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noel gallagher

  • CHRONIQUES DE POURPRE 644: KR'TNT 644: ERIC CARMEN / DAVE CRIDER / VIEUX FARKA TOURE / NOEL GALLAGHER / JAMES PETERSON / GARGUTS / FRACTAL GATES / ASHEN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 644

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 05 / 2024

     

     

    Z’ATTENTION !

    CETTE LIVRAISON 644 EST PUBLIEE AVEC QUELQUES JOURS D’AVANCE. N’OUBLIEZ PAS DE JETER UN COUP D’ŒIL SUR LA LIVRAISON 643 !

    KEEP ROCKIN' !

     

     

    ERIC CARMEN / DAVE CRIDER

    VIEUX FARKA TOURE / NOEL GALLAGHER

    JAMES PETERSON / GARGUTS

     FRACTAL GATES / ASHEN

    ROCKAMBOLESQUES    

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 644

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Non, Carmen n’est pas un opéra

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             Aux yeux des amateurs de grande pop américaine, les Raspberries régnaient sans partage, ou presque. Régnaient à la même époque d’autres cracks, notamment Dwight Twilley et Todd Rundgren. Chacun dans leur coin : Twilley en Oklahoma, Rundgren à New York et les Raspberries à Cleveland. Eric Carmen vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui dresser un petit autel de fortune, ainsi qu’il est d’usage sur ce bon bloggy blogah.

             Pourquoi ramassait-on les albums de Raspberries en 1973 ? Parce qu’on était bien informé. Bomp!, bien sûr, mais surtout Creem. Ces deux canards ratissaient l’underground de la pop américaine et nous servaient les infos sur un plateau d’argent. Il suffisait ensuite d’aller à la pêche, chez les disquaires parisiens qui vendaient ces gros cartonnés US qui nous faisaient tant baver. 

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             L’idéal pour les ceusses qui n’ont pas d’étagères serait de commencer par écouter l’excellent Live On Sunset Strip, un Rykodisc de 2007. Parce qu’il s’agit d’un Best Of, avec un son spectaculaire. C’est là qu’on mesure la grandeur d’un groupe comme les Rasp. Ils attaquent avec deux authentiques coups de génie, «I Wanna Be With You» (tiré de Fresh) et «Tonight» (tiré de Side 3). On est frappé par le caractère brillant de cette power pop américaine. Wally Bryson, le guitar slinger d’origine, claque ça aux heavy chords de Cleveland. C’est ultra chargé de la barcasse. Tout aussi surnaturel d’excellence, voici «Overnight Sensation», c’est d’une grandeur qui dépasse la pop, et l’Eric va chercher les harmonies vocales des Beach Boys. Puis ils rendent hommage aux Who de «Pinball Wizard» avec «I Don’t Know What I Want». Power épouvantable d’I don’t know what I want/ But I want it now. Ils rockent la pop avec tout le tonnerre de Cleveland. On entend les carillons de clairette céleste de Wally Bryson dans «Should I Wait», et ça repart au front avec un «Party’s Over» bien tapé à la cloche de bois. Wally Bryson fout le feu au Sunset Strip. Plus loin, «Ecstasy» sonne encore comme un hit interplanétaire. Avec sa petite gueule d’ange, l’Eric est faramineux. Il y a quelque chose de saint chez cet homme, même quand il chante «I’m A Rocker». Ils terminent en mode heavy boogie blast avec «Go All The Way». Et soudain le ciel s’éclaire car l’Eric chante à l’éclat surnaturel. Il bâtit sa pop avec de l’heavy bastaing. 

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             Grand souvenir de fascination en sortant du bac la pochette de Fresh, le premier Rasp sur Capitol. Quatre mecs beaux comme des dieux. Aussi beaux que les quatre Nazz ou les deux Dwight Twilley Band. Tous ces groupes alliaient à la beauté du son leur beauté physique, et il n’existait rien de tel qu’une pochette d’album pour sublimer ce phénomène. Tu avais dans les pattes l’objet parfait. On comprendra beaucoup plus tard qu’il s’agissait d’un art à son sommet : perfection à la fois visuelle et sonore. Le rock, quand il est bon, c’est exactement ça, une quête permanente de la perfection globale. Et quel classique ! Fresh from the start avec «I Wanna Be With You» ! Supremo del Carmeno ! Fantastique allure de wild popsters de Cleveland. Tonite ! Tonite ! La pop éclate au firmament des seventies. Exactement le même niveau que celui de Nazz et du Dwight Twilley Band. Et puis en plein balda, tu tombes sur «Let’s Pretend». L’Eric est un pretender, sa pop jaillit comme une fontaine au cœur du désert, sa pop vibre dans la chaleur comme uns source de lumière. En B, tu as encore deux smashing punkhits : «If You Change Your Mind» qu’Eric chante au filet fin, à la longe de babord, et l’effarant «Drivin’ Around», en plein dans les Beach Boys, avec le côté hard de Cleveland. C’est puissant, bien remonté des bretelles de drivin’ around. Pur pop genius. Les domt dah please sont ceux des Beach Boys dans «Do It Again».

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             Leur deuxième album n’a pas de titre, alors on l’appelle le bleu. Deux cuts hantent Raspberries : «Go All The Way» et «I Can Remember» en B. L’Eric dote le premier d’une fantastique trame mélodique. Il module en plein air, il travaille sa mélodie au corps, comme le ferait Jimmy Webb. Quant au Remember, c’est une autre paire de manches. Il s’agit en fait d’une grosse compo, une mini-symphonie sertie en son cœur d’un thème mélodique. Alors il faut voir l’Eric se jeter dans l’écume de son thème. Il flatte sa muse qui est la haute pop, il sophistique pour épauler son désir de firmament. Ce Remember est de toute évidence son accomplissement. À l’entrée, on ne se méfie pas, car c’est posé au piano et chanté au doux du menton. Il pose bien les choses, et puis les violons t’embobinent, alors ça endort encore ta méfiance. Il a simplement besoin de temps pour l’élever. Tu passes un pont et soudain, le miracle s’accomplit. L’«I See The Light» qu’on trouve en A n’est pas celui de Todd. L’Eric l’enchante, il le module d’une voix chaude de beau mec. Avec «Don’t Want To Say Goodbye», il préfigure «All By Myself». C’est la même façon de monter sa neige jusqu’au sommet de l’Ararat. Il cède encore à son penchant pour le heavy boogie rock avec «Get It Moving», un peu dans l’esprit du «Back In The USSR» des mighty Beatles.

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             Pour Side 3, Capitol leur paye une pochette découpée. Bel objet. Si tu veux voir les Rasp, il sont à l’intérieur, sous forme d’un petit patchwork de photos en noir & blanc imprimées sur la pochette papier elle aussi découpée. Trois coups de génie sur cet album éminemment rock’n’roll : «Tonight», «Ecstasy» et «Money Down». Ah ça rocke chez les Rasp ! Fabuleuse niaque clevelandaise ! C’est même stupéfiant d’éclat mordoré. On se croirait chez Nazz. En B, big Eric embarque «Ecstasy» à la pointe de la glotte. Il fond son ecstasy dans le miel fulminant d’un Fujiyama clevelandais. Rockalama modèle encore avec «Money Down». Power pur. Et puis tu as aussi «Making It Easy» bien tourné, bien monté, bien riffé. Les guitares de l’Eric et de Wally Bryson scintillent. Tu crois rêver face à tant de qualité. Tout est bardé de barda sur cet album. On pourrait encore citer d’autres exemples.

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             Paru en 1974, Starting Over est le dernier album studio des Rasp. Ah il faut voir la classe des rockstars. Ils sont restés beaux tous les quatre. Tu as deux jolis clins d’yeux aux Beach Boys là-dedans, «Overnight Sensation (Hit record)», et en B, «Cruisin Music». Les deux basculent dans le burst-out de Beach-Boysmania, ça sonne très Surfin’ USA, très California good time. Oui, ils ont ce talent faramineux. C’est aussi dans ce balda que tu trouves la version studio d’«I Don’t Know What I Want», le clin d’œil aux Who monté que les accords de «Pinball Wizard». Juste avant éclate l’heavy rock à la cloche de bois de «Party’s Over». Pure énormité carmenique ! Et back to the big boogie classique avec «All Through The Night». Quelle énergie !

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             L’omnivore n’a pas fait dans la dentelle avec Pop Art Live : un triple album bourré à craquer de dynamite. Six faces palpitantes, tous les hits sont là, plus des covers magnifiques des Beatles («Ticket To Ride» et l’infernal «Baby’s In Black», tapé au crack boom de Cleveland), plus une imparable cover du «Can’t Explain» des Who ! En plein dans le mille de la cocarde, t’as pas idée. Les Rasp démarrent en super-trombe avec l’explosif «Wanna Be With You», ça saute à coups de c’mon baby/ I just wanna be with you. En B, tu tombes sur la mélodie du paradis : «Go All The Way» et Wally Bryson te gratte les pires power chords d’Amérique pour lancer «Ecstasy». C’est quelque chose d’extravagant. En C, tu croises l’«Hard To Get Over A Heartbreak» et le solo tentaculaire de Wally Bryson, suivi de «Let’s Pretend», le hit magique qui annonce «All By Myself». L’Eric monte son power mélodique au sommet. Et ça continue en D avec l’«If You Change Your Mind» qui rentre en toi par tous les pores de la peau, par tous les ports d’attache, par toutes les portes ouvertes. En clair, tu n’en peux plus. Trop de beauté finit par t’aveugler. L’Eric est un magicien. Live, il devient encore plus fulgurant. Il termine sa D avec «I Can Remember», qui part en mode romantica pianotée, et soudain, ça explose en gerbes mélodiques à la Brian Wilson. Ça monte par vagues subliminales. Avec ceux de Brian Wilson et de Lennon/McCartney, les hits d’Eric comptent parmi les plus parfaits. Sur scène, ils parviennent à jouer les développements extraordinaires d’«I Can Remember», ça monte droit au firmament de la pop, l’Eric chante à l’éclat mordoré, il monte son Remember à la pointe d’une glotte rose et palpitante : te voilà confronté à la perfection, et le dernier refrain jaillit comme un saumon dans la rivière du bonheur éternel. Tu n’en peux plus de tant d’éclat. L’E est encore plus fabuleuse, avec l’heavy boogie des Rasping Rasp, «I’m A Rocker», et la fantastique aisance pop d’«It Seemed So Easy» qui sonne comme un hit des Byrds, aussi généreux en harmonies vocales. Sidérant ! Puis L’Eric rend hommage à The Choir qu’il qualifie de best band in town, avec deux covers, «When You Were With Me» et surtout «It’s Cold Ouside». Fantastique allure. Partout les Rasp foutent le paquet. En bout d’F, ils repartent de plus belle avec «Drivin’ Around/Cruisin’ Music», en plein dans les Beach Boys, pour finir avec le simili-Whoish «I Don’t Know What I Want», monté sur les accords de Pinball Wizard. Ce triple album va tout seul sur l’île déserte.

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             On fit aussi main basse sur le premier album solo sans titre d’Eric Carmen, un Arista de 1975. En fait, c’est un album très rock, qui s’est vendu sur la foi d’«All By Myself», l’un de ces grands balladifs dont l’Eric s’est fait une spécialité. C’est vrai qu’on adorait ça à l’époque - When I was young/ I never needed anyone/ Making love was just for fun/ Those days are gone - En gros, il dit qu’à présent, il a besoin d’une poule dans sa vie. Mais à côté de cette superbe tarte à la crème, il aligne une belle série de big rockers : «Sunrise», «That’s Rock’n’Roll», et surtout ce «No Hard Feelings» claqué à la claquemure de Cleveland, avec de vieux relents de Stonesy. Son «My Girl» est franchement digne de Brian Wilson. Même sens de l’explosion de pop dionysiaque ! Il va encore t’en boucher un coin avec une cover d’«On Broadway», ce vieux smash signé Mann & Weil. L’Eric y met toute son âme de pop star iconique. Il y va au raw d’ange de miséricorde.

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             Puis la carrière solo va suivre son cours avec Boats Against The Current, un Arista paru deux ans plus tard. Belle pochette et quelques perles, notamment ce «Take It Or Leave It» qui sonne comme de la Stonesy. Il pompe Keef. Tu te croirais sur Exile. On croit même entendre Rod The Mod accompagné par les Stones. On retrouve Bobby Keys aux horns, ce qui explique tout. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Il renoue aussi avec la passion pour les Beach Boys avec «She Dit It». C’est l’On The Beach raspberrien. Oh la qualité de la claque ! Mais le reste n’accroche pas. Il cherche toujours la voie du Seigneur Pop. Il ne parvient plus à renouer avec la grandeur des Rasp.

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             Nouvelle tentative de renouement avec Change Of Heart paru l’année suivante. Le balda s’épuise et arrive en son bout avec une belle cover du «Baby I Need Your Lovin’» des Four Tops. Quelle joie d’entendre l’Etic chanter ça ! Pur genius productiviste. Deux belles surprises viendront consoler les nostalgiques des Rasp en B : «Hey Deanie», où l’Eric emprunte le riff de «Tumblin’ Dice», et «Someday» qui marque le grand retour de l’Eric On The Beach avec du tip-tip-tili emprunté aux Beach Boys de «Do It Again». Power intact ! Tip Tip Tili !

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             Malgré son horrible pochette m’as-tu-vu, Tonight You’re Mine est un bon album. On trouve en B un «Foolin’ Myself» digne d’«All By Myself», une belle pop onctueuse qui d’une certaine façon reste imparable. Sinon, il joue un peu avec le feu dans «Hurts Too Much», il ramène le gros son de Totor et les castagnettes. Il tente encore le diable avec «Lost In The Shuffle» où il singe Chucky Chuckah dans un superbe boogie d’allure martiale. Il essaye de se monter digne des grandes heures du Duc de Berry. Mais à la moindre occasion, il retrouve ses hauteurs mélodiques, comme le montre «All For Love». Il adore l’altitude et la pureté de l’air. Beau retour en force en B avec «Inside Story». Il conserve cette fibre heavy rock aux frontières du glam. Top quality Carmen, même si très classique.

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             Pas grand-chose à tirer d’Eric Carmen, un Geffen de 1984. On le voit cigarette a bec sur une pochette m’as-tu-vu, et ce n’est pas bon signe. Il montre toujours un goût immodéré pour le slowah languide et ultra violonné. Il reste très sentimental («Living Without Your Love») et peut durcir le ton («Come Back To My Love»). En B, on le voit renouer mollement avec les Rasp («You Took Me All The Way») et faire du Geffen d’époque avec «Maybe My Baby». C’est à tes risques et périls.  

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             Il enregistre I Was Born To Love You en 1998. Ce sera donc son dernier album. Est-il passé de mode ? Pas vraiment, car il tape encore deux belles covers, le «Caroline No» des Beach Boys, et le «Walk Away Renee» de The Left Banke. Deux covers du diable, c’est-à-dire des covers magiques. Ah on peut dire que l’Eric adore la Rive Gauche. Il se fend aussi d’une Beautiful Song, «Isn’t Romantic», un cut délicat et fin, un brin bossa-nova, et vite bouffé par une grosse orchestration, sans doute l’hit du disk. Saluons aussi «I Was Born To Love You» qu’il chante d’une voix à peine voilée. L’Eric est resté beau et il cultive encore son goût pour la clameur éplorée. Mais il fait une musique à la mode. Son «Everytime I Make Love To You» rappelle l’«Etienne» de Guesh Patti. Gloups ! Mais il adore aussi rocker, comme le montre «Cartoon World», cette belle pop-rock d’éclat carmélite. C’est pour ça qu’il faut aller au bout des parcours, il est essentiel d’en avoir le cœur net. Il essaie encore de taper dans l’On The Beach avec «Top Brown Summer», mais ça ne marche pas à tous les coups.

    Signé : Cazengler, Eric Camé

    Eric Carmen. Disparu le 11 mars 2024

    Raspberries. Fresh. Capitol Records 1972

    Raspberries. Raspberries. Capitol Records 1972

    Raspberries. Side 3. Capitol Records 1973

    Raspberries. Starting Over. Capitol Records 1974

    Raspberries. Live On Sunset Strip. Rykodisc 2007

    Raspberries. Pop Art Live. Omnivore Recordings 2017

    Eric Carmen. Eric Carmen. Arista 1975

    Eric Carmen. Boats Against The Current. Arista 1977

    Eric Carmen. Change Of Heart. Arista 1978 

    Eric Carmen. Tonight You’re Mine. Arista 1980 

    Eric Carmen. Eric Carmen. Geffen Records 1984 

    Eric Carmen. I Was Born To Love You. Pyramid Records 1998

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les critères de Crider

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             Pas compliqué : l’histoire du garage moderne américain repose sur 5 piliers : Billy Miller (Norton), Tim Warren (Crypt), Larry Hardy (In The Red), Long Gone John (Sympathy For The Record Industry) et last but not least, Dave Crider (Estrus).

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             Alors ça tombe bien : vient de paraître un gros patapouf qui te raconte dans le détail l’histoire d’Estrus. Ouvrage déterminant, car placé sous la houlette du graphiste maison d’Estrus, l’intrépide Art Chantry. Dave Crider avait compris que la réputation d’un label reposait sur deux mamelles : l’image et le son. On trouve très peu d’exemples de ces deux mamelles dans l’histoire contemporaine. Citons un autre team de rêve : Drive-By Truckers & Wes Freed. Rien à voir avec l’esthétique des pochettes des early Stones : les photographes comme Gered Mankowitz shootaient pour le compte des labels.

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             Ce graphiste génial qu’est Art Chantry a bossé sur l’identité graphique d’un label underground, et ça se situe à une autre échelle. L’identité graphique est un gros pari, une aventure en soi, il faut voir loin, tout en restant original. C’est en quelque sorte une ingénierie, on définit les bases d’un système visuel qui doit se débrouiller tout seul par la suite, et s’il tient la route, alors les déclinaisons sont un jeu d’enfant. Quand on a bossé sur des «gros chantiers» d’identité visuelle pour des industriels et des grands comptes, on sait l’importance que prend la réflexion initiale. La première condition est de plonger dans la «culture d’entreprise» et d’en tirer les principales caractéristiques. C’est que qu’Art Chantry a fait avec Dave Crider : il s’est plongé dans la culture de son client, et comme il l’indique dans sa préface, il s’est trouvé des tas de points communs avec lui, ce qui a grandement facilité les choses - Dave and I had a LOT of things in common - trashy taste, an interest in crappy music history, a love of forgotten art styles, and a fascination with the history of embarrassing underground American pop subcultures - Ils parlent tous les deux le même langage. Easy baby. Et comme Art Chantry est prodigieusement doué, alors roule ma poule. Il invente même un art graphique qu’on peut qualifier d’art gaga. On est aux frontières de l’art Dada. Chantry explique aussi sa méthode de travail avec Dave Crider : ils sortent tous les deux des crazy ideas jusqu’à ce qu’ils soient vraiment excités. Chantry voit Crider comme son client, et il dit que c’est une chance extraordinaire que d’avoir un client comme lui - because they’re extremely hard to find - Tous les graphistes savent de quoi il parle. Chantry dit avoir bossé 30 ans pour Estrus - It’s a REAL design collaboration at its finest. The best work of my career - Il ajoute plus loin qu’Estrus n’a jamais sorti un mauvais disk, et la cerise sur le gâtö apologique, c’est ça : «We’re not making product, we’re creating ‘cultural artifacts’.» Voilà la clé. Le gaga-punk comme cultural artefact. Tu sentais bien à l’époque que les albums Estrus sortaient de l’ordinaire. Et pour les passionnés de typo, l’œuvre d’Art Chantry est une mine d’or, comme le sera à la même époque l’œuvre de Neville Brody. D’ailleurs, dans le déroulé du book, il arrive à Chantry de commenter ses choix typo.   

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             Au temps jadis, on raffolait tous d’Estrus et de ses Mummies, de ses Mono Men, de ses Makers et de tous les autres blasters. Chacun des cinq labels des tables de la loi avait ses têtes de gondoles, et tu tapais dans les catalogues au petit bonheur la chance. Ce fut le temps de l’abondance, avec les Gories, les Oblivians et les Lazy Cowgirls chez Crypt, El Vez, les Cynics et les Gibson Bros chez Sympathy, Hasil Adkins, les A-Bones et Daddy Longlegs chez Norton, et les Dirtbombs, The King Khan & BBQ Show, les Deadly Snakes, Reigning Sound, les Black Lips chez In The Red. Il en pleuvait de partout et tous ces albums avaient une sacrée particularité : ils sonnaient quasiment tous comme des classiques.

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             Dave Crider n’a jamais quitté sa bonne ville de Bellingham, dans l’État de Washington, pas très loin de Seattle. Il louchait en particulier sur les «guitar-focused garage bands». En plus d’être le boss d’Estrus et donc un découvreur, il jouait dans les Mono Men, dont l’influence principale était alors les Nomads. Leur premier single est une cover de «Rat Fink A Boo Boo». Outre Crider à la gratte et au chant, on trouvait Ledge Morrissette (bass), Aaron Roeder (beurre) et plus tard John ‘Mort’ Mortensen (gratte/chant), à qui est dédié ce book. Les Mono Men démarrent en 1987 et splittent en 1997, pour se reformer en 2006 et aller jouer quelques shows en Espagne, et en 2013, pour quelques shows au Mexique et en Amérique du Sud. Quand Mort exprima l’envie de passer plus de temps avec sa famille, les Mono Men devinrent un trio et c’est ce trio qu’on entend sur le dernier album du groupe, Have A Nice Day Motherfucker.

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             On trouve quelques belles pépites sur ce Motherfucker, notamment le «Back At You» de fin de balda, pièce pantelante d’heavy raunch dans laquelle Tim Kerr passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Il prend feu ! Et le Crid chante comme un beau diable. Il n’est pas avare de screams. Les Mono Men sont devenus un power-trio de fast punk comme le montre l’«Off My Back» d’ouverture de balda. Le Crid grimpe au somment de son lard fumant. Il fait encore tout le cirque du heavy sludge dans «Murder City Nights», avec du yah yah et du gratté de poux indicible. C’est une cover de Denis Tek. L’autre cover est en B : «Wimp», signé Alejandro Escovedo.  Le Crid la travaille à l’heavyness carabinée. Et puis tu as ce «Feel Alright» qui n’est pas celui des Stooges, mais c’est tout comme, car tapé aux accords protozozo. 

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             Quand les Mono Men splittent en 1997, Crider remonte aussitôt Watts avec Roeder et deux autres mecs - with all fucks thrown out and all the levels at maximum volume - Malgré sa belle pochette, le Watts de Watts n’est pas l’album du siècle, loin s’en faut. Le Crid propose un rock high energy, une sorte de sur-power de super-sludge. On sent chez eux une tentation de Blue-Cheerisation. Tout est poussé dans le rouge, et chanté à la surenchère. Mais rien de nouveau sous le soleil exactement. Il attaquent leur B avec «Tarentula», une jolie dégelée boréale. Ça te dégage bien les bronches. Curieusement ils deviennent de plus en plus explosifs au fil des cuts. Ces mecs ignorent l’existence du mot ‘répit’. Et voilà qu’arrive enfin la perle tant attendue : «Sweet Invicta», quasi-stoogy dans l’intention et dans le propos, et le Crid crache des flammes. 

             À ce stade des opérations, on peut jeter un œil sur les quatre autres albums des Mono Men. C’est très instructif.

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             Le premier paru en 1990 s’appelle Stop Draggin’ Me Down. Il démarre avec la belle énormité du morceau-titre qui est une sorte d’«I’m Not Your Stepping Stone» revu et corrigé par les Pistols. Très solide, chanté en mode protozozo par le Crid. Puis ça bascule dans la stoogerie avec «Right Now». Ils savent le faire. C’est Marx Wright qui chante. Pas la même voix. Sur chaque album des Mono Men se trouve une cover de choix. Sur Draggin’, ils ont opté pour l’«Aint’ No Friend Of Mine» des Sparkles, l’un des joyaux de la couronne. Le Crid le bouffe tout cru. Tu n’en reviens pas de les voir taper cette cover de génie. En B, on croise d’autres merveilles, à commencer par l’indestructible «Dead End», suivi d’un «That’s Her» bien campé sur ses jambes. Et puis voilà «Girl», un heavy rock de Bellingham charpenté à la main. Ils ne mégotent pas sur les mortaises et la cheville ouvrière.

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             De toute évidence, Wrecker! est leur meilleur album. Ça n’arrête pas. T’en prends plein la barbe, du début à la fin. Ça grouille de puces, tiens, dès «Your Eyes», quasi-protozozo, avec l’enfer sur la terre, le Crid chante et ça pue tout de suite le génie qui ne fait pas de quartier, yaaaah ! Le «Last Straw» suivant est absolument parfait, voilà le gaga sauvage dans toute sa splendeur. Le Crid reprend le chant sur «One Shot». Avec lui, tout est plus heavy et plus pulsatif qu’avec Mort, l’autre chanteur. Cette fois, les Mono Men sonnent comme les Pink Fairies. Bon, Mortensen sait aussi balancer du gaga flamboyant, il fait claquer son «Took That Thing» comme un étendard. On arrive au cœur du Mono System avec deux covers de choc : l’«He’s Waiting» des Sonics (joli Sonic shoot of sort) et le «Swampland» des Scientists, bel hommage du Crid au cat Kim. Fantastique fournaise bien étalonnée et tisonnée au waooouuuh d’in my heart. En B il tapent un bel instro dans l’esprit Linky, «Tomahawk», du Wray de Wray. Nouvelle cover, cette fois du «Remind Me» des Outsiders. Fulgurant ! Le Crid outside les Outsiders avec tout le power des Mono. Il donne au cut un éclat incomparable, c’est d’un power quasi surhumain. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec «I’m Hangin’», chanté à deux voix au renvoi d’ascenseur sur les accords de Gonna Miss Me. 

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             On trouve encore un peu de protozozo sur Skin & Tonic : «Waste Of Time». Le Crid sait bien aggraver les choses, bien plus que Mort. C’est encore lui qui chante le «Mystery Girl» d’ouverture de balda. Il est encore au micro pour «Haxed», un classic Mono d’haxed on you, avec une descente au barbu catégorielle. Dommage que le Crid ne prenne pas tout au chant. Il est quand même plus convainquant que le copain Mort. Par contre, que dalle en B. Rien.

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             10 Cool Ones n’est pas sorti sur Estrus mais sur Scat. C’est un album de reprises, avec une belle poule à poil au recto de la pochette et quatre belles photos des Mono au verso. Les Mono ne font pas dans la dentelle de Calais puisqu’ils attaquent avec «Kick Out The Jams». Ils dévorent le MC5 tout cru. Crouch Crouch. Ils enchaînent avec le «54-40 Or Fight» de Dead Moon, ils foncent dans le tas du panier de crabes, mais ils perdent complètement la finesse de Dead Moon. On ne peut pas tout avoir. Ils restent dans le haut de gamme avec une cover d’«You’re Gonna Miss Me», bel hommage à Roky, le Crid étale bien son pâté de babeyhh, c’est sauvage as fuck, les babeyhh du Crid sont les pires de tous. Et dans la foulée, ils tapent dans «The Way You Touch My Hand», suprême hommage aux Nomads, Heavy power Monolithique ! On ne sauve qu’une cover en B, celle de Gravel, «As For Tomorrow», amenée à la grosse cocote graveleuse, avec un fantastique jeté de poids dans la balance, et même de jeté de poids dans la gueule de la balance !

