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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 40

  • CHRONIQUES DE POURPRE 549 : KR'TNT 549 : ROCKABILLY GENERATION NEWS / BOBBY GILLESPIE + PRIMAL SCREAM / PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE / BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD / JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 549

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 04 / 2022

     

     ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BOBBY GILLESPIE + PRIMAL SCREAM

    PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE

    BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD

     JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 549

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 21

    AVRIL / MAI / JUIN 2022

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    En avril ne te découvre pas d’un fil. Est-il vraiment obligatoire de préciser électrique. Pour cette vingt-et-unième livraison Rockabilly Generation s’est branché en triphasé, z’ont même éliminé la Terre qui normalement permet d’évacuer le surplus d’énergie, c’est un peu plus dangereux mais le rock’n’roll n’est pas une musique pépère. Donc on frôle la perfection. Sans attente plongeons sans ménagement nos doigts humides d’impatience dans le boîtier, sans même accorder ( pour le moment ) un regard à l’effigie du couvercle.

    Greg Cattez nous présente Ricky Nelson.  Peut-être le premier pionnier que j’ai vu dans mon enfance. Dans Rio Bravo, avec John Wayne, m’en souviendrai toujours, surtout du shoot d’Izarra verte, un plein verre que m’avait généreusement servi Jeannot un ami de mes parents qui nous avait invité voir le film à la télé. C’est cela le rock ‘n’roll, y a toujours d’autres trucs plus ou moins raides et voluptueux qui traînent avec. Mais revenons à Ricky. L’est pas mort comme l’amiral Nelson sur son bateau mais dans son avion qu’il avait racheté à Jerry Lou. Un étrange destin, un de ces enfants stars que les chaînes américaines s’arrachaient. Un feuilleton familial un peu gnan-gnan grand public. Tout pour ne pas devenir un rebelle. Oui mais piqué à quinze ans par la tarentule Elvis Presley il décide de devenir chanteur de rock. Le pire c’est qu’avec l’aide de papa, il réalise son rêve. Pas riquiqui en ses débuts le Ricky, malgré sa gueule d’ange propre sur lui l’a quand même Joe Maphis et James Burton sur ses premiers disques. En France l’a été un peu boudé par les premiers rockers, mais depuis sa cote est bien remontée… Greg Cattez raconte la légende, on écoute et on rêve, mieux que les photos d’archives qui l’accompagnent l’on s’attarde sur la pleine page de quarante-deux disques de sa discographie.  

    Y a pas que les amerloques qui rockent. Les néerlandais aussi. A part que le guitariste des Hi- Tombs est français. Fredo Minic est né à Issy-Les-Moulineaux. Raconte son histoire, le parcours classique, un premier groupe de copains et la montée en puissance au fil des années. Ne se prend pas pour un cador, reste humble, longtemps rythmique avant d’être lead, n’a pas l’envie de surpasser les devanciers, il apprend, il travaille, mais l’a une forte personnalité, les échecs ne l’arrêtent pas, si un groupe se débande il en projette tout de suite un autre, trouve enfin en 2007 la formule avec Hi-Tombs, une des formations de stature européenne du paysage rockabilly actuel… L’a un secret, ne fait pas de concession.                                           Y a pas que les amerloques qui ont des pionniers à la toque. Certes on en a moins, mais on a Tony Marlow. Et à lui tout seul il en vaut trois ou quatre. Zieutez ses yeux malicieux et son regard de velours sur la couve. Pas moins de quatorze pages pour résumer sa vie ès rock ‘n’roll. L’a dû naître l’année du chat car il a déjà vécu une quinzaine de vies rock ‘n’roll.   Une existence au service du rock ‘n’ roll et que serait le  rock français s’il n’y avait pas Marlow le marlou. L’est le témoin, l’est le passeur et surtout l’est le novateur. L’a tout vu, tout connu, tout embrassé. Toujours un coup en avance, toujours là où ne l’attend pas. Toujours fidèle à lui-même. Quelle que soit la formule qu’il adopte il tient la route, ne négocie pas ses virages, mais trouve immanquablement son public. Sa discographie est une revisitation du l’histoire du rock depuis le swing, les pionniers, l’early french sixties, le revival rockabilly, le son anglais, le psyché, le punk ‘n’ roll avec Alicia F… à la batterie, à la guitare, au chant, à la compo, à l’écriture. En anglais, en français et même en corse… Il y a quarante ans que cela dure, le Marlow-rock a la vie dure ! Rassurez-vous, ce n’est pas fini.

    Parfois n’y a que les amerloques qui ont le bidule dans la bicoque. L’on s’est mis à deux pour vérifier. Un article bien écrit de Julien Bollinger qui inaugure la nouvelle rubrique : Racines. Inconnus au bataillon. Oui ils sont deux, l’auteur et Bob Dunn. Avec Mister B, le copain, l’on est allé illico annihiler notre ignorance ( honteuse ) sur You Tube, imitez-nous, tout ce que raconte Julien est vrai, Ce Bob Dunn est le premier à avoir traficoté sa guitare pour l’électrifier, un sacré bricolo, mais ce n’est peut-être pas le plus important, le fameux Crossroad de Robert Johnson c’est lui, sidérant, une vidéo de vingt minutes Bob Dunn’s Vagabonds Steel guitar 7 songs 1939. Un feu d’artifice. Le passage du blues au country, la gestation du boogie, la concomitance avec Django Reinhart, et bien d’autres encore, prêtez l’oreille, les plans se suivent et ne se ressemblent pas. Un trésor, une découverte. En plus Bob Dunn aimait beaucoup cette Izarra jaune que les américains appellent whisky.

    Là, les amerloques peuvent aller se cuire un œuf à la coque. Ce numéro de Rockabilly Generation ne sera pas terminé avant que le coq français n'aura pas chanté trois fois. Tout comme pour Tony Marlow, Kr’tnt a souvent présenté The Atomics en concerts. Peu de disques, n’ont enregistré sous leur propre nom qu’un EP de quatre titres. L’on écoute parler Raph, le guitariste, un de mes préférés, très électrique, dans ses mots défile toute l’histoire du rockabilly français cette génération boostée par l’apparition de Brian Setzer, qui se perpétue et résiste sans faille, constituant l’épine dorsale du public rock national. L’on retrouve chez Raph cet amour invétéré pour les pionniers et cette modestie consubstantielle qui caractérise la majeure partie des musiciens de rockabilly. Pas de frime, des actes, une obstination et une persévérance qui éblouissent.

    Suivent les chroniques habituelles, nouveautés, concerts, un backstage consacré aux Spunyboys, deux annonces, une qui serre le cœur, Help for the Wise Guys in Ukraine, et Dans la chaleur de Johnny une boutique spécialisée dans des objets Johnny Hallyday, tenue par un fan Cédric, et sise Rue Magenta à Epernay ( 51 ).

    Superbe numéro. L’aventure Rockabilly Generation menée de main de maître par Sergio Kazh continue. Papier glacé, mise en page attrayante, documents d’archives, des interviews qui libèrent la parole, et des photos à vous arracher les yeux. C’est Sergio Kazh le coupable.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (  1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

                                                            

    Baby Gillespie

     

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             Quand on voit la photo de Bobby Gillespie qui orne la jaquette de Tenement Kid, son autobio récemment parue, on comprend tout. Enfin, c’est une façon de parler. On comprend surtout que Bobby est un éternel adolescent, ce que confirme l’écoute des albums de Primal Scream. Sa voix n’a jamais mué. Il est resté le Baby Gillespie de son adolescence, tel qu’on le voit, là, sur cette photo, en train de chevaucher une petite moto de ville. On serait presque tenté de penser qu’il est un vampire, au même titre que Jean-Michel Jarre qu’on croisait à une époque sur les bords de Seine, sidérant de jeunesse éternelle. Baby Gillespie aurait très bien pu jouer le rôle d’Adam dans l’excellent Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush, un film nocturne qui nous emmène sur les traces de Brian Jones à Tanger, quand bien même le pauvre Brian Jones n’est pas un vampire, comme on sait. Par contre, on a vu en 2020 un Baby Gillespie sidérant lui aussi de jeunesse éternelle danser comme un vampire lors du tribute à Rowland S. Howard à la Maroquiqui, et si on examine la petite photo qui se trouve sur le rabat de jaquette en troisième de couve, on se voit contraint d’admettre que Baby Gillespie n’a pris aucune ride en quarante ans. On remarque juste l’éclat noir de son regard, qui est bien sûr l’apanage des vampires. N’allez surtout pas croire que la condition du vampire est un privilège. Il en va du fil des siècles comme du fil des ans, on finit par en avoir vraiment marre. Ce qu’a très bien compris Jarmush, puisqu’il fait mourir, oui, mourir, Marlowe, le vieux vampire que joue John Hurt dans son film. Ras le bol de l’éternité. Seul un vampire supérieurement intelligent peut comprendre ça.

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              Ce book vaut le temps qu’on lui consacre pour deux raisons principales : Baby Gillespie y narre une éducation musicale parfaite, et d’autre part, il nous narre l’histoire des Mary Chain telle qu’on a toujours rêvé de la lire, racontée de l’intérieur, du temps où Baby G battait le beurre pour les frères Reid.

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             Si Flaubert avait grandi en Écosse au XXe siècle, il aurait pu écrire Tenement Kid sur le modèle de l’Éducation Sentimentale. Non pas que Baby G soit un grand écrivain, mais il donne beaucoup d’allure à ses convictions, d’autant plus d’allure qu’il grandit dans un milieu pauvre et fortement politisé. Il dit sa fascination pour Fidel et le Che qui ont viré les Américains et la mafia de Cuba. Il va même jusqu’à prétendre, et il a raison, que Fidel et le Che ont démarré les sixties trois ans avant les Beatles. On a tous eu des posters du Che dans nos chambres. Rien de surprenant à cela, le Che arborait non seulement une allure de rockstar, mais il agissait en plus comme un héros - Che was our Jesus, a rockstar revolutionary - Baby G ajoute que Dennis Hopper avait basé son look sur le Che. Small Baby G admire aussi Cassius Clay parce qu’il refuse d’aller se battre au Vietnam en balançant dans la barbe du pouvoir néo-nazi américain : «No Viet Cong ever called me a nigger !». Small Baby G admire donc les sportifs noirs, Cassius Clay et Pelé - Sport is an incredible way of breaking down racial préjudice - Mais en même temps, il se dit consumé de l’intérieur, par une douleur à la fois psychique et spirituelle. Il est convaincu pendant toute son enfance que la vie n’est que confrontation, compromis et violence. Les rues de Glasgow ne sont pas sûres à l’époque. Il se fait souvent casser la gueule et doit apprendre à se défendre ou à raser les murs. Quand il arrive à l’école primaire de Mount Florida en 1972, un kid lui dit : «Tu es au courant pour Skin des Tiki ? Il a reçu un coup de hache dans le dos hier soir.» Les Tiki sont le gang local - Everywhere you went in Glasgow there were gangs - Baby G rappelle les principes de base de la vie d’ado à Glasgow : tu dois être dur - it was all about how hard you were - et plus tu es dingue, plus tu es respecté. Sinon, évite de faire le cake et de te faire remarquer car tu vas recevoir une grosse branlée. Et un peu plus loin, il amène une conclusion qui tombe sous le sens - So when punk came along, I was just ready for it - En 1976, il a 14 ans et encore toutes ses dents.

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             Bien que ses parents soient d’une extrême pauvreté - la famille habite dans un deux pièces, le fameux tenement, c’est-à-dire le taudis - ils écoutent des disques. Et pas n’importe quels disques. Certainement pas Chantal Goya. Baby G se souvient très bien d’un Greatest Hits de Diana Ross & the Supremes sur Motown. Le chouchou de Dad, c’est Muddy Waters avec «I Got My Mojo Working». Il y a aussi le Greatest Hits Volume 2 de Ray Charles «on the stateside label with a cool photo of Ray. Dad would play this record A LOT.» Ils écoutent aussi Bob Dylan - Dad loved The Times They Are A-Changing LP with all the protest songs on it - Mum adore Hank Williams, «Moaning The Blues» which she played A LOT. Elle adore aussi Doris Day et un single d’Elvis que Baby G passe son temps à admirer, thinking how beautiful he looked. Il se souvient aussi d’un live de Smokey Robinson au dos duquel Dylan disait de Smokey qu’il était «America’s greatest living poet». Baby G indique aussi qu’il n’y avait pas de disques des Beatles in the house - Mum later told me she never liked them; she preferred the Stones - Comme ça au moins les choses sont claires. On ne sera pas obligé de lui demander s’il préfère les Stones ou les Beatles.

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             Il se souvient de la teuf-teuf familiale qu’ils avaient dans les early seventies : une beautiful dark green Vauxhall Viva, équipée d’un lecteur de cassettes et Dad écoutait Bridge Over Troubled Waters et Glen Campbell - That’s when I first heard the Rolling Stones, in that car - À 11 ans, il flashe comme tous les kids d’Angleterre sur Marc Bolan, il appelle ça du bluesy hard rock, puis un copain d’école lui passe Aladdin Sane, et il est frappé par le portrait de Bowie à l’intérieur du gatefold, «à la fois satyre, mi-homme mi-bête, de sexe indéterminé» - It was a totally mind-blowing image - Ça lui tournicote les hormones. Puis il découvre tout le glam à la téloche, dans Top Of The Pops, Sweet, Roy Wood and Wizzard, Gary Glitter, Slade, Mott The Hoople, Bowie, Sparks et T. Rex - Bowie and Bolan introduced me to androginy an poetry - C’est le parcours classique d’un kid qui grandit dans les seventies. Il existe énormément de points communs entre cette autobio et celle de Kris Needs. Puis c’est la révélation : une petite photo de Johnny Rotten - My first outsider hero. No words needed - Puis ça continue avec Diamond Dog, le Slaughter On 10th Avenue de Mick Ronson et le 16 And Savaged de Silverhead. Le premier single qu’il achète avec son argent de poche est l’«Hellraiser» de Sweet. Puis chez le copain Butchie, il découvre Meaty Beaty Big And Bouncy des Who, ainsi que Who’s Next et Live At Leed, le Get Yer Ya-Ya’s Out des Stones, puis il flashe sur le Stupidity de Doctor Feelgood, sur Nazareth, sur «Motor-Biking» de Chris Spedding, quelques singles de Status Quo et le Machine Head de Deep Purple - Rock and roll totally consumed me. It became my religion - Il voit la culture rock comme un espace de liberté, où les gens peuvent devenir eux-mêmes. Il finit par découvrir que c’est aussi un moyen de se réinventer. L’imagination au pouvoir, en quelque sorte. C’est exactement ça, Baby G. Il a tout compris. Il veut échapper au monde réel qui ne lui plaît pas - I think punk did that for me - Il pense même, comme beaucoup de gens qui ont suivi le même chemin, que le rock lui a sauvé la vie. Vers la fin du book, il évoque les blues people qui sont à ses yeux the ultimate outsiders - Soul and country are both artforms created by working-class Americans, Black and white - C’est parce que petit il écoutait Ray Charles (Dad) et Hank Williams (Mum) qu’il a ça en lui, a deep love of the blues. Dans les années 90, il passe son temps à écouter ce qu’il appelle des «albums sérieux», ceux des masters; sixties and seventies soul songwriters, the country soul guys comme Dan Penn, Donnie Fritts et Kris Kristofferson. Grown-up, adult songwriters. Serious guys with a life story. Literary songwriting. Songs of experience, à la différence de ses chansons qui sont des songs of innocence. Il veut écrire des songs of experience, lui Baby G, l’éternel adolescent ? Ha ha ha, quelle blague ! Éducation parfaite. Baby G est ce qu’on appelle un gosse rudement bien élevé.

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             Il nous fait aussi des pages superbes sur Alex Harvey Band et Thin Lizzy. Alex Harvey parce que c’est un mec de Glasgow et tous les copains d’école ont un patch SAHB (Sensational Alex Harvey Band) cousu sur leur blouson Wrangler - Harvey was one of our own, a Glasgow boy qui avait réussi après des années d’efforts. Son Sensational Band portait bien son nom. They took no prisoners and stormed the nation’s pop charts and concert venues with a mixture of street-sharp hard rock, sea shanties, murder ballads and Weimar decadence - Baby G flashe sur l’album Next, avec Alex les bras en l’air sur la pochette et cette invitation à se battre, «Come ahead, your tea’s out !», Baby G voit Alex comme «the shamanic pagan high priest, comme Richard Wagner fronting a rock band». Il se demande comment un mec aussi pauvre a fait pour réussir à devenir célèbre - He was just a guy from the same streets as me, from Tradeston - Et ça repart de plus belle avec Thin Lizzy et «The Boys Are Back In Town», la chanson qui pour Baby G définit le mieux l’été 1976, l’été de ses 14 ans. Il voit Lizzy à Top Of The Pops et il est frappé par l’«extremely handsome black Irishman dressed in tight blue jeans, stack-heeled shoes and a loose-fitting glammed-out silver-streaked cowboy shirt unbuttoned halfway down his chest, revealing a silver necklace. He wore his hair in the afro style, tight like Jimi Hendrix. He was just so confident and outrageously flash.» What a portrait ! Baby G a du pif, il choisit les bonnes idoles. Quand il voit dans le journal local que Thin Lizzy passe à l’Apollo Theatre de Glasgow, il décide d’y aller avec un gosse du quartier qu’il ne connaît que de vue, Alan McGee. En trottinette, ça fait trop loin, alors ils y vont tous les deux en autobus. Pour Baby G, c’est le dépucelage - I lost my rock and roll virginity to Phil Lynott and Thin Lizzy that night. I was filled with the Holy Spirit of Rock and Roll, never to be the same again. The classic line-up of Lynott, Downey, Gorham and Robertson transmogrified my teenage soul with raw-powered street rock and flash glam electric sexuality. My love for Lizzy will never die. They were the first real musical love that I discovered by myself and they still inspire me to this day. Phil was the greatest, a true working-class hero. Every boy wanted to be him, every girl wanted to fuck him - Et soudain le punk arrive.

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             Baby G commence par tomber sur les Damned à la télé. Nest Neat Neat ! Boom badaboom ! Il tombe de sa chaise. Puis à Pâques 1977, il achète le NME avec les Clash en couve. Les trois Clash, avec Simonon au milieu ! Oh la la ! Il est choqué par leur brutally short hair, car «in early 77, tout le monde a les cheveux longs». Il achète l’album des Clash et rentre chez lui en courant pour l’écouter sur la stéréo de ses parents qui sont au boulot. Il met le volume à fond, cranking up the volume full blast. Comme tous les kids de son âge, Baby G est ratatiné par cet album, c’est un phénomène purement britannique. Puis il achète «God Save The Queen» et rentre chez lui en courant pour l’écouter avec son petit frère Graham - We were just ORGASMING - Ils expérimentent tous les deux ce qu’il appelle le psychic jailbreak, l’évasion psychique. Leur vision du monde change ce jour-là, avec le full blast des Pistols. Puis il découvre les Dolls. Quoi, des mecs qui sonnent comme les Pistols ? Ce n’est qu’un plus tard qu’il comprendra que les Dolls étaient là avant et qu’ils sont devenus les Heartbreakers. Baby G commence à hanter les disquaires de Glasgow, il y en a six à proximité du lycée et celui qu’il préfère s’appelle Bloggs car il vend du punk et le vendeur n’est autre que Mickey Rooney, futur chanteur des mighty Primevals - A Stooges and MC5 fanatic - Baby G se lance comme tout le monde dans l’achat de disques américains, avec «Sheena Is A Punk Rocker» des Ramones et «Spanish Stroll» de Mink DeVille, puis il continue avec Patti Smith, Richard Hell, les Runaways et les Dead Boys. Mais son chouchou reste Johnny Rotten - Everything he said in the interviews was deeply confrontational and launched with a fusillade of hate - Baby G n’en finit plus de l’admirer, d’autant plus qu’il n’avait rien d’un sex-symbol à la Rod Stewart - He was exactly like one of us working-class street kids - Les Pistols renversent l’échelle des valeurs, tout ce qui était joli devient laid et tout ce qui est laid devient joli. Oh et puis les fringues - Black leather trousers and jackboots, Mod bum-freeze jacket and Destroy shirt, the studded wristband, S&M belt and his digital watch. I thought he was the coolest-looking guy in the world - Quand Johnny Rotten se pointe sur Radio One, John Tobler lui demande ce qu’il écoute, et Rotten lui répond : «Football chants and Irish rebel songs.» Alors Baby G est sidéré : «I thought, that’s me !», oui, car il va voir les matches de foot et chante les football chants and Irish rebel songs at Celtic games... and he is in the best rock and roll band in the world. Johnny Rotten comes from a council estate, so I do. THIS GUY’S LIKE US !

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             En 1977, Baby G casse sa tirelire pour aller voir des concerts : Lizzy deux fois, Graham Parker And The Rumour, Status Quo, the Jam, the Damned, Dead Boys, the Clash et ça se termine avec that amazing Christmas show : Ramones supported by the Rezillos. Il tombe sous le charme des Ramones, comme tout le monde - Ramones were perfect in both charm and vision. Ramones were a total assault on the senses. Ramones were godhead - Et quand après la fin des Pistols, John Lydon revient avec PIL, Baby G en bave d’admiration, parce que justement, Lydon ne revient pas avec des nouveaux Pistols, mais avec un son nouveau - We’d never heard anything like this before - Il faut bien se souvenir que PIL fut révolutionnaire à l’époque. Du coup, Baby G se sent encore plus proche de son idole - He was my guiding star - Il va ensuite flasher sur Ian McCulloch qui selon lui a tout, the looks, the hair, the voice - The Bunnymen had a mystique - Puis il devient roadie pour Altered Images qu’il trouve really good.

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             En 1978, il commence comme tout le monde à écouter le John Peel Show on Radio One sur un petit transistor à piles, du lundi au jeudi. Puis grâce à Zigzag, il découvre Love, les Byrds, les Doors, Buffalo Springfield, Tim Hardin et Tim Buckley. Small Baby G ne sait plus où donner de la tête. Et puis il y a Johnny Thunders en couverture de Zigzag, avec à l’intérieur son interview par Kris Needs pour la promo de So Alone. Ah la longueur des filets de bave ! Et comme tout le monde, Baby G se met à acheter chaque semaine la trilogie impérative, NME, Melody Maker et Sounds. De quoi devenir dingue.

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             Un soir, lors d’une party chez Severin à West Hampstead, Baby G tombe sur sa collection de disques. Il est choqué d’y voir trôner l’Electric Ladyland, non pas à cause des gonzesses à poil sur la pochette - Baby G ne bande pas encore - mais parce que l’album était à l’époque considéré comme un hippy album, et donc mal vu chez les punks - That’s how it was in those days - Il se souvient aussi d’avoir réagi de la même façon en découvrant le White Album chez Andrew Innes, qui est alors un copain du quartier - It was a crime to admit you liked anything before 1976 except for the Velvet Underground, Iggy and the Stooges, New York Dolls and MC5 - C’est vrai que le sectarisme régnait sans partage, surtout à cette époque. Tout le monde devenait à moitié con avec le punk-rock. On lançait des anathèmes à tout bout de champ. Fuck ci, fuck ça. Si Can et Van Der Graaf échappaient aux purges, c’était grâce à Johnny Rotten qui en disait le plus grand bien à la radio.

             Et comme tout le monde, Baby G s’achète une première guitare électrique, une copie de Les Paul Classic, «a cherry-burst reddish-brown colour, very Thin Lizzy» et un ampli Peavy Bandit. La première chose qu’il apprend à jouer dessus, c’est «Time’s Up» et le solo sur deux notes du «Boredom» des Buzzcocks. Puis il s’achète une basse, «a black Fender Mustang bass guitar and an Electro-Harmonix Clone Thenry effects pedal». Il adore jouer comme Jah Wobble de PIL.

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              Il revient longuement sur l’autre grande idole de son enfance, Jimbo, un Jimbo héroïque qui traite le public de Miami de bande d’esclaves. Baby G et son frangin Graham adorent rouler la nuit dans Glasgow, au volant de Mum’s little Renault, en écoutant une cassette des Doors, la compile de singles qui s’intitule 13 - Five to one baby/ One in five - Baby G admire autant Jimbo que le Che : «Jim Morrison vivait réellement les choses qu’il chantait. In the future I would personnaly find that was a very dangerous game to play.»

             Il se met à vénérer les auteurs comme Jagger & Richards, Jim Morrison, Lou Reed, Ray Davies et Iggy Pop. Son copain Beattie avec lequel il va démarrer Primal Scream s’achète une douze pour sonner comme les Byrds - He was hooked on Roger McGuinn’s jingle-jangle magic Rickenbacker guitar sound - Alors Baby G s’achète une «sky-blue Vox Pantom as played my hero Sterling Morrison, guitariste extraordinaire of the Velvet Underground.» Et puis en 1984, le punk passe de mode - It was seen as an embarassment in the UK music papers - Et les hip people de Glasgow étaient tous des clones de Bowie Young Americans, dans leurs fringues atroces, playing the white-boy funk that was as funky as Margaret and Dennis Thatcher attempting to dance the Funky Chicken: naff central - Eh oui, les années 80. Comme tout le monde, Baby G se réfugie dans les «ultra-damaged poster-boys of underground rock», Syd Barrett et d’autres misterioso figures comme Arthur Lee, Brian Wilson et Alex Chilton - Not a lot of people were interested in these artists. They were seen as sixties drug casualties and burnouts, embarassments from another era - Puis comme tout le monde, Baby G part à la chasse aux disques dans les record fairs, il ramasse de tout, Electric Prunes, Eddie Floyd, Isaac Hayes, des Stax singles, 13th Floor Elevators, Byrds, Misunderstood, puis c’est le déluge des compiles fatales, Perfumed Garden, Acid Dreams, tout le bazar de Rhino puis de Line Records en Allemagne qui se met à rééditer tout ce qui peut intéresser les kids boulimiques comme Baby G. En 1984, il ne jure que par ses psychedelic heroes Jim Morrison, Lux Interior, Roky Erickson, Syd Barrett et Arthur Lee. Et pour entrer en osmose avec le psychédélisme, il faut bien sûr prendre des psychedelic drugs, otherwise you can’t be psychedelic ! Logique imparable.

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             Il évoque brièvement la scène de Glasgow, Teenage Fanclub, les Vaselines qu’admirait tant Kurt Cobain, et Stephen Pastel - He was a freaky kid, total outsider in his own way - mais qui choque Baby G car il lui dit ne pas aimer les Pistols. Baby G lui demande pourquoi et Stephen Pastel lui répond : «They’re like heavy metal.» À quoi Baby G ajoute : «Stephen was more into Dan Treacy, TV Personalities and Swell Maps. We agreed on the Shangri-Las, Velvet and Subway Sect though.» Baby G ajoute que Stephen est toujours d’actu à Glasgow et qu’il possède a fantastic record shop called Monorail. Baby G évoque aussi Mark E. Smith qu’il admire, comme tout le monde, et Prince plus encore, surtout les singles parus dans les années 80 - They’re as good as the Beatles or the Stones, Bowie, Phil Spector, Tamla-Motown, Stax, anyone - À tel point qu’il le veut comme producteur du premier album de Primal Scream, ce qui fait marrer McGee. À la place de Prince, il obtient Stephen Street.

             Quand dans les années 80, Baby G s’installe à Brighton, il ouvre avec ses copains un club nommé SLUT. Sur le poster du club figure le fameux portrait de Brian Jones en uniforme nazi, avec comme légende le fameux ‘Stay sick Turn blue’ emprunté aux Cramps et qu’on trouve, précise Baby G, au dos de leur premier single, «Human Fly» on the Vengeance label. Des groupes viennent jouer au SLUT : Strawberry Switchblade, Felt, Loop and Weather Prophets, des groupes dont il est fan, surtout Loop - We loved Loop - Faut pas louper Loop. Puis il tombe dans les bras de Bobby Blue Bland - noir-pop-bed-chamber blues and adult existentialism - et du great O.V. Wright - His classic records are occult Mississippi Delta alchemical conjurings made under the guidance of the great producer Willie Mitchell - Il explore les labyrinthes de cette Soul, espérant qu’un jour I could emulate it. Mais pour chanter comme O.V. et Bobby Blue, il faut muer, Baby G, et il ne mue toujours pas. Il évoque aussi les fameuses compiles Northern Soul sur Kent et les Ady Croasdell’s soul nights au 100 Club dont Andrew Innes est un habitué. Il va voir les Spacemen 3 en concert, car il aime bien le single «Revolution», mais quand il entre dans la salle, il en reste comme deux ronds de flan : au pied de la scène, les kids sont assis par terre comme des hippies, et les Spacemen sont eux aussi assis, le cul dans des chaises. Incroyable ! Il découvre plus tard qu’ils sont des smackheads, alors pour lui, ça tombe sous le sens.

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             Ce sont surtout ses paragraphes politiques qui rendent Baby G infiniment sympathique. Il nous raconte mieux que quiconque l’écroulement de la classe ouvrière anglaise. Le foot sert à cristalliser la colère, d’où la violence dans les stades. Il sait que la classe ouvrière n’existe que pour travailler dans les mines et les usines qui sont la propriété des bourgeois, cette sale race qui fait des profits obscènes sur le dos des travailleurs, Baby G n’y va pas de main morte, il développe bien cet aspect des choses, car la rage politique est directement liée au rock, il parle de siècles de féodalisme dégradant et des horreurs de la révolution industrielle qui, c’est vrai, a battu tous les records en Angleterre. Et voilà que Baby G se retrouve sur le marché du travail, à l’aube de la post-industrialisation. Comme tout le monde, Baby G voit que les lois votées au parlement sont des actes de violence dirigés contre les plus pauvres, il cite des fameux plans d’austérité alors qu’on allégeait les impôts des plus riches, Baby G en écume de rage, il sait que la pauvreté tue et il voit la femme la plus détestée d’Angleterre, la mère Thatcher, écrabouiller les mineurs, elle a enfanté nous dit Baby G des créatures aussi politiquement ignobles qu’elle et il balance les blazes de Blair et de tous ceux qui ont suivi, all are Thatcher’s children and I hate them all equally. But I hate her more. She was their Elvis - Plus loin, il tombe à bras raccourcis sur Queen, Elton John et Rod The Mod qui sont allés jouer en Afrique du Sud, au temps de l’apartheid - They had all taken the apartheid gold - Il a raison de s’énerver, Baby G, ces comportements sont impardonnables. Il développe ainsi son radicalisme à longueur de pages et c’est une dimension d’autant plus capitale qu’elle n’apparaît jamais dans la presse rock, connue pour son édifiante superficialité. Le rock et la contestation politique sont issus du même principe de refus de l’autorité, et dans le cas de l’Angleterre, du despotisme libéral, qui est sans doute le pire fléau du XXIe siècle. La notion de profit n’a jamais autant fait de ravages dans les cervelles. Il faut désormais s’habituer à l’idée qu’un monde meilleur n’existera jamais.    

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             Baby G cite souvent les Cramps sans jamais vraiment en parler. Il fait juste des petites allusions de temps en temps, comme s’il en avait la trouille et qu’il n’osait pas s’en approcher. Lors d’une fête sauvage dans une usine abandonné avec les frères Reid, Baby G dit entendre le «Caveman» des Cramps. Il rencontre à une époque un nommé Joogs qui est fan des Cramps. Joogs jouera du tambourin dans la première mouture de Primal Scream. Lors de son premier voyage à Los Angeles, Baby G croise sa guitar heroin Poison Ivy Rorschach chez un disquaire. Il est tellement intimidé qu’il n’arrive pas à parler - Ivy was so fucking sexy. The queen of rock and roll - D’ailleurs, quand il compose «Ivy Ivy Ivy» pour le deuxième album de Primal Scream, il pense bien sûr à Ivy Rorschach of the Cramps. Et sur scène, avec Primal Scream, ils jouent en rappel «Up On The Roof» by Carole King and «Lonesome Town» by Ricky Nelson and the Cramps.

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             Quand on bénéficie d’une telle éducation, on finit fatalement par mal tourner, c’est-à-dire jouer dans un groupe. Baby G a déjà commencé à acheter des guitares, à prendre des drogues et à composer des chansons. Alors il monte Primal Scream avec le copain Beattie. Le nom du groupe sort d’un texte de Mark E. Smith sur Live At The Witch Trial, à la fin de «Crap Rap» - I believe in the R&R dream/ I believe in the primal scream -  Et hop c’est parti. Pas plus difficile, tu flashes et tu agis. Il a ce qu’il appelle lui-même a year-zero mentality de young punk. Rien à voir avec le primal scream de John Lennon. Les punks nous dit Baby G ne commenceront à écouter les Beatles qu’au moment où Paul Weller va pomper «Taxman» pour faire «Start». Du coup,  Beattie achète Revolver. Avec Beattie, ils écoutent aussi les deux premiers albums des Stooges sous acide, allongés par terre, la tête entre les deux enceintes - You haven’t lived until you’ve heard «We Will Fall» and «Dirt» in this way, I’m telling you. Beautiful primitive urban blues - Puis il cite Dickinson qui qualifiait les Stooges de «primitive modernists». Selon Baby G, les Stooges ont créé «a post-adolescent urban white bues qui encapsulait les peurs, les espoirs, les frustrations sexuelles et l’ennui existentiel of teenage outsiders everywhere.»

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             Alors qu’il vient de lancer Primal Scream avec le copain Beattie, Baby G commence aussi à fréquenter les frères Reid. Il va vivre avec les Mary Chain l’un des épisodes les plus excitants de l’histoire du rock anglais. Et grâce à lui, on va pouvoir le vivre de l’intérieur. Comment commence cette belle aventure ? Assez bêtement : Baby G reçoit chez lui une cassette C-90 que lui envoie Nick Lowe. Dans le petit mot d’accompagnement, il indique à Baby G que les deux guys qui sont leur la cassette pourraient éventuellement se joindre au duo Primal Scream qu’il forme avec le copain Beattie et que Lowe a vu jouer sur scène. Sur la cassette est écrit le nom du groupe au stylo bille : Jesus and Mary Chain, et quatre titres de chansons : «Never Understand», «Upside Down», «Inside Me» et «In A Hole». Baby G rencontre les frères Reid un jeudi du mois de juin. Jim et William nous dit Baby G portent des cheveux très haut sur le crâne et ceux de Douglas Hart, le bassman, sont noirs de jais et bouclés. Il manque le batteur Murray qui est à l’école. Alan McGee est l’un des premiers à s’intéresser au groupe, car sur scène, c’est le chaos garanti : ils sont tellement défoncés que William joue «In A Hole» alors que Jim chante «Upside Down» et Douglas joue «Inside Me», et c’est là qu’ils commencent à se battre comme des chiffonniers, devant tout le monde. Pif paf, dans ta gueule, et ils quittent la scène. C’est la fin du set qui n’a même pas commencé. Pour McGee, c’est du genius à l’état pur. Quand Baby G les voit jouer à Glasgow pour la première fois, William et Jim arrivent en titubant sur scène, ils se cognent partout - It was just noise, carnage - Ils jouent trois cuts - a cacophonous, violent fuck-up noise, it was completely unmusical, mais en même temps ça faisait sens pour Beattie et moi, parce qu’on comprenait ce langage - Baby G apprend que les frères Reid appréhendaient tellement de monter sur scène qu’ils avaient bu comme des trous, au point qu’ils tenaient à peine debout. Au point de se faire virer de la scène par les videurs. Les frères Reid nous dit Baby G s’abreuvaient directement «à la source de l’universal psychedelic punk energy.» Ils proposaient le «true primitive power of rock and roll en opposition à la musique clean, safe et asexuée dont les médias et les music papers gavaient les gens.» Et puis un jour, McGee appelle Baby G pour lui annoncer que les May Chain ont viré leur batteur Murray et qu’ils le veulent lui, Baby G, comme batteur. Le seul problème c’est que Baby G n’est pas batteur. Pas grave. Et hop tournée en Allemagne avec les Mary Chain, le Biff Bang Pow d’Alan McGee et les Mod punk rockers d’Aberdeen, les Jasmine Minks. Baby G profite de l’occasion pour préciser que les Mary Chain ne répétaient jamais - Every single gig was freefall. Every gig. Even when we made Psychocandy - Il garde aussi des souvenirs attendris de camaraderie, quand ils dormaient tous les quatre dans des sacs de couchages, serrés les uns contre les autres sur la plancher d’un appart, in the cold autumn London night. Jouer sur scène avec ces trois loustics, ça reste pour Baby G les meilleurs souvenirs de sa vie. Ils n’ont même pas besoin de se parler entre eux. Un regard suffit - The best relationships are like that - Il va loin, le petit Baby G car il parle même de spiritualité. Au retour de leur tournée allemande, ils découvrent que dans le NME, un journaliste déclare : «Les Mary Chain sont the new Sex Pistols.» Ça y est, ils commencent à décoller. Les labels se rapprochent de McGee qui est leur manager. Baby G est de plus en plus épaté par la grandeur des Mary Chain - The Chain as a band was perfect as it was: four punks with clear minds and a defiantly powerful, well thought-up group aesthetic (...) I loved the purity in the Mary Chain; it was kind of religious. Actually, it WAS religious. Pure rock and roll - Mais en 1985, chaque fois que les Mary Chain jouent à Londres, ça tourne à l’émeute. Baby G dit que dès qu’ils commencent à jouer, une pluie de missiles s’abat sur eux - Et soudain le public attrape Jim, des mecs du service d’ordre sont obligés d’aller le récupérer car des mecs le tabassent - C’est la guerre nucléaire ! - And the missiles were coming the whole time - Comme il l’a déjà précisé, les Mary Chain ne répètent jamais. Ils démarrent un cut et s’arrangent pour le finir - it was free-form madness - Ils font une version du «Mushroom» de Can que Baby G qualifie de «creepy crawl death-rattle low moan blues». Le concert à l’Electric Ballroom est encore plus extrême, nous dit Baby G. Des gens viennent pour zigouiller les Mary Chain. Pour étayer son propos, Baby G cite une anecdote : «Jim Reid était allé voir Nick Cave & the Bad Seeds à l’Hammersmith Palais et un mec est venu le trouver pour lui demander : ‘Are you the singer in the Mary Chain?’. Et six mecs tombent sur Jim pour lui filer la branlée du siècle. Gave him a doing. Kicked fuck out of him. Alors que Jim gît au sol dans une mare de sang, les mecs lui disent  : ‘Dis à ton fucking batteur qu’il est le prochain !’.» Même si Baby G essaye de se faire passer pour un petit dur, il ravale sa salive. Il sait que ces mecs-là ne rigolent pas et qu’il va prendre une trempe.

             En 1985, il part en tournée américaine avec les Mary Chain. New York, punk city of my dreams. Premier arrêt au Gem Spa sur St Mark’s Place pour rendre hommage aux New York Dolls,  tels qu’on les voit au dos de la pochette de leur premier album. Puis Midnight Records, pour les albums psychédéliques. Cette fois, la tournée se passe bien, pas de violence. Sur scène, William Reid règne sans partage. Il sort un son qui est un «shot de high-grade amphetamine sulphate, pure white light, white heat, wired soul genius.» - His gonzoid riffage and energy sprawl would propel me forward rhythmically - Et puis, les premières crevasses apparaissant dans ce beau rêve de fraternité. Un jour, il va chercher sa copine Karen à la gare. Elle arrive de Glasgow et lui apprend qu’elle va jouer à sa place le soir-même dans les Mary Chain. Ça interloque Baby G pour deux raisons : un, Karen ne sait pas battre le beurre, et deux, ses frères spirituels ne lui ont rien dit. Baby G lui demande quand même pourquoi elle a accepté, sachant qu’elle lui retirait le pain de la bouche. Oh, Karen n’est pas à ça près. Elle dit avoir d’abord refusé, mais William a insisté, lui promettent de lui donner tout ce qu’elle désirait si elle acceptait de jouer avec eux. Alors elle a demandé un gramme de speed et William est parti en courant lui chercher ce qu’elle demandait. En fait, le problème, c’est que Baby G qui a les yeux plus gros que le ventre joue dans deux groupes à la fois, les Mary Chain et Primal Scream. Les groupes sont même souvent à la même affiche, et Baby G chante et gratte sa gratte dans l’un et il bat le beurre dans l’autre. On appelle ça de l’omnipotence et c’est une tare qui ne convient pas, mais alors pas du tout, à un mec aussi intègre que William Reid. Et ça ne servait à rien d’en parler. Aussi le soir même, quand ses copains de Primal Scream voient Karen jouer à sa place, ils demandent à Baby G pourquoi il ne joue pas. What could I say ? Les frère Reid ne parlent jamais des problèmes. Baby G doit fermer sa gueule et l’accepter, parce que les Mary Chain sont leur groupe. Il sent bien que c’est le commencement de la fin. Effectivement, le lendemain, Jim Reid appelle Baby G au téléphone, ce qu’il ne fait jamais. Il l’appelle pour lui mette le marché dans les pattes : soit il devient le batteur des Mary Chain à plein temps, soit il dégage - We don’t want you to be in Primal Scream anymore. You can’t be in both bands, you have to make a choice - Le choice est vite fait. «Ok I’ll be in the Scream, then. And that was that.» Fin de l’épisode. Baby G est bouleversé. Il note toutefois que pour enregistrer leur deuxième album, the existential blues album Darklands, ils ont utilisé une boîte à rythme pour le remplacer, which is cool. Puis il découvre qu’ils avaient déjà prévu un batteur en remplacement pour les concerts, le fameux John Foster Moore, qui fera ensuite équipe avec Luke la main froide dans Black Box Recorder. 

