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fiction about fiction

  • CHRONIQUES DE POURPRE 568 : KR'TNT 568 : LAMONT DOZIER / HOODOO GURUS / CLARENCE FROGMAN HENRY / RIPLEY JOHNSON / SPACESEER / NIKI GRAVINO / FICTION ABOUT FICTION / PIERRE LEHOULIER

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 568

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 09 / 2022

    LAMONT DOZIER / HOODOO GURUS

    CLARENCE FROGMAN HENRY / RIPLEY JOHNSON

    SPACESEER / NIKI GRAVINO

     FICTION ABOUT FICTION / PIERRE LEHOULIER

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 568

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Un Dozier complet

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                C’est sur l’Olympe du rock que résident les couples de dieux des temps modernes : Lennon/McCartney, Bacharach/David, Hayes/Porter, Barry/Greenwich, Goffin/King, Mann/Weil, oh et puis tu as aussi un trio, certainement le plus brillant de tous, Holland/Dozier/Holland.

             Nous nous trouvions l’autre jour à Poitiers pour saluer la mémoire de Gildas et dans le cours d’une conversation privative, le Professor me glissa dans l’oreille une bien funeste nouvelle : Lamont Dozier avait cassé sa pipe en bois.

             — Hein ?

             — Ben si. Tu savais pas ?

             — Ben non.

             Il était bien sûr inutile d’ajouter qu’on ne peut pas tout savoir. Par contre, l’occasion est trop belle de saluer la mémoire de cet homme qui avec les frères Holland a su rendre Motown et ses artistes célèbres dans le monde entier, en composant des hits qui en soixante ans n’ont pas pris une seule ride. Lamont eut le temps de publier en 2019 son autobio, How Sweet It Is: A Songwriter’s Reflections On Music, Motown And The Mystery Of The Muse. C’est un ouvrage passionnant qui complémente celui des frères Holland (Come And Get These Memories, paru la même année, et qu’on a longuement épluché ici en décembre dernier - ‘Holland & Holland of thousand dances’).

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             Lamont casse son book en deux : Motown et l’after-Motown, c’est-à-dire Invictus/Hot Wax et la carrière solo dont on va reparler tout à l’heure. Il amène des tonnes d’informations précises qui éclairent considérablement cette histoire d’une richesse infinie. Il pimente son récit de ce qu’il appelle des réflexions sur l’art de composer (The mystery of the muse), d’énormes paragraphes composés en bold, mais il ne sort que des évidences. On y apprend rien. Pourquoi ? Parce que rien n’est plus évident qu’un hit. Alors gloser sur l’évidence des évidences, on comprend bien que ça ne mène nulle part. Il est gentil, Lamont, il essaye de donner des conseils, mais ce type de talent ne s’enseigne pas. Dans son autobio, Burt Bacharach ne tombe pas dans ce type de panneau, ni d’ailleurs les frères Holland. Noël Godin aurait certainement traité Lamont de pompeux cornichon.

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             Par contre, ça devient intéressant quand Lamont explique que dans le trio Holland/Dozier/Holland, il est l’homme des idées. Il donne un exemple dans le premier chapitre : il est dans un motel, en train de tromper sa copine du moment avec une autre poule, et justement la copine du moment tape à la porte de la chambre. Lamont a juste le temps de faire sortir celle qu’il vient de baiser par la fenêtre de la salle de bains et il fait entrer la furie. Elle est sûre que Lamont la trompe, alors elle est folle de rage. Pour la calmer, Lamont lui lance : «Baby please stop ! Just stop ! In the name of love.» Et soudain, dans le cœur de l’action, alors que la copine en furie vient d’attraper la lampe de chevet pour lui fracasser le crâne, Lamont dit : «Wow, quel beau titre pour une chanson !». Et la copine émerveillée lâche la lampe de chevet et se rend à l’évidence. Oui quel beau titre ! Ce sont les Supremes qui vont en hériter. Heureusement, Lamont ne nous raconte pas la genèse de tous ses hits car il en y en a des centaines, répartis entre les Supremes, les Four Tops, Martha & the Vandellas, Marvin Gaye, les Miracles, les Marvelettes et Jr Walker & The All Stars. À l’époque où il écrit ses mémoires, Lamont est encore fasciné par le phénomène Holland/Dozier/Holland, qu’on va appeler HDH, pour gagner de la place : «Ça m’épate encore de voir tout qu’on a réussi à faire tous les trois, Eddie, Brian et moi, en si peu de temps. C’est comme si nous avions été programmés pour nous retrouver tous les trois au même endroit pour créer quelque chose de spécial. C’était beaucoup trop profond et trop spirituel pour n’être qu’une simple coïncidence.» Lamont en est persuadé : ce qu’il appelle la Muse, c’est-à-dire Dieu, a présidé au destin du trio.

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             Comme la plupart des autobios, celle-ci suit le fil chronologique. Lamont nous raconte son enfance à Detroit, avec une mama poule et un daddy drunk. Mais c’est le daddy qui trouve le prénom de Lamont, dans un feuilleton radiophonique, The Shadow - Who knows what evil lurks in the heart of men? The Shadow knows -  et dont le personnage principal s’appelle Lamont Cranston. À Hutchins Junior High School, Lamont fréquente déjà des futures stars de Motown comme Marv Johnson, qui sera le premier artiste signé par Berry Gordy, juste avant la création de Motown. Il connaît aussi Freda Payne, et Otis Williams qui deviendra superstar avec les Temptations. Il connaît Aretha qu’il va voir chanter à l’église. Toutes les stars sont déjà là. Il voit démarrer un groupe appelé The Matadors, «fronted by a teenager who called himself Smokey Robinson». Berry Gordy signe aussi la sœur de Little Willie John, Mabel John, qui devient la première artiste féminine de Tamla. Lamont se présente un beau jour à Berry Gordy avec son groupe, The Romeos. En 1960, Gordy devient indépendant avec Motown et lance Mary Wells. Le «Shop Around» des Miracles est le premier hit à se vendre à un million d’exemplaires, avec le «Please Mr Postman» des Marvelettes. Gwen Gordy revend son label Anna à son frère Berry et se marie avec Harvey Fuqua. Marvin Gaye se marie avec Anna Gordy, l’autre sœur de Berry et entre à son tour dans la famille. Lamont explique comment Berry Gordy finit par tout engloutir. Gordy affine sa vision qui est celle de Motown. Il finit par embaucher Lamont. Alors Lamont se pointe un beau matin à Hitsville USA et comme tous les autres, il passe à la pointeuse. Gordy qui avait travaillé chez Lincoln-Mercury trouvait l’idée de la pointeuse géniale. Il instaure des horaires : 9 h/18 h. Si la journée de travail déborde dans la soirée, on peut pointer plus tard le lendemain matin. Puis Lamont passe par le bureau de Gordy. Il faut signer la paperasse. Tiens, tu signes là. Et là. Bien sûr, pas question de sortir une copie du contrat pour la montrer à un avocat. De toute façon, Lamont n’a pas les moyens de se payer un avocat. Il signe tout ce que lui présente Gordy. Sans discuter.

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             Lamont est embauché comme compositeur/arrangeur/producteur. Il commence par bosser avec Brian Holland. Son frère Eddie était là depuis le début, il chantait les démos que Gordy, sa sœur Gwen et Billy Davis présentaient à Jackie Wilson. Puis Gordy a commencé à produire Eddie en 1958. Lamont nous raconte les vraies racines de Motown. En 1962, Eddie a un hit avec «Jamie», une compo signée Mickey Stevenson et Barrett Strong. Lamont indique que c’est le premier hit Motown avec des violons, un son qui allait devenir le template de Motown par la suite. Eddie aime chanter, mais il déteste monter sur scène à cause du trac. Il préfère rester à la maison. Alors ils se mettent à travailler tous les trois : Brian bosse sur la musique, Lamont sur la musique et les paroles, il insiste bien pour dire qu’il amène le concept, et Eddie complète les paroles. Et leur petite industrie se met en route, a factory within a factory, mais ils veillent à maintenir un haut niveau de qualité. Lamont rappelle aussi qu’Eddie a bossé comme un dingue pour devenir un bon parolier. Brian et Lamont finissent le master pendant qu’Eddie peaufine ses paroles - Brian was all music, Eddie was all lyrics and I was the idea man who bridged both - C’est le secret de leur succès, nous dit Lamont. Ils décrochent leur premier hit en composant «Come And Get These Memories» pour Martha & The Vandellas. Martha était la secrétaire de Mickey Stevenson qui avait peur de la perdre en tant que secrétaire, s’il la laissait entrer en studio.

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             Un jour de canicule, Lamont retrousse ses manches et s’exclame «What a heat wave !». Pouf ça devient un hit pour Martha. Premier numéro 1 dans les charts pour HDH. Ils vivent quasiment tous les trois dans une petite pièce, et ils sont boostés par l’arrivée des royalty checks - For over one hundred thousand dollars - Là, on ne rigole plus. Alors la cadence s’accentue. Les poules pondent des œufs d’or, cot cot cot, et Berry passe avec son panier. Encore ! Encore ! Cot cot cot ! Lamont nous raconte aussi les réunions du «quality control» chaque vendredi, avec des staffers, des producers et quelques administratifs qui étaient là pour donner un avis non musical. Berry pense qu’ils représentent le consommateur ordinaire. Le quality control écoute tout ce qui a été enregistré dans la semaine par les différentes équipes et décide de ce qui part en fabrication. Lamont indique en outre qu’il ne s’agissait pas de démos mais de full-blown recordings. Billie Jean Brown conduit ces réunions et fait un pré-tri. Mais il lui arrive de se vautrer. Quand HDH enregistrent «Jimmy Mack» avec Martha & the Vandellas en 1964, Billie Jean Brown ne trouve pas ça terrible et ne le propose pas au quality control. C’est «Dancing In The Street», composé par Mickey Stevenson, Marvin Gaye et Ivory Jo Hunter qui passe. Quand plus tard, Gordy exige d’entendre tous les enregistrements en stock de Martha & the Vandella, Billie Jean finit par ressortir «Jimmy Mack». Alors Gordy défonce la table d’un coup de poing : «Depuis combien de temps c’est sur l’étagère ? C’est un hit !». Quand il découvre que ça prend la poussière depuis deux ans et demi, il pique une crise terrible. «Je veux que ça sorte la semaine prochaine !». Lamont est content de voir enfin son «Jimmy Mack» sortir des ténèbres. Ce sera le dernier hit de Martha & The Vandellas.

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             Lamont évoque aussi Mary Wells qui fit la grave erreur de quitter Motown, croyant trouver mieux ailleurs, et puis voilà Marvin Gaye est qui est arrivé chez Motown en même temps que Lamont et qui voulait être le black Sinatra, certainement pas un chanteur de r’n’b. Il aimait aussi battre le beurre dans les sessions. Lamont raconte dans le détail la session d’enregistrement d’«How Sweet It Is (To Be Loved By You)» avec Marvin qui fait sa mauvaise tête parce que le registre est trop haut pour sa voix, et qui finit par enregistrer cette merveille in one take - Ce que vous entendez sur le disque is Marvin’s one take, après avoir entendu la chanson seulement deux fois. Since the key was high, he slid into his falsetto which sounded beautiful - Lamont rend aussi hommage aux Funk Brothers qui viennent chaque jour en studio sans savoir s’ils vont travailler avec HDH, Norman Whitfield, Smokey ou quelqu’un d’autre. Pas besoin d’expliquer les choses longtemps à des mecs comme Benny Benjamin ou James Jamerson, nous dit Lamont - They knew how the song should feel, and it was all about that feel - Emporté par son élan, il ajoute : «Quand on parle de musiciens, these guys were some of the best there’s ever been.» Lamont rappelle que le studio, le fameux snake pit, était petit. Il ne pouvait contenir que huit joueurs d’instruments à cordes. Dans une autre pièce, il y avait les cuivres - On était tous entassés dans ce petit espace, but we were making magic - En plus, ils enregistrent sur un quatre pistes, alors t’as qu’à voir !

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             Puis Gordy demande à HDH de mettre le paquet sur les Supremes. Elles n’ont pas de hits. On les appelle les no-hits Supremes. Au départ, elles sont là tous les jours, mais Gordy ne veut pas signer des lycéennes. Il finit par craquer en 1961. Il va être le seul à miser sur les Supremes. Il sait qu’elles vont exploser. Mais il leur faut des hits. HDH leur composent «Where Did Our Love Go», their first number one in the pop chart. Soudain nous dit Lamont, The Supremes were the biggest act on the label. Tout s’emballe. Lamont constate que tous les hits du Top 10 américain sont signés soit Lennon/McCartney, soit HDH. Puis Gordy fout la pression sur tout le monde : il envoie une circulaire dans tous les services de Motown pour exiger que toutes les productions de Motown ne soient plus que des Top 10 products on any artist et puisque les Supremes sont the biggest act on the label, elles n’enregistreront plus que des number-one records. Lamont sent monter la pression. Comment tenir à ce rythme infernal ?

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             Ah mais c’est pas tout ! Il faut aussi lancer les Four Tops. Lamont connaît bien Levi Stubbs, Duke Fakir, Obie Benson et Lawrence Payton. Encore des héros sortis des HLM de Detroit. En 1966, alors qu’ils enregistrent «You Can’t Hurry Love» et «You Keep Me Hanging On» avec les Supremes, HDH entrent en studio avec les Four Tops pour enregistrer «Reach Out I’ll Be There» - To me, that’s a song that perfectly captures what HDH was all about - C’est le sommet du lard, le vertigineux sommet du lard de HDH. Lamont dit aussi qu’ils ont passé toute  l’année 1965 au sommet des hit-parades. Fatiguant mais excitant, ajoute-t-il. Il n’existe pas de concurrence entre Smokey Robinson, Mickey Stevenson, Norman Whitfield et HDH, tout le monde avance dans le même sens, the Sound of Young America. Tout le monde bosse, Gordy ne veut ni drogues ni alcool at Hitsville USA. Brian ne boit que du lait, Eddie boit un petit peu de pinard, mais pas trop - Nous n’avions pas le temps de déconner avec les drogues, et je voulais garder les idées claires. Tu venais chez Motown pour bosser, pas pour picoler et faire la fête - Mais Lamont se lamente car la pression est terrible. Il faut des hits, encore et encore, tous les jours. Cot cot cot !

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             En 1967, l’état d’esprit commence à changer : les Miracles deviennent Smokey Robinson & The Miracles, Martha & The Vandellas deviennent Martha Reeves & the Vandellas et les Supremes Diana Ross & The Supremes. Gordy mise à fond sur Diana et ne fait pas de cadeaux, ni à Mary Wilson et encore moins à Florence Ballard qu’il va réussir à virer. Lamont redit son admiration pour Smokey, mais aussi pour Ashford & Simpson. En 1967, HDH ont composé et produit plus de la moitié des hits qui ont rendu Motown célèbre dans le monde entier. Et c’est là que commencent les ennuis. Quand Gordy nomme Eddie A&R de Motown, il provoque le départ de Mickey Stevenson qui était l’A&R historique. D’ailleurs l’autobio de Mickey Stevenson vient de paraître. On en reparle.

             Lamont sent qu’il ne reçoit pas la rétribution correspondant à ce qu’il amène avec HDH à Motown. En plus, Brian et Eddie passent de plus en plus de temps aux courses de chevaux et Lamont se lamente de se retrouver seul en studio pour bosser. Il le vit mal. Comme l’ont raconté Eddie et Brian dans leur autobio, HDH se mettent en grève et en 1968. Gordy les traîne en justice pour rupture de contrat. Il demande quatre millions de dollars de dommages et intérêts. Cette belle histoire finit au tribunal. Quelle misère !

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             Il n’empêche qu’HDH retrouvent leur liberté. Ils montent Invictus. Le boss, c’est Eddie. Des trois, il est celui qui a le sens des affaires et ce qu’il faut de chien pour les brasser. Ils partent tous les trois d’un poème de William Ernest Henley, «Invictus», qui se termine ainsi : «I am the master of my fate/ I am the captain of my soul.» Ils s’installent à Detroit et récupèrent d’autres victimes de Berry Gordy, comme par exemple Ronald Dunbar et d’autres «Motown refugees» comme Jeffrey Bowen qu’ils nomment A&R. Pour retrouver leur âge d’or, HDH ont besoin de dénicher de nouvelles Supremes et de nouveaux Four Tops. Les nouvelles Supremes sont Honey Cone, le groupe d’Edna Wright, qui est la sœur de Darlene Love. Il est important que préciser qu’Edna a fait partie des Raelettes de Ray Charles. Puis ils lancent The Glass House et Freda Payne, dont on a dit ici même, en décembre dernier, tout le bien qu’on pouvait en penser. Jeffrey Bowen a pour mission de trouver l’équivalent des Four Tops, alors il amène The Chairmen Of The Board, un groupe de surdoués rassemblés autour de General Johnson, qui va jouer lui aussi un rôle capital dans l’aventure Invictus. L’un des autres personnages clés de cette épopée, c’est bien sûr McKinley Jackson, leader des Politicians, et qui devient arrangeur/producteur maison chez Invictus/Hot Wax.

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             Malgré les succès du trio HDH et des deux labels, Lamont n’est pas heureux. Il sent qu’il passe trop de temps dans son bureau et pas assez en studio. Il sent aussi qu’il ne voit plus les choses de la même façon qu’Eddie et Brian. Quand Al Green propose son nouvel album à Invictus, Eddie passe la main. Lamont est choqué. Parliament sort son premier album Osmium sur Invictus, mais pour une raison x, ça ne marche pas. George Clinton finit par se fâcher avec Invictus. C’est là qu’il signe sur Casablanca avec le succès que l’on sait - L’un des groupes que George Clinton a beaucoup influencé sont The Ohio Players. That’s another group that we passed on - Lamont est effondré : «Je me suis souvent demandé ce que serait devenu Invictus si on avait eu Al Green, Parliament et les Ohio Players, quand on avait la chance de pouvoir les signer.» Et donc Lamont se casse pour attaquer une carrière solo.

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             Sacrée pochette que celle de son premier album solo, Out Here On My Own : Lamont s’y pavane en chemise et fute de cuir caramel, avec un air mauvais. Mais c’est au dos que ça se corse, car il tient debout, torse nu et te toise. Et tout ça n’est rien en comparaison de ce coup de génie qui s’appelle «Breaking Out All Over» ! Lamont swingue sa Soul comme un black gladiator, no no babe ! Il swingue ça aux petites guitares funk et ça s’envole avec les violons de Marvin. Pur Black Power ! Voilà qu’éclate une fois de plus au grand jour le génie de Lamont. Il nous fait même le coup de la petite accalmie flûtée avant que n’éclate le bouquet final. Real big Doz ! L’autre coup de Jarnac se trouve en B et s’appelle «Take Off Your Make Up». La beauté de l’intro est d’une grande virulence, c’est une Soul fouettée aux violons et chantée à la mode haletée pour éclater encore une fois au grand jour. Lamont est un seigneur des annales. C’est là que s’exprime le génie d’un art nègre qu’on appelle la Soul. Lamont crée de la beauté par vagues, dès qu’il lui demande d’enlever son make-up, oh cette façon d’attaquer le take off est tout simplement spectaculaire. Lamont est à l’avant-garde de l’art nègre, il polit son Take off magnifiquement. Il take son Take off au paradis des Soul Brothers et le thème orchestral emporte la fin du cut. Rien d’aussi puissamment beau sur cette terre. Autre merveille inexorable : «Fish Ain’t Bitin’». Ah il faut voir la classe du gratté de guitare en fond de ce groove de Soul superbe. Lamont sait gérer un son, il l’a déjà prouvé, mais il fait encore des étincelles. Solide romp aussi que ce «Don’t Want Nobody Between Us». Il bouffe sa Soul toute crue comme s’il était les quatre Four Tops à lui tout seul. Il chante son «Let Me Make Love To You» jusqu’à l’os du crotch, sans rémission ni regrets, Doz does it right. Le Politician McKinley Jackson signe toutes les compos. Lamont finit cet album fantastique avec le morceau titre, cut de Soul digne des Tempts, orchestré à la Motown, il chante ça à la force du poignet. Puissant Doz ! 

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             Au moment où sort son premier album solo, Brian et Eddie font paraître The New Lamont Dozier Album - Love And Beauty. C’est une compilation des singles enregistrés par Lamont pendant sa période Invictus. Lamont et Eddie recréent à leur façon la magie Motown. On ne compte pas moins de quatre vraies énormités sur cet album, à commencer par ce «Don’t Leave Me» chanté sous le boisseau, véritable cut de r’n’b racé et primitif. Cette teigne vaut bien celle de Stax. Encore un hit de Doz avec «New Breed Kinda Woman», real Motown magic. Il met tout le paquet dans cette affaire. En B il passe au heavy funk avec «I’m Gonna Hi-Jack You». On se croirait chez Sly Stone, même sens de l’énormité du beat. Encore du heavy beat avec «Super Woman». On est en plein cœur du Black Power. Lamont monte sur ses grands chevaux, il sait rocker le butt d’un cut de Soul ! Il ne faut pas faire l’impasse sur «Why Can’t We Be Lovers», cette belle partie de groove urbain. C’est du Dozier complet, il fait entrer des infra-sons dans des accords inconnus. Avec «Don’t Stop Playing Our Song», il propose des orchestrations sibyllines et très originales en même temps. Chez Invictus, on fait de la recherche et du développement. On ne dira jamais assez à quel point le groove de Doz peut être élégant, c’est en tous les cas ce que montre «The Picture Will Never Change». Chez Doz, ça ne violonne jamais pour des prunes. Les nappes servent leur seigneur et maître comme seules les nappes bien inféodées savent le faire. Il termine ce brillant album avec «Let’s Get Together». Il s’y révèle une fois de plus aussi profond qu’un puits de son, do baby doo !

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             Black Bach est donc son deuxième album solo. Doz deviendrait-il prétentieux en installant son buste sculpté sur la pochette ? Il explique en fait qu’un joueur de sax au temps de Motown lui avait dit que les accords qu’il jouait au piano sonnaient comme ceux de Bach - Bach was the father of harmony et j’étais effaré par le temps qu’il avait mis à maîtriser son art. La plupart de ces compositeurs sont morts pauvres, mais ils s’en foutaient. They weren’t looking for a buck, they were just obsessed with music - Il calme très vite le jeu avec «Put Out My Fire», un groove suprême à la Marvin, bien soutenu aux percus. C’est la magie du groove qui opère - Somebody help me and rescue me - Lamont se lamente et appelle à l’aide en chaloupant des hanches, burn it up ! Ce Bach album n’est pas aussi dense que le précédent, on erre de cut en cut comme une âme en peine. Avec «All Cried Out», on voit bien que Lamont sait se lamenter sans se démonter. En B, il propose avec «Thank You For The Dream» une belle tranche de Soul entreprenante. Il maintient bien le niveau de ses ambitions compositales. Il revient au groove de Soul de maître avec «I Wanna Be With You» et l’absolue véracité d’un big black dude. 

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             Et puis le voilà en smoking sur la pochette de Right There. Doz cultive un sens aigu de l’image. C’est vrai qu’on s’habitue à son physique enfantin. Il démarre l’album avec une reprise de son vieux hit «It’s The Same Old Song». Il en fait une version pépère, doucement groovée et qui prend bien son temps. Puis il s’en va groover le morceau titre dans la masse. Il le fait avec la délicatesse d’un page florentin. Il fait son Al Green. Ça sonne évidemment comme un hit de Soul. Il conforte sa stature de roi du groove avec «Groovin’ On A Natural High». Il groove en douceur et en profondeur. Ça se corse en B avec «Good Eye», un heavy romp de Soul. Doz mène sa barque, il shake à la diction pure de Motown move - Good good loving/ She kissed me - Doz duette avec un mec, sûrement James Reddick, qui comme McKinley Jackson, est un compositeur et arrangeur de génie. Retour au groove de rêve avec «With A Little Bit Of Mending», véritable merveille irrépressible et terriblement mélancolique. C’est juteux et pur comme de l’eau de roche, bien monté sur beat des reins. On se doute bien que James Jamerson se trouve derrière cette entourloupe. Encore un groove de dream come true avec «Ain’t Never Loved Nobody». James Reddick qui est derrière intervient toujours à propos, avec une voix plus grave.  

             Pendant cette période, il produit pas mal de grands artistes : il cite les noms de Z.Z. Hill (Keep On Loving You), Margie Joseph (Hear The Words Feel The Feeling), Ben E. King et Aretha (Sweet Passion). Il enregistre un autre album pour ABC, Prophecy, mais l’album n’est jamais sorti. ABC ne l’aimait pas, et comme son contrat arrivait à terme, Doz s’est barré pour aller chez Warner Bros. 

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             Il débarque donc chez Warner Bros en 1977 pour enregistrer l’excellent Peddin’ Music On The Side. Il faut aller directement en B écouter «Going Back To My Roots» car c’est l’un de ces coups de génie dont on se souvient sa vie entière. On croit entendre Alexandrie Alexandra sauf que Doz le prend à la méchante énergie. Il ramène des éléments de Brazil et d’Africa dans son brouet fabuleux et adresse un clin d’œil à Carlos Jobim. On entend même des tambours africains. Pour «Family», il ressort ses orchestrations extrêmes et vise le big Broadway brawl. En A, il propose un solide romp de Soul avec «Sight For Sure Eyes», hello mama ! C’est bardé de son, bien au-delà des espérances du Cap de Bonne Expectitude. On a même un solo de xylo, monté sur un heavy beat dressé vers l’avenir. Puis il enlumine «What Am I Gonna Do ‘Bout You» à la flûte antique. Doz ne lâche pas son steak. Même si «Break The Ice» paraît plus classique, on y voit des choses assez marrantes, comme cette basse à la Miss You qui remonte le courant des intermèdes. Doz se bat comme un lion avec chaque cut. Il faut le voir se jeter sur un balladif comme «Tear Down The Walls» ! Quel champion !  

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             Considérons Bittersweet comme son dernier grand album classique. Il s’y voue au funk corps et âme, comme le montre «Boogie Business». Real Black Power ! Solide partie de funk en rase campagne, ça cuivre à gogo et Doz enfonce son funky clou à coups redoublés. Fabuleux aplomb ! Il ne s’en laisse pas compter. Doz ne lésine pas sur la dose. Baisser les bras n’est pas son genre. Chez les Dozier, on sait dozer. Il revient à son cher heavy groove avec «True Love Is Bittersweet». C’est bardé de son, amplement orchestré, tiré à quatre épingles. Doz est un milord. Par contre, son «Love Me To The Max» flirte avec la diskö putassière, mais bon, Lamont ne se lamente pas, il dansera jusqu’à l’aube. En B, il nous refait le coup du hard-nailed funk avec «We’re Just Here To Feel Good». Real Black Power une fois encore. Il fait aussi passer son «I Got I All With You» en force. Il sait se montrer irrépressible, même avec les slowahs gluants. Tiens, allez, encore un petit shoot de funk avec «Let Your Love Run Free». Il mène ça à la force du poignet.   

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             Bon alors après ça se gâte, dès 1981, avec Lamont. Il se déguise en yatchman de diskö boat sur la pochette. Mais il n’a plus les moyens de sa légende. Il se plie aux impératifs du marché et on passe complètement à travers sa diskö passe-partout. Dommage. On assiste à une vraie chute d’inspiration. Il préfère piloter son diskö boat à la mormoille. Il réussirait presque à sauver cet album avec «Locked Into You». 

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             La même année paraît Working On You, sous une pochette racoleuse. Si on écoute cet album, c’est uniquement par sympathie. Le seul cut sauvable de l’album est «(You Got Me) Wired Up», un groove sexuel très sucré. Notre héros se transforme en pâtissier lubrique. Vas-y Doz ! On est avec toi !

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             Il reste dans la diskö pour Bigger Than Life, paru deux ans plus tard. Le pauvre Doz bouffe à tous les râteliers. Désolé Doz, on se lamente car ce n’est pas du bon Lamont. Il réussit presque à recréer l’illusion en B avec «Scarlett O’ Hara» et groove adroitement sa diskö funk dans «Nowhere To Go But Up». Il y retrouve sa légèreté légendaire. Et pouf, voilà un hit : «Second Wind», fantastique shoot de good time music. Ouf ! Il emmène sa Soul valser par dessus les toits avec un power extraordinaire.  

             Dans le début des années 80, le trio HDH se reforme et produit l’album du grand retour de Four Tops, Back Where I Belong.

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             La pochette d’Inside Seduction fait craindre le pire, et même si «Feeling Each Other Out» pue le synthé, Doz réussit à y injecter un énorme shoot de Soul. Mais trop de cuts puent le filler et la mauvaise diskö. De ce point de vue, l’A est une véritable catastrophe. Il redresse un peu la barre en B avec «The Quiet’s Too Loud», qui sonne presque comme un hit et ««Attitude Up» sonnerait bien comme la diskö des jours heureux. Il faut attendre le dernier cut qui s’appelle «Pure Heaven» pour s’étrangler en criant au génie. Avec un mec comme Doz, la heavy diskö, c’est forcément bon. Il sait groover sa chienne de vie, c’est excellent, plein de tout l’allant d’Allah. Wow, quel big shoot de Black Power !

             Mais la suite de sa carrière solo dégénère. Il grenouille avec le mec de Simply Red, Clapton et Phil Collins. N’allons pas salir le beau blog de Damie Chad avec des cochonneries.

