistrés à Montreux en 1978 pour un album live bien sympathique. Ils rendent hommage à Guitar Slim avec « The Things I Used To Do », ce vieux slow blues d’anticipation carabinée joué à la bonne franquette mélodique. Buddy chante et pousse des petits yahhh du meilleur effet. Ils essaient d’allumer « Help Me », mais ils le laissent sous le boisseau et ne le font pas exploser, comme sut si bien le faire Alvin. C’est Junior qui chante sur toute la B et il commence par exploser « Come On In This House ». Il fait goutter le jus de ses voyelles. Quel fabuleux shouter ! Puis il attaque « Somebody’s Got To Go » du gras du menton. Junior Wells n’est pas homme à se méprendre, bien au contraire. C’est un pro du gras de Chicago.

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             Junior fut le joueur d’harp qui remplaça Little Walter dans le groupe de Muddy - Chosen by Mud, he had to be great - Junior vient de West Memphis et il est arrivé à Chicago en 1946. Il avait 11 ans. Quand il demande à Sonny Boy Williamson II, c’est-à-dire Rice Miller, de lui montrer des trucs à l’harp, Rice l’envoie promener, «Motherfucker, you too dumb and stupid», et quand Junior insiste, Rice sort une lame. Dégage ! Puis Muddy prend Junior sous sa protection, devant un juge. Il se porte garant pour Junior qui allait droit au placard après une sale bagarre. Quand ils sortent du tribunal, Junior veut monter dans un bus et Muddy lui ordonne de monter dans sa bagnole. Junior renâcle, «Pas question, j’ai des trucs à faire», et il bouscule Muddy qui sort un flingot. Alors Junior obéit et monte dans la bagnole - That’s when I knew I had a daddy - C’est dire à quel point Muddy est une figure centrale de cette scène. Junior va bien sûr habiter chez Muddy. Geneva et Mud lui demandent un petit loyer et quand Junior apprend que d’autres mecs logent gratis, il sort une lame pour menacer Muddy. Fatale erreur. Muddy ne cille pas. Il se lève et bam, il gifle Junior. Puis il l’attrape par le colback et lui dit : «Je vais tellement de démolir la gueule que tu ne pourras plus jouer d’harp.» Alors Junior s’est calmé. Buddy ajoute que Junior avait un autre problème : il croyait que James Brown lui avait volé son thunder

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             Le dernier album en date du grand Buddy s’appelle The Blues Don’t Lie. Tout un programme. Il commence par dire qu’il laisse sa gratte parler à sa place avec «I Let My Guitar Do The Talking», un heavy blues de haut vol. Il raconte son enfance en Louisiane - I made my own rules - Et Buddy monte tous les étages de la démesure. Quel déluge de son, les amis ! Même Noé n’en reviendrait pas. Ça grouille de coups de génie sur cet album, tu vas commencer à te gratter avec «Symptoms Of Love», big boogie down. C’est là qu’il fait la différence. Il gratte ses gros poux sur sa Strato à pois, c’est solide et bien enfoncé du clou, il bourre sa dinde, le wild Buddy. Il est bien plus rock que ne le seront jamais les petits culs blancs. Tu te grattes encore avec «Well Enough Alone», il y va à coups de mojo et de black cat bone et il t’explose l’heavy boogie blues. Il dicte sa loi. Il redore le blason du Black Power. Il est plus funky avec «What’s Wrong With That». Il est assez extraordinaire, car il a tout le son du monde - Please tell me what’s wrong with that - Il veut savoir - I’ve been around the bush - Il connaît la chanson, ne prend pas Buddy pour un con ! Bobby Rush chante en lead et il se tourne vers son buddy Buddy : «Buddy Guy play some guitah for me !». Alors Buddy plays some guitah. Il passe ensuite au big boogie avec «House Party» - It’s Buddy Guy time - Il joue son va-tout de géant. Il est imparable par nature. Et par excellence. «Sweet Thing» sonne comme un heavy blues d’extasy, Buddy ramène de la pulpe dans le son, il gratte du jus, c’est plein comme un œuf, c’est l’heavy blues de la perfection. Grosse intro pour «Backdoor Scratching» et te voilà fixé par la fixture. Buddy se balade comme un crack. Et dans «Rabbit Blood», il te balance ça : «I swear the girl’s got rabbit blood/ I met no woman can do me like she does.» Il a génie du blues. C’est là que se joue son destin. On monte encore un cran dans l’apothéose avec le genius swing de «Last Call», il te groove le jive sans frémir et il termine ce round-up avec une glorieuse cover de «King Bee», il la tape à coups d’acou et à coups de Girl I can buzz around your hive. Sexe pur en hommage à un autre géant, Slim Harpo.

    Signé : Cazengler, Guy mauve

    Buddy Guy. This Is The Beginning. P-Vine Records 2001

    Buddy Guy. The Complete Chess Studio Recordings. MCA Records 1992

    Buddy Guy & Junior Wells. Play The Blues. Atlantic 1972

    Buddy Guy & Junior Wells. Live In Montreux. Black & Blue 1978

    Buddy Guy. The Blues Don’t Lie. RCA 2022

    Buddy Guy & David Ritz. When I Left Home. My Story. Da Capo Press 2012

     

     

    L’avenir du rock

     - Lemon incest

     (Part Three)

             Boule et Bill interpellent l’avenir du rock :

             — Ça fait trois fois que tu ramènes les Lemon Twigs, avenir du rock. Tu ne crois pas que t’exagères un peu ? T’as vraiment décidé de nous prendre pour des cons ?

             — Si vous écoutiez les albums, vous ne feriez pas ce genre de remarque. Vous seriez comme moi impatient de voir arriver le Part Four.

             — Pffffff, non seulement t’es un gros con, mais en plus, t’es prétentieux.

             — Noël Godin te traiterait même de pompeux cornichon, avenir du broc !

             — T’es pédant comme un phoque, avenir du troc. Tu serais pas fils unique par hasard ?

             — Mon cher Boule, tu me fais penser à une copine dont la laideur morale n’avait d’égale que sa laideur physique, mais lui dire, ça aurait pu certainement la blesser, alors que toi, tu survivrais à tout, même à ta propre vacuité. Tu me fais pitié, mon pauvre ami.

             — Oui, mais quand même, un Part Three sur les Lemon Twigs, c’est du rabâchage, dans le contexte d’une rubrique censée trier le bon grain de l’ivresse...

             — Pas l’ivresse, Bill, l’ivraie. Si tu veux qu’on discute un peu, apprends à parler le français.      

             — Boule a raison, t’as rien compris, avenir du rôt ! Tu te prends pour le nombril du monde. L’ivresse ! J’aurais pu te dire livresque ! Ou levrette, comme Limon qui lime ton twat de Twig !

             Boule embraye aussi sec :

             — Ou Lemon de Venus qui tweete une twarte à la crème !

             — Ou Limon du delta sous la twante de Twiggy !

             Boule et Bill rient de bon cœur. Ils sont très fiers d’avoir réussi à fermer le clapet de l’avenir du rock. Quelle sera leur prochaine étape ? Le diable seul le sait.

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             Si tu cherches les héritiers de Brian Wilson et des Beatles, pas compliqué : ils s’appellent The Lemon Twings. Leur nouvel album A Dream Is All We Know grouille de preuves.

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    La première preuve s’appelle «My Golden Years». Alors attention, ça part en mode wild pop drivée de main de maître, ça reste incroyablement tendu de bout en bout, monté sur un beat glorieusement turgescent et boom, ça se termine en final à la Brian Wilson. Chez les frères D’Addario, ça éclot de bout en bout. Tu veux encore du pur Beach Boys sound ? Alors saute sur «In The Eyes Of The Girl». The most perfect Wilson sound depuis Brian Wilson. Ils ré-explosent un univers déjà explosé, celui de la grande pop harmonique. Stupéfiant ! Qui aurait cru ça possible ? Tu veux les Byrds ? Alors saute sur «If You & Me Are Not Wise». Ils descendent en profondeur dans l’excellence des Silver Sixties, ils ramènent même le jingle jangle. Cet album des Lemon Twigs est sans le moindre doute le plus bel album sixties du XXIe siècle. Les frères D’Addario ré-allument tous les brasiers fondateurs : Beatles, Byrds, Beach Boys. Tu veux les Beatles ? Alors saute sur le morceau titre. Ça passe en force au All I know. C’est extrêmement Beatlemaniaque, ils réincarnent le génie de John Lennon. Là tu touches du doigt le real deal. Les frères D’Addario ont ce type de talent magique. Avec «How Can I Love Her More?», ils persistent tellement qu’il tapent dans un au-delà de la pop communément admise. Ils flirtent même avec le glam dans «Rock On (Over & Over)». Ah ils savent driver un stomp d’heavy glam, pas de problème, ils t’éclatent ton pauvre petit Sénégal et même ta copine de cheval. Ils sont fabuleux d’à-propos, mais le cul entre deux chaises, le glam et le «Do It Again» des Beach Boys de l’âge d’or. Encore de la magie pop dans «Peppermint Roses». C’est inspiré à pleins poumons.

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             Comme un bonheur n’arrive jamais seul, les voilà sur scène, Brian D’Addario sur une douze rouge pailletée qui sent bon les Byrds et tout le tintouin, et son frangin Michael sur une Ricken pour l’anglicité des choses de la vie, et là, franchement, t’as tout, absolument TOUT : le son, la classe, l’âge d’or des sixties, le punch, les harmonies vocales, l’anti-frime, la fraîcheur de ton, l’énergie, les boots, la virtuosité de bon escient, la basse Hoffner et même les monster drives de McCartney, les killer solo flash, les hits, à commencer par «My Golden Years», la magie scénique, les sauts en l’air,

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    le mouvement perpétuel, les Byrds («If You & Me Are Not Wise»), les Beatles («A Dream Is All I Know»), la magie pop («Peppermint Roses», exactement comme sur l’album), t’as aussi les mélodies, les intrications, les mics-macs d’arpèges à la Roger McGuinn, le sens du boogie («Rock On»), un professionnalisme à toute épreuve, en un mot comme en cent, t’as sous les yeux des superstars.

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    Zéro temps mort. Effervescence à tous les étages en montant chez Kate. Ils sont tellement brillants qu’ils dépassent un peu les bornes, t’es en permanence aveuglé par leur éclat, ils amènent la pop à un niveau jusque-là réservé aux Byrds, aux Beatles, aux Beach Boys et à Todd Rundgren. Et ils semblent le faire avec une facilité déconcertante. Ils évoluent sur scène avec des pieds ailés, et quand Brian attaque un drive de basse sur l’Hoffner, il carapate ses notes à coups de médiator, jouant deux fois plus de notes que n’en joua jamais McCartney. Et pour ce mec à peine sorti de l’adolescence, c’est encore un jeu. Il joue le visage couvert de cheveux, avec un sourire quasi-permanent.

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    Son frère Michael adore faire rigoler la salle. Il casse corde sur corde sur sa Ricken et continue sur une Tele. Ils font aussi tourner les instrus. Michael bat le beurre sur trois/quat’ cuts et il n’en finit plus de faire rouler les baguettes entre ses doigts. Tout n’est qu’un jeu. Le Grand Jeu. En 90 minutes, ils font le grand tour de la grande pop, la seule qui vaille, celle d’avant, cette pop magique qui n’a jamais pris une ride et qui n’en prendra jamais. L’extraordinaire complicité des d’Addario brothers te bluffe.

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    Comme les frères McDonald (Redd Kross), ils perpétuent une tradition instaurée par les frères Wilson et les frères Davies, qui est celle d’un brotherhood magique. En rappel, Brian revient jouer trois/quat’ cuts en acou, dont le fabuleux «Corner Of My Eye» tiré d’Everything Harmony, et que certaines personnes reprennent en chœur dans la salle. Pur showmanship à la John Lennon. Puis ils finissent en apothéose avec l’effarant «How Can I Love Her More» et une intrépide cover du «Runaway» de Del Shannon. Tu sors de là transformé.   

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             Ça crache des flammes dans les canards anglais : James McNair fait quatre pages de Lemon Twigs dans Mojo, et Jon Mojo Mills deux dans Shindig!. Les frères d’Addario n’en finissent plus de clamer leur allégeance aux Beatles et aux Beach Boys. On les traite d’ailleurs de Mersey-Beach. Ça fait bien marrer les deux frères - We love the simplicity of the Beach Boys sound, which was a combinaison of Chuck Berry and The Four Freshmen - Jon Mojo Mills les qualifie aussi d’«unstoppable». Sur scène, ils sont accompagnés par Reza Matin des Uni Boys, et un vieux copain, Danny Ayala. Michael D’Addario compare d’ailleurs Reza Matin à Bev Bevan, le beurre des Move. Pour Mills, «My Golden Years» sonne comme du «12-string Beatles meet Beach Boys with a dose of The Monkees and The Raspberries». Michael d’Addario cite aussi «a few key examples», «everything Zombies, The Stones’ ‘She’s A Rainbow’, The Left Banke.» Mills retrouve du Turtles dans «How Can I Love Her More» et Roy Wood dans «Church Bells», à cause du cello. Michael cite aussi Amen Corner, puis les Flying Burritos Brothers, The Mirage et The Notorious Byrds Brothers. Et Mills de conclure, affolé de bonheur : «The Lemon Twigs are the ultimate Shindig! band. Don’t miss this album. It won’t let you down.»  

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             McNair tape sensiblement dans le même registre : il les dit «beloved of Todd Rundgren, Colin Bluntstone and Big Star’s Jody Stephens», trois superstars qui les ont réclamés sur scène.  Michael et Brian se disent alarmés par le temps qui passe - The album is aiming for something timeless - Comme les Beatles, les Byrds et les Beach Boys avant eux, ils cherchent à enregistrer une pop intemporelle - Les gens qui ont enregistré nos albums favoris y ont mis beaucoup de soin. The Beach Boys being the absolute pinacle of that. That’s what we’re chasing - Et voilà qu’ils évoquent des albums solo à venir, Gifts - a goofy Fith Dimension/Jimmy Webb-style collaboration with Sean Lennon - un flexi-disc qui sera distribué gratuitement, et puis un album du père, Ronnie d’Addario, avec Todd Rundgren et le fils d’Al Jardine. Quand les frères d’Addario ont accompagné Todd sur scène en 2017, c’était pour eux comparable aux Teenage Fanclub accompagnant Alex Chilton - Your heroes love it when you’re a young band and you can just nail it - Le mot de la fin revient à une certaine Nathalie Mering : «Les Lemon Twigs ne sont pas vos typical hipsters. Ils essayent de créer des great pop songs dans un monde où tout le monde croit que tout a déjà été fait, et de leur part, c’est pretty brave, c’est-à-dire très courageux.»

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Lemon Twigs. A Dream Is All We Know. Captured Tracks 2024

    James McNair : The Lemon Twigs. Mojo # 366 - May 2024

    Jon Mojo Mills. Sweet Vibrations. Shindig! # 150 - April 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Si Pete a ri, Molinari aussi

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             D’une certaine façon, l’avenir du rock préfère les gens qui rient à ceux qui pleurent. Il préfère les joyeux drilles aux bouches d’ombre et aux figures de cire du Musée Grévin, il préfère les Rabelaisiens et les boute-en-train aux épluchures humaines qui s’abreuvent de journaux télévisés et d’actualité politique, il préfère les hilares et les zutiques aux têtards desséchés et aux virtuoses de la déconvenue. D’un côté le pas ailé et de l’autre la semelle de plomb, d’un côté le verre à moitié plein et de l’autre le verre à moitié vide, d’un côté dix commandements dont le premier dit : «Tu riras tant que tu vivras», et de l’autre, dix commandements dont le premier dit : «Tu ne riras point», d’un côté le gardon et son écaille étincelante, de l’autre la tanche huileuse de vase puante, d’un côté l’aube de la vie et de l’autre le poids des ans, d’un côté «Je ris de me voir si belle en ce miroir», et de l’autre «Ô rage ô désespoir» et son corollaire en forme de train de marchandise, «N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?», d’un côté le blanc des robes de printemps, et de l’autre le noir usé des mises de Presbytériens aussi calvitiés que calvinistes, d’un côté Hulot et de l’autre Godot, d’un côté tu mouftes et de l’autre tu ne mouftes pas, d’un côté chatouille-moi et de l’autre torture-moi, d’un côté Louis Armstrong et de l’autre les champs de coton, d’un côté le flatteur, c’est-à-dire Maître Renard, et de l’autre le flatté, c’est-à-dire Maître Corbeau, d’un côté la paix et de l’autre la guerre, d’un côté la liberté et de l’autre le profit, d’un côté Jean-qui-rit et de l’autre Jean-qui-pleure, d’un côté la Vache qui rit et de l’autre les abattoirs, d’un côté la mare aux canards et de l’autre le magret de canard, d’un côté les Oies du Capitole et de l’autre le foie gras et cet immonde corollaire que sont les grosses rombières réactionnaires, d’un côté le carrosse de Cendrillon et de l’autre le 4x4 dernier cri, d’un côté Charlot et de l’autre Hitler, d’un côté Moonie et de l’autre Thatcher, d’un côté l’horizon et de l’autre la tombe. Mille raisons pour lesquelles l’avenir du rock apprécie tant Pete Molinari.

             Qu’on ne se méprenne pas : Pete Molinari n’est pas un comique, même si par sa consonance, son nom laisse supposer le contraire. Pour l’avenir du rock, ça tombe sous le sens : Pete a ri, alors Molinari aussi. C’est du tout cuit. Un tout-cuit dont il aurait une (fâcheuse) tendance à abuser. N’étant pas d’une nature à se réfréner, l’avenir du rock y va de bon cœur.

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             Ben Graham y va aussi de bon cœur. Zou ! Quatre pages dans Shindig!. Pour dire quoi ? Pour dire qu’il forge «a musical triumph from the ashes of disillusionment.» Pas mal, le Ben. Un Ben qui indique en outre que Molinari s’est installé à Los Angeles avec sa femme Mila, la danseuse brésilienne. Originaire du Kent, Molinari se dit surtout américain, à cause de Dylan, Hank Williams, Leadbelly, Woody Guthrie and Billie Holiday. Il a commencé par s’installer à New York puis il est allé enregistrer Just Like Achilles à Los Angeles, histoire de s’enraciner dans le mythe de Laurel Canyon. Puis il est reparti à Rome enregistrer Wondrous Afternoon pour se ressourcer dans Motown et Burt. Il indique au passage que son père écoutait de l’opéra et il a grandi avec Maria Callas et Pavarotti, ceci expliquant cela. De père égyptien et de mère maltaise, with an Italian heritage, le p’tit Pite s’est retrouvé au carrefour des cultures. Mais ses principales influences sont ce que le Ben appelle «classic Soul music» : Motown, Stax, Burt Bacharach, Phil Spector, d’où l’idée de laisser tomber Dylan et de faire un album plus Soul avec Wondrous Afternoon.

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             Délicieuse galette de plastique noir ! Un style c’est sûr. Casquette pied de poule, lunettes noires et manteau en léopard, une espèce de mix Dylan 65/Flaming Groovies. Groove et voix de nez dès le morceau titre. Tu prends immédiatement ta carte au parti. «Wondrous Afternoon» sonne comme une ravissante Beautiful Song. Tu ne peux pas te tromper : le p’tit Pite sonne comme un élu. L’autre merveille événementielle se niche en B : «Always Letting Go». Pop de haut niveau, avec un groove aventureux. C’est d’une justesse infernale - Love is always letting go - «Cezanne Cezanne» ne concerne pas le peintre, mais une gonzesse qui s’appelle Cezanne. Avec «Narcissus», il va plus sur le r’n’b - Narcissus is your second name - Le balda est une chef-d’œuvre de groovytude, «Only When I Love» balance entre deux mers, et avec «You’re Poetry To Me», il prêche la paix sur la terre. Il te berce littéralement. Le p’tit Pite adore le groove. C’est un bec fin. Il reste poppy mais judicieux.

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             Comme il a grandi dans le Medway Delta, patrie des garagistes britanniques, il était logique que son premier album, Walking On The Map, soit produit par Wild Billy Childish «in the latter’s Chatham kitchen.» Le p’tit Pite était gosse quand Billy tournait «with his bands and stuff». Le p’tit Pite n’est pas une oie blanche. Il allait chez Billy lire ses books de poésie. L’album Walking On The Map date de 2006. C’est un énorme hommage à Bob Dylan. Le p’tit Pite fait du Dylanex pur et dur, au sucre insistant. Tout est monté sur les coups d’harp et tout est chanté avec une pince à linge sur le nez. Le p’tit Pite se prend clairement pour le nouveau Dylan. Bizarre que cet album sorte sur Damaged Goods qui est un straight label gaga. Le p’tit Pite remet sa pince à linge pour attaquer «The Ghost Of Greenwich Village». Il tape en plein dans la mythologie dylanesque. Il arrose «I Just Keep It Inside» de gros coups d’harp. Le pied de poule de son cache-col en laine renvoie bien sûr au costard pied de poule que Dylan portait à l’Albert Hall en 1965. Le p’tit Pite bascule de plus belle dans son délire dylanesque avec «The Ballad Of Bob Montgomery». Le pire, c’est qu’il en a les moyens. Il se veut insistant et tape en plein dans le mille. Il s’amuse avec un yodell de bonne franquette dans «What Use Is The Truth To Me Now», ce mec est superbe, il soulève de très vieilles vagues de fake Americana. Molinari aurait-il du génie ? Oui, de toute évidence. Tout chez lui sonne vrai : les coups d’harp, le gratté de poux, le chant pincé, il tape en plein dans le mille. Il frise parfois le ridicule («Alone & Forsaken»), mais on l’écoute. Il chante «A Lonesone Episode» d’une voix de canard, franchement si ce n’était pas écrit «Molinari» sur la pochette, on croirait entendre Dylan. Il n’en démord pas, jusqu’au bout de l’album, il reste en plein dedans, même ampleur de routine, même moteur artistique, même empreinte digitale.