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             L’autre personnage principal de cette apologie de l’éternelle adolescence, c’est la dope. Baby G en est incroyablement friand, plus encore que des bombecs. La dope se situe au même niveau que l’engagement politique et le rock, c’est un moteur, une psycho-vitamine dirait Marc Z. Baby G attaque sa carrière de drug-head avec les acides, pour vivre en osmose avec sa passion pour le rock psychédélique. Il découvre aussi le pouvoir du sexe sous acide avec sa copine d’alors, la fameuse Karen évoquée plus haut. Puis quand il fréquente McGee, il lui balance le fameux slogan de Ian McCulloch : «No snow, no show !», formule magique qu’il prononçait selon Baby G chaque soir avant de monter sur scène. Avec des yeux devenus globuleux, Baby G traîne dans les parties avec Throb et les mecs de Felt où tout le monde est sous speed and magic mushrooms. Il découvre ensuite l’ecstasy, «plus adapté au vibes de basse et aux sons électroniques, alors que le speed convient mieux aux amateurs de high-energy rock and roll.» Il ajoute que «the Southern Soul sounds is great on smack et que l’herbe est parfaite pour le Jamaican Reggae and dub.» - Different drugs for different sounds - Il en connaît un rayon, le petit Baby G. Pas la peine de lui faire un dessin. Il achète son premier E (ecstasy) aux Happy Mondays. Il en éprouve une grande fierté. Mais sa dope préférée reste le speed - Ecstasy was a different psychotropic trip. My life was changing and I didn’t even know it - Quand ils roulent vers le Nord pour aller jouer à Londres, ils prennent du speed et quand ils redescendent à Brighton après le concert, ils droppent des Es. Ils goûtent pleinement à la joie et à la liberté de leur jeunesse. C’est pour ça que la scène acid house lui plaît, tout le monde est sous E, il parle d’un «holy sacrament drug», alors que la scène indie pue la bière, et Baby G ne supporte pas les pintes. En plus ces mecs-là ne prennent même pas de drogues. Baby G n’aime pas non plus les pubs - Pubs were never my scene - Un jour Throb ramène des tablettes de dexys, la fameuse Dexedrine qu’il qualifie de best drug in the world - We all took dexys to do the interview - Un jour en arrivant au studio, Toby leur dit à tous les trois, Baby G, Throb et Innes d’ouvrir la bouche et il leur balance à chacun des pilules. Il en a un bocal plein. Ils veulent quand même savoir ce qu’ils avalent et Toby se marre : «C’est ce qu’a avalé Keith Moon la nuit où il est mort.» Alors les trois autres répondent : «Yeah ! Great !». Le problème, c’est qu’après, la situation devient bizarre : les quatre Primal Scream tombent dans les pommes. Quand Dick Green l’associé de McGee chez Creation appelle l’ingénieur du son Leggatt pour savoir comment se déroule la session, Leggat est bien embêté. Il répond : «The band are in a coma.» Green ne comprend pas : «What d’you mean, they’re in a coma ?». Alors Leggatt décrit ce qu’il voit : «Well, Bob and Innes are on the floor, Throb est sur le canapé et Toby vient de se glisser sous la console de mixage.» Les pills de Keith Moon sont des somnifères qu’on administre dit-on a des éléphants. Quand ils commencent à palper des gros billets, Throb achète des gros pochons de coke. Il en fait même le commerce à Brighton. Il a acheté une bagnole pour faire les trajets et bien sûr il n’a pas de permis. Baby G tente de le ramener à la raison, lui disant que s’il se fait choper, il va détruire le groupe. Mais Throb se marre. Il passe vite au freebasing - We all did. It was great fun.

             Retour aux balbutiements de Primal Scream. Beattie et Baby G enregistrent des démos avec Elliot Davies qui dit à Baby G : «The songs are both very good. Bob you’re not a singer.» Choqué, Baby G lui demande ce qu’il veut dire et l’autre lui explique : «You’re not a proper singer like Al Green or Marty Pellow, you’re more like Bernard from New Order.» Baby G s’en tire à bon compte, car il adore New Order, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Heureusement, on finira par trouver quelques points de désaccord avec Baby G. Puis il rencontre son futur Soul Brother, Robert Young, alias Dungo, un gosse du quartier. Un jour Baby G le croise dans la rue et lui demande ce qu’il a eu comme cadeau de Noël. «A Telecaster guitar !». Baby G découvre que son nouveau copain est bourré de talent. Il écoute les Byrds et Love. Ils se mettent vite à la recherche d’un son - We were aiming for a mix of ecstatic sixties joyous transcendental psychedelic pop and modern eighties electronic dance beats - Comme tout le monde, Baby G goûte au plaisir suprême qui est de jouer dans un groupe et il sait dire pourquoi c’est une affaire sérieuse : «Rock and roll at its highest point is serious magic. An alchemical transformation is possible, but only if people with the right attitudes, minds and spirits are involved in the ritual.» Au début, ils sont cinq, Beattie gratte sa douze, Robert on bass, Baby G sur une six cordes électrique et au chant, Tam McGurk au beurre and our pal Joog on tambourine. Aux yeux globuleux de Baby G, Robert est le musicien le plus doué qu’il connaisse. Un jour, alors qu’il sont en tournée, ils s’arrêtent pour pisser un coup au bord de la route. C’est là qu’ils découvrent le pot aux roses : Robert est monté comme un âne - For fuck’s sake would you look at the size of that thing? - Robert ne comprend pas pourquoi ils s’extasient devant sa queue. Baby G lui dit qu’elle est «like a fucking python». Alors Robert se marre et leur dit que le problème n’est pas la grande taille de sa queue, mais plutôt la petite taille des vôtres, it’s just that you guys are all too wee - C’est là qu’il chope le surnom de Throb.

             Primal Scream commence à se bâtir une petite réputation mais bizarrement, John Peel ne s’intéresse pas à eux. Il s’intéresse plus nous dit Baby G aux groupes with girls in it, «surtout si elles ne savent pas jouer de leur instrument.» Il est revanchard, le petit Baby G, faut pas lui marcher sur les doigts de pieds. Puis Andrew Innes rejoint Primal Scream.

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             Leur premier album s’appelle Sonic Flower Groove et paraît en 1987, en plein boom des futals de cuir noir. Dès le «Gentle Tuesday» d’ouverture de balda, on sent un léger problème : Baby G n’a pas de voix. Ce qui semble logique, vu son extrême jeunesse. Ces sont les deux guitaristes Throb et Innes qui mènent le bal. Mais le loup - c’est-à-dire la voix - n’y est pas. Ça reste de la pop d’agneaux blancs comme neige. Baby G chante comme une savonnette. Bizarre qu’il ne s’en rende pas compte. Il est assez pénible sur «Sonic Sister Love», et les cuts suivants ne valent guère mieux. On sent une volonté Velvet dans «Love You», mais dès que Baby G ouvre le bec, il ruine tout. Il se prend pour les Ronettes et ça devient très compliqué, pas pour lui, mais pour l’auditeur qui au vu de la pochette s’attendait à entendre du beau gaga de Glasgow. Baby G fait encore son cirque dans «Aftermath» et bat tous les records d’immaturité.

             Beattie quitte le groupe après Sonic Flower Groove. Il emporte avec lui le son de sa douze. Il ne voulait pas quitter Glasgow, alors que Baby G, Throb et Innes voulaient se barrer. Pour Primal Scream, il faut tout reprendre à zéro. Ils décident d’aller plus sur un son twin guitar attack comme dans le MC5. Ça tombe bien, car Throb ne porte plus que du cuir noir, et il peut jouer aussi bien que Johnny Thunders et Wayne Kramer. Pour la voix, ça reste compliqué.

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             Leur deuxième album sans titre paru sur Creation vaut vraiment le détour. Plus rien à voir avec le soufflé raté du Sonic Flower Groove. Cette fois, ça vole assez haut. «Ivy Ivy Ivy» éclate au Sénégal avec des chœurs de Dolls. Ils remontent dans le heavy power d’Ivy Ivy Ivy comme des saumons, c’est un vrai smash et cette fois la voix de Baby G colle mieux à la réalité, Throb et Innes ramènent les meilleurs power chords d’Écosse. On voit arriver des clap-hands sur le tard et ça devient du pur Mary Chain. C’est Andrew Innes qu’on voit sur la pochette avec sa Les Paul. La fin d’Ivy sonne comme une fabuleuse descente aux enfers d’aw aw aw avec un Throb all over the sound. Puis Baby G se remet à chanter comme la reine des brêles dans «You’re Just Dead Skin To Me». Il aurait fallu l’empêcher ce chanter. Ils tentent ensuite de sauver l’album avec «She Power» et renvoient Baby G au front. Quelle erreur ! Si on ouvre le boîtier, on tombe sur une photo de Baby G, encore une erreur. Il faut aller à l’intérieur du dépliant pour trouver une photo de Throb torse nu avec sa Les Paul blanche. Baby G se prend encore pour un chanteur dans «I’m Losing More Than I’ll Ever Have». Pire encore : il se prend pour un Soul Brother. Throb sauve le cut avec un killer solo flash. Ils tapent ensuite «Gimme Some Teenage Head» sur les accords du MC5. Ils tapent dans la caisse. C’est la came de Throb. Il joue les accords de «Kick Out The Jams». Le pauvre Baby G est embarqué comme un fétu de paille. Ils font une cover du «99th Floor» des Moving Sidewalks. Puis il tapent «Lone Star Girl» au heavy glam. C’est le même son qu’Ivy Ivy. Les tornades noient la voix de Baby G, donc ça passe. Encore une énormité avec «Sweet Pretty Thing» amené au heavy drumbeat de Glasgow. Ça joue au c’mon now, Throb ramène le power, c’est lui l’âme du Scream.

             Ils enregistrent cet album avec le batteur Toby Tomanov, un vétéran de toutes les guerres et ex-junkie. Pendant l’enregistrement d’«Ivy Ivy Ivy», Toby et Throb disparaissent un moment et quand ils reviennent dans le studio, il est évident nous dit Baby G que Toby had shot Throb up with some smack. Cette nuit-là Thob a joué comme un dieu, et il continuait à jouer quand le groupe s’arrêtait.

             En 1988, McGee dit à Baby G que plus personne ne s’intéresse à la musique que joue Primal Scream - It’s so old-fashioned, personne ne veut plus écouter ça - Mais ils continuent de jouer et de se doper, Baby G est fier de son groupe et de ses «two great guitar players on Les Pauls blasting through hundred-watt Marshall stacks.» Ce soir-là, Andrew Innes monte sur scène tellement défoncé qu’il oublie de se brancher. Ce sont des kids au premier rang qui l’alertent : «You ain’t plugged in mate !».

             Tenement Kid s’achève sur Screamadelica. Baby G envisage sûrement un deuxième volet, comme le fit avant lui Brett Anderson qui pour son premier volet autobiographique s’arrêtait aux portes du succès commercial de Suede. Baby Gillespie utilise la même ficelle de caleçon mais il en profite pour dresser une étrange apologie de l’acid-house qui, faut-il le rappeler, nous a tous bien barbés à l’époque. On appelait ça les machines, et Screamadelica est un album de machines.

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             Alors que les cuts des deux premier albums sont composés sur des guitares, ceux de Screamadelica le sont sur un piano. Throb adore Carole King et Brian Wilson. Pour Baby G, Screamadelica est un song-based record. Cause toujours. Il faut bien dire qu’il en pince surtout pour l’acid-house. Ils vivent à Brighton et vont traîner dans les acid house clubs. Throb rechigne un peu, il appelle ça du fucking disco shit. Dans les acid house parties, Baby G découvre une étrange forme de fraternité - No one is a stranger on ecstasy. It’s a chemical brother- and sisterhood - Il a l’impression de vivre encore une fois les plus grands moments de sa vie sur les danceflloors de l’acid house phenomena, some of the greatest, most transcendant, connected and soulful moments of my life - C’est pourquoi il compose «Don’t Fight It Feel It». Ah les dancefloors ! Que deviendrait-on sans les dancefloors ? Comme si on n’avait pas bien compris, Baby G en rajoute une petite couche : «To me, acid house culture was a joyful celebration of underground resistance, not with guns, bullets and bombs but with love, drugs, great music, sex and righteous youthful energy.» Et pour enfoncer son clou (rappelons que le destin du clou est d’être enfoncé), Baby G affirme ceci : «Nous n’aurions jamais connu le succès sans l’acid house. Screamadelica n’aurait jamais pu exister sans l’acid house. Primal Scream n’aurait jamais eu une carrière de trente ans sans l’acid house.»

             Alors arnaque ou pas arnaque ? On est encore nombreux à se poser la question. Mais pour ceux qui ne supportent pas les machines, la réponse est claire. Mis à part le «Movin’ On Up» d’ouverture de balda, c’est de l’electro. «Movin’ On Up» est un joli cut de Stonesy, mais le loup, c’est-à-dire la voix, n’y est pas. Ils refont les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want» avec un solo de Throb. On imagine le carton qu’aurait fait le Scream là-dessus avec un vrai chanteur. Ensuite, les machines arrivent et Baby G chante comme une casserole sur le «Slip Inside This House» du 13th Floor et tout ce qui suit. Une vraie malédiction. Quelle arnaque ! Les gens considèrent Screamadelica comme une album classique, mais c’est une catastrophe épouvantable. On se sent puni d’écouter ça. C’est l’album des caprices de jeunesse de small Baby G.

             Il faut aussi saluer le style parfois ronflant de big Baby G. Quand il évoque l’English Disco club de Rodney Bingenheimer à Los Angeles, il parle «d’underground freaks like Kim Fowley, New York Dolls ans Iggy Pop carroused with superstars like Led Zeppelin and Quaalude-damaged teen queen glam-rock groupies like Lori Maddox ans Sable Starr.» Il voit aussi arriver «a bunch of Hollywood post-hippie cocaine cowboy cognoscenti» qui vient assister au tournage d’une vidéo de Neil Young. Ailleurs il met le turbo sur le langage musical : «Cool young people into sharp threads and the latest US soul imports. Swap speed for ecstasy and Sue, Tamla and Stax records for Trax, DJ International and Carnaby Street, King’s Road for Hyper Hyper, Ken Market, Browns, South Moulton Street and you get the picture.»

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             Pour saluer la parution de Tenement Kid, Jon Mojo Mills accorde six pages à Baby G dans Shindig!. Le principe de l’interview permet à Baby G de brosser des panoramas complémentaires, comme par exemple celui des groupes anglais des années 80 qui à ses yeux reflétaient la cupidité et la vulgarité du Thatchérisme. C’est pour ça qu’il a rejoint les Mary Chain qui incarnaient l’exact opposé de cette vulgarité - We wanted something more underground, more authentic, more deranged, more poetic and more righteously sincere - Et il ressort ses modèles Syd barrett, Sky Saxon et Arthur Lee. Puis dans un deuxième souffle Jim Morrison, Lou Reed et Iggy Pop - The Stooges were like a godhead band for us - Et puis les Cramps. Il revient aussi sur l’acid house : ça se passait dans les clubs avec les meilleures drogues de l’époque - Ecstasy was a great drug. It was just such an utterly exciting time. And it was vital in the way that rock music had ceased to be - Comme Mojo Mills l’entraîne sur le terrain de la relève, Baby G cite l’exemple de Sam France, le mec de Foxygen. Il dit n’avoir jamais vu quelqu’un d’aussi brillant et pouf, le groupe s’est dégonflé comme un ballon de baudruche. Et pour lui, la relève, ce sont surtout les rappers noirs américains, the rock stars of today. Et comme Mojo Mills le branche sur le style vestimentaire, Baby G cite ses références : Johnny Thunders; Peter Tosh, Gregory Isaacs, Bryan Ferry 1974-78, Gene Vincent, Elvis et John Lydon.

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             À l’époque, les gens reprochaient au Scream d’avoir collé un drapeau confédéré sur la pochette de Give Out But Don’t Give Up. En fait, l’album était enregistré chez Ardent à Memphis et pour entrer en osmose avec la légende de Memphis, le Scream avait opté pour une photo de Bill Eggleston. De la même façon que sur les albums précédents, Baby G ruine pas mal de cuts à commencer par «Jailbird». Il jongle avec les clichés du genre monkey on my back. C’mon, oui c’est ça, t’as raison. Ils tapent «Rocks» au beat rebondi mais la voix de Baby G ne passe pas la rampe. Dommage car le cut est bon - Get the rocks out honey - Le coup de génie des Scream est d’avoir enrôlé George Clinton. C’est la raison pour laquelle on tombe sur «Funky Jam». Baby G se met à hurler comme un poulet décapité, il a dû faire marrer les mecs d’Ardent. Son magique mais ça n’a plus rien à voir avec Memphis. Denise Johnson vient sauver «Free» et Baby G ruine un bel essai de Stonesy, «Call On Me». George Clinton et Denise Johnson déboulent dans le morceau titre et tout à coup ça devient génial. Elle éclate le heavy groove de give out. On se demande ce que ce heavy doom de funk fait ici, mais on se régale. Il faut aller sur un album de Primal Scream pour trouver du heavy funk dégénéré ? Eh oui.

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             Ils sont de retour en 1997 avec Vanishing Point. Mauvais départ avec un «Burning Wheel» tapé aux effets. Ça cache la misère. Ils font entrer un sitar, la batterie puis la voix de Baby G. Aucun attrait, aucune valeur artistique. C’est mal barré. Trop de machines encore dans «Kowalski». Comme il ne sait pas chanter, Baby G chuchote. Encore plus insupportable : «Out Of The Void», il chante en rampant. Pour «Stuka», ils ramènent tout le power du dub. C’est le bassmatic le plus pur qui soit, mais les machines ruinent tout. Retour à la terre ferme de la Stonesy avec «Medication». Here we go !  Baby G est plus çà l’aise, il fait son Jag à la petite semaine, mais dès qu’il élève la voix, il redevient ridicule. Mais c’est bien qu’il essaye. Ne perdons pas de vue qu’il est avant toute chose un fan de rock. Les solos de Throb sont eux aussi des preuves de bonne foi. Ils enchaînent avec une superbe cover de «Motorhead». Comme la voix de Baby G est noyée dans l’assaut, ça passe. Throb joue des tas de layers qui entrent en collision, ça explose dans tous les coins. Voilà le grand Scream. 

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             Pas mal de belles choses sur cet XTRMNTR paru en l’an 2000, à commencer par «Accelerator», authentique coup de génie. Le pauvre Baby G lance des c’mon dans la tempête, le son est poussé à l’extrême, mais pas la voix d’orvet de Baby G. Ce sont les autres qui font le son. Il faut dire que cet «Accelrator» remonte le moral car il arrive aussitôt après cette daube immonde qu’est «Kill All Hippies». Ils font n’importe quoi et toujours ce pas de voix. On n’entend que ça, le pas de voix. Bizarrement, sa voix passe mieux sur «Swastika Eyes», car il chante à ras des pâquerettes. Bon d’accord, on entend des machines et des spoutniks, mais c’est plutôt dans l’esprit d’Hawkwind, ce qui est un bon esprit. Instro de fantastique allure, «Blood Money» est bien plus puissant sans la voix. Ils rendent plus loin un bel hommage à Sun Ra avec «MBV Arkestra» et une belle poussée de fièvre. Retour aux valeurs sûres avec un «Shoot Speed/Kill Light» claqué du beignet par Throb, un space invader à la mode Hawkwind. Aw comme c’est bien balancé !

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             Paru en 2002, Evil Heat pourrait bien être le meilleur album du Scream. Les coups de génie y grouillent comme la vermine sur la peau d’un bagnard. Et paf, après quatre cuts calamiteux (dont une tentative foireuse de Kraftwerktisation des choses à coup d’Autobahn), tu prends «Rise» entre les deux yeux. Riffé au riff, c’est du big Scream monté sur le beat des vainqueurs. Belle dégelée d’outerspace, Rise ! Rise ! Ils tapent ensuite «The Lord Is My Shotgun» au heavy groove infectueux. C’est tout de même incroyable que ces mecs aient réussi à taper un cut aussi insidieux. Le petit Baby G fond dans la matière du son comme une noix de beurre dans une grosse poêle noire. Puis il chante «City» à l’avenant du bon gaga de Glasgow. C’est excellent car visité par le Throbbing Throb, here he comes ! Throb envoie des dégelées de guitares folles, power maximaliste, quand ça claque à la Throb, ça claque à la Throb, il est bon de le savoir. Ils tapent à la suite une énorme cover de «Some Velvet Morning», montée sur un heavy bassmatic d’electro, Baby G chante comme une fiotte, mais ça passe. Belle cover, Baby G ! Puis ils nous assaisonnent avec un coup de «Skull X» et ce petit démon de Baby G chante dans le vent de l’action. Il chante comme un Dylan qui serait en colère et ça devient tout simplement génial. Il est en plein vent, il chante face à la tempête, il est petit et frêle, mais il se tient droit, le small Baby G de Glasgow, il y va de bon cœur, c’mon baby do it again ! Le voilà au cœur du white heat de Scream. 

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             Le Riot City Blues qui paraît quatre ans plus tard est encore meilleur, ça explose dès «Country Girl», yeah ! ce démon de small Baby G fait le chanteur au cœur de la meilleure Stoney d’Angleterre, full blast de Scream, ça pousse dans l’ass des dieux du rock, ils ont trouvé le moyen de revitaliser la Stonesy et ça devient génial. On peut même dire qu’ils outrepassent la Stonesy, ils vont beaucoup plus haut, c’est très spectaculaire, tu ne t’en relèves pas, ils jouent avec une puissance rarement égalée, Country girl forever ! L’autre coup de génie de l’album s’appelle «The 99th Floor», explosé d’entrée de jeu, avec une montée en puissance inexorable, wild gaga shaking all over, c’est violent et beau à la fois. Small Baby G est dedans jusqu’au cou, il chante à la toute petite arrache, soutenu par les chœurs du diable. Ils restent dans la Stonesy pour «Nitty Gritty». la voix de small Baby G se noie dans l’excellence du sugar. Ça explose encore avec «When The Bomb Drops». Forcément, avec un titre pareil, ça ne peut qu’exploser. Small Baby G se tient bien au chant, il s’équilibre bien dans la fournaise, sa voix finit enfin par passer, comme si elle avait mué. Il sonne comme un petit imposteur, mais le rock grouille de petits imposteurs. Ça veut dire en clair que les vraies voix ne courent pas les rues. On les connaît et malheureusement pour lui, small Baby G n’en fait pas partie. Mais il a bien d’autres qualités, à commencer par la ténacité, car il faut du courage pour chanter sans voix dans un groupe comme Primal Scream. Ils se tapent plus loin une rasade de boogie avec «We’re Gonna Boogie», le boogie du Garbage Man, infiniment bon. Puis on reprend en pleine poire «Dolls (Sweet Rock’n’Roll)», small Baby G fait son shouter gaga à gogo et il fait illusion. Throb vole à son secours et gratte ses poux au génie pur. Le Scream jette tout son poids dans la balance et n’a jamais été aussi bon.

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             Paru en 2008, Beautiful Future est le premier des albums post-Throb. Apparemment, Innes veille au grain, car l’album tient sacrément bien la route. Baby G vise la postérité dès le morceau titre, on le sent très motivé, après quelques années de vaches maigres. Puis on est surpris par le souffle de «Can’t Go Back». Ils tapent dans l’extrême power absolutiste avec un killer solo flash in tow. Le groupe se compose d’Innes, Martin Duffy, Darren Mooney au beurre et Many on bass. C’est vite avalé et ça presse bien sur la purge. Les basses n’ont encore jamais sonné comme ça en Angleterre. Baby G chante presque bien. Ces mecs sont capables de rallumer la flamme. Ouf ils sont enfin débarrassés de l’acid house. Avec «The Glory Of Love», ils replongent dans le glam, le fucking Glam des origines, oh oh oh ça sonne comme du Bolan, ils lui rendent un sacré hommage. Chapeaux bas, les gars. Ils enchaînent avec un «Suicide Bomb» suicidaire, au bon sens du terme, ils ont une présence énorme, on peut leur confiance, après toutes ces années. Baby G est un vrai gamin, il y va de toutes ses forces. Cu’mon, c’est du pur jus de cu’mon ! Ils restent dans le heavy Scream avec «Zombie Man», authentique purée de heavy Stonesy, ils vont chercher la meilleure Stonesy d’Angleterre, avec des développements inespérés au nah nah de Zombie man. C’est un big album, bardé de son, comme le montre encore «Beautiful Summer», un nouveau modèle de heavyness. «I Love To Hurt (And To Be Hurt)» est amené au deep savoir-faire du Scream, c’est beau et plein d’esprit. Puis Baby G chante «Over & Over» comme une casserole, c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Back to the slam in the face avec «Necro Hex Blues». Ils adorent percuter de plein fouet. Baby G pose sa voix de Glasgow kid sur l’enclume pour recevoir les coups de marteau et les solos d’Innes sont fabuleusement incendiaires. Il garde le feu sacré du no way out, ça devient une occlusion attestinante d’effarence inclusive, un vrai shot de trash-boom uh-uh. Une façon comme une autre de dire qu’Innes fout le feu.

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             Sur la pochette de More Light, Baby G fait le lapin. Ça vaut le coup de rapatrier l’édition spéciale qui propose un deuxième CD, Extra Light. Étant donné que le groupe vieillit bien, il ne faut pas s’en priver, ce serait trop bête. Deux bombes sur More Light : «Turn Each Other Inside Out» et «It’s Alright». Le Turn Each Other est monté sur un big drive de basse infiltré par des guitares, avec une volonté d’hypno clairement affichée. Ça monte encore d’un cran avec «It’s Alright» et sa production à la Jimmy Miller, du shuffle à la surface du son et du piano en dessous, it’s alright, it’s okay, pur jus de Sticky Fingers, avec le développent du bassmatic, et il y va le Baby G, il est sur la crête, il mène bien le bal, and you cry ooh la la, il chante son couplet magique d’une voix d’ado et ça devient un vrai coup de génie. Par contre, il chante mal sur «River Of Pain», il concocte des effets de voix qui te mettent mal à l’aise. Il chante en chuchotant. Dommage. Il chuchote encore sur «Culturecide», c’est battu comme plâtre et le Scream joue le heavy doom. Pour ça, ils sont imbattables en Angleterre. Ils sont sans doute les derniers à pouvoir sortir un son aussi massif. On entend un solo de sax dans «Hit Void», et dans «Tenement Kid», Baby G se prend pour une star. Il exploite la misère de ses parents, il sonne comme un parvenu, c’est très bizarre, I don’t know why. Il est même assez ridicule sur ce coup-là. Puis avec «Invisible City», il nous fait le coup de - pardonnez l’expression - l’atroce merdier new-wave, c’est n’importe quoi, avec des crack-house zombies et des one night stands, tous les clichés à la mormoille - Profit freak/ Nazi radio/ Politicians/ Death TV - Et ça continue de péricliter avec une reprise de «Goodbye Johnny» qui est une insulte à Jeffrey Lee Pierce, puisqu’ils transforment cette merveille en fiotte de pop à la petite semaine. Ça donne la nausée, rien que de penser qu’un avorton puisse transformer l’art sacré de Jeffrey Lee Pierce en amusette acidulée. Gerbe assurée. Puis dans «Elimination Blues», il se prend pour un chanteur de blues, alors que derrière, semble-t-il, Robert Plant fait des ah-ooh et des eh-ooh. On aura tout vu. Dernier spasme d’ignominie avec un «Walking With The Beast» qui n’est heureusement pas celui du Gun Club, mais en tant que chanteur, Baby G s’y grille pour de bon. Il est d’une rare ingénuité, ce qui lui fait croire qu’il peut tout se permettre. Sur Extra Light, on trouve des remix et un «Nothing Is Real Nothing Is Unreal» chanté à ras des pâquerettes. Le cut est magnifique, comme incendié, une vraie cavalcade à travers le heavy rock britannique, c’est excellent car ça bombarde bien les tympans. Baby G chante toujours aussi mal, mais on se goinfre de son. Dans «Running Out Of Time», il chante comme un gamin qui débarque au bordel pour la première fois : il prend sa voix d’eunuque, c’est plus facile. «Worm Tamer» est mal chanté, dommage car le cut est puissant. L’immaturité règne sans partage sur Extra Light. Et puis le côté electro revient à la charge sur le remix de «2013». Des machines dans tous les coins et la dimension artistique disparaît complètement. Bizarre que ces mecs-là ne l’aient pas compris à l’époque où c’était à la mode. On ne cache pas la misère avec des machines, la misère n’en devient que plus prévalente et du coup elle devient une sorte d’emblème.

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             Le dernier album en date de Primal Scream s’appelle Chaosmosis et date de 2016. C’est le pompon. Baby G y chante de plus en plus mal. Et pour aggraver les choses, on ne voit plus que lui sur la pochette. Quand on l’entend chanter l’electro-beat atroce de «(Feeling Like A) Demon Again», on sent la moutarde monter au nez. Avec «I Can Change», il tente de se faire passer pour un chanteur de charme, mais c’est affligent. Il est nécessaire d’écouter cet album pour savoir jusqu’où Baby G peut aller trop loin. Il ne reste pas grand chose du Scream d’antan, cet album est celui d’une perdition artistique. Si on cherche un exemple de suicide commercial, il est là. Baby G se lance dans le balladif insidieux avec «Private Wars», mais ça fait mal aux oreilles tellement c’est mal chanté. Il aurait dû appeler cet album Déconfiture. Les machines sont de retour, sanctionnant la résurgence de l’horreur définitive («Where The Lights Get In») et avec «Carnival Of Fools», il passe à la diskö-pop de bubblegummer suprême. Quand il essaye de ramener du heavy sound avec «Golden Rope», on a du mal à le prendre au sérieux. Mais Innes est là, c’est seul cut rock de l’album, avec Darin Mooney au beurre et Jason Faulkner à la basse. C’est le dernier spasme du grand Scream. Dommage que Baby G le chante aussi mal. Il met sa voix au devant du mix et elle ne passe pas. Elle ne passera jamais. C’est une espèce de malédiction. Dès qu’il arrive au micro, tout s’écroule.

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             Pour les ceusses qui ne veulent pas s’encombrer avec des piles de CDs, il existe une compile du Scream très bien faite - Dirty Hits - sur laquelle se sont jetés tous les fans du groupe à l’époque, car on y trouve une version de «Some Velvet Morning» chanté en duo avec Kate Moss et qui fit sensation. On y trouve aussi tous les grands shoots de Stonesy («Movin’ On Up» et «Rocks»), des choses comme «Jailbird» passent beaucoup mieux dans ce contexte de double concentré de tomate. Bien sûr, les coups de génie figurent en bonne place : «Accelerator» et «Shoot Speed/Kill Light». Bizarrement les cuts de Riot City Blues brillent par leur absence. 

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             Dans Uncut, Michael Bonner centre son interview sur l’album que Baby G vient d’enregistrer en duo avec Jehnny Beth, Utopina Ashes, modelé sur les fameux duos country cités en exemple : George Jones & Tammy Wynette, Gram Parsons & Emmylou Harris, Waylon Jennings & Jessi Colter, Kate & Anna McGarrigle. Baby G cite aussi les Everly Brothers. Il indique ensuite de manière insidieuse qu’il existe aujourd’hui deux Scream, celui qui continue de tourner, et un Scream plus sédentarisé qui bosse en studio. C’est-à-dire Innes et lui. C’est Innes qui a déterré les fameux Original Memphis Recordings, enregistrés par Tom Dowd chez Ardent à Memphis, et qui ont été remixés par Jimmy Miller, un Miller qui selon Baby G a dénaturé le son. Puis Innes et lui ont compilé les singles pour en faire Maximum Rock’n’roll et maintenant voilà Utopian Ashes, un nouvel experiment. Baby G dit aussi adorer les rock books, il cite ses préférés : Rythm Oil et The True Adventures Of The Rolling Stones de Stanley Booth, le Papa John de John Phillips, le Chronicles de Dylan of course et son livre de chevet, Hellfire de Nick Toshes, car enfin existe-t-il une vie plus rock’n’roll que celle de Jerry Lee ? Bien sûr que non. Et bien sûr que oui, l’idée d’un tome 2 de Tenement est dans l’air.

    Signé : Cazengler, Primate scream

    Primal Scream. Sonic Flower Groove. Elevation Records 1987

    Primal Scream. Primal Scream. Creation Records 1989

    Primal Scream. Screamadelica. Creation Records 1991

    Primal Scream. Give Out But Don’t Give Up. Creation Records 1994

    Primal Scream. Vanishing Point. Creation Records 1997

    Primal Scream. XTRMNTR. Creation Records 2000

    Primal Scream. Evil Heat. Sony 2002

    Primal Scream. Riot City Blues. Sony 2006

    Primal Scream. Beautiful Future. B-Unique Records 2008

    Primal Scream. More Light. First International 2013

    Primal Scream. Chaosmosis. First International 2016

    Primal Scream. Dirty Hits. Columbia 2003

    Bobby Gillespie. Tenement Kid. Orion Books Ltd 2021

    Jon Mojo Mills : A child of Glam. Shindig! # 121 - November 2021

    Michael Bonner : Where this rage comes from. Uncut # 290 - July 2021

                                                  

    Pas de filles au Harum

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             On a longtemps considéré à tort Procol Harum comme un groupe prog. C’est une erreur souvent due à l’ignorance. Quand on a écouté les albums de Procol, on sait qu’ils n’ont à rougir que d’une seule suite prog, l’insupportable «In Held Twas In I» qui flingue la B de Shine On Brightly et celle du fameux Live paru en 1972 et dont on attendait tant à l’époque. Une fois qu’on leur a pardonné cette incartade, on peut se plonger dans leur monde qui est celui d’une pop extrêmement mélodique, plutôt unique en Angleterre, qu’on dirait ancrée dans le XIXe siècle et les fastes de la cour viennoise.

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    L’album Grand Hotel en est la parfaite illustration, car nos amis du Harum s’y pavanent en fracs et en chapeaux claques, tout droit sortis d’un roman d’Hugo Von Hofmannsthal. D’ailleurs, ça tombe bien, car l’album tient bien son rang, aussitôt la perfection symphonique du morceau titre. Un certain Mick Grabham a remplacé Trower of London qui était le guitariste co-fondateur du groupe. Le thème de ce «Grand Hotel» est superbe, très viennois dans l’esprit. Il évoque la démesure de la valse des Habsbourg, telle que la filma jadis l’impérissable Luchino Visconti. Bien sûr, une certaine forme d’intimité avec les écrivains français et autrichiens de l’Avant-siècle facilite énormément la fréquentation du Harum. Il règne dans ses albums comme dans ces livres la même perfection stylistique, un goût comparable pour la mélancolie et la mort, la Mort à Venise, bien sûr. Revenons au Grand Hotel avec «For Liquorice John» - He fell from grace and hit the ground - un cut d’une beauté profonde qui nous entraîne soit vers le néant, soit vers la lumière, tout dépend comment on est luné. Et puis le coup de grâce arrive avec «Fires (Which Burnt Brightly)» - Let down the curtain/ And exit the play - sur lequel chante Christiane Legrand des Swingle Singers et des Double Six, la sœur de Michel Legrand, oh la lah, comme dit Gary Brooker au dos de la pochette. Christiane Legrand fait entrer au Harum sa magie vocale ! Robert Wyatt fait en gros la même choses dans «Old Europe» - Juliette and Miles/ Black and white city

             Si on ressort les albums du Harum de l’étagère, c’est pour dire adieu à Gary Brooker qui vient de casser sa pipe en bois. Cet excellent compagnon de route nous tint la jambe pendant sept belles années, de 1967 à 1974. On s’est arrêté en 1974 avec Exotic Birds & Fruit, mais eux ont continué. Comme Robert Wyatt, Gary Brooker a su nous rappeler que l’Angleterre était aussi le pays des grands mélodistes et grâce à quelques albums, il s’est taillé une place de choix dans l’étagère. Curieusement, les albums du Harum n’ont jamais fait l’objet de purges staliniennes, même au temps du punk. On savait qu’en les réécoutant, on ferait de nouvelles découvertes. Il faut dire qu’à l’instar de ceux de Dylan, les albums du Harum sont extrêmement bien écrits. La force du Harum fut d’avoir dans ses rangs un écrivain, l’ineffable Keith Reid.

             Une autre façon de voir les choses : l’œuvre toute entière du Harum tient entre deux serre-livres : «A Whiter Shade Of Pale» et «As Strong As Samson», c’est-à-dire entre We skipped the light fandango et l’Ain’t no use in preachers preaching, ce qui veut dire en clair entre le premier album paru en 1967 et l’Exotic Birds & Fruit avec lequel nous décidâmes unilatéralement de refermer la lourde porte du Harum. Ou si le choix de «Whiter Shade Of Pale» paraît trop évident, on peut choisir d’un côté «Repent Walpurgis» et de l’autre «The Idol», deux somptueuses merveilles issues des mêmes albums. Pour aggraver le cas de la métaphore, on pourrait aussi prétendre que tout le rock anglais tient entre «Strawberry Fields Forever» et «Arnold Layne».

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             Aveuglés par l’éclat du Whiter Shade Of Pale, on ne rendait pas compte à l’époque à quel point ce premier album sans titre du Harum était génial. Une fois passée l’émotion causée par la pop d’orgue tentaculaire du morceau titre, on entrait dans le domaine frénétique de Trower of London avec «Conquistador» - Though I hoped for/ Something to find - Trower of London soliloque dans l’or de la matière et jette une poudre d’électricité dans le brillant shuffle du Harum. Mais c’est avec «Cerdes (Outside The Gates Of)» que Trower of London va conquérir l’Asie Mineure, avec cet amas de ramasse inspiré de «Season Of The Witch». Soudain, au revers d’un couplet, le Harum bifurque dans le Procol électrique, avec le chant étrange et pénétrant d’un Gary Brooker paré pour la postérité. Ah il faut entendre Trower of London mettre la pression au cœur d’un shuffle princier. Le Harum n’en finit plus de culminer. Des choses comme «Kaleidoscope» et «Salad Days» ont moins d’impact, mais Gary Brooker les chante à l’accent conquérant et il mène d’une main de maître cette pop ambitieuse et fabuleusement orchestrée. Trower of London revient envahir l’espace mélodique de «Repent Walpurgis» et le Harum atteint là le sommet de l’insularité, la pop anglaise éclaire le monde, Walpurgis sonne comme un ersatz d’excelsior parégorique, un laudanum de petroleum, un solace de Liberace. 

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             On ne se lasse toujours pas des attaques de couplets de l’«As Strong As Samson» qui fait d’Exotic Birds And Fruit l’un des albums phares de l’an de grâce 1974. Cette façon qu’a Gary Brooker de redescendre dans le preachers preaching est assez héroïque, mais il sait aussi se montrer entêtant avec ses orgues et ses pianos dans «The Idol». C’est un peu comme s’il commandait aux éléments. Et comme chaque fois, il opère une descente en forme d’épitaphe - And so they found/ He’d nothing left to say - Une autre idole d’argile. Toujours le même protocole, avec «Beyond The Pale», l’Harum s’enracine dans la culture symphonique de la Mitteleuropa, on est dans cet univers culturel qui brasse la littérature, l’art moderne et la psychanalyse. Plutôt que de choisir, pour orner la pochette, cette nature morte de Jakob Bogdani, Gary Brooker aurait pu opter pour un portrait à la feuille d’or de Gustav Klimt. Encore une évidence qui cache la forêt. Ah comme le destin des évidences peut être cruel !

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             Comme déjà dit, Shine On Brightly (1968) et Live - In Concert With The Edmonton Symphony Orchestra (1972) sont des moitiés d’albums, avec leurs B ruinées par la prog. On sent avec «Rambling On», qu’ils passent leur temps à tenter de renouer avec les fastes de «Whiter Shade Of Pale». Pendant ce temps, Trower of London ramène du blues avec «Wishing Well», qui du coup sonne un peu comme une concession de la part de ce grand symphoniste habsbourgeois qu’est Gary Brooker. Il veille cependant au grain de l’ivraie avec «Quite Rightly So». L’Harum sera symphonique ou ne sera pas.

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    Par contre, sur le live, la version orchestrée de «Conquistador» emporte la bouche aussi sûrement que le ferait un boulet d’abordage. Dave Ball a remplacé Trower of London parti lancer sa fiévreuse carrière solo. Mad Ball d’abordage joue une sorte de wild electric guitar, il semble encore plus démesuré que le compère Trower. Ils font ensuite monter le «Whaling Stories» symphonique à des hauteurs épiques, histoire de passer en force. Rien de tel qu’un orchestre symphonique pour passer en force. Mad Ball d’abordage joue comme un diable sur cette moitié d’album live. Ils sacralisent ensuite deux merveilles tirées du troisième album du Harum, l’excellent Salty Dog, à commencer par le morceau titre, amené aux accords de piano emblématiques, et le chant gorgé de mélancolie du grand Gray Brooker s’en va dériver au large. S’ensuit l’extrêmement bon «All This And More» éperdu de shining through - The bright light of your star confronts me/ Shining through - C’est là où la beauté de l’art peut te réconcilier (provisoirement) avec la vie. 

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             Oui, Bary Brooker est bien le maître des océans avec A Salty Dog. Il y a quelque chose de purement hugolien en lui, de la même façon qu’il y a quelque chose de purement verlainien en Keith Reid. Puissance homérique d’un côté, grâce sibylline de l’autre. La version studio d’«All This And More» paraît plus massive que la version symphonique, les poussées de fièvre y sont plus marquées, ainsi que l’aristocratie des membres du Harum. Ils retrouvent leurs aises grâce au gras double de Trower of London et s’offrent l’un des grands finals du siècle passé. On sent que Trower of London bout sous la surface de «The Devil Came From Kansas». Il prend l’allure d’un volcan éteint sur le point de se réveiller. Ce n’est pas non plus un hasard s’il ramène du heavy blues rock dans le «Juicy John Pink» qui ouvre le bal de la B, mais on perd tout le protocole du Procol.

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             Il reste encore deux albums coincés au milieu, Home paru en 1970 et Broken Barricades paru l’année suivante. Ce ne sont pas les meilleurs albums du Harum. Avec des choses comme «Whisky Train» (sur Home) et «Simple Sisters (sur Broken Barricades), ils se fondent dans la masse, ce sont des compos de Trower of London, plus musclées, pas loin de ce que faisait à l’époque un groupe comme Status Quo. Il faut attendre «Your Own Choice» pour retrouver la fibre poétique de Keith Reid - The human fate is a terrible place/ Chosse your own exemples - et «About To Die» nous ramène aux portes de la Mort à Venise. «Nothing That I Didn’t Know» tombe à point nommé pour nous rappeler que le son du Harum est unique en Angleterre. Et «Whaling Stories» nous emmène au large, au temps des baleiniers, chargé du soliloque exponentiel de Trower of London. Il peut atteindre des sommets.

