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  • CHRONIQUES DE POURPRE 568 : KR'TNT 568 : LAMONT DOZIER / HOODOO GURUS / CLARENCE FROGMAN HENRY / RIPLEY JOHNSON / SPACESEER / NIKI GRAVINO / FICTION ABOUT FICTION / PIERRE LEHOULIER

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 568

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 09 / 2022

    LAMONT DOZIER / HOODOO GURUS

    CLARENCE FROGMAN HENRY / RIPLEY JOHNSON

    SPACESEER / NIKI GRAVINO

     FICTION ABOUT FICTION / PIERRE LEHOULIER

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 568

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Un Dozier complet

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                C’est sur l’Olympe du rock que résident les couples de dieux des temps modernes : Lennon/McCartney, Bacharach/David, Hayes/Porter, Barry/Greenwich, Goffin/King, Mann/Weil, oh et puis tu as aussi un trio, certainement le plus brillant de tous, Holland/Dozier/Holland.

             Nous nous trouvions l’autre jour à Poitiers pour saluer la mémoire de Gildas et dans le cours d’une conversation privative, le Professor me glissa dans l’oreille une bien funeste nouvelle : Lamont Dozier avait cassé sa pipe en bois.

             — Hein ?

             — Ben si. Tu savais pas ?

             — Ben non.

             Il était bien sûr inutile d’ajouter qu’on ne peut pas tout savoir. Par contre, l’occasion est trop belle de saluer la mémoire de cet homme qui avec les frères Holland a su rendre Motown et ses artistes célèbres dans le monde entier, en composant des hits qui en soixante ans n’ont pas pris une seule ride. Lamont eut le temps de publier en 2019 son autobio, How Sweet It Is: A Songwriter’s Reflections On Music, Motown And The Mystery Of The Muse. C’est un ouvrage passionnant qui complémente celui des frères Holland (Come And Get These Memories, paru la même année, et qu’on a longuement épluché ici en décembre dernier - ‘Holland & Holland of thousand dances’).

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             Lamont casse son book en deux : Motown et l’after-Motown, c’est-à-dire Invictus/Hot Wax et la carrière solo dont on va reparler tout à l’heure. Il amène des tonnes d’informations précises qui éclairent considérablement cette histoire d’une richesse infinie. Il pimente son récit de ce qu’il appelle des réflexions sur l’art de composer (The mystery of the muse), d’énormes paragraphes composés en bold, mais il ne sort que des évidences. On y apprend rien. Pourquoi ? Parce que rien n’est plus évident qu’un hit. Alors gloser sur l’évidence des évidences, on comprend bien que ça ne mène nulle part. Il est gentil, Lamont, il essaye de donner des conseils, mais ce type de talent ne s’enseigne pas. Dans son autobio, Burt Bacharach ne tombe pas dans ce type de panneau, ni d’ailleurs les frères Holland. Noël Godin aurait certainement traité Lamont de pompeux cornichon.

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             Par contre, ça devient intéressant quand Lamont explique que dans le trio Holland/Dozier/Holland, il est l’homme des idées. Il donne un exemple dans le premier chapitre : il est dans un motel, en train de tromper sa copine du moment avec une autre poule, et justement la copine du moment tape à la porte de la chambre. Lamont a juste le temps de faire sortir celle qu’il vient de baiser par la fenêtre de la salle de bains et il fait entrer la furie. Elle est sûre que Lamont la trompe, alors elle est folle de rage. Pour la calmer, Lamont lui lance : «Baby please stop ! Just stop ! In the name of love.» Et soudain, dans le cœur de l’action, alors que la copine en furie vient d’attraper la lampe de chevet pour lui fracasser le crâne, Lamont dit : «Wow, quel beau titre pour une chanson !». Et la copine émerveillée lâche la lampe de chevet et se rend à l’évidence. Oui quel beau titre ! Ce sont les Supremes qui vont en hériter. Heureusement, Lamont ne nous raconte pas la genèse de tous ses hits car il en y en a des centaines, répartis entre les Supremes, les Four Tops, Martha & the Vandellas, Marvin Gaye, les Miracles, les Marvelettes et Jr Walker & The All Stars. À l’époque où il écrit ses mémoires, Lamont est encore fasciné par le phénomène Holland/Dozier/Holland, qu’on va appeler HDH, pour gagner de la place : «Ça m’épate encore de voir tout qu’on a réussi à faire tous les trois, Eddie, Brian et moi, en si peu de temps. C’est comme si nous avions été programmés pour nous retrouver tous les trois au même endroit pour créer quelque chose de spécial. C’était beaucoup trop profond et trop spirituel pour n’être qu’une simple coïncidence.» Lamont en est persuadé : ce qu’il appelle la Muse, c’est-à-dire Dieu, a présidé au destin du trio.

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             Comme la plupart des autobios, celle-ci suit le fil chronologique. Lamont nous raconte son enfance à Detroit, avec une mama poule et un daddy drunk. Mais c’est le daddy qui trouve le prénom de Lamont, dans un feuilleton radiophonique, The Shadow - Who knows what evil lurks in the heart of men? The Shadow knows -  et dont le personnage principal s’appelle Lamont Cranston. À Hutchins Junior High School, Lamont fréquente déjà des futures stars de Motown comme Marv Johnson, qui sera le premier artiste signé par Berry Gordy, juste avant la création de Motown. Il connaît aussi Freda Payne, et Otis Williams qui deviendra superstar avec les Temptations. Il connaît Aretha qu’il va voir chanter à l’église. Toutes les stars sont déjà là. Il voit démarrer un groupe appelé The Matadors, «fronted by a teenager who called himself Smokey Robinson». Berry Gordy signe aussi la sœur de Little Willie John, Mabel John, qui devient la première artiste féminine de Tamla. Lamont se présente un beau jour à Berry Gordy avec son groupe, The Romeos. En 1960, Gordy devient indépendant avec Motown et lance Mary Wells. Le «Shop Around» des Miracles est le premier hit à se vendre à un million d’exemplaires, avec le «Please Mr Postman» des Marvelettes. Gwen Gordy revend son label Anna à son frère Berry et se marie avec Harvey Fuqua. Marvin Gaye se marie avec Anna Gordy, l’autre sœur de Berry et entre à son tour dans la famille. Lamont explique comment Berry Gordy finit par tout engloutir. Gordy affine sa vision qui est celle de Motown. Il finit par embaucher Lamont. Alors Lamont se pointe un beau matin à Hitsville USA et comme tous les autres, il passe à la pointeuse. Gordy qui avait travaillé chez Lincoln-Mercury trouvait l’idée de la pointeuse géniale. Il instaure des horaires : 9 h/18 h. Si la journée de travail déborde dans la soirée, on peut pointer plus tard le lendemain matin. Puis Lamont passe par le bureau de Gordy. Il faut signer la paperasse. Tiens, tu signes là. Et là. Bien sûr, pas question de sortir une copie du contrat pour la montrer à un avocat. De toute façon, Lamont n’a pas les moyens de se payer un avocat. Il signe tout ce que lui présente Gordy. Sans discuter.

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             Lamont est embauché comme compositeur/arrangeur/producteur. Il commence par bosser avec Brian Holland. Son frère Eddie était là depuis le début, il chantait les démos que Gordy, sa sœur Gwen et Billy Davis présentaient à Jackie Wilson. Puis Gordy a commencé à produire Eddie en 1958. Lamont nous raconte les vraies racines de Motown. En 1962, Eddie a un hit avec «Jamie», une compo signée Mickey Stevenson et Barrett Strong. Lamont indique que c’est le premier hit Motown avec des violons, un son qui allait devenir le template de Motown par la suite. Eddie aime chanter, mais il déteste monter sur scène à cause du trac. Il préfère rester à la maison. Alors ils se mettent à travailler tous les trois : Brian bosse sur la musique, Lamont sur la musique et les paroles, il insiste bien pour dire qu’il amène le concept, et Eddie complète les paroles. Et leur petite industrie se met en route, a factory within a factory, mais ils veillent à maintenir un haut niveau de qualité. Lamont rappelle aussi qu’Eddie a bossé comme un dingue pour devenir un bon parolier. Brian et Lamont finissent le master pendant qu’Eddie peaufine ses paroles - Brian was all music, Eddie was all lyrics and I was the idea man who bridged both - C’est le secret de leur succès, nous dit Lamont. Ils décrochent leur premier hit en composant «Come And Get These Memories» pour Martha & The Vandellas. Martha était la secrétaire de Mickey Stevenson qui avait peur de la perdre en tant que secrétaire, s’il la laissait entrer en studio.

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             Un jour de canicule, Lamont retrousse ses manches et s’exclame «What a heat wave !». Pouf ça devient un hit pour Martha. Premier numéro 1 dans les charts pour HDH. Ils vivent quasiment tous les trois dans une petite pièce, et ils sont boostés par l’arrivée des royalty checks - For over one hundred thousand dollars - Là, on ne rigole plus. Alors la cadence s’accentue. Les poules pondent des œufs d’or, cot cot cot, et Berry passe avec son panier. Encore ! Encore ! Cot cot cot ! Lamont nous raconte aussi les réunions du «quality control» chaque vendredi, avec des staffers, des producers et quelques administratifs qui étaient là pour donner un avis non musical. Berry pense qu’ils représentent le consommateur ordinaire. Le quality control écoute tout ce qui a été enregistré dans la semaine par les différentes équipes et décide de ce qui part en fabrication. Lamont indique en outre qu’il ne s’agissait pas de démos mais de full-blown recordings. Billie Jean Brown conduit ces réunions et fait un pré-tri. Mais il lui arrive de se vautrer. Quand HDH enregistrent «Jimmy Mack» avec Martha & the Vandellas en 1964, Billie Jean Brown ne trouve pas ça terrible et ne le propose pas au quality control. C’est «Dancing In The Street», composé par Mickey Stevenson, Marvin Gaye et Ivory Jo Hunter qui passe. Quand plus tard, Gordy exige d’entendre tous les enregistrements en stock de Martha & the Vandella, Billie Jean finit par ressortir «Jimmy Mack». Alors Gordy défonce la table d’un coup de poing : «Depuis combien de temps c’est sur l’étagère ? C’est un hit !». Quand il découvre que ça prend la poussière depuis deux ans et demi, il pique une crise terrible. «Je veux que ça sorte la semaine prochaine !». Lamont est content de voir enfin son «Jimmy Mack» sortir des ténèbres. Ce sera le dernier hit de Martha & The Vandellas.

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             Lamont évoque aussi Mary Wells qui fit la grave erreur de quitter Motown, croyant trouver mieux ailleurs, et puis voilà Marvin Gaye est qui est arrivé chez Motown en même temps que Lamont et qui voulait être le black Sinatra, certainement pas un chanteur de r’n’b. Il aimait aussi battre le beurre dans les sessions. Lamont raconte dans le détail la session d’enregistrement d’«How Sweet It Is (To Be Loved By You)» avec Marvin qui fait sa mauvaise tête parce que le registre est trop haut pour sa voix, et qui finit par enregistrer cette merveille in one take - Ce que vous entendez sur le disque is Marvin’s one take, après avoir entendu la chanson seulement deux fois. Since the key was high, he slid into his falsetto which sounded beautiful - Lamont rend aussi hommage aux Funk Brothers qui viennent chaque jour en studio sans savoir s’ils vont travailler avec HDH, Norman Whitfield, Smokey ou quelqu’un d’autre. Pas besoin d’expliquer les choses longtemps à des mecs comme Benny Benjamin ou James Jamerson, nous dit Lamont - They knew how the song should feel, and it was all about that feel - Emporté par son élan, il ajoute : «Quand on parle de musiciens, these guys were some of the best there’s ever been.» Lamont rappelle que le studio, le fameux snake pit, était petit. Il ne pouvait contenir que huit joueurs d’instruments à cordes. Dans une autre pièce, il y avait les cuivres - On était tous entassés dans ce petit espace, but we were making magic - En plus, ils enregistrent sur un quatre pistes, alors t’as qu’à voir !

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             Puis Gordy demande à HDH de mettre le paquet sur les Supremes. Elles n’ont pas de hits. On les appelle les no-hits Supremes. Au départ, elles sont là tous les jours, mais Gordy ne veut pas signer des lycéennes. Il finit par craquer en 1961. Il va être le seul à miser sur les Supremes. Il sait qu’elles vont exploser. Mais il leur faut des hits. HDH leur composent «Where Did Our Love Go», their first number one in the pop chart. Soudain nous dit Lamont, The Supremes were the biggest act on the label. Tout s’emballe. Lamont constate que tous les hits du Top 10 américain sont signés soit Lennon/McCartney, soit HDH. Puis Gordy fout la pression sur tout le monde : il envoie une circulaire dans tous les services de Motown pour exiger que toutes les productions de Motown ne soient plus que des Top 10 products on any artist et puisque les Supremes sont the biggest act on the label, elles n’enregistreront plus que des number-one records. Lamont sent monter la pression. Comment tenir à ce rythme infernal ?

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             Ah mais c’est pas tout ! Il faut aussi lancer les Four Tops. Lamont connaît bien Levi Stubbs, Duke Fakir, Obie Benson et Lawrence Payton. Encore des héros sortis des HLM de Detroit. En 1966, alors qu’ils enregistrent «You Can’t Hurry Love» et «You Keep Me Hanging On» avec les Supremes, HDH entrent en studio avec les Four Tops pour enregistrer «Reach Out I’ll Be There» - To me, that’s a song that perfectly captures what HDH was all about - C’est le sommet du lard, le vertigineux sommet du lard de HDH. Lamont dit aussi qu’ils ont passé toute  l’année 1965 au sommet des hit-parades. Fatiguant mais excitant, ajoute-t-il. Il n’existe pas de concurrence entre Smokey Robinson, Mickey Stevenson, Norman Whitfield et HDH, tout le monde avance dans le même sens, the Sound of Young America. Tout le monde bosse, Gordy ne veut ni drogues ni alcool at Hitsville USA. Brian ne boit que du lait, Eddie boit un petit peu de pinard, mais pas trop - Nous n’avions pas le temps de déconner avec les drogues, et je voulais garder les idées claires. Tu venais chez Motown pour bosser, pas pour picoler et faire la fête - Mais Lamont se lamente car la pression est terrible. Il faut des hits, encore et encore, tous les jours. Cot cot cot !

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             En 1967, l’état d’esprit commence à changer : les Miracles deviennent Smokey Robinson & The Miracles, Martha & The Vandellas deviennent Martha Reeves & the Vandellas et les Supremes Diana Ross & The Supremes. Gordy mise à fond sur Diana et ne fait pas de cadeaux, ni à Mary Wilson et encore moins à Florence Ballard qu’il va réussir à virer. Lamont redit son admiration pour Smokey, mais aussi pour Ashford & Simpson. En 1967, HDH ont composé et produit plus de la moitié des hits qui ont rendu Motown célèbre dans le monde entier. Et c’est là que commencent les ennuis. Quand Gordy nomme Eddie A&R de Motown, il provoque le départ de Mickey Stevenson qui était l’A&R historique. D’ailleurs l’autobio de Mickey Stevenson vient de paraître. On en reparle.

             Lamont sent qu’il ne reçoit pas la rétribution correspondant à ce qu’il amène avec HDH à Motown. En plus, Brian et Eddie passent de plus en plus de temps aux courses de chevaux et Lamont se lamente de se retrouver seul en studio pour bosser. Il le vit mal. Comme l’ont raconté Eddie et Brian dans leur autobio, HDH se mettent en grève et en 1968. Gordy les traîne en justice pour rupture de contrat. Il demande quatre millions de dollars de dommages et intérêts. Cette belle histoire finit au tribunal. Quelle misère !

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             Il n’empêche qu’HDH retrouvent leur liberté. Ils montent Invictus. Le boss, c’est Eddie. Des trois, il est celui qui a le sens des affaires et ce qu’il faut de chien pour les brasser. Ils partent tous les trois d’un poème de William Ernest Henley, «Invictus», qui se termine ainsi : «I am the master of my fate/ I am the captain of my soul.» Ils s’installent à Detroit et récupèrent d’autres victimes de Berry Gordy, comme par exemple Ronald Dunbar et d’autres «Motown refugees» comme Jeffrey Bowen qu’ils nomment A&R. Pour retrouver leur âge d’or, HDH ont besoin de dénicher de nouvelles Supremes et de nouveaux Four Tops. Les nouvelles Supremes sont Honey Cone, le groupe d’Edna Wright, qui est la sœur de Darlene Love. Il est important que préciser qu’Edna a fait partie des Raelettes de Ray Charles. Puis ils lancent The Glass House et Freda Payne, dont on a dit ici même, en décembre dernier, tout le bien qu’on pouvait en penser. Jeffrey Bowen a pour mission de trouver l’équivalent des Four Tops, alors il amène The Chairmen Of The Board, un groupe de surdoués rassemblés autour de General Johnson, qui va jouer lui aussi un rôle capital dans l’aventure Invictus. L’un des autres personnages clés de cette épopée, c’est bien sûr McKinley Jackson, leader des Politicians, et qui devient arrangeur/producteur maison chez Invictus/Hot Wax.

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             Malgré les succès du trio HDH et des deux labels, Lamont n’est pas heureux. Il sent qu’il passe trop de temps dans son bureau et pas assez en studio. Il sent aussi qu’il ne voit plus les choses de la même façon qu’Eddie et Brian. Quand Al Green propose son nouvel album à Invictus, Eddie passe la main. Lamont est choqué. Parliament sort son premier album Osmium sur Invictus, mais pour une raison x, ça ne marche pas. George Clinton finit par se fâcher avec Invictus. C’est là qu’il signe sur Casablanca avec le succès que l’on sait - L’un des groupes que George Clinton a beaucoup influencé sont The Ohio Players. That’s another group that we passed on - Lamont est effondré : «Je me suis souvent demandé ce que serait devenu Invictus si on avait eu Al Green, Parliament et les Ohio Players, quand on avait la chance de pouvoir les signer.» Et donc Lamont se casse pour attaquer une carrière solo.

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             Sacrée pochette que celle de son premier album solo, Out Here On My Own : Lamont s’y pavane en chemise et fute de cuir caramel, avec un air mauvais. Mais c’est au dos que ça se corse, car il tient debout, torse nu et te toise. Et tout ça n’est rien en comparaison de ce coup de génie qui s’appelle «Breaking Out All Over» ! Lamont swingue sa Soul comme un black gladiator, no no babe ! Il swingue ça aux petites guitares funk et ça s’envole avec les violons de Marvin. Pur Black Power ! Voilà qu’éclate une fois de plus au grand jour le génie de Lamont. Il nous fait même le coup de la petite accalmie flûtée avant que n’éclate le bouquet final. Real big Doz ! L’autre coup de Jarnac se trouve en B et s’appelle «Take Off Your Make Up». La beauté de l’intro est d’une grande virulence, c’est une Soul fouettée aux violons et chantée à la mode haletée pour éclater encore une fois au grand jour. Lamont est un seigneur des annales. C’est là que s’exprime le génie d’un art nègre qu’on appelle la Soul. Lamont crée de la beauté par vagues, dès qu’il lui demande d’enlever son make-up, oh cette façon d’attaquer le take off est tout simplement spectaculaire. Lamont est à l’avant-garde de l’art nègre, il polit son Take off magnifiquement. Il take son Take off au paradis des Soul Brothers et le thème orchestral emporte la fin du cut. Rien d’aussi puissamment beau sur cette terre. Autre merveille inexorable : «Fish Ain’t Bitin’». Ah il faut voir la classe du gratté de guitare en fond de ce groove de Soul superbe. Lamont sait gérer un son, il l’a déjà prouvé, mais il fait encore des étincelles. Solide romp aussi que ce «Don’t Want Nobody Between Us». Il bouffe sa Soul toute crue comme s’il était les quatre Four Tops à lui tout seul. Il chante son «Let Me Make Love To You» jusqu’à l’os du crotch, sans rémission ni regrets, Doz does it right. Le Politician McKinley Jackson signe toutes les compos. Lamont finit cet album fantastique avec le morceau titre, cut de Soul digne des Tempts, orchestré à la Motown, il chante ça à la force du poignet. Puissant Doz ! 

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             Au moment où sort son premier album solo, Brian et Eddie font paraître The New Lamont Dozier Album - Love And Beauty. C’est une compilation des singles enregistrés par Lamont pendant sa période Invictus. Lamont et Eddie recréent à leur façon la magie Motown. On ne compte pas moins de quatre vraies énormités sur cet album, à commencer par ce «Don’t Leave Me» chanté sous le boisseau, véritable cut de r’n’b racé et primitif. Cette teigne vaut bien celle de Stax. Encore un hit de Doz avec «New Breed Kinda Woman», real Motown magic. Il met tout le paquet dans cette affaire. En B il passe au heavy funk avec «I’m Gonna Hi-Jack You». On se croirait chez Sly Stone, même sens de l’énormité du beat. Encore du heavy beat avec «Super Woman». On est en plein cœur du Black Power. Lamont monte sur ses grands chevaux, il sait rocker le butt d’un cut de Soul ! Il ne faut pas faire l’impasse sur «Why Can’t We Be Lovers», cette belle partie de groove urbain. C’est du Dozier complet, il fait entrer des infra-sons dans des accords inconnus. Avec «Don’t Stop Playing Our Song», il propose des orchestrations sibyllines et très originales en même temps. Chez Invictus, on fait de la recherche et du développement. On ne dira jamais assez à quel point le groove de Doz peut être élégant, c’est en tous les cas ce que montre «The Picture Will Never Change». Chez Doz, ça ne violonne jamais pour des prunes. Les nappes servent leur seigneur et maître comme seules les nappes bien inféodées savent le faire. Il termine ce brillant album avec «Let’s Get Together». Il s’y révèle une fois de plus aussi profond qu’un puits de son, do baby doo !

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             Black Bach est donc son deuxième album solo. Doz deviendrait-il prétentieux en installant son buste sculpté sur la pochette ? Il explique en fait qu’un joueur de sax au temps de Motown lui avait dit que les accords qu’il jouait au piano sonnaient comme ceux de Bach - Bach was the father of harmony et j’étais effaré par le temps qu’il avait mis à maîtriser son art. La plupart de ces compositeurs sont morts pauvres, mais ils s’en foutaient. They weren’t looking for a buck, they were just obsessed with music - Il calme très vite le jeu avec «Put Out My Fire», un groove suprême à la Marvin, bien soutenu aux percus. C’est la magie du groove qui opère - Somebody help me and rescue me - Lamont se lamente et appelle à l’aide en chaloupant des hanches, burn it up ! Ce Bach album n’est pas aussi dense que le précédent, on erre de cut en cut comme une âme en peine. Avec «All Cried Out», on voit bien que Lamont sait se lamenter sans se démonter. En B, il propose avec «Thank You For The Dream» une belle tranche de Soul entreprenante. Il maintient bien le niveau de ses ambitions compositales. Il revient au groove de Soul de maître avec «I Wanna Be With You» et l’absolue véracité d’un big black dude. 

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             Et puis le voilà en smoking sur la pochette de Right There. Doz cultive un sens aigu de l’image. C’est vrai qu’on s’habitue à son physique enfantin. Il démarre l’album avec une reprise de son vieux hit «It’s The Same Old Song». Il en fait une version pépère, doucement groovée et qui prend bien son temps. Puis il s’en va groover le morceau titre dans la masse. Il le fait avec la délicatesse d’un page florentin. Il fait son Al Green. Ça sonne évidemment comme un hit de Soul. Il conforte sa stature de roi du groove avec «Groovin’ On A Natural High». Il groove en douceur et en profondeur. Ça se corse en B avec «Good Eye», un heavy romp de Soul. Doz mène sa barque, il shake à la diction pure de Motown move - Good good loving/ She kissed me - Doz duette avec un mec, sûrement James Reddick, qui comme McKinley Jackson, est un compositeur et arrangeur de génie. Retour au groove de rêve avec «With A Little Bit Of Mending», véritable merveille irrépressible et terriblement mélancolique. C’est juteux et pur comme de l’eau de roche, bien monté sur beat des reins. On se doute bien que James Jamerson se trouve derrière cette entourloupe. Encore un groove de dream come true avec «Ain’t Never Loved Nobody». James Reddick qui est derrière intervient toujours à propos, avec une voix plus grave.  

             Pendant cette période, il produit pas mal de grands artistes : il cite les noms de Z.Z. Hill (Keep On Loving You), Margie Joseph (Hear The Words Feel The Feeling), Ben E. King et Aretha (Sweet Passion). Il enregistre un autre album pour ABC, Prophecy, mais l’album n’est jamais sorti. ABC ne l’aimait pas, et comme son contrat arrivait à terme, Doz s’est barré pour aller chez Warner Bros. 

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             Il débarque donc chez Warner Bros en 1977 pour enregistrer l’excellent Peddin’ Music On The Side. Il faut aller directement en B écouter «Going Back To My Roots» car c’est l’un de ces coups de génie dont on se souvient sa vie entière. On croit entendre Alexandrie Alexandra sauf que Doz le prend à la méchante énergie. Il ramène des éléments de Brazil et d’Africa dans son brouet fabuleux et adresse un clin d’œil à Carlos Jobim. On entend même des tambours africains. Pour «Family», il ressort ses orchestrations extrêmes et vise le big Broadway brawl. En A, il propose un solide romp de Soul avec «Sight For Sure Eyes», hello mama ! C’est bardé de son, bien au-delà des espérances du Cap de Bonne Expectitude. On a même un solo de xylo, monté sur un heavy beat dressé vers l’avenir. Puis il enlumine «What Am I Gonna Do ‘Bout You» à la flûte antique. Doz ne lâche pas son steak. Même si «Break The Ice» paraît plus classique, on y voit des choses assez marrantes, comme cette basse à la Miss You qui remonte le courant des intermèdes. Doz se bat comme un lion avec chaque cut. Il faut le voir se jeter sur un balladif comme «Tear Down The Walls» ! Quel champion !  

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             Considérons Bittersweet comme son dernier grand album classique. Il s’y voue au funk corps et âme, comme le montre «Boogie Business». Real Black Power ! Solide partie de funk en rase campagne, ça cuivre à gogo et Doz enfonce son funky clou à coups redoublés. Fabuleux aplomb ! Il ne s’en laisse pas compter. Doz ne lésine pas sur la dose. Baisser les bras n’est pas son genre. Chez les Dozier, on sait dozer. Il revient à son cher heavy groove avec «True Love Is Bittersweet». C’est bardé de son, amplement orchestré, tiré à quatre épingles. Doz est un milord. Par contre, son «Love Me To The Max» flirte avec la diskö putassière, mais bon, Lamont ne se lamente pas, il dansera jusqu’à l’aube. En B, il nous refait le coup du hard-nailed funk avec «We’re Just Here To Feel Good». Real Black Power une fois encore. Il fait aussi passer son «I Got I All With You» en force. Il sait se montrer irrépressible, même avec les slowahs gluants. Tiens, allez, encore un petit shoot de funk avec «Let Your Love Run Free». Il mène ça à la force du poignet.   

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             Bon alors après ça se gâte, dès 1981, avec Lamont. Il se déguise en yatchman de diskö boat sur la pochette. Mais il n’a plus les moyens de sa légende. Il se plie aux impératifs du marché et on passe complètement à travers sa diskö passe-partout. Dommage. On assiste à une vraie chute d’inspiration. Il préfère piloter son diskö boat à la mormoille. Il réussirait presque à sauver cet album avec «Locked Into You». 

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             La même année paraît Working On You, sous une pochette racoleuse. Si on écoute cet album, c’est uniquement par sympathie. Le seul cut sauvable de l’album est «(You Got Me) Wired Up», un groove sexuel très sucré. Notre héros se transforme en pâtissier lubrique. Vas-y Doz ! On est avec toi !

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             Il reste dans la diskö pour Bigger Than Life, paru deux ans plus tard. Le pauvre Doz bouffe à tous les râteliers. Désolé Doz, on se lamente car ce n’est pas du bon Lamont. Il réussit presque à recréer l’illusion en B avec «Scarlett O’ Hara» et groove adroitement sa diskö funk dans «Nowhere To Go But Up». Il y retrouve sa légèreté légendaire. Et pouf, voilà un hit : «Second Wind», fantastique shoot de good time music. Ouf ! Il emmène sa Soul valser par dessus les toits avec un power extraordinaire.  

             Dans le début des années 80, le trio HDH se reforme et produit l’album du grand retour de Four Tops, Back Where I Belong.