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             Ne pas faire l’impasse sur Shut The Fuck Up, un mini album de 1993, car c’est un hommage à Link Wray, via «Phantom On Lane 12» (du Wray de Wray, assez Crampsy dans l’esprit et bien dévoré du foie), et en B, une cover de «Rumble», en plein dans le mille de la menace. L’autre cover de choc est le «Mr. Eliminator» de Dick Dale. Quant à la «Little Miss 3-B», elle est envenimée par un effarant solo stoogien. 

             En feuilletant le fat Estrus book, on retombe sur tous ces visuels qui nous faisaient jadis tant baver. Le Ritual Dimension Of Sound des Mortals, par exemple. On retrouve aussi la trace d’un très grand Estrus record, le Break-A-Bone de Gravel. Eh oui, le mec insiste pour rappeler que c’est un très bon album.

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    Gravel est le prototype du coup d’éclat d’Estrus, l’indicateur du flair génial du Crid. Break-A-Bone grouille de puces, à commencer par «Lone Ride» bardé de barda. Bryan Elliott sait tartiner sa purée. C’est Max la Menace avec une guitare électrique. Fantastique plasticité du son, et du beurre en particulier sur «Bucket Of Blood». On descend dans les entrailles de Gravel avec «As For Tomorrow», c’est un power-rock prodigieusement inspiré, bien gras, bien épais, Break-A-Bone est l’un des meilleurs albums de cette époque riche en big riders, mais c’est Gravel, un diamant de power pur. Chaque fois que tu réécoutes Break-A-Bone, tu t’en fais des choux gras. En B, tu as encore deux blasters : «Sleepless Night» (niaque épouvantable, les montées de fièvre te submergent le bulbe), et «In Your Eye», avec un son plein comme un œuf. Même les balladifs comme «Halfway» sont bardés de barda. Gravel charge sa barcasse au maximum des possibilités de la rascasse. On remercie chaleureusement le Crid pour cet album parfait.

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             Gravel sort l’année suivant un deuxième et dernier album, No Stone Unturned. Pochette parfaite, mais l’album est hélas un peu moins dense que le précédent. Le coup de génie est l’«Erase» d’ouverture de balda. T’es pris à la gorge dès les premiers jets de purée graveleuse, on assiste à un fantastique écroulement des falaises de marbre dans le lagon d’argent, il chante du nez à la Kurt et Rick Parritz gratte les poux du diable. Ses poux sont tellement liquides qu’ils coulent tout seuls. On assiste plus loin à un gros battage dans «Sand In Your Eyes», ça bat les poux en neige. Ces mecs ne portent pas des chemises à carreaux pour rien. Ils prennent à la va-comme-je-te-pousse une petite cover du «Pissing In A River» de l’early Patti Smith, et en B, ils sonnent comme The Bevis Frond sur «Yesterday». Même entrain mêlé de désenchantement. Rien de plus heavy que le morceau titre - I’m looking high/ Looking low - Très beau et perforé de part en part par les killer solos du féroce Parritz.

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             L’autre coup de génie Estrusien, c’est bien sûr les Mortals. Les Mortals sont mortels, il est bon de le rappeler. Trois albums, à commencer par l’effarant Ritual Dimension Of Sound. Beaucoup de son, car c’est un groupe à deux grattes, James Grapes en lead et Denny Brown aussi en lead, avec, en guise de cerise sur le gâtö, un chanteur exceptionnel, Steve The Tongue Gatch. C’est glorieux dès «I Want More» et ça bascule dans le génie sonique avec «World Turns On», monté sur les accords de «Gloria», mais tapé en mode fast blast de protozozo enragé. Ça te percute littéralement de plein fouet. Ce balda est tout bêtement sidérant, un killer solo flash arrive en dérapage contrôlé dans «I Dream She There». Les Mortals sont les rois de la planète Estrus. Encore du killer solo flash dans «Leaving For Good». Il bouclent leur balda avec un «Disintegration» bien contrebalancé et incendiaire à la fois. En B, Gatch prend «Paralyzed» à ras des pâquerettes. C’est le roi du vol plané mal intentionné. Et avec «She’s So Dangerous», ils flirtent avec le génie protozozo des Pretties. Même approche de la niaque. Ils finissent avec un «I Am Alive» emporté par un tourbillon de wah, du jamais vu.   

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             Bulletproof est un album un peu moins dense que le précédent, mais si tu l’écoutes jusqu’au bout, tu vas tomber de ta chaise avec «This is Life», un cut tapé au riff enroué et fabuleusement volubile. Ah quelle farce ! Superbe allure. Riff insistant à la «Cold Turkey». Encore de la fantastique allure avec le «Turn Away» d’ouverture de balda, gratté à la cocote sévère, dévoré par le bassmatic carnivore et trucidé par un killer solo flash. Franchement, que demande le peuple ? Ils passent au pur protozozo avec «Psychole». Ce démon de Gatch chante comme un vieux protozoaire du Midwest et se noie dans une mélasse magique. On croise aussi un «Zodiac» gratté à la menace sourde. Et comme le montre encore «What I Need», ils ne vivent que pour la dégelée. 

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             Mais le mieux est à venir : Last Time Around, qui est en fait une compile. Art Chantry fait tourner la typo d’Around sur la pochette. C’est le «Disintegration» tiré de Ritual Dimension qui t’accueille à bras ouverts. Une pure stoogerie ! Encore une stoogerie avec «Wasting My Time» - You’re wasting my time baby/ You’re wasting my time - Cette compile est aussi le paradis des covers. Boom avec le «Looking At You» du MC5, claqué à la mortadelle des Mortals, avec un bassmatic en roue libre. Derrière le tir de barrage ça voyage énormément ! Ils tapent aussi le «Crazy Horses» des Osmonds, un cut aussi repris par les Dictators et Electric Six. Deux autres covers de choix, le «Stay Clean» de Motörhead et l’«I’m Branded» de Link Wray. Ils bardent le Linky de tout leur barda, ils rajoutent des poux sur les poux. Encore une cover explosive : le «Making Time» des Creation. Avec cet hommage suprême, ils restituent tout l’éclat du same old song. Retour à la stoogerie en avec «Coming Down» digne de Dirt, aw c’mon. «Everybody Else» démarre comme un clin d’œil aux Kinks d’«I’m Not Like Everybody Else», et ça bascule dans le puissant gaga sauvage. Le morceau titre qui boucle la B est une fait une cover des Delvettes. Une fois de plus, le bassmatic lui dévore le foie.

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             Chantry et Crider aiment beaucoup les stripteaseuses et les jolis seins, alors ils développent une belle ligne graphique à base de seins nus, ce qui colle plutôt bien à l’esthétique gaga telle qu’on la phantasme. Les seins sont faits pour être exhibés, certainement pas pour être cachés. Puis arrivent comme une marée les Mummies, les Phantom Surfers et les Trashwomen. L’Estrus book s’emballe encore avec les fameux ‘Garageshock’ de Belligham, c’est-à-dire les soirées Estrus qu’organisait Crider dans un club local, le 3-B, tenu par Aaron Roeder, où tout était permis - A kind of fuck you attitude, nous dit Roeder - Toutes les affiches te font baver, tous les groupes Estrus sont là, année après année, dans les années 90, et voilà les mighty Makers, l’un des fleurons d’Estrus, photos de scène et tout le bataclan. Et commencent à apparaître des cracks comme Tim Kerr, et Chet Weise des Quadrajets.

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             Pour les Drags, Chantry déterre une vieille typo, the old headliner typeface ‘Interlock’ utilisée dans les années 50 et 60 : les caractères s’interlock entre eux. Art Chantry se passionne aussi pour les Fireballs Of Freedom. Pour lui, la pochette de Total Fucking Blowout devait être «IN YOUR FACE and MELTING IT. WHAW!». Les CAP, c’est lui. Alors il utilise «a day-glo orange type tone with a Japanese rubber stamp kit» et une photo «of a badly damaged mannequin with headhones having been totally FUCKING BLOWN OUT». Voilà comment Art Chantry commente ses pochettes parfaites. Crider s’éprend aussi des Supercharger de San Francisco, qu’il qualifie de «definitive offering of 90s lo-fi trash budget rock.» Les Makers incarnent d’une certaine façon l’apothéose d’Estrus. L’Estrus book qualifie d’explosive le «Middle Finger album». Puis voilà les Nomads et les Japonais de Teengenerate, puis les Flaming Sideburns en Finlande et les excellents Thundercrack, en France. Le mec de Guitar Wolf (qui n’est pas sur Estrus) dit tout devoir à Goner et à Matador.

             Puis en janvier 1997, l’entrepôt d’Estrus prend feu. Tout part en fumée : les archives, le mail order, le matos des Mono Men, les masters tapes et la collection personnelle du pauvre Dave Crider. Il va s’en relever, mais à quel prix ! Il faut tout reprendre à zéro. Les groupes vont faire des benefits pour aider Estrus à se relever. On se souvient de l’incident comme d’une énorme catastrophe, à l’époque.

             Après la fin des Mono Men et de Watts, Crider monte les DT’s, «a hard soul combo» avec Diane Young-Blanchard, l’ex-Madame X. Le groupe va durer 17 ans et tourner dans le monde entier. Les albums de DT’s fonctionnent un peu comme la vitrine du pâtissier : ils font envie. Alors tu entres avec les yeux plus gros que le ventre.

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             La peau de serpent d’Hard Fixed n’est pas signée Art Chantry. Le son change du tout au tout avec la voix de l’ex-Madame X. Elle fait sa Janis. Le Crid se tourne résolument vers le son qu’il préfère, celui des seventies. Plus aucune trace de gaga sur cet album. Il arrose copieusement «On The Ground» d’accords fiers comme des guerriers apaches. Cette fois, les DT’s sonnent exactement comme les BellRays. Même sens de l’émeute urbaine. Sur «Breakdown», l’ex-Madame X a toutes les qualités : «I got style/ I got Soul/ I got fire.» Pas mal quand même. Mais ils peinent à défrayer la chronique. En B, ils continuent avec «The Hurt Is Over» de taper dans un genre déjà éculé par tant d’abus. Tout est classique sur cet album, bien tiraillé au tire-bouchon. Leur «Eyes To The Sun» est littéralement cavalé ventre à terre, en mode Charge de la Brigade Légère au Far-West, oh yeah, elle y va l’ex-Madame X ! Elle est encore plus spectaculaire sur «Chopper», elle grimpe sur la barricade et gueule comme une égérie face aux Versaillais, les ennemis de la liberté, alors elle gueule de toutes ses forces et ça finit par devenir stupéfiant. Ah il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie !

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             C’est Art Chantry qui designe la pochette de Nice ‘N’ Ruff (Hard Soul Hits! Vol. 1). Comme l’indique le titre, c’est un big cover album, bien gorgé de Crid. Premier blast, le «Ninety Nine & A Half (Won’t Do)» d’Eddie Floyd & Steve Cropper. Cette heavy cover staxy et blanchie leur va comme un gant. C’est puissant, gorgé de ninety nine oooh. Ils tapent ensuite dans l’excellent «Price Of Love» des Artistics, c’est gorgé de Soul blanche. Ils restent dans le haut de gamme avec «The Hunter» d’Albert King, mais leur cover trop blanche de marche pas. Ils tentent le coup encore avec le «Pagan Baby» de Fog, mais c’est trop chanté à l’arrache, alors ils passent à côté du Creedence. Mais que de son, c’est la grosse cavalerie du Crid et d’Endino. En B, ils restaurent leur règne avec l’imparable «Big Bird» d’Eddie Floyd & Steve Cropper. Fantastique, ça marche à tous les coups. Ils tapent plus loin dans le «Move Over» de Janis. L’ex-Madame X est en plein dedans. C’est exactement la même. Ils terminent ce parcours magistral en rendant un hommage tonitruant à Roky : «Don’t Slander Me», avec le Crid en embuscade. C’est le Texas storm transplanté dans le Pacific Northwest Boom, avec un killer solo flash de Crid le héros. 

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             Gros travail sur le typo pour la pochette de Filthy Habits, mais ce n’est pas signé Art Chantry. C’est le Crid qui s’est amusé sur son ordi. L’album ne sort pas non plus sur Estrus mais sur Get Hip Recordings, ce qui revient à peu près au même. Et au dos, le Crid toujours égal à lui-même déclare : «Thanks to our friends... everyone else fuck off.» Il a raison, au fond. En même temps, souvenir d’un contact chaleureux avec lui, via le site Estrus, lorsqu’il fallut rapatrier les albums encore disponibles chez lui et qu’on ne trouvait pas chez Born Bad. Deux belles stoogeries se nichent sur Filthy Habits, «April Holeso» et «Lights Out». Derrière l’ex-Madame X, le Crid joue les accords de «Down In The Street». Elle lâche des c’mon solides comme le roc. Elle y va la Diana ! C’est d’ailleurs «Lights Out» qui referme la marche de la B. Le Crid te gratte ça sec et net et sans bavures. Il gratte comme un démon, il fait son Ron Asheton et croise les descentes de bassmatic. Le reste est plus classique, avec un «Freedom» assez Nashville Pussy dans l’esprit, et un Crid qui prend feu dans les virages. L’ex-Madame X restera une grande shouteuse devant l’éternel. Elle mène bien sa barcasse de Sugar Pie dans «Sugar Pie».

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             En 2015, Dave Crider monte Machine Animal, «a four-piece ‘Bonehead Rock’ band». Deux singles sur le marché : «Live In Wreck/Devil Woman» et «Lame/Danger Explosives». Ils font du classic rock hardy des années de braise. Très Nashville Pussy dans l’esprit. Ils se spécialisent dans le big heavy Animal Machine Sound. On perd complètement le Crid génial des Mono.

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             Avec Dave Crider et Art Chantry, l’autre héros de la saga Estrus n’est autre que Tim Kerr. C’est lors d’un concert des Mono Men au Crocodile Cafe de Seattle, en 1992, que Crider rencontre Tim Kerr. Rencontre déterminante car Kerr allait contribuer à la légende d’Estrus au moins autant qu’Art Chantry. Kerr le cake se trouvait alors à Seattle pour enregistrer le premier album de Monkeywrench, Clean As A Broke-Dick Dog, sur Sub Pop. Et ça commence vraiment à chauffer à la page 200 du book avec une photo de scène des Monkeywrench, tu vois Mark Arm au chant, et Kerr sur sa demi-caisse jaune, en chemisette à carreaux, déplumé mais avec la gueule de Robert Duvall. Crider a déjà flashé sur les underground heroes Poison 13 - too blues for punk, too punk for blues - Ça clique entre eux et ils papotent toute la nuit, partageant une admiration commune pour Thelonious Monk. Avec Tim Kerr, Crider va trouver un son. C’est Kerr qui enregistre le «Middle Finger album» des Makers et qui développe leur son. Il réédite l’exploit pour les Dexateens de Tuscaloosa, Alabama, qu’il entraîne comme il a entraîné les Makers «into wild batshit-crazy feedback orgies». Tim Kerr : «Those first two Dexateens records are still some of my favourite things I’ve done.» C’est lui aussi qui enregistre les Fireballs Of Freedom. En studio, il invite les groupes à s’abandonner - to cut loose and just go fuckin’ bananas - à la recherche d’une «dynamic of insanity and noise». Tim Kerr les aide à basculer dans le deconstructed rock and punk. Le mec des Fireballs en témoigne : «On essayait de faire un truc à l’opposé de tous les autres, and Tim understood that. Il est d’Austin et on adorait tous les weird bands from there, like the Butthole Surfers and Big Boys. We were freaks on the scene. So was Tim.» Pas étonnant qu’Estrus ait brillé au firmament de l’underground. Comme Guy Stevens en Angleterre, Tim Kerr encourage les groupes à tout casser : «Shout and scream and make mayhem.» C’est encore lui qui produit Estrella 20/20 : «Avec les groupes japonais, the very first note of the very first song is the grand finale, and we go up from there. That’s how it should be. Tu vas voir les Cramps. The Cramps are great. Lux stands on his amp at the end of the set, but why didn’t he do that on the first song?».

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             En plus, Tim est modeste. Il demande toujours à son copain Crider de ne pas le créditer comme «producteur» sur les disks, il veut juste «guidance councellor» ou «coach» - «Producer» has so much fucking baggage to it that has nothing to do with me - Allez hop, Mooney Suzuki et Gasoline ! Il pousse le bouchon de la modestie assez loin, car il affirme que c’est un honneur pour lui que d’être sollicité par un groupe. Pire encore : il ne coûte pas cher. Vraiment pas cher. Il considère que le groupe a déjà claqué du blé en déplacement et en location de studio. Il se contente généralement du remboursement de ses frais de route, et il dort par terre s’il le faut - I didn’t mind sleeping on the floor - Et puis, il adore les groupes qui échappent au garage, comme les Fireballs Of Freedom - That’s absolutely not garage - Et il ajoute, pour que les choses soient bien claires : «The Quadrajets, they think they play Southern Rock, but it’s the most fucked-up, crazy thing. Lord High Fixers didn’t fit into the garage label either.We were playing jazz mixed with soul. There wasn’t that formula kinda thing going on. It’s probably why Dave and I are family.» Voilà la  clé d’Estrus : l’ouverture d’esprit. Tu tournes la page et tu tombes sur une autre photo de scène de Tim Kerr, cette fois avec les Lord High Fixers, qui furent en leur temps l’un des plus grands groupes de rock américains.

    Signé : Cazengler, Estrousse (de toilette)

    Chris Alpert Coyle & Scott Sugiuchi. Estrus. Shovin’ The Shit Since ‘87. Korero Press 2023

    Mono Men. Stop Draggin’ Me Down. Estrus Records 1990

    Mono Men. Wrecker! Estrus Records 1992

    Mono Men. Shut The Fuck Up. Estrus Records 1993

    Mono Men. Skin & Tonic. Estrus Records 1994

    Mono Men. 10 Cool Ones. Scat Records 1996

    Mono Men. Have A Nice Day Motherfucker. Estrus Records 1997

    DT’s. Hard Fixed. Estrus Records 2004

    DT’s. Nice ‘N’ Ruff (Hard Soul Hits! Vol. 1). GP Records 2005

    DT’s. Filthy Habits. Get Hip Recordings 2007

    Watts. Watts. Estrus Records 1999

    Machine Animal. Live In Wreck. Valley Kings Records 2016

    Machine Animal. Lame Danger Explosives. Ghost Highway Records 2018

    Gravel. Break-A-Bone. Estrus Records 1992

    Gravel. No Stone Unturned. Estrus Records 1993

    Mortals. Ritual Dimension Of Sound. Estrus Records 1992

    Mortals. Bulletproof. Estrus Records 1994

    Mortals. Last Time Around. Estrus Records 1996

     

     

    Pas de parka pour Farka

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             L’Afrique débarque en Normandie, avec l’un de ses plus brillants ambassadeurs, Vieux Farka Touré, le fils d’Ali. Comme chacun sait, Ali Farka Touré révéla le secret des racines du blues dans Du Mali Au Mississippi, un docu tourné par Martin Scorsese, à partir d’un scenar de Peter Guralnick. Pardonnez du peu. Ce docu est aussi le premier des 7 épisodes de la série The Blues, produite par le même Scorsese. On retrouve aussi l’Ali sur l’un des plus beaux disks de blues des temps modernes, Talking Timbuktu, où il duette avec son fan numéro un, Ry Cooder. Donc quand le fils d’Ali débarque en ville, on va le voir vite fait. C’est la moindre des choses. Après, tu peux décider de rester chez toi à regarder une grosse daube à la télé. Mais tu vas rater quelque chose. 

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             Bizarrement, quand tu vas voir jouer les Africains, tu marches sur des œufs, alors qu’au contraire, tu devrais danser et t’abandonner. C’est délicat l’Afrique. C’est fragile. C’est précieux. C’est raffiné. Tu as des instruments qui remontent à la nuit des temps. Contente-toi de les entendre, pas la peine de chercher à mémoriser leur nom. L’arlequin en costume tribal gratte une espèce de guitare primitive taillée dans un petit bout de bois. C’est Bo Diddley Della Francesca dans la forêt vierge. Mais Bo Diddley Della Francesca en costume d’Arlequin. Même Picabia n’aurait jamais pu imaginer un plan pareil. Et encore moins Picasso qui aimait tant peindre les Arlequins.

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             Te voilà à la croisée des chemins, ces musiciens qui sont six sur scène avec le fils d’Ali jouent une musique qui te «parle» en profondeur. Si ton corps bouge, c’est sans ton consentement de petit cul blanc amidonné. Tu vois l’Arlequin danser d’un pied sur l’autre et tu fais la même chose sans t’en rendre compte. C’est une maladie contagieuse, l’afro-beat. À côté de lui, le bassman en boubou blanc joue le groove sur une Jazz Bass à 5 cordes, il ne fait rien de plus que ce que tu sais déjà, mais il le fait à l’Africaine, du bout des doigts, sans vraiment toucher les cordes. Jamais tu ne sauras jouer comme ça, à l’effleurement primitif d’ongles roses. L’effleurement primitif ne marche que si tu as les percus africaines. Les deux cracks du beat remontent aux origines de l’humanité, l’un est derrière une batterie et l’autre derrière une calebasse, et ça swingue dans la moelle des os, ça swingue dans les bois de tes cornes, ça bat le beat originel, te voilà aux origines du monde. Bizarrement tu ressens exactement la même chose lorsque tu écoutes John Lee Hooker ou Junior Kimbrough. Ces gens-là transmettent des sons qui remontent à la nuit des temps, avant que n’existent les villes et le fucking web. Était-ce un temps de pureté originelle ? On ne le saura jamais, mais on aime bien l’idée, c’est en tous les cas l’image que véhicule cette musique dénudée, ramenée à l’essentiel, et en même temps persiste l’impression d’une foison. Foison car deux guitares, plus l’instru primitif de cet Arlequin qui te fascine à force de balancer d’un pied sur l’autre. Capiteux mélange de beauté originelle, de dénuement saharien et de vie rudimentaire, s’il est une musique qui te fait voyager, c’est bien celle-ci. L’Afro-beat bat comme un gros cœur.

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    Contrairement au rock, cette musique ne charrie aucun relent de subversion ou de rébellion, c’est complètement autre chose, il règne dans ce son une idée parfaite de l’harmonie, c’est une autre façon de voir les choses ou de ressentir le monde. L’Afrique nous dit un peu à sa manière à quel point l’occident s’est égaré : après tant de siècles de violence et de barbarie politico-religieuse, les kids du XXe siècle ont dû inventer une autre forme de barbarie pour se rebeller contre l’ordre établi issu d’un long processus civilisationnel complètement erroné. Il faut comprendre par-là que la civilisation occidentale est tragiquement imparfaite. Alors que la musique africaine, reflet d’un processus traditionnaliste, est parfaite. Si on veut en savoir davantage sur cette évidence, alors il faut voir les films de Jean Rouch, notamment Jaguar et Moi Un Noir.

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             Vieux Farka Touré ne fait pas d’ethnologie sur scène. Il amène de la joie de vivre et un son frais comme un gardon du Niger. Tous ces blackos sourient en jouant, il leur arrive parfois de tourner en rond sur eux-mêmes lentement, pied à pied, on a le temps, le cœur bat, la terre tourne, Diabara suit son chemin, Vieux Farka passe des solos qui ressemblent à des rivières de diamants, il s’approche de toi et te sourit, il a ce sourire incroyablement enfantin, il est mille fois plus radieux que ne le fut jamais cette cloche de Louis XIV dans son costume d’apparat, le Roi Soleil, c’est Vieux Farka Touré, il rayonne, il darde de mille feux, il chemine sur les traces de son père, ni plus ni moins, il porte le même message, le même chant, la même plainte issue de fond des âges et tu comprends que cette musique renferme une vraie part de vérité.

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             Il faudrait aussi saluer Strange O’Clock, le petit couple blanc qui jouait en première partie. Elle chante et tape sur une calebasse elle aussi et prend parfois des poses théâtrales, alors qu’elle n’est pas obligée. Ils explorent eux aussi cette région de l’Ouest africain, elle évoque surtout le Burkina. Son compagnon reste assis pour gratter sa Tele. Il porte un chapeau de cuir et des bottes de baroudeur. Il s’appelle Christophe Balasakis et il joue un blues africain d’une extrême limpidité. L’ambiance est afro, mais chez lui le blues prend le dessus. Il joue avec un tact qui impressionne. Ce mec est prodigieusement doué. Il échappe aux comparaisons, comme s’il jouait avec un style unique. C’est en quelque sorte une révélation. On aurait presque hâte de les revoir, avant qu’ils n’aient terminé leur set. 

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             Oh et puis tu as ce très bel album, Les Racines ! Bien positionné dans l’Afrique dès «Gabou Ni Tie», avec toute l’énergie du son, aussitôt la vie, dès la vraie attaque, ça grouille si merveilleusement. Chaque cut se met en route comme une caravane joyeuse, ces musiciens te ramènent aux origines du monde, avec le flûte de Pan de «Ngala Kaourene». Et puis voilà qu’apparaît au détour du casque ce morceau titre d’une beauté terrible, bien illuminé par les petites dégelées du Vieux Farka. Ce thème mélodique plane dans la légende africaine, traversé par des rivières de diamants. Avec «Be Together», tu as une espèce de fête au village sous le boisseau, un truc intense et léger à la fois, une beauté existentielle, tu as là-dedans tout le Mississippi Sound, tout Junior Kimbrough, toute la mémoire de la savane. Cette musique goutte de jus, l’électricité est si belle, elle sonne dans l’écho du temps, ça grouille comme une tribu. Dans «L’Âme», on reconnaît une mélodie du papa, un joli maléfice malien. Maléfique, «Flany Koanre» l’est aussi, très formel, très malien, en attente dans le temps, le son ne bouge pas, tout est figé, sauf les notes. Et puis tu vois «Lahidou» se poser comme une architecture dans les sables du désert, avec une voix qui survole les structures lumineuses comme un immense oiseau mythique. Les notes sont en liberté. «Ndjehene Direne» repart à l’assaut d’on ne sait quoi, puisqu’il n’existe pas d’assaut chez les Maliens. Pourquoi ? Parce que pas de donjons. Et pas de rien. Juste du son. Un son qui avance à travers les zones désolées de ton imaginaire. Un son aux racines si profondes que tu comprend pour la première fois la notion de sol. Tu écoutes avec tes doigts de pieds. Tu vis dans tes Impressions d’Afrique. 