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    Broken Barricades ne propose qu’une seule merveille intemporelle, «Song For A Dreamer», composée par Trower of London et qui par sa dimension aérienne évoque l’«Albatross» de Peter Green. Ils font encore un peu de boogie avec «Memorial Drive» et la mélancolie fait son retour avec «Luskus Delph». Mais on est surtout là pour les belles clameurs seigneuriales de Gray Brooker, telles qu’elles se répandent dans «Power Failure» et «Playmate Of The Mouth», deux œuvres magistrales arrosées de grandes lampées de son qui, pareilles à ces lames de Bermudes, s’en viennent mourir contre la coque. Broken Barricades est l’album heavy du Harum, mais chez eux, le heavy se fait avec élégance. C’est à Trower of London qu’échoit le privilège de clore l’album avec «Poor Mohammed», il le fait à la cloche de bois et s’en va chercher des noises à la noisette. Voilà donc un heavy boogie rock chanté à la mauvaise intention, avec un Trower of London qui gratte sa sale slide des faubourgs. Il entraîne le Harum sur la mauvaise pente du banditisme sonique, et personne ne peut rien pour empêcher ça.

    Signé : Cazengler, Procucul la praline     

    Gary Brooker. Disparu le 19 février 2022

    Procol Harum. Procol Harum. Regal Zonophone 1967

    Procol Harum. Shine On Brightly. Regal Zonophone 1968

    Procol Harum. A Salty Dog. Regal Zonophone 1969

    Procol Harum. Home. Regal Zonophone 1970

    Procol Harum. Broken Barricades. Chrysalis 1971

    Procol Harum. Live. Chrysalis 1972

    Procol Harum. Grand Hotel. Chrysalis 1973

    Procol Harum. Exotic Birds And Fruit. Chrysalis 1974

     

    L’avenir du rock

    - On ne tient pas les Endless Boogie en laisse

     (Part Four)

     

             L’avenir du rock apprécie par dessus tout les soirées qu’il passe chez Hag et ses amis historiens dans un appartement de la rue de Buci. Après un bon repas, ils se rendent au salon et se calent confortablement dans les deux vieux chesterfield installés en vis-à-vis. Hag sert à chacun un armagnac divinement parfumé et les compères se jettent dans l’exercice préféré de tous les érudits : la conversation à bâtons rompus.

             — Pourquoi sommes-nous tous si critiques vis-à-vis de notre époque ?

             — L’explication est pourtant simple, lance l’avenir du rock : nous avons connu ces périodes magiques que furent les sixties et les seventies.

             — Dis donc, avenir du rock, tu tombes dans le simplisme, maintenant ?

             — Oh il fallait bien que l’un d’entre-nous se dévoue.

             — Aurais-tu aimé vivre au Moyen-Âge, avenir du rock ?

             — Ah quel rêve ! Autant vous l’avouer, les amis, j’aurais rêvé de me mettre au service de la Sainte Inquisition, pas pour brûler des sorcières, rassurez-vous, mais pour livrer aux flammes du bûcher ces horribles fantoches hérétiques que sont Stong et Slosh !

             — Dis donc, avenir du rock, tu as la dent dure !

             — N’inverse pas les rôles : ce sont ces atroces frimeurs qui nous empoisonnent l’existence depuis plus de trente ans. Même chose avec le chanteur Bonus. Et toi Hag, à quelle époque aurais-tu aimé vivre ?

             — À Vienne au XVIIIe siècle, j’aurais pu voir Mozart en concert ! J’en aurais profité pour prendre une diligence en direction du Vaucluse et aller rencontrer mon idole le Marquis de Sade dans son château de Lacoste. J’en pince aussi sérieusement pour les années folles à Paris. Ahhhh traîner la nuit avec Duchamp et Man Ray ! Comme tous ces gens ont dû bien s’amuser ! Est-ce qu’une autre époque aurait les faveurs de ton cœur, avenir du rock ?

             — La temps de cavernes ! Pas de factures, pas d’impôts, pas de problèmes avec les gonzesses, tu les traînes par les cheveux dans ta caverne et tu les enfiles vite fait ! Pas besoin d’écrire des poèmes à l’eau de rose ou d’aller sur des sites de rencontres. Tu as un petit creux ? Tu sors avec ton gourdin et tu assommes un ours. Pas besoin de carte bleue, pas besoin de caddy. Boom, tu te tailles un steak et tu en profites pour te tailler un manteau de fourrure !

             — Oh toi, tu as trop lu Rosny aîné !

             — De toute évidence ! Et puis j’aurais eu comme voisin Paul Major !

     

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             Comme ses amis ne savent pas qui est Paul Major, l’avenir du rock sort de la poche de son veston un CD qu’il emmène partout avec lui.

             — Tiens Hag, si tu veux bien, mets ça dans ton lecteur de CD. Paul Major est le chanteur d’Endless Boogie, un groupe new-yorkais frappé par ce qu’il faut bien appeler la grâce préhistorique. Ça devrait vous plaire, les amis.

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             Frappé lui aussi par la grâce préhistorique de Paul Major, David Fricke s’enthousiasme. Il en fait quatre pages dans Mojo et les chapôte à coups de paleolithic riffing. Il remonte à la source de l’Endless Boogie, c’est-à-dire Jesper Eklow et Johan Kugelberg, deux Suédois qui bossent chez Matador à New York et qui chaque semaine se retrouvent dans un local de répète avec d’autres gens pour jammer l’Endless Boogie. Bon, l’histoire on l’a déjà racontée au moins deux fois ici, mais c’est bien de la raconter une troisième fois. Car l’avenir du rock se nourrit très précisément de ces histoires. Eklow pensait à l’époque que le monde avait besoin d’un combo that sounded like Neu! meets AC/DC. Alors ils empruntent l’Endless Boogie à John Lee Hooker et recrutent l’ideal frontman, Paul Major. Pas facile, car il faut le faire sortir de son appartement. Paul Major est un dealer légendaire in high-end psychédelia and small-pressing outsider rock, avec une connaissance encyclopédique de la musique et an epic cascade of dark hair. Paul Major donne son accord pour jammer chaque mardi. Fricke soigne ses références et parle de Blue Cheer-weight distorsion et de progressive blues-assault of the Groundhogs, de Can German’s heartbeat mélangé au rollin’ and tumblin’ de Canned Heat, avec comme cerise sur le gâtö, the cornered animal growl suggesting Captain Beefheart with Lou Reed monotone. Paul Major adore le son du groupe : «We’d get locked into that zone, one big thing swinging all around.» C’est exactement ce qu’on observe en concert. Ça clique et ça part. Paul Major décrit Endless Boogie «as Jesper’s aesthetic». Ils ont vingt-cinq ans d’écart (Major 67 et Jesper 52). Sweeney dit qu’Endless Boogie «is Jesper’s vision of what Paul should be doing». Il ajoute que selon Jesper, «Paul is the purest person. And we want to get this purity out of him.»

             C’est Stephen Malkmus qui les fait connaître au monde en 2001 en leur demandant de jouer en première partie de Pavement au Bowery Ballroom. C’est à partir de là qu’ils se mettent à tourner et à enregistrer. Et ça fait vingt ans que ça dure. Ils n’ont ni manager, ni booker, ni roadies.  

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             Their mystical simplicity is all over Admonitions, nous dit Fricke. Admonitions est encore un double album, ils ont besoin d’espace et de temps pour donner libre cours à l’endless boogie, leur concept tient sacrément bien la route, amené au raw de prehistoric Paul et au guitar licking libre de ses mouvements, ça dégorge à grosses lampées, comme un dégueulis de mal de mer et «The Offender» part pour 22 minutes, bienvenue sur les terres du Comte Zaroff, wild is wild viva Donovan ! Ça file droit dans l’hypno avec un Paul Major qui croasse comme un gator, ils visent à leur façon le no way tout, c’est un drug habit magnifique de résurgences, bien drivé à la tremblote de boogie down. Ils s’imposent comme les maîtres du jeu, on voyage avec eux, 22 minutes, ce n’est pas rien, si on part du principe que le temps c’est de l’argent. On n’accepterait ça de personne d’autre, même pas d’Hawkwind. Paul Major et ses amis s’égarent et se fondent dans l’avenir du rock. Il fait ensuite son Beefheart avec «Disposable Thumbs». S’ensuit un «Bad Call» supersonique. On voit bien qu’ils ne vivent que pour ça, pour le pré carré de la psychedelia. En même temps il faut savoir s’armer de patience, car on repart pour 9 minutes de dérive avec «Counterfeiter» qui vire vite Can. Avec «Jim Tully», ils jouent la carte de la lente montée en vrille, ils jouent le coup à la note insistante, pas de problème, c’est leur fonds de commerce. Ils ne savent rien faire d’autre que de  monter en vrille et Paul Major entre dans le lard du son avec la voix de Merlin l’enchanteur, une voix grave et chamanique, what have you done, il exhale les mots comme des vapeurs lumineuses, un prodigieux climat s’installe et il pose ses mots dans la fraîcheur d’un matin d’hiver au fond des bois, but it’s better now, et là tu auras tout ce que tu peux attendre de la vie, l’ambiance, l’emprise sur le temps, l’épaisseur humaine, aw better now, ces fantastiques jammers se répandent dans les 22 minutes d’élongation du domaine de la hutte et ça scratche sur les cordes de la Les Paul, les notes se croisent et s’écrasent en une purée d’élévation lymphatique, on comprend alors exactement ce que font les Boogie-men, ils taillent leur route dans le son, ça joue dans les règles du lard fumant à la note éviscérée, ils pleurent toutes les larmes de leurs corps et le beat se dresse dans les fumées thuriféraires, on se croirait au fond d’un temple perdu dans la jungle. Tu les suis si tu veux, mais tu n’es pas obligé, vas-y, vas-y pas, c’est ton choix, nous on continue car le monde de Paul Major nous plaît infiniment, même s’il s’engage parfois dans les ornières du déjà vu. On se souviendra de «Jim Tully» comme d’une jam sans fin, de celles qui t’accompagnent jusqu’à l’aube. Paul Major joue son vieux va-tout dans la fournaise du jamming. C’est tout de même incroyable que ce jamming si intime puisse s’ouvrir au monde et intéresser les gens. Endless Boogie sur scène, oui, quand tu es défoncé, mais sur disque, c’est un peu spécial. Avec «The Conversation» tu t’embarques encore pour un certain temps, mais nous n’irons pas nous plaindre, même si se plaindre est devenu le sport national. Ils terminent avec «Incompetent Villains Of 1968», un dark doom un peu étrange monté sur un petit thème qu’altère la disto. Il semble que Paul Major ait décidé de faire claquer son goût pour le coït sonique. Admonitions est un album d’outsiders définitifs.

    Signé : Cazengler, Endless boudin

    Endless Boogie. Admonitions. No Quarter 2021

    David Fricke : Endless Boogie. Mojo # 336 - November 2021

     

     

    Inside the goldmine - Love is in the air

     

             Baby Love aimait les hommes. Elle avait cette chance que beaucoup de femmes n’ont pas. Pour elle, une relation devait se vivre au sens large, comme s’il se fût agi d’universalisme. Embrasser son mec, c’était une façon d’embrasser l’univers. L’acte de donner du plaisir revêtait chez elle une dimension christique. L’amour charnel relevait du sacré, même dans son animalité. Il suffisait de ne pas la quitter du regard au moment des ébats pour mesurer cette grandeur d’âme. Elle se riait des tabous et ne ratait pas la moindre occasion de donner libre cours à sa fantaisie, qu’on soit sous l’emprise d’alcool ou de drogues. Sa quête d’une relation parfaite passait bien sûr par la prise de risques. Le jeu consistait parfois à rouler la nuit en ville, nus jusqu’à la ceinture, et nous livrer à toutes sortes d’acrobaties tout en remontant les avenues. Chaque sortie au restaurant était en fait prétexte à aller baiser comme des animaux dans les gogues. Baby Love se voulait initiatrice d’un culte de son invention. Elle développait sans même le savoir cet érotisme littéraire qui fit la grandeur d’érotomanes du calibre de Georges Bataille. On évoluait dans cette région de la pensée où l’intelligence se nourrit de la libido et réciproquement. Curieusement, il n’y avait pas la moindre trace d’intellectualisme en elle, au contraire. Bataille, Sade ou Molinier ? Ça ne l’intéressait pas. Ça ne pouvait pas l’intéresser. Elle ne s’intéressait qu’au vivant, qu’à l’instant présent, qu’à cette braguette qu’elle ouvrait doucement. Nous nous installâmes dans un bel appartement, au-dessus d’une pharmacie. Nos voix résonnaient dans les vastes pièces vides. Les trois stères de bois de chauffage déversées dans l’allée restèrent en tas dans l’allée. Nous savions que nous ne les utiliserions pas. La spirale universaliste nous entraînait toujours plus loin. L’empire des sens nous détachait lentement mais sûrement de la réalité. Revenir en arrière n’était plus possible. Au jour de l’an cette année-là, elle indiqua que le cadeau se trouvait dans le coffre de la voiture, au garage. Nous descendîmes avec nos verres de champagne et elle ouvrit le coffre : s’y trouvait une grande longueur de tuyau plastique enroulée et un rouleau de ruban adhésif. Nous branchâmes de tuyau sur le pot d’échappement et nous installâmes confortablement à l’intérieur de la voiture pour y mourir ensemble, selon son vœu d’éternité.        

     

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             Le destin de Mary Love n’est pas beaucoup plus enviable. Ady Croasdell nous raconte son histoire dans le booklet d’une compile Kent, Lay This Burden Down - The Very Best Of Mary Love, parue en 2014 : cette petite black eut le malheur de naître dans un environnement d’une violence extrême, la mère de 16 ans qui se barre et le beau-père qui bat la gamine. Comme toujours dans ces histoires de familles black qui tournent en eau de boudin, c’est la grand-mère qui fait la sauveuse. Mary Love vit quelques années de répit avec sa grand-mère avant de replonger plus tard en enfer, lorsqu’adolescente elle retourne chez sa mère. Mais cette fois elle est en âge de se faire sauter par le beau-père qui, comme beaucoup de beaux-pères, a une bite à la place du cerveau. Elle finit par atterrir dans le Junvenile System of the State of California, à Sacremento. Qu’elle soit encore en vie à l’adolescence relève du miracle.

             Elle a 17 ans quand elle participe à un concours de chant dans un club de Sacremento. J.W. Alexander qui est le manager de Sam Cooke la repère et c’est ainsi qu’elle démarre une carrière qui va faire d’elle une starlette de la Northern Soul. D’où Ady Croasdell et d’où la compile Kent. Mary Love va bien sûr se marier, trois fois, et avoir des enfants. Elle fricote un temps avec le cultissime Rudy Ray Moore, elle décroche même un petit rôle dans Dolemite, où elle chante deux cuts («When We Start Making Love» et «Power Of Your Love», présents sur la compile), et dans les années 80, elle a comme tout le monde sa petite période alcool, coke et crack, jusqu’au moment où elle rencontre Brad Comer, l’amour de sa vie. Brad et elle décident de se consacrer à God. Ils montent une petite congrégation à Moreno Valley, cent bornes à l’Est de Los Angeles et la congrégation grossit très vite, hundreds, then thousands nous dit Ady. Mary Love devient Mary Love Comer, elle enregistre à nouveau sur Co-Love Records et tourne éventuellement la tête des fans de Northern Soul en Angleterre, à commencer par Ady Croasdell qui réussira à faire venir le couple en 1993 pour un Northern Soul weekender at Cleethorpes. Mais comme Mary Love n’est pas faite pour les contes de fées, Brad Comer trouve another love et Mary Love se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau.

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             Le première chose qu’on fait quand on écoute Lay This Burden Down - The Very Best Of Mary Love, c’est aller chercher les deux cuts de Dolemite, «When We Start Making Love» et «Power Of Your Love». Le deuxième n’éveille rien de particulier mais le premier réveille les bas instincts. On se sent bien auprès de Mary Love, elle groove à la volée et un guitariste l’accompagne. Elle chante par-dessus les toits du Start making love, elle simule le commencement de la pénétration, elle colle bien aux aspérités, just me and you, et jette toute sa passion dans l’expressionnisme. Au fil des cuts, on constate qu’elle est bonne dans tous les coups, elle se fond dans le moindre repli de la Soul d’expression corporelle. On voit pas mal de photos d’elle dans le booklet, elle cherche à plaire, toujours très coiffée, avec un petit air sexy. À l’époque de Co-Love, elle fait du diskö-funk, elle se faufile comme elle peut dans «Come Out Of The Sandbox» et le «The Price» qui referme la marche enterre une grande chanteuse qui s’appelait Mary Love. Ses coups de Jarnac datent de l’époque Modern. Elle y rivalisait directement de Sugar Love avec les Supremes, comme le montre «You Turned My Bitter Into Sweet». Elle chante au sucre avec tout le revienzy de Motown. Même chose avec «Hey Stoney Face», elle y dépasse même les Supremes, elle prend ça au stoney face, c’est puissant, chanté à la Love. Et ça continue sur la même lancée avec «I’ve Gotta Get You Back» qu’elle développe au sugar des Supremes. Mary Love forever ! Elle fait aussi du Modern Sound avec «I’m In Your Hands», véritable shoot de rentre-dedans, elle allie le raw au sugar, c’est assez rare. Elle récidive avec «Let Me Know» qu’elle pulse à l’excellence, elle en swingue chaque syllabe à la science infuse de Sugar Motown, elle roule ça dans sa farine de légendarité au point que le langage s’oblitère, car ça ne s’écrit pas, ça se danse. Elle passe par tous les biseaux, oh oh. Même quand elle fait du sexe avec «Move A Little Closer», elle tient son rang. Elle cultive l’optimum en permanence. Elle opère un grand retour aux Supremes avec le morceau titre - I made up my mind hey-ey - Puis elle rend hommage à l’homme avec «Talkin’ About My Man» - Oh oh he’s so good to me/ I’m talkin’ bout my man - et elle ajoute : «He always pleases me.» Elle attaque son «Dance Children Dance» comme Aretha, elle a le même instinct de Soul Sister et puis voilà qu’elle duette avec Arthur K. Adams sur un «Is That You» dégringolé au heavy sludge de guitar dingling. Tout est solide dans cette compile, on comprend que les Anglais soient tombés amoureux de Mary Love.

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             La compile Kent Then And Now qui date 1994 fait un peu double emploi avec la précédente, car on y retrouve ses grands numéros de saute au paf («I’m In Your Hands», «Move A Little Closer»), on la revoit battre les Supremes à plates coutures («Let Me Know», «Hey Stoney Face», «Lay This Burden Down», «I’ve Gotta Get You Back»), on la revoit remonter les bretelles de la Soul avec «Satisfied Feeling» et se rapprocher de Dionne la Lionne en explosant «Baby I’ll Come», le tout agrémenté de cuts de diskö funk plus tardifs. On devra se contenter d’un «Mr Man» qu’elle tape au groove de charme, elle y fait du Marvin au féminin. Dans le booklet, on trouve d’autres photos d’elle coiffée en blonde, mais beaucoup plus sexy qu’Etta James. Mary Love paraît heureuse sur scène.

    Signé : Cazengler, fort marri

    Mary Love. Then And Now. Kent Soul 1994

    Mary Love. Lay This Burden Down. The Very Best Of Mary Love. Kent Soul 2014

    *

    Après l’extérieur, l’intérieur. Après Dylan vu par les autres, voir livraison 548 de la semaine dernière, Dylan par lui-même. Ce n’est pas que celui qui parle a toujours raison, c’est que son témoignage est à verser au dossier de l’inquisition au même titre que tous les autres, avec toutefois cette nuance : l’on n’est toujours trahi que par soi-même.

    CHRONIQUES

    BOB DYLAN

    ( Folio 5091 / 2006 )

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    Le titre anglais est davantage explicatif, Chronicles, Volume one, au moins l’on attend la suite qui n’est pas encore parue. Dylan prend son temps, à quatre-vingt piges passées peut-être veut-il nous faire le coup des Mémoires d’Outre-Tombe à la Chateaubriand. Elles ont toutefois été livrées au public avant sa mort, ce qui nous laisse un peu d’espoir de voir les tomes suivants paraître incessamment sous peu. Je me permets d’évoquer l’immortel créateur de René et Atala car Bob Dylan le cite dans son livre. Question caution littéraire, il est difficile de faire mieux. Que l’évocation de ces mémoires ultra-tombales ne nous induisent pas en erreur : le livre de Dylan n’est en rien une autobiographie. Cela est spécifié dès le titre : chroniques. Ce terme indique un certain détachement vis-à-vis de la réalité existentielle de son propre vécu. Dylan ne se raconte pas, il conte des moments de sa vie. Autant dire qu’il les met en scène soigneusement. Qu’il ne sert de rien de les lire en tant que témoignages d’un passé révolu. La question n’est pas de savoir si l’on peut lui faire confiance, mais de comprendre ce qu’il veut nous signifier par l’écriture d’un tel livre.

    NOTES SUR UNE PARTITION

    LA TERRE PERDUE

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    Dès les premières pages Dylan nous induit en erreur. L’histoire commence au commencement de sa carrière, sa signature chez Columbia. Laissez tomber le cursus honorum, trois pages plus loin nous comprenons que c’est un faux départ, repend le récit à la manière de Balzac nous décrivant l’arrivée de Rastignac à Paris. Lui c’est son arrivée à New York, par un temps glacial. La suite est connue, Le Cat Zengler nous a mis en scène (livraison 546) sa première entrevue avec Fred Neil, dans un même ordre d’idée le lecteur se rapportera notre recension   du livre de souvenirs de Dave Van Ronk qui corrobore totalement les dires de Dylan. Ce sont des mois d’apprentissage : Dylan arrive à s’intégrer aux principales scènes de la Big Apple folk, loin d’en devenir le challenger irremplaçable, il n’a pas assez d’argent pour louer une chambre, dort sur les canapés chez les amis. L’est toute oreille pour les disques de folk que possèdent ses connaissances, n’approfondit pas uniquement son savoir musical, lit beaucoup, un peu de tout, mais un penchant pour la littérature explore les bibliothèques…  Nous parle entre autres de Joe Hill ( voir livraison 324 ) ce qui lui permet de se situer d’une manière,  je n’ose pas dire plus précise, car il essaie de n’être ni dupe des puissances politiques, ni de céder au romantisme révolutionnaire qui emportera sa génération. Dévore, apprend, réfléchit…   pour ne citer que deux ouvrages,  qui apparemment n’ont rien à voir entre eux, si ce n’est   qu’ils sont tous deux une réflexion sur la fondation et la destruction d’une civilisation, De la guerre de Clausewitz et La déesse blanche de Robert Graves. Cette première partie nous dresse le portrait d’un Dylan artiste en jeune chien dans un jeu de quilles qui essaie avant tout de garder son self-control. Ne maîtrise pas grand-chose, cependant il revendique l’impression d’avancer pas-à-pas mais sûrement sur l’échiquier du monde qui pour lui se réduit au maigre milieu folk newyorkais.

    NEW MORNING

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    Les narratologues désignent sous les termes d’ellipse narrative le début de ce troisième chapitre qui ne s’inscrit pas dans la suite logique des deux précédents. Après les années de vache enragée, Dylan s’en plaint si peu que nous les qualifierons plutôt de maigres bovidées, l’on espère le glorieux récit des années de vaches grasses. Mais non, pas un mot sur le veau d’or. Ne le tue pas, mais le tait. Passe directement à son fameux et très exagéré accident de moto. Burn out ou ras-le-bol généralisé, l’arrive à Dylan ce qu’a vécu Jean Giono après la parution de ses premiers livres. Ne peut plus être en paix, des visiteurs viennent sans cesse sonner à sa porte. Impossible pour Giono d’écrire ses nouveaux romans. Trouvera la solution en invitant tous ses admirateurs qui attendent de lui un message ultime en les réunissant chaque été durant les années trente dans une ferme perdue dans la campagne, créant ainsi une espèce de première communauté pré-hippie. A la différence près que Giono regroupe autour de lui des intellectuels inquiets de la montée des périls, pris en sandwich entre la fin de la première guerre mondiale et le début de la deuxième qui se profile à l’horizon…  A la deuxième différence près que les visiteurs de Dylan sont au mieux de doux utopistes vindicatifs au pire de sombres barges sans gêne ou d’immondes profiteurs. Dylan qui désire vivre tranquillement avec sa femme et ses enfants se verra obligés de déménager à plusieurs reprises pour échapper aux hordes envahissantes…

    Explicitement Dylan déclare qu’il ne veut pas être le maître à penser d’une génération d’enfants gâtés ou de simples huluberlus… N’empêche qu’apparaît dans son récit ce que la lecture des chapitres suivants nous incitera à nommer une faille. Le Bob nous déclare que pour couper court à l’enthousiasme soulevé par ses premiers albums il applique une nouvelle stratégie.  Celle d’écrire des textes moins forts, douceâtres, vantant les mérites de la vie familiale. Bref il se lance dans le country afin de dégoûter ses fans de la première heure. Avec une pointe de cynisme il ajoute que cela ne l’embarrasse pas trop puisque ces nouveaux albums continuent à bien se vendre… Se détache de plus en plus de ses anciens amis qui aimeraient le voir continuer des discours critiques sur la société. Ne sait pas trop où il va mais sait ce qu’il ne veut plus.

    OH MERCY

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    Nouvelle ellipse temporelle. Bien plus gênante que la précédente. En plus de sauter quelques années, notre héros tait sa conversion. Faut lire avec attention le texte pour l’entendre déclarer à demi-mot, sans s car il n’en prononce qu’un, juste une onomatopée, qu’il ne nie pas l’existence de Dieu. L’est vrai que son enthousiasme s’est dilué en une dizaine d’années… Mais il révèle quelque chose de bien plus grave qu’il cachait dans la partie précédente. Se plaignait de n’avoir pas le temps, à cause des intrus qui assiégeaient sa maison, d’écrire, affirmait aussi, répétons-le, qu’il refilait des textes faiblards pour avoir la paix… ce coup-ci il lâche le morceau, n’y arrive plus, il a perdu le truc, ne pond que des textes de qualité bien moindre. Nous entrons dans les pages les plus ennuyantes. Nous donne tous les détails, heures, lieu, circonstances de tous les nouveaux textes pas trop mauvais qu’il parvient au prix de grandes difficultés à collationner pour le futur album Oh Merci. Ce n’est pas tout. Après les affres de la création littéraires nous assistons morceau par morceau à l’enregistrement du disque. N’est plus capable d’enregistrer en une séance de quelques heures trois, quatre, titres pratiquement en une seule prise. Pour Oh Merci lui faudra trois mois. Longue parturience. Couvre d’éloges son producteur Daniel Lanois. Le lecteur s’ennuie ferme. Dylan nous fait part de ces états d’âme, de ces coups de blues, de son malaise existentiel. Est content du résultat final, mais selon lui le disque ne trouve pas ses acheteurs.

    FLEUVE DE GLACE

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    Retour en arrière, le récit reprend là où s’achevaient les deux premières parties. Mais l’angle d’attaque est différent. Trace non plus les lentes avancées, les sauts de puce, qui centimètre après centimètre lui ont permis d’avancer dans la carrière. Nous délivre son itinéraire intellectuel. Certes il progresse, peut louer un minuscule appartement, Autant il est resté très discret quant à ses petites copines, autant il s’attarde sur Suze Rotolo, lui qui déclare que l’homme politique qu’il préfère est Barry Goldwater ( ultra-droite conservatrice) est quelque peu incliné par Suzie vers de généraux idéaux de gauche. Cet aspect politique n’est que l’écume de sa problématique. Il est venu du fin-fond de son Minnesota à New York avec une seule idée en tête : rencontrer et devenir le nouveau Woody Guthrie. Ne se prive jamais d’inclure un ou plusieurs titres de Guthrie dès qu’il a l’occasion de monter sur scène. Woody lui semble insurpassable. Jusqu’au jour où Jon Pankake, amateur émérite de folk lui brise son rêve. Tu ne chanteras jamais aussi bien que Guthrie. Cette phrase destructrice est suivie d’une autre qui l’atomise : Jack Elliot que tu n’as jamais entendu le chante mieux que toi. L’écoute des disques est sans appel, non seulement Elliot le chante mieux que Dylan mais ses interprétations sont la preuve qu’il a compris, assimilé et ce faisant dépassé le maître. Désormais le brave Bobby change son fusil d’épaule, il ne chante que du Ramblin’ Jack Elliot… D’ornière en ornière… Dylan va enfin comprendre que ce qui lui manque, c’est l’écriture de textes qui ne doivent rien à personne, ni à Guthrie, ni à Ness, ni à quiconque. En l’initiant à la peinture et au dessin Suze lui permet d’avancer dans sa tête, il dessine mal mais il dessine selon son propre point de vue, il reproduit un objet comme nul autre ne l’appréhende. Maintenant il sait se poser dans le monde. Ne lui reste plus qu’à entrer en osmose avec des œuvres engendrées par cette méthode. Trouve deux modèles qu’il décortique soigneusement pour savoir comment l’on écrit.  Rencontre le premier encore grâce à Suze qui travaille à Broadway, un parolier Bertold Bretch, un compositeur Kurt Weill – vous connaissez, rappelez-vous sur le premier disque des Doors Alabama Song ‘’ Show me the way to the next whisky bar…’’ , Dylan comprend comment on écrit un texte, ne pas vouloir tout dire, laisser les mots s’appeler les uns les  autres pour insuffler sens et mystère au texte, le deuxième sera Robert Johnson que Columbia s’apprête à rééditer, des mots simples mais la ligne mélodique qui s’éparpille en mille droites qui s’écartent l’une de l’autre pour mieux faire resplendir le centre générateur. Dylan a tout compris. Il est prêt à être le grand Dylan.

    Ce que révèleront le ou les volumes postérieurs nous ne le savons pas mais cette dernière partie du volume 1 nous aide à comprendre le sujet du livre. Ce n’est pas une histoire qui narre les débuts incertains d’un individu destiné à devenir l’un des plus grands chanteurs de sa génération. Dylan ne cherche pas à nous décrire son chemin vers les étoiles. Ce n’est pas l’apothéose qui le tente. Se penche sur la dimension littéraire de son écriture. Tente de percer son propre secret. Au bout d’un moment les textes couleront de sa plume pratiquement tout seul. Pourquoi ? Comment ?

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    L’on pense à Paul Valéry qui après quatre années difficiles à composer La jeune Parque est le premier étonné, pour ne pas dire sidéré, de la vitesse à laquelle il écrit la plupart des poèmes de Charmes. Même phénomène chez Rilke qui durant dix ans reste aux aguets de la venue des Elégies à Duino, dans l’angoisse et la douleur, et qui écrit avec une révoltante virtuosité Les sonnets à Orphée en quelques jours. Certes il existe une différence essentielle entre les deux poëtes et Bob Dylan, tous deux sont à l’acmé de leur fructuation créatrice de laquelle jaillira leur accomplissement poétique. Il leur aura fallu toute une vie d’écriture, de réflexion, de méditation et de travail acharné pour livrer leurs œuvres majeures, Bob Dylan est au début de son efflorescence lorsqu’il délivre ses textes les plus novateurs. Comme par hasard un évènement déclenchera le processus. La lecture de Rimbaud. Il regrette de ne l’avoir pas connu auparavant, cela lui aurait permis de gagner du temps.

    Rimbaud se remettra-t-il vraiment de ses cinq années fulgurantes. Il est obligé de se renier et de s’enfuir à l’autre bout de la terre, de se livrer à la prosaïque fonction de commerçant… Si l’on relit la trajectoire de Dylan à l’aune de Rimbaud, l’écriture de ce premier volume des Chroniques prend toute sa signification. Rimbaud part en Abyssinie et interrompt tout contact avec le milieu poétique, Dylan continuera sa tâche de chanteur. Il ne sait pas rompre définitivement. L’intitulé de son Never Ending Tour, ainsi le baptise-t-il, est assez éloquent… Dans ses Chroniques, Dylan retrace la généalogie du rassemblement des différents éléments qui lui ont permis de devenir le grand Dylan, un peu comme un alchimiste qui dans sa jeunesse a réussi à transformer le vil plomb en or et qui n’y parvenant plus essaie de retrouver la recette qu’il est incapable de refaire… Un terrible aveu d’impuissance quand on y pense. Un livre poignant.

    Damie Chad.

     

    AGREUS

    GOATGOD

    ( Mars 2022 / BC -YT )

    Goatgod vient de Grèce, de Thessalonique, ville portuaire au nord de la Grèce, dans sa partie macédonienne. Le groupe adepte du Do It Yourself en 2020, a commencé à enregistrer en 2021. Le groupe est formé à partir de deux autres formations : Samatas et Disurband. Est-ce cette réunion qui les a emmenés à s’accorder sur le nom de leur album Agreus,  

    Xanthos V : guitares, basse / Theodosis V : drums / Sotos Ag : vocals.

    Les amateurs de batterie ne manqueront pas de visualiser les cinq vidéos de démonstration du travail de Sotos Ag sur ses fûts.

     

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    Awakening : emballement de batterie, une voix qui envoie les mots comme des boulets de canon, et derrière une symphonie de cordes qui recouvre le monde entier d’un flot majestueux, parfois à mi-voix un écho lointain répète les lyrics, break étourdissant, le chant se transforme en injonction tumultueuse, un appel à la résistance, à la renaissance, à s’amalgamer à la puissance d’un Dieu. Poisoned by guilt : rythme binaire qui n’empêche pas des éructations démoniaques, le vocal n’est plus que cris de haines, exhortations à se surpasser et objurgations à se délivrer des fausses culpabilités, il est temps de s’arracher à la religion de la bible, de se retrouver, de prendre son destin en main, Dieu est mort, éruptions souterraines de tambours, le message est asséné avec tant de force et une si féroce clarté qu’il  se présente sous forme d’une déclaration de guerre à l’avilissement de la psyché humaine. Enligthenment : soleil, embrasement de guitares, subite dégoulinade, rythmique précipitée, vocal à l’emporte-pièce, pas encore au bout du tunnel, comprendre l’ampleur du désastre est une chose, se diriger dans les ténèbres de sa perdition,  réaliser en soi ce désir de clarté s’avère d’ une toute autre difficulté, regardons le soleil, il est la force, l’énergie primitive, les guitares planent maintenant dans l’Empyrée, au-delà de l’astre c’est le char d’Apollon qui apparaît en filigrane, souffles divins, un enthousiasme sacré s’empare de moi. Culmination. Bucolic outbreak : ambiance virgilienne, irisation acoustique qui tourne vite en une ronde sauvage, la joie est d’autant plus forte qu’elle repose sur la présence de la mort, il faut la dépasser, l’admettre en tant que simple séquence d’un cycle naturel, la batterie va de l’avant mais les guitares tournent sur elles-mêmes à l’image de la nature qui semble avancer vers sa disparition pour mieux renaître. Return of the heathens : florilèges de guitares, vocal hurlé, les païens sont de retour, condamnation du vieux monde, de l’asservissement intellectuel par la peur de l’obscurité, curieuses montées de splendeurs entrecoupées de dissonances grondeuses, le rythme s’alourdit, ralentit, reprend sous forme de poussées germinatives, il n’est pas facile de débarrasser l’esprit humain de l’ivraie des religions, le morceau se termine en apothéose. Ejaculation of a cruel god : grincements insupportables, ce n’est jamais gagné, les guitares en sirènes d’avertissements, batterie implacable, il est si facile de retomber dans l’ornière, de retourner vers les chaînes de l’esclavage religieux, vocal ralenti, hurlé, jusqu’à ce qu’une rythmique folle signifie que vous êtes happé par votre propre déchéance. The Delphic oracle : avancée processionnaire, le rythme reste lourd et lent même s’il est dynamité par des brusqueries de batterie, nous voici au cœur du paganisme, dans l’antre de Delphes, la prêtresse sur son tabouret attend que l’esprit d’Apollon se mêle à elle, emplisse le vase vide de son cerveau, vocal surexcité, instrumentation saisie de vertige, la pythie est en transe, le moment de l’interroger est venu, le passé irradie sa vision et les guitares s’étendent à l’infini, l’instant crucial, chœurs à l’horizon interne, la réponse est dans la question, quand enfin ce monde de ténèbres se terminera-t-il. Le texte est moins naïf qu’il n’y paraît. Le désir n’est pas la réalité. Embrace the nymph : nocturne crépusculaire, voici la réponse attendue, ambigüe comme il se doit, embrasser la nymphe, la compréhension est des plus simples pour les esprits peu aiguisés, elle se résoudra à se saisir d’un corps de femme, mais il faut choisir, ou tu t’allies à la chair féminine de la réalité, ou tu vis l’acte d’accouplement selon la réalité du mythe. Il faut choisir entre la rugosité charnelle de l’être humain et la confrontation intérieure avec le feu impérieux de la puissance divine, le morceau monte et descend, tantôt fièvre sexuelle, tantôt outrance extatique, c’est dans la brûlure que se conçoivent les demi-dieux et les mythes. Que se construit l’arc-en-ciel qui ne permet pas de rejoindre l’immortalité. The summoning night of Pan : la nuit de Pan que vous ne confondrez pas avec l’obscurité du Walpurgis faustien, nous sommes à l’équinoxe du printemps, les guitares ronflent telles les rhombes des  joyeux cortèges, le son se disloque tandis que par-dessous se profile une nouvelle ligne harmonique, entrons doucement dans danse, entrons doucement dans la transe, nous ne sommes pas pressés mais le rythme s’accélère, la panique sacrée s’immisce en nous, c’est ainsi que l’on se sépare de soi et que notre esprit monte en spirale vers les demeures de l’Olympe telle la fumée des sacrifices, il s’agit dans notre éructation charnelle de faire fondre notre chair mortelle à ce brasier qui nous brûle de l’intérieur, les rhombes vrombissent quand tout s’apaise, mais maintenant nous savons que le Dieu Pan n’est pas mort, l’anglais n’est plus de mise, les dernières paroles sont en grec, l’hymne chante l’unité des cieux, de la mer, des océans et des abysses transformés en une énergie pure par une joie inhumaine.

    Ce premier opus est splendide.

     

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    Nous n’avons pas encore regardé la pochette. La symbolique est claire : à l’officiant d’une liturgie chrétienne les mains benoîtement croisées sur le ventre en guise d’obéissance se substituent le squelette – symbole de la libre acceptation de la mort et refus de la croyance en un autre monde paradisiaque, amor fati dirait Nietzsche - et la tête du bouc Pan, les bras levés, la paume des mains tournées vers l’ouranos. Le lecteur visualisera le médaillon frappé du delta de Zeus et sa représentation rayonnante en Sol Invictus.

     

    Le dieu chèvre n’est pas à confondre avec le bouc qui préside aux messes sataniques qui firent fureur sous le règne de Louis XIV.  L’anti-christianisme satanique, même inversé n’est que du christianisme. Ici les lyrics sont empreints d’une philosophie nietzschéenne, qui condamne le christianisme en tant que religion, parce que toute religion est croyance et donc asservissement de la pensée philosophique. L’imagerie polythéique est à entendre comme une symbolisation conceptuelle historiale et élémentale. Elle pose l’univers en tant que fragments entremêlés mais dépourvus de tout désir d’agrégation unitaire ce qui logiquement préside à l’élaboration d’une pensée dégagée de tout obscurantisme religieux. Politiquement, nous sommes dans l’impensé métaphysique de l’anarchie.

    Damie Chad.

     

     

    JIM MORRISON, LE FLOU L’EMPORTE

    MARIE DESJARDINS

    (Série Portraits Rock, in Presse Profession Spectacle)

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     Magnifique article sur Jim Morrison écrit par Marie Desjardins. Aussi beau qu’une nouvelle de Villiers de L’Isle Adam. Le grand art, raconter une histoire dont on connaît tous les éléments et attiser les braises chaudes d’une blessure poétique qui ne se refermera jamais. Ouverte pour les siècles à venir, tel l’itinéraire de Rimbaud. A cette différence près que la trajectoire de Rimbaud reste celle d’un solitaire alors que Morrison fut non pas un personnage public, mais un phénomène générationnel autrement dit un moment très particulier, une coupure dans l’histoire de l’imaginaire du monde. Comme Platon nous l’a appris, nous ne voyons du monde que des ombres, nous y sommes habitués, toutefois l’ombre de Jim Morrison est plus sombre que les autres. Elle resplendit d’une noire luminosité qui éblouit et qui n’est pas sans renvoyer aux recherches de Goethe sur la manifestation des couleurs.

    Marie Desjardins rebat les cartes. Une centaine de lignes lui suffisent pour exposer les arcanes majeurs du tarot de la destinée.  Toutes les figures sont convoquées, Morrison le clochard céleste, Morrison diapré de beauté apollinienne,   Morrison le poëte, le double jeu des dames essentielles, Patricia désirée et Pamela aimée, mais aussi les comparses de la dernière soirée, Sam Bernett, Marianne Faithfull, les fantômes d’Elvis Presley, de Gene Vincent, de Shelley, Michel Embareck et jusqu’à nos Chroniques de pourpre… si Morrison fut un aède à la voix d’airain qui résonne encore, il fut aussi un homme de mots, cette cendre noire qui recouvre, enfouit,  protège, et préserve de l’oubli rongeur le souvenir des  existences chaotiques et volcaniques dont on retrouve les traces érotiques, arestiques et éristiques dans de mémorielles villas pompéiennes des Mystères, ouvertes à tous vents, qu’elles abandonnent en ultime témoignage derrière elles. Tout réside dans le mystère des choses qui n’existent plus mais qui ont eu lieu. Nous ne sommes que des archéologues à la recherche des cités disparues dont on ignore les emplacements.

