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mathias richard

  • CHRONIQUES DE POURPRE 566 : KR'TNT 566 : SAN FRANCISCO NUGGETS / O' JAYS / STARLINGS / LUMER / ROBERT PLANT + ALISON KRAUSS / MATHIAS RICHARD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 566

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 09 / 2022

      SAN FRANCISCO NUGGETS / 0’ JAYS

    STARLINGS / LUMER

    ROBERT PLANT + ALISON KRAUSS

    MATHIAS RICHARD

    Sur ce site : livraisons 318 – 566

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    If you’re going to San Francisco - Part One

     

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                    Tout le monde se souvient du délicieux Scott McKenzie et de son invitation à venir le rejoindre à San Francisco avec des fleurs dans les cheveux - Be sure to wear some flowers in your hair - Il te promet en plus que tu vas y rencontrer des gens très gentils - You’re gonna meet some gentle people there - Bon les fleurs et les gentils gens, c’est une chose. La scène de San Francisco en est une autre. On l’appelait à l’époque le Frisco Sound. Il n’était à nul autre pareil. Plus exotique, d’essence purement psyché, avec un fouillé de son dans les guitares qui le rendait unique. Pour concocter Love Is The Song We Sing/San Francisco Nuggets 1965-1970, les gens de Rhino ne se sont pas fourré le doigt dans l’œil : ils ont opté pour une esthétique particulière, celle d’un livre ancien, tel qu’on le trouve chez un antiquaire. En plein dans le mille ! On pense aux maisons en bois et aux Charlatans. L’exotisme vient précisément de ce mélange de modernité et de brocante.

             La mauvaise nouvelle, c’est que ça sort sur Rhino après qu’Harold Bronson ait été viré. Il n’est donc pas impliqué dans ce projet. Dommage, car c’est un spécialiste des Nuggets. Il en fit trois boxes au temps où il présidait aux destinées de Rhino, label historique dont il était le co-fondateur. C’est Alec Palao qui mène le bal compilatoire et Prairie Prince qui signe la couve de cet objet somptueux. Dans les remerciements, on trouve les noms de Joel Selvin, de Roy Loney et de Peter Albin.

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             C’est donc un book richement illustré de 120 pages qui se dévore comme un chef-d’œuvre littéraire. On en savoure surtout l’idée. Il fallait y penser. Dans la troisième de couve sont encartés quatre CDs censés illustrer le bref âge d’or du Frisco Sound, qui, pour ceux qui s’en souviennent, nous fit tellement baver. On discutait un jour du Frisco Sound avec Marc Z, évoquant ces guitaristes qui jouaient en picking sur scène à Monterey (du jamais vu alors dans des groupes de rock - John Cipollina, Roger McGuinn, James Gurley) et Marc déclara qu’en fait l’avènement de cette scène constituait une révolution. Il semblerait que le Rhino book-box soit là pour nous le rappeler.

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             Une révolution ? Oui, même si Dino Valenti ouvre le bal du disk 1 avec «Let’s Get Together» et qu’il en fait trop, même si tu refais une overdose de Country Joe & The Fish et du «Feel Like I’m Fixing To Die Rag» trop vu à Woodstock. Mais après, tu vas te régaler, notamment des spectaculaires harmonies vocales des We Five («You Were On My Mind»), ou encore le «Number One» des Charlatans qui entre dans la mythologie par la grande porte - Americana with a twist of acid - Son et voix, tu as tout - Surnommés «the ones that started it all», nous rappelle Palao qui ajoute : «Vêtus de leurs costumes victoriens, les Charlatans implantèrent la première concession de ce qui allait devenir la ruée vers l’or of San Francisco’s rock’n’roll renaissance.» - Le groove des Charlatans est du génie pur. Pas étonnant qu’on l’ait retrouvé dans le «Frisco Band» de Loose Gravel. Palao baptise le disk 1 ‘Seismic Rumbles’. Il le voit comme le disk des racines du Frisco Sound, d’où Valenti et Country Joe.

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    Palao indique en outre que le «You Were On My Mind» des We Five eut autant d’impact en Californie que le «Mr Tambourine Man» des Byrds. Tu croises aussi la pluie d’étoiles des Beau Brummels («Don’t Talk To Strangers») avec ce surdoué de Sal Valentino, et plus loin, le fabuleux décollage de l’Airplane avec «It’s No Secret». Par contre, The Great! Society retombe comme une soufflé. On retrouve avec un plaisir non feint l’excellente cover du «Who Do You Love» de Quicksilver Messenger Service et la grosse cerise sur le gâtö du disk 1 est bien sûr le «She’s My Baby» des Mojo Men, amené à la grosse fuzz avec en contrepoint la guitare fantôme de Brian Jones. Parfait équilibre fuzz/phantom. C’est Sly Stone qui amène l’harmo, la fuzz bass et les vocal interjections. Oh et puis le «Fat City» des Sons Of Champlin, que Frank Weber qualifiait de «Beach Boys with balls». Sur tous ces groupes, Palao est intarissable : 12 pages de détails, rien que pour le disk 1. Comme dans les compiles Ace, ces textes éclairent bien les cuts. Il est recommandé de lire après écoute.

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             Dans sa brillante introduction générale, Palao rappelle le particularisme du Frisco Sound : «Historiquement, le climat de tolérance et l’ouverture culturelle de la Bay Area ont favorisé l’éclosion d’une communauté vibrante qui s’est passionnée de jazz - both hot and cool - folk and blues et qui a bien accueilli le rock des mid-1950s.» Il ajoute que la psychedelia a trouvé sa spiritual home in the Bay Area, favorisée par un environnement et une philosophie collective. D’où la qualité de cette scène. S’ensuit un beau texte d’un mec de Rolling Stone, Ben Fong-Torres, suivi d’un texte de Gene Sculatti qu’on ne présente plus. Fong-Torres rappelle que beaucoup de choses ont été inventées à San Francisco : les light shows, les posters psychédéliques, les radios libres, les Ballrooms et Rolling Stone magazine, suite à la rencontre de Jann Wenner avec Ralph J. Gleason. Dans Smartass, Joel Selvin nous brosse un portrait superbe de Gleason. Rolling Stone allait réinventer la presse rock et braquer les projos sur toute la scène locale : The Grateful Dead, l’Airplane, Big Brother & The Holding Company, Steve Miller Band, Santana, Sly & the Family Stones, Country Joe & The Fish, Creedence Clearwater Revival. Pardonnez du peu. Il ajoute un peu plus loin les Mystery Trend, les Beau Brummels, Quicksilver Messenger Service et les Charlatans. Il tient toutefois à préciser que chaque groupe a un son spécifique, mais de l’autre côté de l’Atlantique, le fan de base s’acharne à voir un dénominateur commun à tous ces groupes : la modernité (pour l’époque). Bon, Fong-Torres réfléchit un moment et commence à énumérer quelques points communs à tous ces groupes : la plupart étaient musicalement wide open. Leurs racines plongeaient dans le blues, le folk, la country et le jazz. Ils jouaient plus pour les danseurs que dans les studios. Ils expérimentaient les drogues, surtout sur scène, et cultivaient the stoned good times parfois au détriment de la technique. Les mauvaises langues disaient que la principale caractéristique du Frisco Sound était le out of tune. Janis parlait de liberté créative.

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    Attirés par l’ambiance libérale de Frisco, les vieilles maisons victoriennes en bois et ses loyers bon marché, ils sont venus de partout, du Texas (Janis, Chet Helms, les 13th Floor, Doug Sahm, Boz Scaggs) de New York (Jesse Colin Young et Dino Valenti), de Chicago (le Texan Steve Miller, Michael Bloomfield) et de Los Angeles (Country Joe McDonald et George Hunter des Charlatans). Fong-Torres qualifie San Francisco de «pleasure city», the only city in the United States that can support a scene, à l’opposé de New York (too large and too confused) et de Los Angeles (super-uptight plastic America). À l’origine de cette scène, on trouve Big Daddy Donahue qui signe sur son label Antumn les Beau Brummels en 1964 et qui engage Sly Stone comme producteur. Donahue auditionne aussi les Charlatans et les Warlocks, futurs Grateful Dead. Il signe encore The Great! Society avec Grace Slick.

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    Steve Miller qui arrive de Chicago est effaré au début par le bas niveau des groupes de San Francisco. Il vient d’une scène hautement concurrentielle, the blues scene, et il assiste à la ruée vers l’or des maisons de disques : «Les gens des maisons de disques qui ne comprenaient jamais rien ont reçu des instructions pour signer des groupes de San Francisco.» Ils voulaient leur part du gâtö. Miller est approché par ce qu’il appelle un «suit», c’est-à-dire un mec en costard, et il négocie une avance de $50,000, le double de ce qu’avait obtenu l’Airplane. C’est la curée. Tous ces groupes font des albums qui se vendent comme des petits pains : l’Airplane, le Dead, Country Joe, Quicksilver, Big Brother, Creedence, Santana, Moby Grape, Electric Flag, les Youngbloods, Blue Cheer, il en pleut comme vache qui pisse, Fong-Torres cite encore Mother Earth, Sopwith Camel, the Loading Zone. Et d’autres groupes qui ne vendent pas grand chose comme les Mystery Trend, les talentueux Sons Of Champlin et les Ace Of Cups, un groupe de petites gonzesses passé à l’as de l’Ace. Les Charlatans n’ont pas non plus réussi à décoller. Et, puis tu as Bill Graham, une révolution à deux pattes.

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             Baptisé ‘Suburbia’, le disk 2 grouille de grosses poissecailles comme les Count Five avec l’insubmersible «Psychotic Reaction» (Roi de la formule qui fait mouche, Palao déclare : «The Count represent the quintessential suburban punk achievement»), The Syndicate Of Sound avec le puissant «Rumours», fruité à outrance, gorgé d’échos de Gloria, le Chocolate Watchband avec sa belle crise de Stonesy, «No Way Out» et la belle descente orientaliste de Mark Loumis, et l’excellent «Thing In E» des mighty Savage Resurrection, real deal de wild guitar drive, joué à l’insistance mesmérique. Comme les Count Five, les Chocolate et les Syndicate Of Sound font partie de la scène de San José. Palao : «Ils se sont arrangés pour cristalliser some kind of inspired magic into one astounding record.» James Brown leur demandé d’ouvrir pour lui au Cow Palace de San Francisco en 1966, ce qui fit leur fierté. Palao dit des Chocolate qu’ils furent the quintessential psychedelic garage band. Et il ajoute, avec un spasme de tribun : «with their slightly feaky veener, ils ne pouvaient être originaires que de la Bay Area.» Mais les plus spectaculaires de tous ces wild rockers étaient sans doute les Savage Resurrection, un nom de groupe inspiré par le fait que certains membres du groupe étaient indiens et qu’ils n’hésitaient à slasher leurs amplis à coups de Bowie knifes et à balancer des smoke bombs dans le public, lors des concerts. Les surprises viennent de Public Nuisance, dont l’«America» incarne le power absolu, là tu as le brave petit son de tiguili. Palao rappelle que les héros des Public Nuisance étaient les Seeds, les Pretties et The Music Machine. Palao dit aussi qu’ils mélangeaient an Anglophillic pop aestheric with moody grunge-noir. Puis de The New Breed, avec «Want Ad Reader» et sa belle persistance du piercing de chœurs de chat perché, soutenue par une fuzz d’essaim - a fiesty, talented bunch - Mieux encore : The Oxford Circle avec «Foolish Woman», vraie ferveur de fever, wild de tears in my eyes - a potent brew of Yardbirds riffage, sonic experimentation and pure punk frenzy - avec Paul Whaley, futur Blue Cheer, et les mecs de Kak. Whaley quitte le groupe en 1967 pour rejoindre Blue Cheer.

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    Coup de génie avec le «Suzy Creamcheese» de Teddy & His Patches, noyé d’orgue, véritable prototype de gaga californien. Palao les qualifie de straighter-than-straight, c’est vrai que sur la photo, ils ressemblent à des premiers de la classe, mais Greg Shaw s’éprend de «Suzy Creamcheese» : «The Patches took a Frank Zappa idea and added some Louie Louie consciousness.» Palao lui parle d’«incoherent trash full of bubbling feedback». Oh et puis voilà les proto-punks de la baie, The Otherside, avec «Streetcar», fabuleuse attaque de wild guitar in your face. Encore un groupe de San José qui fait ce que Palao appelle un «who-soaked nugget». Il va plus loin en parlant d’une influence by the Shepherds Bush Mods. Selon Palao, Skip Spence aurait fait brièvement partie des Otherside, juste le temps de leur proposer ce nom de groupe.  

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             Sculatti s’amuse bien avec ses souvenirs. Il raconte comment il allait chaque vendredi soir avec Greg Shaw à l’Avalon Ballroom papoter avec Chet Helms. Shaw et Sculatti étaient alors obsédés par les Seeds qui étaient basés à Los Angeles et ils demandaient à Chet Helms de les programmer à Frisco, alors Helms leur répondait : «Never !» Pourquoi ? - They’re kind of an El Lay tenny-bop act and not exactly the kind of things we’d like to showcase: i.e, neither Doors-heavy, nor Love-arty nor Springfield-credentialed - Sculatti rappelle aussi que les Count Five et les Syndicate Of Sound ont décroché des hits bien avant les grands noms du Frisco Sound. L’élément important pour lui est aussi le folk-rock, minor-key melodies and chiming 12-string, qu’on entendait partout en 1965, et qu’on retrouve chez les We Five et les Beau Brummels. Sculatti qualifie le Frisco Sound de «fresh & freewheeling». Il parle aussi d’«art sans visée commerciale», mais comme chacun sait, rien ne dure très longtemps et cette scène fut éphémère. It was all gone, et Sculatti ajoute dans un dernier râle : «But Christ, what a ball it was.» Il rallonge la sauce en affirmant que cette scène est toujours aussi excitante, dès l’instant où on écoute l’un des quatre disks de cette box - and catch a buzz from some of the magic conjured in that unique, irretrievable time and place - S’ensuit une galerie de portraits de 50 pages qu’il faut l’avoir vue au moins une fois dans sa vie. Car que de chocs visuels et que de présence ! Charlatans, Savage Resurrection à bord d’un voilier, l’Airplane dans les bois, Janis et ses petits seins en pommes sous le voile à peine clos, les Moby Grape assis devant la vitrine du brocanteur, comme sur la pochette du premier album, les six Santana fabuleusement présents dans le clair-obscur, les Count Five et leurs capes de vampires, les mystérieux Mystery Trend de Ron Naggle qui est un chouchou de Sculatti, des Quicksilver vertigineux sur les marches du palais, la classe du Steve Miller Band avec Tim Davis, son batteur noir, Sly & the Family Stone, juste avant les excès, Public Nuisance et son chanteur en costard rayé, les parfaits outsiders du Dead, les trois Blue Cheer qui ressemblaient déjà à des héros, les Groovies dominés par l’immense Danny Mihm, Grace Slick, belle à croquer, et tous les autres.

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             Les géants fourmillent encore sur le disk 3, baptisé ‘Summer Of Love’ : à commencer par Carlos Santana qui fout le feu à son «Soul Sacrifice», une sorte de groove définitif dont on ne s’est jamais lassé depuis Woodstock. Il est bon de le rappeler, Santana fut l’un des groupes phares de cette scène bouillonnante. Pour Palao, 1967 est l’année où some of the best records of the era were made et la premier Santana en fait partie - The distinctive rock/Latin fusion de Santana était sans précédent - Le groupe commence par s’appeler The Santana Blues Band car Carlos est un fervent admirateur de Mike Bloomfield. Et puis Blue Cheer, bien sûr, avec «Summertime Blues», quasi-mythique, saturé de son, Leigh Stephens fait la pluie et le beau temps dans cette tornade sonique - Blue Cheer fixated on the gonzoid power of bone-crushing volume and relentless riffery - et Palao sort son meilleur humour anglais pour lester sa chute : «For better or worse, the genre would never be the same again.» Il a raison de rigoler car ce genre nouveau qu’on appelait alors le hard rock allait vite dégénérer.

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    Encore des héros de Woodstock avec Sly & The Family Stone et «Underdog», Sly Stone, yeah yeah, il chauffe sa chapelle à l’oooh oooh. Palao voit Sly comme l’un des «renaissance men» des sixties californiennes - Il est certainement le meilleur exemple du potentiel que pouvait se permettre the Bay Area’s liberal musical community - Affûté par ses deux années de prod chez Autumn (Beau Brummels et The Great! Society), Sly était en outre fasciné par Dylan, les Stones et les possibilités du rock.  La fête continue avec l’expat texan Steve Miller et son Steve Miller Band, «Roll With It», tiré de Children Of The Future, enregistré à Londres et devenu un classique. Le Frisco Sound est une source inépuisable de très grands artistes et de très grands albums. L’Airplane fait son retour avec «White Rabbit» et on monte encore d’un cran avec les Charlatans et «Alabama Bound», grosse ambiance de picking, Mike Wilhelm is on fire - Don’t you leave me here - Palao rappelle que les Charlatans n’ont pas eu beaucoup de chance et qu’ils ont passé trop peu de temps en studio : une audition bâclée pour Autumn, un projet d’album avorté pour Kama-Sutra et enfin des sessions auto-financées, qu’Ace/Big Beat a fini par exhumer en 1996. Grand retour de Country Joe & The Fish avec «Superbird», fin et racé, et David Cohen - et non Barry Melton - à la clairette maladroite. Palao nous dit qu’Electric Music For The Mind And Body, leur premier album, reste l’un des albums chouchous du Frisco Sound.

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    Mais le cake, c’est Sal Valentino qu’on retrouve avec les Beau Brummels et «Two Days ‘Til Tomorrow», Valentino et sa fabuleuse présence de fantôme dans l’écho du son, une prod géniale signée Larry Waronker. Palao salue the rich cinematic panorama des compos de Ron Elliott et dit des Brummels qu’ils sont l’un des meilleurs American groups of the decade. Autre coup de tonnerre : l’«Omaha» de Moby Grape, effervescent, là tu as tout ce que tu dois savoir sur le Frisco Sound : l’énergie, le foutraque et l’insolente modernité. Pour Palao, les Grape avaient plus de points communs avec les Byrds et Buffalo Springfield, mais ils étaient surtout les plus brillants représentants du Frisco Sound. C’est David Rubinson qui produit leur premier album et «Omaha» is a highlight among many. C’est vrai que l’album est assez explosif. Un de plus ! On n’échappe pas à la mort, c’est bien connu, alors voici the Dead avec «The Golden Road», finement joué à la surface d’un mythe miteux, invitation à rejoindre the party, every day. Les Quicksilver tapent dans Buffy Sainte-Marie avec «Codine» et ce pauvre Freiberg n’est pas si bon au chant. Alors elle, la Janis, on la connaît par cœur : elle chante «Down On Me» avec Big Brother & The Holding Company, live au Grande Ballroom de Detroit. Mais on écoute surtout James Gurley et sa crazy guitar. C’est Gurley le guitar wiz de San Francisco. Et puis on accueille à bras ouverts le «Think Twice» de Salvation, car c’est du pur Frisco Sound avec un gros solo de fuzz. On le serre dans nos bras.

