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james baldwin

  • CHRONIQUES DE POURPRE 665 : KR'TNT ! 665 : JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SILVER LINES / MYSTERY LIGHTS / CLIFF NOBLES / DREAMLONGDEAD/ HORRENDOUS / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ / JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 665

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 11 / 2024

     

     JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SIVER LINES

    MYSTERY LIGHTS /  CLIFF NOBLES

     DREAMLONGDEAD / HORRENDOUS

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ 

    JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 665

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - ExtenGion du domaine de la lutte

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             Joel Gion revient en force dans l’actu avec une grosse autobio, In The Jingle Jangle Jungle, sous-titrée Keeping Time With The Brian Jonestown Massacre. On saute dessus pour deux raisons évidentes : un, Joel Gion était devenu le chouchou de Jean-Yves (hello Jean-Yves !), et deux, Joel Gion est sans conteste le rocker le plus drôle de l’histoire du rock, c’est en tous les cas le souvenir qu’on a tous de sa presta dans Dig!, le magic movie d’Ondi Timoner, qu’on a tous a-do-ré. 

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             Et voilà qu’arrive ce pavé de 350 pages d’une rare densité, tant par les choix typo que par la qualité du style. Joel Gion est un fantastique écrivain. Il brosse bien sûr un portrait somptueux d’Anton Newcombe, et nous narre dans le détail l’histoire du psychedelic underground de San Francisco dans les années 1990. In The Jingle Jangle Jungle a tout du passage obligé. Au prix d’un billet de trente, c’est pas cher payé pour un passage obligé, autrement dit un classique d’art rock contemporain. Alors, on va te dire une fois encore : «Ahhhh mais c’est écrit en anglais», et tu vas devoir répondre une fois de plus : «Tu passes ta vie à écouter des trucs chantés en anglais, alors où est le problème ?» Au bout de 50 ans, on finit par se fatiguer d’avoir à rétorquer la même réponse. Les Anglais ont un joli mot pour qualifier cette tare typiquement française qui consiste à écouter des chansons sans comprendre les paroles : nonsense.

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             Un seul mot pour qualifier l’humour de Joel Gion : dévastateur. Un seul mot pour qualifier son style : rock électrique (au sens où l’entend Eve Sweet Punk Adrien). Un seul mot pour qualifier ce rock book : chef-d’œuvre. Ce qui donne en résumé : un chef-d’œuvre de rock électrique dévastateur, à ranger dans l’étagère du haut à côté des deux Nick Kent, des trois Andrew Loog Oldham, des trois Sweet Punk Adrien, des Mick Farren et des quelques autres régulièrement cités.

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             L’humour ! Joel se pointe dans une gare routière pour se rendre à Portland, et arrivé à la caisse, il se dit ça : «I’d always wanted to ask in my best Edward G. Robinson voice, ‘Shaay, shee, when’s the next bus up to Portland? Shee, meah.’» Il dit aussi qu’une nuit, il était tellement défoncé qu’il s’est endormi sur les marches d’une église et qu’il a été réveillé par la foule de churchgoers qui arrivaient pour la messe : il bloquait la porte. Revolution is not supposed to be easy, rappelle-t-il en bas de page. Dans un autre passage hilarant, Joel raconte qu’Anton lui propose de goûter le DMT - I take a hit. It kinda tastes like a tire. As I exhale the smoke away from me, a computer grid-like psychedelic world is released that comes toward me and surrounds the smoke from every direction, seemingly a melding of another dimension which I am also surruounded by - Bref, ça lui monte aussitôt au cerveau, il trippe comme un malade. Il tombe sur le dos et Anton lui replie les genoux en cadence sur la poitrine, comme pour sauver un noyé, «Out with the bad... in with the good... out with the bad...» Le trip tourne au gag. Pure ExtenGion. Et quand il dit qu’il n’apprécie pas trop la coke, il explique que c’est en fait «the key factor in why my brain still functions enough to even be writing all of this today.»

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             Joel est un remarquable styliste rock. Cette langue purement rock est celle qu’on recherche chaque fois qu’on attaque une autobio. Là, crack, c’est immédiat. Ça, par exemple : «What I did not see coming was that from that night forward I’d begun the bonkers, out-of-my-head journey that would eventually lead me to the mental state where playing the tambourine as a life-identity role made perfect sense.» Oui, Anton ne lui demande qu’une seule chose sur scène : jouer du tambourin. En quatre lignes, Joel résume tout l’épisode Brian Jonestown Massacre. C’est aussi l’époque du renouveau de l’underground à San Francisco, et il a une formule magique pour exprimer ça : «The underground rave scene is one of today’s major subcultures, and tonight its San Francisco Bay Area guard are currently holding ceremony on the outer edge of America.» C’est à la fois somptueux et vrai : on eut clairement l’impression à l’époque que le Brian Jonestown Massacre réinventait le rock, comme Loose Gravel, les Charlatans et les Groovies l’avaient fait auparavant. Ils ramenaient l’élément fondamental qui est l’excitation. Et il a les mots pour décrire ce qui se passe sur scène avec le groupe, et notamment Jeff Davies, truly a guitar player’s player : «His fingers began dancing a fast motion can-can up and down the fretboard doing this rockabilly country twang thing then suddenly spun around to show bare, ferocious garage-rock fangs. A fusion of both gorgeous melody and rotten trash that traded off and combined into metamorphosed melodies fluttering all around him like vampire butterflies.» Cette langue riche et imagée, tu la bois comme tu bois l’eau au sortir du désert. Car c’est bien de cela dont il s’agit : savoir dire les choses du rock, que ce soit dans le vécu ou dans l’écoute. Joel jongle à n’en plus finir avec des trucs de son invention, du style «pilled-out whiskey speed buzz-ball», des caravanes entières de mots valises, des mots qui parlent tout seuls, et si tu es traducteur, tu sais que c’est intraduisible. Aussi intraduisible que le sont dans des styles différents, Henry Miller, Bukowski et Milton Mezz Mezzrow. Pour décrire le coup de pied dans la gueule que lui envoie Matt Hollywood, Joel tape ça sur son clavier : «Instead, what happens is whacked-out whiskey-wasted Matt goes into such a football style wind-up kick that it even includes a run-up step and he kicks me right in the face as hard as he can.» Tout ça pour dire que Matt prend son élan et frappe dans la tête de Joel comme dans un ballon de football. On le voit d’ailleurs dans le Dig! movie, ça se bagarre pas mal dans le BJM. Anton a le coup de poing facile.

             Quand il monte défoncé dans le van, Joel s’écroule sur le siège passager, la gueule contre la vitre «and not even trying to hide the fact that I am fucked.» Il a aussi cette façon de décrire les parties et les backstages qui est assez unique - Backstage at La Luna, there’s all kinds of intoxicating options and after doing some rounds of the markeplace I pass on the coke, weed, ecstasy, acid and do a take-up on my old spirit chemical, speed - Et puis ça qui en dit long sur sa désinvolture naturelle : «Not to say Beatles boots are the most comfortable shoes out there, because they aren’t. But they’re not supposed to be; neither is life.» Ces traits d’esprit le situent admirablement bien. Il conserve une distance par rapport au manège du rock, même s’il passe le plus clair de son temps à se défoncer, mais l’esprit reprend toujours le dessus. Même quand il dégueule  - It was a thin but long healthy squirt fountain of fire-engine-red Kool-Aid barf. The sight of this gets me going again and I start convulsing like a cat with a hairball -  Et pourtant le fête continue, le groupe monte sur scène - The show is going rock solid and for me this is one of those unusual moments in life where all high expectations are fulfilled - Il sait dire l’intense bonheur d’être sur scène. Comme Will Carruthers au temps des Spacemen 3 et de Playing The Bass With Three Left Hands, il sait de quoi il parle.

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             L’héros du book, c’est bien sûr Anton Newcombe. Quand Joel voit Anton sur scène pour la première fois avec le BJM, c’est en 1991, en pleine vogue shoegaze anglaise : des groupes comme Ride et Lush jouent à San Francisco. Pour Joel, le BJM sonne comme les Spacemen 3, mais il se sert de ses influences pour en faire «his own new thing». Joel est aussitôt fasciné par Anton - There is an indescribable natural aura about him, a drugless zen of the kind that is up to the observer to find, because he himself seems to be uncounciuous of it. Like a cool vibe that comes with a house; it just is - C’est finement observé. Un mal dégrossi aurait dit d’Anton qu’il est «fucking great», et Joel préfère le «drugless zen of the kind that is up to the observer to find». C’est toute la différence entre un écrivain et un mal gégrossi. Joel raconte l’enregistrement du troisième album du BJM, Take It From The Man, et comment Anton apporte les dernières touches au «Sonic Big Bang» - One hour ago it didn’t exist. Now it does - C’est la façon qu’a Joel de résumer en une formule le génie sonique d’Anton Newcombe.

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             Joel quitte parfois le groupe, mais Anton est toujours content de le revoir - Il s’était fait couper les cheveux après la débâcle du Viper Room, et là, il revenait à son look Mod, portant un simple navy-blue pullover et un Levis blanc. Il me voit à travers la pièce et me fait un grand sourire. Time to get back to work - Ce book est aussi l’histoire d’une fantastique amitié entre Joel et Anton. Un Anton qui remet souvent les choses au carré. Joel le cite : «Je veux juste qu’on soit the best band we can be.» Et plus loin, il repart de plus belle : «The Beatles, Ha! Right ... Les Beatles jouaient dix sets par jour en Allemagne et ils sont devenus the best band on the planet. Est-ce que les autres membres du groupe sont prêts à ça ? Je me pose la question. J’en ai marre de perdre mon temps avec des mecs qui se plaignent que c’est dur.» Il ne faut pas perdre de vue qu’Anton est une locomotive. Sans locomotive, les groupes ne vont nulle part. C’est pour ça qu’à un moment, les BJM ne sont plus que deux : Anton et Joel - Dean, Matt, Peter, Brad and Jeff were all gone now for their individual reasons - Anton continue d’avancer, il se maque avec un nouveau manager, Michael Dutcher - He’s a big Allen Klein type fo guy who has perhaps watched Martin Scorsese’s mafia films too many times - Mais il a, nous dit Joel, «proper industry connections». C’est là qu’Anton commence à porter une toque en fourrure, «David Crosby hat», une tunique blanche, un Levis blanc «and Easy Rider style yellow-lensed glasses» qui lui donnent «that psych-business casual look that signifies preparedness fort the next level.» Et puis ça, qui en doit long sur la nature profonde d’Anton Newcome : «Traditionally, Anton a toujours donné le meilleur de lui-même lorsqu’il était acculé dans les cordes. Je n’ai jamais vu personne réussir à évoquer the best elements of the tried and true and yet dismantle and distill them down into a sound totally anew. This is what they mean by the real deal.» C’est un hommage superbe à la modernité d’Anton Newcombe. Tous ceux qui ont écouté les albums du BJM depuis Methodrone en 1995 jusqu’à The Future Is Your Past savent de quoi Joel parle.

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    ( Jerome Green aux maracas)

             On a bien sûr dans le book tout le détail des aventures du BJM. Joel est engagé comme joueur de tambourin. Il faut juste qu’il trouve «the key to timing», pas facile lorsqu’on boit du rhum et qu’on monte sur scène avec des lunettes noires. Il doit se caler sur les instruments et jouer «from the inside» - The goal was to learn to feel the inside, not to play it - Il s’amuse bien avec cette notion d’inside. Il se voit comme Gene Clark, a tambourine-player frontman. Il cite d’autres cracks du tambourin : Nico, Mark Volman, Davy Jones des Monkees, et bien sûr «the original ‘maraca man’ in rock», Jerome Green, qui accompagnait Bo Diddley. Bring it to Jerome !

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             À l’époque, Joel découvre les Mary Chain sur scène au Fillmore - Their album Stoned & Dethroned provided many of my summer anthems - Il trouve que les frères Reid «looked like tousled versions of a ‘66 dandified Dylan who’d joined The Velvet Underground.» Et il rend hommage à l’un des hits les plus ultraïques de l’histoire du rock : «William Reid’s very impressive all-in-one beer chug during the noise solo section in the yet-to-be released ‘I Hate Rock’n’Roll’.» Il rend aussi un hommage bizarre aux Dandy Warhols : «They were playing the best music I’d seen from people my own age since I first saw The Brian Jonestown Massacre at the Peacock Lounge four years ago.» Eh oui, le «four years ago» ne fait pas de cadeaux. Le BJM était et reste toujours en avance sur son temps. C’est exactement ce qu’on voit dans Dig!. Le Dig! movie ne parle que de ça.

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             Joel évoque aussi Oasis. Il aime bien le son d’Oasis, pas Anton qui trouve que ça sonne trop Tom Petty. Mais Joel en pince véritablement pour «Columbia». Joel tente de faire copain-copain avec Noel Gallag en lui proposant «the most righteous speed you are ever gonna do», mais Noel Gallag lui dit «No thanks. We only do coke» et lui referme la porte du tour bus au nez, le laissant comme deux ronds de flan. L’autre grand cake qu’on croise dans ce book, c’est bien sûr Greg Shaw, qui vient de sortir Thank God For Mental Illness avec Joel sur la pochette, «doing my best Christopher Lee as Dracula.» - Greg was hyper-intelligent, an absolute sage of the cool side of guitar-based music - Joel avoue aussi une petite obsession pour Easy Rider. Il croise parfois Peter Fonda, mais ça ne se passe pas très bien. Joel assiste à une projection de The Hired Hand et à la fin, il y a un débat avec Peter Fonda. Alors Joel lève le doigt et demande : «I was wondering if you could explain what you meant when you said ‘We blew it’ toward the end of Easy Rider.» Fonda ne répond pas et indique à la salle qu’il est venu pour parler de The Hired Hand. Ce qui est humiliant pour le fan Joel. Il y revient à la dernière page de l’autobio, quand Anton lui raconte qu’il s’est retrouvé dans la queue du Sunset Ralph Supermarket et que Fonda a levé le pouce en signe d’admiration pour la façon dont Anton et sa poule Tara étaient habillés, «he was just all smiling and nodding at us like ‘Yeahhhh’h, then put his thumb up because he knew we knew and he was totally diggin’ it, ya know?» Évidemment pour Joel, c’est un choc, mais il répond : «That’s soo cool!» Because that’s exactly what it was.

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             Sur scène, à côté d’Anton en Levis blanc et en pull bleu marine, il y a Dean Taylor, good-looking sur sa gratte. Sur scène, Joel est systématiquement out of his mind - The amount of valium pills I’d taken along with whiskey and beer plus the fresh-from-the-garage-lab snorts added up to an equation that now has me slightly hovering above the stage floor during our entire set - Et bien sûr, il n’est pas le seul a être complètement défoncé. Joel disparaît de la circulation pendant l’enregistrement de Their Satanic Majesties Second Request, le quatrième album du BJM. Il dit que l’album sonne comme «a modern experimental version of classic experimental sounds; It didn’t sound like any other band from back in the day and especially not now.» Et il ajoute, émerveillé : «I was listening to one of my favourite albums I’d never heard, encoding itself into me in real time.»

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             Trois albums coups sur coup, Their Satanic Majesties Second Request, Thank God et avec Mental Illness qui vient de sortir : il est temps de partir en tournée - It’s time to roll hard with it, and yet somehow because of the drugs I still find myself currently go-go dancing the line between realist of the for-realest and complete fuck-up - Joel va nous décrire ça dans le détail. Les tournées sont un désastre complet : pannes de van, salles vides, bagarres, pas de blé, désertions. Joel avoue avoir oublié des épisodes entiers - Because from here, I have a drunken memory blackout - Il évoque le show catastrophique du Viper Room, où Anton vire tous les musiciens et leur pète la gueule. Ça bascule dans le chaos «with the rest of the band crawling on the stage floor in dazed confusion before being physically thrown out the stage door by club security.» C’est du sabotage. T’as les gens d’Elektra dans la salle. Anton détruit tout. On voit la scène dans le Dig! movie.

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             Chaque fois qu’on revisionne le Dig! movie, il paraît toujours plus sombre, plus violent, un peu comme Performance. Ça démarre pourtant sur un flash de modernité avec le BJM sur scène en 1995, c’est très anglais, avec Joel/bug eyes/maracas/Jack Flash/Brian Jones. Pour un groupe américain, c’est fabuleux d’anglophilie. Les commentaires vont bon train : le BJM interprète the past et se projette into the future, c’est exactement ça. Mais c’est le groupe d’Anton. Pas de place pour les compos de Matt Hollywood qu’on voit chanter «Give It Back». Le chaos est omniprésent. Joel dit qu’il a déjà 21 départs officiels du groupe à son actif. Ondi filme aussi the Larga house. Pas de meubles. Tout par terre. Puis t’as la première tournée américaine, avec des salles vides (Cleveland), et à New York, Anton vire Dave, le manager. Il récupère un peu de blé et achète un van pour aller tourner dans le Sud. Ondi filme le contrôle de police à Homer, Georgia. Le film est affaibli par tous les plans des Dandy Warhols qui eux deviennent des stars en Europe, avec de moins bonnes chansons. On retrouve Anton à New York en Crosby hat et patins à roulettes, il se casse la gueule. Not If You Were The Last Dandy On Earth ! Ce film est décidément violent, peut-être trop cru. Pas de tout repos.

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             Qu’on se rassure, Anton et Joel vont se réconcilier. Mais Anton remplace Joel sur scène par Sophie, sa poule française. Joel sait qu’il est plus proche d’Anton qu’elle ne l’est, parce qu’il a appris à cultiver avec lui «a power of unspoken understanding, a state of not needing  to verbalize every angle of our points.» Joel se retrouve à Portland avec le couple. Ils partagent un matelas tous les trois dans un studio. Joel n’est pas très bien - I was broke, dirty and my feet permanently hurt, but I loved it - C’est sa façon de dire l’abnégation. Il a tout quitté pour le groupe, un groupe qui est à la ramasse financièrement. Il ne possède de rien, il n’a même pas les bonnes pompes, mais il fait partie du BJM, et c’est ça le plus important. En 1997, Anton, Sophie, Matt, Brad, Dave et Joel redescendent en Californie pour un nouveau départ. Greg Shaw leur a loué une baraque au 3261 Larga, en échange de leur prochain album. Il y a en plus Peter Hayes, futur Black Rebel Motorcycle Club. Ils se répartissent les chambres - Joel et Matt dans le salon, Brad dans une chambre, en face, Peter, Jeff est dans un placard, Anton et Sophie ont une chambre avec une salle de bain. Dave a pris la petite pièce attachée au garage. Pas de meubles, bien entendu. Alors Brad ramène une télé et Anton soupire : «Great, now all we need is a cement truck.» Le concept de la Larga house est le même que celui de la Woodland Hills house, sur Ensenada Drive, où Captain Beefheart a séquestré son Magic Band pendant 6 mois, pour enregistrer Trout Mask Replica.

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             Puis il y a ce drug bust sur la route, tel qu’on le voit dans le film. Dean et Brad quittent le groupe. Ondi a une place dans son SUV pour rentrer en Californie, alors Joel ne peut pas résister, il en marre des errances et des pannes du BJM, et il décide de rentrer au bercail. Ne restent plus que trois survivants : «Anton, Matt et Peter would soldier on like The Kingston Trio or something.» Mais au moment de faire les adieux, on lui fait remarquer qu’il est le seul à avoir son permis de conduire, alors il est baisé - Fuuuck... Just like in The Godfather III, man. ‘Just when I thought I was out, they pull me back in!’ - Ils repartent et le van tombe en rade - the engine throws a rod - Ils se garent derrière les poubelles d’une station-service pour éviter d’attirer l’attention - For the next three days, we are a bunch of Californian hippie rock weirdos hiding in a van behind a garbage dumpster at a gas station in Butts County, Georgia - Toutes les situations que décrit Joel ressemblent à des gags : toujours cette distance et cette fabuleuse auto-dérision. Avant de devenir les superstars que l’on sait, le BJM est un gang de losers - After the New York disaster, the North Carolina disaster, and both Georgia disasters, we are all commited now to the grand delusions of surviving this whole thing - Ils collectionnent les disasters. Peter Hayes quitte le groupe pour aller monter The Black Rebel Motorcycle Club. Puis les derniers survivants abandonnent Anton qu’ils surnomment the mustache en pleine nuit, prenant garde de ne pas le réveiller - Puis on s’éloigne dans la nuit. Anton se réveillera demain matin pour voir qu’il est tout seul pour finir les deux dernières semaines de la tournée. Je me dis que j’ai quitté le groupe pour de bon, I’m gone for good - L’histoire du BJM n’est que ça, une succession d’incidents, un chaos constant. Anton va d’ailleurs finir la tournée tout seul. Pas de problème.

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             Il va bien sûr récupérer Joel. Puis c’est l’album du succès, Strung Out In Heaven.  Joel est fasciné de voir Anton en studio - How did he come up with those lyrics so off the cuff? Ce n’était certainement pas la première fois que je le voyais agir ainsi, et je ne l’ai jamais vu avec un carnet de notes en séance d’enregistrement. That guitar solo really is a barn burner thought - Joel veut dire qu’Anton a tout en tête. Il a reconstitué tout le BJM avec Charles (bass), Billy (beurre) et Adam (guitar).

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             Après avoir quitté le BJM, Joel entame une carrière solo. Pas de doute, son Apple Bonkers est un coup de maître. Dès «Smile», t’es face à un gros déplacement d’accords Jonestowniens. C’est dynamique et bardé de bada californien, le meilleur, celui de San Francisco. Et t’as un certain Robert Campanella on fuzz lead ! Deux cuts te renvoient directement au Brian Jonestown Massacre : «Mirage» et «Don’t Let The Fuckers Bring You Down». Heavy riffs de base, pur barrage d’accords crépusculaires. Joel ne sait faire que ça : du groove jonestownien. Ce mec Gion est une bénédiction, il perpétue bien le spirit d’Anton Newcombe. Classe inébranlable ! Quant au «Sail On», c’est une pure marychiennerie, avec le chant descendant les marches de l’escalier. Somptueux ! Joel a le grain de voix de Jim Reid. Il déclenche encore l’enfer sur la terre avec «Radio Silence». Il a ça dans la peau. Il peut même virer glammy dans les couplets de «Two Daisies». On sent bien le mec libre.

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             Son deuxième album sans titre date de 2017. Il vaut le détour pour deux raisons principales : la Beautiful Song «Come To Light» et le coup de génie «Conjecture». La flûte, c’est son truc à Joel : ça groove sur un bassmatic allègre dans «Come To Light». Il vise une sorte de félicité. S’ensuit l’excellent «Conjecture». Sa pop psyché est une aubaine pour l’humanité, une bénédiction tombée du ciel. Il flûte encore sa pop dans «Partner», et il y va au «Someday I’m gonna die/ I’m alive.» Il crée bien son monde. En B, il chante son «December» dans l’écho de la proximité. Il sonne très Peter Perrett sur «Gone» et vire psyché sur «Mercury In Retrograde». Grosse machine, bien graissée au gras double. Il cultive son côté Peter Perrett.

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             Back to the magic carpet book. Joel rend un hommage fulgurant à Brian Jones : «Brian is clearly the master of ceremonies, having just personally elevated them from a blues cover band with a psychedelicized makeover introducing sitars, marimbas, flutes, harpsichords, Eastern bells, maracas, piano, and for this time, ‘Lady Jane’, the dulcimer. Brian’s hand is bandaged and broken, which adds to the rebel menace as he plays it with aggression despite the injury.»