             En diabolique illusionniste Marie Desjardin recompose le jeu de perles brisées de Morrison. Un incroyable tour de passe-passe, elle joue le rôle de Méphisto  ressuscitant pour obéir à Faust le fantôme d’Hélène de Troie, lui ordonnant pour cela de repasser la porte des Enfers, ce porche obscur de toute existence humaine… Las, elle laisse couler à terre, de la paume de son évocation, entre les doigts de ses mots, le sable des verroteries irisées, et tout s’efface. Cruauté de la littérature ! Elle nous a permis d’être le temps d’une lecture des voyants alchimiques et nous ne sommes plus que des voyeurs dépités.

    Seule l’aile brisée d’un ange rilkéen sépare le fou et le flou.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 548 : KR'TNT 548 : ROBERT PALMER / DION / WILDHEARTS / SAILORS / BOB DYLAN / BACKBONE / ELVIS PRESLEY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 548

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    31 / 03 / 2022

     

    ROBERT PALMER / DION

    WILDHEARTS / SAILORS

    BOB DYLAN / BACKBONE

    ELVIS PRESLEY

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 548

    Livraisons 01 - 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Palmer qu’on voit danser le long des golfes clairs

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             Dans sa vertigineuse bibliographie, Robert Gordon cite aussi Robert Palmer, un journaliste/musicologue/saxophoniste new-yorkais qui, tombé follement amoureux du blues, décida de lui consacrer sa vie. Il est allé creuser aux racines du Delta blues pour écrire Deep Blues, un livre d’une densité spectaculaire. Comme Dickinson, Stanley Booth et Robert Gordon, Palmer entre dans la catégorie des écrivains inspirés. Leur point commun est une passion pour le Memphis Sound.

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             Dans Deep Blues, Palmer raconte l’incroyable histoire de la plantation Dockery, située au bord du fleuve, à Cleveland, Mississippi, un endroit où traîne, dans les années vingt, l’ineffable Charley Patton. Palmer raconte aussi dans le détail the big flood que chante Patton, et les pérégrinations des ramblers, qui jouent de ville en ville for a nickel or a dime. Palmer décrit aussi l’ambiance de Maxwell Street à Chicago - Jewtown was jumpin’ like mad on Sunday morning - et tous ces blacks venus du Delta who liked their music rural and raw - Oui, Maxwell Street, l’aboutissant de ce tenant qu’est le Delta, puis le fameux radio show d’Helena King Biscuit Time qui rend Rice Miller célèbre et que le jeune Ike Turner, qui grandit à Clarksdale, écoute attentivement. Palmer brosse un portait en pied de Muddy, un Muddy qui un beau matin fait dire à Monsieur Fulton qu’il est malade, puis il revêt son seul costard, met quelques affaires dans une valise, dit au-revoir à sa grand-mère et attrape the Illinois Central train à Clarksdale à 4 h de l’après-midi pour monter à Chicago. Muddy ne peut pas prétendre avoir inventé le blues électrique, mais il a le premier groupe de blues électrique connu, le premier à utiliser des amplis pour sonner plus loud, plus raw. Palmer explique à longueur de temps que le blues revient de loin : ceux qui le jouaient et le chantaient ne possédaient rien et vivaient dans une forme de servage virtuel. Et si on demandait à un pasteur noir, à un petit propriétaire ou à un habitué de la messe qui étaient ces gens qui chantaient et jouaient le blues, ils répondaient tous : «The cornfield niggers.» Le blues est avant toute chose une sociologie. Ceux qui haïssaient les blacks n’étaient pas forcément les patrons blancs des plantations, mais plutôt les blancs pauvres, ceux qu’on qualifie de white trash. Ce sont eux qui lynchaient les nègres. Les patrons blancs ne pouvaient plus les protéger. Muddy raconte aussi qu’il vit Robert Johnson étant jeune - It was at Friar’s Point. He coulda been Robert Johnson, they said it was Robert. I stopped and peeked over and then I left. Because he was a dangerous man - Palmer ajoute que comparé à Robert Johnson, Muddy est plus conservateur, musicalement. Si Robert avait continué à vivre, il aurait sans doute développé an electric jazz-influenced brand of modern blues, alors que Muddy en restait aux rich ornemented pentatonic blues melodics à la Son House et à la Charley Patton. Les débuts de Muddy à Chicago ne furent pas évidents. Leonard Chess l’auditionna et ne réagit pas. C’est Evelyn Goldstein qui le trouva bon et qui vit son potentiel. Mais après le raté du départ, Muddy eut une bonne relation avec Leonard le renard - I didn’t even sign no contract with him, no nothing. It was just ‘I belong to the Chess family’ - Leonard traitait tout le monde de motherfucker, sauf Muddy qu’il traitait en parfait gentleman - on the basis of absolute mutual respect - Malcolm Chishom précise un point capital - Leonard didn’t know shit about blues, but he knew an awful lot about feeling. He could feel music.

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             Muddy, Charley Patton, mais aussi Pops Staples qui a grandi lui aussi sur la plantation Dockery qu’il quitte à l’âge de 20 ans pour monter à Chicago - Charley Patton stayed at what we called the lower Dockery place and we stayed on the upper Dockery - C’est Charley qui pousse Pops à jouer de la guitare. Wolf traîne aussi à Dockery et c’est aussi Charley qui lui apprend à jouer de la guitare, en 1929 - It was Patton who started me off playing - Wolf bourlingue aussi avec Robert Johnson et Rice Miller dans le milieu des années trente et prend en mains Johnny Shines et Floyd Jones. Le groupe de Wolf va être bien plus primitif que celui de Muddy, Wolf hurle comme Charley Patton, blowing unreconstructed country bues harmonica, his band featured heavily amplified single-string lead guitar by Willie Johnson - Eddie Shaw fait une description apocalyptique du son de Wolf sur scène : «Muddy never had the energy Wolf had, not even at his peak. Muddy would rock the house pretty good, but Wolf was the most exciting blues player I’ve ever seen.» Palmer ajoute : «Muddy was the superstud, the Hoochie Coochie Man. Wolf was the feral beast.» Et Sam Phillips ajoute : «When I heard Howlin’ Wolf, I said, ‘This is for me. This is where the soul of man never dies.’ Then Wolf came over to the studio, and he was about six foot six, with the biggest feet I’ve ever seen on a human being. Big Foot Chester is one name they used to call him. He would sit there with those feet planted wide apart, playing nothing but the French harp and, I tell you, the greatest show on earth you could see to this day would be Chester Burnett doing one of those sessions in my studio. God, what it would be worth on film to see the fervor in that man’s face when he sang. His eyes would light up, you’d see the veins come out on his neck and, buddy, there was nothing on his mind but that song. He sang with his damn soul.» Palmer insiste sur le jeu de Willie Johnson et ses thunderous power chords, the most electric guitar sound that had been heard on records. Et le premier à flasher sur le son de Willie Johnson fut Paul Burlison. On est en 1952, et Paul, les frères Burnette et Elvis travaillent tous à la Crown Electric Company. Et cette filiation va remonter jusqu’à l’Anglais Mick Green qui flashe à son tour sur le son de Burlison. Mick combine lui aussi le lead avec la rythmique et devient l’idole d’une nouvelle génération de guitaristes britanniques qu’on connaît bien, Wilko en tête. Robbie Roberston et Roy Buchanan flashèrent eux aussi sur le jeu de Willie Johnson. Voilà comment se construit la légende du rock. Merci Dockery, car oui, il faut remonter à Charley Patton, qui se trouve à l’origine de tout, un homme au cœur de pierre - a heart like railroad steel - un Patton qu’on disait «lubricated» en studio, mais, rappelle Palmer, on leur servait à boire pour les décontracter, un Patton qui n’allait jamais voir un médecin, car comme le précisait Son House, he would have sought out a hoodoo doctor or root man.

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             Oui, Son House, lui aussi à l’origine de tout et qui comme tous les gens du Delta portait une arme, bim bam, légitime défense et petit stage en 1928 à Parchman Farm, avant d’être relâché deux ans plus tard par un juge qui lui conseille de ne pas rester à Clarksdale, et puis voilà Johnny Shines qui voyage avec Robert Johnson - who was kind of long-armed -  et qui jouait mieux que tous les autres, un Robert qui restait sur son trente-un quelle que fut l’heure - Sharp enough to attract a crowd and attract a woman - un Robert qui fait sonner son acou comme une guitare électrique, avec ses high-bottleneck lead lines et ses driving bass riffs. Quelle galerie d’ancêtres prestigieux ! Le rock moderne peut être fier de tous ces vieux blackos de choc. Tiens et puis Rice Miller, alias Sonny Boy, le mystérieux Sonny Boy Williamson the Second, mais jusqu’au dernier jour, il clamait qu’il était le vrai Sonny Boy et que l’autre Sonny Boy, quinze ans plus jeune que lui, lui avait barboté son nom. Un Rice Miller qui se retrouve arrêté pour vagabondage et qui passe un mois au trou nourri, logé, à condition de jouer, alors ils se font, son pote Lockwood et lui, mille dollars et on leur amène du moonshine et des putes toutes les nuits en cellule, typical Rice Miller ! Un Rice Miller qui jouait avec son harmo soit dans la bouche, soit coincé comme un cigare sur le côté, qui était capable de jouer tout ce qu’on lui demandait et lorsque sonnait l’heure de l’émission et que l’annonceur clamait ‘Pass the biscuits’, Rice et Robert Lockwood se mettaient à jouer le thème du King Biscuit Time, un jump-tempo blues - We’re the King Biscuit boys/ And we’ve come out to play for you - Rice dépensait aussitôt tout ce qu’il gagnait en alcool, en femmes et au jeu, alors que Lockwood économisait pour s’acheter une Pontiac. Pas n’importe qui non plus, ce vieux Robert Lockwood, puisque Robert Johnson draguait sa mère, et comme il avait le môme à la bonne, il lui apprit à jouer le blues - I think I’m the only one he ever taught - Méchant veinard ! Et quand Robert Johnson mourut comme on le sait empoisonné, Robert n’eut pas le courage d’aller à son enterrement. Trop de chagrin. Il lui fallut un an pour surmonter son chagrin et se remettre à la guitare. Mais il chialait, chaque fois qu’il grattait un mi. Alors pour chialer un peu moins, il se mit à composer.

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             En plus de Rice Miller et de Robert Lockwood, on trouve aussi Little Walter à Helena. On raconte que Rice Miller sauva la peau du jeune Little Walter dans un juke-joint : une gonzesse l’attaquait avec une lame et Rice sortit la sienne. Little Walter vivait déjà à la dure, il dormait sur les tables de billard et il dépendait de la générosité des autres pour les clopes et la bouffe. Tous ces mecs, Elmore James, Muddy, Wolf, Sonny Boy, Little Walter, Jimmy Rogers, Roger Nighthawk et Johnny Shines viennent du même coin. On peut même parler de triangle magique Helena/Clarksdale/Memphis. Et Ike monte à Memphis enregistrer chez Sam qui sait - Sam Phillips, with a shock of bright red hair, a pair of piercing blue eyes and a gift for oratory worthy of a country preacher - Sam est ravi d’enregistrer les blacks - I thought it was vital music. I don’t know whether I had too many people agree with me immediately on that - Méchant visionnaire ! Mais comme il a bossé gamin dans les champs de coton, il connaît bien les gens qu’il va enregistrer plus tard, les blancs comme les noirs. Sam est intarissable sur Ike : «People don’t know that Ike Turner was the first stand-up piano player.» C’est Ike qui invente la distorse avec son ampli crevé, lorsqu’il enregistre le fameux «Rocket 88» - Step in my rocket/ And don’t be late - Entre 1950 et 1954, Sam et Ike vont enregistrer the most outstanding blues performers to be found in Memphis and the Delta. Les teenagers branchés du coin n’écoutaient plus que de la nigger music. La country était réservée aux blancs pauvres et aux péquenauds. Par la violence de son jeu, Ike va lui aussi influencer des tas de guitaristes - Turner would keep up a machine-gun-like barrage of turtuously twisted high notes, bent and broken chords and reiterated trebble-string riffing at the very top of the neck - Et Palmer en arrive à expliquer que le seul qui pouvait lancer l’idée du country blues d’Elvis ne pouvait être que Sam. John Lee Hooker vient lui aussi de Clarksdale et son beau-père Will Moore fréquentait Charley Patton. Mais comme Will Moore venait de Louisiane, il avait une façon de jouer le blues plus hypnotique, one-chord drone blues with darkly insistant vamping, ce qui va bien sûr forger l’esprit d’Hooky. Un Hooky qui cite Albert King comme l’un de ses guitaristes de blues favoris, un Big Albert qui comme Ike va s’installer à Saint-Louis pour démarrer. Mais plutôt que d’imiter B.B. King ou Elmore James, Big Albert va créer une synthèse, playing single-string leads with a broady metallic tone and brawny, heaving phrases that seemed to dig into the beat from the underneath - Palmer parle aussi de menacing riff rock, de bulldozer rhythm, de high-energy guitar leads, oui Big Albert, c’est tout ça, et son album Born Under A Bad Sign est considéré comme the most influential blues album of the sixties. Quant à Little Miton, il vient du même coin, de Greenville. Il pouvait sonner comme n’importe quel autre guitariste de blues, et bien sûr, il démarre chez Sam. Palmer finit son impressionnante galerie de portraits avec Guitar Slim qui fait carrière à la Nouvelle Orleans, et Jimmy Reed qui allait devenir l’un des bluesmen les plus populaires de son temps. Sonny sortit de ce livre un peu sonné.

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             Robert Palmer tourne aussi un film en 1991, Deep Blues - A Musical Pilgrimage To The Crossroads. On y voit RL Burnside gratter le North Mississippi Hill Country Blues chez lui, sur une vieille Fender. Il joue assis sur le perron de sa vieille cabane en bois. Un seul accord, withey. Tout est là. Puis voilà Jessie Mae Hemphill, Abe Young et Napoleon Strickland au fife. Bouncing Ball ! Il émane d’eux quelque chose de très ancien, qui doit remonter à l’antiquité. Sans doute est-ce dû à la grâce du son de fifre, très fellinien. Jessie Mae chante et joue le blues, pas de problème. Elle a quelque chose d’Indien dans le visage. Une prestance d’histoire de destins croisés et de sangs mêlés, de l’ordre du vertige de l’histoire du monde. Ce qu’elle fait est mille fois plus garage que ce que font tous les groupes modernes réunis. Le réalisateur Robert Mugge a l’intelligence de ne pas couper les chansons. Jessie Mae et Rural ont besoin d’une certaine distance pour exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre. Et voilà Junior Kimbrough qu’admirait tant Charlie Feathers. Encore une belle leçon de blues. Épouvantable section rythmique, c’est swingué à l’Africaine rampante, une pure merveille de boogaloo. Kimbrough est littéralement lumineux. Il émane de lui toute la bonté de la terre et une sorte de doux génie. Puis Palmer débarque à Greenville pour évoquer la légende de Nelson Street en compagnie de Roosevelt Booba Barnes, un homme des bois couvert de bijoux et effrayé par la caméra. Il joue une sorte de Chicago blues sur une strato noire. Il y a quelque chose d’ineffablement raw dans son style, il gratte ses notes au pouce. On aurait bien aimé qu’il fasse son Eddie C. Campbell. Puis on fait une halte à Clarksdale, le temps de voir Big Jack Johnson claquer son boogie blues. Encore un roi du raw. Un king du cut. Un boss du blues. Un cake du twang. Fabuleuse présence ! Il joue à l’onglet de pouce et pique de vilaines crises de bottleneck. Wow, la teneur de la tenue !

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             Le petit frère de Deep Blues s’appelle You See Me Laughin’, un docu Fat Possum initié par Matthew Johnson, boss de Fat Possum. Le principe du doc est d’aller rendre visite aux vieux de la vieille, The Last Of The Hill Country Bluesmen. On voit CeDell Davis jouer sur son Epihone bleue avec un couteau à beurre. Il raconte qu’il aime les fat women, qu’il a chopé la typhoïde en 1933 et la polio en 1934 - I’ve got one hand but I can play guitar - Rien que pour cette séquence, il faut voir le film. CeDell raconte aussi qu’il jouait avec Robert Nighthawk et là, on retourne dans le book de Robert Palmer. Le pauvre Cedell s’est battu aussi longtemps qu’il a pu, mais son cœur a fini par le lâcher en 2017. Bienvenue chez T. Model Ford ! Il joue sur un gros Peavey et gratte une guitare de metaller. RL Burnside joue la pétaudière avec son fils adoptif Kenny Brown qui est blanc. On les voit taper «Snake Drive» sur scène - On drums, my grandson, Mr Cedric Burnside ! - On annonce aussi la mort de Junior Kimbrough et la disparition de son légendaire juke-joint qui a pris feu. Tout le monde dansait dans ce juke de rêve. Le défaut du docu, c’est qu’on y voit la gueule à Bono, et ça ruine tout. Dommage.

    Signé : Cazengler, Robert Palmerde

    Robert Palmer. Deep Blues. Prentice Hall 2001 

    Robert Mugge & Robert Palmer. Deep Blues - A Musical Pilgrimage To The Crossroads. DVD 1991

    You See Me Laughin’. The Last Of The Hill Country Bluesmen. DVD Fat Possum 2003

     

    Nom de Dion !

     

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             Dion reste la plus obscure des stars de l’urbano-ritale Americana des fifties. Si on ne jure que par Dion, c’est un peu la faute de Johnny Thunders qui ne jurait que par lui. Johnny et Dion avaient deux sacrés points communs : ils partageaient la ritalité des choses et un goût prononcé pour la junk-culture. «Heroin was instant courage», dit Dion today. «It was complete confidence. It did for me what I couldn’t do for myself.»

             Grâce à Dion, on tombe sur un concept monumental : the hydrogen jukebox. Ce concept est de la même importance que l’extraordinaire «Salon des Incohérents» découvert chez François Caradec. Ce sont des concepts qui éclatent comme des révélations et qui pulvérisent la monotonie du quotidien. Davin Seay : «The voice of Dion came exploding out of what Allen Ginsberg called the ‘hydrogen jukebox’ in the ‘50s. Dylan himself would write in the liner notes of the 2000 Dion retrospective King of the New York Streets.» Il n’y a pas que Dylan et Johnny Thunders qui s’extasièrent à l’écoute de l’hydrogen jukebox. Lou Reed a toujours eu du flair pour les goodies : «Lou Reed put it, «to do all the turns... stretch those syllables so effortlessly, soar so high he could reach the sky and dance among the stars forever.»

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             Dans un vieux numéro de Mojo, l’érudit Davin Seay nous troussait un portrait en pied de Dion, dans une langue râpeuse, pas très élastique, pleine de proéminences intéressantes, hérissée de formulations inconfortables, mais d’une redoutable efficacité sémantique. Davin Seay balançait ses vérités émotionnelles comme d’autres énonçaient des paroles d’évangile. Il fallait au moins cela pour restituer la grandeur d’un personnage de légende comme Dion. «With hindsight it’s all too easy to ascribe inspired intent to Dion’s personification as one of the most enduring archetypes in pop history, a stylistic social statement that would, in time, become shorthand for the very essence of Cool itself.» Mister Cool, c’est bien ainsi qu’on perçoit Dion.

             Même si la réalité urbaine du Bronx nous échappe complètement à nous autres les franchouillards mal dégrossis, il faut bien admettre que l’histoire de Dion fascine. «Me and the guys weren’t singing doo wop in front of the candy shop or riding the ‘D’ train», he asserts. «At least we didn’t call it doo wop. It was shotgun Boogie and Lawdy Miss Clawdy and Stagger Lee.» Dion se souvient de ses débuts. Il a eu la chance comme Johnny Cash de se trouver au bon endroit au bon moment. Pendant que le sombre Cash forçait la main de Sam Phillips à Memphis, Dion allait enregistrer des démos au studio Allegro. «I went down on my own to Allegro studio, in the middle of Tin Pan Alley, and cut a demo of Carl Perkins’ Bop The Blues. Pure rockabilly, even though I didn’t know that’s what you called it.» Dion ne se limitait pas au rockab. Il lorgnait aussi vers le blues, et pas n’importe lequel. Dion en a bavé : «I love Burl Ives and Robert Johnson, whose sound took me a long time to translate. It seemed so alien at first, like Chinese music from across a huge ocean.» Et on tombe au plein cœur de ce texte dense et tumultueux sur un hommage terrible à Hank Williams. Cash qui écrit pourtant si bien n’aurait pas fait mieux : «Hank was a high lonesome spectre that, once heard, haunted everything Dion would ever do : ‘He taught me that there might be three verses to a song’, he explains with mystical certitude, ‘but there’s a fourth verse you never hear and that’s the singer... his life, his story, what he brings to the music. That’s what Hank did. He told stories, in that half-talking, half-singing way, philosophing about life on tunes like Pictures From The Other Side and the Funeral.’»

             Et puis on rentre de plein fouet dans la mythologie des gangs, période «Wanderers». Dion fit partie des gangs ritals de New-York. «It was what writers Jane and Michael Stern dubbed ‘hoodlum Baroque’ and Richard Price, author of The Wanderers, would summon up with ‘sharkskin pants, Flagg Brothers dagger-toed roach killers and waterfall pompadours’. It played gleefully on the mainstream panic of juvenile delinquincy and found its own kind of eloquent cultural choregraphy in 1961’s West Side Story, with every artful leap of Jerome Robbins’ homoerotic Jets and Sharks.» Dion va de gang en gang : «Subsquently graduating to the altogether more resolute Baldies, who took their name from the American bald eagle, he skirmished with the Imperial Hoods, the Italian Berettas and the Golden Guineas in turf wars replete with zip guns and brass knuckles.»

             Davin Seay est impérial pour décrire l’ampleur du phénomène Dion : «Reaching the top 30 in the spring of 1958, I Wonder Why achieved in two minutes and 19 seconds a crackling fusion between the music’s street corner legitimacy, exemplified in the Belmonts’ rumbling glissandos, and its vast commercial potential, riding on a rarified updraft of Dion’s clarion lead.» Et ça continue de plus belle : «In between, on stray album cuts like Wonderful Girl and the glorious That’s My Desire, they managed to hold on what had once held them together, that mutual thrill of close-bended harmony.»

             Dion est comme Big Jim Sullivan qui a failli prendre le taxi mortel de Gene Vincent et Eddie Cochran : il est passé à deux doigts de la mort mythique : «He had in fact already felt the chill brush of mortality back in 1958 when, as part of the Winter Dance Party Tour, promoting A Teenager In Love up and down the midwinter Midwest, only his famous frugaliry kept him from buying a seat on the plane ride that took out Buddy Holly, Ritchie Valens and the Big Bopper. «They hired a charter to fly them to the next gig early so they could get off the tour bus for awhile and sleep in a real bed. My share was going to be 35 dollars, a month’s rent fo my parents. I passed.»

             À certains moments, Davin Seay devient pharaoniquement biblique. «But from the opening notes of Dion’s poignant and supremely assured rendition (Abraham, Martin and John), it belongs, like the rest of his canon, solely to him, with Gernhard’s masterfully modulated clarinets and harps and church organ giving the heartfelt sentiments a fitting cinematic sweep... and a generational resonance.»

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             Si on est assez solide pour supporter la variété américaine des early sixties, on peut essayer d’écouter les premiers albums de Dion parus sur Laurie. Quand on écoute Alone With Dion paru en 1961, on voit bien que Dion s’imposait déjà. «PS I Love You» était en fait une merveilleuse pièce de slowah des early sixties, un froti de rêve. Il reprenait sur cet album «Save The Last Dance For Me» et il avait l’avantage de bénéficier d’une vraie voix de stentor. Il pouvait aussi rivaliser avec Sinatra, en attaquant des bluettes comme «Close Your Eyes» et passait au jazz kitschy avec «Fools Rush In». Il a une si belle voix qu’il peut faire le «My One And Only Love» au bar de nuit de charme fatal et taper dans Broadway sans aucun complexe avec «North East End Of The Corner». Fantastique interprète.

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             Runaround Sue date aussi de 1961, et ça ne nous rajeunit pas. Le morceau titre fut le premier hit américain de Dion. On dit que ce sont les Beatles qui l’ont détrôné. Il faut dire que Dion se situait à la lisière de la pop de fête foraine. Il avait déjà ce qu’on appelle une voix, c’est vrai, il suffit d’entendre «Life Is But A Dream» pour s’en convaincre. Sur cet album se trouve l’autre grand hit de Dion, «The Wanderer», un swing du Bronx pour le moins extraordinaire. Il chante du nez, c’est en place, mais aujourd’hui, qui va aller écouter ça ? On retrouve le doo-wop qui fit sa réputation dans «In The Still Of The Night». Dion faisait ce qu’il voulait avec sa voix, même une version bon enfant de «Kansas City» 

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             Lovers Who Wander paraît en 1962. Voilà un album plein de jus. Si tu veux connaître Dion, écoute Dion. Si tu n’écoutes pas ses premiers albums, tu ne pigeras rien au personnage. Il démarre avec le morceau titre qui est le twist du dépôt de la Demi-lune, bien crooné aux chœurs de juke. Comme Dion est un être joyeux, il chante «Come Go With Me» soir et matin, il chante sur les chemins. C’est Bobby Keys qui joue du sax. Avec «Little Diane», il tape dans la vraie pop de désespoir du Bronx. Il prend aussi «Stagger Lee» à la meilleure volée et il passe aux choses très sérieuses avec une reprise de «Shout». Cet album est surprenant de bout en bout. Son Shout vaut tout l’or du Rhin. Quelle énergie ! Il peut tenir longtemps au meilleur jus de juke - She’s good to me/ I’am alrite now - Quel jiver ! Il repart comme un beau diable, c’mon now ! Il retrouve son statut de chanteur extraordinaire avec «Born To Cry» et revient au rock du Bronx avec «Queen of The Hop».

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             Donna The Prima Donna est un pur album de jerk. Avec le morceau titre, Dion tape directement dans le doo-wop des camors. Il faut écouter ça ! Dion mène le bal, c’est indéniable. Pow pow pow, voici «Can’t We Be Sweethearts» embarqué à la fièvre de juke. Dion nous swingue ça à la vie à la mort. C’est admirable de tenue et les autres font du bow bow bow en descente. «Sweet Sweet Baby» ? Mais c’est le jerk du New York des années 50. Dion jerkait déjà l’oss de l’ass. Encore du vieux jerk de rital new-yorkais avec «This Little Girl Of Mine». Sacré Dion, c’est fou ce qu’il sait jerker. Il sait rendre les choses terriblement excitantes. Et c’est torché au sax. Par contre, il tape «Flim Flam» au riff du delta. Quelle classe. On a des clap dans l’oreille gauche. Voilà un cut qui préfigure les Beach Boys. C’est swingué aux clap-hands. Quel fantastique développement ! Même chose pour «This Little Girl» qui est swingué aux clap-hands. Tout ça se déroule dans les jukes new-yorkais et Dion chante comme un démon. Avec «You’re Mine», Dion retape dans le heavy boogie blues. Il est malin comme un renard. Il multiplie ses ooh yeah. Pour l’époque, c’est d’une grande modernité. Il faut aussi écouter «I Can’t Believe», joué à la guitare expansive de flamenco et secoué aux castagnettes. Il connaît les ficelles.

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             Sur la pochette de Ruby Baby, Dion porte un joli pull rouge. Dès le morceau titre qui fait l’ouverture, on retrouve cette voix extraordinaire et colorée qui le rendra indispensable. Ruby est bardé de bonnes dynamiques. Quel son ! Voilà le pur jive new-yorkais, un son en qui tout est comme en un œuf aussi rond qu’harmonieux. Avec «Go Away Little Girl» et sa subtile orchestration, Dion se rapproche de Fred Neil. Il peut aussi rocker la boutica comme on le constate à l’écoute de «Gonna Make It Alone», d’autant qu’il a derrière lui des chœurs de rêve. De l’autre côté rayonne «Will Love Ever Come My Way», pur jus de doo-wop. Leur son est bourré de bonne énergie. Tous les morceaux de cet album sont agréables et bien foutus et il termine avec «Unloved Unwanted Me», une belle pièce pantelante de pop, montée sur un beau son de basse et ça drumbeate bien jungle, avec un léger parfum d’exotica.

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             Fin de l’époque Laurie avec Love Came To Me : doo-wop de rêve (le morceau titre) et coups d’acou bien rythmés («So Long Friend»). On goûtera l’élégance primordiale d’«Heaven Help Me» et la voix de rêve du dieu Dion dans «Then I’ll Be Tired Of You», cut visité au loin par une belle trompette. C’est même admirable d’élasticité mélodique. Oui, Dion chante comme un dion. Il n’est pas convenable d’être aussi primordial. Sion aime Dion, il faut aussi écouter le bon kitsch de «Kissin’ Game». Il crée une sorte d’extase et c’est violonné à la ritale. Dion sonne comme Dylan dans «Candy Man», même timbre new-yorkais. Et il passe au gospel avec «I’m Gonna Make It Somehow». Il tire l’énergie du gospel et les chœurs montent avec des ahhh et des ouhhh, hallelujah ! Il revient au très beau «PS I Love You» d’une extrême pureté mélodique. Quand c’est servi au chant par une voix d’ange, ça devient intolérablement bon. Encore une merveille avec «Could Somebody Take My Place Tonight», fantastique pièce de swing - I love you so ! - C’est embarqué à la stand-up et tapé à l’austère swing new-yorkais.

             Jon Mojo Mills tend son micro à Dion pour Shindig!. Dion dit avoir découvert le blues grâce à John Hammond qui lui passe des albums de Robert Johnson, Furry Lewis, Leroy Carr et Fred McDowell. Il dit suivre le même parcours que Keith Richards, de l’autre côté de l’Atlantique. Pour lui, la force des sixties réside dans le fait que la musique commerciale était aussi du grand art - Oh this is artistic and that’s commercial -  Dion a aussi une anecdote marrante sur John Lennon : il raconte qu’en 1965, il tombe sur John et Ringo dans une boutique de fringues de la 57e rue. John et Dion achètent le même leather jacket. John qui est fan de Dion lui dit qu’il adore «Ruby Baby» et qu’il le jouait sur scène au Star Club de Hambourg. Et donc, le portrait de Dion qui est collé sur la pochette de Sgt Pepper a été découpée sur la pochette de «Ruby Baby». Dion et Dylan sont les seuls musiciens américains à figurer sur la pochette de Sgt Pepper - Yeah good company

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             Wonder Where I’m Bound sort en 1969, année érotique. Avec «I Can’t Help But Wonder Where I’m Bound», Dion sonnerait presque comme Fred Neil. Il navigue aux confins du folk et de la pop élégiaque de type Brill. Quelle ampleur ! Il enchaîne avec une belle cover d’«It’s All Over Now Baby Blue» signé Dylan, comme chacun sait. Oh attention, il prend «A Sunday Kind Of Love» au chat perché, mais il pose si bien sa voix que ça tourne au pur régal. Ce mec est un chanteur exceptionnel, il travaille sa mélodie au demi-chat perché et crée des effets mirifiques. Il prend «Now» à l’ampleur mélodique de la Belmont-mania. C’est une fois de plus digne du Brill. Il tape aussi dans le «Southern Train» de Big Dix. C’est envoyé au choo-choo-shuffle d’harmo et aux vieux coups d’acou, ça joue au gimmick exacerbé par devant et ça strumme comme dans l’Arkansas par derrière. S’ensuit un heavy blues de rêve, «The Seventh Son». Dion le prend à la perfe. Il a une vision exceptionnelle du son. Et il faut entendre la profondeur du son de guitare ! C’est un véritable coup de génie. Le solo s’inscrit dans la voix de son maître et c’est bardé d’effets prescriptifs de la pire espèce.

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             En 1968 sort Dion sur Laurie. Attention, c’est un très bon disque. Il attaque avec l’un de ses hits, «Abraham Martin & John», un pur hit sixties, l’un de ces hits doux qui ensorcelaient, comme ceux de Fred Neil ou de David Crosby. Il enchaîne avec une version balladive du «Purple Haze» de Jimi Hendrix. Il chante d’une voix à l’accent tranchant et il jazze le jive hendrixien à la manière de Duffy Powers. Ça groove et ça flûte sur le delta du Mekong jusqu’à l’horizon. Il fait aussi une reprise du «Tomorrow Is A Long Time» de Dylan, jouée au doux balladif de voix insistante et le couple avec l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil, comme par hasard. Dion sait manier la beauté pure. Il passe au heavy blues des ténèbres avec «Sonny Boy». Il sait créer les conditions de la magie. Il revient à Fred Neil avec «The Dolphins». Il chante d’une voix tellement parfaite qu’il peut aller traîner dans les eaux de Fred Neil sans rougir. Il a le même sens océanique. On est là dans la pureté mélodique absolue. En B, on tombe sur un «Sun Fun Song» assez élégiaque, mélodique et orchestré aux trompettes de Sgt Pepper. Dion maintient le cap mélodieux d’une voix d’accents tranchants. Quelle ampleur ! Encore de la pure magie mélodique avec «From Both Sides Now». Une vraie fleur du paradis. Il oscille d’une voix de rêve éveillé.

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             Avec Sit Down Old Friend paru deux ans plus tard, il entre dans une période résolument folky folkah. Diaphane et éperdu, «Natural Man» sonne comme du Nick Drake. Dion porte une petite moustache et il ressemble au batteur de Creedence. Il tape son «Jammed Up Blues» à coups d’acou et il fait le virtuose à la manière de John Hammond. Dion est un fantastique guitariste de blues ambiancier. Il tape plus loin une cover de «You Can’t Juge A Book By The Cover» et fait son petit primitif. Il attaque sa B avec une reprise de Jacques Brel, «If We Only Have Love» et ça sonne comme «Le Partisan». Mais ça ne fonctionne pas. Avec «Sweet Pea», il revient au blues de primate évolué. Pas de doute, Dion sait jouer le blues. Avec le morceau titre qui referme la marche, on note l’excellence du timbre de Dion.

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             On considère Sanctuary comme un classique, mais ce n’est qu’un album de folk américain sans retentissement, même si certains cuts comme le morceau titre sont des balladifs d’ampleur considérable. Avec «Willigo», on ne retient que la voix. Toujours la voix. Rien que la voix. De cut en cut, Dion touille son petit brouet de folkah sans se presser. En B, il tape son vieux «Wanderer» à coups d’acou et revient aussi sur «Abraham Martin & John». Le grand art de Dion, c’est cette façon de chanter perché à l’harmonique tutélaire. Il reprend aussi son vieux «Ruby Baby» et ça passe comme une lettre à la poste.      

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             La même année sort You’re Not Alone, et sur la pochette, il gratte ses poux. Donc pas de surprise. On se régale de «Sunniland», balladif doux et intimiste. Dion est un être chaud et humide. Il sait gérer la douceur du temps qui passe. Arrive «Windows», folky comme pas deux et beau comme un cœur. Pas de vagues. Tout est paisible sur cet album. Son «Peaceful Place» est magnifique de pacifisme éberlué. Dion sait poser sa voix sur l’eau calme d’une étendue. De l’autre côté, il tape à deux reprises dans les Beatles. D’abord avec «Let It Be», puis avec «Blackbird». Mais le hit de l’album, c’est «The Stuff I Got», joué au blues rock de bonne augure et swingué à l’acou. Dion est un petit futé. Il garde ses vieux réflexes belmontiens. Voilà ce qu’il faut bien appeler un cut parfait, ce qui est toujours plus intéressant qu’un cul parfait. Il fait aussi des miracles avec «Josie». Il fait couler son miel de voix mélodieuse sur le velours de ton estomac.       

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             L’année suivante, il revient au folk pur avec Suite For Last Summer. Avec «Running Close Behind You», il tape dans le folky road blues. Il nous gratte ça au petit gimmick scintillant et il chante avec l’autorité d’un donneur de leçons. Les parties de guitare sont comme toujours parfaitement exquises. Il fait de sacrées confidences dans «Traveller In The rain» - I’m a friend of the darkness/ Traveller in the rain/ I’ll be gone before the daybreak comes again - Et il enchaîne avec «Tennessee Madonna», une belle chanson d’amour hantée. Cet album est celui des balladifs romantiques. Tout est beau et chanté d’une voix pleine aux as, comme par exemple «Jennifer Knew», balladif violonné aux nappes brunes d’un automne fuyant. 

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             Comme Brian Wilson, Dion fait l’expérience d’un enregistrement avec Phil Spector. Il s’agit de Born To Be With You. On retrouve tout en double : «There were ten guitar payers, nous dit Dion, «as many backing singers, two drummers, two bass players, two vibists, and even more people on the control booth.» Totor voulait Dion, et Dion voulait Totor. Mais ça ne s’est pas très bien passé et Dion est parti avant la fin. Il manquait deux morceaux. Cet album fait partie des classiques du rock américain. Dès le morceau titre, on retrouve la patte d’écho spectorienne. On compte pas mal de célébrités dans le studio : Jesse Ed Davis, Hal Blaine, Klaus Voorman, Jerry Cole, Bobby Keyes, Barry Mann, pour n’en citer que quelques-uns. Dion et Totor tapent dans «Make The Woman Love Me» de Mann & Weil, une pièce de pop extraordinaire. Retour au pur Spector sound avec «(He’s Got) The Whole World In His Hands». Dion chante à la décontracte du Bronx. Il fait son ménestrel de l’impossible et ça marche. De l’autre côté, il tape dans «Only You Know», un hit de pop lourde signé Spector & Goffin. Inutile d’ajouter que c’est un hit parfait, hanté de l’intérieur par un beat lourd et majestueux. «New York City Song» est l’un des deux titres non produits par Totor. C’est une pure merveille - Ain’t it funny baby/ That we’ve taken different roads - Et on revient à la pop de rêve avec un «In And Out Of The Shadows» signé Spector & Goffin. C’est la combinaison gagnante : la voix, la chanson, le producteur de génie, donc le son. Dion chante ça à gorge déployée. Il devient alors l’un des géants d’Amérique. 

             Pour les beaux yeux de Jon Mojo Mills, Dion revient sur l’épisode Totor - Working with Phil Spector was a trip - Il dit être allé dans son château de Los Angeles. Totor et lui répétaient ensemble les chansons de l’album dans cette pièce où se trouvait le piano, la table de billard et des tas de portraits au mur, Muhammad Ali, Einstein, Friedrich Nietzsche, Bertrand Russell, Bernard Shaw, avec lesquels nous dit Dion Totor s’identifiait complètement. C’était un mec très différent, quite tumultuous, a little crazy, but I loved being with Phil. Son ami Nino Tempo jouait de la trompette. Il évoque aussi la foule dans le control room pendant l’enregistrement, Sonny & Cher, Springsteen, et même Jack Nicholson. Avec le recul, il pense que Born To Be With You est l’album parfait. Ça tombe bien car on pense exactement la même chose. 

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             Le morceau titre de Sweetheart est une pure merveille de pop violonnée à la Fred Neil. Encore de la pop de rêve ! «The Way You Do The Things You Do» qui ouvre le bal de l’album est de bonne augure, car c’est de la good time music new-yorkaise finement violonnée et Dion chante à l’admirabilité suprême des choses. Avec «Queen of 59», Dion sonne comme le Kim d’«International Heroes». Par contre, «You Showed Me What Love Is» va plus sur le rock, avec un beat plus soutenu. Dion retrouve vite ses marques océaniques avec «Hey My Love» et «On The Night», cette pièce de grande pop américaine qui prend bien son temps et que rien ne presse. Nom de Dion, quelle élégance ! Un léger parfum de Stonesy plane sur «Lover By Supreme». Dion sait faire claquer ses vieux accords - I’m a lover boy supreme !   

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             Pochette putassière pour Return Of The Wanderer qui sort en 1978. Avec «Heart Of Saturday Night», il donne le la : il va droit sur la good time music, celle qui fait battre les petits cœurs adolescents. Il prend le prétexte de «Guitar Queen» pour rendre hommage à la grande Bonnie Raitt - Robert Johnson let her records/ And Johnny taught her slide guitar - Il parle de John Hammond, bien sûr. Il attaque l’autre côté avec «Brooklyn Dodger», un balladif absolument fantastique - And if I had my leather jacket/ I swear I’d give it another try - C’est à la fois puissant et mélancolique, et un extraordinaire solo de sax à la Bernard Hermann embarque le cut au firmament. Franchement, il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Pour finir, il reprend le vieux «Do You Believe In Magic» des Lovin’ Spoonful. Oh, ça lui va comme un gant. C’est même effarant de qualité. 

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             En en 1980, Dion va entrer dans sa période mystique, comme Candi Staton. Il va enfiler une série d’albums d’obédience évangélique et chanter les louanges de Jésus. Le premier album de cette série s’appelle Inside Job. Il porte sa fameuse casquette de Gavroche. Il attaque son chemin de croix avec «I Believe» histoire de balayer toute ambiguïté. Selon Dion, croire en Jésus, c’est la même chose que de tomber amoureux d’une fille. «Center Of My Life» est un superbe balladif velouté à la belle voix lumineuse. En en B, on trouve deux bons cuts, «New Jersey Wife», mid-tempo new-yorkais bien senti - Search for your own tomorrow - et «Man In The Glass», où il mène le rock à la baguette. Il n’a rien perdu de sa fougue d’antan.  

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             L’année suivante sort Only Jesus. Dion porte toujours sa casquette. Beau cut que ce «The Best». C’est du folk-rock de haut rang et «It’s Gonna Rain» se veut mid-tempique, bien soigné, bordé aux chœurs et orchestré à la new-yorkaise. S’ensuit le morceau titre de l’album qui par son fil mélodique renvoie directement à Procol Harum. En effet, on se croirait sur «Salty Dog». De l’autre côté, il fait du Lord au heavy blues avec «Thank You Lord» et ça vient saxer à la mode du Bronx. Il termine avec «Greater Is He». Pour Dion, Jésus est un vrai héros. Il peut chanter ses louages sur des albums entiers. Sacré Dion !           