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             Sur A Visual Landcape paru deux ans plus tard et enregistré chez Toe Rag, on retrouve du Dylanex : «One Stolen Moment», «Look What I Made» et «Sweet Louise» tapent en plein dans la mythologie. Le p’tit Pite doit être obsédé. Il y va à l’Absolutely Sweet Louise, clin d’œil appuyé à l’Absolutely Sweet Mary. Il refait sa fake Americana avec «Dear Angelina», pur jus de Tex-Mex d’El Paso à la Doug Sahm, c’est de bonne guerre. Et puis, voilà les coups de génie, à commencer par «It Came Out Of The Wilderness», fabuleux shoot d’exaction sucrière. Il a une voix très pointue, et derrière ça sonne comme au temps du Bringing It All Back Home. Terrific ! Vraie profondeur de champ, il ramène du génie dylanesque dans sa fière allure. C’est très métabolique. Encore de la profondeur de champ sur «Adelaine», et retour au grand art avec un «I Don’t Like The Man That I Am» beau et tendu. Oui, il a un truc, le p’tit Pite, avec son inside my head. Il est franc du collier - I can’t love you/ Cause I don’t like the man that I am - Sa franchise l’honore.

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             Avec A Train Bound For Glory, ses albums commencent à sonner comme des albums classiques. On le voit swinguer la pop-rock de «Streetcar Named Desire» avec une insolence de coming back again, les chœurs font shut up, shut up, c’est extraordinaire de bravado, et les vents de la ville emportent les poux qu’il gratte. Il renoue avec l’éclat de Streetcar dans «Willow Weep For Me». Le p’tit Pite la joue fine, il sait gérer les small dynamiques et il chante d’une superbe voix de canard. Quel artiste ! Encore plus musculeux, voici «Little Less Loneliness». Il shake son hip d’hipster, ça swingue sous le galure, le p’tit Pite est un fantastique mover shaker. Nouveau coup de Jarnac avec «New York City» tapé au heavy piano. Ptoufffhhh ! Il y va à l’heavy dumb d’I alive in New York City. Quelle débinade ! Il fait du power bananas. Il repique une petit crise de Dylanex avec le morceau titre. On se croirait sur Another Side Of Bob Dylan.

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             Il revient en force en 2014 avec Theosophy. L’album grouille de puces, tiens comme par exemple l’«Hang My Head In Shame» d’ouverture de bal, chanté à la voix de fiotte trempée d’écho, mais c’est énorme, bien balancé, c’est du Molinari de big time, avec son éclatante foison de poux. Il chante d’une voix d’escalope fine, c’est très spécial. Il faut s’y habituer. Attention à «Evangeline», car c’est du wild as fucking fuck. Sa voix colle bien au stomp. Le p’tit Pite sait claquer l’heavy pop d’un hit. «I Get It All Indeed» sonne un brin Velvet, t’as là un balladif sur-vitaminé embarqué à l’up-tempo. Il oscille parfois entre le Dylanex et la féminité («When Two Worlds Collide»), le p’tit Pite est un mec curieux et attachant. Il flirte en permanence avec le génie pop, comme le montre encore «What I Am I Am». il recherche l’effet Totor/Brill, il a cette volonté de vaincre à coups de Sweet Lord. Encore du rentre dedans avec «Mighty Son Of Abraham». C’est même assez religieux. Shindig! a raison de lui dérouler le tapis rouge. Ce furet de p’tit Pite fout son nez partout : le voilà dans l’heavy blues avec «So Long Gone». Il termine cet excellent album avec «Love For Sale», couché sur canapé d’heavy Sound. Il taille vraiment bien sa route. Il sait mettre son côté voix de fiotte en valeur et en faire un atout, une sorte de sucre avarié, un peu divin.

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             Paru en 2022, Just Like Achilles est un tout petit moins dylanesque que ses prédécesseurs. La seule trace de sa passion dévorante pour le grand Bob se trouve dans «Steal The Night». Il y ramène les deux mamelles dylanesques, la voix et le sens mélodique. Pour le reste, il cultive sa belle aisance du singalong. Il est si parfaitement à l’aise, il faut le voir chanter à l’encan dévolu ! «I’ll Take You There» est plus enjoué, plus orienté vers les hit-parades. Mais au fil du balda, on sent qu’il peine à fournir. Comme s’il se tarissait en s’éloignant de Dylan. Alors il y revient avec «Waiting For A Train». Il ouvre sa B avec la pop pure et fraîche de «You’ve Got The Fever», une vraie fontaine de jouvence. Et plus loin, il nous cale son morceau titre, un joli shoot de pop molinariste gorgeous et bien enlevée.

    Signé : Cazengler, Pete Molinaridicule

    Pete Molinari. Walking On The Map. Damaged Goods Records 2006

    Pete Molinari. A Visual Landcape. Damaged Goods Records 2008

    Pete Molinari. A Train Bound For Glory. Clarksville Recordings 2010

    Pete Molinari. Theosophy. Cherry Red 2014

    Pete Molinari. Just Like Achilles. Blind Faith Records 2022

    Pete Molinari. Wondrous Afternoon. Blind Faith Records 2023

    Ben Graham : Restless Soul. Shindig! # 145 - November 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Un flirt avec les Flirtations

             Pour un flirt avec Fleur/ Je ferais n’importe qui/ Pour un flirt/ Avec Fleur. C’est en quelque sorte la chanson qu’on aurait pu chanter cette nuit-là. Le hasard qui fait toujours bien les choses avait rassemblé une équipe de fêtards autour d’une pompe à bière, quelque part au centre de la douce France/ Doux pays de mon enfance. Nous étions tous invités dans le cadre d’une université d’été. Mes universités/ C’était pas Jussieu/ C’était pas Censier/ C’était pas Nanterre, non c’était encore autre chose, en tous les cas, la pompe à bière était gratuite et les gens n’envisageaient pas d’aller coucher au panier. Grosse ambiance, sauvagement encouragée par la gratuité des choses. Tout le monde en avait comme on dit dans les bars ‘un sacré coup dans la gueule’. Alors ça rigolait et ça titubait, comme au temps des fêtes païennes, lorsqu’on s’abreuvait aux amphores. On se faisait des réflexions stupides du genre «oh j’ai jamais bu autant de bière», mais on s’amusait surtout à voir jusqu’où on pouvait aller trop loin. On causait avec les ceusses qui nous causaient, on rigolait d’un rien et puis soudain, un petit bout de femme surgit de nulle part pour engager la conversation. «On se connaît !». «Ah bon ?». Elle relata les circonstances. «Mais oui bien sûr !». Souvenirs d’une autre fête. Ses souvenirs étaient précis. Petite, cheveux teints en rouge, d’obédience punk, elle semblait parfaitement à l’aise dans la gestion des conversations prévues pour durer des heures, blih blih blah blah, et comme on se trouvait juste à côté de la fontaine de jouvence, on se ravitaillait mécaniquement. Elle ne disait jamais non, au contraire. Lady Fleur tenait remarquablement bien le choc. Admirable ! Elle semblait contrôler sa déliquescence cérébrale. Aussi increvable que la fontaine magique qui n’en finissait plus de transformer cette fête en beuverie dionysiaque. Lady Fleur chopait un titubeur de temps en temps pour me le présenter, Je suis sous sous sous/ Sous ton balcon/ Comme Roméo ho ho, ah comme on s’amusait bien en ce temps-là, un temps que les jeunes de vingt ans/ Ne peuvent pas connaître. Elle disparut au lever du jour. Et bien sûr, le fût de bière rendit l’âme. Il restait heureusement quelques bouteilles de vin sur la desserte.

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             À une autre époque, on chantait Pour un flirt avec les Flirtations, ce qui revient au même. Il s’agit de la magie des rencontres. Les Flirtations avaient en ce temps-là un hit faramineux, «Nothing But A Heartache», qui fédérait tous les états. Comme P.P. Arnold, ces trois blackettes américaines eurent l’idée géniale de faire carrière à Londres.

             Originaires de Caroline du Sud, Earnestine et Shirley Pearce montèrent les Flirtations en 1964 avec l’Alabamienne Viola «Vie» Billups. Vie commence par dire qu’elles sont bien meilleures que les Supremes, et comme elle a flashé sur les Beatles, elle dit aux sœurs Pearce qu’il faut aller à Londres, car c’est là que ça se passe.

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             Dans Shindig!, Andy Morten leur accorde huit pages, un vrai traitement de faveur ! Il rappelle que Vie tenait la barre. Elle savait que les Flirtations étaient énormes, alors direction London. Là au moins elles pourraient s’imposer. Elles débarquent en 1967, en plein Swinging London. C’est lors de leur deuxième voyage à Londres qu’elles s’installent dans un hôtel à Bayswater. Elles ont quelques contacts, dont l’agent des Foundations, this guy Rod, qui les amène chez Barry Class, le manager des Foundations. En sortant de chez Class, elles croisent Wayne Bickerton et Tony Waddington qui leur demandent si elles sont chanteuses.

             — Yeah !

             — Wait a minute !

             Bickerton les ramène chez lui et sa femme Carol leur chante les cuts qu’il compose avec Waddington. Ils ont des hits à leur proposer. Et quels hits ! Comme Bickerton est A&R chez Deram, il présente les Flirtations à son boss Dick Rowe qui les adore et qui les signe aussi sec. En 1968, elles ont déjà un contrat chez Deram, un producteur et des compos de tous les diables. Dès le lendemain, elles entrent en studio avec la crème de la crème du gratin habituel, Big Jim Sullivan, Herbie Flowers.

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             Les Flirtations furent d’une certaine façon les petites reines de la Northern Soul à domicile. Leur album Nothing Like A Heartache paru en 1969 s’appelle aussi Sounds Like The Flirtations. Pour parler crûment, c’est une bombe, mais une bombe particulière : une bombe de Soul anglaise dopée au big sound et bardée de chœurs d’écho à l’anglaise. Pour Andy Morten, c’est l’album parfait : «12 tracks that ooze class and sophistication.» Quelle classe ! Le morceau titre t’emporte aussitôt la bouche. Tu assistes à l’éclosion du good old fucking genius en plein cœur du Swinging London - Perfect combination of acid rock and sweet Soul - C’est Earnestine qui chante lead. Et ça continue avec «This Must Be The End Of The Line» et une prod extraordinaire de Wayne Bickerton, avec des trompettes. On reste dans le son Bickerton avec «Stay», l’absolute beginner des Flirts, elles t’alignent le Stay sur une harmonie vocale forcée vers le haut. Comme on l’avait déjà constaté avec Sharon Tandy, le son anglais peut être explosif. Nouvelle dégelée avec «How Can You Tell Me?», c’est Motown avec le freakbeat anglais. Power blast ! Elles te jerkent encore «Need Your Loving», elles sont comme bombardées au sommet, tu n’as même plus le temps de chercher tes mots, tellement ça palpite dans la marmite. Motown à la puissance dix ! Big beat so far out ! Tout est bourré de son jusqu’à la gueule, comme on le dit d’un canon.

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    Cet album est une totale apocalypse d’excelsior. Il pleut du son, petite bergère ! Range tes blancs moutons ! Ça monte encore d’un cran avec «Once I Had A Love», elles se cognent au plafond du haut de gamme, elle te clament tout à la clameur. Même plan que P.P. Arnold avec «Love Is A Sad Song». Soul de rêve en Angleterre. Elles pulsent jusqu’au délire. Si par bonheur tu as chopé la red RPM, tu vas t’étrangler avec des bonus de rêve : «Keep On Searching» et «Everybody Needs Somebody», tous les deux tapés à l’anglaise, au wild rocking blast, avec les voix des filles de Motown, c’est extrêmement vivace, elles chantent comme des folles et ça vire glam ! Elles tapent l’Everybody au power extra-sensoriel, dans un délire de violonades, le son claque à un point qu’on n’imagine même pas. Nouveau mélange de Motown et d’UK power.

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             Elles ont trois pages dans Uncut pour évoquer leurs souvenirs de débutantes, et plus précisément l’enregistrement du morceau titre de Nothing But A Heartache (aka Sounds Like The Flirtations). Earnestine commence par rappeler qu’il y avait trop de girl groups aux États-Unis. Elle dit aussi que Vie adorait les Beatles. D’où l’idée d’aller tenter le coup à Londres. Vie prend la parole : «So a wild woman like myself turned up and said ‘Let’s get on that plane.’» Tony Waddington qui va flasher sur elles donne d’impressionnantes précisions : «Earnestine is mezzo soprano, Shirley is more mezzo and Vie is contralto, so that makes for a good harmony, very solid.» Il ajoute que la voix d’Earnestine «really cuts through the mix.» Après la rencontre avec Tony Waddington & Wayne Bickerton, vient la session d’enregistrement chez Decca. Elles enregistrent live. Earnestine est frappée par la qualité des musiciens : Big Jim Sullivan et Herbie Flowers, «some of the best session players in London», confirme Shirley. Waddington explique que les hits américains sonnaient bien à l’époque, car les musiciens étaient des pros, alors qu’en Angleterre, les musiciens étaient des amateurs. C’est pourquoi il voulait des pros en studio. Il voulait les meilleurs. Elles vont devenir des petites reines de la Northern Soul et chanter au Wigan Casino.  

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             Viola «Vie» Billups se barre en 1971 pour démarrer une carrière solo sous le nom de Pearly Gates. Misty Browning la remplace, bientôt remplacée par Loretta Noble. En 1975, les sœurs Pearce et Loretta Noble enregistrent Love Makes The World Go Round qui reste un honnête album, même s’il est parfois un peu diskö-poppy. Un cut comme «Like Sister & Brother» n’aura jamais aucun impact sur l’avenir du genre humain. Il faut attendre le bout du balda pour trouver enfin du big flirt des Flirtations : «Lover Where Are You Now». Et en B, elles refont du pur Motown avec un «Mr. Universe» vraiment digne des Supremes, belle stature artistique et grosse emprise. Plus loin, elles renouent avec la grosse Soul orchestrée («One Night Of Love»). Elles chantent toutes les trois à pleine voix. Elles savent se montrer dynamiques et pleines d’allure. Même si «Trial By Fire» sonne comme de la Soul classique, elles brûlent de désir et montent bien à l’assaut.    

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             Par contre, Pearly Gates devient une petite Dancing Queen avec On A Winning Streak. C’est un album d’heavy diskö, elle ne fait pas dans la dentelle. Elle a même des cuts qui sonnent comme du late Motown («Lifting Go Of The Pain»). Avec «Whirlpool», elle fait de l’heavy r’n’b à la mode, mais chanté au power pur. Elle suit les évolutions disons commerciales de l’époque. Elle jette dans la balance tout son poids de vieille Soul Sister. Et voilà qu’elle fait son Esther Phillips avec «Days In New York». Superbe shoot de diskö de charme. Du coup, on dresse vraiment l’oreille. Elle tente chaque fois le tout pour le tout, elle est très sportive. «Stop For Love» sonne encore comme la diskö des jours heureux. Elle fait une cover de l’«Ain’t That Peculiar» de Smokey, puis rend hommage à Leiber & Stoller avec une cover de «Dancing Jones», et revient à sa chère hard diskö avec «You’ve Got It». Une chose est certaine : tu ne restes pas assis sur ta chaise. Trop content de danser avec Vie Billups. Bon, il y a aussi un DVD dans l’emballage, mais il doit être destiné aux vrais fans de diskö.

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             Le croiras-tu ? Les Flirtations refont surface cette année avec un extraordinaire come-back album, Still Sounds Like The Flirtations, titre qui fait écho au Sounds Like The Flirtations. Elles sont là toutes les trois, Earnestine Pearce, lead vocals, sa frangine Shirley et Viola Billups aux backing vocals. Attention, les trois premiers cuts flirtent avec des tendances diskoïdales, et elles passent aux choses très sérieuses avec «Memories», beaucoup plus r’n’b, et là ça devient passionnant, elles te développent le Memories avec des clameurs idoines. Ça devient fameux avec «You Don’t Live Here Anymore», elles l’ultra-chantent et font du Black Power en féminin. Ça éclate encore au Sénégal avec «(Keep Chasing) Blue Skies», elles renouent avec l’âge d’or des sixties, c’est une véritable merveille inconditionnelle, un must de real deal. Tu crois qu’elles vont se calmer ? Non, car voilà «Take It Back», un wild r’n’b, du pur Motown sous amphètes, elles y vont à l’I need you to prove it, elles t’explosent la rondelle des annales de Motown. Quelle aventure ! Elles montent encore d’un cran avec «No One Does It Like You», c’est admirable de véracité Soul, Earnestine chante comme la reine de Nubie, elle donne à ses accents une couleur écarlate et chaude, elle fait dérailler des syllabes dans le bonheur, l’art d’Earnestine te transporte, il faut l’entendre groover son ouh-ouh ouhhouhh, t’as l’impression de vivre un moment historique. Elle monte encore sur ses grands chevaux pour «Life Is Like A Mountain» - Don’t give in - Elle rue dans le rumble. Les Flirtations sont dans le vrai à un point qui dépasse l’entendement. Earnestine appuie encore ses syllabes dans «Thought I Knew You». Elle donne tout ce qu’elle a dans le ventre.

    Signé : Cazengler, fleurt fané

    Flirtations. Sounds Like The Flirtations. Deram 1969

    Flirtations. Love Makes The World Go Round. RCA Victor 1975

    Pearly Gates. On A Winning Streak. Night Dance Records 2010

    Flirtations. Still Sounds Like The Flirtation. Cargo Records 2024

    Nothing but a heartache. Uncut # 329 - September 2024

    Andy Morten : Walking down a street in London. Shindig! # 133 - November 2022

     

     

    Holiday on Ace

     - Part One

     

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             Les gens d’Ace font bien les choses. C’est même, dirons-nous, communément admis. Personne n’oserait dire le contraire. Ce postulat a la peau dure. Il avoisine désormais les cinquante ans d’âge. On parle d’Ace comme on parlait de la Bible au moyen-âge : la voie du salut, et en même temps la mère de tous nos vices. 

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             Histoire de re-défrayer une chronique qui n’en peut plus d’être défrayée, les gens d’Ace lâchent dans la nature quatre compiles en forme de bêtes fauves : The Best Of Ace Rockabilly va dévorer les fans de rockab, The Best Of Ace-Sixties Garage Punk va dévorer les derniers fans de gaga-punk, This Is Mod 1960-1968 ne va faire qu’une bouchée des fans de Mod craze, et This Is Street Funk 1968-1974 va engloutir tous crus les fans de funk. Des compiles d’autant plus féroces qu’elles ne sortent qu’en vinyle, ce qui leur donne une crédibilité à toute épreuve. Tu n’approches pas un vinyle de la même façon qu’un CD. 

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             Sur This Is Mod 1960-1968, tu retrouves ce vieux chouchou d’Arthur Conley, à la fois en recto de pochette et sur la B, avec «I Can’t Stop (No No No)». Et tu as encore plein d’autres vieux chouchous, c’est comme s’il en pleuvait, enfin, façon de parler, puisque le nombre de cuts se limite à 14, ce qui n’est pas dans les habitudes des gens d’Ace qui auraient une petite tendance à en rajouter. Si tu veux jerker comme un beau diable, alors écoute James Carr et l’impavide «Coming Back To Me Baby». C’est à Clarence Carter que revient l’insigne honneur d’ouvrir le balda, avec le plus évident des ‘dancing-floor fillers’, «Looking For A Fox». Ha ha ha ha, il rit comme un ogre et tu vois ses dents briller dans la nuit. Mais au lieu de t’enfuir, tu jerkes. Le Fox de Clarence pourrait bien être l’apanage du Mod craze. Tu les vois jerker, les Mods et les Modettes, dans la boom de la dansette. Et puis t’as Jimmy Hughes qui s’amène la bouche en cœur avec un version mellow d’«Hi Heel Sneakers». C’est autre chose que celle de Jerry Lee. Jimmy Hughes est magnifique de feeling black et de tact. Et puis au bout de la B, tu tombes sur le «Talkin’ Woman» de Lowell Fulsom, sa fantastique énergie et son ha ha you’re talkin’ too much. En B, t’as deux autres superstars d’Ace complètement inconnues, d’abord Darrow Fletcher, avec «The Pain Gets A Little Deeper», il met tout le feeling du monde dans son r’n’b. C’est incroyable que Darrow soit passé à l’as. On va dire la même chose de Mary Love qui casse bien la baraque avec «Lay The Burden Down». Elle sait rocker le boat, la petite Mary, elle est fabuleuse d’à-propos black.