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             Les géants sont de retour sur le disk 4 : Carlos Santana refout le feu à «Evil Ways», Moby Grape se tape un coup de génie avec «Murder In My Heart For The Judge», tiré du deuxième album Wow, les guitares de Jerry Miller et de Skip Spence sonnent le tocsin, c’est Don Stevenson qui chante, et pouf, Jerry Miller passe un solo des enfers et avec l’explosion finale, tu as tout. Palao revient brièvement sur Santana pour indiquer que de tous les artistes issus du Frisco Sound 1965-1970, Carlos Santana est le plus endurant de tous - Carlos Santana is the city’s true ambassador of music, enjoying international acclaim for four decades, yet always focused on the purity of the craft - Il suffit d’écouter ces deux effarants albums que sont Africa Speaks et Power Of Peace, enregistré avec les Isley Brothers. Retour de Quicksilver aussi avec «Light Your Windows», et Cippo on lead, ah il faut le voir monter au créneau ! Palao rappelle que trois producteurs ont bossé sur Quicksilver, leur premier album, ce qui explique peut-être le côté «difficile» - disons hétéroclite - de l’album. Retour de Steve Miller aussi, avec «Quicksilver Girl», tiré de Sailor, un Miller qui se dit fier d’être produit par l’anglais Glyn Johns, car oui, tu as tout de suite du son et du Miller, mais on aurait préféré «Gangster Of Love». Pour Palao, Sailor est le «quitessential San Francisco album of the late 60s». Il adore les quintessences, notre ami Palao, il ne rate pas une seule occasion d’en placer une. C’est vrai que sans quintessence, on ne va pas loin. Il ajoute que Sailor est «le parfait amalgame d’experiment et de songcraft». Il est bien certain que les cinq premiers album du Steve Miller Band sont des albums magiques. La chance qu’on avait de pouvoir écouter tout ça dans les early seventies ! Retour de Blue Cheer avec «Fool» et sa belle prestance d’I like the way you smile. «Fool» est tiré du quatrième album, Blue Cheer. C’est Gary Lee Yoder, un ex-Oxford Circle et ex-Kak qui chante et Bruce Stephens qui joue lead. Yoder dirige Blue Cheer vers un horizon plus psychédélique, d’où la déception, à l’époque.

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    Retour encore de Janis avec l’excellent «Mercedes Benz» qui est en fait «Hey Gyp» - Aw Lawd won’t you buy me a night in the town - Comme chacun sait, «Mercedes Benz» figure sur Pearl, son album posthume. On passe à travers le «Dark Star» du Dead, mais ce n’est pas nouveau. Kak et son «Lemonaide Kid», c’est bien, mais pas de quoi se rouler par terre. Fin, mais pas définitif, même si Palao n’en finit plus de porter aux nues l’album de Kak en parlant d’enduring magic. Kak comprenait des membres de The Oxford Circle. Marqué par le destin, Kak auditionna le jour où Bobby Kennedy fut dégommé et ne dura qu’un an. On accueille les Sons Of Champlin à bras ouverts : leur «1982-A» sonne bien, mais ça se complique à la longue. Palao parle d’un «jazzy brew of Beatles and Stax». Pour lui, le groupe aurait dû devenir célèbre mais il est resté un phénomène local. Mad River ? Pas si bon, d’ailleurs les deux albums sont repartis à la vente. Beaucoup de bruit dans «Amphetamine Gazelle» pour rien. Palao parle d’un «uncommercial brand of acid rock» qui mélange tout : «les Beatles, les Ayler Brothers, le bluegrass et le r’n’b». On s’ennuie avec Seatrain et It’s A Beautiful Day. On s’ennuyait déjà dans les années 70 quand on écoutait ces albums chez le disquaire qui croyait pouvoir nous les vendre. La bonne surprise vient des Youngbloods avec le «Get Together» de Dino Valenti. On avait pourtant revendu leurs albums avec ceux des Good Rats, car cette pop refusait d’obtempérer. Mais avec le temps, on y revient, car Jesse Colin Youg est un mec assez fin. Il a tellement de son. Rien de plus pur. Comme Valenti, Jesse Colin Young avait ramé en tant que folk troubadour sur l’East Coast avant d’émigrer vers la West Coast. Et puis les cakes du disk 4 sont bien sûr les Groovies avec «I’m Drowning», le summum du swing, Roy Loney au chant et Dave Alexander on the walking bass. Palao salue Sneakers, ce mini-album enregistré en une seule session en 1968 et bourré de ce good time/jugband style qui fait tellement la différence avec les autres groupes locaux, à l’époque.  

             Tout ça pour dire que ce Rhino book-box est une fabuleuse machine à remonter le temps.

    Signé : Cazengler, San Franciscon

    Love Is The Song We Sing: San Francisco Nuggets 1965–1970. Rhino Box set 2007

     

      

    Ship thrills

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             L’autre jour... Il devait être midi, l’heure d’écouter un album. Tiens la pile des O’Jays qui bouge. Elle tend les bras. Moi ! Moi ! Bon d’accord. Early O’Jays ? Late O’Jays ? Tapons donc dans les Mid O’Jays. Tiens... Pas de souvenir de cette pochette. Ship Ahoy ? C’est un choc. Ils sont là tous les trois, sous le ciel étoilé, on sent bien qu’il y a un problème. Regarde de plus près. Tu vas voir la peur dans les regards. Le rond est coupé en deux. En bas, tu as Eddie Levert, Walter Lee Williams et William Powell, et en haut, tu as le groupe d’hommes noirs, une dizaine, nus avec des pagnes blancs, sans doute remontés la nuit sur le pont pour on ne sait quelle raison, pour prendre l’air ? Mais tu entends le ressac, tu sens peser le poids d’une histoire détestable, retourne la pochette et tu vas voir le voilier négrier de profil, avec sous la coque les âmes des hommes noirs rassemblés sur le pont. On dirait des algues. De grandes algues. Des ectoplasmes. Alors tu écoutes «Ship Ahoy», le morceau titre, ça commence mal - As far as your eye can see/ Men, women and baby slaves/ Coming to the land of Liberty - Ahoy tu parles d’un choc !

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             D’autant plus un choc... Comme par hasard, vu la veille les quatre épisodes d’une série documentaire, Les Routes De l’Esclavage, réalisée par Daniel Cattier, Juan Gélas et Fanny Glissant. On peut les choper sur le site d’Arte. Et ce n’est même pas «on peut», c’est «on doit». Tant qu’on a pas vu ces quatre heures d’horreur totale, on se sait rien. De la même façon qu’on ne sait rien tant qu’on a pas vu la version longue de La Shoah, qui à l’époque de sa sortie dans les salles signait l’arrêt de mort du cinéma. Car que pouvait-on filmer après La Shoah ? Rien. Les Routes De l’Esclavage, c’est encore pire, car on se fait tous des petites idées sur l’histoire de l’esclavage, on a tous des petites infos stockées dans un coin du cerveau et prêtes à être réchauffées pour les besoins de la conversation, lorsque l’occasion se présente. Mais le problème, ici, c’est que les quatre heures de docu te disent en gros : ferme ta gueule et écoute, car ceci est la vérité, et quand tu connaîtras la vérité, tu fuiras les conversations de salon comme la peste. Au début, on ne se méfie pas, le premier épisode nous ramène dans l’Antiquité et nous explique que les Arabes étaient les grands spécialistes de la traite des noirs. Ah les Arabes ! On n’en finirait pas avec ces gens-là. Ils avaient déjà tous les défauts, et là on leur en remet une couche, mais comme c’est l’Antiquité et que c’est loin, ça ne nous concerne pas vraiment, ça donne juste quelques petites informations complémentaires pour le stock à réchauffer. On savait que Rome avait intégré l’esclavage comme modèle socio-économique, donc une sorte de normalité, et de toute façon, à cette époque, la vie ne valait bien cher.

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    Et puis d’épisode en épisode on va voir la pression monter sur l’Afrique, véritable vache à lait de tout cet épouvantable business. Les premiers à mettre la pression sont les Portugais, historiquement les gens les plus cupides de l’histoire de l’humanité, de l’or, de l’or, ils veulent de l’or, ils ne pensent qu’à l’or, ils en rêvent la nuit, ils en cherchent partout, ils n’en trouvent pas, alors ils font le commerce d’êtres humains, ça rapporte plein d’or, de l’or, de l’or, ils n’ont que ce mot là à la bouche, comment peut-on être cupidement con à ce point-là ?, alors ils construisent des caravelles, des comptoirs, ils font des razzias sur les côtes africaines, viens par là toi négrillon, viens par là toi la petite négresse, ils détruisent des villages et ramènent plein de nègres au Portugal, et que fait le docu ? Il nous montre l’intégration des esclaves nègres dans les familles, c’est assez marrant, on les voit à table avec les Portugais sur des tableaux peints au XVIe siècle. Le problème, c’est que le ver est dans le fruit, c’est-à-dire dans la mentalité des Occidentaux. Bateau + nègres gratuits = fortune, montagnes de blé, palais, carrosses, robes brodées d’or, ces rats d’Occidentaux ne se cachent plus, la traite devient vite un gros business, on arme des gros bateaux, on recrute de rudes capitaines, on commence à monter des usines à sucre en Afrique, tout le monde au boulot, allez hop, toi tu vas crever dans l’usine et toi aussi, et toi on va te violer et tu fermes ta gueule, le patron blanc, il a droit de vie et de mort sur des milliers de nègres qui ne comprennent rien et qui doivent couper la canne et fabriquer du sucre pour ces gros cons de blancs dégénérés. Mais comment veux-tu qu’après tant de siècles d’un tel traitement les noirs puissent respecter les blancs ? Mais c’est impossible ! Alors la farce du sucre continue, elle devient même la guerre du sucre, tout le monde veut du sucre, du sucre !, du sucre !, tout le monde veut des bonbons, tout le monde veut des gâtös, miam miam, et pour développer ce business jusqu’au délire, ces rats de commerçants esclavagistes exportent le modèle dans les îles des Caraïbes, où les conditions climatiques sont, nous dit le docu, comparables à celles de la côte africaine.

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    Alors ça repart de plus belle, avec des beaux bateaux bien profilés sous le vent, avec des braves capitaines grassement payés et des bons matelots ravis d’aller violer des négresses impubères la nuit dans les cales, et soudain l’océan Atlantique devient le théâtre d’un immense cauchemar à ciel ouvert orchestré par une poignée de riches investisseurs blancs que l’immoralité et l’argent facile ont transformés en monstres dégénérés. Tous ces gens savent très bien ce qu’ils font, les rouages de la machine tournent merveilleusement bien, l’argent coule à flot, c’est la naissance du capitalisme sauvage, avec le concours avide des banques et des assurances, notamment en Angleterre. Maximum de profit, zéro charges sociales et réservoir de main d’œuvre inépuisable ! L’El Dorado ! Le dernier épisode du docu est celui qui va te foutre en l’air, on estime à 50 millions le nombre de gens arrachés à leurs villages et transportés comme des bêtes vers les Caraïbes et le Brésil. Si tu veux te choper une belle nausée, regarde ça et tu auras honte de faire partie de ce qu’on appelle la civilisation occidentale. Dans Occident, il y a occis. La traite des noirs n’est en fait qu’une machine de mort extrêmement rentable, ship ahoy, ca grouille de détails qui te feraient presque dire : «Ouf heureusement que je n’étais pas noir à cette époque !», car tomber dans les pattes des négriers, ça devait être quelque chose de terrifiant. Violence, sexe, cupidité et racisme, cocktail superbe ! Les pires sont les convaincus de la légitimité de ce business, avec toutes les théories à la mormoille de la supériorité la race blanche, le même genre de délire qu’on a vu revenir avec la race aryenne, ça donne le mal de mer de penser à tout ça, le mal de mer on l’a de toute façon quand on voit ces bateaux qui puent la mort et quand on voit ces belles demeures bourgeoises de Nantes et de Bordeaux, celles des armateurs qui ont bâti leur fortune sur le commerce de la mort, alors les O’Jays repartent de plus belle - Can’t you feel the motion of the ocean/ Can’t you feel the cold wind blowing by/ There’s so many fish in the sea - Tu écoutes ça et tu demandes dans quel monde tu vis, et comment ont fait tous ces pauvres noirs pour survivre à une telle œuvre de destruction massive - Get a little something/ Gonna land in jail/ Somebody bite the whip/ I’m your master/ And you’re my slave/ And you’re my slave/ I’m your master - tout à coup tu es submergé par le flot des immondes informations, 50 millions d’informations de la mort, autant que les noirs arrachés à la terre d’Afrique, et puis tu as les trafiquants noirs, ceux qui commercent avec les blancs, tu as aussi les sultans sur la côte Est qui eux aussi veulent en croquer, et puis enfin arrivent les révoltes d’esclaves, Saint-Domingue qui va devenir Haïti, mais de toute évidence, ces endroits bâtis sur le chaos de l’humanité ne connaîtront jamais la paix, et puis tu as le Brésil, apparemment le plus gros consommateur d’esclaves pendant trois siècles, mais curieusement le destin du Brésil ne semble pas aussi tragique que celui du Deep South, aux États-Unis, tellement exacerbé par le peu qu’on sait de l’histoire du blues,

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    toutes ces photos de champs de coton et ces quelques films qui tentent de régler des comptes avec l’inréglable. Car quand on se prétend civilisé, on ne fait pas travailler des gens à l’œil. Ah ils se sont régalés les riches planteurs revus et corrigés par Hollywood, avec les robes en crinoline et les beaux Fedoras en paille blanche, tous ces enfoirés s’en sont foutu plein les poches, pas de cotisations sociales, pas d’Urssaf, pas d’Arrco, coco, pas d’RTT, Toto, pas d’indexation ni de revalorisation, pas de rien, allez-y les bestiaux, bossez et prenez ça dans vos gueules, des bons coups de fouet, rien de tel que des bons coups de fouet pour dresser des êtres inférieurs. Tu m’étonnes que l’Amérique blanche ne s’en sorte pas. Elle ne pourra pas s’en sortir, c’est le même problème en Allemagne, l’histoire les rattrape au moindre signe de violence. L’Allemagne restera attachée à ses fours comme l’Amérique à ses génocides, et pas seulement les noirs, mais aussi les Indiens et les Vietnamiens. Trois millions de Viets, quand même, c’est pas autant que les 50 millions de la traite, mais c’est un bon départ - Men, women, and baby slaves/ Coming to the land of Liberty - Les O’Jays continuent d’onduler sous la houle de Ship Ahoy. Ce que ne dit pas le docu, c’est la façon dont ces pauvres gens voyaient les choses. Les O’Jays en donnent une idée. Le monde est tout pourri, mais on ne se doute pas à quel point. On croit à un moment que ça va se calmer avec l’arrivée des Abolitionnistes en Angleterre, mais pas du tout, ça ne raisonne qu’en termes de développement économique. Les Anglais sont les premiers à comprendre qu’on ne peut pas faire évoluer l’Occident en maintenant l’esclavage. Pour eux, les esclavagistes ne sont pas civilisés. Il faut un nouveau concept. Alors ils proposent le colonialisme. Et qui va servir de laboratoire ? L’Afrique ! Et pouf, ça repart de plus belle, avec tout le délire du travail forcé, les mains coupée du Congo belge, les missionnaires dans la forêt équatoriale, les colons français en Algérie, les mines d’Afrique du Sud et tout le bordel, le bordel sans fin. Les gens qui naissent noirs dans ce monde de blancs sont toujours aussi mal barrés, quoi qu’on en dise.

    Signé : Cazengler, cheap aouille

    Les Routes De l’Esclavage. Daniel Cattier, Juan Gélas, Fanny Glissant. 2018. 

    O’Jays. Ship Ahoy. Philadephia International Records 1973

     

     

    Inside the goldmine - Shooting Starlings

     

    Il s’en fout Cosmo. Une dette c’est une dette, et après ? 23 000 $ ? Pffff.... Il rentre à l’aube, dépose ses trois poules chez elles et va prendre son breakfast dans un bar du Strip. Scotch à l’eau. Grand verre, à ras-bord. Il le boit d’un trait, comme s’il crevait de soif. Derrière sa caméra, Cassa lui dit d’en siffler un autre. Cosmo le regarde et lui dit :

             — Sure ?

             Cassa chope l’incertitude en contre-champ. Il sait que ce sera l’un des meilleurs plans du Chinese Rock. Cassa cherche à capter le spirit des bars aux wee wee hours. Ah quand Scorse va voir ça, il va baver. Cassa décadre sur le champ. De toute façon, la grosse tête de Cosmo ne rentre pas. C’est pour ça qu’il l’a casté, pour sa grosse tête. Cassa mise tout sur Cosmo. Comme Cosmo bouffe le screen, Cassa peut démonter la gueule du script. Eaaasy. Cassa n’intervient pratiquement pas. Cosmo fait tout le boulot. Il bute le Chinese Rock, il drive Mister Sophistication, il offre des orchidées, il reçoit même des balles. Pas à blanc, Cassa veut du real blood. Cassa prône le réalisme socialiste. Real blood and real gang. Cosmo joue son propre rôle, son rôle de shooting star. S’il court dans Cielo Drive, il court dans Cielo Drive. S’il pose son sourire, il pose son sourire. S’il craque sa voix, il craque sa voix. S’il monte dans une Corvette, il monte dans une Corvette. Cassa le suit comme son ombre. Cassa le décadre à l’infini. Cassa cultive le brouillon du plan. Cosmo ne pourrait pas jouer Napoléon, ni Jésus, ni Raspoutine, ni Rodin, il ne peut jouer que Cosmo, il est trop Cosmo. Comme Bickle est trop Bickle. Ce genre de mec ne peut pas échapper à son destin. Même s’il meurt, il reste éternel. C’est toute la différence entre Cosmo et nous.   

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             Parmi les shooting stars retombées dans les ténèbres, on peut aussi citer les Starlings qui eurent leur petit moment d’éclat fragile dans les années quatre-vingt-dix. L’âme de ce groupe depuis longtemps oublié s’appelle Chris Sheehan, un Néo-Zélandais débarqué en Angleterre dans les années 90, après un crochet par Los Angeles. On trouve tout le détail sur Internet. L’essentiel est de savoir qu’on comparait ce mec à Chris Bailey et qu’il trimballait à Londres une belle réputation de junkie. Il tenta de faire décoller les Starlings qui étaient plus ou moins un one-man band évolutif, mais il se fit jeter par son label Anxious Records qui était en fait le label de Dave Stewart. Et donc boom à dégager, malgré deux bons albums prometteurs.