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             On continue de patauger dans l’eau bénite avec I Put Away My Idols. Il tape dans le gospel de reggae pour «Trust In The Lord». Il se réclame de Saint-Mathieu - Là où se trouve votre trésor, c’est dans votre cœur - ce qui ne veut rien dire, si on voit le cœur comme un muscle. Mais chez les ritals, ça finit toujours dans la bondieuserie. Par contre, avec «Daddy», on retrouve le bon vieux Dion de substance, celui des chansons palpables. Il redemande à son père de lui raconter l’histoire de Jésus. On s’en serait douté. En B, on se régalera de «They Won’t Tell You», un vrai rock de Dion, bien emmené et bien senti - Jesus will always be your friend - Et il revient au balladif de charme infernal avec «Healing», et le petit côté Fred Neil - And healing just another world for love - fantastique ! C’est la pop de rêve à laquelle Dion nous avait habitués dans ses anciens albums. Dion crée son monde et chante vraiment comme un dieu.        

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             Excellent album que ce Kingdom In The Streets paru en 1985. Dion sourit sur la pochette. Il porte sa casquette de Gavroche et un blouson de cuir noir. Trois belles énormités se nichent sur cet album, à commencer par «Crazy Too (Fallen In Love)», chanté au chant puissant - My friends I’ve gone crazy - Quel fabuleux groove new-yorkais ! C’est suivi au sax et battu sec. Dion s’impose comme d’habitude, par la seule qualité de son timbre. Aussi énorme, voici «He Hears Them All», un balladif imparable, monté sur un bon beat entraînant. Dion enchante - As shoulder to shoulder we stand at his throne/ As we raise our voices in song - Ce mec est très convainquant. En B, on tombe sur l’effarant «I’ve Come Too Far». Il met God à toutes les sauces. Après le simili-reggae,  voici le heavy blues. C’est admirable car saxé. Dion raconte sa libération - He released me from my  pain/ Kept me from going totally insane/ Now I stand firmly in the rock/ Yes and I praise his holy name.    

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             Avec Velvet And Steel, Dion replonge de plus belle dans la religiosité. Il rend un percutant hommage à God avec «Hymn To Him» et parle beaucoup de Jésus. Dans «Just Talk To Him», il parle à Lui, c’est-à-dire Jésus et «I Love Jesus Now» ne laisse aucun doute sur le fond de sa pensée. Il chante «Another Saturday Night In Heaven» avec toute la gouaille du Bronx dont il est capable et passe «Prayers» en mode balladif, mais sur une très belle mélodie chant. Il y évoque les ancient men et les ancient shrines - prayers spoken soft in desperation

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             Dave Edmunds produit Yo Frankie, un album paru en 1989. Sur la pochette intérieure, on peut lire un fantastique éloge de Lou Reed. On l’entend d’ailleurs faire les backing sur «King Of The New York Streets» qui ouvre le bal de l’album - I didn’t need no bodyguard/ I just ruled from my backyard/ Livin’ fast livin’ hard - Sur le morceau titre, on entend une fantastique bassline de Phil Chen - You might want a movie star type/ I don’t go for that show-business hype - Quelle fantastique allure ! On sent le chanteur à l’aise et auréolé de légende. Il attaque la face cachée de la lune avec un «Drive All Night» en bonne santé et visité par un solo de sax extrêmement avantageux. C’est vraiment la fête. Et voilà la bombe de l’album : «Always In The Rain», un cut digne du Brill. On y retrouve même les castagnettes de Totor. C’est une tradition qui remonte à loin dans le temps, au temps où on savait produire des chansons. Et dans «Tower Of Love», Dion nous refait le coup du solo de sax en fin de parcours. Les mid-tempos balladifs de Dion restent des modèles inégalables - We’ll blend it together/ We’ll build a tower of love - Beat that, comme dirait Jerry Lee.                 

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             Il porte toujours sa casquette sur la pochette de Fire In The Night. Il y aligne une série de cuts pop un peu passe-partout. Du radio friendly, comme diraient les Anglais. Ça pue un peu le Dire Straight et le Spingsteen. «Hollywood» sonne comme du Stevie Wonder commercial. Berk. De l’autre côté, il redescend dans la rue pour «All Quiet On 34th Street» et il raconte l’errance. Il fait du pur jus de Stevie Wonder avec «You Are My Star». On retrouve enfin le grand Dion mélodique. Et il finit avec un fameux «Poor Boy». À la limite, c’est dans la good time music qu’il se sent le mieux - Lost in the heart of the city/ hanging out on the corner.  

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             Le Deja Nu sorti sur Ace en l’an 2000 est un disque bourré de bon doo-wop et de basse sourde. Comme à son habitude, Dion donne bien de la voix. Avec «Hug My Radiator», il donne un fantastique exemple de l’expressivité du rock’n’roll à la new-yorkaise : son plein et chœurs de rêve. Les trois vieux copains de Dion font des chœurs de doo-wop extraordinaires. Franchement, quand on écoute «I New York City» ça crève les yeux : Dion chante comme un dieu. Il peut créer les conditions de l’ampleur urbaine. Sur «Ride With You», il sonne presque comme Joe Cocker. On comprend que Totor se soit intéressé de près à un chanteur comme Dion, surtout lorsqu’on l’entend chanter «Book Of Dreams». Il tape aussi dans le heavy blues d’ampleur considérable avec «If You Wanna Rock & Roll». Dion est véritablement the real deal, the best thing on the block. Il passe un bel hommage à Buddy avec «Everyday (That I’m With You)». Il faut se souvenir que le jeune Dion se trouvait dans le bus de la tournée fatale - We dreamed the dream - Dion est un chanteur hors du commun. Il sait poser sa voix et traiter d’égal à égal avec les meilleurs balladifs. Encore un coup de maître avec «Hey Suzy». Franchement, Dion sait dresser une table.    

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             Bronx In Blue compte aussi parmi le grands classiques de Dion, et ce pour quatre raisons. Un, ce bel hommage à Bo avec une reprise de «Who Do You Love». Le son ! La pureté du claquage ! Dion est dessus, coiffé de son béret. C’est probablement l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Bo. Dion gratte ses coups d’acou avec la prestance d’un seigneur de l’an Mil. Il atteint des profondeurs de ton exceptionnelles. Ça fait vraiment plaisir à voir. C’mon ! Dion sait serpenter et ramper au mieux des intérêts de Bo. Deux, une reprise de Wolf édifiante, «Built For Comfort» - Some folk feel like this/ Some folk feel like that - Il fait bien le traînard wolfien - Cause I dig the comfort - Une vraie pétarade de Dion Bouton ! Yeah babe ! Il mouille ses syllabes et c’est gorgé de son. Trois, une autre reprise de Wolf, «How Many More Years» que Dion chante à plein gosier. Et quatre : une superbe reprise d’Hank Wiliams, «Honky Tonk Blues». Ça lui va comme un gant. Mais il tape aussi d’autres classiques terribles comme le «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed, admirable de traînarderie, ou «You’re The One» qu’il prend à la voix idoine. Il tape aussi dans le vieux Robert avec «Travellin’ Riverside Blues», monté sur une belle rythmique opaque, et il place des coups d’acou nerveux et fouillés, infestés de tortillettes andalouses.     

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             Dion ne chante pas que du Skip James sur Son Of Skip James paru en 2007. Il attaque avec le «Nadine» de Chuck et en sort une version sourde comme un pot. Dion a le même sens de prod que Dave Edmunds. Il enchaîne avec une fantastique reprise du «My Babe» de Big Dix. Sa voix porte au loin. Il tape le «Drop Down Man» de Sleepy John Estes au bon fouillis de son de cabane de Bronx. Il chante à la diction mouillée - Two trains running never go my way - C’est effarant de son. Il joue aussi «Hoochie Coochie Man» à la bonne affaire et même si ça sent le cousu de fil blanc, le fouillis du son le lave de tous ses péchés. Dans les notes de pochette, Dion raconte qu’il fréquentait Dylan à l’époque des sessions CBS et d’ailleurs il fait une reprise admirable de «Baby I’m In The Mood». Puis il gratte «I’m A Guitar King» à l’ongle sec. On entend les cordes vibrer. Excellent ! Ce n’est que sur le tard qu’il va taper dans Skip avec «Devil Got My Woman». Il chante ça au traîné de malveillance. Dion fait un portrait de Skip - He was a beautiful shy, mysterious dude who sang like he was from outer space - Le pauvre Dion essaye de retrouver le fil de Skip. Il tape aussi dans Robert avec «If I Had Possession Over Judgment Day». Il joue avec entrain et se montre plus viandu que John Hammond.

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             Comme l’indique son nom, l’album Heroes est un album de reprises, et ho let’s go ! Quelles reprises ! Ouverture du bal avec «Summertime Blues». Dion a LA vraie voix et il gratte ça sec. Excellent. Version bien teigneuse et classieuse à la fois. Il roule les paroles mythiques dans la farine de sa maturité. On ne sautait espérer un chanteur plus adapté au vif argent d’Eddie. Il prend ensuite «Come On Let’s Go» au chat perché et c’est excellent. Il navigue au gros solotage new-yorkais et c’est bourré de sons de guitares irréelles. Le son, baby, rien que le son ! Il ramène ça dans la Bamba, oh mais c’est vrai, il connaît bien Ritchie Valens, puisqu’il se trouvait dans le bus de la tournée fatale, en février 1959. Tiens, justement il tape dans le «Rave On» de Buddy qu’il voyait jouer tous les soirs, lors de cette tournée de 1959. C’est un bonheur que d’écouter Dion chanter ça. Il rajoute du plomb dans l’aile du vieux hit de Buddy. C’est incroyable ce qu’il chante bien ces vieux hits poussiéreux. Il tape aussi dans «Believe What You Say» des frères Burnette et dans «Be Bop A Lula», et même dans le «Runaway» de Del Shannon qu’il surpasse, car il en fait une version beaucoup plus terrienne avec des woa woa woa plus maîtrisés. Puis il passe à «Jailhouse Rock» et Don jette toute sa prestance dans la balance. Il prend «I Walk The Line» au vieux tagagda des Memphis Three, ce n’est pas la même voix, bien sûr, mais quelle viande de son ! S’ensuivent des versions extrêmement solides de «Blue Suede Shoes», de «Who Do You Love» et de «Sweet Little Rock And Roller» et ainsi va la vie. 

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             En 2010, Dave Marsh dit à Dion que ses trois derniers albums sont les meilleurs. Dopé par le compliment, Dion enregistre Tank Full Of Blues, un album terrible. Il joue le boogie blues avec toute la niaque du Bronx. Il rend hommage à Dave Marsh avec «I Read It (In The Rolling Stone)». Il le considère comme le grand gourou du journalisme rock. Ça commence vraiment à chauffer avec «Holly Brown», un fantastique boogie blues chanté à pleine voix. Dion reste éclatant comme pas deux. Avec lui, on est sûr de connaître la plénitude. Il ramone plus loin la cheminée de «Do You Love Me Baby» avec la niaque d’un nègre de Baton Rouge. Il montre le même genre de puissance invertie. Il traite ensuite «You Keep Me Cryin’» au beat pulsatif. Dion sait mener sa barcasse. Il file à la patte du caméléon et sort un cut énorme, bien tendu, avec la voix toujours posée et soudain, il claque une espèce de solo à l’éparpillée. La classe absolue ! - What can I do ? What can I say ? - et il y va du menton - Someday baby I won’t cry no more ! - Encore plus énorme : voici «My Michelle», un stomp digne de «High Heel Sneakers» - Dion a décidé de casser la boutica, alors il réveille les morts de la tranchée d’Epernay - Mitchelle ma belle you’re sweet as hell/ hey Mitchelle I saw you dance across the poem ! - «I’m Ready To Go» sonne comme un hit dès la première mesure. On a là une grosse basse et une pulsion parfaite. Dion a toujours su créer l’événement et il termine ce faramineux album avec «Bronx Poem» - I was born on the Bronx on a strange day I guess you can say - Il chante du rap à la Dylan - he blessed me beyond wy mildest dreams - et il lance ses Yo life is hard et ses Yo allelujah ! Et puis il brode à l’infini, yankees, JFK, delta blues...

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             Un live qui date de 1971 refait surface : Recorded Live At The Bitter End. Il attaque avec une belle reprise de Dylan, «Mama You’ve Been On My Mind». On retrouve sa tenue de voix impeccable. Avec «Too Much Monkey Business», il joue un peu à l’élégance de l’acou, comme John Hammond - This is an old Chuck Berry song ! - Il fait là encore une belle cover de voix mûre. Dion sonne comme un dandy du rock. Si Oscar Wilde avait pu chanter, peut-être aurait-il sonné comme Dion. Il revient à Dylan avec «One Two Many Mornings». Il le prend du nez et reste interminablement bon. Il tape aussi dans les Beatles avec l’indicible «Blackbird» et va chercher la mélodie très haut dans la stratosphère. Il tape aussi dans le boogie blues avec «You Better Watch Yourself». Pour lui, c’est facile, comme il joue très bien de la guitare, forcément, ça aide. Il aligne ensuite une série de hits imparables, «Don’t Start Me Talking» de Sonny Boy Williamson, «Sanctuary», «Wanderer» et «Ruby baby», qu’il chante très haut.

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             New York Is My Home date de 2016. Pas de hit en particulier, mais du son et une voix. Dès «Aces Up Your Sleeve», il sort le grand jeu, c’est-à-dire sa voix et le gros son.  Avec le morceau titre, il s’approprie la ville - She is everything - Il passe du heavy blues au rock’n’roll et revient au vieux boogie avec le «Kate Mae» de Lightnin’ Hopkins. Dion ne se casse plus la tête. Pour «Ride With Me», il fait tourner une moto dans le studio, comme le fit Shadow Morton au temps des Shangri-Las. Il lance ainsi son cut, qui par ailleurs se révèle excellent. Il co-écrit aussi avec Scott Kempner des Dictators. Résultat : «Visionary Heart» qui sonne hélas comme du rock FM. Il boucle avec un vieux boogie d’Hudson Whittaker, «It Ain’t For It». Implacable, c’est sûr. Dion adore le boogie - Spend my money - Il adore le vieux boogie des années de braise. On le comprend.

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             Norton vient de sortir le mythique Lost Album de Dion, Kicking Child. Franchement cet album vaut non seulement le déplacement, mais aussi le rapatriement. Pour de multiples raisons, à commencer par l’infernal «Now». On y assiste à l’extraordinaire mobilisation des grandes heures du Duc de Dion. Il semble tout balayer sur son passage. La puissance de son chant règne sans partage sur l’empire des sens. On note aussi qu’il est à l’époque très influencé par Dylan : le morceau titre d’ouverture du bal est là pour nous le rappeler. Il joue ça très laid-back à l’écho du temps. Même chose avec «Baby I’m In The Mood For You» et «Two Ton Feather» : Mood est une reprise de Dylan, Dion claque ce prodigieux heavy boogie aux meilleures guitares de l’époque et le démon qu’on entend s’appelle Johnny Falbo. On l’entend refaire des siennes dans «Two Ton Feather» d’inspiration dylanesque. Parmi les autres énormités, on trouve «I Can’t Help But Wonder Where I’m Bound», fabuleux shoot de Dion chanté à l’extrême onction. N’oublions pas que Tom Wilson, le producteur de «Like A Rolling Stone» et de «The Sound Of Silence», veille au grain. Nouvelle merveille prospective avec «Wake Up Baby», pur jus de wandering jangling guitars, c’est une ode au génie des lieux, Dion sonne comme un dieu. Il fait encore une cover de Dylan avec «Farewell». Mais quand il tape dans «It’s All Over Now Baby Blue», on se dit qu’on pourrait aussi écouter la version originale. À force de dylaner dans le jangling, Dion s’affaiblit.

             Dion dit qu’à l’époque de Kicking Child, il était out of his mind on drugs. Il est sidéré après coup de voir que le drug fog n’altérait que ses relations avec les gens, pas la musique. Il avoue avoir adoré Dylan à l’époque et les groupes anglais, Kinks, Animals, alors il a monté un petit groupe pour enregistrer Kicking, avec Carlo des Belmonts au beurre, son pote Johnny Falbo on guitar, Pete Falciglia qui n’était même pas bassiste on bass et Al Kooper. Grâce à Billy Miller et Miriam Linna, l’album sort enfin. Quand Jon Mojo Mills lui demande s’il connaît Dylan, Dion dit oui,  ça remonte au temps de la fameuse tournée avec Buddy Holly, Dylan jouait dans le groupe de Bobby Vee sous le nom d’Elston Gunn. Puis Dion le retrouve plus tard à New York au studio Columbia, ils ont le même producteur, Tom Wilson, qui justement va produire Kicking Child. C’est Tom Wilson qui propose à Dylan d’enregistrer avec un groupe de rock. Wilson overdubbe la voix de Dylan sur du rock pour lui donner un modèle et Dylan trouve ça vraiment excellent. Dion est fasciné par Dylan - That guy is, you know, just genius - Fasciné par Dylan, oui, qui ne le serait pas ?

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             Dion revient dans l’actu avec un étrange album, Blues With Friends. Pourquoi étrange ? Parce que c’est un album de vieux, comme on en voit tant de nos jours. Comme Dion est vieux, forcément tous ses copains sont vieux et ça donne un vieil album. Trois cuts sortent un peu du lot, à commence par «Stumbling Blues» avec Jimmy & Jerry Vivino. Ça chante au raw de lounge, à la Louis Armstrong et du coup Dion renoue avec sa légende de petit mec génial. Sur «Bam Bang Boom», c’est Billy Gibbons qui l’accompagne et c’est tout de suite allumé, car la vieille barbe de Zizi a le sens du groove. C’est heavy as hell, le barbu rôde dans le son. Troisième point fort : «I Got Nothing» avec Van Morrison et Joe Louis Walker. Le gras double de Joe Louie change la donne. C’est le seul vrai cut de blues de l’album. Car oui, le reste n’est pas jojo, même si les invités prestigieux se bousculent au portillon, tiens, comme Joe Bonamassa, qui joue dans le «Blues Comin’ On» d’ouverture de bal. C’est du gros sans surprise, du prévisible de foire du trône qui n’a plus grand chose à voir avec le blues et c’est bien ce qu’on déteste dans cette histoire : le détournement, ou pire encore, la récupération du blues par les blancs, l’abolition de l’esprit du blues au profit d’une mascarade prétentieuse. «Kickin’ Child» sent aussi la putasserie. Nom de Dion botte en touche avec un groove replet et pépère. Il perd toute sa crédibilité. Brian Setzer vient duetter sur «Uptown Number 7» et le détourne pour en faire du swing et ça devient la foire à la saucisse. Il ne manque plus que Stong et Slosh. Voilà Jeff Beck sur «Can’t Start Over Again», trop beau pour être vrai, mais Jeff Beck sur cet album, ça ne veut rien dire. Même chose pour John Hammond. On se demande ce qu’il fout là. Tous les invités redoublent de belles giclées bien propres sur elles, mais tout est atrocement prévisible. On entend aussi Paul Simon dans «Joy For Sam Cooke» et l’album finit par ressembler à une galerie de singes savants. Tous les solos de guitare se ressemblent. Mais avec John Hammond qui revient une deuxième fois sur «Told You Once In August», c’est un peu plus sérieux car plus rootsy. Le son de ses cordes vient de la nuit des temps du blues. Mais il serait plus simple d’aller écouter Joe Callicott. Disons que John Hammond a encore un peu de crédibilité avec sa guitare, mais Dion n’en a aucune. Et puis ça finit tragiquement avec Van Zandt et puis le pire, Springsteen.

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             Ah tiens, encore un album de vieux ! Dion revient dans le rond de l’actu avec Stomping Ground, une espèce de suite de l’album précédent, car sur chacun des 14 cuts, Dion reçoit des invités. Toujours la même histoire : on a les invités qu’on peut. Si on veut sauver un cut, alors ce sera le morceau titre, car l’invité s’appelle Billy Gibbons et il ramène de la viande. Avec Billy, on sort du pré carré des demi-portions. On sauvera aussi le «Cryin’ Shame» car Sonny Landreth accompagne Nom de Dion. On retrouve même le chant têtu qu’on aime bien. Le reste n’a guère d’intérêt, Dion collectionne les resucées et les vieux boogies usés jusqu’à la corde («Take It Back»), ça tourne au pathétique avec les vieux crabes habituels, Clapton, Springsteen, Frampton, Knopfler, il ne manque plus que Stong et Slosh, et en bonus, le chanteur Bonus. Quelle déconfiture ! Grâce à la vulgarité putassière de certains cuts, l’album descend en dessous de tout. Nom de Dion chante pourtant comme du dieu sur «The Night Is Young», un heavy balladif de 42nd Street. Son «I’ve Got To Get You» sonne comme du Canned Heat on fire, il y a de beaux restes, heureusement. Le problème c’est que tous les invités essayent de chanter aussi bien que Nom de Dion, mais c’est impossible, comme ce fut le cas sur The Last Man Standing de Jerry Lee, où les invités se ridiculisaient. Tous ces pauvres mecs ramènent leur petite glotte et leur couteau, mais face à une présence tutélaire comme Nom de Dion, ils font pâle figure. Avec Lanegan, on retient quatre grands chanteurs américains : Iggy, Nom de Dion, Jimbo et Jerry Lee. Par contre, Nom de Dion réussit l’exploit de massacrer le «Red House» de l’ami Jimi. Le petit blanc ne fait pas le poids face au Voodoo Chile. C’est d’ailleurs le cas de tous les blancs dégénérés. À force d’efforts commerciaux, Nom de Dion finit par perdre un peu la face. Au plan artistique, c’est pas loin du KO technique. Le dernier cut, «I’ve Been Watching» qu’il chante en duo avec Rickie Lee Jones sonne comme une collusion entre le scoubidou et l’huître, tellement les accords de voix sont catastrophiques. Nom de Dion nous laissera donc sur une mauvaise impression. 

    Signé : Cazengler, Fion

    Dion. Alone With Dion. Laurie Records 1961

    Dion. Runaround Sue. Laurie Records 1961 

    Dion. Lovers Who Wander. Laurie Records 1962

    Dion. Donna The Prima Donna. Columbia 1963

    Dion. Ruby Baby. Columbia 1963        

    Dion. Love Came To Me. Laurie Records 1963

    Dion. Dion. Laurie Records 1968

    Dion. Wonder Where I’m Bound. Columbia 1969

    Dion. Sit Down Old Friend. Warner Bros. Records 1970

    Dion. Sanctuary. Warner Bros. Records 1971               

    Dion. You’re Not Alone. Warner Bros. Records 1971              

    Dion. Suite For Last Summer. Warner Bros. Records 1972

    Dion. Born To Be With You. Phil Spector International 1975       

    Dion. Sweetheart. Warner Bros. Records 1976   

    Dion. Return Of The Wanderer. Lifesong Records 1978          

    Dion. Inside Job. DaySpring Records 1980     

    Dion. Only Jesus. DaySpring Records 1981             

    Dion. I Put Away My Idols. DaySpring Records 1983          

    Dion. Kingdom In The Streets. Myrrrh 1985                      

    Dion. Velvet And Steel. DaySpring Records 1986  

    Dion. Yo Frankie. Arista 1989                      

    Dion. Fire In The Night. Ace 1990                                  

    Dion. Deja Nu. Ace 2000   

    Dion. Bronx In Blue. SPV Records 2006     

    Dion. Son Of Skip James. SPV GmBh 2007

    Dion. Heroes. Sagaro Road Records 2008   

    Dion. Tank Full Of Blues. Blue Horizon 2011

    Dion. Recorded Live At The Bitter End. Ace Records 2015

    Dion. New York Is My Home. The Orchard 2016

    Dion. Kicking Child - The Lost Album 1965. Norton Records 2017

    Dion. Blues With Friends. Keeping The Blues Alive Records 2020

    Dion. Stomping Ground. Keeping The Blues Alive Records 2021

    Davin Seay : Dion The King of New York. Mojo # 147. Mai 2006

    Jon Mojo Mills : Attraction works better then promotion. Shindig! # 120 - October 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - Wildhearts of gold (Part Two)

     

             L’avenir du rock sort du garage et se présente au guichet pour obtenir son certificat de contrôle technique. Assis devant son ordi, le mec tape les infos qu’il a recueillies au cours du scan et les commente d’une voix lénifiante :

             — Pour un vieux châssis, vous vous en sortez bien, avenir du rock. Vous dites dater de 54, c’est ça ?

             — Oui, j’ai choisi Sun pour simplifier les choses. Sister Rosetta Tharpe était là avant, mais je ne veux pas rentrer dans ces controverses d’historiens à la petite semaine, ça me fatigue.

             — Ça vous fait donc 68 ans d’activité. Pas mal pour un châssis de 68 ans. Très peu de corrosion, il faudra juste surveiller les rotules directionnelles...

             — Oh je sais, vous me dites ça tous les deux ans. Elles finissent par avoir du jeu, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, pas vrai ?

             — Côté cerveau-moteur, évitez les pointes de température. L’été, mettez-vous à l’ombre, il n’est pas certain que vos composants aient conservé leurs caractéristiques psychédéliques.

             — Vous allez trouver curieux que je vous dise ça, mais j’ai la nette impressions que mes tendances psychédéliques s’aggravent...

             — Ce n’est pas forcément bon signe. Essayez l’huile de foie de morue, ça décongestionne le cerveau-moteur, et en même temps ça renforce les pulsions libidinales. Vous allez retrouver votre punch de jeune avenir ! Pensez aussi à vous dégraisser le circuit respiratoire de temps en temps, il me semble drôlement encombré.

             — Oui, je sais. C’est la chique. En hommage à Charlie Feathers, je crache ma chique à distance, environ trois mètres, dans un pot. Avec de l’entraînement, on y arrive facilement.

             — Ah c’est pour ça que vous avez les dents dégueulasses ! J’allais justement y venir. Il faudrait penser à les faire nettoyer, ça vous fait la gueule d’un croque-mort chinois dans un western. Mais il n’y a aucune obligation. Les dents ne sont pas considérées comme un organe de sécurité.

             — Tant mieux, car j’ai horreur des dents blanches. Fuck it !

             — Côté cœur, impec. Rien à redire !

             — Et vous savez pourquoi ? Parce que c’est un cœur sauvage, un Wildheart !

     

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             Étrange coïncidence : au moment où l’avenir du rock s’extasie sur les Wildhearts, leur nouvel album paraît en Angleterre. 21st Century Love Songs est l’album de toutes les énormités.

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    Le line-up original tient toujours le coup (Ginger/CJ/Danny McCormack/Rich Battersby) et continue de sortir des albums dignes de leur âge d’or, c’est-à-dire P.H.U.Q. Tant que ces mecs-là seront en état de jouer, l’avenir du rock pourra continuer de dormir sur ses deux oreilles. Car enfin existe-t-il un groupe de wild rock plus brillant en Angleterre ? Bien sûr que non. Et ils restent délicieusement underground, ce qui peut-être les sauve. Tu veux du big heavy rock de Newcastle ? Tiens c’est là, dans «Remember These Days», c’est dans les pattes de Ginger, Danny, CJ & Rich, la plus fière équipe d’Angleterre depuis les Pink Fairies. Ces mecs sont nés dans le rock et ne vivent que pour le rock, pas étonnant qu’ils finissent par éclater au Sénégal. Ils enfoncent leur heavy boogie glam dans la gorge du XXIe siècle, ils sont les seuls à tenter un coup pareil, avec un son plein comme un œuf. Ils s’inscrivent dans la lignée princière de l’underground britannique qu’illustrèrent jadis Mick Farren et les Pink Fairies. Il faut voir Ginger lancer un one/two/three dans le cours du fleuve, en plein couplet de «Splitter», juste pour redonner de l’élan. Il adore les aventures, on le voit ensuite concasser «Institutional Submission» et provoquer des rebondissements inexpected. Il explore toutes les contrées, comme s’il était l’éclaireur d’une expédition. On se prosterne ensuite devant un «Sleepaway» amené aux arpèges de lumière et vite gonflé par le souffle des mighty Wildhearts. C’est un son à la fois plein et in the face, une démesure de power-pop - I need a real love - On s’effare des fantastiques évolutions - The warning reflections/ It’s just a sleepaway/ The Morning erection/ It’s just a sleepaway - Et ils repartent de plus belle en B avec «You Do You», une heavy dégelée finement teintée de glam et ça explose en plein couplet - Everybody is an expert these days - Les chansons des Ginger sont des chansons de colère. Il ne décolère pas. Pas étonnant que «Sort Your Fucking Shit» sonne comme un hymne. On assiste à une fantastique envolée par dessus un pont de chœurs demented - Oi/ Sort it out - Et Ginger finit à l’arrache de guttural définitif. Il reste dans la révolte politique avec «Directions». Il dit attendre qu’on lui indique une direction - I’m staying put until I get some directions - Puis il attaque «A Physical Exorcism» au killer riffy flash, il tape en plein cœur du mythe Wildhearts, ça joue à la volée, avec des couplets posés sur le beat des forges. Et quand tu ouvres le gatefold pour voir encore une fois leurs bobines, tu comprends que ces mecs-là ne sont pas là pour rigoler.

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             Dans Vive Le Rock, Guy Shankland tend son micro via Zoom à CJ Wildheart. CJ s’efforce de voir la vie en rose, mais comme pour tous les musiciens de rock, les deux dernières années ont été rudes. CJ n’en revient pas d’avoir joué à Londres dans des salles à moitié vides. À Londres ! Alors que d’habitude, les concerts des Wildhearts sont tous sold-out en Angleterre. Il ajoute qu’il met habituellement trente personnes sur sa guest-list et à l’Electric Ballroom, il n’en a vu que deux. Wow, les gens ont les pétoches ! La télé a bien fait son boulot. Au lieu d’aller voir jouer les Wildhearts sur scène, les gens préfèrent trembler de trouille devant leur journal télévisé. Bon CJ dit aussi qu’il n’est pas très en forme, mais ça c’est le problème de tous les tox et anciens tox confrontés à l’actu, comme on l’a vu avec Lanegan. CJ dit aussi que les Wildhearts n’ont jamais été aussi bons, il a raison, car c’est exactement ce que dit leur nouvel album. CJ aime bien rappeler que les Wildhearts sont avant toute chose une alchimie entre quatre mecs qui adorent jouer ensemble - We’re not a band that can do a ballad. We’re not Bon Jovi or a bluesy rock’n’roll band and we wouldn’t be able to play a Stones type song. We have a bombastic sound - Il ajoute que leurs cuts deviennent toujours anthemic, ce qui est parfaitement vrai. On apprend au détour de la conversation que Danny McCormack écrit son autobio, mais pour CJ, il n’en est pas question. Sa vie privée ne regarde personne. Il dit connaître de très bonnes histoires, mais ça ne reste dit-il que des histoires. À la limite, il accepterait d’écrire un cookbook, c’est-à-dire un livre de recettes de cuisine. Puis il repart sur les Wildhearts pour indiquer que le groupe s’en sort plutôt bien, financièrement, même s’il n’est pas ce qu’on appelle an internationally known band. Ils ne font pas de tournées mondiales et ne ramassent pas de millions de livres - Our maket is the UK only - Ça commence à bouger au Japon, mais que dalle en Europe et aux États-Unis. CJ ajoute que même s’ils arrivent à jouer pour deux cents personnes in a club over there (comme ce fut le cas au Backstage By The Mill en 2019), ce n’est pas ce qui leur permet de gagner leur vie. Alors pour joindre les deux bouts, CJ a dû ouvrir un hot sauce shop. Il en vit bien, il a de plus en plus de clients - It’s the hardest sauce to get hold of in the world - il n’ouvre que deux semaines d’affilée, deux fois par an. Alors si tu n’as pas acheté ta hot sauce au bon moment, tu devras attendre un peu. Il est marrant, CJ, très factuel, comme sur scène, il est là pour gratter sa gratte, alors il gratte sa gratte. Quand Shankland lui demande d’évoquer l’avenir des Wildhearts, CJ reste assez évasif. Tout ce qu’il espère, c’est que les gens sortiront de chez eux pour venir les voir en concert.    

    Singé : Cazengler, Wildbeurk

    Wildhearts. 21st Century Love Songs. Graphite Records 2021

    Guy Shankland : Wild at Heart. Vive Le Rock # 88 - 2021

     

     

    Inside the goldmine - Sail on Sailors

     

             Nous allons l’appeler C. À l’époque où nous partageons le même bureau, C’ est un homme dans la quarantaine, père de famille et propriétaire d’un pavillon, dans un quartier de banlieue. Il avoue s’être saigné aux quatre veines pour offrir à son épouse le pavillon de ses rêves. Il lance très vite une invitation à venir dîner un soir après le boulot, l’occasion, dit-il, de faire connaissance avec sa fille, son fils et son épouse. La nature n’a pas gâté le pauvre C. Un front bombé et disgracieux surplombe un visage taillé à la serpe. Autour d’un nez de boxeur pétillent deux petits yeux vifs et ce visage terriblement ingrat s’achève vers le bas par un menton en galoche. Pour compléter l’ensemble, il doit rabattre une chevelure appauvrie par-dessus son crâne pour masquer une calvitie précoce. Le pavillon ressemble très exactement à l’idée qu’on se fait d’un pavillon de banlieue. Bienvenue chez les beaufs ! Le terrain en pente, la terrasse en bois brut, les vases dans les étagères, il ne manque rien, un chef-d’œuvre de beaufitude. La fille et le fils sont à l’image du père et de son idéal : blêmes, boutonneux et sans conversation. Par contre, l’épouse, c’est une autre histoire. Au premier regard, on comprend tout. Cette femme brune au sourire angélique pourrait figurer sur n’importe toile issue de la renaissance italienne : elle est d’une beauté parfaite, très maquillée, serrée dans une robe noire moulante qui met en évidence des seins splendides et un ventre parfaitement plat, ce qu’on appelle communément un corps de rêve. Très peu de femmes inspirent autant de désir. Du coup, ce couple devient une énigme. Comment C a-t-il pu séduire une femme aussi belle et lui faire des enfants ? Quelque chose ne va pas. C’est elle qui fait la conversation. Elle attaque sur Saint-John Perse qu’elle cite dans le texte. Alors que nous finissons l’apéro et que nous passons à table, elle poursuit sur Victor Segalen dont elle se dit toquée, et de fait, la conversation dérive sur Gauguin pendant tout le repas. Sail on Sailor. En échangeant nos connaissances, nous alimentons ce vieux travers de l’érudition qui consiste à monopoliser la conversation. C s’en absente complètement. Soudain, l’évidence éclate : C vit en enfer. Il renouvellera plusieurs fois son invitation, sans succès. Pas question de retourner là-bas. Le spectacle de ce couple si exagérément dépareillé est tout simplement insupportable. Trop faible, C ne pourra pas dominer longtemps sa parano. En se jetant une nuit d’octobre dans la Seine pour s’y noyer, C avouera enfin qu’il nourrissait à l’égard de sa merveilleuse épouse des soupçons d’infidélité.

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             Basés à Melbourne en Australie, les Sailors pondent leur premier album en 2001, l’excellent Violent Masturbation Blues.

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    Ils font sensation à l’époque, et ce dès «Trim The Bush» joué à la basse fuzz, mais une fuzz démontée qui erre de porte en porte. On voit tout de suite qu’ils s’amusent bien. Il jouent plus loin «Turkey Slap Blues» à la petite folie Méricourt. Il ne leur manque qu’un tout petit soupçon de démesure pour devenir aussi énormes que les Chrome Cranks. Ils remontent au front avec un «I Just Got Back» salement riffé et enfilé à contre-sens. Ils bricolent quelques développements intérieurs et ça prend vite des proportions, surtout que c’est monté sur un seul riff et une seule phrase, I just got back. Et puis voilà le morceau titre qui nous ouvre les bras en B : pur sex exacerbé, ils vont loin dans la cochonnerie, aussi loin que Larry Clark, ouh ouh ouh, c’est vraiment le trash de la branlette.

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             Leur deuxième album paraît deux ans plus tard et s’appelle The Sailors Play Turning The Other Cheek. Il est nettement plus faible que le précédent même si «YMCA» s’annonce comme une fantastique dégelée. Ils ont un sens aigu de la montée en température et un goût prononcé pour le chaos - You cut my ass ! - Leur «Dr Creep» sort bien dans les virages, ça déraille au chant du Doctor Creep, mais il ne se passe rien de plus. Encore du raw sex avec «Just Touch It». Ce sont les accords de «Tobacco Road» - Come on milk me - C’est très sexuel. Ils font une cockaracha avec «The Cockroach» et retrouvent leur veine abrasive en B avec un «Russian Oil Tanker Blues» monté sur une structure blues rock et chanté à la Rotten.

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             On retrouve nos matelots préférés dans un nouvel album neurasthénique, Failure Depression Suicide qui date lui aussi de 2003. Ça chauffe dès «Girls That Look Like Boys They Are Shit», they are THE shit, dirait un grossier personnage en Angleterre. Les Sailors sont dans leur monde et c’est un beau monde. C’mon ! «Girls That Look Like Boys» est une belle énormité vite montée en neige. La neige ça les connaît, ils ne chipotent pas. Il leur reste encore deux énormités du même acabit en magasin, «Good Karma’s Coming My Way» et «Teenage Mama Blues». (Attention, le track-listing au dos est faux). Ils y croient dur comme fer au Good Karma et ils stoogent bien leur Teenage Mama Blues, ce sont des adeptes de la bonne franquette et du renvoi de chant, ils sont capables de vrai raw et du meilleur aussie boogie.

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             Leur dernier album paraît en 2005 et s’appelle The Sailors Play Viva La Beaver. C’est la fête aux énormités, dès «Finding My Match» attaqué au heavy raw de type Pussy Galore. Même son de dépouille avancée, même audace sexuelle, avec une wah qui sonne le départ des exactions et qui plonge tout le monde y compris l’auditeur dans la bassine d’huile bouillante, ces mecs sont des killers de crevettes, ça gratte et ça gueule dans les contreforts du rock, ils sont dans le bain, wild as fuck. Avec «I Wanna Be Black», ils se prennent pour Lou Reed, oh I wanna be black, ils sont exactement dans le même swagger et avec «Set Your Ass On Fire», ils se prennent pour Sticky Fingers. Ah les Aussies, il faut faire avec - I’m gonna set your ass on fire - Tout un programme ! Encore plus fabuleux : «I Hate Myself», shake de big ass rock chanté au sommet de l’hate. Et voilà qu’ils débarquent dans la pire des énormités avec «Cracker In The Niggertonk», un big boogie rock, et plus loin, ils se prennent pour Chuck Berry avec «Speeded It Away». C’est toujours une bonne chose que de se prendre pour Chuck Berry, c’est une preuve de goût. Mais ils le font bien sûr à la sauce Sailors, Sail on, boy, bien grasse, bien délirante. Ils se prennent pour Johnny Rotten avec «Back In The Closet», un joli shoot de balladif et puis ils singent les Small Faces avec «Out Thy Vile Jelly», chanté à l’hyper-guttural de caricature. On entend même les coups de piano à la McLagan. On saluera aussi ce rap de Melbourne qui s’appelle «Women Of Melbourne», joué aux accords déconfits et chanté au cockney local. Fuck her ! On termine cette tournée des grands ducs avec «Barry’s Place» lancé d’un ouh ! de fast English rock. Ils sont rompus à tous les lards, pas de problème.

    Signé : Cazengler, Sailarve

    Sailors. Violent Masturbation Blues. Dropkick 2001

    Sailors. The Sailors Play Turning The Other Cheek. Dropkick 2003

    Sailors. Failure Depression Suicide. Dropkick 2003                                       

    Sailors. The Sailors Play Viva La Beaver. Dropkick 2005

     

     

    DYLAN

    (Collection Rock & Folk # 22 )

    (En collaboration avec UNCUT)

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    Le principe est simple, raconter Dylan, disque après disque, le tout entrecoupé d’interviews inédites en France. Notre propos n’empruntera pas la même démarche, plus modestement nous essaierons de transcrire notre propre vision du personnage.

    DE BOB DYLAN A STREET LEGAL

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    De 1962 à 1978. De son premier disque, une sacrée gueule d’enfoiré sur la couve de son premier opus, cet avis n’engage que moi, quant à Street Legal because c’est le dernier disque que j’ai acheté du big Zim, écouté une fois et remisé je ne sais plus où. Un beau parcours toutefois qui a soulevé admirations et protestations. Normal, Dylan est l’homme des ruptures. L’on a fait de son passage à l’électricité une révolution esthétique. Je ne l’ai jamais vécu ainsi. D’abord parce que petit français de l’autre côté de l’Atlantique le rock – entendu en ses multiples modalités - me paraissait naturellement électrique, même si l’on usait de l’acoustique. De toutes les façons, Dylan avait une manière électrique de tordre les mots.  Ce n’est pas qu’il avait une belle voix, c’est qu’il se servait au mieux de son appareil vocal, qu’il s’est forgé un style adapté à ses possibilités. Dylan en ses années d’apprentissage   n’a cherché à imiter personne. Par contre l’était une véritable éponge. Doué d’une mémoire prodigieuse. L’a tout avalé pour le recracher à sa guise. Parti du rock, Buddy Holly, Gene Vincent, a bifurqué sur le folk. Pas tout à fait, a emprunté aussi une route parallèle, celle du country blues. Du country blues au blues électrique, la route était déjà tracée, c’est ce modèle que Dylan appliquera à l’électrification des campagnes folk. 

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    L’on a beaucoup glosé sur les rapports Woody Guthrie – Bob Dylan. Il existe une différence essentielle entre les deux hommes. Guthrie est beaucoup plus politique que Dylan. Entre eux deux, toute la différence entre le militant et l’étudiant. L’un a la guitare dans le cambouis de l’action pré-révolutionnaire et l’autre dans des idées généreuses qui mettent tout le monde d’accord. Entre Guthrie et Dylan, les temps ont changé, la fin de la guerre et le boom économique sans précédent qui s’ensuivit permet à l’Establishment de vendre à bras prix aux masses laborieuses les promesses de l’american dream beaucoup plus jouissives. Plus de fascistes à tuer, la lutte révolutionnaire cède la place aux combats sociétaux, contre la discrimination raciale, contre la guerre au Vietnam.