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             La pochette d’Inside Seduction fait craindre le pire, et même si «Feeling Each Other Out» pue le synthé, Doz réussit à y injecter un énorme shoot de Soul. Mais trop de cuts puent le filler et la mauvaise diskö. De ce point de vue, l’A est une véritable catastrophe. Il redresse un peu la barre en B avec «The Quiet’s Too Loud», qui sonne presque comme un hit et ««Attitude Up» sonnerait bien comme la diskö des jours heureux. Il faut attendre le dernier cut qui s’appelle «Pure Heaven» pour s’étrangler en criant au génie. Avec un mec comme Doz, la heavy diskö, c’est forcément bon. Il sait groover sa chienne de vie, c’est excellent, plein de tout l’allant d’Allah. Wow, quel big shoot de Black Power !

             Mais la suite de sa carrière solo dégénère. Il grenouille avec le mec de Simply Red, Clapton et Phil Collins. N’allons pas salir le beau blog de Damie Chad avec des cochonneries.

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             Comme on le sait, Lamont Dozier n’est pas né de la dernière pluie. Alors pour finir en beauté, il décide de recycler tous ses vieux hits, et là, attention aux yeux ! Il existe trois albums qui sont des bombes atomiques ! Le premier s’appelle An American Original - I recorded a bunch of HDH classics from the heyday, but I presented them the way many of them were originally conceived: as slow lovehorn ballads. C’est la façon dont ils sonnaient avant que Brian et moi ne les accélérions pour les rendre plus radio friendly - Il s’accompagne au piano pour chanter «Where Did Our Love Go», et il tisse un fil mélodique effroyablement beau, une deep Soul de cœur broyé, you came to my life/ So tenderly, il y va au ooh baby, il groove sa Soul à la lenteur fondamentale, ooh baby, c’est déchirant de don’t leave me, il est même encore plus puissant que Burt ou Al Green, il incarne l’âme de la Soul et quand on a dit ça, on a rien dit. Tout n’est pas aussi spectaculaire que ce remake de «Where Did Our Love Go», il faut attendre «Baby I Need Your Lovin’» pour frémir à nouveau, il chante son vieux hit au heavy grrove, épaulé par les percus, il s’accompagne au piano et il écrase bien son champignon. Il fait ensuite une version Caraïbes de «Baby Love», il groove ça en profondeur. Encore un coup de génie avec le retake de «Can’t Help Myself (Sugar Pie Honey Bunch)», ça swingue, mon gars, t’as pas idée. Il taille encore sa toute avec «How Sweet It Is (To Be Loved By You)», thank you baby, c’est en quelque sorte le summum du satin jaune. Il faut aussi le voir couler «(Love Is Like A) Heatwave» dans un moule de gospel batch, il te plonge dans le swing le plus pur de tous les temps, tu as le génie de Lamont à l’heatwave beating in my heart ! Il chante aussi son «Stop In The Name Of Love» avec une voix de supplicié de l’Inquisition, think it over, puis il plonge dans l’océanique avec «My World Is Empty Without You», il devient l’Hugo de la Soul, pas de barbe blanche mais du génie visionnaire à revendre, il s’accroche à sa falaise de marbre.

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             Sur Reflections Of Lamont Dozier, il reprend encore ses vieux hits, histoire de rappeler au monde entier qu’il a du génie. Sa version de «Where Did Our Love Go» a quelque chose de mythique. Il revisite toute l’histoire de Motown - Please don’t leave me/ All by myself - Il le prend plus heavy. Il fait ce que bon lui semble, vu qu’il est le roi de Motown, le pourvoyeur de hits. C’est bien qu’un mec comme lui se réapproprie ses hits. Il est bien plus puissant que les Supremes. Il en fait une version éplorée et pure. Il tape à la suite dans l’«Heatwave» qu’il écrivit pour Martha & The Vandellas. Il prend ça au heavy groove, c’est épais et sacrément explosif. Il chante à foison et un solo de sax arrive comme un retour de manivelle. Il revisite aussi «Baby I Need Your Lovin’». Il y ramène des congas et du piano pour en faire un groove sublime. La chanson est là. Il en fait une version magique, une œuvre d’art terrible et définitive. On peut dire la même chose de «Baby Love». Il en sort aussi une version démente, ça sonne encore plus comme un hit qu’avant. Toutes ses reprises sont monstrueuses. Il monte encore dans les crans du génie avec «I Can’t Help Myself», il ramone les Supremes et ramène toute la puissance du peuple noir. Il faut aussi entendre sa version de «Reach Out I’ll Be There». Il tape ça à la sur-puissance. Il règne sur son empire. Il s’appelle Lamont Demento. Il laboure ses terres. La basse chevrote tellement elle est bonne. D’autres merveilles guettent l’imprudent visiteur, comme par exemple «I Hear A Symphony» joué au heavy drone d’infra-basse. Belle entourloupe, en tous les cas. Motown lui doit tout et tout particulièrement les Supremes, ne l’oublions pas. Il fait aussi une version extrêmement ralentie de «Stop In The Name Of Love». Lamont récupère toutes ses billes pour en faire des trucs à lui, plus poitrinaires, plus inspiratoires, moins dans le Ross de la rosse, et comme la mélodie est là, alors ça fonctionne à merveille. La démonstration plaide par elle-même. Il tape aussi dans «How Sweet It Is (To Be Loved By You)». C’est un hit qui s’entend dès les premières mesures. C’est à ça qu’on mesure la hauteur des géants.

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             Le troisième, Reimagination, date de 2018. Même principe que les deux albums précédents, mais cette fois, il invite des gens. Ça commence mal car il invite Graham Nash pour le «Supremes Medley». Lamont chante très laid-back et s’accompagne au piano. Il prend «How Sweet it Is (To Be Loved By You)» en heavy barrellhouse, avec Gregory Porter qui fait le tenant de l’aboutissant. Force est de constater une fois encore que les compos sont impeccables. Et soudain, le génie de Lamont Dozier ré-éclate à l’Ararat avec «Reach Out I’ll Be There» qui fut dit-il conçu comme a gospel song. Il ramène de la confusion comme Dylan dans «All Along The Watchtower», il le prend très laid-back et au piano, il fait monter les harmonies vocales, reach out, vas-y mon gars, reach out for me ! On réalise à ce moment-là que Lamont navigue exactement au même niveau que Dylan et John Lennon, voilà c’est pas bien compliqué à comprendre. Lamont Dozier, c’est aussi Jimmy Webb en black. Il est tentaculaire. Une blanche nommée Ann Womack vient doubler sur le refrain de «Baby I Need Your Lovin’». Pas forcément une bonne idée. Ce hit appartient de droit au peuple noir. La blanche fait mal aux oreilles. Il tape ensuite une «Bernadette» à l’espagnolade. Il est sur tous les fronts, le Lamont d’Ararat. Il travaille son génie au corps. Il développe de l’espagnolade. Il déploie à l’infini. En prime, on entend chanter l’un des plus grands compositeurs d’Amérique. Il duette avec Cliff Richard sur «This Old Heart Of Mine (Is Weak For You)», c’est presque pop, pianoté au tip top, fuck, les voix se marient bien, Cliff Richard ramène tout son star system. Lamont invite encore une blanche nommée Jo Harman dans l’hommage aux Vandellas, «(Love Is Like A) Heatwave/Nowhere To Run». C’est drôle qu’il flashe sur les petites blondasses. Option jazz ferver cette fois, stand-up and snap. Lamont swingue d’entrée de jeu, il a ça dans la peau, mais la voix blanche gâche tout. C’est atroce comme elle gueule. Les choix de Lamont sont parfois incompréhensibles. Il aurait dû prendre une petite black pour lui donner une chance, pas ce genre de blondasse à la mode. Ça ne peut pas marcher. Voici enfin un invité de marque : Todd Rundgren. Il chante solo «In My Lonely Room». C’est un puriste, du même niveau que Lamont. Avec la guitare de Rundgren, ça devient incendiaire. L’invité suivant est encore un blanc, Marc Cohn, un mec assez énervé qui tape «Take Me In Your Arms (Rock Me A Little While)» au fast blues-punk. Il gratte ça à tort et à travers, c’est très bordélique. Bizarre que Lamont ait pu tolérer ça. Ce mec est un fouteur de souk. Retour à la terre ferme et aux duos d’enfer avec Rumer et «You Keep Me Hangin’ On». Ça change tout - Set me free/ Why don’t you babe - Rumer met du temps à se pointer, elle fait ooouh dans le refrain. On ne l’entend pas beaucoup, dommage. Elle aurait pu bouffer Lamont tout cru. Il enchaîne avec la chanson de l’avenir, «I Can’t Help Myself (Sugar Pie Honey Bunch)», il l’entonne et s’accompagne au piano, il claque dans le ciel comme l’étendard du peuple noir, il chante l’espoir inébranlable, il allume l’horizon avec son piano au nobody else, attention, c’est une chanson qui peut te broyer le cœur. Il termine avec une nouvelle resucée de «Reach Out». Ses notes de piano se perdent dans l’éternité, aw baby, reach for me, I’ll be there, il prend encore cette blanche Jo Harman pour duetter, il commet toujours la même erreur, il fait entrer des blanches et des blancs qui vont faire leur beurre sur le dos des noirs, en plus elle chante mal, son I’ll be zere fait mal aux zoreilles des zazous de Zanzibar, c’est une catastrophe tellement elle gueule. Bizarre que Lamont ne s’en aperçoive pas.

    Signé : Cazengler, Lamontable Dozier

    Lamont Dozier. Disparu le 8 août 2022

    Lamont Dozier. Out Here On My Own. ABC Records 1973 

    Lamont Dozier. Black Bach. ABC Records 1974 

    Lamont Dozier. The New Lamont Dozier Album - Love And Beauty. Invictus 1974

    Lamont Dozier. Right There. Warner Bros. Records 1976  

    Lamont Dozier. Peddin’ Music On The Side. Warner Bros. Records 1977  

    Lamont Dozier. Bittersweet. Warner Bros. Records 1978  

    Lamont Dozier. Lamont. M&M Records 1981

    Lamont Dozier. Working On You. Columbia 1981

    Lamont Dozier. Bigger Than Life. Demon Records 1983 

    Lamont Dozier. Inside Seduction. Atlantic 1991

    Lamont Dozier. Reflections Of Lamont Dozier. Jam Right/Zebra 2004 

    Lamont Dozier. Reimagination. V2 2018

    Lamont Dozier. An American Original. Hithouse Records

    Lamont Dozier. How Sweet It Is: A Songwriter’s Reflections On Music, Motown And The Mystery Of The Muse. BMG Books 20

     

     

    Hoodoo you love ? - Part Two

     

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             N’allez pas prendre Dave Faulkner pour une brêle. Non seulement ce serait une grave erreur, mais pire encore, une faute de goût. Depuis quarante ans, Dave Faulkner et ses Hoodoo Gurus remplissent leurs albums de brillants cuts de rock, de pop et de punk. Dave Faulkner se dit fou non pas du chocolat Lanvin, mais des belles guitares, il dit adorer le gros son, l’anthemic et le panache.

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             Phil Suggitt lui déroule le tapis rouge dans Shindig! : six pages ! Complètement inespéré, surtout pour un groupe qui n’a jamais été vraiment pris au sérieux. Pour situer le premier album Stoneage Romeos (paru en 1984), Suggitt tape dans la fourmilière référentielle : «‘60s garage-rock, Cramps rockabilly, ‘70s punk and glam-rock.» Avec sa frange, le batteur James Baker (ex-Scientists) semble en effet sortir d’une pochette des Shadows Of Knight. Les Gurus adorent Charlie Feathers, et tous les tenants et les aboutissants du glam, Suzi Quatro, Glitter and Bowie. Suggitt ajoute à ça une small dose of country et une huge dose of pop, et en guise de cerise sur le gâtö, il déclare : «Le grand talent de Dave Faulkner était de mélanger la trash culture et les kitsch influences avec des strong melodies and irresistible hooks.»

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             Il a raison, Suggitt, l’album accroche. C’est «Dig It Up» qui renvoie aux Cramps. Les Gurus sont même en plein dedans, ils tapent dans la mythologie, dans le heavy rumble de backdrop, avec les dégradés de guitare. Via «Death Ship», ils vont plus sur le Gun Club. Ils n’ont pas le son, mais ils ont la niaque. On peut même parler de super-power punch. «(Let’s All) Turn On» s’inscrit dans une belle tradition gaga-punk. Faulkner surmonte tous les obstacles. Ce n’est pas le cut du siècle, mais le son est là. Par contre, «Leibani» est un petit chef-d’œuvre de glam, ils sont en plein dedans, oh oh my love. Ils remontent sur le ring pour «In The Echo Chamber». Ils cherchent les voies du Seigneur, on sent chez eux une vocation réelle et une certaine poussée. Ils plongent dans ce son d’époque encore une fois avec «I Was A Kamikaze Pilot», Faulkner pousse un yeah yeah yeah. C’est bien vu, avec un son qui prend feu. Aucun espoir de retour à la raison.

             En fait, l’histoire des Hoodoo Gurus, comme d’ailleurs la plupart des histoires de groupes, est une non-histoire. Il ne s’y passe rien. Les seuls éléments notables sont les albums. On appelle ça une histoire lisse. Comme le fut celle d’Auguste Renoir, si on la compare à celle de Gauguin : d’un côté, il ne reste que l’arthrose et l’œuvre, et de l’autre, il reste l’Homme et l’œuvre. En matière de rock, on a d’un côté les histoires parfaitement lisses (Hoodoo Gurus, Echo & the Bunnymen, the Association, pour ne citer que trois exemples) et de l’autre les vraies histoires (Lanegan, Keith Richards, Jimbo, pour n’en citer que trois autres). Le rock sans sex & drugs, c’est un peu comme un jour sans rhum.

             Après leur premier album, les Gurus virent James Baker, leur Shadow Of Knight. Ils le remplacent par un nommé Mark Kingsmill. C’est Faulkner qui compose tout. Il dit stocker ses idées de chansons sur une cassette, et aujourd’hui, sur son smartphone. Et le groupe se met à tourner partout dans le monde. On les voit même sur MTV. Ils tissent des liens avec des lookalike comme les Fleshtones, les Groovies, Redd Kross et les Bangles.

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             Sur le Mars Needs Guitars paru en 1985, on croise un «Poison Pen» qui a des faux airs de Gun Club, avec de sacrés coups d’harp. La plupart des cuts sont bien emballés, fast & fine, Faulkner refait son Jeffrey Lee sur «In The Wild», ventre à terre, à travers les plaines. Ils revient à son cher gaga sixties avec «Like Wow Wipeout», clin d’œil à Nuggets et départ en solo pompé sur celui de «Psychotic Reaction». Bel hommage. En B, «The Other Side Of Paradise» retombe un peu dans les travers du poppisme populaire, ou du populisme poppy, c’est comme tu veux. Faulkner se tire de ce mauvais pas en ramenant du tribal de trogglodytes dans son morceau titre. Comme il le veut bien raw, c’est bien raw.

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             Faulkner garde un mauvais souvenir de Mark Opitz, le producteur de Blow Your Cool. «Soul-less ‘80s sound», dit-il avec amertume. En plus, il traînent le label Big Time en justice pour unpaid royalties, pratique courante à cette époque. Mais en fait, Blow Your Cool est un excellent album, même si l’«Out That Door» d’ouverture de balda se prend les pieds dans le tapis avec l’écho sur la batterie, c’est-à-dire la prod des années 80. On se croirait chez U2 ! Plus loin, «Good Times» se montre plus décidé à vaincre. Faulkner ne lésine pas cette fois, il ramène du heavy beat dans une belle clameur de pop. S’ensuit un excellent pâté de pathos, «I Was The One». Il s’en va chanter là-haut sur la montagne. Il boucle son balda avec «Where Nowhere Is», excellent shoot de punk’s not dead, battu à la diable par Kingsmill et monté sur le meilleur riff de revienzy de l’Aussie punk. Ça repart de plus belle en B avec «In The Middle Of The Land», énorme clin d’œil au gaga sixties. En plein dans l’esprit Nuggets. Faulkner impose sa marque partout. Nouvelle énormité avec «On My Street», wild gaga faulknérien, bien claqué du beignet, pas né de la dernière pluie, l’anti-oie blanche par excellence, Faulkner est le roi de la clameur, un apôtre de l’énormité, un couleur de bronze surnaturel, un prédestiné au Grand Œuvre, une poule aux œufs d’or, un exacteur d’exactions, un shaker-mover qui ne connaît pas la peur. Il finit en ramenant les accords de «Gloria» dans «Party Machine». C’est très bien vu, tout y est, le festin de groove, les coups d’harp, le heartbeat, les chœurs vaillants-rien-d’impossible et les poussées de fièvre.

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             Petit à petit, ils optent pour la power-pop et un son plus noisy, mais le noisy ne passe pas à la radio. Faulkner dit qu’il faudra attendre Nirvana et le grunge pour que ce noisy sound soit accepté partout. Il se fait donc passer pour un précurseur et personne n’ira le lui reprocher. Magnum Cum Louder arrive donc en 1989 comme le messie. Vas-y Faulkner ! Tu es le meilleur ! «Come Anytime» est ce qu’on appelle communément un cut bien vu. It’s okay. Tu peux faire confiance à Faulkner. Ce mec pulse toute la power pop qu’il peut. Il est même l’un des modèles du genre. Mais ce sont les deux clins d’yeux aux Saints qui font la grandeur pharaonique de cet album : «Another World» et «Death In The Afternoon». Faulkner y frise le Chris Bailey, son approche du big pop-rock Sainty est parfaite, et avec «Death In The Afternoon», il vise le même pôle Nord du heavy rock underground Sainty avec des accents profonds et le même sens immaculé de l’immaculate, le poids du power est le même, avec les accords et le chant intraitables. Faulkner & Bailey même combat ! Faulkner écrase ses syllabes comme le fait Chris Bailey. Ce n’est pas fini. L’autre sommet de l’album est la triplette «Hallucination», «All The Way» et «Baby Can Dance». Faulkner fourbit bien le fourbi d’Hallucination. Il chevauche son cut et ne le lâche plus. C’est d’une rare puissance. Il drive «All The Way» à la force du poignet, il soigne sa persistance à coups d’Hey hey hey, il lance bien son all the way. «Baby Can Dance» est plus poppy mais accueilli à bras ouverts. Tout ce qui vient de Dave Faulkner est pain béni. Il profite de la moindre occasion pour créer la sensation, alors suivons ce mec à la trace. Il repart à la conquête du monde avec le fast drive d’«I Don’t Know Anything». Il y va de bon cœur, il fait plaisir à voir. Tout est très lesté chez lui. Il ramène de l’énergie dans tous ses cuts, même ceux qui ne payent pas de mine comme «Where That’s Hit». Il pique une petite crise de Punk’s not dead avec «Glamour Puss», c’est assez effarant, et Brad Shepherd passe un joli solo de wah.

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             Faulkner est fou non pas de la chocolaterie de Charlie, mais de son son qui selon lui fluctue entre «guitars-to-11 hard-rock punk and a more melodic pop and psychedelic approach.» Suggitt opine du chef : «Some of their best tunes combine both elements, blending punchy rock with a heathy dose of pop.» Ce que tendrait à prouver l’excellent Kinky qui date de 1991. Faulkner s’y fend de deux Beautiful Songs, «Castles In The Air» et «Desiree». C’est un aspect composital qu’il n’avait pas encore développé. Il pose bien sa voix sur le joli groove de «Castles In The Air». Il se situe dans les harmonies à la Fred Neil, même univers de pureté mélodique, du coup, on dresse l’oreille. C’est d’un niveau qui impose le respect. Même chose avec «Desiree». Sa pop lumineuse fait merveille. Le hit de l’album s’appelle «100 Miles Away». Faulkner y fait du Dylanex et il est infiniment crédible. Ce mec est bon, il est dans sa vision, il sait mener un cut à la victoire, c’est extrêmement puissant. Si tu aimes bien la viande, alors écoute Kinky, mon kiki. Les Gurus font même du Mod rock avec «Something’s Coming». On se croirait au 100 Club in London Town, aw yeah, ils cultivent leur prescience de la présence, avec un faramineux shake de shook. Ils sont tendus et brillants, c’est le Mod rock dont rêvent tous les Mods anglais. Mark Kingsmill embarque «Head In The Sand» dans l’enfer du beurre. Il joue à fond la caisse, alors les Gurus basculent dans le camp des dingos, mais tu n’auras rien de plus que ce que tu entends. Encore une bonne surprise avec «Miss Freelove 69». Chaque cut est travaillé au corps, ils puisent dans les ressources du pop-rock au maximum des possibilités. Effet saisissant car on voit très peu de groupes capables de sauver tous leurs cuts. Avec tout son répondant et son allant, Faulkner devient une rockstar. Il a de bons accents vocaux, il éclate le chant au silice de la solace. Faulkner ne fait jamais les choses à moitié, comme le montre encore «Too Much Fun». Ils terminent en force avec «Dressed In Black». Ils ne reculent devant aucun excès de rock électrique.

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             Attention à Crank. Very big album ! Ils enchaînent deux coups de génie avec «You Open My Eyes» et «Hypocrite Blues». Ce sont des hits inter-galactiques, Faulkner tape «You Open My Eyes» avec tout le power des Small Faces. Il fait du heavy psyché gorgé de jus et de son, il est all over the rolling over. Ses claqués d’accords sont des modèles du genre. Avec «Hypocrite Blues», il passe au heavy stomp de blues rock. Il fonce, il ne prend pas le temps de réfléchir, Faulkner est un fonceur - I know what I mean - Il fait du raise from hell et nous envoie tous rissoler dans la friteuse. Il passe par tous les stades du heavy sleaze, c’est monté sur les accords de Louie Louie, mais avec énormément de viande. Il repique une belle crise de glam avec «Less Than A Feeling», c’est même du heavy glam, Faulkner va fureter partout, il ne vit que pour le full time rock’n’roll et c’est couronné de succès. Quelle stupéfiante assise ! Les Gurus sont même capables de lancer un «Gospel Train» dans la nuit. Ils ont ce genre de réflexe extraordinaire. Les Gurus méritent qu’on se prosterne à leurs pieds. Tout ce qu’ils proposent est bon, bien balancé et inspiré. Faulkner n’en finit plus de repartir à l’assaut avec «Quo Vadis», il impose sa niaque, tu peux l’écouter les yeux fermés, surtout avec «Form A Circle». Il passe en force avec son fast gaga-rock bien remonté des bretelles. Il n’en finit plus de créer son monde, il est partout dans le son. Fin d’album pour le moins spectaculaire avec l’enchaînement de «Judgment Day» et «The Mountain». Faulkner est une sorte de magicien aussie. Il ramène de la Cosmic Americana dans son Judgment Day, alors on le prend encore plus au sérieux. Il termine au Hoodoo heavy rock avec «The Mountain», les Gurus déplacent les montagnes, c’est bien connu. Quel power ! Si on en pince pour les énormités, il faut écouter ça.    

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             En 1996, Faulkner avoue avoir du mal à fournir. Comme Alphonse Daudet, il doit ramener de l’eau à son moulin et il n’y parvient plus. Pourtant il réussit à enregistrer Blue Cave. Suggitt trouve que Blue Cave retombe comme un soufflé. Bon, alors, on va tous se cotiser pour offrir à Suggitt une boîte de coton-tiges. Il se pourrait que Blue Cave soit l’un des meilleurs albums des Gurus. Dès «Big Deal», t’es baisé - Here we go ! lance Faulkner - Heavy Guru stuff. Les Gurus te passent dessus comme une charge de cavalerie, c’est quasi-Stoogy. Pas de meilleur son, surtout de la façon dont c’est amené, les Gurus jouent la carte de la purée, ils ratiboisent tout. Faulkner explose le son par-dessus les toits, on entend rarement de telles dégelées, c’est la patate de Cézanne, Faulkner dégouline de génie, il suffit d’entendre les petits allumages collatéraux, c’est un real deal digne de celui des Stooges, du pur génie sonique, pas de plus belle purée dans la stratosphère, Faulkner percute tous les plans et milite pour l’apocalypse. On ne comprend pas, comment des gens peuvent encore aujourd’hui allumer autant ? Aucun groupe anglais ne sonnait alors comme les Gurus, hormis les Hypnotics de Ray Hanson. Faulkner est le nouveau messie, mais si. Il enchaîne cette horreur avec un «Down On Me» qu’il chante à l’extrême désespérance. Les accords sont emportés par le vent. On trouve encore deux clins d’yeux aux Saints ici : «Always Something» et «Son Of A Gun». Même power, même sens aigu de l’Aussie onslaught, même power de la loco à travers la nuit des Saints de glace - Always something/ It’s never ending baby - Ah il fait bien son Bailey. Pas de doute, les Hoodoo doo be dootent. «Son Of A Gun» est encore plus Sainty que le Saint des Saints, Faulkner pose l’accent tranchant au devant du palabre. Même classe de géant qui s’écroule dans le lagon d’argent - Look at what you’ve done - Tu ne bats pas Faulkner à la course. Il a appris à jouer du tranchant de sa voix, donc il peut modeler son argile au vitam de l’eternam. Retour à la power pop avec «Waking Up Tired». Faulkner a tous les dons, y compris celui d’allumer la meilleure power pop d’Australie. Il faut le voir plonger dedans ! Et c’est visité par des vents de guitares extraordinaires. Tu as du son partout, sur cet album. Avec «Please Yourself», il ouvre le barrage contre le Pacifique pour que ça se déverse. C’est un déluge de son et d’événements extraordinaires. Faulkner ne se limite pas à deux lignes vite torchées. Il évolue dans l’autre dimension, celle des géants, celle qui nous intéresse au plus haut point. Cette façon d’exploser est assez unique au monde. Peu de gens savent le faire aussi bien.

             Comme il sent son puits à sec, Faulkner annonce en 1998 la fin des Gurus - I really thought I’d written myself out - Il dit approcher la quarantaine et admet volontiers que le rock est un truc de jeunes. Bon, c’est quand même un beau parcours, mon gars : 17 ans et neuf bons albums. C’est un palmarès que beaucoup de groupes t’envieraient. Alors ne fais pas ton modeste.

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             Faulkner prend ensuite des vacances prolongées. Lorsqu’il regrimpe sur scène pour jouer dans une fête, il trouve ça si excitant qu’il décide en 2002 de remonter le groupe avec un autre nom, The Persian Rugs. Ils enregistrent un album qui va sonner comme Nuggets, douze cuts avec des sons différents. Leur modèle est surtout l’album des Dukes Of Stratosphear. Faulkner est très fier d’ajouter que les Sonics ont repris son «Be My Woman». C’est vrai que «Be A Woman» sonne comme un hit infectueux. C’est fantastiquement amené au riff tordu, avec une belle volonté d’en découdre. L’ingéniosité de Faulkner règne sans partage sur ce fabuleux shoot de freakbeat so far out, il ne vit que pour ça, le so far out. Comme son nom l’indique, «Kind Of Fool» est bien énervé. Faulkner fait son aussi punk, il a ce qu’il faut de niaque pour maintenir sa crédibilité à flot. «I Want Your Love» pourrait très bien se trouver sur un album des Electric Prunes, ils ne font pas ça pour des prunes. Mais en même temps, ça reste très cousu de fil blanc, avec la petite dominante du riff de fuzz et l’écho du temps. Tu as même le solo que tu mérites, si tu ne vis que pour le gaga. Il faut les voir s’énerver avec «Bad News». Ils sont tellement déterminés à vaincre qu’ils flirtent avec le stomp. Leur radicalisme leur épargne les tourments de la routine gaga. Pas facile de couler du bronze gaga pendant trente ans. S’il est un genre limité sur cette terre, c’est bien celui-ci. Faulkner tente d’y apporter sa touche, on sent à la fois ses efforts et son enthousiasme, c’est très spécial. Il te demande de tendre l’autre joue avec «(Turn) The Other Cheek». Trop pop, et puis de toute façon, n’est pas Gandhi qui veut. Retour de la fuzz avec «1992», mais au service d’une virée un brin new wave mal chantée, à prétention psyché, qui sonne comme une concession. Dommage, car un solo flamboyant le traverse de part en part. «Nickels & Dimes» est vraiment digne de Nuggets, avec ses petits coups d’orgue, ses accords gaga et ses chœurs impliqués. Faulkner tient bien ses promesses. Il annonce un Nuggets album, il te fait un Nuggets album et pouf voilà le killer solo fash qui te fait rêver. Il va plus sur le proto-punk avec «Come Back Little Sheba», c’est excellent, on arrête de chipoter quand on entend ça, Faulkner remet tout au carré, il ramène les énergies fondamentales, il reprend le gaga au point de départ, à coups de come back, ça sonne délicieusement juste, avec encore une fois le killer solo à la clé. Tu ne perds jamais ton temps avec ce mec-là. Il tape dans le rampant avec «Cornered», il continue de bien capter l’attention et mine de rien, ça devient un big album, ce qui explique qu’il soit recherché. Wow, chaque fois, il place un killer solo qui est un modèle du genre. Ils attaquent «Miss Manners» avec les accords de «Psychotic Reaction», histoire de bien enraciner le Turkish Delight. Ils sont décidément irréprochables. Ils auraient pu faire Nuggets à eux tout seuls. Puis ils embarquent leur «Stop It» ventre à terre, fantastique bravado d’hot on heels, encore un modèle du genre, aux limites de la folie Méricourt. 