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             Pour célébrer l’occasion, tu ressors de l’étagère un vieux papa Touré, un album sans titre paru en 1988, à une époque où il faisait bon s’abreuver dans l’Africana. Ali Farka Touré est un album de chansons traditionnelles. Le mec des liners donne heureusement quelques infos. On apprend par exemple que «Timbarma» est une chanson tradi à Timbuktoo et en Mauritanie. C’est un son très paisible, très ancien. Ali Farka Touré gratte à l’ancienne. Ce sont les racines des roots, il n’existe rien de plus ancien ce ça. Il chante «Bakoyteyre» en Songhai, nous dit le liner man - Les drogues ne remplissent pas la panse, alors pourquoi en prendre ? - Cette façon de poser le son est unique. Et soudain, il tape le blues du Mississippi avec «Amandrai». Merveilleux certificat de paternité. Il refait des miracles avec «Bakoye», il faut l’entendre dérouler ses rivières de diamants, il joue en picking malien avec le pouce sur la corde basse. Il est fin l’Ali. 

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             Et comme le Voyageur de papa Touré traînait au merch, alors on l’a ramassé. Vieux Farka joue dessus. Cet album est un petit chef-d’œuvre d’Africana. Dès «Safari» tu es confronté au phénomène de la clameur, une clameur qui s’installe sur une vaste région. Cette façon de poser le son détermine toute la suite. C’est profond et spirituel. Ici, on ne parle pas de pintes de bière. Ces Maliens rockent mille fois plus que tous les gaga gangs réunis. Et chaque cut se met en route magnifiquement, comme une caravane dans le désert. Pur et juste. On sent battre le pouls du beat. Ils amènent «Bandolobourou» comme un hit d’une beauté parfaite. L’Ali y va, il fluidifie sa rivière de diamants, son fils Vieux Farka joue aussi sur cette merveille. La beauté devient surnaturelle, retravaillée au chant descendant. Une fabuleuse petite chanteuse nommée Oumou Sangaré prend le chant sur «Chérie» et l’Ali revient gratter du riff séculaire. Elle lance encore la loco malienne de «Sadjona», cut chaud et intime, puissant et profond. Cette musicalité donne vraiment le vertige. Sur «Kombo Galia», ils sont trois à gratter des gnonis derrière l’Ali. Clameur fondamentale.  

    Signé : Cazengler, Vieux parka troué

    Vieux Farka Touré. Le 106. Rouen (76). 13 mars 2024

    Vieux Farka Touré. Les Racines. World Circuit 2022

    Ali Farka Touré. Ali Farka Touré. World Circuit 1988

    Ali Farka Touré. Voyageur. World Circuit 2023

     

    L’avenir du rock

     - Le père Noel n’est pas une ordure

    (Part Two)

             Dès que les beaux jours arrivent, l’avenir du rock prend sa bagnole. Direction Omaha Beach pour rendre une petite visite au Général Mitchoum. Ça fait 80 ans que le pauvre vieux se planque derrière son bloc de béton, à l’abri, dit-il, «des balles des Boches». La nuit, il construit des châteaux de sable, et le jour il roupille. L’avenir du rock lui amène des tablettes de chocolat et des boîtes de corned beef, son mets préféré.

             — Alors mon Général, toujours entier ? La rafale de mitrailleuse qui vous déchiquettera n’est pas encore née, ha ha ha !

             Ça ne fait pas rire le vieux crabe. L’avenir du rock l’observe. Il n’est pas jojo. Son casque est tout rouillé et il a perdu toutes ses dents. Il a une gueule à faire fuir un train fantôme. Pas facile d’engager la conversation.

             — Vous ne voulez que je vous amène dans un EHPAD, mon Général ? J’en connais un très bien, pas trop cher, pas loin d’ici...

             — EHPAD possible, fucking asshole ! J’attends des renforts !

             — Des renforts, des renforts, oui mais des Panzanis !

             — No ! Un renfort Ricard, sinon rien !

             — Mais attention, mon Général, le renfort est plus fort que le Roquefort !

             — The Roquefort Alamo, dickhead ?

             — À la vie, Alamort, mon Général !

             — À la mort de la mormoille, babeh !

             — Ah oui ! Babette s’en va-t-en Gallagher, mon Général !

             — Yeah ! Gallagher des boots on !

     

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             Il n’existe pas de meilleur candidat au délire que le Général Mitchoum. L’avenir du rock n’y va que pour ça. Entre tarés, le courant passe bien. Et ce n’est pas un hasard si le nom de Noel Gallagher arrive dans la conversation. Sa présence dans la presse anglaise et son nouvel album sont aussi incongrus que peut l’être une conversation avec le Général Mitchoum. Comment le Père Noel peut-il espérer vivre artistiquement après Oasis ? C’est la question qu’on se pose chaque fois qu’on écoute l’un de ses nouveaux albums. Comme si on attendait de lui qu’il descende par la cheminée pour déposer dans nos petits souliers de nouveaux miracles de type «Columbia».

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             Council Skies n’est pas vraiment un miracle, mais ça reste néanmoins un big album. Au format double CD, ça donne un petit book en noir et blanc richement illustré. À l’écoute, on voit tout de suite que le Père Noel souffre d’une grosse lacune : pas de Liam. Il chante au chat perché, mais tout l’Oasis était dans le Liam. Le Père Noel peut brailler, pousser des yeah yeah, rien n’y fait, ça manque tragiquement de Liam. Plus il yeah-yeathe et plus il se ridiculise. C’est même assez pathétique de voir cette ancienne rock star se débattre avec de mauvaises compos. Le Père Noel manque à tous ses devoirs. Il devient pénible, et puis soudain ça repart du bon pied avec «Open The Door See What You Find». Ce petit coup de stomp cache bien la misère. Alors attention, ce n’est pas parce qu’il a du gros son qu’il est bon. Ça produit même l’effet inverse. Il continue de se battre pied à pied avec «Trying To Find A World That’s Been And Gone Pt. 1», il chante tout ce qu’il peut, mais le problème reste entier. C’est tout de même bizarre qu’il ne s’en rende pas compte. Il passe enfin aux énormités avec «Easy Now», il ressort l’heavy Oasis, il parvient enfin à s’arracher du sol, et ça continue avec le morceau titre. Le Père Noel ramène tout le Mad Chester dont il est capable. Voilà le groove urbain en mode Mad Chester. L’implacabilité des choses ! Il tente toujours de cacher la misère avec une grosse prod, mais on voit à travers. Impossible de ne pas penser au carnage qu’aurait fait Liam avec un cut pareil. «There She Blows!» est plus poppy, plus Beatlemaniaque, mais avec le poids du fan de base. Ça donne un mélange bien toxique. Gros parfum d’Oasis. Le Père Noel n’a rien perdu de ses facultés. Il sort un son sec de guimbarde pour «Love Is A Rich Man», mais globalement, on ressent un malaise. Rien n’est plus tragique que de voir un grand artiste sombrer. Il devient ridicule avec «Think Of A Number». Liam doit se tordre de rire en écoutant ça.

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             Bon, c’est pas tout ça, les gars, mais il reste le disk 2. Le Père Noel l’attaque avec des cuts problématiques, c’est-à-dire des cuts qui refusent d’obtempérer. Et puis soudain, une lueur apparaît au bout du tunnel : «Mind Games», une mélodie catchy. C’est le real deal du Père Noel. Absolute Papa Noel. On croise plus loin la version instro du morceau titre, jouée aux clochettes. Power all over. Dès qu’il ne chante plus, ça va beaucoup mieux. Ces mecs groovent l’orbi et l’orba de Mad Chester. Big fat power ! L’instro permet de se concentrer sur la structure. Puis on va assister à la fin de la chute de l’Empire Romain d’Oasis avec l’electro-mix putassier de «Think Of A Number (Pet Shop Boys Magic Eye 12» Remix)». Eh oui, le Père Noel appartient aussi à ce monde-là. On l’entend ensuite chanter «Pretty Boy (Robert Smith Remix)» à la radio. C’est bon parce qu’il chante dans l’écho de la radio, dommage que la compo soit si foireuse. On tombe ensuite sur «Council Skies (The Reflex Revision)», montée sur un beat marmoréen, ça enfonce le clou dans la paume, plutôt deux fois qu’une. Toujours la même chanson. Liam doit être écroulé de rire à l’écoute de «Flying On The Ground (Radio 2 Session)» et d’«You Ain’t Goin’ Nowhere (Radio 2 Session)», et cette débâcle s’achève sur «Live Forever» le balladif gluant qui a tué Oasis dans l’œuf. Mais on écoutera quand même le prochain album. On veut continuer de croire au Pere Noel.

    Signé : Cazengler, gallaglaire

    Noel Gallagher. Council Skies. Sour Mash Records Ltd. 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Peterson of a biche

             Et puis tu avais ce mec, Potar, débarqué là comme intérimaire, vite copain-copain, le pack de mousse à l’apéro et ses histoires graveleuses en guise de cerise sur le gâtö. Il pensait que le graveleux trempé dans la mousse pouvait créer des liens confraternels. De toute évidence, il ramenait ça de son séjour à l’armée. Il adorait parler de ses mensurations, ma queue mesure trente centimètres, se vantait-il, surtout quand des gonzesses circulaient dans l’open space. Il affichait en permanence un sourire d’intérimaire heureux de sa condition. Personne ne comprenait que son air jovial dissimulait en réalité une nocivité machiavélique. Pour le déchiffrer, il suffisait de créer un climat de confiance permettant de l’approcher d’assez près pour pouvoir observer sa peau : il avait ce qu’on appelle une mauvaise peau d’obsédé sexuel, cette peau blanchâtre propice aux éruptions de pus. Une peau dont on disait autrefois qu’elle était à l’image de l’âme. Il avait en outre des cheveux noirs extraordinairement gras et le col couvert de pellicules. Il se grattait la tête en permanence et bien sûr ses ongles étaient noirs comme ceux d’un clochard. Il portait des lunettes à verres tellement épais qu’ils grossissaient ses yeux, deux gros yeux noirs à l’éclat malsain : pas les yeux noirs de Picasso, ceux d’M le Maudit. Il inspirait globalement une sorte de répulsion. Son côté jeune homme sympathique et serviable peinait à dissimuler la sinistre réalité de sa condition. Et pour couronner le tout, il ne portait que des chemisettes à manches courtes, histoire de rappeler qu’il ne s’embarrassait pas non plus avec les questions de goût. Il proposait un autre genre d’équilibre : le sien. Au vestiaire, Potar commença très vite à abuser de certaines salariées. Pour qu’elles gardent le silence, il les menaçait en brandissant un opinel et jurait qu’en cas d’indiscrétion, couic ! T’as pigé, connasse ? Le cauchemar prit fin de la façon la plus charmante. Un jour où nous étions tous rassemblés dans l’atelier pour fêter un anniversaire, une petite salariée d’origine italienne but le verre de trop qui lui délia la langue : «Potal il dit qué sa zigounetti elle mousoure tlente centimètles, si pas vlai ! Sa zigounetti elle mousoure cinquo centimètles !». Et tout le monde éclata de rire. Piqué au vif, humilié, Potar posa son verre, tourna les talons et disparut.

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             Potar et James Peterson n’ont heureusement rien en commun, si ce n’est le potard. James Peterson adore tourner les potards de son ampli pour jouer le blues bien loud et bien heavy. Il est important de savoir que James Peterson est le bluesman de Malaco, et qu’il est aussi le père de Lucky Peterson. Joli nom, Lucky, tu trouves pas ? 

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             D’ailleurs, le père et le fils ont enregistré un album ensemble : The Father The Son The Blues. Lucky est petit, il n’a que 8 ans, il chante et joue du piano. On l’entend chanter «What Would I Give» d’une voix délicieusement juvénile. On l’entend encore chanter «Music Is The Thing» et son père l’accompagne à l’orgue. Le petit Lucy pousse des cris d’orfraie, c’est très spectaculaire. Il revient encore dans le hard r’n’b de «Florence» et devient fantastique de délinquance juvénile. Et il atteint des sommets avec «Daddy Come Home For Christmas», il pousse des cris d’orfraie à la fin, daddy daddy !  

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             James Peterson enregistre en 1990 Rough And Ready, un bon album qui ne laissera guère de souvenirs. Il navigue en père peinard sur la grand-mare des canards et alterne les heavy blues avec les boogie blues. Tu vois la Flying V sur la pochette et tu t’attends à du wild blues, mais c’est du blues classique. Le vieux James gratte le blues sous toutes les formes et n’en finit plus de redorer le blason du classicisme. C’est noyé de poux. Force est d’admettre que son «Can’t Teach An Old Dog New Tricks» est d’un bon niveau, c’est du vrai blues urbain, le New York City blues finement cuivré. Son «Mind Is A Terrible Thing To Waste» est un heavy blues de qualité supérieure, pas de doute. Il reste dans la perfection de pâté de foi avec «Sing The Blues Until I Die» et il finit avec «Clothesline», un joli heavy blues traîné en longueur, dans la meilleure des traditions d’excelsior.

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             Too Many Knots n’est pas l’album du siècle, mais il réserve quelques bonnes surprises comme par exemple «Fish Ain’t Biting», un sacré heavy blues funk cuivré de frais. Encore du funk avec «Slob On The Knob». Belle odeur d’exotica, ce démon de Peterson y va et ça bascule vite dans la grosse énormité. Il rend un bel hommage à Elmore James avec «Jacksonville» : c’est du pur «Dust My Blues». Encore une fantastique dégelée de blues avec «Call Before You Come Home». Comme ils sont trois à gratter leurs poux, Edward Crusoe, Bryan Barrett et Warren King, tu ne cherches pas à savoir le pourquoi du comment. Peterson chante, c’est tout. Et c’est lui qui compose. Il est bon sur le fast heavy blues du morceau titre. Il se prête à tous les jeux. Encore du heavy boogie blues avec «Blind Can’t Lead The Blind». Straight edge. Fast one. On the run.

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             Il a raison, James Peterson, il ne faut pas laisser le volant au diable. Don’t Let The Devil Ride est un album qui se laisse écouter, car Peterson fait du heavy raw, il joue comme l’éclair et chante au gut. Il est capable se sortir une énorme arrache. Il porte des bagues aux doigts, et au dos de la boîboîte, on voit qu’il se teint les cheveux en blond. Fantastique présence ! Tout est classique, mais avec du power. Il chante comme un alligator aux doigts couverts de bagues. Il tape «Bite My Hook» au Memphis Beat. Dès qu’il s’énerve, il joue avec le feu. Il tape son «Boat Don’t Float» au heavy funk de no no no, classic stuff, oui mais big classic stuff. Il prend l’«It’s So Good» au fouette cocher, rien ne pourrait plus l’arrêter. Il joue en permanence avec le feu, c’est la raison pour laquelle on l’admire.

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             Peterson continue de redorer le blason du blues de Malaco/Waldoxy avec Preachin’ The Blues. Il attaque au blues liquide avec un «Shoe On The Other Foot» bien noyé d’orgue. C’est excellent, Tommy Couch produit, donc pas de problème. Puis Peterson va entrer dans sa routine de heavy rumble et créer l’événement de temps en temps, comme par exemple avec «Lost What I Had», où il retourne son groove comme une peau de lapin pour l’amener dans l’église en bois et fourbir the big gospel batch. Belle énormité ! Puis il repart comme à l’accoutumée en mode fast boogie blues, il est bon à la manœuvre, ça reste classique, mais Malaco Class. Il tape un very heavy blues avec «Come Home To Eat», fabuleusement relayé au solo d’orgue par Clayton Ivey. Ça ne rigole pas. Peterson tape son «Bottom Line» au ragnagna, c’est un hargneux. Globalement, le boogie blues de Malaco est sans surprise, mais plein de jus. Peterson renoue avec l’énergie du gospel d’Alabama dans «Why Mama Had To Cry», soutenu par des chœurs d’anges de miséricorde. Et pour «I’ve Got A Problem», il y va au heavy boogie blues. Il a raison, Peterson, il faut toujours aller au heavy boogie blues. Sinon c’est lui qui viendra à toi. Il boucle cet album éminemment classique avec un shoot d’heavy Soul de blues, «Some Thing A Man Shouldn’t Have To Do» et redevient soloennel, avec son côté ragnagna. Il gueule comme un veau, mais c’est assez beau. Dommage qu’il fasse trop de ragnagna

    Singé : Cazengler, James Petersombre

    James, Lucky Peterson. The Father The Son The Blues. Today Records 1972

    James Peterson. Rough And Ready. King Snake Records 1990 

    James Peterson. Too Many Knots. Ichiban Records 1991  

    James Peterson. Don’t Let The Devil Ride. Waldoxy Records 1995 

    James Peterson. Preachin’ The Blues. Waldoxy Records 1996

     

    *

    Y a des noms qui puent la gargouille. J’ai vérifié, ça veut bien dire gargouille. La gargouille c’est un peu l’antithèse de la grenouille de bénitier. Les griffes de Satan qui dépassent des murs des cathédrales. Tiens, un groupe de la Nouvelle-Orléans, la patrie des alligators, renommée pour sa sorcellerie, quand on tient une bonne piste : on la suit !

    NO MAN’S LAND

    GARGUTS

    (CD / K7 / Bandcamp / Avril 2024)

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    Steve Mignano : vocal / Jon Casteix : drums / Sterling Anderson : bass / Dylan Hemard : guitar.

    La couve est de Sterling et de Dylan. Minimaliste mais efficace. Dans l’esprit preuve par neuf.

    Shadow : l’ensemble a du mal à démarrer, une espèce de frottis gynécologique  de guitare asthmatique qui donne l’impression d’avoir un sacré problème de larynx, une batterie implacable qui a l’air de s’en foutre et qui continue sa route vers on ne sait quoi, et un gars qui ne chante pas, s’en prend à lui-même, une espèce de confession à l’air libre pour que tout le monde soit au courant de son malaise,  du coup la guitare joue au solo de chat écorché, vous avez la basse qui vous file des coups de rondin à la base du cou, le gars hurle, il attend la mort, il trouve qu’elle met du temps à venir, les instrus lui font la fête, inventent pour lui une espèce de danse macabre. Lorsque ça se finit vous vous demandez pourquoi vous êtes là et surtout comment vous avez fait pour en arriver-là. L’ombre d’un doute plane sur vous-même. No Man’s Land : sont sympas vous disent où vous êtes, musicalement le no man’s land se situe dans l’improbable espace du croisement du punk, du metal et du hardcore. Attention zone dangereuse. Si vous tenez à le visiter ne vous munissez pas de biscuits, encore moins de rations de survie, ils vous les boufferont sans pitié, soyez sur vos garde, d’abord méfiez-vous de Jon, se sert de ses baguettes on ne sait pas trop comment, un gamin de cinq ans qui tape monotonement sur un tambour pour pousser ses parents au suicide, et en même temps la gaminette n’ignore rien des subtilités pondérales de Stockhausen, cogne comme un charretier sur son cheval mort, le vocal de Mignano n’est pas mignon, d’abord il hurle juste pour le plaisir de vous embêter, ensuite il prend le micro et se livre à un étrange discours martelé depuis le fond de sa gorge, malgré le boucan de ses congénères il vous donne l’impression de chanter pour lui tout seul, une espèce de Diva qui éructe dans son vomi êtral, à l’écouter vous vous dites que le chemin de croix du Christ c’était une vaste rigolade, une partie de plaisir intellectuellement enrichissante, quant à Dylan n’a jamais dû apprendre à jouer de la guitare, par contre l’est un as de la tronçonneuse, doit passer son temps à scier les morts dans leur cercueil, quand il s’énerve et qu’il pousse son égoïne à plein régime vous courez vous cacher, trop tard il vous a vu et vous tape dessus à tour de bras. Maintenant il faut reconnaître que leur ramage se rapporte à la réalité ambiante de notre monde cruel et sans pitié. Soyez sans illusion. Slaugther LN : un sociologue vous expliquera que le morceau précédent est à l’image de nos quartiers difficiles bla-bla-bla, pour comprendre celui-ci moins prise de tête, c’est plus cool, regardez un truc cool, par exemple l’ensemble des vidéos de L 214, mais là ça se déroule dans votre tête, fermez les yeux vous ne verrez pas, bouchez-vous les oreilles vous entendrez quand même. Commencent par vous avertir par une intro monumentale après ils se mettent à courir comme des dératés, el Mignano se prend pour un coach sportif, puis il n’y tient plus, sa mauvaise nature reprend le dessus, vous avez Jon dans l’oreille droite qui avance au pas et la guitare de Dylan dans l’esgourde gauche qui galope comme si elle était poursuivie par un essaim de frelons asiatiques. Vous font le coup : on arrête tout. Coucou, on vous a bien eus, et ils recommencent de plus belle. Le genre de groupe en lequel vous ne pouvez faire confiance.

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             Le truc le plus bizarre c’est que vous ressortez de ce disque tout ragaillardi. Il y a longtemps que n’avez entendu un truc aussi bon, et vous serez tenté d’ajouter d’aussi novateur.

             C’est leur deuxième EP, je vous causerai de leur premier bientôt. Ce groupe est à suivre. Les plus courageux peuvent même essayer de les précéder, mais ce ne sera pas facile.

             Esprits sensibles abstenez-vous. Après une écoute prolongée la masse gélatineuse de votre cerveau aura toutes les chances de se liquéfier et de s’échapper sans préavis par la gargouille de votre nez.

    Damie Chad.

    Note : l’abréviation ln (voir troisième titre) est une unité de mesure qui sert à indiquer la pression acoustique du bruit.

     

    *

    Un groupe français, from Paris, dont je n’ai jamais entendu parler. Viennent de sortir ce 20 avril 2024 un album, sont actif depuis 2009, z’ont déjà commis un EP, trois albums, un live, une compil, et deux singles, des bosseurs, j’aime les gars qui suivent leur idée, qui font tout pour la rattraper et même la dépasser, j’ai décidé de les chroniquer avant même d’avoir entendu une seule de leurs notes, pour une seule raison, j’aime les fractales.

    ONE WITH DAWN

    FRACTAL GATES

    ( CD / Bandcamp / Avril 2024)

    Stéphane Peudupin : lead, rhythm guitar, synths / Sébastien Pierre : vocals, synths / Jeremy Briquet : drums / Antoine Verdier : bass guitar / Arnaud Hoarau : rhythm guitar.

             Je ne vous ferai pas l’injure de vous expliquer ce qu’est une porte. Certains d’entre vous sont déjà en train de triper sur les portes de la perception d’Adlous Huxley et des si bien nommés Doors. Je ne vous parlerai pas non plus d’une de mes idoles, le mathématicien Georg Cantor. Je  devrais, il a travaillé sur les fractales mais je me contenterai de vous raconter une petite histoire dont vous serez le héros.

    Premier scénario : qui ne présente aucun intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, vous vous rendez dans votre cuisine, vous préparez votre café, vous revenez, vous refermez la porte et vous asseyez à votre place habituelle pour lire cette histoire.

    Deuxième scénario : qui présente un étrange intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, et vous rentrez dans la pièce que vous venez de quitter, vous ouvrez la porte de cette nouvelle pièce et vous voici à nouveau dans la pièce que vous êtes en train de quitter… cette histoire continue sans fin… (entre parenthèse vous pouvez dire adieu à votre café.)

    Troisième scénario : qui présente un étrange intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, et vous rentrez dans la pièce que vous venez de quitter, avec une petite différence, exactement la même mais un tantinet plus petite, vous avez du mal à vous en apercevoir parce que vous-même vous avez un tout petit peu rapetissé, je vous pense assez intelligent pour raconter la suite du récit… (faites une croix définitive sur votre café !)

    Quatrième scénario : qui présente un étrange intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, et vous rentrez dans la pièce que vous venez de quitter, avec une petite différence, exactement la même mais un tantinet plus grande… je vous pense assez intelligent pour raconter la suite du récit… (vous ne pensez plus à votre café car cette histoire occupe toutes vos méninges !)

             Un bref commentaire sur deux termes des trois termes du titre ‘’One With Dawn’’ de l’album s’impose. One : que vous soyez seul à vous dépatouiller avec cette étrange histoire n’est pas étonnant. Dawn : de quelle aube s’agit-il au juste. Dans notre histoire l’aube serait la métaphore qui mettrait fin à la répétition infinie de votre monde, à la poursuite sans fin de l’infiniment petit et à la poursuite sans fin de l’infiniment grand. Si vous avez du mal à comprendre un dernier tuyau : Georg Cantor a découvert, créé, imaginé, les nombres plus grands que l’infini. Comme quoi il y a une logique mathématique dans cette histoire que certains d’entre vous aurons jugée de totalement idiote.      

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    Visions XIII : les esprits cartésiens se demanderont pourquoi l’opus débute par la vision 13 et non par la 1. C’est une très bonne question qui vous renvoie à la petite histoire ci-dessus. La Vision 1 est le premier morceau d’Altered State of Consciouness ( 2009) la Vision 5 le clôture, les 2,3,4 font fonction de bornes disséminées pami les autres titres ; la Vision 7 ouvre et la 9 termine le deuxième full-lenght Beyond the Self ( 2013) la 8 au milieu, la Vision 10 est en tête du troisième album The light that shines ( 2018) la 11 au centre, la 12 le termine. Vous trouverez la Vision 6 sur The Unrealazed Tracks 2013 paru en 2023. Instrumental, très court à écouter avec attention, certes tout n’est pas donné d’emblée mais la couleur de base ne variera que très peu, ne manque que le vocal, le temps de s’installer arrive sur la trame sonore comme ces fameux coups de timbales que l’on entend dans les symphoniques oragiques, vous n’écoutez plus, vous les attendez, elles claquent comme de monstrueux coups de fusil.  Shining fall : le vocal déboule, roc rugueux qui roule au flanc d’une montagne, rythme entraînant il est des chutes qui sont des victoires, les étoiles filantes se doivent d’illuminer le ciel noir, moment de la séparation de soi d’avec le monde, pratiquement un manifeste vindicatif, ce qui n’empêche pas quelques graines de nostalgie, pour le soi-même que l’on se prépare à brûler, il faut savoir être son propre brasier pour renaître plus fort. L’important est d’être loin des autres et foncer comme une force qui va. Seamless days : une musique qui vient du dedans, il ne suffit pas d’être loin des autres, la voix torturée assume son introspection, rien n’est donné, c’est à soi-même de trouver le chemin, il est en soi, il parle en toi, il murmure des tempêtes, se dépouiller des vieux oripeaux du passé, les deux soli de guitare de Jary Lindholm  brûlent les vêtements de l’épouvantail de vous-même qui vous faisait peur. Into the unknown : notes synthétiques stellaires, guitare et batterie mettent la pression, l’inconnu n’est pas au bout de lointaines galaxies, il commence déjà dans tout ce qui nous sépare des joies passées, guitares brandons tenues à bout de bras pour éclairer la nouvelle route, celle de l’énergie que nous amassons en nous, le vocal s’épanouit en un chant programmatique. Il ne s’agit pas de renier les anciens moments d’incandescence mais de les métamorphoser en tremplins de nos rêves. When the distance peint us : intro de synthé, elle ne se taira pas de tout le morceau, elle est le trait d’union entre l’ancien monde et le nouveau, le vocal s’affirme, notre héros n’est pas allé bien loin mais il prend connaissance de la laideur et des faux-semblants qu’il abandonne derrière lui, notre meilleur autoportrait ce sont nos rêves, ce qui nous sépare  de ce que nous avons été davantage que de ce dont nous ne sommes que le projet inaccompli. Earthbound : hymne des nouvelles alliances, loin des hommes plus près des éléments, la nature entre en lui, il est montagne vertigineuse et abysse sans fond, pas besoin d’escalader, pas besoin de plonger, le microcosme est le miroir du macrocosme, tout est en lui, les plus grandes aventures sont intérieures, en de si grands moments d’exaltations la batterie pousse le chant métamorphosé en chariot céleste sous la voûte crânienne.