    Signé : Cazengler, Joel Fion

    Joel Gion. Apple Bonkers. The Reverberation Appreciation Society 2014

    Joel Gion. Joel Gion. Beyond Beyond Is Beyond Records 2017

    Joel Gion. In The Jingle Jangle Jungle. White Rabbit 2024

    Ondi Timoner. Dig!. DVD 2004

     

     

    L’avenir du rock

     - Empty Full Space ritual

             Boule et Bill viennent d’entrer dans le bar. L’avenir du rock sent venir l’embrouille. Il sait que les deux compères vont l’entreprendre pour essayer de l’asticoter. Boule attaque :

             — Alors ça va bien, avenir du rock ? Toujours avec un verre à moitié plein ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton philosophique :

             — Ou à moitié vide...

             Ils savent très bien que l’avenir du rock déteste ce genre de conversation. 

             — C’est comme dans la vie, avenir du troc, tu vois plutôt le bon côté des choses ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton énigmatique :

             — Ou le mauvais côté des choses ?

             Comme l’avenir du rock ne réagit pas, Boule met la pression :

             — Avec la gueule que t’as, on ne sait jamais si t’es bien luné !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton méphistophélique :

             — Ou mal luné...

             — Si t’es à voile ou à vapeur !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton épistémologique :

             — Si t’es du lard ou du cochon...

             — Si t’es de gauche ou d’extrême-droite !

             — Si t’es con ou si t’es pas con...

             — Si tu préfères Dieu ou bien le diable !

             — Si t’es rond ou si t’es carré...

             L’avenir du rock attend qu’ils se fatiguent et qu’ils tombent en panne d’argumentation pour vider tranquillement son verre, le poser, payer et leur dire, d’un ton bien clair, pour qu’ils mémorisent correctement :

             — Empty Full, Boule... Pour répondre à ta première question...

             — Quoi ?

             — Emp-ty Full. Tu veux pas en plus que je te l’écrive ?

     

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             L’avenir du rock parle bien sûr d’Empty Full Space, un quintet psyché parisien qui comme Slift, a décidé unilatéralement de rafler la mise. Toute la mise.

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             Soirée psyché dans la cave. Trois groupes. Tu pourrais flasher sur les trois, mais tu vas te contenter de bien flasher sur le deuxième, les Parisiens d’Empty Full Space. Sont pas psyché au sens où on l’entend généralement, avec des grandes tignasses et des habits colorés. Sont pas concernés par les lois du look. Vraiment rien à cirer. Mais sont concernés par les lois de l’excellence, et là amigo, ils battent pas mal de monde à la course. Ce sont les rois du far-out so far out, les cracks du freakout psycho-psyché à l’anglaise, t’entends même les spoutnicks d’Hawkwind, ils développent des courants qui te parcourent de la tête aux pieds, qui t’éclatent ton Sénégal et ta copine de cheval, qui te lèvent des tempêtes épidermiques, ils savent déclencher l’immarcescibilité des choses, leur viande grouille de molécules multicolores, te voilà une fois encore confronté à la réalité d’un vrai son et, comme chaque fois que ça se produit, tu espères secrètement que ce concert va durer pour l’éternité. Les cinq Empty Full Space sont absolument brillants, les deux guitaristes savent mêler les poux qu’ils grattent pour lever la pâte, et t’as ce petit mec sur sa Jag bleue qui s’arc-boute de tout son corps sur son manche pour tailler un costard à la mad psychedelia, avec un punch et une audace incroyables.

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    Les deux guitaristes se répartissent bien les interventions, mais c’est le petit mec sur la Jag bleue qui vitupère le plus et qui remplit son cosmos d’urgences et de stridences. Il savent créer un climat et faire sauter la Sainte-Barbe, ils connaissent toutes les ficelles du genre et ne semblent jouer que pour le plaisir des amateurs. Comme tu ne connais pas les cuts, tu te laisses porter. Et ce son te parle, ils sont d’une crédibilité absolue, tout est bien : le Dikmik indien là-bas au fond, le blond au beurre qui bat tout ce qu’il peut avec brio, et puis t’as ce bassman dans son coin d’ombre qui joue ces grandes échappées dont Lemmy s’était fait une spécialité au temps d’Hawkwind.

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    Tu retrouves dans leur son tout ce qui fait la grandeur des Heads, des Wooden Shjips, de Loop, des Telecopes et du Brian Jonestown Massacre, tu retrouves les énergies de Bevis Frond et de Bardo Pond. Et bien sûr tout le fabuleux ramdam d’Hawkwind. C’est inespéré de voir des inconnus au bataillon aussi brillants.  

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             Leur album s’appelle From The Limbo et sort sur un label espagnol, Spinda Records, qui est aussi le label de Maragda, le trio barcelonais qui va jouer après eux. C’est un bel album de Mad Psychedelia, tu y plonges aussitôt, dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est le space rock du meilleur acabit d’Akaba. Quelle respiration ! Ils jouent leur son comme s’ils s’ébrouaient dans une fontaine de jouvence. C’est même criant de justesse, avec un bassmatic voyageur. Leur «Morphogene» est plus tendu, comme cavalé à travers la plaine, une vraie farandole extra-terrestre, très Barrett, ça se déroule merveilleusement, ils dépotent le nec plus ultra tout en cultivant la dimension du voyage. Et avec «The Wheel», on assiste à des plongées somptueuses qui rappellent les grandes heures du duc de Bury. Les zones s’alternent brillamment, ah comme ils adorent plonger dans leur jouvence ! Ils te font le coup du tir de barrage d’accords magiques. En B, ils tapent «Amnesia» à la grosse attaque psychédélique. Ça coule comme de l’eau de roche, intense et colorée de wah. On a aussi des jolis vents mauvais et un riff bien heavy, bien écrasé sous le talon. Le bassman est un voyageur impénitent, un cadreur qui sait se décadrer à bon escient, avec un son bien rond. Son bassmatic a bon dos. Et ce bel album se dirige vers la sortie avec «2C». C’est le riff de basse qui tire le cut vers le haut, c’est bien hypno, ça file droit dans l’œil du cyclope. Les grattes rentrent violemment dans la danse, alors ça explose. T’as le power et l’argent du power, c’est-à-dire le power d’Hawkwind. Les petits Full Space s’exportent dans le cosmos.

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             Les trois Maragda n’auraient peut-être pas dû jouer après un groupe aussi brillant qu’Empty Full Space. On passe d’un son plein à deux guitares à un son moins plein. Les Barcelonais ne sont que trois, et même s’ils jouent comme des beaux diables, on sent comme un déficit. Le bassman de Maragda multiplie les prouesses techniques et le guitariste gratte sa Tele avec insistance, mais c’est un peu comme s’il leur manquait une guitare pour remplir le son. Ça tient la route, forcément, mais ils virent plus prog que psyché, les structures sont plus alambiquées, le bassman développe une énergie considérable, mais il leur manque l’étincelle de la Saint-Barbe.

             Par contre, ils ont deux albums au merch. Ton petit doigt te dit que c’est meilleur sur disk que sur scène. Alors zyva.

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             Leur premier album sans titre date de 2021. Il s’y niche une belle énormité : «The Calling». Pas de psyshé là-dedans, mais les clameurs sont volontaires, on sent les Barcelonais propulsés vers l’avenir et le sommet en même temps. Leur Calling sonne comme un hymne, avec son bassmatic élastique, ses reprises explosives, son slinging protubérant, là oui, t’as tout l’écho du monde et le barbu devient fou avec son bassmatic tonitruant. Sinon, ils restent assez prog, avec une quête permanente d’ampleur. Même si patacam/patacam, t’es impressionné et en même temps, c’est n’importe quoi. On les sent déterminés à vaincre. Les Barcelonais ne rigolent pas. Pluie d’acier sur la Catalogne ! En studio, ils sonnent mille fois mieux que dans la cave. La Tele prend de l’ampleur. Leur «Beyond The Ruins» est assez dévastateur. Ils lèvent tous les trois une véritable tempête sonique. C’est assez inattendu de la part des Barcelonais. Ils privilégient les belles dynamiques. C’est sûr, ils n’ont aucun problème ni de vélocité ni de motivation.

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             Tyrants enfonce bien le clou de la différence entre le studio et la cave. Et en écoutant le disque, t’as pas l’inconvénient des épaves qui dansent devant toi avec des verres de bière à la main. L’album est résolument prog, avec des spoutnicks par-dessus le marché. Les Barcelonais adorent la cavalcade, rien ne saurait les arrêter dans leur élan. Tu tombes rapidement sur une pièce montée nommée «Endless». Ça pulse à la vie à la mort. Ils ramonent bien la cheminée, avec un son plein comme un œuf, c’est vraiment bien remonté des bretelles, il s’agit même d’un hit, les canards boiteux ont intérêt à se tirer vite fait. Ils savent aussi lancer un assaut, comme le montre «My Only Link». Et puis on se régale de «Sunset Room», un cut extrêmement bien articulé. Le beurre, l’argent du beurre et le barbu sont des orfèvres en la matière, ils savent tramer un son et la Tele n’a plus qu’à s’y prélasser. Ils travaillent essentiellement sur l’extension du domaine de la lutte. Ils font chanter la montagne dans «The Singing Mountain» et partent en voyage avec «Godspeed». Le barbu fait le show avec un bassmatic entreprenant, et ça se termine en mode gros prog barcelonais avec «Loose». C’est un groove ensorcelé et le guitariste gratte des solaces extraordinaires qui rayonnent sur toute la Méditerranée. 

    Signé : Cazengler, Empty tout court

    Empty Full Space. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Maragda. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Empty Full Space. From The Limbo. Spinda Records 2024

    Maragda. Maragda. Spinda Records 2021

    Maragda. Tyrants. Spinda Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    L’avenir du rock

     - The Silver machine

             — Hey, avenir du rock, si on te dit Silver, tu réponds quoi ?

             — Bon alors Boule, tu commences à me courir sur l’haricot avec tes petits questionnaires rock à la mormoille.

             — T’es vraiment un gros con, avenir du rock, tu connais même pas «Silver Machine» !

             — Mon pauvre ami, tu ne sais même pas de quoi tu parles ! Tu sais ce que c’est la Silver Machine ?

             — Ben oui, l’emblème du space rock, la fusée argentée, aille tooke a raïde in the silvère machine !

             — T’es encore plus con que je ne pensais ! Ça n’a jamais été une fusée !

             — C’est quand même pas une merguez ?

             — Et pourquoi ne serait-ce pas une merguez ? Tu ne savais pas que les merguez volaient ? Comme les cons ? Demande à Michel Audiard.

             — T’as raison, avenir du rock, j’en ai vu une qui volait l’autre jour ! Zzzzzzzzzzz ! Elle fumait un peu et lâchait derrière elle des gouttes d’huile parfumée, c’était beau ! Zzzzzzzzzzz ! Incroyablement beau ! C’est parce que tu m’en parles que je t’en parle, avenir du rock. Sinon j’aurais jamais osé.

             — Quand l’as-tu vue ?

             — Bah, vendredi tu sais, le jour des élections-piège-à-cons ! Elle traversait la Seine, du côté du Pont Mirabeau...

             — Alors on a vu la même ! J’y étais aussi, je sortais du métro à Javel. C’était une merguez bien dorée ! Pas trop brûlée ? Dans l’esprit d’une toile de Magritte ?

             — Oui, même que ça m’a donné faim !

             — Incroyable ! Viens là mon p’tit Boule que je t’embrasse !

             Bon laissons-les s’embrasser. L’avenir du rock aurait très bien pu dire à Boule que la Silver Machine était en réalité la mobylette que conduisait Robert Calvert, au temps où comme Nik Turner, il vivait encore à Margate. Il aurait pu aussi évoquer d’autres Silver de choc, comme les Silver Apples, les Silver Jews, mais surtout les Silver Lines.

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             Viennent d’où ? Sais pas. Parlent des bouts de français. Bonnejoue, new som’ lé lin’ argentte. Doivent être mexicains. Comme ça au pif. Sont jeunes. Joli nom de groupe : The Silver Lines. Zéro frime. Doivent être pauvres. Au fond, t’as un gros au bassmatic, et derrière, un tatoué au beurre. Et devant deux kids, rois de la zéro-frime, petits cheveux bouclés, T-shirt blanc pour le chanteur, et petit pull blanc & Tele blanche pour le guitariste. La ramènent pas. Mais ça joue tout de suite.

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    Et là tu fais wham bam ! Premier cut, c’est dans la poche. Gros son. Le kid au chant fait son Johansen. Oui t’as bien lu, les mains sur les hanches et du pur Johansen, sans les escarpins et sans Johnny T, ils font ça à l’anglaise, il a toutes les mimiques, t’es tout de suite dans le haut niveau, mais avec des kids à peine sortis de l’adolescence, ils ont le power et là t’es pas près d’en revenir, car ils te rockent le boat à l’ancienne, le kid Johansen charge la barque et il est fantastiquement bien soutenu car le tatoué bat le beurre du diable, mais à l’anglaise, et le gros au bassmatic tient bon la rampe en grattant des figures sophistiquées d’une effarante efficacité. Ils ont tout bon, tout bien pigé, ils s’ancrent dans la Stonesy, les Dolls, les Only Ones et les Saints, et franchement, dans le genre, on n’avait pas entendu un groupe aussi bon depuis des lustres. Pureté d’intention extrême. Leur set est criant de véracité, tout repose sur la qualité des compos et la voix du kid Johansen. On est toujours surpris de voir surgir de nulle part un groupe aussi bien éduqué. Mais soudain, le kid craque et sort de scène. Le gros vient eu micro et parle d’hiccups, c’est-à-dire de hoquet. En fait, c’est une crise d’angoisse. Il va revenir une demi-heure plus tard et fracasser la boutica, sous un tonnerre d’applaudissements.

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             Personne au merch. Et à la fin de la deuxième partie du concert (Man Man), les Silver Lines ont disparu avec leur maigre merch de deux singles. Le mec du merch d’à côté nous dit qu’ils ont plié bagage car ils avaient trop honte. Incroyable ! Fuck it ! L’un des meilleurs groupes anglais actuels ! Tout part en fumée, les singles et l’occasion de papoter. Reste plus que le Bandcamp.

             Tu y retrouves leur dernier EP, And The Lord Don’t Think I Can Handle It, et tout leur côté flamboyant te saute à la gueule, dès «Roaches», pur jus de garage-punk d’attaque en règle avec du wanna change my sex, et de la bravado à gogo. T’as tout là-dedans, les riffs séculaires, t’es pas venu pour rien, c’mon now, il a la voix de rêve, tout le power du because it’s you, cette façon de poser le chant sur un back-up explosif et bien sûr t’as les incursions thunderiennes dans le flot du flux. Avec «Cocaine», ils déclenchent un petit enfer sur la terre, bien sous-tendu par une horrifique cocote riffique, ça vole vite en éclats. Alors tu vas à la pêche aux infos, et tu découvres que les Silver Lines sont de Birmingham et que les deux kids en blanc sont deux frères, Dan Ravenscroft au chant, et Joe aux poux. Bon maintenant, il faut attendre la suite. Ne cachons pas notre impatience.

    Signé : Cazengler, Silver Lie

    Silver Lines. Le 106. Rouen (76). 1er novembre 2024

    Silver Lines. And The Lord Don’t Think I Can Handle It. Not On Label 2024

     

     

    Magical Mystery Lights Tour

    - Part Two

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             Ça doit bien faire la troisième fois que les Mystery Lights ramènent leurs fraises en Normandie. Mike Brandon est toujours aussi charismatique, mais il semble avoir pris un petit coup de vieux. Avec sa 335, il avait des airs d’Alvin Lee. Maintenant, il tire plus sur le Jorma Kaukonen tardif. Mais sur scène, il reste fidèle à sa légende de marsupilami : il saute partout. Boinggg ! Boinggg ! Il incarne bien la fameuse insoutenable légèreté de l’être dont Kundera fit jadis ses choux gras. S’il existait une épreuve olympique du marsupilamisme, il n’est pas certain que Keith Streng arrive en tête. Brandon accompagne toutes ses montées de fièvre de bonds cathartiques, il sait aussi sauter en extension et faire des ciseaux dédoublés en saut croisé. Le jeté d’épaule aérien n’a aucun secret pour lui. Force est d’admettre qu’il est plus athlète que garagiste. Il fait partie de ceux que les Anglais qualifient de performers. Il est tellement intense qu’il en devient intègre.

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    Mike Brandon est à la fois un rude coco et un fier rocker. On lui donnerait le bon dieu sans confession, et ce, dès le «Mighty Fine And All Mine» d’ouverture de set qui fait aussi l’ouverture de balda de Purgatory, leur cinquième album. Le set s’intitule d’ailleurs le ‘TV Eye Record Release Show’. Ils tapent un gaga californien très psyché, à la fois classique et offensif. Luis Alfonso Solano gratte des poux bien gras sur sa SG, il sort un son incroyablement agressif de bronco apache sur le sentier de la guerre, il doit confondre la fougue et la foudre. On voit bien que ces mecs sont tombés dans la marmite Nuggets quand ils étaient petits, ils sont tellement brillants qu’ils revitalisent cette très ancienne tradition, et du coup, ce vieux gaga parcheminé reprend des couleurs, et même une sacrée allure. Alors on s’est demandé en conseil restreint s’il fallait amener les Mystery Lights dans la cour des grands, soit en leur confiant les clés de l’avenir du rock, soit en les bombardant directement Wizards & True Stars, et puis finalement, le comité a décidé de les laisser tranquilles, de ne pas les accabler d’honneurs, de leur épargner le miroir aux alouettes, le mieux est qu’ils poursuivent leur petit bonhomme de chemin, qu’ils régalent les citadins avec des bons concerts bien survoltés et des albums bayardiens, c’est-à-dire sans peur et sans reproche. Ah on peut dire que les Normands adorent le gaga sans peur et sans reproche, comme si ce gentil Bayard californien qu’est Mike Brandon trouvait un écho dans cette ville saturée de moyen-âge qui pue la pucelle cramée.

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             Comme ses prédécesseurs, Purgatory sort sur Wick Records qui est en fait un subsidiary de Daptone. Comme Colemine, Daptone prospère sur la Soul, mais ne ferme pas la porte au rock quand il est bon. Alors si Colemine crée Karma Chief pour accueillir GA-20, Say She She et les Gabbard Brothers, Daptone crée Wick pour accueillir les mighty Mystery Lights.
        Purgatory est un album de Californiens très à l’aise, qui savent lancer une attaque de clairette au débotté de sept lieues. Ils sonnent très sixties, très Nuggets, c’est même pas loin des Remains et de tous ces machins-là. Ce sont des accros. Les tricotages de grattes sont superbes sur «Sorry I Forgot Your Name». Bon, ce n’est pas l’album du siècle, mais il y a de beaux éclats. On sent l’élan pathétique de l’early Airplane dans «Can’t Sleep Throught The Silence» et «Cerebral» sonne un peu comme «The Trip» de Kim Fowley. T’as vraiment l’impression d’entendre un vieil album sixties aventureux. «Automatic Response» sonne comme un bijou rare, on croit entendre Television, ils sont en plein Marquee Moon

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             Television ? Justement ! Tu retrouves «Little Johnny Jewel Parts 1 & 2» dans cette double page de Shindig! où Mike Brandon salue les «10 cuts that inform new album Purgatory». Et il n’y vas pas avec le dos de la cuillère : «Smart, playful, jazzy, forward-thinking punk.» Il dit aussi que ce single sorti sur Ork en 1976 - et qu’on pouvait acheter chez Givaudan sur le Boulevard Saint-Germain - était «mind-blowing» «to us as teenagers.» Il cite aussi les Thrills de 1967, quatuor de blackettes qu’il ne faut pas confondre avec les Thrills irlandais. Brandon flashe sur «Underneath My Makeup», b-side d’un single Capitol qui vaut bien sûr la peau des fesses. Brandon parle de «mesmering back-up vocals» et salue «l’incredible vocal delivery» de Donna Lynton. Il rend aussi hommage au Fred Cole de Dead Moon via l’un de ses side-projects The Western Front : il tire «Looking Back At Me» d’un EP. Parmi les inconnus au bataillon qu’il cite, t’as Gandalf et Paul Martin. Retour aux superstars avec les Rationals et «Sunset» - This song screams «Detroit»! - Il vante encore les mérite du «vocal delivery» de Scott Morgan, puis il passe directement à Soft Machine et «Save Yourself» - British jazz-infused psych rock from Canterbury - Et il ajoute ça qui sonne comme une parole d’évangile selon Saint-Rock : «Soft Machine has the same psychotic pop feel that we love so much about Syd Barrett.» Brandon a tout compris. On lui serre la pince. Et puis les Monks, avec «I Hate You», qu’il reprend d’alleurs sur scène - Everything about this song is perfect - et il revante les mérites de l’«animated vocal delivery» de Gary Burger. Voilà pourquoi les Mystery Lights sont un groupe passionnant. Ils illustrent fort bien le vieil adage : qui écoute bien châtie bien.

    Signé : Cazengler, Mystery Larve

    Mystery Lights. Le 106. Rouen (76). 8 octobre 2024

    Mystery Lights. Purgatory. Wick Records 2024

    Hearts of darkness. Shindig! # 156 - October 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La noblesse de Nobles

             Harry Normal portait bien son nom. Rien ne dépassait. Brun, cheveu tallé court, lunetté de frais, physique passe-partout mais pas désagréable, Normal, tout était Normal en lui, son expression, son discours, sa taille, son odeur, sa carrière, sa camaraderie, et même sa simili-bienveillance paraissait Normale. En réunion, il ouvrait un eMac Normal et chacune de ses interventions qu’on aurait qualifiée ailleurs de pertinente nous paraissait Normale. Sa Normalité nous rassurait. Elle constituait même l’un des atouts majeurs de notre petit conglomérat. Ce n’est pas facile d’être Normal, Harry Normal en sait quelque chose, on le devine en l’observant. On se pose même la question : aimerait-on être Normal, aussi Normal que lui, probablement pas, mais c’est certainement plus reposant que d’être anormal, c’est-à-dire anticonformiste. L’anticonformisme, c’est comme une chaudière, il faut l’alimenter, avec des excès en tous genres, des incidents et des accidents, des déviances et des défiances, des maux et des mots, c’est un chantier quotidien et harassant, alors que la vie d’Harry Normal doit être de tout repos, alors forcément ça donne à réfléchir. Mais la vraie question qu’il faut se poser est la suivante : peut-on apprendre à devenir Normal ? Comment se conformer à la Normalité ? Faire l’Harry Normal n’est pas un jeu, plus on y réfléchit et plus on comprend qu’il faut produire des efforts surhumains, comme par exemple tuer le désir, tuer l’envie, tuer la fantaisie, mettre sa libido en laisse et lui interdire d’aboyer, faire une croix sur les paradis artificiels, et sans doute le pire, entrer dans l’univers médiatique de la Normalité, avec une vraie sincérité, trouver Normal ce qu’Harry Normal trouve Normal, les nouvelles du monde, la vie économique et la vie sociale, oh et la vie politique, humer avec force l’inconscient collectif pour vibrer à l’unisson, non pas du saucisson, mais de la Normalité, et le reste devrait suivre, le choix des vêtements, le lunettage, la coupe de cheveux, le rasage quotidien, le professionnalisme de la Normalité, et petite cerise sur le gâtö, l’insoutenable légèreté du non-être, épitome de la délivrance.

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             Aucune noblesse chez Normal, mais on en trouve à la pelle chez Nobles. La noblesse, c’est la Soul. Zéro Soul chez Normal, mais de la Soul à gogo chez Nobles. L’un éclaire l’autre. Le jour et la nuit. Normal et ses ténèbres, Nobles et sa lumière. 