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             Et pouf, Faulkner remonte les Gurus en 2003. Ils enregistrent leur come-back album Mach Schau, avec Kim Salmon à la prod. Cette fois, le modèle c’est Presence de Led Zep. Faulkner veut a hard-rocking record. Premier coup de génie avec «Domino», amené au deep gaga. Le pire, c’est que c’est excellent, un vrai pâté de wild gaga. Faulkner rend le gaga complètement fou, il en fait un pataquès, il le carbonise, c’est encore un coup à tomber de sa chaise. Alors si tu n’es pas encore tombé de ta chaise, tu vas le faire avec «The Mighty Have Fallen». L’album devient légendaire, Faulkner t’embarque au paradis, à coups d’accords vintage, c’est l’expression du pur génie de la power pop. On trouve pas mal de gros coups de punk’s not dead ici, en particulier «Song Of The Year». Les Gurus sont devenus les champions du monde, ils sont bien plus puissants que les Anglais à ce petit jeu, leur punk est imbattable. C’est du power punk. L’autre shoot de power punk s’appelle «# 17». Puissant et inspiré. «Sour Grapes» qui ouvre le bal est un classique gaga embarqué vite fait en enfer. Faulkner dégage bien les bronches, aw yeah ! Il chante son gut out. «The Good Son» nous rappelle qu’on est une fois de plus sur un big album bardé de son et d’intentions. Faulkner tire sa heavy psyché par les cheveux. Encore une belle violence de la clameur dans «This One Is For The Ladies». Ils jettent de pleines pelletées de charbon dans la chaudière de leur power pop et ça décolle très vite. Si tu veux voir des locos s’envoler, alors il faut écouter Faulkner. C’est un spécialiste. On le voit d’ailleurs exploser en plein vol avec «Girls On Top». Il ne tape que dans le déterminant. Faulkner est un homme passionnant. «Dead Sea» vient encore le montrer : vraie présence vocale, densité du son. Comme Chris Bailey, il sait ce qu’il veut. Il fait encore son diable Vauvert dans «Monkey’s Wedding» et fout une pression terrible sur «White Night». Il conclut avec «Chop», explosé aux heavy chords. Ce mec ne t’accorde aucun répit.

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             Pour situer Purity Of Essence, premier album de reformation paru en 2010, on pourrait parler de rafale d’énormités. Dès «Crackin’ Up», ça tape dans le dur, comme dirait un maçon portugais. Faulkner émaille son cut de fast chords de pop punk, c’est magnifique, ça grouille de vie, c’est noyé de son et comme d’usage avec Faulkner, d’un son qui reste le meilleur son. Tout aussi ravageur, voici «Burnt Orange», plus punk, ce vieux démon de Faulkner se livre à des excès, il en a les moyens. Il chante son punk du coin du nez et ramène de la folie sonique à la pelle. Il se lance continuellement à la conquête des cœurs. Ça tourne au heavy blast visité par ce fou de Brad Shepherd. Encore du fast punk avec «What’s In It For Me», il y va de bon cœur, le Faulkny Faulknah ! Allez les gars, on y va, ils font même des chœurs des Dolls ! Après les énormités, c’est-à-dire les entrées, voici les coups de génie, c’est-à-dire le plat principal : «I Hope You’re Happy» et «1968». Il passe au wild gaga pour Happy, il développe son big drive de knock on wood/ I wanna be understood. Il termine en mode cant I get a witness. Quant à «1968», c’est juste avant «1969», donc pas étonnant qu’on y retrouve les accords des Sttoges et les clap-hands, mélangés aux accords de «Dropout Boogie» - It’s never too late - Une autre merveille : «Why So Sad», drivé au shuffle d’orgue, So why so sad/ Little girl, Faulkner ne recule devant aucun obstacle, c’est l’apanage des vainqueurs, il finit en puissance mille de belle apothéose. Stupéfiant ! Il tape son «Let Me In» au marteau piqueur et il fait de la fake Americana avec «Somebody Take Me Home». Toute l’ampleur du saloon électrique est là, il tape dans le heavy rocky road de balladif graveleux, il sait tout faire, même le whisky bottle d’Americana. Quand il fait du fake, il ne fait pas semblant. Il ne fait pas semblant non plus d’enregistrer des grands albums. 

             En guise de chute, Suggitt déclare : «Les Gurus n’ont jamais vraiment connu la gloire, ils se sont contentés de choses plus simples comme d’écrire et de jouer de great songs with style, wit and verve.»

    Signé : Cazengler, Hoodoo gouré

    Hoodoo Gurus. Stoneage Romeos. Big Time 1984

    Hoodoo Gurus. Mars Needs Guitars. Big Time 1985

    Hoodoo Gurus. Blow Your Cool. Big Time 1987

    Hoodoo Gurus. Magnum Cum Louder. RCA Victor 1989

    Hoodoo Gurus. Kinky. RCA Victor 1991

    Hoodoo Gurus. Crank. RCA Victor 1994

    Hoodoo Gurus. Blue Cave. Mushroom 1996

    Hoodoo Gurus. Mach Schau. Capitol Records 2004

    Hoodoo Gurus. Purity Of Essence. Sony Music 2010

    Persian Rugs. Turkish Delight. Capitol Records 2003

    Phil Suggitt : Wherefore are thou Romeos ? Shindig! # 125 - March 2022

     

     

    Inside the goldmine - Young Frogman blues

     

             Notre rencontre dans un bouge mal famé n’augurait rien de bon, et pourtant elle évolua d’une façon aussi extraordinaire qu’imprévisible. Cet aventurier qu’on appellera D (Di) avait roulé sa bosse dans le monde entier et ce dès le plus jeune âge. Fils d’un officier militaire britannique, il connaissait la Jamaïque, Aden et Nairobi pour y avoir vécu, et d’autres endroits encore plus exotiques. Il s’inscrivait dans la lignée des Robert-Louis Stevenson, des Jack London et autres Herman Melville, des noms auxquels il faudrait ajouter bien sûr ceux d’Henry de Monfreid, Joseph Kessel et Blaise Cendrars. Il avait tapé sur sa Remington un premier recueil de souvenirs, il vénérait Kurt Schwitters au point d’avoir transformé son appartement de Charing Cross Road en Merzbau et bien sûr, il avait fait du cinéma dans les early sixties : du cinéma commercial pour des clients américains, un cinéma qui ne portait pas encore le nom de ‘pub’. Un jour, alors que nous fumions une clope au soleil, D prit la liberté de lancer un projet : «Let’s make a movie !». Quarante ans après, cette phrase résonne encore dans l’écho du temps. Nous travaillâmes six mois d’affilée sur le story-board d’un scénario qui germait en lui et que je dessinais, jour après jour. Le film racontait les pérégrinations d’un peintre d’art contemporain, qui était un sosie d’Elvis, dans le Swingin’ London des art galleries. D se fondait tout entier dans le personnage du peintre et tissait l’intrigue à partir de dialogues qu’il voulait dignes des réparties d’Oscar Wilde. Il théâtralisait à l’Anglaise et veillait obsessionnellement à la musicalité de la langue. Un vrai Lord Henry, sa prosologie grouillait d’aphorismes et dans sa magnanimité, il me fit endosser le rôle du Frogman qui parle en broken English et dont les Londoners se moquent dès qu’il ouvre la bouche, ce qui correspondait bien à la réalité. Nous avions deux cents pages au format raisin et il prit un jour l’avion à destination de New York où, disait-il, se trouvait un executive producer de sa connaissance qui allait financer le projet. Bien sûr, le projet resta à l’état de projet car le vol British Airways disparut ce jour-là dans l’Atlantique et chaque nuit, le fantôme de D prenait la liberté d’une petite visite pour venir scander d’une voix grave un truc du genre : «Be yourself Frogman, everyone else is already taken.»

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             Il existe par contre un Frogman célèbre, le fameux Clarence Frogman Henry. Tony Rounce rappelle dans le booklet d’une compile Ace qu’on évoque plus loin que la carrière de ce Frogman s’étend sur sept décennies. C’est le succès de Fatsy en 1946 qui le pousse à vouloir faire carrière et aussitôt après la fin de l’école, il entre dans les Toppers de Bobby Mitchell. En 1953, il entre pour la première fois dans le studio de Cosimo Matassa pour jouer du trombone.

             En 1961, Mike Fenton a onze ans et il découvre Frogman dans le hit-parade du NME. Cinquante ans plus tard, il va le rencontrer à la Nouvelle Orleans. Frogman lui raconte qu’il a appris le piano à l’âge de huit ans - It was Miss Jones on Columbus & Clairborne, she taught me the fundamentals of the piano. I taught myself my style, though - I wanted to be like Fats Domino - Ado et vivant à Algiers, Frogman traîne dans les barrooms et se régale de voir jouer Professor Longhair. Après qu’il se soit fait virer des Toppers, Frogman monte son propre groupe et une nuit, il joue un riff au piano - I hit this riff on the piano and I just built on the riff with words about people that ain’t got no home and then the chicken ain’t got..., the fox..., the frog. I kinda made it up on the spot and the crowd went crazy - C’est bien sûr «Ain’t Got No Home» et c’est Paul Gayten qui envoie cette démo à Leonard le renard qui prévoyait de venir à la Nouvelle Orleans rencontrer Bobby Charles. Frog enregistre son hit chez Cosimo et Leonard le renard le signe sur Chess. 

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             Son premier album You Always Hurt The One You Love ne sort pas sur Chess mais sur le sous-label Argo, en 1961, et c’est Robert Guildry, c’est-à-dire Bobby Charles, qui donne un coup de main à la prod. Comme c’est un blanc qu’on voit sur la pochette (assis sur le banc) les gens croient qu Frogman est blanc. En 1957, «Ain’t Got No Home» est un hit. C’est lui qui boucle le balda, Frogman tape le vrai jive de la Nouvelle Orleans, un son unique au monde. Il nous fait même une imitation de Shirley & Lee. Encore un vrai jump de Frog avec «Oh Why», monté sur un énorme drive de basse. Il tape aussi le «Live It Right» d’Allen Toussaint au piano de barrellhouse. En B, le tempo monte en grade sur «Little Suzy» et Frogman nous fait la grâce d’un slow groove de charme chaud avec «Just My Baby & Me». Même combat que Fatsy, et il termine avec «Oh Mickey», un fast & furious jive de la Nouvelle Orleans. Wow, ça swingue chez Frog !

             Frogman évoque son ami Bobby Charles : «Bobby was my best friend, had a voice like a soul brother, was what you’d call an hermit, lived out in the swamps. I think he grew up around blacks out in the Bayou.» Frogman se fait assez de blé pour acheter une maison à Algiers où il peut installer sa famille. Fenton dit que la maison grouille aussi de grenouilles en céramique, en plastique, toutes sortes d’objets que lui envoient ses fans. Des centaines de grenouilles. Il tourne en Angleterre en 1962 avec Tony Orlando, Bobby Vee et les Springfields dans lesquels chante une Dusty chérie encore inconnue. Puis c’est la British Invasion. Frogman se produit en première partie des Beatles au Canada et aux États-Unis. C’est Bob Astor qui le met à l’affiche de la tournée, avec Jackie DeShannon et le Bill Black Combo. Quand Fenton demande à Frogman ses impressions sur l’Angleterre, c’est la rigolade : «Went up to the Palace and man, them Guards, they just don’t move!» Et il ajoute : «The English sure did like their tea-time.»

             Quand le contrat Chess arrive à terme, Bob Astor emmène Frogman voir Huey P. Meaux. Les singles de Frogman vont sortir sur Parrot Records (sous-label de London in the US qui distribue the British Decca - Zombies, Them, etc.). Rounce suppose que Meaux présidait aux sessions d’enregistrement, humant la présence du Huey Meaux’s unmistakable Acadian twang. Rounce indique aussi que Bobby Charles composait énormément pour Frogman, d’où la country flavor de certains cuts.

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             On trouve trois très belles covers sur Is Alive And Well Living In New Orleans : «Mohair Sam», «Blueberry Hill» et «Let The Good Times Roll». Frog prend le Mohair au heavy r’n’b de la Nouvelle Orleans. Le bassman s’appelle Erving S. Charles et il groove comme mille diables. Puis Frog tape dans le Blueberry Hill avec la même chaleur humaine que Fatsy. C’est une merveille de sweet melody et d’épaisseur humaine. Superbe hommage. Il rend en B hommage à Shirley & Lee avec le fameux «Let The Good Times Roll», il imite la voix de Shirley, c’est lui qui fait la petite délurée. Il continue de faire le con avec «Little Green Frog», il croasse comme une grenouille. C’est digne de Mr Quintron, il est sur le mode de «Mr Personality», il croasse dans le bayou. Genial Froggy ! L’album est très solide, il faut le voir le Frog attaquer sa B avec le «Just Because» de Lloyd Price. Fantastique connexion, superbe entente, aussi bénéfique que l’entente Frog/Fatsy. Encore de la fantastique allure avec «Tear Drops» - Every time it rains/ I think of you - Et bien sûr ça le rend triste. Le slow blues de «Red Sails In The Sunset» lui va aussi à ravir. Il est dans cette énergie extraordinaire. Il chante encore son «Send Me Some Lovin’» à la perfection. Quel fantastique Soul Brother ! Et c’est visité par un sax de la Nouvelle Orleans.   

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             Si on veut goûter la modernité de Frogman, il faut écouter cet excellent album :The Legendary Clarence Frogman Henry. Il s’y montre aussi moderne que Fatsy et Lloyd Price. Sa cover de «When A Man Loves A Woman» est fascinante. Quelle classe ! Il chante au grain de voix cassé, il a de la black mélancolie plein la bouche, quel fabuleux artiste ! Il tape «Take It On Here» au pur jus de Fatsy, il chante avec une faramineuse aisance et croone comme un gator. Et pouf, il reprend «The In Crowd» de Ramsey Lewis, un hit rendu célèbre par Bryan Ferry. Frogman le prend par les hanches et le chante au yeah-eh. En mâchant sa diction, il fait de l’art moderne. Il croone encore comme un dieu du bayou avec «For Your Love». Il est l’un des géants de son temps, avec Fatsy. Il attaque son bal de B avec «Ain’t No Pleasin’ You», il t’embobine en deux temps trois mouvements. Il chante comme un fier Frogman. Il fait un groove de pop à l’ancienne avec «Gonna Sit Down And Write Myself A Letter» et tape son «Just A Matter Of Time» à la pureté évangélique. C’est le même fil mélodique que «Sometime After Awhile».  

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             En 2015, Ace pondait une belle compile de Frogman, Baby Ain’t That Love - Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Il l’attaque avec l’irrépressible «Ain’t Got No Home». Il fait tout le boulot. C’est assez explosif pour l’époque, il tape dans tous les registres, Shirley & Lee, le gator. C’est le big jumpy jumpah de la Nouvelle Orleans. Il fait aussi une cover superbe du «Sea Cruise» de Frankie Ford. Sa cover est même un peu étrange, oh oui baby, elle flirte avec la calypso, et même le ska. Rounce nous explique que Meaux avait acheté des backing tracks en Jamaïque et qu’il a collé la voix de Frogman dessus. Rounce ajoute que Meaux a sorti des milliers de singles en vingt ans et qu’il est impossible d’en faire l’historique. Par contre, Frogman est toujours au rendez-vous. Comme Fatsy, il est là pour l’entertainment. Petite merveille que de «Cajun Honey» - Mon cher ami/ In the South of Louisiana - c’est extrêmement pointu, il est en plein dedans. Avec «Cheatin’ Traces», il monte en puissance comme Fatsy, même force tranquille, il chante à la virgule du big black power. Il est toujours sur le trente-et-un du son. Il monte encore d’un cran avec «I Can’t Take Another Heartache», c’est quasiment du Motown avec des chœurs de filles, il est excellent, il chante comme un cake, il monte bien en neige. Il touche à tous les genres, le voilà barré en mode country avec «Hummin’ A Heartache» et «That’s When I Guessed». Avec «We’ll Take Our Last Walk Tonight», il passe à un son plus moderne, plus country-rock, à coups d’acou et d’harp. D’après Rounce, c’est du recyclage de Doug Sahm. «We’ll Take Our Last Walk Tonight» et ce fantastique shout de country Soul qu’est «In The Jailhouse Now» - Oh oh yeah - figurent sur le premier album du Sir Douglas Quintet paru en 1965. «In The Jailhouse Now» est signé Jimmie Rogers, the founding father of country music. Frogman est un chanteur passionnant. Comme Fatsy, il a une vraie chaleur de ton. Il tape son «Mathilda» à la bonne franquette.

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             Comme toutes les compiles Crazy Cajun Recordings, celle consacrée à Frogman est de la dynamite. I Like That Alligator Baby démarre avec sa version de «Sea Cruise», ce fabuleux classique de nothing to lose. Huey P. Meaux does it right. Pure génie de froggy motion avec «Cheatin’ Traces», Frog fait son Fatsy, Frog est lui aussi un seigneur de la guerre, l’un des géants de cette terre. L’autre coup de génie, c’est le fameux «I Can’t Take Another Heartache», il fait un mix de Texas Meaux et de Motown avec des filles aux chœurs, pur chef-d’œuvre de feely Frog, il chante ça au sommet du lard fumant. Et puis on retrouve ce heavy dirty blues, «A Certain Girl», ah oui, can I tell uhh, l’expression du génie vocal, fantastique artiste, il travaille la diction du blues, rien ne vaut Frog au heavy blues de Meaux. D’autres merveilles refont surface comme «Lovin’ Cajun Style», mon cher amiiii, c’est une énergie à part entière - Well the do ré miii - Tout est pourri de son chez Meaux. On entend même les guitares du Swingin’ London dans «We’ll Take Our Last Walk Tonight» et il fait son Wilson Pickett dans «Socka-Diddley Alabama», c’mon Jojo !

    Signé : Cazengler, Clarence Frogmare aux canards

    Clarence Frogman Henry. You Always Hurt The One You Love. Argo 1961 

    Clarence Frogman Henry. Is Alive And Well Living In New Orleans. Roulette 1970  

    Clarence Frogman Henry. The Legendary Clarence Frogman Henry. Silvertone 1983

    Clarence Frogman Henry. I Like That Alligator Baby. The Crazy Cajun Recordings 1999  

    Clarence Frogman Henry. Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Ace 2015

     

     

    L’avenir du rock - Ripley it again, Sam (Part One)

     

             De la même façon que la môme Piaf, l’avenir du rock voit la vie en rose. Non pas qu’il soit entré dans son cœur une part de bonheur dont il connaît la cause, il s’agit plutôt d’une disposition naturelle. Il n’a rien contre le romantisme puisqu’il offre toujours des dead flowers à ses amis lorsqu’ils se marient, mais en même temps, il n’apprécie pas qu’on lui offre des roses, pour faire écho au Paralytic Tonight de son vieil ami Chris Bailey. Si l’avenir du rock voit la vie en rose, c’est surtout grâce à Elvis qui se pointa en 1954 chez Scotty Moore sapé en Elvis : chemise et pompes blanches, pantalon rose avec une bande noire sur la hauteur du côté. L’avenir du rock adore aussi transformer légèrement la «Red Cadillac And A Red Moustache» de Warren Smith en «Pink Cadillac And A Red Moustache», car il préfère voir cette vieille Cadillac qu’il vénère en rose. Des roses encore sur les Nudie suits des Flying Burrito Bros et de Papa Nez, le révolté du Bounty des Monkees, encore un vénérable chouchou, mais il va s’émouvoir de la même façon devant un beau tattoo de rose où, pire encore, devant un bouquet signé Fantin-Latour, l’un des coloristes les plus explosifs de son temps. Amateur de rose, l’avenir du rock se souvient d’avoir violemment frémi à l’écoute du Pink Moon de Nick Drake et d’avoir admiré le Pink Flag de Wire lorsqu’il claquait encore au vent. Il n’aimait le Frijid Pink que pour son Pink et le Pink Floyd que pour son Syd, certainement pas l’after-Syd, pouah, ah non, pas question ! S’il ne reste qu’un rose, ce sera celui des Pink Fairies, l’avenir du rock est catégorique sur ce point. Il se souvient d’avoir longtemps vu la vie en New Rose, au temps où la rue Sarrazin grouillait de Memphis cats et de Saints. Il aimait beaucoup les Roses du temps où elle étaient Savage ou bien Black, comme celle de Thin Lizzy, encore un tenant de l’aboutissant. Et lorsque Wayne Kramer attaquait «Ramblin’ Rose» au Grande Ballroom, le monde entier twistait sous l’œil égrillard de l’avenir du rock. D’ailleurs, il peut continuer de jubiler, car comme dirait Dave Vanian, there’s a new rose in town : Rose City Band !

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             Après avoir défrayé la chronique de la Mad Psychedelia avec Wooden Shjips et Moon Duo, l’ineffable Ripley Johnson entreprend de la redéfrayer avec un nouveau projet : Rose City Band - his psychedelic motorik-choogle project - et un premier album sans titre paru en 2019. Il annonce tout de go qu’il est passé à autre chose, à ce qu’il appelle le «private press hippie country-rock, stuff like Kenny Knight and Jim Sullivan and Kathy Heideman, the ‘70s cosmic country stuff and all of the good time summer records». Il cite aussi Creedence, Van Morrison et Lucinda Williams, «stuff that has a more country feel. I call it porch music. Tu t’assois sous ton porch et tu écoutes Eat A Peach or something». Voilà pour les influences qui l’ont conduit à Rose City Band. Il cite aussi le Dead et Mighty Baby.

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    L’album parait coupé en deux : country-rock en A, avec du balladif de country-rock joué en profondeur («Rip City»), de la pop un peu psyché, d’une belle lenteur cadencée («Me And Willie») et une B absolument somptueuse.  «Rivers Of Mind» donne le ton. Cet up-tempo phagocyté passe en mode hypno rudement bien agencé. Une belle corrélation s’établit sur l’échantillon représentatif. On l’adore le Ripley quand il replay it again Sam. Pour honorer «Fear Song», il gratte ses vieux accords de revienzy et crée un fantastique espace de négociation ! Wow, ce sont des accords sixties de sixtine enchaînés en allers et retours et c’est là, très précisément, qu’il bascule dans le spiritus sanctus. Le son coule comme du miel dans la vallée des plaisirs. Ce mec dispose d’un atout majeur qui s’appelle le sonic genius, il soupèse bien les boules de gomme du mystère. Une fois de plus, il flirte avec l’élégie mavérique du Velvet.

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             Summerlong date de 2020. Le vieux Ripley n’est pas avare d’énormités puisqu’il en propose trois, à commencer par l’«Only Lonely» d’ouverture de bal. Il te claque ça au heavy country-rock, il goinfre sa pulpe de son de magie, ce vieux grigou est un éclairagiste de génie. Pas de pire Americana que celle-ci. Beat entêté et vision panoramique, voilà ses deux vieilles mamelles. Il ramène du solo de clairette alors qu’on ne lui demandait rien. Le vieux Ripley est comme ça. Il fait uniquement ce qu’il a envie de faire, si t’es pas content, c’est pareil. Il ramène du gratté de derrière les fagots et il chante comme un vieux dieu barbu. Sa country-pop est littéralement visitée par la grâce. T’auras jamais ça ailleurs. Il attaque «Morning Light» au pur Cosmic, son country-rock sent bon la renaissance. Le vieux Ripley chevauche un étalon, il file vers l’horizon avec des coups de steel. Il est splendide, il file comme Hopalong Cassady. On le perd de vue. No way out encore avec «Reno Shuffle». On les voit jouer de dos, ils avancent au heavy beat. Ripley va ensuite chercher son «Empty Bottles» au fond du désert, c’est courageux de la part d’un vieux débris comme lui, mais bon, il y va. Il repart à la conquête du monde avec «Real Long Gone». Il n’est pas du genre à baisser les bras. Il part en mode heavy boogie et crois-le bien, c’est d’une élégance à toute épreuve. Le vieux Ripley te claque le meilleur boogie de Nashville. Méchante énergie ! Ça joue à la ferveur d’un country-rock devenu fou. Et puis voilà «Wee Hours» taillé au cordeau dans un groove classique. Il développe des clameurs extrêmes, ses descentes de guitare sont toujours miraculeuses, il maintient l’éclat de son quicksilver flash jusqu’au bout de ce bel album.

             Il avoue travailler à l’ancienne : «Quand j’ai une idée, je l’enregistre sur mon téléphone.» Avec la tête qu’il a, ça ne surprendra personne (qu’il travaille à l’ancienne).

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             Paru l’année suivante, Earth Trip n’est pas un summer record. Ripley avoue avoir été perturbé par cet enfoiré de Pandemic. Alors il fait un winter record, caus’ it was kind of a downer time. C’est un album shamanique car Ripley révèle que la nature lui parlait pendant les confinements : «Hey things are not alright.» Ripley est inquiet, car il lui semble que la plupart des humains n’entendent pas ce message. Rien ne va plus, lui dit la nature.

             Comme il se dit obsédé par la pedal steel, on l’entend partout sur Earth Trip, surtout dans «Rambling With The Days». Il est à fond dedans, il vise la pureté de l’horizon, ce qu’on traduit musicalement par Cosmic Americana. Le vieux Ripley est un fantastique débusqueur de cactus. Il laisse semble-t-il tomber l’hypno et le Velvet. Si on ouvre le digi, on le voit se promener au bord de la rivière sans retour. Il devient bucolique, notre vieux pépère. Avec «In The Rain», il joue la vieille country-pop d’un mec qui serait revenu de tout. Ça manque un peu de magie, mais il reste le maître du jeu. Pour combien de temps ? Il laisse tomber la mad psyché pour aller à la pêche, une façon comme une autre d’économiser ses forces pour l’avenir. S’il chante ça, c’est qu’il doit chanter ça. Mais il chante d’une voix pure, d’une voix de jeune homme. Il a su garder son ingénuité. Et puis comme toujours, il va nous surprendre avec «Dawn Patrol», un cut qui sonne comme un remugle de Stonesy. On croyait l’hypno disparu, mais c’est trop ancré en lui, il y revient. Il joue son Dawn Patrol à la note heavy, à la Croz, à la note de chacal d’If I Could Only Remember My Name, il dérive dans les tons rouges de haze de craze, le vieux Ripley recrée ça bien, sans mot dire, il rend hommage à la drug culture en s’abandonnant à une dérive subliminale. Pur acid trip. Rien qu’avec ça, tu es dans l’avenir du rock. 

    Signé : Cazengler, Pipelette Johnson

    Rose City Band. Jam Sandwich Records 2019

    Rose City Band. Summerlong. Thrill Jockey 2020

    Rose City Band. Earth Trip. Thrill Jockey 2021

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    Ripley Johnson : Album by Album. Uncut # 292 - September 2021

     

     

    SPACESEER

                    N’aurais jamais rédigé une chronique sur  Spaceseer si son nom n’avait pas été crédité par Thumos pour son importante participation à la réalisation de The course of Empire voir notre livraison 559 du 07 juillet 2022. Thumos et Spaceseer n’ont pas bossé ensemble dans le même studio, l’Amérique est grande et des milliers de kilomètres les séparent, Thumos envoyait ses premières pistes, Spaceseer y ajoutait son grain de sel, et Thumos travaillait à partir de cet apport. Une navette incessante s’est ainsi établie durant des mois, l’auditeur peut juger du résultat sur le bandcamp de Thumos. Ou de Spaceseer. 

             Définir Spaceseer n’est pas chose aisée, ses créations sont innombrables et abordent des horizons soniques très différents. Ce n’est pas un groupe mais un homme seul, parfois accompagné, ce qui ne l’empêche pas de se greffer sur des projets différents. Le plus simple est de le laisser se décrire, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Attention, accrochez-vous aux petites herbes avant de le classer dans la catégorie des doux rêveurs. Spaceseer signifie voyant de l’espace, nous comprendrons mieux si nous traduisions par écouteur de l’espace. Spaceseer entend d’étranges ou du moins inhabituelles choses. Des fragments d’histoires venues de très loin, de galaxies et de périodes temporelles lointaines, il essaie de les traduire en musique. Se voit un peu comme un transmetteur d’évènements qui se sont déroulés en des lieux qui ne s’inscrivent pas dans les cadres de notre sphère conceptuelle purement humaine.