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             Comme on le sait, Lamont Dozier n’est pas né de la dernière pluie. Alors pour finir en beauté, il décide de recycler tous ses vieux hits, et là, attention aux yeux ! Il existe trois albums qui sont des bombes atomiques ! Le premier s’appelle An American Original - I recorded a bunch of HDH classics from the heyday, but I presented them the way many of them were originally conceived: as slow lovehorn ballads. C’est la façon dont ils sonnaient avant que Brian et moi ne les accélérions pour les rendre plus radio friendly - Il s’accompagne au piano pour chanter «Where Did Our Love Go», et il tisse un fil mélodique effroyablement beau, une deep Soul de cœur broyé, you came to my life/ So tenderly, il y va au ooh baby, il groove sa Soul à la lenteur fondamentale, ooh baby, c’est déchirant de don’t leave me, il est même encore plus puissant que Burt ou Al Green, il incarne l’âme de la Soul et quand on a dit ça, on a rien dit. Tout n’est pas aussi spectaculaire que ce remake de «Where Did Our Love Go», il faut attendre «Baby I Need Your Lovin’» pour frémir à nouveau, il chante son vieux hit au heavy grrove, épaulé par les percus, il s’accompagne au piano et il écrase bien son champignon. Il fait ensuite une version Caraïbes de «Baby Love», il groove ça en profondeur. Encore un coup de génie avec le retake de «Can’t Help Myself (Sugar Pie Honey Bunch)», ça swingue, mon gars, t’as pas idée. Il taille encore sa toute avec «How Sweet It Is (To Be Loved By You)», thank you baby, c’est en quelque sorte le summum du satin jaune. Il faut aussi le voir couler «(Love Is Like A) Heatwave» dans un moule de gospel batch, il te plonge dans le swing le plus pur de tous les temps, tu as le génie de Lamont à l’heatwave beating in my heart ! Il chante aussi son «Stop In The Name Of Love» avec une voix de supplicié de l’Inquisition, think it over, puis il plonge dans l’océanique avec «My World Is Empty Without You», il devient l’Hugo de la Soul, pas de barbe blanche mais du génie visionnaire à revendre, il s’accroche à sa falaise de marbre.

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             Sur Reflections Of Lamont Dozier, il reprend encore ses vieux hits, histoire de rappeler au monde entier qu’il a du génie. Sa version de «Where Did Our Love Go» a quelque chose de mythique. Il revisite toute l’histoire de Motown - Please don’t leave me/ All by myself - Il le prend plus heavy. Il fait ce que bon lui semble, vu qu’il est le roi de Motown, le pourvoyeur de hits. C’est bien qu’un mec comme lui se réapproprie ses hits. Il est bien plus puissant que les Supremes. Il en fait une version éplorée et pure. Il tape à la suite dans l’«Heatwave» qu’il écrivit pour Martha & The Vandellas. Il prend ça au heavy groove, c’est épais et sacrément explosif. Il chante à foison et un solo de sax arrive comme un retour de manivelle. Il revisite aussi «Baby I Need Your Lovin’». Il y ramène des congas et du piano pour en faire un groove sublime. La chanson est là. Il en fait une version magique, une œuvre d’art terrible et définitive. On peut dire la même chose de «Baby Love». Il en sort aussi une version démente, ça sonne encore plus comme un hit qu’avant. Toutes ses reprises sont monstrueuses. Il monte encore dans les crans du génie avec «I Can’t Help Myself», il ramone les Supremes et ramène toute la puissance du peuple noir. Il faut aussi entendre sa version de «Reach Out I’ll Be There». Il tape ça à la sur-puissance. Il règne sur son empire. Il s’appelle Lamont Demento. Il laboure ses terres. La basse chevrote tellement elle est bonne. D’autres merveilles guettent l’imprudent visiteur, comme par exemple «I Hear A Symphony» joué au heavy drone d’infra-basse. Belle entourloupe, en tous les cas. Motown lui doit tout et tout particulièrement les Supremes, ne l’oublions pas. Il fait aussi une version extrêmement ralentie de «Stop In The Name Of Love». Lamont récupère toutes ses billes pour en faire des trucs à lui, plus poitrinaires, plus inspiratoires, moins dans le Ross de la rosse, et comme la mélodie est là, alors ça fonctionne à merveille. La démonstration plaide par elle-même. Il tape aussi dans «How Sweet It Is (To Be Loved By You)». C’est un hit qui s’entend dès les premières mesures. C’est à ça qu’on mesure la hauteur des géants.

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             Le troisième, Reimagination, date de 2018. Même principe que les deux albums précédents, mais cette fois, il invite des gens. Ça commence mal car il invite Graham Nash pour le «Supremes Medley». Lamont chante très laid-back et s’accompagne au piano. Il prend «How Sweet it Is (To Be Loved By You)» en heavy barrellhouse, avec Gregory Porter qui fait le tenant de l’aboutissant. Force est de constater une fois encore que les compos sont impeccables. Et soudain, le génie de Lamont Dozier ré-éclate à l’Ararat avec «Reach Out I’ll Be There» qui fut dit-il conçu comme a gospel song. Il ramène de la confusion comme Dylan dans «All Along The Watchtower», il le prend très laid-back et au piano, il fait monter les harmonies vocales, reach out, vas-y mon gars, reach out for me ! On réalise à ce moment-là que Lamont navigue exactement au même niveau que Dylan et John Lennon, voilà c’est pas bien compliqué à comprendre. Lamont Dozier, c’est aussi Jimmy Webb en black. Il est tentaculaire. Une blanche nommée Ann Womack vient doubler sur le refrain de «Baby I Need Your Lovin’». Pas forcément une bonne idée. Ce hit appartient de droit au peuple noir. La blanche fait mal aux oreilles. Il tape ensuite une «Bernadette» à l’espagnolade. Il est sur tous les fronts, le Lamont d’Ararat. Il travaille son génie au corps. Il développe de l’espagnolade. Il déploie à l’infini. En prime, on entend chanter l’un des plus grands compositeurs d’Amérique. Il duette avec Cliff Richard sur «This Old Heart Of Mine (Is Weak For You)», c’est presque pop, pianoté au tip top, fuck, les voix se marient bien, Cliff Richard ramène tout son star system. Lamont invite encore une blanche nommée Jo Harman dans l’hommage aux Vandellas, «(Love Is Like A) Heatwave/Nowhere To Run». C’est drôle qu’il flashe sur les petites blondasses. Option jazz ferver cette fois, stand-up and snap. Lamont swingue d’entrée de jeu, il a ça dans la peau, mais la voix blanche gâche tout. C’est atroce comme elle gueule. Les choix de Lamont sont parfois incompréhensibles. Il aurait dû prendre une petite black pour lui donner une chance, pas ce genre de blondasse à la mode. Ça ne peut pas marcher. Voici enfin un invité de marque : Todd Rundgren. Il chante solo «In My Lonely Room». C’est un puriste, du même niveau que Lamont. Avec la guitare de Rundgren, ça devient incendiaire. L’invité suivant est encore un blanc, Marc Cohn, un mec assez énervé qui tape «Take Me In Your Arms (Rock Me A Little While)» au fast blues-punk. Il gratte ça à tort et à travers, c’est très bordélique. Bizarre que Lamont ait pu tolérer ça. Ce mec est un fouteur de souk. Retour à la terre ferme et aux duos d’enfer avec Rumer et «You Keep Me Hangin’ On». Ça change tout - Set me free/ Why don’t you babe - Rumer met du temps à se pointer, elle fait ooouh dans le refrain. On ne l’entend pas beaucoup, dommage. Elle aurait pu bouffer Lamont tout cru. Il enchaîne avec la chanson de l’avenir, «I Can’t Help Myself (Sugar Pie Honey Bunch)», il l’entonne et s’accompagne au piano, il claque dans le ciel comme l’étendard du peuple noir, il chante l’espoir inébranlable, il allume l’horizon avec son piano au nobody else, attention, c’est une chanson qui peut te broyer le cœur. Il termine avec une nouvelle resucée de «Reach Out». Ses notes de piano se perdent dans l’éternité, aw baby, reach for me, I’ll be there, il prend encore cette blanche Jo Harman pour duetter, il commet toujours la même erreur, il fait entrer des blanches et des blancs qui vont faire leur beurre sur le dos des noirs, en plus elle chante mal, son I’ll be zere fait mal aux zoreilles des zazous de Zanzibar, c’est une catastrophe tellement elle gueule. Bizarre que Lamont ne s’en aperçoive pas.

    Signé : Cazengler, Lamontable Dozier

    Lamont Dozier. Disparu le 8 août 2022

    Lamont Dozier. Out Here On My Own. ABC Records 1973 

    Lamont Dozier. Black Bach. ABC Records 1974 

    Lamont Dozier. The New Lamont Dozier Album - Love And Beauty. Invictus 1974

    Lamont Dozier. Right There. Warner Bros. Records 1976  

    Lamont Dozier. Peddin’ Music On The Side. Warner Bros. Records 1977  

    Lamont Dozier. Bittersweet. Warner Bros. Records 1978  

    Lamont Dozier. Lamont. M&M Records 1981

    Lamont Dozier. Working On You. Columbia 1981

    Lamont Dozier. Bigger Than Life. Demon Records 1983 

    Lamont Dozier. Inside Seduction. Atlantic 1991

    Lamont Dozier. Reflections Of Lamont Dozier. Jam Right/Zebra 2004 

    Lamont Dozier. Reimagination. V2 2018

    Lamont Dozier. An American Original. Hithouse Records

    Lamont Dozier. How Sweet It Is: A Songwriter’s Reflections On Music, Motown And The Mystery Of The Muse. BMG Books 20

     

     

    Hoodoo you love ? - Part Two

     

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             N’allez pas prendre Dave Faulkner pour une brêle. Non seulement ce serait une grave erreur, mais pire encore, une faute de goût. Depuis quarante ans, Dave Faulkner et ses Hoodoo Gurus remplissent leurs albums de brillants cuts de rock, de pop et de punk. Dave Faulkner se dit fou non pas du chocolat Lanvin, mais des belles guitares, il dit adorer le gros son, l’anthemic et le panache.

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             Phil Suggitt lui déroule le tapis rouge dans Shindig! : six pages ! Complètement inespéré, surtout pour un groupe qui n’a jamais été vraiment pris au sérieux. Pour situer le premier album Stoneage Romeos (paru en 1984), Suggitt tape dans la fourmilière référentielle : «‘60s garage-rock, Cramps rockabilly, ‘70s punk and glam-rock.» Avec sa frange, le batteur James Baker (ex-Scientists) semble en effet sortir d’une pochette des Shadows Of Knight. Les Gurus adorent Charlie Feathers, et tous les tenants et les aboutissants du glam, Suzi Quatro, Glitter and Bowie. Suggitt ajoute à ça une small dose of country et une huge dose of pop, et en guise de cerise sur le gâtö, il déclare : «Le grand talent de Dave Faulkner était de mélanger la trash culture et les kitsch influences avec des strong melodies and irresistible hooks.»

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             Il a raison, Suggitt, l’album accroche. C’est «Dig It Up» qui renvoie aux Cramps. Les Gurus sont même en plein dedans, ils tapent dans la mythologie, dans le heavy rumble de backdrop, avec les dégradés de guitare. Via «Death Ship», ils vont plus sur le Gun Club. Ils n’ont pas le son, mais ils ont la niaque. On peut même parler de super-power punch. «(Let’s All) Turn On» s’inscrit dans une belle tradition gaga-punk. Faulkner surmonte tous les obstacles. Ce n’est pas le cut du siècle, mais le son est là. Par contre, «Leibani» est un petit chef-d’œuvre de glam, ils sont en plein dedans, oh oh my love. Ils remontent sur le ring pour «In The Echo Chamber». Ils cherchent les voies du Seigneur, on sent chez eux une vocation réelle et une certaine poussée. Ils plongent dans ce son d’époque encore une fois avec «I Was A Kamikaze Pilot», Faulkner pousse un yeah yeah yeah. C’est bien vu, avec un son qui prend feu. Aucun espoir de retour à la raison.

             En fait, l’histoire des Hoodoo Gurus, comme d’ailleurs la plupart des histoires de groupes, est une non-histoire. Il ne s’y passe rien. Les seuls éléments notables sont les albums. On appelle ça une histoire lisse. Comme le fut celle d’Auguste Renoir, si on la compare à celle de Gauguin : d’un côté, il ne reste que l’arthrose et l’œuvre, et de l’autre, il reste l’Homme et l’œuvre. En matière de rock, on a d’un côté les histoires parfaitement lisses (Hoodoo Gurus, Echo & the Bunnymen, the Association, pour ne citer que trois exemples) et de l’autre les vraies histoires (Lanegan, Keith Richards, Jimbo, pour n’en citer que trois autres). Le rock sans sex & drugs, c’est un peu comme un jour sans rhum.

             Après leur premier album, les Gurus virent James Baker, leur Shadow Of Knight. Ils le remplacent par un nommé Mark Kingsmill. C’est Faulkner qui compose tout. Il dit stocker ses idées de chansons sur une cassette, et aujourd’hui, sur son smartphone. Et le groupe se met à tourner partout dans le monde. On les voit même sur MTV. Ils tissent des liens avec des lookalike comme les Fleshtones, les Groovies, Redd Kross et les Bangles.

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             Sur le Mars Needs Guitars paru en 1985, on croise un «Poison Pen» qui a des faux airs de Gun Club, avec de sacrés coups d’harp. La plupart des cuts sont bien emballés, fast & fine, Faulkner refait son Jeffrey Lee sur «In The Wild», ventre à terre, à travers les plaines. Ils revient à son cher gaga sixties avec «Like Wow Wipeout», clin d’œil à Nuggets et départ en solo pompé sur celui de «Psychotic Reaction». Bel hommage. En B, «The Other Side Of Paradise» retombe un peu dans les travers du poppisme populaire, ou du populisme poppy, c’est comme tu veux. Faulkner se tire de ce mauvais pas en ramenant du tribal de trogglodytes dans son morceau titre. Comme il le veut bien raw, c’est bien raw.

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             Faulkner garde un mauvais souvenir de Mark Opitz, le producteur de Blow Your Cool. «Soul-less ‘80s sound», dit-il avec amertume. En plus, il traînent le label Big Time en justice pour unpaid royalties, pratique courante à cette époque. Mais en fait, Blow Your Cool est un excellent album, même si l’«Out That Door» d’ouverture de balda se prend les pieds dans le tapis avec l’écho sur la batterie, c’est-à-dire la prod des années 80. On se croirait chez U2 ! Plus loin, «Good Times» se montre plus décidé à vaincre. Faulkner ne lésine pas cette fois, il ramène du heavy beat dans une belle clameur de pop. S’ensuit un excellent pâté de pathos, «I Was The One». Il s’en va chanter là-haut sur la montagne. Il boucle son balda avec «Where Nowhere Is», excellent shoot de punk’s not dead, battu à la diable par Kingsmill et monté sur le meilleur riff de revienzy de l’Aussie punk. Ça repart de plus belle en B avec «In The Middle Of The Land», énorme clin d’œil au gaga sixties. En plein dans l’esprit Nuggets. Faulkner impose sa marque partout. Nouvelle énormité avec «On My Street», wild gaga faulknérien, bien claqué du beignet, pas né de la dernière pluie, l’anti-oie blanche par excellence, Faulkner est le roi de la clameur, un apôtre de l’énormité, un couleur de bronze surnaturel, un prédestiné au Grand Œuvre, une poule aux œufs d’or, un exacteur d’exactions, un shaker-mover qui ne connaît pas la peur. Il finit en ramenant les accords de «Gloria» dans «Party Machine». C’est très bien vu, tout y est, le festin de groove, les coups d’harp, le heartbeat, les chœurs vaillants-rien-d’impossible et les poussées de fièvre.

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             Petit à petit, ils optent pour la power-pop et un son plus noisy, mais le noisy ne passe pas à la radio. Faulkner dit qu’il faudra attendre Nirvana et le grunge pour que ce noisy sound soit accepté partout. Il se fait donc passer pour un précurseur et personne n’ira le lui reprocher. Magnum Cum Louder arrive donc en 1989 comme le messie. Vas-y Faulkner ! Tu es le meilleur ! «Come Anytime» est ce qu’on appelle communément un cut bien vu. It’s okay. Tu peux faire confiance à Faulkner. Ce mec pulse toute la power pop qu’il peut. Il est même l’un des modèles du genre. Mais ce sont les deux clins d’yeux aux Saints qui font la grandeur pharaonique de cet album : «Another World» et «Death In The Afternoon». Faulkner y frise le Chris Bailey, son approche du big pop-rock Sainty est parfaite, et avec «Death In The Afternoon», il vise le même pôle Nord du heavy rock underground Sainty avec des accents profonds et le même sens immaculé de l’immaculate, le poids du power est le même, avec les accords et le chant intraitables. Faulkner & Bailey même combat ! Faulkner écrase ses syllabes comme le fait Chris Bailey. Ce n’est pas fini. L’autre sommet de l’album est la triplette «Hallucination», «All The Way» et «Baby Can Dance». Faulkner fourbit bien le fourbi d’Hallucination. Il chevauche son cut et ne le lâche plus. C’est d’une rare puissance. Il drive «All The Way» à la force du poignet, il soigne sa persistance à coups d’Hey hey hey, il lance bien son all the way. «Baby Can Dance» est plus poppy mais accueilli à bras ouverts. Tout ce qui vient de Dave Faulkner est pain béni. Il profite de la moindre occasion pour créer la sensation, alors suivons ce mec à la trace. Il repart à la conquête du monde avec le fast drive d’«I Don’t Know Anything». Il y va de bon cœur, il fait plaisir à voir. Tout est très lesté chez lui. Il ramène de l’énergie dans tous ses cuts, même ceux qui ne payent pas de mine comme «Where That’s Hit». Il pique une petite crise de Punk’s not dead avec «Glamour Puss», c’est assez effarant, et Brad Shepherd passe un joli solo de wah.

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             Faulkner est fou non pas de la chocolaterie de Charlie, mais de son son qui selon lui fluctue entre «guitars-to-11 hard-rock punk and a more melodic pop and psychedelic approach.» Suggitt opine du chef : «Some of their best tunes combine both elements, blending punchy rock with a heathy dose of pop.» Ce que tendrait à prouver l’excellent Kinky qui date de 1991. Faulkner s’y fend de deux Beautiful Songs, «Castles In The Air» et «Desiree». C’est un aspect composital qu’il n’avait pas encore développé. Il pose bien sa voix sur le joli groove de «Castles In The Air». Il se situe dans les harmonies à la Fred Neil, même univers de pureté mélodique, du coup, on dresse l’oreille. C’est d’un niveau qui impose le respect. Même chose avec «Desiree». Sa pop lumineuse fait merveille. Le hit de l’album s’appelle «100 Miles Away». Faulkner y fait du Dylanex et il est infiniment crédible. Ce mec est bon, il est dans sa vision, il sait mener un cut à la victoire, c’est extrêmement puissant. Si tu aimes bien la viande, alors écoute Kinky, mon kiki. Les Gurus font même du Mod rock avec «Something’s Coming». On se croirait au 100 Club in London Town, aw yeah, ils cultivent leur prescience de la présence, avec un faramineux shake de shook. Ils sont tendus et brillants, c’est le Mod rock dont rêvent tous les Mods anglais. Mark Kingsmill embarque «Head In The Sand» dans l’enfer du beurre. Il joue à fond la caisse, alors les Gurus basculent dans le camp des dingos, mais tu n’auras rien de plus que ce que tu entends. Encore une bonne surprise avec «Miss Freelove 69». Chaque cut est travaillé au corps, ils puisent dans les ressources du pop-rock au maximum des possibilités. Effet saisissant car on voit très peu de groupes capables de sauver tous leurs cuts. Avec tout son répondant et son allant, Faulkner devient une rockstar. Il a de bons accents vocaux, il éclate le chant au silice de la solace. Faulkner ne fait jamais les choses à moitié, comme le montre encore «Too Much Fun». Ils terminent en force avec «Dressed In Black». Ils ne reculent devant aucun excès de rock électrique.

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             Attention à Crank. Very big album ! Ils enchaînent deux coups de génie avec «You Open My Eyes» et «Hypocrite Blues». Ce sont des hits inter-galactiques, Faulkner tape «You Open My Eyes» avec tout le power des Small Faces. Il fait du heavy psyché gorgé de jus et de son, il est all over the rolling over. Ses claqués d’accords sont des modèles du genre. Avec «Hypocrite Blues», il passe au heavy stomp de blues rock. Il fonce, il ne prend pas le temps de réfléchir, Faulkner est un fonceur - I know what I mean - Il fait du raise from hell et nous envoie tous rissoler dans la friteuse. Il passe par tous les stades du heavy sleaze, c’est monté sur les accords de Louie Louie, mais avec énormément de viande. Il repique une belle crise de glam avec «Less Than A Feeling», c’est même du heavy glam, Faulkner va fureter partout, il ne vit que pour le full time rock’n’roll et c’est couronné de succès. Quelle stupéfiante assise ! Les Gurus sont même capables de lancer un «Gospel Train» dans la nuit. Ils ont ce genre de réflexe extraordinaire. Les Gurus méritent qu’on se prosterne à leurs pieds. Tout ce qu’ils proposent est bon, bien balancé et inspiré. Faulkner n’en finit plus de repartir à l’assaut avec «Quo Vadis», il impose sa niaque, tu peux l’écouter les yeux fermés, surtout avec «Form A Circle». Il passe en force avec son fast gaga-rock bien remonté des bretelles. Il n’en finit plus de créer son monde, il est partout dans le son. Fin d’album pour le moins spectaculaire avec l’enchaînement de «Judgment Day» et «The Mountain». Faulkner est une sorte de magicien aussie. Il ramène de la Cosmic Americana dans son Judgment Day, alors on le prend encore plus au sérieux. Il termine au Hoodoo heavy rock avec «The Mountain», les Gurus déplacent les montagnes, c’est bien connu. Quel power ! Si on en pince pour les énormités, il faut écouter ça.    

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             En 1996, Faulkner avoue avoir du mal à fournir. Comme Alphonse Daudet, il doit ramener de l’eau à son moulin et il n’y parvient plus. Pourtant il réussit à enregistrer Blue Cave. Suggitt trouve que Blue Cave retombe comme un soufflé. Bon, alors, on va tous se cotiser pour offrir à Suggitt une boîte de coton-tiges. Il se pourrait que Blue Cave soit l’un des meilleurs albums des Gurus. Dès «Big Deal», t’es baisé - Here we go ! lance Faulkner - Heavy Guru stuff. Les Gurus te passent dessus comme une charge de cavalerie, c’est quasi-Stoogy. Pas de meilleur son, surtout de la façon dont c’est amené, les Gurus jouent la carte de la purée, ils ratiboisent tout. Faulkner explose le son par-dessus les toits, on entend rarement de telles dégelées, c’est la patate de Cézanne, Faulkner dégouline de génie, il suffit d’entendre les petits allumages collatéraux, c’est un real deal digne de celui des Stooges, du pur génie sonique, pas de plus belle purée dans la stratosphère, Faulkner percute tous les plans et milite pour l’apocalypse. On ne comprend pas, comment des gens peuvent encore aujourd’hui allumer autant ? Aucun groupe anglais ne sonnait alors comme les Gurus, hormis les Hypnotics de Ray Hanson. Faulkner est le nouveau messie, mais si. Il enchaîne cette horreur avec un «Down On Me» qu’il chante à l’extrême désespérance. Les accords sont emportés par le vent. On trouve encore deux clins d’yeux aux Saints ici : «Always Something» et «Son Of A Gun». Même power, même sens aigu de l’Aussie onslaught, même power de la loco à travers la nuit des Saints de glace - Always something/ It’s never ending baby - Ah il fait bien son Bailey. Pas de doute, les Hoodoo doo be dootent. «Son Of A Gun» est encore plus Sainty que le Saint des Saints, Faulkner pose l’accent tranchant au devant du palabre. Même classe de géant qui s’écroule dans le lagon d’argent - Look at what you’ve done - Tu ne bats pas Faulkner à la course. Il a appris à jouer du tranchant de sa voix, donc il peut modeler son argile au vitam de l’eternam. Retour à la power pop avec «Waking Up Tired». Faulkner a tous les dons, y compris celui d’allumer la meilleure power pop d’Australie. Il faut le voir plonger dedans ! Et c’est visité par des vents de guitares extraordinaires. Tu as du son partout, sur cet album. Avec «Please Yourself», il ouvre le barrage contre le Pacifique pour que ça se déverse. C’est un déluge de son et d’événements extraordinaires. Faulkner ne se limite pas à deux lignes vite torchées. Il évolue dans l’autre dimension, celle des géants, celle qui nous intéresse au plus haut point. Cette façon d’exploser est assez unique au monde. Peu de gens savent le faire aussi bien.

             Comme il sent son puits à sec, Faulkner annonce en 1998 la fin des Gurus - I really thought I’d written myself out - Il dit approcher la quarantaine et admet volontiers que le rock est un truc de jeunes. Bon, c’est quand même un beau parcours, mon gars : 17 ans et neuf bons albums. C’est un palmarès que beaucoup de groupes t’envieraient. Alors ne fais pas ton modeste.

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             Faulkner prend ensuite des vacances prolongées. Lorsqu’il regrimpe sur scène pour jouer dans une fête, il trouve ça si excitant qu’il décide en 2002 de remonter le groupe avec un autre nom, The Persian Rugs. Ils enregistrent un album qui va sonner comme Nuggets, douze cuts avec des sons différents. Leur modèle est surtout l’album des Dukes Of Stratosphear. Faulkner est très fier d’ajouter que les Sonics ont repris son «Be My Woman». C’est vrai que «Be A Woman» sonne comme un hit infectueux. C’est fantastiquement amené au riff tordu, avec une belle volonté d’en découdre. L’ingéniosité de Faulkner règne sans partage sur ce fabuleux shoot de freakbeat so far out, il ne vit que pour ça, le so far out. Comme son nom l’indique, «Kind Of Fool» est bien énervé. Faulkner fait son aussi punk, il a ce qu’il faut de niaque pour maintenir sa crédibilité à flot. «I Want Your Love» pourrait très bien se trouver sur un album des Electric Prunes, ils ne font pas ça pour des prunes. Mais en même temps, ça reste très cousu de fil blanc, avec la petite dominante du riff de fuzz et l’écho du temps. Tu as même le solo que tu mérites, si tu ne vis que pour le gaga. Il faut les voir s’énerver avec «Bad News». Ils sont tellement déterminés à vaincre qu’ils flirtent avec le stomp. Leur radicalisme leur épargne les tourments de la routine gaga. Pas facile de couler du bronze gaga pendant trente ans. S’il est un genre limité sur cette terre, c’est bien celui-ci. Faulkner tente d’y apporter sa touche, on sent à la fois ses efforts et son enthousiasme, c’est très spécial. Il te demande de tendre l’autre joue avec «(Turn) The Other Cheek». Trop pop, et puis de toute façon, n’est pas Gandhi qui veut. Retour de la fuzz avec «1992», mais au service d’une virée un brin new wave mal chantée, à prétention psyché, qui sonne comme une concession. Dommage, car un solo flamboyant le traverse de part en part. «Nickels & Dimes» est vraiment digne de Nuggets, avec ses petits coups d’orgue, ses accords gaga et ses chœurs impliqués. Faulkner tient bien ses promesses. Il annonce un Nuggets album, il te fait un Nuggets album et pouf voilà le killer solo fash qui te fait rêver. Il va plus sur le proto-punk avec «Come Back Little Sheba», c’est excellent, on arrête de chipoter quand on entend ça, Faulkner remet tout au carré, il ramène les énergies fondamentales, il reprend le gaga au point de départ, à coups de come back, ça sonne délicieusement juste, avec encore une fois le killer solo à la clé. Tu ne perds jamais ton temps avec ce mec-là. Il tape dans le rampant avec «Cornered», il continue de bien capter l’attention et mine de rien, ça devient un big album, ce qui explique qu’il soit recherché. Wow, chaque fois, il place un killer solo qui est un modèle du genre. Ils attaquent «Miss Manners» avec les accords de «Psychotic Reaction», histoire de bien enraciner le Turkish Delight. Ils sont décidément irréprochables. Ils auraient pu faire Nuggets à eux tout seuls. Puis ils embarquent leur «Stop It» ventre à terre, fantastique bravado d’hot on heels, encore un modèle du genre, aux limites de la folie Méricourt. 

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             Et pouf, Faulkner remonte les Gurus en 2003. Ils enregistrent leur come-back album Mach Schau, avec Kim Salmon à la prod. Cette fois, le modèle c’est Presence de Led Zep. Faulkner veut a hard-rocking record. Premier coup de génie avec «Domino», amené au deep gaga. Le pire, c’est que c’est excellent, un vrai pâté de wild gaga. Faulkner rend le gaga complètement fou, il en fait un pataquès, il le carbonise, c’est encore un coup à tomber de sa chaise. Alors si tu n’es pas encore tombé de ta chaise, tu vas le faire avec «The Mighty Have Fallen». L’album devient légendaire, Faulkner t’embarque au paradis, à coups d’accords vintage, c’est l’expression du pur génie de la power pop. On trouve pas mal de gros coups de punk’s not dead ici, en particulier «Song Of The Year». Les Gurus sont devenus les champions du monde, ils sont bien plus puissants que les Anglais à ce petit jeu, leur punk est imbattable. C’est du power punk. L’autre shoot de power punk s’appelle «# 17». Puissant et inspiré. «Sour Grapes» qui ouvre le bal est un classique gaga embarqué vite fait en enfer. Faulkner dégage bien les bronches, aw yeah ! Il chante son gut out. «The Good Son» nous rappelle qu’on est une fois de plus sur un big album bardé de son et d’intentions. Faulkner tire sa heavy psyché par les cheveux. Encore une belle violence de la clameur dans «This One Is For The Ladies». Ils jettent de pleines pelletées de charbon dans la chaudière de leur power pop et ça décolle très vite. Si tu veux voir des locos s’envoler, alors il faut écouter Faulkner. C’est un spécialiste. On le voit d’ailleurs exploser en plein vol avec «Girls On Top». Il ne tape que dans le déterminant. Faulkner est un homme passionnant. «Dead Sea» vient encore le montrer : vraie présence vocale, densité du son. Comme Chris Bailey, il sait ce qu’il veut. Il fait encore son diable Vauvert dans «Monkey’s Wedding» et fout une pression terrible sur «White Night». Il conclut avec «Chop», explosé aux heavy chords. Ce mec ne t’accorde aucun répit.