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             Sur Valid, le premier album des Starlings paru en 1992, on trouve pas mal de choses intéressantes. C’est d’ailleurs pour ça qu’on achète des disks, pour les choses intéressantes. Le «Unhealthy» qui ouvre le bal est une espèce de coup de génie, le son est immédiat, ainsi que la voix. C’est tout simplement le groove de «Death Party» et là t’es baisé - Excuse my actions/ Please kind sir - Chris Sheehan a la voix d’un chef de meute - I hear too many stupid questions and dumb replies - Aristocratie du groove, entre le Gun Club et Chris Bailey - Wow the circles getting smaller for the final kill/ The final thrill - et il chute avec Probably will. Excellent ! Ce mec a des accointances avec les squelettes, comme le montre «Sick Puppy». Il tape son groove de feel alrite au fuck all nite, il sonne comme a nasty bitch - My nervous twich - Il est terrific. Si tu es passé à côté des Starlings, pas de chance, car d’une certaine manière, ils sont le vrai truc de cette époque, avec le Gun Club et les Saints. Il noie son «Now Take That» dans le groove - There’ll be seven sorts of trouble - C’est insidieux, plein de jus purulent. Ce mec a du son. Une fantastique présence encore avec «That Is It You’re In Trouble», petite merveille de soft pop. Chris Sheehan est un dieu du stade. Il transforme le plomb en or du Rhin. Petite démonstration de force avec «Bad Dad». Il peut jouer sur tous les tableaux. C’est un admirable activiste, il envoie la bass fuzz au front, il ramone sa dinde, c’est la basse qui bourre le mou du son, alors qu’une guitare malade erre dans le couloir d’hôpital. Ce mec s’implique jusqu’au bout. On le voit aussi se frotter l’épaule contre le son d’orgue dans «Shoot Up Hill», pour un résultat très profond, très secret, joué très loin dans la mort de tout.        

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              Paru deux ans plus tard, Too Many Dogs est un bel album de groove. Ouverture de bal avec le Big Atmospherix de «Tears Before Bedtime». Son énigmatique mais beau, un peu espagnol. Buste droit. Chris Sheehan chante à la réalité de sa véracité. Il est certainement l’un des chanteurs majeurs du XXe siècle. Mais le sait-on vraiment ? Il entraîne son Tears dans la démence ambiancière, il descend dans le gusto du chant d’impression. S’ensuit une autre petite merveille, «Loch AAngeles (sic) Monster». Il a la voix, mais il travaille en plus le spirit du son. Belle avancée dans le groove underground. Il descend des fleuves, comme Rimbaud, il a la voix, comme Rimbaud avait la vision. Avec «As Long As You Feel Worse», il s’enfonce dans le deepy deep de deepah, ça groove sous le boisseau - Well I fucked your wife - Il a raison, il se coule dans l’underground des fleuves perdus. Encore du groove interlope avec «Mr Wishy Washy», il jette tout dans la balance, à force de tailler sa route et ses roots, il en devient presque américain. Comme les Limiñanas, il propose un mix étonnant de groove et rêve et de voix de rêve. 

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             Le Letters From Heaven EP vaut le rapatriement, car c’est là que se niche le hit des Starlings, «Razor Girl». C’est même un énorme hit, chanté à la morgue verte, celle de Peter Perrett, c’est excellent, ça marque la mémoire au fer rouge. Après ça, on n’oublie jamais les Starlings. Les deux cuts de l’A sont aussi très fascinants, car chantés à la vraie voix. Chris Sheehan était alors sur la bonne voie, il aurait dû exploser.

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             Si tu vas sur Wiki, tu verras que Chris Sheehan a joué dans d’autres groupes. Mais c’est le chanteur qui nous intéresse et en 1995, il enregistre un album solo, Out Of The Woods. Il est précisé sur la pochette que l’album est recorded in the goat shed at the edge of the woods. On est saisi dès le morceau titre d’ouverture de bal, il a tout derrière lui, alors il peut donner de la voix. On croit que ce mec va se calmer, pas du tout ! Il joue un groove fantôme. Il tape ensuite une cover du «Fly Like An Eagle» de Steve Miller, c’est du primitive de cabane avec des osselets dans le son, il est perdu, il a vendu son âme au diable et donc le son est là. C’est le groove fantôme des bois. Le «Boss» qui suit est énorme, il l’amène à la techno mais il sait ce qu’il fait. Il revient au chant dans cette orgie de son alors ça prend du relief et ça devient énorme. Il ramène des sons incroyables dans ses cuts, il les truffe de deepy deep et ça reste rock, il se glisse dans tous ses plans comme un serpent («Bother Be»). Présence vocale inexorable avec «Halloween Candy» et il donne une belle leçon d’exotica avec «One Day». Il ondule des reins entre tes reins, avec une basse qui bouffe le son, joli beat de stalwart underground. Il renoue avec le groove des cimetières dans «Johnny Come Home», c’est excellent, très city of the dead, New Orleans, avec une guitare qui shlurpe comme si elle suçait goulûment des queues. Nouveau coup de cœur avec «I Feel Able», il crée les conditions d’un beat tribal, mais à l’oh yeahhhh et c’est beau, bien tamponné à la racine du son, il répond merveilleusement bien aux attentes, c’est fin et ça capte.

    Signé : Cazengler, Starperlipopette

    Starlings. Valid. Anxious Records 1992         

    Starlings. Too Many Dogs. Anxious Records 1994 

    Starlings. Letters From Heaven EP. Bad Girl 1990

    Chris Sheehan. Out Of The Woods. Anxiou

     

     

    L’avenir du rock

    - Lumer qui baigne les golfes clairs

     

             Il fut un temps qu’on appelait le temps des poètes chantants. En ce temps-là, l’avenir du rock allait par les chemins, chantant du soir au matin. Verlainien dans l’âme, il allait de ferme en château, il chantait pour de l’eau et il chantait pour du pain. Comme les gens très pauvres, l’avenir du rock savait se contenter de peu, il se disait heureux, il n’avait rien mais il avait tout, puisqu’il pouvait dormir sur l’herbe des bois, conter fleurette aux divinités de la nuit et à la lune qu’il voyait se faufiler parmi les cimes des arbres. Il se rendit un jour chez la comtesse. Le laquais chinois qui le reçut lui indiqua qu’elle était absente mais qu’elle lui avait fait préparer un plat de riz. Oh merci monsieur le laquais, fit l’avenir du rock qui repartit sur le chemin en chantant. Car tel était son destin. Et puis un jour le destin se montra plus cruel et lui joua un vilain tour. Chacun sait qu’un plat de riz ne nourrit pas son homme, même s’il est servi par un laquais chinois dans le château de la comtesse. En conséquence de quoi l’avenir du rock s’écroula au creux d’un sentier. Deux gendarmes vinrent à passer et l’avenir du rock leur tendit la main, leur demandant de l’aide, implorant leur pitié, mais frisant leurs moustaches, les gendarmes emmenèrent l’avenir du rock non pour le secourir, mais pour le jeter au cachot, car au temps des poètes, on enfermait les vagabonds. On leur disait : «Vagabond ! Ton compte est bon !». Si la morale était chiche, la rime était riche. «Avenir du rock qu’es-tu devenu ?», hulula-t-il dans sa cellule, en écho à Guillaume Apollinaire, victime lui aussi d’une grave injustice. Comme il ne pouvait concevoir la vie sans liberté, il détacha la ficelle qui lui servait de ceinture et se pendit pour retrouver sa liberté. Il devint un très joli fantôme et se mit à hanter les bois et à chanter Lumer qui baigne les golfes clairs.

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             Pas beaucoup d’infos sur les golfes clairs de Lumer. Nord de l’Angleterre, nouvelle génération, vieux son, Manchester années 80. Brut de décoffrage. Grosse énergie. Quatre petits mecs amateurs de petits fracas. Four lads looking for small havocs.

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    Vont chercher la petite bête. Décrochent leur pompon. En quête de l’inaccessible étoile. Brûle encore. Mettent les corps en branle. Visent le pandémonium. Twist & Shout. Angleterre profonde, comme on dit France profonde. Des non-fringues et des tatouages. Street on stage. Something weird. Indiscutable présence. Indéniable prestance. Indéfinissable aisance. Son qui vole comme un essaim de bourdons. Attaque. Sauve-qui-peut la vie. God art ! So goooood ! Pas ton son, mais ta came. Tu finis par céder. En trois cuts, les golfes clairs emportent la partie.

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    Wham bam thank you la post (Hello Gildas). Sale son qui va pas bien, mais prescience qui les absout de tous leurs sins. Jesus died for everybody’s sins. Sun of the sins. Jouent sous le sun de la Friche. Pas encore la tombée du jour. Red sun. Éclats des deux Fenders. Démantibules de cordes. Patibules de gestes. Mandibules d’hip-shake. Vestibules de shout. Marcel noir sur tattoo horizontal, d’une épaule l’autre. Exacerbation des jus corporels. Incubation des pus caractériels. Percolation des guts intemporels. Réprobation des crus immatériels. Titubation des flux artériels.

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    Golfs clairs dans la tempête. Âcreté fondamentale. Post-punk tue-l’amour. Please kill me. Nul repos en leur bas monde. Tourmentes de shakedown. Down on your knees. Need nobody. Hip yourself. Northern Soul de working class lads. Sad Division. No dreams. Death sound. Ring my bell. Mort et renaissance instantanée. Phoenix Division. Not alive & well, but dead & well. No future sound of no-well land. Vie et mort des golfes clairs. Épais mystère. Tentation de Saint-Antoine. Flop-bert. Apocalypse now. Now ? Now. Oh now now now. Golf clair éructe. Lumer fait la lumière. Four kids on stage, au fond de nulle part. Dans l’improbabilité d’une misérable foire à la saucisse.

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             L’an passé sortait The Disappearing Act. Pas beaucoup d’infos au dos de la pochette, il faut aller sur leur Bandcamp pour savoir que le jeune shouter s’appelle Alex Evans, son copain guitar slinger est un certain Ben Jackson, le bassman en marcel noir et au regard d’aigle s’appelle Benjamin Morrod et le power beurreman Will Evans.

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    On retrouve le son de l’essaim de bourdons dans le «She’s Innocent» d’ouverture de balda. Alex Evans est un excellent frontman qui entre dans la catégorie des Ian Curtis, pour l’obsessionnel et le dark, et des Bryan Ferry, pour l’aspect mec brun leader of the pack. Il chante à l’Anglaise, au pur sound, et l’ingé-son arrondit fantastiquement bien le bassmatic. Côté guitares, les dissonances sont admirables. On y revient. La tension règne encore dans «First It’s Too Late», ils cultivent l’art du Northern post-punk, un son terriblement British. Ces mecs ne vivent que pour la tentation de Saint-Anthony, monté sur le meilleur rebondi de tatapoum. Le «White Czar» qui ouvre le bal de la B sonne presque comme un hit. Ils continuent de cultiver l’art des dissonances de la concordance. Alex Evans prône bien la violence. Voilà encore un cut remplisseur de spectre, bien heavy et hanté par des clameurs superbes. Evans sait haranguer ses harengs, il n’a aucun problème de ce côté-là. Lumer sonne très Manchester années 80, très stéréotypé, monté aux échos des Smiths et des ambiances passagères. Encore du son Brit avec «Sheets», cette fois, ils frisent l’Adorable de twilight zone et on observe un très bel élan composital. Ils recoulent le Cool Britannia dans le moule de bushow. Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.       

    Signé : Cazengler, Lumerde à Vauban

    Lumer. Friche Lucien. Rouen (76). 3 juillet 2022

    Lumer. The Disappearing Act. Beast Records 2021

     

     

    ROBERT PLANT & ALISON KRAUSS

    2007 - 2009

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    RAISIND SAND

    ( Rounder Records / Octobre 2007 )

     

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                Sable qui vole, un titre nostalgique qui nous invite à profiter des bons moments qui passent, Robert Plant et Alison Kraus debout sur une plage, ils ne nous regardent pas, sourient à l’on ne sait quoi, peut-être à eux-mêmes. Au dos de la pochette ils nous tournent le dos, Alison se retourne pour nous sourire, et nous dire merci de les avoir écoutés. Une pochette toute simple, légèrement voilée de sable, comme un rappel des photos-sépia de l’ancien temps, signature de Pamela Springteen, la sœur du Boss, elle avait déjà réalisé en 2001 la couve qui ne manque pas d’humour de New Favorite d’Alison Krauss + Union Station.

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    T-Bone Burnett : production, guitares basses, il a entre autres produit Roy Orbison et participé à la Rolling Thunder Revue de Bob Dylan  / Marc Ribot : guitares, banjo, dobro : l’on ne compte plus ses participations, nous n’en citerons que trois : Norah Jones, Tom Waits, Bashung / Norman Blake : guitare acoustique : accrochez-vous aux petites herbes a joué avec  : Johnny Cash, Dylan, Kris Kristofferson, Joan Baez notamment sur le The day they drove Old Dixie downGreg Leiz : guitare, pedal steel guitar ; a joué pour tout le monde de Lucinda Williams à Sam Phillips, de Clapton à Springfield… / Riley Baugus : babjo  a joué avec Willie Nelson et dans de nombreux groupes à cordes des Appalaches. Mike Seeger : autoharpe : multi instrumentiste, demi-frère de Pete Seeger, fondateur des New Lost City Rambler, son importance dans le mouvement folk a été reconnue par Dylan. Denis Crouch : contrebasse : on le retrouve derrière Johnny Cash, Imelda May, Steven Tyler, Emmylou Harris et quelques autres du même tonneau… Patrick Warren : claviers, piano, orgue, harmonium : toujours la même limonade : Dylan, Springfield et Lana Del Rey pour changer un peu. Jay Bellerose : batterie, percussions : pour ne pas allonger la liste jusqu’à l’infini je ne citerai que Ricky Lee Jones … Pour résumer : la crème des crèmes.

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    Rich woman : ( les rockers dresseront l’oreille en entendant le nom de la compositrice de ce morceau écrit en 1955 Dorothy LaBostrie, l’auteur de Tutti Frutti dont elle a toujours revendiqué l’intégrale maternité ) : n’écoutez cette chanson qu’une fois, sinon vous êtes foutu, elle n’a l’air de rien, un truc gentillet, une petite rythmique simplette, passez à la suivante, sinon vos céderez au vertige, terriblement hypnotique, s’ installe dans votre tête et trotte en rond sans fin, derrière les musicos vous bernent par ce l’on appellera des effets de style minimalistes, des leurres auxquels vous prêtez attention alors que vous êtes en train de dévaler la pente raide de la folie douce, pas bête le Robert se fait tout petit,  laisse Alison mener la sarabande, n’est-ce pas en quelque sorte un hymne féministe, vous suivez tout heureux, et vous souriez lorsque les portes de l’asile se referment sur vous…et puis cette intro diabolique qui ressemble à une fin de bande que l’on laisse filer pour rajouter quelques secondes à un morceau trop court.  Killin the blues : ( un morceau de Roland Salley compositeur, chanteur et guitariste de Chris Isaak ), le titre est trompeur, rien à voir avec le blues, une ballade country parmi tant d’autres, une chanson d’amour triste à pleurer, Alison et Robert jouent sur du velours mouillé, la pedal steel guitar pleurniche dans son coin, votre cœur se serre, pas de panique vous survivrez, c’est beau mais un peu ennuyeux, nos deux tourtereaux nous en donnent une version parfaite, hélas nous vivons dans un monde imparfait, ses éclaboussures nous manquent. Sister Rosetta goes before us : (un titre de Sam Phillips, rien à voir avec les Studios Sun, chanteuse, compositrice, encore l’épouse de T-Bone Burnett au moment de cet enregistrement, l’on ne présente pas Sister Rosetta Tharpe, à qui certains thuriféraires prêtent l’invention du rock ‘n’ roll, cette musique du Diable, les accointances christologiques de Sam Phillips expliquent l’écriture de ce morceau,  le nom de Sister accolé  à  son prénom  est un témoignage de la foi ardente de Rosetta. ) : tout simple, un léger gratouillis de cordes, le rythme martelé de Jay Bellerose, plus la voix et le violon d’Alison, par-dessous des chœurs fantomatiques, un instant de grâce, une revisitation du gospel d’autant plus heureuse que l’original se présente comme une ballade assez roots. Pour réussir une telle interprétation, l’est nécessaire d’avoir cette voix d’Alison si pure qu’on lui donnerait Sir Rosetta Tharpe sans confession. Polly come home : ( de Gene Clark des Byrds, sur l’album Through the morning, through the night paru en 1969 ) : Plant a maintes fois répété que ce fut de toute sa vie de chanteur, une chanson des plus difficiles à chanter, l’est vrai que cette interprétation se démarque de celle de Gene Clark qui apparaît de ce fait comme une simple ballade harmonique, le ralentissement du rythme donnerait à penser que la tâche en aurait été rendue plus aisée, il n’en est rien, la difficulté de l’enregistrement fut sans doute due au fait que là où Clark interprète une chanson triste, Plant s’est complu à transformer cette amourette désolée en drame universel, malgré son minimalisme instrumental ce morceau est le seul du disque à sonner comme un morceau de Led Zeppelin, Plant se charge du vocal, le doux murmure d’Alison quasi inaudible romantise à l’excès l’éloignement de Poly. Gone, gone, gone : ( pas étonnant de trouver sur cet album un titre des Everly Brothers, surprenant n'ont pas choisi une mélodie sucrée du duo, ont jeté leur dévolu sur un rock plutôt enlevé qui rompt avec l’ambiance de l’album, l’en existe une vidéo officielle grand-public de fort mauvais goût qu’il vaut mieux oublier ) : z’ont dû s’amuser comme des petits fous dans le studio, se lâchent tous, à pleins gosiers et à cordes rabattues, une version country rock, une de ces petites merveilles qui n'invente pas le feu mais qui enflamme les pinèdes mentales partout où elle passe. Trough the morning, through the night : ( retour à l’album de Gene Clark et Doug Dillard ) : de tous les originaux utilisés sur l’album, c’est celui qui se rapproche de la musicalité des interprétations de Plant & Krauss, morceau country classique, totalement transcendé par la voix d’Alison, ce qui chez Clark vous a des airs de jérémiade incapacitante  touche ici à l’intemporalité de toute expérience humaine.

