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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 40

  • CHRONIQUES DE POURPRE 580 : KR'TNT 580 : BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR / SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES / BABY WASHINGTON / ROCKABILLY GENERATION NEWS 24 / HOT CHICKENS / OSE / CARACARA / ROCKAMBOLESQUES

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    LIVRAISON 580

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    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 12 / 2022

             BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR

    SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES  

    BABY WASHINGTON

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HOT CHICKENS / OSE / CARACARA

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 580

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Pas de gras chez Graham

     

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             Grand organisateur de concerts devant l’éternel, Bill Graham reste aux yeux de tous l’un des personnages clés de la grande saga du rock. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit simplement de lire son autobio, un puissant book de 500 pages, Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Puissant car publié sous forme d’oral history, donc vibrant, et la voix de Graham, c’est pas de la gnognote, amigo. Graham est un sacré gueulard, un déplaceur de montages, un rescapé de la mort, un authentique admirateur de grands artistes, un homme à idées, un homme clé, il est toujours là quand il faut, même s’il n’organise pas : Woodstock, Monterey, il s’y rend, pour voir, mais c’est lui qui fait The Last Waltz, qui fait le Live Aid, qui fait les Pistols au Winterland, et bien sûr tous les concerts légendaires aux deux Fillmore, l’East et le West, et quand on dit légendaires, ça veut dire Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone, Miles Davis, plus toute la scène de San Francisco dont il est l’un des accoucheurs, et par la suite, il va emmener les Stones et Dylan en tournée. Le book est passionnant, Graham apporte des éclairages fantastiques sur pas mal d’artistes et d’événements, et à aucun moment, il n’envisage de lâcher la rampe, même s’il finit par fermer ses deux Fillmore. Pourquoi ? Parce qu’il ne supporte pas de voir changer les mentalités de ses interlocuteurs. Dans les années 80, le biz commençait en effet à évoluer, mais pas dans le bon sens.

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             On trouvera le vrai Bill dans les pages où il relate lui-même des incidents. Tiens on va en prendre un au hasard pour commencer. Première tournée américaine de Cream en 1967. Bill les fait jouer cinq soirs de suite au Fillmore West avec le Paul Butterfield Blues Band en tête d’affiche. Puis il met Cream en tête d’affiche six soirs de suite avec l’Electric Flag et Gary Burton. Six mois plus tard, il les refait jouer au Fillmore avec James Cotton et Blood Sweat & Tears. Le problème, c’est leur manager, Stigwood. Sur le côté de la scène, Bill a fait installer six chaises pour ses frangines et leurs maris. Stigwood se pointe entouré de deux gardes du corps et demande pour qui sont prévues ces chaises et on lui répond «Pour la famille de Monsieur Graham.» Alors un émissaire de Stigwood vient trouver Bill et lui dit : «Excusez-moi Bill, vous voyez, là-bas, c’est Robert Stigwood, the manager of the Cream. Il aimerait s’asseoir sur ces chaises. Je sais qu’elles sont prévues pour vos sœurs, mais vous pourriez peut-être trouver un autre arrangement ?». Alors Bill lui répond : «Pouvez-vous trouver un autre arrangement pour Monsieur Stigwood ?». L’émissaire le reprend : «No no no, il aimerait que ce soit VOUS qui trouviez un autre arrangement pour votre famille.» Alors Bill qui en a vu d’autres lui balance : «Dites-lui que ce n’est pas possible. Le show va commencer.» L’émissaire fait plusieurs allers et retours et finit par dire à Bill que Monsieur Stigwood se sent insulté - Savez-vous qui il est ? - Bill lui répond que oui, il sait qui il est. «Je suppose qu’il sait aussi qui je suis. Donc il doit savoir qui sont mes sœurs. Voulez-vous aller lui dire que mes sœurs ne bougeront pas de leurs chaises ?». Alors l’émissaire revient voir Bill et lui annonce que le groupe ne jouera que si son patron récupère ces chaises. Alors Bill installe ses sœurs sur les chaises, récupère quatre mecs de la sécurité et va trouver Stigwood pour se présenter : «I’d like to introduce myself.» Stigwood lui répond : «Yes, je sais qui vous êtes, Bill.» Alors le grand Bill abat son jeu : «Good. Soyons-en sûrs. Je suis Bill Graham. Vous êtes Robert Stigwood. C’est votre groupe. Ces trois dames sur scène, sont mes sœurs. Vous ne pouvez pas insulter mes sœurs de cette façon. Maintenant vous devez prendre une décision. Soit vous quittez cette salle tout seul, soit je vous fais sortir de force.» Et pouf, il le fait sortir de la salle, accompagné par deux de ses gros bras. Bill va ensuite trouver les trois Cream dans la loge pour leur expliquer ce qui vient de se passer et Ginger Baker résume la scène en une seule phrase : «Really? That’s marvellous. That IS marvellous.»

             Bill règle tous les problèmes d’homme à homme et le book grouille de problèmes, alors Bill monte au front et affronte les cons et puis aussi les connes, ça grouille sur la planète, tu n’as pas idée, et le book devient vite fascinant, rien que de voir cet homme à l’œuvre. On croit tous que le rock, c’est une amusette, un truc sympa, des guitares, des belles fringues et de la jolie musique, mais en fait, c’est un extraordinaire foutoir et il faut des gens de la trempe de Bill pour tout débloquer, tout orchestrer et épargner aux gens le spectacle du foutoir généré par les cons. C’est la raison pour laquelle il a besoin de ces 500 pages pour en parler. Comme le disait si justement Léon Bloy : «Il y a trop d’imbéciles, on ne peut pas tous les rosser.»   

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             Un autre épisode : Bill vient de lancer le Fillmore Eat à New York et il fait le tour du pâté de maisons pour voir si tout va bien. Il repère quatre kids de 10-12 ans qui donnent des coups de talon dans l’une des portes de secours du Fillmore. Bill leur dit d’arrêter de taper, et il poursuit son chemin. Quand il repasse devant eux, l’un des kids tape encore. T’as entendu ce que j’ai dit ? Et le kid lui répond «Fuck you !». Et il se remet à taper du talon dans la porte. Bill vient se camper devant lui : «Hey !» Le kid arrête et répond : «Yeah ?». Alors Bill lui dit qu’il vient d’acheter le bâtiment et qu’il s’appelle Bill. «What’s your name ?» «Rusty.» Alors il lui parle d’homme à homme : «Rusty, mettons les choses au clair. Je ne veux pas de cette merde ici.» Puis il leur demande à tous les quatre s’ils vivent dans le quartier. Et pouf c’est parti. Bill a établi le contact. Il leur propose aussitôt un petit job, surveiller la rue où on décharge les camions. Vous voulez voir les shows ? Vous entrez dans le bureau et vous y allez. Ici on fait gaffe aux camions et au bâtiment. Ça vous dit de surveiller ? Et pendant trois ans , les kids vont surveiller la rue pour Bill. Ils vont donner un coup de main à décharger pour quatre bucks an hour et vont voir presque tous les shows. «Je n’ai plus jamais eu de problèmes avec eux.» Voilà Bill. C’est ce genre de mec. 

             Ahmet Ertegun l’admire énormément : «Bill Graham n’avait peur de rien. De rien. Comme un guerrier invincible, il affrontait n’importe quelle situation, il passait à travers tout. Syndicats, gros durs, tout. Je le considère comme l’une des vraies légendes du rock’n’roll, parce qu’il disposait d’une incroyable vitalité et d’une forte personnalité. Bill Graham était un immigrant qui vint aux États-Unis avec des idées et des espoirs, et qui trouva une niche extraordinaire. Il s’est construit un monde.» Difficile d’imaginer plus bel hommage, surtout de la part d’un homme qui comme Bill vient de loin. Turquie pour l’un, Allemagne pour l’autre.

             Quand Ahmet dit que Bill ne craint personne, il s’appuie sur des faits réels. Quand Bill s’installe à New York, les Hell’s Angels ont un QG dans le même secteur. Bill programme un concert du Dead, et les Angels veulent entrer gratuitement. Chez Bill, tout le monde paye sa place. C’est la règle. Les Angels gueulent : «Open the fucking doors !». Et Bill leur dit non. Il fait face à une énorme meute. Il reçoit soudain une chaîne en pleine gueule. Il sent le sang couler. Mais il ne bronche pas. Il s’essuie le visage de la main et continue de les fixer du regard, sans rien dire. Rien ne se passe, alors que ça pouvait dégénérer. Silence. Alors ils s’en vont. «À partir de cet instant, nous dit Bill, je n’ai jamais plus eu de problèmes avec les Angels à New York. Comme j’avais tenu bon, ils sont allés tenter leur chance ailleurs.» Il a aussi de sérieux problèmes avec un gang anarchiste qui s’appelle The Motherfuckers. Comme il réclament un droit à s’exprimer, Bill leur file un bureau à l’intérieur du Fillmore, à l’étage. Ils font une feuille ronéotypée qu’ils distribuent dans les concerts. Et puis un jour, Bill tombe sur un texte qui ne lui plaît pas du tout : «On a entendu dire que Bill Graham a perdu ses parents dans un camp de concentration pendant la guerre. C’est une honte qu’il ne soit pas allé avec eux.» Alors Bill les vire du Fillmore à coups de pieds au cul.

             Oui, car Bill est un juif allemand rescapé de la Seconde Guerre Mondiale. Il fit partie d’un petit groupe d’enfants juifs envoyés en France, quand c’était encore possible. Le groupe gagnera ensuite l’Espagne puis l’Afrique du Nord. C’est à partir de Dakar qu’il rejoindra les États-Unis, à bord d’un navire. Il sera l’un des onze survivants du petit groupe d’enfants juifs. Il donne tous les détails. Il faut lire ça.

             Un autre incident captive bien l’attention : une équipe est en train de tourner Last Days At The Fillmore et Mike Wilhelm vient demander à Bill de mettre les Charlatans à l’affiche du dernier concert prévu au Fillmore. Wilhelm est habillé en biker, avec la casquette en cuir et les clous. Bill lui dit qu’il n’y a plus de place. No room. Ils échangent quelques mots et Bill lui dit qu’il préfère mettre au programme des groupes qu’il a déjà vus et qu’il aime bien, et donc les gens les aimeront bien aussi. Le problème c’est qu’il n’a jamais vu les Charlatans. Pas de chance. Alors, dépité, Wilhelm lui répond : «Yeah, well, well, I’d just like to say ‘Fuck you and thanks for the memories, man’, you know?» Bill raccompagne Wilhelm à la porte et lui dit : «La prochaine fois que tu me dis ‘Fuck you’, j’espère qu’il n’y aura pas de caméras dans les parages. Je te péterai les dents et te les enfoncerai dans les trous de nez, fucking animal !». Et Wilhelm lui dit : «Mais je ne te hais pas !». Bill enrage : GET OUTTA HERE! Sors d’ici immédiatement ! Viré le biker. Bill déteste qu’on lui manque de respect.

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             Last Days At The Fillmore vaut le coup d’œil, presque deux heures qui te font regretter d’avoir raté tous ces concerts, car c’est du haut niveau de San Francisco. Le film est sur YouTube,  on ne perd pas son temps à le visionner. Surtout qu’on voit Bill superstar régler ses problèmes au téléphone avec des gens qui ne respectent pas leurs engagements. Fuck yourself ! Tous les plans scéniques sont passionnants, ça commence avec Cold Bood et cette blonde qui y va, une vraie Soul scorcheuse, big bassman derrière, section de cuivres, c’est du solide. Même chose pour Boz Scaggs, l’ex-Steve Miller Band, il joue un immense balladif de big American rock avec un feeling inexorable, il chante à l’accent tranchant - get up make my life shine - il passe un solo magistral et c’est cuivré de frais. Avec The Elvin Bishop Band, il est la révélation du movie. On comprend que Bill ait craqué pour ces gens-là. Cold Blood, Boz et Elvin Bishop, c’est déjà énorme. On passe aux stars avec Hot Tuna. Bill les présente, Papa John Creech, Jack the crack sur sa basse Guild et «the sex symbol of Sandinavia, Jorma Kaukonen». Une sous-Janis avec des gros seins arrive sur scène : c’est Lamb, puis tu as Quicksilver, l’aristocratie psychédélique de San Francisco. Et bien sûr on s’ennuie comme un rat mort pendant It’s A Beautiful Day et le Grateful Dead. La tête d’affiche n’est autre que Santana. Carlos et son gang sont, avec le Dead, les grands chouchous de Bill. Et entre deux plans scéniques, Bill rappelle qu’il fit partie d’un groupe de 60 Jewish kids exfiltrés d’Allemagne quand c’était encore possible et seulement 11 sont arrivés vivants à New York. 

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             Après être entré aux États-Unis en 1941, Bill change de nom et grandit à New York. Il trouve le nom de Graham dans le bottin téléphonique. Comme il s’appelle Wolfgang Grajonca, les gens le charrient, «Hey junkie !». Il cherche un nom approchant en Graj ou en Grak et pouf, il tombe sur Graham - Je voulais un nom simple. Mais je le vis mal depuis, car je n’aime pas ce nom. Je l’ai jamais aimé. Je préférais Grajonca. Mais je n’aimais pas ce que les gens en faisaient - Toute la première partie du book est passionnante, car il entre bien dans tous les détails. Sa première passion est la musique latino, et un club, The Palladium, «at Fifty-five and Broadway, it cost a buck-fifty to get in.» Il raconte qu’il allait au Brooklyn College puis rentrait à Manhattan. «Go to the Palladium, throw my books into the checkroom and dance for hours on end. Till three or four in the morning.» Il ajoute qu’il lui arrivait d’aller directement au collège le lendemain matin. Nuits blanches au Palladium ! C’est extrêmement bien raconté, on se croirait chez Mezz Mezzrow. Il est dingue de Machito, de Tito Puente, de Tito Rodriguez - Everybody dancing and dancing and the entire ballroom would get off. We weren’t all making love at once but we were in the eye of this wonderful storm. Dancing inside this great groove. Time out, world - Et il continue : «Au milieu d’une chanson l’orchestre s’arrêtait, sauf le bassiste. Mais tout le monde continuait à danser. On claquait des mains pour garder le tempo et tout le monde succombait au charme de cette musique, des milliers de gens. On gardait le tempo pendant le solo de basse et l’orchestre revenait. Des milliers de gens. Tout le monde se sentait bien. Everybody felt so good.» Ce passage est capital, car il éclaire le destin de Bill : avec ses Fillmore, il va tenter de recréer ce qu’il vivait au Palladium : l’everybody felt good. Bill ne pense qu’aux milliers de gens dans la salle. «The Palladium a transformé ma vie.»

             D’où le Fillmore. Il commence par organiser ce qu’il appelle des benefits pour The Mime Troupe. Le Fillmore Auditorium appartient alors à un black, Charles Sullivan et Bill va le lui louer pour organiser ses premiers concerts, de décembre 1965 à juin 1968. C’est l’aube de la Scène de San Francisco. Pour son second benefit, il a Grace Slick and Darby Slick and the Great Society, the Mystery Trend avec Ron Nagle, et Frank Zappa le second soir. La grande spécialité de Bill va être de constituer des affiches hétéroclites. Quand il se sépare de Ronny Davis et de la Mime Troupe, il continue tout seul au Fillmore Auditorium. Pour le concert de fermeture, il a Creedence, Steppenwolf et It’s A beautiful Day. Le lendemain, il ouvre le Carousel qu’il rebaptise le Fillmore West, avec à l’affiche le Paul Butterfield Blues Band et Ten Years After. Il peut faire entrer 28 000 personnes dans son Fillmore. C’est Bill qui invente les light-shows et les posters, en plus du reste. Il est à lui tout seul une petite révolution culturelle. Quand il ouvre le Fillmore East à New York, il ambitionne de créer un Apollo pour les blancs - À l’Apollo on disait aux musiciens : «Tu as un truc à dire ? Monte sur scène et dis-le !». Quand tu montais sur scène au Fillmore East, tu savais ce que ça voulait dire. Sound, lights, special effects, light show. You want to show the world your stuff? Do it here. Le Fillmore East est devenu ce que j’espérais. Mais le prix à payer était trop élevé.

             Bill fait même du Fillmore une profession de foi, il est incroyablement déterminé : «À cette époque j’avais 35 ans. Ma génération avait été une génération passive. Mais sur les campus et in the Haight, les peintres et les musiciens s’agitaient, ils voulaient quelque chose de différent, ils ne voulaient pas suivre le modèle de la génération précédente. J’étais là à cette époque de ma vie, l’enjeu était beaucoup plus important que de réussir dans la vie. J’avais sous les yeux de théâtre de la vie. It was a living theater. Everybody was REAL.» Cette notion d’everybody est fondamentale. Bill ne se situe que par rapport à l’everybody. Le collectif, the people, c’est tout ce qui compte. Quand dans Last Days At The Fillmore, on le voit marcher à travers la foule qui fait la queue pour entrer au Fillmore, la caméra est sur son épaule et franchement, tu as l’impression de suivre le Christ, c’est une scène très particulière, les gens savent qui est Bill et lui montrent un immense respect.

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             Comme Totor, Bill est un fervent admirateur de Lenny Bruce. Quand il réussit à le faire jouer au Fillmore, c’est peu de temps avant la fin : «Je ne peux pas dire qu’il ait été bon sur scène. The performances were like eulogies to himself. Les gens n’ont vu qu’un artiste diminué par le harcèlement (a person who had been fucked with for a very long time). It was the living death of a genius (Un génie en train de mourir sur scène). Il s’est attaqué à la loi et il a perdu.» Bill ajoute que les Mothers Of Invention ont sauvé la soirée. «Lenny Bruce était nu sur scène, et vaincu. Six semaines plus tard, il était mort.»

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             À la demande de l’Airplane, Bill devient leur manager. Mais la relation est houleuse car comme le dit Bill Thompson, Bill ne les comprend pas - They had horrible fights - Pour Thompson, Bill était celui qui a rendu possible l’éclosion de la scène de San Francisco, «sans lui, rien n’aurait pu exister, mais il ne les comprenait pas». L’Airplane ne veut pas signer de contrat avec Bill. No way. Paul Kantner dit aussi que Bill ne comprenait rien au fonctionnement de l’Airplane qui était basé sur l’acceptation réciproque de tous les travers - Bill avait ses manies et nous avions les nôtres. Parfois, on s’entendait bien, parfois on ne s’entendait pas - En 1966, tous les groupes déboulent à San Francisco. Dave Rubinson rappelle que les meilleurs étaient Moby Grape et Steve Miller - Big Brother was terrible, c’est-à-dire pas terrible. The Airplane was terrible. The Warlocks who then became Grateful Dead were terrible. All these people, they were horrible - C’est aussi ce que dit Sly Stone qui est à cette époque producteur : il ne supporte pas d’entendre les Warlocks et les autres hippies. Il les considère comme des amateurs. Le seul groupe qui trouve grâce à ses yeux, c’est The Beau Brummels. Rubinson dit aussi que tous ces groupes jouaient du blues mais qu’ils ne savaient pas le jouer. En plus de Moby Grape et de Steve Miller, il salue aussi Sons Of Champlin.

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             Quand Bill programme Otis au Fillmore en décembre 1966, il tombe à genoux : «By far, Otis Redding was the single most extraordinary talent I had ever seen. There was no comparison. Then or now.» Bill raconte Otis sur scène, avec 18 musiciens, «the black Adonis, en costard vert, chemise noire, cravate jaune, he moved like a serpent. A panther stalking his prey. Knowing he was the ruler of the universe. Beautiful and shining, black, sweaty, sensuous, and passionate.» Bill n’en peut plus, c’est à longueur de page, et il ajoute : «C’est en voyant Jimi Hendrix que j’ai réalisé qu’Otis était là avant lui. Jimi fut le premier à avoir un public de blanches qui le désiraient ouvertement. Mais Otis was the predecessor.» Bill se souvient de ses trois soirs au Fillmore : «That was the best gig I ever put on in my entire life. Je le savais alors. Aucun doute là-dessus. Otis pour trois soirées au Fillmore. C’était aussi bon qu’une bonne partie de cul avec une femme qu’on aime vraiment. So was that.»

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             Bill fait aussi découvrir les Staple Singers aux Frisco kids - Mavis Staples for me was the same class as Aretha. They worked with Rahsaan Roland Kirk and Love - Il programme aussi Howlin’ Wolf - It was amazing - Bill récupère les numéros de téléphone de tous ces géants qui ne bossent pas avec des agences. Wolf lui refile par exemple le numéro de Big Joe Williams. Bill explique aussi qu’en 1966, les kids de 17 ans ne savaient pas qui étaient Chuck Berry, B.B. King ou Albert King. Mike Bloomfield et Jorma Kaukonen n’en finissent plus d’insister auprès le Bill : «Chuck Berry doit jouer au Fillmore !». Mais Chucky Chuckah ne veut pas venir jouer. «The Fillmore, man ? I don’t know.» Alors Bill prend l’avion et va le trouver chez lui à Wentzville, dans le Missouri. Chucky Chuckah accepte de venir jouer à trois conditions : tu fournis l’orchestre, tu fournis the Showman Amp et tu fournis la Cadillac à l’aéroport. Bill parvient aussi à faire venir Muddy Waters au Fillmore, à l’affiche avec Butterfield et l’Airplane - Tous les musiciens voulaient voir Otis, mais ils voulaient aussi tous jouer avec Muddy Waters. Otis Spann l’accompagnait et ils ont joué «Hoochie Coochie man» et «I’m A man», I spell M-A-N. Muddy was awsome - Et dans sa lancée, il ajoute : «Muddy was a lot like John Walker. He was older. He had that regal presence. He had lived throught a lot of shit but he didn’t make the world pay for it. Butterfield revered him. Il y a deux ou trois noms dans le business qui figurent on the top ten list of every musician I know. Muddy was one of those people.»    

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             C’est Bill qui lance Janis au Fillmore. Il la compare à Piaf - Au début, il n’y avait pas de stars. Les groupes jouaient, c’est tout. Puis ça a commencé. On la considérait comme une déesse. Ça a dû avoir un effet sur elle. Elle n’avait pas le choix, de toute façon. Elle est devenue star malgré elle. Les filles s’habillaient et se coiffaient comme elle. Ce n’était pas la même chose que Judy Garland ou Billie Holiday qui chantaient dans des clubs. Janis chantait dans toutes ces grosses salles qui sont apparues pendant les sixties. Le résultat est qu’une blanche originaire de Port Arthur, au Texas, est devenue une reine sociologique internationale. Mais elle était restée telle qu’elle était avant la starisation - Chet Helm, le boss de l’Avalon qui avait fait revenir Janis à San Francisco, pense que the Albert Grossman organization qui avait mis le grappin sur elle voulait en faire «the white Billie Holiday, the Blues singer. Down and out and junked out.»

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             Même plan avec Jimbo. Bill se dit big fan - De toute évidence, la gloire l’a affecté au point qu’il ne pouvait plus la supporter. À l’origine, Jim voulait être réalisateur, écrivain et poète. Mais soudain, le monde entier l’idolâtrait. Il fut le premier male sex symbol in rock. He and Hendrix -  Lors d’un concert à Cleveland, Jim dit qu’il vient de réaliser que toutes les femmes présentes dans la salle voulaient baiser avec lui. Même problème avec Jimi Hendrix, le premier artiste noir désiré massivement par des femmes blanches - They wanted to fuck him as a unit. After Otis, he was the first black sex symbol in White America - Quand Otis et Jimi ont disparu prématurément, ça a dû arranger pas mal de gens. On reste dans les monstres sacrés avec Miles Davis que Bill fait jouer au Fillmore West avec Stone the Crows et le Dead. L’idée de Bill était de faire découvrir la musique de Miles aux fans du Dead, mais l’idée ne plaisait pas à Miles. Alors Bill doit aller le voir pour le convaincre - Aller voir Miles, c’est comme d’aller voir le Dalai Lama. Obtenir un rendez-vous, ça peut prendre quatorze ans et demi. Tournez à gauche deux rues plus loin. Trouvez une cabine et appelez. On vous dira où aller. Mais rien de sûr. Il est peut-être là. Il devrait être là. J’ai fini par le rencontrer sur 127th Street and Lennox Avenue, à Harlem - Bill parvient à le convaincre car il lui parle de ses premières amours, Tito Punente, Celia Cruz et Dizzy Gillespie.

             Puis Bill fait jouer Roland Kirk - He destroyed me. La première fois, ce fut au Fillmore Auditorium en 1967. Comme j’avais aussi l’Airplane qui remplissait systématiquement, je pouvais programmer qui je voulais - Alors il programme the Afro-Haitian Ballet et en ouverture, Roland Kirk - Il arriva dans l’après-midi. Forte personnalité. Aveugle de naissance, je crois. Il portait des lunettes noires très bizarres, une robe africaine et une casquette tribale. Il parlait énormément, à propos des injustices, du racisme, de la fraternité et de l’égalité. Mais il était en colère. Comme Nina Simone - Jonathan Kaplan ajoute que Roland Kirk fut le meilleur concert qu’il ait vu au Fillmore - He could play anything.

             Après la fermeture des deux Fillmore, Bill et son équipe vont faire tourner les plus grands artistes de l’époque à travers les États-Unis : Dylan, CSN&Y, puis George Harrison.  

             Bien sûr, Bill ne touche pas aux drogues. Il ne boit que des trucs qu’il décapsule lui-même, il sait que les gens versent de l’acide dans les verres. Jerry Garcia : «La première fois que j’ai vu Bill, c’était à l’Acid Test de Longshorsemen’s Hall. Tu vois ce mec cavaler partout avec un clipboard, au milieu d’une total insanity, I mean total, wall-to-wall, gonzo lunacy. Tout le monde était défoncé sauf Bill. And I was having the greatest time in the world.» Bill qui est curieux va quand même tester les drogues : «Acid is heavy stuff. Je sais que j’ai une forte constitution, aussi pouvais-je gérer ça. J’ai fini par découvrir que je pouvais prendre certaines drogues, comme la mescaline, que j’aimais beaucoup. C’était parfait quand j’avais un peu de temps libre. Je mangeais un magic cookie et me sentais bien, pas d’effets secondaires and no bif to-do. Je me sentais vraiment bien pendant quelques heures. Mais je n’avais pas beaucoup de temps libre.»

             Un autre gros pathos tourne autour de The Last Waltz et de l’ego de Robbie Robertson. Selon Bill, Robertson a un énorme problème d’ego. Le projet part d’une idée de Robertson : concert d’adieu du Band après 16 ans on the road, avec des invités de prestige. Comme c’est organisé au Winterland, c’est Bill qui fait tout le boulot, et bien sûr, ça n’apparaît pas du tout dans ce film que «produit» Roberson et que tourne Scorsese. Un peu après le concert, on dit à Bill que Robertson veut lui parler au téléphone. Bill dit ok, alors qu’il appelle. Roberston finit par appeler et la conversation dégénère. Bill perd patience et lui balance ses quatre vérités. Toute la tirade qui suit est en capitales dans le book, ça veut dire que Bill gueule dans le téléphone : «You forgot to say Thank you, you Motherfucker! On a tous bossé comme des nègres pour toi et tu saluais la foule parce que tu es l’entertainer et tu as eu le culot de quitter le building sans dire merci à personne ? On t’a tout donné à l’œil ! Tout ! T Et tu n’as même pas été foutu de dire merci !» Bill lui raccroche au nez, «and that was it. It was the last time I ever talked to him.» Bon débarras.

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             Alors il faut voir The Last Waltz, même si on n’est pas trop fan de The Band. Des grandes stars de l’époque sont au programme : Doctor John qui a invité Bobby Charles (mais on ne le voit pas, le pauvre Bobby), Paul Butterfield, Muddy Waters, Clapton, Neil Young, Joni Mitchell, Neil Diamond et Van Morrison. Bill se dit très impressionné par Van the man - If you catch him on a good night, there is nobody like him - Il est aussi frappé par le talent des autres - La veille, lors des répétitions, I heard some of the greatest performances of all time. Muddy Waters, Doctor John and Joni were awsome - Pour Bill, The Last Waltz n’était pas un concert, «it was a night to remember. Robbie missed it. Scorsese missed it. J’ai essayé de leur expliquer cette nuit-là, Mais c’était comme de parler à un mur. Bon j’arrête de m’énerver avec ce truc-là.»

             Le film est très pénible. The Band est une épouvantable bande de frimeurs. Nombreux sont les gens par ici qui n’ont pas compris qu’un groupe aussi passe-partout ait pu avoir une telle renommée. Et puis quand on voit Robertson sur scène, on comprend que Bill n’ait pas pu le schmoker. Quel frimeur ! Enfin bref, ils font venir sur scène le vieux Ronnie Hawkins qui les fit démarrer comme backing band, c’est du sans surprise, avec «Who Do You Love». On est presque dans une caricature du rock américain. Ce ballet aseptisé de célébrités est tout ce qu’on déteste. Tu vas voir défiler les pires : Clapton, Ron Wood, et même Neil Young ne passe pas. Par contre, tu en as quelques uns qui parviennent à sauver l’honneur, enfin leur honneur, dans ce piège à cons, le premier étant Doctor John, en nœud pap rose et coiffé d’un béret, fantastique présence, il pianote comme Fess et ramène le jive de la Nouvelle Orleans dans cette foire à la saucisse. On voit hélas trop brièvement les Staple Singers et Pops chante un couplet qui fait oublier pendant une minute toute la frime des petits culs blancs. Van the Man tire aussi très bien son épingle du jeu, à l’époque, il est encore jeune et massif. On voit encore trois géants, Neil Diamond qui ramène tout le prestige du Brill, Joni Mitchell qui swingue incroyablement dans sa robe longue de belle hippie, et Butter qui ramène ses vieux coups d’harp de Chicago. Mais le héros de la soirée, c’est Muddy qui n’en finit plus de rocker l’«I Am Man» à coups d’I’m a mannish boy, d’I’m a hoochie-coochie man et d’I’m a rolling stone, comme si à lui seul il résumait toute l’histoire du rock américain. Et puis tu as aussi Dylan sous un chapeau blanc, pas sa meilleure époque, sur scène il traficote des petits dialogues complices avec les frimeurs et ça devient assez insupportable. Le concert se termine avec tout le monde en cœur autour de Bob pour une version d’«I Shall Be Released». Même Doctor John et Neil Diamond participent à cette foutaise. 

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             Bill a des ennuis avec Led Zep, surtout avec Peter Grant et ses méthodes de gangster - A lot of male agression came along with their shows - Bill raconte comment Peter Grant vient tabasser l’un de ses collaborateurs. C’est d’une incroyable violence. Au point que Bill craint pour la vie de son collaborateur. On est en plein Orange mécanique. D’ailleurs, Bonham s’habille en Droog. Et pouf Bill organise le concert des Pistols au Winterland de San Francisco. Bill aime bien leur son - They were the kings of punk hill. I liked the rawness, I liked some of their songs. They really kicked ass - Mais il doit se farcir McLaren. Même plan qu’avec Stigwood, l’Anglais prend Bill de haut et c’est une grave erreur. La scène que décrit Bill se déroule dans le backstage, où il rencontre McLaren qui insiste pour le voir - A short Peter Asher. Des taches de rousseur plein la gueule, comme dans une bande dessinée. Il porte un béret et brandit une canne. Assez brillant et bien branché. Il savait dans quelle époque il vivait. «Vous êtes Monsieur McLaren?», et il me répond : «Comment allez-vous ? You’re the Yank ?». Alors je lui dis : «Faites-moi une faveur. Ne m’appelez pas Yank. Call me Bill. Monsieur Graham. Appelez-moi comme vous voulez. Mais pas Yank - Puis Bill en vient directement au problème, car il y a un problème - McLaren dit : «On veut que Negative Trend joue avant nous.» I said : «J’ai entendu dire que vous envisagiez de ne pas jouer si Negative Trend ne jouait pas, c’est bien ça ?». Il répond : «Well, je suis sûr qu’on va trouver une solution» - Bill qui ne supporte pas le chantage va lui baiser la gueule en beauté. Il met Negative Trend au programme après les Pistols, et à la fin du set des Pistols, il dit à son régisseur d’envoyer la musique de «Greensleeves». À San Francisco, chacun sait en entendant «Greensleeves» qu’il faut évacuer la salle, alors la salle se vide complètement, et quand Negative Trend monte sur scène, la salle est vide. Celui qui va baiser la gueule à Bill n’est pas encore né.

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             Bon, il reste les Stones. Le plus gros morceau. Les Stones confient à Bill la tournée américaine de 1981. Bill : «We were dancing with Big Bertha. I mean, this was the Rolling Stones.» La tournée de 1981 est une méga tournée, an all-stadium tour, avec 35 semi-remorques. Bill assiste aux répétitions, à Longview Farm, dans le Massachusetts - J’entrais dans la grange où ils étaient installés and there was that sound. They worked very hard. Ils répétaient pendant des heures et des heures. Je savais alors que j’allais vivre une expérience similaire à celle que j’avais vécue avec Dylan en 1974. Je savais que si le groupe restait en bonne condition et qu’on éliminait tout le bullshit on the road, que s’il n’y avait pas de bras de fer ni d’engueulades, ça allait être énorme - Bien lancé, il continue : «Comprenez-bien ceci : Bill Wyman et Keith Richards n’étaient pas des gens normaux. Ils étaient des Rolling Stones. Ils appartenaient à la royauté depuis vingt ans.» Bill en prend plein la vue avec ces mecs-là. «Tous les deux jours, j’allais courir avec Mick. C’était une expérience nouvelle pour moi, car je travaillais avec un grand artiste aussi bien sur le plan créatif que conceptuel. Mais ils gardaient tout le contrôle. Ils pouvaient opposer leur veto à ce que je proposais. Tout se passait en tête à tête. Il n’y avait pas d’intermédiaire. C’est un peu comme s’ils peignaient. Je pouvais leur dire ce que je pensais des peintures. Et ils me donnaient leur avis.» C’est Bill qui choisit les premières parties. Pour un concert à Rockford, dans l’Illinois, il fait jouer les Go-Gos. Il fait aussi jouer Etta James et les Neville Brothers. Pour une date au Texas, Bill se tape une nouvelle embrouille, cette fois avec Bill Hamm, le manager de ZZ Top. Hamm ne veut qu’un seul Texas band à l’affiche du concert des Stones, et ce sera ZZ Top. Bill est donc obligé de virer Molly Hatchet, alors que les places sont vendues et les T-shirts imprimés. Il les remplace par The Fabulous Thunderbirds - L’émissaire d’Hamm rappelle. Désolé de vous dire ça, mais voici le message. Direct from Bill Hamm. ZZ Top ne joue pas si les Fabulous Thunderbirds jouent. Alors je lui dis : ça ne me pose aucun problème si ZZ Top ne joue pas. Si la presse me pose des question, je leur dirai la vérité sur ce qui s’est passé. Résultat : ZZ Top a joué toutes les dates. Mais comme je l’avais défié, Bill Hamm n’a jamais autorisé ZZ Top à rejouer pour moi. Quand ils jouent à San Francisco, ils bossent avec un autre promoteur - Bill sait tenir tête aux tyrans : «À mes yeux, des gens comme ZZ Top, mais surtout Bill Hamm, incarnent les abus de pouvoir qui sont monnaie courante dans les hautes sphères du rock’n’roll. Et ça continue encore aujourd’hui.» Bill a compris autre chose en faisant tourner les Stones : «Tous les groupes qui ont joué en première partie des Stones ont connu le succès. Ça leur a ouvert le marché. Ce fut le cas pour Stevie Wonder en 1972, pour Muddy Waters, B.B. King et Ike & Turner en 1969, pour les Neville Brothers et Tina en 1981.» Bill fait jouer Iggy Pop en première partie des Stones au Silverdome de Pontiac, dans le Michigan - He was a favourite of Keith’s. Il est arrivé en mini-jupe de cuir et en bas résille - Pour Bill, emmener les Stones en tournée dans le monde entier fut la consécration de sa carrière.

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             Il organise aussi le fameux Amnesty Tour, mais il en sort écœuré. «Aucun projet ne m’a autant attristé et épuisé que celui-là. Rien que de voir ce qui est arrivé à des gens confrontés au big ball game. Il fallait voir la façon dont ils se comportaient et dont ils parlaient aux autres gens. Je ne veux pas passer mon temps à gueuler pour expliquer aux gens qu’ils ont tort et que j’ai raison, mais dans ce cas-là, tellement de gens avaient tort. Les abus de pouvoir à très haut niveau ont battu tous les records.» C’est là que Bill entre en dépression. Il fait un bilan : «Mes problèmes relationnels et la culpabilité que j’éprouve à ne pas pouvoir préserver une relation sentimentale, l’incendie de mes bureaux à San Francisco, le Live Aid en 1985, l’Amnesty U.S.A en 1986, le concert en Russie en 1987, tout cela m’a enfoncé financièrement, mais tous ces événements n’avaient rien à voir avec le profit. Je cherchais une échappatoire.» La cerise sur la gâtö, c’est la rupture de sa relation professionnelle avec les Stones qu’il avait pourtant déjà emmenés en tournée aux États-Unis. Les Stones vont travailler avec une autre organisation et ils n’osent pas le lui dire en face - Ma force reposait sur la confiance que j’avais en moi et sur la foi que j’avais dans mes capacités. Mais cette fois, je me sentais privé de force - Quand il comprend qu’il a perdu la tournée américaine des Stones, Bill dit qu’il pense au suicide. «Pour la première fois de ma vie, ça apparaissait comme un choix. J’ai soudain compris que j’avais passé toute ma vie à ignorer les sérieux problèmes issus de mon enfance. Je me sentais coupable d’avoir survécu alors que d’autres étaient morts.» Bon, il finit par se reprendre, juste avant d’aller casser sa pipe en bois dans un accident d’hélicoptère. Vers la fin du book, il fait en effet un comeback extraordinaire : «My mind is back. J’ai les idées claires. J’ai retrouvé de l’énergie. Mais perdre les Stones, c’était comme de voir ma fiancée préférée devenir une pute.» 

    Signé : Cazengler, Bill gras double

    Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Doubleday 1992

    Martin Scorsese. The Last Waltz. 1978

    Richard T. Heffron& Eli F. Bleich. Last Days At The Fillmore. 1972

     

     

    Besoin de personne en Harlem Davidson

     

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             Chaque fois qu’un Gospel Choir traîne dans les parages, ça recommence : on voit se pointer des solistes capables de rivaliser avec les plus belles stars de l’histoire de la Soul. Le Harlem Gospel Choir est nettement moins puissant que le Mississippi Mass Choir, mais les solistes, hommes comme femmes, sont de véritables bêtes de Gévaudan.

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    Quand ils viennent s’installer au-devant de la scène pour taper un cut en solo, c’est un véritable festival. On ne connaît pas leurs noms. Mais le gros black aux cheveux teints en rouge vaut largement Solomon Burke.

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    La petite black vaut largement Martha Reeves, elle chante avec toute la niaque d'Harlem, celle qui vient faire «Oh Happy Day» envoie l’Happy Day valdinguer dans les étoiles, et puis une grosse black lady vient taper un «Amazing Grace» qui bat tous les autres à la course.

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    Tu as aussi un petit barbu qui fait son Marvin Gaye l’air de rien, et le troisième mec du Choir tape des trucs plus reggae. Alors ça ne rigole plus. Ces gens sont invraisemblables, ils chantent tous et toutes dans des styles différents, et tu te retrouves avec un concert de Soul extravagant. Comme ils rendent hommage à Nina Simone, une big black lady vient taper «Ne Me Quitte Pas» et ça passe comme une lettre à la poste. Ils et elles font tous le show, tous les neuf, et comme ce sont tous des surdoués et qu’ils chantent des énormes classiques, ça monte droit au cerveau. Quand on parle de dimension artistique, il faut savoir de quoi on parle. Tout est là. Tu as d’un côté les vieux groupes français de la soirée New Rose et de l’autre l’Harlem Gospel Choir.