    Passons aux facteurs individuels. Dylan recherchait le succès. Avait conscience que son talent était supérieur à beaucoup d’autres. Toute une partie de sa personnalité repose sur cette juste appréhension de soi-même. Notons la différence avec Fred Neil que le Cat Zengler nous présentait dans la livraison 547. Les individus ne sont pas identiques. Rien ne serait pire que de vivre dans une république de clones. Que chacun en juge par soi-même. La machine s’est méchamment emballée autour des premiers disques du zigue Zimmerman. L’est devenue l’icône du mouvement protestataire, le dieu vivant descendu sur terre pour apporter le message et la musique folk aux quatre coins de l’univers. On lui a taillé un costume XXL dans lequel il s’est senti mal à l’aise. Mal fagoté. Dylan ne s’appartenait plus. N’était plus libre. La route était toute tracée, sans surprise, il n’y avait plus qu’à suivre le Mouvement. L’aurait pu surfer sur la vague. L’a préféré – c’est tout à son honneur – débrancher. En branchant sa guitare électrique.

    Ces années ont été cruciales. Sur le plan musical mais aussi comportemental. Sa première visite en Angleterre a servi de leçon. Dans cette vieille Europe l’on s’intéressait à ses paroles. De quoi rendre fier n’importe quel auteur. L’a compris le danger, s’il acquiesçait à cet enthousiasme idéologique il perdait sa liberté d’écriture, l’a donc adopté une stratégie qu’il n’abandonnera plus jamais. N’a pas choisi de vivre caché – la célébrité et ses royalties présentent bien des avantages – pour être heureux il a opté en faveur de la dissimulation. L’est devenu mutique. Disait mais n’expliquait rien. Devenait imprévisible. S’est revêtu d’une cape de mystère. Les journalistes se sont amusés à expliciter le moindre de ses propos, transformant la plus insignifiante réplique en paroles sibyllines sacrées engageant le devenir de l’Humanité. Cette infatuation journalistique n’a fait que renforcer son individualisme, l’est devenu indifférent à tout ce qui ne l’intéressait pas, se permet d’ignorer tout interlocuteur qui n’est pas sur les mêmes longueurs d’ondes que lui. On lui a reproché son mépris. Il y a gagné une paix souveraine qui le retranche de tout le cirque et de tout le verbiage médiatiques.

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    Après Blonde on Blonde. Une coupure dans l’œuvre de Dylan. On a beaucoup glosé sur ce virage. Il n’est pas unique, Elvis Presley et Jerry Lee Lewis en ont effectué un semblable. Poussés par des évènements extérieurs, le service militaire pour le premier et le scandale de son mariage avec sa cousine de treize ans pour Jerry Lou. Pour Dylan, c’est différent. Ce sont avant tout des motivations intérieures. La pression occasionnée par son rôle de maître à penser de toute une génération exige un ressourcement. Dylan veut se retrouver. Opère un subtil glissement, du folk il passe à la country. Musicalement l’on observe une baisse de régime. L’était arrivé et s’était imposé dans le folk par une vision personnelle de cette musique qu’il allait redéfinir et doter d’une assise incomparable. La country n’a pas besoin de lui. Possède son public, ses habitudes, sa mythologie et Johnny Cash… Il y a pire que l’ombre de Johnny Cash. C'est l'idéologie véhiculée par cette musique. Celle de l’Amérique profonde, rurale – en opposition avec le folk urbain – conservatrice dont Dylan va donner l’impression qu’il épouse les valeurs. S’installe à la campagne, vit avec sa femme, fait des enfants… Joue de la musique pratiquement à la maison avec the Hawks, ex-groupe de Ronnie Hawkins, pionnier du rock, enregistre avec la crème des musiciens de Memphis, considérés à l’époque par son public comme des ploucs et des bouseux. Tant qu’à plonger dans l’Ouest autant explorer sa légende, débute par un album consacré à John Wesley Harding célèbre Outlaw, gunslinger qui aurait – l’on ne prête qu’aux riches - quarante cadavres à son palmarès.

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    Les pages les plus intéressantes de cette partie de la revue sont les huit de Michael Watts en visite sur le tournage de Pat Garrett & Billy the Kid, dans lequel Sam Peckinpah a octroyé un rôle, un certain Alias, de comparse à Dylan. Dylan à Durango ne met guère de grenadine fraternelle dans les relations humaines, l’évocation de Peckinpah nous ravit. Les mauvaises choses comme les bonnes n'ont qu’un temps, dès 1975 les rapports de Dylan et de son épouse se tendent, l’album Desire consomme la fin de la période country… Le suivant, mainstream est-il qualifié par Graeme Thomson, Street Legal laisse augurer le pire…

    SAUVE ET PERDU

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    Si je ne m’abuse c’est Barbey d’Aurevilly qui dans son article de recension d’A rebours décrète qu’après un tel livre il ne reste plus à son auteur, J. K. Huysmans, que deux solutions, ou se tirer une balle dans la tête ou s’agenouiller au pied de la Croix. Dylan empruntera cette deuxième sortie de secours. Slow train Coming apporte une étrange nouvelle, Dylan l’irréductible s’est converti. A l’extrême limite l’on aurait compris ce cheminement intellectuel s’il s’était contenté d’en faire une affaire personnelle, mais non, il le proclame, il s’obstine à vous conjurer de l’imiter, il n’est de pire affection mentale que le désir de prosélytisme, le Seigneur vous attend, l’Enfer vous guette. Le pire dans cette histoire c’est que Dylan n’est pas le seul, il rejoint le troupeau des brebis repentantes que sont les born again, un mouvement de fond de la société américaine – notamment dans la musique country, s’agit de dénoncer ses fautes en clamant bien haut que l’on renie tous ses péchés, que l’on ne recommencera plus, Dylan ne reprendra plus ses vieux morceaux – et de prêcher bien haut à son entourage de l’ imiter au plus vite… Retour à la vieille tradition conservatrice et rétrograde. Que le chantre de la conscience et de la révolte folk s’aligne sur les patenôtres de la morale chrétienne est décourageant. Qu’il vous menace de griller en Enfer auprès de Satan si vous n’obtempérez pas à ses avertissements, quel obscurantisme rétrograde. Dylan déchoit. Le rebelle fait amende honorable. Perd toute crédibilité. S’il est une trahison de Dylan ce n’est pas l’électrification de sa guitare, mais ce reniement intellectuel de lui-même, Dylan n’est plus Dylan.

    Dès 1983 avec Infidels Dylan met un peu d’alcool dans son eau bénite. Il croit encore mais se permet quelques incartades, il boit, il baise, s’éloigne doucement du christianisme pour se rapprocher de ses racines juives. Peut-être ce retour était-il prophétisé depuis ses premiers textes par l’emploi de nombreuses métaphores bibliques. Empire Burlesques marque une cassure, à la base le disque se voulait comme un retour au rock ‘n’roll, il se terminera dans le delta d’une soi-disant modernité. Nous sommes au milieu des années 80, le rock ‘n’roll n’est pas au mieux de sa forme.

    Pour la dizaine d’albums qui reste, je ne me permettrais pas d’apporter mon grain de sel. Ce n’est pas Dylan qui est perdu, c’est moi, à peine si par-ci par-là ai-je entendu (je ne dis pas écouté) un morceau. Si j’en crois les comptes-rendus, il y a de splendides vautrages et deux ou trois merveilles. Disposés plutôt selon une courbe ascendante. Dylan en est conscient. N’est plus tout jeune, le pire se profile à l’horizon…

    Nous arrivons à la fin de la revue. Les petits plus qui ravissent les chercheurs de collectors, une  recension peu fouillée des films et des vidéos dans lesquelles apparaît Dylan, une rapide revue des Official Bootlegs Séries présentés d’une manière un tantinet confuse, un choix de lives, de books et de compilations…

    Surtout ne pas sauter les huit pages – hélas un peu moins si l’on enlève les photos qui mangent l’espace – qui offrent le texte de la prise de parole de Dylan an gala annuel de Musicares en février 2015, association d’aide aux musiciens vieillissants, malades, dans le besoin… Dylan se raconte. Un peu à la manière de son livre Chroniques (vol I) et beaucoup comme son discours de réception du prix Nobel de Littérature 2016. Lui à qui l’on a souvent reproché de piller le passé remet un peu les pendules à l’heure, ses chansons sont inscrites dans une tradition populaire dont il n’est que l’héritier et le transmetteur. Cite des artistes qui ont repris ses chansons notamment Nina Simone  et Johnny Cash à qui il rend un hommage appuyé, évoque le blues dans lequel on retrouve les arabesques des violons que jouaient les gardiens arabes des esclaves confinés dans les cales des bateaux négriers,  et le rythme des valses pianotées dans les salons des plantations qu’entendait la main-d’œuvre servile, s’attarde sur les minstrels qui se grimaient pour imiter les noirs qui chantaient, et les noirs qui les imitaient pour gagner quelque argent. S’attarde sur le rock ‘n’roll, fils du blues et du hillbilliy, musiques d’esclaves et de ploucs, et rend un vibrant hommage à Billy Lee Riley l’immortel créateur de Red Hot - Musicares l’a soutenu durant ses six dernières années - citant au passage Jerry Lou et Sam Phillips.

    Tout cela serait parfait, s’il ne s’étendait pas longuement sur les critiques qui lui ont été adressées. Dévoile un petit côté parano assez mal venu, oublie ce principe clef de la renommée journalistique, que l’on parle en bien ou en mal de vous l’important est que l’on parle de vous. Dylan serait-il plus sensible que son indifférence apparente ne le laisserait soupçonner.

    N'empêche que ces cent trente pages se lisent d’un trait, et que l’on n’en a pas fini avec le phénomène Dylan. Dernière nouvelle : devrait sorti en novembre de cette un nouveau livre de Bob Dylan intitulé : The philosophy of modern song.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Avec le doom il faut s’attendre à tout. Mais pas à ce mignonitou chatounou tout noiroud  stylisou sur son fond rouge - perso je ne le dis pas à mes chiens, j’ai toujours préféré les chats – totale déconvenue   quand l’image s’agrandit, non ce n’est pas un chat, quel est cet objet non-identifié, en imaginant un max, un satellite qui aurait perdu son orbite et serait venu s’encastrer sur une espèce de silo bétonné. Dans un paysage désolé, bien entendu. Voici de quoi présager le pire. Je peux d’ores et déjà vous signaler la justesse de ma prophétie. Vous n’allez pas être déçus. Si vous avez des tendances suicidaires, abstenez-vous. Remarquez ce sont des optimistes, présentent leur album un peu à la manière de la célèbre phrase de Nietzsche, ce qui ne vous tue pas vous rendra plus fort. Cet adage irrite beaucoup de monde, aussi ils se contentent d’écrire qu’en écoutant leur opus vous apprendrez les dures vérités de la réalité.

    Sont des polonais. Manifestent leur solidarité avec les Ukrainiens. Se sont formés en 2012, ont déjà à leur actif deux EPs et deux singles extraits de :

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     EMBRACING DISSOLUTION

    BACKBONE

    ( Mars 2022 )

    Piotr Kowalsczyc : guitar, vocals  / Piotr Potowcki : guitars vocals / Aleksander Borguszewski ; basse / Michal Kowalski : drums.

    Pilgrimage : vous vous attendez à une kaophonie coassante, pas du tout une tambourinade légère, s’accélère un peu par la suite, une basse tremblotante, et le pèlerinage commence, les guitares chantent votre solitude, des claques de tambour vous préviennent, les guitares se grippent, une voix s’élève, pas violente, étire les syllabes, une autre presque sludge prend la parole, peut-être est-ce vous qui clamez votre désespoir de marcher dans un monde d’après-monde, brinqueballé dans votre impuissance, z’avez déjà abandonné toute espérance comme Dante à l’entrée de l’Enfer, mais ces souterrains mortuaires seraient encore un refuge, vous êtes à la surface de la terre, dans un monde détruit dans lequel votre humanité ne vous sera d’aucun secours, une seule solution avancer dans  cette désolation. Il n’y a plus de Dieu, il n’y a plus d’Homme non plus. Cinereal lands : machine à broyer du néant en marche, une scie métallique miaule et tourne pour rien, des centaines de marteaux claquettent dans le vide, klaxons d’alarmes incessants, la machine n’arrête pas de fonctionner, elle imite l’inconsistance de la réalité, le cerveau est l’urne funéraire de vos rêves, la pellicule n’imprime plus rien, la voix gronde en vain tel un chien qui crie après sa chaîne, sentiment d’abandon absolu. La machine brasse l’air inconsistant qui vous asphyxie. Vocal terminal. The ghost theorem : le théorème fantôme, très beau titre que j’aurais aimé inventé, le fantôme du théorème arrive doucement, se déplace sur des pattes de colombe comme l’écrit Nietzsche pour expliciter le surgissement de la pensée, pas besoin d’être fort en math pour comprendre que l’inconnue de l’équation que l’on cherche à définir est le zéro absolu de la nécessité vitale, prennent leur temps pour vous le spécifier, le morceau dépasse les dix minutes, donne l’impression de progresser et de s’emballer, un pur leurre, ce n’est pas le monde qui va mal, ce sont les schèmes intellectuels par lesquels on l’exprimait qui ont perdu toute réalité, la voix l’énonce, le background le claironne, un véritable bombardement neuronal accable l’espèce humaine, toute pensée est vermoulue, que ce soit celle de la croyance en laquelle on doute de croire ou le doute dont on croit douter, tout semble inutile, d’ailleurs la musique s’arrête pour reprendre en acoustique, car stopper serait donner encore trop d’importance à cette vacance  spirituelle et intellectuelle, maintenant voix et instruments réitèrent le constat de cette déroute si absolue qu’elle en devient relative. A quoi bon crier au secours quand tout est terminé. Starflesh : Nauman ( participe à plusieurs groupes amis ) assure guitare et vocal : quand l’on est au plus bas, il ne reste plus qu’à remonter. La batterie et les riffs ne vous lâchent plus et vous le rappellent, une fois les valeurs humaines arrivées en bout de course, il est inutile d’en inventer d’autres, elles finiront elles aussi par se déliter, la solution n’est plus sur cette terre, sous la lune dirait Aristote, mais bien au-dessus, il est nécessaire de réaliser la grande fusion, quelques notes de guitare acoustique avant de vous révéler le grand dessein, asséné à coups de lourdes orchestrations, savoir se transformer, ne plus être le fils de la terre, devenir celui du cosmos, que la chair devienne poussière d’étoiles, l’accompagnement chavire comme un disque légèrement décentré avant de gagner une amplitude victorieuse, la mutation est-elle réussie, est-elle seulement envisagée, toujours est-il les guitares s’en vont tutoyer les galaxies.

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     Calculated silence : musique compressée, tout se bouscule, batterie éruptive, vocal enragé, revenir à vitesse grand V dans ce monde-ci, se retrouver, apprendre à faire le calme, à juguler l’expérience de ces millions d’années que tu as intégrées, coupure, respirer fort, se recueillir en soi-même, tu es une bombe humaine lancée sur l’autoroute du destin hominidien. Où, quand, comment exploseras-tu ? Trop tôt, trop tard. Pétard mouillé. Vertige ou illusion. Modernity : rien n’a changé, des plaques de musique se détachent de nulle part et viennent vous envelopper, lorsque la séquence est terminée une autre ne tarde pas à la suivre, voix étouffées qui se forcent un passage malgré le diaphragme oppressé, la modernité n’est pas celle que l’on croit, celle du progrès et de la libération des hommes par les miracles technologiques, elle est celle de la séparation, des riches et des pauvres, de cette coupure insurpassable qui régit les lois de la société, la modernité vous enserre de ses blocs de glaces qui vous paralysent et vous engourdissent, quelques notes d’une berceuse pour qu’entre en vous l’acceptation des faits établis, tout s’éteint, se calme, vous endort à jamais. Chut ! Silence. Questionning everything : comme un ours entre en hibernation lors d’une grande glaciation, l’acceptation de la mort se rapproche à pas lourds et  feutrés, tout est perdu, refaire la partie dans sa tête, le vocal devient solennel, moment crucial, comment et pourquoi résister, abdiquer au plus vite de peur de reconnaître que l’on n’est déjà plus soi, légers tapotements interludes, serait-ce la fin du combat de soi, n’at-on pas déjà tout essayé en vain, l’on perd toute créance en soi-même, lourdeurs de catafalques pour générique terminal, la défaite est une chose, mais l’acceptation de la défaite est encore plus terrible. La solution ne serait-elle pas de quitter la coquille vide des illusions et de se redresser tête nue tel un soldat qui se hisse hors de la tranchée sachant que dehors ne sera peut-être pas mieux, mais ne pourra être pire. Dissolution : la solution n’était pas la bonne. Encore pire que prévu. Tintements de cordes. Une voix d’agonie tire la leçon, une espèce de confession sur le lit de mort, les dernières paroles ultimes léguées à ses proches, l’idéal n’est-il pas de mourir. Elegeia : élégie poème du regret et de la mélancolie, la musique est trop forte pour que l’on se contente d’un tel dessein, pourtant rien n’a changé, le monde est aussi laid et impitoyable qu’on le savait, inutile de faire de beaux rêves, d’embrasser de nouveaux idéaux, toute cette pacotille tombera au fond de l’eau, aucun espoir ne te sera permis, marche martiale, dorénavant tout sera comme avant, comme toujours, aucune amélioration, voix étranglée par l’effort, personne ne te tendra la main, tu seras sempiternellement seul, aucune consolation, la musique se délite pour reprendre force et tourment, le héros continue sa route, sans peur ni reproche, face tournée vers le soleil des vivants. La musique poursuit son chemin…

    ,robert palmer, dion, wildhearts, sailors, bob dylan, backbone, elvis presley,

    Pas très gai. Un regard noir jeté sur notre époque. Lyrics de toute beauté. L’on peut dire que les musiciens subsument le vocal, comme la pierre supplante Sisyphe.

    Radoslaw Kurzeja est l’auteur de la couve, quelques-unes de ses œuvres sont à regarder sur Instagram, la pochette d’Embracing dissolution ne me semble pas tout à fait représentative de son style, celle de l’EP Grey foundations of stone me paraît plus appropriée pour rendre compte de cet artiste, graphiste, musicien et libraire.

    Profitons-en pour écouter cet étrange Ep sorti en   qui précède et éclaire l’atmosphère si particulière de l’album précédent.

    GREY FOUNDATIONS OF STONE

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    Cathedral : dès le début l’on est surpris, parce que le groupe ressemble davantage à un groupe de doom lambda, tant au traitement de la voix que des séquences instrumentales, mais le tout est baigné d’un mysticisme peu commun qui emporte l’adhésion par son étrangeté. C’est la même équipe qui a participé aux deux disques. Les lyrics ne sont pas tous signés du même rédacteur, n’empêche qu’il s’en dégage une unité de ton étonnante. Cathedral porte bien son puisqu’il s’agit de la description d’une cathédrale, même si l’amplitude sonore et la voix hérissée nous transporte vers quelque chose de plus immémorial et fondateur, tout se mélodise et nous voici déambulant dans la nef déserte, ce qu’il advient par la suite est plus difficile à saisir, une espèce de crise mystique, pour ainsi dire une transfiguration minérale, où l’impétrant subit une transgression êtrale qui lui permet  descendre dans les règnes naturels et de devenir lumière de pierre. L’ensemble est d’autant plus bizarre que celui qui ne comprend pas les paroles se dira, pas mal du tout ce morceau. Passant à côté de son irréductible étrangeté. Forest of twilight : rythme balancé, tanguant entre rêve et souvenir, entre présent et passé, cheminement dans une étrange forêt, est-elle intérieure, ou extérieure, dans quelle dimension est-elle située, atmosphère non diaphane, la voix sludge, grossièrement serait-on tenté de dire si l’on en juge par ce qu’elle dévoile, serait-ce la simple confession d’un croyant qui se livre à son examen de conscience, ou l’expression d’une expérience de ressourcement aux formes primaires et végétales, quelque chose qui se situerait entre les travaux sur la lumière et les réflexions sur les plantes de Goethe. La voix se tait et laisse la musique dérouler la pelote du sens.  A moins qu’elle ne marque le retour à la vie de tous les jours…Spectral blue moon : instrumental, car que dire de plus. Un halo instrumental fuse hors du néant et se distille dans l’espace. Apesanteur, repos, méditation. Rosée qui tombe de l’astre sélénéen, grosses gouttes de basse, Backbone à cheval entre les pataugas de la réalité et son interprétation par le rêve. Grey fondations of stone : davantage torturé, quelles sont ces grises fondation de pierre, une métaphore des éléments culturels sur lesquels se fondent les civilisations. Le vocal devient acerbe. Il est empli de soubassements christianolâtres, mais cela suffit-il, l’échec n’a-t-il pas couronné cette voie, les guitares se heurtent en bruits cristallins d’icebergs qui se cognent l’un dans l’autre. Interrogation sacrilège, serait-ce vraiment utile de rebâtir sur ces fondations de pierre dont les assises n’ont pas tenu. Est-ce pour cela que nous revenons toujours à ce granit tellurique. Ne seraient-elles pas un cul-de-sac, une voie sans issue. Le même ne revient-il pas toujours. Pourquoi donc réessayer, à cause de cet espoir empli d’amertume. Le fond sonore nous laisse dans l’expectative.

    Ces quatre morceaux s’inscrivent dans un fonds religieux sans équivoque. Un questionnement fondamental assureront les âmes religieuses. Du haut de mon incroyance j’en ricane avec l'Abbé Cane dans la barbacane. N’empêche que ces quatre morceaux sont puissants et méritent le détour.

    Damie Chad.

     

     

    *

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    Il est des disques ou des CDs que l’on achète simplement pour le plaisir, quitte à les poser dans un coin sans les écouter parce que l’on connaît le contenu. En voici un, pas vraiment une nouveauté, ni même une rareté, des titres archi-connus en prime. Tiens m’étais-je dit, l’Elvis Country ( I’m 10 000 years old) avec une pochette que je n’ai pas, certes l’originale de 1971 était bien plus belle, mais c’est Elvis, on ne mégote pas, on prend les yeux fermés. Un rocker ne commet aucun crime de lèse-majesté. Bien sûr je me suis planté, cet Elvis Country n’a rien (presque rien) à voir avec l’Elvis Country ( 1971 ). Remarquez, comme c’est piégeux, cet Elvis Country existe aussi avec la pochette de l’Elvis Country 1971. Bienvenue dans le labyrinthe des rééditions presleysiennes.

    ELVIS COUNTRY / ELVIS PRESLEY

    ( RCA / 1987 )

    Huit titres, à l’origine une cassette de moyenne durée.

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    Whole Lotta shakin’ goin’ on : Je n’aurais jamais mis ce titre dans une sélection country mais si Elvis et Felton Jarvis qui supervisait la séance de 71 l’ont décidé, je prends acte et je me tais. Voix parfaite d’Elvis, une interprétation que je qualifierais de synthétique dans la lignée de son I got a woman, une orchestration qui met en évidence le tom-tom de la batterie et cette pedal steel guitar coulissante qui particularise cette version. Elvis connaît sa grammaire rock sur le bout de la langue, je ne vous en voudrais pas si vous préférez Jerry Lou et son pumpin’ piano. Funny how time slips away : vieux morceau de Willie Nelson, qui suit aussi le titre précédent sur le 71, caution country au plus haut, mais un peu trop jazzy-sirupeux à mon goût, je ne peux l’entendre sans penser qu’ Elvis imite un tantinet le phrasé de Sinatra… Je vous laisse seul juge. Baby let’s play house : l’on se demande ce que vient faire ce titre sur ce disque consacré au répertoire country, sur Sun Elvis met au point les tables de la loi du rock blanc, l’arrache justement à la gemme country, ne boudons point toutefois notre plaisir même si perso j’ai un gros faible pour la version de Buddy Holly, moins rurale je l’admets, déjà plus urbaine. Rip it up : se trouve sur l’album Elvis 1956, le génie d’Elvis à l’état pur, toujours la même transmutation alchimique faire de la pierre rouge du rock’n’roll noir une autre pierre rouge fondatrice du rock’n’roll blanc. Ma préférence se porte sur la version de Gene Vincent. Dans tous les cas, hommage à Little Richard. Lovin’ arms : le mélo country par excellence, paru en 1974 sur l’album Good Times, voix du King à pleurer, pedal steel guitar, chœurs féminins, à redécouvrir d’urgence. You asked me to : issu de l’album Promised Land paru en 1975. Dans la même lignée que le précédent mais hormis les refrains l’on peut dire que le vocal se rapproche d’un certain dépouillement. She thinks I still care : enregistré par Elvis chez lui en 1976. Voir le CD : Way down in the jungle room. Elvis - ses boys et Felton Jarvis son ami qui de 1966 à 1977 produisit pratiquement tous ses disques - enregistre en deux séances, février et octobre tout un lot de chansons qu’il aime particulièrement, Elvis cherchait-il une nouvelle voie, à partir de son substrat originel… Le morceau Way Down publié en 1977 un mois et demi avant sa disparition fut son dernier numéro 1… Intéressant d’écouter ces trois morceaux dans l’ordre chronologique, se ressemblent beaucoup, mais la voix d’Elvis gagne à chaque fois en ampleur. Cette fois-ci l’interprétation d’Elvis n'est pas loin de ses premiers slows enregistrés chez RCA style I want you, I need you, I love youParalysed : retour à l’album Elvis, j’appelle cela du rock vocal, bonjour les Jordanaires, qui flatte l’oreille mais ne détruit pas le cerveau, qui s’éloigne de la parfaite réussite de Don’t be cruel. Un morceau non essentiel à la survie du rock’n’roll et encore moins à celle de la country.

    Gloire à Elvis !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 547 : KR'TNT 547 : BUFFALO SPRINGFIELD / FRED NEIL / GRIP WEEDS / TINY TOPSY / BloUe / PEOPLE OF THE BLACK CIRCLE / JULIE SUCHESTOW / SOUL TIME

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 547

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 03 / 2022

     

    BUFFALO SPRINGFIELD / FRED NEIL

    GRIP WEEDS / TINY TOPSY

    bloUe / PEOPLE OF THE BLACK CIRCLE

    JULIE SUCHESTOW / SOUL TIME

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 547

    Livraisons 01 - 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Un coup d’épée dans Buffalo du lac

     

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                À l’époque où se jouait le destin du monde, le seul groupe américain capable de rivaliser artistiquement avec les Beatles, c’était bien sûr Buffalo Springfield. Les bons groupes pullulaient en Angleterre et aux États-Unis, mais en matière de pop, les Beatles assumaient pleinement la suprématie artistique. Dylan faisait du Dylan, pas de la pop. Dès 1966, Buffalo Springfield s’imposa avec un génie composital/interprétatif comparable à celui des Beatles. Horriblement doués, Stephen Stills et Neil Young pouvaient rivaliser directement avec le duo de choc Lennon/McCartney. Même mal produits, les deux premiers albums de Buffalo Springfield sont des mines d’or, au même titre que Revolver et Rubber Soul. Quand plus de cinquante ans après leur parution on écoute ces quatre albums, on reste frappé par la modernité du ton, la richesse des idées et la perfection des compos.

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             Dans Mojo, Sylvie Simmons propose une bonne approche du phénomène Buffalo. On peut croiser la lecture de son article de fond avec celle de The Story of Buffalo Springfield - For What It’s Worth co-écrit par John Einarson et Richie Furay. L’histoire de la formation du groupe est passionnante. Stills et Young se rencontrent à Toronto, sur le circuit folk. Stills est en tournée avec un groupe folk, The Company, et Young joue dans les Squires. Ils sympathisent et font des plans sur la comète. Et si on montait un groupe ensemble ? Ah ouais !

             Stills repart à New York où il vit. Il grenouille dans le circuit folk de Greenwich Village, comme des tas de gens à l’époque, Fred Neil, Dave Van Ronk, Bob Dylan.

             Young écume la scène de Yorkville au Canada, d’où sortiront aussi Gordon Lightfoot et Joni Mitchell. John Kay est là, lui aussi, il a l’avantage de connaître Yorkville et Greenwich Village. Quand Kay quitte son appart à Yorkville, c’est Young qui s’y installe. Pendant ce temps, à New York, Stills crève d’envie de jouer dans les Lovin’ Spoonful. Ça fait trois ans qu’il rame et qu’il gratte sa gratte dans les coffee-houses. Il en a marre, super-marre, il veut monter un groupe. Il essaye de joindre Young au téléphone à Toronto mais n’y parvient pas. C’est là qu’il décide de quitter New York - Neil wanted to be Bob Dylan. I wanted to be the Beatles - C’est parce qu’il entend les Byrds à la radio qu’il comprend qu’il faut aller en Californie - LA was the place to be if I wanted to rock’n’roll - Et il se barre la côte Est en août 1965. Quand Young débarque peu après à New York, il ne trouve pas Stills. Eh oui, Stills est déjà parti pour la Californie, comme Roger McGuinn, Dino Valente, John Phillips, Cass Eliott, et Croz car maintenant, c’est là que ça se passe. Aux yeux de Chris Hillman, Buffalo vient du même background que les Byrds et les Lovin’ Spoonful : Greenwich Village. Seuls les Spoonful et Simon & Garfunkel resteront sur la côte Est.

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             Elle est intéressante la genèse de Bufffalo car elle croise comme on l’a vu celle de Steppenwolf qui s’appelle encore Jack London & the Sparrows, avec les deux frères McCrohan - qui vont changer de nom pour devenir les frères Edmonton - et un certain Bruce Palmer. Quand Bruce Palmer quitte le groupe, il est remplacé par Nick St. Nicholas qui vient des Mynah Birds, dont le chanteur n’est autre que le fameux Rick James, qu’on compare à l’époque à Little Stevie Wonder. Goldy McJohn quitte lui aussi les Mynah Birds pour rejoindre les Sparrows qui vont devenir Steppenwolf après avoir viré Jack London et recruté John Kay. Dennis McCrohan qui avait déjà changé de nom pour s’appeler Edmonton va encore changer de nom pour devenir une figure de légende, Mars Bonfire et écrire le rock anthem «Born To Be Wild». Neil Young rejoint à un moment les Mynah Birds et tout s’arrête brutalement lorsque Rick James est arrêté : c’est un déserteur américain. Hop, direction le ballon. Young est d’autant plus catastrophé que ça s’est passé dans le studio Motown où ils enregistraient leur premier album. Du coup Motown annule tout, sessions et contrat, et les Mynah Birds rentrent au bercail, la queue entre les pattes. Young affirme que Motown détient des enregistrements des Mynah Birds dans ses archives. Il n’est resté que six semaines dans ce groupe qu’il aimait bien. C’est là qu’il décide avec Bruce Palmer de partir en Californie, sachant que Stills se trouve quelque part à Los Angeles.

             Young et Palmer franchissent clandestinement la frontière du Canada au volant d’un corbillard. Stills dira de Palmer qu’il est le meilleur bassman avec lequel il ait joué, aussi bon selon lui que James Jamerson et McCartney. Donc le corbillard roule dans Los Angeles à la recherche de Stills. Ils croisent soudain un van blanc. Dedans il y a Stills et Richie Furay. Pur hasard ! Coups de klaxon, pouet pouet, Young fait un gros demi-tour en pleine circulation et rejoint Stills. Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre et sautent en l’air, comme des gosses ivres de bonheur et de liberté.

             La scène se déroule en avril 1966. Buffalo se forme là, on the spot : Young, the dark ‘Hollywood Indian’, Bruce Palmer le mystérieux qui jouera le dos tourné au public, Stills, le cowboy impétueux et impatient, et le Furay, ebulliant boy-next-door. Maintenant, il leur faut un batteur. Chris Hillman et Croz leur recommandent Dewey Martin, un mec plus vieux qui a battu le beurre pour Carl Perkins, Roy Orbison, Patsy Cline et qui jouait dans les Dillards avant que les Dillards n’arrêtent le groupe pour redevenir un duo acoustique. Auditionner pour ces petits branleurs ? Le vétéran de toutes les guerres Dewey Martin accepte, à condition qu’on le laisse chanter, car il chante comme Wilson Pickett.

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             Le groupe évolue à la vitesse de l’éclair. Stills a tout prévu à l’avance. Il a fait venir Richie Furay de New York, et il compose des chansons pour le groupe qu’il a en tête. Buffalo répète chez Stills et quelques jours plus tard, ils montent sur scène au Troubadour, en première partie des Byrds. Stills et Young se définissent comme un folk-rock band, mais avec une dominante rock and Soul, trois guitares et un peu de Motown/Stax dans la section rythmique. Qui va pouvoir résister à ça ? Personne ! Stills, Young et le Furay chantent tous les trois parfaitement bien et Young multiplie les killer solos flash sur sa Gretsch. Dans Buffalo, c’est la foire aux demi-caisses. C’est vrai qu’ils ont un son, rien à voir avec le jangly twelve-strings des Byrds et Dylan, ils développent un mélange de folk feel et d’instruments électriques. Mark Volman des Turtles explique qu’ils savent écrire des chansons car ils viennent de la scène folk, et en arrivant en Californie, ils avaient déjà plusieurs années d’expérience. Ils savaient ce que le mot songwriting voulait dire, alors que chez les Turtles, par exemple, tout reposait sur la Brill Building philosophy, c’’est-à-dire l’accès immédiat à des hits, the old school philosophy, celle que Don Kirshner impose aux Monkees et que Papa Naz va mettre un point d’honneur à combattre. Chris Hillman est tellement frappé par leur talent qu’il veut les manager. Il leur décroche une residency au Whisky A Go-Go, ils font cinq short sets par soir, et partagent l’affiche avec les Them, les Doors et Love. Le Furay : «The original five of us had the magic.» Et tout le monde considère Stills comme the heart and soul of the band. Sans Stills, pas de Buffalo.

             En réalité, tout Buffalo repose sur la relation Stills/Young. Contrairement à Lennon et McCartney, ils n’écrivent rien ensemble, ils bossent chacun dans leur coin. Au commencement, ils s’admirent l’un l’autre, Young est fasciné par la voix de Stills. Young le voit plus comme un chanteur que comme un guitariste, sur sa big red Guild acoustic guitar. Mais cette admiration ne va durer que 18 mois, le temps de l’existence du groupe. Young est un homme qui a besoin de respirer. Il a surtout besoin de chanter les cuts qu’il compose. Mais les autres trouvent sa voix bizarre. C’est le succès de «Like A Rolling Stone» qui ouvre les portes aux non-singers comme Young, nous dit Einarson. Ça tourne assez vite à la bataille d’egos. Le Furay reste à l’écart et Dewey Martin fait le clown. Le Furay s’entend bien avec Young, qui reste accessible et qui habite en face de chez lui à Laurel Canyon, dans une toute petite cabane. Par contre, le Furay se dit terrorisé par Stills. On ne sait jamais ce que Stills pense. Le Furay lui reproche aussi de ne penser qu’à sa gueule et à ses intérêts. Bon, jusque-là tout va bien, mais si ce qui lui convient doit te blesser, ce n’est pas ça qui va l’arrêter. Comme c’est Stills qui compose, c’est lui qui ramasse le plus d’argent.

             Mais en réalité, le groupe ne roule pas sur l’or. Ils ont tous des grosses bagnoles, mais en location : Young roule en Corvette, Bruce Palmer en Stingray et en Triumph Bonneville, et Stills en Ferrari. Le seul qui fait gaffe, c’est le Furay qui roule en Volkswagen. Puis rapidement, Stills et Young en viennent aux mains. Les shootes éclatent en sortant de scène. Ils se menacent l’un l’autre en brandissant leurs guitares, comme, nous dit Dewey Martin, «deux vieilles qui se battent à coups de sacs à main.» On les voit aussi se balancer des chaises dans la gueule après un concert particulièrement électrique.

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             C’est en 1965 que la Californie devient l’épicentre de l’American rock. En 1964, American Bandstand qui était le symbole de l’American teen culture avait déjà quitté Philadelphie pour s’implanter à Los Angeles, comme le rappelle Lenny Kaye dans l’un des dix chapitres de son imposant Striking Lightning. Maintenant c’est là que ça se passe. Tout y explose avec les Byrds, les Mamas & the Papas, les Turtles, Sonny & Cher, Barry McGuire, les Grass Roots et les Beach Boys, les teen nightclubs sur Sunset Strip, le Gold Star et Totor, Love et les Doors. Le «Mr. Tambourine Man» des Byrds ouvre la voie en juin 1965. Et puis les Monkees ! Comme chacun sait, Stills postule pour un rôle dans la fameuse série télé, mais il échoue et il balance le nom de son pote Tork, un autre expat de Greenwich Village, qui lui va décrocher le jackpot. Il y a des centaines de postulants pour les rôles dans la série télé, et parmi les plus connus, Danny Hutton, futur Three Dog Night, Harry Nilsson, Paul Williams, Rodney Bingenheimer et Charles Manson.

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             Dans son book qui est très bien documenté, John Einarson rappelle qu’au début, Frazier Mohawk, un talent scout qui bosse pour Jac Holzman, s’occupe de Stills et du Furay. C’est Barry Friedman qui les manage, au début. Il joue un rôle capital dans l’histoire de Buffalo : c’est lui qui les finance et qui les héberge, car bien sûr, ils n’ont pas un rond. Barry est le catalyseur, il leur fournit un toit et un endroit pour répéter et leur donne un peu de blé. Un soir, un certain Charlie Greene le chope, le fait picoler et prendre de la dope, l’emmène dans sa limousine et l’oblige à signer un document dans lequel il annule toute prétention à manager Buffalo. S’il ne signe pas, il ne sort pas de la bagnole. Barry cède donc ses droits sur le groupe pour 1000 dollars. Bien sûr, il regrette amèrement de s’être écrasé. 

             Déjà managers de Sonny & Cher, Charlie Greene et Brian Stone deviennent les managers de Buffalo. Herbie Cohen traîne aussi dans les parages, il va bientôt manager Zappa, Tim Buckley et Judy Henske. Stills le connaît car Cohen traînait à Greenwich Village où il manageait Odetta et Fred Neil. Pour Buffalo, c’est loin d’être une bonne affaire que d’être managé par Greene & Stone. Chris Hillman : «Quand tu leur serrais la main, tu comptais tes doigts aussitôt après pour voir s’il ne t’en manquait pas.» Il affirme que Greene & Stone sont des beaux parleurs et qu’ils ont embobiné Buffalo. Stills, Young et les autres pouvaient en outre utiliser la limo quand ils voulaient. Luxe suprême : le chauffeur Joseph leur fournissait de l’herbe. Ça plaisait beaucoup à Stills nous dit Miles Thomas, car il adorait le rock’n’roll way of life. Puis Greene & Stone leur ouvrent un budget instruments. Young achète une Gretsch Chet Atkins 6120 hollow body orange, Stills opte pour une blonde Guild hollow body. Ils se branchent tous sur des Fender Twins. Puis arrivent les offres des labels. Lou Adler propose 5 000 dollars, suivi de Warner Bros qui double la mise avec 10 000 $. Jac Holzman qui vient de signer les Doors fait lui aussi une offre. Mais c’est Ahmet Ertegun qui remporte la partie avec 12 000 $ cash. Barry leur recommandait de signer avec Jac et Elektra, mais ils ont choisi the sleaze brothers. Barry est persuadé qu’en signant avec Jac, le groupe aurait survécu aux turpitudes d’un mismanagement.

             Ahmet Ertegun considère Buffalo comme «the most exciting band». Greene & Stone réservent le Gold Star pour l’enregistrement du premier album et s’improvisent producteurs. Gros problème, ils n’y connaissent rien. Le groupe enregistre sept compos de Stills et cinq de Young. Les compos de Stills passent mieux, paraît-il, plus blues-based et radio-friendly que celles de Young, plus abstraites.

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             Contrairement à ce que pense le commun des mortels, le gros hit du premier album de Buffalo paru en 1966, n’est pas «For What It’s Worth», mais «Burned», une compo de Neil Young qu’il chante et qu’il embarque à la Young. C’est brillant et d’une miraculeuse fluidité. On se prosterne aussi devant «Flying On The Ground Is Wrong», car voilà un balladif extrêmement bien foutu. Young commence à déployer ses ailes de puissant compositeur. Quel sens de la plénitude ! Il maîtrise déjà la nonchalance de la matière, il monte sa harangue en neige dans des clameurs incomparables. Encore un hit signé Young avec «Do I Have To Come Right Out And Say It». Compo parfaite. Stills compose aussi des hits, comme par exemple «Sit Down I Think I Love You», un hit plein d’un certain allant, poivré au psyché californien. Il compose aussi des choses plus classiques comme «Hot Dusty Roads», une Soul pop couronnée de fondus de chant extravagants. On note l’absolue perfection du groove Stillistique. On les voit aussi pulser le gaga punk avec «Leave» et passer un killer solo flash à la clé. Ils terminent cet album étonnant avec «Pay The Price», un fast rock signé Stills. Il est très fort à ce petit jeu, c’est l’acid-rock californien de 1966, plein d’énergie et prêt à conquérir le monde. Tous ces groupes, Love, les Charlatans, Moby Grape jouaient alors fast and tight

             Le gros problème c’est la prod qui passe complètement à côté de l’énergie du groupe. Quand ils écoutent le mix de l’album, les Buffalo sont catastrophés. Ils étaient pourtant contents d’enregistrer, ne sachant pas ce qui se passait de l’autre côté de la vitre. Il existe une démo live enregistrée au Whisky qui est infiniment supérieure à l’album. Young trouve qu’ils ont perdu le groove en entrant au studio et il insiste auprès d’Ahmet Ertegun pour refaire l’album, il trouve que le son n’est pas bon. Mais pressé de faire un retour sur investissement, Ahmet Ertegun sort l’album en l’état. C’est un flop commercial, y compris pour le single tiré de l’album. Quand Ahmet Ertegun vient rencontrer le groupe en Californie, Stills, Young et le Furay lui jouent les cuts qu’ils prévoient d’enregistrer sur leur deuxième album, et Stills gratte et chante «For What It’s Worth», inspiré par la brutalité de la répression policière sur le Sunset Strip. Ahmet Ertegun saute en l’air : «That’s a hit man !». Et pouf, ils l’enregistrent. C’est un hit effectivement, et ATCO l’intègre au deuxième pressage de l’album.  