     

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      Please read the letter : ( Plant reprend la main avec un de ses morceaux  tiré de Walking into Clarksdale ) : évidemment ils n’ont pas la guitare de Page, ils s’en passent très bien, l’orchestration minimaliste choisie colle davantage aux paroles typiquement country de Plant, Alison mêle sa voix à celle de Robert sur les refrains et vous transfigure la pacotille en poussant son violon vers les azurescences du désespoir. Une réussite.  Trampled Rose : ( écrite par Kathleen Brennan pour son mari Tom Waits ) :  drôle de défi pour nos deux oiseaux, comment donner à ce titre davantage de force que l’engorgement déchiré de Tom Waits, Alison Krauss ne recule pas, là où Waits traîne sa chenillesque misérabilité sur le sol du désespoir, elle hausse sa voix vers les anges, elle ne frappe pas à la porte du paradis, elle est déjà à l’intérieur, l’orchestre s’est contenté de jeter sous ses pieds un tapis de roses, qu’elle n’effleure même pas laissant couler les larmes du banjo  que ses yeux n’ont pas versées. Fortune teller : ( tous les groupes anglais reprenaient cela dans les sixties, la première fois que j’ai entendu ce titre j’ai cru qu’il s’agissait d’une histoire de pirates, non c’est seulement une facétie de l’amour ) : évidemment Robert Plant est comme un poisson dans l’eau avec ce titre d’Allen Toussaint, doit lui rappeler sa jeunesse, l’orchestre lui prépare un background rocko-cubano-pseudo-calypso aux petits oignons, l’est tout en joie, le vieil étalon gambade tel un poulain échappé de l’écurie, n'a besoin de personne Robert avec sa diseuse de bonne aventure, ce qui n’empêche pas Alison de se glisser dans le morceau, elle glapit entre ses dents  comme une renarde amoureuse, et cette voix animale venue de si loin vous rend tout chose. Stick with my baby : ( n’y a pas que Lee Hazlewood qui a enregistré avec Nancy Sinatra, Mel Tillis aussi, mais ici il s’agit d’un titre écrit pour les Everly Brothers ) : la chantent à deux, Alison en haut de la portée, Robert tout en bas, ne nous trompons pas, inutile de les écouter ils font le job, mais les boss ce sont les musicos qui produisent une merveilleuse parodie des slows sixties, tout en finesse sur un tempo plus enlevé que l’on ne s’y attendrait. Le morceau le moins réussi de l’album. Nothin’ : ( Un déchiré de la vie, l’on peut résumer l’existence de Townes Van Zandt,en deux mots, Elvis et Alcool,  des paroles fortes sans concessions, le country qui vous file le bourdon et le bourbon ) : lorsque Zandt chante, les mots suffisent, pour égaler cette force qui sourd de lui, ici les guitares électriques donnent tout ce qu’elles peuvent, le violon d’Alison mêle sa plainte longiligne à leur fureur, Plant prend sa voix la plus creuse, celle dans laquelle résonnent toute la solitude du monde, parfois l’on croirait qu’il se parle à lui-même, le violon funèbre d’Alison se plante dans votre cœur. Vous n’avez plus besoin de rien. Superbe. Let your loss be your lesson : ( Milton Campbell a enregistré chez  Sun, Chess et Atco, essayez de faire mieux ) ; pour ce morceau de pur rhythm ‘n’blues l’on se disait que Plant allait prendre la main, ben non Alison est au taquet, pas de cuivres dans le studio, pas de problème les guitares lui préparent un groove de derrière  les fagots embrasés, l’on s’aperçoit combien elle a du talent, chante tout ce qu’elle veut, frôlant chaque fois la perfection sans jamais donner l’impression qu’elle se renie ou qu’elle suit la mode. Your long journey : ( avec ce titre de la Watson Family enregistré en 1963 l’on touche à l’essence même du country, du bluegrass et du folk, pas étonnant que l’album se clôt sur ce retour aux racines ) : les cordes carillonnent à la façon des boîtes à musique, chantent tous deux à l’unisson, cette fois-ci aucun ne domine l’autre, donnent à ce morceau une touche religieuse que la nudité l’interprétation originale gomme quelque peu. Touchant, quoi de plus émotionnel de terminer un disque sur une chanson d’adieu éternel. De rappeler que la mort nous attend. Typiquement country dans l’esprit.

    2

             L’enregistrement de Raising Sand sera suivi d’une tournée au travers des Etats-Unis. Les quelques vidéos qui relatent le grand voyage valent le déplacement. Elles sont supérieures à celles de la tournée d’aujourd’hui. Une explication très simple, Robert Plant et Alison Krauss ont une quinzaine d’années de moins, autant dire que Plant a une quinzaine d’années de plus et cela se ressent… nos vies défilent à la vitesse d’une poignée de sable qui s’écoule entre nos doigts.

    D’abord cette vidéo du :

    HARDLY STRICKY BLUEGRASS FESTIVAL

    GOLDEN GATE PARK / SAN FRANCISCO / 03 / 10 / 2008

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                    Si l’on sent s’en réfère aux programmations successives de ce festival strictement  Bluegrass il y a de quoi s’inquiéter, apparemment l’idée que l’on se fait du Bluegrass du côté de Frisco n’est pas du tout sectaire puisque toutes sortes d’artistes et de styles sont représentés. Mais avec cette scène de grosses planches sise sous d’épaisses frondaisons d’arbres centenaires nous ne sommes pas loin des vidéos de Paige Anderson et de Two Runenr que nous aimons  à regarder.

             Maintenant on ne s’attend pas à ce que l’on va entendre. Pas donné à tout le monde de caresser dans le sens du poil un chien noir avec un banjo, une contrebasse et une batterie minimale.  Oui il s’agit bien d’une version de Black Dog, l’un des morceaux les plus fragmentés et les plus violents de Led Zeppelin. Alison dans une épaisse robe rouge, le vent souffle assez fort, Frisco frisquet, Robert chemise blanche, veste noire, sont immobiles devant leur micro, ressemblent à des clergymans qui se recueillent avant de communiquer la parole de Dieu à l’assistance, entament maintenant à pas lents une espèce de ballet  de rapprochement, cris dans la foule, Plant murmure les premiers lyrics, derrière la big mama pousse l’escarcelle du rythme, Alicia mêle sa voix à la sienne, une guitare klaxonne à la manière d’une voiture de pompier, tout rentre dans l’ordre, tout doucement au vocal qui fait une pause pour laisser la batterie faire le break tandis que la guitare embraye aussitôt sa partition de déchaînements, et l’on recommence au début, tout doux, c’est reparti pour un tour, l’on n’espère que le manège ne s’arrêtera jamais, tous deux prennent le temps de sourire et entament un étrange danse pratiquement statique pour laisser leur quart d’heure de gloire aux musicos, nous passent le film au ralenti, et c’est fini. La foule enthousiaste acclame.

    LIVE FROM THE GREEK  THEATRE

    ( Night 1 / Concert complet / 2008 )

             Vous ne croyez quand même pas que l’on vous emmène en Grèce sur les gradins de pierre sur lesquels Aristote et Alcibiade se sont assis, vous avez Alison et Robert, cela vous suffit amplement. Nous ne quittons pas la Californie. A mon humble connaissance cet état possède deux théâtres grecs, l’un à Berkeley, la célèbre université, l’autre à Los Angeles, z’ont joué dans les deux, mais deux nuits de suite à Los Angeles, c’est donc le concert 1 du 23 juin 2008.

    Attention ce n’est pas une vidéo prise par un portable tremblotant, nous avons droit à une production de pro ( lmage Factory Productions Kissinger ), les caméras ne quittent pas les artistes, le public est totalement ignoré, jamais nous n’apercevrons les gradins aux fauteuils rouges, ce parti-pris crée une impression d’intimité d’autant plus que la scène n’est pas vraiment grande et encombrée de matos.

    Cordes : Buddy Miller, Stewart Duncan, T-Bone Burnett / Contrebasse : Dennis Crouch / Batterie : Jay Bellerose.

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    Débutent par Rich Woman, la caméra s’attarde sur les guitaristes, elle a raison ; ils mènent le bal électrique, c’est un plaisir de les entendre, derrière leur micro nos deux ténors ne poussent pas à la consommation, émission oblige, l’on peaufine les morceaux, on prend le temps, Alison enchaîne avec Leave my woman alone de Ray Charles (très vite repris par les Everly ), Plant se charge du gros du vocal, très rock, quatre fois Alison mène la charge sur son violon, ça cavalcade à tous crins, un solo de banjo à décoiffer les hirondelles en plein vol, et l’on passe Black Dog, je n’insiste pas, le son est bien meilleur que sur la vidéo précédente, l’on en profite pour admirer la robe amarante à motifs blancs d’Alison, le visage de vieux loup de mer du Capitaine Plant, et les superpositions d’images du montage,  Sister Rosetta goes before us, sans aucun doute, Alison ne bouge pas, sa voix s’élève, moment magique, par deux fois son archet glisse sur son violon, il devrait être interdit d’être aussi douée, lui suffit d’ouvrir la bouche pour que nous soyons persuadés qu’on la suivra jusqu’au bout du monde et plus loin encore, Trough the morning, trough the night, les messieurs sont sur le pont, les cordes pleurent et le backing vocal est tout attentionné, ce n’est pas que l’on s’en fout, c’est que l’on s’en contrefout, Alison Krauss chante et la quintessence de la country vous enveloppe, si à la place de ces cadors derrière vous aviez une chorale de maternelle qui braillerait ce serait aussi beau, Goodbye ans so long for you, la garce continue avec un de ses titres, fini la romance larmoyante, elle règle ses comptes, les filles savent être cruelles, votre cœur percé de mille flèches ressemble à un hérisson, tout est dans l’intonation, un mot de plus et vous êtes mort, les musicos peuvent galoper derrière elle, ils ne la rattraperont jamais,

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    Fortune Teller, Plant revient, heureusement on avait oublié qu’il existait, remet très vite les pendules à l’heure, poupée si tu ne sais pas ce que c’est qu’un rocker tu vas l’apprendre, L’Alison peut bien venir pousser les sirènes, Ulysse Plant ficelé à son micro imperturbable continue son numéro et l’ignore superbement, In the mood ( into Mattie Grooves ), ont fait la paix, on s’ennuie, Plant bégaye un peu, un duo de violons sauve la mise, sans attendre Alison reprend la barre et le vieux morceau de Fairport Convention, Plant revient et ça se termine beaucoup mieux qu’ils n’ont commencé, Black country woman il n’y a qu’un pas de Fairport Convention, à cette reprise de Physical Graffity, l’acoustique de Page qui gratouille et gazouille sur la cime de l’arbre et le vocal de Plant qui influe au country la désespérance désirable du blues, bref un morceau idoine ce soir pour Plant, n’a pas perdu sa voix, côté Led Zeppe III vous avez le banjo et le violon de Krauss qui cherche les crosses, puis s’y mettent tous pour un beau raffut qui dépasse en intensité l’original, et surprise, mais logique car après le trois il y a quatre, Plant s’enflamme et nous offre des départs dignes du dernier couplet de Stairway, rien à redire. Plant ne se plante pas.  Faut contenter tout le monde deux titres de T Bone Burnett, c’est d’ailleurs lui qui s’avance, acoustique en main, l’a un peu rectifié sa mèche qui d’habitude lui mange la moitié du visage,  n’a pas choisi dans son répertoire les morceaux les plus sombres, mais Primitive n’est pas gai non plus même s’il essaie de prendre la mine d’un croque-mort  qui s’astreint à endosser sa figure la plus avenante pour venir vous enterrer… sur Creole Song ( le traditionnel Bon temps roulet ) il termine en une espèce d’apothéose bruitiste musicale pas très éloignée de Led Zeppe, il est urgent de farfouiller dans la discographie de ce grand monsieur, se recule dans le noir pour annoncer Alison Krauss

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    Trampled rose, j’aime quand elle glapit comme le renard dans le désert, une longue plainte désespérée, magnifique cette voix si tendre alternée par ces cris de souffrance ou d’appel, véritable prouesse vocale que ces changements de timbres, très habilement les images perdent leurs couleurs, passent en blanc et noir, batterie et contrebasse s’efforcent à ne pas faire de bruit, vifs applaudissements, on ne quitte pas cette darkness, elle se métamorphose en innocente transparence, ne riez pas vous n’avez donc pas entendu parler du gars qui transforma l’eau en vin, voici Green pasture notamment illustré par Emmylou Harris, si vous êtes chrétiens vous adorez, ce n’est pas un ange qui passe mais le Christ en personne, les bondieuseries des amerloques me fatiguent un peu ( m’énervent beaucoup ) toutefois Alison chante comme l’oiseau sur la branche qui est sûr que le bon dieu lui donnera sa becquée… Down to the river to pray, un traditionnel américain dont l’origine se perd dans le temps, negro-spiritual antérieur au blues sans aucun doute, elle chante a cappella, soutenue au refrain par le chœur des boys, comment peut-on posséder tant d’harmoniques dans son gosier, s’il est un miracle, c’est bien celui-là, Plant la rejoint pour Killin the blues, après l’émotion suscité par ce qui précède, c’est mignon tout plein mais l’on est descendu de trois ou quatre crans, la chansonnette pleine de bons sentiments qui mettra tout le monde d’accord, les spots tournent au bleu, c’est ce que l’on doit appeler dorer la pilule… Nothing, lui refilent une chatoyante atmosphère orientalisante très zéplinéen mais cette goutte de néant et de finitude humaine qui manquait nous rend le bonheur plus âcre,  plus incertain, Robert Plant impérial dans son interprétation, retrouve ses intonations du temps du Dirigeable, cris de joie pour l’égrenage de l’intro de The battle of ever more, Plant en grande forme, normalement n’importe qui devrait avoir peur de le rejoindre au vocal, Alison s’installe dans le morceau comme vous sur le canapé devant la télé, l’est à son aise, sa voix se durcit et ne jure en rien avec celle de Robert, magnifique sans compter les boys qui derrière avancent à grands pas sur la chaussée des géants… Please read the letter, Plant s’empare du vocal et ne lâchera pas une once de terrain, Alison module à peine, c’est son violon qui parle pour elle, c’est là que l’on s’aperçoit que Paige et Plant en duo sans leurs  habituels acolytes  n’étaient pas au mieux, quand la magie est partie, elle est partie… Gone, gone, gone, rien de mieux qu’un bon petit rock’n’roll pour se remettre en forme et chasser les idées grises, c’est étrange ils sonnent comme les Animals ( qui auraient oublié de descendre l’orgue du camion ) dans I’ m crying, cette remarque n’engage que moi, de toutes les manières, c’est fini, saluent tous ensemble, mais non ils reviennent, pour un Don’t knock, une espèce de gospel laïcisé de Mavis Staples, un moment de délassement facile à chanter, facile à jouer, après quoi Plant se lance dans One-woman man de Johnny Horton un petit rockabilly des familles qui flirte autant avec le gospel que le cajun, Alison joue la mégère apprivoisée pour le second couplet, une scie de violon, et hop emballé c’est pesé, le concert finit comme Raisin’ sand, Your long journey rien de tel qu’une ballade pour  calmer les esprits… Bonne nuit les petits !

             Conclusion irrémédiable : les concerts de 2008 furent très supérieurs à ceux de 2021, n’enfonçons pas de porte ouverte et ne soulevons pas le couvercle du cercueil de Plant, surtout que cette histoire se termine comme un conte de fée. L’album Raising Sand se vendra à un million d’exemplaires aux Etats Unis. N’y a pas que l’argent dans la vie,  y a aussi les hochets de la gloire, en février 2009, aux Grammy Hawards ( méfions-nous comme de la peste de ce genre d’institutions ) Raising sand rafle tous les prix : l’est élu Album de l’année, Album country de l’année, meilleur album folk de l’annéeenregistrement de l’année section meilleure collaboration pop avec chant pour Please read the letter, meilleure collaboration country avec chant pour Killin the blues… Question dorures sur tranche vous trouverez difficilement mieux…

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                    Pour les acharnés, une vidéo YT de quatre minutes sur la remise du prix meilleur album, le truc attendu pas folichon, et une autre sur laquelle ils interprètent, Rich Woman et Gone, gone, gone, bien sûr nous donnerons le prix beauté à Alison Krauss, mais pour la meilleure dégaine ce sera T-Bone Burnett, une classe incroyable, ce type mérite le détour.

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 543 du 24 / 02 / 2022 nous chroniquions une mince plaquette de Mathias Richard :  L’année où le Cybergpunk a percé, voici qu’il nous revient avec un gros livre de quatre cent trente pages. Ce n’est pas l’épaisseur de l’opus qui nous a interpellé mais la première phrase de la quatrième de couverture dans lequel l’ouvrage est qualifié de livre-somme et son ‘’ grand-œuvre de poésie’’. Voilà qui exige attention.

    Nota Bene : Dans cette première chronique, nous ne nous livrons à aucune ‘’étude du texte’’, nous nous contentons de poser les armatures mentales nécessaires à l’éclosion d’un tel livre.

    A TRAVERS TOUT

    ( POETRY STRIKES BACK )

    MATHIAS RICHARD

    ( Tinbad / Août 2022 ) 

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    N’aurions-nous pas compris que la mention en lettres rouges sous le titre nous obligerait à nous poser quelques questions. Il est peu d’auteurs de nos jours qui osent arborer une telle étamine, en notre langue françoise La poésie contre-attaque.  Si ce n’est pas de la provocation, c’est au moins une terrible assurance.  

    san francisco nuggets,o' jays,starlings,lumer,robert plant + alison krauss,mathias richard

             Pour ceux qui ne connaissent pas la démarche de Mathias Richard, l’expression livre-somme entrera en contradiction avec la deuxième  phrase de la présentation : ‘’ Une démarche totale, textuelle, vocale, performative, existentielle ‘’  nous sommes donc face à une somme qui ne contient pas tout, puisque certains textes avant d’être réunis pour l’impression ont été l’objet de performances vocales, musicales, de danses, de vidéos… le livre est à lire comme le témoignage d’une démarche qui a eu lieu, à déchiffrer comme des traces de pas sur le sable de notre époque mouvante et les cendres d’une existence calcinée personnelle. En d’autres termes ce n’est pas une collection de poèmes mais un recueil d’expériences cruciales. Un chemin de poésie.

             Heidegger nous a prévenus : à un moment donné tout chemin, fût-il de poésie, s’infléchit sur lui-même, en d’autres termes si la poésie traverse la totalité du monde, cette même totalité du monde traverse la poésie, pour faire simple nous dirons que cette présence du monde dans l’écriture se remarque dans l’écriture de la poésie.

    Nous sommes descendus dans la formulation scripturale de l’écriture. A ce niveau-là Marx affirmerait que l’écriture sera dominée par l’idéologie de son époque. Heidegger est plus précis, il définit notre époque comme celle qui est dominée par la technique. Cela ne signifie pas expressément que si Lamartine utilisait une plume deux siècles plus tard l’on se sert de l’ordinateur. Non, pour Heidegger l’arraisonnement de l’Homme par la technique implique un changement de ce qu’Aristote nommait l’entéléchie de l’être humain, cette force qui le pousse à être ce qu’il est. Heidegger explicite, si une force extérieure s’en vient à changer le rapport de l’Homme à son être, l’Homme exilé en quelque sorte de lui-même connaîtra l’angoisse de l’exil de son être. D’où un malaise inextinguible.

    A travers tout nous montre bien un être en crise. Certes il impute cette crise au monde ( économico-politico-social ) dans lequel il vit, mais ce monde est justement la manifestation agissante de cet arraisonnement du monde par la technique. Le serpent se mord / se mort la queue. L’on navigue sans cesse entre désespoir et absurdité, entre drame humain et comédie poétique.  Entre les arabesques de l’esprit qui zigzague pour échapper à sa situation et au grotesque de ces situations dans lesquelles l’on marche (peut-être même y piétine-t-on ), si l’on préfère s’en référer à Edgar Poe.