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             Cliff Nobles est lui aussi une star de la Northern Soul. C’est d’ailleurs dans ces compiles infernales qu’on croise sa piste. Pour creuser un peu, il existe une excellente compile, The Phil-LA Singles Collection 1968-1972, parue en 2008. Le noble Cliff prend sa Soul à la petite arrache de glotte obstinée et revancharde. «The More I Do For You Baby» ? Alors là oui. Cliff est un Soul Brother en mocassins blancs. Ça bascule très vite dans le génie avec «This Love Will Last», c’est amené avec allure sous un certain boisseau. Tu te retrouves soudainement en compagnie de l’un des rois de l’underground de la Northern Soul, ah il faut le voir revenir à la charge ! Il y va au oh-oh-oh. Même topo avec «Love Is All Right», véritable percée dans la nuit de Philadelphie. Aw comme Cliff est bon ! Il coule son groove dans le moule du r’n’b, et c’est arrosé de cuivres. Pression rythmique énorme ! Il faut le voir épouser ses nappes de cuivres. Peu de gens atteignent ce niveau de pétulance. Il tape ensuite «Judge Baby I’m Back» au scorch to the raw, il tape vraiment dans le dur du scorch, au sock it to me baby ! Plus loin, tu vas tomber sur l’instro du siècle : «The Horse». Échappée par le haut, wild heartbeat, c’est pulsé par les cuivres et la rythmique bass/drums est demented, l’une des plus demented dans le genre. Selon les liners non signés, «The Horse» fut un hit énorme à l’époque où les instros paradaient en tête des charts. Ce sont les Anglais qui ont écouté «Love Is All Right», qui se trouvait de l’autre côté du single. Et pouf, en 1968, c’est devenu un hit de Northern Soul. Mais le pauvre Cliff doit sa légende à un instro sur lequel il ne chante pas - A legendary accident in rock’n’roll history, nous disent les mystérieux liners. 

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             Le Pony The Horse paru en 1969 n’est pas l’album du siècle. Le noble Nobles nous propose un assortiment de slow grooves d’allure latente, épicés de remugles de mambo mambique. On sent parfois poindre des pointes de Blue Beat. On en pince légèrement pour le «Wonder Baby» de bout d’A, ce heavy groove de baseball bat très New Orleans noyé de sax et de bassmatic. Le noble Nobles sait tailler un costard. En B, il ramène des chœurs de gospel dans l’épais brouet de son «Rock And Roll Angel» - C’mon darlin’/ Stop teasin’ me - Et la fête continue avec un «Rock A While» chargé à l’extrême, digne de Cosimo, et traversé par des solos de sax. Ça jerke, mais à l’ancienne, comme au bon vieux temps des jukes en bois. 

    Singé : Cazengler, Cliff nubile

    Cliff Nobles. Pony The Horse. Moon Shot 1969

    Cliff Nobles. The Phil-LA Singles Collection 1968-1972. Jamie Records Co. 2008

     

    *

    Ils sont grecs. D’Athènes. Ils ont d’office toute ma sympathie. Ils ont une deuxième qualité : ce sont des cousins lointains mais germains, peut-être  s’ignorent-ils n’ayant jamais su qu’ils existaient, un continent les sépare, mais il y a une communauté d’esprit entre C.I.A. Hippie Mind Control (voir notre livraison 661 du 17 / 10 / 2024) et :

    DERELICT

    DREAMLONGDEAD

    (Novembre 2024)

    Tessos Palaiologou : guitar, vocals, piano / Yiannis Poussios : Vocals / Leonidas Vranas : bass / Manos Glakamoumakis : drums / Achilles Champilas : guitars, synths, keyboards.

             Leur premier opus date de 2013, ils n’ont sorti en leurs cinq premières années qu’une quinzaine de titres qui dépassent facilement les dix minutes. Ils se sont arrêtés durant quatre années et reviennent avec une nouvelle équipe et ce nouvel opus. Les trois vocables qui composent le nom du groupe, pourquoi coaguler et rétrécir ce qui est censé être long et durer longtemps, incitent à la réflexion, serait-ce pour signifier qu’il faut examiner cette coagulation telle une sorte de palindrome d’un genre nouveau qui devrait se lire et se dé-lire, selon une lecture se jouant des structures grammaticales différentes des langues française et anglaise, de gauche à droite ou de de droite à gauche, selon les deux sens, le juste et le faux, soit la mort d’un long rêve soit le rêve d’une longue mort. Oui je sais souvent je délire, inutile de vous mettre en état de déréliction.

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             Ils n’ont pas choisi n’importe qui pour la couve. Un ‘’Sans-titre’’ de l’artiste polonais Zdzislaw Beksinski (1929 - 2005), toutes ses œuvres portent ce même ‘’ titre’’, Beksinski ne montre pas des choses à voir, il traduit des états d’âmes, rien n’est plus concret que les représentations de ses tableaux mais il faut les regarder comme des objets métaphysiques à parts entières. Il m’étonne que ces architectures flamboyantes et ces fragmences minérales closes sur elles-mêmes ne soient pas davantage présentes sur les pochettes de Death metal. Suivez mon exemple : au jeu de qui perd gagne, j’ai perdu un temps fou dans la contemplation de ses œuvres.

    TAPHOS

    Mortuary : étrange, certains s’écrieront inconvenant, la pochette n’est pas vraiment gaie, Taphos sigifie tombe, le titre Mortuary n’est en rien cocasse, mais les premières mesures de ce morceau paraissent joyeuses, heureusement que des growlements intermittents nous rappellent la triste situation qui nous est présentée. Tout dépend du regard que l’on porte sur les choses, ici ce n’est pas la foule des morts qui se lamentent sur leurs tristes sorts, c’est le Dieu ploutocrate  de la mort qui fait ses comptes, l’est heureux, tout va bien, tout marche à merveille, il traque les morts et les emporte en son royaume, la chasse est bonne, chant de triomphe et fanfares victoriales, n’est-il pas le maître absolu, celui qui détraque à volonté les horloges de la vie, est-ce pour cela que la musique devient plus lourde, que la batterie tape à la cadence du couperet d’une guillotine, le monde des vivants et des morts lui obéit, il est celui qui préside non pas à la marche du monde, mais à sa dé-marche car les marches si elles s’escaladent se descendent aussi, générique de fin, monumental, il est bien plus qu’un Dieu, il est le principe entropique du monde, des choses, des êtres vivants, des hommes, de tout ce beau monde qui court inévitablement vers sa fin. Victoire finale. Carnage : Changement d’ambiance, après le triomphe, voici  la folle fête, l’ivresse du hallali, écoutez ces cordes de guitares qui courent vers les tombes, c’est l’heure du repas, que faire des morts entassés dans les chambres froides de la mort, la mort est la reine des zombies, elle se rue sur les cadavres afin de les dévorer, ne sont-ce point les morts qui se bouffent eux-mêmes, un grand bâfrage généralisé, le sabbat, la danse des morts, la nef des fous, l’épave des anthropophages, kermesse et flonflons l’on n’est jamais plus heureux que lorsque l’on a le ventre plein… mais quelles sont ces résonnances cordiques, exprimeraient-elles le vide du néant, la situation s’assombrit, final liturgique, quelle tristesse philosophique si l’on  pense, à tous ces morts qui se dévorent et s’entretuent, finale grandiloquent, la passion de la destruction n’est-elle pas la passion de  de l’auto-destruction mais sous une autre forme, la mort descend l’escalier sans fin de sa propre mort. Imaginez la scène du film que vous tourneriez si vous étiez réalisateur, DreamLongDead vous a préparé la bande-son. A bouffer le navet par les racines !

    ANTARTICA

    Erebus :  deuxième partie de l(opus, nous rentrons dans sa saison hivernale, notez la structure, deux instrumentaux entourent le morceau central, celui qui donne son nom à l’ensemble. Des instrumentaux parce qu’avant et après une catastrophe aucune parole ne saurait en prédire ou en mesurer l’étendue. Le morceau n’est pas très long pourquoi le serait-il, son  titre désigne le lieu le plus obscur du noir absolu, palpitement du néant, synthétiseurs d’église, tourbillons de cymbales, vous avancez dans le noir, bruit d’outils est-ici l’atelier où l’on fragmente les os à la scie égoïne, vous tournez en rond, il est impossible d’aller plus loin que sa propre mort, le bruit s’amenuise, seul le silence est grand nous a appris Alfred de Vigny. Derelict : après le cœur de la nuit, vous entrez dans le froid de la mort, froid et mort ne sont-ils pas d’ailleurs la même chose, vous voici au zéro absolu, le morceau le plus long, sans doute parce qu’il est impossible de le faire durer éternellement, vous marchez dans la neige jusqu’à mi-cuisse, un bel accompagnement pour une scène de film décrivant un groupe d’explorateurs épuisés, titubants, explorant l’hiver d’une planète sans retour, hurlements d’agonie, même les ours blancs ne supportent cette froidure, ils gisent sur le dos, ils agitent spasmodiquement leurs quatre pattes levées vers le ciel noir, les ultimes paroles, vous découvrez la vérité de la terre maintenant aussi vide qu’un frigidaire géant, vous allez disparaître, comme ont déjà cédé place  les différents âges des temps historiques, préhistoriques, et toutes les époques antérieures, notre planète colonisée par des civilisations extra-terrestres, elles aussi n’ont fait que tomber, elles ont disparu, vous n’êtes un jalon pas plus nécessaire, peut-être moins important  que tous ceux qui vous ont précédés, vous êtes pénétrés de ces anciennes présences, existerait-il une mémoire de la mort à laquelle seule la mort vous permet d’accéder, ne portez pas votre regard vers le passé, d’autres nous suivront, ils viendront, ils ne seront pas spécialement sympathiques. Terror :  des pas qui s’approchent, non ce n’est pas vous, ce ne sont pas non plus ceux qui vous ont précédé, la chose étrangère qui se rapproche est bien plus terrifiques que vos devanciers qui comme vous ont passé l’arme à gauche, des inoffensifs, mais la musique se froisse comme si quelqu’un posait ses doigts sur la bande-son de votre mort, que vous veut-il, qui est-il, comparé à lui, si ce n’est ce tic-tac inexorable de l’horloge la musique deviendrait presque humaine comme si elle était produite par un groupe de death metal, elle perd son éclat, sa force, elle s’estompe, ne subsiste_plus que le battement d’un cœur, ce ne peut être le vôtre puisque vous êtes mort. N’est-ce pas terrifiant ? Si vous étiez sagement assis dans un cinéma (première fois que je m’aperçois que ce mot commence, quel sinistre hasard, comme cimetière) vous trouveriez le suspense de cette scène insupportable.

    XENO

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    Anark : ce titre terminal est paru une quinzaine de jours avant l’opus en son entier. Il a bénéficié d’une couve personnelle de Chris Printezis, son Instagram ne dévoile presque rien, un style assez proche de la bande dessinée toutefois sont exposés trop peu de posts pour en juger, par contre si vous avez du mal à voir ce que présente le dessin, avec un peu d’observation vous y arriverez parfaitement tout seul, bon prince je vous refile la solution. Une représentation du Kaos. Un peu naïve, un peu Goldorak, je le concède, essayons cependant de comprendre un tantinet. Dans la mythologie grecque l’Erèbe est le fils du Kaos, qui se place donc antérieurement à son fils, et qui est même primordial. Ce n’est pas un personnage mais une énergie inextinguible issu d’une fente, au fur et à mesure qu’elle jaillit en créant l’espace, elle perd de sa force, d’elle naissent les puissances les plus terribles, notamment l’Ananké, le destin de ce qui doit être auquel tout le monde doit se soumettre, même les Dieux Olympiens qui surviennent pratiquement en bout de course, juste avant nous les hommes… Le voici, tout clinquant, tout resplendissant, il était là avant tout le monde, s’il y en a un qui est l’Alpha et l’Omega c’est bien lui, la puissance irisante des riffs nous le confirment, il s’adjuge très vite la parole pour se présenter, il était là avant que ne commence le temps, il est le créateur séminal et l’exterminateur final, il donne naissance aux mondes pour les détruire ultérieurement, il s’amuse comme un enfant avec un jeu de cubes, la batterie imite l’empilement de ces jouets cosmiques et les guitares traduisent le chamboulement de ces constructions qu’il envoie rouler d’un coup de main dans les abysses du néant, il hurle, la musique y va mollo, comme quand vous jugez qu’il est inutile de contrarier d’un bambin qui pique une crise de delirium tremens, il meugle comme un rhinocéros, d’un coup de pied il joue au foot avec les planètes puis au billard avec les astres, ne le traitez pas d’irresponsable, ne lui infligez pas l’infâmante appellation d’anarchiste, il est le prince agrégatif et l’empereur du désagrégatif, il est Anark, l’Anarque, non pas celui d’Ersnt Jünger humain top humain mais le Cosmique, cet être qui se suffit à lui-même, cette force incommensurable qui n’a besoin ni de personne ni de rien  même pas de sa cosmicité, pour un peu cela deviendrait comique, mais tremblez car il détient les clefs de la mort entre ses mains et il s’en sert comme d’un hochet capricieux. Contrairement à Dieu, Anark ne meurt pas.

             Je vous laisse sur cette bonne nouvelle. Et ce disque aussi gai que terrific !

    Damie Chad.

     

    *

             Il est des titres qui vous attirent plus que d’autres. Celui-ci suscite les souvenirs de ma jeunesse et de mon maître en philosophie le poëte Pham Cong Thien  qui m’apprit à manier les concepts ontologiques. Qui à l’âge de ses seize ans fut qualifié d’ ‘’enfant génial du Vietnam’’ par la presse de son pays

    ONTOLOGICAL MYSTERIUM

    HORRENDOUS

    (Season of the Mist / Août 2023)

             Viennent de Philadelphie, entre 2005 et 2018, ils ont commis quatre albums remarquables et remarqués, ont disparu durant cinq ans pour revenir avec ce chef-d’œuvre.

    Jamie Knox : drums / Matt Knox : guitars, vocals / Damian Herring : guitars, vocal / Alex Kulick : bass.

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             La couve est signée par Alexander L Brown, lui-même guitariste et designer. Si vous parcourez son Instagram sa prédilection pour le blanc et noir vous marquera, l’on s’étonne même de l’orange effulgence de cet artwork. L’on savait que Cerbère avait trois têtes, maintenant l’on se souviendra que la bouche d’ombre possède trois crânes, soudés entre eux, à tel point que l’on ignore s’il en subsiste une, deux ou trois. Une réalisation alchimique qui a su métamorphoser la mort noire en pierre philosophale. Tout en lui infligeant le rappel de la formalité de sa provenance. Art de feu et d’incendie.

    The blaze : guitares discordantes, cordes assourdissantes, chuchotements de l’ombre, clameurs lointaines, glissandi infinis, flammes finales, séquences musicales alternées en toute vitesse, il se bouscule  tant de phénomènes obscurs dans ce comprimé agglutiné en cent soixante secondes, qu’il est nécessaire d’écouter et de réécouter encore cette gélule d’épopée qui se déploie en sa propre effervescence, l’histoire d’une montée impie, d’un pari insensé de prendre son essor afin d’être plus que le soleil du  ciel, qui chaque soir tombe et se meurt. Chrysopoeia (The Archeology of Dawn) : l’histoire d’un transmutation aurifique, horrifique aussi si l’on en croit le profil barbelé de ce morceau, impossible de saisir le fil de cette pétaudière, trop riche, trop intense, imaginez que vous visitez le dédalle labyrinthique des mille salles du palais de Knossos en quinze secondes, ou que l’on vous fasse boire de l’or potable et que l’on vous demande d’expliquer doctement ce qui se passe dans le tube de votre œsophage au fur et à mesure que le liquide dévale vers l’estomac, ce serait impossible la seule personne capable de vous comprendre serait vous seul, vous traversez le feu pour vous en extirper, et vous voudriez vous en tirer sans mal et en sortir frais comme les doigts de la rose de l’aurore, le tourment de cette musique qui concasse votre esprit ne vous laisse aucune chance, quel ramdam phonique, consolez-vous c’est d’une beauté extatique, le groupe ne vous laisse pas tomber il vous tire vers le haut avec ses pinces coupantes, un solo de guitare vous cloue sur la paroi pour vous empêcher de tomber, parfois la voix se fait douce comme une caresse avant de se muer en crise épileptique. Non, vous ne sortez pas indemne, l’on ne revit ni la mort tni la naissance du soleil sans y laisser des plumes. C’est exactement cela que l’on appelle l’épreuve du feu. L’ordalie métaphysique. Pour qui te prends-tu, Achilles ne l’a pas réussi. Comme toi il avait une blessure secrète. Neon Leviathan : nous quittons les mythes pour nous confronter au monstre fascinant de l’organisation humaine, nous sommes en pays de connaissance, peut-être est-ce pour cela que malgré l’emballement final , le hennissement guitarique et le hachis battérial sommes-nous dans un morceau monstrueux de death metal qui ressemble davantage à une civière de métal et de laboratoire qu’à la mort, vous ne bougez pas, vous ne risquez rien, si ce n’est une amélioration, quel est ce galimatias qui vous indique que la  science moderne est capable de vous faire traverser, ô comme c’est beau, ô comme c’est lyrique, ô comme c’est exaltant de n’avoir rien à faire si ce n’est de subir une transmutation alchimique dont votre corp sera l’athanor, le réceptacle et le résultat, gloire à la médecine moderne et sa nouvelle race d’opération, la guitare vous caresse, levez-vous, une nouvelle ère vous attend. Après l’épreuve vous avez touché votre récompense, l’expérience vous a transformé. Aurora neoterica : instrumental, ici tout n’est que calme et volupté, même si Matt fait un peu de bruit sur son tambour, te voici comme un homme nouveau, prêt à entonner de nouveaux chants, aurore poétique, tout a changé, rien ne changera jamais plus, tu as franchi une nouvelle étape, tu es un humain augmenté, crois-tu que tu pourrais un jour accéder à un tel bien être. Preterition Hymn : le rêve continue, la musique se fait douce comme la peau d’un fruit, pourquoi hurles-tu avec cette voix éraillée, est-ce la joie qui te rend fou, oui tu as atteint un stade supérieur, les Dieux eux-mêmes t’aideront dans tes désirs, dans tes faiblesses, oui je suis comme Enoch qui dans la Bible et le Ciel marchait aux côtés de Dieu. Il existe une Official  Music Veo sur la chaîne Y T de Season of the Mist, étrangement la beauté des images n’oblitère en rien, et aide à mieux saisir, la complexité de ce morceau. Cult of Shaad’hoa : exaltation suprême, je suis un guerrier invincible, je le crie, je le hurle, mon cœur résonne comme la batterie folle d’un groupe de death metal, je cours, je file, je grimpe, je m’élance, je m’envole, rien ne m’arrête, les Dieux m’adorent, je percerai le dôme du ciel, je trouerai l’azur souverain, je mène le char du soleil, là où je veux, quand je veux, comme je le veux, je suis le feu vivant. Exeg(en)esis : le métal exulte, il se contente de marmonner dans sa barbe, va-t-il trop loin, pour qui se prend-il, est-il le maître d’une nouvelle genèse, les guitares angéliques le couvrent de leur éclat, il se projette dans le jardin dans le jardin d’Eden, manifestement il se croit tout permis, il recrée le monde en expliquant le processus de sa propre création. Ontological mysterium : il ose se prendre pour Dieu, il ordonne le monde, est-ce la folie, est-ce de l’inconscience, que craint-il n’est-il pas le plus fort, Dieu ne marche-t-il pas à ses côtés, il est la vie, les guitares chantent, les tambours s’emballent, s’en aperçoit-il, y fait-il seulement attention, non ce n’est pas Dieu qui va le punir, le mal, l’échec, la mort surgira de sa profusion vitale, trop d’arbres tuent les arbres, trop d’herbes écrasent l’herbe, le mystère ontologique s’énonce ainsi ce n’est pas la vie qui naît du néant de la mort, c’est la vie qui produit la mort, Dieu n’est-il pas mort du seul fait qu’il ait existé… tout cela n’est-il pas déjà consigné dans les anciens écrits. L’exubérance de ce morceau ne court-il pas à sa propre extinction. The death Knell Ringeth : pour qui Dieu sonne-t-il le glas ! Sirènes d’alarme, le morceau tremble sur ses bases. Tu as voulu parler à Dieu et maintenant c’est lui qui te cause, d’une voix menaçante, ne cherche pas je suis au-dedans de toi puisque tu as voulu te prendre pour moi. La comédie est finie. J’aboie comme le chacal du désert, ma colère est telle les épines du figuier stérile, que veux-tu, misérable créature, la musique obéit au doigt et à l’œil, elle galope à une vitesse excédentaire, elle te pousse vers ton destin, tu as surpassé les Dieux, tu t’es pris pour mon égal, mais d’un coup de cuillère à pot je t’expédie dans le lieu de ta punition éternelle, en enfer !

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             J’espère que cette fin morale servira de leçon à tous les lecteurs présomptueux de ce site. J’avoue qu’elle me déçoit quelque peu. Enfin beaucoup. Elle n’est pas à la hauteur du jeu coruscant des musiciens, le synopsis tombe à l’eau, il traîne ses sabots dans une vieille histoire. Je me demande si c’est un vieux fond idéologique plus ou moins inconscient des racines puritaines de la Grande Américaine… Un défaut ontologique de fabrication !

             Toutefois ne boudons pas notre plaisir, c’est un bel opus qu’il vaut mieux écouter sans trop chercher à le comprendre. Ils ont raté l’opération alchimique, nous pensions qu’ils avaient trouvé la couleur de la pierre philosophale, c’était celle des flammes de l’enfer. Errare humanum est.

    Damie Chad.

     

    *

             Chose promise, chose due. Nous avons vu le concert la semaine dernière, au 3 B de Troyes, nous chroniquons maintenant le disque que nous en avons ramené.

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ

    (Sound  Flat Records / SFR-45_065 / Juin 2024)

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             Un disque, un vrai, un simple avec une pochette en carton aussi épaisse qu’ un porte-avions, sont des modestes, ne se sont pas mis sur la pochette, à la place ont écrit leur nom en gros, style dazibao maoïste qui bouffe presque la moitié de la couve, à côté ils vous offrent leur cœur, seraient-ils des monstres qui n’en auraient qu’un pour cinq, doivent se le passer à tour de rôle pourquoi pas, après tout les trois Grées terribles divinités grecques primordiales peu sympathiques ne possédaient qu’un seul œil qu’elles se refilaient de l’une à l’autre selon les nécessités, en tout cas ils doivent y tenir, pour ne pas le perdre ils l’ont attaché à une grosse chaîne, ne sont pas gars très soigneux puisque l’attache du médaillon semble cassée. Par contre j’ai appris quelque chose : je croyais que les initiales U.F.O. qui en anglais sont celles de Unidentified Flying Object signifiaient en notre douce langue françoise Ovni, pas du tout, c’est du français pure (enfin presque) souche, qui veut dire : Unique Fuckin’ Obsession, ZZZ

    You move me baby : légère tambourinade, Terric ouvre le menuet, pardon le remué, Bee Dee Kay est pratiquement le premier à entrer dans la danse. Benny lance illico le hérisson de sa guitare dans la cheminée, vous êtes averti ça va chauffer, Fi-Cel fait tourner le moulin à café de son Upright bass, en quinze secondes ils ont atteint leur vitesse de croisière, si vous vous croyez en classe touriste sur le pont d’un paquebot, c’est foutu, l’on sentait comme des ratés dans le moteur, c’était Grand Siffley  qui rongeait les câbles des freins, une fois son sabotage terminé, c’est fini, les haricots sont cuits, le sax se met à pétarader comme une Torpedo, il ondule comme le col du cygne  qui s’apprête à pénétrer dans le vagin de Léda, vous l’entendez hurler, des grincements éraillés de bicyclette sortie du grenier dans lequel elle était remisée depuis un demi-siècle, après l’on ne sait plus, Bee Dee Kay proclame qu’il est un chanteur de rockabilly, c’est vrai, hélas il est traversé par une folie meurtrière, il hurle comme un loup qui cherche à bouffer la lune, phénomène contagieux, ses camarades ne se retiennent plus,  la guitare de Benny vrille un max,  le sax se prend pour un éplucheur à patates et vous entendez le nid de crotales qui nichaient dedans qui détestent se retrouver pelés de la tête à la queue, la section rythmique se prend pour un régiment d’assaut, si à la fin du morceau vous en ressortez indemnes, c’est que vous avez eu de la chance. Beaucoup plus que Bee Dee Jay qui se retrouve à l’asile à skis.