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    C’est malheureux à dire, mais choisis ton camp, camarade. Quand les blacks chantent, ils chantent, ils ne font jamais semblant, on le sait depuis soixante ans et ça se vérifie encore tous les jours, surtout quand on s’immerge dans un océan de grands albums de Soul, de blues, de funk, de gospel et de r’n’b. Sans parler de Sly Stone, de Jimi Hendrix et de Funkadelic. Tous ces gens te remplissent facilement une vie. Tu as de quoi t’occuper quand tu rentres dans la discographie de James Brown ou de George Clinton, quand tu repasses Motown au peigne fin, et puis Stax et Malaco et Hi et Ichiban, tu n’en finis plus de t’extasier, les possibilités sont infinies, et derrière tout ça, tu as un diable nommé Ace qui t’envoie des piqûres de rappel sous la forme de compiles fabriquées par des fans de la vingt-cinquième heures pour les fans de la première heure, et tous les habitués d’Ace le savent, chaque fois ça clique !

             Pour un artiste black, la question du niveau artistique ne se pose jamais : elle est innée. Il fut un temps où c’était pour eux une question de marche ou crève. Tu avais intérêt à être bon pour que les patrons blancs qui possédaient les labels te reçoivent dans leur studio et te payent pour quelques enregistrements. L’histoire de Skip James est l’une des plus parlantes : une bouteille de whisky pour une poignée de cuts qui allaient devenir des classiques du blues. Aujourd’hui, on vit dans un monde où les blancs n’ont même plus besoin de savoir chanter pour devenir riches et célèbres. On ne va pas citer de noms, mais vous les connaissez tous. Le mainstream grouille de gens ineptes. On doit vivre avec ça. De toute façon, on ne peut rien y changer. Le biz fait son biz et nivelle par le bas : télé, musique, tout part à la baisse, mais c’est une baisse qui dépasse toutes les expectitudes. Parce ce que ça correspond à la demande. Ça ressemble étrangement à la décadence de l’empire romain. Toujours le même refrain. Bon on va s’arrêter là, pas la peine d’aller se mettre la rate au court-bouillon.

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             L’Harlem Gospel Choir est accompagné par un beurrreman et un pianiste. À la sortie du concert, tu peux acheter un CD. Aucune information, tu n’y trouveras pas les noms des gens qui chantent. Ni les covers de Nina Simone. C’est encore autre chose. Tu y retrouves l’«Oh Happy Day», avec une bonne approche, mais ce n’est pas la merveilleuse approche scénique. L’«Oh Happy Day» passe un peu à la trappe. Aucune commune mesure avec ce qui se passe sur scène.  La version de «Souled Out» qu’on trouve sur ce CD vaut n’importe quel grand classique de Soul.   Ils prennent le prétexte du Lawd pour groover l’église en bois. Les filles font bien le Souled out, one more time ! I’m souled out ! Dommage qu’on ne trouve pas les noms des solistes. Aucune info non plus sur le site du Choir. La version d’«Amazing Grace» qu’on trouve sur l’album n’est pas non plus aussi brillante que la version live, mais elle lui tord quand même le cou.

    Signé : Cazengler, grosse pelle couard

    Harlem Gospel Choir. La Traverse (76). 30 novembre 2022

    Harlem Gospel Choir. CD Harlemgospelchoir.com

     

     

    Wizards & True Stars

     - Sex pactole (Part Three)

     

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             Ces derniers mois, Luke Haines et John Lydon, les deux plus belles bêtes de Gévaudan du rock anglais, se sont farci la même victime : Pistol, le fameux biopic TV consacré aux Sex Pistols. Crouch crouch ! Dévoré tout cru.

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             On a vu quelques images extraites de ce biopic dans la presse anglaise. Quelle poilade ! C’est d’un ridicule qui dépasse l’imagination. Les faux Pistols de la série TV n’ont strictement rien à voir avec les vrais. C’est tellement choquant qu’on comprend la Haine de Lydon et le souverain mépris d’Haines. Ce dernier consacre d’ailleurs sa chro du mois d’August aux biopics et attaque au «Hail hail the rock’n’roll biopic». Haines commence par dire qu’il y en a un sur cent de bon, et il ne comprend pas qu’avec un taux de réussite aussi bas, des réalisateurs risquent la faillite dans ce genre d’entreprise - I mean, vous avez intérêt à aimer Queen a bit too much to stump up for the horror that is Bohemian Rhapsody - Rassure-toi, Luke, on n’aime pas Queen. Puis il avoue avoir vu le premier épisode de Pistol, «Boyle’s disastrous TV-cation of Steve Jones’ Pistol memoir». Son TV-cation sonne étrangement comme defecation. Sans doute fait exprès, connaissant les pratiques de la main froide. Et il développe : «Voilà qu’arrivent les posh actor kids avec leur double-barrelled names, far too corn-fed and gym-friendly to believely mimic 70s herberts Cook and Jones.» C’est une langue extrêmement riche, comme le fut celle de Léon Bloy au temps où il pourfendait à la hache les prétentieux butors de la scène littéraire, ceux qu’il appelle les Belluaires et Porchers. Pour devenir le roi des pamphlétaires comme le fut Bloy en son temps, il faut une langue magnifique et terrible à la fois, et Luke l’a. Il décrit ensuite un Johnny Rotten «qui ne fait pas peur», la Nancy Steppin Stone et le pire du tout -worst of all - here are the 1976 mohicans. «Comme tous les fools, sauf Danny Boyle, le savent, the mohawk atop an English punk rocker was not seen until at last 1980.» Pas d’iroquoise au temps des Sex Pistols, tout le monde le sait, alors ?

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             Plutôt que d’écouter Nevermind The Bollocks, les gens vont aller voir cette prodigieuse supercherie. Dans Record Collector, John Lydon ne décolère pas. Il est encore plus enragé qu’au temps de «God Save The Queen» et du fascist regiiiime. Six pages d’interview, il commence par voler dans les plumes de Pandemic et des petites arnaques collatérales, celle des masques obligatoires et des vaccins - I like dilemmas, I like issues, I like problems - c’est dans sa nature, c’est grâce aux fucking problems qu’il écrit des chansons. Et puis Johnny Sharp le branche sur le récent combat judiciaire qu’il a mené contre la série TV Pistols et ses anciens collèges Jones, Cook et... Matlock, qui étaient tous les trois favorables à la diffusion de cette fucking TV-cation. Lydon n’y va pas par quatre chemins puisqu’il parle de very perverse, greedy situation. Évidemment, les trois autres font ça pour le blé - Ils sont allés devant un tribunal pour m’empêcher de donner mon avis - Il ajoute qu’il n’a jamais vu aucun script de la série, il ne savait pas non plus qui allait incarner son rôle à l’écran. Il a fini par découvrir sur Internet une image de lui et Nora, sa femme, incarnés par des gens qu’il ne connaît pas. C’est le bouquet ! Il insiste, on ne m’a jamais rien dit de ce projet - That’s fucking evil - Sharp insinue que des gens prétendent lui avoir parlé du projet. Indigné, Lydon se lève. C’est faux ! They did not. Coup d’épée dans l’eau, cause toujours mon bonhomme. On le prévient 4 jours avant la parution officielle alors que le projet est lancé depuis deux ans ! Deux ans que les acteurs ont été engagés et le tournage planifié - How come you left the main man while using his image all over the place? Fucking cunt liar. Et tout ça avec the corrupting influence of Disney’s Money.

             Ce que John Lydon dénonce, c’est à la fois la cupidité de ses anciens collègues et la scandaleuse récupération commerciale du phénomène sociologique que furent les Sex Pistols, la pire forme de récupération qui soit : l’américaine. Les Sex Pistols furent un groupe important pour pas mal de gens, non seulement parce qu’ils avaient du génie, mais aussi parce que Johnny Rotten incarnait parfaitement l’anarchie, qui par définition, est incorruptible. Elle en est même le symbole. Les médias américains se payent une belle tranche d’anarchie à bon compte. Le principe est révoltant. Mais on vit dans ce monde. Il ne faut plus s’étonner de rien. Le seul intérêt que présente ce nouvel épisode du nivellement par le bas est de pouvoir entendre hurler dans les causses notre bête de Gévaudan préférée.

             Le journaliste Sharp qui se prend pour un habile provocateur indique à Lydon qu’il a déjà vu deux épisodes de la TV-cation et, pour enfoncer son petit dard, il ajoute que l’acteur fait une bonne version du Rotten. Ça fout Lydon en rogne d’entendre ça : «Tu parles d’une «version» de moi ? Si tu veux faire ma connaissance, talk to me. Simple as that.» Plutôt que d’écharper Sharp, Lydon réussit miraculeusement à se calmer, et dit avoir chopé le trailer sur YouTube. Ça l’a bien fait marrer - On dirait une bande de middle-class kids in the student union bar (et il prend un accent maniéré) ‘Oh yaaaas, we’ve gawt to offer the kids chaos’, or some crap-arse line like that. It’s absurd! God almighty! - Et là Lydon explose, son poing tombe sur la table et toutes les bouteilles de San Pellegrino s’en vont valdinguer. Il a raison d’exploser, à sa place, on en ferait tous autant, God almighty!, il rappelle qu’il a mené seul un premier combat judiciaire contre McLaren pour réclamer les royalties qui étaient dues au groupe et il a gagné ce combat - I won the case - Mais ça ne s’arrête pas là : il a partagé en quatre, alors qu’il n’était pas obligé - I gave them equal rights as the end result - et bien sûr il ne comprend pas qu’aujourd’hui, les trois autres magouillent dans son dos pour l’écarter du projet de TV-cation. C’est dingue ce que les gens peuvent être retors. C’est dingue comme la nature humaine peut être pourrie. 

             Voyant John Lydon retrouver son calme, Sharp s’éponge le front et retitille la bête. Il fait l’hypocrite et s’inquiète : est-ce que cette sombre histoire de TV-cation ne va pas ternir la réputation des Sex Pistols ? Lydon hésite un moment à lui sauter dessus pour lui broyer la gorge. Il se retient et justesse et lui répond sèchement : «No. Ça va les ternir eux.» Voilà : la sentence est tombée. Les trois autres Pistols sont discrédités à perpétuité. Magnanime, Lydon ajoute que le projet aurait pu être intéressant s’ils l’avaient monté tous les quatre. Mais les trois fourbasses ont préféré agir en douce. Pour Lydon, ses anciens collègues sont «les rats qui coulent le navire». Tant pis pour eux. Lydon était la seule caution amorale du groupe. Plus important encore, il rappelle à Sharp que ces gens-là n’ont jamais été ses amis. Son seul ami fut Sid Vicious. Les autres formaient une petite clique avec McLaren. Ils étaient tous jaloux de la popularité de Johnny Rotten, forcément, c’est lui qu’on voyait en couve du NME et qu’on entendait chanter Anarchy, God Save et les dix autres hits intemporels. Des hits dont il a écrit les paroles. Lydon choisit d’ailleurs le fameux Great Rock’n’Roll Swindle comme exemple pour illustrer son propos : le film a été tourné sans lui. Raison pour laquelle c’est un tas de merde. Ça va loin, cette histoire, car il passe aux révélations : même au cœur de l’action, c’est-à-dire à l’apogée du mayhem, McLaren complotait dans l’ombre pour le remplacer. Pour lui, John Lydon, c’était une épreuve quotidienne que de faire partie des Sex Pistols - I managed to endure it. But as I said, just smile in the face of adversity - Et ça continue, ce sont les mêmes qui dégradent le mythe des Sex Pistols pour en tirer du blé facile, c’est exactement ce qu’ils ont fait avec The Great Rock’n’Roll Swindle. Soudain John Lydon lève les bras en l’air, il redevient le temps d’une tirade le rocker le plus pur d’Angleterre : pour lui, les Sex Pistols étaient un phénomène extraordinaire - It was something ferocious, Society-changing, Culturally significant, historical. And it has now become a silly little TV production - Alors comme le fit Léon Bloy en son temps, John Lydon pourfend les médiocres : «Ils étaient jaloux du fait que je pouvais aligner deux phrases ensemble - il prend alors une voix plus grave - ‘Duh, the trouble with John is he thinks too munch’. Ha ha ha ! Si tu veux connaître le point de vue de Steve Jones, c’est tout ce que tu peux espérer.» Complètement inconscient du danger, Sharp fout de l’huile sur le feu en ramenant le nom de Matlock dans la conversation : «Glen (Matlock) pensait que votre ego got out of control et que vous pensiez être à vous seul les Sex Pistols.» Lydon fume de rage. Au fond de ses yeux noirs brille un éclat meurtrier : «C’est un homme qui au tribunal a déclaré : ‘I just want the money.’ Voilà ce qu’il a dit au tribunal. Et maintenant il tente de s’excuser d’avoir dit ça.» On n’aimerait pas être à la place du pauvre Matlock, car c’est un déshonneur. Mais au point où on en est, ça n’a plus d’importance. Seul compte le point de vue de John Lydon. Il compte autant aujourd’hui qu’en 1977, quand on entendit pour la première fois «Anarchy In The UK».

             Intrigué par l’histoire du «remplacement» qu’évoquait Lydon, Sharp y revient. «Pensaient-ils à quelqu’un en particulier pour vous remplacer ?» Et Lydon répond, sec et net : «Yes! Malcolm.» Boom. Ça tombe comme une sentence. Lydon se marre, il rappelle, entre deux crises de larmes, que McLaren voulait aussi être maire de Londres.

    Signé : Cazengler, Johnny Roti

    Johnny Sharp : I’m alive by the skin of my teeth. Record Collector # 532 - June 2022

    Luke Haines : In the biopic of it. Record Collector # 534 - August 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Le Guided spirituel

     

             Invité au bal costumé du Bœuf sur le Toit, l’avenir du rock s’y rend déguisé en Jeanne d’Arc. Il n’a pas froid aux yeux. Il sait que des gros malins vont essayer de le faire cramer, alors il accroche un extincteur en bandoulière. En marchant, il fait un raffut de tous les diables - rrrang cling clang clong - car il porte une vraie amure, complète jusqu’aux gantelets et aux solerets d’acier. Sans compter l’extincteur qui cling-clongue sur l’acier, au dos du plastron. Pour renforcer l’impact mystique du personnage qu’il a choisi, il s’est maquillé comme une pute. Il ressemble à Riquita, le trave qui chantait Piaf chez Michou. Il entre, rrrang cling clang clong, et tombe aussitôt sur Hemingway déguisé en espadon. Tiens, voilà Cendrars déguisé en cul-de-jatte à la Buñuel ! Il lui reste encore un bras pour se mouvoir à l’aide du fameux fer à repasser emprunté à Man Ray. Blaise en bave. Pas simple, avec tous ces clous collés sur la semelle du fer. Cocteau est là, bien sûr, déguisé en planche à dessin et Raymond Radiguet tourne en orbite de rut, déguisé en spoutnik. Fargue déguisé en promeneur des Deux Rives converse avec Prévert déguisé en inventaire. Rrrang cling clang clong, l’avenir du rock va au buffet se servir une assiette de crudités et un verre de pif bien mérité. À côté de lui, Breton déguisé en Staline remplit ses poches de cuisses de poulet froid, sous l’œil amusé d’Igor Stravinsky, déguisé en printemps. Sur la petite scène, Arthur Rubinstein déguisé en Khali joue un air de jazz à six mains. Attiré par ses très jolis seins, l’avenir du rock se rapproche, rrang cling clang clong, de Joséphine Baker déguisée en carte postale érotique. Mais comme elle se fait draguer par Simenon, il retourne au buffet se servir un autre verre de pif. Un trave absolument délicieux vient trinquer avec lui.

             — Ravi de te trouver là, avenir du rock ! J’ai bien failli ne pas te reconnaître...

             — Permets-moi de te retourner le compliment, Marcel. Tu es ravissante.

             — Oh c’est une idée de Man Ray. On a fait quelques photos. Appelle-moi Rrose Sélavy, si tu veux bien.

             — Ravi de faire votre connaissance ma chère Rrose... Comme vous sentez bon, votre parfum me fait tourner la tête !

             — Ce parfum s’appelle Eau De Voilette. Mais dis-moi, avenir du rock, pourquoi as-tu choisi cet accoutrement ridicule ?

             — Voyons Marcel, c’est enfantin. Jeanne quitta Domrémy guidée par des voix. C’est dans tous les livres d’histoire !

             — Ah, Guided By Voices ! Alors là bravo, tu m’en bouches un coin coin d’esquimau aux mots exquis.

     

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             En fait, la vraie Jeanne d’Arc du rock, c’est Robert Pollard. Il entend lui aussi des voix. S’il a nommé son groupe Guided By Voices, ce n’est donc pas par hasard. Il se pourrait fort bien que Guided By Voices soit le groupe le plus mystique d’Amérique. Il faut bien sûr entendre mystique au sens où l’entendait Dreyer.   

             Guided By Voices est maintenant devenu une vieille habitude. Un album paraît ? Allez hop, rapatriement automatique. Ça fait trente ans que ça dure. Le groupe de Robert Pollard est probablement l’une des rares résurgences de l’American Dada, même si l’on sait que Dada est improbable aux États-Unis. C’est dirons-nous une façon de les situer sans vraiment les situer sur l’échiquier des relations internationales. Le groupe sort en moyenne deux albums par an et chaque album propose en moyenne trois ou quatre petites merveilles insolites. Les Guided fonctionnent de manière semble-t-il artisanale, ils enregistrent dans la cuisine, Robert Pollard fournit les textes et les prétextes, il colle sur ses pochettes des découpages à la Max Ernst et donne des titres libres comme l’air à ses albums. Il s’inscrit donc dans un process créatif permanent et cette constance lui vaut le respect d’un petit paquet de gens à travers le monde. Malgré ses cheveux blancs, Robert Pollard assure mieux que personne l’avenir du rock.

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             Dans Shindig!, Camilla Aisa dit la même chose, mais avec d’autres mots : «On a découvert que le lo-fi abruptness and fine melody flair, surrealistic lyrics and beer-fuelled garage sketches étaient non seulement compatibles mais aussi une combinaison explosive.» Elle en déduit qu’Uncle Bob, comme elle l’appelle, et ses amis Guided, sont devenus des cult heroes. Elle est très fière d’ajouter qu’Uncle Bob lui a accordé l’une de ses très rares interviews.

             Plutôt que de titrer ‘Wild flyer’s dulcet glue’, elle pense qu’elle aurait dû opter pour ‘Zen and the Art of Life According to The Four P’s’, les quatre P étant Pop, Psychedelic, Punk and Prog. Le résultat est the titanic discography de l’un des songwriters les plus prolifiques et elle rappelle qu’autour des Guided gravitent d’autres pollarderies : Circus Devils, Boston Spaceships, Cash Rivers & The Sinners et bien sûr tous les albums solo.

             Et hop voilà que commence la valse des références. Uncle Bob démarre comme tous les petits rockers américains par les Beatles on a TV screen puis il cite en vrac «Wire 154, the cover of In The Court Of The Crimson King, The Monkees, AC/DC et Cheap Trick. Too many to continue. REM’s Murmur, Selling England By The Pound, Carole King and Jimmy Webb.» Mais surtout la pop anglaise des sixties, il continue de fouiner à la recherche de new old music (the more obscure, the better), et parmi ses récentes découvertes, il cite Stray, T2, Janus et... Crushed Butler.

             En 2020, les Guided ont augmenté la cadence pour sortir trois albums, au lieu des deux habituels : Mirrored Aztec, Surrender You Poppy Field et Styles We’ve Paid For.

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             Avec Mirrored Aztec, ils ont opté pour la pochette psychédélique, osant même le gatefold, mais à l’intérieur on tombe sur un très beau collage d’Uncle Bob. Il produit un tel choc esthétique qu’on sait se trouver face à une œuvre d’art. Depuis le début, tout est étrange chez Uncle Bob et principalement la musique, comme le montre ce «Math Rock» en fin de balda - designed to drive Doug crazy - Doug étant Doug Dillard, le guitar hero des Guided. C’est une private joke, mais dans les pattes des Guided, ça prend une fière-très-fière allure. Encore du Dada pur en B avec «A Whale Is Top Notch» - I got pigeons and bees/ C’mon - Uncle Bob s’en donne à cœur joie et si on est amateur de liberté de ton et éventuellement lecteur de Jésus-Christ Rastaquouère, alors on se régale. Les Guided font aussi partie des meilleurs power-popsters d’Amérique, comme le montre «Bunco Men», pièce courte et ludique, bien lestée de power chords, so come on down. Chaque cut est sculpté comme un objet d’art, charmant et chantant, concis et ramassé - but I’m easier/ So get easier («Easier Not Charming») - «Lip Curlers» n’est en fait qu’un prétexte pour chanter et puis on tombe en B sur deux énormités, «Haircut Sphinx» - Haircut sphinx/ Drink and drink, qu’il termine avec l’énigmatique everywhere you blow the winds of change, comme s’il s’agissait d’un hommage à Dylan - et «The Party Rages On», l’un de ces cuts de rock surnaturels, typiques du Pollard total - Speaker was blown out/ Judah was thrown out.

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             On sent une belle petite baisse de régime sur Surrender You Poppy Field. On passe à travers toute l’A et en B, on devra se contenter d’une petit shoot ramollo de power-pop («Physician») et d’un simili regain de verdeur («Man Called Blunder»). Mais pour le reste, ceinture. Même la pochette est ratée. Uncle Bob en fait trop, ça serait marrant si tous les albums étaient bons, mais là il exagère. C’est un billet de vingt gaspillé pour des prunes, comme dirait Gide.

             Uncle Bob insiste pour dire qu’il n’y a pas de filler sur ses albums. Si certains semblent plus solides que d’autres c’est parce qu’il s’y trouve a larger number of great songs. Il tient à préciser que les Guided sont un song band et un album band - Un album band parce qu’il semble toujours exister un lien conceptuel entre la musique et l’imagerie - Il dit aussi qu’il existe des grands groupes qui ne sont pas nécessairement des album bands, ils ont des hits mais leurs albums ne sont pas forcément intéressants. Par contre, il sait que les Guided n’ont pas de hits - Good songs but no hits, so we’d better be an album band - Il revient aussi sur sa passion du collage, pour dire que les chansons sont comme ses collages, des montages qui finissent par fonctionner, du moins à ses yeux. Ça donne un wild playground with no closing time - I don’t know what I’m talking about most of the time. La signification vient un peu plus tard. So it’s a game we play together. A jigsaw puzzle - Uncle Bob revient sur l’art pour dire qu’il préfère l’art qui n’a pas de sens - I think art is far more interesting when it doesn’t make sense - Et bien sûr il cite Max Ernst et la fameuse «rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table d’opération».   

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             Styles We’ve Paid For arbore l’un de ces collages qui font la grandeur du Pollard total. Graphiquement parfait, comme l’est «In Calculus Stratagem» en B, un mélopic magique de deux minutes. L’autre énormité de l’album s’appelle «Mr Child», sévèrement riffé à la Guided motion, l’étendard de la pop claque au vent, crois-le bien. Ils ramènent aussi la cocote Guided pour «Megaphone Riley» et sortent du garage les bongos et les congas de Congo Square pour «They Don’t Play The Drums Anymore». On attend chaque fois des miracles d’Uncle Bob et il ne nous déçoit pas souvent. Ce qui frappe le plus dans les albums des Guided, c’est l’omniprésence de l’intelligence. C’est important de le signaler car une grande majorité des albums qui circulent sur le marché en manque tragiquement. Oh on ne va citer de noms, tu les connais bien, les toquards. Uncle Bob fait encore de la grande pop ensorcelante avec «Stops». Chaque cut se montre à la fois intéressant et original, même si on se dit chaque fois qu’on a déjà entendu ça dans un autre album des Guided. Le jeu consiste tout simplement à vivre dans le présent des Guided. Ils se tapent aussi une partie de samba Guided avec «Crash At Lake Placebo». Le titre à lui tout seul est tout un programme.

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             Et pouf, deux albums en 2021, It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them et Earth Man Blues. La pochette du premier s’orne d’un zozo ramonesque, clope au bec et mousse en main, avec en plus au dos un peu de poésie urbaine : une citerne marquée ‘Acid ranch’. «Dance Of Gurus» est l’un de ces coups de génie dont on sait Uncle Bob prodigue. Il crée un microcosme poppy avec une vraie histoire and the homeless man says/ Yeah headed home - Magie pure. Même chose en B avec «Cherub And The Great Child Actor». Cette fois, les Guided sonnent comme Bevis Frond, avec à la clé le surréalisme lyrique des lyrics. C’est un album riche en teneur, et ce dès «Spanish Coin», mid-tempo visité par des espagnolades et l’indicible mélancolie d’Uncle Bob, il termine avec des trompettes et c’est magnifique. Il allume ensuite «High In The Rain» aux lampions de la big power-pop. Tout est solide ici et savamment orchestré. Il faut entendre la basse naviguer dans «Flying Without A License» et en B, «I Wanna Monkey» effare dans la nuit - And quickly burning/ Like a New York cigarette - Quel punch ! Ces mecs s’y connaissent en matière d’heavy rock. «Black and White Eyes In A Prism» sonne comme une suite à l’infernal Cherub. Uncle Bob maîtrise aussi l’art de monter un balladif sur des heavy chords, comme le montre une fois encore «The Bell Gets Out Of The Way». L’album s’achève sur l’excellent «My (Limited) Engagement» - I need a slogan to cling to just a ringer for my engagement.

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             Earth Man Blues est donc le dernier album en date des Guided. Au premier coup d’œil, la pochette paraît ratée, mais il faut bien la regarder. Le petit garçon en costume bleu réapparaît à l’intérieur du liflet. Tu veux du Dada ? Tu as du Dada en B avec «Ant Repellent» - Ant repellant/ Ant repel ant - Ils délirent bien. Il font même un brin de glam avec «Sunshine Girl hello», encore une idée qui sert de prétexte à jouer. On est récompensé d’aller jusqu’au bout avec «How Can A Plumb Be Perfected?», car Uncle Bob y a glissé un refrain magique - How in a crowd could I blend in - «The Disconnected Citizen» bénéficie d’une belle ambiance tragique, soutenue aux violons et comme toujours, monsieur le cut est servi par un texte superbe - I’m taking you down here/ I’ll show you around there - C’est une authentique Beautiful Song. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Lights Out In Memphis (Egypt)». Encore l’occasion pour Uncle Bob de placer un refrain magique - Lights out in Memphis/ Isn’t any physical difference/ In Europe - et cette façon qu’il a de retomber sur Aluminium can Siberia. Il chante ces trois mots avec une gourmandise qui en dit long sur ses mensurations. Signalons aussi qu’il chante «The Batman Sees The Ball» d’une voix éreintée, dans un style unique en Amérique. Pour finir, nous dirons que les Guided sont les grands spécialistes de la fast pop («Dirty Kid School» et «Trust Them Now»), cette fast pop bien foutue qui rôde sous les remparts de Varsovie.

    Signé : Cazengler, Guided By The Vice

    Guided By Voices. Mirrored Aztec. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Surrender You Poppy Field. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Styles We’ve Paid For. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them. Guided By Voices Inc. 2021

    Guided By Voices. Earth Man Blues. Guided By Voices Inc. 2021

    Camilla Aisa. Wild flyer’s dulcet glue. Shindig! # 97 - November 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Baby please don’t go

     

             Le voyant dessiner à longueur de temps, ses amis finirent par le mettre au défi :

             — Serais-tu capable de dessiner notre portrait ?

             Il accepta de relever le défi et passa ses soirées à croquer les trognes de ses amis. Les premiers portraits furent laborieux et la ressemblance laissait à désirer. Taquins, ses amis le surnommaient Picasso. Puis il parvint à maîtriser l’art de croquer un visage en appliquant une méthode intuitive : il commençait par dessiner l’ovale du visage, puis il y positionnait le dessin des yeux. Il savait qu’une fois le dessin des yeux abouti, il touchait au but. Le dessin d’un regard est la clé d’un portrait. Il se mit à travailler fiévreusement l’expression des regards, dont l’intensité variait en fonction de l’inflexion d’une courbe, aussi minime fût-elle. Il travaillait au trait et tentait de restituer au mieux le feu d’un regard. Un soir, l’un des amis de la bande ramena avec lui un homme plus âgé. Il devait avoisiner la quarantaine, il arborait un visage taillé à la serpe, un regard d’un bleu si clair qu’il en paraissait transparent et une mèche de cheveux couleur paille retombait lourdement sur son front. Il portait un marcel blanc et des tatouages de la légion sur les bras. Et quels bras ! De toute évidence, l’homme avait passé sa vie à se battre. Pas la moindre trace de complaisance chez cet aventurier. En entrant dans la pièce, il en vidait l’air. L’ami qui l’avait amené précisa qu’il s’appelait Wilfried et qu’il était allemand. Wilfried prit la parole :

             — Jai souhaiteraizz envoyezz ein portraizz de moi à ma fiancézz. Jai peux payézzz, si tu veux.

             — Un pack de bières, ça suffira. Comptez une petite heure pour la pose.

             Il prit la pose. Il avait une sacrée gueule.

             — Vous pouvez parler, si vous le souhaitez, mais continuez à me regarder, ne bougez pas trop la tête.

             Wilfried se mit à raconter ses souvenirs d’adolescent, l’école des SS à Prague, les uniformes noirs qui faisaient la fierté de tous les jeunes Allemands, la dague SS qu’on leur offrait comme un diplôme, et à mesure qu’il parlait, son regard s’enflammait. Sa voix se fit plus profonde, il semblait gronder en racontant la visite du Fürher venu féliciter l’élite de la Waffen SS, ach comme on étaizzz fierzz !, et au moment où il se mit à chantonner l’hymne SS, ses yeux se révulsèrent. Ce n’est que quarante plus tard, au moment où il se remémorait la scène pour l’écrire qu’il comprit que ce soir-là, sous l’apparence de Wilfried, le diable avait posé pour lui.

     

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             Il aurait aussi très bien pu dessiner le portrait qui orne la pochette du deuxième album de Baby Washington, Only Those In Love, paru sur Sue en 1965 : c’est en gros la même ambiance, ce dessin au trait qu’on utilise pour portraitiser, souvent par manque de moyens. On peut dessiner au crayon sur de simples feuilles de papier. Par contre, pour peindre, il faut des châssis, des brosses et des couleurs, c’est un autre investissement.

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             Baby Washington fait partie des early Soul Sisters. Elle ne vient ni de Detroit ni de Memphis, elle officie à New York. Only Those In Love est un bel album d’early Soul, dont le hit se planque au bout de la B, «Run My Heart», digne de ce qui se fait alors chez Motown. Elle ramène toute la Soul dans sa voix, elle a le gospel au ventre («Careless Hands»), elle tartine vaillamment cette Soul de l’aube des temps, c’est solide, bien chanté, bien orchestré, pas loin de ce que fait Mary Wells. Dans «Hey Lonely», elle se bat pied à pied avec l’oh yes you are. Baby Washington impose un style un peu rigide, elle chante toujours d’une voix ferme, elle envoie «The Clock» au tic toc et avec «It’ll Never Be Over For Me», elle finit par t’envoûter et te prendre dans ses bras de Soul Sister. On se régale aussi du charme désuet d’«I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», un peu cha cha cha dans l’esprit, mais chanté avec fermeté.

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             Son premier album paraît aussi sur Sue et s’appelle That’s How Heartaches Are Made. Comme il paraît en 1963, on est dans l’early Soul new-yorkaise pas très sexy. C’est une Soul trop orchestrée. Le «Doodlin» qu’on trouve en A sonne comme un classique de bonne chique qui ne décolle pas. Elle frise souvent la calypso («Hush Heart»). Elle voudrait bien danser, mais il faudra attendre un peu.

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             Belle pochette que celle de With You In Mind paru en 1968. L’album sent bon la Soul classique, surtout lorsqu’on voit Baby Washington au dos, vêtue d’un petit ensemble à rayures qui semble sortir de Carnaby Street. Et ça explose aussi sec avec «All Around The World», cover de Little Willie John produite par Henry Glover. Baby Washington est une sorte de Wilson Pickett au féminin, elle fait une merveille de ce vieux hit. Nouveau coup de Jarnac avec «I’m Calling You Baby», c’est digne de Junior Walker, l’incendie ronfle comme dans Shotgun. Ça swingue dans la ville en flammes ! Elle reprend en B le «People Sure Act Funny» d’Arthur Conley, elle le chante à la haletante de gros popotin new-yorkais. Baby Washington chante d’une voix étrangement mûre. Elle domine bien la situation. Elle ne met pas de sucre dans sa Soul, elle chante d’une voix plus grave, on sent sa poigne. Fantastique allure que celle d’«It’s A Hang Up Baby», big shuffle new-yorkais emmené par le big band brass.

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             Paru en 1971, The One And Only est assez décevant : mélange de calypso et de rock’n’roll, on perd la Soul. Baby Washington a des capacités mais on ne lui donne pas les bons morceaux. Elle tape son «Medecine Man» sur le mode de «Fever». C’est exactement la même ambiance. Elle termine avec l’excellent «Move On» - Move on baby/ Police are in the back - Voilà le hit, avec son solo de sax.

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             Si on aime les grands duos, alors il faut écouter l’album que Baby Washington & Don Gardner ont enregistré ensemble, Lay A Little Lovin’ On Me. On tombe aussitôt sous le charme du morceau titre qui ouvre le balda. Elle tape dans le dur et Don aussi. On a tout : la Soul de 1973, New York et les violons sur le toit. Don Gardner a un côté Barry White qui passe comme une lettre à la poste. Plus loin, Don vole le show avec «Just Stand By Me», un groove d’homme et Baby Washington revient ensuite à l’assaut avec «Baby Let Me Get Close To You». Elle dispose d’une énergie considérable. Mais c’est en B qu’elle va casser la baraque avec «Carefree». Quelle tranche de Soul ! Ils duettent sur «I Just Want To Be Near To You», c’est gorgé de Soul et d’Oooh baby. Dan revole le show avec «We’re Gonna Make It Big», il embrasse la Soul, il la serre dans ses gros bras poilus, fantastique Don Gardner ! C’est à Baby Washington que revient l’honneur de refermer la marche avec «Can’t Get Over Losing You». Elle ne parvient pas à surmonter son chagrin. Elle souffre en beauté.

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             Paru en 1968 I Wanna Dance est une compile qui présente deux avantages : un, le beau portrait de Baby Washington en robe de soirée. Elle est magnifique. Deux, l’occasion de réécouter ce coup de génie, «Carefree», tiré de l’album précédent. C’est la Soul des jours heureux, Baby Love l’emmène par-dessus les toits, elle pousse de toutes ses forces son carefree love. On se régale aussi d’«I Wanna Dance Pt1» et d’«I Wanna Dance Pt2», c’est très diskö, mais en mode slow groove et dans les pattes d’une Soul Sister comme Baby Washington, c’est quelque chose ! En B, on retrouve cette Soul solide qu’est «Just A Matter Of Time». Elle chante tout à gogo et nous rend gaga.

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             Ace frappe encore un grand coup en 1996 en compilant The Sue Singles de notre Baby Washington préférée. On en croise pas mal sur les deux premiers albums, mais chez Ace, le son n’est jamais le même. Il faut attendre «Standing On The Pier» pour frétiller, c’est du heavy standing, yes I am, qu’elle tape au heavy blues. On croise pas mal de cuts tatasses, un peu de cha cha cha, le tic toc de «The Clock», quelques hits ringards comme «Hey Lonely» et pouf on tombe sur «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», le hit signé Jerry Ragovoy et Chip Taylor, que reprendra aussi Dusty chérie. Baby Wash y négocie une belle Soul de bossa nova. Comme Dionne la lionne, elle évolue dans le temps et voilà qu’arrive l’excellent «It’ll Never Be Over For Me», puis elle se montre encore plus entreprenante avec «Run My Heart». Elle est l’une des reines du jive. Son domaine, ce sont les jukes. En plus, elle a du Wall of Sound derrière elle. Encore un hit de juke avec «Doodlin’», elle croasse bien son doodlin’, ehhh ehhh. Elle fait du pur Motown avec un «You Are What You Are» et elle chante si bien qu’elle rivalise avec Aretha. Baby Wash explose «I Know» et elle se fend d’une belle «White Christmas» song. Elle la groove à la racine du genre.

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             Attention à cette compile Ace de Baby Washington And The Hearts parue en 2006 : The J&S Years. C’est une bombe atomique ! Après si tu te retrouves à l’hosto, tant pis pour toi, on t’aura prévenu. Mets ton casque ! On n’imaginait pas qu’il pût exister des singles aussi sauvages. La seule qui fait référence au power de Baby Washington & the Hearts, c’est Genya Ravan dans son autobio. Départ en trombe avec «You Needn’t Tell Me I Know», un heavy jump déchaîné, chanté dans la caisse avec une énergie du diable. Terrific ! Les blackettes ont le feu au cul et un sax vient envenimer les choses. Il n’existe pas de pire bombe sexuelle. Cinq titres s’enchaînent comme une rafale. «I Want Your Love Tonight» éclate dans un blast de juke. Ces filles sont complètement dingues. Et voilà qu’arrive un solo punk joué au note à note des bas-fonds du Bronx, ça tourne à l’apocalypse avec un piano incroyablement mélodique, elles sont possédées par le diable. Ça continue avec «Congratulations Honey». Baby Wash y va franco de port. Elle est la reine du massacre, elle chante avec une niaque de sale pute, avec le génie fragmenté des street chicks, Baby Wash t’explose ta pauvre compile et derrière tu as un sax qui gicle comme une bite au printemps. Ça continue avec «If I Had Known». Même le doo wop s’enflamme, ces gonzesses sont folles à lier, elle te déchirent le doo wop avec une violence jusque-là inconnue. Il y a 25 cuts sur cette compile et on peut bien dire qu’ils sont tous bons. Elles écrasent encore leur champignon avec «You Weren’t Home», elles font du punk de chicks avant la lettre, laisse tomber les Slits, elles chante à la dégueulade sévère, c’est du Bronx punk. Elles enchaînent hit de juke après hit de juke, elle réinventent le heavy blues avec «There Is No Love At All» et gavent leur groove de ruckus avec «There Must Be A Reason». C’est à tomber tellement c’est bon. Tout est bardé de son là-dedans, les murs de la ville tremblent avec le walking jump de «You Say You Love Me» et cette folle de Baby Wash allume tous les jukes du New Jersey avec «Every Day». Elle bouffe tout cru le heavy blues d’«I Hate To See You Go». Elle attaque «I Couldn’t Let You See Me Crying» de plein fouet, elle chante ça avec une candeur napoléonienne, elle surpasse tout, son power n’en finit plus d’ébahir. Elles tapent encore dans le dur avec «There Are So Many Ways», elles chantent au sucre de rentre dedans et là, tu as la Soul du paradis. Elles bronxent up «My Love Has Gone», c’est encore du pur genius, ça gueule dans le Bronx. «So Long Baby» arrive comme une vague et elle te cueille. Les Hearts sont le meilleur girl-group de l’époque, avec les Cookies et les Velvelettes. Elles montent chaque cut au chant de folles, c’est un délire permanent et Baby Wash revient au long cours du so long. Et la violence du beat sur «You Or Me Have To Go» ! Qui saura la dire ? C’est d’une extrême violence. Pur New York City Sound. Ces filles ont un truc, elles n’ont jamais lâché les rênes. Elles sont les reines des jukes. Dans les liners, Mick Patrick nous explique qu’entre 1955 et 1970, vingt blackettes sont passées dans les Hearts, la plus connue étant bien sûr Justine Baby Washington. On la surnomme Baby parce qu’elle est la plus jeune au moment où elle rejoint les Hearts. Baby Wash raconte qu’on l’a virée du groupe le jour où elle demandait une augmentation. Les autres lead vocalists s’appellent Lezli Valentine, Betty Harris, Hartsy Maye et Zell Sanders supervisait tout ce bordel.