    La lucidité ne facilite pas le chemin. Il convient d’élaborer une fine stratégie. L’égo cogito cartésien ne suffit pas, il analyse, il décrit, il comprend mais il ne permet ni d’avancer, ni de se protéger, encore moins de contre-attaquer. Mathias Richard adopte la technique indienne du tipi que l’on emporte avec soi, en terme philosophique, il se réfugie dans le Moi fichtéen, le Moi, un Moi monté sur roue qu’il déplace à sa guise. Partout où il est, partout où il va, il est dans son Moi, l’est comme le centre du cercle de l’univers infini qui dans n’importe quel endroit où il se trouve délimite l’endroit exact du centre de l’univers.  Il fut un temps, mal vu en nos jours démocratiques, où une telle position poétique se nommait poésie de tour d’ivoire.

    Mathias Richard ne se prend pas pour le centre du Monde. Il ne se vantardise pas en tant que son Moi, il use du pronom personnel Je. Un historien de la philosophie allemande nous expliquerait que de la position toute théorique fichtéenne il passe à la position praxistique stirnériene. Il métamorphose son Moi souverain en Je excessif. Devient un peu le pot de terre du Moi ( = Je ) contre le pot de fer du monde. N’arrête pas de prendre des coups, à la page suivante il a recollé les morceaux et s’apprête encore à faire face. Indéfiniment ?

    Nous avons posé l’armature physico-métaphysique de la position poétique de Mathias Richard. Rappelons que si l’Homme est un être physique dès qu’il entre en rapport avec autre chose ( quelle qu’elle soit, êtres animés ou objets inanimés ) que lui-même, il entretient un rapport métaphysique avec le monde, puisque celui-ci se situe à l'extérieur, après, méta,  sa propre constitution physique. D’où l’importance du concept de mouvement dans le développement de la philosophie occidentale, mais ceci est une autre histoire qui nous entraînerait trop loin de notre sujet.

    Sujet qui est le développement de l’affirmation : la poésie contre-attaque. Nous entrons-là dans l’historialité de l’écriture de ce livre.

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    san francisco nuggets,o' jays,starlings,lumer,robert plant + alison krauss,mathias richard

             Pourquoi et comment la poésie contre-attaquerait-elle par ce livre. Voilà le genre de questions qui appelle des réponses sujettes à d’amples controverses.

             La première ( Pourquoi ) sous-entend la nécessité d’une contre-attaque. Ce qui laisse supposer l’idée critique – donnons à ce mot le sens d’examinatoire - d’un certain délabrement de la production poétique contemporaine. Que personnellement nous partageons, à l’exception que la parution d’A travers tout nous enjoint de penser que l’effort qu’exige l’écriture d’une œuvre capable de poser la problématique de l’écriture d’une telle œuvre reste encore pour certains, dont expressément Mathias Richard, l’exigence essentielle de l’écriture poétique. Pour nous, si nous mettons un tréma au mot poëte c’est justement pour signifier par ce signe ( aujourd’hui ) distinctif que le poëte n’a d’autre raison d’être que cette exigence essentielle et absolue. Preuve que tout n’est pas perdu.

             La réponse à la seconde ( Comment ) ne peut être que l’analyse des moyens ( d’écriture ) qui concourent à mettre en œuvre cette exigence fondamentale de l’élaboration d’une œuvre qui puisse embrasser la totalité de cette exigence de telle manière que la volonté de rendre-compte de la totalité du monde soit le signe de la plus grande exigence poétique.

             Si vous voulez le tout, il est nécessaire que votre tout englobe le rien, sans quoi il n’est pas tout, tout au plus un presque rien. D’où la nécessité d’user de la positivité de toute chose mais aussi de la négativité de toute chose. Ce qui équivaut à dire que le livre doit totaliser la positivité de la poésie et la négativité de la poésie. La positivité de la poésie est facile à définir, c’est la beauté du poème ( pour reprendre les mots de l’esthétique dix-neuviémiste ) en nos jours de modernité l’on parlera de force du texte, de son irradiation… La négativité de la poésie ne saurait être son absence malevitchienne, l’écriture d’un livre blanc par exemple. Elle ne saurait être non plus l’absence de ces diverses apparitions (performances, vidéos, etc…) dont la typographie est incapable de rendre compte. La négativité de la poésie réside en le fait que la poésie ne se suffit pas à elle-même, qu’elle a besoin de dire qu’elle est poésie. Ce sont ces moments où la poésie éprouve la nécessité non pas d’apparaître en ce qu’elle est, mais de se mettre à penser qu’elle est poésie, ce pour quoi elle laisse place à la pensée.

             Ce mouvement de retrait, phénoménologique nous murmure narquoisement Hegel à notre oreille, de la poésie qui ne peut être totalement que par ce retrait d’elle-même, vous le trouverez (mais pas uniquement) dans les dernières pages du volume.

             Bonne lecture.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 543 : KR'TNT : 543 :SYL JOHNSON / KIM SALMON / THE HAWKS / CIGARETTE ROLLING MACHINE / BLIND SUN / MATHIAS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 543

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    24 / 02 / 2022

     

    SYL JOHNSON / KIM SALMON / THE HAWKS

    CIGARETTE ROLLING MACHINE /BLIND SUN

      MATHIAS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    ATTENTION !

    LIVRAISON 542 PARUE LE 15 / 02 / 2022

    LIVRAISON 543 PARAÎT CE 19 / 02 / 2022

    LIVRAISON 544 PARAÎTRA LE  05 / 03 / 2022 

    Syl n’en reste qu’un

     

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             Syl Johnson, l’un des géants de la scène de Chicago, vient de casser sa pipe en bois. Et comme tous les géants de la scène de Chicago, Syl Johnson vient du Mississippi, et plus précisément d’Holly Springs, d’où sont aussi originaires R.L. Burnside et Charlie Feathers. Syl a dix ans quand sa famille s’installe dans la capitale des abattoirs et de la pègre américaine. Il s’appelle encore Thompson et rencontre un certain Sam Maghett qui va devenir le fameux Magic Sam. Puis comme tous les géants de la scène de Chicago, il va faire ses débuts sur Federal, l’un des labels de Syd Nathan. C’est Syd qui dit à Syl : «Tu t’appelleras Johnson !». Il trouve que Johnson sonne mieux que Thompson.

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             Il enregistre son premier album en 1968 sur un petit label de Chicago, Twinight Records. Fantastique album de r’n’b que ce Dresses Too Short ! Syl danse dans la rue en costard vert. Ça jerke dans les brancards dès le morceau titre, un Too Short admirablement roulé dans une farine de bassmatic. On se croirait chez Stax ! Alors le petit peuple va pouvoir danser, avec le popotin de «Different Strokes» et sa fantastique tenue de la tenure, puis avec le dripping de «Soul Drippin’» suivi d’un explosif «Ode To Soul Man» digne de San & Dave. La B n’est pas en reste, oh no no no, car «I’ll Take Those Skinny Legs» rivalise d’énergie avec la Soul de James Brown, c’est une vraie shoote de hot Soul, hot as hell et cool as fuck, comme dirait le ghetto man des Batignolles. Le pire est à venir avec «Sorry Bout Dat», nouveau shoot de hot Soul à la James Brown. Syl Johnson sort ici un funk de Soul sacrément fin, doté d’un aérodynamisme qui te laisse comme deux ronds de flan.

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             Paru deux ans plus tard, Is It Because I’m Black est l’album politique de Syl Johnson. Dans le morceau titre, il se demande si c’est le dark brown of my skin qui pose un problème et il rappelle que Mama she works so hard to earn a penny. Et il lève le poing, comme John Carlos aux Jeux Olympiques pour clamer sa volonté d’exister - I wanna be somebody so bad - et il ajoute qu’il veut aussi un diamond ring as yours, une bague en diamant comme la tienne, et il exhorte le grand peuple noir à poursuivre la lutte - If we keep pushing on, we got to be a little further - il a raison, il faut continuer - We’re trying so hard/ To be somebody - Alors les Brothers et les Sisters se massent derrière Syl qui lance : «We can’t stop now/ We got to keep on/ Keep on !» Il revient à la politique en fin de B avec «I’m Talking Bout Freedom» et lance un appel à la liberté. Il boucle cet album superbe avec un «Right On» digne de James Brown - Ride on Sister ! - Nouvelle crise de colère avec «Concrete Reservation». Il y dénonce les ghettos - It’s just a bad situation - et les chœurs font : «In the ghetto !» Il enchaîne avec «Black Balloons», un solide balladif de très haut rang, il faut voir Syl swinguer ses balloons et ses afternoons. Par l’éclat de sa classe, il évoque d’autres géants de la Soul comme Spoon et Brook. On note aussi en A la présence d’une belle cover du «Come Together» des Beatles.

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             Avec Back For A Taste Of Your Love, Syl Johnson entame en 1973 sa période Hi Records sous la houlette de Willie Mitchell, à Memphis. Fais gaffe, cette série de quatre albums va semer le souk dans ta médina. Syl n’en reste qu’un ce sera celui-là, le Syl d’Hi. Rien qu’avec «Back For A Taste Of Your Love», Syl rafle la mise, car voilà un fabuleux shake d’Hi, du pur jus de Memphis Soul. Leroy, Teenie et Charles Hodges swinguent la meilleure Soul du temps d’avant et Syl chante au fruité de glotte, à l’accent perçant, mais c’est le smooth du groove qui lève des vagues sous l’épiderme. L’autre coup de génie de l’album ouvre le bal de la B et s’appelle «Feelin’ Frisky». Ce vieux coup de raw popotin rampe dans le jus de juke. Comme Al Green, Syl atteint là une sorte d’apothéose. La Soul conduit droit au plaisir des sens et étend son empire kurosawaïen. Encore un coup du sort avec un «I Hate I Walked Away», solidement beau - You got the right to be disgusting/ After what you trusted - Il sort aussi des fabuleux slowahs d’élongation bitumineuse du type «Wind Blow Her Back My Way» et «Anyway The Wind Blows». Pour conclure, on peut ajouter qu’avec «I’m Yours», Syl Johnson n’a rien à envier au gros popotin de Stax.    

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             Pour Diamond In The Rough paru l’année suivante, Syl Johnson s’offre une vraie pochette de Soul Brother, le poitrail à l’air, en plein dans le feu de l’action. Il a des allures de superstar. Quatre puissantes énormités y guettent l’imprudent voyageur, à commencer par «Let Yourself Go», où il t’invite à te laisser aller - Get on up ! - La deuxième arrive aussitôt après : «Don’t Do It». Imparable - Don’t do it/ Don’t break my heart - C’est le groove de Willie Mitchell et des frères Hodges, avec de fantastiques breaks descendants. Pur jus d’Hi. Il faut aller en B pour choper les deux autres, le morceau titre et «Music To My Ears». C’est de la raw Soul d’Hi, grattée au meilleur rave de studio, ce sont deux hits immémoriaux, high on time, sweet sweet music. Avec «Stuck In Chicago», ils vont chercher le boogie rock de Soul et Teenie Hodges gratouille dans l’ombre d’Hi, alors que les Memphis Horns nappent tout ceci de cuivre frais.     

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             On peut dire quasiment la même chose de Total Explosion paru en 1975 : c’est un pur album d’Hi Sound et ce dès «Only Have Love». Ils sont tous là, les frères Hodges, Willie Mitchell et les Memphis Horns. Fameux fumet. Production de rêve. On a là tout ce dont on peut raisonnablement rêver. La fête se poursuit avec «Bustin’ Up Or Bustin’ Out», chef-d’œuvre de groove popotin hodgé jusqu’à l’oss de l’ass. C’est le paradigme du groove d’apanage, l’épandage des vieux adages. Il n’existe rien d’aussi jerky sur cette planète que ce shooooot de grooooove, avec un Syl qui souffle ses coups d’harp. On le voit d’ailleurs souffler au dos de la pochette. C’est en B que se trouve son hit le plus connu, la cover du «Take Me To The River» d’Al Green - I don’t know why - Il laisse ses syllabes s’envoler comme des bouffées de chaleur - Get my feet on the ground/ I don’t know why/ She treats me so baaaaaaahd - Nouvelle énormité avec «Bout To Make Me Leave Home», du basic de base d’Hi, modèle absolu de Soul inspirée. Syl allume bien la terrine de la Soul avec sa voix, c’est l’un des plus beaux mariages de l’histoire des Amériques. Ça frise l’inespérabilité des choses. Pouvait-on concevoir pareil miracle ? Non.    

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             Fin d’Hi pour Syl en 1978 avec Uptown Shakedown. Malgré sa pochette fantastique, l’album est moins dense que les trois précédents, mais God, ça reste du big Syl. Il fait un peu de diskö-Soul avec «Mystery Lady» et revient au groove magique avec «Let’s Dance For Love». On ne peut parler ici que d’excellence. Il passe au sexe avec «You’re The Star Of The Show» - Sexy lady/ I like what you’re doin’ to me - et on tombe en B sur «Who’s Gonna Love You», un slow-groove joué à la trompette dans la nuit urbaine. Groove élégantissime. Il propose ensuite un «Otis Redding Medley», avec du Fa Fa Fa FA et du Respect. Il enfile les hits d’Otis comme des perles, mais tout n’est pas du même niveau. Il commet cependant l’erreur fatale : l’impasse sur «Try A Little Tenderness».

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             Puis on passe à autre chose. Syl va revenir au blues et errer d’un label à l’autre. Brings Out The Blues In Me paraît sur Shama Records en 1980, avec une belle pochette. Syl s’y dresse en Soul Brother, toujours le poitrail à l’air. Le morceau titre qui fait l’ouverture de balda surprend par ses qualités organiques. Ça grouille de vie, comme dans le swamp. C’est pourtant enregistré à Chicago. Le son palpite littéralement, Syl Johnson nous sort là l’un de ces grooves organiques dont il partage le secret avec Tony Joe White. Mais c’est un album de blues et la suite de l’A se perd un peu dans le classical Chicago blues, avec notamment un tribute à Magic Sam intitulé «Get My Eyes On You». On se réveille en B avec «Sock It To Me», fantastique shoot de funk, les guitares dégorgent comme des coquillages dans la bassline, Syl renoue avec sa légendaire fierté rectangulaire, il fait fi des lois et des règlements, sock it to me babe !   

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             Ms Fine Brown Frame paraît deux ans plus tard sur le bien nommé Erect Records. Pas de pochette plus putassière que celle-ci, avec sa louve black en monokini blanc, mais comme c’est Syl, on comprend. Syl aime les femmes, alors il paraît logique d’en voir une envahir la pochette. Mais l’album ne casse pas des briques. Il fait un peu de diskö, comme tout le monde à l’époque, mais il le fait avec une telle classe que son «Keep On Loving Me» passe comme une lettre à la poste. C’est un album classique de Soul/diskö-funk de blues comme il en paraissait des milliers dans les années quatre-vingt. On ne peut pas en dire plus que ce qu’on en dit.       

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             Par contre, Suicide Blues réserve quelques bonnes surprises, comme ce violent boogie intitulé «Before You Accuse Me». Son effarante présence évoque bien sûr celle de Lazy Lester. Il revient au vieux «Take Me To The River» d’Al Green en B. Oh the vox ! Quel fabuleux shooter de r’n’b. Il enchaîne avec un «The Blues In Me» qui sonne un peu comme «I Hear You Knocking». C’est un boogie fin et délicat qu’il monte au chat perché. Aw my Gawd, what a singer ! On ne se lasse pas d’écouter Syl chanter. Il tape dans James Brown pour «Sock It To Me» et revient au blues pour «Got To Make A Change». Il chante son blues avec une classe affolante. Il est l’un des plus far-out du genre. Il finit avec ce diable de heavy blues intitulé «Crazy Man». Sacrément emblématique ! Syl pue la classe à dix kilomètres à la ronde. N’oublions pas qu’il est avant tout guitariste et on le voit faire des siennes dans le morceau titre. Il dit qu’il veut se suicider, avec cette voix de vibrating tension.

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             Avec Back In The Game, Syl Johnson remet sa couronne de groover en jeu et descend retrouver la bande d’Hi à Memphis. On est saisi dès les premières mesures du morceau titre par l’énormité du son. C’est monté au beat insubmersible, groové dans le deepy deep d’Hi. Groove insubmersible. Tous les cuts de l’album sont énormes, à commencer par l’infectueux «I Can’t Stop» joué aux accords de r’n’b, puis le violent boogie de «Keep On Loving Me», silly thang, absolute vodka de force majeure, cathartic shook de shake, ils y vont doucement mais sûrement, et le solo vient télescoper de plein fouet une embrouille de funk. Ils reviennent forcément sur «Take Me To The River» - I don’t know why/ I love her like I do - Cette version excitera encore les gens dans trois mille ans - Won’t you tell me - Syl chante avec un timbre unique au monde - Take me to the river/ Wash me down - Sa fille Syleena Thompson vient prêter main forte à Syl sur «Dripped In The Water» et l’orgue nous noie tout ça dans un bain de jouvence. Back to the heavy blues avec «Driving Wheel» et puis Syl renaît de ses cendres avec «Clean Up Man», un hit de funk extraordinaire, avant de replonger dans l’enfer vert du groove avec «I Will Rise Again». Wow quelle partie de groove ! - You got me feeling.

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             Tiens encore un album fantastique avec Bridge To Legacy paru sur le label d’Austin Antone’s Records en 1998. Sur la pochette, Syl joue de la guitare assis sur une vieille chaise. Ça fonctionne comme sur l’album précédent : on sent la violence du groove dès l’intro de «Who’s Still In Love». Syl soigne sa pêche, son boogie sent le fil blanc, mais il le joue avec le petit quelque chose en plus qui fait toute la différence, comme Lazy Lester. On retrouve sa fille Syleena sur «Half A Love». Encore un hit ! Syleena s’y fait reine du groove sexy. Elle chante d’une voix tremblante de désir. Syl revient dessus et ça donne un duo magique et compressé à la fois. On s’effare aussi de «Midnight Woman», aussi heavy que translucide. Syl est un démon du groove, il joue la carte du boogie blues à l’écrasée. Son groove de blues reste complètement à part. Il y a quelque chose de très fascinant dans le style de cet homme. Il rejoue la carte du groove transversal avec «I Don’t Know Why». C’est noyé de violons et de guitares électriques, et même foudroyant d’électricité. Ce mec a un son véritablement moderne. Il sort un groove subtil et beau comme une tempête magnétique. On se régalera aussi des chœurs qu’on entend dans «Let’s Get It On Again», nouveau slab de heavy blues spectaculaire, oh yeah, ses balladifs accrochent au meilleur niveau d’interférence itérative. C’est bardé de chœurs de rêve et ça se vautre dans une perfection parfaitement indécente. Quelle ambiance ! On voit rarement passer des disques aussi indispensables. Syl reste dans l’excellence du balladif avec «They Can’t See Your Good Side», c’est traité à l’écho fatal, les filles sont toujours là, sur le good ride. Effarant ! Syl crée son monde. Il est l’absolute foreigner. Il termine avec un nouveau coup de génie intitulé «Sexy Wayz», encore un hit de juke, furieux et solide. Syl chante son sexy wayz avec une hargne à peine croyable - I can’t sleep baby/ When I see you dance/ You move so sexy - Syl devient dingue. Quelle pogne ! 