    Wake up honey : si elle a besoin d’être réveillée après le tintouin qu’ils viennent de faire c’est qu’elle est sourde ou qu’elle est morte. Démarrent en trombe, la voix de Bee Dee Jay tressaute sur les cahots, Benny joue aux castagnettes sur sa guitare, le général Grant souffle dans son sax pour sonner la charge il n’arrête pas de barrir tel un troupeau de mammouths, Terric et Fi-cell foncent droit devant, personne ne les devancera, quelques lancées de poudre explosive de Benny pour terminer en beauté (convulsive), z’ont donné tout ce qu’ils avaient, Dee Bee Jay qui n’avait rien à distribuer nous offre l’essence vocale et explosive du rock’n’roll.

             Qu’existe-t-il de plus jouissif en ce bas monde ?

             Rien.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Dans la vitrine de ma libraire c’est tout mignon, tout joli. Un livre pour les gamins, l’on fait de satanées belles choses pour les têtes blondes, remarquez, six ans révolus elles n’ouvrent plus un livre. C’est de qui ? zut alors c’est du sérieux, un Baldwin que je ne connais pas, un inédit en plus !

    LITTLE MAN, LITTLE MAN

    UNE HISTOIRE D’ENFANCE

    JAMES BALDWIN

    Et YORAN CAZAC

    (Denoel / Août 2024)

             Les jeunes lecteurs de KR’TNT ! ont toutes les raisons de ne pas le connaître. C’est rassurant, ça prouve qu’ils n’appartiennent ni à la CIA, ni au FBI, ni à quelques officines de services secrets. Au milieu des années soixante James Baldwin était le numéro trois d’une sacrée liste, les deux autres n’étaient pas n’importe qui, jugez-en par vous-mêmes, Malcom X et Martin Luther King ! 1965 pour le premier, 1968 pour le deuxième, en 1970   James Baldwin qui n’avait aucune envie de se reposer dans un cimetière éprouva l’irrépressible et salvateur besoin de trouver refuge en France… Il y mourut (de mort naturelle) en 1987.

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             C’était un homme dangereux. Pour un nègre il avait des idées trop claires. Un écrivain, un intellectuel. Homosexuel et antiraciste. Ça fait beaucoup pour un seul homme. L’avait de drôles d’analyses, il pensait que le christianisme était un cadeau empoisonné que les blancs avaient donné aux noirs : il est inutile que les esclaves qui bossent dur et souffrent un maximum se révoltent, puisque Dieu leur réserve une éternité de paradis. Il pensait aussi, il explique longuement dans ses essais, que le racisme gangrénait et causait autant de mal, en enfermant et en isolant les individus dans leurs ressentiments, à l’Amérique blanche qu’à l’Amérique noire.  Il affirmait aussi que le problème n’était pas résolu à plus ou moins long terme la situation exploserait. La montée dans les années soixante de l’idéologie de l’emploi de la violence dans le Black Panther Party avait tendance à porter crédit à ses thèses…

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             Nous avons déjà chroniqué en ce blogue plusieurs livres de James Baldwin, celui-ci est un peu différent. C’est bien un livre pour les enfants. Très instructif pout les grands. C’est aussi un livre de commande. Un peu spéciale. Elle provient de son neveu Tejan qui du haut de ses quatre ans lui demande pourquoi il n’écrit pas un livre sur… Tejan. Baldwin lui promet qu’il le fera. Il tiendra parole. Le livre paraîtra en 1976 avec les illustrations de son ami Yoran Cazac. Vous trouverez dans les différentes préfaces et postfaces des principaux protagoniste, témoins et participants de cette histoire.

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             Ce n’est donc pas un véritable inédit, un de ces manuscrits trouvés au fond d’un tiroir puisque le volume fut édité en Amérique. Mais l’œuvre de Baldwin est si foisonnante, romans, essais, théâtres, articles, correspondances… que ce livre illustré a été quelque peu occulté dans la mémoire collective. Ce n’est sûrement pas un hasard s’il a été sorti de par chez nous durant la campagne présidentielle américaine…

             Que nous conte ce Little Man ? Pas grand-chose et beaucoup. Les dessins de Yoran Carzac occupent la plus grande partie des pages, pour la petite histoire Cazac n’avait jamais mis les pieds à Harlem, lieu où se déroule le récit. Il s’est laissé guidé par les propos de Baldwin, les photos familiales qu’il lui a remises et quelques documents photographiques glanés de-ci de-là.  Entre nous soit dit nonobstant le fait que tous les personnages sont noirs, les teintes claires des aquarelles et l’innocence qui émane de ces vues familières de la vie de trois enfants auraient très bien pu être utilisées pour raconter une enfance provençale…

             Le récit possède une unité de lieu et une unité de profondeur. Bien sûr TJ s’échappe de temps en temps de la rue dans laquelle il habite, mais elle demeure l’axe central de l’action. Donc trois gamins, TJ et son ballon, WT qui ne rate une occasion pour danser, et Blinky la grande sœur (huit ans) qui les suit partout, qui de fait est là pour les surveiller. Ou plutôt, sachez apprécier la différence pour les protéger. De quoi au juste. A part jouer au ballon, rendre service aux voisines, acheter quelques sous de bonbons, ils ne font pas grand-chose, ne dites pas qu’avec les voitures un accident est vite arrivé. Il surviendra comme il se doit, pas grand-chose pour nous, un tantinet traumatisant pour des gaminos, mais rien de grave.

             Baldwin n’en dit pas plus, tout est bien qui commence et qui finit bien. Baldwin révèle tout. La grande menace. La grande défense. Pire que le racisme, la grande misère, les gens ne meurent pas de faim, mais de leurs vies étriquées, éteintes, et de leurs corollaires la drogue et l’alcool, portraits saisissants de voisins engoncés dans les cul-de-sac de leurs existences flétries. Juste un regard d’enfant qui voit tout sans tout comprendre, aucun réquisitoire, aucun jugement, juste la sensation d’une réalité estompée par la naturelle ignorance de l’enfance, jusqu’à cette intervention de la police, prémonitoire en le sens où elle ressemble à une feuille de calcul prévisionnel Excel, Yoran Cazac nous la transpose en images de comics économiques ou de série télévisée en blanc et noir…

             Face à ce quotidien implacable, rien. Si un filet de sécurité invisible. Les enfants ne sont jamais seuls, les adultes avec leurs failles ne sont jamais loin, de même les enfants sans le savoir apportent une aide précieuse aux adultes dans leurs difficultés, la communauté possède ses remparts, elle encaisse les coups mais tout comme la présence des leucocytes dans le sang elle possède ses moyens de défense prêts à atténuer et à stériliser l’entrée pathogène des virus… Les globules blancs défendent les corps noirs, ils ne sont d’ailleurs jamais tout à fait noirs non plus, Baldwin explore les teintes, nous dirons qu’ils sont dorés. Aussi précieux que l’or.

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             Quelques pages à ras d’enfance, Baldwin ne dit rien, il montre tout. Mieux il démontre. Sans une once de moraline. Sans discours étayé. L’art d’un grand écrivain.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pourrais pas vous donner la date exacte, je l’ai notée quelque part mais je ne la retrouve pas, bref c’était en octobre, le matin, et j’étais en train de beurrer les biscotes…

    GENE VINCENT, MOI, ET LES AUTRES

    RETOUR DANS LE PASSE

    … de mon petit déjeuner. Une occupation sacrée à laquelle je consacre toute mon attention, avec le même soin que je prendrais, moi le kroniqueur branleur et branlant, si j’étais en train de préparer une libation propitiatoire en l’honneur de Poseidon, l’ébranleur de la terre. En tout cas, Poseidon doit encore ronflouter doucement sur un doux lit d’algues parfumées, il ne moufte pas, la matinée s’annonce calme, le tchou-tchou bienveillant de la cafetière électrique berce en moi les derniers relents de sommeil, la radio marche mais je ne l’écoute pas. L’art de beurrer une biscote  exige soin, application, et concentration, c’est un peu le contraire de l’origami, la matière friable que vous tartinez ne doit aucun cas plier et rompre sous la pression du couteau, la radio cause toujours, l’on est sur France-Inter qui s’infiltre dans mon oreille distraite et Claude Askolovitch débute sa chronique en évoquant un enfant que ses parents endorment au son d’Elvis Presley et de GENE VINCENT, je sursaute, ma cafetière aussi, est-ce que le nom de ces deux américains lui a rappelé les westerns de son enfance, toujours est-il qu’illico elle se transforme en locomotive à vapeur lancée à plein régime, son tchou-tchou vaporeux s’est instantanément métamorphosé en grondements terrifiants, au tintamarre qui envahit la cuisine j’en déduis qu’elle est poursuivie par une bande de peaux-rouges criards ivres de sang et de fureur, eux-mêmes pris en chasse par le Septième de Cavalerie qui galope ventre à terre de toute la force de ses clairons… bref je ne parviens pas à saisir le nom de cet individu ni la suite de sa carrière.

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             Que le nom de Gene Vincent soit prononcé avant sept heures du matin demande une enquête. Qui est cet enfant béni des Dieux que ses parents ont élevé dans la plus stricte orthodoxie rock’n’rollienne, comment a-t-il évolué, serait-il aujourd’hui devenu un chanteur de rock… Au plus vite je récupère le podcast de l’émission sur le net. Je vous livre son nom : il s’agit de Djubaka, son nom est fièrement claironné sur les antennes de France Inter chaque fois qu’est diffusé un morceau de musique. Il est le directeur musical de la chaîne. Disons que je ne partage pas ses goûts, je fais souvent la grimace, bon au moins il aura servi une fois à quelque chose dans sa vie puisque grâce à lui le nom de Gene Vincent est prononcé sur France-Inter.

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             L’histoire aurait pu se terminer là, mais le Démon de la perversité cher à Edgar Poe m’a poussé à en savoir plus. Qu’apprends-je sur lui, outre ses goûts musicaux, il avoue toutefois qu’il aime la noise music mais qu’il  n’en programme point sur Inter parce que cela déconcerterait le public aux oreilles sages.  Entre parenthèses le gars n’a pas l’air idiot, l’a une allure de dandy, tous les goûts sont dans la nature (sans doute parce que la nature, marâtre impitoyable, n’a pas de goût, cette assertion demanderait une lecture attentive de L’Ethique de Spinoza), mais lorsque l’on cherche l’on s’expose à trouver ce que l’on ne cherchait pas. En l’occurrence je ne cache pas que je dois être le centre de l’univers, puisque ma recherche me ramène très rapidement à ma modeste personne. Avec sa compagne Anne, Djubaka animent aussi la luxueuse revue papier Hey ! Modern Art & Pop Culture, je file illico sur le site, je clique un peu au hasard sur le nom d’un artiste et je tombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers, diable mon ordi est fatigué, je reclique et retombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers et j’apprends que Paul Toupet participe du 11 octobre au 21 novembre 2024 à l’exposition Harmonie ou Le milieu des Mondes organisée dans Le Carmel.

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             Lieu que je connais bien, puisque je suis né à Pamiers et que mon collège, aujourd’hui détruit (qui abritait aussi en ses murs multi-centenaires une école primaire) faisait face à ce Carmel, longtemps abandonné… Bref je remercie Djubaka, Gene Vincent et les mille chemins ouverts du monde de m’avoir ramené chez moi. Sur les lieux de mon enfance.

    Damie Chad.

            

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 545 : KR'TNT 545 : STANLEY BOOTH / BEVIS FROND / MCLUSKY / ASHEN / CERBERE / MARIE DESJARDINS / ILLICITE / JAMES BALDWIN / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 545

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 03 / 2022

    STANLEY BOOTH  / BEVIS FROND

    MCLUSKY / ASHEN / CERBERE

    MARIE DESJARDINS / ILLICITE

    JAMES BALDWIN / ROCKAMBOLESQUES

    This Booth are made for walking

     

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             Dans la richissime bibliographie d’It Came From Memphis, Robert Gordon nous renvoie sur Rythm Oil, un fantastique recueil d’articles du trop discret Stanley Booth. Encore une sorte de passage obligé ! Stanley Booth fait partie de cette caste d’esthètes locaux qu’on pourrait appeler les Southern Gentlemen. Sur l’illusse, on le voit en compagnie de Keef. Booth est le grand spécialiste américain des Stones qu’il accompagnait en tournée à l’âge d’or et auxquels il a consacré trois ouvrages de référence, dont une bio de Keef.

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             L’édition 1991 de Rythm Oil est déjà en soi un petit chef-d’œuvre typographique : format choisi, belle main du bouffant, marges confortables et grande élégance des équilibres typo. Le contenu se hisse à la hauteur du contenant. Comme Robert Gordon, Stanley Booth va trouver les gens chez eux et donc, il propose ici une fabuleuse galerie de portraits. À commencer par Furry Lewis qui raconte les conditions dans lesquelles il perdit sa jambe : «Started going about, place to place, catching the freights. That’s how I lost my leg. Goin’ down a grade outside Du Quoin, Illinois, I caught my foot in a coupling» (le pauvre Furry s’est pris le pied dans un attelage et on lui a coupé la jambe sous le genou). Stanley emmène Furry à l’enterrement de Mississippi John Hurt et Furry fait un discours : «This is Furry Lewis talking. We come clean from Memphis to be with you today. I knew John Hurt from the old days. Me and him used to play together on Beale Street.» Pour Furry, John Hurt était l’un des meilleurs, «but he was so ugly. I swear ‘fore God he was.» Pour rencontrer Fred McDowell, il fallait prendre la route après Hernando, traverser Love et Coldwater et arriver dans un bled nommé Como. C’est là qu’on trouvait le meilleur des jeunes guitaristes (en dessous de la soixantaine) qui jouaient le vieux Delta blues : il servait de l’essence au Stuckey’s Candy Store. Fred avait passé sa vie en tant que sharecropper (métayer) et comme il ne s’en sortait pas, il décida d’arrêter les frais : il remboursa tout ce qu’il devait à son boss (pour la terre, les semences, les engrais, le loyer de la cabane et la mule) et pour solde de tout compte, il ne lui restait plus que 30 dollars. Il prit alors le job de pompiste qui rapportait mieux.

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             Quand Stanley Booth s’attaque à Elvis, ça donne des pages superbes. C’est de la sociologie, au sens où l’entend Bourdieu. Booth explique en effet qu’Elvis vient en direct du personnage que Brando incarne dans The Wild One - Les jeunes filles du Sud appelaient ces mecs the hoods, c’est-à-dire les voyous. «Tous des marginaux, avec leurs duck-tails, leurs Levis sales, leur bottes de bikers, leurs T-shirts et leurs blousons de cuir. Ils portaient des rouflaquettes qui exprimaient leur mépris de l’American dream. Ils étaient trop pauvres pour s’en payer une tranche. Quiconque écrit sur Elvis devrait se souvenir qu’il lui fallut un courage énorme pour faire partie des hoods et chanter. Un mec comme lui pouvait être mécanicien, peintre en bâtiment, chauffeur de bus ou même flic, mais pas chanteur.» Stanley Booth revient aussi sur le Colonel Parker pour insinuer que cette crapule fit tout ce qu’il put pour empêcher Elvis d’évoluer dans quelque domaine que ce fut. Stanley Booth rencontre aussi les Bar-Keys avant leur disparition, et les MGs. Il brosse de très beaux portraits de Steve Cropper («Steve is an enigma») et de Donald Duck Dunn («Duck, short and plump, seems more of a good ole boy than anyone at Stax, but he is the only one who has been influenced by the hippies»). Booth le voit jouer de la basse des deux doigts, les deux autres tenant une cigarette. C’est la raison pour laquelle le Booth book est essentiel : Booth observe.

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             Il rencontre bien sûr Isaac Hayes : «Il porte une toque russe, un pull-over blanc à rayures vertes, un pantalon vert vif, des chaussettes transparentes et des chaussures brillantes en lézard vert. Il porte un sac rempli de tissu zèbre dont il compte de faire un costume.» Puis voilà Chips Moman qu’on considère comme «the living embodiment of the Memphis Sound». Et ça continue de décoller avec Charlie Freeman : «Quand Freeman était ado, Memphis était une ville gérée par des groupes religieux fondamentalistes et ségrégationnistes qui incarnaient très exactement ce contre quoi Freeman voulait se révolter.» Mais, ajoute Booth, de l’autre côté du fleuve, à West Memphis, il y avait the Plantation Inn et «Freeman and every other punk alive were doing what the neon sign said, Having Fun With Morris.» Booth rappelle que Charlie Freeman était un guitariste de session très réputé, qu’il accompagna des gens comme Chuck Berry, Slim Harpo, et Bobby Blue Bland. Charlie adore tirer des coups de feu dans le plafond du studio - Anyone knew he was, if not an indian, at least a real renegade riding the owlhoot trail (un voyou en cavale) - Avec les Dixie Flyers, Charlie va accompagner tous les géants d’Atlantic et d’ailleurs. On surnommait Charlie «the Mozart of self-destruction». Jerry Wexler était fasciné par son jeu : «Listen to that Charlie Freeman. High as a kite and playing like a bird». Booth ajoute : «Il sortait du studio à Miami, après des heures de boisson, de dope et de musique. On le voyait lever les yeux vers le ciel, puis regarder sa montre et dire : ‘Hell, man, il est onze heures de l’après-midi.» En guise d’épitaphe : « Quand il mourut, Charlie portait son jean favori, sa chemise en flanelle rouge, et même son caleçon rouge. Dans sa poche se trouvaient sa pointe de flèche, son médiator en or et le couteau de son grand-père. Il est mort avec ses bottes aux pieds. Remember the Alamo. FUCK YOU.» Autour de la tombe de Charlie, tout le monde chialait : il y avait des proches, des musiciens, des dealers, des gangsters, des fous, c’était nous dit Booth, un sacré spectacle.

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             Il se fend aussi de petits passages éclairs qui font de lui un écrivain du même niveau que Dickinson : «L’alligator est mon animal totem. J’en avais tué un, mais je n’en avais jamais mangé. J’ai donc acheté de la bière et de l’alligator et me suis assis sous un chêne. Comme le dit un jour Brian Jones qui se préparait à déguster du mouton, it was like a communion.» Booth tire aussi des coups de chapeau à Miles Davis, aux Staple Singers, à Roy Orbison et aux Neville Brothers. Autant de bonnes raisons de lire ce livre. Booth consacre aussi un beau chapitre à Al Green et rappelle qu’en 1976, Green rencontra tellement d’hostilité en devenant pasteur qu’il dut acheter sa propre église. Booth profite de ce chapitre haut en couleurs pour revenir bien sûr sur Willie Mitchell, le boss d’Hi. Il salue aussi William Bell qu’il voit sur scène et il se demande comment une boîte comme Stax, avec autant de talents, a pu se casser la gueule. Tiens puisqu’on parlait des hoods, voilà Billy Gibbons et la fameuse Memphis connection. Billy eut beaucoup de chance : son père Fred Gibbons lui offrit une Gibson Melody Maker et une ampli Fender Champ pour Noël en 1963. Il avait 14 ans. Fred Gibbons encourageait son fils à faire ce qui lui plaisait, contrairement à ce que faisait alors la grande majorité des parents qui préféraient les métiers sûrs. Fred Gibbons savait qu’un musicien pouvait vivre très confortablement de sa musique. Bill Ham, le manager de ZZ Top, avait étudié les méthodes du Colonel Parker : il protégeait le trio des médias, mais à l’inverse de Parker, Ham s’intéressait de très près à la musique. Ce qui fait toute la différence. «The important thing is, Ham and ZZ Top knew what they wanted to hear.» Booth rappelle les conditions dans lesquelles ZZ Top explose avec Fandango : 75 tonnes de matériel en tournée, et sur scène, on amenait un bison, un longhorn du Texas, un loup, cinq vautours et un nid de serpents que les vibrations des amplis ont fait crever. Ils gagnèrent alors tellement de fric qu’ils arrêtèrent de bosser pendant cinq ans. Ils titrèrent l’album suivant De Guello en souvenir d’Alamo : Davy Crockett et Jim Bowie entendirent les Mexicains crier ‘De Guello’, qui signifie ‘Pas de quartier’. Billy Gibbons rappelle que si son groupe a tenu si longtemps, c’est parce qu’il existe chez eux un amour profond de la musique et un robuste respect mutuel. Pas mal, n’est-ce pas ?

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             Booth termine sa galerie de portraits avec les Stones et James Brown. Ce qu’il dit des Stones est passionnant : «J’avais vu les Beatles, mais je trouvais que Chuck Berry chantait mieux ses chansons. Les Stones retinrent mon attention car ils ramenaient Howlin’ Wolf.» Booth va en Angleterre rencontrer les Sones en 1968 et il tombe sur Jo Bergman, une secrétaire américaine qui a lu Henry James, et un publiciste, Les Perrin, qui avait travaillé pour Louis Armstrong et Frank Sinatra - Bergman and Perrin, in other words, possessed frames of reference - the kind of thing you still need to understand Keith Richards and what in time he would become - Et là il tire l’overdrive : «Keith’s inensity of focus and his obvious rejection of middle-class values almost made me speechless» (l’intelligence de Keith et son mépris des valeurs de la classe moyenne m’ont laissé sans voix) -  Dans le chapitre extraordinaire qu’il consacre à James Brown, Booth narre les démêlés du Godfather avec la justice, dus à une forte consommation de PCP. Le flic Taylor raconte que James Brown conduisait avec les bras en l’air. Il était complètement incohérent et ne tenait pas debout. La prise de sang révéla une forte présence de PCP. Dans ce chapitre fameux, Booth raconte aussi l’histoire de la relation entre James Brown et Jacque Daughtry, une blanche qui tomba follement amoureuse de Mr Dynamite. Encore un chapitre à lire impérativement, quand on aime les vraies histoires.

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             L’ombre de Jim Dickinson plane bien sûr sur Rythm Oil, qui en fait est le nom d’un breuvage qu’on vendait sur Beale Street. Dickinson donne une troublante définition de la Soul music : «Le marché semble s’effondrer par moments, mais ça revient toujours, parce que la musique intègre va survivre. On dit que la Soul music parle d’oppression et de pauvreté, c’est en partie vrai - aucun Soul man n’est né riche - mais ça va beaucoup plus loin que ça. C’est une façon de dire : je suis fier de mon peuple, de mes origines. Voilà ce qu’est la Soul.» Dickinson rappelle qu’everybody learned it from the yard man - tout le monde a appris la musique avec le jardinier, «et c’est aussi vrai pour les grands, y compris Jimmie Rogers, Hank Williams et Sam Phillips.» Et grâce à Booth, on apprend que Billy Gibbons craignait Dickinson qu’il voyait comme un shaman.