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    Hall alive : se remplir de l’énergie du monde, le background est devenu une course folle, le vocal rugit tel un lion, il agite les ions de sa crinière comme une semence d’or sur l’univers, il se sent, il se sait capable de tout, revivre l’histoire ancienne pour la rendre plus belle, moment de plénitude, montée finale d’allégresse, maintenant il est prêt à partir à l’assaut du rêve, à accueillir une nouvelle vision. Vision XIV : ouate des cordes, sonorités d’outre-monde, visions de paysages auxquels personne n’aura jamais accès, il vole, un papillon qui sort de sa chrysalide et qui découvre une autre réalité. One with dawn : le morceau éponyme de la transfiguration, la voix s’envole, il s’agit de métamorphoser l’œuvre au noir du vécu en pierre rubescente charnelle, notes triomphales comme giclées de trompettes, où est-elle, n’est-elle pas devenue l’aube que l’on attendait, que l’on recherchait, que l’on désirait plus fort que tout. Transformer l’âme cœur en âme sœur, nous fûmes deux je le maintiens disait Mallarmé. Hyperstate : apogée orchestrale, il ne suffit pas d’avoir franchi un cap, voici le temps de l’assumation, le roi doit gouverner son royaume, plus moyen de reculer, encore une fois la guitare de Lary vient couper l’herbe sous les pieds de l’hésitation à être soi-même, la chute en soi-même est un vol contrôlé, le monde est double, celui qui hurle, celui qui chuchote, ce que nous ne voulons pas, nous devons le détruire. Une seule nuit, un seul soleil, tel est la loi dirait Crowley. Serenity : tout a changé, tout est identique, toute sérénité est une chute en soi-même, le combat n’est jamais terminé, le jeu a toujours un niveau de plus, le flux musical semble imperturbable, le chant garde sa vigueur, tout revoir, tout revivre, ne jamais être dupe de nos états de conscience supérieurs. Foncer en avant, l’on ne tombe jamais plus loin, plus bas, plus profond que soi. Severance : redoutablement emphatique, il arrive un moment où le bas et le haut se ressemblent, sont une même chose, il faut oser, la dernière séparation celle qui vous permet de rejoindre le domaine des dieux, dans le seul but de répondre aux réponses tapies au-dedans de nous comme serpents assoupis qui veillent et ne dorment jamais. Etre au plafond équivaut à ramper sur le plancher. Echoings notions : les échos, ceux du bas et ceux du haut se répondent, perdu en haut, perdu en bas, la bête vole, l’ange rampe, toujours la même histoire à tous les étages, elle se répète, nous avons voulu vaincre notre destin mais notre destin n’est-il pas simplement de vouloir le vaincre, en d’autres termes, ni être vainqueur, ni être vaincu, l’on ne va jamais plus loin que soi-même. Même pas plus près. Notre destin n’est-il pas notre rêve. Quelques notes de guitare comme aigrettes de pissenlits qui s’envolent au vent. Visions XV : du vent qui siffle et qui souffle pour nous emporter, qui finit comme l’insecte par tapoter sans arrêt sur la vitre qu’il sait incassable. The eclipse : au-dedans de soi parfois le soleil rayonne, parfois de sombres vapeurs le voilent, tantôt l’esprit se hisse sur ses propres cimes, les plus vertigineuses pour admirer sa propre lumière, tantôt il tombe dans le puits sans fond de ses propres abîmes, l’aiguille du destin plantée dans vos omoplates ne marque ni le haut ni le bas, elle fait simplement signe qu’elle est le destin. Skies of Orion : qu’importe parfois les étoiles filantes se brisent, elles ne tombent pas, elles s’élèvent, leurs débris restent échoués à l’endroit exact où elles se sont morcelées ne sachant plus, ne pouvant plus, ne voulant plus être situées en dehors de leur destin. Elles restent incapables de choisir, d’opter pour le haut ou pour le bas. Elles sont tout de même la preuve que quelque chose a eu lieu…elles figurent l’Orient et l’Orion des songes.

             Que bientôt que personne ne saura déchiffrer.

    L’on ne sort jamais de son compartiment. L’on ne fait qu’y rentrer sans arrêt.

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    Il ne reste plus qu’à expliciter le troisième terme du titre. One With Dawn. With est la glue qui colle l’un à l’autre les deux éléments qu’il prive de liberté, qu’il rend indissociables qui ne pourront jamais s’éloigner ou s’embrasser, s’embraser, l’un de l’autre.

    Cette impression est accentuée à dessein par l’orchestration, tous les morceaux se ressemblent, ce qui ne les empêchent en rien d’être de scintillants joyaux de jais, les épisodes de l’histoire racontent tous la même histoire, c’est si puissant que l’on aimerait que ça ne s’arrête jamais.

    Damie Chad.

     

    *

    Les cendres d’Ashen n’en finissent pas de devenir braises purulentes. Il est des feux qui ne purifie point, ils brûlent comme le mal des ardents quiconque s’en approche.

    Faisons le point l’incendie couve, voici notre relevé effectué  par notre comité de vigilance : le 03 mars 2022 dans notre livraison 545 nous signalions trois engins incendiaires particulièrement nocifs sous l’apparence de trois vidéos d’apparence inoffensive : Sapiens, Hidden, Outler, le 18 mai 2023 dans notre livraison 595 nous repérions, ils utilisent toujours la même technique, la vidéo Nowhere. Vus mais pas pris, puisque le 07 septembre  2023, livraison 610, ils doublent la mise Angel et Smell Like Teen Spirit (matériel américain performant), devant l’impunité dont ils profitent quinze semaines plus tard, livraison 526 c’est le tour de Chimera, pour fêter l’anniversaire de leur premier méfait c’est en mars 2024 qu’ils déposent en toute impunité :

    DESIRE

    ASHEN

    (Direction : BASTIEN SABLé)

    (Official Music video / Out Of Line Music / Mars 2024)

     Poully : bass / Tristan Broggeat : drums / Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud.

             D’abord regardons :

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             Début, l’on se croirait dans un appartement baudelairien, luxe, calme et volupté, un intérieur bourgeois, soyons précis bourgeois-bohèmes, abat-jours à franges, meubles encaustiqués, un peu de désordre, des chandelles pour l’ambiance romantique, l’on note la présence d’objets technologiques issus de notre monde comme un poste de télévision, z’auraient pu prendre un grand-écran, ne chipotons pas.

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             Une ombre à la fenêtre, un visage indistinct contre la vitre, des mains qui déchirent le vitrage plastifié, il se glisse, l’ombre es un hombre, il se glisse, il se coule sur le plancher, un serpent, vicieux comme tous les reptiles, d’ailleurs l’Eve n’est pas loin, vous l’apercevez une fraction d’une demi-seconde, d’où vient-il, que fait-il, où va-t-il, le voici ailleurs. Dans un cube orange, sont tous là, tout Ashen, en train de jouer, les autres derrière, Le reptilien devant, en costume, il ondule, il danse, il chante, il regarde mais il ne vous voit pas, il regarde quelque chose bien plus important que vous, vous voulez savoir quoi, pas difficile, pourquoi d’après vous le devinons-nous en ultra-micro-flash, pourquoi rampe-t-il vers le lit, pourquoi se vautre-t-il en des poses suggestives sur la candeur des draps, et quelle est cette apparition miraculeuse qui s’imprime en un millionième de seconde sur votre rétine, non ce n’est pas la Sainte Vierge, plutôt Sainte Thérèse en extase du Bernin, il chante toujours, elle passe tel un fantôme dans la chambre, il est-là il se dirige vers cet objet orange que vous avez pris pour n’importe quoi, un parallélépipède pas plus gros qu’une imprimante et qui se révèle être l’objet transactionnel du désir, non pas celui que l’on tend à l’autre comme une vulgaire pomme, mais que l’on se donne à soi-même, une boite à chagrin, similaire à celle que l’on porte dans sa tête, le voici tantôt dans sa boite se démenant comme une rock star, et le voici aussi dehors écrivant une lettre que l’on présuppose écarlate, la boite orange clignote, subitement elle devient bleue comme une orange, à l’intérieur dans le monochrome bleu c’est le blues, tristesse dépressive ne dure qu’un temps, voici l’été orangeade de la folie gesticulatoire, chez lui il se dresse seul, la peau tatouée, cobra qui s’apprête à fondre sur sa proie, mais il est impossible d’attraper un phantasme qui circule dans votre tête. Elle est là, elle ne peut pas être plus près dans lui, mais si loin, de l’autre côté de la table de l’autre côté de la mer. Du désir. Elle le nargue. Maintenant c’est elle le serpent qui ondule, qui se trémousse, et lui avec son band derrière lui, n’est qu’un joueur de pipeau, il devient fou, il s’empare de la boite qu’il agite violemment, dedans il n’a plus son costume à la Bowie, l’a pris l’allure de Pete Twonshend au temps des grandes frasques des Who, la boite portée à incandescence devient blanche, tout se précipite. Arrêt brutal.

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    Ensuite écoutons : indéniable, le groupe joue et Clem chante, ce n’est pas les deux remarques précédentes que qualifie l’adjectif , je n’ai rarement eu cette impression, que ce qui nous est proposé ne pourrait pas être autre, que cette interprétation est la seule possible, qu’elle écarte toutes les autres possibilités qui à côté d’elle paraîtront simples artefacts (plus ou moins)  besogneux, c’est parfait non pas parce c’est bien, non pas parce c’est très bien, mais parce c’est la forme idéale de la chose exprimée. N’avez-vous jamais éprouvé un vertige en contemplant la première lettre de l’alphabet qui peut s’écrire A ou a, et il existe des milliers de polices différentes, ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi le phonème [a] peut se transcrire de mille manières différentes, les linguistes ont trouvé la parade, ils vous expliquent que le signifié (sens) du signe n’a rien à voir avec son signifiant ( forme), c’est bien sympa comme théorie mais ça ne tient pas compte de la force congruente d’un signe, si le son épouse le sens, le signe ne désigne ni la forme ni le sens, il est simplement le signe de la beauté du monde. Or ici il s’agit de l’accord entre le désir que deux êtres éprouvent l’un pour l’autre, autrement dit le thème, le sens, le signifié, et ce signifié est rehaussé par l’accord total entre la forme orchestrée et chantée et les images qui l’illustrent. Le chant se désire lui-même, la musique se désire elle-même et l’ensemble chant-désir se désire lui-même. Une sorte d’art total.

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    Enfin réfléchissons : le désir du désir s’il est art total, n’est-il pas onaniste. Le désir du désir n’est-il pas la peur du désir. Un désir accompli n’est-il pas un désir mort, qui n’a plus lieu d’être, le désir n’est-il pas plus fort s’il reste phantasme, scénario imaginaire, un vidéo-clip qui emmêle les éclairs d’elle et lui pour qu’ils ne s’emmêlent pas. Le Rêve refuse la Réalité qu’il prolonge et à qui il donne vie… Soyons nervalien ou ne soyons rien.

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    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    77

    J’ai dû faire une mine d’abruti car le Chef est devenu plus explicite :

    _ Agent Chad, ne croyez pas que je sois devenu un adepte des théories wake, je tenais simplement à ce que vous ne confondiez point le masculin et le féminin, une règle de base dans la grammaire française, cependant votre bobine étonnée me force à être plus directif : on ne dit pas un tueur quand l’individu que vous désignez est une femme.

    Pour opiner à ses propres dires, le Chef exhala de son Coronado un épais panache de fumée blanche qui devait ressembler au signal de Crazy Horse qui déclencha l’assaut des tribus indiennes sur les troupes du général Custer à Little Big Horn, puis il reprit :

    _ Exactement, j’irais jusqu’à dire une tireuse exceptionnelle et sans pitié. La preuve pour vous rencontrer elle n’a pas hésité à abattre de sang-froid une partie de son équipe.

    _ Vous parlez du service de sécurité de Géraldine Loup ?

    _ Pas du tout de votre service de sécurité à vous, il n’était pas là pour protéger Géraldine mais vous, uniquement vous !

    _ C’est pourtant Géraldine qui a été abattue en entrant dans le Ritz !

    _ Vous n’avez jamais entendu parler du dépit féminin, faute de pouvoir vous abattre elle s’est vengée sur la pauvre Géraldine, comme dit le proverbe faute de grives l’on mange des grives.

    Doriane et Loriane suivaient la conversation avec intérêt les yeux brillants. Pour la première fois de leur vie elles assistaient à une conversation entre véritables adultes. J’avais compris de qui parlait le Chef, je faisais semblant de ne pas piger. Doriane posa la question qui tue :

             _ Mais enfin de qui parlez-vous ? Enfin qui  est cette tueuse ?

    Le Chef alluma un Coronado avant de répondre :

             _ Une certaine Gilberte, vous ne la connaissez pas !

    Les filles sont curieuses, on n’y peut rien, c’est leur nature, Doriane insista :

             _ Mais pourquoi voulait-elle abattre Damie et pourquoi s’est-elle vengée sur Géraldine Loup !

             Molossa grogna. Fort opportunément je vous l’accorde. Molossito bondit et aboyant comme un fou se cogna le museau contre la plus large des baies vitrées. L’air dédaigneux un chat s’arrêta le regarda et s’en fut à pas lents. Nous éclatâmes tous de rire. Doriane expliqua :

             _ C’est Pilou, le chat des voisins il adore vadrouiller dans notre jardin, il vient quémander une gâterie, il est vexé, la maison est colonisée par les chiens, un affront ! Mais mon Chef adoré, répondez à ma question !

             _ C’est une longue histoire, peut-être devrions nous songer à nous reposer, nous en reparlerons au petit déjeuner ! J’ai fini mon Coronado, je pressens que demain sera une journée difficile, les agents secrets savent se reposer quand l’ennemi n’est pas là !

    Molossa posa son nez contre ma jambe.

             _ Attendez un peu !

    78

    Gisèle ! C’était sa voix, instantanément elle sortit du mur juste derrière le Chef lui collant son Rafalos sur la nuque. Elle était toujours aussi belle, ah ! l’azur de ses yeux !

             _ Jeunes filles levez-vous et mettez-vous contre le mur, vous ne craignez rien mais au moindre geste je vous abats. Vous le Chef posez vos Rafalos sur la table basse, l’agent Chad aussi, n’essayez pas de jouer à l’agent secret, je suis une bonne tireuse.

    Nous lui obéîmes. Les  chiens se contentèrent de s’allonger à mes pieds. Gilberte me regarda en souriant :

             _ Jeunes filles puisque ces deux messieurs avaient du mal à vous répondre, je vais vous raconter la longue histoire, écoutez bien, si vous êtes intelligentes vous en tirerez la seule leçon qui vaille, apprenez à vous méfier des hommes, ce sont des êtres ingrats, ne les croyez jamais.

    Je voulus répliquer, le Chef demanda la permission de fumer un Coronado qui lui fut refusée.

              _ Ecoutez-moi bien les filles je sais de quoi je parle, je suis une victime, moi aussi j’ai été séduite par un joli-cœur, un certain Agent Chad, si vous voyez de qui je veux parler !

    A l’expression de curiosité qui brilla dans les yeux des jumelles je compris qu’elles voyaient très bien.

             _ La première fois que j’ai vu l’Agent Chad, j’ai craqué, le soir-même je me suis donné à lui, j’ai passé une nuit merveilleuse, j’ai cru qu’il allait par respect pour moi arrêter l’enquête stupide qu’il menait à l’encontre de mon frère…pour les hommes, les filles c’est comme les cigarettes, ça se fume et ça se jette. Je crois que lui aurais pardonné, mais non, le lendemain il s’est amourachée d’une gourgandine de bibliothécaire, je n’ai pas hésité à la tuer dans ses bras, après les avoir vu honteusement copuler ensemble. Quant à lui qui dormait comme un bienheureux j’ai voulu le supprimer, je n’ai pas pu, n’oubliez jamais l’amour est la faiblesse des femmes.

    Les filles n’en perdaient pas une miette, que pensaient-elles ?

             _ J’ai cru qu’il me reviendrait, qu’il aurait compris la force de mon amour, bien non, j’ai tenté de le faire enlever par la bande de passeurs de murailles, dont j’étais la Dirigeante. Je ne suis pas une faible femme, ne soyez jamais faibles demoiselles !

    A mon grand dam je les vis hocher la tête d’acquiescement.

             _ Une fois encore je lui aurais pardonné, il aurait vécu une vie de rêve à mes côtés. Hélas, il m’a insulté, en plein Paris devant toutes les caméras du monde, en public il a emballé l’actrice Géraldine Loup. C’est lui qui m’intéressait, pas cette ravissante idiote capable de tomber amoureuse du premier comique troupier qui lui fait le coup de la drague au petit chien.

    Molossito aboya un grand coup.

             _ Il a de la chance que j’aime mieux les bêtes que les hommes. J’ai profité de la situation. Le lendemain matin mes hommes étaient chargés de me l’emmener, ils ont outrepassé mes droits, quand ils lui ont volé son Rafalos, j’ai décidé de les tuer tous. C’était à moi de le tuer pas à eux.  Personne ne me volera ma vengeance. J’ai décidé de l’attendre dans le Hall du Ritz, il n’est pas venu rejoindre sa Géraldine, je suis sortie pour le retrouver, j’ai croisé cette nigaude, je l’ai tuée pour qu’il ne la fasse pas souffrir. Je suis trop bonne mais entre femmes on doit s’entraider. Voilà, maintenant vous connaissez toute l’histoire, j’ai omis quelques détails sans importance. Je suis pressée de me venger, regarde-moi Damie ! qu’as-tu à dire pour me répondre, espèce de chien.

    Je l’ai fixée droit dans mes yeux, à mourir autant quitter ce bas-monde en regardant une belle chose. Oui j’ai un côté esthète, presque décadent, si j’étais venu au monde un siècle avant sans doute aurais-je été un poëte symboliste, j’ai laissé dix longues secondes, j’ai lentement ouvert la bouche, inspiré une grande bouffée d’air :

             _ T’as de beaux yeux, tu sais !

    Ses yeux étincelèrent de colère, d’un geste vif elle releva son arme de la nuque du Chef. Le bruit  fut assourdissant. J’étais mort, missing in action, comme disent les ricains.

    Non ce n’est pas vrai. J’étais vivant, le corps ensanglanté de Gisèle s’affala sur la table basse. Je regardai le Chef qui me regardait. Comment avait-il fait pour tirer. Nous nous regardâmes encore une fois stupéfaits. La voix de Doriane nous tira de notre étonnement :

    _ Elle s’est suicidée, c’était une grande romantique !

    Un revolver fut froidement jeté sur la table basse tout près du cadavre de Gilberte. Loriane venait de le lancer :

             _ Pas du tout, c’est moi qui l’ai tuée, avec le revolver de Papa, il est toujours dans le tiroir du petit guéridon, contre lequel j’étais appuyée, pendant qu’elle regardait Damie, je m’en suis emparé ! Quelle pouffiasse, qu’est-ce qu’elle croyait la grande donneuse de leçons que j’allais la laisser tuer l’Agent Chad que j’aime à la folie !

    Elle se précipita dans mes bras. Doriane fit de même. Dans les bras du Chef. Toutes deux versèrent des larmes de bonheur contre la poitrine de leurs valeureux chevaliers. Quand les effusions furent quelque peu calmées le Chef alluma un Coronado :

             _ Ne perdons pas de temps, nous avons à nous débarrasser au plus vite d’un cadavre.

    A peine le Chef avait-il fini de prononcer sa phrase que son portable sonna. Il s’éloigna de quelques pas, la conversation ne dura pas longtemps, quand il se tourna vers nous il souriait :

    _ Pour le transport du cadavre pas de souci, nous avons une équipe de secours qui se chargera de la besogne par contre le reste de la nuit risque d’être mouvementée, agent Chad allez nous voler une voiture !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 544 : KR'TNT 544 : MONKEES / NOEL GALLAGHER / LEFT LANE CRUISER / NAOMI SHELTON / JOSE MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 544

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 03 / 2022

    MONKEES / NOEL GALLAGHER

    LEFT LANE CRUISER / NAOMI SHELTON

    JOSE MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

     

    C’est parti Monkee Kee - Part Two

     

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                Mike Nesmith, que ses amis surnommaient Nez, vient de casser sa pipe en bois. Il est parti, le Kee Kee, aussi allons-nous lui rendre hommage et plonger une fois encore dans l’extraordinaire histoire d’un groupe qui pendant un temps rivalisa de candeur pop avec les Beatles. Les Monkees font partie de ces groupes sur lesquels il n’est pas très élégant de cracher. Leur histoire est celle de quatre mecs brillants embarqués dans le tourbillon du music biz américain des early sixties.

             En 1965, on avait nos chouchous dans les groupes. John Lennon dans les Beatles, Brian Jones dans les Stones. Dans les Monkees, le chouchou c’était Nez, avec son bonnet vert. Il était le guitariste et l’âme du groupe, mais on admirait aussi ce chanteur fantastique qu’est toujours Micky Dolenz.

             Pour plonger dans leur histoire, on dispose d’un tas de choses : des disks (qu’on a épluchés dans un Part One), des livres et des films. Il existe un gros tas de livres sur les Monkees. D’ailleurs, les Monkees sont s’y quasiment tous mis, comme les Pistols. Tous sauf Peter Tork (dans les Monkees) et Paul Cook (dans les Pistols). Les autobios de Nez, Davy Jones et Micky Dolenz jettent un éclairage extraordinaire sur l’histoire du groupe et sur l’environnement dans lequel ils ont évolué. À quoi il faut ajouter l’ouvrage de Peter Mills, The Monkees, Head And The 60s, qui comme son titre l’indique focalise plus sur Head, le film surréaliste de Bob Rafelson qu’on revoit environ tous les dix ans, sans jamais admettre qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre, mais on le revoit, comme on revoit Hard Day’s Night

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             Nez a titré son autobio Infinite Tuesday. Au vu de l’objet, on croit que c’est un livre d’auteur : beau choix de papier, de format et d’interlignage, mais ce n’est pas le cas, loin de là. Dommage car Nez démarre en force en rendant deux hommages spectaculaires : le premier à Jimi Hendrix et le second à Bo Diddley. En 1967, Nez est à Londres. Il a rendez-vous dans un restaurant avec John Lennon et Cynthia, la poule d’avant Yoko. John nous dit Nez est en retard et il finit par arriver, essoufflé, il s’excuse et dit qu’il était dans un club où se produisait un mec qu’il a enregistré sur un petit magnéto. Il pose l’engin sur la table et fait écouter : c’est «Hey Joe» et l’inconnu s’appelle Jimi Hendrix. Et là, Nez parle de Visitation. Quand le cut s’achève, quelqu’un dit : «Comment un mec peut-il être aussi bon ?». Conscient que Londres est l’œil d’un typhon qui ravage le monde entier, Nez affirme que Jimi Hendrix est bien pire : un maelström - Both the center and the circonference, with his own gravitational force. He was music as a mass, and all that revolved around that music changed the landscape of the mind. Hendrix fit reculer les limites du son de la même manière que Duchamp fit reculer celles de la vision. Nude Descending A Staircase et «Little Wing» sortaient d’un Purple Haze - Pas mal, le parallèle avec Duchamp. Dommage que tout le book ne soit pas à ce niveau référentiel. Nez reprend : «En recyclant le rock’n’roll américain, les British bands ont levé une tempête, mais Hendrix a ouvert un monde et créé un nouveau style de musique. En créant ce monde et en explorant les sonic possibilities des instruments, il montra le chemin aux groupes qui se formaient.» Il rend à peu près le même genre d’hommage à Bo Diddley qu’il voit à la fin des années 50 dans un club de Dallas, Louann’s. Oui car Nez est texan. Il décrit l’un des génies de l’humanité : «Bo avait une présence énorme, avec la guitare bricolée sanglée très bas sur les genoux, son blazer blanc et son nœud pap, et ses musiciens qui portaient des blazers rouges, sauf Peggy qui portait un one-piece extrêmement moulant en lamé or et des talons aiguilles. Elle jouait elle aussi sur une guitare sanglée très bas, comme celle de Bo. Ils étaient branchés sur des Fender Twin Reverb.» Et un peu plus loin, il ajoute, la bave aux lèvres : «Bo and Peggy and Jerome were the first iteration of the Jimi Hendrix Experience in my life, the first time I kissed the sky.» C’est drôle comme ces phrases peuvent être jolies, plus jolies qu’en français - Quand Bo joua ce soir-là, j’entendis pour la première fois une musique qui correspondait à celle que j’avais en tête. En matière de rock, j’avais entendu beaucoup de choses, mais aucune n’était aussi complète que celle de Bo. Elle n’était pas seulement complète, elle était à la fois infinie et réelle.»

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             Bon, Nez postule pour un rôle dans les Monkees et l’obtient. Avant de devenir un groupe, c’est une série télé qui raconte l’histoire d’un groupe, ne l’oublions pas. Très vite, Nez propose d’écrire des chansons et Bob Rafelson l’encourage à continuer. Il le branche aussi sur Tommy Boyce et Bobby Hart, des compositeurs maison chez Screen Gem avec lesquels il s’entend bien, mais il ne peut pas travailler avec eux. Boyce & Hart pondent rapidement «Last Train To Clarksville». Nez ne s’étend pas trop sur le stardom des Monkees. Il raconte cependant une anecdote typique de cette époque. Un matin très tôt, vers 6 h, il se rend en bagnole au studio de télé. Il s’arrête à un feu rouge à l’angle de Berverly et Santa Monica. Il n’y a personne dans les environs, sauf une jolie jeune fille. Elle traverse la rue devant le Buik Riviera de Nez et le reconnaît au volant. Alors elle se met à hurler et se jette sur le capot. Elle frappe le pare-brise et crie : «Mike !». Nez est scié. Au bout d’une minute ou deux, elle semble retrouver ses esprits, elle descend du capot, se réajuste et s’en va, l’air un peu gêné. Elle disparaît aussi vite qu’elle est apparue, comme si rien ne s’était produit.