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             Et voici la compile rokab de Keb Darge : The Best Of Ace Rockabilly. Elle se montre digne de ton étagère. Comme Keb compile, il commente ses cuts. Il prend bien soin de rappeler qu’il faut en baver pour trouver certains singles rockab. Il remercie aussi Barney Koumis, Boz Boorer et d’autres spécialistes londoniens. Keb en pince pour le slap, alors il démarre avec le «Blue Jeans & A Boy’s Shirt» de Glen Glen, ça percute la stand-up, ça te boppe le cul. Slap toujours en B avec Hal Harris et «Jitterbop Baby» - The first Ace 45 I bought - Il précise qu’Ace l’a sorti from the Starday masters en 1978. Oh le slap ! Qualité fondamentale de la musicalité ! Bien sûr, les Wild Cats pullulent sur cet album, à commencer par Benny Ingram et «Jello Sal», puis Pat Cupp & The Flying Sauvers et «Do Me No Wrong», ça jive sec, la Cupp est pleine. En fait, le pauvre Keb n’a pas grand chose à raconter sur ses singles. Max Décharné est beaucoup plus intéressant, il sait transmettre sa fièvre. Keb flashe aussi sur le bu bu bu bu baby de Billy Barrix dans «Cool Off Baby» et il a raison, le bougre. Il rappelle aussi que Billy Barrix fut le premier petit cul blanc signé sur Chess. Cinq cuts sur quatorze, c’est déjà pas mal pour une compile rockab. C’est même mieux que rien. 

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             Sur sa lancée, Keb Darge propose une autre compile : The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Keb te claque un bon coup de Chocolate Watchband, «Sweet Young Thing», bien dru et archétypal, et qui sent bon la Stonesy. «Their best outing» nous dit Keb. Il ajoute qu’avec l’arrivée de session musicians en studio, les Chocolate allaient perdre leur magie. Au niveau des têtes connues, t’as aussi The Litter avec le Minneapolis pounder «Action Woman». Pour le côté révélatoire des choses, il faut attendre Sandy Edmonds et sa cover du «minor hit» des Pretties, «Come See Me». Il tape dans le cœur du mythe, en plus poppy. Mais t’as pas mal de cuts qui ne marchent pas : Music Machine avec «The People In Me» ou The Knight Riders avec «I». En B, Keb tape dans les trésors de Norman Petty avec Venture 5 et «Good & Bad». T’as tout de suite du son. New Mexico ! Même chose avec The Fog et «Grey Zone». Cette fois, Keb tape dans Gary Paxton, l’autre génie tentaculaire de l’underground américain. En fait, ils sont trois : Norman Petty, Huey P. Meaux et Gary S. Paxton. Même niveau de légendarité que Kim Fowley. Le «Grey Zone» que Keb a choisi t’accroche car extrêmement psyché et même assez mystérieux. Keb l’a trouvé sur la compile d’Alec Palao, Lost Innocence. Et puis t’as The Lyrics avec «They Can’t Hurt Me», qui sonne comme un hit. En bas du verso de pochette, Keb raconte ses mésaventures de collectionneur. Il se dit fier d’avoir collé sur cette compile des trucs inédits. 

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             Et puis t’as cette petite bombe atomique : This Is Street Funk 1968-1974. Atomique à cause de Billy Garner et «Brand New Girl». Il a le diable au corps, le Billy. Il est encore pire que James Brown. C’est du pur jus de funky Black Power. On va le retrouver Inside The Goldmine. Il n’a enregistré qu’un seul album, l’excellent Super Duper Love. L’autre cake de la bombe atomique, c’est Billy Sha-Rae avec «Do It». Solid Detroit funk d’I need some. Billy est une vraie bête de Gévaudan black. Une poignée de singles et puis plus rien. T’a aussi Millie Jackson avec «Hypocrisy». Millie on le sait est l’une des plus parfaites incarnations du Black Power. Il faut entendre le deep beat de groove derrière elle ! On savoure aussi le délicieux Fatback groove du Fatback Band («Mister Bass Man»), et on retrouve Chet Ivey, salué Inside The Goldmine. Il tape ici un joli shoot de «Bad On Bad». L’autre grosse révélation de la bombe atomique, c’est The Two Things In One avec «Over Dose (Of You)». Solide funk de Soul. The Mello Matics font une belle cover de «Mother Popcorn», et Larry & Tommy une superbe resucée d’«Here Comes The Judge», bien bardée de barda, vraiment juteuse. Et puis t’as Eddy Giles qui fait son Wilson Pickett avec «Soul Feeling Pt1». Il connaît bien son affaire.

    Signé : Cazengler, Ace of EsHPAD

    Keb Darge. The Best Of Ace Rockabilly. Ace 2023

    This Is Mod 1960-1968. Kent 2024   

    This Is Street Funk 1968-1974. Kent 2024

    Keb Darge. Presents The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Ace Records 2024

     

    *

    _ Ah ! Charmante factrice, je vous attendais avec impatience !

    _ C’est gentil Monsieur Damie, mais que faites-vous devant votre portail avec cette winchester dans les mains ?

    _ Je surveille ma boîte à lettres ! Peut-être avez-vous dans votre sacoche, une enveloppe blanche à mon nom. Je ne veux pas prendre le risque que quelqu’un s’en empare, c’est urgent et c’est précieux ! Je suis prêt à abattre comme un chien toute personne qui voudrait s’en emparer !

    _ Oh, Monsieur Damie, vous êtes un grand romantique, je soupçonne que seule une tendre missive écrite par une jeune fille doit être capable de vous mettre en cet état de fébrilité avancée !

    _ Madame la factrice, vous êtes folle à lier si vous pensez qu’un feuillet rédigé par une quelconque femelle énamourée pouvait susciter en moi une telle fièvre ! Non c’est ma revue préférée dont je guette la venue !

    _ Une revue !!! tenez la voici !

    _ Enfin ! à franchement parler je pense que si vous ne me l’aviez pas apportée ce matin, de colère je vous aurais étendue raide d’une balle dans la tête !

    _ Quoi, Monsieur Damie, prêt à perpétrer un féminicide pour une vulgaire revue !

    _ Une revue de rockabilly, cela change la donne, charmante factrice je suis sûr que vous comprenez !

    _ Vous êtes un criminel en puissance, un phallocrate, un macho, un mâle blanc de plus de cinquante ans, un suppôt du patriarcat qui opprime les pauvres femmes comme moi depuis des millénaires, ça ne m’étonne pas, votre winchester, votre perfecto, vous vous prenez pour un cowboy, je parie que votre sale torchon doit être rempli de pauvres gars comme vous, qui exhibent à défaut de leur pénis leur grosse guitare rouge avec un manche aussi long que la tour Eiffel ! Vous vous prenez tous pour les rois du rock’n’roll !

    Evidemment j’aurais dû l’abattre d’une balle de winchester et la laisser agoniser sur le trottoir. Ce serait trop rapide, il faut qu’elle souffre, que tout le reste de sa vie elle ressente la honte d’avoir lancé une accusation mensongère. D’un geste vif je déchire l’enveloppe blanche et arrache le film plastique protecteur avec rage :

    _ Tenez regardez la couverture, lisez le titre et vous saurez comment les rockers vénèrent les êtres féminins : LINDA GAIL LEWIS LA REINE DU ROCK’N’ROLL.

    Elle pousse un cri et tombe évanouie sur son vélo. Je ne lui jette pas un regard, je monte en courant les marches de ma maison, j’ai une revue à lire :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 31

    OCTOBRE –  NOVEMBRE – DECEMBRE (2024)

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             Il a fallu deux numéros spéciaux de Rockabilly Generation à Julien Bollinger pour raconter les premières années et le début de la carrière d’Elvis, l’aurait pu ressortir tout fier du brillant travail effectué, oui mais il possédaitt encore une foule d’anecdotes et d’histoires à nous rapporter… ce numéro 31 débute donc par cinq pages arrachées à la légende dorée d’Elvis Presley. Attention parfois c’est du toc…

             Certes sur la couverture et la page deux Linda Gail Davis vous sourit, mais avant de vous incliner devant la reine du rock’n’roll, va vous falloir traverser l’Enfer. Julien Bollinger vous oblige à regarder en face le Diable en personne. Vous le connaissez sous le nom de Colonel Parker.  C’est un peu ce que dans les Séries l’on appelle une préquelle, la biographie du Colonel jusqu’au moment où il se prépare à faire signer au petit gars de Tupelo le pacte faustien dont jamais il ne pourra se libérer… Un drôle de zèbre ce Colonel, mais un zèbre américain ce qui change tout, comme tout bon américain, il vient d’ailleurs, une fois qu’il aura mis le pied sur le sol amérindien il sera plus américain que tous les américains, l’acquiert l’âme d’un héros, d’un winner, d’un tricheur, parti de rien, il parvient au sommet, comme le lierre parasite qui s’enroule autour du séquoia pour mieux l’étouffer… La route n’est pas facile, il apprend vite. L’a le flair. L’a un seul Dieu : le dollar. Faut le suivre. Vous pensez qu’il tente de vivre. Fait mieux que cela. Il cherche ce qui lui manque. La poule aux œufs d’or. Ne croyez pas qu’Elvis sera la révélation de sa vie. Pas du tout. Pour Parker, Elvis n’est pas un début, juste une fin. Le dernier chiffre au bas de l’addition. Quand il trouve Elvis il a déjà expérimenté sur d’autres les moyens de se rendre maître d’Elvis. Cet article est à lire, il vous apprendra tout ce que vous ne savez pas sur la naissance du rock’n’roll, et surtout bien plus grave ce que vous savez. A la différence près que vous n’aurez jamais l’envergure du Colonel Parker. Même si vous chantez aussi bien qu’Elvis, ce qui a toutes les chances de ne pas être votre cas.

             Vous voulez Linda, oui mais d’abord il faut passer par Johnny. Pour la simple et bonne raison que c’est grâce à Johnny que Linda est à Romilly-sur-Seine et sur scène. Lisez, attardez-vous sur les très belles photos de Johnny, quelle dégaine et quel style, et vous saurez tout sur le Biker Trophy consacré à Hallyday, c’est à cette occasion que Linda Gail Lewis est venue chanter et que Rockabilly Generation l’a interviewée, Brayan et Anaël posent les bonnes questions et Linda se raconte, depuis son enfance. Nous ne retiendrons que l’admiration sans borne qu’elle porte à son frère Jerry Lou… Sergio nous emmène Backstage pour les photos de Linda, d’Annie Marie Lewis, de Danny B. Harvey de Maryse, de Brayan et d’Anaël.

             Fallait être à La Chapelle-en-Serval, belles voitures et beau monde : Barny And The Rhthm All Stars, Darrel Higham And The Enforcers, Matchbox avec Graham Fenton, Ghost Highway… Remarquez le Festival Mont-Dore présenté par Son organisatrice Muriel Hery, avec ses 13 groupes, sa philosophie un tantinet égalitaire, la prestation explosive des Hot Chikens, et chose rare sa gratuité, n’avait pas l’air mauvais non plus. Surtout que les photos grand-format de Sergio vous émerveillent les  mirettes.

             Je termine par une petite curiosité, Christelle, si j’ai bien compris, parce que la couture et moi… à partir de photos de nos idoles, par exemple Gene Vincent et Vince Taylor, elle fait établir une espèce de canevas, mais au lieu d’utiliser de simples fils à broder  elle rajoute des perles de différentes couleurs et obtient ainsi de superbes portraits.

             Y a encore quelques articles dont je n’ai pas parlé, juste pour vous laisser le plaisir de les découvrir.

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             Merci à Sergio Kazh et à son équipe, Rockabilly Generation News, est une revue indispensable à tous les amateurs de rock’n’roll !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

             On ne s’ennuie pas à Pendleton, petite ville au cœur  de l’Oregon, état situé au-dessus de la Californie, au mois de septembre s’y déroule le célèbre Round-up de Pendleton – ne confondez pas avec le très glyphosatique produit méphitique de Monsanto – c’est juste un des rodéos les plus fameux des Etats-Unis. Vous ne désirez pas vous inscrire à ce concours ouvert à tous, nous n’insisterons pas non plus pour l’adjacente compétition des Bull Riders, ne craignez, nous avons une activité moins téméraire à vous proposer, le Jackalope Jamboree de Pendleton, festival de musique, trois jours, trois scènes, au mois de juin, artistes et groupes de blue grass et de country, qui s’étend sur trois jours au mois de juin.

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             Two Runner était sur scène, nous ne les verrons pas, elles ne sont pas cruelles, elles ont posté une vidéo (GemsOnVHS) enregistrée dans en pleine nature dans les environs. Rappelons que chaque année Gems organise un concours qui regroupe plusieurs centaines de concurrents, que Two Runner a remporté en 2022.

    STRAWBERRY RHINESTONE

    TWO RUNNER

    (YT / Field Recording / Septembre 2024)

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    Attention, profitez des toute premières secondes, elles permettent de voir un  des podiums du Jamboree, alors que la voix de Paige indique qu’elles vont refaire une prise, admirez la vision de ce palomino qui galope durant quelques secondes, il n’est pas là par hasard, même si par la suite il n’apparaîtra plus sur l’image, on ne perd pas au change puisque voici Emilie Rose et Paige Anderson debout en plein milieu d’un champ de blé, en arrière-fond s’élèvent des collines dépourvues de végétation…

    Une bluette, une chansonnette, presque rien, un presque rien qui trimballe la tristesse de toute l’existence, de toutes ces verroteries fragiles qu’elle nous tend, ne laissez pas passer votre chance, même si elle ne restera pas, elle s’éclipsera, tel le rêve d’un palomino que l’on ne retiendra pas, les songes sont ainsi ils s’éloignent, et se perdent l’on ne sait où, parfois les fruits que l’on mord nous embaument d’une saveur douce-amère.

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    La voix de Paige emplit l’immensité, sérénité et tristesse emmêlées, le ver est dans le fruit que l’on goûte, la mort habite les rhizomes de la vie, si tu cueilles le jour, tu cueilles en même temps la nuit qui suivra, et qui l’a déjà précédé… leurs deux voix s’emmêlent, elles fredonnent comme l’on s’étonne devant l’évidence, la guitare de Paige coule paisiblement, dans sa robe rouge Emilie promène son archet sur son violon, rafales de l’Inexorable destinée qui s’avancent à pas lents, pieds nus sur la terre sacrée des désirs vifs et des angoisses tues…

    Ne vous laissez pas submerger, Two Runner vous donne l’exemple, le morceau terminé elles éclatent de rire, le monde retrouve subitement sa beauté extravagante…

    Le courage de vivre, encore et encore…

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pouvais pas ne pas écouter, alors on embarque pour un périple touristique, avec un peu de chance un Dieu grec compatissant nous enverra quelque monstre pour égayer la journée…

    MYTHOLOGICA

    CHILDREN OF AEGEAN

    (Grooveyard Records / 2019)

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             Le format carré du CD ne rend pas justice au tableau de John William Waterhouse (1849 -1917), peintre britannique, très inspiré par la mythologie grecque, son œuvre est à voir sur Wikipedia, il fut proche des préraphaélites et des symbolistes, il n’y a pas que l’impressionnisme qui ait rayonné au dix-neuvième siècle… Ulysse et les Sirènes date de 1891.

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             Le disque est avant tout l’œuvre de Stavros Papadopoulos, compositeur grec, sur cet opus il joue la quasi-totalité des instruments : guitars, bass, keyboards. Un compositeur prolifique qui a aussi participé en tant que guitariste à plusieurs groupes rock. Vous le retrouvez ainsi avec le guitariste  Panagioti Zabourkis dans le groupe Super Vintage, il s’est principalement chargé de la guitare acoustique sur Enfants de la mer Egée.

             Chacun des dix instrumentaux du CD évoquent tour à tour un épisode de la mythologie grecque.

    Sizyphus : l’on a accusé Sizyphe de beaucoup de maux, il s’est joué des Dieux, pas des moindres : Hadès en s’échappant des Enfers, il aurait eu des vues sur Héra l’épouse de Zeus qui n’a pas apprécié… il fut condamné à pousser éternellement un énorme rocher au sommet d’une colline duquel il retombait systématiquement, étrangement Albert Camus l’athée l’a en quelque sorte déifié en en faisant le symbole de l’Humanité obstinée à combattre l’absurde de toute existence vouée à la mort… comment rendre la complexité d’un tel personnage, fourbe, voleur, arrogant, nietzschéen avant l’heure, avec une guitare et moins de six minutes, top chrono ! :  Un décor phonique de carte postale, flûte de berger et coucher de soleil sur la mer Egée, le temps se gâte, la nuit n’habite-t-elle pas l’âme de Sisyphe, la guitare comme un relent d’obscurité qui ne cesse de revenir, il ne s’amplifie jamais, Stavros ne conte pas les exploits et les sacrilèges du fondateur de Corinthe, il n’évoque sa terrible punition que par cette ombre qui mène résidence dans l’esprit de Sisyphe, la marque noire est présente depuis le premier jour de sa naissance dans la gélatine blanche du cerveau, elle n’a pas besoin de se développer, d’ailleurs le monde serait-il assez grand pour l’accueillir, simplement un signe. Le signe de la démesure. Néfaste. Delos : île minuscule au milieu de l’archipel des Cyclades, Délos fut une île sacrée, c’est elle qui permit à Léto, pourchassée par la vengeance d’Héra car enceinte des œuvres de Zeus, d’accoucher sur son territoire. Notez que si vous ne naissez pas vous ne pouvez pas mourir. Les Grecs n’ont jamais eu de problème avec la mort mais beaucoup avec l’immortalité. Qui parle de Délos évoque les Dieux qui y sont nés : : notes claires, Apollon n’est-il pas le Dieu du Soleil, bientôt rehaussées de riffs de guitares aussi étendus que l’immensité de la mer, le ton devient plus grave, une basse mordante, des électriques incisives, Apollon est aussi un Dieu terrible, un dieu-loup investi d’une puissance redoutable, mieux vaut ne point l’offusquer, quelques coups de toms précisent la menace, il est inutile que le Dieu bande son arc, tout redevient calme, le regard d’Apollon se pose sur les eaux. Que regarde-t-il ? Caryatis : la photo des Cariatides de l’Erecthéion est une des images les plus célèbres d’Athènes, se rappelle-t-on que les statues des Cariatides représentent des prêtresses d’Artémis de Laconie : voici donc Artémis la sœur d’Apollon, à sa manière aussi dangereuse que son frère, peut-être même davantage cruelle, elle est la beauté et la pureté, elle aime le sang, évitez de porter ses yeux sur sa nudité, nos Enfants Egéens lui rendent justice, des riffs d’or pur ensorcelants, mais des froncements de sourcils ébouriffés de colère, c’est en Laconie que réside Sparte l’Intransigeante et le territoire mythique de l’Arcadie originelle. Restez discrets. Morpheus : un Dieu que l’on attendait pour cette nuit, Morphée le Dieu du sommeil qui vous effleure de son ale noire, qui apporte les rêves mais qui surtout peut prendre n’importe quelle forme humaine pour apparaître dans votre sommeil, méfiez-vous de vos rêves ce sont des artefacts divins pour vous réconforter ou mettre à mal votre mental : un court repos, le son comme voilé, même lorsqu’il se déploie il semble venir de loin, un rythme langoureux, qu’êtes-vous en train de faire dans votre sommeil, dites-vous que ce n’est qu’un rêve trop tôt évanoui.