             Ainsi le monde dont il parle il le nomme The Body, il est habité par trois sortes d’êtres, le peuple Kylii, les Fleurs qui marchent, le peuple des Fulgen les sortilèges silencieux, et les Colosses du Dieu Electrique Kharyatt. Oui il est fou. Aussi fou que Tolkien et son Seigneur des anneaux, aussi captivant que Lovecraft et le mystérieux cycle de Cthulhu. Souvent les humanoïdes se contentent de rêver selon des récits fondateurs enseignés dans les écoles, beaucoup moins se permettent d’inventer leurs propres mondes et leurs propres mythologies. Weird scenes inside the gold mine chantait Jim Morrison, vous ne savez pas tout ce que vous trouverez dans les galeries de votre cerveau si seulement vous commenciez à les explorer.

             En plus de noter par écrit ces divagations  ( nous employons ce vocable en son sens mallarméen qui signifie pensée abstruse pour beaucoup ), Spaceseer les traduit en musique. Une démarche qui n’est pas sans rappeler les enluminures – dans la même veine songez aux Illuminations rimbaldiennes - vivement coloriées dont William Blake entourait ses Chants d’Innocence et d’Expérience, car il ne faut point l’oublier que ce qui vient de l’intérieur provient aussi de l’extérieur et vice-versa. Oui, c’est vicieux et versatile. Evidemment comme par hasard Spaceseer illustre ses œuvres et écrit des textes – à entendre comme les chapitres épars d’un vaste roman, a work in progress peut-être aussi foisonnants que le cycle du graal, qui sont comme autant de portes d’entrées de son œuvre musicale.

             Nous avons choisi pour cette première approche d’écouter un extrait du cycle The Body.

    THE CLIMB OF CELASTRA CAMPSIS

    ( 564  AT / février 2022 ) 

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    Cet épisode se suffit à lui-même et est paru quelques mois avant The Course of Empire. L’histoire en elle-même est une légende, celle de Celastra Campsis une femme Kylii qui après de longues observations a conclu que le volcan endormi qui se dresse pas très loin de ses champs est un colosse espion endormi du dieu Kharyatt, elle s’en est aperçu en devinant dans les pentes de la montagne la silhouette d’un ancien guerrier Kylii momifié dans la glaise du cône volcanique vraisemblablement tué en des temps immémoriaux par une émission de fumée empoisonnée... Maintenant le colosse est plongé dans un profond sommeil, et elle parvient à lui transpercer le cerveau d’un coup de lance en la lançant dans le cratère. Les faits rapportés sont symboliques, ils doivent être interprétés à un niveau supérieur. Cette femme courageuse qui monte sur le volcan n’est qu’une transposition enfantine du principe vital du peuple-fleur Kylii, car les fleurs poussent en s’exauçant vers le haut, vers le soleil de leur existence. Notons que Goethe professait en ses travaux naturalistes la même idée d’une exaltation végétale, d’un mouvement primordial vers le haut qu’il définissait comme le principe même de toute végétalisation. Deux plans dans cette histoire, l’un empli de naïveté outrancière et fabuleuse, l’autre de subtiles et savantes réflexions sur la nature des choses. L’image grossièrement colorée, et la toile d’araignée translucide de l’explication intellectuelle. De la représentation du monde par la pensée. Nous ne sommes pas loin d’une démarche platonicienne, le mythe de la caverne n’est pas une grotte de pierres concrètes.  Le tout est de savoir comment Spaceseer va musicalement procéder.  

    Spaceseer : Christopher Robert Andreasen : bass guitar  / modular analog & synths / drum programing

    Bruits imperceptibles, des semblants de pas, serait-ce Celastra sur les premières pentes de son ascension, surtout ce bourdonnement transpercé de quelques chuintements, en progression continue mais lente très lente, tintements ferblanctiques, légère très légère accélération du fredonnement, ne serait-il pas en train d’atteindre une certaine volatilité, tremblements, l’aventure deviendrait-elle davantage périlleuse… Toujours ce bruit de cloche de vache sur les alpages, le bruissement chantonne, ni très haut, ni très fort, quelques écrasements de simili cymbales, l’on ne peut pas dire que Spaceseer joue sur une dramatisation excessive, si ce n’est comme des ondées de douceur et comme un pépiement d’oiseau qui se confond bientôt en une espèce de grincement qui va s’amenuisant. Jusqu’à l’inaudible. Rien ne se serait donc passé ? Nous attendions une geste tonitruante et nous n’avons eu que l’ombre d’une idée déployée à l’image d’un rouleau de matière plastique que l’on déroule sur une Table. Ronde dont les héros seraient revêtus de l’inconsistance du rêve.

    Laissons infuser dans notre esprit. Une autre fois nous pousserons une autre porte du labyrinthe, sans savoir où elle nous mènera. N’empêche que ce matin moi qui hier soir voulais terminer cette chronique là je reste sur ma faim, alors je décide de m’aventurer à pousser l’huis qui précède la parution The Climb of Celastra Campsis.

    FERAL MOON

    ( Décembre 2021 )

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    Encore une étrange histoire. La couve reste un tantinet énigmatique. A première vue des arbres. A la réflexion l’illustration ne déparerait pour accompagner un conte de ma mère l’Oye de Charles Perrault, par exemple la scène du Petit Poucet perdu avec ses frères dans le bois qui les mènera jusqu’à la maison de l’ogre. Ce qui retient l’attention ce sont ces espèces de gribouillis que l’on pourrait facilement prendre pour des entremêlements de ronces. Fixez-les, des formes semi-fantastiques s’en dégagent, d’apparence à peu près humaines ou animales.

    Evidemment nous sommes loin du conte. Encore un invraisemblable récit. Nous sommes en l’ère 307, rien à voir avec notre antiquité, au temps anciens de Kylii, des paroles d’une prêtresse bannie ont été retrouvées dans les arbres. Non elles n’ont pas été gravées sur l’écorce, c’est les arbres qui en ont gardé la mémoire, vous ne le savez peut-être pas mais les arbres parlent et chantent, il suffit de savoir les enregistrer. Ce que l’élite savante appelée Qyo de la nation Kylii est capable de faire.

    La chose peut vous sembler extravagante, mais le romancier Henri Bosco mort en 1976 aborde des thèmes similaires au travers d’une dizaine de romans qui forment l’épine dorsale de son œuvre. Il est vrai que Bosco était particulièrement sensible aux réseaux mystérieux que la mort et les morts entretiennent avec le rêve et les rêves des vivants. Bosco fut un être que nous qualifierons de pondéré, mais légèrement plus attentif que la moyenne de ses contemporains à la réalité tremblante des apparences. Rien de la folie nervalienne chez lui, même si les deux œuvres se répondent, pas un voyant, mais un voyeur, un guetteur d’ombre et d’ombres.

    Feral Moon ( Lune sauvage ) rapporte les paroles de la prêtresse incomprise en son temps et dont on aimerait réhabiliter la mémoire. Comme par hasard la prêtresse nous livre son nom : Nerva. Rappelons que Nerval prétendait descendre de l’Empereur romain Nerva. Que Nerval signifie Noir val ce qui est la moindre des choses lorsque l’on a longtemps vécu dans la forêt de Mortefontaine. Pour ajouter un peu de noirceur blafarde à ce qui précède, signalons que les œuvres de Bosco et de Nerval communiquent entre elles par ce que l’on pourrait nommer un puits d’ombre lunaire. N’en jetons plus, il est temps de nous mettre à l’écoute.

    Spaceseer : Christopher Robert Andreasen : bass, synths, drum programing  / Nathan Curtis Richardson : guitar  / Raven Jezzannah : vocal.

             Un bruissement venu de loin, accompagnement parfait pour un film de science-fiction dont les premières images profileraient les formes d’une escouade de soucoupes volantes se dirigeant vers la terre. A rebours de cette ambiance la voix de Raven Jezzannel lit paisiblement le premier couplet des paroles de la prêtresse. Un peu d’objectivité ne nuit pas à la nuit. Ce n’est pas la voix de la Nerva la sorcière désespérée   qui retentit à nos oreilles, ni les paroles prononcées en leur langage par les arbres – souvenez-vous du chêne sacré dont le prêtresses grecques de Dodone interprétaient le bruissement des feuilles pour rapporter les désidérata de Zeus – nous entendons l’objective lecture d’une speakerine radiophonique dépourvue de tout affect lisant le bulletin météo… le background musical se muerait-il en harmonie imitative, sont-ce des tuyères lointaines d’engins interplanétaires, ou les murmures indistincts de frottements de feuilles agitées par une brise légère, ou la tentation de traduire en sons cette fissure dans le temps qui permet au passé de surgir dans l’actualité du présent… L’on se perd dans des tintements de porcelaines sur le marbre mouillé de l’évier, des bruits pour évoquer le silence d’une confession prononcée à voix basse et peut-être même à l’intérieur de soi, car les arbres entendent peut-être aussi les paroles de nos pensées, l’intensité du son ne varie pas même s’il devient clameur en nos oreilles, Nerva a cédé à la tentation, elle a perdu la foi en la cause Kylii, ce sont des larmes qui coulent maintenant, des stridences nous percent les oreilles, elles ne sont pas si fortes que cela, mais toute chose dépend de l’importance qu’on lui apporte, pensez à la note unique de John Cage sans cesse identique à elle-même mais sur laquelle votre écoute brode d’infinies variations, le morceau ne se termine pas vraiment, il s’éloigne, il s’absente de vous, il retourne de là d’où il est venu. La musique est inutile puisque Nerva n’est plus là, elle est morte une deuxième fois, la première c’était quand elle avait perdu la foi, étrange initiation où il faut mourir deux fois pour ne pas renaître.

             Feral Moon est beaucoup plus ambitieux que The Climb of Celestra Campsis. Ce dernier raconte et interprète une histoire, Feral Moon est une méditation sur le temps, sur sa fugacité qui fonde l’éternité du présent qui donne sens à l’acte de vivre. L’important ce n’est pas que la mémoire de Nerva sera réhabilitée, mais qu’elle est réhabilitée parce qu’elle-même s’était réhabilitée par rapport à elle-même.

             L’on ne se surnomme pas Raven Jezzannah par hasard. Symboliquement le corbeau est le messager qui unit le monde des morts au monde des vivants… celui dont le regard plonge dans le passé et dont les yeux se tournent vers l’avenir. L’éternel témoin de la vie et de la mort

    Damie Chad.

     

    *

            De retour de vacances je vous présentais un roman, Le vibrato mundi de Didier Lauterborn, j’avais privilégié l’axe théorique et métaphysique dans ma chronique de cet ouvrage qui se lit comme un roman d’aventures physiques et mentales, certains ont pu la trouver ardue, voici que Didier Lauterborn m’envoie deux CDs de Niki Gravino, dont il a écrit les paroles. La beauté du chant et la simplicité des lyrics obligée par le l’étroit format employé permettront peut-être mieux de saisir en partie la vision du monde de Didier Lauterborn.  

    WITH NIGHT VISION YOU CAN DRAW YOUR LIFE

    NIKI GRAVINO / DIDIER LAUTERBORN

    Niki Gravino : music & vocals / Mark Vella : Drums / Didier Lauterborn : words.

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    ( Niki Gravino sur votre gauche, Didier Lauterborn sur votre droite )

    NIGHT VISION

    Voice of infinity : comme des mains sur une caisse claire, une entrée en matière, de celle qui se dissout dans la béance de sa présence, un piétinement venu de loin qui n’en continue pas moins son chemin, quelques pincées de guitare et une voix qui s’affirme, toute la différence entre le son et le silence, entre l’écho et l’espace, Niki Gravino nous conte son histoire qui est aussi la nôtre, cette route issue du néant, et le chant, intumescence d’insignifiance, se gonfle de l’ampleur de sa solitude, telle une voile qui s’empare de l’horizon, se mue en péan triomphal dont les éclats se croisent et se télescopent dans un sentiment d’exultation infinie. Void in the crowd : une rythmique lourde, une guitare qui couine et sonne comme la souris du doute, le vide est-il en vous ou au-dehors de vous, la foule est-elle en vous ou au-dehors, subitement la voix de Gravino s’imprègne d’une puissance ouranienne irrésistible, il est une force qui va, que rien ne saurait arrêter, il n’est que lui, mais son moi soutient le monde sur ses épaules, un chant de toute beauté qui touche aux étoiles et comble les abysses. Cat on the moon : pratiquement un retour à la case départ, batterie à coups de truelle, existe-t-il une frontière entre le rêve et la réalité, entre la solitude et la divinité, le chat est-il assis sur la lune ou erre-t-il dans votre tête, la voix s’étire, la guitare fait le gros dos, envol et hésitation, tapis volant d’arpèges orientaux, voyage lysergique à l’intérieur de soi sécrété à partir des ergots de vos peurs, la voix glisse sur le monde comme l’archet sur le violon du monde. A moins que je ne sois le rêve du monde, le morceau se finit à la manière d’une berceuse pour vous réveiller de votre sommeil. Quand on leur montre le chat, beaucoup n’aperçoivent que la lune. Day owl : grésillements, gloussements de hibou, ballade country, les oiseaux nichent dans la vile, ils déposent les œufs de l’avenir dans votre tête, voix creusée d’incompréhension tant qu’elle ne pose pas les bonnes questions, car poser les questions c’est déjà donner les réponses, ne laissez pas agoniser les ombres du rêve sur l’asphalte, la voix s’envole, elle devient nuée d’oiseaux qui s’exhaussent vers le soleil, ne croyez qu’en vous. Fireworks : frottements d’où émerge un rythme et la voix de Gravino qui danse et flambe par-dessus,  l’ envie de mettre le feu aux nuages et aux orages, une basse ronchonne, et tout éclate en feux d’artifice impétueux, foutre le feu partout et en soi, écrire son nom en lettres brûlantes, qu’elles résonnent dans les antres et les aîtres de l’univers, chandelles romaines rutilantes, la vie est un carnaval infini. Victoire. Sunset melody : toujours ce martèlement du coureur qui poursuit sa course bien plus loin que l’arrivée, plus besoin de monter la voix plus haut que les montagnes, il suffit de posséder la pleine conscience d’être soi, d’oublier sa misérable petite histoire pour se grandir, pour devenir le géant dont la tête au zénith de l’univers devient le soleil du monde, se confond avec l’infinité primordiale qui est votre propre négation sur laquelle repose le trône de votre moi, aussi sombre que la nuit, aussi obscur que la mort d’où vous provenez. Cette assurance sera désormais votre force.

             Je n’avais jamais entendu parler de Niki Gravino jusqu’ à l’écoute de ce premier CD. Quelle voix, quel talent et quel savoir-faire, peu de moyens, peu d’instruments, un peu d’écho et de réverbe et vous avez l’impression d’être dans un opéra. Difficile de définir un style, quelque part entre Sinatra et ce que vous voulez…  Puisqu’il vient de Malte, disons du country maltais même si l’on n’entend aucune résurgence méditerranéenne, disons que ça sonne assez américain dans l’ampleur et la ténuité sonores, certains se récrieront, osons alors atlantique ou plutôt atlantidéen, une étrange beauté venue d’un ailleurs inqualifiable.

    DRAW YOUR LIFE

    Draw your life : musique intérieure, voix ténue, le grand voyage est terminé, vous avez traversé l’infinité jusqu’à parvenir au centre de vous-même, le morceau a commencé tout doux, il gonfle devient lyrique, la vague déferle encore une fois, elle vient de loin, elle traverse les âges de la vie, elle s’écoule paisiblement pour mieux se parer des couleurs criardes du rêve, une montée sans trêve, il ne s’agit pas d’un assaut vers l’Olympe, car la sérénité des dieux vous est désormais acquise, dessinez votre vie, écrivez-là, vivez-la.  Continuity : ( Trumpet : Adrian Brincat ) : nostalgie country envers son propre futur, s’évader de soi pour continuer à être soi, ne pas savoir où aller en soi-même, le monde n’est ni trop grand, ni trop petit, je l’englobe à moi tout seul, il est moins compliqué que moi-même et je vis en moi-même, dans quel western me suis-je embarqué, où est l’ennemi, quel est ce silence que je n’entends pas, comment pourrais-je sortir de moi-même, désespoir absolu de n’être que soi. Lonely Walker : bastringue de la solitude, il pleut de la tristesse, seul dans la foule enchaînée, me voici dans ma jungle intérieure, un cauchemar sautillant, et l’on fait des claquettes, le morceau se déroule à Broadway, la vie n’est-elle pas aussi ennuyeuse qu’une comédie musicale. Surtout lorsque l’on a que soi à aimer. Tiens un peu de jazz n’a jamais tué personne d’autant plus que le monde est mort en moi depuis longtemps, ce doit être le final, voici les chœurs et la descente triomphale de l’escalier, promeneur solitaire sur les bords du torrent de la vie. Des gouttes de pluie vivifiante cinglent mon visage. Combien de films me suis-je tourné dans ma tête ! Je suis l’homme qui s’amuse tout seul. Anonymous : un pas de plus dans l’enfer de soi-même. Descente interminable. Musique tremblotante. Des clous que l’on enfonce d’un marteau maladroit et qui relèvent la tête. Seul contre tous. Passer en revue toutes les possibilités. Contourner le système, s’évader, ne plus être interchangeable, trouver sa place, briser le moule, décider de prendre le taureau par les cornes, être le grain de sable qui rngendrera le grand vacillement. Metamorphosis of the cockroach : ( Trumpet : Adrian Brincat ) : blues du blanc, j’ai le cafard et je suis un cafard, notes perdues de piano, l’heure passe et je n’ai pas réussi ma métamorphose en véritable être humain, se heurter à la vitre transparente de la réalité, s’envoler, devenir libre, dire adieu à Monsieur Kafka, à Monsieur Caca, métamorphose réussie.  Mon intuition était bonne, très américain, pas les grands espaces, pas les plaines infinies, les scènes étroites, l’entertainment prodigieux d’un Gershiwn, comédie humaine musicale. Red skull and Mr Hide : ( Nina Gravino : other voice ) : l’histoire arrive à sa fin, une voix la présente en quelques mots sur quelques gouttes de guitares, la musique tourne doucement comme un manège qui court sur son aire et que l’on ne veut pas quitter car l’instant trop agréable distille un sentiment d’éternité, la voix savoure cette ivresse douce d’avoir quitté les vieux oripeaux du passé pour revêtir le costume du bonheur de vivre pleinement soi. Œuvre au rouge accomplie.

             Deux disques pour raconter deux fois la même histoire, mais située à des niveaux différents. L’illustration des deux galettes induit à penser que celle de Night Visions - un harfang des neiges fond droit devant dans la pénombre de la nuit parmi les derniers nuages traversés par les ultimes rayons d’un soleil couchant - n’est pas sans évoquer ce qu’en alchimie l’on prénomme, la voie sèche, la plus rapide, la plus dangereuse, la voie de feu qui condense en très peu de temps les états de mutations successives de la matière soumise à de fortes irradiations internes. Le fleuve d’un bleu impétueux, de la deuxième galette, bouillonnant sur lui-même, qui coule entre deux bandes de terre semble être une figuration picturale de la voie humide, plus longue, non dépourvue de dangers mais qui statistiquement promet un score de réussite beaucoup plus élevé… Dans les deux cas ce qui est visé ce n’est pas la pierre philosophale mais l’amélioration psychique de l’Adepte au travail.

             De tels cheminements ne sont pas absents des albums de Metal. Dans sa jeunesse Niki Gravino a participé dès 1984 à deux groupes de metal, Biblical infamy et Covenant. Il abandonnera ce style pour s’adonner… au chant Chrétien, Malte son pays natal est une île très christianophile, lorsque l’on titille le Diable Dieu n’est jamais loin, cette volte-face subite est caractéristique de la personnalité de Gravino, un homme qui n’a pas peur de s’engager dans le but de faire coïncider ses tourments intérieurs avec sa vie quotidienne. Il retournera non pas à Lucifer mais au rock’n’roll. En 2004 paraît son premier EP, Vitamins and Eyecreams, rock-pop-gothic difficile à cataloguer, la première performance publique et théâtralisée du disque suscitera bien des controverses, Malte est un pays hyper-conservateur, l’évocation de la force et de la face obscures de l’être humain ne fut pas au goût de tout le monde… En 2007 sortira The politics of double beds avec The vile bodies musiciens déjà présents sur le premier EP, ce sera le début d’une reconnaissance nationale ardemment désirée. Gravino a crée son propre studio, il produit de nombreux artistes et enchaîne les concerts avec son groupe baptisé The laughing shadows… Tout va très bien… sauf Gravino qui se sent à l’étroit dans sa réussite.

             Dans les dix dernières années Gravino a subi d’importantes mues, le voici d’abord avec une nouvelle formation que l’on pourrait qualifier d’intervention légère The cosmic erotic,  en 2019 Gravino est devenu Mjaw, c’est ainsi que  les chats maltais disent miaou, sur l’album Diski Ghall-Hmir musique et comédie, un côté one-man-show, politiquement incorrect et un peu rentre-dedans… en 2022 c’est la sortie du double CD, The night vision can draw your life, lyrics de Didier Lauberton… Bref un artiste en mouvement.

    Damie Chad.

     

            

                        News from : FICTION ABOUT FICTION

     

    Dans notre livraison 475 du 10 / 09 / 2020 nous chroniquions l’album Kingdom of Kidding, un opus baroque qui sort des sentiers battus, de Fiction About Fiction. Un groupe restreint puisqu’il ne comporte que deux membres, Diane Aberdam et Emilien Prost. Travaillent à leur rythme, produisent local pour emprunter une expression fort à la mode ces derniers temps. Un peu au compte-goutte, de temps en temps ils postent sur leur fb un morceau qu’ils viennent d’achever avant de présenter l’œuvre finalisée.

    Monkeys sera leur deuxième album. En cours d’achèvement, en sont à la réalisation de la pochette. Viennent de dévoiler un premier morceau Sick of it visible sur You Tube. L’idée de départ est assez simple : se mettre dans la tête d’un singe enfermé dans une cage. Peut-être parce qu’ils aiment les animaux, peut-être parce que nous les hommes sommes aussi enfermés dans des cages de toutes sortes, mentales et médiatiques par exemple.

    L’artwork est vraisemblablement dû à Diane Aberdam qui non contente de jouer de la basse, de participer à plusieurs groupes,  dessine, peint et maîtrise quelques techniques de repro supplémentaires, bref une adepte du do it yourself…

    SICK OF IT

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     Etrange morceau, court et rapide, qui donne l’impression de contenir une multiplicité de séquences, même si l’on acquiert l’idée dès les premières quinze secondes, ne serait-ce que par l’énergie vocale déployée, qu’il court non pas à sa fin mais à sa perte.  Une espèce de cauchemar dont on ne sort que par le néant. Très psyché, rehaussé par ses superpositions de voix en guise de faux-chœurs, une fuite en avant vers un avant qui ne reviendra plus. Des reprises inéluctables, cris et hurlements, une batterie qui mène la chasse à elle-même, et tout s’écroule dans l’urgence de son propre inachèvement. Parfaite réussite. On attend la suite avec impatience.

    Damie Chad.

     

    *

             J’ai connu Pierre Lehoulier avant de le connaître. Cette phrase peut paraître déconcertante, toutefois il en est ainsi. Je l’ai ignoré durant des années. Jusqu’à ce qu’un post sur le Fb de Crashbirds me l’apprennent. Pour les lecteurs distraits je précise que Pierre Lehoulier et Delphine Viane sont les deux inséparables ( lire méchants cui-cuis ) qui forment le groupe dirty-blues-and-rock’n’roll des Crashbirds. A maintes reprises KR’TNT a chroniqué concerts et albums de cette formation. Nous apprécions leur musique et leur imagerie due à Pierre Lehoulier, ainsi nous nous sommes intéressés aux flyers de leurs concerts, à différents clips, et aux mémorables aventures de Super Gros Con parues en Bande dessinée. Jusques là nous sommes dans l’orthodoxie Rock ‘n’ Roll la plus pure. Mais voici que Crashbirds Asso – ils ont monté cette association loi 1901 pour que le fisc ne puisse récupérer les millions de dollars que leurs enregistrements leur rapportent chaque semaine – annonce en quatre tomes la réédition intégrale des aventures de Fripouille et Malicette éditées ente 1999 et 2003 aux Editions Bayard.

             Voici l’objet entre mes mains. Une œuvre conjointe co-signée par Pierre Lehoulier ( scénario ) et Françoise Naudinat ( dessin ). Je ne connais point cette dernière. Une rapide recherche me mène sur le blog de Rattila. Une lumière scintille dans mon vaste cerveau. Rattila, mais les dernières vidéos des Crashbirds réalisées durant la mirifique période covidique ne sont-elles pas créditées pour leur animation à Rattila Picture ! Tout concorde !

             Les planches de nos deux héros agrémentaient la publication mensuelle de J’aime lire, mensuel destiné à un lectorat de 7 à 9 ans, que je lisais avec ma fille en un temps où le nom de Pierre Lehoulier n’éveillait en moi aucune rock-and-rollesque palpitation. Ce paragraphe pour avertir les lecteurs amateurs de l’esprit acerbe et l’humour décapant radicalement critique de l’auteur de Super Gros Con ne le trouveront pas dans cette publication destinée à la jeunesse.

    FRIPOUILLE ET MALICETTE / Saison 1

    ( Crashbirds Asso / Septembre 2022 )

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             Fripouille est un jeune garçon, il serait un gendre idéal pour votre progéniture, nonobstant cette sale manie de ne pouvoir se séparer de son animal de compagnie, une chauve-souris ( beurk-beurk ) qu’il tient en laisse. Sans quoi nous lui reconnaissons de viriles qualités de réflexion et de prudence. N’est pas non plus dépourvu de qualités manuelles, l’est un bricolo inventif. Sa vie d’honnête citoyen se serait écoulée calmement s’il ne s’était pas inféodé à une créature féminine peu fréquentable. ô combien de garçons partis pour une vie sereine ont succombé sous le charme venimeux de ces êtres nuisibles communément appelées filles !

             Saperlipopette elle s’appelle Malicette, n’a de beau que son chapeau biscornu de sorcière. Vous le sentez venir, elle n’est pas douée, elle rate la plupart de ses tours qui se retournent contre elle. Du coup elle s’expose, elle et son fidèle Fripouille, à de cocasses déboires. Respirez, il ne faut pas traumatiser les jeunes lecteurs, tout se termine bien, les situations les plus tarabiscotées se dénouent sans trop de mal et nos trois impétrants finissent toujours par retomber sur leurs pattes (d’araignées noires et velues ) et pour Mirza – ne me dites pas que vous ne l’avez pas vue - sur ses ailes de chauve-souris.

             Tous trois habitent un vieux donjon médiéval à tour crénelée et échauguettes pointues quelque part entre le marais maudit et la lande fétide. Le genre d’endroit que vous fuiriez au plus vite. D’ailleurs il existe des ‘’ portes’’ qui permettent à nos pionniers de l’espérance maléfiques de voyager dans le temps.

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    Inutile de les emprunter pour vous évader, vous n’y parviendrez pas, un charme magique vous retiendra, les vignettes colorées de Françoise Naudinat, ne sont ni des images pieuses ni les bons points que vous rameniez de l’école, marchent à l’attrape-touriste-lectorophile, l’hôtel où vous êtes descendu n’a pas d’étoile ni de piscine mais il offre tout ce que vous désirez car il connaît vos points limites minimaux de satisfaction, elles fonctionnent comme de petits tableaux, pour chaque scénette formalisée elles présentent tous les éléments indispensables à la mise en scène évoquée, jouent sur les archétypes de nos représentations,  tout est vrai car tout est comme on se le représente, moins ce ne serait pas assez et davantage beaucoup trop. S’opère une espèce d’équilibre entre le dessin et notre contentement intime, rehaussé par le jeu des couleurs, très rarement flashy, elles ne vous arrachent pas l’œil mais le ravissent à satiété. Pour vous le rendre à l’image suivante.

    Humour bête, pas méchant, malin. Entre Concombre masqué et Fantômette. La patte de Pierre Lehoulier est partout, vous adorerez. Si non, vous avez mal vieilli.

    Damie Chad.  