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             Nez évoque aussi le combat qu’il mène contre Don Kirshner, le mover shaker du Brill qui considère les Monkees comme sa poule aux œufs d’or. Nez veut obtenir l’indépendance artistique des Monkees et Kirshner s’y oppose. Alors Kirshner menace Bob & Bert, les réalisateurs de la série télé, mais les Monkees ignorent les menaces et enregistrent Headquarters. Kirshner les convoque à une réunion au Berverly Hills Hotel de Los Angeles. Il n’exige qu’une chose de la part des Monkees : la loyauté. Il leur promet monts et merveilles, il va faire d’eux les Beatles américains. Pour ça, il a toute son armada d’auteurs compositeurs au Brill. Nez refuse l’offre poliment. Il ajoute qu’il bosse pour Bob & Bert qui encouragent les Monkees à devenir indépendants, il ne bosse pas pour lui, Kirshner et son armada. Nez sent que Kirshner le pousse à trahir Bob & Bert. Le bras droit de Kirshner sort alors le contrat et fait planer la menace de procès et c’est là que Nez perd patience et défonce la cloison d’un coup de poing. Headquarters sera le seul album enregistré par les quatre Monkees.

             L’épisode le plus passionnant du Nez book est celui de sa relation avec Jack Nicholson, Peter Fonda et Dennis Hopper - Peter et moi sommes devenus potes grâce à nos motos. Je conduisais une Triumph Bonneville et Peter une Harley. On roulait dans les canyons. Peu de temps après, il fit transformer sa Harley en chopper et il commença à porter le casque de Captain America. Dennis Hopper était un pote de Peter et Jack Nicholson entra dans le cercle à son tour - Dennis Hopper propose à Nesmith de bosser sur la BO d’Easy Rider - Dennis était l’un de ces ‘movie types’, comme je les appelais, et je m’entendais bien avec lui, car on avait le même visual sense. Je comprenais ce qu’il voyait. Il était d’humeur changeante, et je ne savais jamais ce qu’il pensait, aussi n’était-il pas un dance partner, mais il avait tout mon respect et toute mon attention, car il amenait toujours quelque chose d’unique. Quand il m’a demandé de bosser sur la BO de son film, j’ai pensé à utiliser un brass big band, the Memphis Horns meet Harry James, mais c’était comme de dire oui à quelqu’un qui te demandait si tu savais piloter un avion cargo - Inspiré par l’Help de Richard Lester, Nez, Bob et Jack commencent à travailler sur le projet d’un film, Head. Bob & Bert envisageaient avec ce projet de tuer le mythe qu’ils avaient créé, c’est-à-dire les Monkees de la télé. Mais ils n’avaient aucune idée de départ. C’est Nicholson qui trouve l’idée de tout situer dans les cheveux du personnage : des pellicules dans les cheveux de Victor Mature.

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             Un peu plus tard, Nez et Nicholson voient Jerry Lee sur scène. En sortant du club, Nicholson dit à Nez que Jerry Lee est le plus grand live show qu’il ait vu dans sa vie - Bien des années après, Jack évoquait encore le power de Jerry Lee - Nez rend un autre hommage, cette fois à Chris Blackwell - One of the few authentic people I met on the business side of the music industry, without question the best record exec and music curator I ever knew - Nez dit en gros la même chose que Glyn Johns.

             On est alors en droit de penser que le book va rocker, mais il faut vite déchanter. La deuxième partie concerne en gros The First National Band, puis Nez raconte dans le détail ses mésaventures sentimentales et la façon dont il a inventé le vidéo-clip. Bon bref.

             En 1970, Nez rachète son contrat Colgems pour 160 000 $. C’est tout ce qu’il possède. Il  quitte Los Angeles et s’installe à Palm Springs.

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             L’un des meilleurs investissements qu’on puisse faire, c’est la box Edsel qui s’appelle Songs et qui rassemble douze albums de Nez, l’essentiel de sa carrière solo et surtout les extraordinaires albums du First National Band, qu’on prend très au sérieux une fois qu’on les a écoutés. Cette box est la mine d’or du roi Salomon. On savait le Nez doué, mais pas à ce point.

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             Le cœur palpitant de la box, ce sont les trois albums de The First National Band, avec des pochettes qui ne payent pas de mine, mais diable comme ces albums sont bons ! C’est chanté, ça sent bon l’Americana et ce qui frappe le plus, c’est la modernité de ton, à partir d’un genre éculé par tant d’abus, la country. Pochette bleue pour le premier National Band, Magnetic South. «Calico Girlfriend» sonne comme un fantastique assaut. Appelons ça le country power de Papa Nez, comme l’appelle Martin Ruddock dans Shinding!. Terrible et vite embarqué. Papa Nez propose une fantastique texture d’allure. Avec «Little Red Rider», il draine de la heavy country pop fabuleusement bardée de son. «The Crippled Lion» bascule dans une sorte de magie. Tiens je te donne dix Gram Parsons en échange d’un Papa Nez. Sa country sonne comme du rêve cadencé - What is the color of the sun - Il a juste un mec à la basse (John London) et un mec au beurre (John Ware), et bien sûr Red Rhodes à la pedal steel. «Joanne» sonne comme un hit. Papa Nez a des accents de génie. Essaie de claquer des trucs aussi purs, tu verras si c’est facile. Le First National Band embarque «Mama Nantucket» ventre à terre et Papa Nez fait du yodell. C’est extrêmement puissant. Il est parfait dans son rôle de country Monkee. Tous les cuts de cet album sont bons, les dégelées country se succèdent et avec «Beyond The Blue Horizon», il passe du rétro d’Americana aux clameurs de la modernité. Petite cerise sur le gâtö : Papa Nez indique à Bob Mehr qu’ils étaient complètement défoncés lors de l’enregistrement de Magnetic South - We did the entire Magnetic South album drunk and high - Il faut savoir que Red Rhodes adore jouer défoncé, qu’il cultive la meilleure herbe d’Hollywood et qu’il en vend à ses voisins. 

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             Papa Nez se retrouve enfin en couverture de Shindig!. Il porte son Nudie suit. Martin Ruddock emprunte «Beyond The Blue Horizon» pour titrer son bel article et qualifie Papa Nez de «reluctant teen idol» ayant mené la guerre d’indépendance contre Colgems et Don Kirshner et quitté les Monkees pour devenir un «risk-taking cosmic country-rocker, purely on his own terms.» C’est joliment dit et ça correspond à la réalité. Ruddock rappelle que Papa Nez enregistra une série de cuts à Nashville en 1968 avec les gens qui allaient devenir Aera Code 615, et produits par Felton Jarvis, le producteur d’Elvis. «The Crippled Lion», «Calico Girlfriend», «Little Red Rider» et «Hollywood» (qu’on retrouve sur Magnetic South) et «Some Of Shelly’s Blues» (qu’on retrouve sur Pretty Much Your Standard Ranch Stash), font partie de ces démos extraordinaires. Mais le son de Papa Nez n’intéresse ni les trois autres Monkees ni le Monkee-staff. Un seul cut sort en 1969 : «Listen To The Band» (qu’on retrouve sur Loose Salute). Ruddock parle de «rousing country-soul fusion with trippy drop-outs» et nous décrit dans le détail la formation du First National Band avec John Ware, John London et Red Rhodes, un groupe extrêmement audacieux qui combine «Bakersfireld swing, Appalachian yodelling, gutbucket R&B and even lounge music», en gros l’expression du «quicksilver fusion» que Papa Nez a en tête.

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             Rattrapés par l’actualité, les Monkees se retrouvent aussi en couve de Mojo, sur fond rouge. David Fricke leur alloue huit pages. Il confirme ce que dit Rubbock. Quand Papa Nez débarque au studio RCA de Nashville avec son idée de «quicksilver fusion», il déclare : «One of the things I wanted to do was experiment with pure Nashville players playing a type of rock’n’roll sensibility.» Ça s’appelle une vision. Papa Nez réussit là où Gene Clark a échoué.    

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             Le deuxième First National Band est rouge et s’appelle Loose Salute. Il est encore pire que le premier. Americana et modernité s’y affrontent au soleil de Papa Nez. «Silver Moon» ? Arrgh, laisse tomber ! - Anthemic stag night swagger, nous dit Ruddock - Rien de plus pur que ce Tex-Mex de la frontière, plein d’esprit et de choo choo train. Papa Nez invente un nouveau genre avec «I Fall To Pieces» : le country genius. Il explore et révèle le power souterrain de la country, celui si ingrat des saloons, et l’éclaire. Il amène une énergie énorme qui est celle du ventre de l’Amérique. C’est un bonheur que d’écouter Papa Nez. Il se situe au croisement des cultures, il sait que ce qu’il fait est bon et il n’en finit plus de nous montrer la voie. Il veille à rester au devant de son phénomène, comme s’il chevauchait en éclaireur. Joli shoot d’exotica que ce «Tengo Amore». Fuck, tu suivrais Papa Nez jusqu’en enfer. S’ensuit le vieux «Listen To The Band» - reborn as an up-tempo hoedown - qui te monte lentement au cerveau, encore du pur jus de country power. Avec «Bye Bye Bye», il fait du r’n’b de Nashville et il s’amuse ensuite avec les interférences de la country pour fignoler «Lady Of The Valley». On se demande d’où sort ce son étrange et beau. La country météorique des temps futurs ? Va-t-en savoir ! Fabuleuse modernité de l’attaque, Papa Nez a du génie, il faut le voir tailler ses harmonies.

             Après avoir enregistré leur deuxième album, the First National Band part tourner en Angleterre, en septembre 1970. Tournée bizarre nous dit Ruddock dans les petits salles d’Écosse et du Pays de Galles. Working Men’s clubs & occasional cabarets. Ringo Starr et Jimi Hendrix viennent saluer Papa Nez au Nashville Rooms, à Londres. Deux jours plus tard, l’ami Jimi casse sa pipe en bois. Le groupe reste plusieurs mois en Angleterre. Ils rentrent au bercail, un peu abîmés, pour enregistrer un nouvel album. 

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             Troisième et ultime album du First National Band : Nevada Fighter, pochette blanche. Le morceau titre est un authentique coup de génie. Papa Nez le claque à l’Americana de choc, les wild guitars sont de sortie, voilà un cut d’une incroyable puissance, les coups de slide éclatent au Sénégal, quelle violence ! Papa Nez nous fait de la heavy country de saloon. On trouve aussi deux Beautiful Songs sur cet album, «Here I Am» et «Texas Morning». «Here I Am» est d’une pureté extrême, monté sur un gros jeu basse/batterie. «Texas Morning» est du spiritual spirit. Voilà la cosmic Americana dont rêvait Gram Parsons - And the wind blows me/ Like a dixie cup down the highway - On se régale aussi du «Grand Ennui» d’ouverture de bal, country dynamique montée sur une basse dévorante - Runnin’ for the grand ennui - Papa Nez chante avec passion à l’accent persistant. Sur cet album, quelques luminaries comme Al Casey, James Burton et Joe Osborn prêtent la main. Bien que ce soit de la pure country, «Only Bound» envoûte. Encore un choc esthétique avec «Tumblin’ Tumbleeeds», un vieux classique errant de Bob Nolan dont Curt Boettcher fit ses choux gras. Quelle merveille atmosphérique ! C’est tout de même incroyable que Papa Nez parvienne à maintenir un niveau aussi supérieur, album après album. 

             Victimes d’un coup de burnt-out, John Ware et John London quittent le groupe en plein milieu des sessions. C’est la raison pour laquelle Papa Nez et Red Rhodes embauchent des pointures du Wrecking Crew, James Burton, Glen D Harding, Ronnie Tutt et Joe Osborn. Ruddock dit que «Tumblin’ Tumbleeeds» et «Rene» sont de la musique for haunted honky-tonks. Il a raison le bougre, rien de plus hanté que ce son. 

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             Après la fin du First National Band, Papa Nez monte le Second National Band avec an eccentric collection of players - dont Johnny Meeks - et enregistre Tantamount To Treason, un album un tout petit peu moins dense, mais attention à «Highway 99 With Melange» : il tape ça en mode barrellhouse et ça frise le destroy oh boy d’excellence. Il défonce les tenants des aboutissants, ouh-ouh, et bascule dans la weird psychedelia. Tantamount est un album étrange est passionnant. Nouveau choc émotionnel avec «You Are My One», un instro organique et puissant, un vrai tube digestif de good vibes - Nez let Rhodes and Cohen go nuts with fizzing psychedelic blasts of steel and moog - Papa Nez reste dans le sans-faute avec «Wax Minute», nouvelle merveille extravagante. Il chante «Lady Lady» à la déchirure de country lover. Il reste un singer parfait, allant même jusqu’à chanter son «Bonaparte’s Retreat» en français, avec tout le power du saloon.

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             Puis il attaque une petite série d’albums solo avec l’’all acoustic’ And The Hits Just Keep On Comin’, just Nez & Rhodes. Boom ! Dès «Tomorrow & Me», il part en mode demented, il sait créer du brouet, oh oh, the closeness is gone, il chante à l’éplorée seigneuriale, il tartine à l’infini son oh oh, the closeness is gone. Quelle ambiance ! Il enchaîne avec «The Upside Of Good-Bye» et Red Rhodes fait de la dentelle de Calais. Papa Nez dispose de tous les atouts de la country, mais il crée son propre monde qui est spectaculaire. Tant qu’on n’écoute pas ses albums, on ne se doute de rien. Les chansons sont parfois un peu pop («Listening»), mais c’est bien foutu, Papa Nez fouille sa chique. Il ressort le vieux «Different Drum», composé en 1964 et rejeté en 1967 Don Kirshner qui déclarait : «That’s nice but it’s not a Monkees’ song !», à quoi Papa Nez rétorqua : «Wait a minute, I AM a Monkee !». Papa Nez aura sa revanche un peu plus tard quand les Stone Poneys de Linda Ronstadt enregistreront «Different Drum». Papa Nez ressort donc cette vieille pop de harangue, mais diable, comme elle est bonne. Il balance du son, c’est excellent, bien remonté des bretelles à coups de guitares country. Ça grouille de ressources inexplorées. Bienvenue encore une fois chez Nez the cake avec «Harmony Constant». Sa musique vient du ventre de la country, qu’on appelle aussi la Soul des blancs. Sa notion de la beauté passe par la country, comme le montre encore «Keep On». Il termine avec «Roll With The Flow», une sorte de clin d’œil à Doug Sahm : son de la frontière de merveilleuse allure, avec Red Rhodes à l’avant-poste.

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             Un jour, Jac Holzman entend parler Papa Nez à la radio. Il le trouve intéressant et souhaite le rencontrer : «Il était tellement plus intelligent que le cute, ersatz, housebroken, simian image - et sachant bien à quel point c’est difficile de faire un disque.» Papa Nez passe un accord avec Jac pour lancer son label Countryside Records, sous l’égide d’Elektra. Il dit à Jac : «Si vous me construisez un studio, je monte un house-band around the Stax-Volt formula.» C’est ce house-band qu’on entend sur l’excellent Pretty Much Your Standard Ranch Stash.

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             Sur la pochette de Pretty Much Your Standard Ranch Stash, Papa Nez porte la barbe et un Stetson. C’est d’ailleurs cette pochette qui décore la box. L’album démarre avec deux coups de génie, «Continuing» et «Some Of Shelly’s Blues». Retour du fantastique power de Country Papa Nez, il amène une espèce de magie de manège, ça joue autour de lui alors qu’il tournoie, c’est Vienne et tout ce qu’on aime, Papa Nez est un immense artiste. Il joue à la petite mesure sans presser le beat, il se fond à la coule dans son moule de perfection country avec un backbeat balloche, mais c’est Papa Nez, l’authentique seigneur texan, il dispose de tous les droits et principalement celui de nous émerveiller. Il attaque «Some Of Shelly’s Blues» aux accents country, il en fait un cut élégant et parfait, bien monté. Il est à l’aise dans l’excellence et l’instrumentation nous monte tout ça en neige. Globalement, toutes ses compos tiennent la route. Il les appuie au chant, ce qui donne des résultats effarants. Il chante par dessus les cactus de sa country de cœur et c’est atrocement bon. 

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             Curieusement, l’album ne marche pas et Papa Nez quitte RCA. Il se sent un peu paumé et renaît de ses cendres en montant son propre label, Pacific Arts, qu’il inaugure avec un album spectaculaire : The Prison. Dès l’«Opening Theme (Life The Unsuspective Captive)», on sent clairement une volonté de mélodie universaliste. Papa Nez est capable de développer ce genre de power, il vise les voies célestes, il est dans la religion du son, il aménage de stupéfiantes ouvertures. C’est la révélation ! Et ça continue avec «Dance Between The Raindrops», qui part en mode heavy country, il claque ça comme de la Stonesy, il va sur un boogie rock demented et affreusement bon. Il chante dans les entrelacs de son boogie. Attention, ce n’est pas fini ! Voici «Ellusive Ragings» et ses merveilleuses dynamiques. Le fond est country mais devant c’est du pur Papa Nez. «Waking Mystery» confirme qu’il s’agit là d’un very big album, l’un de ces albums chargés d’ambiances et bien produits. Papa Nez dispose d’un incroyable pouvoir de persuasion et d’une voix qui tranche à merveille. Il diffuse sa magie, il chante à l’accent perché et la mélodie se transforme en féerie. Papa Nez joue avec toi, mais c’est pour ton bien. Il ramène des guitares country dans son rêve éveillé, il revient toujours au chant, pour exploser à la surface du couplet. Encore une fois, Papa Nez a du génie. Il se fond dans le moule d’«Hear Me Calling», un heavy boogie qui n’est pas celui des Ten Years After. Encore une belle échappée belle avec «Marie’s Theme». Papa Nez laisse filer, il prend le chant à la volée, il est superbe, c’est un héros, un fier rocker de country carnaval, il injecte de la furia del sol dans son shuffle. Il navigue exactement au même niveau que Doug Sahm. Il ramène toute la fête de la country, ça joue à bride abattue, Papa Nez lève de bien belles tempêtes, ça part à l’orgue et au piano, et quand il revient au chant, ça lui échappe, il y a trop de vie. Il claque son «Closing Theme» comme un groove de Croz, il dispose du même sens des dérives océaniques, il vise les mêmes horizons. Papa Nez n’en finit plus d’éblouir ses admirateurs.

             Ruddock s’arrête là, juste après The Prison. Il salue son héros : «Thanx for the ride, Papa Nez.» Nous, on continue.

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             Il se pourrait que From A Radio Engine To The Photon Wing soit encore un big album, ne serait-ce que pour «Love’s First Kiss», petit shoot de pop seigneuriale qui bascule vite dans le génie sonique pour devenir une pop-song surnaturelle. Il gratte «We Are Awake» au mur du son country avec des chœurs d’artichauts demented. Papa Nez est un sacré maître d’œuvre. Il drive sa chique et les filles font ah ah de temps en temps, tu vois le genre ! Il ouvre son balda avec «Rio», groove excellent et intrusif à la fois. Il fait couler un miel de guitares country dans un groove de rêve. Papa Nez serait donc un démon de l’enfer ? - So I think I will travel to Rio - Derrière lui on entend Weldon Myrick et Lonnie Mack. Comme le montre «Casablanca Moonlight», il sait attaquer un cut au pied de l’échelle. Il sait rester d’actualité comme le montre «Navajo Trail». C’est excellent, d’une incroyable véracité. Papa Nez est l’un des meilleurs explorateurs de l’Americana, il fond comme beurre en broche dans le Navajo Trail.

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             Il a l’air de vouloir se calmer avec Infinite Rider On The Big Dogma. Pour la pochette, il pose dans une pièce à plusieurs portes. L’album n’est pas très bon, mais on sauve «Capsule (Hello People A Hundred Years From Now)», car c’est un groove extraordinaire. Il rend hommage au groove - Check it out/ It’s the time of the day - Il s’amuse avec des petites conneries et ça devient vite énorme. Pour cet album, il abandonne complètement la country. Il se prend pour Leroy Hutson avec «Magic (This Night Is Magic)», il chante à la petite voix d’ange décervelé. On ne doute pas de sa sincérité. Puis il va dans le funk avec «Tonite (The Television Song)». Il donne libre cours à ses fantaisies, mais ça reste du Papa Nez, même si parfois il se vautre et fait pitié («Flying (Silks & Satins)», «Fractions (The Daughter Of Rock’n’Roll)»).

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             Pochette années 80 pour The Newer Stuff. Papa Nez porte le cheveu court et la barbe taillée. Deux grosses compos sur cet album : «Tanya» et «Dreamer». Il a troqué sa country pour un son plus synthétique, mais il tente de maintenir son cap. Il y parvient. L’ambiance pue un peu mais il chante à pleine voix, comme il l’a toujours fait. Mine de rien, ça reste du haut niveau. Tu peux suivre Papa Nez sans craindre l’ennui. Encore plus ambitieux voici «Dreamer», monté sur un thème classique d’une puissance évangélique - Why do we dream ? - Il se pose la question. L’orchestration emmène le cut plus loin que le chant, on sait que les trompettes peuvent déplacer les montagnes. Voilà Papa Nez dans les éclairs de Cecil B. De Mille, il éclate comme Moïse au bord de la Mer Rouge, il lève les bras face à la colère de Dieu, c’est très spectaculaire et ça se calme à la fin. Et pourtant, l’album était mal barré, car il commence avec de la diskö pop à la mormoille («Total Control»). Quand on entend «I’ll Remember You», on comprend que Papa Nez est l’un des survivants les plus brillants de l’âge d’or. Il est capable d’aligner des balladifs superbes. Comme tous les hommes de son âge, il fait un peu d’exotica avec «Eldorado To The Moon» et «Tahiti Condo», mais c’est une exotica qui ne porte pas à conséquence.

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             Tropical Campfires date de 1992. Comme Tav Falco, Papa Nez plonge dans la magie de «Brazil» qu’il chante d’ailleurs en brésilien. Il tape sa «Julianna» au froti de la frontière et la gratte à l’ongle sec. Encore une petite merveille avec «Moon Over The Rio Grande». Il crée de la country de carton-pâte, mais c’est brillant. Il se sert du Rio Grande pour régler ses comptes. Il tape dans Cole Porter avec «In The Still Of The Night» pour en faire un cut d’effarence, il chante à la voix blanche, mais en vrai fan et c’est extraordinaire. Encore du Cole Porter avec «Begin The Beguine». Ça frise encore le génie pur. Fabuleux Papa Nez.

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             Le dernier album de la box s’appelle The Garden, illustré par une toile de Monet. Papa Nez part donc des Nymphéas pour créer du climat enchanté et jeter de la poudre au yeux. Quand il arrive à la fin de «Garden’s Glow», on ne l’attendait plus. Puis il gratte «Ficus Carica» à sec dans une ambiance paradisiaque. Il abandonne sa chère country au profit d’un gratté de gratte fantôme, c’est assez spécial, plein de coups d’acou et de rebondissements d’acou. Il s’agit donc d’un album d’ambiances. C’est tout ce qu’on peut en dire. Les adieux sont tristes.

             On peut aussi établir un parallèle entre la créativité de Papa Nez et celle de Robert Pollard, ne serait-ce qu’avec les titres d’albums, tous plus dadaïstes les uns que les autres. Fricke parle de cerebral titles.

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             Ah il fallait lire le Mojo Interview mené par Bob Mehr en 2018. On tombait en ouverture sur un fantastique portrait de Papa Nez coiffé de son Stetson Nudie. À 75 ans, il a le visage d’un vieil homme, mais quelle élégance ! Mehr dit qu’il se fringue comme Steve Jobs, qu’il est entouré d’assistants pendus à ses lèves et qu’il «radiate a particular brand of Texas Zen». Plus rien ne peut plus nous surprendre de la part de Papa Nez. Il indique qu’il découvrit le Texas blues très tôt et qu’il décida de partir en Californie pour devenir écrivain. Arrivé à Los Angeles, il démarre au Troubadour et compose déjà quelques chansons, dont le fameux «Different Drum» et «The Girl I Knew Somewhere» qui sera un hit des Monkees. Bien sûr, Mehr revient sur les Monkees et les liens qu’entretenait Papa Nez avec les trois autres, à quoi l’intéressé répond qu’ils étaient tous les quatre très différents et que c’était voulu par le producteurs de la série télé - There was no feeling like the stars had aligned the way they did with The Beatles, or The Byrds or The Stones - Il demande à Mehr de lui pardonner cette métaphore : les Monkees étaient des légumes dans la soupe - Television was the soup and if one of us was the potato, the other was turnip, c’est-à-dire le navet - Pour Papa Nez, les Monkees n’étaient qu’un produit de télévision, rien d’autre, et il rappelle que la télévision «had taken a place in the American psyche that was dominant, it controlled the American thinking». Ce qui reste d’actualité. Si on veut aujourd’hui essayer de penser librement, il faut virer la télé. Retour sur Head et Bob & Bert que Papa Nez qualifie d’hommes courageux - These were guys on a quest for the artistic truth and they found a lot of it in the hash pipe and the joints and the parties and the women and the times - Hence Head and Easy Rider - Pour Papa Nez, le principal obstacle était Kirshner qui ne jurait que par les hits pop («Sugar Sugar» des Archies est cité en exemple), alors il fallait en sortir - I already had my Nudie Suit made. I was heading out. I was going to make psychedelic country and do The First National Band.

             Les huit pages de Fricke dans Mojo font bien le tour du propriétaire, c’est-à-dire l’histoire des Monkees. Fricke est solidement documenté. Aucun détail ne lui échappe, même pas les 186 000 $ que doit sortir Papa Nez de sa poche pour racheter sa liberté. C’est tout l’argent qui lui reste de sa vie de Monkee. S’en débarrasser est pour lui extrêmement symbolique. Fricke nous dit aussi qu’en novembre 2021, un mois avant de casser sa pipe en bois, Papa Nez a chanté pour la dernière fois «Listen To The Band» au Greek Theatre de Los Angeles. Il avait 78 ans. Papa Nez et Micky Dolenz avaient repris la route ensemble pour faire The Mike & Micky show. Maintenant que Davy Jones, Peter Tork et Papa Nez ont cassé leurs pipes en bois, Micky Dolenz se retrouve tout seul.

             Selon Fricke, c’est Barry Friedman qui en 1965 pousse Papa Nez à répondre à l’annonce de recrutement des Monkees parue dans The Hollywood Reporter. Papa Nez bosse le lundi soir au Troubadour, il organise les hootemannies et chante à l’occasion. Friedman bosse lui aussi au Troubadour. Il va changer de nom pour devenir le fameux Frazier Mohawk que Jac Holzman tenait en haute estime, autant que Danny Fields. Friedman/Mohawk est un fantastique dépisteur de talents. À l’époque, Papa Nez est fauché. Sa femme et lui vivent dans une bagnole. Comme on le sait, Papa Nez débarque au studio pour auditionner avec son sac de linge sale et le fameux bonnet à pompon vert qu’il porte en fait pour ne pas avoir les cheveux dans la figure quand il conduit sa moto.

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             Les producteurs qui initiaient le projet des Monkees tapaient à l’époque en plein dans le mille, car il n’existait alors rien d’équivalent sur le marché : ils ont généré «an explosive synergy of music, medium and mercantile zeal qui répercuta les ondes de choc de la Beatlemania via the power of Hollywood.» Oui, Hollywood servait d’énorme caisse de résonance et les Monkees furent immédiatement considérés dans les médias comme des superstars. The American Beatles. Mais quand Papa Nez apprend que Don Kirshner sort More Of The Monkees - leur deuxième album - sans avoir demandé l’avis du groupe, il annonce qu’il va quitter le groupe.