             Et bien sûr, le vrai héros de ce classique littéraire, c’est le Memphis Sound : «Durant ces décennies qui vont de la fin des années 40 à la fin des années 50, la vie a changé dans le monde entier, grâce à quelques non-conformistes de Memphis. Ce changement s’est opéré en presque trois décennies, avec Stax, Goldwax, Sonic, Royal, American, Fretone, Onyx, Ardent et d’autres studios. Qui allait-on croiser par une nuit pluvieuse à Memphis ?» Et Booth en rajoute une louche plus loin : «The Memphis Soul Sound grows out of a very special environment.» Quand il rencontre Dan Penn, il lui pose la question :

             — Dan, qu’y a-t-il de spécial à propos de Memphis ?

             — Ce n’est pas Memphis, c’est le Sud

             — Oui, mais que veux-tu dire ?

             — Ici les gens ne supportent pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire.

             Et l’ami Booth repart de plus belle avec un texte d’intro : «Having written about Furry Lewis, Elvis Presley, Otis Redding and B.B. King, I slowy awoke to the realization that I was describing the progress of something, a kind of sexy, subversive music.» (Il réalise qu’en consacrant des articles à B.B. King Otis, Elvis et Furry Lewis, il était en train d’expliquer le développement d’un phénomène musical à la fois subversif et sexy). Et pour illustrer son propos, il raconte la déconfiture de Janis Joplin sur scène à Memphis. En effet, le public de Memphis était habitué à autre chose : «Elle avait bien chanté et tout était en place. Mais ça n’est pas passé. Elle retourna dans sa chambre au Lorraine Motel, où B.B. King et d’autres chanteurs de blues avaient eux aussi passé des soirées malheureuses.»

    Signé : Cazengler, Stanley Bide

    Stanley Booth. Rythm Oil. Pantheon Books 1992

     

    L’avenir du rock

     - Thierry la Frond (Part One)

            

    L’avenir du rock voit de temps en temps un vieux copain à lui devenu producteur de séries télévisées. Ils vont casser la croûte ensemble Chez Paul, rue de Charonne, comme ils l’ont toujours fait, depuis le temps de leurs études. Ils ont très bien connu les anciens propriétaires, un petit vieux qui accueillait les clients et qui servait le vin, et une petite vieille qui cuisinait elle-même ses pommes de terres sautées à l’ail. Ils s’installent à leur table, une table qu’il faut désormais réserver car les gens font la queue pour manger là : les nouveaux propriétaires ont su maintenir la tradition de cuisine familiale. Ils attaquent avec leur vieux cru de Pinot Noir.

             — Alors avenir du rock, où en es-tu de tes tribulations ?

             — Je fais en sorte qu’elles restent dans le rang...

             — Ah oui, je te vois venir, tu vas me ressortir le plan des Tribulations d’un Chinois en Chine, ha ha ha, tu ne changeras donc jamais. Tu admires toujours autant ce grand futuriste que fut Jules Verne ?

             — Je trouve qu’on manque un peu de visionnaires par les temps qui courent. Et toi où en es-tu de tes projets révolutionnaires ?

             — J’envisage un remake de Thierry la Fronde. Mais les comédiens que je sollicite déclinent l’offre les uns après les autres. Ils trouvent le personnage trop typé, c’est le syndrome de Belphégor. On ne peut pas réinventer ce type de personnage. Les remakes sont généralement voués à l’échec.

             — J’ai peut-être une idée, mais te plaira-t-elle ?

             — Je t’écoute...

             L’avenir du rock remplit les verres de Pinot alors qu’on amène les entrées :

             — Imagine que Thierry la Fronde soit devenu très vieux, qu’il se soit laissé pousser de grands cheveux blancs et qu’il se soit mis à jouer de la guitare électrique, histoire de rester synchrone avec son temps...

             — Ah oui, pas mal... Vraiment pas mal... Avec le médaillon et le costume d’époque ?

             — Oui, bien sûr.

             — Et tu connais l’acteur ?

             — Oui bien sûr. Il est anglais. Il s’appelle Nick Saloman, mais les gens le connaissent sous le nom de Thierry Bevis Frond. Je suis certain qu’il sera partant. Tiens, je t’écris son numéro de téléphone sur la nappe. Dis-lui bien que c’est de la part de l’avenir du rock.

     

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             Nick Saloman a derrière lui 25 big shots de Bevis Frond, mais plus que tous ses collègues, il incarne l’avenir de la couronne d’Angleterre. La preuve ? Cet album qui vient de paraître, Little Eden, qui est en fait un double album pour le moins explosif. On y compte pas moins de trois coups de génie, à commencer par ce «Find The Mole» terré en B. C’est quasi-stoogy dans l’attaque - Someone’s talking to me/ I don’t understand a word - Avec un killer solo flash in the flesh. C’est en C qu’on trouve «Here Come The Flies», un fabuleux groove de rock qu’il embarque sous le boisseau et qu’il joue au coulant psyché capiteux. Certainement le meilleur coulé de psyché de l’histoire du coulé psyché. Le troisième coup de génie est le dernier cut de la D, «Dreams Of Flying», embarqué au riff de basse dévorante. Il avale un poème fleuve et profite de son élan pour s’envoler, c’est d’une rare puissance et c’est même imparable. Il passe en mode hypno et là quelle délectation ! Il finit sur des objurgations, hang on to you/ Happy endings/ They may/ Stop your/ Path descending et ça continue au hang on/ To your/ Higher call/ It may/ Catch you/ When you’re/ Falling - Pure genius ! Avec «Cherry Gardens», il frise le Dinosaur. Il n’a rien perdu de ses pouvoirs. Avec «Numb In The Head», il devient gaga de gaga, il connaît ses limites, mais il ne ressent rien, not feeling anything. Sacré Thierry ! Avec le «Start Burning» d’ouverture de bal de D, il revient au heavy rock et le bourre de contenu et d’une volée de wah. Il est en colère, génial et enpowering. Il a deux cuts qui sonnent comme des vieux hits du Teenage Fanclub : «My Own Hollywood» et l’«Everyone Rise» d’ouverture de balda. Il est en plein dans «Everything Flows». Belle envolée avec un thème de guitare avoisinant. Joli shoot d’insidious que l’«You Owe Me» propulsé par un beat excédentaire. Il remet en route sa vieille formule de défilement à l’infini et profite de l’occasion pour passer un wild killer solo flash. Attention au «Do Without Me» qui se planque en B juste derrière the Mole. Thierry remet la pression du rock anglais ultra-chanté et investi par du solo de Frond, l’un des sons les plus purs d’Angleterre, fluide et si électrique, au sens Peter-Greeny de la chose. Le cut le plus spectaculaire de l’album est sans doute l’«As I Lay Down To Die» : un big atmopsherix drivé à la guitare. Il passe un solo de wah entre deux couplets d’agonie - No sickness or injury/ Just an echo asking/ Why I allow this to diminish me/ But this is out of my control - Il sort du sarcophage higher/ Then I will ever be, accompagné d’un solo fluorescent.

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             Pour Shindig!, Roberto Calabro rencontre celui qu’il qualifie de national treasure. Thierry  Bevis Frond a démarré nous dit Calabro le Calabrais en mode one man band et pour Little Eden il y revient.  Il envisageait de faire l’album avec ses copains, mais comme les démos qu’il avait préparées sonnaient bien, elles sont devenues l’album. C’est lui qui a photographiés le HLM qu’on voit sur la pochette, The Ferrier Estate in Kidbrooke, South London qui depuis a été rasé. Calabro dit aussi que Thierry Bevis Frond a rassemblé toute sa paraphernalia pour cet album : nostalgic pop songs, delicate acoustic numbers, guitar-oriented psych tunes, and brillant rockers et il cite le fameux «Find The Mole». Thierry Bevis Frond fête aussi le 35e anniversaire du groupe. Quand le Calabrais lui demande quels sont les albums du groupe les plus représentatifs, Thierry cite Miasma, New river Head, Valedictory Songs and Maybe We’re Your Firends Man. Albums effectivement géniaux sur lesquels nous allons revenir incessamment sous peu.

    Signé : Cazengler, Bavasse Frond

    L’avenir du rock - Thierry la Frond (Part One)

    Bevis Frond. Little Eden. Fire Records 2021

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    Roberto Calabro. Back to the garden. Shindig! # 119 September 2021

    Inside the goldmine

    - Unlucky mclusky

     

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                Pour des raisons esthétiques, on va l’appeler R. Il n’avait pas un prénom très moderne. Disons démodé. Alors va pour R. Copain de lycée. Passionné de bagnoles de sport. Alors qu’on roulait tous en mobylettes, lui roulait en TR4. Une belle TR4 blanche avec le fameux overdrive au tableau de bord. Il adorait aller faire un tour sur le circuit des Essarts. Rrrrrroooommm bam balam. C’est vrai qu’elle tenait bien la route, sa Triumph. Il l’avait refaite entièrement, moteur et carrosserie. Un passionné. Le week-end, on allait faire les cons sur la côte. Vers Honfleur. Une boîte un peu glauque qu’on aimait bien et où on entrait à l’œil. On partait le vendredi soir et on rentrait au bercail le dimanche matin. Si on dormait, on dormait dans la bagnole, mais c’était assez rare. Le seul problème c’est qu’on n’avait pas de blé pour faire le plein. Alors système D : bidon et sifflette pour aller pomper l’essence sur les parkings. Dégueulasse. Car on avalait de l’essence à l’amorçage de la sifflette. On se rinçait la bouche au Ricard. Chacun un flash dans la poche. Ça devenait une routine. Semaine après semaine. Jusqu’au jour où...

             — Bougez plus ! Les mains en l’air !

             Il devait être le seul mec en France qui ne dormait pas et qui surveillait sa voiture depuis la fenêtre de son appart ! Il crevait de trouille. Il pointait un fusil de chasse sur nous.

             — J’ai appelé les flics, y z’arrivent ! Bougez pas j’ai dit !

             R se mit à sourire et quand on le connaît, ce petit sourire carnassier n’est pas bon signe. R baissa lentement les bras et dit au mec en rigolant :

             — Vas-y, tire-moi dessus, ma couille.

             Évidemment, le mec a tiré. Bhaaam ! R reçut la décharge en pleine poitrine. Sa chemise blanche était parsemée de petits points rouges. Il fut le premier surpris de n’être pas mort. Cartouche de gros sel ! R attrapa le bidon rempli d’essence et frappa le mec à la volée, schbounz, en pleine gueule. On eut tout juste le temps de mettre les bouts avant l’arrivée des condés. Au volant, R se marrait :

             — Lucky unlucky, poto, mais tu vois, ça le fait bien...

             Façon de parler.

     

             À leur façon, Andy Falkous et mclusky ont eux aussi joué au petit jeu du lucky unlucky. Mais ils ne sont pas aussi lucky que R. Plutôt unlucky. Comment un trio aussi brillant a-t-il pu disparaître ? Dans deux mille ans, les archéologues se pencheront probablement sur ce mystère.

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             C’est avec mclusky Do Dallas que mclusky est arrivé dans le rond du projecteur. L’album fit sensation dans la presse anglaise. Trois des titres de cet album pourraient figurer sur n’importe quel album des Pixies : «Alan Is A Cowboy Killer», «Gareth Brown Says» et «Chases». Falkous y fait son gros Black, c’est-à-dire qu’il attaque l’Alan à la sauvette et qu’il l’explose aussi sec, il plonge mclusky dans la bassine d’huile bouillante des Pixies, c’est extrêmement saisissant. Ça remonte un temps, Alan is a cowboy killer, et boom, avec à la suite un killer solo flash in the flesh. Même chose avec le Gareth Brown et Chases, ça cogne dans les tibias, ils tapent dans le heavy hardcore du gros, ils courent après leur cut qui s’enfuit, on se goinfre de l’excellence de cet album qui est une véritable orgie de démesure. Nouveau coup de génie avec un «The World Is Over Bitch» plongé dans le chaudron de scream des Pixies, avec un truc plus demented, comme si c’était possible. Ils poussent encore le bouchon de la folie. Viva mclusky ! Le «Lightsabre Cocksucking Blues» d’ouverture de bal est un modèle d’insanité, ils jouent au no way out, c’est d’une beauté désespérante, ça hurle dans le chaos de la fin du monde, ces mecs ont le talent de leur folie. Ça nous guérit des ravages de la médiocrité. Ils repartent de plus belle avec «No New Wave No Fun» dans l’extrême onction de l’insanité, Andy Falkous chante tout au bord du gouffre, c’est extravagant de power destructeur, peu de groupes sont allés aussi loin dans le process de la défenestration. Andy Falkous met le paquet. Ils continuent de chatouiller les cuisses de la muse qui entre en transe avec «Collagen Rock», ils nous emmènent dans le vrai monde, le monde interlope, celui du fard et du beat inexpected, ils cultivent toutes les véroles, toutes les sous-jacences, ils ont des dons atroces, ils flirtent avec la démesure des Pixies et ne vivent que pour la bille en tête. On entend Jonathan Chapple ramoner «Day Of The Deadringers» à la basse underground. Ils passent d’un climat à l’autre sans coup férir, c’est leur apanage, ils jouent bien le jeu dans «Fuck This Band» et on retourne aussi sec en enfer avec «To Hell With Good Intentions». Andy Falkous y perd le contrôle de sa voix.

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             Leur premier album paru en l’an 2000 s’appelle My Pain And Sadness Is More Sad And Painful Than Yours. Il est aussi intense et aussi barré que Do Dallas. Ils font déjà les Pixies avec trois cuts : «Medium Is The Message», «When They Come Tell Them No» et «You Are My Sun».  «Medium Is The Message» est amené comme souvent chez les Pixies par la menace d’un bassmatic et ce démon d’Andy Falkous plonge dès qu’il peut dans sa friture, mais il ressort à sec pour le deuxième couplet. C’est un averti qui en vaut deux, il fait comme le gros, il se réserve pour les apocalypses, même façon d’avancer dans la ville en flammes avec de chant dérangé et mirifique. Le bassmatic de «When They Come Tell Them No» est aussi celui des Pixies, c’est vite livré au délirium et avec «You Are My Sun» Falkous replonge aussi sec en enfer. Il explore tous les replis du gros et ramène de ses explorations du power et de la folie. C’est à peine croyable. «Flysmoke» pourrait aussi sortir d’un album des Pixies, avec ce riff de guitare sur le côté du chant, l’agressivité se joint à la douceur du temps. Il refait encore son gros Black avec «Rock Vs Single Parents», même attaque que celle du gros, à la déconstruction et au scream de brûlé vif, puis redescente dans le doux du son avant d’aller screamer de plus belle. «She Comes In Peace» sonne comme un coup de génie, cet ultra punk blues est littéralement saturé de violence. On dira la même chose de «Problems Posing As Solutions» : ils allument leur pétard d’entrée de jeu et boom !, c’est plein de nappes et plein de clameurs infernales. Ils sonnent comme des saucisses qu’on vient de jeter sur le grill, ils dansent la Saint-Guy des grands brûlés vifs. Ils rôdent dans les cendres de leur légende en devenir. Comme le gros, ils maîtrisent le petit jeu des alternances entre le calme et la tempête. Et si on souhaite entendre une basse dégueulasse, elle est dans «World Cup Drumming». Cette basse cacochyme tousse dans un defeaning blast. C’est l’hymne de la fin du monde, idéal pour finir un album aussi perturbant. Les chorus explosent et les hurlements battent tous les records de Hurlevent.

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             On pourrait qualifier The Difference Between Me And And You Is That I’m Not On Fire d’album des apocalypses pour au moins une raison : «Support Systems». Andy Falkous rôde dans les parages, fais gaffe, il est capable de tout, il développe pour exploser et il explose. Il vise la clameur définitive. «1956 And All That» et «Falco Vs The Young Canoeist» sont encore deux horreurs collatérales. Ils tapent le 1956 au heavy hardcore de youh-youh, ils jouent comme des crabes dans la bassine d’huile bouillante, youh-youh !, et ils explosent Falco dans l’œuf du serpent. Il est un peu comme le diable, cet Andy Falkous, il joue sur tous les tableaux. On comprend dès le «Without You I’m Nothing» d’ouverture de bal qu’on est un big album, ça chante à l’allant, mais pas n’importe quel allant : l’allant définitif. Tu rentres tout de suite dans le monde de mclusky, ils y appliquent les lois du hardcore, mais avec des réserves Pixies/rock/punk qui les rendent accessibles. Ils amènent «She Will Only Bring You Happiness» au pur jus de sunshine pop et c’est béatifiant, explosé de soleil, mais le son a des crocs. Nouvelle alerte avec «Kkkitchens What Were You Thinking?», ils ont le diable au corps, ils dépassent tout ce qu’on peut imaginer. Toutes les falaises de marbre de nos a-prioris s’écroulent au passage de ces mecs-là. Ils collectionnent les exploits soniques, chez eux l’idée prévaut. Ils ne fonctionnent qu’à l’idée, comme le montre «Your Children Are Waiting For You To Die». Encore un cut ultime avec «Slay», l’une des pires explosions de l’histoire des explosions. Anndy Falkous plonge encore son «You Should Be Ashamed Seamus» dans la folie, il semble vouloir rivaliser avec le gros, le gros hurle beaucoup, mais Andy Falkous hurle encore plus.

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             L’idéal serait de commencer par visionner l’excellent Getaway Band (Live In London And Cardiff) paru l’an passé. On a les deux concerts sur le même support avec quasiment la même set-list, mais bon, on n’est pas obligé de voir les deux, car c’est tout de même très spécial. Toute la démesure et l’insanité du groupe est comme démultipliée. Leur hardcore gallois se situe exactement dans le même genre d’insanité que celle des Pixies, au temps où le gros hurlait comme un cochon. On croit que les mclusky sautent en l’air et qu’ils se roulent par terre, pas du tout. Andy Falkous garde le contrôle, il hurle dans son micro tout en grattant savamment sa Les Paul. Il est prodigieusement bien accompagné par Damien Sayell, bassman des enfers et l’encore plus infernal Jack Eggleston au beurre. Tu veux l’enfer sur la terre ? Laisse tomber Motörhead, c’est «Dethink To Survive» qu’il te faut. Falkous hurle tout ce qu’il peut et garde le contrôle. Il papote pas mal avec le public qui envoie des vannes. Falkous joue au petit jeu de l’apocalypse nerfs d’acier, c’est très impressionnant. Sur «Collagen Rock», Sayell saute en l’air. Ça continue de monter en pression jusqu’à «Alan Is A Cowboy Killer» qui explose et ils maîtrisent la folie de «Gareth Brown Says» à la perfection. Pure giclée de hurlette à la Frank Black. Ils jouent «Falco Vs The Young Canoeist» à deux guitares suraiguës, c’est l’attaque des frelons et Sayell chante cette abomination. Ils enchaînent avec l’un des sommets de power rock, «You Should Be Asheamed Seamus». Falkous le chante à l’extrême violence, il n’existe rien d’aussi violemment parfait dans le monde libre. «The World Loves Us And Is Our Bitch» atteint à la démesure des early Pixies. Falkous est la superstar d’un monde de son invention. Attention à ne pas confondre mclusky avec les groupes hardcore américains. 

    Signé : Cazengler, maclèchecul

    Mclusky. My Pain And Sadness Is More Sad And Painful Than Yours. Fuzzbox 2000

    Mclusky. Mclusky Do Dallas. Too Pure Too Pure 2002

    Mclusky. The Difference Between Me And And You Is That I’m Not On Fire. Too Pure Too Pure 2004

    Mclusky. Getaway Band (Live In London And Cardiff). Prescriptions 2021

     

    ASHEN

    C’était dans un temps lointain où l’on pouvait se rendre à un concert sans se cacher derrière un masque, ni présenter un pass de ceci ou de cela. Bref c’était autrefois, ce 19 avril 2019 Ashen prenait d’assaut la scène du Chaudron, et nous éblouissait. Un nouveau groupe, des inconnus, pas tout à fait puisque le scream-vocal était assuré par Clem des Fallen Eight, son ancien combo qui s’était séparé. Un groupe prometteur assurai-je, oui mais plus de nouvelles depuis les débuts de l’ère covidique.

    Ils ont survécu. Sont prêts à remonter sur scène, entre temps ils ont travaillé dur. Tout le long de l’année 2021 ils ont réalisé trois vidéos qui ont marqué les esprits si l’on en juge le nombre astronomique de followers.

    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud PoulLy ; bass / Tristan Broggeat : drums.

    HIDDEN

    (YT : 19 / 11 / 2021)

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    Esthetic Metalcore. D’abord les images. Le choc. Un boomerang que vous n’avez pas lancé, mais qui revient vers vous. Vous êtes la cible, tenez-vous-le pour dit en regardant cette vidéo. Un récif de corail éblouit votre vision, vous en oubliez la musique, vous ne la saisissez pas en tant que morceau mais en tant qu’articulation rythmique des images, le temps de les apercevoir une seconde en évidence, silhouettes noir cendré retranchées derrière le nom du groupe qui barre l’écran de ses lettres blanches, le code couleur est d’emblée annoncé, il ne s’aventurera jamais hors de ce trismégiste canon alchimique, c’est alors que survient le Tryptik, les clapper boys de Gene Vincent revisités façon hip hop bondissant, sont là pour ainsi dire en contrechant, car, c’est-là que réside le secret du mixage, les images se font musique, et la musique support des images, les musiciens ne jouent pas, sont saisis en tant qu’icones, le ballet est régenté tel un jeu d’échec, les pièces sont immobiles en elles-mêmes, vous êtes propulsé dans la tête d’un joueur, et devant vous défilent les différentes stratégies possibles qui s’offrent à son cerveau, les trois membres du triptyque miment la violence métallique, un son resserré à l’extrême radicalement fragmenté, impossible de vous arrêter mentalement dessus, ce n’est pas que tout va trop vite, c’est que le tout est éparpillé en milliers de minuscules congloméras soniques comprimés à l’extrême, déstabilisation totale, oui c’est violent, elle n’a pas encore explosé, c’est le scream de Clem qui la déchire et en crève l’enveloppe. Image mouvante et basculante. Le centre de gravité de votre iris en est tourneboulé. Le pire c’est qu’ils sont parvenus dans ce tourbillon à insérer un scénario. Une histoire de masque. Pas celui auquel vous pensez. Celui qu’arbore votre figure chaque fois qu’une personne vous aborde et que vous adaptez les mimiques de votre visage, afin de ne pas révéler votre vraie personnalité, non par machiavélisme, mais par peur d’être rejeté pour ce que vous êtes vraiment. Beaucoup de bruit et de fureur, pas en vain, pas gratuitement, pour briser la carapace de tortue derrière laquelle vous vous cachez, vous vous calfeutrez dans la cellule de votre solitude.

    Et la musique au juste ? Je vous invite à regarder pour ceux qui aiment mettre les mains dans le cambouis de la machine la vidéos suivante : Ashen – Hidden ( Guitar playthrough ) : Niels Tozer et Antoine Zimer, en plan fixe jouer leur partie, magnifique occasion de comprendre la subtilité et la technicité de  la composition. Passionnant. Tout autant que la vidéo précédente.