  • CHRONIQUES DE POURPRE 567 : KR'TNT 567 : JOEL SELVIN / BLUES PILLS / HOODOO GURUS / SAM DEES / E-RUINS / PLEASURE TO KILL / THE WARM LAIR / HEVIUS / BLACKBIRDS / DAGARA / DEADMAN'S TRIGGER

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    LIVRAISON 567

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    Selvin est tiré, il faut le boire - Part Two

     

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             Joel Selvin. On y revient. Pas seulement parce qu’il est le grand spécialiste du Frisco Sound depuis l’âge d’or du Summer of Love, mais aussi pour son style très particulier, un style cassant, peu complaisant, qui se limite aux faits. Selvin balance, histoire de rappeler en permanence qu’il est journaliste, donc il ne brode pas, il donne à voir. Après, chacun pense comme il peut et ce qu’il veut. Il travaille son rock comme s’il travaillait des faits divers, il traque l’info, va voir les gens, leur tire les vers du nez, il fouille, il sait que les gens payent pour ça quand ils achètent le San Francisco Chronicle. La grande différence avec les autres journalistes, c’est que Selvin est fan de rock. C’est un fait. Il en fait un postulat. Et se retrouver à San Francisco en 1966, ça devait forcément ressembler à une sorte de rêve, ou, si on veut rester dans la réalité - et pour paraphraser God Art définissant le cinéma - San Francisco devait substituer à ton regard un monde qui s’accordait à tes désirs. 

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             Avec Smartass, Selvin propose un recueil d’articles parus dans divers canards. L’ouvrage est donc d’une lecture rapide, on peut trier, laisser de côté le Grateful Dead quand on n’aime pas trop le Grateful Dead et aller plutôt se régaler de Sly Stone ou des chouchous de Selvin que sont Ralph J. Gleason, Bill Graham ou encore Glen Campbell. Ce recueil d’articles apporte d’excellents éclairages sur des tas de gens passionnants. Les gros chapitres concernent le Dead, Creedence et les Beach Boys et ailleurs, tu croises des gens aussi fascinants que Taj Mahal, Sugar Pie DeSanto ou Captain Beefheart. Comme on va pouvoir le constater, Selvin descend souvent faire un tour à Los Angeles.

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             Les plus belles pages sont probablement celles qu’il consacre à San Francisco. Il est évident qu’Alec Palao s’est inspiré de Selvin pour monter son opération Love Is The Song We Sing, sa Rhino Box de San Francisco Nuggets. En un seul paragraphe, Selvin parvient à dire la magie de la vie nocturne à San Francisco : «Si vous jetez un œil aux club calendars de cette époque, vous serez surpris de voir tout ce qu’il y avait chaque semaine. Herbie Hancock, les Doobie Brothers, Tower Of Power à l’affiche du Keystone Berkekey. Asleep At The Wheel ou Sylvester au Longbranch. Van Morrison au Lion’s Share de Marin County. S’il n’était pas en tournée avec le Dead, Jerry Garcia jouait toute la nuit dans des endroits miteux comme le Matrix avec Howard Wales ou, plus tard, au Keystone Korner avec Merl Saunders. Elvin Bishop jammait chaque nuit à North Beach, traînant toute la nuit dans les rues avec sa guitare à la main. Mike Bloomfield adorait jouer dans les petits rades de California Street. La musique était pour moi beaucoup plus qu’un loisir. C’était une passion dévorante. Rien d’autre ne comptait. Mes premiers articles n’étaient pas très bons. Mais au moins j’étais là. C’est ce qui importait.» C’est le genre de postulat qui fait plaisir à voir. Selvin va vite se trouver emporté par la marée. Trop de bons groupes, trop de bonne musique. Pour une petite cervelle, c’est intenable.

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             San Francisco ? Selvin présente ça comme un new cocktail of music and chemicals, mais ajoute-t-il, lorsque le reste du monde l’apprit, c’était fini. Pour relater l’éphémère cocktail of music and chemicals, il envoie Cippo en éclaireur : «John Cipollina qui a grandi à Marin County, de l’autre côté du Golden Gate Bridge, vivait alors dans une ‘54 Plymouth qui était garée sur Mount Tam. Il grimpa sur la scène (du Longshoreman’s Hall) pour jeter un coup d’œil au public. Il n’en croyait pas ses yeux - un millier de chevelus et de reprobates qui avaient l’air défoncés et qui semblaient s’être familiarisés avec cette nouvelle drogue qu’on voyait se répandre ces derniers mois. Cippo sut que tous ces gens étaient du même monde que le sien, mais il n’en revenait pas d’en voir autant.» Cette Soirée s’appelait «A Tribute to Dr Strange», organisé par le Family Dog : c’est l’événement fondateur du Frisco Sound. Selvin enchaîne aussitôt avec Ken Kesey qui découvre le LSD, un produit qu’on utilise pour les recherches psychiatriques au Standford Medical Center. Kesey fonde une communauté, les Merry Pranksters et lance, à bord d’un bus bariolé, une croisade pour l’évangélisation psychédélique des cervelles à travers tout le pays. Il organise le premier public Acid Test et choisit pour the dawning of the psychedelic apocalypse un jugband local qui vient de se baptiser Grateful Dead. Selvin ficelle ça très bien, son récit coule comme de l’eau de source. Ce n’est pas comme si on y était, mais presque - It was the Wild West all over again - Puis il embraye sur les concerts au Fillmore et à l’Avalon, où, nous dit-il, «tout le monde in the audience was high on LSD. Most of the bands were, too.» Jerry Garcia se souvient des chatoiements du light show sur sa guitare, il avait adoré jouer dans la semi-obscurité : «On était plus ou moins des ombres sur scène.» Il est intarissable sur les bienfaits d’un set sous acide : «It was fun. Le public dansait. Être sur scène faisait partie de l’expérience.» Gary Duncan se souvient qu’à l’époque il prenait quotidiennement du LSD, «so much that you never came down. J’ai appris à vivre dans cet état and to relate to things while stoned. Which was wonderful. It was all about higher levels of conciousness.» Selvin présente tous ces témoins comme des pionniers. Il n’ose pas parler d’utopie, mais on retrouve dans les propos des témoins les traces d’une sagesse à jamais enfuie. Le pouvoir répressif appelait ça des drogues et Gary Duncan parlait lui d’élévation du niveau conscience. Ce n’est pas la même chose. Quand les concerts au Fillmore ou à l’Avalon commencent à attirer du monde, Chet Helms et Bill Graham payent bien les groupes - $1000 and they had all the dope and women they needed for free - Life was good, ajoute Selvin, même si Cippo inquiète ses voisins parce qu’il élève un jeune loup. Selvin ne peut s’empêcher de ramener l’histoire du raid indien : une nuit, déguisés en Indiens, les mecs du Dead sont descendus de leur ranch pour aller attaquer celui du Quicksilver. Ils leur ont balancé des fumigènes et des gros pétards, mais ils ont ensuite fumé le calumet de la paix. Et puis tout s’est écroulé avec l’arrivée d’Adler et John Phillips et de leur projet de Monterey Pop. Ils voulaient engager les Frisco bands, mais pour cela, il leur fallait l’appui de Ralph J. Gleason - Ces deux hippies d’Hollywood étaient exactement le genre de mecs dont se méfiaient les groupes les plus authentiques de Frisco, comme le Grateful Dead - Et Selvin enfonce bien son clou : «Leur belle musique bien produite n’avait rien à voir avec le bordel que faisaient les Frisco bands dans les ballrooms. Mais Gleason qui avait lancé le Monterey Jazz Festival played it cool : ‘Let me know your plans,’ leur dit-il.» C’est avec Monterey que le Frisco Sound a perdu son innocence : «Ce week-end là, tout a changé. Quicksilver, Steve Miller et Country Joe allaient signer des contrats et faire des grosses tournées. Une fois que le succès et la gloire eurent montré leurs vilaines trognes, les choses ne furent plus jamais les mêmes.» Selvin indique aussi que les produits magiques changeaient, avec l’arrivée du STP, bien plus puissant que le LSD. Jack Casady et Country Joe McDonald en firent les frais en restant défoncés plusieurs jours de suite. Casady alla au ballon et McDonald se retrouva dans un état d’infantilisation avancé. Les gens ont eu le sentiment de se faire avoir, Monterey n’était en fait qu’une grosse opération de marketing, a lousy record promotion.  

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                    Selvin évoque aussi la légende de James Gurley, le guitar wiz de Big Brother & The Holding Company - Le père de Gurley était un cascadeur qui attachait James sur le capot de sa bagnole et qui roulait à travers des cercles de feu. James avait perdu ses dents de devant - Il insiste beaucoup sur Big Brother - At the Avalon that weekend, the band did a few of the demolition derby/John Coltrane-meets-Lightnin’ Hopkins sonic assaults in which Big Brother specialized - C’est leur manager Chet Helms qui insiste pour qu’ils prennent une chanteuse et comme il connaît Janis, il envoie quelqu’un la chercher au Texas pour la ramener en Californie. Alors elle auditionne, les Big Brother n’ont pas vraiment d’opinion. On la prend ? On la prend pas ? Bon, on la prend. Quand Albert Grossman approche Janis à Monterey, il lui propose de la prendre sous son aile, mais il lui demande de se débarrasser de Big Brother. Grosse connerie !

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             Parmi les portraits spectaculaires que nous brosse Selvin, il y a celui de Totor, distillant à sa façon l’épouvantable épisode de son déclin, l’enchaînement des vautrages, Céline Dion, puis Starsailor, et sa romance avec Nancy Sinatra qui tombe à l’eau. L’épisode Starsailor est particulièrement gratiné, le chanteur du groupe déclarant à la presse qu’il existait un abîme entre le groupe et Totor, et pire encore, qu’il n’avait rien fait depuis longtemps, ce qui sous-entend qu’il n’était plus très compétent - On lui en a appris sur les nouvelles techniques d’enregistrement et il nous en a appris sur les anciennes - Les kids de Starsailor le traitent même d’has-been (Out of the way, old man). Quelle dégringolade, pour un mec qu’on considérait à une époque comme un génie - His records were phenomena - extravaganza events with interchangeable singers that were each stamped with the grandiose personality of their creator. Il avait inventé le rock’n’roll producer et l’avait incarné jusqu’au délire, the mad genius of 45s, the prince of pop. He was riding the absolute apex of the booming earth-shaking American rock’n’roll industry. He was 23 years old - Fantastique hommage au plus doué d’entre tous. «Il rendait les gens complètement fous avec son obsession du détail. Il pouvait passer des heures sur les huit mesures d’un cut, mais aucun disque n’avait encore jamais sonné comme les siens.»

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             Selvin est encore plus fasciné par Ralph J. Gleason, ce journaliste de San Francisco amateur de jazz et d’avant-garde - Gleason et Miles Davis devinrent amis. Un soir, Gleason rendit visite à Miles après un set dans un nightclub et découvrit que lui et Miles utilisaient les mêmes seringues. Gleason était diabétique, mais Miles ne l’était pas - Voilà où si situe l’excellence de Selvin, dans la façon de traiter le détail qu’on va retenir. Ses anecdotes fonctionnent presque comme des paraboles. Il rapporte une autre anecdote classieuse : Gleason présente Dylan dans un radio show : «Welcome to KQED’s first poet press conference. Mr. Dylan is a poet. He will answer questions on everything from atomic science to riddles and rhymes. Go.» Comme tout le monde à l’époque, Gleason est devenu un inconditionnel de Dylan. Puis quand la scène rock de San Francisco explose, il est là tous les soirs, night after night, nous dit Selvin, à couvrir les concerts pour The Chronicle. Il assiste au premier concert de l’Airplane, il devient un inconditionnel du groupe et signe les liners au dos de la pochette de leur premier album. Il co-fonde en 1967 Rolling Stone avec Jann Wenner et investit $1500 dans le projet. Les gens l’aiment bien. Gleason est un vieux, un mec de 48 ans, alors pour le chambrer, les gens disent de lui qu’il hésite entre trois possibilités : soit il a deux fois 24 ans, soit trois fois 16 ans, soit quatre fois 12 ans. Selvin se régale et nous régale de son régal.

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             Il passe aussi beaucoup de temps en compagnie de Bill Graham, l’inventeur du Fillmore, «the premiere showplace of rock’s history, presenting the best bands of the 60s.» Selvin rappelle aussi que Bill Graham aimait programmer du jazz, de la Soul et du blues en même temps que les groupes de rock. «Ce sont des affiches qu’on ne voit qu’une seule fois dans sa vie : Lenny Bruce et les Mothers Of Invention, les Who et Woody Herman & his Thundering Herd, les Byrds et B.B. King. Puis il ferme le Fillmore East en 1971 et le Fillmore West un mois plus tard pour organiser des concerts uniquement dans la Bay Area.» Gros coup de cœur aussi pour Doug Sahm - Doug Sahm may be the most under-rated figure in the history of rock - Selvin met ça dans son chapô, il a raison, Doug Sahm est extrêmement sous-estimé. Il joue pour la première fois en 1966 à l’Avalon avec le Sir Douglas Quintet. Quand on commence tôt comme l’a fait Doug Sahm, on devient forcément légendaire - Grandissant à San Antonio, il a appris la country au pied de formidables cats like Charlie Walker, and rhythm and blues from Houston acts like Bobby Blue Bland and Junior Parker - Puis Selvin évoque la jonction de Doug Sahm avec Huey Meaux, «who had been hot as a cheap pistol jusqu’à ce que les Beatles lui tombent sur la tête.» C’est Meaux qui dit à Doug de rajouter un orgue pour sonner comme les Anglais, d’où l’arrivée d’Augie Meyers avec son Vox organ, et pouf le Sir Douglas Quintet se met à tourner avec les Stones, James Brown et Little Richard - Il y avait des dates de concert à New York et Sahm découvrit Greenwich Village et rencontra de Bob Dylan. Helms : «Je pense qu’il a eu une grande influence sur Dylan. He was the real deal that Dylan wanted do be.» - Doug Sahm n’habitait nulle part. Il habitait partout, chez les autres, il avait des copines à San Francisco qui avaient leurs apparts. Selvin raconte que Sahm se balladait en ville dans une Cadillac. Dans un petit chapitre intitulé ‘Essential albums’, Selvin se prosterne jusqu’à terre devant Honkey Blues et Mendocino : «Pendant toute sa carrière, Doug Sahm a enregistré des albums de blues, mais Honkey Blues est un chef-d’œuvre à part entière. Sahm y injecte du blues, du jazz, de la country et tout ce qui lui passe par la tête pour faire un snappy R&B sound. Un riff de cuivres tiré de Junior Parker mène à un solo de violon Cajun. Une impro empruntée à James Brown mène à une partie de piano à la Horace Silver. Il évite tous les écueils. D’un autre côté, Mendocino is pure Texas cantina rock’n’roll, featuring Augie Meyers’ trademark Vox punched up by tight, tasty horn parts et Sahm qui chante comme si sa vie en dépendait, allant même jusqu’à reprendre She’s Above A Mover. A neglected rock’n’roll classic.»

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             Les dithyrambes pleuvent aussi sur les Beach Boys et Creedence. Avec un flegme hallucinant, Selvin démystifie complètement l’histoire des Beach Boys : «Le père de Brian Wilson qui était un compositeur amateur apporta la bande enregistrée à la maison chez un publisher qu’il connaissait. Celui-ci mit à la disposition des frères Wilson les moyens professionnels d’enregistrement et «Surfin’» parut début décembre sur un petit label. C’est le commercial du petit label qui baptisa le groupe des frères Wilson the Beach Boys. La plus grande radio de Los Angeles, KFWB consacrait déjà du temps d’antenne au surf. Comme les gens de KFWB étaient à l’affût de tout ce qui se passait dans la région, ils sautèrent sur le single des frères Wilson. Une minute plus tard, ils étaient signés par Capitol Records - home of Nat King Cole, Frank Sinatra, Dean Martin.» Puis avec une férocité encore plus hallucinante, Selvin vole dans les plumes de Mike Love : «Étant donné son talent naturel - pour plaisanter, on qualifiait la voix de Love de ‘Mickey Mouse qui a chopé un rhume’ - Brian Wilson avait cru que Love pouvait devenir le leader de son groupe de rock. Son job précédent, pompiste, fut certainement la dernière fonction qualifiée qu’il occupa.» L’hommage qu’il rend à John Fogerty vaut aussi le détour. Comme beaucoup de gens à l’époque, Selvin ne comprenait pas qu’un jeune Californien pût sonner aussi Deep South, alors il propose une explication qui tient bien la route : «En son for intérieur, il entendait le Mississippi jungle boogie de Bo Diddley and the muddy voice de Howlin’ Wolf. Il voyait James Garner jouer son rôle de tricheur dans Maverick. Il sentait bien le vibrato de la guitare de Pops Staple et la souplesse de la Soul de Booker T & The MGs. Il connaissait Elvis Presley and the yellow Sun Records. Il buvait l’eau du fleuve Mississippi, long a mythic force in America’s history.» Selvin dit encore que les Creedence ont enregistré ce fabuleux deuxième album, Bayou Country, au studio RCA d’Hollywood, là où les Stones avaient enregistré «Satisfaction». Les quatre Creedence ont enregistré les basic tracks live et Fog est revenu finir l’album tout seul, ajoutant quelques parties instrumentales et le chant. Il voulait que son solo dans «Proud Mary» sonne comme un solo de Steve Cropper. Pour Selvin, Bayou Country est l’album qui définit Creedence - In a single, bold stroke, cet album fit apparaître Creedence comme une force vitale du rock et l’imposa dans tout ce qui allait suivre. Bizarrement, pas un mot sur Santana dans Smartass, et d’un autre côté, pas un mot sur Creedence dans le San Francisco Nuggets de Palao. Selvin cite le Steve Miller Band, Janis, Sir Douglas Quintet, les 13th Floor et Mother Earth dans ses Essential albums, mais pas Santana.

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             Il attaque son chapitre consacré aux blackos avec John Lee Hooker. On assiste une fois de plus à une fantastique présentation : «John Lee Hooker played country blues. He sang stump songs, played cotton-patch guitar and drowled out his blues like somme primordial ooze.» On dirait qu’il parle de Captain Beefheart, dont on trouve un portrait plus loin. Selvin dit aussi qu’Hooky s’est fait un nom à Detroit à la fin des années 40, mais que sa musique n’a jamais quitté Clarksdale, Mississippi, où il est né. Selvin précise sa pensée : «Hooker était un homme d’une très grande dignité. Comme l’était sa musique, il pouvait être sinistre et joyeux, sombre et sensuel. Il pouvait être chaleureux et tranchant, et même un peu effrayant.» La dernière fois que Selvin l’a interviewé, Hooky était allongé sur son lit, tout habillé avec un chapeau sur la tête. La porte de la chambre était fermée et Hooky avait mis le chauffage à fond. Quand le téléphone sonnait pendant l’interview, il répondait. Ses réponses étaient nous dit Selvin des soft mumbles et au bout de 10 minutes, il croassa : «I suppose you’ve got enough now». He was right, lâche Selvin en guise de chute. Face aux géants, le journaliste Selvin sait se tenir.

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             Il rencontre aussi Sugar Pie DeSanto. Curieusement il détache le De du Santo, alors que sur les disques, ça s’écrit DeSanto. La pauvre Sugar Pie vient de tout perdre, y compris son mari, dans l’incendie qui a ravagé son appart. Elle n’a plus rien. Complètement à poil. Elle est hébergée par la Croix Rouge locale. Sugar Pie connut son heure de gloire à une autre époque, découverte par Johnny Otis, en même temps que sa copine Etta James. Comme elle s’appelle Umpeylia Balinton, Johnny Otis la rebaptise Sugar Pie, mais elle rajoutera DeSanto un peu plus tard. Puis comme les artistes noirs de cette époque, elle se met à tourner intensément, notamment avec James Brown. Elle est réputée pour sa dance craze et chaque soir, elle et James Brown sautent d’un piano pour atterrir sur scène en grand écart. Dans ses mémoires, James Brown avoue que Sugar Pie est la seule de ses chanteuses qu’il n’a pas réussi à baiser. Elle dit aussi avoir résisté aux avances graveleuses de Sonny Boy Williamson, Lightnin’ Hopkins, Howlin’ Wolf et Willie Dixon pendant la tournée européenne d’American Folk Blues en 1964 - I refused all them old goats - Selvin conclut ce portrait superbe ainsi : «Ça a été une vie longue et dure pour Sugar Pie De Santo, mais jamais aussi dure que maintenant, alors qu’elle a tout perdu.» L’article date de 2006. Fantastique. Selvin est l’un des rares à s’être intéressé à ce personnage de légende.

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             On a aussi un joli portrait de Mike Bloomfield. Selvin rencontre un Bloomy épuisé qui déclare, dans un dernier râle : «Il y a peut-être quelques moments d’extase, mais le prix à payer pour ça est celui d’un enfer quotidien. Mes plus grands moments de créativité sont liés à une souffrance atroce, à la suite de plusieurs mois de tournée, quand je suis épuisé et malade, junk sick. Quand je vois ce qui est arrivé à Duane Allman, je sais que tout ça n’en vaut pas la peine. Il faut que je trouve un équilibre et pratiquer mon art sur une base quotidienne plus humaine.» Chaque portrait s’accompagne de photos superbes. Dans ce book, tout est trié sur le volet. Bloomy, mais aussi Taj Mahal que Selvin considère comme «the last great bluesman, playing his music outside the world of pop music.» C’est vrai, Taj Mahal s’est toujours arrangé pour échapper aux pièges à loups. Selvin réussit un bel exploit en brossant un portrait de ce géant : «Dans le nightclub vide, il gratte sa handmade guitare couleur tabac et sort un demented ragtime instrumental qui évoque à la fois le bebop jazz et le muddy Mississippi Delta blues. Il appelle ça ‘The New Black and Crazy Blues’. En une seule chanson, il traverse plusieurs vies. Mais il est encore plus qu’une encyclopédie vivante, un multicultural experiment in progress, ou le patriarche d’une famille de 12 enfants, si adoré que toutes ses ex-femmes assistent à son soixantième anniversaire.» C’est David Rubinson - qui fut aussi le protecteur de Skip Spence - qui a produit ses six premiers albums, dont l’excellent album aux papillons, découvert à Caen en 1968 - Selvin rapporte les propos de Rubinson : «Taj Mahal est un homme extraordinaire. Il a de la famille partout dans le monde. Il fait du business dans le monde entier. Et le plus extraordinaire, c’est que sa musique devient de plus en plus belle.» Selvin ajoute que Taj Mahal a tout joué sur ses douzaines d’albums, toutes sortes de blues, de jazz et de cross-cultural experiments - Il a fait un album avec un quartet of tubas. Des albums pour enfants, des bandes originales de films, de la musique hawaïenne. Il peut jouer solo à l’acou ou avec un big band. Il a enregistré avec Miles Davis et les Rolling Stones. Il a été l’un des premiers à reprendre des cuts de Bob Marley - Puis il brosse l’un des plus beaux portraits physiques de Smartass : «Il se rase le crâne et les sourcils, mais il conserve une moustache. Il porte un poisson en or attaché à une chaîne autour du cou et un diamant à l’oreille. Il est un parfait cordon bleu et connaît les meilleurs restaurants dans le monde entier, depuis les enchilada parlors dans l’archipel des Mission, jusqu’au rendez-vous d’épicuriens dans les capitales européennes, où il a énormément tourné.» Son père était pianiste de jazz et sa mère institutrice et chanteuse de gospel, tous deux originaires d’une île des Caraïbes appelée St. Kitts. Taj s’appelle en réalité Henry St. Claire Fredericks, mais son nom d’artiste lui est apparu en rêve. Il se disait à une époque admirateur de Brian Jones. On se souvient tous que Taj a participé au Rock’nRoll Circus des Stones. Taj : «Those guys jumped over the Elvis syndrome. In the United States, tout le monde était bloqué par Elvis, à cause des politiques raciales qui interdisaient aux jeunes blancs de se mélanger aux noirs. Mais les Anglais n’était pas bloqués par Elvis. Ils ont sauté par-dessus Elvis, ‘ton nom est Elmore James et tu joues de la slide guitar’, et tout vient de là. La culture anglaise était une island culture et ils se sont déployés. Ces mecs ont fait un boulot énorme.»

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             Selvin nous rappelle aussi que Mimi Farina était la sœur de Joan Baez et qu’elle a épousé Richard Farina, a half-Irish, half-Cuban beatnick. Richard et Mimi Farina sont devenus le duo brillant que l’on sait, et ont enregistré deux albums imbattables, Reflections In A Crystal Wind et Celebration For A Grey Day. Richard Farina a aussi publié un roman, Pack Up Your Sorrows, et au retour d’une séance de signatures, nous dit Selvin, il s’est tué en moto. Il n’avait que 29 ans et Mimi est devenue veuve à 21 ans. Toute aussi dramatique, voici l’histoire d’Eddie Cochran, que Selvin considérait aussi comme un géant. Pour lui, «Summertime Blues» est la pierre angulaire du rock’n’roll : «Le disque ne résumait pas seulement le caractère d’Eddie Cochran, il définissait surtout the rock’n’roll attitude. Il became almost immeditely one of the cornerstones of the literature.» C’est toujours mieux quand c’est dit en Anglais. Ça sonne, comme dans les disques. Selvin rappelle aussi la grandeur d’Eddie sur scène : «Cochran rendait le public complètement dingue en Angleterre. Il démarrait son set avec ‘Hallelujah I Love Her So’, le dos tourné à la salle, sa bandoulière passée par-dessus l’épaule, il claquait des doigts pendant l’intro. Il portait un pantalon de cuir noir et une veste en velours rouge.» Selvin nous décrit aussi un set de Dick Dale en Californie - he played string-busting, blood-letting, blister-raising guitar that left the stunned audience drop-jawed and mind-blown - Il nous montre le Dick Dale tombé à genoux et labourant les staccatos de son «King Of Surf Guitar», alors que le public reprend en chœur «from San Bernardino to RIVERSIDE», Selvin insiste beaucoup sur la clameur du RIVERSIDE.

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             La température selvinique continue de monter en flèche avec Glen Campbell, qui sert un peu à illustrer le mythe de l’American Dream. Car effectivement, Campbell part de triple zéro, en ayant échappé de peu au dirt-poor d’une ferme dans l’Arkansas. Son père lui paye tout de même une four-dollar guitar chez Sears and Roebuck et Campbell montre très vite des aptitudes pour l’instrument. Toujours cassant, Selvin précise sa pensée : «In another place, he would have been called a prodigy.» Mais une ferme pauvre de l’Arkansas n’est pas un palais de Vienne. Dès qu’il peut, Campbell file s’installer à Albuquerque, au Nouveau Mexique. Là il joue un peu dans des clubs et un mec lui dit qu’il devrait tenter sa chance en Californie - Campbell did just that - En 1960, il décide de partir avec sa femme, son chien et ses 300 dollars d’économies à l’aventure : direction Hollywood. Sans savoir nous dit Selvin qu’il allait devenir one of the biggest stars in the recording industry history. C’est fantastiquement bien amené. Comme s’il fallait faire durer le supsense.