             Les journalistes ne comprenaient pas à l’époque du First National Band pourquoi Papa Nez quittait une vie de superstar pour jouer cette stone-country qui ne rapportait pas un rond. Papa Nez dut faire une mise au point : «Vous avez bien compris que je ne suis pas un chanteur/guitariste ordinaire. Je n’existe pas dans la communauté artistique. Je ne sors pas avec Steve Stills et je ne participe pas aux sessions d’Eric Clapton. Et je ne veux pas de Ringo dans les miennes. Je reste dans mon coin.» Ce que confirme Micky Dolenz. Papa Nez est un solitaire, il vit avec sa femme et ses enfants.       

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             Le Monkee-book le plus accessible est celui de Micky Dolenz, I’m A Believer. Ça se lit d’un trait, même si le style laisse à désirer. Peter Mills parle plutôt d’un style original et créatif, à l’image du personnage. Des quatre Monkees, Dolenz est sans doute le mieux placé pour rappeler un élément fondamental de l’histoire de Monkees : le côté pré-fabriqué du groupe qu’on surnommait d’ailleurs les Prefab Four, un produit purement hollywoodien, de la même façon que Dolenz est lui-même une créature hollywoodienne. Ils ont été recrutés individuellement lors d’un gros casting de cinéma pour jouer dans une série télé. Comme les producteurs voyaient que le teenage business commençait à rapporter gros, il leur fallait une série télé teenage pour les pré-ados. Pas pour les fans des Beatles qui devenaient adultes, mais ceux d’avant. C’est ce que raconte Dolenz dans son livre. Il évoque très brièvement ses collègues Tork, Nez, Davy Jones et se réserve la part du lion, car il a beaucoup plus de choses à raconter.

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             Dolenz est ce qu’on appelle un child actor, de la même façon que Davy Jones et Steve Marriott le furent en Grande-Bretagne. Et comme le Rusty de Rintintin, il démarre très tôt à Hollywood dans une série intitulé Circus Boy. Les épisodes durent une demi-heure et racontent les pérégrinations de Corky et de son éléphant Bimbo, dans le milieu du cirque au début du XXe siècle. Il devient tellement célèbre qu’il tourne à travers les États-Unis avec Bimbo et apprend à jouer de la guitare et à chanter. Ce cirque dure trois ans, au terme desquels on trouve Micky trop vieux pour le rôle. Fin de la série. Alors il passe du statut de star hollywoodienne à celui moins enviable de collégien. Il quitte un monde féerique pour se heurter de plein fouet à la banalité de la vie normale.

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             Plus tard, Bob Rafelson et Bert Schneider montent la série télé qu’ils intitulent The Monkees. Dolenz dit que ça marche parce que Bob & Bert sont eux aussi des mecs assez jeunes et assez irrévérencieux, ce qui à l’époque est plutôt atypique dans le milieu. À l’époque, John Lennon déclarait que les Monkees tels qu’on les voyait à la télé s’apparentaient plus aux Marx Brothers qu’aux groupes pop auxquels on voulait les comparer - The Monkees were Marx Brothers with long hair - Bob & Bert informent Micky Dolenz qu’il sera le batteur du groupe. Mais Dolenz dit qu’il ne sait pas jouer de batterie. Dommage car les autres places sont déjà prises par des gens accomplis : Nez et Peter, guitare et basse, et Davy lead singer et tambourin. Alors en bon pro hollywoodien, Dolenz apprend à jouer de la batterie. Et si les Monkees sont devenus si populaires, Dolenz insiste bien là-dessus, c’est parce qu’il s’agissait d’abord d’une entreprise collective. Autour de Bob & Bert, on trouve Lester Sill et Don Kirshner, le duo de songwriters/producteurs Tommy Boyce & Bobby Hart, et d’autres compositeurs de prestige comme Carole King, Neil Diamond, Harry Nilsson, Paul Williams, David Gates et Carole Bayer Sager. Redémarrer les Monkees comme ils ont tenté de le faire dans les années quatre-vingt était quasiment impossible sans tout cet entourage. Eh oui, si les albums des Monkees sont bardés de hits, c’est bien grâce à tous ces auteurs. Quand Lester Sill reçoit Dolenz pour la première fois dans les bureaux de Screen Gems, il l’emmène dans un couloir et frappe à une première porte. «Knock-knock, Micky, meet David Gates !». Une autre porte, «Knock-knock, Micky, meet Carole Bayer Sager !».

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             Autre composante fondamentale dans la genèse des Monkees : au sein du groupe, les styles sont très différents : Davy a un style très Broadway, Nez un style très Country & Western et Peter va plus sur le folk, car il vient de Greenwich Village, comme d’ailleurs Stephen Stills. Comme il a la plus belle voix, Micky Dolenz va chanter tous les grands hits, «Last Train To Clarksville», «I’m A Believer» et tous les autres. Une faille apparaît très vite dans le Monkee System : Nez exige the musical integrity and the creative control. Car évidemment, les Monkees ne jouent pas sur leurs albums et ne composent rien. Ils ne font que chanter. Il entame une partie de bras de fer avec le pouvoir, c’est-à-dire Don Kirshner. Il en fait même l’ennemi numéro un du groupe. Pour le calmer, Kirshner lui octroie le droit d’enregistrer deux compos à lui par album, mais ce ne seront pas des hits, loin de là. Dans une réunion, Nez exige le contrôle total des albums des Monkees et il annonce que s’il ne l’obtient pas, il quitte le groupe. Un avocat nommé Moelis lui répond qu’il ferait mieux de jeter un coup d’œil à son contrat : «Son, you can’t quit unless we tell you you can quit !». Cette déférence méprisante met Nez hors de lui. Il réussit par miracle à conserver son calme, se retourne et défonce la cloison d’un violent coup de poing : «That could have been your face, motherfucker !». Nez ne perd pas de temps et convoque une conférence de presse pour annoncer au monde entier que des musiciens de studio jouent sur les deux premiers albums des Monkees. Une belle façon de révéler ce qu’il considère comme une petite arnaque. Parmi les musiciens non crédités qu’on trouve sur ces deux albums figurent Glen Campbell, Hal Blaine, Earl Palmer, Buddy Miles, Billy Preston, Harry Nilsson, Stephen Stills, Neil Young et Carole King. Pardonnez du peu. Ce sont les méthodes californiennes de la Grande Efficacité.

             Concernant ses collègues, Dolenz reste très réservé. Il indique toutefois que Peter Tork et Nez ne s’entendaient pas très bien et quand Peter fut le premier à quitter le groupe, ce fut au grand soulagement de Nez qui entendait devenir ce qu’il voulait être depuis le début, le leader des Monkees. Réduits à un trio en décembre 1968, les Monkees enregistrent Instant Replay et Monkees Present. Mais encore une fois, ces albums se vendent moins bien que ceux de la première époque. Don Kirshner savait ce qu’il faisait.

             Dolenz va ensuite venir s’installer à Londres chez Harry Nilsson, à Mayfair. Endroit maléfique, puisque Mama Cass et Keith Moon vont y mourir. Dans l’appendice du book, Mark Bego rappelle que les Monkees vont enfin enregistrer un album entier de compos à eux, Justus, en 1996. Comme indiqué dans le Part One, Justus pourrait bien être le meilleur album des Monkees. Et curieusement, ce sont les compos de Micky Dolenz qui mordent la poussière. 

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             Peter Mills nous rappelle que Davy Jones a écrit deux livres. On peut se contenter de lire le premier, They Made A Monkee Out Of Me. C’est largement suffisant. Il n’est pas inutile de rappeler que Davy Jones est originaire de Manchester et qui s’est retrouvé jeune prodige dans des comédies musicales, à Londres puis à Broadway. Ce qui frappe le plus chez lui quand on le voit à l’écran, c’est la petitesse de sa taille. Bon, son book n’est pas un chef-d’œuvre littéraire, loin s’en faut, il parle beaucoup de son père, pur working-class lad de ‘Chester. Il rappelle aussi que c’est grâce à Aunt Jessie qu’il a commencé à faire du théâtre. En réponse à une annonce («Wanted school boys to audition for radio play») parue dans le Manchester Evening News, Aunt Jessie écrivit : «You must audition my nephew, David. He’s very good. He played Abdullah, the Turkish Magician.» Et voilà comment on se retrouve à Hollywood. Après un premier succès à Londres, le jeune Davy is going West. Bruce Prochnick qui le voit sur scène à Broadway est effaré par son talent : «It was obvious that this kid had everything.» Davy a 16 ans quand il joue dans Oliver. C’est juste avant l’arrivée des Beatles. Puis le succès d’Hard Day’s Night donne l’idée des Monkees aux producteurs - Four rock’n’roll musicians trying to make it, living together in a house in Malibu Beach - Même plan, il faut juste remplacer les costumes Pierre Cardin par des maillots de bain. Rafelson et Schneider se jettent à corps perdu dans le projet et commencent à auditionner. Davy, Bob & Bert écument les clubs et trouvent d’autres gens : Micky Dolenz qui s’appelle alors Micky Braddock. Davy insiste, si c’est lui qu’il faut ! Ils trouvent aussi Chip Douglas, Jerry Yester et Bill Chadwick. Davy est avec Lester Sill et Ward pour auditionner un certain Michael Blessing qui se pointe avec son sac de linge sale et son bonnet à pompon vert. Papa Nez ! Donc Davy s’octroie un petit rôle moteur dans la genèse des Monkees. L’autre détail biographique intéressant dans son book est le petit jeu auquel se livrent les quatre Monkees et un certain Frawley : leur jeu s’appelle Killer. Chacun a droit à trois coups par jour, le gun ce sont les deux doigts de la main, on mime le gun et quand on tire, il faut faire tssshhh ! Frappée d’une balle dans la poitrine, la victime doit s’écrouler, comme au cinéma - Whoever was shot had to die - Et celui qui a perdu ses trois vies est éliminé. Davy raconte qu’il s’apprête à embrasser une fille quand Peter l’interpelle, «Oh David !», et lui tire dessus, tssshhh ! Alors Davy doit s’écrouler et se convulsionner au sol comme dans un western. Ou s’écrouler à travers une porte. Ou s’écrouler sur un parking -  Arrrgh shot ! - Et puis un jour le jeu ne marche plus. Frawley ne veut plus mourir. Dolenz lui tire dessus. Rien. Nez tire à son tour. Rien. Puis Davy tire - All the feeling was gone. The beginning of the end - Ce que confirme le tournage de Head - Kill the Monkees - C’était le mot d’ordre.

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             Vers la fin de son book, Davy propose une série de portraits de gens qu’il a connus, comme par exemple Phil Ochs : «Un jour je suis allé chez lui. Comme d’usage, la porte n’était pas fermée, aussi je suis entré. Il y avait un plat sur la table qu’il n’avait pas fini de manger, de la vaisselle dans l’évier, des cendriers pleins, et le lit n’était pas fait. Pas de Phil. Je me suis dit que j’allais le rappeler plus tard. Mais je n’ai pas réussi à l’avoir. Il venait de quitter sa maison en laissant les choses en l’état. Il avait pris l’avion pour New York et s’était pendu.» Il brosse bien sûr des portraits de ses collègues, à commencer par Peter Tork : «Peter portait des pantalons moulants. Il ne s’intéressait pas à la mode. Il suivait la sienne. C’est la première fois que je voyais quelqu’un porter des chaussettes de couleurs différentes. Il portait la boucle de son ceinturon sur le côté. Il détestait les boots. Il portait toujours des sandales ou des mocassins. Il marchait avec une certaine allure, beaucoup d’aisance, en balançant ses bras. Il soignait l’hystérie et la dépression chez les autres.» Et plus loin il ajoute : «Musicalement, il est le plus doué de nous tous. Ses chansons sont de vraies chansons. «For Pete’s Sake» est de toutes les chansons ma chanson préférée. On rigolait à l’époque où Peter distribuait tout ce qu’il possédait. Mais il l’a fait pour de vrai. Il avait toujours une chambre libre pour qui avait besoin d’un hébergement.» Joli portrait aussi de Nez que Davy appelle Nes - Il aimait le style, Nes et sa limousine Cadillac, Nes et son garde du corps/chauffeur anglais, Alfie Weaver, Nes et son berger allemand Frak entraîné à tuer qui en jour planta ses croc dans ma tête sans même quitter le sol

             Dans les 300 pages de The Monkees, Head And The 60s, Peter Mills rebrasse tous ces éléments pour dire l’importance du phénomène Monkees. Il est persuadé que les Monkees sont des gens brillants et il a raison. Il en fait un postulat.

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             Il revient aux origines du phénomène avec le fameux casting de recrutement pour indiquer que des gens connus s’étaient portés candidats : Bryan McLean, le guitariste de Love, Stephen Stills, Jerry Yester, compagnon de Judy Henske et futur Lovin’ Spoonful. Stills n’est pas retenu car il a les dents pourries et commence à perdre ses cheveux. Il recommande alors son pote Peter Tork.

             Quand ils ont obtenu leur indépendance artistique et qu’ils commencent à tourner, les Monkees font sur scène des numéros radicalement différents : Davy fait le show avec de grandes chansons, Micky Dolenz fait du James Brown et se roule par terre comme on le voit dans le biopic Daydream Believers dont on va reparler plus loin, Peter Tork joue des airs de banjo, comme on le voit dans les concerts de reformation, et Nez rend hommage à Bo Diddley et Big Dix avec «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover».

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             Mills rappelle que Davy Jones monte sur scène à Broadway en 1963, neuf mois après ses débuts à Londres. Puis il attire l’attention de Columbia et il se retrouve en Californie pour jouer dans une comédie musicale inspirée de Dickens, Pickwick. Il est sous contrat avec Screen Gems. Tork passe lui d’un univers magique à l’autre : il arrive de Greenwich Village et devient le quintessential Laurel Canyon flower child : il fait partie de la bande à Stephen Stills, avec David Crosby, Buddy Miles et Jimi Hendrix, comme l’explique si bien Richie Furay dans l’excellent Buffalo Springfield book dont on va bien sûr reparler. Quant au Texan Nez, il en pince pour Hank Williams et, comme on l’a dit, Bo Diddley, ce qui va lui permettre de créer un style qu’il faut bien qualifier d’unique, la country Soul - country shapes and pop moves and a dash of R&B in the rhythm section - avec l’aide de Chip Douglas, ex-Modern Folk Quartet qui fait brièvement partie du Gene Clark Group, puis des Turtles, auquel Nez demande de produire les Monkees. Nez le chope un soir au Whisky A Go Go et lui dit qu’il aime bien ce qu’il a fait avec les Turtles, notamment son jeu de basse dans «Happy Together». Chip Douglas dit que les albums des Turtles étaient les mieux produits de cette époque.

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             Autre composante fondamentale du mythe des Monkees, le Brill Building sur lequel l’ami Mills s’étend longuement. Il dit avoir toujours connu l’adresse par cœur : 1619 Broadway, New York, NY 10019, United States Of America. C’est la même choses à ses yeux que London’s Tin Pan Alley on Denmark Street, in London W1. Quand Mills débarque à New York pour la première fois, il va directement voir le Brill. Don Kirshner a tous les grands auteurs sous contrat, comme le rappelle Davy Jones : «He had the Carole Kings and the Neil Diamonds and Carole Bayer Sagers, the Neil Sadakas, the Nilssons, Barry Mann, Cynthia Weil, Leiber & Stoller, Sears & Roebuck, Neiman & Marcus, he had them all under contract!». Kirshner est «The Man With The Golden Ear», il sait reconnaître un hit. Mais il est par dessus tout un businessman de talent. Il hésite pourtant à mettre Boyce & Hart sur le projet des Monkees. Il veut des mecs plus chevronnés. Il leur dit : «Sure you guys had hits as writers but for a project of this magnitude, we need producers that have a proven track record.» Il n’empêche que Boyce & Hart vont faire l’affaire. «Last Train To Clarksville» est une merveille intemporelle. Et la voix de Micky Dolenz !

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             Quand Peter Tork quitte le groupe en 1968, c’est le commencement de la fin. Head est un échec commercial retentissant. Puis Nez se barre. Davy Jones et Micky Dolenz continuent à deux, mais pas longtemps. Après la fin des Monkees, les choses se compliquent. Micky Dolenz continue de vivre la grande vie car sa mère a du blé, alors ils participe aux légendaires débauches hollywoodiennes en compagnie d’Alice Cooper, Keith Moon, Harry Nilsson et John Lennon. Peter Tork qui avait distribué tout ce qu’il possédait a du mal à s’en sortir. Il se fait en plus choper à la frontière mexicaine avec un stash de marijuana et passe deux mois au ballon. Nez fait comme on l’a dit des albums spectaculairement bons. Il vit bien car sa mère qui a inventé le Typex est milliardaire. Dolenz et Jones remontent une première fois les Monkees avec Boyce & Hart et partent en tournée. Le groupe s’appelle Dolenz, Jones, Boyce & Hart. Les fans ont pris un coup de vieux, mais ils viennent aux concerts. Dolenz, Jones, Boyce & Hart enregistrent aussi un album sur lequel il va falloir revenir. En fait les ex-Monkees font tous des albums solos, c’est la foire à la saucisse. Rhino Records réussit à rallumer le mythe des Monkees avec Justus, premier album entièrement composé, interprété et produit par les Monkees, depuis Headquarters. Puis Rhino va exhumer les inédits des Monkees, trois volumes, avant d’être absorbé par Warner en 1999. 

             Mills cite les groupes qui se réfèrent aux Monkees : Yo La Tengo et les Go-Betwwens et plus tard The Lemon Twigs et Foxygen. Pas mal ! Dans les annexes, le mec de KLF Bill Drummond explique que même si les Monkees n’ont écrit aucun de leurs grands hits, et qu’ils ne jouaient pas sur leurs disques, ils avaient «un power - a force. I knew the Monkees were great art.» Il dit aussi qu’à l’époque où il jouait dans Big In Japan, ils rêvaient lui et ses copains d’être les Monkees alors que les autres groupes rêvaient d’être Pere Ubu ou les Talking Heads ! Puis il est devenu manager d’Echo & The Bunnymen et il dit avoir mis le paquet pour en faire the best band that we could : «Le public ne se rend pas compte du travail que ça représente, ni même le groupe d’ailleurs et encore moins les journalistes de la presse rock. Sans ces efforts et la foi dans le groupe, ça ne peut pas marcher. C’est pourquoi les projets solo de band membrers ne marchent généralement pas.» C’est la façon qu’a Drummond d’expliquer que les Monkees ne sont pas tombés du ciel. Quand Drummond loue pour le groupe le dernier étage d’une massive Victorian house on the edge of Sefton Park in Liverpool, c’est pour recréer l’équivalent de la Monkees house on the ocean front of Malibu. Il dresse aussi un parallèle entre les Monkees et le Velvet : les deux avaient un mentor : pas de Velvet sans Warhol et pas de Monkees sans Kirshner, et les deux histoires se déroulent au même moment, entre 1966 et 1968. Les deux histoires ne doivent rien ni à Haight Ashbury (pour les Monkees) ni à Woodstock (pour le Velvet). Drummond se dit aussi fasciné par Head. Il ajoute que l’échec commercial de Head was the perfect ending for the ultimate manufactured band.

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             Le cœur du Mills book est bien sûr Head qu’il épluche dans le moindre détail. Il revient évidemment sur la genèse du film : Bob & Bert, Nicholson, les Monkees et le manager Brendan Cahill s’enferment pendant quatre jours dans un motel d’Ojai, en Californie et prennent de la dope à des fins créatives. Le biopic Daydream Believers recrée bien l’épisode, avec Nicholson qui leur balance : «You guys could be like danndruff in somebody’s hair...». Micky Dolenz comprend après coup que le but était non seulement de déconstruire les Monkees, mais aussi de déconstruire Hollywood. Le film fourmille de plans provocateurs, des pastiches de westerns et de Lawrence d’Arabie. Rafelson indique aussi que Nicholson a construit le script sur le modèle d’un acid trip. C’est encore Nicholson qui dessine le logo des Monkees en forme de guitare. Et puis Mills salue chaleureusement la prestation du Hollywood wildman Timothy Carey qu’on appelle un ‘heavy’ dans les studios.

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             Peter Mills consacre les deux tiers de son book au film de Bob Rafelson. Head est une tentative de loufoquerie cinématographique qui ne fonctionne pas. Pourquoi ? Parce que les Américains ne savent pas le faire. Dada et sa séquelle le surréalisme n’auraient jamais pu exister ailleurs qu’en Europe. Il faut du terreau culturel, du sang de fin de race et un don particulier pour la pure extravagance intellectuelle, trois éléments qui n’existent pas aux États-Unis. Ils ont autre chose, mais certainement pas ça. L’intérêt d’Head est qu’on voit les Monkees saboter leur image, c’est voulu, comme on le sait. On voit Micky Dolenz sauter du pont d’Amérique sur fond sonore d’un «Porpoise Song» très beatlemaniaque. Rafelson enchaîne des plans totalement dépareillés : les quatre Monkees sont dans une tranchée sous les bombardements et ils se retrouvent après l’assaut d’une caverne sur scène tout de blanc vêtus pour un fabuleux «Circle Sky» que chante Nesmith tout en grattant sa SG blanche - And it looks like we’ve made it once again - Ils sonnent comme les Byrds. Puis Rafelson commence à jongler avec les métaphores douteuses : Micky Dolenz erre dans le désert et tombe sur un distributeur de coca qui est God. On voit arriver un cavalier bédouin sosie d’Anthony Quinn dans Lawrence D’Arabie, puis un char de l’armée italienne dont le conducteur se rend, ainsi que toute l’armée italienne, Dolenz monte dans le char et tire sur God, boom ! Drôle de mélange : on voit la fameuse exécution du Vietcong à Saïgon, puis Dolenz se retrouve prince arabe avec un harem sur fond de «Can You Dig It». On se lasse assez vite de toute cette frénésie superficielle. Ils font des pastiches de westerns avec des flèches dans la poitrine puis Timothy Carey vient voler le show avec sa peau de mouton et une corde de pendu autour du cou, Davy Jones se fait boxer la gueule sur un ring par Sonny Liston et les quatre Monkees se retrouvent dans les cheveux de Victor Marure, c’est l’idée de base de Nicholson, dandruffs, c’est-à-dire des pellicules. Ils sont aspirés et Rafelson enchaîne avec le délire de la boîte noire. Mais Davy Jones s’échappe et s’en va danser à Broadway, il fait son Fred Astaire, on voit aussi Frank Zappa et une vache sortir d’un studio d’Hollywood. Il est évident que ce film ne pouvait pas marcher commercialement. Trop barré, trop n’importe quoi. Le film se termine par une poursuite géante que le pont d’Amérique et les quatre Monkees plongent dans le Pacifique pour aller nager solarisés avec des sirènes. Tout ça est bien résumé dans Daydream Believers, le biopic que Neill Fearnley consacrait aux Monkees en 2001 : il reconstitue quelques plans comme la birthday party géante très psychédélique, mais il montre aussi les salles de cinéma qui se vident lors de la projection d’Head. Pour une fois, ce biopic est assez réussi, les quatre acteurs collent bien aux personnages, Nez porte son bonnet à pompon vert et il arrive bel et bien à l’audition d’embauche avec son sac de laundry. On voit aussi Don Kirshner qui demande le contrôle artistique total du groupe pré-fabriqué. Il a les auteurs et pouf, ça démarre avec l’excellent «Last Train To Clarksville», Tork on bass et Nez on guitar et ce fantastique shouter de Dolenz ! Et ça continue avec «Hey Hey Hey We’re The Monkees». Micky Dolenz apprend à battre le beurre pour son rôle de batteur dans la série télé. Il n’y aura que deux séries d’épisodes. Comme Nez insiste pour jouer sur scène, on envoie les Monkees jouer à Hawaï. Encore un hit mondial avec «I’m A Believer» cette fois composé par Neil Diamond, ils portent tous les quatre leurs chemises rouges à huit boutons. Tout va bien jusqu’au moment où Nez tape dans le mur et demande la liberté. Le biopic restitue bien les épisodes de Monkeemania on stage avec les filles qui hurlent, Dolenz bête de scène sur Stepping Stone, puis Kirshner est viré. Les Monkees enregistrent Headquarters, un album plutôt raté. Ils savent que c’est pas bon. Not good enough. Lors d’une tournée, ils ont Jimi Hendrix en première partie, mais le public de gamines réclame les Monkees, alors Jimi sort de scène écœuré. On voit les Monkees habillés en blanc chanter «Daydream Believer» et cette façon qu’a Davy Jones de danser avec les hanches et le buste, tout en frottant les semelles ! Ah c’est un style ! La troisième série d’épisodes TV est annulée et c’est là que les Monkees, Rafelson et Nicholson auront l’idée «géniale» de tourner Head - You guys could be dandruffs in somebody’s hair.

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             Tant qu’on est dans les Monkees movies, on peut aussi jeter un œil sur les deux films qui documentent bien les reformations, surtout le Live Summer Tour qui date de 2002. Les Monkees ne sont que trois, Tork, Jones et Dolenz. L’intérêt de ces films est de voir Dolenz sur scène. Il s’est empâté mais quel fantastique chanteur ! Davy Jones a rapetissé et Peter Tork ressemble au coucou d’une horloge suisse. Ils démarrent avec l’excellent «Last Train To Clarksville». Ils chantent ensuite tous les trois à tour de rôle, Jones et Tork s’en sortent avec les honneurs, surtout Tork avec «For Pete’s Sake», c’est solide as hell, fin et ouvragé. Il faut voir Dolenz poser sa voix sur «The Girl I Knew Somewhere» : il va chercher le gorgeous avec une puissance et une mélodicité exceptionnelles. Puis il s’installe à la batterie pour «Mary Mary». Tout ce qu’il fait est bien. Il revient taper une impro jazz sur «Goin’ Down» et les trois Monkees dansent. Dolenz est un artiste complet, c’est surtout lui qu’il faut suivre. Ces trois vieux crabes font le show, pas de problème. Tork fait le clown au banjo et son «Higher & Higher» se révèle solide. Et quand ils attaquent la série finale des hits sixties, toutes les vieilles du public viennent au pied de la scène danser le jerk. «A Little Bit Me A Little Bit You» est le jerk sixties parfait. Dolenz chante «I’m A Believer» avec Tork à l’orgue. Dolenz le finit en force et ça enchaîne aussi sec avec «Steppin’ Stone» et ils finissent en apothéose avec «Pleasant Valley Sunday», l’un des hits les plus précieux de l’âge d’or du rock sixties. Pur génie pop ! 

    Signé : Cazengler et monkee, c’est du poulet ?