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             Pour situer Purity Of Essence, premier album de reformation paru en 2010, on pourrait parler de rafale d’énormités. Dès «Crackin’ Up», ça tape dans le dur, comme dirait un maçon portugais. Faulkner émaille son cut de fast chords de pop punk, c’est magnifique, ça grouille de vie, c’est noyé de son et comme d’usage avec Faulkner, d’un son qui reste le meilleur son. Tout aussi ravageur, voici «Burnt Orange», plus punk, ce vieux démon de Faulkner se livre à des excès, il en a les moyens. Il chante son punk du coin du nez et ramène de la folie sonique à la pelle. Il se lance continuellement à la conquête des cœurs. Ça tourne au heavy blast visité par ce fou de Brad Shepherd. Encore du fast punk avec «What’s In It For Me», il y va de bon cœur, le Faulkny Faulknah ! Allez les gars, on y va, ils font même des chœurs des Dolls ! Après les énormités, c’est-à-dire les entrées, voici les coups de génie, c’est-à-dire le plat principal : «I Hope You’re Happy» et «1968». Il passe au wild gaga pour Happy, il développe son big drive de knock on wood/ I wanna be understood. Il termine en mode cant I get a witness. Quant à «1968», c’est juste avant «1969», donc pas étonnant qu’on y retrouve les accords des Sttoges et les clap-hands, mélangés aux accords de «Dropout Boogie» - It’s never too late - Une autre merveille : «Why So Sad», drivé au shuffle d’orgue, So why so sad/ Little girl, Faulkner ne recule devant aucun obstacle, c’est l’apanage des vainqueurs, il finit en puissance mille de belle apothéose. Stupéfiant ! Il tape son «Let Me In» au marteau piqueur et il fait de la fake Americana avec «Somebody Take Me Home». Toute l’ampleur du saloon électrique est là, il tape dans le heavy rocky road de balladif graveleux, il sait tout faire, même le whisky bottle d’Americana. Quand il fait du fake, il ne fait pas semblant. Il ne fait pas semblant non plus d’enregistrer des grands albums. 

             En guise de chute, Suggitt déclare : «Les Gurus n’ont jamais vraiment connu la gloire, ils se sont contentés de choses plus simples comme d’écrire et de jouer de great songs with style, wit and verve.»

    Signé : Cazengler, Hoodoo gouré

    Hoodoo Gurus. Stoneage Romeos. Big Time 1984

    Hoodoo Gurus. Mars Needs Guitars. Big Time 1985

    Hoodoo Gurus. Blow Your Cool. Big Time 1987

    Hoodoo Gurus. Magnum Cum Louder. RCA Victor 1989

    Hoodoo Gurus. Kinky. RCA Victor 1991

    Hoodoo Gurus. Crank. RCA Victor 1994

    Hoodoo Gurus. Blue Cave. Mushroom 1996

    Hoodoo Gurus. Mach Schau. Capitol Records 2004

    Hoodoo Gurus. Purity Of Essence. Sony Music 2010

    Persian Rugs. Turkish Delight. Capitol Records 2003

    Phil Suggitt : Wherefore are thou Romeos ? Shindig! # 125 - March 2022

     

     

    Inside the goldmine - Young Frogman blues

     

             Notre rencontre dans un bouge mal famé n’augurait rien de bon, et pourtant elle évolua d’une façon aussi extraordinaire qu’imprévisible. Cet aventurier qu’on appellera D (Di) avait roulé sa bosse dans le monde entier et ce dès le plus jeune âge. Fils d’un officier militaire britannique, il connaissait la Jamaïque, Aden et Nairobi pour y avoir vécu, et d’autres endroits encore plus exotiques. Il s’inscrivait dans la lignée des Robert-Louis Stevenson, des Jack London et autres Herman Melville, des noms auxquels il faudrait ajouter bien sûr ceux d’Henry de Monfreid, Joseph Kessel et Blaise Cendrars. Il avait tapé sur sa Remington un premier recueil de souvenirs, il vénérait Kurt Schwitters au point d’avoir transformé son appartement de Charing Cross Road en Merzbau et bien sûr, il avait fait du cinéma dans les early sixties : du cinéma commercial pour des clients américains, un cinéma qui ne portait pas encore le nom de ‘pub’. Un jour, alors que nous fumions une clope au soleil, D prit la liberté de lancer un projet : «Let’s make a movie !». Quarante ans après, cette phrase résonne encore dans l’écho du temps. Nous travaillâmes six mois d’affilée sur le story-board d’un scénario qui germait en lui et que je dessinais, jour après jour. Le film racontait les pérégrinations d’un peintre d’art contemporain, qui était un sosie d’Elvis, dans le Swingin’ London des art galleries. D se fondait tout entier dans le personnage du peintre et tissait l’intrigue à partir de dialogues qu’il voulait dignes des réparties d’Oscar Wilde. Il théâtralisait à l’Anglaise et veillait obsessionnellement à la musicalité de la langue. Un vrai Lord Henry, sa prosologie grouillait d’aphorismes et dans sa magnanimité, il me fit endosser le rôle du Frogman qui parle en broken English et dont les Londoners se moquent dès qu’il ouvre la bouche, ce qui correspondait bien à la réalité. Nous avions deux cents pages au format raisin et il prit un jour l’avion à destination de New York où, disait-il, se trouvait un executive producer de sa connaissance qui allait financer le projet. Bien sûr, le projet resta à l’état de projet car le vol British Airways disparut ce jour-là dans l’Atlantique et chaque nuit, le fantôme de D prenait la liberté d’une petite visite pour venir scander d’une voix grave un truc du genre : «Be yourself Frogman, everyone else is already taken.»

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             Il existe par contre un Frogman célèbre, le fameux Clarence Frogman Henry. Tony Rounce rappelle dans le booklet d’une compile Ace qu’on évoque plus loin que la carrière de ce Frogman s’étend sur sept décennies. C’est le succès de Fatsy en 1946 qui le pousse à vouloir faire carrière et aussitôt après la fin de l’école, il entre dans les Toppers de Bobby Mitchell. En 1953, il entre pour la première fois dans le studio de Cosimo Matassa pour jouer du trombone.

             En 1961, Mike Fenton a onze ans et il découvre Frogman dans le hit-parade du NME. Cinquante ans plus tard, il va le rencontrer à la Nouvelle Orleans. Frogman lui raconte qu’il a appris le piano à l’âge de huit ans - It was Miss Jones on Columbus & Clairborne, she taught me the fundamentals of the piano. I taught myself my style, though - I wanted to be like Fats Domino - Ado et vivant à Algiers, Frogman traîne dans les barrooms et se régale de voir jouer Professor Longhair. Après qu’il se soit fait virer des Toppers, Frogman monte son propre groupe et une nuit, il joue un riff au piano - I hit this riff on the piano and I just built on the riff with words about people that ain’t got no home and then the chicken ain’t got..., the fox..., the frog. I kinda made it up on the spot and the crowd went crazy - C’est bien sûr «Ain’t Got No Home» et c’est Paul Gayten qui envoie cette démo à Leonard le renard qui prévoyait de venir à la Nouvelle Orleans rencontrer Bobby Charles. Frog enregistre son hit chez Cosimo et Leonard le renard le signe sur Chess. 

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             Son premier album You Always Hurt The One You Love ne sort pas sur Chess mais sur le sous-label Argo, en 1961, et c’est Robert Guildry, c’est-à-dire Bobby Charles, qui donne un coup de main à la prod. Comme c’est un blanc qu’on voit sur la pochette (assis sur le banc) les gens croient qu Frogman est blanc. En 1957, «Ain’t Got No Home» est un hit. C’est lui qui boucle le balda, Frogman tape le vrai jive de la Nouvelle Orleans, un son unique au monde. Il nous fait même une imitation de Shirley & Lee. Encore un vrai jump de Frog avec «Oh Why», monté sur un énorme drive de basse. Il tape aussi le «Live It Right» d’Allen Toussaint au piano de barrellhouse. En B, le tempo monte en grade sur «Little Suzy» et Frogman nous fait la grâce d’un slow groove de charme chaud avec «Just My Baby & Me». Même combat que Fatsy, et il termine avec «Oh Mickey», un fast & furious jive de la Nouvelle Orleans. Wow, ça swingue chez Frog !

             Frogman évoque son ami Bobby Charles : «Bobby was my best friend, had a voice like a soul brother, was what you’d call an hermit, lived out in the swamps. I think he grew up around blacks out in the Bayou.» Frogman se fait assez de blé pour acheter une maison à Algiers où il peut installer sa famille. Fenton dit que la maison grouille aussi de grenouilles en céramique, en plastique, toutes sortes d’objets que lui envoient ses fans. Des centaines de grenouilles. Il tourne en Angleterre en 1962 avec Tony Orlando, Bobby Vee et les Springfields dans lesquels chante une Dusty chérie encore inconnue. Puis c’est la British Invasion. Frogman se produit en première partie des Beatles au Canada et aux États-Unis. C’est Bob Astor qui le met à l’affiche de la tournée, avec Jackie DeShannon et le Bill Black Combo. Quand Fenton demande à Frogman ses impressions sur l’Angleterre, c’est la rigolade : «Went up to the Palace and man, them Guards, they just don’t move!» Et il ajoute : «The English sure did like their tea-time.»

             Quand le contrat Chess arrive à terme, Bob Astor emmène Frogman voir Huey P. Meaux. Les singles de Frogman vont sortir sur Parrot Records (sous-label de London in the US qui distribue the British Decca - Zombies, Them, etc.). Rounce suppose que Meaux présidait aux sessions d’enregistrement, humant la présence du Huey Meaux’s unmistakable Acadian twang. Rounce indique aussi que Bobby Charles composait énormément pour Frogman, d’où la country flavor de certains cuts.

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             On trouve trois très belles covers sur Is Alive And Well Living In New Orleans : «Mohair Sam», «Blueberry Hill» et «Let The Good Times Roll». Frog prend le Mohair au heavy r’n’b de la Nouvelle Orleans. Le bassman s’appelle Erving S. Charles et il groove comme mille diables. Puis Frog tape dans le Blueberry Hill avec la même chaleur humaine que Fatsy. C’est une merveille de sweet melody et d’épaisseur humaine. Superbe hommage. Il rend en B hommage à Shirley & Lee avec le fameux «Let The Good Times Roll», il imite la voix de Shirley, c’est lui qui fait la petite délurée. Il continue de faire le con avec «Little Green Frog», il croasse comme une grenouille. C’est digne de Mr Quintron, il est sur le mode de «Mr Personality», il croasse dans le bayou. Genial Froggy ! L’album est très solide, il faut le voir le Frog attaquer sa B avec le «Just Because» de Lloyd Price. Fantastique connexion, superbe entente, aussi bénéfique que l’entente Frog/Fatsy. Encore de la fantastique allure avec «Tear Drops» - Every time it rains/ I think of you - Et bien sûr ça le rend triste. Le slow blues de «Red Sails In The Sunset» lui va aussi à ravir. Il est dans cette énergie extraordinaire. Il chante encore son «Send Me Some Lovin’» à la perfection. Quel fantastique Soul Brother ! Et c’est visité par un sax de la Nouvelle Orleans.   

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             Si on veut goûter la modernité de Frogman, il faut écouter cet excellent album :The Legendary Clarence Frogman Henry. Il s’y montre aussi moderne que Fatsy et Lloyd Price. Sa cover de «When A Man Loves A Woman» est fascinante. Quelle classe ! Il chante au grain de voix cassé, il a de la black mélancolie plein la bouche, quel fabuleux artiste ! Il tape «Take It On Here» au pur jus de Fatsy, il chante avec une faramineuse aisance et croone comme un gator. Et pouf, il reprend «The In Crowd» de Ramsey Lewis, un hit rendu célèbre par Bryan Ferry. Frogman le prend par les hanches et le chante au yeah-eh. En mâchant sa diction, il fait de l’art moderne. Il croone encore comme un dieu du bayou avec «For Your Love». Il est l’un des géants de son temps, avec Fatsy. Il attaque son bal de B avec «Ain’t No Pleasin’ You», il t’embobine en deux temps trois mouvements. Il chante comme un fier Frogman. Il fait un groove de pop à l’ancienne avec «Gonna Sit Down And Write Myself A Letter» et tape son «Just A Matter Of Time» à la pureté évangélique. C’est le même fil mélodique que «Sometime After Awhile».  

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             En 2015, Ace pondait une belle compile de Frogman, Baby Ain’t That Love - Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Il l’attaque avec l’irrépressible «Ain’t Got No Home». Il fait tout le boulot. C’est assez explosif pour l’époque, il tape dans tous les registres, Shirley & Lee, le gator. C’est le big jumpy jumpah de la Nouvelle Orleans. Il fait aussi une cover superbe du «Sea Cruise» de Frankie Ford. Sa cover est même un peu étrange, oh oui baby, elle flirte avec la calypso, et même le ska. Rounce nous explique que Meaux avait acheté des backing tracks en Jamaïque et qu’il a collé la voix de Frogman dessus. Rounce ajoute que Meaux a sorti des milliers de singles en vingt ans et qu’il est impossible d’en faire l’historique. Par contre, Frogman est toujours au rendez-vous. Comme Fatsy, il est là pour l’entertainment. Petite merveille que de «Cajun Honey» - Mon cher ami/ In the South of Louisiana - c’est extrêmement pointu, il est en plein dedans. Avec «Cheatin’ Traces», il monte en puissance comme Fatsy, même force tranquille, il chante à la virgule du big black power. Il est toujours sur le trente-et-un du son. Il monte encore d’un cran avec «I Can’t Take Another Heartache», c’est quasiment du Motown avec des chœurs de filles, il est excellent, il chante comme un cake, il monte bien en neige. Il touche à tous les genres, le voilà barré en mode country avec «Hummin’ A Heartache» et «That’s When I Guessed». Avec «We’ll Take Our Last Walk Tonight», il passe à un son plus moderne, plus country-rock, à coups d’acou et d’harp. D’après Rounce, c’est du recyclage de Doug Sahm. «We’ll Take Our Last Walk Tonight» et ce fantastique shout de country Soul qu’est «In The Jailhouse Now» - Oh oh yeah - figurent sur le premier album du Sir Douglas Quintet paru en 1965. «In The Jailhouse Now» est signé Jimmie Rogers, the founding father of country music. Frogman est un chanteur passionnant. Comme Fatsy, il a une vraie chaleur de ton. Il tape son «Mathilda» à la bonne franquette.

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             Comme toutes les compiles Crazy Cajun Recordings, celle consacrée à Frogman est de la dynamite. I Like That Alligator Baby démarre avec sa version de «Sea Cruise», ce fabuleux classique de nothing to lose. Huey P. Meaux does it right. Pure génie de froggy motion avec «Cheatin’ Traces», Frog fait son Fatsy, Frog est lui aussi un seigneur de la guerre, l’un des géants de cette terre. L’autre coup de génie, c’est le fameux «I Can’t Take Another Heartache», il fait un mix de Texas Meaux et de Motown avec des filles aux chœurs, pur chef-d’œuvre de feely Frog, il chante ça au sommet du lard fumant. Et puis on retrouve ce heavy dirty blues, «A Certain Girl», ah oui, can I tell uhh, l’expression du génie vocal, fantastique artiste, il travaille la diction du blues, rien ne vaut Frog au heavy blues de Meaux. D’autres merveilles refont surface comme «Lovin’ Cajun Style», mon cher amiiii, c’est une énergie à part entière - Well the do ré miii - Tout est pourri de son chez Meaux. On entend même les guitares du Swingin’ London dans «We’ll Take Our Last Walk Tonight» et il fait son Wilson Pickett dans «Socka-Diddley Alabama», c’mon Jojo !

    Signé : Cazengler, Clarence Frogmare aux canards

    Clarence Frogman Henry. You Always Hurt The One You Love. Argo 1961 

    Clarence Frogman Henry. Is Alive And Well Living In New Orleans. Roulette 1970  

    Clarence Frogman Henry. The Legendary Clarence Frogman Henry. Silvertone 1983

    Clarence Frogman Henry. I Like That Alligator Baby. The Crazy Cajun Recordings 1999  

    Clarence Frogman Henry. Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Ace 2015

     

     

    L’avenir du rock - Ripley it again, Sam (Part One)

     

             De la même façon que la môme Piaf, l’avenir du rock voit la vie en rose. Non pas qu’il soit entré dans son cœur une part de bonheur dont il connaît la cause, il s’agit plutôt d’une disposition naturelle. Il n’a rien contre le romantisme puisqu’il offre toujours des dead flowers à ses amis lorsqu’ils se marient, mais en même temps, il n’apprécie pas qu’on lui offre des roses, pour faire écho au Paralytic Tonight de son vieil ami Chris Bailey. Si l’avenir du rock voit la vie en rose, c’est surtout grâce à Elvis qui se pointa en 1954 chez Scotty Moore sapé en Elvis : chemise et pompes blanches, pantalon rose avec une bande noire sur la hauteur du côté. L’avenir du rock adore aussi transformer légèrement la «Red Cadillac And A Red Moustache» de Warren Smith en «Pink Cadillac And A Red Moustache», car il préfère voir cette vieille Cadillac qu’il vénère en rose. Des roses encore sur les Nudie suits des Flying Burrito Bros et de Papa Nez, le révolté du Bounty des Monkees, encore un vénérable chouchou, mais il va s’émouvoir de la même façon devant un beau tattoo de rose où, pire encore, devant un bouquet signé Fantin-Latour, l’un des coloristes les plus explosifs de son temps. Amateur de rose, l’avenir du rock se souvient d’avoir violemment frémi à l’écoute du Pink Moon de Nick Drake et d’avoir admiré le Pink Flag de Wire lorsqu’il claquait encore au vent. Il n’aimait le Frijid Pink que pour son Pink et le Pink Floyd que pour son Syd, certainement pas l’after-Syd, pouah, ah non, pas question ! S’il ne reste qu’un rose, ce sera celui des Pink Fairies, l’avenir du rock est catégorique sur ce point. Il se souvient d’avoir longtemps vu la vie en New Rose, au temps où la rue Sarrazin grouillait de Memphis cats et de Saints. Il aimait beaucoup les Roses du temps où elle étaient Savage ou bien Black, comme celle de Thin Lizzy, encore un tenant de l’aboutissant. Et lorsque Wayne Kramer attaquait «Ramblin’ Rose» au Grande Ballroom, le monde entier twistait sous l’œil égrillard de l’avenir du rock. D’ailleurs, il peut continuer de jubiler, car comme dirait Dave Vanian, there’s a new rose in town : Rose City Band !

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             Après avoir défrayé la chronique de la Mad Psychedelia avec Wooden Shjips et Moon Duo, l’ineffable Ripley Johnson entreprend de la redéfrayer avec un nouveau projet : Rose City Band - his psychedelic motorik-choogle project - et un premier album sans titre paru en 2019. Il annonce tout de go qu’il est passé à autre chose, à ce qu’il appelle le «private press hippie country-rock, stuff like Kenny Knight and Jim Sullivan and Kathy Heideman, the ‘70s cosmic country stuff and all of the good time summer records». Il cite aussi Creedence, Van Morrison et Lucinda Williams, «stuff that has a more country feel. I call it porch music. Tu t’assois sous ton porch et tu écoutes Eat A Peach or something». Voilà pour les influences qui l’ont conduit à Rose City Band. Il cite aussi le Dead et Mighty Baby.

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    L’album parait coupé en deux : country-rock en A, avec du balladif de country-rock joué en profondeur («Rip City»), de la pop un peu psyché, d’une belle lenteur cadencée («Me And Willie») et une B absolument somptueuse.  «Rivers Of Mind» donne le ton. Cet up-tempo phagocyté passe en mode hypno rudement bien agencé. Une belle corrélation s’établit sur l’échantillon représentatif. On l’adore le Ripley quand il replay it again Sam. Pour honorer «Fear Song», il gratte ses vieux accords de revienzy et crée un fantastique espace de négociation ! Wow, ce sont des accords sixties de sixtine enchaînés en allers et retours et c’est là, très précisément, qu’il bascule dans le spiritus sanctus. Le son coule comme du miel dans la vallée des plaisirs. Ce mec dispose d’un atout majeur qui s’appelle le sonic genius, il soupèse bien les boules de gomme du mystère. Une fois de plus, il flirte avec l’élégie mavérique du Velvet.

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             Summerlong date de 2020. Le vieux Ripley n’est pas avare d’énormités puisqu’il en propose trois, à commencer par l’«Only Lonely» d’ouverture de bal. Il te claque ça au heavy country-rock, il goinfre sa pulpe de son de magie, ce vieux grigou est un éclairagiste de génie. Pas de pire Americana que celle-ci. Beat entêté et vision panoramique, voilà ses deux vieilles mamelles. Il ramène du solo de clairette alors qu’on ne lui demandait rien. Le vieux Ripley est comme ça. Il fait uniquement ce qu’il a envie de faire, si t’es pas content, c’est pareil. Il ramène du gratté de derrière les fagots et il chante comme un vieux dieu barbu. Sa country-pop est littéralement visitée par la grâce. T’auras jamais ça ailleurs. Il attaque «Morning Light» au pur Cosmic, son country-rock sent bon la renaissance. Le vieux Ripley chevauche un étalon, il file vers l’horizon avec des coups de steel. Il est splendide, il file comme Hopalong Cassady. On le perd de vue. No way out encore avec «Reno Shuffle». On les voit jouer de dos, ils avancent au heavy beat. Ripley va ensuite chercher son «Empty Bottles» au fond du désert, c’est courageux de la part d’un vieux débris comme lui, mais bon, il y va. Il repart à la conquête du monde avec «Real Long Gone». Il n’est pas du genre à baisser les bras. Il part en mode heavy boogie et crois-le bien, c’est d’une élégance à toute épreuve. Le vieux Ripley te claque le meilleur boogie de Nashville. Méchante énergie ! Ça joue à la ferveur d’un country-rock devenu fou. Et puis voilà «Wee Hours» taillé au cordeau dans un groove classique. Il développe des clameurs extrêmes, ses descentes de guitare sont toujours miraculeuses, il maintient l’éclat de son quicksilver flash jusqu’au bout de ce bel album.

             Il avoue travailler à l’ancienne : «Quand j’ai une idée, je l’enregistre sur mon téléphone.» Avec la tête qu’il a, ça ne surprendra personne (qu’il travaille à l’ancienne).

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             Paru l’année suivante, Earth Trip n’est pas un summer record. Ripley avoue avoir été perturbé par cet enfoiré de Pandemic. Alors il fait un winter record, caus’ it was kind of a downer time. C’est un album shamanique car Ripley révèle que la nature lui parlait pendant les confinements : «Hey things are not alright.» Ripley est inquiet, car il lui semble que la plupart des humains n’entendent pas ce message. Rien ne va plus, lui dit la nature.

             Comme il se dit obsédé par la pedal steel, on l’entend partout sur Earth Trip, surtout dans «Rambling With The Days». Il est à fond dedans, il vise la pureté de l’horizon, ce qu’on traduit musicalement par Cosmic Americana. Le vieux Ripley est un fantastique débusqueur de cactus. Il laisse semble-t-il tomber l’hypno et le Velvet. Si on ouvre le digi, on le voit se promener au bord de la rivière sans retour. Il devient bucolique, notre vieux pépère. Avec «In The Rain», il joue la vieille country-pop d’un mec qui serait revenu de tout. Ça manque un peu de magie, mais il reste le maître du jeu. Pour combien de temps ? Il laisse tomber la mad psyché pour aller à la pêche, une façon comme une autre d’économiser ses forces pour l’avenir. S’il chante ça, c’est qu’il doit chanter ça. Mais il chante d’une voix pure, d’une voix de jeune homme. Il a su garder son ingénuité. Et puis comme toujours, il va nous surprendre avec «Dawn Patrol», un cut qui sonne comme un remugle de Stonesy. On croyait l’hypno disparu, mais c’est trop ancré en lui, il y revient. Il joue son Dawn Patrol à la note heavy, à la Croz, à la note de chacal d’If I Could Only Remember My Name, il dérive dans les tons rouges de haze de craze, le vieux Ripley recrée ça bien, sans mot dire, il rend hommage à la drug culture en s’abandonnant à une dérive subliminale. Pur acid trip. Rien qu’avec ça, tu es dans l’avenir du rock. 

    Signé : Cazengler, Pipelette Johnson

    Rose City Band. Jam Sandwich Records 2019

    Rose City Band. Summerlong. Thrill Jockey 2020

    Rose City Band. Earth Trip. Thrill Jockey 2021

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    Ripley Johnson : Album by Album. Uncut # 292 - September 2021

     

     

    SPACESEER

                    N’aurais jamais rédigé une chronique sur  Spaceseer si son nom n’avait pas été crédité par Thumos pour son importante participation à la réalisation de The course of Empire voir notre livraison 559 du 07 juillet 2022. Thumos et Spaceseer n’ont pas bossé ensemble dans le même studio, l’Amérique est grande et des milliers de kilomètres les séparent, Thumos envoyait ses premières pistes, Spaceseer y ajoutait son grain de sel, et Thumos travaillait à partir de cet apport. Une navette incessante s’est ainsi établie durant des mois, l’auditeur peut juger du résultat sur le bandcamp de Thumos. Ou de Spaceseer. 

             Définir Spaceseer n’est pas chose aisée, ses créations sont innombrables et abordent des horizons soniques très différents. Ce n’est pas un groupe mais un homme seul, parfois accompagné, ce qui ne l’empêche pas de se greffer sur des projets différents. Le plus simple est de le laisser se décrire, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Attention, accrochez-vous aux petites herbes avant de le classer dans la catégorie des doux rêveurs. Spaceseer signifie voyant de l’espace, nous comprendrons mieux si nous traduisions par écouteur de l’espace. Spaceseer entend d’étranges ou du moins inhabituelles choses. Des fragments d’histoires venues de très loin, de galaxies et de périodes temporelles lointaines, il essaie de les traduire en musique. Se voit un peu comme un transmetteur d’évènements qui se sont déroulés en des lieux qui ne s’inscrivent pas dans les cadres de notre sphère conceptuelle purement humaine.

             Ainsi le monde dont il parle il le nomme The Body, il est habité par trois sortes d’êtres, le peuple Kylii, les Fleurs qui marchent, le peuple des Fulgen les sortilèges silencieux, et les Colosses du Dieu Electrique Kharyatt. Oui il est fou. Aussi fou que Tolkien et son Seigneur des anneaux, aussi captivant que Lovecraft et le mystérieux cycle de Cthulhu. Souvent les humanoïdes se contentent de rêver selon des récits fondateurs enseignés dans les écoles, beaucoup moins se permettent d’inventer leurs propres mondes et leurs propres mythologies. Weird scenes inside the gold mine chantait Jim Morrison, vous ne savez pas tout ce que vous trouverez dans les galeries de votre cerveau si seulement vous commenciez à les explorer.

             En plus de noter par écrit ces divagations  ( nous employons ce vocable en son sens mallarméen qui signifie pensée abstruse pour beaucoup ), Spaceseer les traduit en musique. Une démarche qui n’est pas sans rappeler les enluminures – dans la même veine songez aux Illuminations rimbaldiennes - vivement coloriées dont William Blake entourait ses Chants d’Innocence et d’Expérience, car il ne faut point l’oublier que ce qui vient de l’intérieur provient aussi de l’extérieur et vice-versa. Oui, c’est vicieux et versatile. Evidemment comme par hasard Spaceseer illustre ses œuvres et écrit des textes – à entendre comme les chapitres épars d’un vaste roman, a work in progress peut-être aussi foisonnants que le cycle du graal, qui sont comme autant de portes d’entrées de son œuvre musicale.

             Nous avons choisi pour cette première approche d’écouter un extrait du cycle The Body.

