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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 44

  • CHRONIQUES DE POURPRE 557 : KR'TNT 557 : LENNY KAYE / NICK WATERHOUSE / FAMOUS / GRAND MAL / PEMOD / TROMA / DÄTCHA MANDALA / PATRICK GEFFROY YORFFEG + OM

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 557

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 06 / 2022

    LENNY KAYE / NICK WATERHOUSE

    FAMOUS / GRAND MAL

    PEMOD / TROMA / DÄTCHA MANDALA

    PATRICK GEFFROY YORFFEG + OM

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 557

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur : http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Mon Kaye business

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             Pour tous les kids qui consommaient déjà activement du vinyle dans les early seventies, la parution de Nuggets fut à la fois la voix de l’oracle et le déclencheur d’un crash financier. Ce fut la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un messie était à la fois un sauveur et un danger pour la société. Oui, on adorait ET on haïssait Lenny Kaye, il devint cette espèce de créature bicéphale, d’un côté une tête charmante chantait les louanges des Standells et des Shadows Of Knight et de l’autre, une tête grimaçante te disait : «Ah si tu veux les albums, sors tes sous !», et si par malheur tu lui répondais : «J’en ai pas !», la tête sifflait comme un serpent et crachait une injonction du genre : «Attaque une banque, alors !».

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             Toute plaisanterie mise à part, Nuggets (Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968) fut un double album révolutionnaire, encore plus révolutionnaire que le White Album, Blonde On Blonde ou Electric Ladyland. On doit cette parution à une autre créature bicéphale : Lenny Kaye et Jac Holzman. Nuggets ne pouvait paraître que sur Elektra : objet parfait, pochette superbe, contenu irréprochable, pur spirit vinylique. C’est l’un des objets les plus réussis de l’histoire des objets. Avoir ça dans les pattes en 1972, c’était une façon de découvrir un monde et éventuellement de se mettre sur la paille, ce qui ne manqua pas de se produire.

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             Lenny Kaye parle un peu de Nuggets dans une longue interview accordée à Ugly Things en 2019.  Il indique que Jac Holzman avait une idée assez vague du projet - A record that compiled the one good track from random albums - Il ajoute qu’il avait 50 ou 60 titres sur sa liste initiale. Ce qui pourrait nous renvoyer sur deux pistes : ‘The Rejected 12’ qu’on trouve dans Ugly Things # 46, et bien sûr la Nuggets Box parue en 1998. C’est José Vincente Neglia qui raconte l’histoire  des ‘Rejected 12’, c’est-à-dire des noms barrés sur le document officiel qui est à cette époque tapé à la machine. Parmi les barrés, on trouve Blue Cheer («Summertime Blues»), les Paupers («Magic People») et des love ballads, a big no-no for Nuggets : Rationals («I Need You», cover de Chuck Jackson, pas celui des Kinks), Nazz («Hello It’s Me» qui sera remplacé par «Open Your Eyes»), Wayne Cochran («Going Back To Miami», trop R&b), Pearls Before Swine («Drop Out», trop folk-rock). C’est vrai que Nuggets sonne comme du trié sur le volet.

             Lenny Kaye se souvient aussi d’avoir vu la liste de Jac. Il ne se souvient que d’un cut de Little Anthony & the Imperials from their psychedelic album, Reflections. Lenny Kaye est à cette époque ce qu’on appelle un rock writer et Jac adorait les rock writers, c’est pourquoi il s’est rapproché du Kaye, lui proposant même de devenir talent scout pour Elektra, comme Danny Fields. Mais ça n’a pas marché, nous dit Kaye - Nothing I recommanded to him he used - The Stalk-Forest, the Sandy River Band, même pas les Sidewinders ! Lenny Kaye en profite pour rappeler qu’il était bien pote avec Andy Paley. Ah sob !

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             Il est temps de replonger dans Nuggets. On y replonge chaque fois comme dans un lagon. Car c’est la compile la plus réussie de l’histoire des compiles. Il faut imaginer la gueule qu’on tirait en 1972 en découvrant le «Dirty Water» des Standells. Ça devenait tout simplement une raison d’être gaga. L’intro parfaite, avec l’I wanna tell you story et ça va te coller à la peau comme le «Baby Please Don’t Go» des Them ou le «1969» des Stooges. «Dirty Water» fit tout de suite partie du patrimoine génétique. Comme d’ailleurs l’«Oh Yeah» des Shadows Of Knight qui ouvrait le balda du disk 2 : la perfection gaga, l’excelsior définitif, with a lotta fun, encore plus proche du héros Van The Man, said yeah yeah, qu’on écoutait jusqu’au vertige. Au point de se réveiller le matin en chantant l’Everything’s gonna be alright this morning. Et le balancement qui suit te suit toute ta vie, où que tu sois, dans les mauvaises passes comme dans les bonnes. Cette façon de gratter l’accord et de poser la voix devient le mètre étalon. Et bien sûr, en 1972, tu pars tout de suite à la chasse aux albums. Ils sont tous aux États-Unis, en vente sur l’auction list de Bomp!, alors tu mises et tu reçois ces disques qui deviennent les prunelles de tes yeux trois semaines plus tard, Standells & Shadows of Knight forever ! Le problème c’est que Nuggets grouille de pépites, tu te prends un petit shoot d’énormité avec le «Night Time» des Strangelove, puis tu rêves d’avoir un gros cul pour danser le jerk avec Leslie West et Aretha sur la reprise de «Respect», et ça continue avec un shoot de pur jus Dylanex, Mouse & The Traps et leur fameux «Public Execution». Ils sont en plein dans «Like A Rolling Stone». Jac & Lenny te soignaient car tu avais en prime des petites révélations sidérales comme le «Sit Down I Think I Love You» des Mojo Men, giclée de Beatlemania infestée d’accordéon et, encore plus fascinant, l’exhilarating «My World Fell Down» de Sagittarius, la pop la plus spectaculaire de tous les temps, avec celle de Brian Wilson. On ne savait pas à l’époque qu’un black chantait le «Let’s Talk About Girls» des Chocolate, mais quand on a su, ça paraissait évident : c’est une vraie voix de blackos. Todd Rundgren superstar et son «Open My Eyes» nous collait des sueurs froides. Il était déjà en avance sur tout le monde au temps de Nazz, c’est une sorte de génie prématuré, il détenait déjà tout le power du rock d’Amérique, il bombardait tout le son qu’il pouvait dans la pop, tout le jus était déjà là, tension maximale, vrilles de notes, démesure absolutiste ! Et les trois albums de Nazz allaient faire trembler les murs de la ville. Oh et puis cette version extraordinaire de «Farmer John» par les Premiers, sans doute le hit gaga le plus sauvage de l’histoire avec le «96 Tears» de ? & The Mysterians. Pas de génie plus pur que le génie pur des Premiers. Du coup, les Seeds semblaient inoffensifs avec leur «Pushing Too Hard», comparé à tous ces masterful mavericks. Le disk 2 ramenait aussi son petit lot de bombes atomiques, comme par exemple les Remains avec «Don’t Look Back» et ses dynamiques qui valent tout l’or de Rintintin, et puis «You’re Gonna Miss Me» qui déclencha à l’époque une addiction de plus : 13th Floor forever. Raaaahhhh ! Le seul endroit à Paris où tu trouvais les trois pressages américains du 13th Floor, c’était Music Action au Rond-point de l’Odéon, bon, tu devais sortir un gros billet, mais tu pouvais ensuite les ramener dans ta cave pour t’en goinfrer. Gnarf gnarf ! Une véritable orgie de pornographie sonique. Musique Action vendait aussi les pressages américains des trois Velvet. Alors tu ne vivais plus que de «Levitation», de «Sister Ray» et d’eau fraîche. L’intro du «Psychotic Reaction» des Count Five est l’une des plus belles de l’histoire des intros :  fuzz, coups d’acou, basse, big beat et roule ma poule. Pas étonnant que les Cramps aient flashé là-dessus. Puis tu avais les autres, les lumineux Cryan Shames et puis cette cover spectaculaire du «Baby Please Don’t Go» des Them par les Detroiters d’Amboy Dukes. Si tu es bassiste dans un groupe qui décide de rejouer cette version, tu vas droit en enfer. Ça se joue sur une note et ça dure une éternité. Seuls le batteur et le guitaristes s’amusent.

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    Lenny Kaye avait tellement de choses à dire qu’Ugly Things dut faire paraître l’interview en deux parties. C’est presque un roman, et c’est d’ailleurs ce qui fait la force d’un tel fanzine : la nature quasi exhaustive des articles. Chaque numéro fait 160 pages et sort en dos carré collé, comme un livre au format A4. Alors accroche-toi quand un nouveau numéro arrive, car ça va te prendre des heures si tu cèdes à la curiosité et que tu décides de partir à la découverte de groupes qui n’ont pour la plupart aucun intérêt, sinon celui d’avoir existé voici cinquante ans. Ugly Things tombe dans le travers des revues scientifiques faite par des experts et destinées à des experts. Il y grouille une vie de rock scientifique, même si Mike Stax continue de jeter tout son poids dans la balance. Mais à force de vouloir raconter dans le détail des histoires de groupes oubliés, il perd de vue l’essentiel : le rock est un art vivant. Depuis que les Pretties ont disparu, Ugly Things semble avoir perdu et son âme et sa caution. Il n’empêche qu’on continuera de le lire. 

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             La deuxième partie de l’interview fait dix pages. Cette fois, l’interviewer Phil Milstein oriente Kaye sur ses débuts de rock writer, lorsqu’il travaille pour Richard et Lisa Robinson et qu’il publie une chronique du premier album des Stooges. C’est là que Danny Fields qui a signé les Stooges chez Elektra appelle Kaye : «Who are you?». Et Kaye lui répond que c’est une bonne question, car il se l’est lui-même posée. On est en 1969, ne l’oublions pas. Richard Robinson avait alors six magazines auxquels Kaye participait, puis il va écrire pour Rolling Stone. Richard Robinson bosse aussi comme A&R pour Kama Sutra. C’est lui qui sort le Flamingo des Groovies, puis il bosse pour RCA et c’est grâce à lui que Kaye peut sortir l’album des Sidewinders. Personnage très clé que ce Richard Robinson qui supervise également l’arrivée de Bowie et de Lou Reed chez RCA. Kaye revient aussi longuement sur sa passion pour Waylon Jennings qu’il accompagne en tournée pour pouvoir écrire sa bio. Il a dit-il 50 ou 60 heures d’interviews avec l’Outlaw et Jessi Colter, sa compagne. L’interview est passionnante. Kaye veille à rester précis et recadre souvent l’interviewer d’un ton sec.

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             Jon Mojo Mills lui accorde cinq pages dans Shindig!. La double d’ouverture s’orne à gauche d’une vieille photo de Kaye qui n’est pas à son avantage : allure de grand Duduche avec des cheveux extrêmement longs de gonzesse mal coiffée, des lunettes à grosses montures et les dents pourries. Kaye revient sur ses débuts de rock writer, avec une première chronique d’un concerts de Fugs à Greenwich Village en 1966, et en 1968, Patricia Kennealy l’invite à écrire pour le canard qu’elle édite, Jazz & Pop. Mais attends, Patricia Kennealy... Mais oui, la petite gonzesse qui a épousé Jimbo en noces païennes ! La première chro qu’écrit Kaye pour Kennealy est celle d’Odgen’s Nut Gone Flake des Small Faces - How does one describe an aesthetic experience ? - Puis c’est la chro du premier album des Stooges pour Fusion, évoquée plus haut. Le plus marrant, c’est qu’il emploie avec Mills exactement les mêmes mots que ceux employés pour Ugly Things. Des Stooges et de Danny Fields, Mills saute à Nuggets. Mills insinue que Greg Shaw a joué un rôle capital dans cette histoire. Kaye commence par rectifier le tir en disant que c’était son idée de compiler «those tracks from albums that had one strange track on them». Jac dit-il lui donne alors carte blanche. Kaye précise encore qu’à l’époque, les cuts choisis n’avaient que trois ou quatre ans d’âge, mais qu’ils avaient en commun un côté «adventurous and anything-goes attitude». Bien sûr nous dit Kaye, Greg Shaw et lui sont alors sur la même longueur d’onde, ils sont d’ailleurs en contact. Kaye dit aussi son regret de n’avoir pu obtenir les licences pour le «Talk Talk» de Music Machine, l’«I See The Light» des Five Americans et surtout «96 Tears». Un Volume 2 était alors envisagé, mais comme les ventes du Volume 1 n’étaient pas concluantes, Jac décida d’en rester là. Il faudra attendre 1998 et la fameuse box Rhino. 

             Kaye revient aussi sur le punk new-yorkais, citant Tom Verlaine - Each band was like an idea - alors qu’à Londres c’est plus un look et une façon de jouer. En fait il n’a pas grand-chose à dire sur le punk étant donné qu’il n’a jamais été punk. Le Patti Smith Group est tout sauf punk. Mills sort Kaye de ce guêpier en lui demandant d’évoquer sa carrière de producteur. Alors les noms tombent : Microdisney, James, Soul Asylum, Weather Prophets, Martin Stephenson & the Daintees, Suzanne Vega. Son préféré étant le Mayflower des Weather Prophets - «Naked As The Day» is to me a perfect song - Kaye adore Peter Astor - He just won my heart

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             Comme cette interview accompagne la parution de Lightning Striking, il ne reste qu’une seule chose à faire : s’y plonger. Alors attention, c’est un gros morceau. 500 pages d’une rare densité. Kaye a du souffle. C’est un marathonien du rock-writing. Prévois un gros paquet d’heures, si tu te lances dans l’aventure de cette lecture. Tu as dix chapitres. Chacun d’eux traite d’une «scène» déterminante dans l’histoire du rock et dont il fut parfois témoin et même parfois acteur (Memphis, New Orleans, Liverpool, San Francisco, Detroit, New York 1975, London 1977, pour ne citer que les plus intéressantes). Tout est incroyablement bien documenté. Kaye a du souffle, c’est même un virtuose de l’érudition, avec à la clé une bibliographie/discographie de tous les diables. Un chapitre qui peut encore une fois te mettre sur la paille, comme le fit jadis Nuggets.

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             La grande spécialité de Kaye, ce sont les chapitres vertigineux, comme s’il faisait danser le jerk aux références. Ainsi trouve-t-on ceci dans le chapitre New Orleans 1957 : «Richard Berry entend ‘El Loco Cha Cha’ par Rene Touzet et le transforme en ‘Louie Louie’ en 1956, l’année même où Chuck Berry se retrouve sous the ‘Havana Moon’. Il y a un extra wood block overdub dans ‘La Bamba’ de Ritchie Valens paru en 1958, pour le cas où on n’aurait pas compris, avec le drumming d’Earl Palmer. On retrouve la ‘pincée de Spanish’ dans le Bo Diddley famous beat qu’on appelle aujourd’hui le Diddley Beat, ainsi que dans le ‘Not Fade Away’ de Buddy Holly. Et puis il y a les mambo rock records : ‘Tequila’ des Champs, ‘Daytripper’ des Beatles, ‘Break On Through (To The Other Side)’ des Doors. ‘Une fois que tu l’entends’, dit Ned Sublette, ‘tu le retrouves partout.’»

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             Autre exemple dans Philadelphia 1959 : «Kenny Gamble et Leon Huff se rencontrent chez Cameo lorsqu’ils bossent tous les deux sur ‘The 81’ de Candy & the Kisses. Ils sont blacks et réalisent qu’ils n’auront jamais accès au management, aussi vont-ils monter leur boîte. Ça va donner les luxuriantes Soul fantasias de Philadephia International, dont les rythmes de hit-hat annoncent l’arrivée de la disco et dont les groupes - O’Jays, Harold Melvin & The Bluenotes et surtout les Intruders (‘Cowboys To Girls’) - vont incarner le son de Philly. Le producteur Thom Bell qui à l’origine bossait avec Gamble, poursuit the Philadelphia’s high-tenor tradition en produisant les Delfonics (l’ineffable ‘Didn’t I Blow Your Mind This Time’) sur son Philly Groove label, et les Stylistics (‘You Made Me Feel Brand New’). Et avec un twist of fate qui va donner entière satisfaction à Mitch Thomas, le somptueux string-driven ‘TSOP’ va devenir le générique de Soul Train.» Kaye s’amuse aussi avec les Searchers dans Liverpool 1962 : «Les Searchers ont aussi fait leur temps au Star Club de Hambourg en 1962 et ont suivi les Beatles dans le charts en adaptant des hits américains comme ‘Sweet For My Sweet’ et ‘Sweet Nuthins’, mais c’est avec the more jingle-than-jangle folkish rock of ‘Needles And Pins’ (composé par ces west coast scousers liverpuldiens Jack Nitzsche et Sonny Bono), et plus tard ‘When You Walk In The Room’ et le ‘What Have You Done To The Rain’ de Malvina Reynolds qu’ils vont trouver a chiming ring that would preflyte the Byrds.» C’est fin et juste, Kaye tape à chaque fois en plein dans le museau du mille. Ailleurs, Kaye se paye un bon délire avec la génuflexion - Go down on one knee, agenouille-toi, Our genuflect to the lineage of which we are becoming a part - Dans New York 1975, Il repart des impros de sa copine Patti Smith, avec un poème qui débouche sur «Hey Joe» - Patti points Joe’s gun : Charlie Beaudelaire gets it in the spleen, goes down on one knee, Arthur Rimbaud bang in the groin, down on one knee, the T.A.M.I Show sur le siver screen, Jan & Dean glissent sur leurs surfboards, come down on one knee, the silver lamé Supremes down on one knee, Chuck Jackon, Marvin Gaye, James Brown, those boys who sing ‘Time In On My Side’ attendent dans les coulisses, Arthur Lee, all bow down on one knee, Huey Newton abattu qui tombe to one knee, Lee harvey Oswald courant into the Texas movie theater T.A.M.I. Show on screen, our generation come down on one knee. Comme un ange, Jime Hendrix he falls down on both knees, kérosène, une allumette, his huitar in flames kisses the sky, annonçant la prophétie à des enfants désespérés qui attendent a new language, a new rhythm, a new tongue - Voilà de quoi Kaye est capable : recréer par les mots la transe scénique de l’early Patti Smith. Il est aussi capable de paroles d’évangile, comme lorsqu’il évoque le concert annuel en souvenir de Johnny Thunders, au Bowery Electric : «À l’angle de Bowery et de Joey Ramone Place, à deux pas de son ancien appart. The annual Johnny Thunders’ Birthday Bash. J’y suis chaque année. C’était un très bon ami, a never-say-die-until-you-do rock and roller. Il me manque. Strike the chord, sing the song, as Gloria walks through the door.» D’ailleurs, il rappelle un peu plus loin qu’il n’existe «qu’une seule chanson avec laquelle on peut entrer en communion et qu’il joue depuis 1966 : Gloria, in excelsis deo.» Dieu au plus haut, est-il besoin de traduire ?

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             Alors on entre dans les chapitres par la grande porte, celle de Memphis 1954. Kaye se veut implacable, il a décider de striker des esprits déjà bien strikés. Il te fait entrer derrière Elvis au Memphis Recording Studio et tu assistes à la scène : «La femme qui est assise derrière le bureau est impressionnée par l’homme qui vient d’entrer. Elle pense qu’il est très beau, avec un curieux mélange de timidité et de bravado. Ses rouflaquettes...» Elle lui demande ce qu’il chante et il répond : «I sing all kinds». Et ajoute : «I don’t sing like nobody.» Sacrée façon de s’exprimer. Il parle déjà comme un noir. C’est ainsi qu’Elvis entre dans l’histoire. Puis il se pointe chez Scotty Moore en pantalon rose et chemise blanche, un Scotty nous dit Kaye «qui joue comme Chet Atkins et Merle Travis on the country side, et comme Tal Farlow on the jazz, développant une technique de pick-and-fingers that double stops and inverts chords.» Chaque détail est d’une importance capitale. Ouvre bien les yeux. Bill Black nous dit encore Kaye a son propre style, «his own get-up-and-go, slapping at his instrument as if he’s behind a trap set.» Ils entrent ensuite tous les trois en studio et déroulent «That’s Alright Mama» sous l’œil rond d’un «Sam C. Phillips qui vérifie ses niveaux, qui ajuste ses rhéostats et qui trouve le réglage exact pour mettre en boîte la folie qu’il entend. Lightning in a bottle. Phillips knew what it was like.» Kaye remarque qu’Uncle Sam est attiré par les oddball characters, c’est-à-dire les personnages hors normes, comme «Harmonica Frank qui jouait de l’harp du coin de la bouche ou du nez, ou encore Doctor Isaiah Ross with a boogie vengeance.» Kaye s’amuse des déboires d’Uncle Sam qui passe un deal avec Saul et Joe Bihari : «cut four songs in the summer  of 1950 with local disc jockey Riley ‘B.B.’ King.» Ça sort sur Modern, le label des Bihari. Mais pour les Bihari, un handshake n’est pas un contrat et Uncle Sam se fait baiser la gueule en beauté. C’est une bonne façon d’apprendre. En fait, Uncle Sam n’arrête pas de se faire rouler. Il découvre Rosco Gordon, mais Rosco tape dans tous les râteliers : Sun, Chess, Modern, puis Don Robey lui met le grappin dessus, parce qu’il louche sur Bobby Blue Bland qui fait partie du groupe de Rosco. Uncle Sam perd donc Rosco. Il lance aussi Jackie Brenston avec «Rocket 88», «but adding insult to injury, Jackie Brenston moved over to the Biharis, joined by Ike Turner as talent scout and producer.» Kaye ajoute que le coup de grâce fut le départ de Wolf pour Chicago, pour aller signer chez Chess. Final blow. Kaye rend un hommage fabuleux à Wolf : «Chester had sat at the feet of Charley Patton on his way to lycanthopy, tirant son howl du blue yodell de Jimmie Rogers.» Ainsi Kaye connaît Petrus Borel, puisqu’il cite le Lycanthrope. Et nous n’en sommes qu’au début de cette somme pharaonique. Après l’âge d’or de Sun, Kaye raconte qu’Uncle Sam construit un nouveau studio un peu plus loin et l’équipe d’un quatre pistes, où il enregistre des «disques qui sonnent comme tous les autres.» Uncle Sam a perdu son son. Après Elvis, il y a Jerry Lee que Kaye décrit au Steve Allen Show en 1957, «grabbing the bull by the horn, peroxide hair and piano stool flying, that explodes him, makes him a star. And a target.» Oui on l’a vu au Bataclan, le coup du piano stool flying, lorsque Jerry Lee s’est levé brutalement et a shooté du talon dans son siège qui a traversé la scène. Jerr foreverr !

             Lightning Striking est certainement l’un des livres rock les plus complets du point de vue référentiel, il ne manque rien ni personne, si l’on s’en tient au dix chapitres, et Kaye ramène en prime sa passion, ce qui donne à certaines descriptions un pouvoir quasi-cinématographique. Ce qu’il écrit de Jerry Lee en est le parfait exemple.

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             Pour illustrer musicalement son ouvrage, Kaye propose en collaboration avec Alec Palao une compile du même nom, Lenny Kaye Presents Lightning Striking, sur Ace, évidemment. C’est le «Lightnin’ Strikes» de Lou Christie qui donne son titre à la compile, du early mais plein d’énergie. L’«I’m So Happy» de Danny Cobbs with The Paul Williams Orchestra préfigure tout. Fantastique take de fat hot rock’n’roll enregistré en 1952. Tout est déjà là. Puis on entre dans l’âge d’or avec Elvis et «That’s All Right». Oh le slap ! Oh la voix ! Wolf arrive à la suite avec «How Many More Years». Le roi des punks, c’est Wolf. Puis arrive la magie de Memphis avec Jerry Lee et «High School Confidential». Tout est là, avec Elvis, Pat Hare, Wolf, Jerr et le swing. 

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             On retrouve Jerry Lee dans le chapitre New Orleans 1957. C’est chez Cosimo Matassa qu’il tenta sa chance pour la première fois, à l’été 1952. Il a 16 ans et il a entendu jouer du piano, alors il est entré. Il paye deux dollars pour enregistrer deux cuts et Cosimo lui donne l’acétate : «Don’t Stay Away» de Lefty Frizell et «Jerry’s Boogie». Cosimo chez qui nous dit Kaye Little Richard trouva sa voix, chez qui Fats enregistra son premier hit, où Lloyd Price enregistra «Lawdy Miss Clawdy» et Smiley Lewis «I Hear You Knocking». Ils viennent tous chez Cosimo parce que c’est le seul studio en ville. «Cosimo se débrouillait, il demandait 15 $ de l’heure, travaillait avec les moyens du bord et rêvait de se payer a new Ampex magnetic tape recorder. Il n’avait que quelques micros, mais de bons micros, il avait racheté un Telefunken (Neuman) U-47 à la congrégation juive qui pensait que ce n’était pas bien d’utiliser des micros allemands, et un assistant tournait son Altec M11 de la batterie vers le sax quand arrivait le moment du solo.» Kaye fait aussi l’éloge de Fes, c’est-à-dire Professor Longhair, et de son cross-chording, «a result of having learned to play on pianos with broken keys.» Pour Kaye c’est clair, le Nouvelle Orleans, c’est le piano : «The primacy of the piano. It sets New Orleans apart in the early years of rock and roll, with a beat all its own».» Chaque mot sonne juste. Chaque mot semble pesé. Quelqu’un d’autre aurait dit «with a beat of its own», et Kaye préfère all its own. Il enveloppe l’image. Puis il passe de Fes à Fats en sautant comme un cabri d’une page à l’autre : «Fats Domino est l’un des architectes du rock’n’roll. Ses manières aimables et sa réserve naturelle lui faisaient perdre un peu de sa crédibilité, sur scène, sa nature enjouée masquait sa concentration et sa virtuosité, mais les soixante millions de disques qu’il va vendre en dix ans vont sublimer les rythmes qu’il a su développer avec Dave Bartholomew, et tout ça va faire d’eux an essential part of rock and roll’s percussions and repercussions.» Non seulement Kaye rend hommage, mais il s’amuse comme un gamin avec les percussions et les répercussions. C’est bien que des gens saluent le génie de Fats Domino. «Bartholomew s’arrangeait pour que les chansons soient courtes et simples, et il avait avec Domino un singer with a gift for making the most prosaic couplets into sung poetry.» L’équivalent français de l’artiste qui transforme les couplets prosaïques en poésie chantée, c’est bien sûr Charles Trénet. Kaye se souvient d’avoir vu Fatsy pour la dernière fois en janvier 70 au Fillmore East, «opening for Ike & Tina Turner and Mongo Santamaria.» Fatsy proposait un medley de ses hits, penché sur la droite vers le micro puis «bumping his grand piano across the stage with his considérable girth, all the weight of his contributions to rock and roll’s formulation pushing behind him.» Voir Fatsy pousser le piano du ventre à travers la scène, ça devait être quelque chose.

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             Kaye rend aussi hommage à Guitar Slim qui portait des costard de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et qui traversait la salle du Drew Drop Inn sur les épaules du public, blaring his guitar, et Kaye ajoute que Jimi Hendrix et Stevie Ray Vaughn reprendront le flambeau de Guitar Slim, playing Slim’s blues. À ce niveau d’avancement de la lecture, on patauge dans le mythe et ça fait du bien. Les pages sonnent bien, les personnages sont réels, Kaye abat un sacré boulot. Quand on parle de Guitar Slim, Little Richard n’est jamais loin - he is flamboyant, flaunting and seems to embrace all genders and proclivities - Kaye observe qu’il a emprunté sa pompadour et son frontal piano style à Esquerita et quand il est viré de chez lui, à Macon, pour conduite impudique, il a du pot car «fortunately, New Orleans is just down the road». Il devient un personnage de légende, Kaye n’y va pas de main morte, il en fait «the satyr with the beguiling flute», nous voilà dans l’Après-Midi d’Un Faune, «he could hardly contain his pansexualities, his madcap exuberance - all those falsetto  whoooo - alors qu’il sème le chaos en excitant la foule, allant même jusqu’à s’effrayer lui-même de son jusqu’au-boutisme, dans une quête ultime pour the purity of sensation. Richard pense au péché et à la rédemption et se demande quelle est la distance entre les deux faces de sa personne, la face A et la face B de son propre disque.» Et Kaye le lâche pour qu’il aille claquer ses notes de piano, alors il y va, «banging the keys, launching into his last-call crowd pleaser. Tutti Frutti! Big booty! A wopbopaloomopagooggoddamn! Nothing more need to be said.» Que peut-on ajouter après Little Richard ? Kaye salue aussi Allen Toussaint, les Neville Brothers, Ernie K. Doe, Lee Dorsey et le «Land Of Thousand Dances» de Chris Kenner que reprendront deux ans plus tard à East Los Angeles Thee Midnighters et Cannibal & The Headhunters. Tu sors de New Orleans 1957 à quatre pattes, le souffle court. Et ce n’est pas fini. 

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             Pour illustrer musicalement le chapter, Kaye et Palao n’y vont pas de main morte : Roy Brown With Bob Odgen & Orchestra, avec «Good Rocking Tonight» - Oh I heard the news ! - Puis Fes avec «Look What You’re Doin’ To Me» - Oooh darling/ ooohh ooohh ouie - Puis ça prend feu avec Little Richard & His Band, «Tutti frutti», et Lee Allen qui allume le même genre de brasier sonique que Jr Walker à Detroit, puis la magie de Fatsy avec «Walking To New Orleans».

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             Avec le chapitre Philadelphia 1959, Kaye s’enfonce dans un épisode américain qui nous échappe complètement : le Bandstand de Dick Clark et puis Bob Crewe qui allait présider aux destinées des Four Seasons et plus tard de Mitch Ryder, dont bizarrement Kaye ne parle pas dans ce chapitre. Kaye raconte qu’il achète ses premiers disques en 1958, à l’âge de 12 ans : «Purple People Eater» de Sheb Wooley, «It’s All In The Game» de Tommy Edwards et «It’s Only Make Believe» de Conway Twitty. Et puis une chanson lui revient constamment en tête, «A Teenager In Love» de Dion & the Belmonts - Dion comes from the Bronx. So close and yet so far.

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             Et hop, on traverse l’Atlantique pour aller directement à Liverpool 1962. Kaye évoque Larry Parnes et ses poulains Marty Wilde et Billy Fury. Puis il saute sur Joe Meek - Meek fut le premier producteur indépendant en Angleterre, un marginal obsessionnel qui se rebellait contre les usages, notamment les sessions de trois heures et le break de 15 minutes pour le thé, les ingés-son en blouses blanche qui bougonnaient lorsque Meek disait qu’il pouvait faire mieux, des ingés-son qui lui piquaient ses idées et si jamais la propriétaire montait encore une fois lui dire qu’elle ne voulait plus de lui dans l’immeuble... - C’est l’époque du fameux studio d’Holloway Road. Kaye raconte que Meek expérimentait des sons, qu’il plaçait le chanteur dans la salle de bains, les musiciens en haut des marches de l’escalier et le batteur derrière un écran doublé d’une couverture en laine - More than anyone, he dragged British recording tenchniques into a new decade - Et Kaye ajoute que Meek tournait à plein régime : «Dire que Meek était prolifique serait un euphémisme. Dans le temps que mit Phil Spector à enregistrer 24 disques sur Phillies, Joe produisit 141 sides, comme le rappelle John Repsch dans The Legendary Joe Meek.» Des luminaries comme Steve Howe, Ritchie Blackmore, Tom Jones, Rod Stewart, et Mitch Mitchell sont passés nous dit Kaye par Holloway Road - Dans les années 90, j’ai visité Holloway Road to pay my respects, standing in the doorway of 304, stepping in his vanished footprints - Kaye passe d’un géant à l’autre, il saute de Joe Meek aux Big Three - The Big Three made the loudest noise of all, powered by coffin-sized amplifiers built by guitarist Adrian Barber. Les murs en briques de the Cavern amenaient un peu de réverb naturelle, ce qui allongeait le volume de la pièce. Avec le batteur Johnny Hutch et le bassman Johnny Gustafson, the Big Three étaient considérés comme Liverpool’s most hard-driving combination, un power trio avant la lettre - Quand Adrian Barber quitte le groupe to stage-manage le Star Club de Hambourg, Brian Griffith le remplace. Kaye cite en référence leur live At The Cavern EP qui est effectivement une merveille. Après Hambourg, Adrian Barber ira bosser aux États-Unis où il produira le Velvet. Comme quoi... Puisqu’on est à Liverpool, Kaye en profite pour évoquer les Beatles. Le 9 février très exactement, il fait partie des 73,7 millions  d’Américains qui regardent à la télé l’arrivée du vol Pan Am à l’aéroport qui vient d’être rebaptisé JFK - I’m in the sweet spot of adolescence, just seventeen you know what I mean - Mais ce qu’il voit à travers les Beatles, c’est the concept of a band. Comme des millions d’autres kids d’Amérique, il sent que c’est à portée de main. À travers les Beatles, il développe sa curiosité, il veut savoir comment ils ont fait, «comment quatre musiciens peuvent faire une musique si intéressante et transformer la musique populaire.» - Ça m’a poussé à chercher, ou tout au moins feel what it felt like. À l’été 1964, après avoir patiemment appris les accords que me montrait un copain qui savait jouer les progressions d’accords de Paul sur «Till There Was You», j’ai acheté a cherry red Gibson Les Paul Special and a Magnatone 280 amp (true vibrato, the same kind Buddy Holly played) - Kaye a trouvé sa vocation. Il est entré en religion. Comme des millions de kids à travers le monde à la même époque. Quand on dit que le rock change la vie, ce n’est pas une vue de l’esprit.

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             Kaye et Palao illustrent Liverpool 1962 avec des tas de choses, dont Joe Meek & The Blue Men avec «I Hear A New World». Il fait le show avec ses machines. C’est bien que Kaye le mette là-dedans, Meek fait chanter ses machines, il est complètement cinglé. Avec le «Cavern Stomp» de The Big Three, tu entres dans le heavy beat de Liverpool. Wild as fuck ! Pur proto-punk, fabuleux, avec le wild solo cracked-out. Kaye et Palao ramènent aussi le «Stupidity» des Undertakers, c’est-à-dire l’early Jackie Lomax - From around the world - Pur jus de wild r’n’b à l’Anglaise, Jackie le chante à la renverse, aw yeahhh ! Gerry & The Pacemakers ramènent tout le pathos de Liverpool dans «Ferry Cross The Mersey». Une pure merveille de clarté mélodique.