    Michael Nesmith. Disparu le 10 décembre 2021            

    Michael Nesmith. Songs. Box Edsel Records 2019

    Michael Nesmith. Infinite Tuesday. An Autobiographical Riff. Crown Archetype 2017

    Micky Dolenz. I’m A Believer. Cooper Square Press 2004

    Davy Jones. They Made A Monkee Out Of Me. A Book’s Mind 2014  

    Peter Mills. The Monkees, Head And The 60s. Jawbone 2016

    Bob Rafelson. Head. DVD Rhino 1994

    Monkees. Heart & Soul. The Reunion Tour Story. DVD Rhino 1988

    Monkees. Live Summer Tour. DVD 2002

    Neill Fearnley. Daydream Believers. The Monkees’ Story. DVD 2001

    Bob Mehr, The Mojo Interview : Mike Nesmith. Mojo # 292 - March 2018

    David Fricke : The cat in the hat. Mojo # 340 - March 2022

    Martin Ruddock : Beyond the blue horizon. Shindig! # 124 - February 2022

      

    Le père Noel n’est pas une ordure

     

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             Une belle actualité sur Noel Gallagher n’est pas pour nous déplaire. Il fait même la une du vieux Record Collector. Toujours la classe, au moins autant que son frère. Il est aussi l’invité du fameux Mojo Interview, avec comme toujours un portrait soigné en page de gauche de la double d’ouverture. Fuck, le père Noel vieillit extraordinairement bien, il arbore toujours la même gueule de rock star anglaise. Le genre de gueule qui ne peut exister qu’en Angleterre : Brian Jones, Keef, Liam Gallag, Rod The Mod, Jeff Beck, Jackie Lomax, pour n’en citer que six.

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             Dorian Lynskey branche le père Noel sur son enfance, alors forcément, ça démarre en trombe. Pas le genre de famille qui encourage les gosses à suivre leurs rêves - Get out to work. Earn your keep, that was it - Quant à l’obsession pour les Beatles, elle commence avec la mort de John Lennon. Intrigué, le jeune père Noel creuse dans l’histoire des Beatles pour savoir qui était ce mec. Puis ça embraye très vite sur Oasis et la soudaineté du succès. Le père Noel rappelle qu’un groupe indé ne pouvait pas espérer mieux que de remplir Brixton Academy, et pouf les voilà dans les stades, et ça secoue tellement que pour garder les pieds sur terre, le père Noel compose - The thing that kept me grounded was the songwriting - Alors bien sûr il parle de ses chansons, pas forcément celles qu’on préfère, comme «Wonderwall» ou «Don’t Look Back In Anger», mais ce sont les plus populaires. Et puis il y a les drug-songs, comme «Champagne Supernova» et là le père Noel a de la coke plein les yeux - Typical ‘90s scene - And the songs fell out of the sky. Songs used to fall out the sky every fucking day in the ‘90s - Alors Lynskey en profite pour lui demander s’il a besoin de se doper pour composer. Le père Noel lui fait une réponse à la Happy Mondays : «I don’t think I ever NEED to be on drugs, it’s just that I always WAS on drugs.» Il ajoute que ça lui permettait d’éviter de se poser des questions. Globalement, le père Noel est assez fier de ses compos. Il n’hésite pas à dire que des tas de compositeurs voudraient bien avoir eu au moins deux de ses chansons. Mais en même temps, il avoue qu’au fil des albums, la qualité des compos baissait : «We were still playing stadiums while not being very good.» C’est en effet ce qu’on voit dans les concerts filmés dans les stades. Oasis perd le punch du premier album. 

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             Que fait le père Noel pendant que son frère règne sans partage sur l’empire du rock ? Des albums avec les High Flying Birds. En 2011 paraît Noel Gallagher’s High Flying Birds. S’il y a une chose que le père Noel sait faire, c’est ramener non pas des jouets mais du son. On peut même dire que c’est son boulot. Mais sa voix n’est pas bonne. Il retombe à plat, il a beau gueuler son «Everybody’s On The Run», ce n’est pas ça. Liam l’aurait explosé. Le père Noel fait entrer des grosses orchestrations de Cecil B. de Mille pour cacher la misère, mais il manque l’essentiel : Liam. Liam d’Oasis. Par contre le père Noel est plus à l’aise avec le stomp, comme le montre «Dream On». C’est sa véritable identité. Il ramène le stomp des quartiers de Manchester et là ça prend une certaine allure. Voilà un hit de pop anglaise comme seul le père Noel sait en pondre. Il est dans les Beatles et les Small Faces, et là mon gars, t’as du solide. Ce mec génère du génie sonique, c’est mieux que de générer du profit. Il chante au sommet de son shout it out for me, on assiste à une superbe déflation de la livre anglaise, il chante par dessus les toits de Manchester, comme jadis John Lennon et Jackie Lomax chantaient par dessus les toits de Liverpool. Tous ces mecs sont incomparables. La meilleure pop vient d’Angleterre. Nous voilà de nouveau confrontés aux dures réalités. Puis il allume un heavy balladif mancunéen avec «If I Had A Gun», il chante à la revancharde et fait de l’Oasis sans Liam, alors c’est assez frustrant. Désolé, père Noel, mais pas mal de cuts n’ont aucun intérêt. Sa voix ne peut pas nous intéresser. On préfère celle de Liam. Forcément, le nom d’Oasis génère du following, mais il faut rester prudent. Il réussit à faire monter en pression «Aka What A Life» avec des claqués d’accords énormes et ce sera sa dernière tentative de putsch. Il tente un retour au glam qui ne marche pas avec «(Stranded  On) The Wrong Beach» et il finit à coups d’acou avec «Stop The Clock», le côté formaliste anglais à la con, ah on va finir avec un coup d’acou, mais il manque toujours la voix.

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             Le père Noel revient aux affaires trois ans plus tard avec Chasing Yesterday. Dès «Riverman», il gratte sa gratte. Il est toujours dans le mid-tempo, dans cette excellence du relentless mancunien, pas manucuré. Et puis voilà qu’il ramène les big guitars du rock anglais, c’est à la fois très puissant et bien torturé, claqué dans l’évanescence, en lien avec nos réalités et un sax vient traîner ses savates dans le son. Well done, père Noel ! Puis il amène «In The Heat Of The Moment» au stomp sans peur et sans reproche. Il peut gueuler, mais il n’a pas la voix de Liam. Liam is the man, ça saute aux yeux. L’autre cut bingoïde de l’album s’appelle «Lock All The Doors». Ça signifie le retour des bazookas et des guitares en feu, c’est-à-dire the supersonic Gallag sound qui a réveillé la vieille Angleterre. C’est explosé en plein vol, le père Noel se noie dans le crush des guitares, il disparaît dans un fantastique Wall of sound, il devient l’Achab des océans, le Victor Hugo des Contemplations, mais un contemplations que tu vas prononcer à l’Anglaise en te régalant du shionne, le père Noel commande aux éléments et un solo vient flotter à la surface de l’excelsior, dans l’écume des limbes sacrées. La magie sonique des Gallag n’était pas une vue de l’esprit. Il fait plus loin un «Right Stuff» qui n’est hélas pas celui de Captain Lockheed, repris et magnifié par Monster Magnet. Avec «While The Song Remains The Same», le père Noel va se lover dans le giron d’une pop de let me go. Il semble vouloir faire de l’Adorable mais sans la voix de Piotr. Le père Noel n’a pas de voix, c’est une dure réalité, il peut gratter tout ce qu’il veut, mais sans la voix. On lui passe cette incartade pour aller saluer «You Know We Can’t Go Back». Il y drive son biz au big beat, il va au plus court, il sait qu’on n’a pas le temps. Il ramène vite fait le pouvoir absolu d’Oasis et les solos d’exception. Alors on serre la pince du lad pour le remercier.

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             Dans l’interview qu’il accorde à Chris Catchpole, le père Noel révèle qu’il existe chez lui des tas d’inédits d’Oasis, notamment une version d’«It’s All Too Much» enregistrée le jour de la mort de George Harrison, avec Alan White et Johnny Marr. Alors évidemment, Catchpole qui porte bien son nom revient sur le split d’Oasis à Paris en 2009. Il rappelle qu’en 18 ans d’existence, les deux frères se sont souvent affrontés, mais la shoote de Paris en 2009 signa l’arrêt de mort du groupe. Lorsqu’il revient sur Oasis, le père Noel est catégorique : «I’ve only ever had the songs and that’s where, with the Liam thing, that’s what made Oasis great.» Il sait aussi qu’avec ses nouvelles chansons, le père Noel n’est plus obligé de chanter les vieux hit d’Oasis quand il monte sur scène. It’s all good. Puis il revient longuement sur l’Hacienda et l’acid house qui pour lui était le vrai truc, avec bien sûr les Smiths, Happy Mondays, Joy Division et les Roses. Il adore la diversité des goûts dans le rock, ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas, il se dit même fasciné par the «fascistness» of the tribes in music, mods and rockers and punks, ce qu’on appelle en France le sectarisme et il s’empresse d’ajouter qu’il est open-minded, even jazz. En ce moment il est dans Sun Ra - Of course everybody likes fucking Sun Ra - Il ajoute que Sun Ra is the rock guy’s version of jazz - It’s far out - And Archie Shepp who I just got into - C’est sa façon d’annoncer que la porte est ouverte à toutes les possibilités - The road’s open now for anything, really. Apart from heavy métal, of course. Heavy metal’s a bit shouty - C’est aussi sa façon de nous rassurer.

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             Et trois ans plus tard, qui que revoilà ? Le père Noel avec Who Built The Moon. Un album plus faiblard que le précédent, sauvé des eaux par deux coups de génie oasiens : «Holy Montain» et «Keep On Breaching». Ce sont deux raisons majeures de rapatrier cet album qui se présente comme un petit book emboîté, mais bon, il n’y a pas grand chose dans le petit book, de beaux photo-montages réalisés par un photoshopman, et comme on n’est pas là pour ça, on feuillette vite fait et on range pour aller se cogner un coup d’«Holy Mountain». The père Noel is on the move. Il veut un hit alors il le fabrique, il ramène des chœurs de Dolls et du heavy bad beat et boom, ça marche. Il enchaîne avec «Keep On Breaching». Comme il n’a pas la voix de Liam, il compense comme il peut et ça donne de l’Oasis à la petite semaine. L’essentiel est qu’il ramène du rock en Angleterre. C’est lui le frère de la rock star, alors il fait ce qu’il veut. Dommage que ce soit sans Liam - But can you keep a secret ? - Alors après, ça se gâte. Il pompe dans le Walrus pour «Be Careful What You Wish For». Il fait du sous-cutané lennonien, il cherche à retrouver le chemin des voies impénétrables, sa vieille fascination pour Lennon le travaille au corps, mais cette fois, il est d’une maladresse incroyable. Il fait du pompé de Pompéi et ça ne marche pas. Il vaut mieux écouter la légendaire cover d’«I’m The Walrus» qui date du temps d’Oasis. Puis on voit que les cuts peinent à jouir. Le père Noel va chercher la petite pop d’arpèges avec «Black & White Sunshine». On attend de la magie et il nous sert de la betterave. «If Love Is The Law» stagne dans la petite pop énervée. Le problème du père Noel, c’est qu’il fait des albums moins percutants que ceux de Liam. Il va puiser dans les vieux marigots, mais on sent le manque d’inspiration. Pourtant, on voit bien avec le «Fort Knox» d’ouverture de bal qu’il cherche à repousser les frontières, mais ça va bientôt faire trente ans qu’il repousse les frontières, et on comprend qu’il puisse en avoir ras le cul. Bon, il est temps de te dire adieu, père Noel, merci de ta légende et de ta générosité.

    Signé : Cazengler, gallaglaire

    Noel Gallagher’s High Flying Birds. ST. Sour Mash 2011        

    Noel Gallagher’s High Flying Birds. Chasing Yesterday. Sour Mash 2014    

    Noel Gallagher’s High Flying Birds. Who Built The Moon? Sour Mash 2017

    Dorian Lynksay : The Mojo Interview - Mojo # 332 - July 2021

    Chris Catchpole : Ballad of the mighty N. Record Collector # 519 - June 2021

     

    L’avenir du rock

     - Cruisin’ with the Cruisers (Part Two)

     

             Au courrier, l’avenir du rock trouve une invitation : le premier «Marché aux Actions Remarquables», organisé par la DRH d’une multinationale renommée, l’IUI (International Underground Incorporated). Initiative intéressante, se dit l’avenir du rock qui file aussitôt chez son voyagiste acheter un billet d’avion et réserver un hôtel. Arrive le jour dit. Les organisateurs ont installé le marché dans un grand hall d’exposition. C’est un vrai marché, avec ses stands en toile rayée bleue et blanche. Mais au lieu de vendre des saucisses et des pommes de terre, les exposants proposent leurs excentricités. Il y en a pour tous les goûts. L’avenir du rock s’engage dans l’allée centrale et tombe tout de suite sur le stand des Schizophonics. Il y a un petit attroupement, car Pat Beers, grimpé sur une table de camping, s’apprête à faire un numéro : il respire profondément et exécute un triple saut périlleux arrière en grattant des accords du MC5. Les gens applaudissent poliment. Un peu plus loin se dresse le stand de Turbonegro. Pour remplacer Hank Von Helvete qui a eu l’indélicatesse de casser sa pipe en bois, Euroboy et Happy Tom ont déguisé une poupée gonflable en Prince des Ténèbres. Ce curieux hologramme d’Hank a le cul nu, tourné vers l’allée. Dans le trou de ce cul est enfoncé un feu de Bengale qu’Euroboy remplace par un neuf dès qu’il s’éteint. Au stand Sleater-Kinney, Carrie Brownstein se roule par terre avec sa guitare : elle tente de battre le record mondial d’enchaînement de crises d’épilepsie. Au stand Endless Boogie, Paul Major est lui aussi grimpé sur une table de camping, histoire de montrer qu’il a les cheveux les plus longs du monde. Les pointes de ses cheveux atteignent en effet le sol. Plus loin, au stand des Black Lips, Cole Alexander crache jusqu’à trois mètres en l’air et des admirateurs ouvrent la bouche pour tenter de récupérer ces mollards de rock star. On peut aussi voir le Reverend Beat-Man danser la carmagnole sur son étal et Tav Falco danser le tango avec Belphegor. L’avenir du rock tombe enfin sur ses préférés : Left Lane Cruiser, qui assis dans des chaises, piquent des crises.

     

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             S’il n’en reste qu’un, ça pourrait bien être Freddy J IV, le roukmoute de la conduite à gauche, le rock-blues man issu de la nuit des temps et qui sera là jusqu’à la fin des temps du rock, car enfin, les accords restent les accords et le raw reste le raw, mais le raw qu’épure à n’en plus finir Freddy J IV atteint une sorte de niveau supérieur. Oh bien sûr, on parle souvent de niveau supérieur ici sur KRTNT, ça banalise de ramener à tout bout de champ des coups de génie et des coups de Jarnac, mais en fait, le problème n’est pas là. C’est parce qu’on atteint les limites du langage qu’on tourne en rond parmi les mots.

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    Il faudrait presque inventer un nouveau langage pour décrire l’explosivité scénique de Left Lane Cruiser, cette façon qu’ont ces deux mecs assis d’exploser sans bouger, bien que le corps de Freddy J IV semble parfois se désarticuler, comme le fait celui d’un batteur de rockabilly qui boppe le blues.

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    Entre chaque cut, Freddy J IV marmonne des conneries dans sa barbe, du style «le cut qu’on va jouer n’a pas de sens, comme tout ce qu’on fait», et pendant qu’il marmonne ses conneries de deep Indianais, il touille à n’en plus finir les mécaniques de sa gratte, une SG grise qui lui sert de planche de salut vers l’éternité, tout au moins aux yeux de ses fans, qui ne sont pas loin de le considérer comme l’un des géants de cette terre, mais il le mérite plus encore que les autres, car il semble se foutre de tout, ne comptent pour lui que ses hommages incendiaires à R.L. Burnside et à Freddie King, lorsqu’il s’attaque à «Goin’ Down».

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    Freddy J IV c’est l’anti-frimeur parfait, il s’habille d’un sac et d’un bonnet, il reverse tout son crédit de vie dans l’une des formes les plus infernales de blues-rock moderne, il en devient presque noir à force d’être primitivement bon, il fait toute la différence avec des pseudo duos qui depuis vingt ans font l’actualité de la scène gaga-blues-rock. Freddy J IV puise au fond de sa source intérieure et allume la grande scène, il est majestueux et poignant à la fois, et en même temps, il est par rapport à l’univers parfaitement insignifiant, et donc il s’efforce d’exister et racle tous ses fonds de tiroir pour offrir aux gens l’une des formes d’art les plus authentiques de notre époque. Il faut être soit très con, soit aveugle pour ne pas le voir. Le blues se situe au niveau de ces mecs-là, Freddy J IV, ou encore Cedric Burnside, des rescapés de vagues successives et héritiers d’un art purement africain. L’Amérique n’a rien à voir là-dedans. Freddy J IV invoque les esprits d’une antiquité dont il n’existe plus d’autre trace que celle-ci : la musique. Pas de temples, pas de pyramides, juste du blues et pas n’importe quel blues, le blues du diable qui va dévorer la civilisation des blancs, ses crucifix et ses vaticans, ses cathédrales et ses pontifes, car Freddy J IV véhicule la vie, il déverse de la vie pendant plus d’une heure, des torrents de vie, comme un volcan crache sa lave, c’est une vie qui va dans l’air et sous la peau, une vie qui redonne espoir aux gens qui croient encore aux valeurs primitives de l’art, Freddy J IV a ce pouvoir shamanique, assis au bord de sa chaise et grattant sa gratte à la folie, tellement à la folie qu’on se demande comment il fait pour remplir le son comme un œuf, il joue parfois prostré, puis rejette le buste en arrière alors que ses accords s’en vont télescoper de plein fouet ce profond sentiment d’éternité qui plane sous la voûte, il trépigne des pieds, il est en mouvement sans l’être, il exacerbe la violence du son et son big poto-man Brenn Beck bat l’un des meilleurs beurres qu’il soit donné d’entendre ici bas, un beurre complice, un beurre de tous les coups fourrés, un beurre d’ampleur domestiquée, un beurre claqué du beignet, un beurre blanc de barbu blanc, mais ça passe, ces deux mecs jouent leur va-tout et vont droit au but. L’ensemble croyez-le bien est sidérant.

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             On a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait des albums de Freddy J IV (en 2014, et en 2017 pour King Mud, son side project). Il suffit juste de rappeler qu’il est fortement conseillé de les écouter de temps en temps, si bien sûr on en pince sérieusement pour le romp de raw. Une seule petite ombre au tableau : ce concert de Left Lane était le dernier des fameux concerts «assis/masqués» imposé par le petit père du peuple et ses conseillers hygiénistes à la mormoille. L’interdiction des « concerts debout » prenait fin ce soir-là à minuit, c’est-à-dire aussitôt après la fin du concert. Ce fut une façon pour le public d’entrer en osmose avec ces deux hommes, par la musique, bien sûr, mais aussi par le fait d’être assis. Première expérience d’atomic trash-blues blast le cul dans la chaise.

    Signé : Cazengler, Left Larve Cruiser

    Left Lane Cruiser. Nuits de l’Alligator au 106 (Rouen )

     

    Inside the goldmine

    - Gimme Shelton

                Baby Small n’avait pas inventé le fil à couper le beurre. Et encore moins la roue. Ne parlons pas de la poudre. Elle avait ce qu’on appelle charitablement une cervelle d’oiseau qui ne lui servait qu’à une seule chose : faire des mots fléchés. C’était sa passion, avec la clope et les bombecs. En dehors de tout ça, rien ne semblait l’intéresser. Elle vivait comme on dit dans son monde et il n’était pas question d’y interférer. Il faut savoir que les gens comme Baby Small existent. Et pour savoir à quel point ce mode de vie frise le néant, il faut le partager au quotidien. Chaque jour on se dit que ça va s’arranger, qu’en l’aidant un peu, elle va progresser, mais c’est une erreur. Plus grave encore : il faut être atrocement prétentieux pour imaginer pouvoir aider quelqu’un qui ne veut pas qu’on l’aide. On finit par comprendre qu’après tout les gens sont comme ils sont avec leurs petits bras et leurs petites jambes. Mais si on se fait un devoir de les accepter tels qu’ils sont, ça peut générer d’autres problèmes. Autant Baby Small piquait une crise de colère indépendantiste chaque fois qu’on cherchait à l’aider, autant l’ambiance consensuelle d’acceptation la rendait folle de rage, car elle perdait l’ennemi de vue : elle le traitait alors de fourbasse capable d’inventer des ruses pour mieux l’embobiner. Au lit ça pouvait se traduire par des insultes et des coups de pieds. À sa façon, elle était originale, car elle échappait à tous les modèles référencés dans la mémoire affective : ni nympho, ni romantique, ni intelligente, ni casanière, ni fantasque, ni féminine, ni cultivée, du coup ce petit être atypique et dramatiquement égocentrique devenait une sorte de cas d’école, un «objet» de curiosité. Mais bon, on a autre chose à faire dans la vie que d’observer les petits êtres atypiques qui de toute façon, ne vous apprendront rien de plus que ce que vous savez déjà.

     

             Baby Small se situe à l’opposé exact de Noami Shelton. Autant on ne peut rien attendre de Baby Small, autant on peut TOUT attendre de Noami Shelton.

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             Noami Shelton et ses Gospel Queens, ça commence par l’image et donc les pochettes des deux albums : elles semblent appartenir à une autre époque. On les verrait plus dans un bouge de la Nouvelle Orleans en 1854 que dans le studio Daptone de Troutman Street en 2009. Elles ont toutes les quatre des têtes de Hoodoo Queens. Si elles échappent à tous les critères ethno-culturels, c’est sans doute parce qu’elles incarnent mieux que toutes les autres Sisters l’incroyable mélange des races qui se fit à La Nouvelle Orleans pendant trois siècles, et qui avait commencé au XVIIe siècle, du temps où les colons français s’implantaient dans la région. Elles dégagent toutes les trois un violent relent d’histoire et d’exotisme, ce relent qui fut propre à ces régions du bout du monde, là où échouaient les aventuriers et tous ceux qui pour des raisons diverses fuyaient la civilisation et l’ordre moral.

             Les deux albums de Naomi Shelton sont parus sur Daptone Records, le label de Gabe Roth. Daptone est devenu un label mythique, aussi mythique que le furent Chess, King, Imperial et Specialty. Tous ces labels avaient des figures de proue (Chuck Berry pour Chess, James Brown pour King/Federal, Fats Domino pour Imperial et Little Richard pour Specialty). Daptone a aussi sa figure de proue : l’immense Sharon Jones. Daptone incarne surtout la renaissance de la grande Soul américaine. Gabe Roth réintroduit sur scène le sacro-saint principe de la Revue, telle qu’elle existait du temps d’Ike & Tina Turner et de James Brown & The Famous Flames. Avant que Sharon Jones n’arrive sur scène, l’orchestre chauffe la salle. Ils sont une bonne dizaine et les choristes chantent deux ou trois cuts avant d’aller rejoindre leur place sur une petite estrade à l’arrière de la scène. Tous ces grands artistes noirs savaient offrir un spectacle à leur public.

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             Naomi Shelton ne chante pas que du gospel. Elle tape aussi dans le r’n’b, mais le gros r’n’b, pas celui qu’on entend aujourd’hui à droite et à gauche, non, celui de Sam & Dave. On trouve sur son premier album What Have You Done My Brother un cut terrible intitulé « Am I Asking To Much ». Elle a exactement la même niaque que Sam & Dave. C’est monté sur une ligne de basse signée Gabe et on sait pour l’avoir entendu jouer avec Sharon Jones qu’il ne plaisante pas. C’est un Staxeur fou, peut-être pas aussi fantaisiste que Duck Dunn, mais tout de même très impressionnant. En plus, c’est lui qui compose les cuts. Naomi Shellton chante d’une étrange voix rauque qu’on pourrait dire unique au monde. On entend chanter une authentique Hoodoo Queen. Sa voix est un sortilège. Quand on l’entend chanter « What More Can I Do », on voit bien qu’elle ne fait pas partie des petites chanteuses à la mormoille. Elle chante d’une voix de femme qui a déjà vécu neuf vies. Sa voix évoque aussi celle des chats qu’on croise la nuit dans la lande de Lessay et qui vous souhaitent le bonsoir d’une voix sourde après vous avoir accompagné un bout de chemin. Avec « What More Can I Do », elle chante du r’n’b sensitif, mais la démesure lui fait défaut. Il faut attendre « Trouble In My Way » pour renouer avec le vrai shuffle de gospel, celui qui fonctionne au répondant. Elle chante dans l’église avec le diable dans le corps, ce qui ne peut pas plaire au Vatican. On retrouve le pur gospel de groove d’orgue d’église dans « He Knows My Heart ». Elle chante ça d’une voix de crocodile acariâtre. Stupéfiant ! Puis elle s’en va chauffer « Lift My Burdens » avec la voix de James Brown. Quand on a une voix comme la sienne, on peut tout se permettre. Gabe sait repérer les voix. Il a compris que la voix primait sur tout.

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             Le deuxième album de Naomi Shelton s’appelle Cold World. Il est beaucoup plus intéressant. On y sent une sorte d’accomplissement. Tous les cuts accrochent, à commencer par « Sinner » qu’elle prend d’une voix de squaw qui en a vu de toutes les couleurs. On pourrait même parler d’une voix de vieille négresse qui a miraculeusement survécu à toutes les humiliations et à tous les sévices qu’impliquait sa condition de femme noire dans une plantation. Naomi Shelton halète la Soul dans le cou de ses syllabes et parsème son chant d’ah-ahh gangrenés de feeling. Quand on écoute « Movin’ », on voit bien qu’il traîne au fond de son timbre ce léger accent de mauvaiseté qui le rend unique. C’est un peu comme si Daniel Emilfork chantait du r’n’b. Naomi revient au gospel avec « Bound For The Promised Land » - Oh Lord ! have mercy on you ! - Elle fait du gospel Soul comme seule Aretha sait en faire. Sa voix contient toute la rage de la Soul. Violente poussée de fièvre Soul pour « It’s A Cold Cold World », elle éclate chaque mot avec rage. Elle y met tout le chien de sa chienne. Il y a là de quoi faire rêver chaque jukebox d’Amérique. En B, elle revient au format classique du gospel festif avec « Get Up Child » - It’s in my body and soul and in my heart - La merveilleuse dynamique du gospel s’ébranle. Et ça grimpe par étapes, comme dans toutes les grandes exactions œcuméniques. Encore plus spectaculaire : « I Earned Mine », monté au beat gospel, pulsé à l’orgue d’église et claqué au tambourin. Ces gens-là savent faire des disques. Ils savent offrir un vrai son de gospel joyeux au sauveur, Papa Legba, couronné par un fantastique final expiatoire ! Toujours aussi fantastique, voilà « Thank You Lord », r’n’b digne des grandes heures du Duc de Stax. Naomi Shelton chante une fois de plus comme James Brown. Quelle niaque ! Et elle boucle l’affaire avec un balladif haut de gamme, « Everybody Knows (River Song) » et cette fois, elle s’en va chercher l’Al Green.