    OUTLIER

    (YT : 26 / 08 / 2021)

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    Déstabilisant. Le genre de vidéo dont on ne sort pas indemne. Rien à voir avec la précédente qui du coup s’apparente à un exercice de style. Ce qui est injuste car porté à un haut niveau de virtosité artistique. Sans doute faut-il la lire comme une suite à Hidden. Pas un nouvel épisode à l’histoire ancienne. Une étape, plus loin. Quand on ne parvient pas à sortir de soi-même, à s’extérioriser, l’on s’enferme en soi-même. On recule d’une case. Ecran noir, Clem vous fixe. Cheveux courts bleuâtres, teint blafard, le groupe derrière lui, en blanc infirmier, le monde se grise, la réalité se diffracte, Clem nous regarde, il est dans l’écran que regarde Clem, il danse, tel un épouvantail qui gesticule sous les poussées d’un vent de folie, rythmique incessante, il est assis dans la grisaille qui embrume son esprit, il parle, il s’explique, il se confesse à lui-même, d’une voix chantée mais blanche et creuse, il est las, éteint fatigué de lui-même, le décor change, déjeuner en famille, ambiance bourgeoise, bien élevée, l’on fait comme si, il explose à l’intérieur de lui, sa voix grimpe dans la plus haute tour, celle dont on ne descend pas, l’orchestre derrière lui déchaîné, il crie, il hurle, des mains l’agrippent, dans la famille, les visages esquissent des sourires, plutôt en rire qu’en pleurer, on le repousse au fond de soi, alors crise, rupture des digues de la folie, les guitares s’étirent à la poursuite de la note grise, des hauts et des bas, le désarroi est-il un asile, maintenant il est vêtu comme un prince en exil, Hamlet moderne, il se redresse, marche et s’empare du micro, Ashen fracture les portes de la catharsis, adhérence à l’aberrance.  

    Epoustouflant. Les amateurs de théâtre sont priés d’aller prendre une leçon de mise en scène. Sublime prestation de Clem.

    Tryptik est composé de trois danseurs émérites : Steven Deba, Adrien Larrazet, Kenj’y Keas.

    SAPIENS

    (YT : 19 / 11 / 2021)

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    Cauchemar . Sapiens. L’homme réduit à sa plus simple expression. Lui-même. Pas nous. Pas vous. Je vous le souhaite. Vous en connaissez tous. Ces épaves, enfermées en elles-mêmes, qui n’ont même plus la force de tendre la main pour mendier. N’attirent plus que le mépris et la haine. Le seul bouclier de la peur qui nous agresse. Vision glauque. Quelque part dans un passage souterrain du périphérique, une loque humaine seule avec son néant et sa parano. Scénario minimal. Tout est dans le mixage et l’interprétation. Des trois clips c’est celui qui laisse entendre l’importance du background musical. Ashen ne mise pas sur l’ampleur sonore, celle-ci s’apparente trop à une vision lyrique du monde, musique sèche, squelettique, mais incandescente, du bois qui brûle mais qui ne fume pas. Une combustion destructrice, qui interdit toute respiration. Vous tombe dessus, vous ensevelit sous les os des fosses communes que l’on vide au tractopelle dans les cimetières pour faire de la place aux futurs nouveaux venus. Les cris de Clem sont de cette rage contenue dont se consument les colères muettes, celles qui se retournent contre vous et vous auto-détruisent encore plus sûrement que le système social qui n’a plus besoin de vous. Ashen les cendres froides d’un monde glacé devenu inhabitable. Pour les sapiens que nous sommes.

    Reste à regarder la vidéo Ashen-Sapiens ( One take drum playtrough ) : l’occasion de voir Tristan Broggia en action éruptive et de mieux entendre l’osmose entre la batterie et la voix de Clem. Un bijou fulminant de haute précision. Prière d’enchaîner sur Ashen-Sapiens ( Bass playtrough ), Thibaud Poully qui nous donne à entendre le bruit de fond du groupe, qui n'est pas sans ressemblance avec le mystérieux et inquiétant bruit de l’espace que recueillent les physiciens. L’a des froissés étonnants, et une technique dans son travail sur la corde du haut qui n’est pas sans rappeler les primitifs fils de fer tendus sur un mur des cabanes de bois à l’origine du blues rural. Pour en savoir un peu plus sur le groupe, le visionnage de la vidéo-interview Thierry présente le groupe Ashen.

    Vous l’avez compris : Ashen, un groupe avec qui il va falloir compter.

    Damie Chad.

     

    CERBERE

    CERBERE

    ( EP / mars 2021 )

    Aimer les chiens ne suffit pas pour apprécier Cerbère, faut aussi aimer déambuler dans les méandres des Enfers. La légende raconte que c’est-là que les anciens Dieux et les Héros de la Grèce Antique fourbissent leurs armes et préparent leur retour. Quoi qu’il en soit le Chien à trois têtes garde l’entrée, un tantinet patibulaire le monstre ! Pour savoir si vous êtes prêt à l’affronter l’écoute du premier Ep de Cerbère s’avère être une très bonne préparation mentale. Si vous ne supportez pas, n’insistez pas. Ce n’est pas pour vous. La pochette de Thom Dezelus est un remarquable carton d’invitation. A peine ai-je entrevu les deux parois granitiques du souterrain, je n’ai pas pu résister. A mon humble avis elles vous filent davantage la frousse que les yeux et les museaux menaçants qui évoquent davantage la vie que la mort.

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    Cerbère, le groupe, possède trois têtes à savoir : Baptiste P. guitariste, Baptiste Reig, batteur, Thom Dezelus bassiste. Ne sont pas nés dans les champs phlégréens, proviennent tout simplement des alentours de Paris, soi-disant ville lumière. Nous supposons qu’ils doivent hanter les antres obscurs. Il ne semble pas que le groupe soit encore en activité en 2022, il se peut qu’ils soient en train de ruminer de noirs desseins. Que voulez-vous attendre de plus d’un trio maléfique qui se définit lui-même en trois mots : heavy-sludge-doom. Pas besoin de longs discours pour comprendre que l’on ne met pas les oreilles n’importe où. Vous ressentez un petit frisson dans le dos, rien de plus normal, ne citent-ils pas Abbath dans leur influence, groupe et / ou musicien de Norvège pays de glace et de neige.

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    Julia : ça commence exactement comme finissent la plupart des concerts rock, par une apocalypse, ensuite ça ne faiblit pas. Vocal extrême, essayez de chanter la traviata alors qu’une main de fer s’introduit dans vote anus, remonte dans votre intestin agrippe votre estomac et entame une reculade reptatrice pour opérer son extraction par voie anale. Ne riez pas, musique lourde et empesée, qui au milieu du morceau se met à grincer très fort, si vous cherchez le noise, vous finissez par le trouver, le plus terrible c’est que vous ne pouvez pas vous détacher de l’engluement sonore, votre esprit est littéralement aspiré et ne répond plus à vos commandes mentales. Aliéné : pour bien comprendre où nous en sommes nous dirons que le morceau précédent était une douce romance sentimentale pour jeune nonne enfermée depuis dix ans dans un couvent, ici vous êtes plongé dès la première seconde dans la fournaise de l’aliénation, ponctuée des cris de goret que devait pousser le bébé Achille lorsque sa mère Thétis le tenait au-dessus de la flamme sacrée pour brûler les parties humainement mortelles de son corps, question quel est l’instrument qui frappe le plus fort : la guitare, la basse, la batterie, passent toutes les trois la ligne d’arrivée en vainqueur, c’est ensuite après l’énorme grincement proto-final que la basse vous assourdit d’un riff aussi monstrueux qu’une flatulence de dinosaure, que la guitare s’enflamme, et que le dernier coup de gong de la batterie stoppe le tohu-bohu si brutalement que vous pensez être devenu sourd. Cerbère : oubliez tout ce qui précède, des hors-d’œuvre, avariés nous le concédons, mais voici la confrontation finale, comment avec vos deux seules mains parviendrez-vous à fermer les trois gueules du chien infernal ? Difficile à expliquer, mais cette introduction qui semble galoper en toute innocence vous glace les sangs. Surgissent des cris inaudibles, de ceux dont on n’aime pas se souvenir et quand ils se taisent c’est encore pire, vous dévalez une pente sans fin, vous ne courez plus, vous êtes happé en apesanteur dans un trou d’ombre noire et bientôt un vrombissement incessant vous enferme dans une spirale meurtrière, plus de bruit, un sifflement de turbo-réacteur qui vous avale et vous fait subir le sort de ces oiseaux que les moteurs des avions recrachent sous forme de purée sanglante, vous n’êtes plus qu’une pluie charnelle de hachis parmentier qui se désagrège et se dissout dans le vide, les hurlements qui suivent ne sortent pas de votre bouche, ils flottent dans l’espace comme l’algorithmique projection mathématique de votre terreur, basse gourde, batterie sourde, guitare lourde, et ces grincement qui vous percent les tympans que vous n’avez plus, vous descendez encore plus lentement, ces cris sludgéens ne sont-ils pas les nodosités sémantiques des crissement des crocs de Cerbère en train de déchirer le filigrane de votre âme, la torture ne cessera donc jamais, l’impression lors de ces bruits de cymbale de passer par une infinité de sas de décompression, de paliers d’anéantissement préparé et incoercible, et vous sombrez hors de vous-même, toujours plus, vous ne vous obéissez plus, vous n’êtes plus que l’inconscience de votre absence au monde, la musique est désormais si noire qu’elle en devient illuminescente, vous n’êtes plus rien, un souffle ténu qui se dilue en traversant les pales d’un ventilateur.

    Prodigieux. Le genre de disque que vous n’écouterez pas une deuxième fois. A moins que vous ne l’écoutiez en tant que métaphore de la disparition de quelque chose. De l’Europe par exemple.

    Damie Chad.

     

     

    LE GRAND CAFE, C’ETAIT JEAN-CHARLES

    MARIE DESJARDINS

    ( La metropole.com )

    Un article de quelques pages qui risquent de donner le vertige aux petits français qui s’imaginent que Paris est le centre du monde. Dans cet hommage à Jean-Charles, les kr’tntreaders reconnaîtront un nom, grâce à leur blogue favori, celui de Vic Vogel à qui Marie Desjardins a consacré un livre que nous avons chroniqué dans notre livraison, 482 du 30 / 04 / 2020. Rappelons que Marie Desjardins est canadienne et romancière.

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    Nous sommes rue Saint-Denis, pas à Paris, à Montréal. C’est-là en 1981 que Jean-Charles Guinant et Louis Royet, venus de Saint-Etienne ( France ) reprennent Le Grand Café. Misent surtout sur la vie nocturne. Savent, avec l’aide de Jean Caron, un ami, se faire respecter des différentes pègres locales qui aiment bien prélever un petit impôt sécuritaire... Nous sommes dans le monde interlope de la nuit, dans cette faune particulière qu’attirent ce genre de lieux très vite apparaissent Vic Vogel jazzman (voir livraison 482 du 30 / 04 / 2020 ) et Gerry Boulet chanteur d’Offenbach groupe pop canadien qui connut ses heures de gloire de 1969 à 1985. Beaucoup de musiciens gravitent autour du Grand Café et autres établissements similaires de la rue. A tel point que Jean-Charles organise le festival Session Blues Session, onze jours de folie printanière qui se répètera durant treize années.

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    Marie Desjardins restitue toute une époque aujourd’hui disparue, une ambiance, musique, alcool, sexe, la vie, la grande, la belle, nous croisons des gens célèbres chez nos cousins, qui par ici sont de parfaits inconnus, ce n’est pas grave ce qui est embêtant c’est de savoir que l’on a raté un moment d’extraordinaire convivialité, et ce sentiment de nostalgie qui nous poigne pour n’avoir pas su, pas pu y participer. C’est cela Marie Desjardins en quelques lignes grâce à sa plume elle ouvre une fenêtre sur un monde ignoré et restitue dans l’éternel présent de notre imaginaire des fragments d’un passé lointain que le temps a emporté dans ses abîmes. Nous la remercions.

    Damie Chad.

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    P.S. 1 : Outre cet article Marie Desjardins a signé l’éditorial Le convoi de l’évidence, consacré au Convoi de la Liberté qui bloque depuis trois semaines la bonne ville de Québec. Un mauvais exemple qui a suscité bien des ferveurs un peu partout, notamment en France où la police s’est montrée particulièrement violente. Nous partageons ses analyses, à force de maltraiter le peuple le gouvernement a récolté ce qu’il a semé, un mouvement de protestation populaire, largement suivi et soutenu par la population. Nous invitons nos lecteurs à (re)regarder Le Convoi film de Sam Peckinpah, sorti en 1978, terriblement prophétique, que je tiens pour l’œuvre cinématographique la plus anarchisante que je n’ai jamais vue.

    P.S. 2 : nous avons consacré quatre autre chroniques (440, 442, 447, 449) à quatre romans de Marie Desjardins.

     

    ILLICITE 2

    AUTOPORTRAIT COMPLAISANT

    Je suis un sophiste. Les mots nous obéissent, ils disent ce que l’on désire. Tout dépend de la manière dont on les agence. Moi qui ai écrit des milliers de chroniques sur des sujets variés – de préférence rock et littérature- ne pense point qu’il y ait en elles une once de ce que les imbéciles parent du beau nom de vérité. Ce ne sont point pour cela des mensonges. Disons des points de vue. Irradiants. Les choses portent en elles non pas une objectivité mais une signifiance. Celle que nous leur accordons. Personnellement en règle générale je préfère mes appréhensions à celles des autres. Ainsi ai-je l’impression de me regarder dans mon propre miroir. Parfois je me déguise. Dans les deux cas, j’ai mes stratégies.

    Damie Chad

     

    MEURTRES A ATLANTA

    JAMES BALDWIN

    ( Editions Stock / Février 2020 )

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             Le livre qui ne vous attend pas. Certes les lecteurs qui n’auraient jamais lu un livre de James Baldwin auraient le droit, vu le titre, de s’apprêter à dévorer un roman policier.  Ce n’est pas un roman, ce qui ne l’empêche pas d’être très noir. L’émotion suscitée par la mort de George Floyd délicatement assassiné par un policier blanc de Minneapolis en 2020 a raffermi par chez nous le renouveau d’intérêt autour de l’œuvre de Baldwin déjà amorcé par l’adaptation cinématographique de son roman Si Beale Street pouvait parler par Barry Jenkins en 2018.

    Pour faire court, nous dirons que dans les années soixante, James Baldwin fut avec Martin Luther King et Malcom X une des trois grandes voix de la révolte noire. Pour ne pas connaître le sort funeste des deux derniers il s’exila en France en 1970. C’est un peu au titre de grande conscience morale du peuple noir qu’il est invité à se rendre au début des années 80 à Atlanta pour enquêter sur une abominable série de meurtres de vingt-cinq enfants noirs. Il arrive après la bataille. L’assassin – un individu noir peu sympathique - est arrêté et déjà condamné. L’on peut manifester quelques doutes sur sa culpabilité. N’a-t-il pas été jugé uniquement pour l’assassinat de deux adultes ? Contrairement à toute attente, le livre ne se transforme pas en contre-enquête dans le but d’innocenter un homme injustement accablé et de démasquer le véritable coupable. Nous ne sommes pas dans un film grand public où le bien finit toujours par triompher. Baldwin se contente des faits. Il a une très grande confiance en la justice de son pays, il sait qu’il ne la fera jamais changer, qu’elle a pour fonction de masquer la réalité, de s’aligner sur l’idéologie et les représentations dominantes.  

    Baldwin enquête. Il rencontre les témoins, discute avec les parents, parle au juge en personne, n’en dit ni du bien ni du mal. Ne découvre aucun nouvel indice – en cherche-t-il seulement - ne nous propose aucune nouvelle théorie sur le déroulement des faits. Certes les crimes se sont déroulés à Atlanta, ville noire dirigée par un maire noir, sans doute faut-il chercher ailleurs. Partout. En Amérique. Baldwin remonte aux origines du problème. Au mouvement qui a conduit la population d’origine européenne des Etats-Unis à qualifier les esclaves importés d’Afrique et leurs descendants de noirs. Une appellation facile à employer et qui occulte une réalité difficile à admettre : s’il existe dans la population noire plus de cinquante nuances de noir, du plus sombre au plus clair, c’est que les européens et les africains se sont mélangés beaucoup plus qu’on ne le dit. L’apartheid idéologique entre les deux provenances ne fut guère étanche…  Ce n’est pas le plus grave. Loin de là. C’est que le fait de stigmatiser socialement les individus à peau plus ou moins noire en tant que noirs, a engendré son propre effet boomerang, s’il existe des noirs, les autres par la force d’une logique binaire se sont retrouvés dans la catégorie des blancs. A refuser l’individuation des êtres humains l’on a créé deux sortes de problèmes : le problème noir et le problème blanc. Une dichotomie à la-je-te-tiens-par-la-barbichette, un nœud gordien qu’il est impossible de trancher par la force.

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    Pourquoi pas après tout. Tuer tous les noirs, ou tuer tous les blancs, le problème s’évapore de lui-même. Malheur aux vaincus. Gloire aux vainqueurs. Ce serait trop beau. Hélas, le problème n’est pas spécialement racial. Chiffon noir ou voile blanc ne sont-là que pour faire oublier les disparités économiques. Baldwin insiste sur un point très particulier : les petites victimes assassinées ont toutes un point commun, ce sont des enfants noirs et pauvres. Pas de manichéisme. Comme par hasard après cette constatation Baldwin   relève une autre évidence : la petite-bourgeoisie noire qui a accédé à une certaine aisance économique ne se sent pas aussi concernée que les masses laborieuses par ces assassinats. Rejoignant en cela la position de la population blanche, terriblement malheureux, mais que peut-on y faire sinon espérer que la police arrête le ou les criminels et que l’on oublie au plus vite ces affreux drames…

    Baldwin élargit la focale. Dans un pays non racial – cette assertion se discute - comme la France il existe aussi une classe pauvre dont les élites ne se soucient que fort modérément… Attention ajoute-t-il, il y a ceux qui n’ont rien à perdre et ceux qui risquent de perdre quelques intérêts s’ils refusaient de collaborer avec l’Etat et le modèle économique dominant. La pensée de Baldwin frise avec la représentation marxiste de la domination capitalistique du monde. Il ne le dit pas ouvertement, il le suggère si fort que son plaidoyer est d’autant plus insidieusement implacable. Laisse au lecteur le soin de tirer les leçons de ses analyses.

    Prodigieux écrivain qui parvient à dire beaucoup plus qu’il n’écrit, n’affronte pas les pouvoirs de face. En cela héritier de la vieille technique des lyrics des premiers bluesmen qui sous-entendaient ce qu’il fallait comprendre. Procède par à-coups. L’air de rien. Accumule les remarques anodines d’apparence aussi peu dangereuses qu’un bâton de dynamite dont on aurait supprimé la mèche. N’empêche qu’en fin de démonstration la crédulité ou la mauvaise foi des lecteurs est des plus chancelantes. Effeuille sans se presser l’artichaut du réel pour finir par en pulvériser le cœur.

    Le pire c’est que Baldwin n’est pas optimiste. Il ne croit guère à la victoire finale. La condition des noirs et des pauvres s’est améliorée, mais fondamentalement rien n’a changé. Meurtres à Atlanta est publié aux USA en 1985, Baldwin disparaît en 1987. Trente-cinq plus tard, malgré la présence d’un Président noir à la Maison Blanche, le malaise est toujours là. Si l’on mesure la pauvreté à l’aune de la croissance exponentielle des richesses, les pauvres sont toujours aussi pauvres et la fracture de la société américaine s’est peut-être élargie. En le sens où l’explosion d’une révolte radicalisée dont Baldwin prophétisait dans les années soixante et soixante-dix – de la mort de Luther King à la défaite des Black Panthers - l’imminence, est restée jugulée.

    Meurtres à Atlanta est un essai des plus incisifs et des plus lucidement désespérés qui ait jamais été écrit sur la société américaine.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Episode 23

    Il faut être franc, l’apparition du Grand Ibis Rouge a jeté un froid chez nos deux interlocuteurs, surtout qu’il affiche une mine peu réjouie, du moins me semble-t-il, je m’empresse toutefois d’ajouter que mes connaissances en ornithologie laissent à désirer. Le Président du Sénat faisant office de Président de la République est blanc comme un linge, son acolyte arbore la même teinte pallide que le buste de Pallas dans le Corbeau, sublime poème d’Edgar Allan Poe. Je suis toutefois heureux de vous annoncer que mon flair de rocker a encore une fois visé juste, je le comprends au ton courroucé avec lequel le volatile rutilant s’adresse à nos deux ennemis :

    • En quoi vous ai-je trompé, n’ai-je pas diligenté un de mes meilleurs drones mortuaires pour assurer les centaines de morts promises afin que votre électorat apeuré se prépare à voter en votre faveur, n’ai-je pas par la même occasion barré de la liste des vivants le préfet de la Vienne en lequel vous entrevoyiez un candidat potentiel dangereux !

    Le chafouin de service s’entremet de son ton qui allie à merveille servilité, obséquiosité et hypocrisie :

    • Ô Grand Ibis Rouge, vous avez tenu vos promesses, hélas, un malheureux grain de sable s’est glissé dans notre entreprise, par notre propre faute, nous voulions être tenus au courant de vos résultats au fur et à mesure que les morts s’amoncelaient, vous nous aviez parlé d’un redoutable agent, tout frais, en pleine forme, un certain Watts, que tous les rockers du monde connaissent aviez-vous précisé, ce nom ne nous disait rien, nous avons cru bien faire en vous envoyant comme renfort supplétif les agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll, entre nous soi-dit, un ramassis d’imbéciles profondément tarés dont nous n’avions aucune utilité, nous pensions qu’avec un peu de chance vous nous en auriez du haut de votre sagesse éminemment supérieure, débarrassé !

    Le Grand Ibis Rouge nous jette un regard meurtrier si noir que Molossito ne peut se retenir, un jet d’urine inonde le bureau du Président, occasionnant une nauséabonde auréole.

    • Ne me parlez pas de cette engeance maudite de bras cassés, je les aurais occis avec joie, mais tous tant qu’ils sont : chiens, filles, hommes, sont hors d’atteinte s’étant mis sous la protection d’un contre-rituel initiatique qui les rend insensibles à mes mortelles fureurs, je me demande d’ailleurs comment ils ont appris l’existence de ce contre-feu magique.
    • - C’est pour moi un immense plaisir de vous l’apprendre, cher Grand Ibis Rouge, le Chef relâche un épais panage de fumée noire, l’idée m’est venue comme cela, innocemment, alors que j’allumais un Coronado, Grand Ibis Rouge, vous devriez vous mettre au Coronado, il n’y a rien à dire, c’est le summum existentiel auquel un être vivant, homme ou oiseau, puisse accéder, je…

    Le Grand épouvantail volant cramoisi n’a pas l’air convaincu par les conseils du Chef, il remue les ailes à la manière d’un coq belliqueux qui s’apprête à ensemencer les douze poules glousses de son poulailler.

    • Puisque je ne peux rien contre ces injurieux fifrelins, vous paierez pour eux … d’un terrible coup de bec il perce les crânes du Président intérimaire et de son conseiller occulte, une fricassée de cervelle se répand sur le bureau recouvrant le dégât des eaux précédemment occasionné par le relâchement de Molissito… quant à toi Charlie Watts, tu me dois encore un minimum de trois cents cadavres pour que tu puisses être délié du serment que les Rolling Stones ont signé en bonne et due forme, voici près d’un demi-siècle. Débrouille-toi ! Je te donne jusqu’à ce soir pour accomplir ta mission !

    Un dernier éclair digne d’un camion de pompier et le Grand Ibis Rouge disparaît en une infinitésimale fraction de seconde.

    UN DERNIER EFFORT

    Nous nous sommes discrètement éclipsés du bureau. Ne les dérangez pas tant qu’ils ne vous appellent pas, ils travaillent, glisse à l’oreille du grand huissier qui se précipite vers nous. Dans la voiture Charlie n’est pas en grande forme, il pleure :

    • Où trouver trois cents personnes à tuer d’ici ce soir, se lamente-t-il, quelle tâche ingrate j’en ai assez d’envoyer à la mort tous ces innocents qui ne m’ont rien fait !
    • Charlie… je conduis à toute vitesse en essayant d’écraser les fous  dangereux totalement inconscients qui se croient en sécurité en traversant sur les passages cloutés… n’ayez crainte Charlie, j’ai une idée, nous y sommes dans trois minutes, j’ai ce qu’il vous faut sous la main.