    Signé : Cazengler, Washingtorve

    Baby Washington. That’s How Heartaches Are Made. Sue Records 1963

    Baby Washington. Only Those In Love. Sue Records 1965

    Baby Washington. With You In Mind. Veep 1968

    Baby Washington. The One And Only. Trip 1971

    Baby Washington & Don Gardner. Lay A Little Lovin’ On Me. Master Five 1973

    Baby Washington. I Wanna Dance. AVI Records 1978

    Baby Washington. The Sue Singles. Kent Soul 1996     

    Baby Washington And The Hearts. The J&S Years. Ace 2006

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 24

    JANVIER - FEVRIER – MARS

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    Cadeau de Noël dans la boîte aux lettres. Non ce ne sont pas les huit pages supplémentaires que le magazine nous offre, même pas pour un euro de plus, ne faisons pas les fines-gueules, ce n’est pas mal du tout, ça donne de l’épaisseur à votre millefeuille de papier préféré, mais le véritable cadeau c’est plus loin, page 29 pour ceux qui veulent tout savoir, une interview d’Ervin Travis. Le retour ! Ervin Travis pendant des semaines notre premier article lui a été consacré, puis nous avons arrêté, son calvaire semblait n’avoir jamais de fin, et au bout de plusieurs mois cela devenait pratiquement indécent, c’est que la maladie de Lyme ne pardonne pas, une sacrée saloperie qui vous crève à petits feux et qui ne vous laisse plus le goût de vivre. Nous avons chroniqué  disques et concerts d’Ervin Travis, un chanteur de rock’n’roll un peu à part, subjugué dès l’âge de treize ans par Gene Vincent, de la cover diront certains avec condescendance, très bien faite ajouteront les autres, mais c’est tout autre chose, c’est vrai que sa voix si proche des intonations de Vincent est bluffante et que ses prestations scéniques sonnent juste, mais chez Ervin cela va au-devant de l’hommage, c’est une espèce de transplantation d’âme, de mimesis platonicienne, rien à voir avec une vulgaire imitation, à comprendre comme l’établissement d’un lien direct avec ce qui a été pour le faire réapparaître sous forme d’image active idéelle. Bref Ervin va mieux – rien n’est définitivement gagné – mais il a reformé un groupe, les  Wild Blue Caps, et redonne des concerts. Courage et dignité sont les maîtres-mots de cette renaissance.

    Dans notre livraison 558 du  09 / 06 / 22, nous chroniquions le CD Super Tare du Rock’n’roll de Didier Bourlon. Au mois de Septembre 2022 Didier Bourlon devait être avec Charles Gustave sur la scène du festival Teddy Boys Riot Boppin de Commines avec Dan Cash. Très émouvante présentation de cette renaissance du festival par Virginia Marquelly dédié à sa mère décédée à soixante ans. La camarde ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, Dan Cash est décédé. Très beau papier de Mark Twang évoquant la personnalité de Dan Cash, pas un contemporain d’ici et maintenant mais un gitan de partout et de toujours. L’a suivi son chemin à son gré, beaucoup à sa place auraient agi autrement mais Dan a toujours payé sa liberté Cash. Un homme que j’aurais aimé rencontrer.

    Belle photo de Jerry Lou en page 2, mais pas la rubrique habituelle de Greg Matthew dédiée au dernier des grands pionniers – elle suivra prochainement – par contre Sergio Kazh rend un bel hommage à Robert Gordon. Si l’on ajoute la rubrique Racines de Julien  Bollinger consacrée aux Delmore Brothers, notre subconscient nous induit à penser que le rockabilly est un cimetière rempli de gens vraiment irremplaçables. D’où l’intérêt de la parole donnée à Louie & The Hurricanes tout jeune groupe, une génération qui n’a pas pu voir les grands anciens sur scène et consciente que dans sa quasi-majorité les jeunes de leur âge (la vingtaine) sont à mille lieues de cette musique qu’ils ne connaissent pas, mais qui accrochent à leurs concerts, posent avec discernement le problème de la survie et de la reconstitution d’un public rockabilly, car il faut l’avouer le vivier actuel ne se renouvelle guère.

    L’est vrai que la longue interview de Salvatore Lissandrello leader de Strike groupe italien déjà sur la route depuis quatorze années semblent issu d’une période où la vie heureuse était plus facile, moins problématique…

    Sinon, revue des festival de l’été l’ Hangar Rockin’ en Suisse, La Forêt Fouesnant ( 29 ), et Rock’n’Roll in Pleugueness, de quoi nous réchauffer le cœur, preuve que le rock’n’roll is still alive ! Merci à Sergio Kazh de continuer le combat !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,50 Euros + 4,00 de frais de port soit 9,50 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( N° 2 )

            C’est le Cat Zengler qui a décrété qu’il ne faut jamais perdre le de vue et d’oreille le rockabilly, d’où cette nouvelle rubrique hebdomadaire. L’on a commencé la semaine dernière avec Alis Lesley, nous continuons avec un groupe d’aujourd’hui (et de demain), par la suite nous oscillerons entre les débuts de cette funeste et festive – entourez en rouge l’adjectif que vous préférez - nuisance et ses avatars actuels. Rockabilly Rules, O. K. toutefois n’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    IT’S TIME TO ROCK AGAIN

    HOT CHICKENS

    ( Rock Paradise Records / RPRCD55 / Septembre 2022 )

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    Hervé Loison : chant, basse, contrebasse, harmonica / Christophe Gillet : guitare et chœurs / Thierry Sellier : Batterie.

    Nouvel album des Hot Chickens, attention l’on retrouve les trois membres des Poulets Torrides sur d’autres opus par exemple en compagnie d’autres musiciens sur Jake Calypso and his Red Hod  dans deux ou trois siècles ceux qui tenteront de produire une discographie intégrale de ces trois lascars risqueront d’y perdre leur latin qu’ils n’auront jamais appris. L’on ne présente plus les Hot Chickens, disons simplement qu’ils sont un des trios les plus démentiels du rockabilly européen. 

             Sont beaux tous les trois dans leurs chemises imitation jaguar, le nec le plus ultra du vêtement rockabilly, vous regardent d’un air faussement méchants – z’ont dû s’amuser lors de la séance de pose – Hervé et Thierry désignent quelque chose hors-champ, ne se moqueraient-ils pas un peu de nous ! – l’on s’en moque car notre œil est fixé sur le logo – que voulez-vous quand on ne peut pas parader dans une pink thunderbird d’époque l’on s’offre un logo, c’est moins cher et celui-ci, cette crête de coq, mi-coiffe de guerrier Indien, mi-symbole menaçant du woodoo, est des mieux réussies. Félicitations à Helen Shadow, vous la retrouverez sur la pochette de Boogie in the Shack des Nut Jumpers.

    It surely ain’t the Rolling Stones : attention à la dégelée dans les oreilles, normal c’est l’album du dégel post-covid, alors les Chickens sortent leurs ergots, ne vous envoient pas la confiture de framboise à l’arsenic à la petite cuillère, superbement mis en place, une machine pour serial killer, ça chicore à pléthore, Hervé y va de son petit solo d’harmo, mais ce qui est fabuleux c’est qu’à chaque reprise, vous avez l’impression d’une gifle monstrueusement sèche, un peu garage, un peu sixties, totalement rock’n’roll. Good movies & rock ‘n’ roll : un mid-tempo pour reprendre les esprits si c’est possible car Thierry Sellier vous assourdit la trompe d’Eustache droite sans pitié tout en vous fragmentant la gauche en petits morceaux, juste le temps à Christophe Gillet de piquer un de ses petits solos qui n’a l’air de rien mais qui a tout pour vous faire pâlir d’envie, quant à Loison c’est du prodige, le rythme n’est pas extrêmement rapide mais il vous débite les lyrics plus vite que vous ne les lisez, tout en respectant la cadence chaloupée du morceau. Du grand art. L’hymne à l’amour : surprise, une reprise d’Edith Piaf, vous l’expédient à la manière des premiers groupes de rock français des années soixante, Sellier vous mène la cavalcade au galop de charge et Loison s’envole vers le septième ciel, est-ce du faux-toc ou du faux-maladroit, nos poulets rôtis peuvent tout se permettre, élevés en plein air ils sont à louer. We are a rock ‘n’roll trio : les Chickens sont très bon en rock’n’roll mais très faiblards en mathématiques, après la fameuse quadrature du cercle nous voici confrontés à la quadrature du trio, un truc difficilement défendable et pourtant ils remportent la victoire, trichent un peu puisqu’ils ont un deuxième guitariste Didier Bourlon qui fut pendant huit ans le premier guitariste des Hot Chickens, si vous n’aimez pas le rock’n’roll électrique des familles déjantées vous sautez la piste, sinon sautez dedans à pieds joints, le Bourlon déboulonne les riffs comme un fou furieux, magnifique ! Surfin bird : peut-être la meilleure monstruosité du disque, Christophe Gillet ne se retient plus et Hervé se lâche, vous ressuscitent le vieux hit des Trashmen, ce qui est d’autant plus remarquable qu’il n’est jamais mort. Puisqu’ils ont par deux fois évoqué les Stones nous dirons que ce n’est pas l’harmonie bien léchée des Beach Boys. Les Chickens ne sont pas des poules mouillées, ils pratiquent le surf uniquement dans les zones infestées de requins. It’s time to rock again ! : bougez-vous bande de blaireaux à canapés le temps du rock’n’roll est arrivé, Hervé vous chante les couplets à l’arrache Jerry Lou, sombres abrutis Thierry vous le martèle clairement sur sa caisse et vous réécoutez le morceau douze fois pour comprendre ce que Christophe et sa guitare fermentent activement à peu près au milieu du titre. Sorcellerie ! Take on me : a-ah, vous ne connaissez pas l’original, vous savez en alchimie on fait de l’or pur à partir de vil plomb, nos cocottes reprennent un tube des eighties pour s’amuser. Perso je dirai que quand la foudre tombe sur un bossu elle le foudroie, mais elle ne le fout pas droit pour autant.  Rocking at the Oxford bar : une petite rythmique blues pour commencer, l’incendie ne couve pas longtemps, sûr que l’on n’est pas à la cafétéria de l’Université d’Oxford mais à Béthune où l’Oxford café a pris la mauvaise habitude de recevoir les Chickens en concert, alors sont comme chez eux, débridés et sans gêne, même que Loison est tellement bien qu’il en oublie de chanter. Tout compte fait la vie des rockers est agréable. A vivre ou à écouter.  F**K you : un peu de haine aiguise la vie, l’est plus que bon de régler ses comptes avec les faux amis et les cloportes en tous genres, ça balance fort, pas le temps de s’ennuyer. A écouter pour taper sur son punching ball ou sur votre percepteur. Excellent. Parfait. Superbe. Repose Beethoven : le retour de Bourlon sur un des meilleurs titres ( 1964 ) du grand Schmoll, autant dire que ça balance terrible, défonce mortelle. Let’s go on : nous avons eu la haine, voici l’amour et l’amitié, un violon (merci Franny Lee) champêtre pour un rythme country, l’autre racine du rock’n’roll. Les Chickens remercient les fans qui les suivent depuis vingt-trois ans. Et qui ne lâcheront pas leur enthousiasme d’ici vingt-trois autres années. Unchained melody : certains trouveront cela iconoclaste, c’est vrai qu’ils débrident l’ensemble des chevaux-vapeurs, maintenant si l’on se souvient de la version originale de Todd Duncan, les Chickens qui cocoriquent à fond ne sont pas loin de l’esprit original, de cette outrance sentimentale exprimée si naïvement que l’on se sent induits à rire de ce qui devrait nous faire pleurer.

    Foutrement et foutraquement rock’n’roll ! Pépite rock.

    Dam Chad.

     

    *

    Si vous allez sur le Bandcamp d’OSE, question renseignements vous risquez d’être déçu, une seule indication ‘’France’’, les lecteurs de KR’TNT ! en savent davantage, nous avons déjà chroniqué plusieurs livres d’Hervé Picart. Par exemple son roman Aspergio Oscuro dans notre livraison 197 du 10 / 07 / 2014. Rappelons que Hervé Picart faisait partie de l’équipe de rédaction de la revue Best qui réunissait des pointures comme Michel Embareck et qu’il a enfiévré par ses articles sur le hard-rock et le prog l’imagination de bien de jeunes lecteurs… A la fin des années 70 il passe de la théorie à la pratique en fondant Ose. Le premier album Adonia paraît en 1978, on y retrouve Richard Pinhas dont le groupe Heldon suscita moulte controverses dans le public rock, une nouvelle voie s’ouvrait, post-Magma, post-King Crimson, musiques industrielle, électronique, noise, drone, prenaient leur envol…

    En 1982 s’acheva l’aventure OSE. C’est en 2021 qu’un nouveau chapitre commence à s’écrire, ceux qui veulent tout savoir materont la chaîne YT Ose Music Factory.

    L’album que nous présentons a été précédé au mois de mars de cette année de (Soundtrack for) H. P. lovecraft’s Nemesis. Plus que tentant, mais comment résister à Edgar Poe…

    (SOUNDTRACK FOR)

    EDGAR ALLAN POE’ S CITY IN THE SEA

    OSE

    (Novembre 2022 / A. N. / Bandcamp)

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    Opus synesthétique, évoquer par la musique seule un poème évidemment écrit avec des mots. Déjà difficile en soi-même. Mais Ose osa. Sûr que lorsque l’on s’attaque à un poème d’Edgar Poe, l’on met la barre très haut. Les poésies d’Edgar Poe sont un des grands chefs-d’œuvre de la poésie du dix-neuvième siècle. Pas très prisées en leur pays d’origine où Edgar Poe est tenu pour un auteur mineur, ne crions pas haro sur les amerloques, beaucoup par chez nous font la fine bouche devant le mince recueil qui les contient. Baudelaire et Mallarmé furent apparemment moins difficiles que nos contemporains, puisqu’ils s’essayèrent avec dévotion à les traduire. Il est vrai que dans ces poèmes l’auteur du Corbeau ne fit aucune concession, imaginez une bouteille d’alcool pur – pourquoi d’après vous Apollinaire titra-t-il son recueil Alcool - sans un milligramme d’eau. Une boisson peu propice à ravir les papilles de vos invités à l’apéritif du samedi soir.  Les poèmes d’Edgar Poe sont à lire comme des évocations, des visions, émanant des abysses intérieurs les plus profonds, là où les fantômes de nos rêves et de nos peurs ont perdu leur éclat fantomatique et se révèlent être tissés de la même matière que nous-mêmes. Ils agissent – toute grande poésie est opératoire - comme des trous noirs de dévoration où l’intérieur de nous-mêmes communique et engouffre l’extériorité du monde.

    The city on the sea est un poème à mettre en relation avec Le palais hanté qu’Edgar Poe inclut dans un de ses contes les plus célèbres – l’on ne compte pas les groupes de rock qui ont tenté de le mettre en musique – La chute de la Maison Usher

    Pas de paroles donc, toutefois, sur Bandcamp, chacun des douze morceaux est mis en relation avec quelques vers extraits des six strophes du poème.

    Far down the dim west :  la mort a choisi d’élever  son trône dans une cité sise à l’ouest dans la mer, imaginons une île à la Arnold Böcklin mais beaucoup plus monumentale, l’on attend une musique de diamant noir mais c’est un cristal de roche de gouttes d’eau qui tombent, chacune créant des vaguelettes concentriques, une vague de notes plus graves survient mais rien d’attentatoire à notre sérénité, telle une allée d’ifs taillés dans la roche de l’immobilité mais dont les cimes montent plus haut, une berceuse pour un sommeil éternel, et cet insecte dont les ailes tournoient sans jamais pouvoir s’évader, pourtant tout repos n’est-il pas éternel. Time-eaten towers : étrangeté de ce qui ne nous ressemble pas, ce monde éternel bouge beaucoup plus qu’on ne le croirait, presque comique quand on y pense de savoir que l’usure temps ronge même la ville de la mort. Notes obsédantes qui se jouent de nous et de tout. La danse macabre ne touche pas les morts mais les choses. Joyeusetés. Melancoly waters : les orgues de la mélancolie déploient leurs moires fastueuses, de doux ruissellement démentent cette vue de l’esprit, des notes s’éparpillent telles des fragmences de mensonges, rien ne passe, rien ne s’écoule, tout coule en un immense naufrage. From out the lurid sea : il est une lumière noire sous la mer qui ne vient pas des hauteurs sacrées, de quelle sombre inconnaissance est-elle constituée, elle rampe et se déploie lentement, elle s’agrippe aux pierres des tours, n’est-elle pas aussi immarcescible que la lueur dorée sacrée qui ne perce pas les ténèbres, ne serait-ce pas un combat de titans inaccessible aux yeux des humains, une lèpre contagieuse qui s’étend depuis le monde des profondeurs et qui dans l’ombre monte à l’assaut. Up domes, up spires, up fanes : magnificence de l’architecture, splendide cité, arpèges luxuriants comme des rivières de diamants, échos enchâssés et amoncelés, toute une érection de murs et de tours, étincelles musicales, la ville s’exhausse de toute son assourdissante beauté silencieuse. Shrine : tapotements désertiques, des orgues sérielles au loin, luxueuse est la cité, grandiose est cette ville, qu’aucun bruit n’altère, majestueuse est la mort qui depuis la plus haute tour étend son regard sur son domaine. Diamond eye : musique plus sombre, un peu de batterie électronique, mais rien de décisif, les tombes sont vides, on a envie de dire que la musique n’exprime rien, elle reste froide et insensible pour la bonne raison qu’il n’y a rien qui puisse faire l’objet d’une présence, situation terriblement ambigüe entre ce qui est sans être et les yeux vides des idoles. Wilderness of glass : comme des plaintes de violoncelles, chant du désert, notes en bulles de savon qui retournent au néant dès leur apparition, y a-t-il jamais eu quelque chose ici et autre part, le monde semble volatilisé et n’être plus que sa propre absence, désolation totale, plus rien ne bouge et n’a jamais bougé ailleurs. Etrangement l’auditeur ressent la densité du néant. No ripples, no heavings : étonnament ce morceau évoque les mêmes vers que le précédent, moins de romantisme et davantage de mélodrame, ici ce n’est pas la chose même, cette mer sans rides, sans clapotis, que l’on représente mais les sargasses de l’angoisse que l’objet du non-désir infuse dans les esprits. Tout est figé. A stir in the air : enfin quelque chose bouge et remue, l’eau musicale clapote gentiment, pas la grande joie, ni de forte liesse mais le sourire d’Aristote accueillant le mouvement, en un long crescendo transcendant ! Avec un peu de bonne volonté l’on se croirait au paradis.  Le vent se lève ! Wawes have now a redder glow : pas d’inquiétude, il n’y aura pas de happy end, les vagues qui se soulèvent ont une couleur rouge qui ne présage rien de bon. L’enthousiasme n’était-il pas une folie, ce qui arrive n’est pas de bon augure, la musique se lâche et enfle, elle tourne en rond sur elle-même, elle submerge le monde entier, quelle nouvelle apporte-telle si fièrement ? Hell rising : reprise en mineur, l’heure n’est pas à la délivrance, lorsque la cité dans la mer dominera le monde, l’Enfer la reconnaîtra comme sa souveraine, car il y a pire que la souffrance et les supplices, la mort, simplement la mort. L’opus se termine sur un rythme allègre, une espèce de gigue macabre totalement désincarnée, les plis d’un linceul qui vous enveloppe dans son suaire d’ennui pour l’éternité. De petits tournicotis-tournicotons électroniques s’en viennent grimacer dans le tourbillon final. L’on vous a bien eu. Tant pis pour vous.

    L’album ne se livre pas facilement. Il est à réécouter plusieurs fois pour en saisir les subtilités. Il faut dire que cette musique électronique n’atteint pas l’épaisseur d’un grand orchestre classique, ou la puissance d’un combo de rock ou de metal. Autre particularité, il ne semble pas que la visée initiale ait été de suivre le déroulement du poème d’Edgar Poe mais d’évoquer précisément certains mots, expressions ou passages, d’essayer de donner un équivalent sonore des gluances phoniques de la langue de Poe.  Les amateurs d’Edgar Poe apprécieront.

    Damie Chad.

     

    *

    Serait-ce que Villiers de L’Isle Adam nommait un intersigne. Pour cette deuxième chronique nous ne quittons ni H. P. Lovecraft, ni Edgar Allan Poe. Ce n’est pas de ma faute. Un corbeau m’a fait signe. Du moins je l’ai cru. Une image voluptueuse, un corbeau déchirant un cerveau humain. J’ai cliqué sur l’image suivante. Rien à dire (pour le moment). Je clique sur la troisième, pas vraiment indispensable. Je file sur le FB correspondant, une annonce de concert pour le 5 octobre 2022, rien d’original pour un groupe de rock’n’roll, oui mais big clic le nom de la ville : Providence ! La ville où Lovecraft naquit et mourut. Sur sa tombe ses admirateurs ont fait graver une de ses formules choc : ‘’ Je suis Providence’’, fabuleux jeu de mot qui joue avec l’importance géographique que la capitale de l’état de Rhodes Island occupe dans son univers et la critique radicale du christianisme que l’on ne manquera pas de relever dans cette déclaration d’un homme qui dans son œuvre créa la présence mythologique des Grands Anciens – dieux antérieurs à toutes mythologies biblique ou grecque - pour se moquer de la fragilité de la présomption humaine à être le centre de l’attention divine

    Dans notre livraison 292 du 01 / 09 / 2016 nous présentions les lettres d’amour d’Edgar Allan Poe à Sarah Helen Whitman, une idylle qui se déroula à Providence… Rappelons pour boucler la boucle que Sarah Whitman fut en relation avec Stéphane Mallarmé, le lecteur curieux trouvera dans Dagon de Lovecraft un étrange conte dont la structure ressemble à s’y méprendre à l’Igitur.  Les similitudes sont d’autant plus remarquables qu’Igitur fut publié à titre posthume en 1925 et que Dagon parut en 1919 dans la revue Vagrant.

    Est-ce par un hasard aboli que l’album se nomme :

    VAGRANT WITNESS CANTOS

    CARACARA

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    Mes connaissances ornithologiques étant extrêmement limitées, il y a de très fortes chances que mon corbeau soit un caracara, oiseau d’Amérique du Sud et du Sud des USA, grands rapace prédateur et nécrophage ( tout pour plaire ) de la famille des falconidés se déplaçant à terre sans difficulté ce qui coïncide au mieux avec le nom du groupe. Cantos – l’on ne peut s’empêcher de penser à Ezra Pound – les chants du témoin vagabond, de celui qui assiste et qui passe. ‘’ Etranger. Qui passait.’’ écrit Saint-John Perse dans la chanson liminaire d’Anabase.

    Ed Jamieson : guitars / Matthew Meehan : vocals / Christopher Colbath : bass / Matt Johnson : Drums, artwork.

    Au and nihl : ce n’est pas rien, c’est de l’or, une batterie qui chancelle le monde, une basse qui swingue et une guitare qui vous plante des poignards dans le dos chaque fois que vous le désirez secrètement sans oser le dire, et la voix se pose là-dessus comme un aigle dépose ses œufs sur les roches tutélaires du domaine d’Arnheim de Magritte, ensuite une cavalcade instrumentale sans précédent, tous ensemble mais chacun poursuit son jeu en toute indépendance, l’ensemble sonne méchamment juste, un enchevêtrement qui se donne à écouter comme un fil électrique torsadé que nulle cisaille ne saurait rompre, et Matheew Meehan qui vous mène le bal du masque rouge de la mort, vous ne savez plus où vous êtes mais vous suivez le rythme de cette marche de zombies partis l’on ne sait où ni pourquoi, mais il est évident que vous êtes à l’endroit où il faut être, quelque part dans une geste épique à l’assaut du néant, peut-être vers la maison maudite des cauchemars des helminthes qui rongent les cadavres au fond des cimetières, une morceau qui vous dépasse, qui joue plus vite que vous ne pouvez l’écouter, une rythmique infernale, une guitare qui froisse les riffs comme du papier argenté au cyanure et la basse qui court à sa perte dans un marécage sonique, vous aimeriez que ça ne se termine jamais et ça ne se termine jamais car maintenant votre sang coulera dans vos veines sur ce même rythme, jusqu’à la fin de votre vie, la basse finale écrase tout. Prodigieux. Preference : un grondement, une monstruosité qui vient de loin, le monstre s’approche et vous savez que rien ne l’arrêtera, la guitare klaxonne sans fin une alarme inutile et Meehan chante, tel Orphée pour endormir les monstres , la rythmique s’assouplit, la basse devient mélodique, des éclats de bronze résonnent, vous aimez cette ampleur sans précédent, la guitare chante à son tour, mais elle se tait devant la lourdeur des pas rapides de celui qui s’avance, qui écrase les arbres sur ses pieds tels des fétu de paille, un tsunami sonique vous balaie de la surface de la terre, des sons rauques de trompes d’animaux antédiluviens vous rompent la tête, ce morceau est une folie noire, vous transbahute dans des univers de violence inconnue,  des bruits d’eau serait-ce Dagon qui nage, qui sort des abysses pour prendre possession de son royaume, est-ce un moment de fête ou un catastrophe incommensurable, tout dépend de quel côté vous préférez regarder la chose innommable. Encore un morceau qui ne s’achève pas, qui hantera vos jours et vos nuits. Je suis une force qui va a dit Victor Hugo. C’est de ce niveau-là. The first : un début presque souriant, du déjà entendu, mais très vite cela devient inquiétant ce bourdonnement de mouche multi-géante qui vient de l’espace et dont l’ombre qui passe éteint la lumière du jour de la terre, la batterie bouscule cette narcolepsie brinquebalante, ce qui passe c’est le regard de celui qui passe et qui se contente de regarder, vous préfèreriez l’horreur mais vous êtes confrontés à l’insensible, à ce qui est au-delà de vous pour qui vous n’êtes rien, vous ne comptez pas, l’indifférence totale de ce qui vous dépasse, vous surpasse et qui s’éloigne sans se préoccuper de vous, criez, hurlez, agitez-vous, vous n’êtes qu’un tourbillon d’atomes inutiles promis à une dispersion dont personne ne s’apercevra. Morceau piège. Morceau traître. Vous pouvez en ressortir mort ou vivant. Cela n’affectera en rien la phénoménalisation du monde.  Zeno’s Meter : sonorités apaisante, il est nécessaire de vous concentrer si vous avez désiré de mesurer le monde avec le mètre de Zénon celui qui à chaque manutention vous éloigne de la moitié de la distance du point dont vous vouliez vous rapprocher, situation difficile le monde se carapate de vous au fur et à mesure que vous souhaitez vous  diriger vers lui, ne vous étonnez pas si la masse sonique vous paraît instable, elle glisse toujours du côté que vous n’espériez pas, reprenez souffle, ahanez, calculez, soupesez, discutez, bataillez, plus vous chercherez midi à quatorze heures davantage votre montre retardera, il y a pire que la violence, l’ironie qui se contente de sourire en vous regardant vous agiter, vous exaspérer, de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit jamais vous ne vous rendrez maître, rire barbelé de guitare, cacophonie de basse et tintamarre drummique, jamais vous ne sortirez de la quadrature du cercle qui vous enferme en vous-même. Sardonique.      

    Quatre morceaux, sur le modèle des tétralogies antiques, trois drames pour commencer et une comédie pour finir. Tous doivent traiter du même thème.

    Les amateurs de doom, de stoner, de fuzz, de psyché adoreront, les autres aussi, premier opus tentaculaire, une pieuvre qui plonge ses bras dans toutes les directions et qui ramène une témérité novatrice. Un groupe qui promet. Une véritable providence pour les amateurs de rock .

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 10 ( exclusif ) :

    54

    LE PARISIEN LIBERE

    EXTRAORDINAIRES REBONDISSEMENTS

    LES MYSTERES D’ALICE  

    L’article intitulé Les mystères d’Alice de nos reporters Olivier Lamart et Martin Sureau relatif à leur incroyable aventure au cimetière de Savigny a déclenché de multiples réactions parmi nos lecteurs. Le journal a reçu un abondant courrier. L’affaire est tellement étrange qu’elle paraît une parodie de roman gothique. Hélas il n’en est rien. Olivier Lamart et Martin Sureau journalistes et chroniqueurs politiques jouissent d’une flatteuse réputation dans les milieux journalistiques et politiques. Eux-mêmes parlent d’une soirée de folie, mais leurs dires ont été corroborés par les membres des services de la gendarmerie et hospitaliers ainsi que par le Maire et les employés municipaux présents sur les lieux. Les faits étaient si extraordinaires que tous n’étaient pas loin de penser qu’ils avaient été victimes d’une hallucination collective. Pour cette raison l’ensemble des médias n’en a pratiquement pas parlé. Nos deux courageux collaborateurs n’ont pas tardé à se lancer dans de nouvelles investigations. Nous publions donc leurs effarantes révélations. Nous avertissons nos lecteurs que leurs propos risquent de les choquer dans leurs convictions les plus profondes, que les esprits fragiles s’abstiennent de les lire.

    La Rédaction. 

    Olivier Lamart :  Cette histoire était si invraisemblable que nous avons décidé de nous lancer dans une enquête méthodique. Nous avions rendez-vous à l’Elysée pour mettre au point l’interview que Monsieur Le Président de la République devrait nous accorder la semaine prochaine sur son projet d’allongement de départ de la retraite jusqu’à 77 ans. En fin d’entrevue nous avons évoqué nos mésaventures de la nuit précédente et profitant de l’occasion nous avons suggéré que si nous pouvions visiter la maison des parents d’Alice Grandjean, sise face à la grille du cimetière de Savigny, en compagnie d’un haut gradé de la gendarmerie nationale nous en serions très heureux.

    Martin Sureau : trois heures plus tard Octave Rimont Commandant en Chef de la Gendarmerie de Seine & Marne nous ouvrait la porte de la maison des époux Grandjean. La visite s’avérait décevante, une maison proprette d’une famille sans histoire, nous étions dans la chambre d’Alice et nous expliquions pour la troisième fois comment nous avions vu de loin en pleine nuit depuis notre voiture trois points lumineux et que nous avons pensé à des chats ou des chiens qui traversaient la route :

    • Pourquoi pas en effet sourit Octave Rimont, mais une bête à trois yeux ça n’existe pas et à penser qu’il y en avait deux mais que l’une d’elles était borgne, je n’en mettrai pas main au feu !

    Cette déclaration nous étonna, nous n’avions pas considéré ces trois yeux rouges d’une manière si froidement objective. Octave Rimont s’était tu et semblait perdu dans ses pensées, puis il fit lentement le tour de la chambre d’Alice. S’arrêtant devant le poster sur le mur :

    • Qui est cette personne ?
    • Voyons M. le Commandant en Chef, c’est Elvis Presley, le roi du rock’n’roll !
    • Ah, cette musique de sauvages, je n’ai jamais compris pourquoi notre jeunesse… mais oui j’y suis, suis-je bête, c’est enfantin, il n’y a qu’une seule personne qui corresponde à cela sur toute la région parisienne !
    • Quoi, un individu à trois yeux !
    • Ne dites pas de stupidité, je suis sûr qu’il y avait un chien et un homme !
    • Avec un seul œil !
    • Mais non avec un cigare, je peux même préciser qu’il fumait un Coronado !

    A peine croyable, nous avions pensé que Sherlock Holmes était devant nous mais il nous détrompa :

    • C’est le Chef du Service Secret du Rock’n’roll ! Nous avons souvent affaire avec lui, facile à reconnaître, il a toujours un Coronado dans le bec et est la plupart du temps suivi comme son ombre par l’agent Chad et ses deux chiens. Attention, le gouvernement ne les aime pas beaucoup, ils outrepassent souvent leurs prérogatives et ont la gâchette facile. Nous avons essayé à plusieurs reprises de les coincer, ce sont des retors, ils aiment tremper dans des affaires pas très claires, mais ils sont indispensables, Ce sont eux qui rédigent les notices nécrologiques des artistes de rock américains et anglais qui meurent, faut reconnaître qu’ils s’y connaissent et qu’aucun des conseillers du Président n’est capable de faire aussi bien. Bon donnant-donnant, je vous refile leur adresse et tenez-moi au courant des avancées de votre enquête.

    Olivier Lamart : les contacter a été facile. Ils nous ont reçu fort civilement. Pour nous mettre leurs molosses dans la poche nous leur avons offert un bocal de fraises Tagada. Bref le soir, nous arrêtons en leur compagnie notre voiture devant la grille du cimetière de Savigny. Simple visite de reconnaissance avait dit le Chef, il ne faut oublier aucun détail.

    55

    Martin Sureau : hasard ou intuition ? Nous nous dirigions vers la tombe de la famille Grandjean, du fond de l’allée nous aperçûmes une silhouette assise sur la pierre tombale. Elle se leva, courut vers nous, se jeta au cou de l’agent Chad qui à notre grande stupéfaction l’embrassa longuement. Ils se connaissaient ! Etions-nous victime d’une mystification ? Le Chef interrompit cette étreinte :

    • Alice, nous vous avons emmené deux journalistes du Parisien Libéré qui voudraient vous poser quelques questions.
    • Un journal de tocards ! super, j’ai plein de choses à déclarer, et ce n’est pas tous les jours que l’on donne la parole aux morts, messieurs je vous écoute !
    • Hum ? Excusez notre franchise, êtes-vous vraiment morte ?
    • Bien sûr, si vous ouvrez le caveau vous trouverez mon corps en voie de putréfaction avancée, tenez, touchez ma main !

    Elle était froide et dégageait une étrange odeur de pomme surie, je me demandai comment l’agent Chad pouvait l’embrasser à pleine bouche sans dégoût…

    • D’abord permettez-nous de vous présenter nos condoléances pour vos deux parents tués dans l’accident qui…
    • Ce n’était pas un accident !
    • Le maire a parlé d’un accident d’automobile et…
    • Ce n’était pas un accident, c’était un crime !
    • Un crime ? Qui soupçonnez-vous ?
    • Je ne soupçonne personne, je connais l’assassin.
    • Pourriez-vous nous donner son nom ?
    • Oui facilement, c’était moi !
    • Vous ? Comment vous avez saboté les freins et…
    • Pas du tout, un poids-lourd arrivait en face, j’ai donné un coup sur le volant que tenait mon père !
    • Mais c’est horrible !
    • Non c’est bête, j’ai sous-estimé la vitesse du camion, je pensais que mes deux parents seraient tués mais que je m’en sortirai indemne, une erreur fatale…
    • C’est horrible !
    • Hélas oui, je suis morte !
    • Et vos deux parents, vous n’avez pas de regret ?
    • Non aucun, c’étaient des vieux cons ! C’est bien fait pour leur gueule !
    • Excusez-nous, nous supposons une histoire d’inceste, votre père a abusé de vous et votre mère ne vous a pas crue !
    • Non, ce n’est pas ça, c’est pire !
    • Mais que peut-il y avoir de pire !
    • Ils ont cassé tous mes disques de rock ‘n’roll, même le premier Black Sabbath, celui que je préférais, je ne le leur pardonnerai jamais !
    • Mais vous êtes folle, vos parents qui vous ont donné la vie, c’est impensable !

    A ce moment le Chef a interrompu notre conversation :

    • Elle a raison, moi je suis prêt à tuer la moitié de l’humanité, si quelqu’un s’avise à écorner la moindre pochette d’un de mes disques !

    Sur ce l’Agent Chad a ajouté :

    • Moi de même, je tuerai l’autre moitié.

    Et le Chef alluma un Coronado.

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 579 : KR'TNT 579 : NEW ROSE / HEATHER NOVA / ARETHA FRANKLIN / CHARLIE MUSSELWHITE / RANDY HOLDEN / JARS / THUMOS / ALIS LESLEY / SIMONE POUSSIERE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 579

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 12 / 2022

    NEW ROSE / HEATHER NOVA

    ARETHA FRANKLIN / CHARLIE MUSSELWHITE

    RANDY HOLDEN / JARS / THUMOS   

    ALIS LESLEY / SIMONE POUSSIERE

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 579

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    I got a brand New Rose in town

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             Le New Rose book coûte 55 euros. Pas donné, comme on dit. Il est tout rose, pas très grand, ni trop petit. Juste entre les deux. Il pèse son poids. Imprimé sur un somptueux couché demi-mat par un stylish British printer, il entre en fanfare dans la catégorie des livres d’art, comme jadis les consuls entraient dans les villes conquises. Sur le char, à côté de lui, un esclave lui murmure à l’oreille : «New Rose book, souviens-toi que tu n’es qu’un book.» Ça l’aide à relativiser. La gloire, c’est dangereux quand on joue avec le feu.

             Comme toutes les créatures de son espèce, le New Rose book suscite des commentaires. Il y a même beaucoup d’agitation à Clochemerle. Ça jase, mais ça ne jazze pas. Logique, puisque le New Rose book ne traite pas de jazz, mais de rock culture à Paris. Tout se passe rue Sarrazin, à deux pas du Boul Mich’. Le temps d’un livre, la rue Sarrazin redevient le nombril du monde. Mais pas pour tout le monde. Pour une poignée de lycéens normands, le centre du monde s’appelait plutôt Rock On à Londres.

             Ces deux centres du monde finiront par muter chacun de leur côté et par devenir des entités tentaculaires, c’est-à-dire des labels légendaires, et c’est tout ce qui nous intéresse : la portée des labels. Leur pertinence. La qualité de leur catalogue. Leur rôle prépondérant dans l’écho du temps. Sur l’échiquier des dynasties, le cousin du New Rose book s’appelle l’Ace book. On y reviendra prochainement. Plus ancien, l’Ace book déroule lui aussi sa petite genèse, en montrant des photos de tous les géniteurs et en barbouillant les pages de ribambelles de pochettes qui n’en finissent plus de nous faire baver comme des limaces. Tout le monde le sait, Ace a réussi là où New Rose a échoué, dommage. Oui, dommage, car assis sur le tas d’or de sa légende, New Rose rendrait aujourd’hui aux amateurs le même type de services que leur rendent les gens d’Ace : culture intensive des fonds d’archives - the vaults - et quand on voit le boulot titanesque qu’abattent les gens d’Ace, on comprend que la rock culture a encore de beaux jours devant elle. Le principe reste exactement le même qu’il y a cinquante ans : plus tu creuses et plus tu découvres, plus tu découvres et plus tu creuses, c’est le merveilleux cercle infernal dans lequel se jettent depuis l’aube des temps les plus curieux d’entre-nous. 

             On n’entre pas dans le New Rose book pour la boutique, mais pour l’écurie. Brièvement évoquée, la boutique a depuis longtemps disparu. Aujourd’hui, Gibert occupe les lieux et c’est là qu’on est tous allés pendant des années revendre nos vieux CDs pour aller en acheter de nouveaux. Avec le temps va tout s’en va, un nouveau magasin recouvre un magasin plus ancien : les géologues appellent ça des strates. Paris grouille de strates. Tu connais bien les strates du rock parisien : rue des Lombards, Carrefour de l’Odéon, rue du Faubourg du Temple, le boulevard Voltaire, et celles encore visibles aujourd’hui, boulevard Rochechouart. C’est la grande différence entre l’Ace book qui s’ancre dans le passé pour dévoiler l’avenir, et le New Rose book qui s’enferme dans le passé comme dans un cercueil. On entend le couvercle grincer quand on tourne les pages. Le New Rose book cultive la nostalgie, ce qui entre en contradiction de plein fouet avec le postulat de base : le rock est une culture vivante, donc on ne peut pas l’enterrer. Encore moins l’envoyer moisir au musée.

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             On regardait les posters qui décoraient les murs du grand hall d’accueil du 106, le soir du vernissage de l’expo. Sauf Tav Falco, les Real Kids, Brian James et quelques autres, ils ont quasiment tous cassé leur pipe en bois. Ça tendrait à renforcer l’idée que toute cette histoire appartient désormais au passé. New Rose n’a pas eu le temps de lancer une nouvelle génération de groupes, comme a réussi à le faire Ace. La moyenne d’âge du public venu assister au vernissage ne fait que consolider cette mauvaise impression. Quasiment zéro kid, écrasante majorité de vétérans. Et comme cerise sur le gâtö, on a un concert de groupes français jadis signés sur New Rose et reformés pour l’occasion : Valentino, Calamités, Soucoupes Violentes, etc. L’impression que tout s’embourbe dans le passé n’en finit plus de s’embourber. Mais où est donc Ornicar ? Où est passée la vie ?