    THE CLIMB OF CELASTRA CAMPSIS

    ( 564  AT / février 2022 ) 

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    Cet épisode se suffit à lui-même et est paru quelques mois avant The Course of Empire. L’histoire en elle-même est une légende, celle de Celastra Campsis une femme Kylii qui après de longues observations a conclu que le volcan endormi qui se dresse pas très loin de ses champs est un colosse espion endormi du dieu Kharyatt, elle s’en est aperçu en devinant dans les pentes de la montagne la silhouette d’un ancien guerrier Kylii momifié dans la glaise du cône volcanique vraisemblablement tué en des temps immémoriaux par une émission de fumée empoisonnée... Maintenant le colosse est plongé dans un profond sommeil, et elle parvient à lui transpercer le cerveau d’un coup de lance en la lançant dans le cratère. Les faits rapportés sont symboliques, ils doivent être interprétés à un niveau supérieur. Cette femme courageuse qui monte sur le volcan n’est qu’une transposition enfantine du principe vital du peuple-fleur Kylii, car les fleurs poussent en s’exauçant vers le haut, vers le soleil de leur existence. Notons que Goethe professait en ses travaux naturalistes la même idée d’une exaltation végétale, d’un mouvement primordial vers le haut qu’il définissait comme le principe même de toute végétalisation. Deux plans dans cette histoire, l’un empli de naïveté outrancière et fabuleuse, l’autre de subtiles et savantes réflexions sur la nature des choses. L’image grossièrement colorée, et la toile d’araignée translucide de l’explication intellectuelle. De la représentation du monde par la pensée. Nous ne sommes pas loin d’une démarche platonicienne, le mythe de la caverne n’est pas une grotte de pierres concrètes.  Le tout est de savoir comment Spaceseer va musicalement procéder.  

    Spaceseer : Christopher Robert Andreasen : bass guitar  / modular analog & synths / drum programing

    Bruits imperceptibles, des semblants de pas, serait-ce Celastra sur les premières pentes de son ascension, surtout ce bourdonnement transpercé de quelques chuintements, en progression continue mais lente très lente, tintements ferblanctiques, légère très légère accélération du fredonnement, ne serait-il pas en train d’atteindre une certaine volatilité, tremblements, l’aventure deviendrait-elle davantage périlleuse… Toujours ce bruit de cloche de vache sur les alpages, le bruissement chantonne, ni très haut, ni très fort, quelques écrasements de simili cymbales, l’on ne peut pas dire que Spaceseer joue sur une dramatisation excessive, si ce n’est comme des ondées de douceur et comme un pépiement d’oiseau qui se confond bientôt en une espèce de grincement qui va s’amenuisant. Jusqu’à l’inaudible. Rien ne se serait donc passé ? Nous attendions une geste tonitruante et nous n’avons eu que l’ombre d’une idée déployée à l’image d’un rouleau de matière plastique que l’on déroule sur une Table. Ronde dont les héros seraient revêtus de l’inconsistance du rêve.

    Laissons infuser dans notre esprit. Une autre fois nous pousserons une autre porte du labyrinthe, sans savoir où elle nous mènera. N’empêche que ce matin moi qui hier soir voulais terminer cette chronique là je reste sur ma faim, alors je décide de m’aventurer à pousser l’huis qui précède la parution The Climb of Celastra Campsis.

    FERAL MOON

    ( Décembre 2021 )

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    Encore une étrange histoire. La couve reste un tantinet énigmatique. A première vue des arbres. A la réflexion l’illustration ne déparerait pour accompagner un conte de ma mère l’Oye de Charles Perrault, par exemple la scène du Petit Poucet perdu avec ses frères dans le bois qui les mènera jusqu’à la maison de l’ogre. Ce qui retient l’attention ce sont ces espèces de gribouillis que l’on pourrait facilement prendre pour des entremêlements de ronces. Fixez-les, des formes semi-fantastiques s’en dégagent, d’apparence à peu près humaines ou animales.

    Evidemment nous sommes loin du conte. Encore un invraisemblable récit. Nous sommes en l’ère 307, rien à voir avec notre antiquité, au temps anciens de Kylii, des paroles d’une prêtresse bannie ont été retrouvées dans les arbres. Non elles n’ont pas été gravées sur l’écorce, c’est les arbres qui en ont gardé la mémoire, vous ne le savez peut-être pas mais les arbres parlent et chantent, il suffit de savoir les enregistrer. Ce que l’élite savante appelée Qyo de la nation Kylii est capable de faire.

    La chose peut vous sembler extravagante, mais le romancier Henri Bosco mort en 1976 aborde des thèmes similaires au travers d’une dizaine de romans qui forment l’épine dorsale de son œuvre. Il est vrai que Bosco était particulièrement sensible aux réseaux mystérieux que la mort et les morts entretiennent avec le rêve et les rêves des vivants. Bosco fut un être que nous qualifierons de pondéré, mais légèrement plus attentif que la moyenne de ses contemporains à la réalité tremblante des apparences. Rien de la folie nervalienne chez lui, même si les deux œuvres se répondent, pas un voyant, mais un voyeur, un guetteur d’ombre et d’ombres.

    Feral Moon ( Lune sauvage ) rapporte les paroles de la prêtresse incomprise en son temps et dont on aimerait réhabiliter la mémoire. Comme par hasard la prêtresse nous livre son nom : Nerva. Rappelons que Nerval prétendait descendre de l’Empereur romain Nerva. Que Nerval signifie Noir val ce qui est la moindre des choses lorsque l’on a longtemps vécu dans la forêt de Mortefontaine. Pour ajouter un peu de noirceur blafarde à ce qui précède, signalons que les œuvres de Bosco et de Nerval communiquent entre elles par ce que l’on pourrait nommer un puits d’ombre lunaire. N’en jetons plus, il est temps de nous mettre à l’écoute.

    Spaceseer : Christopher Robert Andreasen : bass, synths, drum programing  / Nathan Curtis Richardson : guitar  / Raven Jezzannah : vocal.

             Un bruissement venu de loin, accompagnement parfait pour un film de science-fiction dont les premières images profileraient les formes d’une escouade de soucoupes volantes se dirigeant vers la terre. A rebours de cette ambiance la voix de Raven Jezzannel lit paisiblement le premier couplet des paroles de la prêtresse. Un peu d’objectivité ne nuit pas à la nuit. Ce n’est pas la voix de la Nerva la sorcière désespérée   qui retentit à nos oreilles, ni les paroles prononcées en leur langage par les arbres – souvenez-vous du chêne sacré dont le prêtresses grecques de Dodone interprétaient le bruissement des feuilles pour rapporter les désidérata de Zeus – nous entendons l’objective lecture d’une speakerine radiophonique dépourvue de tout affect lisant le bulletin météo… le background musical se muerait-il en harmonie imitative, sont-ce des tuyères lointaines d’engins interplanétaires, ou les murmures indistincts de frottements de feuilles agitées par une brise légère, ou la tentation de traduire en sons cette fissure dans le temps qui permet au passé de surgir dans l’actualité du présent… L’on se perd dans des tintements de porcelaines sur le marbre mouillé de l’évier, des bruits pour évoquer le silence d’une confession prononcée à voix basse et peut-être même à l’intérieur de soi, car les arbres entendent peut-être aussi les paroles de nos pensées, l’intensité du son ne varie pas même s’il devient clameur en nos oreilles, Nerva a cédé à la tentation, elle a perdu la foi en la cause Kylii, ce sont des larmes qui coulent maintenant, des stridences nous percent les oreilles, elles ne sont pas si fortes que cela, mais toute chose dépend de l’importance qu’on lui apporte, pensez à la note unique de John Cage sans cesse identique à elle-même mais sur laquelle votre écoute brode d’infinies variations, le morceau ne se termine pas vraiment, il s’éloigne, il s’absente de vous, il retourne de là d’où il est venu. La musique est inutile puisque Nerva n’est plus là, elle est morte une deuxième fois, la première c’était quand elle avait perdu la foi, étrange initiation où il faut mourir deux fois pour ne pas renaître.

             Feral Moon est beaucoup plus ambitieux que The Climb of Celestra Campsis. Ce dernier raconte et interprète une histoire, Feral Moon est une méditation sur le temps, sur sa fugacité qui fonde l’éternité du présent qui donne sens à l’acte de vivre. L’important ce n’est pas que la mémoire de Nerva sera réhabilitée, mais qu’elle est réhabilitée parce qu’elle-même s’était réhabilitée par rapport à elle-même.

             L’on ne se surnomme pas Raven Jezzannah par hasard. Symboliquement le corbeau est le messager qui unit le monde des morts au monde des vivants… celui dont le regard plonge dans le passé et dont les yeux se tournent vers l’avenir. L’éternel témoin de la vie et de la mort

    Damie Chad.

     

    *

            De retour de vacances je vous présentais un roman, Le vibrato mundi de Didier Lauterborn, j’avais privilégié l’axe théorique et métaphysique dans ma chronique de cet ouvrage qui se lit comme un roman d’aventures physiques et mentales, certains ont pu la trouver ardue, voici que Didier Lauterborn m’envoie deux CDs de Niki Gravino, dont il a écrit les paroles. La beauté du chant et la simplicité des lyrics obligée par le l’étroit format employé permettront peut-être mieux de saisir en partie la vision du monde de Didier Lauterborn.  

    WITH NIGHT VISION YOU CAN DRAW YOUR LIFE

    NIKI GRAVINO / DIDIER LAUTERBORN

    Niki Gravino : music & vocals / Mark Vella : Drums / Didier Lauterborn : words.

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    ( Niki Gravino sur votre gauche, Didier Lauterborn sur votre droite )

    NIGHT VISION

    Voice of infinity : comme des mains sur une caisse claire, une entrée en matière, de celle qui se dissout dans la béance de sa présence, un piétinement venu de loin qui n’en continue pas moins son chemin, quelques pincées de guitare et une voix qui s’affirme, toute la différence entre le son et le silence, entre l’écho et l’espace, Niki Gravino nous conte son histoire qui est aussi la nôtre, cette route issue du néant, et le chant, intumescence d’insignifiance, se gonfle de l’ampleur de sa solitude, telle une voile qui s’empare de l’horizon, se mue en péan triomphal dont les éclats se croisent et se télescopent dans un sentiment d’exultation infinie. Void in the crowd : une rythmique lourde, une guitare qui couine et sonne comme la souris du doute, le vide est-il en vous ou au-dehors de vous, la foule est-elle en vous ou au-dehors, subitement la voix de Gravino s’imprègne d’une puissance ouranienne irrésistible, il est une force qui va, que rien ne saurait arrêter, il n’est que lui, mais son moi soutient le monde sur ses épaules, un chant de toute beauté qui touche aux étoiles et comble les abysses. Cat on the moon : pratiquement un retour à la case départ, batterie à coups de truelle, existe-t-il une frontière entre le rêve et la réalité, entre la solitude et la divinité, le chat est-il assis sur la lune ou erre-t-il dans votre tête, la voix s’étire, la guitare fait le gros dos, envol et hésitation, tapis volant d’arpèges orientaux, voyage lysergique à l’intérieur de soi sécrété à partir des ergots de vos peurs, la voix glisse sur le monde comme l’archet sur le violon du monde. A moins que je ne sois le rêve du monde, le morceau se finit à la manière d’une berceuse pour vous réveiller de votre sommeil. Quand on leur montre le chat, beaucoup n’aperçoivent que la lune. Day owl : grésillements, gloussements de hibou, ballade country, les oiseaux nichent dans la vile, ils déposent les œufs de l’avenir dans votre tête, voix creusée d’incompréhension tant qu’elle ne pose pas les bonnes questions, car poser les questions c’est déjà donner les réponses, ne laissez pas agoniser les ombres du rêve sur l’asphalte, la voix s’envole, elle devient nuée d’oiseaux qui s’exhaussent vers le soleil, ne croyez qu’en vous. Fireworks : frottements d’où émerge un rythme et la voix de Gravino qui danse et flambe par-dessus,  l’ envie de mettre le feu aux nuages et aux orages, une basse ronchonne, et tout éclate en feux d’artifice impétueux, foutre le feu partout et en soi, écrire son nom en lettres brûlantes, qu’elles résonnent dans les antres et les aîtres de l’univers, chandelles romaines rutilantes, la vie est un carnaval infini. Victoire. Sunset melody : toujours ce martèlement du coureur qui poursuit sa course bien plus loin que l’arrivée, plus besoin de monter la voix plus haut que les montagnes, il suffit de posséder la pleine conscience d’être soi, d’oublier sa misérable petite histoire pour se grandir, pour devenir le géant dont la tête au zénith de l’univers devient le soleil du monde, se confond avec l’infinité primordiale qui est votre propre négation sur laquelle repose le trône de votre moi, aussi sombre que la nuit, aussi obscur que la mort d’où vous provenez. Cette assurance sera désormais votre force.

             Je n’avais jamais entendu parler de Niki Gravino jusqu’ à l’écoute de ce premier CD. Quelle voix, quel talent et quel savoir-faire, peu de moyens, peu d’instruments, un peu d’écho et de réverbe et vous avez l’impression d’être dans un opéra. Difficile de définir un style, quelque part entre Sinatra et ce que vous voulez…  Puisqu’il vient de Malte, disons du country maltais même si l’on n’entend aucune résurgence méditerranéenne, disons que ça sonne assez américain dans l’ampleur et la ténuité sonores, certains se récrieront, osons alors atlantique ou plutôt atlantidéen, une étrange beauté venue d’un ailleurs inqualifiable.

    DRAW YOUR LIFE

    Draw your life : musique intérieure, voix ténue, le grand voyage est terminé, vous avez traversé l’infinité jusqu’à parvenir au centre de vous-même, le morceau a commencé tout doux, il gonfle devient lyrique, la vague déferle encore une fois, elle vient de loin, elle traverse les âges de la vie, elle s’écoule paisiblement pour mieux se parer des couleurs criardes du rêve, une montée sans trêve, il ne s’agit pas d’un assaut vers l’Olympe, car la sérénité des dieux vous est désormais acquise, dessinez votre vie, écrivez-là, vivez-la.  Continuity : ( Trumpet : Adrian Brincat ) : nostalgie country envers son propre futur, s’évader de soi pour continuer à être soi, ne pas savoir où aller en soi-même, le monde n’est ni trop grand, ni trop petit, je l’englobe à moi tout seul, il est moins compliqué que moi-même et je vis en moi-même, dans quel western me suis-je embarqué, où est l’ennemi, quel est ce silence que je n’entends pas, comment pourrais-je sortir de moi-même, désespoir absolu de n’être que soi. Lonely Walker : bastringue de la solitude, il pleut de la tristesse, seul dans la foule enchaînée, me voici dans ma jungle intérieure, un cauchemar sautillant, et l’on fait des claquettes, le morceau se déroule à Broadway, la vie n’est-elle pas aussi ennuyeuse qu’une comédie musicale. Surtout lorsque l’on a que soi à aimer. Tiens un peu de jazz n’a jamais tué personne d’autant plus que le monde est mort en moi depuis longtemps, ce doit être le final, voici les chœurs et la descente triomphale de l’escalier, promeneur solitaire sur les bords du torrent de la vie. Des gouttes de pluie vivifiante cinglent mon visage. Combien de films me suis-je tourné dans ma tête ! Je suis l’homme qui s’amuse tout seul. Anonymous : un pas de plus dans l’enfer de soi-même. Descente interminable. Musique tremblotante. Des clous que l’on enfonce d’un marteau maladroit et qui relèvent la tête. Seul contre tous. Passer en revue toutes les possibilités. Contourner le système, s’évader, ne plus être interchangeable, trouver sa place, briser le moule, décider de prendre le taureau par les cornes, être le grain de sable qui rngendrera le grand vacillement. Metamorphosis of the cockroach : ( Trumpet : Adrian Brincat ) : blues du blanc, j’ai le cafard et je suis un cafard, notes perdues de piano, l’heure passe et je n’ai pas réussi ma métamorphose en véritable être humain, se heurter à la vitre transparente de la réalité, s’envoler, devenir libre, dire adieu à Monsieur Kafka, à Monsieur Caca, métamorphose réussie.  Mon intuition était bonne, très américain, pas les grands espaces, pas les plaines infinies, les scènes étroites, l’entertainment prodigieux d’un Gershiwn, comédie humaine musicale. Red skull and Mr Hide : ( Nina Gravino : other voice ) : l’histoire arrive à sa fin, une voix la présente en quelques mots sur quelques gouttes de guitares, la musique tourne doucement comme un manège qui court sur son aire et que l’on ne veut pas quitter car l’instant trop agréable distille un sentiment d’éternité, la voix savoure cette ivresse douce d’avoir quitté les vieux oripeaux du passé pour revêtir le costume du bonheur de vivre pleinement soi. Œuvre au rouge accomplie.

             Deux disques pour raconter deux fois la même histoire, mais située à des niveaux différents. L’illustration des deux galettes induit à penser que celle de Night Visions - un harfang des neiges fond droit devant dans la pénombre de la nuit parmi les derniers nuages traversés par les ultimes rayons d’un soleil couchant - n’est pas sans évoquer ce qu’en alchimie l’on prénomme, la voie sèche, la plus rapide, la plus dangereuse, la voie de feu qui condense en très peu de temps les états de mutations successives de la matière soumise à de fortes irradiations internes. Le fleuve d’un bleu impétueux, de la deuxième galette, bouillonnant sur lui-même, qui coule entre deux bandes de terre semble être une figuration picturale de la voie humide, plus longue, non dépourvue de dangers mais qui statistiquement promet un score de réussite beaucoup plus élevé… Dans les deux cas ce qui est visé ce n’est pas la pierre philosophale mais l’amélioration psychique de l’Adepte au travail.

             De tels cheminements ne sont pas absents des albums de Metal. Dans sa jeunesse Niki Gravino a participé dès 1984 à deux groupes de metal, Biblical infamy et Covenant. Il abandonnera ce style pour s’adonner… au chant Chrétien, Malte son pays natal est une île très christianophile, lorsque l’on titille le Diable Dieu n’est jamais loin, cette volte-face subite est caractéristique de la personnalité de Gravino, un homme qui n’a pas peur de s’engager dans le but de faire coïncider ses tourments intérieurs avec sa vie quotidienne. Il retournera non pas à Lucifer mais au rock’n’roll. En 2004 paraît son premier EP, Vitamins and Eyecreams, rock-pop-gothic difficile à cataloguer, la première performance publique et théâtralisée du disque suscitera bien des controverses, Malte est un pays hyper-conservateur, l’évocation de la force et de la face obscures de l’être humain ne fut pas au goût de tout le monde… En 2007 sortira The politics of double beds avec The vile bodies musiciens déjà présents sur le premier EP, ce sera le début d’une reconnaissance nationale ardemment désirée. Gravino a crée son propre studio, il produit de nombreux artistes et enchaîne les concerts avec son groupe baptisé The laughing shadows… Tout va très bien… sauf Gravino qui se sent à l’étroit dans sa réussite.

             Dans les dix dernières années Gravino a subi d’importantes mues, le voici d’abord avec une nouvelle formation que l’on pourrait qualifier d’intervention légère The cosmic erotic,  en 2019 Gravino est devenu Mjaw, c’est ainsi que  les chats maltais disent miaou, sur l’album Diski Ghall-Hmir musique et comédie, un côté one-man-show, politiquement incorrect et un peu rentre-dedans… en 2022 c’est la sortie du double CD, The night vision can draw your life, lyrics de Didier Lauberton… Bref un artiste en mouvement.

    Damie Chad.

     

            

                        News from : FICTION ABOUT FICTION

     

    Dans notre livraison 475 du 10 / 09 / 2020 nous chroniquions l’album Kingdom of Kidding, un opus baroque qui sort des sentiers battus, de Fiction About Fiction. Un groupe restreint puisqu’il ne comporte que deux membres, Diane Aberdam et Emilien Prost. Travaillent à leur rythme, produisent local pour emprunter une expression fort à la mode ces derniers temps. Un peu au compte-goutte, de temps en temps ils postent sur leur fb un morceau qu’ils viennent d’achever avant de présenter l’œuvre finalisée.

    Monkeys sera leur deuxième album. En cours d’achèvement, en sont à la réalisation de la pochette. Viennent de dévoiler un premier morceau Sick of it visible sur You Tube. L’idée de départ est assez simple : se mettre dans la tête d’un singe enfermé dans une cage. Peut-être parce qu’ils aiment les animaux, peut-être parce que nous les hommes sommes aussi enfermés dans des cages de toutes sortes, mentales et médiatiques par exemple.

    L’artwork est vraisemblablement dû à Diane Aberdam qui non contente de jouer de la basse, de participer à plusieurs groupes,  dessine, peint et maîtrise quelques techniques de repro supplémentaires, bref une adepte du do it yourself…

    SICK OF IT

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     Etrange morceau, court et rapide, qui donne l’impression de contenir une multiplicité de séquences, même si l’on acquiert l’idée dès les premières quinze secondes, ne serait-ce que par l’énergie vocale déployée, qu’il court non pas à sa fin mais à sa perte.  Une espèce de cauchemar dont on ne sort que par le néant. Très psyché, rehaussé par ses superpositions de voix en guise de faux-chœurs, une fuite en avant vers un avant qui ne reviendra plus. Des reprises inéluctables, cris et hurlements, une batterie qui mène la chasse à elle-même, et tout s’écroule dans l’urgence de son propre inachèvement. Parfaite réussite. On attend la suite avec impatience.

    Damie Chad.

     

    *

             J’ai connu Pierre Lehoulier avant de le connaître. Cette phrase peut paraître déconcertante, toutefois il en est ainsi. Je l’ai ignoré durant des années. Jusqu’à ce qu’un post sur le Fb de Crashbirds me l’apprennent. Pour les lecteurs distraits je précise que Pierre Lehoulier et Delphine Viane sont les deux inséparables ( lire méchants cui-cuis ) qui forment le groupe dirty-blues-and-rock’n’roll des Crashbirds. A maintes reprises KR’TNT a chroniqué concerts et albums de cette formation. Nous apprécions leur musique et leur imagerie due à Pierre Lehoulier, ainsi nous nous sommes intéressés aux flyers de leurs concerts, à différents clips, et aux mémorables aventures de Super Gros Con parues en Bande dessinée. Jusques là nous sommes dans l’orthodoxie Rock ‘n’ Roll la plus pure. Mais voici que Crashbirds Asso – ils ont monté cette association loi 1901 pour que le fisc ne puisse récupérer les millions de dollars que leurs enregistrements leur rapportent chaque semaine – annonce en quatre tomes la réédition intégrale des aventures de Fripouille et Malicette éditées ente 1999 et 2003 aux Editions Bayard.

             Voici l’objet entre mes mains. Une œuvre conjointe co-signée par Pierre Lehoulier ( scénario ) et Françoise Naudinat ( dessin ). Je ne connais point cette dernière. Une rapide recherche me mène sur le blog de Rattila. Une lumière scintille dans mon vaste cerveau. Rattila, mais les dernières vidéos des Crashbirds réalisées durant la mirifique période covidique ne sont-elles pas créditées pour leur animation à Rattila Picture ! Tout concorde !

             Les planches de nos deux héros agrémentaient la publication mensuelle de J’aime lire, mensuel destiné à un lectorat de 7 à 9 ans, que je lisais avec ma fille en un temps où le nom de Pierre Lehoulier n’éveillait en moi aucune rock-and-rollesque palpitation. Ce paragraphe pour avertir les lecteurs amateurs de l’esprit acerbe et l’humour décapant radicalement critique de l’auteur de Super Gros Con ne le trouveront pas dans cette publication destinée à la jeunesse.

    FRIPOUILLE ET MALICETTE / Saison 1

    ( Crashbirds Asso / Septembre 2022 )

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             Fripouille est un jeune garçon, il serait un gendre idéal pour votre progéniture, nonobstant cette sale manie de ne pouvoir se séparer de son animal de compagnie, une chauve-souris ( beurk-beurk ) qu’il tient en laisse. Sans quoi nous lui reconnaissons de viriles qualités de réflexion et de prudence. N’est pas non plus dépourvu de qualités manuelles, l’est un bricolo inventif. Sa vie d’honnête citoyen se serait écoulée calmement s’il ne s’était pas inféodé à une créature féminine peu fréquentable. ô combien de garçons partis pour une vie sereine ont succombé sous le charme venimeux de ces êtres nuisibles communément appelées filles !

             Saperlipopette elle s’appelle Malicette, n’a de beau que son chapeau biscornu de sorcière. Vous le sentez venir, elle n’est pas douée, elle rate la plupart de ses tours qui se retournent contre elle. Du coup elle s’expose, elle et son fidèle Fripouille, à de cocasses déboires. Respirez, il ne faut pas traumatiser les jeunes lecteurs, tout se termine bien, les situations les plus tarabiscotées se dénouent sans trop de mal et nos trois impétrants finissent toujours par retomber sur leurs pattes (d’araignées noires et velues ) et pour Mirza – ne me dites pas que vous ne l’avez pas vue - sur ses ailes de chauve-souris.

             Tous trois habitent un vieux donjon médiéval à tour crénelée et échauguettes pointues quelque part entre le marais maudit et la lande fétide. Le genre d’endroit que vous fuiriez au plus vite. D’ailleurs il existe des ‘’ portes’’ qui permettent à nos pionniers de l’espérance maléfiques de voyager dans le temps.

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    Inutile de les emprunter pour vous évader, vous n’y parviendrez pas, un charme magique vous retiendra, les vignettes colorées de Françoise Naudinat, ne sont ni des images pieuses ni les bons points que vous rameniez de l’école, marchent à l’attrape-touriste-lectorophile, l’hôtel où vous êtes descendu n’a pas d’étoile ni de piscine mais il offre tout ce que vous désirez car il connaît vos points limites minimaux de satisfaction, elles fonctionnent comme de petits tableaux, pour chaque scénette formalisée elles présentent tous les éléments indispensables à la mise en scène évoquée, jouent sur les archétypes de nos représentations,  tout est vrai car tout est comme on se le représente, moins ce ne serait pas assez et davantage beaucoup trop. S’opère une espèce d’équilibre entre le dessin et notre contentement intime, rehaussé par le jeu des couleurs, très rarement flashy, elles ne vous arrachent pas l’œil mais le ravissent à satiété. Pour vous le rendre à l’image suivante.

    Humour bête, pas méchant, malin. Entre Concombre masqué et Fantômette. La patte de Pierre Lehoulier est partout, vous adorerez. Si non, vous avez mal vieilli.

    Damie Chad.  

  • CHRONIQUES DE POURPRE 475 : KR'TNT ! 475 : EMITT RHODES / MARK LANEGAN / ROCKABILLY GENERATION SP CRAZY CAVAN / E-RUINS / BUNKER PROJECT / HEAVYTION / THE TRUE DUKES / FICTION ABOUT FICTION /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 475

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 09 / 20

    EMITT RHODES / MARK LANEGAN

    ROCKABILLY GENERATION SP CRAZY CAVAN

    E-RUINS / BUNKER PROJECT / HEAVYCTION

    THE TRUE DUKES / FICTION ABOUT FICTION

     

    On the Rhodes again - Part Two

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    L’un des secrets les mieux gardés du rock américain vient de tirer sa révérence. Adieu Emitt Rhodes. Bon, c’est vrai, KRTNT en a déjà beurré un grosse tartine en octobre 2018, alors on ne va rebeurrer la même tartine, quoi que ce n’est pas l’envie qui manque. Beurrer est un plaisir. Dans son hit-parade, Jimmy Doyle classe le beurrage aussitôt après la scène et la baise. Il suffit de fermer les yeux pour sentir le parfum d’une large tranche taillée au laguiole dans une miche aveyronnaise et qu’on beurre abondamment avant de la diriger vers une paire de lèvres humides et frémissantes.

    Soumis à une pression commerciale terrible dans les années 70, Emitt s’était retiré du music business. Il dit avoir failli en crever. Ce reclusive pop polymath, comme le qualifie Paul Myers, refit surface 43 ans plus tard avec un album remarquable, Rainbow Ends. Pour saluer sa mémoire, ressortons de l’étagère ce chef-d’œuvre éminemment emittien.

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    On peut affirmer sans risquer de tomber dans l’emphase qu’Emitt Rhodes est un spécialiste des coups de génie, au même titre que Brian Wilson et Todd Rundgren, Burt Bacharach ou Jimmy Webb. Il propose une pop orchestrée et sensible qui n’en finit plus de surprendre, même lorsqu’on croit que la messe est dite depuis longtemps. Comme la littérature ou les beaux arts, la pop a encore de beaux jours devant elle, rassurez-vous. La pop de ces gens-là paraît souvent sophistiquée et évidente à la fois, on y sent une grande aisance qui est sûrement le fruit d’un travail acharné. Pas de meilleure illustration de cette théorie branlante qu’«If I Knew Then», un cut de pop étrange et solide à la fois. En fluidifiant son swing, Emitt embarque sa pop au paradis. Comme Brian Wilson, il crée son monde, il développe une énergie capiteuse dont on s’abreuve comme au sortir d’un désert, à s’en écarteler les mandibules. On s’étonne d’une beauté aussi mirifique après 43 ans de silence. C’est là qu’on tombe dans le panneau du lieu commun : les génies n’ont pas besoin de pratiquer, ils entendent et il leur suffit de chanter ce qu’ils entendent. C’est en tous les cas ce qu’on racontait au lycée quand on parlait de Brian Wilson. Du temps où on était comme Jacky, beaux et cons à la fois.