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    Argo : la nef divine qui porta Jason lorsqu’il partit avec les quarante plus grands héros de la Grèce pour la conquête de la Toison d’Or, aurait-il réussi si Orphée n’avait pas été de son côté, cette histoire est racontée dans une épopée dont aujourd’hui il ne reste pas un seul mot et qui servit vraisemblablement de modèle inspiratif  à Homère pour l’Odyssée… : inutile de porter un coquillage à votre oreille pour entendre les vagues et voler parmi l’écume et la mer les oiseaux ivres, Stavros ne nous présente pas les passages les plus palpitants de cette expédition guerrière, il insiste sur la longueur monotone de l’Aventure, les hauts-faits ne sont marqués que par quelques soubresauts. Mais le voyage des Argonautes s’est-il vraiment terminé un jour, à la fin du morceau l’on entend encore le bruit des vagues, preuve que le navire sillonne encore les routes de nos rêves… Symplegades : au milieu du détroit du Bosphore les Symplegades se dressaient deux énormes rochers qui ne cessaient de se rapprocher interdisant le passage des navires écrasés entre les deux énormes masses, certains affirment que Jason s’en remit au vol d’une colombe, d’autres maintiennent que par son chant Orphée immobilisa les deux rocs… : l’instant est palpitant, pas de quoi affoler le Capitaine Stavros, doit compter sur sa guitare comme Orphée sur sa lyre, pour se tirer de ce mauvais pas, à peine presse-t-il le tempo, il aiguise un peu les riffs, il étire les notes, Zabourkis est au contrepoint, veille à ce que la barre ne varie pas d’un degré, ne se hâtent pas avec lenteur comme la tortue de tonton La Fontaine, mais ils passent l’obstacle les doigts dans le nez. Wrath of Achilles : colère d’Achille, tout le sujet de l’Illiade,  nous espérons que Stavros va s’énerver, avant qu’Achille ne fasse du boudin sous sa tente, le fils de Thétis a commis quelques beaux carnages, et son courroux sera impitoyable : un beau début avec cette frappe de cloche qui renvoie à Mountain, oui Stavros a compris qu’il fallait hausser le ton, il monte le son, nous donne un peu l’impression que les remparts de Troie vont s’écrouler sur nous lorsque le riff se déploie, ce n’est pas mal du tout mais en sourdine l’on pense qu’il est capable de faire mieux, n’imitons pas l’impétueux Achille, ne boudons pas notre plaisir. Nymph : dommage que Stavros ne nous ait pas emmené dans le cheval de Troie pour participer à la destruction de Troie, nous sommes privés des meurtres, des viols, des pillages et des incendies : la guitare tresse des guirlandes en l’honneur de ces créatures mythiques et élémentales que sont les nymphes, c’est doux et c’est beau, languissant, un petit côté repos du guerrier, pas dégueu mais l’on aurait préféré quelque chose de plus viril que cet intermède yinique, ils doivent s’y trouver bien, ils font durer le plaisir. Penelope’s loom : célèbre scène de l’Odyssée, Pénélope défaisant la nuit ce qu’elle a tissé le jour… : pas de bruit, beaucoup d’acou, guitare glissante et fuyante, la tristesse d’une reine atterrée d’une si longue attente, une réussite. Pythea : non, pas la prêtresse de Rome qui prophétise la fin de Rome – celle de l’antiquité par là-même – mais celle du temple de Delphes, La Pythie enivrée par les vapeurs qui montent de l’antre du serpent, retour à Apollon : une entrée mélancolique, cet exil humain, cette différence, cette distance qui sépare l’Homme des Dieux, toute cette ignorance qui nous définit, ce manque de connaissance et d’incandescence auxquelles nous accédons par l’entremise des oracles, un peu comme si se dévoilait la trame complète de nos jours, cercles ridffiques qui s’enchaînent en un extraordinaire crescendo qui s’arrête au moment exact où l’on croit que la totalité inaccessible  va nous être dévoilée. Encore plus définitivement que quand Platon nous fait cruellement comprendre que nous n’avons accès qu’à des ombres de la réalité.

             L’ensemble est agréable à écouter toutefois il ressemble un peu à un dépliant touristique sur papier glacé. Stavros ne semble pas impliqué à cent pour cent dans la mythologie de son pays. Nous sert une série de belles images, mais cette mythologie ressemble un peu à une morthologie, il ne l’utilise pas pour décrypter notre époque.  Aucun projet de reviviscence n’est développé.

    Damie Chad.

     

    *

    Avec un nom de cet acabit, de grandes chances pour que ce soit un groupe grec. Pour une fois le flair du rocker n’a pas fonctionné, non cette bestiole provient des States, jamais entendu parler, en plus je ne sais même pas si c’est un groupe. En tout cas un truc un peu frappé de la cafetière, je sens que je vais aimer.

    OPUS DOOM

    GREAT GAIA

    ( YT / BC13 Septembre 2024)

    Z’on (vous comprendrez plus loin la subtilité de l’intentionnelle absence du T) déjà sorti un album en 2018 et deux EPs de cinq et six titres en 2019, voici tombé comme un aérolithe venu d’un ciel lointain sur notre planète barbare ce nouvel full-lenght-album.

    Autant j’apprécie le rose tyrien de la couve autant je ne puis retenir un sourire devant ce sage en prière communiale avec la Sagesse Suprême, l’on se croirait transporté près de soixante années en arrière chez nos cousins lointains les hippies d’Amérique. Par contre ces champignons hallucinogènes  au bas de la souche-trône ne me disent rien qui vaille, un peu trop bourrés de colorants, ressemblent trop à des à des amanites phalloïdes, exactement à des Calices de la Mort d’Agaric bulbeux, j’ai vérifié dans un traité de mycologie.  A consommer avec modération… Pour la couronne de cornes qui surmonte la tête de Craig Carloni (voir paragraphe suivant) il se surnomme lui-même : Magicien du Taureau à moitié cuit.

    Pour la distribution des rôles : Craig Carloni : song composition, vocalist, guitarist, bassist, Keyboardist-Synth, Drummer, Lyricist, Production, Art Director, Ego-freak (individu nombrilique), Jack of all cringe, master of… cringe ( serviteur de toute dérision, maître de l’auto-dérision).

    Cerberus : Guardian of the Underworld - Electric Pogo-stick-Bongos.
    David Attenborough - Spiritual Guru-Merch Guy. (guru spirituel, préposé aux produits dérivés)

    Craig Carloni (basé à Columbus capitale de l’Ohio, état situé sous le Lac Erié) principal artefactor de cet album ne se prend pas au sérieux, le rire cache parfois de profondes blessures. Pensez par exemple à quelques nouvelles grinçantes d’Edgar Allan Poe.

             Pour que vous ne soyez pas surpris, voici le court texte par lequel Great Gaïa se présente : Explorer sans cesse les profondeurs des royaumes cérébral, physique et spirituel à travers une séquence de fréquences et de tonalités

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    Godless : fusilli hélicoïdal de guitare et tout de suite la darkful prend les commandes, une entrée monumentale qui se décline en répétitives trouées de notes claires, un vocal à double-effet, voix masculine et voix féminine se répondent, l’on se croirait dans un opéra, grandiose, avec parties lyriques et répons choriques, de fait le morceau s’avère d’une richesse folle, toutes les trente secondes l’on change d’atmosphère, les séquences se suivent et ne se ressemblent pas tout en s’inscrivant dans une même unité, une guitare qui grogne, une partition digne d’une écriture classique, un growl caverneux du temps de l’âge de pierre, des tempêtes électriques et des tempos liturgiques, le pire c’est que cela ne provient pas de l’envie enfantine d’épater l’auditeur, genre regardez ce que je sais faire, tout est arqué selon la logique d’un mouvement de pensée métaphysique. Une simple constatation, froide comme la mort, serait-ce la mort nietzschéenne de Dieu comme le titre pousse à le penser, non la disparition d’un être aimé, la confrontation avec le scandale d’une l’irréfutable advenue, comparée à ce décès la mort de Dieu est sans importance, ou alors si Dieu est mort c’est toi l’être cher qui étais Dieu. Que puis-je faire, si ce n’est devenir Dieu moi-même -  j’éliminerai par ma totalité tous mes manques, mais ne suis-je pas mort à ta mort, ne pourrions-nous nous retrouver dans l’amour de notre divinité conjointe. Impératif néoplatonicien. Raisonnements de la survivance. Opus doom : une voix perdue, fluette, blanche mangée par les termites du remord et les mites de l’impuissance, l’a l’air comme la batterie de tintinnabuler contre toutes les portes, voix du dedans, cachée, enrouée comme si elle avait honte, il y a de quoi, il se promettait une survie divine et maintenant l’en viendrait à se suicider pour échapper à l’indicible tourment, la musique devient folle, donne l’impression de se cogner la tête sur les murs phoniques, montées et descentes de voix, vouloir sortir du cauchemar et s’en vouloir de vouloir clore l’obsession stupide de poursuivre cette histoire dont un des personnages a été pour toujours rayé de la carte du monde des vivants. Si l’on écoutait cet opus sur une K7 il semblerait que la bande elle-même s’accélèrerait pour arriver encore plus vite à la fin de ce désastre mental. Dead bog’s love : dans le bourbier, dans la tourbière, n’idéalisons pas le passé, ne l’idyllisons pas, remémoration des dernières scènes, pleine voix, couperet d’une note claire toutes les cinq secondes, tension électrique subite, que puis-je faire dans ma solitude, qui as-tu été au juste, et notre amour quel fut-il , peut-être vaut-il mieux l’enfouir sous une masse sonique, jusqu’à ce que la voix se casse comme ciblée par le cristal du doute. Temple of sleep : (ce morceau est dédié à Sarah Tietjen : 12 / 26 /19 6 – 03 / 01 / 2022  – RIP forever loved) : enfin nous savons le nom de la personne aimée, vocal larmoyant, pleurs pour elle qui est partie si jeune, déjà minée par sa vie précédente, larmes pour lui-même, condamné à un terrible dilemme, l’entend-elle, aperçoit-elle son chagrin, sera-t-il capable de l’aimer tout le restant de sa vie, devra-t-il en crever, peut-être existe-t-il des raisons supérieures à sa mort, mais te voici sous terre, est-ce que je serai capable d’aimer aussi fort quelqu’un d’autre, ô toi si tu revenais et qui me manques tant, ô moi qui ne suis que ton absence… de toute beauté, une élégie musicale de Tibulle, la musique se gonflant ou s’amenuisant à chaque mouvement de l’âme. Winterbloom : bise glacée, notes perdues dans la brume, un chant qu’à première audition l’on croirait vespéral, n’est-ce pas une nouvelle naissance qui gouttège, d’un genre particulier, car s’il est impossible de nous retrouver dans la vie, peut-être pourrions-nous communier dans la mort, ne me suffit-il pas de laisser le froid de mon âme gagner mon corps, pour que je parvienne à ressentir ce que tu ressens, gouttes de rosée congelées pleuvent sur mon corps, ne suis-je pas en train de mourir, de faire l’expérience mentale de la mort, une tentative, une éploration froide de mon corps vers ton corps, si nos âmes ne parviennent pas à se rejoindre ne serions-nous pas capable de nous réunir grâce à nos corps qui se reconnaîtront et se retrouveront dans la mer de glace  du trépas. Hélas, je ne suis pas mort puisque mon chagrin triomphe.

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    Ghost Flowers : miracle, sourire synthétique des claviers, les guitares chantent haut, aurions-nous réussi, sommes-nous réunis, ne formons-nous plus qu’un, nous ne sonnes plus séparés, aurions-nous retrouvé l’androgyne originel, l’unité sacrée de notre présence au monde, musique comme suspendue hors du temps, protectrice comme l‘oeuf de l’éros premier, nous étions glace et nous voici feu, tout cela dans ma tête devant ta tombe qui ne s’encombre plus du manque seul de lourds bouquets,  l’un sur terre, l’autre sous terre, nous venons de connaître un moment d’intensité communielle inespéré, je peux mourir et être-enterré à tes côtés, lève-toi dans la mort et rejoins-moi, nous sommes tous deux devenus des Dieux. Pour nous, c’est le moment de relire Annabel Lee d’Edgar Poe : ‘’  … et ainsi, toute l’heure de nuit je repose à côté de ma chérie – de ma chérie – ma vie et mon épouse dans ce sépulcre…’’. Eternity’s end : bulles phoniques, le moment de faire le point, la voix déroule son raisonnement, tout ce que j’ai vécu n’est-il pas splendeur émerveillante, n’est-il pas éructation tourmenteuse, la batterie bat le rappel du doute, ne sommes-nous pas, toi comme moi, et même nous deux-toi-moi, choses mentales ou êtres physiques  périssables, nés pour disparaître, même si un jour la réincarnation nous donnerait une nouvelle fois naissance, ne serions-nous pas encore voués à la mort, et si nous sommes les Dieux que nous avions désirés devenir, notre perfection aura-t-elle encore besoin du manque de l’autre. Sérénité. Guérison. Leshi : pourquoi y a-t-il des arbres alignés comme les vivants piliers de la nature dans le sonnet Les Correspondances de Baudelaire, ‘’qui laissent parfois sortir de confuses paroles’’… parce que Leshi est une divinité issue des mythologies slaves, dieu tutélaire des forêts, nous pourrions le comparer à nos faunes grecs et latins qui hantaient nos bois, ce dernier morceau est semi-instrumental en le sens où l’on entend comme des chuchotements, des voix inaudibles, des cris incompréhensibles, d’inquiétants grognements parsemés de sifflements d’oiseaux, peu à peu écrasés sous les massives frondaisons d’une musique englobante et souveraine. Il serait facile de décréter que notre amant est devenu un Dieu sylvestre s’ébattant parmi les broussailles sous des cimes centenaires… Il est certainement plus juste de l’entendre comme une interprétation panthéiste et spinozienne du cycle de la vie, voire une reprise des enseignements ésotériques d’Eleusis, nous mourons comme la graine pour engendrer ou revenir sous une autre forme.

             Cet Opus Doom est splendide, d’une épaisseur et d’une densité rarement égalée. Un véritable chant d’expérience. Merci à Craig pour cet opera-doom.

    Damie Chad.

     

    *

             Je n’aime pas que l’on maltraite les animaux, mais là mon éthique ne m’interdit pas d’exhiber ce cheval étique.

    A LIGHT SCALPING

    SNAW

    (YT – BCAoût 2024)

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    Sont de Perth. Ce n’est pas un petit patelin. La cité atteint les deux millions d’habitants. Capitale de Région Occidentale de  l’Australie. Détail intéressant elle s’est élevée au bord d’une rivière qui se nomme Swan. Entre Swan et Snaw, il existe quelques phoniques accointances… La Swan River a-t-elle été nommée ainsi parce que des colonies de cygnes se plaisaient sur ses flots bleus, je ne sais pas, par contre je peux vous affirmer que le palmipède snawéen qui nous intéresse doit être un cygne noir. Particulièrement noir. Si l’on s’en rapporte à la photo sur Bandcamp censée représenter les artistes, la bestiole adore nager en eau trouble.

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    Laissons les cygnes se pavaner majestueusement sur les eaux planes de la Swan pour examiner le cheval  qui orne la couve de du premier album du groupe. L’œuvre est de Marc Potts, je vous conseille de vous attarder longuement sur son Instagram. Une imagerie médiévale très personnelle, fascinante. Peut-être le nom de Rossinante, la pauvre  haridelle de Don Quichotte vous est-il venu à l’esprit, où alors certaines gravures de chevaliers d’Albretch Dürer. Actuellement Marc Potts vit en Espagne, anglais de naissance, il n’a pas oublié la culture de son pays, en quelques mots il nous apprend que son tableau représenterait, le Dieu sous la colline, autrement dit l’Old Crocken l’esprit du Dartmoor qui veille prêt à s’opposer à tout individu qui tenterait de coloniser ce paysage de landes sauvages… En outre un peu d’étymologie nous apprend qu’en vieil anglais ‘’snaw’’ signifie ‘’neige des collines’’. Si malgré le recoupement de ces indices vous ne croyez pas à l’existence de Crocken, vous avez tort. Tor Crocken est un amas de rochers célèbres au milieu du Parc National du Devon, si vous l’examinez attentivement avec un maximum de chance vous parviendrez à percevoir dans l’amoncellement  rocheux le visage de l’Old Crocken qui surveille les alentours… Si l’Old Crocken ne se montre pas, comptez les pattes du cheval, huit comme Sleipnir, la monture d’Odin. La lance que l’Old Crocken tient à la main le classe parmi les guerriers. Snaw veut-il nous signifier que sa musique est un combat.

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    Jon Vayla : guitar, synth, bass / Robin Stone : drums

    Trapped behind seam of the world :si le titre de ce morceau vous paraît mystérieux les lyrics ne vous apporteront aucune aide,  l’opus est composé de six pièces instrumentales , quelles sont donc ces coutures du monde piégeuses, le plus simple me paraît en un premier temps de se fier à la peinture de Marc Potts, d’imaginer l’Old Crocken prisonnier de sombres et interminables couloirs souterrains, image de la relégation des anciens Dieux délaissés par les hommes, nous pouvons même proposer une explication platement naïve de la monture efflanquée qui n’a plus eu depuis quelques centaines d’années l’occasion de brouter l’herbe tendre et savoureuse des collines, de même ce Dieu dépourvu de jambes ne signifie-t-il pas son impuissance à agir sur le monde, entendons le long clopinement battérial de ce cheval harassé, et ces incessantes noirceurs de tristesses propagées par  ces bouffées synthétiques ne sont-elles pas les délétères pensées qui roulent dans la tête de la Divinité mise au rancart par l’Humanité, un mort au rebut qui n’en finit pas de tourner en rond dans sa tombe cyclopéenne. Tout nous oblige à croire à un monde crépusculaire, une espèce de parade dérélictoire pour une pavane infantine révolue… Mais si tout cela n’était qu’un leurre, une métaphore de quelque chose à venir… Bodies of ashes : c’est la suite encore plus ténébreuse la claudication des sabots du harin se font plus lourdes, des vagues poudreuses de sonorités morbides soufflent sur vous, l’Old Crocken est-il en train de passer sous un cimetière, la cendre des morts est-elle mêlée à l’argile, modelée dans la glaise informe… silence, le son devient poignant, ces cendres sont-elles la prémonition de son destin, lui qui arpente depuis si longtemps les couloirs labyrinthiques du dessous de la terre finira-t-il lui aussi en poussière, le kaolin suprême des Dieux emmêlé à la terre rongeuse et élémentale, l’union inêtrale des humains et des Dieux enfin accomplie, klaxons de trompettes, comme quand devant les monuments aux morts les drapeaux des mémoires vacillantes s’inclinent… Toute métamorphose se termine-t-elle en l’ultime forme impalpable du rien… Billboards :  comme si l’on traînait d’énormes charges avec des flambées funèbres de consolation, l’on ressent comme un affaiblissement généralisé subitement démenti par un surgissement phonique, la batterie se taille la part du lion, elle ne rugit pas elle se contente de secouer sa crinière, la synthétisation orchestrale essaie de l’étouffer, elle y parvient mais s’amenuise jusqu’au silence, total, reprise d’une plainte, l’on n’entend plus le pas du cheval, voici des grelots de sanglots pour marquer sa disparition, serait-on au moment de l’extinction des feux, dans le lointain le pas saccadé de la monture d’Old Crocken revient, non pas à la charge, mais indubitablement obstiné, l’Old Crocken proclamatif ira jusqu’au bout, d’on ne sait trop quoi mais jusqu’au bout…The crossing : il existe une vidéo-film de Paul Rankin de ce morceau : que voit-on ? Pas grand-chose. Ne riez pas, où vous croyez-vous, vous pensez que je fais de l’humour, vous ne comprenez rien au film, je ne parle pas des premières images de Rankin, mais du mystère, suis-je obligé de spécifier que ce qui est mystérieux n’est jamais clair, l’opus dans sa démarche musicale avance dans le noir, nous sommes dans le souterrain, des pincées de lumières ne montrent rien, elles nous permettent de deviner des formes, sont-elles réelles ou des produits de notre imagination, le corridor archétypal agit-il comme le révélateur photographique de notre propre imaginaire,  ce qui est sûr c’est la silhouette incertaine de cette fille, qui est-elle, que fait-elle, elle marche, elle danse, est-ce sa façon à elle de vaincre le minotaure dont la musique engendre les barrissements, la lumière est devant, déboucherons-nous à la lumière, aurons-nous le temps, le monstre se rapproche, c’est un vieil homme, maintenant son tronc marche à côté de ses jambes, c’est bien l’Old Crocken, la légende, d’après certains, n’affirme-t-elle pas qu’il est capable de prendre la forme de n’importe quel individu, de n’importe quel animal, de n’importe quelle chose, tout à l’heure lorsqu’elle a improvisé une espèce de ballet, qu’elle a étendu les bras, qu’elle a pris et endossé d’étranges postures, qu’elle s’est enroulée sur elle-même, couchée à terre et qu’un semblant de seconde elle est apparue inerte, comme un bloc de rochers, simulait-elle le Tor Crocken, n’était-elle pas l’Old Crocken lui-même en représentation de lui-même, si vous voulez suivre, dirigez votre oreille vers la résonnance des pas, bruits magnétiques comme de grosses noix écrasées sous les pieds d’un destrier farouche, cela vous empêchera peut-être de ne pas céder à la tempête phonique finale, vous garderez ainsi votre équilibre mental. Vous en aurez besoin. A light scalping : tapotements fatidiques, ondes de musique par-dessus, gémissements électroniques, non pas des avertissements de recul comme sur les engins de chantier pour vous avertir qu’ils vont reculer, non, au contraire pour vous confirmer que vous avancez, que sûrement il serait préférable que vous reculiez, tant pis vous désirez savoir, si vous désirez rencontrer l’ Old Crocken, que redoutez-vous, un léger scalpage, vous êtes prêt à risquer votre tête, à moins qu’il ne s’agit que cette minuscule fenêtre de temps durant laquelle votre imparfaite humanité encontrera, voire entrera en contact avec l’immarcescible profusion du divin. Est-ce pour cela que la musique est si mélodramatique…. Bleak city :  la fin de l’histoire, la solution finale, la dissolution finale, les grandes orgues, les trompettes cérémoniales, les timbales au fond de l’orchestre semblent voilées, elles ne résonnent pas, elles grincent, ça grogne et ça se traîne comme si chacun de vos pas rayait le parquet ciré de vos ambitions, des tentures de musique se déchirent, l’orage gronde, il surgit dans votre intérieur pour s’enfuir par la fenêtre, il imite le bruit d’un moteur d’un avion, un vieux coucou qui se débat dans les forces sifflantes du vent, chute, trompes de deuil, annonce-t-elles votre enterrement, musique finale de western, tout le monde regroupé autour de la tombe, la musique a tout donné. La musique a tout repris. Vous êtes arrivé à destination dans la fosse des serpents sonores. Bienvenue dans la cité du bruit.