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             Hop ! Back in the USA ! Avec Ken Kesey et son Vol Au Dessus d’Un Nid De Coucous paru en 1962, une sorte de mini-révolution en soi, conduite par son alter-ego Randle McMurphy et puis voilà Chief Broom, who lives on the other side of madness et qui, comme chacun sait, parvient à retrouver le chemin de la liberté. Même chose pour Kesey qui écrit les trois premières pages de son Vol sous peyote. Kaye raconte que pour se rendre to a publication party à New York, Kesey achète un 1939 International Harvester D-50 school bus pour $1,350, y installe des frigidaires pour y stocker son LSD et sa Dexedrine, embarque des misérables dont un Vietnam vet nommé Ken Rabbs et demande au héros d’On The Road, Neal Cassady, de prendre le volant - Intrepid Travellers all. On the front of the paint-spashed bus is lettered FURTHUR; two U’s. You and You. Rhymes with Cuckoo, that nest where left and right sides of the brain U-nite, and off the Merry (Band of) Pranksters go... - Kaye fait littéralement jerker ses phrases. On sent chez lui un enthousiasme irrépressible. Il place Ken Kesey au niveau des géants du rock. Et il a raison. Retour en Californie pour les Acid Tests et Kesey intègre des Hell’s Angels et tous les drop-outs d’Amérique en quête de sensations fortes et de gratuité. Mais la loi brise les reins de la dernière grande utopie du XXe siècle, en rendant le LSD illégal. Kesey pensait à juste titre que le LSD pouvait changer le monde. Il parlait de psychedelic revolution, une révolution qui n’aura hélas jamais lieu. Puis Kaye passe directement à son concept du Gar Age qui selon lui débute avec the British Invasion, «American bands forming in the role model of the BeatlesRollingStonesPrettyThingsKinksYardbirds, mais la transplantation a pris une nouvelle tournure, fuzz atonal and full of yowl», Kaye parle d’un phénomène purement américain, boosté «by the mass production of cheap electric guitars and emulative television shows like Shindig and Hullabaloo, pharmaceutical indulgence, a willing audience of their peers and a yearning self-bravado.» Ils poussent le bouchon des influences anglaises - For a «My» generation, the garage band - un terme utilisé de manière rétroactive quand on parle de l’étincelle d’un moteur V8 - is like a fine-tuned engine. Here’s the key. Start the motor. Play a song - Et Kaye entre dans son pré carré, évoquant les Standells, le Chocolate Watch Band, Ed Cobb qui les manipule et qui éviscère le groupe au moment du troisième album, One Step Beyond, en faisant appel à des musiciens de studio, mais il parle aussi d’un scopitone du Watch Band dans Riot In Sunset Strip, «wailing «Don’t Need Your Lovin’» as Mimsy Farmer se tortille dans la pièce in psych-splendor, hair like Medusa, the Cramps waiting in the wings.» Comme on est à San Francisco 1967, Kaye ne peut pas s’empêcher d’évoquer le Grateful Dead dont il est assez friand, ce n’est un secret pour personne. Il parle d’un free-thinking qui va devenir la marque du Frisco Sound. Alors les voilà, ils arrivent, l’Airplane (condensend from Jorma’s secret identity, Blind Lemon Jefferson Airplane) Jorma Kaukonen et son «finger-picked edge, the r&b bassist Jack Casady from Washington DC», un Airplane qui enregistre avec Dave Hassinger, un Hassinger qui vient tout juste d’enregistrer Aftermath avec les Stones in early 1966. Kaye a un talent fou pour les rapprochements magistraux. En tant que guitariste, il s’intéresse de près aux très grands guitaristes. Après Jorma, il attaque James Gurley, le prodigieux guitar slinger de Big Brother, un Gurley «who fixates on John Coltrane, spending hours in a closet with a stethoscope attached to his unplugged electric guitar, trying to find his own heartbeat.» Kaye dit que les Big Brother font partie des pires, il parle d’«agressive and roughhewn blast of sonics». Et voilà Cipollina - He is my favorite guitarist. What more can I say? - Rien que pour le chapitre San Francico 1967, ce book vaut le rapatriement. Kaye parle de ses autres chouchous, Moby Grape, Sons Of Champlin, Serpent Power, Steve Miller Band, Santana, United States Of America, Flamin’ Groovies et pour chacun il développe. Puis il salue Creedence qui vont devenir «le plus grand groupe américain des late 1960s and early 1970s». Et tiens, voilà Sly Stone et son relentless downbeat et boom !, le texte explose car Kaye cite les Temptations, les Chambers Brothers, Funkadelic et Miles Davis. Il est partout. Le book se met à vibrer.

             Pour illustrer le chapter, Kaye et Palao enfilent les perles : Quicksilver, The Great Society (ça sent bon les hippies), l’Airplane, plus sérieux, avec «3/5 Of A Mile In Ten Seconds», embarqué par une section rythmique démente, Cas mène le bal. Kaye réussit à caser son cher Grateful Dead, mais on en pense toujours autant de mal.

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             Re-Boom ! Badaboom ! Detroit 1969. Kaye n’a même plus besoin d’écrire. Detroit 1969 tombe sous le sens. Hooky débarque à Detroit en 1948, «bosse le jour chez Comco Steel et joue le soit à l’Apex Bar on Monroe». Il enregistre «Boogie Chillen» nous dit Kaye et comme ça tombe dans les pattes des Bihari brothers, boom, number one in 1949 - C’est presque trop rudimentaire et pourtant c’est la fondation sur laquelle Bo Diddley, Chuck Berry et tout le rock’n’roll va se construire. Original sin - Kaye saute d’Hooky à Fortune qui démarre avec du rockabilly, «Fortune meets Sun» avec Pete De Bree et Dell Vaughn, puis Fortune monte une filiale Hi-Q «devoted to rebel-rousers like Loyd Howell, Don Rader et Johnny Powers» que Sun va alpaguer. En échange, Deborah Brown récupère Dr Ross dont le «Cat Squirrel» fera le bonheur de Cream. Bien sûr, Kaye connaît le film tourné par les Demolition Doll Rods dans les ruines de Fortune, en 2001, sur Third Avenue. Kaye saute de Fortune à Motown et nous brosse un beau portrait de Berry Gordy, ancien boxeur qui conserve un goût pour le pugilat et qui démarre avec un autre ancien boxeur, Jackie Wilson. En 1959, il achète une baraque au 3648 West Grand Boulevard et s’installe au deuxième étage. Il enregistre dans la cave. On connaît la suite de l’histoire, mais Kaye nous la raconte quand même, rappelant que les Supremes on conquis l’été 1964 avec «Where Did Our Love Go», permettant à Motown d’offrir «a viable alternative to the Beatles’ chart dominance».

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             Pour introduire la partie explosive de son Detroit 1969, ce vieux renard de Kaye écrit : «Meanwhile, back in the garage...». Boom !, «Hanky Panky» de Tommy James & the Shondells, et «96 Tears» de ? & The Mysterians. Boom ! The Rationals, basés à Ann Arbor. À l’époque personne ne savait rien du Michigan, mais tout le monde connaissait Ann Arbor. Les Rationals démarrent avec le «Money» de Barrett Strong qu’ils ont appris des Beatles, s’amuse Kaye. Et puis voilà les Detroit Wheels et l’insubmersible Mitch Ryder, suivi de «Bob Seger & The Last Heard, Ted Nugent & The Amboy Dukes, Terry Knight & The Pack, the all-femme Pleasure Suckers with the Quatro sisters, Suzi, Patti, Arlene, and the Ball Sisters, Nancy and Mary Lou.» Kaye est increvable, incollable, il connaît tout dans les moindres détails. Boom le MC5 ! Et son premier single «Looking At You/Borderline», «a blurred chaos of overload and distorsion. Ignore no more.» Kaye dit encore que le MC5 «kick-started like any other disaffected teen combo in the Midwest, with Fred Smith and Wayne Kramer, from blue-collar Lincoln Park, channeling their penchant for troublemakin into learning the guitar.» Pour Kaye, le MC5 mixait James Brown avec des «accelerate takes on the English Invasion», leurs influences «étant moins Beatlesques que rave-up and auto-destruct, penchant plus vers Van Morrison, the Who and the Yardbirds.» Kaye louche encore sur les guitaristes qui jamment chez la mère de Wayne en 1965, «the frantic interlock between Fred and Wayne bursts in horn-section precision, spurred by their love of jazz, each flurry of phrase reaching for the astral. ‘We could solo  simultaneously’, said Kramer», un peu comme s’il avait dit qu’il éjaculaient simultanément. Pour Kaye, «Back To Comm» distance le MC5 des autres groupes - A two-bar riff, one note on the pickup, another seven up an interval and out. Ascend into bedlam - Kaye est le roi des formules magiques qui tombent à pic. Et Sonic trouve «des new harmonics in the simplest of chords». Le MC5 explore «the outer limits of noise», s’exclame Kaye, «every sound and squeal and rhythmic space in commotion at any given present. They aspired to Coltrane’s spiritual purity, Sun Ra’s interplanetary cosmos, Albert Ayler’s skronk and the group unity and dedication to craft of the Art Ensemble Of Chicago.» Et fliff flaff, claque au vent le magnifique étendard du «revolution, rock and roll, dope and fucking in the streets», avec en exergue «Burn Baby Burn (echoing the Mighty Montague’s mantra from the Los Angeles Watts riots)». Le MC5 met la barre très haut, surtout dans un monde aussi violent que le music business - The MC5 took the challenge, fought their good fight and paid the price - Eh oui, quand tu fais le con, il y a toujours quelqu’un qui t’attend à la sortie. Ils sont harcelés par les condés, leur van est détruit, on les accuse de troubler l’ordre public, ce pourquoi ils montent sur scène, du coup, «il n’existe plus aucune distance entre leur stage show et le fait d’être devenus une cible pour les autorités». Kramer tapait dans Ted Taylor avec «Ramblin’ Rose» et Tyner appelait à l’émeute avec «Kick Out The Jams Motherfuckers», ils jetaient dans la marmite le «Motor City’ Burning» d’Hooky et le «Starship #9» de Sun Ra. Aucun groupe n’est allé aussi loin dans le combat aux États-Unis.

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             Boom ! «What to do with the Stooges», écrit Kaye en ouverture de chapitre. Il parle d’un son «qui abaisse le dénominateur commun du rock si bas qu’il en devient squelettique, bare to the bone». Il parle aussi de «monochrome noise approaching hypnosis». Kaye dit d’Iggy qu’il est fasciné par Artaud dans les art happenings at the University of Michigan et par un drunken Jim Morrison qu’il voit quand les Doors se produisent à Ann Arbor en 1967. Fasciné aussi par le torse nu des pharaons qu’il découvre dans les livres d’art d’une bibliothèque de Detroit - Pan-sexy. Les Pharaons ne portent pas de chemises sur les hiéroglypes. Pourquoi devrait-il en porter une ? - Le guitariste Kaye nous emmène à la découverte du drone de Ron Asheton - the sympathetic string inside a vibrating chord, rhythm matching sustain - Il parle ensuite des riffs de Ron Asheton comme s’il parlait d’une toile d’Édouard Manet, c’est-à-dire une œuvre d’art frappée de modernité : «His doggedly simple riffs - qui n’a pas aboyé en écoutant I Wanna Be Your Dog ? - sont embrochés par une pédale wah inducing vertigo, one sweep of frequency removed from ‘Papa Was A Rolling Stone’.»

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             En 1969, Kaye bosse pour Jazz and Pop et chronique pas mal de trucs, «Nico & the Velvets, Pearls Before Swine and Tyrannosaurus rex, the Small faces and the Dillards, learning my trade.» Puis le premier album des Stooges. Il se cite : «Peut-être n’aimerez-vous pas cet album, mais vous ne pourrez pas lui échapper.» Quelques jours plus tard, le téléphone sonne. C’est Danny Fields qui vient le remercier pour son soutien, comme on l’a déjà raconté plus haut. Kaye nous rappelle aussi que les frères Asheton et Dave Alexander sont tellement fiers de leur dumbness, c’est-à-dire de leur stupidité trash, qu’ils se surnomment the Dum Dum Boys. Cinquante après sa parution, Kaye écoute toujours le premier album des Stooges et se dit frappé par sa cohésion et son assurance. Il trouve le drumming de Scott précis, les cris d’ennui d’Iggy exquis, «Ron leans on the wah-wah and Dave dum-dums to connect the dots.» Et là tombe la chute fatale du prophète : «C’est la contraction qui donne naissance à ce qu’on va appeler le punk-rock, reductive insolence and puposeful antagonism.»

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             Creem nous dit Kaye s’installe dans un immeuble sur Cass Avenue, à deux pas du storefront de Fortune Records. Dans Creem bossent Lester Banks, Nick Tosches et Richard Meltzer. Creem va réinventer le journalisme rock, «en mixant la juvénilité avec l’expertise» et développer un nouveau concept : la musique comme raison d’être. C’est dans Creem qu’apparaît pour la première fois le mot punk-rock, nous dit Kaye. Dave Marsh l’utilise en mai 1971 pour décrire ? & The Mysterians. Tous ceux qui allaient acheter Creem chez Givaudan à l’époque se souviennent que la mascotte Boy Howdy était dessinée par Robert Crumb.

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             Toujours à Detroit 1969, Kaye attaque un autre morceau de choix : Grand Funk. Il rappelle pour les ceusses qui l’auraient oublié que leur «Paranoid» est sorti un an avant celui de Sabbath et que leur «déconstruction of the Animals’ ‘Inside Looking Out’ is compression looking for an escape». Nouveau coup de Trafalgar avec «I’m Your Captain», orchestré à outrance, avec des bruits de vagues et qui devient un hit à la radio - Michigan gone mega - Kaye fait du pur jus de Kaye. Il fait sonner ses chutes de paragraphes comme des paroles de hits rock. Grand Funk réussit là où le MC5 échoue. On qualifie leur style de proto-metal ou mieux encore nous dit Kaye, d’American Comedown (Brown Acid). Des tas de groupes s’y mettent, lance Kaye dans son élan : «Sabbath, Purple et Budgie en Angleterre, Sir Lord Baltimore et Dust aux États-Unis». Grand Funk vend toutes les place du Shea Stadium en deux heures alors qu’il avait fallu six semaines aux Beatles pour le faire. Mark Farner a du métier, il monte sur scène et lance : «You’re the best fucking audience in the World !». Kaye qui assiste à ça est convaincu, «ils répondent à toutes les attentes, ils sont la preuve vivante que le rock and roll dream est un cadeau qu’ils nous offrent et qu’il suffit de le prendre.»

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             C’est le MC5 qui ouvre le bal du disk 2 de la compile, avec «Looking At You», take 3, bam boom, ils jouent tout ce qu’ils peuvent, looking at you babe, mais ce n’est pas la bonne version, car il manque le solo historique de Wayne Kramer. S’ensuit une version délétère de «Leavin’ Here» par les Rationals, suivi du «Black Sheep» de SRC qui sont passés à travers et on comprend pourquoi. Kaye et Palao remettent les pendules à l’heure avec le «1969» des Stooges. C’est le top départ du monde awite, all across the USA. Pur jus de perfection. Insurpassable.

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             Boom ! New York 1975 ! Terrain de prédilection pour le jeune Kaye. Café Bizarre, Andy Warhol silver screen, Kaye déroule le tapis rouge au Velvet. Warhol leur ajoute la danse du fouet de Gérard Malanga, Nico et les happenings et on connaît la suite de l’histoire : le Velvet devient le groupe le plus influent de l’histoire du rock. Sterling Morrison nous dit Kaye était le lien entre «Cale’s academia and Reed’s transistor-under-the-pillow classicism». Au Café Bizarre, les gens n’accrochent pas trop sur «Heroin» et «Venus In Furs», nous dit Kaye, et le patron menace même de les virer s’ils jouent encore une fois «The Black Angel’s Death Song», ce qu’ils s’empressent de faire aussi sont-ils virés. Ils démarrent en 1966 comme backing-band pour «the Andy Warhol’s vison of the Eploding Plastic Inevitable. Mixes Me-dia»,  lâche Kaye en guise de chute.

             Invité par Danny Fields, le jeune Kaye voit le Velvet sur scène. Ils font nous dit-il deux sets chaque soir au Max’s - Ils jouent parfois les nouvelles chansons, «Sweet Jane» ou «Rock And Roll», parfois ils reviennent à «Heroin» ou «Some Kinda Love», alors que les corps dansent en rythme - «I find myself dancing to the Velvet Underground. As I always will.» Et puis voilà les Dolls - They have a great name New York Dolls, and I’m immediately in their fan club - Selon lui, les Dolls ne peuvent exister qu’à Manhattan. Il raconte ensuite comment «des mecs venus de leurs banlieues se réunissent après la fermeture chez Rusty’s Bicycle Shop à l’été 1971, enfermés dans la boutique jusqu’à l’aube avec deux amplis, une batterie et une bouteille de vodka, se faisant les dents sur des covers d’Archie Bell & The Drells et Sonny Boy Williamson, et composant quelques cuts.» Kaye qui les voit ensuite sur scène est persuadé qu’ils vont devenir énormes. On connaît la suite de l’histoire. Born to lose. Premier album avec Todd Rundgren qui leur dit : «Si vous savez ce que vous voulez, je vous aiderai à l’obtenir. Si vous ne savez pas ce que vous voulez, je le ferai pour vous.» Les Dolls ne savent pas ce qu’ils veulent, «seulement a nonstop eight-day party with full entourage, stimulants a-flowing and the ribald atmosphere of the Mercer.» Il n’empêche que Kaye adore ce premier album, «a fitting representation of the band in all its strut and glorious miasma of exulting in the tranformative, the changeling that is rock and roll, and the songs were catchy.» Kaye est un crack de la kro. Il sait dire la grandeur d’un album en deux lignes. Adieu les Dolls, hello Television et le CBGB. Tom Miller et Richard Myers bossent ensemble chez un libraire, «the Strand Bookstore on Lower Broadway». Pour eux, le rock est un moyen de vivre l’art de façon viscérale. Miller devint Verlaine et Myers embarque sur un trip de Rimbaudian Hell, en français on dirait un Hell Rimbaldien, mais ça, Kaye ne le sait pas. Verlaine est le musicien du groupe. Ado, il écoutait Coltrane et Albert Ayler.  Il a même joué du sax avant de se mettre à la guitare. Il cite «19th Nervous Breakdown» comme l’une de ses influences et au début, Television reprenait «Fire Engine» du 13th Floor et «Psychotic Reaction», comme tout le monde à l’époque. Et puis voilà les Ramones qui se ramènent en août 1975, et Hilly Kristal leur dit qu’ils n’ont aucune chance, mais il les accepte. Danny Fields les prend sous son aile. On les voit marcher dans la rue nous dit Kaye avec leurs guitares dans des sacs en papier. Puisqu’on est au CBGB, il y a bien sûr tout l’épisode Patti Smith sur lequel on va passer mais pour le fan du Patti Smith Group, ce book est un passage obligé : Kaye y donne tous les détails et redit sa passion pour cette femme. C’est le plus gros chapitre du book, évidemment.

             Il est malin le Kaye, il réussit à glisser le «Piss Factory» de Patti Smith dans sa compile, shake you baby, Mustang Sally, c’est n’importe quoi. Il ramène ensuite le «Beat On Brat» des Ramones et passe aux choses très sérieuses avec «Down Ay The Rock’n’Roll Club» de Richard Hell & The Voidoids. Aw Hell, je ne veux qu’Hell, il est l’apanage du trash-punk, il expurge la pulpe du punk.

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             On arrive vers la fin et l’intensité baisse. Kaye nous emmène à London 1977 et c’est assez bizarre qu’il n’ait pas eu d’ennuis avec ses cheveux longs. Il évoque la personne de McLaren et son goût pour la stratégie pompé chez Debord qui lui-même s’inspirait de Clausewitz. McLaren réinjecte tout ce fourbi dans son mercantilisme : «Observez les tendances et allez à l’opposé.» Un McLaren qui dit à Tom Hibbert en 1989 : «J’ai inventé les Sex Pistols pour vendre des pantalons. Et j’ai vendu des tonnes de pantalons, hahaha.» Kaye n’a pas l’air convaincu par le génie de Johnny Rotten. Il l’évoque bizarrement : «Ce qui les rend différents, c’est le personnage de Johnny Rotten (appelons-le ainsi), son regard perçant, son goût pour le chaos, une facilité à caparaçonner la partie, un dandy Anglais jamais à court de personnalité malgré des atours de plus en plus bizarres.» Quand il voit les Pistols sur scène au 100 Club, c’est après le concert qu’il vient de  donner à la Roundhouse avec le Patti Smith Group. Kaye arrive donc pour les deux derniers cuts et Johnny Rotten demande aux gens du public s’ils sont allés «at the Roundhouse voir les hippies. Horses, horses, horseshit !». Il dit tout haut ce qu’en 1977 tout le monde pense tout bas. Kaye s’en sort comme il peut : «I may be a hippy, proudly so, but that doesn’t mean I can’t be a punk.» Il salue néanmoins l’album des Pistols qu’il qualifie de «powerful piece of rock and roll.» Il n’empêche qu’il n’est pas bien placé pour parler de Sid comme il le fait. Pour parler de Sid, il faut s’appeler John Lydon, Jordan ou Steve Jones. Certainement pas Lenny Kaye qui sur ce coup-là sonne comme un touriste.

             Pour illustrer musicalement tout ça, Kaye ramène l’«Orgasm Addict» des Buzzcocks, l’excellent «Your Generation» de Generation X, X-Ray Spex («Oh Bondage Up Yours»), assez merveilleux, finalement et les Clash, dont le «Garagaband» ne marche décidément pas. C’est même d’un niveau composital assez pathétique.

             Puis Kaye coule tout un chapitre avec l’Air Metal de Los Angeles et le metal norvégien. Dommage, le book eut été parfait sans cette grosse peau de banane. Il tente un dernier spasme avec Seattle 1991, mais la confiance est perdue. Il a flingué sa crédibilité avec l’Air Metal et il s’épuise sur la distance. Même s’il rend hommage à Sub Pop. On replonge dans des pages de Grunge qui nous rappellent celles de Spin qu’on lisait tous les mois dans les années 90, on recroise toujours les mêmes vieux noms fatigués de Soundgarden, des Melvins, de Mudhoney, d’Alice In Chains, de TAD et des Screaming Trees. C’est toute la différence avec les pages sur Memphis et la Nouvelle Orleans qui ne sont jamais fatiguées. Puis voilà la dernière rock star en date, Kurt Cobain et ses guitares cassées - The guitar smashed that night is an Epiphone Et-270 for those who care, as I do - Eh oui, Kaye est triste de voir des belles guitares réduites en miettes, comme s’il ne comprenait rien. Et pourtant, c’est la cerise sur le gârö. Et puis bien sûr le suicide. L’autre cerise sur le gâtö. La vraie, la grosse. Boom ! Une balle dans la tête.

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             Sur la compile, c’est Mudhoney qui ouvre le bal de Seattle 1991 avec l’excellent «Touch Me I’m Sick», l’une des plus belles intros du siècle passé, ça gratte à l’exacerbée, ça frise l’insanité et ils se payent le luxe d’un break des enfers de Dante, aw comme c’est bon ! S’ensuit l’«Anaconda» des Melvins. Le monde s’arrête de tourner dans le ventre des Melvins. C’est un son, on dit ça comme on dit «c’est un cas». Trop heavy pour être honnête. Tad tape dans le tas avec «Jinx» et Mark Lanegan nous fait la grâce de reprendre le «Where Did You Sleep Last Night», joué entièrement à la basse. Lanegan fait planer l’ombre du tissu de mensonges, bad girl bad girl don’t lie to me. Kaye boucle la boucle avec la fameuse cover du «So You Wanna Be A Rock’n’Roll Star» par le Patti Smith Group. C’est un massacre. Ils battent ça au beat des forges alors que les Byrds naviguaient dans l’ouate. Beaucoup trop puissant. Il est important d’ajouter que la compile s’accompagne d’un livret de 44 pages, mais comme on vient d’overdoser avec le book, il n’est pas question d’aller overdoser une deuxième fois.

             Son dernier chapitre s’appelle Aftermath. Joli nom. Un paragraphe d’Aftermath semble vouloir résumer tout le book qui en fait est une longue apologie de l’enthousiasme le plus virulent : «J’étais dans le public pour voir Little Anthony & The Imperials, Jimi Hendrix, Big Brother & The Holding Company with Janis, my homegrown New York Dolls and Ramones, mais aussi des groupes qui ont disparu après leur premier concert. J’ai voyagé partout en tant que collectionneur de disques, fouinant dans les choses les plus obscures, me faufilant dans les moindres interstices. Je me suis aperçu que cette immersion était fascinante, et plus je faisais des découvertes et plus je découvrais qu’il y avait toujours plus à découvrir.»  On fait ce constat tous les jours : plus tu creuses et plus tu as de quoi creuser. Kaye a raison, le rock est un puits sans fond. Tant mieux.

    Signé : Cazengler, Lenny Kon

    Lenny Kaye. Lightning Striking. White Rabbit 2021

    Lenny Kaye Presents Lightning Striking. Ace Records 2021

    Nuggets (Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968). Elektra 1972

    Jon Mojo Mills : Crazy like a fox. Shindig! # 122 - December 2021

    Lenny Kaye Interview. Ugly Things # 50 - Spring 2019

    Lenny Kaye Interview - Part Two. Ugly Things # 51 - Summer 2019

    The untold story of the Rejected 12 from Lenny Kaye’s Nuggets. Ugly Things # 46 - Winter 2017

     

     

    Bridge over troubled Waterhouse

     

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             Dès qu’il arrive, on sait que Nick Waterhouse est une star, l’une de ces stars à la mode américaine qui s’amènent sur scène avec un mélange complet de talent, de présence, d’énergie et tout le prestige du songbook d’Amérique.

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    Il ramène la Soul, mais aussi Nat King Cole, Duke Ellington et Cole Porter. Il met tout de suite la salle dans l’ambiance d’une Soul blanche légèrement toxique puisqu’elle te monte droit au ciboulot. Un vrai fix. Ce binoclard basé à Los Angeles porte un costard strict et sort un son sec comme le cœur d’un Jésuite sur sa Strato toute neuve. Dès le «Place Names» d’ouverture, il prend la ville. Rien ni personne ne peut résister à ça et puis il y a cette fabuleuse choriste black qui fait «Never» par intermittence, avec un sens du tempo qui n’appartient qu’aux Soul Sisters. Ça te tinte bien dans la cervelle. Cette très belle black serrée dans une robe noire danse comme une reine de Nubie.

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    Nick Waterhouse se paye même le luxe de ramener une section de cuivres, un sax tenor et un sax baryton, joués par deux vétérans de toutes les guerres, un petit gros chapeauté de paille et un grosse mémère qui pue la légende du jazz new-yorkais à dix kilomètres à la ronde. À la voir, on pense à la baronne Pannonica de Koenigswarter qui veillait sur Monk. Et là mon gars, tu as du très gros son, et ça swingue, la baronne et le petit gros ramènent du Stax dans le stock, ils te swinguent «Vincentine» à la diable, tu crois entendre les Bar-Kays derrière Otis. Nick Waterhouse tire une version méconnaissable d’«I Can Only Give You Everything» de son premier album. Il l’en-Soule, impossible de retrouver le Van dans ce tour de passe-passe.

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    Il va d’ailleurs faire un autre éclat gaga en fin de set : une prodigieuse reprise de «You’re Gonna Miss Me», chanté au sommet du lard avec une énergie démente. Bel hommage à Roky, l’un des meilleurs hommages qu’on puisse entendre ici bas, avec un solo de sax ravageur digne le Lee Allen. Nick Waterhouse dispose d’une vraie voix et il tape des solos sacrément salés sur sa Strato. D’une certaine façon, ce binoclard a du génie. Il crée son monde dans un style difficile où tout semble avoir été déjà dit. Pour bâtir sa set-list, il tape dans tous ses albums, avec une priorité pour le dernier, Promenade Blue, dont il tire «The Spanish Look», «Vincentine», «Medecine», «Very Blue» et «Place Names», bien meilleurs dans leur version live qu’en studio. Il tire «I Can Only Give You Everything», «Indian Love Call» et «(If) You Want Trouble» de son premier album, qui reste le meilleur, car bien teigneux et d’une abrasivité sans nom, comme dirait Lovecraft. «Katchi», «Tought & Act» et le «LA Turnaround», qui clôt (mal) le set avant les deux rappels, viennent de Never Twice. Certains cuts comme «Medecine» s’enfoncent assez loin dans la nuit du groove, flirtant avec l’ennui, même si ça sent bon la Nouvelle Orleans de Dr John, mais ce ne sont pas vraiment des morceaux de scène, ni d’ailleurs «Thought & Act», trop languide pour la scène. Il faut faire gaffe, Nick, de ne pas laisser le plat refroidir. «The Spanish Look» y laisse aussi des plumes, même si bien chanté. C’est avec «(If) You Want Trouble» qu’il réveille une salle qui commençait à s’endormir au volant. Dès qu’il remet la pression ça redevient excitant.

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             Si tu commences par écouter Promenade Blue, le dernier album de Nick Waterhouse, c’est foutu. Par contre, si tu commences par le commencement avec Time’s All Gone paru en 2012, c’est autre chose. Complètement autre chose. C’est même un album qui grouille de coups de génie. On comprend que Gildas ait pu mettre ce Nick-là au menu de son Radio Show.

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    Waterhouse est dans le shake de Soul. Petit binoclard deviendra grand. Il est aussi bon que Georgie Fame avec son «Say I Wanna Know» d’ouverture de bal, c’est jivé aux chœurs de filles. Power pur ! On s’aperçoit très vite que l’album est endiablé, ce Nick-là mène le sabbat, c’est un groover de jive, il a même des côtés Doctor John, il est de toutes les attaques, c’est assez incroyable pour un blanc-bec binoclard. Il est partout dans le son, c’est un omnipotent, il bénédicte la bénédiction, il est là, ouh ouh, et puis tout explose avec «Raina», boom, en plein cœur de la pop de Soul, il est dessus, c’est tapé dans le dur, il y va, sa façon d’exploser est unique au monde, et quel backbeat ! Cet enfoiré enchaîne encore deux bombes un peu plus loin, «Indian Love Call» et «Is That Clear». Il chauffe sa soupe, ce Nick-là a du génie, qu’on se le dise, il taille l’épaisseur du son dans la falaise de marbre, c’est à la fois extrême et déterminé, il claque sa chique, oh baby, c’est la furie et les gens qui font les chœurs derrière s’amusent comme des petits fous. L’«Is That Clear» est encore plus excédé, il cultive le shuffle de powerhouse et ça vire forcément gaga à gogo. On se croirait presque chez les Pretties. Il existe peu de choses à ce niveau d’exubérance. Il travaille son «Teardrop Will Follow You» au heavy groove. Il chante dans la cité en feu, fabuleux shouter, il incarne la vérité. Et voilà qu’il attaque le Pt 1 du morceau titre. Ce mec est dingue, il est complètement wild et c’est bien. On entend des dégelées de batterie, comme chez Little Richard au temps de Specialty, on croirait entendre Earl Palmer, puis arrivent les coups de sax, même folie du son, c’est pas loin de Lee Allen, ça joue dans l’ass de l’oss.

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             Bizarrement, il met la pédale douce avec son deuxième album, Holly, paru en 2014. Rien qu’à voir la pochette, on comprend qu’on risque de s’ennuyer. De fait, l’album est beaucoup plus groovy que le précédent. Nick Waterhouse cherche la petite bête du time so low dans l’«High Tiding» d’ouverture de bal - When it comes/ It shows up/ More and more - Au bout de 5 minutes, on dit : «Bon, ça va !». Ce Nick-là fait son black blanc avec un groove de Chiquita, c’est-à-dire qu’il gratte sa gratte accompagné par un sax gras double. Il n’empêche que son groove est excellent, il creuse son «It #3» dans la fournaise, il crée des ambiances. Mais il est blanc, et c’est son drame. Il se faufile dans l’excellence avec «Sleeping Pills», il va chercher une sorte de jerk de groove d’exotica, il raconte sa vie et c’est magnifique. On le voit rebondir dans le groove du morceau titre avec l’aide de cuivres exotiques. Il chante ça avec un rawk abrasif, un truc un peu spécial, il ne faut pas se formaliser. Il est parfait dans son rôle de Nick Waterhouse. Finalement, Nick ne nous nique pas trop la gueule. Il ramène un sax free dans «Dead Room» et passe au groove de jazz avec «Well It’s Fine». Enfin le vrai truc ! Il chante à la voix tranchante et ça swingue il faut voir comme ! Ce mec ne se refuse aucun luxe intérieur. Il passe au shuffle d’orgue avec «Ain’t That Something That Money Can’t Buy» et ça vire très vite big heavy shuffle avec des filles derrière et du solo jazz, ça joue à la folie Méricourt, ce Nick-là cavale après son jazz avec une voix de canard, il est marrant et les filles font «Money !», «Money !», tu reçois le shuffle en pleine gueule, comme des paquets de mer au passage du Cap Horn, ça joue à la vie à la mort de la mortadelle.

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             Never Twice ? Disons que cet album paru en 2016 est relativement bon. Cette fois, Nick Waterhouse va plus sur le shuffle, avec un «It’s Time» qui donne le La. C’est son très californien, shuffle d’orgue + percus, belles envolées et il nous fait un parfait numéro de white nigger. Il a de très beaux chœurs derrière lui pour «I Had Some Money (But I Spent It)» et il revient au hot shuffle avec «Straight Love Affair». Une fois de plus, c’est digne de Georgie Fame, l’organiste s’appelle Will Blades, c’est explosif. Ce Nick-là casse bien la baraque. Avec «The Old Place», il va dans le groove des Isley Brothers, c’est très jivy jivy, très exotique, il tape ça au chant coincé. Sur «Katchi», il invite Leon Bridges à duetter - She gave me katchi all nite long - Ils font du big r’n’b  cuivré de frais par Ralf Karney qui pique une crise de tenor sax digne de Junior Walker, alors t’as qu’à voir ! L’ambiance de l’album est assez endiablée, «Tracy» a chaud au cul et ça se termine comme ça a commencé, en mode hot shuffle avec «LA Turnaround». Il fait son truc avec ses lunettes et ses guitares vintage, mais sur le dernier cut, on perd un peu patience. C’est toujours la même chose : on attend des miracles.

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             Le Nick Waterhouse paru en 2020 force l’admiration. Ce démon de Waterhouse nous embarque dès «Big Heart», une espèce de groove atypique, comme joué à l’envers, avec un mec qui fait oh oh de temps en temps, c’est embarqué à la house de Waterhouse, oh oh, il chante au petit bonheur la chance, ce mec est particulièrement doué, il fait son stuff avec le staff. Encore plus stupéfiant, voilà «Song For Winners», il fait les Them, il joue avec le feu, il chauffe sa soupe au chou, rrru rrrru ! C’est du raw r’n’b de blanc et ça continue avec «I Feel An Urge Coming On», bien wild, Waterhouse cultive l’urgence des réflexes, il ne traîne jamais en chemin, il connaît tous les secrets du drive de r’n’b. Le festin de r’n’b se poursuit avec «Black Glass», tapé au groove de cuivres, encore une fois il joue avec le feu, plutôt avec la flamme, il brosse le r’n’b des blackos dans le sens du poil. Encore un enchaînement fatal de trois cuts : «Wreck The Rod», «Which Was Writ» et «Man Leaves Town». Incroyable power ! Waterhouse chauffe la baraque avec ses petites incursions pancréatiques, le solo de sax dégouline d’énergie, il va tout le temps droit au but, au petit gratté interlope, il sait poser ses conditions, c’est fameux, au delà de toute expectitude. «Man Leaves Town» est le plus puissant des trois, Waterhouse passe en force, il joue âpre, à la marée motrice. Il se veut partisan et enrobant à la fois, très éclectique, très ouvert sur le monde, fantastique Waterhouse ! Tiens encore un truc bien saqué, «El Viv». Incroyablement saqué ! Saq it to me !