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             Selvin est marrant, car il ne se prive pas d’indiquer que Campbell jouait beaucoup trop bien pour la scène locale d’Albuquerque. Campbell venait en fait de découvrir les disques de Django Reinhardt chez un copain musicien et il se mit à tout apprendre pour pouvoir jouer comme Reinhardt, tu vois un peu le travail ? Quand il va à Vegas voir Bobby Darin sur scène, Campbell pense qu’il peut largement mieux faire que le guitariste qui accompagne Bobby. Alors Selvin devient fantastique, au sens littéraire du terme : «L’Hollywood dans lequel Campbell arriva à l’été 1960 était, in many ways, still a small town where things could happen.» On entend presque une musique de film noir. Campbell devient vite copain avec Jerry Fuller et Dave Burgess, le mec des Champs. Ils traînent tous les trois en studio avec Ricky Nelson. Puis Jerry Capehart repère Campbell. Capehart est bien sûr le manager d’Eddie Cochran, qui vient tout juste de mourir en Angleterre dans un accident de bagnole. Selvin profite de l’occasion pour rappeler que la relation entre Eddie et son manager s’était gravement détériorée, Eddie reprochant à Capehart d’avoir rajouté son nom sur les crédits. Capehart prend Campbell sous contrat et lui trouve un job chez Gene Autry pour 75 $ par semaine. Là, Campbell bosse avec un autre expat texan, Jimmy Bowen. Trois ans plus tard, Campbell croule sous une pluie d’or. Il chante et joue de la guitare sur plus de 500 enregistrements. Même Elvis le veut pour le soundtrack de Viva Las Vegas. Campbell passe d’un salaire de 100 $ par semaine à celui de 1000 $ par jour. Selvin fait encore monter la température en jetant Campbell dans les bras des Beach Boys, il joue énormément avec Brian Wilson, sur «Help Me Rhonda» et «Good Vibrations», il est partout dans Pet Sounds, il joue aussi avec Jan & Dean et, bizarrement, Dick Dale. Et quand Brian Wilson fait sa petite dépression, refusant de repartir en tournée, à qui fait-on appel ? À Campbell ! Pouf, le voilà bombardé Beach Boy en 1964, il joue de la basse, porte la chemise à rayures et chante les high vocal parts de Brian, mais comme on l’attend en studio, il est remplacé au bout de trois mois par Bruce Johnston. C’est même Brian Wilson qui produit le fameux «Guess I’m Dumb» de Campbell en 1964. Puis tout explose avec «Gentle On My Mind». Non seulement il maîtrise son destin artistique mais c’est là qu’il devient his own creation, Glen Campbell. Mais il y a une petite ombre au tableau. Campbell est très vieux jeu. Amérique profonde. La première fois où il rencontre Jimmy Webb, il lui demande quand est-ce qu’il va aller chez le coiffeur. Ça fait bien marrer le petit Jimmy qui après avoir composé «By The Time I Get To Phoenix» se voit adresser une autre commande - They asked me if I could write something geographical, a town, a place - pour faire suite à Phoenix. Alors Jimmy obtempère et pond «Wichita Lineman». Cot cot !, le petit Jimmy est la nouvelle poule aux œufs d’or. Il pond des œufs d’or pour une autre poule aux œufs d’or, Campbell. Cot cot ! C’est pas la foire à la saucisse, mais la foire aux œuf d’or. Cot cot ! Tout le monde se goinfre dans la basse-cour, Campbell vend des millions de disques. Il est bien coiffé, pas de problème. Mais on ne sait toujours pas si Selvin l’admire autant que Taj Mahal ou John Lee Hooker. Et pouf, grâce au petit Jimmy, Campbell explose. Il devient nous dit Selvin the biggest new star in the country. Tout le monde veut lui serrer la main, il n’a plus de vie privée. Ça l’affole. Campbell est un homme simple, ne l’oublions pas. Riche d’accord, mais simple. En 1969, il vend plus de disques que les Beatles. Il devient le dernier rempart de l’Amérique profonde - Un havre de paix pour la majorité silencieuse de Nixon. Sam Schneider : «He was mom and apple pie.» Il restait ce mec blond au teint frais alors que le monde entier devenait de plus en plus grunge. Bien sûr il y avait la guerre du Vietnam, mais pour l’Américain moyen, Campbell était l’antithèse de la counter culture. Il incarnait la musique de l’Américain moyen - C’est pour ça qu’on ne l’aimait pas trop, par ici. Et comme tous les autres, Campbell picole et sniffe ses kilos de coke. Sa femme supervise l’aménagement de leur immense propriété sur les Hollywood Hills. Campbell passe son temps à chercher le prochain hit pour alimenter la machine. Cot cot ! Il entend «Rhinestone Cowboy» à la radio. Il veut l’enregistrer. Quand sa femme entend ça, elle trouve que c’est une dumb cowboy song et demande la séparation. Bizarrement la carrière de Campbell rebondit avec «Rhinestone Cowboy» qui devient son premier numéro un. Soap opera, nous dit Selvin. On se régale encore du régal de Selvin.

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             Mais ce n’est pas fini. Il dresse encore les éloges de Stephan Jenkins, le chanteur de Third Eye Blind - a rock’n’roll bad boy with an angel face - et de Steve Miller, mais c’est avec Sly Stone qu’il fait exploser les applaudimètres. Selvin attaque par un moment historique, comme il sait si bien le faire : Ça commence par la maison de Bel Air, à Beverly Hills, ayant appartenu à l’actrice Jeanette MacDonald. John Phillips l’achète en 1967 et y installe un studio. Mais il doit s’en séparer. Terry Melcher l’appelle pour l’informer que Sly Stone est intéressé par sa maison - Sly n’avait pas les moyens de l’acheter, mais il accepta de la louer pour un loyer mensuel de $12,000 et il y enregistra un album en 1970 - Selvin s’amuse aussi à rappeler que Sly naviguait à contre-courant, s’amusant de voir éclore le flower power et l’acid rock, alors qu’il s’habillait en Mod et qu’il roulait en ville dans une Thunderbird. Après Woodstock, il a quitté San Francisco pour s’installer à Los Angeles. Il rassemble son entourage à Bel Air et là, Selvin nous gave comme des oies, «a twisted, deranged royal court, full of sexual intrigue, family feuds, double dealing, backstabbing, chicanery and knavery. Sly was the unquestioned despot, drug-addled to the point of dementia.» Les gens supposent que Sly a mal tourné quand il a commencé à fumer the nasty horse tranquilliser, PCP. D’autres pensent que c’est l’arrivée de Hamp Bubba Banks qui a tout changé. Ils pratiquaient ce que Swanigan appelle the ghetto pimp mentality. Et Bubba prit en charge la vie de Sly aux plans personnel et professionnel - Il prit Rose, la sœur de Sly et organiste du groupe, comme femme et fit venir dans l’entourage des gens destinés à occuper des rôles vaguement sinistres - Selvin traite son Sly comme un personnage de roman noir. Kapralik qui est le manager blanc de Sly sait depuis longtemps qu’il faut éviter de poser certaines questions - Banks était un non-nosense ghetto cat, et avec son associé James Brown qu’on appelait J.B., il fit entrer la rue dans les hautes sphères du showbiz - Ce sont des choses dont on ne se doute pas quand on écoute les disques. On croit que tout le monde s’amuse bien, que tout le monde prend un peu de drogues et drague des petites gonzesses, mais la réalité est beaucoup plus sombre, car les intérêts qui entrent en jeu sont colossaux. À Bel Air, il y a tout un arsenal, nous dit Selvin, des valises pleines de calibres, et puis il y a des bagnoles de sport garées partout, et un Winnebago qui sert de party-room à roulettes. Et dans son coffre-fort, Sly stocke ce que Selvin appelle the pharmacy. Des tonnes de downers, jusqu’à 500 pills par bocal, et le seul upper utilisé est bien sûr la coke. C’est exactement la même histoire chez Ike Turner, qui lui aussi a son studio à Los Angeles. Et puis Selvin sort un premier atout de sa manche, l’histoire du chien Gun : «Gun était le pitbull de Sly, il était aussi taré que les gens qui vivaient là. Gun attaquait sans prévenir. Il s’en prenait surtout aux chapeaux. Il attaqua Joe Hicks une fois parce qu’il portait un chapeau. Sly avait aussi un singe, mais Gun tua le singe et l’encula. Comme Gun passait son temps à courir après sa queue, Sly la lui fit couper par un vétérinaire. En rentrant, Gun se mit à courir après son cul. Sly adorait arriver en session avec Gun et voir les gens détaler pour se planquer.» Mais ce n’est pas fini, Selvin a encore des atouts dans la manche, notamment celui-là : Larry Graham, le bassman de la Family Stone. Graham est un playboy, il fait de la concurrence à Sly. Quand Bubba Banks est arrivé dans les parages, Graham baisait Sister Rose. Il baisait aussi Sharon, le femme de Freddie Stone, jusqu’au moment où Freddie s’en aperçut. Alors Sly n’aime pas ça. Dans son studio, upstairs à Bel Air, il commence à jouer tous les instruments, notamment les parties de basse, pour se débarrasser de Graham. Le batteur Greg Errico subit le même traitement : Sly utilise une boîte à rythme. Selvin dit qu’Errico continue d’aller à Bel Air pour enregistrer des pistes, mais elles disparaissent aussi sec. Sly les efface et les refait lui-même. Il vit quasiment dans le studio. Il n’a gardé que sa section de cuivres, Cynthia Robinson et Jerry Martini qui déclare : «Je suis devenu un coke addict, un drug addict, un vrai légume, assis toute la journée, attendant ma ligne de coke comme tous les autres assholes.» Oui car c’est Sly qui distribue la coke à Bel Air. Et lui seul. Et voilà Bobby Womack. Il débarque lui aussi à Bel Air. Il y enregistre son album Communication. Il passe des heures enfermé avec Sly dans le studio, upstairs, cutting track after track - Tape boxes would just pile up. It was how Sly liked to work - Bobby : «Je n’avais pas envie de rentrer chez moi et on a continué d’enregistrer. Sly me disait de chanter ci et ça, il était extrêmement créatif et j’ai fait partie du whole trip. Pour être dans ce genre de trip, il faut le vivre. There was a riot going on up at his house.» D’autres pointures débarquent à Bel Air, comme Billy Preston, Ike Turner, Miles Davis - mostly jamming on keyboards and doing blow, not playing trumpet. It was not hard to detect traces of Sly on Bitches Brew - L’album que Sly enregistre à Bel Air est bien sûr There’s A Riot Goin’ On. Quand les gens du label entendent l’enregistrement, ils sont effarés - unlike anything anyone had heard before, a truly original creation - Stephen Paley : «Sly voulait savoir jusqu’où il pouvait s’éloigner d’un album commercial tout en restant commercial.» On n’entend nous dit Selvin Errico que sur un seul cut. On entend un peu Cynthia Robinson et Jerry Martini qui ont passé des centaines d’heures à attendre qu’on les appelle pour jouer. On entend la guitare de Freddie, mais aussi celle de Sly. On entend un peu Larry Graham, mais surtout Bobby Womack, Jim Ford, Billy Preston et même Miles Davis, tous non crédités. On voit leurs photos dans le montage qui figure au dos de la pochette. Selvin n’y va pas de main morte : «Avec There’s A Riot Goin’ On, Sly a repoussé les limites de la Soul music au-delà de l’horizon. James Brown détient le titre, mais en réalité, c’est Sly qui était devenu Soul Brother Number 1.» Quand il est en ville pour jouer, Sly traîne avec une sacrée bande, Bobby Womack, Jim Ford, Joe Hicks et Eddie Chin, un ex-Marine qui pouvait être dangereux et que connaissait Bubba Banks, au temps où ils étaient tous les deux macs dans le Fillmore district. Eddie Chin s’intéresse de près à la petite sœur de Sly, Vaetta. Selvin poursuit : «Ils venaient tous de voir Orange Mécanique et avaient trouvé le film génial. Il trimballaient tous des cannes et rêvaient de petites scènes d’ultraviolence. Ils fumaient tous du PCP.» Ils commencent par tabasser le roadie Moose qui est accusé à tort d’avoir installé un orgue qui ne marchait pas sur scène. Ils lui tombent dessus à douze, avec des cannes. Orange Mécanique fois trois. Puis ils cherchent Larry Graham pour le réduire en bouillie. Sly pilote l’opération. Miraculeusement Graham et sa poule ont le temps de se faire la cerise avant que le commando d’Eddie Chin ne leur tombe dessus. Selvin conclut son roman noir avec Ken Roberts, le nouveau manager de Sly & The Family Stone. Il va tenter de recoller les morceaux, après Orange Mécanique. Il se rend chez Cynthia Robinson, puis chez Jerry Martini, puis chez Larry Graham in the Oakland Hills - Roberts pensait qu’il y avait eu du grabuge à cause d’une fille. Mais il comprit rapidement que Graham n’allait pas revenir dans le groupe. Mais Roberts n’avait pas compris à quel point Graham était traumatisé. Comme il devait raccompagner Roberts à l’aéroport, Graham vérifia qu’il n’y avait pas de bombe dans sa voiture.

             Alors qu’est-ce qu’on dit ? Merci Monsieur Selvin !

    Signé : Cazengler, Joël Selfish

    Joel Selvin. Smartass. The Music Journalism Of Joel Selvin. Parthenon Books 2011

     

     

    Les Blues Pills tombent-ils pile ? Part Two

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             Pourquoi retournes-tu voir les Blues Pills sur scène ? Sans doute parce que tu es resté la première fois sur une bonne impression. Ça compte beaucoup les bonnes impressions dans ce domaine. De mémoire, il s’agit d’un groupe basé en Suède, autour d’une chanteuse suédoise, donc blonde, et d’un rescapé de Radio Moscow, Zach Anderson. Le nom de Radio Moscow remet tout de suite les pendules à l’heure. Alors autant l’avouer franchement : le groupe n’a d’intérêt que pour la racine moscovite. En 2016, lors du premier concert des Blues Pills en Normandie, Zach Anderson jouait de la basse. Le guitariste était une sorte de jeune prodige français, un certain Dorian Sorriaux, dont le maniérisme sur scène avait un petit côté agaçant, notamment cette manie qu’il avait de lever la bras chaque fois qu’il attaquait un petit phrasé délicat. Toute la différence avec Zach le zigouigoui qui, de l’autre côté, incarnait parfaitement la mad psychedelia, tellement il voyageait sur son manche, et tellement sa chevelure coulait sur ses épaules. Immense présence, real deal de pour-de-vrai, l’exact opposé du pour-de-faux. Six ans plus tard, Zach Anderson se retrouve promu guitariste, en remplacement du jeune prodige maniéré qui a tiré sa révérence.

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    C’est un spectacle que de voir jouer Zach le crack, il fait le show, il tient la boutique, il taille la route, il est partout dans le son, il claque des notes dans tous les coins, il est physiquement absent mais mystérieusement omniprésent, il combine les styles, il va par monts et par vaux, il solote et il rythme, il wahte et il cocote, il est de tous les instants, il monte sur tous les braquos, il incarne le guitariste de rêve, il s’ancre dans les seventies, il affiche une mine sereine sous un déluge de cheveux légèrement frisés, il a même des faux airs christiques, il sent bon le Guitar God, il dégage une odeur de sainteté, il est classique et moderne à la fois, il obtempère et il vitupère, il récupère et il ventre-à-terre, il avale l’highway et il file tout terrain, il disparaît sous l’horizon et revient en trombe, il distribue les vertiges et balaye les vestiges, il aime la vie et se rit de la mort du rock, Zach veille au grain, il préfère l’ivresse à l’ivraie, il cultive l’omnipotence de Montfaucon, l’omniscience de Raymond la Science, l’omniprésence de l’ambivalence, l’omnicoalescence de la concupiscence, il jongle avec les aisances, il donne des antécédences aux connivences, il développe une redoutable richesse de jeu, il en accepte toutes les conséquences, il nous met devant tous les faits accomplis, il tisse des arborescences de stridences, chez lui tout est dense et tout danse, son corps de moufte pas, seules ses mains sont à l’œuvre, il mijote le Grand Œuvre, il transforme le plomb en or du Rhin, il joue les impassibles, il glisse parfois un regard en coin, il semble de plus en plus christique, il crée des climats à profusion, il ouvre des chapitres entiers de confluences, il distribue les luminescences, il est le Descartes des essences, le Des Esseintes des dissidences, il jette des ponts par-dessus les hyperfréquences, il jongle avec les évidences, son jeu passe comme une lettre à la poste, il capte l’attention, il focalise, il dégouline d’excellence, son intelligence de jeu frise l’indécence, on l’accepte tel qu’il est, on se recueille à ses pieds, on reçoit son opulence comme un don du ciel, il distribue sans compter, ses notes sont le pain et le vin, il marche sur l’eau, il est maigre comme un clou, sa barbe ne trompe pas, son jeu sonne comme une parole d’évangile barbare, il ne sourit jamais, il porte sur le public, c’est-à-dire le monde, un regard miséricordieux, tu ne vois que Zach le crack, c’est-à-dire Zach le Christ, les autres le savent et l’acceptent, Zach donne les cartes, il oriente le jeu, il gère le troupeau bêlant des occurrences, il joue les doigts en biais, il chapeaute les truculences, il séduit les réticences, il sème le vent et récolte la tempête, il n’est jamais à court d’idées, il va là où le porte son vent, il tisse inlassablement ses trames, il va et il vient entre tes reins, il ne regarde jamais en arrière, il contemple son horizon intérieur, il tient bon le cap, il magnifie la psychedelia, il veille à ce que jamais le son ne bascule dans le metal, il fait bien la part des choses, il voit clair, il joue sans détours, il multiplie les exploits, son jeu est un spectacle pour qui sait voir, il assure les arrières du rock, il se conforte dans sa mission, il ne baisse jamais les bras, il reste d’humeur égale, il canalise les turbulences, il turlupine les chutes alpines, il trace des tangentes dans les moindres séquences, il prend des virages à la corde et se rétablit par la vitesse, il ne se fait aucune illusion, il sait que l’avenir est devant lui, il croit en lui, alors on croit en lui, il indique la voie, alors chacun peut la suivre, il s’adresse directement aux esprits, il utilise un langage universel, il n’impose rien, il n’ambitionne rien, il se contente d’être là, il se contente de rayonner et d’honorer le manche de sa guitare, il se rit des honneurs, il est libre comme l’air, il ne connaît pas le remords, il ne connaît pas la haine, il joue pour jouer, il enseigne la légèreté de vivre, la liberté de penser, il joue autant de notes qu’on peut en recevoir, il reprend le flambeau des grands guitaristes qui l’ont précédé, inutile de citer des noms, libre à chacun de choisir.

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             Et pendant que Zach le zèbre zanzibarde à boulets rouges, la chanteuse suédoise fait du sport. Elle est arrivée sur scène en collants rouges, chaussée de bottes blanches, et comme la première fois, elle s’est livrée à tout un tas d’exercices de gymnastique. Ah elle est spectaculaire, elle crée des relations intimes avec le public. Le collant rouge ne cache tellement rien de son anatomie que ça devient gênant pour le public. Mais bon, elle fait son cirque et ses spectaculaires génuflexions rappellent celles de Jim Dandy Mangrum, le clown qui chantait dans Black Oak Arkansas, l’un des fleurons du rock comique des Amériques. Elle semble avoir récupéré tous les clichés, c’est la raison pour laquelle on la prenait pour une Américaine. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie. S’il n’y avait pas le spectacle fascinant de Zach le crack, on passerait l’heure de set à éclater de rire.

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             Ce retour en Normandie fait partie de la tournée de promo de leur nouvel album, Holy Moly. Big album.

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    La chanteuse athlétique Elin Larsson est bien meilleure sur disk que sur scène, elle chante comme une lionne dans «Low Road». Zach le crack joue en fond de toile, mais jusqu’au délire. Il amène une wah à la Asheton, il sait concocter une fournaise. On sent Elin Larsson déterminée sur «Dreaming My Life Away». Tout sur cet album est déterminé. Zach le crack fait le son, dans l’ombre. Il veille bien aux tortillettes. Et puis voilà le premier hit de l’album : «California». Elle tartine sa heavy Soul blanche. Elle passe à la hurlette de génie et Zach le crack vole à son secours avec un solo posé. Elle devient stupéfiante, son California sonne comme un choc et elle se transforme en géante. Elle s’implique à fond, comme on dit dans les entreprises du tertiaire. Les Pills dégagent de la chaleur. Nouveau coup de génie avec «Kiss My Past Goodbye». Elle fout la pression et crée une sorte d’ouverture sur l’avenir, c’est dire s’ils sont bons. Elle est très présente dans les chansons, elle regagne énormément de terrain par rapport à la scène. C’est elle, la reine des Pills, elle règne sans partage sur cet album magique. Tout ici est saturé de power. Mais dans «Song From A Mourning Dove», c’est Zach le crack qui mène le bal, avec un solo mélodique qui renvoie directement à Jimmy Page. Zach le crack joue comme un dieu, il reprend la main, il amène un jus énorme avec son solo translucide, il plane un moment et reprend son envol vers le zénith, ah comme ce mec est bon, il abonde dans tous les sens, il gorge les rivières de diamants, il exulte aux quatre vents. Fin de chapitre avec «Longest Lasting Friend» et une Elrin Larsson bonne jusqu’au bout des ongles, elle se bat pied à pied avec sa Soul blanche. Tout à coup, les Blues Pills deviennent évidents.

    Signé : Cazengler, Blues Pelle (In Advance of the Broken Arm)

    Blues Pills. Le 106. Rouen (76). Le 28 juin 2022

    Blues Pills. Holy Moly. Nuclear Blast 2022

     

     

    L’avenir du rock - Hoodoo you love ? (Part One)

     

             Comme il s’ennuyait un peu, l’avenir du rock est allé fureter sur un site de rencontres. Très vite, il a réussi à décrocher des rendez-vous. Oh ce n’est pas très compliqué, il suffit de soigner son orthographe et d’essayer de se faire passer pour un esprit romantique pas trop ombrageux et relativement facile d’accès. Pour se distinguer du commun des mortels, on peut par exemple citer quelques poètes de l’Avant-Siècle ou, quand ça coince, des auteurs plus modernes. Les rendez-vous se déroulent toujours de la même façon : on donne une ou deux indications physiologiques pour la reconnaissance, puis on passe à l’étape du premier regard qui est un regard de jaugeage, suivi d’un regard plus distancié permettant d’apprécier les formes, surtout en hiver quand il y a des manteaux. On passe ensuite à la recherche de l’angle qui va permettre de lancer la conversation, avec si c’est possible une petite pointe d’humour, mais pas trop. L’humour, c’est comme les poètes de l’Avant-Siècle, ça risque de te faire passer pour plus intelligent que tu ne l’es dans la réalité et te voilà coincé. L’étape suivante consiste à consolider les étapes précédentes en proposant de boire un verre. En règle générale, le premier verre est un verre inoffensif, rarement un alcool. Puis vient l’étape des questions censées prouver qu’on s’intéresse à l’autre, alors qu’en réalité la partie est déjà jouée. Quand il écoute l’album d’un groupe qu’il ne connaît pas, l’avenir du rock sait au bout de deux cuts ce qu’il faut en penser. Les rencontres, c’est exactement la même chose. Au bout de cinq minutes, les dés sont jetés. On ne joue les prolongations que par pure courtoisie. Mais il arrive qu’un rebondissement se produise dans le cours de la conversation, disons sous la forme d’un trait d’esprit ou d’une pirouette cacahuète qui pique la curiosité, alors ça conduit naturellement à l’envie d’en savoir plus. Et si on allait dîner ? Bonne idée ! En règle générale et le vin aidant, les langues se délient, la rencontre prend un peu de sens, les heures défilent agréablement, au fil des histoires de vie imaginaires qu’on improvise pour épater la galerie et tout cela se termine automatiquement au fond d’un lit. C’est la seule finalité. Voilà comment se déroulent les rencontres des temps modernes. L’avenir du rock ne s’en satisfait pas. D’ailleurs qui peut s’en satisfaire ? Au fond de lui, l’avenir du rock sait que les histoires anciennes ne le décevront jamais, alors il y retourne.

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             Les Hoodoo Gurus font partie des histoires anciennes. Comme s’ils avaient toujours été là. Comme des chiens fidèles. Ils font leur grand retour avec Chariot Of The Gods. Dave Faulkner vient de remonter le groupe avec Brad Shepherd pour tenter le diable une fois de plus. Par contre, Mark Kingsmill a fini par jeter l’éponge du beurre, après 30 ans de bons et loyaux services et lassé du boredom permanent des tournées mondiales. Les Gurus ont envisagé un moment la fin des haricots, mais Faulkner a sauvé le groupe en embauchant un vétéran de toutes les guerres, Nik Reith, qui a battu le beurre dans les Celibate Rifles, les New Christs et Radio Birdman. Faulkner dit qu’il ramène «a bit more swing, a bit more Charlie Watts.»

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             Leur nouvel album sort sur Big Time, le label qu’ils ont poursuivi en justice en 1988 et qu’ils ont racheté suite à sa liquidation - Keeping the name is poetic justice. Now we control every aspect of our music - Dans Shindig!, Phil Suggitt parle d’un rejuvenated band. C’est vrai que Chariot Of The Gods ne laisse pas indifférent. C’est même un album complètement unexpected. On ne se lasse pas des grandes heures de Dave Faulkner. Depuis quarante ans, il enregistre de grands albums. Si tu commences par écouter «My Imaginary Friend», tu risques de tomber de ta chaise. C’est toujours une bonne chose que de tomber de sa chaise, ça fait circuler le sang. D’ailleurs, on passerait bien sa vie à ca, tomber sa chaise. Avec «Imaginary Friend», Faulkner va chercher la power pop, mais il le fait avec une humilité confondante, ce genre d’humilité qui honore les gens, il joue sa power pop aux arpèges des Byrds, ce démon de Faulkner est capable non seulement d’invoquer l’esprit des Byrds, mais aussi celui de Roky Erickson - That pain is real/ It’s so real - L’amateur de power pop va encore se régaler avec «Equinox». Tu ne pourras pas éviter ce boulet de feu qui t’arrive en pleine poire, même chose avec «Carry On», Faulkner est dans son élément, il reste très cinglant et excessivement inspiré. Il a du poids, un poids qu’il n’en finit plus de jeter dans la balance à la volée. Il a fait ça toute sa vie. Les Gurus, c’est un mélange de volées et de chutes, bing bong, bing dans le plateau et bong de ta chaise. Faulkner renoue aussi avec son cher vieux gaga dans «Don’t Try To Save My Soul», qu’il attaque au mi la ré du vieux gaga de revienzy, comme s’il revenait chercher sa pitance, et ça donne encore un cut violemment bon, il rampe dans son venin, you try to save my soul/ You can’t, personne ne peut le sauver, Faulkner jette encore tout son poids dans la pauvre balance qui n’en peut plus de recevoir des poids. Et voilà qu’il tape dans l’hymnique avec «Settle Down», encore un cut orienté vers l’avenir et monté sur des power-chords extravagants de classe sonique. Tu as tout chez Faulkner, l’Aussie mais aussi l’oss de l’ass. Il faut le voir taper «World Of Pain» au heavy stomp. Il ne lâche jamais sa fucking rampe, il s’implique une fois de plus dans sa perfection. Il ramène toute sa vieille niaque. Tu n’auras rien de mieux que Faulkner, il fera toujours le nécessaire pour que ça sonne, et là mon gars, ça sonne au world of pain. Ça carillonne. S’il fallait évoquer une trilogie Aussie, on dirait : Saints, Scientists & Hoodoo Gurus. Il revient à la vision de la pop avec «Get Out Of Dodge», mais avec une voix plus tranchante. C’est Faulkner, il faut s’habituer à l’idée que ce mec-là ne plaisante pas. C’est un God, il conduit son Chariot, il a créé son monde comme tous les Gods. Il s’y amuse et nous invite à l’y rejoindre. C’est un monde de pop rock. Au bout de quarante ans, son énergie est restée intacte. Logique pour un God, diras-tu. Tu as ces vieux groupes comme Urge Overkill et Hoodoo Gurus qu’on croit en fin de parcours et qui font des albums magnifiques. Faulkner hante le moindre de ses cuts, il couve sa violence dans «Answered Prayers» et puis voilà un «Hanging With The Girls» assez échevelé. Faulkner n’a rien perdu de ses réflexes de punkster, mais cette fois, le cut a le cul entre deux chaises : pop et punk. Quelle énergie ! Brad Shepherd passe même un killer solo, histoire de montrer qu’il n’a pas perdu la main. Faulkner finit l’album avec un hommage à Lou Reed, «Got To Get You Out Of My Life». Extrêmement troublant, car on croit entendre Lou Reed chanter et les tiguilis viennent tout droit d’un album du Velvet. Faulkner est dedans, avec une incroyable facilité à caresser le mythe dans le sens du poil. Il finit en apothéose psychédélique d’I just don’t care.   