    Damie Chad

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 658 : KR'TNT ! 658 : SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS / DEE C LEE / GRACE CUMMINGS / BRITTANY HOWARD / ARKONA / JESSE DANIEL / EDDY MITCHELL / DEAD LEVEL / BOLESKINE HOUSE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 658

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 09 / 2024

     

    SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS

    DEE C LEE / GRACE CUMMINGS

    BRITTANY HOWARD / ARKONA

    JESSE DANIEL /  EDDY MITCHELL

      DEAD LEVEL  / BOLESKINE HOUSE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 658

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les tartes de Sister Tharpe

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             Avec Devil’s Fire, le pauvre Charles Burnett ne risque pas d’entrer dans les annales du cinéma. Dans ce film raté, il raconte son histoire, celle d’un petit black californien qui découvrit le blues lorsqu’il allait passer ses vacances scolaires chez l’oncle Buddy installé dans le Mississippi.

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             L’oncle collectionnait les 78 tours et écoutait un blues chaque matin au réveil. L’idée de départ est bonne, mais ça ne décolle pas, tout simplement parce que cette burne de Burnett plombe le scénario avec des clichés, le pire de tous étant celui du fameux carrefour où Robert Johnson vendit son âme au diable.

             Pour corser l’affaire, Burnett farcit son film d’images documentaires, comme on farcit une dinde. Il bourre son film par le croupion. On frise vite l’overdose, les figures de légende se succèdent à un rythme infernal : Son House qui claque son dobro, Ma Rainey, Ida Cox, Dinah Washington, Sonny Boy Williamson - le vrai - Mississippi John Hurt et sa bouille de vieux singe, Muddy Waters comme toujours écœurant de classe, T-Bone Walker le précurseur et... Sister Rosetta Tharpe qui nous fait un numéro de picking à faire blêmir Roger McGuinn.

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             Voir Sister Rosetta Tharpe, c’est prendre une grosse tarte en pleine poire. Dans son film intitulé Red White And Blues Mike Figgis nous colle lui aussi une minute trente chrono de Sister Rosetta Tharpe, pas plus, alors qu’elle mériterait un film entier à elle toute seule. Figgis et Burnett sont tous les deux des ânes. On voit Rosetta jouer un blues-rock torride dans la rue, en robe blanche, avec sa SG blanche, devant une chorale de gospel black. Il faut voir comme elle dépote. On la voit jouer de méchants riffs sur sa Gibson. Ces quelques images suffisent à nous faire comprendre qu’elle est la reine du blues, du rock’n’roll et qu’elle navigue au même niveau que Jerry Lee, Little Richard ou Wolf.

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             Jerry Lee chanta « Strange Things Happening Everyday » lorsqu’il passa sa première audition devant Sam Phillips. Il voulut ensuite enregistrer ce vieux tube de Rosetta datant de 1945. Il l’avait vue chanter et jouer sur scène et il sortait comme elle des églises pentecotistes - Assemblies of God of Ferriday - où l’on chante à en perdre la tête les louanges de Dieu et les grandes boules de feu divin. Jerry Lee confia aussi à Peter Guralnick qu’il avait vu « une négresse démente qui jouait de la guitare et qui chantait - She was shakin’ man ! » Cette histoire va très loin, puisque Sleepy LaBeef, lui aussi adorateur de Rosetta, déclarait, en parlant de Jerry Lee : « Écoute son jeu au piano. Il joue de la main droite comme Rosetta Tharpe ! »

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             Autre natif de l’Arkansas, Johnny Cash vénérait lui aussi Rosetta. Il avait grandi à Dyess, pas très loin de Cotton Plant, le patelin d’où venait Rosetta. Pur hasard, un copain à l’armée possédait un disque de Sister Rosetta Tharpe. Le Cash était tombé dingue de « Strange Things Happening Everyday ». Il l’écoutait en boucle. Beaucoup plus tard, Rosanne Cash déclara que Rosetta avait été l’artiste favorite de son défunt père. Carl Perkins tenait lui aussi le même genre de propos. « Strange Things Happening Everyday » avait été le morceau préféré de son daddy. Gosse, il allait le dimanche chez son grandaddy apprendre à jouer ce morceau sur sa petite guitare : « C’était du rockabilly, mon gars, du vrai rockabilly ! »

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             Quand Rosetta débarqua à Macon en 1945 pour donner un spectacle de gospel au City Auditorium, elle fit monter le jeune Richard Penniman sur scène pour chanter en duo avec elle. Little Richard ne s’en remit jamais. C’était, disait-il, la meilleure chose qui lui fût arrivée dans la vie, et en prime, Rosetta lui fila environ quarante dollars, ce qui était à l’époque une véritable fortune. Il n’avait encore jamais vu autant d’argent dans sa vie.

             Toujours dans le film de Figgis, George Melly nous raconte qu’officiellement, Rosetta chantait les louanges de Dieu, mais qu’en coulisse, elle aimait bien la gaudriole et se piquer la ruche (« brandy and glory »). Mais ça, on s’en fout comme de l’an quarante. Rosetta a tellement de classe qu’on se demande par quel bout la prendre.

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             La pauvre Gayle Wald a dû se poser exactement la même question, en attaquant la rédaction de l’ouvrage qu’elle voulait consacrer à Rosetta. Elle s’en sort honorablement, puisque son Shout Sister Shout se lit d’un trait. Rosetta est une héroïne du même calibre que Wolf : deux histoires parallèles par leur côté fascinant, deux talents prodigieux et deux physionomies étrangement comparables. Il suffit d’observer les photos et surtout la façon qu’ils ont l’une et l’autre de rigoler : la parfaite exubérance des géants.

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             Dès l’intro, Gayle Wald met le paquet sur la virtuosité de Rosetta, sur son charisme scénique et sur son talent fou de chanteuse de blues. Personne en Amérique ne pouvait aligner autant de qualités. Comme T-Bone Walker, elle avait inventé une nouvelle façon de jouer de la guitare électrique. Elle ne regardait JAMAIS son manche. Elle avait joué partout : au Cotton Club, à l’Apollo d’Harlem, au Carnegie Hall, au Grand Ole Opry, dans tous les stades et dans toutes les églises du pays. Personne ne jouait en picking comme elle à son époque, et par bien des aspects, elle préfigurait Elvis, Red Foley, Etta James, Bonnie Raitt, Isaac Hayes, Ruth Brown et ceux déjà cités. On considère « Strange Things Happening Everyday » comme le premier rock’n’roll (désolé pour Ike Turner, mais son « Rocket 88 » n’arrive que six ans plus tard). Bien avant Dickie Peterson et Lemmy, Rosetta foutait son ampli à fond. D’une part, elle voulait être sûre qu’on entende bien toutes les notes qu’elle jouait, mais c’était aussi l’une de ses croyances pentecotistes disant que « Dieu préférait ceux qui faisaient un barouf joyeux ».

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             Elle n’hésitait pas à se balader en pantalon et il lui arrivait de jurer comme un cocher. Rosetta était beaucoup trop en avance sur son temps. Grand amateur de légendes - et lui-même légendaire - Jim Dickinson ramène son grain de sel à la fin de la brillante préface du livre de Gayle Wald : « Une chanteuse de gospel en robe à paillettes qui jouait sur une guitare électrique, ce n’était pas très courant en 1955. Inutile d’ajouter que cinquante ans après, c’est toujours aussi peu courant. »

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    ( Rosetta, Duke Ellington, Rex tewart,cab Calloway, un frenchy non-identifié, Livie Anderson)

             Premier coup de génie de Rosetta : elle amène le gospel dans les music-halls et les nightclubs new-yorkais. Vous ne connaissez pas le Deep South, les gars ? Alors voilà comment ça se danse. Elle passe de Cotton Plant au Cotton Club et se taille une réputation de « religious shouter » et même d’« Holly Roller entertainer » qui balance des « loud blue tones ». Quand le Cotton Club ferme en 1940, elle part en tournée avec Cab Calloway. À l’époque, Cab est la plus grande star d’Amérique, ne l’oublions pas. Il y a même une photo qui montre une jam mythique de 1939 : alors que Rosetta se tord sur sa guitare, Duke Ellington et Cab Calloway pianotent et la dévorent des yeux.

             Rosetta tourne dans tout le pays et revient régulièrement dans le Deep South affronter les dangers réels de la ségrégation. Dans l’autocar, elle briefe ses musiciens - Gardez toujours le sourire et fermez vos gueules ! - Des nègres bien habillés sont toujours en danger de mort dans des états violents comme l’Alabama et le Mississippi.

             Gayle Wald raconte qu’un jour, alors que Rosetta achetait des trucs très chers dans un magasin de fringues, les Thénardiers derrière le comptoir chuchotaient entre eux - D’où elle sort tout ce blé, la négresse ? - Ils la soupçonnaient d’avoir volé cet argent. Ils appelèrent les flics en douce. Une négresse avec autant de blé, ce n’est pas Dieu possible ! Les flics arrivèrent au triple galop, ravis de pouvoir coffrer une voleuse nègre. Au ballon, Rosetta se mit à chanter. Elle fit fondre le cœur de ses tortionnaires. Tant de beauté finit par les éblouir et les grilles s’ouvrirent comme par enchantement. Cette histoire entra dans la légende de Rosetta. On n’enferme pas un ange. Même s’il est gros et noir.

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             En Angleterre, Chris Barber était dingue d’elle. Mais dingue à s’en cogner la tête dans ses portes de placards. Il réussit à la faire venir en Angleterre pour une tournée, le fameux American Folk-Blues And Gospel Caravan de 1964. Les blanc-becs de la presse vinrent voir cette négresse qui parlait fort et qui chantait ses spirituals « with a rock’n’roll beat ». En Europe, elle fracassa tout, comme l’avait fait LeadBelly juste avant elle (LeadBelly était devenu célèbre en Europe grâce à « Rock Island Line », l’un de ses classiques repris par l’ex-joueur de banjo de l’orchestre de Chris Barber, Lonnie Donegan). Dans les bonus d’un DVD intitulé « The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966 », on voit Rosetta arriver en calèche à la gare de Manchester, attraper sa SG blanche et jouer deux morceaux sur le quai, « Didn’t It Rain » et « Trouble In Mind ». On croit rêver. Elle porte un gros manteau blanc et joue au milieu des flaques d’eau. Elle prend ses solos en picking à l’onglet et dégage autant d’énergie que Wolf. Fantastique !

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             Mais le destin sera particulièrement cruel avec Rosetta, comme il le fut avec Big Mama Thornton qui aurait dû ramasser les millions qu’a ramassé Elvis avec « Hound Dog ». Willie Dixon va transformer « This Train » - un vieux hit de Rosetta - en « My Babe », juste en changeant les paroles. Ce sera un hit pour Little Walter sur Chess. 

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             Le rock’n’roll doit absolument tout à Rosetta et pourtant, elle va rester dans l’ombre. Ce sont essentiellement les petits culs blancs de Memphis et des alentours qui vont tirer les marrons du feu et faire fortune grâce au rock’n’roll. Seuls les admirateurs de Rosetta savent qu’elle a tout inventé. La rock attitude, c’est elle.

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             Ginger Baker se souvient très bien d’elle. En 1958, il jouait de la batterie dans le Diz Disley Band qui allait accompagner Rosetta pour une tournée en Scandinavie. Lors d’une répétition, Rosetta demanda à Ginger quelle teinture il utilisait pour avoir des cheveux aussi rouges. Ginger lui répondit que c’était sa couleur naturelle. Comment crois-tu que Rosetta a réagi ? Comme toi, quand tu demandes à une blonde si elle est vraiment blonde. Vazy, montre un peu, pour voir. Par contre, Ginger ne dit pas s’il a baissé son pantalon, comme le lui demandait Rosetta qui voulait vérifier.

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             Le meilleur moyen d’entrer dans l’univers magique de Rosetta, c’est encore d’écouter une compile. The Gospel Of The Blues est facile à trouver. « My Man And I » date de 1938 et tu vas entendre cette brute de Rosetta attaquer à la gratte. En 1939, elle enregistre son hit le plus connu, « This Train » dans lequel elle claque un killer solo stupéfiant. Même aujourd’hui, peu de gens jouent aussi bien qu’elle. Rosetta et Ray Campi sont les deux héros oubliés de l’histoire du rock américain. Elle joue tout en picking. Hallucinant. Avec « Trouble In Mind », elle chante comme une reine du blues et nous transperce de cœur. Elle rejoint Wolf au firmament. « Rock Me » est aussi du pur jus, même si un jazz-band l’accompagne. Elle va chercher Dieu dans les nuages. Elle braille, et derrière, ça swingue. Encore une fois, elle frise le pur génie, même si pour elle ça semble complètement ordinaire. Elle revient en reine du blues avec « Nobody’s Fault But Mine » et une intro démente. On est en 1941, soit vingt ans avant John Mayall. C’est à tomber. La voix de Rosetta contient toute la beauté du blues. Elle corse l’affaire avec un solo punk qu’elle claque sur sa gratte, et de vrais gimme-gimme-gimmicks des enfers. « I Want A Tall Skinny Papa » est big-bandé à fond. Rafales de cuivres et chœurs de mecs, tout est là. Une petite leçon de swing, ça ne fait jamais de mal. Histoire de rappeler que les noirs ont vraiment tout inventé et que le jour où un blanc sonnera comme ça, eh bien, les poules auront des dents.

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             Ce swing te réchauffe la cervelle. Malcolm X aurait adoré danser avec Rosetta sur la scène du Cotton Club. Ils auraient ri comme des enfants devant un public mondain. Elle embarque « God Don’t Like It » à la guitare et elle continue de dérouler ce gimmickage insistant qui fait d’elle la reine du rodéo. Avec « What’s The Soul Of A Man », elle tape dans le blues des cabanes de l’Arkansas, et ça l’amuse de dynamiter le carcan des douze mesures. La voix de Rosetta n’en finit plus de briller au ciel du blues et du rock. Rosetta est réellement la star de nos rêves, drôle, douée et elle shake, comme le dit si bien Jerry Lee. Un jour à Copenhague, une gamine lui tendit un bouquet de fleurs alors qu’elle allait descendre du train. Rosetta n’avait pas vu la marche. Elle disparut. Elle était tombée dans la fosse de voie. On vit réapparaître sa tête quelques secondes plus tard. Elle souriait. « Keep smiling and keep your big mouth shut ! »

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             De ce côté-ci du joint, Rosetta est la meilleure Queen de juke. Inutile d’aller perdre son temps avec les petites chanteuses de blues actuelles. C’est Sister Tharpe qu’il te faut. Et puis on tombe sur le loup blanc, « Strange Things Happening Everyday », le rock des origines. Tout est déjà là, bien avant les premiers standards du rock’n’roll : le swing, le solo, l’énergie. Le solo est même fatal, et elle embarque les chœurs à la force de la voix. Coup de génie enfin avec son duo sur « Didn’t It Rain » avec Marie Knight, mélange de gospel et de guitare punk. Elles font les chœurs et derrière Rosetta gratte comme une folle.

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             L’album Spirituals In Rhythm date de 1960. Le disquaire d’occase qui l’avait dans son bac de blues me disait que personne n’en voulait. Tant mieux. Ce n’est pas le disque du siècle, c’est vrai, mais il y a sur cet album une bonne demi-douzaine de choses qui valent grandement le détour. Elle rocke le gospel avec « He’s The Lily Of The Valley » comme d’autres rockent le craddle. Ça va même plus loin : elle explose le gospel de God. Elle gratte ses cordes et tire la langue, lilly-lilililly of the valley ! Puis elle wouaffe comme un petit roquet. Dingue. Sur « I Do Don’t You », chef-d’œuvre absolu du gospel-blues, on a des chœurs qui rappellent les grandes heures des Edwin Hawkins Singers. On est même frappé par l’éclatante grandeur de ces chœurs démentoïdes, par la fantastique énergie des filles qui vibrillonnent les harmonies vocales à l’extrême. Elles organisent d’extraordinaires relances et tout cela s’articule sur une mélodie imparable. Rosetta fait monter son talking à la mode de l’Arkansas, elle le prend par en-dessous - Oh yeahhh I do/ Talk to you ! - Effarant de beauté. Encore un gospel-blues nappé d’orgue avec « God Lead Us Along ». Rosetta y va à l’énergie. On commence à mesurer l’immense grandeur de cette femme tournée vers la lumière du gospel. Parvenue au sommet de sa hurlette, elle arrache encore. Elle dépasse toutes les limites et elle subjugue. Elle est tout simplement renversante d’élan vital. « The Family Prayer » est swingué jusqu’à la moelle des os. Rosetta peut aussi chanter comme Esther Phillips. Dans « I Saw The Light », elle swingue la chair grasse des chœurs d’enfer. Les Tharpettes sont déchaînées. On assiste à une extraordinaire débauche de chœurs dynamiques.  Tout explose, elle tape dans le tas, ça jute de partout, c’est une shooteuse fatale. Rien ne peut l’arrêter. On ne retrouvera cette énergie que chez d’autres géantes comme Aretha, Sarah Vaughan ou l’immense Ella Fitzgerald, mais sans la gratte.

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             Quelques merveilles se nichent sur l’album Gospel Train, comme « Jonah », qu’elle écoule avec un phrasé d’une sidérante limpidité et elle passe un solo en picking. « Jesus Is Here Today », c’est tout simplement le rumble de Rosetta - Pray ! Pray ! - ça swingue, c’est dingue, et elle nous refait le coup du solo en picking. Fantastique duo avec Marie Knight pour « Up Above My Head ». Elles swinguent autant, sinon plus, qu’un big band des années trente. Avec « Didn’t It Rain », on retrouve le picking et Marie : le rêve. On a là le nec plus ultra du swing. Rosetta embarque ça avec des cliquetis de virtuose. Et elle joue ! Il faut voir comme elle joue !

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             L’idéal est aussi de l’entendre sur le Live in Paris, en 1964. On retrouve tout ce qui fait sa grandeur dans cette série de morceaux. Elle est accompagnée sur l’A par Ransom Knowling à la stand-up, et Willie Smith, le drummer de Muddy. C’est le plus grand power trio de tous les temps, pas de doute. Le swing, rien que le swing. Sans swing, la musique ne va pas loin. Sur « Jesus Is Everywhere », ils font un véritable festival. Ransom slappe comme une bête de Gévaudan. Rosetta fait swinguer le gros cul du gospel avec « Go Ahead » et place une fois de plus un solo de guitare punky. Fantastique version de « This Train » qu’elle joue en continu à la guitare. Ransom éclate de rire - Ha-ha-ha - comme un gros jazzman nègre de Chicago émoustillé par le talent du collègue. Un big band accompagne Rosetta sur la B, mais on entend toujours le son de la SG blanche. Elle joue en permanence et jusqu’à la fin du disque, elle n’en finira plus de subjuguer nos oreilles. « That’s All » est un pur classique de rock’n’roll, une vraie perle de juke à l’ancienne. Elle embarque tout à la voix et elle place l’un de ces killer solos flash dont elle a le secret. Version toute aussi hallucinante d’« How It Rains ». On sort de ce disque à quatre pattes et la queue entre les jambes.

             Comme les grands prêcheurs du Deep South, Rosetta savait enflammer un public. Elle pouvait se pointer sur scène avec des fourrures, des bijoux et une perruque, mais elle n’oubliait jamais de se mettre au niveau des gens qui venaient assister à son spectacle. Chez Rosetta, il n’y avait pas les chichis du star-system. Elle veillait scrupuleusement à rester la petite négresse élevée à Cotton Plant par Katie Bell. 

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             Bill Doggett : « Au Savoy, Rosetta était accompagnée par l’orchestre de Lucky Millinder. Quand elle arrivait sur scène, les gens devenaient carrément dingues. Tout le monde adorait Sister. Elle savait comment parler aux gens. Elle avait un charisme incroyable. » Dizzy Gillespie fit partie en 1941 de l’orchestre de Lucky Millinder. Il était lui aussi fasciné par Rosetta.

             Rosetta croisait les stars de son époque et ça ne lui tournait pas la tête.