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    C’est avec «Dog On A Chain» qu’Emitt ouvre son beautiful bal. On ne se méfie pas, on se dit oh bah d’accord, encore un vieux has-been qui a besoin de blé pour s’acheter une tondeuse à gazon et pouf, ça explose au deuxième couplet. Emitt gratte tout simplement ce qu’on appelle les accords du paradis. En plus c’est une chanson autobiographique : le chien en laisse, c’est lui- I was led like a dog on my knees - On comprend pourquoi on le voit pleurer sur la pochette. L’autre coup de Jarnac s’appelle «This Wall Between Us». Le mur lui sert de prétexte à dérive. Il crée un courant mélodique énorme qui l’emporte vers le large. Il se demande s’il peut lire dans les pensées de sa copine. Non. Pourquoi ? Parce qu’il y a un mur entre eux. Rien n’est de pire que de partager la vie d’une personne dont on ne peut lire les pensées. Il est important de préciser à ce stade de l’évolution des choses que ce sont les musiciens de Brian Wilson qui accompagnent Emitt Rhodes. Avec «Someone Else», il passe à la heavy pop, comme au temps béni oui-oui du Merry-Go-Round. Rocky Rhodes ne chante que des hits faramineux. Il ne se mouche pas dans la dentelle de Calais. Il pianote «I Can’t Tell My Heart» au clair de la lune et endort notre méfiance. Grave erreur, car il fait sauter le pont de la rivière Kwaï et dans ce badaboum extraordinaire flotte l’esprit de Burt Bacharach. Il faut bien comprendre que cette pop prétend au trône en permanence. Aux noms de Phil Spector, Brian Wilson, Todd Rundgren, Jimmy Webb, Burt Bacharach, John Lennon, il faut ajouter celui d’Emitt Rhodes. Avec «It’s All Behind Us Now», il fait son Doctor John, privilège de l’âge. Groove de rêve. «What’s A Man To Do» éclate dans la beauté du jour. Il chante à la saturation de timbre, il épuise la beauté angélique. Il descend au plus profond de l’âme humaine et ses arpèges crucifient la mélodie au Golgotha du sentimentalisme. Back to the heavy pop avec un «Friday’s Love» explosif de pop culture. Emitt se laisse emporter par les dérives qu’il secrète. Il est l’artiste dont on rêve. Cet album inestimable s’achève avec le morceau titre, un cut septentrional qui se réclame du jargon des horizons. Comme il va loin, il entraîne la prod dans son sillage mais en même temps, il semble devancer les notions de temps et d’espace. C’est très particulier. Ça s’adresse à l’intellect. On sent que brûle en lui une sorte de feu à la Brel, il cherche en permanence à fabriquer la chanson parfaite. Son always chasing rainbows explose. Il faut entendre ça, cette façon de jeter quatre vers parfaits dans un infini de beauté. Avant lui, peu de gens avaient osé. On ne se lasse pas de cette montée ultime et sublime.

    Signé : Cazengler, Emitteux

    Emitt Rhodes. Disparu le 19 juillet 2020

    Emitt Rhodes. Rainbow Ends. Omnivore Recordings 2016

     

    Lanegan à tous les coups

    - Part Four

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    Si Mark Lanegan continue comme ça, il va battre tous les records de Parts sur KRTNT. Cet homme qui ne fait aucun effort pour se montrer agréable n’en finit plus de nous gaver de son génie. On peinait à ingurgiter sa longue litanie d’albums empoisonnés, voilà maintenant qu’il propose trois cent pages de prose tête-dans-le-cul et aussi gonflée d’abcès que la peau de ses avant-bras. Oh bien sûr, ni lui ni personne ne nous oblige à lire ce texte aussi déplaisant qu’une violente crise d’hémorroïdes, mais quand on est accro à une dope qui s’appelle Lanegan, il n’est pas possible de faire comme si ce livre n’existait pas. Le book s’intitule Sing Backwards and Weep: A Memoir. Le pire est que Lanegan écrit aussi bien qu’il chante, alors forcément, c’est gagné d’avance. Et le pire du pire, c’est qu’il sort un nouvel album en même temps que cette autobiographie qui raconte page après page la véritable histoire d’un fabuleux chemin de croix. Il faut l’avoir lu pour savoir qu’une telle descente aux enfers existe. Mais c’est une descente aux enfers rock, c’est-à-dire de l’art. Lanegan a compris comme d’autres avant lui qu’il pouvait faire de sa vie une œuvre d’art, pardon, une dark œuvre d’art, mais pour que ça vaille la peine, il faut y mettre le paquet. Comme Johnny Thunders, Jeffrey Lee Pierce et Kurt Cobain, ça passe par l’hero et tout le trash qui va avec, les veines, les vices, les aiguilles et les embrouilles. Encore une fois, rien n’est ici condamnable, puisqu’on est dans l’art. C’est ce qu’il faut essayer de comprendre. L’artiste se met en danger pour la seule beauté de son art : ici, un vécu de rockstar. On imagine qu’Artaud, Rimbaud et William Burroughs se sont mis pareillement en danger pour la seule beauté du geste. On pourrait ressortir tous les clichés littéraires et tous ceux de l’histoire de l’art pour illustrer cette théorie que défend Nina Antonia dans son Thunders Book, In Cold Blood : le junkie ne met que sa vie en danger, rien d’autre. Alors, demande-t-elle, où est le problème ? L’art et la morale n’ont jamais su faire bon ménage. Ils dorment à l’hôtel des culs tournés. On écoute les disques des Dolls mais on critique Johnny Thunders. C’est là où le bât blesse. Il est vain de croire qu’on puisse détacher l’homme de son art.

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    Parmi tous les récits de junkies, celui de Lanegan figure parmi les plus crus, les plus extrêmes, les plus toxiques. Il ne cache rien de ses travers, de ses actes et de son insondable désespoir. Peut-on seulement imaginer jusqu’où peut nous mener le désespoir ? Non, si on ne le vit pas soi-même. En comparaison de Lanegan, Dostoïevski et Cioran apparaissent comme des petits écrivains pelotonnés qui frissonnent au fond d’une alcôve douillette. Lanegan vit dans la rue et frappe avant qu’on ne le frappe. Comme Johnny Thunders, Lanegan voit la dope comme son seul refuge. Il va même encore plus loin, quand il dit à plusieurs reprises qu’elle est son seul amour, the only one love. Pourquoi son seul amour ? Parce qu’elle ne le fera jamais souffrir. Au contraire. Elle l’empêche de souffrir. Il nous plonge dans le divin chaos des paradoxes. Du coup, ce récit éclaire tous ses albums. On le sentait sombre, le Lanegan. En le lisant, tout devient clair comme de l’eau de roche. En se livrant aussi crûment, il donne une fantastique leçon d’humanité. L’homme est par nature définitivement tordu et c’est bien qu’un mec comme lui ait l’honnêteté de le rappeler en envoyant gicler comme une sorte de pus littéraire les pires détails de desolation row. Wow wow wow.

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    Les pages de ce Précis de Décomposition sont pour la plupart longues et sombres comme des jours sans pain. Il arrive que certaines soient si denses qu’il faille s’y reprendre à deux fois pour venir à bout de cette prose amère et merveilleusement choquante. Là où Dostoïevski nous fatiguait, Lanegan nous exalte. Curieuse sensation d’exaltation : on est littéralement ravi de voir qu’un chanteur qu’on vénère tient fantastiquement la route à l’écrit. Il a ce qu’on appelle un souffle, et il porte un regard si noir sur lui-même qu’on croirait parfois lire les mémoires d’un officier SS ou d’un bagnard, mais il ne s’agit que des mémoires d’une rock star américaine, pas de drame, pas de guerre, pas de fosses communes, juste de l’underground vécu à la va-comme-je-te-pousse, dans un chaos constant de seringues, de coups dans la gueule, de concerts, de sexe, de vols, une ritournelle qui sous une autre plume tournerait à la facétie mais qui sous la plume de Lanegan tourne à l’énormité cabalistique. Il fait partie des écrivains dont on entend la voix au fil des pages, c’est aussi simple que ça. C’est parce qu’il existe un tout petit enregistrement de la voix d’Apollinaire qu’on l’entend quand on lit par exemple le recueil des Lettres À Lou (dont Jean-Louis Trintignant - plus mort que vif à l’époque - fit une lecture dans un petit théâtre de la Madeleine), ou encore Paul Léautaud dont on connaît la voix grâce aux très longs entretiens qu’il accorda jadis à Robert Mallet. Même chose avec Cendrars ou Roger Vailland, ou encore Philippe Sollers (qui errait tel un miraculé dans les miraculeuses Nuits Magnétiques d’Alain Venstein, lisant Rimbaud et Sade), et plus près de nous, un Michel Houellebecq complètement désabusé qui nous parle de sa liberté chèrement acquise dans une interview parue sur DVD. Ce phénomène de voix qu’on entend en cours de lecture ne se produit qu’avec les très grands écrivains, à condition bien sûr qu’ils soient relativement contemporains. Les voix de Montaigne et de la Boetie ? Tintin.

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    Le Lanegan qui se dépeint enfant rappelle un peu l’auto-portrait que brosse Steve Jones dans son autobio, celui d’un gosse foncièrement déterminé à mal tourner. Lanegan n’y va pas de main morte quand il situe les origines de sa famille «dans une lignée de mineurs, bûcherons, trafiquants, fermiers misérables du South Dakota, criminels, forçats, et hillbillies de la pire espèce, celle des plus primitifs et des plus ignorants.» Dès le début de sa carrière, Lanegan sait qu’il n’est pas destiné à devenir un premier de la classe. En plus, il frémit d’horreur à l’idée que sa mère fut à deux doigts de l’appeler Lance. «Lance Lanegan. Je ne peux rien imaginer que plus humiliant et de plus ridicule. Je remercie encore mon père de ne pas avoir autorisé ça.» Et pouf, c’est parti. «À 12 ans, j’étais déjà un joueur compulsif, un alcoolique, un voleur et un amateur de porno. J’avais une énorme collection de magazines porno.» Ado, il passe au tribunal. On l’accuse de «vandalisme, d’effraction de voitures, d’intrusion, de recel, d’alcoolisme précoce, de vol d’alcool, de possession de marijuana, de vol de bicyclettes, de vol de pièces de motos, d’avoir uriné en public, de vol de fûts de bière, de vol d’auto-radios, d’ivresse sur la voie publique, etc.» Lanegan est le roi des énumérations. Il est condamné à 18 mois de prison. Il a 18 ans. Mais le juge lui donne une chance en lui accordant un sursis. Il lui ordonne de s’inscrire dans un centre de remise dans le droit chemin. Lanegan sort libre. Fuck le droit chemin !

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    Il développe très tôt une belle fascination pour la violence. Il apprend à frapper dès qu’on commence à l’importuner. «Le premier coup n’était pas forcément suffisant et la violence devint un autre moyen de communiquer, une langue que j’appris à pratiquer couramment.» Il va en effet la pratiquer toute sa vie, et au moment de la shoote avec Liam Gallagher sur laquelle on reviendra plus loin, Lanegan rappelle son pedigree : «Je suis un vétéran de la violence, extérieure comme domestique, onstage, backstage, à la campagne, en ville, dans les bars, sur les parkings, dans les salles de billard, dans les ruelles, aux arrêts de bus, dans les campings, dans les HLM, sur les trottoirs, dans les fêtes privées, dans les crack houses, les dope houses et les jailhouses.» L’autre aspect déterminant de sa personnalité est le côté sombre, cette dépression latente qui le pousse à boire et à se droguer. Il a toujours l’impression de marcher sur une corde raide dont il va tomber. Ado, Lanegan s’isole, il n’a pas de copains, il n’en veut pas. Il ne dort pas la nuit et dort le jour. Il sort des phrases extraordinaires du style : «I always thought I knew it all, but I was only ever motivated into action by one of two things: pleasure or pain.» (Je croyais tout savoir, mais en vérité les seuls moteurs qui me poussaient à agir étaient le plaisir ou la douleur). Il grandit à Ellensburg, un patelin (cow town) de l’état de Washington, situé à un peu moins de 200 km au sud-est de Seattle. Lanegan y hait profondément les habitants, «les conservateurs ignorants, les fermiers white trash et les éleveurs qui ne font que de parler de la pluie et du beau temps.» Quand il est ado, Lanegan tombe sur la photo d’un mec couvert de tatouages et ça le fascine. Alors il commence à se tatouer avec une aiguille et de l’encre de Chine. Il découvre aussi le rock : un disquaire d’Ellensburg nommé Tim Nelson lui fait écouter «Anarchy In The UK» - It was the revelation that changed my life, instantly and forever - Il flashe aussi sur le Venus Erotica d’Anaïs Nin et commence à cultiver des fantasmes sexuels. «Je ne voulais que de l’excitation, de l’aventure, de la décadence, de la dépravation, je voulais tout, absolument tout.» Mais pour cela, il faut quitter ce trou à rats d’Ellensburg. Et pour y parvenir, il n’a qu’une solution : intégrer un groupe de rock et partir en tournée.

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    C’est Gary Conner qui lui propose de chanter dans les Screaming Trees. Grâce à ce book, on connaît enfin la vraie histoire des Screaming Trees. Le nom nous dit Lanegan vient d’une old Electro-Harmonix guitar pedal called the Screaming Tree. La base du groupe, c’est les deux frères Conner, Gary et Lee. Manque de pot, Lanegan ne s’entend pas bien avec Lee qui est en fait le cerveau du groupe, guitariste et compositeur - It was like talking to a stone - Lee n’a que deux modes de fonctionnement, nous dit Lanegan, muet ou enragé. Lee Conner insulte son père et tape dans la caisse de la boutique familiale. Aux yeux de Lanegan, Lee est un inadapté social - completely inept socially - qui se comporte comme a fucking prima donna, a hillbilly diva who considered himself a genius. Il traitait tout le monde like shit on his shoes. «Comme il n’a aucune vie sociale, il compose quatre chansons par jour.» Lee Conner est un fan de Nuggets - I couldn’t relate to the fakeness of it all - Dans ses textes, Lee décrit des trips de LSD alors que dans la réalité, il n’a jamais pris d’acide ou fumé d’herbe - C’était mon expérience, pas la sienne - Lanegan devra attendre Sweet Oblivion pour découvrir la face cachée de Lee Conner, un homme qui reconnaît le talent de Lanegan et qui lui confie enfin l’écriture des textes. Dans ce passage terriblement émouvant, Lanegan se dit honoré de la confiance de Lee Conner. Et c’est là que les Screaming Trees vont devenir énormes.

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    Les deux frères Conner se foutent sur la gueule. Et quand dans un concert, on traite l’un des frères Conner de gros lard, c’est Lanegan qui descend dans la fosse pour régler le problème - Ce groupe était malade, violent, déprimant, destructeur et dangereux - En plus, Lanegan est furieux car pendant tout le début du groupe, il doit chanter les textes débiles de Lee Conner. Mais les Screaming Trees commencent à tourner et pour Lanegan, c’est l’essentiel : il quitte ce fucking trou à rats d’Ellensburg. Il voyage aux États-Unis et en Europe et se goinfre de tout ce qui passe à portée de sa main : whaterver sex, drugs or money that came my way.

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    Lanegan adore la bonne musique. Il cite comme influences le Velvet, les Saints, Captain Beefheart, les Groundhogs, Kraftwerk, les Dolls, Joy Division, le Gun Club, les Wipers, The Fall, Lou Reed, les Stranglers, Birthday Party, John Cale, Bowie, les Damned et les Stooges. Pas mal, non ? Plus loin il cite deux chanteurs en référence : Falling James des Leavin’ Trains et Chris Newman de Napalm Beach. Il adore aussi le cool, catchy, idiosyncratic primitivism de Beat Happening, et notamment le premier album. Il se dit aussi obsédé par l’Astral Weeks de Van Morrison et par un book de Cormac McCarthy, Blood Meridian. Il rend aussi hommage à Pond, «their music, catchy and energetic with lots of good songs and a couple really spectacular ones». Il parle aussi des Saints comme l’un de ses favorite bands of all time. Quant à Mike Ness, it’s impossible not to dig him - À la différence d’autres musiciens qu’il m’est arrivé de croiser dans ma vie, il n’avait pas la prétention d’être une rock star (there was zero entitled-rock-star bullshit to his personality) What you saw was what you got - Il qualifie Alice In Chains de massive apocalyptic machine onstage et voit son meilleur ami Layne Staley comme l’un des grands chanteurs américains.

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    Mais ses plus grands amis sont les gens qu’il admire : Jeffrey Lee Pierce et Kurt Cobain. Lanegan connaît Kurt depuis longtemps et il sait la différence qui existe entre Nirvana et les Screaming Trees - Nirvana était déjà ce qu’ils étaient la première fois que je les ai vus : great songs, great singer, great look, everything - Lanegan finit par comprendre que Kurt le considère comme un big brother. Et dans un élan épique, Lanegan situe Kurt au même niveau que Dylan, Lennon, Bowie et Jimi Hendrix. Et quand les Screaming Trees sont interdits de festival en Angleterre, Kurt menace d’annuler Nirvana à Reading si les Screaming Trees ne figurent pas à l’affiche. Kurt demande aussi à Lanegan s’il veut bien venir chanter avec lui un truc de Lead Belly au MTV Unplugged. Ils avaient déjà bossé «Where Did You Sleep Last Night» ensemble pour un projet avorté. Kurt cherche toujours à faire connaître Lanegan, mais celui-ci ne veut pas entrer dans le rond du projecteur. Il ne veut pas être cet inconnu qui débarque sur un plateau télé avec le groupe le plus célèbre du monde. Alors, il décline l’offre. Dans un moment de détresse intense, Kurt avoue à Lanegan que la célébrité le détruit et ajoute qu’il n’a plus que deux amis dignes de sa confiance, Dylan Carson et lui, Lanegan. Mais Lanegan se sent mal dans ses godasses, car il ne se sent pas à la hauteur - What kind of friend am I really ? - Oui, il a raison de se poser la question, car quand Kurt l’appelle au secours, Lanegan ne décroche pas son téléphone. Il laisse le répondeur. L’horreur - Il a appelé deux fois en deux heures. Même si je me sentais devenir l’ami le plus merdeux du monde, je n’ai pas décroché. Me prenant pour un Oscar Wilde des temps modernes, je suis resté allongé, en calbut sale et dans une robe de chambre tachée que m’avait laissée une copine stripteaseuse - C’est la première fois qu’il avoue cette lâcheté, là, dans ce livre. Il avoue avoir menti à un journaliste de Rolling Stone, lui disant qu’il n’avait pas eu de nouvelles de Kurt pendant les semaines précédant son suicide, alors que Kurt l’appelait au secours.

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    L’autre grand fantôme du livre est Jeffrey Lee Pierce. Lanegan commence par flasher sur la musique du Gun Club - Cette musique faite spécialement pour un mec comme moi. Serial-killer music, music for a lost deviant fucked-up soul like mine ! - Aux yeux de Lanegan, Jeffrey Lee is a dude as fucked as I am - I began my lifelong love affair with the music of an idolization of one Jeffrey Lee Pierce - Les trois albums du Gun Club deviennent sa bible. Il va finir par le rencontrer et par devenir son ami. À un moment, Jeffrey Lee remonte un groupe et propose à Lanegan de chanter dans son groupe. Mais Lanegan refuse - Il n’était pas possible que je chante dans le groupe du meilleur chanteur du monde. Ça n’avait tout simplement pas de sens - Puis comme avec Kurt, Lanegan trouve des messages sur son répondeur : il comprend que Jeffrey Lee perd la raison. En apprenant sa mort, Lanegan suffoque de douleur - No, not Jeffrey - Non, pas le big brother qui m’a ouvert sa vie comme un livre qu’il m’a laissé dévorer, la seule relation de ce type qu’il m’ait été donné de vivre. Not Jeffrey, please. Je croyais que mon cœur allait se briser - Il raconte sa lutte pour ne pas sombrer - I would not fall in clinical despair. J’ai tout fait pour résister. Mais quand le barrage a cédé, j’ai chialé pendant des heures - Et il ajoute : «Je l’avais idolâtré. Sa disparition était irréelle. Je ne pouvais pas croire qu’il était mort. Je sentais que je n’allais pas pouvoir survivre à sa disparition. Comme si j’étais définitivement brisé.»

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    C’est vrai que les plongées introspectives de Lanegan sont parfois vertigineuses. Sans doute est-ce là qu’apparaît l’écrivain, et pas un petit écrivain à la mormoille. Lanegan a du souffle, c’est un prodigieux excavateur. Il se livre à nu et c’est très courageux de sa part. Exemple : il met en avant une personnalité dure et intouchable, mais en réalité, il sent la présence en lui de ce qu’il appelle a thousand forms of fear, c’est-à-dire mille formes de peur, et il sait pertinemment que c’est vrai. Il dit aussi sous forme de boutade laneganienne que la réflexion et l’introspection ne font pas partie de son vocabulaire limité.

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    Il passe un week-end de rêve avec Selene de Seven Year Bitch. Ils ont une petite love affair. Ils sont tous les deux dans la baignoire et elle lui dit à un moment : «Que t’est-il arrivé pour que tu sois si triste ?» - Ça lui fait l’effet d’un coup de marteau - It hit me like a hammer. Même dans les moments de sérénité, Lanegan se sent rattrapé par son passé. Il sent que cette femme lit en lui. Alors il se met à penser à tous les gens auxquels il a fait du mal, ceux qu’il connaît et ceux qu’il ne connaît pas, tous ceux qui ont eu le malheur de croiser son chemin. Il se sait toxique - In a rare moment of raw, open vulnerability, I started to cry - C’est exactement ce qu’on entend dans certaines de ses chansons : la damnation éternelle - My wasted childhood, my arrogant youth, my anger and obsessions, crime, delusions, self-loathing, paranoia, hopelesness, fury and sad junkie downward spiral - Vertigineux résumé de sa vie foireuse, mais c’est la vie de Lanegan, le plus grand chanteur américain - Si j’étais honnête, je dirais que toute ma vie est une honte, je ne suis rien d’autre d’un raté abject, a fucking shitbag menteur, le pire des junkie losers - Vertigineux aussi les éclairs dans la nuit du manque : «Non seulement l’herbe ne me soulageait pas, mais elle ne faisait qu’accentuer ma douleur. Au cœur de la nuit, je n’avais rien, ni valium, ni benzos, ni méthadone, ni argent, pas d’opiates, rien pour stopper le carnage of this rocket ship of misery. La brutalité du manque était toujours accompagnée par the worst punishing black hole of indescribable hopeless depression. J’entrais dans une spirale, a million-mile-an hour fall. Je me mis à sangloter, mon corps secoué de spasmes toujours plus douloureux avec chaque sanglot. It was torment beyond description.» Avec Lanegan, on se croirait parfois dans les caves de l’Inquisition. Il sait restituer l’horreur de la douleur. Il sait recourir à la prose organique.

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    Et de la même manière que Steve Jones, Lanegan adore se mettre à nu pour se branler : «En raccrochant le téléphone, je souriais stupidement. Je me disais que ma chance grimpait en flèche. Je me levai, sortis ma queue négligée ces derniers temps par le monde entier et me mis à me branler sur la table basse.» Question sexe, Lanegan n’est généralement pas tendre avec lui-même : «Presque toute ma vie sexuelle a été marquée par les conséquences désastreuses ou prophétiques occasionnées par une ou deux heures de plaisir. Ou par cinq minutes de plaisir, dans certains cas.» Et il ajoute quelques pages plus loin : «Je suis un expert pour transformer l’or en ordure.» Il ne passe même pas par le plomb. Gold for garbage directement. Et quand Kim White lui dit que Jeffrey Lee va mourir, Lanegan lui répond : «Nous aussi, un de ces jours.» Et il ajoute, laconique : «That ended the conversation.»

    Tiens encore un exemple du génie dialoguiste de Lanegan :

    — Goddamn it, Scratch! What the fuck did you take me into?

    Old Scratch était le surnom que me donnaient mes vieux amis, an arcane nom de plume of Lucifer himself.

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    Lanegan excelle aussi dans l’art des portraits rock : «J’ai rencontré Paul Bearer quand il chantait dans un groupe de Philadelphie, the Serial Killers. He was a one-of-a-kind dude with a crazy, funny-as-fuck intelligence who shared my fiending, black-hole, all-encompassing love of opiates and all things bizarre.» Lanegan swingue ses phrases comme des paroles de chansons. Il fait aussi un portrait de son brother Layne, en plein crazy-boom de crack. Layne perd les pédales, il voit des araignées partout et ça affecte Lanegan : «La tristesse de le voir dans cet état était au-delà des mots, lui, the sweetest, funniest, more magical and intelligent dude I knew, out of his tree.» Lanegan attache une importance considérable à l’intelligence. Tous ses amis et ses héros le sont : Layne, Kurt, Jeffrey Lee.

    Dans ce livre, on n’en finit plus de croiser ce qu’il faut bien appeler des éclairs de style, là où rock et littérature font des étincelles - C’était une belle aubaine pour trois camés qui n’avaient d’autre ressource que mes chèques sporadiques de royalties, que la vente de crack dans la rue, and wathever we foraged from the occasional breaking-and-entering incident or boosting-and-returning scam - small time junkie shit - Lanegan rocke autant sa langue que Nick Kent, mais avec toute la grandeur du swagger américain. Quand il dit ça - I had to fix sooner than that or else it was going to be a disaster - on se croirait dans un hit des Stones. Il a ces petites phrases de fins de chapitres qui rockent toutes seules.

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    Lanegan apporte aussi des éclairages intéressants sur ses albums, ceux enregistrés avec Screaming Trees, puis ceux de sa carrière solo. Sweet Oblivion est l’album qui dit-il faillit faire entrer les Trees dans le mainstream. Lanegan parle d’organically classic rock feel et salue au passage Don Flemming et John Agnello, le producteur et l’ingé-son de l’album. Pour Dust, Lanegan visait la perfection : il voulait que l’album se situe au niveau d’Astral Weeks, de Trout Mask Replica ou de Starsailor, a wholly original piece of music that could not be compared to anything other than itself. On peut dire qu’il a réussi son coup. On ne dira jamais assez à quel point Dust est indispensable. C’est George Drakoulias qui produit ce chef-d’œuvre. Lanegan sait qu’il chante pour la dernière fois dans les Trees. En fait, il ne peut plus les supporter. Il rappelle aussi que les gens de SubPop lui ont baisé la gueule à la parution de son premier album solo, The Winding Sheet, en ornant la pochette d’un portrait que Lanegan détestait. Fou de rage, Lanegan est allé trouver Bruce Pavitt dans son bureau pour lui démonter la gueule, mais il s’est retenu au dernier moment : «Eat shit Bruce. You don’t know how lucky you just got.»

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    Tout cela est bien joli, mais il manque le personnage principal de ce puissant récit : la dope. Sans sa chère dope, Lanegan n’est rien. La dope en fait un roi et le met à genoux en même temps. Il ne cache rien de sa consommation massive. Sex and drugs and rock’n’roll ? Come on in... «Cherchant désespérément à éviter les ravages causés par mon alcoolisme incontrôlable, j’ai commencé à bricoler avec l’hero. Je voulais absolument arrêter de boire et cesser de commettre toutes ces horreurs. J’y parvins grâce à l’hero and I picked up a small habit pretty quiclky.» Plus loin il ajoute : «Par rapport à l’alcool, l’hero avait tous les avantages : je n’avais pas de black-out, je ne me battais plus, je n’avais plus de gueule de bois ni de réveil dans des situations embarrassantes. L’hero me relaxait et calmait my always screaming mind.» Grâce à cette aventure de dope-craze, Lanegan va faire de subtiles rencontres : «Début 1993, nous allâmes de nouveau en Europe jouer en première partie d’Alice In Chains. Layne et moi avions fait notre last shot dans les toilettes de l’avion et en arrivant à Londres, on était déjà en manque. Notre connexion londonienne était un Américain vivant à Londres, Craig Pike. Il avait joué de la basse pour Iggy Pop et en jouait alors pour Thee Hypnotics. Il vivait dans un grand squat décrépit, il n’y avait ni eau courante ni électricité. Il vendait de la dope pour se payer la sienne. Même si j’aimais bien Craig, je trouvais son destin pathétique. En aucun cas j’aurais voulu sombrer à ce niveau de déchéance, you could fucking count on that.» Puis Lanegan raconte que Layne, lui et un autre mec utilisent la même seringue et qu’ils l’affûtent de temps en temps sur un grattoir de boîte d’allumettes, comme un vieux couteau sur une pierre à aiguiser. Lanegan n’est pas avare de détails sordides, mais il a raison, car il touche avec ça au summum du trash, c’est-à-dire tout ce que le corps peut encaisser dès lors qu’il s’agit d’atteindre les paradis artificiels. Il évoque aussi les gens bizarres qu’on croise dans ce milieu, «the company of unsavory, damaged or borderline dangerous people, some of them legitimately out of their minds. Des gens qu’on ne fréquenterait d’aucune manière.» Lanegan sort aussi les chiffres, c’est important les chiffres, dans ce type d’épopée : «Mon addiction était prioritaire en tout. Je consommais un ou deux grammes d’hero par jour, et ça me coûtait 150 ou 200 $, ça dépendait du vendeur. Je faisais un fix chaque soir et je gardais de quoi me shooter à mon réveil.» Et de fix en aiguille, Lanegan finit par trouver son true love, l’hero : «Personne n’aurait pu m’arrêter maintenant que j’avais trouvé my one true love, the only peace of mind I’d ever had.» Une paix de l’esprit qu’il doit payer au prix fort, mais quand on aime, on ne compte pas. Et voilà qu’il développe, pour qu’on comprenne bien : «L’hero m’a sauvé la vie. J’ai pu stopper les horreurs engendrées par l’alcoolisme, un alcoolisme puissant comme un train et contre lequel je ne pouvais rien. L’hero avait calmé la tempête sous mon crâne et tu cette voix qui me répétait sans cesse que j’étais un vrai tas de merde. L’hero avait balayé toutes les angoisses qui m’empêchaient de dormir. L’hero m’a aussi débarrassé des sentiments de perte, de regret, de chagrin, de ressentiment, mais aussi de la haine brûlante et du dégoût profond que j’éprouvais non seulement envers moi-même mais aussi envers les autres.» Lanegan aime aussi à se comparer à une poubelle, disant qu’il se tapait n’importe quelle dope disponible - When it came to heroin, tough, I was a purist - Avec Layne, ils tapent aussi dans la coke et parfois mélangent coke et hero : speedball. Ils s’imposent alors un silence absolu - The explosion as the coke hit our brains était le but et n’importe quel bruit aurait ruiné l’effet - Il évoque bien sûr le crack boom hue, mais c’est pour en dire du mal : «Dès le premier hit, j’ai compris que le crack allait avoir ma peau. Au début, Layne essayait de m’y initier, mais je déclinais en lui disant no thanks bro, j’ai déjà assez de problèmes comme ça. J’étais pourtant un junkie aguerri mais le crack a fini par me mettre à genoux. Je fumais tout le temps, toute la journée, toute la nuit.» Au fil du temps, Lanegan observe une curieuse transformation : s’il se shoote jour après jour, ce n’est plus pour s’envoyer en l’air, forget about that, c’est juste pour aller bien, in order to just stay well. Il veille à utiliser le moindre grain et il se met aussi à chercher du crack dans la rue - I also needed crack, since I was obviously a fucking degenerate crackhead also - Il n’est pas non plus avare de détails croustillants sur les joies du manque : «Je ne pus me retenir. Je vomis si brutalement que j’en tombai à genoux, puis sur le ventre. Comme je n’avais rien mangé depuis deux jours, je vomissais de grosses quantités de bile noire.» L’un des passages les plus spectaculaires du livre est celui où Lanegan raconte une nuit de cauchemar à Amsterdam. Il va acheter de la dope en pleine nuit, là où se trouvent les dealers et il se fait rouler : rentré à l’hôtel, le fix qu’il se fait ne marche pas. Quand il y retourne, il se fait braquer. Il tombe dans les pommes et c’est un vieil original qui le ramasse et qui l’emmène sur son vélo chez lui pour lui proposer un fix de secours. Lanegan sait narrer ses aventures, on en savoure le moindre gramme.