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             Au risque de radoter, voilà encore un album énorme : Hands Of Time. Syl Johnson finira par nous rendre tous gagas. Avec «Tell Me In The Morning», il joue la carte du mec qui trépigne dès le matin. Syl se comporte comme un dieu du stade - Tell me tomorrow - Il joue un double jeu, à la fois groover du delta et Mister Dynamite limoneux. Il bat tous les records de classe rampante. Syl est le maître incontestable des grooves interlopes. Il se montre en permanence effarant de classe, mais pas n’importe classe, on parle ici de classe totémique. Oh il faut aussi écouter ce «Superwoman» amené au funk de Mister Dynamite, avec une vraie attaque en règle. En plus de tout le reste, Syl est un sale casseur de baraque. Il nous fait même le coup du solo ravagé. Encore plus énorme : «You’re Number One». Syl l’explose en plein vol. Voilà encore un hit de juke, du pur jus de pétaudière, une énormité embarquée au groove de reins de je vais et je viens et pour calmer le jeu, il nous fait le coup du froti-frota de luxe avec «Listen To Me Closely». Il allume son slowah à la pure sauvagerie primitive - I really miss you - Ah on le croit sur parole ! N’allez surtout vous amuser à prendre Syl à la légère, ce serait une grave erreur. Puisqu’on est dans les énormités, on peut aussi évoquer «Touch Of Your Love», joué au meilleur funk de basse de l’univers. Syl s’y vautre. On frise encore le stroke en découvrant «Funky Situation». Syl gère ça comme il peut, il s’aperçoit que sa poule est partie, there was no one inside, sur fond de groove funk mécanique.  

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             Tiens le voilà sur Delmark pour Talkin’ Bout Chicago, un album paru en 1999. Et quel album ! On croit que c’est du Chicago blues, mais non, Syl vient du Sud, il amène son vibré de glotte et un style de guitare qui lui est propre. Il s’embarque avec «Cheryl» dans un fantastique slow-boogie blues, une vraie merveille, jouée à la marge, avec des tiguiliguilis de guitare d’une rare subtilité. Il chante toujours avec autant de feeling. La fantastique Theresa Davis vient duetter avec lui sur «Sweet Dynamite». Comme il a toujours su le faire, Syl crée les conditions du hit. Quand il fait du boogie blues de Chicago, comme c’est le cas avec le morceau titre, ça devient absolument extraordinaire. «Different Strokes» sonne comme un coup de génie. Syl démonte la gueule du groove. Il le plie à sa volonté. Il dispose de cette classe qu’ont perdu les bluesmen de Chicago. «I’m Back Into You» reste du groove de très haut niveau. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Trade Secret», un coup de slow boogie blues. Il le prend avec un brio inégalable. C’est un véritable chef d’œuvre de chant lent. Syl a du génie à revendre - I’m gonna pick another fight - C’est le chanteur idéal - Hush Hush Honey I can - et il enfonce son clou - Need a trade secret - Ça sonne comme un vieux hit de juke inconnu. Il sort encore de l’ordinaire avec «All Night Long», un vieux coup de heavy blues. Syl est un diable, un authentique géant de la Soul - Help me/ Squeeze me tight ! - Fabuleux Syl Johnson ! On le voit tout au long de cet album infernal, Syl ne lâche jamais sa vieille rampe. Il est captivant de bout en bout. Dans «Get Free Call Me», les filles font des ravages. Elles gueulent leurs chœurs de get free par-dessus les toits et elles explosent la notion même de bonheur conjugal. Sur cet album, tout est sur-saturé de feeling et d’inspiration. Ça peut donner la nausée.

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             Paru sur Shama Records, We Do It Together est une compile qui vaut le détour. Oui, car c’est du double concentré de Syl Johnson. «Kiss By Kiss» sonne comme le meilleur funk de Soul qu’on ait entendu ici-bas, avec cette admirable dégringolade de basse dans le dos de Syl. Il tape dans le «Get Ready» des Tempts et enchaîne avec un autre hit Tempty, «The Way You Do The Things You Do», fantastique shoot de raw popotin. Syl le swingue dans le gras du bide et ça tourne au raw définitif. Il passe en B à la Soul de dance avec «Annie Got Hot Pants Power», hallucinante giclée de sexy Soul avec des femmes qui jouissent derrière des micros. Retour au sexe plus loin avec «Hot Pants Lady», fantastique partie d’orgasmes féminins sur fond de funky strut - Hey babe I like your teeth ! - et il nous fait le coup du lapin avec «Your Lovin’ Is Good For Me», shoot de Soul de descente extraordinaire - It keeps going strong/ It’s good for me - Oui, il la remercie pour son amour - You pick me up when I’m down !

             Le festin discographique de Syl Johnson ne s’arrête pas là, on y reviendra probablement.

    Singé : Cazengler, cire Johnson

    Syl Johnson. Disparu le 6 février 2022

    Syl Johnson. Dresses Too Short. Twinight Records 1968

    Syl Johnson. Is It Because I’m Black. Twinight Records 1970  

    Syl Johnson. Back For A Taste Of Your Love. Hi Records 1973        

    Syl Johnson. Diamond In The Rough. Hi Records 1974      

    Syl Johnson. Total Explosion. Hi Records 1975             

    Syl Johnson. Uptown Shakedown. Hi Records 1978

    Syl Johnson. Brings Out The Blues In Me. Shama Records 1980

    Syl Johnson. Ms Fine Brown Frame. Erect Records 1982    

    Syl Johnson. Suicide Blues. Isabel Records 1983

    Syl Johnson. Back In The Game. Delmark Records 1994

    Syl Johnson. Bridge To Legacy. Antone’s Records 1998  

    Syl Johnson. Hands Of Time. Hep Me Records 1999 

    Syl Johnson. Talkin’ Bout Chicago. Delmark Records 1999 

    Syl Johnson. We Do It Together. Shama Records 2017

     

     

     L’avenir du rock

    - Kim est Salmon bon (Part Four)

     

    Finalement, l’avenir du rock est ravi d’assister à ce séminaire des avenirs. Il n’était pas très chaud au début, puis il s’est ravisé, supputant que la compagnie de ses collègues lui serait agréable. Oh ils sont tous là, l’avenir de l’humanité (toujours aussi con), l’avenir de l’art (ce gros veinard), l’avenir de l’homme (toujours aussi séduisante) et des avenirs plus techniques avec lesquels l’avenir du rock ne se sent guère d’affinités : l’avenir de l’Euro, l’avenir de la gauche, l’avenir du numérique, l’avenir de l’industrie agro-alimentaire, et tout un tas d’autres futurologues invités à prendre la parole à la tribune. Tiens d’ailleurs, voilà que l’avenir de la pensée libre monte à la tribune et déclare :

             — J’ai l’av’nir qui s’dilate et la foi qu’est pas droite !

             Et la foule reprend en chœur :

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque ! Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque !

             Ravis, les convives applaudissent chaleureusement. La règle au séminaire des avenirs est de dire tout ce qu’on a sur la patate. Puis c’est au tour de l’avenir des petites sœurs des pauvres de prendre la parole :

             — J’ai l’av’nir bien trop mou et l’futur qu’est trop dur !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque !

             Le public lui fait une ovation et lui jette des pièces de monnaie qu’il ramasse dans un seau prévu à cet effet. Les manifestations sauvages de générosité sont fréquentes dans ce type d’événement.

             Arrive le tour de l’avenir des rillettes du Mans de s’exprimer devant le parterre collégial :

             — J’ai l’av’nir qui s’démanche et mes pots bien trop gros !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’être toujours patraque ! Bravo ! Bravo !, font les avenirs qui exultent.

             Aussitôt après, l’avenir des échelles de Richter arrive d’un pas athlétique à la tribune et déclare avec un grand sourire :

             — J’ai l’av’nir qui pylore et l’futur qui s’endort !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’être toujours patraque !

             Une salve d’applaudissements salue l’allocution. Une petite assistante binoclarde s’approche de l’avenir du rock et lui chuchote à l’oreille :

             — C’est votre tour, avenir du rock. Veuillez vous rendre à la tribune.

             L’avenir du rock s’exécute et s’installe derrière le pupitre. Il se verse un verre d’eau minérale et lève les deux bras au ciel :

             — J’ai l’av’nir qui Salmonne et l’futur qu’est tout comme !

     

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             Il a raison d’exulter l’avenir du rock. Kim Salmon n’a jamais autant salmonné. Surtout depuis qu’il a réactivé les Scientists. Tony Thewlis, Boris Sujdovic, Leanne Cowie, ils sont tous là, tu ouvres le gatefold et tu les retrouves grandeur nature, avec un Kim Salmon au premier plan, terrifiant de véracité, l’œil quasi-mauvais sous la broussaille de sa tignasse. Ah quelle allure ils ont tous les quatre ! Voilà ce qu’on appelle un vrai groupe de rock. Le temps n’a aucune prise sur eux et l’album sort sur In The Red, alors elle est pas belle la vie ? On pourrait se contenter de ça, mais il se trouve qu’en plus l’album est bon, et même plus que bon. Ce sera la seule bonne nouvelle de la journée.

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             Avec ces groupes qui ont un passé chargé, c’est toujours un peu la même histoire. On pense que la messe est dite et qu’ils n’ont plus grand chose de neuf à nous apprendre. Mais ce serait faire insulte à l’intelligence de Kim Salmon. C’est justement parce que c’est difficile de redémarrer en côte qu’il relève le défi avec un nouvel album, et c’est là où il fait la différence : il en profite pour se réinventer. «Outsider» ouvre le balda et tout est là : la voix, la fuzz et cette épouvantable niaque, cette façon de nous servir le meilleur pâté de foi. Here it comes ! The Scientistic beat ! Quasiment groové sous le boisseau de la fuzz et Tony Thewlise savamment. Il y a autant de modernité chez ces mecs-là que chez Iggy. La fête se poursuit avec un autre coup de génie : «Make It Go Away», encore plus rampant, ça devient stoogy mais au scientistic way, ça rampe de manière totalement indécente avec du piano dans le bourbier du lard bourbeux. Le troisième coup de génie ouvre le bal de la B : «The Science Of Suave». Tony T l’embarque au riff rageur, puis il joue sa dentelle d’acid freak-out au long cours et quand Kim fait Yeah !, c’est de façon bien racée, bien wild, bien dans l’air du temps qu’on aime. Les autres cuts valent bien sûr le détour. Avec «Naysayer», le cat Kim décide de rôtir en enfer, il semble donner de la profondeur aux flammes, les Scientists font du tribal psycho psyché dans l’eau noire d’excelsior, puis ils passent au funk des catacombes avec «Safe», une façon comme une autre d’empiéter sur les plate-bandes du JSBX. C’mon ! Ils restent dans les catacombes pour «Magic Pants», du gaga qui a le goût d’une purée noire empoisonnée. Avec cet album, le cat Kim n’en finit plus d’échapper aux règles et aux attentes. Il fait du lard moderne, c’est important de le savoir et encore plus important de s’en montrer digne. Encore un chef-d’œuvre de rock moderne avec «I Wasn’t Good At Picking Friends». Tony T y coule un bronze fabuleusement liquide que ponctuent des chœurs épanouis. Ses solos sont des merveilles intentionnelles. Nos vaillants Scientists frisent ensuite le Velvet avec le pesant «Moth Eaten Velvet». Kim Salmon le chante avec des accents de Kevin Ayers. En fait, cet album n’est qu’une série d’idées de cuts qui se mettent à fonctionner. Cette facilité à œuvrer ne court pas les rues. Leanne Cowie bat le jive de jazz de «Dissonance» - Meet my approval - et Kim Salmon le finit à l’oh yeah baby baby Oooh !

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             Dans un article frétillant, Gerry Ranson annonce la parution du brand new album from Aussie post-punk contortionnists The Scientists. Bon, l’article est mal barré, parce que les Scientists n’ont jamais fait de post-punk. Ranson voulait sans doute dire que le groupe est arrivé aussitôt après le punk, mais il faut faire gaffe quand on utilise ce genre d’étiquette, surtout celle-ci, qui comme l’étiquette new wave fait un peu office de repoussoir. Gildas qui ne supportait pas ce son l’appelait ‘la poste’. Dans son élan, Ranson rappelle l’histoire du groupe Aussie originaire de Perth et qui débarque à Londres en 1984, avec dans ses bagages les Stooges, le Gun Club, les Cramps et Captain Beefheart. Après le split en 87, nous dit Ranson, Salmon monte les Surrealists et joue avec Beasts Of Bourbon. Ça s’appelle un parcours sans faute.

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             Comme Kim avait annoncé qu’il n’y aurait plus d’albums des Scientists dans le futur, Negativy arrive comme une bonne surprise. Au moment de la reformation, ils enregistraient des singles, alors Salmon a fini par décider de faire un album, tant qu’à faire - Hence us going back on our word and recording that dreaded latter-day album - Eh oui, ce n’est pas évident de faire du latter-day. Kim Salmon avoue qu’il espère pouvoir continuer à tourner avec le groupe. En attendant la fin de Pandemic, il fait du solo stuff down under. Il évoque comme tout le monde les confinements et avoue faire a lot of paintings. Il fait même des successful exhibitions. Il avoue aussi avoir investi les subventions pandémicales du Government dans un album d’experimental improvisation qui s’appelle OK Commissioner. En fait il a des tas de projets liés à l’isolement, comme ce show multimédia crypté qui s’appelle Haunted Grooves, dédié à tous les gens avec lesquels il a bossé et qui ont cassé leur pipe en bois - Of which there have been way too many - Il voit ce show comme une thérapie et il s’empresse d’ajouter : «Mais c’est bien plus léger que ne pourraient l’imaginer les gens ! J’ai beaucoup d’histoires marrantes à propos de ces gens qui devraient faire beaucoup rire.» Oui car Kim sera dada jusqu’au bout des ongles ou ne sera pas, comme dirait Malraux.

    Signé : Cazengler, Kim Savon

    Scientists. Negativity. In The Red Recordings 2021

    Gerry Ranson : Profiled - The Scientists. Vive Le Rock # 83 - 2021

     

    Inside the goldmine - Hawks see more

     

             La première fois qu’il rencontra Nox, ce fut dans la salle d’accueil d’un centre de formation. Comme Nox, il était arrivé en avance, ce que font tous les banlieusards qui anticipent les imprévus. Nox n’avait pas l’air de rouler sur l’or. Sous son parka, il portait un survêtement, comme s’il sortait d’une cité. Il ne leva pas le nez du livre qu’il lisait. Sans doute était-il lui aussi un peu tendu. Candidats à la reconversion professionnelle, Nox, lui et douze autres personnes allaient passer un an en stage de formation longue durée. Objectif : obtenir une qualification permettant de décrocher un job de webmaster dans une grosse boîte, un marché alors en plein boum. Nox et lui créchaient en banlieue Ouest, il leur arrivait donc de prendre le même RER. Ils finirent par devenir potes. Comme Nox connaissait pas mal de petites gonzesses délurées, ils passèrent ensemble de charmantes soirées. Nox revenait de loin, car il venait de passer quelques années au RMI, d’où le survêtement : pas de blé, pas d’habits. L’année de formation s’acheva avec un examen. Ceux qui sont passés par là savent qu’ensuite commence le plus difficile : la prospection. C’est quitte ou double. Double, on décroche un job. Quitte, retour au chômdu avec un éventail de possibilités qui se réduit de manière drastique. Il n’eut plus de nouvelles de Nox pendant un an ou deux. Chacun vivait sa vie. En région parisienne on perd facilement les gens de vue. Il existe une chance sur un million de croiser une connaissance dans la rue, et curieusement c’est ce qui se produisit, rue Saint-Dominique. Il faillit ne pas reconnaître Nox qui déboulait sapé comme un ministre.

             — C’est quoi ce costard de frimeur ?

             — Ha ha ha, c’est ma tenue de travail. Je bosse dans les ministères, je supervise des tas de trucs ! On m’appelle CyberNox. Tiens regarde...

             Il sortit de la poche intérieure de son veston une sorte de petite télécommande. Il cliqua. Sa tête se mit à vibrer et à changer de couleur, il émit une sorte de sifflement et ses yeux se transformèrent en deux petits écrans dans lesquels défilaient des symboles cryptés, comme on en voit sur les machines à sous. D’une voix métallique, il onomatopait du code : Nox Nox Nox, tilililili, Nox Nox tilili !

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             Pendant que Nox fait sa démo de CyberNox, les Hawks font un bel oxymore : on trouve dans le même groupe un Kuss fraîchement émoulu de TV Eye et un Stephen Duffy fraîchement émoulu de l’early Duran Duran. Formé en 1979, le groupe va durer deux ans avant d’imploser. Mais l’album récemment exhumé a un cachet particulier - Unforgettable guitar playing, inventive rhythm section, Duffy’s enigmatic words and a killer chorus - Mark Chadderton définit bien le style des Hawks. Et Duffy ajoute : «To me, that was the whole thing, the music, the look.» Oui, car les Five Believers ont du look à revendre. Au début, ils s’appellent Obviously Five Believers, mais on leur dit que le nom est trop long. Puis ils veulent s’appeler The Subterraneans, mais Nick Kent leur barbote le nom. Comme ils ont une chanson qui s’appelle «Hawks Don’t Share», ils décident de s’appeler Hawks Don’t Share et ça devient the Subterranean Hawks Obviously Don’t Share Believers. On connaît le résultat final. Duffy dit que The Hawks était le pire nom de groupe - Unless you’re backing Dylan in 1966 ! - Ils enregistrent des cuts qui ne sortent pas. Jusqu’à la fin de sa vie, Kuss va insister pour que ça sorte.

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             Il a eu raison d’insister. L’album paraît enfin sous le nom d’Obviously 5 Believers. On sent dans l’«All The Sad Young Men» d’ouverture de balda une volonté de bien sonner et un petit blondinet du nom de Simon Colley signe le bassmatic. C’est d’ailleurs lui qui va voler le show sur l’ensemble de l’album. Il est assis au fond à gauche de l’illusse. Quant à Stephen Duffy, au premier plan à gauche, il chante à l’empruntée de Birmingham et Kuss passe dans «Aztec Moon» l’un de ces solos aériens dont il va se faire une spécialité. Kuss est assis au premier plan, à droite. Tous les cuts sont intéressants, comme encore ce «Big Store», un up-tempo bien tempéré par le bassmatic de Simon Colley. Kuss y joue au long cours, il remplit the biggest store in town d’éclats psychédéliques, Kuss et Coll font tout le boulot. Quelle densité ! Ce démon de Coll est partout dans le son. Son bassmatic monte au devant du mix dans «What Can I Give», et Kuss reste bien sûr en embuscade. On entend encore Coll tourbillonner dans «A Sense Of Ending», il est de tous les instants, sur tous les coups, il pétarade dans son coin et Kuss fidèle à lui-même claque encore l’un de ces chorus dont il a le secret. Le coup de génie de l’album se trouve en B : «Something Soon», un clin d’œil à Dylan, comme l’indique d’ailleurs le titre de l’album. On a même les coups d’harmo. Cette équipe de surdoués embarque ce fantastique up-tempo au firmament de la pop dylanesque. C’est le batteur David Twist qui souffle dans l’harp. On a encore de la belle pop anglaise avec «Bullfighter» et en fond de toile, Coll multiplie à l’infini les triplettes de Belleville, il attise le brasier pop. On écoute cet album pour Kuss, bien sûr, mais c’est Coll la star. Il nous fait le coup du walking bass dans «Jazz Club». S’ensuit un «Serenade» plus classique, claqué au riff de Kuss, mais avec un Coll qui gronde comme le dragon de Merlin sous la surface du son. Quelle équipe ! Il faut avoir vu ça si on ne veut pas mourir idiot : Kuss gratte son funk pendant que Coll fait son Bootsy à contre-courant. Ces mecs sont beaucoup trop doués.