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             Pendant toute une période, elle partagea la scène avec Marie Knight. Elles avaient mis au point un numéro spectaculaire pour « Saints & Sinners » : Marie la pécheresse arrivait déguisée en petite paysanne avec un ukulélé, et Rosetta la sainte déboulait en robe et en grattant sa grosse gratte. Le public explosait de rire, tapait des pieds, ovationnait les deux farceuses. Alors Rosetta en rajoutait une couche et le public devenait incontrôlable. C’est ainsi que Gayle Wald décrit un concert ordinaire de Rosetta - A typical performance, circa 1949 - L’album Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight donne une petite idée de ce que pouvait être ce numéro. Dans « Milky White Way », on les entend grimper dans des hauteurs immaculées. Sur « Who Rolled The Stone Away », Marie chante seule et sort un gospel swing d’enfer. Sur ce disque, tout est infernal, on entend Rosetta placer des killer solos ici et là, comme si pour elle, il n’y avait rien de plus naturel.

             Au soir de sa vie, Rosetta eut pitié des pauvres petits blancs qui ne comprenaient pas grand-chose à la musique noire et elle fit un peu de pédagogie. Elle expliqua que le blues, c’était le nom théâtral du gospel et que le vrai gospel devait rester très lent, comme « Amazing Grace ».

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             — Si vous commencez à claquer des mains, ça donne le gospel revival et si vous rendez ça encore un peu plus joyeux, ça donne le jazz... Puis ça devient éventuellement le rock’n’roll.

             Non seulement Rosetta fut une star du gospel et une guitariste spectaculaire, mais elle fut aussi et surtout une flamboyante rockeuse noire. Elle fit des étincelles, bien avant l’apparition du rock’n’roll de grand-papa.

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             On profite d’une petite actu pour sortir Sister Tharpe du bocal. Vient en effet de paraître Live In France - The 1966 Concert In Limoges. Par ici, on appelle ça de l’inespérette d’espolette. Ailleurs, on parlerait plus prosaïquement de dynamite. Dans le booklet, t’as des images de Rosetta avec sa SG blanche. Et tu l’entends parler en français aux gens de Limoges - Et maintenant je vais cheteeeeh This Train - Et boom, «This Train», elle part en picking du diable. Elle reste en picking pour «Didn’t It Rain» et dans la salle, ça claque des mains. Rosetta est complètement possédée. C’est le diable qui gratte ses poux. Elle fait encore sa guitar herotte dans «Moonshine». Dommage que les gens applaudissent à tout rompre. Les applaudissements sont même gonflés et ça finit par te gonfler. Elle jive le jazz de «Sit Down» à la Méricourt et balance un fabuleux shoot de gospel rock avec «When The Saints Go Marching On». Elle reprend encore toute la mighty Americana à son compte avec «Joshua Fought The Battle Of Jericho». Elle fait du classic stuff de Sister avertie. Elle refait sa guitar herotte dans «Travelin’ Shoes» - Travelin’ shoes Lawd ! - et chante «Beams Of Heaven» à pleine gueule. Elle dévore le gospel tout cru. Please my Lawd ! Elle tape encore dans l’œil du cyvclone avec «Go Ahead» et montre qu’elle connaît toutes les ficelle de caleçon du gospel boogie avec «Bring Back Those Happy Days». Et puis tu la vois partir en mode rockab dans «If Anybody Above Me». T’en connais beaucoup des superstars aussi merveilleuses ?

    Signé : Cazengler Tartignole

    Sister Rosetta Tharpe. Spirituals In Rhythm. Diplomat Records 1960

    Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Gospel Train. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Live In Paris 1964. France’s Concert 1988

    Sister Rosetta Tharpe. The Gospel Of The Blues. MCA Records 2003

    Sister Rosetta Tharpe. Live In France. The 1966 Concert In Limoges. Elemental 2024

    Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

    The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966.  DVD 200

    Gayle F. Wald. Shout Siter Shout. The Untold Story of Rock-And-Roll Trailblazer Sister Rosetta Tharpe. Beacon Press 2007

     

     

    Inside the goldmine

     - Sommers in the city

             Avec Baby Joana, ce fut le coup de foudre. Mais un coup de foudre un peu bizarre. Elle débarqua cet été-là au camping de Singère avec trois copines. Elles étaient complètement autonomes, pas de parents dans les parages. À cette époque, c’était assez inhabituel. Alors il y eut des fêtes sauvages chaque nuit sur la plage. Alcool, crises de rires, seins à l’air, copulation, liberté totale, joie de vivre. Le paradis. Chaque nuit, le même cirque. Encore et encore. Et comme c’est un âge où on tombe facilement amoureux, alors il est tombé amoureux. Mais amoureux des quatre. Elles s’étaient toutes les quatre offertes à lui, et il se sentait bien incapable de faire un choix, car chacune d’elles avait une sensualité exacerbée, au point que dans la journée, il se sentait dévoré d’une passion anarchique pour une hydre à quatre visages et huit mains. Il sentait cependant poindre en lui une préférence pour Baby Joana, mais il ne pouvait la détacher de ses trois copines. Cet hiver-là, il alla passer les vacances de Noël dans la région où elles vivaient toutes les quatre, et il les revit, mais séparément, car le contexte était beaucoup plus austère. Lycéennes, elles vivaient bien sûr chez leurs parents et semblaient toutes subir une sorte de petit joug totalitaire, surtout Baby Joana qui semblait physiquement transformée. Elle portait ses cheveux châtain clair tirés vers l’arrière en queue de cheval, et comme ses parents lui interdisaient de se maquiller, elle offrait le spectacle d’un regard bleu extrêmement cru. Elle portait une espèce d’affreux caban, une jupe longue, des mocassins noirs et des chaussettes blanches. Il ne restait plus rien de ces formes divines palpées avec ivresse pendant les fêtes dionysiaques de l’été. Baby Joana faisait peine à voir. Elle en avait les yeux humides de tristesse. Elle s’était arrêtée de vivre. Elle devait mentir pour venir au rendez-vous, et son temps était compté : devait rentrer à 17 h chaque jour. Elle craignait par dessus tout les représailles de ses parents. Elle marchait dans la rue en poussant son Solex et se retournait à chaque instant pour vérifier qu’on ne la suivait pas. Quand il voulut l’embrasser, elle se mit à pleurer. Elle ne supportait pas de revenir en enfer après avoir connu le paradis.

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             Joanie Sommers est aussi belle que Baby Joana. C’est sur une compile Northern Soul qu’on découvrit Joanie Sommers, avec l’irrésistible «Don’t Pity Me». Tous les fans de Northern Soul connaissent ce smash. La belle Joanie est une Buffalotte de Buffalo, état de New-York, transplantée en Californie, dans les années cinquante, et qui fit carrière chez Warner Bros dans les early sixties. Comme les grandes chanteuses blanches de son temps, elle savait tout faire : le jazz, le groove et la variette.

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             «Don’t Pity Me» ouvre le bal de cette fantastique compile qu’est Hits And Rareties. Joanie est la plus sexy de toutes les blanches, elle y va au don’t pity me de petite chatte demented, elle te le sucre sur fond de wall of sound, elle te le danse, elle te le prend à la main de petite brune sexy, c’est du délire, te voilà baisé, tu tombes dans les bras de Sommers in the city. Cette compile est une vraie caisse de dynamite. Tu l’ouvres à tes risques et périls. Plus loin, tu tombes sur l’«I’m Gonna Know He’s Mine» de Mann & Weil, elle t’explose le Brill. Même chose avec «I’d Be So Good To You». Diable comme elle est belle sur la pochette et diable comme elle casse bien le sucre du Brill. Elle est la cerise sur le gâtö du Brill. Plus loin, encore deux super-productions : «My Block» et «Since Randy Moved Away», deux cuts tentateurs, ultra-violonnés, elle y rentre chaque fois au sucre candy. Avec «Call Me», elle bascule dans la délinquance juvénile, elle chante à la candeur de la chandeleur. Et puis tu as «A Lot Of Livin’ To Do», elle y va envers et contre tout, avec cette voix de sucrette du diable et une niaque qui pourrait faire peur. Elle évolue dans un heavy jazz sound, fabuleuse Joanie, elle tape le jazz nubile, c’est explosif, jazzé jusqu’à l’oss de l’ass. Embarquée comme un fétu de paille, elle gueule encore. Elle jazze son sucre héroïquement, elle tient son cap jusqu’au bout. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie ! Sur les 31 cuts de la compile, la moitié sont des smash. Avec «Mean To Me», elle fait du pur jus de Billie Holiday. Elle détient ce pouvoir extravagant. La blanche bascule dans le swing de black. Elle chante encore son «Goodbye Summer» à outrance. Serait-elle plus royaliste que le roi ? Son sucre te rendra fou («Goodbye Joey»). Mine de rêve, voix de rêve. Elle chante encore «I’m Nobody’s Baby» comme une blackette, à cheval sur le champ de coton et la case de l’Honk Tom. Elle te coule encore ta flotte à la bataille navale avec «I’ll Never Stop Loving You», elle oscille en permanence entre le black world et le sucre candy, elle en abuse d’ailleurs dans «Out Of This World». mais il faut dire qu’elle a toujours un angle d’attaque spectaculaire, comme si elle voulait se poster à l’avant-garde de la variété américaine. Son attaque plait bien. Elle a du sexe plein la voix («Johnny Get Angry»). D’une certaine façon, elle éclaire la pop, elle te prend bien sous les aisselles. Elle fait une belle cover de «Summertime», elle y remonte bien le courant. Elle se prête à tous les genres avec une souplesse épouvantable, notamment à l’exotica de «That Old Devil Moon». Elle revient au jazz pour «What Wrong With Me», elle est folle de swing. Elle devient stupéfiante, elle sucre le swing ! Puis elle refait sa blackette pour aller taper «Henry Penny» au coin de la rue. Bizarrement, le mec qui a pondu cette compile n’a pas jugé bon d’inclure des liners.

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             Par contre, les mecs de Real Gone Music sont un peu moins rats : un petit booklet accompagne The Complete Warner Bros. Singles. On y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà, si ce n’est que «Don’t Pity Me» fut son dernier single sur Warner Bros. Elle signa ensuite chez Columbia. Ce double CD fait un peu double emploi avec la compile précédente, mais bon, on s’en accommode fort bien. Sur le disk 2, on retrouve tous les smash évoqués plus haut, «Don’t Pity Me» (elle bat les Supremes à la course), «My Block», co-écrit par Bert Berns, dont on se délecte une fois encore, et puis l’«I’d Be So Good For You» qui est une raison supplémentaire d’adorer Joanie. Elle sonne exactement comme les Ronettes. Elle monte directement au firmament de la pop, et puis avec «I’m Gonna Know He’s Mine», elle groove le Brill au mieux des possibilités. On croise aussi pas mal de variette, comme ce «Little Girl Bad» qui se noie dans un océan de sucre.

             La viande est sur le disk 1, à commencer par «I’ll Never Be Free». Elle chante comme une blackette, c’est même écrasant de white-niggerisme. Comment s’y prend-elle pour parvenir à ce résultat ? On ne le saura jamais. Elle dégouline littéralement de blackitude. Elle chante son «Be My Love» au fourreau de soie, elle est fabuleusement hollywoodienne. Elle revient à son cher sucre candy avec «Ruby-Duby-Du», c’est dire l’étendue de sa polyvalence. Et de là, elle passe au groove de round midnite un peu sucré avec «Bob White (Watcha Gonna Swing Tonight)», elle claque son tonite avec une niaque particulière. Sacrée pouliche. Joanie gagne à être connue. Elle te jazze tout ça à la black. Elle sait aussi travailler la clameur de Broadway, elle s’éclate au Sénégal avec «I Don’t Want To Walk Without You», il faut l’écouter c’est sûr, mais à petites doses. Ces grosses compiles sont dangereuses, car c’est un son difficile, extrêmement sophistiqué, celui des early sixties américaines. Elle se montre encore spectaculaire avec le wild jazz de «Seems Like Long Long Ago». Une constante chez elle : sa fantastique énergie. On tombe plus loin sur un «Makin’ Woopee» tapé à la stand-up, elle rentre encore dans le chou du groove comme une black. On peut bien dire qu’elle a du génie. Ce que vient confirmer le «What’s Wrong With Me» déjà croisé sur la compile précédente, avec une orthographe différente («What Wrong With Me»). Elle le vibre à la Billie, Joanie est une énorme shooteuse, elle initie la propulsion maximale. Ça te coupe carrément la respiration. Tu découvres des architectures de son au dessus de ta tête, ce sont les arcanes du génie pur.

    Signé : Cazengler, Joanie Sommaire

    Joanie Sommers. The Complete Warner Bros. Singles. Real Gone Music 2011

    Joanie Sommers. Hits And Rareties. Marginal records 1995

     

     

    L’avenir du rock

     - Signed Dee C

             Une nuit que l’avenir du rock se promenait dans un cimetière, il croisa un singulier personnage. Sous son élégant chapeau, il avait noué un bandana. Il portait des lunettes noires, comparables à celles de Ray Charles. De haute taille, de peau noire et plutôt élancé, il déambulait avec la nonchalance d’un dandy. L’avenir du rock s’émut plus que de coutume, car croiser un black dandy la nuit dans un cimetière n’est pas chose courante. C’était une nuit de pleine lune. Le silence régnait sur les tombes aux silhouettes parfaitement dessinées. L’avenir du rock leva son chapeau pour saluer l’inconnu qui avançait à sa rencontre. 

             — Enchanté de vous rencontrer en ce lieu insolite. Permettez-moi de me présenter : je suis l’avenir du rock, mais rassurez-vous, un avenir dénué de toute prétention. Ça vous rassurera sans doute de savoir que je ne suis qu’un simple concept.

             L’homme hocha la tête et se mit à psalmodier :

             — Sometimes I feel so lonely/ My comedown I’m scared to face...

             L’avenir du rock ne sut quoi répondre. L’homme reprit :

             — I’ve pierced my skin again/ Lord/ No one cares/ For me...

             L’avenir du rock s’interloqua :

             — Vous n’avez pourtant pas l’air d’aller mal. Vous savez, il vaut mieux éviter de me prendre pour une andouille.

             L’homme reprit sur le même ton :

             — My soul belongs to the dealer/ He keeps my mind as well/ I play the part of the leecher/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             Et là il sortit un harmo de sa poche et se mit à jouer un solo déchirant de beauté.

             — Ah je savais bien que je vous avais déjà croisé quelque part ! Vous êtes Arthur Lee ! Jouez moins fort, Arthur, car vous allez réveiller le voisinage.

             — Look out avenir du rock/ I’m fallin’/ I can’t unfold my arms/ I’ve got one foot in the graveyard/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             — Tu nous fatigues Arthur avec tes problèmes et ton Signed D.C. Écoute plutôt Dee C. Lee, ça te remettra l’équerre au carré.

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             Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Dee C Lee ne sort pas d’une chanson d’Arthur Lee, mais de la scène Soul anglaise, puisqu’ex-Style Council et ex-madame Weller. Dans Mojo, Ian Harrison salue son retour après 26 ans d’absence. Dee C vient tout juste d’enregistrer Just Something et ça sort sur Acid Jazz, le label d’Eddie Piller. C’est grâce à Piller qu’elle reprend du service. Elle a enregistré avec des mecs des Brand New Heavies et de James Taylor Quartet.

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             Just Something est un très bel album de groove, comme le montrent «Be There In The Morning» et «Walk Away». Elle est assez fabuleuse, experte en entertainment d’excelsior. Acid Jazz ramène toute la niaque orchestrale et tu finis par te croire arrivé au paradis. Dans «Walk Away», l’éclat des cuivres t’éblouit. Elle attaque son album avec un heavy diskö groove d’Acid Jazz, «Back In Time». Elle est tellement à l’aise. Tu assistes à l’éclosion d’un magical time monté à la clameur. Puis ça flûte dans «Don’t Forget About Love». Elle groove des reins comme une reine de Saba. Elle frise parfois le Burt, l’ensemble est d’une luminosité aveuglante. La classe intersidérale du groove finit par te fasciner. Tu renoues avec le souvenir des jours heureux. Elle sait charger sa barcasse d’ampleur. Elle sait aussi traîner en longueur. Tout est très-très sur cet album, et même très très-très. Très heavy, très heureux et très Acid Jazz. Elle sait poser sa voix de vétérane de toutes les guerres. Miss Dee C Lee est assez exceptionnelle.

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             Puisque la curiosité est un vilain défaut, on va aller fouiner un peu sous les jupes de Dee C, histoire de voir à qui ressemble le déficit des années antérieures. Son premier album Shrine date de 1986. Belle pochette, elle ressemble à la Reine de Saba et tape avec son morceau titre un heavy diskö funk d’une voix ferme et sans détour. Elle adore aussi se prélasser dans le satin jaune. C’est typiquement le genre d’album dont il n’y a rien à dire, un album de dancing Soul à la mode. Quand t’entends «He’s Gone», tu fais patacam patacam. Tout est à la mode là-dessus. Elle sauve les meubles avec la lanterne rouge «Hold On», tout au bout de la B, un joli slow groove syncopé.

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             Elle enregistre quatre ans plus tard l’excellent Slam Slam. Bel album de diskö dance. Il est à cette époque délicieusement à la mode. Dans son cas, ce n’est pas une tare. L’époque veut ça. «What Dreams Are Made Of» finit par devenir intéressant. Elle a une bonne attaque de velours black. Elle sait poser sa voix. Mais elle adore aussi aller sautiller sur le dance floor, la coquine. Elle revient faire sensation avec l’heavy groove synthétique de «Death Charge». Pour l’époque, elle était déjà très d’actualité. Elle te fait plus loin le coup du groove de charme avec «Tender Love». L’album s’écoute avec plaisir. Tu ne peux pas prendre Dee C Lee à la leegère. Elle termine avec un «Nothing Like It» de rang diskö princier. Elle est juste derrière son cut, au nothing like it.

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             Paru en 1994, Things Will Be Sweeter est un très bel album de groove type Acid Jazz. Elle campe dans son pré carré dès «I’m Somebody». Elle groove son heavy groove fluide, ça coule comme une fontaine de jouvence. Elle sait aussi groover en profondeur. Tu entends «Sympathy For The Devil» dans l’intro de «Set Your Spirit Free» et ça groove au xylo. Well done, Dee C ! Encore une extraordinaire qualité du climax dans le morceau titre. Elle se répand bien sur la terre, elle est pure et douce, it’s alright it’s okay ! Elle sonne comme un diamant brut d’Acid Jazz. Groove à fleur de peau. Elle est tellement pure qu’elle semble envoûtée. Son groove sent bon le Jazzmatazz. Elle développe encore une fantastique énergie du groove dans «Walk Away From The Floor». Elle tape ça à l’insistance congénitale et n’en finit plus de groover l’or du Rhin entre tes reins.

    Signé : Cazengler, Dee solu

    Dee C Lee. Shrine. CBS 1986    

    Dee C Lee. Slam Slam. Free Your Feelings. MCA Records 1991

    Dee C Lee. Things Will Be Sweeter. Cleartone Records 1994

    Dee C Lee. Just Something. Acid Jazz 2024

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    Ian Harrison : Back after 26 years. Mojo # 364 - March 2024

     

     

    Grace is Cummings back

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             Comme t’as écouté Ramona, tu t’attends à un gros choc émotionnel. Mais c’est mal barré parce tu te retrouves assis dans l’herbe dans un parc à la mormoille. Et pour encore aggraver les choses, t’es à deux doigts de cailler. Mais le cul dans l’herbe, c’est tout ce que tu as toujours détesté dans ta vie, t’es là comme une larve à changer de position toutes les cinq minutes parce que t’as mal au cul. Alors pour écouter chanter Grace Cummings, c’est compliqué. Toutes les trois secondes, tu te dis que tu vas te barrer, mais elle t’intrigue, la mini-Australienne au décolleté un peu trop vertigineux. C’est pas son décolleté qui t’intrigue, c’est le contraste qui existe entre la mini-corpulence (un gros 1,50 m et 30 kg) et la portée de sa voix. Quand on chante avec une voix aussi balèze, on pèse son poids, d’où le ton de l’illusse. Mais en réalité, t’as une gamine quasi-impubère sous les yeux et ça t’intrigue. Petite, brune, minimale.

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    Plutôt jolie. Et elle bouge bien. Trois mecs l’accompagnent, un hippie chapeauté à la gratte, un bassman déplumé, et derrière, un troisième lascar bat le beurre en toute impunité. Grace a deux petits défauts, sans doute liés à la configuration du set : elle force parfois sa voix et ça devient pénible, alors que sur Ramona, elle te fascine au point que tu l’imagines femme forte. Et d’autre part, elle se croit parfois à Woodstock, avec une façon un peu niaise de sourire à «l’immense» foule. Dommage, car en plus du mal au cul, ces deux petits défauts gâchent un peu le plaisir de la découvrir sur scène. En salle, elle aurait de toute évidence fait un carnage. Mais là, dans le contexte du plein air, le son se barre dans tous les coins, et elle se sent obligée de gueuler comme un veau, et c’est pas beau. Par chance, les compos de Ramona tiennent admirablement bien la route, elle ramène du climax et des structures édifiantes, elle refait du P.J. Harvey à sa façon, et finalement l’heure de set finit par passer. Tu fais ouf ! en te relevant péniblement. Te voilà frigorifié, avec un glaçon au bout du pif. Elle aurait joué au Pôle Nord, c’était pareil. Le côté positif de tout ça, c’est que t’as au moins appris une chose : ça peut cailler sec au moins de juin.