    Signé : Cazengler, Hoodoo gouré

    Hoodoo Gurus. Chariot Of The Gods. Big Time 2022

     

     

    Inside the goldmine - Sam Dees soir

     

             Il arriva en avance au rendez-vous. Il postulait pour un job de directeur artistique. Il avait perdu 35 kg pendant les trois derniers mois, mais il se sentait bien, enfin presque bien. Il tenait son cartable en cuir rouge posé sur ses genoux. Il trouvait l’assemblage du tergal bleu et du cuir fauve très graphique. Le hasard relevait toujours ses défis avec succès. Il le constatait une fois de plus. Une petite jeune fille apparut au bout du couloir, ronde, le visage dissimulé derrière une frange brune et des lunettes à montures d’écaille. Elle portait une jupe et manquait tragiquement de sex appeal. Elle se présenta et l’invita à la suivre dans la salle de réunion. Là se trouvaient les jeunes gens qui dirigeaient l’agence. Il fut frappé par leur extrême jeunesse, mais depuis qu’il errait de rendez-vous en rendez-vous, il avait fini par comprendre qu’il ne fallait plus s’étonner de rien. Il se présenta rapidement, feignant la décontraction et, comment dire, la mâle assurance, et ouvrit son cartable pour en extraire des éléments censés illustrer l’étendue de ses compétences. Il vit les visages de ses interlocuteurs rester de marbre, mais ça ne le décontenançait pas, bien au contraire. Il préférait ne rien avoir en commun avec ces gens visiblement superficiels et stupides, que des familles friquées avaient lancés dans le business, leur offrant de luxueux locaux à Boulogne, de la même façon qu’on leur avait offert dix ans plus tôt une magnifique station de jeu vidéo importée du Japon. Il ramassa ses éléments, sentant que l’entretien touchait à sa fin. La petite jeune fille ronde qui l’avait accueilli n’avait pas dit un mot. Elle s’était contentée de l’observer, notant qu’il ne faisait pas grand chose pour dissimuler son mépris. Elle regrettait que l’entretien se terminât aussi mal. Il aurait pu amener en plus de son expérience la maturité nécessaire dans un environnement aussi fragile que celui d’une agence, car enfin, ce n’était pas un jeu. Dommage. Il l’aurait sans doute invitée un soir à dîner et l’aurait ensuite ramenée chez elle en voiture. Il aurait posé sa main entre ses cuisses pour découvrir qu’elle ne portait rien sous sa jupe. Elle aurait alors ouvert sa bouche en grand pour recevoir sa langue. Puis elle aurait prétexté du fameux ‘jamais le premier soir’ pour lui souhaiter un bon retour et rentrer chez elle. Sous la douche, elle aurait fini de se masturber puis pour se détendre avant de dormir, elle aurait mis sur la platine ce disque qu’un ami lui avait offert et dont elle ne savait rien, un Dees machin chose. Comme elle aimait à le rappeler à ses copines, elle adorait ne s’intéresser à rien.

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             Dommage qu’elle ne s’intéresse à rien, car Sam Dees fait partie des auteurs classiques de la Soul. ‘Auteurs classiques’ est une formulation qui s’applique aussi à Flaubert, Maupassant et Stendhal. Sam Dees partage ce privilège avec George Jackson, Van McCoy, Allen Toussaint et quelques autres. Cet Alabamien a enregistré très peu d’albums, s’étant surtout consacré aux autres.

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    En 1975, il était sur Atlantic avec The Show Must Go On. On peut bien parler d’un album génial. Des cuts comme «Child Of The Streets», «Claim Jumpin’» et «What’s It Gonna Be» figurent parmi les plus beaux classiques de la Soul. Le son est plus Atlantic que Motown, perdu dans une marée à venir. Sam groove à l’urbain, il fait planer sa Soul comme un suspense, «Child Of The Streets» est plein de watcha gonna do. Sam monte sa Soul en neige comme le fait Marvin, il est soutenu par l’énorme bassmatic de David Camon. Par contre il attaque son «Claim Jumpin’» à la Clarence Carter, avec une férocité sans égale, épaulé par un son de rebelles, alors ça donne du rouleau compresseur avec des coups de wah. Sam dégage autant que Sly, te voilà au paradis du Soul power. Il charge encore sa barque pour «What’s It Gonna Be», il chauffe ça au oouh oouh yeah yeah de groove suprême, il chante à la rauque dans le vent de l’action, il charge à l’infini. «Come Back Strong» est plus dansant mais assez dément. Il ménage la chèvre et le chou avant d’exploser la Soul comme un fruit trop mûr. Il faut le voir filocher ses you you, il règne sur le dance floor, il chante à l’énergie. «Just Out Of My reach» sonne comme le slowah de rêve. C’est une merveille absolue. Sam est le grand architecte de la Soul, to all the people, il chante comme un dieu. Il monte sa Soul en neige comme nul autre. Avec «Good Guys», il propose la Soul des jours heureux. Sa façon d’attaquer est unique. C’est d’un niveau qui nous dépasse. Sam Dees crée de l’enchantement dans chacun de ses cuts.

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             Alors après on entre dans le territoire sacré des compiles Kent Soul avec celle parue en 1995, Second To None. Rien qu’à voir la pochette, on sait que c’est une compile énorme. Sam Dees porte des lunettes noires et penche légèrement la tête de travers, comme un black God. Sam est Soul jusqu’au bout des ongles, comme le montre «Home Wreckers», amené sur un beat de velours. Sam entre dans la danse, le beat du bassmatic bat comme un cœur. On attaque le cycle des énormités avec «The World Don’t Owe You Nothing», amené à la violente aménité de modernité, Sam does it right, il fait du r’n’b organique. On entend bien le souffle du chant et le hit hat derrière. Il se monte spectaculaire dans sa quête du slowah pur («I Like To Party») et chante parfois sa Soul à la concorde du pendu («I’m Gonna Give You Just Enough Rope»). Il se fait chevalier pour attaquer «Cry To Me» - If you’re falling down/ I’ll be there - Sa Soul explose, il la gratte pied à pied et ça bascule dans la magie. On le voit se battre à l’ancienne, il passe partout comme une lettre à la poste, son «Vanishing Love» flotte dans le mercure, monté à la mélodie chant, on croit entendre Marvin. Sam combine le power et la beauté, même les riffs de guitares sont magiques, comme le montre «Nothing Comes To A Sleeper But A Dream», Sam en fait un heavy blues souterrain qu’il allume au chant de Soul Brother. Il chante encore «I Wish That Could Be Him» à la dérive mirifique, il n’en finit plus d’aller chercher la Soul d’Alabama, ça frise la grâce de Dieu en permanence («You’ve Been Doing Wrong For So Long») et il développe encore une fantastique qualité du groove avec «Win Or Lose», il caresse son groove dans le sens du poil, pas de problème, vas-y Sam ! Il faut le voir attaquer «Run To Me» au bas de l’échelle, c’est du pur Soul genius - I’ll be by your side yeah-eh - Ce ne sont que des petits joyaux inexorables. Il refait du Marvin avec «Touch Me With Your Love» - C’mon babe turn this boys into a man - On se croirait sur What’s Going On. Il presse sa pulpe au soleil de la Soul.

             Dans les liners, John Ridley nous explique que la rareté fait la valeur de Sam Dees. Il était connu pour ses qualités de songwriter - High quality melody and a profundity of lyrical content - C’est en Angleterre, via le «groupe d’enthousiastes» Voices From The Shadows qu’il finit par obtenir une vraie reconnaissance. Pas évident pour ce black originaire de Birmingham, en Alabama. Des gens comme Clarence Carter, ZZ Hill, The Persuaders et Tyrone Davis ont enregistré ses compos dans les années 70. Sam produit aussi des stars inconnues comme Rozetta Johnson, Jean Battle et Bill Brandon. Puis il est repéré par Atlantic et The Show Must Go On, dont on vient de parler, est aujourd’hui considéré comme one of the great Soul sets of all time. En 1977, Sam part s’installer en Californie et, dans les années 80, il monte son label Pen Pad. Oh pas grand-chose, trois albums, mais bon courage pour les choper. 

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             Parue en 1998, The Heritage Of A Black Man est encore une compile Kent qui rassemble étrangement à un passage obligé, rien que pour le morceau titre d’ouverture de bal, une rétrospective qui rappelle les souffrances des good niggers, et là, Sam part en Soul motion comme un prêcheur, c’est très pur, très politique. Il donne ensuite de l’élan à sa Soul pour «Why Must I Live In Chains», il fait une Soul d’aile d’avion, il traverse le ciel comme Marvin - When I look at this world/ Oh nahhh/ It makes me sick inside - Il veut savoir, tell me why/ Somebody, le pourquoi des chaînes - Why must I live in chains - Tous ces cuts sont puissants, Sam propose une Soul de haut niveau, une Soul d’Ok baby, I can’t believe it («Reconsider Baby»), il peut dégager autant que les Four Tops («Standing In The Wings Of A Heartache»), il peut développer une Soul de satin jaune («Nothing But The Best Of Luck My Friend»), il maîtrise tous les genres, y compris la good time music («Lovers Or Enemies»), il adore se glisser dans les draps de satin jaune pour y retrouver une petite pute palpitante («Love Calls»), tous ses cuts sont triés sur le volet, il navigue aux confins de la Soul et du gospel, il a derrière lui tous les chœurs du monde («Caught Up In This Good Woman’s Love»), il touche même au charme de chèvre chaud («Personal Woman»), il faut voir comme il la chauffe sa Personal Woman, il n’hésite pas à ramener les tiguilis du «You Keep Me Hanging On» des Supremes. Avec «Black Tattler», il va dans le deep groove de Marvin et rippe sur les couches atmosphériques, puis il remonte la pente de la Soul avec «What Goes Around Comes Around», il allume très vite sur les cuts assez courts, c’est l’apanage des géants. Il enchaîne avec une Soul d’hey hey hey qui résonne comme une clameur («Why Must I Be In Love Alone»). Puis avec «Just As Soon As The Feeling’s Over», il plonge dans la meilleure Soul d’It’s alright, Sam drive sa chique au power pur. Il est bon sur tous les coups, chaque fois, il tape dans le mille de la Soul, il est un peu comme O.V. Wright, il vise la Soul d’haleine chaude. Il rebondit vers l’avenir avec «I Be Myself», il est spectaculaire, il fait une Soul magique, il peut allumer dans tous les registres et rester dans l’harmonie universelle. On suivra donc Sam jusqu’en enfer, c’est un homme puissant et gentil à la fois, un fantastique Soul Brother, il continue de chanter sa Soul avec un regain d’excelsior («Something About The Way I Feel»), son ah-la-la va te transpercer le cœur, et il traîne un ehahhh dans le sillage argenté de sa révérence.

             C’est encore John Ridley qui se tape les liners de The Heritage Of A Black Man. Il explique que cette deuxième compile est la réponse d’Ace aux gens qui ont demandé du rab. Ah vous en voulez encore ? Alors voilà ! Ridley perce le secret de Sam : «À travers sa passion, il a une extraordinaire facilité à transcender un ordinary lyric pour en faire quelque chose de spécial.» Ridley parle bien sûr de l’interprétation. Ridley dit aussi que les cuts de cette deuxième compile sont plus politiques, car, comme on l’a vu, Sam évoque l’esclavage and its enduring aftermath. Dommage que Ridley ne songe pas à faire le rapprochement avec J.B. Lenoir, lui aussi originaire d’Alabama - I never will go back to Alabama/ That is not the place for me/ You know they killed my sister and my brother - Sam vivait alors essentiellement des compos qu’il vendait : «Standing In The Wings Of A Heartache» à Ben E. King et à Ted Taylor, «What Goes Around Comes Around» à Bobby Patterson, «Just As Soon As The Feeling’s Over» à Margie Joseph, et bien d’autres encore, comme le montre cette autre compile parue en 2014 : One In A Million (The Songs Of Sam Dees).

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    C’est une pépinière de coups de génie et d’artistes faramineux. Tiens, par exemple Corey Blake avec «Your Love Is Like A Boomerang», voix d’une grande intensité, pas loin de celle d’Al Green. Ou encore Sidney Joe Qualls avec «Run To Me», ce mec tombe comme une poudre de perlimpinpin dans le diskö funk de Sam. Pur génie ! Et puis bien sûr Anita Ward avec «Spoiled By Your Love», elle y va doucement, l’Anita, c’est la Soul de Memphis. Puis il y a une pléthore d’interprètes fantastiques, à commencer par Sam qui tape son «My World». Il se bat pied à pied avec sa Soul, il chante à la surface du monde, on ne voit plus que lui. Il assoit la puissance fondamentale de la Soul. Puis on a un enchaînement de quatre coups de génie avec Rozetta Johnson, Esther Phillips, Ted Taylor et Jackie Wilson. Rarement on trouvera des compiles d’une telle densité. Rozetta t’explose «A Woman’s Way» au petit charme mutin, elle ramène tout le power du sucre. Le sucre, c’est le domaine d’Esther, elle jazze «Cry To Me», elle est la plus démente de toutes, elle pousse des pointes et groove sa chique comme la reine des reines, Billie Holliday. Il faut voir Ted Taylor à l’œuvre avec «Standing In The Wings Of A Heartache», il monte le power de la Soul à la puissance mille des Temptations, il groove à la voix extrême, on grimpe à l’apogée de la Soul, au dessus, il n’y a plus rien. Si, il reste encore Jackie Wilson, l’un des plus grands chanteurs d’Amérique, avec «Just As Soon The Feeling’s Over», ce démon de Jackie l’attaque de biais, il rend hommage au génie de Sam, alors forcément, on imagine le résultat. C’est la Soul à l’état le plus pur. D’autres pointures extraordinaires sont là aussi, comme les Chi-Lites et Clarence Carter, et puis Millie Jackson, avec «Mess On Your Hands», elle est d’une présence exceptionnelle, pas étonnant qu’Ace ait réédité tout son catalogue. À côté d’elle, Tina, c’est du menu fretin. C’est Millie qu’il te faut si tu veux du hot sous ta hutte. Elle est profondément intense et délicieusement trash. Encore une voix de rêve avec Ray Crumley et «Good Guys Don’t Always Win». Il sonne comme un charmeur fondamental. Encore un coup de génie avec Les McCann et «So Your Love Finally Ran Out (For Me)», Les démonte la Soul au cœur du groove, un vrai démon ! Puis ça explose de plus belle avec Loleatta Holloway et «The Show Must Go On», elle y va au super-froti, ça devient vite torride, elle démarre à la racine du make believe, mais elle se situe à un autre niveau, elle absorbe l’univers, elle dégage un truc que tu ne connais pas, le groove des étages supérieurs, elle se répand à la surface du monde, comme Sam, Esther et Rozetta, entourée de violons, elle explose là-haut, la petite Lol est une folle de la Soul, oui elle explose littéralement. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Les Temptations tapent «What A Way To Put It» au velouté de la pantoufle et les LTD nous balancent avec «When Did We Go Wrong» l’un des pire heavy grooves de l’histoire des heavy grooves. Encore trois énormités : Gladys Knight & The Pips avec «Save The Overtime (For Me)», un fantastique diskö-funk de Sam, Johnnie Taylor avec «Seconds Of Your Love», le temps de nous rappeler qu’il est le Soul Brother Number One, et l’indicible Larry Graham, ex-bassmatiqueur de Sly, avec «One In A Million You». L’excellentissime Larry Graham est aussi un apôtre de Sam Dees. 

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             Au dos de la pochette de Take One: The Origin Of Twelve 70s Soul Masterpieces, Ady Croasdell nous rappelle que les cuts de Sam rassemblés sur les deux compiles Kent sont des démos très abouties. Il s’en servait pour vendre ses compos à d’autres artistes. On retrouve donc sur Take One cinq cuts rassemblées sur Second To None, à commencer par ce fantastique groove de Soul qu’est «Good Guys Don’t Always Win», «False Alarms», ou encore le puissant «The World Don’t Owe You Nothing» digne des Tempts, «Touch Me With Your Love» digne de Marvin, même élan de go on/ go on/ touch me with your lip, et «Who Are You Gonna Love». Puis cinq autres merveilles tirées de The Heritage Of A Black Man, la heavy Soul tentaculaire de «Con Me», «Only Lonely People», «Black Tattler» et sa fantastique ampleur, Sam y frise le Shaft avec des assauts à la James Brown, l’extraordinaire «Standing In The Wings Of A Heartache», hit de Soul de Tempts repris par Ted Taylor, et «Just As Soon As The Feeling’s Over», puissant jusqu’au bout des ongles. Pour parfaire cette belle compile, les gens de Kent ont rajouté l’«I Know Where You’re Coming From» de Loleatta Holloway, que Sam prend en finesse épidermique pour en faire une pop de Soul infernale, ça fond dans la magie avec des relents de clavecin et un léger fouetté de peaux.

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             La dernière compile Kent Soul en date s’appelle It’s Over (70s Songwriter Demos & Masters). Inutile de dire que cette compile est une bombe, une de plus. La grande spécialité de Sam consiste à créer la surprise. Voilà un exemple : le «Today Is A New Day» d’ouverture de bal. Le cut se présente comme un vieux r’n’b propulsé par une bassline qui ne connaît pas la crise et soudain Sam s’en vient chanter au sommet du beat, c’est excellent, bien exacerbé, une pure merveille de détermination, avec des petits solos de guitare évangéliques au coin de chaque rebondissement. Incroyable ! Ça sonne comme un classique oublié, le son est extraordinaire. Il claque son «I’m Your Biggest Fan» au-devant du groove, on ne peut pas résister au charme de ce son. Il fait de «Singing Poverty» un chef d’œuvre de Soul blues. Il fait aussi une Soul d’église avec «Married But I’m Still In Love», il profane la préciosité, il nous fait le coup des chœurs de fantômes. Il revient en force au groove magique avec un «Someone To Run To» digne d’Isaac Hayes, Sam coule le caramel d’une Soul immense et avec «Gimme A Little Action», il s’en va groover entre les cuisses d’une bonne amie, il est en pleine Soul de sexe, on a là un fabuleux groove bombardé de basse. Back to the badass r’n’b avec «What Good Is A Love», Sam excelle dans le blew my mind. Il allume «Claim Jumping» au cri de brûlé vif et des petites guitares vipérines lui percent les côtes. Méchante merveille de weird Soul, tordue comme un tire-bouchon ! C’est une pure exaction de Soul sauvage, pas cultivée et indomptable. Et il passe au coup de génie avec «What’s It Gonna Be», groove sublime, Sam est là, il palpite, oh yeah ! Il refait son Marvin et geint comme un dieu mélancolique. Il refait encore son Marvin avec «Touch Me With Your Love». Avec Sam on n’en finirait pas.

    Signé : Cazengler, Sam dîne

    Sam Dees. The Show Must Go On. Atlantic 1975

    Sam Dees. Second To None. Kent Soul 1995

    Sam Dees. The Heritage Of A Black Man. Kent Soul 1998

    Sam Dees. Take One: The Origin Of Twelve 70s Soul Masterpieces. Kent Soul 2014

    Sam Dees. One In A Million (The Songs Of Sam Dees). Kent Soul 2014

    Sam Dees. It’s Over (70s Songwriter Demos & Masters). Kent Soul 2015

     

     

    FERTOIS METAL FEST # 4

    10 – 11 Septembre 2022

     

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    Nous étions le 19 septembre 2020 au Fertois Rock Fest n° 2 - voir KR’TNT 477 du 24 / 09 / 2020 – nous voici au 4, nous ne faisons jamais d’impairs, commençons par ce qui n’a pas changé : le portail de l’entrée. C’est tout. Sur tout le reste la bestiole a méchamment grossi, avant : un jour, une scène, sept groupes, quelques stands disséminés au hasard la chance, maintenant, deux journées, deux scènes, dix-huit groupes, et une rangée de boutiques dans un alignement digne du campement d’une légion romaine. L’on n’ose rien projeter pour le N° 5. Sachez toutefois que Yoann Moret, c’est lui le fautif, s’est déjà mis au travail. N'est pas tout seul, Yoann a su s’entourer d’une armée de bénévoles méchamment efficaces, jamais un goulot d’énervement, ça coule comme une pompe à bière et l’on se sent aussi à l’aise qu’une frite dans son bain d’huile.  J’ai oublié l’indispensable, la tour de contrôle sonore et ses deux équipes qui n'ont jamais failli. Le tout pour vingt-cinq euros. Des bienfaiteurs de l’humanité.

    Quelques mots pour les lecteurs angoissés, je n’ai vu que sept groupes, le dimanche.

    E-RUINS

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    ( Photo : Dwidou photography )

             Avant il existait les terribles douze coups de minuit, c’était craignos. Du moins on se méfiait. Ou on faisait semblant. C’est que l’on n’avait jamais entendu les treize coups fatidiques de la treizième heure. E-Ruins a commencé pile à ce moment précis. Le soleil tapait dur. L’a été vite éclipsé. L’on était presque heureux, ne sont que trois, ne vont pas faire beaucoup de bruit. Certes du metal, mais il ne faut pas exagérer. Quelques exaltés dans le public ont hurlé Bagarre ! Massacre ! et l’infamie a débuté. Beegood s’est levé, avec sa barbe blanche et sa haute stature, ressemblait à un jarl menant l’attaque debout à la proue de son drakkar, l’a brandi ses baguettes bien haut comme s’il tenait une hache d’abordage dans chacune de ses deux mains et le carnage a commencé.

             C’est un joli nom E-Ruins, il évoque les ruines de Pompéi et le nuage de soufre et feu qui s’est écrasé sur l’innocente cité, R-Ruins c’est la poésie des ruines, pas celles ornementées d’une guirlande de lierre ou de touffes d’acanthe que broute nonchalamment une chèvre au long poil soyeux sur les cartes postales, non E-Ruins vous transporte au cœur de la destruction, en ces instants suprêmes et terribles où les murs s’écroulent sur les cris de mourants agonisant dans les flaques de sang.  Oui, E-Ruins ce n’est pas gentil. Oui, mais c’est beau.

             D’une beauté sauvage. Pourtant vous n’avez pas encore tout entendu.

    Begood ne se contente pas d’actionner les marteaux de Vulcain, c’est le tonnerre de sa voix qui vous écrase, une masse phonique qui vous ensevelit sans pitié et sans remords, ce n’est pas tout, quand vous recevez un boulet de canon qui vous coupe en deux, le plus dur c’est d’entendre la détonation qui arrive dans vos oreilles alors que vous êtes à terre, que  voulez-vous attendre d’un guitariste – se nomme T-Die, avez-vous besoin d’un cours d’étymologie - qui joue d’une guitare fourchue à l’image des cornes du diable, rien de bon si ce n’est le plaisir sadique de répondre au chant de Begood, par le contre-chant  d’une seconde d’écart, le coup de marteau qui s’en vient écraser la tête du pieu que Begood vient de planter dans votre poitrine. De l’autre côté de la scène le numéro trois fait le mec sérieux. S’occupe de sa basse. De temps en temps, un sourire sardonique éclaire sa face, vite effacé, pas franc du collier le gazier, y’a un truc qui m’inquiète, questions ondes sombres et glissements de cette matière noire et inerte que les physiciens n’arrivent pas à repérer dans l’univers, pas de problème, vous les produit en masse, juste pour ajouter un peu plus de chaos dans  un monde qui n’en a pas besoin,  non ce que je trouve étrange c’est qu’il use de sa basse comme d’une guitare solo, bizarre, vous avez dit blizzard ? D’autant plus que le délicieux vacarme s’arrête pour une annonce inouïe : ‘’ Nous allons faire de l’échangisme’’ ni une ni deux et hop échange d’instruments, je prends la basse et tu prends la guitare. Et ça repart comme en 14, quoique nous devrions mieux dire vu l’actualité comme en 2022.

             Si vous croyez qu’entre-temps Begood a mis de l’eau dans son volcan, vous avez tout faux, use d’une terrible tactique battériale, vous lance le galop dévastateur de douze divisions lourdes de cuirassiers, et brutalement le tonnerre de Thor qui s’avançait vers vous stoppe sans préavis et est immédiatement remplacé par les clairettes castagnettes  des sabots d’une escouade de cavalerie légère, pas le temps de réaliser que la lourde fureur des cataphractaires vous passent sur le corps sans préavis.  C’est ingénieux, c’est rusé, c’est méchant, mais c’est indéniablement magnifique ce clignotement printanier de la face claire du yin dans le côté obscur de la force tempétueuse du yang.

             Bref une ouverture en fanfare à grosse caisse tonitruante pour cette deuxième journée. Vous aimeriez les entendre encore un peu, je cède à vos désirs

    MUSIC FOR DISBELIEVERS

    E-RUINS

    ( Demo & Sudio Early Years / Limité à 150 exemplaires )

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             Musique pour les mécréants, dès le titre l’on a compris qu’on n’était chez les Petits Chanteurs à la Croix de Bois, rajustez vos bésicles, non ce n’est pas un buste de Louis XIV affublé de lunettes noire, mais une tête de mort qui vous sourit de toutes ses dents, porte en pendentif une croix inversée… Sur la galette, Eros et Thanatos même combat.

    T-Die : guitars & vocals / Lino : guitars / Begood : drums & vocals / Kevin : bass

    Pope is dead : ( 2021 ) : ce n’est pas le ‘’Dieu est mort’’ nietzschéen, toutefois c’est la même idée, une musique que l’on qualifiera de nihiliste, genre on traîne un cercueil avec une corde jusqu’au cimetière, même qu’ils semblent pressés d’en finir au plus vite car ils accélèrent sur la fin. Pas étonnant que plus loin ils s’offrent une reprise de Sepultura. Do you feel my dick : ( 2021 ) : m’étonnerait que les ultra-féministes l’adoptent comme hymne national ; dommage car ça fait du bien par où ça passe, je vous rassure dans nos oreilles, besognent dur, sombre et joyeux en même temps, preuve que parfois là où il y a de la gêne il y a aussi du plaisir. La guitare gémit curieusement. Arrêt brutal. Coïtus interrompus en latin. See you dead : ( 2021 ) : changement de climat, après l’amour, la mort, grognements vocaliques, pressurage phonique, grande menace, quand ils ralentissent c’est encore plus inquiétant, alors ils foncent à toute allure vers une méchante explication avec ce grincement de caterpillar qui recule sur votre corps, vous vous hâtez de ressusciter rien que pour réécouter ce morceau fabuleux. The blood will flow : ( 2021 ) : le sexe, la mort, et la troisième sainteté de la trinité, la violence, un vocal qui miaule d’ excitation fondu dans  un magma d’orages électriques, une espèce de broyeuse géante vous réduit la chair humaine pantelante en charpie. Information means perversion : ( 2021 ) : ne faut pas prendre E-Ruins pour les gosses du voisin qui passent leur temps à faire du bruit pour le plaisir de vous embêter, quand ils réfléchissent ils ne disent pas n’importe quoi. Je reconnais toutefois que question volume sonore ce morceau dépasse les deux précédents, se surpassent dans l’imprécation vocale et l’éruption volcanique. Ces sessions de l’année derrière valent leur pesant d’or. D’or fin, parce que c’est voluptueusement bien mis en place.

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    Rot in peace : ( 2017 ) : quand ils étaient plus jeunes ils avaient déjà un petit mot gentil à vous adresser, gentil mais tout de suite l’atmosphère devenait lourde et pesante, à la manière dont Eric frappait sa batterie vous compreniez qu’il confondait sa caisse sombre avec votre figure. Question vocal, style grognement de chien de combat qui vous a agrippé la jambe et qui dévore votre cuisse. Oui, ça chatouille, mais vous aimerez. Drumanima : ( 2017 ) : les batteries ont-elles une âme, faut croire que si, car celle d’Eric tonne à la manière de la colère de Zeus, les guitares soufflent des nuages de grêle, et la voix qui tombe des cieux en avalanche de rochers vous écrase sans faillir. Parfait pour le générique d’un film qui retracerait la guerre des Dieux contre les Titans.  Where is god : ( 2017 ) : la question insidieusement franche par excellence du mécréant qui cherche à en découdre, les tambours martèlent dur et le ton est quelque peu agressif, comme il ne reçoit pas de réponse satisfaisante, il la pose une deuxième fois d’une façon légèrement plus courroucée, maltraitance de cymbales éhontée, n’en démordent pas, veulent une indication précise, sur la fin il semblerait qu’il y ait une distribution de grosses gifles gratuites. Made in hell : ( 2017 ) : sont pleins de contradictions, ne croient pas en Dieu mais n’ont rien contre l’enfer, doivent le trouver délicieux à la manière dont rebondissent les cahots de la batterie, les guitares rajoutent quelques étincelles de kaos pour faire bonne mesure, el la voix d’Eric est un brasier dévorant qui s’étend sur le monde. Que du bonheur pour les amateurs de metal.  Oui-Oui is not dead : ( 2017 / cover : Ludwig von 88) : changement de rythme, l’on quitte le metal pour le rock alternatif, on aime bien Enid Blython mais l’on préfèrerait lire Le masque de fer d’Edmond Ladoucette beaucoup plus métallique. March for war : rien de tel qu’une petite guerre pour améliorer la situation, au pas cadencé et au pas de l’oie, marche implacable, humour noir. Freedom : antithèse du précédent, guitares apaisantes, dépressurisation phonique, la liberté n’est pas donnée, elle se mérite, aussi dépensent-ils un maximum d’énergie. See you dead : retour du leitmotive de la mort, partout où vous vous tournez elle est là devant vous, version moins tonitruante que celle début du disque, davantage hachée moins cataclysmique, en fin de compte n’est-ce pas la mort qui gagne la partie… In the name of… : shuffle de locomotive, le vocal mangé par les bielles, E-Ruins misent davantage sur la vitesse que sur la lourdeur de la masse, halètements terminaux, le train s’éloigne dans le lointain. Refuse / Resist : ( live / reprise de Sepultura / feat : Raphael de Kamala ) : E-Ruins ne se refuse rien et résiste pleinement avec la comparaison sépulturienne, plus rapides, plus incisifs, plus kaotifs, plus volumiques, plus, plus… Orgasmic ghost head : ne pas confondre avec Head Goat Soup, ici la chevrette perd la tête mais elle n’est pas mangée, juste croquée, à la manière dont elle geint l’on suppute qu’elle prend son pied. L’on a enfin la réponse à la question posée dès le deuxième titre.