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             La vie ? Tu vas la trouver sous la toge du New Rose book : les 80 pages de photos d’Alain Duplantier. Tu arrives dans le chapitre photos et tout à coup, le New Rose book bande comme un âne, les images toutes plus somptueuses les unes que les autres te sautent à la gueule, et c’est d’autant plus fulgurant que Jeffrey Lee Pierce ouvre le bal, sur une double plein pot en noir et blanc, son visage sort de l’ombre, un seul œil et la cicatrice sous l’œil, tu as aussitôt le voodoo du Gun Club, toute la légende du groupe tient dans cet œil, on pourrait même parler de regard shamanique. Tu tournes la page et pouf, tu as deux autres shoots de Jeffrey Lee Pierce, cheveux bruns, presque Apache, visage de guerrier, expression de calme contemplatif. Comme si Duplantier avait compris QUI était en réalité Jeffrey Lee Pierce. Comme s’il avait cherché à photographier l’homme ainsi que son esprit. Comme s’il voulait que Jeffrey Lee transmette un message à travers ces images, comme s’il voulait que Pierce perce le mur du silence. Les mauvaises langues diront que c’est facile avec un mec comme Pierce, mais non, au contraire, rien n’est plus difficile que de réussir un tel portait. Ceux qui parviennent à communiquer avec leur public sont les grands peintres, à travers leurs autoportraits. Allez voir le Van Gogh qui est accroché au Musée d’Orsay (Portrait de l’Artiste) et vous comprendrez ce que le mot communiquer veut dire. Van Gogh communique. On soutient son regard. Ça vit. Jeffrey Lee Pierce communique de la même façon. Ça vit.

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    Plus loin, Duplantier shoote Chris Bailey. Reconnection avec une légende. Disparu ? Pas du tout, il est là et te regarde, l’air un peu aristo, sous son chapeau. Hey Chris. Midnight at the Leper’s home ? On entend presque sa voix, dans «Simple Love», le premier mini-album enregistré pour New Rose - Take a look at what I’ve done - ses cheveux s’écoulent en masse sur ses épaules et au bas du portrait, tu peux apercevoir sa grosse main poilue qui tient une clope, regarde bien cette image, car c’est le portrait d’une vraie superstar, tu tournes la page et tu as encore deux shoots du Saint, dont un qui a servi pour le dos de pochette de Demons : il semble installé dans le salon de son château, au XVIIIe siècle, penché sur une partition et entouré de chandeliers. Sur Demons, il porte en plus un manteau. Puis voilà qu’arrive un autre cake cher au cœur des cakers : Alex Chilton. C’est tout juste s’il ne porte pas une auréole. Duplantier fait des miracles à chaque fois. On a l’impression qu’il a écouté tous les disques des gens qu’il shoote, car chaque fois, il shoote en plein dans le mille. Tu veux un portrait sec et net d’Alex ? Il est là, en chemisette rouge, pareil, un seul œil, l’autre dans l’ombre, Duplantier capte le regard et le transmet. Ça vit. Coco bel-œil. C’est le portrait le plus juste d’Alex Chilton, l’homme qui refusa d’être célèbre et qui préférait faire la plonge dans un restau de la Nouvelle Orleans plutôt que d’aller vendre son cul à des impresarios véreux. Non seulement Alex Chilton fut l’un des hommes les plus intègres de la Memphis scene, mais il était en plus extrêmement brillant, chanteur, compositeur et guitariste surdoué. C’est ce que montre ce portrait : no sell out. Bon après tu as quelques photos de scène, tu tournes encore la page et tu as un autre portrait qu’on pourrait titrer «Alex à la clope», il plonge son regard dans l’objectif et donc, tu l’as en direct. Tu entendrais presque sa voix - Sittin’ in the back of a car - Tu vas tomber ensuite sur Moe Tucker, portait classique, Moe is Moe, I want my baby black. Mais assise à sa batterie, elle fait très Velvet. Petit ange de miséricorde new-yorkais. Duplantier a dû bien se marrer en shootant Tav Falco.

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    Attention, c’est cadré serré, on voit tous les poils de sa moustache Adolf/Charlot. Pareil, un œil. Un seul suffit. Il te voit et tu le vois. Bouche sensuelle, Gustavo bella vista, et quand tu tournes la page, tu le vois prendre des poses de diva, coiffé rockab, en blouson peau de vache, agitant les mains pour faire le fantôme. N’oublie pas que Tav s’ancre à la fois dans le Tango, le wild Memphis beat et l’Urania Descending. Plus loin, nouveau shoot à la coco-bel œil : Brian James. Tu as l’œil vert, puisque le shoot est en couleur, beau visage de rock star, ovale parfait cadré serré, du menton jusqu’au haut des sourcils, avec tout de même un peu de frange, cerne de damné sous l’œil, bouche d’homme intelligent, grâce naturelle, la même grâce que celle de son homonyme Brian Jones, quand on revoit Brian James, on aime bien caresser l’idée qu’il est resté l’un de nos préférés, oui car sans sans lui, pas de New Rose, sans lui, pas de punk à Londres, sans lui, pas de souvenirs mirobolants des concerts de 1976, sans lui, pas de Rat ni de Captain ni de Dracula, sans lui, pas de rien. Brian James, King of the night in Mont-de-Marsan 77, Brian James, prince des élégances, avec Chris Bailey, ce sont eux qui ont donné du caractère à ce qu’on appelait alors la vague punk à Londres. Tu tournes la page et tu le revois avec une clope à la main et toute cette morgue extravagante de classe. Rien qu’avec lui et les gens déjà cités, New Rose avait rempli sa mission de label. Tu vas aussi tomber sur deux portraits pour le moins fantastiques d’Arthur Lee, l’un en regard direct, l’autre perdu dans ses pensées. Le vieux roi Arthur était devenu un bras cassé à l’époque où sortait Arthur Lee And Love sur New Rose, pas forcément son meilleur album, mais Patrick Mathé eut l’intelligence de l’accueillir dans son écurie. Comme il eut l’intelligence de recueillir tous ces fantastiques artistes de la Memphis scene dont personne ne voulait à l’époque, Alex Chilton, Tav Falco, les Hellcats et Jim Dickinson avec Mud Boy & The Neutrons. Côté anglais, tu vas tomber sur des shoots plus classiques de Chris Spedding. Puis Duplantier va retenter le diable avec Bruce Joyner, sujet de choix, extrêmement tentateur, pour ne pas dire sulfureux, dommage, c’est une approche timide, les portraits n’illustrent pas vraiment la weirdness de l’Unkown qui, aux dernières nouvelles, serait encore en vie. Nouveau shoot à la coco bel œil pour Calvin Russell, sauveur de label, dont l’œil est presque transparent. Et bien sûr, la galerie s’achève sur un plan serré du visage de Patrick Mathé et de sa grosse moustache à la Brassens.

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             Ailleurs dans le book, tu as d’autres photos intéressantes, notamment un copieux chapitre consacré aux Cramps. Un spécialiste te dira si les photos sont originales ou pas, mais au fond, on s’en fout, on se régale de revoir Lux et sa meute, et tu as en prime toutes ces photos de scène à l’Eldorado. Sur New Rose, les Cramps ont deux albums, Smell Of Female et A Date With Elvis. Bien joué les gars ! Il y a encore six pages Cramps plus loin (European Tour 1986), les fans des Cramps vont sûrement faire une petite overdose ! Les Cramps et le Gun Club, c’est tout de même pas mal, pour un petit label indépendant. On croise d’autres personnages légendaires : Charlie Feathers (pareil, deux albums sur New Rose), Barrence Whitfield (toujours d’actualité, dommage qu’il ne soit pas venu chanter au 106), les Real Kids, Willie Loco Alexander (photographié avec Patrick Mathé) et puis Roky Erickson, photographié avec Doug Sahm qui porte un masque de catcheur mexicain. What a shoot ! Tu trouveras aussi d’autres photos de Jeffrey Lee Pierce, beaucoup plus trash, c’est son époque cheveux blonds, veste d’uniforme et santiags. Et soudain, le New Rose book te re-balance un Jeffrey Lee plein pot en noir et blanc sur une double, les cheveux blonds dans les yeux et derrière lui, des barbelés. Image saisissante ! Diable, comme cet homme pouvait être beau ! Jim Dickinson est là, dans un quart de page, itou pour les Primevals. Plus loin, tu vas retrouver Johnny Thunders : six pages de Thunders, dont la fameuse image à la statue Vulpian, rue Antoine Dubois. Le New Rose book n’a oublié personne. On lui serre la pince.     

    Signé : Cazengler, New Rosé (cubi)

    Soirée New Rose  Le 106 (Rouen). 25 novembre 2022

    Replay New Rose For Me. Moonboy Ltd 2022

     

     

    Super Nova

     

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             Heather Nova est restée une très belle femme. Tiens, quel âge peut-elle avoir ? Tu poses la question à Internet : elle aura soixante balais dans cinq ans. Elle a déjà les mains de son âge, avec des grosses veines, mais pour le reste, pas de problème. En fait, c’est sa voix qui fascine les amateurs de chant divin. Car elle chante divinement. Les seules auxquelles on pourrait la comparer sont Joni Mitchell et Joan Baez, cette facilité qu’ont ces femmes pour monter leurs voix et atteindre l’état de grâce. Une grâce blanche, très différente de la grâce black. Internet te dira aussi qu’elle est originaire du triangle des Bermudes, donc de nationalité anglaise, mais elle parle comme une américaine, avec une petite emphase sur certaines syllabes.   

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             Heather Nova ne date pas d’hier. C’est en 2003 qu’on fit sa découverte avec l’album Storm, et plus précisément «You Left Me A Song», le balladif qui te transperce d’une extra-balle de mélodie pure. Elle a une façon de grimper au sommet du fil mélodique qui est unique au monde, ses ouh-ouuuuh pourraient te rendre fou, tu as même l’impression qu’elle s’adresse à toi et qu’elle te prend dans ses bras. L’autre merveille de cet album est le «Let’s Not Talk About Love» d’ouverture de bal. Elle y duette avec Bioley, un Bioley qui entre dans la mélodie comme Gainsbarre, et elle arrive pour vriller son chat perché. C’est la Beautiful Song par excellence. Tu as là ce qu’on appelle communément de l’inespérette de saperlipopette. Elle monte comme Birkin entre les reins de Gainsbarre, c’est le même cocktail de pureté coïtale. Le troisième cut magique se trouve à la fin de l’album et s’appelle «Fool For You». Elle fond littéralement dans son Fool, elle a tellement de talent, mais elle ne l’utilise que de temps en temps. Son génie consiste à se fondre dans la mélodie. Elle travaille l’art suprême de la fonte. La fonte, c’est comme la ponte, l’autre mamelle de l’humanité. Pure fonte de Super Nova. Les autres cuts de l’album sont d’un niveau nettement inférieur. Elle a du mal à abreuver son moulin, tout le monde ne s’appelle pas Alphonse Daudet. C’est tout de même incroyable de voir tellement de gens se prendre pour Alphonse Daudet ! De toute évidence, Super Nova ne s’intéresse qu’aux cimes, c’est-à-dire à l’émotif de sang royal. Il faut la voir attaquer «I Wanna Be Your Light» très haut. On peut lui faire confiance. Avec trois hits magiques sur un seul album, c’est dans la poche.

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             Et par un beau soir de novembre, voilà qu’elle débarque en Normandie. On ne va tout de même pas rater une pareille occasion de vibrer ! Concert acoustique ? On s’en fout, pourvu qu’on ait la voix. On a la voix. Elle déboule sur scène, toute maigre, allez trente-cinq kilos, et encore. Blonde comme au temps de Storm, présence indéniable. La salle n’est pas pleine, mais les gens qui sont là viennent pour la plupart de loin. Elle attaque en douceur, l’émotion viendra plus tard. Comme toutes les chanteuses à guitares, elle sort sa grandma song («Walking Higher»), elle veut retrouver sa grand-mère, alors elle la retrouve higher, comme dirait Yves Adrien. Elle tape deux ou trois cuts de son dernier album, Other Shores, qui est un album de covers : le «Staying Alive» des Bee Gees qu’elle transforme complètement (heureusement !), elle tape aussi dans un vieux hit de rock FM, «Waiting For A Girl Like You», de Foreigner, un groupe qui fit en son temps partie des fléaux de l’humanité. Super Nova tape aussi en rappel dans Françoise Hardy avec «Message Personnel», accompagné à la guitare par le mec qui partage sa vie, un certain Vincent.

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             Mais bon, le meilleur arrive. D’abord une fantastique version d’«I Wanna Be Your Light» qu’elle tape au chant divin de Storm, accompagnée par un grand mec assis sur une caisse percu. Il en joue aux deux mains, comme sur des congas - Let me be your star/ I’ll light your way across the milky way - et là tu acquiesces, tu opines du chef, et même du bonnet, tu adhères, tu valides, tu signes, tu approuves des deux mains, tu dis oui, tu votes pour, tu jures allégeance, tu t’agenouilles, tu reconnais ta reine, tu te prosternes, let me be your star, vive Super Nova !

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             Mais tu n’as pas tout vu. Avant même qu’elle annonce «London Rain (Nothing Heals Me Like You Do)», des mains se lèvent dans la salle. Super Nova se marre, «mais vous êtes tous sur Internet !», oui, les fans savent qu’elle va faire monter une personne du public pour duetter avec elle sur «London Rain», alors il y a des candidates ! Celle qui est choisie vient s’installer derrière un micro, à deux mètres de Super Nova. Elle est blonde, elle aussi, elle s’appelle Estelle, on l’apprendra après le concert. Estelle commence à danser sur le groove, elle est dedans, fantastiquement dedans, bien sûr elle connaît le texte par cœur, elle attend le refrain pour monter aux harmonies vocales avec son idole - So keep me/ Keep me in your bed/ All day/ All day/ Nothing heals me like you do/ Nothing heals me like you do - Pure magie ! T’auras jamais rien de plus pur que ces deux voix à l’unisson du keep me ! Super Nova est la première surprise. Interloquée, elle regarde Estelle ! On est tous submergés par une vague géante d’émotion. Estelle chante là-haut en fixant Super Nova, keeeeep me/ Keeeeeep me ! C’est le sommet de l’excelsior d’Ararat, tu ne peux pas humer d’air plus pur, d’air plus chaud, d’air plus divinement féminin, tu as la magie des voix qui serpente dans l’air et ces deux femmes superbes se regardent en mêlant leurs filets d’argent. C’est d’une intensité qui vaut bien celle du «Joe Hill» a capella de Joan Baez à Woodstock, ou encore celle du duo Joni Mitchell/Pete Seeger sur «Both Sides Now». C’est de ce niveau. Complètement surnaturel. Ce sont ces moments de grâce qui te réconcilient provisoirement avec la vie.

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             Alors évidemment, aussitôt après la fin du set, on va la trouver pour la remercier de ce moment de grâce. Elle s’appelle Estelle et vient du département de l’Aisne, c’est-à-dire la Picardie, elle vient de se taper deux heures de route pour voir Super Nova, et bien sûr, elle fait partie d’une caste, celle des die-hard fans de Super Nova, allant même jusqu’à éditer les tabs des chansons de Super Nova pour les lui offrir, en les téléchargeant sur son site. Cadeau. On croise rarement dans la vie des jeunes femmes aussi lumineuses.

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             Alors bien sûr, on peut aussi écouter Other Shores. Le choix des covers est assez discutable, on voit bien qu’elle écoute pas mal de conneries à la radio : Stong, Journey, Foreigner, des machins comme ça, ce qu’on appelait autrefois la pop FM. Dommage qu’elle n’ait pas tapé dans Jimmy Webb ou Burt, car avec la voix qu’elle a, elle aurait pu faire des étincelles. Ceci dit, elle offre quatre raisons impérieuses de rapatrier son cover album : «Jealous Guy» qu’elle transforme en Jealous Girl, «Here Comes Your Man», «Like A Hurricane» et l’«Ever Fallen In Love» des Buzzcocks. Elle tripote des Cocks pour en faire du groove, elle fait sa punk au bar de la plage, et du coup, le Fallen bande mou, ce qui donne une version assez insultante. Cette version plaira à tous les iconoclastes. Heureusement, Pete Shelley a cassé sa pipe en bois, il n’entendra pas cette daube. Son hommage à John Lennon est beaucoup plus sérieux. Il faut dire bien dire que c’est une chanson parfaite pour une voix parfaite. Elle y va au began to lose control, elle tape au cœur de l’émotion, ça vaut bien son London Rain, elle se coole dans le moove avec des accents enfantins dans la voix. Pour cette occasion en or, elle jette dans la balance tout son génie vocal. Avec «Here Comes Your Man», elle se fond bien dans le moule du gros Black. Elle fait sa Kim Deal, elle hurle à la lune et ça donne au final un fort bel hommage. Elle se plaque plus loin sur l’immense Hurricane de Neil Young, mais elle le fait de façon plastique. Pas de son, juste du plastique. Elle ralentit l’Hurricane considérablement et le gratte à la dure, aw yeah. Et puis on retrouve le «Message Personnel» de Françoise Hardy, qu’elle chantait en rappel, l’autre soir, sur scène. Un certain charme, d’autant qu’elle fait l’effort d’un couplet en français, alors t’as qu’à voir ! 

    Signé : Cazengler, Ether Növö

    Heather Nova. Le 106 (Rouen). 19 novembre 2022

    Heather Nova. Storm. Columbia 2003

    Heather Nova. Other Shores. Odyssey Music Network 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Pas d’Aretha dans le beefsteak (Part Two)

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             Lorsqu’Aretha a cassé sa pipe en bois, KRTNT s’est prosterné jusqu’à terre pour lui rendre hommage, car elle fit partie des vraies reines, de celles qui nous importent. Comme d’ailleurs nous importent les vrais rois, Elvis, Dylan, James Brown, Iggy et tous ceux qui ont su faire de leurs vies des œuvres d’art, donnant non seulement du sens à leur vie, mais aussi à la nôtre. On est relativement nombreux à penser qu’on ne serait plus là sans eux.

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             Aretha revient dans le rond de l’actu avec deux films et une box : Respect, Amazing Grace et la belle Aretha box. Inutile de préciser que les trois sont indispensables, à commencer par ce film Respect, qui est une reconstitution de la vie d’Aretha, et là mon gars, tu vas pouvoir pleurer toutes les larmes de ton corps, car c’est tellement réussi et tellement juste que c’en est bouleversant. Fantastiquement bouleversant, et si finement amené, car tu commences par entrer dans une belle maison de Detroit, tu traverses un salon qui vaut bien les salons littéraires du XIXe siècle, mais ce sont des blacks qui slanguent du rap comme dans les films de Spike Lee, et la caméra suit l’un de plus grands acteurs de notre époque, Forest Whitaker, il monte des escaliers, entre dans une chambre et réveille sa daughter Ree qui dort, alors oui, Ree sing a song, elle descend au salon en chemise de nuit, et elle sing a song avec un feeling qui t’écrabouille de chœur, fuck, elle a dix ans et tellement de feeling, Detroit roots, baby, là tu piges tout, et dans le plan suivant tu la vois chanter le gospel avec sa mère qui est séparée du pasteur Forest, l’énigmatique pasteur Forest qui reste un tiers Ghost Dog, un tiers Amin Dada, et un tiers Charlie Bird Parker, l’inflexible Pasteur CL Franklin que tu verras tout à l’heure en chair et en os dans Amazing Grace, mais pour l’heure Ree est attachée à sa mère, back to the roots, le pasteur Forest part en tournée et prêche en Alabama, Daniel went into the lions den ! Lawd was with him ! Freedom ! On croit entendre Richie Havens dans cette fantastique transe de frénésie biblique d’église en bois, freedom ! clament les nègres en plein cœur du royaume maudit des racistes d’Amérique, preach Forest preach ! Alors oui, on y est, ride on, Ree !, elle accompagne son père et dans chaque église elle sing a song, puis on assiste au petit viol de Ree, c’est un passage mystérieux et pas beau du tout, ugly down, mais Ree ne dit rien, d’autant plus que sa mère casse sa pipe en bois, alors elle décide de devenir muette, et là tu peux chialer toutes les larmes de ton corps, amigo, car tu partages son désespoir, Ree plus parler, Forest se fâche, Ree sing a song in church, no way dit Ree du regard, et puis voilà l’ami de la famille, le Doctor King et la flamme du discours, malgré toute la violence des blancs dégénérés, il prêche la non-violence, avec la même intelligence universaliste que celle de Gandhi, là-bas de l’autre côté de l’empire des hommes blancs qui sont une malédiction pour toutes les autres races.

             Ree grandit et tu te retrouves dans une party, ce que les Américains appellent un barbecue, en 1959 à Detroit, Smokey Robinson fait partie des invités, il voudrait bien voir Ree chez Berry qui démarre son biz, mais Forest a d’autres ambitions, il vise New York pour Ree et il décroche un rendez-vous avec Mister John Hammond chez Columbia Record, oui le même Hammond, celui de Dylan, et de son fils, John Hammond Jr. Du coup Ree se retrouve en studio, are you ready Aretha ?, Yes Mister Hammond !, mais c’est l’époque Columbia de Ree, l’époque des albums ratés et de la petite variété orchestrée, like Judy Garland, et puis quand Ree monte sur scène au Village Vanguard, elle veut rendre hommage à Dinah Washington qui est dans la salle, et au moment où elle attaque, Dinah renverse la table et fait un scandale, avant d’aller trouver Ree réfugiée dans sa loge pour lui donner un cours de morale black : «Bitch ! Never sing a Queen’s song in presence of the Queen !». Pauvre Ree, elle doit encore apprendre à cheminer, et puis elle ramène Ted White chez Forest qui ne l’aime pas, alors ça donne une grosse shoote et Forest sort son flingue de Ghost Dog pour le buter, mais il s’arrête juste à temps, il comprend que Ree veut sa liberté. Freedom ! On est en 1966 et Ree veut changer. Ted White dit à Forest qu’il va changer Ree et la sortir de Columbia et donc de ses pattes à lui, pasteur Forest, 9 albums chez Columbia et pas de hits, ça ne peut pas continuer comme ça, alors Ted White emmène Ree chez Wexler et elle lui dit qu’elle veut des hits. Pas de problème, on a tout ce qu’il faut, Wexler les envoie chez les boys, chez Rick Hall, down in Alabama, 1967, Muscle Shoals, champs de coton, rien n’a changé depuis le temps de l’esclavage, ce sont toujours les nègres qui cueillent le coton des blancs. Fuck it ! Wexler s’engueule avec Rick Hall et Hall dit qu’il est chez lui, it’s my place, alors je fais ce qu’il me plaît, rien que des blancs dans le studio, ça ne plaît pas à au mari black d’Aretha Ted White qui porte pourtant un nom de blanc, et puis tu vas voir Spooner et forcément on assiste à la fameuse shoote entre Ted White et Rick Hall, retour à New York, Ree a l’œil au beurre noir, mais ça ne l’empêche pas d’apprécier les boys de Muscle Shoals et à 3 h du mat, elle se met au piano et appelle ses frangines Erna et Carolyn pour travailler le just a little bit de Respect, et pouf, on passe directement au Madison Square Garden reconstitué pour les besoins de ce film tétanique, Respect ! Ree danse, just a little bit, et la vie continue, Ree s’oppose à Ted White et reçoit un violent coup de poing dans l’estomac, alors elle finit par se débarrasser de cet affreux connard, mais elle plonge dans l’alcool, s’engueule avec ses frangines, et comme le veut la morale de cette histoire, elle est sauvée par le gospel en 1972, avec le fameux concert de Los Angeles filmé par Sydney Pollack, c’est d’ailleurs son album le plus vendu, et on voit Forest ému aux larmes dans l’église baptiste de la rédemption angélinote.

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             Tu sors de l’église à quatre pattes, mais tu y retournes aussitôt avec Sydney Pollack car le film est enfin sorti, quarante ans après la bataille. Derrière Ree, tu verras une équipe de blackos qui font partie des plus doués de leur génération, Bernard Purdie (beurre), Cornell Dupree (gratte) et Chuck Rainey (bassmatic), avec en prime Wexler et Arif Mardin, plus le Révérend James Cleveland, un vieil ami de la famille Franklin et l’extraordinaire Southern California Community Choir, un trentaine de Brothers & Sisters qu’on voit entrer au pas, à la queue leu-leu, dans l’église, en dansant et en chantant, et une fois le Choir installé, le Révérend Cleveland présente Ree, she can sing annything, comme dirait Elvis, et il ajoute : «My sister, Miss Aretha Franklin !». Il demande accessoirement aux gens rassemblés dans l’église s’ils peuvent chanter comme 2000 personnes, can you sing like 2000 ? Yeah ! font tous ces gens extraordinaires et Ree qui parait tendue attaque «Wholy Holy», alors elle se transfigure en chantant, elle devient incroyablement belle, on parle ici d’élévation par la beauté de l’art, c’est-à-dire le pur spirit, le fondu du profane dans les profiteroles, Ree est très concentrée. Elle monte au pupitre pour attaquer «What A Friend We Have In Jesus», elle danse d’un pied sur l’autre en chantant son gospel batch, elle va chercher ses notes si haut, les yeux toujours fermés. Sur «How I Got Over», Pollack filme le conducteur du Choir qui danse le jerk, plan imparable dans une église, Ree dégouline de sueur, le Choir claque des mains, ça swingue, baby, et Ree s’élève toujours plus haut. Pour «Precious Memories», elle grimpe son Jesus/ Jesus I’ll be with you si haut qu’on la perd de vue, Ree transcende l’art du chant, elle sacralise le sacrement, elle l’envoie valser dans les orties de la stratosphère, mais bizarrement, entre deux chansons elle paraît toujours aussi tendue. Elle ne sourit jamais. Elle enchaîne avec la pop de «You’ve Got A Freind», le hit de Carole King, la pop de Ree, you’ve got a fiend/ Call my name/ I’ll be there, elle expurge la pop de tous ses sins, elle purifie la King de l’eau, elle sunshine de l’intérieur. Bizarrement personne n’y avait pensé avant Pollack : il nous montre une Ree christique et un Choir qui comme 36 apôtres repend le take my hand, alors Ree rentre dans le chou du lard, elle resplendit de black beauty, l’art la transfigure, Pollack l’a bien compris, il la cadre et la recadre, il a compris qu’il filmait l’incarnation d’une femme en odeur de sainteté. Ree tape ensuit son «Amazing Grace» a capella, elle fait pleurer le Révérend Cleveland, elle rend fous les Brothers & Sisters du Choir, ils se lèvent par gerbes, c’est très spectaculaire, comme James Brown, Ree incarne tout le sacré si particulier du Black Power, elle transfigure l’idée même d’humanité, son chant atteint les régions profondes du cerveau, ces régions inexplorées qui dorment dans des liquides rachidiens, et puis voilà le deuxième soir, elle semble moins maquillée, on voit apparaître Clara Ward dans le public et le Reverend CL franklin en costard bleu, la classe, il monte faire un discours au pupitre, c’est le discours de l’émotion définitive, on voit que Ree est émue par ses paroles. Puissant father. Il faut voir les deux films, l’un éclaire l’autre. L’un de va pas sans l’autre.

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             Voilà donc la fameuse Aretha box, l’un des objets les plus précieux du monde moderne. Il s’agit d’une rétrospective de sa carrière répartie sur 4 CDs, box idéale pour les ceusses qui n’ont ni la place ni les moyens de stocker les albums. La box propose en outre quelques inédits, alors on ne va pas cracher dessus. Aretha ? Il ne s’agit pas seulement de Soul, il s’agit surtout d’entendre l’une des plus grandes artistes de son époque. Quand elle chante a capella le gospel de «Never Grow Old», elle se forge. Quand elle chante le blues («Today I Sing The Blues»), elle devient l’Aretha, elle brûle déjà d’un feu spécial. Comme elle a déjà tout vécu, elle sait de quoi elle parle. Quand elle chante «Won’t Be Long», elle se met à nu. Alors tu danses avec elle. Avec cette box, elle reprend tout à zéro, elle reprend le chemin de Damas à l’accent tranchant. Le disk 1 s’enlise dans l’époque Columbia, Ree se bat au running out pour sortir sa voix de l’ornière et des orchestrations. Quand elle chante «My Kind Of Town (Detroit Is)», elle jazze au piano jazz et menace de devenir folle. Et puis tu vas tomber sur une démo de «Try A Little Tenderness», occasion pour elle de t’emmener dans un au-delà du supportable, elle t’enfile comme une perle, elle chante aux petits orgasmes d’Otis, elle gueule tout ce qu’elle peut, et c’est là qu’elle entre dans le Deep South. Elle passe la rampe. Elle connecte avec le pathos, welcome in Muscle Shoals, «Do Right Woman Do Right Man», tu as beau connaître ça par cœur, ça t’émeut comme au premier jour, comme le chat avec la souris, elle joue avec la compo des petits culs blancs. Et voilà le premier hit, «Respect», claqué en mode Southern, les chœurs tombent du ciel, cette folle de Ree veut le respect, just a little bit, un modèle du genre et là Aretha devient la reine du monde, ce genre d’éclat génial ne se produit qu’une seule fois par siècle, alors «Respect» restera le cut fondateur de la Soul. Elle explose aussi Sam Cooke avec une déchirante cover d’«A Change Was Gonna Come», elle l’explose à coups d’I was born by the river, elle le tient par la barbichette, la voilà dans le génie du lieu, by the river. Pour «Chain Of Fools», elle dispose de l’une des meilleurs attaques de tous les temps, celle du heavy gospel blues. C’est aussi brutal qu’un coup dans l’estomac. Aretha a du punch, elle te propulse la Soul in the face. Et elle assoit son règne. Pour rendre hommage aux Stones, elle propose un violente cover de «Satisfaction» - Ahhhh can’t get no - elle devient animale, elle écrase l’œuf du serpent, elle remet la petite bite de Jag à sa place dans sa braguette, c’est de l’hystérie, elle mène le bal, elle danse sur le cadavre de la Stonesy, elle retourne la situation. Tout ce qu’elle entreprend devient une entreprise de démolition, elle t’emmène au paradis à gorge déployée, elle remonte les étages, ain’t no way, elle est surnaturelle. Aretha est la femme la plus pure, l’artiste la plus complète. Si tu sors «Ain’t No Way» de son contexte, le cut t’explose en pleine gueule. Avec «My Song», Ree va te hanter. Sa Soul te démolit et te reconstruit, tell me what is wrong, elle s’accroche à toi, prends la main qu’elle te tend. Et puis elle va te groover le coconut avec «You Send Me» - Darlin’ you send me/ Ahhh yeah - Merci Ree d’exister. Non seulement elle te groove le coconut mais elle y met le feu. Elle te jazze le vestibule, elle te lamine tes petites capacités de compréhension. Bonne nouvelle pour les ceusses qui seraient en quête d’absolu : plus la peine de le chercher, il est là, c’est Ree.

             On s’en doutait, ça repart de plus belle avec le disk 2. Suite de la promenade à travers un royaume magique, en compagnie d’une très belle femme. Tu tombes très vite sur le «Son Of A Preacher Man» connu comme le loup blanc. Mais Ree l’explose comme un fruit trop mûr, elle rampe dans le chaos de la Soul. Elle est all over the Preacher Man, elle gueule ça par-dessus les petits toits de l’Alabama, puis elle te recoince avec « Call Me », elle est tout, elle est la pluie et le parapluie, Ree, fantastique déesse, elle chante pour toi, elle chante à la pire des pires. Elle rentre dans le chou du « Bridge Over Troubled Water » sur un heavy shuffle d’orgue qu’elle double aussitôt de piano jazz et te plonge le museau dans un bouillon de gospel, elle transforme le Simon & Garfunkel vite fait bien fait. On la voit aussi duetter avec Tom Jones sur «It’s Not Unusual/See Saw», elle transforme ça en vieux shoot d’apocalypse, see saw babe ! Comme le montre encore « Brand New Me », sa façon d’entrer dans le lard d’un cut est unique au monde. Elle te fout aussitôt le souk dans ta petite médina, elle te réchauffe pour l’hiver, elle devient inter-galactique, elle échappe aux pesanteurs du langage, I got a brand new style/ Just because of you/ Boy !, elle te jazze le butt, Bob. Ree, reine de Saba au la la la la sur «Spanish Harlem» et elle passe au heavy «Rock Steady», elle remonte au front, à la bonne attaque, elle gueule tout ce qu’elle peut. Ça ne l’empêche de revenir comme une petite fille pour te demander un service : « Share Your Love With Me ». Elle installe alors les conditions d’un groove à visage humain, elle te prend dans ses bras, mais en copine, juste pour te donner un peu de son Black Power. Marvin chante comme le messie, mais si, et Ree comme une Sainte, elle donne corps à la légende des Saintes, elle extrapole l’immaculée conception, toute la spiritualité du monde moderne est là, dans sa voix. La voix fait tout, elle est universelle. Elle revient au blues avec «Dr Feelgood», mais elle chante le blues à l’orgasme pur. Elle est la seule avec Billie Holiday et Nina Simone à savoir le faire. Cette box est un vrai chantier. Tu t’écroules et tu renais en permanence. Avant tu disais : «Voir Rome et mourir», maintenant tu peux dire «Voir Ree et mourir». Elle reduette avec Ray Charles sur «Spirit In The Dark». Ray attaque et Ree lui donne la réplique. Tu ne peux pas espérer duo plus mythique. Ray est le Genius et Ree l’asticote. Black Power ! Explosion en plein ciel. C’est l’apothéose. La box que tu tiens dans tes mains tremblantes se met à vibrer. Back to the gospel time avec «How I Got Over». Avec Ree, c’est forcément over. Pur power du Ree System. Tu as tout le gospel du monde là-dedans. Ree devient éclatante de power surnaturel. Elle te nivelle par le haut. Higher and higher.

             Au bout d’un moment, tu as l’impression de délirer. Écouter Ree à forte dose, ça te fait le même effet qu’un gros shoot de produit magique. Alors au point où tu en es, tu entres dans le disk 3. Tu ne t’occupes même plus de savoir de quel album sortent les cuts, ni si ce sont des inédits. Tu te contentes d’écouter comme si c’était la première fois. En amour, c’est la même chose : chaque fois que tu entres dans un lit avec une femme bien disposée, tu recherches la première fois. Tu tombes très vite sur «Angel» et tu t’enfonces dans le jazz avec Ree. Elle cherche an angel to fly away with me, alors tu lui proposes tes services, an angel who’ll set me free. Elle veut s’envoler, elle a la voix pour ça, find an angel in my life, cette quête d’envol la rend délicieusement désirable. Non seulement elle cultive l’élévation, mais on a parfois l’impression qu’elle sculpte la matière du chant, elle rodinise sa Soul, elle fait corps avec son argile, elle devient experte en vocalises subliminales. On l’entend taper «Until You Come Back To Me» au désarroi sur une work tape, mais un désarroi spécial, celui de la démantibulation, ponctué par Bernard Purdie. Prestation d’une reine. Saba babe ! Elle rentre dans le chou du lard d’«I’m In Love» au I’m in love/ yes I am, elle est au summum du gras, elle est la cerise sur le gâtö, elle te polit le chinois au ooooh ooooh yeah, ses stridences portent aussi loin que porte le regard, elle rejoint Jimi Hendrix dans une volonté d’échappée cosmique, et là tu tombes une fois de plus dans ses bras. Elle va encore t’éreinter avec un «Without Love», gonflé de gospel et gangrené de violons, ça devient de l’abattage, elle peut ravager des plaines, Ree est encore pire qu’Attila. Encore plus terrific, voilà le fameux «Mr DJ (5 For The DJ)», elle redescend à la cave du heavy stuff, elle sait tenir sa baraque, elle te jerke les jukes vite fait. Écoute-la bien, mon gars, profite bien de sa présence, car tu n’es pas près d’en revoir une autre. Non seulement Ree est une Sainte, mais elle aussi un ange. La preuve ? «Something He Can Feel». Elle est dans les airs. Il faut s’habituer à l’idée qu’un ange puisse être une femme noire.  C’est donc une bénédiction que de l’entendre chanter. D’ailleurs Rhino l’a bien compris : il suffit de voir le visuel qui orne la devanture de la box : Ree est l’icône d’une Sainte. Elle est aussi ta meilleure amie. Elle te prend souvent dans ses bras. Comme le montre encore «Look Into Your Heart», elle illumine la Soul à n’en plus finir. Elle y revient à pleins poumons. Comme elle est un ange, elle fait de la haute voltige. «Break It To Me Gently» voyage dans les airs. Ree se permet toutes les audaces. Elle te colle le museau dans son intériorité, et puis il faut voir cette énergie du son ! Elle attaque «When I Think About You» au longeant de bâbord, elle est fluide comme un requin, elle va te bouffer tout le vaisseau, c’mon babe ! Et ça continue avec «Almighty Fire», il faut la voir pusher le push, elle est au front, sur la barricade, elle fout le feu. C’est plus fort qu’elle. Et quand tu écoutes «You Light Up My Life», tu comprends qu’elle te construit une cathédrale en trois minutes chrono. Le chant est si haut, si beau, si spectaculaire que les mots s’enfuient glacés d’horreur. Elle bâtit sa clé de voûte à l’accent perçant et c’est là qu’elle te transperce le cœur. Voilà qu’elle duette avec Smokey sur «Ooo Baby Baby». C’est le duo des princes. Un «Ooo Baby Baby» repris jadis par Todd Rundgren sur A Wizard A True Star. Smokey fait yeahhh comme une vieille qui fume trop. Ree boucle le chemin de croix du disk 3 avec un «Amazing Grace» fortement monté en neige. Gospel power all over, Ree s’y sent comme un poisson dans l’eau, elle fout le feu au gospel et retrouve ses voies impénétrables, elle monte son ahhhhyeah par dessus l’Ararat de court-bouillon. Ça va loin, cette histoire. 

             Heureusement, cette box ne contient que 4 discs. Spirituellement, c’est une épreuve épuisante. À force de crier au loup, on s’enroue. Mais dès «Think» t’es baisé ! Tu recries au loup ! Ree te démolit sur place. Ça va très vite, avec une reine de la nuit. Elle a tout le power des Amériques (surtout des Amériques noires) derrière elle, eeehhhh, alors elle y va, elle te cavale bien sur l’haricot. Voilà un duo de géantes : Ree et Dionne la lionne sur «I Say A Little Prayer». Elles tapent droit dans le système nerveux, Dionne la lionne rentre dans le chant et ton cœur explose de bonheur. Elles t’allument bien toutes les deux, mais Dionne ne fait pas le poids face à Ree. Ree est aussi monstrueuse que Jerr : rares sont les gens capables de duetter avec ces deux oiseaux-là. Ree regrimpe ensuite sur son Ararat avec «United Together». C’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle éclaire le monde, alors elle tartine à l’extrême, c’mon Ree, c’mon ma reine ! Puis on la voit traverser sa petite période diskö funk, elle le prend à la bonne et se montre à la hauteur. Elle duette avec les atroces stars de l’époque, Eurythmics et George Michael, tout est pourri, le son, les contributions, la pauvre Ree tente de sauver les meubles, elle est héroïque. Il faut attendre l’«Oh Happy Day» pour retrouver la magie, car en plus elle duette avec Mavis. Ree s’empare de ce hit intemporel et Mavis la challenge, Jesus just the love, Mavis passe en dessous, elles deviennent infernales toutes les deux, c’est du stuff mythique, complètement explosif. Ree fait de l’opéra avec «Nessun Dorma», elle roucoule comme la Castafiore, mais son pouvoir de lévitation reste intact. Elle duette avec Lou Rawls sur «At Last». Elle crée les conditions du duo d’enfer. Le vieux Lou arrive par le travers, il a du métier, petit chaperon rouge, uhm uhm, il pourrait presque passer pour un dieu descendu de l’Olympe des Blackos, oui, car ils ont eux aussi leur Olympe, avec des dieux aussi balèzes que Zeus et toute sa bande - We are in heaven/ Oh babe - Ree prend son pied, ça s’entend. La série des duos mythiques se poursuit avec Ronald Isley et une cover du fameux «You’ve Got A Friend» de Carole King. Ree tape dans le florentin, elle a du métier, et Ronald vient fondre comme un sucre dans la cuillère. Ils sont effarants de génie transalpin, c’est l’avènement d’une nouvelle Renaissance, Ree tartine deux fois plus que lui. On retrouve plus loin le fameux «My Country ‘Tis Of Thee» qu’elle a chanté pour le premier président black d’Amérique, Barak Obama. Freedom yeah ! C’est assez définitif, à l’échelle historique d’une nation, alors Ree te l’explose, ta nation de racistes. Elle est en haut et elle monte encore. Les racistes blancs devaient s’étrangler de rage en entendant cette merveille. Elle termine dans l’enfer du paradis avec «(You Make Me Feel Like) A Natural Woman». Ree restera pour ses admirateurs la plus pure incarnation de la Soul, l’art nègre par excellence. Ree restera la reine des reines, celle de Nubie et de Saba, et bien sûr, elle règne sur la terre comme au ciel. C’est elle qu’on devrait voir dans les églises.