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             On le croyait underground, mais son nouvel album Promenade Blue le pousse dans les bras du mainstream. Il est essentiel de préciser que l’album est enregistré à Memphis, d’où les attentes. Mais tous les musiciens listés sont inconnus au bataillon. Ça démarre pourtant avec «Place Name». Gros son, c’est très produit. Mais on perd vite Memphis. Waterhouse va sur autre chose, une espèce de round midnite. Quand tu écoutes «The Spanish Look», tu comprends qu’en concert tu vas t’ennuyer. «Vincentine» redonne du baume au cœur de l’album avec un son fifties, mais ça pourrait très bien être joué ailleurs, à Philadelphie ou à Baltimore, par exemple. Pas besoin de Memphis pour jouer ça. Disons que c’est bien foutu, sans doute trop bien foutu. «Medecine» se voudrait boogaloo, mais tout le monde n’est pas Doctor John, n’est-ce pas ? Faut-il accorder sa confiance à ce Nick-là ? Oui et non. Il est en quête de crédibilité. Mais pour ça, il faut s’appeler soit Doctor John, soit Jeffrey Lee Pierce, soit Tonton Leon. Il faut faire gaffe, le rock un peu sensible est affaire de gens sérieux. Waterhouse est idéal pour un univers plus ouvert comme celui de Telerama. Quant à l’amateur de viande, il devra se débrouiller avec le sentiment de s’être fait enfler en rapatriant cet album. Avec «Promène Bleu», il ramène son round midnite et prend bien les gens pour des cons. Note bien qu’on s’en doutait un peu. Le problème c’est qu’il est à Memphis pour une simple question d’image. Mais son truc ne marche pas. Ses cuts peinent à jouir. On sent que c’est un rock destiné aux gens riches, ceux qui peuvent claquer un billet de vingt sans ciller et en plus trouver ça bien. 

             Pour Karim, en souvenir de cette longue virée en Twingo. Alors que le yellow submarine sillonnait la France profonde, nous écoutions tous ces albums avec beaucoup d’attention.

    Signer : Cazengler, Nick Watercloset

    Nick Waterhouse. Le 106. Rouen (76). 14 mai 2022

    Nick Waterhouse. Time’s All Gone. Innovative Leisure Records 2012

    Nick Waterhouse. Holly. Innovative Leisure Records 2014

    Nick Waterhouse. Never Twice. Innovative Leisure Records 2016

    Nick Waterhouse. Nick Waterhouse. Innovative Leisure Records 2020

    Nick Waterhouse. Promenade Blue. Innovative Leisure Records 2021

     

    L’avenir du rock

     - Pierre qui roule n’amasse pas Famous

     

             S’il est un mode comportemental que chérit l’avenir du rock, c’est bien la désinvolture. L’exemple parfait est à ses yeux celui de Syd Barrett assis dans sa loge et se tartinant les cheveux d’une gelée de mandrax écrasés dans du brylcreem, juste avant de monter sur scène. Certains objecteront que cette désinvolture doit tout à une consommation massive d’acide, mais ça reste quand même de la désinvolture, puisqu’il s’agit de Syd Barrett. Un autre exemple vient à l’esprit de l’avenir du rock, celui du brigadier William S. Gordon, célèbre pour avoir su garder la tête froide devant l’océan des troupes d’Abdullah. À la tête de sa maigre brigade, Gordon s’apprêtait à affronter le million d’hommes rassemblé par l’imam soudanais. Rien dans son visage ne trahissait la moindre appréhension, pas la moindre goutte de sueur. Le summum de la désinvolture. Encore un meilleur exemple, celui d’Oscar Wilde accusé d’homosexualité et parti en haussant les épaules effectuer deux piges de travaux forcés dans la geôle de Reading. On pourrait aussi citer l’exemple du troupier Guillaume Apollinaire lisant un numéro du Mercure de France alors que les obus pleuvaient dans les parages. Ou encore Blaise Cendrars ravi de voir un collègue lui ramener le bras qu’il venait de perdre lors de la grande offensive de Champagne en 1915. Pour s’exprimer, la désinvolture ne nécessite pas forcément des conditions extrêmes, celles des tranchées de la Grande Guerre, des procès de l’ère victorienne ou des guerres coloniales au Soudan. Elle s’exprime aussi naturellement, dans ces mines à ciel ouvert que sont certains êtres, notamment les grands apôtres de la décadence, Kevin Ayers, Ray Davies, Lou Reed, bien sûr, Peter Perrett, Chris Bailey, mais aussi Stuart Staples, Ziggy Stardust, et puis les Flaming Stars qu’on aurait hélas tendance à oublier, tous ces gens capables de chanter pendant que le ciel leur tombe sur la tête et de lâcher en guise de commentaire but I don’t care.

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    À cette liste savoureuse, l’avenir du rock est heureux de pouvoir désormais ajouter le nom de Jack Merrett, le chanteur d’un groupe en passe de devenir célèbre puisqu’il s’appelle Famous.

     

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             Pas un nom facile à porter, Famous, pour un groupe. Hello, we’re Famous. C’est un pied de nez à l’Anglaise, mais ils n’ont pas osé le faire en vrai. Au merch, pas grand-chose, un pauvre LP et un T-shirt, c’est le merch du pauvre. Ils arrivent sur scène et c’est la même chose, ils sont les Famous du pauvre, ils ne sont que trois, au centre un minuscule batteur planqué derrière ses grosses cymbales, à droite un petit gros debout derrière son micro, enveloppé dans un blouson de couleur indéfinissable, et à gauche un troisième larron qui semble sortir tout droit d’un bagne pour enfants de Dickens, le cheveu ras, une vraie gueule d’hooligan teigneux, T-shirt blanc, pantalon noir informe en feu de plancher, guitare rouge, une sorte de petit punk comme on en voyait au temps des raids de skins sur le front de mer à Brighton. Pas de bassiste.

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    Ils ont opté pour une formule originale, c’est la première réflexion que se fait le Français moyen. La deuxième prend la forme d’un oh d’admiration lorsque le petit gros debout derrière son micro se met à chanter. Oh oh fait-on à la fin d’un premier couplet. Le oh oh d’entrée de jeu sanctionne généralement la surprise révélatoire. Eh oui, car ce mec qui s’appelle Jack chante comme un dieu. Pour le situer, on peut citer l’early Bowie des beaux album, Hunky Dory en particulier, et le Piotr d’Adorable, que bien sûr Jack ne connaît pas quand on lui pose la question, car c’est beaucoup trop ancien pour ces mecs qui n’étaient même pas nés.

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    Non seulement Jack chante comme un dieu, mais il a des chansons et pour une première partie, c’est assez inespéré. Sa désinvolture est telle qu’il devient l’anti-Famous par excellence, il annule carrément sa présence, il n’existe que par sa voix. C’est une démarche incroyablement artistique. Il s’en fout mais il chante.

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    C’est son copain punkoïde qui fait le show, il en rajoute là où Jack en retire, le guitariste c’est Zébulon, mais un Zébulon des bas-fonds, il saute partout, sboiiing, sboiiing, passe des solos excédés qu’exacerbent encore les fonds d’acid house générés par le batteur et censés remplacer la basse, alors ça boome dans l’air, ça badaboome dans la lumière crue des flashes et Zébulon saute partout, sboiiing, sboiiing, avec ces épouvantables grimaces dont seuls sont capables les skins qui fondent sur une proie.

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    Du coup, ça crée des dynamiques scéniques assez extraordinaires, on assiste à une sorte de confrontation entre deux extrêmes, la musique devient un arc électrique entre les deux pôles du générateur d’un savant fou, ça crache dans la nuit d’orage, ces mecs sont très fort, sboiiing, sboiiing, et le Français moyen n’a plus qu’une seule chose à faire : se prosterner jusqu’à terre.

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             Une fois qu’il s’est relevé, il court au merch récupérer un album. Et quel album ! Il s’agit  d’une compile de deux EPs, The Valley EP et l’England EP. On y retrouve tous les coups d’éclats du set, et notamment «Stars» que Jack attaque au fell apart sometimes/ Kind of kept it together et il finit en apothéose de go out and make some friends. C’est fulgurant. Ça confirme très exactement ce qu’on pensait de lui sur scène : ce mec a l’étoffe d’une star. Artistiquement, il se situe très au-dessus de la moyenne. Il travaille bien la tension, il faut le voir lâcher son please try not to die dans «Nice While It Lasted». Il va chercher une profondeur de champ à la Bill Callahan, au plus profond de l’over dans «The Valley», un Valley qui s’achève dans un fondu de guitares utterly desperate. Le hit de Famous s’appelle «The Beatles», une sorte de poème fleuve qu’il travaille au corps avec tout le génie vocal dont il est capable - I wake up dead in my bed - Il monte comme Bowie dans une spirale de désespoir, et c’est absolument fulgurant, il renoue avec les accents déchirants du «Rock’n’Roll Suicide» - Our lifes/ Are good/ Oh my life/ is good - et il s’élance dans des escapades vocales vertigineuses - I miss Miami/ I miss England/ I miss every phone call made from Italy - Il pourrait chanter à n’en plus finir et jamais la tension ne retombe. L’univers de l’England EP est un peu plus sombre, sans doute à cause de l’omnipotence des machines, c’est un choix esthétique de heavy acid house, comme dirait Baby G. Mais la voix de Jack commande aux éléments. On croise un «Surf’s Up» qui n’est pas celui des Beach Boys, c’est plutôt une pop electro d’electro-pop un peu défraîchie, mais dans «Forever», il promène son most beautiful time of the year sur les remparts de Varsovie, l’apanage de la désinvolture, le voilà dans la mélodie et le voilà dans le hit galactique, avec un drive de dub en guise de backbeat. Ah il fallait oser ! Il fait ici du pur Bowie, il lance sa voix à l’assaut du ciel, ses élans sont héroïques. Il enchaîne avec un «Jack’s House» extrêmement ambitieux, toujours ponctué par un beat de dub. Fantastique énergie ! 

    Signé : Cazengler, Famouscaille

    Famous. Le 106. Rouen (76). Le 5 mai 2022

    Famous. The Valley Ep/ England EP. Untitled (recs) 2021

     

    Inside the goldmine

     - Un Grand Mal pour un grand bien

     

             Il s’agissait bien sûr d’une mauvaise idée. Jamais nous n’aurions dû proposer à Paul et Virginie de venir nous rejoindre pour les vacances dans cette maison du Sud-Ouest. La grand-mère l’avait quittée depuis quelques années pour aller s’installer en région parisienne. En ce temps-là, les vacances duraient un mois et, comme dans les films de Claude Sautet, chacun faisait de son mieux pour préserver les équilibres sociaux et la paix des ménages au sein de la petite communauté circonstancielle. Deux couples s’étaient installés dans les chambres et le troisième dans le salon. Bien sûr le jeu consistait à se lever tôt pour traverser le salon et voir Virginie à poil. Il faisait tellement chaud que tout le monde dormait à poil. On l’avait eue tout de suite dans le pif. Autant son mec Paul était fin et drôle, autant Virginie était bête et lourde. Mais à un point sidérant. Pourquoi Paul vivait-il avec elle ? On le soupçonnait d’être fasciné par l’abondance de son système pileux. Elle était extrêmement poilue. Pour beaucoup de mecs, c’est un critère de base. Les Français disent ‘la motte’, les Anglais disent ‘hairy’. Bien entendu, Virginie était d’origine portugaise. Et puis un jour, à l’apéro, en plein cagnard, elle se renversa dans sa chaise, écarta les jambes, mit les pieds sur le bord de la table et entreprit de s’épiler l’intérieur des cuisses, dans la partie haute jusqu’à l’entre-jambe. Cette impudeur nous subjugua. Tout le monde trouvait ça normal sauf nous deux. Alors avec Esbé, nous nous rendîmes en cuisine sous prétexte de préparer le repas de midi et décidâmes de sévir en représailles, car enfin, une attitude aussi vulgaire méritait des représailles. Esbé qui regorgeait d’idées saugrenues proposa un plan. Il choisit dans le buffet de la grand-mère la belle soupière en porcelaine de Limoges et me demanda de le suivre. Nous descendîmes jusqu’au four à pain, là où personne ne pouvait nous voir, il me confia le couvercle, posa la soupière au sol et chia sur commande un étron spectaculairement long qui s’enroula comme l’une de ces longueurs de boudin que déroule le charcutier sur son étal.         

             — Ben dis donc !

             Ce fut le seul commentaire. Il nous fallut bien sûr fournir un gros effort de concentration pour garder notre sérieux en servant le repas. Esbé posa délicatement la soupière devant Virginie et lui tendit une louche. À toi l’honneur ! Elle souleva le couvercle et tout le monde explosa de rire, sauf elle. Elle fit une grimace atroce et nous traita de dégueulasses. Le lendemain, Paul et Virginie quittèrent la maison de la grand-mère juste avant le lever du soleil. Nous nous retrouvâmes tous les deux un peu plus tard sur la terrasse pour le petit déjeuner. Esbé nous servit à chacun un double Ricard et, le regard humide perdu dans la vallée, il déclara en guise d’épitaphe qu’il s’agissait d’un grand mal pour un grand bien.

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             Esbé ne savait pas alors à quel point son grand mal pour un grand bien se rapprochait du grand bien pour un Grand Mal de Bill Whitten. On a déjà (cot cot) pondu un conte à partir de ce rapprochement, mais il paraît encore plus indispensable d’évoquer les albums, tellement ils sont bons. Le non-succès planétaire de Grand Mal nous rend tous inconsolables, tout au moins ceux qui ont suivi Bill Whitten à la trace. 

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             L’histoire de Grand Mal commence en 1997 avec Pleasure Is No Fun, l’un des grands albums du rock new-yorkais des années 90. «I’m In trouble» est visité par des vents d’Ouest, Bill Whitten chante à la nonchalance du pur genius, il cultive l’art d’une belle évanescence sonique, il renverse un solo de friture sur la gueule du répondant et susurre son chant à ras la motte. Puis il te plongera dans la démolition du heavy blues avec «Give Yourself  The Devil», mais il te le démolit vite fait, il joue au pire heavy blues de la stratosphère, il réinvente le sleaze, personne ne joue le heavy blues du devil comme Bill Whitten. Il passe ensuite à l’exercice supérieur de la décadence avec «Whole Lotta Nuthin’», une espèce de heavy dub de la désaille, c’est apocalyptiquement bon, ça vacille de feeling. En fait, ce démon chante tous ses cuts au sommet de sa voix. Il semble souvent s’engager dans des combats qui le dépassent, on perd parfois le rock’n’roll. Il revient à sa chère décadence avec «Light As A Feather» avec les ouh ouh ouh des Dolls, ça donne une sorte d’élan préraphaélite, Bill chante à travers la lumière divine. Il allume «Superstars» au pur glam puis se fend d’un nouveau coup de génie, «Blow Your Nose», voilà le big hit de Bill, à tous les sens du terme, ah ce blew your nose !, il développe ça en interne avec les ficelles des Dolls, il chante littéralement au sommet des relances, il a tous les réflexes du punch de blow your nose, c’est digne des Heartbreakers, il titube sur ses fondations.  

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             Tout aussi tétanique, voilà Maledictions paru en 1999 et il plonge aussitôt le «Superstars» tiré de l’album précédent dans la bassine d’huile bouillante de what I mean, il ramène tout le what I mean qu’il peut, il est encore meilleur que son idole Johnny Thunders, là tu as tout l’esprit du rock qui s’écroule dans tes bras. L’autre bombe de l’album s’appelle «Picture You (As Always Falling)», il te tarpouine cette fabuleuse mélasse, il monte au chant alors ça devient spectaculaire, sa voix grille dans une friture d’accords déments et de chœurs de lads, il a une façon de monter avec une mesure de retard qui fait tout le charme de sa désaille, il transforme le plomb de son heavy push en or. Tiens, encore un coup de génie avec «You Gotta Be Kidding». Pur power viscéral. S’ensuit un «Whole Lotta Nothing» tiré lui aussi de l’album précédent. Cette resucée fait sans doute de Maledictions l’un des plus grands albums de rock de tous les temps : Bill Whitten y joue la carte de la décadence suprême, il joue au rasoir des heavy chords dans le noir du cuir noir, il règne sur l’empire de la dope suprême. Il attaque «Out On Bail» au retail des Stones, mais c’est bien supérieur à ce que font les Stones, Bill chante à l’entre-cuisses, les claqués d’accords valent cent fois ceux de Keef, yeah yeah. Il réactualise aussi le speed-freakout d’«I’m In Trouble» et conduit «Sucker’s Bet» comme un hit invincible à travers les couloirs du Grand Mal.

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             On reste dans les big albums avec ce Bad Timing paru en 2003. C’est curieux, Bill Whitten démarre tous ses albums par un coup de génie. Celui-ci s’appelle «1st Round KO». Il ramène tout le power des Faces à New York City, et même tout le power du monde. C’est le boogie du diable, dans toute sa splendeur. Bill oh Bill ! Le morceau titre est une belle giclée de Stonesy, mais une vraie Stonesy de petite ramasse, Bill conduit ça sous le boisseau avec des accidents cardio-vasculaires plein le flux, histoire d’embraser les imaginaires, c’est violent et plein d’éclats de too late. Nouveau coup de génie avec «Get Lost» - I like you best/ Cause I think you’re famous - Quel sens aigu de la décadence ! Ils explosent le concept même de la Stonesy, Bill drive ça au sommet du go on get lost. On croise aussi sur cet album un «Quicksilver» pourri de son et un «Old Fashioned» riffé jusqu’à l’oss de l’ass, joué en mode heavy boogie ravagé par la petite vérole, Bill emmène sa conception du rock’n’roll loin devant. Et puis voilà le coup de Jarnac : «Disaster Film», un heavy disaster mélodique, monté dans un superbe environnement. Il passe au fast Mal avec «Duty Free», Bill tartine sa Stonesy new-yorkaise à la bonne franquette, il nous sonne les cloches à la volée, ça vole par-dessus les toits comme une escadre de ptérodactyles. Globalement, ce mec instaure le plus puissant des powers d’Amérique. Avec «Lay Right Down», il rentre dans le deepy deep du heavy groove de Grand Mal, et ça devient une merveille apoplectique, il répand son power dans les artères de la ville pendant quatre minutes, c’est violent et bon esprit, oh oh !

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             Sur la pochette de Love Is The Best Con In Town, Bill Whitten est assis à l’orgue. Here I come New York, clame-t-il à l’orée de «From Hartford To Times Square», une pop un peu rock, mais il tape ça bien car cette pop est en réalité une merveille de vécu intrinsèque, du Grand Mal de moindre mal. Puis il amène «Count Me In» aux heavy chords de pure Stonesy, c’est plutôt dark & dirty - You comin’ up from the midwest - et plus loin il pousse encore un peu le bouchon du heavy rock avec «People Change (Maybe They Don’t)», le voilà sur son chemin de Compostelle, il développe sa mystique et ses envolées, il change de vitesse et boom ça explose, c’est-à-dire qu’il passe en mode rockalama d’ultra-glam, il te drive ça à la folie Méricourt, il chatouille le rock entre les cuisses. Avec «Living On Chanty», il part en mode disons plus chanty, il tape dans tous les styles avec un bonheur égal de pays de Galles, on se régale de cette belle pop-rock. Puis il contrebalance le boogie de «C’mon» au piano, bad loser baby, big Bill stuff, il bascule une fois de plus dans son vieux glam délabré, il faut le voir sortir dans les virages, une merveille, du pur Ayrton Senna. Et comme le montre la pop destructive de «Word I Thought You Turned Your Back», il est indestructible, il coule sa Stonesy dans le flux et même dans le reflux. Il termine cet album réjouissant avec «Down At The Country Club», c’est encore une fois excellent, car tapé à la meilleure Stonesy, love my money, il drive ça au look mama look at me down, ça gratte au Keefy Keefy petit bikini, c’est bourré d’hey mom, on entre en zone d’excellence exacerbée. Cet album est l’un des rares grands albums de rock qu’on puisse entendre à notre époque, Bill Whitten ne tape que dans le niveau extrêmement supérieur.  

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             Sur le Congratulations You’ve Re-Joined The Human Race paru l’année suivante, on retrouve pas mal de cuts du Best Con In Town : ««C’mon», «Down At The Country Club» et l’excellent «People Change (Maybe They Don’t)», qui restera sans doute le meilleur glam-punk de tous les temps. On retrouve aussi ce «Best Con In Town» bien épais et bien descendu au chant de downtown. Bill Whitten crée des ambiances lourdes de conséquences, il charge sa chaudière en permanence. Il rend hommage au Velvet avec «The Other Side», fantastique énergie, les retours de velours sont des modèles du genre. Nouveau coup de génie avec «You Should Be So Happy», le grand art de Grand Mal, avec un Bill qui descend au coin du chant, il éclate le ciel à la moindre occasion.

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             Le dernier album de Grand Mal s’appelle Clandestine Songs et date de 2010. Le hit de l’album s’appelle «The Death Was Our Punishment». C’est une enchantement, ce mec sait allumer un feu sacré. Il revient à son cher glam avec «You Done My Brain In». Quel fantastique artiste ! Ce boogie glam est gorgé de son, pianoté sur le riffing à la McLagan. Joli clin d’œil à Dylan avec «US Vs Them», il crée le même genre de tension efflanquée. Et puis voilà que s’ouvre le bal des énormités avec «Lower Your Heart», il fait une pop de la mort au petit chant, une pop des chairs blêmes et ça se transforme en belle envolée décervelée, portée par le power du drug beat. Avec «You Mean Well», tu entres dans le vrai monde, celui de Bill Whitten, un monde de son tendu et pur, il descend au tell me well. Puis il enchaîne avec un «Laugh It Off» tout aussi imparable, mais avec une sorte d’austérité immémoriale, cette pop est un cristal de Grand Mal qui explose sans prévenir et qui prend feu avant de disparaître dans un tourbillon de glam destroy oh boy. Avec «Children Of Light», il cultive l’intensité de la densité - I can’t believe this is my fate - Il développe sa pop à l’US mood, avec un sens aigu de la solidité. Encore une fantastique dégelée de sommité avec «Guitars Strum In Dejection» cette pop est tellement vivante qu’elle déploie ses ailes et dans les battements résonnent de vieux relents de Stonesy. Cet album s’achève avec un «Drink ‘Em Up» bien tempéré, sans concession. Il y a quelque chose d’exceptionnel dans le Grand Mal, dans cet univers musical, dans cette façon de forer des tunnels vers la lumière blafarde, c’est tout l’art de Bill Whitten, il développe une pop underground de péché capital.

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             Mais son histoire remonte beaucoup plus loin dans le temps, jusqu’en 1992, lorsqu’il enregistra avec son premier groupe St Johnny cet album superbement bien titré : High As A Kite. Avec en plus une pochette fabuleuse, ce mec en T-shirt orange complètement décadré. On sait avant même de l’écouter que c’est un grand album. Ce que vient immédiatement confirmer «Go To Sleep» et ce Bill qui chante à la meilleure ramasse inimaginable, il réinvente l’art de la dégringolade, c’est un rock qui ne tient pas debout tellement il est défoncé, et ce Bill qui se démantibule en plein balancement. On avait encore jamais vu un truc pareil. Le morceau titre est la drug song par excellence, balayée par des vents de traverse, Bill la chante à tâtons, dans son T-shirt orange. Le troisième choc esthétique de l’album s’appelle «Malador», joué à la furia del sol, ce démon de Bill affronte les paquets de mer, comme Mickey dans Fantasia, il est dépassé par ses balais, il fait son Bill qui résiste, mais le flux l’emporte, c’est de la folie. Les autres cuts de l’album ont un gros potentiel, mais ils souffrent d’un manque de prod («Highway»). Ce Bill cultive le power de la nonchalance avec «Stupid» et fond son chant dans les déluges guitaristiques. Il utilise même un vitriol de guitares («Velocity») tout en supervisant ses catacombes.

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             Le deuxième album de St Johnny s’appelle Speed Is Dreaming et sort en 1994 sur un gros label, Geffen, qui est aussi le label de Nirvana, de Sonic Youth et d’Urge Overkill. C’est donc une sorte de consécration. L’album grouille de coups de génie, à commencer par l’«A Car Or A Boy» d’ouverture de bal, boom, ce Bill chante à la Thunders, mais à la renverse, ahhhh, c’est l’absolute washed out genius du New York Sound, le premier cut de l’histoire du rock qui est rattrapé par les cheveux. Tout ici est visité par des vents de guitares extraordinaires, comme ce «Down The Drain» vite enfilé, c’est du gros hussard sur le toit, une véritable merveille de bave fraternelle avec un chant à la ramasse, chauffé par le feu ardent des accords. Il gonfle «You Can’t Win» aux gros arpèges. C’est une couverture, Bill s’y glisse, c’est excellent, les arpèges sonnent si bien qu’ils semblent magiques, mais c’est avec «Gand Mal» que tout explose, car ça bascule dans la stoogerie, ça joue au sauve qui peut, avec toutes les coulées qu’on peut bien imaginer et les odeurs de chairs brûlées, car ça crame, tout au moins l’imaginaire s’embrase. «Everything Is Beautiful» sonne comme une vieille dégelée de retournement de situation, chargée d’un son incroyable, ces saints naviguent en mer des Sargasses, les arpèges sont des algues et le chant une sirène. Bill ramène sa meilleure ramasse pour chanter «Black Eye», l’un des cuts de rock les plus ultimes jamais imaginés, Bill détient le power suprême de la décadence et ramène des nappes d’orgue dans ce groove pourrissant. Il conclut avec «Stupid», joué aux pires gémonies et harangué au chant de chef de meute.

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             Le dernier album de St Johnny s’appelle Let It Come Down. Il est aussi divinement esquinté que son prédécesseur. Le premier coup de génie s’appelle «Just When I Had It Under Control». Bill sait fracasser sa barque pour laisser couler le son, il cultive même l’art du raz-de-marée, avec des chœurs demented. Il reste dans le heavy power avec «Hey Teenager» et ramène des chœurs de Dolls, ça monte directement au cerveau, il chante à la bouillasse fatale, ils fondent T.Rex dans New York City. Le «Rip Off» qui s’ensuit correspond en gros à la gueule dans le mur, car c’est un blast de heavy sludge comme seuls savent le jouer les New-Yorkais. Retour à la décadence avec «Deliver Me». Doué parmi les doués, cet effarant semeur de troubles se couronne roi des enfarineurs, il te pousse dans l’abîme avec lui, il faut le voir tituber au bord du gouffre. Il déclenche ensuite une tempête de guitares avec «Fast Cheap & Out Of Control», il t’assomme à coups d’éclairs de son, tout se joue dans l’éclat de la démesure. Et ça monte encore d’un cran avec un «Wild Goose Chasing» battu comme plâtre avec un Bill en travers du chant, c’est l’une des dégelées du siècle, violente et belle à la fois. Il n’existe pas grand-chose au dessus de ce Wild Goose. Dernier spasme de l’album : «Million Dollar Bet», amené au power-poppisme brutal, Bill reprend son chant branlant et se montre une fois encore délicieusement décadent. Il propose en fait de grands albums bourrés de développements extraordinaires, là, tu as tout : le Bill, les power chords, le son, le flux et l’esprit du flux, le beurre et l’argent du beurre, et le meilleur New York City sound, avec celui du Velvet. Il n’en finit plus de lancer son chant à la mer. À la fin, une folle vient chanter et ça se termine en coup du lapin avec un killer solo. Crack !

    Signé : Cazengler, Grand malade

    St Johnny. High As A Kite. Caroline Records 1992

    St Johnny. Speed Is Dreaming. DGC 1994

    St Johnny. Let It Come Down. DGC 1995

    Grand Mal. Pleasure Is No Fun. No. 6 Records 1997

    Grand Mal. Maledictions. Slash 1999

    Grand Mal. Bad Timing. Arena Rock 2003

    Grand Mal. Love Is The Best Con In Town. New York Night Train 2006

    Grand Mal. Congratulations You’ve Re-Joined The Human Race. Groover Recordings 2007

    Grand Mal. Clandestine Songs. Groover Recordings 2010

     

     

    THE HOUSE ACROSS THE RIVER

    PEMOD

    ( EP / 24 – 05 – 2022 )

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    Comme souvent la couve m’a séduit. Quelle est cette maison qui ne semble pas posée au bord d’une rivière, à moins qu’elle ne soit glacée, mais dans un ciel d’apocalypse éruptive. Et cet homme recueilli en-lui-même devant cette bâtisse hermétiquement fermée, vers quel passé est-il revenu… j’aime ces images qui suggèrent mais qui ne disent rien. Faut-il la mettre en relation avec le roman de Margaret Bonham (patronyme éminemment rock ‘n’roll !) publié en 1951 qui se passe à Londres durant la guerre… La maison de l’autre côté de la rivière garde son mystère…

    John Doe : vocals / Dominick ‘’Vegas’’ Gielas : guitars / Pawel ’’El Coyote’’ Matusznsky : bass /  Konrad ‘’Ryrzy’’ Owezarkiewiez : drums.

    Viennent de Myslénice, petite ville située en Pologne.

    Not for long : étrange morceau, pas très violent malgré une intro qui se voudrait grandiose mais qui ne l’est pas, une intro qui part au trot et faut attendre le galop des guitares, John Doe surfe dessus, sa voix rappelle quelqu’un, est-ce Danzig, non, lorsque la rythmique baisse le ton et qu’il marmonne et puis crie comme en sourdine, surprise Konrad Owezarkiewiez reste bientôt seul tandis que la guitare fuzze dans le lointain, plus rien, et là la voix qui reprend vous surprend, l’on croirait entendre Jim Morrison, et le groupe verse la sauce brûlante sur le canapé, et l’on part dans une espèce d’orgie sonore de bon aloi qui n’aboie pas mais qui mord. Berserker blues : avec un tel titre l’on s’attend à une dévastation polaire, non à l’ours blanc Pemod préfère l’ursidé bleu, les guitares ronronnent mais vous mettent en attente de vous ne savez quoi, enfin le morceau s’énerve pour repasser à l’étiage inférieur alors que la drumerie batifole joliment, la voix de Doe fait le gros dos pour mieux exploser par la suite, le morceau dure plus de douze minutes et déroule ses anneaux comme si l’on attendait la treizième heure qui ne se presse pas pour arriver, l’on en profite pour suivre le solo de guitare qui reptilise pendant que le vocal met la pression avant d’agoniser, et le tic-tac de la batterie mène le jeu tandis qu’un riff tente de  déployer ses ailes à plusieurs reprises avant de prendre son envol pour mieux toucher terre, ces gaziers font de la broderie mais il est sûr qu’ils ont le sens du blues, la voix de Doe attaque la face nord de l’Everest et les autres suivent comme plusieurs hommes, des éclats de glace giclent du cordier de Dominick Gielas, y el Coyote ronge sa basse comme un os à moelle chaude. Letter from Costa del Raba : entrée battériale le fuzz festonne et une métrique binaire se met en place, le vocal se love là-dessus tel un aspic sur la branche d’un arbre qui attend votre passage pour se détendre et vous piquer au cou juste sur la veine jugulaire pour que le poison circule plus rapidement, l’a une de ces manières de morigéner dans sa barbe contre l’insuffisance de l’existence le Doe que la guitare pousse de petits gémissements tels des cailloux dans la chaussure, maintenant ils balancent tous la gomme et se lancent dans les gammes chevauchantes  qui hâtent la combluestion, vous vous sentez bien, et vous n'avez aucune envie que la flamme s’arrête. Potemkin village : la basse del Coyote fait patte de velours pour nous mieux tromper, Doe sort sa plus belle voix nasillarde pour attirer notre attention, ne vous fiez pas aux apparences, l’on marche sur la pointe des pieds, Doe gronde en mineur, la fuzz entonne et ne tonne pas, un côté préfabriqué ne vous échappe pas, si vous appuyez sur les colonnes du riff elles vous tomberont dessus. Le pire c’est que vous ne serez pas déçus.

             Pemod se présente comme un groupe stoner, faites gaffe dans le désert il ne faut pas marcher sur la queue des crotales, ils ne vous tuent pas mais vous empoisonnent le sang et vous embrouillent l’esprit. Ne pas dépasser la dose qui n’est pas prescrite, l’accoutumance vient vite.

    Damie Chad.

     

    A MORT

    TROMA

    ( Avril 2022)

     

    Sex memory ( 45 )  /  Rayer ( 24 )  / Don’t care ( 10 )  / 16 fois ( 44 ) / Attente ( 49 ) / Contraint + Répéter tous les jours ( 136 ) / Règlement intérieur  ( 26 ) / Seul ( 12 ) / Tout seul ( la nausée )  ( 51 ) / Our kids will spit on us ( 34 ) / Lucynogène ( 40 ) / Dysfonctionnel ( 89 ) / Troma + Dig die ( 84 ) / Pense ( 29 ) / Rien ( 14 ) / Pas dormir ( 48 ) / Encore besoin ( 22 ) / La frappe ( 18 ) / Used to be ( 194 )  /  Problems solved ( 63 )  /  Plastic society / ( cross out cover ) ( 43 ).

     

    Oui je sais c’est inusité que je chronique en bloc. Non je ne cède pas au droit de la paresse cher à Paul Lagarde, c’est que le chiffre qui suit le titre n’a rien à voir avec le taux de votre cholestérol qui risque de subir de fortes hausses quantitatives à l’écoute de l’opus, c’est juste leur durée exprimée en secondes. Eux non plus ne sont pas des fatigués de naissance, je dis eux car ils ne donnent pas leur nom mais leur provenance, oui elle est douteuse, nos impétrants proviennent de trois lieux différents : proviennent de Yattai, de Vengeance et de Grunt Grunt ( ne pas confondre avec Kr’tnt Kr’tnt ), non ce ne sont pas des villages perdus dans la steppe russe, sont plutôt natifs d’Angoulême, ce sont des noms de groupes et de label étiquetés Grind. Quand j’aurai ajouté que leur artwork est le cent-soixante-septième du label P.O.G.O cornaqué par Lionel Beyet vous aurez compris que ce soir vous n’atteindrez pas la paix de l’âme. Non seulement c’est bruiteux mais encore plus noisif et plus nocifque car c’est du grind. Comme Aristote ne donne dans aucun de ses traités une définition du grind je vais essayer de substituer mon modeste savoir à celui du stagirite. Le grind, c’est la violence du rock’n’roll , mais la violence pure, quand vous l’entendez il vous semble que l’on a enlevé le rock’n’roll, imaginez un bâton de dynamite  sans mèche qui explose dans votre oreille dès que vous le prenez dans votre main, le grind c’est un peu de la déflagration gratuite et instantanée.  A peine un morceau commence-t-il qu’il est déjà fini. Le grind est un grand dévoreur d’énergie, les musiciens donnent tout et ne gardent rien, d’où la brièveté des morceaux.