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             Dans Record Collector, Patrick Wray interviewe Stephen Duffy qui est une petite superstar underground, comme l’était aussi Kuss. Il raconte son enfance, le White Album qu’on écoute en famille, le père qui apprend la guitare à l’aîné Nick qui ensuite l’apprend à Stephen et puis voilà qu’arrive le punk et Stephen joue tout de suite dans des groupes - That was when I switched to bass and played in punk bands - Il arrive au Art College et rencontre John Taylor. Ils forment Duran Duran. Au bout de six mois, Stephen quitte les Duran pour aller bricoler avec les mecs de TV Eye qui comme leur nom l’indique étaient des fans des Stooges. Il emmène ses chansons («Aztec Moon» et «Big Store») et Simon Colley avec lui pour aller former les Hawks avec Kuss et David Twist - David Twist was the ambitious one - Puis il évoque Kuss et son alcoolisme qui commençait déjà à faire pas mal de ravages dans le groupe. Quand en 2019, Kuss retrouve Stephen dans un club de Birmingham, il fout la pression pour que l’album des Hawks sorte enfin : «When are you going to put the Hawks tapes out?», puisque c’est Stephen qui les possède. Il le prend au mot, mais Kuss casse sa pipe en bois en plein fucking Pandemic. Il ne pourra donc pas écouter cet album qu’il appelait de ses vœux. Stephen précise que Kuss n’est pas mort à cause de fucking Pandemic - But it was because of the isolation that he just kind of dropped off - Si le groupe a disparu c’est nous dit Stephen parce qu’ils n’avaient ni contrat ni manager. Ils en étaient exactement au même point qu’Echo & The Bunnymen et les Teardrop Explodes qui eux ont eu plus de chance. Quand il monte The Lilac Time, Stephen décroche tout de suite un contrat chez WEA. 

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             Au même moment, Mark Chadderton raconte sensiblement la même histoire dans Vive Le Rock, mais il apporte ici et là des petites précisions qui valent leur pesant d’or du Rhin. Exemple : personne ne se demande ce qu’est devenu David Twist. On le croyait à Saint-Tropez, pas du tout : il joue dans les excellents Black Bombers, nous dit Chadderton. Twist explique qu’il connaissait John Taylor depuis l’âge de 11 ans, qu’ils étaient ensemble à l’Art college, qu’ils admiraient les TV Eye guys et qu’ils montèrent ensemble un groupe nommé DADA. Twist jouait aussi de la batterie pour les Prefects. Quand le chanteur de TV Eye s’est barré, c’est Twist qui demanda à Stephen Duffy de le remplacer. Voilà pourquoi on l’accuse d’avoir brisé l’early Duran Duran.

    Signé : Cazengler, la lowk

    The Hawks. Obviously 5 Believers. Seventeen Records 2021

    Mark Chadderton : Brum’s Babylon revisited. Vive Le Rock # 86 - 2021

    Patrick Wray : Let us pray. Record Collector # 523 - October 2021

    *

    En ce mois des fièvres Cigarette Rolling Machine vient de sortir un disque. Groupe inconnu au bataillon, me suis-je dis. Une machine qui doit rockin’ and rollin’ à mort ai-je supposé. Marx a décrété que si l’on veut savoir le goût de la pomme il suffit de la goûter. J’avoue que les deux premières minutes de l’album Hysteria sont un peu déstabilisantes, ces espèces de craquements inaudibles ne m’ont guère convaincu, j’allais abandonner lorsque mon œil a été attiré par la pochette du premier opus du groupe. Une version psychédélique du célèbre tableau La mort de Marat de David. Tiens un truc marrant, avec ses cheveux violets l’a un aspect glam des mieux réussis. J’ai regardé le titre de l’opus,

    SOBRE A MUERTE

    CIGARETTE ROLLING MACHINE

    ( Juin 2020 )

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    Ces gars-là ont de la suite dans les idées, avant la folie, la mort, s’intéressent à des problématiques un peu extrêmes. Une notule de quatre lignes m’apprend que les morceaux sont à écouter comme un commentaire au livre Au sujet de la mort : Réflexions et conclusions sur les dernières choses de Schopenhauer. Donc après Platon, Schopenhauer, serions-nous en train d’entamer une série rock philosophique. Certes Schopenhauer est moins connu que son illustre devancier. A la fin du dix-neuvième siècle son aura fut immense, son pessimisme radical influença des générations entières. Aujourd’hui on ne le lit guère. Il reste tout de même le philosophe préféré de Molossito et Molossa, n’a-t-il pas écrit ‘’S’il n’y avait pas de chiens, je n’aimerais pas vivre’’. Nietzsche lui doit beaucoup. Ce second couteau de Freud aussi. Une myriade de romanciers et de poëtes se sont intéressés à lui, nous ne citerons par chez nous que Maupassant, et Jules Laforgue. Mon maître Pham Cong Thien professait une grande admiration pour Schopenhauer qui à l’âge de vingt-quatre ans possédait et maîtrisait déjà son propre système. N’a fait que le dérouler méthodiquement par la suite. 

    Le groupe n’est pas disert quant à sa composition, nous en reparlons dans notre analyse du deuxième morceau.

    Preambulo : notes de piano et clapotement régulier de moteur diesel, le piano (ou synthé), s’arrête mais le diésel continue de fonctionner tout seul encore quelques secondes, le morceau ne dépasse guère une minute. Faut-il interpréter la partie pianotée comme l’expression des émotions (enthousiasmes, passions, ennuis, souffrances, désarrois…) que l’individu ressent tout au long de son existence. Lorsque nous disparaissons le diésel qui continue à fonctionner sans nous serait alors la manifestation du vouloir-vivre qui selon Schopenhauer est le moteur imperturbable du déploiement de ce que l’on pourrait appeler la présence du monde. Lequel ne se soucie pas de nous.

    Peace karma : une ligne de texte nous apprend que pour ce morceau Cigarette Rollin Machine s’est inspiré d’Anjo Gabriel : O Culto Secreto do Anjo Gabriel, je suis dans l’expectative, je l’avoue humblement l’Ange Gabriel ne s’est jamais soucié de moi – il aurait dû – je ne possède pas son numéro de portable, une seule solution, le net, je tape l’intitulé et terrible surprise, je m’attendais à de longues heures de recherches fastidieuses sur la toile, la première indication que me fournit internet, est son lieu de résidence. En plus je connais, j’y vais souvent, sur Bandcamp, clic je tombe sur un groupe nommé Anjo Gabriel, avec photo, leurs identités, et leur logement terrestre : Recifé, au Brésil. Quant à l’inspiration elle est évidente, z’ont un morceau intitulé Peace Karma, basé sur le même riff que celui que nous nous préparons à écouter, pour la petite histoire je préfère l’interprétation de la Machine qui roule les cigarettes. Sont-ce les mêmes, certains membres participent-ils aux deux groupes, le mystère reste entier.

    Reste à voir ce que cette notion de karma vient faire chez notre philosophe allemand admirateur de Kant et qui fut en relation avec Goethe.   La liaison est plus facile à faire que l’on ne s’y attendrait, il existe des relations évidentes entre la pensée de notre philosophe et les textes sacrés et premiers de l’Inde : les Upanishdads, ainsi il n’hésite point à emprunter le terme Maya ( = illusion ) pour qualifier notre croyance en notre rationalité, nous pensons pouvoir expliquer notre propre implantation dans le monde par nos analyses rationnelles, foutaises, tout cela n’est qu’illusion, la seule vérité c’est la force incoercible du vouloir être qui nous traverse et nous force à être et dont la plupart d’entre nous n’ont aucune conscience. Platon affirmait que la seule réalité était les Idées, pour Schopenhauer s’il existe une réalité supérieure c’est le vouloir-vivre. Schopenhauer s’est toujours senti proche de Platon et d’Aristote. Pour lui le moteur immobile qui met en branle l’univers porte le nom de vouloir-vivre.

    Le karma est souvent employé par chez nous avec le sens de destin. Il est cela en le sens où l’ensemble de nos actes, passés, présents, futurs représente notre destin, mais nous pouvons dans les instants- mêmes où nous les accomplissons influer sur eux de telle manière que lorsque après notre mort nous reviendrons dans le monde des vivants, nous pourrons accéder à une conscience de notre présence au monde qui nous permettra de nous élever jusqu’à atteindre au cours de nos retour le point de détachement et d’annulation de toute illusion. Reprenez souffle, écoutez le Nevermind de Nirvana.

    Comment comprendre le titre Peace Karma, puisque le thème de Sobre a morte est la mort, la paix karmique est-il le moment (Instant Karma, disait Lennon) où l’esprit parvient au bout de la chaîne de toutes ses incorporations pour connaître l’instant nirvanique ou simplement une réflexion sur le fait de mourir au bout d’une existence humaine. Il est sûr que lorsque nous mourons nous nous détachons de nous-mêmes et sommes en quelque sorte en paix avec nous-mêmes.

    Quelques notes élastiques sur une rythmique un peu jazz, assez joyeuse, comme si la musique faisait de la gymnastique, celle des gymnosophistes, et là-dessus vient se superposer un fuzz de guitare à faire péter les fuzzibles de la joie. Pas serein, enjoué. A l’entendre l’on se dit que mourir est un truc agréable, l’on a presque envie de se passer l’arme à gauche illico presto et de se laisser emporter par cette farandole pas du tout macabre, la batterie ralentit, le synthé sautille moins légèrement, se dirige-t-on vers une désagréable agonie, pas du tout l’ensemble reste allègre.

    Joint of life : les vieux rockers, les jeunes aussi, ne pourront s’empêcher de penser à  Rock the joint de Bill Haley d’autant plus que le morceau est accompagné d’une étrange confidence : ‘’ Un jour moi et mes amis avons créé un bec géant et l’avons appelé bec de la vie. C’est tout. ’’ Genre, ne cherchez pas plus loin. Ce qui ne nous empêche pas de nous remémorer la corne d’abondance que Zeus a arrachée à la chèvre Amalthée… De cette corne suintait l’ambroisie super-confiture qui vous conférait l’immortalité. D’ailleurs ne sommes-nous pas immortels tant que nous sommes vivants. Groove tranquillou sur lequel se surajoute une guitare qui ronronne joliment, pas vraiment l’horreur de la mort, l’on se dirige sans se presser vers on ne sait où, peut-être une côte à gravir car le son monte, le mec à la guitare nous régale, prend son pied, nous aussi, sympathique et presque pépère, un petit parfum impro hippie à la Grateful Dead, nom de circonstance, pas du tout désagréable, un lézard qui se déplace lentement pour atteindre la portion du mur ensoleillé la plus chaude. Attention on ralentit, pas de panique, faut laisser un peu de place à la basse qui chantonne tout doucement, la guitare soloïse comme la cigale qui passa l’été de la vie à chanter pour enchanter notre séjour terrestre. Une vision de l’existence, osons le dire, peu schopenhauerienne. C’est parti pour douze minutes de dérive pénardeuse. L’on attend qu’il se passe quelque chose, Anne ma sœur Anne ne vois-tu pas la mort venir, que nenni sœurette juste les champs qui verdoient et le soleil qui oroie… Ecoutez sans fausse peur, vous n'en mourrez pas. Un plaisir. Farniente à volonté.

    Bagana : même racine latine que le mot bagage bien de chez nous. Le sac ou la graine qui enveloppe les ferments du vouloir-vivre. Question musique c’est un peu la suite de la précédente, mais s’y mêlent de drôle de voix, ce qui n’empêche pas la guitare de piquer un petit solo, la batterie de continuer son pas balancé de dromadaire, une note nous précise que la voix est empruntée à de vielles publicités américaines contre la marijuana. Bon Dieu ! le sac contiendrait-il de l’herbe que le peuple hippie ne broute pas mais fume allègrement. Faudrait-il interpréter le titre précédent d’une autre manière… en tout cas l’on prend plaisir à suivre les volutes de cette guitare… Le rapport avec Schopenhauer risque de paraître lointain. Il ne l’est pas. Souvenons-nous des hippies américains (et des autres pays) adonnés aux cultures orientalisantes, ils prônaient une certaine libération de l’homme grâce à l’emploi des psychotropes, mais libéré de quoi ? de la peur de la mort ou du vouloir-vivre ? Même réponse schopenhauerienne à ceux qui affirment que la drogue ouvre les portes de la perception et donne accès à une plus grande conscience. Dans les deux cas, qu’on le cache ou qu’on s’en rapproche, il s’agit du vouloir-vivre. Que les détracteurs religieux de Schopenhauer n’ont de cesse d’identifier au néant. Fuir ou se réfugier dans le néant c’est nier la divinité affirment-ils, mais Schopenhauer ne reconnaît que le vouloir-vivre. Ce vouloir-vivre que l’on peut comparer à la notion aristotélicienne d’entéléchie. Ce qui au plus profond de notre être nous pousse à être.

    Ex nihilo nihit fit : (rien ne sort de rien) : roulette de dentiste, musique grave et profonde, plainte violonneuse avachie, l’impression se doit d’être grandiose, moteur diésel, notes de pianos en cris de souffrance, des murmures de respiration affleurent la pâte sonore, le message est simple, ex nihilo fit, rien ne naît du néant, nous vivons dans l’éternel présent, nous ne faisons que passer, avant de naître nous ne sommes que néant, une fois mort nous ne sommes que néant, plus rien. Nous sommes comme les feuilles de l’arbre, quand elles tombent d’autres les remplaceront, selon le vouloir-vivre de l’arbre, tout comme la présence du vouloir-vivre nous remplacera. Ce n’est pas que notre individuation reviendra toujours, c’est que le vouloir-vivre des choses et des hommes se renouvelle générationnellement sans cesse.

    Sobre a morte : suite funèbre, chœurs masculins qui donnent une sensation d’infini glacé, notes qui tombent comme des feuilles de plomb d’un arbre d’airain, un récitant prend la parole, il dit la tristesse de la vie, évoque-t-il ce sentiment de sereine résignation que prônait Schopenhauer face à l’inéluctabilité du vouloir-vivre, veut-il la mort, l’attend-il, le texte est terriblement ambigüe, pleure-t-il la mort d’un amour qu’il espère retrouver en se précipitant dans la mort, à moins que la mort ne soit l’éternelle fiancée que l’on attend tant que nous vivons, collée à notre chair, chevillée au creux de nos reins, une partie de nous que nous perdrons, dont nous nous débarrasserons enfin lorsqu’elle surviendra et nous recouvrera, la musique décroît lentement, quelques bribes esseulées en pointillés et puis plus rien. Très beau.

    Damie Chad

    *

    Après Thumos et l’idéale République de Platon, j’avais un peu de mal à quitter la Grèce, je ne sais si ce sont les Dieux ou 666 mister doom qui régulièrement présente sur You Tube des groupes qui vous tirent les oreilles dans le bon sens, mais nous voici encore sous le soleil d’Athènes acropolique dont est originaire Blind Sun.

    Leur origine remonte à 2016, se sont successivement nommés, Once in the Wild, Supersonic Fox et enfin Blind Sun. La composition du groupe a varié, le drumer que l’on entend sur le disque – enregistré en 2020 - a cédé la place à Antonis Aspropoulos.

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    La couve est de Manster Design qui a réalisé des dizaines de pochettes d’albums. Voir site, FB et Instagram. Jolie, toutefois un peu composite à mon goût, les amateurs de Rockambolesques ne manqueront de s’interroger sur la présence de l’ibis (mauve) à côté du serpent. Remarquez aussi le S hiéroglyphique de Sun.

    UNDER THEM STONES

    BLIND SUN

    (Février 2022 / Bandcamp)

    Xanthipie Papadopoulou : vocals / Marios Kassianos : guitar / Kostas Kotsiras : rhythm guitar  / Nick Toutias : bass / Angelo Psylas : drums.

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    Freedom in hell : dès les premières notes de leur séduisant stoner mélodique  l’on comprend qu’ils n’ont pas l’intention de révolutionner le genre, l’on s’en moque, l’on se sent bien, guitare et sur-guitare en intro et double intro, la ménagerie se met en place, vitesse de croisière atteinte en trente secondes, une voix s’élève, c’est celle de Xanthippe – nom de l’épouse ronchonneuse de Socrate, on lui pardonne, elle a les cheveux clairs de Hélène qui enflamma le cœur de Pâris et par qui plus tard la cité de Troie fut la proie des flammes, une blonde incendiaire à sa manière, un timbre de tungstène, dur et mélodieux à la fois, un bijou précieux, alors les boys lui confectionnent un coffret de bois précieux, rubis de batterie, améthyste de basse et topaze de guitares, pour sa rivière de diamants qui coule sans se soucier de rien, à tel point qu’il est nécessaire de réécouter le morceau en faisant semblant de ne pas se focaliser sur elle, difficile de prêter attention à leur travail d’orfèvres. Superbe morceau, pour une fois on ne nous entraîne pas dans l’enfer souterrain, nous restons sur terre, en plein désert, n’oublions pas que le stoner a souvent été surnommé le rock du désert par les journalistes, un véritable hymne à la solitude et à la survivance, violent, cruel, sans concession, à mettre en relation au niveau symbolique avec Born to be wild, mais cinquante ans après dans un monde désillusionné. Stoned godess : parfois le deuxième morceau d’un disque c’est comme le second roman d’un romancier que l’on attend au tournant, optent pour un groove plus lent qui enfle et se fait murmure pour accueillir the voice. Peut-être en avez-vous assez de ces filles qui se vêtent du titre de sorcière, mais qui dévêtues ne se révèlent guerre ensorcelantes, Xanthippe elle se pare de la couronne de déesse, elle laisse chanter les guitares et se répand en confidences impudiques sur le plaisir féminin, avec son riff qui monte crescendo et descend lentamento, l’on est ici sur l’autre face, obscure, des orgasmes chatoyants de Robert Plant au bon vieux temps du Zeppelin, Xanthippe se dévoile et assume ses contradictions. Viande crue. Vous risquez de saigner. Continent noir illuminé. These blues : retour au blues, les guitares rampent et le shuffle vous plie à son rythme, Xanthippe déclare sa flamme au blues, le blues est plus vieux qu’elle mais elle porte la souffrance et l’éternité du blues au creux de son esprit et dans l’épine de sa chair, les boys sont aux petits oignons, les guitares s’en donnent à cœur joie, mais Xanthippe joue à larynx de colère. Pas vraiment une déclaration d’amour, mais une déclaration de sexe meurtri de bleu. Ghost of revolutions past : la batterie démarre comme un moteur qui prend de la vitesse, et c’est parti, pour la révolution, peut-être pas, mais un morceau politique assez rare dans les groupes de rock, Xanthippe plaque les mots en shoots d’encouragements, ne jamais perdre l’espoir, accomplir ce que l’on doit faire, ne jamais abandonner l’esprit de la lutte. A peine trois minutes, mais les mots claquent comme des fusils, les boys en première ligne.