             Ce CD ravira les adeptes du genre.

    PTK

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    ( Photo : Dwidou photography )

    Trois lettres innocentes, genre Poste & TéléKomunication, hélas non, derrière ce sigle anodin se cache, Pleasure To Kill, plaisir de tuer, je vous rassure tout de suite, ce ne sont pas des tueurs en série, même pas un petit cadavre par-ci, par-là, derrière un ampli par exemple, non lorsque nous écouterons leur disque ( voir ci-dessous ) vous comprendrez que leur nom n’est pas une incitation à tuer son prochain juste pour le plaisir, voire pour passer le temps sans s’ennuyer, l’est à comprendre comme un simple état des lieux, une définition rapide et incisive de notre monde à la dérive, ce ne sont pas les gens qu’il faut tuer mais tout le système coercitif qui opprime de plus en plus durement la population. Joie de détruire les chaînes mentales et physiques qui nous emprisonnent ! Sans pitié. Ni faire de prisonniers.

    Trois barbudos. Didier drumme dur. Devant s’agitent les deux pointes de la fourche guitarique (emblème des antiques révoltes) à deux dents. Incapables de rester en place. Ne jamais être où l’ennemi vous a repéré. Sont deux, mais utilisent trois micros. Surtout Dums, l’est à la basse, au vocal et plus important à la gouaille, l’a la répartie incisive, se saisit de toutes les interjections venues du public, en transforme certaines en sketchs désopilants, n’empêche que quand il lance un titre l’on comprend qu’il n’est pas là pour rigoler, ou faire mumuse, sa voix gronde et transperce, pas de cadeau, il assène, faut qu’en face ça morfle en pleine trogne, une fois à droite, une fois à gauche, une fois au centre ( ces indications géographiques n’indiquent aucun opportunisme    politique ), l’est solide campé sur ses jambes, de sa basse s’échappent des ondulations frénétiques noires, de la même couleur que les étamines de la révolte.

    Jean-Mi à la guitare semblerait plus discret. Un sacré boulot à effectuer. Ce n’est pas qu’il soit seul contre les deux autres c’est qu’il veille à leur jonction. L’est sur la crête du partage des eaux, Didier pousse et retient, ouvre les écluses et les referme, l’eau noire de la basse s’engouffre dans le réseau labyrinthique dans lequel il la canalise, lui barre le passage pour la mieux laisser filer par la suite. Didier veille au grain, quelque part il essaie de mettre de l’ordre au flot ininterrompu, Jean-Mi organise les débordements, l’est davantage sur le contre-riff que sur le riff, entendez par cette formule qu’il a toujours une longueur d’avance sur ses complices, ce qui donne à son jeu une étonnante liberté, magnifique travail effectué par ce trio, la formation reine du rock ‘n’roll, un régal de les entendre, et un plus grand baltringue encore à les voir, aucun effort, jouent comme ils respirent, pas de difficulté mais ne se permettent aucune facilité, l’est clair qu’ils ne sortent pas de l’œuf, mais il y a longtemps qu’ils ont tué et mangé la poule.

    N’ont pas mis longtemps pour se mettre le public dans la poche. De tous les groupes chroniqués, c’est celui qui a paru le moins prisonnier de sa propre musique. En accord avec leur propre idéologie.

    LE CARNAGE

    PLEASURE TO KILL

    ( 2010 / Octobe 2010 ) 

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    Couve sans ambiguïté, ciel de flamme, maisons et église en feu, véhicule, sans doute une ambulance, auréolé de vastes taches de sang… de toutes les espèces animales l’Homme est la pire…

    Berny : guitare / Bastos : batterie / Dums : basse + voix / Jean-Mi : guitare.

    Diviser : bien sûr ils font de la musique, mais elle est juste le support des paroles, un background d’accompagnement, elle ne cherche pas à attirer l’attention, hachis battérial et guitares fonceuses, ce qui compte c’est le message, politique, ne pas se diviser, beurs, blacks, blancs, tous unis, les politiciens cherchent à rompre cette union, ne vous trompez pas d’ennemi. Cancer : background un peu moins binaire, beaux roulements de batterie, vocal davantage exacerbé, c’est qu’ici plus d’appel à l’union sacré, désignation de l’ennemi : les religions, elles promettent de te rendre libre mais t’enferment dans des lacis d’interdiction, il est temps que survienne le grand clash, les dogmes engendrent la division et la mort, final déchiré, combat terminal contre les métastases prolifiques qui se répandent dans les cerveaux humains. Carnage : une seule solution, la destruction, la violence du système t’oblige à contre-attaquer, la musique claque comme des coups de fusil, vocal enragé, guitare d’assaut. L’on ne peut s’empêcher de penser à Trust. Katho-Vice : attaque délibérée contre l’église catholique et ses violences pédophiliques, accompagnement au couperet, condamnation sans équivoque. PTK ne fait pas dans la dentelle, hurle sa haine et vomit son dégoût. A bout portant. CIA : regarder le monstre au fond des yeux, le nommer, dénoncer ses agissements, le défier, ne pas avoir peur, reconnaître sa puissance, vocal sulfateuse, musique bulldozer, ne plus se taire quitte à y laisser sa peau. Les chants les plus beaux sont les plus désespérés. Désert de sang : cymbales en suspension, constat froid et lucide des crimes cachés, exaspération devant ces fleuves de sang versés par les services chargés du nettoyage des opposants de toutes sortes. Vocal char d’assaut ironique et musique lance-flamme. Les pires : l’autre côté du miroir, les véritables coupables sont aussi ceux qui se laissent pervertir par le système médiatique. Vendent leur dignité pour passer à la télé, les pires sont ceux qui regardent et qui ont rayé le mot révolte de leur cerveau. Profond dégoût de la commune humanité. Envie de tout détruire.

             Une certaine poésie hypnotique dans cette flambée de haine et de fureur. Aucun repos, aucun bémol, aucune excuse, un réquisitoire sanglant et sans pitié. Mal pour mal. Certains pourraient trouver ce parti-pris un peu brutal. C’est qu’ils n’aiment pas qu’on leur ouvre les yeux sur ce qu’ils savent déjà. Courageux.

             Trop dur ? Non, simplement hard.

     

    THE WARM LAIR 

             Difficile d’écrire cette chronique, en fait très facile, trois mots suffisent à le résumer ROCK ‘N’ ROLL, que rajouter de plus, Chrisled – voir son groupe privé Metalleux by Chrisled – n’a guère été plus éloquent que moi lorsque le set terminé il a jugé  le concert en une phrase définitive ‘’ Un bon groupe de rock ‘n’roll comme je les aime !’’ et Chrisled, appareil photo à bout de bras, des groupes de metal et de rock il en a vu des tonnes. Avis de connaisseur.

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    ( Photo : Dwidou photography )

             Rien que le début vous obligeait à dresser l’oreille. Sont quatre immobiles. Ne cillent pas d’un œil. Ne touchez pas c’est brûlant, vous êtes avertis. Tant pis pour vous. A la technique on lance leur sampler, facilement identifiable, l’intro The four young wolfes de leur dernier album, Ride on our side, imaginez un mix d’Apache des Shadows, d’un générique western d’Ennio Morricone et de Ghosts riders in the sky (version Johnny Cash pour le vocal), une sonorité very sixties un peu surprenante dans un metal fest, toutefois personne ne rechigne, après tout il existe bien du folk metal alors pourquoi pas du country metal.

             Mais au premier accord de guitare l’on comprend que l’on a déjà quitté les vertes prairies et que l’on a déserté les feux de bois pour le chauffage électrique. En quelques notes l’on a fait un grand pas en avant, du country l’on est passé sans rémission au rock, pas le rockabilly trop rock ‘n’roots, lignée MC 5 ( qu’ils ne revendiquent pas ) et seventies, eux-mêmes se qualifient de groupe de hard rock, c’est vrai leur son est dur, mais ils jouent davantage sur la ligne de course que sur le volume.

             Quatre pistoleros, Thomas mène la horde sauvage, crinière brune de lion et chemise voyante, mauve étincelant à motif rouge sang, galope en tête sur sa lead, sur sa gauche Jean-Mi à la basse, belle gueule d’enfant sage ou d’intellectuel qui a troqué la théorie pour l’action, d’autant plus dangereux, Philippe est à la rhythm guitar, silhouette maigre, teint pâle, cheveux longs plaqués le long de son visage un ange déchu pour qui son séjour terrestre est un enfer, confiez lui votre colt mais pas votre cheval, enfin le dernier sur la liste des têtes mises à prix, Guillaume en embuscade derrière ses caisses à munitions.

             Mènent leur chevauchée à bride abattue, sans relâche, partout où ils passent l’herbe rougeoie, serait-ce le reflet du soleil couchant, des ondées d’hémoglobine, ou des flammes de haine. On ne le saura jamais. Ils vont trop vite. Pas le temps de s’attarder sur les détails inutiles, ils passent sans se soucier de vous, suivent la piste maudite du rock qui ne mène nulle part si ce n'est dans vos mythologies personnelles. Je vous chroniquerai leurs disques prochainement, maintenant je vous en prie ne me dérangez pas, leur musique chante dans ma tête et cela me suffit j’ai besoin de rêver des rêves que vous ne comprendriez pas.

             Merci.

             Pas à vous. A eux.

     

    HEVIUS

             Du lourd, plus que lourd, si l’on s’amuse avec la désinence romano-sénatoriale, oui Heavius est heavy mais tendance mélodique, ce qui change la donne. En tout cas la foule s’est amassée avant même qu’ils ne paraissent sur scène. Indéniable, ils ont une cohorte d’amateurs qui les suit. Ligne d’attaque saillante, batterie, basse, clavier, c’est tout Hevius cette disposition, le fleuve de la section rythmique qui se jette dans l’embouchure organique, sur la gauche deux bretteurs, à qui il ne faut pas la raconter, aux guitares, dont Julien au chant.

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    ( Photo : Sandrine Noicy )

             Ainsi disposés ils occupent tout l’espace scénique, ce qui suscite chez le spectateur l’idée d’une coloration symphonique de ce que l’on va entendre. Ce qui n’est pas le cas, ne sont pas prog, plutôt des adeptes des grandes chevauchées lyriques et métalliques. Les guitares ont des cordes d’airain, la batterie davantage brick pirate que heart-breaker, vous entraîne dans des aventures sans fin sur les mers lointaines peuplées de récifs acérés.

             L’on est vite partis, l’on se laisse allègrement flotter au gré des nombreuses péripéties, facile le chant est en français et l’on comprend sans trop d’efforts les paroles, tout va bien l’on file quinze nœuds, les voiles gonflées à bloc, le vent cingle les visages et tout le monde est content. Y a un truc qui me gêne, et je dois être le seul si j’en crois les ovations qui surgissent au final et au début de chaque morceau. C’est le clavier, ce n’est pas qu’il joue mal, loin de là, c’est la manière dont il se pose, qu’il prélude ou qu’il codaïse le morceau, il est à part, trop loin du registre de ses camarades, c’est fait exprès oui, rupture sonique oui, changement d’atmosphère oui, mais il n’impulse pas,  il n’atomise pas, en vieux fan de Led Zeppelin, quelque chose me trouble, cette sensation qu’il est ici un instrument un tantinet surajouté dont l’absence ou la présence dans le morceau  n’est pas absolument vitale alors qu’il se devrait d’être totalement impliqué dans la structure même de son déploiement. Pour prendre un exemple plus classique, écoutons les dissonances instrumentales de Rimsky-Korsakov dans Shéhérazade, comment la force ou le silence du timbre d’une note est là pour impacter la projection de la sonorité suivante. Je cherche la petite bête peut-être mais l’inventivité opérative du bassiste me donne à penser que Hevius a de la ressource et sans doute n’ont-ils pas besoin de mes impressions. Lorsqu’ils terminent, vu les impératifs horaires, l’assistance les laisse partir à regret.

            

    BLACKBIRDS

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    ( Photo : Dwidou photography )

             Ressemblent à des étudiants. Deux garçons, Cyril Vidal à la guitare, Sébastien Arris à la basse, encadrent Méline, cheveux blonds à mèches rouges, sourire aux lèvres, elle n’est pas grande mais assez pour cacher Sylvain Vidal derrière ses pots de peaux tendues. Z’ont un son un peu spécial, pas franchement ceci, pas nettement cela, jouent comme ils ressentent et non comme ils devraient. Un bon point, les individus qui s’affranchissent des règles instituées et des habitudes admises par le commun des groupes sociaux attirent ma sympathie. Toutefois pour notre tranquillité d’esprit il est nécessaire de trouver les mots qui peuvent les définir. Problématique tout de même, j’ai beau trastéger dans ma tête je ne trouve rien. Aucun indice. Où est la faille, non de Zeus, question catégories je ne suis pas Aristote, enfin Damie, magne-toi, dans quelle horloge se cache le lézard. J’ai fini par le découvrir. Le problème dans ce groupe se cache derrière la guitare de la chanteuse, elle s’en débarrassera de temps en temps et puis pour longtemps. Non ce n’est pas la guitare, c’est la chanteuse. Elle ne chante pas comme les autres. Elle se sert uniquement de sa voix. Joue avec ses tessitures. L’est comme un peintre qui choisit sur sa palette la couleur qu’il va employer. Mais elle change souvent, en trente secondes elle adopte facilement cinq ou six tons différents. L’harmonie de son chant est constituée d’une myriade de disharmonies, elle passe sans préavis du plus pur au plus voilé, du haut au bas, du tendre au dur, de l’espiègle au dramatique j’ai dit un peintre mais aussi un sculpteur qui pétrit la glaise, ses doigts appuient ici ou là sur la boule de terre, apparemment au hasard, mais bientôt ne tarde pas à apparaître une forme. En toute logique l’on ne regarde plus qu’elle, ce n’est pas qu’elle chante, c’est qu’elle crée, une artiste en plein travail, elle ne répète pas un numéro appris par cœur, elle enfante quelque chose de neuf. Elle pose les mots un à un, elle les conçoit, à chacun elle inflige un son, une fluidité qui n’appartient qu’à lui, elle leur donne une nouvelle splendeur, ou une dernière laideur car elle ne cherche pas à séduire ou à nous enjôler, elle chante comme elle pense et elle pense comme elle est, un chant très particulier dont la nécessité existentielle constitue la profonde nature de son authenticité.  Elle écrit sa participation phonique dans le temps même qu’elle la puise au tréfonds de sa sensibilité, pas de rature possible, pas de réécriture finale, elle est comme l’écrivain qui ignore la suite de sa phrase mais qui ne doute pas de son advenue efficiente. Pas de prouesse vocale, mais quelque chose de bien plus précieux, de l’inouï, un art qui n’appartient qu’à elle, comment l’a-t-elle trouvé, je n’en sais rien, elle a dû le façonner au travers de multiples impressions et expériences qui lui sont propres, si je devais citer un nom, non pas parce qu’elle y ressemble, le résultat est totalement autre,  je dirais David Bowie en le sens où l’on comprend que rien dans l’extériorisation du chant n’est laissé au hasard, le merle sur sa branche siffle sans se poser de question tout en sachant que son chant est une nécessité constitutive du miroir sonore et indispensable dans lequel lui-même s’identifie au monde et trouve ainsi en lui-même sa seule nécessité. Ainsi Méline.

             Une découverte. Non pas parce que je ne la connaissais pas, mais parce qu’elle existe en dehors de moi. En dehors de tout.

    NEW BIRDS

    BLACKBIRDS

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             Oiseaux noirs, vous sautent aux yeux au premier coup d’œil, ne seraient-ce pas d’ailleurs les feuilles malmenées par un vent soutenu, non il s’agit d’oiseaux et quant à l’arbre, si c’en est un, c’est celui qui pousse dans votre tête lorsque les corbeaux de Gauguin s’en viennent se poser dans la terre fertile de vos cauchemars, ce que vous imaginez être un tronc c’est le buste du petit chaperon noir qui plaque ses mains sur ses yeux pour ne plus être agressé par la noirceur de notre monde. Enlevez le CD, vous découvrez l’arbre dénudé, sa ramure désolée tend ses branches squelettiques vers le ciel vide. Âme vacante dans un univers de solitude dépouillé de grâce.

    Méline Martin : vocals / Sébastien Clive : guitares / Cyril Vidal : guitars / Sébastien Arrais Mendoça : basse, artwork  / Maxime Mangeant : drums

    New birds in town : les instrus se posent un à un tel un essaim d’oiseaux dans les sillons d’un champ fraîchement labouré, la voix de Méline nous parvient comme filtrée de loin par un transistor, la voici sortie de sa cage, elle y reviendra, mais elle ne tardera pas à voleter plus haut que le background instrumental, enfin elle prendra son envol sur un long solo de guitare et gagne définitivement les hauteurs. Starting over : reprenons nos esprits, le disque est de 2018, marque une étape dans la vie du groupe qui s’est formé en 2013, le son produit ne correspond pas à ce que nous avons entendu au concert, une belle prod, tout est en place, guitares scintillantes, rythmique au point mais pas imaginative, et Méline dont on peut dire qu’elle mène le bal avec une déconcertante facilité. Too bad : un peu moins hard rock mélodique que les deux précédents, groove plus puissant, Maxime se lâche sur ses caisses, Méline est aux anges, nous donne des aperçus de ce qu’elle sait faire, sa voix fait du tobogan, ralentit et accélère sans arrêt, ne se lâche pas totalement comme au fertois, le style du disque n’est pas propice aux échappées solitaires, c’est avant tout un travail d’équipe, mais l’on reconnaît en ce morceau les germes de ce qu’elle deviendra. Everywhere : le slow qui tue, guitares tubulures, batterie en berceuse, Méline nous raconte une belle histoire, l’on gobe tout, même les scènes à grand spectacle, l’on n’a pas peur ; l’on est sûr qu’elle reprendra sa voix la plus tendre et malgré la montée des petits périls en gradation incessante l’on ne s’inquiète guère l’on ferme les yeux et on lui fait confiance. Avec raison. All is not lost : guitares en tire-bouchons, batteries brouteuses, filigranes orientalisantes, Méline  nous conte les mille et une nuits, elle ne chante plus, elle joue, elle interprète, elle narre, elle vibre, elle prend parti,  elle précipite, elle crie, la dague d’un solo de guitare nous transperce, nous l’imaginons atterrée devant le cadavre de son amant, histoire sanglante, gardez espoir, rien n’est jamais perdu, Méline s’énerve, la vengeance est un plat qui se mange froid, alors elle se délecte et nous frissonnons lorsqu’elle expose le piège diabolique qu’elle a fomenté pour perdre son ennemi. No lies : nous avons besoin de calme, guitares douces, rythmiques lentes, Méline s’attarde sur les mots qu’elle prend plaisir à étirer paresseusement, mais tout s’accélère, l’on se croyait parti en roue libre et nous voici confronté à une raide montée, prend sa voix la plus douce pour nous réconforter, mais l’ascension reprend de plus belle, la basse vous dessine des lacets en épingle à cheveux à vous crever les yeux, vous les fermez car elle a repris sa voix apaisante, paysages de rêve se dessinent dans votre tête, vous ne vous faites aucune illusion, d’ailleurs la côte devient de plus en plus escarpée, vous ne devriez plus être loin du sommet, un vrombissement de basse terminal vous avertit qu’elle débouche sur un gouffre. Adieu.  Facing a new deal : douces clinquances, tout est trop beau,  de sa voix de miel Méline beurre vos tartines, vous ne croyez pas un mot de ce qu’elle dit, mais elle le dit si bien que vous l’écoutez avec ravissement, mauvaise nouvelle à la radio, elle s’énerve tant pis, lorsqu’elle mêle espoir et désespoir dans sa voix, vous êtes aux anges et aux diables. Même que vous ne savez plus faire la différence, alors elle s’énerve grave, et c’est toujours aussi beau. Colour of delight : flonflons joyeux, le soleil brille, Méline exulte, derrière les boys lui déroulent le tapis rose, laissent des plis, ce n’est pas grave, Merline a la voix qui danse, elle ne touche plus terre. Does it matter : un peu de mélancolie n’a jamais tué personne et ceux qui en sont morts ne l’ont pas regretté, un couplet lent empli de sagesse, mais faut vite ouvrir la fenêtre car les sentiments s’exaltent et prennent une telle place qu’il est bon de les laisser partir, pas de quoi en faire un drame, la vie est ainsi. Never enough : entrée fracassante pas d’espace pour y placer sa voix, logiquement les boys se calment et la seule la batterie marque le rythme, Méline, on la sent nerveuse, s’y colle dessus, elle ne lâchera plus le morceaux, les guys reviennent à la charge, elle s’accroche, fait silence de temps en temps pour ne pas trop blesser leur virilité mais elle revient et reprend la situation en main, ces messieurs se fâchent et construisent un pont aussi long que le Guadalquivir, peine perdue, elle se pavane dessus comme une reine, alors ils abdiquent et lui tressent une fanfare d’accueil. Our last goodbye : Méline chuchote, avec un tel titre l’on prévoyait le bureau des pleurs, l’on ne s’était pas trompé alors on sort les accompagnements symphoniques dignes des cris déchirants de la Traviata, avec moments de recueillements et de soupirs obligatoires, ah cette guitare en reposoir, mais l’on ressort les grandes orgues pour la scène du deuxième acte, Méline nous la joue en diva échevelée, l’on en pleurerait, mais déjà c’est la scène du trois, la définitive, celle qui vous pousserait presque au suicide. Heureusement c’est la fin. Ouf, on l’a échappé belle ! The ride is over : nous restons dans le registre de la tristesse pour le dernier morceau, mais ici pas de crise, pas d’éclats, un glacis de guitares et la voix pure de Méline qui nous apprend que toute chose à une fin, que le disque va se terminer et que nous ne l’entendrons plus. La musique s’éteint. Qu’avons-nous fait pour mériter une telle punition !

     

    DAGARA

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    ( Photo: Mada Lena )

             Trio classique, batterie, basse, guitare, pas un de plus, pas un de moins. Ceci est un mensonge, c’est pourtant la vérité vraie comme disent les enfants, sont comme les mousquetaires, sont quatre, z’ont un chanteur, tout seul, sans instrument, oui mais il compte pour du beurre, on ne voit que lui, les autres on les écoute, et ils débitent le gâteau du rock ‘n’ roll en grosses tranches moelleuse, on y mord à pleines dents, on se pourlèche les babines, on ne prend même pas le temps d’en demander, on garde la bouche ouverte pour engouffrer, sont méchamment au point, mais ce n’est rien, même s’ils sont tout. Vous ne comprenez pas, c’est pourtant simple. Les chutes de Dagara, c’est comme celles du Niagara, vous ne comptez pas les gouttes, vous ne voyez que l’ensemble, et cette fin d’après-midi de dimanche, ce n’est pas un groupe que vous admirez mais un ensemble.

             Hallucinant. Comment la présence d’un chanteur peut transcender le show. Ce n’est pas qu’il vole la vedette aux trois spadassins, ce n’est pas qu’il se démarque d’eux, c’est le contraire, leur colle à la musique comme un ectoplasme fantomatique s’accroche à la peau des visiteurs des cimetières, à la différence près que vous ne vous enfuyez pas, vous ne bougez pas, vous restez médusé, vous jouissez, vous orgasmez.

             Jimmy vous donne du fil à retordre. Micro en main, il est partout à la fois, bouge à la manière d’un électron libre dans un synchrotron, à peine ici, il est déjà ailleurs, vous assistez en direct à une célèbre expérience de physique, prenez deux boites, enfermez une particule dans celle de gauche, vérifiez, elle est aussi et en même temps dans la boîte de droite, idem pour Jimmy il est au chant et il est à la musique. Rien de mystérieux dans cette incongruité.

             Une marionnette qui s’agite sans cesse, parcourt l’estrade comme le funambule court sur son fil, donne l’impression de n’en faire qu’à sa tête, éructe son chant, le monde tout autour de lui n’existe plus, l’est dans son délirium tremens, la terre peut s’écrouler, la fin du monde survenir, Jimmy chante, oui mais voici un coup de baguette droite sur la caisse claire qui ponctue une  courte séquence,  tout le corps de Jim vacille, n’est plus qu’une tour de Pise prête à s’affaler, et comme la guitare lance un riff, il repart aussi sec. La première fois vous vous dites c’est superbe, l’est bien servi par le hasard. Mais ce genre de mimétisme se répète trop souvent pour que vous n’entriez pas en contemplation d’une telle osmose. Au cirque le cheval qui danse ne suit pas la musique ce sont les musiciens qui suivent le canasson, mais dans cette tourmente métallique personne ne suit personne, sont ensemble, connaissent les morceaux et se connaissent entre eux par cœur. Dagara sont au point. Au point où les différences s’estompent et s’annulent. Ne calculent plus, sont devenus une entité, sont en même temps les proies et les prédateurs d’un instinct collectif du vivre ensemble – ainsi parlent nos politiques adorés – donnent tout ce qu’ils peuvent, sont généreux, réalisent ce miracle de ne jamais couper le contact avec le public qui les acclame.

             Un seul regret, la nuit est tombée, leur prestation sous les projos n’en n’est que plus séduisante, mais la foule s’est amenuisée. C’est ainsi la vie, on sait ce que l’on gagne mais l’on ignore ce que l’on perd. Ce soir la perte possède un nom : Dagara.

     

    DEADMAN’S TRIGGER

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    ( Photo : Dwidou photography )

    Nuit noire. Des ombres montent sur scène, si discrètement que l’on se croirait dans un polar. Y a-t-il quelqu’un derrière la batterie. Le mystère reste entier. Maintenant deux incertaines silhouettes se font face vers le milieu. Pas un mot, pas un geste, ne serait-on pas plutôt en un roman d’espionnage… Brrr ! ont résolu de nous faire peur et d’instiller une sainte frousse dans la cinquantaine de survivants qui attendent. Ne bougent toujours pas mais enfin un sampler démarre. Une musique lourde et sombre, peu engageante, froide et dure. S’animent enfin. L’est sûr que le siège de batterie est occupé, mais le batteur reste relégué dans le noir, à peine si de temps en temps émergent les fragments d’une face froide.

    On les voit mieux. Deux frères ennemis, l’un doit avoir une basse et l’autre une guitare, les morceaux ressemblent à ceux du sampler, aussi réjouissants qu’un cadavre qui s’ennuie dans un tiroir de la morgue. Dans la série on casse l’ambiance, on refroidit l’assistance, ils réussissent bien leur coup. Rentrerons-nous à la maison la tête pleine de cauchemars. Sursauterons-nous à la moindre marche de l’escalier qui craquera ?

    En fait non, ne sont pas si méchants que cela, si l’on quitte la barrière protectrice où l’on s’est accoudé, si l’on recule de trois mètres, la perspective change, oui ce sont bien des êtres humains, pas des morts-vivants, ce n’est pas la grande clarté mais ils ont même une figure sympathique, comme par hasard le rythme des morceaux se réchauffe, ont un cœur, ont pitié de notre maigre troupeau immobile, alors ils se transforment en animateurs trépidants, en organisateurs consciencieux, mouillent leur chemise, descendent dans l’escouade des derniers fidèles, et le miracle se produit, si durant l’après-midi le public est resté aussi sage que des gaulois tectosages,  et ne s’est livré à aucun déchaînement, ils parviennent à mettre en branle le seul tourbillon de la journée, certes ce n’est pas le maelström de la folie pure, mais ils ont assuré comme des bêtes. Méfions-nous, quand ils appuient sur la gâchette, ils se retirent avec les honneurs de la guerre. Qu’ils en soient remerciés.

    RETOUR

    La teuf-teuf II taille la route, l’est contente moi aussi. Me promets de revenir l’an prochain du début à la fin, j’ai lâchement abandonné sur son échafaud le dernier groupe Marie-Antoibette, que voulez-vous je ne suis pas le Chevalier de Maison-Rouge. Entre deux groupes leur guitariste a donné une master class de guitare et Merline une de chant. Le Fertois Metal Fest nous réserve bien des surprises.

    Damie Chad.

    N. B. : les photos signées Dwidou Photography sont aussi visibles ( en compagnie de beaucoup d'autres et d'un rapide report de chaque set ) sur la page  YT : Rock Metal Mag, à visiter sans faute.