    Signé : Cazengler, Ree de veau

    Liesl Tommy. Respect. DVD 2021

    Sydney Pollack. Amazing Grace. DVD 2019

    Aretha. Box Rhino 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - On ne muselle pas Musselwhite (Part One)

     

             — Bienvenue dans la chambre de l’avenir du rock, messieurs dames. Une petite devinette pour commencer : si vous ouvrez le tiroir de sa table de chevet, qu’allez-vous découvrir ? Un livre de chevet, comme chez tout le monde ?

             Effectivement apparaît un livre. Un curieux demande :

             — Alors quel est ce livre ?

             — C’est une bonne question, répond le guide, et celui qui trouvera la réponse gagnera un abonnement payant aux Chroniques de Pourpre qui sont gratuites.

             Un visiteur qui se croit plus intelligent que les autres lance une hypothèse :

             — Étant donné l’état d’esprit global de l’avenir du rock, il ne peut s’agir que d’un ouvrage sarcastique, du genre De l’Inconvénient d’Être Né, l’anti-chef-d’œuvre de Cioran...

             Son voisin manifeste son désaccord :

             — Grave erreur, monsieur ! Vous n’avez rien compris ! L’avenir du rock n’utilise pas le sarcasme pour s’en gargariser, mais comme un glaive pour combattre ardemment l’hydre de la connerie humaine ! C’est pourtant simple à comprendre !

             — Alors, vous qui vous croyez si malin, que proposez-vous ?

             — Je pencherais plutôt pour l’Anthologie de la Subversion Carabinée, de Noël Godin, je mettrais ma main à couper qu’il y puise toutes ses ressources, chaque soir avant de se jeter dans les bras de Morphée ! 

             Un autre visiteur lève le doigt pour prendre la parole :

             — Vous vous faites trop d’idées sur l’avenir du rock. Il a peut-être des goûts plus simples. Je proposerais plutôt un petit recueil de poèmes, ces poèmes légers et ravissants qu’on peut relire au clair de la lune...

             — Vas-y Raymond la Science, accouche !

             — Ah ce que vous pouvez être mal lunés tous les deux ! Vous n’avez pas compris que c’est dans sa nature que de tendre vers la lumière, comme le fit en son temps et du fond de son galetas l’infortuné Paul Verlaine ?

             Le guide reprend alors la parole.

             — Bon, vous vous fourrez tous le doigt dans l’œil, messieurs les exégètes à la petite semaine. L’ouvrage que renferme le tiroir que vous voyez là est tout simplement un mussel !

             — Ooooooooooh !, font les visiteurs en chœur.

             — Et pas n’importe quel mussel ! Ni celui de l’abbé Donissan, ni celui du pasteur Harry Powell, le Musselwhite !

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             Charlie Musselwhite revient dans le rond de l’actu avec un sacré Mississippi Son. Tu ne bats pas les vieux de la vieille à ce petit jeu. Il gare sa bagnole dans le Delta et te chante «Blues Up The River» dans le creux de l’oreille, il descend loin au fond de sa vie pour te ramener des vrais accents de véracité, il te chante ça au doux du menton, au deepy deep de son dévolu, on le pousse pour qu’il aille plus vite, mais il ne veut pas, il avance à son rythme. Celui qui poussera Muss n’est pas encore né. Il adore le groove embourbé, le muddy road d’hobo.

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    De toute évidence, cet album est une énormité. Muss s’endort dans le moisi du blues d’«In Your Darkest Hour», avec les doigts de pieds en éventail. Il cueille la rose éclose à la pointe de sa glotte flappie, honey please come home et chante ça dans un dernier râle. Il est encore plus macabre que Lanegan. Et soudain, tout explose avec «Stingaree» - Mah baby/ She’s a honey bee - Il n’y a que Muss qui puisse nous faire ce coup-là - She’s buzzing me/ Feel so good - Il te souffle son haleine rance dans le cou et si tu es une femme, alors tu jouis, car Muss est un génie aux doigts de fée. Il tape ensuite le poor poor boy/ long long way from home de «When The Frisco Left The Shed» au heavy blues, c’est d’une classe inébranlable, because I ain’t no bed, il passe les coups d’harp de la misère, il marche in the cold cold rain et tu frissonnes avec lui. Puis dans les liners du digi, Muss nous explique qu’à une époque, il partageait une chambre avec Big Joe Williams, et qu’il a appris beaucoup de choses en le regardant jouer. C’est de là que vient «Remembering Big Joe» - I played one of his old guitars on this song - Puis il adapte «The Dark» de Guy Clark en blues thing - I met Guy a couple of times and he was a real likeable fellow - Chez Muss, les mots sont importants. Avec «Pea Vine Blues», il épouse le son au chant puis il s’en va rendre hommage à Hookie avec un «Crawling King Snake» tellement beau, tellement pur, tellement moisi - La nuit j’écoutais WLAC sur mon petit poste de radio, parce qu’ils diffusaient a lot of great blues. D’entendre John Lee Hooker taper du pied et gratter sa gratte sur «Hobo Blues» et «Crawling King Snake» tard dans la nuit, ce son sinistre me faisait un tel effet que je ne pouvais m’empêcher d’apprendre à les jouer - Encore du vieux boogie blues avec «Blues Gave Me A Ride», c’est un régal que de l’entendre croquer son boogie blues - I was raised out of Memphis - Il raconte son histoire et te souffle des coups d’harp dans les bronches. Il indique qu’il joue «My Road Lies In The Darkness» in an open tuning I call Spanish - Ain’t got nobody - Il sait amener un heavy blues avec un voile de mystère, comme le montre encore «Drifting From Town To Town». Pur genius, c’est d’une classe toujours aussi inébranlable d’if you ever, il continue et c’est tellement pur qu’on voudrait que ça ne s’arrête jamais. Il va encore chercher des racines au plus profond de son âme de vieux Muss, c’est ce qu’on ressent à l’écoute de «Rank Strangers», un cut des Stanley Brothers qu’il dit adorer, il chante dans l’écho d’un vieux temps et les minutes deviennent précieuses, vite dépêche-toi de profiter de Muss, tu le verras au volant de sa bagnole, à l’intérieur du digi. Il te fait tout simplement l’album de blues que tu avais besoin d’entendre.

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             Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, voilà Muss en couve de Soul Bag, un petit canard que Damie Chad eut bien raison de saluer récemment. Fantastique petit canard, le coin-coin du blues et de la Soul dont on devrait souligner les mérites plus souvent, car enfin, ils sont les seuls à défendre ce bon bout de gras en notre pauvre pays. Six pages d’interview, Muss a de la place, alors il peut raconter sa vie. Il commence par expliquer qu’il a quitté la Californie à cause des incendies pour revenir s’installer à Clarksdale, Mississippi. Il précise ce que chacun sait : Clarksdale est «l’épicentre du blues». Il y a d’ailleurs enregistré Mississippi Son, et il donne tous les détails sur ses guitares et la façon dont il les accorde. Il profite de sa tirade technique pour citer les noms de ses professeurs : Furry Lewis et Will Shade, pour les plus connus, Earl Bell et Willie Borum pour les inconnus au bataillon. Album enregistré en cinq jours, d’abord guitares & chant, puis les coups d’harp en re-re. L’interview est bien vivant, Nicolas Deshayes mène bien son petit babal. Muss rappelle qu’Hooky fut témoin de son mariage avec Henrietta (qu’il appelle Henri), voici 41 ans. Muss rappelle aussi qu’il était co-loc de Big Joe Williams à Chicago dans les early sixties. C’est pour ça qu’il lui dédie «Remembering Big Joe». Alors évidemment, Deshayes qui a plus d’un tour dans son sac branche Muss sur l’avenir, pas celui du rock, mais celui du blues, ce qui revient au même. Muss commence par indiquer qu’à 78 balais, il est temps d’y penser. Pour lui, la situation aujourd’hui est la même qu’à ses débuts : «il y a des magazines, des associations, des festivals», et il constate que partout où il va dans le monde, «les gens jouent du blues». Donc pour lui, pas d’inquiétude. Muss indique aussi qu’il connaît bien Cedric Burnside, et Kenny Brown qui a joué avec le grand-père de Cedric, «de bons amis», dit-il.  

    Signé : Cazengler, Alfred de Mussel

    Charlie Musselwhite. Mississippi Son. Alligators Records 2022

    Charlie Musselwhite. Soul Bag N° 247 - Juillet Août Septembre 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Randy-vous avec Holden

     

             Au fond, Rambo était un gentil mec. On le surnommait Rambo pour le taquiner. Sous cette carapace herculéenne se planquait le plus doux des agneaux. Il fallait juste éviter de lui marcher sur les doigts de pieds, il détestait ça. Le fait qu’on soit devenus amis reste un mystère, l’un de ces mystères qui nous dépassent et dont on devient par la force des choses l’organisateur. Nous devînmes inséparables. En apprenant à le connaître, on découvrait sa vraie nature qui était celle d’un adolescent attardé. Il parlait un argot superbe, avec l’accent d’un vrai Titi parisien, et les tatouages envahissaient peu à peu la surface d’une peau que le développement des muscles accroissait. Plus il était musclé et plus il se faisait tatouer. Pourquoi la muscu ? C’est simple : comme beaucoup de gens, Rambo en eut tellement marre de se faire casser la gueule qu’un jour il décida de s’inscrire dans un club de muscu. En quelques mois, ses bras doublèrent de volume. Ça lui permettait aussi de rester en osmose avec son environnement familial qui était celui d’une longue lignée de voyous. Comme son père et son grand-père avant lui, Rambo veillait scrupuleusement à maintenir la tradition. Un jour, il décida d’aller s’installer en province. Il loua ce qu’il appelait un manoir. Il fallut bien sûr aller lui rendre visite. Il n’avait pas raconté d’histoires, le manoir à lui seul valait le déplacement. On y menait grande vie, on y passait des soirées à tirer sur une pipe à eau en compagnie des petites gonzesses de sa connaissance qui avaient pour particularité d’être plus que délurées. Dans la journée, Rambo se distrayait en allant faire des tours de Harley dans la campagne environnante. Il n’avait pas changé, il croquait la vie à belle dents. Quelques mois passèrent. Il appela un jour pour demander ce qu’il appelait un service. Dans cet environnement relationnel, le mot service prend toujours une consonance particulière. Première chose : on ne peut pas dire non. Deuxième chose : il faut se préparer à tout.

             — Vas-y dis-moi.

             — Je débarque à Paname demain matin. Faut que j’voye un crabe dans une clinique. Ça dure une journée, y m’relâche le soir, faut qu’tu viennes me cueillir à la sortie.

             — Tu veux changer de sexe ?

             — ‘Rête tes conneries ! Me fais greffer des tiffs !

             — Oh tu rigoles ? Tu te fais planter des poireaux ?

             Le lendemain soir, Rambo sortit de la clinique avec un gros bandage sanguinolant autour du crâne. Il était complètement stoned, il tenait à peine debout. Quelle rigolade ! J’étais plié en deux, pâmé de rire, incapable de conduire ! Cette nuit-là, Rambo dormit à la maison. Il repartit le lendemain et depuis, aucune nouvelle. Certains jours, les crises de fou rire reviennent, à imaginer Rambo sur sa Harley, ses rangs de poireaux au vent.

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             À la différence de Rambo, les cheveux de Randy se sont pas des poireaux. Randy Holden est tellement culte que Mike Stax lui accorde 20 pages dans Ugly Things.

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    Allez hop, on ne va pas mégoter ! Culte parce que Other Half et parce que Blue Cheer, même si Randy attaque en affirmant qu’il n’a jamais pris Blue Cheer au sérieux - Honestly I never cared for Blue Cheer - En fait, Holden est arrivé dans Blue Cheer au moment où le trio se débarrassait de Leigh Stephens, le guitariste en titre. Trop de tension. Viré. Stephens évoque l’épisode qu’il a mal vécu, raconte que les deux autres et le manager Jerry Russell se shootaient à l’hero, il accuse même Russell d’avoir coulé le groupe et d’avoir lavé les cervelles de Paul Walhey et Dickie Peterson - He was the supreme parasite and control freak - Mais Dickie Peterson a sa propre vision des choses. Il raconte la tournée européenne de Blue Cheer et l’incident qui s’est produit à Stockholm. Peu avant de monter sur scène, Peterson trouve Holden sur scène en train de bidouiller ses amplis. Il lui demande ce qu’il fabrique et Holden lui répond qu’il les bricole pour améliorer leur son. Alors Peterson pique une crise de rage et lui dit que si jamais il touche encore une fois à ses amplis, il le tuera. Peterson ajoute qu’Holden se camait aux downers & uppers (Destubol), qu’on appelle aussi sidewinders. Alors quand Holden reprend la parole, il accuse Peterson d’être un menteur, un petit mec de rien du tout affligé du complexe de Napoléon. Holden précise aussi qu’il prenait un antidépresseur, half and half, car voyager avec des junkies, ça le déprimait. Pire encore, il n’y avait aucune information sur les comptes.

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    Et puis voilà le fameux album raté de Blue Cheer, New Improved. Holden y joue sur une face. Un jour Jerry Russell arrive avec une enveloppe et dit à Holden qu’il y a 1000 $ dedans. Holden n’y trouve que 500 $ et comprend que Russell a piqué le reste pour sa dope. Cette fois, les carottes sont cuites. Holden va directement au studio récupérer ses affaires. Fin de l’épisode Blue Cheer.

             Puis Holden part à l’aventure sonique avec le batteur Chris Lookheed. Comme il a eu du succès avec Blue Cheer, il se fait sponsoriser par le fabriquant Sunn qui lui confie 16 amplis pour son projet. Il laisse tomber la SG pour jouer sur Strato. Holden et Lookheed répètent dix heures par jour.  Tous les jours. Holden veut être le meilleur. Ils répètent pendant un an. Lookheed a huit amplis et Holden a les huit autres. Randy Holden : «This was going to be the biggest rock band in the world.»

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             Population II date de 1970. Cet album est considéré comme culte. Randy Holden ramène du gros gras double. Il emmène la heavyness au-delà de Blue Cheer, il va bien plus loin, mais bon, «Guitar Song» n’est quand même pas le hit du siècle. C’est même un peu rédhibitoire. Il joue sur ses 16 amplis mais en a-t-il seulement les moyens ? Ce mec est de toute évidence un dingue du son, il joue son «Fruit Iceburgers» au gras double, c’est son petit apanage. Avec «Between Time», il font à deux du Led Zep sur le riff de «Gimme Some Loving». Il passe au heavy blues avec «Blue My Mind», il l’éclate au Sénégal et nous sort le son des enfers. C’est avec «Keeper On My Flame» qu’il rafle la mise, Randy a rendez-vous avec les ficelles de caleçon, c’est un vétéran, il peut même devenir hendrixien, il est dessus et nous propose un fantastique concassage de heavy blues. Il force le passage avec une certaine brutalité, le voilà devenu super killer, Guitar God d’effarance impavide, il te coule dans la manche, il vise l’extrême onction de la mythologie avancée, c’est un déclencheur, il lâche ses coups de wah comme des bombes, il joue jusqu’à la mort du petit cheval, Randy Holden est un merveilleux seigneur, il avance dans se retourner, il file ses derniers coups de wah outside in the cold distance, ça tourne à la Holdenmania. S’il calme le jeu, c’est pour repartir de plus belle.  

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             Guitar God paraît en 1997, longtemps après la bataille. C’est un album encore plus électrique que Population II, il est même complètement saturé d’électricité. Randy-vous drive le son à la force du poignet. Il pose «Wild Fire» sur un petit arpège délicat, mais le cut est vite rattrapé par la réalité. Ce démon de Randy-vous bourre son groove comme une dinde de wild soloing. Il ne vit que pour la mythologie. Ça joue dans tout les coins, il est dans les deux oreilles. Ses cuts grouillent de riffs. Encore du fat electric stuff avec «Pain In My Heart». Il fait de la heavyness, mais avec esprit. Il joue son Pain à la note exacerbée. Il est excellent dans les balladifs comme «Hell And Higher Water», il se faufile dans l’épaisseur du son comme un shaker mover argenté. S’il fallait résumer le Randy-vous, on pourrait dire qu’il joue dans tous les coins. «No Trace» est bien cavalé sur l’haricot, et avec «Got Love», il passe au heavy boogie blues de rock. Il est en plein dedans, c’est noyé de son.

             Après Population II, Randy Holden va connaître une période vaches maigres. Plan classique : l’album qui ne sort pas à cause de difficultés financières, un contrat qui l’empêche d’aller signer ailleurs, plus de revenus et donc plus de quoi payer le loyer. Randy Holden n’a plus que sa guitare et une moto. Des amies l’hébergent pendant un temps. Il part ensuite vivre à Hawaï, se nourrit de poissons et de fruits et dort dans des cabanes - beach shack dirt cheap - Pendant vingt ans, il ne joue plus de guitare. Il finit par revenir vivre en Californie pour redémarrer son biz.

    Signé : Cazengler, Randymanché

    Randy Holden. Population II. Hobbit Records 1970

    Randy Holden. Guitar God. Captain Trip Records 1997

    Mike Stax & Eliot Kissileff : Randy Holden. Never Trun down ever. Ugly Things # 51 - Summer 2019

     

    *

    ZABAVY / AMUSEMENT

    JARS

    Il est des amusements plus inquiétants que d’autres. Celui-ci se trouve sur le Bandcamp de Jars, groupe russe stoner-grind-noise que nous suivons depuis plusieurs années. Ce n’est pas un album, juste un titre, une reprise du groupe russe Mimiy Troll qui apparemment n’a plus rien produit depuis deux ans si l’on en juge d’après son Bandcamp. La pochette se limite au strict minimum, un carré noir. Rien de plus. L’est sur leur site depuis mars 2022. Tilt, l’attaque de l’Ukraine par les troupes russes a débuté le 24 février. Le morceau est précédé de quatre lignes de texte, peu poutiniennes, jugez-en par vous-mêmes.

    ‘’ Nous n’avons pas eu la chance de faire une déclaration anti-guerre à grande échelle depuis la guerre. Cette chanson est le moins que nous puissions faire. Cette version a été enregistrée en solitaire par Andreï   bassiste et guitariste de notre groupe.

    Tout l’argent de cette sortie et de toutes autres sorties de Jars sur Bandcamp  ira à nos amis d’Ukraine.

    Fuck Poutin, Fuck war.’’

    Ce genre de déclaration ne doit pas être bien vu en leur pays et dénote un courage certain. Depuis le mois de Mars, Jars n’a plus rien posté sur son Bandcamp. Sur son Instagram, une annonce de concert à Moscou en avril et la promesse d’un autre concert au mois de septembre en compagnie de deux autres groupes amis. Deux morceaux postés voici cinq mois sur leur soundcloud, sont leurs derniers signes d’existence. Nous espérons qu’ils vont bien…

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    L’on s’attendait à une de ces tornades bruiteuses auxquelles Jars nous a habitué, il n’en est rien, frôlement de guitares et mélodie crépusculaire, un chant funèbre et c’est tout, des paroles qui évoquent la brisure de la musique et la mort mentale qui s’en est suivie. Est-il besoin d’explications supplémentaires ?

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 541 du 10 / 02 / 2020 nous avons chroniqué l’album The Republic du groupe américain Thumos. Enchanté par l’originalité de cet album nous avons par la suite chroniqué tous les opus et tous les titres de Thumos disponibles sur leur bandcamp. Rappelons que The Republic présente dix morceaux instrumentaux correspondants aux dix livres de La République de Platon. Un projet insensé, un résultat extraordinaire. Reste que Peri Politéia ( A propos de l’Etat ) – nous traduisons par La République car en occident nous utilisons les termes philosophiques grecs d’après la traduction latine qu’en a opéré Cicéron  - est un ouvrage long, complexe et subtil. Depuis des siècles des gloses n’ont cessé de s’accumuler soit pour expliciter, soit pour interpréter ce livre-phare de la philosophie. Prudemment Thumos a préféré n’en dire mot, préférant à une démarche diserte une entreprise poétique d’évocation musicale. Le principal désagrément de la lecture de Platon réside en ce que votre esprit n’en finit plus d’établir des liens entre les diverses parties de l’ouvrage ou de se perdre dans les abysses vertigineux soulevés par les résonnances que suscitent en vous certains passages… Dans les tiroirs de Thumos restaient trois morceaux relatifs au cœur de la doctrine platonicienne. Très modestement Thumos les a nommés les B-sides de leur album et les ont réunis sous le titre :  

    KALLIPOLIS

    THUMOS

    (Tke complete B-sides collection from The Republic / Octobre 2022 )

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    Nous traduirons le titre de cet album par l’expression française consacrée : La Cité idéale – en tant que reflet de ce qui est beau, juste tet bon – il convient évidemment d’entrevoir l’adjectif qualificatif ‘’ idéale’’ selon sa jonction avec la théorie contemplative des Idées.

    The guardians : ne nous laissons pas tromper par le rythme quelque peu martial et grandiloquent du morceau. Les gardiens dont il est question ne sont pas des policiers chargés de faire régner l’ordre dans les rues de la Cité, ce serait-là un grave contresens, encore moins les guerriers prêts à parer toute attaque ennemie. Si le rythme n’en finit pas de s’accélérer c’est qu’ici Platon, par l’entremise de Socrate, évoque un sujet de la plus haute importance qui exige des auditeurs et des lecteurs une attention sans défaut. Les gardiens sont les plus hauts responsables de la cité, leur éducation ne saurait être bâclée. Elle est présentée dans le Livre III de la République mais l’ouvrage en son entier est dédié à la formation de cette élite. Depuis des siècles elle a choqué bien des esprits. Les esprits modernes ont du mal à saisir la logique de sa conséquence. Platon conseille en effet de chasser les poëtes de la Cité. On pense tout de suite à ces sociétés qui réglementent d’une façon très coercitive la lecture et la pensée de leurs citoyens. Le vingtième siècle regorge d’exemples déplorables… Les gardiens ne doivent pas se laisser séduire par les artifices de la beauté des formules poétiques, celles-ci s’adressent à notre sensibilité, or la pensée doit se dégager de nos sensations émollientes et se laisser guider par une vision intelligible des choses. Les gardiens ne se laissent point submerger par leurs impressions ou leurs émotions puisqu'ils désirent émettre des jugements justes dégagés de toute circonstance adjacente. L’on comprend mieux l’urgence vindicative de ce morceau, la poésie est un poison redoutable, un dissolvant des énergies mentales, elle est le pire des ennemis de la Cité car elle rend aveugle l’élite dirigeante privée de tout discernement. The sun : ce soleil ne désigne pas l’astre bienfaisant que nous connaissons tous, c’est une métaphore du soleil des Idées, ces formes suprêmes dont tous les objets de ce que nous appelons la réalité ne sont que des reflets instables et grossiers. Nous sommes au Livre VII celui qui expose le fameux mythe de la Caverne. La musique s’est apaisée, elle progresse lentement, l’on n’accède pas à la vision des Idées platoniciennes en quelques secondes, c’est un chemin long, difficile et ardu. La batterie semble presser nos pas, mais les cordes émettent comme des échos tremblés qui nous obligent à ralentir, à faire attention, ne pas se précipiter tel un insecte qui s’écrase et se brûle au feu d’une torche. Le morceau se termine par deux pointillés sonores, deux points lumineux encore lointains mais qui témoignent que nous sommes sur le bon chemin. The divided line : tremblements cordiques, l’on retrouve l’élan de The guardians et la retenue de The Sun étroitement conjugués. Un pied dans les dangers marécageux du monde sensible, un pied dans la brillance inaltérable du monde idéel, à cheval sur la ligne de démarcation qui sépare le mensonge des apparences de la vérité des idées. Une frontière dangereuse qu’il faut savoir franchir sans hésitation, ce qui exige une longue préparation, de profondes réflexions, car la lumière des Idées apparaît comme intensément obscure lorsque l’on se trouve encore dans le mauvais côté des choses. Ce titre peut être raccordé à la lecture du Livre 7, mais il peut s’appliquer à l’ensemble du volume, car les discussions qui s’enchaînent entre Socrate et différents intervenants procèdent de la même méthode principielle celle de séparer les fausses opinions de la véritable pensée. Un peu comme Thétis qui brûle les parties mortelles de son bébé Achille pour ne garder que les fragmences immortelles et faire accéder ainsi son enfant délesté de ses scories humaines imparfaites dans le royaume de l’immortalité.

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             Ces trois morceaux sont magnifiques. Un régal pour les amateurs de doom et de philosophie. Ils s’adressent au cœur et à l’intelligence de ses auditeurs. De quoi attendre sereinement la sortie de la prochaine œuvre de Thumos, intitulée Symposium, consacrée à ce dialogue de Platon nommé Le banquet en notre langue.

             Thumos, un groupe différent. Unique.

    Damie Chad.

     

     

    ALIS LESLEY

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    Mais qu’est donc devenue Alis Lesley ? Disparue sans laisser de traces depuis une soixantaine d’années. Question récurrente que bien des amateurs de rock ‘n’roll se sont posés. La parution du dernier livre de Bob Dylan a ranimé la flamme de la curiosité. Non, il ne lui a pas consacré un des soixante-six chapitres de sa Philosophie de la chanson moderne. L’a fait beaucoup mieux, l’a mise en couverture entre Little Richard et Eddie Cochran. Ce n’est pas un montage photographique, un cliché pris en Australie. Connu de tous les amateurs de rock, il en existe même depuis quelques années une version colorisée. La beauté étincelante de Leslie a fait le buzz sur internet, quelle est cette inconnue ?

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    Comment et pourquoi s’est-elle retrouvée à l’affiche de cette tournée australienne qui réunissait trois des plus importants pionniers du rock : Little Richard, Eddie Cochran et Gene Vincent, excusez du peu.  D’une façon très simple, c’est Elvis Presley, le King en personne qui a joué de son entremise pour qu’elle en fasse partie. Elvis fut subjugué par l’apparition publique d’Alis Lesley au Silver Slimmer Gambling Hall de Las Vegas. Il existe plusieurs clichés de leur rencontre, l’on y retrouve la jeune et frêle Alis d’une beauté étincelante au côté d’Elvis qui arbore cette moue dédaigneuse qui fit fureur dans le cœur des demoiselles de l’époque…

    Ce n’est pourtant pas sa rencontre avec Elvis qui lui valut son surnom d’’Elvis Presley Female. Ce dernier mot n’a pas en langue anglaise la connotation péjorative que la langue française lui octroie souvent. C’était un slogan publicitaire initiée par le chef d’orchestre Buddy Morrow indissociable du milieu musical et journalistique dans lequel Alis Lesley  débuta. Peut-être même se présentait-elle à ses tout débuts sous le nom d’Alis Leslie.

    Née en 1938 à Chicago, Dorothy Dott est une enfant de Phoenix (Arizona), c’est dans cette ville que ses parents déménagèrent et où elle fit ses études. Passionnée par le théâtre elle entra au Phoenix Junior College où elle fut remarquée par Kathryn Godfrey dont le frère Arthur avait atteint en tant que journaliste un renom presque national.

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    Comme des centaines d’adolescent Alis subit le choc de la météorite Presley. Certes Elvis chantait mais ce n’est pas ce qui révolutionna en premier lieu le monde musical. Elvis bougeait, comme un nègre se hâtèrent de proclamer avec dégoûts ses détracteurs, Alis comprit le message. Certains témoignages affirment que sur scène elle en faisait plus que le gars de Tupelo. Nous voulons bien les croire, mais le fait qu’une gamine de dix-huit ans, blonde, belle et blanche osât se comporter ainsi en public et à la télévision locale avec un tel aplomb et un tel naturel - ne se produisait-elle pas pieds-nus – a dû percuter l’inconscient journalistique… elle se roule par terre, elle jongle avec le micro, se colle à la contrebasse, soumet son corps à de multiples étirements, se trémousse et danse sans jamais se départir de sa guitare. Pour la petite histoire son tour de chant était constitué de classiques du rock’n’roll, notamment Don’t be cruel et Blue Suede shoes.

    En 1957 Alis enregistre son unique disque, participe donc à la tournée australienne, donne quelques galas aux USA qui se terminèrent en émeute… elle semble bien partie pour devenir une des reines du rock ‘n’roll. Dès 1958, contre toute attente elle déclare qu’elle ne compte pas vieillir dans le showbiz, en 1959, elle quitte le métier non sans avoir enregistré une démo chez Sun… finissant en quelque sorte par où Elvis avait commencé…

    Qu’est-elle devenue ? Dès 1959 elle retourne à Phoenix s’occuper de sa mère malade. Par la suite elle devient professeur et missionnaire. Ce dernier terme semble bien énigmatique. Elle reste dans la région de Phoenix. Le dernier témoignage que j’ai pu relever dans un journal local de Phoenix nous la conte vêtue d’une façon bien moins affriolante que dans sa jeunesse, par contre, détail d’importance, dans la maison du guitariste Al Casey – a travaillé entre autres avec Duane Eddy, Lee Hazlewood et le Wrecking Crew, écoutez sa guitare suraigüe dans le Bird doggin’ de Gene Vincent – cette scène se passe en 1995. L’article nous assure qu’elle conseille les jeunes gens qui aimeraient se lancer dans une carrière artistique… Tout ce que l’on peut espérer c’est que sa mise en avant sur la couve du bouquin de Dylan l’incitera à se livrer à un journaliste… Elle devrait avoir 85 ans aujourd’hui…

    Single : ERA RECORDS (1957)

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    Era Records fut fondée en 1955 en Californie par Herbet Newman et Lew Bedell qui mirent fin à leur aventure en 1959. Le label fut racheté par K-Tell Records ce qui explique sur ce même label la sortie en 2008 d’Un EP cinq titres d’Alis Lesley : Barefootin’ Rockabilly Angel, dommage que la pochette ne soit pas à la hauteur du titre !

    N’est pas seule sur le disque puisqu’elle est accompagnée du Johnny Mandel Orchestra. Cette formation qui compta jusqu’à quinze membres n’a pas laissé, semble-t-il une trace indélébile dans l’histoire de la musique, mais a enregistré avec Amos Milburn, pianiste de boogie-woogie qui eut son heure de gloire dans les années 50, son premier album ( 1952 ) ne s’intitule-t-il pas Rockin’ the boogie

    He will come back to me : l’influence de Presley est indéniable sur l’orchestration et le vocal. Se débrouille bien la merveilleuse petite Alis, un peu desservie par des chœurs masculins qui sont loin des Jordanaires, une belle guitare pointilleuse, une contrebasse qui nous ramène vers Bill Haley et cette voix qui s’essaie à griffer et à se balancer avec une souplesse de jaguar. Une belle réussite. Heartbreak Harry : un peu à la Ray Charles, la voix n’est pas assez posée, du coup elle n’en paraît que trop blanche, le même guitariste doué, je subodore Al Viola qui accompagna pendant vingt-cinq ans Frank Sinatra,  se taille un beau solo sur un fond de cymbales jazzy, et ce qui ne nous étonne plus, ces doux éclats de cuivres en soutien qui n’osent pas se faire remarquer, Johnny Mandel oublie le rock ‘n’roll et l’ensemble vous prend sur la fin une connotation d’orchestre swing. L’orchestre de Mandel comportait une douzaine de cuivres.

    Compilation : SLEAZY RECORDS (2016)

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    Cette compilation Sleazy comprend évidemment les deux titres d’Era.

    Handsome man : la demo ( take 2 ) enregistré en 1959 chez Sun Records, vous la retrouvez chez Charlie Records et Bear Family ) ; un morceau de Charlie Rich, mais d’après moi ce n’est pas lui qui officie au piano, la voix d’ Alis est mûrie, elle a pris de l’ampleur sans perdre son élasticité, l’ensemble sonne jazz, très agréable à écouter mais l’on aurait aimé quelque chose de plus rock chez Sun ! Le traitement de la voix n’est pas sans évoquer le Crazy beat de Gene Vincent. So afraid : le slow-jazz à consonnance pré-early sixty, l’on retrouve l’orchestre Johnny Mandel avec ses chœurs masculins peu convaincants, une batterie en sourdine traîne-nageoire, heureusement que la guitare d’Al Viola sauve la face, Alis vous prend une de ces voix sucrées qui guérirait votre cancer de la gorge si par malheur vous en aviez un. Why do I feel this way : le blues-slow de service à la Elvis, avec sa guitare hawaïenne, l’a une voix grave Alis, l’on ne s’y attendait pas, l’on aime, l’on aimerait qu’elle vienne nous bercer le soir, sûr que les anges viendraient visiter notre sommeil. Après les shoo-be-doo du précédent et les wha-wha-doo-wap de celui-ci l’on est parti pour le trip nostalgie. Soyons honnête, son absence ne nuira pas à la culture indispensable d’un jeune homme ou d’une jeune fille moderne du vingt-et-unième siècle. Don’t burn your bridges : ballade romantique, ambiance club de jazz de troisième zone, piano langoureux et guitare à effets larmoyants, Alis chante avec la mélancolie d’une femme qui voit se profiler la ménopause à l’horizon de sa vie, le truc à faire chialer la ménagère de plus de cinquante ans. C’est peut-être la pensée de l’inéluctable qui a poussé Alis Lesley à disparaître dans les paillettes multicolores de sa gloire aurorale. Vivre vite et mourir vieille.

             Ou alors peut-être n’a-t-elle pas voulu abdiquer son rêve de jeunesse rock’n’roll. Les râteaux de la récupération selon les vieux modèles établis l’ont effrayée, l’est sûr que l’establishment politique et musical ont tout fait dès la tonitruante apparition de Presley pour tuer le poussin du rock’n’roll pas encore dégagé de sa coquille dans l’œuf. A-telle jugé que les voies de garage n’étaient pas pour elle…

             Qu’importe, un rêve évanoui reste toujours un rêve, une semence d’or inaltérable, qui survit dans la mémoire humaine et refuse de périr.

    Damie Chad.

     

    *

             Certains visent le million d’exemplaires, livres ou disques, d’autres misent sur la rareté. Deux démarches différentes. MMLI publient des cassettes alors que les lecteurs de minicassettes se raréfient dans les appartements de monsieur tout le monde. Ce qui n’est pas grave, MMLI compte sur les individus. La cassette que nous allons écouter a été tirée à trente-neuf exemplaires, chaque étui peint à la main est unique. A thing of beauty is a joy for ever disait Keats. Les bibelots ne sont pas tous d’inanité sonore. Ils sont des vecteurs qui vous emmènent où vous rêvez de vous rendre.

             Nous avons déjà rencontré Delphine Dora chez Kr’tnt ! par exemple dans notre livraison 529 du 11 / 11 / 2021. Ici il s’agit d’un projet à trois têtes, nous rencontrerons les deux autres branches du trident dans nos prochaines livraisons. 

    QUELQU’UN REVIENDRA-T-IL ?

    SIMONE POUSSIERE

    Delphine Dora  / Mathias Dufil / Cathy Heyden

    (K7 / MMLI / 2020 / Bandcamp)

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    Delphine Dora : piano, voix, samples, synthés, objets, sons, texte / Mathias Dufy : guitare, piano, voix, électronique, sons, texte / Cathy Heyden : saxophone.

    Il existe deux sortes de poussière. Celle d’origine biblique, poussière tu es, poussière tu retourneras, expression d’un dieu jaloux, des hommes et des femmes, et l’affirmation grecque : Les dieux n’ont pas eu d’autre substance que celle que j’ai moi-même, magistralement mise en scène par le poëte espagnol Juan Ramon Jimenez dans Espace, son poème ouragan qui correspond au remuement des dés dans le cornet de corne de licorne - unicorne de la folie mallarméenne d’Igitur. Les dieux grecs s’unissant sans hésitation avec les femmes et les hommes, preuve que leur différence congénitale n’était point insurpassable.

    Dommage pour Simone Poussière, interprétée par Delphine Dora, Mathias Dufil, et Cathy Heyden, sa vie de femme est ici entrevue comme poussière biblique. S’appeler Poussière est une triste définition de soi-même surtout si l’on sait que le prénom d’origine hébraïque signifie ‘’qui est exhaussée’’, les lecteurs goûteront l’ironie amère de cette dénomination.   Nos trois artistes pris de pitié lui ont conféré  le titre d’interprète de leur album. Un lot de consolation en quelque sorte. Faisant de sa triste vie une entité représentatrice de millions de personnes.

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    Corps se forme : notes noires de piano, bruit de conversation, Delphine Dora conte l’enfance de Simone Poussière, sa solitude, sa pauvreté, est-ce pour cela que la mélodie qui essaie – et peut-être qui n’essaie pas - de naître est formée de notes esseulées, de bruits divers, de sons épars qui se perdent, il est des dépouillements sonores qui confinent à l’humilité terreuse des existences évoquées… le corps se forme, pas assez de matière pour rajouter une âme dans le vide de la chair… Vezelay : des bruits informes qui râclent, une vrillée de notes pianistiques, des clochettes du malheur qui vous inondent la tête, Mathias a lu un début de texte, la vie de Simone à la dérive, qui crack de partout, Mathias se tait comme s’il était inutile d’aller jusqu’au bout, peut-être au fond un chantonnement a-t-il voulu prendre forme, mais il se déchiquette en semblant de parole pour se jeter dans le delta de voix issues peut-être de stations de radio inconnues et incompréhensibles, le monde se défait, un saxophone rampe comme la vermine sur des corps brisés, incommunicabilité des êtres, la musique est un chaos de glaciers qui avance lentement vers l’on ne sait quoi, la vie de Simone est un miroir brisé, existe-t-il vraiment un de ces éclats qui brillerait comme un espoir. Un miracle à Vézelay ? Simone n’a peur de rien : enfin une guitare qui joue, tout est dans la tête, Delphine Dora nous conte la ballade de Simone Poussière, un western terne depuis le début, une enfance triste comme la mort, une rencontre heureuse qui se terminera comme une feuille de papier déchirée, la spirale de l’échec, Simone n’a peur de rien, le rebut de sa vie ne la rebute pas. Grincement perçant. Et si demain : des mots du quotidien et des sons qui se heurtent entre eux, désagréablement des avions perdent de l’altitude, et si dans ce fatras demain se levait un soleil, ni la voix de Mathias ni le son qui se désagrège n’osent y croire, la vie est une promesse vide. Où es-tu ? : notes qui tombent, mots qui chutent, la médiocrité d’une existence suinte dans le constat implacable, des bruits nous hantent, de voitures, d’oiseaux sans envol, de tremblements de sonneries hypothétiques de téléphone, l’espoir n’est qu’un rêve passé à peine chuchoté, une voix intérieure qui essaie de peindre le réel de couleurs moins livides, une exaltation minée de rires sarcastiques, une plainte, passe-t-on à côté du bonheur, ou est-ce juste une illusion d’occasion ratée, un serpent sans tête se mord la queue, des flots de notes recouvrent le rêve éteint à la manière de la marée qui efface les châteaux de sable, majordomes du malheur précurseurs du cercueil. Les arbres : une guitare sonne et des bruits sifflent sans méchanceté, c’est l’heure de la récapitulation finale, toute la vie qui défile, un film dont les images s’assombrissent, les arbres vivent plus longtemps que nous, ils sont la mémoire du monde, nous ne faisons que passer, halètements de saxophone tiennent lieu de gémissements, vu du dedans la laideur est plus belle, il s’en dégagerait presque une harmonie à pas lourds, l’on avance sans hâte, le même geste qui écrit efface les mots au fur et à mesure, respiration rauque et agonique, la boule de neige noire de la vie se disperse selon la dissolution finale. Quelqu’un reviendra-t-il : des plis de sons, des effarements de frémissements, des notes de musique pour mieux entendre le silence, deux voix superposées nécessaires pour dresser le constat de ce qui a été et qui déjà n’est plus. Simone est redevenue ce qu’elle était, poussière. Roulements des charrois du mystère, tout est-il irrémédiablement perdu, ou alors quelqu’un reviendra-t-il dans le chatoiement de sa vie merdique, sur l’harmonium de l’église, des anges aux ailes cassés plaquent des désaccords tordus d’angoisse. Litanie funèbre sans réponse.