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             Pas compliqué : Ramona grouille de coups de génie, et ce dès le «Something Going Round» d’ouverture de bal, avec son côté profond, très Totor. Magnifique pop d’élan lointain, Grace est puissante - And I think about begging/ For tobacco & time - Subliminal d’I think it was autumn/ I think it was an autumn day. Quelle allure, elle dispose de toutes les ressources de la démesure absolue. Encore de l’heavy Soul system avec «Everybody’s Somebody», elle nage dans l’océan du bonheur, elle est tentaculaire, elle t’éclate ton petit Sénégal au cry cry cry you want to know them. Elle te chante encore «A Precious Thing» au plafond, et c’est ultra-orchestré - Love is just a thing/ That I’m trying to live without - hallucinant d’intensité - And time is just a time/ It passes/ It dies/ Just stay and play - Tu croises rarement les jardins suspendus de Babylone. Dans «I’m Getting Married To The War», elle a les castagnettes de Totor. Tous ses cuts sonnent comme de fortes implications chargées d’audace. Elle travaille les syllabes de «Work Today (And Tomorrow)» comme le fait Billie Holiday avec les siennes. Encore de la fantastique maturité dans «Common Man». Elle te fend bien le cœur. Elle t’en impose. Quelle force de caractère ! Et son morceau titre est tellement bardé de bada que le casque chevrote.

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             Par contre, Storm Queen - l’album au perroquet qui précède Ramona - te laissera sans doute sur ta faim. Elle sort déjà une voix de femme mûre qui peut aller gueuler là-haut sur la montagne, mais il manque la magie. Son «Always New Days Always» humide et chaud s’enroule autour de ton oreille, mais elle est beaucoup plus folk que sur Ramona. Et même un peu lourde. Les cuts sont problématiques, pas très bons. Elle se prend parfois pour Leonard Cohen, («Up In Flames»), mais ça ne marche pas. Trop pâté de foie. «Here Is The Rose» est trop perlé de lumière. Trop dentelle de Calais. Elle est encore lourde avec «Raglan», et c’est avec le dernier cut qu’elle décolle. Elle atteint enfin l’ampleur extraordinaire avec «Fly A Kite». Pure merveille de chant tordu. 

    Signé : Cazengler, cum tout court

    Grace Cummings. Festival Rush. Jardin De L’Hotel De Ville. Rouen (76). 6 juin 2024

    Grace Cummings. Storm Queen. ATO Records 2022

    Grace Cummings. Ramona. Grace Cummings 2024

     

     

    Shaking with the Shakes

     - Part Two

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             Après avoir atteint des sommets insurpassables avec les deux albums d’Alabama Shakes (Boys & Girls et Sound & Color), Brittany Howard retombe de tout son poids au fond du bottom de la dégringolade, avec un album de musique à la mode. C’est important qu’on en parle, car la grosse Brittany incarnait tous les espoirs de l’avenir du rock. Alors pour une fois, on peut s’attarder sur une dégringolade qui vaut bien celle de Lucien de Rubempré. Ce n’est pas qu’on soit sadique, au point d’aller se repaître d’un tel revers de fortune, non il s’agit plutôt d’examiner un mystère qui vaut bien celui de la Chambre Jaune.

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             Le pire, c’est qu’elle a pas mal de presse et notamment le fameux Mojo Interview. Aussi est-on allé quérir What Now sans coup férir. On est tellement sûr du coup qu’on ne pense plus à la simili déception de son premier album solo, Jaime. Dans les pages de magazine, la grosse Brittany apparaît encore plus grande et plus pulpeuse qu’auparavant. On se dit, diable, comment une femme peut-elle prospérer physiquement de la sorte ? Même la crinière semble hors de proportion. Et pour achever le tableau, elle porte des petites lunettes de pédale punk à montures blanches. Tu vois un peu le tableau ? Mais vu qu’elle est une superstar, elle a le droit de mettre tous tes petits a priori en déroute.

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             Le seul problème, c’est que What Now sonne comme une déroute. Le buzz retombe comme un soufflé. T’en reviens pas d’entendre un album aussi à la mode. Elle commence par écraser le son, comme si elle s’asseyait dessus. Et comme elle est grosse, le son capote. Elle tape dans l’ambiancier pépère, dans l’à la mode, elle cherche le confort de l’élastique et du téflon, comme le font toutes les grosses, il fait chaud, alors faut-pas-que-faut-pas-que. Et puis ça se barre dans un délire teknoïde, c’est patacam patacam. Bizarre qu’elle ait abandonné le filon d’or d’Alabama Shakes. Plus on avance dans cet album et plus il devient antipathique, avec un son trop saturé, trop electro, pas de mélodie ni de final éblouissant. Serait-elle paumée dans le labyrinthe de la gloriole, comme Lucien de Rubempré avant elle ? Elle fait pitié à voir, dans sa grande robe psychédélique. Elle ramène enfin une mélodie chant dans «To Be Still», mais il est trop tard. Le mal est fait. Elle s’est grillée. On va jusqu’au bout parce que c’est elle, mais tous ses cuts sonnent comme un grand foutoir Teknö, un abandon d’île, une débinade de baroud bidon. Elle perd définitivement le peu de crédit Soul qui lui reste avec «Samson», et avec «Patience», elle se branche sur une sorte de Soul à la Prince. C’est sans doute le seul bon cut de cet album décevant, elle joue bien des effets des Soul Sisters à la mode. Mais globalement, What Now laissera le souvenir d’un album de baltringue à la mode. Elle a perdu le power et la grâce de la graisse. Elle tente encore de passer en force sur «Every Colour In Blue» mais c’est une Sargasse de Blue sévèrement trashée à coups de trompette. Bizarre que les journalistes anglais ne parlent pas de suicide artistique.

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             Dans Uncut, Sharon O’Connell donne 9 sur 10 pour cet album foireux. Elle parle même de «border sonic invention». C’est dingue comme on se fait encore mener par le bout du nez, même à un âge avancé. Plutôt que de rester sur les sommets avec les Shakes, elle a préféré quitter le groupe et partir à l’aventure. La pauvre O’Connell se débat sur 4 pages avec son baratin. Elle trouve même dans What Now des traces de «Southern Soul, R&B, astral jazz, psychedelic funk, doo-wop, garage blues and rap.» Il faudra qu’elle nous explique où elle a trouvé tout ça, parce que ça n’existe pas dans What Now. Dans l’interview qui suit, la grosse Brittany déclare qu’elle s’est un peu laissée aller, au plan musical - Wathever comes out is OK - Elle se dit qu’elle va faire un nouveau disk, puis un autre, et puis encore un autre. All the styles. Ça promet ! Si on lit cet interview tout pourri, c’est dans l’espoir d’y trouver l’annonce d’une reformation des Shakes. Rien. Par contre, elle chante les louanges de Prince. Elle se dit aussi intéressée par Nina Simone et James Brown. I’m interested in emotional connection.

             Tapis rouge dans Mojo avec le Mojo Interview. Elle dit qu’elle a quitté les Shakes pour «suivre la musique» - What drove me was following the music - Puis Bill DeMain la ramène sagement sur le chemin chronologique, alors elle évoque tous ses vieux groupes d’Athens, Alabama, puis la rencontre avec Zac Cockrell, le futur bassman des Shakes. Des Shakes qui démarrent en 2009. Elle parle aussi d’Heath (gratte) qu’elle surnomme Abraham Lincoln, parce qu’il aime prendre son temps et réfléchir. Elle raconte l’ascension fulgurante des Shakes, à partir d’un cut mis en ligne sur un blog. Et boom ! C’est Patterson Hood des Drive-By Truckers qui met les Shakes en contact avec un management et boom, les voilà sur ATO, le label des Truckers. Puis c’est les gros sous, l’achat d’une baraque à Nashville et les concerts avec Prince et McCartney. Puis arrive l’inévitable question : «Will you ever reunite?». Elle répond qu’elle ne veut pas parler des Shakes comme si c’était fini. This is where we are for now. Elle dit qu’elle a des relations «périphériques» avec le batteur et Hearth. Seul Zac est resté avec elle.

    Signé : Cazengler, Alabama Shit

    Brittany Howard. What Now. EMI 2024

    Sharon O’Connell. Brittany Howard. Uncut # 322 - February 2024

    Bill DeMain : Brittany Howard - The Mojo Interview. Mojo # 363 - February 2024

     

    *

    Longtemps qu’un groupe polonais n’ait attiré mon attention, et plouf celui-ci est de Perzow commune rurale sise en le district de Grande Pologne, un peu au centre-ouest du pays, entre nous, je ne voudrais pas être méchant ou méprisant, ça m’a tout l’air d’un coin perdu, laissons ces géographiques considération pour nous intéresser  au groupe lui-même, vous me ferez le plaisir de ne pas le confondre avec le groupe russe  Arkona. 

    L’Arkona de cette chronique se qualifie lui-même de horde, dénomination qui fleure bon la barbarie, toutefois paganisme et anti-christianisme s’avèrent être les deux mamelles amalthéennes auxquelles le groupe  s’abreuve. Leur premier opus sorti en 1994 ne se nomme-t-il pas An Eternal Curse of the Pagan Godz et leur deuxième ne se réfère-t-il pas aux Dieux de l’Oubli, à moins que le traducteur ne se soit mélangé les pinceaux et que ce  ne soit l’analyse heideggerienne de l’Oubli des Dieux ce qui intellectuellement nous ramène vers le concept de romanité, serait-ce un hasard si leur troisième album, paru en 1996, arbore fièrement le nom d’Imperium. Si les Dieux se rapportent au Dire du Mythe, le terme d’Imperium est une référence explicite au Domaine du Politique. Qu’en est-il au juste, le mieux serait d’y aller voir.

    IMPERIUM

    ARKONA

    (Astral Wings Rec. /1996)

    Khorzon : guitar, bass / Messiah : vocals, lyrics / Sylvain : drums / Pitzer : guitar  / T. Lewinski : keyboards, composition.

    Ce mois de septembre 2024, Arkona vient de sortir l’album Stella Pandora, de l’équipe quasi initiale d’Imperium ne reste plus que Khorzon. Khorzon possède plusieurs cordes à sa lyre de fer puisqu’il officie aussi au chant et aux claviers, c’est lui qui est le maître d’œuvre de la pochette.

    Arkona était une ville située en la mer Baltique sur l’île poméranique de Rugen, tout au nord sur un cap rocheux, au centre de la cité  s’élevait un temple consacré à Svantevit Dieu slave de la guerre, de la fertilité et de l’abondance. Il peut paraître étrange pour notre mentalité d’occidentaux déclinatoires d’associer l’idée de guerre avec celle d’une profusion excédentaire mais nous sommes en des temps sombres. En 1160, l’armée danoise de Valdemar I secondé par les très chrétien évêque Roskilde Absalon s’emparèrent de la ville s’empressant de détruiret du même coup le dernier temple païen des différents peuples slaves. Les polarités  de Svantevit sont nombreuses, elles recoupent la plupart des attributs des principaux Dieux grecs : Zeus, Apollon, Janus, Arès, Poseidon, Démeter, Leucothée, liste non exhaustive…

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    A première vue une panoplie d’armes que l’on accrochait aux murs de sa demeure pour rappeler les exploits militaires du maître de maison, un peu comme ces trophées que l’on se hâtait dans l’affolement général de décrocher des pièces d’apparat des grandes maisons romaines alors que l’armée d’Hannibal marchait sur Rome, ne nous laissons pas hypnotiser par les yeux glacés de la tête de Méduse à la chevelure entremêlée de serpents, les lances, les hallebardes, les mousquets, jusqu’à la forme des cors, les drapeaux, malgré la tête du bélier de Mars nous sommes dans une imagerie guerrière qui emprunte d’après moi à une iconographie post-médiévalo-germaine, tributaire des lansquenets allemands chargés d’arrêter les charges de cavalerie… Un symbole de résistance d’autant plus poignant qu’il semble sculpté sur le tablier d’ouverture d’un tombeau…

    Que le lecteur ne soit pas surpris par l’étrangeté des titres, en ses débuts Arkona utilisait leur langue nationale : le polonais. Comme nous sommes trop bons nous les avons fait suivre de leur traduction.

    Skrajna nienawiść egoistycznej egzystencji : La haine extrême de l'existence égoïste : même traduit le titre procure une impression étrange, l’on s’attend à une scène d’épopée, un fourmillent kaotique de champ de bataille et nous voici renvoyés à l’intérieur de la citadelle intime de tout un chacun, ego, ego, égo… Claviers et tintements, des arpèges à la Bach enfin le chant s’élève porté sur le dos galopant des guitares, il nous nous montre le chemin, d’abord celui de l’arrachement, déjà derrière soi… le rythme s’accélère, la voix djente comme un serpent qui siffle, qui ne laisse aucun espoir, si l’on s’est enfui du lourd manteau des mensonges christiques,  l’on n’en est pas plus libre pour autant, l’on court dans les marécages d’une solitude glacée,  le bonheur n’est pas au bout du chemin, l’on se retrouve seul avec soi-même, aucun dieu consolateur pour nous réconforter, les claviers glissent à la manières des bateaux que la vague pousse dans l’immensité des gouffres, nous possédions la tristesse des jours enfouis sous la chappe de plomb des croyances, nous voici à l’air libre dépossédés de toute illusion, ô la grisâtre lénifiante, nous voici plongés dans la désespérance nihiliste, courir sans fin, se précipiter, ne plus croire en rien, ne plus compter que sur soi-même même si notre cerveau est aussi vide que l’abîme dans lequel nous nous jetons hardiment. Epidemia rozczarowania i nędza duchowa : Une épidémie de déception et de pauvreté spirituelle : comme de l’eau qui coule, le vocal vomit tout ce qui a été vécu, c’est l’heure du ressentiment dirait Nietzsche, le plus dangereux celui qui ne s’adresse pas aux autres mais à soi-même, une espèce d’auto-lapidation impitoyable, oh, l’on n’a pas peur de lancer la première pierre, Descartes nous rassure en affirmant que c’est l’heure du doute, n’empêche qu’Hegel nous a appris que la négativité de soi-même est un grand pas en avant vers la guérison, est-ce pour cela que la musique est entraînante, pratiquement envoûtante, que le rythme s’accélère, se replie sur lui-même pour se détendre pour se projeter encore plus vite, encore plus rapidement, vers l’avant, la grande interrogation se métamorphose en immense exclamation, en zénithale exultation de soi-même, mieux vaut la mort que le mensonge, prenez exemple, que votre joie soit celle de Zarathoustra. Métaphysique festive. Każdy los to cień : chaque destin est une ombre : heure décisive et effroyable, quand on a tué Dieu, il ne reste plus qu’à faire confiance à son propre destin. Le chant appuie très fort, il s’agit de convaincre, d’ouvrir la porte, le destin n’est pas une voie tracée d’avance, notre déclin dépend de notre choix, il suffit de penser, de s’être démuni de toutes les valeurs, chaque pas est dicté par notre pensée, nous ne savons pas où nous allons, rythme rapide mais lourd, la batterie halète, mais nous savons ce que nous sommes, que nous allons vers ce que nous sommes en train de devenir. Conseils donnés à ceux qui hésitent sur le pas de la porte. C’est pourtant en soi-même qu’il faut rentrer. Suprême ordalie. Jesienne cienie czekające na kolejną reinkarnację : Ombres d’automne attendant la réincarnation : un train qui fuse dans la nuit, l’arrivée est certaine, c’est la station mort, mais c’est toi qui meurs en toi-même, en ta mort tu renfermes tout ce qui a été toi, tu es ton propre maître , tu t’enfermes dans ta mort pour la revivre, c’est sans fin, les saisons passeront et reviendront sans cesse en ton royaume dont tu es le roi absolu, décrochement musical, un envol parallèle à lui-même, et la vie reprend de plus belle à l’intérieur de ta mort, musique joyeuse, chant de triomphe, ce que tu as vécu renaît et revient, maintenant tu ne souffres plus, tu regardes les scènes une par une, tu t’es détaché de ta propre prégnance, depuis ta tour de guet de toi-même tu portes un regard serein, tout cela a été toi et malgré leurs courtes durées toi tu as le temps de les regarder, de leur accorder un peu d’attention. Ce qui a été vécu est toujours vécu. Wściekłość która nadchodzi : la fureur qui vient : ouragan phonique, la philosophie à coups de marteau de Nietzsche mise en musique, une éructation de haine, un torrent d’invectives, il s’agit d’éveiller et de maudire ceux qui ne sauraient s’arracher à la drogue christique, la tourmente s’arrête pour mieux repartir, un déluge imprécatif, nouvelle pose pour un nouveau souffle, la cavalcade effrénée reprend avec encore davantage de virulence, pas de pitié, pas de remédiation, pas d’arrangement, pas de conciliation, simplement être soi, entre le bien et le mal pour forcer le barrage et se retrouver par l’entremise de cette violence absolue enfin libre par-delà le bien et le mal. Au-delà de la négativité de soi-même. Pluję na twą marność psie ! : J’ai craché sur ta vanité, chien ! : la suite musicale du morceau précédent, avec en prime, l’invective, l’insulte, l’injure, le gardien du cimetière se moque du chien, de celui qui a cru en son maître, celui qui a changé de croyance, de celui qui a cru en l’inanité du néant et en la vanité de son propre moi, contente-toi de savoir mourir dignement, l’esclave des dieux n’est pas digne de survivre en lui-même, la croyance n’a pas de fond, tu t’enseveliras en ton propre vide, puisque tu n’as pas atteint à la pensée de toi-même, tu ne seras même pas toi-même dans ta mort, tu resteras prisonnier de la négativité du nihilisme. Puissance dévastatrice de ta propre illusion. Puissance dévastatrice de ta propre désillusion. Pogarda dla wrogów imperium wszechmocy : Mépris des ennemis de l’empire de la toute-puissance : un instrumental de toute beauté qui dépasse à peine les deux minutes et qui vous donne un inimaginable sensation d’éternité, après les deux typhons précédents, l’on croirait que l’on a atteint l’œil de l’ouragan, solitudes glacées, l’on pense au cygne de Mallarmé prisonnier de sa propre blancheur, aux neiges éternelles, au Voyageur contemplant les solitudes glacées de son propre moi de Caspar David Friedrich, une espèce de symphonie bruitiste, une irradiation de ce à quoi pouvait penser Nietzsche après son effondrement, nous sommes au faite de la puissance, du plus grand pouvoir auquel l’on puisse atteindre, n’oublions que l’étymologie d’imperium provient du mot latin pars, partis, la part qui nous revient, celle à laquelle l’on se donne la puissance d’accéder. 

             Même si les trois derniers morceaux de l’opus sont prodigieux, ayons une pensée émue pour Messiah le lyriciste disparu en 2017, nous restons toutefois un peu sur notre faim, nous sommes comme des enfants gâtés à qui l’on donne l’absolu et qui demandent ce qu’il y aura encore à manger après. En 1996 Imperium est sorti en K7, un format qui se prête mal à de longues temporalités, en 2005, Arkona a donné une réédition CD augmentée de deux titres.

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             La couve de cette réédition nous interroge. A priori une vue médiévale, la tour d’entrée d’une enceinte fortifiée qui semble défendre l’étroit accès d’un passage entre deux surplombs rocheux, malgré les deux courtines crénelées l’ensemble paraît avoir été construit en bois, nous préférons y voir l’entrée peinte en rouge, les nombreux villages nommés Maison Rouge parsemés sur le territoire français nous le suggèrent, l’entrée des baraquements militaires de garde du limes des légions romaines qui ceinturaient l’Imperium… Un pas de deux, certainement artificiel, qui relie Mythe et Politique…

    Długa Ciężka Zima : Un hiver long et dur : : ré-enregistrement du morceau   Long hard Winter issu de la démo An Eternal Curse of the Pagan Godz  (1994) :  chuintement, hurlement du loup dans sa tanière,  la dernière garde, à l’intérieur de la tour de guet, la nuit est froide, encore plus froide est la nuit hostile qui s’étend sur le monde, angoisse l’inéluctable est en marche, le chant s’arrête, que dire de plus si ce n’est crier encore et encore lorsque la fin s’approche, la mort est là, une glaciation intellectuelle s’accapare la terre… aujourd’hui encore certains veillent et attendent le retour. W Wiecznej Zemście Pogańskich Bogów : Dans la vengeance éternelle des dieux païens : ré-enregistrement du morceau An eternal Curse of the Pagan Godz issu de la démo éponyme de 1994 : course folle, rituel de la désespérance et du retour, les Dieux ne sont pas morts, ils sont toujours là, éternellement ici et maintenant, vous n’y pouvez rien, ce qui a eu lieu reste figé dans le sable mouvant de l’éternité, toute présence est une malédiction, une revanche sur le simple fait d’avoir été, la musique passe telle une tornade, la voix s’époumone dans le Dire du Mythe et du Politique.