    Signé : Cazengler, Noamiteux

    Naomi Shelton & The Gospel Queens. What have You Done My Brother. Daptone Records 2009

    Naomi Shelton & The Gospel Queens. Cold World. Daptone Records 2014

    De gauche à droite sur l’illusse : Edna Johnson, Angel McKenzie et Bobbie Jean Gant. Devant : Naomi Shelton.

    *

    Le confinement a eu du bon. Pas beaucoup, je vous l’accorde. Du moins pour une partie de la population. Les artistes. Pas tous, nous pensons par exemple aux musiciens coincés dans leur appartements dans l’incapacité interdictoire de se réunir pour répéter, pire à la suppression des concerts. Gardons une positive attitude : pour ceux qui travaillent en solo tout seuls, chez eux devant leur écran ou une toile, écrivains, peintres, graphistes, le mal a été moindre. Encore cela dépend-il de leur monde imaginal ou de l’épaisseur protectrice de leur bouclier psychique.

    Je me doute que José Martinez aurait passé une bonne partie du printemps - soyons précis du 17 mars au 11 mai - 2020 à folâtrer sur son vélo – ceci est un euphémisme, à foncer comme un tambour sur les pentes les plus escarpées de la campagne ariégeoise – entre quatre murs l’a dû se contenter de la deuxième corde de son violon d’Ingres. L’a quadruplé sa production artistique habituelle. L’a même gardé ce rythme jusqu’à aujourd’hui : voici trois jours il présentait sur son FB son dernier autoportrait. Entre nous soit dit, il s’est un peu rajeuni, pas tant que cela, ce qui compte ce n’est pas ce que les autres appréhendent de nous mais ce que l’on projette de l’intérieur de soi au-dehors, que l’on est souvent seul à voir.

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    Dans notre livraison 451 du 13 février 2020, nous présentions vingt-quatre œuvres de José Martinez regroupées en un album sur ses photos FB.  Toutes en noir et blanc. Nous nous étions arrêtés à ce chiffre parce que la série ne se prolongeait pas, aussi à cause de ce pied-de nez, l’introduction d’une couleur sur un des personnages de l’ultime image. Signe annonciateur. Sans avoir totalement abandonné le noir et blanc, la couleur accapare une grande partie des dernières réalisations. Trop nombreuses pour que nous les présentions dans leur ensemble. La fois précédente nous avions pour nos commentaires emprunté l’ordre chronologique, partant du principe aristotélicien que ce qui précède est au moins partiellement la cause de ce qui suit. Aujourd’hui, nous remonterons le flot du temps à l’envers. Un peu comme la flèche ailée du cruel Zénon d’Elée qui recule quand elle avance. Chaque tableau étant ainsi envisagé comme un fragment à part entière, et néanmoins morcelé, de l’imaginaire créatif de l’artiste.

    18 FRAGMENCES MYTHOLOGIQUES

    DE JOSE MARTINEZ

    18 / 02 - 2022

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    Les 24 Fragments Mythologiques de notre livraison 451 relevaient du dessin. S’il fallait ajouter un adjectif pour les qualifier nous dirions psychédéliques.  Ici nous sommes dans un tout autre monde. Dans les deux sens du terme. Pour cette suite nous parlerons de visions. D’images qui viennent de loin, des abysses mémoriels, des résidus égrégoriens des siècles passés, qui affleurent en nous et que souvent nous renvoyons à leurs ténèbres. José Martinez ouvre les huis du rêve nervalien, son dessin est une pensée mythologique en action, présent, passé, futur, éternité s’entremêlent. La terre est suspendue dans l’espace, nous sommes sur la planète rouge, entre bourg médiéval et île de Pâques. Qui passe là ? Visiteur éphébique, résidente cramoisique, qu’importe, ces lieux filigraniques sont peuplés de nos phantasmes.

    17 / Janvier 2022

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    Elle nous attend, houri revêtue de bleue vénusté, dans un jardin ou dans un éden à l’orée d’une forêt, derrière une palissade qui s’ouvre sur le chemin d’échappée, par où l’on procède, alanguie sur son sofa, dans son voile qui dévoile tout ce qu’elle cache, la très chère était nue et n’avait même pas gardé ses bijoux, les bribes de Baudelaire s’imposent, ici tout n’est que calme, luxe et volupté, elles coulent de notre bouche comme cet incarnat de rosée s’est déposé sur ses lèvres, pointe aigüe du désir. Pourtant le plus beau c’est en arrière-fond cette luxuriance de vert équatorial qui pleut en rafales, serait-ce une bouffée d’angoisse métaphysique, la permanence des passions qui brûlent le cœur et l’âme, attisées par cette chair d’outre-ciel offerte dans la solitude de sa souveraineté.

    16 / Janvier 2022

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    Androgynil (ou androgynelle) céruléen(ne) qui court perdu(e) dans le monde de la réalité. Le paysage  semble s’être arraché par sa facture et ses bistres limoneux d’un tableau de Corot comme si déjà la nature se mettait à imiter l’art. Parfois nous sommes ainsi perdus entre deux mondes, entre deux planètes, à la recherche de nos rêves à moins que ce ne soit notre rêve qui nous cherche, ou alors peut-être s’est-il enfui, il était entré par mégarde en nos songes, les a jugés trop étriqués pour sa blondeur alexandrique, il erre dans le monde interlope des quatre éléments afin de trouver une niche où se lover, un logis digne de sa magnificence éthérale, un lieu intérieur de splendeur, une âme assez vaste pour servir de refuge, une aire de repos où il soit accueilli, fêté, honoré, puis prendre son envol.

    15 / Janvier 2022

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    La voici. Elle a rejoint l’empyrée des nuages. Photons d’or venus des étoiles lointaines sur sa chevelure blonde. Entre ses doigts elle tient la mort. Orgueilleuse vanité. Le néant est en haut, la beauté est en bas. Qui domine le monde ? L’image serait-elle moins doucereuse qu’il n’y paraîtrait. Ne serait-ce pas plutôt le repos du guerrier. Le rêve serait-il plus ambigu qu’on ne le rêve. Serait-on en train de découvrir le pot au rose qui d’ailleurs contient des tulipes jaunes. Il est des signes sur les azuleros de la voûte stellaire que l’on lit mais que l’on ne comprend pas. Ne sont-ils pas comme les arrêts des destins incompréhensibles. Dans le coin gauche, un mistigri vert aux longues moustaches de sagesse innée vous fixe du mystère de ses yeux bleus. Il connaît ce à quoi vous n’accèderez jamais.

    14 / Janvier 2022

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    Nous avions ressenti une fêlure. La voici. Elle s’exprime par un retour à un style beaucoup plus psychédélique, cet espace empli à foison – dans ce même moment José Martinez s’adonne à une suite de noirs et blancs que nous n’évoquerons pas ici – mais aussi par l’introduction de l’humour, pas noir, de toutes les couleurs, plus exactement ce que Poe nommait le grotesque, à tel point que l’on ne voit que les dessous de l’histoire, la petite culotte rose du toréador, ce n’est qu’après que l’on s’aperçoit que ce n’est pas un homme, mais un taureau qui torrée, n’empêche que si le Christ est affublé d’une tête de taureau son corps est celui d’un humain, on peut rire mais la muleta porte le dessin d’un bombardier. Morale : l’association homme-animal ne résout en rien notre fragilité.

    13 / Décembre 2021

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    L’heure d’Horus. Le Dieu faucon. Retour aux fondamentaux. Au réveil du monde la treizième heure s’apprête à revenir. Il détient les insignes de la puissance. Fleurs immortelles sur son sceptre. Auréole rectangulaire, qui se détache d’elle-même comme la marque de la surréalité du réel. Serions-nous dans un bestiaire orphique à la Apollinaire. Le monde est constitué de strates, le peintre en rajoute une sur laquelle apparaissent les anciens desseins des âges premiers comme la laitance du béton s’en vient affleurer la surface des murs. L’artiste ne recouvre pas, il dévoile. Etrange palimpseste, le texte que l’on lit est le plus originel. Qui peint, qui trace au juste ? Est-ce la main qui engendre le dessin ou le dessin qui guide le geste. La résurgence d’Horus nous interroge sur la nature de l’acte de création.

    12 / Décembre 21

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    Qui sait qui c’est. C’est Seth. Les couches les plus profondes que l’on remonte à la lumière sont les plus dangereuses. Doivent être traitées avec considération. Seth n’a pas droit à une image mais à un tableau de maître. Il est le Dieu du kaos. La force élémentaire de destruction. Le pendant d’Horus. A tous deux ils forment le Démiurge. L’artiste sait qu’il manie la foudre. Il ne la commande pas, il ne mesure pas au juste ses conséquences. Peut-être serait-il temps d’accorder notre attention à ces motifs décoratifs que l’on retrouve de station en station, ces runes hiéroglyphiques qui ressemblent à des voussures de fer forgé irradiantes sont les mots éparpillés d’un message illisible. En bas à gauche le chat aux yeux verts s’étonne de notre ignorance. A fouir le fouillis de sa folie créatrice, l’Artiste qui expose sait-il à quoi il s’expose.

    11 / Décembre 21

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    Serait-elle complètement femme. Lascive, l’on aimerait Vénus, planète bleue du désir ou Aphrodite née de la mer azuréenne, méfions-nous, le vautour au long bec et la tête de mort ricanante nous incitent à réfléchir. L’orange rougeoyant est-il celui de la passion pulsionnelle ou une tenture sanglante. Nous aurions toutefois encore préféré décrire une vanité, nous alarmer avec Villon, ô corps féminin qui tant est tendre, doux, suave et précieux, malgré nos vies si incertaines, mais nous nous devons opter pour Astarté, dont la latine et la grecque ne sont que des déclinaisons, Astarté si tentante, la grande et l’originelle, intercesseuse des Dieux et non des pauvres humains, les ossements sont notre avenir, si belles soient-elles, on ne fait pas l’amour avec des images. Miroir aux alouettes.

    10 / Décembre 2021

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    La tête d’équidé au bas du tableau est bien la signature d’Astarté. Nous avons affaire à un diptyque. L’Astarté bleue de la vie fertile et l’Astarté grise inhumaine. Comme le yin et le yang chacune des deux arcanes féminins de cette série comporte son contrepoint coloré. Ici souveraine hiératique juchée sur son piédestal elle se prête à l’adoration, sur l’autre l’ève charnelle pratiquement terrestre nous adresse un sourire complice, celle-là comme la chose même et celle-ci comme sa représentation, l’une est le mensonge de la vie vouée à la reproduction, et l’autre l’éternité de la mort destinée à la destruction. L’Artiste comprend intuitivement le statut de l’œuvre d’art, que son pinceau hausse sur la ligne de crête au sommet de deux pentes, celle qui monte vers l’éblouissance, celle qui descend vers le néant.  

    09 / Novembre 20 21

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    Nous glissons de la mythologie égyptienne à la romaine. Nous parlions de ligne de crête. La voici symboliquement manifestée par le Dieu Janus. Deux visages, l’un qui regarde vers le passé et l’autre vers le futur. Peut-être sommes-nous à la mitan de cette suite. Série qui n’est pas terminée. Mais le présent est toujours porteur de sa propre signifiance. Ou alors les Dioscures, ces jumeaux fils de Zeus et de la mortelle Léda. Castor sera mortel. Pollux d’essence divine. Lorsque Castor meurt Pollux lui donne la moitié de son immortalité. Chaque jour l’un est mort et l’autre vivant. Les deux frères adossés l’un à l’autre et ainsi à la mort. Janus porterait-il d’un côté son regard vers la vie et de l’autre scruterait-il la face à la mort. Image de l’Artiste qui regarde le monde vivant et le tue non pas en l’immortalisant mais en l’in-mortalisant.

    08 / Novembre 2021

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    Aurions-nous mal interprété. Janus regarderait-il d’un côté vers le monde des hommes mortels et de l’autre vers le monde des Immortels. Car nous voici face à Zeus l’étincelant. Zeus le dominateur. Depuis l’Olympe il impose sa volonté sur tous et toutes. Symboliquement sur le buste d’Héra. Les psychanalystes et les féministes se hâteront de dénoncer ce machisme viriliste outrageant. Nous adopterons une autre identification, celle de l’Artiste victorieux qui impose par la maîtrise de son art sa vision du monde. Plus on avance, plus on recule, davantage l’on s’aperçoit que le thème fondateur, le mythème directionnel de José Martinez réside en une longue et lente réflexion sur la notion de création. D’où la présence de la femme procréatrice et la figure de l’Androgyne qui réunit sa masculinité et sa part féminine.

    07 / Novembre 2021

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    Une des plus belles images de la série. Confrontation de Zeus roi des Dieux et de Prométhée ami des hommes. Symboles en évidence, la foudre de Zeus, l’aigle châtimentaire chargé de dévorer le foie qui repousse sans cesse de Prométhée. Ici dominent les valeurs virilistes, force contre force, bloc contre bloc, marbre divin contre granit humain. Serpent pythien entre les deux en sinueuse ligne de démarcation, celle qui sépare l’Art de l’Artiste. Le même qui se retourne contre le même et par ce geste même s’inscrit dans la naissance de l’autre. Fragmentation kaotique du dessin, à concevoir en tant que dislocation, lambeaux de flammes rouges éparpillés entremêlés aux débris bleus de la volonté humaine. La nudité de Zeus d’un gris bleu métallique sans éclat, terne, préfiguration de l’âge de fer qui viendra.

    06 / Septembre 2021

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    Nous y voici, selon un imaginaire médiéval, la bête vicieuse court sur nous, hyène vorace, chacal des cimetières, mystère du Gévaudan, épine dorsale dinosaurienne, le monstre de l’infra-monde est lâché, pas une once de vide dans ce tableau, le mal est partout, n’empêche qu’il a un petit côté sympathique, toutou fidèle qui accourt vers son maître pour son susucre, ne se déplace-t-il pas sur un tapis de fleurs luxurieux, de tous les animaux plus affreux les uns que les autres qui lui font cortège il est le roi. L’Artiste est ainsi, tout ce qui coule de son pinceau, toutes ces visions qui remontent de son esprit sont siennes, en quelque sorte ses enfants. Ses desseins nous ensorcèlent, il nous charme, peut nous présenter toutes les horreurs, nous y souscrivons sans état d’âme.

    05 / Septembre 2021

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    Nous croyions être au bout de l’horreur. Nous n’avions encore rien vu. Satan l’Adversaire, en personne déboule. Nu comme un ver sur son cheval vert. Il s’amuse, il mime le preux chevalier du moyen-âge fonçant au triple galop sur son ennemi, vision cauchemardesque, les têtes de mort se marrent de peur, pire que cela, il joue à l’Ange Gabriel terrassant l’hydre menaçante du mal, la pointe de sa lance plantée dans le gosier de l’infâme reptile, empirons le pire, composition en abîme, c’est le prince des ténèbres en personne qui s’en vient occire le serpent malfaisant, l’Artiste revendique son art, il n’est pas du côté de la morale, il chasse sur toutes les terres, il brouille les pistes pour l’image qu’il produit en soit que plus percutante. Le blasphème de l’imaginaire est une composante essentielle de l’Art.

    04 / Août 2021

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    Quel contraste avec le précédent. Serait-ce la Vouivre de Marcel Aymé, cette déesse rustique maîtresse des serpents qui hante les prés et les bois d’un petit village typique de la France campagnarde du début du siècle dernier. Son apparition attisera l’antagonisme entre ceux qui croient et ceux qui se targuent de pensée positiviste. Tous les éléments sont réunis, les vaches paisibles, l’enceinte fortifiée et protectrice qui regroupe les maisons, et cette dame énigmatique au collier vipérin. José Martinez a-t-il voulu produire une image de ses propres œuvres, lui qui vit dans notre époque post-industrielle et ses ouvrages qui mettent en scène de bien étranges créatures dont plus personne ne se soucie. Nul besoin de croire en l’existence des déesses, il suffit de les peindre pour qu’elles existent.

    03 / Juillet 21

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    Triomphe de sa majesté. Ne cherchez pas le bouc émissaire. Il est là. Il trône. Des pectoraux comme des seins. Qui est-il au juste. Ce que vous voulez. Le roi du monde. Impassible. Tel qu’il s’offre à vous devant vos yeux dès que vous posez vos yeux sur un point quelconque de la réalité. Même lorsque le regard de José Martinez reste des plus objectifs il montre qu’il ne peint pas l’apparence futile qui flotte devant tous, il est un voyant, translucide, il saisit les choses en tant qu’images mentales, il ne se laisse pas corrompre par l’extériorité, il peint ce qui affleure à l’intérieur de lui. Le monde ne se regarde pas uniquement avec nos globes oculaires, encore faut-il comprendre que lui aussi nous regarde, qu’il nous transmet sa propre vision, pas de nos chétives et pauvres petites personnes, mais de lui-même.  

    02 / Décembre 2020

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    Sous l’égide d’Athéna. Même si la colombe est consacrée à Vénus. Le monde sera-t-il sauvé par une déesse. N’exagérons-pas. L’épée est certes tranchante, et il ne manque pas de monstres répugnants à combattre. L’arme la plus étincelante reste celle de la pensée. L’esprit de décision commande. Notez sa flèche acérée. Elle n’a peur de rien, elle sourit au serpent qui se dresse. Les monstres visqueux resteront impuissants. Nous sommes en plein confinement. Cette image est une espèce d’icône protectrice. Un appel aux forces profondes du courage. Une tentative de test auto-persuasif. Un tatouage mental. Les Dieux ne sont jamais loin, il suffit de dégager les voies de remontée à la surface du présent pour qu’ils arrivent dans la nudité de leur présence. Se regarder dans son propre miroir intérieur pour qu’ils fassent signe.

    01 / Mars 2020

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    La terre et le ciel. Pleins comme un œuf. Pas celui originel de l’Eros. Ouvert au jour de sa date. Celle du confinement. D’ailleurs il est là. Oursins disséminés un peu partout. Une espèce de bal funèbre. Un carnaval d’opérette. Sont-ce des Dieux déguisés en homme ou des hommes déguisés en Dieux. L’on ne sait pas. Personne ne jettera le masque. Surtout pas celui de la mort rouge. Pied-de-nez au destin ou rire mortuaire. Ironie de la vie ou tristesse du dédain. Joyeux et désespéré. Ces instants où les plateaux du destin s’équilibrent avant que l’un des deux ne choisisse de triompher. Seul Silène est à visage découvert.  La situation ne l’inquiète guère, il est lui-même la situation, il voit le monde par le prisme de l’ivresse. Cela lui permet de le modifier à sa volonté. Tout comme le peintre qui ne connaît que l’ivresse de l’art.

    0 / Août 2020

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    Nous terminons comme nous avons commencé. Par un portrait. Plus exactement un auto-electric-portrait collectif, celui de l’incertitude interrogative pour ne pas dire de la peur suscitée dans la population par les mesures confinales. Le lecteur raisonnera sur la violence des couleurs. Nous n’avons dans ces analyses pratiquement pas tenu compte de la composition picturale des œuvres. Nous nous sommes plutôt concentré sur les vertiges de   l’inspiration de José Martinez, qui n’est qu’une expiration de remontées de choses lointaines, un peu comme ces bulles d’air qui viennent crever à la surface des marécages. Souvent dues à la putréfaction d’anciens organismes vivants en décomposition lente au fond des eaux. Il n’est pas donné à tout le monde de les traduire en images.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Episode 22

    ; monkees,noel gallagher,left lane cruiser,naomi shelton,josé martinez,rockambolesques 22?

    REVEIL MATINAL

    Nous avons dormi d’un sommeil de plomb. Tous, même Charlie Watts, je peux vous assurer que l’expression dormir comme un mort est fidèle à la réalité, il n’a pas ouvert l’œil de la nuit, Rouky couché à ses pieds. Nous fûmes réveillés au petit matin, l’on frappait violemment à la porte. En quelques instants nous fûmes debout. Le Chef alluma un Coronado, un exceptionalito, pour les grandes occasions nous expliqua-t-il, puis il ajouta :

    _ Agent Chad, veuillez ouvrir à notre visiteur, il semble pressé, je suppose qu’il ne s’agit pas du Père Noël, quoique avec le dérèglement climatique on ne sait jamais.

             Je fus étonné, pour avoir cogné si fort sur la porte blindée je m’attendais à une grosse brute épaisse, une tête de mort tatouée sur sa joue gauche, une veuve noire sur la droite, bref un hostile mastodonte qui d’entrée en matière m’aurait décoché un direct au foie. Point du tout, un gringalet engoncé dans un costume de tweed bon marché, genre représentant de commerce en papier toilette, au bout du rouleau, bafouillant et s’excusant longuement. Je n’en restais pas moins méfiant, comment un être aussi insignifiant serait-il arrivé dans notre repaire secret.

           _ Je vous prie de bien vouloir excuser mon intrusion à une heure si matinale, si ces messieurs-dames avaient l’obligeance de daigner m’accorder un entretien, je ne saurais le refuser.

    • Entrez cher ami – le Chef répondait à ma place – rien ne nous serait plus agréable que de partager en toute simplicité, une tasse de café et quelques croissants que mes commensaux et leurs chiens se feront un diligent plaisir de nous ramener de la meilleure boulangerie de Paris.

    Nous obtempérâmes tout de suite. Nous avions compris que nous n’étions pas invités. Lorsque nous nous retrouvâmes dans la rue, je pris le commandement de la petite troupe.

    • Les filles vous nous attendez au café, laissez tomber l’idée des croissants, nous avons mieux à faire. Joël, Charlie avec moi, gardez les chiens.

    Si Molossa et Molossito acceptèrent de tremper leur langue gourmande dans la bolée de whisky vint ans d’âge que leur présenta le garçon, Rouky refusa obstinément de quitter Charlie.

    Une heure plus tard nous nous retrouvâmes au café. Le Cheh fumait sereinement un Coronado.

    • Agent Chad j’espère que vous avez dégoté, ce dont nous avions besoin !
    • Sans aucun problème Chef, Charlie nous a emmenés dans un petit hôtel discret pour milliardaires que les Rolling Stones ont l’habitude de fréquenter lorsqu’ils viennent incognito à Paris, nous avons choisi une superbe Rolls Royce, spécial grand modèle, pouvant contenir jusqu’à quatorze personnes que nous avons empruntée à un émir du Qatar, il n’y a pas de hasard, sans lui demander la permission.
    • Parfait, je crois qu’il est temps de faire un petit tour.

    UN SYMPATHIQUE PETIT TOUR

    Je klaxonnais sans ménagement devant le portail de l’Elysée, les deux gardes surgirent des deux guérites disposées de chaque côté de l’entrée, mitraillette à bout de bras. La vue de la plaque Corps Diplomatique du Qatar les rassura aussitôt, le Chef abaissa sa vitre et spécifia que nous demandions d’urgence à nous entretenir avec l’intérimaire de service qui faisait office du Président de la République. Les deux battants s’ouvrirent instantanément. A peine avais-je arrêté la Rolls au bas du perron, que des huissiers nous ouvrirent les portières et que l’un d’entre eux nous déclara qu’il avait l’honneur de nous annoncer que Monsieur le Président du Sénat, assurant la fonction de Président de la République jusqu’aux élections, nous recevrait en compagnie de son conseiller spécial nous attendait.

    Firent une drôle de mine à notre entrée. S’apprêtaient vraisemblablement à négocier un important prêt bancaire (pots de vin à l’appui) avec l’émir du Quatar, et notre intrusion subite, leur déplaisait fort. Pourtant nous avions peaufiner notre cortège, les trois filles devant, quoi de plus aimable que trois sourires féminins pour briser la glace, nos deux cabotos derrière elle, la queue frétillante, surveillés de près par Joël, Le Chef et moi-même faisions rempart à Charlie et à Rouky. Malgré nos efforts méritoires, l’accueil fut glacial.

    • Qu’est-ce encore, le SSR qui se fait passer pour l’émir du Qatar et toute sa Smala, vous comptez transformer le palais de l’Elysée en refuge de la SPA pour chiens errants ?

    Molossa et Molossito grognèrent et d’un bond sautèrent sur le bureau présidentiel sur lequel ils s’assirent en grognant et en montrant les dents. Le Chef prit le temps d’allumer un Coronado avant de prendre la parole :

             _  - Lors de notre dernière entrevue vous nous avez demandé de vous ramener avant huit jours, le dénommé Charlie Watts, l’auteur pas du tout présumé des massacres de la Préfecture de Dijon, et de la Tour Eiffel, le voici.

    Ils ne lui jetèrent pas un regard.

    • C’est bien, le temps que les journalistes viennent prendre sa photo, que nos secrétaires rédigent sa confession, d’ici une demi-heure, il sera fusillé. Vous pouvez disposer.
    • Nous vous remercions pour la célérité de votre accueil – quel était donc ce Coronado que fumait le Chef, au goût si étrangement miellé, si capiteux que j’emploierai pour le qualifier avec une plus grande exactitude l’adjectif mielleux, nous avons aussi un dernier visiteur que vous ne connaissez pas mais qui vous apportera des détails intéressants !
    • Vous vous moquez de nous, si vous croyiez que nos services de renseignements ne connaissent pas l’identité de votre professeur d’université et de ses trois étudiantes, vous faites fausse route !

    Le Chef exhala de son Coronado un énorme nuage de fumée bleuâtre qui mit quelque temps à se dissiper. La surprise dépassa mes prévisions, je ne m’y attendais pas, en émergea un petit homme toussotant, en costume de tweed, avec son air minable et sa voix chevrotante :

    • Excusez-moi messieurs de paraître d’une manière si impromptue devant vous, ma timidité m’a empêché de paraître devant vous sans avoir été invité par vos sommités, j’ai saisi cette occasion, c’est mon directeur de vente qui m’a intimé l’ordre de me présenter à vous afin de régler un léger contentieux de rien du tout, trois fois rien, je n’en ai pas pour longtemps, quelques minutes tout au plus, deux, trois, quatre peut-être…

    C’était manifestement trop. Le Président nous désigna la porte d’un geste péremptoire :

    • Emmenez votre espèce de paltoquet, je suppose un représentant de commerce qui va essayer de nous vendre une machine à café, laissez-nous le dénommé Charlie et filez au plus vite avant que l’on ne vous fasse fusiller tous ensemble. Quant à ce petit dégueulasse qui vient de pisser sur mon bureau, nous appelons tout de suite le vétérinaire de la SPA pour l’euthanasier ! Dehors bandes de jean-foutres !
    • Je m’excuse de vous avoir dérangés, je peux toutefois vous certifier que je ne suis pas un représentant en cafetière, je…
    • On se moque éperdument de ce que vous êtes, déguerpissez !

    Il y eut une espèce de froissement, en une seconde l’homme en complet de tweed disparut, à sa place une clignota une espèce de lueur pâle, vaguement rose, et d’un seul coup le Grand Ibis Rouge se matérialisa devant nos yeux sidérés.

    A suivre…