    Splendide. Noir, très noir. Une musique qui se défait en se déconstruisant, des voix qui disent en refusant toute embellie phonique, murmures de lichen sur les pierres tombales de cimetières. Une œuvre sans concession en équilibre précaire sur le fil du nihil. Magnificat fêlé élevé à la gloire du néant humain.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    EPISODE 10 ( récapitulatif ) :

    49

    Le chef exhibe de son tiroir à Coronado un tube métallique, pas besoin d’être un devin pour comprendre de quoi il s’agit. 

             _ Regardez Agent Chad, ces étuis métalliques je les utilise pour tromper l’ennemi, lorsque j’en sors un de ma poche celui qui me tient en joue pense que je vais le prier de me laisser fumer un dernier cigare avant de mourir, il ne s’attend pas lorsque je dévisse le capuchon à ce que je le jette sur lui.

             _ Ah ! Chef, je vous ai déjà vu faire le coup du lancer de nitroglycérine, quel plaisir d’assister à la retombée de confetti de chair humaine, même qu’une fois mon perfecto a en été tout constellé, tellement marrant que pendant huit jours je l’ai porté sans le nettoyer, jusqu’au jour où Molossa n’y tenant plus me l’a astiqué d’une langue experte ! Hélas j’ai oublié de noter cette scène cocasse dans mes Mémoires d’un G. S. H. ! Je sors mon stylo et…

             _ Agent Chad, ne soyez pas submergé par l’inspiration poétique,  je vous montre ce tube pour une tout autre raison. J’en garde toujours deux ou trois vides tout au fond de ma réserve à Coronado, l’on ne sait jamais… mais hier après-midi, pris par une envie subite, ce n’est pas du tout mon habitude, je plonge ma main dans mon tiroir, sans trop regarder, et ne voilà-t-il pas que mes doigts rencontrent ce tube que je tiens présentement en la main. Etrange, ils sont normalement rangés sous une bonne épaisseur de Coronados, or là quelqu’un l’a mis intentionnellement en évidence.

    _ Quelqu’un est donc rentré dans le local après mon départ et a profité d’une de vos absences…

    _ Agent Chad, après votre départ je n’ai pas bougé de mon bureau, j’ai travaillé assidument, à peine si j’ai pris le temps de fumer une petite quinzaine de Coronados, mais ce n’est pas le plus important, tenez lisez, ce petit morceau de papier qui dépassait de son embouchure !

    50

    Je n’en crois pas mes yeux, je le relis quatre ou cinq fois avant de reprendre mes esprits :

    Monsieur Lechef,

    Je vous en prie, faites vite, Monsieur Damie est en danger, vous seul pouvez le sauver. Songez aussi à Molossa et Molossito, si vous arrivez à temps, veuillez offrir à ces deux braves bêtes, elles sont si trognonnes, un bocal de fraises Tagada, de ma part. Je vous en remercie.

    Veuillez aussi transmettre mes amitiés à Monsieur Damie.

    51

    Un agent du SSR ne pleure jamais, mais là je ne sais retenir mes larmes, je pleure comme un paquet entier de madeleines de Proust.  Alice ! J’ai reconnu son écriture ! Depuis le royaume des morts, elle cherche à me protéger, cette fille est vraiment exceptionnelle !

    52

    Le Chef profite de mon émotion pour allumer un Coronado.

             _ Extraordinaire, n’est-ce pas Chad ? Mais ce n’est pas tout, il y avait un deuxième bout de papier, sa lecture risque de provoquer en vous un sentiment tout différent. Il m’est spécialement adressé, toutefois je vous laisse le lire pour que nous en discutions.

    Une cartonnette de cinq à six centimètres de long tapée à la machine : ‘’ Père, vous vous êtes trompé de chaise !’’ Je m’apprête à faire remarquer au Chef que je ne savais pas avait engendré au moins un enfant, lorsque l’évidence m’aveugle :

             _ Chef, nous avons donc passé une semaine à arpenter les allées du Père Lachaise en pure perte !

             _ Exactement, Agent Chad, excusez-moi de vous avoir fait perdre votre temps. Je vous l’avais déclaré, j’ignorais ce que je cherchais, le matin même de notre première visite, j’avais trouvé avant de venir au local, dans ma boîte aux lettres une enveloppe blanche contenant cette feuille tapée – le Chef la sort de la poche arrière de son pantalon – ainsi libellée : ‘’ Ce que vous cherchez se trouve au Père Lachaise’’.

             _ Vous m’aviez parlé d’une affaire personnelle…

             _ Oui bien sûr, je pense que cela vient de loin, une intuition, que je ne peux appuyer sur aucun indice tangible.

    _ Chef j’ai l’impression qu’il existe une logique dans cette aventure, que tout se tient, mais que nous ne parvenons pas faire un lien quelconque entre ses divers épisodes assez mouvementés, nous tournons en rond, nous sommes en quelque sorte manipulés par l’affaire elle-même, prisonniers d’un vortex qui nous emporte, rien d’extérieur, aucune branche salvatrice à laquelle nous pourrions nous accrocher pour prendre un peu de hauteur et examiner à tête reposée ces évènements disparates…

    _ Agent Chad, savez-vous la différence ontologique qui existe entre vous et moi ?

    _ Heu ! non Chef, je ne vois pas, bien sûr je suis un GSH…

    _ C’est pourtant simple, moi quand je ne sais pas, je ne sais pas, vous quand vous savez, vous l’ignorez !

    _Chef, je reste dans l’expectative !

    _ Pourtant Agent Chad vous cherchez ce que par métaphore vous avez nommé une branche…

    _ Hélas, je ne suis pas assez fort pour percer cette métaphore !

    _ Agent Chad, sortez de votre marasme intellectuel, nous n’avons pas une branche à notre portée, mais deux ! Action immédiate !

    53

    Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ! J’arrête la modeste 208 grise que je viens de voler juste en face de notre cible. J’ai choisi un modèle aux vitres teintées, dans la lueur blafarde qui tombe des lampadaires personne ne saurait reconnaître nos silhouettes, encore faudrait-il les apercevoir. Sur le siège arrière Molossito et Molossa mastiquent le bocal de fraises Tagada que le Chef leur a acheté. Ils ont gémi lamentablement quand il l’a déposé entre eux, les braves bêtes ont compris que c’était un cadeau de leur amie Alice dont l’absence leur pèse.

    _ Attention à ne pas les rater Agent Chad avec tout ce monde qui sort et entre comme dans un moulin.

    _ Pas de problème Chef, leur véhicule de fonction est à une vingtaine de mètres devant nous !

    _ N’oubliez pas que ce sont de sacrés loustics, bouffent à tous les râteliers, et on les invite souvent !

    _ Oui Chef, pas plus tard que hier ils étaient à l’Elysée !

    _ Attention, Lamart et Sureau sortent du journal, attendez qu’ils aient refermés leurs portières.

    Ils n’ont même pas encore mis leurs clignoteurs que nous sommes assis juste derrière eux, Molossa et Molossito se sont hissés sur la plage arrière en grognant, l’on sent leur colère mais nos deux Rafalos pointés tout contre leur nuque les calme immédiatement.

             _ Bonsoir messieurs, hier vous désiriez un petit entretien avec moi, me voici, je me suis permis d’emmener mon collègue avec moi !

             _ Ah ! Ah, le fameux Chef du Service Secret du Rock ‘n’roll ! Enchantés Monsieur.

             _ Appelez-moi simplement Chef, ce n’est pas que j’y tienne   particulièrement, tout de même dans notre société il est bon de rappeler que les gratte-papiers qui s’en vont chercher leurs ordres à l’Elysée sont un cran au-dessous des agents secrets du rock’n’roll !

             _ Si vous enleviez vos pétoires collées sur nos nuques, nous sommes sûrs que notre conversation serait plus détendue.

             _ C’est que n’avons pour le moment aucune envie de discuter, nous aimerions que vous nous emmeniez faire un tour !

             _ Nous ne sommes pas une agence de voyages !

             _ Rassurez-vous l’endroit est charmant !

             _ Vous avez donc décidé de nous emmener dans un bon restaurant pour échanger placidement quelques informations

    _ Vous avez deviné !

    _ Nous allons où, s’il vous plaît ?

    _ Au cimetière de Savigny !

    Un silence de mort s’installa dans la voiture…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 578 : KR'TNT 578 : HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY / BOB DYLAN / HELLACOPTERS / SHORTY LONG / BARABBAS / BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

      KR’TNT !  

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 578

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 12 / 2022

     HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY

    BOB DYLAN / HELLACOPTERS

    SHORTY LONG / BARABBAS

    BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 578

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Battiste le battant

     

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             Harold Battiste Jr n’est pas aussi connu que Cosimo Matassa ou Fats Domino, il compte pourtant parmi les personnages les plus légendaires de l’histoire musicale de la Nouvelle Orleans. Les plus aguerris de notre tribu savent que Doctor John et Sonny & Cher lui doivent leurs succès respectifs. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg Battiste.

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             Un éditeur de la Nouvelle Orleans (The Historic New Orleans Collection) eut en 2010 l’idée géniale de publier l’autobiographie d’Harold Battiste, Unfinished Blues - Memories Of A New Orleans Music Man. Ce n’est pas seulement un ouvrage capital, historiquement parlant, mais c’est en plus un bel objet, d’un format inhabituel, un peu plus haut qu’un 45 tours mais un peu moins large qu’un 33 tours, beau choix de papier, un couché demi-mat sensuel, agréable au toucher, beaux choix typo, un corps 11 justifié avec tact et pas trop interligné, d’où l’impression d’une extrême densité, et bien sûr, des pages richement illustrées, avec pour sonner le tocsin des ouvertures de chapitres, des doubles assez spectaculaires, par exemple Harold et Mac Rebennack, Harold et Sonny & Cher, Harold et Tami Lynn, Harold et Ellis Marsalis, toutes ces doubles sont absolument somptueuses, en pleine force de l’âge car traitées en bichromie. C’est avec ce type d’ouvrage que l’édition joue son rôle : honorer la mémoire des grands artistes. Rien n’est trop beau dès lors qu’il s’agit d’artistes du calibre d’Harold Battiste. On y va les yeux fermés.

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             Pour les ceusses qui sont passés par la bible, c’est-à-dire le Broven (Rhythm And Blues In New Orleans), l’Unfinished Blues est une manière comme une autre de réviser ses leçons. Né au début des années 30, Harold Battiste est à l’origine un musicien de jazz, mais aussi arrangeur/compositeur, qui a vu la scène locale évoluer. Il nous emmène donc chez Cosimo le héros, et Art Rupe l’embauche comme pisteur de talents pour le compte de Specialty. On touche donc au cœur battant du mythe de la Nouvelle Orleans. Mais le plus frappant dans cette histoire, c’est qu’Harold ne fait pas étalage de ce prestige. Au contraire : il fait preuve d’une extraordinaire humilité, il raconte ses souvenirs avec une sorte de retenue et rend hommage à ses pairs à la manière d’un petit black qui a grandi dans un quartier pauvre. Il n’évoque jamais les drogues, ni le sexe. On est à l’opposé de The Brothers, l’ouvrage qu’écrivit David Ritz avec Charles, Aaron, Cyril et Art Neville.

             Plus frappant encore : le jeune Harold n’a rien d’une rock star. Jeune, il est assez rondouillard, pas du tout sexy. C’est l’image qui orne la couve du book. Bouboule ! Mais il parvient à séduire une très belle femme, Yette, qu’on voit souvent en photo à l’intérieur du book. Ensemble, ils vont élever quatre enfants. Pendant toute sa vie, Harold reste fidèle à ses deux passions : sa famille et la musique. Il se croit à l’abri des catastrophes. Fatale erreur ! Il consacre la deuxième partie de son autobio à ses déboires matrimoniaux. Le malheureux n’est pas armé pour se battre contre les infortunes de la vertu. Pour ne pas morfler, il fait l’autruche. On le voit au fil des ans changer de look : il maigrit, porte des vêtement africains, comme le fait aussi Eddie Bo, et se laisse pousser une barbichette blanche de sorcier du village. Voodoo !

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             C’est en 1956 qu’Harold fout les pieds pour la première fois chez Cosimo, on Governor Nicholls Street, dans le Quartier Français, un vieux bâtiment nous dit Harold qui «abritait» jadis des esclaves. C’est là qu’Harold découvre ces musiciens extraordinaires que sont Alvin Red Tyler, Lee Allen et Earl Palmer, the cream of the crop, comme il dit, des gens qui ont accompagné Fatsy et Little Richard - We were younger than those cats and we were generally considered be-boppers who were not interested in the music they were recording - Harold et ses amis font la section de cuivres. Puis Harold est repéré par Joe Banashak, le distributeur de Specialty à la Nouvelle Orleans. Ça tombe à pic, car juste à ce moment-là, Art Rupe perd de l’argent avec ses enregistrements de Sam Cooke. Il a besoin d’un coup de main et il fait venir Harold à Hollywood pour bosser à la cave sur les bandes de Sam Cooke. Objectif : trier et choisir de quoi faire un bon album. Art Rupe vient tout juste d’embaucher un petit blanc bec qui conduisait un camion et qui, à l’occasion, compose des chansons : Salvatore Bono. Ils vont bosser ensemble et ça clique aussitôt entre les deux - Dès le départ, Sonny m’a impressionné par son ouverture et son esprit de camaraderie. Il était charmant et incroyablement smart. Il était fasciné par le fait que je venais de la Nouvelle Orleans. On a commencé à bosser ensemble et il a tout découvert à mon sujet - mon éducation, mon expérience de professeur de musique, et mes aptitudes en tant que musicien de jazz, arrangeur et compositeur - il m’a donc placé sur un piédestal - C’est une amitié qui affrontera avec succès l’épreuve du temps, puisqu’Harold deviendra le directeur musical de Sonny & Cher. Harold indique aussi que Totor fascinait tant Sonny que ce dernier voulut absolument recréer le fameux Wall of Sound pour ses premiers enregistrements, notamment «I Got You Babe».

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             Mais quand il bosse pour Specialty, Harold en bave, car les artistes qu’il recommande ne plaisent pas à Art Rupe : Chris Kenner, Irma Thomas, et Allen Toussaint. Le seul groupe qu’Art accepte s’appelle les Monitors. Il donne son feu vert à Harold pour les enregistrer. Here we go ! - Je connaissais le lead singer, Phoenix, quand il chantait des airs d’opéra at Xavier University. Il chantait high tenor (falsetto) comme Bill Kenny, le fameux lead singer des Ink Spots - Alors, on écoute les Monitors.

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             C’est une fois de plus Kent/Ace qui veille au grain et qui le moud : en 2011 paraît Say You! The Motown Anthology 1963-1968. Keith Hughes décrit dans le détail la courte existence des Monitors, un quatuor de Detroiters surdoués comprenant le futur Temptation Richard Street, Warren Harris, James Drayton, John Maurice Fagin et sa femme Sandra Fagin. Cette compile est tout simplement l’une des pires bombes jamais lâchées par Motown. Hughes n’en revient pas lui-même : pourquoi les Monitors n’ont pas explosé ? Pour lui, il n’y a qu’une seule explication : Berry Gordy avait trop de gens talentueux sur les bras. La compile propose l’album entier des Monitors, Greetings!... We’re The Monitors, suivi de 14 inédits, dont la plupart sont stupéfiants de qualité. Deux coups de génie sur l’album : «Baby Make Your Sweet Music» et «Time Is Passing By». Grosse attaque pour le premier, Motown revient par la bande, en plein dans le mille, Motown, oui, mais avec une qualité supplémentaire. Cette folle de Sandra Fagin y va au baby baby, elle bat largement les Supremes à la course. Hughes nous indique que «Baby Make Your Sweet Music» fut un hit de Jay & The Techniques, c’est donc une cover. Le heavy groove de r’n’b de «Time Is Passing By» reste imbattable. Richard Street dit dans l’interview qui documente le booklet que c’était pour les Monitors un privilège que d’être accompagné par les Funk Brothers - I truly think they were one of the greatest bands of all time - Sandra Fagin fait encore des ravages dans «Since I Lost You Girl». Elle y va la coquine ! On la voit ramer pour tirer la Soul des Monitors dans «Bring Back The Loving». Ils font du wild r’n’b avec «Number One In Your Heart», les Monitors te démolissent la capsule vite fait ! En un mot comme en 100, cet album est un passage obligé pour tout fan de Detroit Soul. Alors après, on passe aux inédits et c’est encore pire ! La série commence avec «Too Busy Thinking About My Baby», big shoot de Soul d’excelsior. Les Tempts en ont fait une version. S’ensuit «The Letter», un hit signé Smokey, pulsé par une énorme pression atmosphérique. Sandra Fagin chante à l’extrême pointe de la Soul et ça groove à la trompette. Ils groovent le «Poor Side Of Town» de Johnny Rivers jusqu’au délire, c’est d’une classe surnaturelle, presque insupportable. Ça grimpe dans les ponts et Richard Street chante à la folie. Tu vas retomber certainement de ta chaise en écoutant «Crying In The Night». En fait, les Monitors font bien la nique à Motown. On est chaque fois frappé par leur fantastique énergie. «I’m In Love With You Baby» n’a pas d’équivalent. Ils tapent «Anything» à l’heavy unisson du saucisson, c’est gorgé de chœurs et de fantastiques rasades d’anything. «Guilty» dégouline aussi de classe, ça chante à l’ultra-screaming de la crème de la crème, ils sont chaque fois les rois du monde, le temps d’une chanson.    

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             Les Monitors enregistrent un deuxième album en 1990 sur Motorcity, Grazing In The Grass. De la formation originale, il ne reste plus que John Maurice Fagin, Warren Harris et James Drayton. Ils ont perdu en route l’excellente Sandra Fagin, remplacée ici par Beverley Carpenter, mais on trouve aussi deux autre blackettes dans le cast, Leah Harris et Maxine Wood. Il n’y a pas d’autres précisions. Le boss de Motorcity Ian Levine, et Sylvia Moy, disparue récemment, produisent cet album incroyablement bon. Tu veux danser ? Alors écoute le morceau titre d’ouverture de bon balda, yeah tu y vas, tu jerkes aux yeah, c’est irrésistible, tu Grazes in the grass, tu es dans le move et tu t’amuses bien car les Monitors sont les rois du groove de dancing up, tu as le meilleur dancing Grass qui tu puisses espérer. Et ça continue avec «Cold As Ice», ils ramènent tous leurs vieux réflexes de doo-wop, aw comme c’est fin, comme ce mélange de diskö-beat et de Monitors back-drop peut être capiteux ! Ça devient carrément dément, tu as là une manifestation du grand Black Power. Avec «Rescue My Heart», ils vont plus sur la calypso, ils cultivent les clameurs de heavy Soul, peu de gens naviguent dans ces eaux-là. Retour au big heavy groove avec «Through The Test Of Time», ils restent dans leur move qui est le bon move, ils se cantonnent dans leur canton, ils groovent une sorte d’énorme mélasse de r’n’b, ça rame à la galère d’or, c’est fabuleusement bon. Avec des gens comme eux, tu te retrouves vite à sec de superlatifs. Pars simplement du principe que les Monitors ont du génie. Ils t’explosent le Test of time vite fait. Monitors forever ! Si tu écoutes les Monitors, tu recevras en échange le privilège de goûter à l’essence même du Black Power. Beverley Carpenter revient shaker le shake de «Brainstorm», fast and heavy au oh-oooouhh, une horreur ! Ils tapent ensuite dans Smokey/Sylvia Moy avec «Goin’ To A Go-Go», ils ont tout le son du monde et ça continue avec une cover de «Tears Of A Clown». Dernier coup de génie avec «Forever & Ever», fantastique groove de r’n’b avec du doo-wop par derrière, say it baby ! Elle est partout, la Beverley, elle se frotte à l’ail du génie black, elle se montre insistante et derrière, ça brasille dans le crépuscule des dieux.   

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             Harold enregistre aussi Larry Williams («Bad Boy»), Art Neville («Cha Dooky-Doo») et Jerry Byrne, le chanteur des Spades, («Lights Out») pour Specialty. Puis il commence à caresser l’idée saugrenue de monter un label à la Nouvelle Orleans. Lorsqu’il revient chez lui à la Nouvelle Orleans, le train qui le ramène de Los Angeles s’arrête en gare d’El Paso, au Texas, et une légende vivante monte à bord : Earl King. C’est à lui qu’Harold parle en premier de son idée. Il songe à monter un collectif, AFO Records et comme il connaît les ficelles de caleçon du biz, il monte un house-band avec John Boudreaux (beurre), Allen Toussaint (piano), Alvin Red Tyler (sax) et Melvin Lastie (cornet) - A dream team of studio players, a first-call cache of musicians qui étaient connus pour leur expérience, leur professionnalisme et leur ability to make it happen - Puis c’est le lancement officiel : «On May 29, 1961, à midi, l’état de la Louisiane enregistra the legal birth of AFO Records Inc.» AFO attire toute la crème de la crème de la Nouvelle Orleans : «Tami Lynn, Eddie Bo, the Tick Tocks, Willie Tee, Wallace Johnson, Pistol, Charles Carson, Bobbie Lee, the Turquinettes, the Wood Brothers, James Booker, Drits & Dravy (Mac & Ronnie) and Shirley Raymond.» Harold est fier d’AFO, qui a le plus grand éventail d’artistes de la Nouvelle Orleans, «from blues to jazz to funk to pop, kids to adult, male and female, Black and White.» En 1962, ils lancent un subsidiary label, At Last Records. Harold fait aussi partie des AFO Executives qui accompagnent Tami Lynn. Ils cassent la baraque partout où ils se produisent.

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             Il existe un album des AFO Executives With Tami Lynn. Paru en 1963, A Compendium n’est pas seulement un album d’early Soul. C’est surtout un album de jazz-groove, au sens où on l’entend chez Acid Jazz. L’«Everything’s Coming Up Roses» d’ouverture de bon balda donne le ton : fast jazz. Les Executives vont vite en besogne. Ils t’embarquent, même pas le temps de discuter. Ils proposent un extraordinaire petit brouet d’early Soul. Avec le solo de sax, tu te retrouves dans la réalité. Les Executives tapent dans le round midnite, Alvin Red Tyler et Harold se partagent les coups de sax, comme dans toutes les formations de jazz. Tami arrive enfin pour «Old Man River» et te swingue ça au carré, elle te coule entre les doigts, yeah-eh et tape l’Old man swing. Au piano, Harold devient wild as fuck ! Le hit de l’album est un instro, «Le John», ils tapent ça au heavy jazz. Le beurreman s’appelle John Boudreaux et le stand-up man Peter Bounce. Tami fait son retour avec «I Left My Heart In San Francisco», elle te groove ça vite fait. Elle est aussi balèze que Billie Holiday, elle peut même se montrer encore plus spectaculaire. Le reste de l’album s’enracine dans le jazz, ils te groovent «The Big B N» au bar de la plage. Harold et Alvin Red Tyler se tapent encore la part du lion avec «Old Wyne ».

             Harold raconte aussi l’arrivée de Pince La La chez AFO, au moment où ils recherchent des nouveaux talents : «Un jour Jessie Hill débarque avec une chanteuse nommée Barbara et un guitariste nommé Prince pour l’accompagner. De son vrai nom Lawrence Nelson, Prince était le frère de Walter Papoose Nelson, le guitariste de Fats Domino. Prince avait composé une chanson pour Barbara, «You Put The Hurt On Me». Comme Barbara avait du mal à caler le chant sur le rythme, Prince chantait avec elle pour l’aider. Il chantait si bien qu’on a décidé de l’enregistrer et de trouver autre chose pour Barbara.» Et en juin 1961, Harold emmène Prince et Barbara enregistrer chez Cosimo - Cosimo était beaucoup plus qu’un brillant recording engeener - he loved the music and the people who created it. His contribution was to capture as much as of the music’s spirit as possible.

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             C’est bien sûr Ace qui se charge de rééditer tout l’AFO : trois compiles Gumbo Stew ! Miam miam ! Le crack de Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B) s’appelle Alvin Robinson, il a trois cuts en fin de compile, «Turned In Turned On», «Give Her Up» et «Empty Talk». C’est heavy pour l’époque, la basse démolit tout et Alvin chante comme un killer Wilson Pickett. Mac Rebennack signe le Turned In. Alvin chante son «Empty Talk» à l’écorchée vive, ouuhh ouuhh, il sait mettre le paquet. On retrouve aussi Tami Lynn avec l’excellent «Mojo Hanna», Tami est une fabuleuse shouteuse, elle explose tout, même le fouette cocher. On retrouve les autres protégés d’Harold, Barbara Georges (avec «I Know (You Don’t Love Me No More)», elle gueule comme la Shirley de Shirley & Lee, elle fait du sexe d’exotica incroyablement pré-pubère, elle est très en avance sur son époque) et Prince La La (avec un «Things Have Changed» dans lequel il s’implique prodigieusement, joli groove de New Orleans, bien gluant d’anymore). Autre légende du siècle : Eddie Bo, avec «Tee Na Na Na Nay», I’m on my way, Eddie fait son Ray Charles, quel beau Bocage ! Chœurs de rêve. On reste dans l’ultra légendaire avec «My Key Don’t Fit In» par Dr John & Ronnie Barron, les deux surdoués blancs locaux. C’est terrific de classe, avec un solo de clarinette New Orleans. Les AFO Executives envoient eux aussi une giclée de wild jazz avec l’«Olde Wine» qu’on va retrouver sur leur album, ils te dégringolent l’instro vite fait, on savoure l’excellence du Gumbo jazz, c’est puissant, bien drivé. Encore une fine lame avec Charles Carson et «Time Has Expired». Ce mec te chante ça au sec et net. Et pour finir, la surprise du chef : les Turquinettes avec «Tell Me The Truth», fantastique exotica de la Nouvelle Orleans, mélange explosif d’Africana et d’exotica, c’est à la fois wild et rocailleux, plein d’écailles, ça joue au raw du golfe. Dans ses liners, John Boven rappelle qu’Harold navigue au même niveau qu’Allen Toussaint, Dave Bartholomew et Paul Gayten. 

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             Rebelote la même année avec More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Alvin Robinson y casse encore la baraque avec «Better Be Good». Alvin est un dur, un singer hors normes. Il tape aussi le «We Get Love» de King Floyd au raw, que de son, my son ! Barbara George tire aussi son épingle du jeu avec «Try Me». Elle est très persuasive, c’est une vraie sex girl, sidérante, superbe, sucrée, outrancière ! Wow Barbara, you got it ! Deux coups de génie sur ce More Gumbo Stew : Lee Dorsey avec «Ya Ya» (Absolument irréversible, sucre candy de la Cité des Morts) et les AFO Executives avec «Wyld». Harold est hot on heels, fast on the run, il pique sa crise et ça jazze dans les brancards. Eddie Bo est de retour avec «You Better Check», il groove ça jusqu’à l’os, il pose son yeah avec une classe inébranlable. Dr John et Ronnie Barron sont eux aussi de retour avec «Talk That Talk», ils sont dans le shuffle jusqu’au cou, ah comme ils sont drôles tous les deux ! C’est un duo d’enfer cousu de fil blanc, mais on se régale de les voir s’agiter dans leur bocal de légende. Pince La La fait le Fu Manchu du train fantôme de la Nouvelle Orleans, il dégouline de kitsch et agonise avec un petit scream à la crème de Cosimo. Tu ne peux pas espérer meilleure compagnie, ni meilleure légende. Harlod et Alvin Red Tyler accompagnent Willie Tee au sax sur «Always Accused» et Tami Lynn ramène son énorme présence avec «World Of Dreams», c’est un peu fleur bleue, mais elle dégage un truc purement animal. On se régale aussi des Tick Tocks avec «Gonna Get You Yet», un heavy groove à la Lee Dorsey, yeah yeah, bien fruité, typical New Orleans groovyta. Inconnue au bataillon, voilà Joan Duvall avec «Two Weeks Three Days», elle est bonne la petite Joan d’Arc, bien gospel, Joan c’mon ! Elle tente le coup, et il faut bien dire que c’est infiniment supérieur à tous les coups de gaga-Soul punk-blues portés à notre connaissance ces vingt ou trente dernières années. Joan, elle sait. Vers la fin, Tami Lynn ramène sa fraise avec une cover du «Light My Fire» des Doors. Elle le prend haut perché. Flambant neuf. Mais c’est difficile de passer après Jimbo, même si elle flambe à la fin. C’est à Johnny Adams que revient l’honneur de refermer la marche, avec un heavy blues, «Johnny A’s Blues». Il chante comme une star impavide et l’excellent Nat Perrillat ramène son saxe de porcelaine.

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             Troisième et ultime compile AFO avec Still Spicy Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B). On retrouve une fois de plus Alvin Robinson en queue de convoi, avec quatre titres, dont le faramineux «Soulful Woman», son unique au monde, New Orleans groove, l’homme est puissant, un vrai taureau sur «Sho ‘Bout To Drive Me Wild», pire encore que Wilson Pickett, il est plus massif, il passe toujours en force, une vraie bête de Gévaudan. Les AFO Executives swinguent la Nouvelle Orleans avec «Nancy», une vraie merveille inavouable, c’est d’une pureté d’intention qui défie toute concurrence. Johnny Adams rempile avec «A Losing Battle», c’est lui le cake ! L’autre cake est bien sûr Eddie Bo dont il est impossible de se lasser. Ils ramène son «Check Mr Popeye», il swingue le swamp, il est intrinsèque, il groove les membranes de l’organic, il est puissant et gluant à la fois, il est une sorte d’incarnation aquatique du New Orleans groove, la star du Gumbo Stew, comme le montre encore «I Found A Little Girl». Quand on l’entend chanter «Roamin-itis», on réalise soudain que tout Dr John vient du chant d’Eddie Bo. Et puis voilà encore un cake : Willie Tee avec «Why Lie». Comme Willie est très pur, il te broie le cœur. Il est planté sur le bord du génie. Il revient plus loin avec «Who Knows» qu’il chante à la dent creuse. Willie est un pourvoyeur, un fantastique seigneur des annales. C’est à James Booker que revient cette fois l’honneur de boucler le bouclard avec «End Of A Dream (Booker’s Ballad)», qu’il joue au piano liquide, suivi par le sax d’Alvin Red Tyler. Booker te groove le piano jazz, il s’implique dans la décadence de la rue, yo brother ! Chopin du gutter, fantastique allure !      

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             Puis Harold et ses amis décident de s’installer à Los Angeles, car le biz y est plus florissant qu’à la Nouvelle Orleans. Ils ferment AFO et créent le studio Soul Station #1, «in South Central Los Angeles, a small storefront on South Vermont, between Adams and Jefferson.» Le premier artiste qu’ils enregistrent en 1964 est Sam Cooke avec «Tennessee Waltz» pour RCA. Sam enregistre aussi «Shake», «A Change Is Gonna Come» et fait venir les artistes de son label SAR, «Johnnie Taylor, Billy Preston, Mel Carter, les Valentinos with Bobby Womack, Linda Carr, Patience Valentine and the Sim Twins among others.» Harold est en plein boom : «Puis j’ai eu un coup de fil d’Earl Palmer, devenu top session drummer in LA, me demandant si je voulais bien écrire les arrangements pour le producteur Tommy LiPumma, qui enregistrait les O’Jays at United Studios. Il s’agissait d’une chanson d’Allen Toussaint, «Lipstick Traces» qui fut le premier hit des O’Jays.»

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             C’est l’époque où Sonny Bono bosse pour Totor et un jour de 1963, Harold reçoit un coup de fil : «He got Phil to call me to play piano on his sessions.» Harold va jouer pour Phil Spector de 1963 à 1965 sur des trucs assez légendaires, «You’ve Lost That Loving Feelin’» des Righteous Brothers, «Proud Mary» d’Ike & Tina Turner, et les Ronettes. Harold découvre l’univers de Totor au Gold Star studio, avec cette palanquée de musiciens, deux basses, quatre guitares, trois pianos - I was the designated free piano, ça veut dire que je n’avais pas à jouer la partition, Phil wanted me to ad lib whatever I thought would fit. Il ajoutait les autres instruments, horns, strings, singers etc - plus tard. Il semblait n’avoir rien préparé, il créait au fur et à mesure. Lors des dernières sessions, il semblait avoir besoin de plus de temps pour trouver ce qu’il cherchait. Pour moi, les Spector sessions étaient trop longues et ennuyeuses. Mais après coup, j’ai réalisé qu’il avait du génie et j’étais émerveillé par the complex simplicity of his productions - Très bel hommage. Merci Harold.

             On passe d’un géant à un autre avec Doctor John. Harold le connaît depuis 1957, «back in my Specialty days». Mac débarque à Los Angeles en 1965. Il fait signe à son vieux pote Harold et pouf, Harold fait appel à lui pour donner un coup de main sur les tournées de Sonny & Cher. Mais il demande à Mac de rester discret sur les drogues, car Sonny & Cher sont clean - In public and in private - Harold et Sonny Bono montent un petit label en 1967, Progress Records, et proposent à Mac d’enregistrer un album - Mac me dit qu’il avait lu des choses sur un personnage nommé Dr John from the New Orleans voodoo tradition et il voulait bricoler quelque chose à partir de ce personnage. Le concept me plut immédiatement. J’envisageai alors de créer un new sound, look and spirit to the popular psychedelic/underground wave. On a discuté du projet pendant plusieurs jours et on a commencé à sélectionner des musiciens, des chanteurs et des morceaux. C’est un autre New Orleans transplant, Ronnie Barron, qui devait incarner Dr John, a White guy we knew from back in the day. Ronnie had a great singing voice for R&B and pop music et il pouvait sonner comme un Black. He was a performer like Tom Jones. Mais son manager pensait que le personnage de Dr John ne serait pas bon pour sa carrière. Je trouvais que Mac collait bien au projet, mais il était réticent, lui aussi. Il ne se voyait pas comme un upfront artist - Harold réserve le Gold Star à l’été 1967 - The cast comprenait Mac on guitar, keyboards and vocal, John Boudreaux (one of the AFO Executives) on drums, Bob West on bass, Ronnie Barron, keyboards and vocals, Ernest McLean, guitar/mandolin, Steve Mann, guitar, Pias Johnson, saxophones, Lonnie Boulden, flute, and singers Tami Lynn, Shirley Goodman, Joanie (I don’t remember her last name), Dave Dixon, Jessie Hill and Al Robinson. Je jouais de la basse et fis quelque vocaux. Aux percus, il y avait un mec nommé Didymus. Je n’ai jamais su son vrai nom. He was one of these cats who was well known in the music community et personne ne lui demandait son vrai nom. He was also a partner of Mac’s in the drug life - Comme on peut le voir, Harold est très précis sur le casting des sessions.

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    C’est avec tous ces gens extraordinaires qu’il a enregistré cet album extraordinaire qu’est Gris-Gris - The vibe was there and the music just flowed. I was comfortable, connected spiritually to the people and the music we were making. I became more involved than I had expected, and it became more than a production to me - C’est vrai que l’album fait partie des chefs-d’œuvre du spirit rock, avec Electric Ladyland, What’s Going On et There’s A Riot Goin’ On. Avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya» on plonge au cœur d’un monde fascinant, dans une ambiance à la traîne, celle d’un soir d’été gorgé d’humidité à la Nouvelle Orleans - They call me Doctor John/ Known as the night tripper - Dr John tape ensuite dans l’un des grands classiques cajuns, «Danse Kalinda Ba Doom», pure exotica antillaise d’Afrique ethnologique. Puis voici «Mama Roux», le groove des jours heureux. Dr John chante comme un noir. Et il nous emmène ensuite au cimetière pour groover sur «Danse Flambeaux», une pièce fascinante de lenteur squelettique, symbole de l’étrangeté du monde. Par ses inflexions, Dr John rejoint le grand art méphistophélique de Captain Beefheart. En B, on tombe sur l’incroyable «Croker Courtbullion», un groove à la ramasse d’une brisure de rythme imbibée de rhum de contrebande, joué au clair de lune avec des pianotis irresponsables et des coups de trompettes inféodées - Walk on guilded splinters with the King of the Zoulous ! - Voilà ce qu’il clame dans «I Walk On Guilded Splinters». C’est le groove le plus étrange de l’histoire du continent africain. Pas étonnant que Steve Marriott l’ait repris sur scène au temps béni d’Humble Pie. Il règne dans ce cut une ambiance létale qui remonte aux origines de l’humanité. Cet album fonctionne comme un sortilège. De la même façon que Screamin’ Jay Hawkins, Dr John jette des sorts. 

             Harold envoie ensuite les bandes chez Atlantic. Il pensait que l’album sortirait à l’automne 1967 - That didn’t happen. The execs at Atlantic ne savaient pas quoi faire des enregistrements que je leur avais envoyés. Quand j’ai parlé avec Ahmet Ertegun, président d’Atlantic, il m’a demandé comment il fallait appeler ce type de musique. ‘Que vais-je bien pouvoir dire à mes promotion men ? What radio station gonna play this crap?’ Je n’avais pas pensé à tout ça - Puis quand le succès arrive, Mac se trouve confronté au problème qu’il redoutait : l’upfront ! - Mac était avant toute chose un compositeur et un musicien de studio. C’est là qu’il se trouvait bien. Il se trouva soudain confronté au problème de devenir un upfront stage artist, which required many adjustments, mentally and physically - Son premier grand show nous dit Harold eut lieu au Fillmore West in San Francisco, il partageait l’affiche avec Thelonious Monk - Je n’en revenais pas ! Mac and Monk ! - Harold va aussi produire le deuxième album de Mac, l’effarant Babylon, plus porté sur les questions sociales, puis l’excellent Gumbo. Mais Mac et Harold vont avoir des petites embrouilles et leurs chemins vont devoir se séparer.

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             Harold travaille aussi pour Pulsar et produit le premier album de King Floyd. Il a beaucoup d’admiration pour le jeune King - Of the artists avaliable to me that I thought were ready, King Floyd was my choice - L’autre chouchoute d’Harold, c’est Tami Lynn qui lui demande en 1971 de l’accompagner pour une tournée anglaise. Harold indique au passage que Jerry Wexler a toujours été fasciné par le talent et l’énergie de Tami. Elle était célèbre en Angleterre avec «I’m Gonna Run Away From You», un cut qu’Harold qualifie de quiet, pop-type number, ni Wexler ni Tami elle-même n’en pensaient grand bien, mais les Anglais avaient flashé dessus et invité Tami à tourner chez eux.

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             C’est dans les années 70 qu’Harold constate des velléités d’indépendance chez Yette. Elle veut reprendre un boulot. Après une petite crise cardiaque, Harold se voit contraint de dresser le bilan de sa vie, histoire de voir s’il peut encore remettre les choses au carré : «Tout ce que j’avais fait depuis 1957 suivait une tangente hors du real Harold Battiste : le job pour Specialty, puis celui pour Ric Records, même l’épisode AFO avec ses rebondissements, ses succès et ses échecs, puis la collaboration musicale avec Sonny & Cher, qui était à l’exact opposé de mes aspirations musicales. Après ma convalescence, je me suis remis à travailler d’anciennes compositions et à en écrire de nouvelles, j’ai repris la pratique de mon instrument pour essayer de redevenir le vrai Harold Battiste. Pourtant, je continuais de bosser pour Sonny car je lui avais donné mon accord. Bien sûr, il y eut des bons moments avec tous ces vieux projets, le Monkey Puzzle LP, le Compendium LP pendant les AFO years, la bande originale de The Good Times, le projet African Genesis, la bande originale du film sur Angela Davis, quelques morceaux de Sonny & Cher m’ont même apporté des satisfactions musicales. Mais au fond, je n’éprouvais pas vraiment de fierté pour tout ça. J’éprouvais seulement la fierté d’avoir été capable d’atteindre le but fixé, qui était de vendre des disques et des artistes.»