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             Stills est considéré comme le leader du groupe. S’il existe une rivalité entre Young et Stills, c’est plus dans le son, comme le dit Young : «Stills is on the top of the beat and I’m on the back of it. It was a constant battle, I’ll tell you.» Et il ajoute que si c’était belligérant, alors so be it. Mais il garde un souvenir émerveillé du Buffalo power sur scène. Il arrive à Young de faire des crises d’épilepsie sur scène ou de disparaître sans donner d’explication. Quand il n’est pas venu jouer au Monterey Pop Festival, Croz l’a remplacé au pied levé. Young n’aime pas trop la gloriole et encore moins les shows télévisés. Il n’y va pas. Il est en plus très solitaire. Au moment ou Buffalo entre en studio pour l’enregistrement du deuxième album, Young travaille dans son coin avec Jack Nitzsche. Stills sait que Young n’est pas fait pour rester dans un groupe. Il n’est pas surpris de le voir annoncer qu’il va quitter le groupe. Mais Stills trouve que the whole, c’est-à-dire Buffalo, is greater than the sum of its parts. Aux yeux des historiens, Buffalo a inventé l’image du quintessential LA Band, et le LA sound of the late sixties.

             Les groupe vient jouer à New York pour la promo de l’album et c’est là que se déroule le fameux épisode du pugilat sur scène, dans un club nommé Ondine’s. La scène est minuscule et sans le faire exprès Bruce Palmer cogne la tête de Stills avec le manche de sa basse une fois, deux fois et la troisième fois, Stills lui colle son poing dans la figure. Par contre, Einarson ne précise pas que Bruce Palmer a répondu et envoyé Stills valdinguer dans la batterie.

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             En juin 1967, Young annonce au groupe qu’il se barre - I sort of dropped out of the group. I couldn’t handle it - Ça tombe mal, car le groupe doit passer au Johnny Carson show, qui est alors aussi important que l’Ed Sullivan Show. Stills : «Neil s’est barré la veille du départ pour New York. it was sheer self-destruct.» Stills avoue avoir beaucoup de mal à maintenir le groupe en état de marche. Ce sens aigu de l’autorité lui vient de son éducation militaire mais il rappelle aussi que quelqu’un doit commander dans un groupe, sinon ça ne peut pas marcher, surtout quand on a des rebelles comme Young et Bruce Palmer - So there was chaos - Stills pense que Young ne supportait pas de le voir prendre des solos de guitare. De son côté, Bruce Palmer affirme que Stills et Young n’étaient pas des gens faciles : «Stephen was always hard to get along with; Neil was hard to get along with. Stephen est egomaniaque et brutal, Neil est complètement à l’opposé. Mais au final, ça revient au même : two spoiled little brats. Mais au lieu de gueuler, Neil disparaît. Il passait son temps à disparaître et on le retrouvait planqué dans le placard de Jack Nitzsche.»

             La situation continue de se dégrader : au moment d’entrer en studio pour enregistrer Buffalo Springfield Again, Bruce Palmer se fait drug-buster avec de l’herbe. Pouf, expulsé au Canada.  Il est remplacé par Jim Fielder. Il est essentiel de rappeler qu’en 1966, it was hip to be stoned. Tout le monde se came - Bruce was just a happy-go-lucky guy who loved his LSD - Comme les 13th Floor au Texas, Bruce en prend tous les jours. C’est Owsley en personne qui lui file des sacs pleins des tablettes. Quand il a commencé à fréquenter Croz, Stills «was getting high a lot». Dewey Martin indique que les Byrds «were the ones who turned a lot of people on to opium, forget hash and pot. Crosby liked to get paralyzed, so I’m pretty sure Stephen did too.» Par contre, Young n’est pas défoncé en permanence, contrairement à ce que tout le monde croit. Il ne peut pas se le permettre à cause de ses crises d’épilepsie. Il fume un peu d’herbe, comme tout le monde à l’époque. Par contre, Dewey Martin préfère l’alcool et le speed que lui fournissent en quantité Greene & Stone. On trouve facilement des grands bocaux de pills à Los Angeles, auprès de bons docteurs compatissants.

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             Puis Young va revenir pour le deuxième album. C’est lui qui ouvre le bal de Buffalo Springfield Again avec l’excellent «Mr Soul». Il embarque ça sur le riff de «Satisfaction», mais tout en retenue. On a là l’un des grands hits des sixties. L’autre hit de ce deuxième album est le «Bluebird» de Stills. Il l’attaque au débotté et claque ses descentes de gamme à l’ongle sec. Tout CSN est déjà là, avec des vieux relents de SuperSession, car ça s’étire dans la longueur bienveillante. Stills est un mec qui s’énerve facilement, comme le montre «Hung Upside Down». Il adore finir en apothéose. Par contre, le Furay se vautre avec son country-rock («A Child’s Claim To Fame»). C’est le piège du Buffalo, si tu n’aimes pas trop la country traditionnelle, t’es baisé. On se sent beaucoup mieux avec «Rock And Roll Woman», hit envoûtant. Et puis l’excellent «Expecting To Fly» de Young produit par Jack Nitzsche. Einarson ajoute que Young et Nitzsche ont enregistré pas mal de cuts qui n’ont encore jamais vu le jour. Einarson amène encore un détail qui vaut son pesant d’or du Rhin : Croz est à l’époque le mentor de Stills. Il l’introduit dans tous les milieux hip de Los Angeles et lui fait aussi des suggestions musicales - Rock And Roll Woman was instigated by a guitar tuning suggested by David Crosby - Quand Croz monte sur scène avec Buffalo à Monterey, il ne le fait pas par charité chrétienne. Il sait que son temps au sein des Byrds est compté, d’autant qu’il pousse le groupe à devenir plus créatif, ce qui ne plaît pas à Roger McGuinn. Il pense qu’il peut jouer avec Buffalo si ça tourne mal avec les Byrds, ce qui ne va pas manquer de se produire - David liked to shake things up - McGuinn et Hillman, iront trouver Croz chez lui pour lui annoncer qu’il est viré des Byrds. Chris Hillman prétend même que Croz aurait quitté les Byrds si Stills lui avait offert un job dans Buffalo.

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             Dans la maison que le groupe loue à Malibu, Stills reçoit des invités de marque : Buddy Miles, Noel Redding, Jimi Hendrix, et tout ce beau monde jamme. Pour Stills, c’est un autre level of music - Serious heavy duty blues and rhythm and blues - Stills voit très bien que ces mecs sont sur le point d’amener le rock à un autre niveau, et c’est ce qui l’intéresse. Il a découvert le drumming de Buddy Miles à Monterey. Doug Hastings évoque une session à Malibu avec «Jimi Hendrix, Buddy Miles, David Crosby, Stephen Stills and myself.» Stills joue de la basse. Buddy Miles chante. Jimi joue de la wah dans un coin. Doug Hastings ne sait pas si Jimi joue avec eux ou s’il joue dans son coin - He was popping acid like it was apirin. He was way out there - Plus tard, ils montent à l’étage et tombent sur des gonzesses qui sont arrivées entre temps. Jimi leur demande si elles ont des acides - He took two more. He has enough to kill a horse.

             C’est aussi l’époque où tout ce beau monde fréquente les Monkees, installés eux aussi à Malibu. Jimi Hendrix part en tournée américaine avec eux, mais il se fait virer vite fait de la tournée, car les parents des gosses qui remplissent les salles pour voir les Monkees se plaignent des copulations scéniques du Voodoo Chile. Les Monkees et Buffalo tournent ensemble en 1967. Stills et Tork sont comme on l’a déjà dit de vieux potes du temps de Greenwich Village. Dans les fêtes à Malibu, que ce soit chez Tork ou Stills, on voit toujours les mêmes têtes : Buddy Miles, Croz puis Hendrix suite à Monterey. Tork héberge tout le monde.

             Doug Hastings qui avait été embauché comme guitariste en remplacement de Young est viré quand Young annonce son retour dans le groupe. C’est Stills qui appelle Hastings quelques heures avant un concert prévu le soir-même pour lui annoncer la bonne nouvelle et lui souhaiter bonne continuation. Par contre le Furay et Dewey Martin ne sont pas très chauds pour accepter le retour de Young qui les a déjà plantés une fois. Ils ne supportent pas l’idée de voir réapparaître les tensions entre Stills et Young. Mais bon, Stills a pris la décision. Il y voit surtout un côté pratique : Young connaît les cuts et il compose.

             Enregistré par le bassiste de remplacement Jim Messina, ce deuxième album est cette fois un succès commercial, mais le groupe est moribond. Puis Ahmet Ertegun demande à Messina de produire un troisième album de Buffalo.

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             Dernier tour de piste avec Last Time Around paru en 1968. Young n’y contribue que du bout des doigts. Il ouvre le bal d’A avec la petite pop d’«On The Way Home», mais avec le «Pretty Girl Why» de Stills, c’est tout de suite plus franc du collier. Stills does it right. En fait, c’est Stills, le rock’n’roll animal de Buffalo. Avec «Special Care», on passe au heavy Buffalo Sound, bien dévoré par les chœurs et la basse de Jim Messina. Wow, quel groove ! Ambiance de rêve et prod parfaite. L’autre coup de Jarnac est encore signé Stills : «Questions». C’est bardé de gras double, Stills fond sa chique dans le groove psyché californien. On a tout ce qu’on aime, ici, le gras double, le chant d’inspi et le groove. On considère généralement Last Time Around comme l’album de la désintégration.

             Le groupe finit par splitter au moment où Young annonce son départ pour la troisième fois. It was all over. Un plus tard en 1968, Stills jamme chez Steve Paul à New York avec Johnny Winter et Jimi Hendrix. On apprend aussi par la presse qu’il envisage de monter un groupe appelé the Frozen Noses avec Croz and two Englishmen from name groups, le premier étant Graham Nash et le deuxième est supposé être Stevie Winwood.

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             Et puis voilà ce que les fans de Buffalo appellent the Holy Graal, la fameuse Buffalo Springfield Box pondue par Rhino en 2001, avec ses 36 démos inédites et surtout un son remastérisé, ce qui transforme complètement l’approche qu’on avait à l’époque des deux premiers albums.

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    Le disk 1 démarre avec 11 démos inédites dont un «Flying On The Ground Is Wrong», on sent une ouverture considérable, c’est gratté dans la grandeur, rien à voir avec le son du premier album. Young chante. Même choc esthétique avec «We’ll See» que chante Stills, oh we’ll see, Stills est partout, il fourbit les grooves. Stills place encore une démo démente, «Come On». Tu as l’impression d’être dans le studio avec eux. C’est dire la qualité du son. Young chante «Out Of My Mind», une belle oraison, et plus loin on passe aux cuts de l’album remastérisés, avec «Nowadays Clancy Can’t Even Sing» que chante le Furay, c’est énorme. Voilà qu’éclate l’absolu génie de Stills avec «Sit Down I Think I Love You», il chope toute la magie des sixties et la fait rôtir dans les flammes de l’enfer du paradis, il n’existe pas sur cette planète de plus bel emblème des silver sixties. On se régale du Moby-Grappy «Leave» et du groove zélé d’«Hot Dusty Roads» qui prennent ici un relief considérable, avec le solo de clairette que balance l’ami Young. Il s’impose encore avec l’excellence de «Burned». C’est le Furay qui chante «Do I Have To Come Right Out And Say It», un cut d’une rare perfection mélodique signé Young. Ce vieux Young ramène tellement de compos géniales ! Il est le grand pourvoyeur composital devant l’éternel.

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             Le disk 2 s’ouvre sur trois démos inédites, «Down Down Down» (heavy et beau comme un cœur, compo de Young que chante le Furay), «Kahuna Sunset» (intro stellaire) et «Buffalo Stomp» (flip flop). Et puis voilà «Baby Don’t Scold Me», Stills reprend le contrôle. Il éclate au Sénégal, on sent bien le boss du groupe, c’est bardé de son. Ici dans la box, «For What It’s Worth» prend une autre résonance, la version longue devient une pure merveille psychédélique, bienvenue in the deep California Sound, ça préfigure absolument tout le Croz à venir, c’est en plein dans le mille du sunset. Sur son «Mr Soul», Young est héroïque de débridement, c’est joué au killer solo flash d’ouverture sur le monde, peu de gens atteignent ce niveau d’excellence anarchique. Ils pulvérisent littéralement la Stonesy. Avec de nouvelles moutures de «We’ll See» et de «My Kind Of Love», on goûte à ce qui fait la grandeur inexorable d’un groupe comme Buffalo, on savoure chaque atome de la clameur du chant, cette façon qu’ils ont de se fondre dans le beat aux harmonies vocales est unique au monde, on voit les voix fondre littéralement sur les contreforts du beat, il n’existe alors rien de plus fondu aux États-Unis. Tout CSN vient de là, de cette magie sonore. Les compos du Furay sont moins bonnes et donc dispensables. «No Sun Today» est encore un inédit chanté à deux voix par Stills et le Furay, ils font du fast Buffalo. Ces mecs ont le pouvoir, à un point qu’on n’imagine même pas. Il faut l’entendre pour pouvoir en mesurer l’étendue. Nouveau coup de génie avec ce «Down To The Wire» signé Young et que chante Stills à l’extrême, le Buffalo est là au maximum de ses possibilités, ils ont une façon unique de dégringoler dans le son. Bim bam boum, here comes Buffalo ! Puis Stills ramène la fraise de son fameux «Bluebird» - Listen to my bluebird - C’est un seigneur des annales, le plus puissant de tous, il navigue largement au dessus de la mêlée, il fait partie des mecs qu’il faut suivre à la trace, CSN, solo, Manassas, tout est bien. Comme Steve Marriott en Angleterre, Stills n’aura eu toute sa vie qu’une seule obsession : évoluer vers un son toujours plus gros, vers toujours plus de son. «Hung Upside Down» est un gros numéro de Stills, il fait le job à coups d’acou, pas de problème. Encore de la magie de Stills avec «Rock And Roll Woman», mouture transfigurée, si on la compare à celle du deuxième album.

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             C’est lui qui lance le disk 3 avec une nouvelle mouture de cet «Hung Upside Down» tiré d’Again. Il sait enflammer un cut au chant. Young chante son «One More Sign» qui est une complainte typique du vieux Young. On sait bien qu’il est romantique dans l’âme, alors il en profite pour ramener une autre complainte, «The Rent Is Almost Due». Pendant ce temps, on perd de vue Stills, le rock’n’roll animal. Retour à l’électricité avec «Broken Arrow». Nouvel inédit avec «Whatever Happened To Saturday Night» que chante le Furay et Stills ramène son groove avec «Special Care». Il développe une sorte de génie groovy qui deviendra par la suite sa marque de fabrique. Il fond les voix dans un solo explosé de la rate. «Question» sort aussi de Last Time Around, Stills ramène encore du raw dans le son et dans le chant. Ça rocke à l’oss de l’ass, c’est gorgé de feeling et il claque tout au dirty solo. 

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             Le disk 4 propose les deux premiers albums remastérisés. À force de génie sonique, ces mecs ne se sont pas contentés de défrayer la chronique, ils l’ont explosée. Il faut la voir fumer, la chronique ! Plus on écoute Buffalo et plus on exulte. On ne se lasse pas de leur profondeur de champ. Stills est un meneur hors normes. Il sait faire éclater une pop song au firmament («Sit Down I Think Love You»). Il se pourrait bien que Sit Down et «Flying On The Ground Is Wrong» (I’m sorry to let you down) fassent partie des plus grands hits de l’histoire de la pop américaine, avec ceux des Beach Boys et de Phil Spector. Stills est all over the Buffalo, il est le maître du jeu («Everybody’s Wrong»). Ils jouent leur pop aux accords purs («Do I Have To Come Right Out & Say It»), leur pop semble parfois sortir du Brill, mais avec un vrai son et sous un casque, ça prend une dimension surnaturelle. On atteint le nec plus-ultra de l’art pop, celui des Beatles du White Album, des hits composés et produits par Phil Spector, ou encore de Todd Rundgren et des Beach Boys de Smiley Smile ou de Pet Sounds. Les cuts sont comme illuminés par les éclairs de Gretsch. Buffalo est le groupe de tous les possibles. On comprend qu’Ahmet Ertegun se soit prosterné à leurs pieds. Même le country rock de «Pay The Price» est solide as hell, bien soutenu par Dewey Martin, the fast beurre-man. Que d’énergie encore dans «Baby Don’t Scold Me» et «Mr Soul», avec un Young qui joue ses solos à l’envers. On n’avait encore jamais entendu ça ! On voit encore Stills participer à l’invention du rock de jazz avec «Everydays» et claquer des notes dans tous les coins avec «Bluebird», mélange de fuzz et d’acou complètement demented. Et pour finir cette tournée des grands ducs, Stills prend en biseau son «Rock And Roll Woman» et le plonge dans la chaleur des meilleurs chœurs de l’univers.

    Signé : Cazengler, Buffalourd

    Buffalo Springfield. Buffalo Springfield. ATCO Records 1966

    Buffalo Springfield. Buffalo Springfield Again. ATCO Records 1967

    Buffalo Springfield. Last Time Around. ATCO Records 1968

    Buffalo Springfield Box Set. Rhino Records 2001 

    Sylvie Simmons : Too Many Kooks. Mojo # 337 - December 2021

    John Einarson & Richie Furay. For What It’s Worth: The Story Of Buffalo Springfield. Cooper Square Press 2004 

     

     

    Aux sources du Neil - Part Two

             Tu veux du vécu ? En voilà ! Quand Bob Zimmerman débarque à New York en janvier 1961, il grelotte de froid. Pas de manteau et pas grand-chose dans l’estomac. Il rencontre un vague copain au coin de la rue et en claquant des dents, lui demande :

             — T-t-t-tu sais o-o-o-ù je-je clac clac clac peux trouver Fred clac clac clac Neil ? Paraît kill-kill-kill embauche !

             — Oh yeah ! Au Café Wha?, on McDougal !

             Le tuyau est bon. Le jeune Bob trouve Fred Neil, lui dit qu’il cherche du boulot, qu’il  chante et joue de l’harmo. 

             — Vas-y, montre-moi ce que tu sais faire.

             Le jeune Bob se met à souffler l’air d’Il Était Une Fois Dans l’Ouest.

             — Foooinnn foooinn fooooooo-oooon ooooiiiiiin ooooiiiiiin...

             — Bon ça va, stop !

             — Foooinnn foooinn...

             — STOP !!! Tu m’accompagneras à l’harmo et t’auras un dollar par show !

             — Wow ! Super génial !

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             Aux yeux de Kris Needs, cette histoire illustre bien la métaphysique de la brutalité qu’on appelle l’injustice : alors que Bob Dylan est devenu l’auteur compositeur le plus légendaire de l’histoire du rock, Fred Neil qui lui a filé son premier job est quant à lui resté dans la semi-obscurité. En fait, les choses sont beaucoup plus simples : Fred Neil ne voulait pas devenir célèbre.

             Comme il sait si bien le faire, Needs tire l’overdrive pour transformer son article en tourbillon. Fred Neil superstar ? - His multi-octave mahogany baritone, dazzingly innovative 12-string guitar and spellbinfing charisma - Rien qu’avec ça, on a l’estomac calé, mais ça continue, Needs cite des noms. Fred Neil fut le mentor de Richie Havens, Tim Hardin, Stephen Stills, David Crosby, John Sebastian, Karen Dalton, Gram Parsons et Tim Buckley. Oui Fred Neil aurait pu conquérir le monde mais il nourrissait une aversion définitive pour les médias et le music business. Il s’est contenté d’enregistrer trois albums et de léguer l’imparable «Everybody’s Talking» à la postérité. Grâce au blé que lui rapporte son hit, il peut quitter New York et aller vivre en Floride.

             Au temps de sa jeunesse, Fred composait du rockabilly, notamment le fameux «Candy Man» que chante Roy Orbison, il traînait pas mal au Brill Building où il faisait son petit biz, puis il a découvert la fameuse bohème new-yorkaise de Greenwich Village. Il s’y sentait mieux, il fréquentait Len Chandler, Odetta, Karen Dalton et a monté un duo avec l’hustling livewire Dino Valenti qu’on retrouvera plus tard en Californie dans Quicksilver. Needs cite bien sûr Dylan qui parle longuement de Fred Neil au Café Wha? dans Chronicles.

             Needs fait aussi le point sur les drogues. Fred Neil prenait tout ce qu’on lui proposait, speed, mescaline, hero, morphine mais selon Peter Childs, Fred Neil was not a junkie. Et Vince Martin ajoute : «Les drogues n’ont pas affecté la carrière de Fred Neil. C’est Fred Neil qui a affecté la carrière de Fred Neil.»

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             Paul Rothchild repère Fred et Vince Martin au Gaslight et leur propose d’enregistrer un album, le fameux Tear Down The Walls. Ils sont accompagnés par Felix Papalardi on guitarron (mexican bass) et John Sebastian on harp. Comme Rothchild est un perfectionniste, il demande constamment à Fred de refaire les cuts et ça finit par clasher. Les fans de Fred Neil qui se seront jetés sur l’album se régaleront d’un «Baby» embarqué à l’échappée belle et chanté à la bonne franquette. Fred groove comme un dauphin dans l’eau. On y trouve aussi une belle cover du «Weary Blues» d’Hank Williams, tapée au be cryin’ et au sweet mama please come home par le pauvre Vince Martin, mais heureusement Fred revient dans le chant pour arracher le blues du sol. C’est un album chanté à deux voix et tapé à coups d’acou, très typé, très Greenwich Village de l’hiver 63. Le multi-octave mahogany baritone de Fred domine. Ils font la première version de «Morning Dew», la tapent à deux voix, Fred renchérit sur le copain Vince, walk me out in the morning dew my honey, puis Fred enchaîne cinq de ses cuts, notamment le rampant «I Get ‘Em». Fred Neil est le roi des rampants.

             Il va continuer d’enregistrer pour Elektra avec Paul Rothchild, mais leur relation va se détériorer. Rothchild est trop exigeant et Fred quitte souvent les sessions en claquant la porte. C’est ce qu’on appelle un conflit d’intérêts. Rothchild voit Fred comme la poule aux œufs d’or et Fred est tout le contraire de la poule aux œufs d’or. 

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             Le 38 MacDougal récemment paru fut enregistré chez John Sebastian en 1965. Fred venait de claquer la porte du studio où il enregistrait Bleecker & MacDougal et pour le calmer, Peter Childs lui proposa d’aller jouer chez Sebastian, au 38 MacDougal. Enregistré avec les moyens du bord, l’album n’a pas de son, mais on a la voix de Fred. Peter Childs et lui taillent la route du blues à la folie («Country Boy»). Fred est tellement doué qu’il sonne comme un black sur «Gone Again». Son woke up this morning est une merveille d’allumage de gone again - I love you baby/ But you’ve got to understand right now - Il fait le wistle de Lonsesome Train et ça vire à la pire tension d’Americana. Il tape aussi une version underbelly de son «Candy Man» et plus loin, il drive sa «Sweet Cocaine» dans Lexington à la dérive d’acou - Ahhh sweet cocaine/ Round and round your heart and your brain - tout ça à coups de breakouts d’acou. Il termine avec «Blind Man Standing By The Road And Cryin’», mais avec la session d’appart, on perd la profondeur de la prod. Il gratte on truc à la sauvage, il navigue à la surface, il survit, c’est du heavy blues de fin de soirée à MacDougal.

             Selon Needs, 38 MacDougal a mis 56 ans pour refaire surface, grâce au label Delmore Recordings. Par contre, la relation avec Elektra n’est pas réparable. Bleeker & MacDougal sera le second et dernier album de Fred sur Elektra. On l’a épluché ici dans un Part One en 2013. Fred continue pourtant d’enregistrer, cette fois avec Jack Nitzsche. Mais nous dit Needs, l’album n’est jamais sorti, aussi incroyable que cela puisse paraître ! Puis Herb Cohen qui est son manager décroche un contrat pour Fred chez Capitol et Fred enregistre Fred Neil avec Nick Venet à Hollywood (épluché aussi dans le Part One en 2013). Pour mettre Fred à l’aise, Venet installe des canapés dans le studio, fait servir de l’alcool et brûler de l’encens. Les sessions démarrent à minuit et parmi les invités se trouvent Joni Mitchell et un wide-eyed Tim Buckey. C’est là que Fred chante «The Dolphins» que reprendra Buckley.

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             Puis Venet fout la pression et organise les fameuses Sessions avec Peter Childs, Cyrus Faryar et d’autres. Et hop ça part en mode stoned soul picnic, des jams de pas d’heure dont Venet va extraire la substantifique moelle. Occasion rêvée de sortir Sessions de l’étagère. Dès «Felicity», il fait du punk-folk sur sa gratte en yodellisant aux Appalaches. Il prend «Send Me Somebody To Love» de Percy Mayfield au round midnite, il crée de l’océanique à volonté, et c’est avec «Merry Go Round» et un son psych qu’il nous fait décoller. Le chant et le gratté dauphinois créent de l’enchantement. C’est d’une vraie beauté boréale. Il boucle son bal d’A avec un «Look Over Yonder» digne de l’«If I Could Only Remember My Name» de Croz. C’est exactement le même sens de la dérive au soleil couchant, même sens du méandre de delta, absolue merveille supsensive digne des jardins suspendus de Sèvres-Babylone. En B, il tape son vieux «Looks Like Rain» dans un climat de tension à la Richie Havens. C’est gratté aux bons soins du tsoin tsoin d’effervescence de Gaslight, Fred enchante le studio, il s’enfonce dans son groove sous tension et gratte à la régalade, il claque ses descentes de notes à l’ongle sec. C’est la vraie électricité. Pas besoin de wah ni de Marshall, il gère bien son shake, il fait du folk-rock d’énergie new-yorkaise à la fabuleuse dérive des condiments. Il joue son «Roll On Rosie» à l’énergie des coups d’acou, et une basse bien ronde entre dans la ronde. Quelle frénésie ! Si on aime entendre les attaques frénétiques, c’est là.  

             Encore de l’inédit en sous-jacence : Needs évoque des sessions organisées par Nick Venet à Nashville en 1969 : Fred, John Stewart, Vince Martin et les musiciens qui avaient accompagné Dylan sur Nashville Skyline. Rien n’a encore filtré. Puis Fred envoie promener Michael Lang qui lui propose de jouer à Woodstock. Comme il doit encore un album à Capitol, il accepte qu’on l’enregistre live au Purple Elephant Club de Woodstock. On retrouve ces cuts sur Other Side Of This Life.

             Et puis il y a les dauphins. Needs en fait quasiment une page entière. Histoire de rappeler qu’en fait, les dauphins comptaient plus que tout dans la vie du grand Fred Neil. Avec son côté Disneyland, cette dernière page pourrait passer pour de la complaisance, mais venant de Kris Needs, il s’agit surtout d’un bel exercice d’honnêteté intellectuelle. Fred Neil ne pouvait pas se trouver en de meilleures mains.

    Signé : Cazengler, Fred Nul

    Fred Neil. Sessions. Capitol Records 1971

    Fred Neil. 38 MacDougal. Delmore Recording Society 2020

    Kris Needs : Feted Villager. Record Collector # 522 - September 2021

     

    L’avenir du rock - These Weeds on fire

     

             Dans la grande salle commune de l’Hôtel Dieu, deux interminables rangées de lits se font face. Des infirmières industrieuses vont d’un lit à l’autre, pareilles à des butineuses dans un champ de coquelicots. Des râles intermittents gâtent l’épaisseur du silence. On y meurt beaucoup, conformément aux lois de la sélection naturelle. Les évacuations se font dans le silence, pour ne pas gêner ceux qui sommeillent. Le professeur Dox fait sa tournée. Il s’arrête devant un lit et s’adresse à l’infirmière qui l’accompagne :

             — Dites-moi Izabeau, pourquoi a-t-on bâillonné madame Brontë ?

             — Parce qu’elle hurle.

             — Ah oui, elle est atteinte de romantisme tuberculeux. Et ce monsieur, à côté, pourquoi porte-t-il un gilet pare-balles ?

             — C’est un poulet. Monsieur Robocop.

             — Grippe aviaire, je suppose...

             — Cas désespéré.

             — Faites-le piquer, nous avons besoin de lits. Poursuivons...

             Ils arrivent au pied du lit suivant. Un gros monsieur y transpire abondamment.

             — De quoi souffre ce monsieur Apollinarus, Izabeau ?

             — Grippe espagnole !

             — Mais la grippe espagnole a disparu depuis longtemps !

             — Monsieur Apollinarus est un admirateur du poète Guillaume Apollinaire, professeur. Il s’est arrangé pour se faire défoncer le crâne d’un coup de marteau et pour s’injecter un virus qu’il a sans doute dérobé aux archives de l’Institut Pasteur. C’est un peu comme s’il avait été fan de Sid Vichiousse et qu’il s’était overdosé la calebasse...

             — Passez-moi vos commentaires infantiles et envoyez cet huluberlu en psychiatrie.

             Ils arrivent au pied du lit suivant. L’homme sourit. C’est d’ailleurs le seul.

             — Ah encore un atypique ! Il me semble parfaitement radieux. Comment s’appelle-t-il ?

             — L’avenir du rock.

             — Et de quoi souffre-t-il ?

             — Grip Weeds.

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             Grip Weeds est un groupe américain pas très connu en France. Basé dans le New Jersey, Grip Weeds existe depuis les années 90 et continue de faire l’actu avec d’excellents albums. Kurt Reil, son frère Rick et Kristin Pinell constituent le noyau dur du groupe. Non seulement les frères Reil arborent des looks de rock stars, mais ils sont en plus des fans de Todd Rundgren, ce qui en dit long sur leurs mensurations. Car pour jouer dans un groupe qui se réclame de Todd Rundgren, il faut avoir certaines dispositions, à commencer par le talent et la classe. Les frères Reil ont tout ce qu’il faut en magasin.

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             Peut-être était-ce dans Shindig! ou dans Vive Le Rock, toujours est-il qu’une chronique extrêmement bien foutue nous fit loucher sur Strange Change Machine, un double album paru en 2010. Dans ces cas-là, on teste. Pour une fois, le chroniqueur ne prend pas les gens pour des cons : «Speed Of Life» accroche immédiatement avec son gros bouquet de power pop finement sur-cousue de psyché qui gonfle très vite pour atteindre des proportions spectaculaires. Les harmonies vocales s’envolent par-dessus les toits, attention, ces mecs-là sont des géants, on ne croise pas tous les jours des harmonies vocales aussi géniales. Leur truc, c’est la pression. Ils sont tellement doués qu’ils jouent des cascades dans les ponts, ça explose au pinacle du polymorphisme. Ce «Speed Of Life» est une merveille disons incommensurable. L’autre merveille du disk 1 est le morceau titre, une espèce de rumble de freakbeat, ces mecs ont de la santé à revendre, ils proposent de l’extase, ils relayent toutes les genèses, ils mélangent le génie sonique, les harmonies vocales et le trash, c’est quasiment un truc qui nous dépasse, et toutes ces distos qui rôdent dans le son ! On entend les accords des Heartbreakers dans «Thing Of Beauty». Ils sont aux confins des mondes qui nous intéressent, ils tâtent de la power-pop comme d’autres tâtent des culs, ils sont comme Todd Rundgren, ils génèrent du son à n’en plus finir, mais c’est une infinitude rectifiée par des solos de Rick Reil, et le parallèle avec Rundgren s’établit pour de bon quand Rick Reil est sur les rails et qu’il claque ses beignets. On l’entend encore faire pas mal de ravages dans «Close To The Sun» et on s’effare de l’incroyable qualité des cuts à mesure qu’ils défilent sous nos yeux globuleux. Ils contrebalancent «Don’t You Believe It» dans l’excellence du stomp, ces mecs-là ont un talent fou. Kurt Reil chante «Be Here Now» à l’affluence, le son abonde terriblement. Leur collègue Kristin Pinell chante «You’re Not Walking Away», une espèce d’énormité convalescente et la wah descend à la cave. Il n’est pas surprenant de les voir reprendre un hit de Todd Rundgren sur le disk 2. Ils choisissent «Hello It’s Me» : même énergie, même classe, on s’incline devant les frères Reil. Nouveau coup de génie avec «Used To Play». Fabuleux hit pop, ça atteint le sommet du summum, les frères Reil sont des magiciens de la pop américaine. Tous leurs cuts sont visités par la grâce. On croirait entendre les Raspberries. Comme le montre «The Law», ils savent énerver la cuisse d’un cut. Encore de la pop énergétique avec «Truth (Hard To Fake)», ça éclate encore au Sénégal et Kurt Reil chante fabuleusement bien. Il expédie son «Hold Out For Tomorrow» dans les coconuts, on croirait entendre Nazz et le «Long Way (To Come Around)» qui suit vaut aussi le détour, car c’est gorgé d’excelsior, et quand la guitare de Rick Reil vient dévorer le foie du cut, alors ça tourne à la sauvagerie et ça fout les chocotes.

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             Leur premier album s’appelle House Of Vibes et date de 1994. Ils proposent déjà une pop-rock qui goutte de jus. Ça chante dans les chatoiements. Ils claquent leur «Close Descending Love» au crystal clear de la revoyure, c’est très beatlemaniaque. Ils passent au fast drive avec «Embraces». Ils règnent sur leur domaine de compétences, ils activent des réflexes endémiques dans une merveilleuse ambiance. On se sent bien dans leur monde d’up-tempo, comme ce «Don’t Belong» de Grip. Ce straight ahead type of rock s’inscrit dans la carnation du don’t belong. Ça file bien sous le vent. Leur présence dépasse l’entendement, leur «Realise» sonne comme du CSN. Ils enchaînent avec un «Before I Close My Eyes» dégoulinant d’arpèges, pur jus de Grip, ils sonnent comme les Byrds. Ils bouclent avec «Walking In The Crowd». Ils raflent la mise à chaque cut, ils jouent à la classe intrinsèque. Ces mecs-là, tu leur fais confiance, tu leurs donnes tout, ta sœur, les clés de ta bagnole et ton numéro de carte bleue. Ils sont faramineux, ils allument au soloing de fière allure, et ça chante à l’anglaise, c’est à la fois puissant, demented, homérique, faraminé et calaminé. 

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    Si tu aimes bien les Byrds, alors écoute The Sound Is In You. Les Grip y sont même meilleurs que les Byrds. La preuve ? «Better Word» et son solo de traverse qui est un modèle de traverse, presque hendrixien, avec ce court temps d’attente et le départ vers l’espace, ils sont en plein dedans. Ils refont les Byrds avec «Tomorrow» et «Strange Bird». Franchement, on se croirait sur Younger Than Yesterday. Ils font aussi une reprise fantastique d’«I Can Hear The Grass Grow». Après les Byrds, les voilà dans les Move ! Leur cover est encore plus belle que celle de The Fall, ils jouent ça à l’énergie pure, c’est sabré à coups de Grip, chanté au raunch de Carl Wayne avec un technical killer solo. Mais attention les gars, ce n’est pas fini : en plus de tous ces coups de Jarnac, on trouve un coup de génie, un vrai de vrai. Il s’appelle «Down To The Wire», une pop qui se fond dans la magie sonique, c’est Kristin Pinell qui chante, elle se fond délicieusement dans son hang on et atteint un niveau de beauté jusque-là inconnu, l’arpège reste en suspension, c’est une pop saturée de sexe, elle chante son wire à la magie pure, là t’es hooké comme un brochet, elle chante au girlish pur et les accords de guitares fondent sur sa voix, elle ramène du Brill au paradis des Grip, and you hang on/ Hang on. Ils font aussi de la mad psychedelia avec «A Piece Of My Own», on sent nettement la triangulation des guitares, c’est ultra-étoilé et épuisant de candeur sonique. Les Grip perpétuent l’art de la Mad. Tout chez eux est d’une tenue de route impeccable. Leur «Games» sonne comme un hit des Beatles de l’époque Revolver, alors t’as qu’à voir. Incroyable puissance de la perspective. Ils développent leur pop au piercing de son et l’arrosent d’une crème de guitares anglaises, c’est un rare mélange de son anglais et d’énergie américaine. Les Grip sont l’un des groupes les plus attachants de ce monde. Ils ont une passion pour le big sound et l’explosion de l’osmotic caractéristique. Ils sont même parfois bien plus balèzes que les Byrds. Ils veillent à maintenir chacun de leurs cuts au dessus de la moyenne et passent chaque fois que l’occasion se présente un killer solo d’antho à Toto. Ils pulsent d’incroyables harmonies vocales dans la pop de «Morning Rain», et font les oies blanches aux portes du palais dans «Ready & Waiting», avec Big Star en tête. Ils jouent leur power-pop au maximum des possibilités du genre.

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             Malgré sa pochette Byrdsienne, Summer Of A Thousand Years est un album un petit moins spectaculaire que le précédent. Et pourtant ! «Save My Life» sonne comme un cut des Byrds, ça sent bon les arpèges de Ricken. Ils sont assez conscients de leur volonté, ils cultivent le fondu d’harmonies vocales comme d’autres cuisinent le fondu de poireaux. Avec «Future Move», ils prennent un virage résolument power pop. Ils visent la power pop évolutive, celle de Dwight Twilley. Ce que vient confirmer «Moving Circle», amené au gratté de Grip, et ça donne une belle pop extensive, don’t set me free. Ils tapent leur «Rainy Day #3» à l’élongation de syllabes et foutent un pétard dans le cul de «Don’t Look Over My Shoulder». Les Grip sont incapables de se calmer. Tout chez eux est bardé de son, mais en mode ultra, vois-tu ? Ils attaquent l’«Is It Showing» à la petite violence Grippy, mais ça reste de la pop inoffensive. Ils sont marrants et même adorables, ils ont parfois tendance à vouloir monter en température, c’est leur côté freakbeat. Avec «Love’s Lost On You», les guitares s’éclatent au Sénégal avec leurs copines de cheval. Ils font même un clin d’œil à Chicken Shack avec «Changed», boogie typique de Stan Webb, et enchaînent avec un «Life And Love Time To Come» qui pourrait très bien figurer sur Led Zep III, car ça frise le «Gallow’s Pole». Ils ramènent tout le bataclan, même les tablas et ça finit en Salammbô, avec les éléphants. Kristin Pinell amène «Malnacholia» toute seule et résiste aux assauts. Mais ça dégénère en combat de rue psyché avec de la fuzz et du drumbeat pour un final explosif. Ils terminent avec le morceau titre et comme chaque fois, ils repartent à zéro pour recréer les dynamiques fondamentales. Chaque fois, ils refont leurs preuves. C’est le problème des groupes qui n’ont pas le background des Pixies ou des Mary Chain, rien n’est plus difficile que d’imposer sa marque jaune, mais les Grip s’y emploient, leur quête d’excelsior les honore et leurs guitares dévorent tout.

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             Les Grip poursuivent leur petite moisson d’énormités avec Giant On The Beach, un album qui date de 2004. Sept killy kuts sur treize, bonne moyenne, non ? Ça démarre avec un «Astral Man» vite fait bien fait, et tout de suite le gros son, l’aisance planétaire, le chant en place et le tatata d’accords descendants. Peu de groupes savent entrer en osmose aussi parfaitement avec l’harmonique astrale. Les Grip sonnent comme une bénédiction et non seulement ça joue dans le lard, mais c’est vite over the top. Au rayon énormités, on trouve aussi «Infinite Soul» et sa belle descente au barbu, dégelée d’harmonies vocales irrésistibles, c’est violemment bon et plein d’élan, plein d’avenir, même chose pour «Once Again», yes I do, heavy Grip, ça joue aux guitares aventureuses et ça continue avec un «Midnight Sun» violent, dévastateur et même définitif, un Sun emporté par des vagues, ça joue cette fois au pâté de foi. Ça culmine toujours plus avec «Waiting For A Sign» et ses guitares scintillantes, oh la belle envolée, les Grip jouent à la pointe du son. On trouve aussi sur cet album traumatisant deux modèles de mad psychedelia : «Realities» et «Telescope». Ils montent ça bien en neige, ils claquent leur pop au coin du beignet, ils basculent et nous avec dans la reality d’I don’t want to believe avec un solo psycho-psyché à la clé. Power peu commun, ils ont tout le son du monde, ils tombent sous le sens. «Telescope» dépasse aussi toutes les expectitudes, ce heavy psyché te coule dans la manche. Aw my Gawd, comme ce groupe est bon ! Kristin Pinell se tape «Closer To Love», elle redevient le temps d’un cut la reine du New Jersey. Ils transcendent l’art du lard avec «Get By», la wah fulmine dans la barbe de Dieu, les Grip jouent leur va-tout en permanence. Ils restent dans une heavy pop de niveau supérieur, c’est leur raison d’être. Le coup de génie s’appelle «Gone Before», ils cultivent l’excellence de l’art pop et c’est nettoyé au killer solo flash. Les Grip sont ce qu’on appelle un groupe complet.