    Respiration reptative, jouissance, cri féminin d’horreur extatique suivie d’une giboulée meurtrière concassière, ça déboule et ça roule sur vous pour vous écraser. Un dixième de seconde de silence et ça repart en plus fort, z’êtes au cœur de la mêlée de vous ne savez quoi, des cris prolongés, des tourments de guitares, des batteries fulgurantes, un maelström improbable et toujours ces hurlements, un coup de caisse claire et le défibrillateur de la haine absolue s’emballe, des moments de battements tambourinés, la voix en transe rotative, gros ressort de basse étiré au-delà des limites, sont plusieurs voix à hurler, la batterie exulte, efforts de constipation dans les chiottes sonores et ça repart en une monstrueuse diarrhée qui entreprend de noyer le monde sous des excrémentations fermentales phoniques, une voix surnage tel un appel dans la dévastation, z’ont perdu le nord du son mais pas la direction des illusions. Calme, comme des meuglements de vaches interstellaires, inquiétant quand on y pense, mais l’on n’a pas le temps de s’appesantir surgit une nouvelle déferlante qui emporte les dernières citadelles de la raison, maintenant comme un début de générique de film auditif de catastrophe, difficile de poursuivre le flot ininterrompu de  déferlences de plus en plus rapide, de plus en plus destructeur, un truc qui éponge vos synapses, tiens des bruits civilisés, ceux d’un train qui foncent sur vous et qui détruit la gare. Poinçon sauvage. Pour mieux repartir. Arrêts impulsifs, chants de grillons, une voix nous parle, la visite du pays s’avère difficile, mais l’on est ici aux confins de la civilisation de l’écoutable, on a le pire et l’on s’attendait à de l’inaudible, sifflets, l’on donne dans la munificence de la prévenance des thrillers à grands spectacles, l’on ne crie plus, l’on parle, l’on commente, diable merci l’apocalypse repart, nous sommes sauvés, c’est vrai qu’il y a une certaine beauté lyrique dans l’horreur, paliers décompressifs, la capsule cherche à se poser en douceur, elle n’y réussit pas.

    A écouter au moins une fois dans sa vie pour mourir idiosyncratique.

    Damie Chad.

     

     

    DÄTCHA MANDALA

     

    Que deviennent les groupes dont nous avons parlé voici quelques années ? Certains se désagrègent, d’autres continuent à vivre sans nous. Trois ans et demi que Dätcha Mandala avait disparu de nos radars, c’est suite à notre chro de la semaine dernière sur l’article de Marie Desjardins sur Deep Purple que nous les avons croisés. Résumons d’abord les épisodes précédents, nous avaient bien plu lors d’un concert aux Petits-bains en lever de rideau de Pogo Car Crash Control ( voir Kr’tnt 314 du O1 / 02 / 2017 ), la livraison suivante nous chroniquions leur simple Anâhata. Quelle ne fut pas notre surprise – aussi insensée que de rencontrer un ours polaire dans la forêt amazonienne - de les retrouver pour un beau concert champêtre à Buret, minuscule hameau ariégeois lors d’une soirée festive et jouissive ( in Kr’tnt ! 382 du 30 / 08 / 18 ). C’est qu’entre temps les évènements s’étaient précipités pour eux, z’avaient fait le 15 Septembre 2017 leur rentrée scolaire en première partie des Insus au Stade de France, vous avez une très courte vidéo YT de leur passage, de fait vous arpentez surtout les couloirs du mastodonte…

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    Comment passe-ton de Deep Purple à Dätcha Mandala ? Pas difficile par Child in Time et Josem. Josem est un orchestre symphonique qui regroupe plus de soixante jeunes musiciens classiques de 12 à 25 ans. Avant de zieuter la vidéo, regardez d’abord des vidéos similaires avec le Deep accompagné sur le même morceau par des formations symphoniques renommées. Un peu pharaoniques les Purple, la prestation de Dätcha au cœur de l’orchestre et tout près du public est diantrement plus chaleureuse. La vidéo a été captée aux Vivres de l’Art le 8 avril 2018. Elle est magnifique parce qu’elle donne l’impression de montrer de vrais gens. Il y a même des bouts de choux assis aux pieds des musicos qui ne bougent pas d’un petit doigt. De véritables vivants, tous tendus vers le même but, jouent collectif, les flûtes, les violons, les cuivres, la basse et le vocal de Nicolas Sauvet… et la guitare de de Jérémy Saigne tout sourire, tous vibrant, s’appliquant à la perfection. Recueillement et accueil. Les visages appliqués et souriants, osmose totale entre les classicos et les rockers, l’on s’écoute, l’on s’épaule, et le Chef Eloi Tembremande qui vous envoie le final comme s’il avait marqué le point décisif de la victoire sur un terrain de base-ball. Jusqu’au clin d’œil de Nicolas s’emparant d’un archet pour les toutes dernières mesures.

    Les Dätcha sont de Bordeaux, nous les retrouvons à Cenon dans le centre multi-culturel Le Rocher de Dambler, le 28 juin 2019, toujours en compagnie de Josem, interprétant Misery titre de leur album ROKH paru en 2017. L’interprétation de Nicolas au chant est magnifique, l’on aperçoit Jean-Baptiste Mallet à la batterie, mais ce n’est pas du tout la même ambiance, l’orchestre impeccablement rangé comme à la parade, ordre, calme, mais manque un peu les spasmes de la volupté, très pro, l’on se croirait sur un plateau TV, tout est à sa place mais si vous ne devez regarder qu’une des deux vidéos, choisissez la première, elle respire la vie.

    On en parlait, nous y voici, à Mérignac, à la release party de leur album ROKH le 11 / 10 / 2017, pour la reprise de Kashmir de Led Zeppelin, autant dire qu’ils s’attaquent à la montée de l’Himalaya en tongs aux semelles usées. N’ont pas peur, prennent d’assaut la version orientale, Page & Plant avait l’orchestre officiel de Marrakech sur scène plus le pupitre des violons du London Philharmonc Orchestra, les Dätcha se sont contentés de huit invités, z’ont adopté une disposition similaire à celle que l’on voit sur les photos de No Quater, pour les tapis pas de problème z’en ont une collection avec laquelle ils recouvrent les scènes de leurs concerts, et question musique, ils se débrouillent comme des chefs, tirent leur épingle du jeu, parviennent à sonner plus roots que nos deux cadors, davantage orientalisants, Page et son frère ennemi, laissent la place à leur armada, savent se faire discrets et permettre aux guys montrer leur savoir-faire, puis ils reprennent les manettes pour bien prouver qu’ils sont les deux mamelles stars ( mission accomplie ), les Dätcha jouent davantage en osmose, leurs aides de camp sont beaucoup mieux intégrés à la partition, leur version dégage un parfum d’authenticité à laquelle la version publique des zeppelin boys n’atteint pas. N’ont pas choisi un titre du Led au hasard, la voix de Nicolas se prête à la comparaison. La ressemblance avec l’organe de Plant saute aux oreilles, ne monte pas aussi haut mais les tessitures sont voisines, c’est naturel, Nicolas ne contrefait pas, et surtout il n'imite pas Robert, ce serait le meilleur moyen de se planter sans beauté.

    Pour les amateurs du Dirigeable nous avons aussi en stock une version d’Immigrant Song à Fest in Pia, ( dans les Pyrénées-Orientales ) le 3 août 2019 avec Bertignac, nous aimons bien Bertignac mais le groove électrique qu’il impose au titre n’est pas des mieux venus…  Nicolas se tire bien mieux de l’impro.

    Dätcha Mandala vient de sortir un dernier opus précédé d’un documentaire d’une trentaine de minutes relatif à l’enregistrement du nouveau bébé. La vidéo ne vise ni à l’excentricité ni à l’extraordinaire. Ensemble dépouillé, tourné en noir et blanc, aucune esbroufe, les plans attendus sur les séances de travail, les discussions, chacun se confie sans forfanterie, les gars savent ce qu’ils veulent et bossent sérieusement. Ce n’est pas cela qui m’a fasciné. Quatre ans que je ne les avais vus, z’ont changé, avaient encore l’aspect de gamins, sont devenus des hommes, ont acquis une énorme maturité. L’on sent un groupe solide, plus de six cents concerts dans les jambes, taillent leur route, quand on les regarde l’on se dit que le rock possède un avenir.

    THE LAST DROP

    DÄTCHA MANDALA

    ( EP Bandcamp / Mrs Red Sound / 20 – 05- 2022 )

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    Une pochette qui n’est pas sans rappeler Other Voices des Doors, les Dätcha ne sont pas focalisés dans le punk, remontent plus haut, pas plus garage non plus mais psyché, leur décennie préférée : les seventies, les yeux tournés vers la Californie des années heureuses, un temps où le nihilisme n’avait pas encore gagné la partie.

    Janis : hommage à Janis, même pas quatre minutes, mais rempli comme un œuf, un super jeu de cache-cache entre le vocal et les chœurs, pas le temps de s’ennuyer, faut faire comme la chatte qui cherche ses petits pour s’y retrouver. Un structure simple avec couplets et refrains, mais l’on est vite dans une espèce de labyrinthe, est-ce dû au jeu des cymbales omniprésentes qui vous font croire que le chemin est tout droit, alors que la basse vous conduit allègrement dans une direction opposée, quant à la guitare elle pousse le wagon du riff pour mieux vous refiler pratiquement en douce des soli de locomotive alors que la batterie dépiaute les traverses à sa guise, non tout cela ce n’est que l’emballage, mais le plus précieux, comme à Beaubourg ils l’ont mis dehors, vous n’entendez que lui, c’est lui qui focalise l’ouïe mais vous n’y faites pas attention, vous vous laissez entraîner dans ce rythme de fête sans fin, le plus rare c’est Janis ou plus exactement la voix de Nicolas qui raconte sa vie, qui parle pour elle, elle est partout cette voix, elle explose à tous moments, à la fois moqueuse et féminine, à la fois festive et tragique. Un morceau noir dans un tourbillon de couleurs, une tourmente de douleurs. ( Vous en retrouvez l’enregistrement sur   la vidéo   Janis Officil Video Clip ). L A Hippie : encore un diamant noir dont il est nécessaire de faire miroiter   toutes les facettes au soleil de l’écoute attentive. A la base c’est du tout simple, un truc bien balancé qui emporte l’adhésion, une balle dum-dum qui vous arrache la gueule, franche et directe. Unité de son avec le premier titre. La voix se pose dessus comme un cygne sur l’eau d’un bassin, c’est alors que commence la ronde vocalique, un jeu subtil entre voix et chœurs, l’on ne peut parler de backing vocals proprement dits, plutôt un entremêlement de répons, de contreforts et de de contrechants, et dans ce ballet les instrus se bâtissent des zones d’intervention et de nidification étonnantes. Pas étonnant que les lyrics évoquent les portables, le morceau ressemble à une succession de selfies divers assemblés pour produire un étonnant film d’action. I &  You : me demandais s’il n’y avait pas dans le traitement des chœurs précédents des emprunts aux Beatles, ce Moi and Toi confirme mes interrogations, l’influence des Fab Four est ici non pas évidente mais revendiquée, l’entrée symphonisée, le piano old time, et surtout cette manière de concevoir chaque nouvelle phrase musicale comme une surprise et un apport, découlant logiquement de ce qui précède mais apportant systématiquement une rupture euphonique. Pas le temps de s’ennuyer, vous interpellent à chaque seconde. Carry on : même démarche sergentique que la précédente, une ballade poivrée de mandoline et épicée d’un très beau solo d’harmonica, avec coulis de voix harmonisées, promenades dans un bois d’essence variées, à chaque pas surgit l’arbre que vous n’attendiez pas et un fruit inconnu à savourer, avec en plus cet avantage auxquels les Beatles n’ont pas toujours su souscrire, la pulsation rock’n’roll n’est jamais perdue. Hit and roll : le titre à lui tout seul nous indique que cette ultime piste boucle la boucle en nous ramenant au style plus rentre-dedans du début de l’EP, nous sommes ici plus proche des Byrds de So you wanna to be a rock’n’roll star, les Dätcha n’ont pas peur d’harponner les baleines blanches  et ils s’en tirent bien, les guitares défilent à toute vitesse et le final ressemble à une improvisation rock’n’roll à toute pompe de fin de concert. De la belle ouvrage.

    Cinq titres seulement, mais quelle richesse, production de Clive Martin impeccable, nous ne faisons pas chez Kr’tnt de rubrique Disque du Mois, sans quoi The Last Drop se serait imposé d’office.

    Damie Chad.

     

    *

             Nous avons déjà consacré plusieurs chroniques à Patrick Geffroy Yorffeg, à ses œuvres graphiques, à ses vidéos musicales, l’animal est doué, il compose des textes et met en bouche beaucoup de poèmes. Mais ce coup-ci c’est différent, je préviens le lecteur que dans la chronique qui suit je suis partie-prenante, non je ne participe en rien à ces lectures, enfin presque, je suis un peu responsable car nos actes finissent par nous rattraper un jour ou l’autre. Donc je n’ai pas écrit une seule ligne des textes proposés et j’étais à plus de sept cents kilomètres lors de ces enregistrements dont j’ignorais la réalisation. A part que les textes signés OM sont de ma fille.

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

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    LECTURE DE TEXTES EXTRAITS

    DE CHANT A LA LIE

    OM

     

             Voici d’abord un Cortège pour Dionysos immédiatement suivi d’un texte de présentation, tous deux signés Claude Newark, qui permettent d’appréhender le contenu de l’ouvrage :  

    LIGNES ET VIGNES

    en cette mince plaquette

    pour servir de cortège

    à

    DIONYSOS

    revivifié par OM

    en ces

    CHANTS A LA LIE

     

    si le vin est le sang de la terre, de quoi la poésie peut-elle être le chant

    si ce n'est de cette présence de l'enfant immortel que les titans ont déchiré

    car il faut boire la coupe de la vie jusqu'à la lie

     

    vingt-trois poèmes, de prose et de pampre,

    c'est revêtu de cette robe vermeille

    que le bouc sauvage se présente

     

    depuis cette terre de Provence

    celle de Giono, celle de Bosco

    autrefois déjà de pourpre et d'amphores

    il se raconte aux hommes et aux femmes

    sa parole est fontaine émerveillante

    elle calme les soifs inextinguibles

     

    le bouc connaît vos désirs

    vos soumissions et vos colères

    la dureté de vos travaux

    et vos révoltes

     

    il conte la trame de vos jours passés

    à trembler et à espérer

    en vain et en vin

     

    OM

    transcrit ses dires subtils et cruels

    lisez ses lignes

    écrites à bouc-portant

    car le poëte l'a dit

    enivrez-vous de vin ou de poésie

    mais enivrez- vous !

     

    CHANTS A LA LIE

    OM

    ( Font Léale / 2020 )

     

    Une mince plaquette de soixante-quatre pages regroupant vingt-trois textes qui par leur beauté s'apparentent à de véritables poèmes en prose.  Ces Chants à la lie sont à lire comme autant de rasades de ce vin fort et âpre qu'enfermaient en leurs flancs rebondis les amphores des mondes grecs et romains. L'on ne s'étonnera donc pas d'y retrouver Dionysos, le dieu antique, mais dépourvu de son habituel cortège triomphal de nymphes, de satyres, de ménades et de panthères, les temps ont changé, voici un Dionysos solitaire, qui souvent sous la forme d'un bouc hante notre modernité, hommes et femmes de cette Provence vineuse et actuelle qui s'endort doucement...

    Vingt-trois textes mis en perce, chacun raconte à sa manière l'histoire du vin, de cette pourpre des pampres qui coule des pressoirs dans les veines humaines, porteuse de force, de vigueur, de désirs, et d'espoir. Toutefois la sagesse du Dieu ne saurait circonvenir la folie des hommes, le vin ne se vend plus, le vin est distribué gratuitement dans les tranchées de 14, vents de révolte et de soumission se succèdent, heures d'ombres et de sang... aujourd'hui ces grandes fresques tragiques s'estompent dans le passé, le vin ne se déploie plus librement sur  son terroir naturel, il en est chassé, parqué en d'étroites surfaces... le vin est apprivoisé, parfumé et amadoué,  prisonnier des  impératifs commerciaux des circuits de distribution, marchandisé à l'image de nos vies...

    La prose organique d'Océane Murcia raconte tout cela mais bien d'autres réalités peut-être plus importantes, Dionysos est le fidèle compagnon de l'intimité humaine, il parle aux bêtes et surtout à cette âme animale qui constitue le terreau de nos individualités, il est le dieu des déchirements et des renaissances, il assomme et il rend plus fort, il enivre  et il console, chaque grain de notre vie dans leur diversité réunie participe de la grappe de nos contradictions, le bouc mythique est un fin connaisseur de notre psyché, la plume d'Océane Murcia agit à la manière d'un scalpel chirurgical qui fouillerait au plus profond neuronal de la chair de nos envies, de nos angoisses, de nos dégoûts, de nos incompréhensions, de nos colères.

             Ces Chants à la lie, sont un texte d'actualité qui s'inscrit dans une historicité primordiale, celle d'une culture, tant civilisatrice qu'agricole millénaire, il plonge ses racines aussi bien dans le suc fertile des  Georgiques de Virgile que dans les romans indisciplinés de Jean Giono, les récits mystérieux de Joseph d'Arbaud et les sombres rêveries de Henri Bosco, il nous révèle, hors de tout sentimentalisme régionaliste cocardier, une Provence de nos jours palpitante de son passé mais aussi et surtout de son implantation irrémédiable à vouloir vivre debout et de bouc dans le combat incessant de sa présence au monde, et nous apprend qu'une jeune écrivaine au talent original est née dont il faudra suivre avec attention les prochaines publications.

    Claude Newark.

     

    Il est temps de laisser la parole à Patrick Geffroy Yorffeg  en recopiant in extenso le texte de présentation qu’il a rédigé sur son FB pour présenter ses vidéos.

    Aujourd'hui, sur ma page FB, une lecture du merveilleux livre :

     

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    "CHANTS A LA LIE" d'OCEANE MURCIA. M.O. 

    Une merveille de livre pour ne pas dire un chef-d’œuvre selon moi d'une grande beauté.

    Le souffle de la poésie y parcourt ces pages avec originalité et style, je veux dire avec sa propre musique, celle que les jours et les ans ont dû déposer dans son âme, dans sa chair et dans ses os.

    Autant dire que l'on y sent la vie, une vie de partage, les parfums de la vigne, les fragrances et les grondements de la terre, le souffle des animaux et des hommes, l'ombre de la mort, mais aussi l'évidence de la renaissance afin que rien ne meure et que tout recommence.

    Les chants à la lie sont à la fois le chant de la terre et des dieux et la beauté tragique d'être au monde que nous partageons tous à des niveaux différents.

    L'on y traverse l'histoire avec un grand H, avec son cortège de guerres, de bouleversements, de découvertes, d'aventures, de révolutions, de rencontres, d'injustices, d'horreurs, de bonheurs et de malheurs.

    Le vin peut être voyant et lucide parfois comme il peut se perdre à force d'illusions trompeuses.

    "Le vin de l’assassin" a les yeux de la nuit.

    Le vin rassemble, Le vin disperse. Le vin répare, le vin sépare.

    Le vin partage.

    Le vin fait des petits pains d’ amour.

    Divin le vin ?

    Le vin traverse le temps, les guerres, les corps, les bouleversements de tous ordres, il a la couleur du sang, il a le ciel gris de l'ennui, la couleur de l'oubli.

    Il est le sang du Christ qui coule dans les veines de la mémoire, de l'espace et du temps, à la fois dedans et dehors, le sang de la vie éternelle.

    "Vanité des vanités, tout est vanité" disait l'Ecclésiaste.

    Oh mais le savez-vous vraiment, la vanité ça se boit, comme la vie, comme « la mort qui est une habitude qu'il arrive aux gens d'avoir "disait Borges, non sans humour d'ailleurs, dans un de ses poèmes .

    Femmes, hommes, tous ensemble, tous ensemble, ne soyons pas timides, approchons-nous de la table terrestre et ‘’ goûtons voir si le vin est bon’’.

    Oui allons voir si la vigne est belle à l'aube et au crépuscule :

    et

    "Puisque tout passe, faisons

    la mélodie passagère ;

    celle qui nous désaltère,

    aura de nous raison.

    Chantons ce qui nous quitte

    avec amour et art ;

    soyons plus vite

    que le rapide départ."

                                                                             Rainer Maria Rilke.

     

    Oh chère Océane Murcia je te le dis haut et fort ton livre ne fait pas pâle figure à côté de ce poème de Rilke, et j'ose le dire, il est même à hauteur de poète.

    Et vive ce bouc, vive Dionysos qui vient nous bousculer, nous tirer de l'ombre dévorante du quotidien.

    Oh oui soyons en fête, sœurs et frères, pour les vendanges de la vie.

    N'entendez-vous pas ? Dionysos est de retour !

    Oh mais il s'en fallait de peu je vous le dis pour que tout tourne au vinaigre !

    Heureusement l'amour est là qui nous attend.

    Eros est de retour !

    L'enfant de l'amour va naître.

    Ce sera une fille aux boucles d'or.

    Bouc témoin, bouc vilain, bouc coquin, bouc magicien, bouc pyromane, bouc tout feu tout flamme, les corps s'enflamment au vin de la révolte des raisins de la colère.

    Ton livre chère Océane Murcia OM mérite un grand éditeur, il doit bien y en avoir un, sur cette satanée planète bleue, qui reconnaîtra un jour ton œuvre.

    En attendant j'espère pouvoir te lire un jour sous nos lèvres à Léa et moi, si toutefois tu le veux bien.

    PGY.

     

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    CHANTS A LA LIE  ( Part 1 )

    La vache / L’ Autre

    PGY :  percussions et lecture

    Si les deux premiers textes du recueil évoquent l’alliance du Dieu avec la bête humaine et sa propre transfiguratrice puissance régénératrice, Patrick Geffroy Yorffeg met en scène l’alliance de la voix avec le texte et celle de la poésie avec la musique. Le point focal de cette quadrature reste le silence symbolisé par la couverture noire du recueil. Cette vue fixe occupe la majorité des quatre minutes de la vidéo. Place est faite à la parole du Dieu, chaque mot entre deux interstices de silence, le Dieu parle, il ne donne pas d’ordre, il persuade, la voix du diseur se teinte d’ironie, il sait qu’il peut compter sur le principe actif de sa déité, son propre sang, le vin. Au début tintement de clochette, pour que les auditeurs comprennent que la nature est le temple que visite le vivant pilier de la divinité, sur la fin le Bouc se meut l’on entend le cliquètement des crotales et lorsque enfin le blanc de la lumière surgit, ce n’est pas le Dieu évanoui qui apparaît, mais l’officiant, le Lecteur, qui nous tourne le dos, puis se dédouble pour appeler sur ses gonds le feulement du Dieu qui l’absente.

    CHANTS A LA LIE  ( Part 2 )

    Dionysos / La mort

    Bruit furtif, le Dieu survient, Dionysos est là, il parle par la bouche de Patrick Geffroy Yorffeg, il connaît les arguments de sa démesure et de ses pouvoirs, si vous pensez qu’il est mort vous avez raison, n’est-il pas in-mortel, dans la mort elle-même, puisqu’il est là, tintement de la clochette, le Dieu n’est plus là à sa place la photo de Patrick Geffroy Yorffeg, peut-être le représente-il mieux que le faune broussailleux de nos représentations, n-a-t-il pas noué en signe de locuteur privilégié le signe immarcescible d’une cravate blanche. Deuxième texte, après l’Immortel, le Mortel, le vigneron qui a usé sa vie à faire pousser la vigne, les travaux et les jours hésodiens, le vin amer et sauvage, Patrick Geffroy Yorffeg s’active auprès de son orgue à gongs, il sonne la marche funèbre des mortels qui meurent et de l’Immortel qui demeure. Le Maître sonneur s’éclipse. Nous laisse seuls avec le silence noir.

    CHANTS A LA LIE  ( Part 3 )

    Le tombeau de Baudelaire

    PGY : percussions et lecture

    Bruissement, quelle est cette ombre pâle qui s’avance. Il est un arc-en-ciel noir qui se situe entre les Dieux et les Hommes, c’est le poëte, Dionysos rend hommage à Baudelaire, et avoue sa défaite, le vin du poëte est trop amer pour le gosier du Dieu, la voix de Patrick Geffroy Yorffeg se fait douce et le Dieu devient suppliant, image fixe de Patrick Geffroy tapotant le plus large de ses gongs, en cravate blanche, l’officiant serait-il le poëte ? La vidéo se termine par la vision d’Océane bellerophonique collée à l’encolure de son cheval. Serait-ce Pégase ?

    CHANTS A LA LIE  ( Part 4 )

    Printemps

    PGY : clariflûte, percussions et lecture / John Glilbert : synthétiseur

    La clariflûte de Patrick Geffroy  bourdonne, chant de sève montante, il arpente son appartement, sa voix conte la vie dolente du vigneron accablé de soucis, épuisé par son labeur, le Dieu vient à son secours et partage avec lui le breuvage de vie, le feu coule dans ses veines, ce soir la nuit sera lascive, Patrick Geffroy Yorffeg et sa clariflûte la rendent plus suave et plus longue, quelque part, venu de la grande Amérique, l’ami John Glilbert sur son synthétiseur tisse des voiles d’ombre et de volupté. Ils jouent longuement jusqu’à l’extinction de l’influx suprême.

    CHANTS A LA LIE  ( Part 5 )

    Bêtes

     PGY : clariflûte, trompette et lecture / John Glilbert : synthétiseur

    Après l’éros, l’ares. Après le désir, la guerre. La bête sauvage sanglière et la chienne domestique sont face à face. Quel parti prendra le Bouc ? La voix pose l’équation de la question. Entre l’Animalité et l’Humanité que choisira-t-il ? La trompette éclatante de Patrick Geffroy Yorffeg et le synthétiseur de John Glilbert grondeur et grogneur saluent la victoire canine. A vous de savoir pourquoi. La voix a résolu la solution, mais ne dit pas comment l’interpréter.

     

    Je ne sais si Patrick Geffroy Yorffeg, continuera sa lecture à haute voix. Si au terme de son jeu il remettra les poèmes dans l’ordre qu’ils occupent dans le livre. Je ne saurais que l’encourager dans cette voie, afin que l’acte décliné devienne profération du mystère poétique, utilisons les mots qui décrivent aussi bien les tentatives spectaculaires de Mallarmé que de Jim Morrison, pour qu’enfin, selon la célébration  lecturielle,  la cérémonie  puisse avoir lieu.

    Damie Chad.

     P. S: vidéos sur le FB de Patrick Geffroy Yorffeg.

    Chants à la lie : Océane Murcia. 8 €.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 556 : KR'TNT 556 : HENSKE JUDY / TEENAGE FANCLUB / LOS BITCHOS / HONEY / CAT ZENGLER / THE TRUE DUKES / DEEP PURPLE+ MARIE DESJARDINS / SPINNE / EMILIE KOSMIC

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 556

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 05 / 2022

     

    JUDY HENSKE  / TEENAGE FANCLUB

    LOS BITCHOS / HONEY

    CAT ZENGLER / THE TRUE DUKES

    DEEP PURPLE + MARIE DESJARDINS

    SPINNE / EMILIE KOSMIC

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 556

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur : http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Henske Judy est là ?

     

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             Dans les early sixties, la plupart des artistes américains débutaient dans des clubs. Tu te pointais avec ta gratte, deux chansons et tu montais sur scène. Comme Dylan, Fred Neil, Richie Havens et tous les autres, Judy Henske a démarré ainsi. Pas à New York, mais à Hollywood, repérée dans la rue par le propriétaire d’un club, Herbie Cohen, qui est aussi manager d’Odetta puis de Zappa, Tim Buckley, Fanny et d’autres. Ce soir-là, Cohen entend Judy chanter ses deux chansons et lui propose aussitôt de la manager. Il la fait jouer en première partie de Lenny Bruce dont il est aussi le manager - Not an easy place to start, dit Judy qui a du mal avec le public de Lenny Bruce, mais elle va faire évoluer son set vers ce qu’elle appelle le bloody fun, et qu’on appellerait ici du dadaïsme. Elle va aussi intéresser Jac Holzman qui qualifie sa voix d’«outsized». Holzman dit aussi qu’elle ne se contentait pas de briser des verres avec sa voix, elle pouvait aussi briser des vitres blindées. Pour parler d’elle, on emploie aussi l’expression «énergie du diable» - devilish wit.

             Judy n’est pas née de la dernière pluie. Sa mère jouait du piano et petite, Judy se passionnait pour la poésie, le jazz et le blues. L’une de ses chouchoutes, c’est Peggy Lee. Quand elle découvre Pete Seeger, elle apprend à jouer au banjo. Elle ne se veut ni spécialement folk, ni jazz, ni blues, elle se veut Henske. Et comme beaucoup de gens à l’époque, elle finit par jouer au Troubadour, à Los Angeles.

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             Judy revient dans l’actu par deux biais : un très bel article dans Shindig! et un biais beaucoup moins marrant, puisqu’elle vient tout juste de casser sa pipe en bois. Alors prosternons-nous jusqu’à terre, les amis, car Judy Henske fut une très grande dame.

             David Pearson qui retrace l’histoire de Judy dans Shindig! a bien travaillé, puisqu’il a épluché les interviews de Kris Needs et les mémoires de Jac Holzman (Becoming Elektra). Un Holzman qui admire tellement Judy qu’il ne mégote pas sur les dépenses, puisque pour l’enregistrement de son premier album sur Elektra, il embauche un arrangeur de jazz, un big band dans un big studio et, ajoute-t-elle en rigolant, une big audience.

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             Judy Henske sort en 1963. Elle n’en garde pas un bon souvenir, d’autant qu’on l’a un peu obligée à porter une robe pour la pochette, ce qui n’est pas du tout son style. En B, elle chante «Every Night When The Sun Goes In» à la dure. C’est le blues selon Judy. Elle le travaille à la force du poignet, elle force bien ses syllabes. Elle passe en mode jazz New Orleans pour «Empty Red Blues». La plupart des cuts sont enregistrés live et elle fait bien rigoler son public. C’est là sur cet album que se trouve sa fameuse version de «Wade In The Water» qu’elle chante au power du gospel batch. Pour «Hooka Tooka», elle crée une ambiance de mama chalk’d tobacco, elle est assez géniale, elle chante tous ses cuts à l’énergie maximaliste.

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             Elle préfère nettement l’album enregistré l’année suivante, High Flying Bird. Il est en effet nettement supérieur. More banjo and guitar stuff, dit Judy. Elle rend d’ailleurs hommage au guitariste John Forsha, disant que sans lui il n’y aurait pas eu de Judy. Le morceau titre d’ouverture de balda est une reprise de Billy Edd Wheeler. Il illustre la vraie dimension du rock d’Elektra, ce folk-rock qui va donner le ton pendant quelques années. Pearson cite d’ailleurs Richie Unterberger qui voit cette version d’«High Flying Bird» comme «incredibly influential». Pearson cite aussi Mike Houghton, l’historien d’Elektra - One of the first exemples of what was to be called folk-rock - Houghton ajoute que Richie Havens, Stephen Stills et l’Airplane vont faire des reprises de cette reprise. Avec «Til The Real Thing Comes Along», Judy passe aux énormités, elle rentre dans le lard du heavy blues comme elle seule sait le faire. Paf ! Elle se jette dans le son et chante tout à l’accent fatal. Elle chante à fleur du peau. En B elle revient au blues avec «Blues Chase Up A Rabbit», un heavy blues de cool Colorado rain. Avec «Glod Bless The Child», elle passe en mode round midnite, elle est black dans l’âme, on pense à Nina Simone. À l’écoute de «Good Old Wagon», on sent bien qu’elle a roulé sa bosse partout, car ce qu’elle fait là est de la pure Americana. Mais c’est avec le round midnite qu’elle excelle, avec notamment «You Are Not My First Love». Tout est bien sur cet album. Saluons aussi «Lonely Train» et «Charlotte Town», qu’elle développe admirablement. 

             Quand elle débarque à Greenwich Village, Judy joue en première partie de Woody Allen. Ils vont devenir de très bons amis et Woody va baser le personnage d’Annie Hall sur Judy.

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             Elle quitte Elektra, car ça ne marche pas, et elle arrive en 1965 chez Mercury pour enregistrer Little Bit of Sunshine Little Bit Of Rain. On y trouve des covers extraordinaires, notamment deux covers de Fred Neil, «The Other Side Of This Life» et «Just A Little Bit Of Rain». L’Other Side est joué très psyché, sous le boisseau, et le Bit Of Rain qui se niche en B impressionne encore plus par la qualité du feel à la patte du caméléon. C’est le groove psychédélique de Freddie la star, reconnaissable entre tous, Judy la star l’embraye à la Henske, résolument, avec sa niaque légendaire - If I should lee/ eave you - Elle fait glisser ses syllabes. D’autres merveilles sont à découvrir, comme l’«I Loves (sic) You Porgy» qu’elle attaque avec détermination. Elle en impose autant que Liza Minnelli. Elle chante «He Needs Me» à l’intensité frémissante, suivie à la trace par une flûte bucolique. Puis elle groove de blues de «Blues My Naughty Sweetie Gives To Me» à outrance, elle ne fait pas semblant. Elle chante aussi «Silver Dollar» au sommet de son registre, avec une bravado de femme à barbe, très virile, très décidée à en découdre, très théâtrale.

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             Judy change encore de label et se retrouve en 1966 sur Reprise, avec un album produit par Herb Cohen et arrangé par Jack Nitzsche : The Death Defying Judy Henske, qui pourrait bien être son plus bel album. C’est un album live et Judy y raconte des histoires qu’il faut bien qualifier d’extraordinaires. Ça commence avec «Betty & Dupree». Elle y raconte l’histoire d’un femme qui a cherché le true love all her life. Dupree a 87 ans. She found the man of HER dreams, a man of HER age. His name was Betty. He was a communist. Elle fait bien marrer le public. Elle se marre elle aussi. Elle enquille un puissant heavy blues qui préfigure nettement Janis Joplin - This was Janis Joplin on speed, nous dit Pearson - Tommy Tedesco joue une partie de guitare flamboyante et Judy est spectaculaire de power Hensky. Elle redéconne un peu plus loin avec «Saved» et une histoire loufoque de chef indien au Nebraska, Slowlowless et de sa fille Dolauress. La B est encore plus délirante. Elle tape une cover d’«I’ve Been Loving You Too Long» et l’explose en guise de final. Judy est la plus grande finisseuse d’Amérique, il est important de le savoir. Dans «Ace In The Hole», elle met en scène Scarlet O’Hara and Red Butler sitting in her veranda. The mansion is being burnt to the ground by Bill Haley AND His Comets led by Miles Davis AND Vincent Price. Fabuleux délire. Nous voilà en plein cœur de Dada. Puis elle va chercher «Danny Boy» là-haut sur la montagne beaucoup plus haut que ne le fera jamais Cash. Elle a ce pouvoir extraordinaire de monter là-haut sur le mont Ararat. Puis dans «Nobody Knows», elle rappelle qu’elle est allée à la recherche du Yéti avec l’Admiral Byrd. Elle avoue aussi avoir rencontré The Incredible Nanouk Gettigoumi, meaning Old Eskimo. His companion and confident a bearded and one-legged Theology student from the Unversity of Chicago named Vanzetti. En plus, elle amène du son. Merci Judy pour cette purge dadaïste.

             Pearson indique au passage que Judy est très impressionnée par Jack Nitzsche - He was completely outrageous, willing to try anything. He was brillantly intelligent and had a completely original take on the music - C’est Nitzsche qui sacre Judy Queen of the Beatnicks.