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    L’autre épisode tragi-comique est la fameuse rencontre avec Liam Gallagher, lors d’une tournée américaine qui propose les Trees et Oasis à la même affiche. Liam vient trouver Lanegan, escorté par deux gardes du corps. Lanegan est en train de manger et Liam lui lance : «Howling branches!». Il se croit drôle. Lanegan ne lui répond pas. Liam insiste : «Howling branches?» - Le mauvais jeu de mots sur mon groupe et sa brutale intrusion dans la pièce commençaient doucement à m’irriter - Alors Lanegan fait son Lanegan et rétorque : «Fuck off you stupid fucking idiot !». Lanegan apporte tout de même une précision importante : «Dans le coin d’où je viens, un mec comme ça ne vivrait pas longtemps en se comportant ainsi. Il finirait pas disparaître sans laisser de traces.» Fin psychologue, Lanegan voit Gallagher «comme un kid en culotte courte, un beau jour d’été, secouant sa minuscule petit bite alors qu’il fait griller des fourmis sous une loupe.» Il a raison de le remettre à sa place et d’épingler son arrogance. La tournée se poursuit, émaillée par certains incidents. Lanegan recroise Liam qui lui annonce qu’il va lui régler son compte à Miami, où est prévu le dernier concert de la tournée. Lanegan n’attend que ça. Mais Liam quitte à la fois la tournée et Oasis juste avant la dernière date à Miami et Lanegan voit sa vengeance lui échapper. Il est furieux - That phony motherfucker avait pissé dans son froc et il était rentré chez sa maman avant que je puisse lui démonter la gueule.

    Le récit s’achève sur un court paragraphe en forme de rédemption. Lanegan se réveille dans une chambre d’hôpital et par chance, il ne fait pas son Cash, il nous épargne le couplet sur Dieu. C’est Courntey Love qui l’aide à s’en sortir.

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    L’empire de Lanegan s’étend jusqu’à son nouvel album, Straight Songs Of Sorrow. Il met sa main tatouée bien en évidence, pour le cas où on aurait pas remarqué ses deux séries d’étoiles. À l’intérieur du gatefold, on le voit assis portant ses lunettes de vieux junkie et fumant sa clope. Welcome back in the dark world avec l’habituel cocktail de drug-songs et de coups de génie. On en compte pas moins de deux, à commencer par «Internal Hourglass Discussion», un cut d’esprit free, pas loin du mambo beefheartien, c’est une drug-song de dérive urbaine drivée au story-telling de spirit déjanté. Tout aussi fascinant, voilà «Ballad Of The Dying Rover» avec un son plus electro, le vieux loup garou pousse en avant sa tendance moderniste - I’m just a man/ Just a sick sick man - Il chante à l’inhérence du désespoir le plus profond, avec une voix de desperado - Death is my due - Dark genius.

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    Il ouvre son bal d’A avec l’infernal «I Wouldn’t Want To Say» qu’il chante à contre-courant d’un hard drive de machines. Il chante at the top of his lungs, c’est très tendu, il shake les muddy waters des temps modernes, peu de gens sont capables de créer un tel doom en quelques minutes. Effarant. On tombe un peu plus loin sur un balladif morbide qu’il chante en duo avec Shelley Brien : «This Game Of Love». Ils échangent leurs vers comme des amants de la pleine lune, et ça nous rappelle l’ambiance d’Higelin au temps où il demandait à Brigitte Fontaine où était «cet enfant que je t’avais fait». Ils sont dans le même trip de perdition - Am I gonna lose this game of love - S’ensuit une superbe drug-song dans l’esprit du génial «Methamphetamine Blues» qu’on trouvait sur Bubblegum. Cette fois, il nous sert un shoot de «Ketamine» - Ketamine/ So I can feel alright - Lanegan est un expert en matière de Connaissance par les Gouffres - To plant my flag on distant shores/ And take me through the night - Il fait partie de ceux qui savant poétiser la dope sans tomber dans le misérabilisme médical. En B, on va tomber sur la plus funèbre des complaintes, «Churchbells, Ghosts» - Here I am/ I’m disappearing - Il implore Lord de l’aider - Lord help me now I’m going down - On a là the desperate song par excellence - Lord don’t you hear me cryin’/ Lord don’t you hear me saying goodbye - Mais on le sait tous, Lord n’écoute pas les hommes car ils les a tous condamnés à mort. Le «Skeleton Key» qui ouvre le bal de la C vaut aussi le détour, car Lanegan démarre sur l’ugly - Ugly/ I’m so very ungly - Voilà encore un mélopif envenimé et profondément humide. Lanegan swingue son chant sur le skeleton key - I will sing/ to you/ a sweet straight song/ of sorrow - il met du jus de bave dans chaque syllabe et il boucle cette sombre affaire avec «Eden Lost And Found», où il duette avec Simon Bonney, le mec de Crime & The City Solution. Du coup, Bonney paraît bien léger. Lanegan par contre ramène son daylight is coming et se perd à nouveau dans le concrete city, et tout le monde, prophétise-t-il, sera libre (après la mort).

    Signé : Cazengler, Lanegan vraiment pas à être connu

    Mark Lanegan. Sing Backwards and Weep: A Memoir. Hachette Books 2020

    Mark Lanegan. Straight Songs Of Sorrow. Heavenly 2020

     

    ROCKABILLY GENERATION

    ( H. S. N° 2 / Juillet 2020 )

    SPECIAL CRAZY CAVAN

    LE ROI DES TEDDY BOYS

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    Le numéro que l'on n'aurait pas aimé avoir à lire. Ce n'est pas que nous détestons Crazy Cavan. Loin de là. Au printemps dernier nous étions tous heureux du premier numéro Spécial Gene Vincent. Nous souhaitions bien qu'il y en eût un deuxième, et un troisième, et d'autres encore. Que l'un d'entre eux fût consacré un jour ou l'autre à Crazy Cavan, c'était dans l'ordre logique des choses vu l'importance du personnage. Mais pas en ces circonstances dramatiques.

    Remercions Sergio Kazh d'avoir pressé la nécessité de ce numéro hommagial au roi des Teddy Boys dès l'annonce de sa disparition. Le milieu rockabilly français a répondu à l'appel, le résultat en est un bel objet de cinquante-deux pages, magnifiquement illustrées, dans lesquelles se succèdent des témoignages de première main et diablement émouvants. Qui nous permettent de connaître autant le musicien que l'homme.

    Tony Marlow nous raconte disque par disque, date par date, la carrière de Crazy Cavan, très vite accompagné de ses Rhythm Rockers. Cavan réussit ce miracle de perpétuer la tradition rock tout en la renouvelant de fond en comble. D'allier la fidélité aux origines sans aucun passéisme. Cavan fut un créateur. Une belle voix, certes mais cela ne suffit pas, sans l'étincelle qui redonne vie à la glaise morte vous n'obtenez que des copies. Qui ne valent en rien l'original. Cavan et son orchestre, c'est avant tout un rythme particulier infligé au vieux rock. Qui le transforme de fond en comble tout en l'inscrivant dans une continuité étonnante. Ce balancement si caractéristique de sa musique, certains pour faire vite et user d'une formule à l'emporte-pièce le définiront comme la rythmique ted ce qui veut dire beaucoup, par exemple que Cavan a influencé énormément de monde, et ne rien signifier car la patte Cavan si elle en a inspiré bon nombre de groupes reste unique et irremplaçable. Cavan et ses boys ont une manière primordiale de s'approprier le morceau qu'ils sont en train de jouer, des fauves qui mordent à pleins gosiers une proie pantelante, qui ne desserrent jamais leur mâchoires, qui avancent par saccades gloutonnes et méthodiques. Un festin de roi, un acte barbare, rituel et sacré.

    Cette façon de faire, ce n'est ni plus ni moins que l'autre réponse britannique apporté aux rock'n'roll américain initial. Dans les années soixante, il paraissait évident à la plupart des jeunes anglais que pour produire un rock'n'roll authentique national la solution s'imposait d'elle-même : l'infusion d'une bonne dose de blues dans le legs des pionniers. Seule une petite frange s'opposa à cette manière de voir. Un peu en pure perte. Se perdaient dans l'adoration stérile d'idoles vieillissantes et dépassées... Cavan survint qui dynamisa et même dynamita à sa matière le bon vieux rock'n'roll des oldies et donna naissance à un phénoménal renouveau qui reçut le nom de rockabilly.

    Dans son article Tony Marlow ne manque pas d'évoquer les relations de Crazy Cavan avec notre pays. Les premiers disques du roi des Teds furent accueillis avec ferveur par une poignée de fans français – Tony et les Rockin' Rebels en premières lignes – ces primitives étincelles mirent le feu à toute la plaine, toute une nouvelle génération se passionna au début des eighties pour le rockabilly. Cette passion fut aussi confortée par l'apparition des Stray Cats. Aujourd'hui encore le milieu rockabilly reste avec les amateurs de punk et les fans de metal une des composantes essentielles du public et des formations du rock français.

    Crazy Cavan continua son chemin sans aucun reniement, fidèle à sa musique jusqu'au bout. Le 18 janvier 2020 il était encore sur scène à la 37 th Rockers Reunion à Reading donnant une prestation de vitalité étonnante, l'équipe de Rockabilly Generation était bien sûr présente, Sergo Kazh nous offre quelques dernières photos inédites.

    Le long article de Tony, abondamment illustré emplit la moitié de la revue, Marlow scrute avant tout le musicien, ne s'en dévoile pas moins au travers de quelques confidences et réflexions personnelles du Marlou le portrait d'un homme entier qui ne correspond en rien à ce à quoi l'on pourrait s'attendre.

    L'individu Cavan ne court ni après la gloriole, ni après l'esbroufe du fric. Les témoignages de Jean-Jacques Astruc qui l'a beaucoup suivi sur la route durant ses pérégrinations européennes, et de Jackie Chalard, personnage incontournable du rock'n'roll français et créateur du label Big Beat, ne manquent ni de sel ni de péripéties jouissives, mais au-delà des anecdotes ils révèlent avant tout un personnage étonnamment proche de ce qu'il est, se refusant à jouer un rôle qui ne lui correspondrait pas. Cavan semble se suffire à lui-même. Crazy le fou cache Cavan le sage. Beaucoup de bière et le respect des fans. Point barre. Une famille qui l'attend pendant que lui parcourt les routes monotones du rock'n'roll. La folie sur scène est son seul tribut au rock'n'roll. Un homme sûr de lui et attentif aux autres. Brayan qui interviewa Cavan pour la quatrième livraison de Rockabilly Generation alors qu'il n'avait que quinze ans, nous livre son ultime entretien avec Cavan quelques semaines avant sa disparition, il nous fait part de la gentillesse et l'attention que toujours l'idole lui réserva lors de leurs rencontres. Si certains l'ont nommé le roi des Teddy Boys, le représentant des ultimes rebelles fait preuve en ses dernières paroles d'une merveilleuse fidélité envers son propre milieu et d'une radicalité empreinte de sérénité face à la vie et à la mort.

    Un grand rocker, une belle personne.

    Ce numéro spécial de Rockabilly Generation est un des fascicules les mieux réussis et des plus émotionnant que l'édition rock française ait consacré à l'un de ses artistes les plus authentiques.

    Cavan vivant.

    Damie Chad.

    Tirage : 150 exemplaires en français + 150 exemplaires en anglais

    Commande : numéro + port = 12 E + 1, 50 E = 13, 50 E

    Chèque : à l'ordre de Rockabilly Generation , 1 A avenue du canal, 91700 Sainte Geneviève des Bois

    Paypal : adressé à maryse.lecoultre@gmail.com

     

    CHÂTEAU-THIERRY

    ( PUB LE BACCHUS / 04 - 09 – 2020 )

    METAL NIGHT IN A WORLD OF CHAOS

    E-RUINS / BUNKER PROJECT

    HEAVYCTION

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    Mercredi sur le fil du FB deux concerts annoncés en région parisienne que j'ai repérés la veille annulés, jeudi au premier regard un nouveau concert à l'eau. Vendredi je n'ose plus regarder, juste un coup d'œil avant de partir, non le concert au Bacchus de Château-Thierry est maintenu, à peine croyable, la teuf-teuf fonce au travers de la Marne désertique. Trois groupes un même soir après deux mois d'abstinence, serait-ce un mirage ou un miracle ? Une aubaine sûrement ! A ne manquer sous aucun prétexte. Je ne suis pas le seul à bondir sur l'occasion. Le pub est rempli, ça déborde même dans la rue. Les plus heureux sont encore les trois groupes, enfin remonter sur scène ! L'on ne comptera pas les remerciements émus et reconnaissants à Sabine toute modeste qui prend tous les risques comme si de rien n'était. Au dernier concert de juin nous étions au Bacchus, en septembre nous revenons – quel hasard - au Bacchus, les îlots de résistance à l'étouffoir généralisé sont rares... Presque un mini-festival, et du metal bien bruiteux encore, que pourrait demander de plus le peuple rock !

    E-RUINS

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    Z'ont bien choisi leur nom, après leur passage le monde vous semblera transformé en un champ de ruines. Fumantes. Ne vous demandez pas pourquoi la grande carcasse de Begood et sa batterie squattent les neuf dixièmes de la scène, jusqu'à lors le gars avait une allure joviale et sympathique. En règle générale les groupes trash ne débutent pas par une resucée de la petite musique de nuit de Mozart jouée en mineur à la flûte de Pan, le spectateur le moins chevronné s'attend au minimum à un cataclysme. Mais là, en un dixième de seconde, la terre bascule sur son axe, vous reculez de trente mille ans dans les temps préhistoriques, bye bye Begood, n'existe plus, peut-être n'avez-vous jamais accordé la moindre créance aux élucubrations modernes sur le shamanisme, mais la bête est là, une espèce de raptaxtorix a surgi de sa caverne en un éboulement terrifiant de rochers, le sol tremble, votre cœur s'arrête, la gélatine de votre cerveau s'écoule de vos oreilles, mais cela ne serait rien s'il n'y avait pas en la même fraction de seconde ce hurlement dévastateur de haine pure qui déracine les arbres et assèche votre sang. Dans la salle c'est l'exultation, ça se bouscule à qui mieux-mieux, le souffle fétide de la colère et de la liberté vous emporte en un vaste tourbillon. N'ayez crainte, ce n'est que Begood qui cogne ses fûts et qui rugit dans son micro d'aviateur scotché sur sa bouche. Tout devant T-Die esquisse un léger sourire, comme si de rien n'était. Vous passe des riffs assassins à travers le corps destinés çà vous découper en tranches de l'air innocent du gars qui beurre sa biscotte au petit déjeuner. A ses côtés Kevin, un fameux hypocrite, un air rêveur d'adolescent inoffensif perdu dans ses dreads, il nous fait le coup du sage peu concerné par ce qui se passe prêt à renter en méditation yogique mais ses doigts malaxent sa basse dans le seul but d'assombrir la noirceur de son époque.

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    Livio n'a pas de guitare mais un trident triangulaire destiné à torturer les chairs, à triturer les tripes, et à prolonger l'agonique sauvagerie de la masse sonore qui vous écrase. Pas besoin d'explorer les lyrics qu'éructe Begood, leurs titres suffisent, Rebellion, Made in Hell, The blood will flow, You suffer, See you dead... E-Ruins clame sa colère et son dégoût, si fort, avec une telle violence que l'on ne s'étonne pas du nombre des fans et des connaisseurs qui sont venus pour les voir une fois de plus sur scène. Une claque monstrueuse, un set de folie à haut niveau d'incandescence, E-Ruins triomphe sans peine. Le set terminé, nos quatre chevaliers de l'apocalypse, redeviennent des gens comme nous. Des guerriers du quotidien.

    BUNKER PROJECT

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    En théorie le bunker est une arme défensive, mais le Bunker Project en ont fait une technique offensive d'assaut, avec leur masque à gaz accroché au micro et le haut-parleur que brandit à intervalle le meneur, le Project ressemble à ces cortèges de tête qui ont égayé les manifs parisiennes ces dernières années, vous repérez vite dès les premières mesures qu'ils ont décidé de mettre le sbull un peu partout, jusque dans leur musique, révolte bien ordonnée commence par soi-même. L'avouent benoîtement, ne parlent ni de trash, ni de death mais de metal protéiforme, se servent un peu partout, comme vous prélevez votre dîme dans tous les grands magasins, font de l'auto-réduc musical, ne gardent pas tout pour eux; partagent abondamment, avec vous, vous refilent les meilleurs morceaux, Colère, Terro, Jungle,.. Chez Kr'tnt ! nous n'hésitons lamais à emmener notre propre grain de salpêtre pour apporter quelques lueurs d'éclaircissement à nos lecteurs, nous proposerons le terme de protéino-funk-metal pour définir cet alliage singulier mis au point dans les laboratoires secrets du Bunker Project. Une formule instable de grande dangerosité. A la base un martelage binaire, mais ce serait trop simple, la basse ne tient pas le rôle à laquelle cette binarité initiale devrait en théorie maintenir son assise, elle est d'un velouté appuyé mais déliquescent, elle est partout à la fois, un peu comme ces nuages de gaz lacrymogènes obéissant en leur déploiement à la théorie mathématique des catastrophes et qui par leurs errements de grandes nocivités induisent dans l'esprit du manifestant innocent qui le reçoit dans ses naseaux au moment où il s'y attend le moins un profond instrument d'injustice que les guitares traduisent aussitôt par des giclées enflammées molotoviennes, sur ce la batterie matraque à mort tout azimut et la mêlée s'ensauvage méchamment. Au début du set, l'ambiance est presque gentillette ( tout est relatif ) mais la pompe est amorcée et elle ne tarde pas à fonctionner à plein régime. Brusquement elle s'emballe, le meneur à la sono ne laisse pas ses troupes inactives, et bientôt la machine s'emballe. Gradation exponentielle contenue. Rien ne peut l'arrêter, pas le public transformé en robots déjantés et pas même le Bunker Project qui promet à chaque fois, que cette fois c'est la dernière, mais ils rajoutent une, et une autre, et encore une autre, dans la salle c'est l'extase pléthorique, le Bunker Project libère et explose les frustrations accumulées par des mois de pressions covidiques, c'est la fête finale, sur Siren, distribution générale d'un rhum atomique qui vous tord et les tripes du bas-ventre et les boyaux de vos méninges éclatées dans la tête que vous perdue. Metal libératoire. Bunker Project redynamise la rage de vivre.

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    HEAVYCTION

    Il est des soirs où vous n'êtes pas au bout de vos heureuses surprises. Vous pensez qu'après avoir escaladé l'Annapurna et l'Everest vous ne pourriez jamais grimper plus haut. Erreur corrigible. Heavyction vous propose d'entreprendre l'ascension du Mont Analogue cher à André Daumal. Voyage au pays du rock'n'roll, si vous préférez.

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    Des diables d'hommes. Des magiciens. Se mettent en place en quelques minutes. Deux ou trois pincées de guitare, Jean recule les éléments de sa batterie de quinze centimètres comme s'il assemblait quatre pièces de Lego et le son est en place. Silence. Une dernière fois des doigts fourmillent au-dessus des cordes de guitares muettes et d'un seul coup la porte du rock'n'roll s'ouvre devant vous et vous êtes happé en une autre dimension. Savent jouer. Pas trop longtemps, il se fait tard, peut-être est-ce juste une illusion car vous êtes décollé de la réalité en une fraction de nano-seconde. Défibrillation instantanée de vos neurones. Votre vie défile devant vos yeux. Catalepsie intergalactique. Faut se reprendre et tenter d'analyser. Célérité, cohésion et précision. Une espèce de tourmente qui s'abat sur vous et ne vous lâche plus. C'est ainsi que l'armée de Cambyse a dû être ensevelie dans les sables du désert d'Egypte. Stoned, Death On Arrival, Eternity. Humus de Kumus. Certains titres sonnent comme des épitaphes. Eviction maximum. Samplers tueurs.

    Des guitaristes j'en ai vus et entendus, mais Cédric m'a blufflé, ne joue pas comme les autres, lorsque le morceau est bien parti, il décolle, il ne gratte plus, il souffle de ses cordes une espèce de tourbillon lyrique qui prend et atteint une ampleur démesurée, c'est une onde qui déferle sur vous et vous enveloppe, l'assistance ne s'y trompe pas, une véritable et ininterrompue giclée spermatique de cachalot, une tornade aussi puissante que les quarante violons de Bayreuth lancée à fond de train dans les chevauchées wagnériennes les plus échevelées de la tétralogie.

    A ses côtés son alter-égo. Des faux jumeaux. Amine, le tireur d'élite, au sang froid de reptile. Ne rate jamais sa cible. Qu'il glisse ses doigts dans son cordier ou qu'il morde le vocal au micro, le mec touche à la perfection. Rien de trop et pas un manque. Ce qu'il faut comme vous imaginez qu'il le faudrait dans vos rêves. Le gars manipule la tonitruance des orages les plus tempétueux avec une facilité déconcertante, un doigté minutieux, tous les mots crachés en érection sonore mais aucun ne bouscule le précédent ou n'empiète sur le suivant, des montagnes de grondements qui s'écroulent et puis plus rien, un mince sourire, et retour dans la fournaise avec placidité. Déconcertant.

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    Le dionysiaque et l'apollinien. Entre les deux, Jean, si un tel dénivelé de sensibilité ne produit aucune rupture, c'est qu'il est là, il mène un train effréné, pousse le combo au cul, et en même temps il est tout ouïe à leur jeu. Il sert l'un et il sert l'autre. N'a pas une batterie, mais deux claviers d'orgue, l'un pour les cymbales et l'autre pour les fûts, tape sur les deux en même temps – l'a résolu le cahin-caha de ces groupes expérimentaux à deux batteurs qui à mon humble avis n'ont jamais démontré leur efficacité, mais ceci est une autre histoire - écoutez-le forger et vous comprendrez pourquoi le mot enfer se doit de préférence être employé au pluriel. Côté pile la justesse rythmique, côté face l'intumescence de la frappe. L'acrobatie et la foudre. Le marteau et l'enclume. La grâce et la vitesse. Le métal de la crash et le trash de la résonance. Sidérant.

    Respectons son anonymat, sa tête baissée, son visage invisible recouvert par le rideau impénétrable des deux ailes noires du corbeau de sa chevelure. Un bassiste fidèle au mythe romantique du bass man refermé sur son mutisme. A compris qu'il ne pouvait rentrer dans le jeu du batteur, alors joue dans le moelleux, une herbe opulente où je vous défie de poser le pied, vous le perdriez aspiré par d'insatiables goules souterraines qui se hâteront d'aspirer votre sang, jusqu'à la dernière goutte, jusqu'à ce que vos os s'entrechoquent dans le suaire de votre peau vidée de sa substance charnelle. Le baiser infini du vampire.

    Un set magnifique, de toute beauté qui laissa l'assistance exaltée et médusée. De l'orichalque pur. En un mot comme en trois, du rock 'n' roll.

    RETOUR

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    Trois très bons groupes en une seule soirée ! Et en plus dans un monde prêt à tomber dans la nuit du chaos. Certains jours sont à marquer d'une pierre noire ! Tant pis pour les jaloux !

    Damie Chad.

    ( Photos & illustrations  : FB des artistes )

    THE TRUE DUKES

    ( Auto prod / Août 2020 )

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    J'ai mes a priori : un homme qui tout jeune a commencé par lire Edgar Poe ne saurait être totalement mauvais. C'est le cas de Pek Garcia. Non il ne fait pas partie des True Dukes mais c'est lui qui s'est chargé de l'art work de la pochette. L'a fait fort. Très simple, très rock'n'roll. L'a surfé sur la vague. Noire. Non je ne veux pas dire qu'il a suivi la mode. L'a benoîtement mis en relation l'aléa de l'actualité avec le parfum d'insoumission qui flotte autour du concept rock'n'roll.

    C'est F. J. Ossang du groupe MKB Fraction Provisoire qui au début des années 80 proclamait qu'il fallait '' Avancer, se replier, et surtout avancer masqué''. Le système récupère et pervertit toutes les idées. Aujourd'hui nous sommes obligés d'avancer masqués tels des moutons consentants en route vers l'abattoir de la soumission, et nous avons oublié qu'à l'origine le masque est une arme qui permet d'agir en toute illégalité contre les forces répressives...

    Très obéissant Pek a donc mis le masque sur la pochette des True Dukes. N'a laissé que les yeux à découvert. Mais qui brûlent. Comme les pupilles lumineuses des chats de Lovecraft. Des brandons de désobéissance civile. Un appel d'une clarté aveuglante à la révolte. Gamin Pek fabriquait des boucliers ethniques pour se protéger, maintenant qu'il est grand il continue, il a appris que la meilleure défense c'est encore l'attaque, alors il use d'une stratégie subtile, celle de la réversibilité du symbole, retour à l'expéditeur. Une technique vieille comme les Dieux de l'Olympe. Songez au regard de Méduse.

    C'est ici qu'interviennent The True Dukes. Par l'entremise du titre qu'ils ont donné à leur EP. Ne s'agit pas d'être contents de soi sous prétexte que l'on a tiré la langue au Système. Si vous êtes opprimés, ne vous en prenez qu'à vous, vous êtes faibles. Alors au bas de la pochette les lèvres d'ombre vous intiment l'ordre de prendre votre destin en main : Find your soul, lose your mind. Soyez vous-mêmes, n'écoutez personne. Laissez tomber vos ratiocinations émasculatrices. A bons entendeurs, salut.

    Une image qui claque comme un bon coup de pied au cul.

    *

    Message pas du tout subliminal que les Troud'ucs vous envoient gratuitement en pleine tronche. Que voulez-vous face à la bêtise du monde The True Dukes se comportent en grands saigneurs. Il est temps de les écouter.

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    Jean-Yves Bassinot : voix / Christian Kikaï : guitare rythmik / Lead guitar : Eric Chartier / Jean-Luc Vinot : Bass / Michel Dutot : drums /

    Non, ce n'est pas que tout à coup que vous comprenez les subtilités de la langue de Shakespeare et de Milton, c'est que The True Dukes ont choisi la difficulté, s'expriment comme tout un chacun en français,

    Marie : vous avez le choix, pour les guitares grondeuses – Izo Diop de Trust drive la lead – et la batterie aboyante pas de problème vous prenez le ticket sans vous posez de questions superfétatoires, pour la petite Marie c'est moins évident. Selon les garçons les filles sont parfois un peu compliquées à vivre. Surtout que la demoiselle reste une femme rebelle et libérée, alors la musique danse dans les flammes, et vous vous laissez emporter dans ces virevoltes de feu. Elle a allumé le feu chez les boys, ils vous expédient le morceau à cent à l'heure, oui mais lorsque vous le remettez vous remarquez que c'est empli de ruptures suintantes. Ce que confirme Dans ma rue : qui nous mène sur la ligne de partage des eaux : quel entrain, ces guitares qui se font des queues de poissons, cette tambourinade qui mène le sprint, et prime à l'arrivée, cette voix joyeuse presque narquoise qui... vous met au contact de la réalité sociale des plus rugueuses, carmagnole rock de la déchéance qui débouche sur La rage : menée à fond de train, concentrée au dedans de soi l'enragement est un sentiment qui explose pour hélas se heurter aux murs qui bouchent l'horizon du monde et te revenir en pleine figure, le son se transforme en une balle de squash qui rebondit sans fin, un morceau qui se prend en pleine poire et te réduit en compote sous le pilon des existences déchirées car il est dur de vivre et Dur de dormir : impossible de trouver le sommeil, Marie n'est pas rentrée, une tranche d'angoisse existentielle poisseuse comme les cafards d'un blues survitaminé que l'on cherche à écraser sur la tapisserie du plat de la main, en vain, un train haletant qui s'enfuit dans la nuit blanche des rêves brisés.