    Je freine à mort devant l’Assemblée Nationale. Les filles ont pris Charlie par la main, Molossa, Molossito, et Rouky découvrent leurs dents lorsque l’on veut nous empêcher d’entrée, mais le Chef exhibe sa carte SSR, les huissiers nous laissent passer sans encombre, nous voici dans la galerie supérieure réservée au public. L’amphithéâtre est plein, l’ensemble des députés écoutent dans le silence l’orateur, l’heure est grave, les visages sont tendus mais fermes, il s’agit de voter la loi d’augmentation des impôts.

    • Vas-y Charlie, tue-moi ces cinq centaines d’irresponsables, tous jusqu’au dernier !
    • Je ne peux pas, répond Charlie, je suis très riche, ma fortune est aux îles Caïman, je ne paie pas d’impôts !
    • Charlie, vous avez perdu combien de millions de dollars depuis le Covid ?
    • Heu… je ne sais pas… en trois ans on aurait dû faire trois tournées à 500 millions de dollars ce bénéfices net, chacune, ce qui fait…
    • Un milliard et demi de dollars Charlie !
    • Oui mais le Covid ces gens-là n’y sont pour rien !
    • Si Charlie, ils ont voté l’interdiction des concerts !

    Sur le coup Charlie est devenu encore plus rouge que le Grand Ibis, il arrache la balustrade et saute au milieu de l’hémicycle, on ne reconnaît plus armé d’un fragment de balustre, il se rue vers les députés, on ne le reconnaît plus, il est partout à la fois, il court, vole et nous venge, poursuit ceux qui essaient de s’enfuir par les couloirs, l’ion ne compte plus les morts, trois cents, quatre cents, cinq cents, lorsqu’il revient vers nous il est tout fier, le rock ‘n’ roll est vengé :

    • Maintenant je repars vers le monde des Morts, je suis en paix avec le Grand Ibis Rouge, mon âme et ma conscience…

    Charlie nous embrasse et nous serre dans ses bras.

    • Merci pour tout mes amis ! Je ne vous oublierai jamais ! Au revoir !

    D’un pas décidé il s’approche du mur et disparaît. Rouky s’élance à sa suite mais le mur l’arrête, il aboie, il geint, il hurle à la mort, il pleure, il gémit… le spectacle est insupportable, le Chef allume un Coronado pour que l’on ne voie pas la larme qui coule de son œil gauche.

    Subitement les mains de Charlie Watts sortent du mur et caressent la tête de Rouky qui lui lèche les doigts et frétille de la queue, les deux mains de Charlie et le tirent vers le mur qui se révèle une frontière insurpassable…

    • Agent Chad !

    Je m’avance vers Rouky, lui flatte l’échine ; il me regarde les yeux implorants,  je m’agenouille près de lui, je sors mon Glock de ma poche, lui colle le canon sur la tempe. Je tire. Rouky n’est plus qu’une ombre. Il donne un coup de langue sur les museaux de Molossa et de Molossito, pose sa patte sur mon genou pour me remercier, les mains de Charlie l’attirent doucement, nous avons l’impression de les voir, de l’autre côté, s’éloigner, tout heureux, Rouky batifolant tout autour de Charlie…

    Fin de l’épisode.  

  • CHRONIQUES DE POURPRE 249 : KRTNT ! 369 : TONY MARLOW / SUBWAY COWBOYS / CRYSTAL & RUNNIN' WILD / NOËL DESCHAMPS / HOT CHICKENS / JAMES BALDWIN / SEBASTIEN QUAGEBEUR

     KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 369

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    12 / 04 / 2018

    TONY MARLOW / SUBWAY COWBOYS

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

    NOËL DESCHAMPS / HOT CHICKENS

    JAMES BALDWIN / SEBASTIEN QUAGEBEUR

     

    Marlow le marlou

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    Qu’est-ce qui rend un personnage comme Tony Marlow si attachant ? Sa passion pour le rock’n’roll et le rockab ? Sa gentillesse naturelle ? Son côté vieille France franco-belge ? Et s’il s’agissait d’un subtil mélange des trois ? Tony Marlow fait partie de ceux qu’on pourrait appeler les survivants passionnants. Il vient d’une époque qui paraît s’éloigner un peu plus vite chaque jour, mais s’il joue sur scène c’est justement pour lui redonner vie. Il rallume la flamme, mais à sa façon, légère, souriante, extrêmement artistique. On sent un côté music-hall chez Tony Marlow. D’ailleurs, s’il tape dans la môme Piaf avec «L’Homme A La Moto», ce n’est pas un hasard, Balthazar. Oui, on sent chez lui l’enfant de la balle, au sens fort. Si l’une de ses chansons s’appelle «Rockabilly Troubadour», ce n’est pas non plus un hasard. Il porte une chemise western noire et un pantalon de cuir noir, il joue sur une Gibson SG, mais ce qui frappe le plus, c’est la finesse de ses traits et l’éclat de son sourire.

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    Tony Marlow appartient à cette caste d’artistes vieille France, à cette aristocratie artistique issue des faubourgs et des vieilles vagues d’immigration, celles qui firent de Paris la capitale culturelle du monde, les vagues d’Italiens, d’Espagnols, de Russes et puis bien sûr les Pieds Noirs. Un soupçon de guerre d’Algérie, une pincée de jazz, quelques grammes de bases militaires américaines, et la radio : cette époque va disparaître avec ses témoins, mais pour l’heure, elle reste bien vivante. Quand on voit Tony Marlow, on pense bien sûr à Marc Zermati, car ils ont en commun une forte présence physique et cette passion pour le rock qui relève du meilleur instinct. Et toute la poésie, la légèreté, l’entrain et le talent qui émanent de Tony Marlow renvoient bien sûr à Charles Trénet. Rockabilly troubadour ! Oui, il se situe à ce niveau d’excellence. Dans les rades de banlieue, on appelait ce genre de mec un aristo-chat. En qui, disait Baudelaire, tout est comme en un ange aussi subtil qu’harmonieux.

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    Entre chaque chanson, il éclaire les lanternes, il rappelle par exemple qu’il a commencé comme batteur dans les Rockin’ Rebels, sur Skydog, avec Marc Zermati comme producteur. Et pouf, il propose le tout premier titre qu’il ait enregistré, «Western». Il nous replonge dans le sacré d’un son ancien. Oh, il était de bon ton de cracher sur les Rockin’ Rebels, mais on le sait, les cracheurs ne sont pas les écouteurs. En 1982, les Rockin’ Rebels enregistrèrent 1, 2, 3... Jump, un album de swing phénoménal. Dès «Loli Lola», JP Joannes drivait le bop sur sa stand-up. On sentait un côté très Boris Vian et un fort parfum de jazz hot dans «Hoodoo». Ce dingue de Joannes swinguait son beat sans vergogne. Un cut comme «Bleu Comme Jean» incroyablement groovy et mal chanté pouvait interloquer, c’est vrai, mais les Rebels maintenaient le cap droit sur l’étoile polaire, c’est-à-dire la solidité du romp. Ils donnaient une belle leçon de swing avec «A Kiss From New Orleans». JP Joannes et JJ Bonnet constituaient une section rythmique de rêve. Dans «Gallupin’», ce démon de Joannes gamifiait ses gammes à outrance. Et ça repartait de plus belle en B avec un «Hey Bon Temps» mal chanté mais swingué jusqu’à l’os. «Cinq Chats de Gouttière» sonnait très Chaussettes Noires, mais comme ça slappait oh boy ! Ils nous shootaient du New Orleans barrelhouse dans «Bim Bam Ring A Leavio» et redoublaient de jivin’ juicy jive dans «Preacher Ring The Bell». Et jusqu’au bout de la B, ils swinguaient à la vie à la mort, avec des merveilles comme «Dansez Dansez» et «Bop Jump And Run».

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    Pendant son set, Tony Marlow rend aussi hommage à Victor Leed avec «Le Swing Du Tennessee», puis à Chuck Berry, avec une édifiante reprise de «Rock At The Philarmonic». Pur jus de swing ! D’autant plus pur qu’Amine le slappeur fou fait un véritable numéro de cirque sur sa stand-up. Depuis le début du set, on voit bien qu’il laboure à tort et à travers et qu’il piaffe. Par moments, il joue tellement de dédoublements de doublettes dédoublées qu’il semble à côté, comme s’il fonçait à l’aventure, tel un poulet décapité. Il fait des petits bonds d’exacerbation congénitale et bam-balamme littéralement ses cordes de coups de paume.

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    On n’avait encore jamais vu ça ! Autant Tony Marlow joue la double carte du délié byzantin et de la précision, autant Amin rue et piaffe comme un étalon sauvage que personne ne saura jamais dompter, même pas Zorro. Ce slappeur fou ne regarde jamais où il met les mains, il joue à deux cent à l’heure en fixant des gens dans le public. Le contraste des deux styles fait l’incroyable force du set. Autre reprise de choix : «My Baby Left Me» qu’Amine introduit à sa façon, en vraie bête de Gévaudan. Et quand il rend hommage aux Blue Caps, on voit bien que Tony Marlow a travaillé les gammes du vieux galopeur Gallopin’. Musicalement, il est irréprochable. Joli travail d’artisto-chat.

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    L’autre album de Tony Marlow qu’on pourrait recommander s’appelle Knock Out, sorti lui aussi sur Skydog. Tony Marlow y propose une A rockab et une B rock’n’roll. Il attaque sa face rockab avec un «Action Baby» bien boppé de la bobinette. Il atchoume son action - Don’t stand hangin’ on the line - Et ça repart de plus belle avec «Just The Talk Of The Town» qu’il chante d’une voix de mineur cancéreux, c’en est presque boogaloo, mais quelle santé pulsative ! Encore une belle pièce de jive pantelante avec «Swamp Sinner». Tony y sort son meilleur boogaloo et derrière lui, il a du beau monde. Quel son ! Il finit l’A avec un «Get Crazy» amené au petit riff d’attentisme carabinant. Pure rockab attack - Get crazy ! - très beau son de dos rond et puissances des ténèbres en filigrane. Fatalement, la B accroche moins, car le rock’n’roll vire assez vite au cousu de fil blanc comme neige. Il faut attendre «My Search» pour frémir. Tony le prend à l’insidieuse sur un gros son sourd et il termine avec deux reprises de choix, «Jezebel» et «Fought The Law».

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    En première partie jouaient les Subway Cowboys. Pas facile de monter sur scène après des mecs aussi brillants. Aux qualités de Tony Marlow, il faut ajouter le courage. Et pas n’importe quel courage : celui de l’intelligence. Grâce à Tony, les Subway Cowboys ont du monde. Pendant le premier cut, ils font illusion : on pourrait les prendre pour des mecs de Nashville, tellement c’est en place, bien chanté, bien slappé, bien battu et bien télécasté. Mais non, ce sont des banlieusards. Une sorte de James Burton en herbe joue en lead. Tout ce qu’il joue relève du plus haut niveau, d’où le référentiel. Il dispose de cette facilité à égaler les plus grands, chacune de ses interventions est un miracle d’élégance jivy, il tire ses accents country dans un rumble d’Americana qui lui semble propre. Il joue avec ce qu’on pourrait appeler une précision inspiratoire. C’est d’autant plus stupéfiant qu’il parvient à rocker tous ces cuts d’Honky Tonk et à leur donner vie. On le sait, le Honky Tonk est un genre difficile, situé à la lisière du fleuve et de la country, et pour tenir une heure, il faut l’étincelle. Les Subway l’ont. Et quelle étincelle ! Il faut voir ce batteur jouer à l’économie, avec souvent des balais pour fouetter le cul rebondi du beat, et ce slappeur qui bat ses cordes comme s’il jouait des congas à Congo Square. Rien qu’avec une telle section rythmique, la partie est gagnée d’avance. Ils tapent une belle version de Folsom et terminent avec un vieux coup d’Hank Williams. Mais curieusement, ce sont leurs compos qui accrochent vraiment. Le James Burton en herbe s’appelle Fabien et le chanteur du groupe vaut tous les géants d’Amérique : posture, allure, galure, césure, il a tout, et cette façon de battre les accords à la syncope de cyclope. Fantastique équipe !

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    Signé : Cazengler, Tony Barjow

     

    Tony Marlow. Le 106. Rouen (76). 23 février 2018

    Rockin Rebels. 1, 2, 3... Jump ! Underdog 1982

    Tony Marlow. Knock Out. Skydog 2009

    TROYES07 / 04 / 2018

    3B

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

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    Je conduis comme une brute. Je brûle les feux rouges, j'écrase les grands-mères sur les passages piétons. La teuf-teuf laisse une trace sanguinolente derrière elle. Je suis pressé. Que voulez-vous un problème de conscience me taraude et me rend insensible à toute souffrance humaine.

    Je suis un tricheur, un voleur, un meurtrier, un assassin, je ne trouve pas un mot qui puisse exprimer toute mon ignominie, il ne doit pas en exister dans la noble langue françoise. Ce n'est pas de ma faute. Je n'y suis pour rien, un malheureux clic sur internet et en un milliardième de seconde j'ai piétiné mes principes les plus sacrés. Je m'explique, lorsque je file au 3 B, je suis toujours la même règle de fer que je ma suis prescrite. Lorsque je vais voir un groupe que je ne connais pas, je m'interdis de chercher à en savoir plus. Je ne surfe pas sur You Tube pour trouver des vidéos, je ne visite ni son FB, ni son site. J'entends juger le gibier sur place et sur pièce, en direct et en public, je me méfie des jugements hâtifs – des miens comme des autres – j'entends appréhender l'objet de ma curiosité insatiable de rocker incorruptible, hors de toute prévention, qu'elle soit positive ou mauvaise.

    Z'oui mais voilà voici huit jours, par la plus grande inadvertance, sans même le vouloir j'ai enfoncé la touche de Rhythm Bomb Records, voulais vérifier je ne sais plus quoi et plouf je tombe sur une vidéo de démonstration, un montage de groupes, qui se suivent sur scène, je zieute d'un œil distrait, entre parenthèses je suis obligé de reconnaître qu'ils n'envoient pas la purée au compte goutte, lorsque tout à coup je reste tétanisé, la plus grande catastrophe depuis l'extinction des dinosaures me tombe sur le coin de l'oreille, un truc à vous casser les éléphants en deux, mais qui sont ces sauvages, de quel endroit reculé du Tennessee sortent-ils, de quel bayou de la plus profonde Louisiane émerge-t-il ? Lorsque le nom s'inscrit sur l'écran, je sursaute, je les connais, non je n'ai pas la berlue, Berlot Béatrice la patronne nous a prévenus qu'elle les avait programmés, oui Cristal & Runnin' Wild passent dans une semaine au 3 B !

    Confronter le rêve entrevu à la plate réalité n'est-ce pas courir au-devant de la plus amère déception ? Ce soir en pénétrant dans le 3B j'ai l'impression de marcher sur des œufs de brontosaure. Coquille pleines ou vides. Même pas quitte ou double. Plutôt meurs de déréliction ou crève d'enthousiasme.

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

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    Il y a des secondes qui vous réconcilient avec le bonheur. L'est pourtant tout seul. Les trois autres lui laissent tout le boulot d'intro. Pas grand-chose, quinze secondes, pas une de plus, mais pas une de moins. Solitaire, yeux bleus, chemisette rose, cheveux tirés en arrière, s'appelle Jack O Roonnie, ne donne pas stupidement le la sur sa contrebasse, vous refile la pulsation originelle, les poètes vous parleront de la première vibration universelle dont les échos se solidifiant donneront naissance à notre monde. Les esprits cartésiens – ils sont légions – n'iront pas chercher midi à quatorze heures, arrêtez de bavasser les gars, c'est juste du jazz. Ils n'ont pas tort non plus. Même que l'autre escogriffe avec sa queue de cheval et son chapeau de cowboy, pique des deux sur la grosse caisse, et vous met en branle la charleston, va vous la faire fonctionner à toute vapeur durant les trois sets, une véritable soupape pulsatrice d'induction rythmique. Johnny Trash est son nom. Je vous conseille de ne pas le quitter des yeux. L'est comme la dynamite sur le feu, sourit à pleines dents, en recherche perpétuelle de la bêtise à ne pas faire. L'a la banane méchante, les cheveux qui pointent par-devant à la manière des rostres des navires de combats de la marine romaine. Si on ne le connaissait pas, on aurait peur, mais on l'a reconnu, à sa guitare, Patrick Ouchene qui officiait dans les Bop A-Tones aux côtés de Michel Texier alias Mike Phantom – résumé de cet épisode homérique dans la livraison 358 du 28 / 01 / 2018 – vous remet en trois coups de strings, le bop dans le bon sens.

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    Là, vous vous dites, pas mal les Runnin' Wild. Vous n'aurez pas tort. Mais il vous manque un peu de lucidité dans le cristallin, car s'il est vrai que les Runnin' vont être plus sauvages que vous ne l'espériez, vous n'avez encore rien vu et surtout rien entendu. Sur le premier morceau vous aviez des excuses, le cowboy qui vous fait des chœurs foutraques d'opéra, et puis il y a sûrement un truc qui ne va pas à la sono, Fab s'est trompé, lui a mis le micro trop fort et n'a pas assez poussé sur les musicos. Mais non Fab ne se trompe jamais. C'est qu'elle est là, vos perceptions auditives et visuelles en sont chamboulées, toute belle, toute simple, cheveux blonds et lèvres rouges, pudique foulard blanc qui cache la naissance de sa gorge, Crystal, elle l'annonce un morceau de Patsy Cline. Pastis fortement alcoolisé. Sans eau. Quelle voix, quelle beauté, quelle aisance ! Une manière d'écraser la première syllabe d'attaque – me fait immédiatement penser aux tout premiers enregistrements de June Carter – que voulez-vous l'on est doué de naissance ou on ne l'est pas – et de monter très haut en puissance. Même pas une technique mais l'instinct divin et le feeling diabolique – le père Noël a dû lui vider sa hotte entière dans ses chaussures au premier jour de sa naissance. A maudire vos parents pour le peu qu'ils vous ont transmis. D'ailleurs son Dad à elle est à ses côtés. Patrick Ouchene, guitare en bandoulière, les doigts en perpétuelle recherche. Mais attention l'esprit veille et commande. Adore l'audace, un riff est un bon riff, certes mais l'a intérêt à ne pas se répéter, faut qu'il sache se déstructurer pour apparaître sous une autre forme, ce soir notre guitar-héros est d'inspiration cubiste, comme ces portraits de Picasso qui vous mélangent tous les détails d'un visage avec les objets du décor pour qu'il en sorte encore plus étrangement ressemblant.

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    Voyage au travers de cent cinquante ans de musique populaire américaines escale dans tous les genres, blues, country, jazz, hillbilly, rockabilly, rawkabilly, psychobilly, doo wop, surfin', arrêt à tous les étages du rock'n'roll. Quatre fous amoureux du rock'n'roll. Jack le taiseux, laisse parler sa big mama pour lui, heureusement que de temps en temps les autres s'arrêtent de jouer pour qu'on puisse se rappeler que sans sa brasse généreuse, tout le quatuor coulerait au fond de l'eau comme un fer à repasser. Encore un irremplaçable, mais d'un tout autre genre, Johnny Trash – la voix caverneuse de Johnny Cash, mais pas le tempérament. Trop exubérant pour cela. Pourrais difficilement décrire son style à la batterie, tout ce que je peux affirmer, c'est qu'il tape, fort, juste et à bon escient. Mais il semble toujours être en train de faire autre chose, viendra par exemple nous jouer de sa guitare customisée avec cordier en fil de fer, l'a dû avoir une nostalgie de banjo au montage car il a piqué le hublot de la machine à laver, et cela s'entrechoque en produisant le son caractéristique d'une washboard entre blues et jazz. Frappe aussi sur ses tambours avec ses maracas manière de glisser des petits cailloux dans les souliers du rythme.

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    Sont trois à accompagner Crystal, et Crystal sait s'écarter et les laisser s'éclater ensemble. Plus de Crystal, de l'instrumental. Un splendide Link Wray, Patrick Ouchene en maître symphonique, la guitare qui rumble à mort, maîtrise la secousse sismique, agite des mains en sorcier indien qui appelle les orages, guide la tornade droit sur vous et la renvoie au loin au dernier moment, vous emporte dans des imprécations tonitruantes, vous fait chevaucher la foudre et la tempête, et tout s'arrête aussi brutalement que cela avait débuté. Vous laisse abasourdis, privés de sens et de son.

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    Oui mais Crystal. Sidérante. Déconcertante. Quel que soit le rythme, quelle que soit la tonalité, et parfois les entames des morceaux sont d'une trame si resserrée qu'il vous paraît impossible que quiconque puisse y placer sa voix, mais elle la pose naturellement, vous facture la porte, en douceur, s'installe, l'est chez elle, se promène dans l'appartement, s'allonge sur le sofa, ouvre le frigo, ou alors elle vous bazarde les meubles par la fenêtre parce qu'elle a envie de changer la tapisserie. Princesse de sang royal, qui ne se permet jamais un caprice qui ne vous semblerait l'évidence d'une nécessité absolue. Un Etta James à vous mettre dans tous vos états, un Jezebel ricochant entre la version de Gene Vincent et celle d'Edith Piaf, mais ce n'est pas tout, nous n'avons pas encore quitté le rayon des classiques, un sentier somme toute assez bien délimité, une petite acrobatie jazz sans filet, les trois musicos s'enfuyant grand-est alors que toute seule elle file vers l'abîme en surfant sur la cime des vagues géantes. Un peu de sport, juste pour se mettre en forme.

    Il est temps d'ouvrir les portes de la folie pure. Surprise, c'est le chat qui entre. Pas celui des Stray Cats, le greffier de Crystal. Toute la salle en profite pour se mettre à miauler. Notre chance de tous finir en camisole de force à Charenton. Une seule consolation c'est qu'on embarquera en priorité le combo. Sans come back. Crystal s'amuse comme une possédée. L'on ne saura jamais exactement ce qui est arrivée à cette maudite bestiole porteuse de malheur, et peut-être vaut-il mieux ainsi. Séance films d'horreur. La pure jeune fille et les quarante zombies, que voulez-vous qu'elle fît devant un tel défi ? Lui courent après, alors elle crie comme si sa dernière heure était arrivée. Doit y prendre un plaisir pervers, car maintenant elle screame comme si elle découvrait une grosse araignée noire et velue dans sa chambre. Elle en a les yeux qui pétillent de malice et la voix qui vous percerait le plafond. D'autant plus que les Runnin' Wheels n'en perdent pas une pour nous construire une séquence bruitage, jusqu'à Jack qui vous pousse un glapissement de renard à vous glacer le sang.

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    C'est fini. Ovation et sidération. Les disques et les T-shirts sont pris d'assaut. Une soirée exceptionnelle. Crystal toute belle, toute fraîche, jambes fuselées, franges blanches au bout de sa robe, anneaux de gitanes et yeux de biche, toute simple, une grande chanteuse. Merveilleuse.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB  : Béatrice Berlot /

    FB : DjRockin Cats with Fab )

    PARIS / 24 – 02 - 2018

    JAZZ CLUB MERIDIEN ETOILE

    NOËL DESCHAMPS

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    Nous avons tous nos petites manies innocentes même si nous préférons nos travers les plus nocifs, pour moi c'est tout simple une fois par mois je pars en maraude. Pas très loin, sur You Tube. Je vais voir au cas où. Peut-être quelqu'un aura eu l'idée de rajouter une vidéo de Noël Deschamps. J'avoue que je rentre très très souvent totalement bredouille. Me console en visionnant la majorité de celles qui y sont déjà. Mais ce coup-ci, je ferre le gros poisson, trente-neuf minutes de Noël Deschamps sur scène. Pas très loin à Paris au Jazz Club du Méridien Etoile – rappelez-vous le Cat Zengler nous avait emmené y voir Vigon ( voir Kr'tnt ! 161 du 30 / 10 / 2013 ) - voici pas très longtemps, le 24 février 2018, le genre de truc que je n'aurais pas manqué pour deux empires et qui a malheureusement échappé à mon flair de rocker, vraisemblablement un coup tordu de la CIA.