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             Avec son mec Jerry Yester, Judy enregistre en 1969 Farewell Aldebaran, un album considéré comme culte. Il s’agit en effet d’eccentric instensity et de weird sparkle of outsider art. Aldebaran est une grande étoile rouge que Judy a découverte dans son encyclopédie. C’est Zal Yanovsky qu’on entend sur «Snowblind», il attaque ça au big deepy deep de heavy boogie psychédélique et Judy rentre dans le Snowblind à la rage folle, impossible de la retenir, quel son ! Jerry, Zal et les autres font du stomp mythologique. Elle y va, la mémère ! Ils tapent dans l’hors du commun. Alors après, ça se dégrade. Judy fait son biz et chante pas mal à la mormoille. Dommage qu’ils aient perdu le fil de Snowblind. Elle s’en va chanter «Three Ravens» en haut des barricades et retombe dans le folky folkah avec «Raider». Jerry Yester déloge le heavy groove d’«One More Time» au sweep along tentateur. Judy la revancharde revient aux barricades avec «Rapture», c’est une vraie harpie et il faut attendre «Charity» pour retrouver la veine de la grande pop. C’est une petite merveille évangélique, pleine d’ampleur, Judy lui donne de la voile, alors ça file sous le vent, la compo est ambitieuse, Judy travaille bien ses demi-teintes. Et ça continue avec le morceau titre, Jerry le prend au chant, vite rejoint par les ptérodactyles et par cette folle de Judy, ils chantent à l’éclate et ça devient tout simplement stupéfiant. Pearson qualifie l’album de psych-folk masterpiece. Malgré tous leurs efforts, l’album flip, floppe & fly.

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             Judy et Jerry Yester montent ensuite Rosebud et enregistrent un album sans titre en 1971. Bon alors ce n’est pas l’album du siècle, oh la la pas du tout. On s’ennuie un peu sur toute l’A et il faut attendre la fin de la B pour commencer à frétiller avec «The Yum Yum Man», elle y entre par la voie douce, puis elle passe en mode Airplane, elle fait son égérie et grimpe sur la barricade. Elle retrouve ensuite sa niaque de maître à penser du Quartier Latin avec «Roll Home Cheyenne». Il y a un homme en elle, elle peut chanter avec fermeté et au menton carré. Et puis voilà que «Flying To Morning» sauve l’album. Elle s’en va par dessus l’over the rainbow, elle retrouve sa démesure de grande chanteuse, c’est savamment orchestré, alors elle peut gueuler. Elle développe une puissance vocale exceptionnelle, elle en fait même chuinter la pointe de sa glotte, l’effet sidère, elle redevient fabuleusement attachante, haute en couleurs, à la fois héroïque et psychédélique.

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             En 1999 paraît Loose In The World. C’est encore un album qu’elle chante au heavy Henske et ça peut avoir un côté pénible, car elle n’est pas très bonne dans les descentes de slalum. Elle donne trop de la voix, certains de ses accents qui sont trop mâles font mal aux oreilles. Elle adresse un gros clin d’œil à Kurt Weil avec un «Master Of Love» très Opera de Quat’ Sous, puis elle tape «Dropped Like A Dime» au vieux freesbee de nowhereland. Hey mister ! On se croirait dans un pub en Irlande ! C’est n’importe quoi. Elle se prête vraiment à tous les jeux. Comme elle donne de la voix, elle se paye de bonnes tranches. Elle monte trop à l’assaut de son «Tikky Tikky Gumdrop» et elle brise le charme. Dommage, car elle pourrait casser la baraque. Ce qu’elle finit par faire (enfin) avec «Blue Fortune». Elle se fond dans le groove de blues et elle l’explose au never never get enough. Elle enchaîne avec un «Wish I Had My Old Guitar» qu’elle prend au guttural de vieille bitch et elle ne lâche rien. C’est pour ça qu’on l’adore. Mais elle en fait trop. Elle revient se fondre dans l’Americana de grande gueule avec son vieux «Betty & Dupree», elle chante à la clameur viscérale, elle le beugle au diamond ring, elle pousse l’une de ces gueulantes dont on se souvient longtemps après que les poètes ont disparu, elle est incapable de mettre la pédale douce. Puis elle explose de bonheur avec «Tin Star». C’est un exploit, elle explose le concept même de good time music, elle gueule sa joie, elle se rend hommage, elle est stupéfiante d’Hensky power, oh boy take me home now ! Judy est une reine du heavy rock américain, mais aussi la reine d’Elektra, elle ramène dans son «Til The Real Thing» de fin tout le rumble de la Nouvelle Orleans.

    Signé : Cazengler, Judy Husky (ouaf ouaf)

    Judy Henske. Disparue le 27 avril 2022

    Judy Henske. High Flying Bird. Elektra 1963

    Judy Henske. Judy Henske. Elektra 1963

    Judy Henske. Little Bit of Sunshine Little Bit Of Rain. Mercury 1965

    Judy Henske. The Death Defying Judy Henske. Reprise Records 1966

    Judy Henske & Jerry Yester. Farewell Aldebaran. Straight 1969

    Rosebud. Rosebud. Reprise Records 1971

    Judy Henske. Loose In The World. Fair Star Music 1999

    David Pearson : High Flying Bird. Shindig! # 118 - August 2021

     

     

    You got the Teenage Fanclub blues - Part Two

     

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             Le concert de Teenage Fanclub est reprogrammé pour la troisième fois, et cette fois, ouf, c’est la bonne. Dire qu’on est content de revoir les Fannies en chair et en os serait un euphémisme. Personne n’a oublié l’éclat de leurs grands albums, notamment Bandwagonesque et A Catholic Education. Ils naviguaient à l’époque au même niveau que les Mary Chain, Oasis et les très grands groupes anglais. De la formation originale, il ne reste plus que Norman Blake et Raymond McGinley. L’autre co-fondateur Gerard Love avait annoncé qu’il quittait le groupe lors du concert des Fannies à la Gaité Lyrique en 2017. Des trois, Gerard Love était le plus brillant, il composait énormément de hits magiques et les chantait sur scène. Blake et McGinley s’efforcent de perpétuer la tradition et bon an mal an, ils s’en sortent plutôt bien, surtout quand ils tapent dans la mine d’or de Bandwagonesque.

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             Norman Blake est devenu un pépère marrant. Il ne fait aucun effort vestimentaire et  comme en 2017, il porte le cheveu taillé ras. Il ne ressemble plus à rien, lui qui dans les années 90 avait si fière allure avec sa tignasse de Big Star freak. Il cracke des jokes en permanence, auxquelles on ne comprend rien à cause de son accent épais. Il adresse aussi des sourires aux gens du premier rang, c’est sa façon de montrer qu’il est ravi de retrouver le public, et de toute manière, c’est un gentil mec, ça se voit à sa bonne bouille. Quand il cracke ses jokes, il n’a pas une très belle voix, mais dès qu’il chante, il redevient ce prodigieux mélodiste qu’on suit depuis trente ans, il a une façon très spéciale de coller les lèvres au micro et de fermer les yeux pour chanter entre ses dents. Fabuleux artiste, il a ce power en lui, cette grâce indéfinissable qui fit jadis la grandeur d’Alex Chilton. McGinley chante dans un autre style. Ils font parfois des harmonies vocales à deux voix et ça devient sidérant.

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    C’est McGinley qui prend les solos sur sa Jaguar, il ramène de la disto, il a un maintien assez spécial, comme il est haut est sec, il joue un peu à bout de bras, avec la désinvolture d’un vétéran de toutes les guerres, et une telle expression prend tout son poids dans le contexte de la scène anglaise. Ces mecs ont tout vécu, ils ont joué partout et n’ont que des hits à proposer. Ils sont devenus invulnérables. Il ne reste plus beaucoup de groupes de cette stature en Angleterre, mis à part les Mary Chain. Ils auraient pu devenir une institution mais ils ont su garder une certaine fraîcheur de ton, et surtout un mépris absolu du m’as-tu-vu. Ce mélange de talent fou et d’humilité les rend infiniment attachants.

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             Alors bien sûr ils démarrent avec l’«Home» de leur nouvel album, Endless Arcade. C’est le rituel habituel, nouvel album et donc tournée de promo. L’«Home» est solide, on voit McGinley partir en vrille de Jaguar disto pendant de longues minutes, et là on comprend un peu mieux ce que l’expression groupe anglais veut dire. Ça reste le haut du panier, jamais un groupe français ne sortira un tel ramshakle, les Fannies foncent et ça bringuebale, mais en même temps, ça tient prodigieusement la route. McGinley joue un peu comme s’il s’en foutait, sur ses deux longues jambes qu’on dirait flageolantes. Wow Raymond superstar ! Il n’a plus un cheveu sur le caillou, mais il a gardé une bouille d’éternel adolescent, avec des petits yeux clairs derrière de grosses lunettes, un petit nez pointu et un menton délicat de page italien de la Renaissance. Ils tirent forcément pas mal de cuts d’Endless Arcade, à commencer par le morceau titre, puis «Everything Is Falling Apart», «Back In The Day», mais c’est avec l’excellent «I’m In Love» tiré d’Here qu’ils regagnent du terrain. En rappel, ils tapent aussi dans Songs From Northern Britain avec l’excellent «Can’t Feel My Soul». Ils réussissent parfois le prodige de jouer des mauvais cuts, mais il est impossible de leur en vouloir.

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    À la Gaîté Lyrique, des mecs gueulaient et réclamaient les vieux hits, alors Norman Blake leur disait, «oui oui, ça vient !». Pour éviter que ça se reproduise, ils ont préféré disperser les vieux hits dans le set, et boom, tout à coup Blake annonce «Alcoholiday» ! Machine à remonter le temps, c’est le power des Fannies à leur sommet. Plus loin, ils tapent dans «What You Do To Me» qui fut l’un des grands hits des noughties avec «Star Sign». C’est une explosion de bonheur mélodique et d’électricité, d’harmonies vocales et de génie Scottish. Ils n’ont rien perdu de leur bravado extraordinaire.

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    Ils terminent le set avec «The Concept», nouvelle explosion de joie pop, le morceau scintille au firmament, ça reste un modèle, un véritable déluge de son. Frisson garanti et la salle danse. Ils reviennent en rappel pour quatre titres et finissent avec le hit le plus éblouissant d’entre tous leurs hits, leur premier single qu’on retrouve sur A Catholic Education, le mesmerisant «Everything Flows» qui à l’époque nous hantait en permanence, avec ce riff lancinant que joue McGinley avec une niaque intacte - I’ll never know which way to flow/ Set a course that/ I don’t know - Tout est resté intact chez les Fannies, ne te fais pas de souci pour eux.   

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             Endless Arcade est donc leur dernier album en date. Bon, on va y aller franchement : ils proposent une petite pop pépère de Fannies un peu fanés, mais ils ont toujours du son. Ils font avec l’«Home» d’ouverture de bal une sorte de long fleuve tranquille et le solo s’enfuit jusqu’à l’horizon, il a le temps, Raymond, il est à la retraite. Il a tellement le temps qu’il en devient hypnotique, comme le sont les vieux crabes obsessionnels. Deux cuts bombent le torse pour sauver cet album qui pue un peu la routine, même si c’est une belle routine : «The Sun Ain’t Shine On Me» et «Back In The Day». Leur Sun n’est pas comme on serait tenté de le croire du heavy blues, mais du Fanny poppy, ils savent tellement faire la fête qu’ils sonnent comme les Byrds. Avec «Back In The Day» ils reviennent doucement au génie de Bandwagonesque, avec les gentle chords et les harmonies vocales - Find a peace of mind in back on the day - Ils réintègrent leur pré carré. Par contre, on perd le fil du Bandwagon avec «Arm Embrace». C’est très Scottish, on se croirait au pied de la forteresse d’Edimburgh, parmi les touristes. Beaucoup de cuts manquent de la magie habituelle. Ils jouent avec les effets de voix et leur insistance finit toujours par payer. Ils ont un truc que n’ont pas les autres groupes anglais. L’album finit vraiment par devenir attachant. Ils vivent de toute évidence sur leurs credentials. Avec «In Our Dreams» ils font de la heavy power pop, la plus rauque, celle des monts d’Écosse invaincus. On sent ça sous les kilts, la consistance. Ils ont le cœur au ventre, ça finit par impressionner. Ils grattent leur grattes de concert dans «Living With You», on les imagine de profil, tous bien concernés, et ils se payent même le luxe de se vautrer avec une pop inutile. Mais ce sont les Fannies, after all. C’est drôle comme certains groupes peuvent perdre le fil. Ils doivent être les premiers à le constater et pour eux ça doit être terrible, ils passent du statut de Scottish Big Star à celui de Scottish rien de tout. Aw fuck, comme la vie peut être cruelle. Difficile d’imaginer que les Fannies puissent enregistrer des cuts qui ne servent à rien («Living With You», et «Silent Song»). What you do to me!

    Signé : Cazengler, Teenage Fantoche

    Teenage Fanclub. Le 106. Rouen (76). 6 mai 2022

    Teenage Fanclub. Endless Arcade. Merge Records 2021

     

     

    L’avenir du rock - Les Bitchos de la vie

     

             L’avenir du rock aimerait bien perdre le contrôle de sa voiture pour faire des tonneaux et se retrouver dans un champ à moitié dans le coma. Un bel accident, comme celui de Pierre Bérard au volant de sa Giulietta Sprint, boom badaboum, crack boom hu-hu, les roues qui se barrent dans l’herbe, la caisse qui crame et lui, éjecté comme un sac de grain sous la violence du choc. N’allez pas imaginer que l’avenir du rock soit maso. A-t-on déjà vu un concept maso ? Non. Pourquoi ? Parce que le concept maso n’existe pas. La seule chose qui intéresse l’avenir du rock dans cette histoire, c’est la dernière heure, l’heure où comme le disent ceux qui ne l’ont pas vécue, «toute ta vie redéfile devant tes yeux». Alors bien sûr, ça fait rêver, même quand on passe sa vie à revoir le passé, mais la dernière heure a quelque chose de plus ésotérique, elle fonctionne comme un sas qui existerait entre les deux univers que sont ceux de la vie et de la mort, les deux vies du cerveau en quelque sorte. D’autres diraient les deux vies de l’esprit, celle d’ici et celle de l’au-delà. Comme l’avenir du rock est persuadé que la vie de l’au-delà vaut mieux que la vie d’ici, il voit la dernière heure comme une façon de boucler ses malles avant de partir en voyage. Le grand départ ! Rassemble tes souvenirs, petit cerveau ! D’y penser l’excite au plus point, il se voit à l’agonie dans l’herbe haute, se sentant fatigué pour jouer le jeu, mais à l’inverse de Piccoli, il ne va pas ramener ses histoires de cul avec Romy et toutes les petites turpitudes relationnnelles qui émaillent la vie des gens qui ont une bite en guise de cerveau. L’avenir du rock ne voudra pas non plus voir toute l’histoire du rock redéfiler devant ses yeux, car ce serait d’une prévisibilité qui flirte avec le mauvais goût, non, il veut vivre sa dernière heure de coma vigile avec un immense sourire aux lèvres, à sentir son crâne ouvert et sa cervelle palpiter une dernière fois au grand air, il veut sentir la vie quitter ce corps qui l’a toujours embêté, un corps qu’il a fallu laver, brosser, habiller, trimballer, il pousse un dernier soupir d’extase à l’idée de s’en débarrasser et il veut surtout consacrer l’essentiel de sa dernière heure aux Bitchos de la vie.

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             Elles sont bien gentilles, les Bitchos de la vie, mais quand on les voit attaquer un set d’intros, on redoute le pire, c’est-à-dire l’ennui. Rien de plus âpre qu’un set d’instros. Autrefois, dans les familles pauvres, on appelait ça une journée sans pain.

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    Un set d’instros, ça veut dire un set sans chant, le Germinal du rock, un rock noir comme les soutanes de Bernanos, un noir et blanc à l’image du puritanisme torturé de Dreyer, l’âpreté d’une impénétrabilité des choses à la Bergman, le set d’instros vaut bien l’auto-flagellation, les rubans que se coud Ugolin sur la poitrine, on descend dans les soubassements de l’endurance, dans les catacombes de Piranese, des marches encore des marches toujours plus loin dans les ténèbres de la condition humaine, on compte les secondes de chaque instro, c’est long les secondes, ça vit sa vie quand on les compte, elles lancinent, elles prennent leur temps, certaines semblent plus longues que les autres, et puis en voilà une autre, et puis encore une autre, c’est l’infiniment long de l’infiniment court, c’est l’éphémera d’Esmeralda à dada prout prout cadet du tronc de Jacques Faispassi-faipassa et soudain alors que tout dodeline, le set prend vie avec «Linsday Goes To Mykonos». D’extraordinaires dynamiques internes entrent en fonctionnement, et ce set qui commençait à ressembler à du regardez-comme-on-joue-bien développe une vie littéralement organique, ces quatre petites gonzesses arrachent leur set du sol à la seule force de leur énergie et là, tout bascule dans l’excellence de la pugnacité du vernaculaire véracitaire.

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    La guitariste s’appelle Serra Petale, elle mène le bal avec un gusto magnifico, elle injecte pas mal de son sud-américain dans son limbo, elle groove dans des Dardanelles de mortadelle et joue toutes sortes de motifs exotiques qui semblent militer pour le bouleversement de tous les sens.

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    La petite blonde qui danse et qui keyboarde s’appelle Augustina Ruiz, elle a un côté candide early Jane Brikin d’era Blow Up, mais c’est Josefine Jonsson qui groove tout l’ensemble avec son bassmatic, elle danse de la première à la dernière seconde du set, mais pas seulement des jambes, elle bouge du buste et de la tête, à tel point qu’on croit reconnaître la guitariste des Moonlandingz. Mais non, ce n’est pas moi, répondra-t-elle à la question posée. Troublante similitude, cependant. On voit rarement des gonzesses bouger aussi bien sur scène.

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    Les Bitchos de la vie se payent même le luxe d’éclats de wild gaga dévastateur, elles savent foutre le souk dans la medina, pas de problème, inutile de leur faire un dessin, et puis il y a cette batteuse infernale qui joue comme savent jouer tous les grands batteurs anglais, backbeat technique et puissant. Cette conjonction des quatre énergies amène de l’eau au moulin de l’avenir du rock qui du coup tourne à plein régime. Elles retournent leur set d’instros comme une crêpe pour en faire un magic carpet ride. C’est bien sûr ce mélange d’énergie et de fantaisie qui sauvera la mise de l’avenir du rock.

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    Tant que des groupes comme les Bitchos de la vie monteront sur scène, tout ira bien dans le meilleur des mondes. Surtout quand ça se termine avec une reprise faramineuse de «Tequila». Olé ! 

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             Leur album s’appelle Let The Festivities Begin. Évidemment, «Tequila» n’y figure pas. Ça veut dire en clair que si tu veux l’entendre, t’es condamné à voir les Bitchos de la vie sur scène. On est tout de suite embarqué par «The Link Is About To Die», un joli groove on the rocks doté d’un bel écho, monté sur l’élégant bassmatic de Josefine Jonsson, elle est d’une présence incroyable, on la voit danser en jouant et c’est sa copine du beurre et l’agent du beurre qui ramène de l’énergie. Alors attention, en studio, elles n’ont pas la niaque qu’elles ramènent sur scène. «I Enjoy It» tape dans le joyeux sautillant, on se croirait au bal populaire en Uruguay et Augustina chante dans les retours de manivelle. Le bassmatic de Josefine guêpe est plus balloche sur la plupart des cuts et Serra la Petale drive bien son drive de figures aztèques dans «Pista». Elles restent dans l’exotica avec «FFS», entre le greek et le turkish, comme elles disent, elles le déroulent bien, elles ont chopé le chop. Mais on perd tout le raw scénique, dommage. L’album est bien gentil, mais il ne reflète pas du tout le magic carpet ride. Il n’a donc aucune chance. Dans le petit dépliant qui l’accompagne, un paragraphe commente chaque cut. Elles nous expliquent par exemple que «Los Panteras» est une histoire de Panther through a forest, ou peut-être the Pink Panther cartoon. Pas les Panther Burns en tous les cas. C’est Josefine guêpe qui embarque «Los Panteras», elle est précise et fine comme l’éclair qui zèbre la nuit au-dessus de la jungle. Voilà un modèle parfait de bassmatic volubile.

    Signé : Cazengler, Los Bidochon

    Los Bitchos. Le 106. Rouen (76). Le 5 mai 2022

    Los Bitchos. Let The Festivities Begin. City Slang 2022

     

     

    Inside the goldmine - Just like Honey

     

             Le vicomte et ses convives festoyaient gaîment. Tous avaient bu plus que de raison, aussi les langues se déliaient-elles.

             — Voulassiez-vous que nous contrepétions, les amis ? Je vous propose de jouter autour de l’honey. Qui veut commencer ?

             — Moâ, fit la marquise de Mertouille.

             — Eh bien, nous sommes tout ouïs, madame...

             — Trop poli pour être honey, roucoula-t-elle...

             Tout le monde applaudit. Le chevalier de Belledoche leva le doigt :

             — Comme Pinochio, j’ai l’honey qui s’allonge...

             Éclat de rire général. Le vicomte fit remplir les verres par les laquais.

             — À qui le tour ? Monsieur le comte de la Gerbe ?

             — J’admire sans réserves les toiles modernes de Sonia de l’Honey !

             Il y eut un oooh d’admiration et tous applaudirent cet excellent trait d’esprit. Le chevalier Dansavélélou leva la main droite, non pour dire je le jure, mais pour déclarer :

             — J’apporterais volontiers de l’honey à votre moulin, vicomte !

             — Vous mordez le trait, jeune impudent...

             — Expliquez-vous monsieur !

             — Vous pouvez certes amener de l’ho à votre moulin, mais le ney n’y peut paraître...

             — M’accuseriez-vous de tricher, vicomte ?

             Le jeune chevalier ne pouvait perdre la face. Il se leva d’un bond en renversant sa chaise et lança son verre au visage du vicomte :

             — Demain à l’aube, monsieur, au Pré Saint-Gervais, je vous tuerai pour laver mon honey.

             D’abord frappée de stupeur par l’incident, la petite assistance se reprit et ovationna le jeune chevalier qui s’inclina pour saluer, tourna les talons et disparut en un éclair.

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             Penchons-nous un instant sur un joli pot de miel : Honey. On a tous cru que cet Honey qui ne doit rien aux Mary Chain allait décrocher le jackpot. Hélas, ce trio de St Austell, Cornouailles, emmené par Sarah Marie Tyrrell, décida en 2018 d’enregistrer un ultime EP et de tirer sa révérence. Après huit ans de tournées et la naissance d’une grosse réputation, Sarah annonçait dans Louder Than War qu’elle jetait l’éponge pour se consacrer à sa vie de famille. Voilà, c’est aussi bête que ça. La vie d’un groupe, ça tient parfois à un fil, mais c’est aussi ce qui fait son charme. Pendant huit ans, Honey fut un groupe invincible.

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             C’est en tous les cas ce qu’on éprouvait à l’écoute de ce fringuant Weekend Millionaire paru en 2014 sur Easy Action, l’un des labels anglais les plus intéressants. Il suffisait d’écouter le morceau titre d’ouverture de bal pour tomber de sa chaise. Boom ! Sarah emmenait ça à train d’enfer, elle fonçait comme un train fou dans la nuit. Ces deux blondes - Sarah et sa copine Ele Lucas - étaient complètement folles. Au fil des cuts suivants, on les voyait taper dans des dynamiques à la Kurty Kurt. Elles jouaient en permanence la carte de la dévastation et Sarah gueulait tout ce qu’elle pouvait gueuler, la vache, elle était bonne au scream, elle montait bien au créneau. Dans Louder Than War, Mark Ray ne tarissait plus d’éloges sur elles. Il rappelait qu’elles se firent connaître avec une reprise de «Thunderhead» sur le Jeffrey Lee Pierce Sessions album, Axels and Sockets. Il en concluait qu’en Sarah coulait le sang de Jim Morrison et de Jeffrey Lee Pierce. Pas mal, non ? L’autre moteur de ce trio infernal était Sammy Downing, le batteur fou qu’on entendait voler le show dans «I Wish I Was Gibson Girl». Et puis l’album allait connaître un orgasme final avec la doublette «Feral»/«Black Teeth». Ah quelle déboulade ! Ils fonçaient dans le tas, Sarah passait d’énormes quantités de power chords, elle s’adonnait aux joies du blasting pur, elle évangélisait des forêts inexplorées et avec «Black Teeth» elle nous envoyait une dernière giclée de sonic scum dans l’œil.

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             Honey tire donc sa révérence en 2018 avec le fameux Honey EP. Fameux oui, car bing !, dès «Manual Juicer», claqué dans l’exercice du pouvoir. Sarah explose au casse-noisette la coque de son Juicer et c’est embarqué aux dynamiques extrêmes, avec Simon Walker on lead trash-guitar, ça va très vite en besogne. Ce trio qui n’a l’air de rien développe un son extraordinaire. Ils disposent en fait des mêmes atouts que Nirvana : niaque et explosivité à tous les étages. Ils font de l’abattage. Samuel Howard explose le fion du cut. Sarah ne perd jamais le Nord et son «Bored Without Me» flirte avec le génie, elle chante au sommet d’un certain lard et son riff paraît machiavélique. Elle a l’ampleur d’une super star, c’est édifiant. Elle dispose de ce génie rare des full contact compos.

    Signé : Cazengler, morve Honez

    Honey. Weekeend Millionaire. Easy Action 2014

    Honey. Honey EP. Not On Label 2018

     

     

    *

            C’est dans la cent trente-huitième livraison  du  04 / 04 / 2013 que le Cat Zengler est apparu dans votre blogue préféré, c’est moi qui ai fait rentrer le loup dans la bergerie. J’avais chroniqué le livre des Cent Contes Rock de Patrick Cazengler paru au Camion Blanc. Si vous ne l’avez pas encore lu, soyez heureux, sachez qu’il vous reste encore quelque chose d’important à faire sur cette terre avant de quitter la planète. Quelques jours après je recevais un mot de remerciement et une huitaine plus tard un autre me proposant l’envoi de quelques textes pour agrémenter le blog. Z’évidemment j’ai accepté, une gâchette de cette qualité ne se refuse pas. L’a commencé par la recension d’un bouquin de Billy Poore intitulé Rock-A-Billy, dès la livraison 142, j’ai rajouté, selon mon habitude, quelques photos de pochettes de disques pour faire saliver le lecteur, livraison 143 l’a rien envoyé, c’est dès la 144 qu’il a commencé à jouer son double-jeu, un bel article dur Tav Falco, O. K. my guy, no problemo, como se dice en Mexico, mais y avait un deuxième truc, joint à l’envoi. Ne me dites-pas que vous ne l’avez pas vu, depuis neuf ans vous ne voyez qu’eux, ces petits dessins qui agrémentent chacune des chro-rock que croque notre Cat Zengler. Je n’ai pas compté, doit y en avoir autour du millier sur le blogue, aussi nombreux que l’armée de guerriers de terre cuite du premier de Qin Shu Huan, le premier Empereur de Chine. Cela mérite réflexion.

    RÊVERIES  D’UN ROCKER SOLITAIRE

    AUTOUR DES VIGNETTES DE PATRICK CAZENGLER

    PARUES DANS KR’TNT !

     ( I : Partie théorique )

     

    1 ) DU MOUTON

    Certains possèdent un cerveau binaire, vous leur montrez un dessin quelconque et aussitôt ils réagissent à la manière d’un Pavlov’s dog, soit un ‘’ Wouah ! c’est terrible !’’ soit un ‘’ Nul à chier !’’. Sont contents, se sont donnés le pouvoir de juger, leur vie a pris brusquement de la valeur.  Feraient mieux de poser la bonne question, la même que celle que ne pose pas le Petit Prince de Saint-Eupéry, parce que ‘’ Dessine-moi un mouton !’’ ce n’est pas une question mais une demande. Qui a demandé à Patrick Cazengler : ‘’ Dessine-moi un rocker !’’ ? Je n’en sais rien, hors de toutes circonstances je pense que c’est Patrick Cazengler lui-même qui se l’est d’une façon plus ou moins consciente et agréable posée et intimée.

    Faisons dans la facilité : le Cat Zengler aime le rock et possède une bonne plume, naturellement il écrit des articles sur des musiciens. Le Cat n’est pas manchot, l’a aussi un joli coup de crayon, logiquement il dessine des artistes rock.

    Dessiner un mouton est relativement simple, si vous continuez à en croquer d’autres, la donne change. Vous devenez le berger d’un troupeau. Mine de rien cela vous file des responsabilités. Vous avez dessiné un, puis deux, puis trois… puis mille rockers, vous n’obtenez pas un troupeau, mais les responsabilités vous incombent tout autant. Ce n’est plus vous qui êtes le maître de vos productions, c’est votre création qui vous interroge et qui bientôt prend le pouvoir sur vous. Bien sûr tout cette armada de rockers provient de vous et vous pouvez  claquer la porte sur le nez de cette bruyante marmaille, vous n’en serez pas soulagé pour autant, tout ce bruit dans votre tête qu’elle fait en tapant sur l’huis de votre conscience vous dérange. C’est Alain Barrière ( pas vraiment un rocker ) qui dans Lamento chante ‘’ Quand   le berger tombe piétiné par ses brebis…’’

    Le paragraphe précédent pour dire que nos actes sont parfois sinon plus grands que nous, du moins incontrôlables, Cazengler dessine, les autres regardent, moi je m’interroge. Le symbole du mythe de l’artiste dévoré par sa création.

    2 ) DU SYMBOLE

             Les dessins de Cazengler ne fonctionnent pas comme les T-shirts Johnny Hallyday. Peut-être n’en portez-vous pas mais vous en avez vu, sont noirs, le visage de Johnny en premier plan, mais en partie mangé par l’arrière-plan, souvent un mustang sauvage au galop, ou un gros trucker lancé à toute vitesse, ou un aigle éployé, parfois pour que vous compreniez mieux carrément un de ces paysages ultra-connus de l’Arizona, pour vous aider à faire la relation : Johnny-vitesse-puissance-beauté-Amérique-pays-du-rock = Johnny-rocker. N’accablons pas Johnny, les T-shirts qu’affectionnent les fans de Metal ne sont point davantage subtils (tête de morts, squelettes, dame à la faulx..) même si l’esthétique est beaucoup plus recherchée.

             Les dessins de Cazengler ne sont en rien symboliques. Pourrait par exemple prendre un chanteur qu’il apprécie, Iggy au hasard, et le représenter tel qu’il l’entrevoit. Faire son portrait de telle manière que ce ne soit pas Iggy mais Iggy tel que Patrick Cazengler se le représente. Tout le monde connaît le poster de Freud par Bob Dara dont le visage dessine le corps d’une femme nue. Le Cat Zengler ne joue pas ce jeu-là.

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    3 ) DE L’IDENTIQUE

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             On le lui a répété à l’école, mais ce garnement de Cat Zengler n’en fait pas qu’à sa tête : il copie. Prend par exemple une pochette de disque et la recopie. Enfin pas tout à fait. Enlève le nom de l’artiste, le logo de la maison de disque, effectue en quelque sorte un découpage des personnages dans la position qu’ils occupent, ou l’action qu’ils sont en train de commettre. Essaie de reproduire aussi les expressions des visages.  Idem pour les couleurs, tente de se rapprocher le plus près possible des teintes de la photographie. Par contre il supprime les décors qui ne participent pas étroitement des personnages. Se détachent sur un fond blanc. Ce qui produit une drôle d’impression. Les personnages sont réduits à eux-mêmes, comme déshabillés du monde, ramenés à l’essentiel de leur forme. Un peu comme s’ils avaient été ravis par des extraterrestres et cryogénisés à l’instant précis de leur capture pour être transportés à des millions d’années-lummière… Oui, mais ceux qui dans une hyper-lointaine galaxie regardent dans l’exposition d’un musée ces spécimens venus d’une planète inconnue, c’est nous. Déduction : la répétition à l’identique est un leurre. Si l’on examine soigneusement le résultat et le modèle initial il apparaît nettement que l’artwork produit par Patrick Cazengler est comme stylisé, épuré. S’en détache une impression d’étrangeté, les personnages sont comme hors-sol, détachés de la réalité qui les a engendrés. Des icônes dans lesquelles le peintre aurai omis le ciel paradisiaque de leur impalpable provenance, celle du rock ‘n’ roll.

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    4 ) UNE LIGNE PAS TRES CLAIRE

             Patrick Cazengler le reconnaît sans peine, il est un partisan de la ligne claire, il avoue son admiration pour Hergé. Reste que ce n’est pas très clair. Certes ce qui fait mystère ce n’est pas le mystère mais ce qui le fait. D’autre part quand il y a mystère c’est qu’il manque un mot pour le désigner. Que sont donc au juste ces dessins de Patrick Cazengler. Ni Tintin, ni Milou, plutôt la Castafiore et le Capitaine Haddrock.

             Seraient-ce les images Panini du rock ‘n’roll, c’est vrai qu’on a envie de les échanger contre celles que l’on désirerait avoir. Ou alors les images pieuses du rock’n’roll. Dans ce second cas l’on change de dimension, le rock n’est plus un divertissement pascalien mais le dieu lui-même incarné en ses mille avatars. Ou alors fonctionnent-elles comme ces patchs revendicatifs que l’on appose sur les perfectos, seront-elles un jour mercantile reproduites comme des pin’s ou des badges que l’on épingle sur un blouson. En ce bas-monde tout est possible. Les œuvres vives échappent facilement à leurs géniteurs.

             Il me plaît à les considérer autrement. Des artefacts d’images mentales qui auraient été emprisonnées dans un support graphique.  Sans doute faut-il les considérer selon le processus inversé de de leurs réalisations. Ce n’est pas l’artiste qui a copié une image, une photographie de la réalité, c’est l’image première ou la photographie originelle qui s’est imposée sur le mental de l’artiste dans le but d’être représentée sur et par le support graphique qu’il met en œuvre. Si les vignettes de Patrick Cazengler produisent cet effet d’irréalité, c’est parce qu’elles proviennent de cet effet d’irréalisation mentale dont Patrick Cazengler est le point de passage et de fixation, le thaumaturge.

             Par ce mot nous n’entendons point un faiseur de miracle mais un individu qui par une connaissance sympathique très précise d’une fraction de la réalité sert de point de jonction entre celle-ci, lui-même et les autres. La ligne de jonction n’est pas très claire car elle est comme brisée par deux fois, son mental réceptif agi par la réalité agit à son tour sur la représentation de la réalité. En d’autres termes le rock ‘n’roll agit sur Patrick Cazendler qui agit à son tour sur sa représentation, c’est-à-dire sur la réalité du rock ‘n’roll elle-même qui est à son tour modifiée par sa propre représentation. Acte graphique, au sens d’acte poétique.

    Damie Chad.

     

    *

    L’ECORCHE

    THE TRUE DUKES

    ( YT / Avant-première 19 Mai 2022 )

     Y-a pas que des trous du cul dans ce bas-monde, y a même de dispendieux aristocrates, de véritables ducs, qui vous proposent l’apéritif avant le rendez-vous promis. Les True Dukes sortent leur prochain CD le 24 juin 2022, quelle date plus triomphale, quels auspices plus favorables que le jour de l’apothéose du  Sol Invictus pour lancer une nouvelle réalisation.   