             En vieillissant, Harold s’assombrit. Il ne gagne plus très bien sa vie. Son vieux pote Sonny Bono essaye de l’aider en lui proposant toujours le même job : directeur musical de ses tournées. Extrêmement bien rémunéré. Mais Harold veut arrêter. Sonny insiste : «On a discuté pendant trois heures, en partie comme des collègues, mais surtout comme des amis. On avait des expériences identiques. Comme il avait lui-même dû affronter des problèmes matrimoniaux, il pensait pouvoir me donner des conseils. Pour lui, le fait que je veuille arrêter de bosser pour lui n’était pas uniquement un problème de choix musicaux. Il pensait que ça venait plutôt de ma vie privée. Il insistait pour me dire que je prenais le travail trop au sérieux et que je ne m’amusais pas assez. Et pour lui, ça voulait dire que j’étais tendu à cause de ma situation à la maison. Il m’a même conseillé de prendre des vacances avec une autre femme. ‘Va à Hawaï et emmène quelqu’un avec toi, Janie McNealy, par exemple’. Je ne m’attendais pas à ça. Je pense que ses efforts étaient sincères, il cherchait à me perturber pour m’aider à réagir.» Harold continue : «Ce n’était pas la première fois qu’on me disait que je n’étais pas heureux à la maison. Yette disait la même chose. Mais elle forçait le trait et ça me révoltait. Pendant des années, Yette a dit que je n’étais pas heureux avec elle. Je refusais d’entendre ça, en partie parce que je croyais aux vertus de la vie de famille. C’était ma règle de vie. J’étais terrifié par la séparation et le divorce. J’ai toujours éprouvé un amour sincère pour Yette, mais je pense qu’elle s’est aperçue que mon sentiment pour elle avait changé. Le romantisme était devenu une sorte de dévotion, a family type of love. Elle admettait que je n’éprouvais plus rien de romantique pour elle, et ni elle pour moi. Mais dit par Sonny, je fus contraint d’admettre que Yette avait raison. Depuis le début. Yette ne supportait pas que je nie la vérité.»  

             Puis les choses vont se corser. Yette finit par agresser Harold, lui disant qu’«elle and the kids had been just slaves to me. She thought of our business as not ours but mine, and therefore to work for it meant working for nothing, which equaled slavery.» Évidemment, Yette a un mec. Elle prend un appart près de son boulot. Et elle demande le divorce. Le pauvre Harold s’écroule comme un château de cartes. Il lui téléphone pour lui dire qu’elle peut tout garder, de toute façon, ils n’ont pas grand chose - Je l’appelais pour me rendre, mais elle n’acceptait ma reddition. Elle semblait vouloir prolonger le combat pour me voir souffrir. Non, ce n’est pas ça. Elle avait besoin de se sentir justifiée à agir ainsi contre moi. Elle voulait que je me comporte comme un homme, car elle avait une idée très précise de ce que doit être un mari - Boom ! Divorce. Le juge laisse les meubles à Harold et file la baraque à Yette. Harold doit quitter les lieux avant 17 h, le samedi 12 novembre 1988. Il ne vaut pas quitter sa baraque. Il met un écriteau sur la porte : OVER MY DEAD BODY. Il faudra passer par-dessus mon cadavre ! Mais des amis parviennent à le convaincre de vider les lieux et le pauvre Harold commence une nouvelle vie - J’ai commencé à réaliser que mon ancienne vie était finie. J’étais passé de l’autre côté. J’étais devenu un homme divorcé, seul, un homme paumé sans maison ni famille - Alors il retourne s’installer dans sa ville natale, à la Nouvelle Orleans, pour devenir professeur de musique - By coming home again, I got to meet Harold Raymond Battiste Jr. He got lost in Los angeles. New Orleans found him

    Signé : Cazengler, Harold Bateau

    Harold Battiste Jr. Unfinished Blues. Memories Of A New Orleans Music Man. The Historic New Orleans Collection 2010

    Dr John. Gris-Gris. ATCO Records 1968

    Monitors. Say You! The Motown Anthologue 1963-1968. Kent Soul 2011

    Monitors. Grazing In The Grass. Motorcity Records 1990       

    The AFO Executives With Tami Lynn. A Compendium. AFO Records 1963

    Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    Still Spicy Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1994

     

     

    Finley le finaud

             Robert Finley débarque dans Mojo à l’âge de 64 ans. Il est aveugle depuis deux ans et a enregistré son premier album en 2016. Alors voilà le travail.

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             En 1964, le petit Robert vivait à Winnsboro, en Louisiane, et plutôt que d’acheter une paire de godasses avec le billet de vingt que lui avait filé son père, il s’acheta une guitare. Puis il va vivre la vie d’un black ordinaire. Il répare les hélicos dans l’armée et rentre à Winnsboro pour pratiquer le métier de charpentier, comme son père avant lui, et chanter le gospel à l’église.

             C’est en 2015 qu’on le découvre, lors d’un spectacle King Biscuit Time à Helena, Arkansas. Bruce Watson et Jimbo Mathus le prennent en main et son premier album sort sur Big Legal Mess, c’est-à-dire Fat Possum. Les Bo-Keys de Memphis accompagnent le vieux renard.

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             Age Don’t Mean A Thing est un gigantesque album de Soul. Finley le finaud l’attaque avec «I Just Want To Tell You», dans une ambiance gospel avec des chœurs magiques. On note qu’Howard Grimes bat le beurre. Au dos de la pochette, Bruce Watson répète la même histoire de paire de godasses, de charpente et de glaucome. Alors le vieux Robert se bat pied à pied avec sa Soul, il passe par un petit mambo («Let Me Be Your Everything») et finit son balda avec un shoot de deepy deep, «Snake In The Grass». Il s’énerve un peu en B avec «Come On», un hard funk à la James Brown, il a les mêmes réflexes que le Godfather, aw, c’mon ! Puis il replonge dans son deepy deep avec un «Make It With You» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un raw r’n’b bien Staxy, «You Make Me Want To Dance», il chante sa Soul de plein fouet, avec une rare honnêteté.

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             Qui a dit que les miracles n’existaient pas ? Robert Finley sur scène en Normandie ? Inespéré ! Alors le voilà, conduit sur scène par une jeune black dont on va apprendre plus loin qu’elle est sa fille aînée. Il arrive, costard noir, chemise western, chapeau star & stripes, lunettes noires, c’est le Deep South louisianais qui débarque dans ta campagne, mon gars !

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    Dès l’aéroport, Nougayork sentait le souffle, et nous on sent aussi le souffle, ce vieil homme a des allures de monstre sacré. Et pendant une heure il va te faire un show comme plus personne n’ose en faire, de nos jours, il va te rocker la salle, il va aussi te la blueser, et même te la Souler, il dégouline littéralement de classe, il danse entre les couplets, sa fille fait les backing vocals et derrière eux, un trio de petits culs blancs assure élégamment le minimum vital. Robert Finley, tu crois rêver ! Encore une légende échappée du radar. Sans Big Legal Mess, personne ne connaîtrait son existence.

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    Il te fracasse ses hits un par un, il redore le blason de la Southern Soul, sa fille vient lui annoncer chaque titre à l’oreille. Il établit un contact magique avec le public, il rit beaucoup, c’est un très bel homme, capable de danser le jive avec sa fille. Il démarre avec «Sharecropper’s Son» et c’est énorme, il fout immédiatement le souk dans la médina et fait main basse sur le public. Il approche des 70 balais, mais quelle énergie ! À chaque fin de cut, il salue le public d’une courbette en levant son chapeau. Ses cheveux blancs sont tressés vers l’arrière.

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    L’un des moments les plus émouvants du set est l’«I Can Feel Your Pain» tiré du troisième album, il est tellement sincère dans sa Soul qu’il en devient christique, cet homme dégage indéniablement quelque chose de profondément spirituel. Il chante pas mal de cuts en power-falsetto et c’est encore plus impressionnant que sur les albums, il peut allier le chat perché à la puissance de ténor. Il fait l’apologie de l’espoir («All My Hope») et du sourire. Il revient en rappel pour quelques cuts, dont deux blues qu’il gratte sur sa gratte, perché sur un tabouret, et là, on assiste à un édifiant numéro de cirque. Le deuxième blues acou est assez spectaculaire, «Make It With You», il le chante au fil d’argent, à la mélodie pure, en rigolant. Lorsqu’après le set, au bar, on lui demande si «I Can Feel Your Pain» vient de l’église, il répond d’un rire énorme et de toute sa poitrine. À la question de l’artiste préféré, on s’attend à Slim Harpo ou a Bobby Charles, mais il répond B.B. King.

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             Le deuxième album de Robert Finley s’appelle Goin’ Platinum. Dan Auerbach produit et signe toutes les compos. Il fait ce que Tweedy fait avec Mavis. Fantastique Soul Brother que ce vieux Robert ! Dans «If You Forget My Love», il est partout, avec sa voix d’immense Soul Brother, il swingue sa Soul à un niveau extrêmement élevé. La fête se poursuit avec «Three Jumpers», solide groove de heavy blues monté sur un hard drive de basse. Belle ambiance. Robert se jette dans la bataille et chante à l’extrême. La prod d’Auerbach ne fait pas de cadeaux. Robert s’éclate la glotte à coups d’oh yeah ! On reste dans l’excellence avec «Honey Let Me Stay The Night». C’est embarqué droit en enfer. Robert a encore du bon grain à moudre, c’est joué au maximum de toutes les possibilités envisageables. Robert s’éclate au Sénégal, un vrai gamin, il file, racé comme un requin blanc. Et puis voilà «Complications». Robert l’assume à bras le corps. C’est exceptionnellement bon, chanté à la volonté de Dieu. Quelle énorme machine ! Robert fonce, habitué à subir les volontés du patron blanc. Vas-y mon nègre, gueule dans le micro ! Robert chante la compote du patron blanc. Est-ce Auerbach qui va rafler la mise ? Robert Finley ? Macache ! Ce chanteur exceptionnel est tombé dans les filets du business blanc, on est loin du temps d’Al Bell. Robert finit l’album avec «Holy Wine», un slowah dévastateur.

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             Dans Mojo, Lois Wilson compare Robert Finley à Syl Johnson, Solomon Burke et Al Green. Pas mal, non ?

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             Le nouvel album du vieux renard vient de paraître. Il s’appelle Sharecropper’s Son, produit par Auerbach. Décidément, l’Auerbach est partout. Trois cuts tapent dans le mille : «Souled Out On You», «Starting To See» et «I Can Feel Your Pain». Le vieux renard est dans le power de la Soul, c’est ce que montre «Souled Out On You». Il va chercher un vieux chat perché dans le feu de l’action et il devient un seigneur des annales. On renoue avec la grandeur tutélaire dans «Starting To See». Le vieux est un Soul scorcher exceptionnel. Il pousse sa Soul à l’extrême. Il réussit même à exploser le cut. Dommage qu’on entende la guitare d’Auerbach derrière lui dans «I Can Feel Your Pain». Le cut serait si parfait sans cette guitare qui blanchit le son. Auerbach fait les mêmes ravages que Tweedy avec Mavis : il avait réussi à la blanchir. Dans «Make Me Feel Alright», Auerbach ramène tellement sa fucking guitar qu’on perd la Soul de vue. Le vieux amène le morceau titre au stomp, mais encore une fois, la guitare gâche tout. C’est tout même dingue que les blancs la ramènent dans une histoire de sharecropper. C’est un peu insultant. Comme la présence d’Auerbach donne de l’urticaire, il faut se concentrer sur le chant. Le vieux chante «Country Boy» au petit chat perché, mais Auerbach vient encore lui manger la laine sur le dos avec son ego démesuré et son son de blanc dégénéré. Les blancs colonisent l’art nègre comme au temps des plantations, on ne sent pas la mixité comme chez Stax où le blanc se fond dans le moule black. Ici la guitare prévaut. Elle prévaut dangereusement. Le vieux boucle l’album avec «All My Hope» qui vire gospel, avec de l’orgue. Ouf on croit échapper à la fucking guitare mais elle revient dans le son, ce mec a un problème, il devrait aller voir un psy. Il nous gâche le plaisir d’écouter l’immense Robert Finley.  

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Le 106. Rouen (76). 24 novembre 2022

    Robert Finley. Age Don’t Mean A Thing. Big Legal Mess 2016

    Robert Finley. Goin’ Platinum. Easy Eye Sound 2017

    Robert Finley. Sharecropper’s Son. Easy Eye Sound 2021

    Lois Wilson : Robert Finley. Mojo #290. February 2018

     

     

    Wizards & True Stars

     Dylan en dit long (Part Five)

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             De la même façon que Balzac, Céline ou Victor Hugo, Dylan échappe à toutes les catégories. Par la seule ampleur de son œuvre. Il ne viendrait l’idée à personne de dire que Dylan, Balzac, Céline et Victor Hugo sont les plus grands. Pourquoi ? Parce qu’on le sait. Alors on se contente de lire les livres et d’écouter les disques. Après, on ira au jardin voir si la rose est éclose.

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             Sur la pochette de son premier album, le jeune Bob a l’air pensif. Soixante ans plus tard, il a toujours le même regard. Paru en 1962, cet album sans titre ne semblait destiné qu’aux folkeux. Certains d’entre-nous l’ont redécouvert un peu plus tard, au moment du choc d’Highway 61 Revisited, en 1965. On y allait les yeux fermés, même si bien sûr le son de 1962 était nettement plus austère. Le jeune Bob grattait comme un dératé et ramenait des coups d’harp du midwest. Avec le recul, on voit bien que Gram Parsons s’est cassé la tête pour rien, car du temps du jeune Bob, la messe de l’Americana était déjà dite. En reprenant le «She’s No Good» de Jesse Fuller, le jeune Bob inventait la cosmic Americana. L’autre gros shoot d’Americana est bien sûr l’excellent «Pretty Peggy O» enflammé à coups d’harp du Midwest. Le jeune Bob y pousse des ouh ouh d’antho à Toto. Pas mal de covers sur cet album dont l’excellent «Baby Let Me Follow You Down» - This is a song by Eric Von Schmidt. He lives in Cambridge, a blues guitar player - Cambridge où le jeune Bob a séjourné plusieurs mois avant de débarquer à Greenwich Village. C’est avec cette cover qu’il pose les jalons du Dylan electric. C’est aussi sur cet album qu’on trouve la reprise d’une chanson traditionnelle, «The House Of The Rising Sun» que vont reprendre les Animals. Même ambiance que celle de Parchman Farm, ça finit avec le ball and chain, et l’I’m going back to end my life down in the rising sun. Cet album est celui de toutes les mythologies. Oui et quelles mythologies, car le jeune Bob reprend aussi le «See That My Grave Is Kept Clean» de Blind Lemon Jefferson. Dans Masked And Anonymous, Dylan sort la guitare de Blind Lemon et dit que tout a commencé avec elle. Il joue ce cult-blues sec et net en forçant un peu la voix. Il reste dans le blues du Delta avec «In My Time Of Dyin’», fantastique régurgitation de dyin’ babe. Il injecte encore du blues pour son protest dans «Fixin’ to Die Blues». Il gratouille bien ses poux d’arpèges et force un peu sa voix pour exprimer ce qu’est le blues de Bukka White. N’oublions que dans Chronicles, le jeune Bob citait Robert Johnson comme principale source d’inspiration. Le vrai Dylan se trouve dans «Man Of Constant Sorrow» que reprendra d’ailleurs Rod The Mod à l’époque Mercury. Fantastique exaltation mélodique - I’ll say goodbye to Colorado/ Where I was born and partly raised - Il re-façonne déjà l’Amérique, mais bien sûr, personne n’est au courant, même pas lui. Il veut quitter le Colorado, mais il y revient. Il crée la mythologie du hobo - I’m about to ride that morning railroad/ Perhaps I’ll die on that train - Pour un premier album, c’est un coup de maître. Bob Dylan est l’album factuel. 

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             La pochette de The Freewheelin’ Bob Dylan compte parmi les plus mythiquement tendres de l’histoire du rock. Diable, comme elle est belle la Suze, au bras d’un Bob qui paraît si léger dans le mouvement, ce mouvement, souviens-toi, dont il fait l’apologie dans Chronicles. L’album s’ouvre sur ce «Blowin’ In The Wind» qui ne passe plus du tout. On a peut-être trop entendu cet answer my friend. Par contre, si tu vas dans le Nord, n’oublie pas d’écouter «Girl From The North Country», car she once was a true love of mine. La formulation n’est pas banale, c’est de la poésie dylanesque, comme on dirait un songe verlainien. Ces gens-là naviguent au même niveau. Avec sa Girl, Dylan commençait à taper dans l’œil du mille. Même les gens qui le critiquaient bêtement pâlissaient à l’écoute d’une telle merveille. Oh il ne raconte pas grand-chose dans ce balladif intemporel, pas de discours antimilitariste, pas de symbole caché ni de personnages emblématiques, juste le souvenir du froid - Where the winds hit heavy on the borderline - et de cette femme dont il fut profondément amoureux. Il se rappelle surtout de ses cheveux qui se répandaient sur ses seins - Please see for me if her hair hanging down/ If it curls and flows all down her breast - et comme il s’adresse à toi puisque tu vas aller faire un tour dans le Nord, il te demande de vérifier si sa longue chevelure s’écoule toujours sur ses seins. On imagine la tête de l’exégète devant cette chanson : rien à en tirer, juste une histoire de nostalgie amoureuse. C’est d’une banalité ! Mais rien n’arrive à la cheville de la banalité dylanesque. Burt Bacharach, Brian Wilson, Phil Spector et Jimmy Webb l’avaient bien compris puisqu’ils s’y sont engouffrés à leur tour. Comme Dylan, ils ont réussi à percer le secret du Grand Œuvre, c’est-à-dire la chanson parfaite. La chanson parfaite, c’est celle qu’on écoutait voici cinquante ans et qu’on écoute encore aujourd’hui en ressentant exactement le même frisson, le même plaisir cérébral, qu’il s’agisse de «Girl From The North Country», de «MacArthur Park», d’«Heroes & Villains», de «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’» ou de «This Guy’s In Love With You». Qui ose prétendre que la perfection n’est pas de ce monde ? Puis Dylan revient à son dada avec «Masters Of War», toujours d’actualité. Eh oui, c’est le business le plus juteux avec celui de Pandemic, alors pas question de s’en priver. Les gens gueulent, mais à la place des Masters of War, ils feraient exactement la même chose. On est antimilitariste quand on est pauvre. Quand on est riche et qu’on vend des armes, on ne l’est pas. Alors comme Dylan est pauvre, il est antimilitariste. Il harangue les harengs, avec beaucoup de mots lestés en B, bills, bombs, blood, bins, brain, des clous qu’il enfonce avec des death, desks, drain. N’oublions jamais qu’il est d’abord écrivain et poète, et qu’il connaît le poids des mots. Bien sûr, il n’oublie pas le vocabulaire apparenté, bullets, triggers, et comme il est jeune, il montre les dents, il fait le revanchard, il dit que personne, même pas Jésus, ne pourra leur pardonner aux masters of war, et il attend la dernière strophe de son interminable harangue pour leur souhaiter de crever, and I hope that you die, et vite fait en plus, and your death will come soon, et il suivra le cercueil by the pale afternoon et il le verra descendre au fond du trou, down to your deathbeb, par contre, il n’ira pas jusqu’à cracher sur sa tombe comme le ferait l’avenir du rock, non, il se contentera de monter sur la tombe pour être bien sûr que le Master of war ne va pas se sauver. Par contre, l’«Hard Rain’s A Gonna Fall» se veut plus biblique, avec tous ses personnages qui sortent de ce poème fleuve comme autant de cartes d’un jeu de tarot, a white man who walked a black dog, a poet who died in the gutter, a clown who cried in the alley, a young woman whose body was burning (comme dans le film), des rivières de diamants, il est le seul avec Leo Ferré à savoir respirer la poésie, et il sait son poème dit-il à la fin, avant même de commencer à le scander. On le retrouve en B avec «Don’t Think Twice It’s All Right». Il traite ici de l’incommunicabilité des choses, but we never did too much talking anyway,  il dit avoir voulu lui donner son cœur mais elle voulait son âme, il lui reproche de l’avoir treated unkind, you could’ve done better but I don’t mind/ You just kinda wasted my precious time, ah comme la vie peut être compliquée. C’est le fonds de commerce des grands poètes. Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne. Et cette fantastique façon qu’a Dylan de dire adieu, so long honey babe. Le coup de génie de l’album est cette version de «Corrina Corrina» jouée au deepy deep et qui préfigure le son de John Wesley Harding, montée sur un drive de basse incroyablement nonchalant. Il termine avec «I Shall Be Free» et raconte que JFK lui passe un coup de fil, my friend, Bob, what do we need to make the country grow?, et Dylan lui répond my friend, John, Brigitte Bardot, Anita Ekberg, Sophia Loren, ah quelle fantastique énergie du chant ! Alors Dylan boit pour être libre, well, ask me why I’m drunk all time/ It levels my head and eases my mind, il va par les chemins et chante comme Charles Trenet, I see better days and I do better things, il attrape des dinosaures, il baise Elizabeth Taylor et bien sûr s’attire des ennuis avec Richard Burton.

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             Quand on réécoute The Times They Are A-Changing on est frappé par la pureté du protest process et par la légendarité des coups d’harp. Paru en 1964, cet album est d’une incroyable modernité. «The Ballad Of Hollis Brown» nous fait comprendre autre chose : c’est déjà électrique avant le Dylan goes electric de Newport. Cette fabuleuse tension va servir de modèle à tout le folk-rock américain - Hollis Brown he lived on the outside of town/ With his wife and five children/ And his cabin breakin’ down - Il fait rimer le desolation row de town avec down. Il met tout son poids dans ses syllabes et charge sept cartouches dans sa culasse. Dylan fait ce que fit Hugo un peu avant lui, il universalise la misère pour mieux nous la balancer en travers de la gueule, car c’est tout ce qu’il reste à faire - Seven shots ring out like/ The ocean’s pounding roar - Alors on observe son visage sur la pochette, et on le trouve bien grave, le jeune Bob avec son regard chargé d’ombre. Il n’a pas encore envie de chanter des chansons d’amour, ça viendra plus tard, quand il aura compris qu’universaliser la misère ne servait à rien, puisqu’elle est dans l’ordre des choses, comme la violence ou encore la connerie. Alors il fait appel à Dieu qui ne vaut guère mieux, et c’est «With God On Our Side», alors tout va bien, puisque Dieu est avec nous, disent les soldats américains qui massacrent les tribus indiennes - The cavalries charged/ The Indians died/ Oh, the country was young/ With God on its side - Pour une fois le rock sert à quelque chose. Bois un grand verre de coca-cola, mon gars, car ce n’est pas fini. Le jeune Bob est tellement ému par ce qu’il chante qu’il développe un fantastique sens mélodique. Il peut monter, il reste juste au moment du country was young/ With God on its side. Il ne compte pas non plus les morts de la première guerre mondiale, puisque dit-il, plein de bon sens, you don’t count the dead/ When God’s on your side, et en attendant la troisième, il évoque la deuxième guerre mondiale et trouve tout naturel qu’on devienne potes avec Allemands qui ont balancé six millions de gens dans les fours crématoires - They murdered six million/ In the ovens they fried/ The Germans now, too/ Have God on their side - God est incroyablement permissif, c’est même une bonne pâte, tout le monde le sait, même le diable. Et comme à l’école, le jeune Bob a appris à craindre et haïr les Russes, alors pas de problème, quand il faudra courir aux abris, il le fera comme tout le monde, With God on my side. Ah il se marre bien, le jeune Bob. Il ajoute que tu ne poses jamais de questions quand tu as God on your side, c’est très pratique. Il en vient fatalement à se poser la question sur Jésus et sur la trahison de Judas, mais dit-il, il ne peut pas se la poser à notre place, chacun doit se débrouiller avec sa conscience - You’ll have to decide/ Wether Judas Iscariot/ Had God on his side - Dylan est déjà passé maître dans l’art de dire les choses. On vote donc pour Dylan, comme on votait pour le Che, Gandhi et Nelson Mandela. En B, on croise l’excellent «Boots Of Spanish Leather», excellent car d’une grande pureté mélodique et qui sonne comme «Girl Of The North Country» qu’on trouve sur The Freewheelin’ Bob Dylan et plus tard sur Nashville Skyline où il duette avec Cash. Et puis avec «The Lonesome Death Of Hattie Carroll», le jeune Bob s’en prend vertement à cette métaphysique de la brutalité qu’on appelle l’injustice. Le jeune Bob raconte comment un jeune et riche planteur de tabac, William Zantzinger, ratatine à coups de canne une servante de cinquante balais et s’en sort avec six mois ferme - But you who philosophize/ Disgrace and criticize all fears/ Take the rag away from your face/ Now ain’t the time for/ Your tears - Pareil, des gens sont passés par là avant, de Zola à Leo Ferré, dénoncer l’injustice est un job vieux comme le monde qui ne sert strictement à rien, puisqu’elle s’inscrit dans les tables de la loi. Tu nais pauvre, t’es baisé. Tu nais riche, tu passes à travers tout.  The Times They Are A-Changing est l’album solaire.

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             C’est sur Another Side Of Bob Dylan paru en 1964 qu’on trouve le grand cut préfigurateur du rock moderne : «Motorpsycho Nitemare». Le nitemare préfigure surtout la trilogie à venir (Highway 61 Revisited/ Bringing It All Back Home/ Blonde On Blonde). Là tu as tout le sharp spirit dylanesque, l’essence du rock électrique - I’m a clean cut kid and I been to college too - Il swingue ses mots jusqu’au vertige, à part Iggy avec son maybe call mom on the telephone, personne n’est allé aussi loin que lui dans ce délire de poésie électrique, il est la suite de Rimbaud, il fait exactement ce que Rimbaud aurait fait s’il avait eu une guitare électrique, Dylan incarne la liberté et l’intelligence de la liberté, il a ce don unique, on peut passer sa vie à écouter et réécouter Dylan sans jamais craindre l’ennui. Il crée son monde en permanence, à longueur d’albums. Voilà qu’il débarque dans une ferme paumée à la recherche d’un toit pour la nuit - a place to stay - et il tombe sur le fermier qui lui colle un gun into my guts. Sauf bien sûr chez les cracks du rockab, le rock n’avait encore jamais swingué comme ça et depuis, il n’a jamais aussi bien swingué. Et voilà Rita, la fille du fermier, qui semble sortir de la Dolce Vita - Then in comes his daughter whose name was Rita/ She looked like she stepped out of la Dolce Vita - La façon dont Dylan swingue sa phrase est essentielle. Il transmet tout l’héritage du blues et du rockab. Dès qu’il voit Rita, Bob sent l’embrouille. On se croirait chez farmer John, avec the girl with the champagne eyes. Le fermier héberge Bob à deux conditions : pas touche à ma fille et demain matin, tu trais les vaches - Milk the cows - Marché conclu. Bob dort sous le stove. Rrrrrrrrrrr. Il dort à poings fermés - I was sleepin’ like a rat - et soudain, quelque chose le secoue - There stood Rita/ Looking just like Tony Perkins - Il a besoin du Perkins pour rimer avec le jerkin’ de Rita, c’est aussi simple que ça. Dylan ne s’embarrasse pas avec les détails, il doit poursuivre la cavalcade effrénée de son story-telling. Rita lui propose d’aller prendre une douche. Now ? Comme il a promis au père de ne pas toucher à sa fille, Bob doit trouver un stratagème pour se sortir de ce guêpier. Vu qu’on est dans un rock lyrique ouvert à toutes les affabulations, Bob se met à crier bien fort : «I like Fidel Castro and his beard», le beard devant rimer avec le weird d’avant. S’il avait dut rimer avec hard, ou too far, il aurait crié : «I like Fidel Castro and his cigar». Le père entend ça et dans l’Amérique profonde des beaufs descendants de colons, c’est un blasphème que de citer Castro, le communiste. Le père arrive en pétard et demande à Bob de répéter ce qu’il a osé dire. Alors Bob répète : «I like Fidel Castro/ I think you heard me right.» Alors le père se met en pétard pour de bon - He said he’s gonna kill me/ If I don’t get out the door in two seconds flat - Le flat bien sûr pour rimer avec le rat, car cette chanson est infestée de rats - You unpatriotic rotten doctor commie rat - Le père commence par lui balancer le Reader Digest dans la gueule, magnifique symbole beauf, Bob se marre et se casse vite fait en sautant par la fenêtre - Crashed through the window at a hundred miles an hour - Le père charge son gun et Bob prend les jambes à son cou, en vrai bluesman - The sun was comin’ up and I was runnin’ down the road - Et pour finir en beauté, Dylan lâche l’une de ces paroles d’évangile dont il va continuer de se faire une spécialité : «Without freedom of speech I might be in the swamp.» La morale de cette histoire est qu’il n’en faut pas en perdre une seule miette. L’autre stand-out d’Another Side est bien sûr «Chimes Of Freedom». Encore un poème fleuve. On comprend qu’il ait remué les foules étudiantes en Amérique et en Angleterre. C’est encore de la poésie électrique pure, Dylan charge sa prose comme une mule, c’est somptueux - As majestic bells of bolts struck shadows in the sounds/ Seeming to be the chimes of freedom flashin’ - Vers aux pieds ailés, comme chez les symbolistes de l’Avant-Siècle. Tout dans Chimes résonne à l’infini - Through the mad mystic hammering of the wild ripping hail/ The sky cracked its poems in naked wonder - Gawd, la chance qu’ont eu les Anglo-Saxons d’entendre ces poèmes à la radio. Les Français avaient Léo Ferré qui lui aussi faisait référence aux guardians and protectors of the mind - the poet and the painter - car c’est bien de cela dont il s’agit, face à l’extrême brutalité du monde moderne. Dylan n’oublie pas les damnés de la terre, the mistitled prostitute, the misdemeanor outlaw, chaque fois qu’on réécoute ce dazibao, on en reste baba. Depuis, on se demande où sont passé les poètes. Auraient-ils fini par disparaître ?

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Bob Dylan. Columbia 1962

    Bob Dylan. The Freewheelin’ Bob Dylan. Columbia 1963

    Bob Dylan. The Times They Are A-Changing. Columbia 1964

    Bob Dylan. Another Side Of Bob Dylan. Columbia 1964

     

    L’avenir du rock

    - Les contes d’Andersson (Part Two)

             S’il est un genre littéraire que l’avenir du rock prise particulièrement, c’est bien celui des contes. Ah les contes ! Que ne permettent-ils pas ! Le conte est bon lorsqu’il s’ancre fermement dans la réalité et qu’il se nourrit d’éléments qui assoient la crédibilité de ses personnages. Il faut pour ce faire que l’étude soit très fouillée, poussée jusqu’à son paroxysme, comme s’il s’agissait d’abattre la besogne d’un journaliste de bas étage. C’est à ce prix que la fondation supportera le poids du temps. Et la narration encaissera la violence des tempêtes que l’imagination jugera alors bon de lever, car de cela dépend le succès du conte : sans surprise et sans basculement, il s’aplatit comme le soufflé d’un mauvais cuisinier. Les contes permettent surtout de tirer le réel d’un mauvais pas. Souvent les histoires vraies implorent désespérément de l’aide pour paraître moins ternes, alors le conte vole à leur secours, tel un gentil vampire, et les entraîne dans des féeries qui se rient de la bienséance et des lois de la gravité. De la même façon que celles des écrivains de l’Avant-Siècle, la vie des grands rockers se prête merveilleusement bien aux biais de la fiction et aux glissades vers ce qu’on appelait autrefois le monde fantastique, c’est-à-dire un au-delà du réel conçu pour bercer l’imagination de l’agneau-lecteur. Comme Marcel Schwob ou Apollinaire, certains grands rockers sont de véritables contes à roulettes qui, à force de jouer avec leurs ficelles, ont fini par incarner les fruits de leurs imaginations respectives. Les meilleurs exemples ne sont-ils pas Jeffrey Lee Pierce dont on dit qu’il efface les gens d’un seul regard, ou encore Lux Interior occupé à fabriquer dans son laboratoire le bassiste de ses rêves, ou Chris Bailey chevauchant un kangourou pour échapper à ses poursuivants, ou Robert Wyatt parcourant son île dans un fauteuil aux roues carrées ? Ou encore Henry Rollins battant pavillon noir pour affronter de front le vaisseau amiral de l’armada espagnole, sans oublier bien sûr les contes d’Andersson, grand Hellacopter devant l’éternel.

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             Les Hellacopters font enfin la une des magazines ! Enfin, d’un magazine, mais pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du bien nommé Vive Le Rock. Il pourrait très bien s’appeler Vive la Vie. Dix pages pour les Copters ! Du jamais vu ! Gerry Ranson rappelle tout de go que les Copters viennent de se reformer après 17 ans de silence. 17 ans, tu te rends compte ? En plus, Nicke Andersson a réussi à rapatrier son vieux co-listier Dregen qui était parti rejoindre ses Backyard Babies à Londres en 1997. Quand Andersson a splitté le groupe en 2008, il avait dit never again, mais comme dans tous les cas de reformation - et celui des Pixies en particulier - les offres qu’on leur fait sont des offres qu’on ne peut pas refuser - The money was really good - Eh oui, les Copters ont un public en Suède. Pas de problème. Quelques répètes et c’est reparti.

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             Comme il a de la place, Andersson peut évoquer ses racines : «Star Wars, dinosaurs and Kiss. Tout cela est connecté, pas vrai ? Les cracheurs de feu et les explosions ! Je reviens toujours à Kiss, parce qu’ils sont mes racines et d’une certaine façon, Kiss est punk, car leurs chansons sont très basiques et jouées avec efficacité, c’est du rock’n’roll, je suis aussi un fan des Sex Pistols, et je crois qu’ils sont proches les uns des autres, musicalement. Mais pas au plan des lyrics, bien sûr. Ils ont en commun des grosses guitares et les pounding drums - That’s where it’s at!.»  Andersson explique qu’il a découvert le punk-rock grâce à la collection de 45 tours du père d’un copain : Pistols, Damned, Ramones. Sur un album des GBH, il découvre une cover des Stooges et ça le conduit naturellement au MC5. Ce qui ne l’empêche pas de démarrer sa carrière de musicien comme batteur d’un gang de death metal, Entombed. Andersson rencontre Dregen en 1991 et lui propose de l’embarquer comme drum tech dans une tournée américaine d’Entombed. C’est là qu’ils vont monter le projet d’Hellacopters. Et comme toutes les histoires de group-building, celle des Copters est passionnante. Ils téléphonent au drummer Robert Eriksson : «You’re gonna be the drummer in our new band !». Pouf, c’est parti. Avec un bassman en complément, Andersson passe au chant et à la gratte. En plus, il monte un label, Psychout, qui existe encore. Premier single, avec en B-side une reprise de Social Distorsion, pour faire bonne mesure. Les Copters se spécialisent dans ce qu’ils appellent les underground seven-inches, des 45 tours à tirages limités. Ils enregistrent leur premier album, Supershitty To The Max, qui est un must-have, et deviennent célèbres. C’est là que Dregen décide de rejoindre son groupe, les Backyard Babies - Ce fut la décision la plus dure de ma vie - Et il ajoute : «C’est comme choisir entre sa fille et son fils.» Bon, il savait que les Copters pouvaient continuer de voler sans lui, alors il a rejoint les Backyards.

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             Puis arrive la période Wayne Kramer via les Nomads. Andersson rencontre Kramer à Los Angeles, puis Scott Morgan à Detroit. Les Copters commencent à multiplier les tournées américaines, et par chance, l’une d’elles est filmée en 2002 : c’est le fameux docu Goodnight Cleveland. Très bon docu, on suit les Copters de ville en ville, Cleveland, Chicago. Ils sont bien dans la lignée du MC5, ils jouent au twin guitar attack. Les Gazza Strippers jouent en première partie. Le van passe par Champaign, Illinois, puis Detroit. Quelques plans d’after show nous montrent l’Andersson bourré. Le doc est d’une grande honnêteté intellectuelle, on voit les chambres à deux lits, les sound-checks, les after-shows, la booze, les filles tatouées, et puis bien sûr, le cœur de l’action, la scène. Andersson n’a pas vraiment de voix. Il porte en permanence sa casquette de baseball. Philadelphie, puis New York. On s’y croirait. Il faut bien sûr voir les bonus car ils grouillent de merveilles : Detroit avec Scott Morgan pour «City Slang». Pas mal d’autres plans scéniques mais globalement, ont voit que les Copters ont du mal à décoller : «Goodnite Yankees, we’re the Hellacopers from Sweden. We’re gonna get some action... Right now !» Robert Dahlqvist est aussitôt à genoux, torse nu. Il est très physique. Les gros bonus sont les deux versions de «Search & Destroy», la première à New York avec les Gazza Strippers, et la deuxième dans un festival en Suède. C’est l’une des plus belles séquences de concert rock, filmée dans le dos du batteur Robert Eriksson, un batteur qui joue torse nu à l’énergie pure, la caméra est quasiment sur son dos, face à un ciel rouge et à une foule énorme, le tout dans des fumées qui évoquent celles du napalm. Fantastique ambiance de fin du monde, et filmé sous l’angle de powerhouse, ça prend une drôle d’allure. Eriksson bat comme mille diables, on se demande comment il tient aussi longtemps. Bel hommage à Iggy, en tous les cas. Les fans des Hellacopters se régaleront aussi de quelques plans scéniques de la première mouture des Copters, avec Dregen, qui était déjà très enragé, équipé d’une grosse demi-caisse blanche.

             Tous les albums des Copters sont épluchés dans un Part One. En 2003, Wayne Kramer invite Andersson à rejoindre la reformation du MC5, avec Dennis Thompson et Michael Davis. C’est le fameux concert au 100 Club de Londres avec les super-guests Lemmy, Dave Vanian et Ian Astbury. Puis une tournée. On les voit à l’Élysée Montmartre. C’est ensuite au tour de Scott Morgan d’inviter Andersson à le rejoindre dans The Solution (Andersson avait déjà battu le beurre pendant un an dans les Hydromatics). The Solution va enregistrer deux fantastiques albums. Quand le split des Copters est annoncé, Andersson doit expliquer que jouer dans un groupe de rock n’est pas toujours une partie de plaisir (a walk in the park). Il veut dire par là que c’est assez rude. Mais par contre, il est fier d’être resté sur sa ligne, sans jamais avoir fait le moindre compromis. Le rock est mort ? Ah ah ah ! Vive le rock ! - I mean c’mon ! We play music that’s not very trendy, so if you’re truly yourself, I guess it works - Ça tombe même sous le sens. C’est bien d’entendre des gens dire les choses comme elles doivent être dites. Pas besoin d’aller vendre son cul pour exister. Andersson repart de plus belle avec Imperial State Electric, quatre ou cinq albums eux aussi épluchés dans le Part One et puis, dernier rebondissement, la reformation des Copters.

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             Eyes Of Oblivion n’est pas un album génial, mais ce n’est pas non plus un mauvais album. C’est un album d’entre-deux eaux, avec beaucoup de son. Tout de suite embarqué au Copter craze avec «Reap A Hurricane». Ces mecs ont toujours su poser leurs accords dans le mayhem, ça date du temps de Supershitty To The Max, paru en 1996, voilà bientôt trente ans. Ils restent fracassants de bon esprit, c’est battu à la Copter avec les grosses guitares habituelles. Ils font un peu de glam avec «Tin Foil Soldier». Ça tape à la dure, mais ça reste dans l’esprit glam, fin et puissant, joué au feel de manche, et comme pour tout glam qui se respecte, bien ancré dans le boogie. Le hit de l’album est le dernier cut, «Try Me Tonight». Ils sortent pour l’occasion les accords du MC5 et tout le raunch de Detroit. Ils profitent de l’occasion pour redevenir légendaires et payer leur dues - Payin’ The Dues - Quant au reste de l’album, c’est du Copter traditionnel : il y pleut du son comme vache qui pisse. Et le morceau titre file ventre à terre, ce qui est bizarre pour des Vikings qui ont plus pour habitude de naviguer. Ce sont les guitares qui font la loi, ici. Raison pour laquelle les Copters sont si intensément bons - We need a Plew and a doctor/ Right now ! - L’essentiel est que ce groupe continue d’exister. Ils figurent parmi les derniers tenant d’un aboutissant sacré.