    Damie Chad.

             Pour ceux qui n’auraient pas compris Arkona précise qu’il ne soutient ni n’appartient à aucune organisation à visée totalitaire. L’exemple de l’expérience séculaire de l’hégémonie christique sur les esprits suffit de vous dissuader de toute velléité d’imitation…

     

    *

    C’est comme les long horns, vous ne voyez que leurs grandes cornes, ensuite vous vous apercevez qu’il y a une vache dessous, ben là c’est pareil, sur la photo vous avez trois jolies filles, really delicious, et votre cerveau ne les calcule même pas, il dirige vos mirettes droit sur elle, il a raison, vous n’y croyez pas, ce n’est pas possible, comment ose-telle s’exhiber ainsi, ce ne devrait pas être permis, vous regardez la légende, vous faites confiance, elle a été rédigée par Rose et Paige de Two Runner, vous leur faites confiance, les yeux fermés, mais là vous les gardez grand ouverts, elles précisent que c’est leur ‘’fav country band Jesse Daniel’’, bien sûr vous ne connaissez pas, alors vous essayez d’en savoir plus. Un mec qui se balade avec une moustache en fer à cheval, ce doit être facile à repérer.

    JESSE DANIEL

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             Quelques clics sur lui et j’en sais davantage que si la CIA m’avait refilé un double de son dossier. Une bio américaine comme vous ne pourrez jamais vous vanter. D’abord l’american dream dans toute sa splendeur : au creux de la Californie, une maman aimante et un papa qui joue de la guitare, Creedence Clearwater Revival par exemple, donne même des petits concerts dans les coins, une enfance baignée par la musique… Une première cassure, le couple se sépare, l’enfant grandit, adolescent avec quelques copains il forme un groupe punk.

             Le punk c’est bien, mais la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions, le lycée, les filles, les concerts, une belle adolescence, un gars sympa, serviable, toujours le sourire aux lèvres, un esprit créatif, bosseur, en forme parfaite. Enfin presque, il donne le change, un peu de fumette, quelques pilules… je vous épargne la longue route, la lente descente, addiction, trafic, prison, déchéance, notre héros est tombé dans l’héroïne…

    Cure de désintox sur cure de désintox, mais comme dans la plupart des bons films américains, un beau jour un ange lui tend la main. En fait ce n’est pas un ange mais un gars qui lui tend sa guitare. Ouf le déclic salvateur ! Il se souvient des morceaux country que son père jouait… Rédemption ! Non ça ne se passe pas que dans les films, soyez de votre époque, maintenant ça se passe dans les séries.

    S’est fait un petit nom avec sa guitare et sa voix dans les bars et les occasions du coin, un coup de téléphone qui demande une chanson pour Netflix… la roue tourne du bon côté, ses trois premiers simples DIY se retrouvent sur son premier album Jesse Daniel, sorti chez Die True Records, son label personnel. Il vient de sortir son cinquième album Countin’ The Miles, sur Lightin’ Rod Records… L’on se permet d’y piocher dedans. Pourquoi commencer par celle-ci et pas une autre. Parce que c’est une Lyric Video et qu’elle définit totalement le style de Jesse Daniel.

    TOMORROW’ S GOOD OL’ DAYS

    A tel point que vous ne savez pas où donner de la tête, à la première seconde vous êtes percuté par plusieurs obus mortels. Essayons de procéder avec ordre et méthode. Premièrement l’oriflamme majeur, la mention featuring Ben Haggard. Ne soyez pas hagard à l’énoncé de ce nom, sortez du  hangar de votre incroyance, oui, il s’agit bien du fils de Merle Haggard. Question filiation vous ne trouverez pas mieux, Merle Haggard c’est tout un pan de la légende de la country, le mauvais garçon, le bagarreur, le voleur qui se retrouve en prison, à San Quentin, ce qui lui permet de voir Johnny Cash et lui donne envie de changer de vie, de faire de la musique, il deviendra un des grands lui qui a croisé Lefty Frizzell et qui fera partie de la bande des Outlaws, un des grands noms de la country, mais pourquoi Ben est-il là, par hasard, que nenni il a déjà entendu les premiers titres de Jesse Daniel et il a reconnu. Si vous voulez savoir quoi, cliquez sur la vidéo vous n’attendrez pas longtemps, un petit peu de pedal steel guitar et vroom : la guitare vous cueille à l’estomac, oui Jesse revendique l’héritage de Merle, ce n’est pas tout, vous avez la voix, rugueuse sans concession, cela ne vous suffit pas, il vous manque le petit sortilège en plus sans lequel le country n’est pas du country, oui un brin de nostalgie, qui vous susurre tout fort à l’oreille que vous n’êtes pas heureux dans ce monde qu’il doit y avoir un ailleurs, les paroles de Jesse vous le confirment, ce pays où l’on n’arrive jamais se situe derrière vous, dans le passé et l’on a intérêt à y revenir au plus vite si l’on ne veut courir vers la catastrophe. Pour vous le confirmer vous avez les images, la beauté des paysages américains, et les méfaits de l’industrialisation à outrance…

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             Un bon morceau. Evidemment si vous attendez une analyse marxiste sur la lutte de classe aux Etats Unis vous êtes déçus. Pourquoi des milliardaires, pourquoi des paumés, Trump vous traitera de communiste, la country possède (et professe) sa morale, si vous êtes dans la mouise, il n’y a que vous qui pourrez vous aider. Prenons un exemple au hasard, celui de Jesse Daniel, avant-hier une loque, aujourd’hui une star montante du la country moderne.

    OL’ MONTANA

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    Je vous connais, le précédent morceau était trop beau pour y croire, bricolé à merveille avec l’harmonica qui tombe à pic pour susciter le frisson fatal, alors voici Jesse tout seul dans un bar avec sa guitare à Nashville. Même pas un verre de whisky pour s’épaissir la voix. Son chapeau, sa moustache, sa veste de jeans ses tatouages bleuâtres qui ne semblent pas avoir été coloriés par un grand artiste…

    Une triste histoire, un mec trompé par sa gerce qui est partie avec ce garçon qu’il avait accueilli comme un ami. Bien sûr il l’a tué, c’est la moindre des choses. Bien sûr il est en prison, c’est l’injustice de la vie. Lui il regrette. Surtout pas de l’avoir tué, mais son amour qui l’a trahi. Ne lui en veut même pas. Le coupable c’est le gars. Faut du courage pour entonner une telle tragédie sans rire. Ou sans pleurer. Le Jesse reste imperturbable. Dévide ses couplets et ses refrains sans faillir. C’est son rôle, il vous rappelle ce que vous savez déjà, que la vie n’est pas rose, même si vous n'avez encore jamais tué personne, vous savez que cela arrive, que cela peut vous arriver, même qu’un tel morceau ne peut que vous aider à accomplir ce que vous n’avez pas encore osé faire, si le monde va mal c’est parce qu’il y a trop de lâcheté, la preuve il y en a vous… le country quand c’est réussi c’est entre le mélodrame, voire le boulevard le plus pathétique, et Homère, tous ces guerriers qui s’entretuent parce que le destin le veut… c’est Achilles qui pleure avec Priam et qui lui remet le cadavre d’Hector qu’il a occis  et mutilé… Un genre d’exercice qui n’est pas donné à tout le monde. Les turpitudes humaines ont leur grandeur, Jesse Daniel excelle en cet art d’une grande simplicité, d’une pureté inaltérable.

             Un bon morceau de country équivaut à la Comédie Humaine d’Honoré de Balzac résumée en trois couplets et trois minutes. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    *

             Eddy Mitchell m’a écrit. Oui à moi, Monsieur Damie Chad. Enfin un envoi groupé. Quelques milliers de personnes, je suppose. Pour m’avertir de la sortie de son quarantième album, le huit novembre prochain. Pour m’appâter il m’a tendu un gros hameçon, la primeur d’un des nouveaux titres. 

             Dans mon intransigeante prime jeunesse j’ai beaucoup aimé Eddy, l’avais vu à la TV avec les Chaussettes Noires et les adultes de la famille horrifiés qui couvraient la musique de leurs cris horrifiés, l’était un point de repère quand j’étais au collège,  j’ai toujours gardé un œil sur lui, vu plusieurs fois en concerts,  j’ai décroché définitivement à la sortie de Grand Ecran, en 2009, un peu trop fadasse à mon goût, vieillir is not a good trip, l’Eddy de J’avais deux amis, de Société anonyme, de Je touche le fond, de Si tu n’étais pas mon frère, de Fortissimo, restera mon Eddy à moi, l’avait la niaque… ensuite  une carrière avec des hauts et des bas, quelques bons titres, des trucs trop chiadés, son incompréhension déroutante du retour du rock’n’roll au tout début des seventies… toutefois je ne résiste pas à écouter :

    EN DECAPOTABLE PONTIAC

    EDDY MITCHELL

            Pure country, c’est fou comme l’instrumentation adoucit la voix d’Eddy, bon Eddy roule en décapotable Pontiac la pedal steel guitar pleure tout son soul, au début cela sent la carte postale, surprise l’on quitte les bons sentiments pour les déclarations anarchisantes, les banques sont faites pour être braquées, y croit-il seulement, nous n’aurons pas le temps d’en débattre, survient la police… La société a gagné, qu’est-ce qu’on est loin de La Route de Memphis… Country mais pas Outlaw !

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             La pochette n’est pas une réussite. L’a une sale tête Eddy dessus, derrière un petit côté à la Edward Hopper, manque ce qui fait la grandeur de Hopper, l’autre face du rêve américain, la solitude américaine. Le titre de l’album me donne raison : Amigos. Surtout quand sur Tf1 l’on vous donne la liste des invités, les Souchon père et fils, William Sheller, Sanseverino, Pascal Obispo, aux compos. Inutile d’épiloguer.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce qu’il y a de bien avec le doom c’est qu’il permet de voyager sur tous les continents, ce qu’il y a de mal avec le doom c’est que la question politique reste trop-souvent abordée de façon allusive, nous voici donc au Brésil avec un groupe qui n’a pas la langue dans sa poche.

    SETBACKS (TERRIBLE DAYS)

    DEAD LEVEL

    (Piste Numérique / 18 -09 – 2024)

    Seidi Ulra : vocals / Aramys Souza : guitars / Arthur Correa : bass / Beto Brasil : drums.

             Le groupe est de Belem au nord du pays, s’est formé en 2015, possède déjà à son actif deux Ep et un album.

    En France les média nous ont seriné que Jair Bolsonaro, président du Brésil entre 1919 et 2022 était un politicien libéral, Dead Level ne se gêne pas pour le qualifier de néo-fasciste. Vous comprenez que les jours terribles qu’évoque le titre sont ceux de son mandat présidentiel marqués par un accroissement de la misère et des inégalités sociales. Une loi simple à ne pas oublier dans notre propre pays qui glisse sur la pente douce, ne soyez pas pressé, de la tiers-mondialisation rampante : plus il y a de pauvres, plus les riches sont riches.

    La couverture est explicite : en bas un gars qui se prend la tête, en haut les quatre piliers de la Sagesse : mainmise sur l’information, ordre et morale fascistes, religion et abrutissements médicamenteux. En prime, the last but not the least, les armes pour faire taire les récalcitrants.

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    Rajoutons notre petit commentaire personnel : certes Bolsonaro a été remplacé par Lula, ce qui est mieux que rien, mais cette gauche molle qui ne se donne pas les moyens d’éradiquer le loup malfaisant du capitalisme et de la chèvre rongeuse du libéralisme ne saurait être à notre gré une solution politique performative…

    Dès les premiers coups de batterie vous comprenez que l’on n’est pas ici pour écouter des frivolités d’avant-garde, la musique est lourde, elle avance lentement, un background définitivement posé pour ne plus bouger, bien sûr on laisse la guitare se faire entendre mais pour le trampoline exagératif n’y comptez pas, nous sommes sur le mode de l’incantation, tout repose sur la voix en quelque sorte légèrement échoïfiée pour lui administrer une dimension chorale, une espèce de récitatif qui oblige à penser au rôle du Chœur dans les tragédies grecques, tout à la fin elle laisse la place à la clameur de la foule qui marque la fin du cauchemar.  Question paroles c’est très intelligemment écrit. Le texte n’est pas un réquisitoire à l’encontre des exactions politiques, économiques et sécuritaires du dictateur démocratique, il a été élu, donc l’on accuse les vrais coupables, ceux qui ont voté pour lui, qui ont opté pour le pire par peur du terrible avenir que les medias leur prédisaient s’ils ne donnaient pas leur voix au sauveur attendu par la nation. Toute cette petite-bourgeoisie timorée et ces larges fractions populaires qui ont failli, qui se sont démises de leurs responsabilités, qui n’ont pas osé, qui ont fermé les yeux, qui ont fait semblant d’espérer, bref qui ont eu peur, le trouillomètre à zéro, comme si on leur enfonçait le bulletin de vote dans le trou du cul pour qu’ils le revomissent, avec ordre et discipline, dans l’urne accueillante. Ils ne le disent peut-être pas d’une manière aussi crue que mon commentaire, il faut savoir lire entre les lignes et écouter entre les notes.

             Nul n’est parfait (puisque personne ne pense exactement comme moi) : dans leur petit texte de présentation de leur morceau, ils ont le défaut de faire silence sur les stratégies financières des groupes  pharmaceutiques lors du Covid. Big Pharma s’occupe de votre santé…

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des disques vers lesquels vous vous dirigez sans savoir pourquoi. L’on m’objectera que le nom du groupe, référence explicite à Aleister Crowley, a dû agir sur ma soi-disant mystérieuse attraction, vous avez parfaitement raison mais vous avez totalement tort, ce n’est pas Crowley qui m’a attiré mais le manque évident entre le titre de l’album et la couve de l’album, et puis le titre de l’album si authentiquement blues, le tout en ayant parfaitement conscience que comme dans une enquête policière parfois les indices trouvés sur la scène du crime ni ne concordent entre eux, ni ne présentent aucune cohérence, d’ailleurs y-at-il seulement un cadavre ?

    MISERABILIST BLUES

    BOLESKINE HOUSE

    (Masked Dead Records / 17 – 04 - 2024)

    Raven Borsi : vocals, lyrics /  Nicolò Misrachi : instruments, songwriting.

    La compagnie Masked Dead Records, bonjour Le Masque de la Mort Rouge d’Edgar Allan Poe, est sise en Lombardie dans la bonne ville de Brescia, si je m’en rapporte aux patronymes des deux artistes j’en déduis que le groupe est originaire d’Italie, détail supplémentaire Giulia Frump photographe qui a participé à l’artwork est née à Milan. La façon dont sa participation est dévoilée me laisse rêveur : ‘’ Visual concept by Boleskine House and Giulia Frump’’ , nous ne sommes pas dans un simple disque de metal, le mot concept nous pousse à penser que nous sommes face à un concept poétique musical.

    Petite parenthèse parallèle et hypothétique : The House of the Holy de Led Zeppelin m’a toujours paru être raté, non pas parce qu’il est mauvais en soi, mais parce qu’il ne correspond pas à la force évocatoire de son titre, la demeure zéplinienne du titre ne serait-elle pas celle d’Aleister Crowley…

    L’opus est dédicacé à Carlos Ruiz Zafon, auteur espagnol décédé en 2020, auteur de mystérieux roman, se déroulant dans d’énigmatiques manoirs, emplis de sombres malédictions destinales s’étendant sur plusieurs génération, et d’une grande bibliothèque dans laquelle je vous conseille de ne pas choisir un livre même si l’on vous le propose, car vous n’avez aucune idée des nuisances que pourrait occasionner cette lecture le long de votre existence… sombres maisons et littérature, un univers aleistérien par excellence…

    Généralement, musiciens et chanteurs ne vous donnent pas quelques conseils pour écouter leurs opus quel que soit l’appareil d’écoute dont vous vous servez. Ici vous avez deux notes d’avertissement de quelques lignes, que je recopie in extenso : Tout d’abord sur la manière d’appréhender l’espace mental du groupe : ‘’ Boleskine House est un lieu où chacun peut trouver refuge contre sa vie ruinée, un espace immatériel où il peut se plonger dans ses fantasmes de nostalgie avant de disparaître à jamais sans laisser de trace. Une demeure qui change inévitablement en fonction des expériences personnelles de l’auditeur.’’.

    En second lieu, goûtez la force de ce vocable, sur l’album lui-même : ‘’ Miserabilist Blues est la première œuvre de Boleskine House. Le disque raconte un moment poignant et insaisissable, mais apparemment sans fin, sans horizon. Le temps, les lieux aimés, les personnes connues, les personnes perdues, les promesses fragiles des jours dorés de la jeunesse, les rêves brisés et les désirs impossibles se fondent dans un brouillard éternel.’’

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             Bref, il ne reste plus qu’à entrer sans se faire prier, prenons toutefois le temps de regarder la couverture : au centre une jeune femme à l’épaule dénudée, certainement une photographie de Giulia Frump, elle aime la beauté des corps humain dénudés, visitez son Instagram, qui tient sur sa poitrine une espèce de cadre rudimentaire,  semblable à ceux qui entourent la photo, à considérer comme les exvotos symboliques des nœuds gordiens de nos angoisses ou de nos préférences que les visiteurs de la demeure seraient censés laisser sur place en signe de leurs passages

    Black House Painters : tiens, peinture, photographie, musique, poésie, littérature, sacrées confluences, serions-nous face à une tentative d’œuvre totale… : quelques notes, déjà une ambiance, une atmosphère, qui se développe, qui se zèbre d’éclairs, la charge des lanciers de la cavalerie et le chant qui growle comme une meute de loups qui galopent après vous, à votre recherche, ne craignez rien, vous ne risquez rien dans cette masse phonique gazeuse qui vous enveloppe, ces bêtes malfaisantes, des notes comme les reposoirs de la procession de Saint-Pol-Roux, leurs mufles vous enserrent ils ne vous attendaient pas cette maison, ils sont en vous, c’est dans votre tête qu’ils courent sans cesse en rond, une chaîne dont vous apprenez à vous défaire, dépêchez-vous, d’autres cauchemars vont poindre issus des marécages de votre cervelle, prenez-les dans vos bras, ces pauvres diablotins, n’ayez pas peur, bercez-les, apprenez à les apprivoiser, c’est ainsi que vous connaîtrez la paix, que vos terreurs s’amenuiseront, que la vie vous apparaîtra comme une clairière ensoleillée, une paix rayonnante vous enveloppe, vous retrouvez une jouvence, les loups hurlent, ils se disputent pour lécher vos mains, vous les avez amadoués, ils vous ressemblent, ils vous suivent, vos pas s’éloignent dans la longue galerie, vous disparaissez, hurlent-ils à votre mort… Need : quels sont nos besoins au juste, nous nous sommes débarrassés de nos peurs superficielles, nous voici maintenant face à la mer mouvementée de nos désirs profonds qui sont remontés à la surface, guitares en vagues et grondements du vent qui ne vous fait aucun cadeau, vous voici dans le vortex incommensurables de vos envies les plus sombres, sur la ligne de crête d’une corde de guitare glissante, il vous faut apprendre à les accepter, charmez les serpents que vous avez engendrés pour qu’ils vous piquent, pour qu’ils enroulent leur puissants anneaux autour de votre corps et qu’ils vous mordent à la nuque pour que vos pensées ne soient que l’agitation kaotique de votre kaléidoscope intérieur.

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    A place to mourn forever : vous l’avez voulu, il est inutile de pleurer, le plus misérable des blues vous assaille, une tornade, vous attendiez une valse chaloupée en consolation, fausse route, vous êtes au fond du maelström, celui qui mène la barque est le masque de la mort rouge, il vous sourit, il n’a plus de dents, il a trop sucé de sang aux gorges qui se sont offertes, surtout la vôtre, attention vous êtes la reine des putains, la maîtresse de vos propres désirs inavouables, acceptez-vous, entendez-vous cette musique monumentale qui vous salue, qui joue la marche triomphale de votre victoire sur vous-même, une procession, un défilé, tout le peuple est après vous et chante en chœur vos louanges, le monde entier est suspendu à vos pieds, joie incoercible de vos phantasmes exacerbés, la guitare glisse comme un serpent d’or qui se faufile parmi les invités, quelle fête, les pleurs qui tombent de vos yeux sont comme des feux d’artifice extatiques qui montent dans le ciel, le plus misérable des blues est aussi le plus riche, voyez la force de l’orchestration car ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, growlements de remerciements, rien ne saurait éteindre le soleil de votre présence. Sérénité totale, intensité maximale. Seules subsistent quelques notes de clavier pour ne pas effaroucher le vol de l’hirondelle de la fragilité humaine et du rêve. When you sleep (Adaptation du groupe irlandais shoegaze My Bloody Valentine) : je ne comprends pas pourquoi ils ont eu besoin de reprendre ce titre qui vole en sa version originale au ras des pâquerettes : leur interprétation est bien meilleure, mais le charme des trois morceaux précédents est perdu…

             Lorsque l’on a un concept, il est nécessaire de le garder jusqu’au bout…

    Damie Chad.