    Jean-Yves Bassinot : vocal / Christian Kikaï : rhythmic guitar / Eric Chartier : lead guitar /  Jean-Louis Vinet : bass / Michel Dutot : drums.

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    Un premier titre du futur album donc, les True Dukes n’ont pas l’habitude de couper la mortadelle en tranches fines, pouvez y mordre dedans à pleines dents, vous offrent un morceau de barbaque saignant à souhait, avec les braises du barbecue - une invention des pirates - que l’on avale sans sourciller. Rajustez votre nœud de cravate et prenez votre air intelligent ( le numéro 4 ) faites bonne contenance l’écorché vous regarde, du fond de la verroterie de ses grosses lunettes kaléidoscopiques, non ce n’est pas un miroir, quoique si vous trouvez que vous y ressemblez, ne tremblez pas, les True Dukes vont vous refiler aussitôt la dose d’adrénaline nécessaire pour quitter votre gueule de laissé-pour-compte avec bassine ( d’eau sale incorporée ) en guise de couvre-chef, pour vous requinquer le moral ça commence par une salve d’applaudissements, non ils ne sont pas pour vous, faites comme si, ensuite il est sûr que vous allez morfler – mais quittez donc cet air niais et cette bouche tordue – le Dutot vous fait glapir ses cymbales, les guitares embrayent, c’est parti pour un shoot revigorant, pour que vous compreniez bien le Jyb vous prescrit son ordonnance en bon français, à la manière dont ils cognent dur, ils ne sont pas prêts à vous faire de cadeaux, ce n’est pas le genre de la maison, vous dressent le portrait-robot de votre vie d’insecte social punaisé sur le panneau de la réalité, votre passé de rampant ne plaide pas pour vous, vous avez la guitare qui grogne et la guitare qui en rajoute dans les coins, vous êtes au fond du trou, n’y restez pas suivez l’exemple des True Dukes et vous serez comme un  rock ‘n’ roll winner, ça pilonne et ça riffe de partout, le deuxième couplet ne l’écoutez pas il est impitoyable, sur le ring de la vie vous gisez en entendant sonner les cloches ( c’est le solo carillonnant d’ Eric (qui pique) Chartier, alors on vous avertit au suivant, ce ne sera pas facile, vous morflerez comme jamais, les éclats de voix del Gyb éclatent comme une grêle de coups de poings, les True Dukes s’envolent. Poing final. L’on ne saura jamais si l’écorché s’en sortira, dans une série Netflix si, mais dans un disque de rock ‘n’roll l’empreinte carbone des vaincus de la vie ne pardonne pas.

             Superbe morceau, dans la grande tradition du rock français, sans concession, sans atermoiements. Une éthique du combat rock.

    Damie Chad.

     

     

    DEEP PURPLE

    LA SYNEDOQUEDU ROCK ‘N’ ROLL

    A CINQUANTE ANS

    MARIE DESJARDINS

    ( in Profession Spectacle20 / 05 / 2022

     

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    Si j’avais dû toucher un franc pour chaque note du riff de Smoke on the water de Deep Purple que j’ai fredonnée dans les années soixante-dix, je serais milliardaire. Comme je n’étais pas le seul, la moitié de la jeunesse le serait aussi devenue. Terrible conséquence, cet amas d’argent aurait provoqué une montée des prix, l’inflation galopant, je me serais retrouvé aussi pauvre qu’auparavant. Que voulez-vous la fortune est éphémère, heureusement que Marie Desjardins est là pour nous rappeler que seul le rock ‘n’ roll est immortel.

    Deep Purple ! ah ! ces pochettes géniales, In Rock, Fireball, Machine Head, l’immémoriale, la spatiale, et la glauque, vous n’aviez qu’à les regarder pour entendre le disque sans l’avoir écouté. Arrêtons, je ne suis pas là pour la nostalgie mais pour chroniquer le superbe article que Marie Desjardins pour les cinquante ans de la création de Smoke on the water.

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    Je ne vais pas vous refaire l’article, tout y est dedans, les détails que vous avez oubliés et ceux que vous apprendrez. Au début ce n’est pas Zorro qui arrive mais Zappa, par contre celui qui courageusement re-rentre dans le Casino en flammes pour rechercher le manteau de sa copine c’est Ian Gillan, normal, c’est un rocker. Reste à traiter de la synecdoque.

    Je crains de ne point éclairer votre lanterne si je vous explique qu’une synecdoque ce n’est qu’une métonymie, c’est pourtant ce qu’affirme Aristote, et Aristote n’a jamais tort. Quand il se trompe, c’est que vous ne comprenez pas. J’admets qu’entre Aristote et Deep Purple le rapport n’est guère évident. Pourtant il est simple. La vie mouvementée et légendaire du groupe ne s’est vraiment jamais arrêtée malgré des éclipses, les membres se sont déchirés, rabibochés, ont changé, sont partis, sont revenus, sont repartis… une saga épique, le groupe sera le six juillet prochain à Paris. Et au Hellfest ce 17 juin, ce qui est dans la logique des choses puisque le hard du Pourpre Profond est une des racines du Metal… Gageons que dans la setlist figurera Smoke on the water. Cela ne pourra attiser que le feu.

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    Si le Deep a encore ses fans et ses connaisseurs, attention c’est maintenant que la synecdoque se profile, le large public ne connaît plus qu’un seul de ses morceaux, vous l’avez deviné Smoke on the water ! Comparez avec les Stones, certes l’on vous citera Satisfaction mais aussi une quinzaine de titres différents. L’on a oublié le tout pour la partie, l’on a privilégié la partie d’une unique piste au détriment de tout le reste des vingt-deux albums du groupe, seul surnage cette trace de fumée sur l’eau… citez Les Trophées de José-Maria de Heredia et surgira le vers : Comme un vol de gerfauts hors de son charnier natal… pas un autre… Sic transit gloria mundi répétaient les jésuites…

    C’est cela que raconte avec brio Marie Desjardins. Une chronique qui suscite le Rêve. Ah, cette idée qu’il n’y a pas moins d’injustice dans le monde du rock que dans le reste du monde comme elle fait mal… Avec toutefois un superbe cadeau de consolation après la lecture, ce désir d’aller fouiner dans la discographie du groupe.

    Damie Chad.

     

    ROTTEN SOCIETY

    SPINNE

    ( Bandcamp – YT /  May 2022 )

    Emiliano Saucedo ; vocals, rhythm guitar / Daniel Zamora : lead guitar / Aldo Lopez : Bass guitar / Ross Valencia : drums.

    Je ne sais rien d’eux si ce n’est qu’ils nichent au Mexique et que c’est leur premier disque, leur volonté musicale est d’allier le vieux Metal à la Metallica à des ‘’choses’’ plus modernes. Voyons d’abord et écoutons ensuite. 

    Artwork : belle couve de Cabrito Sentado. Qui est donc l’artiste qui se cache sous le sobriquet de Biquet Assis. Attention les pistes sont brouillées, à la manière de George Sand qui s’habillait en homme Cabrito Sentado est une femme nommée Jessica Ocampo, parfois elle diminue son prénom en Jessie. Une visite sur son site s’impose, n’ayez pas peur elle aime les monstres, sont bien monstruosos mais très beaux. La pochette de Spinne autant que j’ai pu en voir est un peu à part dans sa production. Illustre bien le concept de société pourrie ( bonjour John Lydon ) déployé dans l’album, une rue en proie à la violence et à l’incendie, l’on ne peut s’empêcher de penser aux scènes émeutières de La Commune de Paris, mais ce n’est pas tout à fait cela, plutôt la ruée d’êtres humains qui se livrent à une étrange fête de révolte sans ennemi, comme si le système ne redoutait pas leur colère. Graphiquement cela n’a rien à voir, mais  m’évoque irrésistiblement la pochette de Strange Days des Doors, des gens obligés de jouer leur propre rôle dans lequel la nature ou la société les cantonne en eux-mêmes.

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    In the burrow of it : commence par ces belles sonorités de guitares qui ravissent les tympans, par deux fois saupoudrées d’ondées de grésil qui n’enlèvent rien au plaisir, nous nous en doutons cela ne saurait durer, la machine se met en route et frappe les quinze coups de l’horreur à venir, speedy trashy a pris les commandes, survient le vocal, un parfum sludge   suggérant les dangers de ce monde, le piège qui se referme sur vous, maintenant le vocal est pratiquement binairement dictatorial afin de vous mettre en garde, clameurs d’horreurs en guise de décor, gorge déchirée, déglutitions sans paroles, la hache du trash vous réduit en déconfiture, un solo de guitare dans le fandango de la démence, la pression s’accroît, la voix s’est tue, la guitare vous entortille en des filets poisseux, sachez que l’araignée du pouvoir se nourrit de votre âme, un bourdon de requiem éteint la bougie de vos illusions. Rotten society : à fond d’essieux, vocal craché à la gueule de l’auditeur, la société est pourrie, ni mal, ni bien, simplement un monde d’ignorance organisée dont il est impossible de s’extraire, les coups sur la casse claire tombent comme des injections de ciment dans les trous des fourmilières, ricanements de haines et de désespoir, le groove se kaotise et se perd en lui-même, voix échoïfiées en leurs impuissances, ce monde est pourri, vous n’en sortirez pas vivants mais assassinés. Le tunnel n’a pas de bout. Violence en dard de scorpion retourné contre soi-même. Hunted by the police : dénonciation sans équivoque – ne dites pas cela se passe au Mexique, ouvrez davantage les yeux – le vocal mène le jeu et forge le réquisitoire, le background musical se contente d’appuyer sur les plaies des morts, la guitare mine une fuite éperdue, évoque des gens qui fuient poursuivis par la police, pas de bruit de sirènes, elles sont inutiles, le titre est assez explicite. The old yellow : très, très rapide, confession dégorgeant de haine et de dégoût, orgueilleuses invectives, la société vous a corrompu, pourri jusqu’à la moelle des os et de aîtres de votre âme, dans un monde de violence vous ne vous réalisez qu’en assimilant la brutalité ambiante qui sous-tend la société, confession jusqu’au bout de l’horreur d’un serial killer, nul regret, nul remord, les châtiments n’y feront rien, serial killer une fois, serial killer pour toujours. La musique s’étrangle de colère, comparé à ce maelström de tourmente Anarcky in the U. K. des Pistols fait figure d’une image pieuse pour jeune communiante encore au couvent. L’affare Divino : au cas où vous auriez besoin d’explications supplémentaires l’on va vous mettre les points sur les I,  un manifeste purement politique clamé à haute voix en prenant le temps de claquer fort clairement chaque syllabe, les riches s’enrichissent sur le dos des pauvres, c’est le principe  de base qui régit l’organisation sociale au niveau mondial, misère, pauvreté, sans-logis, morts de faim, consolation de la religion, voilà l’accord divin qui commande notre monde, les guitares flamboient, la basse se trémousse, la batterie barate à la pirate,  envoient la toute gomme non pas pour effacer mais pour décrire la réalité.

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    The truth lies : la batterie s’affole, les guitares pataugent dans la colle, la vérité est prise au piège du mensonge, les imbéciles psalmodient leurs repentances, leurs paroles tuent mais la colère renaît dans les générations suivantes, une espèce d’apocalypse de tutti instrumental explose comme une bombe et couvre le moutonnement des abattoirs mentaux. Psychosis : surprise d’un doux cordage, même plus la force de crier, tout va mal dans ma tête, si vous n’êtes pas capable de résister à la violence du monde votre âme s’assombrit, la dépression s’installe, vous avez trouvé refuge dans l’unique tour d’ivoire à votre portée, votre tête malade. Profitez de cette fausse accalmie c’est le slow du disque, la ballade qui vous réconcilie ( ironie suprême ) avec la paix de l’âme. N’exagérons rien, vers la fin le temps et le tempo se gâtent, nous avons droit à un beau galop. T. O. C. : réveil brutal, retour à la pleine perception du bruit et de la fureur du monde dans lequel nous vivons, survient le moment le plus dur, celui du trouble obsessionnel de la conscience, l’instant où l’on s’accuse d’avoir fui lâchement la rage qui nous aidait à vivre, vous appliquez les fers rouges des guitares sur votre esprit, vous culpabilisez d’avoir trahi la cause du refus et de la colère, la musique s’alanguit, le système est si pervers que vous êtes tenté de retourner votre seule arme de défense contre vous. Une autre forme de folie s’installe en vos méninges, la plus terrible, la démence douce. Crachez-lui au visage.  Ch 21 on the ground : le beau riff balladif recommence, vous êtes au mieux dans cette chambre d’hôpital, instrumental, tout ce vous avez vécu et pensé défile dans votre tête, la batterie agonise vos synapses et les guitares jouent à l’électrochoc, confusion totale, défonce aveugle, l’on peut échapper à soi-même mais pas à l’emprise de la Société opprimante, émissions de bouffées de rémission, sensation de pensées courageuses et bienfaisantes qui s’infiltrent dans vos veines, l’odieuse réalité s’entremêle à cette nouvelle énergie c’est en combattant, en se livrant au corps à corps avec l’ennemi que l’on devient plus fort.  Qu’en adviendra-t-il ? Metal militia : sans doute est-ce le moment décisif, quelle force apporter dans le plateau de la balance de l’incertitude, morceau éruptif le vocal volcan reprend ses droits, il hurle, il chasse, il se confronte au monde, guitares enragées, il faut battre le metal tant qu’il est brûlant.

    Un manifeste sans concession, sur l’état de notre société mais surtout les ravages mentaux qu’elle provoque. Un brûlot.

    Damie Chad.

     

    *

    Franchement si j’avais entendu je n’aurais jamais écouté, j’aurais fui à toute vitesse, mais j’ai vu. Je me baladais sur le FB de Danny Louzon, au cas où il y aurait des nouvelles sur Hurakan ( voir Kr’tnt 552 du 28 / 04 / 2022 ) le groupe ouragan avec la voix de Louzon qui résonne comme le tonnerre. Un nom m’a accroché, pas n’importe lequel celui d’Alek Garbowski, un artworkiste de génie qui ne voit pas tout à fait le réel comme tout le monde, cela le regarde, mais quand il le met en forme, cela nous concerne. Les kr’ntreaders se souviendront que nous avons évoqué ses travaux lors de précédentes réalisations pour Pogo Car Crash Control. J’avoue que l’image sous la vidéo au-dessous était tentante. La réalisation (+ montage et étalonnage) d’Alex Garbowski et Danny Louzon en chef-opérateur. Caution esprit rock, vous avez coché la bonne case.

    Emilie Kosmic possède un passé rock, elle chantait ( en anglais ) dès le lycée dans un groupe rock composé uniquement de filles, l’avait de belles références Janis Joplin, Amy Winehouse, David Bowie… Cette première période s’achève en 2018, elle profite du confinement de 2019 pour jeter les bases du projet Emilie Kosmic, qu’elle mettra en les deux années suivantes à mettre en œuvre avec David Blum son producteur.

    KOSMICOLOGIE

    ( EP / YT )

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    APOLLO : ( 26 / 10 / 2021 ) : pas un clip, juste une image, mais quelle image, une être venue d’un autre monde, une alien, crâne rasé, visage bleuté, pailleté, en combinaison latex solaire, sur fond un bleu vénusien stellaire, mystérieuse, cosmonaute du désir trahie par le rouge sang de ses lêvres, jusque-là tout est parfait, lorsque le son démarre, c’est la bande-son d’un départ de capsule Apollo à Cap Carnaveral, jusque-là tout va encore bien, lorsque la musique survient l’on grimace, de l’électro assez commun, mais l’on s’en doutait, jusque ça va encore mais pas si bien que cela, c’est quand la voix arrive que le ciel s’assombrit, surprenante, une voix blanche, presque de petite fille, sans nuance, impersonnelle, raconte une histoire loin des astres mais en plein dans le désastre des petites existences vouées aux boulots précaires, le rêve d’Apollo n’est pas renié pour autant. L’on a envie d’écrire que c’est le genre de morceau idéal pour la playlist de France-Inter, alors on l’écrit. Existe aussi en clip : au début un peu trop réaliste, le décollage de fusées qui quittent leur pas de tir, parfois passées en marche arrière, la tête bleue d’Emilie entourée d’une couronne de fleurs colorées, les lèvres rouges prononcent, semble-t-il, les paroles avec beaucoup plus d’énergie, mais le rêve tout comme la réalité parfois se brise. C’est ainsi que l’on s’aperçoit que l’image fait partie intégrante de la chanson.  J’AI DORMI : ( 06 / 12 / 2021) : est-ce un hasard si l’on retrouve le nom d’Abel Garbowski au montage donc un véritable clip, minimaliste, avec trois fois rien, mais qui retient l’attention, la voix d’Emilie cette fois de toute petite fille, presque poignante, une chanson d’amour, toute simple, mais d’amour fou et éperdu, et puis les images, le visage, toujours bleu et pailleté d’Emilie, l’on ne voit que du bleu, le bleu de ce qui pourrait être sa combinaison spatiale d’alien, avec de minuscules détails  vous exprimez l’idée de l’infini universel et le drame romantique d’un amour humain aux dimensions kosmics. 1 382 400 : ( 18 / 01 / 2022 ) : encore une histoire d’amour, à désespérer des aliens. Un clip de David Blum qui doit faire fureur chez nos adolescents. Commence comme le précédent, notre alien préférée couchée, dans une combinaison encore plus belle et stylisée que les deux précédentes, la musique électro débute, non c’est la sonnerie d’un portable et la conversation de nos amoureux s’inscrit sur la messagerie de l’I-Phone, Emilie  prend de temps en temps une voix de petite fille perverse et irrésistible, maintenant elle crie et sa voix embrasse la voûte stellaire, de la belle ouvrage, un beau montage, pratiquement une véritable orchestration et une adéquation complète entre  la visée et l’esthétique, un produit pensé de la première à la dernière image.

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    SUPERPREDATEUR : ( 22 / 02 / 22 ) : ce coup-ci de toute beauté, c’est celui-ci que j’ai vu en premier, sous le nom d’Alex Garbowski, le sujet est à la mode et n’est pas sans évoquer le Balance ton quoi d’Angèle, mais les images sont sublimes, un véritable ballet filmé, les mecs autour de la nénette, le tournoiement époustouflant des images est une deuxième chorégraphie ajoutée à la première. C’est en visionnant ce clip que l’on s’aperçoit que la voix d’Emilie est elle aussi pour ainsi dire mise en scène, l’on joue sur des subtilités de timbres et des effets sonores peut-être faciles et attendus mais qui surviennent toujours à pic.  CRÂNE CONTRE CRÂNE : ( 26 / 04 / 22 ) : surprise, un dessin animé, plus d’Emilie Kosmic, juste sa voix parfaitement écoutable, elle parle, elle chante, elle susurre, elle exulte d’une voix plaintive, une histoire d’amour éternel, couleurs naïves, sur fond d’espace interstellaire, valse d’un couple enlacé, survient la noirceur de la mort, mais l’amour romantique est éternel et survit dans l’immensité du cosmos et à l’intérieur des têtes réunies. Un petit bijou de moins de deux minutes trente, une boîte à musique, une bonbonnière que l’on n’arrête pas d’ouvrir et de rouvrir pour enclencher le mécanisme, une exquise suavité.

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             Emilie Kosmic se définit comme une artiste électro-pop et  électro-rock, pas évident pour cette dernière revendication, l’on serait plutôt aux confins de l’électro-variété, mais l’ensemble regorge d’idées et de créativité. Le fait que Jessica Rock, une de nos pianistes-jazz les plus originales et novatrices participe à l’aventure est un gage de qualité. Sur le papier le projet semble hasardeux, et vecteur d’un large spectre peu créatif, la succession de ces cinq vidéos fignolées, subtilement méditées, dément notre a priori. Nous avons affaire à une démarche novatrice, mûrement stylisée, images et chanson forment un ensemble indissoluble, l’on ne sait ce qu’il deviendra de cette aventure mais elle attire déjà l’attention et éveille la curiosité.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 555 : KR'TNT 555 : ALICIA F ! / FAT WHITE FAMILY / QUIREBOYS / WHITE LIGHT MOTORCADE / DEOS / CÖRRUPT / TWO RUNNER

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , alicia f!,,fat white family, quireboys, white light motorcade, deos, disgut, two runner,

    LIVRAISON 555

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 05 / 2022

     

    ALICIA F ! / FAT WHITE FAMILY

    QUIREBOYS / WHITE LIGHT MOTORCADE

    DEOS / CÖRRUPT/ TWO RUNNER

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 555

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    L’avenir du rock –

     Alicia au pays des merveilles

     

             L’avenir du rock n’est pas né de la dernière pluie. Si tu essaies de lui baiser la gueule, tu risques d’avoir de sérieux problèmes. Il a l’air gentil comme ça, avec ses grands airs débonnaires, le genre de mec dont on dit qu’il ne ferait pas de mal à une mouche, mais si tu lui cours sur le haricot comme l’a fait pendant deux ans fucking Pandemic, la note sera salée. C’est un principe : avec les cons, il faut toujours saler la note. C’est de la pédagogie de base. Remontons un peu en arrière. Voici quelques mois, l’avenir du rock est allé cracher sur la tombe de Pandemic. Rarement dans sa vie, il avait pris autant de plaisir à cracher sur une tombe. Pandemic avait bien failli avoir la peau du rock, rien qu’en fermant les salles et en obligeant les rockers de banlieue à porter des masques. On aurait dit des touristes japonais. Et puis voilà que tout récemment, dans un bar, un type racontait que Pandemic était sorti de sa tombe et que tout le cirque allait recommencer. Il semblait sérieux, il parlait comme un prof de biologie et s’appuyait sur des éléments scientifiques. L’avenir du rock sentit la moutarde lui monter au nez. Quoi ? Mais c’est horrible ! Il paya son verre et fila droit sur le Bricorama de Clichy. Il y acheta une hache, un pied de biche et une masse, les jeta dans le coffre de sa bagnole et prit la route en direction de Fontainebleau. Il se gara à l’entrée d’un chemin de rando et partit à la recherche d’un hêtre. Il en trouva un rapidement et se mit à tailler un pieu, un énorme pieu. Il suait à grosses gouttes. Le soir tombait. Ses dents étincelaient à la lumière du crépuscule. Il rentra sur Paris et se gara aux alentours du cimetière Montparnasse. Il attendit minuit pour passer le mur avec ses outils et alla se planquer juste derrière la tombe de Pandemic. Il surveillait l’heure à sa montre et alors que la nuit palissait, il vit arriver une silhouette au bout de l’allée. Pandemic ! Cet enfoiré sortait la nuit de sa tombe pour aller rôder en ville et réinstaller son chaos. Il arriva au pied de sa tombe, fit glisser la pierre et disparut dans la bouche d’ombre. La pierre reprit sa place. Le jour venait de se lever. L’avenir du rock fit glisser la pierre avec son pied de biche et vit Pandemic allongé dans son cercueil, comme un gros vampire de Murnau. Il s’empara de son pieu, le positionna à l’endroit du cœur et l’enfonça d’un violent coup de masse. Floffff ! Pandemic poussa un hurlement terrifiant qui leva des nuées de corbeaux et après une série de soubresauts spectaculaires, son corps prit feu et devint un petit tas de cendres. L’avenir du rock remit la pierre tombale en place, rangea ses outils et regagna sa bagnole. En face du cimetière, le rade venait d’ouvrir. Pour célébrer sa victoire, il s’offrit un bon ballon de blanc et rentra chez lui écouter l’album d’Alicia F que venaient de lui envoyer ses amis Rahan et Rouchka. Ouaf ouaf !

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             Sur la pochette de son premier album, Alicia F sort le grand jeu : elle te fixe dans le blanc des yeux et porte du vinyle rouge, des bas résille et des bijoux punk. C’est sa façon d’annoncer la couleur. L’album s’appelle Welcome To My F... World et comme au temps des Lords Of The New Church, le cœur d’Alicia F est transpercé d’une dague.

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    Ce n’est un secret pour personne : Alicia F est l’âme sœur de Marlow le Marlou, il faut donc s’attendre à des pluies d’étincelles, surtout depuis que notre Marlou préféré roule pour nous avec Marlow Rider. Accompagnés de Fred Kolinski (beurre) et Fredo Lherm (bassmatic), nos tourtereaux ont opté pour le punk-rock à l’Américaine, celui de Kim Fowley et des Ramones. Ils ramènent du très gros son et dès «Hey You», il pleut des (Cherry) bombs. Hey ! Avec un Marlou qui joue le killer flasher entre deux déflagrations. La seule cover de l’album est le «Cherry Bomb» que Kim Fowley composa pour les Runaways et ils restituent cette merveille avec un niaque exemplaire. Moins glam dans l’esprit que la version originale, mais sacrément bon esprit. Ils prennent ça en heavy rock d’exaction parégorique. Bel hommage à Kim Kong, le roi des elfes. Comme chacun sait, les bonnes intentions pavent le chemin de l’enfer, hello daddy, hello mum, on se régale. Dans chaque cut, Marlow le Marlou prend un killer solo flash et comme Dick Taylor, il fait en sorte que ce soit chaque fois différent. Dans «Freedom’s Running», il passe un solo hendrixien d’esprit Cry Of Love. C’est un guitariste surprenant. Dans «City Of Broken Dreams», le balladif de service, il joue les espagnolades de la romantica, il gratte des volutes de Gitanes, on a même des castagnettes, c’est excellent, une belle occasion pour lui de partir en vrille de biseau. Alicia F est parfaitement à l’aise dans tout ce battage. Elle impose en style qui évoque les louves à la Française, notamment Fabienne Shine de Shakin’ Street que Marc aimait beaucoup. Alicia boucle l’A avec un «Speedrock» monté sur un beau beat rockab, l’occasion d’entendre le Rikkha-man Seb le Bison faire le cat dans les chœurs. Ça repart de plus belle en B avec «Because I’m Your Enemy», encore un cut bardé de son, dévoré de l’intérieur par un bassmatic carnivore et allumé par un Marlou posté en embuscade. Derrière ça bat sec et net. Ils ramènent du son à la pelle et Alicia don’t give a fuck, avec sa gouaille inexorable. L’occasion une fois encore pour le Marlou de broder un killer solo sur mesure. Il est à la fois si insidieux et tellement rocky road. Avec «My Siver Fox» ils passent au boogie anglais, le Marlou veille au grain, il gratte des accords de glam et part en vrille à la Mick Ralph, alors ça donne du gut au cut. C’est avec «Kill Kill Kill» qu’ils se mettent à sonner comme les Ramones. Ils multiplient les hommages déguisés, avec une rythmique à toute épreuve. On entend même de vagues échos rythmiques de «Lust For Life». C’est un son tout terrain qui passe partout. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Skydog Forever», fantastique hommage à Marc Zermati. Le cut sonne comme un classique des Seeds, c’est superbe, en plein dans le museau du mille - Lost in the heart/ The heart of the city/ With a rocker mind and a dandy Style/ Skydog forever - Chaque mot semble pesé, Alicia parle de dévotion - They called you the Godfather/ Of the punk rock mafia/ Fighting music fuckers/ With the first punk festival - Tout sonne incroyablement juste dans cet hommage. Ceux qui ont eu l’immense privilège de fréquenter Marc y retrouveront leur compte. En fin de cut, Alicia lui donne la parole, sous forme d’un extrait d’interview, et il déclare : «Skydog reste underground mais grâce à Dieu, c’est un underground international.» Alicia lui dédie d’ailleurs son album, ainsi qu’à Robert Fiorucci.

             Dans les remerciements, on trouve le nom de Damie Chad, donc tout va bien dans le meilleur des mondes.

    Signé : Cazengler, Aliscié

    Alicia F. Welcome To My F... World. Damnation

     

    Fat White Family Stone - Part Two

     

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             De tous les drug-books qui honorent de leur présence le panthéon de la rock culture, Ten Thousand Apologies: Fat White Family And The Miracle Of Failure pourrait prendre la tête du classement, s’il nous venait l’idée saugrenue d’établir ce genre de classement. Co-écrit par Lias Saoudi, frontman des Fat Whites, et Adelle Stripe, ce book fait passer tous les champions de la désaille pour des enfants de chœur, depuis Johnny Thunders jusqu’aux Happy Mondays, en passant par Lanegan et les 13th Floor. C’est bien simple, on trouve quasiment des drogues à toutes les pages de ce book, des drogues qui jouent bien sûr leur rôle d’élément provocateur dans le contexte d’un groupe de petits mecs qui cherchent à réussir dans un domaine où tout a déjà été testé en termes d’excès, le rock anglais. Les Fat Whites passent sous les sempiternelles fourches caudines du marche ou crève, jetant leurs vies dans la balance à chaque instant, comme le firent avant eux les Stones, les Pistols, les Spacemen 3, les Happy Mondays, pour ne parler que des Anglais. Le seul problème, c’est qu’à la différence des pré-cités, leurs disques ne sont pas bons. Tout ça pour ça ?

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             La parution du book semble entrer dans une stratégie de reconquête, la reconquête d’une notoriété perdue. Cette parution précède nous dit-on la sortie d’un documentaire : une équipe filma jadis les Fat Whites en tournée. Voici dix ans, la presse et les commères du village en faisaient leurs choux gras, cultivant une sorte d’obsession à vouloir voir en eux les nouveaux Pistols. Comme le montre le book, les Fat Whites ne faisaient pas semblant, ils pratiquaient le walk on the wild side qui fait la légende du rock, à partir du moment où tu mets ta vie en jeu. Ils le font pour de vrai, comme le firent d’une certaine façon les Pistols en leur temps. Mais les Fat Whites ont échoué là où les Pistols ont réussi : un album mythique et un mort. Zéro album mythique chez les Fat Whites.

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             On est pourtant allé fureter dans leur dernier album, Serfs Up. Ils y cherchent encore leur voie, car l’album sonne comme un melting pot de potes. Obligé de constater une fois de plus que ce groupe si brillant sur scène n’a jamais su enregistrer un bon album. Lias Saoudi fait de la diskö à la Kön avec «Feet» et les choses ne vont pas s’arranger avec «I Believe In Something Better», un cut particulièrement vide de sens. Méchante arnaque ! Ils proposent une sorte de deep noise sans intérêt. Cet album sent le coup monté. Ils manquent tragiquement de compos. «Kim’s Sunsets» sonne comme le plus inutile des cuts inutiles. Ils tentent de sauver les meubles avec le funk de «Fringe Runner», mais ils s’enfoncent encore plus, même si derrière des filles font des chœurs déments. S’il faut sauver un soldat Ryan de cette Bérézina, ce sera «Fringe Runner». On retrouve enfin cet excellent chanteur qu’est Lias Saoudi avec «Oh Sebastian». Il chante ça de l’intérieur. Ce mec a du talent, encore faut-il lui donner de bonnes chansons. Et voilà qu’ils reviennent (enfin) au glam avec «Tastes Good With The Money». Leur heavy glam sonne comme le meilleur heavy glam qu’on puisse espérer. On ne saurait faire mieux. Ce glam dégomme tout - And all my faith slides right into place/ The air up there so fresh and clean - L’album semble enfin se réveiller car voilà que s’ensuit un «Rock Fishes» assez puissant, mené au groove d’under the boisseau. Ils ont mis du gravier sur la pochette intérieure, ça veut dire ce que ça veut dire. Pour finir, ils plagient le Together des Beatles avec «Bobby’s Boyfriend». C’est assez mal embouché. C’est comme si on crevait les yeux des moines de Tarkovski une deuxième fois. Les Fat Whites sont éminemment malsains, ils cultivent une ignoble perpète de son et s’enivrent de torpeurs insalubres.

             Lias Saoudi doit une fière chandelle à Adelle. Elle manie l’historique des Fat Whites avec la maestria d’une romancière chevronnée. Bon c’est vrai qu’elle dispose d’une bonne matière de base, mais elle fait des miracles, rendant tous ces personnages un peu excessifs plus vrais que nature, à commencer par Lias et son frère Nathan, fils de Bashir Saoudi, arrivé en Angleterre dans les seventies, et petits-fils de Kaci, survivant du bagne de Cayenne où il a moisi vingt ans, accusé d’avoir occis un colon. Adelle réussit l’exploit d’exacerber la grandeur des Kabyles d’Algérie et de sublimer leur fantastique instinct de survie pourtant mis à rude épreuve par les bouchers colonialistes qui s’étaient crus autorisés à s’approprier leurs terres et à renier leur liberté, avec une brutalité digne de celle des nazis et du KKK. Le sort d’un combattant kabyle ne valait pas mieux que celui d’un nègre dans les pattes du KKK ou d’un juif dans celle des nazis. Adelle parle de populations de villages «traumatisées par les Français.» Le ton qu’elle emploie est si juste qu’on la croirait elle-même kabyle. Cherche-t-elle à donner du poids à son récit en évoquant ce passé troublé ?

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             Dans l’un des longs passages que Lias rédige pour entrelarder le récit d’Adelle, il raconte qu’un jour il appelle son père à l’aide depuis une cabine et Bashir arrive sur sa moto, armé du cimeterre qui décorait le mur du salon, le père est un guerrier kabyle, où sont tes ennemis mon fils, je vais leur trancher la gorge, slit their fucking throats, et Lias ajoute qu’en voyant son père dans cet état, il se sentait protégé. Il revoit son père comme un homme issu d’une tradition très ancienne. Cette tradition d’homme des montagnes veut aussi qu’on apprenne à boire comme un trou et surtout à rire des pires situations. Lias avoue qu’il aurait préféré être le fils de quelqu’un d’autre. Car il faut être à la hauteur d’une telle tradition. Néanmoins, il apprend à vivre héroïquement, à la Kabyle : penniless, shameless... victorious. No surrender! Il le dit avec ses mots, et c’est assez fascinant.

             Adelle entre dans les histoires de la famille Saoudi pour noircir des pages superbes, et puis dans celle de la famille Adamczewski, dont le rejeton Saul va former avec les deux frères Lias et Nathan le trognon de base des Fat Whites. Ils sont tous les trois issus de milieux qui accumulent tous les problèmes. La mère des frères Saoudi qui est anglaise divorce du père et va s’installer en Irlande du Nord en pleine période des Troubles, et donc Lias et Nathan apprennent à vivre à la dure. Quand il se retrouve dans une école du County Tyrone en Irlande, Lias en bave. C’est le dernier endroit au monde où il veut être - There was no place more depressing than Cookstown that year, a fact he was certain of - Il dit y être arrivé en 1998, «juste après la signature du Good Friday Agreement, and only three days before the detonation of the Omagh bomb 26 miles up the road.» Lias raconte pas mal d’épisodes d’agression dont il est victime en tant que filthy little Jew-nosed nigger, les crachats dans la gueule et la peur viscérale qu’il a de se battre, cherchant toujours à parlementer  pour éviter d’entrer dans une shoote perdue d’avance - My tactic was endless bargaining. I would attempt to talk my way out - Il dit qu’il n’existe pas de plus grande humiliation dans la vie que de tenter de «smooth things over with people who have just spat in your face.» Alors ça le précipite dans des abîmes de suicidal depression.