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    The True Duke nous livrent un EP roboratif mais peu optimiste. Un constat sans fard sur l'état de notre société déglinguée mais aussi une vision sans compromission des individus à la dérive qui la composent. L'auto-apitoiement ne nous sauvera pas. Il ne suffit pas de dresser des constats. La musique électrique des True Dukes de plus en plus prégnante à chacun des morceaux nous intime l'ordre de marcher jusqu'au bout des cauchemars éveillés. Une bonne décharge électrique pour nous tirer de nos léthargies paralysantes et aligner les planètes de nos contradictions.

    Damie Chad.

     

    KINGDOM OF KIDDING

    FICTION ABOUT FICTION

    ( Sortie 10 / 08/ 2020You tube / Spotify )

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    What is it ? Surtout pas des inconnus pour les kt'tntreaders. Nous avons déjà chroniqué quatre des morceaux qui figurent sur cet album : I don't care, And no one say, et Trophy dans notre livraison 389 du 18 / 10 / 2018, faisant alors parti d'un EP digital nommé Störm, Do not look back ( en 412 du 28 / 09 / 2019 ) sous forme d'un étrange dessin animé que nous qualifierons d'anguleux en le sens que nous considérons chacune de ses séquences comme des aiguilles qui s'instilleraient en votre cerveau pour piquer votre attention et ameuter vos méninges. Tout cela s'inscrivait dans un projet de Diane Aberdam intitulé Enaid Fictionaboutfiction. Ce n'est pas tout, nous retrouvons Diane en un duo formé avec Emilien Prost sous le nom de Tendresse déchirante, pronto nous avons chroniqué trois de leurs clips Sérénade Américaine, Acte II, Whip, ce dernier le 09 / 04 / 2020 ( 459 ) et pour les deux premiers voir 412, et 421 du 30 / 05 / 20. Emilien Prost officiait déjà dans Enaid Fictionaboutfiction.

    En résumé une création en gestation, les anglais possèdent une belle expression, ''a work in progress'' , que Joyce a beaucoup utilisée, pour désigner ces sortes de longues parturiences in utero qui s'apparentent aussi à des dénis pathologiques de grossesses. L'Artiste ne saurait jamais être satisfait. A peine a-t-il réalisé une œuvre qu'il regrette, il sait qu'il aurait pu faire mieux. Tout au plus la considère-t-il comme une approche, en vue de plus ultra. Toute œuvre ne serait-elle pas une fiction qui raconte une autre fiction qui n'est pas elle, tout en étant pleinement participante de son déroulement. Selon ce terme de fiction l'on pourrait s'attendre à ce que Diane et Emilien écrivent au minimum une nouvelle. Mais ils sont musiciens, ils ne composent pas de roman, ils bossent sur les sons mais ne travaillent pas vraiment sur des songs, plutôt des ambiances, des atmosphères. Ce n'est pas ce qu'ils jouent et chantent qui est important, mais l'écho que cela suscite en nous. L'histoire, les péripéties se répètent, sont connues, ils parlent d'eux et de nous, car nous nous ressemblons tous pauvres animalcules humains infatués de nos particularités à un tel point que nous ne nous apercevons pas que les différences qui nous séparent des autres et nous élisent en une royauté immarcessible ne sont que des leurres microscopiques.

    Kingdom of Kidding. Royaume de la blague, ou Empire de l'Illusion. Tout récit n'est-il pas un château de cartes qui s'écroule au fur et à mesure que les mots progressent, chaque vocable cédant la place à celui qui le remplace, à peine une marche du stairway to heaven est-elle posée que la suivante la remplace et ne monte pas plus haut. Nous vivons dans un monde d'incertitudes et de pierres branlantes qui s'effondrent sous chacun de nos pas alors que nous croyons arpenter la chaussée des géants. Peut-être est-ce pour cela qu'après avoir prévu une illustration colorée pour la pochette ils ont finalement opté pour l'image grise des vieux grimoires délaissés sous la poussière des siècles, signifiant ainsi que le temps affadit sans pitié les teintes vives des plus belles légendes.

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    After the end : il pourrait sembler étrange de commencer une histoire alors qu'elle est déjà terminée. Mais il en est ainsi de toute existence. Notre présence au monde ne fait que survivre à ce que nous avons déjà vécu. The thrill is gone, le meilleur est derrière nous. Même les rois font reposer leur puissance et leur majesté sur des actes – les leurs ou ceux de leurs ancêtres – évanouis depuis longtemps. Une triste évidence dont notre esprit se détourne avec horreur. Mais nous n'y pouvons rien, la machine est lancée et le conte commence. La musique se déploie telle une ritournelle dramatique dont rien n'arrêtera le déroulement. Il y a de l'inéluctable en cette orchestration rock qui se confond aisément avec le chant funèbre d'un orgue mécanique de barbarie. Vous avez des voix qui profèrent des promesses de chuchotement et des chœurs qui imitent ces splendides tentures tachées de sang qui ornaient les murs des vieux châteaux d'Elseneur. Drames revivifiés et inquiétudes attisées, gradation grinçantes. Nous voici au bout du vestibule, lorsque nous pousserons la porte serons nous dans la pièce aux merveilles ou déboucherons-nous dans le corridor des horreurs ? Interlude 1 : retour à la réalité, comme dans un tournage de film lorsque retentit le clap de fin indiquant que la scène est finie, que chacun sur le plateau peut reprendre sa vie. Assez insipide, si l'on en croit ces trente secondes insignifiantes d'une simple guitare qui égrène quelques arpèges. Hit me : l'histoire reprend, la musique s'emplit d'un lyrisme mystérieux, c'est juste la grande scène d'amour, le dialogue du désir entre l'Être féminin et le l'Être masculin, la prière qui monte, les guitares qui s'extasient, jusqu'à l'éclatement cacophonique de la pâmoison, gros plans de fureurs érotiques. Les sexes se tendent et s'électrifient. Paix à leurs corps. Leur âme est égarée. Interlude 2 : profitons de cet interlude aussi doucereux que le premier, genre baladin qui gratte une mandorle aux pieds d'une jeune et chaste princesse vierge qui roucoule ses émotions. Pour endosser notre rôle de chroniqueur sérieux nous... mais vous êtes pressés vous voulez la suite, la voici. The girl with many eyes : tambours tuméfiants, l'heure est grave, c'est celle des monstres. L'épreuve initiatique et obligatoire que doit subir le héros. Sera-t-il aussi terrible que la renommée le rapporte, pas du tout, ce n'est qu'une fille, mais avec des yeux partout, qui vous regardent et vous ensorcèlent. Le preux chevalier énamouré se montre digne de notre attente. Belle performance vocale d'Emilien Prost qui n'est pas sans évoquer David Bowie, mur de guitares perçantes tissés par Diane... Interlude 3 : pourquoi ces brefs interludes passe-partout, trop courts pour nous ménager une pause sandwich ou pipi. Soyons un peu sérieux, évoquons un peu les démarches théoriques et expérimentales de Robert Fripp et Bryan Eno, experts en musiques progressives qui n'en ont pas moins porté leur attention sur des musiques d'ambiance et répétitives faites non pas pour être écoutées mais pour être entendues quasiment à l'insu de l'auditeur. Une sorte de manipulation mentale d'autant plus dangereuse que pratiquement inaudible. Méfions-nous, ne nous laissons pas mener par le bout du nasibus. L'appel à Fripp dérive d'une simple logique, ce disque s'inscrit quelque part dans la continuité logique de certains récitatifs instrumentaux propre aux deux premiers trente-trois tours du Roi Pourpre. I don't care : c'est la scène des alcaloïdes, non pas celle du poison shakespearien versé dans l'oreille du roi endormi, il en est de plus subtils, de plus inquiétants qui ne vous tuent pas mais qui vous font perdre le goût de la vie car ils vous ouvrent tout grand les portes d'ivoire et de corne de la mort et du rêve et vous laissent voir... désormais vous savez qu'il existe des réalités grandioses bien plus exaltantes que votre quotidien, mais combien plus dangereuses. Votre vie est comme la pochette du disque, elle a perdu ses couleurs, mais vous n'avez pas eu le courage de franchir le seuil, maintenant vous connaissez vos limites, d'un côté le dégoût de vivre et de l'autre le contour de votre peur. Vous atteignez la lassitude de vous-même. Interlude 4 : le plus poignant de tous les interludes, quelques notes égrenées et cette demande d'amour psalmodiée par la baladin d'un monde occidental condamné. No one say nothing : le grand monologue d'Hamlet, Emilien crie son désespoir et sa solitude, plissements de basse, le drame dans toute sa splendeur, les sanglots et le désespoir, ne devrait pas s'arrêter de chanter, de nous agoniser de ces saccades hallucinées mais le monde s'écroule, la musique s'emballe, la mer recouvre la cité d'Ys, les chants les plus beaux sont les plus désespérés. Interlude 5 : un peu de douceur dans ce monde de brutes. Respirons. Trophy : rythmes africains. Rien ne dure en ce bas monde. Même pas le désespoir. Morceau baroque. Bas-rock and high voltage. Toute force gît en l'intérieur de nous. Il suffit de vouloir vivre et de triompher. Au bout de la mort spirituelle, ce qui vous a tué vous rend plus fort. Renaissance. Initiation. Interlude 6 : presque une intro de chanson, le plus joyeux et le plus roboratif de tous les interludes. Do not look back : mélopée de charmeur de serpents et rythmique enlevée, la voix embrumée de mystère et de décision, exultation à tous les étages, maintenant le vocal moutonne comme annonce d'orages désirés, ne manquent que les éclairs dont l'absence est marquée par des coups de cymbales ensoleillées. Optimisme ravageur. Interlude 7 : une corde vive frappe votre tympan, une voix féminine qui monte et descend. Quatre notes nostalgiques pour finir. Reign of rain : longue introduction instrumentale empreinte de mélancolie, les voix se mêlent pour proclamer et puis exiger que cesse la fin, c'est la montée des eaux à la fin du Crépuscule des Dieux, pouvez crier, hurler, gémir, tout s'apaise et se tait. Interlude 8 : quelques accords prestement enlevés et puis les doigts qui s'alourdissent comme des larmes qui coulent sur les joues d'un enfant qui ne peut croire à la ritournelle ironique qui les a motivées. Out of my head : il est temps de sortir de ce conte de vieille femme, à dormir debout, à dormir éveillé, pression mélodramatique, mais s'enfuir ne serait-ce pas revenir au début qui refusait de débuter, sommes nous dans une impasse qui ne s'achève jamais, qui s'allongerait tel un jour ou une nuit sans fin. Une légende abracadabrée qui vous laisse sur votre faim, puisque le morceau s'arrête brusquement, puisqu'elle ne s'achèvera jamais. Le jour et la nuit s'égalisent-ils en une équinoxe narrative. Ce qui a été rêvé a-t-il été vécu au même titre que ce qui a été vécu n'a pas été rêvé. Fiction et réalité ne seraient-elles que le même coté d'une trame commune ?

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    Fiction About Fiction nous livre un opus de poids. Une melting pot de résonances intimes. Un regard intérieur de Méduse. Faut se laisser pénétrer, n'être plus qu'un corps flottant de noyé entre deux eaux, celle des profondeurs les plus glauques et celle des phantasmes les plus convenus. Un conte pour adultes qui essaient de remonter à la source de leur enfance perdue. Il est trop tard. Définitivement.

    Une musique envoûtante, des structures labyrinthiques et des ruptures colimaçonesques qui sont en même temps, et le dédale infini, et le fil d'Ariane qui vous permet de ne pas vous échapper, car ces mélodies désastreuses qui fonctionnent comme des vis sans fin ou des spirales infinies qui vous ramènent toujours au point focal de vos errements vous enserrent en leurs anneaux de serpents gluant. Mais que vous soyez dehors ou dedans, le piège mental s'est refermé sur vous. Un conseil, avant d'écouter ce disque : ne vous racontez pas d'histoire. Parce qu'une fois que vous l'aurez entendu vous ne croirez plus à vos sornettes. Progressif décapage mental.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE PORPRE 269 : KR'TNT ! 389 :TY SEGALL / BONNEVILLES / FICTION ABOUT FICTION / HUGUES PANASSIé / / ROCKAMBOLESQUES (4 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 389

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 10 / 2018

     

    TY SEGALL / BONNEVILLES

    FICTION ABOUT FICTION / HUGUES PANASSIE /

    ROCKAMBOLESQUES ( 4 )

     

    La chèvre de Monsieur
Segall - Part One

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    Ty Segall est si complet, si prolixe, si polyvalent, si protéiforme, si aventureux, si imprévisible, si incontournable, si fantasque, si kaléidoscopique, si chatoyant, si désinhibé, si souple, si coureur, si variable, si papillonnant, si léger qu’il vaut bien un néologisme : la Segallité. Il relève à la fois de l’égalité, de l’étale au sens de la mer, du létal au sens de l’état et de la qualité au sens d’un complet en Prince de Galles bien coupé. Ty Segall est l’artiste varié et luxuriant par excellence. Il s’arrange toujours pour surprendre son auditoire. Il surgit là où personne ne l’attend. La grande force de ce Californien est de n’être pas prévisible. On attend du garage-punk et il plaque des accords de Sabbath. On attend du glam californien et il se lance dans des passes d’armes virtuoses avec son compère Emmett Kelly. Autant dire que sa prestation au Rush trompa toutes les attentes. Et les trompa même énormément.

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    On le vit arriver sur une grande scène, dans les conditions d’un festival en plein air. Des conditions qu’il faudrait presque qualifier d’estivales, avec le fleuve de part et d’autre de la presqu’île et le soleil de juin qui va avec. Égall à lui-même, Ty Segall paraissait sans âge, du type éternel adolescent, même pas bronzé, faisant ainsi mentir les lieux communs. Wouat ? Un Californien à la peau blanche ? Il n’avait de californien que le blond d’un tignasse fournie que fouillait doucement un vent léger. Ty Segall joue toutes les cartes en même temps : l’anti-frime, l’inclassabilité des choses, le sans-âge, le lutin des contes qui surgit là où personne ne l’attend, l’enfant de la balle, le chien perdu sans collier, l’ami d’on ne sait quelles bêtes, le romantique à la petite semaine, un personnage dans lequel on finit par se perdre et qui semble prendre un malin plaisir à échapper à nos sales manies d’entomologistes. Il ne s’en doute peut-être pas, mais c’est bien cet ensemble de choses qui le rend instantanément sympathique, ou à défaut, intriguant. Et bien sûr, sa musique va de pair.

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    Pour une fois, l’habit fait le moine et notre homme ouvre encore l’éventail de tous les possibles en tapant dans le genre musical le plus riche de tous, que ce soit au plan historique ou musicologique : le rock des seventies. C’est en effet l’époque de la profusion, l’âge d’or de Fantasia chez les ploucs. Ce qu’on appelle aujourd’hui communément les seventies est la décennie qui vit grouiller le plus grand nombre de grands groupes, le plus grand nombre de grands albums et le plus grand nombre de superstars. Stones, Beatles, Sabbath, Who, Led Zep, Doors, CS&N, on ne savait plus où les mettre, ils s’entassaient comme des patates dans des sacs, les bacs des disquaires croulaient sous le poids de tonnes, les salons et les garages se remplissaient de gros tas de disques. Qui n’achetait pas de disques en 1972 ? Personne, ou presque. Il n’est pas de genre musical plus indiqué que le rock seventies si l’on souhaite brouiller les pistes. C’est dans cet insondable vivier que puisent les spéculateurs, car les disques rares de groupes inconnus grouillent autant que les asticots dans la charogne de Baudelaire. C’est aussi dans ce marigot que puise Segall le Ty chic, le vénérable ré-inventeur du rock qui pourrait bien finir par se faire accuser de toutes les tares sauf une : la prétention. Il joue son rock seventies en toute impunité, avec l’éclat d’une mine candide, comme s’il ne jouait que pour son plaisir, nous laissant le choix de suivre ou pas, revenant ainsi aux règles de base du spectacle : voici ce que j’ai à t’offrir, c’est à prendre ou à laisser et bien sûr, tout va dépendre du talent dont il dispose. Et comme il en regorge, le résultat ne se fait pas attendre. Attention, c’est un set difficile, aussi difficile qu’un parcours long et aventureux, chargé d’imbroglios et débouchant souvent sur des surprises qui donnent envie de continuer. Ce n’est pas gagné d’avance, et c’est là où il se montre très fort. Et bien sûr, tout repose sur le son. Ty Segall ramène essentiellement du son. C’est même une pluie de son qui tombe de son ciel. Pour parvenir à ce beau résultat, il s’entoure d’une grosse équipe : Emmett Kelly, comme on l’a vu, avec ses faux airs de chicano et sa niaque de jeu, ses tatouages ludiques et ses prouesses de Téléboy averti. Puis le vieux complice Mikal Cronin sur une basse Rickenbacker, qui fit partie du power-trio des précédentes tournées, virtuose lui aussi, mais il est vrai que pour taper dans ce registre, il vaut mieux savoir très bien jouer de son instrument, car on se trouve aux antipodes du jeu en trois accords qui a fini par épuiser et discréditer le garage. L’autre cheville ouvrière de cette affaire s’appelle Charles Mootharde, le batteur américain par excellence, un chevelu vêtu de blanc qui frappe ses fûts à bras raccourcis, un type qui ne s’en laisse pas compter, une brute du beat, le prototype du drummer que la délicatesse n’atteindra jamais et qui s’en fout, car il doit battre le beat pendant qu’il est chaud et pour ça, on peut lui faire confiance, il frappe et sur-frappe, il a la main lourde et c’est exactement le genre de mec qu’il faut pour endosser le rôle du bourrin de service dans ces longs morceaux atmosphériques aux climats changeants et bardés de ponts improbables qu’il est toujours difficile d’orchestrer, car chaque fois se pose le problème de la crédibilité, comme d’ailleurs en architecture. Ça tient, mais est-ce beau ? Et si c’est beau, est-ce que ça tiendra ? Plus ça sophistique et plus les équilibres se rétractent. Il faut savoir les solliciter pour bâtir les tours de Babel. Oui, car le rock seventies, c’est Babel. Ty Segall se lance là-dedans avec un culot ahurissant. Il le fait avec une telle liberté de ton qu’il finit par échapper à toutes les règles. Il semble même qu’il ait réussi à bâtir un univers sonore totalement conceptuel, qu’il ré-humanise à coups de screams et de bonds, car il adore sauter à pieds joints sur sa pédale d’effets. De toute évidence, cet homme prend un plaisir fou à jouer ses cuts de quinze minutes. Il semble vouloir aller là où personne n’ose plus aller, il semble posséder la technique qui lui permet d’explorer des mondes nouveaux tout en donnant un spectacle de rock. Il est assez professionnel pour se rappeler que des gens payent pour le voir jouer sur scène, mais il s’échappe à la première occasion, sachant que de toute façon les gens qui le connaissent l’admirent assez pour lui faire confiance et le suivre là où l’emmène sa fantaisie.

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    Une chose est sûre, Ty Segall est le fruit d’une collection de disques. Son parcours et son attitude n’ont pas d’autre explication. Il est comme tant d’autres nourri d’influences et dispose d’une énergie qui lui permet de passer du statut passif de fan au statut d’acteur, et dans son cas, on peut même parler d’énergie surnaturelle, car d’année en année, il atteint progressivement le statut d’acteur majeur. Il arrive là où tous les chanteurs-guitaristes de rock rêvent d’aller : le stade où tout est possible, où rien ne peut freiner l’avancée, le stade où les disques succèdent aux disques mécaniquement et où le follow-up grossit et se stabilise, pas au stade des unes de magazine, car Ty Segall est encore un peu underground, mais pas loin, et d’ailleurs, on ne le lui souhaite pas, car il pourrait s’y brûler les ailes. Oh bien, sûr, ses compos ne marquent pas les mémoires au fer rouge, mais il redore à sa façon le blason d’un rock américain toujours menacé de conformisme. Il veille bien à asseoir la réputation d’un rock qui repose essentiellement sur la puissance du son. Quand il saute à pieds joints sur sa pédale d’effets, c’est sa façon de dire : j’écrase mon principal ennemi, la médiocrité.

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    Il jouait bien sûr des cuts de son nouvel album, Freedom’s Goblin considéré dans Uncut comme un classique, au même titre que le White Album. Ty Segall y joue wild card after wild card. Le critic d’Uncut dit même qu’au long des 19 cuts, Ty barely puts a foot wrong. Pas un seul faux pas. Eh oui, il a raison, Freedom’s Goblin somme comme un classique véridique. D’ailleurs, dans l’interview qu’il donne à Uncut, Ty dit que le White Album est son album favori. Il s’empresse d’ajouter qu’Electric Ladyland fait aussi partie de ses all-time faves. C’est vrai qu’on ne s’ennuie pas un seul instant, à l’écoute de Freedom. Ce double album semble visité par la grâce et même par la graisse, car un cut comme «She» rissole dans une belle friture de heavy rock - She said I was a bad boy - Une seule phrase pour ce petit chef-d’œuvre de gras-double, un peu dans l’esprit du «Why Don’t We Do It In The Road». Ty tire le meilleur du mythique heavy rock des seventies. Il nous gave de heavy riffing, ce son extraordinaire qui fit le charme du set au Rush. On trouve sur la C d’autres surprises comme «Talkin’ 3», admirable jam de fin de non recevoir jouée à l’énergie du free par un Mikal Cronin débridé qui revient saxer la couenne du Pretender dans «The Main Pretender». Ty n’explore plus les frontières, il les explose. Rien ne l’effraie, surtout pas l’aventure. On trouve un dernier spasme en D avec «5ft Tall», une pop gorgée de jus, littéralement imparable. Chez Ty tout rayonne de force - I remember you just fine/ You are five foot tall - Et bien sûr l’A et la B grouillent de puces, tiens, comme ce «Fanny Dog», nouvelle giclée d’heavyness à la sauce liverpoolienne, c’est-à-dire les Boo Radleys. Il nous fait ici le coup du superbe élan de rock moderne. Évidemment, ça sonne comme un hit. Voilà, c’est ce son-ci qui frappait tant au Rush. Mikal Cronin nous joue même les descentes de basse de Noel Redding dans «Hey Joe». Ty prend «Every 1’s A Winner» à la glotte liquide. Il revient à sa passion dévorante pour les Beatles du White Album, mais avec une énergie californienne. C’est comme on dit une bataille gagnée d’avance. Rien que du son et de l’idée, comme chez les Boo et Robert Pollard. Nouveau clin d’œil au White Album avec «When Mommy Kills You», tapé au fondu de chant et au very big sound. Avec l’«Alta» qui ouvre le bal de la B, Ty touille une pop de heavyness onctueuse - I would fight to save you/ I would give my life - Son romantisme ne tient que par la puissance des intentions. Il n’existe rien sur cette terre de plus beatlemaniaque que «Cry Cry Cry» et on plonge aussitôt après dans un heavy boogaloo intitulé «Shoot You Up». Ty y bat tous les records de Screamin’ Jay Hawkins car on claque des dents - Yeah these children aren’t children no more/ They’re the carnivores - Pur jus de George A. Romero. Quand on dit que Ty crée son monde, ce n’est une pas une parole en l’air.

    Signé : Cazengler, Ty crayon

    Ty Segall. Rush Festival. Rouen (76). 3 juin 2018

    Ty Segall. Freedom’s Goblin. Drag City 2018

     

    Le Triumph des Bonnevilles

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    Deux choses à savoir sur ce duo d’Irlandais : ils ne tirent pas leur nom de groupe des motos, mais plutôt d’une vieille tradition de courses de dragsters organisées sur un lac salé en Utah. La deuxième chose, comme le précisait le batteur Chris McMullan, est qu’on ne prononce pas leur nom à la française, mais à l’irlandaise : thi boné/villahs. Le mot doit swinguer. Comme bamalama bamaloo, baby. Et si vous papotez un peu avec lui, il vous révélera des tas d’autres petits secrets intéressants. Si on lui demande pourquoi la roue n’est pas carrée, il ne saura pas quoi répondre, mais il fera la lumière sur leur contrat avec Alive, le label californien de Patrick Boissel. Comment diable en sont-ils arrivés là ? Pas compliqué : les Bonnevilles tournaient avec James Leg qui leur conseilla d’entrer en contact avec Alive et ça tilta. Deux albums sont déjà parus et les Bonnevilles tournaient en France pour la promo du deuxième, Dirty Photographs.

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    Sacrément bel album. Acheté aussitôt après le concert. Album très hendrixien. Le morceau titre et «Panakromatik» renvoient directement à l’ami Jimi, et de la meilleure façon qui soit. Andrew McGibbon va chercher l’Hendrix des débuts, à la bonne franquette de l’épaisseur. Ça donne un «Dirty Photographs» assez réjouissant et même très impactant. Même chose avec «Panakromatik». Bizarrement, quand on les voit sur scène, l’aspect hendrixien ne transparaît pas aussi nettement. Mais sur disk, ça frappe et ça réjouit. Cette façon qu’a Andrew McGibbon de riffer son blues est typique d’Hendrix. Le cut qui suit s’appelle «Fever Of The New Zealot» et sonne lui aussi comme un hit hendrixien digne d’Electric Ladyland. Assez inspiré, admirable heavy groove secoué de grimpées adéquates dignes de celles orchestrées par l’équipe de surdoués qui jouait à New York en 1968 autour de l’ami Jimi (Jack Casady, Dave Mason, Steve Winwood et Mitch Mitchell). Andrew McGibbon ressort tous les bons réflexes. L’autre point fort de l’album s’appelle «Don’t Curse The Darkness», un blues poignant de beauté intrinsèque, digne des grandes heures de Spooky Tooth : même impact et même science de la beauté formelle. On sent chez eux un goût prononcé pour le son des seventies, c’est en tous les cas ce que vient confirmer «The Good Bastards», en ouverture du bal de B. Ils ont une façon réjouissante de gueuler we are/ The good bastards. On note chez eux une grande aisance à dérouler. Oh bien sûr, ils retombent dans les clichés du son guitar/drums, comme dans «By My Side» ou «Long Runs The Fox», mais ils filent bon train, comme leurs collègues les Left Lane Cruisers. Ils finissent cet excellent album avec un «Robo Godo» une fois encore très hendrixien. C’est une excellente sortie de route, bardée de son et du meilleur.

    On avait repéré les Bonnevilles grâce à des chroniques pour le moins laconiques dans Vive Le Rock. Mais la curiosité s’arrêtait là, car il semblait qu’en matière de duos guitare/batterie, la messe était dite depuis un bon bail. Pas souvent d’une façon intéressante, d’ailleurs. Par on ne sait quelle ironie du sort, la plupart des duos montés sur ce modèle avaient réussi à se faire une place au soleil et à jouir des bienfaits du mainstream, ouvrant par là la porte à toutes sortes d’abus et décrédibilisant la formule qui du coup devint suspecte. Ce rock supposé rester pauvre et underground devint le fleuron du rock commercial et on en tartina abondamment les couvertures des magazines. Berk.

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    Alors faut-il sauter sur les albums des Bonnevilles ? Le conseil qu’on pourrait donner serait de commencer plutôt par juger la bête sur pieds, c’est-à-dire sur scène. Ça passe ou ça casse. Et comme le hasard fait souvent bien les choses, voilà qu’ils sont programmés dans une cave, en bas de la rue, et pour seulement six euros, ce qui est un cadeau, vu le pedigree d’un groupe dont la notoriété grossit à vue d’œil. Attention, ces deux mecs de Belfast n’ont rien de charismatique. On pourrait les qualifier de bruns passe-partout. Aucun sex-appeal. Leur look extrêmement austère évoque celui des pasteurs. Ils portent des chemises blanches et pantalons noirs, et se cravatent de noir. Aucune trace de luxure chez eux, pas le moindre signe de corruption des mœurs. Dieu veille sur leur rock.

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    Ils sentent bon l’éthique originelle du blues et la pauvreté des moyens. Cette absence totale de frime nous soulage franchement la conscience. Ouf, enfin un groupe de mecs normaux. Le set n’en sera que plus difficile, car on sait qu’un spectacle de rock repose généralement sur le flattage des bas instincts, et un manque total de sex-appeal peut avoir quelque chose de suicidaire. On comprend donc que tout va reposer sur le son et la qualité des compos. Et pour encore corser l’affaire, ça ne vole jamais très haut dans ce genre de duos. Leur set se présente donc comme le parcours du combattant. Une heure de très grande austérité peut avoir des conséquences terribles sur un public clairsemé d’avance. Mais heureusement, une petite moitié des gens va réussir à tenir le coup jusqu’au bout. Oui, car ces deux Irlandais vont réussir à arracher leur victoire au prix d’efforts spectaculaires. Ils peinent à tenir la distance, ça se sent souvent, les cuts ploient parfois sous le joug de l’insignifiance, mais ce diable d’Andrew McGibbon finit par redresser la situation et par créer vers la fin du set un sacré mayem d’apex, comme on dit en Irlande.

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    Et c’est là qu’il emporte la partie, avec notamment un cut ultra-atmosphérique rescapé des débuts, «10,000». C’est précisément à ce genre d’exploit qu’on reconnaît les grands artistes. Andrew McGibbon ne triche pas. On sent le feu sacré en lui. Les Bonnevilles sont condamnés à l’underground, mais les gens qui iront les voir jouer passeront vraiment un bon moment. Que peut-on attendre de plus d’un groupe de rock ?