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             Comme Totor et des tas d’autres, les Grip font leur Christmas album avec Under The Influence Of Christmas. Boom dès «Christmas Dream», on est vite dégommé, ils font le Christmas des Byrds, ils l’allument en pleine poire, au stupéfiant shoot de chant et d’accords, ils sont dans l’excellence supra-normale, ils surpassent tous les modèles, ils cultivent l’urgence d’un son miraculeux, ça drive dans le jus, ça chante à la fournaise dans le démoli des pourtours, hey ! Grip Weeds forever ! Ils font une belle cover du «2000 Miles» de Chrissie Hynde. Ils refont les Byrds avec «Hark The Herald Angels Sing», ils sont en plein dans Turn Turn Turn, c’est hallucinant de véracité. Toutes leurs Christmas songs sont soignées, «Santa Make Me Good» - Yeah yeah it’s Christmas time - c’est explosif, c’mon babe, ils jouent plus loin «God Rest Ye Merry Gentlemen» à la pulsion de réverb, ils sont dans tous les coups fourrés. Ils amènent «Welcome Christmas» à la bonne jachère de la surenchère, c’est poppy jusqu’à la moelle des os, terrific d’anglicisme, c’est quasiment du Marmalade. Et puis il y a cette bombe christmatique, «Merry Christmas All», Kristin Pinell chante et ça devient magique, un vrai splurge de Christmas pop, il faut la voir driver son Merry Christmas, elle le claque en coin, mais avec un génie, c’est l’un des meilleurs Christmas booms de tous les temps, à ranger à côté de celui des Ronettes, a very good time of the year, là tu as tout ce que tu peux attendre de la pop. Encore un coup de génie avec ce «Christmas Bring Us» infesté d’harmonie vocales qui s’en va se perdre dans les voûtes célestes, les échos des Beatles s’y démultiplient à l’infini, c’est un véritable ras-de-marée d’harmonies vocales. On ne peut pas espérer pire démesure.

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             Que valent les Grip sur scène ? La réponse est dans Speed Of Life (In Concert In New Jersey). On y retrouve bien sûr les hits évoqués plus haut comme «Astral Man», bel exemple de power pop extrémiste. Peu de power-poppers ont ce power du ventre. Ils font une cover de «Shaking All Over» assez diabolique, tout le backbone est là, pas de problème. Ils sonnent exactement comme Oasis sur «Close Descending Love». Même genre d’insistance. Avec «Salad Days», ils restent dans cette power pop ravagée par des vinaigres d’arpèges interstellaires et ils enchaînent avec un «Strange Change Machine» tapé aux meilleures harmonies vocales et ravagé par un solo incendiaire. Encore de la power pop capiteuse avec «Be Here Now» et ça explose avec «Speed Of Life». Ils chantent aux accents biseautés et tout explose à nouveau avec «(So You Want To Be) A Rock’n’Roll Star», la cover des Byrds, bienvenue au cœur du mythe, c’est violent, ils en font une version incroyablement musclée, la la la la, avec les solos qui te rampent dans la cervelle, la la la la. Les Grip font partie des groupes parfaits. Ils jouent tout aux grandes eaux du Niagara, tout chez eux est extrêmement sonné des cloches, ils remontent le Gulf Stream comme le thon du Benelux intérieur.

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             Ho la la, encore un album génial : How I Won The War. Ça date de 2015. Il faut attendre «Rise Up» pour bander. Ils jouent ça à la cloche de fer blanc. La principale qualité des Grip serait peut-être leurs réflexes. Ils savent tartiner des clameurs et faire tinter le fer blanc. Ils sont d’une certaine façon les vainqueurs de l’Anapurna du rock. Il n’existe rien de plus parlant en termes d’énormité. Cut après cut, ils taillent bien leur route, les accords de «Follow Me Blind» sont ceux de Really Got Me, mais joués à la pédale douce, «Life Saver» est joué à la volée et «Other Side Of Your Heart» à la belle progression, ils tapent dans l’haut-le-cœur de la mad psyché. Retour aux vieilles dégelées avec «See Yourself», tellement gorgé de son que c’en est volumineux, rattrapé au vol par le stomp. Tout aussi bien venu, voici «Vanish», hey vanish in the sun, et arrive systématiquement un solo qui sonne comme une œuvre d’art. Retour aux coups de génie avec «Force Of Nature» qui passe en mode fast rock. Tout est dans les dynamiques, les Grip son imparables, ils rallument d’antiques brasiers, ils visent l’effarance de la béatitude avec un solo à la quenouille qui s’enroule dans l’écume des jours. Ils fabriquent tout simplement de la fournaise. «Heaven & Earth» se trouve vite bloqué au high speed de cervelle folle, ils tapent cette fois dans l’excellence d’un psychout so far out qui balaye celui des Yarbdirds. Kristin prend enfin le micro pour «Over & Over». Elle reste la reine des Grip, l’un des groupes américains qui a le meilleur répondant. Il faut les voir exploser le rainbow quartz de «Rainbow Quartz» ! On se croirait chez Todd Rundgren. Nouveau coup de génie avec «Lead Me To It», ils repassent pour l’occasion en mode gaga-grippy. Leur notion de la solidité est sans égale. Ils taillent la meilleure route d’Amérique, ils fondent leur art aux voix de Todd. Power absolu ! Il n’y a que les Américains pour sortir un tel power de fondu pop. Une merveille de plus. Ils finissent cet album épuisant avec un «Inner Light» attaqué au banjo déboîté. Ça joue à tout ce qu’on peut, banjo, cornemuse, on ne sait pas trop, ils génèrent des violences guerrières qui les dépassent.

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             Et puis voilà Trip Around The Sun. Ils nous refont le coup des Byrds avec «Truth Behind The Lies». Ils vont même assez loin, car ils transcendent cet art ancien qui date des quatre premiers albums des Byrds sur Columbia. Ils proposent aussi deux petits modèles de power pop avec «Casual Observer (To A Crime)» et «Letters». Ils amènent ces petites merveilles à la heavy cocote. Big sound et solo killah qui s’en viennent splasher all over. Ils chantent «Letters» à la mode californienne, avec un sens aigu du fondu de voix. C’est gens-là sont des dandys, qu’on se le dandise. Ils savent jouer au riff insistant. «She Tries» est encore un cut plein comme un œuf. C’est la même énergie que celle de Big Star. Ils jouent au son d’intervention avec des harmonies vocales inventives. Attention au «Vibrations» d’ouverture de bal, c’est un coup de génie faramineux, un heavy psyché enrichi aux harmonies byrdsiennes, ces gens-là sont à la fois très forts et très purs. Tout est calibré à la perfection, au fondu de chant et aux vibrations. C’est à tomber de sa chaise. Des vagues de wah te jettent dans le mur. Mets ton casque ! Avec «After The Sunrise», on se croirait chez les Sadies, ils jouent à la clairette de la bobinette, le son est là, bien décidé à rester là. L’autre stand-out track s’appelle «Reality Stands Still». Kristin Pinell chante sous un boisseau d’accords scintillants. Elle nous refait le coup à chaque fois. Super sexy sixties, une pure merveille. Elle chante au milieu des flammes comme une Jeanne d’Arc psychédélique, la pression mélodique évoque les Ronettes, mais avec le gut des Grip, et c’est bombardé de son vainqueur, killer solo et délire de bassmatic à la clé. On sent dès l’intro que ce cut est un chef-d’œuvre immérorial, un de plus ! Ils bouclent cet album tombé du ciel avec le morceau titre, un trip de Grip de six minutes. Ils ont tout : le son, le décorum, les rebondissements, les assises culturelles, les étais de rembardage, tout est solide chez les Grip et en guise de cerise sur le gâtö, ils fourbissent un monstrueux big bang.

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             Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà que paraît leur nouvel album, le bien nommé Dig, dont la Deluxe Edition est un double CD. Petit conseil d’apothicaire : chope la Deluxe, car Dig est bourré de covers aussi géniales que celles de Todd Rundgren au temps de Faithful. Tout est beau là-dessus, les frères Reil et Kristin ne se refusent aucun luxe, ils commencent par sublimer le vieux «Shape Of Things To Come» des Yardbirds composé par Barry Mann & Cynthia Weil. Well well well. Les covers sont triées sur la volet. Arrive à la suite le «Lady Friend» de Croz joué au full blast de psycho psyché, expédié dans le museau de Moloch, le dieu gaga. Ils ressuscitent le «Journey Into The Center Of The Mind» des Amboy Dukes, c’est assez dévastateur, claqué vite fait, pas le temps de réfléchir, wild affair. Au menu on trouve aussi l’explosif «Lie Beg Borrow & Steal» de Mouse & The Traps, stupéfiant d’énergie et de revienzy, suivi d’un fantastique hommage à Thunderclap Newman avec «Something In The Air», ils sont en plein dedans, pas de plus belle cover, toutes les descentes sont là. Ils tapent à la suite le «No Time Like The Right Time» d’Al Kooper, ils déboulent littéralement dans le heavy groove d’Al, c’est extrêmement bien arqué, fabuleux shake de sixties power, baby the night time is the right time et ça atteint des sommets avec le «Making Time» des Creation. Il n’existe pas de plus grand cover-band que les Grip, oh no no no no ! Ils tapent dans l’intapable, on entend même un bus à l’entrée du cut, ils savent qu’Eddie Phillips en conduisait un à Londres. Les Grip recréent la magie des Creation. Ils tapent aussi le «Lies» des Knickebockers, ils en lustrent l’éclat, pas de problème, c’est explosé aux guitares. Ils finissent le disk 1 avec «Louie Go Home» de Paul Revere & The Raiders (monté aux chœurs de cathédrale, tout ici est ostensible, surchargé de son), «All Tomorrow’s Parties» du Velvet (que chante Kristin) et «Child Of The Moon» des Stones, bardé de psychedelic wind blows. C’est excellent, ça balance entre tes reins.

             Lenny Kaye signe le texte de présentation de Dig. Il est certainement le mieux habilité de tous à le faire, puisque les Grip tapent dans Nuggets, un double album qui, nous rappelle Kaye, a cinquante ans d’âge. You have to keep digging, nous dit Kaye et il ajoute en guise de conclusion : «These are great songs, make no mistake. That’s why we still sing them and always will.» Le disk 2 est un tout petit peu moins dense que l’1, mais on se régale d’une cover de «Porpoise Song», composé par Gerry Goffin et Carole King pour les Monkees, véritable shoot de Beatlemania. L’autre énormité est l’«Outside Chance» des Turtles, joué au répondant des clairettes de guitares. Et puis encore de l’intapable avec l’«I Feel Free» de Cream. Ils naviguent sous toutes les lattitudes, ils recréent le superbe fondu de voix de Jack Bruce. Retour aux Beatles avec une belle version d’«It’s Only You», pur jus d’oh my oh mind. Ils se cognent aussi l’excellent «For Pete’s Sake» de Peter York, c’est leur façon de dire qu’ils adorent les Monkees, ils jouent cette pop interrogative avec de puissants réflexes sixties. Côté gaga, ils tapent dans le mille avec le «Going All The Way» des Squires, pur jus de gaga-Crypt avec un killer solo flash à la clé. Ils rentrent enfin dans les godasses des Electric Prunes avec «I Had Too Much To Dream (Last Night)». Toutes leurs covers sont des œuvres d’art.

    Signé : Cazengler, Crap Weed

    Grip Weeds. House Of Vibes. Twang! Records 1994

    Grip Weeds. The Sound Is In You. Buy Of Die Compact Discs 1998

    Grip Weeds. Summer Of A Thousand Years. Rainbow Quartz International 2001

    Grip Weeds. Giant On The Beach. Rainbow Quartz International 2004

    Grip Weeds. Strange Change Machine. Rainbow Quartz International 2010

    Grip Weeds. Under The Influence Of Christmas. Rainbow Quartz International 2011

    Grip Weeds. Speed Of Life (In Concert In New Jersey). Ground Up Records 2012

    Grip Weeds. How I Won The War. JEM Recordings 2015

    Grip Weeds. Trip Around The Sun. JEM Recordings 2018

    Grip Weeds. Dig.  JEM Recordings 2021

     

    Inside the goldmine - Tiny at the Topsy

     

             Dommage. Ça aurait pu marcher avec Baby Rich. Le problème n’était pas tant le fait qu’elle avait un visage ingrat, mais elle avait surtout un sale caractère, une fantastique capacité au renfrognement. À la moindre contrariété, elle devenait la reine des connes. L’hyperconne d’hyperkhâgne. Pour le reste, nickel. On partageait une vénération pour Tati et pour les peintres du XIXe et du début du XXe dont on allait admirer les toiles quasiment chaque week-end. On se prosternait jusqu’à terre devant tous ces petits maîtres que sont Albert Marquet, Valotton, Bonnard, Pascin et même Gustave Moreau dont il existe un très beau musée rue de la Rochefoucauld. L’été, nous allions bretonner et trouvions refuge en hiver dans son très bel appartement situé au cœur de Paris. Comme les choses n’étaient pas clairement formulées, nous entretenions chacun de notre côté d’autres relations. Bien sûr, nous n’en parlions pas. L’imperfection des traits de son visage l’insécurisait tellement qu’elle testait en permanence son pouvoir de séduction, principalement sur les gens de son entourage professionnel dans le monde du spectacle. Ça faisait partie du jeu que de l’accepter. Mais on était contents de se retrouver pour entreprendre nos petits safaris culturels. Outre sa curiosité, l’une de ses qualités était son bon appétit. Elle se tenait bien à table et pouvait bouffer comme une vache sans vraiment grossir. Sa bonne nature ne lui permettait hélas pas de contrecarrer les manifestations de son sale caractère. Et puis un jour, elle annonça qu’elle allait se faire refaire les seins qu’elle avait pourtant parfaits. Ça n’avait pas de sens. Mais comme toute décision, celle-ci lui appartenait. Il n’y avait rien à ajouter. Elle avait trouvé une clinique privée pas très loin de chez elle. Elle s’y rendit à pied et pour le retour, il fallut aller la chercher pour la raccompagner, car elle tenait à peine debout, emportée vers l’avant par des seins extraordinaires qui semblaient avoir triplé de volume. Elle ressemblait à la statuette africaine d’une déesse primitive. Pour se rassurer et gérer le déséquilibre causé par ces protubérances surréalistes, elle déclara qu’elle irait chaque jour nager à la piscine pour se muscler le dos.

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             Ce serait faire injure à la mémoire de Tiny Topsy que de la traiter de protubérance, mais elle l’est pourtant au plan artistique. Cette black de Chicago est avec Big Mama Thornton et Etta James l’une des plus belles protubérances artistiques de l’histoire de R&B. Pour être plus précis, elle est l’une des plus grosses arracheuses de l’histoire des arracheurs. Elle chante au rauque du raw définitif, on ne lui connaît pas de concurrence. L’album Aw Shucks Baby en apporte toutes les preuves, à commencer par le morceau titre, qui vaut tout le scream du monde, avec en prime un solo de sax à l’ancienne. Avec «Miss You So», elle allie power et raw, elle doit être la seule avec Etta James et Big Mama Thornton à savoir le faire. Mais on a l’impression que Tiny Topsy les bat à la course. Elle dispose en plus d’un backing solide, comme par exemple le guitariste Johnny Faire qu’on entend sur «I Miss You So». Elle n’en finit plus de forcer l’admiration. «You Shocked Me» est plus classique, mais torride pour l’époque, avec Johnny Faire in tow. Quelle leçon de chant ! Quelle férocité ! Elle démarre son bal de B avec «Just A Little Bit». Elle sait groover son little bit, early in the morning/ Late in the evening/ Around midnight just a little bit. Puis elle s’en va rocker le gospel avec «Everybody Needs Some Loving». Elle est la plus balèze des mémères du raw gospel. Pure genius ! Elle fait encore un fantastique numéro de jump avec «Western Rock’n’roll» et ça se termine avec un «Cha Cha Sue» de rêve. Ah elle peut le driver son cha cha, elle a toute la poigne du monde. Il faut la voir prendre le cha cha à la rauque ! 

             Quand on la voit sur la pochette de l’album, on la croit grande. Pas du tout, elle mesure 1,50 m, mais on voit qu’elle pèse plus de 100 kg. Comme sa collègue Etta James, elle est basée à Chicago, mais c’est à Cincinnati qu’elle enregistre son hit «Aw Shucks Baby». Elle démarre donc sur Federal, sous-label de King, comme James Brown. Elle y enregistre cinq singles, dont le fameux «Just A Little Bit» dont Rosco Gordon va faire un hit l’année suivante. Elle tombe ensuite dans les pattes de frères Chess pour deux singles, l’un sur Argo («After Mariage Blues») et l’autre sur Cadet («How You Changed»).

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             Au dos de la pochette, Dave Penny nous raconte qu’il y eut une mode des grandes chanteuses black à la fin des fifties aux États-Unis et il cite les noms de Big Maybelle, Big Mama Thornton, LaVern Baker, Wynona Carr, Etta James et Tiny Topsy. Puis il entre dans le détail des sessions d’enregistrement chez King, comme le font les gens de Bear Family : on a le détail et la chronologie, un peu comme si on y était.

             Mais globalement, Tiny Topsy va rester inconnue au bataillon, en tous les cas moins connue que Big Mama Thornton ou Etta James. C’est un son particulier, celui de la fin des fifties, quelques années avant l’avènement de la Soul. Mais Tiny Topsy a un truc que n’auront pas les petites chanteuses à la mode qui suivront : la voix d’arracheuse. Seuls les fureteurs et les amateurs de jump connaissent son existence. Une courte existence, d’ailleurs, puisqu’elle casse sa pipe en bois à l’âge de 34 ans, des suites d’une hémorragie cérébrale.  

             Merci à Olivier pour cette découverte.

    Signé : Cazengler, Tiny Topsick

    Tiny Topsy. Aw Shucks Baby. Sing 1988

     

    BloUe

    Dans notre livraison 451 du 13 / 02 / 2020 alerté par ma fille je chroniquais deux vidéos de bloUe, les deux seules disponibles, nouvelle alerte de ma fille pour une nouvelle vidéo, en farfouillant un peu nous avons trouvé un petit filon. Même pochette pour les deux opus, signée par Neyef, l’oiseau bleu, pas celui de Maeterlinck, un petit côté chouette athénienne sans plus, pas un oiseau de mauvais augure, regarde notre monde d’un œil inquisiteur, l’a raison, n’est pas beau à voir.

    Armand : vocal / Nico : banjo, harmonica / Jonas : batterie / Basse : Antoine

    MANGE

    (Février 2020 / Bandcamp)

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    La petite histoire : petites notes agrestes de banjo, basse profonde et triste, Armand vous raconte la petite histoire, vous la connaissez, celle des révoltes perdues, et de la rage qui vous noue les tripes, de cette colère qui refuse d’abdiquer, qui continue le combat, malgré tout, malgré rien, un beau chant de désespoir et de lutte. Qui atteint à une dimension lyrique dans sa deuxième moitié. Le titre est illustré par un clip sur YT un clip que nous pourrions résumer en une courte formule, dans l’essoreuse des défaites la résistance perpétuelle. A écouter. A voir. Train de nuit : la vie n’est pas heureuse, sur cette constatation de l’évidence du monde débute le vieux shuffle redondant du blues, l’harmonica de Nico évoque à merveille de l’Amérique des westerns et des hobos, mais nous n’y sommes pas, ou plutôt ce train de nuit roule aux quatre coins du monde, ce n’est pas que le soleil ne brille pas, c’est la nuit de la misère, des miséreux et des sans-grades de partout qui se réchauffent aux paroles de leur impuissance. Parfois l’on ne peut compter que sur ses propres faiblesses. La route sera encore longue. Alors tu reviens : tiens une autre petite histoire, un peu plus anecdotique, talkin’ blues, je me permets cet américanisme puisque le refrain chanté en chœur est en anglais, les couplets sont en français, l’histoire d’un retour, rien à voir avec une love d’amour, une histoire de classe, le péquenot de base, le fils de prolo qui a cru aux miroirs aux alouettes du libéralisme, le mot n’est pas prononcé, l’idiot utile dont on n’a plus besoin qui revient parmi les siens, la voix acerbe et ironique d’Armand est des plus incisives, les cordes du banjo aussi cinglante qu’une clôture électrique. Une bonne décharge pour remettre les idées en place. Mama cailloux : tambourinade battériale, refrain chanté en chœurs, couplets assénés manières couperets de colère, l’on a quitté le blues, l’on a avancé dans les années soixante-dix un peu à la manière des Last Poets, c’est cru, c’est nu, dépouillé jusqu’à l’os, jusqu’au cœur changé en pierre. Front contre front. Sans rémission. Goutte de sueur : banjo du diable et steel guitar ( David Haddog Hougron ) des carrefours mènent le bal des accords pincés et étranglés du blues millénaire, s’en donnent à cœur joie, le pont musical qui permet de passer la rivière des paroles condensées sur une rythmique soutenue soulèvera d’enthousiasme le cœur des rockers, tout ça pour une petite goutte de sueur qui n’en finit pas de tracer son chemin dans la crasse des activités humaines, remugles vocaux, cris de corbeaux, rafales cordiques,  noise blues mêlé au vacarme de la vie.

    Mange la vie à grosse ventrée, même si c’est de la merde, cela te permettra de survivre. Saine philosophie.  

    CAILLOUX

    (Octobre 2021 / Bandcamp)

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    Machiniste : entrée bajoïde, Armand récite son texte à voix basse, n’arrive pas à dormir, quelques bruits de ferrailles saxophoniques ( Laurent Bouchereau), la voix devient de plus en plus haute, de plus en plus grosse, mal-être de l’ouvrier, les mots se bousculent se montent dessus, spoken-words qui se mélodisent, pour le moment nous sommes dans le registre de la plainte, de l’énumération de l’insomnie, une âme charitable plaindrait le malheureux, texte politiquement correct, la musique prend le relais chaotique en sa structure mais douce à l’oreille, le récit bascule, la suite vire cauchemar, ou dans le rêve le plus fou, tout dépend de vos penchants idéologiques,  y a un responsable à tout malaise, le patron, ô le crever, ô l’assassiner, ô le tuer, le meurtre accompli tout serait mieux, pourrait folâtrer tout autour du globe, jusqu’à se retrouver en Bosnie…le crime est partout dans la tête et dans le monde, Armand susurre, la musique s’évapore… Texte profondément anarchiste. La violence est-nécessaire au bonheur de l’individu… ASQç : y en a une version live sur YT que je préfère, avec cris d’animaux sauvages pour introduire le jungle beat, sur la version CD z’avez en prime un trombone ( Jérôme ‘’ Bone’’ Cassin) qui nous la sort bonne un hachis compartimenté de flatulences, ce qui donne un petit côté hétéroclite New Orleans, dans les deux cas on ne s’étonne pas qu’en la filigrane instrumentale le nom de Bo Diddley soit psalmodié, l’on pourrait s’attendre à un vocal tonitruant à la Eric Burdon, pas du tout, Armand chante à mi-voix du bout des lèvres, genre je ne le claironne pas tout fort mais faites gaffe, écoutez bien et faites circuler, apparemment des paroles cool, si l’on y prête attention un bréviaire libertaire, une incitation à se poser dans la vie de   manière à assurer sa liberté d’action tout en respectant les autres. Ahora Que ? :  banjo et harmo en intro,  et hop, ça saute, après la petite leçon de morale précédente il est temps de passer à l’action, les belles idées c’est bien, elles sont encore plus belles quand on les conduit en actes, faut qu’elles croustillent comme une manif contre les casqués, qu’elles flambent comme un molotov, qu’elles tintent comme une vitrine de banque pillée, dangereux certes, mais tant qu’on prend des risques l’on est vivant, morceau éruptif, joyeux, bordélique – Ben Stazic est au scratch - un salmigondis jouissif, une fête réussie. Petite remarque sémantico-philologique : Lénine a écrit Que faire ? Ahora que ? (Maintenant quoi ?) fleure davantage l’Espagne de Durruti. Sachez entrevoir la différence. Dans le mal : le robot mixeur Laurent Peuzé vrombit dans votre tête, le tambour marteau de Jonas vous troue la cervelle, c’est fait exprès pour vous donner une idée de l’état du bonhomme, presque du réalisme socialiste ! pas frais comme un gardon, Armand martèle les mots, les lendemains de fête ne sont pas obligatoirement agréables, parfois la vie ce n’est pas du tout cuit, mais du tout cuite, surtout avec ce banjo qui vous cisaille les neurones, pas de quoi en faire un drame non plus, parfois le mal ce n’est pas mal, l’est prêt à recommencer. Solution homéopathique : guérir le mal par le mal. A boire tavernier ! Sorry Mama : tous en chœur pour une complainte joyeuse, c’est un peu comme dans la chanson de Gilbert Bécaud le gars qui a pas volé l’orange, mais là l’Armand revendique son forfait, l’est tout panache, même s’il finit au trou, pas la case prison, dans celle du cimetière, au jeu de loi il n’a pas réussi à s’extraire de celle de la misère, s’en fout l’a essayé de l’enjamber, belle envolée d’harmonica, la vie parfois tu gagnes, parfois tu perds, faut pas pleurnicher, faut tirer la langue à la camarde et ne pas flancher, ça se finit en une exaltation gospellique magnifiée par la voix de Loraj qui swingue à mort. Pardon pour cette malheureuse expression, désolé Maman, tu peux être fière de ton fils.

    Cailloux dans la chaussure, cailloux du petit Poucet pour trouver son chemin, cailloux que l’on lance sur les vitrines des banques. Rien n’est à vous, tout est à BloUe !

    Damie Chad.

     

    PEOPLE OF THE BLACK CIRCLE

    PEOPLE OF THE BLACK CIRCLE

    (Mars 2022)

    Viennent de Grèce. A voir la couve l’on comprend vite qu’ils ne sacrifient point à l’Apollon solaire. Pour des athéniens récipiendaires d’une mythologie des plus fameuses, ils semblent plutôt attirés par l’ésotérisme occidental, l’imagerie médiévale, et la légende de Conan le barbare. Entre autres.   

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    Alchemy of sorrow :  une pointe de noirceur rehaussée de notes argentées s’insinue dans votre oreille, attente mystérieuse, le son s’amplifie, des chœurs surgissent de la nuit, une voix s’en détache, nous conte la recette alchimique, trop facile de transformer le fer en or, l’opération ici est plus difficile, s’agit de fixer dans la présence du monde un monde évanoui, ce n’est pas la pierre rouge de l’immortalité qui est le but recherché, la musique se traîne, les images mentales ont du mal à se stabiliser, à se transformer en pierres, à redonner vie ce qui est mort depuis des siècles. Ressusciter une civilisation morte n’est pas donné à tout le monde, des éclats de guitare rougeoient dans la pâte sonore, sont-ce des éclats de paradis ou d’enfer ?  Cimmeria : nous y sommes, souffle le vent dans les ténèbres, le pays des Cimmériens, peuple étrange dont bien plus tard l’Histoire nommera leurs lointains descendants les Scythes, une voix s’élève, les guitares tremblent, nous avançons dans des ténèbres épaisses, les Cimmériens ne sont que des tribus ombreuses sorties de la préhistoire, le récitant est lui-même hanté, il est vêtu d’ombres vivantes, il n’est pas sûr qu’il saura s’en délivrer. Voyage au bout de la nuit. Souffle le vent sans fin. The ghoul and the seraph (Ghoul’s song II) : l’orgue nous emporte, partout et nulle part, tout le passé tournoie, l’on ne sait plus qui est qui, l’ange ou la bête, le séraphin et la goule des cimetières qui veille sur la nourriture des morts dans le garde-à-manger des tombeaux, batterie heavy-music, orgue pourpre profond , guitares filées, tournoiements emphatiques, bande-son d’un film qui ne fait pas peur mais dont on ne se lasse pas, surtout que sur la fin un superbe solo de guitare nous réconcilie avec nous-mêmes et que le kaléidoscope des siècles n’est pas encore terminé. Nyarlathotep : en pleine mythologie lovecraftienne, des chœurs d’adorateurs nous accueillent, le chaos musical ne rampe pas, il court, le peuple du cercle noir donne la gomme et sort les grands effets sonores, l’on n’en attend pas moins de l’âme des anciens Dieux sortis de l’abîme, la voix raconte l’histoire innommable que l’on oublie dès que l’on ne l’écoute plus, mais qui circule parmi les hommes comme une légende maudite, nul n’échappera, feeling lugubre et ténébreux, la production n’a pas lésiné sur les effets spéciaux, un chant de prière s’élève, un hymne à la destruction du monde. L’on a hâte de voir le phénomène de notre vivant. Gouttelettes de pluie de nuit. Ghost in Agartha : Agartha le paradis souterrain, le pays sans violence, oui mais le peuple du cercle noir évoque ses fantômes, mise en forme dramatique, un troupeau de malheureux marche sans fins, enfants emmenés en esclavage, leurs âmes ne connaîtront plus jamais le bonheur, guitare incisive tranchante comme un rayon laser, cloches dans le noir retentissent, la musique ahane lourdement, une voix conte leurs tourments et leurs souffrances, horreur à l’état pur, musique grandiloquente, la caravane humaine passe devant nous et se perd dans le néant.

    C’est bien fait. Un seul défaut, on n’y croit pas. Normalement on devrait se cacher sous le lit et ne plus en sortir avant trois jours. Faudrait avoir une dizaine d’années et n’avoir jamais écouté ce genre de disque avant. Là on claquerait des dents toute la nuit. Hélas on a passé l’âge !

    Damie Chad.

     

    JULIE SUCHESTOW

    DANSEUSESLAMEUSERAPEUSE

    Elle dessine aussi. Je la connais depuis plus de trente ans. Sans l’avoir jamais rencontrée. Si une fois, entraperçue, échangé quelques mots dans un café bruyant. Je la suis pour ainsi dire depuis son admission au collège, très loin dans le sud. Par Luc-Olivier d’Algange et sa compagne qui était son professeur de français, tous deux ne tarissaient pas d’éloges sur sa personnalité. Le monde est plus petit que l’on ne croit. Au détour d’une conversation avec Patrick Geffroy Yorffreg – voir la livraison 532 du 02 / 12 / 2021  consacrée à quelques-unes de ses vidéos musicales - et Léa Ciari – la livraison 534 du 16 / 12 /21 présente quinze de ses peintures – apparaît le nom de Julie Suchestow, suivi de commentaires élogieux, elle s’avère être leur nièce… N’étant ni fan de slam, ni de rap, je ne m’intéresse guère à Julie Suchestow, jusqu’à hier soir où recherchant quelques enregistrements de Patrick Geffroy Yorffreg, j’en avise un dans lequel il a rajouté sa trompette sur une vidéo de sa nièce. Je suis trahi par mon oreille, en tant que rocker j’admets la trompette-jazz, si aventureuse peut-elle être, mais le slam – j’ai fait des efforts, j’en ai même écouté en direct live au Musée Mallarmé - oui mais là c’est différent, d’abord la voix, surtout le texte, indéniablement de qualité. Aussitôt, je cherche. Et je trouve.

    DANSE

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    Julie Suchestow est danseuse. De profession. Affiliation. Modern jazz, contemporain, hip-hop. Elle donne des cours à des élèves de tout âge. Danse avec d’autres. Danse seule. Vous trouverez quelques vidéos sur son instagram au nom de junajahklame sur Instagram. N’y a pas pléthore, et elles sont dans l’ensemble très courtes. Mais cela suffit. En quelques mouvements elle résume l’âme de la danse. Saute aux yeux qu’elle n’a pas besoin de musique. Soul romantique ou funk fragmenté, tout cela n’est que de l’emballage. Un décor. Qu’elle annihile par sa seule présence. La danse est mouvement. Un paraphe sur une page blanche. La calligraphie est l’art japonais qui lui correspond le plus. Julie ne danse pas avec son corps. C’est son corps qui danse pour elle. Lorsqu’elle danse elle semble dans l’absence d’elle-même. Elle est ce point focal et aristotélicien du vide nécessaire à l’impulsion du mouvement. Elle ne dessine pas l’espace. Elle ne l’illimite pas. Au contraire elle le réduit à son corps. Elle le ramène à elle, avec cette aisance naturelle des oiseaux qui replient leurs ailes. Elle ne se pose jamais, à terre elle rampe dans sa propre immobilité. Où qu’elle soit, plus rien n’existe, elle se métamorphose en pierre   originelle. Elle réside dans le pur instant de chaque seconde éternellement détachée de la roue du temps. Elle happe le regard mais s’en moque, vestale éblouie de son seul feu intérieur, même si son corps écrit le fugace alphabet de la beauté. Sur l’ardoise du monde qu’elle efface lorsqu’elle revient parmi nous.

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    [JULIE SUCHESTOW –

    Une très courte vidéo. Visible sur Instagram. Presque rien. Des mots posés entre vertige et poésie. Julie assise en tailleur, chez elle, salon, tables rondes, coussins, belle retirée en elle-même, traversée du flow des mots qui coule de sa bouche comme s’ils ne lui appartenaient plus, une vibration venue de loin, dont elle ne serait que le vecteur. Portée par un ressac intérieur, un de ces instants où l’on ne s’appartient plus, la mer n’est jamais aussi puissante que quand elle est parcourue de frémissements tranquilles, quand la houle tangue à peine, basse profonde de la musique, elle berce et amplifie le mouvement du corps qui pourtant ne bouge qu’à peine, les mains sculptent et pétrissent la boule de l’espace qui les sépare, est-ce ainsi que prophétisait Cassandre lorsque Apollon cracha entre ses lèvres, les mots transbahutent la violence du monde, la poésie ne peut parler que de la poésie, fièvre tranquille de pythonisse, le poème déroule le rouleau de la parole, le chant sacré de la poëtesse nous rend à notre petitesse. Sublime abîme.

       - SUCHESTOW JULIE ]

    Junajah est le nom empédocléen de répulsion et de désir que s’est donnée Julie Suchestow lorsqu’elle récite, chante, clame, slame, rappe. De trop rares vidéos sont visibles sur You Tube.

    SENTIERS BATTUS / JUNAJAH

    ( Novembre 2009 / YT)

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    Ecran noir. Junajah, cheveux rejetés en arrière, robe noire, seules blancheurs les mains, le visage, le V de l’échancrure qui descend du cou en tête de vipère. Un sujet rebattu ces dernières années, pas encore d’actualité médiatique en 2009. Un long poème dans la fureur contenue des yeux d’une volonté implacable, d’une bouche affirmée qui avertit, pas de hurlement, la force émotionnelle du Dire suffit. Sous l’emprise des coups, la femme fait front, elle ne cache rien, elle fait face martelée à la situation, l’impuissance des mots, la force de la poésie. Arme blanche, laser translucide, de la dénonciation démonstrative du réel, dirigée aussi bien contre l’autre que contre ses propres faiblesses, ses propres abandons, ses propres renonciations. La mort amortie par l’espoir d’un mieux qu’elle n’espère plus, acculée contre le mur de l’incommunicabilité partagée. Un texte choc. Cinq stances entrecoupées d’un silence. Autant de rounds clos dont elle ne sort pas vainqueur. Si ce n’est que les mots sont plus puissants que les coups. Ondes de choc qui assaillent et submergent et paralysent ceux qui les écoutent et les reçoivent.

    FLEUR DU MAL / JUNAJAH

    ( Novembre 2009 / YT)

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    Vidéo sœur jumelle de la précédente. Même esthétique du dénuement. Même absence du dénouement. Tout passé est intemporel puisque inscrit dans l’éternel retour que ce soit dans la conscience, ou dans le mode d’être du déploiement du temps. Fond noir, longue blondeur de cheveux, épaules nues, bras blancs entre noir de la robe et de l’écran. Féminité attirante, phare immaculé dans la nuit. Un texte au plus près de la chair et du don et de la captivité de soi. La beauté n’est pas un bouclier. Elle appelle les gladiateurs intrusifs bien plus qu’un chant de sirène. Femme en tant que monnaie d’échange entre les hommes, elle n’a de valeur que le prix de la jouissance qu’elle suscite. Colporte toute sa vie le sentiment de s’être fait avoir, de n’avoir récolté qu’une souillure de l’âme qu’aucune eau de l’oubli n’efface. Violence des mots contre la douleur des viols qui n’ont pas fui. Aucune musique sur ces deux vidéos. La charge émotive des mots suffit. Toute implication physique entre deux êtres induit une dimension métaphysique. Lorsque l’individu qui la transcrit use des tels des entrechocs de silex, surgit la flamme De la poésie.

    IL Y A EU / JUNAJAH

    (Juin 2020 / YT )

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    Début formellement identique aux deux vidéos précédentes, réalisées plus de dix ans auparavant. Julie vêtue de noir, apparaît sur fond noir dans deux, puis trois fenêtres. Pour combler le noir spectral, au bout de quelques secondes l’on change d’esthétique, deux voix off, l’une qui slame rehaussée d’une autre  chantante qui adoucit l’amertume des paroles, musique de fond peu profonde elle gouttège et se change en eau de pluie, en eau de larmes, des images ou des scénettes aux vives couleurs chatoyantes illustrent le texte, la vie ne serait-elle pas si sombre, non les mots ne sont pas porteurs d’opacité, c’est la même histoire que la précédente certes dépourvue de toute dramatique intensité circonstancielle, mais embrumés de la grisaille de la désillusion. Sur la fin les volets noirs reviennent, sont suivis d’une image grise. Constat amer. La splendeur des occasions rêvée s’est souvent désagrégée. Le texte est en surlignage, le mieux est sans doute de fermer les yeux et d’écouter Junajah, de se laisser porter par le texte, ses images, ses métaphores, et le flow de Julie, elle ne heurte pas les vocables, elle les égrène telles des perles qu’elle expose au soleil du Dire pour qu’ils s’allument et clignotent dans la tristesse du monde.

    DU TROP PLEIN / JUNAJAH

    (Juin 2020 / YT )

    Un beau clip enté de présence féminines. Je préfère écouter le texte. L’illustration me paraît superfétatoire. Ce trop plein raconte non pas ce qu’il y a eu, mais ce qu’il y a : la vie. Avec toutes ses déceptions. Qui sont autant de pierres tombales qui ponctuent les étapes d’un combat. Ce n’est plus le bilan désabusé de la vie, mais une réflexion slamique sur l’acte poétique. Pose une question fondamentale sur les rapports entre vécu, écriture et poésie. Comment faire pour que ‘’du trop plein déborde la rime’’, pour que s’établisse une adéquation entre l’existence et les mots, que celle-ci ne mange pas ces derniers, mais que ceux-là impulsent le corps, qu’ils mènent la danse, qu’ils incendient le réel et donnent sens à ses cendres. 

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    Le flow en étrave de navire qui fend le flot. L’écriture de Junajah possède un grand avantage sur celle de nombre de slameurs. Elle possède une dimension littéraire indéniable, elle fait sens sans avoir besoin de rechercher la rime riche à tout prix, quand elle en use, elle n’en abuse pas, elle a intuitivement compris qu’il est inutile de chercher à ce qu’elle brille comme les étoiles dans le ciel – tout le monde n’est pas parnassien - car trop lumineuse elle prend l’apparence d’un clou rouillé de cercueil à moitié sorti de sa gangue de bois. Surtout ce rythme, ce phrasé qui n’appartient qu’à elle, exerçant un subtil déséquilibre entre le son et le sens, de telle manière que le Dire véhicule avant tout la pensée. La pensée et non pas les stéréotypes d’un quelconque discours idéologique. Celle du corps. Celle de l’esprit. Réunis dans le souffle.

    Damie Chad.

     

    ALL NIGHTERS

    SOUL TIME

    (Official Video / Mars 2022 / YT)

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    Nouveau clip de Soul Time, paru ce 17 mars 2022. All nighters. Toutes les nuits, danser. Tel est le mot d’ordre. Soul Time a survécu au confinement et aux interdictions des concerts. Si le rock pur et dur a toujours été une musique de cave la Northern Soul s’est épanouie dans les ambiances de fête. D’exultation, de sueurs, et de dépassement de soi dans une course éperdue jusqu’au bout de la nuit. Dans l’espoir secret qu’elle ne finisse jamais. Dans l’espérance insensée de forcer le barrage qui interdit d’entrer dans une certaine intemporalité. Evidemment au petit matin, l’on se retrouve tel qu’en soi-même mais rien n’empêche de recommencer le soir suivant. Cette vidéo d’Enzo Cassar et de Soul Time enregistrée au Seguin Sound est à regarder comme une marche à suivre, une recette de soul kitchen, une présentation de tous les ingrédients nécessaires à la réussite d’une de ses nuits blanches que l’on espère sans radieuse aurore. Sinon intérieure. N’attendez donc pas une vidéo classique avec les huit membres de Soul Time en pleine action, tournée lors d’un concert avec une foule compressée de danseurs. Donc d’abord l’instrument roi, ni un saxophone ni un trombone, non une platine qui tourne, avec un disque dessus, si possible de Soul Time, z’ensuite un petit décrochage, que viennent faire ces images de survivalistes scootérisés d’un ancien temps syxtisé, non vous n’êtes pas propulsé dans un documentaire italien sur les vespas, la voix de Lucie nous aide à raccrocher les wagons du temps, la Northern Soul est née en Angleterre, les Mods n’écoutaient pas que les Who, allaient aussi danser dans les quartiers noirs sur de la musique soûle, rajoutez un barman, un de ces héros des temps modernes, ces travailleurs de l’ombre qui ajoutent l’excitation de l’alcool à la musique, des danseurs, pas la foule, la vidéo se veut éducative, faut que l’on puisse bien voir, retour sur les Vulcan Scooter Riders, clin d’œil amusé sur le plus célèbre passage piéton d’Angleterre, au cas où vous vous laisseriez entraîner dans une fasse direction, ne suffit pas de traverser la route pour trouver de la bonne musique. Descendez l’escalier, c’est en bas, les images ralentissent et semblent se fluidifier preuve que vous entrez dans une nouvelle dimension. Cachet administratif faisant foi de votre bienvenue au club, le coup de tampon que vous recevez sur le poignet en guise de sésame, et la danse, la danse, la danse, les spots qui vous glissent sur vous, vous encerclent une seconde dans le halo de célébrité, puis s’échappent. Dans la pénombre chacun devient son propre roi, tente des poses effigiques d’un instant, n’offre aux autres qu’un instantané iconique ou acrobatique de soi, l’on tourne sur soi-même en électron libre dans une masse de corps humains qui semblent soudés à jamais en une sorte de transe collective. Le diamant termine sa course dans le sillon, le disque s’arrête. Le clip aussi. Un conseil, play loud, si vous désirez vous reposer sur un lit rythmique de cuivres, ensorcelés par la voix de Lucie.

    Damie Chad.