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    ( Lias, Saul, Nathan )

             Comme les frères Saoudi, Saul vit une enfance mouvementée. À l’école, il passe rapidement du stade de troubled pupil à celui de full-blown special case. Saul est viré de l’école parce qu’il jette des morceaux de sucre sur les instituteurs. Il se caractérise très vite par un manque total de respect pour l’autorité, il n’éprouve jamais aucun remords et cherche en permanence la confrontation. Et teenage Saul découvre le punk rock. Avant de jouer dans les Fat Whites, il jouait dans les Metros. Comme chacun sait, Saul a des yeux clairs fantastiquement beaux et ce qu’on appelle un sourire brisé : deux dents de devant pétées. Ça date du temps des Metros. Il faisait une grimace à Curly Joes à travers le pare-brise du van et Curly Joe lui a envoyé un tas à travers le pare-brise qui lui a cassé deux dents. Elles n’ont jamais été remplacées. Comme on va le voir, Saul va traverser tous les cercles de l’enfer de Dante. À une époque, il vit avec une girlfriend et ils tournent tous les deux au crack. Leur seule et unique préoccupation quotidienne consiste à trouver les £15 pour la dose. Quand sa girlfriend revient avec la dose, nous dit Adelle, Saul lui arrache des mains et elle se retrouve sans rien - There was an extreme selfishness in his addiction - Tous les désordres mentaux de Saul remontent à la surface et ça le conduit naturellement a ce qu’Adelle appelle des «violent interactions in his day-to-day life». Le jeu favori de Saul consiste à croire qu’il peut contrôler l’esprit de Lias.

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             Et puis voilà la musique. Lias vit son premier choc transcendental avec sa copine Jeanette qui est obsédée par Dylan. Lias craque sur «All Along The Watchtower», puis «Last Thoughts On Woody Guthrie», a poem about the nature of integrity - In that moment, Lias was changed forever, nous dit Adelle. Le lendemain, il achète sa première guitare. Plus tard, avec les Fat Whites, il découvre les vertus de la musique : «Jouer sur scène veut dire aller et venir sur la scène devant des tas de femmes soûles. Les effets de la musique sont immédiats et universels, la musique n’appartient pas aux classes supérieures ou aux classes moyennes, que je commençais à mépriser profondément. Tu n’as pas besoin de comprendre une chanson, you just need a bit of enthusiasm.» Puis il découvre le punk et le Lipstick Traces de Greil Marcus devient son handbook : «C’était le premier livre qui prenait en compte mes angoisses sociales et qui prônait l’engagement pour le combat culturel : de Dada à l’Internationale Situationniste, en passant par la naissance du punk et au-delà, et rétrospectivement, ce book saved me from making a dire fool of myself for the rest of my life.» Puis il rencontre a girl called Mitzy, «sophisticated and stylish, introducing him to Gaz’s Rockin’ Blues, cocaine and the wonders of oral sex.»

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             Lias se sent rapidement destiné à jouer dans un groupe de rock : «Like every other sexually frustrated young man with a drug problem who came of age during the Doherty era, being in a band looked like easy street.» Et boom, c’est parti ! Mais ça marche de pair, c’est-à-dire Fat White Family et la dope. L’un ne va pas sans l’autre.

             Sur scène, Lias prend vite l’habitude de baisser se froc et il va même parfois jusqu’à se branler ou se faire sucer par l’un des Fat Whites. La queue à l’air ? Il a découvert qu’Iggy en avait fait son fonds de commerce, alors il s’est contenté de pousser le bouchon un peu plus loin. Et comme il est monté comme un âne, il a une petite tendance à l’exhibitionnisme. On le voit souvent à poil sur les photos du groupe. Adelle parle même d’une abondante toison, his enormous bush. À la façon dont elle en parle, on sent une certaine admiration.

             Lias commence par s’installer à Londres en s’inscrivant dans une école d’art. Il reçoit un prêt du gouvernement qu’il investit aussitôt dans un gros pochon de coke qu’il compte revendre pour se faire du blé, mais comme tous les dealers amateurs, il commence par taper dans sa réserve qui se vide à vue d’œil - by the hour - En 72 heures, il vient à bout de sa réserve et donc son business-plan tombe à l’eau. Son frère Nathan le rejoint à Londres et ils vont tous les deux commencer à naviguer de squat en squat, tripping on acid et rigolant de tout. En vrais Kabyles.

             Le junkie dans la bande, c’est Saul. Il vit sa découverte de l’hero comme a source of real comfort - Heroin switched off the noise and chaos in his head. Plus de colère ni d’angoisse en lui. Juste un petit coussin qui rendait la vie quotidienne supportable et qui lui permettait de faire des rêves extrêmement pervers. Pire encore : il commençait à entendre la musique in an entirely new way - Saul prend de l’hero alors qu’il bosse avec un copain sur des chantiers de couverture. Il est en haut, sur le toit et il lui arrive de dégueuler dans la rue.

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             À une époque, ils sont hébergés au Queen’s, un pub situé à Brixton, peint tout en noir et tenu par the Landlord. Saul et Nathan se battent, puis se rabibochent en fumant de l’hero. Quand Thatcher casse sa pipe en 2013, les Fat Whites font la fête comme beaucoup de gens à Londres et accrochent une banderole au balcon du Queen’s : «The witch is dead.» Lias et Saul fument du crack pour célébrer l’événement. Ailleurs, Nathan et Adam se partagent un sac de meth - Nathan’s face was deranged and had transformed into a Cubist ruin - Curly Joe lui demande si ça va et Nathan lui répond qu’«it’s okay because now I feel like superman, an insane amount of confidence. Fuck!». L’histoire des Fat Whites n’est qu’une succession d’excès en tous genres. On ne sait pas si Adelle cède à la surenchère, ou si elle essaye de calmer le jeu, mais chaque page apporte sa pierre à l’édifice. Quand Saul et Nathan sont envoyés à New York signer un contrat. Saul est sous valium et comme il est terrorisé par le vol, il essaye de lire un book de Jaroslv Hasek. Ils transforment les dix jours qu’ils passent à Greenwich Village en speedball marathon. La nuit du septième jour, Nathan overdose et Saul lui dit d’aller marcher dans la rue, ça lui fera du bien - You just need to relax - Nathan survit miraculeusement. Quand Saul refuse d’aller jouer sur scène, Pete qui est leur manager lui propose £100 de crack, alors Saul accepte de prendre l’avion pour se rendre au concert. Puis Saul décide de décrocher et se retrouve en detox au Mexique, il revient clean en Californie. Il se retrouve chez des gens qui ont une piscine, et on lui met une ligne sous le nez. Alors Saul prend le billet roulé et sniff-snaff - I never said I was giving up everything - Puis quand il est de retour à Londres, il fume déjà du crack - The city equalled drugs, nous dit Adelle - There was no escaping it - Pas moyen de faire autrement. Pendant six mois, il parvient à rester relativement clean, mais jouer dans les Fat Whites à Londres rendait tout décrochage impossible - Drugs were far too easy to score - Lias confirme : «I had walked out onto the stage at Brixton Academy six months previoulsy with a head full of speed, MDMA, acid, mushrooms, heroin and liquor. We’d reached the summit, finally.»

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             Il y a aussi de la chimie dans les Fat Whites ou plutôt de l’alchimie, notamment entre Saul et Lias  - There was a natural affinity between us like no other - Lias dit aussi qu’une fois devenu junkie, Saul became tyrannical. Les Fat Whites, c’est d’abord l’histoire d’un groupe qui vit en collectivité. D’où les excès. Leur première préoccupation, aussitôt après la dope, c’est de se trouver un toit. On retrouve ça partout dans le récit. Pas d’argent, donc de grosses difficultés à se loger. Les Fat Whites vivent dans le trash collectif absolu, Adelle décrit les appartements qu’ils détruisent, les toilettes bouchées, alors ils chient dans des sacs qu’ils vont jeter dans les poubelles des voisins, et puis les cuisines, comme on les imagine, ils cultivent la dépravation, mais pour en faire de l’art - The level of depravity was a work of art in itself - Saul dort dans un placard à balais, tout habillé à cause des punaises de lit. Adelle nous parle de squalor - But it was a choice to live on that level of degradation - Les Fat Whites se baladent à poil dans l’appart et il n’est pas rare de voir des queues traîner sur la table du living room. On voit une photo de Saul à poil avec la queue enveloppée dans du papier alu. Il porte un Stetson et un ceinturon dans le lequel il a glissé trois boîtes de coca écrasées. L’image est magnifique. On se croirait dans le Trash d’Andy Warhol, avec Joe Dalessandro.

             Sur scène, les Fat Whites ramènent tout ce chaos. Le groupe commence par s’appeler Champagne Holocaust, d’après «the Fat White Duke» James Endeacott et une boucherie de Camberwell, alors ils optent pour Meat Divine and the Fat White Family. Quand Lias et Dan entrent pour la première fois en studio à Hackney, c’est avec une bouteille de LSD, mais sans le dire à Saul. Alors dès qu’ils voient Saul faire le moindre geste, ils sont pliés de rire. À une époque, ils louent un appart dans lequel ils répètent. Une voisine tape dans le mur. Les Fat Whites montent le son et continuent à jouer. Et puis un jour elle ne tape plus. Les Fat Whites voient arriver une ambulance. La voisine est morte d’un cancer. Nathan demande aux autres si c’est le krautrock qu’ils jouent qui a tué la voisine. Saul répond «Probably yeah», et ajoute : «Death by Damo Suzuki, it’s quite a way to go out, don’t you think?», mais Lias hausse les épaules : «What a rotten set of bastards we are.»

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             Adelle se régale avec les concerts chaotiques des Fat Whites. Elle se penche particulièrement sur celui du Purple Turtle, un pub où les videurs essayent d’arrêter le set, alors Lias se branle sur la foule qui pousse des cris d’horreur. Ils sont virés du pub comme des malpropres et les videurs jettent leur matériel en vrac dans la rue. Mais pour certains observateurs, les Fat Whites deviennent the most exciting band in years. Adelle nous dit que les Fat Whites écoutent à cette époque les Country Teasers, The Fall et The Make-Up.

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             Saul peaufine son esthétique du trash. Il veut que le premier album des Fat Whites soit perfect - but perfectly bad - He wanted it to sound shit - On a donc l’explication. Voilà pourquoi ce premier album est tellement insupportable ! C’est en s’installant au Queen’s qu’ils s’enfoncent dans la trashitude et qu’ils deviennent des sortes d’anti-héros. The Landlord leur passe tous leurs caprices, c’est-à-dire tous les excès liés à l’alcool et aux drogues. Jamais la moindre remarque. Lias est fier des Fat Whites : «Le groupe est issu du dépit le plus profond, celui causé par un monde qui nous a rejetés mes copains et moi à cause de nos tares. Mais notre addiction aux drogues, notre asociabilité et nos tares mentales ne sont pas une posture. Le groupe était une sorte de club pour jeunes gens en colère et sans avenir social.» Une fois devenus célèbres, Lias explique qu’ils n’ont jamais eu a payer pour boire un verre, et les foules qui les voyaient sur scène les applaudissaient pour les raisons qui les ont rendus asociaux. L’une de plus belles illustrations de cette éthique du déclassement, c’est un cut nommé «Tinfoil Deathstar», sur Songs For Our Mothers. «Tinfoil Deathstar» raconte l’histoire d’un homme nommé David Clapson. On lui avait coupé son allocation de chômage parce qu’il avait raté un rendez-vous à l’agence pour l’emploi. Radié ! Donc condamné à mort. La police l’a retrouvé mort dans son appartement. L’autopsie a révélé qu’il n’avait RIEN dans le ventre. Pire encore : comme il souffrait du diabète, il devait prendre de l’insuline, mais son frigo ne marchait plus. Il ne lui restait que £3.44 et une liasse de CVs. Clapson nous dit Adelle avait bossé toute sa vie et demandait une allocation chômage pour pouvoir s’occuper de sa mère. Alors quand Lias a lu l’histoire dans le journal, ça l’a rendu fou de rage. Adelle : «Joué lors d’une South London party, avec des hipsters qui fument de l’hero et qui pensent avoir des problèmes, le cut invoque le souvenir de David Clapson : c’est son fantôme qui vient taper à la fenêtre en brandissant sa liasse de CVs.» On est en plein dans Ken Loach. C’est de cette Angleterre dont parlent le vieux Ken et les Fat Whites, là où les pratiques des fonctionnaires envers les pauvres et les déclassés sont plus violentes qu’ailleurs. Un groupe comme les Fat Whites ne peut exister qu’en Angleterre. Même chose pour Ken Loach. Ils dénoncent, mais ça ne changera rien.  

             Lors d’un concert à New York, Matthew Johnson de Fat Possum Records demande à assister au soundcheck. Dan qui est à l’époque le batteur décide de saboter le set alors Saul vient vers lui et le frappe. Puis il revient le frapper encore une fois, plus violemment, alors Dan fout son kit en l’air et quitte la scène en chialant. The chaos must go on. Ça n’empêchera pas Fat Possum de les signer. En virant Dan des Fat Whites, le groupe atteint les tréfonds du désespoir. Saul est tellement conscient de ce désespoir social et environnemental qu’il est obligé de se réfugier dans l’hero.

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             Le second album des Fat Wites, Songs For Our Mothers est descendu par la presse. On parle d’émanations de fosse septique. Et Adelle en cite d’autres toutes aussi gratinées, s’empressant d’ajouter : «et ce sont les plus favorables.» 

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             Quand les Fat Whites jouent à la Cigale, c’est le soir des attentats. Ils ne le sauront qu’après : ils étaient la cible, et non les Eagles Of Death Metal au Bataclan. Le commando s’est gouré de concert. Saul est viré du groupe à ce moment-là. Le seul qui reste en contact avec lui est Nathan. En fait, les Fat Whites passent leur temps à se battre entre eux. Puis Saul revient et les tensions reviennent avec lui. Un jour, il s’en prend à Adam. L’occasion est trop belle. Adam rêvait d’en coller une à Saul depuis des années et, excédé, il saute sur l’occasion pour lui en décrocher une belle en plein museau. Lias assiste à tout ça sans jamais intervenir. Parmi les apôtres du chaos, tous les coups sont permis. Lias : «À Londres, on était un danger permanent pour nous-mêmes et pour les autres. De toute évidence, on avait perdu le contrôle. Alors j’ai ramassé mes sous et suis parti me planquer en Asie pendant trois mois. Juste pour retrouver some sanity. À mon retour, je suis allé à Sheffield, dans une petite maison en briques rouges.» C’est à Sheffield que les Fat Whites décident de se réinstaller. Loin de Londres et des dealers. Adelle dresse alors un fabuleux panorama : «Les Fat Whites étaient considérés par la presse comme le Next Big Thing et ils avaient sombré dans une spirale de crack et d’hero, ils avaient enregistré un deuxième album volontairement invendable et réussi à virer leur chief melodist and musical director (Saul).» Fantastique ! Et ce n’est pas fini. Lias finit même par virer Adam, l’un des vétérans du groupe, parce qu’il prend encore de l’hero et à Sheffield, Lias ne veut plus d’hero. C’est Nathan qui devient le compositeur du groupe, mais il en bave, car il n’est pas fait pour ça. The chaos must go on.

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             Lors du festival de Glastonbury en 2015, les Fat Whites sont assez fiers de se retrouver à la même affiche que The Fall. Mark E. Smith est un peu leur idole. C’est Lias qui raconte l’histoire. Il voit Smith sous la tente où les musiciens prennent leurs repas. Mais il n’ose pas aller lui parler. Alors Nathan va trouver Smith et se présente. Smith le fait asseoir à sa table et lui demande s’il veut un verre de cidre. Honoré, Nathan accepte. Smith remplit un verre et le balance à la gueule de Nathan. Humilié, Nathan se lève et lui dit qu’il n’aurait jamais dû faire ça ! Alors Smith lui dit de se rasseoir, sit down, I’m sorry, il s’excuse et lui verse un autre verre. Nathan l’accepte. Il prend le verre et le balance dans la gueule de Smith. Une fois la surprise passée, Smith apprécie le geste. Comme les Fat Whites, Smith est un fin spécialiste du chaos. Finalement, Lias va s’asseoir à côté de son idole pour papoter. Smith lui dit qu’il connaît les Fat Whites et que ça lui rappelle les Seeds. À sa façon, Lias salue le génie de Mark E. Smith : «A loathsome autocrat he may be, but a genius also.»     

    Signé : Cazengler, fat white finally

    Lias Saoudi & Adelle Stripe. Ten Thousand Apologies: Fat White Family And The Miracle Of Failure. White Rabbit 2022

    Fat White Family. Serfs Up. Domino 2019

     

     

     The Quireboys are back in town

     

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             Comme les Dogs d’Amour, les Quireboys firent partie à la fin des années 80 des grands prétendants au trône de la debauchery, avec bien sûr des racines dans la Stonesy et les Faces. Tous ces mecs déclinaient jusqu’à la nausée le look de Keith Richards, à grands renforts de foulards, d’épis, de bijoux et de mascara. Mais en même temps, ils parvenaient à pondre d’excellents albums, si tant est qu’on soit amateur de vrai son anglais. Un groupe comme les Quireboys n’est compréhensible qu’aux yeux et aux oreilles des kids qui ont grandi avec les Stones et les Faces. La moyenne d’âge de leur public tourne donc autour de 65 ans. Voire plus.

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             Les voilà donc en Normandie, ce qui est assez inespéré, en ces temps de vaches maigres.  Juste avant l’arrivée du groupe sur scène, un présentateur vient annoncer l’absence de Spike et ajoute que finalement, ce n’est pas plus mal. De quoi se mêle-t-il ? Puis ils arrivent. Des Quireboys au rabais ? Oh la la, pas du tout.

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             — Hello Cleonne, this is rock’n’roll !

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             Dès le premier accord, on sait que le concert va être génial. Vrai son anglais, Spike absent, mais les compos sont là et Guy Griffin n’est pas né de la dernière pluie. Fantastique présence, sous sa casquette de gavroche, il chante avec toute la bravado de Steve Marriott, il gratte sa Tele et établit le contact avec le public. Ce mec est fabuleusement doué. Par sa corpulence, il rappelle aussi Gary Holton, il est le kid rocker anglais par excellence. Il présente chaque cut, indique de quel album il provient et redit sa fierté d’avoir participé à tout ça depuis 15 ans. Ils attaquent avec l’excellent «Love That Dirty Town» tiré d’Homebreakers & Heartbreakers, ils réaniment avec brio l’immense panache des Faces, seuls des Anglais peuvent sortir un son pareil.

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    De l’autre côté se tient Paul Guerin, une grande perche coiffée comme Robert Plant, il est le prototype du guitariste anglais des seventies, il joue sur Gibson et ramène énormément de son, mais avec une finesse extrême. Diable, comme ces mecs sont bons ! Ils sont extrêmement bien conservés, aucune trace de délabrement physique chez eux. Ils tirent pas moins de sept cuts de leur premier album, A Bit Of What You Fancy, «7 O’Clock», «There She Goes Again», «Whippin’ Boy», «Long Time Comin’», «Roses & Rings», «I Don’t Love You Anymore» et le «Sex Party» qu’ils jouent en rappel. De l’autre côté se tient le bassman, un petit homme chapeauté qui semble sortir d’un groupe de ska, tout maigre, court sur pattes, très sec, avec une tête de Simonon et un corps de Topper Headon, il marque le rythme en hochant la tête d’avant en arrière et sort sur sa Precision un bassmatic infernal, ultra-présent. Sur l’excellent et quasi-dylanesque «Mona Lisa Smiled», il joue carrément comme Ronnie Lane, en amenant des descentes de gammes mélodiquement vertigineuses.

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    Leur set-list est une sorte de best of. Ils tirent aussi «Hello» et «Louder» d’Homebreakers & Heartbreakers. Toutes les compos sonnent bien, même avec leur côté classique. On appelle ça du good time rock’n’roll.

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             Alors on ressort pour l’occasion quelques albums de l’étagère, à commencer par l’excellent A Bit Of What You Fancy paru en 1990. Le guitariste du groupe est alors Guy Bailey qui comme Nikki Sudden et Marc Bolan, porte un chapeau claque. Tous les hits sont déjà là, c’est un album qui à l’époque ne passait pas inaperçu, à condition bien sûr d’aimer le son des Faces. Top départ avec «7 O’Clock», leur vieux coucou d’oh yeah qu’ils vont nous resservir pendant quarante ans. Avec leurs chœurs d’oooh oooh, ils se prennent pour les Dolls. Ils sont dans leur délire de c’mon, de coups d’harp et de Rod the Modelism, oh yeah, alors ils méritent mille fois le respect. Ils y vont franco de port avec «Sex Party», joli shoot de ce heavy boogie blast qui deviendra leur fonds de commerce. Et puis Spike éclate en tant que chanteur avec «Sweet Mary Ann», avec son suitcase in my hand. Il faut bien dire que ce mec chante comme un dieu, comme d’ailleurs son idole Rod The Mod, dont il produit un bonne émulation. Il refait encore des miracles sur «I Don’t Love You Anymore», il chante comme un poète romantique perché sur la falaise face à la tempête, il développe les mêmes testostérones que Rod The Mod. «Hey You» et «Misled» sonnent comme de bons hits de rock anglais, Guy Bailey n’y va pas de main morte. «Roses & Rings» sonne aussi comme un hit, Spike y développe de belles dynamiques de Stonesy et ça devient une pure énormité. Belle compo, c’est la raison pour laquelle ils la resservent régulièrement. Spike chante comme Rod, aux mieux des possibilités du rock anglais. Spike est un héros.

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             C’est «7 O’Clock» qui ouvre le bal de From Tooting To Barking. Spike et son copain Guy Bailey prennent un peu les gens pour des cons : on retrouve sur Tooting tous les cuts d’A Bit Of What You Fancy. Avec «Hey You», ils s’adonnent aux joies du heavy-blues rock de London Town. Guy Bailey se tape une jolie descente en dérapage contrôlé sur sa guitare. On tend l’oreille car ce mec est assez fin. «Man On The Loose» est un véritable chef-d’œuvre de Stonesy, ils tapent dans l’excellence de don’t care/ It’s alrite ! L’album est bardé de son, on a même des coups d’harp dans «Mayfair», et Guy Bailey ramène pour l’occasion tous les arpèges de la vieille Angleterre. C’est très impressionnant. Les Quireboys ne sont pas des pieds tendres et encore moins des oies blanches : ils ont au moins vingt albums à leur palmarès. Spike survit à toutes les vagues, ce qui fait sa grandeur. Ils finissent quand même par se vautrer avec des slowahs ridicules («Devil Of A Man», «Hates To Please») et ça se termine avec «Roses & Rings». En Angleterre, on en revient toujours aux roses. Ils sont fous des roses. C’est du mauvais cliché. À force de s’étrangler la glotte, Spike devient ridicule. Il s’imagine qu’à force de raw, il va conquérir l’Asie Mineure. Il se fout le pieu de Minerve dans l’œil et on espère bien que les chacals finiront de dévorer son impudence.

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             Paru en l’an 2000, Lost In Space pourrait très bien être un album des Faces. Tout là-dessus renvoie aux Faces, à commencer par le «Don’t Bite The Hand That Feeds Ya» d’ouverture. Ils sont dans ce son et ça les honore. Ils sont même marrants à vouloir sonner exactement comme les Faces. Et ça continue avec «Tramps & Thieves», ils sont dedans jusqu’au cou, même son, même chant. On retrouve les vieux coucous comme «Milsed» et «Roses & Rings» - I still love you baby - Ce sont les dynamiques de «Maggie May», beaucoup plus évidentes dans cette version live, oui, car il est important que préciser que Lost In Space est un album live. «Ode To You (Baby Just Walk)» est un cut assez puissant. Ils ramènent un peu de Stonesy dans «My Saint Jude» et puis les vieux coucous reviennent encore, «Man On The Loose» (Guy Bailey se prend pour Keef), «Sex Party (machine infernale, ils n’inventent rien mais jouent comme quatre) et ils terminent avec l’insubmersible «7 O’Clock» - I say/ What’s the time ? - Spike is on fire, il en perd sa voix.   

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             Attention ! This Is Rock ‘N’ Roll est un big album de heavy boogie britannique. Ils annoncent la couleur dès le morceau titre, ils visent la fusion de l’atome du rock, ça fond dans la température. Ils tartinent «Show Me What You Got» au pire heavy de la heavyness. Personne n’est allé aussi loin dans le coulé de bronze. La heavyness des Quireboys, c’est quelque chose ! Ils se tapent une belle envolée de power pop avec «Six Degrees» et du coup ça devient énorme. Quel entrain et c’est claqué aux meilleurs accords d’Angleterre. Leur «C’mon» est hallucinant de c’monnerie et ça bascule dans le demented are go à gogo. Cet album est décidément très convainquant. Ils allument «Turn Away» comme un vieux cut de Mott, ça joue aux accords anglais et Spike plonge dans la sauce, c’est excellent, tellement anglais, turn away yeah, Spike gueule tout ce qu’il peut dans la clameur du turn away. On revient dans l’esthétique des Faces avec «Enough For One Lifetime», même classe que les lads. Ils saturent leur «Never Let Me Go» de son, ça devient ultraïque. On entend parfois des éclos de glam, les Quireboys ont tellement de métier ! Ils singent Humble Pie sur «Misled 2014» et les Faces sur «7 O’Clock 2014». Ils cultivent bien leur pré carré.    

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             C’est sur l’Homewreckers & Heartbreakers paru en 2008 qu’apparaît pour la première fois cette petite merveille qu’est «Mona Lisa Smiled», puissant balladif qui t’embarque pour Cythère, qui te transforme en brindille sur le Yang-Tsé-Kiang, quel flow et quel flux de nappes d’orgue, mais tu n’as pas les lignes de basse du concert. «One For The Road» et «Hello» pourraient figurer sur n’importe quel album des Faces, surtout «One For The Road» qui est du pur Plonk Lane avec le violon et les odeurs de roulotte. Spike repart à l’assaut de Rod avec «Hello», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher, même chose avec «Hello» qui est Facy/Quiry en diable, avec une vraie mélodie chant - Hello/ Can you remember how it felt to be winning - Il faut dire que la quasi-totalité des lyrics sont des gros tas de clichés, mais il peut nous arriver de chanter parfois en chœur avec Spike. On l’aime bien ce mec, avec sa tête de romanichel et ses deux petits yeux barbouillés de mascara. Il fait aussi du Rod The Mod avec «I Love That Dirty Town», il ramone la cheminée fatiguée du vieux boogie rock britannique. On ne saurait imaginer meilleure osmose avec la Rodose de la Modose. Spike chante encore «Louder» au sommet de sa red hot Rod machine. Si on a besoin d’un autre Rod, il est là, pas la peine d’aller chercher ailleurs. Il travaille son «Late Night Saturday Call» à la rocaille, comme son idole. Leur boogie reste d’une efficacité redoutable. Ces mecs jettent tous leurs œufs dans le même panier. «Take A Look At Yourself» est très cousu de fil blanc, très orchestré et très chanté, on trouve même des cuivres dans la soupe aux vermicelles.

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             Au fil des albums, on est tenté de penser que Spike devient une caricature. Il pousse le vieux rock des Faces à l’extrême, alors qu’il est totalement passé de mode. Mais si on réfléchit bien, c’est une bonne chose que des vieux crabes en santiags maintiennent cette tradition, au risque de se caricaturer. Le danger est là. Mais bon, Spike et ses amis y vont de bon cœur et on trouve quelques merveilles sur Beautiful Curse. Les Quireboys sont un petit écosystème fragile et mal protégé, comme le sont les cervelles de leurs fans les plus anciens. On tape ici dans de la vieille moute, on les voit s’amuser avec le «Chain Smoking». Spike sait bien qu’il va choper un cancer, mais le chain smoking fait partie du cirque. Premier coup de cœur avec «Talk Of The Town», bien souligné à l’orgue. Il chante plus loin «King Of Fools» à la Rod the Fumaga, la glotte carbonisée, c’est une vraie voix de mineur malade de la silicose. Il y va le vieux Spike, dans un dernier spasme sur sa paillasse. Ils ressort l’excellent «Homewreckers & Heartbreakers» et cette fois il sonne comme une vieille sorcière, celle de Walt Disney dans les 101 Dalmatiens. Il va chercher sa pulpe au cœur du Heartbreakers. Quel vampire ! Le morceau titre est la troisième merveille de cet album. On croit entendre un hit des Faces, c’est dire si ! À peu près la même ampleur et ça vaut pour un compliment. Les plongées dans le climat sont superbes. Les Quireboys maîtrisent bien l’art profane du balladif et comme d’usage, c’est très anglais, avec de forts accents de Rod The Mod.     

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             C’est avec Black Eyed Sons paru en 2014 que les Quireboys lancent l’esthétique des masques peints sur les visages. Il existe une version trois CDs de cet album : en plus de l’album proprement dit, on trouve un CD2 Unplugged In Sweden et un DVD Live In London. C’est la foire à la saucisse. Deux des cuts de l’album pourraient très bien figurer sur un album des Faces : «Julieanne» et «Stubborn Kinda Heart». Ils amènent ça au Rod way, c’est exactement le même push de hush, avec les mêmes nappes d’orgue et le même drive. Spike fait bien son Rod sur Stubborn, il ne peut pas s’en empêcher, il tape cette fois dans la romantica. Lorsqu’ils attaquent «What Do You Want From Me», ils plongent dans leur cadavre exquis. Et quand ils ne singent pas les Faces, ils font du boogie («Lullaby Of London Town»). Spike ressort sa voix de cacochyme pour «The Messenger» et tape une belle cover de «You Never Can tell». L’Unplugged est extrêmement intéressant, ils retravaillent tous leurs vieux coucous à coups d’acou et de piano. «Don’t Bite The Hand That Feed You» et «There She Goes Again» sont presque plus beaux en mode acou, ils sonnent comme des hits d’oh wow wow. Et puis voilà la huitième merveille du monde, la version acou de «Mona Lisa Smiled». Pas d’orgue, mais c’est beau. Spike porte le monde sur ses épaules, comme le fit Rod en son temps - Paul Gerin on guitar ! lance Spike - Il annonce ensuite «Roses & Rings» from the first  Quireboys album. C’est du big Quiry sound, pas de problème. Spike fait encore son Rod avec «Misled», il chante à la force du poignet, pas facile sans électricité, mais il y va, cu’mon ! Et ils terminent avec le sempiternel «7 O’Clock» - What’s the time ?, demande-t-il au public qui répond 7 O’Clock - You got it ! Et ils refont les Faces.

             Le DVD Live In London vaut son pesant d’or du Rhin. Objet indispensable à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de voir les Quireboys sur scène. Très beau spectacle, celui d’un groupe accompli qui peut tenir 90 minutes avec un répertoire solide - We’re the Quireboy, and this... is rock’n’roll - Spike fait bien l’annonce. Il tient son pied de micro comme Rod The Mod,  et le groupe attaque avec «Black Mariah». Paul Guerin et Guy Griffin ont sorti les Gibsons pour jouer le riff de «TV Eye». En fait, les Quireboys font beaucoup d’emprunts, puisqu’on les voit enchaîner avec un «Too Much Of A Good Thing» monté sur les accords d’«Alright Now». Merci Free ! Et puis voilà «Misled», pur jus de Stonesy teintée de Rod The Mod. Mais ça tient sacrément bien la route. Ils jouent tous leurs hits et font la promo de l’album précédent, Beautiful Curse. On passe bien sûr par «Mona Lisa Smiled» et là tu as la ligne de basse faramineuse du concert de Cléon. C’est lui, le petit mec, qui emmène Mona Lisa au paradis, on l’entend tricoter dans le fond du cut. On apprend par le générique qu’il s’appelle Nick Mailing. À l’époque du Live in London, il est barbu. Il n’est quasiment pas filmé, comme si les Quireboys avaient donné la consigne de ne filmer que les quatre membres officiels, Spike, Guerin, Griffin et Weir, jamais le batteur ni le bassiste. Très bizarre comme attitude. Heureusement, Spike les présente à un moment donné. Comme on l’a vu à Cléon, Guy Griffin communiquait énormément avec le public. Spike présente lui aussi tous les cuts. Quand arrive «Beautiful Curse», on réalise que c’est une merveille digne du Rod de l’époque Mercury. Et Spike indique qu’«I Love That Dirty Town» is about my hometown of Newcastle. Plus loin, il demande l’heure au public qui répond «7 O’Clock», you got it, et ils terminent en beauté avec «Sex Party».

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             Le St Cecilia And The Gypsy Soul qui paraît en 2015 est encore un gros morceau : quatre disques. Là ils exagèrent. D’autant qu’ils nous resservent toujours les mêmes vieux coucous sur Halfpenny Dancer, qui est ensuite redécoupé sur deux disks pour la version live. Disons que c’est une occasion de repasser une bonne soirée en réécoutant «Mona Lisa Smiled», «There She Goes Again», «Hello» et «Roses & Rings». Ce ne sont que des hits d’un romanichel qui aime bien sa roulotte, comme ce fut le cas de Plonk Lane. Spike ramène sa voix pleine de gravier, sa voix de Rod silicosé, son ceinturon et sa veste à rayures. Les petits Français n’ont pas accès à  tout ça. Sur l’album proprement dit, on trouve deux petites merveilles : «Out Of Your Mind» et «The Hurting Kid». Sur le premier, Spike fait son crocodile, il rampe dans le boogie, ses écailles luisent à la lune. Il chante si intensément. «The Hurting Kid» sonne comme un hit de heavy pop, mais c’est la pop de Spike, vite faite bien faite. Le reste de l’album est très classique, très Quiry, vite embarqué («Gracie B»), pas le temps de dire ouf. Spike s’en va chanter ça sous le boisseau. Il s’arrange toujours pour faire son cirque. Il est une sorte de real deal. Sur le morceau titre, il se met un peu en colère et retombe dans le cousu de fil blanc avec «Can’t Hide It Anymore». Retour au toxic sound avec «The Best Are Not Forgotten», ils sont dans leur élément.

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             Ils continuent de cultiver l’esthétique des masques pour la pochette de Twisted Love paru en 2016. C’est une bonne esthétique. Comme les Drive-By Truckers dans un autre genre, ils se fabriquent une identité graphique très forte. Ils démarrent sur des chapeaux de roues avec «Torn & Frayed». Ils sont très doués pour ça, pour le hot as hell. Ils se montrent à la hauteur de leur réputation. Spike chante comme mille démons, il fait feu de tous bois, sur «Ghost Train», il a des chœurs fantastiques - Ghost train/ To paradise - Le hit de l’album s’appelle «Gracie B», joué à l’orgue Hammond. Ça en bouche un coin. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit, avec un solo hendrixien à la clé. L’Hammond leur va comme un gant. Spike chante son «KillingTime» à ras les flammes du lac de lave, comme le Hollandais, il navigue aux confins de l’enfer. S’ensuit le morceau titre, un heavy balladif Quiry joué à la sale petite cocote insistante, I know you’re lying, Spike ressort pour l’occasion sa voix de dernier stade de cancer de la gorge. Ils chauffent enduite le bouillon de «Breaking Rocks» à outrance, le chant prend feu, c’est encore autre chose que Rod The Mod, Spike carbonise littéralement son hot as hell. Leur truc consiste à charger les climats à outrance, ils font ça à l’Anglaise, avec un certain talent. Encore un stormer avec «Life’s A Bitch» et dans «Stroll On», on les voit tripoter tous les vieux schémas du rock anglais pour en faire du Quiry pur. C’est très bien foutu. Admirable.