    Les apparitions de Noël Deschamps sont rares. Il fut pourtant un de nos plus valeureux et originaux pionniers. De 1964 à 1968 il fut un des rares à porter le flambeau du rock français. Fut malheureusement oublié après Mai 1968, la nouvelle vague de jeunes chevelus qui découvrirent le rock, en leur an de révélation 1969, fit totale impasse sur tout ce qui s'était passé de par chez nous, les années précédentes. Fit partie de la toute première génération, celle du Golf-Drouot, l'est né en 1942 – Johnny en 43 – ce n'est donc pas un dernier-né qui gesticule sur scène. Vous laisse faire le calcul vous mêmes.

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    L'a la classe Noël dans sa chemise blanche, le cheveu blanc, le gestes souples et sûrs, bouge comme un jeune homme. Une chose qui ne choquera pas les nouveaux venus, l'a gardé son timbre de voix si particulier, intact. Ce que je trouve de fabuleux chez Noël Deschamps c'est qu'il est le seul français à chanter le rock sans chercher comme tous les autres à imiter le phrasé anglais ou américain. L'a un organe particulier, l'on disait que sa voix courait sur trois octaves, moi j'ajouterai qu'elle se faufile dans l'herbe tendre de la mélodie pour brusquement se lever comme une tête de cobra royal, et vous êtes déjà mort que vous n'avez pas encore compris ce qui vous arrive. L'a dans son larynx un grain de démesure qui n'appartient qu'à lui, un soupçon voilée et d'une clarté extraordinaire.

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    Nous interprète neuf de ses titres les plus connus : Tout ira très bien, une tambourinade échevelée d'une précision extrême, Je n'ai à t'offrir que mon amour, belle cover de Don't Let be me Misunderstood des Animals, Bye Bye Monsieur une composition qui à l'époque ( 1967 ) témoignait que Gérard Hugé son producteur connaissait les Memphis Horns mais refusait de copier platement, une très belle version de Lonely Avenue sur laquelle il joue aussi de l'harmonica, sa superbe adaptation du Bird Doggin de Gene Vincent réécrite en art de vire rock'n'roll, Oh la hey ! compo originale de Bashung des mieux enlevées, Noir mon frère, un titre de son album de 1984 chez Big Beat, et Te Voilà le tube de Rob Argent des Zombies sur lequel Pussy Cat – elle fut l'égérie de Gérard Hugé - lui donne la réplique.

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    La vidéo donne des extraits des deux sets de la journée. Certains morceaux seront donc donnés deux fois. Ce qui ne fait que doubler notre plaisir. Nous avons même en prime une interprétation de Jusqu'à Minuit de Johnny – la voix de Noël fatigue un peu, mais l'énergie est là. Deux guitares, synthé, basse, batterie et un très bon saxophone. Pussy Cat pour les choeurs.

    Une de mes idoles. De toujours.

    Damie Chad.

    *

    L'exemple idéal de ce qu'il ne faut pas faire. Vous rentrez tout fier de concert, vous déposez religieusement le CD que vous en ramenez sur la pile des disques à écouter en urgence absolue. Vous connaissez la suite autant que moi : les nécessités cruelles de la vie, les aléas imprévisibles de l'existence qui se mettent en travers de vos décisions les plus péremptoires. Lendemain soir 21 heures, vous vous apprêtez à glisser la rondelle fabuleuse dans l'appareil quand fort inopportunément le téléphone sonne :

     

    - Allo Damie !

    - Salut Noémie !

    - Ecoute-moi bien Damie, c'est très grave ! J'avais décidé de passer chez toi pour te faire un bonjour surprise, je suis dans le métro et horreur je m'aperçois que j'ai oublié mon pyjama à la maison !

    - C'est terrible Noémie, je ne te l'ai jamais dit, mais je dors tout nu, depuis le jour où ma maman m'a jeté dans ce monde sans pitié !

    - Oh! Damie c'est affreux, comment allons-nous faire ?

     

    Exactement les genres de vicissitudes qui n'arrêtent pas d'empoisonner la vie du rocker de base. Comment voudriez-vous que le lendemain matin après une nuit sans sommeil à tenter de résoudre ce douloureux problème vous pensiez encore à votre disque ? Bref deux ans plus tard grâce à l'écroulement de la fatidique pile vous vous apercevez qu'il serait quand même temps de tenir vos engagements prioritaires. En plus, c'est du lourd :

     

     

    HOT CHICKENS

    OFFICIAL BOOTLEG

    Live @ Gedinne / August 24 th 2013

    ( Chikens Records )

    Hervé Loison : Vocal, Contrebasse, harmonica, guitare rythmique / Christopher Gillet : guitare / Thierry Sellier : batterie.

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    Keep a knocking : me souviens encore de l'avertissement du grand Jake quand j'ai choisi le CD «  Ah ! Tu sais, c'est pratiquement du garage ». Comme je n'ai nulle prévention envers le garage et ses huiles de vidange qui sentent le cocktail molotov je n'ai pas hésité une seconde et le monstre est sur l'appareil. J'avoue que ça commence mal, le bruit d'un démarrage de 2 Chevaux au starter ( je vous parle d'un monde que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ) puis il y a ce ronflement hargneux de sanglier que vous venez de réveiller dans sa bauge et la bogue de châtaigne richardienne qui vous arrache le visage. Et c'est parti pour un fuckin'time de rock'n'roll, préfèrerais ne pas vous parler de Thierry Sellier qui tapote sur le tambour la marche militaire qui accompagna les grenadiers de l'Empire lorsqu'ils se mirent en marche vers le soleil d'Austerlitz, mais ça se transforme rapido en chasse à courre et Christophe Gillet qui vous dépose des riffs explosifs à la nitroglycérine juste pour vous rappeler que c'était comme ça au bon vieux temps du rock'n'roll. Et c'est sur ce background que Loison joue à la diva d'opéra, un rôle qui lui va à merveille, quant elle est en colère parce que l'on a reproché à son chiwahwa, une perle, d'avoir pissé au pied du micro et que la star souffle le ramdam sa grosse voix et son immense caprice pour que le directeur en personne vienne présenter ses excuses à l'adorable et innocente peluche. Bref vous l'avez compris, ça chauffe. Rockabilly boogie : hurlement d'entrée pour saluer Johnny Burnette, une espèce d'avalanche rocailleuse avec Thierry qui fend les rocks avec sa baguette Durandal et Christophe qui vous poinçonne les notes à la visseuse ultra-rapide. Quand à Loison quelqu'un a dû rayer un de ses trente-trois tours d'Elvis, car franchement il est d'une humeur massacrante. Tronçonnante même. Jeannie Jeannie Jeannie : petit Richard mais grand shouter, Christophe vous envoie la valse à forte amplitude, Thierry vous beurre la tartine des deux côtés au venin d'aspic et Loison vous rappelle la petite Jeannie d'une façon si autoritaire, l'en nasille de colère, que si une ligue féministe en vient à écouter le skud, il terminera sa vie en prison. My baby runs away : n'en fait pas mystère, le clame à haute voix, deux morceaux tirés de son ancien groupe Mystery Train, je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais les rockers n'aiment pas que leurs poupées se cassent, l'en fait tout un roquefort affiné le Jake, et les deux autres en profitent pour se laisser aller aux plaisirs d'un background coupable, le poussent un peu dans ses retranchements, le Loison dans une colère de fou, il éructe à la manière d'un dromadaire à qui l'on vient d'interdire de boire. Motorcycle girl : éloignez les enfants, Jake pète trois durites d'un coup, ne chante plus, il crie, il hurle, imite le bruit d'une moto, un truc horrible même Thierry et Christophe ont la frousse de leur vie, vous hâtent la cadence à 323 kilomètres heure, sont pressés de finir le morceau, veulent rentrer vivants chez eux, mais pas de chance Loison les rattrape sur la bretelle de l'autoroute. Les carottes sont cuites et les chickens are very hot. The devil and me : ça ne pouvait que mal tourner, voici que le diable s'en mêle, Loison chante comme l'on ricane en bécane, et les deux acolytes vous tressent une tenture musicale de toute beauté, si vous n'en étiez pas convaincu maintenant vous l'admettez, rien n'est plus beau que le rock and roll, un solo de guitare à vous faire entrer dans les ordres, bon Loison vous scalpe un peu avec son vocal de chevrolet aux ailes carbonisées et Christophe rajoute une deuxième couche de coups de fourche. Don't touch what you can't afford : le titre en lui-même est un avertissement, l'interprétation une menace atomique, et la musique un accomplissement. Destructif. Quand Loison vous dicte les dix commandements du rocker vous avez intérêt à filer doux car la maison ne fait pas de crédit. Just reelin' & rockin' : un petit côté country, mais le bonheur est de courte durée sur cette planète, un serpent sous chaque motte de terre et un colt dans chaque saloon, en plus Christophe et Thierry déclenchent une bagarre générale et Hervé vous pousse des piolets de joie sur les décombres fumants. Cruel Lou : Loison s'en prend au public, un truc classique quand une fille vous a fait du mal vous cherchez du réconfort auprès des copains et c'est parti pour un chant indien, vous savez ceux que l'on entonne juste avant d'enfourcher les poneys sur le sentier de la guerre, le combo vous joue en sourdine l'attaque du fort, le moment idéal pour se plaindre de la jolie Lou, Thierry en massacre sa batterie, Christophe tire sur ses cordes comme sur les viscère d'un chat et c'est parti pour le grand pow-wow, miaulements d'horreur et tout le bataclan, la suite est déplorable, Hervé Loison est devenu fou, parle tout seul, vaticine comme s'il annonçait la venue du messie, Thierry essaie de le faire taire en lui enfonçant la tête à coups de baguettes-marteaux, mais la bête parvient à s'échapper, grognasse comme un ours blanc privé de banquise que vous venez d'expulser de votre frigidaire, chants d'indiens dans le lointain, charivari monstrueux qui se termine abruptement, l'on ne sait pas pourquoi. Miss Froggie : maintenant l'on sait : pour jouer un petit morceau de rock'n'roll ! Et Miss Froggie arrive en trombe, Christophe imite le froufrou de sa robe tournoyante, à chaque battement de sa baguette Thierry lui descend sa culotte, ne cherchez plus loin à comprendre pourquoi le rythme s'accélère soudain, elle est toute nue et Loison en claque sa langue de bonheur. La fin du morceau n'est pas morale. Folie collective. Lovin'up a storm : rien de tel qu'un gros orage pour électriser l'atmosphère qui n'en a pas besoin mais ça peut toujours servir surtout quand on appelle Saint Jerry Lou, le diable en personne, à la rescousse, Gillet martyrise sa pumpin' guitar et l'on subodore que Loison s'en va voler avec les anges portés à bout de bras par un public survolté. L'en revient tout excité, vous expédie le vocal au lance-pierre. Fait mouche et caïman à chaque fois. Ne vous reste que vos jambes cisaillées pour danser. Plus qu'il n'en faut pour être heureux. Shake your hips : Jake a sorti son harmonica comme l'on dégainait son colt dans les bouges de Chicago. L'est vrai que ça bouge salement. Le blues ne fait pas de pitié. Vous bouscule le rock'n'roll comme une vulgaire serpillère et vous l'accule dans ses derniers retranchements. Deux sacrés fils de pute qui déchargent sperme et balle dum-dum à foison. Le combo virevolte comme un groupe de derviches tourneurs. Et quand la machine s'arrête, vous repartez aussitôt en marche arrière. Stompe mais ne stoppe jamais. L'harmo siffle comme une locomotive et la batterie boogie-boogise à mort, le chauffeur Loison court sur les toits des wagons, ne sait plus où il a mis sa pelle à charbon alors il hurle à la lune et à tous les soleils intergalactiques, aussitôt imité par le public toujours prompt à s'embarquer dans le premier delirium tremens qui passe et trépasse. Unchained melody : après la tornade, un slow, six secondes, ne faut jamais abuser des bonnes choses, la suite ressemble à une catastrophe ambulante qui fonce sur vous et qui vous emporte au pays des exagérations putrides. L'on en pleurerait presque et la musique vous englobe comme une cloche à fromages charançonnés. Si vous aviez cru entourer de vos bras câlins votre voisine, c'est raté, il y longtemps qu'elle a dépassé l'extase clitoridienne dans cette tempête tonitruante. Vous n'existez plus. Pour elle. Pour vous, non plus. Surfin bird : Loison sort son petit oiseau de la cage. Un aigle royal qui déplie ses ailes et n'entend pas renoncer à sa liberté. Maintenant Jake aboie comme un chien en colère, transforme sa voix en bande-son de dessin animé désarticulé et c'est parti pour l'ultime ouragan de 1887 qui dévasta l'Oregon. Aucun survivant. Misirlou : Christophe prend le devant de la scène, surfe sur sa guitare comme Dick Dale sur sa planche à voile, et le public joue les jolis chœurs. Liesse collective, l'avion se pose en bout de piste et vous écrase consciencieusement. Tout le monde s'en fout, c'est trop bon. Bony Moronie : un dernier bal avec la petite Bonnie qui tournoie comme une toupie folle, le classique de Larry Williams, l'est mort d'une balle dans la tête le pauvre Larry mais ce n'est point grave, l'était immortel depuis qu'il avait gravé sa bombe humaine, que ce soir les Hot Chickens ont décidé de faire exploser une fois pour toutes ( une voix pour toutes selon Loison ), vous secouent la marionnette Moronie de bien belle manière. Délectable. Save your soul : une dernière prière avant le boogie du soir, Loison cet ami qui nous veut du mal a décidé de sauver nos âmes. Le problème c'est que nous ne savons plus où nous l'avons mise, c'est que l'on ressort d'un disque des Hot Chikens totalement chamboulés, Christophe Gillet a beau vous caresser de ses riffs pointus et Thierry Sellier faire baguette de velours, vous savez que le pire est à venir. Ne vous fiez pas à Hervé Loison lorsqu'il prend sa voix de clergyman, vous savez que le fléau est programmé et que rien ne l'arrêtera. Et en effet rien ne l'arrêta.

    Pour une raison bien simple. C'est que le disque terminé vous appuyez une nouvelle fois sur la touche on. Une parfaite introduction pour ceux qui n'ont jamais participé à un concert des Hot Chickens.

    Des malheureux.

    Qui ne connaissent rien du monde.

    Méritent-ils même de vivre ?

    Je préfère ne pas répondre.

    Damie Chad.

     

    15 / 03 / 2018 – PARIS

    AU 100 RUE DE CHARENTON

    THE PRICE OF THE TICKET

    KAREN THORSEN

    ( 1989 )

    Voici plusieurs années que nous présentons régulièrement dans KR'TNT ! des livres de James Baldwin, figure indissociable de la lutte des noirs aux Etats-Unis. James Baldwin est mort en France le 01 décembre 1987. Le Comité James Baldwin ne laisse pas passer une si belle occasion de sortir de l'oubli la haute figure de l'écrivain laissée quelque peu en déshérence depuis pratiquement deux décennies en notre pays. La réédition d'une dizaine de ses ouvrages et l'attribution du César du Documentaire 2018 au I'm Not Your Negro de Raoul Peck a suscité un nouvel élan autour de l'auteur de Si Beale Street Pouvait Parler.

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    Mais ce soir le Comité James Baldwin convie les amateurs de Baldwin à visionner une rareté, le film The Price of the Ticket de Karen Thorsen. Cette œuvre n'aurait jamais dû voir le jour. A l'origine Karen Thorsen devait suivre Baldwin en train d'écrire son dernier roman. Mais la mort s'est glissée au milieu du jeu avant même que la partie proprement dite commençât, et a rendu le projet caduc. Mais les producteurs ne renoncèrent pas, une nouvelle règle fut établie : le film se ferait tout de même, il existait, autant en France qu'aux Etats-Unis, de nombreuses archives d' interviewes du romancier et les témoins de son existence ne demandaient qu'à témoigner... Il était établi que la réalisatrice ne rajouterait aucun mot de son cru sur la bande son. Le film commence sur les obsèques de Baldwin – ce qui donnera à tous les rockers d'entrevoir quelques bribes de Rosetta Tharpe, rappelons que son jeu de guitare n'est pas étranger à la manière d'envisager l'emploi de cet instrument dans le rock'n'roll, en train de chanter... Et puis la narration adopte un cours chronologique des plus classiques.

    L'on suit Baldwin pas à pas, l'importance de son beau-père prêcheur intransigeant, la prise de conscience du gamin et de l'adolescent de la chape de misère qui l'emprisonne, lui, sa famille, et toute la nation noire. Baldwin cumule les difficultés, non content de n'être qu'un nègre il est aussi homosexuel et désire devenir écrivain. Comme beaucoup d'artistes noirs il fuira à Paris. Vivra dans la rue, connaîtra la solidarité des milieux les plus pauvres – les maghrébins parisiens qui subissent de la part des français un ostracisme racial qui étrangement l'épargne en tant que noir... Ce sont des années de formation éprouvantes mais c'est dans ce creuset qu'il écrit Va Dire à la Montagne – dynamitage du puritanisme religieux noir - et La Chambre de Giovanni – dynamitage du puritanisme sexuel blanc - qui lui apportent la gloire.

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    En 1957, il rentre aux Etats-Unis, il pense pouvoir aider à faire progresser la problématique noire. L'espoir soulevé par la Présidence de John Kenedy ne sera qu'un feu de paille. Baldwin est de tous les combats mais après les assassinats de Malcom X et de Martin Luther King, il se doute qu'il est le suivant sur la liste de la CIA... Il retourne en France, continuant la lutte par ses écrits et se faisant un devoir de payer les avocats qui défendent les militants et les dirigeants des Black Panthers. Ses écrits sur la cause noire comme La Prochaine Fois, le Feu se révélant malheureusement prophétiques...

    La projection sera suivie d''un débat entre la salle pleine et Eléonore Bassop et Samuel Légitimus qui apportent une quantité impressionnante de précisions sur la vie, l'activisme politique et la réception des écrits de James Baldwin. La discussion s'engage beaucoup plus vivement dès qu'il s'agit de porter un jugement sur l'action politique de Barack Obama en faveur des noirs aux Etats-Unis...

    Dans le même ordre d'idée, le fait que l'on ait proposé à Christiane Taubira d'écrire la préface de la réédition chez Folio de La Prochaine fois, le feu me fait doucement rigoler. Quand on a été ministre de la justice d'un gouvernement d'obédience libérale qui s'est comporté fort honteusement et moult ignominieusement quant à l'accueil des immigrés africains et que l'on n'a pas eu le courage de démissionner, il vaudrait mieux avoir la pudeur de se taire et le courage d'assumer la politique à laquelle on a souscrit durant des années.

     

    Dans une pièce attenante se tenait une exposition d'œuvres picturales et graphiques en relation avec les combats de James Baldwin et la possibilité de tenir en main et de feuilleter une belle collection d'éditions américaines de l'écrivain, présentée par Sébastien Quagebeur.

    Damie Chad.

    AU PAYS DES FUGUES

    SEBASTIEN QUAGEBEUR

    ( Editions Unicité / 2016 )

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    C'était un livre un peu à part sur la table d'exposition des éditions américaines de James Baldwin. L'est de Sébastien Quagebeur qui présente les ouvrages et qui appartient au Comité James Baldwin. Partant du principe qu'un individu qui parle si bien de Baldwin et si laudativement de Langston Hughes ne peut-être tout-à-fait mauvais, je prends d'office, j'aime les gens passionnés.

    Un livre de poésie. Peu de mots. Beaucoup de déchirures. A l'image de notre monde. Qui vole en éclats. Si dispersés qu'il est difficile de se voir en son miroir brisé. Alors on se rattrape aux petites branches, celle des vocables arrachés aux journaux et à des lambeaux de photos de magazines. L'art du collage tient autant du test de Rorschach que des bâtonnets du Yi-King. Vous jetez le sperme du hasard et vous retrouvez la structure de votre ADN. Tout est question de projection. Les bouts de papier dans le chapeau mou de Dada, et la flamboyance expressionniste des motifs de papiers peints isolés.

    N'empêche que chez Sébastien Quagebeur le texte prédomine. Vous saute au visage dès que vous ouvrez le livre, à n'importe quel endroit. La parole vous happe, les flashs iconiques sont derrière, comme un fond de poubelles renversées. Peut-être une manière d'indiquer que la fleur de la poésie pousse sur le fumier de l'univers. S'agit aussi de dresser des barricades de papier face à la fureur du monde. Lorsque tout est détruit, ne reste que l'appel à l'émergence de la révolte. La critique acerbe ne suffit plus. Ne reste plus que le nom des poètes, Prévert, Césaire, et tous les autres qui ne sont pas nommés, à brandir comme des boucliers dérisoires qui se révèleront un jour être têtes de Gorgone protectrices. Car la poésie est l'ultime rempart.

    Le livre fonctionne à la manière d'un kaléidoscope. Vous êtes le périscope qui de loin en loin reconnaît une image, amie ou ennemie, mais il suffit de tourner rapidement les pages pour que la confusion gouverne votre esprit. C'est alors que vous vous raccrochez aux mots comme le naufragé à une épave. Sans doute avez-vous tort, ne tentez pas de mettre de l'ordre dans le désordre. Les poèmes visuels ne sont pas des messages, juste des contre-ordres à la marche du monde. Sébastien Quagebeur les a éparpillés comme rochers affleurants, et vous zigzaguez sautant de l'un à l'autre, sans vous doutez qu'à chaque fois vous enjambez l'abîme du non-sens. Vous traversez le brasier en vous réfugiant dans le feu d'artifice qui étincelle comme un bombardement de neutrons.

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    Parfois il vous en met plein les yeux. Fini le blanc et noir de la reproduction économique, Quagebur vous initie à la magie des couleurs. Existe-t-il une chromancie qui reflèterait d'une manière plus subtile l'interprétation de l'âme du poète ? Rimbaud et ses voyelles colorées viendront-il à votre secours ? Dans ce monde n'espérez que l'espoir.

    Le lecteur curieux – il en existe encore, peu je vous l'accorde – qui aime en venir droit au but demandera – c'est bien connu, les plus curieux sont les plus naïfs qui croient au sens caché des choses – mais de quoi parle ce livre en fin de compte ? Elémentaire cher Watson, pour le savoir contentez-vous de vous pencher par la fenêtre. Cela ne vous en dira pas plus que ce que vous voyez. Il est sûr qu'il n'y a pas pire aveugle que celui qui se cache les yeux. Alors je vais vous répondre : il parle de la nature de la poésie. Un animal difficile à saisir. C'est pour cela qu'il a ajouté des images aux mots. Parfois un dessin vaut mieux qu'un long discours.

    Ça volette de tous les côtés dans cet imagier pour adultes. Vous avez vraisemblablement entendu parler des battements d'ailes du papillon et de la théorie des catastrophes.

    Devrais-je en conclure que le monde court à la catastrophe ?

    Pas exactement, la catastrophe c'est vous. Voilà, maintenant vous savez, dites merci à Sébastien Quagebeur, car un lecteur averti en vaut deux.

    Damie Chad.