    Signé : Cazengler, coléoptère

    Hellacopters. Eyes Of Oblivion. Nuclear Blast 2022

    Jim Heneghan. Goodnight Cleveland. DVD MVD 2002

    Gerry Ransom : Kings of Oblivion. Vive Le Rock # 90 - 2022

     

     

    Inside the goldmine - Par ici la Shorty

     

             Ils optèrent cet été-là pour le haut Atlas et séjournèrent quelques temps à Marrakech. C’est dans cette cité chargée d’histoire que se retrouvent les gens qui prévoient d’aller escalader le Toubkal, point culminant de l’Atlas. Ils s’installèrent dans un hôtel fabuleusement décadent situé à l’entrée de la médina. Le temps semblait s’y être arrêté. On pouvait y déguster des salades de tomate à la coriandre en plein cœur de l’après-midi et fumer du kif sur la terrasse, mais discrètement, bien sûr. Dans les chambres, la plomberie ne fonctionnait plus depuis longtemps, mais cela faisait partie du charme de l’endroit. On trouvait aussi une piscine pas très bien entretenue au deuxième étage. Dans le courant de la matinée, nous allions nous jeter dans le tourbillon intemporel de la médina, nous arrêtant chaque fois devant les échoppes des herboristes, puis lorsqu’on sentait monter la fatigue, nous nous mettions doucement en route pour regagner l’hôtel et l’abri - temporel cette fois - de la chambre. À cause de la chaleur, le sommeil tardait à venir. Et la chaleur rendait toute étreinte impossible, aussi nous contentions-nous de rester allongés côte à côte. En plein cœur de la nuit se produisit un curieux phénomène : notre lit fut secoué et nous nous réveillâmes en sursaut. Un fantôme s’agitait au pied du lit. Il continuait de secouer le lit violemment. Mais nous ne cédâmes pas à la terreur car il s’agissait du fantôme de Brian Jones. Il avait de toute évidence séjourné dans cet hôtel. Apparition magnifique et terrible à la fois, chargée de sainte colère, comme le sont tous les fantômes. Il se pencha vers nous et déclara d’une voix incroyablement sourde : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuge-à-trois-ans-de-miiiiise-à-l’épreuve-pour-possession-de-cannabiiiiis-avec-interdiiiction-d’entrer-aux-États-Uniiiis !». Il secoua la tête et répéta : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !» avant de se volatiliser.

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             D’un château l’autre et pourquoi pas D’un juge l’autre ? Hear ye, hear ye/ The court’s in session/ The court’s in session, now/ Here comes the judge ! C’est ainsi que se présenta Shorty Long à l’entrée du jardin magique, en 1968. Il portait la perruque et la robe noire d’un juge anglais. Sa mise extravagante nous plut immédiatement. 

             Nous apprîmes que ce petit homme modeste et réservé bénéficiait de la bienveillante protection de messire Marvin Gaye, puissant seigneur du Michigan. Nous passâmes donc la soirée à l’écouter flatter sa muse, cette fascinante Soul Music issue des contrées lointaines qui s’étendent jusqu’au Septentrion, par delà les océans.

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             «Here Comes The Judge» emporta tous les suffrages. Nous nous levâmes pour danser la Saint-Guy, faisant fi de l’étiquette. Il régnait dans le jardin magique la torride atmosphère d’un Sabbat de sorcières. Shorty Long singeait la justice tout en invoquant les démons des forêts africaines. Il nous tisonna de nouveau la cervelle avec «Function At The Junction», un air dansant, bas sur pattes et délicatement empoissé. Nous fûmes les premiers surpris par nos propres déhanchements. Nos cartilages goûtaient à la liberté. Shorty Long se mit ensuite à psalmodier «Don’t Mess With My Weekend», ferraillant son chant de taille et d’estoc, le biseautant à l’angle d’incartade. Il profita d’un court moment de répit pour saluer sa co-auteuse Sylvia Moy, première soubrette autorisée à composer des vers à la cour du roi Gordy. Il s’empressa d’ajouter qu’on devait aussi à mademoiselle Moy ces merveilles extravagantes que sont «Uptight» et «I Was Made To Love Her» et qui ont propulsé Little Stevie Wonder à Wonderland. Cette habile transition lui permit d’invoquer les divinités priapiques avec «Devil With A Blue Dress». Son apologie de la luxure suintait dans les entournures, car le petit homme la miaulait avec lancinance.

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             Après une courte pose, il nous fit don d’un parfait joyau de Soul Music, «Night Fo’ Last», ciselé dans le swing le plus pur et d’un éclat aveuglant. Pour le rendre plus mirifique encore, il temporisait à l’endroit des retours de couplets. Il enchaîna avec une libre interprétation de «Stranded In The Jungle». Le petit homme se montrait tellement joyeux qu’il levait des frissons sous les étoles. Il obtenait des merveilles de cette voix qu’il maniait comme un petit animal dressé. Son élégance nous fascinait et nous berçait le cœur de langueurs myocardales. Avec «Another Hurt Like This», il voulait se montrer à la hauteur de son destin. Son tour de chant s’acheva avec «People Sure Act Funny», une sorte de tarentelle hâtive, ardemment troussée, digne d’un homme qui ne s’embarrasse pas avec l’intendance et qui ne flagorne pas au coin des bois.

             Il nous décrit ensuite le détail de ses déboires au Michigan. Il disait avoir signé un pacte avec le roi Gordy, seigneur de Tamla Motown, un puissant royaume nègre des Amériques. Le roi Gordy avait nommé Mickey Stevenson chaperon de Shorty et créé l’étiquette Soul pour y loger les artistes trop funky à son goût. Shorty Long s’y trouva donc cantonné en compagnie de Sammy Ward et de Junior Walker & the All Stars. Il évoqua ensuite la rivalité qui l’opposait à un certain Dewey Pigmeat Markham qui se produisait dans Laugh-In, une série comique diffusée chaque semaine à la télévision américaine et qui avait lui aussi une version d’«Here Comes The Judge». Billie Jean Brown qui régnait alors sur le Quality Control Board de Tamla Motown convainquit Shorty d’enregistrer «Here Comes The Judge» sur le champ et sa version parut juste avant celle de Pigmeat sur le label Chess. Ce jour-là, Shorty s’épongea le front. Il ne devait son succès mondial qu’à sa seule célérité.

             Nous n’eûmes des nouvelles du pauvre Shorty qu’un peu plus tard, en apprenant son trépas. Une felouque turque avait accidentellement percuté et envoyé par le fond la barcasse dans laquelle Shorty pêchait le gardon en compagnie de son camarade Oscar Williams.

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    Le roi Gordy fit paraître un album posthume intitulé The Prime Of Shorty Long. Il s’ouvrait sur «I Had A Dream», une ballade funeste d’une rare sophistication. Aux premiers accords d’«A Whiter Shade Of Pale», le rouge nous monta aux joues. Le petit homme swinguait son feeling kinda seasick au pur génie vocal. Il avait réussi l’impossible exploit de faire valser cette mélopée océanique et d’y sertir un solo de cor de chasse. Cet album grouillait d’épouvantables merveilles. Avec ce popotinage exclusif et chatoyant qui courait par monts et par vaux, «Lillie Of The Valley» nous effara. Shorty Long devait être sorcier, car sa Soul brûlante dégageait une forte odeur de paganisme. Son art sentait bon le soufre. Seul le diable sait troubler l’eau claire de l’art. Il honora le blason du bon gros Antoine Domino en chantouillant «Blue Monday» et «I’m Walking», dans le cadre soyeux et tiède d’une parfaite solennité. Il n’allait pas en rester là puisqu’aussitôt après sonna l’assaut vainqueur de «Baby Come Home To Me». Il s’agissait là de l’un des plus purs joyaux de la l’histoire de la Soul. Cette belle Soul radicale du Michigan semblait parée d’un éclat mélodique inoubliable et absolument unique au monde. Ce parfait génie de Shorty Long montrait autant d’ingéniosité à cultiver l’excellence que ce Michel-Ange dont on faisait alors grand bruit par-delà les Alpes. D’autres pures merveilles embrasèrent les imaginations, comme par exemple «I Wish You Were Here», plaidoyer magique et ondulant, pure évanescence lumineuse, suivi de «When You Are Available», mélopée judicieusement chuintée et orchestrée, aussi tentante qu’une friandise exotique, aussi irrésistible que le téton rose d’une courtisane impudique. Nous n’étions pas au bout de nos surprises car soudain tinta à nos oreilles «Give Me Some Air», un délice hypnotique  chargé comme un mulet de basses romanes et de ces notes de musicalité exacerbée que les étrangers appellent le funque, des notes qui comme les coups de dé jamais n’aboliront le bazar, puis tout s’acheva avec le chant du cygne, «The Deacon Work», ouvragé à la basse de Damas, splendide travail d’orfèvre, élancé, alerte et dynamique, conçu comme une ardente fête pour les sens. Ce petit homme ne concevait donc les choses qu’à l’aune de l’harmonie céleste.

    Signé : Cazengler, Shorty Court

    Shorty Long. Here Comes The Judge. Soul 1968

    Shorty Long. The Prime Of. Soul 1969

    Shorty Long. The Complete Motown Stereo Masters. Ace Records 2012

     

     

    *

    Dans notre livraison 527 du 28 / 10 / 21, nous présentions avec un léger retard puisque le disque était sorti en 2014, Messe pour un chien de Barabbas. Je terminai la chronique en décrétant que c’était un des meilleurs albums de rock français que je connaissais. Cette fois-ci nous nous y prenons à l’avance, cette livraison datée du 8 est mise en ligne le 7 décembre 2022, or le nouvel album de Barabbas tout neuf sort le neuf décembre ! 

    LA MORT APPELLE LES VIVANTS

    BARABBAS

    (Sleeping Church Records / 13 – 12 – 2022)

    Saint Stéphane : guitar / Saint Rodolphe : voix / Saint Thomas : guitar / Saint Jean-Christophe : drums / Saint Alexandre : bass.

    L’est des titres d’album qui vous parlent plus que d’autres, certains même vous interpellent. S’adressent à vous directement. Vous en êtes flatté, que dans ce monde de froid et pur égoïsme l’on pense à vous réchauffe votre petit cœur solitaire. Méfiez-vous, ne serait-ce pas une technique (une de plus) publicitaire, hélas non, cette fois il n’y a pas d’embrouille, l’on n’en veut pas à votre bourse. Ce n’est guère mieux, c’est de votre vie dont on vous assure que vous serez un jour ou l’autre dépouillé. Vous êtes prévenu. A bon entendeur, salut.

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    Pochette glaçante. Veuves en tenue de deuil porteuses de couronnes mortuaires se dirigeant vers le cimetière où seront inhumés maris, oncles et frères. Mais le titre, de verdâtre calligraphie, de l’album impose une autre lecture. Ces femmes semblent être aspirées par le cimetière que l’on ne voit pas. Donnent l’illusion d’être en partance pour leur propre enterrement, qu’elles emmènent leurs fleurs personnelles pour être mises sous terre au plus vite.

    La mort appelle tous les vivants (intro) : ça commence très mal avec cette voix glacée d’aérogare et cette sirène d’alarme qui vrille vos oreilles, la mort appelle tous les vivants répète-t-elle sans fin, vous n’avez aucune envie de quitter le fauteuil du hall de pré-embarquement, n’est-ce pas que la vie est une salle d’attente de la mort, et que Jim Morrison nous a mis en garde depuis un demi-siècle, personne ne sortira d’ici vivant. Je suis mort depuis bien longtemps : la machine à remonter le temps occupe l’espace auditif, ne vous souciez pas du sens de la marche du tapis roulant qui vous emporte, des deux côtés ne mène-t-il pas au néant, oui mais ce que vous ne savez pas Barabbas vous le hurle dans les oreilles, vous assourdit avec l’inéluctable réalité de votre vécu, si vous pensez qu’au moins du temps de la vie incertaine que vous menez vous allez en profiter, ô cette guitare qui brise vos illusions, vous êtes déjà mort, votre corps est en train de pourrir, part en lambeau tout comme votre existence de profonde déréliction / coupure / peut-on dire que l’on vit lorsque la mort nous ronge de l’intérieur, qu’à peine sommes-nous nés nous nous dirigeons vers notre cercueil. Ce morceau d’une extraordinaire et implacable violence dégage la force des sermons funèbres de Bossuet que plus personne ne lit pour ne pas sentir la griffe de l’angoisse lui serrer la gorge, mais s’il est facile de refermer un livre, il vous sera plus difficile d’arrêter cette musique, elle dégage le chant vénéneux de l’accoutumance aux excitants les plus mortels. Le saint riff rédempteur : quelle rythmique écrasante, partout où elle passe la mauvaise herbe de la vie ne repousse pas, une seule solution, le fracas du riff rédempteur, la musique assourdissante qui recouvre les pas doucereux de la mort qui s’en vient à votre rencontre. Serait-ce un morceau d’espoir ? Non au mieux un hymne à la musique, mais la brutalité asphyxiante du morceau est sans appel, juste un cataplasme sur une jambe de bois pourri, le dernier sourire de votre enfant à qui vous promettez que tout va bien alors qu’il entre en agonie. La batterie enfonce les clous de votre futur cercueil et les guitares imitent les grincements de la scie qui découpe en tranches saignantes, lentement et sûrement, votre corps enfermé dans l’illusoire protection de la caisse en bois de l’existence. Mourir à petit feu en musique n’est-ce pas la seule consolation qui nous reste, mes très chers frères et sœurs ? Merci à Barabbas pour cet accompagnement de tonitruance délicieuse. C’était le morceau le plus optimiste. Dans le dernier tiers l’on entend la camarde avancer sur ses brodequins de plomb. C’est le cas de le dire, ça plombe un peu l’atmosphère.  De la viande : musique aussi épaisse que le matérialisme le moins éthéré. Le temps est un géant saturnien qui dévore à pleines dents ses enfants que nous sommes, nous ne sommes que de la viande dont se nourrit l’univers cannibale. Pas de rêve, nous serons bouffés jusqu’à l’os, la batterie comme une massue de boucher et les cordes comme des éviscérateurs qui nous arrachent les tripes. La messe humaine est un sacrifice sanglant. Inversion des valeurs divines. Marche funèbre. Rien ne survivra. Tic-tac, tic-tac, notre heure approche. Le cimetière des rêves brisés : imaginez l’inimaginable, des plaintes s’élèvent des tombes, les morts restent enfermés dans le regret de tout ce qu’ils n’ont pas accompli, la mort est une grande déception, l’on reste pris dans les glaces de nos remords de n’avoir pas su vivre. Existe-t-il un autre groupe français capable de produire un gloom aussi glauque, un doom aussi impitoyable, un bruit de fond aussi noir, et quand vous croyez que c’est terminé Barabbas rajoute une couche d’outre-noir, d’outre-mort, une espèce de tonnerre gigantesque qui recouvre le monde d’une couche sonore d’outre-tombe. Sous le signe du néant : éclair drummiques de lumière noire, un insecte géant bourdonne dans vos oreilles et vous empêche de vivre et de mourir, parce que vous êtes déjà mort, et que vous n’êtes qu’une goutte de ce néant qui n’est autre que la consistance de l’univers. Né pour le néant. Mort pour le néant. Vous n’êtes qu’une larve navrante, votre destin est inscrit sur une ligne dépourvue d’encre qu’il est inutile et impossible de lire, alors la musique vous submerge, toute révolte est nuisible, néant vous êtes, néant vous serez. Autant dire que vous n’êtes pas. Relisons le Traité du Non-Être de Gorgias.  Mon crâne est une crypte (et j’y suis emmuré) : douces sonorités, ne dureront pas longtemps, harmonium déglingué d’église en ruines, voici la consolation du pauvre d’esprit. Vous vous raccrochez à la seule branche de salut : vous-même. Attention les guitares vous avertissent des épines qui se plantent dans votre chair. Tant qu’une pensée tourne en rond dans votre tête tel un poisson rouge dans son bocal, vous pensez que vous existez, non vous êtes prisonnier de vous-même et vous êtes prisonnier de vous-même comme votre vie est enfermée dans votre mort. Rien ne sert de gémir. Rien ne sert de rugir. Jamais vous ne romprez le plafond de verre qui sépare la mort de la vie, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de plafond de verre. Jamais vous ne vous évaderez de vous-même. Effondrement apocalyptique. Musique du néant translucide. La valse funèbre : dans la série save for me the last dance, final en danse macabre, lourde et bourbeuse, des squelettes s’extraient de l’humus et un cauchemar médiéval prend forme, Saint Rodolphe mène le bal, de sa voix il essaie de couvrir les entrechoquements osseux, mais ils s’agitent sans fin dans vos visions intérieures, un film en noir et blanc, un dessin désanimé d’aliénés en transe, la musique se fait lourde comme une pierre tombale, humour noir pour érotisme funèbre, les morts sont comme les vivants, ils singent la vie qu’ils n’ont pas su retenir. Comme vous ils n’ont pas su la vivre. Ce morceau est une grimace désespérée, un crachat à la face édentée du néant. Lorsqu’il s’arrêtera il résonnera longtemps dans votre tête. Sans fin. La mort appelle tous les vivants (outro) : cloche funèbre, la mort appelle tous les vivants, répétés sans fin, sans fard, l’appel a désormais le visage de l’épouvante, maintenant vous savez ce qui vous attend.

             Un chef-d’œuvre absolu, d’une extraordinaire densité, dont vous ne sortirez pas indemne. Esprits fragiles, s’abstenir. Âmes fortes s’obstiner.

             Désormais vous connaissez la musique que vos amis réunis autour de votre tombe écouteront lors de votre enterrement.

    Damie Chad.

     

    *

    Si vous êtes sages, le dernier bouquin de Dylan vous attendra sous le sapin avec le sourire d’Alis Lesley sur la couve. Chez Fayard ils n’ont pas perdu la boule (de Noël) z’ont pas raté le créneau, vous le font à quarante euros, vous le trouvez à 25 importé des USA, sur le net, certes toujours avec l’ensorcelant sourire d’Alis Lesley, mais écrit en la langue de Walt Whitman ce qui risque de refroidir bien des ardeurs. Je connais les rockers, Little Richard et Eddie Cochran en gros plan leur cœur va au moins s’arrêter de battre durant dix minutes, dans leur esprit de puriste la cote de Dylan va remonter à des altitudes jamais atteintes, c’est après que viendra la grimace, Damie un gros bouquin de philosophie plus de trois cents pages, encore un truc qui va nous prendre la tête, on se contentera de ta chronique, on ne la lira certainement pas, on s’achètera plutôt des disques…

             Chez Fayard ils ont vu venir l’embrouille, avec le placard de présentation de chacune des 66 chansons choisies par le père Zimmerman, les photos pleine-page et les documents d’époque, le temps de lecture est nettement moins impressionnant que le volume du book le laisserait craindre (ou espérer). En outre l’emploi d’une typographie moins tape-à l’œil réduirait considérablement les propos de Dylan présentés en double interligne agrémenté de caractères pour mal-voyants…  Soyons rassurés, l’empreinte carbone de cet exemplaire a été réduite et équivaut à seulement à 2100kg éq. CO2. Si vous êtes un écologiste manipulé par la propagande gouvernementale, nous vous conseillons d’attendre toutefois l’édition en livre de poche. Nous les rockers nous pensons que seule la progression du rock ‘n’roll dans les âmes de nos concitoyens sera à même d’enrayer le déclin de notre civilisation, nous nous dispensons donc de ce report pochothétique incantatoire.   

    PHILOSOPHIE

    DE LA CHANSON MODERNE

    BOB DYLAN

    (Fayard / Novembre 2022)

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             Le terme chanson, traduction du mot anglais ‘’song’’ peut être sujet à mésinterprétation en notre langue, on nous a tant rabattu les oreilles avec l’expression chanson française genre supérieur par excellence en totale opposition avec les barbares braillements du rock ‘n’ roll que nous nous permettons de spécifier que les chansons présentés par Dylan, sont des morceaux de gospel, de blues, de jazz, de rhythm ‘n’ blues, de rock , de pop, directement puisés dans le vivier de la culture populaire américaine…

             Les historiens ne s’entendent pas entre eux pour définir les limites chronologiques de la modernité. Si Dylan était français il est des chances qu’il eût employé la qualification de chanson contemporaine, pour faire simple la production de la chanson moderne visée par Bob Dylan commence au début des années vingt, en d’autres termes de la mise sur le marché des premiers 78 tours et ne va pas plus loin que la première décennie de notre siècle. Un détail d’importance elles ne sont pas rangées dans l’ordre chronologique. Si ce n’est peut-être celle de leur rédaction.

             Méthodicité dylanesque : d’abord le titre de la chanson, le nom de l’interprète, la date de sa sortie, les noms des paroliers et des compositeurs. On eût aimé que l’éditeur se soit inspiré de notre blogue et ait fait suivre ces données essentielles de la pochette ou de la photographie du disque, il n’en est rien.

             Ensuite la reproduction des lyrics de la chanson ? Ben non, Dylan est un peu plus vicieux, il nous offre sa propre évocation des lyrics sous forme d’une espèce de commentaire qui essaie davantage de transcrire ce que veulent dire ou peuvent signifier les paroles. Parfois il s’arrête-là et passe à la chanson suivante.  

             Souvent Dylan nous fait suivre cette première approche de ce que l’on pourrait appeler une petite étude sociologique des conditions qui ont favorisé l’écriture de la chanson. Exemple l’attrait des ‘’ bons’’ salaires que proposaient les usines de voiture de Chicago sur les populations noires du Sud.  Entre nous soit dit rien de bien novateur. Parfois ce laïus est agrémenté (ou remplacé) de l’origine sociale de l’interprète, par exemple comment Dion d’origine italienne est dès son adolescence motivé par la carrière fulgurante de Frank Sinatra fils d’un père sicilien.

             Le lecteur se fera la remarque que la démarche dylanienne si elle ne manque pas d’une certaine logique explicative n’en est pas pour cela très philosophique. Il aura raison, pas la moindre trace d’une induction philosophique dans ces trois cents pages. Ce qui ont lu Tarentula, Chroniques et le Discours de Réception à l’Académie de Suède n’en seront pas surpris. Dylan en ces trois écrits ne s’aventure jamais dans le domaine philosophique. A peine s’il cite une fois, sous forme de boutade, dans cette Philosophie de la chanson moderne le nom d’Aristote.

             Pour comprendre l’emploi de ce terme de philosophie, il est nécessaire de s’aventurer dans le troisième développement qui fait suite à l’évocation des lyrics et au topo sociologique précédemment abordé. Notons que cette partie acquiert de plus en plus d’étendue au fur et à mesure que l’on aborde le dernier tiers du volume. Ce qui nous a laissé supposer à une présentation chronologique de l’écriture de ses soixante-six chapitres. Dylan se lâche, il s’éloigne de son sujet, il nous fait part de ses réflexions. Au pire sous une manière un peu condescendante : vous croyez que, vous pensez que, eh bien non c’est toute autre chose, écoutez-moi bien je vous tapote un topo au top, au mieux il aborde des sujets qui lui tiennent à cœur, la nature humaine ( pas très optimiste quant à son amélioration ), la nocivité de l’argent, la stupidité des guerres qui ne profitent pas à ceux qui se font tuer, les manipulations politiques, et désolé pour nos lectrices, cerise empoisonnée sur le gâteau avarié, il n’a pas l’air de penser que l’influence d’une épouse ou d’une compagne n’est pas obligatoirement bonne sur le pauvre gars qu’elle a pris dans ses filets…

             Celui qui dans sa jeunesse a écrit The Times, there are a-changin’ n’y croit plus. Nous fait part d’un pessimisme désabusé, jamais une génération n’aura appris et n’apprendra rien de celle qui l’a précédé ou de l’Histoire, Dylan dénonce l’éternel retour du même (rien à voir avec l’Eternel Retour nietzschéen), les mêmes erreurs sont sempiternellement répétées par les générations qui se suivent, aucun progrès possible, de siècle en siècle nul progrès, le même film se répète indéfiniment, l’espèce humaine ne s’améliore pas, elle n’empire même pas, elle reste confinée dans sa médiocrité constitutive…

             Dylan pense par lui-même, il ne s’insère dans aucune tradition philosophique, se fie à son expérience, à ses propres déductions, ce qui ne signifie pas qu’il profère des idioties à longueur de page.

    2

             Après avoir traité dans notre première partie ce que dans son Introduction à la philosophie Karl Jaspers conceptualisait sous le nom de l’englobant, passons à l’englobé.

    D’abord, deux petites merveilles. La première c’est Key to the highway, de Big Bill Bronzy mais dont il préfère la version de Little Walter. Ce qui est fabuleux dans ce chapitre 41 ce n’est ni la chanson, ni l’interprétation de Little Walter mais la façon de Dylan de présenter Little Walter, oui c’est un grand harmoniciste, mais Dylan insiste sur un autre aspect, il le présente comme l’un des plus importants vocalistes du blues. Perso je pense qu’il exagère un peu, mais ce qui est beau c’est son enthousiasme, son élan qui transcende son écriture, et vous obligera à réécouter quelques titres du petit Walter.

             La deuxième au chapitre 22 c’est El Paso de Marty Robbins (1925 – 1982). J’avoue avoir été un peu déçu par l’écoute de cette balade, à la guitare si timidement mexicaine. Elle a tout pour plaire, un saloon, une fille, des colts, du sang, des morts, mais la voix de Robbins si sereine… Dylan vous la raconte à sa manière, la transforme en tragédie grecque, en drame biblique, l’en n’extrait pas la substantifique moelle, l’en fait le symbole de toute existence, vous rappelle que le noyau du fruit de l’amour reste la mort. Vous dresse en même temps le portrait de l’Amérique profonde entre péché et rédemption L’en profite ensuite pour nous présenter le grand-père de Marty Robbins, Robert Texas Bob Heckle, qui eut douze enfants, participa à la guerre de Sécession, combattit les indiens au côté de Custer, auteur d’un livre de poésie : Rhymes of the frontier. L’on sent Dylan, fasciné par cette passation générationnelle de témoin entre l’Histoire, la Poésie, la Musique (country) indissociablement liées dans le Mythe. Dans le Récit mythifié de l’Amérique. Le projet même de l’écriture de ses propres chansons. Ne précise-t-il pas que El paso s’inscrit dans la tradition de la chanson engagée initiée par Woody Guthrie, à lire les lyrics nous ne soutiendrons pas cette assertion, mais cette proclamation dylanienne est des plus significatives.

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    Chapitre suivant ( 23 ), Le Nelly was a lady interprété par Alvin Youngblood Hart n’aurait pas excité ma curiosité si sur la dernière page n’était écrit en gros caractères que son compositeur  ‘’Stephen Foster tient d’Edgar Poe’’. Jusques alors j’associais le nom de Stephen Foster au traditionnel Oh Suzanna ! Cela demandait quelques éclaircissements. Eliminons les scories, Alvin Youngblood Hart est né en 1963, sa date de naissance le blackoute d’office de nos recherches. Sans regret puisque son interprétation n’est guère impérissable. Une voix sans timbre assez proche de celle de Martin Robbins, lorsque l’on pense au phrasé si particulier de l’auteur de Like a rolling stone l’on est étonné de ses admirations. Edgar Poe né en 1809, mort en 1849. Stephen Foster né en 1826, mort en 1864. Tous deux décédés dans la misère. Le lecteur pourra contempler ci-dessus la photo de Stephen Foster et la comparer ci-dessous avec celle d’Edgar Poe et qu’il en tire les conclusions qu’il voudra. Je ne sais si Foster a lu Poe. Mais une de ses chansons a pour titre Eulalie, et Nelly was a lady, n’est pas sans évoquer la thématique d’Annabel Lee, et il est répété que Nelly était une fille de l’Etat de Virginie. Une femme aimée morte, Eulalie et Virginie prénoms ô combien essentiels à l’œuvre et à la vie de Poe, cela fait beaucoup. Si j’ai bon souvenir, il me semble que dans Chroniques Dylan précise qu’il a lu les poèmes de Poe… Cela demande vérification.

    Un pas vers le rock ‘n’roll. Chapitre 28. Une chanson de Vic Damone. On the street where you live. A l’origine elle fut chantée par Dean Martin (voir chapitre 47). Damone est un crooner, Dylan aurait pu trouver un chef-d’œuvre de Sinatra (l’est au chapitre 62) pour illustrer ce genre. Un de ces premiers chapitres est d’ailleurs dévolu à Perry Como (voir chapitre 3), preuve par neuf qu’il sait être pertinent. Chanson très bien écrite, précise-t-il jouant sur les sonorités des épiphores, il cite par exemple le mot before, l’on pense au nevermore du Corbeau d’Edgar Poe, l’on a surtout l’impression qu’il cherche à prévenir les remontrances de ce choix dont l’évidence ne s’impose pas. De fait Vic Damone ne le séduit guère, l’est beaucoup plus intéressé par sa femme Pier Angeli. Si ce nom ne vous dit rien c’est que vous n’êtes pas un accro de la légende de Jimmy Dean. N’oubliez pas la carrière cinématographique du chanteur d’Hurricane. Il y eut idylle entre James Dean et Pier Angeli. La mère de cette dernière la dissuada de se marier avec un personnage si sulfureux. Pier se rabattit sur Vic Damone. (Elle divorcera quatre ans plus tard). L’on raconte que le jour du mariage de Pier James Dean se posta dans la rue devant chez elle… Bien plus âgée, elle proclamera que Dean fut le seul qu’elle aima vraiment…  L’anecdote (vraie ou fausse) a dû marquer Dylan, il s’attarde longuement sur le ‘’résumé’’ de la chanson affirmant que ce genre de situation est arrivé à tout un chacun. Donne surtout l’impression qu’il fait allusion à une déconvenue personnelle... Messieurs les biographes, au travail.

    De James Dean le rebelle sans cause, la route vers les pionniers du rock est toute tracée. Les notes qui leur sont consacrées ne sont pas les plus pertinentes, tous ne sont pas invités même si l’on retrouve Eddie Cochran, Gene Vincent en photos, Elvis deux fois avec des morceaux inattendus et une réhabilitation du Colonel Parker, Little Richard deux fois, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison, Sonny Burgess, nous ne citerons pas, par pure commisération humaine, ni le nom de son périodique, ce journaliste qui se demande quel lecteur doit connaître cet inconnu dont manifestement lui-même n’a jamais entendu parlé, ne doit pas manger tous les jours des  Burgess King à la cantine du rock’n’roll. Tout le monde n’a pas un appétit d’alligator.

    C’est peu selon nous, mais le plus étrange c’est que Dylan à part Pete Seeger n’octroie aucun chapitre aux grands noms du mouvement folk, lui qui est réputé pour être capable d’avoir mémorisé paroles et accords de centaines de titres transmis de bouche à oreilles depuis la naissance des Etats Unis, veut-il nous faire comprendre qu’à part lui… Par contre il accorde une meilleure place aux outlaws du country, deux chapitres à Johnny Cash, deux à Willie Nelson dont un avec Merle Hagard, un à Waylong Jennings. Peu de grands du blues, si on compare avec les entrées réservées aux crooners il suffit de rajouter Jimmy Reed à Little Walter. De même de l’efflorescence des groupes anglais des années soixante seuls les Who tirent leur épingle du jeu. Que l’on n’aime ou pas, l’on attendait au moins les Beatles qui eux-mêmes composaient leurs morceaux, ce qui n’est pas le cas de bien des chanteurs présentés, mais Dylan ne s’intéresse pas aux chanteurs même s’il est obligé de les mentionner, il nous parle de chanson, entendons par là qu’il n’a pas écrit une histoire chronologique de la chanson, il ne vise pas à l’objectivité, les chansons qu’il nous découvre sont celles qu’il a entendues et qui pour des raisons diverses sont devenues, par les thèmes qu’elles abordent fondamentales et exemplaires pour lui. Très significativement la table des matières ne donne que les titres et ne mentionne nullement les interprètes.

    Le lecteur risque d’être surpris, étonné, mécontent, mais en fin de compte émerveillé des découvertes que la lecture de ce livre lui permettra. Notre propre lecture s’avère faute de temps, de préjugés, et de préférences personnelles partielle et partiale. Je ne voudrais pas insinuer que Dylan a un goût de midinette, mais il ne vise pas les grandes chansons qui font l’unanimité, il y est bien obligé parfois, mais à analyser quelque peu les textes qu’il met en avant, l’on constate qu’il est très porté vers des morceaux à forte fréquence sentimentale, teintés d’un romantisme pâlichon, qu’il tempère par une fascination évidente pour des titres que nous qualifierons de westerner. Très typique de l’intello qui ne se départit jamais d’une tendresse certaine pour les mauvais sujets.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 9 ( SPORTIF ) :

    45

    Je n’avais qu’à franchir le seuil. Ce n’est pas que j’hésitais, j’attendais quelque chose, je ne savais quoi, la pièce qui s’ouvrait devant moi était plongée dans l’obscurité, mais mes yeux commençaient à s’habituer à la pénombre, peu à peu je discernais une indistincte large étendue blanchâtre, pas très éloignée de moi, je mis quelques minutes à comprendre qu’il s’agissait d’un mur, je réalisai subitement que la porte donnait sur un couloir.

    Je me glissai sans bruit dans le corridor. J’esquissais quelques pas, devant moi je ne discernais plus rien, était-ce prudent d’avancer, je tergiversais en moi-même, n’était-ce pas un piège… Je serrai la crosse de mon Rafalos 21 un peu plus fermement, dans la vie il faut savoir prendre des risques, je regrettais de n’avoir pas emmené les cabotos, Molossa aurait flairé le danger, je fis un pas en avant, puis un autre, et encore un autre, à ma grande stupeur je butai contre un mur. Ce couloir était-il un cul de sac. J’explorais d’une main prudente l’espace sur ma gauche. Le plâtre de la cloison laissa place à un chambranle de porte. Je n’eus pas à l’ouvrir, mes doigts rencontrèrent une fente, elle était entrebâillée, à peine, de deux ou trois centimètres, je me préparai à la faire tourner à la volée sur ses gonds et à pénétrer sauvagement dans la pièce, lorsque…

    46

    Une lueur, imperceptible, mais indéniablement là, elle tremblota, faillit s’éteindre, se stabilisa, et bientôt dégagea comme un halo diffus. Je poussai doucement la porte, elle ne grinça pas, la lumière n’éclairait pas vraiment la pièce, la source en était située à quelques mètres sur ma gauche. Il y eut comme un glissement furtif, suivi d’un léger tapotement, quelqu’un avait posé la lampe sur une table, un bruit plus sec, une chaise que l’on tire sur le plancher, d’ici quelques secondes l’on me priera de passer à table, gambergeai-je dans ma tête, non, je faisais fausse route, il y eut un murmure tout doux, un bruissement de vent dans les feuilles automnales d’un platane, et une frêle mélodie s’éleva, je la reconnus, Evil woman don’t play your game with me, de Black Sabbath, jouée très lentement, à la rendre méconnaissable, je m’avançais, j’entrevis une épaule, l’ombre d’un piano et une blonde chevelure, tout se brouilla dans mon esprit, Alice, oui mais laquelle des deux, dans la pénombre j’étais incapable de savoir, et puis cette situation un peu ridicule, l’on se croirait dans une scène du Grand Meaulne, n’importe laquelle des deux, I want play her game with me !

    47

    Je n’eus pas le temps de me jeter sur elle, Alice se leva et se tourna vers moi, c’était mon auto-stoppeuse !

             _ Tu en as mis du temps pour revenir, je t’attends depuis si longtemps !

    Elle se jeta dans mes bras que je refermais sur son corps d’adolescente comme les serres d’un aigle sur sa proie.

             _ Viens, elle m’entraîna dans un coin de la pièce, je n’eus que le temps d’apercevoir un lit à baldaquin, nous roulâmes sur un gros édredon en plumes d’oie et nos lèvres se rejoignirent.

    Je ne sais pas si beaucoup de lecteurs ont déjà fait l’amour avec une morte, pour ma part je ne saurais les en dissuader. Notre étreinte fut âpre et sauvage. Elle confina à la folie et à l’hystérie, une goule pensais-je avec volupté, je m’enfonçais à plusieurs reprises dans sa chair tumultueuse, j’avais l’impression de pénétrer dans le cratère d’un volcan en éruption, elle geignait et poussait des hurlements, je mordais ses seins et elle engouffra mon vit dressé dans sa gorge pantelante, je ne sais combien de temps dura cet emportement fort récréatif, lorsque je m’éveillai dans des draps trempés de sperme et de foutre, je crus que c’était les lèvres d’Alice sur mon cou qui m’invitaient à de nouvelles folastries, c’était Molossa. Un raclement sous le lit m’apprit que Molossito obéissant à mes ordres n’avait pas quitté d’une patte sa mère adoptive.

             _ Tu as eu ce que tu as voulu, maintenant il faut payer !

    La voix rauque et sardonique me fit reprendre mes esprits. Deux points rouges dans le noir de la pièce confirmèrent ce que je savais déjà. Elle était là, la Mort avait décidé de me tuer. Mes chiens me sauvèrent-ils la vie ? Toujours est-il qu’en une seconde Molossa me ramena mon slip et je saisis dans la gueule de Molossito mon Rafalos 21 qu’il avait déniché sous le lit. Tout de suite je me sentis mieux, il n’y a rien à dire un slip et un Rafalos 21 vous confèrent une certaine dignité non négligeable dans les situations de crise !

             _ Pauvre imbécile crois-tu faire jeu égal avec moi !

             _ Ecoute vieille cocotte déplumée, viens me chercher si tu l’oses !

    La gent féminine n’aime pas que l’on insiste sur son âge, elle bondit vers moi, elle était tout près, silhouette noire dans un manteau aux senteurs de putréfaction, je laissai s’approcher jusqu’à visualiser sa tête squelettique, elle crut que je j’étais tétanisé par la peur, lamentable erreur de sa part puisqu’un agent du SSR n’a jamais peur, mon Rafalos 21 lui envoya pratiquement à bout portant une bastos dans le crâne. Bien sûr elle n’était pas morte, les points rouges de ses deux yeux ne cillèrent point, mais des éclats d’os s’éparpillèrent un peu partout.

             _ Tu ne perds rien pour attendre !

    Je me moquai d’elle lorsqu’elle courut dans la pièce à la recherche de ses os, je reconnais qu’elle les retrouva assez facilement et que bientôt elle revint vers moi, avec son visage reconstitué par je ne sais quelle magie. Elle fonça sur moi, mais une deuxième balle en plein dans sa bouche éparpilla ses dents qu’elle tint à récupérer avant de revenir à l’attaque. Les heures qui suivirent furent longues. Je n’ignorais pas qu’elle finirait par gagner, malgré Molossito et Molossa qui tentaient vainement de la faire trébucher. Je n’avais que trois chargeurs, de cinquante projectiles chacun, le Rafalos 21 avait beau causer d’innommables dégâts et détruire à chaque tir toute une partie de son squelette, rien n’y faisait, elle ricanait, récupérait ses ossements et remontait inlassablement à la charge. Au bout de trois heures je me trouvais à court de munitions. J’étais bloqué dans une encoignure, Molossito et Molossa mordaient à pleines dents son manteau, elle tendit sa main vers mon cœur, à trois centimètres elle arrêta son geste :

    • Tu as été courageux, regarde-moi bien dans les yeux avant de mourir !

    Je fixais ses yeux chargés de haine et de cruauté. Brutalement je ne vis plus rien, un bruit énorme résonnait dans ma tête

    • Agent Chad, me laisseriez-vous s’il vous plaît le temps d’allumer un Coronado !

    Avais-je la berlue, le sol était recouvert de poudre d’os, il y en avait qui volait encore en l’air !

             _ Chef, vous l’avez tuée, comment avez-vous fait !

             _ Agent Chad ne prenez pas vos rêves pour des réalités. Regardez mieux, ses deux petites boules rouges sont toujours là, mais dissociées, elles flottent indépendamment l’une de l’autre, elle est vivante mais bigleuse, il faut d’abord qu’elle retrouve ses pupilles, ce qui nous laisse le temps de rentrer au local.

    _ Mais comment avez-vous réussi, je lui ai tiré cent cinquante bastos avec mon Rafalos 21, et vous d’un seul coup, vous la mettez hors d’état de nuire pour un bon moment !

    _ Agent Chad, il faut vivre avec son temps, faites comme moi, achetez-vous un Rafalos 25, il tire des projectiles quantiques, ils ne perforent pas, ils démantibulent totalement la structure moléculaire de leur cible, méchamment efficace, n’est-ce pas ?

    48

    Je n’étais pas au bout de mes surprises. J’avais naïvement cru que le Chef avait eu des remords de me lancer tout seul dans cette terrible aventure, qu’il m’avait suivi discrètement et n’était intervenu en tout dernier ressort me voyant acculé et prêt à succomber. Mais le lendemain lors de mes retrouvailles au local il démentit mon scénario.

             _ Agent Chad, c’est ce que j’aurais dû faire, je regrette mon erreur d’appréciation, ce n’est pas du tout cela, tenez regardez !

    Et il ouvrit son tiroir à Coronados…

    A suivre…