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             White Trash Blues paraît l’année suivante. Fin des masques. Ils tombent dans le panneau de l’imagerie américaine, avec une vieille bagnole rouillée. Dommage. C’est un album de covers qui ne présente pas grand intérêt. On sauve «Boom Boom», même si leur cover n’arrive pas à la cheville de celle d’Eric Burdon. Spike en fait trop et il se vautre. Il tape aussi l’«Help Me» rendu célèbre par Ten Years After. Il ne peut pas rivaliser avec Alvin Lee. Coup d’épée dans l’eau. Spike s’esquinte la voix d’entrée de jeu dans «Crosseyed Cat», comme s’il se filait un coup de rasoir dans la glotte. Ils tapent dans toutes les tartes à la crème, notamment «Going Down». Mais encore une fois, tout le monde est passé par là, surtout Bobby Tench avec le Jeff Beck Group. À force de vouloir égaler tous les géants de la terre, Spike finit par devenir caricatural. Encore une grosse tarte à la crème avec «Hoochie Coochie Man». Muddy est passé par là, alors laisse tomber. On trouve aussi une version d’«I’m A King Bee». Ils ne l’attaquent pas comme les Stones, c’est autre chose, la version Quiry est trop savonnée. Pour taper dans Slim Harpo, il faut s’appeler Brian Jones. Leur version est trop pépère, on y entend même du piano. Le piano ne buzze pas all nite long, nous dit le dicton. Ils se vautrent encore avec «Walking The Dog». Ça appartient à Rufus, alors laisse tomber, Spike. Ils s’en sortent de justesse avec «Little Queenie», car ils sonnent comme les Faces. C’est éculé de fil blanc. Mais bon, ainsi va la vie. 

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             Très bel album que le dernier album en date des Quireboys, Amazing Disgrace. Ils renouent une dernière fois avec l’esthétique des masques pour la pochette avec ce gros plan sur l’œil noir d’une gitane un peu sorcière et boom, ça démarre avec «Original Black Eyed Son» que Spike prend au plus heavy de la heavyness, il va chercher la racine du Quiry Sound. Ils ont un son qui plane comme une ombre au-dessus de l’Angleterre. Pas de doute, c’est puissant, plein de grumeaux, Spike chante dressé sur la barricade, comme Gavroche sous les balles des Versaillais, got a feeling ! Vive la liberté ! On reste dans les grumeaux avec «Sinner Serenade», le vieux Spike allume le meilleur British rock du XXIe siècle, il porte le flambeau. Avec «Seven Deadly Sins», ils fondent des petits riffs à la Stevie Wonder dans leur purée invraisemblable. Ce groupe est passionnant, on les croit usés jusqu’à la corde, pas du tout. Ils sont encore capables de clameurs superbes. Ils montent leur morceau titre en neige extraordinaire. Ils savent gérer les dynamiques. Ils s’enfoncent même dans l’excellence compositale, du coup, les voilà bombardés au niveau supérieur. Spike refait son Rod silicosé dans «Eve Of The Summertime». Il n’a pas l’air en forme. Ça va Spike ? Arrrgghhhh. Il semble mal en point. Mais il chante sa mélodie. Un vrai rossignol. On a là du pur Quiry Sound visité par l’Amazing Disgrace. Spike pousse son bouchon loin dans le cancer, comme s’il se triturait la gorge avec un gros tisonnier. C’est assez spectaculaire, au plan médico-légal. «California Blues» est un peu plus musclé, Spike chante en lévitation au-dessus des guitares. On le voit ensuite ramoner la purée de «Slave #1» avec son tisonnier, puis danser à Paris on a saturday night avec «Dancing In Paris». C’est un enchanteur. Il t’emmène où il veut et ce fort bel album s’achève avec un «Medusa My Girl» pulsé à l’énergie des violons tziganes. Très spécial et accueilli à bras ouverts, la voix de Spike coule comme du poison dans les veines du son.

             Ce texte est pour Laurent, qui rêvait de revoir les Quireboys sur scène en Normandie.

    Signé : Cazengler, Quirebotte de radis

    Quireboys. La Traverse. Cléon (76). Le 2 avril 2022

    Quireboys. A Bit Of What You Fancy. Parlophone 1990

    Quireboys. From Tooting To Barking. Essential 1994

    Quireboys. Lost In Space. Snapper Music 2000  

    Quireboys. This Is Rock ‘N’ Roll. Sanctuary Records 2001   

    Quireboys. Homewreckers & Heartbreakers. Jerkin’ Crockus Promotions Ltd 2008

    Quireboys. Beautiful Curse. Off Yer Rocka Recordings 2013      

    Quireboys. Black Eyed Sons. Off Yer Rocka Recordings 2014  

    Quireboys. St Cecilia And The Gypsy Soul. Off Yer Rocka Recordings 2015

    Quireboys. Twisted Love. Off Yer Rocka Recordings 2016

    Quireboys. White Trash Blues. Off Yer Rocka Recordings 2017

    Quireboys. Amazing Disgrace. Off Yer Rocka Recordings 2019

     

     

    Inside the goldmine - Motorcadors

     

             Le visage sculpté par la lueur tremblante de la chandelle, le vieux forban parlait d’une voix rauque et sourde à la fois :

             — En ce temps-là, on considérait les groupes comme des vaisseaux chargés d’or. Nous repérâmes un groupe new-yorkais nommé White Light Motorcade. Il fit son apparition dans le début des années 2000 avec un album baptisé Thank You Goodnight que quelques vagues critiques s’ingénièrent aussitôt à ovationner. Il nous fallut donc le guetter et quand il fut en vue, nous approchâmes par tribord pour lancer les grappins et monter à l’abordage. Il n’opposa aucune résistance. Au contraire, il semblait même s’offrir impudiquement, comme s’offre la courtisane grassement payée. Vénal au point d’en paraître détestable, il béait et dégageait de lourdes senteurs, ces fameuses senteurs sauvages et fauves dont aimait à se griser Baudelaire... 

             Il s’interrompit, le temps d’avaler une solide gorgée de rhum, puis reprit son récit.

             — Lorsque nous descendîmes en cale, nous fûmes estomaqués par l’abondance des richesses qui s’y trouvaient entassées. D’innombrables coffres regorgeaient de pièces d’or, on voyait des rivières de diamants et de pierres rares s’écouler de jarres éventrées. Aucun de nous autres forbans chevronnés n’aurait pu imaginer un tel amoncellement de richesses.

             Puis il souffla dans un murmure :

             — Le croirez-vous, les amis ? Nous fûmes soudain saisis d’effroi. Et si ce vaisseau renfermait un maléfice ? Et s’il s’agissait d’un mauvais tour que nous préparait le diable ?

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             Le vieux forban n’avait pas tort de se méfier, mais les superstitions dont son esprit était la proie altéraient son jugement. Quand on écoute Thank You Goodnight de White Light Motorcade, on risque au minimum un choc esthétique, et au pire une crise cardiaque, mais à condition d’être hypersensible, ce qui n’est pas le cas - fort heureusement - de la grande majorité de nos contemporains. Le choc esthétique, c’est déjà pas mal. On peut s’en contenter. D’autant qu’ils ont tendance à se raréfier, mais ceci est un autre débat.

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             Le chanteur de White Light Motorcade s’appelle Harley Di Nardo. Ce jeune rock’n’roll animal est comme ses trois collègues brun, beau comme un dieu et atrocement doué. Il porte en plus un nom de moto, ce qui de toute évidence le prédestine à devenir légendaire. Dès les premières mesures d’«Open Your Eyes», on est avalé par un kraken sonique. Vlouuuuffffffff ! C’est l’immédiate apothéose, la curée d’excellence stoogienne, ils jouent au petit jeu dangereux du trasho-destructif oasien, mais avec un truc à eux. Ils font dirons-nous de l’Oasis magnanime, ils outrepassent les lois du référencement. Cette tendance à l’Oasis va reparaître dans pas mal de cuts, tel l’«I Could Kick Myself» amené au dirty gaga, heavy et cra-cra, chanté à la petite vérole de vague à Liam. On sent le souffle d’une puissance inexorable. Voilà ce qui rend les Motorcade médusants. Harley Di Nardo fait aussi des vocalises à la Brett Anderson dans «Useless». Tout chez eux n’est que luxe extérieur, non calme et volupté australe. Ils taillent «Dream Day» dans l’apanage oasien, avec le même genre de démesure en filigrane et le solo qu’y passe Mark Lewis est un chef-d’œuvre de déglutition paraplégique, on ne peut pas résister à cette coulée de bave fumante. Et le génie dans tout ça ? Pas d’inquiétude, il arrive, sous la forme d’«It’s Happening», et d’un son de basse écrasant digne des colères de Poséidon, c’est-à-dire joué à la folie et hissé au sommet d’un art déjà très fréquenté, notamment par les groupes de Detroit. Cette merveille de dérèglement sonique bascule dans des abysses jusque-là inconnues. On se retrouve en présence d’un son qui s’écroule tout seul, d’un son qui va se perdre dans le lointain, tout est poussé à l’extrême, c’est tellement tutélaire qu’on a parfois l’impression d’écouter l’un des meilleurs albums de tous les temps. Le seul reproche qu’on pourrait leur faire serait d’avoir trop de son. Ce serait comme de reprocher à une belle femme d’avoir de trop beaux seins. Oserait-on ? Bien sûr, si on est con. L’autre sommet de cet album riche en sommets s’appelle «Semi Precious». Ils se jettent tous les quatre dans un grand four Bessemer pour y fondre comme du plomb et devenir du pur acier de Damas d’un bel éclat gris bleu, l’acier Motorcade. Rien d’aussi tranchant que cet acier. Leur tranchant n’a d’égal que leur science de la tension. On fait des bulles en écoutant «Semi Precious». Harley Di Nardo va chercher des accents terribles pour chanter «Closest». On pense aux Boo et au Rev, Di Nardo s’éclate dans un cosmos d’accords délictueux, il part à la reconquête du  sommet de l’art fumant. On voit d’autres cuts comme «We Come Together» dégringoler des escaliers et l’«On Top» de fin exploser au nez et à la barbe du rock. Boom !

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             Harley Vroom Vroom Di Nardo et son gang ont motorcadé une deuxième fois en 2005 avec Take Me To Your Party. L’album est moins spectaculaire, mais en même temps, ce n’est pas de la tarte. Ils y vont et nous aussi. On voit bien qu’ils essaient de rééditer l’exploit du premier album avec «Giant Hole» qu’ils explosent d’entrée de jeu, comme ça au moins les choses sont claires. Il faut voir comme ils tartinent la gueule de ce pauvre Giant Hole ! Ils font du Oasis, mais du Oasis cra-cra et ça prend vite des proportions. Avec «One In Three», ils tapent dans l’extrême du revienzy. Merveilleux Harley Vroom Vroom, il chante cette fois à la pétarade, mais c’est le batteur qui fait le show, il bat ventre à terre. Ils s’installent cependant dans une pop qui ne veut pas montrer son cul. La pop doit toujours montrer son cul. On ne lui demande pas d’écarter les fesses, juste monter son cul pour la beauté du geste. Les cuts se suivent et se ressemblent, et il faut attendre «Worst Case Scenario» pour retrouver un peu viande. Le son arrive comme un ouragan. Là tu la fermes et tu écoutes. C’est violent. Ça te secoue une baraque vite fait. Ils proposent une autre énormité un peu plus loin avec «Let’s Get Together», et comme dirait Yves Adrien, c’est du right now. Le hit de l’album est une nouvelle histoire d’insatisfaction : «Unsatisfied». Ils amènent ça comme une pop bien dégringolée et ça saute vite au paf. Ces mecs ont du mordant, mais le pire des mordants, le morcidus. So unsatisfied ! C’est encore pire que le can’t get no no no du Jag. Ils sont les rois de l’apothéose, c’est l’un des cuts les plus explosifs de l’histoire on va dire du rock américain. S’ensuit un «Beautiful Life» qui a des faux airs d’Adorable, ils ratissent les mêmes plates-bandes et en profitent pour revisiter les abîmes du big atmospherix. Harley Vroom Vroom conclut avec «After Party». Il tartine l’after-party comme d’autre tartinaient l’Afterpunk. Ah ces Yves ! 

    Signé : Cazengler, Motorcade à vous !

    White Light Motorcade. Thank You Goodnight. Octone Records 2002

    White Light Motorcade. Take Me To Your Party. Fatbone Records 2005

     

    DEOS

    Voici deux semaines, nous chroniquions les deux premiers opus de Deos. Le troisième ne va pas tarder à sortir. Ce disque est doublement prémonitoire, parce qu’il s’appelle Furor Bellis et parce que la guerre, comme, jamais depuis longtemps, est aux portes de l’Europe.

    Se pencher sur l’Histoire de Rome ne saurait nous laisser indifférents. Elle n’est que le récit d’une autre Europe qui a existé et qui a disparu. Le négliger serait une erreur.

    Pour cela il suffit de se laisser aller, quitte comme moi à parfois se laisser emporter sur certains morceaux à des évocations qui vous sont chères mais peu en adéquation avec ces brûlots véhéments que vous utiliserez comme des tremplins du Rêve d’une Rome infinie…

     

    FUROR BELLIS

    DEOS

    ( Wormholedeath / 27 Mai 2022 )

     

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    Beau chromo de couverture qui allie les styles des couves des opus précédents,  la bleuité spectrale de Ghosts of the Empire et la splendeur agressive du rouge de  In Nomine Romae, l’on retrouve le bois de la table et son crâne symbolique de la première et cette irrémissible envie de meurtre de la seconde, mais ici la tête de mort semble vivante, son œil droit est encore ouvert, sa main se tend vers on ne sait quoi et dans l’orbite de son œil creux est plantée  la lance  à laquelle est accroché le labarum impérieux de l’album surmonté de l’aigle et de l’inscription SPQR (Le Sénat et le Peuple Romain).

    C’est sur cet haillon de pourpre sacrée qu’est perché le Corbeau, le charognard des champs de bataille, par cela même intercesseur des vivants et des morts auprès des Dieux, mais aussi l’emblème de Mithra dieu du soleil immortel (  Sol Invictus ).  Le légionnaire qui désirait devenir adepte de Mithra devait descendre dans une fosse bouchée par une grille au-dessus de laquelle était égorgé un taureau, l’initié qui recevait le sang sur son corps était ainsi investi de la force du dieu taureau qu’était Mithra.  

    Jack Janus Graved : bass, vocals / Fabio Battistella : guitar, backing vocal / Cedric Cedd Bohem : guitar, backing vocal / Loic Depauwe : drums.

    Dichotomia Mediterranea : d’une richesse incroyable ces cent secondes d’introduction, une flûte matinale à lointaines consonnances orientalisantes, bruits d’ablutions hypothétiques, clapotements des sabots d’un cheval peu motivé, des appels de trompes perdus, des rumeurs de choeurs d’hommes de plus en plus affirmées, puis brutalement plus graves et recueillies, déchirement final d’un buccin qui met fin aux tâtonnements indistincts des réveils d’aube. Un mix étonnant d’une mouture metal-jazz surprenant, une très belle évocation de ces moments où l’âme humaine de chacun se réadapte à la réalité du monde, une légion à l’aurore qui s’éveille. Tâche sacrée : l’Imperium est à construire à l’intérieur des terres Méditerranéennes. Decimatio : c’est ici le lieu de la véritable dichotomie, après la vie matitunale du point du jour, la face la plus obscure, la nuit, la mort. La moins glorieuse, la plus honteuse, celle qui transforme l’homme en tête de bétail. La décimation fut très peu employée dans les légions mais son rappel dans les consciences était un   aiguillon pour la victoire. Après une défaite, les hommes se regroupaient en cercles de dix. Un tirage au sort désignait la future victime que ses neuf déjà anciens compagnons devaient mettre à mort à coups de massues. Les camarades lâchement soulagés de n'avoir pas été tirés au sort se dépêchaient d’accomplir le massacre… musique lourde et lente, palpitations battériales de cœurs affolés, la voix insidieuse, le destin ne crie pas il murmure à votre oreille et son annonce fait un bruit terrible dans votre tête, le morceau se traîne rapidement, une marche fatidique qui avance à la vitesse de la foudre, l’orchestration traduit admirablement cette double perception temporelle, implacable, ordonnatrice, accusatrice, qui vous accule à votre tâche qui est de mourir. Il existe une vidéo de Decimatio ( Official  Lyrics ) sur la chaîne YT de Deos, un judicieux montage, une espèce de bande dessinée semi-animée hyper-expressive mêlant images probablement tirées de jeux-vidéos et de la participation des membres du groupe. Un artwork patchwork qui a intégré l’esprit de ces peintres du dix-neuvième siècle que l’on a dédaigneusement surnommés pompiers alors que toute l’imagerie représentative de l’ illustration  moderne ( films, affiches, BD, livres pédagogiques, jeux-vidéos… ) de la Rome Antique descend en droite ligne de ces premiers concepteurs. Si certains usent du terme très péjoratif de kitch nous préférons y retrouver la force mythifiante d’une esthétique expressionniste.  Cerberus : au plus près des crocs de la mort, ne rien cacher, la mort n’en finit jamais, elle n’est pas qu’un mauvais moment à passer, mais une interminable descente d’escaliers souterrains, le terme n’est jamais atteint ; même lorsque vous avez franchi le sinistre fleuve qui vous sépare à tout jamais des vivants, le morceau fonctionne par paliers, parfois il se précipite parce que vous avez hâte d’arriver au terme, une guitare narquoise vous avertit, marchez, allez de l’avant, sans espoir et sans répit, le son s’assombrit, est-il possible que la voix devienne encore plus sépulcrale et sans pitié, elle marque le pas mais vous pousse dans le dos dès que vous vous arrêtez. Le temps est suspendu selon de lentes dégoulinades de la basse, feulements de cymbales, la marche reprend, puisque le temps n’existe plus il est temps de passer la porte de l’infini du néant. Arrêt brutal. Primus Pilus : rien ne semble pouvoir arrêter la mort. Si, le courage face à elle. Le grade de Primus Pilus était le plus haut  auquel pouvait accéder un légionnaire issu des classes subalternes, il commandait une des cohortes ( 800 hommes ) de la Légion. C’était un poste auquel on accédait en ayant fait preuve durant des années de vaillance, de ténacité, d’obéissance et d’esprit d’initiative… tambours honorifiques, le morceau débute par la  nomination à haute voix du récipiendaire à ce poste convoité, guitares, basse, et batterie entonnent une marche militaire, le primus pilus aboie ses consignes et donne l’ordre d’avancer, la musique se compactifie tandis que les rangs se resserrent et poussent, l’adversaire est devant, il porte toujours le même nom, la mort. Le tout est de la traverser, la musique s’amplifie, et de se retrouver sur la rive de la vie et de l’honneur.

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    Cinis Ad Cinerem : nous ne sommes que la poussière qu’un vent léger disperse si facilement, morceau philosophique, l’important est d’accepter sa condition de mortel, mourir à la guerre est dans la logique des choses, tuer ou être tué sont les mêmes choses, nous devons accomplir ce pour quoi et de quoi nous sommes, de grands coups de balais de guitares s’appesantissent, le vocal pèse des tonnes il écrase toute volonté de lâcheté, la musique avance, il est impossible de se dérober, la batterie déblaie toute velléité de résistance, elle incite à se conduire selon un stoïcisme d’acceptation de l’essence de la condition humaine. Morituri Te Salutant : il ne suffit pas d’être un homme, en prenant pour titre cette mythique formule de la gladiature, ce morceau d’assaut nous livre une des clefs de la compréhension du titre de l’album, Furor Bellis ne signifie pas que la fureur de la guerre est une bonne chose ou un agréable passe-temps, il est à mettre en relation avec ce que l’on nomme communément l’éthique du guerrier, il ne faut pas croire que le guerrier se précipite vers la mort mais qu’au contraire il est poussé dans le dos par cette force constitutive de la nature humaine, une nécessité bien plus puissante que la simple volonté humaine. Morceau puissant et violent, triomphal, une parade orgueilleuse, un mépris souverain envers la vanité des existences sans grandeurs. Peut-être le plus beau morceau de l’opus.  Cocles : Nous sommes à la moitié du disque, vous avons exploré sa face la plus sombre, la plus sanglante, la grandeur sans la décadence. Encore reste-t-il à définir la raison qui peut pousser à mourir. Les guitares se font un peu pompeuses, pour accueillir Cocles, ce héros qui a lui tout seul empêcha l’armée du roi Etrusque Porsenna de s’emparer du pont qui lui aurait permis de prendre Rome, musique et vocal  rageurs, nous suivons les mouvements de  Cocles qui se bat comme un lion,  nous sommes au cœur de l’action, là où ça se passe dans le tumulte de La présence torrentueuse du monde, des voix s’élèvent pour le féliciter de son exploit. Le simple citoyen a sauvé Rome. Scaevola : nous sommes encore dans les premières années de la République Romaine, un nouvel épisode de cette même guerre que précédemment contre Porsenna, un véritable thriller musical mené de main de maître, Scaevola qui a mené le personnel projet insensé de poignarder Porsenna se trompe et tue un de ses conseillers, prisonnier pour démontrer la détermination romaine il plonge sa main dans un brasier. Emu et ébranlé dans ses convictions guerrières par une telle détermination Porsenna le libère, et tente un rapprochement avec Rome. Il est nécessaire d’écouter ce morceau en lisant Tite-Live, Deos ne démérite pas, le brasier ardent de ce titre est à la hauteur de la prose de l’Historien romain. Germanicus : un bond de plusieurs siècles, Germanicus aurait-il succédé à Tibère, sa mort plus que suspecte l’en empêcha, il a existé de son vivant et durant des siècles un mythe et une mystique Germanicus, l’Imperator qui n’a jamais régné et dont le règne hypothétique qu’on lui prête aurait empêché la future décadence de l’Imperium… cette évocation de Deos se rattache à ce courant par ses couleurs contrastées tantôt éclatantes, tantôt sombres, le vent des guitares secoue les voiles funèbres des Destins funestes et peut-être injustes. Vallum Hadriani : instrumental, en opposition complète avec l’introduction du début, ce mur protecteur fortifié par l’Empereur Hadrien au nord de l’Angleterre est ici lourd de menaces. Nous sommes dans les années où Rome domine encore le monde. Cette barrière de pierres qui ne joua aucun rôle dans la lente dégradation de l’Empire n’est-elle pas ici envisagée en tant que symbole de la future fin de Rome, les hordes barbares se rapprochent et la déliquescence morale ronge l’antique virtus qui fut la force de Rome, le morceau s’arrête brusquement et se continue par Virgo Vestalis : musique sombre, le feu entretenu par les Vestales, prêtresse sacrées, était le symbole de la pérennité de Rome et de la protection que les Dieux apportaient à la cité, ce morceau est un retour aux origines fondationnelles, attenter à la virginité des Vestales était un crime, le feu ne couve pas sous la cendre, il brûle, il consume toute chose impure, une  fois éteint il aura raison de Rome, ce titre est un ravage traversé de bruit et de fureur, s’il en est un qu’il faut préférer dans ce disque c’est celui-ci, une tourmente vivante, une tornade qui emporte tout, lorsqu’il s’arrête vous avez l’impression de marcher dans un champ de cendres. Très belle participation vocale exacerbée de Jess Vee qui confère au morceau l’allure d’une grande scène d’opéra. Venenum Rex : dans la lignée du précédent, un déchaînement total, le screamer feule comme un tigre blessé acculé, le groupe est saisi d’une hybris autodestructrice sans égale, un monde s’écroule, les Dieux s’éloignent, tout est fini, rien ne sera plus comme avant, l’énergie primitive est perdue. L’on n’est jamais trahi que par soi-même.

             Un disque somptueux.

    Damie Chad.

     

    *

    Le 18 février 2021 – cela ne nous rajeunit pas, mais nous ne vieillit pas non plus – dans notre livraison 498 nous chroniquions le premier EP de Cörrupt, sont en train de préparer leur album, ce sont des gars sympathiques, pour que l’on ne se morfonde pas trop en attendant sa parution ils viennent de sortir un deuxième EP au titre trop répugnant en anglais Disgust pour que je le traduise en notre douce langue françoise,  toutefois rien ne saurait rebuter un rocker, aussi penchons-nous sur l’objet du délit, de la plus haute vertu comme dirait Maurice Scève.

    Rappelons pour ceux qui n’auraient pas suivi ce précédent épisode que l’on pouvait ranger leur premier opus sous l’étiquette mathcore, ce style de metal pouvant être défini en quelques mots comme du metal-noise-kaotif- super-élaboré ce qui explique la production hyper chiadée de cet E(ruptif) P(éremptorif) un tantinet exhorbitif pour les oreilles sensibles. J’ai la grande joie d’annoncer aux tympans modérés que le confinement n’a pas assagi nos Rochellois,  ne keupons pas les cheveux en quatre, z’ont recadré en plus crade, le nouveau bébé fort agité vagit à merveille.

    DISGUST

    CÖRRUPT

    Belle couve. Une fenêtre murée, obstruée par le bas d’un visage de géant de pierre, juste le nez et la bouche d’où s’échappe comme une barbe vomitoire, l’on distingue des formes informes, des grumeaux d’on ne sait quoi, des têtes de poissons et des courbures féminines qui peuvent si on les scrute un bon moment s’anamorphoser en queue de Mélusines voire en corps de batraciens, est-ce Saturne vomissant ses enfants qu’il a dévorés à leur naissance, ou la représentation de la corne d’abondance de notre modernité dégurgitant les déchets et immondices que nous sommes…

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    Lust : comment quoi ? j’ai une chronic à écrire ? excusez-moi, je n’ai pas vu passer, j’ai entendu un gros bruit assourdissant qui m’a tétanisé, j’ai cru que c’était la fin du monde, ah, bon ! c’était Cörrupt, je n’ai pas réalisé, je réenclenche, ah, je comprends mieux, oui c’est très court, mais z’ont une manière d’emmener le riff que quand c’est fini ils l’ont déjà cassé en trois morceaux. Faut suivre : une esgourde pas gourde pour la batterie qui estampille les rhinocéros sur les baobabs, une deuxième esgourde – elle peut être sourde, elle entendra quand même le vocal de Greg War qui s’égosille tel un gorille en colère, et une troisième plus lourde pour supporter le scribouillis sonore emphatique de la guitare de Renaud Galliot et la basse de Florian N’ Diet encarcassées et encastrées en un pantagruellique dégueulis démentiel, vingt secondes, vous n’y tenez plus, la basse fait le gros dos pour vous permettre de respirer et ça recommence illico les coquelicots, mais en pire. Cris et guitares emmêlés til the end, qui survient très vite. Corrosif, vous allez adorer. Born to lose : reprenez vos esprits, les vingt premières secondes sont idéale pour endormir votre bébé, vous savez quand vous lui cognez avec amour la tête sur le rebord du lavabo, la suite est moins drôle, une espèce de hachis parmentier de folie noire vous engloutit, vous n’êtes qu’au début de vos peines, un vocal engluant vous lapide, des voix d’outre-mort vous parlent,  un riff de locomotive vous écrase, un bourdon de basse vous entortille en escadrille, y’a une guitare qui dérape et tout le monde fonce dans le décor, un bête féroce rugit sur votre gauche, dommage que vous n’ayez pas regarder sur votre droite c’est de là que surgit la grande faucheuse. Né pour quoi au juste ? C’était deux minutes vingt secondes de malheur. Jealousy : la jalousie est un vilain défaut, vont vous en convaincre, d’abord une espèce de voiture qui klaxonne comme l’on tire la langue dans les cours de maternelle, ensuite le copain qui vous tape sur la tête avec sa pelle en fer dans le bac en sable, vous hurlez comme un dinosaure attaqué par des millions de fourmis rouges, ensuite vous ne savez pas, des milliers d’images sonores fondent sur vous et vous ne comprenez plus rien. Quand vous vous réveillez, le morceau est fini depuis longtemps vous êtes dans un petit cercueil de bois blanc avec une couronne de fleurs rouges que vous venez de déposer dessus. Je sais ce n’est pas logique, mais c’est l’effet que ça vous fera quand vous l’écouterez. Judging : tiens un truc qui ressemble à une intro d’un morceau rock, comme quoi un malheur n’arrive jamais seul, Greg War est subitement atteint d’une crise de délirium tremens, on le comprend il perçoit des bruits inaudibles dans sa tête, le problème c’est que l’auditeur les entend aussi, une espèce de guimbarde géante vous bombarde, et c’est alors que de tout là-haut les aliens vous parlent, essaient plusieurs langages incompréhensibles, comme vous n’y pigez rien vous poussez un cri fatidique pour les faire taire. Silence radio. Le morceau est fini. A cause de votre ignorance crasse, l’Humanité a perdu sa chance de survie. Les extraterrestres vexés ne nous recontacterons plus jamais. Vile Dog : là ils ont fait un gros effort, ils dépassent les quatre minutes trente, dans une interview accordée à  Loud TV ( YT ) ils déclarent tout fier que c’est leur première œuvre ‘’ prog’’. On veut bien, c’est pourtant assez loin de Pink Floyd. Pour être plus précis nous dirons c’est comme les quatre autres morceaux précédents, non pas en version lente  mais décomposée, un peu comme un prestidigitateur qui vous refait le coup de la disparition du seau de champagne sur votre table en quatre minutes, au lieu des soixante secondes qui lui ont suffi pour le faire disparaître auparavant. C’est aussi bon et violent que précédemment, vous avez l’impression qu’enfin on ne vous enlève pas l’assiette alors que vous n’avez pas fini le potage, mais lorsque ça s’arrête vous auriez encore écouté durant une heure. Cörrupt n’est pas là pour satisfaire vos besoins mais pour créer le manque.

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             Pour les fouineurs : deux vidéos concert de Born to lose et de Vile dog enregistrée au @ Aion Bar de La Rochelle en juillet 2015, Hélas ! le public n’a rien à voir avec celui des groupes de metalcore californiens, + le Clip Official Music Video featuring Stéphane Buriez de Loudblast, qui vaut le détour. Genre feu orange que l’on passe au rouge.

     Idéal pour les amateurs de Pogo Car Crash Control comme moi. Ne pas en abuser, vous risquez d’être corrompus. De la lave live !

    Damie Chad.

     

    News From :TWO RUNNER

     

    Dans notre chronique 541 du 10 févier 2022 nous avons présenté deux vidéos enregistrées en 2021 des Two Runner. La période n’était pas à la fête, concerts et festivals annulés, un temps peu agréable pour les musiciens et les chanteurs… Pour tout le monde aussi, mais Kr’tnt, nous le rappelons pour les lecteurs distraits, s’intéresse justement à la musique. Très symptomatiquement la vidéo la plus longue que nous avions regardée était un concert à la maison donné par Paige Anderson et Emilie Rose… Une visite sur le FB de Two Runner prouve  qu’en quelques mois les évènements se sont précipités.

    Z’ont réamenagé leur site. Un petit tour sur la rubrique ‘’tour’’ s’impose : déjà une bonne vingtaine de concerts ( Californie, Nevada, Nashville, Montana… ) pour les mois qui viennent, sont en finale d’un concours réunissant plus de sept cents candidats, et cerise sur le gâteau deux nouvelles vidéos :

    RUN SOULS / TWO RUNNER

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    Paysage forestier, la caméra s’envole vers la cime des arbres pour revenir vers la terre, cabane dans les bois, paysage typiquement américain tels qu’on les imagine en Europe, Two Runner se présente en quelques mots, c’est sur des vidéos similaires que sont jugés les candidats de Gems in the rough 2022, ( est-il utile de préciser que ce n’est pas du playback ).

    A gauche, Emilie Rose, moulée dans son ensemble bleu jeans, cheveux blonds courts et clairs, ses doigts arrêtent de taquiner les cordes de son violon, lorsque Paige, campées sur ses longues jambes dans ses bottes à lacets qu’elle affectionne, cheveux longs et veste à carreaux, entame la course sur son banjo. Pourquoi dit-on que les notes du banjo sont aigrelettes, celles de Paige roulent en cascades en une profusion d’harmoniques à mille résonnances, courent directement à l’âme. Dès que s’élève la voix de Paige, l’on est perdu, l’on ne sait plus trop où l’on est, cette manière si particulière de hausser le ton et de n'en jamais descendre, très roots et en même temps si novatrice, bluegrass certes, mais quelle nuance exactement, serait-ce la couleur tombée du ciel de Lovecraft, Emilie se joint à Paige pour le refrain, ensuite c’est son violon qui prend la place, il crisse et grince, porteur d’une affreuse nostalgie, maintenant elles chantent et jouent ensemble, plus fort, le violon est devenu souffrance et le banjo marteau, deux filles et un seul chant qui culmine dans une apothéose hors de la portée des simples mortels.  

    DEVIL’S ROWDIDOW / TWO RUNNER

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    Extérieur. Encore un paysage typiquement américain. Un hangar au toit rouillé isolé dans la plaine, pas si solitaire que cela puisque la caméra effectuant un quart de tour nous apercevons la façade d’une maison d’habitation, les filles sont debout devant un mur de tôle bleue pas très neuf… A peine la vidéo a-t-elle commencé que déjà raisonnaient le  banjo et le crincrin, elles sont en train de jouer à fond de train avec entrain, Page bras nus, foulard bleu de cowgirl autour du cou dans une robe blanche à motifs floraux, Emilie ceinturon à boucle de cheval retenant une jupe chinée de bleus sombres à larges pans, l’on n’a pas le temps de les admirer, le morceau cavale à la manière d’un mustang sauvage, le diable doit souffler dans le micro puisque l’on entend le vent, Paige prend le chant comme l’on lance sa monture au galop, Emilie baisse l’archet le long de sa jambe pour chanter avec elle le refrain aux harmonies finales évanescentes, ne sont que deux mais elles se livrent à  un tutti instrumental d’enfer qui ira crescendo, même si l’on discerne des subtilités de calme dans la tempête, il est étrange de voir combien Emilie semble lointaine, le regard vide, perdue en elle-même, puis prise d’une espèce de transe intérieure, Paige un tant soit peu soumise à une mécanique  fantastique qui se serait emparée d’elle, lorsque c’est fini, elles se regardent et se sourient comme si elles sortaient d’un étrange rêve. L’on serait prêt à parier que le Diable n’a pas dû être le dernier à rire.

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    Première fois que grâce à Emilie et Paige, je me retrouve sur TikTok, elles y ont posté une bonne vingtaine de vidéos, manifestement mises là pour appeler à voter pour elles. L’ensemble est frustrant. Certes elles interprètent de nombreux morceaux, à part trois ou quatre exceptions, ils ne durent au maximum qu’une minute. Rageant, par exemple leur interprétation du classique d’Utha Phillips ( inspiré de The Lonesome River des Stanley Brothers )  Rock Salt and Nails rive son clou à celle de Tyler Childers malgré toute l’admiration que nous portons à celui-ci.

             Bref, les filles vont bien, et nous aussi. Ce soir l’herbe est davantage bleue.

    Damie Chad.