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    I am : chipotages de cordes, coups de batterie, inflation de guitare, rien à voir avec une stérile affirmation du moi, le background fait table rase, enfin Xanthippe place ces mots à la manière des boxeurs qui ne pensent qu’à tuer l’adversaire, ouragan de colère et tumeurs de rage, Xanthippe règle ses comptes à tout ce qui s’est opposé à elle. N’est pas une sorcière mais une guerrière, derrière elle et puis devant les guitares taillent dans le vif et la batterie hache menu la chair du monde.  Uppercut de haine nécessaire. Tum : repli sur soi, musique comme éloignée, parvenant du dedans de soi, groove minimal Xanthippe énonce les mots de l’incertitude, de ses doutes, de ses désarrois ; elle ne pleurniche pas, elle serre les dents du vocal, y mord dedans, refuse tout secours extérieur, la solution est au fond de nous, batterie bétonnière, guitare perforateuse, coups décisifs, tranchants de guitares, les boys dessinent la porte de sortie, Xanthippe entonne le seul chant de victoire qui vaille le coup, celle que l’on remporte sur soi-même. Mariners : bruits de vagues, aubade cordiques, intro métaphore, toute douce, toute lente, la voix s’élève, pure, céleste celle de l’espoir, soudain l’aube se fait plus fraîche, la fin de l’histoire n’est pas pour aujourd’hui, la batterie ralentit, il faut continuer à lutter, la guitare a beau forer en avant, rien n’est encore gagné, les fausses promesses sont trompeuses, Xanthippe chante en sourdine, c’est les boys qui donnent l’ampleur au rêve aux ailes brisées, maintenant elle est seule dans la nuit,  lampe à huile  qui refuse de s’éteindre. Under them stones : continuité dans la ténuité mélodique, ronronnement de guitares comme le chat au coin du feu qui brûle dans l’âme de Xanthippe, chant qui n’ose s’affirmer, comme s’il avait honte de lui-même, mais les boys attisent l’incendie alors elle élève la voix pour témoigner de son échec, généralement l’on pose des pierres dessus, mais elle donne l’impression de cacher les pierres qui ont jalonné son existence. Ambiguïté des fondations. La voix susurre et prend de l’ampleur, la batterie s’affole. Fin de partie.

    Une réussite. On attend la suite.

    Damie Chad.

     

     

    *

              Le cyberpunk est un des nombreux courants de la Science-Fiction apparu dans les années 80. Le kr’tntreader à l’esprit affuté aura tout de suite relevé le hiatus : comment le punk dont un des slogans originels de base reste le fameux et fulgurant No Future peut-il se retrouver associer à l’idée de science-fiction.

             C’est qu’il existe deux sortes de futur, le premier très lointain situé à quelques siècles, voire millénaires de notre existence, les auteurs ne sont pas d’accord entre eux, certains nous décrivent des sociétés idéales dans lesquelles nos post-progénitures auront la chance d’évoluer, d’autres   parlent d’organisation tyranniques qui font frissonner. Pas de panique dans les deux cas, des plans sur la comète, l’on a le temps de voir venir…

             Le cyberpunk regarde par le petit bout de la lorgnette, ne pousse pas très loin le curseur du futur, maximum une cinquantaine d’années, vingt ans, dix ans, peut-être cinq, même deux… son futur ressemble à notre présent. Dans ces cas-là l’avenir s’annonce plutôt sombre… Soyons positifs, tant qu’on n’y est pas, jouissons sans entraves du peu de bon temps qui nous reste. A une seule condition, de ne surtout pas lire le dernier livre de Mathias Richard. Nous propose une autre lecture. Nous vivons déjà dans notre futur proche. Vous ne le croyez pas, pour vous en persuader, il nous donne la date d’ouverture de l’ère nouvelle cyberpunky. 

    2020

    L’ANNEE OU LE CYBERPUNK A PERCE

    MATHIAS RICHARD

    ( Caméras Animales / Juin 2020 )

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    Attention ce livre de soixante-dix pages n’est pas un essai. Le but de Mathias n’est pas de persuader le lecteur, il n’a pas rédigé une thèse quadrillée avec argumentation calibrée au cordeau, ne cherche pas à vous convaincre.  Se contente de montrer. Je n’ai pas dit de désigner du doigt la lune hors de notre portée. Parle de l’intérieur. L’on entre dans ce livre comme l’on ouvre une porte. L’on se retrouve non pas dans un poème mais dans un cri de poésie brute. Prend la parole et ne la lâche pas. L’est tout seul dans son livre. N’est pourtant en rien nombrilique. Ce qu’il énonce c’est la trame existentielle de sa présence au monde. Joue le rôle du filtre des cigarettes qui garde le témoignage des poisons qui le traversent.

             Laissons cela pour le moment. Quittons la poésie pour la politique. 2020, l’année pas du tout érotique mais covidique. Ce n’est pas le pire. Virons le virus, ce n’est pas lui le coupable. N’est qu’un prétexte. Le plus dangereux c’est ce que l’Etat nous a imposé. Le confinement. Qui n’est pas un début mais la condensation de tout ce qui a précédé. De ce mouvement insidieux, de cette marche sociétale qui depuis des années fragmente les rapports humains et réduit l’individu à lui-même. Pourquoi croyez-vous que du début à la fin de son ouvrage Mathias ne parle que de lui, que de sa vie, n’emploie que la première personne, je-je-je… à la différence près que ce ‘’je’’ n’est pas l’intumescence lyrique d’un moi hypertrophique, mais un ‘’je’’ qui ne s’appartient pas, qui n’est plus lui-même, pas une girouette qui tourne selon le vent mais qui est traversée du vide du monde annihilé. D’où cette écriture que l’on peut qualifier d’impersonnelle. Mathias se raconte certes, mais surtout et avant tout, ce faisant il nous raconte. Ses errements sont nos errements. Il se regarde dans le miroir de sa nullité et lorsque nous tentons de saisir son image au fond de la glace, c’est notre portrait qui nous sourit. Ironiquement. Tout cela c’est le côté punk de Mathias. L’anti-héros par excellence qui ne comprend pas plus son époque qu’elle ne se soucie de lui.

             Reste à zieuter du côté cyber. Ce mot évoque notre dépendance à l’informatique. Pas uniquement le clic-clic de la mignonne petite souris. L’autre face qui induit nos vies, qui les surveille, qui les compartimente, qui les espionne, qui les guide, qui les désinvidualise, big brother qui nous aseptise. Nous transforme en clone de l’autre qui lui-même n’est que notre clone. Avec au bout la zone noire, celle du transhumanisme qui permet tous les possibles, d’augmenter nos possibilités de faire de nous des surhommes. Ou des suresclaves. Monde binaire, l’un ne va pas sans l’autre. L’emprise technologique qui dans les deux cas, surhumanisante, soushumanisante, nous déshumanise.

             Mais il y a plus grave. Si la cybernétique nous déshumanise, que fait-elle de la poésie. Sous-poésie ou sur-poésie. Si la poésie n’est pas à hauteur ou à démesure d’homme, elle est le produit d’une technologie d’écriture produite par une machine. Dada misait sur le hasard. La rencontre inopinée de deux termes qui a priori n’avaient rien à faire l’un avec l’autre. Une machine poétique ne peut pas compter sur le hasard. Le résultat serait trop aléatoire. La machine fonctionne selon le rythme de la répétition. Elle répète les mêmes processus, les mêmes gestes. Les mêmes mots. Avec des variantes, sans quoi sa production serait trop monotone, trop illisible. Elle peut répéter les mêmes cadres. Les mêmes structures. Encore faut-il inclure de subtiles variations qui monopolisent l’attention. En d’autres termes c’est le facteur humain des textes qui impulse ses propres algorithmes. Plus question de se laisser mener par le bout du nez. Mathias est passé maître en cette prestidigitation vocablique. Il casse la coquille des expressions toutes faites, mélange le jaune nourricier du sens avec la glaire blanchâtre du non-sens. Car un mot signifie tout ce qu’il signifie et tout ce qu’il ne signifie pas.

             Mallarmé parlait de disparition élocutoire du poëte. Mathias mise plutôt sur sa disparition scripturale. C’est à la machine du langage d’écrire le texte. Il ne suffit pas de la laisser agir toute seule, le machiniste, celui qui tire les fils de la marionnette – il est bon de relire Kleist pour entendre cela – doit s’abstenir de penser. Essayer de ne plus penser, c’est déjà penser qu’il ne faut plus penser, et penser qu’il ne faut plus penser c’est penser que l’on pense qu’il ne faut plus penser et penser… étrange ce serpent qui se mord la queue tout en ne la mordant pas, à moins qu’il ne la morde pas tout en la mordant. Pire si l’on pense que l’on pense avec les mots l’on a besoin de plus en plus de mots, même si ce sont les mêmes mots qui reviennent toujours, c’est justement et injustement de leur retour que le texte prend sens. C’est-là que survient la question subsidiaire, peut-on penser sans les mots. Reconnaissez que ce genre de vertige vous pousse, vous vacillant, dans le trou du désespoir le plus noir – l’ère cyberpunk n’est pas particulièrement heureuse, vous l’avez compris puisque vous en faites partie - reste que lorsque l’on est au fond du trou le seul espoir, non pas de s’en sortir, mais de s’en extraire, c’est de faire coucou et d’en rire.

             L’humour peut causer autant de ravage que la guerre. L’on rit beaucoup en lisant cet opus et pourtant ce n’est pas drôle. Ce que raconte Mathias Richard n’est guère joyeux.  Un peu comme ces blagues qui font toujours rire, car on les connaît. Mais là on ne les connaît pas puisqu’il parle de lui de ses intimités, les intérieures et les extérieures, hélas, on s’y reconnaît. La mouche qui bourdonne contre la vitre de son vécu, c’est nous. La vitre aussi. Le vécu aussi. Jusqu’au bourdonnement si particulier. Totalement nôtre. Du coup on ne rit plus. La comédie tourne au drame. A croire qu’il a installé une caméra dans notre appartement et une autre dans notre tête. Et qu’il a tout recopié dans son bouquin. Lecture shaker et montagnes russes.

             C’est un livre-Samaritaine, dans les rayons énumératifs on y trouve de tout, je vous rassure même du rock ‘n’roll – Mathias est musicien - mais l’on n’en ressort pas avec son dû, tout est gratuit, chacun peut se servir à son gré et choisir les éléments qui lui agréeront le mieux, et réassembler sa vie à sa guise. Un gros hic. Votre nouvelle vie, votre nouvelle personnalité, n’est pas supérieure à la précédente. Elle a le même goût déplorable. C’est à ce moment que vous comprenez que vous vivez dans une époque opaque. Qui pique. Depuis quand au juste ? Depuis l’an de disgrâce 2020.

    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

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     Episode 21

    LES QUATRE COINS

    Charlie a récupéré son bec meurtrier, son regard est devenu fixe, l’on sent qu’il n’est plus lui-même, qu’une force indépendante de sa volonté s’insinue en lui, qu’il se transforme en machine à tuer. Les filles poussent de petits cris, Joël saisit un de ces poufs hirsutes fort à la mode dans les années soixante-dix, pense-t-il vraiment se défendre avec cette arme dérisoire ! Charlie s’approche à petit pas saccadés du Chef, il lève son bec et s’apprête à le transpercer lorsqu’il se retrouve englué dans un brouillard aussi épais que le fog londonien – j’en déduis que le Chef a choisi un Coronado Fumato, qui surprend toujours ses interlocuteurs. Charlie n’y voit plus rien mais il entend deux voix. Celle du Chef, douce, paisible et rassurante – pourtant le Chef déteste être dérangé quand il s’offre un Fumato - :

    • Cher Charlie, vous avez donc la mémoire plus courte qu’un Courtido, ces petits Coronados pour jeunes filles prépubères, vous avez oublié que le Grand Ibis Rouge vous a ordonné de commencer par vous débarrasser des chiens !

    Le plus terrible, c’est que le GIR lui donne raison :

    • Exactement Charlie, troue-moi d’abord la peau de ces misérables sacs à puces, il est vrai que je t’avais dit lors de notre dernière entrevue que Monsieur Lechef était une commande spéciale et autoritaire, mais d’abord les dépose-crottes, ensuite les autres.

    Les chiens n’ont pas attendu Charlie, ils se sont dispersés dans le jardin, chacun s’est réfugié sur l’emplacement d’un des buissons d’hibiscus réduits en cendres. Charlie se dirige droit vers Molossito dont la queue frétille allègrement. Molossa aboie, Charlie darde son bec vers le pauvre chiot, mais à l’ultime seconde, la courageuse bête bondit en avant, se faufile entre les jambes du batteur stonien, étonné de le  voir s’échapper, Molossito traverse le jardin vers le quatrième buisson et s’assoit sur le tapis de cendres. Watts se retourne et fonce sur lui. Hélas pour lui, les cabotos sont enchantés de se livrer à une superbe partie de quatre coins. S’amusent à changer de place dès que Charlie fait mine de se diriger vers l’un d’eux.

    Charlie ne sait plus où donner du bec. Les chiens le narguent, l’appellent, ont l’air de se moquer de lui, détalent, ralentissent, accélèrent, empruntent comme des fous les deux diagonales. De grosses gouttes de sueur coulent sur son front, nous nous moquons de lui, nous l’ houspillons, ‘’ Cours plus vite Charlie’’, ‘’ Cut across shorty’’, nous rions franchement aux éclats. Qui ne partagerait pas notre joie ! Evidemment le Grand Ibis Rouge, aussi rubicond qu’un homard ébouillanté :

    • Bougre d’idiot, tu es ridicule, arrête-toi trente secondes que je t’insuffle le maximum de force que tu puisses supporter !

    Pas de paroles en l’air ! Charlie est gonflé à bloc, il a gagné en vigueur, ses foulées sont plus longues, il est beaucoup plus rapide et à diverses reprises les

    Chiens lui échappent par miracle. Comme d’habitude une idée géniale me traverse l’esprit :

    • Il faut aider les chiens, mettons-nous sur sa trajectoire pour le gêner et ralentir sa course.

    Nous apportons une aide précieuse à nos amis. Molossito adopte une nouvelle tactique, de temps en temps, par derrière il s’en vient mordiller les mollets de Charlie. Par deux fois, Watts s’écroule. Il se relève avec célérité, nous remarquons qu’il ne se fatigue plus, par contre les quatre pattes moulinent un tantinet, ils tirent une langue démesurée, si Molossa et Molossito s’en tirent encore assez bien, Rouky, plus massif, moins jeune est à la traîne. Charlie s’en est aperçu, il se concentre sur lui, ignore les deux autres, il le traque, ne lui laisse plus une seconde pour reprendre souffle. Nous avons beau essayer de le freiner, tirant même sur ses habits pour le retenir. Hélas, en pure perte.

    Charlie est parvenu à coincer Rouky, dans un coin, entre les deux murs. La pauvre bête est acculée. Le bec s’abaisse, se relève, s’apprête à frapper. Les yeux implorants de Rouky se lèvent vers lui. Je sais que les balles n’ont pas d’effet sur Charlie, je sors tout de même mon arme pour lui tirer dans le dos espérant que le choc des projectiles le déstabilisera quelque peu. Le Grand Ibis Rouge exulte :

    • Bien Charlie tue-le, sans pitié, doucement, cruellement, qu’il souffre un maximum !

    Charlie va frapper, et brusquement Rouky saute dans ses bras, il a passé ses deux pattes autour de son cou et lui lèche la partie du visage que le bec d’acier   laisse dégagé. Les mains de Charlie se referment sur son dos, et esquissent une caresse.  Charlie est tombé à genoux, Il a rejeté son masque, Molossa et Molossito s’en emparent et décampent avec.

    • Charlie : obéis – le Gir s’étrangle de rage - fais ton devoir, souviens-toi que vous avez signé, si je ne peux rien contre un mort, pense au reste du groupe, à ceux qui sont vivants, tes amis Mick, Keith, et Ron, ma vengeance sera terrible !

    Charlie a entendu. Il se retourne, lève les yeux et accorde au Grand Ibis Rouge, un pâle sourire, suivi – je ne m’attendais pas à ce geste de la part d’un gentleman comme Charlie Watts, ni d’un anglais si bien élevé, un superbe bras d’honneur !

    Qui produisit son effet. Il fut immédiatement suivi d’un intense éclair rouge. Le Gir n’était plus là. Disparu en une fraction de seconde !

    SOIREE RECREATIVE

    Il faut le dire, pour un mort Charlie était en pleine forme. Encore un soupçon d’énergie et les filles devenaient ses groupies attitrées. Nous étions rentrés dans l’abri et devisions sereinement. Les chiens se virent offert un plateau de charcuterie pantagruellique. Bien Mérité. Rouky le dévorait couché au pied de son maître. Charlie lui tapotait la tête :

    • Mon Rouky, quand j’aurai terminé mon contrat, je te jure que je t’emmènerai avec moi au pays des morts, nous ne nous quitterons plus.
    • Dites-moi, cher Charlie, de quel contrat parlez-vous, vous serait-il possible de nous en communiquer les termes exacts, ce genre d’informations ne peut que nous aider à comprendre les dessous de cette affaire. Attendez toutefois une minute que j’allume un Coronado, ce genre d’activité ne supporte pas la moindre inattention !
    • C’est très simple, nous les Rolling Stones avons signé un contrat collectif. Le Grand ibis Rouge, nous promettait fortune, réussite et célébrité toute notre vie. Il a tenu parole. Nous devons le reconnaître. En échange nous nous engagions une fois morts à tuer mille personnes. Il était en outre spécifié qu’un seul d’entre nous pourrait être chargé de cette tâche macabre. Nous avons cru à une plaisanterie, nous avons apposé nos paraphes au bas du document sans sourciller. A peine la pierre tombale s’était-elle refermée sur mon cercueil que le Grand Ibis Rouge m’est apparu et m’a déclaré qu’il m’avait choisi pour tuer les mille personnes qu’il me désignerait. Qu’après quoi le contrat rempli nous serions quitte.
    • Parfait, dit le Chef, cher Charlie nous allons vous tirer d’affaire. Quel malheur quand je pense que cette palpitante aventure tire à sa fin ! Gros dodo, ce soir, demain nous avons du travail.

    Nous nous endormîmes du sommeil du juste.

    A suivre…