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    Si on veut écouter «10,000», le plus simple est de rapatrier la compile Alive qui rassemble les meilleurs cuts des deux premiers albums. Elle s’appelle Listen For Tone.

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    Andrew McGibbon embarque son cut à train d’enfer - Goin’ to the river/ Goin’ to the river/ To die - Admirable ! Explosif ! Cette façon qu’il a de descendre son die, il le coupe en deux, di/aille, c’est d’un effet ravissant. On assiste là à une fabuleuse explosion de fin de non-recevoir, oui, il s’agit bien d’un hit, et quelle façon de scier le chant de Maldoror ! L’autre merveille de cette compile se trouve aussi en B et s’appelle «Hell». Andrew McGibbon s’y prend pour Alvin Lee à l’âge d’or de Ten Years After. Bien vu Andrew ! Belle tension, le beat rampe sous le boisseau - Hey go down in hell - Pas d’explosion finale comme dans «Help Me», mais prestation superbe. On note que dès qu’il sort de l’ornière du trash-blues, Andrew McGibbon redevient captivant. Par exemple avec cet «Asylum Seekers Of Love» qui rue un peu dans les brancards. C’est assez libre de ton et encore une fois bien senti. Ils chantent à deux et Chris McMullan renvoie bien l’ascenseur. Du coup, le cut prend une certaine allure. Par contre, on s’ennuie un peu en A, car les Bonnevilles s’engluent dans ce son trash-blues blanc qu’on connaît tous par cœur. Ils n’inventent ni le beurre, ni le fil à couper le beurre. Autant écouter Hound Dog Taylor.

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    L’autre album paru sur Alive n’est pas indispensable. Dommage car le titre sonne bien : Arrow Pierce My Heart. Belle pochette aussi, avec un Andrew McGibbon dans le feu de l’action. Mais comme on l’a dit, en matière de trash-blues blanc, la messe est dite depuis longtemps. Sur cet album tout est très bien senti, chanté à la vie à la mort, mais à part «No Law In Lurgan», rien ne vient vraiment frapper l’imagination. On sent chez eux une authentique volonté d’en découdre, mais la normalité reprend souvent le dessus. Rien n’est plus difficile que de créer la sensation à deux. C’est donc «No Law In Lurgan» qui sauve l’A, avec son riff seventies digne des Groundhogs, rock heavy as hell of God fire. Le gras double d’Andrew McGibbon vaut bien tous les gras doubles de l’âge d’or du gras double. Ils tentent de sauver la B avec le dernier cut, «Learning To Cope», qui sonne comme un réveil en fanfare, emmené fièrement au turbin et chanté à la niaque de Belfast, celle des vieux punks d’avant les punks.

    Signé : Cazengler, bonnevide

    Bonnevilles. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 septembre 2018

    Bonnevilles. Arrow Pierce My Heart. Alive Naturalsound Records 2016

    Bonnevilles. Dirty Photographs. Alive Naturalsound Records 2018

    Bonnevilles. Listen For Tone. Alive Naturalsound Records 2017

    FICTION ABOUT FICTION

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    Sont cinq : Sofiane travaille les soubassements, Charbel cuisine la batterie, Martin accompagne sa guitare, Emilien chante et officie aux claviers. Diane est la cheville originaire. Elle leade la guitare, mais c'est elle qui profile les morceaux. Elle les pose hors de ses rêves et les compose. Les autres l'aident à parturienter. L'est spécialement douée en graphisme alors elle se charge de tous les aspects visuels. Elle se réclame d'une esthétique post-punk-gothique-psyché.

    I DON'T CARE

    Vidéo-clip. Pas la peine de crier Clip ! Clip ! Clip ! Hourra ! Raconte une sale histoire. La vôtre. C'est bien fait pour vous. La nôtre. C'est déjà plus embêtant. D'abord il y a la musique. Ça ressemble à ces marches funèbres funèbres jouées à l'harmonium dans les églises pour les enterrements à petit budget. Avec un truc en plus, narquoisement insupportable. Nietzsche dirait que c'est de la musique qui cligne de l'oeil. Non seulement l'on vous enterre mais en plus on se moque de vous. Pire une mélodie obsédante. Une vrille insatiable dans votre cervelle. Vous rentre dans une oreille, ne sort pas de l'autre côté, tout doux et fascinant. Un serpent qui déplie ses anneaux sans hâte et qui ne se presse pas pour vous piquer. Suprême consolation, en attendant vous pouvez regarder les images. Elles sont de Diane Abermas. Une drôle de chasseresse. L'a le trait qui vous touche au coeur. Des dessins. Animés. En fait, l'ensemble sonne plutôt croque-mort croquignol. Sourire cruel,  sans la chair et sans l'âme.

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    De quoi ça parle ? Au début de rien. Des arbres, un peu baobabs, au tronc noueux. Force et puissance. Se pressent les uns sur les autres. Z'avez même l'impression que certains possèdent des seins et d'autres des bras baladeurs qui enlacent les copains. On dirait qu'ils s'aiment. Tiens de la couleur. Normal, les super-héros entrent en scène. Sortent de la gueule d'un volcan. Pas tout à fait. De la bouche d'ombre du sombre Hadès. Des antres de la mort. Des vomissures du Styx. Pas vraiment bien en plénitude charnelle. Réduits au minimum. Des squelettes plus ou moins démantibulés. Si vous êtes étonnés de cette représentation – censée vous figurer - c'est que vous n'avez pas lu Heidegger. Nous a pourtant prévenus. L'homme est un être-pour-la-mort. C'est triste, mais c'est comme ça. L'on n'y peut rien. Pourtant dans l'ensemble nous sommes de braves gens, prêts à offrir au premier venu ce que nous avons. Or nous sommes des êtres qui n'avons que la mort en rayon. Pas méchants, la preuve les squelettes arborent une face rieuse. D'un autre côté se prennent un peu trop au sérieux dès qu'ils ouvrent les mandibules pour échanger de doctes pensées. Maintenant faut bien manger. Alors quand un joyeux phacochère erre dans la nature, l'est tout mignonitou, il trotte de toutes ses patotes, crac ! on le bouffe. Ne reste plus que les os. Ceci n'est pas un conte pour les véganophiles. L'on a la peau du ventre bien tendue – je voulais dire le creux du bassin prolifique – alors l'on fait des petits. Nous sommes une race qui proliférons du bidon. Voilà, c'est tout, on disparaît de l'image. Enfin presque. Parce que les temps préhistoriques sont loin, et que nous sommes entrés dans l'époque de notre puissance absolue. Nous sommes des titans malins. Le boulot ce sont les machines qui le font pour nous. Un bulldozer vous détruit une forêt en cinq minutes. Les usines poussent comme des champignons, c'est merveilleux. Des grues et des briques s'emparent du paysage. Du ciment et du bitume partout. Pépé Heidegger nous avait avertis, à la fin de l'âge métaphysique la technique arraisonnera la nature, l'arasera aussi. Nous ne sommes plus – depuis l'éternité - que des cadavres ambulants qui pérorons sans fin. Un seul espoir peut-être, ce phacochère qui passe en gambadant entre deux images sinistres. Est-ce un rêve, une survivance, un regret, cochez la case qui correspond à votre état d'esprit. Un beau faire-part de décès. Adressé à l'humanité entière. Mais peut-être arrive-t-il trop tard.

    Soyons optimiste, la musique fait passer le tout, un peu comme le poison fait passer la mort dans votre corps. Salut les squelettes !

     

    Z'ont encore deux morceaux sur leur soundcloud.com/dianeaberdam , car ils amassent de l'électricité pour STORM leur prochain LP :

    AND NO ONE SAY

    Un superposement. De pistes. Surtout pas un entremêlement. Deux destins parallèles qui n'ont pas besoin de se croiser. Dans la même direction, mais chacun dans sa solitude. Musicale et vocales. Avec cette particularité que la voix prend le dessus sur la musique. Un récitatif qui devient clameur. Et la musique recouvre le tout comme une marche funèbre. Un peu comme les cloches dans le poème d'Edgar Poe mais qui nous parviendraient en sourdine, étouffées par les instruments qui leur donnent naissance. Une cortège de nonnes sanglantes qui psalmodie, mais qui a bien conscience d'œuvrer dans le crépuscule de sa propre croyance. Le prêtre crie à se rompre les cordes vocales mais la divinité demeure impassible. Demeure impossible. Personne ne le dit. Car tuer l'illusoire de l'espoir est un délit. Une seule consolation, la guitare foutrement rock qui chante comme l'on verse du sel sur les plaies de l'âme. Nappes finales d'orgues pour recouvrir et emballer le tout. Si le paquet vous est envoyé par poste restante il est inutile d'aller le chercher. Il vous ferait trop mal. Délicieusement pervers.

    TROPHY

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    Très différent. Tout trophée est signe de victoire même si le sang a dû couler pour son obtention. Emballements joyeux sur fond d'arabesques ethniques. Une voix libérée, qui donne des à-coups de soleil. La musique se contorsionne par derrière, retourne un soupçon dans l'amertume des jours perdus, mais non, le matin se lève, le triomphe est au bout du chemin, il suffit d'avancer et de prendre de l'assurance, l'en devient presque allègre, des bulles d'air qui éclosent à la surface des marais. Impression de renaissance. Fermez les yeux. Et regardez à l'intérieur de vous. Le dedans est à l'image du dehors. Les heures de grande équivalence débutent.

     

    Trois morceaux et déjà un style. Fiction about Fiction est un projet à suivre. Le nom du groupe donne à rêver. Un miroir qui reflète un autre miroir. Une distanciation entre le dire et sa profération. Ce décalage qui institue la réalité du monde en une simple image. Une parmi tant d'autres. Entre le réel et son reflet la distance n'est pas si grande qu'on le croit. Nous marchons dans le palais des glaces des illusions perdues. Ce qui est transparent est parfois une barrière. La musique est un brouillard qui s'interpose entre le rêve et ce qui est censé exister. Vertige. Peut-être sommes-nous seuls. Et rien ni personne n'existe. Fiction about fiction, nous conduit derrière le miroir. Instant solennel. L'envers du décor est-il à la mesure de notre rôle !

    Damie Chad.

    P.S : pour l'oeuvre graphique de Diane Aberdam, reportez-vous à : dianeaberdam.tumblr.com

     

    DISCOGRAPHIE CRITIQUE

    DES MEILLEURS DISQUES DE JAZZ

    1920 – 1951

    HUGUES PANASSIE

    ( Editions Correa – 1951 )

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    L'ai trouvé je ne sais plus où, enfin si, chez un mec sympa qui m'a à la bonne parce que lui demande depuis des années s'il n'a pas rentré de vieux Gene Vincent. Inutile de me torturer je ne vous refilerai pas l'adresse. De toutes les manières j'ai droit de préemption absolue. Que voulez-vous le monde est rempli d'injustices et de passe-droits inqualifiables. L'ai pris par acquis de conscience. Je n'aime pas particulièrement le jazz... En plus la liste des disques enregistrés avant la deuxième moitié du siècle dernier, allez un peu les retrouver. Ce sont-là passion de collectionneurs ruineuses. Ou alors du bouffe-temps à farfouiller dans des cartons moisis ravagés d'humidité en d'incertaines brocantes. En fait j'aime bien Hugues Panassié, surtout sa mauvaise foi, le mec s'est accroché à son rêve mythique du jazz jusqu'au bout, l'a défendu bec et ongles. J'en connais d'autres qui agissent de même avec le rock'n'roll... Entre jusquauboutistes on se comprend toujours.

    Dans son intro, Panassié se montre tel qu'il est : mauvais joueur. Se défend de toute exhaustivité. Ne cite que ceux qu'il aime. Et que ce qu'il aime. Entendez la différence. Ne s'intéresse qu'au premier choix. La seconde catégorie il n'y touche pas. Les meilleurs musiciens ont commis de mauvais disques, tant pis pour eux, grand mal leur fasse, lui Panassié n'est pas là pour inciter les amateurs à se procurer de la mauvaise bidoche. Vous n'aurez droit qu'au haut du panier. Fût-il de crabes ! En plus, il exagère, ne vous donne que les meilleurs enregistrements, mais certains sont soulignés, ceux-là sont la béatitude de la bestitude incarnée. Si vous ne les avez pas, faites quelque chose, supprimez-vous au plus vite, vous n'avez aucun droit à rester sur cette terre. L'en rajoute un peu, certains artistes sont merveilleux en public, mais leurs résultats discographiques ne sont pas à la hauteur, n'auront pas leur carton d'invitation.

    L'est sympa, n'oublie pas de citer l'ensemble des musiciens ayant participé aux sessions, ce qui à l'époque n'apparaissait pas toujours sur les pochettes. Rassurez-vous, aujourd'hui non plus. L'a fait des recherches, des recoupements, l'a interrogé les musiciens – l'est déçu par leur manque de mémoire – au final, se fie à son oreille, vous reconnaît son gazier à sa manière de dérouler un solo, ou à sa soupape de charleston inimitable. Ne vous ennuie pas, vous file un petit topo sur les compagnies de disques : Blue Star, Brunswick, Columbia, Commodore, Decca, Gennett, Harmony, H.M.V., Master-Variety, Musicraft, Okeh, Parlophone, Polydor, Swing, Vocalion, chères aussi aux amateurs de Blues, de rock et de country... L'on aurait aimé qu'il ajoutât quelques précisions sur les petits labels, mais en ce bas monde nul n'est parfait.

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    Y a encore des index qui vous permettent de vous y retrouver facilement, ainsi question blues – parce que moi si je ne suis pas un fadurle de jazz j'adore le blues - pour Big Bill Broonzy – dont il avoue ne pas connaître tous les enregistrements - il n'oublie pas de citer Please Believe me et Why did you do that to me parus chez Hub sous le nom de Don Byas Quartet avec le sus-nommé Don Byas au saxo ténor, Kenny Watts au piano, John Levy à la basse, Slick Jones à la batterie.

    De Rosetta Crawford Panassié privillégie quatre faces, mais quand vous allez écouter vous la claseriez plutôt parmi les chanteuses de jazz, c'est que Tommy Ladnier et Milton Mezzrow lui volent un peu la vedette, l'on a l'impression qu'elle les accompagne plus qu'ils ne l'accompagnent... Wynonie Harris dont il souligne les remarquables parties de saxo ténor par Ilinois Jacquet sur Wynonie's blues ( Apollo ), n'oublions pas que certains amateurs tiennent Wynonie pour l'inventeur du rock'n'roll, avant Bill Haley...

    Les deux suivants sont sans contexte des figures du blues : Bessie Jackson – plus connue sous son nom de Lucille Bogan dont vient de sortir chez Camion Blanc, une biographie dont nous parlerons d'ici peu, Blind Lemmon Jefferson, notre cicerone le qualifie l'un des plus grands chanteurs de blues – n'a pas tort - mais n'avoue ne connaître que quatre galettes, de 1925 et 1à26, chez Paramount, nos ancêtres n'avaient pas la chance de surfer sur le net...

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    Cousin Joe, aussi appelé Pleasant Joe, on le connaît moins, Panassié le cite en tant que chanteur tout en notifiant qu'il a la manie ( exaltante ) de ne pas chevroter ses fins de lyrics mais au contraire de donner du gosier façon de pousser la mémé dans les orties, l'a été aussi pianiste, l'a joué avec Dave Bartholomew le producteur de Fats Domino, nous sommes tout près de Little Richard, l'avait commencé avec Sidney Bechett et Milton Mezzrow pour ne citer que des cadors à qui Kr'tnt a consacré un chronique...

    Lonnie Johnson, attention vous le trouvez là où ne l'attendez pas, tient les solos sur I'm not rough, Hotter thant that et Savoy blues de Louis Armstrong, et sur Hot and Buttered et Misty Morning de Duke Ellington, vous l'entendez seul sur Playing with the Strings, Stoompin' 'em Along, Blues in G et Away down in the Alley Blues, sur Okeh 1928... Maintenant on peut le dire l'a un peu le blues élastique Panassié, c'est sa passion du swing qui déborde et lui fait ranger Louis Jordan parmi les bluesmen... Lips Page fut surtout un trompettiste de jazz, Panassié apprécie fort son vocal j'avoue que je ne connaissais pas, suis allé vérifier sur You tube, Panassié a raison l'a un beau phrasé, trompette cool mais la voix qui en jette un max, une découverte.

     

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    Ma Rainey, la plus grande chanteuse de blues après Bessie, qu'elle soit accompagnée par Tomy Ladnier, Louis Armstrong, Fletcher Henderson ou par des inconnus c'est toujours la reine, suivie de près par l'impératrice Bessie Smith, Hugues sort le grand jeu, nous cite plus de cent cinquante titres – pour la petite histoire sa disco n'arrive pas à deux cents - l'a mis tout ce qu'il avait, l'a raclé les fonds de tiroirs, l'a raison des filles comme Bessie l'on n'en fait plus, écoutez n'importe quoi d'elle et vous serez conquis, ad vitam aeternam... Voici une autre princesse du blues, Georgia White, a enregistré avec Jimmy Noone et Lonnie Johson, ne dédaignait pas les paroles à double sens, a accompagné Big Bill Broonzy au piano, a fini dans les clubs de Chicago, Panassié ne retient que quatre titres Jazzin' Babies Blues, Papa Pleaser, Late Hour Blues, Panama Limited Blues qui ne sont pas cités de nos jours dans les notules qui lui sont consacrées.

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    Après les ironiques délicatesses des modulations enchanteresses de la féminité, Panassié nous présente beaucoup plus couillu Big Joe Turner fort en muscle et en voix, blues shouter de poids qui se joue des dentelles d'Art Tatum comme du souffle de Bill Coleman, Eddie Vinson chef d'orchestre et saxophoniste de prédilection, mais qui sut donner de la voix sur des morceaux comme Too Many Women Blues et Old Maid Boogie Nous terminons avec Rubberleg Williams l'avait des jambes en caoutchouc qui firent de lui un prince de la danse et du vaudeville, mais l'était loin d'être un simple amuseur public, a magnifiquement servi au chant des calibres du genre Dizzie Gillepsie, Charlie Parker et Miles Davis.

    Si l'on tente de dresser un bilan, l'on se dit que le blues de Panassié est bien près du jazz, lui manque l'authenticité du delta... Mais à l'époque, devait pas y avoir grand monde en notre pays qui en connaissait autant que lui...

    Dernière notation : le livre n'est pas mince, dépasse les 370 pages... Les amateurs de rock parviendront à survivre facilement si le bouquin ne leur tombe pas sous la main... Par contre les amateurs de jazz ne manqueront pas de se mettre à sa recherche. Un document historique irremplaçable pour l'accueil de leur musique en douce France...

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    EPISODE 4 : URGENCES SOINS

    ( Vivace Vivace )

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    LA LETTRE VOLEE

    Le chef n'a pas l'air surpris du résultat de ma mission. Il me regarde et sourit. Il prend le temps d'examiner la cendre de son Coronado, adopte un air contrit, appelle Cruchette, et condescend enfin à prendre la parole :

      • Sans doute ai-je été par trop imprécis pour répondre à votre question, mais vous êtes parti si vite... Je ne vous ai pas demandé de ramener la corbeille à papier de la charmante Crocodile, mais votre poubelle à vous, j'avoue avoir été un peu elliptique, ce n'est pas votre poubelle que j'aimerais à examiner, mais plus exactement son contenu. Opération délicate qui demande un spécialiste chevronné d'un niveau bien supérieur à vous ! Je suis sûr que Cruchette a compris sans besoin d'explications !

      • Bien sûr Chef, je n'ai jamais osé en toucher deux mots à Monsieur Damie, mais sa teuf-teuf, c'est une véritable poubelle comme vous dites Chef, parce que moi je trouve que c'est plutôt une déchetterie ! Je m'en charge Chef, je prends mon balai, ma pelle en acier suédois super-fin capable de ramasser des grains de poussière de trois microns et un sac poubelle de cent litres, et j'y vais tout de suite.

      • Chef, je ne vous comprends pas, nous recherchons l'assassin et surtout son mobile, pas les quelques papiers qui traînent sur le plancher de ma teuf-teuf !

      • Tenez Agent Chad, pendant que j'allume un nouveau Coronado, remémorez-vous ces pages d'Edgar Poe, La Lettre Volée, les services secrets de sa très Gracieuse Majesté qui recherchent dans un appartement, une lettre très compromettante pour l'honneur de la Couronne, les plus fins limiers fouillent de fond en comble le logis sans résultat, et Dupin, le fameux détective déductif, la retrouve en quinze secondes sur le bureau du maître-chanteur, conclusion : inutile de chercher au bout du monde ce qui est sous vos yeux. Mais je vous en prie agent Chad, reprenez la rédaction de vos Mémoires en attendant le retour de Cruchette !

    LA PISTE !

    Cruchette est revenue toute fière, sur le bureau du Chef elle a scrupuleusement aligné douze bocaux de nutella vide, six boites de nougatine moisie, dix-sept os à moelle ( une puanteur ) de Molossa, deux cent quatorze emballages de fraises tagadas, une collection de blagues de carambars, un nombre incalculables de trognons de pommes en voie de décomposition avancée et une montagne de biscuits à chien à moitié grignotés...

      • Voilà Chef, par précaution j'ai laissé le balai et le seau dans la teuf-teuf, je pense que ce sera utile à Monsieur Damie !

      • Vous êtes une véritable mère pour cet escogriffe, Cruchette, il ne le mérite pas, mais vous n'auriez rien oublié, par hasard !

      • Ah si, une K7, toute pourrave dans le vide-poche de la portière ! Tenez la-voilà !

    LES DESAXEES

    C'était le nom du groupe. L'écoute s'avéra fabuleuse. Trois jeunes filles qui ne savaient ni jouer, ni chanter. Le premier groupe punk français, décréta le chef. Je vous épargne le potin de tous les diables, les paroles suffiront à vous faire une idée : Que feras-tu quand tu seras grande : quand je serais grande je serais terroriste ! Et toi que feras-tu quand tu seras grande : moi quand je serai grande je serai pédophile ! Et toi que feras-tu quand tu seras grande : moi quand je serai grande je serai eine nazie kamareden !, plus loin on atteignait la haute poésie : Quand je remue / Mon Petit cul / C'est que ta bite / Molle l'habite...

      • Chef, il y a une adresse à l'intérieur du boîtier : Claudine Laporte, 12 allées des Jardins. 77 160 Provins. Je connais, c'est rupin comme rue, je peux vous y conduire!

      • On y va illico, répondit le Chef, j'allumerai un Coronado dans la Teuf-teuf.

    *

    On a sonné à la porte de la belle villa. Une dame a traversé la vaste pelouse et nous a ouvert la grille.

      • Nous voudrions parler, à Mlle Claudine Laporte, s'il vous plaît.

      • Elle fait son stage de pédiatrie à l'Hôpital Mondor...

      • Elle est si jeune que cela, l'interrompit Cruchette

      • Non, elle a vingt trois ans, elle est étudiante en médecine, vous êtes la deuxième groupe de trois personnes à la demander aujourd'hui !

    HÔPITAL MONDOR

    Le Chef avait pris les opérations en mains.

      • Agent Chad, roulez sur la bande blanche centrale, jamais à moins de cent quatre-vingt, n'ayez crainte, avec mon colt je crève les pneus à toutes les voitures qui font mine de ne pas céder le passage.

    Vingt cinq minutes plus tard la teuf-teuf nous laissait sur le parking de la pédiatrie. Nous suivîmes les consignes du Chef, Cruchette devant, en brise-lame, le balai et le seau à la main, derrière le Chef, en protection, le Coronado laissant échapper de gros panaches de fumées noires, Molossa suivait, la queue frétillante, et moi qui assurai les arrières, le Glock à la ceinture caché par le perfecto. La traversée du hall se fit sans encombre, lorsque le vigile s'interposa pour arrêter Molossa, deux bambins couverts de pansements se précipitèrent pour la caresser, ce devait être un bon père de famille, il n'eut pas le courage de leur causer du chagrin, car il sourit et tourna le dos... Ce fut dans l'ascenseur que cela se gâta. L'était bondé et une jeune femme enceinte se mit à tousser.

      • Vous pourriez éteindre votre cigare Monsieur, d'ailleurs c'est interdit, en tant que représentant de la ligue anti-cancer, je tiens à vous avertir que fumer nuit gravement à la santé, et je vous conseille de descendre immédiatement car...

    Le quidam n'eut pas le temps d'achever. Le colt lui explosa la tête, Molossa se précipita sur la cervelle qui était tombé sur la moquette.

      • Je connais des façons plus rapide de mourir que par la tabac. Je tiens à avertir l'assistance que je tiens pour ennemi personnel toute personne – le Chef jeta un regard froid sur les visiteurs terrorisés - qui ferait partie de la ligue anti-tabac. Sachez que je ne plaisante jamais. Qu'il soit bien entendu que si l'un de vous touche son portable ou ose parler à quiconque de ce regrettable incident, il est déjà mort. A bon entendeur salut ! Nous descendons ici ! Nous vous souhaitons une bonne journée.

     

    Sans doute nous virent-ils partir sans regret. Service pédiatrie, c'était écrit en gros sur la porte. Nous suivîmes le couloir. Des infirmières voulurent nous arrêter, mais l'un d'elle surgit fort opinément et s'interposa :

      • Laissez, c'est pour les enfants, c'est le cirque ! Il y en a déjà un dans la salle de jeu avec la stagiaire, au bout du couloir, vous tournez à gauche, vous passez les portes battantes, et vous continuez jusqu'à la salle de jeu, attention, quand vous passez devant les bureaux, le nouveau chef de service arrivé ce matin est particulièrement de mauvaise humeur.

     

    On s'est un peu perdu dans les couloirs, on a tourné et retourné, les renseignements que l'on quémanda étaient contradictoires, mais enfin nous avisâmes la pancarte : Direction du Service. Nous suivîmes les conseils de prudence qui nous avaient été prodigués, nous marchions sur la pointe des pieds, quand Molossa, poussa un Wouaf retentissant ! Une porte s'ouvrit, Cruchette se trouva nez à nez avec une espèce de géant qui lui barra le chemin de ses deux bras !

      • Un chien dans cet établissement, je ne le permettrai jamais ! Je vais l'abattre tout de suite ! D'ailleurs vous aussi !

    A notre grande surprise il ouvrit sa grande blouse blanche et en sortit un fusil à canon scié, n'eut même pas le temps d'appuyer sur la gâchette, Cruchette fut plus rapide, de sa pelle en acier suédois elle lui trancha la tête qui roula à terre, le Chef l'a réexpédia d'un coup de pied dans le bureau ouvert tandis que j'y jetai le corps que je tirai par les pieds.

      • Vous vous rendez compte il voulait tuer un petit chien innocent qui ne lui avait rien fait, c'est bien fait pour lui, Papa m'a toujours dit que l'on devait arrêter les méchants par tous les moyens possibles.

    Cinquante mètres plus loin, nous arrivâmes devant la salle de jeu. Le Chef entrouvrit la porte. Une quinzaine d'enfants étaient assis face à nous. Au milieu d'eux une jeune fille. Vraisemblablement Claudine Laporte. Tous avaient les yeux rivés sur l'illusionniste, un grand chapeau pointu de magicien couronnait sa tête. Il nous tournait le dos, nous ne voyions pas ce qu'il faisait, mais des yeux attentifs suivaient tous ces mouvements. Il y eut des applaudissements.

      • Mes enfants, voici le dernier tour !

      • Non, non, encore !

      • C'est le dernier et le plus difficile, et j'ai besoin de vous, quand je vous le dirai vous fermerez les yeux et vous compterez doucement jusqu'à trente et vous verrez la surprise de votre vie. Mademoiselle Claudine, j'ai besoin de vous, mettez ce bandeau devant vos yeux, étendez-vous par terre, là oui, sur le sol, devant moi, regardez-moi bien les enfants, lorsque vous rouvrirez les yeux, elle sera toujours devant vous, par terre, mais transformez en papillon, ne trichez pas, fermez les yeux , allez on compte, un, deux, trois, quatre,

    Aucun des petits n'osaient tricher. Cinq, six, le gars sortit un fin couteau de sa botte, sept, huit, il leva son poignard, neuf, dix, il n'eut pas le temps de le planter entre les omoplates, le Chef avait bondit, se saisit de sa main, souleva son corps de l'autre, le fit tournoyer pendant que je m'empressai d'ouvrir une fenêtre, les enfants qui avaient entendu un peu de bruit, écarquillèrent les mirettes, juste à temps pour apercevoir le magicien s'envoler par la fenêtre ( du quinzième étage ).

      • On applaudit bien fort, m'écriais-je, quel tour réussi, quelle surprise, ce n'est pas Claudine qui a été transformée en papillon, mais le magicien qui s'est envolé !

      • Bravo! Bravo !

    Claudine enleva son bandeau, elle n'avait rien vu et surtout rien compris, si ce n'est qu'il s'était déroulé quelque chose de très insolite, elle se demandait ce que nous faisions dans la pièce, mais les rires et l'excitation des enfants la rassurèrent. Nous l'accompagnâmes quand elle ramena les gaminos à leur chambre. Elle se tourna vers nous, mais elle n'eut pas le temps de poser la question qui lui brûlait les lèvres. Elle se contenta de pâlir affreusement lorsque je lui fourrais la cassette sous les yeux.

      • Je crois qu'il faut qu'on parle ! dit le Chef

      • Crocodile est donc morte pour ça ! Et elle éclata en sanglots.

      • Non Claudine, pour le rock'n'roll !

    ( A suivre. )